Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (XIIIe-XVe siècle) 9782503549187, 2503549187

Rédigée dans la première moitié du XIIIe siècle, la Suite Vulgate du Merlin en prose constitue la dernière pièce du cycl

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Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (XIIIe-XVe siècle)
 9782503549187, 2503549187

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Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (XIIIe-XV e siècle)

Texte, Codex & Contexte XVIII

Directrice de collection: Tania Van Hemelryck Comité scientifique: Bernard Bousmanne Jacqueline Cerquiglini-Toulet Giuseppe Di Stefano Claude Thiry

Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (XIIIe-XV e siècle) L’Estoire de Merlin ou les Premiers faits du roi Arthur

Irène Fabry-Tehranchi

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Je souhaite chaleureusement remercier l’Ecole Doctorale 120 et l’équipe du Centre d’Études du Moyen Âge de l’université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, le département de Langues Modernes et le fonds pour la recherche de l’université de Reading, et le fonds Vinaver de la Société Internationale Arthurienne : leur soutien a rendu possible la publication de ce livre. Illustration de couverture: Bonn, ULB, 526, f. 166, Enserrement de Merlin par Viviane. © 2014, BREPOLS PUBLISHERS n.v., TURNHOUT, BELGIUM All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2014/0095/71 ISBN 978-2-503-54918-7 Printed on acid-free paper

Sommaire Introduction Chapitre 1 : Mise en page et illustration, l’articulation du Merlin et de la Suite Vulgate dans leur contexte manuscrit 1. La mise en page du début du Merlin et de la Suite Vulgate

1 25 30

1.1. Le début du Merlin

30

1.2. La fin du Merlin et le début de la Suite Vulgate : le ­difficile couronnement d’Arthur

74

1.3. La fin de l’Estoire de Merlin : le jeu des explicits

122

2. L’illustration liminaire des œuvres accompagnant le ­Merlin et la Suite Vulgate dans les compilations manuscrites

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2.1. Estoire, (Joseph), Merlin et Suite Vulgate128 2.2. Les manuscrits du Lancelot-Graal Chapitre 2 : Variations textuelles et paratextuelles, les mouvances de la tradition manuscrite du Merlin et de sa suite 1. L’inscription cyclique des versions α et β du Merlin propre et de sa suite

150 227 227

2. Entre le texte et l’image : rubriques et tituli256 Chapitre 3 : Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin 333 1. Un modèle biographique ? L’élaboration textuelle et visuelle de la vie de Merlin

334

1.1. Du fils du diable au conseiller des rois de Bretagne

334

1.2. Les transformations de Merlin

351

1.3. L  a mise en abyme de l’écriture : l’illustration des rencontres entre Merlin et Blaise

388

2. Merlin dans l’histoire des rois de Bretagne

414

2.1. Le prophète et le conseiller des souverains bretons

414

2.2. Le guide spirituel et le chef militaire : un nouveau ­Turpin dans la geste du roi Arthur 

419

3. La place des femmes : une évolution romanesque et c­ ourtoise ? 3.1. La famille de Merlin l’Ancien : des femmes corrompues sous influence démoniaque

446 446

3.2. Merlin entremetteur : du mariage d’Uterpandragon et Ygerne à celui d’Arthur et Guenièvre

448

3.3. Merlin et Viviane : l’enchanteur enchanté

459

Conclusion générale479 Annexes

485

Annexe 1 : La postérité du Merlin, sa diffusion européenne et ses versions imprimées

485

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate

495

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites

505

Annexe 4 : Index des anciens possesseurs des manuscrits du Merlin et de ses suites

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Bibliographie

521

Liste des tableaux

557

Liste des figures et des planches

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Crédits photographiques

565

Index des manuscrits

567

Planches couleur

569

Introduction

L’inscription manuscrite, textuelle et iconographique du Merlin et de ses continuations Cette étude porte sur la mise en texte et la mise en images du Merlin et de la Suite Vulgate dans leur contexte manuscrit, entre le XIIIe et le XVe siècle. Composés en plusieurs étapes et dans des perspectives différentes, ces textes sont à envisager à la fois comme un ensemble cohérent constituant une Estoire de Merlin qui circule par elle-même, et dans des configurations manuscrites variées, à la suite du Joseph ou de l’Estoire, voire comme transition vers le Lancelot au sein de la Vulgate arthurienne. Différentes combinaisons manuscrites sont possibles, mais elles ne sont en aucun cas systématiques, comme le souligne la relative diversité des trente-six manuscrits comprenant à la fois le Merlin et la Suite Vulgate1. Nous concentrons cette étude iconographique, qui passe par une approche sérielle et sémiotique, sur les manuscrits dans lesquels l’histoire de Merlin, son rôle de conseiller des rois de Bretagne et ses multiples déguisements donnent une cohérence iconographique de type biographique à l’ensemble formé par le Merlin et sa continuation. Alexandre Micha, éditeur du Merlin en prose, ou Merlin propre, pensait que ce texte constituait la réécriture d’un roman en vers de Robert de Boron, même si on ne conserve de ce dernier qu’un début fragmentaire, copié à la suite du Roman de l’estoire dou Graal2. Or dans sa nouvelle édition, Corine FügPierreville remet en question cette hypothèse : le texte en vers serait postérieur au texte en prose qu’il imite en le dilatant et dont il offre une version moins satisfaisante, conservée dans un témoin lacunaire3. L’attribution à Robert de Boron a aussi été fréquemment débattue. Son nom n’apparaît que dans deux passages de BNF, fr. 747 et BL, Add. 32125 (ainsi que pour la seconde référence dans le fragment Amsterdam, BU, I A 24 q) et dans les premières lignes du Merlin de BNF, fr. 748. Or la deuxième occurrence est sans doute une interpolation, et la première mention de Robert de Boron est remplacée dans une quinzaine de copies par une allusion à un certain Martin, avec des variations sur son lieu d’origine4. 1 2

3

4

Voir Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate, p. 477. Robert de Boron. Merlin, roman du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha. Genève : Droz, TLF, 281, 1979 et L’Estoire del Saint Graal. Ed. Jean-Paul Ponceau. Paris  : Champion, CFMA 120-121, 1997, 2 vol. Voir Le roman de Merlin en prose : roman publié d’après le ms. BnF. français 24394. Ed. et trad. Corinne Füg-Pierreville. Paris : Champion, 2014, p. 32-40. Il s’agit de B(i)evre dans BNF, fr. 770, Ex-Newcastle, 927, Bodl., Douce 178, Chantilly, Condé, 643 et Yale, Beinecke, 227, ainsi que BNF, fr. 105, 9123 et 91, Tovre dans Venise, Marciana, Ap. Cod. XXIX, Rovre dans Rennes, BM, 255, Rouen dans BNF, fr. 344, Rocestre dans BNF,

2 Introduction

Le Merlin est un des premiers témoins de la prose littéraire qui va s’imposer comme forme majeure de la fiction et de l’histoire, forgeant progressivement un « répertoire des discours littéraires possibles », modèle pour les récits arthuriens à venir5. Après la pré-histoire et les enfances de Merlin est évoquée l’histoire des rois de Bretagne, de Constant à Pandragon et Uter, jusqu’au couronnement d’Arthur. Composé vers 1200, le Merlin en prose n’est pas transmis de façon isolée mais apparaît dans des compilations manuscrites incorporant souvent le Joseph et parfois le Perceval6, dans ce qu’on appelle alors la trilogie du pseudoRobert de Boron, qui ne figure cependant que dans deux manuscrits, Modène, Biblioteca Estense, E. 39 et Paris, BNF, Naf. 4166 (Didot). Le Perceval, en un sens la première continuation du Merlin, met en œuvre la quête du Graal par Perceval et se clôt par la retraite de Merlin dans son esplumoir. Dans les premières décennies du XIIIe siècle, la Suite Vulgate du Merlin, quatre fois plus longue que le texte original, semble redéployer les possibilités ouvertes par la première œuvre7. Elle poursuit l’histoire de Merlin jusqu’à son enserrement par Viviane, mais s’intéresse aussi à l’ascension du roi Arthur. La continuation prend en effet une orientation plus spécifiquement militaire qui la distingue du Merlin propre. Alors que se met en place le cycle du Graal, l’écriture de la Suite Vulgate est déterminée, en amont et en aval, par le Merlin et par le Lancelot8. Sa clôture sur la disparition de Merlin souligne la possible autonomie du Merlin et de sa suite, mais les dernières lignes de la continuation annoncent la naissance de Lancelot. La Suite Vulgate contribue à faciliter l’intégration du Merlin dans le cycle du Graal dont elle est le texte le plus tardif, celui qui clôt la rédaction de la Vulgate arthurienne. Ce texte et son illustration développent cependant une veine militaire et historique qui tranche passablement avec l’orientation religieuse ou courtoise des autres œuvres du cycle du Graal. Du point de vue de la chronologie

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6

7

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fr. 3482, BNF, fr. 749 et Berkeley, Bancroft, 106, et Gloucester dans New York, Pierpont Morgan, 207-208. Voir Robert de Boron. Merlin, roman du XIII e siècle, p. xxvi-xxviii et Le roman de Merlin en prose : roman publié d'après le ms. BnF. français 24394, p. 40-42 et 424. Baumgartner, Emmanuèle et Andrieux-Reix, Nelly. Le « Merlin » en prose, fondations du récit arthurien. Paris : PUF, 2001, p. 58. Robert de Boron. Joseph d’Arimathie : a Critical Edition of the Verse and Prose Versions. Ed. Richard O’Gorman, Toronto : Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1995 et The Didot Perceval, According to the Manuscripts of Modena and Paris. Ed. William Roach. Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1941. Le livre du Graal. I, Joseph d’Arimathie, Merlin, Les premiers faits du roi Arthur. Dir. Daniel Poirion et Philippe Walter, Anne Berthelot, Robert Deschaux, Irène Freire-Nunes et al., Paris  : Gallimard, Pléiade, 476, 2001. Dans cette édition, fondée sur le manuscrit Bonn, Universitätsbibliothek, 526, la Suite Vulgate porte le titre de Premiers faits du roi Arthur. Lancelot : roman en prose du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha, Genève : Droz, 1978-1983, 9 vol. et Le livre du Graal. II Lancelot, De « la Marche de Gaule » à « la Première partie de la quête de Lancelot », III Lancelot, « la Seconde partie de la quête de Lancelot », la Quête du Saint Graal, la Mort du roi Arthur. Dir. Daniel Poirion et Philippe Walter. Paris : Gallimard, Pléiade, 498, 554, 2001, 2009.



L’inscription manuscrite, textuelle et iconographique du Merlin et de ses continuations

3

narrative, le Merlin et de sa suite forment, après l’Estoire del Saint Graal, la deuxième partie du cycle Vulgate et se situent avant le noyau primitif formé par le Lancelot, la Queste del Saint Graal et la Mort Artu9. La constitution du cycle du Graal est attestée dès la première moitié du XIIIe siècle (voir Rennes, BM, 255). La deuxième partie du XIVe siècle semble constituer une période relativement creuse, mais les compilations de ce type jouent à nouveau un rôle important au XVe siècle. Il est rare de trouver le Merlin, accompagné ou non de la Suite Vulgate, sans le Joseph ou l’Estoire. Le Joseph continue en effet d’être copié jusqu' au XVe siècle, par lui-même (voir Modène, Estense, E. 39, BNF, fr. 748, Arsenal, 2996 et Chantilly, Condé, 644 au XIIIe siècle, Paris, BNF Naf. 4166, Londres, BL, Add. 38117, Florence, Riccardiana, 2759 et Florence, Marucelliana, B VI 24 au XIVe siècle et BNF fr. 1469 au XVe siècle) ou en association avec l’Estoire (voir BNF, fr. 770 et Tours, BM, 951 au XIIIe siècle, Vatican, Bibl. Vat., Reg. Lat. 1687 et New Haven, Beinecke, 227 au XIVe siècle et Chantilly, Condé, 643 au tournant du XVe siècle), malgré la disparition de la trilogie de Robert de Boron. Enfin si la Suite Vulgate a été écrite pour favoriser l’intégration du Merlin dans le cycle du Graal en servant de transition par rapport au Lancelot, les manuscrits cycliques complets, environ une quinzaine, constituent moins de la moitié des manuscrits comprenant la Suite Vulgate. Les configurations manuscrites ne sont pas hiératiques car dans certaines compilations cycliques le Merlin est transmis sans sa suite. D’autres tentatives de continuation du Merlin, comme la Suite Post-Vulgate10 ou le Livre d’Artus11 témoignent aussi des potentialités narratives de ce texte, explorant d’autres voies et d’autres configurations romanesques. Le succès de la Suite Vulgate s’affirme aux dépens de ces versions dont la transmission manuscrite semble par comparaison marginale, et dont le projet demeure parfois inabouti. Ces différentes rédactions exposent la dynamique d’écriture et l’émulation suscitées par le développement de la prose arthurienne et l’effort de mise en cycle. Mis à part les fragments12, nous avons conservé cinquante-trois manuscrits du Merlin dont trente six (soit plus de 70 %) comprennent la Suite Vulgate ou, dans deux cas uniquement, la Suite Post Vulgate (Cambridge, 9

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L’expression Lancelot-Graal est tantôt appliquée au cycle au complet, tantôt restreinte à ses trois derniers textes. La Suite du Roman de Merlin. Ed. Gilles Roussineau, Genève : Droz, 1996, 2 vol. The Vulgate Version of the Arthurian Romances. Vol. 7, Supplement  : Le Livre d’Artus, with Glossary and Index of Names and Places. Ed. H. Oskar Sommer, Washington D. C. : Carnegie Institute, 1916. Il s’agit des manuscrits Amsterdam, Bibl. Universitaire, I A 24 q ; Hanovre, Niedersächsische Landsbibliothek IV 581  ; Iowa City, O’Gorman  ; Modène, Archives nationales  ; Paris, Archives Nationales, AB XIX 1734 ; BNF, fr. 423 ; BNF, fr. 2455 ; BNF, Naf. 934 et BNF, Naf. 5237.

4 Introduction

University Library, Additional 7071 et BL, Add. 38117). Dans les manuscrits, la Suite Vulgate n’est jamais totalement indépendante : elle se trouve systématiquement à la suite du Merlin propre, sauf dans un ouvrage où elle précède une autre suite, le Livre d’Artus (BNF, fr. 337). La Suite Vulgate sert bien à compléter le Merlin et elle joue par rapport à lui un rôle second. Le nombre des manuscrits qui la véhiculent montre pourtant que cette continuation devient une adjonction attendue et presque systématique par rapport au Merlin propre. La proportion de manuscrits comprenant uniquement le Merlin est plus importante au XIV e siècle qu’au XIIIe siècle, même s’ils demeurent minoritaires. Elle diminue à nouveau au XVe siècle, peut-être à cause de la préférence donnée aux compilations cycliques à cette période13. Les manuscrits comprenant le Merlin et sa suite sont donc majoritaires tout au long du Moyen Âge. Cette situation montre l’importance des continuations du Merlin, et en particulier de la Suite Vulgate, dans la transmission manuscrite du texte. Les manuscrits du Merlin et de ses suites ont été copiés dès la première partie du XIIIe siècle et continuent de l’être dans des manuscrits de la fin du XVe siècle, ce qui manifeste un succès soutenu. La phase la plus féconde dans l’histoire de la production de ces manuscrits semble se situer entre le dernier quart du XIIIe siècle et le premier tiers du XIVe siècle : plus de la moitié des témoins conservés datent de cette époque. Cette période faste pourrait s’expliquer par le développement professionnel de la production et du commerce du livre dans le Nord Est de la France14, dans un contexte général d’expansion démographique et de progrès agricole qui voit aussi l’affirmation de Paris comme centre universitaire, politique et artistique15. On note une interruption relative dans la deuxième partie du XIVe siècle, ce qui coïncide peut-être avec une série de troubles climatiques, économiques, sociaux et politiques liés à l’épidémie de peste et au conflit de la guerre de Cent Ans16. Le creux dans la production de manuscrits du Merlin dans la 2e partie du XIVe siècle peut s'expliquer par la perspective plus générale du tassement de la production de livres manuscrits en France à cette époque : selon l'étude statistique menée par Eltjo Buringh, entre le XIIIe et le XIVe s., elle connaît une hausse de seulement 9 % contre 50 % pour l'ensemble de l'Occident latin, en lien avec la guerre de Cent Ans, notamment dans le 13 14

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Voir Tableau 1 : Les manuscrits du Merlin et de ses suites, aperçu chronologique, p. 25. Voir Rouse, Mary et Richard. Manuscripts and their Makers : Commercial Book Producers in Medieval Paris, 1200-1500. Turnhout : Miller, 2000, vol. 1 ch. 11, p. 285-302. Voir Gauvard, Claude. Le temps des Capétiens : Xe-XIV e siècle. Paris : Presses Universitaires de France, 2013, 3e et 4e parties. Voir Bove, Boris. Le temps de la guerre de Cent Ans : 1328-1453. Paris : Belin, 2009, ch. 2-3 et 7-9 et Gauvard, Claude. Le temps des Valois : de 1328 à 1515. Paris : Presses universitaires de France, 2013, 1ère partie.



L’inscription manuscrite, textuelle et iconographique du Merlin et de ses continuations

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grand centre de production qu'est Paris17. Au XVe siècle, la production parisienne n'est plus à la hauteur de la demande locale, mais ce phénomène a pu être compensé par l'import de livres produits hors de Paris et par l'accroissement des copies privées. Le XIVe siècle correspond aussi à une période de crise économique et de baisse de la production manuscrite en Flandres, alors que le XV e siècle se caractérise par un essor exceptionnel dans les Pays Bas lié à l'augmentation de la demande de livres en Europe occidentale, au patronage de la cour de Bourgogne, et au développement de nouvelles pratiques de dévotion associées au succès du livre d'heures. Au XVe siècle se distinguent de luxueux manuscrits du cycle du Graal produits à la cour de Bourgogne et pour des collectionneurs et bibliophiles comme Jacques de Nemours18. L’Estoire de Merlin continue cependant d’être copiée dans des manuscrits de condition plus modeste parfois dépourvus de toute illustration. Il n’y a pas de progression historique claire associant la diminution du nombre de manuscrits du Merlin propre et la croissance des manuscrits comprenant la suite, si ce n’est à la toute fin du Moyen Âge, puisque les manuscrits associant le Merlin et la Suite Vulgate sont déjà majoritaires au XIIIe siècle. Transmis au sein de manuscrits qui subsistent de façon isolée ou par série, le Merlin et ses suites forment un ensemble textuel et iconographique riche et fascinant. Le nombre des manuscrits conservés permet de saisir l’importance de la circulation du texte, de Paris au Nord de la France, mais aussi en Angleterre, en Italie et en Espagne. La distribution géographique des manuscrits manifeste la prépondérance du Nord de la France ainsi que de Paris, ce qui correspond avec les centres les plus actifs de production du livre manuscrit aux périodes concernées19. La majorité des manuscrits du Merlin ont été produits au nord de Paris, en Normandie, en Picardie, en Champagne, dans l’Artois, les Flandres et le Hainaut (en particulier dans les diocèses de Metz, Thérouanne, Gand, Saint Omer, Tournai...). Les manuscrits datant du XIIIe siècle constituent une bonne moitié de ces manuscrits du Nord. Les manuscrits produits à Paris forment le deuxième groupe le plus représenté, puis l’on peut distinguer quelques exemplaires provenant du Centre. Des XIIIe et XIVe siècles, on garde un petit nombre de manuscrits copiés en Italie ou en Angleterre. L’Italie joue en effet un rôle déterminant dans la transmission commune du Joseph, du Merlin et des Prophéties Merlin joue un rôle important dans la poésie lyrique italienne des XIIIe et XIVe siècles, associé dans la tradition 17

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Buringh, Eltjo. Medieval Manuscript Production in the Latin West : Explorations with a Global Database. Leiden ; Boston : Brill, 2011, p. 371-77. Voir BNF, fr. 113-116. Voir Stones, Alison. The Illustrations of the French Prose Lancelot in Flanders, Belgium and Paris, 1250-1340. Thèse : University of London, 1970, vol. I, ch. 2-9.

6 Introduction

courtoise à d'autres figures de sages légendaires comme Aristote ou Salomon, tandis que la poésie satirico-comique se focalise sur sa dimension de prophète. Voir Capelli, Roberta. « The Arthurian Presence in Early Italian Lyric ». The Arthur of the Italians: the Arthurian Legend in Medieval Italian Literature and Culture. Dir. Gloria Allaire et F. Regina Psaki. Cardiff : University of Wales Press, 2014, p. 134-36. Aux XVe et XVIe siècles, le Merlin continue d'être copié puis imprimé en français, mais aussi traduit dans d’autres langues vernaculaires. Le Merlin et la Suite Vulgate, qui offrent un corpus iconographique particulièrement vaste, donnent ainsi différents éclairages sur le processus d’écriture, de réécriture, de recomposition et d’illustration qui caractérisent la transmission manuscrite des œuvres arthuriennes en prose du XIIIe au XVe siècle. Les choix de mise en recueil sont intéressants : la plupart des manuscrits témoignent de l’inscription de ces textes dans le cycle du Graal, ou du moins de leur relation avec l’Estoire, mais d’autres, associant le Merlin au Joseph et aux Prophéties, font résonner différemment leur matière narrative ou discursive, sans compter les compilations d’orientation plus nettement religieuse, didactique ou historique. L’illustration du Merlin et de sa suite se caractérise aussi, comme celle des autres œuvres du cycle Vulgate, par un important jeu de variations, y compris dans le cas de manuscrits jumeaux produits dans le même atelier et avec la collaboration des mêmes artistes comme BNF, fr. 19162 et 24394 à la fin du XIIIe siècle, BNF fr. 105 et 9123 au début du XIVe siècle ou Ars. 3479-80 et BNF, fr. 117-120 au tournant du XVe siècle. Si certaines scènes sont privilégiées dans les programmes iconographiques de plusieurs manuscrits, le placement, le sujet et la composition des miniatures ne correspondent que de façon ponctuelle, ce qui contribue à faire de chacun un ouvrage unique. L’expérience visuelle et mémorielle des lecteurs qui au Moyen Âge ont eu accès à ces textes a sans doute ainsi été façonnée par la connaissance d’un exemplaire spécifique, même si plusieurs copies devaient être disponibles dans les ateliers de production du livre manuscrit ainsi que dans les plus grandes collections royales ou princières. La prise en compte de la circulation matérielle de ces œuvres et de leurs programmes iconographiques permettra de mieux saisir leur composition et leur réception. Alors que le Merlin propre a été conservé relativement intact tout au long de la tradition manuscrite, il a lui-même suscité un nombre important de continuations. Comme l’a montré Alexandre Micha il existe une version α et une version β de ce texte20, pourtant la stabilité de l’œuvre source

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Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », Romania, 79, 1958, p. 78-94 et 145-74.



L’inscription manuscrite, textuelle et iconographique du Merlin et de ses continuations

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contraste avec la fertilité de l’écriture de ses suites. Certes, le Merlin est à l’occasion interpolé des Prophéties, qui développent un autre versant de la figure merlinesque, associant le discours du prophète à la narration de ses enfances extraordinaires, mais il n’a pas fait l’objet d’une réécriture comme celle qu’opère l’Estoire del Saint Graal à l’égard du Joseph d’Arimathie. La variation se situe donc au niveau de ses continuations. Plusieurs d’entre elles ne se rattachent pas directement à la fin du Merlin mais constituent des bifurcations à partir de la Suite Vulgate. L’articulation entre le Merlin et ses continuations ne va pas de soi, comme permettent déjà de le souligner le manuscrit de Modène et l’ex-Didot qui transmettent le petit cycle du Graal. L’écriture du Merlin et de ses suites et son intégration dans différentes compilations manuscrites exposent la spécificité de l’œuvre médiévale : sa rédaction et sa transmission manuscrite déterminent une identité plus fluctuante que le reflet qui peut ressortir des éditions modernes. L’écriture des suites est contrainte par la fin du Merlin et dans les compilations du cycle du Graal, par la présence du Lancelot. Cette relation est problématique car la Suite Vulgate s’enracine dans des textes comme l’Historia Regum Britanniae et le Brut. Du fait de ces sources, la Suite Vulgate propose une vision d’Arthur, Ban et Bohort, ou des relations entre Merlin et Viviane en contraste, voire en contradiction avec celle qui est présentée au début du Lancelot. La continuation du Merlin présente de façon optimiste la jeunesse du monde arthurien et dresse un portrait élogieux d’Arthur comme souverain susceptible de rassembler autour de lui les forces bretonnes afin de lutter contre l’ennemi saxon. Quelle est la relation entre la version adoptée pour le Merlin et sa Suite Vulgate et leur entourage manuscrit21  ? La version longue (α) est beaucoup plus répandue que la courte (β), que l’on trouve notamment, mais pas exclusivement, dans les compilations cycliques. On compte seulement treize manuscrits apparentés à la version β, contre plus de trente cinq pour la version α. En outre, il n’existe pas de version courte du Merlin propre sans Suite Vulgate : dans les ouvrages qui transmettent la version β, le Merlin est systématiquement suivi de sa continuation. Quant à la version longue du Merlin propre, majoritaire, elle apparaît systématiquement dans les manuscrits qui transmettent le Joseph et / ou le Merlin sans Suite Vulgate. La version β, dont les plus anciens témoins datent de la fin du XIIIe siècle, est sans doute ultérieure à la version α et tient une place proportionnellement plus importante dans les manuscrits du XVe siècle. La version courte, particulièrement bien représentée dans les manuscrits à caractère cyclique, apparaît

21

Voir Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin ». Vox Romanica, 60, 2001, p. 128-48.

8 Introduction

donc dans la moitié des manuscrits complets du cycle du Graal. Elle tient une place importante dans les compilations partielles du cycle du Graal, qui comprennent seulement l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate ou intègrent aussi d’autres types de textes. Le relatif abrègement qui a lieu dans la version β du Merlin et de la Suite Vulgate pourrait s’expliquer par l’insertion du texte dans de grands ensembles romanesques, bien que le choix de la version courte n’y soit pas systématique. L’étude des relations entre le Merlin et la Suite Vulgate, focalisée sur la relation entre texte et image, s’est fondée sur l’édition Pléiade22, réalisée à partir du manuscrit de base Bonn, ULB, 526, et présentant la version courte de l’Estoire de Merlin, comme l’édition antérieure d’Oskar Sommer basée sur le manuscrit BL, Add. 1029223. Un examen approfondi de la tradition manuscrite de la Suite Vulgate reste à faire. Les versions α et β de l’Estoire de Merlin ne forment pas deux œuvres radicalement différentes  : elles conservent les mêmes épisodes, et se distinguent surtout par des réductions ou modifications ponctuelles qui ne remettent pas fondamentalement en cause la nature et l’esprit du texte. La version α de la continuation n’est pas publiée mais une édition scientifique des deux versions de la Suite Vulgate est actuellement préparée par Annie Combes et Richard Trachsler et pourra constituer la base d’études plus poussées dans ce domaine.

L’étude des relations entre texte et image24 Les choix de mise en page et d’illustration du Merlin et de sa suite nous renseignent sur leur articulation et contribuent à faire ressortir leur spécificité au sein des différentes compilations manuscrites où ces textes ont été copiés. L’iconographie des manuscrits alterne entre la représentation de la vie de Merlin et des prodiges réalisés par l’enchanteur, qui joue le rôle de conseiller des rois de Bretagne, et la mise en image de l’histoire des souverains bretons. Le règne d’Arthur est plus particulièrement marqué par la succession d’épisodes militaires qui déterminent l’affirmation politique de ce souverain contesté. Cette orientation iconographique met en exergue la

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Le livre du Graal. Dir. Daniel Poirion et Philippe Walter. Paris : Gallimard, Pléiade, 476,498, 554, 2001-2009 [Pl.]. Voir le minutieux compte-rendu de Richard Trachsler dans Romania, 122, 2004, p. 247-57. The Vulgate Version of the Arthurian Romances. Ed. H. Oskar Sommer, Washington D. C. : Carnegie Institute, 1908-16, vol. 1, L’Estoire del Saint Graal ; 2, L’Estoire de Merlin ; 3-5, Le Livre de Lancelot del Lac ; 6, Les Aventures ou la Queste del Saint Graal. La Mort le roi Artus ; 7, Supplement : Le livre d’Artus, with Glossary and Index of Names and Places. Voir Quand l’image relit le texte, Regards croisés sur les manuscrits médiévaux. Dir. Sandrine Hériché-Pradeau et Maud Pérez-Simon. Paris: Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2013.



L’inscription manuscrite, textuelle et iconographique du Merlin et de ses continuations

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singularité de l’Estoire de Merlin vis-à-vis des aventures maritimes et religieuses de l’Estoire del Saint Graal, à laquelle elle est pourtant très fréquemment associée. Elle contribue aussi à définir la place réservée au Merlin et à sa continuation au sein du cycle du Graal, soulignant leur relative hétérogénéité puisqu’ils ne manifestent qu’un intérêt limité pour des entreprises chevaleresques et courtoises qui jouent un rôle majeur dans le Lancelot et la Queste. Le Merlin et sa Suite Vulgate forment un tout composite dont le succès est pourtant largement attesté par la transmission manuscrite. La contribution de la Suite Vulgate à l’intégration du Merlin dans le cycle du Graal n’est sans doute pas étrangère à l’importance de la diffusion de ces textes25, même s’ils sont moins fréquemment associés au Lancelot qu’à l’Estoire, constituant avec elle le premier pan de la Vulgate arthurienne. L’étude de l’illustration, qui dans son caractère sélectif épure et accentue les tendances à l’œuvre sur le plan narratif, trouve pleinement sa place au cœur d’une réflexion sur la constitution d’une histoire de Merlin, élaborée en tension avec la célébration des premiers faits d’Arthur.

La question de l’illustration Les miniatures d’un roman comme le Merlin, dans son contexte manuscrit, se comprennent nécessairement en relation avec le texte auquel elles se rapportent, bien que l’image relise le texte et le transforme à sa façon. Dans son étude sur la miniature, Maurits Smeyers parle d’illustration directe lorsque l’enlumineur «  se contente de mettre en image un thème unique dans lequel règne alors une unité d’espace et de temps. Tantôt il rassemble dans une même scène diverses actions. Tantôt enfin, il peut concevoir un cycle réunissant différentes représentations successives  »26. L’illustration procède ainsi selon différentes logiques, de façon soit synthétique, soit narrative27. Le terme d’ « illustration » est parfois connoté négativement et il a ses

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Comme le souligne Alison Stones, « Dès le milieu du XIIIe siècle, la production de manuscrits arthuriens est nettement dominée par les deux grands cycles du Lancelot-Graal puis du Tristan en prose, même si d’autres romans antérieurs, en vers ou en prose, continuent d’être copiés jusqu’au XVe siècle. Les grands textes en prose ultérieurs, Guiron le Courtois ou Perceforest, ne connaîtront jamais la même diffusion ». « Fabrication et illustration des manuscrits arthuriens », La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009, p. 23. Il distingue la méthode d’illustration directe de l’illustration associée qui prévaut aux périodes pré-romane et romane dans les initiales historiées et dans la décoration marginale, « les illustrations ne correspondent pas au sens littéral d’un texte, mais plutôt à sa signification ou à son interprétation » : l’enlumineur « puise dans le large éventail des allégories et des symboles [...], il met en image la leçon morale, il souligne l’évocation liturgique du texte ». Smeyers, Maurits. Typologie des sources du moyen-âge occidental, fascicule 8 : La miniature. Trad. Jacques Pycke. Turnhout : Brepols, 1974, p. 50-51. Voir Pächt, Otto. The Rise of Pictorial Narrative in Twelfth-Century England. Oxford : Clarendon Press, 1962.

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limites28, mais il permet de souligner la place spécifique des miniatures qui dans des manuscrits littéraires comme ceux du Merlin ont un rôle de représentation du texte . Cela implique le passage d'un medium à l'autre, et cette translation rend féconde une analyse de type sémantique. Christian Heck rappelle ainsi que les enluminures ont un « haut degré d’intelligibilité », « très supérieur à celui des œuvres des autres supports » : Si le degré variable de l'autonomie de l'image par rapport au texte ne permet pas de voir dans ce dernier une clef systématique et à sens unique d'interprétation des œuvres figurées, l'enluminure, par son contexte littéraire, et par les inscriptions qu'elle peut contenir, se prête admirablement à l’analyse du sens29.

Les miniatures se lisent et se comprennent en relation avec la narration, bien que ce ne soit pas leur unique fonction : elles peuvent s’enrichir d’éléments symboliques et remplir un rôle structurant ou ornemental30. L'image n'est pas inféodée au texte : dans certains cas, les images « s'opposent au texte qu'elles illustrent, le contredisent et en compromettent le sens au point d'en proposer une nouvelle lecture »31. Alors qu’au tournant du XIIIe siècle la lecture oralisée et collective cède progressivement la place à une lecture individuelle et silencieuse, l’illustration rythme et ponctue visuellement la narration, participant à son ordonnancement tout en fournissant un aperçu synthétique de son contenu. Comme le soulignait déjà Emmanuèle Baumgartner à propos des manuscrits du Lancelot-Graal, L’écriture continue que requiert la création du cycle appelle et impose la brisure de l’image et le développement, à plusieurs niveaux, d’une ornementation fonctionnelle. [...] L’illustration, sous ses différentes formes, se fait ponctuation du texte. Elle lui donne sa respiration, son rythme, son ordre32.

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Pour Jean-Claude Schmitt, « l’image n’est pas la simple illustration d’un texte même si la relation entre l’image et le texte est l’une des caractéristiques majeures des images médiévales : que le texte soit donné en même temps que l’image (dans les manuscrits enluminés), qu’il s’immisce dans l’image (par exemple dans le cas des lettres initiales ornées, figurées ou historiées...), ou enfin qu’il demeure implicite ». « Images », Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval. Dir. Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt. Paris : Fayard, 1999. Heck, Christian. « Profectum ex pictura si tardus ex scriptura. Pour une édition critique des cycles iconographiques de la littérature médiévale » dans Michel Perrin. L'iconographie de la Gloire à la sainte croix de Raban Maur. Turnhout : Brepols, 2009, p. 8. Hélène Toubert distingue ainsi les images à fonction décorative, structurelle et illustrative. « Formes et fonctions de l’enluminure », Histoire de l’édition française, t. 1 : le livre conquérant, du Moyen Âge au milieu du XVIIe siècle. Ed. Henri-Jean Martin et Roger Chartier, Paris  : Promodis, 1982, p. 87-129. Hériché-Pradeau, Sandrine et Pérez-Simon, Maud. Quand l'image relit le texte, 2013, p. 11. Baumgartner, Emmanuèle. «  Espace du texte, espace du manuscrit  : les manuscrits du Lancelot-Graal », Ecritures II. Paris : Le Sycomore, 1985, p. 103.



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Danièle James Raoul associe de même le développement de l’enluminure à celui du roman en prose : En l’absence de repères visuels tels que rimes, assonances, passages à la ligne qui guidaient la lecture des romans en vers, l’image (au sens large) va renforcer les efforts de structuration de la rhétorique et contribuer à donner ses repères également au texte et au lecteur33.

L’illustration des romans en prose, beaucoup plus développée que celle des romans en vers, est ainsi liée à de nouvelles pratiques : par contraste avec l’oralité caractéristique de la réception des textes en vers, l’illustration pouvait tenir lieu de scansion dans une lecture plus visuelle de ce qui devient de plus en plus une histoire écrite plutôt qu’un conte oral34. Dans les oeuvres romanesques de langue française, l’illustration est principalement constituée d’initiales historiées, de miniatures d’une colonne, et parfois de miniatures frontispices compartimentées. L’image précède en général le texte auquel elle se rapporte, permettant de donner à voir ce qui est narré et de structurer l’œuvre sur le plan visuel35. Elle intervient souvent en relation avec la formule d’entrelacement caractéristique de l’écriture des romans arthuriens en prose. Le développement de ces ouvrages abondamment illustrés est aussi à mettre en relation avec l’essor du commerce du livre vernaculaire et la commande par des laïcs de livres à travers lesquels ils pouvaient lire ou se faire lire, seuls ou en groupe, les histoires qu’auparavant ils se seraient contentés d’écouter lors de la performance d’un ménestrel. Bien que le cycle du Graal rassemble des romans écrits avec un certain décalage temporel, et vu le nombre de manuscrits enluminés du Merlin et de sa suite dès la première moitié du XIIIe siècle, on peut penser, comme le suggère Roger Middleton36, que la mise en texte et la mise en images de ces œuvres 33

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James-Raoul, Danièle, La parole empêchée dans la littérature arthurienne. Paris : Champion, 1997, p. 403. L'image peut remplir des fonctions narratoriales par ses propres moyens exclusivement visuels : elle exerce une fonction de « régie visuelle » par la « clarification de la structure du texte » et sa « subdivision en chapitres ». Hériché-Pradeau, Sandrine et Pérez-Simon, Maud. Quand l'image relit le texte, 2013, p. 33. On possède cependant des témoignages tardifs de la persistance de pratiques anciennes qui coexistent avec les nouvelles formes de lecture. Ainsi d’après le Dit du Florin, Jean Froissart fit la lecture du Méliador à Gaston Phœbus tout au long d’un hiver. Les pratiques de mise en page manuscrite et d’illustration varient de façon régionale ou du moins entre des ouvrages de domaines linguistiques différents. Ainsi, dans les manuscrits de langue allemande dominent les miniatures compartimentées réalisées en pleine page sur les deux côtés d’un folio, ce qui crée une alternance entre la narration textuelle et visuelle et contribue à placer à distance l’illustration et l’épisode qu’elle illustre. Voir Huot, Sylvia.  « The Manuscript Context of Medieval Romance  ». The Cambridge Companion to Medieval Romance. Dir. Roberta L. Krueger. Cambridge : Cambridge University Press, 2000, p. 60-77. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French : The Arthurian Legend in Medieval French and Occitan Literature. Dir. Glyn S. Burgess et Karen Pratt. Cardiff  : University of Wales Press, 2006, p. 8-92.

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a été conçue de façon simultanée. L’autre possibilité serait que les miniatures et initiales historiées aient été insérées au niveau des pauses textuelles déjà marquées par de larges initiales filigranées dans les manuscrits non illustrés. Comme l’a observé Alison Stones à partir d’un sondage des manuscrits de l’Estoire, le placement des lettres filigranées et des miniatures pourrait se concevoir à partir d’un modèle qui aurait été repris avec des variations correspondant tantôt à une réduction des marques du découpage textuel, tantôt à une amplification de ces dernières, même si ce n’est pas systématique37. Dans le cas du manuscrit enluminé, l’illustration demeure seconde, venant après l’écrit dont elle propose une actualisation et une lecture spécifiques38. L’illustration n’est pas nécessaire et à l’inverse, sans le texte, la compréhension de l’image est restreinte et difficile. Les miniatures illustrent donc l’ouvrage concerné, mais elles ne s’y limitent pas. Comme le souligne Hubert Damisch, dans la relation entre texte et image, « il y a moins transposition d’un système de signes à un autre que traversée réciproque du texte par l’image et de l’image par le texte »39 : l’œuvre n’est pas la transposition figurée d’un texte source, elle ne restitue pas la narration mais l’interprète. Pour reprendre une expression de Laurence Harf, l’illustration joue à « double sens »40. Ainsi au terme du Merlin propre et au début de la Suite Vulgate, la mise en image du couronnement d’Arthur révèle un parti pris favorable au jeune souverain, ce qui abonde dans la direction prise par le texte mais fait aussi écho à l’investissement idéologique de la cérémonie du sacre par la monarchie française au XIIIe siècle41.

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Stones, Alison. « Two French Manuscripts : WLC/LM/6 and WLC/LM/7 », The Wollaton Medieval Manuscripts  : Texts, Owners and Readers. Dir. Ralph Hanna et Thorlac TurvillePetre. Woodbridge : York Medieval, 2010, p. 48-49. Sur la question de la lecture des images voir Reading Medieval Images : the Art Historian and the Object. Dir. Elizabeth Sears et Thelma K. Thomas. Ann Arbor : University of Michigan Press, 2002. Damisch, Hubert. « La peinture prise au mot », Critique, 370, 1978, p. 274-90, repris dans Schapiro, Meyer. Les mots et les images. Littéralité et symbolisme dans l’illustration d’un texte. Paris : Macula, 2000, p. 5-27. Harf, Laurence. « Le dialogue entre texte et image », Trente ans de recherches en langues et en littératures médiévales. Dir. Jean-René Valette, Perspectives Médiévales, numéro jubilaire, 2005, p. 240. Voir Coronations : Medieval and Early Modern Monarchic Ritual. Ed. János M. Bak. Berkeley : University of California Press, 1990 et Le Goff, Jacques, Palazzo, Eric, Bonne, Jean-Claude, Colette, Marie-Noëlle et Goullet, Monique. Le sacre royal à l’époque de Saint Louis d’après le manuscrit latin 1246 de la BNF.  Paris  : Gallimard, 2001. Plusieurs travaux au croisement d’études iconographiques, historiques et socio-politiques ont ainsi apporté un éclairage intéressant à l’étude des miniatures du Merlin et de sa suite, notamment Christiane Raynaud dans Mythes, cultures et sociétés : XIII e-XV e siècles : images de l’Antiquité et iconographie politique. Paris : le Léopard d’or, 1995 et Barbara Morel dans Une iconographie de la répression judiciaire  : le châtiment dans l’enluminure en France du XIIIe au XV e siècle. Paris : Ed. du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2007.



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En l’absence de rubriques, les miniatures ne peuvent fonctionner de façon optimale que quand le lecteur réfléchit soigneusement au sujet qu’elles dépeignent. Ainsi les images ne sont pas le substitut du texte ou sa traduction visuelle, mais elles stimulent et guident la réflexion sur sa signification, encourageant peut-être une seconde lecture. La compréhension des images le plus souvent placées en avant du récit auquel elles se rapportent présupposent la connaissance du texte ou impliquent une vigilance et un va-et-vient constant au cours de la lecture. Pour Keith Busby, si l’image glose le texte, ce dernier sert aussi de glose pour l’illustration42. Il est important d’intégrer l’étude des rubriques à un travail sur les rapports entre texte et image, car elles se situent précisément à leur jonction. Bien que formant un discours, elles se distinguent par leur couleur, leur formulation stéréotypée et le fait qu’elles renvoient à la fois à l’image et au texte dont elles reprennent certains éléments. Les rubriques servent ainsi de guide pour la lecture des miniatures. Certaines, comme dans BL, Add. 10292, sont d’une telle généralité que seul le recours au texte permet d’assurer l’identification de la scène. D’autres, comme dans Bonn, ULB, 526, sont érigées en paratexte par l’utilisation de l’encre rouge et insérées avant les images mais correspondent en fait aux formules d’entrelacement et ne constituent donc pas un discours se rapportant spécifiquement à l’illustration. Dans un manuscrit comme Londres, British Library, Harley 6340, la création d’un réseau de titres de chapitres (tituli) particulièrement dense reflète à la fois une extrême attention aux développements de la trame narrative et un souci de structurer une masse textuelle proliférante. Cela a pour conséquence l’accroissement paradoxal du volume d’une œuvre dont les titres de chapitre, repris dans une longue table des matières, offrent déjà un aperçu relativement exhaustif. 

L’étude iconographique L’iconographie, qui passe par l’étude descriptive et la classification des images, a pour objet de comprendre la signification directe et indirecte du sujet représenté. La reconnaissance des thèmes traités et l’identification du sujet des miniatures sont le point de départ de l’étude et de l’interprétation. La rédaction des légendes demeure sans cesse tendue entre les pôles contraires que constituent uniformisation et particularisation, tentative de généralisation et effort de précision43. L’étude des relations entre texte et image est 42

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Voir Busby, Keith. Codex and Context : Reading Old French Verse Narrative in Manuscript. Amsterdam ; New York : Rodopi, 2002, vol. 1, p. 265-68. Voir les principes directeurs énoncés par François Garnier  dans Thesaurus iconographique : système descriptif des représentations. Paris : Ministère de la Culture, 1981 et par le GAHOM dans Thésaurus des images médiévales pour la constitution de base de données iconographiques, mis au point par le Groupe Images, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval. Paris : EHESS, 1993.

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elle-même prise entre l’insistance sur la singularité irréductible de chaque manuscrit et la recherche d’unité dans la diversité d’une tradition manuscrite44. Le point d’insertion des images est un outil d’analyse important pour situer les miniatures au sein de la narration et identifier leur contenu quand celui-ci n’est pas immédiatement perceptible ni indiqué par les rubriques, et pour effectuer des comparaisons entre différents manuscrits. L’étude des images commence par un long travail de collection, organisation, identification, description et transcription, qui a rendu possible les comparaisons à l’échelle d’un manuscrit donné et sur l’ensemble du corpus du Merlin et de la Suite Vulgate. L’étude iconographique doit aboutir à une interprétation des images et à leur explication qui peut être conceptuelle, symbolique, allégorique, historique ou encore psychanalytique. Cet aspect a été mis en valeur par Erwin Panofsky45 lorsqu’il promeut ce qu’il appelle « l’iconologie » et distingue trois aspects de l’interprétation sémantique de l’œuvre d’art : l’identification du sujet primaire ou naturel des représentations à partir des formes utilisées ; le sujet secondaire ou conventionnel, lié à l’utilisation et à la combinaison de motifs artistiques qui permet de dégager histoires et allégories ; le sens intrinsèque, en relation avec le contexte politique, littéraire, religieux, philosophique, social, historique ou géographique. Cette discipline, élaborée en réaction contre l’approche purement esthétique caractéristique de la critique d’art au XIXe siècle, visait à prendre en compte les valeurs historiques et religieuses de la civilisation d’où provient l’objet étudié. Or les données concernant les manuscrits du Merlin, les circonstances de leur production et l’histoire de leur transmission sont relativement fragmentaires, à l’exception de quelques manuscrits assez exceptionnels, souvent tardifs, dont la trajectoire est mieux connue. Les manuscrits datés font exception, et rares sont ceux dont on connaît le scribe, l’artiste ou le commanditaire. Certains comme Bonn, ULB, 526, BL, Add. 10292 ou New Haven, Yale University, Beinecke Library, 227 sont datés et / ou signés, mais on sait très peu de choses sur les circonstances de leur production, si ce n’est par association avec d’autres ouvrages provenant des mêmes ateliers et réalisés avec la participation des mêmes scribes et enlumineurs. Richard et Mary Rouse ont conduit une étude déterminante sur la production du livre à Paris, en particulier, pour le corpus qui nous intéresse, dans la première 44

Voir Salter, Elizabeth et Pearsall, Derek. «  Pictorial Illustration of Late Medieval Poetic Texts : The Role of the Frontispiece of Prefatory Picture », Medieval Iconography and Narrative : a Symposium. Odense University, 19-20 Nov. 1979. Ed. Flemming G. Andersen et al., Odense : Odense University Press, 1980, p. 100-23.

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Panofsky Erwin. Studies in Iconology : Humanistic Themes in the Art of the Renaissance. New York : Oxford University Press, 1939, Introduction.



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moitié du XIVe siècle (à travers les ateliers du maître de Maubeuge et du maître de Fauvel notamment). Les cinquante-deux manuscrits conservés du Merlin et de ses continuations s’intègrent en partie dans le vaste corpus des manuscrits du cycle du Graal46. L’énorme travail réalisé par Alison Stones depuis sa thèse sur les manuscrits du Lancelot47 puis dans le cadre du Projet Lancelot-Graal48 a permis de répertorier, dater et localiser ces manuscrits, à partir d’éléments codicologiques et d’analyses stylistiques des miniatures. Cela passe par la mise en relation des manuscrits qui nous intéressent avec des ouvrages liturgiques comprenant des calendriers propres à certains diocèses49. Ce travail est fondamental et mériterait d’être complété par des études paléographiques et linguistiques poussées. La production d’un manuscrit est le fruit d’un effort collaboratif, c’est un objet « stratifié »50 et qui nécessite une lecture la plus « holistique »51 possible. Il demeure cependant difficile de connaître la réception précoce d’une œuvre car la transmission manuscrite des textes médiévaux implique plusieurs étapes : il existe le plus souvent un écart entre la date de composition d’un texte et celle des manuscrits les plus anciens à travers lesquels il est transmis. Or les manuscrits de première génération sont rarement illustrés. Si l’étude des relations entre texte et image dans les manuscrits enluminés éclaire la réception d’une œuvre à l’époque médiévale, il faut tenir compte de ce décalage par rapport à la date de création des textes et à leur réception par leur premier public. La contextualisation dans son sens large est

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J’ai pu avoir accès à l’ensemble des manuscrits complets du Merlin et de la Suite Vulgate directement ou par le biais de microfilms et d’images numériques. Seuls les manuscrits de la collection privée Lebaudy à Versailles (ex-Phillipps, 1047) et Turin, BNU, L.III.12 (endommagé dans l’incendie de 1904 et indisponible pour la consultation ou la reproduction), datant tous deux de la fin du XIIIe siècle, sont demeurés inaccessibles. Stones, Alison. The Illustrations of the French Prose Lancelot in Flanders, Belgium and Paris, 1970. Stones, Alison. «  Site-Chronology and Geographical Distribution of Lancelot-Grail Manuscripts  », Lancelot-Graal project, http  ://vrcoll.fa.pitt.edu/stones-www/lancelotproject.html (01/08/2013). « Si certains noms de copistes et de commanditaires nous ont été transmis dans les manuscrits même, la plupart ne contiennent pas de renseignements. C’est donc sur des critères stylistiques, et par comparaison avec d’autres productions, que nous arrivons quand même à proposer quelques attributions géographiques et chronologiques. [...] A l’exception de Paris, nous sommes mal renseignés sur le mouvement des artistes avant le XVe siècle et sur leurs conditions de travail, de sorte que les attributions géographiques, établies le plus souvent à partir de l’usage des manuscrits religieux, sont relatives plutôt qu’absolues ». Stones, Alison. « Fabrication et illustration des manuscrits arthuriens », La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009, p. 22-23. Wanwinjinsberghe, Dominique. « Les manuscrits à peintures au Moyen Age : bilan et perspectives de la recherche », Perspective, la revue de l’INHA. Actualités de la recherche en histoire de l’art, 2010/2011, 2, p. 312. Clark, Gregory. Made in Flanders : The Master of the Ghent Privileges and Manuscript Painting in the Southern Netherlands in the Time of Philip the Good. Turnhout : Brepols, 2000, p. 10.

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fondamentale : elle implique aussi bien de repérer le point d’insertion de l’image dans le texte, dans le programme illustratif d’un manuscrit, dans une tradition iconographique, que dans un espace géographique, une société et une époque données. Les représentations iconographiques, leur statut, les éléments de leur production et de leur réception, leur usage social et leur fonction symbolique contribuent ainsi à éclairer l’histoire des mentalités. Pour Maurits Smeyers, « l’image est un témoignage d’une époque précise, elle est liée à une façon de penser, elle révèle les prises de position dans des questions d’ordre moral, dogmatique, sociale, économique, politique ou culturel »52. Enfin ne se contentant pas d’exhiber ces principes, l’image peut faire office de propagande et jouer un rôle dans la promotion de certaines idées. Les enluminures sont introduites dans les manuscrits de littérature vernaculaire pour des raisons qui ne sont pas uniquement d’ordre littéraire. Il peut s'agir de motivations commerciales et pragmatiques : les images renforcent le prestige du manuscrit et accroissent son coût. Pour le lecteur, elles reposent l’œil, guident la lecture et peuvent même constituer un substitut plaisant à la lecture du texte53. L’interprétation des choix d’illustration doit tenir compte des pratiques des enlumineurs et des contraintes matérielles relatives à l’art de la miniature. Alison Stones a montré que les illustrations du Lancelot, le plus souvent réalisées par les artistes mineurs d’un atelier donné, reposent sur l’utilisation d’un répertoire de motifs appliqués au récit de façon plus ou moins indifférenciée. Les scènes de bataille, de siège, de rencontre, de départ, de procession ou les cérémonies de cour sont parsemées à travers le manuscrit, davantage pour procurer une pause dans le récit et un effet de variété visuelle que pour offrir un commentaire ou une interprétation de la narration. Parfois le miniaturiste illustre un élément secondaire du récit parce que cela lui permet d’utiliser des modèles tirés de l’iconographie religieuse : cela ne signifie pas nécessairement qu’ils ont une résonance religieuse mais cela tient aussi à la disponibilité pour l’enlumineur professionnel de modèles compositionnels appropriés54. Comme l’a souligné Jérôme Baschet, une approche sérielle est nécessaire à la compréhension et à l’interprétation des illustrations55.

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Smeyers, Maurits. Typologie des sources du Moyen Âge occidental, fascicule 8 : La miniature, 1974, p. 104. Salter, Elizabeth et Pearsall, Derek. «  Pictorial Illustration of Late Medieval Poetic Texts : The Role of the Frontispiece of Prefatory Picture », 1980, p. 106. Buchthal, Hugo. Historia Troiana : Studies in the History of Mediaeval Secular Illustration. Londres : Warburg Institute ; Leiden : E. J. Brill, 1971, p. 11-13. Baschet, Jérôme. «  Inventivité et sérialité des images médiévales. Pour une approche iconographique élargie », Annales Histoire, Sciences Sociales, 1, 1996, p. 93-133.



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Pour une approche sérielle et une iconographie comparative Les miniatures du Merlin s’inscrivent et prennent sens dans un programme iconographique parfois très développé et peuvent se retrouver d’un manuscrit à l’autre, voire dans d’autres traditions iconographiques. Il est donc nécessaire d’un point de vue méthodologique de comparer les images et de les replacer dans leur contexte artistique en établissant des séries croisant des éléments notamment thématiques et chronologiques. Il existe ainsi des « réseaux de réseaux [...] que les oeuvres tissent entre elles »56. L'image se situe ainsi « dans un réseau intertextuel ou intericonique », car « toute représentation figurée véhicule bien plus qu'elle-même et suscite une polyphonie sémantique »57. Un des aspects frappants de la tradition manuscrite du Merlin et de sa suite, ainsi que des manuscrits du Lancelot-Graal de façon plus générale, est la variété des programmes iconographiques d’un manuscrit à l’autre, même pour des ouvrages copiés l’un sur l’autre ou provenant du même atelier. Cela n’empêche pas la récurrence de certaines miniatures placées à des moments clefs du récit ou emblématiques de passages narratifs particulièrement marquants. Pour Keith Busby, les commanditaires ont pu établir des scènes emblématiques de ces textes que les concepteurs des manuscrits ont ensuite fait illustrer. Certains épisodes marquants ont été pris comme points de repères permettant et stimulant le souvenir et la reconstruction mémorielle de plus larges pans de la narration58. L’image favorise ainsi la mémorisation, et peut développer un réseau symbolique à partir de son objet. La comparaison de l’illustration de différents manuscrits du même texte, et la connaissance de sa tradition manuscrite contribuent à mettre en perspective différentes pratiques iconographiques. L’étude des miniatures d’une œuvre narrative implique l’examen des passages choisis pour l’illustration, la confrontation de l’image et du texte, l’analyse et le commentaire des sujets choisis et de leur mode de représentation. Ce travail s’avère particulièrement long et minutieux lorsqu’il s’agit d’ouvrages à la fois nombreux et volumineux dont l’illustration s’étend parfois sur plusieurs centaines d’images. Les études ponctuelles du traitement d’un motif ou d’un épisode particulier peuvent bénéficier de la contextualisation offerte par l’exploration d’autres traditions picturales ou artistiques. Or elles doivent s’accompagner de travaux plus exhaustifs portant sur l’ensemble du programme iconographique d’une œuvre ou d’un manuscrit. Il s’agit de croiser un axe syntagmatique,

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Bonne, Jean-Claude. « À la recherche des images médiévales », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1991, 46 (2), p. 353-73. Hériché-Pradeau, Sandrine et Pérez-Simon, Maud. Quand l'image relit le texte, 2013, p. 30. Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1, p. 275-76.

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celui du développement linéaire et chronologique de l’intrigue et du programme iconographique accompagnant la narration, et un axe paradigmatique, celui de la mise en relation des images se rapportant à un épisode donné dans les différents manuscrits du corpus59. Entre description et commentaire, l’un des problèmes que pose l’analyse des images sur des œuvres aussi vastes est celui de l’organisation de l’étude. L’ordre narratif procure un fil conducteur, mais le travail s’enrichit de regroupements thématiques et structurels, faisant alterner l’étude d’un manuscrit et les comparaisons de plusieurs ouvrages, voire de l’ensemble du corpus. Les images nous renseignent sur la façon dont les textes étaient compris et lus par le public médiéval, mettant en exergue ce qui pouvait intéresser les commanditaires et libraires responsables de la réalisation des programmes illustratifs. Certes, d’autres contraintes déterminent la production iconographique : le souci de placer l’illustration à des intervalles réguliers dans le texte, l’étendue des moyens financiers du commanditaire, le temps imparti à la réalisation de l’ouvrage ou la prégnance de modèles iconographiques déjà existants associés à un texte particulier ou empruntés à d’autres types d’ouvrages. La disponibilité de scènes types facilement réutilisables pouvait constituer un frein par rapport à une démarche plus novatrice. Elle rejoint cependant le mode d’écriture des textes médiévaux qui favorise la reprise de formules et de motifs littéraires.

La perspective sémiotique : l’image et les signes On peut considérer les miniatures médiévales comme un système de signes fondé sur des conventions visuelles permettant d’exprimer la signification des énoncés verbaux auxquels elles se rattachent. La sémiotique60, qui applique la théorie des signes à un domaine non linguistique, celui de l’image, repose sur des codes et des conventions culturelles grâce auxquels la communication d’un signifié est possible. Le problème sémiologique posé par Emile Benveniste est celui de la transposition de l’énonciation verbale en représentation iconique et de la correspondance entre deux systèmes de signes distincts61. Dans l’illustration du manuscrit, cette transposition implique à 59

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Pour Maud Pérez-Simon, cette démarche permet de déceler les redondances, les invariants et surtout les écarts existant entre différents manuscrits, faisant ressortir l’horizon d’attente des lecteurs médiévaux. Mise en roman et mise en image : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose. Pour une stylistique de la traduction. Thèse : Paris III, dir. Laurence Harf-Lancner, 2008, p. 33-34. Les termes de sémiotique et de sémiologie, souvent employés de façon concurrente, renvoient respectivement aux travaux de Charles Sanders Peirce et Ferdinand de Saussure concernant l’étude des signes, appliquée à la linguistique et étendue à d’autres disciplines. Voir Peirce, Charles Sanders. Ecrits sur le signe. Trad. Gérard Deladalle. Paris : Seuil, 1992 (1885-1958) et Saussure (de), Ferdinand. Cours de linguistique générale. Paris : Payot, 1995 (1913). Benveniste, Émile. Problèmes de linguistique générale. II, « Sémiologie de la langue », Paris : Gallimard, 1974, p. 59.



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la fois déperdition et ajout de sens, puisque la mise en images ne recouvre qu’une partie du discours littéraire et qu’à l’inverse elle développe son propre réseau visuel, tout en glosant et commentant le texte auquel elle se réfère62. Le lien entre « visuel » et « linguistique » est problématique, et la construction d’une sémiologie de l’image doit s’efforcer de prendre en compte la spécificité de l’image sans inféoder l’image au langage et au modèle linguistique. Il est néanmoins difficile « d’isoler des mécanismes purement visuels, et indépendants de l’ordre du langage »63. Le Traité du signe visuel du Groupe µ, qui théorise et analyse le fonctionnement de l’image comme système de signes, participe à l’élaboration d’une sémiologie visuelle64. Le langage visuel organise ses unités selon des règles formant une grammaire et une rhétorique d’ordre visuel. La rhétorique de l’image comprend par exemple l’enchâssement spatio-temporel, l’usage des citations, les figures de répétition et d’opposition65. Au niveau macro-structurel, il est aussi possible de discerner des convergences entre pratiques iconographiques et pratiques littéraires dans la déclinaison de thèmes et de motifs dont l’enchaînement et la composition participent d’un fonctionnement de type grammatical et syntaxique.

Grammaire, syntaxe et rhétorique de l’image Analysant les images qu’il envisage comme un ensemble de signes formant un langage particulier, François Garnier souligne que « simplification, constante, répétition, sont les caractères essentiels d’un système destiné à la communication »66. La compréhension des enluminures demande donc de se familiariser avec un univers iconographique régi par des règles propres, même si ces codes peuvent varier d’un manuscrit à l’autre et évoluent dans le 62

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Comme le souligne Maud Pérez-Simon, «  Indépendamment même de ce que l’image représente, sa présence et sa combinatoire avec d’autres images et avec le texte au sein du folio crée donc un discours qui vient se superposer au récit et interagir avec lui ». Mise en roman et mise en image : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose, 2008, p. 33. Roque, Georges. « A propos du Traité du signe visuel : une remarque et deux questions ». Nouveaux Actes Sémiotiques. Le Groupe μ. Quarante ans de rhétorique – Trente-trois ans de sémiotique visuelle, 2010, http : //revues.unilim.fr/nas/document.php?id=3290 (01/08/2013). Cette approche distingue notamment les signes iconiques, qui renvoient aux objets du monde, et les signes plastiques, qui produisent des significations dans trois domaines principaux  : les couleurs, les formes et les textures, organisées par association et différentiation. Le signe plastique prend une importance intrinsèque : les éléments plastiques ne sont pas uniquement appréhendés comme relevant du signifiant d’un signifié iconique. Même dans les œuvres figuratives où le signe iconique renvoie à un référent, formes et couleurs ont une valeur propre. Groupe μ, Traité du signe visuel, Pour une rhétorique de l’image. Paris : Seuil, La couleur des idées, 1992, ch. 4 et 5. Voir Pérez-Simon, Maud. Mise en roman et mise en image  : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose, 2008, p. 500. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge. Signification et symbolique. Paris : Le léopard d’or, 1982, vol. 1 p. 15. Voir aussi Bäuml, Betty et Franz. Dictionary of gestures. Lanham ; Londres : Scarecrow, 1997 (1976) et Schmitt, Jean-Claude. La raison des gestes dans l’occident médiéval. Paris : Gallimard, 1990.

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temps : à partir du XIVe siècle, ils laissent place à des représentations moins stéréotypées marquées par le développement de courants de représentation plus réalistes. S’attachant à décrypter le sens de certains modes de figuration, Garnier a procédé à des regroupements méthodiques tout en se focalisant sur des aspects particuliers des images étudiées au sein d’un immense corpus couvrant de nombreux domaines artistiques (peinture, vitrail, sculpture...). L’effort typologique fait partie de l’étude iconographique et les conclusions rassemblées dans son répertoire constituent un guide précieux pour l’analyse  : elles seront étayées par leur confrontation ponctuelle avec le corpus des miniatures des manuscrits du Merlin. Ayant réussi à isoler des postures et positions signifiantes, Garnier a néanmoins rappelé l’importance du contexte et des corrélations à l’œuvre dans des images dont la structure est souvent complexe : « le déchiffrage des images ne peut se faire par application aveugle de principes et de formules »67. Il existe ainsi une syntaxe de l’image, avec des modes d’articulation, d’enchaînement et d’organisation spécifiques. Recourir aux outils de la linguistique pour appréhender les images éclaire par analogie le fonctionnement des représentations visuelles en leur donnant un cadre d’étude. La question de l’agencement est fondamentale : comme l’a montré Garnier, la syntaxe « [permet], par la variété des rapports et de leur combinaisons, de nuancer le contenu représentatif des images ». La notion de style s’applique aussi bien à la forme qu’au vocabulaire et à la syntaxe iconographiques : « la diversité des moyens d’expression laisse à l’imagier une latitude relativement grande de choix et de combinaisons »68. À partir d’analyses de détail et d’un effort de classification des différentes formes de représentation, entre créativité artistique et reprise de stéréotypes, on peut dégager des principes de lecture et de compréhension des images médiévales d’un point de vue syntaxique et sémiologique. Dans le corpus formé par le texte et les illustrations du Merlin et de la Suite Vulgate, la notion de style à la fois littéraire et iconographique peut enfin amener à s’interroger sur la spécificité de ces romans arthuriens en prose et sur la possible influence poétique et esthétique de la chanson de geste. Comme le soulignait encore Alison Stones au début des années 199069, l’ouvrage de Roger et Laura Loomis, Arthurian Legends in Medieval Art70 67 68

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Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, I, 1982, p. 248. On peut dégager différentes relations dans la syntaxe iconographique : supériorité, infériorité, relation verticale ou latérale, dimension, position relative etc. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, I, p. 18. Stones, Alison. « Arthurian Art since Loomis », Arturus Rex, II. Acta Conventus Lovaniensis 1987. Ed. Willy Van Hoecke, Gilbert Tournoy et Werner Verbeke. Louvain : Leuven University Press, 1991, p. 21-78. Loomis, Roger Sherman et Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art. Londres : Oxford University Press, 1938.



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sert toujours de référence comme répertoire des manifestations artistiques de la légende arthurienne. Dans la décennie suivante, sont parues des études fondatrices sur les manuscrits de Chrétien de Troyes et leur iconographie71. Les travaux d’Emmanuèle Baumgartner72 sur les romans arthuriens en prose ont continué de promouvoir la recherche sur les manuscrits de la Vulgate ­arthurienne, d’un point de vue littéraire et dans l’optique du rapport entre texte et image, et ceux d’Alison Stones73, initiatrice du Projet LancelotGraal74, dans la perspective de l’histoire de l’art. Depuis une dizaine d’années, le développement des ressources en ligne a mis à disposition des chercheurs certaines collections manuscrites et banques d’images, sur les sites d’institutions patrimoniales75 ou par le biais d’expositions76 ou de projets internationaux77. En histoire de l’art, certains ensembles manuscrits ont ainsi été étudiés par eux-mêmes ou en association avec d’autres types de productions artistiques, éclairant la connaissance de milieux culturels comme la cour de Bourgogne78 ou celle de René d’Anjou79. Les thèses littéraires de Julia Les manuscrits de Chrétien de Troyes, The Manuscripts of Chrétien de Troyes. Ed. Keith Busby, Terry Nixon, Alison Stones et Lori Walters, Amsterdam Atlanta  : Rodopi, Faux-Titre, 72, 1993 et Hindman, Sandra. Sealed in Parchment : Rereadings of Knighthood in the Illuminated Manuscripts of Chrétien de Troyes. Chicago : University of Chicago Press, 1994. 72 Voir Baumgartner, Emmanuèle. «  La couronne et le cercle  : Arthur et la Table Ronde dans les manuscrits du Lancelot-Graal », Texte et image. Actes du Colloque international de Chantilly (13 au 15 octobre 1982). Ed. Francis Vian, Carol Heitz, Beat Brenk, et al. Paris : Les Belles Lettres, 1984, p. 191-200 ou Baumgartner, Emmanuèle. « Espace du texte, espace du manuscrit : les manuscrits du Lancelot-Graal », Ecritures II. Paris : Le Sycomore, 1985, p. 95-116. 73 Stones, Alison. The Illustrations of the French prose Lancelot in Flanders, Belgium and Paris 1250-1340. Doctoral dissertation : University of London, 1970. 74 Lancelot-Grail Project, http : //vrcoll.fa.pitt.edu/stones-www/lancelot-project.html (01/08/2013). 75 Voir Mandragore, le site des miniatures de la BNF, http://mandragore.bnf.fr (01/08/2013), Enluminures, une base d’images qui réunit les miniatures des manuscrits des Bibliothèques Municipales de France, http://www.enluminures.culture.fr (01/08/2013), Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, http://gallica.bnf.fr/ (01/08/2013), Initiales, le catalogue des manuscrits enluminés de l’IRHT, http://initiale.irht.cnrs.fr (01/08/2013), Digital Scriptorium, une base de données comprenant les manuscrits de certaines bibliothèques américaines, http://bancroft.berkeley.edu/digitalscriptorium/ (01/08/2013), E-codices, qui présente la numérisation des manuscrits médiévaux suisses, http://www.e-codices.unifr.ch/fr (01/08/2013) ou encore Beinecke Digital Collections qui réunit les collections numériques de la bibliothèque de Yale, http://beinecke.library.yale.edu/tags/digital-collections (01/08/2013). 76 Voir le site de l’exposition La légende du roi Arthur organisée sous la direction de Thierry Delcourt à la BNF en 2009-10, http://expositions.bnf.fr/arthur/ (01/08/2013). 77 Voir l’ambitieux projet Roman de la rose organisé à l’initiative de la Johns Hopkins University et de la Pierpont Morgan Library, qui a rendu possible la mise en ligne et la comparaison des très nombreux manuscrits du Roman de la Rose, http://rose.mse.jhu.edu/ (01/08/2013). 78 Blondeau, Chrystèle. Un conquérant pour quatre ducs  : Alexandre le Grand à la cour de Bourgogne. Paris : Institut national d’histoire de l’art, 2009. 79 Ferré, Rose-Marie. René d’Anjou et les arts : le jeu des mots et des images. Turnhout : Brepols, 2012. 71

22 Introduction

Drobinsky sur les manuscrits de Guillaume de Machaut80 et de Maud PérezSimon sur ceux du Roman d’Alexandre en prose81, ont permis l’élaboration d’outils méthodologiques dans l’étude du rapport entre texte et image. Les études récentes menées par Leah Tether82 et Thomas Hinton83 ont également montré l’importance cruciale de la prise en compte du contexte manuscrit dans l’étude des Continuations du Conte du Graal. Enfin l’examen des relations entre texte et image dans les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate s’inscrit dans le sillage de l’ouvrage de référence de Keith Busby, Text, Codex and Context84 et d’études de corpus comme celle menée par Ann Hedeman sur les Grandes Chroniques de France85. Ce travail se situe également dans la perspective d’analyses de manuscrits spécifiques, comme celle de Joan Holladay sur le codex Willehalm de la bibliothèque de Kassel86 et plus récemment celle entreprise par Mark Cruse sur le Roman d’Alexandre d’Oxford, Bodleian Library 26487, ou celles réunies par Elizabeth Willingham sur le Lancelot, la Queste et la Mort Artu de New Haven, Beinecke Library, Yale 22988 et par Mireille Chazan et Nancy Freeman Regalado sur le manuscrit du Tournoi de Chauvency, Oxford, Bodleian Library 30889. Les manuscrits du Merlin et de ses suites offrent un vaste champ pour une investigation littéraire et iconographique. Les continuations du Merlin, trace de différentes tentatives pour poursuivre le texte en l’intégrant ou non 80

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Drobinsky, Julia. « Peindre, pourtraire, escrire », le rapport entre le texte et l’image dans les manuscrits enluminés de Guillaume de Machaut (XIVe-XVe s.). Thèse : Paris IV, dir. Jacqueline Cerquiglini, 2004. Pérez-Simon, Maud. Mise en roman et mise en image : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose, 2008. Tether, Leah. The Continuations of Chrétien’s Perceval : Content and Construction, Extension and Ending. Cambridge : Brewer, 2012. Hinton, Thomas. The Conte du Graal Cycle : Chrétien de Troyes’ Perceval, the Continuations, and French Arthurian Romance. Cambridge : Brewer, 2012. Busby, Keith. Codex and Context, 2002. Voir aussi les articles réunis dans Word and Image in Arthurian Literature. Dir. Keith Busby, New York : Garland, 1996. Hedeman, Ann. The Royal Image : Illustrations of the Grandes Chroniques de France, 12741422. Berkeley : University of California Press, 1991. Holladay, Joan A. Illuminating the Epic : the Kassel Willehalm Codex and the Landgraves of Hesse in the Early Fourteenth Century. Seattle ; London : University of Washington Press, 1996. Cruse, Mark. Illuminating the Roman d’Alexandre : Oxford, Bodleian Library, MS Bodley 264 : the Manuscript as Monument. Cambridge : Brewer, 2011. Essays on the Lancelot of Yale 229. Dir. Elizabeth M. Willingham. Turnhout : Brepols, 2007. La Queste del Saint Graal, The Quest of the Holy Grail from the Old French Lancelot of Yale 229, with Essays, Glossaries, and Notes to the Text. Dir. Elizabeth Moore Willingham. Turnhout : Brepols, 2012. La Mort le Roi Artu. The Death of Arthur from the Old French « Lancelot » of Yale 229 with Essays, Glossaries and Notes to the Text. Ed. Elizabeth Moore Willingham, Turnhout : Brepols, 2007. Lettres, musique et société en Lorraine médiévale : autour du Tournoi de Chauvency : Ms. Oxford Bodleian Douce 308. Ed. Mireille Chazan et Nancy Freeman Regalado. Genève : Droz, 2012.



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à un ensemble plus large, sont plurielles et nettement distinctes au sein de la tradition manuscrite. Le nombre limité des manuscrits intégrant le Perceval, le Livre d’Artus ou la Suite Post-Vulgate contraste avec l’ampleur de la diffusion de la version commune. L’illustration, qui concerne en grande majorité les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate, expose un traitement relativement différencié du texte original et de sa continuation. Si la représentation de la Descente du Christ aux enfers fait écho aux fondements bibliques de l’Estoire, l’illustration de la Suite Vulgate est davantage tournée vers les événements politiques et militaires du règne d’Arthur. La nature des compilations manuscrites où ils sont copiés détermine la réception de leurs programmes iconographiques et permet d’en dégager la spécificité. Les miniatures du corpus choisi forment un ensemble riche et abondant, et révèlent différentes pratiques d’illustrations : la répétition de scènes stéréotypées contraste avec l’effort pour articuler plus précisément l’image au texte auquel elle se rapporte. L’effet de coupure visuelle et de structuration du texte ou le retour de motifs attendus importe parfois davantage que la représentation spécifique des événements narrés. L’étude conjointe du texte et des images permettra d’envisager la constitution iconographique d’une Estoire de Merlin. Dans une première partie, nous dressons un panorama de la mise en page et de l'illustration frontispice du Merlin et des textes qui l'accompagnent dans leur transmission manuscrite. L’étude de l’entourage textuel du Merlin fait ressortir les différentes configurations manuscrites à travers lesquelles ce texte est transmis. La mise en page et l’illustration du début du Merlin exposent le commencement d’une œuvre qui s’inscrit en relation avec l’histoire biblique et dans la continuité de l’Estoire del Saint Graal, ou se concentre sur la préhistoire et les enfances d’un nouveau personnage, Merlin. La délimitation de la fin du Merlin propre et du début de la Suite Vulgate est problématique, sur le plan textuel et sur le plan visuel, ce dont tirent parti les manuscrits de la version courte qui tendent à présenter l’ensemble comme une œuvre unique. Nous reviendrons sur l’organisation et l’illustration des différents recueils enluminés dans lesquels s’insèrent le Merlin et sa suite pour souligner les jeux d’échos et de correspondances qui s’établissent non seulement dans les compilations arthuriennes, mais aussi dans les ouvrages présentant des œuvres relevant d’autres genres et d’autres formes littéraires. La transmission manuscrite du Merlin et de ses suites nous renseigne sur la place de ces textes au sein de différentes traditions textuelles et iconographiques, offrant un aperçu sur le mode de copie, de circulation et de réception de ces œuvres tout au long de la période médiévale. Nous étudions dans un deuxième temps les variations textuelles et paratextuelles qui témoignent des mouvances de la tradition manuscrite du Merlin et de la Suite Vulgate. La comparaison des versions α et β du Merlin

24 Introduction

propre et de sa suite met en évidence leur orientation cyclique. L’étude porte ensuite sur la question des rubriques et tituli et leur fonctionnement au sein de manuscrits intégrant le Merlin, accompagné ou non de sa suite. Différentes pratiques coexistent ainsi au sein d’une même compilation, soulignant la complexité de la mise en recueil de textes distincts. Entre l’image et le texte, les rubriques assument différents rôles : glosant et expliquant la miniature qu’elles accompagnent, elles se contentent parfois de souligner la transition textuelle que constitue la formule d’entrelacement. Rédigés de façon concise et formulaire ou faisant l’objet d’un développement à la fois descriptif et narratif, rubriques et tituli interviennent en nombres très variables. BL, Harley 6340 offre l’exemple extrême d’une prolifération des titres de chapitres dont le développement suit scrupuleusement la trame narrative. De même que d’autres éléments paratextuels comme les titres courants et les explicits, les rubriques situées aux charnières des textes et notamment à la fin de la Suite Vulgate nous renseignent sur la désignation des œuvres recueillies dans un manuscrit donné et sur la conception de leur articulation. Notre troisième partie est consacrée à l’étude de la constitution iconographique d’une Estoire de Merlin englobant le Merlin propre et la Suite Vulgate. Le modèle biographique détermine en partie l’écriture du Merlin et de sa continuation, à travers les mises en scène renouvelées du personnage de Merlin. Il est convoqué de façon paradoxale dans la mesure où l’unité de l’œuvre se construit à travers la diversité des représentations du personnage, en relation avec la nature ambiguë et la multiplicité des apparences que revêt l’enchanteur. Le Merlin et sa continuation mettent en scène l’intervention de Merlin dans l’histoire des rois de Bretagne et prennent à l’occasion une tonalité historique voire épique. De façon corollaire, la représentation des femmes dans l’Estoire de Merlin montre la place marginale qu’y tiennent les valeurs romanesques et courtoises qui font cependant une percée à la fin de la continuation.

Chapitre 1 : M  ise en page et illustration, l’articulation du Merlin et de la Suite Vulgate dans leur contexte manuscrit Introduction Tableau 1 : Les manuscrits du Merlin et de ses suites90: aperçu chronologique e XIII  s.   XIV e s.   XV  e s.   Total

Manuscrits du Merlin seul Manuscrits du Merlin + Suites91 Total

5    8    2   15 13   10   13   36 18   18   15   51

Mis à part les fragments92, nous avons conservé cinquante et un manuscrits du Merlin dont trente six (soit plus de 70 %) comprennent la Suite Vulgate ou, dans deux cas uniquement, la Suite Post Vulgate (Cambridge, UL, Add. 7071 et BL, Add. 38117). Dans les manuscrits, la Suite Vulgate n’est jamais totalement indépendante : elle se trouve systématiquement à la suite du Merlin propre, sauf dans un ouvrage où elle précède une autre suite, le Livre d’Artus (BNF, fr. 337). La Suite Vulgate sert donc bien à compléter le Merlin et elle joue par rapport à lui un rôle second. Le nombre des manuscrits qui la véhiculent montre pourtant que cette continuation devient une adjonction attendue et presque systématique par rapport au Merlin propre. La proportion de manuscrits comprenant uniquement le Merlin est plus importante au XIVe siècle qu’au XIIIe siècle, même s’ils demeurent minoritaires. Elle diminue à nouveau au XVe siècle, peut‑être à cause de la préférence donnée aux compilations cycliques à cette période. Les manuscrits comprenant le Merlin et sa suite sont majoritaires tout au long du Moyen Âge. Cette situation montre l’importance des continuations du Merlin, et en particulier de la Suite Vulgate, dans la transmission manuscrite du texte. La majorité des manuscrits qui transmettent le Merlin et ses suites se caractérisent par une relative homogénéité. Dès le début d e sa tradition manuscrite, le roman est associé à des textes qui entretiennent avec lui des liens spécifiques, qu’il s’agisse du Joseph ou des Prophéties. La mise en cycle, en dépit des différentes formes qu’elle a pu prendre, de la trilogie du pseudo‑Robert de Boron à la constitution du cycle du Graal, explique en grande partie cette situation.

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J’exclus ici BNF, fr. 337 qui ne comprend pas le Merlin mais contient une partie de la Suite Vulgate et le Livre d’Artus. La Suite Post Vulgate est présente uniquement dans Cambridge, Add. 7071 (où elle est placée après un extrait de la Suite Vulgate) et BL, Add. 38117. Voir la liste des manuscrits et des fragments du Merlin et de la Suite Vulgate dans l’Annexe 2 et la Bibliographie.

