Textes militaires

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ŒUVRES DE CHE GUEVARA �DlTION MISE EN ORDRE ET AUGMENT�E I. Textes militaires (.

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début de la lutte en leur expliquant son sens social et leurs devoirs. Il faut leur donner des notions claires, leurs inculquer une morale qui leur forge le caractère et fasse que chaque expérience les aide à se surpasser, et ne soit pas seulement un moyen supplémentaire de lutte pour survivre. L'exemple a une grande valeur éducative. Les chefs doivent constamment donner l'exemple d'une vie san� faille et vouée à la cause. L'avancement du soldat doit être fondé sur son courage, ses aptitudes et son esprit de sacrifice. Celui qui ne remplit pas pleinement ces conditions ne peut recevoir de responsabilités : tôt ou tard, il provoquera de regrettables accidents. Dès qu'un guérillero s'approche d'une m aison, sa conduite est observée : selon sa m anière de demander un service, du ravitaillement, et selon les procédés qu'il emploie pour les obtenir, les habitants tireront des conclu­ sions, favorables o u défavorables, sur la formation de guérilla. La prudence réclame donc qu'un chef explique ces problèmes en détail, et leur donne l'importance qu'ils méritent ; il doit aussi convaincre par son propre exem­ ple. S'il arrive que l'on entre dans un village, il faut interdire auparavant les boissons alcoolisées, exhorter la troupe, lui donner le meilleur exemple possible de disci­ pline et surveiller constamment les entrées et les sorties du village. L'organisation, la valeur combative, l'héroïsme et l 'esprit de la formation de guérilla doivent connaître l'épreuve de l'encerclement, car c'est la situation la plus dangereuse de la guerre. Dans le jargon de nos guérilleros, pendant la guerre, on appelait « gueule de siège � le visage angoissé de certains soldats épouvantés. Les h iérarques du régim e renversé appelaient pompeusement leurs cam­ pagnes encerclement et anéantissement. Mais pour une formation de guérilla qui connaît son terrain, liée idéo­ logiquement et organiquement à son chef, ce n'est pas un problème de grande importance. Il suffit de se retran­ cher, de t âcher d'éviter l'avance ennemi e appuyée d'armes lourdes, et d'attendre la nuit, alliée naturelle du guérillero. Au crépuscule, dans le plus grand secret possible, après avoir reconnu et choisi le meilleur chemi n , on utilisera le moyen de retraite le plus approprié, en observant le silence le plus absolu. Dans ces conditions, il est extrê-

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mement difficile d'empêcher, la nuit, un groupe d'hommes d'échapper à l'encerclement.

IV. LE COMBAT

Le combat est l'acte le plus important de la vie de guérilla. Il n 'est qu'un épisode dans le développement de la lutte, mais il n'est pas douteux que ces rencontres acquièrent une importance extraordinaire car chaque accro­ chage est une bataille fondamentale pour les combattants. Nous avons indiqué antérieurement que l'attaque doit se faire avec une garantie totale de succès. Nous devons expliquer les grandes lignes de la tactique à mener et l'attaque elle-même, ainsi que les différentes caractéristi­ ques que peut présenter chaque action. En premier lieu, nous décrirons la lutte en terrain favorable, parce que c'est le modèle type de la guerre de guérilla, et que c'est là qu'il faut utiliser des principes antérieurs à l 'expé­ rience pratique pour résoudre certains problèmes. (La guerre de plaine est, comme toujours, le résultat d'une avance des guérillas grâce à leur renforcement, et des conditions propres au milieu, ce qui enrichit l'expérience des combattants et leur permet d'en tirer profit.) Dans la première phase de la guerre de guérilla, les colonnes ennemies s'infiltrent profondément dans le terri­ toire insurgé. Selon les forces de ces colonnes, on se livrera à deux types d'attaque. Le premier type entraîne systématiquement, au cours d'un certain nombre de mois, la perte de la capacité offensive de ces colonnes ; il précède chronologiquement l'autre. Cette attaque porte contre les avant-gardes : les terrains défavorables empê­ chent les colonnes d'avancer avec une couverture suffi­ sante sur les flancs ; aussi doivent-elles toujours avoir une avant-garde qui, en pénétrant la première et en exposant la vie de ses hommes, garantit la sécurité du reste de la colonne. Quand les hommes ne sont pas assez nombreux, que l'on ne peut compter sur des réser­ ves et qu'en plus l'ennemi est fort, on doit toujours viser à détruire cette pointe d'avant-garde. Le système est sim­ ple et ne nécessite qu'une certaine coordination. Quand, à l'endroit décidé - le plus escarpé possible - apparaît 72

la pointe de l'avant-garde, on en laisse pénétrer une partie et on ouvre sur elle un tir meutrier. Pendant ce temps, un petit groupe contient un moment le reste de la colonne, de façon à ce que l'on puisse s'emparer des armes, des munitions et des équipements. Le guérillero doit toujours avoir présente à l'esprit l'idée que sa source d'approvi­ sionnement en armes se trouve chez l'enne m i ; on ne doit jamais livrer bataille, sauf exception, que pour s'emparer du matériel. Quand les forces de la formation de guérilla le permet­ tent, on encerclera complètement la colonne ou, du moins, on en donnera l'impression. Dans ce dernier cas, l'avant­ garde de la formation de guérilla doit être si forte et si bien retranchée qu'elle résistera aux attaques de front de l'ennemi. Au moment où l'ennemi est stoppé, les forces de l'arrière-garde surgissent pour l'attaquer à revers. Comme l'endroit est préalablement choisi pour que l'ennemi ne puisse faire m anœuvrer les ailes, on povrra aisément poster des francs-tireurs qui maintiendront toute la colonne, parfois huit à dix fois supérieure en nombre, dans la zone de feu. Dans ce cas, en supposant des forces suffi­ santes, tous les chemins doivent être contrôlés par des embuscades pour contenir les renforts. L'encerclement se resserrera graduellement, surtout de nuit ; le guérillero connaissant les lieux et l'ennemi ne les connaissant pas, la nuit voit s'accroître la force du guérillero et la peur de l'ennemi. De cette manière, on peut assez facilement anéantir une colonne, ou lui i nfliger des pertes telles qu'il lui faudra beaucoup de temps pour se regrouper. Lorsque les forces de la guérilla sont minimes et qu'on veut pourtant retarder ou repousser l'avance de la colonne ennemie, on les répartira en groupes de deux à dix tirail­ leurs, en chacun des points cardinaux, autour de la colonne. On pourra, par exemple, engager le combat par le flanc droit : lorsque l'ennemi portera son action sur ce flanc et le chargera , on commencera à tirer sur le flanc gauche, puis sur l'arrière-garde ou l'avant-garde, et ainsi de suite. Ainsi, en utilisant très peu de munitions l'on pourra tenir l'ennemi perpétuellement en alerte. La technique de l'attaque d'un convoi ou d'une position ennemie doit être adaptée aux conditions du terrain choisi. D'une manière générale, il faut faire en sorte que le pre­ mier assaut d'une position soit donné de nuit, par sur73

prise, sur un avant-poste quelconque. Une attaque sur­ prise réalisée par des commandos aguerris, peut liquider aisément une position, compte tenu de l'avantage que donne l'effet de surprise. Pour un encerclement en règle, les zones de fuite peuvent être contrôlées avec peu d'hom­ mes, et les voies d'accès défendues par des embuscades, tendues de telle sorte que si l'une d'elles est franchie, les guérilleros puissent se replier et qu'il reste encore une seconde embuscade. Quand l'élément de surprise ne joue pas, au moment de s'emparer du camp, la victoire ou la défaite dépendra de la capacité des forces d'encercle­ ment à contenir l'arrivée des renforts. Dans ce cas, l'ennemi dispose généralement de l 'appui de l 'artillerie, de mortiers, de l'aviation et des tanks. En terrain favo­ rable à la guérilla, le tank est une arme peu dangereuse : il lui faut passer par des chemins étroits où il est faci­ lement victime de mines. D'autre part, la capacité offen­ sive des tanks perd ici de sa valeur puisqu'ils doivent rouler en file indienne, ou tout au plus deux par deux. La meilleure arme contre eux, la plus sûre, est la mine, m ais dans les corps à corps faciles à réaliser en terrains escarpés, le « cocktail Molotov , est une arme d'uno extraordinaire efficacité. Nous ne parlons pas du bazooka, qui serait pour les forces de guérilla une arme défensive sérieuse, mais qu'il est bien difficile de se procurer, du moins aux débuts de la lutte. Contre le mortier, il existe le recours de la tranchée avec un toit. Le mortier est une arme d'une grande efficacité contre une position encer­ clée, mais à l'inverse, son pouvoir diminue face à des assaillants mobiles. L'artillerie ne joue pas un grand rôle dans ce genre de lutte, car elle doit être disposée sur des emplacements très accessibles et ne peut rien contre des cibles mobiles. L'aviation constitue l'arme principale des forces d'oppression, mais son efficacité se voit très réduite dans la mesure où ses seules cibles sont des petites tran­ chées invisibles. Elle lâchera des bombes très puissantes qui feront plus de bruit que de mal. Et, en outre, plus on s'approche des lignes défensives ennemies, plus il devient difficile pour l'aviation d'attaquer ces points. De tous les types de mines, la plus efficace, mais qui demande des connaissances techniques qui ne sont pas toujours assurées, est la mine télécommandée ; mais les mines à pression, à mèche, et surtout les m ines électri­ ques, sont également d'une extrême utilité et constituent, 74

sur les chemins de montagne, des défenses quasi inexpu­ gnables pour les forces populaires. Un bon moyen de défense contre les chars blindés est la tranchée inclinée, construite en travers du chemin, de telle sorte que le tank y pénètre aisément, mais n'en peut ressortir que difficilement. Ces tranchées peuvent être facilement camouflées pendant les avances de nuit de l'ennemi, ou lorsque la résistance opposée par la guérilla l'empêche de faire précéder les tanks par de l'infanterie. En terrain praticable, le camion est un autre moyen de progression classique de l'ennemi. Ses colonnes de camions sont précédées par quelques chars blindés. Selon la puissance de la formation de guérilla, elle peut soit encercler la colonne tout entière, soit la décimer en attaquant quelques-uns des camions et en faisant simul­ tanément exploser des mines. Dans ce cas, il faut agir rapidement, prendre les armes des ennemis abattus et se retirer. Si les conditions le permettent, on peut tenter un encerclement total dont nous avons déjà expliqué les règles générales. Le fusil de chasse est une arme d'une grande efficacité pour l'attaque de camions découverts. Les plombs d'un fusil de calibre 16 peuvent couvrir un champ de dix mètres, presque toute l'étendue d'un camion, tuant quel­ ques-uns des occupants, en blessant d'autres et provoquant une intense confusion. Les grenades, si l'on en possède, sont dans cette occasion des armes excellentes. Pour toutes ces attaques, c'est l'effet de surprise qui est essentiel. C'est d'ailleurs une caractéristique primor­ diale de la tactique de la guérilla. Et cet effet ne peut être obtenu si les paysans de la région sont au courant de la présence de l'armée rebelle. C'est pour cette raison que tous les mouvements doivent être effectués de nuit : seuls des hommes d'une grande discrétion, d'une loyauté éprouvée, peuvent les connaître et établir les liaisons. Pour ces marches, les sacs doivent être remplis de vivres, pour pouvoir tenir deux, trois et même quatre jours sur les lieux de l'embuscade. On ne doit jamais trop se fier à la discrétion du paysan : d'abord, parce qu'il a une tendance naturelle à parler, à commenter les faits avec d'autres membres de la famille ou avec des connaissances sûres ; ensuite, parce que la bestialité avec laquelle les soldats ennemis traitent la population, quand ils ont été battus, sème la terreur et 75

amène certains, pour sauver leur vie, à parler plus qu'ils ne devraient et à fournir des renseignements essentiels. Pour tendre une embuscade, on choisira en général un lieu situé au moins à un jour de marche des bases habi­ tuelles de la guérilla que l'ennemi connaît toujours plus ou moins approximativement. Nous avons déjà souligné précédemment que, dans un combat, la façon de tirer indique l'emplacement des adver­ saires, d'un côté, le tir violent, nourri. du soldat régulier, habitué à disposer de munitions à volonté, et de l'autre, le tir méthodique, sporadique du guérillero qui connaît la valeur de chaque balle, en use avec parcimonie et ne tire jamais plus qu'il n'est nécessaire. Comme il n'est pas non plus logique, pour économiser les munitions, de laisser s'échapper l'ennemi, ou de ne pas faire fonc­ tionner à plein une embuscade, il faut prévoir la quantité de munitions à utiliser en chaque occasion, et mener les combats selon ces calculs préalables. Les munitions sont le grand problème du guérillero. Des armes, on en trouve toujours, et celles que l'on possède ne quittent plus la guérilla, mais les munitions s'épuisent, et si l'on capture en général les armes avec leurs munitions, on prend très rarement, sinon jamais, de munitions seules. L'arme prise avec ses balles ne peut contribuer à approvisionner d'autres armes puisqu'il n'y en a pas en surplus. Dans ce type de guerre, le principe tactique de l'économie de tir est fondamental. Jamais un chef guérillero, qui se donne comme tel, ne saurait négliger la retraite. Les retraites doivent être faites au moment utile, souples, et doivent permettre de sauver tout le m atériel de la formation de guérilla et les blessés. Le rebelle ne doit jamais être surpris pendant une retraite ; il ne peut jamais se permettre le luxe de se laisser encercler. La route choisie doit donc être gardée sur tous les points où l'ennemi est susceptible d'avancer ses troupes pour tenter un encerclement. En cas de tentative d'encer­ clement, un système de liaison doit permettre de prévenir rapidement les camarades. li faut toujours avoir des hommes sans armes : ils prendront le fusil des camarades blessés ou morts, ou celui d'un prisonnier. lis s'occuperont des prisonniers, du transfert des blessés et des liaisons. Il faut toujours avoir une bonne équipe de messagers infatigables, d'un sérieux 76

éprouvé, capables de transmettre les ordres de toute urgence. Le nombre de ces auxiliaires est relatif, mais on peut le fixer à deux ou trois par dizaine : ils assisteront au combat, rempliront les tâches nécessaires, à l'arrière-garde, défendant les positions au cours de la retraite et établis­ sant les services de liaison dont nous avons parlé. Lorsque la formation de guérilla pratique une guerre de type défensif - c'est-à-dire lorsqu'elle assure la défense des accès d'une région déterminée contre une colonne d'envahisseurs - le combat se transforme en guerre de positions ; mais il faut toujours, au début de l'engagement, ménager l'effet de surprise dont nous parlions plus haut. Si l'on creuse des tranchées ou d'autres systèmes défensifs, facilement repérables par les paysans de la région, on doit s'assurer que ceux-ci demeurent en arrière des lignes. Dans ce type de guerre, en effet, le gouvernement établit le blocus de la région ; et les paysans qui n'ont pas fui sont obligés d'aller se ravitailler dans des zones éloignées de celle contrôlée par la guérilla. Dans les moments cri­ tiques que nous décrivons, tout homme qui sort de la zone de guérilla constitue un très grand danger par les renseignements qu'il peut fournir à l'ennemi. En guerre défensive, l'armée rebelle doit avoir pour principe de base la tactique de la terre brûlée. Tout l'appareil défensif doit être structuré de telle façon que l'avant-garde ennemie tombe toujours dans une embuscade. Il est très important, sur le plan psycholo­ gique, que ce soient les hommes de l'avant-garde qui tom­ bent, immanquablement, à chaque combat. On doit créer chez l'armée adverse une conscience chaque fois plus aiguë de ce fait, l'amenant jusqu'au point où personne ne veut plus être de l'avant-gan!e. Et comme il est évi­ dent qu'une colonne qui n'a pas d'avant-garde ne peut se déplacer, il faut donc que quelqu'un assume cette res­ ponsabilité... On peut, si on le juge utile, faire des manœuvres de diversions, des encerclements, des attaques de flanc, ou simplement contenir l'ennemi de front : mais dans tous les cas, on doit fortifier les points susceptibles de servir d'objectif à des attaques de flanc. Ceci suppose déjà davantage d'hommes et d'armes que pour les combats décrits précédemment. Car il est évident qu'il faut beaucoup d'hommes pour bloquer tous 77

les chemins et ils peuvent être nombreux qui convergent vers une zone. Il faut ici augmenter le nombre des pièges et des attaques contre les véhicules blindés tout en assu­ rant la plus grande sécurité possible au système de tran­ chées fixes ct de ce fait localisables. Dans ce type de guerre si l'ordre est en général de tenir les défenses jusqu'à la mort il faut assurer cependant à chaque défenseur le maximum de chances de survie. Plus une tranchée est dissimulée à l'observation loin­ taine plus elle est sûre : il est bon de la recouvrir d'un toit pour neutraliser l'effet des mortiers. Les mortiers généralement utilisés en campagne, de 60, 1 ou même de 85 mm, ne peuvent perforer un bon toit construit en matériaux de la région, bois ou pierre, bien camouflé. On doit toujours prévoir une issue permettant en cas extrême, de s'échapper sans trop exposer sa vie. Nous avons aménagé de ces défenses dans la Sierra Maestra où elles furent efficaces pour nous protéger du tir des mortiers. Toutes ces considérations indiquent clairement qu'il n'existe pas de lignes de feu déterminées. La ligne de feu est une chose plus ou moins théorique qui se fixe à certains moments cruciaux, mais qui est élastique et perméable entre les deux camps. Ce qui existe c'est un vaste no man's land : mais la caractéristique d'un no ma1l's la1ld de guérilla c'est qu'il y vit une population civile qui collabore dans une certaine mesure avec l'un des deux camps - en fait, une impressionnante majorité est du côté de l 'insurrection. Cette population ne peut être déplacée massivement car cela créerait à celui des adversaires qui en ferait l'essai un problème de ravi­ taillement insoluble. Ce 110 ma1l's la1ld est traversé par des incursions périodiques, généralement diurnes pour les forces répressives, et nocturnes pour les forces de guérilla. Ces dernières y trouvent une importante source de ravi­ taillement qui doit être ménagée sur le plan politique en établissant les meilleures relations avec les paysans et les commerçants. Dans ce type de guerre, le travail de ceux qui ne combattent pas directement est très important. Nous avons déjà signalé quelques caractéristiques des liaisons sur les lieux du combat, mais les liaisons sont une insti­ tution à l'intérieur de l'organisation de la guérilla. Les liaisons jusqu'au groupe de guérilleros le plus éloigné doivent être structurées de telle sorte qu'elles puissent tou78

jours aller d'un point à un autre par le moyen le plus rapide connu dans la région, et ceci même en terrain défavorable. II n'est pas question par exemple qu'une guérilla opérant en terrain défavorable laisse subsister des systèmes modernes de communications tels que le télé­ graphe, les routes, etc., sauf certains systèmes radios impos­ sibles à détruire qui ne servent qu'à des garnisons militaires solides qui les défendent, et qui, de toute façon, s'ils tom­ baient aux mains de la guérilla, nécessiteraient un change­ ment des codes et des fréquences, travail parfois assez difficile. Nous disons cela en nous rappelant notre propre e){pé­ rience durant la guerre de libération : l'information quo­ tidienne ct sûre sur toutes les activités de l'ennemi est complétée par celle des liaisons. Le système de renseigne­ ments doit être étudié et ses hommes choisis avec le plus grand soin. Car le mal que peut faire un agent double est immense, et sans aller si loin, une information exa­ gérée, qui surestime ou minimise le danger, peut être la source de bien des ennuis : il est rare qu'il soit m ini­ misé : la tendance générale du paysan le porte à grossir les nouvelles. La même mentalité superstitieuse qui fait apparaître des fantômes et toute sorte d'êtres surnaturels crée également des armées monstrueuses quand il ne s'agit que d'un peloton ou une patrouille ennemie. L'espion, en outre, doit sembler le plus neutre possible, et ne paraître avoir. pour l'ennemi, aucun rapport avec les forces de libération. Ce n 'est pas une tâche aussi difficile qu'elle le paraît, et l'on rencontre beaucoup de gens, commer­ çants, membres de professions libérales et jusqu'à des religieux, qui peuvent prêter leur concours et fournir des renseignements. L'une des caractéristiques les plus importantes de la guerre de guérilla est la différence considérable entre les informations qu'obtiennent les forces rebelles et celles de l'armée régulière. Celle-ci doit traverser des zones absolument hostiles où elle ne rencontre que l'âpre silence des paysans, tandis que la formation de guérilla compte un ami dans chaque maison, sinon un membre de sa famille, et les nouvelles circulent constamment à travers le système des liaisons, jusqu'au Q.G. ou au P.C. guérillero de la zone. Lorsque l'ennemi pénètre en territoire ouvertement rebelle, où tous les paysans ont adhéré à la cause popu79

laire, un problème très sérieux se pose. La majorité des paysans tentent de fuir avec l'armée populaire en abandon­ nant leurs enfants et leurs occupations, d'autres emmènent leur famille tout entière, d'autres enfin resten t et attendent les événements. La plus grave conséquence de la pénétra­ tion ennemie est de mettre des quantités de familles dans une situation difficile, sinon désespérée. O n doit leur apporter le maximum d'appui, mais les prévenir aussi qu'une fuite vers des régions inhospitalières, loin des lieux habituels d'approvisionnement, les expose à des calamités certaines. On ne saurait parler d'une c répression type :t de la part des ennemis d u peuple : e n chaque lieu, selon les conditions spécifiques, historiques, sociales, économiques, les ennemis du peuple agissent d'une m anière plus ou moins criminelle, bien que les méthodes générales de répression soient toujours identiques. Il y a des lieux où la fuite de l'homme vers la zone de guérilla, laissant sa famille à la maison ne provoque pas grande réaction. Ailleurs, cette fuite suffit à faire réquisitionner ou brûler ses biens, à provoquer la mort de toute la famille. Il est donc naturel que l'on organise au m ieux les paysans qui doivent être affectés par une avance ennemie, d'après ce que l'on sait des règles de l a guerre dans cette région particulière. Il est évident qu'il faut se préparer à rejeter l'ennemi hors du territoire touché en coupant les lignes de com­ munication, en empêchant le ravitaillement, au moyen de petites guérillas qui l'obligent à lancer dans le combat des effectifs très nombreux. Le facteur le plus important de ces combats est l'utili­ sation judicieuse des réserves à chaque rencontre. De par &es caractéristiques, l'armée rebelle peut rarement compter sur des réserves, car à chaque combat le travail du moindre participant est réglé et pleinement employé. Mais il est bon qu'elle tienne répartis des hommes qui puissent répondre à un imprévu, déclencher une contre-attaque ou fixer une situation. En accord avec l'organisation de la guérilla et selon les possibilités du moment, on peut tenir prêt à cet effet u n peloton c à tout faire :t dont la tâche est se porter sur les points les plus dangereux ; on peut le baptiser c peloton-suicide :) ou de n'importe quel autre nom : il remplit bien, en fait, les fonctions que ce nom indique. Ce c peloton-suicide :t doit être sur tous les

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points où se décide un combat, dans les attaques surprises des avant-gardes, dans la défense des lieux les plus vulné­ rables et les plus dangereux, partout enfin où l'ennemi menace la stabilité de la ligne de feu. Chacun sera libre de rejoindre ce peloton qui devra constituer comme une récompense pour l'homme qui le choisit. Il est appelé à devenir, avec le temps, un exemple pour chaque colonne de guérilla, et le guérillero qui a l'honneur d'appartenir à ce corps est admiré et respecté de tous ses camarades.