26 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Il est donc rare de trouver le Merlin, accompagné ou non de sa Suite Vulgate, sans le Joseph ou l’Estoire93. Le Joseph continue à être copié au XIVe siècle, en association avec l’Estoire, malgré la disparition de la trilogie de Robert de Boron. Dès le début du XIIIe siècle apparaissent des manuscrits compilant plusieurs textes du cycle du Graal, comme Rennes, BM, 255 (1220). BNF, fr. 747‑751, datant de 1230‑1250, comprend le Merlin, la Suite Vulgate et le Lancelot tandis que BNF, fr. 337, réalisé vers 1330‑1340, ne comporte pas le Merlin propre mais intègre une partie de la Suite Vulgate ainsi que le Livre d’Artus. La transmission de ces textes se poursuit au XIVe siècle mais le XVe siècle est l’âge d’or des manuscrits qui transmettent le cycle du Graal dans sa totalité, quoique l’association restreinte du Merlin ou de l’Estoire ou d’une sélection de romans du cycle soit numériquement plus importante depuis le début de leur circulation. Quand le Merlin et sa suite sont associés à des œuvres différentes, il ne s’agit pas en général de textes arthuriens en vers ou d’autres romans en prose. Un premier groupe comprend des compilations d’orientation historico‑épique, comme Vatican, Reg., 1517 (Garin de Monglane et Merlin), BNF, fr.  770 (Estoire del Saint Graal interpolée du Joseph d’Arimathie, Merlin, Suite Vulgate, Chronique d’Outre Mer d’Ernoul et de Bernard le Trésorier interpolée de la Fille du comte de Ponthieu et de l’Ordene de chevalerie) ou l’Ex‑duc de Newcastle, 937 (Estoire del Saint Graal, Merlin, Suite Vulgate et Vie de du Guesclin). Un second ensemble concerne les recueils intégrant des pièces versifiées à caractère didactique et religieux comme Berkeley, Bancroft, 106 (Vie des pères, Vie de Théophile de Gautier de Coincy, Conte dou Baril, Neuf joies de Notre Dame, Passion de Jésus Christ, Vie de sainte Catherine, Estoire del Saint Graal, Merlin et Suite Vulgate) ou Cologny, Bodmer, 147 (Estoire del Saint Graal interpolée d’extraits des quatre Evangiles, du Joseph, du livre de la Genèse, d’un commentaire sur le Credo, des Commentaires de Maurice de Sully sur le Pater et le Credo, du Traité de confession ou Miroir du monde, et du traité d’Innocent III, Misère de la condition humaine, Merlin interpolé d’une Histoire de Troie, Suite Vulgate interpolée des Faits des Romains, du livre de Judith, des Maccabées et de trois sermons de Maurice de Sully, Queste del Saint Graal, et Mort Artu)94. Du point de vue géographique, la majorité des manuscrits du Merlin (un peu moins d’une trentaine) ont été produits au nord de Paris, en Normandie, en Picardie, en Champagne, dans l’Artois, les Flandres et le Hainaut (en particulier dans les diocèses de Metz, Thérouanne, Gand, Saint Omer, Tournai...). 93

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C’est le cas de Paris, Arsenal, 3482 (qui comprend tout le cycle du Graal à l’exception de l’Estoire), de Vatican, Reg., 1517 et de Venise, Marciana, App. Cod. XXIX (où le Merlin ­propre est accompagné d’autres textes), et de trois manuscrits du XVe siècle comprenant uniquement le Merlin et sa Suite Vulgate : Londres, BL, Harley 6340, BNF, fr. 332 et St. Petersbourg, BNR, fr. F. pap. XV. 3. Vielliard, Françoise. Manuscrits français du Moyen Âge. Cologny‑Genève  : Fondation Martin Bodmer, 1975, p. 46‑60.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 27

Les manuscrits datant du XIIIe siècle constituent une bonne moitié de ces manuscrits du Nord. Les manuscrits produits à Paris, qui ne sont pourtant qu’une dizaine environ, forment le deuxième groupe le plus représenté, puis l’on peut distinguer quelques exemplaires provenant du Centre. Des XIIIe et XIVe siècles, on garde un petit nombre de manuscrits copiés en Italie ou en Angleterre. L’Italie joue en effet un rôle déterminant dans la transmission commune du Joseph, du Merlin et des Prophéties. Aux XVe et XVIe siècles, tous les manuscrits de Merlin écrits en ancien français sont produits dans des régions francophones : c’est à cette période qu’émergent des traductions de ce texte dans d’autres langues vernaculaires. Tableau 2  : Les manuscrits enluminés du Merlin et de ses suites95: aperçu chronologique XIIIe s. ≤ 2 illustrations dans le Merlin et les suites

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XIVe s.

XVe s.

Total

3

4

11

> 2 illustrations dans le Merlin et les suites

11

9

3

23

Total

15

12

7

34

Cinquante deux manuscrits comprennent le Merlin, avec ou sans suite, et trente quatre sont enluminés. La part des ouvrages illustrés est donc considérable et fournit une matière importante pour l’étude des relations entre texte et image. Certes, le nombre de miniatures concernées est parfois réduit, la qualité des illustrations inégale, et les ambitions initiales n’ont pas toujours été réalisées. L’image n’est produite que dans un second temps, après la copie du texte, elle implique l’intervention d’un artiste, la plupart du temps distinct du scribe, ainsi que l’utilisation de matières coûteuses (des métaux, comme l’or ou l’argent, et des pigments comme le lapis‑lazuli), elle nécessite donc des ressources supplémentaires. Dans certains manuscrits, les illustrations demeurent inachevées, à cause du décès d’un commanditaire (comme dans BNF, fr. 91, dont l'inachèvement résulte sans doute de la mort de Jean-Louis de Savoie en 148296), et / ou de l’épuisement des fonds prévus pour la décoration de l’ouvrage et pour des raisons qu’on ne peut pas toujours expliquer. Dans Florence, Marucelliana, B VI 24, un cycle iconographique était prévu mais n’a pas été exécuté : les espaces réservés pour les lettrines et initiales sans doute historiées restent blancs, à l’exception du folio initial où a été introduite une lettre émanchée. Dans Chantilly, Condé, 643, où devaient figurer des miniatures et des

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Dans la mesure du possible, on tient compte des miniatures prévues mais non réalisées et des miniatures dont on garde la trace même si elles on pu être arrachées ou détruites au cours de l’histoire. Le manuscrit enluminé actuellement détenu dans la collection privée Lebaudy n’est pas compté à cause du manque d’informations concernant ses illustrations. Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520. Paris : Bibliothèque nationale, Flammarion, 1993, p. 163.

28 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

initiales ornées, seul le recto du folio initial comprend des esquisses de décoration marginale et des initiales effectivement réalisées. L’histoire de ces ouvrages reste souvent trop partiellement connue pour expliquer l’incomplétude de l’illustration, l’écart entre un projet originel et son absence d’exécution. La plupart des miniatures des ouvrages romanesques fonctionnent comme illustrations de l’œuvre à laquelle elles se rapportent. Il ne s’agit pas d’une relation systématique et servile, mais d’une entreprise de translation d’une forme artistique à une autre, ce qui implique un travail de sélection, de déplacement, d’interprétation97. Certains ouvrages comportent des décorations élaborées, y compris des initiales historiées, qui ne constituent pas de véritables illustrations du texte mais traitent d’autres sujets sans lien direct avec l’intrigue des œuvres dans lesquelles elles s’insèrent. Elles remplissent alors une fonction principalement structurante et esthétique, même si, comme les drôleries marginales, elles peuvent entrer en résonnance avec le texte d’une autre façon. Dans les illustrations frontispices représentant le commanditaire ou le dédicataire de l'ouvrage, les miniatures renvoient aux conditions de production du manuscrit plus qu’à son contenu. Sept des quinze manuscrits qui comprennent le Merlin sans suite sont enluminés, mais ce constat est à nuancer car dans quatre d’entre eux (Paris, Ars., 2997, Ex‑Amsterdam, BPH, 1, Florence, Riccardiana, 2759 et Paris, BNF, fr. 113) il s’agit uniquement d’une miniature initiale, alors que d’autres textes des mêmes recueils sont plus abondamment illustrés (c’est le cas de l’Estoire et du Lancelot dans Rennes, BM, 255 et Ex‑Amsterdam, BPH, 1‑Oxford, Bodleian, Douce 215‑Manchester, Rylands, Fr. 1 et de tous les romans du cycle du Graal dans Paris, BNF, fr. 113‑116). Dans le manuscrit de Venise, Marciana, Fr. App. XXIX (243), le Merlin ne fait l’objet d’aucune miniature alors que les Prophéties, copiées à la suite, comportent une miniature ainsi que de nombreuses initiales historiées. L’illustration du Merlin propre varie selon les manuscrits et en fonction de chaque texte qu’ils comportent. Dans Modène, Estense, E. 39 et Paris, BNF, fr. 748, le Merlin propre, avec une dizaine d’initiales historiées, fait l’objet d’une illustration relativement développée, à l’instar des autres textes de ces compilations. Enfin si la production de manuscrits non enluminés s’étend du XIIIe au XVe siècle, ces deux témoins où le Merlin fait l’objet d’un véritable programme illustratif sont relativement précoces, ils datent en effet de la première moitié du XIIIe siècle. Le Merlin sans suite continue à être copié au XIVe siècle et dans une moindre mesure jusqu’au XVe siècle, mais c’est dans les manuscrits où il est associé à la Suite Vulgate qu’il est le plus enluminé.

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Voir le travail de Maud Perez‑Simon, Mise en roman et mise en image  : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose. 2008.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 29

Parmi les manuscrits enluminés qui transmettent à la fois le Merlin et la Suite Vulgate, certains ne présentent qu’une seule miniature ou initiale historiée en début de roman (comme BNF, fr. 747 ou Darmstadt, ULB, 2534), alors que d’autres comprennent des centaines d’images. Le Merlin et sa Suite Vulgate sont ainsi l’objet de 119 illustrations dans BNF, fr. 770, 120 dans Bonn, ULB, 526 et BNF, fr. 95, 128 dans BNF, fr. 9123, 129 dans Oxford, Bodl., Douce 178, 158 dans New Haven, Beinecke, 227, et 176 dans BL, Add. 10292. C’est entre la deuxième moitié du XIIIe siècle et le milieu du XIVe siècle que sont produits les volumes les plus abondamment enluminés du Merlin et de sa suite, sans doute en relation avec la professionnalisation du marché du livre et le développement urbain d’ateliers laïcs de production de manuscrits98, notamment en langue vernaculaire. La proportion de folios enluminés varie considérablement entre différents manuscrits : la moyenne générale est de 31 images pour 100 folios, soit une illustration d’environ un tiers des folios. Les deux tiers des manuscrits comprennent entre 20 et 45 images pour 100 folios, les plus enluminés étant BNF, fr. 9123, New Haven, Beinecke, 227 et BNF, fr. 344, avec en moyenne 6 miniatures pour 10 folios, Bonn, ULB, 526 avec 7 miniatures pour 10 folios, et BL, Add. 10292 avec plus d’une miniature par folio. Dans le manuscrit Huth, Londres, BL, Add. 38117, la proportion de miniatures pour le Joseph, le Merlin et la Suite du Merlin est très homogène, avec respectivement 6, 19 et 46 miniatures, ce qui correspond à environ 30 images pour 100 folios. L’illustration respective du Merlin et de sa Suite Vulgate n’est pas toujours traitée de façon équilibrée. Dans les manuscrits qui ne consacrent que quelques images à ces deux textes, tantôt la suite est aussi peu mise en valeur, voire moins enluminée que le Merlin, tantôt leur illustration relative est assez similaire : on trouve cette configuration dans BNF, fr. 110, dans l’Ex‑Newcastle, 937, New York, Pierpont Morgan, 207‑208 et BNF, fr. 96, ou entre le Merlin et la Suite Post‑Vulgate dans BL, Add. 38117. Ailleurs, et c’est la configuration la plus répandue tout au long de la période de leur production manuscrite, l’abondante illustration de la suite contraste avec le traitement illustratif réduit du Merlin, comme dans Oxford, Bodl., Douce 178, BNF, fr. 19162, 24394, 770, 95, 344, 749, 105, 9123 et 91, Bonn, ULB, 526, Tours, BM, 951 et Cologny, Bodmer, 147. Dans New Haven, Beinecke, 227, la Suite Vulgate comprend ainsi une miniature par folio alors que dans le Joseph, l’Estoire et le Merlin propre, la proportion varie entre 10 et 20 images pour 100 folios. On s’intéressa dans cette partie à la relation iconographique qui s’établit entre le Merlin et la Suite Vulgate  : si le texte et sa continuation ont été rédigés avec un certain écart temporel, leur copie manuscrite et leur

98

Avril, François. « A quand remontent les premiers ateliers d’enlumineurs laïcs à Paris? », Dossiers de l’Archéologie, 16, 1976, p. 36‑44.

30 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

illustration au sein d’un même ouvrage, effectuées de façon quasi simultanée, contribuent‑elles à lisser cette différence? Renforcent‑elles la cohésion de l’ensemble ainsi formé? L’illustration du Merlin et de sa suite n’est guère homogène : plusieurs éléments témoignent d’une différence de trainement iconographique entre les deux textes. Souvent, le début de la Suite Vulgate n’est pas mis en valeur au même titre que le début du Merlin propre, ce qui renforce l’unité de l’ensemble ainsi créé. Pourtant, le programme illustratif de la continuation est généralement plus fourni que celui du texte source, ce qui est peut‑être à mettre en relation avec leur date respective de composition, quand bien même ils sont ensuite copiés et enluminés conjointement.

1. La mise en page du début du Merlin et de la Suite Vulgate L’étude de la présentation des manuscrits du Merlin est importante car la mise en page peut donner des indices sur les relations entre les œuvres et sur les rapports de hiérarchie qui peuvent s’établir entre elles. Les différents textes d’un même recueil manuscrit ne sont pas toujours bien distingués dans leur présentation, ce qui amène à repenser les liens qui unissent les œuvres réunies dans une compilation. Pour des raisons de clarté et du fait de notre compréhension de l’histoire des textes et de leur composition, nous établissons une nette distinction entre le Merlin propre et ses continuations. Pourtant la transmission manuscrite gomme parfois tout effet de seuil au commencement de la suite, ce qui favorise l’appréhension du Merlin et de sa Suite Vulgate comme un ensemble romanesque unique et cohérent.

1.1. Le début du Merlin Le Merlin se trouve rarement en tout début de manuscrit : il est la plupart du temps précédé du Joseph ou de l’Estoire, même si dans de rares situations, il suit d’autres textes, comme Garin de Monglane dans Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini, 1517. Ce que nous appelons les manuscrits non illustrés peuvent être enluminés dans la mesure où ils sont ornés d’éléments décoratifs et de représentations imagées comme des scènes marginales, des bordures, des initiales peintes ou calligraphiées, mais ils ne comportent pas de représentations d’objets, de personnages ou de scènes en rapport avec le texte, du type des miniatures ou initiales historiées. Ils mettent parfois en valeur le début du ou des textes qu’ils comportent, mais contrairement aux manuscrits illustrés, ils ne véhiculent pas d’images spécifiquement liées au texte qu’elles accompagnent. L’image garde un rôle d’ornementation, elle structure le texte et sa mise en page. Les manuscrits illustrés se prêtent davantage à une étude du rapport entre texte et image car leur iconographie se comprend par rapport au texte et témoigne de choix



Mise en page et illustration | Chapitre 1 31

de lecture et d’interprétations des œuvres concernées. Dans les manuscrits non illustrés, le commencement du Merlin, rarement placé en tête de recueil, donne souvent lieu à une mise en page spécifique signalant le début d’un des textes de la compilation, mais elle ne fait pas l’objet d’une décoration équivalente à celle du texte liminaire. Le Merlin est généralement placé à la suite du Joseph ou de l’Estoire, mais dans ces recueils, l’effet de seuil est parfois gommé, ce qui contribue à intégrer l’histoire de Joseph d’Arimathie et du transfert du Graal d’Orient en Grande-Bretagne avec le récit des origines de Merlin et de la succession des rois Bretons, au cours de la période qui va de Constant à Arthur. La présence d’autres textes avant le Merlin fait figure d’exception.

a.  Rubriques et titres liminaires Les rubriques et tituli marquant le début du Merlin participent, avec d’autres éléments de la mise en page, à créer un effet de seuil et orientent la lecture du texte qui suit99. Les rubriques sont plus spécifiquement en relation avec une image liminaire dont elles décrivent et expliquent le contenu, mais l’annonce de l’intrigue est aussi relayée dans certains titres de chapitres ou tituli. Les énoncés les plus brefs mentionnent le titre de l’ouvrage qui porte le nom du personnage principal. Dans le manuscrit Bonn, ULB, 526 f. 60, « Ici commence de Merlin », l’emploi du « de » latin annonce le sujet de l’œuvre. On trouve une expression similaire dans Chantilly, Musée Condé, 643 f. 137v : « C’est icy le commencement de Merlin ». D’autres formulations précisent cette référence, comme New Haven, Beinecke, 227 f. 141, qui indique « Si commence la vie Merlin », présentant la biographie du personnage comme le sujet de l’ouvrage et créant un effet d’écho avec la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth, même s’il en propose une version très différente. La rubrique est donc détachée des illustrations de la Descente aux enfers et du procès de la mère de Merlin. Sa deuxième partie, « Aprés comment le roy Artus fu nes », témoigne d’une distance encore plus grande par rapport au début de la narration, puisqu’elle se rapporte à des événements qui interviennent à la fin du Merlin. La naissance d’Arthur est donc située dans la continuité de la vie de Merlin, ce qui annonce le glissement qui s’opère du Merlin à la Suite Vulgate : l’intérêt se déplace de la figure de l’enfant sans père aux premiers faits d’Arthur. Dans la majorité des cas, le Merlin est présenté comme un récit : il s’intègre dans un ensemble plus large et constitue une « branche » du cycle du Graal dans l’ex-Amsterdam, BPH, 1, I, f. 118v où cette mention, placée à la fin de l’Estoire, sert davantage de titre que de rubrique par rapport à une

99

Voir Tableau 3 : Rubriques et tituli au début du Merlin, p. 35.

32 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

miniature qui représente la Descente aux enfers et le conseil des démons. BNF, fr. 9123 f. 96 désigne le Merlin comme une œuvre en langue vernaculaire, un « roman », tandis que BNF, fr. 332 f. 1 et fr. 91 f. 1 évoquent une « (mémorable) histoire », un ensemble narratif cohérent pouvant prétendre à une dimension historique. Ces mentions paratextuelles témoignent de points de vue différents sur le Merlin, sa matière et son ancrage linguistique ou générique, sans pour autant l’enfermer dans une catégorie spécifique. Certaines rubriques coïncident exactement avec le sujet des images qu’elles accompagnent. C’est le cas dans Paris, BNF, fr. 110 f. 45v (Figure 6), qui commence par une miniature consacrée à la Descente du Christ aux enfers, dont la rubrique précise l’identité des personnages et explique la scène dépeinte. La référence à la destruction des portes d’enfer peut être considérée comme une allusion au type iconographique du Descensus puisqu’elle n’est pas mentionnée dans le texte. Dans BNF, fr. 749 f. 123 (Planche IV), cinq propositions introduites par « ensi com » ou « ensi que » et « comment », situées au dessous de chacun des cinq compartiments de la miniature frontispice, en décrivent le contenu, de la Descente aux enfers au complot démoniaque et de la conception de Merlin au procès de sa mère. Il en est de même pour la rubrique initiale de BL, Add. 10292 f. 76 (Figure 16), constituée de deux propositions qui correspondent à la bipartition de la miniature liminaire. L’entrée dans le Merlin passe alors par la double médiation de l’image et de la rubrique. D’autres rubriques synthétisent l’objet de l’image qu’elles accompagnent  : celle de fr.  9123 f. 96 (Planche V) explique les circonstances de la conception surnaturelle de Merlin qui est à l’origine de ses pouvoirs merveilleux. La représentation visuelle de la connaissance des «  choses faites dites et avenues  » ne peut que prendre la forme d’exemples particuliers. Cette rubrique constitue un énoncé relativement abstrait qui ne cherche pas à expliquer de façon systématique les différentes composantes de la miniature frontispice. Elle peut donner une perspective différente de l’image, insistant sur les sentiments des personnages et les relations logiques entre des événements successifs, alors que l’illustration privilégie généralement la représentation d’actions, laissant au spectateur le soin de recréer la logique de leur enchaînement. Le premier titulus de Paris, BNF, Naf. 4166 (Didot) présente ainsi la colère des démons comme la conséquence de la libération des enfers : Ci parole li contes coment deables furent corrociez por ce que Jhesu Crist remist ses amis poines d’enfer (BNF, Naf. 4166 f. 19v).

La référence est alors plus textuelle que visuelle, puisqu’il s’agit d’une variation sur la première phrase du Merlin :



Mise en page et illustration | Chapitre 1 33

Moult fust corrociez anemis quant Nostre Sires ot esté en enfer et il en ot getez Adan et Eve et des autres tant come li plost (BNF, Naf. 4166 f. 19v).

D’autres rubriques adoptent un point de vue plus surplombant et évoquent des aspects de l’intrigue qui dépassent largement le cadre de l’illustration. Alors que la miniature frontispice du Merlin dans BNF, fr. 117 f. 50v (Figure 11) se concentre sur la Descente aux enfers, la rubrique évoque à la fois la conception de Merlin, identifié comme « Merlin le Prophète », et la création de la Table Ronde. Cette dernière mention est originale et dans un manuscrit qui comprend l’intégralité du cycle du Graal, elle peut renvoyer à l’intérêt spécifique du commanditaire, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, pour l’exaltation d’une chevalerie idéalisée et spiritualisée100. Dans fr. 113, réalisé pour Jacques d’Armagnac en partie sur le modèle de fr. 117101, le sujet de la miniature reste le même, mais la rubrique est nettement amplifiée (f. 116v, Planche I) : elle dramatise la Descente aux enfers tout en insistant sur la fureur des démons. L’introduction des figures d’Uterpandragon et Arthur inscrit l’Angleterre contemporaine dans la continuité politique et dynastique de la Grande-Bretagne arthurienne, même si la Suite Vulgate est absente de ce manuscrit. Enfin la rubrique précise la place du Merlin dans l’organisation interne d’une compilation centrée sur le personnage de Lancelot. La mention de la Table Ronde apparaît aussi dans un autre manuscrit du XVe siècle: Ci commence la memorable hystoire de Merlin en laquelle est contenues plusieurs notables faiz d’armes. Et par especial de la Table Tonde (BNF, fr. 332 f. 1).

On peut lire dans les « plusieurs notables faiz d’armes », une référence à la continuation, dont le caractère épique est particulièrement développé, et qui est copiée à la suite du Merlin dans ce manuscrit. Dans la Suite Vulgate, les nouveaux Chevaliers de la Reine s’opposent pourtant à ceux de la Table Ronde. Dans fr.  91, la rubrique se concentre sur le projet diabolique de conception d’un antéchrist, délaissant des péripéties de l’intrigue comme les malheurs s’abattant sur la famille de Merlin l’Ancien qui sont pourtant représentés dans la miniature frontispice.

100

101

Voir Blondeau, Chrystèle. L’iconographie du roman de Lancelot du Lac dans le manuscrit français 117-120 de la BNF. Maîtrise : Paris X, Nanterre, 1996. Blackman, Susan Amato. The Manuscripts and Patronage of Jacques d’Armagnac Duke of Nemours, 1433-77. Thèse : University of Pittsburgh, dir. Alison Stones, 1993 ; Blondeau, Chrystèle. « Du plaisir des sens à la passion du sens : l’illustration d’un cycle du LancelotGraal et ses remaniements », L’artiste et le commanditaire. Ed. Fabienne Joubert, Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2001, p. 99-114 et Fabry, Irène. « Le livre de messire Lancelot du Lac : présentation matérielle et composition des manuscrits arthuriens de Jacques d’Armagnac (BNF, fr. 117-120 et 113-116) ». Actes du 22e congrès de la Société Internationale Arthurienne, Rennes, 15-20 Juillet 2008. http://www.uhb.fr/alc/ias/actes/pdf/fabry.pdf (01/08/2013).

34 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Cy commence l’istoire de Merlin, et comment par le conseil que tous les diables quy sont en enfer tindrent avesques leur dampné maistre Lucifer, il fut engendré dedans le corps de une fille vierge (fr. 91 f. 1).

Le titulus de Chantilly, Condé, 643 se concentre également sur le complot diabolique, dans la perspective d’une infiltration insidieuse de l’espèce humaine : C’est icy le commencement de Merlin. Et commence comment les ennemis d’enfer s’assemblerent ensemble pour prendre comment ilz feroient ung homme qui feust au siecle pour les gens decevoir (Chantilly, Condé, 643 f. 137v).

Paris, Arsenal, 3350 et New York, Pierpont Morgan, Library, 38 f. 41, qui présentent tous deux la même version abrégée du texte, se focalisent sur la conception de Merlin et les prodiges réalisés par l’enfant, notamment lors du procès de sa mère. Comment Merlin fut engendré et né et des merveilles qu’il fit. Et dit a son commencement comment il delivra sa mere de mort (Arsenal, 3350 f. 22v).

L’intervention diabolique est donc plus ou moins accentuée dans les rubriques et tituli qui se focalisent sur la Descente aux enfers ou sur la figure prodigieuse de Merlin. Certains tituli ont clairement une dimension narrative : en l’absence de toute référence visuelle, ils n’annoncent pas uniquement le début du texte mais anticipent les événements marquants du récit. Celui de BNF, fr. 1469 se modèle sur les formules d’entrelacement, puisqu’il clôt le texte précédent avant d’introduire le Merlin : Le conte precedent a dit comment Jhesu Crist rachata son peuple des peines d’enfer. Aprés cy verrez et orrez comment les dyables en furent courrociez et comment ilz pristrent conseil de fayre ung homme qui les engignast et qui les deceust (BNF, fr. 1469 f. 30).

Le lien apparaît d’autant plus justifié que la perspective du rachat concerne à la fois le Joseph et le début du Merlin, qui s’ouvre sur le motif de la Descente aux enfers. À la référence au « conte » succède une annonce qui par le biais du démonstratif et l’utilisation de la quatrième personne (« Aprés cy verrez et orrez... ») implique la figure du lecteur / auditeur tout en reprenant le thème de la colère des diables et de leur complot. De même que les images frontispices, rubriques et tituli liminaires engagent donc la réception et l’interprétation du Merlin par la façon dont elles caractérisent l’œuvre et la situent dans un ensemble textuel, linguistique ou générique donné. Elles anticipent le développement narratif, dans une perspective plus ou moins large, celle de l’histoire sainte et de son appropriation fictionnelle, de la Descente aux enfers au conseil des démons ; celle de la conception du fils du diable et des enfances de Merlin, ou celle de l’histoire du Graal et de la chevalerie arthurienne, à travers la création de la Table Ronde.

BNF, fr. 749

BNF, Naf. 4166

Ex-Amsterdam, BPH, 1, II

BL, Add. 10292

BNF, fr. 9123

New Haven, 1357 Yale University, Beinecke Library, 227

3.

4.

5.

6.

7.

8.

1325’

1316

1315’

1301

1300’

1295’

BNF, fr. 110

2.

Date

1286

Bonn, ULB, 526

1.

Cote

141

96

76

1

19v

123

45v

60

Folio

-Descente du Christ aux enfers -Jugement de la mère de Merlin

-Conseil des démons -Diable et femme de Merlin l’Ancien -Conception de Merlin -Naissance de Merlin -Jugement de la mère de Merlin -Mère de Merlin conduite au bûcher -Merlin et le juge

-Descente du Christ aux enfers -Conseil des démons

-Descente du Christ aux enfers -Conseil des démons

-Descente du Christ aux enfers -Conseil des démons -Conception de Merlin -Merlin et sa mère dans la tour -Jugement de la mère de Merlin

Descente du Christ aux enfers

Conception de Merlin

Image

Tableau 3 : Rubriques et tituli au début du Merlin 571 571 571

[marge supérieure] Ici commence de Merlin. Ensi com Nostre Sire brisa les portes d’infer et en traist hors Eve et Adam et ses autres amis. Chi commence l’Estoire de Merlin que mesire Robers de Borron translata. [marge inférieure au-dessous de chaque compartiment] -Ensi que Diex vient en infer. -Ensi come li dyable prisent parlement pour engendrer Merlin. -Comment Merlins fu engenrés dou dyable. -Comment Merlins fu nés en le prison et parole a sa mere a la fenestre de la tour. -Comment Merlins rescous sa mere d’ardoir devant les juges.

571

Ensi que Diex brisa infer et li dyable tienent leur parlement.

-Si commence la vie Merlin. -Aprés comment le roy Artus fu nes.

571

Ci commence li rommans de Merlin qui fu conceus de l’Anemi en sa mere en dor- 571 mant et le deçut et pour ce sot Merlins toutes les choses faites dites et avenues. xli

571

[Ex-Amsterdam, BPH, 1, I f. 118v] Chi commenche le branke de Mellin.

Ci parole li contes coment deables furent corrociez por ce que Jhesu Crist remist 571 ses amis poines d’enfer.

Pléiade

Rubrique / Titulus

Mise en page et illustration | Chapitre 1 35

BNF, fr. 117

Ars., 3350

BNF, fr. 332

BNF, fr. 113

BNF, fr. 1469

Pierpont Morgan, 38

BNF, fr. 91

10.

11.

12.

13.

14.

15.

16.

Cote

Chantilly, Condé, 643

9.

Date

1480’

1479

1475’

1475’

1450’

1450’

1406

1400’

Folio

1

41

30

117

1

22v

50v

137v

Pléiade

571

Comment Merlin fu engendré et nes. Et des merveilles qu’il fit et dit a son comancement. Et comment il delivra sa mere de mort. Le .X.e chapitre.

571

Le conte precedent a dit comment Jhesu Crist rachata son peuple des peines d’en- 571 fer. Aprés cy verrez et orrez comment les dyables en furent courrociez et comment ilz pristrent conseil de fayre ung homme qui les engignast et qui les deceust.

[ f. 116v] Comment Notre Sauveur aprés sa benoiste Passion ala espoiller les enfers 571 dont les Ennemis et Princes infernaulx furent moult yrés. Aprés, comment Merlin le grant prophete fut engendré et né. Et comment aprés la mort du roy Uterpandragon, le roy Artus son filz fu cree miraculeusement roy de la Grant Bretaigne qui ores est ditte Engleterre et de ses baillages. Et comment Merlin ordonna la Table Ronde. Et icy commence la seconde branche du premier livre de messires Lancelot du Lac.

Ci commence la memorable hystoire de Merlin en laquelle est contenues plusieurs 571 notables faiz d’armes. Et par especial de la Table Tonde.

Comment Merlin fut engendré et né et des merveilles qu’il fit. Et dit a son commencement comment il delivra sa mere de mort. Xe chappitre.

Comment aprés ce que Dieu eut espoulié les enfers fut conceu Merlin le Prophete 571 qui fist la Table Ronde.

C’est icy le commencement de Merlin. Et commence comment les ennemis d’enfer 571 s’assemblerent ensemble pour prendre comment ilz feroient ung homme qui feust au siecle pour les gens decevoir.

Rubrique / Titulus

-Crucifixion Cy commence l’istoire de Merlin, et comment par le conseil que tous les diables 571 -Troupeaux de Merlin l’Ancien quy sont en enfer tindrent avesques leur dampné maistre Lucifer, il fut engendré -Conseil des démons dedans le corps de une fille vierge. -Diables tuant les bêtes de Merlin l’Ancien -Merlin l’Ancien pleurant la mort de son fils et de sa femme -Blaise et filles de Merlin l’Ancien -Conception de Merlin -Confession de la mère de Merlin

Descente du Christ aux enfers

Descente du Christ aux enfers

Image

36 Chapitre 1 | Mise en page et illustration



Mise en page et illustration | Chapitre 1 37

b.  Le début du Merlin dans les manuscrits illustrés Sur les 53 manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate qui nous sont parvenus, plus de trente manuscrits comportent au moins une miniature, et dans certains cas un programme iconographique très développé102. La présence d’une miniature ou d’une initiale historiée au commencement du Merlin met en valeur le début du texte de façon significative. L’illustration ne joue pas seulement le rôle de marque visuelle à caractère décoratif (comme dans le cas des lettrines ou des initiales champies, fleuries, etc.), mais elle rend compte d’éléments du texte de façon figurée. C’est à ce niveau que peut s’établir une véritable étude des relations entre texte et image. Il faut mettre en perspective le recours à ce type de décoration par rapport à la pratique adoptée dans l’ensemble de chaque recueil. Le format de l’illustration initiale du Merlin peut ou non marquer un seuil spécifique au début d’une œuvre en distinguant sa décoration de celle adoptée dans le reste du manuscrit. Comme pour les ouvrages non enluminés, il est important de prendre en considération la place relative du Merlin dans le manuscrit, s’il s’agit d’une compilation.

La mise en page de l’illustration initiale Il y a différents niveaux de mise en valeur de la miniature initiale du Merlin selon la forme qu’elle adopte et le développement du programme iconographique à l’échelle du manuscrit tout entier. La prise en compte du contexte manuscrit permet de mesurer l’impact de l’illustration liminaire et sa participation ou non à la création d’un véritable effet de seuil.

-L’unique miniature du Merlin Dans environ un tiers des manuscrits illustrés, le Merlin comporte une seule miniature, placée au début du texte, et qui marque donc visuellement son commencement. Cinq des sept manuscrits illustrés comprenant le Merlin sans suite (Rennes, Bibliothèque Municipale, 255 et Paris, Arsenal, 2997 au XIIIe s., Ex-Amsterdam, BPH, 1 et Florence, Biblioteca Riccardiana, 2759 au XIVe s. et Paris, BNF, fr. 113-116 au XVe s.) illustrent ce texte par une seule miniature. Dans ces manuscrits, les autres textes de la compilation sont davantage illustrés. Si l’illustration marque donc le seuil d’un nouveau texte, elle souligne aussi la différence de traitement iconographique qui prévaut entre le Merlin et les textes qui l’accompagnent (notamment l’Estoire et le Lancelot, voire les autres textes du cycle du Graal, la Queste et la Mort Artu). Les deux autres manuscrits, Modène, Biblioteca Estense, E. 39 et BNF, fr. 748, qui datent tous deux de la première moitié du XIIIe siècle, réservent pourtant au Merlin un programme iconographique plus développé. 102

Voir Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate, p. 495.

38 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

La miniature initiale est la seule de l’œuvre et de sa continuation dans plusieurs manuscrits comprenant à la fois le Merlin et la Suite Vulgate. Dans Darmstadt, Universitäts und Landesbibliothek, 2534 (XIIIe s.), le début de la Suite Vulgate n’est pas illustré, tandis que dans Paris, BNF, fr.  747 (XIIIe s.) et Arsenal, 3479-80 (XVe s.), la continuation commence par une miniature. Ce type de configuration est assez rare, car les manuscrits enluminés présentant le Merlin accompagné de sa suite sont en général plus abondamment illustrés que ceux comprenant uniquement le Merlin propre. Berkeley, University Library, 106 (XIIIe s.) est un cas limite car dans cette compilation, le Merlin s’ouvre sur une miniature suivie d’une initiale historiée, les seules illustrations dans le Merlin et la Suite Vulgate, même si les autres textes du recueil sont aussi enluminés. Dans Cologny, Bibliothèque Bodmer, 147 (XIVe s.), une miniature et une initiale historiée frontispices sont les deux seules illustrations du Merlin, alors que l’illustration de la Suite Vulgate y est bien plus développée. Lorsque l’illustration du Merlin se résume à une seule miniature liminaire, elle met en avant l’ouverture d’un nouveau texte, sans que soit élaboré un programme iconographique qui accompagne et mette en images le déroulement narratif de l’œuvre. La comparaison avec le traitement illustratif réservé à la suite permet alors de dégager différentes tendances : soit le début du Merlin est l’unique seuil indiqué par la miniature, soit chaque texte bénéficie de sa propre introduction visuelle. La Suite Vulgate, dont le texte est beaucoup plus long, peut enfin être l’objet d’un développement illustratif élaboré, alors que celui du Merlin propre se réduit à la présence d’une seule miniature.

-La création d’une miniature frontispice Il est nécessaire de relativiser le décompte strict des illustrations et l’effet qu’elles produisent sur le lecteur par la forme qu’elles prennent et la façon dont elles sont agencées. Ainsi l’emploi d’une miniature suivie d’une initiale historiée établit un ensemble de deux enluminures formellement distinctes mais constituant néanmoins un ensemble cohérent. Dans le cas de BL, Add. 38117 f. 18v (Figure 14) (1310’), le Merlin s’ouvre sur une miniature suivie d’une initiale historiée placée en haut de la deuxième colonne d’un folio. Cet agencement réapparaît dans le corps de la Suite du Merlin, mais la taille prise par l’initiale historiée au début du Merlin propre, dans son rapport avec la miniature qui précède, en fait un cas isolé. Il faut en outre tenir compte du statut particulier des miniatures compartimentées qui bien que ­comptabilisées comme un tout proposent une série de plusieurs scènes distinctes et ne tiennent donc pas la même place que les miniatures de sujet et de composition unique.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 39

La décoration frontispice est au sens large celle qui marque de façon importante le début d’un texte103. Au début du Merlin, elle concerne notamment les miniatures que leur placement (souvent en haut de folio), leur taille, leur composition (parfois compartimentée) et la présence d’une bordure distinguent des autres miniatures placées dans le corps du texte. Les images frontispices ont souvent une dimension dédicatoire ou programmatique. Elles constituent parfois des « sommaires biographiques », annonçant les étapes principales de la vie du héros, comme dans les manuscrits du Tristan en prose étudiés par Emmanuèle Baumgartner104. L’emploi de bordures et d’encadrements, tapissés de feuillage (BNF, fr. 96 et 113, XVe s.), ornés de grotesques105, (BNF, fr. 749, XIIIe s. et Arsenal, 3482, XIVe s.) ou de médaillons (BNF, fr. 9123 et 105, XIVe s.) accentue le caractère imposant et l’unité de la page frontispice tout en la distinguant comme telle. La miniature initiale du Merlin, qui s’impose par son format et rivalise avec le texte sur l’espace de la page liminaire, se situe dans tous les cas évoqués (à l’exception de BNF, fr. 749), en haut du recto d’un nouveau folio. Les miniatures frontispices de la largeur de deux colonnes peuvent remplir soit toute la largeur du folio (comme dans Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, L.III.12, XIIIe s., ou BNF, fr. 749, XIVe s.) soit sa plus grande partie quand il s’agit d’un manuscrit écrit sur trois colonnes (comme dans New Haven, Beinecke, 227, XIVe s.). Les trois manuscrits à trois colonnes où la miniature liminaire s’étend sur toute la largeur du folio (BNF, fr. 105 et 9123 et Arsenal, 3482) datent tous de la première moitié du XIVe siècle. Enfin les miniatures frontispices qui remplissent toute la largeur de la page manuscrite, deviennent prédominantes au XVe siècle. Le développement de l’ornementation du folio liminaire de l’œuvre est donc une tendance qui s’accentue au cours du temps, mais tandis qu’au XIVe siècle on privilégie les grandes miniatures compartimentées, au XVe siècle, les subdivisions des images frontispices ont tendance à s’assouplir voire à disparaître. Le choix et la combinaison de différents types d’enluminures peuvent aussi distinguer et mettre en valeur le début du texte. Dans Oxford, Bodleian Library, Douce 178 (XIIIe s.), l’emploi d’une miniature suivie d’une initiale historiée est réservé au début de l’Estoire (f. 1, Figure 50) et à celui du

103

104

105

Muzerelle, Denis. Vocabulaire codicologique : répertoire méthodique des termes français relatifs aux manuscrits. Paris : CEMI, 1985. Baumgartner, Emmanuèle. « Sur quelques constantes et variations de l’image de l’écrivain (XIIe-XIIIe siècle) », Auctor et auctoritas : invention et conformisme dans l’écriture médiévale, actes du colloque de Saint-Quentin en Yvelines. Ed. M. Zimmermann, Paris : École des Chartes, 2001, p. 391-400. Il s’agit de petits personnages ou animaux amusants placés dans le décor comme ornement. Voir Muzerelle, Denis. Vocabulaire codicologique, 1985.

40 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Merlin (f. 149, Figure 13) : dans tout le reste du manuscrit prédominent les initiales historiées. L’utilisation subséquente d’autres niveaux d’enluminure (initiales historiées, ornées ou champies) participe de la création d’un effet frontispice, de même que la présence d’une bordure, de rubriques, et la situation en haut de folio (bien que ce ne soit pas le cas dans BNF, fr. 749, XIIIe s. et BL, Add. 10292, XIVe s.). La plupart du temps, l’emploi d’une miniature compartimentée est réservé au début du texte, mais l’effet de seuil peut être marqué par d’autres éléments de disposition et de décoration, même dans des manuscrits du Merlin qui s’ouvrent sur une miniature simple (BNF, fr. 19262 et 24394, XIIIe s.) voire sur une initiale historiée (Rennes, BM, 255, XIIIe s.). La mise en scène du folio liminaire et le recours à l’illustration relèvent donc d’une combinaison souple de différents critères qui déterminent dans environ la moitié des manuscrits illustrés la constitution et la reconnaissance d’une page frontispice marquant le début de l’œuvre. Les miniatures frontispices du Merlin les plus frappantes sont celles qui se développent sur toute la largeur d’un folio. Dans les manuscrits les plus anciens notamment, cela passe par un compartimentage de la miniature initiale qui se développe sur plusieurs cases de façon horizontale (BNF, fr. 749, XIIIe s. et Paris, Arsenal, 3482, XIVe s.) et parfois aussi verticale (BNF, fr. 105 et 9123, XIVe s.). La lecture se fait alors de gauche à droite et / ou de haut en bas. Plus le nombre de compartiments est élevé, plus ces scènes constituent un ensemble narratif complexe et cohérent. BNF, fr. 96 (XVe s.) reprend cette structure, mais les cinq compartiments de la miniature frontispice sont à la fois superposés et imbriqués, jouant de formes tantôt arrondies tantôt angulaires qui sont savamment entremêlées. Dans les manuscrits du XVe siècle, de nouvelles formules voient le jour : un seul espace non compartimenté peut recueillir soit plusieurs scènes, sans qu’elles soient formellement délimitées ni agencées de façon systématique et progressive (c’est le cas de BNF, fr. 91), soit une seule scène de grand format, dont la peinture peut alors être minutieusement détaillée (comme dans BNF, fr. 113). Si l’étendue de la miniature est propice à la création de compartiments permettant de représenter des scènes distinctes, la division d’une miniature en plusieurs cellules, de façon horizontale ou verticale, peut donc se faire dans un cadre de largeur relativement restreinte. Quand la miniature frontispice ne s’étend que sur une colonne de texte, elle peut ainsi se déployer en hauteur, sur plusieurs niveaux (c’est la formule adoptée dans BNF, fr. 344, XIIIe s. et Cologny, Bodmer, 147, XIVe s.), ou en largeur (comme dans l’exAmsterdam, BPH, 1, II et Londres, BL, Add. 10292, XIVe s.). Dans BNF, fr.  344 f. 81v (Planche II), la grande miniature compartimentée initiale est d’autant plus frappante qu’elle succède à une miniature de clôture du texte précédent, alors que seules des initiales historiées sont utilisées dans le corps du texte. La même disposition est adoptée au début du Lancelot



Mise en page et illustration | Chapitre 1 41

(f. 84, Planche III) alors que l’Estoire, qui est pourtant la première œuvre du manuscrit, n’est introduite que par une initiale historiée (f. 1, Figure 94). Le folio liminaire de la Queste (f. 476, Figure 96) est partiellement arraché, mais on distingue une initiale historiée compartimentée et le début de la Mort Artu est manquant. Un effet de système peut se créer quand une mise en page spécifique est systématiquement adoptée au début de chaque roman, alors qu’un traitement différent du début de chaque œuvre au sein d’une même compilation manuscrite tend à les hiérarchiser. Le recours à une série d’images comme celles rassemblées dans les miniatures compartimentées, permet de rendre compte successivement de différents moments de l’action, selon une perspective analytique. Cependant, chaque image de la série conserve une dimension synthétique : cet aspect relève de la nature même de la représentation visuelle par opposition au développement textuel. Parfois, comme au début du Merlin de BNF, fr. 91 f. 1 (Planche VIII) (XVe s.), qui utilise habilement les ressources de la perspective, une seule image comprend plusieurs scènes. Celles-ci ne sont pas délimitées par des éléments formels comme le cadre de la miniature, mais elles exploitent l’espace de la représentation pour dérouler une trame de type chronologique. Alors qu’au début du manuscrit de l’Estoire avec lequel BNF, fr. 91 forme un tout (Bruxelles, BR, 9246, f. 2), la miniature opère un gros plan sur l’auteur endormi, au début du Merlin, le cadrage de l’image prend davantage de distance par rapport aux scènes dépeintes.

-Une illustration parmi d’autres Enfin dans certains manuscrits où le Merlin comprend plus d’une illustration, la présentation et la décoration de la page liminaire ne permettent pas la reconnaissance formelle du début d’un nouveau texte. Bien que la présence d’une image mette nécessairement en valeur le passage concerné, la miniature initiale perd sa distinction quand son placement et son format sont similaires à ceux des autres miniatures. C’est le cas de manuscrits qui s’ouvrent tantôt par une initiale historiée (Modène, Estense, E. 39 et Tours, Bibliothèque Municipale, 951 au XIIIe s.), tantôt par une miniature (BNF, fr. 110 et 95 au XIIIe s., Arsenal, 3479, BNF, fr. 117 et Pierpont Morgan, 207 au XVe s.). Dans le manuscrit de Tours, l’initiale historiée qui ouvre le Merlin f. 172v (Figure 3) est placée dans le corps du texte, à la suite du Joseph, alors que ce dernier était nettement distingué de l’Estoire par un changement de folio, l’emploi d’une miniature, plutôt que d’une initiale historiée, et le colophon ou la formule qui conclut le texte précédent en annonçant ceux qui suivent : « Ci aprés vient la Passion Nostre Seignor et puis Mellin aprés » (f. 159, Figure 54). La numérotation des cahiers recommence en outre au début du Joseph, ce qui n’est pas le cas pour le Merlin. Cette absence de mise en valeur s’applique également quand la miniature se développe sur plus d’une colonne (Pierpont Morgan, 207, XVe s.) et quand elle est accompagnée d’une bordure

42 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

(BNF, fr. 95 au XIIIe s., Arsenal, 3479 et Pierpont Morgan, 207 au XVe s.), dans la mesure où les autres miniatures adoptent la même présentation. La taille, le format, le placement de l’illustration initiale et son agencement avec d’autres niveaux d’enluminure sont donc importants dans la délimitation visuelle du début du Merlin qu’elles distinguent ou non en tant que tel. Le repérage de ce seuil s’effectue en outre à l’aide de repères iconographiques, par la reprise de motifs avec lesquels le lecteur peut être familier.

Les choix iconographiques Les deux tiers des manuscrits illustrés du Merlin ayant conservé leur miniature initiale commencent par une représentation de la Descente aux enfers. Ils recourent pour cela de façon presque systématique à l’image de la gueule106. Le Descensus, mentionné dès les premiers mots du récit, est toujours le sujet majoritaire et privilégié quand la miniature initiale se limite à une seule scène ou quand la miniature est suivie d’une initiale historiée107. Ce motif, issu des traditions infernales orientales et du shéol juif, a sans doute été transmis dans la littérature romanesque par le biais de l’Evangile de Nicodème, texte apocryphe d’origine grecque, qui date du IVe siècle. Le récit de la Descente aux enfers, absent dans ses versions les plus anciennes, semble y avoir été ajouté vers le VIe siècle, lors de la diffusion du texte dans le monde latin. L’étroite relation entre le Merlin et l’Evangile de Nicodème est attestée par une compilation manuscrite du XIIIe siècle : BNF, fr. 337, qui comprend le début de la Suite Vulgate du Merlin et insère dans le Livre d’Artus une interpolation d’une traduction française de l’Evangile de Nicodème108. Le motif littéraire et iconographique de la Descente aux enfers trouve des corollaires dans l’héritage antique : il se situe dès l’origine au croisement des traditions chrétienne et païenne (dans le seul domaine gréco-latin, on peut ainsi évoquer les descentes aux enfers d’Orphée, d’Ulysse, d’Héraclès ou d’Enée109). Il se développe ensuite dans de nombreuses productions, en latin et en langue vernaculaire110. 106

107

108

109

110

Baschet, Jérôme. Les justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe-XV e siècles, p. 279. Fabry-Tehranchi, Irène. «  L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux Enfers à l’ouverture du Merlin ». Textes sacrés et culture profane : de la révélation à la création. Dir. Mélanie Adda. Oxford : Peter Lang, 2010, p. 225-58. Le Livre d’Artus, The Vulgate Version of the Arthurian Romances. Ed H. Oskar Sommer, Washington D. C. : Carnegie Institute. 1908-16, vol. 7. Philippe Ménard note cependant que le thème de la descente aux enfers d’Enée dans la tradition classique et ses reprises au Moyen Âge n’est pas l’objet de création d’un motif iconographique particulier, mais de séries d’images de composition distincte. « Le thème de la Descente aux Enfers dans les textes et les enluminures du Moyen Âge », Images de l’Antiquité dans la littérature française, le texte et son illustration. Paris : Presses de l’ENS, 1993, p. 37-58. La descente aux enfers apparaît non seulement dans les multiples traductions de l’Evangile de Nicodème mais aussi dans d’autres textes en vers ou en prose. Ce motif connaît un succès particulier en Grande-Bretagne, à la suite des Sermons d’Aelfric rédigés en vieil anglais à la fin du Xe s. Il est présent à partir de la fin du XIIe s. dans des récits hagiographiques (la Legenda Aurea



Mise en page et illustration | Chapitre 1 43

Certains textes écrits en langue vernaculaire intégrant le récit de la Descente aux enfers sont d’ailleurs représentés dans des compilations manuscrites comprenant le Merlin, comme les manuscrits de la fin du XIIIe siècle, BNF, fr. 95, qui se clôt sur la Pénitence Adam (ff. 380-394) ou Berkeley, Bancroft Library, 106, qui véhicule une version de la Passion de Jésus Christ (ff. 105v-111). Du point de vue iconographique, « de nombreuses illustrations de la victoire du Christ sur le monde infernal sont clairement attestées dès la fin du VIe siècle ou le début du VIIe siècle »111 : la Descente du Christ aux enfers est un sujet de prédilection des mosaïques byzantines ainsi que des peintures orientales médiévales112. Ce motif a pu passer dans l’art occidental par le biais de Venise113 et connaît un succès particulier dans le monde anglo-saxon114. L’illustration liminaire de nombreux manuscrits du Merlin combine le motif de la Descente aux enfers avec celui du conseil des démons ou d’autres

111 112

113

114

de Jacques de Voragine) des poèmes religieux et des drames édifiants (Christ and Satan, the Northern Passion, the Stanzaïc Life of Christ, les cycles de Mystères anglais ; le Mystère d’Adam, la Passion des jongleurs, le Cursor Mundi). Il figure au XIVe s. dans des œuvres historiques et encyclopédiques (le Myreur des Histors de Jean d’Outremeuse au XIVe s.) et dans des textes allégoriques comme l’Enfer de Dante ou la Vision de Piers Plowman de Langland. Voir The Penitence of Adam. A Study of the Andrius MS, BNF, fr. 95. Ed. et trad. Esther Quinn et Micheline Dufau, Lafayette : University of Mississippi, Romance Monographs, 36, 1980 et O’Gorman, Richard. « The Gospel of Nicodemus in the Vernacular Literature of Medieval France », The Medieval Gospel of Nicodemus, Texts, Intertexts, and Contexts in Western Europe. Ed. Zbigniew Izydorczyk, Tempe : Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1997, p. 103-31. Baschet, Jérôme. Les justices de l’au-delà, 1993, p. 46. Voir Réau, Louis. « La descente aux Limbes », Iconographie de l’art chrétien. Paris : Presses Universitaires de France, 1955-1959, t. II, 2, p. 531-37. « Selon J. de Mahuet, une des sculptures d’une des colonnes du ciborium de Saint Marc à Venise serait la plus ancienne représentation des futures limbes (VIe siècle) ». Le Goff, Jacques. « Les limbes », Nouvelle revue de psychanalyse, XXXIV, 1986, p. 157. Il faut préciser que la descente aux enfers est appelée dans l’art byzantin anastasis, élévation ou résurrection, soit celle du Christ, soit celle de ceux qu’il délivre des enfers. Dans les premiers temps du christianisme, on semble réticent à représenter directement la mort du Christ sur la croix, sa mise au tombeau et sa résurrection. Les premières attestations iconographiques de l’anastasis datent du début du VIIIe siècle où elle semble déjà bien instituée et se focalise sur trois figures : le Christ, Adam et l’Hadès. Elle est intégrée dans des cycles christologiques et associée dans la liturgie au temps pascal. Le dogme de la résurrection est mis en image par la délivrance d’Adam et donne lieu à quatre types de composition : le Christ tire Adam (et Eve) des enfers soit en se penchant vers eux soit en s’éloignant d’eux, ou bien il étend ses mains vers Adam et Eve, situés de part et d’autre de lui, soit en position frontale, soit en en s’éloignant d’eux. Le développement iconographique de l’anastasis n’est pas tributaire du développement de textes comme l’Evangile de Nicodème mais il les précède. En outre des divergences, subsistent : les images ne distinguent pas les figures de Satan et de l’Hadès, le gardien des enfers. La représentation distincte du conseil des démons et de la descente aux enfers au début du Merlin permet peut-être de rétablir la différence tandis que c’est sur la relation entre le Christ et Adam que se focalise l’iconographie de la descente. Kartsonis, Anna. Anastasis : The Making of an Image. Princeton, Princeton University Press, 1986, notamment ch. 2 et ch. 8. Il apparaît notamment dans le psautier latin conservé à la British Library, Cotton Tiberius C VI f. 14, réalisé à Winchester vers le milieu du XIe siècle, qui comporte des gloses rédigées en vieil anglais. Voir Wormald, Francis. Collected Writings, t. 1, Studies in Medieval Art from the Sixth to the Twelfth centuries. Ed. Jonathan Alexander, Thomas Brownet Joan Gibbs. Londres : H. Miller ; Oxford ; New York : Oxford University Press, 1984, ch. IX, p. 123-37.

44 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

scènes tirées du début de l’histoire de Merlin (les origines de ce dernier et sa conception). Je m’intéresserai à l’interprétation des choix iconographiques à l’œuvre dans différents types de manuscrits, manifestations de lectures sensiblement différentes du début du texte mais aussi de son interprétation globale, en soulignant comment la mise en page du folio liminaire du texte détermine le traitement illustratif du début du roman. Sept manuscrits commencent par une initiale historiée115 et vingt-trois par une miniature116. Dans treize manuscrits elle est large d’une colonne, dans sept manuscrits de deux colonnes et dans trois manuscrits de trois colonnes. Dans sept manuscrits sur trente, la miniature initiale du Merlin couvre toute la largeur de la page. Une fois sur deux, l’illustration liminaire est placée en début du folio, en haut à gauche de la page, généralement sur un recto (dans un tiers des cas, soit neuf manuscrits sur trente, elle figure néanmoins au verso), ce qui indique clairement le commencement d’un nouveau texte, d’une nouvelle section du manuscrit. Les sept manuscrits qui s’ouvrent uniquement sur une initiale historiée datent tous du XIIIe siècle (ils ont été réalisés entre 1210 et 1300). Mais dans trois d’entre eux seulement l’initiale historiée est placée en haut de folio, alors qu’elle est dans le corps du texte dans tous les autres cas. Tableau 4 : Type d’illustration et situation sur la page au début du Merlin Initiale historiée Miniature

Total

Début de folio

3

11

14

Autre situation

4

12

16

Total

7

23

30

Dans six autres manuscrits, une initiale historiée suit une miniature au début du Merlin : c’est le cas de Oxford, Bodl. Douce 173, Paris, Arsenal, 2997, BNF, fr. 344, fr. 749, Londres, BL, Add. 38117 et Cologny, Bodmer, 147 qui ont tous été réalisés entre 1270 et 1310. Cette pratique hybride est peut-être le témoignage d’une étape transitoire entre le recours à l’initiale historiée et l’emploi d’une miniature suivie d’une lettre filigranée, champie ou peinte, bien que différents usages coexistent au même moment. Les initiales historiées qui apparaissent seules et constituent un mode d’illustration privilégié dans les manuscrits du XIIIe s. représentent la Descente du Christ aux enfers (Modène, Estense, E. 39, Rennes, BM, 255, Tours, BM, 951 et Darmstadt, ULB, 2534), le conseil des démons (Berkeley, Bancroft, 106, II) et le jugement de la mère de Merlin (BNF, fr. 747).

115

116

Il s’agit de Modène, Estense, E. 39, Rennes, BM, 255, BNF, fr. 747, Berkeley, Bancroft, 106, II, Tours, BM, 951 et Darmstadt, ULB, 2534. En incluant la miniature non réalisée de Chantilly, Condé, 643.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 45

Tableau 5 : L'iconographie frontispice des manuscrits du Merlin117 • Descente du Christ aux enfers 

• Conseil des démons

1. Modène, Estense, E. 39 f. 13v (début XIIIe s.)

1. Berkeley, Bancroft, 106, II f. 1 (fin XIIIe s.)

2. Rennes, BM, 255 f. 101 (début XIIIe s.)

2. Ex-Newcastle 937 f. 132 (début XVe s.)

3. Paris, BNF, fr. 19162 f. 145 (fin XIII s.)

3. Chantilly, Condé, 643 f. 137v (début XIVe s.)119

4. Paris, BNF, fr. 24394 f. 108 (fin XIII s.)

4. Paris, BNF, fr. 96 f. 61 (XVe s.)

5. Paris, BNF, fr. 110 f. 45v (fin XIII s.)

• Conseil des démons et débuts de Merlin

6. Tours, BM, 951 f. 172v (fin XIIIe s.)

1. Paris, Arsenal, 2997 f. 1 (fin XIIIe s.)

e e

e

7. Darmstadt, ULB, 2534 f. 79v (XIV s.)

2. Paris, BNF, fr. 95 f. 113v (fin XIIIe s.)

8. Paris, Arsenal, 3479 f. 109 (début XV s.)

3. Paris, BNF, fr. 9123 f. 96 (début XIVe s.)

9. Paris, BNF, fr. 113 f. 117 (fin XV s.)

4. Paris, BNF, fr. 105 f. 126 (début XIVe s.)

10. Paris, BNF, fr. 117 f. 50v (XVe s.)

5. Paris, BNF, Naf. 937 n° 28 (fin XIVe s.)

e

e

e

• Descente aux enfers et conseil des démons

6. Paris, BNF, fr. 91 f. 1 (XVe s.)

1. Oxford, Bodl., Douce 178 f. 149 (XIII s.)

• Débuts de Merlin

2. Londres, BL, Add. 10292 f. 76 (début XIVe s.)

1. Paris, BNF, fr. 747 f. 77 (XIIIe s.)

3. Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 1 (début XIVe s.)

2. Bonn, ULB, 526 f. 60 (fin XIIIe s.) 

4. Londres, BL, Add. 38117 f. 18v (début XIV s.)

3. Paris, Arsenal, 3482, p. 1 (XIVe s.)

• Descente aux enfers et débuts de Merlin

• Autre

1. Paris, BNF, fr. 749 f. 123 (fin XIIIe s.)

1. New York, Pierpont Morgan, 207-208 f. 108 (XVe s.), Maine contre les Saxons

e

e

118

2. Paris, BNF, fr. 344 f. 81v (fin XIIIe s.) 3. Cologny, Bodmer, 147 f. 91 (fin XIIIe s.) 4. New Haven, Beinecke, 227 f. 141a-b (fin XIV s.) e

2. Florence, Riccardiana, 2759 f.  18 (début XIVe s.), Portrait masculin

• D  escente du Christ aux enfers, conseil des démons et débuts de Merlin 1. Turin, BNU, L.III.12 f. 90 (fin XIIIe s.)

-La Descente du Christ aux enfers118119 Lorsque le Merlin commence par une miniature suivie d’une initiale historiée, la miniature est généralement consacrée à la Descente aux enfers, tandis que les initiales historiées représentent le conseil des démons (Oxford, Douce 173 et Londres, BL, Add. 38117), la conception de Merlin (Arsenal, 2997), le suicide de la femme de Merlin l’Ancien (BNF, fr. 344), l’emprisonnement de Merlin et de sa mère (Cologny, Bodmer, 147), ou encore Blaise et la mère de Merlin (BNF, fr. 749). Le recours à l’initiale historiée permet de représenter une scène

117

118

119

Ce tableau ne comprend pas le manuscrit de la collection privée Lebaudy, auxquel je n’ai pas eu accès, ni BNF, fr. 770, dont le folio original est manquant, ni fr. 748 dont le sujet n’est pas identifiable. Dans la typologie adoptée, si les représentations de la Descente aux enfers sont les plus nombreuses et les plus homogènes, la catégorie « débuts de Merlin » comprend une grande variété de sujets et de compositions : les attaques des démons contre la famille de Merlin l’Ancien, la conception de Merlin, les entretiens de Blaise avec les filles de Merlin l’Ancien et / ou la mère de Merlin, et enfin l’emprisonnement ou le procès de cette dernière. L’enluminure n’a pas été réalisée mais la rubrique indique son sujet.

46 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 1 : Modène, Estense, E. 39 f. 13v (1215’) Descente aux enfers

Figure 3 : Tours, BM, 951 f. 172v (1290’) Descente aux enfers

Figure 2 : Rennes, BM, 255 f. 101 (1220’) Descente aux enfers

Figure 4 : Darmstadt, ULB, 2534 f. 79v (1300’) Descente aux enfers

complémentaire par rapport à la miniature qui la précède immédiatement. Le format de la miniature initiale est très variable, l’image peut s’étendre sur une ou deux colonnes et occuper ainsi toute la largeur du folio. Dans trois manuscrits l’initiale historiée suit une miniature simple de la largeur d’une colonne et dans les trois autres, la miniature précédente, de largeur variable, est compartimentée. Le M qui marque le commencement du Merlin (Figures 1–4) donne un cadre formel à l’initiale historiée structurée autour du jambage central qui permet de distinguer deux espaces communicants : celui où se dresse le Christ et celui où se trouvent les hommes qu’il s’apprête à tirer des enfers. Les hommes sont complètement nus, comme au Paradis avant la Faute, ce qui est caractéristique de l’art occidental, alors que dans l’art byzantin, ils sont toujours vêtus120. Le Sauveur regarde ceux qu’il délivre en les prenant par le poignet, ce qui indique qu’il est à l’origine de l’action et le montre comme responsable du Salut des hommes121. Il manifeste parfois sa victoire sur les enfers en empoignant une croix par laquelle il terrasse l’Ennemi. Cet emblème peut être 120 121

Réau, Louis. « La descente aux Limbes », Iconographie de l’art chrétien, 1955-1959, t. II, 2, p. 534. On trouve aussi des illustrations où la main de Dieu, sortant du ciel, saisit le poignet de l’homme en détresse. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1 p. 199 ss.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 47

Figure 5 : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 191v (1250-75’), Descente aux enfers

Figure 6 : BNF, fr. 110 f. 45v (1295’) Descente aux enfers

assimilé à un sceptre royal dans la mesure où il symbolise l’autorité du Christ122. La construction d’un cadre autour de l’initiale historiée donne davantage d’assise à l’ensemble et aux prolongements éventuels dans la marge. L’ouverture de la gueule, qui est associée à la représentation des enfers, se moule généralement dans la courbe du M, tandis que la dynamique de la scène est donnée par le mouvement du Christ qui se saisit du bras d’Adam puis se communique au groupe sortant des enfers. Le mouvement s’opère dans la plupart des cas de droite à gauche, dans le sens inverse de la lecture habituelle des images, comme pour mieux souligner le tour de force que constitue la venue rédemptrice du Christ. Dans Berkeley, Bancroft, 106 f. 191v (Figure 5), qui date de la deuxième moitié du XIIIe siècle et provient peut-être de l’abbaye bénédictine de Jumièges123, Jésus tire Adam et Eve de la gueule d’enfer sur laquelle est perché, comme dans BNF, fr. 117 (XVe s.), un petit démon. Tandis que Jésus saisit la main d’Adam, celui-ci semble de l’autre laisser tomber la pomme à l’origine de la Chute, ce qui est spécifique à cette représentation. Cette miniature se situe en bas du dernier folio de l’Estoire, tandis que l’initiale historiée du conseil des démons marque le début du Merlin sur le folio suivant. Dans BNF, fr. 110 f. 45v (Figure 6), réalisé dans le diocèse de Thérouanne ou Cambrai à la toute fin du XIIIe siècle124, la rubrique « Ensi com Nostre Sire brisa les portes d’Infer et en 122 123

124

Kartsonis, Anna. Anastasis : The Making of an Image, 1986, ch. 8. Il s’agit d’une suggestion de François Avril qui intègre Berkeley, UL, 106 à un ensemble de manuscrits notamment bibliques associés avec l’abbaye bénédictine de Jumièges et d’autres monastères normands dans les années 1270-80. Voir Stones, Alison et Kennedy, Elspeth. « Signs and Symbols in the Estoire del Saint Graal and the Queste del Saint Graal  », Signs and Symbols (Harlaxton Medieval Studies XVIII). Dir. John Cherry et Ann Payne. Donnington : Shaun Tyas, p. 159. Voir Stones, Alison. « Arthurian Art since Loomis », 1991, p. 21-78 et Stones, Alison. « ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail », A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, 2003, p. 125-44.

48 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 8 : BNF, fr. 24394 f. 108 (1280’), Descente aux enfers

Figure 7 : BNF, fr. 19162 f. 145 (1280’), Descente aux enfers

traist hors Eve et Adam et ses autres amis » ajoute un détail concernant la géographie infernale qui n’apparaît pas dans le texte du Merlin mais renvoie aux représentations traditionnelles de l’enfer. Il tire peut-être sa source de l’Evangile de Nicodème où le motif de la Descente aux enfers est plus largement développé et dramatisé. Si les portes de l’enfer sont mentionnées dans la rubrique, elles ne sont pas pour autant représentées dans cette miniature, alors que c’est le cas par exemple dans les manuscrits BL, Add. 10292 f. 76 (Figure 16) et New Haven, Beinecke, 227 f. 141 (Figure 25). La rubrique évoque également le statut de ceux que délivre le Christ lors de sa Descente aux enfers, question sujette à d’importantes variations tout au long du Moyen Âge125. Parmi les manuscrits où le Merlin commence par une miniature qui ne comprend qu’un seul sujet, la Descente aux enfers est aussi le thème dominant. Même si la bipartition de l’image n’est plus imposée par le cadre de la miniature, elle demeure structurante. BNF, fr. 19162 f. 145 (Figure 7) et fr. 24394 f. 108 (Figure 8), deux manuscrits jumeaux réalisés dans le diocèse de Saint-Omer ou Thérouanne dans la deuxième moitié du XIIIe siècle126, se distinguent par la représentation de la forteresse des enfers sous les traits d’un solide bâtiment de 125

126

Jérôme Baschet a noté le flou doctrinal entretenu par certaines versions de la Descente du Christ aux enfers : de l’Evangile de Nicodème aux passions du XIVe siècle, en passant par la Passion de Clermont (fin du Xe siècle) certains textes « laiss[ent] entendre que le Christ a libéré toutes les âmes alors en possession de Satan ». Il en conclut que « la Descente aux limbes est donc, dans la plupart des cas une mise en scène de la défaite de Satan et de l’enfer, une illustration du triomphe de la puissance de Dieu », ce qui conforte une conception élargie de la rédemption et de la miséricorde divine. La mise en images du motif ne favorise pas les distinctions. Les justices de l’au-delà.1993, p. 535-38. Voir Stones, Alison. « ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail », A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, 2003, p. 125-144.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 49

Figure 9 : BNF, fr. 19162 f. 145, marge inférieure

pierre, un type de composition que l’on retrouve fréquemment, comme dans l’illustration contemporaine du Bestiaire divin de Guillaume le Clerc127. La miniature initiale comprend des prolongements marginaux parfois terminés par des corps de dragons ainsi que des grotesques. Dans la marge inférieure des deux manuscrits apparaissent des personnages en train de se battre autour d’un plateau de jeu, ce qui pourrait constituer un reflet dégradé de l’affirmation de la puissance divine contre les forces infernales pour le Salut des hommes, telle qu’elle est mise en scène dans la miniature de la Descente aux enfers. D’autres scènes de conflit prolongent ce thème liminaire : dans fr. 19162 f. 145, un homme nu situé au registre inférieur s’apprête à décocher une flèche visant un personnage étendu sur la bordure supérieure, protégé par un bouclier représentant une tête humaine, tandis que dans fr. 24394 f. 108 (Figure 9) deux hybrides montés respectivement sur une poule et sur une chèvre s’affrontent à la lance. La bordure supérieure de ce manuscrit est partiellement coupée et effacée, mais il semble qu’une scène de musique et de danse contorsionnée ait été figurée au dessus de la miniature, peut-être en guise de célébration burlesque de la victoire du Christ. Dans d’autres manuscrits représentant la victoire sur Christ sur la gueule d’enfer, comme Arsenal, 3479 p. 109 (Figure 10) et BNF, fr.  117 f.  50v (Figure 11) tous deux sans doute réalisés pour Philippe le Hardi dans les premières années du XVe siècle128, apparaissent des démons en prise les uns avec les autres, ou discutant peut-être déjà des moyens de s’opposer à l’œuvre du Salut. Dans BNF, fr. 113 f. 117 (Planche I), réalisé pour Jacques d’Armagnac dans les années 1470, la figuration des diablotins, dont l’un est juché dans l’oreille du monstre infernal, a un effet plus pittoresque qu’effrayant Cette représentation de la gueule d'Enfer présente de fortes similitudes stylistiques et iconographiques avec celle du manuscrit du Chevalier 127 128

Voir BNF, fr. 14969 f. 10v (1290’). Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 48.

50 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 11 : BNF, fr. 117 f. 50v (1405), Comment aprés ce que Dieu eut espoulié les enfers fut conceu Merlin le Prophete qui fist la Table Ronde. Descente aux enfers Figure 10 : Arsenal, 3479 p. 109 (1405) Descente aux enfers

errant de Thomas de Saluces enluminé par le maître le la Cité des Dames et son atelier vers 1400-05. Cependant, dans BNF, fr. 12559 f. 192, la gueule est figurée de face et non de profil, et la scène ne représente pas la Descente du Christ aux enfers mais le spectacle frappant de la damnation des pécheurs torturés par des démons et voués au feu de l'enfer. Pour Louis Réau129, « la multiplication des diables grimaçants » dans les scènes de la Descente aux enfers s’explique « soit par les diableries des mystères », car ce motif est l’objet de dramatiques mises en scène dans le théâtre de la fin du Moyen Âge130, « soit par une contamination avec le thème du jugement dernier  ». Le Christ apparaît comme un libérateur compatissant qui vient au secours des hommes brûlant dans les flammes de l’enfer et il brandit la croix, en référence à sa passion. Alors que la miniature représente uniquement la Descente aux enfers, dans fr. 117 f. 50v (Figure 11), la rubrique fait le pont entre la venue rédemptrice du Christ et la naissance de Merlin. Pourtant Merlin n’est pas mentionné dans la perspective diabolique de formation d’un antéchrist. Comme si sa renommée le précédait, le personnage est introduit comme « Merlin le Prophète », initiateur de la Table Ronde. On anticipe ainsi le d­ éveloppement du récit pour introduire une figure célèbre, déjà connue du lecteur et présentée comme telle. 129 130

Réau, Louis. « La descente aux Limbes », Iconographie de l’art chrétien. 1955-1959, t. II , 2 p. 535. Becker, Walter. Die Sage von der Höllenfahrt Christi in der altfranzösischen Literatur. Göttingen ; Erlangen : Buchdruckrei von Junge und Sohn, 1912 ; Cohen, Gustave. Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen-Age. Paris : Champion, 1926, p. 92-99 ; Stuart, Donald Clive. « The Stage Setting of Hell and the Iconography of the Middle Ages », Romanic Review, 4, 1913, p. 330-42.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 51

Sur le plan théologique, la Descente aux enfers est un sujet d’actualité aux XIIe et XIIIe siècles où se développe, comme l’a montré Jacques Le Goff, une réflexion sur les lieux intermédiaires entre Enfer et Paradis, qui concerne le purgatoire mais aussi les limbes131. La Descente aux enfers connaît un succès et une diffusion extraordinaires dans les manuscrits produits en France et en Angleterre du XIIIe au XVe siècle, mais elle apparaît à la fois dans des textes strictement religieux, comme la Bible, et dans des œuvres de vulgarisation et de dévotion visant plus spécifiquement à l’instruction et à l’édification des laïcs132. La référence à ce motif et son succès iconographique au début du Merlin placent ce roman dans la continuité de textes apocryphes comme l’Evangile de Nicodème. Cela permet de faire la transition entre l’écriture sainte et la fiction romanesque, le temps christique et le temps arthurien. Cette greffe qui est encore plus nette dans le Joseph ou l’Estoire fait également partir le Merlin du texte biblique mais permet son réinvestissement imaginaire et son utilisation distanciée par le biais de la fiction. Mettre en image la Descente du Christ aux enfers au début du roman de Merlin, c’est déjà manifester la puissance divine et célébrer la victoire de l’action rédemptrice, souligner la vanité des conspirations démoniaques et jeter le discrédit sur le projet insensé de création d’un antéchrist. Cette image peut donc être considérée comme hors du texte, puisque l’œuvre du salut n’est que le préambule de l’histoire de Merlin. Placer l’œuvre sous le signe de la puissance salvatrice du Christ permet cependant de fonder ce texte littéraire sur une autorité transcendante tout en infléchissant le sens de la fiction, quand bien même celle-ci s’éloigne ensuite de ces origines.

-Le conseil des démons L’illustration de la Descente aux enfers, privilégiée au début du Merlin, est souvent associée à d’autres sujets, même si dans quelques  cas d’autres scènes sont figurées par elles-mêmes. L’assemblée des démons constitue un sujet qui se prête volontiers à la représentation aussi bien théâtrale que picturale133. Ce motif apparaît au début du Merlin dans Berkeley, Bancroft, 106, II f. 1 (Figure 12) (fin du XIIIe s.), sous la forme d’une initiale historiée, dans 131 132

133

Le Goff, Jacques. « Les limbes », Nouvelle revue de psychanalyse, XXXIV, 1986, p. 161-164. Voir par exemple BNF, Naf. 16251 f. 44 (1285’), le Livre d’images de madame Marie ; BNF, fr. 183 f. 12 (1325’) qui comprend des Vies de saints ; BL, Add. 47682 f. 34 (1330’), la Bible d’Holkham, BNF lat. 18014 f. 166 (1385’), les Petites Heures de Jean de Berry ou BNF, fr. 50 f. 237v (1463) qui contient une traduction du Speculum Historiale de Vincent de Beauvais par Jean de Vignay. Comme le souligne Thierry Revol, «  Ce passage, très pittoresque, des démons en colère, inspirera de nombreux dramaturges à la fin du Moyen Âge. Ces auteurs introduisent des scènes de diableries dans les mystères et pour certains d’eux, la reproduction exacte de cette assemblée de démons ». « Diversité et unité, le Merlin de Robert de Boron », Merlin, roman du XIII e siècle, Robert de Boron. Dir. Danielle Quéruel et Christine Ferlampin, Paris : Ellipses, 2000, p. 110. Voir notamment la Passion d’Arras d’Eustache Mercadé (1440), le Mystère de la Passion

52 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 12 : Berkeley, Bancroft, 106, II f. 1 (1250-75’), Conseil des démons

l’ex-Duke of Newcastle 937 f. 132 (début du XVe s.) et dans BNF, fr. 96 f. 61 (Planche VII) (XVe s.) sous la forme d’une imposante miniature frontispice. La décoration de Chantilly, Condé, 643 f. 137v (fin XIVe-début XVe s.) n’a pas été réalisée, mais la formulation de la rubrique initiale permet de déduire que le conseil des démons aurait dû être représenté dans la miniature située à l’orée du texte : C’est icy le commencement de Merlin. Et commence comment les ennemis d’enfer s’assemblerent ensemble pour prendre comment ilz feroient ung homme qui feust au siecle pour les gens decevoir (f. 137v).

La rubrique permet d’expliciter ce que la miniature ne peut montrer  : l’objet de la discussion du conseil infernal. La miniature initiale d’Oxford, Bodl., Douce 178 f. 149 (Figure 13) (fin XIIIe s.) se distingue d’abord pour des raisons stylistiques : elle témoigne  d’une forte influence des modèles iconographiques orientaux qui passent en occident par le biais de l’Italie et dans ce cas de l’école de Bologne. La d’Arnoul Gréban (1452), le Mystère de la Passion de Jean Michel (1486) et le Mystère de la Résurrection d’Angers (1456).



Mise en page et illustration | Chapitre 1 53

Figure 13 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 149 (1270-1300’), Descente aux enfers et Conseil des démons

stylisation des traits des personnages et la représentation des plis de leurs vêtements ainsi que la représentation verticale du Christ suspendu dans une mandorle au-dessus des enfers témoignent de l’importance de l’héritage byzantin. La miniature se déploie avec majesté en début de folio, au sein d’un cadre rectangulaire dont la rigueur est néanmoins tempérée par la présence de la mandorle du Christ, légèrement décentrée et inclinée, et par la rondeur de son nimbe. La scène représentée sur le registre supérieur contraste avec le contenu de l’initiale historiée. Dans la courbe du M se concentre une foule de démons qui complotent pour mettre en échec l’entreprise de la rédemption. Si la noirceur de leur corps fait écho à celle des enfers représentés sous les pieds du Christ, la taille des démons et l’exiguïté du cadre où ils sont rassemblés illustrent un rapport de force qui leur est défavorable et annoncent déjà l’échec de leur machination. BL, Add. 38117 f. 18v (Figure 14), sans doute réalisé à Arras au début du XIVe siècle134, est remarquable car il inverse le rapport habituel entre la 134

Voir Loomis, Roger Sherman et Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art, 1938, p. 100 et Stones, Alison. « Fabrication et illustration des manuscrits arthuriens », La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009,

54 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 14 : BL, Add. 38117 f. 18v (1310’) Descente aux enfers et Conseil des démons

miniature et l’initiale historiée dans la hiérarchie décorative. Il commence ainsi par une miniature de cinq UR (Unités de Réglure) représentant la p. 19-30. Pour Alison Stones, l’artiste principal de BL, Add. 38117 a aussi illustré BNF, fr. 12573, un manuscrit comprenant le Lancelot, la Queste et la Mort Artu. Le format des images y est différent, avec des miniatures d’une colonne, mais on peut se demander si les deux ­manuscrits ne formaient pas un tout à l’origine. La Suite Post-Vulgate aurait alors circulé en compagnie des textes du cycle Vulgate. Gothic Manuscripts  : c. 1260-1320. Part I  : Paris, Normandy and the Province of Reims. Londres : Harvey Miller, 2013, vol. 2, III-20, p. 197-99.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 55

Figure 15 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 1(1310-20’), Descente aux enfers et Conseil des démons

Descente aux enfers, mais celle-ci est suivie en haut de folio par une initiale historiée deux fois plus grande (10 UR) qui a pour sujet le conseil des démons. Il n’est pas possible de comparer cette ouverture du Merlin avec celle du Joseph qui précède, car le début de ce dernier a été perdu. Néanmoins, la mise en page est éclairante, en effet le Merlin commence au verso d’un folio, en haut de la deuxième colonne, qui s’ouvre avec une initiale historiée, tandis que la miniature qui précède comble l’espace laissé en bas de la première colonne. Le prolongement marginal de l’initiale historiée fait le lien entre ces deux illustrations. Dans ce manuscrit, l’illustration de la Descente aux enfers ne constitue, comme dans le texte, qu’un prélude au complot diabolique. La bipartition d’une miniature de la largeur d’une colonne est la solution adoptée pour représenter la Descente aux enfers et le conseil des démons dans l’ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 1 (Figure 15) et Londres, BL, Add. 10292 f. 76 (Figure 16), deux manuscrits du début du XIVe s. issus du même atelier d’enlumineurs dans le diocèse de Saint-Omer, Tournai ou Gand135. La lecture de gauche à droite permet d’insister sur le lien temporel et logique qui unit les deux scènes. Ainsi la Descente du Christ aux enfers et la possibilité du Salut ont remis en cause l’emprise du diable sur le monde, le poussant à fomenter une conspiration. Les deux miniatures sont construites sur le même patron, leur composition et leur encadrement mais aussi le dessin et le coloris des figures, tout tend à les rapprocher, bien que l’initiale qui suit soit de type distinct. Dans les deux cas, le Christ vainqueur des enfers se tient à

135

Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III-75, p. 364-66.

56 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 16 : BL, Add. 10292 f. 76 (1316) (artiste 1) Ensi que Diex brisa infer et li dyable tienent leur parlement. Descente aux enfers et Conseil des démons

l’extrême gauche de l’image. Dans le premier manuscrit, le fait que sa croix et sa bannière de couleur verte (elle est ornée d’une croix rouge sur fond blanc dans le manuscrit de Londres), débordent du cadre de la miniature met en image son action libératrice. L’image du manuscrit du Londres ajoute quelques détails à la scène puisque le Christ piétine un démon et qu’il brise les portes de l’enfer, ­également représenté par le biais d’une forteresse. Au Christ debout et victorieux fait écho de façon dégradée l’image de Satan, assis sur un trône surmonté d’une figure diabolique et présidant son conseil136. La monstruosité des démons, leurs têtes et leurs queues animales, leur pilosité, leurs cornes et leurs couleurs137, contrastent avec l’image du Christ ressuscité et la blancheur des corps de ceux qu’il libère. La rubrique, (f. 76, Figure 16), rend bien compte de la bipartition de l’image, mais le contraste entre l’action divine et les palabres diaboliques tend à discréditer les seconds. Dans le manuscrit d’Amsterdam (Figure 15), Adam et Eve sont entourés d’une 136

137

C'est dans la deuxième moitié du XIIIe siècle qu'on attribue à Satan un siège, signe de souveraineté, qui introduit « un écart hiérarchique avec les démons ». « L’image de Satan se constitue progressivement comme image d’un pouvoir » Baschet, Jérôme « Satan ou la Majesté maléfique dans les miniatures de la fin du Moyen Âge ». Le Mal et le diable: leurs figures à la fin du Moyen Âge. Ed. Nathalie Nabert. Paris : Beauchesne, 1996, p. 187-210. Voir Hundsbichler, Helmut. « In diversas figuras nequitiae : The Devil's Image from the Viewpoint of Rhetoric », Angels, Devils : The Supernatural and Its Visual Representation. Ed. Gerhard Jaritz. Budapest : Central European University Press, 2011, p. 29-49.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 57

Figure 17 : BL, Add. 10292 f. 76 (artiste 1), Début du Merlin, détail de la marge inférieure

foule nombreuse incluant notamment un roi en prière (peut-être David ou Salomon) et un évêque138. Le Christ délivre les personnages de l’Ancien Testament et son action salvatrice prend sens dans un contexte aussi bien passé que présent. L’orientation religieuse et la visée didactique du début du Merlin sont donc accentuées par des choix iconographiques focalisant l’attention sur la pré-histoire de la fiction qui fait l’objet d’un fort cadrage symbolique et idéologique. Dans ces deux manuscrits, la page liminaire du Merlin comprend un encadrement et des grotesques. Dans le manuscrit d’Amsterdam, une femme monstrueuse en train de filer contemple la miniature, tandis que dans la marge inférieure, deux singes portant des habits masculins observent la chasse d’un oiseau de proie apprivoisé qui attire l’attention d’un cerf bondissant dans la marge de droite. Il est difficile de saisir le lien éventuel qui existe entre le texte, la miniature principale et les décorations marginales, mais la monstruosité des créatures marginales fait écho à celle des démons, tandis que le motif de la chasse peut symboliser la faiblesse de l’homme à l’égard du péché et des tentations qu’il subit. Le rapport est plus net dans le manuscrit de Londres dont les marges déclinent les thèmes de l’enfance et de la monstruosité qui peuvent anticiper la naissance du jeune prodige. Tandis que dans la marge supérieure deux chiens poursuivent deux lapins, dans la marge inférieure (BL, Add. 10292 f. 76, Figure 17), un singe dérobe son enfant à une jeune femme en train de filer. En bas à droite, une guenon emmaillote sa progéniture. La question de la naissance et de l’enlèvement d’un enfant à sa mère peuvent annoncer les circonstances de la naissance de Merlin à travers les efforts du diable pour susciter la mise au monde d’un être hybride et se procurer l’aide de cet antéchrist. Dans deux manuscrits, le conseil des démons est exclusivement associé à une scène autre que la Descente aux enfers : la conception de Merlin. Placée après cette dernière, dans le cadre d’une initiale historiée ou dans le registre inférieur de la miniature, elle devient l’illustration secondaire du début du texte, propulsant alors la réunion des diables au premier plan. Dans Arsenal, 2997 f. 1 (Figure 18), 138

Jean-Baptiste et Abel sont parfois représentés dans le cortège des hommes libérés de l’enfer.

58 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 18 : Arsenal, 2997 f. 1 (XIIIe s.) Conseil des démons et Conception de Merlin

Figure 19 : BNF, fr. 95 f. 113v (1290’) Conseil des démons et Conception de Merlin

qui date du XIIIe siècle, la représentation du diable trônant avec son sceptre, entouré de ses conseillers démoniaques, apparaît comme une reprise parodique du motif iconographique du conseil royal. La noirceur des personnages, partiellement habillés, leur rire diabolique, leurs têtes monstrueuses et leurs pattes animales trahissent l’inversion à l’œuvre dans la miniature. L’image met en scène le pouvoir démoniaque par le réinvestissement burlesque d’une scène stéréotypée. L’initiale historiée donne à voir dans la conception de Merlin l’exécution et la réussite première du stratagème imaginé par l’assemblée diabolique. Le même fonctionnement s’applique à la miniature initiale de BNF, fr. 95 f. 113v (Figure 19) (1290’)139, mais cette fois la mise en scène et la composition de la miniature diffèrent légèrement. On ne représente plus d’autorité suprême à la tête de la cohorte des démons, privilégiant la rencontre de deux groupes hétéroclites de diables monstrueux, courbés, poilus et multicolores qui se font face de façon symétrique. Dans le registre 139

Voir Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520. 1993, p. 32, n° 57. Imagining the Past in France : History in Manuscript Painting, 1250-1500 (exhibition, J. Paul Getty Museum, 2010-11). Dir. Elizabeth Morrison et Anne D. Hedeman. Los Angeles : J. Paul Getty Museum, 2010, p. 111-14, n° 7. La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris  : Bibliothèque nationale de France  : Seuil, 2009, pp. 69-70, n° 3. Shailor, Barbara. Catalogue of Medieval and Renaissance Manuscripts in the Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University. I, MSS 1-250. Binghamton, N.Y. : Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1984, p. 322-31. Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III-124, p. 550-75. Art and the Courts : France and England from 1259 to 1328. L’art et la cour : France et Angleterre, 1259-1328. Dir. Peter Brieger et Philippe Verdier. Ottawa : National Gallery of Canada, 1972, p. 88 n° 17.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 59

inférieur, la conception de Merlin est dévoilée au lecteur à travers des rideaux ouverts, draperies qui emblématisent la faille par laquelle le démon s’introduit auprès de la jeune femme endormie et la faute qui en résulte. Bien que les choix iconographiques à l’œuvre dans cette miniature initiale semblent consacrer la victoire des puissances infernales, les croix qui ornent le lit ouvragé où gisent l’incube et la mère de Merlin atténuent peut-être cette impression en annonçant le retournement à venir. La représentation liminaire du conseil des démons et de la conception de Merlin par un incube contraste radicalement avec le choix traditionnel de la Descente aux enfers au début du Merlin et avec les illustrations de l’apparition du Christ ou d’un ange à l’auteur-narrateur au début de l’Estoire del Saint Graal.

-Pré-histoire, conception et enfance de Merlin La Descente aux enfers est souvent associée au conseil des démons, mais les modalités de leur mise en image, leur relation de successivité et le rapport hiérarchique que peut établir la distinction entre miniature et initiale historiée déterminent des lectures sensiblement différentes. C’est le cas dans plusieurs miniatures compartimentées qui, dans BNF, fr.  344, Cologny, Bodmer, 147 et Turin, BNU, L.III.12, associées ou non à une initiale historiée, permettent de développer d’autres scènes complémentaires. Le folio liminaire du Merlin de BNF, fr.  344 f. 81v (1290-1300’) est exceptionnel dans sa mise en page et dans la profusion iconographique qui le caractérise (Planche II). Si la miniature principale est seulement de la largeur d’une colonne, elle s’étend sur deux niveaux et elle est précédée par une autre miniature, renvoyant certes à la fin de l’Estoire, avec la merveille des deux lions gardant la tombe de Lancelot l’Ancien (dont la tête est conservée dans une fontaine d’eau bouillante), et prolongée par une initiale historiée140. La miniature centrale est donc composée de quatre compartiments illustrant la Descente aux enfers, le conseil des démons, et les manœuvres de démons qui profitent de la complicité de la femme de Merlin l’Ancien puis étranglent son fils, tandis que l’initiale historiée qui suit représente le suicide de la mère. Le développement narratif des méfaits provoqués par l’action démoniaque met en perspective les procédés utilisés par le diable pour contrecarrer le plan du Salut. La Descente aux enfers n’est plus que le point de départ de l’action car ensuite la trame catastrophique du début du Merlin prend rapidement le pas. Résistant contre l’œuvre de la rédemption, le diable semble régner sur le monde dans les temps qui précèdent la naissance du héros. Il est significatif que

140

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. «  La fontaine bouillonnante et la tombe de Lancelot l’Ancien : Modalités textuelles et iconographiques de la construction cyclique dans le LancelotGraal ». Le Moyen Âge, 120(2), 2014, p. 43-87.

60 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 20 : Cologny, Bodmer, 147 f. 91 (1300’), Début du Merlin Miniature : Descente aux Enfers ; Conseil des démons ; Conception de Merlin ; Blaise et la mère de Merlin Initiale historiée : Merlin, sa mère et leurs gardiennes

dans cette série ce ne soit pas la mère de Merlin qui apparaisse mais la femme de Merlin l’Ancien, corrompue par le diable. Ainsi, en dépit de la représentation initiale de la Descente du Christ aux enfers, l’illustration liminaire insiste sur le pacte de cette femme avec les puissances infernales, sur sa corruption et sa fin sacrilège. Comme le souligne Richard Trachsler, le passage consacré aux troubles qui s’abattent sur la famille de Lancelot l’Ancien constitue « un véritable petit exemplum théologique dont l’intrigue décalque celle du Livre de Job et rejoue une fois de plus la pièce où tout le mal arrive par la femme, la mère, Eve... »141. Au contraire, dans les manuscrits où est représentée la mère de Merlin, la possibilité du rachat est davantage mise en avant. Le manuscrit Bodmer, 147 f. 91 (Figure 20) (1300’) commence également par une miniature d’une colonne composée de quatre compartiments et suivie d’une initiale historiée bien que le choix des scènes représentées diffère. Comme dans BL, Add. 38117 f. 18v (« Chi endroit dist li contes que ») et BL, Add. 10292 f. 76 (« En ceste partie dist li contes que »), le texte ne commence pas par la lettre M (initiale du canonique « Moult fu iriés li anemis », ainsi 141

Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, étude sur le Merlin de Robert de Boron. Paris : Sedes, 2000, p. 71.



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Figure 21 : BNF, Naf. 934, f. 28 (fin XIVe s.), Début du Merlin Conseil des démons ; Persécution et corruption de la famille de Merlin l'Ancien ; Conception de Merlin

que du nom du personnage principal) mais par une formule d’entrelacement. Celle-ci est atypique en ce qu’elle ajoute à la mention stéréotypée du conte une référence à l’histoire sainte qui permet, comme dans la miniature qui représente la Descente aux enfers, de placer le roman dans la continuité de l’histoire du Christ : « Ci endroit dit li contes et la sainte hystoire le tesmoigne » (f. 91). Dans cette expression proche de celle employée dans Bonn, ULB, 526 f. 60 : « Or dist li contes et la vraie estoire le tesmoigne », le choix de l’adjectif est déterminant car la référence biblique remplace la topique de la vérité. La miniature présente donc la Descente aux enfers et le conseil des démons, mais aussi la conception de Merlin et l’entretien de Blaise et de la mère de Merlin, tandis que l’initiale historiée montre l’enfant, sa mère et ses gardiennes. Les origines et les débuts de la vie de Merlin sont davantage mis en valeur. La composition de la miniature suscite une lecture très différente de celle suggérée dans BNF, fr. 344 f. 81v (Planche II). En effet, l’action du diable est ici cantonnée dans le deuxième et le troisième cadre de la miniature, formant une diagonale qui s’oppose à celle reliant la Descente aux enfers et la repentance de la mère de Merlin. Selon les codes de la lecture, la première et la dernière scène sont celles de la victoire du bien sur le mal et imposent donc leurs limites à l’action démoniaque. À l’extérieur de ce schéma binaire, la représentation de Merlin, prodige aux yeux de sa mère et de ses suivantes, est plus ambiguë, puisque l’enfant a été doté à la fois par Dieu et par le diable, mais le repentir de sa mère présage bien de l’orientation qu’il va suivre.

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Figure 22 : BNF, fr. 747 f. 77, Procès de la mère de Merlin

Dans le fragment du Merlin de BNF, Naf. 934, f. 28 (Figure 21), qui date de la fin du XIVe siècle, une miniature quadripartite compartimentée de la largeur du folio réalisée en grisaille montre le conseil des démons ; les démons discutant avec la femme de Merlin l’Ancien puis tuant ses bêtes ; un diable étranglant le fils de Merlin l’Ancien et le suicide de sa femme ; la fille cadette de Merlin l’Ancien corrompue par l’entremetteuse et enfin la conception de Merlin. À l’exception de la première, consacrée au conseil démoniaque, toutes les scènes sont donc dédoublées. Ce procédé permet d’insister sur l’efficacité de la conspiration diabolique en déployant ses multiples conséquences. La mise en scène de l’entremetteuse est un cas singulier dans l’iconographie du Merlin et son couplage avec la conception de Merlin expose différents types de corruption affectant des figures féminines. Cela résonne avec l’entretien de la femme de Merlin l’Ancien avec un démon dans le compartiment supérieur. L’absence de la Descente aux enfers donne à voir un monde totalement soumis à l’influence du mal, ce qui contraste avec les miniatures inaugurales présentant l’action salvatrice du Christ ou l’accompagnement spirituel offert par Blaise. Le choix de la grisaille, exceptionnel au début du Merlin et de façon plus générale dans l’iconographie du Lancelot-Graal, s’accorde ici avec le caractère pessimiste de cette entrée en matière telle que la présente ce fragment. Certains manuscrits consacrent la miniature initiale du Merlin à une scène particulière relative soit à la conception du personnage, soit à son enfance. Il s’agit d’un choix singulier, car ces représentations apparaissent habituellement en conjonction avec d’autres sujets, comme la Descente aux enfers ou le conseil des démons, et non par elles-mêmes. Ainsi dans fr. 747 f. 77 (Figure 22), qui date de la fin du XIIIe siècle, est représenté le procès de la mère de Merlin. Paradoxalement, la jeune femme est absente de l’image : Merlin enfant, porté par Blaise, fait face au juge situé de l’autre côté du jambage du M de l’initiale historiée. La représentation de Merlin dans les bras de



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Figure 23 : Bonn, ULB, 526 f. 60 (1286), Conception de Merlin

Blaise peut rappeler les figurations de Joseph portant Jésus lors de la fuite en Egypte142. Dans les deux cas, l'homme est investi d'une paternité symbolique mais non biologique à l'égard de l'enfant. L’intervention de Merlin au cours du procès témoigne de son caractère prodigieux et confirme son rôle dominant au sein de la narration. Merlin est à la fois la preuve et le fruit du délit commis par sa mère et un puer senex143, infans monstrueux car doté de parole, qui grâce à son omniscience surnaturelle parviendra à la faire acquitter. Dans l’initiale historiée qui ouvre la miniature de Bonn, ULB, 526 f. 60 (Figure 23)144, la perspective générale de la Rédemption s’efface pour mieux attirer l’attention sur les origines de Merlin et sur sa double nature, humaine et démoniaque. Celle-ci est d’autant plus mise en valeur dans l’image que la blancheur de la mère de Merlin contraste avec la noirceur du démon qui la surprend. Le titre courant qui figure à l’encre rouge en haut du folio, « Ci commence de Merlin » s’applique donc à la fois à la conception du personnage et au début du texte. 142

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Voir par exemple le folio 39 du manuscrit enluminé BNF, Italien 115, réalisé à Sienne vers 1330-40, qui comporte une traduction italienne anonyme des Meditationes vitae Christi. Lavaure, Annik. L’image de Joseph au Moyen Âge. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 176 et 214-15. Voir Walter, Philippe. «  Merlin, l’enfant-vieillard  », L’imaginaire des âges de la vie. Dir. Danièle Chauvin. Grenoble : Ellug, 1996, p. 117-33. Voir Loomis, Roger Sherman et Loomis, Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art, 1938, p. 94-96, Lancelot en prose. Farbmikrofiche-Edition der Handschrift Bonn, Universitätsbibliothek, Hs. S 526. Ed. Ulrich Mölk et Irmgard Fischer. Munich : Helga Lengenfelder, Codices Illuminati Medii Aevi, 28, 1992 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, vol. 2, III-121, p. 531-43.

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Figure 24 : BNF, fr. 96 f. 62v (1445’), Conception de Merlin

La conception de Merlin est également représentée dans BNF, fr. 96 f. 62v (Figure 24), où elle ne constitue pas la miniature initiale mais la seconde : si la représentation de la Descente aux enfers ou du conseil des démons renvoie au tout début du texte, la conception de Merlin intervient plus tard dans la trame narrative. Dans ce manuscrit du XVe siècle attribué au Maître d’Adélaïde de Savoie ou Maître du manuscrit Poitiers 30145, l’utilisation de la palette chromatique est frappante : le bleu primaire de la robe de la jeune femme contre laquelle se presse la silhouette noire du démon ressort ainsi sur le lit d’un rouge éclatant qui renvoie aussi bien à la faute de la jeune femme qu’à l’érotisme de la scène. Le parallèle suggestif formé par les deux corps étendus et la représentation symbolique de la main posée par le démon au niveau du sexe de la jeune femme sont rendus possible par l’omission du drap pudique qui cache les deux personnages dans les représentations précédentes. Cette représentation visuelle semble aller à l’encontre du texte de Robert de Boron qui lui-même avait retravaillé ses sources, l’Historia Regum Britanniae et le Brut de Wace, de façon à évacuer l’expression du contact voire du plaisir charnel dans l’évocation du rapport entre le démon et la jeune femme146. Dans fr. 96, la demoiselle est endormie, mais le fait qu’elle appuie sa tête sur sa main témoigne d’un état d’esprit soucieux et préoccupé, sans doute en relation avec les tourments

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König, Eberhard. Französiche Buchmalerei um 1450 : der Jouvenel-Maler, der Maler der Genfer, Boccaccio und die Anfänge Jean Fouquets. Berlin : Gebr. Mann, 1982, p. 108 et 256 et Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, 1993, p. 123-24. Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 76-78.



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Figure 25 : New Haven, Beinecke, 227 f. 141a-b (1357), -Descente aux enfers; -Jugement de la mère de Merlin Si commence la vie Merlin. Aprés comment le roy Artus fu nez.

que lui a causés sa sœur et la colère qui s’ensuit. L’utilisation de la perspective, accentuée par les motifs triangulaires du sol, l’alignement de différents espaces, qui donne un point de fuite au regard, et l’ouverture des tentures du lit, qui contraste avec la porte soigneusement fermée par la jeune femme, peuvent symboliser l’intrusion dans l’intimité du personnage147. L’espace de la chambre se creuse : la porte fermée par la jeune femme au nez de sa sœur de et de sa compagnie débauchée n’a pas suffi à repousser le démon, mais l’issue de cette histoire ne sera pas non plus celle qu’avait prévue le malin. La représentation de la pré-histoire et des origines de Merlin joue donc un rôle important dans l’illustration du début du texte. Elle s’inscrit souvent dans des miniatures compartimentées qui permettent de retracer ses différentes étapes. C’est le cas de miniatures de la largeur d’une seule colonne développées sur plusieurs niveaux et parfois prolongées par des initiales historiées, mais les miniatures de la largeur de deux ou trois colonnes sont encore plus propices à ce type de développement iconographique. Dans New Haven, Beinecke, 227 f. 141 (Figure 25) (fin XIVe s.)148, une miniature de la largeur de la colonne permet de représenter la Descente 147

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Camille, Michael. L’art de l’amour au Moyen Âge : objets et sujets du désir. Trad. Ann SautierGreening et Béatrice de Brimont, Cologne : Könemann, 2000 (1998), p. 140 ss. Voir Shailor, Barbara. Catalogue of Medieval and Renaissance Manuscripts in the Beinecke Rare Book and Manuscript Library, I, 1984, p. 318-20.

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aux enfers et le second jugement de la mère de Merlin. La grandeur de la miséricorde divine s’oppose alors aux limites de la justice des hommes, puisqu’il faut l’intervention merveilleuse de Merlin et la dénonciation de la faute commise par la mère du juge149 pour que la mère de Merlin soit acquittée. L’autorité de l’homme de loi et sa capacité à comprendre le mystère de la naissance de Merlin sont ainsi remis en cause par le trio que forment l’enfant, sa mère et Blaise, le confesseur de cette dernière. L’emploi d’une double miniature permet de mettre en relation l’intervention divine et les aventures du jeune Merlin. La mise en scène de l’enfant prodige et la figure du religieux suggèrent que si la mère de Merlin doit faire face aux conséquences de sa faute, grâce à ses aveux, à son repentir, à l’intercession de son confesseur et à l’action merveilleuse de son enfant, son erreur pourra être rachetée. Bien qu’elle ait succombé aux machinations du démon, elle semble donc moins coupable que la mère du juge, dont l’infidélité, évoquée de façon plus triviale, n’a pas du tout les mêmes répercussions. La première rubrique du folio 141 (Figure 25) n’explique pas précisément le contenu de la miniature mais introduit de façon générale l’histoire de Merlin à travers une formulation qui peut évoquer une tradition littéraire remontant à la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth. La relation entre la seconde rubrique, « Aprés comment le roy Artus fu nez », située sous le deuxième compartiment de la miniature, et le sujet illustré (le procès de la mère de Merlin) est problématique, car cette rubrique ne se rattache ni à l’image ni au contexte immédiat. Le nom d’Arthur a-t-il été substitué par erreur à celui de Merlin ? La naissance d’Arthur constitue un événement qui intervient beaucoup plus tardivement dans le texte. Il est possible que la rubrique ne fonctionne pas comme légende de l’image mais plutôt comme sommaire, indiquant les grandes orientations du texte qui s’intéresse d’abord à Merlin puis à Arthur dont il va dérouler la trajectoire, de sa conception à ses « premiers faits ». BNF, fr.  749 f. 123, réalisé vers 1300150, a la particularité de présenter une miniature qui s’étend sur toute la largeur de la page mais qui ne se développe que sur un niveau, ce qui est peut-être lié à sa situation en bas de folio (Planche IV). Ainsi se succèdent la Descente aux enfers, le conseil des démons, la conception de Merlin, Merlin et sa mère emprisonnés dans la tour, et leur comparution devant le juge. L’initiale historiée qui suit la miniature donne à voir le face à face de la mère de Merlin et de son confesseur. Dans le prolongement de l’initiale, la marge inférieure du folio accueille une

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Dans le système médiéval, un enfant illégitime ne peut pas exercer la fonction de juge. Voir Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, roman du XIII e siècle. Genève : Droz, 1980, p. 118. Loomis, Roger Sherman et Loomis, Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art, 1938, p. 95-97.



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scène de chasse et se termine sur la figure d’un dragon. Outre la rubrique principale située au-dessus de l’image, « Chi commence l’Estoire de Merlin que mesire Robers de Borron translata », des rubriques placées sous chaque compartiment expliquent la nature de la scène représentée au-dessus d’elles.  Alors que le personnage de Merlin n’est représenté que dans l’avant dernier et le dernier compartiment de la miniature, les rubriques le mentionnent de façon lancinante, dès la deuxième scène. Si dans la composition de l’image alternent les couleurs d’encadrement bleu et rose et les fonds dorés ou quadrillés, le développement des rubriques soutient une structuration de la série fondée sur des effets de correspondance, de symétrie et de progression. Les deux premières scènes se situent hors du monde terrestre. L’action de Dieu et celle des démons s’opposent dans leurs rubriques, toutes deux introduites par l’adverbe « ensi ». L’engendrement de Merlin est évoqué en puissance et en actes dans la deuxième et la troisième scène, par le biais d’un chiasme. Enfin le changement des temps verbaux (entre présent et passé simple) accompagne les initiatives de l’enfant dont le nom est mis en valeur syntaxiquement par le recours à l’adverbe interrogatif « comment ». Merlin prend les commandes de l’action après être passé du statut d’objet à celui de sujet et de la forme passive à la forme active. La référence au feu du bûcher dans la dernière rubrique peut suggérer une analogie entre la venue du Christ qui libère les hommes des flammes de l’enfer et l’intervention de Merlin qui prévient la condamnation et le supplice de sa mère. Le discours que portent les rubriques sur les images permet donc d’approfondir les relations qui se développent entre chacune des parties de la miniature, car la série n’est pas seulement organisée sur le mode de la succession chronologique. Arsenal, 3482 p. 1, un manuscrit de la première moitié du XIVe siècle151 qui transmet l’intégralité du cycle du Graal à l’exception de l’Estoire, présente le même type de configuration, mais le début du Merlin, qui est le premier texte du manuscrit, est davantage mis en valeur car la miniature est située en haut du premier folio (Figure 26). L’image occupe un plus grand espace par rapport au texte. Le folio liminaire est encadré d’une bordure végétale ornée de figures grotesques (une chasse est représentée dans la marge inférieure). La miniature, de la largeur de trois colonnes, est divisée en trois compartiments et suivie d’une initiale peinte de grande taille. Elle montre la conception de Merlin, l’enfermement de sa mère dans une tour et leur comparution devant le tribunal. Contrairement à BNF, fr. 749 f. 123 (Planche IV), la Descente aux enfers et le conseil infernal ne sont pas représentés, ce qui permet de focaliser l’attention sur l’histoire de Merlin sans insister sur la perspective de la Rédemption ou le complot diabolique de formation d’un antéchrist. 151

Voir Martin, Henri. Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l' Arsenal. Paris : Plon, 1887, vol. 3 p. 382-83.

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Figure 26 : Arsenal, 3482 p. 1 (1350’), Début du Merlin Conception de Merlin ; Merlin descendu de la tour ; Procès de la mère de Merlin

Le folio liminaire du Merlin dans BNF, fr. 105 f. 126 (Planche VI) et fr. 9123 f. 96 (Planche V), deux manuscrits réalisés à Paris au début du XIVe siècle, avec la participation du maître de Fauvel ou de son atelier152, se caractérise par le recours à la même disposition générale. Au centre de la page se trouve une grande miniature composée de neuf compartiments sur trois niveaux. Un espace sous la miniature est réservé pour l’inscription d’une rubrique, même si celle-ci n’est pas réalisée dans fr. 105. Le texte est écrit sur trois colonnes, qui commencent chacune par une initiale ornée de feuillage peinte en bleu et rose sur fonds doré. La bordure qui prolonge les initiales comprend une série de médaillons. BNF, fr. 105 y présente de façon homogène des rois chevaliers tandis que les scènes de la vie quotidienne représentées dans l’encadrement de fr. 9123 sont plus variées. L’organisation en compartiments de fr. 105 f. 126 est plus strictement marquée par l’emploi du cadre architectural, tandis que dans fr. 9123, si les trois niveaux horizontaux sont bien marqués, la séparation verticale est moins nette et plus irrégulière. Le premier registre des deux miniatures représente des démons, mais tandis que BNF, fr. 9123 se contente de montrer leur réunion et leur conseil, fr. 105 illustre en outre le massacre successif du troupeau de moutons puis des chevaux de Merlin l’Ancien. Dans fr. 9123 la composition symétrique adoptée au niveau supérieur suggère en diachronie la venue et le départ des démons (il semble que les mêmes personnages soient représentés deux fois),

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Voir Stones, Alison. «  The Artistic Context of le Roman de Fauvel  », Fauvel Studies  : Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque nationale de France, MS français 146. Dir. Margaret Bent et Andrew Wathey. Oxford : Clarendon press, 1998, p. 529-67.



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ou en synchronie leur rassemblement. Ce système binaire crée une tension structurelle car il transgresse les trois espaces distingués par l’emploi de colonnes et de fonds de couleur différente. Fr.  9123 représente donc une scène assez abstraite mais joue sur des effets de composition et de symétrie, tandis que les développements iconographiques de fr. 105 décomposent plus précisément les différentes étapes de la chronologie narrative. Au deuxième niveau, fr. 9123 présente le diable discutant avec la femme de Merlin l’Ancien qui lui explique qu’il pourra mettre en colère son mari en s’attaquant à ses biens, puis deux scènes qui montrent la réalisation du projet infernal avec la conception et la naissance de Merlin, représenté dans ce manuscrit sous la forme d’un enfant poilu. Le héros est donc plus rapidement introduit au cours du programme iconographique que dans fr.  105, où ce sont toujours les méfaits diaboliques qui sont illustrés et développés. Après avoir attaqué les possessions de Merlin l'Ancien, le diable s’en prend à deux membres de sa famille : il étrangle son fils, et pousse sa femme à se pendre. La dernière image de ce registre dans fr.  9123 semble pourtant conjurer ces malheurs car elle montre l’ermite Blaise qui supplante le démon pour conseiller les deux filles cadettes et les protéger contre le diable après la mort de leur père et le dévoiement de leur sœur aînée. Dans fr.  105, la conception de Merlin n’apparaît que dans le troisième registre et montre les limites de l’intervention du saint homme dans son action de conseil et de prévention. Le niveau inférieur de fr. 105 montre des événements qui précèdent la naissance de Merlin, il rend donc compte d’une section du début du roman plus courte que dans fr. 9123. La conception diabolique de Merlin vient clore la série des actions néfastes du diable, à la verticale d’un autre forfait commis dans l’intimité d’une chambre. Mais la deuxième image revient sur cette victoire et montre la mère de Merlin se confessant à Blaise, manifestant alors une alternance entre les avancées diaboliques et leur conjuration religieuse. La mère de Merlin entre, sous la menace d’un homme brandissant un gourdin, dans la tour où elle est consignée jusqu’à la naissance de son enfant. Merlin lui-même n’apparaît donc pas dans la miniature liminaire. Au terme de cette première série iconographique, l’issue de l’histoire semble donc plus incertaine dans fr. 105 que dans fr. 9123 mais la composition de l’image et le sens de la lecture donnent peut-être des indices concernant la résolution de ces aventures, puisque dans les miniatures situées à droite et en bas d’une diagonale allant du coin supérieur droit au coin inférieur gauche, la présence de Blaise contrebalance celle des diables qui dominaient dans le registre supérieur. Si Blaise est absent de la dernière miniature, c’est néanmoins grâce à lui que la condamnation de la mère de Merlin est différée jusqu’à son accouchement. Au niveau inférieur de fr. 9123, la mère de Merlin et son enfant sont amenés auprès du juge. La mère de Merlin risque le bûcher et la mise en images actualise cette menace. Dans le texte, la jeune

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femme n’y est pourtant jamais directement confrontée car l’intervention de son enfant conjure ce danger. Le face à face de Merlin et du juge fait enfin ressortir la différence de leur condition et rend d’autant plus frappante l’inversion du rapport de force qui s’effectue grâce aux dons extraordinaires du petit prodige. La gestuelle du juge et son agitation contrastent avec l’attitude sereine qu’il adoptait précédemment  : ses bras écartés et ses mains levées indiquent l’étonnement voire la frayeur du personnage153. On peut y voir la figuration d’une vive émotion et d’un instant particulièrement dramatique. Le juge réagit sans doute aux révélations extraordinaires de l’enfant. La place des soldats change donc entre la première et la dernière image de ce registre. Dans les deux premiers compartiments, les premiers gardes tiennent fermement la mère de Merlin, présumée coupable, pour la mener devant le juge et devant le bûcher. La dernière miniature montre cependant un soldat seul entre Merlin et le juge qui sont en train de discuter. La mère de Merlin s’absente de la dernière scène, car l’enjeu du procès et la question de la culpabilité se sont déplacés : c’est le juge dont les origines sont interrogées et qui devient suspect. La colonne qui délimite le deuxième et le troisième compartiment du dernier registre exprime ce renversement de situation, alors qu’aucune autre forme de délimitation spatiale verticale n’avait été employée depuis le niveau supérieur de l’image. Au final, si fr.  105 met en avant la figure de Blaise dont l’influence fait contrepoids à l’intervention du démon, il n’introduit pas encore le personnage de Merlin. La miniature frontispice de fr. 9123 accentue davantage la figure de l’enfant prodige et le développement narratif du procès de sa mère, ce que souligne la rubrique, absente dans fr. 105, qui insiste sur la conception de Merlin et sur ses dons surnaturels : « Ci commence li rommans de Merlin qui fu conceus de l’Anemi en sa mere en dormant et le deçut, et pour ce sot Merlins toutes les choses faites, dites et avenues. » (f. 126). L’enfant est donc bien au centre du texte qui n’est pas ici présenté comme « estoire » mais comme « roman » de Merlin, caractérisé par l’emploi de la langue vernaculaire. Au XVe siècle, les miniatures frontispices du début du Merlin prennent un tout autre aspect. À la géométrie carrée de la miniature liminaire de manuscrits comme BNF, fr. 105 f. 126 ou fr. 9123 f. 96 s’oppose ainsi la structuration différente du folio initial de BNF, fr. 96 f. 61 (Planche VII). On constate l’arrondissement des formes et une certaine liberté prise avec la stricte symétrie, bien que l’ensemble témoigne d’un agencement complexe avec une organisation jouant toujours sur la distinction des espaces et la présence de plusieurs niveaux. Le développement de différents enchaînements narratifs est ici subsumé par la présence d’une forte cohérence thématique. 153

Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge. 1982, vol. 1, p. 223 ss.



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Le conseil des démons est représenté au niveau inférieur, autour de l'image de Satan trônant en majesté. Sa tête porte trois cornes et trois visages, ce qui fait de lui une anti-Trinité.154 Le registre supérieur de l’image donne à voir le sort des damnés, voués aux supplices infernaux, auxquels est défendue l’entrée du paradis. Les cadres gothiques sont remplacés par une adaptation de la figure de la gueule qui devient la forme englobante de toute la partie inférieure de l’image. À la fin du Moyen Âge, la représentation des enfers et des supplices qui attendent les damnés est de plus en plus détaillée et donne lieu à des compositions picturales particulièrement dramatiques. Cet intérêt pour les espaces infernaux se fait sentir dans les manuscrits les plus tardifs du Merlin. Dans BNF, fr. 113 f. 117 (Planche I), le large espace réservé à la miniature n’est plus utilisé pour représenter une multitude de petites saynètes mais permet de déployer de façon imposante le motif topique de la Descente aux enfers. Enfin la miniature frontispice de BNF, fr. 91 f. 1 (Planche VIII), réalisée par le Maître de Charles de France155, qui présente une grande fresque synthétique non compartimentée, constitue un cas d’exception dans la tradition manuscrite du Merlin. Elle propose au spectateur un itinéraire complexe au sein de l’image qui joue de la perspective pour faire pénétrer par le regard dans les méandres de la narration156. L’utilisation de la perspective sert une composition soigneusement élaborée qui joue à la fois d’une progression de gauche à droite et d’un mouvement de va-et-vient entre l’arrière plan et le premier plan de l’image. À l’horizon de la miniature, on distingue une colline sur laquelle sont dressées trois croix. Cette référence à la passion du Christ peut se lire comme une évocation de l’Estoire del Saint Graal qui s’intéresse aux événements ayant suivi la crucifixion157. À gauche de ce plan central, un ciel chargé semble couvrir une scène à caractère infernal. Elle annonce peut-être la menace qui pèse sur les troupeaux de Merlin l’Ancien représentés au-dessous. Au premier plan à gauche de l’image est représenté de façon spectaculaire le conseil des démons. Un Satan monstrueux trône au milieu d’une foule de diables poilus, cornus et étrangement colorés. Au premier plan à droite de l’image, on assiste au massacre des bêtes de Merlin l’Ancien, qui au second plan contemple en présence de ses filles et de Blaise l’œuvre des démons qui provoquent la mort

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Voir Baschet, Jérôme. « Satan ou la Majesté maléfique dans les miniatures de la fin du Moyen Age », 1996, p. 197. Copié par le scribe Guillaume de la Pierre, ce volume comprend 24 miniatures réalisées en couleur (ff. 1 et 7 maître de Charles de France ; ff. 78-87 Jean Colombe) ou en camaïeu (ff. 12-76  : maître de Charles de France), et 12 esquisses (ff. 97-178  : Jean Colombe)  : sa décoration demeure inachevée. Voir Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520. 1993, p. 163 et 352-53. Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « L’intégration littéraire et iconographique du motif de la Descente du Christ aux Enfers à l’ouverture du Merlin », 2010, p. 225-58. Voir l’Estoire de Bruxelles, BR, 9246, qui forme un tout avec BNF, fr. 91.

72 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

de sa femme et de son fils. La présence anticipée de Blaise dans cette scène crée un effet de cohérence puisque le religieux semble prendre sous son autorité la future mère de Merlin avec laquelle il discute au plan suivant. En remontant la perspective du côté droit de l’image, apparaît la conception de Merlin dans une forteresse imposante trouée d’une fenêtre par où s’observe la scène. Ce dispositif évoque la faille par laquelle l’incube prend en défaut la conduite pieuse de la jeune femme et parvient à l’abuser. Les méandres de la voie qui mène à la dernière scène, constituée d’un nouveau tête-à-tête de la jeune femme et de son confesseur, symbolisent les errements de la jeune femme qui finit néanmoins par trouver le droit chemin. La construction de l’image est complexe, elle nécessite un parcours mouvementé et attentif qui seul permet de retrouver la logique à l’œuvre derrière la machination diabolique et de saisir les errements et le rachat de la mère de Merlin. Le dialogue qui se crée entre les différentes composantes de l’image, la crucifixion à peine distincte et l’effrayant conseil des démons, les victimes animales puis humaines de l’œuvre diabolique, la pénétration des démons dans la maison de Merlin l’Ancien puis leur succès auprès de sa fille, et la présence récurrente et rassurante de Blaise, pourtant insuffisante pour prévenir le désastre (bien qu’elle puisse en partie y remédier), sont autant de jeux de correspondances qui interrogent les rapports de force à l’œuvre dans l’histoire et le sens moral et symbolique du cheminement qu’elle propose. Si le premier plan inquiétant laisse mal augurer du destin de Merlin, l’horizon est porteur d’une lueur d’espoir. La Rédemption reste possible, mais elle ne semble pas encore assurée. L’itinéraire tortueux emprunté par la mère de Merlin qui expérimente successivement prospérité, affliction, faute et contrition devient ainsi emblématique du cheminement de l’humanité tout entière. La rubrique synthétise les éléments de l’histoire de Merlin en se focalisant sur la relation entre le conseil des démons et la conception diabolique de Merlin : « Cy commence l’istoire de Merlin, et comment par le conseil que tous les démons quy sont en enfer tindrent avesques leur dampné maistre Lucifer, il fut engendré dedans le corps de une fille vierge » (fr. 91 f. 1). La référence à Lucifer permet de concrétiser la référence à la cohorte infernale et correspond à la mise en avant de leur chef monstrueux dans la miniature, tandis que la mention de la virginité de la mère de Merlin renvoie au projet sacrilège de création d’un antéchrist, reprise parodique de l’incarnation de Jésus Christ.

Conclusion  Seules deux des sept initiales historiées marquant le début du Merlin sont placées en début de folio  ; une autre se situe en début de colonne,



Mise en page et illustration | Chapitre 1 73

mais dans la majorité des cas, le texte s’enchaîne à la suite de celui qui précède et seule l’image les sépare. Or dans onze des vingt-cinq manuscrits où le roman commence par une miniature, celle-ci se situe en début de folio (bien qu’au verso dans deux manuscrits). La miniature constitue un type de décoration plus monumental qui met davantage en valeur le début du texte, car elle se développe sur la largeur d’une à trois colonnes du texte, tandis que la plupart des initiales historiées n’ont la largeur que d’une demi-colonne. Le format de l’image détermine en partie les choix iconographiques à l’œuvre dans chaque manuscrit. Ainsi le début du Merlin fait l’objet de trois sujets d’illustrations privilégiés, la Descente aux enfers, le conseil des démons et les débuts de Merlin, qui se déclinent et se combinent dans différentes présentations du folio liminaire, des initiales historiées aux miniatures parfois compartimentées. Le choix liminaire de la Descente aux enfers fait dialoguer la fiction romanesque et l’histoire sainte, les sources d’autorité et la littérature de divertissement, rappelant les fondements d’un imaginaire imprégné de références religieuses. À l’ouverture du texte, l’image de la Descente aux enfers replace le roman dans son contexte culturel et idéologique et elle porte une dimension programmatique : manifestant la supériorité de la puissance divine sur les forces diaboliques, elle annonce l’échec prévisible des démons dans leur projet de création d’un antéchrist. La représentation du conseil démoniaque, tempérée ou non par sa mise en relation avec la Descente aux enfers, prend une dimension tantôt grotesque et parodique, jouant parfois avec le motif stéréotypé du conseil royal, tantôt inquiétante et menaçante, quand se développe la peinture des forfaits commis par la troupe des envoyés du diable. Si le diable échoue à faire du jeune Merlin un antéchrist, il sème le désastre, la corruption, arrachant un à un les membres de la famille de Merlin l’Ancien. Celui-ci se révèle incapable de reproduire l’irréductible fidélité de la figure de Job dans l’épreuve et la persécution. Quant à la mise en images de la conception de Merlin, des tribulations judiciaires de sa mère et des débuts de l’enfant prodige, la façon dont ils sont introduits et / ou articulés permet d’insister sur l’ambivalence fondamentale du personnage de Merlin, d’alimenter le suspens narratif et de manifester les dons surnaturels de l’enfant. L’apparition récurrente de la figure de Blaise entre alors en tension avec l’évocation des manœuvres diaboliques et déplace sur un autre niveau le conflit de valeurs qui se pose au début du texte et que cristallise le personnage paradoxal de Merlin. La composition des images, leur développement parallèle ou leur subdivision en compartiments permettent ainsi d’isoler ou de mettre en relation différentes composantes du texte dont ils orientent la lecture. Les rubriques comme les illustrations servent à exposer le début du texte et l’histoire de Merlin mais

74 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

elles peuvent se détacher de l’image, soit pour expliquer ce que la représentation n’indique que partiellement, soit pour introduire d’autres éléments.

1.2. La fin du Merlin et le début de la Suite Vulgate :  le ­difficile couronnement d’Arthur Si la mise en page du début du Merlin nous renseigne sur la place attribuée à ce texte dans l’économie d’un ouvrage manuscrit, tandis que l’illustration initiale de ce texte ouvre des pistes de lecture de l’œuvre, l’étude du folio liminaire de la Suite Vulgate permet de mieux cerner le statut de ce texte dans son articulation avec le Merlin. La délimitation des deux œuvres se révèle parfois problématique. Il est rare que la présentation manuscrite mette en exergue le début de la Suite comme un nouveau seuil romanesque égal à celui adopté au début du Merlin. Le plus souvent, malgré le recours à l’illustration, si développée qu’elle en perd sa fonction de mise en valeur spécifique, l’absence de distinction nette entre les deux textes souligne leur relation de continuité et la cohérence de l’ensemble qu’ils forment. 27 des 36 manuscrits comprenant le Merlin et la Suite Vulgate sont illustrés. Parmi eux, 20 manuscrits comportent ou prévoyaient une image au début de la continuation158. Cette mise en valeur ne suffit pas cependant à marquer le début d’un nouveau texte : dans quatre manuscrits seulement la mise en page indique le passage à une autre œuvre, avec changement de folio, recours à une illustration frontispice, ou présence exceptionnelle d’une image liminaire. La matérialité de sa transmission manuscrite souligne alors l’absence d’autonomie de la Suite Vulgate -qui par ailleurs n’est jamais copiée sans le Merlin propre, sauf dans le cas de fr. 337 où le Livre d’Artus est placé après la Suite Vulgate. C’est en la replaçant dans le système décoratif de chaque manuscrit qu’on peut repérer et évaluer l’importance de la présentation adoptée au niveau de cette transition. Dans les manuscrits où une illustration marque le début de la Suite, cette image détermine une lecture idéologique de l’œuvre. Si la plupart du temps, l’illustration insiste sur l’élection divine du jeune roi Arthur et sur son couronnement, ce sont parfois les difficultés politiques rencontrées par le nouveau roi ou ses stratégies pour y remédier qui focalisent l’attention.

1.2 a.  Délimiter la fin du Merlin propre : une entreprise problématique Les manuscrits du Merlin sans suite 158

Je n’ai pas pu vérifier le début de la Suite Vulgate pour l’ex-Phillipps, 1047 (collection privée Lebaudy) et l’ex-Newcastle 937 (collection privée en Suisse).

Paris, Arsenal, 2997

Chantilly, Condé, 644

Paris, Arsenal, 2996

Ex-Amsterdam, BPH, 1

Londres, BL, Add. 32125

3.

4.

5.

6.

7.

Date

Lieu

1320’

37

60v

163

Angleterre ou Nord de 245v la France

Saint-Omer, Tournai ou Gand

Nord

fin XIIIe, début XIVe s.

1310-20’

Italie

fin XIIIe s.

37v

 ?

XIIIe s.

135v

Folio

Thérouanne ou Sud de 75v la France

Paris ou Champagne

1230-50’

1220’

Fin particulière qui apparaît aussi dans BNF, fr. 747 et Amsterdam, BU, I A 24 q (fragment).

Paris, BNF, fr. 748

2.

159

Rennes, BM, 255

1.

Dépôt, Cote

Tableau 6 : La fin du Merlin dans les manuscrits du Merlin sans suite Situation

Ensi fu Artor eslit au roi du realme de Logres. Et jo, Robert de Borrom, qui cest livre retrais par l’enseignement du livre du Graal, ne dei plus parler de Artors tant que j’oraie parlé de Alanz le fiz Bruns e que jo eie mustré e devisé par reson pour quex choses les peines de Bretaigne furent establies e, einsi com li livres nous reconte, quels hom il fu et quele vie il mena e quex heur i[...]s de li et quel vie li heir menerent et quant j’orai de li parlé, si reparlerai de Artors e [ f. 245d] prendrai les paroles de li e de sa vie e sa electioun a son sacree159.

Ensi fu Artus esleus a roi et tint la terre et le roiaume de Logres en pais lonc tans.

[Fin illisible et incomplète]

Ensin fu Artus esleuz a roi et tint la terre et lo regne de Logres lonc tems en pais. Ci fenis li contes de maistre Blaise que plus ne parole des faiz Merlin en cestui livre, ne plus ne truis escrit.

Issi fu Artus esleuz a roi et tint la tere et le regne de Logres lonc tens en pez. Ci faut l’Estoire de Merlin. Dex l’aduie a bone fin, qui cest livre a acompli. Amen. Amen. Chascuns en die : « Que Damedex le benoye ».

Et l’arcevesques ot apareilliee la corone et lou sagre la voille de Panteouste. Lou samedi devant vespres parla et ... (Pl. I, 772) [Incomplet des dernières lignes]

En tel maniere fu Artus elleuz a roi. Et tint la terre et le roiaume de Logres lonc tens et en pes.

Mise en page et illustration | Chapitre 1 75

Florence, Riccardiana, 2759

Florence, Marucelliana, B VI 24

Venise, Marciana, App. Cod. XXIX (243)

Vatican, Vat., Reg. lat. 1517

Paris, BNF fr. 113

Paris, BNF fr. 1469

8.

9.

10.

11.

12.

13.

Dépôt, Cote

Lieu

Centre Picardie ?

1475’

2e moitié du XVe s.

 ?

Italie

2e moitié XIVe s.

1380

Italie

Italie

XIVe s.

début XIVe s.

Date

122v

150v

179v

32v

74

59

Folio

Tableau 6 : La fin du Merlin dans les manuscrits du Merlin sans suite (suite) Situation

Quant Artus fu sacré et la messe fu celebree, les barons yssirent touz hors de l’église et regarderent et ne voyrent plus de perron ne ne sceurent qu’il fu t devenu. Ainsi fut Artus esleu a roy et tint la terre et le royaume de Longres long temps en paiz. G. Papin. Icy finit la Prophecie Merlin Redigee de Picart en Franczoys Qui est tel quel au mieulx que l’entendoys. A l’escripvain doint Jhesus bonne fin.

Ainsi fu Artus esleuz a roy et tint la terre et le royaume de Logres long temps.

Ensi fu Artus esleus a roi et tint la terre et le regne de Logrez lonc tens en pais. Si fenist li livres Mellin que Blaises ses maistres escript. Qui le sen de Mellin en son cuer renteroit Des belles damoiselles sa volenté feroit.

... «Artus, alez querre l’espee et la jostice dont vos devez deffendre Sainte Iglise et la Crestiente garder a votre pooir ». (Pl. I, 774) [Incomplet des dernières lignes]

Si tint le roiaume et le païs et la gent longuement en pais. Mes revint Merlin et tesmoigne comment li rois Artus avoit esté fiz au roi Uterpandragon et a lla roine Yguerne entre lui... [ folio endommagé] et puis par son conseil [...] la Table Reonde. Et li rois [...] par sa bonté et par sa largesse [...] sa chevalerie sormist desus [...] chevalerie dou siecle.

Ensi fu Artu esleu rois et tint la terre e lo regne de Logres et fu compli por lui la Table Reonde que fu faite por Merlin. Explicit liber Merlini. Deo Gratias. Amen. Nicolaus Merlinus scripsit.

76 Chapitre 1 | Mise en page et illustration



Mise en page et illustration | Chapitre 1 77

-La présence d’un explicit  Au terme du Merlin se trouvent parfois des phrases de conclusion qui marquent la fin de l’œuvre tout en donnant des indications externes sur le texte, son auteur supposé ou encore le scribe qui l’a copié. Le nom donné à l’ouvrage renseigne sur la façon dont il était considéré, ainsi Paris, Arsenal, 2997 indique « Ci faut l’estoire de Merlin », signalant par le terme d’estoire, utilisé pour désigner une narration d’événements tantôt fictifs tantôt historiques, la fin du récit consacré au personnage de Merlin. L’appel à la bénédiction de celui « qui cest livre a acompli » suggère que le travail a été réalisé par un copiste de statut ecclésiastique. La référence au «  livre  » est presque systématique dans les explicits qui renvoient ainsi à la matérialité de l’ouvrage produit. Il s’agit d’un « livres Mellin » consacré à l’histoire du prophète dans Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini, 1517 et d’un « liber Merlini » dans Florence, Biblioteca Riccardiana, 2759, dont le scribe se distingue par l’utilisation finale du latin, ce qui pourrait renvoyer, comme la formule d’action de grâce, à sa formation cléricale. Le couplet final d’alexandrins situé à la fin du premier manuscrit substitue pourtant aux formules de dévotion une maxime qui suggère l’utilisation du savoir merlinesque dans une perspective courtoise et galante : « Qui le sen de Mellin en son cuer renteroit/Des belles damoiselles sa volenté feroit » (BAV, Reg. lat. 1517 f. 179v). Le livre peut en outre se référer, comme dans Londres, BL, Additional 32125, à la source textuelle sur laquelle le présent ouvrage se fonde : « cest livre retrais par l’enseignement du livre du Graal  » (f. 245v). Cette mention accroît l’autorité du texte et fait écho à la mise en scène de l’origine sacrée du texte au début de l’Estoire del Saint Graal. Les figures de l’auteur, du narrateur et du copiste tels qu’ils sont mentionnés dans les explicits sont mouvantes, de l’impérieux «  jo, Robert de Borrom, qui cest livre retrais  » dans BL, Add. 32125, à Blaise, source de l’écriture (dans Vat., Reg. lat. 1517) ou du conte (dans Chantilly, Musée Condé, 644 f. 163, qui met en lumière le mode de transmission du texte et la relation entre oral et écrit), et aux scribes qui se nomment, du facétieux « Nicolaus Merlinus » de Florence, Riccardiana, 2759 au « G. Papin » de BNF, fr. 1469. À la fin du XVe siècle, ce dernier se présente comme l’auteur d’une translation de «  picard  » en «  français  » destinée à faciliter en la modernisant la compréhension de l’œuvre. Il se place à nouveau sous la protection divine et intitule l’ouvrage « Prophétie Merlin » alors que ce dernier comprend le Joseph d’Arimathie et le Merlin propre, jouant peut-être de la plus grande notoriété des prophéties et de l’intérêt qu’elles ne cessent de susciter. Le manuscrit BNF, Naf. 4166, qui comprend le Joseph, le Merlin et le Perceval présente la trilogie comme « le roman des Prophéties Merlin »,

78 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

à la fois en introduction et en conclusion (ff. 2 et 126v), une désignation qui peut sembler réductrice mais recourt sans doute à la même stratégie promotionnelle en rajoutant la précision linguistique « roman » qui constitue aussi un indice du caractère narratif du texte. L’hétérogénéité de l’énoncé paratextuel qui clôt le Merlin est plus ou moins marquée sur le plan stylistique, visuel et même linguistique, avec le passage au latin. Du point de vue textuel, on note l’emploi de tours formulaires, le recours au vers plutôt qu’à la prose et les changements temporels et énonciatifs. Au niveau de la mise en page ressortent l’écart ménagé par rapport à la fin du texte, le choix d’une encre de couleur rouge, l’alignement à gauche, l’utilisation de capitales ou l’adoption d’un format et d’une graphie différentes. Ce sont autant d’indications témoignant de la spécificité de l’énoncé assumé par la figure du copiste-éditeur, à cheval entre l’univers diégétique qui se clôt et son actualisation par la lecture. Or la fin du récit est elle-même l’objet de variations textuelles témoignant d’une forme d’intervention littéraire de la part de celui qui prend en charge le terme de la narration ou s’efforce de ménager une transition du Merlin propre à ses continuations.

-La fin traditionnelle du Merlin propre Les manuscrits contenant le Merlin sans ses continuations sont les plus aptes à nous éclairer sur la fin de ce texte. La phrase « Ensi fu Artus esleüs a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais » (Pl. I, 774), clôt ainsi le Merlin dans la plupart des manuscrits sans suite (Rennes, BM, 255, Arsenal, 2997, Chantilly, Condé, 644 au XIIIe s, ex-Amsterdam, BPH, 1, Vatican, Bibl. Vat., Reg. lat. 1517 au XIVe s., BNF, fr. 113 et BNF, fr.  1469 au XVe  s.)160. Comme le soulignait déjà Alexandre Micha, cette phrase de conclusion traditionnelle du Merlin est problématique : elle introduit une pause dans le récit, mais le mystère de sa naissance n’a pas encore été révélé à Arthur. Merlin s’est absenté jusqu’après l’élection et il n’a pas encore reparu161. Dans Venise, Biblioteca Marciana, App. Cod. XXIX (243) (XIVe s.), les dernières lignes du Merlin sont omises : le texte se clôt sur les exhortations de l’archevêque Brice qui rappelle au souverain son devoir de protection à l’égard de la communauté chrétienne  : «  Artus, alez querre l’espee et la jostice dont vos devez deffendre Sainte Iglise et la Crestienté garder a votre pooir » (f. 32v, Pl. I, 774). Cette conclusion fait résonner la responsabilité morale et les devoirs religieux du souverain.

160

161

Il n’est pas possible d’étudier dans cette perspective, les ouvrages où soit le dernier folio est manquant (BNF, fr. 748) soit le manuscrit est incomplet de la fin (Arsenal, 2996). Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, p. 19.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 79

-L’ajout d’une conclusion/ transition162  Dans BL, Add. 32125, BNF, fr. 747 (le manuscrit du Merlin choisi et édité par Alexandre Micha) et Amsterdam, BU, I A 24 q (un fragment) le Merlin se poursuit sur quelques lignes qu’on a pu considérer comme interpolées qui mentionnent le nom de Robert de Boron et annoncent la Suite Vulgate : Einsis fu Artus esliz et fait roi dou roiaume de Logres et tint [f.  102v] la terre et le roiaume en pais. Et je Rebert de Borron qui cest livre retrais par l’enseignement dou Livre dou Graal ne doi plus parler d’Artus tant que j’aie parlé d’Alain le fil Bron et que j’aie devisé par raison por queles choses les poines de Bretaigne furent establies, et einsis com li livres le reconte me covient a parler et retraire quels hom il fu et quel vie il mena et quels oirs oissi de lui et quel vie si oir menerent. Et quant tens sera et leus et je avrai de celui parlé, si reparlerai d’Artus et prendrai les paroles de lui et de sa vie a s’election et a son sacre (BNF, fr. 747 ff. 102-102v)163.

La Suite Vulgate est effectivement présente dans le second manuscrit, mais pas dans le premier, qui conserve seulement le Merlin propre. Dans BL, Add. 32125, la phrase qui précède le passage de conclusion, « Ensi fu Artor eslit au roi du realme de Logres », coupe court à la mention des débuts du règne d’Arthur. Seul l’énoncé résomptif est conservé, tandis que sont omis des éléments proleptiques qui ne seront développés dans le passage de conclusion qu’après l’évocation d’une branche intermédiaire du récit consacrée à l’histoire d’Alain, le fils de Bron. À l’inverse, c’est l’évocation de l’histoire d’Alain qui pose problème dans fr. 747, puisque ce manuscrit enchaîne sur la Suite Vulgate. Dans Florence, Biblioteca Marucelliana, B VI 24, quelques phrases ajoutées après la fin traditionnelle du Merlin propre annoncent le retour de Merlin qui va révéler les origines d’Arthur164. Ces développements conclusifs témoignent du caractère problématique de la fin du Merlin qui ne semble pas apporter une résolution narrative suffisante mais appelle une continuation, que celle-ci soit copiée ou non à la suite du Merlin dans le manuscrit en question. L’absence de la suite et la conscience de cette absence peuvent expliquer ces ajouts à la fin du texte. Ils sont associés à des transformations de la phrase finale du Merlin. Si la conclusion du manuscrit de Florence, Marucelliana, B VI 24 évoque la création de la Table Ronde et souligne l’importance de la chevalerie arthurienne, un autre témoin d’origine italienne datant du XIVe siècle en fait aussi mention : Florence, Biblioteca Riccardiana, 2759. La der162 163 164

Voir Annexe 3, La transition entre le Merlin et ses suites, p. 486. Robert de Boron. Merlin, roman du XIII e siècle. Ed. Alexandre Micha, 1979, p. 290-91. « Si tint le roiaume et le païs et la gent longuement en pais. Mes revint Merlin et tesmoigne comment li rois Artus avoit esté fiz au roi Uterpandragon et a lla roine Yguerne entre lui... » (Florence, B. Maruc. B VI 24, f. 74). Le dernier folio est endommagé et la fin du texte difficilement lisible.

80 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

nière phrase de cet ouvrage, « Ensi fu Artu esleu rois et tint la terre e lo regne de Logres et fu compli por lui la Table Reonde que fu faite por Merlin » (f. 59) omet les compléments « longtemps en paix », et choisit donc au lieu d’ouvrir le texte sur l’avenir du règne d’Arthur, de revenir ultimement sur l’action passée de Merlin et sur l’instauration de la Table Ronde, pourtant créée au temps d’Uterpandragon. On conserve alors la récapitulation de la fin du récit en renonçant à l’anticipation des événements consécutifs. Dans ce cas, l’omission de toute référence finale à la Suite Vulgate vise à accentuer l’autonomie du Merlin propre.

Le passage du Merlin à la Suite Vulgate165  -Une articulation contradictoire ? Einsin fu Artus receuz a roi et tint la terre et le roiaume de Logres lonc tens en pais. Ci endroit dit li contes que a la mi aoust aprés ce que li rois Artuz fu coronez, il tint court anforciee grant et merveilleuse (Tours, BM, 951 f. 223v-24).

Dans les manuscrits qui transmettent à la fois le Merlin et la Suite Vulgate, c’est également après la formule « Ensi fu Artus esleüs a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais » (Pl. I, 774) que se situe la plupart du temps une démarcation entre les deux textes. On peut y voir un écho à la structuration de la partie arthurienne du Brut de Wace où après avoir vaincu les Saxons, épousé Guenièvre et conquis l’Irlande, le roi Arthur rentre en Angleterre et profite de douze ans de paix avant d’entreprendre la conquête de la France166. Il s’agit d’une parenthèse temporelle où peuvent se dérouler des aventures merveilleuses chevaleresques comme celles qui seront narrées par Chrétien de Troyes et qui mettent en scène des membres de la cour plus qu’Arthur lui-même. Ces fables, auxquelles Geoffroy de Monmouth ne fait pas référence, sont seulement mentionnées de façon allusive dans le récit de Wace167, écrit en langue vulgaire, mais dont le projet demeure historiographique. Elles sont complètement passées sous silence dans la Suite Vulgate où le retour aux entreprises guerrières d’Arthur est encore plus brutal. Finir le Merlin sur cette référence intertextuelle, c’est comme dans le Brut, bien que de façon nettement plus sibylline, par le biais de la citation, ouvrir le texte vers un ailleurs littéraire qui n’est pas non plus exploité dans le cadre de l’œuvre. 165

166

167

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Les variations formelles d’un moule stylistique : rubrique, texte et image à la charnière du Merlin et de sa Suite Vulgate », Effets de style au Moyen Âge. Dir. Chantal Connochie-Bourgne et Sébastien Douchet. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, Senefiance, 58, 2012, p. 337-47 et 389-90. « Duze ans puis cel repairement / Regna Arthur paisblement », Wace. Le Roman de Brut. Ed. Ivor Arnold, Paris : Firmin-Didot, SATF, 1938-1940, vol. 2 vv. 9731-32 [RB]. « En cele grant pais ke jo di, / Ne sai si vus l’avez oï, / Furent les merveilles pruvees / E les aventures truvees / Ki d’Arthur sunt tant recuntees / Ke a fable sunt aturnees : / Ne tut mençunge, ne tut veir, / Ne tut folie ne tut saveir » (RB, vv. 9787-94).



Mise en page et illustration | Chapitre 1 81

Dans la chronologie interne du cycle du Lancelot Graal, les aventures des chevaliers arthuriens font l’objet de récits ultérieurs, dans le Lancelot et la Queste. Mais les romans en prose, dans leur perspective totalisante, replacent les aventures chevaleresques au sein d’un cadre historique et politique plus général. Ainsi le Lancelot en prose, contrairement au Chevalier à la Charrette, ne se concentre pas uniquement sur les aventures du personnage éponyme, mais commence par l’évocation du conflit des rois Bans et Bohort avec Claudas sur le continent. Qu’on lise le Merlin avant la Suite Vulgate ou le Lancelot, ce sont toujours par des guerres et non des aventures chevaleresques que se poursuit l’histoire du règne d’Arthur. L’enchaînement du Merlin propre avec le Lancelot ne pose pas de problème car on peut envisager un écart temporel important entre les deux textes168. La Suite Vulgate a pour objet de s’insérer entre le Merlin et le Lancelot. Mais alors que dans le Merlin, Arthur a été sacré et couronné à la Pentecôte, le début de la suite indique le plus souvent que c’est à la mi-août qu’il réunit sa cour plénière169. Le jeune roi se trouve ensuite confronté à l’opposition de ses grands seigneurs. Cette articulation est problématique car Arthur n’a pu jouir que de quelques mois de répit, ce qui semble insuffisant pour parler d’une longue période de paix. C’est pourtant une configuration qu’on trouve au XIIIe s. dans Oxford, Bodl. Douce 173, BNF, fr. 770, Tours, BM, 951 et BNF, fr. 344, au XIVe s. dans Cambridge, UL, Add. 7071 et au XVe siècle dans Chantilly, Condé, 643, Arsenal, 3479, BNF, fr. 117, Arsenal, 3350 et St Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, fr.  F.  pap. XV. 3. Dans BNF, fr. 747, ces deux phrases sont employées, mais le conflit de ces énoncés est atténué par l’ajout d’un passage conclusif intercalé entre elles170. La rédaction de la Suite Vulgate rend paradoxalement inutile et contradictoire la mention, tirée du Brut, de cette longue période de paix à la fin du premier texte, alors même que la matière développée chez Wace et avant lui chez Geoffroy de Monmouth est une source d’inspiration déterminante pour cette continuation du Merlin.

168

169

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Pour Annie Combes cependant, «  les guerres féodales, à l’ouverture du Lancelot, se situent immédiatement après l’événement qui clôt le Merlin : la montée d’Arthur sur le trône de Logres. [...] Tel est le paradoxe avec lequel a dû se débattre l’auteur de la Suite : afin de développer la transition nécessaire entre les deux œuvres, il fallait pouvoir compter sur une durée intercalaire ; or, cet intervalle n’existe pas ». « Le roman des récits croisés : le vol du temps dans la Suite du Merlin », Le Moyen Âge, 2009, 3-4, t. CXV, p. 589. BNF, fr. 337, le manuscrit qui comprend uniquement la Suite Vulgate et le Livre d’Artus, commence aussi par « Ci endroit dit li contes que a la mi ost, après ce que li rois Artus fu coronez » (f. 1). Dans BNF, fr. 110 et 96 et fr. 117, la miniature qui met en valeur ce passage se trouve légèrement décalée, en amont de la cérémonie du couronnement dans les deux premiers manuscrits, et au moment de la sortie de l’épée de l’enclume dans le troisième.

82 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

-Résolution par la remise en cause de la pax arthuriana  L’étude de la fin du Merlin dans les témoins manuscrits ayant transmis ce texte sans suite suggère que la formule « Ensi fu Artus esleüs a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais » (Pl. I, 774) constitue l’endroit précis où historiquement s’est greffée la Suite Vulgate. Mais la conclusion du Merlin, qui suggère le bon déroulement du règne du nouveau roi et sa consolidation dans la durée, est problématique car elle se trouve contredite par le début de la Suite Vulgate. La continuation commence en effet par souligner les difficultés d’Arthur à faire accepter son autorité face à des barons rebelles qui contestent sa légitimité. Alexandre Micha notait déjà que l’opposition des grands vassaux, qui peut s’expliquer par la naissance trouble d’Arthur, manifeste l’influence de la production épique qui oppose à Charlemagne des figures prestigieuses comme Girart de Vienne, Girart de Roussillon, Ogier le Danois, ou présente le danger qui menace le jeune Louis dans le Couronnement171. La Suite Vulgate s’évertue à démontrer la valeur d’Arthur et son bon droit à gouverner l’ensemble de la Grande-Bretagne, mais l’ouverture du texte témoigne de fortes oppositions à cette domination. Beate SchmolkeHasselmann souligne ainsi comment les chroniques nationales écossaises des XIVe et XVe siècles, en réaction aux romans français en vers, s’évertuent à dévaluer Arthur et les Anglais pour mieux exalter leur propre nation172. Leurs critiques d’Arthur se fondent principalement sur la mise en avant de sa naissance illégitime : comme le lui reprochent les barons de la Suite Vulgate, il s’agit d’un bâtard conçu hors des liens du mariage. Le début du règne d’Arthur n’est donc pas pacifique, mais consiste en une période troublée pendant laquelle Arthur se trouve en conflit armé avec les plus grands seigneurs de son royaume. C’est peut-être pour résoudre cette contradiction que dans un tiers des manuscrits où le Merlin est transmis avec la Suite Vulgate, cet endroit charnière du texte semble avoir été modifié. 1- La mention de ce long intervalle de paix a pu être retournée sur un mode négatif, comme au XIIIe siècle dans Berkeley, Bancroft, 106, II : « En tel maniere fu Artus esleu a rois et tint le roiaume de Logres, mais ce ne fu mie longuement en pes » (f. 26). La même formule est utilisée au XIVe s. dans BNF, fr. 105 et 9123, Arsenal, 3482 et New Haven, Beinecke, 227. Le procédé est repris de façon assez maladroite dans New York, Pierpont Morgan, 171

172

Micha, Alexandre. « Les sources de la Vulgate du Merlin », De la chanson de geste au roman, Genève : Droz, 1976, p. 301. Schmolke-Hasselmann, Beate. The Evolution of Arthurian Romance : the Verse Tradition from Chrétien to Froissart. Cambridge : Cambridge University Press, 1998, p. 285-86.



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Library, 207-208 (1450’) : « En tel maniere fu Artus esleus au roy et tint la terre et le reingne de Logres tout em pes mie une grant piece » (f. 145v). Enfin l’expression a été modalisée dans BNF, fr. 91 (1480’), qui appartient à la même famille textuelle que fr.  105 et 9123  : «  En telle magniere fut Artus eslu a roy et tind le royaume de Logres bien pou en pais » (f. 52). Ces jeux de raccommodage ne se limitent pas aux versions françaises du texte, car dans le poème néerlandais regroupant la traduction du Merlin en prose par Jacob van Maerlant (1261) et celle de la Suite Vulgate par Lodewijc van Velthem (1326), la phrase de conclusion du Merlin propre remplace le terme de paix (« vreden ») par son antonyme, guerre (« onvreden »). La préfixation négative de ce terme contribue donc au retournement sémantique de la proposition, manifestement dans le but d’introduire la continuation et les conflits politiques et militaires marquant le début du règne d’Arthur. À cette transformation ponctuelle s’ajoute dans ce texte un commentaire conclusif indiquant la fin d’un épisode et annonçant les confrontations armées d’Arthur et de ses barons173. 2- Le passage litigieux a pu être modifié, comme dans Cologny, Bodmer, 147 (XIVe s.), un manuscrit où le Merlin et la Suite Vulgate sont séparés par une interpolation d’une Histoire de Troie. La formule adoptée, « Ainsi fu Artus esleuz a estre roy dou païs  » (f.  161), omet la dernière partie de la phrase et profitant peut-être de l’homographie entre « pais » et « païs » constitue une tentative de réfection du complément de manière « en pais » auquel est substitué un complément du nom «  roi  ». Dans BNF, fr.  98 (XVe s.), toute la fin du passage a été supprimée : « Ainsi fuit Artus esleus a roi et tint la terre et le royalme de Logres » (f. 152), ce qui résoud la difficulté. Le problème de l’articulation du Merlin et de la Suite Vulgate s’est donc posé aux scribes qui ont copié le manuscrit et différentes solutions ont été trouvées afin de remédier au problème. 173

« Dus war Artur koninck gekoren / De dat lant van Logres unde de steden / Lange hilt myt groten onvreden / Als gij horen zult hier naer / Want nu irst ginck an al dar / De hate unde dat strijden / Dat lange durde op em in nijden / Van den baroenen wijde unde sijde / De he al verwan myt strijde / Hier endet dat kronement ter ure / Van den koninge Arture / Nu sult gij voert horen de strijde / De em geschieden in sinen tijde » (Ainsi Arthur fut élu roi et il régna longtemps sur le royaume de Logres et ses cités en guerre, comme vous allez l’entendre par la suite, car il y eut d’abord des batailles et des affrontements menés contre lui qui durèrent longemps, à cause de barons à la fois proches et éloignés, qu’il vainquit au combat. Ici se termine l’histoire du couronnement d’Arthur, vous allez désormais entendre parler des conflits qu’il dut affronter en son temps). Jacob van Maerlant. Merlijn, naar het eenig bekende steinforter handschrift. Ed. Johannes van Vloten, Leiden : E. J. Brill, 1880 ; Jacob van Maerlant en Lodewijk van Velthem. Merlijn, de tovenaar van koning Arthur. Ed. Frank Brandsma. Amsterdam : Atheneum-Polak & Van Gennep, 2004, vv. 10080-90. Voir aussi Claassens, Geert et Johnson, David. «  Arthurian Literature in the Medieval Low Countries  : an Introduction  », King Arthur in the Medieval Low Countries. Louvain  : Leuven University Press, 2000, p. 19-21. Voir Annexe 1 : La postérité du Merlin, sa diffusion européenne et ses versions imprimées.

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-Résolution par le recours à l’indéfini temporel : la version β La transformation de l’énoncé a aussi pu être reportée de la dernière phrase du Merlin à la première phrase de la Suite Vulgate : si Arthur a effectivement bénéficié d’une longue période de stabilité politique au début de son règne, il faut repousser dans le temps le conflit qui l’oppose aux barons rebelles. Le remplacement de l’indication « à la mi août » par l’indication temporelle indéfinie « un jour » est une autre manière de régler la contradiction. À l’exception d’Arsenal, 3479, tous les manuscrits de la version courte de la Suite Vulgate (BNF, fr. 19162 et 24394, Bonn, ULB, 526 : « Ensi fu Artus esleüs a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais tant que un jour fist a savoir par toute la terre qu’il tenroit court esforcie » (f. 79), BNF, fr. 95 et BNF, fr. 110 au XIIIe s., Darmstadt, ULB, 2534 et BL, Add. 10292 au XIVe s. et BL, Harley 6340, BNF, fr. 332 et BNF, fr. 96 au XVe s.) adoptent cette solution, de même que BNF, fr. 749 qui présente une version contaminée. La mise en page de l’articulation du Merlin et de ses suites montre qu’il existe une assez grande liberté par rapport au repère choisi dans la majorité des manuscrits. Tantôt on exhibe l’articulation de deux textes distincts, quitte à redistribuer ce qui relève de l’un ou de l’autre, en redéfinissant leurs frontières et en jouant sur le (dé)placement du point de référence établi par la tradition, tantôt on dissimule la couture des deux œuvres de façon à renforcer la cohérence et l’unité de l’ensemble qu’elles forment. Si des variations textuelles témoignent d’un effort pour mieux articuler le Merlin et sa Suite Vulgate, la distinction de l’œuvre originale et de sa suite dans leur présentation manuscrite n’est pas systématique : parfois ce passage est très peu marqué voire complètement oblitéré. À la fin du XIIIe siècle, Bonn, ULB, 526 constitue un cas original dans la mesure où le début de la continuation est bien marqué mais reporté à un endroit assez distant. La Suite Vulgate est en outre dotée d’un titre spécifique : les « premiers faiz le roy Artu » (f. 82). La mise en valeur visuelle d’un passage dépend enfin de son placement sur la page et du recours ou non à l’enluminure, mais pour apprécier le poids donné à ces éléments, il faut se référer au système adopté dans chaque manuscrit et à la hiérarchie interne des types de décoration.

1.2 b. L’absence de signalisation visuelle du passage à la Suite Vulgate Très souvent, l’ouverture de la Suite Vulgate n’est pas mise en exergue dans la présentation manuscrite. La transition du Merlin à la Suite Vulgate s’effectue dans le courant du texte, sans aucun signe révélateur du passage du texte original à sa continuation. Cela concerne notamment les manuscrits de la version β qui tend à gommer la transition entre le Merlin et sa suite, et les présente



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alors comme une œuvre unique. Le non marquage du début de la Suite Vulgate apparaît aussi bien dans des manuscrits peu décorés que dans des ouvrages contenant un programme illustratif développé. Dans ce cas, l’absence de mise en valeur est d’autant plus remarquable qu’elle contraste avec la pratique habituelle. Les enluminures marquent parfois d’autres endroits de la narration en évitant le point précis du passage du texte original à sa continuation. Ainsi au XIIIe siècle dans BNF, fr.  19162 et 24394 (β), aucun indice visuel ne marque le passage du Merlin à la Suite Vulgate là où il s’opère habituellement, alors que la mise en page distingue plusieurs niveaux de subdivisions textuelles par le recours à de nombreuses miniatures et lettrines. C’est l’indication d’une intégration particulièrement forte du texte et de sa suite. Turin, BNU, L.III.12 ne distingue pas non plus le début de la Suite Vulgate par une miniature, alors qu’il s’agit pourtant d’un manuscrit enluminé. Au XIVe siècle, dans le manuscrit de Darmstadt, ULB, 2534, l’Estoire et le Merlin commencent par une initiale historiée, mais ce n’est pas le cas pour la Suite Vulgate où le passage du texte à sa continuation n’est pas marqué. La différence de traitement entre le début du Merlin et celui de la Suite Vulgate est encore plus apparente dans BNF, fr. 749, un manuscrit abondamment enluminé, où le début de la continuation n’est pas même indiqué par l’emploi d’une miniature simple, tandis que l’ouverture des deux premiers textes de la compilation est mise en valeur par l’utilisation d’une miniature compartimentée qui s’étend sur toute la largeur du folio. Au XVe siècle, dans BNF, fr. 98 (α), une lettrine filigranée de deux UR marque bien le début de la Suite Vulgate, mais ce type de subdivision est omniprésent dans le manuscrit. Par contraste, le début de l’Estoire, du Merlin et du Lancelot sont indiqués dans cet ouvrage par le recours à une initiale peinte et à un encadrement sophistiqué comprenant des éléments végétaux et des insignes héraldiques. Dans BNF, fr. 332 (β), la transition du Merlin à la Suite Vulgate n’est pas non plus mise en valeur. Bien que le passage (f. 59a) soit encadré par deux débuts de paragraphe précédés d’une lettrine et dont le premier mot est écrit en gros caractères (f. 58v et 59a), ces subdivisions ne marquent pas le début d’un nouveau texte et ne sont pas non plus appuyées par le recours à un titulus, alors que cette pratique est courante dans le manuscrit. Cette absence de mise en valeur contraste avec le début du Merlin, premier texte de la compilation, qui commence par une grande initiale peinte. Dans plusieurs manuscrits du XVe siècle divisés en chapitre et introduits par des titres spécifiques, le passage du Merlin à la Suite Vulgate ne coïncide pas avec l’une de ces subdivisions. Ces textes apparaissent alors comme un ensemble homogène plutôt que comme l’adjonction de deux ouvrages distincts. BL, Harley 6340 (β) se présente ainsi comme une entité appelée le « livre de Merlin » (f.1), ou « l’ystoire de Merlin » (f. 292). Ce manuscrit

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qui comporte uniquement le Merlin et la Suite Vulgate commence par une table des matières qui subdivise le texte en 571 chapitres. La limite du Merlin et de la Suite Vulgate n’est pas marquée en son lieu habituel, bien qu’elle relève d’un chapitre intitulé : Comment les barons et le peuple commun requirent pardon a Artus et luy a eulx. Et comment il fut sacré et couronné a Londres par la voulenté de tous les seigneurs espirituelz et temporels du pays (BL, Harley 6340 f. 59v).

Le chapitre suivant annonce la révolte des barons : Comment les roys reffuserent les dons du roy Artus et le menacerent de l’exiller hors de son regne et disant que ung si jeune filz ne doit estre roy d’ung tel royaume (BL, Harley 6340 f. 60).

De même, dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, qui présentent une version abrégée du texte, le passage du Merlin à la Suite Vulgate n’est pas marqué dans la présentation manuscrite à son emplacement traditionnel, mais il appartient à un chapitre dont le titre renseigne à la fois sur le couronnement d’Arthur et la rébellion des princes : Comment le roy Artus fut fait roy merveilleusement. Et comment les barons et les princes du royaulme de Logres ne luy vouldrent obeyr a son commencement. (Arsenal, 3350 f. 34v)

Dans ce manuscrit où les chapitres (113 au total) sont moins nombreux et plus longs que dans le manuscrit Harley, l’épisode suivant traite de la riposte du jeune roi et de son voyage en Carmelide : Comment le roy Artus se combaty contre les barons qui ne luy voulloient abeyr. Et les vainquist. Et comment il alla servir le roy Leodogan de Carmelide. Et comment il engendra Mordret (Arsenal, 3350 f. 37).