V. DÉBUT,

DÉVELOPPEMENT

ET

FIN

D'UNE

GUERRE

DB

GUÉRILLA

Nous avons déjà abondamment défini ce qu'est une guerre de guérilla. Nous retracerons maintenant son déve­ loppement idéal, en terrain favorable, depuis sa naissance à partir d'un noyau unique, c'est-à-dire qu'à parlir de l'expérience cubaine, nous allons en élaborer la théorie. Au début, il y a un groupe plus ou moins armé, plus ou moins homogène, qui s'efforce presque exclusivement de se cacher en des lieux abrupts, inextricables, en main­ tenant un faible contact avec les paysans. Ce groupe réussit un coup : alors naît sa renommée ; quelques paysans dépossédés de leurs terres ou en lutte pour les conserver, et de jeunes idéalistes issus d'une autre classe viennent grossier ses rangs. Le groupe acquiert une audace plus grande pour circuler dans les zones h abitées et u n contact étroit avec les gens de la région, commence quelques atta­ ques en fuyant immédiatement après ; rapidement il en arrive à engager un combat contre une colonne et en détruit l'avant-garde ; il continue à incorporer des hommes, augmente e n nombre ; mais son organisation demeure la même, à cela près qu'il prend moins de précautions et s'aventure d ans des régions plus peuplées. Plus tard, le groupe établit des campements provi­ soires pendant quelques jours, qu'il abandonne dès qu'il apprend que l'ennemi est proche ou s'il y a des bombar­ dements, ou simplement s'il soupçonne l'un de ces dangers. La guérilla augmente numériquement, conjointement au travail de masses qui fait de chaque paysan u n partisan de la guerre de libération. Enfin, elle choisit une zone i naccessible, la vie sédentaire commence et les premières

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petites industries commencent à s'établir : la cordonnerie, la fabrique de tabac, l'armurerie, la boulangerie, quel­ ques tailleurs, les hôpitaux, la radio, l'imprimerie, etc. Déjà la guérilla a une organisation, une structure nou­ velle. C'est la tête d'un grand mouvement, avec, esquissées, toutes les caractéristiques d'un gouvernement. Un tribunal est instauré, pour l'administration de la justice ; si cela est possible, on édicte certaines lois, et on continue le travail de politisation des m asses paysannes - et ouyrières s'il y en a dans la région, Une offensive ennemie est mise en déroute : le nombre des fusils augmente et par suite le nombre d'hommes de la guérilla. Mais à u n moment donné, son rayon d'action n'augmente plus dans la même proportion que le nombre d'hommes : alors, une colonne se sépare du groupe et s'en va créer une autre zone de combat. Ce nouveau noyau recommencera le travail bien qu'avec des caractéristiques quelque peu différentes grâce à l'expérience acquise et à la pénétration des zones de guerre par les troupes de libération. Pendant ce temps, le noyau central continue à grossir : il a déjà reçu des apports substantiels en ravitaillement, parfois en fusils, de zones éloignées, les hommes continuent d'arriver, on pour­ suit les tâches administratives avec la promulgation de lois : on ouvre des écoles qui permettent la politisation et l'entraέ nement des recrues. Les chefs s'éduquent à mesure que la guerre se développe, et leur capacité de commandement s'améliore en même temps que l'augmentation quantitative et qualitative des forces. Le moment venu, des groupes peuvent s'établir dans des zones éloignées, et recommencer le même cycle. Mais il existe aussi un territoire ennemi, le territoire défavorable à la guerre de guérilla. Là, de petits groupes s'infiltrent pour attaquer les communications, détruire les ponts, poser les m ines, semer l'insécurité. Avec les hauts et les bas propres à la guerre, le mouvement continue à se renforcer : déjà le grand travail de masses permet la mobilité des forces en terrains défavorables et l'on pal­ vient à la dernière étape qui est celle de la guérilla près des villes. Le sabotage augmente sensiblement dans toute la zone. La vie est paralysée : elle est contrôlée. On va vers d'autres zones, on combat l'armée ennemie sur des fronts définis ; on s'est déjà emparé d'armes lourdes (jusqu'à des tanks), on lutte d'égal à égal, l'ennemi tombe lorsque

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la succession des victoires partielles se transforme en vic­ toire finale, quand on en vient à lui faire accepter le combat dans les conditions i mposées par la guérilla, et là, on le défait, en le forçant à se rendre. Ce n'est là qu'une esquisse qui restitue les différentes étapes de la guerre de libération cubaine, mais elle a u n contenu à peu près universel : sauf que l ' o n n ' a pas tou­ jours cette combinaison d'éléments - le peuple, les condi­ tions, le chef - qui s'est produite dans notre guerre. Est-il nécessaire de le dire : Fidel Castro réunit les qualités du combattant et de l'homme d'Etat et l'on doit à sa vision des événements. notre débarquement, notre lutte et notre triomphe. Nous ne pouvons pas dire que, sans lui, l a victoire d u peuple ne s e serait pas produite, mais nous pouvons dire que cette victoire nous aurait coûté beau­ coup plus cher et aurait été moins complète.

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3. Organisation du front de guérilla

I. LE RAVITAILLEMENT

Le ravitaillement correct d'une formation de guérilla est essentiel. Le groupe doit pouvoir vivre des produits du sol tout en permettant aux paysans qui les fournissent d'en vivre également. Le guérillero ne peut pas, dans la lutte difficile qu'il mène - surtout au début - produire lui-même quoi que ce soit : particulièremen t s'il s'agit d'un territoire accessible aux colonnes de répression. Au fur et à mesure qu'elle se développe, la formation de gué­ rilla doit s'assurer des sources de ravitaillement éloignées des zones de combat. Au début elle vivra u n iquement de ce que produisent les paysans : elle pourra peut-être s'ap­ provisionner dans certains centres, mais jamais constituer des réseaux de ravitaillement car elle n'a pas encore le territoire où les établir. Le réseau d'approvisionnement et le stockage du ravitaillement sont donc conditionnés par le développement de la lutte. En premier lieu, il faut gagner la confiance absolue des habitants de la zone : et cette confiance s'acquiert par une altitude positive face à leurs problèmes ; en les aidant et en les guidant constamment. en défendant leurs inté­ rêts et en châtiant ceux qui profitent d u désordre pour déloger les paysans, s'emparer de leurs récoltes, prêter à intérêt. La ligne doit être à la fois souple et dure. Souple, par une collaboration spontanée avec tous les sympathisants honnêtes du mouvement révolutionnaire : dure avec ceux qui l'attaquent directement en fomentant des dissensions ou en communiquant des renseignements importants à l'armée ennemie. Peu à peu, la zone sera contrôlée et l'on pourra compter sur une plus grande liberté de mouvement. 11 faut avoir pour principe de base de toujours payer les marchandises prises aux sympathisants : produits de la terre ou articles commerciaux. Ce sont souvent des cadeaux, mais les conditions de vie du paysan empêchen t

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parfois ces dons. Il peut arriver que les nécessités de la guerre obligent à attaquer des magaSInS, sans pouvoir payer. Dans ce cas, il faut toujours donner au commerçant un bon, une reconnaissance de dette : les c bons d'espé­ rance » que nous avons déjà mentionnés. Mais il vaut mieux utiliser ce moyen avec des gens qui se trouvent hors des l imites du territoire libéré, e t les régler le plus vite possible, du moins en partie. Lorsque les conditions se sont suffisamment améliorées pour permettre de conserver en permanence un territoire hors d'atteinte de l'armée ennemie, on peut alors en venir aux semailles collectives. Les paysans travaillent la terre au bénéfice de l'armée de guérilla, et garantissent ainsi une source fixe de ravitaillement. Si le nombre de volontaires guérilleros est trop grand par rapport au nombre d'a�mes, et si les conditions politi­ ques empêchent ces hommes de descendre dans les zones dominées par l'ennemi, l'armée rebelle peut faire travailler la terre à ses hommes et à tous les incorporés, rcueillir les produits qui garantissent le ravitaillement ; ces volontaires remplissent leurs feuiIles de service qui serviront par l a suite à leur promotion a u rang d e combattant. I l est cepen­ dant préférable que les semailles soient faites par les paysans eux-mêmes, car ils accomplissent le travail avec plus d'en­ thousiasme et davantage de compétence. A un stade plus avancé on peut en venir à acheter des récoltes e ntières et à les stocker pour l'usage de l'armée, en plein air ou dans les magasins selon la nature des denrées. Lorsque seront établis des organismes chargés également du ravitaillement de la population paysanne. toutes les den­ rées y seront regroupées pour des opérations de troc entre paysans par l'intermédiaire de l'armée rebelle. Si les conditions s'améliorent encore, on peut fixer des impôts : ils doivent être le moins lourds possible, surtout pour le petit producteur. Il faut par-dessus tout veiller aux bonnes relations de la classe paysanne avec l'armée rebelle qui en est l'émanation. Les impôts peuvent être perçus en argent ou en parts de récoltes qui viendront grossir les réserves. La viande, par exemple, est u n article de première nécessité : i l faut en assurer la production et la conservation. On établira avec la collaboration des paysans - apparemment étrangers à la guérilla si la zone n'est pas sûre - des fermes qui élèveront des poules, des chèvres et des cochons, achetés ou confi�-

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qués aux gros propriétaires. Dans les régions de latifundia, on a l'habitude d'avoir du bétail en grande quantité. Il peut être abatt u et salé. Conservée dans ces conditions, la viande demeure propre à la consommation pendant très longtemps. Le bétail fournit également le cuir. On peut développer une industrie de tannerie plus ou moins élémentaire, qui permet d'avoir la matière première des chaussures - acces­ soires indispensables au guérillero. On peut dire d'une façon générale que les aliments indispensables sont : la viande. le sel, quelques légumes, tubercules ou graines. L'aliment de base est toujours produit par le paysan : malanga dans les régions montagneuses de la province d'Oriente (Cuba), mais dans les régions montagneuses du Mexique, d'Amérique Centrale ou du Pérou, pommes de terre encore au Pérou ; et dans d'autres pays, comme l'Argentine, bétai l ; blé ailleurs. De toute façon, il faut assurer un ravitaillement en aliments de base pour la troupe, et quelques matières grasses animales ou végétales qui permettent d'enrichir l'alimentation. Le sel est indispensable. Lorsque l'on est près de la mer, et qu'on peut l'atteindre, i l faut immédiatement établir de petits séchoirs à sel qui permettent de constituer une réserve. N'oublions pas qu'en zones de montagne où l'on ne produit presque rien, le blocus, appauvrissant consi­ dérablement la région, est facile à réaliser. Il est bon que l'organisation paysanne et les organisations civiles en général prévoient cette éventualité. Il faut que les paysans aient des réserves d'alimentation pour pouvoir survivre durant les périodes les plus dures de la lutte. On doit s'efforcer de constituer rapidement des stocks de denrées non avariables telles que les graines : maïs, blé, riz, etc., farine, sel, sucre, conserves de toutes sortes. Il faut égale­ ment faire les semailles nécessaires. Un moment viendra où tous les problèmes alimentaires de la zone seront résolus ; mais une grande quantité d'au­ tres produits restent nécessaires : par exemple le cuir pour les chaussures (s'il n'a pas été possible de créer une industrie du cuir), la toile pour vêtements, et d'autres accessoires, papier, presse pour les journaux, encre, etc. Plus la guérilla perfectionnera son organisation, plus elle aura besoin d'articles provenant du monde extérieur. Il est alors nécessaire que l'organisation des filières de ravitaillement fonctionne parfaitement par le canal des

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paysans sympathisants. La structure doit en être bipo­ laire : c'est-à-dire avoir ses extrêmes d'un côté en ville et de l'autre dans le front guérillero. A partir des zones de guérilla, les l ignes de ravitaillement traverseron t tout le territoire où peut passer d u matériel. Peu à peu, le, paysans s'accoutumeront au danger (en petits groupes ils peuvent faire des merveilles) ct transporteront le matériel au lieu indiqué sans courir des risques excessifs. Ces dépla­ cements peuvent se faire de nuit avec des mulets ou n'importe quel autre animal de bât et même dans certaines régions par camions. On peut ainsi assurer un ravitaille­ ment régulier : nous parlons ici d'un type de filière de ravitaillement venant des aires proches des lieux d'opéra­ tion. I l faut également organiser une filière de ravitaillement venant de zones plus lointaines. En plus du matériel i ntrouvable dans les villages ou les villes provinciales, ces zones doivent fournir l'argent n écessaire pour les achats. L'organisation vivra des dons directs des sympathisants et donnera en échange des bons clandestins ; le personnel chargé de leur m anipulation doit être très strictement contrôlé. Les achats peuvent être payés comptant ou en c bons d'espérance :t lorsqu'une gl!érilla sortant de sa base d'opération menace une nouvelle région. Dans ce cas. i l n'y a pas d'autre solution que d e prendre les marchandises des commerçants. Le règlement dépend alors de la bonne foi ou des possibilités financières des guérillas. Toutes les filières de ravitaillement qui passent par la campagne nécessitent une série de relais ou de c termi­ nus :t établis dans des maisons particulières, où l'on puisse cacher les provisions durant le jour jusqu'à la nuit sui­ vante. Ces maisons n e doivent être connues que de ceux qui sont directement chargés du ravitaillement. Leurs propres habitants doivent en savoir le moins possible sur ces transports et être, bien sûr, les personnes qui i nspirent le plus de confiance à !'organisation. Le mulet est l'animal le plus approprié au transport d u ravitaillement. Le mulet, animal d'une résistance i ncroyable, est capable de circuler dans les zones les plus accidentées, en portant plus de cent kilos durant des jours entiers. Sa sobriété en fait le mode de transport idéal. Le sabot du mulet doit être bien ferré et des muletiers connaissant l'animal doivent en prendre soin. On peut ainsi recruter

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une véritable armée à quatre pattes d'une grande utilité.

n arrive que, m algré la patience de l'animal et sa capacité

à supporter les étapes les plus dures, la difficulté d 'un passage oblige à le décharger. Pour l'éviter, une équipe sera chargée de tracer des sentiers de montagnes. Si toutes ces conditions sont réunies, si l'on a une organi­ sation solide et si l'armée rebelle entretient les meilleures relations possibles avec les paysans, le ravitaillement sera régulièrement assuré.

II. L'ORGANISATION CIVILE L'organisation civile du mouvement i nsurrectionnel est très i mportante, et ceci sur les deux fronts - intérieur et extérieur. Ils ont, naturellement, des caractéristiques et des fonctions assez différentes même si leurs tâches sont classées sous une même dénomination. La perception d'argent par exemple que peut faire le front extérieur est différente de celle du front intérieur et de même pour la propagande, ou le ravitaillement. Nous décrirons d'abord les tâches du front i ntérieur. Par front intérieur, nous entendons une zone contrôlée, au moins partiellement, par les forces de l ibération, et propice à la guérilla ; car quand les combats de guérilla se développent en terrains défavorables, l'organisation de guérilla se renforce en extension mais pas en profondeur ; elle touche de plus en plus de points mais ne peut réaliser d'organisation interne, la zone étant pénétrée par l'ennemi. Dans le front i ntérieur, on peut avoir une série d'organi­ sations remplissant des fonctions spécifiques pour amé­ liorer le fonctionnement de l'administration. La propagande appartient en général directement à l'armée mais peut également être séparée en restant sous son contrôle. (De toute façon, cette question est si importante que je la traiterai par ailleurs.) La perception des impôts revient à J'organisation civile, ainsi que l'organisation des paysans en général (et des ouvriers s'il y en a), ces deux éléments devant être régis par un trihunaI. La perception, comme nous J'avons déjà expliqué dans le chapitre précédent, peut être réalisée de façons diverses : i mpôts directs et indirects, dons ou confiscations. Tout

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cela fait partie de l'important chapitre concernant le ravi­ taillement de l'armée de guérilla. Il faut faire très attention à ce que l'action de l'armée rebelle n'entraîne jamais l'appauvrissement de la région, bien qu'elle en soit indirectement responsable à cause des blocus ennemis, argument que la propagande adverse utilisera sans cesse. C'est précisément pour cela qu'il ne faut susciter aucune source directe de conflit. Aucun règlement, par exemple, ne doit interdire au propriétaire d'une récolte en territoire l ibéré de vendre ses produits hors de ce territoire - sauf dans des cas extrêmes et provisoirement, en en expliquant bien les raisons aux paysans. Pendant chaque action de l'armée rebelle, la section de propagande doit toujours expliquer les raisons de cette action qui sera en général parfaitement comprise par un paysan : ayant ses fils, son frère ou un pare n t dans cette armée, elle sera devenue sienne. Compte tenu de l 'importance des relations avec les paysans, il faut créer des organismes qui les canalisent et les réglemen­ tent. Ces organismes se trouveront dans la zone libérée mais auront aussi des rapports avec les zones adjacentes ; et précisément, à travers elles, ils pourront pénétrer peu à peu la zone et permettre ainsi une extension d u front guérillero. Les paysans diffuseront l a propagande, orale et écrite, raconteront la façon dont on vit dans l 'autre zone, les lois qu'on y a promulguées pour protéger les petits paysans, l 'esprit de sacrifice de l 'armée rebelle, et créeront ainsi l'atmosphère propice à son soutien. Les organisations paysannes doivent également avoir des ramifications qui permettent à l'armée rebelle, quand elle le désire, de faire passer des produits pour les vendre en territoire ennemi, par le canal d'une série d'inter­ médiaires plus ou moins bénévoles. Car, si l'attachement à la cause pousse le commerçant à courir certains risques, il existe aussi un attachement à l'argent qui le pousse à profiter de ces mêmes risques pour en tirer profit. En parlant du ravitaillement, nous avons déjà signalé l 'importance du service de construction des routes. Lors­ que la guérilla a atteint un certain degré de développe­ ment, elle constitue des centres plus ou moins fixes, et n'erre plus sans base à travers différentes régions ; on doit alors aménager une série de chemins allant du sentier muletier à l a route carrossable. Il faut évidem­ ment tenir compte de la faculté d'organisation de l'armée

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rebelle et de la capacité offensive de l'ennemi qui peut détruire ces voies de communications, et même emprunter précisément les chemins créés par les guérilleros pour atteindre facilement les lieux de campement. On doit partir du principe essentiel que les chemins sont destinés à faciliter le ravitaillement des points où il n'y a pas d'autre solution, et qu'on ne doit en construire que si l'on est à peu près sûr de pouvoir maintenir la position devant une attaque violente de l'ennemi. On peut faire une excep­ tion pour les chemins qui rendent la communication plus commode entre deux points, mais qui ne sont pas vitaux, et dont la construction ne représente pas un danger. Mais il y a d'autres moyens de communications : le téléphone par exemple, qui peut être installé d'autant plus facilement en montagne que les arbres peuvent servir de poteaux, ce que l'observation aérienne de l'ennemi ne peut pas discerner. I l ne peut évidemment s'agir que d'une région où l'ennemi n'a pas accès. Le tribunal ou organisme central de justice, d 'adminis­ tration et de lois révolutionnaires est indispensable à une armée de guérilla déjà structurée sur u n territoire libéré. La responsabilité du tribunal doit être assumée par quelqu'un qui soit au courant des lois du pays ou, encore mieux, qui connaisse les nécessités juridiques de la région et qui puisse rédiger une série de décrets et de règlements pour aider le paysan à normaliser, institutionnaliser la vie à l'intérieur de la zone rebelle. Durant notre guerre de guérilla cubaine, nous avons élaboré un code pénal. un code civil, le règlement sur la Réforme agraire, et une réglementation du ravitaille­ ment du paysan, et plus tard la loi de la Réforme agraire de la Sierra Maestra. Le tribunal se chargera, en outre, de toule la comptabilité des divers groupes armés et régira tous leurs problèmes financiers, intervenant parfois direc­ tement jusque dans les problèmes de ravitaillement. Notons que toutes ces recommandations de base ne sont pas rigides ; elles sont le fruit d'une expérience géogra­ phiquement et historiquement déterminée el peuven t être modifiées selon les données empiriques d'un a utre milieu. Par ailleurs, i l faut prendre le plus grand soin de la santé des habitants de la zone ; des hôpitaux centraux militaires y donneront l'assistance la plus complète pos­ sible à chaque pays�n. Cela dépend aussi du stade atteint par les forces révolutionnaires.

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Les hôpitaux civils. ainsi que la santé de la population civile, dépendront de l'armée rebelle qui a la double tâche de soigner le peuple et de l'éduquer pour améliorer sa santé. Les problèmes sanitaires de la population sont rendus difficiles par la totale méconnaissance des prin­ cipes d'hygiène les plus élémentaires, ce qui aggrave une situation déjà précaire. Quant la guérilla se sédentarise, elle doit aménager des magasins, aussi bien tenus que possible, afin d'assurer une surveillance m inimum des marchandises, et surtout d'en permettre le contrôle pour les distribuer équitablement. Sur le front extérieur, les fonctions sont différentes de nature et d'extension. La propagande, par exemple. doit être à la fois nationale et didactique ; elle doit expliquer les victoires obtenues par les camarades de la guérilla, appeler à des luttes de masse effectives les ouvriers et les paysans, fournir des renseignements. quand c'est pos­ sible, sur les victoires obtenues par ce front. La percep­ tion des fonds, totalement clandestine, doit se faire avec les plus grandes précautions, en cloisonnant la filière entre le percepteur initial et la trésorerie de l'organisa­ tion. Cette organisation doit être fractionnée en zones qui se complètent pour former un tout. Selon l'ampleur du mouvement, ces zones peuvent être des provinces, des villes ou des villages. Dans toutes les zones il doit y avoir une commission des finances pour orienter l'utilisation des recettes. Quand le processus de la lutte est suffisam­ ment avancé, on peut percevoir des im pôts que les indus­ triels eux-mêmes paieront devant la force que représente l'armée rebelle. Le ravitaillement, adapté aux nécessités des guérillas. sera organisé en filières multiples de façon à ce que les marchandises les plus communes puissent être obtenues dans le voisinage et les plus rares dans les grands centres. On s'efforcera de limiter la filière au maxi­ mum, de la tenir connue du moins de monde possible, ce qui est la garantie de sa durée. Les sabotages doivent être réglés par l'organisation civile extérieure, en coordination avec le commandement central. Certaines circonstances particulières, qu'il est bon d'analyser, nécessiteront le recours à l'attentat individuel. D'une m a n ière générale, nous le considérons comme négatif, sauf s'il élimine un personnage notoirement connu pour ses forfaits contre le peuple et son efficacité dans la répression. Notre expérience de la lutte cubaine a 91

montré que l'on aurait pu épargner de précieux cama­ rades qui ont été sacrifiés pour accomplir des m issions secondaires, et qui firent tomber, par représailles, d'autres camarades dont la perte était hors de proportions avec le résultat obtenu. L'attentat et le terrorisme aveugles ne doivent pas être utilisés. I l est préférable de faire u n tra­ vail de masses, d'inculquer l'idéal révolutionnaire et de le faire mûrir pour qu'au moment voulu ces masses, appuyées par l'armée rebelle, puissent se mobiliser et faire pencher la balance du côté de la Révolution. A cet effet, il ne faut pas négliger les organisations populaires d'ouvriers et de paysans qui propagent l'idéal révolutionnaire dans leurs propres rangs, en faisant lire et en expliquant les publications de la rébellion, en ensei­ gnant la vérité, car l'une des caractéristiques de la propa­ gande révolutionnaire doit être la vérité. On gagnera ainsi peu à peu les masses et l'on pourra sélectionner ceux qui font le meilleur travail pour les i ncorporer dans l'armée rebelle ou leur confier une responsabilité i mportante. C'est là le schéma d'une organisation civile, intérieure et extérieure au territoire contrôlé par la guérilla à un moment donné de la lutte populaire. O n peut perfectionner à l'extrême tous ces éléments car, je le répète, ce n'est que notre expérience cubaine que j'exprime ici. De nouvelles expériences peuvent faire varier ces méthodes et les amé­ liorer. Nous donnons un schéma, non une bible.

III. RÔLE DE LA FEMME La femme peut jouer, dans le développement d'un processus révolutionnaire, un rôle d'une importance extra­ ordinaire. Il est bon de le rappeler, car il existe, dans tous nos pays à mentalité coloniale, une nette sous-esti­ mation de la femme qui va jusqu'à une véritable discrimi­ nation. La femme est capable d'effectuer les travaux les plus difficiles, de combattre aux côtés des hommes et ne crée pas, dans la troupe, comme on le prétend, de conflit de type sexuel. Dans la vie difficile du combat, la femme est un cama­ rade qui apporte les qualités propres à son sexe ; m ais,

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comme l'homme, elle peut travailler et se battre. Elle est plus faible, m ais non moins résistante, et peut mener à bien, aussi bien que l'homme, toute une gamme de tâches combattantes. A Cuba, elle a tenu à divers moments de la lutte, un rôle de premier plan. Naturellement, les femmes combattantes sont les moins nombreuses. Quand on a réalisé un solide front intérieur et que l'on cherche à éliminer le plus possible les combat­ tants qui ne présentent pas les conditions physiques néces­ saires. la femme peut être orientée vers une quantité considérable de tâches. L'une des plus importantes est le travail de liaison entre les diverses forces combattantes, surtout en zone ennemie. Le port de messages ou d'argent, d 'objets de petit volume et de grande importance, doit être confié aux femmes en qui on a une confiance absolue. Celles-ci peuvent les transporter en usant de m ille arti­ fices, sans compter que, pour brutale que soit la répression, l a femme subit généralement u n traitement moins dur que l 'homme et peut ainsi m ieux réussir. La femme-agent de l iaison a beaucoup plus de l iberté que l'homme pour mener sa tâche à bien ; elle attire moins l'attention et inspire bien moins la crainte du danger au soldat ennemi : cette crainte qui, très souvent, l u i fait commettre ses brutalités par peur de l'inconnu. Les m essages entre corps isolés, ceux destinés à l'extérieur des lignes, à l'étranger même, les objets d'un certain volume, comme les balles par exemple, peuvent être trans­ portés par des femmes dans des ceintures spéciales dissi­ m ulées sous leur jupe. Durant cette période, la femme peut remplir ses tâches habituelles, comme en temps de paix, et le soldat soumis aux très dures conditions de la guerre de guérilla est très heureux de pouvoir compter sur une nourriture savou­ reuse, qui ait le goût de quelque chose (l'une des pénibles exigences de la guerre étant de manger un mauvais ragoût gluant et froid, totalement insipide). Une cui­ sinière peut améliorer sensiblement l'ordinaire, et il est plus facile de la m aintenir dans ses fonctions. Car l'un des problèmes auxquels on doit faire face, c'est que les hommes apprécient peu tous les travaux civils et qu'ils tentent toujours de les abandonner pour se joindre aux forces effectivement combattantes. L'alphabétisation et la politisation des paysans de l a zone, e t des soldats révolutionnaires eux-mêmes est l'une

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des tâches les plus importantes de la femme. Le fonction­ nement des écoles, qui font partie de l'organisation civile. doit essentiellement reposer sur des femmes qui peuvent inspirer plus d'enthousiasme aux enfants et une plus vive sympathie à la population. De plus, quand les fronts se sont déjà stabilisés et que l'arrière est sûr, la femme peut exercer la fonction d'assistante sociale, en essayant d'atténuer dans la mesure du possible, les maux économiques et sociaux de la région. Dans le domaine sanitaire, la femme joue u n rôle important comme i nfirmière, parfois comme médecin, avec une douceur infiniment supérieure à celle de son rude compagnon d'armes. Cette douceur est très appréciée dans les moments où l'homme reste face à lui-même, démuni, privé de confort. souffrant peut-être de douleurs intenses. et exposé aux m i lle dangers propres à la guerre de par­ tisans. Si l'on a déjà atteint le stade de l ' implantation de petites industries, l a femme peut, là encore, prêter son concours, particulièrement pour la confection de vête­ ments, rôle traditionnel des femmes dans les pays latino­ américains. Avec une simple machine à coudre et quel­ ques patrons, elle peut faire des merveilles. Dans tous les autres secteurs de l'organisation civile, la femme peut parfaitement remplacer l'homme et le remplacera, y compris dans le cas où l 'on manquerait de bras pour porter les armes (bien que dans la guerre de guérilla ce soit extrêmement rare). Il faut toujours donner une for­ mation adéquate aux hommes et aux femmes pour éviter des excès de toutes sortes qui pourraient dégrader les mœurs de la formation. Mais on doit permettre que, une fois remplies les simples formalités requises par la loi de la guérilla, les personnes qui s'aiment et sont sans enga­ gement puissent contracter une union dans la sierra pour y mener une vie conjugale.