La transition du Merlin à la Suite Vulgate, qui a lieu au sein même d’un chapitre, passe donc inaperçue, même si le lecteur peut s’en rendre compte grâce aux titres. Dans ces compilations qui transmettent le cycle du Graal au complet, la Suite Vulgate se distingue des autres œuvres qui commencent avec un nouveau chapitre. Cette mise en valeur demeure toute relative, puisque rien ne distingue formellement un chapitre liminaire d’une autre subdivision de l’œuvre. Il est remarquable qu’aucun des manuscrits de la version β du Merlin et de sa suite, sauf BNF, fr. 110 et 96 (avec néanmoins un décalage de quelques phrases), ne marque la fin du Merlin et le début de la Suite Vulgate à l’endroit précis où ils s’enchaînent. Est-ce la constitution du cycle du Graal qui favorise la fusion du Merlin et de sa suite ? Les manuscrits concernés ne comprennent pas tous l’ensemble du cycle Vulgate, mais la version courte tend à masquer l’endroit sur lequel s’est greffée la suite du Merlin, ce qui renforce l’unité de texte original et de sa continuation.



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Quand le début de la Suite Vulgate n’est pas marqué dans la présentation manuscrite, celle-ci semble intégrée au Merlin puisqu’ils s’enchaînent sans aucune séparation. Il faut cependant relativiser ce constat car dans certains manuscrits de la version β, l’effet de seuil est parfois décalé plutôt que supprimé. La mise en page reflète alors davantage la perception de la cohérence narrative globale que la genèse de la composition textuelle, ce qui peut expliquer l’importance d’éléments paratextuels ou de miniatures qui se focalisent sur le succès d’Arthur à l’épreuve du perron et sur son couronnement.

1.2 c.  La mise en valeur du début de la Suite Vulgate Dans les manuscrits où les miniatures, parfois accompagnées de rubriques, apparaissent de façon fréquente et régulière, la jonction du Merlin et de sa continuation ne se distingue pas nécessairement des autres passages enluminés. L’ornementation ou l’illustration du début de la Suite Vulgate porte donc l’attention sur cette articulation textuelle, sans pour autant signaler le commencement d’un texte distinct voire de rang égal au Merlin propre. Cela contribue à faire du Merlin et de sa continuation un ensemble intégré dont on peut alors faire une lecture par séquences. Si la plupart des manuscrits de la version α marquent le début de la Suite Vulgate par le recours à une initiale filigranée ou historiée ou encore par une miniature, il est rare qu’ils créent un effet frontispice au début de la continuation.

La présence d’éléments décoratifs au passage du Merlin à la Suite Vulgate Dans Berkeley, Bancroft, 106, II (XIIIe s., α), le début de la Suite Vulgate est marqué par l’emploi d’une initiale filigranée rouge et bleue de cinq Unités de Réglure. Ce type de décoration apparaît régulièrement dans le codex et occupe un rang intermédiaire puisque ce manuscrit est illustré (le Merlin propre commence par une miniature suivie d’une grande initiale historiée qui sont les seules illustrations pour l’ensemble du roman) et qu’il comporte aussi des lettrines filigranées de deux UR. Une articulation textuelle est donc marquée mais cela ne suffit pas à signaler le début d’un nouveau texte. Cambridge, UL, Add. 7071 (XIVe s., α) marque le début de la Suite Vulgate de façon similaire, par une initiale filigranée de quatre UR, alors que le Merlin et l’Estoire s’ouvrent sur une initiale peinte de dimension plus grande. L’utilisation de pieds de mouche marque dans ce manuscrit le niveau inférieur de subdivision du texte. Dans le manuscrit de St Petersbourg, BNR, fr. F. pap. XV. 3 (XVe s., α), la Suite Vulgate commence avec un nouveau paragraphe pour lequel était prévue une miniature et dont les premiers mots sont écrits en textualis libraria.

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Cette disposition met en exergue un nouveau chapitre de l’œuvre mais n’indique pas non plus le commencement d’un nouveau texte.

L’illustration du début de la Suite Vulgate L’illustration peut marquer le passage du Merlin à sa suite, sans pour autant réserver au début de la continuation un traitement particulier par rapport à d’autres subdivisions du texte. Le plus souvent, même enluminé, le début de la Suite Vulgate est moins mis en valeur que celui du Merlin, surtout lorsque celui-ci commence par une véritable page frontispice. 1. Dans les manuscrits de la version longue : Dans certains manuscrits du XIIIe siècle, le début de la Suite Vulgate est simplement marqué par une initiale historiée, alors que le Merlin commence soit par une miniature, comme dans Douce 178 f. 149, soit par une monumentale miniature compartimentée elle-même suivie d’une initiale historiée, comme dans le manuscrit cyclique BNF, fr. 344 f. 81v. Parfois, la Suite Vulgate commence par une miniature d’une colonne placée dans le corps du texte et donc peu distincte des autres illustrations, tandis que le Merlin, voire l’Estoire sont l’objet d’une plus grande mise en valeur, comme dans Pierpont Morgan, 207-208 (XVe s.). Ainsi dans BNF, fr. 770, le début du Merlin est défectueux, mais l’Estoire, qui ouvre la compilation, commence par une miniature frontispice de la largeur de deux colonnes. Dans New Haven, Beinecke, 227 f. 172v, une miniature en haut de page marque bien le début de la Suite Vulgate, mais c’est avec une miniature double que commencent les textes qui précèdent, le Joseph, l’Estoire et le Merlin. Au XIVe siècle également, dans BNF, fr. 105 et 9123, une grande miniature frontispice compartimentée accompagnée d’une bordure de médaillons apparaît au début du Merlin et de l’Estoire et dans Arsenal, 3482, le Merlin s’ouvre sur une miniature frontispice en trois compartiments couvrant toute la largeur du folio. Le Merlin ne comprend qu’une seule autre image, tandis que le programme illustratif de la continuation est beaucoup plus développé. Une image frontispice est réservée au XVe siècle pour l’Estoire dans Chantilly, Condé, 643, dont la décoration n’a pas été exécutée, alors que le Merlin et la Suite Vulgate devaient commencer par une miniature simple d’une colonne située dans le corps du texte qui ne marquait donc pas visuellement le début d’un nouveau texte. On peut imaginer que la miniature ouvrant la continuation montrait la cour d’Arthur et la rébellion de ses barons puisque la rubrique indique : Cy devise le conte comment ce que aprés que le roy Artur fut couronné il tint court ouverte moult grant et molt merveilleuse et y vint .VII. rois et grant noblesse de chevalerie. Et comment ilz s’efforcerent de lui oster sa seigneurie (Chantilly, Condé, 643 f. 163v).



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BNF, fr. 91 f. 52 marque le passage à la Suite Vulgate par le recours à une miniature, mais celle-ci est placée en bas de page, ce qui lui donne moins d’impact que celles situées au début de l’Estoire et du Merlin dont le placement en haut de folio permet l’extension de l’image en un arc de cercle qui s’étend dans la marge supérieure. La mise en page procède donc à une hiérarchisation voire à une intégration du Merlin et de sa continuation. Dans quelques manuscrits de la version longue cependant, l’illustration et la mise en page du début de la Suite Vulgate indiquent clairement le commencement d’un nouveau texte. C’est le cas de BNF, fr. 747 (XIIIe s.) où un espace blanc sépare la fin du Merlin (f. 102v) et la Suite Vulgate qui commence sur un nouveau folio (f. 103) avec une initiale historiée, un type d’enluminure réservé au début des romans de cette compilation. La même mise en scène est adoptée dans Tours, BM, 951 : le Merlin finit au f. 223 mais c’est en haut du folio 224 que commence la Suite Vulgate, introduite par une initiale historiée. Dans ce manuscrit, le début de la continuation se démarque donc davantage que celui du Merlin propre, placé à la suite du Joseph sans mise en valeur spécifique. La miniature frontispice de la Suite Vulgate de Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (XIVe s.), se situe une dizaine de lignes plus loin que le passage habituel, mais l’effet de seuil est très fortement marqué car une Histoire de Troie a été interpolée entre le deux textes. La distinction est très nette et la suite commence par une miniature compartimentée suivie d’une initiale historiée avec l’emploi d’un encadrement et la présence marginale de marques héraldiques. Ces trois ouvrages sont les seuls à présenter le Merlin et sa suite comme deux œuvres distinctes, faisant ressortir l’hétérogénéité de leur composition. 2. Dans les manuscrits de la version courte : Même si dans la plupart des manuscrits de la version β le lieu traditionnel du passage entre le Merlin et la Suite Vulgate n’est pas marqué, il est parfois possible de considérer que le seuil a été déplacé en amont ou en aval de ce point de repère, ce qui peut être un moyen de l’occulter. L’écart peut être très faible ou atteindre des proportions plus grandes. Dans BNF, fr. 110 f. 67 (XIIIe s.) et fr. 96 f. 82 (XVe s.), la miniature qui ouvre la Suite Vulgate se situe au même endroit, une dizaine de lignes avant le seuil habituel et représente respectivement le couronnement d’Arthur et le retrait de l’épée. Le Merlin de BNF, fr. 96 commence par une grande image frontispice alors qu’une miniature simple est esquissée au début de la Suite Vulgate. Dans BNF, fr. 95 (XIIIe s.), le passage traditionnel du Merlin à la suite (f. 160) est indiqué par l’utilisation d’une lettre champie de trois UR, une subdivision de rang inférieur omniprésente dans le manuscrit. On peut néanmoins considérer qu’un seuil est marqué une dizaine de lignes auparavant par la miniature qui montre Arthur retirant l’épée du perron et le

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couronnement qui s’ensuit (f.  159v). Dans BL, Add. 10292 (XIVe s.), la charnière du Merlin et de la suite n’est pas non plus indiquée au folio 101v, mais on pourrait considérer que la miniature située auparavant au recto de ce folio tient la place de ce seuil dans la mesure où elle montre Arthur retirant l’épée du perron et sur le point d’être couronné, à moins que l’on considère la miniature suivante (f. 102), qui représente l’affrontement entre Arthur et les barons rebelles, comme le véritable commencement de la Suite Vulgate. Le décalage est plus important dans les manuscrits jumeaux BNF, fr. 117 f. 73 et Arsenal, 3479 p. 157 (XVe s.), mais la transition se situe toujours au niveau de l’épisode de l’épée de l’enclume, cette fois quand Arthur s’en empare pour la première fois, et les miniatures reprennent ce sujet. Dans fr. 117, l’illustration du Merlin et de sa suite se réduit à deux miniatures placées au début de chaque texte. L’Estoire, le premier roman de la compilation, commence par une grande miniature frontispice compartimentée, mais ce n’est pas cas des textes qui suivent, y compris le Lancelot, qui comporte pourtant un programme illustratif largement développé. Il en est de même dans Arsenal, 347980 : l’Estoire s’ouvre sur une miniature frontispice compartimentée alors que le Merlin et sa suite commencent chacun par une miniature d’une colonne placée dans le corps du texte qui en constitue l’unique illustration. Bonn, ULB, 526 (XIIIe s.) se caractérise par une subdivision originale du cycle du Graal et procède à un déplacement plus important du début de la suite du Merlin après la charnière traditionnelle. Le passage habituel du Merlin à sa continuation est indiqué au folio 79 par une lettrine, qui constitue une mise en valeur de niveau courant (on compte ainsi quatre autres lettrines sur la même page). Cependant, le début d’un nouveau roman, ou du moins d’une subdivision importante de la compilation est marqué bien plus loin dans le texte, juste avant l’arrivée de Ban et Bohort, ramenés par Merlin du continent, à la cour d’Arthur. Au folio 82, on note ainsi le colophon « Ici fine de Merlin » au bas de la première colonne, l’emploi dans la marge supérieure d’un titre courant à l’encre rouge « Ici conmence des premiers faiz le roy Artu » et une numérotation (III) qui en fait la troisième œuvre contenue dans la manuscrit, après l’Estoire et le Merlin. La rubrique précédant la miniature consacrée à la réception de Ban et Bohort à la cour d’Arthur n’indique pas le commencement d’un nouveau texte mais, comme c’est l’usage dans cette partie du manuscrit, elle joue un rôle d’entrelacement, créant un effet de continuité plus que de rupture en marquant le passage d’un épisode à l’autre du récit. La rubrique ne décrit pas la scène illustrée dans la miniature, puisqu’elle se réfère à l’envoi de messagers auprès de Ban et Bohort, alors que l’image représente l’arrivée ultérieure des deux rois. Mais atant se taist ore le contes d’aus a parler jusques a une autre fois. Et retournera a parler del roi Artu, conment il envoia ses messages au roi Ban de Benuyc et au roi Boort (Bonn, ULB, 526 f. 82).



Mise en page et illustration | Chapitre 1 91

Le cycle Vulgate est divisé dans cette compilation en neuf sections au lieu de cinq, car outre la distinction entre le Merlin et la Suite Vulgate, le Lancelot est décomposé en trois parties : la Marche de Gaule, Galehaut, et la Première partie de la quête de Lancelot. Malgré cette mise en valeur, la Suite Vulgate n’est pas exactement au niveau du Merlin, puisque contrairement à celui-ci, elle ne commence pas en tout début de folio mais dans la deuxième colonne du texte. Bonn, ULB, 526 offre ainsi l’exemple le plus abouti du déplacement de la miniature frontispice des « Premiers faits » du roi Arthur, car dans fr. 117 et Arsenal, 3479, la seconde et dernière miniature de l’Estoire de Merlin se trouve à proximité de la césure entre le Merlin propre et sa continuation.

Les choix iconographiques à la charnière du Merlin et de sa suite Tableau 7 : L'iconographie frontispice de la Suite Vulgate174 • Le miracle de l’épée du perron : 1. Paris, BNF, fr. 95 f. 159v (fin XIIIe s.) 2. Londres, BL, Add. 38117 f. 74 (début XIVe s.) 3. Londres, BL, Add. 10292 f. 101 (début XIVe s.) 4. Paris, Arsenal, 3479 f. 155 (début XVe s.) 5. Paris, BNF, fr. 117 f. 72 (début XVe s.) 6. Paris, BNF, fr. 96 f. 82 (XVe s.)

• La réunion de la cour arthurienne : 1. Paris, BNF, fr. 770 f. 149 (fin XIIIe s.) 2. Tours, BM, 951 f. 224 (fin XIIIe s.) 3. Paris, BNF, fr. 344 f. 101v (fin XIIIe s.) 4. Paris, Arsenal, 3482 p. 62 (XIVe s.) 5. Paris, BNF, fr. 91 f. 52 (XVe s.)

• La révolte des barons : • Le couronnement d’Arthur : 1. Paris, BNF, fr. 747 f. 103 (XIIIe s.) 1. Paris, BNF, fr. 95 f. 159v (fin XIIIe s.) 2. Bonn, ULB, 526 f. 82 (fin XIIIe s.)  2. Paris, BNF, fr. 110 f. 67 (fin XIIIe s.) 3. Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (fin XIIIe s.) 3. Paris, BNF, fr. 9123 f. 131v (début XIVe s.) 4. Londres, BL, Add. 10292 f.  102 4. Paris, BNF, fr. 105 f. 162 (début XIVe s.) (début XIVe s.) 5. Oxford, Bodl., Douce 178 f. 181v (fin XIIIe s.) 5. New Haven, Beinecke, 227 f.  172v 6. Ex-Newcastle 937 f. 162v (début XVe s.) (fin XIVe s.) 7. New York, Pierpont Morgan, 207 f. 145v (XVe s.)

Si l’enchaînement problématique du Merlin et de la Suite Vulgate fait l’objet de divers ajustements, l’utilisation de l’image à la frontière de ces deux textes permet de clarifier leur orientation en insistant majoritairement sur la légitimité du nouveau roi. Le couronnement d’Arthur est ainsi la scène la plus souvent représentée au début de la Suite Vulgate. Le miracle de l’épée du perron et la réunion de la cour arthurienne sont aussi un sujet fréquent d’illustration, même si certains manuscrits privilégient d’autres aspects du texte, comme le conseil des barons rebelles, le premier combat qui les oppose à Arthur dans la plaine de Bédingran, ou encore l’arrivée de renforts du continent.

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Ce tableau ne comprend pas le manuscrit de la collection privée Lebaudy, auxquel je n’ai pas eu accès, ni BNF, fr. 19162 et 24394 ou fr. 749 où le début traditionnel de la Suite Vulgate n’est pas enluminé, ni Chantilly, Condé, 643 dont la miniature n’a pas été exécutée.

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L’illustration oriente idéologiquement la lecture du texte en opérant une sélection parmi les événements marquant le début du règne d’Arthur. Tantôt elle cristallise les enjeux religieux et politiques que pose le sacre du nouveau roi, tantôt elle met l’accent sur les opérations militaires et stratégiques menées au début de la Suite Vulgate.

-Le miracle de l’épée du perron  L’épreuve de l’épée est un motif littéraire dont il existe de nombreuses variantes : elle est fréquemment exploitée dans le roman arthurien où elle marque souvent la prédestination du héros qui la mène à bien175. Le miracle de l’épée fichée dans l’enclume, qui manifeste l’élection divine d’Arthur, constitue un jalon fondamental dans le parcours qui mène au sacre et à la reconnaissance du nouveau roi. Contrairement à Geoffroy de Monmouth et à Wace, chez Robert de Boron, Arthur n’est pas reconnu dès sa naissance comme le fils légitime du couple royal176, ce qui met le principe de l’élection divine au-dessus de celui de la transmission héréditaire de la souveraineté177 (même si l’ascendance d’Arthur est ensuite démontrée). Le début de la Suite Vulgate traite des difficultés d’Arthur à faire reconnaître et accepter sa légitimité. Mettre en exergue le miracle du perron à la fin du Merlin, c’est insister sur l’origine divine du pouvoir d’Arthur, à l’orée d’une continuation qui exalte les prouesses du jeune roi et récuse le bien-fondé de la rébellion des grands du royaume. L’épreuve du perron est miraculeusement envoyée par Dieu au soir de Noël pour aider les Bretons à choisir un nouveau roi, elle fait l’objet d’essais publics qui confondent tous les prétendants au trône alors que le jeune Arthur s’y prête plusieurs fois avec succès. Tandis que l’Eglise prend en charge l’organisation des épreuves et valide l’élection, soutenant le jeune roi en dépit de l’hostilité des barons, la fronde des grands seigneurs est discréditée. Elle apparaît comme la manifestation de leur orgueil, de leur jalousie et de leur incrédulité face au miracle divin, ainsi que de leur désobéissance par rapport aux positions défendues par l’Eglise. Après la démonstration miraculeuse, ni les élucidations historiques et généalogiques apportées par l’intervention de Merlin, d’Antor, et d’Ulfin, ni les

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Alexandre Micha a étudié les déclinaisons de ce motif arthurien, auquel il attribue une origine virgilienne. « L’épreuve de l’épée », De la chanson de geste au roman. Genève : Droz, 1976, p. 433-46. Voir Mathey-Maille, Laurence. « Le roi Arthur chez Geoffroy de Monmouth et Wace : la naissance du héros », Arturus Rex, II. Acta Conventus Lovaniensis 1987. Ed. Willy Van Hoecke, Gilbert Tournoy et Werner Verbeke. Louvain : Leuven University Press, 1991, p. 222-29. Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 135-36.



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témoignages et les lettres qui révèlent les origines d’Arthur, ne suffisent à emporter l’adhésion des barons178. BNF, fr. 95 et BL, Add. 10292, réalisés entre la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle dans le diocèse de Thérouanne pour le premier et vers Saint-Omer, Tournai ou Gand pour le second179, insistent particulièrement sur la réussite d’Arthur en illustrant ses succès réitérés par autant de miniatures qui dépeignent l’épreuve du perron et aboutissent au couronnement du nouveau roi. Comme l’a montré Alison Stones, dans fr. 95, l’utilisation répétée d’images illustrant le même sujet a une fonction décorative et martèle la réussite d’Arthur à l’épreuve du perron, puisqu’à cinq reprises (deux fois au moment de Noël, puis à la Chandeleur, à Pâques et à la Pentecôte) il parvient à la retirer. Dans BL, Add. 10292, la série de miniatures180 donne davantage à voir une progression narrative qui culmine dans la conjonction du retrait de l’épée et du couronnement d’Arthur. Tous deux sont mentionnés dans la rubrique qui semble décrire la scène : Ensi que uns archevesques tient une coroune d’or pour donner au roi Artu qui s’asaioit a l’espee trere (BL, Add. 10292 f. 101).

Dans BNF, fr. 95, les représentants de l’Eglise et l’archevêque Brice assistent à toutes les actions entreprises auprès de l’enclume, sauf au niveau inférieur du folio 156v où c’est devant une troupe à cheval qu’Arthur accomplit le prodige. Dans toutes les miniatures, sauf au registre supérieur de la première, où l’on semble découvrir le perron merveilleux, Arthur est au centre de la scène, tenant l’épée soit enfoncée dans l’enclume (f. 157v-159v), soit libérée de son étau (f. 156v-158v)181. En fait même les miniatures des folios 157v et 158v, qui semblent particulièrement redondantes, ne sont pas exactement identiques, puisque la position de l’épée semble décomposer les étapes de l’action par laquelle Arthur démontre à l’archevêque son élection. Enfin sur les deux niveaux de la dernière miniature (f. 159v, Figure 27), la place réservée à l’Eglise s’accroît avec la mise en scène de cérémoniels spéci178

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Voir Fabry, Irène « De rappels en prédictions, savoir convaincre et savoir agir : le rôle ambigu de Merlin, de la naissance d’Arthur à son accès au trône de Bretagne », L’Esplumoir, 6, 2007, p. 15-23. Stones, Alison. «  Site-Chronology and Geographical Distribution of Lancelot-Grail Manuscripts  », Lancelot-Grail project, http  : //vrcoll.fa.pitt.edu/stones-www/lancelot-­ project.html (01/08/2013) Voir Stones, Alison. «  Illustration and the Fortunes of Arthur  », The Fortunes of King Arthur. Ed. Norris Lacy. Cambridge : Brewer, 2005, p. 116-65. L’épée joue un rôle fondamental, car on la retrouve au terme du règne d’Arthur, dans le célèbre épisode de la Mort Artu où le souverain, mortellement blessé, demande à son compagnon Griflet, de la jeter dans le lac. Voir Grisward, Joël H. « Le motif de l’épée jetée au lac : la mort d’Artur et la mort de Batradz », Romania, 90, l969, p. 289-340 et 473-5l4. L’épreuve de l’épée « met Arthur pour la première fois en contact avec une arme qu’il gardera toute sa vie de roi ». Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 137.

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Figure 27 : BNF, fr. 95 f. 159v (1290’) -Epreuve de l’épée du perron ; -Couronnement d'Arthur

fiques. Dans le registre supérieur, l’archevêque, portant tous ses attributs, la mitre et la crosse, est suivi d’un clerc qui porte la bible, et escorté par deux moines portant des cierges qui font face à deux religieux portant des croix de procession. Arthur s’agenouille pour retirer l’épée, ce qui renforce la sacralité de cette scène où la médiation du clergé est fondamentale. Au niveau inférieur, le rituel du couronnement d’Arthur est représenté de façon symétrique. Il ne s’agit pas seulement d’un couronnement mais d’une consécration qui peut rappeler la cérémonie du sacre des rois de France182. L’évêque bénit le nouveau roi et pose la couronne sur sa tête, tandis qu’Arthur dépose son épée sur l’autel, près du ciboire eucharistique. Le rem182

Voir Kantorowicz, Ernst. Les deux corps du roi : essai sur la théologie politique au Moyen Âge. Trad. Jean-Philippe Genet et Nicole Genet. Paris : Gallimard, 1989 (1956) ; Jacques Le Goff, « Aspects religieux et sacrés de la monarchie française du Xe au XIIIe siècle », La Royauté sacrée dans le monde chrétien (colloque de Royaumont, mars 1989). Ed. Alain Boureau et Claudio Sergio Ingerflom. Paris : Éditions de l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1992, p. 19-28. Jackson, Richard. Ordines Coronationis Franciae : Texts and Ordines for the Coronation of Frankish and French Kings and Queens in the Middle Ages. Philadelphia  : University of Pensylvania Press, 1995-2000, 2 vol. ; Jackson, Richard. Vivat rex : histoire des sacres et couronnements en France. Trad. Monique Arav. Strasbourg : Association des publications près les Universités de Strasbourg ; Paris : Ophrys, 1984 ; Le Goff, Jacques, Palazzo, Éric, Bonne, Jean-Claude et Colette, Marie-Noëlle. Le sacre royal à l’époque de Saint Louis, 2001.



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placement du perron par l’autel dans la composition de la miniature révèle le sens de l’épreuve envoyée par Dieu. Si l’Eglise reconnaît en Arthur l’élu de Dieu, celui-ci devient un exemple de soumission du pouvoir terrestre à l’autorité divine. Arthur remet ainsi sur l’autel l’épée qui lui a été envoyée par Dieu, comme dans le rituel du couronnement des rois de France. Lors de cette cérémonie, les regalia sont déposées sur l’autel et l’évêque ceint le nouveau roi de son épée puis la retire de son fourreau et lui remet symboliquement le glaive par lequel il doit assurer la protection de l’Eglise, l’intégrité de son royaume et la défense de la justice183. Dans le Merlin, avant de célébrer la messe du couronnement dans la cathédrale, l’archevêque accompagne Arthur dans une procession auprès de l’épée miraculeuse : « Artu, alés querre l’espee et la justice dont vous devés desfendre Sainte Eglise et la Crestienté garder de votre pooir en toutes manieres » (Pl. I, 773). Une progression est donc bien à l’œuvre dans cette série d’illustrations qui rend minutieusement compte du développement textuel pour souligner la légitimité d’Arthur fondée sur son élection divine et sur la sacralité de son investiture. La variation du format et de la composition des miniatures témoigne d’un réel souci ornemental. On trouve ainsi trois types d’illustrations : au folio 157v, la plus petite, de la largeur d’une demi colonne (sur 6 UR), déborde dans la marge et son coin supérieur droit se trouve entamé par l’initiale champie du texte qui suit ; au folio 158v, la miniature occupe la largeur d’une colonne (sur 10 UR), et elle comporte un seul niveau, tandis qu’aux folios 156v et 159v l’image se développe sur deux registres (sur 12 UR). Les trois miniatures d’une colonne de large, placées dans la seconde colonne du folio, se développent en bordures dans l’entre-colonne et dans la marge inférieure et supérieure, tandis que le prolongement de la plus petite miniature couvre seulement une partie de l’entre-colonne. Richement illustré, le manuscrit fr.  95 développe donc avec variété l’illustration de l’épreuve de l’enclume et son aboutissement, le couronnement d’Arthur. La légitimité du souverain semble renforcée par l’iconographie qui insiste sur sa réussite, signe de son élection divine. Enfin l’image du couronnement d’Arthur, reprenant la même composition que celle utilisée pour celui de son père, Uterpandragon (fr. 95 f. 141), crée un effet de continuité entre les deux scènes, et prend acte de cette succession au trône de Grande-Bretagne, pourtant contestée par les barons du royaume. 183

Ce geste est repris lors du rite de l’adoubement. Par ce biais, « l’Eglise, tente de développer pour la chevalerie une liturgie destinée à en faire une institution qu’elle dirigerait, ou, du moins, dont elle fixerait les idéaux », bien que ces deniers soient « assez éloignés de ceux que la chevalerie semble avoir acceptés et reconnus pour siens ». L’éthique chevaleresque hérite ainsi « de tous les éléments de l’ancienne éthique royale et princière ». Flori, Jean. L’essor de la chevalerie : XIe-XIIe siècles. Genève : Droz, 1986, p. 331-37.

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Figure 28 : BL, Add. 10292 f. 101 (1316) (artiste 1) Ensi que uns archevesques tient une coroune d’or pour donner au roi Artu qui s’asaioit a l’espee trere. Epreuve de l’épée du perron et Couronnement d’Arthur

Dans BL, Add. 10292 (1316), la série de cinq miniatures concentrées entre le folio 99 et le folio 101 commence par l’entretien d’Antor avec l’archevêque devant l’autel où il vient de célébrer la messe. L’homme de religion sort alors de l’église pour observer Arthur retirer l’épée de l’enclume. Antor fait promettre sur la bible à son fils adoptif de toujours garder Keu à ses côtés en tant que sénéchal. L’archevêque reconnaît officiellement le succès d’Arthur et dans la dernière miniature, il arrive en procession solennelle pour couronner Arthur agenouillé devant le perron (folio 101, Figure 28). Les miniatures de BL, Add. 10292 font apparaître l’épigraphe : « Ki ceste espee fors trera roi sera de la terre... ». Elles décomposent les étapes successives qui aboutissent à l’accomplissement de la prophétie. L’image illustre le texte mais se réapproprie aussi l’autorité de l’écrit qui tient une place déterminante dans les miniatures en question, que soit sous la forme de la bible, placée sur l’autel de la cathédrale (f. 99), et sur laquelle Arthur va promettre de toujours garder Keu à ses côtés en tant que sénéchal (f. 99v), ou de ces inscriptions indiquant le caractère surnaturel de l’épée de l’enclume et sa fonction d’élection. Les rubriques (« Ensi que Artu assaiet por sakier l’espee hors de l’englume de le perron », f. 99 et « Ensi que Antor fist jurer le roy Artu sor sains qu’il tenra loyaument convenenche a Keus son fil », f. 99v) contribuent à nettement distinguer le sujet de ces miniatures visuellement



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proches. Les scènes sont plus variées que dans fr. 95 et elles mettent en avant la figure d’Antor, le père adoptif du jeune roi, qui ménage ses intérêts  : il commence par faire valoir son fils adoptif devant l’archevêque Brice, puis assure la reconnaissance d’Arthur à l’égard de son frère de lait. Cette série de miniatures se construit en outre sur la mise en scène des relations entre espace profane et espace sacré : la cérémonie du sacre est en effet un rite de passage. Antor va trouver l’archevêque dans la cathédrale de Logres, placée du côté gauche de l’image et représentée par une série d’édifices gothiques ouverts par un portail flanqué de deux tourelles, ornés de vitraux et surmontés d’un clocher. Or c’est devant l’église qu’apparaît le perron miraculeux auprès duquel, dans ce manuscrit, Arthur est couronné. Ces repères architecturaux permettent de contextualiser la scène dont le fond est doré. L’implication de l’Eglise dans les affaires politiques aboutit à la reconnaissance et à la consécration par les instances religieuses d’un souverain élu par Dieu. Les rubriques qui accompagnent les miniatures décrivent de façon rudimentaire le sujet de ces images, mais font aussi ressortir les éléments les plus importants. Par deux fois, ces rubriques mentionnent Arthur en train de se livrer à l’épreuve du perron, comme pour souligner la difficulté de cette entreprise : « Artu assaiet por sakier l’espee hors de l’englume de le perron » (f. 99a), « Artu [...] s’asaioit a l’espee trere » (f. 101). Or par trois fois l’archevêque constitue le sujet de la rubrique. Il est présenté dans sa dignité de prêtre, « revestus por canter messe » (f. 99a) et prend l’initiative de remettre solennellement l’épée puis la couronne au roi Arthur : « bailla l’espee a Artu » (f. 100) ; « tient une coroune d’or pour donner au roi Artu » (f. 101). L’intervention de l’Eglise apparaît donc comme déterminante, elle valide et consacre l’élection du nouveau roi par une action publique  : les rubriques précisent à deux reprises que ces événements se déroulent « devant le puple » (ff. 99a-100). La cérémonie du sacre a pour objet de définir et renforcer les relations entre le roi, le clergé et le peuple. Au début du XIVe siècle, Philippe le Bel s’oppose précisément au pape Boniface VIII au sujet de la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel184. La place que prend le clergé dans la reconnaissance et la manifestation de l’élection divine d’Arthur et dans l’établissement de sa royauté pourrait alors constituer une sorte de manifeste clérical visant à rappeler le caractère indispensable de la hiérarchie ecclésiale aux côtés de celui qui est investi du pouvoir politique. La question des circonstances troubles de la conception d’Arthur pouvait en outre trouver un écho dans les scandales qui entachent à la cour de France, à la fin du règne de Philippe le Bel, la réputation de Marguerite de Bourgogne, épouse du futur 184

Voir Gauvard, Claude. Le temps des Capétiens, 2013, 4e partie, ch. 2.

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Louis X et de Blanche de Bourgogne, femme du futur Charles IV le Bel185. La participation de l’église dans la promotion d’un souverain légitime se révèle également cruciale lors de la succession de Philippe IV, puisque après sa mort en 1314, le règne de son fils Louis le Hutin ne dure que deux ans. À la mort de ce dernier, son fils Jean Ier dit le Posthume, n’est pas encore né, et ne survivra que quelques jours, avant que le frère de Louis X, Philippe V, déjà régent, ne monte sur le trône. Dans ces circonstances difficiles pour la royauté française, un programme illustratif comme celui adopté dans BL, Add. 10292 manifeste le caractère primordial de l’Eglise comme soutien de la monarchie. La reprise du même motif par une série de miniatures met donc en exergue les modalités de l’accession d’Arthur au trône. Le couronnement et le sacre du jeune roi apparaissent comme l’aboutissement d’un processus complexe. Si le succès du roi à l’épreuve de l’épée dans l’enclume en fait un héros mythique, le développement textuel et iconographique indique que ce miracle doit être validé par une reconnaissance publique et encadré par l’autorité ecclésiastique, ce qui peut trouver une résonance forte dans le contexte historique et politique où ces manuscrits ont été réalisés. Dans BL, Add. 38117186, réalisé au début du XIVe siècle, peu de temps avant BL, Add. 10292, dans le diocèse de Laon ou Saint Quentin, le Merlin est suivi de la Suite Post-Vulgate. La dernière étape du parcours iconographique du Merlin ou le début de sa suite est constitué d’une initiale historiée qui synthétise la réussite d’Arthur à l’épreuve du perron et sa consécration par l’archevêque Brice, devant le peuple de Logres (f. 73v, Figure 29). La conjonction de ces motifs aboutit à la création d’une miniature riche de sens, bien particularisée et donc facilement identifiable pour le lecteur qui cherche à se repérer dans la masse textuelle.

L’épreuve du perron dans le Merlin et la Queste ­d’Arsenal, 3479-80 (1405) Dans BNF, fr. 96 f. 82 (XVe s.), la miniature située au début de la Suite Vulgate n’a pas été achevée, mais une esquisse préparatoire montre Arthur retirant l’épée du perron devant toute la cour. Des images apparentées au miracle de l’élection d’Arthur figurent au début de la Queste del Saint Graal, quand après l’échec de Lancelot et de Gauvain, Galaad parvient à retirer l’épée fichée dans un bloc de marbre flottant miraculeusement à la surface

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Voir Cassard, Jean-Christophe. L'âge d'or capétien, 1180-1328. Paris : Belin, 2011, p. 595-603. Voir Stones, Alison. Gothic Manuscripts, I, 2013, vol. 2, III-20, p. 197-99.



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Figure 29 : BL, Add. 38117 f. 73v (1310’) Succès d’Arthur à l’épreuve du perron et Sacre d’Arthur par l’archevêque Brice

de l’eau187. L’effet de correspondance est accentué dans Arsenal, 3479-80, un manuscrit sans doute vendu par Jacques Raponde au duc de Bourgogne Jean sans Peur en 1405188. Dans cet ouvrage qui comprend seulement deux miniatures pour l’ensemble du Merlin et de sa suite, l’illustration de l’épreuve du perron brouille les frontières entre les deux textes, puisqu’elle marque la fin du Merlin autant que le début de la suite. La miniature ouvre généralement un texte, plutôt qu’elle ne le ferme. Dans ce cas, tenir compte du placement de la miniature et de la fonction qui lui est traditionnellement attribuée, c’est admettre que le seuil de la continuation est légèrement décalé. L’élection miraculeuse d’Arthur donne une dimension publique à celui dont l’enfance a été jusque là dissimulée. Située avant le couronnement du nouveau roi et le véritable commencement de la suite, elle explique ce tournant et rend la continuation nécessaire, puisqu’un élément fondamental du Merlin y est annexé. La présence de la miniature contribue donc à redessiner les contours de la Suite Vulgate en la faisant empiéter sur le Merlin propre.

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Galaad poursuit l’œuvre d’Arthur « dont il accomplit la dimension spirituelle ». Voir Albert, Sophie et Moran, Patrick. « Des parentés choisies : la transmission des armes dans trois romans en prose du XIIIe siècle », Viator, 41, 2010, p. 195. Doutrepont, Georges. Inventaire de la « librairie » de Philippe le Bon (1420). Bruxelles : Kiessling 1906, n° 68.

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Dans la Queste, l’épisode est particulièrement mis en valeur, puisque c’est une miniature double de la largeur du folio qui illustre cette scène, alors que le roman commence seulement par une miniature d’une colonne. Dans Arsenal, 3479 p. 155 (Figure 30) et Arsenal, 3480 p. 495 (Figure 31), si la représentation et le geste d’Arthur et de Galaad sont assez similaires, la composition de la scène diffère. La solitude d’Arthur, représenté à cheval, contraste ainsi avec la présence d’Arthur et de Guenièvre qui assistent à l’exploit de Galaad dans la seconde miniature. Tandis que l’élection divine d’Arthur est suggérée par la présence d’une chapelle à droite de la première scène, dans la Queste, la demoiselle envoyée par l’ermite Nascien, représentée dans la deuxième partie de la miniature, explique que Lancelot a perdu au profit de Galaad le statut de meilleur chevalier du monde et annonce l’apparition imminente du Graal. L’objet de ces épreuves est différent. Dans le Merlin, l’élection miraculeuse donne accès à une royauté terrestre, tandis que dans la Queste, l’enjeu est d’un autre ordre : il s’agit de désigner le chevalier dont la valeur morale et spirituelle sera suffisante pour accomplir la quête du Graal189.

L’épreuve du perron dans le Merlin et la Queste de BNF, fr. 117-120 (1406) Dans BNF, fr. 117-120, vendu par Jacques Raponde au duc Jean de Berry en 1406190, ces deux épreuves sont représentées dans des images de format similaire insérées au même endroit du texte mais ces miniatures sont composées de façon très différente. À chaque fois, l’épreuve du perron apparaît de façon marginale dans le cadre de l’image. Dans fr. 117 f. 72 (Figure 32), une violente scène de combat occupe la majeure partie de la miniature, renvoyant sans doute au tournoi organisé le jour de la nouvelle année. Le jeune Arthur, incapable de trouver l’épée de son frère adoptif Keu, dont il est l’écuyer, se résout à lui apporter l’épée du perron. La rubrique semble offrir un point de vue sensiblement différent, car elle mentionne d’abord la succession d’Arthur à Uterpandragon et son couronnement, avant d’évoquer le miracle du perron. La légitimité d’Arthur en est donc renforcée. La référence à la Table Ronde ne renvoie pas au contexte immédiat mais témoigne peut-être de l’intérêt des commanditaires du manuscrit pour un

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Sur cet épisode, voir Carman, J. Neale, « The sword withdrawal in Robert de Boron's Merlin and in the Queste del Saint Graal », Publications of the Modern Language Association of America, 53 (2), 1938, p. 593-95. Voir Guiffrey, Jules. Inventaires de Jean, duc de Berry, 1401-1416. Paris : E. Leroux, 1894-96, p. 239  ; Baumgartner, Emmanuèle, «  Espace du texte, espace du manuscrit  : les manuscrits du Lancelot-Graal », Ecritures II. Paris : Le Sycomore, 1985, p. 95-116 ; Blackman, Susan Amato. The Manuscripts and Patronage of Jacques d’Armagnac 1993  ; Blondeau, Chrystèle. L’iconographie du roman de Lancelot du Lac dans le manuscrit français 117-120 de la BNF, 1996, et Fabry, Irène, « Le livre de messire Lancelot du Lac », 2008.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 101

Figure 30 : Arsenal, 3479 p. 155 Arthur retirant l’épée du perron

Figure 31 : Arsenal, 3480 p. 495 Queste del Saint Graal : Galaad retirant l’épée du perron

modèle chevaleresque idéalisé, spiritualisé et exalté dans l’illustration. Si la miniature d’Arsenal, 3479 p. 155 (Figure 30) soulignait la solitude d’Arthur lors de la réalisation de l’exploit, celle-ci contraste dans fr. 117 avec la représentation de la mêlée concomitante. Ce n’est pourtant pas la force guerrière qui va déterminer l’élection du nouveau roi : le choix divin se porte sur un jeune homme d’apparence anodine, qu’aucun signe extérieur ne semblait prédisposer à cette vocation. La croix située sur la niche qui déborde le cadre supérieur droit de la miniature rappelle, comme la chapelle représentée dans Arsenal, 3479, le caractère miraculeux de la scène. L’élection paradoxale du cadet comme héritier puis comme souverain et l’orientation paradoxale du choix divin sont des motifs qui traversent de nombreux récits légendaires

102 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 32 : BNF, fr. 117 f. 72 Arthur retirant l’épée du perron Comment aprés le roy Uterpandragon, Artus son filz fu couronné roy de la Grand Brethaine, et comment y tira l’epee hors du perron miraculieusement et acrust moult l’onneur de la Table Ronde.

et qui apparaît notamment dans la Bible, d’Isaac et Jacob au roi David. L’utilisation offensive de l’épée telle qu’elle est mise en scène dans l’affrontement chevaleresque contraste avec sa dimension symbolique lorsque, envoyée par Dieu, elle valide l’élection du nouveau roi. Dans fr. 120 f. 524v (Figure 33), la représentation de Galaad tirant l’épée du perron est encore plus marginalisée, puisqu’elle apparaît dans l’encadrement d’une porte à l’extrême gauche de l’image, tandis que le sujet principal de la miniature consiste en l’apparition du Graal aux chevaliers de la Table Ronde. La réussite de l’épreuve du perron est ainsi la marque d’une élection qui se révèle dans la quête du Graal. La supériorité spirituelle de Galaad est confirmée par la place qu’il occupe sur le siège périlleux où il trône sous un dais, dans un vêtement immaculé, à la tête des chevaliers de la Table Ronde et à la verticale de la représentation du Graal. Dans d’autres compilations manuscrites qui transmettent et illustrent le cycle du Graal, c’est soit le succès d’Arthur (Add. 10292 ff. 99-101) soit celui de Galaad (BNF, fr. 110 f. 405), ou l’échec de Gauvain (Rylands, Fr. 1 f. 182 et BNF, fr. 116 f. 608v) qui sont représentés. L’illustration recompose ainsi à sa manière l’ordre et la hiérarchie des épisodes textuels. La mise en image de l’épreuve de l’épée dans l’enclume à la fin du Merlin et au début de la Suite Vulgate joue donc un rôle important car elle insiste sur l’élection



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Figure 33 : BNF, fr. 120 f. 524v Queste del Saint Graal : Comment Galaad tira l’epee du perron. -Galaad retirant l’épée du perron; -Apparition du Graal aux chevaliers de la Table Ronde

divine d’Arthur. Dans les manuscrits cycliques du XVe siècle, Arsenal, 3479 et fr. 117, se crée un écho intéressant entre la fin du Merlin et l’épisode de la Queste qui met en lumière la figure de Galaad. Dans les autres manuscrits cependant, l’illustration tend à associer cette scène avec la consécration et le couronnement d’Arthur, l’Eglise prenant en charge l’interprétation de la merveille du perron et assurant de son soutien le souverain élu par Dieu. L’élection d’Arthur témoigne donc de l’intervention divine dans l’histoire des hommes, soulignant, comme la Descente du Christ aux enfers, la bienveillance de Dieu envers son peuple, dans le cadre restreint de la succession des rois de Bretagne plutôt que dans la perspective globale du Salut. L’autorité de l’Eglise garantit la véridicité du signe divin, elle permet de confirmer l’élection en organisant son intégration dans le champ des attentes et des pratiques humaines et enfin elle œuvre pour le soutien du jeune roi ainsi désigné dont elle reconnaît et défend la légitimité.

-Le couronnement d’Arthur La consécration solennelle d’Arthur est le motif iconographique privilégié à la fin du Merlin et au début de la Suite Vulgate dans les manuscrits illustrés. Comme dans les miniatures représentant le miracle du perron, l’image par laquelle commence la suite illustre des événements qui viennent d’être décrits, plutôt qu’elle n’annonce, comme c’est généralement le cas, des faits à venir. Le succès iconographique du couronnement d’Arthur tient au sujet du texte et aux termes employés dans la phrase de clôture du Merlin, « Ensi fu Artus esleüs a roi... » (Pl. I, 774),

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ainsi qu’à la possibilité de réutiliser un motif illustratif extrêmement répandu, puisque dans les psautiers et les bibles latines notamment, le sacre de David ou de Salomon était fréquemment illustré sous la forme d’un couronnement191. Même si Arthur est couronné roi de Grande-Bretagne, tous les manuscrits du Merlin dotés d'un programme iconographique ont été produits sur le continent. L'insistance visuelle des copies illustrées de la Suite Vulgate sur cette cérémonie peut faire écho à l'évolution de la conception politique de la royauté et au développement du rituel du sacre dans le domaine français. Après les longs développements qui suivent le miracle de l’épée du perron et coïncident avec la réticence des barons à accepter le nouveau roi, la narration du couronnement d’Arthur insiste sur deux éléments : l’acceptation solennelle du souverain par tous ses vassaux, qui lui demandent pardon pour les difficultés qu’ils lui ont opposées et la mise en scène du dernier retrait de l’épée qui coïncide avec le serment prêté par le roi de toujours défendre l’Eglise et la chrétienté. Le reste de la cérémonie est évoqué plus rapidement : « si le sacrerent et enoinsent et fisent toutes iceles choses que on doit faire a roi » (Pl. I, 774). Dans le cas d’Arthur, l’élection passe directement par l’intervention divine, plutôt que par le conseil des barons, même si ces derniers s’y accordent. La révélation de sa paternité n’intervient qu’après le couronnement. Comme le souligne Bernard Guenée, dans le royaume de France, l’hérédité et l’élection permettaient de désigner le futur roi, mais seule la cérémonie du sacre l’intronisait officiellement. Si à la fin du Moyen Âge le droit héréditaire devient primordial, en France, « les incertitudes de la première moitié du XIVe siècle et les malheurs des temps, après la mort de Charles VI, expliquent l’attachement persistant de l’opinion publique française au sacre »192, ce qui pourrait justifier le succès prolongé des représentations iconographiques du couronnement d’Arthur dans les manuscrits de Merlin. Ces dernières peuvent s’inspirer des modèles antérieurs et contemporains du couronnement des rois de l’histoire antique, biblique ou contemporaine, qui sont modulés en fonction de la narration. Les scènes de couronnement sont ainsi fréquemment mises en images dans les compilations historiques en langue vernaculaire comme les traductions du Speculum Historiale de Vincent de Beauvais par Jean de Vignay, l’Histoire ancienne jusqu’à César ou les différentes versions de l’histoire d’Alexandre, et elles donnent lieu à d'importantes séries iconographiques dans les chroniques des rois de France193. A la fin du XIIIe siècle, dans Oxford, Bodleian Library, Douce 178 f. 181v (Figure 34), Arthur, mis en valeur par sa position faciale au centre de 191

192 193

L'iconographie entre ainsi dans le débat sur la relation entre imperium et sacerdotium. Voir Schapiro, Meyer. « An Illuminated English Psalter of the Early Thirteenth Century », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 23, (3/4), 1960, p. 179-89 et Kauffmann, Claus Michael. Biblical imagery in medieval England 700 – 1550. London : Harvey Miller, 2003, ch. 6. Guenée, Bernard. L’Occident aux XIV eet XV e siècles. Les États. Paris : PUF, 1971, p. 136. Voir Hedeman, Anne. The Royal Image : Illustrations of the "Grandes Chroniques de France", 1274-1422. Berkeley : University of California Press, 1991.



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Figure 34 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 181v (1270-1300’) Couronnement d’Arthur

Figure 35 : BNF, fr. 9123 f. 131v (1325’) Comment li roys Artus fu couronnés, sacrés et enoins a roy du royame Logres. Couronnement d’Arthur

la lettre historiée et par son habit de couleur rouge qui tranche avec le fond bleu de la miniature, est couronné par deux personnages de profil. Placés de façon symétrique, de part et d’autre du nouveau roi, et habillés d’une couleur moins vive, ceux-ci portent une couronne identique à celle qu’ils posent sur sa tête. Si l’effet esthétique est particulièrement réussi, l’identification de ces personnages est problématique. Il ne s’agit pas de clercs, avec comme on pourrait s’y attendre, l’archevêque Brice ou Merlin aux côtés du nouveau roi. Peut-être s’agit-il de rois vassaux d’Arthur, repentis de leur méfiance envers le souverain désigné par l’épée, qui procèdent eux-mêmes au couronnement de celui contre qui ils vont pourtant bientôt se révolter. BNF, fr. 105 et 9123, réalisés à Paris vers 1320-30, bien qu’ils soient des manuscrits jumeaux enluminés par le (sous-)maître de Fauvel et ses colaborateurs194, ne présentent pas la scène du couronnement de la même manière. Dans BNF, fr. 9123 f. 131v (Figure 35), qui date de la première moitié du XIVe siècle, la généralité de la rubrique, qui reprend presque mot à mot le corps du texte, coïncide avec une mise en image assez stylisée. La disposition symétrique de la miniature rappelle celle adoptée dans le manuscrit d’Oxford, mais elle est plus détaillée : le roi, cette fois assis, est consacré et 194

Voir Stones, Alison. « The Artistic Context of le Roman de Fauvel », Fauvel Studies, 1998, p. 529-67 et Fabry-Tehranchi, Irène. « L’ambassade du roi Loth et de ses fils auprès des barons rebelles : variations iconographiques (BNF fr. 105 et 9123) ». Le texte médiéval, de la variante à la recréation. Dir. Cécile Le Cornec-Rochelois, Anne Rochebouet et Anne Salamon. Paris : Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2012, p. 213-36.

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couronné par deux évêques escortés de deux clercs qui se situent de chaque côté de lui195. Dans le cérémoniel du sacre des rois de France, jusques à six évêques pouvaient participer au rite. L’archevêque de Reims est celui qui tient le rôle principal dans la consécration royale, mais l’abbé de Saint Rémi de Reims et celui de saint Denis ont aussi une fonction capitale en tant que gardiens respectifs de la sainte ampoule et des insigna regalia. À partir du XIIIe siècle, le clergé apparaît dans la liturgie comme «  médiation nécessaire au sacre du roi »196. En fait dès l’époque carolingienne, on trouve des miniatures présentant le souverain couronné par deux évêques (comme dans le Pontifical romano-germanique, Schaffhausen, Ministerialbibliothek, Min. 94, f. 29), néanmoins dans de nombreuses représentations de cette époque, Dieu lui-même investit l’empereur de sa fonction (voir le Sacramentaire dit de Metz ou de Charles le Chauve, BNF, lat. 1141 f. 2v)197. Dans BNF, fr.  105 f. 162 (Figure 36), le roi Arthur, assis au centre, reçoit de l’archevêque Brice les insignes du pouvoir royal, la couronne et un sceptre fleuronné198. À la fin du Moyen Âge, les insignes du pouvoir, dont l’origine et la symbolique font l’objet d’un développement spécifique, tiennent une place de plus en plus importante dans la mise en scène de la majesté royale199. Alors qu’Arthur est sacré roi de Grande-Bretagne, on lui attribue les insignes d’un roi de France : cette présentation résonne de façon paradoxale avec l’actualité politique à un moment où grandissent les tensions entre la couronne de France et celle d’Angleterre. En 1320, Philippe V reçoit en la cathédrale d’Amiens l’hommage du roi Édouard II d’Angleterre, son beau-frère, pour le duché de Guyenne, le comté de Ponthieu et la ville de Montreuil. De même, Philippe de Valois finit par obtenir en 1329 celui d’Édouard III200. Ce dernier aurait pu prétendre à la couronne de 195

196 197 198

199 200

Le même type de composition apparaît dans BNF, fr.  9084, un manuscrit de l’Histoire d’Outremer de Guillaume de Tyr datant de la fin du XIIIe siècle, à l’occasion du couronnement de Baudouin I (f. 112) ou d’Amaury I (f. 255v). Ce motif iconographique est également employé dans le programme illustratif des manuscrits anglais des Flores historiarum produits en lien avec Saint Albans et Westminster à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, comme Manchester, Chetham Library, 6712 ou Eton College, 123. Le couronnement des rois d'Angleterre, à commencer par Arthur, y jour un rôle clef. Voir Collard, Judith. « Flores historiarum manuscripts: the illumination of a late thirteenth-century chronicle series ». Zeitschrift für Kunstgeschichte, 4, 2008, p. 441-66. Bonne, Jean-Claude. « Images du sacre », Le sacre royal à l’époque de Saint Louis, 2001, p. 97. Bonne, Jean-Claude. « Images du sacre », 2001, p. 91-130. Le sceptre fleurdelisé devint l’insigne des rois capétiens. Voir Pastoureau, Michel. « Le roi des lis. Emblèmes dynastiques et symboles royaux », Corpus des sceaux français du Moyen Âge. Tome II, Les sceaux des rois et de régence. Dir. Martine Dalas. Paris : Archives nationales, 1991, p. 35-48. Guenée, Bernard. L’Occident aux XIV eet XV e siècles, 1971, p. 142 ss. Édouard III se contente alors de prêter un hommage simple et non un hommage lige : il reconnaît Philippe VI comme son seigneur et non comme son suzerain suprême. Après différents pourparlers et confrontations armées, Édouard s’exécute par écrit en 1331, mais le conflit n’est pas pour autant définitivement réglé. Voir Bove, Boris. Le temps de la guerre de cent ans  : 1328-1453. Paris : Belin, 2009, p. 51-57.



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Figure 36 : BNF, fr. 105 f. 162 (1325’) Comment li roys Artus tint sa court aprés ce qu’il fu couronnez et comment li baron se desacorderent a lui par envie de ce qu’il estoit roys et comment li menuz peuples et li baron se combatirent ensamble. Couronnement d’Arthur

France à la mort de Charles IV, le dernier des capétiens directs, en tant que petit fils de Philippe le Bel et fils d’Isabelle de France, une rivalité qui est à l’origine de la guerre de Cent ans. Dans la Suite Vulgate, Arthur est promu comme souverain légitime de la Grande-Bretagne. Elu par Dieu et soutenu par l’Eglise et le peuple, il va défendre les intérêts de ses vassaux Ban et Bohort contre les prétentions de Claudas, le roi de Gaule, mais il ne se livre jamais, comme dans l’Histoire des rois de Bretagne, ou le Brut, à la conquête de la France et au siège de Paris. La miniature de fr. 105 se fait peut-être l’écho de questions contemporaines, même si elle reprend un motif iconographique établi. Ainsi dans la Bible historiale en français de Guiard des Moulins, réalisée de façon contemporaine dans l’atelier du maître de Fauvel, le premier roi des Israélites, Saül, est doté du même sceptre. La position de Saül dans BNF, fr. 8 f. 26 est cependant plus hiératique que celle d’Arthur dans fr. 105 f. 162 (Figure 36). Dans fr. 105, le personnel ecclésiastique est placé du côté droit de la miniature, et le roi incline la tête dans leur direction, tandis que des laïcs se tiennent du côté gauche. Deux de ces derniers semblent plongés dans une importante discussion : peut-être s’agit-il des barons qui vont remettre en question la légitimité de leur nouveau souverain. En effet, la rubrique annonce en détail les difficultés que rencontre Arthur au début de son règne et la guerre civile qui s’ensuit. C’est donc dans les affaires internes de son royaume, avec la lutte contre les rois rebelles et celle contre les Saxons, que le nouveau souverain doit d’abord faire ses preuves. La comparaison de cette image avec celle du

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Figure 37 : BNF, fr. 110 f. 67 (1295’) Ensi come Artus est a jenols devant un autel et met une espee sus et li archeveskes li met une couronne sor son chief et li pules est entour als. Couronnement d’Arthur

couronnement de Saül fait ressortir le contraste entre l’agitation manifestée par les barons d’Arthur et l’attention générale portée au couronnement de Saül dont la position faciale exprime déjà la dignité royale. Dans Paris, BNF, fr. 110 f. 67 (Figure 37) (fin du XIIIe s.), l’image du couronnement d’Arthur est construite selon un dispositif qui rappelle celui de fr. 95 f. 159v. La rubrique, écrite au présent, décrit scrupuleusement les différentes composantes de la scène, les personnages et leur gestuelle. On trouve peut-être la trace de cette composition au XVe siècle, dans Pierpont Morgan, 207 f. 145v (Figure 38), où Arthur, agenouillé son épée à la main, est couronné par l’archevêque Brice en présence d’une foule de grands seigneurs. La présence de l’autel dans le cadre de la miniature accentue la sacralité de la scène, mais la représentation du roi tenant son épée au moment même du couronnement synthétise et adapte les étapes traditionnelles de la cérémonie du sacre201. Comme l’a souligné March Bloch, la solennité du sacre est double, elle comprend à la fois la remise des insignes royaux (et en particulier de la couronne) et l’onction qui rapproche la dignité royale de la prêtrise : L’huile sainte élevait les souverains très haut au-dessus de la foule. [...] Pourtant la médaille avait son revers. Au cours de la cérémonie, l’officiant qui 201

Au cours du sacre des rois de France, l’archevêque ceint le roi de son épée auparavant déposée sur l’autel avec les autres regalia, puis il la sort du fourreau et la donne au roi qui la repose sur l’autel. L’archevêque remet à nouveau l’épée au roi qui la confie alors à son sénéchal. Le texte et les illustrations du Merlin simplifient le rituel : Arthur retire l’épée de l’enclume et la dépose sur l’autel avant d’être couronné. « Et il fu as jenous et prist l’espee as mains jointes et le leva de l’englume aussi legierement com s’ele ne tenist en nule chose. Et lors porta l’espee entre ses mains toute droite, si l’enmenerent a l’autel et il le mist sus. Et quant il l’i ot mise si le sacrerent et enoisent et fisent toutes iceles choses que on doit faire a roi » (Pl. I, 774).



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Figure 38 : Pierpont Morgan, 207 f. 145v (1450’) Couronnement d’Arthur

donnait l’onction paraissait pour un moment supérieur au monarque qui, dévotement, la recevait ; il fallait désormais […] un prêtre pour faire un roi : signe évident de la prééminence du spirituel sur le temporel202.

Philippe Buc rappelle aussi que « un roi dit ‘sacré’ n’est pas nécessairement un roi absolu ; être Christus Domini, ‘Oint du Seigneur’, est autant une limite qu’une source de pouvoir »203. Objet de subtiles variations, les images du couronnement d’Arthur participent de cette ambiguïté fondamentale : Le geste social, qu’il soit d’Etat ou d’Eglise, est nécessairement polysémique. Tout comme l’écriture qui le dépeint et cherche à l’influencer204.

Représenter la cérémonie du couronnement, c’est prendre le parti d’Arthur, reconnaître en lui le roi de Grande-Bretagne et la légitimité de son accession au trône, puisqu’elle est validée par l’Eglise, en discréditant par avance ceux qui s’opposeront à lui. L’agenouillement d’Arthur devant l’autel manifeste cependant la soumission de l’autorité politique au pouvoir sacré chargé de son investiture, ce qui est moins net quand le roi est assis sur son trône lors de son couronnement. Marc Bloch a montré que le sacre, particulièrement élaboré dans la monarchie française, puisant au modèle de l’onction des rois d’Israël, crée 202

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Bloch, Marc. Les Rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre. Strasbourg : Publications de la Faculté des lettres de l’université de Strasbourg, 1924, p. 71. Buc, Philippe. L’ambiguïté du Livre : prince, pouvoir et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge. Paris : Beauchesne, 1998, p. 26. Buc, Philippe. L’ambiguïté du Livre, 1998, p. 25.

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une mythologie religieuse autour du couronnement à Reims et des pouvoirs thaumaturges attribués au roi. Il parle ainsi de la « psychologie collective de la royauté mystique », même si cette dernière finit par être remise en question : Un moment vint pourtant où les champions du temporel prirent conscience du danger qu’il pouvait y avoir pour les royautés à paraître dépendre trop étroitement d’une sanction octroyée par l’Eglise. [...] Les théoriciens de ce bord s’attachèrent à réduire le sacre à n’être plus, en droit public, que la reconnaissance d’un fait accompli205.

Le roi ne tient alors son titre que de l’hérédité ou, en Allemagne, de l’élection206. La reprise d’une iconographie similaire de la fin du XIIIe (fr. 110) au XVe siècle (Pierpont Morgan, 207) pour représenter le couronnement d’Arthur tient au caractère formalisé d’un rituel fondamental. Elle masque pourtant des évolutions politiques considérables, puisque dans l’effort de légitimation de la figure royale, l’hérédité devient progressivement plus importante que la cérémonie du sacre. Ainsi pour Colette Beaune, à la fin du Moyen Âge dans le royaume de France, « le sacre est une bénédiction, une fête, une solennité. Il n’a plus [...] qu’une valeur déclarative et non constitutive ». Dès l’époque de Philippe Auguste (1165-1223), se développe en effet une « théologie du sang »207 : A la dispense d’adoubement, s’ajouta au XVe siècle la dispense du sacre. Depuis longtemps déjà la succession héréditaire avait éclipsé, en France, l’élection, et le sacre prenait la même voie.

Cela permettait d’éviter les interrègnes, de désigner clairement l’héritier naturel en évitant l’intervention de l’Eglise et la dispersion des loyautés208. Dans le cas d’Arthur, le miracle du perron et le sacre ne suffisent pas à imposer la légitimité du nouveau souverain. L’intervention de Merlin ne parvient pas non plus à les apaiser car s’il révèle qu’Arthur est bien le fils d’Uterpandragon, celui-ci l’a conçu de façon illégitime. Il n’en est pas de même pour

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Bloch, Marc. Les Rois thaumaturges, 1924, p. 217. Ainsi dans les années 1270-72, en France en en Angleterre, « les notaires royaux cessent de calculer les années du règne à partir du sacre et choississent dorénavant pour point de départ l’avènement, fixé d’ordinaire au jour qui suit la mort du souverain précédent, ou à celui de son inhumation ». Bloch, Marc. Les Rois thaumaturges, 1924, p. 218. « Au moment où se développe dans la chrétienté latine un culte du sang du Christ, le sang des rois se met lui aussi à recevoir les épithètes de saint, sacré ou miraculeux ». Voir Beaune, Colette. Naissance de la nation France. Paris : Gallimard, 1991, p. 223-25. Du XIIIe au XVe siècle, l’extension de la liste des privilèges du roi et du royaume dits et reconnus comme « très chrétiens », incluant le sacre par la sainte ampoule et la guérison des écrouelles, puis le don divin des lys et de l’oriflamme ainsi que par la suite des éléments liés à l’actualité politique (comme sous Charles VII la loi salique, « rempart contre les Anglais ») ou les prérogatives royales vis-à-vis de l’Eglise de France et le statut exceptionnel de l’Etat français (le roi de France échappe à l’excommunication et n’a aucun supérieur dans ce monde...), tend ainsi à affirmer l’autonomie du roi et du royaume de France vis-à-vis de l’Empire et de la Papauté, ce qui devient crucial à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, avec les guerres d’Italie. Beaune, Colette. Naissance de la nation France, 1991, p. 226-29.



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le peuple qui se rallie au parti de l’Eglise et reconnaît la caution religieuse apportée par le sacre : En tous pays, l’opinion commune n’admettait pas volontiers qu’un roi fût vraiment roi […] avant l’acte religieux209.

Dans le Merlin, à la mort d’Uterpandragon, l’absence apparente de successeur héréditaire donne donc la primauté au miracle de l’élection divine tout en accordant une place particulière au sacre d’Arthur, même si sa légitimité héréditaire est également, bien que difficilement, confirmée. L’iconographie, qui met au premier plan le couronnement d’Arthur par l’archevêque Brice, présente l’accession d’Arthur au trône dans la perspective romanesque de l’histoire mythique des rois Bretons. Elle renvoie aux conceptions communes, qui accordent une place cruciale à la cérémonie du sacre, plus qu’aux débats et aux théorisations juridiques contemporaines sur l’origine de la souveraineté. Ces illustrations du couronnement royal mettent néanmoins en scène les relations discutées entre l’Eglise et la monarchie. Les intérêts du pouvoir royal et du pouvoir ecclésiastique semblent converger et c’est ensemble qu’ils vont faire face aux troubles posés par les barons de l’ordre féodal. Pour Philippe Buc, la conceptualisation de l’ordre politique dans l’exégèse médiévale se fonde sur un « principe d’équilibre » : Les débats et le mouvement des idées procèdent par rééquilibrages  : plus ou moins de contrainte dans l’exercice du pouvoir, plus ou moins de place accordée aux arguments favorisant les droits et l’éminence du sacerdotium par rapport à ceux qui soutiennent le regnum210.

Différents éléments contribuent donc à légitimer la souveraineté d’Arthur : l’élection divine ainsi que sa reconnaissance et sa validation par l’Eglise, mais aussi par les barons (bien que de façon éphémère) et par le peuple qui assistent au miracle de l’épée du perron et mettent à l’épreuve les qualités du jeune roi. Dans le Merlin, le peuple, qui soutient Arthur et se tient aux côtés du clergé tandis que celui-ci excommunie les barons révoltés, joue un rôle relativement important dans la reconnaissance publique de la légitimité du nouveau roi. Celle-ci n’est plus uniquement le fait de l’Eglise et des grands du royaume, mais elle concerne alors l’ensemble de la communauté chrétienne.

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Pour les hommes de loi « la disparition du roi, dans les pays régis par la loi d’hérédité, faisait roi, instantanément, l’héritier légitime. Mais ils n’avaient pas pour autant renoncé à invoquer l’onction et ses vertus lorsqu’il s’agissait pour eux de fonder le caractère sacro-saint des princes », même s’ils avaient « dépouillé ce rite de tout rôle efficace dans la transmission du pouvoir suprême » et refusé de lui reconnaître « la puissance de créer une légitimité ». C’est ce que manifeste notamment l’importance accordée par Jeanne d’Arc au sacre de Charles VII, dans le contexte difficile de la guerre de Cent Ans. Bloch, Marc. Les Rois thaumaturges, 1924, p. 219-21. Buc, Philippe. L’ambiguïté du Livre, 1998, p. 46.

112 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 39 : BNF, fr. 770 f. 149 (1285’) Arrivée à Logres du roi Loth et de ses hommes

-La réunion de la cour arthurienne  Dans un troisième groupe de manuscrits, la Suite Vulgate commence par des images se rapportant à la réunion de la cour plénière d’Arthur qui est évoquée dans la première phrase du texte. BNF, fr. 770 (Figure 39) (fin du XIIIe s.) se singularise en montrant l’entrée d’un roi dans une cité : c’est sans doute le roi Loth rejoignant la cour d’Arthur à Logres, puisqu’il s’agit du premier seigneur dont l’arrivée est indiquée211. L’accent est donc déplacé dans ce manuscrit de la figure d’Arthur à celle de son baron, le roi Loth, qui va bientôt se rebeller contre lui. Peut-être fr. 770 insiste-t-il particulièrement sur les transgressions à l’œuvre contre le pouvoir royal, puisque les deux seules miniatures qui illustrent le Merlin propre représentent l’assassinat du roi Maine (f. 127v) et l’exécution de ses meurtriers (f. 128). Si les illustrations du début de la Suite Vulgate évoquent le conflit d’Arthur contre les barons rebelles, elles insistent également sur l’alliance qu’il noue avec les rois Ban et Bohort.

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L'écu de Lot et le caparaçon de son cheval sont de gueules aux deux fleurs de lys d'argent, au franc-quartier d'argent, mais dans ce manuscrit, l'utilisation de l'héraldique est principalement ornementale : elle n'est pas utilisée de façon systématique et cohérente. Entre 1215 et 1315, l'emploi de l'héraldique dans les manuscrits arthuriens n'est pas codifié mais il fait l'objet d'une grande variété et flexibilité. Voir Stones, Alison. « Les débuts de l'héraldique dans l'illustration des romans arthuriens », Les Armoriaux, Histoire héraldique, sociale et culturelle des armoriaux médiévaux. Ed. Hélène Loyau et Michel Pastoureau. Paris : Le Léopard d'or, Cahiers du Léopard d'or, 8, 1998, p. 395-420.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 113

Figure 40 : BNF, fr. 344 f. 101v (1295’) Arthur et sa cour

Dans BNF, fr. 344, de la fin du XIIIe siècle, et fr. 91, datant du XVe siècle, c’est plutôt le rassemblement de la cour auprès du roi et le conseil qu’il tient avec ses barons qui sont illustrés au début de la Suite Vulgate. Dans fr. 344 f. 101v (Figure 40), le roi trône au centre de l’initiale historiée, portant son sceptre à la main, entouré de ses conseillers. Rien ne laisse présager, dans cette scène stéréotypée où la cour se presse autour de la figure royale, la révolte imminente des barons. Pourtant, à quelques folios d’intervalle seulement, une autre miniature met en scène le parlement des rois rebelles (f. 109, Figure 41). Les vassaux d’Arthur, ayant subi une première défaite, décident en conseil de rassembler toutes leurs forces pour essayer de prendre leur revanche. Les deux images reprennent la même composition, mais tandis que la première exalte la dignité exclusive du monarque, la seconde donne à voir un modèle de gouvernement concurrent : la multiplication des têtes couronnées et la similarité de leur gestuelle suggère une prise de décision partagée par des personnages d’égale dignité. Dans fr. 91 f. 52 (Figure 42), réalisé dans la deuxième partie du XVe siècle, le rassemblement de la cour arthurienne apparaît non pas à travers le nombre et le resserrement des personnages, mais dans la représentation symbolique de différents groupes de la société. Il s’agit du remploi d’une peinture montrant Alexandre et son précepteur Aristote dans un manuscrit du Secret des secrets (BNF, Naf. 18219)212, un miroir du prince dont le caractère didactique et politique est encore plus accentué. Arthur siège sur un trône surmonté d’un

212

Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, 1993, p. 163.

114 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 41 : BNF, fr. 344 f. 109 Conseil des rois rebelles

dais, tenant à la main son sceptre fleurdelisé, tandis qu’à sa droite se tient un riche personnage, les mains jointes, luxueusement vêtu, portant une bourse, une étole, un manteau fourré et un bonnet. À gauche du roi, un chevalier en armes porte une épée et un bouclier orné d’une croix qui fait écho aux armes de Savoie213, déclinées sur des supports architecturaux dans plusieurs miniatures réalisées par Jean Colombe214. En face du souverain se trouve un paysan tenant une houe et portant un couteau à la ceinture. La nudité de la pièce au fond de laquelle s’ouvre l’embrasure d’une porte contraste avec la représentation détaillée de chacun des personnages. Merlin n’est pas représenté, à moins de l’identifier au haut dignitaire et conseiller qui se tient debout près de roi. Malgré l’absence de représentant du monde clérical, la miniature présente une image d’unité et d’harmonie sociale autour de la figure du roi. Cela contraste avec le désordre annoncé par la rubrique qui expose la division causée par la rébellion des grands du royaume.

213

214

L’ensemble formé par Bruxelles, Bibliothèque Royale 9246 et BNF, fr. 91 a sans doute été commandité par Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève dont le décès en 1482 explique sans doute l’inachèvement du deuxième manuscrit. Les volumes entrent ensuite en possession de son neveu Charles I, duc de Savoie (1468-1490), puis de Marguerite d’Autriche (1480-1530). Voir Loomis, Roger Sherman et Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art, 1938, p. 111-12, Edmunds, Sheila. « The Medieval library of Savoy », Scriptorium, 26, 1972, p. 277 et 281-82  ; 24, 1979, p.  325 et Wijsman, Hanno. Luxury Bound  : Illustrated Manuscript Production and Noble and Princely Book Ownership in the Burgundian Netherlands, 14001550. Turnhout : Brepols, 2010, p. 201-07. Voir Jacob, Marie. « Jean Colombe, un pittore di Bourges familier e miniatore del duca Carlo I di Savoia », Corti e città. Arte del Quattrocento nelle Alpi occidentali. Dir. Enrica Pagella, Elena Rossetti Brezzi, Enrico Castelnuovo. Milan : Skira, 2006, p. 463-69.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 115

Figure 42 : BNF, fr. 91 f. 52 (1480’), Arthur et sa cour Comment le roy Artus tind sa court aprés se qu’il fust couronné et comment les barons se desacorderent a luy par envie de se qu’il estoit roy et comment le menu peuple et les barons se combatirent ensamble.

La figure d’un des barons qui vont se révolter prend place auprès d’Arthur au lieu d’Aristote auprès d’Alexandre dans le Secret des secrets. La disjonction de la figure du riche seigneur et de celle du combattant peut suggérer que malgré la défection et l’hostilité de ses puissants barons, Arthur saura mobiliser les forces armées nécessaires à l’affirmation de son pouvoir politique et militaire215. Enfin dans deux autres manuscrits, Tours, BM, 951 f. 224 (Figure 43) (fin du XIIIe s.) et Arsenal, 3482 p. 62 (Figure 44) (XIVe s.), la Suite Vulgate commence par une miniature montrant Arthur assis à une table de banquet. Cette scène n’est pas mentionnée dans le texte qui évoque seulement l’accueil des barons par le roi et leur dédain pour les riches présents qu’il leur offre. Les discussions concernant les origines d’Arthur retiennent ensuite toute l’attention. La représentation de la table ne se conforme pas à la lettre du texte, mais peut s’expliquer par la familiarité des enlumineurs avec les romans arthuriens et plus spécifiquement avec le motif du banquet qui accompagne traditionnellement la réunion de la cour à l’ouverture de nombreux récits. La réception festive des barons inclut nécessairement un repas au cours duquel

215

On pourrait voir dans ce choix iconographique une évocation de la situation à la cour de France, à une époque où se pose la question de l’unité des trois états autour du roi (Arthur devenant implicitement une représentation du roi de France), dans la lignée des textes qui déplorent le manque d’union et recommandent le retour à l’unité comme le Quadrilogue invectif d’Alain Chartier qui avec plus de quarante exemplaires conservés a connu à l’époque un réel succès. Cette allégorie politique où la France supplie ses enfants, le Peuple, le Chevalier et le Clergé, de se réconcilier, a été écrite en 1422 à la cour de Bourges dans le contexte de la guerre de Cent Ans. Charles VII comme Arthur sont couronnés dans des circonstances particulièrement difficiles. Voir Chartier, Alain. Le Quadrilogue invectif. Ed. Florence Bouchet. Paris : Champion, 2002.

116 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 43 : Tours, BM, 951 f. 224 (1290’) Banquet à la cour d’Arthur

Figure 44 : Arsenal, 3482 p. 62 (1350’) Banquet à la cour d’Arthur

le roi peut faire preuve de sa largesse et de sa générosité. C’est lors d’une telle occasion qu’Uterpandragon fait offrir une coupe à Ygerne, la femme du duc de Tintagel. Les images apportent alors des précisions contextuelles : c’est lors d’un banquet qu’Arthur aurait prodigué aux barons bretons de « riches presens » et « riches joiaus » (Pl. I, 775). Représenter la cour au début de la Suite Vulgate rattache donc ce texte au monde arthurien et aux motifs romanesques à la fois littéraires et iconographiques. Alors que les images du couronnement du roi constituent une sorte de manifeste établissant la légitimité du nouveau roi, les miniatures évoquant le rassemblement de sa cour sont trop peu particularisées pour rendre compte des problèmes qui surgissent à l’ouverture de l’œuvre. L’ordre arthurien, familier du lecteur, est présenté comme allant de soi, alors que ses débuts coïncident avec sa plus grave remise en question.

-Les troubles politiques et militaires du début du règne d’Arthur  D’autres manuscrits font de la miniature initiale de la Suite Vulgate le lieu où s’exposent les difficultés rencontrées par Arthur au début de son règne. Quand le conseil des barons rebelles voire leur lutte armée contre Arthur sont placés au seuil de la continuation, c’est moins le contexte immédiat de l’élection et du couronnement qui retiennent l’attention de l’enlumineur et du lecteur que cette problématique fondamentale de la Suite Vulgate : la reconnaissance de la légitimité et de la valeur du jeune roi. Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (Figure 45) (XIVe s.), qui commence par une miniature frontispice compartimentée suivie d’une initiale historiée est le manuscrit qui rend compte avec le plus d’exhaustivité des événements du début



Mise en page et illustration | Chapitre 1 117

Figure 45 : Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (1300’) Miniature : -Merlin, Debrice et Arthur -Merlin et les barons rebelles -Bataille de Bédingran : Arthur contre les barons rebelles Initiale historiée : Retour de Merlin en Angleterre avec Ban et Bohort

de la Suite Vulgate. Il montre d’abord le trio formé de Merlin, vêtu d’une robe de clerc, de l’archevêque Brice, portant la mitre et la crosse, et du roi Arthur, portant la couronne et le sceptre. Ce groupe d’autorités, dans le registre supérieur gauche, fait pendant à celui formé dans le registre supérieur droit par les rois rebelles auprès de qui Merlin est délégué comme conciliateur. Le premier groupe est implicitement représenté, par le statut de ses membres, comme étant dans son bon droit. Mais l’échec des négociations apparaît au niveau inférieur dans la confrontation, cette fois armée, des deux partis en question. Arthur, portant les armes du royaume d’Angleterre (de gueules aux trois léopards d’or), adoptées à la fin du XIIe s. par Richard I Cœur de Lion216, s’élance, 216

Voir Pastoureau, Michel. « De Geoffroi à Richard: genèse du léopard Plantagenêt ». Richard Coeur de Lion, roi d 'Angleterre, duc de Normandie: 1157 - 1199. Ed. Louis et Martine Le Roc'h Morgère. Caen : Direction des archives départementales du Calvados, 2004, p. 256-67.

118 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 46 : BNF, fr. 747 f. 103 (1230-50’) Merlin et les rois rebelles

armé d’une lance, à la tête d’un groupe de soldats, contre la compagnie des rois rebelles. Un des soldats de leur camp gît déjà à terre. Enfin dans l’initiale historiée, Merlin traverse la Manche, emmenant en Angleterre les hommes des rois Ban et Bohort venus en renfort du continent. La composition de la miniature fait peser la balance en faveur du camp d’Arthur, représenté à gauche de la miniature et prolongé par l’initiale historiée. À l’orée du texte, dans ces illustrations qui plongent le lecteur au cœur des troubles qui accompagnent la montée d’Arthur sur le trône, la justesse de la cause du nouveau roi et la victoire qu’il obtiendra sur les barons rebelles, semblent déjà annoncés. Dans BNF, fr. 747 f. 103 (Figure 46) (XIIIe s.), c’est l’effort de médiation du conflit par le personnage de Merlin qui est représenté. L’action de Merlin dans la Suite Vulgate est particulièrement mise en exergue dans ce manuscrit qui réserve l’emploi d’une initiale historiée au début de chaque texte. Au XIVe siècle, dans New Haven, Beinecke, 227 f. 172v (Figure 47), c’est plutôt sur le complot des barons rebelles que se focalise l’attention. Trois personnages semblent absorbés dans la lecture d’une lettre, sans doute « les letres pendans que Uterpandragon fist faire a Merlin » (Pl. I, 780-81). Par cet écrit, le roi avait promis à son conseiller de lui abandonner l’enfant qui naîtrait de son union avec Ygerne, en contrepartie pour l’aide que Merlin lui apporterait pour approcher celle qu’il aimait. Malgré les preuves apportées par Ulfin des origines d’Arthur, les grands seigneurs dénoncent le caractère illégitime de sa naissance. Pour être reconnu comme légitime, le roi doit être élu par Dieu, succéder par droit héréditaire à son prédécesseur, et être sacré. C’est la deuxième de ces conditions qui pose problème aux



Mise en page et illustration | Chapitre 1 119

Figure 47 : New Haven, Beinecke, 227 f. 172v (1357) Ci aprés trouverés conment li rois Artus si deffendi contre les barons dou païs qui ne voloit pas qu’il fust rois. Mes Melins li aida moult durement sa guere a maintenir. Conseil des barons rebelles

barons. La Suite Vulgate commence alors par une illustration qui expose le point de départ de l’action : l’opposition des barons à la reconnaissance du nouveau roi et leur mauvaise foi. Pour sa part, la rubrique va au-delà de la simple conspiration des rois révoltés, annonçant la guerre menée entre Arthur et ses barons. Enfin dans BL, Add. 10292 (1316), le seuil du Merlin à la Suite Vulgate n’est pas marqué en son emplacement traditionnel, bien qu’il soit l’objet d’une importante série d’illustrations liées à l’épreuve de l’épée dans l’enclume et au couronnement d’Arthur à la fin du Merlin. La première miniature qui relève à strictement parler de la Suite Vulgate expose l’affrontement du nouveau roi et de ses barons avec une grande fidélité au texte (f. 102, Figure 48). La rubrique est de type générique, comme le souligne l’emploi de déterminants indéfinis, même si elle nomme Arthur et précise le rôle joué par Merlin. Arthur, portant ses armes qui sont traditionnellement d’azur à trois (et non deux) couronnes d’or217, s’est retranché dans une forteresse, et encerclé par ses ennemis, il effectue une sortie. Merlin provoque la panique parmi

217

Pastoureau, Michel. Armorial des chevaliers de la Table Ronde. Etude sur l'héraldique imaginaire à la fin du Moyen Age. Paris : Le léopard d'or, 2006 (1983), p. 100-02.

120 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 48 : BL, Add. 10292 f. 102 (1316) (artiste 1) Ensi que li roi Artu ist hors d’un castel et desconfit une bataille par le conseil Merlin. Arthur attaquant le camp des barons rebelles

l’armée des assiégeants en utilisant ses enchantements pour mettre le feu à leur campement. Dans la miniature, il exerce ainsi ses pouvoirs depuis les créneaux du château. La domination du parti d’Arthur sur ses opposants apparaît verticalement dans l’action de Merlin au-dessus du camp, gardé par un soldat assis qui ne semble pas encore averti de la catastrophe. Du côté droit de la miniature, les troupes des rois rebelles semblent déjà s’écrouler, comme leur cavalier au premier plan, sous le choc de l’assaut lancé par Arthur et ses hommes à la sortie du château. L’illustration de ces manuscrits met en évidence la difficiulté d’Arthur à faire valoir sa souveraineté. Les barons de GrandeBretagne, qui à la demande de l’archevêque ont pourtant exprimé publiquement leur accord concernant le sacre d’Arthur («  Nous nous i acordons et volons de par Dieu que il soit rois sacrés... » Pl. I, 773), se retournent contre lui. Il reviendra à Ban et Bohort de prêter hommage au nouveau roi, comme le font traditionnellement les douze pairs après le couronnement du roi de France. Enfin dans Bonn, ULB, 526 (1286), qui repousse plus loin dans le texte le passage du Merlin aux Premiers faits, la cinquième œuvre de la compilation, la première illustration de cette section montre l’arrivée des rois Ban et Bohort à la cour d’Arthur et indique l’allégeance qu’ils jurent solennellement à leur nouveau suzerain (f. 82, Figure 49). La présence de deux clercs dont



Mise en page et illustration | Chapitre 1 121

Figure 49 : Bonn, ULB, 526 f. 82 Hommage de Ban et Bohort à Arthur

l’un tient un livre et l’autre une croix souligne l’importance de l’hommage qui va être prêté par les deux rois. Le roman s’ouvre alors sur la perspective d’une alliance entre la Bretagne et le continent, plutôt que sur les combats qui opposent le jeune roi à ses barons. Le rayonnement politique d’Arthur et son sens stratégique, aiguisé par les conseils de Merlin, sont alors mis en avant, dans la perspective d’une alliance plutôt que d’un affrontement.

Conclusion L’illustration liminaire des manuscrits qui mettent en images le début de la Suite Vulgate est particulièrement intéressante du fait de la diversité des choix qui s’offrent à l’enlumineur. Représenter la réussite d’Arthur à l’épreuve de l’épée dans l’enclume et/ou son couronnement, ou encore les difficultés qu’il rencontre au début de son règne, c’est proposer des lectures différentes du texte et de son orientation. Dans le premier cas, l’élection

122 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

divine d’Arthur est mise en valeur, bien que l’intervention de l’Eglise soit essentielle pour l’appuyer et le soutenir dans ses nouvelles fonctions. Les miniatures du couronnement attirent l’attention sur différentes interprétations possibles de l’articulation présentée comme nécessaire entre pouvoir politique et pouvoir religieux. La place donnée au clergé est cependant exceptionnelle dans l’œuvre. La légitimité du nouveau souverain est à la fois proclamée et explicitée par les images qui se focalisent sur sa consécration. Enfin celles qui montrent les démêlés d’Arthur et de ses barons, donnant toujours raison au parti du jeune roi, prolongent la réflexion sur le mode de légitimation du nouveau souverain confronté aux problèmes politiques et militaires qui forment la matière de la Suite Vulgate. Dans tous les cas, la figure d’Arthur est presque systématiquement au centre de l’image : si le personnel ecclésiastique remplace un temps la figure de Merlin aux côtés du souverain, c’est qu’il détient un rôle spécifique dans le rituel du sacre qui est nécessaire à l’établissement du nouveau roi. Une fois établie la légitimité d’Arthur, le prophète peut réapparaître en assumant pleinement ses fonctions de conseiller du roi. L’existence d’un héritier à la couronne, mis en avant par l’élection divine, est bien due à l’intervention de l’enchanteur, malgré les circonstances problématiques de la naissance d’Arthur. Merlin constitue en outre un chaînon indispensable dans la manifestation des liens héréditaires qui unissent Arthur et Uterpandragon. L’histoire de Merlin se prolonge donc et s’entremêle avec celle des rois de Bretagne dont il est un acteur fondamental bien qu’intermittent. C’est d’abord dans l’ombre qu’il assure, dans un premier temps, leur succession héréditaire et la continuité de leur lignée.

1.3. La fin de l’Estoire de Merlin : le jeu des explicits Si d’un point de vue textuel les variations de la fin de la Suite Vulgate témoignent des difficultés soulevées par la transition de l’Estoire de Merlin au Lancelot, la clôture de la continuation peut nous renseigner sur la façon dont ce texte a été abordé par les scribes et les compilateurs chargés de sa mise en œuvre manuscrite. Sur les trente quatre manuscrits comprenant la Suite Vulgate, un tiers sont incomplets de la fin de ce texte ou ne comportent aucun explicit. Treize manuscrits intègrent la Suite Vulgate au cycle du Graal mais dans un seul d’entre eux, fr. 747, la continuation du Merlin se termine par une réclame annonçant le début du Lancelot (« En la Marche de Gaule... »), alors que cette annonce est aussi présente dans six manuscrits qui en l’état de conservation actuel ne sont pas cycliques (à l’exception de fr. 105, qu’on peut coupler avec le Lancelot d’Arsenal, 3481218). 218

Voir Yvon, Jacques. « L'illustration des romans arthurien du XIIe siècle au XVe siècle », Positions des thèses de l'Ecole des Chartres, 16, 1948, p. 159-64 et Stones, Alison. The





219

Cambridge, UL, Add. 7071

12.

230

338

163

170

312v

287v

372v

417

1250’

1300’

1300’

1295’

1290’

1290’

1286

1285’

1275-85’

1275-85’

1270-1300’

Angleterre

Gand ou Thérouanne

Thérouanne ou Cambrai

Acre, Chypre ou Italie

Thérouanne

Amiens, Thérouanne ou Cambrai

Douai

Saint Omer ou Thérouanne

Saint Omer ou Thérouanne

Bologne ou Venise

Paris

Nord de la France

Lieu

[Incomplet de la fin]

Explicit iste liber.

Explicit li ensierremens de Merlin. [Diex nous maint tous a boine fin.] (rayé d’un trait rouge)

En la marche de Gaule et de la Petite Bretaigne.

Explicit l’enserrement de Merlin.

Ici fine des premiers faitz le roy Artu.

Explicit li romans de Merlin.

[Incomplet de la fin]

Explicit l’enserrement de Merlin. Diex nous maint tous a boine fin. Amen.

Ci fine l’Estoire de Merlin. [Aprés vient la Marche de Gaule] (rayé)

En la marche de Gaule et de la Petite Bretaigne...

En la marche de Gaule.

Explicit

illustrations of the French prose Lancelot, 1970. Jean-Paul Ponceau associerait plutôt Ars. 3481 et fr. 9123. Étude de la tradition manuscrite de l'Estoire del saint Graal, roman du XIIIe siècle. Thèse : Paris IV, 1986, p. 127-29. A l’exception de Turin, BNU, L.III.12, qui a brûlé en 1904 et est actuellement inaccessible, et des manuscrits conservés dans des collections privées, l’ex-Phillipps, 1047 et l’ex-Newcastle, 937.

Paris, BNF, fr. 749

Paris, BNF, fr. 95

8.

11.

441v

Bonn, ULB, 526

7.

Tours, BM, 951

Paris, BNF, fr. 770

6.

Paris, BNF, fr. 110

Paris, BNF, fr. 24394

5.

9.

Paris, BNF, fr. 19162

4.

10.

354v

Oxford, Bodl., Douce 178

3.

155

Berkeley, Bancroft, 106

2.

1230-50’

Folio Date

229

Paris, BNF, fr. 747

1.

Dépôt, Cote

Tableau 8 : Les manuscrits comprenant un explicit à la fin de la Suite Vulgate219

Mise en page et illustration | Chapitre 1 123

New York, Pierpont Morgan, Library, 207-208

Londres, BL, Harley 6340

Paris, BNF, fr. 332

[Bruxelles, BR, BNF, fr. 91

St Petersbourg, BNR, fr. F. pap. XV. 3

23.

24.

25.

26.

27.

9246]-Paris,

Paris, BNF, fr. 98

22.

p. 338

Paris, Ars., 3479 [-80]

New Haven, Beinecke, 227

Chantilly, Condé, 643

18.

19.

Paris, BNF, fr. 117 [-120]

Paris, BNF, fr. 9123

17.

20.

316

232v

Paris, BNF, fr. 105 [-Ars., 3481]

16.

21.

302v

Londres, BL, Add. 10292 [-94]

15.

263v

266v

314v

292v

357v

276

154v

349v

216v

Metz Paris, Centre

XV s.

Bourges  ?

fin du XVe s.

 ?

XVe s.

1480-82’

 ?

XVe s.

e

2e quart du XVe s.

Paris Paris

1406

1405

Flandres ou Hainaut : Tournai  ?

1357

Paris

Paris

fin du XIVe s.

1320-30’

1320-30’

Saint-Omer, Tournai ou Gand

Picardie

1316

Arras, Est ou Sud de France

1310’

Lieu

début du XIVe s.

289v

137v

Cologny, Bodmer, 147

Vatican, Bibl. Vat., Reg. lat. 1687

13.

14.

Folio Date

Dépôt, Cote

[Incomplet de la fin]

[Incomplet de la fin]

Et cy finist l’ystoire de Merlin. Explicit.

Et cy finist l’ystoire de Merlin.

En la marche de Gaule.

[Incomplet de la fin ; interpolé des Prophéties]

Explicit l’enserrement de Merlin, que Dieux vous maint a bonne fin. Amen.

Explicit l’enserrement de Merlin. Que Dieu nous maint a bonne fin. Amen.

[Incomplet de la fin]

Einsi comme li contes le devisera ça avant en la marche de Gaule : le quart livre.

Explicit toute la vie Merlin.

Explicit toute la vie Merlin. Et commence ci aprés la marche de Gaule toute la vie Lancelot du Lac.

Explicit l’enserrement de Merlin, Diex nous maint tous a boine fin.

[Incomplet de la fin]

Ci fine ceste branche de Mellin.

Explicit

124 Chapitre 1 | Mise en page et illustration



Mise en page et illustration | Chapitre 1 125

Parmi les quatorze manuscrits où la Suite Vulgate se termine par un explicit, la majorité se réfère à « l’enserrement » de Merlin, tel qu’il est décrit à la fin du texte. L’œuvre se clôt alors sur l’image de l’emprisonnement final du magicien par son élève et amante Viviane. Dans fr. 105 et 9123, la mention de la « vie Merlin » donne un point de vue plus global sur l’existence du prophète, convoquant le modèle biographique des vies de saints ou de trouvères et faisant écho à la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth. D’autres formules sont utilisées, comme « l’histoire Merlin », qui désigne la composition narrative centrée sur ce personnage, avec plus rarement la référence à un « livre » (fr. 749 f. 338), une « branche » (Cologny, Bodmer, 147 f. 289v) ou un « roman » de Merlin (fr. 770 f. 312v), qui désignent respectivement l’objet manuscrit, le mode de composition d’un ensemble cyclique largement interpolé, et le domaine linguistique dans lequel l’œuvre s’inscrit. La présence d’un explicit favorise en général l’intégration du Merlin et de sa continuation en une « histoire de Merlin », de ses origines à son enserrement. Si la référence au personnage de Merlin sert de trait d’union entre le texte original et sa continuation, l’effet de clôture est accentué dans les manuscrits comprenant à la fois un incipit et un explicit comme BNF, fr. 9123 («  Ci commence li rommans de Merlin... Explicit toute la vie Merlin  » ff.  96-302v) et Londres, BL, Harley 6340 («  Ci commence le livre de Merlin... Et cy finist l’ystoire de Merlin », ff. 14-292v). Ces deux exemples témoignent de la variation au sein d’un même manuscrit des termes employés pour désigner l’œuvre. Dans BNF, fr.  749, le Merlin commence par «  Chi commence l’Estoire de Merlin que mesire Robers de Borron translata » (f. 123) et la Suite Vulgate se termine par « Explicit iste liber » (f. 338), mais dans ce manuscrit qui comprend l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate, on peut considérer que l’explicit, rédigé en latin et non en français, sert de conclusion à l’ensemble du codex. Le manuscrit Bonn, ULB, 526 se distingue de tous les autres en ce qu’il définit clairement le Merlin et sa continuation comme des textes différents. Il recourt ainsi à deux incipits et deux explicits : « Ici commence de Merlin. Livre II. » et « Ici fine de Merlin » (ff. 60 et 82) puis « Ici conmence des premiers faiz le roy Artu  » et «  Ici fine des premiers faitz le roy Artu  » (ff. 82 et 170). En outre, il décale le lieu traditionnel du passage du Merlin à la Suite Vulgate du couronnement d’Arthur à l’arrivée de ses alliés Ban et Bohort. Le second texte ne semble plus se focaliser sur la figure de Merlin, insistant par la mention des «  premiers faits  » d’Arthur sur le caractère épique et héroïque de la geste du jeune souverain. La présence d’un explicit souligne la clôture de la Suite Vulgate et participe de son intégration au Merlin quand l’ensemble formé par ce texte et sa continuation est le plus souvent rassemblé sous les termes d’enserrement

126 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

ou d’histoire de Merlin. Les différentes désignations du texte insistent sur l’achèvement de la biographie du personnage ou plus rarement sur la transmission littéraire et manuscrite de l’œuvre. À l’exception de Bonn, ULB, 526, cette dernière reste associée à la figure de Merlin, bien que la Suite Vulgate voie l’émergence d’autres héros et protagonistes. Comme son nom l’indique, la Suite Vulgate est la version la plus répandue des continuations du Merlin, mais l’existence d’autres suites permet d’envisager de façon différente la question de la clôture du texte et les modalités possibles de son prolongement. Le caractère problématique de la succession d’Uterpandragon et les difficultés que mettent les grands barons du royaume de Bretagne à accepter la souveraineté d’Arthur constituent ainsi le point de départ de développements narratifs variés. Au terme du Merlin, les modalités de l’accession au trône d’Arthur constituent une fin ambiguë qui ouvre la porte à plusieurs tentatives de continuations. Cela explique les différentes rédactions de la transition du Merlin à la Suite Vulgate, ainsi que la variété des choix iconographiques à l’ouverture du second texte. Du point de vue de la composition narrative et de l’enchaînement du texte originel et de sa suite, le caractère instable de la clôture du Merlin implique d’abord de régler le problème de la reconnaissance de la souveraineté d’Arthur avant que le récit puisse s’orienter vers de nouvelles aventures, généralement de type chevaleresque. C’est donc de façon progressive, et au moyen de diverses combinaisons que la résolution de questions militaires et politiques cède la place à des intrigues et péripéties plus romanesques. Nathalie Koble parle de « guerre des cycles » au sujet de la Suite Vulgate, du Livre d’Artus, de la Suite Post-Vulgate et des Prophéties de Merlin : qu’elles se complètent ou s’excluent, ces quatre continuations du Merlin adoptent des positions stylistiques, poétiques et idéologiques diverses, s’efforçant chacune d’imposer leur propre vision de l’univers arthurien, et proposant au lecteur quatre portraits inédits et concurrents du roi Arthur220. Les différentes continuations du Merlin se placent ainsi à différents niveaux d’un spectre littéraire qui va de l’écriture historique des sources que constituent pour ce texte l’Historia Regum Britanniae et le Brut à l’enchaînement des quêtes et aventures chevaleresques, entrelacées à des conflits armés de plus grande envergure, qui caractérise la rédaction des œuvres du cycle du Graal, le Lancelot, la Queste del Saint Graal et la Mort Artu. L’influence de ces dernières joue un rôle déterminant par rapport à l’écriture de la suite du Merlin, que cette dernière soit ou non écrite en perspective d’une intégration cyclique. 220

Koble, Nathalie. « Les romans arthuriens en prose au XIIIe siècle : des cycles en série ? », Cycle et collection. Paris : L’Harmattan, Itinéraires et contacts de Cultures, 41, 2008, p. 184-87.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 127

Conclusion  La mise en page du début du Merlin, quand ce dernier n’est pas illustré, est révélatrice de la conception d’un texte auquel est conférée une autonomie limitée et qui s’inscrit le plus souvent dans des compilations romanesques dont il ne constitue pas l’élément premier. Le degré de décoration est ainsi l’indice d’une forme de hiérarchie textuelle, tandis que la présence d’illustrations permet de se pencher plus spécifiquement sur l’étude des relations entre texte et image. Le commencement du Merlin suscite ainsi des représentations qui se concentrent sur la mise en perspective religieuse et théologique des origines du fils du diable, sur la machination démoniaque qui donne lieu à sa conception ou encore sur l’enfance prodigieuse du personnage. Si le repérage du début du Merlin n’est pas toujours évident, celui de la Suite Vulgate est encore moins visible dans la mise en page de certains manuscrits où les deux textes apparaissent comme un ensemble homogène plutôt que comme une composition bipartite. Pourtant, du point de vue textuel, l’articulation du Merlin propre et de ses continuations soulève de nombreux problèmes : les circonstances politiques du début du règne d’Arthur sont pour le moins incertaines. Les différentes continuations du Merlin recourent à des stratégies variées pour clore ce sujet, prenant parfois des orientations très différentes du texte originel. Les illustrations placées au début de la Suite Vulgate mettent ainsi en valeur différents aspects de l’accession d’Arthur au trône, parfois de façon sérielle. Cela va du miracle de l’épée du perron, signe de son élection divine, à son couronnement par l’archevêque Debrice, marque d’une alliance entre l’Eglise et la monarchie, et à la réunion de la cour arthurienne, qui montre Arthur dans l’exercice de ses fonctions tout en manifestant sa primauté sur ses vassaux. Par contraste, les représentations des troubles politiques et militaires qui s’ensuivent dressent un tableau plus mouvementé du début du règne d’Arthur et de la résistance à laquelle il est confronté.

2. L’illustration liminaire des œuvres accompagnant le ­Merlin et la Suite Vulgate dans les compilations manuscrites Après avoir étudié le traitement du seuil Merlin et de la Suite Vulgate et les possibles narratifs qui s’ouvrent au terme du Merlin propre, nous allons mettre en perspective ces pratiques par rapport à la mise en page du début des autres œuvres. Que nous apprend l’iconographie du début des romans qui précèdent le Merlin dans les compilations manuscrites et en quoi informe-t-elle la réception et la conception globale du recueil ainsi formé ? L’illustration liminaire témoigne de variations dans la hiérarchisation des œuvres rassemblées. Bien qu’elle rende compte de chaque texte selon sa spécificité, elle met en évidence des liens structurels et thématiques qui contribuent à la cohérence globale de chaque compilation.

128 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

2.1. Estoire, ( Joseph), Merlin et Suite Vulgate La Suite Vulgate comme simple continuation dans les recueils comportant l’Estoire et le Merlin Dans les manuscrits qui comportent l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate, la suite, qui n’apparaît jamais indépendamment du Merlin propre, n’est pas présentée comme un texte distinct mais comme une continuation dont la spécificité n’est pas marquée dans la mise en page, même si son commencement fait l’objet d’une illustration. Dans Oxford, Bodleian Library, Douce 178221, réalisé en Italie (Bologne ou Venise) dans la deuxième partie du XIIIe siècle, le début de la Suite Vulgate est simplement marqué par une initiale historiée alors que l’Estoire et le Merlin commencent par une miniature frontispice suivie d’une initiale soit ornée de feuillage, pour le premier texte, soit historiée du Conseil des démons pour le second. Au début de l’Estoire (f. 1, Figure 50), le Christ apparaît à l’auteur endormi, et lui présente le livre dont il doit copier l’histoire. L’écrit établit ainsi une relation privilégiée entre l’homme et Dieu. À l’ouverture du Merlin, le Christ ressuscité, surplombant les enfers dans une triple mandorle, vient délivrer les hommes qui en sont prisonniers (f. 149,  Figure 13)222. Dans ce manuscrit, le recours aux miniatures, spécifiquement réalisées par un maître influencé par l’art byzantin, est donc réservé au début de chaque texte, la Suite Vulgate s’inscrivant dans la continuité du Merlin propre. La double illustration du début du Merlin, copié sur un nouveau folio, après un espace blanc de plus d’une page, met particulièrement en valeur le commencement de ce texte. L’action du Christ est au cœur de ces deux images, mais elle fait l’objet d’utilisations différentes. La première scène est spécifique à la construction fictionnelle de la genèse de l’Estoire, récit pour lequel elle a été créée et auquel elle sert de caution. Dans le second cas, le recours à un motif topique d’inspiration biblique se trouve aux prémices d’une histoire fondée sur l’invention et les prolongements narratifs du conseil des démons, représenté dans l’initiale historiée. Dans BNF, fr.  24394223, réalisé dans le diocèse de Saint-Omer ou Thérouanne dans la deuxième partie du XIIIe siècle, le Christ fait le lien 221 222

223

Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 56 et 73. Fabry-Tehranchi, Irène. «  L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux Enfers à l’ouverture du Merlin », 2010, p. 225-58. Voir Stones, Alison. « ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail », A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, 2003, p. 125-44, Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book : Text and Figuration in the Prologue to the Estoire del Saint Graal », « De sens rassis ». Essays in Honor of Rupert T. Pickens. Ed. Keith Busby, Bernard Guidot et Logan Whalen, Amsterdam et Atlanta : Rodopi Faux Titre, 259, 2005, p. 125-47 et Fabry-Tehranchi, Irène. « Le rêve du roi Flualis », 2013, p. 85-100.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 129

Figure 50 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 1 (1270-1300’) Début de l’Estoire : Apparition du Christ au prêtre-auteur

entre les miniatures initiales de l’Estoire, où il fait don du livre à l’auteur, et du Merlin, où il délivre les hommes des enfers. Au folio 1, l’ermite n’est pas couché mais éveillé et assis, recevant à la fois le livre et l’enseignement divin (Figure 51). BNF, fr.  19162, son manuscrit jumeau, utilise aussi ces scènes dans des miniatures de composition très similaire, mais l’illustration du début de l’Estoire, qui commence de façon assez inhabituelle au verso du premier folio, y est beaucoup plus développée (Figure 52). Quatre miniatures déclinent ainsi les événements surnaturels rencontrés par l’auteur au début du texte. La première montre un ange s’adressant à l’auteur dans son lit (il peut matérialiser la voix mystérieuse qui éveille l’ermite), la deuxième et la troisième présentent l’apparition du Christ puis la remise du livre à l’auteur, enfin la dernière montre à nouveau l’écrivain avec un ange, sans doute celui qui interrompt la méditation de l’ermite sur le livre pour l’exhorter à célébrer l’office de la Passion. La décomposition iconographique de ces aventures n’insiste pas sur la variété des situations rencontrées par l’auteur au début du texte (il célèbre plusieurs offices, suit une bête merveilleuse puis un chevalier, loge chez lui, célèbre l’office pour des religieuses, rencontre un ermite abusé par le démon...) mais présente assez sobrement son cheminement. À travers ses deux face à face avec l’ange et le Christ, l’auteur passe ainsi de la position couchée à l’état assis puis debout, ce qui montre le caractère progressif de sa conversion et de son implication dans la mission qui va lui être confiée. La rencontre du

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Figure 51 : BNF, fr. 24394 f. 1 (1280’), Début de l’Estoire -Apparition du Christ au prêtre-auteur

Figure 52 : BNF, fr. 19162 f. 1v, Début de l’Estoire -Apparition d’un ange au prêtre-auteur de l’Estoire -Apparition du Christ à l’auteur -Le Christ remettant un livre à l’auteur -Apparition d’un ange à l’auteur



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Christ, précédée et suivie du contact avec un ange médiateur, constitue le pivot de cette expérience fondatrice, comme le souligne le caractère répétitif et symétrique de la composition de ces scènes. La couleur de l’habit de l’ermite change d’une image à l’autre : pour Catalina Girbea, l’adoption du violet témoigne de la transformation voire de la transfiguration du personnage après sa rencontre avec le Christ, puisque le simple prêtre devient messager de Dieu224. À partir du XIVe siècle, le violet est une couleur privilégiée dans la représentation des saints225. Cette représentation figure de façon quasi identique dans la miniature liminaire de fr. 24394. Au début du Merlin, qui commence par une miniature d’une seule colonne (voir fr. 24394 f. 108, Figure 8 et fr. 19162 f. 145, Figure 7) c’est clairement l’action salvatrice du Christ, et en particulier sa victoire sur le démon, représenté comme un monstre grotesque, gratté dans fr. 24394, qui constituent le point de départ de l’action. Dans le manuscrit de Tours, BM, 951226, réalisé soit en Italie soit au Moyen-Orient à la fin du XIIIe siècle, seuls l’Estoire et le Joseph commencent par une miniature (f. 1 Figure 53 et f. 159, Figure 54). Ils débutent sur un nouveau folio, de même que la Suite Vulgate, mais le Merlin se place à la suite du Joseph, simplement introduit par une initiale historiée (f. 172v, Figure 3). Paradoxalement, le début du Merlin est donc moins mis en valeur que celui de la suite, puisqu’un demi-folio blanc sépare ces deux textes. Peut-être le Joseph et le Merlin propre étaient-ils déjà réunis dans l’ouvrage sur lequel a été copié ce manuscrit, tandis que l’Estoire et la Suite Vulgate provenaient d’exemplaires distincts. Dans la miniature initiale de l’Estoire, le prêtreauteur du roman reçoit du Christ le livre contenant l’histoire du Graal. Au début du Joseph et du Merlin se trouvent des scènes d’inspiration biblique, la Crucifixion et la Descente aux enfers. À travers la figure du Christ, l’histoire sainte est donc intégrée dans un projet fictionnel et romanesque, tandis que la Suite Vulgate, qui s’ouvre sur la réunion de la cour arthurienne, se place sur un autre niveau (voir Tours, BM, 951 f. 224, Figure 43). La figure du roi Arthur et l’allusion au banquet qu’il tient à l’occasion de sa cour solennelle

224

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Girbea, Catalina. Communiquer pour convertir dans les romans du Graal (XII e-XIII e siècles). Paris : Classiques Garnier, 2010, p. 409. Mérindol (de), Christian. « Nouvelles réflexions sur le rôle de l’image dans les manuscrits (XIVe-XVesiècle) ». L’iconographie. Études sur les rapports entre textes et images dans l’occident médiéval. Dir. Gaston Duchet-Suchaux, Paris : Le Léopard d’or, 2001, p. 304 ss. Voir Folda, Jaroslav. Crusader Manuscript Illumination at Saint-Jean d’Acre  : 1275-91. Princeton : Princeton University Press, 1976, p. 198, Stones, Alison. « ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail », A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, 2003, p. 125-44 et Chase, Carol. « Beginnings and Endings : The Frontiers of the Text in the Prose Joseph d’Arimathie », « Moult a sans et vallour » : Studies in Medieval French Literature in Honor of William W. Kibler. Ed. Monica L. Wright, Norris J. Lacy and Rupert T. Pickens. Amsterdam ; New York : Rodopi, 2012, p. 111-24.

132 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 53 : Tours, BM, 951 f. 1 (1290’), Début de l’Estoire : Apparition du Christ au prêtre-auteur

Figure 54 : Tours, BM, 951 f. 159, Début du Joseph : Crucifixion

renvoient uniquement à des enjeux terrestres, bien que la Table Ronde participe à l’intégration du Graal dans le monde chevaleresque. BNF, fr. 749227, réalisé vers 1300 dans le diocèse de Thérouanne ou Gand, ne réserve aucune illustration au début de la Suite Vulgate, mais dote le début de l’Estoire et du Merlin de miniatures frontispices compartimentées de toute la largeur du folio. L’Estoire commence par une représentation de la Trinité du type où le Père et le Fils sont d’aspect similaire, tandis que l’Esprit Saint prend la forme d’une colombe descendant du ciel au niveau de leur tête228 (f. 1, Figure 55). Cette mise en scène permet d’insister au seuil du texte sur le mystère de la Trinité, puisque l’auteur met en scène ses propres doutes à ce sujet et le miracle qui le conduit à y adhérer. Dans les compartiments suivants, le prêtre lit le livre sacré, puis le Christ remet le livre à l’auteur endormi. Dans l’initiale historiée qui suit, l’auteur apparaît en train d’écrire à un pupitre. La cohérence de cette série initiale tient à la représentation de Dieu d’une part, et de l’auteur d’autre part, avec un glissement subtil du divin à l’humain, de la première image, donnant à voir la Trinité, à la dernière, qui montre l’auteur

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228

Voir Stones, Alison. «  Seeing the Grail  : Prolegomena to a Study of Grail Imagery in Arthurian Manuscripts », The Grail : A Casebook. Ed. Dhira Mahoney, New York : Garland, 2000, p. 301-66, Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1 p. 670-71 et Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 69-70. Réau, Louis. « La Trinité », Iconographie de l’art chrétien, 1955-59, t. II, 1, p. 23-24.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 133

Figure 55 : BNF, fr. 749 f. 1 (1300’), Début de l’Estoire Miniature : -Trinité -Prêtre-auteur lisant -Prêtre-auteur recevant le livre Initiale historiée : Prêtre-auteur écrivant

au travail. Dans la deuxième vignette, l’ermite agenouillé sur une sorte de prieDieu à l’orée d’une chapelle, lit le texte sacré auquel il a eu accès. Dans la troisième, le Christ lui-même lui apparaît et lui remet un livre rappelant celui que le Père tenait dans ses mains dans le premier compartiment. Ces deux scènes intermédiaires sont ornées d’un fond distinct (quadrillé dans le premier cas, doré dans l’autre) et nettement délimitées par le cadre architectural de la miniature. Elles semblent pourtant partager le même décor forestier sur le fonds duquel se détache une chapelle, évoquant ainsi l’errance initiatique de l’auteur. Cette mise en scène insiste sur la relation de l’écriture au sacré et vise à donner une caution religieuse à cette œuvre de fiction qui tente de capter l’autorité du modèle biblique. Les drôleries marginales prennent de la distance par rapport à ce dispositif, ainsi le personnage d’un clerc figure dans la marge, allongé comme son homologue dans le dernier compartiment de la miniature. Contrairement à l’auteur de l’Estoire, il n’est pas assoupi, mais profite de sa situation, perché sur un arbre, pour assister au jeu de boules qui a lieu entre un jeune homme et une jeune femme sur la bordure inférieure de la page. La miniature compartimentée qui marque le début du Merlin n’est pas située en haut de folio mais constitue néanmoins une forte marque frontispice (voir fr. 749 f. 123, Planche IV). Elle est composée de cinq vignettes au lieu de trois au début de l’Estoire, ce qui accentue sa dimension narrative et va de pair avec une concentration des scènes dans un espace plus réduit. La miniature et l’initiale historiée qui suit, situées en bas de page, sont très proches de

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la décoration marginale inférieure du folio. Si les sujets illustrés au début du Merlin apparaissent dans d’autres manuscrits, ils se distinguent ici par leur mise en page sur cinq compartiments horizontaux et une initiale historiée. Ces illustrations se caractérisent en outre par la présence de rubriques dont c’est l’unique occurrence dans ce manuscrit. Celle qui est placée avant la miniature indique le passage d’une œuvre à l’autre en mentionnant le titre et l’auteur du texte qui suit : « Chi commence l’Estoire de Merlin que mesire Robers de Borron translata », tandis que les autres décrivent le contenu de chaque vignette. Comme dans la miniature liminaire de l’Estoire, la composition de l’image joue sur l’articulation des deux mondes, ici le monde infernal et le monde humain, avec pour scène centrale la conception de Merlin, dont la dualité essentielle est à la source du roman. Tandis que les deux premiers compartiments mettent en tension la Descente aux enfers et le Conseil des démons, les deux derniers illustrent les premières conséquences de l’intervention diabolique dans l’univers des hommes, de l’enfermement de la mère de Merlin à la naissance de son enfant et au procès où ils comparaissent, soutenus par la figure de Blaise. Le portrait de l’homme de religion est repris en face à face avec celui de la mère de Merlin, dans l’initiale qui suit la miniature. Cette image donne en quelque sorte la clef de l’intrigue et de son déroulement, puisqu’elle inverse l’élément perturbateur mis au centre la miniature. Le commerce de la mère de Merlin avec le démon laisse place à un tête à tête avec son confesseur. L’initiale historiée, placée à la verticale de la Descente aux enfers, soutient comme elle l’idée du rachat et de la Rédemption, et suggère un retour à l’ordre après les péripéties causées par la ruse diabolique. Le motif de la chasse, développé dans les marges inférieure et supérieure du folio, peut évoquer le danger couru par l’homme livré aux manœuvres de l’adversaire. Pourtant la figure monstrueuse située à l’extrémité de l’antenne prolongeant l’initiale historiée tourne le dos à l’image et semble mise à distance, comme détachée, ultimement, des personnages auxquels elle s’est attaquée. Darmstadt, ULB, 2534229, réalisé à Arras vers 1300, comprend trois initiales historiées au total dont deux pour l’Estoire. La première miniature (f. 2, Figure 56), accompagnée d’une bordure ornée de feuillage, montre un ange apparaissant à l’auteur endormi et la seconde, placée en tête du folio 36, représente Adam et Eve de part et d’autre de l’arbre de vie. Au début du Merlin, qui commence en haut de la deuxième colonne du verso d’un folio, figure la Descente aux enfers (f. 79v, Figure 4), tandis que la Suite Vulgate n’est pas illustrée. La représentation d’Adam et Eve constitue, comme l’apparition d’un ange à un personnage endormi ou la Descente aux enfers, un motif iconographique bien établi. Elle crée un effet de continuité entre 229

Voir Ponceau, Jean-Paul. Étude de la tradition manuscrite de l’Estoire del Saint Graal, 1983, p. 42-44 et Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 58.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 135

Figure 56 : Darmstadt, ULB, 2534 f. 2 (1300’), Début de l’Estoire Apparition d’un ange au prêtre-auteur

l’Estoire et le Merlin, puisque dans le programme illustratif réduit du manuscrit, après la miniature initiale, qui donne à voir les conditions merveilleuses de la rédaction du livre, sont illustrées des scènes renvoyant à la Chute puis à la Rédemption. La trajectoire d’Adam et Eve met en abyme l’histoire de ­l’humanité. Paradoxalement, dans l’illustration du manuscrit de Darmstadt, ce message religieux ressort davantage de l’Estoire et du Merlin que les développements fictionnels qui leur sont propres. Au début de chaque œuvre sont représentés des personnages dont la présence est emblématique, même s’ils ne jouent pas un rôle de premier plan dans l’action romanesque. Dans le manuscrit de Darmstadt, l’iconographie ne met pas avant les spécificités de la trame narrative mais choisit plutôt des figures typologiques solidement ancrées dans l’histoire sainte. Ces choix sont représentatifs d’un mode de lecture de l’Estoire et du Merlin à la fois allégorique et édifiant. Dans le manuscrit de New Haven, Beinecke, 227230, daté de 1357, le début du Joseph, de l’Estoire et du Merlin est marqué par une miniature de la largeur de deux colonnes, divisée en deux compartiments dans les deux derniers textes. La Suite Vulgate commence par une miniature simple, sans traits particuliers. Cette présentation crée un effet frontispice et permet dans le cas

230

Voir Shailor, Barbara. Catalogue of Medieval and Renaissance Manuscripts in the Beinecke Rare Book and Manuscript Library, Yale University, I, MSS 1-250. Binghamton, N.Y.  : Medieval and Renaissance Texts and Studies, 1984, p. 318-20, Stones, Alison. « Seeing the Grail », 2000, p. 301-66, Chase, Carol. « Beginnings and Endings : The Frontiers of the Text in the Prose Joseph d’Arimathie », 2012, p. 111-24, et Fabry-Tehranchi, Irène. « Le rêve du roi Flualis », 2013, p. 85-100.

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du Joseph de rappeler trois temps de la Passion du Christ (f. 1, Figure 57). À gauche de l’image est représentée l’arrestation de Jésus au jardin des Oliviers : d’une part il reçoit le baiser de Judas, d’autre part, il recolle miraculeusement l’oreille du soldat agenouillé, blessé par Pierre qui remet son épée dans son fourreau. Au centre de la miniature apparaît la déposition de la Croix, et après la mise au tombeau, la résurrection du Christ. Au début de l’Estoire (f. 12, Figure 58), un ange remet un rouleau de parchemin à l’auteur endormi, devant un autel où repose un ciboire. Dans la seconde image, Josephé, revêtu des vêtements sacerdotaux, célèbre l’eucharistie devant des fidèles agenouillés : sur l’autel se trouvent un calice et une hostie sur laquelle est imprimée la croix. Enfin au début du Merlin sont représentés la Descente aux enfers et le jugement de la mère de l’enfant sans père (Beinecke, 227 f. 141, Figure 25). Ces trois miniatures font alterner les références à la vie du Christ et deux autres périodes : le temps de l’auteur, au moment où il a été miraculeusement choisi pour raconter l’histoire du Graal, et celle des protagonistes de cette dernière. Cela permet de mettre en correspondance les éléments de la fiction, le contexte supposé de sa création, et les origines plus profondes de ces événements. À travers la composition bipartite de l’image du début du l’Estoire, où la double représentation de l’autel crée un effet de symétrie, la figure de l’ermite visité par l’ange résonne avec celle de Josephé, tandis que la Passion du Christ est commémorée dans le sacrifice eucharistique. La Descente aux enfers s’inscrit chronologiquement à la suite de la Passion et de la Résurrection illustrées au commencement du manuscrit, alors que le procès de la mère de Merlin montre à la fois les conséquences des œuvres divines ou démoniaques dans le monde des hommes et la nécessité de dépasser la logique terrestre pour intégrer leur aspect merveilleux et comprendre leur signification. Dans Pierpont Morgan, 207-208, un manuscrit réalisé dans le Centre de la France datant du milieu du XVe siècle231, le Merlin est placé à la suite de l’Estoire, simplement introduit par une miniature de deux colonnes, alors que d’autres s’étendent sur trois colonnes. Le début du Merlin n’est donc pas plus proéminent que celui de sa suite dans ce codex, même si la fin de l’Estoire est marquée par un explicit. Les miniatures liminaires de l’Estoire et de la Suite Vulgate reprennent des scènes fréquemment utilisées d’un manuscrit à l’autre en cet endroit du texte. Un ange apparaît à l’auteur (f. 1, Figure 59), dans un cadre luxueux qui contraste avec le lieu « très sauvage » (Pl. I, 4) où, selon le texte, l’ermite réside. Ce type de décor raffiné n’est pas sans rappeler les ­illustrations qui ouvrent le Roman de la Rose232. Au début de la Suite 231

232

Census of Medieval and Renaissance Manuscripts in the United States and Canada. Ed. Seymour de Ricci et Jérôme Wilson. New York : H. Pl. Wilson, 1935-1940, vol. 2, p. 1404. Voir Meuwese, Martine. « Roses, Ruse and Romance. Iconographic Relationships among the Roman de la Rose and Arthurian Literature » et Weyer, Gregor. « The Roman de la Rose



Mise en page et illustration | Chapitre 1 137

Figure 57 : New Haven, Beinecke, 227 f. 1 (1357), Début du Joseph -Arrestation du Christ (Baiser de Judas) -Descente de croix -Mise au tombeau

Figure 58 : New Haven, Beinecke, 227 f. 12, Début de l’Estoire -Apparition d’un ange au prêtre-auteur -Josephé célébrant l’eucharistie

138 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 59 : Pierpont Morgan, 207 f. 1 (1450’) Début de l’Estoire : Apparition d’un ange au prêtre-auteur

Vulgate, ­l’illustration du couronnement d’Arthur, agenouillé devant l’archevêque, insiste sur l’investiture religieuse du nouveau roi, mais l’épée qu’il brandit représente symboliquement sa puissance terrestre tout en rappelant son élection miraculeuse (f. 145v, Figure 38)233. Le choix illustratif du début du Merlin est beaucoup plus problématique (f. 108, Figure 60). Il ne s’agit ni de la Descente aux enfers ni de l’enfance de Merlin mais d’une bataille qui ne peut renvoyer à la fin de l’Estoire, mais traite sans doute de l’affrontement ultérieur entre le roi Maine et les Saxons. Un chevalier du groupe de gauche porte un sabre oriental, ce qui peut s’expliquer par l’assimilation commune entre Saxons et Sarrasins. Ces derniers semblent l’emporter sur leurs adversaires chrétiens.

233

manu­­script in Düsseldorf », De la Rose. Texte, image, fortune. Dir. Catherine Bel et Herman Braet. Louvain : Peeters, 2006, p. 93-116 et 117-40 et Coilly, Nathalie et Tesnière, Marie-Hélène. Le roman de la rose : l'art d'aimer au Moyen Âge. Paris : Bibliothèque nationale de France, 2012. L’image du couronnement d’Arthur fait écho dans ce manuscrit à l’illustration du baptême du roi Evalach / Mordrain par Josephé (f. 27v), sans doute inspirée des représentations du baptême de Clovis : le motif de l’évangélisation des peuples et des souverains païens tient ainsi un rôle fondamental dans l’Estoire del Saint Graal.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 139

Figure 60 : Pierpont Morgan, 207 f. 108 Début du Merlin Combat du roi Maine contre les Saxons

La faiblesse militaire de Maine annonce ainsi l’ascension de Vertigier. Après l’histoire du Graal, l’histoire des rois de Bretagne semble remplacer celle de Merlin dans l’illustration liminaire du second texte de la compilation : toutes deux s’intègrent dans une histoire universelle placée sous le signe du Salut. Le passage du Merlin à la Suite Vulgate n’est donc jamais marqué comme le commencement d’un nouveau texte de rang égal à l’Estoire et au Merlin

140 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

dans les manuscrits comprenant ces trois textes. L’ouverture de la suite n’est pas placée sur le même niveau que le début du Merlin, sauf quand celui-ci est peu mis en valeur, alors que le commencement de l’Estoire, généralement le premier texte du manuscrit, fait presque toujours l’objet d’une mise en page spécifique. L’orientation religieuse de l’Estoire, qui trouve souvent un écho dans l’illustration liminaire du Merlin, rejaillit sur les textes qui suivent, inscrivant la lecture de ces œuvres de fiction dans la perspective de l’histoire sainte.

L’Estoire et le Merlin dans les compilations manuscrites d’orientation religieuse et historique La matière de la Suite Vulgate est bien distincte du Merlin, mais tout aussi difficile à définir en terme de genre, même s’ils posent tous deux la question des relations entre roman et histoire, la continuation étant davantage marquée par l’influence épique234. Le Merlin expose la pré-histoire du monde arthurien dont il pose les fondements, tandis que la Suite Vulgate développe les premiers faits d’Arthur, construisant les débuts héroïques d’un souverain qui dans le Lancelot et la Queste laisse l’initiative à ses chevaliers et dont la stature militaire et politique ne reparaît que de façon limitée dans la dernière œuvre du cycle. Si l’écriture du Merlin témoigne de la créativité de la prose à ses origines, celle de la Suite Vulgate relèverait davantage d’un conscient mélange des styles, le recours à la prose favorisant la rencontre de différents types narratifs, quoiqu’elle perpétue certains traits hérités du mètre épique. L’écriture de la continuation permet de compléter l’histoire arthurienne tout en l’intégrant dans celle du royaume breton dont l’Estoire et le Merlin explorent les origines. Or si le Merlin et sa suite forment en eux-mêmes un ensemble composite, leur insertion dans des compilations manuscrites qui comprennent des textes autres que ceux du cycle du Graal peut en éclairer la lecture et la compréhension. L’étude de la mise en page et de l’illustration de ces œuvres, provenant de différentes traditions textuelles et iconographiques, mais réunies dans le même ensemble manuscrit, nous renseigne sur leur conception et leur hiérarchisation. On se demandera si la mise en image de ces œuvres favorise leur intégration, ou si au contraire elle contribue à les distinguer les unes des autres. Les textes qui ne constituent pas des romans arthuriens font en général l’objet d’une illustration bien distincte dans les compilations manuscrites. Ainsi, dans BNF, fr. 95, seul le folio liminaire des Sept sages de Rome et de la Pénitence Adam est illustré, alors que l’Estoire, le Merlin et sa suite comprennent un programme iconographique bien plus fourni. Dans Cologny, Bodmer, 147, une compilation arthurienne d’ambition pastorale et historique, le Merlin propre est le moins illustré des textes arthuriens : si certaines

234

Voir Micha, Alexandre. « Les sources de la Vulgate du Merlin », 1976, p. 310 ss.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 141

interpolations à caractère religieux et didactique comme les commentaires sur le Credo et le Pater de Maurice de Sully ou le traité de Confession d’Innocent III interpolés dans l’Estoire ne sont pas du tout enluminés, les traductions françaises des Evangiles et de la Genèse, accompagnées de 91 miniatures, constituent le passage le plus richement enluminé de la compilation avec presque deux images par folio. Nous nous concentrerons ici sur deux manuscrits, Berkeley, Bancroft, 106, où l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate suivent des textes en vers à caractère didactique, et BNF, fr. 770 qui associe le Merlin et sa suite à des œuvres chevaleresques et historiques tournées vers l’Orient.

-Berkeley, Bancroft, 106 : la compilation de textes édifiants en vers et en prose Berkeley, Bancroft Library, 106, ( Jumièges, 1270-80)235, commence par un grand nombre de textes brefs en vers à caractère édifiant, et se termine par des romans arthuriens en prose. La provenance monastique du manuscrit pourrait expliquer cette association inhabituelle de l’Estoire, du Merlin et de la Suite Vulgate avec des textes plus didactiques comme la Vie des Pères et différentes vies de saints. L’orientation religieuse de l’Estoire favoriserait ce regroupement, même s’il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que le vers et la prose étaient réunis dans le projet original, car des marques indiquent que le manuscrit, actuellement divisé en deux volumes comprenant les textes versifiés et l’Estoire d’une part, le Merlin et la Suite Vulgate d’autre part, a été relié précédemment dans un ordre différent. La mise en page et l’illustration des œuvres en prose et en vers est cependant très similaire et indique qu’elles ont été produites dans le même atelier et à la même époque. Quant aux deux ouvrages en prose, ils étaient très certainement solidaires, car la miniature initiale du Merlin se situe en bas de folio à la dernière page de l’Estoire. Dans cet ensemble manuscrit, l’illustration est très sélective : une seule initiale historiée ouvre et illustre toute la série des textes versifiés constituée de la Vie des Pères, de la Vie de Théophile de Gautier de Coincy, du Conte dou Baril, des Neuf joies de Notre Dame, de la Passion de Jésus Christ et de la Vie de sainte Catherine. Alors que l’Estoire comprend 22 miniatures, le Merlin et la Suite Vulgate n’en comptent que deux, situées l’une à la suite de l’autre, à la fin de l’Estoire et au début du Merlin. La parcimonie de l’illustration fait ressortir la place primordiale accordée à l’Estoire dans ce manuscrit. Le sujet représenté dans chacune des

235

Voir Stones, Alison et Kennedy, Elspeth. « Signs and Symbols in the Estoire del Saint Graal and the Queste del Saint Graal », 2009, p. 159, Stones, Alison. « The Grail in Rylands French 1 and its Sister Manuscripts », Bulletin of the John Rylands University Library of Manchester, 81 (3), 1999, p. 55-95 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 1, p. 58.

142 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

initiales historiées liminaires correspond au début de chaque texte : ainsi la Crucifixion est invoquée dans les premiers vers de la Vie des Pères236 (Berkeley, Bancroft, 106, I f. 1, Figure 61) et les deux scènes situées au-dessous renvoient au premier conte du recueil, « Fornication imitée », où deux ermites confectionnent des paniers, mais où l’un d’entre eux est corrompu par une cliente débauchée237. Si de haut en bas l’illustration liminaire de la Vie des Pères suit l’ordre du développement narratif du conte, « Fornication imitée », l’exploitation de la verticalité de l’initiale donne aussi à voir, dans un parcours gradué, la hiérarchisation de différents types possibles de conduite de l’homme sur terre. La représentation surplombante de la Crucifixion souligne l’étendue de la miséricorde divine et insiste sur la possibilité d’une Rédemption qui passe à la fin du conte par la repentance et la pénitence de l’ermite ayant succombé à  la  tentation, grâce au soutien moral et spirituel de son confrère. Elle fait écho à la fois textuellement et visuellement à l’Estoire del Saint Graal dont la seconde illustration, au folio 119v, représente à nouveau la Crucifixion. La miniature qui ouvre l’Estoire met en scène l’auteur en train d’écrire son œuvre qu’il copie sur un rouleau que lui présente un ange (Berkeley, Bancroft, 106, I f. 117, Figure 62). Cela présente de façon condensée l’origine sainte et surnaturelle du roman. La mise en avant d’un personnage religieux crée un trait d’union entre cette image et celle qui ouvrait la Vie des Pères, même si le moine, par son rôle d’écrivain, n’est plus directement au centre de l’histoire. L’apparition de l’ange fait écho à d’autres interventions surnaturelles représentées dans l’Estoire, comme celle de Dieu qui apparaît à Josephé et l’instruit sur la symbolique de l’habit épiscopal lors de sa consécration et de la première célébration de l’eucharistie (f. 126), ou celle de la main mystérieuse qui tire Nascien de sa prison et l’emmène sur l’Ile tournoyante (f. 143). Ces miracles contribuent à façonner l’histoire du Graal et les aventures de Joseph et de ses compagnons. Les deux miniatures du début du Merlin reviennent sur la figure du Christ, et prolongent son histoire, de la Crucifixion à la Descente aux enfers, insistant sur son action rédemptrice. La première miniature du Merlin, consacrée à la Descente aux enfers (Bancroft, 106, I f. 191v, Figure 5) est placée à la fin de l’Estoire, ce qui inscrit les deux œuvres dans la perspective du Salut. Le conseil des démons (Bancroft, 106, II f. 1, Figure 12) montre l’effort de contre-offensive infernale, et à ce titre ouvre véritablement le texte du Merlin. La miniature précédente, bien que rejetée à la fin du premier volume manuscrit dans la présentation actuelle du texte, conditionne la réception de cette image. La vanité des pourparlers diaboliques s’oppose ainsi à l’œuvre rédemptrice manifestée par la représentation du Christ délivrant les hommes des enfers. 236 237

La Vie des Pères. Ed. Félix Lecoy. Paris : Picard, SATF, 1987-1999, 3 vol. Au niveau inférieur, le couple mal assorti de la dame et l’ermite contraste avec l’image des deux frères travaillant ensemble au niveau supérieur. La miniature oppose donc la situation initiale et l’élément perturbateur qui conduit au dévoiement du religieux.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 143

Figure 61 : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 1 (1250-75’) Début de la Vie des Pères -Crucifixion -Deux ermites confectionnant des paniers -L’ermite apportant un panier à une femme

Figure 62 : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 117 Début de l’Estoire Apparition d’un ange au prêtre-auteur

144 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Dans la mise en page, la succession d’une miniature et d’une initiale historiée est significative, même si elle place le Merlin dans la continuité de l’Estoire. On retrouve cette configuration dans Berkeley, Bancroft, 106, I, f. 145v, non pas en position frontispice, mais dans le corps de l’Estoire, lors de l’épisode de l’arbre de vie merveilleux qui se développe à partir du rameau qu’Eve a emporté du paradis. Les proportions respectives de la miniature et de l’initiale historiée sont cependant inversées. L’arbre, qui était blanc à l’origine, prend une couleur verte lors de la conception d’Abel, puis une teinte vermeille après le meurtre d’Abel par Caïn. La miniature représente la mort d’Abel, ainsi que trois descendants de l’arbre de Vie, dont des rameaux seront placés sur la nef merveilleuse de Salomon. L’initiale historiée montre la descendance d’Adam et Eve honorant l’arbre de vie et transmettant son histoire. L’illustration met donc en exergue la réécriture fictionnelle d’un épisode fondateur inspiré de la Genèse, de même qu’au début du Merlin, le conseil des démons constitue un développement littéraire inspiré du motif biblique de la Descente aux enfers. L’orientation religieuse et édifiante de ces textes et leur lien avec l’histoire sainte sont donc les éléments les plus mis en valeur dans l’illustration initiale des œuvres de ce manuscrit où seule l’Estoire fait l’objet d’un programme iconographique développé. De part et d’autre de cette œuvre centrale, les contes versifiés et édifiants de la Vie des Pères résonnent avec l’ambition didactique manifestée dans l’Estoire et maintenue dans le Merlin. Si la brièveté des textes copiés avant l’Estoire contraste avec le développement narratif des œuvres en prose qui suivent, leur trame romanesque demeure ponctuée de récits enchâssés et d’anecdotes comiques ou moralisantes. L’idée d’une possible production monastique de ce manuscrit témoignerait d’un intérêt ecclésiastique pour une matière fictionnelle d’orientation morale ou religieuse, en vers comme en prose.

-BNF, fr. 770 : entre histoire et fiction, la réconciliation des valeurs religieuses et chevaleresques Dans BNF, fr. 770238, réalisé dans la région de Douai dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, sont regroupés l’Estoire, interpolée du Joseph, le Merlin et sa Suite Vulgate, et la Chronique d’Outre Mer d’Ernoul et de Bernard le Trésorier, interpolée de la Fille du comte de Ponthieu et de l’Ordene de chevalerie. Le début du Merlin est défectueux et a été remplacé au XVIIIe s. 238

Stones, Alison. « ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail » , A Companion to the LancelotGrail Cycle., 2003, p. 125-144. Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 52-59 et 75-76. Stones, Alison. «  Two French Manuscripts  : WLC/LM/6 and WLC/LM/7  », The Wollaton Medieval Manuscripts : Texts, Owners and Readers. Dir. Ralph Hanna et Thorlac Turville-Petre. Woodbridge : York Medieval, 2010, p. 47-48. Stones, Alison. « Note on the Heraldry of a Very Special Gauvain », ‘Li premerains vers’ : Essays in Honor of Keith Busby. Dir. Catherine Jones et Logan Whalen. Amsterdam ; New York : Rodopi, 2011, p. 433-47.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 145

par Jean-Pierre Imbert Châtre de Cangé qui l’a illustré par le collage d’une image de la Vierge à l’Enfant (f. 121v, Figure 65). L’emploi d’une miniature de la largeur de deux colonnes marque le passage d’une œuvre à une autre dans le cas de l’Estoire, peut-être du Merlin original, et de la Chronique d’Outre Mer239. La hiérarchie mise en place dans l’illustration correspond au mode de compilation textuelle qui en ouvrant des interpolations au sein de l’Estoire et de la Chronique met les récits enchâssés dans la dépendance d’une œuvre cadre. Parmi les textes interpolés, le Joseph (qui débute par une représentation de la Crucifixion, f. 6, Figure 64) et la Fille du comte de Ponthieu commencent par une miniature simple qui crée un effet de seuil, même si cela ne suffit pas à identifier le début d’un nouveau texte. Le début de la Suite Vulgate fait l’objet de la même présentation. Les miniatures d’une largeur de deux colonnes sont composées de deux scènes. Dans la miniature frontispice de l’Estoire, d’un côté l’ange apporte le livre à l’auteur endormi, de l’autre, celui-ci suit la bête merveilleuse qu’il découvre au Val des Morts (fr. 770 f. 1, Figure 63). Cette intervention surnaturelle fait visuellement écho aux songes prémonitoires de Mordrain (f. 42v) et de Ganor (f. 94) ainsi qu’aux manifestations divines à l’occasion de la première célébration du Graal (f. 19v) et avant la conception de Galaad par Joseph et par sa femme (f. 90v)240. Alors que dans le premier cas le songe introduit l’image des neuf fleuves qui représente le lignage des gardiens du Graal (Pl. I, 166), le second évoque à plus court terme la discrimination qui s’effectue au sein du peuple chrétien selon le mérite de chacun de ses membres (Pl. I, 1432). La première manifestation de la divinité, qui s’adresse à l’ensemble du groupe mené par Joseph, a vocation d’instruction (Pl. I, 60), tandis que l’apparition à Joseph lui-même souligne l’importance d’une génération qui s’inscrit dans le plan divin (Pl. I, 413). Ces révélations sont donc destinées à l’édification morale et religieuse de la communauté chrétienne et se placent dans la perspective d’un lignage choisi auquel est confiée la charge du Graal. La miniature initiale de la Chronique d’Outre Mer (fr.  770 f.  313, Figure 66), montre d’une part le conseil présidé par Baudouin II et d’autre part le départ des Templiers auxquels il offre de résider dans le Temple de Salomon. La situation du récit en Terre Sainte et autour de Jérusalem crée un effet de circularité de l’Estoire à la Chronique d’Outre Mer tout en suivant 239

240

Chronique d’Ernoul et de Bernard le Trésorier. Ed. Louis de Mas Latrie. Paris  : Mme Jules Renouard, 1871. Sur l'iconographie du songe, voir Schmitt, Jean-Claude. « Bildhaftes Denken. Die Darstellung biblischer Träume in mittelalterlichen Handschriften », et Demaules, Mireille et MarchelloNizia, Christiane. « Träume in der Dichtung. Die Ikonographie des Lancelot-Graal », Träume im Mittelalter. Ikonologische Studien. Ed. Agostino Paravicini Bagliani et Giorgio Stabile. Stuttgart ; Zürich : Belser Verlag, 1989, p. 9-24 et 206-26 et Schmitt, Jean-Claude. « Récits et images de rêves au Moyen-Âge », Ethnologie française, 33, 2003 (4), p. 553-63.

146 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 63 : BNF, fr. 770 f. 1 (1285’), Début de l’Estoire Apparition d’un ange au prêtre-auteur

Figure 64 : BNF, fr. 770 f. 6, Début du Joseph Crucifixion

Figure 65 : BNF, fr. 770 f. 121v, Début du Merlin Vierge à l’enfant (remploi)



Mise en page et illustration | Chapitre 1 147

Figure 66 : BNF, fr. 770 f. 313 Début de la Chronique d’Outre Mer d’Ernoul et de Bernard le Trésorier -Conseil présidé par Baudouin II -Départ des templiers

une logique chronologique. Le statut des Templiers, qui constituent un ordre à la fois religieux et militaire, n’est pas sans rappeler celui des compagnons de Joseph dont la mission d’évangélisation s’effectue tantôt de façon pacifique, tantôt à l’aide des armes. Joseph et ses compagnons sont la plupart du temps représentés en habits civils, mais ce sont des chevaliers, et l’écu blanc à la croix rouge que Joseph donne à Mordrain lors de la guerre contre Tholomé (f. 113) n’est pas sans rappeler l’emblème des Templiers, ou du moins celui des croisés. Certes, l’activité missionnaire de ceux qui évangélisent et colonisent la Grande-Bretagne se distingue du caractère d’abord défensif de l’action des Templiers dont le rôle principal est d’assurer la sécurité des pèlerins en route pour la Terre Sainte. Au cours des Croisades, les Templiers furent néanmoins amenés à rejoindre l’armée franque dans la lutte contre les puissances arabes241. On peut également mettre en relation la mission des gardiens du Graal et celle d’un ordre religieux et chevaleresque qui attache une importance particulière à la conservation des reliques christiques. Si fr. 770 ne représente pas Joseph recueillant le sang du Christ, il fait apparaître le Graal lors de la première cérémonie eucharistique (f. 19v), lors de l’arrivée de Josephé à Nogales (f. 98) et à la mort de Josephé, quand celui-ci confie la garde de l’objet sacré à Alain le Gros (f. 117v). La transmission du Graal s’effectue dans l’intimité, mais la 241

Voir Demurger, Alain. Les Templiers, une chevalerie chrétienne au Moyen Âge. Paris : Seuil, 2008 (2002).

148 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

représentation marginale d’un personnage armé d’un bâton et d’un écu peut aussi rappeler l’aspect militaire de la christianisation de la Grande-Bretagne. L’illustration du Merlin prend la suite de l’histoire des rois de Bretagne à une époque où le christianisme est déjà implanté. Si la miniature frontispice originale est manquante dans fr. 770, les représentations suivantes se focalisent sur des événements particulièrement dramatiques, le meurtre du roi Maine et le châtiment de ses assassins. Merlin lui-même n’apparaît que dans la Suite Vulgate, en compagnie de Blaise ou de Viviane et à l’occasion de certaines de ses transformations. L’origine d’Arthur et son avènement sur le trône de Bretagne ne sont pas représentés, même si le jeune souverain prend une place visuelle plus importante au début de la Suite Vulgate, dans sa relation avec ses vassaux Ban et Bohort. La miniature qui ouvre la continuation (f. 149, Figure 39) ne se distingue pas des autres comme image frontispice, mais elle est originale car elle montre l’arrivée de Loth, représenté comme un chevalier en armes, à Logres où se réunit la cour242. Elle pose la question de la relation entre le jeune roi Arthur et ses puissants vassaux, tout en introduisant les aventures chevaleresques et militaires qui marquent le début de son règne. Dans fr. 770, l’illustration de la Suite Vulgate, très stéréotypée et marquée par la récurrence des scènes de conseil, de chevauchée et de bataille, est assez développée. Elle expose les différentes entreprises guerrières menées par Arthur au début de son règne, de la lutte contre les barons révoltés à celle contre les envahisseurs saxons et contre le roi Rion. La guerre de Gaule, le combat des rois rebelles contre les Saxons et la coalition de Salesbières puis la guerre contre les Romains sont également enluminés, soulignant l’orientation historique et militaire que prend la compilation, avant l’inflexion chevaleresque apportée par les aventures d’Enadain. La miniature située au début de la Fille du comte de Ponthieu243 (fr. 770 f. 315v, Figure 67) donne à voir la discussion au cours de laquelle Thibaut de Domart demande au comte de Ponthieu la main de sa fille. Les développements romanesques de ce texte s’insèrent au sein de la chronique sans que la mise en page insiste sur son caractère digressif. Le sujet de la miniature s’intègre particulièrement bien dans un texte à caractère historique, quoique du point de vue de la chronique, la fille du comte de Ponthieu importe plus comme femme du sultan d’Aumarie et mère de saladin que comme épouse de Thibaut. En effet, ce premier couple est infécond et se trouve séparé dans des conditions particulièrement violentes et dramatiques. Aucune illustration

242

243

L’écu et le caparaçon de Loth sont de gueules aux deux fleurs de lys d'argent au franc quartier d’argent, mais dans ce manuscrit, l’héraldique ne fait pas l’objet d’un système cohérent, elle joue plutôt un rôle ornemental. La fille du comte de Pontieu : nouvelle du XIII e siècle. Ed. Clovis Brunel. Paris : Champion, 1923.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 149

Figure 67 : BNF, fr. 770 f. 315v Début de la Fille du comte de Ponthieu Thibaud de Domart demandant au comte de Ponthieu la main de sa fille

ne marque le début de l’interpolation de l’Ordene de Chevalerie244, un traité moral et didactique dont l’insertion est encore moins marquée que celle de la Fille du comte de Ponthieu, mais qui s’intègre dans la perspective historique de la Chronique d’Outre Mer à travers une mise en scène assez flatteuse du personnage de Saladin. Même si celle du Merlin manque, l’illustration initiale de l’Estoire et de la Chronique et des textes qui y sont interpolés semble assez contrastée. Le début de fr. 770 manifeste ainsi une inspiration liée à la merveille, au sacré, et à l’histoire sainte, comme le souligne l’image de la Crucifixion qui ouvre le Joseph. Si l’intérêt pour le lignage et l’histoire de la Grande-Bretagne unit l’Estoire et le Merlin, dans la suite de la compilation, les questions politiques, chevaleresques et militaires, focalisées d’abord sur le règne d’Arthur puis sur l’histoire de Saladin, semblent ensuite prendre le pas. Certes, des ponts sont créés entre l’histoire du Graal, celle des croisades et du royaume de Jérusalem, autour d’intérêts politiques et religieux, à travers une vision conquérante de la Chrétienté. De l’époque du Christ à la période la plus proche de la rédaction du manuscrit, la mise en avant de l’idéal chevaleresque semble s’imposer comme moyen de propager la foi chrétienne et d’assurer son ancrage social et politique.

244

Raoul de Hodenc. Le Roman des Eles ; The anonymous Ordene de chevalerie. Ed. et trad. (anglais) Keith Busby. Amsterdam : John Benjamins, 1983.

150 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Berkeley, Bancroft, 106 et BNF, fr. 770 témoignent donc d’une réception du Merlin et de la Suite Vulgate marquée par un intérêt pour des textes en langue vernaculaire à fonction de divertissement mais aussi d’instruction religieuse, morale et historique. Si l’illustration du premier recueil suggère une lecture édifiante des œuvres de fiction, le second met en évidence le caractère poreux des distinctions entre histoire et roman : l’histoire sainte est en effet à l’origine de la fiction du Graal et les valeurs militaires et chevaleresques sont mises au service de la religion chrétienne.

2.2. Les manuscrits du Lancelot-Graal Les manuscrits partiels du cycle du Graal -Sans la Queste et la Mort Artu Dans Rennes, BM, 255, réalisé à Paris ou en Champagne au début du XIIIe siècle, qui constitue l’un des plus anciens manuscrits à transmettre l’Estoire, le Merlin et le Lancelot245, le format de l’initiale historiée qui orne le début de chaque œuvre semble progressivement diminuer. Ainsi la première déborde sur la deuxième colonne du texte, la deuxième empiète seulement sur l’entrecolonne, et la dernière occupe moins d’une colonne. Ce decrescendo affecte l’illustration du manuscrit dans son ensemble, puisque la hauteur moyenne des initiales historiées de l’Estoire est de 7-8 UR tandis que celle du Lancelot est de 4-5 UR. Des contraintes matérielles et financières accentuées au cours de l’élaboration du manuscrit expliquent sans doute cette évolution. Pourtant, hormis la miniature initiale, l’illustration du Merlin est beaucoup moins développée que celle des autres textes, puisqu’il ne comprend que deux initiales historiées contre une trentaine dans l’Estoire et dans le Lancelot, ce qui crée un effet de hiérarchisation. La première miniature de chaque œuvre demeure bien distincte de celles qui suivent car sa taille est supérieure aux autres et surtout, un espace d’au moins une page est réservé entre chaque texte et le suivant. Dans le manuscrit de Rennes, le regroupement de ces trois œuvres met en relation visuelle le don du Christ à l’auteur du livre, sa Descente aux enfers, et les circonstances politiques troublées du début du Lancelot. Les deux premiers sujets reprennent une iconographie largement répandue tout en présentant la personne du Christ comme fil conducteur entre l’histoire du Graal et celle de Merlin (f. 101, Figure 2). Le calice posé sur un autel dans le coin de la miniature liminaire de l’Estoire (f. 2, Figure 68)

245

Voir Stones, Alison. «  The Earliest Illustrated Prose Lancelot Manuscript?  », Reading Medieval Studies, 3, 1977, p. 3-44 et Cassagnes-Brouquet, Sophie. Les Romans de la Table Ronde. Premières images de l’univers arthurien. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2005.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 151

Figure 68 : Rennes, BM, 255 f. 2 (1220’), Début de l’Estoire Apparition du Christ au prêtre-auteur

Figure 69 : Rennes, BM, 255 f. 137, Début du Lancelot -Uterpandragon recevant l’hommage d’Arramont de Petite Bretagne -Uterpandragon et Arramont embarquant pour affronter les troupes du roi Claudas et du roi de Gaule

est sans doute celui qu’utilise l’ermite pour célébrer la messe, mais on peut aussi y voir une anticipation visuelle du Graal dont l’histoire suit immédiatement246. L’illustration frontispice du Lancelot (f. 137, Figure 69) tranche avec cette orientation religieuse et renvoie à des préoccupations purement terrestres. La question du lien féodal et des devoirs qui s’ensuivent gouverne une image formée de deux compartiments superposés séparés par la barre centrale du E historié. Au niveau supérieur, Arramont, seigneur de Petite Bretagne, rend hommage à Uterpandragon, et demande son aide contre le roi Claudas, qui menace son royaume avec l’appui de son suzerain le roi de Gaule. Au niveau inférieur, les nouveaux alliés embarquent pour affronter les troupes du roi Claudas et du roi de Gaule. La représentation de deux scènes crée un effet de successivité narrative qui plonge le lecteur au cœur d’une action politique et militaire. Cette entrée en matière contraste avec la mise en scène des origines sacrées de l’Estoire del Saint Graal et le rappel programmatique de l’œuvre de la Rédemption qui conditionne le déroulement du Merlin. Dans l’ensemble formé par BNF, fr.  748 et 754247 qui datent de la première moitié du XIIIe siècle, le Merlin semble se trouver dans la dépen246 247

Stones, Alison. « Seeing the Grail », 2000, p. 301-66. Stones, Alison. «  ‘Mise en page’ in the French Lancelot-Grail  », A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, 2003, p. 125-144, La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt.

152 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

dance du Joseph  : contrairement au premier texte de la compilation, il n’est pas mis en début de folio, il commence par une initiale historiée de taille inférieure et ne fait l’objet d’aucun encadrement (fr. 748 f. 18). À l’inverse, la présentation de la miniature initiale du Joseph (fr. 748 f. 1) et du Lancelot (fr. 754 f. 1) partage les mêmes caractéristiques, y compris une bipartition dans les membres supérieur et inférieur de l’initiale historiée. Le sujet de la miniature qui ouvre le Joseph n’est pas aisé à identifier, mais il s’agit sans doute des prophètes annonçant la venue du Christ qui se trouve au-dessous d’eux. La détérioration de la miniature initiale du Merlin ne permet pas d’identifier son sujet, un problème qui se pose de façon aigüe dans l’étude de l’illustration de ce manuscrit. Quant au Lancelot, il commence par représenter un chevalier, peut-être Arramont de Petite Bretagne allant chercher du renfort auprès d’Uterpandragon. Au niveau inférieur apparaît le combat de Ban de Bénoïc et de Claudas. On passe donc d’une iconographie religieuse au développement de thèmes politiques et chevaleresques. Mais alors que l’illustration liminaire du Lancelot dans le manuscrit de Rennes insiste sur la mise en jeu des liens féodaux unissant Arthur et Arramont et sur les conséquences militaires de cette alliance, celle de fr. 748 semble s’inscrire dans un contexte chevaleresque où l’action individuelle semble prévaloir. Dans BNF, fr. 105 et Arsenal, 3481248 réalisés à Paris dans la première moitié du XIVe siècle, la Suite Vulgate, simplement introduite par une miniature de format courant, ne reçoit pas le même traitement iconographique que le début de l’Estoire, du Merlin et du Lancelot, dont l’incipit est marqué par l’utilisation d’une grande miniature frontispice compartimentée et orné d’une bordure comprenant une série de médaillons où figurent des rois et des chevaliers. Au début de l’Estoire, dans BNF, fr. 105 f. 2 (Figure 70), le Christ, accompagné de deux anges, apporte un livre à l’auteur endormi. L’illustration décline alors les différentes étapes de son parcours. Dans la deuxième partie de l’image, ayant suivi la bête merveilleuse, il rend visite à un ermite. Arrivé à l’extraordinaire source du Pin, l’auteur reçoit une collation. Dans la quatrième vignette, il est hébergé chez un chevalier puis il retrouve des religieuses. Enfin dans la dernière scène, il exorcise un possédé. La représentation détaillée de l’itinéraire de l’ermite rappelle le caractère symbolique de sa mise à l’épreuve, avant qu’il puisse retrouver le livre sacré. Escorté par une bête étrange, l’auteur rencontre à deux reprises des religieux, un ermite et une assemblée

248

Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009, p. 140 et Chase, Carol. « Beginnings and Endings : The Frontiers of the Text in the Prose Joseph d’Arimathie », 2012, p. 111-24. Stones, Alison. «  The Artistic Context of le Roman de Fauvel  », Fauvel Studies, 1998, p. 529-567 et Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47.



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de sœurs, dont il partage les célébrations. Il croise aussi le chemin de laïcs qui répondent à ses besoins matériels au cours de ce périple, en lui apportant une nourriture providentielle et un abri salutaire. De part et d’autre de cette série d’images se répondent l’apparition du Christ à l’auteur et la mise en évidence des pouvoirs miraculeux du livre qui est confié à l’ermite et lui permet de chasser le démon. La mise à l'épreuve spirituelle de l'ermite trouve un écho dans la miniature frontispice du Merlin qui comprend non plus six mais neuf vignettes, rappellant en détail la persécution de la famille de Merlin l’Ancien et les déboires de la mère de Merlin, abusée par le démon malgré la direction spirituelle de l’ermite Blaise (BNF, fr. 105 f. 126, Planche VI). Au début du Lancelot, dans Arsenal, 3481 f. 3 (Figure 71) sont dépeints le siège et l’incendie de la ville de Trèbes, puis la mort du roi Ban, alors qu’il s’apprête à chercher du secours auprès du roi Arthur, l’enlèvement de Lancelot par la Dame du Lac, et la retraite de la reine Elaine dans un couvent de religieuses. La division de la miniature frontispice en seulement quatre compartiments permet de consacrer davantage d’espace au traitement de chaque image, ce qui contribue à accentuer le caractère dramatique des deux représentations du niveau supérieur, tandis que celles du niveau inférieur relèvent davantage d’une forme de résolution, par le merveilleux ou par la religion, de la crise auparavant illustrée. L’illustration liminaire des romans de Paris, BNF, fr.  105 et Arsenal, 3481 rend donc compte avec précision de la trajectoire des protagonistes du récit au seuil de chaque œuvre. Elle manifeste un intérêt pour leurs itinéraires propres, et prête une attention particulière aux malheurs ou mises à l’épreuve à la fois matériels et spirituels qui s’abattent sur les familles de Merlin et du roi Ban. Dans BNF, fr. 9123, le manuscrit jumeau de fr. 105, qui comprend uniquement l’Estoire, le Merlin et sa suite, ces textes sont précédés d’une table des matières commençant par une miniature représentant l’auteur faisant don de son œuvre (f. 1, Figure 72). Une introduction visuelle renvoyant aux circonstances de production et de diffusion des œuvres, précède donc le commencement édifiant de l’Estoire249. Il pourrait s’agir de Gautier Map présentant son livre à Henri II Plantagenêt, même si ce manuscrit tel qu’il nous est parvenu ne contient pas la Queste ni la Mort Arthur. L’image est intéressante car elle renverse les représentations traditionnelles du don du livre où l’auteur agenouillé offre son ouvrage au souverain assis sur son trône. Ici, le roi, ainsi que

249

Pour Catalina Girbea, « cette image efface considérablement les prétentions de livre révélé de l’Estoire et la soumet à la logique prosaïque de commande ». Communiquer pour convertir dans les romans du Graal, 2010, p. 352.

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Figure 70 : BNF, fr. 105 f. 2 (1325’) Début de l’Estoire -Apparition du Christ au prêtre-auteur de l’Estoire ; L’auteur rendant visite à un ermite ; L’auteur recevant une collation à la source du Pin -L’auteur hébergé chez un chevalier ; L’auteur rencontrant des religieuses ; L’auteur exorcisant un possédé Ci commence Joseph d’Arimacie et est le fondement de toute la Table Roonde, et puis vient toute la Vie Merlin aprés, et comment li roys Artus fu né, et puis tout le Rommans de Lancelot du Lac et comment il fu né et toutes les merveilles de la Table Roonde et du Siege Perilleus et qu’il senefie, et puis toute l’ystoire jusques à la Mort le roy Artus.



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Figure 71 : Arsenal, 3481 f. 3 Début du Lancelot  -Destruction de Trèbes -Mort du roi Ban -Enlèvement de Lancelot par la Dame du Lac -Adragain le Brun reprochant à Arthur d’avoir abandonné ses vassaux Ban et Bohort

ses courtisans, sont agenouillés devant l’auteur. Ce dernier, assis devant un pupitre, qui emblématise son rôle de scribe, semble participer à une double transaction avec le roi, puisqu’il lui tend son livre d’une main et de l’autre semble recevoir un large récipient. La nature du livre, comme celle de l’objet,

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Figure 72 : BNF, fr. 9123 f. 1 Présentation du livre, Début de la table des matières

qui pourrait être une représentation du Graal, figuré comme une écuelle, mais aussi le sens du transfert, sont problématiques250. La représentation des cieux dans la partie supérieure de l’image ouvre la scène à des considérations spirituelles en indiquant l’origine miraculeuse de l’ouvrage transmis. Cela explique sans doute la révérence particulière manifestée par le roi et sa cour.

250

Voir Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 131-32.



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Figure 73 : BNF, fr. 9123 f. 4, Début de l’Estoire -Apparition du Christ au prêtre-auteur de l’Estoire -Le chevalier guéri de la lèpre apportant la Sainte Face à Titus -Joseph d’Arimathie délivré -Joseph d’Arimathie et Josephé Ci conmence l’Istoire du Saint Graal qui est le fondement de la Table Reonde que on dit de Lancelot du lac et du roy Artus et des autres chevaliers de la Table Reonde et premierement de Joseph de Barimathie et de son filz Josephé et de Mordrain et du roy Evalach et de Nacien et de ceus que vous trouverez ci aprés en ordre.