IV. SANTÉ L'un des graves problèmes que rencontre la guérilla est son manque de défense contre tous les accidents qui sur­ gissent au cours de son existence et surtout contre les bles-

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sures et les maladies, très fréquentes dans la guerre de guérilla. Le médecin remplit une fonction d'une extrême importance : non seulement il sauve des vies (et là, sou­ vent, son intervention scientifique ne compte pas, étant donné la pauvreté du matériel dont il dispose générale­ ment), mais il lui incombe aussi de remonter le moral d u malade, de lui faire sentir qu'i! a près de lui quel­ qu'un dont le rôle est de diminuer ses souffrances et de veiIIer sur lui jusqu'à ce que le danger soit écarté. L'organisation des hôpitaux dépend du stade atteint par les guérillas : on peut énumérer trois types fonda­ mentaux d'organisations hospitalières correspondant cha­ cun à un stade. Dans le développement historique, nous avons une première phase nomade : le médecin, s'i! y en a, se déplace constamment avec ses camarades, il est un homme de plus, et remplira toutes les autres fonctions du gué­ rillero, y compris celle de combattant. Il assumera la tâche fatigante et parfois désespérante de traiter des cas sans posséder le médicament qui lui permettrait de sauver une vie humaine. C'est l'étape durant laquelle le médecin a le plus d'influence sur la troupe, le plus d'importance sur son moral : à ce stade, i l remplit pleinement son sacerdoce et porte, dans son sac démuni, toute l'aide possible qu'il pcut donner aux hommes. Car pour J'homme qui souffre, une simple aspirine prend de l'importance, si elle est donnée par l a main amicale de quelqu'un qui sent et fait siennes ses souffrances. Dans cette première période, le médecin doit s'être totalement iden tifié aux idéaux de l a révolution, car ses paroles atteindront la troupe beaucoup plus profondément que celles de tout autre. On pourrait qualifier l'étape suivante de semi-nomade. C'est celle des campements fréquentés par la guérilla, des maisons amics, parfaitement sûres, où l'on peut laisser du matériel ct même des camarades : la troupe tend à se sédentariser. A ce stade, la tâche du médecin est moins fatigante. Il peut avoir, dans son sac, un équipement chi­ rurgical de première nécessité et posséder un autre sac, plus important, pour les opérations moins urgentes, déposé dans quelque maison amie. On peut laisser les malades et les blessés aux soins des paysans qui les assisteront avec sollicitude, et stocker en lieu sûr davant age de médicaments bien classés. Dans cette phase semi-nomade, on peut, dans des régions qui s'avéreraient inaccessibles, installer des

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maisons en hôpitaux pour y l aisser les malades et les blessés. C'est à la troisième étape, lorsque la guérilla tient enfin des zones où l 'ennemi ne peut plus revenir, qu'on peut véritablement structurer une organisation hospitalière. Au stade le plus avancé, on peut, selon les possibilités, compter sur trois catégories différentes de centres. D'abord, au niveau de la ligne de combat, un médecin qui est en même temps un combattant, le plus aimé de la troupe, dont les connaissances n'ont pas besoin d'être très appro­ fondies. Je précise ce point parce que, dans ces moments-là, son travail est avant tout un travail de soulagement et de préparation psychologique du malade ou d u blessé ; le véritable travail médical se fera dans les hôpitaux situés à l'arrière. On ne doit pas sacrifier un chirurgien compétent sur les lignes de feu. Quand un homme tombe en première ligne, des bran­ cardiers - s'il y en a - le porteront jusqu'au premier poste, sinon les camarades s'en chargeront eux-mêmes. Le transport des blessés en zone montagneuse est une manœuvre des plus délicates. Le transport d'un blessé est peut-être plus dur à cause des souffrances de celui-ci que de la blessure elle-même, si grave soit-elle. Il peut se pratiquer de diverses manières, selon les caractéristiques du terrain. Sur les terrains escarpés et boisés qui sont idéaux pour la guerre de guérilla, on ne peut marcher qu'en file indienne et le meilleur brancard est un hamac accroché à une longue perche. Les hommes se relaieront fréquemment, car leurs épaules souffriront beaucoup et qu'ils se lasseront vite de porter un poids à la fois considérable et si délicat. Lorsque le blessé passe ce premier cap, il arrive avec son dossier dans un centre où il y a des chirurgiens et des spécialistes (toujours selon les possibilités de la troupe) qui assurent toutes les opérations importantes. Troisième catégorie : des hôpitaux aménagés avec les plus grandes commodités possibles, pour rechercher les causes et les effets des maladies qui peuvent affecter les habitants de la zone. Ces hôpitaux, qui correspondent à une vie pleinement sédentarisée, sont non seulement des centres d'opérations et de convalescence, mais encore des établis­ sements reliés à la population civile où des hygiénistes exercent leur rôle d'orientation. Il faut également fonder des dispensaires pour la surveillance médicale de chaque

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individu. Selon les possibilités de ravitaillement de l'orga­ nisation civile, ces hôpitaux de la troisième catégorie pourront disposer d'un équipement qui leur permette le diagnostic en laboratoire et par radiographie. Outre le médecin, les auxiliaires médicaux sont très utiles. Jeunes la plupart du temps, ils ont une certaine vocation , quelques connaissances, une force physique suf­ fisante, mais pas d'armes, soit par conviction personnelle, soit - et c'est le cas le plus fréquent - parce qu'on en manque. Ces assistants seront responsables de l'en­ semble des médicaments, des civières ou hamacs, et devront s'occuper à chaque combat des blessés. Ce sont les agents de liaison en rapport avec les orga· nisations de santé situées à l'arrière des lignes ennemies qui procurent les médicaments nécessaires, même quand on peut en obtenir quelquefois autrement, ou grâce à la Croix Rouge Internationale : mais il ne faut pas compter sur cette possibilité, surtout au début de la lutte. Il faut donc organiser un système capable de transporter rapidement les médicaments urgents, ct de répondre aux besoins des hôpitaux aussi bien militaires que civils. Il faut, de plus. se mettre en liaison avec des médecins des localités voisines, susceptibles de pratiquer une i nter­ vention quand celui de la guérilla n'a pas les moyens ou la compétence nécessaires pour le faire lui-même. Différentes catégories de médecins sont nécessaires dans ce type de guerre : le médecin combattant, camarade des hommes : c'est le type de médecin de la première phase. Ses fonctions diminuent au fur et à mesure que l'action de la guérilla se fait plus complexe et qu'une série d'or­ ganismes annexes peuven t se structurer. A ce moment, les meilleures recrues de l'armée rebelle sont les chirur­ giens généraux. L'idéal serait d'avoir un anesthésiste, même si les opérations sont faites plutôt à partir du lar­ gactyl ct du penthotal sodique, plus faciles à administrer, à obtenir et à conserver que les anesthésiques à base de gaz. En plus des chirurgiens généraux, les orthopédistes sont très utiles, car la nature montagneuse du terrain provoque de nombreuses fractures. Le médecin doit éga­ lement exercer dans la masse paysanne car, si les mala­ dies des armées de guérilleros sont, en général, d'un diagnostic aisé, les maladies provoquées par la sous-alimen­ tation sont beaucoup plus difficiles à soigner. Une étape encore beaucoup plus avancée peut permettre 7

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le recrutement de laborantins, si l'on possède de bons hôpitaux, pour effectuer un travail plus complet. On doit faire appel à tous les secteurs spécialisés dont on a besoin et il est très courant que cet appel soit entendu. Il faut solliciter les dentistes en leur expliquant qu'ils doi­ vent s'incorporer avec des appareils de campagne simples.

V. LE SABOTAGE Le sabotage est, pour les peuples qui mènent la guerre de guéri lla. une arme i nappréciable. Son organisation dépend directement de l'organisation civile et clandestine, les sabotages ne devant être effectués qu'hors des terri­ toires contrôlés par l'armée révolutionnaire. Mais cette organisation doit être directement commandée par I"Etat­ Major de la guérilla, chargé de déterminer les industries, les communications et les objectifs à viser de préférence. Le sabotage n'a rien à voir avec le terrorisme : le terrorisme et l'attentat individuel sont des méthodes abso­ lument différentes du sabotage. Nous sommes sincèrement convaincus que le terrorisme est une arme négative qui ne produit absolument jamais les effets désirés et qui peut éloigner le peuple d'un mouvement révolutionnaire, tout en entraînant chez ceux qui en usent des pertes humaines sans proportion avec les résultats obtenus. On peut recourir, par contre, à des attentats individuels, mais seulement dans quelques cas très particuliers, pour supprimer par exemple l'un des chefs de la répression. Mais, en aucun cas, on ne doit utiliser un matériel humain spécialisé pour supprimer un petit assassi n dont la mort peut provoquer l'élimination de tous les éléments révolutionnaires ayant participé à l'attentat, sans compter les victimes de représailles. Il y a deux types de sabotage nécessaires : un sabotage à l 'échelle nationale, contre des objectifs déterminés et un sabotage à proximité des lignes de combat. Le sabo­ tage à l'échelle nationale doit essentiellement viser à détruire les communications. Chaque type de communica­ tion peut être détruit différemment : tous sont vulné­ rables. Les poteaux télégraphiques et téléphoniques sont faciles à détruire en ne les sciant pas jusqu'au bout,

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de telle sorte que la nuit ils présentent un aspect inoffen­ sif ; puis, d'un coup, u n poteau tombe entraînant tous les autres dans sa chute ct provoquant une panne d'une ampleur considérable, On peut également saboter les ponts en les dynami­ tant. Si l'on ne dispose pas de dynamite. on peut parfai­ tement détruire les ponts métalliques avec un chalumeau oxydrique. On doit sectionner la poutre principale et la poutre supérieure qui soutiennent u n pont métallique. Une fois ces poutres sectionnées au chalumeau, on en fera autant à l 'autre bout. Ainsi le pont se renverse sur un côté, se tord et s'effondre. C'est le moyen le plus efficace pour détruire sans dynamite un pont métallique, Les voies ferrées et les roules doivent également être détruites, ainsi que les égouts ; on peut parfois m i ner des trains : cela dépend toujours de la force de la guérilla. Un matériel approprié permettra également, au moment venu, de détruire les industries vitales de chaque région. Le problème du sabotage doit faire l 'objet d'une concep­ tion d'ensemble, car on ne peut détruire une source de travail qu'au moment décisif : une telle destruction entraîne le déplaet:ment massif des ouvriers et la famine. Les industries appartenant à des personnalités du régime doivent être éliminées, en s'efforçant de convaincre les ouvriers de la nécessité de le faire, sauf si cette élimi­ nation a des conséquences sociales trop graves. Nous insistons sur l'importance des sabotages contre les voies de communication. La communication rapide est, en terrain non accidenté, la grande arme de l'armée ennemie contre les rebelles. C'est pourquoi nous devons constamment essayer de détruire cette arme en faisant sauter les ponts de chemin de fer, les égouts, les pylônes électriques, les téléphones et même les aqueducs : en un mot, détruire tout ce qui est indispensable à la vie moderne. Près des lignes de combat, le sabotage est également nécessaire, de la même façon , mais avec beaucoup plus d'audace, de dévouement et de fréquence. On peut compter alors sur un auxiliaire inestimable : les patrouilles volantes de la guérilla, qui peuvent descendre jusqu'aux zones concernées et aider les membres de l'organisation civile à réaliser leur tâche. Là encore, le sabotage portera avant tout sur les communications. Il faut liquider toutes les fabriques, tous les centres de production, capables

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de fournir à l'ennemi ce qui lui est nécessaire pour poursuivre son offensive contre les forces populaires. Il faut faire main basse sur les stocks de l'ennemi, couper son ravitaillement, effrayer, si nécessaire, les grands propriétaires terriens qui prétendent lui vendre leurs pro­ duits de culture et leurs bêtes : brûler les véhicules qui circulent sur les routes et s'en servir pour bloquer celles-ci. Dans toute action de sabotage il faut, sur des points prévus, plus ou moins éloignés de l'endroit où l'action a eu lieu, provoquer des accrochages répétés avec l'ennemi, en adoptant toujours le système qui consiste à frapper et fuir. Il n'est pas nécessaire d'offrir une grosse résis­ tance. Il suffit simplement de montrer à l'ennemi que là où se produit un sabotage il y a des forces de guérilla, disposées à combattre, et de l'obliger ainsi à ne se déplacer qu'en force ct avec précautions. Ainsi, peu à peu, on paralysera toutes les v illes proches des zones d'opération de guérilla.

VI. L'INDUSTRIE DE GUERRE Dans la perspective de la guerre de guérilla, l 'industrie de guerre est déjà le produit d'une évolution assez longue ct prouve que la guérilla se trouve dans une situation géographique favorable. Nous l'avons déjà dit : lorsqu'il y a déjà des zones libérées et que l'ennemi a opéré le blocus total du ravitaillement, il faudra organiser diffé­ rentes industries indispensables. Deux de ces industries sont essentielles : la cordonnerie et la bourrellerie. Une troupe ne peut marcher sans souliers, dans les zones boisées, escarpées, parsemées de pierres et d'épines. I l est très difficile de se déplacer dans ces conditions et seuls ceux qui sont originaires des lieux - encore pas tous peuvent le faire. Les autres doivent être chaussés. Cette i ndustrie se divise en deux branches : la confection des chaussures neuves et le ressemelage et la réparation des chaussures abîmées. La constitution de cette industrie artisanale réclame tout u n appareillage de coordonnerie. En annexe, une bourrellerie fabriquera toutes sortes d'usten­ siles d'usage courant : cartouchières, sacs à dos, qui peu­ vent être en lin ou en cuir et qui. s'ils ne sont pas

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essentiels, aident au confort de la troupe et l u i donnent J'impression qu'elle se suffit à elIe-même. L'armurerie est une autre industrie fondamentale. Ses fonctions sont diverses : depuis la simple réparation des pièces abîmées de tous les fusils et autres armes, jusqu'à la fabrication de certains types d'armes de combat, créa­ tion de J'esprit d ' i nvention populaire ct la confection de m i nes aux mécanismes d i vers. Si les conditions s'y prê­ tent, elle sera complétée par une équipe chargée de l a fabrication de la poudre. Si, en plus des détonateurs, o n peut fabriquer J 'explosi f en territoire libéré, on peut arriver à de brill antes réalisations dans ce domaine trè'i important : en effet, une utilisation judicieuse des m ines permet de paralyser totalement les routes. Une autre série d'industries a également son importance : la forge et la ferblanterie. A la forge , on ferre les millets : on peut également y fabriquer les fers ; à la ferblanterie, les travaux d u fer-blanc pour les plats, e t surtout les bidons. E n an nexe à cette ferbl anterie, on peut créer une section de fonderie. Si J'on fond des métaux mous , on peut créer une fabrique de grenades qui contribuera de façon capitale à l'armement de la troupe. Il doit aussi y avoir une équipe technique de réparations et de com­ tructions en général qui remplira d iverses fonctions bien déterm i nées ; c'est ce qu'on appelle dans les casernes la c batterie de service » ; mais elle sera ici débarrassée de tout esprit bureaucratique et chargée de répondre effectivement à tous les besoins. II existera aussi un responsable des communications. Il sera non seulement chargé de la propagande radio­ phonique vers l'extérieur, mais aussi des téléphones, des routes, et devra travailler e n liaison avec J'organisation civile. Il ne faut pas oublier que nous sommes en guerre, que nous pouvons être at taqués, et que parfois de nom­ breuses vies dépendent d'une communication transmise à temps. Pour la satisfaction de la troupe, i l est bon d'avoir des fabriques de cigares ou de cigarettes. A cet effet, on achètera des feuilles de tabac que l'on transportera jusqu'en territoire l ibre où on le transformera en maté­ riau propre à l a consommation. La tannerie est une autre i ndustrie de grande importance. Toutes ces indus­ tries sont des entreprises simples qui peuvent parfaite­ ment se réaliser n 'importe où en s'adaptant aux conditions

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de la guérilla. La tannerie nécessite certaines petites constructions de ciment, et surtout, demande beaucoup de sel ; mais elle permet à l ' i ndustrie de l a chaussure d'avoir sur place sa matière première, ce qui est un avan­ tage considérable. Le sel doit être préparé sur place, en en concentrant de grandes quantités. Pour cela il faut pouvoir atteindre des points de grande concentration saline et faire s'évaporer l'eau. La mer est évidemment la meilleure source, mais il y en a d'autres et i l n'est pas nécessaire de le débarrasser de tous les sels adjoints ; i l peut être consommé tel quel, bien qu'au premier abord son goût ne soit pas très agréable. La viande doit être conservée salée. ce qui est assez simple à faire et peut sauver de nombreuses vies dans les cas extrêmes. Elle peut être conservée dans de grands tonneaux pleins de sel assez longtemps et peut ainsi être utilisée, quelles que soient les circonstances.

VII. LA PROP AOANDE La d i ffusion des idées révol utionnaires doit être faite par les moyens appropriés le plus profondément possible. Cela demande la participation de toute une équipe, et d'une organisation pour l'épauler. Cette organisation doi t comporter deux sections, com­ plémentaires, qui couvrent tout le territoire national. Elle doit se faire de l'extérieur, c'est-à-dire dans l'organi­ sation civile nationale, et de l'intérieur, c'est-à-dire au sein de l a guérilla. Pour coordonner ces deux propagandes dont les fonctions sont étroitement liées, il ne doit y avoir qu'un seul organisme directeur. La propagande de type national, à partir des organi­ sations civiles situées hors du territoire libéré. doit se faire par des journaux, des bulletins, des proclamations. Les journaux les plus importants s'occuperont des problèmes généraux du pays et informeront le public de la situation exacte des forces d e guérilla, en n'oubliant jamais le principe fondamental selon lequel l a vérité, à l a longue, finit toujours par être bénéfique pour les peuples. A côté de ces publications à caractère général, d'autres, plus spé­ cialisées seront destinées aux divers secteurs de l a popu1 02

lation. Les publications destinées aux paysans doivent apporter à cette classe le message de leurs camarades des zones libérées, qui ont déjà senti les effets bienfai­ sants de la Révolution et faire connaître aussi les aspi­ rations paysannes. Un journal ouvrier aura les mêmes caractéristiques, mais il ne contiendra pas toujours u n messages des combattants de cette classe, car il est pos­ sible qu'avant l'ultime étape il n'existe pas d'organisations ouvrières dans le cadre d'une guerre de guérilla. Les grandes consignes du mouvement révolutionnaire doivent être expliquées : l a consigne de la grève géné­ rale au moment opportun, celle de l'aide aux forces rebelles, celle de l'un ité, etc. D'autres journaux de combat peuvent par exemple expliquer la tâche des autres éléments du pays, qui ne combattent pas dans la guérilla, mais qui s'occupent de d i vers actes de sabotage et d'att entats. A l'intérieur de l'organisation, il peut y avoir des journaux desti nés aux soldats ennemis, où il leur sera expliqué des faits qui leur sont inconnus. Les bulletins et les proclam ations concernant la vie du mou­ veme n t sont très utiles. La propagande la plus efficace est celle qui concerne l'i ntérieur de l a zone de la guérilla, qui touche les habi­ tants de la région et leur explique l a théorie d 'une i nsur­ rection dont ils ne connaissent que la pratique. Cette section comptera, en plus de l a radio, des journaux paysans, des bulletins, des procl amations et l'organe cen­ tral de toutes les forces de guérilla. Par radio, on expliquera tous les problèmes : les moyens de se défendre contre les attaques aériennes, J'endroit où se trouvent les forces ennemies, e n citant des noms familiers. La propagande de type national diffusera des journaux similaires, relatant des faits, des batailles qui concernent profondém ent le lecteur : on y ajoutera des renseignements beaucoup plus récents et plus précis. L'information i n ternationale se limitera I!xclusivement ou presque à commenter des faits directement e n rapport avec l a lutte de libération. La propagande l a plus efficace, celle qui se fera sentir le plus l i brement sur tout l e territoire national, celle qui touchera l a raison et les sentiments d u peuple, c'est par­ dessus tout la propagande orale, par radio. L'im portance de la radio est capitale. Au moment où tous les habitants d'une région ou d'un pays brûlent plus ou moins ardem-

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ment de la fièvre de combattre, la force de la parole augmente cette fièvre et l'impose à chacun des futurs combattants. Elle explique, enseigne, excite, détermine chez les amis et les ennemis leurs futures positions. Mais, la radio doit obéir au principe fondamental de la propagande populaire, qui est l a vérité. Une petite vérité, même si elle fait peu d'effet, est préférable à u n grand mensonge vêtu d'oripeaux. La radio doit surtout donner des renseignements vivants sur les combats, les rencontres de toutes sortes, les assassinats commis par la répression. I l faut d'autre part fournir à la population civile des orientations idéologiques, des enseignements pratiques et de temps en temps donner des discours des chefs de la Révolution. Nous pensons qu'il est utile de donner au journal prin­ cipal d u mouvement un nom qui soit un symbole de grandeur et d'unité, par exemple le nom d'un héros du pays. Il faut également toujours expliquer dans des articles de fond les buts du mouvement armé, et faire prendre conscience des grands problèmes nationaux, tout en conservant une série de sections d'un intérêt plus immé­ diat pour le secteur.

V I I I . L'INFORMATION ET LE RENSEIGNEMENT

c Connais-toi toi-même et connais ton adversaire : tu pourras ainsi livrer cent batailles sans une seule défaite. � Pour la guérilla. cet aphorisme chinois vaut autant qu'un psaume biblique. Les forces combattantes n'ont pas de plus précieux auxiliaires qu'une i nformation correcte. L'information sera spontanée : elle sera fournie par les habitants de la région qui viendront raconter à l'armée amie, à ses alliés, tout ce qui se passe partout : mais cette information doit aussi être parfaitement organisée. De même que des postes, des courriers sont i ndispensa­ bles à l ' intérieur de la zone de guérilla comme à l'exté­ rieur pour établir les contacts nécessaires et pour trans­ porter les marchandises, de même le service d'information devra être directement en contact avec le front ennemi. Les hommes et les femmes devront s'y infiltrer, surtout les femmes, pour être en contact permanent avec les

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soldats, et vérifier tout ce qui peut l'être. Il faut aussi établi r un système de collaboration pour que l a traversée des lignes ennemies se fasse sans heurt. Ceci réalisé, et si on a des agents capables, le camp des i nsurgés pourra dormir plus tranquille. Comme je l'ai déjà d it, c'est toute l a première ligne de feu qui sera l 'objectif fondamental de ce service d'information, ou les premiers campements ennemis, en contact avec le no man's land. Elle devra progresser à mesure que progressera la guérilla. et accroître son rôle pour prévoir les mouvements de troupe, plus amples, qui peuvent se faire jusque dans l'arrière-garde ennemie. Partout où la guérilla domine ou incursionne, tous les habitants sont ses agents d'information. Mais i l est bon d'avoir des gens spécialement chargés de l ' information, car on ne peut se fier aux paroles du paysan, accoutumé à tout exagérer, peu habitué à la précision du langage m il itaire. Si l'on parvient à modeler et à organiser les formes spontanées de la collaboration populaire, on pourra faire de l'appareil d'information non seulement l'auxi­ liaire le plus important, ce qu'il est déjà, mais encore un agent contre-offensif, grâce aux c semeuses de peur :t , par exemple. Celles-ci peuvent transmettre parmi l a sol­ datesque des renseignements qui l a démoraliseront et, feignant d 'être leurs complices, semer peur e t insécurité dans la troupe ennemie. La mobilité, principe primordial, peut être développée au maximum : connaissant exacte­ ment les lieux où la troupe ennemie s'apprête à attaquer, il est très facile de l'éviter et de l'attaquer à son tour, dans les endroits les plus inattendus.