Comme dans BNF, fr. 105, une miniature compartimentée est placée au début de l’Estoire, dans BNF, fr. 9123 f. 4 (Figure 73), en une majestueuse page frontispice décorée d’une bordure végétale, de médaillons et d’initiales

158 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

peintes. Chaque vignette est représentée sur un fond à caractère décoratif, soit quadrillé soit orné de losanges. Si la première scène reprend le motif de l’apparition du Christ qui remet un livre à l’auteur endormi, les autres ne se rapportent pas au début du texte : elles laissent de côté les pérégrinations de l’ermite pour s’intéresser au destin des reliques christiques et à l’itinéraire de Joseph d’Arimathie. La deuxième vignette montre ainsi un chevalier guéri de la lèpre par contact avec le Christ qui apporte à l’empereur Titus le voile de Véronique sur lequel s’est imprimé le visage du Christ afin de guérir son fils Vespasien (Pl. I, 28-30). L’image de la Sainte Face au centre du linge se substitue dans cette miniature aux autres objets sacrés mentionnés au début de l’Estoire, le livre ou le Graal. Elle constitue une trace symbolique de la Passion qui n’est plus seulement scripturaire mais picturale, visuelle, et qui prétend être la vraie représentation de la figure du Christ251. Dans BNF, fr. 105, c’est au folio 8v, dans une miniature intégrée au corps du texte, que ce voile est présenté à la fois à Titus et à Vespasien. La présence de cette image à l’ouverture d’un manuscrit daté de 1320-1330 témoigne de l’intérêt renouvelé qu’elle suscite : la Véronique fut transférée à St Pierre de Rome par le pape Boniface VIII en 1297 et exposée à la vénération des fidèles à l’occasion du premier Jubilé de 1300. Alors qu’il est difficile de retracer le parcours historique du Graal, approprié par la fiction arthurienne, le voile de Véronique, dont l’Estoire explique l’origine, constitue peut-être au XIVe siècle une relique christique davantage accréditée par l’institution ecclésiastique. Malgré l’inversion du rapport de parenté entre Titus et Vespasien, la mention de ces empereurs romains du Ier siècle contribue à donner une crédibilité historique à la relique, tandis que la référence au lépreux guéri par le Christ trouve son fondement dans trois des Evangiles. Les deux compartiments du niveau inférieur de l’image montrent d’une part la délivrance de Joseph d’Arimathie par le jeune Vespasien, en reconnaissance de sa guérison miraculeuse, et d’autre part les retrouvailles de Joseph et de son fils Josephé. Dans fr.  105, généralement moins illustré que son corollaire, ces sujets ne sont pas représentés. Pourtant, les représentations des aventures de l’auteur dans la miniature frontispice y sont plus développées. 251

La Véronique n’est pas la seule représentation de la Sainte Face exécutée par l’atelier du maître de Fauvel : au folio 340v du manuscrit BNF, fr. 316, réalisé vers 1333-34 et comprenant la traduction par Jean de Vignay du Speculum Historiale de Vincent de Beauvais, est représentée la réception par le roi Abgar V d’Edesse du saint Mandylion, un linge portant le portrait imprimé ou peint du Christ. Voir Réau, Louis. Iconographie de l'art chrétien, 1957, t. II, 2, p. 18-19, Pearson, Karl. Die Fronica : ein Beitrag zur Geschichte des Christusbildes im Mittelalter. Strasbourg : K. J. Trübner, 1887, Perdrizet, Paul. « De la Véronique et de sainte Véronique », Seminarium Kondakovianum, Recueil d'études, Archéologie, histoire de l'art, études byzantines, V, 1932, p. 1-15 et Hamburger, Jeffrey F. The Visual and the Visionary : Art and Female Spirituality in Late Medieval Germany. New York : Zone, 1998, p. 317-82.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 159

Joseph, qui n’a pas vu passer les quarante-deux ans de son emprisonnement, ne reconnaît pas immédiatement son fils, à cause du temps qui s’est écoulé : ce dernier avait à peine un an quand son père a été arrêté. La première image montre la demeure fortifiée de Caïphe, la «  fort maison  » comprenant la « chartre » où Joseph a été enfermé, plutôt que le « piler tout creus », la colonne au sein de laquelle il a été emmuré (Pl. I, 25). La seconde dépeint le baiser du fils à son père et la publicité de la scène. L’insistance liminaire de fr. 9123 sur les épreuves subies par Joseph d’Arimathie tend à revaloriser cette figure par rapport à celle de Josephé qui devient rapidement le chef spirituel de la communauté. Au début du Merlin, la miniature frontispice de fr. 9123 f. 96 (Planche V) insiste sur le conseil des démons, les circonstances de la naissance de Merlin et le procès qui est intenté à sa mère, tandis que les illustrations suivantes se consacrent à l’histoire des rois de Bretagne. L’illustration liminaire de fr. 105 f. 126 (Planche VI) souligne davantage la persécution de la famille de Merlin l’Ancien par les démons et le secours que peut procurer par contraste la direction spirituelle de Blaise, consacrant une autre miniature aux premiers temps de la vie de Merlin (f. 130v). Les deux manuscrits ont été produits à la même époque et dans le même milieu, pourtant, en dépit de leurs similarités formelles et stylistiques, leurs miniatures frontispices témoignent de variations intéressantes dans la lecture du texte et son orientation. Dans le premier cas, le texte s’ouvre sur des représentations qui interrogent la capacité de la justice humaine à comprendre et traiter d’affaires à caractère surnaturel. Dans le second, sont mises en exergue les questions théologiques et pastorales de la persécution diabolique et de l’édification ou de la résistance spirituelle. Le début de la Suite Vulgate n’est mis en valeur dans aucun de ces deux manuscrits : cette œuvre ne semble pas être considérée comme un texte autonome et ne donne pas lieu à une mise en page spécifique. Dans BNF, fr. 96252, réalisé dan le Centre ou l’Ouest de la France au milieu du XVe siècle, une large miniature frontispice orne le début de l’Estoire et du Merlin et une illustration de taille similaire était prévue au début du Lancelot, bien qu’elle n’ait pas été réalisée à l’emplacement prévu : le programme iconographique reste inachevé après le début du Merlin. Au commencement de l’Estoire, le Christ remet le livre à l’auteur. L’idée de dépouillement et d’ascèse ressort de la présentation de l’ermitage, dont la construction frugale et ouverte à tous les vents, qui rappelle l’étable de certaines Nativités, contraste avec l’architecture monumentale de la ville dépeinte à l’horizon 252

Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, 1993, p. 123-124 et Stones, Alison. « Fabrication et illustration des manuscrits arthuriens », La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009, p. 19-30.

160 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 74 : BNF, fr. 96 f. 1, Début de l’Estoire Apparition du Christ au prêtre-auteur Cy commence le livre dou [texte effacé] premier comme celui qui commance ceste hystoire lui estant en ung habitacle la ou il gisoit en son lit, il ouy voix qui parlerent a luy, et comme Nostre Seigneur lui envoia ung petit livre la ou il trouva les haultes merveilles et les grans secrés du Saint Graal et aussi la souffrance Notre Seigneur, et comme Joseph et Josephés son filz aprés la Resurrection Notre Seigneur Jhesu Crist prescheroit la foy et la cretienté, et comme ilz convertirent le roy Evelac qui ot nom en baptesme Mordrains, et Seraphés son serorge qui fut premier baptisé et ot nom Nassiens, et puis parle comme ilz descendirent de lignee en lignee jusques a Galaad.

(f. 1, Figure 74). Dans le ciel, la présence de Chérubins insiste sur l’apparition miraculeuse du Christ, identifié par son nimbe crucifère. L’homme semble vivre en paix au milieu d’une nature familière et esthétisée.



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La miniature frontispice du Merlin, BNF, fr. 96 f. 61 (Planche VII) prend le revers de cette scène paisible et idéalisée : elle relève d’une organisation spatiale très différente. À un espace ouvert prolongé par la perspective s’oppose la mise en scène de plusieurs plans superposés ou imbriqués les uns dans les autres qui représentent divers aspects de la géographie infernale. Au niveau inférieur, apparaissant dans l’ouverture d’une gueule infernale, le diable trône au milieu d’une assemblée de démons tout aussi monstrueux. À l’étage intermédiaire, les damnés sont entraînés vers leur supplice : tourmentés par les démons, ils se consument dans les flammes de l’Enfer. Au-dessus sont représentés deux groupes d’enfants placés dans les Limbes, tandis que dans le cadre central, deux anges viennent à la rencontre des Justes libérés après que le Christ a abattu les portes de l’Enfer : les deux groupes tiennent les mains jointes et présentent un air de recueillement et de sérénité, même si le feu au milieu duquel se trouvent les hommes peut suggérer les flammes du purgatoire. Un démon situé à l’arrière-plan, à l’extérieur du mur, les observe. Cette représentation symbolique et spatialisée des Enfers vise davantage des effets dramatiques que réalistes. Elle met en scène l’abomination infernale alors que le début du Merlin retrace l’échec des démons dans leur projet de conception d’un antéchrist. Au sein de la représentation infernale, l’image surplombante de l’ouverture des portes de l’Enfer, qui fait écho à la représentation du Christ dans la première miniature du manuscrit, offre cependant une lueur d’espoir au sein de ce spectacle inspirant effroi et désolation.

-Sans l’Estoire Dans le manuscrit Arsenal, 3482253 réalisé à Paris au milieu du XIV e siècle, le Merlin remplace l’Estoire au début du cycle du Graal et il bénéficie d’un traitement iconographique bien plus élaboré que l’ouverture des autres œuvres, puisqu’il débute par une miniature de toute la largeur de la page (p. 1, Figure 26) alors que les autres textes commencent seulement par une miniature de la largeur d’une colonne. Dans l’état actuel du manuscrit, le Lancelot, qui commence en début de folio, ne s’ouvre pas sur la Marche de Gaule mais comprend seulement la dernière section du texte, lorsque les chevaliers d’Arthur partent en quête du héros, qui perd la raison après avoir été abusé par la fille du roi Pellès et rejeté par Guenièvre (p. 345, Figure 75). Le début de la Queste est manquant et la Mort Artu est placée à sa suite, introduite par une miniature simple où Bohort raconte à la cour d’Arthur la fin de Galaad et de Perceval (p. 539, Figure 76). La conservation fragmentaire de la compilation souligne la variété des mises en valeur du début de chaque texte.

253

Martin, Henri. Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de l’Arsenal. Paris : Plon, 1887, vol. 3 p. 382-83.

162 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 75 : Arsenal, 3482 p. 345 (1350’) Début du Lancelot : Gauvain et la demoiselle de la fontaine

Figure 76 : Arsenal, 3482 p. 539 Début de la Mort Artu : Bohort à la cour d’Arthur



Mise en page et illustration | Chapitre 1 163

Les manuscrits « complets » du cycle du Graal -Sans la Suite Vulgate Dans la compilation manuscrite actuellement divisée entre l’ex-Amsterdam, BPH, 1, Ocford, Bodleian, Douce 215 et Manchester, Rylands, Fr. 1254, réalisée au début du XIVe siècle dans le diocèse de Saint-Omer, Tournai ou Gand, le cycle du Graal est au complet, à l’exception de la Suite Vulgate. Le début de la Queste est défectueux et la présentation liminaire du Lancelot diffère de celle du Merlin et de la Mort Artu, puisqu’il ne commence pas en début de folio mais sur la deuxième colonne du texte, à la suite du Merlin. Tandis que le Merlin commence par une miniature composée de deux compartiments suivie d’une initiale ornée marginale, le Lancelot s’ouvre sur deux miniatures consécutives. Paradoxalement, d’autres subdivisions sont davantage marquées que le début de l’œuvre. Enfin la Mort Artu débute par une initiale historiée elle-même insérée dans le cadre d’une miniature. L’ornementation marginale de ces pages liminaires est particulièrement développée, même s’il n’est pas toujours possible d’expliquer sa relation à l’illustration principale ou au texte qu’elles accompagnent. Au début de l’Estoire (Ex-Amsterdam, BPH, 1, I f. 1, Figure 77), l’auteur apparaît agenouillé devant le crucifix placé sur l’autel de la chapelle où il célèbre l’office du Vendredi Saint. Dans la marge supérieure, un personnage hybride tient un orgue portatif. Du côté gauche, un singe essaie d’attraper un papillon dans un filet et plus bas, une guenon tient la quenouille. Au niveau inférieur, un paon, menacé par un monstre hybride armé d’une épée, fait la roue devant une guenon occupée à broder. Ces scènes marginales n’ont guère de rapport avec le début du texte. L’illustration liminaire du Merlin met en tension la Descente aux enfers et le conseil des démons (Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 1, Figure 15). Dans la marge inférieure, un couple de singes assiste au dressage d’un oiseau de proie tandis que près de la miniature, une guenon manie la quenouille. Le caractère civilisé de ces activités contraste avec la nature animale de ceux qui s’y prêtent. Les miniatures situées au début du Lancelot (Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 37, Figure 78) ne sont pas placées en début de folio ni accompagnées de bordures ou de figures marginales. Une miniature remplace l’initiale champie auparavant utilisée, ce qui permet de jouer sur la mise en série narrative 254

Voir Stones, Alison. « Another Short Note on Rylands French 1 », Romanesque and Gothic, Essays for George Zarnecki. Ed. N. Stratford, Bury St. Edmunds : Boydell and Brewer, 1987, p. 185-192. Stones, Alison. « The Grail in Rylands French 1 1999, p. 55-95, Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 45-46 et 77 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III, 75, p. 354-68.

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Figure 77 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, I f. 1 (1310-20’) Début de l’Estoire : Le prêtre-auteur célébrant l’office du Vendredi Saint

des deux images. La première montre le siège de Trèbes par le roi Claudas, plongeant le lecteur au sein des troubles politiques et militaires qui affectent les royaumes de Gaunes et de Bénoïc. Des arbalétriers visent les défenseurs qui jettent des pierres depuis les murailles du château tandis qu’un sapeur attaque la forteresse avec une pioche. La seconde, de format légèrement inférieur, présente le départ de la famille du roi Ban. Le visage du roi, tourné en arrière et contemplant la ville qu’il doit abandonner, accentue le caractère dramatique de ce départ forcé, tandis que ses mains serrées sur sa poitrine, soulignent son impuissance et son désespoir255. Le début de la Mort Artu (Manchester, Rylands, Fr. 1 f. 212, Figure 79) représente Henri II demandant à Gautier Map d’écrire la fin de l’histoire arthurienne. Bien que l’auteur soit assis, les jambes croisées, le roi, debout semble lui donner de fermes instructions, comme l’indique sa gestuelle, un index pointé vers son interlocuteur et l’autre sur le texte que lui présente l’écrivain256. Dans la marge, des archers visent monstres et volatiles, un singe élague des branches, 255 256

Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 152-53 et 198-201. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 165-69.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 165

Figure 78 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 37, Début du Lancelot -Siège de Trèbes -Départ du roi Ban et de sa famille

un autre montre son postérieur, un autre se fait allaiter par une religieuse, tandis qu’un couple d’amants s’embrasse. Au début de ce texte, la richesse et l’hétérogénéité du spectacle marginal contrastent avec le formalisme de la miniature principale (triplement entourée par le cadre architectural où les deux personnages sont représentés), la forme de l’initiale et le cadre de la miniature. Le cycle du Graal conservé dans les manuscrits BNF, fr.  113-116 a été commandé par Jacques d’Armagnac, duc de Nemours et comte de la Marche, entre 1470 et 1475, au même moment que la compilation originale de BNF, fr.  112, alors qu’il avait déjà en sa possession un autre exemplaire du cycle de la Vulgate arthurienne, l’actuel fr. 117-120, qu’il a fait retoucher et qu’il avait hérité de son arrière grand-père, le duc Jean de Berry257. Ces manuscrits 257

Voir Blackman, Susan Amato. The Manuscripts and Patronage of Jacques d’Armagnac, 1993. Rollet, Nathalie. L’iconographie du Lancelot en prose à la fin du Moyen Âge (ca 1340-ca 1500),

166 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 79 : Manchester, Rylands, Fr. 1 f. 212, Début de la Mort Artu Henri II et Gautier Map

sont de format et d’agencement similaires, et leurs programmes iconographiques complémentaires. Non seulement le début de chaque œuvre est marqué par l’illustration, mais d’autres indices paratextuels nous renseignent sur la conception du recueil. Ainsi des titres courants et une table des matières s’ajoutent aux rubriques pour mettre en évidence la structure de l’œuvre. L’ensemble est formé de trois livres de messire Lancelot du Lac, chacun divisé en deux branches. Le premier comprend l’Estoire et le Merlin, le second livre correspond au Lancelot propre, et le dernier contient la Queste et la Mort Artu. Dans BNF, fr. 113 f. 1 (Figure 80), la scène d’ouverture archétypale où l’auteur présente son livre à son dédicataire, est suivie de trois épisodes tirés de la vie de Lancelot : sa naissance, son adoubement et son combat contre les automates du château de la Douloureuse Garde. La compilation est donc immédiatement placée dans un contexte courtois et chevaleresque, alors que Thèse de DEA de l’École des Chartes, 1998. Stones, Alison. « Seeing the Grail », 2000, p. 301-66. Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 45 ; 68-69. Fabry, Irène. « Le livre de messire Lancelot du Lac », 2009. Fabry-Tehranchi, Irène. « L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux Enfers à l’ouverture du Merlin », 2010, p. 225-58.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 167

Figure 80 : BNF, fr. 113 f. 1, Début de l’Estoire -Présentation du livre -Naissance de Lancelot -Adoubement de Lancelot -Combat de Lancelot contre les automates du château de la Douloureuse Garde Cy commence le premier livre de messire Lancelot du Lac filz au roy Ban de Benoïc qui fut en son temps le meilleur chevalier du monde, fors seulement Galaad qui fut son filz, et parlera premierement comment le Saint Graal vint en la Grant Bretaigne, et si parlera de Merlin, du roy Artus et des fais des compaignons de la Table Ronde, et sera devisé le livre en trois parties.

168 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

l’illustration de l’apparition du Christ à l’auteur est rejetée dans une miniature située au verso du folio 1258. La représentation de la pratique sociale du don du livre permet d’exalter de façon indirecte la relation du copiste et de son commanditaire 259. À la génuflexion du clerc Gautier Map, qui offre solennellement son ouvrage à son souverain Henry II d’Angleterre, correspond celle du jeune Lancelot adoubé par le roi Arthur dans le registre inférieur de l’image. Il pourrait s’agir d’un déplacement de la miniature qui ouvre la Mort Artu dans certains manuscrits260. Cette mise en scène canonique insiste sur l’importance de cette cérémonie, constituant le seul sujet de cette vignette, tandis que dans fr.  117 f. 1(Figure 105), ce rituel s’efface devant l’image saturée d’un tournoi. La scène de la naissance de Lancelot est déplacée dans fr.  117 après la traditionnelle dédicace, tandis que disparaît la référence à son éducation par la Dame du Lac. Le dernier compartiment de la miniature témoigne d’une lecture de l’itinéraire du héros différente de celle adoptée dans fr. 117 et Arsenal, 3479. Loin de suggérer sa défaillance spirituelle au cours de la quête du Graal, l’image le montre sur le point de pénétrer dans le château enchanté de la Douloureuse Garde, où se manifestent son élection et sa qualité de meilleur chevalier du monde. C’est donc un parcours chevaleresque exemplaire qui semble ici illustré. Alors que l’illustration de l’Estoire est évacuée, la page frontispice se consacre à la mise en images de la biographie de Lancelot, témoignant d’un déplacement du sacré au profane261. L’illustration du début du Merlin est mise en scène de façon plus spectaculaire dans BNF, fr. 113 que dans fr. 117 où ce texte est introduit à la suite de l’Estoire par une miniature d’une colonne. La miniature, de la largeur du folio, n’est pas compartimentée, ce qui permet de représenter avec davantage d’ampleur le sujet de la Descente aux enfers (fr. 113 f. 117, Planche I). Le début textuel du Lancelot propre, déjà annoncé par la miniature frontispice du recueil, ne fait pas l’objet d’une mise en scène aussi grandiose (BNF, fr. 113 f. 150v, Figure 81). Même si le titre courant souligne 258

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Fr. 113-116 fait partie des manuscrits du XVe siècle qui choisissent de montrer de façon liminaire des scènes tirées de la vie de Lancelot, témoignant d’un mouvement de sécularisation et d’idéalisation de la chevalerie. Voir Chase, Carol, « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47. Ce manuscrit a été réalisé pour Jacques d'Armagnac (1433-77). Le phylactère situé entre les deux colonnes du texte contient les lettres ETUMERAOND PI, dont la signification demeure mystérieuse, mais qui sont combinées de différentes façons dans plusieurs de ses manuscrits. Dans la marge inférieure, l’écu soutenu par deux sirènes et deux hommes sauvages porte les armes de Pierre II de Beaujeu (1438-1503) qui a sans doute pris possession du livre lors de l’arrestation du duc de Nemours pour trahison en 1476. Voir Delisle, Léopold. Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale. Paris : Imprimerie nationale, 1868-81, vol. 1, p. 88 et 170, note 10 et Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, p. 164-65. Voir Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 133. Voir Baumgartner, Emmanuèle. « Espace du texte, espace du manuscrit : les manuscrits du Lancelot-Graal », Ecritures II, 1985, p. 106-107.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 169

Figure 81 : BNF, fr. 113 f. 150v (1475’), Début du Lancelot Portrait des familles de Ban de Bénoïc et Bohort de Gaunes

le passage au deuxième livre de Lancelot, une miniature simple marque le début de ce roman. La distinction héritée de fr.  117 et Arsenal, 3479 entre les rois Ban et Bohort d’une part et leurs femmes et enfants d’autre part laisse place à un autre type de symétrie. Désormais, le noyau conjugal et familial constitue le premier facteur de regroupement des personnages, plus que leur statut social ou leur lien de parenté. Après la soumission de Galehaut à Arthur et le début des amours entre Lancelot et Guenièvre, la transition vers la deuxième branche du Lancelot se fait également dans le corps du texte, sans changement de folio ni mise en page particulière (fr. 114 f. 352, Figure 82). Une miniature représente la Dame du Lac prenant soin de Lancelot qui, croyant avoir perdu l’amour de la reine, a sombré dans la folie. Dans fr. 116, la Queste et de la Mort Artu commencent par une miniature frontispice de la largeur du folio, divisée en quatre compartiments dans le premier cas. Au début de la Queste dans fr. 116 f. 607 (Figure 83) apparaissent la Crucifixion et l’adoubement de Galaad, ce qui réunit les deux miniatures liminaires du Perlesvaus et de la Queste dans fr. 120, avec la venue de la messagère à la cour et sa chevauchée avec Lancelot.

170 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 82 : BNF, fr. 114 f. 352, Début de la deuxième branche du Lancelot La Dame du Lac retrouvant Lancelot dément

Les premiers éléments de l’intrigue de la Queste sont donc repris dans l’illustration qui souligne la redéfinition de la hiérarchie des personnages, puisque au cours de la quête du Graal, Lancelot perd le titre de meilleur chevalier du monde au profit de son fils Galaad. Dans cette image frontispice, la collection du sang du Christ dans le Graal, est opérée non pas par Joseph d’Arimathie, comme dans fr.  120 et Arsenal, 3480, mais par des anges, ce qui renforce la sacralisation de la relique. La réunion de scènes à caractère religieux et chevaleresque accroît le prestige de la chevalerie, mais la présence de religieuses derrière Galaad lors de son adoubement suggère qu’il a plus d’affinités avec le sacré que son père : on passe ainsi d’une chevalerie terrienne à une chevalerie célestielle. Dans la diagonale inverse de l’image, Lancelot évolue dans un contexte dépourvu de toutes références religieuses explicites, que ce soit à la cour d’Arthur ou lors de sa chevauchée avec la messagère. Fr. 116 f. 678 (Figure 84) présente dans sa marge inférieure l’écu de Pierre de Beaujeu dont l’initiale est entrelacée avec celle de sa femme, Anne de France (fille de Louis XI). Contrairement à fr. 120 et Arsenal, 3480, la dernière œuvre



Mise en page et illustration | Chapitre 1 171

Figure 83 : BNF, fr. 116 f. 607, Début de la Queste del Saint Graal Cy commence le tiers et derrenier livre de messire Lancelot du Lac qui traictera principalement du Saint Graal et de la fin le roy Artus et de la Table Ronde, et comment la veille de la Penthecoste une damoiselle vint querir Lancelot qui le mena en une abbaye de nonnains ou il adouba Galaad chevalier. [f. 606v] -Crucifixion -Arrivée de la messagère du roi Pellés à la cour d’Arthur -Départ de Lancelot et de la demoiselle -Galaad présenté à son père Lancelot par des religieuses

du cycle commence par une miniature frontispice qui représente à la cour d'Arthur l’annonce par Bohort de la mort de Galaad et de Perceval, et l’aveu de Gauvain concernant sa responsabilité dans la mort de vingt-huit chevaliers au

172 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 84 : BNF, fr. 116 f. 678, Début de la Mort Artu -Retour de Bohort à Camelot -Arthur et Gauvain Cy commence la seconde branche du tiers livre de messire Lancelot du Lac, et parlera de la Mort le roy Artus et du deffinement de la Table Ronde, et comment le roy Artus fit grant chere a Bohort qui luy compta le trespassement de Galaad et de Perceval, et comment Gauvain avoit occis .XVIII. chevaliers en la Queste du Saint Graal.

cours de la quête du Graal. La miniature illustre le début de l’intrigue tandis que plusieurs autres manuscrits (BNF, fr. 122 f. 272, fr. 123 f. 229, fr. 342 f. 150 et fr. 1424 f. 55v) choisissent d’illustrer le début de la Mort Artu par la mise par



Mise en page et illustration | Chapitre 1 173

écrit de l’histoire. Après le récit de la mort édifiante du héros du Graal, l’aveu des crimes commis par Gauvain est annonciateur des querelles internes qui ébranleront l’unité des chevaliers arthuriens et mèneront à l’écroulement du royaume. Dans fr. 113-116, le développement de miniatures frontispices au début de chaque roman de la compilation et l’emploi de miniatures compartimentées permet de rendre compte des composantes de l’intrigue avec davantage de précision, soulignant la prépondérance du modèle courtois et chevaleresque, bien que persiste l’utilisation de modèles empruntés à l’iconographie religieuse. Le choix d’un titre général se référant exclusivement à Lancelot est cohérent avec l’orientation de la miniature liminaire du recueil. L’illustration du parcours de ce chevalier exemplaire est déplacée en amont de la compilation, ce qui crée un déséquilibre paradoxal avec la mise en image plus modeste du Lancelot propre, mais facilite le glissement opéré dans la Queste et la Mort Artu sur les figures de Galaad puis du roi Arthur.

-Avec la Suite Vulgate Plusieurs témoins relativement précoces du cycle du Graal intégrant la Suite Vulgate sont illustrés, ce qui permet d’intégrer une étude de la mise en page et de l’iconographie liminaire à l’analyse des relations entre les différents textes de ces compilations. Paradoxalement, dans BNF, fr. 747262, réalisé dans le Nord de la France dans la première moitié du XIIIe siècle, où chaque œuvre s’ouvre sur une initiale historiée, le début de la Suite Vulgate, qui commence sur un nouveau folio, séparé du Merlin par un large espace blanc, est davantage mis en valeur que celui du Merlin propre qui s’enchaîne directement après l’Estoire. Dans l’ensemble qu’il forme avec fr. 751, comprenant alors tout le cycle du Graal, une place particulière est réservée au Lancelot, sur lequel s’ouvre le second volume, le seul texte qui commence par une miniature. Tandis que le début de la Queste est défectueux, la Mort Artu s’ouvre sur une simple initiale filigranée : le commencement de ce texte est le moins mis en valeur à l’échelle de tout le cycle, d’autant qu’il ne s’accompagne pas d’un changement de folio comme c’est le cas pour la Suite Vulgate et le Lancelot. Les illustrations réalisées au début de chaque texte sont les seules de ces manuscrits. Elles donnent à voir pour l’Estoire le prêtre-auteur recevant le livre (f. 1, Figure 85), pour le Merlin le jugement de la mère du héros, pour la Suite Vulgate Merlin discutant avec les barons rebelles et pour le Lancelot Ban de Bénoïc

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Voir Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », 1958, p.  81. Herbin, Jean-Charles. «  Les formes régionales du Merlin  : essai de classement  », L’Information grammaticale, 88, 2001, p. 33-40 et Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 128-48.

174 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 85 : BNF, fr. 747 f. 1 (1230-50’) Début de l’Estoire : Apparition du Christ au prêtre-auteur

quittant Trèbes avec sa femme et son jeune fils. Dans tous les cas, la scène représentée correspond à un événement qui a lieu au début du récit concerné et elle met en avant un personnage important pour la suite de l’action, qu’il y participe directement en tant que héros ou protagoniste (c’est le cas de Merlin et du jeune Lancelot, dont le père meurt peu après), ou qu’il renvoie à l’origine merveilleuse du livre, telle que l’explique le prologue de l’Estoire. Le début de l’Estoire, qui investit l’œuvre d’une autorité miraculeuse, est particulièrement apte à introduire, sur le plan textuel et iconographique, les romans du cycle du Graal. L’illustration liminaire de ce texte oriente sa lecture vers le sacré tout en l’inscrivant dans une tradition hagiographique ou religieuse. Le statut de prêtre et d’ermite de l’auteur de l’Estoire garantit la validité de ses paroles, tandis que l’apparition du Christ ou d’un ange au cours de son sommeil permet de réunir le motif du songe et la vision d’un personnage céleste. Le jugement de la mère de Merlin constitue un sujet iconographique représenté dans la miniature initiale de plusieurs manuscrits du Merlin (au XIIIe s. dans BNF, fr. 749 f. 123 et au XIVe s. dans BNF, fr. 9123 f. 96, Arsenal, 3482 p. 1 et New Haven, Beinecke, 227 f. 141), mais alors que dans tous ces ouvrages il s’agit d’une scène parmi d’autres au sein d’une peinture frontispice compartimentée, la représentation de cet épisode à l’ouverture de fr. 747 f. 77 (Figure 22) est assez singulière : c’est un homme, vraisemblablement Blaise, qui porte le nourrisson, mais il s’adresse à un roi portant couronne, plutôt qu’à un juge. Dans fr.  747-751, les miniatures liminaires du Merlin et du Lancelot se concentrent sur les circonstances troublées de l’enfance du héros.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 175

Figure 86 : BNF, fr. 751 f. 1 Début du Lancelot : Départ du roi Ban et de sa famille

La discussion de Merlin et des barons rebelles apparaît aussi dans la miniature initiale de la Suite Vulgate de Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (Figure 45), mais fr. 747 f. 103 (Figure 46), qui isole cette scène, lui donne une importance particulière. La médiation de Merlin est ainsi mise en valeur, bien qu’il ne parvienne pas à rallier les barons rebelles au parti d’Arthur. Enfin le Lancelot commence par la représentation du départ la famille de Ban (fr. 751 f. 1, Figure 86), que l’on retrouve au début de BNF, fr. 110 f. 164 (fin XIIIe s.) et au XVe siècle dans BNF, fr. 16999 f. 1 et fr. 112 f. 1. L’image devait consister en un E historié mais a été réalisée comme une miniature, et se distingue en cela des autres enluminures. Le début du texte est écrit à l’encre rouge, même s’il ne s’agit pas d’une rubrique spécifique. La miniature évoque le modèle biblique de la fuite en Egypte263, bien que sur le plan contextuel, dans le Lancelot il s’agisse d’un projet d’ambassade et que sur le plan de la composition, contrairement à Joseph, Ban soit toujours représenté à cheval à côté de sa femme et de son enfant. Quelle est l’orientation de ces miniatures liminaires qui constituent l’intégralité de l’illustration du manuscrit ? L’image qui introduit l’Estoire se distingue par sa dimension à la fois religieuse et méta-diégétique. Le sujet des autres illustrations contribue à mettre en évidence la difficulté des trajectoires humaines et les tribulations causées tantôt par l’intervention démoniaque, tantôt par les conflits d’ordre politique et militaire, qu’il s’agisse de la révolte des vassaux d’Arthur, contestant la légitimité de leur nouveau roi, ou du sort funeste du royaume et des familles de Ban de Bénoïc et de Bohort de Gaunes, après l’invasion du roi Claudas. 263

Voir Réau, Louis. Iconographie de l'art chrétien, 1957, t. II, 2, p. 274-76 et Lavaure, Annik. L’image de Joseph au Moyen Âge, 2013, p. 70 et Pl. IV.

176 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Bonn, ULB, 526264, copié à Amiens par un certain Arnulfus de Kayo et daté de 1286, subdivise le cycle du Graal en neuf parties distinctes, remarquables par l’adoption d’un titre courant rubriqué suivi d’une numérotation en livres dans la marge supérieure du folio. On distingue ainsi le Merlin propre et les premiers faits du roi Arthur, ainsi que quatre parties au sein du Lancelot. La mise en page et l’illustration liminaire de ces sections diffère considérablement. Un traitement d’exception est réservé au folio frontispice de l’Estoire orné de six miniatures qui occupent toute la partie supérieure de la page (f. 1, Figure 87). Elles se lisent de façon verticale, en suivant chaque colonne de texte, car il s’agit de l’adjonction de miniatures distinctes qui restent autonomes, même si elles sont réunies dans une composition cohérente. Cela contraste avec l’ordre de lecture d’abord horizontal puis vertical des miniatures frontispices compartimentées où toutes les scènes sont intégrées dans le même cadre. La singularité de chaque miniature est renforcée par la présence d’une rubrique correspondante située au-dessous d’elle. L’illustration suit ainsi la progression textuelle : quatre images sont consacrées aux aventures de l’auteur à l’orée du texte, mettant en scène l’origine mystérieuse et sacrée du texte. Les deux premières représentent l’apparition du Christ qui réveille le prêtre-auteur de l’Estoire et lui donne le livre. Les suivantes renvoient à l’itinéraire de l’auteur, uniquement désigné comme « l’ermite », sur les traces de la bête merveilleuse, puis à la rédaction du livre qu’il est chargé d’écrire. L’image suit scrupuleusement le texte dans la représentation de l’animal surnaturel et des différentes couleurs de son corps hybride : Ele estoit diverse sor toutes autres bestes car ele avoit et teste et col de berbis et estoit blanche conme nois negie et si avoit pié de chien et quisses et estoient conme charbon noires et si avoit le pis et le crepon et le cors de goupil et keue de lyon. (Pl. I, 14)

Enfin les miniatures de la dernière colonne entrent dans le vif de l’histoire de Joseph d’Arimathie qui après la Crucifixion demande à Pilate de disposer du corps du Christ puis recueille son sang au moyen du Graal.

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Voir Stones, Alison. « Indications écrites et modèles picturaux, guides aux peintres de manuscrits enluminés aux alentours de 1300 », Artistes, artisans et production artistique au Moyen Âge : colloque international, Centre National de la Recherche Scientifique, Université de Rennes II, Haute-Bretagne, 2-6 mai, 1983. Dir. Xavier Barral i Altet. Paris  : Picard, 1987, vol. III, p. 321-49. Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 52 et 83-84. Stones, Alison. «  La production de manuscrits littéraires aux environs de 1300  : entre Cambrai et SaintOmer, les mécènes et les liens stylistiques de leurs peintres ». La moisson des lettres : l’invention littéraire autour de 1300. Ed. Hélène Bellon-Méguelle, Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Ludivine Jaquiéry. urnhout : Brepols, 2011, p. 81-104, Fabry-Tehranchi, Irène. « Le rêve du roi Flualis », 2013, p. 85-100 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III-121, p. 531-43.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 177

Figure 87 : Bonn, ULB, 526 f. 1 (1286), livre 1, Début de l’Estoire (« Joseph de Arimathie ») -Apparition du Christ au prêtre-auteur : Ensi ke Nostre Sires soufle un hermite ou visage ki gist. -Le Christ remettant un livre à l’auteur : Comment Nostre Sires bailla un hermite un livret en sa main. -L’auteur suivant la bête merveilleuse jusqu’à l’ermite possédé : Comment une beste maine un hermite a un home de religion ki est a genous. -L’auteur copiant le livre : Ensi ke uns hermites escrit en un livre. -Crucifixion ; Joseph d’Arimathie demandant à Pilate le corps du Christ : Comment Joseph requist a Pilate le cors Nostre Signeur. -Joseph d’Arimathie recueillant le sang du Christ dans le Graal : Ensi ke Joseph mist Nostre Signeur u sepulcre et prist du sanc de ses plaies et le mist en une escuele.

178 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Cette ample série iconographique introduit donc avec soin le texte qu’elle intitule « Joseph d’Arimathie » en présentant à la fois les circonstances de la genèse de l’œuvre, où l’auteur apparaît comme un véritable protagoniste, et le début du récit lui-même. Les rubriques utilisent le nom de « Joseph » à deux reprises, alors que le Graal est mentionné une seule fois, nous le nom d’« escuele ». D’autres sections commencent par une seule miniature, placée en haut de folio pour le Merlin et en haut de colonne pour Galehaut et la Suite Vulgate, mais uniquement dans le corps du texte pour la première partie de la Queste Lancelot. L’illustration liminaire du Merlin (Bonn, ULB, 526 f. 60, livre 2, Figure 23) prolonge l’Estoire dans la mesure où la fiction se développe à partir d’un imaginaire chrétien, avec la conception surnaturelle du héros par un démon incube et par une jeune fille. À partir des Premiers Faits (Bonn, ULB, 526 f. 82, livre 3, Figure 49) l’iconographie se concentre sur des questions politiques, militaires et chevaleresques, de la réception solennelle des nouveaux alliés d’Arthur, les rois Ban et Bohort, qui vont lui prêter hommage, au départ de Lancelot et Galehaut pour le royaume de Sorelois et au combat de Lancelot et Méléagant. Deux des parties du Lancelot, ainsi que la Queste et la Mort Artu, commencent par deux miniatures situées en haut de folio. Cela permet de développer en images les péripéties évoquées au début de ces textes. Ainsi, au début du Lancelot (f. 171, Figure 88) sont illustrés le combat de Ban de Bénoïc et de Claudas puis les négociations qui s’ensuivent ainsi que la trahison du sénéchal de Trèbes. La deuxième partie de la Queste Lancelot (f. 335, Figure 91), s’ouvre sur deux miniatures déclinant les aventures d’Agravain au Tertre aux prisonniers : il découvre d’abord dans un pavillon le frère d’un chevalier tué par Druas et sa demoiselle, puis réussit à abattre Druas, mais sonne ensuite du cor magique qui va alerter Sorneham, son frère, qui le fait prisonnier. L’illustration de la Queste (f. 406, Figure 92) commence par l’arrivée de la messagère de Pellès à la cour d’Arthur : c’est elle qui mène Lancelot auprès de son fils Galaad dont l’adoubement fait l’objet de la seconde miniature. Enfin au début de la Mort Artu (f. 443v, Figure 93), deux miniatures représentent la demoiselle d’Escalot offrant sa manche à Lancelot puis les exploits de celui-ci au tournoi de Wincestre. Le recours à plusieurs illustrations permet de mieux rendre compte de l’enchaînement logique des événements au début de chaque œuvre. L’image liminaire se rapporte toujours aux premières aventures du roman qui suit. Parfois, la représentation est assez spécifique pour permettre au lecteur d’identifier une scène singulière grâce à la présence d’objets ou de personnages-clefs : c’est le cas au début de l’Estoire, mais aussi du Merlin (avec la représentation du démon, f. 60), de la deuxième partie de la quête de Lancelot (avec Agravain sonnant du cor, f. 335), de la Queste (avec l’adoubement de Galaad devant les religieuses qui l’ont accueilli, f. 406) et de



Mise en page et illustration | Chapitre 1 179

Figure 88 : Bonn, ULB, 526 f. 171, livre 4 (1286) Début du Lancelot (« Marche de Gaulle ») -Combat de Ban de Bénoïc et de Claudas -Négociations entre Ban et Claudas ; Trahison du sénéchal de Trèbes

Figure 89 : Bonn, ULB, 526 f. 259, livre 5 Début de « Galahot » Lancelot quittant la cour d’Arthur avec Galehaut

180 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 90 : Bonn, ULB, 526 f. 307, livre 6 Début de « la premiere partie de la Queste Lancelot » Combat de Lancelot et de Méléagant

Figure 91 : Bonn, ULB, 526 f. 335, livre 7 Début de « la seconde partie de la Queste Lancelot » -Agravain au Tertre aux Captifs -Agravain, vainqueur de Drias, sonnant du cor magique



Mise en page et illustration | Chapitre 1 181

Figure 92 : Bonn, ULB, 526 f. 406, livre 8 Début de la Queste (« Saint Graal ») -Arrivée à la cour d’Arthur de la messagère de Pellès -Adoubement de Galaad

Figure 93 : Bonn, ULB, 526 f. 443v, livre 9 Début de « la Mort dou roy Artu et des autres » -Demoiselle d’Escalot offrant sa manche à Lancelot -Exploits de Lancelot au tournoi de Wincestre

182 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

la Mort Artu (avec la demoiselle d’Escalot faisant don de sa manche, f. 443v). Les autres miniatures ont un caractère générique qui implique de recourir à la rubrique et à leur situation dans le texte pour les identifier. Le paratexte, les titres courants et les subdivisions en livres, jouent dans ce manuscrit un rôle essentiel, ils témoignent d’un souci d’organisation de la matière cyclique qui amène à remodeler les limites des textes, comme c’est le cas pour les Premiers Faits, qui commencent plus tard que le début traditionnel de la Suite Vulgate, ou à mettre en évidence des subdivisons au sein de la masse textuelle, comme dans le Lancelot. BNF, fr. 344265, réalisé dans le Nord Est de la France à la toute fin du XIIIe s. ne marque le début de l’Estoire, de la Suite Vulgate et de la Queste que par une initiale historiée, tandis que des miniatures compartimentées de grande taille suivies d’une initiale historiée se trouvent à l’ouverture du Merlin et du Lancelot266. La miniature qui ouvre la Mort Artu fait partie d’un ensemble de folios qui ont été perdus. L’Estoire commence assez traditionnellement par une image montrant l’apparition du Christ à l’auteur et la remise du livre sacré (f. 1, Figure 94). La représentation liminaire du Christ est aussi commune aux deux premiers textes de ce manuscrit cyclique. La fin de l’Estoire et le début du Merlin ainsi que la fin de la Suite Vulgate et le début du Lancelot sont particulièrement mis en valeur car l’illustration concerne non seulement le début du nouveau roman, mais aussi, ce qui est plus rare, la fin du texte qui précède. Ainsi l’épisode final de l’Estoire est décliné en trois étapes, au sein de deux miniatures situées à la fin du roman, au bas de fr. 344 f. 81 (Figure 95) et en haut du folio 81v (Planche II), juste avant les illustrations du début du Merlin. Les miniatures montrent le combat des deux lions, guéris par le sang miraculeux suintant de la tombe de Lancelot l’Ancien, puis dévoués à la garde de cette tombe, tandis que la tête du décapité repose dans la fontaine bouillante267. La présence d’un ermite portant un livre et présenté comme le témoin direct de ces événements rappelle les dévotions quotidiennes de Lancelot l’Ancien et la traîtrise dont il a été la victime

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Mise en page et mise en texte du livre manuscrit. Ed. Henri-Jean Martin et Jean Vezin, Paris : Promodis, 1990, p. 124-25. Dover, Carol. « Imagines Historiarum : Text and Image in the French Prose Lancelot  », Word and Image in Arthurian Literature. Dir. Keith Busby, New York  : Garland, 1996, p. 79-103. Stones, Alison. «  Seeing the Grail  », 2000, p. 301-66. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French : The Arthurian Legend in Medieval French and Occitan Literature. Ed. Glyn S. Burgess et Karen Pratt. Cardiff  : University of Wales Press, 2006, p. 62. Voir Fabry-Tehranchi, Irène et Nicolas, Catherine. L’iconographie du cycle du LancelotGraal : Paris, BnF, fr. 344. Turnhout : Brépols, Répertoire Iconographique de la Littérature du Moyen Âge, 2015. Voir Fabry-Tehranchi, Irène. «  La fontaine bouillonnante et la tombe de Lancelot l’Ancien  », Le Moyen Âge, 120 (2), 2014, p. 43-87.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 183

Figure 94 : BNF, fr. 344 f. 1 (1295’), Début de l’Estoire : Apparition du Christ au prêtre-auteur

Figure 95 : BNF, fr. 344 f. 81, Fin de l’Estoire : Les lions à la tombe de Lancelot l’Ancien

alors qu’il venait d’assister à la messe. On peut y voir une figure de l’écrivain puisque l’introduction du Merlin mentionne Robert de Boron (« Et comence messire Robers de Borron cele branche en tel maniere » fr. 344 f. 81) et que le livre que le religieux tient à la main peut faire écho à celui que l’auteur a reçu au début de l’Estoire. Au début du Merlin, une miniature formée de quatre compartiments présente la Descente du Christ aux enfers, le conseil des démons, une discussion entre un démon et la femme de Merlin l’Ancien, et la destruction des biens de ce dernier, de sa maison à ses troupeaux jusqu’à la mort de son fils qui périt étranglé par un démon (BNF, fr. 344 f. 81v, Planche II). Dans la dernière scène,

184 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

représentée dans l’initiale historiée, la femme de Merlin l’Ancien finit par se pendre. La série des calamités qui s’abattent sur la famille de Merlin l’Ancien apparaît dans l’image comme la mise en œuvre du conseil démoniaque dont l’efficacité apparente contraste avec l’affirmation initiale de la victoire rédemptrice du Christ sur la mort et l’enfer, puisque corruption, violence et désespoir semblent prendre le dessus. La récurrence d’un personnage démoniaque d’aspect et de placement similaire dans chacune des trois scènes où se manifeste l’action diabolique insiste sur l’acharnement subi par la famille de Merlin. Le sort funeste de l’ancêtre pieux de Lancelot, dont le visage apparaît à la fin de l’Estoire, contraste donc avec la figure absente de Merlin l’Ancien, dont la famille est persécutée sous les yeux du lecteur, mais qui ne connaît pas comme Job la persévérance dans l’épreuve. Dans les deux cas pourtant, une forme de Salut sera obtenue à travers l’action de leurs descendants, qui de Merlin à Galaad, rendent possible l’aboutissement de constructions romanesques en suspens. Dans fr. 344 f. 184 (Planche III), la fin de la Suite Vulgate et le début du Lancelot donnent lieu à une page frontispice encore plus impressionnante, car les miniatures se développent sur deux colonnes, dans une diagonale qui va du coin inférieur gauche au coin supérieur droit du folio. Comme l’indique le placement de la réclame du début du Lancelot, située en bas de la première miniature, cette dernière se rapporte à la fin du texte précédent. Ce développement iconographique poussé concernant la fin du récit est d’autant plus original qu’il renvoie à un texte interpolé ou du moins qui ne coïncide pas avec la version habituelle de la fin de la Suite Vulgate268. Après l’évocation d’Eliézer, le fils du roi Pellès, le texte de fr. 344 abrège l’ambassade de Loth et de ses fils auprès des rois rebelles et les combats menés en chemin contre les Saxons, passant sous silence les amours de Merlin et sa disparition, mais aussi la campagne d’Arthur contre les Romains et les aventures d’Enadain, le nain chevalier. Cette version interpolée résout d’une nouvelle façon le problème de l’écart entre la Suite Vulgate et le début du Merlin. Au lieu du paragraphe final de la Suite Vulgate, qui raccommode les deux textes par le biais d’une prolepse, c’est avant même la coalition des Bretons contre les Saxons que les rois Ban et Bohort sont appelés à rentrer chez eux pour défendre leurs royaumes. Les démêlés concomitants d’Arthur avec les Saxons expliquent et excusent son impossibilité à prêter secours à ses vassaux qui euxmêmes doivent en cette occasion le quitter pour défendre leurs possessions. La réfection de l’unité bretonne est bien plus éclatante et aboutie dans cette version du texte que dans la leçon habituelle, puisque les rois rebelles acceptent, avant la bataille de Salesbières, de prêter hommage à Arthur, 268

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Arthur et ses barons rebelles : la fin remaniée et abrégée de la Suite Vulgate du Merlin dans le manuscrit du cycle du Graal, Paris, BnF, fr. 344 », Médiévales, 67, 2014.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 185

Figure 96 : BNF, fr. 344 f. 476, Début de la Queste -La messagère de Pellès à la cour d’Arthur ? -Lancelot et la messagère de Pellès chevauchant ? -Lancelot et la messagère de Pellès à l’abbaye -Lancelot retrouvant Bohort l’Essillié et Lionel

ce qu’ils refusent autrement de faire, malgré l’intervention de Merlin. La miniature solennise le serment prêté à Arthur par les barons rebelles tout en introduisant le déplacement qui s’effectue, entre la Suite Vulgate et le début du Lancelot, de la Grande-Bretagne au continent, en montrant la traversée de la Manche et le retour de Ban et Bohort dans leur pays. La question politique de la souveraineté et de sa mise en œuvre militaire relie ainsi les miniatures situées au début et à la fin de la Suite Vulgate, où Arthur est représenté, portant le sceptre et la couronne, au milieu de sa cour. La miniature qui ouvre le Lancelot (f. 184, Planche III), évoque quant à elle le conflit qui oppose les rois Bans et Claudas, la trahison du sénéchal et le siège de Trèbes. Prolongée par une initiale historiée montrant l’assaut mené contre la forteresse, elle forme un contraste important avec les scènes plus apaisées représentées à la fin du texte précédent. Si du côté arthurien se consolide l’alliance du roi et de ses barons, qui permet la victoire des Chrétiens sur les Saxons et assure la paix dans le royaume breton, le désordre politique et militaire affecte le continent. L’initiale historiée du début de la Queste (f. 476, Figure 96), partiellement défectueuse en l’état actuel, mais composée à l’origine de quatre compartiments, était de taille supérieure à celle qui ouvre les autres textes, et ne se plaçait pas en haut de folio mais à la suite du Lancelot qui reste inachevé de quelques lignes en bas du folio 475v. Dans la partie conservée, on peut voir l’arrivée de Lancelot et de la messagère du roi Pellès à l’abbaye où est gardé

186 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Galaad, ainsi que les retrouvailles entre Lancelot et ses cousins, Bohort et Lionel qui séjournent en cet endroit. Le début du texte est donc assez minutieusement illustré, et l’image insiste sur la réunion de personnages auparavant dispersés. La présence des religieuses dans leur abbaye peut évoquer la figure du prêtre endormi au début de l’Estoire ou assis dans son ermitage à la fin du même texte. Si BNF, fr.  344 comprend des configurations iconographiques observables dans d’autres manuscrits, il se singularise donc par l’attention iconographique portée, à la charnière des textes, à la fin d’une œuvre autant qu’au début de celle qui suit. Il témoigne d’une lecture particulièrement attentive de certains passages, comme l’indique le traitement illustratif exceptionnel réservé à la fin de la Suite Vulgate. La mise en valeur du début du Merlin et du Lancelot permet d’insister par effet de symétrie inversée sur des éléments narratifs qui se répondent, du miracle de la tombe de Lancelot l’Ancien à la persécution diabolique de la famille de Merlin l’Ancien, et des alliances nouées par le roi Arthur aux difficultés de ses vassaux Ban et Bohort. Dans BNF, fr. 110269, réalisé à la toute fin du XIIIe siècle dans le diocèse de Thérouanne ou Cambrai, le début de l’Estoire est incomplet tandis que ceux du Lancelot et de la Queste sont les plus mis en valeur dans la présentation, avec respectivement trois et deux miniatures en haut de folio. Le début du Merlin (fr. 110 f. 45v, Figure 6) et de la Suite Vulgate (fr. 110 f. 67, Figure 37) sont à peine distingués par le recours à une miniature, car ils s’inscrivent à la suite du texte qui précède, alors que la miniature qui ouvre la Mort Artu est située au début d’un nouveau folio. Tandis que le Merlin commence par la Descente aux enfers, la Suite Vulgate s’ouvre sur le couronnement d’Arthur. Les trois miniatures du début du Lancelot (f. 164, Figure 97) montrent la prise de Bénoïc, puis le roi Ban quittant Trèbes avec sa femme Elaine et son fils Lancelot, et dans la dernière, Ban quittant Elaine et l’enlèvement de Lancelot par la Dame du Lac. Ces illustrations insistent sur la relation entre les troubles politiques et militaires qui affectent les royaumes de Gaunes et de Bénoïc et des soucis de type dynastique. Le vieux roi Ban se trouve ainsi dans l’impossibilité de défendre son royaume sans l’appui de son suzerain et dans le sillage de sa mort, précipitée par la trahison dont il est la victime, il laisse une veuve et un orphelin. À l’issue de cette série iconographique liminaire, la représentation de Viviane, qui se saisit de Lancelot avant de disparaître dans les flots, fait du merveilleux un élément de résolution de cette crise initiale. 269

Stones, Alison. «  Arthurian Art since Loomis  », 1991, p. 21-78. Stones, Alison. « Indications écrites et modèles picturaux », 1987, vol. III, p. 321-49 et Fabry-Tehranchi, Irène. «  L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux Enfers », 2010, p. 225-58.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 187

Figure 97 : BNF, fr. 110 f. 164 (1295’), Début du Lancelot -Prise de Bénoïc -Ban de Bénoïc quittant Trèbes avec sa famille -Ban de Bénoïc quittant Hélène ; Lancelot enlevé par la Dame du Lac

Les merveilles et aventures qui interviennent à la cour arthurienne sont ensuite bien représentées, puisque les deux miniatures du début de la Queste (f. 405, Figure 98) montrent l’arrivée de Galaad à la cour puis sa réussite à l’épreuve du perron et celle qui ouvre la Mort Artu (f. 441, Figure 99), le retour de Bohort. Les personnages d’Arthur, Lancelot puis Galaad font donc l’objet d’une attention particulière dans l’iconographie liminaire des œuvres de ce manuscrit cyclique. Dans Londres, British Library, Additional 10292-94270, réalisé dans le diocèse de Saint-Omer, Tournai ou Gand et daté de 1316, le Merlin suit l’Estoire, simplement précédé par une miniature, mais rien n’indique le passage à la Suite Vulgate là où il est habituellement marqué. L’Estoire

270

Sur ce manuscrit, voir Stones, Alison. « Indications écrites et modèles picturaux », 1987, vol. III, p. 321-49. Hoffman, Donald L. « Seeing the Seer : Images of Merlin in the Middle Ages and beyond », Word and Image in Arthurian Literature. Ed. Keith Busby, New York : Garland, 1996, p. 105-50. Meuwese, Martine. « Three Illustrated Prose Lancelots from the same atelier », Text and Image : Studies in the French Illustrated Book from the Middle Ages to the Present Day, Bulletin of the John Rylands University Library of Manchester, 81 (3), 1999, p. 97-125. Kennedy, Elspeth. « The Relationship between Text and Image in three Manuscripts of the Estoire del Saint Graal (Lancelot-Grail Cycle) », Arthurian Studies in Honour of P. J. C. Field. Ed. Bonnie Wheeler, Cambridge : Brewer, 2004. Middleton, Roger. « The Manuscripts », The Arthur of the French, 2006, p. 45. Stones, Alison. « La production de manuscrits littéraires aux environs de 1300 : entre Cambrai et Saint-Omer ». La moisson des lettres, 2011, p. 81-104 et Fabry-Tehranchi, Irène. « Le rêve du roi Flualis ». 2013, p. 85-100.

188 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 98 : BNF, fr. 110 f. 405, Début de la Queste Ensi com li rois Artus tient grant cort et un hermites entre en la sale et amaine Galaad par le main monté sor un blanc ceval armé d’unes armes vermeilles sans escu et sans espee. Arrivée de Galaad à la cour d’Arthur

Figure 99 : BNF, fr. 110 f. 441, Début de la Mort Artu Ensi com Bohors vint a cort a cheval et trova le roi Artu et Lancelot qui grant joie li firent. Retour de Bohort à Camelot



Mise en page et illustration | Chapitre 1 189

Figure 100 : BL, Add. 10292 f. 1 (1316), Début de l’Estoire -Le prêtre-auteur en prière devant un autel -Apparition du Christ au prêtre-auteur

commence par une miniature de la largeur de deux colonnes  (f. 1, Figure 100). L’auteur est agenouillé en prière devant un autel où repose le livre qui lui a été transmis par Dieu, comme l’indique la main sortant de la nuée dans le coin ­supérieur gauche de l’image. Dans la deuxième partie de la miniature, c’est le Christ lui-même qui apparaît, tenant ce livre, au prêtre-auteur de l’Estoire. L’origine divine du livre est ainsi doublement établie, conférant une autorité sacrée à la fiction de l’histoire du Graal. La miniature qui ouvre le Merlin (f. 76, Figure 16) est elle-aussi bipartite, bien que sa largeur soit d’une seule colonne. La présence du Christ rédempteur fait écho à son apparition au début de l’Estoire, même si dans la deuxième œuvre elle entre en tension avec la représentation des démons. Le début des autres textes du cycle s’inscrit plus nettement dans un cadre profane et courtois, avec l’apparition systématique de figures royales, Ban et Bohort, tenant chacun un sceptre, au début du Lancelot (BL, Add. 10293 f.  1, Figure 101), Arthur et sa cour au début de la Queste et de la Mort Artu, attablés, lorsqu’à la Pentecôte une demoiselle vient trouver Lancelot pour lui demander d’adouber Galaad (BL, Add. 10294 f. 1, Figure 102), et assis les uns à côté des autres, lorsque le roi écoute ses chevaliers faire le récit de leurs aventures (BL, Add. 10294 f. 53, Figure 103). Le début du Merlin et

190 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 101 : BL, Add. 10293 f. 1 (artiste 1), Début du Lancelot Discussion de Ban et Bohort

de la Mort Artu sont moins mis en valeur que les autres romans du cycle, car ils commencent certes par une miniature, mais en cours de page, et aucune bordure n’orne le folio initial du dernier texte. Ces miniatures initiales sont le plus souvent situées en haut de pages ornées de bordures et de figures grotesques marginales incluant notamment des musiciens ou des monstres jouant en regard de la miniature, avec un orgue portatif au début du Lancelot ou de l’Estoire, des cloches et une trompette au début de l’Estoire, de la cornemuse et de la vièle au début de la Queste et du Lancelot, ou bien du cor. Ces personnages renvoient aux conditions historiques de performance des oeuvres médiévales ainsi qu’aux divertissements musicaux des cours dépeintes dans les textes. Les autres scènes marginales, courtoises ou scatologiques, mettant en scène des hommes ou des créatures hybrides et monstrueuses représentent acrobaties et chasses diverses, reflétant parfois sur un mode décalé des préoccupations ou des situations liées à l’intrigue principale. Parmi les drôleries marginales du début de l’Estoire (BL Add. 10292, f.  1), la présence de cloches actionnées par un personnage marginal et les multiples représentations de divers musiciens rappellent sur un mode grotesque les louanges divines des chœurs angéliques qu’entend le narrateur 



Mise en page et illustration | Chapitre 1 191

Figure 102 : BL, Add. 10294 f. 1 (artiste 1), Début de la Queste Arrivée de la messagère du roi Pellès à la cour d’Arthur

Figure 103 : BL, Add. 10294 f. 53 (artiste 1), Début de la Mort Artu Ensi que li roy Artu enquiert a mon signeur Gavain queus chevaliers il avoit ochis en l’enqueste. Arthur interrogeant Gauvain

192 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

(« Et sonnoient aprés unes champeneles ; et puis quant eles laissierent a sonner, si reconmençoient leur chant », Pl. I, 9). Par contraste avec cette merveilleuse ordonnance, la réunion apparemment aléatoire sur la page frontispice de joueurs de vièle, de cornemuse, de trompette, et d’orgue portatif, chacun absorbé dans sa propre occupation, suggère plutôt une atmosphère de cacophonie que l’harmonie d’un concert céleste. Au début du Lancelot (BL, Add. 10293 f. 1, Figure 101), comme pour amplifier la scène représentée dans la miniature où discutent Ban et Bohort, les marges mettent spécifiquement en scène des figures de rois et de chevaliers dont les activités se déclinent sous différentes formes : un roi participe à une chasse au terme de laquelle un chien attrape un lièvre, tandis qu’au registre inférieur un vilain empale un sanglier également visé par un singe-archer. Un autre roi, peutêtre David, apparaît muni d’un lance-pierre ; un chevalier s’apprête à frapper un dragon, et enfin trois personnages, un roi et deux chevaliers, figurent dans une colonne architecturale représentée sur le côté droit de la page, l’animation du dernier contrastant avec la relative immobilité des deux autres. Le couple formé dans le coin inférieur droit de l’image par une religieuse donnant le sein à un moine évoque un autre type de transgression sexuelle et sociale que l’on retrouve dans les marges du début de la Queste où un moine copule avec une religieuse, sous le regard surpris de deux de ses consœurs (Add. 10294 f. 1, Figure 102). Le folio liminaire de la Queste comprend ainsi de nombreuses images d’un monde à l’envers. Dans la partie supérieure de la page, la relation amoureuse est dépeinte sous les couleurs d’un affrontement chevaleresque : une jeune femme défait ainsi un galant jeune homme dans un combat à la lance. Du côté droit du folio, un roi, tournant le dos au spectateur, défèque sur un joueur de cornemuse, tandis que dans le registre inférieur, un personnage hybride habillé en évêque semble bénir un mendiant aveugle conduit par un chien et portant un enfant dans une hotte qui s’approche d’une femme occupée à baratter. Le fait que la Suite Vulgate et la Mort Artu ne commencent pas par un folio frontispice renforce l’intégration du Merlin et de sa suite et tend à placer la Mort Artu dans le prolongement de la Queste, bien que les formules de clôture et d’ouverture de chaque texte soient bien conservées. Arsenal, 3479-80 et son manuscrit jumeau, BNF, fr. 117-120, qui datent des premières années du XVe siècle271, se caractérisent par la présence d’une 271

Voir Meiss, Millard. French Painting in the Time of Jean de Berry. The Late Fourteenth Century and the Patronage of the Duke. Londres : Phaidon ; New York : F. A. Praeger, 1967, vol. 1, 312, 373-74, 380 et 415, Blackman, Susan. « A Pictorial Synopsis of Arthurian Episodes for Jacques d’Armagnac, Duke of Nemours  », Word and Image in Arthurian Literature. Ed. Keith Busby, New York  : Garland, 1996, p. 3-57, Rollet, Nathalie. L’iconographie du Lancelot en prose à la fin du Moyen Âge, 1998, Blondeau, Chrystèle. « Du plaisir des sens à la passion du sens : l’illustration d’un cycle du Lancelot-Graal et ses remaniements », 2001, p. 99-114 et Jeannot, Delphine. Le mécénat bibliophilique de Jean sans Peur et de Marguerite de Bavière (1404-1424). Turnhout : Brepols, 2012, p. 95-96.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 193

grande miniature initiale frontispice compartimentée, qui ouvre l’Estoire et retrace l’histoire de Lancelot, accompagnée d’un encadrement de feuillage et d’insignes héraldiques272. Dans ces deux compilations, l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate ne comptent au total que trois miniatures, placées au début de chaque texte, malgré un petit décalage pour la suite. La miniature initiale de la Suite Vulgate, du Lancelot et de la Queste, se situe en début de folio et en haut de colonne, mais ce n’est pas le cas du Merlin. Dans Arsenal, 3480, le Lancelot, comme la Queste et dans une moindre mesure la Mort Artu, fait l’objet d’un programme illustratif ne se résumant pas à la miniature initiale. Paradoxalement, cela réduit l’impact de cette dernière, puisque rien, si ce n’est son placement en début de folio, ne la distingue formellement des autres. En fait la Queste comprend même à la page 495 une miniature placée en haut de folio et de la largeur de deux colonnes, que son format semble placer hiérarchiquement au-dessus de la miniature liminaire  : elle montre notamment Galaad retirant l’épée du perron. Comme dans BL, Add. 10294, le début de la Mort Artu dans Ars. 3480 n’est marqué par aucune miniature, ce qui manifeste une tendance à amalgamer les deux derniers textes du cycle. L’iconographie de ces folios liminaires est traversée par une tension entre représentations religieuses et profanes. Tandis que dans BL, Add. 10292-94, la progression des miniatures frontispices correspond à un glissement du sacré au profane, Arsenal, 3479-80 et fr. 117-120 se distinguent par des effets de contrepoint. Contrairement à la tradition iconographique dominante, l’illustration liminaire de ces manuscrits ne représente pas l’origine miraculeuse du texte, mais la miniature frontispice se focalise sur l’histoire de Lancelot, anticipant ainsi ce qui semble être considéré comme le cœur de la compilation. Les vignettes du registre supérieur montrent les enfances de Lancelot, depuis sa naissance jusqu’à son éducation par la Dame du Lac, tandis que les images du registre inférieur se concentrent sur sa vie chevaleresque. Dans Arsenal, 3479 p. 1 (Figure 105), l’accouchement de la reine Elaine est représenté sous le signe de la clôture, puisqu’un grand rideau rouge masque la partie centrale du lit et crée une séparation symbolique entre la mère et l’enfant que tient une suivante à la droite de l’image. Ce peut annoncer l’enlèvement de Lancelot par la Dame du Lac. Dans fr. 117 f. 1 (Figure 104), la reine est bien en vue au centre de l’image, même si son enfant est confié à une nourrice. Dans le coin inférieur droit de la vignette, d’élégantes dames de la cour semblent tenir une conversation animée. Dans Arsenal, 3479, la représentation de l’éducation de Lancelot insiste sur l’idée d’isolement : la rivière entourant le domaine de

272

La marge supérieure de Fr. 117 f. 1 comporte les armes du duc Jean de Berry (1340-1416), tandis que la marge inférieure présente l’écu d’Eléonore de Bourbon (1412-64), comtesse de la Marche, de Castres et duchesse de Nemours, épouse de Bernard d’Armagnac (ses armes comprennent la grille de Bernard VII d’Armagnac et de Bonne de Berry), tandis que dans Ars., 3479 f. 1 apparaît l’écu de la famille de Croÿ-Chimay, entouré de la chaîne de la Toison d’Or.

194 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 104 : BNF, fr. 117 f. 1, Début de l’Estoire -Naissance de Lancelot -Dame du Lac élevant Lancelot -Adoubement de Lancelot -Lancelot à la chapelle du Graal C’est le livre de messire Lancelot du Lac, ouquel livre sont contenus tous les fais et les chevaleries du dit messire Lancelot et la Queste du Saint Graal faite par le dit messire Lancelot, le roy Artus, Galaot le Bon Chevalier et les compaignon de la Table Reonde.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 195

la Dame du Lac, qui porte une couronne de reine, marque les limites de son royaume enchanté. Dans fr. 117, les personnages qui s’occupent du prince, plus nombreux, sont tous sont placés à l’extérieur de l’enceinte. Dans Arsenal, 3479 p. 1 (Figure 105), Lancelot est adoubé par le roi Arthur sous les yeux de la reine, tandis qu’au second plan, un tournoi symbolique représente la condition des chevaliers. Dans fr. 117 f. 1(Figure 104), cet adoubement prend une place plus marginale, car il est déporté vers la droite et mis au second plan. Arthur semble donner à Lancelot une épée, ce qui contredit le texte où avec le départ soudain du jeune homme, c’est la reine qui sera amenée à lui remettre une épée. La dernière scène de ces miniatures frontispices annonce l’échec de Lancelot, qui en raison de son amour adultère pour Guenièvre est indigne de saisir les mystères du Graal. Assoupi, Lancelot sans mouvement devant la procession du Graal. Dans fr. 117, l’héraldique permet l’identification du chevalier aux armes d’argent aux trois bandes de gueules qui ne parvient pas à s’élever au rang de la chevalerie célestielle. Ces images soulignent l’ambiguïté du héros qui malgré sa prouesse exceptionnelle n’est pas à la hauteur des exigences spirituelles de la quête du Graal. Alors que l’ouverture d'Ars. 3479 et fr. 117 sur la figure de Lancelot projette le lecteur au cœur du monde arthurien, l’illustration liminaire des autres romans de la compilation permet d’entrelacer aventures chevaleresques et références à l’histoire sainte. Ces dernières sont très localisées  : dans ces compilations, seule l’intrigue de la Queste repose entièrement et explicitement sur l’interprétation allégorique et religieuse des événements narrés. Néanmoins, l’illustration insiste de façon très systématique sur le fondement sacré de ces textes de fiction ou du moins sur l’effort pour leur conférer une autorité inspirée de la parole biblique. Le début de chaque œuvre est propice à la mise en place de ces fondements théoriques et théologiques. Dans Arsenal, 3479 p. 109 (Figure 10) et fr. 117 f. 50v (Figure 11), la Descente du Christ aux enfers, qui ouvre le Merlin, fait écho à la Crucifixion, placée au début d’une interpolation du Perlesvaus (Arsenal, 3480 p. 483, Figure 108 et fr. 120 f. 522v, Figure 109). L’illustration d’Arsenal, 3479 insiste sur l’arrivée victorieuse du Christ aux enfers : laissant les démons à leurs disputes, il délivre les prisonniers de l’enfer, tenant une croix vermeille servant de hampe à un étendard. Cet objet ne figure pas dans fr. 117 où la posture du Christ évoque davantage l’idée de compassion et de miséricorde. L’image de la Crucifixion relève, comme celle de la Descente aux enfers, d’un répertoire familier d’images religieuses. En écho à l’Estoire del Saint Graal, on voit Joseph d’Arimathie recueillant dans une coupe le sang qui jaillit du côté du Christ. La posture de saint Jean varie sensiblement d’un manuscrit à l’autre : dans Arsenal, 3480 p. 483, tournant le dos au spectateur, mais la tête de profil, il masque sa douleur en prenant son visage dans sa main (Figure 106),

196 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 105 : Arsenal, 3479 p. 1, Début de l’Estoire -Naissance de Lancelot -Dame du Lac élevant Lancelot -Adoubement de Lancelot -Lancelot à la chapelle du Graal C’est le livre de messire Lancelot du Lac, ouquel livre sont contenus tous les fais et chevaleries dudit messire Lancelot et la Queste du Saint Graal faite par ledit messire Lancelot, le roy Artus, Galaad, le bon chevalier Tristan, Perceval, Palamedes et les autres compaignons de la Table Ronde.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 197

tandis que dans fr. 120 f. 520 (Figure 107), il se détourne ostensiblement du spectacle de la Crucifixion, une main sur la poitrine, et l’autre sur le livre qu’il porte comme attribut. Dans Arsenal, 3480 et fr. 120, il existe un double effet de seuil entre le Lancelot et la Queste, avec l’ajout d’un passage du Perlesvaus. Le début de l’interpolation est davantage mis en valeur, car il commence par une image située en début de folio et comporte un encadrement total du folio manuscrit, décoré d’insignes héraldiques. Ces marques sont absentes au début de la Queste qu’à l’instar du Merlin, rien ne distingue des autres illustrations. Dans fr. 120 f. 522v (Figure 109) Galaad y est adoubé par son père Lancelot. Au début de la Suite Vulgate, dans Arsenal, 3479 et fr. 117, l’illustration du miracle de l’enclume souligne l’élection divine d’Arthur. Dans Arsenal, 3479 p. 155, la représentation de l’église du côté droit de l’image suggère une cohérence entre pouvoir terrestre et investiture céleste tout en rappelant au nouveau roi ses obligations à l’égard de la religion (Figure 30). Dans fr. 117 f. 72, l’image, qui rappelle dans l’illustration frontispice l’adoubement de Lancelot, montre Arthur retirant l’épée à l’écart d’un tournoi sanglant et animé (Figure  32). La solitude du héros, placé entre le perron et l’église, contraste avec la mêlée chevaleresque qui occupe la plus grande partie de l’image. Au début du Lancelot, la représentation de Ban, Bohort, de leurs femmes et de Lancelot (Arsenal, 3479 p. 339, Figure 110 et BNF, fr.  118 f.  155, Figure 111) reflète un modèle de stabilité politique et d’harmonie familiale que remet en question la guerre menée par Claudas et qui contraste avec l’image initiale de la compilation où Lancelot est éduqué par la Dame du Lac. L’illustration de fr. 118, qui porte les armes du duc de Berry, est plus exhaustive et pittoresque que celle d’Arsenal, 3479 car les jeunes cousins de Lancelot, Lionel et Bohort, ainsi qu’une nourrice, sont également représentés. Dans la mesure où l’illustration des événements narratifs qui marquent le début de l’œuvre est transférée dans la miniature frontispice du manuscrit, le début du Lancelot propre est relativement sobre, mais il contribue à souligner la logique de la transition entre la Suite Vulgate et le Lancelot.

Le cycle du Graal associé à d’autres texes  BNF, fr. 95 et New Haven, Yale, Beinecke 229 : le cycle du Graal et la compilation d’œuvres de fiction à caractère moral et religieux BNF, fr. 95 est un manuscrit originaire de Thérouanne réalisé à la fin du XIIIe siècle comprenant l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate, ainsi que les Sept Sages de Rome et la Pénitence Adam. Il forme un tout avec New Haven, Beinecke, 229 qui contient la partie Agravain du Lancelot, la Queste et la

198 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 106 : Arsenal, 3480 p. 483 (1405), Début du Perlesvaus Crucifixion

Figure 108 : Arsenal, 3480 p. 490, Début de la Queste Arrivée de la messagère du roi Pellès à la cour d’Arthur

Figure 107 : BNF, fr. 120 f. 520 (1405), Début du Perlesvaus Crucifixion

Figure 109 : BNF, fr. 120 f. 522v, Début de la Queste  Adoubement de Galaad

Mort Artu273. Fr. 95 concilie histoire sainte et fiction dans une perspective d’édification. L’Estoire commence par une initiale historiée, un type d’enluminure minoritaire dans ce manuscrit, ce qui par contraste met en relief le 273

Voir Stones, Alison. «  The Illustrations of BN, fr. 95 and Yale 229  », 1996, p. 203-83. Chase, Carol. « Christ, the Hermit and the Book », 2005, p. 125-47, Fabry-Tehranchi, Irène. «  Le rêve du roi Flualis  », 2013, p. 85-100 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III-124, p. 550-75.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 199

Figure 110 : Arsenal, 3479 p. 339, Début du Lancelot Portrait de Ban de Benoïc, Bohort Gaunes et leurs familles

Figure 111 : BNF, fr. 118 f. 155, Début du Lancelot Portrait de Ban de Benoïc, Bohort Gaunes et leurs familles

début de l’œuvre (fr. 95, f. 1, Figure 112). La Trinité est représentée de façon verticale sous la forme du Trône de grâce274. Ce type de composition propre à l’art occidental, qui remonte à la fin du XIe siècle, semble résulter de la superposition de deux images souvent placées en regard l’une de l’autre dans les missels, la Crucifixion et la Majesté du Seigneur, tandis que l’addition de la colombe permet de constituer une Trinité275. Ainsi sont progressivement dissociées la figure du Père (barbu) et celle du Fils (imberbe). Le manuscrit contient de nombreuses figures grotesques marginales autour de la bordure située dans la marge supérieure ou inférieure du texte276. La miniature initiale est mise en valeur par la présence de quatre anges placés aux quatre coins de l’image : sur ce folio, ils interagissent nettement avec la scène principale, jouant de la musique à la louange de la Trinité, même s’ils sont placés en marge du cadre de la miniature. À l’intérieur de l’initiale historiée, deux 274 275

276

Réau, Louis. « La Trinité », Iconographie de l’art chrétien, 1955-1959, t. II, 1, p. 14-29. Boespflug, François. « Visages de Dieu », Le Moyen Âge en lumière. Dir. Jacques Delarun. Paris : Fayard, 2002, p. 308-13. Dans ce manuscrit, les representations marginales sont souvent en lien étroit avec le sujet du texte. Voir Randall, Lilian. Images in the Margins of Gothic Manuscripts. Berkeley  : University of California Press, 1966 et Moore Hunt, Elizabeth. Illuminating the Borders of Northern French and Flemish Manuscripts, 1270-1310. New York ; Londres : Routledge, 2007, p. 79-110. À la fin du XIVe siècle, les sujets marginaux de BNF, fr. 95, qui appartenait alors aux ducs de Milan, ont été directement copiés dans les Heures de Savoie actuellement conservées à Chambéry. Ritz-Guilbert, Anne. Des drôleries gothiques au bestiaire de Pisanello : le bréviaire de Marie de Savoie. Paris : CTHS, INHA, 2010, p. 199-202.

200 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 112 : BNF, fr. 95 f. 1 (1290’), Début de l’Estoire : Trône de Grâce

anges contribuent à la célébration de la gloire divine, puisqu’ils encensent la Trinité. L’architecture gothique majestueuse où s’inscrit la scène participe de sa solennité. Cette représentation soignée du Trône de grâce soutient en images le message religieux que promeut l’Estoire qui s’efforce de persuader le lecteur de croire au mystère de la Trinité en relatant l’expérience du narrateur et son parcours dans les sphères célestes : Lors [l’ange] me prist et si me mena encotre en un autre estage qui estoit a .C. doubles plus clers que voirres et estoit plus coulourés que nus cuers ne porroit penser. Et illuecques me moustra il la force de la Trinité apertement. Car je vi deviseement le Pere et le Fil et le Saint Esperit, et si vi conment ces .III. personnes repairoient a une deïté et a une poissance... (Pl. I, 11).

La référence à la musique céleste fait écho à l’extase mystique au cours de laquelle l’auteur entend les chœurs angéliques chantant la louange céleste : Et sonnoient aprés unes champeneles et puis quant eles laissierent a sonner si reconmençoient lor chant. Les vois chantoient en ceste maniere bien .VII. fois. À l’uitisme chant si rompirent, si qu’il me fu avis que toutes les eles des oisiaus volans aloient par devant moi... (Pl. I, 9).

Le Trône de grâce constitue un motif iconographique répandu qui pouvait faire partie du répertoire de l’artiste chargé de l’illustration, mais son



Mise en page et illustration | Chapitre 1 201

insertion au début de l’Estoire, qui insiste sur le mystère de la Trinité, montre la convergence idéologique des pratiques picturales pour des œuvres à la fois religieuses et littéraires277. La miniature compartimentée qui ouvre le Merlin (fr. 95 f. 113v, Figure 19) ne fait pas l’objet d’une mise en page spécifique : elle est placée dans le texte à la suite de l’Estoire et insiste sur l’action diabolique en deux temps, avec le conseil des démons et la conception de Merlin. L’effet de seuil est cependant marqué par le texte : Explicit li comencement de l’estoire del Saint Graal et chi aprés vient l’estoire de Merlin. Dieux nos maint tous a boine fin (f. 113v).

On assiste alors à un glissement significatif, d’une image religieuse traditionnelle renvoyant à un article de foi, à une scène incorporant des figures démoniaques dans le cadre d’une intrigue fictionnelle. Dans fr. 95, le passage du Merlin à sa continuation ne fait pas l’objet d’une mise en page particulière et n’est pas illustré, même si la fin du premier texte est marquée par une série de miniatures relatives au miracle de l’épée du perron. La première miniature de la Suite Vulgate se rapporte à la guerre d’Arthur contre les barons rebelles et fait apparaître l’étendard merveilleux au dragon, mais elle ne se distingue pas des autres images et se situe dans le corps du texte. Le début de la Suite Vulgate se fond donc dans un flot narratif qui ne marque pas le passage du Merlin propre à sa continuation. Fr. 95 se distingue par l’adjonction du Roman des sept sages de Rome et de la Pénitence Adam au binôme formé par l’Estoire d’une part et le Merlin et la Suite Vulgate d’autre part. Le commencement du Roman des sept sages, un texte qui connaît un grand succès à l’époque médiévale278, copié sur un nouveau cahier et directement suivi de la Pénitence Adam, est mis en valeur par une miniature frontispice placée au début d’un nouveau folio (f. 355, Figure 113). Les textes arthuriens et ceux qui suivent ne forment pas un tout codicologique, mais ils ont sans doute été réalisés pour le même bibliophile et été reliés ensemble avant leur arrivée dans la bibliothèque des ducs de Milan à Pavie279. La construction architecturale qui surplombe la première scène des Sept sages rappelle celle de la première miniature de l’Estoire. L’empereur Dioclétien fait face à son fils et aux

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La représentation de la Trinité remplace exceptionnellement la figuration du Christ en Majesté au début du canon de la messe dans un missel originaire de Cambrai (Cambrai, BM, 234). Stones, Alison. « Seeing the Grail », 2000, p. 306. Les Sept Sages de Rome : An On-Line Edition of French Version A from All Manuscripts. Ed. Hans R. Runte, 2006, http ://myweb.dal.ca/hrunte/FrenchA.html (01/08/2013). Stones, Alison. «  The Illustrations of BN, fr. 95 and Yale 229  », p.  231-32 et Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, III-124, p. 573.

202 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 113 : BNF, fr. 95 f. 355 Début du Roman des sept sages de Rome Dioclétien confiant Fiseus aux sept sages

sages qui prennent la défense de ce dernier, mais l’impératrice qui accuse son beau-fils n’est pas représentée. L’ancrage du texte dans un contexte princier et courtois s’inscrit dans la continuité du Merlin et de sa suite, en dépit du déplacement géographique de la Grande-Bretagne à la cité de Rome. Celle-ci est déjà évoquée à plusieurs reprises au sein de la Suite Vulgate. La question du conseil et de l’enseignement procuré par des récits de type fictionnels fait écho aux anecdotes moralisantes insérées dans la trame narrative de l’Estoire ainsi que du Merlin et de sa suite. On y retrouve notamment la figure d’Hippocrate, dont les mésaventures amoureuses sont retracées dans l’Estoire et représentées dans fr. 95 f. 66v. Hippocrate se fait berner par une dame de Gaule qui l'expose dans un panier aux murailles de Rome et il meurt empoisonné par sa propre femme. Lui-même reconnaît : « Voirement ne se puet nus garder d'engien de feme » (Pl. I, 365), ce dont on trouve un écho dans son épitaphe : « Ci gist Hypocras li souvrains maistres des philosophien et des fusisiens, qui par l'enging de sa feme fu mors » (Pl. I, 341). La Suite Vulgate, offre également un portrait assez misogyne de l’impératrice romaine lors de l’histoire



Mise en page et illustration | Chapitre 1 203

Figure 114 : BNF, fr. 95 f. 380 Début de la Pénitence Adam -Le moine Andrius traduisant la Pénitence Adam -Travaux d’Adam et Eve

de Grisandole. L’illustration du Roman des sept sages se limite pourtant à cette miniature frontispice, ce qui tend à distinguer cette œuvre de celles qui la précèdent dans la compilation. À la fin du XIIIe siècle, dans plusieurs manuscrits du Roman des sept sages, l’illustration se réduit ainsi à une miniature frontispice, même si des ouvrages contemporains comme Montpellier, BM, 109 et BNF, fr. 19166 lui consacrent un programme iconographique plus développé. Le début de la Pénitence Adam est aussi marqué par l’emploi d’une miniature, même s’il se place immédiatement à la suite du Roman des sept sages, après la formule de clôture : « Et Diex nous gart tous par sa merchi, amen, amen  » (fr. 95, f.  380, Figure 114). La représentation liminaire d’Andrius traduisant le texte latin correspond aux premières lignes de la Pénitence Adam et contribue à créer un effet de seuil. Dans le registre inférieur de l’image, qui reprend une bipartition adoptée dans la plupart des miniatures de l’Estoire et du Merlin, apparaissent Adam et Eve dotés de leurs attributs respectifs, la pelle et le fuseau. La Pénitence Adam entretient une relation particulière avec l’Estoire (et la Queste) dans la mesure où il

204 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

s’agit d’une élaboration mythologique et littéraire sur le récit de la Genèse et l’histoire d’Adam et Eve280. Elle reprend et élabore la légende de l’arbre de Vie avec quelques variations par rapport à la version qu’en proposent les textes du cycle du Graal. Dans la Pénitence Adam, les rejetons de l’arbre de Vie sont issus de graines confiées par un ange à Seth, le troisième fils d’Adam et Eve, plutôt que d’un rameau cueilli par Eve lors de l’expulsion du Paradis. Alors que dans l’Estoire, la nef de Salomon contenant les fuseaux des descendants de l’arbre de Vie sert de relais entre l’histoire d’Adam et Eve et celle des protagonistes de l’histoire du Graal, dans la Pénitence Adam, l’histoire de l’arbre de Vie met en relation les épisodes bibliques fondateurs du Buisson Ardent, de la construction de l’Arche d’Alliance et du temple de Jérusalem et de la Crucifixion, constituant le mythe d’origine de la Sainte Croix. L’intégration de ce texte à la fin d’une compilation commençant par l’Estoire renforce donc la cohérence du recueil tout en soulignant la fécondité du texte biblique comme matière fictionnelle. La coexistence de versions parfois discordantes de la même légende ne semble pas poser de problème au compilateur, mais au contraire renforce et étaye les éléments mis en place dans l’Estoire. La fascination archéologique qu’exercent des objets mythiques à valeur de relique comme le Graal ou les fragments de la Sainte Croix renvoie à une conception chrétienne du temps qui permet de relier le passé biblique et le présent dans la perspective de l’histoire du Salut. Au centre du recueil, l’histoire de Merlin et les contes du Roman des sept sages jouent sur la double scène arthurienne et romaine, témoignant des possibilités d’utilisation didactique d’une matière tendue entre histoire et fiction. Le Lancelot de New Haven, Beinecke, 229 commence, comme l’Estoire de fr. 95, par une initiale historiée, mais celle-ci est formée de deux registres comprenant l’arrivée d’Agravain près d’un pavillon magnifique où une demoiselle et un chevalier sont en deuil (f. 1, Figure 115). Le frère du chevalier vient d’être tué par Drias le Félon qui attaque tous ceux qui se rendent au « Tertres as Caitis », la Montagne aux Misérables (Pl. III, 5-8). Agravain promet de venger la mort de celui qu’ils déplorent et revient dans le registre inférieur avec la tête du chevalier qu’il vient de vaincre. Dans la marge supérieure sont représentées deux scènes de chasse  : un vilain sonnant du cor lors d’une chasse au cerf et un archer

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The Penitence of Adam. A Study of the Andrius MS, BNF fr. 95. Ed. et trad. Esther C. Quinn et Micheline Dufau. Lafayette : University of Mississippi, Romance Monographs, 36, 1980.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 205

Figure 115 : New Haven, Beinecke, 229 f. 1, Début du Lancelot (Agravain) -Agravain devant le pavillon du Tertre as Caitis -Agravain rapportant la tête de Drias au chevalier du Tertre as Caitis

visant un oiseau de proie, un musicien apparaît dans le prolongement inférieur de la miniature et dans la marge inférieure un lapin joue de la cithare, un singe rase un homme et une autruche s’attaque à un vilain muni d’un écu et d’un bâton. Ces représentations marginales soulignent l’importance de la musique et mettent en évidence les rapports conflictuels entre hommes et animaux. Elles entretiennent un lien avec le début du texte, car la chasse est un passe-temps aristocratique qui permet l’entretien physique du chevalier en temps de paix et l’introduction du cor, qui reprend un motif utilisé par Chrétien de Troyes dans le Chevalier au lion, annonce l’épreuve que subit Agravain. Après avoir vaincu Drias, il sonne d’un cor, qui prévient le frère de ce dernier, Sornehaut, qui se venge en battant Agravain et en le faisait prisonnier. L’illustration liminaire de ce manuscrit plonge le lecteur au cœur des aventures chevaleresques de Lancelot et de ses compagnons. Le début de la Queste est marqué dans Beinecke 229 par le passage à un nouveau folio et l’illustration liminaire (f. 187, Figure 116) consiste en

206 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 116 : New Haven, Beinecke, 229, f. 187, Début de la Queste -Arrivée de la messagère du roi Pellès à la cour d’Arthur -Départ de Lancelot et de la messagère du roi Pellès

une miniature qui s’étend sur deux registres, comme au début du Merlin ou de la Pénitence Adam dans fr. 95, sur une page comportant de nombreuses figures marginales, notamment des musiciens jouant de la viole et une jeune femme qui danse, autour de la miniature, et un chevalier agenouillé devant une dame, dans la marge inférieure du folio. La miniature frontispice montre l’arrivée de la messagère de Pellès à la cour d’Arthur et son départ avec Lancelot pour l’abbaye où il va adouber son fils Galaad. L’illustration place l’ouverture de la Queste dans la continuité des aventures chevaleresques du Lancelot. Enfin le début de la Mort Artu dans Beinecke, 229 ne commence pas sur un nouveau folio, mais à la suite de la Queste, et passe par l’insertion d’une miniature développée sur deux registres (f. 272v, Figure 117). Comme les miniatures frontispices du Lancelot et de la Queste, l’illustration liminaire puise au motif des aventures chevaleresques, avec le départ d’Arthur et de ses chevaliers pour le tournoi de Wincestre, figurant dans le registre inférieur de l’image. Cette scène est précédée d’une représentation de la rédaction du livre, qui rappelle la miniature introduisant la Pénitence Adam (fr. 95



Mise en page et illustration | Chapitre 1 207

Figure 117 : New Haven, Beinecke, 229, f. 272v, Début de la Mort Artu -Henry II et Gautier Map -Départ d’Arthur et de ses chevaliers pour le tournoi de Wincestre

f. 380, Figure 114). Le début de la Queste évoque en effet la commande de l’histoire de la Mort Artu par Henry II Plantagenêt à Gautier Map (Pl. III, 1181). Dans Beinecke, 229, comme dans fr. 95, seul le premier texte de la compilation est introduit par une initiale historiée, alors que les autres œuvres commencent par une miniature sur deux registres associée à des figures grotesques marginales, ce qui ne suffit pas visuellement à marquer le début d’un nouveau texte, à moins de prendre en compte d’autres éléments de mise en page, comme le passage à un nouveau folio au début de la Queste. La présentation de la Queste et de la Mort Artu semble en faire un ensemble cohérent distinct du Lancelot. Bien que la mise en page et l’illustration de Beinecke, 229 et de fr. 95 montrent qu’ils ont été réalisés dans le même atelier et par le même artiste de façon contemporaine, les choix iconographiques liminaires marquent une différence nette entre les deux ouvrages. Dans le premier volume, les questions morales et religieuses sont mises au premier plan, ce qui est renforcé par l’adjonction des Sept Sages de Rome et de la Pénitence Adam. Dans les miniatures frontispices du second, les entreprises chevaleresques semblent l’emporter sur les aspects spirituels de la quête du Graal.

208 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Cologny, Bodmer, 147  : l’expansion didactique, biblique et historique du cycle du Graal Cologny, Bodmer, 147281, qui date du tout début du XIVe siècle, témoigne de l’expansion didactique, biblique et historique du cycle du Graal. Il constitue un exemple particulièrement intéressant d’une tentative de fusion de la vulgate arthurienne avec une matière à la fois historique et biblique. Ce manuscrit qui comprend les romans du cycle du Graal, à l’exception du Lancelot, intègre en son sein une mise en prose du Roman de Troie ainsi que les Faits des Romains, des passages tirés de l’Écriture sainte, et des sermons de Maurice de Sully. Cette compilation exceptionnelle qui réunit et fait dialoguer des textes d’origine et de nature différente remet profondément en question nos catégories génériques et notre conception de la distinction entre histoire et fiction, sacré et profane. La mise en page est cruciale dans le repérage des différents textes et de leurs interpolations qui sont tantôt masquées tantôt exhibées par une présentation visuelle spécifique. Dans Cologny, Bodmer, 147, l’imbrication des textes encadrants et des passages interpolés est particulièrement forte dans l’Estoire et la Suite Vulgate, nous étendrons donc notre étude des seuils iconographiques à celle de la présentation et de l’insertion des interpolations. Le début de l’Estoire, du Merlin, de l’Histoire de Troie, de la Suite Vulgate, de la Queste et de la Mort Artu, est marqué par la présence d’une miniature compartimentée suivie d’une initiale historiée avec un encadrement marginal, des éléments héraldiques marginaux et des figures grotesques. Dans tous les cas, sauf pour la Mort Artu, la miniature se situe en début de folio. Cette mise en page distingue certaines œuvres au sein de la compilation, tandis que de nombreuses interpolations, comme celles de la Bible, de l’histoire romaine, et de textes de pastorale religieuse, ne font pas l’objet d’un tel traitement liminaire. Au début de l’Estoire (Cologny, Bodmer, 147, f. 1, Figure 118), une miniature composée de trois compartiments montre de haut en bas le prêtre-auteur, escorté par un ange, célébrant l’office du Vendredi Saint puis la seconde apparition du Christ qui saisit le poignet de l’auteur, et de bas

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Voir Vielliard, Françoise. « Un texte interpolé du cycle du Graal (Bibliothèque Bodmer, Manuscrit 147)  », Revue d’histoire des textes, 4, 1974, p. 289-337. Vielliard, Françoise. Manuscrits français du Moyen Âge. Cologny-Genève  : Fondation Martin Bodmer, 1975, p. 46-60. Fabry-Tehranchi, Irène. « L’intégration littéraire et iconographique du motif de la descente du Christ aux Enfers », 2010, p. 225-58. Messerli, Sylviane. « Lire le Graal dans le Codex Bodmer 147 ». La moisson des lettres : l’invention littéraire autour de 1300. Ed. Hélène Bellon-Méguelle, Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Ludivine Jaquiéry. Brepols  : Turnhout, 2011, p. 307-24 et Milland-Bove, Bénédicte, « Bible et roman : quelques contacts à la faveur d’interpolations », Le Texte dans le texte. L’interpolation médiévale. Dir. Annie Combes et Michelle Szkilnik. Paris : Classiques Garnier, 2013, p. 85-104.



Mise en page et illustration | Chapitre 1 209

Figure 118 : Cologny, Bodmer, 147 f. 1 (1300’), Début de l’Estoire Ci commence le Saint Graal Joseph d’Abarimacie. Miniature : -Prêtre-auteur célébrant l’office du Vendredi Saint -Seconde apparition du Christ à l’auteur -Le Christ montrant à l’auteur l’assemblée des Cieux Initiale historiée : L’auteur et la bête merveilleuse

en haut, dans une scène qui s’étend en hauteur sur toute la partie droite de l’image, le Christ montrant à l’auteur l’assemblée des Cieux. L’utilisation de la verticalité permet de donner davantage d’ampleur à cette dernière image où sont représentés à la fois le domaine terrestre et la sphère céleste. Il s’agit d’un raccourci narratif car dans le texte, le narrateur entend un chœur angélique, et c’est un ange qui l’emporte au ciel, où il obtient de contempler la Trinité. Dans l’initiale historiée qui suit la miniature, l’auteur bénit la bête étrange et merveilleuse qui lui a été envoyée  : l’illustration de cet animal hybride se conforme à la description qui en est faite dans le texte. Si les représentations de la liturgie chrétienne et des apparitions miraculeuses du Christ soulignent le caractère religieux de l’œuvre qui s’ouvre, la figuration de la bête merveilleuse renvoie davantage à la spécificité de l’Estoire qui articule histoire sainte et fiction romanesque. La page frontispice de Cologny, Bodmer 147 intègre des bordures habitées de figures grotesques, tantôt monstrueuses, tantôt relevant d’un

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bestiaire familier. Dans la marge de droite est représentée une scène de chasse dynamisée par la situation respective de ses participants : un lapin posé sur l’extrémité de la bordure supérieure du texte semble narguer un chien situé au-dessous de lui au bout de la bordure inférieure du texte. Un homme nu, perché au-dessous du chien aux aguets, semble observer la scène. On peut voir un jeu d’inversion dans la disposition respective de chacune de ces figures, car l’élévation du regard ne permet pas, comme dans la miniature principale, la contemplation d’un spectacle céleste. Dans le registre inférieur, l’horizontalité domine : un personnage assis observe pensivement un élément, posé dans sa main, tandis qu’un lapin bondit devant lui. Ce type de présentation articulant le placement d’une miniature compartimentée souvent placée en début de folio, suivie ou non d’une initiale historiée, et la peinture de bordures peuplées de scènes grotesques se retrouve au début du Merlin et de la Suite Vulgate, de la Queste et de la Mort Artu. Le commencement de l’Histoire de Troie constitue une variation sur cette formule, car sa miniature frontispice, bien qu’accompagnée d’un encadrement, est d’une largeur inférieure à celle d’une colonne. L’insertion des interpolations au sein de l’Estoire relève d’un savant entrelacement d’œuvres de fiction (l’Estoire et le Joseph), de la parole biblique (des Evangiles au livre de la Genèse), et de textes de pastorale chrétienne. Le développement des interpolations est très précoce, en effet, elles commencent dès le troisième folio, après le prologue de l’Estoire, suivi d’un court extrait du début du Joseph avant le passage aux Evangiles qui commence par le récit de l’Annonciation. Le décalage temporel et narratif qui distingue l’introduction de l’Estoire et le début de l’histoire de Joseph d’Arimathie favorise l’insertion de textes autres. Par la suite, le discours didactique et évangélique de Joseph ou de Josephé sert d’introduction aux interpolations de la Genèse, du commentaire sur le Credo et du traité d’Innocent III sur la Misère de la condition humaine : ... « Comment cria-il donc ciel et terre, et comment fist-il toutes les autres choses ? » « Or escoutes et ge le te diré sanz riens oster ne mestre, et toute la verité ». [Interpolation de la Genèse] Au commencement cria Dieu le ciel et la terre. La terre estoit vaine et vide... (Cologny, Bodmer, 147, f. 20). Si dist Josephés a touz et a toutes  : «  Or escoutez, bone gent, et ge vos diré comment tuit bon crestien et toutes crestiennes doivent croire  ». [Interpolation du Commentaire sur le Credo] «  Nous devons croire, et veritez est, en la sainte Trinité, c’est le Pere et le Fil et le Saint Esperit... » (Cologny, Bodmer, 147, f. 58) « Or escoutes et ge te diré la misere de home, si comme dit Job, por quoi home est neant en ceste mortel vie ». [Interpolation du traité sur la Misère



Mise en page et illustration | Chapitre 1 211

de la condition humaine] Ci endroit tesmoigne la sainte Escripture que Job dit : « Porquoi issi ge dou ventre ma mere a veoir la doleur de ce monde et la poine, por degaster les jors de ma vie en confusacion ?... » (Cologny, Bodmer, 147, f. 66v)

La parole de Dieu lui-même est parfois convoquée à cette même fin : Lors apela Nostre Sires Josephés et li dist : « Ainsi me serviras tu des ore en avant et tu et touz les autres que tu establiras a ordener a provoire et a evesque ». [Interpolation de la Genèse] « Car saches de verité et bien le manifeste a touz que ge suis Dex le Pere et le Fil et le Saint Esperit... (Cologny, Bodmer, 147, f. 32)

Comme l’a souligné Françoise Vieillard, la formule de référence à la «  sainte Ecriture  » apparaît comme caution au moment précis où se développent les interpolations, permettant ainsi de relier histoire et fiction282. Interrompue au bout de trois folios et divisée en de nombreux segments, l’Estoire ne réapparaît qu’à travers de courts passages suivis d’autres interpolations, et ce jusqu’au folio 70v, à partir duquel elle se développe sur 18 folios successifs. L’interpolation du livre de la Genèse, ininterrompu du folio 42 au folio 57, forme un ensemble presque aussi long et cohérent que le dernier développement du récit cadre. Si seuls le début de l’Estoire et celui de la Genèse sont marqués par le recours à une miniature frontispice, les miniatures et initiales historiées situées dans le corps du texte constituent des séries qui font ressortir la succession de différentes œuvres. Certes, toutes les interpolations ne sont pas visuellement marquées, mais celles de la Bible font l’objet d’un programme iconographique particulièrement abondant. L’interpolation des Evangiles, située entre les folios 3v et 16v et partiellement inspirée des Sermons de Maurice de Sully283, est la plus densément enluminée avec 49 miniatures pour seulement 13 folios. Elle décline la vie du Christ, de l’Annonciation, de la Nativité et du Baptême jusqu’à la Passion et à la Résurrection. Cette série, qui se termine par l’envoi des disciples en mission (f. 16v), comprend la représentation de l’apostolat et de l’histoire de Jean Baptiste (ff. 5-5v). La vie publique du Christ et sa prédication tiennent une place importante, comme l’indique la représentation de ses miracles ainsi que de plusieurs paraboles. Même si le début de cette interpolation n’est pas marqué par une miniature frontispice, elle constitue un important ensemble iconographique à la fois développé et cohérent. 282

283

Vielliard, Françoise. « ‘Ci dist li contes et la sainte Escripture le tesmoigne’. Histoire et fiction dans le manuscrit Bodmer, 147 ». Bien dire et bien aprandre, 22, 2004, p. 79-90. Voir Milland-Bove, Bénédicte, «  Bible et roman  : quelques contacts à la faveur d’interpolations », 2013, p. 85-104.

212 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 119 : Cologny, Bodmer, 147 f. 20, Début de la Genèse Comment Diex cria le ciel et la terre Le premier jor : 1er jour : création du ciel et de la terre Le secont jor, si comme Dex fist le firmament : 2e jour : création du firmament Le tierz jour si com Dex establi les eues en un leu et la terre portant herbe et semence : 3e jour : création de la végétation Le quart jor, com Dex fist la lune et le soleil et les estoiles : 4e jour : création des astres Le quint jor fist Dex poissons et bestes et oisiaux : 5e jour : création des oiseaux et des poissons Le sixte jor cria Dieu home et fame son ymage : 6e jour : création d’Adam et Eve Le septieme jor beney Dex et se reposa de tote s’uevre : 7e jour : repos, Dieu en majesté



Mise en page et illustration | Chapitre 1 213

Le début de la Genèse (Cologny, Bodmer, 147, f. 20, Figure 119), repérable par son encadrement, donne lieu à une mise en page spécifique qui contraste avec celle des autres œuvres. Certes, le recours à une série de miniatures accompagnées de rubriques fait écho à la compartimentation des images ouvrant les autres textes. Six miniatures distinctes se succèdent de haut en bas puis de gauche à droite et sont suivie d’une miniature représentant Dieu en majesté, chaque image correspondant à un jour de la création du monde. Chaque vignette fait l’objet d’une rubrique explicative distincte, comme c’est le cas des miniatures consacrées aux Evangiles. La présence de rubriques n’est pas systématique au début des autres œuvres, dont seul le titre rubriqué accompagne la miniature frontispice. L’illustration liminaire annonce clairement le sujet du texte qu’elle introduit et constitue un programme de lecture. Elle correspond au rassemblement d’images qui auraient pu être disséminées dans le corps du texte et se substitue à ce type d’organisation. En effet, les miniatures suivantes ne reprennent pas les sujets déjà traités mais se consacrent aux événements postérieurs au récit de la Création, à partir de la tentation et de l’ingestion du fruit défendu, qui sont suivies de la reconnaissance de la nudité d’Adam et Eve et de leur expulsion du Paradis (f. 21). Une distinction apparaît également entre l’interpolation des Evangiles et celle de la Genèse  : la première, plus densément illustrée, se développe en un seul bloc, tandis que celle de la Genèse est entrecoupée de retours à l’Estoire : elle forme donc deux volets distincts répartis entre les dix miniatures des folios 20 et 23 (qui illustrent la Création, l’histoire d’Adam et Eve et celle de Noé) puis entre les quatorze miniatures des folios 42 et 56v (qui mettent en images les parcours d’Abraham, Isaac, Jacob et Joseph). Le nombre total d’illustrations dans l’interpolation du livre de la Genèse est donc équivalent à celui de son texte cadre, l’Estoire, même s’il est inférieur à celui des Evangiles. La mise en page du début de la Genèse, qui souligne le commencement d’un nouveau texte, contraste avec le caractère visuellement peu marqué de l’introduction des interpolations du Joseph et des Evangiles ainsi que des textes à caractère pastoral comme les sermons et commentaires de Maurice de Sully284 au sein de l’Estoire, mais c’est l’interpolation des Evangiles qui est la plus illustrée. Parmi les textes didactiques, seul le traité d’Innocent III, Misère de la condition humaine285, fait l’objet d’une miniature (f. 66v). 284

285

Voir Maurice of Sully and the Medieval Vernacular Homily, with the Text of Maurice’s French Homilies from a Sens Cathedral Chapter Ms. Ed. C. A. Robson. Oxford : Blackwell, 1952 et Milland-Bove, Bénédicte, «  Bible et roman  : quelques contacts à la faveur d’interpolations », 2013, p. 85-104. Lotario dei Segni (Pope Innocent III). De miseria condicionis humane. Ed. Robert E. Lewis. Athens : University of Georgia Press, 1978.

214 Chapitre 1 | Mise en page et illustration

Figure 120 : Cologny, Bodmer, 147 f. 15, Evangiles Si com li chevalier gardent le monument. Tombeau du Christ Si com Deux brisa enfer et en gita Adam et Eve. Descente aux enfers

L’illustration des passages bibliques excède donc celle de l’Estoire et interroge l’importance respective du texte fictionnel qui sert de récit cadre et des interpolations qui s’y développent. Si le texte biblique est inséré dans l’Estoire, celle-ci le complémente en fournissant de façon plus détaillée l’histoire de Joseph d’Arimathie. La primauté hiérarchique de l’Ecriture sainte ressort, même si la fiction romanesque cherche à se parer de son autorité. L’insertion des interpolations s’accompagne en outre d’une réduction de l’Estoire, puisque celle-ci s’interrompt environ à la moitié du texte, peu avant la conversion du roi Label, dont Célidoine interprète les différents songes. Le récit s’arrête cependant en cours de phrase et devant plusieurs folios blancs, ce qui suggère que le copiste n’avait pas nécessairement prévu de s’arrêter à cet endroit précis. Cette coupe s’effectue au détriment de l’histoire de l’évangélisation de la Grande-Bretagne mais aussi de l’évocation finale de la lignée des gardiens du Graal. Le début de l’Estoire apporte un complément historique au texte biblique à partir de la Passion du Christ et de sa Résurrection, posant les fondements de sacrements liturgiques tels l’ordination et la célébration de l’eucharistie, institués lors du sacre de Josephé. Or contrairement à l’aventure de la nef merveilleuse et des fuseaux de l’arbre de Vie, récit des origines qui met en relation l’histoire d’Adam et Eve, celle de Salomon et celle des contemporains de Joseph d’Arimathie, la translation du Graal lui-même se trouve relativement effacée. Des passages de la Bible s’intègrent donc dans l’Estoire, permettant de rappeler plus en détail l’histoire du Christ, de sa conception à sa résurrection.



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Après l’interpolation de la Genèse jusqu’à l’histoire de Joseph, le fils de Jacob, homonyme du protagoniste de l’Estoire, les commentaires du Credo et du Pater, permettent d’éclairer des points de la doctrine chrétienne en relation avec la question lancinante de la Trinité. La miniature liminaire du Merlin, représente la Descente aux enfers, le conseil des démons, la conception de Merlin et un entretien entre Blaise et la mère de Merlin, tandis qu’une initiale historiée montre le jeune Merlin avec sa mère et ses gardiennes (Cologny, Bodmer, 147 f. 91, Figure 20). Le commencement du Merlin répond à l’interpolation du Joseph et des Evangiles au début de l’Estoire (f. 3v). L’Annonciation rappelle en effet l’expérience initiale de l’auteur de l’Estoire, tandis que l’Incarnation contraste avec le projet diabolique de création d’un antéchrist qui passe par le dévoiement de la mère de Merlin, abusée par le démon. Ce passage est l’occasion de rappeler le sort des hommes avant la Résurrection et l’annonce de la venue du Christ par les prophètes. Cologny, Bodmer, 147 f. 3v

Cologny, Bodmer, 147 f. 91a

Ci commencent les Euvangiles. Ce doivent savoir tuit pecheor que devant ce que Nostre Sires venist en terre, que il faisoit parler les prophestes en son non et annoncier sa venue en terre. En cel tans dont je vos parle aloient toutes genz en enfer neis les prophestes ; et quant li deable les i avoient menez, si cuidoient avoir moult bien esploistié  ; et il estoient moult bien engigniez, car cil qui estoient mort se confortoient en la venue Jhesu Crist. Nostre Sires vit ce, si li plot que il venist en terra, ci s’enombra en la vierge Marie en ceste maniere. L’anonciation Nostre Dame. Saint Luc Li anges Gabriel fu envoiez de Dieu a la vierge Marie d’une cité de Galylee qui est apelee Nazareth...

« Ce nos a morz que nos cuidions qui mielz nos vausist. Vos sovient-il que li prophete parloient et disoient que li filz Dieu venroit en terre sauver les pecheors de Eve et de Adam et des autres tant comme il li pleroit ? Et nos alions, si prenions cels qui le disoient et les tormentions plus que les autres, et il fesoient semblant que noz tormenz ne les grevoient riens, ainçois confortoient les autres pecheors por ce qu’il disoient que cil qui vendroit en terre les delivreroir. Tant le distrent li prophetes que ore est avenu. Si nos a tolu ce que nos avions ou nus n’i pooit riens clamer. Et nos a tolu toz les autres par tel force que nos ne savions mie... »

L’interpolation permet d’évoquer et d’illustrer la Descente du Christ aux enfers après le récit de sa Crucifixion (Cologny, Bodmer, 147 f. 15, Figure 120). Ce motif, explicité par la rubrique « Si com Dex brisa enfer et en gita Adam et Eve » et développé à travers la figure de la gueule d’enfer, est repris et réinvesti dans une composition similaire au commencement du Merlin. L’écho est à la fois textuel et iconographique, en effet, comme le souligne Sylviane Messerli, le compilateur complète la liste de ceux qui comme Adam et Eve sont libérés des Enfers par une énumération de prophètes qui rappelle à la mémoire du lecteur les récits de la Genèse et des Evangiles qui viennent d’être racontés : « c’est à leur lumière qu’il entreprend la lecture du

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Figure 121 : Cologny, Bodmer, 147 f. 121, Début de l’Histoire de Troie -Départ de Jason pour l’île de Colchos-Jason mettant sous le joug les taureaux monstrueux -Jason tuant le dragon pour s’emparer de ses dents-Jason s’emparant du bélier à la toison d’or

roman »286. Le tissage de la fiction pré-arthurienne et du texte biblique tend ainsi à former un tout cohérent en apportant des compléments scripturaires au texte romanesque dont il renforce l’ancrage religieux. L’intégrité textuelle du Merlin, copié d’un seul trait, contraste avec la segmentation de l’Estoire, minée par les interpolations. Or seule est illustrée la page frontispice du Merlin, celle qui peut faire écho aux passages bibliques interpolés dans l’Estoire et aux questions théologiques qui y sont soulevées. L’interpolation de l’Histoire de Troie témoigne ainsi de la nouvelle orientation prise par la compilation. L’Histoire de Troie (Cologny, Bodmer, 147 f. 121, Figure 121) commence par une miniature bordée de dragons où sont dépeintes les aventures de Jason, de son départ pour Colchos à sa confrontation avec trois types d’animaux fabuleux : les taureaux qui crachent du feu, le dragon dont les dents produisent des guerriers, et le bélier à la toison d’or. Ces exploits extraordinaires soulignent la vaillance du héros civilisateur qui vient à bout des pires monstres. Dans les marges, apparaissent d’autres types de confrontations : au niveau supérieur, deux hommes à pied se battent avec un écu et une épée. Dans le registre inférieur, un homme nu se penche en avant  : l’inversion culmine avec un lapin poursuivant un chien tandis qu’un autre se cache derrière un buisson. Un animal dressé sur ses pattes semble menacer d’un sabre une jeune-femme à genoux. L’illustration du début de ce texte, qui marque 286

« Ci endroit dit li contes et la sainte hystoire le tesmoigne que moult fu iriez li anemis quant Nostre Sires ot esté en enfer et il en ot gité Adam et Eve, Noel, Abraham, Ysaac, Jacob, Joseph, Moÿses, Aaron, David, Ysaïe, Jheremie, Daniel et touz les autres prophestes et saint Jehan Baptiste et des autres tant comme il li plot » (Bodmer, 147 f. 91). Voir Messerli, Sylviane. « Lire le Graal dans le Codex Bodmer, 147 », 2011, p. 318.



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le passage de l’histoire arthurienne à l’histoire antique, s’accompagne donc d’un décrochage des références religieuses présentes dans la miniature frontispice des autres œuvres. Elle se rapproche néanmoins des autres ouvrages chevaleresques de la compilation par la mise en exergue des prouesses extraordinaires de Jason. L’Histoire de Troie se développe sur une quarantaine de folios, contre une trentaine pour le Merlin, mais les deux textes se caractérisent par la rareté de leur illustration. Le texte antique ne comprend au total que trois miniatures de même que les Faits de Romains287, interpolés au sein de la Suite Vulgate mais dépourvus de miniature frontispice. Dans les deux œuvres, l’illustration des exploits des héros antiques entre en tension avec la représentation de morts funestes : celle d’Ulysse, tué par son fils, comme l’annonce par un songe prémonitoire (f. 157), et celle de Pompée, le rival de Jules César, assassiné sur l’ordre du roi d’Egypte Tholomé (f. 225). L’illustration qui ouvre la Suite Vulgate (Cologny, Bodmer, 147 f.  161, Figure 45) montre les pourparlers suivant le couronnement d’Arthur et sa confrontation armée avec les barons rebelles. Après l’Estoire, la Suite Vulgate est le texte de la compilation le plus affecté par les interpolations. Celles-ci sont néanmoins plus regroupées que dans l’Estoire, car la Suite Vulgate est divisée en deux fragments entre lesquels s’insèrent les Faits des Romains (ff. 198-245) et les livres bibliques de Judith (ff. 245v-50) et des Maccabées (livre 1, ff. 250v-62 ; livre 2, ff. 262-67v). Hormis les Faits des Romains, illustrés par trois miniatures, chaque interpolation comprend une seule miniature qui marque le début du texte en question. L’absence de page frontispice place ces textes dans la continuité de la Suite Vulgate. Les Faits des Romains sont ainsi introduits à l’occasion de l’histoire de Grisandole, Jules César interrogeant Merlin sur son homonyme et illustre prédécesseur. De même que dans l’Estoire le discours de Joseph favorisait l’insertion des interpolations religieuses et didactiques, Merlin se fait l’instrument de ces digressions à caractère historique, comme le soulignent les rubriques introduisant les Faits des Romains et le Livre de Judith : Come Mellins raconte a l’empereor les granz fez de Juille Cesar et des Romains (Bodmer, 147 f. 198). Comment Mellins raconte a Cesar l’emperor le livre de Judith (Bodmer, 147 f. 245).

Dans la Suite Vulgate, l’épisode digressif du séjour de Merlin à la cour romaine offre donc le prétexte à de plus amples interpolations. Le procédé de liaison est ensuite abandonné, les rubriques introduisant seulement le nom de l’œuvre suivante, comme si l’enchaînement des histoires suffisait à

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Li fet des Romains compilé ensemble de Saluste et de Suetoine et de Lucan. Ed. Louis-Fernand Flutre et Cornelis Sneijders de Vogel. Paris : Droz ; Groningue : J.-B. Wolters, 1935-38, 2 vol.

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justifier le passage au livre des Maccabées. Le récit reprend avec le départ de Merlin qui ferme la parenthèse consacrée à l’histoire de Grisandole : Ci fine li seconz livres des Machabeux. Et comme Mellin se part de l’empereor (Bodmer, 147 f. 267v).

Merlin, pressé par la curiosité de son interlocuteur, ressort narratif assez artificiel mais efficace, passe donc de l’histoire antique à l’histoire juive à travers les livres de Judith et des Macchabées. Ces derniers se rattachent au premier récit interpolé à travers la figure de Pompée. L’histoire du peuple de Dieu préfigure alors celle du peuple breton qui intègre elle-même une histoire ancienne repensée dans la perspective de la Chute et de la Rédemption. En dépit de leur longueur, puisqu’elles s’étendent sur 69 folios, ces interpolations demeurent contenues dans le cadre posé par la première et la seconde partie de la Suite Vulgate qui comprend elle-même un total de 59 folios. Le programme iconographique de la continuation du Merlin est pourtant plus développé que celui des interpolations, puisqu’il compte 13 miniatures (auxquelles s’ajoutent un certain nombre d’initiales historiées comprenant des portraits) contre 6 dans les autres textes. L’illustration des interpolations fait alterner la représentation de grands chefs politiques et militaires exceptionnels ( Jules César, Alexandre) et celle de morts brutales qui mettent un terme aux ambitions conquérantes d’Holopherne ou de Pompée. Elles amènent à lire les premiers faits d’Arthur dans la perspective historique de la succession de règnes illustres. Dans Cologny, Bodmer, 147, la Suite Vulgate n’est pas suivie du Lancelot : le texte central du cycle du Graal est absent d’une compilation réunissant toutes les autres œuvres de la Vulgate arthurienne. L’orientation courtoise et chevaleresque du Lancelot et le caractère problématique des amours de Lancelot et de Guenièvre expliquent peut-être l’exclusion de ce texte dans une compilation d’orientation à la fois religieuse et historique. Le Lancelot échappe en effet à la dimension mystique de l’Estoire et de la Queste et semble peut-être insuffisamment historique, par comparaison avec le Merlin et sa suite, ou avec la Mort Artu qui présente l’écroulement du royaume arthurien comme la conséquence de la conception illégitime de Mordred et de l’adultère de Lancelot et de la reine. La dernière interpolation des Sermons de Maurice de Sully (ff. 298v-290v), placée entre la Suite Vulgate et la Queste, prend donc la place du Lancelot, comme pour réorienter l’histoire arthurienne dans une perspective nettement religieuse, pastorale et didactique. L’interpolation, qui permet de compléter les derniers folios du cahier sur lequel se termine la Suite Vulgate, n’est pas insérée dans la trame narrative ou discursive de la continuation du Merlin ou de la Queste. Chaque sermon est introduit par un titulus qui marque clairement son inscription liturgique en référence aux lectures des



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deuxième, troisième et quatrième dimanches suivant la célébration pascale. La relative étrangeté de ces textes est donc assumée, mais elle est réduite par la présence d’interpolations similaires intégrant sermons et commentaires liturgiques du même auteur au sein de l’Estoire288. Au début de la Queste (Cologny, Bodmer, 147 f. 291, Figure 122), la mise en valeur du personnage de Galaad et des signes de son élection, qui ressort par contraste avec l’échec de ses compagnons, tend comme dans la Suite Vulgate et les textes qui y sont interpolés à promouvoir une figure héroïque en insistant sur son statut chevaleresque. L’adoubement de Galaad, figuré dans la première scène, est suivi des épreuves du siège vide de la Table Ronde et de l’épée du Perron ainsi que de la remise de l’écu à la croix. Ces aventures emblématiques et récurrentes dans le cycle du Graal mettent en relation l’Estoire et le Merlin avec la Queste qui en présente l’accomplissement par le chevalier élu, Galaad. De même que l’intervention du religieux qui va placer Galaad sur le Siège Périlleux, la présence des religieuses d’une part et des moines blancs d’autre part, ou encore la croix vermeille qui orne l’écu blanc, renvoient au caractère mystique de la quête du Graal. Les marges présentent au contraire un caractère profane et ludique : les animaux y tiennent la première place, de la scène de chasse variée et rythmée du niveau inférieur, aux jeux à deux représentés au niveau supérieur. L’illustration de la Queste en dépeint les aventures chevaleresques, faisant écho aux questions militaires qui jouent un rôle central dans la Suite Vulgate et ses interpolations historiques. Elle témoigne en outre d’une attention particulière aux récits rétrospectifs présentant une correspondance avec l’Estoire. Cela apparaît dans l’illustration du baptême de Mordrain (f. 314), associé à la présentation de la généalogie des ancêtres de Lancelot ou Galaad depuis Célidoine, telle qu’elle est apparue dans l’Estoire au roi de Sarras, à travers le songe des neuf fleuves (f. 62v). De même, l’illustration de la Queste intègre l’histoire de la nef de Salomon et des fuseaux de l’arbre de Vie (f. 334), également représentés dans l’Estoire (ff. 80v et 82v), dont l’origine est figurée à travers l’image d’Adam et Eve cueillant le fruit défendu (f. 331). L’illustration de la rencontre de Galaad et Mordrain (f. 340v), qui clôt le programme iconographique de l’œuvre, renforce les liens entre l’Estoire et la Queste, témoignant de la cohérence cyclique de la compilation. L’illustration frontispice de la Mort Artu (Cologny, Bodmer, 147 f. 344, Figure 123) s’inscrit également dans un contexte courtois et chevaleresque. Cependant, la rubrique, « Ici commence la destrutio de la Table Roonde et le trespassement le roy Artu » (f. 344) montre clairement l’orientation

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Milland-Bove, Bénédicte, « Bible et roman : quelques contacts à la faveur d’interpolations », 2013, p. 85-104.

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Figure 122 : Cologny, Bodmer, 147 f. 291, Début de la Queste -Adoubement de Galaad -Galaad à la cour d’Arthur -Galaad recevant l’écu blanc à la croix vermeille -Miracle de l’épée du perron

d’un texte consacré à l’écroulement du royaume arthurien. L’arrivée de Bohort à la cour se place sous un jour funeste, puisqu’il raconte la mort de Galaad et que Gauvain avoue ensuite les meurtres qu’il a commis au cours de la quête. Au niveau inférieur, l’illustration du tournoi de Wincestre fait écho à la représentation de la bataille d’Arthur contre les barons rebelles au début de la Suite Vulgate. On peut y lire une annonce de la bataille de Salesbières qui consacre le déchirement de la chevalerie arthurienne et signe la fin du règne d’Arthur. Si la Mort Artu ne commence pas en début de folio, un effet frontispice ressort de sa décoration liminaire particulièrement soignée  : les arabesques de la bordure du texte foisonnent ainsi de monstres hybrides, d’animaux et d’oiseaux formant des paires qui s’observent, dansent ou s’attaquent. L’illustration de la Mort Artu, qui se concentre sur les figures de Lancelot, Guenièvre, Arthur et Mordred, fait alterner scènes de conseil et affrontements militaires, témoignant du retour à une narration de type historique dépourvue de la perspective religieuse de la Queste del Saint Graal.



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Figure 123 : Cologny, Bodmer, 147 f. 344, Début de la Mort Artu Ici commence la destrution de la Table Roonde et le trespassement le roy Artu qui tant ot d’oneur. -Arrivée de Bohort à la cour d’Arthur -Tournoi de Wincestre

La hiérarchie des miniatures montre donc que la compilation Cologny, Bodmer, 147 est bien structurée autour des romans traitant de la matière bretonne et troyenne, tous introduits par une miniature compartimentée sur une page ornée d’une bordure et de diverses décorations marginales. Les interpolations textuelles font quant à elles l’objet d’un traitement illustratif plus contrasté. Tantôt elles sont entièrement dépourvues d’illustration, tantôt elles sont mises en valeur par le recours à des miniatures, parfois de forme spécifique (comme les initiales historiées) qui interviennent dans certaines parties du manuscrit avec une grande densité. La mise en scène frontispice du début de la Genèse se distingue ainsi du commencement des autres textes. L’emploi de différents types d’images (miniatures ou initiales historiées) peut en partie s’expliquer par l’héritage de traditions illustratives distinctes qui varient en fonction du texte concerné. Au sein des Evangiles et du livre de la Genèse, l’alternance de miniatures et d’initiales historiées peut renvoyer à l’abondante production des bibles illustrées, en latin puis en français, dans

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les ateliers parisiens du XIIIe-XIVe s289. Par contre, le recours à l’image ne semble pas attendu ou nécessaire pour les œuvres à caractère plus nettement pastoral et dogmatique. La richesse et la diversité textuelle et iconographique du manuscrit de Cologny sont exceptionnelles, mais la création d’une miniature frontispice compartimentée est réservée aux œuvres du cycle du Graal et à l’Histoire de Troie. Les romans arthuriens, même marqués par une forte coloration historique, sont bien au cœur de la compilation, tout sujets qu’ils soient aux interpolations de nature biblique et pastorale. Les textes religieux et historiques nourrissent donc la trame romanesque et l’investissent d’une autorité morale décuplée. Le mélange de la voix des Evangélistes et de celle de l’Estoire, permet d’estomper la différence entre la fiction romanesque d’inspiration religieuse et l’Ecriture sainte290. S’insérant de façon différente dans le cadre qui leur est donné, les interpolations intègrent et subvertissent le champ romanesque en orientant sa lecture et son interprétation. Ellespportent des compléments perçus comme nécessaires et susceptibles de correspondre à l’intérêt ou aux besoins du lecteur. La compilation de Cologny, Bodmer, 147 témoigne ainsi de l’inspiration que suscite pour la fiction romanesque le modèle biblique, déjà présent sous forme de réécritures et de résumés dans l’Estoire. Comme le souligne Emmanuèle Baumgartner, le texte biblique constitue le modèle ultime d’une écriture parvenue à la clôture et à l’exhaustivité291. Paradoxalement, dans Cologny, Bodmer, 147, l’Ecriture et les discours didactiques insérés pour compléter la fiction arthurienne minent parfois cette dernière. Le recours aux interpolations s’explique par un effort de complétude. Or l’insertion de ces parenthèses historiques et didactiques peut s’effectuer au détriment du roman cadre, comme le suggère l’inachèvement de l’Estoire.

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Voir Lowden, John. The Making of the Bibles Moralisées. I : The Manuscripts. University Park : Pennsylvania State University Press, 2000 et Fournié, Eléonore. L'iconographie de la Bible historiale. Turnhout : Brepols, 2012. Voir Nicolas, Catherine. « Merlin et Josephés dans le codex 147 de la fondation Bodmer : pour une redéfinition de l’estoire  », 23e Congrès de la Société Internationale Arthurienne, Université de Bristol, 25-30 juillet 2011 ; L’Esplumoir, 10, 2011, p. 44-46. « Seule l’Ecriture Sainte énonce et maîtrise l’origine et la clôture. Seule l’écriture parvient à unir un temps linéaire, fini, finalisé, et de la Genèse à l’Apocalypse, et un temps cyclique, mettant en exacte concordance, sans aucun reste, sans aucune faille, l’Avant et l’Après autour de l’axe central et rayonnant de l’Incarnation. Ecrire le roman à la semblance de l’Ecriture, c’est donc, d’abord, justifier l’écrivain profane et autoriser son choix, mais c’est aussi et surtout tenter, sans jamais y parvenir, de produire un texte clos sur lui-même ; qui récupère tous les textes antérieurs et les finalise, qui sature le temps, auquel rien ne peut être rajouté, en amont comme en aval, et qui échappe ainsi à toutes les dégradations du temps puisqu’en lui tous les temps sont enclos ». Baumgartner, Emmanuèle. « L’écriture romanesque et son modèle scripturaire : écriture et réécriture du Graal », L’Imitation, Colloque de l’École du Louvre. Paris : La Documentation Française, 1984, p. 141.



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La trajectoire et le règne d’Arthur jouent un rôle de premier plan dans l’illustration liminaire de la Suite Vulgate et de la Mort Artu. Si au niveau de la conception de Merlin et des aventures de Jason, l’histoire tend à se mêler avec le mythe, l’iconographie des pages frontispices souligne l’ancrage du cycle Vulgate dans la perspective d’une formation historique, biblique et théologique, à la portée d’un public de laïcs dont il flatte ainsi les intérêts variés. La présence du Christ et la force de sa venue rédemptrice s’affirment au début de l’Estoire et du Merlin. Mais les miniatures placées à l’ouverture de l’Estoire et de la Queste insistent aussi sur l’importance de l’Eglise dans la médiation du sacré, notamment par le biais des sacrements (la communion et la confession) ou des différents statuts et ordres religieux qui y sont représentés. La fiction est ainsi soigneusement modelée et adaptée dans une visée d’instruction et d’édification. L’Ecriture sainte et l’histoire antique, biblique et arthurienne, constituent le point de résonance d’une compilation romanesque cyclique où brille l’absence du Lancelot. Dans les manuscrits étudiés, la mise en relation iconographique des passages liminaires du Merlin avec ceux du Joseph et de l’Estoire associe l’apparition du Christ à l’auteur ou la remise du livre sacré, le soir du Vendredi Saint, avec l’épisode de la Descente aux enfers qui expose l’action rédemptrice du Christ et complète dans une autre perspective le récit des événements postérieurs à la Crucifixion. La fiction arthurienne s’ancre ainsi sur l’histoire biblique, même si elle se livre ensuite à des développements qui lui sont propres. Dans les compilations du cycle du Graal, différents types de hiérarchisation sont établis entre les textes par les choix de mise en page et d’illustration. Un nouvel équilibre se crée entre les œuvres plus nettement consacrées à l’histoire du Graal, l’Estoire et la Queste, et celles qui développement des aventures tantôt militaires, tantôt chevaleresques d’orientation plus terrestre que spirituelle. Les manuscrits du XVe siècle, Arsenal, 3479-90, fr. 117-120 et 113-116 font ressortir cette ambivalence. Dans Bonn, ULB, 526 la division des œuvres de la Vulgate en neuf parties distinctes souligne l’importance de la portion du texte consacrée à Lancelot. Fr. 344 se distingue des autres manuscrits par l’importance qu’il accorde aux débuts respectifs du Merlin et du Lancelot, insistant à la fois sur le commencement d’un nouveau texte et sur la conclusion de l’œuvre qui le précède. Quant à fr. 110, il établit par le biais de l’illustration et de la mise en page un effet de hiérarchie entre les différents textes du cycle : le Lancelot et la Queste y font respectivement l’objet de trois et deux miniatures liminaires, contre une seule pour les autres œuvres. Dans cette compilation, le début du Merlin et de la Suite Vulgate n’est pas marqué par le passage à un nouveau folio mais s’inscrit dans la continuité de l’Estoire. Enfin la compilation Bodmer, 147, qui s’ouvre à d’autres œuvres à la fois historiques et bibliques, témoigne de préoccupations pastorales et didactiques, mais exclut du même coup le Lancelot. Les

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choix de mise en recueil et d’illustration orientent la lecture de livres du Graal en proposant différentes articulations de l’histoire arthurienne et de l’histoire sainte.

Conclusion  Dans la plupart des cas, le Merlin et sa suite sont donc transmis dans des compositions manuscrites relativement homogènes réunissant, sous différentes configurations, certains des romans du cycle du Graal, voire la totalité du cycle. Cette mise en recueil, parfois sélective, renforce la cohérence de l’ensemble textuel ainsi formé, sans pour autant le figer dans une formule donnée. La Suite Vulgate n’est jamais présentée comme un texte autonome : la mise en page ne crée pas systématiquement un effet de seuil qui distingue matériellement la continuation. Cette dernière s’inscrit toujours dans le prolongement du Merlin propre et s’intègre à l’Estoire de Merlin, même si elle donne une nouvelle orientation à l’histoire du jeune Arthur. Le couronnement du fils d’Uterpandragon devient l’objet de dissensions : à lui de ramener la paix dans un pays envahi par les Saxons et menacé par des divisions internes. Le Merlin est parfois transmis de façon isolée, mais très tôt on le copie avec le Joseph ou l’Estoire et on lui adjoint la suite. La circulation manuscrite de ces textes participe à la formation d’un ensemble plus réduit mais plus soudé que celui du cycle de la Vulgate au complet. C’est pourtant à la lumière de la Queste que l’Estoire réécrit l’œuvre de Robert de Boron. Le Joseph / Estoire et le Merlin / Suite Vulgate constituent tous des récits d’origine, ils expliquent en effet la genèse de la fiction et retracent l’histoire ainsi que l’enfance des personnages clefs du monde arthurien. A l’aune des compilations comprenant le Merlin, on voit donc que le cycle de la Vulgate arthurienne se construit à travers l’articulation de trois ensembles distincts : les Joseph / Estoire associés aux Merlin / Suite Vulgate, qui tirent leur origine de l’œuvre de Robert de Boron, le Lancelot propre, ainsi que la Queste et la Mort Artu. Le cycle du Graal n’est pas une entité homogène où chaque élément serait à la fois indispensable et d’égale importance, mais il est formé de l’agrégation d’ensembles textuels constitués autour de différents pôles. La création d’un cycle de la Vulgate est donc un tour de force, puisqu’il s’agit de fédérer des masses d’orientation parfois différente dans un ensemble suffisamment cohérent et équilibré. Le principe de la chronologie narrative l’emporte, même si l’Estoire fait écho à la Queste, et les Premiers faits à la Mort d’Arthur. Dans les faits, le nombre d’exemplaires fragmentés du cycle l’emporte largement sur ses réalisations complètes, c’est donc au niveau de ces groupements plus restreints que se jouent les attractions les plus fortes, quoique différentes combinaisons textuelles continuent de s’y manifester.



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La Suite Vulgate sert de raccord et de transition entre le Merlin et le Lancelot, néanmoins ce dernier n’est pas systématiquement présent à leur suite, tandis que la continuation est absente de certaines compilations où le Lancelot succède au Merlin propre (voir Rennes, BM, 255 ou BNF, fr. 113-16). Dans l’étonnant recueil Cologny, Bodmer, 147, l’absence paradoxale du Lancelot, qui constitue pourtant le texte central de la mise en cycle, n’est pas sans rappeler la constitution d’un cycle Post-Vulgate tel que l’envisage Fanni Bogdanow292. La transmission manuscrite du cycle Vulgate suggère ainsi des tentatives variées de compilation au sein même d’un ensemble rarement conservé dans son intégralité et dont la stabilité ne doit pas être surestimée. L’iconographie, qui peut accentuer la place du Lancelot au centre de manuscrits cycliques comme Ars. 3479-80 et BNF, fr. 117-120 ou fr. 113117, témoigne de l’orientation propre à chaque texte, tout en créant un réseau de correspondances. Quand la miniature frontispice des manuscrits cycliques passe outre l’Estoire et le Merlin pour évoquer la vie de Lancelot, elle affirme avec force la place centrale de l’œuvre qui semble ainsi donner le ton à l’ensemble de la compilation. Les répétitions et les variations à l’œuvre d’un manuscrit à l’autre font émerger la singularité de ces recueils et permettent de mieux comprendre leur mise en cycle. L’illustration liminaire met davantage en valeur l’Estoire que le Merlin, du fait de leur place respective dans la compilation. L’utilisation liminaire d’une iconographie religieuse renforce souvent la solidarité des deux œuvres et peut trouver un écho dans l’image frontispice de la Queste. Dans d’autres manuscrits, la mise en scène initiale des malheurs qui s’abattent sur la famille de Merlin fait écho au début du Lancelot qui s’ouvre dans un contexte politique troublé pour les rois Ban et Bohort. Outre le manuscrit Bodmer, 147, les deux compilations illustrées qui intègrent le Merlin et sa suite à d’autres textes que ceux du Graal, Berkeley, Bancroft, 106 et fr. 770, rappellent l’importance du lien entre l’Estoire et le Merlin et enrichissent leur interprétation en les associant à des œuvres dont le caractère religieux et édifiant n’est pas incompatible avec un goût pour une écriture de type romanesque et historique. La mise en relation de ces différents textes a donc des implications à la fois littéraires et idéologiques.

292

Bogdanow, Fanni. The Romance of the Grail, 1966, et «  The Vulgate Cycle and the­ Post-Vulgate Roman du Graal  »,  A Companion to the Lancelot-Grail Cycle, Cambridge  : D. S. Brewer, 2003, p. 33-51.

Chapitre 2 : Variations textuelles et paratextuelles, les mouvances de la tradition manuscrite du Merlin et de sa suite Après avoir interrogé les modalités de l’articulation poétique et idéologique du Merlin et de sa continuation à travers leur mise en recueil et leurs illustrations frontispices dans la tradition manuscrite, nous examinerons la question de l’insertion textuelle de ces œuvres au caractère problématique dans des ensembles cycliques. La Suite Vulgate participe du jeu d’échos et de reprises constitutif d’un ensemble romanesque dont la circularité passe par la réécriture d’épisodes fondateurs, entre anticipation et rétrospection. Ces passages garantissent la cohérence d’un récit d’ambition totalisante qui se déroule à travers plusieurs œuvres organisées selon une temporalité d’ordre historique mais dont l’unité n’est pas uniquement chronologique. L’Estoire de Merlin s’inscrit ainsi au sein de réseaux narratifs qui déterminent sa lecture et sa compréhension. Pour Richard Trachsler, la Suite Vulgate pourrait constituer une clôture du Merlin alternative à son inscription dans le cycle du Graal avant le Lancelot, la Queste et la Mort Artu293. L’étude et la comparaison des versions longue et courte de la Suite Vulgate nous permettront d’abord d’interroger le fonctionnement de ces textes et leur relation au cycle du Graal ainsi qu’à une histoire arthurienne plus large. Nous examinerons ensuite la répartition de ces énoncés paratextuels au sein de l’Estoire de Merlin et leur implication du point de vue de la composition des œuvres et de leur articulation au sein de divers recueils manuscrits. Nous aborderons leur construction stylistique et les différentes fonctions qui leur sont attribuées. L’analyse des rubriques et tituli de la fin de la Suite Vulgate donne différents éclairages sur le statut de la continuation.

1. L’inscription cyclique des versions α et β du Merlin propre et de sa suite L’illustration du Merlin et de sa suite dans différents contextes manuscrits contribue à la formation d’ensembles spécifiques où texte et image entrent en résonance. Il existe deux versions du Merlin et de la Suite Vulgate, ainsi que des versions contaminées294. La version longue (α) est beaucoup

293 294

Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 144. Robert de Boron. Merlin, roman du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha, 1979, introduction, et Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », Romania, 79, 1958, p. 78-94 et 145-74.

228 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

plus répandue que la courte (β), que l'on trouve notamment, mais pas exclusivement, dans les compilations cycliques. On compte seulement treize manuscrits apparentés à la version β, contre plus de trente cinq pour la version α. En outre, il n'existe pas de version courte du Merlin propre sans Suite Vulgate  : dans les ouvrages qui transmettent la version β, le Merlin est systématiquement suivi de sa continuation. Quant à la version longue du Merlin propre, majoritaire, elle apparaît systématiquement dans les manuscrits qui transmettent le Joseph et / ou le Merlin sans Suite Vulgate. La version β, dont les plus anciens témoins datent de la fin du XIIIe siècle, est sans doute ultérieure à la version α et tient une place proportionnellement plus importante dans les manuscrits du XVe siècle. La version courte, particulièrement bien représentée dans les manuscrits à caractère cyclique, apparaît donc dans la moitié des manuscrits complets du cycle du Graal, Bonn, ULB, 526, BNF fr. 110, Londres, BL, Add. 10292-94, Ars., 3479-80 et BNF, fr. 117-120. Elle tient une place importante dans les compilations partielles du cycle du Graal, comme BNF, fr.  19162 et fr.  24394 ou Darmstadt, ULB, 2534 qui comprennent seulement l'Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate, de même que BNF, fr.  95 ou l'ex-Newcastle, 937 qui intègrent en outre d'autres types de textes. Paris, BNF, fr.  96 comprend outre ces trois textes le Lancelot. Enfin la version courte apparaît aussi dans un manuscrit comprenant uniquement le Merlin et sa suite, Londres, BL, Harley, 6340. Le relatif abrègement qui a lieu dans la version β du Merlin et de la Suite Vulgate pourrait donc s'expliquer par l'insertion du texte dans de grands ensembles romanesques bien que le choix de la version courte n'y soit pas systématique. D’un point de vue textuel, la rédaction de la Suite Vulgate, dans ses deux versions, est liée au passage d’un Merlin succédant au Joseph et précédant parfois le Perceval, dans la trilogie du pseudo-Robert de Boron, à un Merlin intégré dans le cycle du Graal, après l’Estoire et le Lancelot. Tous les manuscrits présentant le Merlin seul, précédé ou non du Joseph ou de l’Estoire, appartiennent à la version longue α. C’est cette version que l’on trouve également dans les manuscrits de la trilogie Joseph-Merlin-Perceval, mais elle figure aussi en l’absence du dernier texte. La version β a vraisemblablement été écrite pour favoriser l’intégration du Merlin au cycle Vulgate. Pourtant dans les compilations du Lancelot-Graal, c’est parfois le Merlin (et sa Suite Vulgate) α qui ont été utilisés. La version α récapitule le Joseph tandis que la version β, qui fait plus nettement référence à l’Estoire dans la présentation de la descendance de Joseph est à la fois postérieure et beaucoup moins largement distribuée. La version β réécrit également le Merlin dans la perspective de la Queste del Saint Graal, comme l’indiquent les passages sur les tables du Graal.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 229

Aux versions α et β du Merlin propre correspondent respectivement une Suite Vulgate α et β295. La rédaction de la Suite Vulgate pose donc à la fois la question de la continuation du Merlin et celle de son insertion dans un ensemble cyclique visant à unir une série de textes donnés. La Suite Vulgate sous ses deux versions apparaît dans des configurations manuscrites extrêmement variées : elle complète le Merlin propre dans des manuscrits où ils apparaissent seuls ou en compagnie d’autres textes, appartenant le plus souvent au cycle du Graal. Les modifications ou omissions repérables dans les deux versions de la Suite Vulgate montrent comment le texte s’ouvre à la pratique de la réécriture et de la variation. Elles sont de nature et d’ampleur différentes, allant du segment de phrase à de plus longs développements. Les abrègements textuels manifestent une volonté d’économie et de réduction et opèrent à des choix et à des redistributions dont le personnage de Merlin est dans une certaine mesure la victime. Les transformations peuvent être motivées par un souci de cohérence textuelle, et donnent des précisions, des modifications ou des rectifications qui mettent le Merlin et sa suite en conformité avec les autres textes du cycle du Graal. Or la version β, qui devrait logiquement accentuer les éléments de l’intégration cyclique, modifie ou supprime parfois certains passages de la version α qui constituent pourtant des prolepses ou analepses à caractère cyclique. Si le Merlin dans sa version α semble plus proche du Joseph, les deux versions de la Suite Vulgate s’efforcent de réconcilier le Merlin et sa Suite Vulgate avec l’Estoire qui les précède et avec le cycle dans lequel ils s’insèrent. Les contraintes de l’intégration cyclique jouent un rôle important, mais on assiste aussi dans la Suite Vulgate β au développement d’une poétique de la concentration et de la concision. Cela permet d’orienter la réflexion sur les motivations littéraires, esthétiques et idéologiques à l’œuvre dans le travail de réduction et de sélection manifeste dans la version courte. Poursuivant les travaux d’Alexandre Micha et de Richard Trachsler dans la comparaison de ces deux versions, nous nous interrogerons sur la nature de leurs différences et sur l’implication de l’abrègement et des transformations opérés par la version β par rapport à la constitution de l’Estoire de Merlin et à son insertion dans le cycle du Graal. Nous prendrons comme éditions de référence pour le Merlin α l’édition de Micha, fondée sur BNF, fr. 747296, et pour le Merlin et la Suite Vulgate β l’édition Pléiade, tirée du manuscrit Bonn, ULB, 526, même si elle est parfois plus développée que la version de BL, Add. 10292 éditée par Sommer297. Pour la version α de la Suite Vulgate, dont nous attendons une 295

296 297

Voir Trachsler, Richard. «  Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin  », 2001, p. 128-48. Robert de Boron. Merlin, Roman du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha, 1979 [=M]. Estoire de Merlin, The Vulgate Version of the Arthurian Romances, t. 2. Ed. H. Oskar Sommer, Washington : Carnegie Institute, 1908.

230 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

édition préparée par Annie Combes et Richard Trachsler, nous proposons des transcriptions du manuscrit BNF, fr. 747 contrôlé par BNF, fr. 105 et 9123.

Du péché originel à la question de la Trinité Alexandre Micha et Richard Trachsler se sont intéressés aux phénomènes de transformation à l’œuvre dans les versions α et β du Merlin et de sa Suite Vulgate en prenant appui sur des passages témoins permettant de distinguer les deux versions du texte. Il semble que dans la version β du Merlin et de sa Suite Vulgate, certains passages font l’objet de transformations liées à l’influence de l’Estoire del Saint Graal et donc aux modalités de l’écriture du cycle de la Vulgate, plutôt qu’à l’environnement et à la rédaction de celui de Robert de Boron. Ainsi, comme l’a signalé A. Micha, lorsque les démons déplorent le caractère rédempteur du baptême au début du texte, dans la version β il est fait référence à la puissance salvatrice de la Trinité, alors que la version α du Merlin s’intéresse davantage à la question du péché originel298. La Trinité, déjà mise en valeur dans le Joseph, figure dans la miniature frontispice de plusieurs manuscrits de l’Estoire transmettant aussi le Merlin. Elle apparaît dans fr. 95 f. 1 (1290’) sous la forme du trône de Grâce, au début de fr. 749 f. 1 (1300’) (le Père et le Fils, assis côte à côte et représentés de façon très similaire discutent au dessous d’une colombe représentant le Saint Esprit) et dans Bruxelles, BR, 9246 f. 2 (1480’), qui forme un tout avec BNF, fr. 91 (le Père et le Fils, d’apparence distincte, apparaissant dans le ciel, envoient la colombe de l’Esprit porter le livre à l’auteur endormi). La représentation de la Trinité dans ces manuscrits qui vont du XIIIe au XVe siècle n’est pourtant pas corrélée à la version du Merlin et de la Suite Vulgate transmise dans le même ouvrage, puisque si fr. 95 est de la version β, fr. 749 est contaminé et fr. 91 présente la version α de ce texte. La mention de la Trinité dans la version β du Merlin insiste sur une notion théologique déterminante dans l’Estoire. BNF, fr. 747 f. 77b et 77va (M. 19-20)

Bonn, ULB, 526 f. 60a (Pl. I, 572)

« Membre vos que li prophete pallerent et disoient [...] que cil nestroit en terre qui les vendroit delivrer. Tant le dirent que or est avenu. Et se il ne nos avoit toluz que cels, ne porroit chaloir, mais il nos a toluz touz les autres, se il font que saiges. Coment font il, que nos n’avrons mie les autres ? » Et il respont : « Dont ne savez vos que il les fait laver d’une iaue en son non, et par cele iaue a lavé le delit del pere et de la mere par quoi nous les devions avoir et par quoi nos les [f. 77c] prenoions en toz les leus ou nous vouloiens. Or les avons perduz par cel lavement... » 

«  Membre vous que li prophete parlerent qui disoient [...] que cil venroit en terre qui les deliverroit. Et tant disent li prophete que ore est avenu : si nous ont tolu ce que nous avienmes que nus n’i pooit riens clamer, ne mais il nous a tolu tous les autres par tel force que nous ne savons mie. Ne sés tu dont que il les fait laver en aigue en son non ? Par cele aigue se lavent el non del Pere et del Fil et del Saint Esperit, par coi nous devons savoir que nous les avons perdu par cel lavement... »

298

Voir Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », 1958, p. 146-48.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 231

L’histoire du Graal Les passages relatifs au Graal sont un lieu stratégique de distinction des différentes versions du Merlin propre et de sa suite, selon qu’il est fait référence au Joseph ou à l’Estoire del Saint Graal, et les anticipations de la Queste del Saint Graal sont tout aussi intéressantes du point de vue de l’inscription de ces textes dans le cycle de la Vulgate arthurienne. Comme l’a souligné Alexandre Micha, les personnages mentionnés en référence au texte qui précède le Merlin font l’objet de variations dans ses différentes versions299. Ainsi quand Merlin raconte à Blaise l’histoire du Graal transmis à Joseph d’Arimathie, il mentionne à ce sujet les aventures d’Alain, Petrus et Bron, dans la version α, conformément à l’épilogue du Joseph en prose, tandis que la version β se réfère à Nascien et à ses compagnons, ce qui renvoie à l’Estoire del Saint Graal 300. Le passage permet de départager les manuscrits des deux versions de la Suite Vulgate et de souligner comment la transformation opérée dans la version β favorise son intégration dans le cycle du Graal. BNF, fr. 747 f. 82ab (M. 73)

Bonn, ULB, 526 f. 63vb (Pl. I, 611-12)

Einsis quist Blaise ce que mestiers li fu, et [f. 82b] quant il ot tot quis et assamblé, si li comença a aconter les amors de Jhesu Crist et de Joseph tot einsi com eles avoient esté, et de lui et de son lingnaige et de celes genz qui le vaissel dou Graal avoient, et toute l’oevre si come le avoit esté, et d’Alein et de sa compaignie si com il estoit partiz de chiés son pere, et coment Petrus s’en estoit alez et coment Joseph se dessaisi de son vaissel [...] « Ansis sera tes livres celez et poi avenra que nus en face bonté. Et tu l’enporteras quant je m’en irai avec celui qui me vendra querre  : si sera le Joseph et le Bron ou le tuen, quant tu auras ta poine achevee et tu seras tiels que tu doies estre en lor compoignie. Lors si assambleras ton livre au lor, si sera bone chose provee de ma poine et de la toue, si en avront merci, s’a els plest, et proieront Nostre Seingnor por nos ».

Lor quist Blayses ce que mestier li fu, et quant il l’ot quis et assamblé, si li conmencha Merlins a conter les amours de Jhesu Crist et de Joseph de Barimachie tout ensi com eles avoient esté et toute l’oevre si come ele avoit esté de Nascien et de ses compaingnons, et conment Joseph morut et se fu dessaisi de son vaiscel. [...] « Ensi sera tes livres celés, et poi avenra que ja nus t’en face bonté. Et tu l’emporteras avoec toi que je m’en irai avoec ciaus qui me venront querre et t’en iras es parties d’occident. Si sera li livres Joseph avoec le tien, et quant tu auras ta painne achievee et tu seras teus com tu dois estre en la compaignie del Saint Graal, lors sera tes livres ajoins au livre Joseph. Si sera la chose bien esprovee de ma paine et de la toie si en aura Dieu merci s’il li plaist. Et cil qui l’orront prieront Nostre Signour pour nous ».

Les gardiens du Graal sont également mentionnés au sein d’un passage situé au début de la Suite Vulgate, après la bataille d’Arthur contre les barons

299

300

Micha, Alexandre. «  Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron  », 1958, p. 148-51. Le nom d’Alain, mentionné dans les différentes parties annoncées à la fin du Joseph, figure aussi à la fin du Merlin α dans BL, Add. 32125, BNF, fr. 747 et Amsterdam, BU, I A 24 q (un fragment). Le passage, qui introduit le nom de Robert de Boron, anticipe un récit consacré à sa vie et à celle de ses descendants. Voir Robert de Boron. Merlin, roman du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha, 1979, p. 290-91.

232 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

rebelles à Bédingran. Les rois défaits, réunis à Sorhaut, apprennent la nouvelle de l’invasion de leurs terres par les Saxons. Ils tiennent conseil et à cette occasion le roi Brangoire dresse l’état de la situation politique en GrandeBretagne. Les nobles bretons doivent exclure un grand nombre d’alliés potentiels, y compris les rois Pellès, Pellinor et Alain : Ne par decha du roi Pellés de Listenois n’atendons nous nuls secours, car il garde le roi Pellinor son frere qui gist malades d’un mal dont ja n’aura garison tant que cil verra laiens qui les aventures du Saint Graal metra a fin, ne del roy Alain qui gist malades n’atendons nous nul secors devant ce que li mieuldre chevaliers del monde viegne a lui et li demant dont cele maladie li vint et quel chose li Graus est que l’en sert (Bonn, ULB, 526 f. 87c, cf. BNF, fr. 747 f. 116va, Pl. I, 861).

Cette synthèse, qui apparaît dans les deux versions de la Suite Vulgate, évoque deux rois méhaigniés et potentiels gardiens du Graal : Pellinor, dont la blessure ne sera guérie qu’à l’avènement du chevalier qui mettra fin aux aventures du Graal, et Alain, qui ne sera rétabli que quand le meilleur chevalier l’aura interrogé au sujet du Graal. Cet effort pour réconcilier les différentes versions de l’histoire de Graal est problématique, car dans l’Estoire del Saint Graal on trouve Alain, surnommé le Riche Pêcheur (alors qu’il s’agit de Bron, son père, dans le Joseph d’Arimathie), et Pellehan le Roi Méhaignié. Dans le Lancelot et la Queste, le Roi Pêcheur ou Roi Méhaignié serait plutôt le père de Pellès. À ce niveau, les deux versions de la Suite Vulgate semblent plutôt suivre l’Estoire, mais dans ce texte, Alain décède et est enterré à Corbénic avec le roi Alfasem (Pl. I, 554). Les deux rédactions se distinguent dans la suite du passage où seule la version longue fait référence au personnage de Galehaut, ce qui convoque alors l’intertexte du Lancelot : Et par deça del roi de Norgales an Sorelois ne poons nos avoir nul secors car Galehoz li filz a la jaiande des Lointaignes Illes le gueroie et velt qu’il tiegne sa terre de lui et cil se deffent tant come il puet, ne del roi Brangain de l’Ille Perdue ne poons avoir secors, ne del roi Anadorian, ne del roi Clamados, car tolz les gueroie Galehoz qui est cousins le roi des .C. Chevalier qui por nos est traveilliez, la sue merci. Et je sai bien que si tost come Galehoz porra avoir conquis ices roialmes que il guerroie, qu’il nos corra toz seure, car il ne desire tant riens come avoir le reaume qui fu Uterpandragon (BNF, fr. 747 f. 116va).

Les ambitions impérialistes de Galehaut annoncent sa confrontation avec Arthur dans le Lancelot. Seule la médiation de Lancelot, qui noue une amitié indéfectible avec le roi des Iles Lointaines mais lui impose de se soumettre à Arthur et de faire la paix avec lui, prévient la défaite du souverain breton (Pl. II, 538 ss.). La Suite Vulgate β, qui conserve la référence problématique aux deux rois méhaignés en charge du Graal, crée des ponts en direction de l’Estoire et de la Queste, mais omet l’évocation de Galehaut qui renforce pourtant les liens entre le Merlin et le Lancelot.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 233

Bien que la Suite Vulgate apparaisse avec le Merlin dans des manuscrits qui transmettent aussi bien le Joseph que l’Estoire, elle intègre, dans sa version longue comme dans sa version courte, une parenthèse concernant le personnage de Nascien et sa généalogie. Ce passage interrompt la linéarité textuelle et chronologique au cours de la bataille contre le roi Rion, évoquant la relation de Nascien à l’histoire du Graal et sa mise par écrit : Illuec le firent molt bien li compaignon de la Table Reonde et li damoisiaus dont li contes doit molt bien parler, car il ne fait mie a trespasser, ains fait molt bien a ramentevoir dont il fu et conment il ot non [...] Icil Nasciens ot puis Lancelot du Lac, le fil au roi Ban de Benuyc, en sa baillie, dont li contes vous devisera toutes les estoires les unes aprés les autres si com eles avenront de jour en jour [...] Li contes des estoires dient qu’il fu cousins germains Perceval le Galois de par sa mere dont li contes parlera cha avant, car li lix n’en est ore mie... [Nascien] ot puis la Sainte Estoire en sa baillie et escrist de sa main propre par le conmandement del Saint Maistre, et tant en escrit qu’il ajousta au livre Blayse qui par Merlin en fist ce qu’il en fist. [...] Mais atant se taist ore li contes de ce. Et retourne a parlertout mot a mot conment il lor avint en la bataille des Saisne (Pl. I, 1086).

L’effet de digression et le recours à l’analepse et à la prolepse permettent de lier les « estoires » des personnages arthuriens à la « Sainte Estoire » et de les inscrire dans la perspective d’une histoire générale de l’humanité. L’Estoire del Saint Graal, qui narre la translation du Graal d’Orient en Occident et écrit l’histoire profane à la suite de l’histoire sainte, détermine ainsi la christianisation de la matière arthurienne, tout en lui donnant un ancrage historique. Le texte s’interrompt après l’évocation de Perceval par le biais du « conte des estoires », qui serait la source du livre tout en repoussant dans le futur le récit de ses aventures301. Il y a alors un double renvoi, d’une part au mode de transmission du texte (avec l’histoire racontée par Merlin à Blaise, à laquelle s’ajoute le récit du narrateur inspiré par Dieu de l’Estoire del Saint Graal), et d’autre part à la matière d’un autre roman du cycle, le Lancelot. Tout le paradoxe du Merlin et de la Suite Vulgate consiste à fonder l’authenticité du récit sur le dispositif fictionnel des dictées au scribe Blaise. Le roman est ainsi ponctué de ces passages où Merlin, doté à sa naissance de la connaissance du passé, du présent et de l’avenir, raconte à son maître les événements auxquels il a assisté et participé ou dont il prévoit la venue. Le texte procède à des sauts en avant par le biais de remarques insérées ­ponctuellement dans le cours de la narration. Le « conte » désigne l’ouvrage en train de s’écrire, et le « livre » renvoie à l’écrit de Blaise, et au témoignage de Merlin. Le roman expose ainsi sa propre genèse. 301

Un autre « conte des estoires » est mentionné à l’occasion d’une digression explicative et historique (ou mythologique) concernant l’épée du roi Rion, Marmiadoise, qui aurait appartenu à Hercule lui-même (Pl. I, 1107 ss.).

234 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Alors qu’un écrivain comme Chrétien de Troyes assume et revendique l’élaboration d’un conte qui s’émancipe des traditions antérieures pour s’intéresser à une matière nouvelle, par delà la notion de translation et la fiction du livre trouvé dans l’armoire, le recours au motif sacré du Graal suscite dans les textes du cycle de la Vulgate la création d’autres dispositifs éclairant l’origine de ces romans et censés garantir leur authenticité302. Ces considérations méta-diégétiques déterminent la représentation de la construction textuelle et du statut du Merlin et de la Suite Vulgate au sein du cycle du Graal. Paradoxalement, cette interruption du récit permet de mettre en perspective l’entreprise d’écriture, hantée par un désir d’exhaustivité, et aspirant à suivre un déroulement chronologique. La continuité chronologique et la cohérence du Lancelot-Graal s’affirment dans les deux versions de la Suite Vulgate, grâce à des commentaires, des rappels et des annonces qui tout en interrompant la narration s’efforcent de renforcer le lien entre les différents textes qui le composent. On assiste parfois à un emballement de ces stratégies de renvois qui au lieu de tisser un réseau cohérent introduisent des écarts et des discordances entre les textes. L’effort d’élucidation et de mise en conformité d’une matière diverse et parfois contradictoire peut susciter un phénomène de dispersion qui semble paradoxalement inhérent à l’entreprise de jointure textuelle et d’amplification cyclique303. La version β et la version α du Merlin se distinguent aussi par leur évocation de la rédaction du livre du Graal, au cours du second entretien entre Merlin et Blaise. La version longue insiste sur la disparition des personnages dont Blaise raconte l’histoire et sur sa propre mort. Cela souligne par contraste la pérennité de récits qui survivront dans la mémoire des générations futures, grâce à cette entreprise systématique de transmission et de mise par écrit à caractère exhaustif, soutenue par un intérêt constant pour une matière « bonne » et « profitable ». La version β porte également l’idée de la pérennité du livre, mais éclaire d’abord la récompense promise à Blaise, au terme de son entreprise de rédaction. Il peut ainsi espérer une « joie » tirée du contact avec la présence mystique du Christ qui le met au rang des compagnons du Graal. Si la «  grâce  » évoquée dans la version α est nécessairement d’origine divine, la « joie » prédite à Blaise dans la version β peut évoquer les formules utilisées pour décrire son état d’esprit lorsqu’il reçoit la visite de Merlin dans sa retraite du

302

303

Voir  Baumgartner, Emmanuèle. «  Le livre et le roman (XIIe-XIIIe siècles)  », 1994, p. 38-40. Voir Szkilnik, Michelle. « Sommes romanesques du moyen âge : cycles ou compilations ? », Chemins tournants, collectif autour de Michel Deguy. Ed. Stéphane Michaud, Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 23-50.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 235

Northumberland. Il s’agit alors d’une joie plus humaine que sacrée. Alors que la version longue oppose le passage de l’histoire et la finitude humaine à la durée de l’écrit, doté des vertus qui lui sont traditionnellement attribuées, la version courte évoque plus brièvement le destin exceptionnel du livre du Graal et de son rédacteur. BNF, fr. 747 f. 84vb (M. 101)

Bonn, ULB, 526 f.  65va (Pl. I, 631)

Et quant tu avras ce tut acompli et lor vies retraites, si avras deservi la grace que cil ont qui sont en la compoignie dou vaissel que l’en apele Graal. Et tes livres, par ce que tu en as ja fait et par ce que tu en feras, quant il seront parti de cest siecle et alé au plaisir Jhesu Crist –de que je ne te doi retraire– et tu seras alez de cest siecle et morz, si avra non toz jor mais, tant com li mondes durera, tes livres li livres dou Graal et sera molt volentiers oïz, qu’il avra poi chose faite et dite en nul leu qui bonne soit ne profitable dont il n’i ait aucune partie. » Ensis parla Merlins a son maistre...

Et quant tu auras tout acompli et lor vies retraites, si averas deservie la joie que cil ont qui sont en la compaingnie del saint vaissel qui est apeles Graaus, tant come li mondes durera, et seras moult volentiers oïs. Ensi parla Merlins a son maistre...

Si la version courte de la Suite Vulgate privilégie l’intégration du Merlin dans le cycle Vulgate, on pourrait s’attendre à ce qu’elle accorde un statut particulier aux passages relatifs à l’histoire du Graal. Pourtant, plusieurs développements relatifs au Graal y sont également abrégés ou omis. Ainsi lorsque Merlin explique à Uterpandragon le projet de fonder la Table Ronde, il rappelle l’histoire de Joseph d’Arimathie, le chevalier qui a descendu le Christ de la croix et recueilli son corps. Le texte de la version α précise : « Et Nostre Sire li comenda que il feïst une table au non de cele table qui fu a la Cene, et un vaissel que il avoit meist suer la table, quant il l’auroit couverte de dras blancs, et que il covrist le vaissel tout fors devers lui : et cel vaissel li bailla Jhesu Crist et il par cel vaissel departi de la compoignie des bons et des mauvais, et a celle table qui est tiels qu’il puet seoir, si a acomplissement de son cuer en toutes manieres » (M. 184).

La version α insiste donc sur la filiation entre le dernier repas du Christ, la Cène, et les cérémonies qui auront lieu autour de cette « seconde table » instaurée par Joseph où trône le Graal pour commémorer l’histoire sainte. La version β (Pl. I, 693) omet la référence à la Cène, déjà évoquée plus haut dans le texte, pour se concentrer sur les instructions cérémonielles données par le Christ à Joseph. Elle détache donc insensiblement l’histoire du Graal du récit biblique qui joue pourtant un rôle capital dans la fondation du Joseph comme dans l’Estoire. Si la Suite Vulgate β apparaît notamment dans les manuscrits comprenant l’ensemble du cycle du Lancelot-Graal, la version α participe donc également à l’intégration du Merlin aux textes arthuriens liés au Graal, y compris ceux du cycle de la Vulgate.