IX. ENTRAINEMENT ET ÉDUCATION POLITIQUE Pour un soldat de libération. le meilleur entraînement est la vie de guérilla elle-même. Un chef qui n'a pas appris son di ffic ile métier dans l'exercice quotidien des armes n'est pas un véritable chef. Ce soldat pourra être entraîné par un groupe de camarades qui lui enseigne­ ront un peu de maniement d'armes, lui donneront quel­ ques notions d'orientation, lui apprendront comment se comporter avec la population civile, comment se bat-

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tre, etc. Mais le precIeux temps de la guérilla ne peut être gaspiIIé dans un enseignement méthodique. Cela n 'cst possible que si l'on dispose déjà d'une grande zone l ibérée et que si l'on a besoin d'augmenter considérable­ ment le nombre des combattants. On fonde alors des écoles de recrues. Ces écoles jouent un rôle très important. Elles créent le nouveau soldat, celui qui n'est pas encore passé par les dures privations formatrices de la vie combattante. Celui qui a subi les privations devient un véritable élu, après avoir passé les di fficiles épreuves qui l u i permettent de s'incorporer à cette armée errante qui ne laisse nulle part trace de son passage. Dans les écoles de recrues les exercices physiques seront de deux sortes : d'une part, gymnastique d'assouplissement, avec des exercices de commando, agilité dans l'attaque et la retraite ; d'autre part. des marches très rudes, voire exténuantes. qui endur­ ciront la recrue. I l faut lui faire mener une vie e n plein air, supporter les intempéries, vivre e n contact étroit avec la nature, comme dans la vie de guérilIa. L'école des recrues doit pourvoir à son propre ravitail­ lement et doit avoir ses étables, ses fermes, ses vergers, ses laiteries. tout ce qui lui est nécessaire, pour ne pas grever le budget de la guérilla. Les élèves pourront se relayer pour les corvées ; on pourra y affecter les plus mauvais. comme punition. ou simplement les volontaires. Tout cela dépen d des caractéristiques propres à la zone où l'on installera l'école. Nous croyons que c'est un bon principe que de recruter des volontaires pour les corvées. et de les compléter, si c'est nécessaire par ceux dont la conduite laisse le plus à désirer, ou ceux qui ont le moins de dispositions pour l'apprentissage de l a guerre. L'école doit avoir sa propre organisation sanitaire, avec, selon les possibilités, un médecin ou un infirmier, qui suivra les recrues d'aussi près possible. Le tir constitue l'essentiel de l'apprentissage. Dans ce domaine l e guérillero doit être un homme très en traîné, car il s'agit d'utiliser le moins de munitions possible. O n commence par c e qu'on nomme le t i r à la cible. Cela consiste à fixer solidement le fusil sur une armature quel­ conque. Sans le bouger, les recrues visent un carton mobile. se déplaçant sur un fond fixe. Si les trois coups touchent le même point, c'est excellent. L'arme de ces premiers tirs sera, si l'on en a les moyens, la carabine 22. 106

Dans les circonstances spéciales - excédent de munitions, nécessité urgente d'une formation accélérée de soldats l'exercice se fera avec de vraies balles. Les attaques aériennes constituent l'une des épreuves les plus importantes de l'école des recrues. Notre école avait été parfaitement identifiée par l'aviation et l'ennemi concentrait une ou deux fois par jour ses attaques sur le camp. La façon dont l 'élève résistait aux chocs de ces bombardements continuels classait pratiquement ces garçons en tant que futurs combattants. L'école de recrues ne doit jamais négliger l'éducation politique. Car ces hommes s'engagent sans avoir une conception claire des raisons qui les poussent. Privés de bases, ils arrivent avec des concepts très confus sur la liberté, l a liberté de presse. etc. Cette éducation doit être poursuivie le plus loin possible avec le plus grand soin. Elle comportera des notions élémentaires de l'histoire du pays, en donnant des explications très claires sur les faits économiques, sur ceux qui sont à l'origine de chaque évé­ nement historique. Elle parlera des héros nationaux, de leurs réactions devant les formes précises d'injustice, puis débouchera sur une analyse de la situation nationale ou de la situation de l a zone . O n donnera à tous les membres de l'armée rebelle u n petit manuel simple qu'ils étudieront de très près et qui devra leur servir de schéma pour l'avenir. En outre les m aîtres auront leur propre école de per­ fectionnement où ils choisiront précisément les textes en commun et coordonneront leurs apports respectifs en matière d'éducation. Il faut sans cesse encourager la lecture en essayant de choisir des l ivres qui ne fassent pas perdre de temps, et donnent à la recrue la possibilité d'accéder à la culture et aux grands problèmes nationaux. La recrue aura tout naturellement envie de l i re davantage, ou bien l a situation de son milieu l'y poussera en l'éveillant à des problèmes nouveaux. Cet état d'esprit se créera à force de travail, petit à petit, au fur et à mesure que les écoles de recrues démontreront la supériorité de leurs élèves sur les hommes de troupe tant dans le domaine de l'analyse des situations que dans celui de la discipline. La discipline doit être toujours parfaitement justifiée : si elle n'est pas mécanique, elle donne au moment d u combat d e s résultats étonnants. 1 07

X. STRUCTURATION DE L'ARMÉE D'UN MOUVEMENT DE LIBÉ­ RATION

Quelle que soit la zone d'opérations, une armée révo­ lutionnaire pratiquant la guerre de guérilla doit compter de surcroît, comme nous l'avons déjà indiqué. une orga­ nisation non combattante dont l'appui est capital. Cette organisation est entièrement axée sur l'armée et son sou­ tien, la lutte armée étant évidemment le facteur essentiel du succès. L'organisation militaire repose sur u n chef, et dans l e cas de l 'expérience cubaine s u r un commandant e n chef qui nomme les d i fférents commandants des zones qui ont tout pouvoir pour gouverner leur région, nommer les commandants de colonne et les autres grades moins élevés. Au-dessous du commandant e n chef, il peut y avoir des commandants de zone ayant sous leurs ordres des commandants de colonne dont le rôle variera selon les circonstances. Au-dessous des commandants de colonne, les capitaines, e t dans notre organisation de l a guérilla, les lieutenants, le grade le moins élevé. En d'autres termes, de soldat, on monte au grade de lieutenant. Ceci n'est pas un modèle mais l a description d'une réalité, l a méthode util isée dans un pays où cette organi­ sation a permis de remporter l a victoire sur une armée assez bien organisée e t équipée. En aucune manière, et dans cette matière encore moins qu'ailleurs i l ne s'agit d'un exemple souverain. Il s'agit simplement d e montrer comment s'enchaînent les faits, ct comment on peut organiser une force armée. Les grades, e n définitive, n'ont pas d'importance. Ce qui importe c'est d e n e jamais accorder un grade qui ne corresponde pas à une réali té, qui soit en désaccord avec la morale et la justice, qui ne soit passé au crible de la lutte et du sacrifice. La description que nous avons faite précédemment est celle d'une armée importante, déjà capable de faire face à des combats sérieux et non portrait d'une guérilla i n itiale où l e chef peut porter l e grade qui lui plaît mais ne commande en fait qu'à un petit groupe d'hommes. L'une des plus importantes mesures d 'organisation m ili­ taire est l a sanction disciplinaire. La discipline (il faut le rappeler constamment) doit être une des bases d e l a gué­ rilla. Elle doit être une force née d'une conviction interne

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et raisonnée, dotant ainsi J'individu d'une discipline i n té­ rieure. Lorsque cette discipline est rompue, il faut tou­ jours châtier le coupable, quel que soit son grade, sévè­ rem ent, en appliquant un châtiment qui soit p rofondément ressenti. Remarque i mportante : le guérillero n'est pa� sensible aux mêmes sanctions qu'un soldat de caserne. La peine qui consiste à laisser un soldat dix jours dans un cachot constitue un repos extraordinaire pour un guérillero. Dix jours sans marcher, sans travailler, sans faire les gardes habituelles, où i l pourra ma nger et dormir tout son saoul, l ire et se reposer. On comprendra donc fort bien que dans une guérilla l a privation de l iberté n'est pas à conseil­ ler comme châtiment. Quand l a morale révolutionnaire de l'individu est élevée, son amour-propre profond, il est des cas où la privation du droit de porter les armes peut provoquer une réaction positive e t constituer une véritable sanction. 11 convient alors de l'appliquer. A u cours de l'attaque d'une ville de la province de Las Villas, dans les derniers jours de la guerre, nous ren­ contrâmes un i ndividu qui s'était endormi dans un fau­ teuil , pendant l'assaut de positions si tuées au m i lieu de l a v ille. A l'interrogatoire, l'homme répondit qu'il dormait parce qu'on lui avait retiré son arme. Nous lui avons dit que ce n'était pas une façon de réagir. 11 avait été puni pour imprudence (il avait laissé un coup partir), et devait récupérer son arme, mais pas en dormant : en étant aux première l ignes. Quelques jours passèrent. et lors de l'assaut final contre la ville de Santa Clara, alors que nous visitions le centre de transfusion sanguine, un moribond nous tendit la main et, nous rappelant cet incident, ajouta qu'il avait regagné le droit de porter son arme. Il devait mourir peu après. Voilà à quel degré de morale révol utionnaire l' exercice continu de la lutte armée avait conduit nos forces. Ce degré ne peut être atteint dès le départ, quand beaucoup de peur encore, beaucoup de courants subjectifs freinent J'influence de l a révolution, m a is il s'atteint par l e travail et l'exemple. Les longues gardes de nuit et les marches forc':es peu­ vent aussi constituer des sanctions, m ais les marches ne sont pas pratiques parce qu'elles n'ont pas d'autre résultat que de punir et de fatiguer l'individu en même temps

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que ceux qui doivent le surveiller. Quant aux gardes de nuit, elles ont l'i nconvénient de nécessiter la présence de soldats pour surveiller les punis qui n'ont qu'une faible morale révolutionnaire. Dans les force� directement placées sous mon com­ mandement. j'avais établi, pour les délits mi neurs, une peine d'arrêt avec privation de sucreries et de tabac, et pour les cas les plus graves, le jeûne total. Les résultats étaient excellents, bien que le châtiment soit terrible ; i l ne d o i t être appliqué que très exceptionnellement.

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4. De la formation de la première guérill� à la défense du pouvoir con q UIs

I. ORGANISATION DANS LA CLANDESTINITÉ DE LA GUÉRILLA INITIALE

Bien que la guerre de guérilla obéisse à un ensemble de lois dérivées des lois générales de la guerre et d'autres qui lui sont propres, il est évident que, lorsqu'on a l'inten­ tion de déclencher la lutte armée à partir de l'étranger ou de régions éloignées, le travail de conspiration initial doit se limiter à un petit noyau d'initiés. Si le mouvement de guérilla naît de l'action spontanée d'un groupe d'indi­ vidus réagissant contre une méthode quelconque de coer­ ci tion, il se peut qu'il suffise que ce noyau de guérilla soit organisé par la suite pour qu'il ne soit pas anéanti. Mais, en général, c'est un chef prestigieux qui engage la guerre de guérilla, délibérément, pour le salut de son peuple, et cet homme doit d'abord se préparer à l'étranger dans des conditions difficiles. Presque tous les mouvements populaires tentés ces der­ niers temps contre les dictateurs ont souffert de cette faute fondamentale qu'est une préparation insuffisante. Les méthodes de la conspiration qui exigent un travail délicat et secret ne sont pas appliquées. Le plus fréquem­ ment, le pouvoir est déjà au courant par ses services secrets des intentions du ou des groupes ; parfois à cause d'une imprudence, parfois à cause de manifestations d irectes, comme cela s'est produit dans notre pays où cette phrase de Fidel Castro c en 1 956, nous serons l ibres ou nOLIs serons des martyrs :., avait publiquement annoncé le débarquement. Le premier principe de base du mouvement est celui du secret absolu, de l'absence totale d'information pour l'ennemi ; le second, également très important, est la sélec­ tion du matériel humain. Cette sélection se fait parfois 111

facilement, mais elle peut être aussi extrêmement difficile, puisqu'il ne faut compter qu'avec les éléments qu'on a sous la main, c'est-à-dire des exilés de vieille date qui se présentent à l'appel sans que l'on ait les moyens de faire une enquête complète sur chacun d'eux. Même lors­ qu'il s'introduit des agents du régime adverse, il est impar­ donnable qu'ils puissent fournir des renseignements, puis­ que avant d'agir, tous les participants doivent être groupés en des lieux secrets connus seulement d'une ou deux personnes, étroitement surveillés par leurs chefs, ct n'avoir aucun contact avec le monde extérieur. Pendant les pré­ paratifs, durant l'entraînement, quand on fuit l a police, les nouveaux éléments, ceux que l'on ne connaît pas par­ faitement, doivent toujours être tenus éloignés des points­ clefs. Dans la clandest i nité, personne, absolument personne, ne doit rien savoir qui ne soit strictement i n dispensable, et personne ne doit jamais bavarder. Arrivé déjà à u n certain stade de structuration, i l e s t indispensable de con­ trôler jusqu'aux lettres, de façon à connaître parfaitement les relations de chacun. Aucun membre ne doit vivre seul, pas même sortir seul ; les contacts personnels, de quelque n a ture qu'ils soient, du futur membre de l'armée de libération doivent être empêchés par tous les moyens. Un facteur sur lequel il faut insister, et dont le rôle dans cette première phase est généralement aussi négati f qu'il devient positif dans l a lutte, c'est l a femme. O n sait l a faiblesse des hommes jeunes, éloignés d e leur milieu habituel, placés dans des situations exceptionnelles, même du poin t de vue psychique, pour les femmes, et combien les dictateurs connaissent cette faiblesse et ten­ tent d'utiliser leurs espionnes. Parfois les l iens de ces femmes avec ceux qui les emploient sont faciles à déceler, mais i l est souvent difficile de découvrir le moindre contact ; d'où la nécessité d'empêcher des relations fémi­ nines. Le révolutionnaire qui se prépare pour une guerre dans la clandestinité doit être un parfait ascète, ce qui permettra d'ailleurs utilement de vérifier une qualité qui sera, par la suite, l'une des bases de l'autorité : la discipline. Si un homme transgresse à plusieurs reprises les ordres de ses supérieurs, rencontre des femmes, contracte des ami­ tiés non autorisées, il faut immédiatement s'en séparer, n o n seulement à cause du danger possible de ces contacts,

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mais simplement parce qu'il viole la discipline révo­ lutionnaire. On ne doit jamais compter sur l'assistance incondition­ nelle d'un gouvernement lorsqu'on opère sur son territoire, qu'il soit allié, ou simplement indifférent : on doit tou­ jours sc comporter comme si l'on se trouvai t dans u n camp absolument hostile. Dans ce camp, il peut y avoir, naturellement, des exceptions ; mais elles ne font que confirmer la règle générale. On n e peut parler ici du nombre d'hommes que l'on préparera. Cela dépend de t rop de facteurs. Nous pou­ vons simplement parler du nombre minimum avec lequel on peut commencer une guerre de guérilla. Selon moi, en tenant compte des défections et des faiblesses inévi­ tables, malgré la rigoureuse sélection, on doit compter sur une base de trente à cinquante hommes. Ce nombre suffit pour commencer une lutte armée dans n'i mporte quel pays latino-américain si le terrain est favorable, l e désir d e l a terre ardent chez les paysans, e t l a justice constamment bafouée. Les armes, nous l'avons déjà indiqué, doivent être du même modèle que celles utilisées par l'ennemi. En gros, en considérant toujours au départ tout gouvernemen t hos­ tile à une action militaire entreprise à partir de son territoire, les groupes qui se préparent ne doivent pas être supérieurs à quelque cinquante ou cent hommes par unité. Il n'y a aucun i n convénient à ce que l a guerre soit commencée par exemple par cinq cents hommes, mais ceux-ci ne doivent pas être concentrés. D ' abord parce que, nombreux, ils attirent l'attention, ensuite parce qu'en cas de trahison, tout le groupe tombe. Alors qu'il est difficile d'occuper simul tanément plusieurs lieux. La maison centrale de réunion peut être plus ou moins connue ; les exilés s'y rendront pour tenir des réunions de tous genres, mais les chefs ne doivent pas s'y présenter, sinon exceptionnellement, et il ne doit s'y trouver aucun document compromettant. Les chefs doivent disposer du plus grand nombre possible de domiciles, les plus discrets possible. Les dépôts d'armes ne seront connus que d'une personne ou deux e t répartis en plusieurs endroits. Les armes doivent toujours être remises à la dernière minute entre les mains de ceux qui doivent s'en servir, car une action répressive contre ceux qui s'entraînent causerait non seulement leur emprisonnement, mais aussi 113 8

la perte de toutes les armes si difficiles à obtenir, et qui représentent une dépense que les forces populai res n e peuvent s e permettre. On doit accorder une grande importance à la prépa­ ration des forces pour les dures luttes qui vont suivre : discipline stricte, niveau moral élevé, compréhension par­ faite de la tâche à réaliser. sans fanfaronnades ni illu­ sions trompeuses ni fausses espérances d'un triomphe facile. Car la lutte sera âpre et longue. La troupe subira des revers. elle pourra se trouver au bord d u désastre et elle ne pourra être sauvée que par son niveau moral. sa discipl ine, sa foi dans le triomphe final et par les qualités exceptionnelles de son chef. Ceci, c'est notre expérience cubaine, où douze hommes purent créer le noyau d'une armée parce qu'ils remplissaient toute ces conditions et que celui qui les dirigeait se nommait Fidel Castro. En plus de la préparation idéologique et morale, un m inutieux entraînement physique est i n dispensable. Evi­ demment. les guérilleros choisiront une zone montagneuse pour opérer ; quel que soit le terrain, la marche est l'élé­ ment de base de la guérilla qui ne peut s'encombrer de gens lents ou fatigués. Un entraînement efficace consiste en marches épuisantes de jour et de nuit, en augmentant chaque fois la d istance, et en amenant les hommes jus­ qu'au bord de l'effondrement, tout en axant l'effort sur la rapidité. La rapidité et la résistance seront les carac­ téristiques physiques d u groupe initial de l a guérilla. On peut également inculquer des connaissances théoriques comme l'orientation, la lecture des cartes. les techniques du sabotage. Si cela est possible, on fera, surtout à la cible, avec un fusil de guerre, de nombreux exercices de tir en i nsistant sur la façon d'utiliser les balles. Le guérillero doit avoir sans cesse en tête une règle quasi religieuse : l'économie des muni tions. Il doit savoir ti rer parti de chaque balle jusqu'à la dernière. Si toutes ces instructions sont suivies, les forces de guérilla pourront faci­ lement atteindre leur but.

II. DÉFENSE DU POUVOIR CONQUIS Tant que l'on n 'a pas réussi à disloquer totalement l'armée qui soutenait l'ancien régime, la victoire ne peut être évidemment définitive. Bien plus, toutes les institutions

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qui protégeaient ce regune doivent être systématiquement liquidées. Mais cet ouvrage n'étant qu'un manuel de guérilla, nous nous bornerons à analyser les tâches de défense nationale en cas d'agression contre le nouveau régime. On se heurtera tout d'abord à l 'opinion publique mon­ d iale : l a c grande presse " les agences de presse c objec­ tives ) des Etats-Unis et des autres patries des monopoles entameront des attaques qui seront aussi agressives et systém ati ques que les lois populaires du pays libéré. C'est pourquoi il ne doit plus exister la moindre structure de l'ancienne armée. Le m i l i tarisme, l'obéissance mécanique, les conceptions d u devoir m i litaire et d e l a morale à l'an­ cienne ne peuvent être déracinés d 'un seul coup, et il est encore moins possible de laisser coexister les vainqueurs, aguerris, mais le plus souvent sans la moindre culture générale, et l'ennemi vaincu, mais orgueilleux de son savoir m i l i taire, haïssant de toutes ses forces ces guérilleros incultes. Il y a évidemment des cas individuels où des m i l i taires, rompant avec tout un passé, entrent dans le nouveau sys­ tème avec un esprit de coopérat ion absolue. Ils sont alors doublement utiles puisqu'ils allient à leur attachement à la cause du peuple les connaissances nécessaires pour réa­ liser la structuration de la nouvelle armée populaire. A la dislocation de l'ancienne armée et à son démembre­ ment, obtenus par l a prise de tous les postes par la nouvelle armée, doit succéder immédiatement une organisation de celle dernière. L'ancienne structure de la guérilla, indivi­ dualisée, p resque entièrement laissée à l'initiative de chaque chef, sans aucune planification, pourra être modifiée : mais il est très important de la réorganiser à partir des concepts opérationnels de la guérilla en donnant à l'armée populaire sa structure organique, c'est-à-dire en donnant à l'armée de guérilla une organisation sur mesures dans laquelle elle se sente à l 'aise. On ne doit pas commettre l'erreur dans l aquelle nous sommes tombés le premier mois, en prétendant faire entrer la nouvelle armée popu­ laire dans les vieux cadres de la discipline et de l'organisa­ tion militaire. Cela peut entraîner des hi atus i m portants qui conduisent à une totale désorganisation. On doit dès lors commencer à préparer la nouvelle guerre défensive que doit mener l'armée du peuple, habi­ tuée à une grande liberté de manœuvre, dans le cadre de

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la lutte commune, qui laissait une grande initiative à chaque groupe armé. Cette armée aura deux problèmes immé­ diats : d'abord, dans la grande vague de la victoire, des m i lliers de révolutionnaires de la dernière heure, bons ou mauvais, s'i ncorporeron t dans l'armée. Il faudra les faire passer par les rigueurs de la vie de guérilla et leur donner des cours accélérés et intensifs de formation révolution­ naire. La formation révolution naire qui donne à l 'armée du peuple l'unité idéologique ind ispensable, est la base de la sécurité nationale, à long comme à court terme. L'autre problème est posé par la difficulté à s'adapter aux nouvelles structures. Un corps spécial, immédiatement constitué, devra expli­ quer dans chaque unité de l'armée les nouvelles vérités de la Révolution : expliquer aux soldats, paysans et ouvriers, la justice et la vérité de chaque fait révolution­ naire, les aspirations de la Révolution, pour quoi on com­ bat, pour quoi sont morts tous les camarades q u i ne virent pas l a victoire. Parallèlement, des cours accélérés d'ensei­ gnement primaire permettront de vaincre l'analphabétisme pour transformer graduellement l'armée révolutionnaire en u n instrument technique perfectionné, d'une solide for­ mation idéologique, d'une parfaite capacité de combat. Ces trois qualités viendront peu à peu avec le temps. On pourra, ensuite, perfectionner l'appareil m i l itaire pour que les combattants aguerris puissent devenir des m i l i taires professionnels grâce à des cours spéciaux, et former à leur tour le peuple appelé par conscription volontaire ou obligatoire. Ceci dépend des caractéristiques nation ales, et l'on ne peut établir de règles générales. Sur ce point, et dans tout ce qui va suivre, nous expri­ mons l'opinion de la direction de l'Armée rebelle sur la politique à suivre à Cuba, au cas où une menace d'inva­ sion étrangère se concrétiserait au stade actuel, fi n 1 959 début 1 960 : notre ennemi est prévu, jaugé, et attendu sans crainte. Nous n'élaborons plus une théorie à l'usage de tous, fondée sur notre propre expérience passée, mais au contraire nous nous fondons sur l'expérience des autres pour l'appliquer à notre défense nationale. Comme i l s'agit d'envisager le cas cubain, d'exprimer notre hypothèse par rapport au contexte des réalités amé­ ricaines, et de les faire concorder, nous présentons, en épilogue, une analyse de la situation cubaine, son présent, son avenir.

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III. ANALYSE DE LA SITUATION CUBAINE, PRÉSENT ET AVENIR Une année s'est déjà écoulée depuis la fuite du dicta­ teur, résultat d'une longue lutte civile armée du peuple cubain. Les réalisations du gouvernement dans les domaines social, économ ique et politique sont immenses. Sans doute est-il nécessaire de faire une analyse, de donner à chaque terme sa juste valeur. de montrer au peuple l'exacte dimension de notre Révolution cubaine. Car cette Révo­ lution. bien que fondamentalement agraire, a gagné l a participation enthousiaste des ouvriers de l a classe moyenne et, à présent, l 'appui des industriels. L'inébran­ lable décision de son peuple et les buts qui l'animent lui ont donné une importance continentale, voire mondiale. I l ne s'agit pas de faire une synthèse. s i résumée soit-elle. de toutes les lois approuvées. toutes i ndéni able­ ment bénéfiques pour le peuple. Il nous suffira de mettre l'accent sur certaines d'entre elles en montrant l'enchaέ nement logique qui nous cond uit de la première à la dernière. par une démarche progressive et nécessaire, montrant l'attention que porte l'Etat aux besoins du peuple cubain. Le gouvernement s'est tout d'abord attaché à détruire les espoirs des classes parasitaires d u pays en décrétant à un rythme rapide. la loi sur les loyers, la baisse sur l'électricité et sur les tarifs téléphoniques. Ceux qui pré­ tend aient voir en Fidel Castro et en ceux qui firent cette Révolution quelques pol iticiens à l'ancienne mode, ou quelques idiots faciles à m anœuvrer. portant la barbe pour unique signe distinctif, commencèrent à soupçonner que quelque chose de plus profond émergeait du sein même d u peuple cubain et que leurs prérogatives étaient ell grand danger de disparition. Le mot de communiste com­ mença à rôder autour des d ir igeants, des guérilleros vain­ queurs, et le terme d'anticommuniste, inversement. com­ mença à regrouper ceux qui avaient été dépossédés de leurs injustes privi lèges. La loi sur les terres en friche, celle sur la vente à crédit créèrent un sentiment de malaise dans les capitaux usu­ raires. Mais l a réaction n'essuyait encore que des escar­ mouches, tout restait possible, c cet enfant fou � de Fidel Cactro pouvait être conseillé et mené vers de bonnes voies c démocratiques � par un Dubois o u un Porter. On pouvait avoir confiance dans l'avenir.

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La loi de la Réforme agraire fut un choc considé­ rable. L a plupart de ceux qu'elle affecta virent alors clair. Avant eux, le porte-parole de la réaction, Gaston Baquero, avait prévu avec précision ce qui arriverait et s'était retiré vers les eaux plus tranquilles de la dictature espagnole. Certains pensaient encore c qu'une loi n 'est qu'une loi ., que d'autres gouvernements en avaient déjà promulgué d 'autres, théoriquement bonnes, pour le peuple, mais que leur mise en vigueur était une autre chose. E t cet enfant tapageur et compliqué, dont l'existence n'était connue que par son sigle I.N.R.A. l fut. au début, consi­ déré avec un paternalisme désagréable et attendrissant depuis les murs élevés de la science infuse des doctrines sociales et des respectables théories des finances publi ques où ne parvenaient pas les esprits incultes des guérilleros. Mais l'I.N.R.A. avança comme un tracteur, ou un tank. car il est à la fois tank et tracteur, brisant sur son passage les barrières du latifundio ct créant de nou­ velles relations sociales de propriété de la terre. Cette Réforme agraire cubaine totalisait un certain nombre de caractéristiques importantes pour l'Amérique. Elle était antiféodale car, en plus de l'élimination du latifundio (ceci dans les conditions cubaines), elle supprimait tous les contrats obligeant à payer en espèces la rente foncière, et l i quidait les rapports de servage qui s'étaient maintenus dans nos grandes productions agricoles, particul ière­ ment dans nos plantations de café et de tabac. Mais c'était également une Réforme agraire qui se faisait en système capitaliste pour détruire l a pression des mono­ poles qui empêchent les paysans isolés ou réunis en collec­ tivité de travailler leur terre honnêtement et de produire sans la crainte du créancier ou du propriétaire. Dès le début, elle allait assurer aux paysans et aux ouvriers agri­ coles, en même temps que la terre, l'appui technique néces­ saire grâce à son personnel qualifié et à son matériel, et u n appui financier grâce aux crédits d e l'I.N .R.A., de banques d'Elat, et de l' c Association des Magasins du Peuple •• Cette dernière s'est fortement développée dans la pro­ vince d'Oriente, et se développe dans d'autres provinces où les magasins d'Etat remplacent l 'ancien usurier, payant à un juste prix les récoltes et donnant ainsi une juste indemnité d'exploitation. 1 . Institut

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Na t i onal de ln Réforme Agraire.

De toutes les caractéristiques qui la différencient des trois autres Réformes agraires d'Amérique (Mexique, Gua­ temala et Bolovie), l a plus importante est la volonté de la mener jusqu'au bout, sans concession d'aucune sorte. Cette Réforme agraire i ntégrale ne respecte que le droit d u peuple et ne s'inscrit ni contre une classe, ni contre une nationalité particulière : la loi pèse de la même façon sur l'United Frui t Company et le King Ranch que sur les latifundistes créoles. Dans ces conditions, les productions du pays comme le riz, les oléagineux, ou le coton, se développent i n tensi­ vement et deviennent le centre du processus de planifi­ cation. Mais la nation n'est pas encore satisfaite, elle va recouvrer toutes ses richesses. Son riche sous-sol, centre des luttes entre monopoles et objet de leur voracité, vient d'être pratiquement récupéré par la loi sur le pétrole. Cette loi, comme toutes celIes d ictées par la Révolution, répond à des nécessités avec lesquelles on ne peut biaiser, à des urgences que ne peut plus ajourner un peuple qui veut être libre, m aître de son économie, prospérer et atteindre un développement social toujours plus élevé. C'est par là même, pour le continent, un exemple que les monopoles pétroliers redoutent. Cuba ne gêne pas direc­ tement et substantiellement les m onopoles pétroliers, car il n 'y a aucune raison de considérer le pays comme u n centre très important du précieux combustible, bien qu'on puisse raisonnablement espérer parvenir à satisfaire les besoins internes. Mais elle montre par l'exemple de sa loi, aux peuples frères d'Amérique dont beaucoup sont la pâture de ces monopoles, dont d'autres sont poussés à des guerres intestines pour satisfaire les besoins ou les appétits de trusts rivaux, qu'il est possible de le faire en Amérique. Elle montre en même temps à quel moment il faut le faire. Les grands monopoles aussi tournent leurs regards inquiets vers Cuba : non seulement on a osé liquider dans la petite île des Caraïbes le tout-puissant legs de Mr. Foster Dulles à ses héritiers, l'United Fruit Co.. m ais encore la Révolu­ tion populaire cubaine a frappé l'empire de Rockefeller et le groupe de la Royal Dutch. Cette loi, comme celle concernant les mines, est la réponse -du peuple à ceux qui prétendent le soumettre, par des démonstrations de force, des incursions aériennes et des sanctions diverses. Certains affirment que la loi sur les Mines est aussi importante que celle de la Réforme 1 19

agraire. D'une façon générale, nous ne pensons pas qu'elle atteigne cette importance dans l'économie du pays. Mais un nouveau phénomène apparaît : les 25 % d'impôts sur le total des produits exportés que doivent payer les compagnies qui vendent notre minerai à l'étranger (lais­ sant à présent autre chose qu'un vide dans notre territoire) contribuent non seulement au bien-être cubain, mais avan­ tagent les monopoles canadiens dans leur lutte contre les exploiteurs actuels de notre nickel. Ainsi, la Révolution cubaine qui liquide les latifundia, l i m ite les gains des monopoles et des i nterméd iaires étrangers, ct lance une politique nouvelle en Amérique en osant rompre le statut monopolistique des trusts de la mine. Cela signifie u n rappel à l'attention des voisins d'une des plus grandes patries des monopoles, mais aussi une répercussion pro­ fonde dans l'Amérique tout entière. La Révolution cubaine brise toutes les barrières des entreprises d'information et diffuse sa vérité comme une traînée de poudre parmi les m asses lati no-américaines avides d'une vie meilleure. Cuba est le symbole de la nouvelle nationalité, et Fidel Castro le symbole de la libération. La petite île de 1 1 4 000 km2 et de 6,5 millions d'ha· bitants assume l a d irection de la lutte anticolonialiste en Amérique où de graves lacunes lui laissent l'héroïque, glorieux et dangereux rôle d'avant-garde. Les nations moins faibles économiquement de l'Amérique coloniale qui développent en tâtonnant leur capitalisme national, par une lutte soutenue e t parfois violente contre les mono­ poles étrangers, cèdent peu à peu l a place devant l e nou­ veau champion de l a l iberté, leurs gouvernements n'ayant pas la force nécessaire pour mener leur lutte à bien. Car celle-ci n'est pas simple, ou exempte de difficul tés et de dangers, e t i l faut l'appui du peuple tout entier, beaucoup d'idéalisme et d'esprit de sacrifice pour la gagner dans les conditions d'isolement que nous subissons en Amérique. De petits pays tentèrent naguère de mener cette lutte : le Guatemala, le Guatemala du quetzal, l'oiseau qui meurt s'il est en cage, le Guatemala de l'Indien Tecum Uman, qui tomba sous l 'agression directe des colonial istes. E t l a Bolivie, celle de Morillo, le premier martyr de l'indépen­ dance américaine, qui céda sous la terrible rigueur du com­ bat après avoir commencé par donner trois des exemples qui fournirent à la Révolution cubaine des enseignements précieux : l a nécessité de l a suppression de l'armée, de la

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Réforme agraire et de la nationalisation des mines, source des plus grandes richesses et des plus grands drames. Cuba connaît les exemples du passé, les d ifficultés et les échecs, mais eUe sait a ussi qu'eUe est à l'aube d'une ère nouveUe. Les bastions coloniaux ont été balayés par l'élan des luttes nationales et populaires e n Asie comme en Afrique, L'unité entre ces peuples n'est plus le fait de la rel igion, des coutumes, des ambitions, des affinités ou des d i lTérences raciales, eUe est soudée par la sim i l itude des conditions économiques et sociales : par un même désir de progrès. L'Asie et l'Afrique se tendirent la main à Bandoeng : ici, à La Havane, à travers Cuba, l'Asie et l'Afrique viennent de tendre l a main à l'Amérique latine et indienne. Par a i Beurs, les grandes puissances colonialistes ont cédé du terrain devant les peuples en lutte. La Belgique et l a Hollande s o n t deux caricatures d'empires ; l'Allemagne e t l'Italie ont perdu leurs colonies. La France s e débat dans l'amertume d'une guerre qu'elle a déjà perdue, et l'Angleterre, habile, liquide le pouvoir politique en m ain­ tenant les liens économ iques. Le capitalisme nord-américain remplace, quelques-uns des vieux capitalismes coloniaux dans les pays où com­ mença une vie i ndépendante, mais i l n'ignore pas que cela est provisoire et qu'il n'y aura pas de véri table expansion sur ce terrain pour ses spéculations financières. Les Etats­ Unis pourront encore sucer comme la pieuvre, mais sal\� pouvoir appliquer aussi fermement leurs ventouses. Les serres de l 'aigle impérial sont l i mées. Le colonialisme est mort dans toutes les parties du monde ou est sur le point de mourir de mort natureUe. L'Amérique, c'est autre chose. Il y a longtemps que l e lion anglais a retiré sa gueule gourmande de notre Amérique, et que les jeunes et sympathiques capitalistes yankees i nstallèrent l a version c démocratique � des clubs anglais et imposèrent leur domination sur chacune des vingt républiques. Elles sont le fief colonial du monopole nord-américain c l'arrière-cour de sa propre maison �, sa raison de vivre et son moyen d'existence. Si tous les peuples lati no-améri­ cains comme Cuba, relevaient leur d ignité, les monopoles trembleraient, devraient s'accommoder d'une nouveIle situa­ tion politique et économ ique et d'un rétrécissement de leurs profits. Mais les monopoles n'aim$!nt guère voir dimi121

nuer leurs profits et l'exemple cubain - ce c mauvais exemple ;) de dignité nationale et internationale - est en train de se propager parmi les pays d'Amérique latine. Chaque fois qu'un peuple lance son cri de libération, on accuse Cuba, et d'une certaine façon Cuba est en etIet coupable, car elle a montré le chemin, celui de la lutte armée populaire contre des armées réputées invincibles, celui de l a guerre de guérilla, en un mot le chemin de la dignité. Mauvais, très mauvais exemple que l'exemple cubain 1 Les monopoles ne peuvent dormir tranquilles tant que ce mauvais exemple reste debout, face aux dangers et marchant vers l'avenir. Il faut le détruire proclament ses porte-parole ; il faut intervenir dans ce bastion c com­ muniste � disent les serviteurs des monopoles, déguisés en représentants à la Chambre. La situation cubaine nous donne beaucoup d ' inquiétude, susurrent les défenseurs les plus roués des trusts, mais nous savons tous qu'ils veulent d ire : « I l faut la détruire. :t Ceci posé. pour détruire ce mauvais exemple. quelles sont les possibilités d'agression ? Il en est une purement économique : la restriction des crédits bancaires et des fournisseurs nord-américains pour tout ce qui est cubain, Banque Nationale de Cuba comprise. Restriction qui peut s'étendre, grâce aux associés, à tous les pays d'Europe occidentale. Mais isolément, ceci n'est pas suffisant. Le refus de concéder des crédits provoque un premier coup très dur à l'économie du pays, mais elle se réajuste et la balance commerciale se relève, quand le pays s'ha­ bitue à vivre au jour le jour. La pression doit être mainte­ nue. Le quota sur le sucre entre dans la danse : oui, non, non, oui. Hâtivement, les machines à calculer des agences du monopole font ressortir des résultats qui font conclure qu'il est très dangereux de diminuer le quota cubain, qu'il est impossible de l'annuler. Pourquoi très dangereux ? Parce qu'en plus de l'erreur politique que cela constituerait, cela stimulerait les appétits de d ix ou quinze pays pro­ ducteurs et créerait entre eux u n profond malaise, chacun se considérant comme ayant droit à davantage. Impossible de l 'abandonner parce que Cuba est le meilleur et le moins cher des fournisseurs de sucre aux U.S.A. et parce que 60 % des i ntérêts qui sont directement dépendants de l a production ou de la commercialisation du sucre appartiennent à ce pays. En outre, la balance commerciale 122

est favorable aux V.S.A. Celui qui ne vend pas, ne peut acheter e t ce serait donner un mauvais exemple que de rompre un traité. Mais la chose ne s'arrête pas là : le prétendu cadeau nord-américain qui consiste à payer près de trois centavos au-dessus du cours du marché est seu­ lement le résul tat de son i ncapacité de produire le sucre à bas prix. Le n i veau élevé des salaires et la faible pro­ ductivité du sol empêchent la grande puissance de produire du sucre au prix cubain. ct. se réfugiant derrière le prix élevé qu'ils payent pour un produit. ils imposent des accords onéreux non seulement à Cuba mais à tous les bénéficiaires. Impossible de liquider le quota cubain. Nous ne nous arrêterons pas sérieusement sur la possi­ bilité pour les monopoles de prétendre bombarder ct incendier les champs de canne pour provoquer une pénurie de l a récolte. Cela semble davantage un moyen visant à semer la crainte au sein du Gouvernement révolutionnaire (mais le cadavre déchiré du mercenaire nord-américain tache de sang plus qu'une maison cubaine. i l tache aussi toute une poli tique. et que dire de l'énorme explosion des armes destinées à l'Armée rebelle). 1 Il Y a d'autres points vul nérables où l'économie cubaine peut être frappée. dans ses achats en matières premières, en coton par exemple. Pourtant l'on n'ignore pas qu'il y a surproduction de coton dans le monde et qu'une d i ffi­ culté de cet ordre serait provisoire. Le combustible ? En manquer peut paralyser u n pays, et Cuba prod u i t très peu de pétrole ; elle a quelques goudrons qui pourraient ali­ menter ses chaudières et un peu d'alcool qui. en définit ive, pourrait faire marcher ses véhicules. En outre. il y a beau­ coup de pétrole dans le monde. L'Egypte, l'Union Sovié­ tique peuvent en vendre, et peut-être bientôt l'Irak. Il n'est donc pas possible de se limiter à appliquer une simple stratégie économique. S i parmi les possibilités d 'agression on ajoute à cette variante économique les in terventions d'une quelconque c puissance :t de poche, Saint-Domingue par exemple, cela gênerait un peu plus, mais en définitive les Nations Unies devraient i n tervenir et cela n'aurait mené à rien de concret. Comme par h asard, les nouvelles voies suivies par J'O.E.A. 2 créent un dangereux précédent en m atière d'in1 . Allusion Il l'explosion du cllrgo La :.1. Organisation des Etats AmérIcaIns.

COllbre, (N. des T.).

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tervention. Se camouflant derrière le prétexte de l a dico tature trujilliste, les monopoles préparent d'autres agres­ sions. Dans cette affaire, la démocratie vénézuél ienne nous a mis dans le triste embarras de nous élever contre le prin­ cipe d'une intervention contre Trujillo. Beau service rendu aux pirates d u continent ! Parmi les nouvelles possibilités, il y a l'élimination phy­ sique de celui qu'on appelait ce 4: jeune fou �, de Fidel Castro, qui est devenu la cible des colères des monopoles. Il faudrait naturellement prendre des mesures contre les deux autres dangereux c agents internationaux � : Raùl Castro et l'auteur de ces lignes, qui seraient également à éliminer. C'est une solution souhaitée et qui serait payante pour l a réaction si elle donnait des résultats satisfaisants en une triple action simultanée ou du moins s i l'on attei­ gnait la tête dirigeante. (Mais n'oubliez pas le peuple, messieurs les monopolistes et messi eurs les valets de l'intérieur, le peuple tout-puissant qui devant u n tel crime écraserait sans que rien ni personne ne le puisse reteni r tous ceux q u i directement o u indirectement auraient trempé dans l'attentat contre les chefs de la Révolution.) U n autre �spect de l a variante Guatemala est de faire pression sur les fournisseurs d'armes à Cuba pour obliger notre pays à en acheter aux pays communistes, les accu­ sations qui s'ensuivraient auraient ensuite davantage de rigueur. Mais quelqu'un dans notre gouvernement a déjà dit : c Il se peut qu'on nous attaque sous prétexte que nous sommes des communistes, mais on n e nous éliminera par parce que nous sommes des imbéciles. � Alors la nécessi té d'une agression directe se profilera, pour les monopoles (plusieurs possibilités seront débattue, et étudiées sur des calculatrices L B . M .. dans tous leurs détails). Mais i l nous vient à l'esprit qu'on pourrait utiliser l a variante espagnole : on prendrait pour prétexte initial les exilés, épaulés par des volontaires qui seraient bien entendu des mercenaires ou simplement les soldats d'une puissance étrangère, bien appuyés par l a mari n e et l'avia­ tion. Cela pourrait aussi être l'agression directe d'un Etat comme Sai n t-Domingue, qui enverrait quelques-uns de ses hommes, nos frères, et beaucoup de mercenaires pour mourir sur n05 plages afin de provoquer u n état de fait qui obligerait les benoîtes patries d u monopole à déclarer qu'elles ne veulent pas i ntervenir dans cette c désastreuse � lutte fratricide, qu'elles se borneront à

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la l i miter en faisant veiller sur les mers et le ciel de cette partie de l'Amérique leurs cuirassés, leurs croiseurs, leurs torpilleurs, leurs sous-!parins, leurs porte-avions e t leurs avions, E t i l n'est pas impossible q u e ces gardiens jaloux de la paix continentale ne laissent passer aucun bateau utile à Cuba, et voient leur vigilance c de fer • déjouée par la plupart sinon tous ceux qui seront pour l a mal heureuse patrie de Trujillo. Ils pourront également intervenir par le truchement d'un c prestigieux • orga­ nisme i nteraméricain pour meUre fi n à la c folle guerre • que le c com munisme • déchaînera dans notre île, ou même intervenir directement au nom de l'organisme pour ramener la paix et protéger les intérêts de leurs ressortis­ sants, créant ainsi une variante de la Corée, Peut-être le premier coup ne sera-t-il pas porté contre nous mais contre le gouvernement constitutionnel du Venezuela pour liquider notre dernier appui sur le conti­ nent, S i cela se produit, i l est possible que la lutte contre le colonialisme n'ait plus Cuba pour centre, mais la grande patrie de Bolivar. Le peuple du Venezuela se lèvera pour défendre ses libertés, avec l'enthousiasme de ceux qui savent qu'ils livrent une bataille décisive ; qu'avec l a déroute c'est la plus sombre tyrannie, avec la victoire, l 'avenir enfin de notre Amérique où une flambée de luttes populaires peut briser le silence des cimetières monopolistes que sont devenus, subjuguées, les républiques sœurs. On peut avancer beaucoup de raisons contre la proba­ bilité d'une victoire ennemie, mais il y en a deux capi­ tales : l'une extérieure, nous sommes en 1 960, l'année des peuples sous-développés, des peuples libres, L'année où, enfin, se feront respecter et pour toujours les voix de m illions d'êtres qui n'ont plus pour destin d 'être gouvernés par les propriétaires des moyens de répression et des richesses. Mais c'est aussi l'année - et ceci est une raison intérieure encore plus puissante - où une armée de six m i llions de Cubains prendra les armes comme un seul homme pour défendre son territoire et sa révolution. Sur le champ de bataille, l'armée rebelle ne sera rien d'autre qu'une partie d'un peuple en armes, l i vrant bataille en chaque coin du pays. Dans les villes, les ouvriers se feront tuer devant leurs usines, et dans les campagnes les paysans sèmeront la mort chez l'envahisseur, derrière chaque arbre, chaque sillon tracé par les nouvelles charrues dont la Révo­ l ution les a dotés.

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De par le monde, la solidarité internationale créera une barrière de centaines de millions de poitrines protestant contre l'agression. Les monopoles verront com ment leurs piliers vermoulus vacillent, comment est balayée d'un souffle la toile d'araignée de leurs mensonges élaborés par les agences de presse. Mais supposons qu'ils ne t ien­ nent pas compte de l'indignation populaire internationale : que se passera-t-il i c i à l'intérieur '! Le premier élément qui saute aux yeux, étant donné notre situation d'île aisément vulnérable, sans armes lourdes, avec une aviation et une marine très faibles. c'est l'application du concept de guérilla à la lutte de défense nationale. Nos unités de terre lutteront avec l a décision, l'enthou­ siasme et la ferveur dont sont capables les enfants de la Révolution cubaine en ces glorieuses années d e son his­ toire. Mais dans le pire des cas, après l a destruction de la structure de notre armée sur un front de combat, nous sommes prêts à continuer à lutter e n unités combattantes. E n d'autres termes, face à l a grande concentration de forces ennemies qui pourrait réussir à détruire l a nôtre, celle-ci se transformerait immédiatement en armée de guérilla, très mobile,. où l'autorité de ses chefs serait illi­ m itée au niveau de l a colonne, le commandement central donnant d'un point quelconque du pays les ordres oppor­ tuns et fixant la stratégie générale. Les montagnes seraient la dernière défense de cette avant-garde organisée du peuple qu'est l'Armée rebelle, la grande armée d'arrière­ garde qu'est le peuple entier continuerait la lutte dans chaque m a ison de v i llage, dans chaque chemin, sur chaque parcelle du territoire national. Nos unités d'infanterie n'ayant pas d'armes lourdes, leur action se concentrera sur la défense antitank e t la défense antiaérienne. Beaucoup de m i nes, des bazookas ou des grenades antitanks, des canons antiaériens de grande mobilité : ce seront les seules armes d'une certaine puissance - sans oublier les quelques mortiers. Les vété· rans de l'infanterie, munis d'armes automatiques, connaî­ tront la valeur des munitions, ils en prendront grand soin. Des i nstallations spéciales de recharge de cartouches accom­ pagneront chaque unité de notre armée, et maintiendront dans les conditions les plus précaires, les réserves de muni· tions.

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Notre aviation sera probablement lourdement endom. magée dans les premiers moments d'une invasion de cel ordre, œuvre d'une grande puissance étrangère, o u de mercenaires de n'importe quelle petite puissance appuyée, secrètement ou non par cette grande puissance. L'aviation nationale sera donc détruite ou presque, seuls pourront peut-être encore fonct ionner les avions de reconnaissance et ceux de liaisons - les hélicoptères surtout. L a structure de l a marine sera également réadaptée en fonction de cette stratégie mobile : de petits canots offriront à l'ennemi la superficie la plus réduite et l a mobi­ lité la plus grande. Dans ce cas comme dans n'importe lequel des précédents, le grand désespoir de l'ennemi sera de ne rien rencontrer de solide à combattre. Il n'y aura qu'une masse molle, mobile, im pénétrabl e, qui reculera et qui, tout en portant des coups de tous côtés, ne présen­ tera pas de front solide. Même si elle est défaite dans une bataille de front, i l n'est pas facile de mettre en déroute l'armée du peuple. Deux éléments importants de la population sont à ses côtés, les paysans et les ouvriers. Déjà les paysans ont donné des preuves de leur efficacité en arrêtant la bande qui rôdait aux alentours de Pinar deI Rio. Ils seront e ntraî­ nés sur place, mais les chefs de peloton et les supérieurs seront formés comme ils sont en train de l'être, dans nos bases m ilitaires. De là, ils seront répartis à travers les trente zones de développement agraire qui divisent le pays pour constituer autant de centres de lutte rurale. Les paysans défendront leurs terres, leurs conquêtes sociales, leurs nouvelles maisons, leurs canaux et leurs digues, leurs récoltes florissantes : leur indépendance ; bref, leur droit à la vie. Ils présenteront immédiatement une ferme résistance à l'avance ennemie, mais si celle-ci se révèle par trop forte, ils s'éparpilleront et chaque paysan sera durant le jour un cultivateur paisible et la nuit un guérillero efficace, redouté des forces ennemies. Le même processus se reproduira avec les ouvriers ; les meilleurs d'entre eux seront formés pour prendre ensuite le commandement de leurs cam a­ rades et se charger de leur inculquer les notions de défense qu'ils auront reçues. Chaque catégorie sociale, sans doute, aura des tâches différentes : le paysan mènera la lutte classique du guérillero : il doit apprendre à bien tirer, exploiter les difficultés du terrain, disparaître sans

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jamais combattre de front. L'ouvrier a la chance d'être à l'intérieur de l'énorme forteresse qu'est une ville moderne, mais il n'a pas de mobilité : il apprendra à barricader les rues, d'une façon rationnelle, à utiliser chaque pâté de maison comme une forteresse, reliée à l'intérieur par des trous communicant dans les murs, à util iser la terrible arme de défense qu'est le c cocktail Molotov � et à savoir coordonner son tir à partir des innombrables meurtrières qu'offrent les immeubles d'une ville moderne. La m asse ouvrière, assistée par l a Police nationale, et les Forces armées chargées de la défense des villes, for­ meront une puissante armée, mais qui sera durement endomm agée. La lutte dans les villes ne peut égaler la lutte rurale en facilité et en élasticité. Ils tomberont ou nous tomberons - nombreux dans cette lutte popu­ laire. L'ennemi emploiera des tanks qui seront rapidement détruits quand le peuple apprendra à ne plus les craindre et à en connaître les points vulnérables, mais le peuple aura laissé, auparavant, son lot de victimes. Des organisations s'allieront également à celles des ouvriers et des paysans : en premier lieu, les milices étu­ d iantes, coordonnées et dirigées par l'Armée rebelle, qui compteront le meilleur de la jeunesse étudiante. Les orga­ nisations de jeunesse en général , qui participeront au combat. et des organisations de femmes qui donneront l'important stimulant de la présence fém inine. Elles s'occu­ peront des travaux si importants d'assistance aux camarades de combat : cuisiner, soigner les blessés, donner les der­ niers réconforts aux moribonds, laver : elles démontreront à leurs compagnons d'armes que jamais leur présence ne fait défaut aux moments difficiles de l a Révolution. Tout cela est le résultat d'un ample travail d'organisation des m asses, de leur éducation patiente et complète. Cette édu­ cation est fondée sur les connaissances élémentaires mais elle doi t être centrée sur l'explication raisonnée et véritable des faits de la Révolution. Les lois révolutionnaires doivent être étudiées, expli­ quées, commentées dans chaque réunion, dans chaque assemblée, dans chaque lieu où se rencontrent les respon­ sables de la Révolution. Afin d'orienter les masses, on doit constamment lire, commenter et discuter les discours des chefs, et tout particulièrement, pour nous, ceux du leader indiscuté. Dans la campagne, on doit se réunir pour écouter à la radio ou voir à la télévision ces magnifiques 1 28

cours populaires que notre premier ministre à l'habitude de faire. Le contact du peuple avec la politique. c'est-à-dire le contact du peuple avec l 'expression de ses désirs les plus chers devenus lois, décrets et résolutions, doit être cons­ tant. La vigilance révolutionnaire, envers toute manifes­ tation contre-révolutionnaire doit être permanente. Au sein des m asses révolutionnaires la vigilance vis-à-vis de sa propre attitude doit être plus stricte encore que celle exercée vis-à-vis d u non-révolutionnaire ou de l'indifférent. On n e peut permettre, sous peine de voir la Révolution prendre l e dangereux chemin de l'opportunisme, qu'un révo­ lutionnaire, quelle que soi t sa position. quelles que soient ses conceptions, soit pardonné pour des fautes graves contre l'honnêteté ou la morale, justement parce qu'il est révolu­ tionnaire. Ce fait pourra permettre une atténuation de la peine, e t l'on tiendra compte de ses mérites antérieurs, mais le délit, en soi, doit toujours être pun i . L e culte d u travail, surtout du travail collectif, à des fins collectives, doit être développé. Les brigades de volon­ taires qui construisent des routes, des ponts. des quais, des d i gues, des groupes scolaires, et renforcent constam­ ment leur esprit collectif, prouvant par des actes, leur amour de la Révolution, doivent recevoir une grande impulsion. Une armée qui est en pareille harmonie avec le peuple, dans laquelle on sent si intimement les paysans et les ouvriers dont elle est l'émanation, qui de plus connaît toute la technique particulière à sa guerre et qui est psychologiquement préparée aux pires éventuali tés, cette armée est invi ncible. E t elle sera d'autant plus invincible que la juste phrase de notre immortel Camilo Cienfuegos c l'armée est le peuple en IIniforme , prendra davantage corps dans l'armée et acquerra droit de cité. Grâce à tout cela, et malgré la nécessité pour les monopoles de supprimer le c mauvais exemple , cubain, notre avenir est plus l u m i neux que jamais.

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�rits militaires

1. Qu'est-ce qu'un guérillero ?

Il n'y a probablement pas de pays au monde où le mot de c guérillero � ne soit pour le peuple le symbole d'un désir de liberté. Ce n'est qu'à Cuba que ce mot avait un sens repoussant. Notre révolution, qui a une action libératrice dans tous ses prolongements, a réhabilité ce mot. Nous savions tous que ceux qui avaient sympathisé avec le régime espagnol esclavagiste et qui avaient pris les armes pour défendre en francs-tireurs la couronne d'Espagne étaient des guérilleros ; dès lors, ce mot était resté à Cuba le symbole de tout ce qui était mauvais, rétrograde et pourri dans le pays. Pourtant, ce n'est pas cela un guérillero ; au contraire ; c'est le combattant de la liberté par excellence ; c'est l'élu du peuple, l'avant-garde combattante de ce peuple dans sa lutte de libération. Contrairement à ce qu'on pense, la guerre de guérilla n'est pas une guerre m inuscule, la guerre d'un groupe m ino­ ritaire contre une armée puissante ; non, la guerre de guérilla c'est la guerre du peuple tout entier contre la domination oppressive. Le guérillero est son avant-garde armée ; quant à l'armée, ce sont tous les habitants d'une région ou d'un pays qui la constituent. C'est la raison de sa force, de son triomphe à long ou à court terme, sur toutes les puissances qui tentent de l'opprimer ; autrement dit, la base et le fondement de la guérilla se trouvent dans le peuple. Il est inconcevable que de petits groupes armés, quei,es que soient leur mobilité et leur connaissance du terrain, puissent survivre sans cet auxiliaire puissant à la per­ sécution organisée d'une armée bien équipée. La preuve en est que tous les bandits, toutes les bandes de malfaiteurs finissent par être vaincus par le pouvoir central ; et rap­ pelez-vous que ces malfaiteurs représentent autre chose pour les habitants de la région ; ils représentent une lutte pour la liberté, même si c'est sous une forme caricaturale. L'armée de guérilla, armée populaire par excellence, RevolucMn, 19

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février

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doit avoir sur le plan individuel les meilleures vertus du meilleur soldat du monde. Elle doit se fonder sur une stricte discipline. Si les formalités de la vie militaire ne s'adaptent pas à la guérilla, s'il n'y a n i claquement de talons n i salut rigide, n i explication soumise devant le supérieur, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de disci­ pline. La discipline du guérillero est intérieure ; elle vient de la conviction profonde de l'individu de cette nécessité d'obéir au supérieur, pour assurer l'efficacité de l'orga­ nisme armé dont il fait partie mais aussi pour défendre la sienne propre. Dans une armée régulière, la moindre inattention d'un soldat est surveillée par son camarade le plus proche. Tandis que dans la guerre de guérilla, où chaque soldat constitue une unité et un groupe, toute erreur est fatale. Personne ne peut se permettre la moindre inattention. Personne ne peut se permettre le moindre faux-pas. car il y va de sa vie et de celle de ses camarades. Souvent, cette discipline sans formalisme ne se remarque pas. Pour des observateurs peu informés, le soldat régulier, qui s'attache à tout l'attirail des hiérarchies, a l'air beau­ coup plus discipliné qu'un guérillero, qui obéit avec un respect simple et ému aux instructions de son chef. Et pourtant l'armée de libération a été une armée pure des tentations humaines les plus banales, sans qu'il y ait eu d'appareil de répression, sans service de renseignement pour surveiller l'individu devant la tentation. C'est lui­ même qui se contrôlait. C'était sa conscience rigoureuse du devoir et de la discipline. Soldat discipliné, le guérillero est aussi un soldat très agile, physiquement et mentalement. Une guerre de gué­ rilla statique est inimaginable. Tout se passe la nuit. Grâce à leur connaissance du terrain, les guérilleros marchent la nuit, prennent position, attaquent l'ennemi et se retirent. li n'est pas nécessaire qu'i ls se retirent très loin du théâtre des opérations ; il faut simplement qu'ils le fassent très vite. L'ennemi concentrera immédiatement sur le point atta­ qué toutes ses unités de répression. L'aviation ira le bombarder, les unités tactiques iront l'encercler, les soldats iront bien décidés à prendre une position illusoire. Le guérillero se contente de présenter un front à l'en­ nemi. En se retirant un peu, en attendant l'ennemi, en livrant un nouveau combat, en se retirant de nouveau, il rempli t sa mission particulière. L'armée peut s'épuiser ainsi pendant des heures ou des jours. Le guérillero popu1 33

laire attend sur ses positions d'observation et attaquera au moment opportun. La tactique de la guérilla comporte d'autres principes fondamentaux. La connaissance du terrain doit être par­ faite. Le guérillero ne peut pas ignorer le lieu où i l va attaquer ; il doit connaître également tous les sentiers de retrait ainsi que tous les chemins d'accès alentour, les m aisons amies et ennemies. les endroits les mieux protégés, ceux où l'on peut laisser un blessé, ceux où J'on peut établir un campement provisoire, bref. connaître le théâtre des opérations comme sa poche. Et il y arrive parce que le peuple, qui est le cœur de l'armée de guérilla, est derrière chaque opération. Les habitants de l'endroit transportent, informent, soi­ gnent ; ils fournissent des combattants : ils constituent les compléments extrêmement importants de leur avant­ garde armée. Devant tant de détails. devant cette accumulation de nécessités tactiques du guérillero. il faut se demander c pour quoi lutte-t-il ? �. Et voilà la grande réponse : c Le guérillero est un réformateur social. Le guérillero prend les armes pour représenter les protestations violentes d u peuple contre ses oppresseurs et il lutte pour changer le régime social qui maintient tous ses frères désarmés dans l'opprobre et la misère. Il se bat contre les condi­ tions particulières des institutions en vigueur à un moment déterminé, et il se consacre à briser, avec toute la force que lui permettent les circonstances, les moules de ces ins­ titutions. � Nous touchons là un point important : nous avons dit que sur le plan tactique le guérillero devait connaître le terrain avec ses voies d'accès et de retraite, qu'il devait manœuvrer rapidement, jouir du soutien du peuple, savoir où se cacher. C'est là indiquer que le guérillero exercera son action dans des régions sauvages et peu peuplées. Dans ces régions-là, la lutte de revendication du peuple se situe de préférence, et presque exclusivement, sur le plan de la transformation qui doit intervenir dans la composition sociale de la propriété de la terre. Autre­ ment dit, le guérillero est avant tout un révolutionnaire agraire. TI est l'interprète des aspirations de la grande masse paysanne qui veut être maîtresse de la terre, m aîtresse de ses moyens de production, de ses bêtes, de tout ce 1 34



pour quoi elle a lutté pendant des années, de ce qui fait sa vie et qui sera aussi sa tombe. C'est pour cela qu'actuellement à Cuba les membres de la nouvelle armée qui m\lrche au triomphe depuis les montagnes de l'Oriente et de l 'Escambray, des plaines de l'Oriente et de Camagüey, de tout le pays, apporte la Réforme agraire comme bannière. C'est une lutte qui sera probablement aussi longue que l'établissement de la propriété individuelle. Une lutte que les paysans ont menée avec plus ou moins de succès au cours de J'histoire mais qui a toujours soulevé la ferveur populaire. Elle n'est pas la propriété de la Révolution. La Révolution a recueilli cette bannière parmi les masses populaires et l'a faite sienne. Mais bien avant déjà, depuis le soulèvement des cultivateurs à La Havane ; depuis que les noirs avaient tenté d'obtenir le droit à la terre dans la grande guerre de libération qui a duré trente ans ; depuis que les paysans s'étaient emparés révolutionnaire­ ment du Realengo 1 8 1, la terre était le centre de la lutte pour une vie meilleure. Cette réforme agraire se fait peu à peu ; elle a com­ mencé timidement dans la Sierra Maestra, s'est trans­ portée au Second Front Oriental ct au Massif de l 'Escam­ bray, puis elle a été oubliée quelque temps dans les tiroirs m inistériels et a resurgi impérieusement avec la décision définitive de Fidel Castro ; c'est elle, il faut le répéter, qui donnera la définition historique du mouvemen t du 26 juillet. Ce mouvement n'a pas inventé la Réforme agraire ; mais il l a réalisera. I l l a réalisera intégralement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul paysan sans terre ni une seule terre en friche. A ce moment-là, l e Mouvement n'aura peut-être plus de raison d'exister, mais il aura accompli sa mission historique. Notre tâche est d'en arriver là. L'avenir dira ensuite s'il y a d'autres œuvres à réaliser. 1 959 1 . Episode de lu guerre hlspnno-cuhalne : les realengo! élolenl des lerres qui upparlenalenl à la couronne d'Espagne. Générule­ ment en friche ou mul cultivées (' l I es élident un objet de scandllio pour lcs puysilns sans lerres. En 1ur.\) ""cor,·, l e terme reCllellgo élult resté "uns l e lunguge puysull pUlIl' dis linguer les lerrc9 appartenUl l 1 à 1 ,Etui, louées à de grundes sociélés el lllterdlles aux puysans,

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2. Le rôle social de l'Armée Rebelle

Puisque cette sOiree est celle du souvenir, je voudrais résumer ce qu'a été le mouvement du 26 juillet, et ce qu'il est actuellement, avant d'entrer dans le vif du sujet qui est sa signification historique. Je ne peux pas revenir en arrière jusqu'à l'attaque de la caserne Moncada, le 26 juillet 1 953. Je ne veux parler que de ce qui me concerne de par ma participation aux divers événements qui ont abouti au triomphe de la Révo­ lution le 1 " janvier dernier. Commençons donc cette histoire comme elle a commencé pour moi, au Mexique. Il est très important pour nous tous de connaître la pensée de ceux qui composent notre armée rebelle ; la pensée de ce groupe qui s'est lancé dans l'aventure du Granma, l'évolution de cette pensée née au sein du mou­ vement du 26 juillet et ses transformations successives suivant les étapes de la Révolution, pour arriver à la leçon de ce dernier chapitre qui clôt la partie insurrection­ nelle. Je vous disais que j'ai connu les premiers membres du 26 juillet au Mexique. Avant l'épisode du GN/llma, avant que se produise la première scission au sein du 26 juillet, à l'époque de la caserne Moncada, la projection sociale du groupe était tout autre. Je me rappelle avoir exposé pen­ dant une réunion i ntime dans une maison de Mexico la nécessité d'oITrir au peuple de Cuba un programme révo­ tionnaire ; l'un des combattants de la Moncada, qui heureu­ sement a quitté le 26 juillet. me donna une réplique dont je me souviens encore : c C'est très simple, dit-il. Nous, nous devons faire un coup d'Etat. Batista a fait un coup d'Etat et a pris le pouvoir en une journée ; il en faut un autre pour le faire partir... Batista a fait cent concessions aux Américains, nous leur en ferons cent une. � La question était pour lui de prendre le pouvoir. Causerie prononcée à l'Association JÜll \'ler lU5U.

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Nueslro Tlempo

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le 27

Je trouvais pour ma part que nous devions faire ce coup d'Etat sur la base de certains principes, que l'important était aussi de savoir ce que nous ferions quand nous serions au pouvoir. Vous venez de voir ce que pensait un membre de la première période du 26 juillet ; mais comme je vous l'ai dit, heureusement pour nous, il a quitté notre mouvement révolutionnaire et a pris une autre voie, comme tous ceux qui pensaient comme lui. A partir de ce moment. le groupe qui allait partir plus tard sur le Granma commença à se dessiner : il se cons­ titua très di fficilement car nous étions perpétuellement poursuivis par les autorités mexicaines qui parvinrent à compromettre gravement le succès de notre expédition. Un certain nombre de raisons internes limita petit à petit le nombre des membres de l'expédition : comme par exem­ ple l'attitude de certains individus qui au début semblaient vouloir participer à l'aventure et l'abandonnaient ensuite sous un prétexte quelconque. En fin de compte, il resta 82 hommes pour s'embarquer sur le Granma. La suite de l'histoire est bien connue du peuple cubain. Ce qui m'intéresse, ce que je trouve important, c'est la pensée sociale des survivants d'Alegria de Pia. C'est le premier et le seul désastre qu'ait essuyé l'Armée Rebelle tout au long de l'insurrection. Nous nous sommes retrou­ vés une qui nzaine d'hommes, physiquement et même moralement délabrés, et nous n'avons p u poursuivre que grâce à l'immense confiance de Fidel Castro dans ces moments décisifs, à sa forte personnalité de chef révo­ lu.ionnaire et à son inébranlable foi dans le peuple. Nous ::tions des hommes de la ville plaqués m ais non greffés à la Sierra Maestra. Nous allions de cabane en cabane ; naturellement nous ne touchions à rien de ce qui ne nous appartenait pas ; et même nous ne mangions rien que nous ne pouvions pas payer (et bien souvent ce prin­ cipe nous a fait rester sur notre faim). Nous étions u n groupe que l'on tolérait mais qui n'était pas intégré : cela a duré longtemps ... Nous avons passé plusieurs mois de vie errante sur les sommets les plus élevés de la Sierra Maestra où nous remontions après des opérations spora­ diques. Nous passions d'un pic à un autre, dans une région où il n'y avait pas d'eau et où la vie était extrême­ ment difficile. L'attitude du paysan à notre égard changea peu à peu à cause de la répression à laquelle se livraient les forces 1 37

de Batista ; elles assassinaient, détruisaient les maisons et se montraient totalement hostiles à ceux qui avaient eu le moindre contact, même occasionnel, avec notre Armée Rebelle. Ce changement se traduisit par l'apparition du chapeau de paille de palme dans nos guérillas, et notre armée de citadins se transforma progressivement en armée paysanne. Lorsque les paysans (les guajiros) rallièrent la lutte armée pour revendiquer la liberté ct la justice sociale, apparut le mot magique qui allait mobiliser les masses opprimées de Cuba dans la lutte pour la posses­ sion de la terre : la Réforme Agraire. Ainsi se trouvait défini le premier grand projet social qui allait devenir l'étendard de notre mouvement, malgré la période d'ex­ trême insécurité que nous avons dû traverser en raison de la politique de notre grand voisin du Nord. A l'époque, la présence d'un journaliste étranger, américain de pré­ férence, était plus importante pour nous qu'une victoire militaire. Des combattants américains qui pouvaient servir à l'exportation de notre propagande révolutionnaire comp­ taient davantage que le ralliement des paysans qui venaient apporter à la Révolution leur foi et leur idéal. C'est à ce moment-là que se produisit à Santiago de Cuba un événement tragique : l'assassinat de notre cama­ rade Frank Pais qui marqua un tournant pour toute la structure du mouvement révolutionnaire. Profondément ému par la mort de Frank Pais, le peuple de Santiago de Cuba descendit spontanément dans la rue : cette pre­ mière tentative de grève générale politique paralysa tota­ lement la province d'Oriente malgré l'absence de direction et se répercuta dans les provinces de Camagüey et de Las Villas. La dictature liquida ce mouvement qui avait surgi sans préparation ni contrôle révolutionnaire. Ce phéno­ mène populaire nous permit de nous rendre compte qu'il fallait faire entrer les travailleurs dans la lutte de libération de Cuba ; immédiatement les activités clandestines com­ mencèrent dans les centres ouvriers en vue d'une grève générale qui aiderait l'Armée Rebelle à s'emparer d u pouvoir. Ainsi commença une campagne d'organisations clandes­ tines menée dans un esprit d'insurrection ; mais ceux qui encouragèrent ces mouvements ne connaissaient pas vrai­ ment la signification et la tactique de la lutte de m asses. Ils les menèrent par des voies absolument erronées, faute de croire à l'esprit révolutionnaire et à l'unité des combat138

tants, et en essayant de diriger la grève d u sommet, sans liens effectifs avec la base des grévistes. Les victoires de l'Armée Rebelle et les activités clan­ destines acharnées agitèrent le pays et créèrent une si grande effervescence que la grève générale fut proclamée le 9 avril ; elle échoua précisément pour des raison� d'organisation, en particulier par manque de contact entre les masses ouvrières et la direction. Mais l'expé­ rience fut profitable et il se produisit dans le mouvement du 26 juillet une lutte idéologique qui provoqua un chan­ gement radical dans sa vision de la réalité du pays et dans l'organisation de ses secteurs d'activité. Le 26 juillet sortit consolidé de la grève manquée et l'expérience apprit à ses dirigeants une précieuse vérité : c'est que la Révo­ lution n'appartient pas à tel ou tel groupe, mais qu'elle doit être l'œuvre du peuple cubain tout entier. Toutes les énergies des militants de notre mouvement s'orien­ tèrent dans ce sens, aussi bien dans la plaine que dans la Sierra. C'est à cette époque que se situent les premières ten­ tatives de l'Armée Rebelle pour donner à la Révolution une théorie et une doctrine en fournissant des preuves palpables du développement et de la maturité politique du mouvement insurrectionnel. Nous étions passés de l'étape expérimentale à l'étape constructive, des essais aux actes définitifs. Immédiatement les c petites industries � de la Sierra Maestra se mirent en route. Il se produisit une transformation semblable à celle que nos ancêtres avaient connue bien avant nous : nous passâmes de la vie nomade à la vie sédentaire ; des centres de production s'installèrent suivant nos besoins les plus immédiats. Nous créâmes ainsi notre fabrique de chaussures, notre fabrique d'armes, un atelier où nous reconstituions les bombes que nous jetait la tyrannie, pour les rendre aux soldats de Batista sous forme de mines. Les hommes et les femmes de l'Armée Rebelle n'ont jamais oublié, ni d ans la Sierra Maestra ni ailleurs, que leur principale mission était d'améliorer la condition du paysan, de s'intégrer à la lutte pour la terre et de l'aider grâce aux écoles que les maîtres improvisés avaient ins­ tallées aux endroits les plus i naccessibles de cette région d'Oriente. C'est là que se fit le premier essai de répartition des terres suivant u n règlement agraire rédigé principa­ lement par le Dr Humberto Sori Marin et Fidel Castro, 1 39

et auquel j'ai eu l'honneur de collaborer. Les terres furent distribuées révolutionnairement aux paysans ; de grandes propriétés appartenant à des serviteurs de la dictature furent occupées et distribuées, et toutes les terres de J ' Etat devinrent peu à peu la propriété des paysans de la région. Le moment était arrivé où nous nous définissions pleine­ ment comme un mouvement paysan étroitement lié à la terre sous la bannière de la Réforme Agraire. Nous connûmes plus tard les conséquences de la grève manquée du 9 avril ; la répression barbare de Batista se fit sentir à la fin mai et provoqua parmi nos cadres mili­ tants un affaiblissement très grave qui aurait pu avoir des conséquences catastrophiques pour notre cause. La dictature prépara sa plus sauvage offensive. Vers le 25 mai de l'année dernière, dix mille soldats bien armés attaquè­ rent nos positions en centrant leur offensive sur la colonne n° 1 que dirigeait personnellement notre commandant en chef Fidel Castro. L'Armée Rebelle occupait une zone très restreinte et il est presque incroyable que nous ayons pu tenir tête à cette masse de dix m ille soldats avec seulement trois cents fusils de la liberté, les seuls qui se trouvaient à ce moment-là dans la Sierra Maestra. Grâce à une direction tactique bien menée, J'offensive de Batista se termina le 30 juillet ; les rebelles passèrent de la défen­ sive à l'offensive : nous nous emparâmes de plus de 600 armes neuves (soit plus du double du nombre des fusils avec lesquels nous avions commencé la campagne) et les pertes de l'ennemi s'élevèrent à plus de 1 000 hommes en comptant les morts, les blessés, les déserteurs et les prisonniers. A J'issue de cette campagne J'Armée Rebelle se trouvait prête pour entamer une offensive dans la plaine : offensive tactique et psychologique car notre armement ne pouvait rivaliser en qualité et encore moins en quantité avec celui de la dictature. C'est une guerre dans laquelle nous avons toujours compté sur cet allié impondérable et telle­ ment précieux qu'est le peuple. Nos colonnes pouvaient toujours se jouer de l'ennemi et se placer sur les meilleures positions, grâce aux avantages tactiques et au moral de nos m iliciens mais aussi grâce à l'aide très importante des paysans. Le paysan était le collaborate}Jr invisible qui se chargeait de tout ce que le rebelle ne pouvait pas faire ; il nous transmettait les renseignements, surveillait l'ennemi, observait ses points faibles, communiquait rapi1 40

dement les messages urgents, espionnait jusque dans les rangs de l'armée batistienne. Ce n'était pas un m iracle mais la conséquence de la politique de revendications agraires que nous avions énergiquement entreprise. Devant la violence de l'attaque et du blocus de la faim qui encer­ clèrent la Sierra Maestra, dix m ille bovins montèrent dans la montagne de toutes les propriétés environnantes ; ils servirent à alimenter l'Armée Rebelle m ais furent également distribués parmi les paysans qui pour la pre­ m ière fois connurent le bien-être dans cette région parti­ culièrement déshéritée ; pour la première fois les petits paysans purent boire du lait et manger de la viande de bœuf. Pour la première fois ils connurent les bienfaits de l 'instruction, car la Révolution apporte avec elle le5 écoles. Tous les paysans se firent ainsi une opinion favo­ rable de notre régime. De son côté la dictature leur offrait systématiquement l'incendie de leurs maisons, l'expulsion de leurs terres et la mort ; la mort leur venait de la terre mais aussi du ciel ; nos démocratiques voisins du Nord avaient offert gracieusement à Batista pour terroriser la popula­ tion civile des bombes au naplam de 500 kilos qui en tombant sèment la destruction dans un rayon de plus de cent mètres. Une bombe au napalm jetée sur une plan­ tation de café signifie la destruction de cette richesse et des années de travail qu'elle représente dans un rayon de cent mètres, et il faut cinq ou six ans pour remplacer ce qui a été détruit en une minute. A celte époque commença la marche sur Las Villas. Je tiens à en parler, non pas parce que j'y ai participé, mais parce qu'à notre arrivée à Las Villas nous avons trouvé un panorama politique et social nouveau de la Révolution . Nous arrivâmes à Las Villas avec le drapeau du 26 juil­ let ; le Directoire Révolutionnaire, des groupes du Second Front de l'Escambray, des groupes du Parti Socialiste Populaire et de petits groupements de l'Organisation Authentique y l uttaient déjà contre la dictature. Il fallait réaliser u ne tâche politique importante et plus que jamais il apparut que l'unité était un élément prépondérant de la lutte révol utionnaire. Le 26 juillet, ayant à sa tête l'Armée Rebelle, eut à u nifier les divers éléments mécontents qui trouvèrent dans l'œuvre de la Sierra Maestra l'unique facteur d'unité. Il fallut d'abord planifier cette union 141

qui devait regrouper les organisations de la plaine aussi bien que les groupes combattants. Nous dûmes nous livrer au travail extrêmement important de classifier toutes les sections ouvrières de la province. Nous nous sommes heurtés à de nombreux adversaires, y compris dans les rangs de notre propre mouvement qui souffrait encore de la maladie du sectarisme. A peine arrivés à Las Villas. notre premier acte gou­ vernemental - avant d'installer la première école fut de publier une proclamation instaurant la Réforme agraire : elle stipulait entre autres que les propriétaires de petites parcelles devaient cesser de payer leur loyer jusqu'à ce que la Révolution ait pris pour chaque cas une décision. La Réforme agraire était devenue le fer de lance de l'Armée Rebelle. Ce n'était pas une manœuvre démagogique ; simplement, au bout de vingt mois de Révolution, les liens entre les dirigeants et les masses paysannes étaient devenus si serrés qu'ils poussaient parfois la Révolution à agir de façon imprévue. Ce n'est pas nous qui avons inventé la Réforme agraire, mais bien les paysans qui nous y ont poussés. Nous les avons convaincus que la victoire était certaine s'ils étaient armés, organisés, et s'ils cessaient de craindre l'ennemi. De leur côté, les paysans qui avaient de bonnes raisons de le faire, impo­ sèrent à la Révolution la Réforme agraire, la confiscation du bétail bovin, et toutes les mesures de caractère social qui furent prises dans la Sierra Maestra. A l'époque de la farce électorale du 3 novembre, la loi n° 3 a été proclamée dans la Sierra Maestra ; eUe établissait une véritable Réforme agraire et même si elle n'était pas complète elle présentait des points extrême­ ment positifs : elle distribuait les terres de l'Etat, celles des serviteurs de la dictature ct de ceux qui possédaient des titres de propriété acquis au moyen de manœuvres malhonnêtes comme les dévoreurs de terres qui avaient accaparé des milliers de caballerias : elle donnait aux petits fermiers qui payaient un loyer pour moins de deux caballerias la propriété de la terre qu'ils occupaient. Tout cela gratuitement. Le principe était très révolutionnaire. La Réforme agraire va favoriser plus de 200 000 familles. Mais la révolution agraire n'est pas terminée avec la loi N° 3. Il faut encore établir des règlements contre la grande propriété comme le prévoit la Constitution. I l faut définir exactement ce qu'est la grande propriété qui caractérise 1 42

notre structure agraire. Cause indiscutable de la pau­ vret é de notre pays et d e tous les maux des m asses pay­ sannes, elle n'a pas encore été touchée. 11 reviendra aux masses paysannes organisées d'imposer la loi i n terdisant la grande propriété, tout comme elles ont obligé l'Armée Rebelle à dicter le principe de l a Réforme agraire contenu dans l a l o i N ° 3. Il faut aussi tenir compte d'un autre aspect : la Constitution établit que toute expropriation de terre doit être précédée du paie­ ment en espèces. Si la Réforme agraire est entreprise suivant ce principe, elle risque d'être un peu lente et coûteuse. L'action collective des paysans qui ont gagné le droit à la li berté depuis le triomphe de la Révolution est aussi nécessaire pour exiger démocratiquement l a déro­ gation à ce principe et pour pouvoir réaliser de plein droit une véritable et profonde Réforme agraire 1. Nous voici déjà dans le rôle social de l'Armée Rebelle ; nous avons une démocratie armée. En planifiant la Réforme agraire et en respectant les exigences des nouvelles lois révolutionnaires qui la complètent et doivent l a rendre viable et immédiate, nous pensons à l'œuvre de justice sociale que constitue la redistribution de la terre mais aussi à la création d'un vaste marché intérieur et à la diver­ sification des cultures ; ces deux objectifs essentiels et insé­ parables du gouvernement révolutionnaire ne peuvent être ajournés, vu l'intérêt populaire qu'il représe n tent. Toutes les activités économiques sont liées. Nous devons pousser l'industrialisation du pays, sans négliger pour autant les nombreux problèmes qu'elle entraîne. Mais une poli­ tique d'industrialisation exige certaines mesures douanières destinées à protéger l'industrie naissante ainsi qu'un marché intérieur capable d'absorber les nouvelles marchandises. Nous n e pouvons élargir ce marché qu'en y faisant accé­ der les grandes msases paysannes, ces guajiros sans pouvoir d'achat qui ont des besoins à satisfaire et n e peuvent actuellement pas acheter. Nous avons conscience que ces objectifs, qui ne sont pas les seuls, demandent de nous une très grande respon­ sabilité. Nous devons nous attendre à l'hostilité de ceux qui contrôlent plus de 75 % de nos échanges commer­ ciaux e t de notre marché. E n prévision d e ce danger 1 . Le Conseil des lII i nistres a déjà apporté dérogation principe de la Constitution. (Note de Che Gnevara.)

à

ce

1 43

nous devons nous préparer à appliquer des contre-mesures, en particulier le tarif douanier et la multiplication des marchés intérieurs. Nous avons besoin de créer une flotte marchande cubaine pour transporter le sucre, le tabac et d'autres marchandises ; la possession de cette flotte aura une influence très favorable sur la qualité des frets dont dépend largement le progrès des pays sous-développés comme Cuba. Si nous devons mettre en œuvre un programme d'indus­ trialisation, le plus important est d'exploiter les matières premières que la Constitution défendait avec sagesse et que la dictature de Batista a livrées à des trusts étran­ gers. Nous devons racheter notre sous-sol, nos richesses minières. Un autre élément important de l'industrialisation est l'électricité. Nous allons nous assurer que l'énergie électrique est confiée à des Cubains. Nous devons aussi nationaliser la Compagnie des Téléphones qui fonctionne si mal et coûte si cher. Sur quelles ressources compter pour mener à bien un ti!l programme ? Nous avons l'Armée Rebelle, qui doit être notre premier instrument de lutte, notre arme la plus positive et la plus vigoureuse ; nous devons détruire tout ce qui reste de l'armée batistienne. Il faut bien comprendre que cette liquidation ne doit rien à l'esprit de vengeance ni même seulement de justice, mais que nous devons nous entourer de toutes les garanties pour que les conquêtes du peuple soient réalisées dans les meilleurs délais. Nous avons vaincu une armée numériquement bien supé­ rieure à la nôtre grâce au concours du peuple, à une tactique bien adaptée et à une morale révolutionnaire. Mais nous devons maintenant admettre que notre Armée n'est pas encore préparée à ses nouvelles responsabilités, par exemple à défendre efficacement tout le territoire cubain. Nous devons effectuer rapidement une restructura­ tion de l'Armée Rebelle car au cours de la lutte nous avons constitué un corps armé de paysans et d'ouvriers, pour la plupart analphabètes, incultes, et dépourvus de toute formation technique. Nous devons préparer cette Armée en vue des grandes tâches que ses membres doivent affronter et leur donner une formation technique et cultu­ relle. L'Armée Rebelle est l'avant-garde du peuple cubain, et si nous parlons de progrès technique et culturel nous devons savoir ce que ces mots veulent dire au sens moderne. 144

Nous avons commencé son éducation de façon symbolique par une réunion présidée presque exclusivement par l'es­ prit et les enseignements de Marti. La reconstitution nationale doit détruire beaucoup de privilèges ; nous devons donc être prêts à défendre la nation contre ses ennemis déclarés ou dissimulés. La nouvelle Armée doit s'adapter aux nouvelles conditions nées de cette guerre de libération : nous savons que si nous étions attaqués par une petite île ce serait grâce à J'appui d'une puissance qui constitue presque un continent ; nous devrions supporter sur notre sol une agression gigan­ tesque. Nous devons donc nous prémunir et préparer notre avance dans l'esprit et la stratégie de la guérilla, de façon que nos défenses ne se désagrègent pas au premier assaut et conservent leur unité centrale. Le peuple cubain tout entier doit se transformer en armée de guérilla : l'Armée Rebelle est un corps en pleine croissance que seul le chiffre de six millions de Cubains peut limiter dans son développement. Chaque Cubain doit apprendre à manier les armes et savoir quand i l devra s'en servir pour se défendre. Je viens d'exposer dans ses grandes lignes le rôle de J'Armée Rebelle après la victoire et celui qu'elle joue en poussant le gouvernement à répondre aux aspirations révolutionnaires. Il me reste, pour terminer cette allocution, à vous parler d'une chose importante : de l'exemple que notre Révo­ lution a incarné pour J'Amérique latine, et de ses ensei­ gnements qui ont anéanti toutes les théories de salon : nous avons prouvé qu'un petit groupe d'hommes résolus, soutenus par le peuple et n'ayant pas peur de mourir, peut arriver à s'imposer face à une armée régulière disciplinée et à la vaincre. C'est la leçon fondamen­ tale. Il en ressort une autre qui doit servir à nos frères d'Amérique placés dans la même catégorie agraire que nous sur le plan économique : c'est qu'il faut faire des révolutions agraires, lutter dans les campagnes, dans les montagnes, et de là porter la révolution dans les villes et ne pas prétendre l'y faire sans un solide contenu social. Maintenant, après nos expériences, se pose la question de notre avenir, i n timement hé à celui de tous les pays sous-développés d'Amérique latine. La Révolution n'est pas limitée à l a nation cubaine ; elle a touché la conscience 10

1 45

de toute l'Amérique et a alerté sérieusement les ennemis de nos peuples. C'est pourquoi nous avons proclamé que toute tentative d'agression serait repoussée les armes à la main. L'exemple de Cuba a provoqué une grande effervescence dans toute l'Amérique latine et dans les pays opprimés. La Révolution a mis en sursis les tyrans d'Amérique latine, ennemis des régimes populaires tout comme les monopoles étrangers. Comme nous sommes un petit pays, nous avons besoin de l'appui de tous les peuples démocratiques, particulièrement en Amérique latine. Nous devons faire connaître bien clairement au monde entier les nobles objectifs de la Révolution cubaine et faire appel aux peuples amis de ce continent, au Nord comme au Sud. Nous devons créer une union spirituelle de tous nos pays, une union qui dépasse le bavardage et la coexistence bureaucratique pour se traduire par une aide effective à nos frères à qui nous offrons notre expé­ rience. Enfin nous devons ouvrir de nouvelles voies vers la définition des i ntérêts communs de nos pays sous-déve­ loppés. Nous devons nous protéger contre toutes les ten­ tatives destinées à nous diviser, lutter contre ceux qui pré­ tendent semer la discorde parmi nous, contre ceux dont nous connaissons les manœuvres, qui espèrent tirer parti de nos divergences politiques ct exciter des préjugés i ncon­ cevables dans notre pays. Aujourd'hui tout le peuple de Cuba est prêt à la lutte et il doit rester uni pour que la v ictoire contre la d ictature, loin d'être temporaire, soit la première étape de la v ictoire du continent américain. 1 959

146

3. La guerre de guérilla : une méthode

La guerre de guérilla a été utilisée un nombre de fois incalculable dans l'histoire, dans des conditions diffé­ rentes et à des fins diverses. Dernièrement. elle a été utilisée d ans plusieurs guerres populaires de libération, lorsque l'avant-garde du peuple choisit le chemin de la lutte armée irrégulière contre des ennemis disposant d'une force militaire nettement supérieure. L'Asie, l'Afrique et l'Amérique ont été le théâtre de ces actions, quand les peuples essayaient d'arracher le pouvoir en luttant contre l'exploitation féodale, néocoloniale, ou coloniale. En Europe, on l'a utilisée comme appoint aux armées régu­ lières. En Amérique on a recouru à la guerre de guérilla en diverses occasions. On peut citer l'exemple de César Augusto Sandino, l u ttant contre les forces expéditionnaires yankees au Nicaragu a ; et, récemment, la guerre révolu­ tionnaire de Cuba. C'est pourquoi dès à présent se posent en Amérique les problèmes de la guerre de guérilla dans les discussions théoriques des partis progressistes du Conti­ nent ; la possibilité et surtout l'opportunité de l 'utiliser devient, dans ces partis, matière à polémique. Ces notes sont destinées à préciser nos idées sur la guerre de guérilla et sur les moyens corrects de l'utiliser.

I. TROIS APPORTS FONDAMENTAUX

Avant tout, il faut que ce mode de lutte soit une méthode ; une méthode pour arriver à une fin. Cette fin, indispensable, inéluctable pour n'importe quel révolution­ naire. est la conquête du pouvoir politique. Aussitôt surgit la question : la méthode de la guerre de guérilla est-elle la seule formule pour la prise de pouvoir dans toute l'Amérique ? Ou bien, sera-ce la Article

afr/cu/lle

publié en françai s dans d'Alger en septembre 1963.

l 'hebdomadaire

Révolullon

1 47

formule prédominante ? Ou bien sera-ce une formule de plus parmi celles utilisées pour la lutte ? Et cette autre question : pourra-t-on appliquer à d'autres réalités de ce continent l'exemple de Cuba ? Par un chemin de la polé­ mique nous devons dire aussi, nous, que ceux qui veulent faire une guerre de guérilla, oubliant la lutte de masses comme s'il s'agissait de deux luttes contraires, sont à cri­ tiquer. Nous sommes contre cette position. La guerre de guérilla est une guerre du peuple, c'est-à-dire u ne lutte de masses, Prétendre faire la guerre de guérilla sans l'appui de la population, c'est aller vers un désastre inévitable. La guérilla est l'avant-garde combattante du peuple, située dans un lieu déterminé, d'un territoire donné, et disposée à développer une série d'actions de guerre tendues vers une seule fin stratégique possible : la prise du pouvoir. Cette guérilla est appuyée par la lutte de masses des paysans et des ouvriers de la zone et de tout le territoire où elle se trouve. Sans ces conditions, on ne peut admettre la guerre de guérilla.

c Nous pensons que la Révolution cubaine a appor1é trois changements fondamentaux dans le mécanisme de!. mouvements révolutionnaires en Amérique en démontrant que : ,I� 1 1 0 Les forces populaires peuvent gagner une guerre contre l'armée régulière ; 2° On ne doit pas toujours attendre que soient réunies toutes les conditions pour faire la R évolution ; le foyer insurrectionnel peut les faire surgir ; 3 0 Dans l'Amérique sOlls-développée, le terrain fonda­ mental de la lutte armée doit être la campagne.

Tels sont les apports au développement de la lutte révolutionnaire en Amérique : ils peuvent s'appliquer à n'importe quel pays de notre continent dans lequel va se développer une guerre de guérilla.

Il. LA NÉCESSAIRE DIRECTION DE LA CLASSE OUVRIÈRE

La Seconde Déclaration de La Havane souligne que : c

Dans nos pays coexistent une industrie sous-développée

1.

La gu erre de guérillu.

1 48

et un régime agraire de caractère féodal. C'est pour cela que, malgré la dureté des conditions ouvrières dans les villes, la population rurale vit dans des conditions encore plus horribles d'exploitation et d'oppression. Mais c'est aussi, à part quelques exceptions, le secteur majoritaire qui parfois dépasse 70 % de la population latino-améri­ caine. e En soustrayant les propriétaires terriens, qui d'ail­ leurs, vivent presq/le toujours à la ville, le reste de la grande masse travaille comme des péons dans les haciendas pour des salaires de misère, ou laboure la terre dans des conditions d'exploitation qlli n'ont rien à envier au Moyen Age. Ces circonstances font qu'en Amérique latine la population des campagnes constitue une terrible force révolutionnaire en puissance. c Les armées qui sont la seule force sur laquelle repose le pouvoir des classes exploiteuses possèdent une structure et un équipement adapté à la guerre conventionnelle ; elles deviennent absolument impuissantes quand elles ont à affronter /lne lutte régulière des paysans dans leur cadre naturel. Elles perdent dix hommes pour chaque combattant révolutionnaire qui tombe ; la démoralisation les gagne d'avoir à se battre contre lin ennemi invisible et invincible qui ne leur donlle pas l'occasion d'user de leurs tactiq/les académiques et de leurs fanfares de guerre, qui leur sont si utiles pour réprimer les ouvriers et les étu­ diallts dans les villes. c La lutte initiale des noyaux combattants se nourrit en permanence de forces nouvelles ; le mouvement de masse commence à se mettre en mouvement, le vieil ordre se brise en mille morceaux ; c'est alors que la classe ouvrière et les masses urbaines décident de lutter. c Qu'est-ce qui fait que ces noyaux, depuis le début même de la lutte, sont invincibles, indépendamment du nombre, du pouvoir, et des moyens de l'ennemi ? L'appui du peuple : et avec l'appui des masses, leur force augmen­ tera chaque fois. e Mais le paysan fait partie d'une classe qui, par l'état d'inculture dans lequel il est maintenu et l'isolement dans lequel il vit, a besoin de la direction révolutionnaire et politique de la classe ouvrière et des intellectuels révolu­ tionnaires sans laquelle il ne pourra, seul, se lancer danJ la lutte et conquérir la victoire. e Dans les conditions actuelles de l'Amérique latine, la 1 49

bourgeoisie nationale ne peut diriger la lutte antiféodale et an ti-impérialiste. L'expérience démontre que dans nos nations cette classe, mêlre lorsque ses intérêts sont en contradiction avec ceux de l'impérialisme yankee, a été incapable de se dresser contre lui, paralysée par la peur de la révolution sociale et effrayée par la clameur des masses exploitées. � III. LA RÉVOLUTION EN AMÉRIQUE EST INÊVIT ABLE

Complétant ces affirmations, qui constituent le nœud de la Déclaration révolutionnaire d'Amérique, la Seconde Déclaration de La Havane expose dans d'autres para­ graphes :

e Les conditions subjectives de chaque pays, c'est-à­ dire, les facteurs de conscience, d'organisation, de direc­ tion, peuvent accélérer ou freiner la révolution, suivant SOli degré de développement mais tôt ou tard, dans chaque période historique, quand les conditions objectives m ûris­ sent, la conscience s'acquiert, l'organisation se trouve, la direction surgit et la révolution se produit. e Que cela arrive par des moyens pacifiques ou naisse du monde après un accouchemellt douloureux, cela ne dépend pas des révolutionllaires ; cela dépend des forces réactionnaires de la vieille société et de leur degré de résistance à la nouvelle société et cela dépend des contra­ dictions qui existaient dans la vieille société. La R évo­ Iraioll est dans l'histoire comme le médecln qui assiste à la naissance d'une nouvelle vie. Il Il'utilise pas sans nécessité les appareils de force mais il les utilise sans vaciller chaque fois que c'est nécessaire pour aider à l'accouchement. A ccouchement qui apporte aux masses réduites en esclavage et exploitées l'espérance d'une nou­ velle vie. e Dans de nombreux pays d'Amérique latine la révo­ ILllion aujourd'hui est inévitable. Ce fait n 'est déterminé par aucune volonté. Il est déterminé par les horribles condi­ tions d'exploitation dans lesquelles vit l'homme d'A mé­ rique, le développement de la conscience révolutionnaire des masses, la crise mondiale de l'impérialisme et le mouvement universel de la lutte des peuples sous le joug. •

Nous partirons de cette base pour analyser toute la question de la guérilla en Amérique. 1 50

Nous avons établi que c'était une méthode de lutte pour obtenir une fin. Ce qui est intéressant, c'est l'analyse de cette fin et de voir si on peut, en Amérique, conquérir le pouvoir par d'autres moyens que ceux de la lutte armée.

IV. L'HISTOIRE N'ADMET PAS D'ERREUR

La luite pacifique peut se mener par des luttes de mou­ vements de masses et obliger - dans des situations très spéciale, - les gouvernements à céder, - les forces popu­ laires occupant éventuellement le pouvoir et établissant la dictature du prolétariat. C'est correct théoriquement. En analysant le passé en Amérique, nous devons arriver aux conclusions suivantes : Dans ce continent, il existe des conditions objectives qui poussent les m asses à des actions violentes contre les gouvernements bourgeois et les propriétaires terriens ; il existe aussi des crises de pouvoir dans d'autres pays et aussi des conditions subjectives. Evidemment, dans les pays où toutes les conditions sont données, il serait criminel de ne pas agir pour prendre le pouvoir. Dans les autres pays où les conditions ne sont pas aussi évidentes, il est normal qu'apparaissent plusieurs alternatives et que les discussions théoriques surgissent sur les décisions à appli. quer à chacun des pays. La seule chose que n'admet pas l'histoire, c'est que les analystes et les exécuteurs de la politique d u prolétariat se trompent. Personne ne peut solliciter la charge d'être le parti d 'avant-garde comme un diplôme officiel donné par l'Université. Etre un parti d'avant-garde, c'est être au devant et à la tête de la classe ouvrière dans la lutte pour la prise du pouvoir et savoir la guider. C'est la mission de nos partis révolutionnaires.

V. L'ALLIANCE DE LA BOURGEOISIE ET DES FÉODAUX

Aujourd'hui ont voit en Amérique un état d'équilibre instable entre la dictature des oligarchies et la pression populaire. Nous disons oligarchie pour définir l'alliance réactionnaire entre la bourgeoisie et les gros propriétaires terriens, cette alliance ayant un caractère plus ou moins 151

féodal. Ces dictatures gravitent dans un certain cadre de légalité qu'elles se sont donné elles-mêmes durant toute cette période de domination de classe ; mais nous passons par une étape où les pressions populaires sont très fortes ; elles sonnent aux portes de la légalité bourgeoise et l'obli­ gent par des poussées impérieuses à se violer elle-même, pour retenir l'élan des masses. Seulement ces violations honteuses. contraires à toute législation préétablie - ou établie ensuite pour justifier les faits - mettent les forces populaires dans une plus grande tension. La dictature oli­ garchique essaie d'utiliser. alors. les vieilles ordonnances légales pour changer la Constitution et asphyxier un peu plus le prolétariat sans que le choc soit de front. C'est ici que se produit la contradiction. Le peuple ne supporte plus les vieilles et encore moins les nouvelles mesures collectives établies par la dictature et essaie de les rompre. Nous ne devons jamais oublier le caractère autoritaire et restrictif de l'Etat bourgeois. Lénine dit :

c L'Etat est le prodl/it et la manifestation du caractère irréconciliable des contradictions des classes. L'Etat sl/r­ git à l'endroit et au moment où les contradictions de classe ne peuvent objectivement se concilier. Et vice versa " l'existence de l'Etat démontre que les contradic­ tions de classe sont irréconciliables 1. :.

Par conséquent nous ne devons pas admettre que le mot démocratie. utilisé d'une manière apologique pour représenter la dictature des classes exploiteuses perde sa profondeur de concept et devienne cel u i de certaines libertés données au citoyen. Lutter simplement pour arra­ cher la restauration d'une certaine légalité bourgeoise sans poser le problème révolutionnaire, le problème de la prise de pouvoir révolutionnaire, c'est retourner à u n cer­ tain ordre préétabli par les classes dominantes.

VI.

Du RÔLE DE

LA

VIOLENCE

Dans ces conditions de conflit, l'oligarchie rompt ses propres contrats, sa propre apparence de c démocratie :t , et attaque le peuple, bien qu'elle essaie toujours d'utiliser 1.

11 1 52

Lénine,

L'Elal el la Révolullon.

les méthodes de la superstructure qu'elle a formée pour l'oppression. Alors recommence à se poser, à ce moment, ce dilemme : Que faire ? Nous répondrons : la violence n'est pas le patrimoine des exploiteurs, les exploités peuvent l'employer et même plus, ils doivent l'utiliser en son temps, Marti disait :

c Celui qui déclenche ulle guerre évitable dans 1111 pays est criminel, mais est aussi criminel ceilli qui ne déclenche pas une gl/erre inévitable. • Lénine d'un autre côté disait : c La social-démocratie n'a jamais regardé et Ile regarde jamais la guerre d'un poillt de vlle sentimental. Elle condamlle absolllment la guerre comme moyen féroce d'élucider les différences elllre les hommes mais elle sait que les gllerres sont inévitables tant que la société est divisée en classes, tallt qu'il existe l'exploitatioll de l'homme par l'homme, Et pour terminer avec cette exploitatioll 0/1 ne peut él'iter la guerre que commencent toujours et partout les mêmes classes domi­ liantes et oppresseuses. • Cela, i l le disait en 1905 ; par la suite, dans le Pro­ gramme militaire de la Révolutioll prolétarienne, ana-

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lysant profondément le caractère de la lutte de classe, affirmait :

il

c Celui qui admet la lutte de classe ne peut pas ne pas admettre les guerres civiles qui dans tOUle société de classe représelltent la cOlltinuatioll et le développemellt - naturels et ell certaines occasions inévitables - de /0 lutte de classe. Toutes les grandes révolutiolls le confir­ mellt. Nier les guerres civiles ou les oublier serait tomber l.'ans UII opportunisme extrême et renier la révolutioll socialiste. •

C'est-à-dire que nous ne devons pas avoir peur de la violence, dans les accouchements de sociétés nouvelles ; mais cette violence doit commencer seulement au moment où les conducteurs du peuple ont trouvé les circonstances les plus favorables.

VII. SAISIR LES VARIATIONS DU RAPPORT DES FORCES

Quelles sont-elles ? Elles dépendent subjectivement de deux facteurs qui sont complémentaires ct qui s'approfon­ dissent au cours de l a l utte ; la conscience de la nécessité 1 53

du changement e t la certitude des possibilités de ce change­ ment révolutionnaire ; unis aux conditions objectives - qui sont tout à fait favorables, dans toute l'Amérique au développement d'une telle lutte - à la fermeté dans la volonté d'y arriver et aux nouvelles conjonctures dans le monde au moment d'agir. Pour lointains que soient les pays socialistes, leur influence bienheureuse se fera toujours sentir sur les peuples en lutte et leur exemple donnera plus de forces. Fidel Castro disait le 26 juillet dernier 1 :

c Le devoir des révolutionnaires, surtout en ce moment, est de savoir sentir, saisir les changements de rapports de forces dans le mOI/de, et comprendre que ce changement facilite la lutte des peuples. Le devoir des révolutionnaires, des révolutionnaires latino-américains, n'est pas d'attendre que le changement de corrélation produise lm miracle, mais de profiter de ce changement qui favorise le mouvement révolutiollnaire. Et de faire la Révolution. �

Il Y en a qui disent : Bon ! Nous sommes d'accord que la guerre révolutionnaire est le moyen, dans certains cas spécifiques, pour arracher le pouvoir politique. Mais où trouverons-nous les grands conducteurs, les Fidel Castro, afin qu'ils nous mènent au triomphe ? Fidel Castro comme tout être humain, est le produit de l'histoire. Les chefs militaires et politiques qui dirigent les luttes insurrection­ nelles en Amérique, unis, si c'était possible en une seule personne, apprendront l'art de la guerre, en faisant la guerre. II n 'y a pas de fonction ou de profession qui s'apprenne seulement dans les l ivres. La l utte dans ce cas est le professeur. Evidemment ce ne sera pas une tâche simple ni exempte de danger. Durant le développement de la lutte armée. appa­ raissent deux périls pour l'avenir de la Révolution. Le premier surgit dans la période préparatoire, et la manière dont il est résolu montre la décision de lutte et la clarté du but que veulent atteindre les forces populaires ; il est évident que doit se produire un processus de défense contre l'ennemi qui, à ce moment, est en supériorité. Si déjà se sont développées les conditions objectives et subjec­ tives minimum, la défense doit être armée, mais de telle manière que le peuple ne se convertisse pas uniquement 1. 1963,

1 54

en récepteur des coups de l'ennem i ; ne pas faire non plus que le cadre de la défense armée devienne un refuge pour des gens poursuivis. La guérilla, mouvement défensif du peuple à un moment donné, doit devenir un mouve­ ment offensif capable d'attaquer l'ennemi. Cette capacité est ce qui va déterminer avec le temps son caractère de catalyseur des forces populaires. On peut dire que la guérilla n'est pas u n moyen d'autodéfense passif. c'est une défense avec attaque et, à partir du moment où elle se définit ainsi, elle a comme perspective finale la conquête du pouvoir politique.

VIII. OBLIGER LA DICTATURE A SE DÉMASQUER Ce moment est important. Dans les processus sociaux, la d ifférence entre violence et non-violence ne peut se mesurer par la quantité de coups de feu échangés. Elle répond à des situations concrètes et fluctuan tes. Et il faut savoir percevoir le moment où les forces populaire�, conscientes de leur faiblesse relative, mais en même temps de leur force stratégique, doivent obliger l 'ennemi à faire les pas nécessaires pour que la situation ne se détériore pas. Il faut violenter l'équilibre dictature-oligarchie-force populaire. La dictature essaie toujours de se mai ntcnir sans trop montrer qu'elle use de la force ; l'obligcr à se démas­ quer, à se montrer sous son vrai visage de dictature violente des classes réactionnaires, contribue à montrer au peuple sa vraie nature et approfondira la lutte à t$!l point qu'il ne sera plus possible de reculer. De la m an ière dont les forces populaires accomplissent lcur fonction de démasquer la dictature - ou elle recule, ou elle entame la lutte - dépend le ferme début d'une action armée et de longue haleine. L'autre moment dangereux dépend du pouvoir de déve­ loppement constant qu'ont les forces populaires. Marx recommandait qu'une fois commencé le processus révolu­ tionnaire, le prolétariat donne des coups sans jamais s'arrêter et se reposer. Une révolution qui ne s'appro­ fondi t pas constamment est une révolution qui régresse. Les combattants fatigués commencent à perdre la foi et peuvent aider les manœuvres auxquelles la bourgeoisie nous 1 55

a accoutumés. Ces manœuvres peuvent consister à donner le pouvoir à un monsieur à la voix plus gentille et au visage plus angélique que le dictateur du moment, ou bien un coup d'Etat de la réaction. dirigé par l'armée et qui fait semblant de s'appuyer sur les forces progres­ sistes. Il y a des tas de tactiques de la bourgeoisie. Nous attirons principalement l'attention sur le coup d'Etat militaire. Que peuvent apporter les militaires à l a vraie démocratie ? Quelle loyauté peut-on attendre d e ceux qui ont toujours été les instruments de la domination des classes réactionnaires e t des monopoles impérialistes. d'une caste qui n 'existe que grâce aux armes qu'elle possède, et qui ne pense qu'à maintenir ses prérogatives ? Quand dans des conditions très difficiles pour les oppres­ seurs, les militaires conspirent et mettent en déroute le dictateur, vaincu en fait. il faut bien se dire qu'ils l'ont vaincu parce qu'il n'était pas capable de maintenir leurs privilèges de classe sans une violence extrême, chose qui, en général, ne convient pas trop aux intérêts des oligar­ chies.

lX. NE PAS OUBLIER L'OBJECTIF FINAL

Cette confirmation ne veut pas dire que l'on ne peut utiliser les militaires comme combattants individuels, sépa­ rés du milieu social où ils ont agi et contre lequel ils se sont révoltés. Et cette utilisation doit se faire dans u n cadre tracé par la direction révolutionnaire à laquelle ils appartiendront comme combattants et non comme représentants de leur caste. Dans des temps plus lointains, dans la préface de la troisième édition de La guerre civile en France, Engels disait :

c Les ouvriers après chaque révolution, sont armés : c'est pour cela que le désarmement de la classe ouvrière était une des premières demandes des bourgeois qui se dressaient devant l'Etat. C'est pour ça qu'après chaque révolution, gagnée par les ouvriers, commençait tlne nou­ velle lutte qui ne se terminait que par leur déroute 1. :.

1.

1 56

Cité

pnr

Lénine, clans L'Elal el la RhJolulion.

Ce jeu de luttes continuelles où l'on arrive à u n chan­ gement formel et où l'on recule stratégiquement s'est répété durant des d izaines d'années dans le monde capitaliste. Mais en plus, la duperie permanente du prolétariat se produit maintenant fréquemment d'une manière pério­ dique. li est aussi dangereux que, portés par le désir de main­ tenir un certai n temps des conditions favorables pour l'action révolutionnaire au moyen de certains aspects de la légalité bourgeoise, les dirigeants des partis progressistes confondent les termes, chose très commune dans le cours des actions ct oublient les objectifs stratégiques définitifs : la prise du pouvoir. Ces deux moments difficiles de la Révolution, que nous avons analysés sommairement, s'évitent, quand les partis marxistes-léninistes sont capables de voir clairement les implications du moment et de mobiliser les masses au maximum, les amenant par le chemin juste à la réso­ lution des contradictions fondamentales.

X. LE RÔLE DES ZONES RURALES Dans le développement du thème, nous avons supposé admises l'idée de la lutte armée ct la formule de guerre de guérilla comme méthode de combat. Pourquoi estimons­ nous que la méthode de la guerre de guérilla est la méthode correcte dans les conditions actuelles de l'Amérique latine .? Il Y a des arguments fondamentaux qui, de notre point de vue, militent en faveur de la nécessité de l'action des guérillas en Amérique. 1 0 En acceptant comme vérité que l'ennemi luttera pour se maintenir au pouvoir, il faut penser à détruire, il faut lui opposer une armée populaire. Cette armée populaire ne va pas naître spontanément ; elle va devoir s'armer dans l'arsenal de son ennemi, et cela conditionne une lutte dure et très longue, dans laquelle les forces popu­ l ai res et leurs dirigeants seront exposés à l'attaque de forces supérieures, sans les mêmes moyens de défense et de manœuvres. En échange, le noyau des guérilleros se trouvera sur des terrains favorables à la lutte, qui leur garantiront la 1 57

sécurité pour le commandement révolutionnaire. Les forces urbaines, dirigées depuis l'état-major de l'armée du peuple, peuvent réaliser des actions d'une grande importance. La destruction possible de ces forces urbaines ne fera pas mourir l'âme de la révolution, son commandement qui, de la forteresse rurale, continuera à catalyser l'esprit révo­ lutionnaire des masses et organisera d'autres forces révo­ lutionnaires pour d'autres batailles. En plus, dans ces zones rurales, commence la structu­ ration du futur appareil d'Etat, chargé de diriger effica­ cement la dictature de classe durant toute la période de transition. Plus longue sera la lutte, plus grands et com­ plexes seront les problèmes administratifs, et dans leurs solutions s'entraîneront les cadres pour la tâche difficile de la consolidation du pouvoir et du développement éco­ nomique dans l'étape future. r La situation générale du paysannat latino-américain et le caractère de plus en plus explosif de sa lutte contre les structures féodales et l'alliance de plus en plus étroite des exploiteurs locaux et étrangers.

XI.

LA LUTTE SERA UNE LUTTE A MORT

Revenons à la Seconde Déclaration de La Havane :

e Les pel/pies d'Amérique se libérèrent du colonialisme espagnol au débm du siècle passé, mais ils ne se libérèrellt pas de l'exploitation. Les gros propriétaires assumèrent l'autorité des gouverneurs espagnols, les Indiens continuè­ rent à vivre dans leur pénible servitude, l'homme latino­ américain d'I/ne manière Olt d'Ilne autre, resta esclave et les espéraI/ces élémentaires des peuples disparurent sous le joug des oligarchies et du capital étranger. Cela fut la vérité de l'Amérique, avec différentes teintes, diffé­ rentes variantes. A ujourd'hui l'Amérique latine peine sous un impérialisme encore plus féroce, beaI/COUp plus puissant et averti que l'impérialisme espagnol. e Et devant la réalité objective et historiquement inexo­ rable de la révolution latino-américaine, quelle est l'attitude de l'impérialisme yankee ? Se préparer à /ivrer une guerre coloniale contre les peuples d'A mérique latine, créer lUI appareil de force, les prétextes politiques et les instru-

1 58

ments pseudo-légaux souscrits avec les oligarchies réac­ tionnaires pour réprimer par le sang et par le feu la lutte des peuples latino-américains. �

Cette situation objective nous montre la force qui dort inemployée dans nos paysans, et la nécessité de les utiliser pour la libération de l'Amérique. 30 Le caractère continu de la lutte. Est-ce que l'on pourra concevoir cette nouvelle étape de l'émancipation de l'Amérique comme l'image de deux forces locales luttan t pour le pouvoir dans un terrain donné ? Difficilement. La lutte sera une lutte à mort entre toutes les forces populaires et toutes les forces de répres­ sion.

XII. L E CARACTÈRE CONTINENTAL DE LA LUTTE

Les yankees i nterviendront par solidarité d'intérêt et parce que la l utte en Amérique est décisive. En fait, ils i n terviennent déjà dans l'organisation des forces répressives et l'organisation de l'appareil continental de lutte. Mais désormais, ils le feront avec plus de force, ils s'oppose­ ront aux forces populaires avec toutes les armes de destruction qu'ils auront à leur portée ; ils ne laisseront pas le pouvoir révolutionnaire se consolider et si celui-ci arrive à le faire, l'impérialisme l'attaquera à nouveau, ne le reconnaîtra pas, et essaiera de diviser par tous les moyens les forces révolutionnaires ; il introduira des sabo­ teurs de tous types, il créera des problèmes frontaliers, lancera contre lui d'autres Etats réactionnaires e t essaiera de l 'asphyxier économiquement. En un mot : il essaiera de le liquider. En voyant ce panorama américain, il semble difficile que la victoire s'arrache et se m aintienne dans un pays isolé. A l'union des forces répressives doit répondre l'union des forces populaires. Dans tous les pays où l a répression prend u n caractère insupportable, doit se lever le drapeau de la rébellion et ce drapeau doit pour des raisons historiques avoir des caractéristiques continentales. La cordillère des Andes est appelée à devenir la Sierra Maestra d'Amérique, comme l'a dit le camarade Fidel Castro et tous les immenses territoires deviendront le théâtre de la lutte à mort contre le pouvoir impérialiste. 1 59

Nous ne pouvons dire quand la lutte aura ces carac­ téristiques continentales ni quand elle commencera ; mais nous pouvons prévoir son existence et son triomphe, parce qu'elle sera le résultat des circonstances économiques, historiques et politiques inévitables, et son chemin ne peut dévier. La commencer quand les conditions sont données indépendamment de la situation des autres pays est la tâche des forces révolutionnaires de chaque pays. Le déve­ loppement de la lutte conditionnera la stratégie générale ; la prédiction sur le caractère continental de la lutte est le fruit d'analyses sur le rapport des forces, mais cela n'empêche pas des insurrections i ndépendantes. Ainsi, comme l'initiative de la lutte dans un point du pays déve­ loppera la lutte dans tous les pays, le début de la l utte révolutionnaire contribuera à développer de nouvelles for­ ces et de nouvelles conditions dans les pays voisins.

XIII. LES DÉBUTS DE LA GUÉRILLA

Ce développement se produit généralemen t par des flux et des reflux i nversement proportionnels ; au flux révolutionnaire, correspond le reflux contre-révolutionnaire et inversement, aux moments de repos de la révolution, correspond un réveil de la contre-révolution. Dans ces instants, les forces populaires doivent recourir aux meil­ leurs moyens de défense pour atténuer leurs maux. L'ennemi est extrêmement fort, continental. C'est pour cela que l'on ne peut se mettre à analyser les faiblesses relatives des bourgeoisies locales en vue de prendre des décisions. On peut encore moins penser que ces oligarchies locales vont s'allier avec le peuple en armes. La révolution cubaine a donné le signal d'alarme. La polarisation des forces sera totale ; les exploiteurs d'un côté et les exploités de l'autre ; la masse de la petite bourgeoisie inclinera d'un côté ou de l'autre, en accord avec ses intérêts et l'habileté politique avec laquelle on la traite : la neutralité constituera une exception. Ainsi sera la guérilla révolutionnaire. De quelle manière pourrait commencer la guerre de guérilla ? Des noyaux relativement petits de personnes choisissent des lieux favorables pour la guerre de guérilla et commen1 60

cent à agir. Il faut établir très clairement que la faiblesse de la guérilla est telle qu'il faut seulement, au début, travailler à bien connaître le terrain, à établir des relations avec la population et renforcer les endroits qui, éven­ tuellement, se convertiront en base d'appui. Il y a trois conditions pour qu'une guérilla survive en commençant dans les conditions que nous avons exami­ nées : mobilité constante, vigilance constante, méfiance constante. La tactique du guérillero, dans ces moments, consiste dans la grandeur du but à atteindre et dans les énormes sacrifices qu'il devra faire pour réussir. Ces sacrifices ne seront pas le combat quotidien, la lutte face à face avec l'enemi ; ils auront des formes plus subtilcs et plus dures pour le corps et l'esprit du guérillero. Il sera peut-être châtié durement par les armées enne­ mies ; divisé, séparé des autres, torturé, poursuivi comme un animal dans la zone où il se battra, avec l'inquiétude permancnte d'avoir des ennemis infiltrés dans la guérilla ; avec la méfiance permanente face à tout, la peur que les paysans effrayés c donnent ) les guérilleros ; sans autre alternative que la mort ou la victoire dans des moments où la mort est une chose mille fois présente, et la victoire le mythe dont seul un révolutionnaire peut rêver. Ccla, c'est l'héroïsme de la guérilla ; pour cela, on d it que marchcr est aussi une façon de combattre, q ue fuir le combat dans un moment donné est aussi une façon de combattre.

XIV. L'EXTENSION DE LA GUÉRILLA

Dans le cadre de la grande action politico-militaire dont l a guérilla n'cst qu'une partie, elle ira se consolidant, et formera des bases d'appui qui seront des points dans les­ quels l'ennemi ne pourra pénétrer qu'avec de grandes pertes ; bastions de la révolution, de refuges de la guérilla pour se fortifier et repartir vers des actions de plus en plus osées. On saura à ce moment si on a surmonté les difficultés tactiques et politiques. Les guérilleros ne peuvent j amais oublier leur fonction d 'avant-garde du peuple, le mandat 161 11

qu'il leur a donné, et pour cela, ils doivent créer les conditions politiques nécessaires pour l'établissement du pouvoir révolutionnaire basé sur l'appui total des masses. Les grandes revendications du paysan doivent être satis­ faites dans la mesure où c'est possible ; ainsi toute la population sera un tout compact et décidé. S i la situation militaire des premiers moments est diffi­ cile, encore plus délicate sera la situation politique ; et si une seule erreur militaire peut liquider la guérilla, une erreur politique peut freiner son développement durant une très longue période. Politico-militaire est la lutte ; alors il faut la développer et par là, la comprendre. La guérilla au cours de sa croissance arrive à un moment où elle a trop d'hommes pour sa possibilité d'action dans une région donnée. Alors un des chefs guérilleros choisi saute dans une autre région et va, répétant la chaîne de développement de la première guérilla, cette nouvelle gué­ rilla étant soumise à un commandement central.

XV. EDIFIER UNE ARMÉE POPULAIRE

Il est maintenant nécessaire de dire que l'on ne pourra arriver à la victoire sans la formation d'une armée popu­ laire. Les forces de la guérilla pourront s'étendre ; les forces populaires dans les villes ou dans d'autres zones perméables à l'ennemi pourront causer des dommages à celui-ci mais la puissance militaire de la réaction sera intacte. Il faut avoir toujours présent à l'esprit que le résultat final est l a liquidation complète de l'adversaire. Pour cela, toutes les forces populaires : celles des villes et des campagnes, celles qui opèrent à l'intérieur des lignes ennemies, doivent être en relation dans le com­ mandement. On ne peut demander un ordre hiérarchique semblable à celui qui existe dans les armées mais il faut qu'il y ait un ordre stratégique. A l'intérieur de certaines conditions de liberté d'action, les guérillas doivent accom­ plir tous les ordres du commandement central, installé dans une des zones, la plus sûre, la plus forte, préparant les conditions de l'union de toutes les forces dans un moment donné. 1 62



La guerre de guérilla, ou guerre de libération, aura en général trois moments : le premier de défensive stratégique, moment où la petite force mord l'ennemi ; elle n'est pas tranquiIIement réfugiée dans un cercle pour faire de la défense passive ; plus précisément, sa défense consiste dans les attaques limitées qu'elle peut réaliser. Après cela, on arrive à un point d'équilibre où s'établissent les possi­ bilités d'action de l'ennemi et de la guérilla ; ensuite, le moment final, où l'ennemi est débordé et où l'armée de libération peut prendre les grandes villes ct l iquider tota­ lement l'adversaire. Lorsque l'équilibre existe entre les deux forces, elles se respectent et, en suivant son développement, la guerre de guérilla acquiert de nouvelles caractéristiques. Le concept de manœuvre s'introduit : de grandes colonnes attaquent des points importants. Mais, en tenant compte de la capacité de résistance et de contre-attaque de l'en­ nemi, cette guerre de manœuvre ne se substitue pas à la guerre de guérilla ; c'est simplement une manière d'agir un peu plus forte que celle de la guérilla, mais elle doit se cristalliser à la fin dans une grande armée populaire avec des corps d'armée. M�me à cet instant les guérillas conti nueront en avant-garde un travail de liquidation de tous les moyens de communications et de défense de l'ennemi.

XVI.

LA LUTTE SERA LONGUE ET SANGLANTE

Nous avons dit que la guerre serait continentale. Cela veut dire aussi qu'elle sera très longue ; il Y aura de nombreux fronts ; elle coûtera beaucoup de sang et de nombreuses vies. Mais cela ne veut pas dire aussi que cette division entre exploi teurs et exploités, qui existera dans les guerres révo­ lut ionnaires de ce continent, fera que lorsque les avant­ gardes armées des peuples prendront le pouvoir, elles auront liquidé d ans leurs pays et en même temps les impérialistes et les exploiteurs locaux. Elles auront cris­ tallisé la première étape de la révolution socialiste ; elles pourront commencer à construire le socialisme. y aurait-il d'autres possibilités ? 1 63

Ii Y a déjà longtemps que s'est faite la répartition du monde dans laquelle la part du lion de notre continent est revenue aux U. S. A. Aujourd'hui les impérialistes du vieux continent sc développent à nouveau et le Marché Commun fait peur aux U. S. A. Cela pourrait faire penser qu'il ne reste qu'à attendre que commence la lutte entre les impérialistes eux-mêmes, pour ensuite avancer avec l'aide des bourgeoisies nationales. Sans compter que l a politique passive n'apporte jamais d e bons résultats dans la lutte de classe et que les alliances avec la bourgeoisie, pour révolutionnaire que cela puisse paraître à un moment donné, n'ont qu'un caractère transitoire, il y a des raisons de temp� qui nous obligent à prendre un autre part) . La rapidité avec laquelle les contradictions fondamentales vont en Amérique, d'une manière gêne le développe­ ment c normal » des contradictions du camp impérialiste dans sa lutte pour les marchés.

XVII. LA

CERTITUDE DE

LA

VICTOIRE

Les bourgeoisies nationales se sont unies à l'impéria­ lisme dans leur grande majorité et devront avoir le même sort que lui dans tous les pays. A moins que dans certains cas, il ne se produise des pactes ou des coïncidences de contradictions entre la bourgeoisie nationale et d'autres impérialismes d'une part, et l'impérialisme américain d'autre part, ce qui ne pourrait arriver que dans le cadre d'une lutte fondamentale qui, dans le cours de son déve­ loppement, engloberait tous les exploités et tous les exploi­ teurs. La polarisation des forces antagonistes d'adversaires de classe est maintenant plus féroce que le développement, des contradictions entre exploiteurs pour la répartition du butin. II y a deux camps : l'alternative est de plus en plus claire pour chaque individu et pour chaque couche de la population. L'Alliance pour le Progrès est un essai de freiner l'in­ freinable. Mais si l'avance du Marché Commun européen ou d'un autre groupe impérialiste sur les m archés américains était plus rapide que le développement des contradictions fondamentales, il ne resterait qu'à i ntroduire les forces 1 64

populaires dans la brèche ouverte, celles-ci conduisant la lutte et utilisant les nouveaux i ntrus avec une claire conscience de ce que sont leurs intentions finales. On ne doit jamais donner ni une seule arme, ni une seule position, ni un seul secret à l 'ennemi de classe, sous peine de tout perdre. En fait, l'éclosion de la lutte américaine s'est-elle déjà produite ? Sont-ce ses prémices au Venezuela, au Guate­ mala, en Colombie, Pérou, Equateur ? Ou ne sont-ce que des escarmouches, manifestations d'une inquiétude qui n'ol pas fructifié ? Le résultat des luttes d'aujourd'hui n'est pas important. Il n'est pas important que l'un ou l'autre des mouvements actuels soit vaincu. Le définitif est la déci­ sion de lutte qui mûrit jour après jour, la conscience de la nécessité du changement révolutionnaire, la certitude de sa possi bilité. C'est une prédiction. Nous la faisons avec la certitude que l 'histoire nous donnera raison. L'analyse des facteurs objectifs et subjectifs d'Amérique et du monde impérialiste nous confirme la certitude de ces observations fondées mr la Seconde Déclaration de La Havane.

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Table

INTRODUCTION, PAR R. F. RETAMAR LA

GUERRE DE GUERILLA

Dédicace

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III. Tactique de la guerre de guérilla IV. Guerre en terrain favorable V. Guerre en terrains défavorables VI. La guerre dans les zones urbaines .































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1 . PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GUERRE DE GUÉRILLA 1. Essence de l a guerre de guérilla I I. Stratégie de la guerre de guérilla

2. LA GUÉRILLA 1. Le guérillero, II. Le guérillero III. L'organisation









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réformateur social combattant d'une guérilla .

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IV. Le combat V. Début, développement et fi n d'une guerre de guérilla .

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3 . ORGANISATION D U FRONT D E GUÉRILLA I. Le ravitaillement II. L'organisation civile o

III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X.

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Rôle de l a femme Santé Le sabotage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'industrie de guerre . . . La propagande . L'information et le renseignement . . . . . . . . Entraînement et éducation politique Structuration de l 'armée d'un mouvement de libération . .

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4. DE LA FORMATION DE LA PREMIÈRE GUÉRILLA A LA DÉFENSE DU POUVOIR CONQUIS .





















I. Or�anisati,!n dans la clandestinité de la gué. . f1l1a Imtlale . II. Défense du pouvoir conquis III. Analyse de l a situation cubaine, présent et avenir .

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ECRITS MILITAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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1 . QU'EST-CE QU'UN GUÉRILLERO ? 2. LE RÔLE SOCIAL DE L'ARMÉE REBELLE . .

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3. LA GUERRE DE GUÉRILLA : UNE MÉTHODE .















Trois apports fondamentaux . . . . . . . . . . . . La nécessaire direction de la classe ouvrièl La révolution en Amérique est inévitable. L'Histoire n'admet pas d'erreur . . . . . . . . . L'alliance de l a bourgeoisie et des féodaux D u rôle de l a violence . . . . . . . . . . . . . . . . . Saisir les variations d u rapport de forces Obliger l a dictature à se démasquer . . . . . IX. Ne pas oublier l'objectif finaL . . . . . . . . . . X. Le rôle des zones rurales . . . . . . . . . . . . . . XI. La lutte sera une lutte à mort . . . . . . . . . XII. Le caractère continental de la lutte . . . . . XIII. Les débuts de la guérilla . . . . . . . . . . . . . . XIV. L'extension de la guérilla . . . . . . . . . . . . . . XV. Edifier une armée populaire . . . . . . . . . . . . XVI. La lutte sera longue et sanglante . . . . . . . XVII. La certitude de la victoire . . . . . . . . . . . . 1.

Il. III. IV. V. VI. VII. VIII.

ACHEVÉ D'IMPRIMER EN NOVEMBRE 1 968 SUR LES P RESSES DE L'IMPRI­ MERIE CORBIÈRE ET JUGAIN A ALENÇON 4° TRIMESTRE 1 968 N ° d'éditeur 238 1 ·' tirage

168

:

1 0 000 exemplaires

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