236 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Le lignage d’Arthur La version β illustre le goût des romans en prose pour les développements d’ordre généalogique et lignager, elle met en avant de personnages unis par les liens du sang, ce que peut illustrer la modification du nombre des filles d’Ygerne304. Dans le Merlin propre, la version α mentionne ainsi l’épouse du roi Loth d’Orcanie, et une fille bâtarde, Morgain, qui épouse le roi Neutres de Garlot, puis évoque sans plus de précision les « autres enfants » d’Ygerne, tandis que dans la version β sont distinguées, outre l’épouse de Loth, l’épouse bâtarde du roi Nantes de Garlot, ainsi que Morgain. BNF, fr. 747 f. 98a (M. 244-45)

Bonn, ULB, 526 f. 75vc (Pl. I, 739-40)

Uiterpandragon espousa Egerne et li rois Loth d’Orcanie sa fille. Les noces le roi et d’Egerne furent au trantieme jor que il avoit a lui geu en sa chambre, et de ceste fille que il donna le roi Loth eissi Mordrez et mes sires Gauvains et Gareés et Gaheriez, et li rois Neutres de Garlot rot l’autre fille qui estoit bastarde qui avoit non Morgains ; et par le consoil de touz les amis ensemble la fist li rois aprendre letres en une maison de religion et celle aprist tant et si bien qu’elle aprist des arz et si sot merveille d’un art que l’en apele astronomie et molt en ouvra toz jorz et sot molt de fisique, et par cele mastrie de clergie qu’ele avoit fu apelee Morgain la faee. Les autres enfanz adreça li rois touz.

Et ensi prist Uterpandragon Igerne et donna la fille le duc le roi Lot d’Orcanie. Les noces del roi et d’Ygerne furent au tresisme jour qu’il avoit jeü o li en sa chambre. Et de la fille que il donna le roi Loth issi mesire Gavains et Agravains et Guerrehés et Gaheriés et Mordrés. Et li rois Nantes de Garlot i ot une autre fille bastarde. Et il en i ot une qui ot a nom Morgain. Cele mist li rois a l’escole pour aprendre des lettres par le conseil de tous ses parens. Et aprés le mist en une maison de religion. Et cele aprist tant et si bien qu’ele aprist des ars, et si sot a merveille bien d’une art c’on apele astrenomie, ele en ouvra molt a tous jours, et si resot molt de fusique. Et par cele clergie fu ele apelee Morgain la Fee. Les autres enfans adrecha li rois tous.

La différence se creuse ensuite dans les versions de la Suite Vulgate α et β : dans la première on se réfère aux sept filles d’Ygerne, tandis qu’elles ne sont plus que cinq dans la seconde. Pour R. Trachsler ce procédé permet de fonder la constitution du camp arthurien sur un lignage, car ces sœurs d’Arthur sont aussi mères d’enfants qui à l’image des fils du roi Loth se mettront au service du jeune roi, alors que leurs pères se rebellent contre lui305. Dans la version courte, ses noces avec Uterpandragon constituent le troisième mariage d’Ygerne qui a déjà engendré des enfants avec son premier époux et avec le duc de Tintagel. Cet accroissement de la progéniture d’Ygerne pourrait remonter à des sources plus anciennes car les remariages d’Ygerne font affleurer la perspective mythique du transfert de la souveraineté, celle-ci étant incarnée par une femme306.

304 305

306

Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, p. 53-55. Trachsler, Richard. « Quand Gauvainet rencontre Sagremoret ou le charme de la première fois dans la Suite-Vulgate du Merlin  », Enfances arthuriennes. Dir. Denis Hüe et Christine Ferlampin-Acher. Orléans : Paradigme, 2006, p. 203-15.  Voir Pl. I, note du § 224, p. 1801.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 237

Cette question du lignage joue un rôle décisif à la fin du cycle, puisque la Mort Artu montre l’opposition de la parenté d’Arthur au lignage de Ban. BNF, fr. 747 f. 105d

Bonn, ULB, 526 f. 80vc (Pl. I, 793-94)

Lors commença a acontier sa vie [...] et conment Ulfins porpensa le mariage de lui et de la reine sa mere qui avoit .V. filles del duc son seignor et deus de son seignor premier, dont li rois Loth a une fille a fame et li rois Nantres l’autre et li rois Uriens l’autre et Briadans la quarte qui morz est, qui fu peres Aguisanz d’Escoce, et la quinte si est a Logres en la Grant Breteigne a escole qui aprent et moult est sage et ague de grant clergiee.

Et lors li comencha a conter sa vie [...] et conment Ulfins pourpensa le mariage de Uter et de la ducoise Ygerne qui avoit .V. filles et les .III. estoient del duc son signour et .II. de son premier signour, dont le rois Loth a une fille a feme et le roi Nantes l’autre et le roi Uriens la tierce et Beradam ot la quarte, qui mors est, cil qui fu peres Aguiscant d’Escoce, et la quinte va a escole a Logres.

Le personnage de Merlin Si la Suite Vulgate est une continuation du Merlin propre, elle sert aussi de transition entre ce texte et le Lancelot où la figure de l’enchanteur a disparu, supplantée dans une certaine mesure par celle de la Dame du Lac. Il peut donc sembler cohérent que la version courte de la Suite Vulgate abrège certains ­passages relatifs à l’action de Merlin. Ce dernier est d’ailleurs dégradé dans la version commune du Lancelot, ce qui justifie son enserrement par Viviane et peut expliquer la condensation de passages insistant sur le caractère positif de Merlin. Ainsi au début du Merlin, après la mention des dons que l’enfant reçoit du diable d’une part et de Dieu d’autre part, la version β laisse de côté les explications pédagogiques et manichéistes de la version α qui tire la double nature du personnage du côté du bien : « [Merlin] puet randre as deables lor droit et a Nostre Seignor le suen : car plus n’a deables en lui formet que le cors, et Nostre Sire met en touz les cors son esperit et por veir et por oïr et por entendre, a chascun selonc ce que il li preste memoire. Et il a a cestui plus doné que a autre por ce que graindre mestiers li estoit, si savra or bien au quiel il se devra tenir. » (M. 51).

Pour accentuer l’opposition entre le corps et l’esprit, et leurs origines respectives, la version α risque la contradiction, puisqu’elle vient de mentionner que le diable a aussi pourvu Merlin de qualités spirituelles. En effet, Merlin possède grâce au démon la connaissance des choses passées : Sot cist les choses faites, dites et alees, car il les a et tient de l’enemi (M. 50).

La version α insiste sur la générosité des dons de Dieu envers Merlin et suggère l’idée d’un plan divin passant par un être qui choisit librement celui à qui il va prêter allégeance. En omettant ce passage, la version β laisse en revanche planer une certaine ambiguïté, bien que dans la version α, le dernier segment de phrase laisse au lecteur la charge de tirer les conclusions

238 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

concernant le choix et le devenir de Merlin. On peut attribuer cette réserve à un souci d’impartialité et de cohérence, à moins que cela ne corresponde à une évolution littéraire qui tend à noircir le personnage de Merlin. Dans la version β, certains pourparlers politiques et stratégiques qui préparent et annoncent les actions militaires, font l’objet d’une condensation. Ainsi, lors de la bataille de Bédingran contre les barons rebelles, le plan stratégique de Merlin est écourté (Pl. I, 829-30)307. Cette réduction de l’intervention de Merlin, le premier conseiller d’Arthur, peut accentuer la tendance de la Suite Vulgate à déplacer l’histoire de Merlin à Arthur, ce que fait également la Suite Post-Vulgate. Dans la version β, les renforts menés par Merlin depuis la Petite Bretagne rencontrent directement l’armée d’Arthur à Bédingran, tandis que dans la version α, Arthur, Ban et Bohort se trouvent encore à Logres, où Merlin les rejoint et les informe de la venue des renforts, avant qu’ils se préparent et se mettent en route pour Bédingran où Merlin lui-même va diriger le combat. La version longue souligne l’ubiquité de Merlin et son rôle d’intermédiaire. Elle insiste sur son investissement comme informateur militaire et chef stratégique, qui tient à se rendre en personne auprès des trois rois, malgré la distance et le danger consistant à traverser pour cela les lignes ennemies. Lui seul est capable de les escorter et de les guider en toute sécurité. « Sire, dist Ulfins, autres i deust aler que vos ». « Non fera, dist Merlins, car je les saurai mielz mener a sauveté que nus, si que ja ne seront veü ne seü par nul home ». « Or alez a Deu, dient li baron, et fetes au plus tost que vos porroiz ». Et Merlins s’em part maintenant si soudainement qu’il ne sorent onques qu’il fu devenuz, si se saingnent de la merveille qu’il an ont (BNF, fr. 747 f. 111vab).

La rapidité merveilleuse de son déplacement et l’omniscience qui le caractérise font de lui un conseiller militaire et un messager particulièrement efficace. Merlin relie les différentes parties de l’armée d’Arthur et de ses alliés, puisqu’il vient de convaincre les vassaux de Ban et Bohort de prêter leur aide à Arthur et de s’embarquer pour rejoindre son armée à Bédingran. Il garantit ainsi l’unité du camp arthurien, composé de forces d’origines distinctes, et assure la liaison et la cohérence d’une puissance de coalition dont il est l’instigateur et le garant. À Bédingran, chacun guette avec anxiété son retour ainsi que la venue des trois rois. Ceux-ci apprennent grâce à lui la nature et le nombre exact des forces de leurs adversaires. Face à l’inquiétude suscitée par son rapport, Merlin rassure ses interlocuteurs par des serments solennels qui témoignent de son implication et de sa détermination à abattre ses ennemis, grâce à l’appui divin dont il bénéficie :

307

Voir Document 2 : Les origines mythiques de la Grande-Bretagne dans les versions α et β de la Suite Vulgate, p. 241.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 239

« Encore i a il autre chose, fet Merlins, par la foi que je vos doi, ne par la foi que je doi au roi Artu mon seignor, ne foi que ge doi Blaise mon maistre, je quit tant faire a l’aide de Deu et au sens qu’il m’a donné, que mal i vindrent » (BNF, fr. 747 f. 111vb).

Merlin possède également un pouvoir visionnaire qui lui permet d’affirmer sa mainmise sur l’action et de donner encore plus de poids à ses conseils militaires. Ce savoir surnaturel garantit la fiabilité du personnage : investi d’une mission divine, il émerveille ses auditeurs et gagne ainsi leur confiance. « Car il auront tant a faire que ja n’auront a nos duree. Mais bataille i aura grant et occision, ne des nos n’i morra il mie plus de .IIII.XX. Mais il i aura des lor ocis a cenz et a milliers et bien le verroiz » (BNF, fr. 747 f. 111vb).

Ces prédictions extrêmement détaillées concernant l’issue d’une bataille imminente contrastent avec le caractère beaucoup plus énigmatique des prophéties allégoriques auxquelles il se livre dans d’autres parties du texte et dont l’application n’est jamais vraiment élucidée. L’autorité que Merlin tire de ces prophéties lui permet de donner des ordres immédiatement exécutés, car il prend aussi en compte des aspects matériels comme le ravitaillement préalable au déplacement des trois rois et d’Antor. En omettant ce passage, la version β supprime les prolepses et analepses qui auraient pu participer à l’intégration cyclique et à la mise en relation de la Suite Vulgate avec d’autres textes de la tradition historique et arthurienne. Coupant court aux allers et venues de Merlin, elle se concentre sur les conseils qu’il donne : on voit immédiatement Merlin recommander à Arthur de gagner la faveur de ses hommes par des dons généreux, grâce à un trésor qu’il leur distribuera après la bataille, puis indiquer où et quand attaquer par surprise les Saxons. Le personnage de Merlin est central en ce qu’il sert de pivot et de facteur d’unité entre le Merlin et sa suite, mais dans le Lancelot, il s’efface très rapidement. À travers l’exemple de la bataille de Bédingran, il semblerait que la Suite Vulgate α privilégie la continuation du Merlin, tandis que β favorise son inscription cyclique en mettant en perspective les actions de ce personnage avec sa précoce disparition.

Insertion cyclique et abrègement La perspective de l’intégration cyclique du Merlin peut justifier une pratique de l’abbreviatio qui touche des passages répétitifs, donnant des détails peut-être perçus comme inutiles ou développant des circonstances spatiales et temporelles dont l’omission porte peu à conséquence. Ainsi après sa victoire contre les barons rebelles, Arthur rassemble sa cour à Logres, adoube de nombreux chevaliers et fait fortifier ses citadelles. À l’occasion d’une transition textuelle caractérisée par la mention du conte, la version α reprend et résume ces éléments, en précisant le nombre exact des nouveaux chevaliers :

240 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Aprés ce que li rois Artus ot ainsi esploitié et fet de sa main ce dit li contes .III.C. chevaliers noviaus, et il ot garnies totes ses forteresces de sergens, si come Merlins li enseigna et commanda... (fr. 747 f. 105va).

Dans la version β (Pl. I, 792-93), la suppression de cette jointure narrative, sans doute perçue comme redondante, permet ainsi d’alléger un texte supposé s’insérer dans un ensemble plus vaste. De même, lors de la première rencontre entre Merlin et Guinebaut, la version β passe sur la solennité et le contexte ecclésial qui entoure la révélation par Merlin des conditions de la naissance d’Arthur à Ban et Bohort, ainsi que sur les précisions temporelles réalistes que la version α donne des activités orchestrées par Merlin. BNF, fr. 747 f. 109vb

Bonn, ULB, 526 f. 83c (Pl. I, 821)

Si s’entr’acointierent molt antre Guinebauz et Merlins qu’il maint biax jeus li aprist, et cil les retint bien qui moult estoit saiges clers et bien retenanz tant que maintes foiz puis an ovra an la Bloie Bretaigne et an maint autres leus ou il fu dont il tint grant parole lonc tens amprés si come li contes le devisera ça avant. [Initiale émanchée] Or dit li contes que quant li trois roi se furent couchié dormir qu’il reposserent la nuit a iesse jusqu’a landemain que l’en sona la messe [ f.  110a] molt matin. Car li jorz estoit autresi come antor la Toz Sainz et Noel. Lors vint Merlins a els et les esveilla et ovri .II. fenestres par devers le jardin car il voloit qu’il eust clartez laienz, et cil se vestent et apareillent et s’an vont au mestre mostier, si lor chanta li arcevesques Delbrices messe. Et lors lor fist Merlins le serrement que Artus estoit filz le roi Uterpandragon...

Et Merlins et Guinebaus si s’entr’acointerent molt, et Merlins li aprist maint bel gieu, et cil les retint bien qui molt estoit sages clers tant que puis en ovra maintes fois en la Bloie Bertaigne dont on tint puis grant parole lonc tans aprés si com li contes devisera.

L’endemain matin se leverent et oïrent messe, et aprés la messe lor fist Merlins le sairement que li rois Artus estoit fix Uterpandragon...

A l’occasion de ces abréviations, la formule se référant au conte, qui sert traditionnellement de légitimation textuelle, est systématiquement supprimée. On pourrait y voir un effacement volontaire des marques de la composition du texte qui concernent en particulier des passages proleptiques supprimés ou transformés dans la version β. Cela aboutit à une concentration paradoxale sur le développement linéaire de l’intrigue qui peut ainsi se dérouler de façon homogène. La reconnaissance de la manipulation dont le texte a été objet et la conscience d’un éloignement par rapport à une source imprécise voire fictive, s’expriment peut-être par l’omission de la formule, le texte se passant alors de l’autorité extérieure du conte lorsque celui-ci désigne l’origine du récit.

Les références au Lancelot Comme l’a souligné Richard Trachsler, l’évocation de la mort de Pharien à la fin du texte joue un rôle crucial dans l’étude de la tradition manuscrite



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 241

de la Suite Vulgate308. La version β doit être postérieure à la version α car elle dément l’annonce de la mort de Pharien présente à la fin de cette version de la Suite Vulgate. Cette rectification va également dans le sens d’une meilleure intégration cyclique. En effet, la mort de Pharien contredit le début du Lancelot qui suit immédiatement l’histoire de Merlin dans le cycle Vulgate. Les manuscrits de la version β ont donc modifié le texte de façon à supprimer cette disparition problématique, puisque Léonce de Palerne et Pharien réapparaissent dans le Lancelot. Au début du Lancelot, Pharien joue un rôle décisif dans la protection des enfants de Bohort, Lionel et Bohort, vis-à-vis de son nouveau seigneur Claudas (Pl. II, 35 ss.). Pour R. Trachsler la mention de cette mort qui contredit la logique cyclique indique qu’à la fin de la Suite Vulgate α, « l’enchaînement avec le Lancelot propre ne devait pas s’imposer ». Cela pourrait indiquer que si à l’origine, « la Suite Vulgate [α] a été composée non pour préparer le Lancelot mais pour clore le Merlin »309, sa réécriture β s’efforce de remettre en conformité la fin de l’histoire de Merlin avec le cycle du Graal. Dans ses deux versions, la Suite Vulgate comprend des récits analeptiques ou proleptiques inspirés d’épisodes du Lancelot. Ainsi dans la conclusion de l’aventure de Guinebaut (Pl. I, 1139-1144), la Suite Vulgate donne l’origine d’un enchantement qui trouve sa clôture dans une autre partie du cycle du Graal. Cet épisode permet a posteriori d’ancrer la référence rétrospective que l’on trouve dans le Lancelot (Pl. III, 319 ss.). Guinebaut demeure auprès de son amie et la carole continuera jusqu’à l’avènement du chevalier élu. La Suite β se différencie alors de la Suite α, car le chevalier qui mettra fin à la carole merveilleuse n’est pas nommé dans la version longue, où Merlin se contente d’une allusion énigmatique, alors que la version courte l’identifie plus explicitement à Lancelot, ce qui accentue son intégration dans le cycle Vulgate310. Dans la Suite α, Merlin annonce à la cour d’Arthur la venue d’un mystérieux chevalier qui mettra fin à cette carole : Et lors demanda li rois Bans a Merlins s’il savoit qui li chevaliers estoit qui cele querole feroit remanoir. Et Merlins li dist qu’il n’estoit ancore pas nez : « Et ne vos an chaut ja de plus anquerre car ancor le sauroiz tot par loisir » (BNF, fr. 747 f. 157vb).

308

309

310

Trachsler, Richard. « Fatalement mouvantes : quelques observations sur les oeuvres dites ‘cycliques’ », Mouvances et Jointures. Du manuscrit au texte médiéval. Dir. Milena Mikhaïlova, Orléans : Paradigme, 2005, p. 142-43. Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 144. Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 135-38.

242 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Pour sa part, la Suite β nomme directement Lancelot du Lac, dans un paragraphe absent de la version α : Et se loga [li rois Amans] en tentes et em paveillions dedens la forest qu’il ne fust aperceüs devant que ce que li rois Boors chevauchast quant il fust partis de la charole que Guinebaus ses freres avoit establie en tel maniere que tout li chevalier qui puis vinrent demourerent charolant tout tant que Lancelos du Lac i vint qui tous les desfist, et envoia l’escechier qui si matoit les gens a la roïne Guenievre qui estoit feme le roi Artu. Et pour ce que toutes les gens demourerent illuec charolant si ot la forest a non la Forest sans Retor (Pl. I, 1144).

Dans ce passage qui met en relation les romans du cycle, la version β procède donc à la fois à une réduction et à une expansion de la version α : « il ne s’agit pas d’une abreviatio linéaire et unilatérale »311. La version β explique non seulement comment la venue de Lancelot va mettre fin à la carole merveilleuse, mais elle introduit en outre une référence à l’échiquier magique contre lequel celui-ci parviendra également à gagner, et qu’il envoie en gage à Guenièvre (Pl.  III, 326), renforçant et précisant l’effet d’intertextualité. Ces ajouts témoignent dans la version courte ou cyclique de la Suite Vulgate d’un effort pour affermir et expliciter ses liens avec le Lancelot. Si cette relation apparaît sur le plan textuel, elle est aussi mise en images dans un des manuscrits comprenant le cycle Vulgate au complet. La carole que trouve Guinebaut et qu’il va pérenniser par son enchantement est ainsi représentée dans la Suite Vulgate β de BL, Add. 10292 f. 149 (Figure 124) et réapparaît dans le Lancelot de BL, Add. 10293 f. 292v (Figure 125). Dans les deux miniatures, l’espace merveilleux de la carole entre en tension avec le monde aventureux que délaissent les chevaliers qui se joignent à la ronde, ce que souligne la seconde image où ils dansent en armes. Deux chevaux, que viennent de démonter les princes, dépassent ainsi du côté gauche de la miniature du folio 149. Au folio 292v, l’écuyer de Lancelot, armé d’une lance et d’un écu, observe son maître du haut d’un cheval qui déborde également du cadre de la miniature. On aperçoit la tête d’une autre monture, sans doute celle de Lancelot. Le retrait de l’écuyer, cantonné au rôle d’observateur, est mis en valeur par sa position marginale. Les liens entre les deux passages sont renforcés par la correspondance de ces miniatures, même si elles se situent à plus d’une centaine de folios d’intervalle, dans un ensemble manuscrit dont l’illustration est particulièrement abondante. Les rubriques, focalisées sur le présent de l’action, ne permettent pas de comprendre ce qui unit les caroles de ces deux épisodes en apparence distincts.

311

Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 137.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 243

Figure 124 : BL, Add. 10292 f. 149 (artiste 2) Ensi que li rois Bohors et Guinebaus sez freres sont entré en un bos, si troevent trop beles caroles. Bohort et Guinebaut à la carole magique

Figure 125 : BL, Add. 10293 f. 292v (artiste 2) Ensi que Lancelot carole tous armés et il tenoit une damoisele par le main. Et la carole fu entour un pin. Lancelot à la carole magique

L’inspiration courtoise et romanesque du passage de la carole est renforcée par la référence intertextuelle à Méraugis de Portlesguez312, qui tend à raffermir les liens entre la Suite Vulgate et les autres textes du cycle du Graal, mais aussi l’ensemble de la littérature arthurienne dans laquelle elle s’intègre. L’auteur mentionne ainsi le destin de Méraugis à la fin de l’épisode de la carole de Guinebaut : Ensi com vous avés oï establi Guinebaus la charole et l’eschecier [...] il fist puis tourner le chastel et les charoles que Meraugis trouva puis a la Cité sans Non (Pl. I, 1143-44).

Guinebaut est alors présenté comme le créateur de la carole que Méraugis reprend sans qu’il y soit fait mention de Lancelot. Il est probable que l’auteur de Méraugis de Portlesguez, où le héros est momentanément pris au piège d’une carole enchantée, se soit inspiré du Lancelot313. La rédaction de la Suite Vulgate est donc postérieure à celle de Méraugis et du Lancelot, bien qu’elle se place auparavant d’un point de vue diégétique. 312

313

Raoul de Houdenc. Meraugis de Portlesguez : roman arthurien du XIIIe siècle, publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque du Vatican. Ed. Michelle Szkilnik. Paris  : Champion, 2004, vv. 3655-3744 et 4330-4413. Dans la Suite Vulgate, Merlin lui-même crée une carole magique pour séduire Viviane lors de leur première rencontre, avant que Guinebaut le Clerc, frère des rois Ban et Bohort, ne recoure au même procédé. Dans l’illustration de BL, Add. 10292 f. 138 (Figure 251), la représentation de la première rencontre entre Merlin et Viviane comprend la figuration d’une carole, mais celle-ci est placée au second plan et en retrait puisque l’image figure aussi le couple et un jongleur faisant des acrobaties. La relation visuelle est donc moins nette qu’entre les deux représentations de la carole de Guinebaut dans la Suite Vulgate et le Lancelot.

244 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Dans certains manuscrits où le Merlin et la Suite Vulgate apparaissent en dehors de tout entourage cyclique, la version α, comme la version β, semble écrite dans la perspective d’une histoire du royaume arthurien qui dépasse les strictes limites de ces textes. Les transformations opérées par la version β peuvent viser à accentuer l’intégration cyclique et à résoudre certaines des contradictions existant entre le Merlin et sa Suite Vulgate α et d’autres textes du cycle du Graal, mais certains passages de la version longue sont omis dans la version courte malgré leur dimension cyclique. La version longue de la Suite Vulgate comprend ainsi à la fin de la guerre de Gaule une anticipation de la mort de Ponce Antoine qui renvoie au début du Lancelot mais n’est pas reprise dans la version courte (Pl. I, 1225)314 : Einsi remest Claudas povre et marriz en la Deserte, car il ne pooit mie avoir .III.M. homes montanz, mes puis recovra tote sa terre et anrichi duremant, einsi com li contes le devisera ça avant, par l’aide au roi de Gaule et Poince Antoine, qui repaira de Rome o moult grant gent, mais ce fu de moult fort heure a son hués, car il an reçut puis la mort par la main lou roi Ban de Benoÿc an la praierie devant Trebes. Mais Claudas ot si grant gent qu’il mist lou siege devant lou chastés, einsi com vos orroiz ça avant, quant li leus sera dou dire, mais atant se taist li contes d’aus touz et retorne a parler de monseignor Gauvain (BNF, fr. 747 f. 168b).

La version β mentionne la revanche de Claudas sans donner plus de détails, omettant le passage situé entre les deux mentions du conte, ce qui dispense de toute autre transition. Dans la version α, l’annonce de la mort de Ponce Antoine et du siège de Trèbes témoigne pourtant d’une connaissance précise du début du Lancelot (Pl. III, 8 ss.). Tout l’épisode de la guerre de Gaule dans la Suite Vulgate est ainsi écrit en réaction contre la négligence d’Arthur à l’égard de ses vassaux, même s’il est construit de façon symétrique à la guerre d’Arthur contre Claudas à la fin du Lancelot (Pl. III, 671 ss.). Dans la version β, ce jeu d’écho entre la Suite Vulgate et le texte qui la suit immédiatement dans le cycle du Graal est donc relativement atténué par l’omission de ce passage proleptique. La version α mentionne aussi, à propos du retour du roi Tradelinant à Norgales et de la Roche aux Saxons située sur les terres de ses vassaux, la lutte contre Gamille, la sœur d’Hargodabran, dont le savoir magique est comparé à celui de Morgane et Viviane, même si le texte n’a pas encore conté les amours de Merlin. Elle annonce également la victoire d’Arthur, Ban, Bohort et des fils de Loth contre les Saxons. Les prolepses utilisées dans ce passage accentuent la cohérence interne de la Suite Vulgate et son intégration dans le cycle du Graal par des allusions au Lancelot, pourtant ces renvois ne sont pas retenus dans la version β (Pl. I, 875). 314

Voir Trachsler, Richard. «  Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin  », 2001, p. 133.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 245

Le texte est structuré par la mention du départ successif des différents rois chrétiens : ils quittent Sorhaut pour se rendre sur leurs terres et dans leurs châteaux, afin de les fortifier et de les défendre contre les attaques des Saxons. La version β garde le mouvement général de ce long passage, mais l’abrège de façon presque systématique. Il en est ainsi du roi Clarion, dont la version α indique et annonce les nombreux démêlés avec les Saxons avant de conclure sur une sentence de type philosophique : Icil garda molt bien la marche devers lui et se combati maint jor as Sesnes, ainsi come vos orroiz ou conte ça avant, si i gaaigna et perdi maintes foiz. Einsi vet de guerre quar ainsi i pert l’en et gaaigne (BNF, fr. 747 f. 119a).

La version β abrège les précisions sur l’origine du nom du roi des Cent Chevaliers, ainsi que les difficultés du roi Tradelinant avec le château de l’enchanteresse Gamille, la sœur du roi Saxon Hargodabran. Elle gomme donc un élément de la version α qui lie le Merlin et la Suite Vulgate au Lancelot et qui l’inscrit comme suite rétrospective dans le cycle du Graal. Dans le Lancelot, Gamille séduit le roi Arthur, lui tend un piège et l’emprisonne dans sa forteresse de la Roche aux Saxons (Pl. II, 878 ss.). Les sortilèges de Gamille semblent plus efficaces que l’utilisation de la force armée : Icel trespas ne porent li troi roi tolir al Sesnes por pooir qu’il eussent, ançois lor venoit secors et viandes par cel chastel qui tant estoit forz que riens mesfere n’i poorent et par l’anchantement que Camille savoit [f. 119b] tant que nule dame n’en sot tant, fors Morgain la suer le roi Artu et Ymaine que Merlins ama tant a qui il aprit toutes les merveilles dou monde que li contes vos devisera ça avant quant ma matiere m’i aportera (BNF, fr. 747 f. 119ab).

La mention de ce personnage fait l’objet d’un court excursus qui peut nourrir une réflexion sur le type de l’enchanteresse et permet de mettre en série des éléments soit développés ultérieurement (l’histoire de Viviane et Merlin) soit mentionnés dans la Suite Vulgate, en relation avec d’autres parties du cycle (l’histoire de Morgane). Les déboires du roi Tradelinant font également l’objet d’une annonce proleptique : [Les Saxons] ne porent estre gité de la terre tant que li rois Artus les an gita et li rois Bans et li rois Boorz de Gaunes, si come li contes nos devisera ça avant, et li anfant au roi Loth qui merveilles i firent d’armes (BNF, fr. 747 f. 119b).

Cette référence à l’intervention magistrale des trois rois et des neveux du roi Arthur synthétise et anticipe les événements vers lesquels est tendue la narration. Pourtant, ces mentions proleptiques ne sont pas conservées dans la version β, alors qu’elles témoignent de la cohérence du projet narratif de l’auteur de la Suite Vulgate, à travers des renvois faisant régulièrement

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référence au « conte » qui jouent au sein du texte lui-même et avec les autres romans du cycle, notamment le Lancelot.

L’histoire des rois de Bretagne et la mort d’Arthur La version β du Merlin omet plusieurs passages qui mettent en relation le Merlin avec ses sources historiques et avec le texte de clôture du cycle Vulgate que constitue la Mort Artu. Ainsi lorsque Merlin revient du continent avec des renforts, avant la bataille d’Arthur contre les barons rebelles dans la forêt de Bédingran, la version α développe la question de l’origine de la Bretagne et de ses racines troyennes. Au contraire, la version β passe directement du camp des barons rebelles à la venue de Merlin et des troupes qu’il mène en Grande-Bretagne, et à leur rencontre avec l’armée d’Arthur315. Le passage de la version longue, inspiré de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth316 comporte de simples allusions à des éléments plus amplement développés au début du texte latin et du Roman de Brut de Wace317, mais aussi des glissements par rapport à ces sources. La version α de la Suite Vulgate du Merlin fait ici la synthèse des textes dont elle s’inspire, mais ce passage, qui réécrit et abrège les explications historiques et étymologiques données par l’Historia et le Brut, est omis par la version β, peut-être pour des raisons de cohérence narrative et idéologique. La référence aux origines mythiques de la Grande-Bretagne et à ses premiers rois est importante dans la Suite Vulgate où la légitimité de la souveraineté d’Arthur est questionnée par les barons rebelles. La question du nom et de l’identité est nettement liée à celle de l’origine, et va de pair avec la constitution d’un ordre politique stable et durable. Brutus est le fondateur de la Nouvelle Troie, à l’origine du nom du pays et des habitants de la Petite Troie. Parmi ses successeurs se trouve le roi Logres qui donnera également son nom à une ville. Arthur, qui siège à Logres est donc indirectement présenté comme le successeur légitime de cette lignée. Le début de la Suite Vulgate, se plaçant dans une perspective chronologique, rejoint dans une certaine mesure l’Estoire. Ainsi, comme l’a montré Mireille Séguy, en assignant ou en réassignant un nom aux lieux-clés de l’aventure du Graal et en en donnant le sens propre dans des explicitations étymologiques, l’Estoire del Saint Graal s’affirme tout à la fois comme un récit des commencements et comme un récit de fondation. 315

316

317

Voir Document 2 : Les origines mythiques de la Grande-Bretagne dans les versions α et β de la Suite Vulgate, p. 241. Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain. An Edition and Translation of De Gestis Britonum. Ed. Michael D. Reeve. Woodbridge : The Boydell Press, 2007, § 21-22, voir Document 3 : Les origines mythiques de la Grande-Bretagne dans l’Historia Regum Britanniae et le Brut de Wace, p. 242. Wace. Le Roman de Brut. Ed. Ivor Arnold, 1938-40.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 247

Ce retour aux origines porte une volonté de légitimation. Dans l’Estoire, la nomination des lieux de l’aventure met en jeu une « confrontation entre fiction romanesque et Histoire sainte »318. Par contraste, les explications étymologiques de Suite Vulgate, qui se fondent sur l’Historia Regum Britanniae, suivent le modèle de la chronique, offrant un ancrage principalement historique. Dans la Suite Vulgate, une référence étiologique convoquant les œuvres encadrantes du cycle du Graal, l’Estoire et la Mort Artu, fait ressortir une vision morale et édifiante du déroulement de l’histoire : Aprés la mort Lancelot, qui fu filz au roi Ban de Benoyc, avint qu’il ot une grant mortalité des barons et des menues gens en la terre. Et parce que li domages i fut si granz, li mist non li menuz pueples, qui remest ainsi dolanz et marriz, Logres an Breteigne la Bloie, por ce que lor cuer estoient et pers et noir de lor amis qu’il avoient ainsi perdu par mescheance et par pechié (BNF, fr. 747 f. 111b).

L’adjectif « bloie », mis en relation avec « pers » (« bleu de diverses nuances, tantôt bleu foncé et tirant sur le noir, avec des reflets verts, tantôt bleu azuré »319) et « noir », désigne sans doute ici une teinte bleu foncée320. Cette coloration sombre est associée au crépuscule du règne arthurien et au deuil qui suit la destruction de la chevalerie bretonne dans la Mort Artu. Cette « mortalité » affecte aussi les « menues gens » du royaume, témoignant de la généralisation d’une crise expliquée par la « mescheance » et le « pechié » de ses habitants. La « mescheance » n’est donc pas uniquement le fruit du hasard, mais elle sanctionne la défaillance morale de tout un peuple. Or la mention de la « Bloie Bretagne » fait aussi écho à la description de la retraite de l’auteur au début de la version longue de l’Estoire : Ichil lieus ou jou me gisoie en tel maniere com Diex seit, ki tous les pensés counoist, estoit lontieus et destornés de toutes gens, et tant en puis jou bien dire ke il estoit en un des plus sauvages lieus ki fust en toute la Bloie Bretaigne...321

L’évocation de l’isolement du personnage est symboliquement redoublée par l’entre-deux temporel dans lequel se situe l’auteur : la vision miraculeuse intervient en effet après la célébration de l’office des Ténèbres, dans la nuit 318

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321

Séguy, Mireille. « ‘A l’origine était le nom’, la désignation des lieux de l’aventure dans l’Estoire del Saint Graal », Cahiers de Recherches Médiévales et Humanistes, 10, 2003, p. 191. Godefroy, Frédéric. Dictionnaire de l’ancienne langue et de tous ses dialectes du XIe au XV e siècle. Paris : Viewez, 1881-1902, vol. 6, p. 111. La notice du dictionnaire de Godefroy cite précisément ce passage pour expliquer l’adjectif « bloie » appliqué à la Grande-Bretagne : « Il paraît que nos anciens n’exprimaient pas par cette qualification l’idée de blonde, ni celle d’éclatante qu’éveillent les roches de la blanche Albion, mais bien plutôt l’idée de bleue, et même de bleue sombre ». Godefroy, Frédéric. Dictionnaire de l’ancienne langue, 1881-1902, vol. 1, p. 663. L’Estoire del Saint Graal. Ed. Jean-Paul Ponceau. Paris : Champion, CFMA 120, 1997, p. 2.

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entre le Jeudi et le Vendredi saints. La Suite Vulgate semble alors se couler dans le moule de l’Estoire qui ne donne pas la provenance de l’appellation « Bloie Bretagne » mais se projette au contraire vers l’avenir, indiquant sa dénomination ultérieure et soulignant une forme de continuité historique : « la Bloie Bretagne, qui ore a non Engletere » ou « qui ore est apielee Engletere »322. Dans l’Estoire, « plusieurs toponymes sont investis de la double fonction qui consiste à fixer le point d’origine de la fiction arthurienne et à en programmer la suite et la fin »323. Les explications fournies par la Suite Vulgate éclairent à cette occasion les origines de la qualification donnée à la Grande-Bretagne, tout en se projetant vers la dernière œuvre du cycle  : elles mettent ainsi en exergue la construction circulaire des œuvres de la Vulgate arthurienne. Dans la Suite Vulgate, l’évocation du peuplement de la Grande-Bretagne convoque des références principalement historiques. Ainsi l’Historia rappelle la bravoure du deuxième prince troyen, Corineus dans la lutte contre les géants, tandis que le Brut indique que « Corineüs esteit mult granz, / Hardiz e forz comme gaianz » (vv. 781-782). Dans l’Historia ou le Brut, les géants sont le peuple originellement implanté sur l’île. Le Troyen Corineus joue un rôle de première importance dans la lutte contre les géants, et se distingue en particulier dans son combat contre leur chef Goimagog qu’il précipite dans la mer lors d’un combat spectaculaire (§ 21). L’Historia insiste particulièrement sur l’alliance militaire et politique des deux camps troyens lors de leur arrivée en Angleterre324. Corineus est présenté comme le meilleur allié de Brutus, et non pas comme le père d’un lignage de géants qui va s’opposer à celui des Bretons, mais au contraire comme un pourfendeur de géants. Il le souligne lui-même devant ses adversaires : « At tamen habetote solatium fugae vestrae quod ego uos insequor, qui totiens soleo Tyrrenos gigantes in fugam propellere, qui ternos atque quaternos ad Tartara detrudere » (§ 18). « Ayez du moins cette consolation dans votre fuite que c’est moi qui vous poursuis, moi qui ai si souvent mis en fuite les géants tyrrhéniens et les ai précipités dans le Tartare, trois par trois, quatre par quatre »325.

Or la Suite Vulgate se distingue de ses sources dans la mise en scène des luttes de pouvoir qui vont déterminer le gouvernement de l’île. Elle indique que le peuple de Corineus, « dou lignage aus jaians », qui a donné son nom à la Cornouaille, va être opposé aux descendants de Brutus.

322 323 324 325

L’Estoire del Saint Graal, 1997, p. 23 et 69. Séguy, Mireille. « A l’origine était le nom », 2003, p. 191-207. Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain, 2007, § 17. Geoffroy de Monmouth. Histoire des Rois de Bretagne. Trad. Laurence Mathey-Maille. Paris : Les Belles Lettres, 1992.



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Et de [Corineus] issirent li jaiant qui maint mal ont fait puis as Bretons (BNF, fr. 747 f. 111b).

La Suite Vulgate α donne une version singulière de l’histoire de ces conflits et c’est peut-être pour éviter cette discordance avec des sources à caractère historique que le passage a été omis dans β. Or cette prolepse annonce structurellement dans le roman la lutte des chrétiens contre les géants saxons qui cherchent à envahir le royaume de Bretagne. Cette opposition de lignages de même origine est « transhistorique », comme le souligne l’usage de passé simple, qui englobe à la fois le présent et le futur, et du passé composé, qui indique une action déjà accomplie. Pourtant cette annonce n’est pas complètement cohérente du point de vue narratif : dans la Suite Vulgate, les géants sont habituellement assimilés aux Saxons, un peuple venu de l’extérieur, qui profite des divisions internes aux Bretons pour envahir les territoires désertés par les barons en lutte contre leur nouveau suzerain. Mais dans ce passage, l’opposition concerne deux lignages d’origine troyenne, avec d’une part les géants issus de Corineus et d’autre part les descendants de Brutus. On pourrait attribuer ces différences à la condensation de l’Historia et du Brut, où le fils de Brutus, Locrinus, et la fille de Corineus, Guendolonea, à laquelle il a été marié contre sa propre inclination, vont se déchirer326. Cette lutte est quasi fratricide, puisque Brutus et Corineus sont tous deux venus de Troie. Ce conflit fait écho à celui qui oppose à l’intérieur du camp breton Arthur et les barons rebelles. La démesure traditionnellement attribuée aux géants trouve un écho dans l’hybris des barons révoltés contre Arthur et permet de réfléchir sur les divisions internes des nobles bretons. La réécriture des affrontements fondateurs de l’histoire bretonne fait fusionner en Corineus deux menaces distinctes dans la Suite Vulgate : l’invasion des géants saxons et les luttes internes au camp breton. Ce passage étiologique fait écho à la situation politique à laquelle Arthur est confronté, et replace son règne dans l’histoire mythique du royaume. Cette analepse s’effectue pourtant au prix de glissements et d’une concentration qui peuvent nuire à la clarté du récit. C’est peut-être pour des questions de cohérence narrative et pour éviter des divergences entre la Suite Vulgate et ses sources que cette digression a été totalement omise dans la version β. Ce passage de la version α de la Suite Vulgate qui réorchestre, synthétise et réécrit en amont l’Historia et le Brut, tout en créant des renvois en aval à d’autres textes du cycle arthurien, comprend six références au « conte » 326

Locrinus, qui aime et entretient en secret la fille du roi de Germanie, la belle Estrildis, répudie Guendolonea à la mort de son père, mais Guendolonea engage une bataille contre son mari qui est tué, et parvient également à se débarrasser d’Estrildis et de sa fille (Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain, 2007, § 24-25).

250 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

qui désignent la source de l’écrit en train de se dérouler. Par l’utilisation de verbes tantôt au présent, au passé et au futur, se développe un discours qui tend à baliser la narration et à la structurer en la plaçant dans une chronologie d’ordre historique qui met en perspective les aventures d’Arthur et l’intervention de Merlin. Ainsi cette digression et cette anticipation narrative insistent sur l’autorité de leur source, à travers des formules qui sont les marques de la fabrique textuelle et servent à articuler la matière traitée. La formule d’entrelacement « Or dit le conte » renvoie ici à un texte latin précis, l’Historia Regum Britanniae, qui n’est pas explicitement nommée. Le recours à une source à caractère historique va de pair avec une revendication d’authenticité : l’utilisation du tour « il est voirs que » permet d’introduire un récit rétrospectif qui éclaire le passé tout en expliquant le présent327. La référence traditionnelle au conte sert donc à introduire une réflexion métatextuelle sur l’activité du scribe-translateur : « Se Diex force et povoir me doune que je le puisse translater de latin en roumains si que les laies gens le puisent entendre » (BNF, fr. 747 f. 111b).

Le projet narratif est clairement dévoilé : le copiste insiste sur le caractère didactique de son entreprise de traduction. Il s’agit, avec la grâce de Dieu, de donner au public laïc l’accès à cette matière romanesque mais aussi mythique et historique, par l’emploi de la langue vernaculaire. Inscrivant le début de la Suite Vulgate dans une histoire qui dépasse largement celle du monde arthurien, le scribe expose alors la tension qui se crée entre le souci d’intégrer le Merlin aux autres parties romanesques du cycle du Graal et celui d’exposer une histoire de type linéaire, sur le modèle de la chronique, dont il retrace le développement. Un recours attendu à l’autorité céleste clôt la digression, juste avant le retour au cœur de l’intrigue. Dieu apparaît comme une puissance transcendante à l’ombre de laquelle peut se dérouler la trame mythique de l’histoire arthurienne. Le passage omis dans la version β de la Suite Vulgate (Pl. I, 829) concerne à la fois l’analepse racontant le passé de la Grande-Bretagne et une prolepse annonçant la mort d’Arthur et celle de Lancelot. Les mentions proleptiques sont importantes car elles structurent le texte et l’orientent vers le futur d’un monde encore en devenir (dans la chronologie interne de l’œuvre), même s’il est déterminé par les romans qui dans la chronologie externe ont précédé l’écriture de la continuation. La version courte glisse rapidement sur l’affrontement entre Arthur et ses grands seigneurs, ce qui atténue partiellement la déconfiture de ceux-ci, mais elle ménage aussi la représentation de la figure royale en évitant d’anticiper sur son sort tragique comme le fait la version α. 327

Voir Baumgartner, Emmanuèle. « Voirs fu -ou comment composer du passé », Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees : Hommage à Francis Dubost. Ed. Francis Gringras, Françoise Laurent, Frédérique Le Nan et Jean-René Valette. Paris : Champion, 2005, p. 33-48.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 251

Dans la version longue, les divisions internes au camp d’Arthur, indiquées par la référence à Mordred et Agravain, sont données comme la cause de cette destruction. Le substantif « mort » sature le passage qui constitue une anticipation narrative de la dernière œuvre du cycle. Et cils nons [Logres] li dura jusqu’a la mort le roy Artus. Mais quant vint aprés sa mort et aprés la mort a ses barons qui s’entrocistrent par Mordret et par Agravain, si come li contes le devisera ça avant, et aprés la mort Lancelot, qui fu filz au roi Ban de Benoyc, avint qu’il ot une grant mortalité des barons et des menues gens en la terre (BNF, fr. 747 f. 111b).

Cette atmosphère funèbre et la référence à la clôture du cycle arthurien contrastent avec l’orientation généralement optimiste de la Suite Vulgate. Le menu peuple « remest aus doulanz cuers », « leur cuers et leur pensees estoient et pers et noirs de leur amis que il avoient perdu par mescheance et par pechié  » (BNF, fr.  747 f.  111b). Ce passage s’insère juste après la mention de l’aveuglement et de la suffisance des barons rebelles, malgré leur précédente défaite face à Arthur. En effet, avant même la bataille «  bien quidoient tout avoir gaaignié ». Or si Merlin prédit ensuite la victoire du camp d’Arthur, la prolepse de la version α relativise la portée de la bataille de Bédingran, annonçant des conflits ultérieurs également liés à des divisions internes au royaume de Grande-Bretagne. Alors que les guerres intestines sont résolues dans la Suite Vulgate, de tels affrontements seront à l’origine de la catastrophe qui viendra précisément à bout du royaume breton. On assiste alors au retournement de la roue de fortune qui se lit également comme châtiment des fautes commises dans le monde arthurien. La responsabilité morale des chevaliers est impliquée dans l’issue de ces événements. Certes, la Suite Vulgate donne à voir la faute d’Uter et celle non moins décisive d’Arthur, qui porte en germe l’écroulement du royaume breton, mais le dévoiement des chevaliers bretons ne se lit qu’en filigrane dans les tournois qui dévoilent une rivalité très forte entre les chevaliers de la Table Ronde et les chevaliers de la Reine. Cette opposition prend une tout autre ampleur dans la Mort Artu. Le lecteur connaît l’issue du règne arthurien : la version β ne supprime donc pas ici un développement textuel complexe, mais peut-être cette omission permet-elle de différer l’annonce tragique de la fin d’Arthur en préservant la tonalité optimiste de ses débuts. En effet, comme le souligne Dominique Boutet : Dans le monde arthurien, seuls le Merlin et la Suite Vulgate, centrés sur le rôle tutélaire du prophète-enchanteur, paraissent animés d’un souffle positif qui donne l’impression que la royauté arthurienne est indestructible en dépit de la virulence de ses adversaires328.

328

Boutet, Dominique. Charlemagne et Artur ou le roi imaginaire. Paris  : Champion, 1992, p. 582.

252 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Document 1 : L’action de Merlin avant la bataille de Bédingran dans les versions α et β de la Suite Vulgate BNF, fr. 747 f. 111vab et f. 112

Bonn, ULB, 526 f. 84b (Pl. I, 829-30)

... « Mes gardez que nus n’isse hors de cest ost car jamais li domages ne seroit restorez car li anemi le roi seront logié es préz de Bredigant. Et sont bien .LX.M. tuit monté, et li nostre par deça ne sont mie plus de .XX.V.M. Si les convendra mener par moult grant sen ou ce se non tuit seront perdu. » « Sire, dist Ulfins, autres i deust aler que vos ». « Non fera, dist Merlins, car je les saurai mielz mener a sauveté que nus, si que ja ne seront veu ne seu par nul home ». « Or alez a Deu, dient li baron, et fetes au plus tost que vos porroiz ». Et Merlins s’em part maintenant si soudainement qu’il ne sorent onques qu’il fu devenuz, si se saing-[f. 111vb]-nent de la merveille qu’il an ont. Lors se departent et s’en vont au dehors de l’ost et la gaitent si bien et si fermement que nus n’est si hardiz qui ost metre le pié hors des loges. Si sont an tel maniere .IIII. jorz touz entiers qu’il n’oïrent nules novelles des trois rois ne de Merlin. Si dist li contes que tant erra Merlins qu’il vint le soir de hautes vespres a Logres an Breteigne ou il trova les trois rois molt dolanz del reaume qui estoit essiliez et gastez. Lors vint Merlins si soldainnement antr’eus qu’il ne sorent onques dont il fu venuz. Et come il le voient si li font si grant joie come il plus porent et si demanderent comment il l’a puis fet. Et il dist bien et qu’il s’apareillent et aillent a l’ost qui les atendent. « Coment, sire, fet li rois Bans, est venuz nostre secors ? » « Il sont, fet Merlins, logiez delez l’ost le roi Artu an mi la forest de Bredigant. Et sont bien .XV.M. tout monté. Et li autre sont bien .X.M., mais il a par dela molt grant pueple et merveilleus, car il i a .X. rois et un duc coronez et sont bien .LX.M. tuit monté ». « Or nos consaut Dex, fet Antor, car ci a molt grant meschief ». « Encore i a il autre chose, fet Merlins, par la foi que je vos doi, ne par la foi que je doi au roi Artu mon seignor, ne foi que ge doi Blaise mon maistre, je quit tant faire a l’aide de Deu et au sens qu’il m’a donné, que mal i vindrent. Car il auront tant a faire que ja n’auront a nos duree. Mais bataille i aura grant et occision, ne des nos n’i morra il mie plus de .IIII.XX. Mais il i aura des lor ocis a cenz et a milliers et bien le verroiz. Mes apareilliez vos, si movrons orendroit aprés souper. Et faites viandes porter por chascun a quatre jorz car nos n’avons que demorer ». Quant cil antendent ce que Merlins lor commande, si s’apareillent et atornent de quanque mestiers lor est, puis vont souper tout a loisir. Lors demande li rois Artus a Merlin s’il s’armeront et il dist que nenil car trop lor greveroient lor armes a porter. Mais il n’ont garde d’ome qui vive par tel leu les menra il. Et cil dient : « De par Deu soit ». [Lettrine] Quant il orent mengié, si se vestirent au plus chaudement qu’il porent car li froit estoit trop grant. Si lor avint si bien que la lune luisoit si cler que molt, si se mistrent au chemin et ne furent mie plus de .XL.M. que uns que autres. Quant il furent tuit monté, si ala Merlins devant il et li troi roi et Antor qui seoit sor un grant destrier ou il le firent monter por aler an lor compaignie. Mais il s’en sousfrist bien se il volsissent. En ceste maniere errent toute nuit si come Merlins lor anseigna jusqu’a tant qu’il vinrent an une molt grant forest ou il descendirent tant que a mengier fust conreez. Lors mengierent et burent de tel viande come il orent portee. [f. 112] Car bien s’en estoient garni. Quant il orent mengié, si trest Merlins les .III. rois a une part an [con]seil...

... « Mais gardés que nus ne s’en isse de cest ost, car jamais cist damages ne seroit restorés quant li anemi le roi se sont logié es prés desous Bedingram et sont bien .XL.M. tot monté. Si vous couvenra errer par molt grant sens ou se ce non tout i serés ocis par els ».

Lors traist Merlins les .III. roys a une part a conseil...



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 253

Document 2 : Les origines mythiques de la Grande-Bretagne dans les versions α et β de la Suite Vulgate BNF, fr. 747 f. 111b

Bonn, ULB, 526 f.  84b (Pl. I, 829)

Mais atant laisse li contes a parler d’els et parole de Merlin et del secors que il ala querre en la Petite Breteigne si come li contes vos a dit ça en arrieres. [Initiale émanchée] Or dit li contes que tant esploita Merlins et Leonces li sires de Paerne et Fariens et Antoines li seneschax de Benoyc qu’il vinrent a la Rochele am Pete et antrerent es nes qu’il porchacierent contreval la riviere et nagierent tant qu’il vinrent a la Bloie Breteigne a un port et ce est bien reson que li contes vos face antendant ceste chose. Il est voirs que amprés la destrucion de Troie avint que dui baron s’en partirent et fuirent fors dou pays et de la terre por la doutance des Greizois qu’il nes oceissent. Li uns des .II. barons qui s’en foi a tuit grant partie de sa gent si ot non Bructus. Icils ariva en cel païs et fist fere une cité qui fu apelee la Novele Troie por ce que de Troie estoit issuz. Et le païs fist apeler an l’anor de lui Breteigne por ce qu’il avoit non Bructus, si l’apeloient par son non cil qui a son tens estoient, la Petite Troie an Breteigne. Et puis avint aprés la mort a celui Brutus lonc tens aprés. Si ot un autre seignor qui ot non Logrins. Icil Logrins si amenda molt la cité et essauça et fist faire tors et bretesches et les an força molt de bons murs bateilliez. Et quant il l’ot ainsi amende si dist qu’il li remueroit son non. Lors l’apela par son droit non Logres en Breteigne por ce qu’il avoit non Longrins, et cils nons li dura jusqu’a la mort le roy Artus. Mais quant vint aprés sa mort et aprés la mort a ses barons qui s’entrocistrent par Mordret et par Agravain, si come li contes le devisera ça avant, et aprés la mort Lancelot, qui fu filz au roi Ban de Benoyc, avint qu’il ot une grant mortalité des barons et des menues gens en la terre. Et parce que li domages i fit si granz li mist non li menuz pueples qui remest ainsi dolanz et marriz Logres an Breteigne la Bloie, por ce que lor cuer estoient et pers et noir de lor amis qu’il avoient ainsi perdu par mescheance et par pechié. [Lettrine] Ore avez oï coment li contes l’apele la Bloie Breteigne. Li autre princes qui de Troie issi si ot non Corineus. Icil Corineus si estoit del linage as jaianz, si arriva an celui païs qui marchissoit en Breteigne. Et il fu moult merveillex chevaliers et granz et forz et si fist viles et citez et chastiax. Si apela la terre et le païs et la region ou il se mist Cornouaille an Breteigne ne onques puis icelui non ne li chaï. Et de celui issirent li jaiant qui maint mal ont fait puis as Bretons dont li contes vos devisera ça avant et des merveilles qui an vindrent, se Dex force et pooir me donne que jel puisse translater del latin an romanz si que les laies jenz le puissent antendre. Des ore mes repaire li contes a l’estoire qui estoit en mer et Merlins qui en moine sa compaignie de la Petite Breteigne et s’en vont au plus tost qu’il puent en la Grant Breteigne. [Initiale émanchée] Or dit li contes que quant Merlins et ses estoires furent arivees en la Grant Breteigne...

Mais atant se taist ore li contes un poi d’aus, si vous dirons de Merlin et del secours qu’il amaine, et conterons conment il et les gens entrerent en mer si come li contes devisera cha devant.

Or dist li contes que quant Merlins se fu entrés en mer, il et sa compaingnie qu’il ot amenee de la terre as .II. freres rois....

254 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Document 3 : Les origines mythiques de la Grande-Bretagne dans l’Historia Regum Britanniae et le Brut de Wace Geoffrey of Monmouth. The History of the La partie arthurienne du Roman Kings of Britain. An Edition and Translation de Brut. Ed. I. Arnold et M. Pelan, of De Gestis Britonum. Ed. Michael D. Reeve. Paris : Klincksieck, 1962. Woodbridge : The Boydell Press, 2007. [La rencontre des troupes de Brutus et de Corineus se produit sur le rivage anglais]

[La rencontre des deux camps Troyens a lieu en Espagne]

[17] «  Ibi iuxta littora inuenerunt quatuor generationes de exulibus Troiae ortas quae Antenoris fugam comitatae erant. Erat eorum dux Corinueus dictus, uir modestus, consilii optimus, magnae uirtutis et audaciae ; qui si cum aliquo gigante congressum faceret, ilico obruebat eum ac si cum puero contenderet. [...] Hic, de nomine ducis postmodum Cornubiensis uocatus, Bruto in omni decertacione prae ceteris auxilium praestabat ».

[vv. 773-796] « La troverent a un rivage Des Troïens de lur lignage Quatre genraciuns, Que Antenor, uns des barons, Amena de Troie fuitis Quant li Greu les orent conquis ; Corineüs les mainteneit, Ki lur sire et lur dux esteit. Corineüs esteit mult granz, Hardiz e forz comme gaianz ; Cil ad oï e entendu Que celle gent de Troie fu Qui aloent tere querant Qu’il eüssent a remanant. [...] Brutus l’ama mult e cheri, E mult ad en lui boen ami. Quant il murent des ports d’Espaine Lur eire pristrent vers Bretaine : N’ert pas Bretaine encor nomee Ainz ert Armoriche apelee. » [Le Brut ajoute un conflit entre Troyens et Poitevins, à cause d’une chasse défendue. Après leur victoire, les Troyens ravagent le pays qui ne comporte aucune place forte et en bâtissent une à Tours. Les renforts de France arrivent et lors de l’affrontement, le neveu de Brutus, Turnus, est tué. Les Français finissent par s’enfuir et les Troyens décident de quitter le pays. Ils débarquent sur une île peuplée par des géants, et c’est là que Corineus bat leur chef Goëmagog.]

[21] «  Denique Brutus de nomine suo insulam Britanniam appellat sociosque suos Britones. […] Vnde postmodum loquela gentis, quae prius Troiana siue curuum Graecum nuncupabatur, dicta fuit Britannica. At Corineus portionem regni quae sorti suae cesserat ab appellatione etiam sui nominis Corineiam uocat, populum quoque suum Corineiensem, exemplum ducis insecutus. Qui cum prae omnibus qui aduenerant electionem prouinciarum posset habere, maluit regionem illam quae nunc uel a cornu Britanniae uel per corruptionem praedicti nominis Cornubia appellatur. »

[vv. 1169-1226] « Quant la terre fud neïee Des gaianz e de lur lignee, Li Troïen s’aseürerent, Maisuns firent, terres arerent, Viles e burcs edifierent, Blez semerent, blez guaainerent. La terre aveit nun Albion, Mais Brutus li chanja sun nun, De Bruto, sun nun, nun li mist,



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 255 Et Bretainne apeler la fist ; Les Troïens, ses compainuns Apela, de Bruto, Bretuns. E Corineüs ad partie De la terre a sun hués choisie ; Celle partie ad apelee, De Corineo, Corinee ; Puis, ne sai par quel entrefaille, Fu apelee Cornewaille : Del nun qu’el out premierement Tient encor le comencement. Le language qu’il ainz parloent Que il Troïen apeloent, Unt entr’els Bretun apelé. Mais Engleis l’unt puis remué ; La parole e li nuns dura Tant que Gormund i ariva ; Gormund en chaça les Bretuns Si la livra a uns Saissuns Qui d’Angle Angleis apelé erent, Ki Engleterre l’apelerent ; Tuz les Bretuns si eissillierent Que unches puis ne redrescerent. Cornoaille out Corineüs [22] «  [Brutus] condidit itaque ciuitatem ibidem eamque Troiam Nouam uocauit. Ea, hoc nomine multis postmodum temporibus appellata, tandem per corruptionem uocabuli Trinouantum dicta fuit. »

E Bretainne out tute Brutus. Chascuns traist a sei ses amis E les homes de sun païs. [...] [Brutus] pensa sei que cité fereit Et que Troie renovelereit. Quant il out qui leu covenable E aaisiez e delitable, Sa cité fist desur Tamise ; Mult fud bien faite e bien asise. Pur ses anceisors remembrer La fist Troie Nove apeller ; Puis ala li nuns corumpant, Si l’apela l’om Trinovant. » [Wace, comme Geoffroy, explique ensuite en détails comment, à partir du nom du roi Lud, la cité prend le nom de Londres.]

[23] « Cognouerat autem Brutus Innogin uxorem suam et ex ea genuit tres inclitos filios, quibus erant nomina Locrinus, Albanactus, Kamber. [...] Locrinus, qui primogenitus fuerat, possedit partem insulae, quae postea de nomine suo appellata est Loegria... »

[vv. 1251-1270] « Quant Brutus out sa cité fete [...] Bretainne tint vint e quatre anz E d’Innorgen out treis emfanz : Si trei filz furent Locrinus E Kamber et Albanactus. [...] Locrin, cil ki esteit ainz nez E plus fort ert e plus senez, Out a sa part la region Ki de nun nun Logres out nun. »

256 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Conclusion  Les deux versions de la Suite Vulgate s’inscrivent donc dans la logique d’un rattachement du Merlin aux autres parties du cycle du Graal, notamment l’Estoire et le Lancelot. Dans sa version courte comme dans sa version longue, la Suite Vulgate, dont on a pourtant souligné la relative hétérogénéité à l’égard des autres œuvres du cycle, comprend de nombreux renvois qui attestent la permanence d’un horizon cyclique. La version courte de la Suite Vulgate, postérieure à la version longue, insiste sur la dimension généalogique et sur le lignage pour établir une relation de continuité entre les différentes œuvres. Elle procède à des modifications qui renforcent son intégration cyclique, même si ce n’est pas systématique. Ainsi la version α ne se contente pas de constituer une Estoire de Merlin autonome, puisqu’elle comprend déjà des passages analeptiques ou proleptiques qui font écho aux autres œuvres du cycle Vulgate et sont parfois absents de la version β. Dans la version courte, les jeux de réécriture et d’abrègement montrent l’ambiguïté de la démarche d’intégration cyclique. Si la condensation de la Suite Vulgate β favorise son intégration dans un ensemble textuel particulièrement vaste, elle implique l’omission de passages qui renforcent pourtant le lien entre ce texte et les autres parties du cycle. Les mentions du « conte » qui saturent la version α et marquent les lieux stratégiques de transition narrative garantissent la conservation d’une structure cohérente en dépit de cet abrègement. La construction entrelacée du récit permet de rassembler une matière textuelle profuse malgré des effets de coupes et de réécriture. Ces changements ne remettent pas fondamentalement en cause l’esthétique et l’idéologie de la Suite Vulgate en tant que continuation du Merlin qui favorise son insertion dans le cycle du Graal. Ils témoignent cependant de l’ambition conjointe de compléter l’histoire des rois de Bretagne tout en intégrant les données d’une matière arthurienne plus vaste. Les deux versions du texte montrent que la formation d’un ensemble cyclique, en tension avec un souci d’exhaustivité qui peut justifier une tendance à la compilation, est ainsi le lieu d’expérimentations et de transformations.

2. Entre le texte et l’image : rubriques et tituli Si les miniatures constituent un commentaire visuel du texte, le paratexte joue un rôle important à la fois dans l’identification des images et dans la structuration de l’œuvre manuscrite. Les rubriques accompagnent les miniatures et permettent de conforter leur contenu sémantique, mais aux XIVe-XVe siècles se développent les tituli329, des titres de chapitres qui

329

Sur la distinction entre les rubriques, qui accompagnent les image, et les tituli, qui peuvent être rassemblés dans une table des matières, voir Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1, ch. 1.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 257

détachés de toute illustration servent de repères au sein de l’œuvre manuscrite, à la manière de titres de chapitres parfois rassemblés dans une table des matières en tête de l’ouvrage330 (c’est le cas par exemple pour BL, Harley 3640 et Arsenal, 3350). Le découpage du texte et l’établissement de tables des matières n’est pas nouveau, puisqu’il apparaît dès l’époque carolingienne pour les textes patristiques ou d’histoire religieuse331. Cependant, la fréquence du recours à ces outils paratextuels et leur application à des ouvrages de fiction en langue vernaculaire se développent de façon plus tardive et témoignent de nouvelles attentes relatives à la présentation et à la réception des œuvres romanesques. Comme l’indique Keith Busby, la collection et la duplication des rubriques par les tituli dans les tables des matières se développent à partir du XIIIe siècle. BNF, fr. 113-116, fr. 9123 et Cologny, Bodmer, 147 comportent à la fois des tituli et des rubriques accompagnant des images. Les tituli sont majoritaires dans les ouvrages de la seconde moitié du XVe siècle, mais ne sont pas uniquement caractéristiques des manuscrits les plus tardifs, puisqu’ils figurent déjà dans un des plus anciens manuscrits du Merlin, BNF, fr. 747 (1240’), ainsi que dans BNF, Naf. 4166, daté de 1301. Enfin les tables des matières, qui correspondent généralement à des tables des rubriques ou tituli, apparaissent de façon dominante dans les manuscrits réalisés après 1450, bien qu’on en trouve dès le XIVe siècle dans fr. 9123. Cela marque une étape importante dans l’évolution du livre, indiquant la possibilité d’une lecture individuelle plutôt que publique et manifestant la nécessité d’organiser la matière textuelle et de s’y repérer par la constitution de courtes séquences. Il s’agit d’un travail de mise en livre méthodique qu’on trouve aussi dans les chroniques, les compilations de récits courts comme la Vie des pères et les Miracles de Notre Dame ou encore dans l’Ovide Moralisé 332.

330

331

332

Baumgartner, Emmanuèle. «  Espace du texte, espace du manuscrit  : les manuscrits du Lancelot-Graal  », Ecritures II, 1985, p. 95-116  ; Colombo-Timelli, Maria. «  Pour une ‘défense et illustration’ des titres de chapitres : analyse d’un corpus de romans mis en prose au XVe siècle, Du roman courtois au roman baroque  : actes du colloque des 2-5 juillet 2002. Dir. Emmanuel Bury et Francine Mora. Paris : Belles lettres, 2004, p. 209-32 ; Busby, Keith. « Absence de l’image dans le ms Montpellier BIU, sect. méd. H 252 », Mouvances et jointures : du manuscrit au texte médiéval. Ed. Milena Mikhaïlova, Orléans : Paradigme (Medievalia, 55), 2005, p. 19-27. Voir Guenée, Bernard. Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval. Paris : AubierMontaigne, 1980, p. 227 ss. et Baumgartner, Emmanuèle. « Espace du texte, espace du manuscrit : les manuscrits du Lancelot-Graal », Ecritures II, 1985, p. 104-05. Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1, p. 322-23.

258 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Tableau 9 : La rubrication des manuscrits du Merlin et de ses suites  : aperçu chronologique Manuscrits du Merlin seul (XIIIe, XIVe, XVe s.)

Manuscrits du Merlin + suites (XIIIe, XIVe, XVe s.)

Total

Manuscrits non rubriqués

11 (5-6-0)

18 (10-4-4)

29

Manuscrits rubriqués

4 (0-2-2)

19 (4-6-9)

23

15

37

52

Total

277

La rubrication, marginale au XIIIe siècle, se développe donc au XIVe siècle mais ne devient une pratique majoritaire qu’au XVe siècle, souvent sous la forme de tituli. Elle concerne davantage les manuscrits comprenant le Merlin et la Suite Vulgate que ceux où le Merlin est transmis de façon isolée, les trois manuscrits comprenant la Suite Post-Vulgate ou le Livre d’Artus n’ayant pas de rubriques ni de tituli. Quatre des quinze manuscrits qui comportent le Merlin propre sans continuation sont rubriqués : BNF, Naf. 4166 et l’ex-Amsterdam, BPH, 1, qui sont du début du XIVe siècle (même si le second ne comprend pour le Merlin qu’une seule rubrique initiale), et BNF, fr. 113 et fr. 1469, datant tous deux du XVe siècle. La proportion de rubriques et tituli est plus importante dans les manuscrits où le Merlin est accompagné de la Suite Vulgate, puisque plus de la moitié, soit 19 sur 37 sont rubriqués. Les plus anciens sont BNF, fr.  747 (1240’), Bonn, ULB, 526 (1286), BNF, fr. 110 et le manuscrit de la Collection privée Lebaudy (ex-Phillipps 1047) (1295’). Six ont été réalisés au XIVe siècle (parmi eux, BNF, fr. 749 ne comprend cependant qu’une seule rubrique initiale) et neuf au XVe siècle. À l’inverse, Bonn, ULB, 526 comprend des miniatures et des rubriques dans la Suite Vulgate, mais pas dans le Merlin propre. Ces pratiques témoignent d’un traitement différent des deux parties du texte, quand bien même elles s’enchaînent sans signe de rupture dans la mise en page manuscrite. Dans les manuscrits enluminés et rubriqués, le nombre d’illustrations coïncide habituellement avec celui des rubriques, mais on trouve aussi des cas différents comme le Merlin de BNF, fr. 747, qui comporte une initiale historiée frontispice et 17 tituli répartis dans le texte, ou comme Cologny, Bodmer, 147 où il y a davantage de miniatures que de rubriques. À la fin de la Suite Vulgate dans BL, Add. 10292 ou dans BNF, fr. 105, les rubriques sont restées inachevées, ce que suggèrent les espaces laissés blancs auprès d’un petit nombre de miniatures. 333

333

Je compte uniquement les rubriques ou tituli compris dans le Merlin et sa suite.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 259

Tableau 10 : R  ubriques et tituli dans les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate Merlin Manuscrits

Suite Vulgate

Date Images Rubriques Images Rubriques

1. Paris, BNF, fr. 747 (tituli)

1240'

1

17

1

0

2. Bonn, ULB, 526

1286

2

1

118

118

3. Lebaudy, ex-Phillips 1047

1295'

 ?

 ?

 ?

 ?

4. Paris, BNF, fr. 110

1295'

4

4

12

12

5. Paris, BNF, fr. 749

1300'

4

1

92

0

6. Cologny, Bodmer, 147

1300

2

0

26

26

7. Paris, BNF, Naf. 4166 (tituli)

1301

0

28

X

X

8. Ex-Amsterdam, BPH, 1

1315'

1

1

X

X

9. Londres, BL, Add. 10292

1316

27

26

149

140

10. Paris, BNF, fr. 9123

1325'

4

4

124

126

11. Paris, BNF, fr. 105

1325'

7

6

69

68

12. New Haven, Beinecke, 227 1357

4

4

133

127

13. Chantilly, Condé, 643

1400'

0/2 (inachevé)

2

0/39 (inachevé)

39

14. Ex-Newcastle 937

1405'

4

4 ?

20

20 ?

15. Paris, Arsenal, 3479

1405

2

0

0

0

Table des matières

oui

16. Paris, BNF, fr. 117

1406

2

0

0

0

17. Paris, BNF, fr. 332 (tituli)

XVe s

0

3

0

101

18. Paris, Arsenal, 3350 (tituli) XVe s

0

4

0

11

oui

19. Londres, BL, Harley 6340 (tituli)

XV s

0

99

0

587

oui

20. Paris, BNF, fr. 113

oui

e

1475'

1

1

X

X

21. Paris, BNF, fr. 1469 (tituli) 1475'

0

18

X

X

22. New York, Pierpont Morgan, 38 (tituli)

1479

0

4

0

11

23. Paris, BNF, fr. 91

1480'

7

7

28/67 (inachevé)

67

oui

L’expression des rubriques tend à les distinguer du corps du texte : bien qu’elles reprennent sa matière et parfois certaines de ses formulations, elles constituent un réseau textuel distinct, marqué par des spécificités stylistiques, grammaticales et syntaxiques. Cet énoncé second et utilitaire qui relève du

260 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

paratexte ne fait pas partie a priori de la création de l’auteur. Les rubriques et tituli sont élaborés par une autre instance, le scribe ou le chef d’atelier chargé de superviser la copie et la mise en œuvre manuscrite du texte. Créés au moment de la composition du manuscrit et rédigés le plus souvent à l’encre rouge dans une phase ultérieure à la copie du texte, ils ne font pas partie de l’écrit original, mais articulent les parties du roman, résument ou annoncent les éléments de l’action. Il existe pourtant des similitudes entre la formulation des rubriques et certains énoncés tout aussi stéréotypés caractéristiques de l’entrelacement. Certains manuscrits procèdent à une homogénéisation de la formulation de leurs rubriques. La mention du « conte » permet de former des systèmes relativement cohérents qui mettent en relation l’énoncé de la rubrique avec celui du texte qui les suit immédiatement334. L’utilisation de ces formules est plus marquée dans la Suite Vulgate, postérieure au Merlin propre, et qui bénéficie ainsi de l’expérience accumulée depuis le début du XIIIe siècle en matière d’écriture en prose et d’entrelacement335. Dans Bonn, ULB, 526, BNF, Naf. 4166336 ou New Haven, Beinecke, 227, la rubrique ou le titulus se confondent avec la formule d’entrelacement, et renvoient donc davantage au texte qu’à l’image qu’ils accompagnent. La rubrique se lit pourtant en relation avec le texte mais aussi avec l’image, et c’est également par rapport à elle qu’elle doit être située. Ces jeux d’échos et de variation entre le texte, le paratexte et les miniatures relèvent d’un souci didactique d’organisation de la matière romanesque et contribuent à façonner le style et l’esthétique de l’œuvre manuscrite. La prégnance de ces formules témoigne d’une conception particulière de la création textuelle puisqu’elles sont un lieu privilégié de réécritures et de variations. Elles prennent souvent la forme d’énoncés impersonnels, tandis que le texte qui leur succède joue de la référence au « conte » et masque le travail de l’auteur tout en permettant parfois la réapparition de sa voix. Si les rubriques et tituli se définissent par rapport au texte, ils demeurent à son égard une forme lacunaire et ne peuvent rivaliser avec 334

335

336

Pour Emmanuelle Poulain-Gautret, l’insertion des éléments paratextuels dans la version en prose d’Ogier le Danois éditée par Vérard en 1498 révèle une logique conservatrice « qui n’est ni celle de la rigoureuse clarté de la mise en valeur, ni celle de l’instauration du suspens », mais qui relève de la stéréotypie : « aussi bien dans les résumés titulaires que dans les gravures, l’effet de répétition est évident », qui insiste sur les passages de transition et qui privilégie une thématique épique traditionnelles. Pour l’auteur, ces éléments perpétuent dans la prose des fonctions auparavant assumées par la forme poétique. « Bandeaux, images, chapitres : l’organisation du récit dans un incunable épique », Texte et image, Ateliers, 30, Cahiers de la maison de la recherche Lille 3, 2003, p. 53-61. Colette-Anne Van Coolput avait déjà noté que le Merlin propre de BNF, fr. 747, édité Micha, contient bien moins de « Ensi » récapitulatifs que le même texte dans BL, Add. 10292 édité par Sommer. « Por deviser comment : l’évolution de la formule dans le Tristan en prose », Tristania, 11 (1), 1985-86, p. 10. Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Diviser, choisir et condenser : rubriques et illustrations du règne d’Uter et Pandragon dans le Merlin de Robert de Boron », Faire court : l’esthétique de la brièveté. Dir. Catherine Croizy-Naquet, Laurence Harf-Lancner et Michelle Szkilnik. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011, p. 311-12.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 261

la lecture intégrale du roman. Ils offrent un aperçu transversal et abrégé de l’intrigue, et prodiguent des repères dans la masse textuelle, entre sélection et subdivision. De même que l’illustration, la rubrication du Merlin propre est relativement peu développée par rapport à celle de la Suite Vulgate337. Parmi les manuscrits illustrés, BL, Add. 10292 se distingue de tous les autres par le nombre de miniatures et de rubriques qu’il consacre au Merlin. Alors qu’il compte 26 rubriques dans cette partie du texte, les autres manuscrits n’en contiennent qu’entre une et sept. BNF, fr. 91 et fr. 105 comprennent respectivement sept et six rubriques dans le Merlin propre, BNF, fr. 110 et 9123, New Haven, Beinecke, 227 et l’ex-Newcastle 937 en comprennent quatre. La situation est différente pour les manuscrits contenant uniquement des tituli car leur nombre est souvent plus important : BNF, fr. 332, Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 en comptent entre trois et quatre, mais ils sont 17 dans fr. 747, 18 dans fr. 1469, 28 dans Naf. 4166 et 96 dans BL, Harley 6340, qui contient un nombre exceptionnel de tituli, aussi bien pour le Merlin que pour la Suite Vulgate. Les rubriques et tituli qui se concentrent sur différents passages du Merlin propre font ressortir des aspects distincts de la narration, et témoignent selon les manuscrits de différentes mises en perspective des éléments du récit. Hormis lors son intervention concernant la tour de Vertigier, le paratexte insiste peu sur les pouvoirs surnaturels de Merlin, peut-être parce que ces talents sont mis en scène dans des épisodes secondaires relativement autonomes par rapport au reste de la narration. Dans les rubriques et tituli, les règnes des souverains bretons sont inégalement représentés : ceux de Vertigier et Uterpandragon, textuellement plus développés, et marqués par des événements frappants comme l’épisode de la tour, la création de la Table Ronde, ou  la conception d’Arthur, sont généralement privilégiés. La conception d’Arthur, déterminante par rapport à la Suite Vulgate, mais problématique d’un point de vue éthique, fait l’objet d’un traitement contrasté : développée dans fr. 105 et 91 et Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, elle est totalement absente de fr. 110 et 9123, New Haven, Beinecke, 227 et fr. 332. Rubriques et tituli sont proportionnellement plus développés dans la continuation que dans le Merlin propre, même si leur répartition est relativement équilibrée dans BNF, fr. 110, Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 qui en comptent au total une quinzaine. Dans BL, Add. 10292, Chantilly, Condé, 643 (dont la fin est inachevée) et BL, Harley 6340, le Merlin est légèrement plus rubriqué que dans les manuscrits restants, mais dans des proportions inférieures à celles de la continuation. Les rubriques et tituli dans le Merlin et sa suite sont au nombre de 74 dans fr. 105 et 91 mais plus

337

Voir Tableau 10 : Rubriques et tituli dans les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate, p. 259.

262 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

d’une centaine dans Bonn, ULB, 526, BL, Add. 10292, fr. 9123, Beinecke, 227, fr. 332, et un peu moins de 700 dans BL, Harley 6340. Ils constituent donc une matière abondante, que l’on examinera d’abord dans sa globalité à travers les exemples de fr.  110, fr.  332, Arsenal, 3350-Pierpont Morgan, 38 et BL, Harley 6340, puis pour les autres manuscrits dans une perspective comparative, en se focalisant sur les rubriques et tituli consacrés à la fin de la Suite Vulgate, des aventures d’Enadain à la disparition de Merlin.

a.  Rubriques et illustrations de BNF, fr. 110  : «  l’estoire de Merlin » jusqu’à son « ensierremens » BNF, fr. 110, un manuscrit de la fin du XIIIe siècle illustré dans le diocèse de Thérouanne ou Cambrai, conserve l’intégralité du cycle du Graal et comporte quatre miniatures et rubriques dans le Merlin et douze dans la Suite Vulgate338. La deuxième partie de la continuation est relativement moins illustrée que le Merlin propre et le début de la Suite Vulgate. Les rubriques de fr. 110 privilégient la séquence « Ensi que » + Sujet nominal + Groupe verbal. Elles sont généralement au passé simple, mais l’utilisation ponctuelle du présent contribue à dramatiser l’événement décrit, faisant coïncider le temps de la narration et celui de l’énonciation à l’occasion d’événements particulièrement marquants comme l’assassinat de Maine, le couronnement d’Arthur, ou l’arrivée de Merlin métamorphosé en cerf à la cour de l’empereur romain. L’utilisation du présent fige la scène, la donne à voir dans son immédiateté, comme un instantané qui renvoie moins au texte dans son développement narratif et temporel qu’à la composition picturale synthétique de la miniature, bien que l’utilisation de ce temps se généralise dans les rubriques de la fin de la Suite Vulgate. Dans BNF, fr. 110, le texte qui suit les miniatures introduit le plus souvent des compléments circonstanciels de temps : ces articulations narratives se prêtent au découpage du texte, favorisant la reprise du récit après l’interruption causée par l’insertion de la rubrique et de la miniature. L’utilisation d’adverbes et de conjonctions à valeur temporelle permet de délimiter une nouvelle section du récit tout en tissant une trame chronologique qui lui donne sa cohérence. L’illustration du Merlin commence par la Descente du Christ aux enfers (fr. 110 f. 45v, Figure 6, « Ensi com Nostre Sire brisa les portes d’infer et en traist hors Eve et Adam et ses autres amis »), qui dans la continuité de l’Estoire place le texte sous le signe de la Rédemption, et elle se termine par le double mariage d’Uterpandragon et d’Ygerne et de la fille du duc et du roi Loth (fr. 110 f. 63v, Figure 238, « Ensi com li rois Uterpandragon espousa 338

Fabry-Tehranchi, Irène. « Diviser, choisir et condenser : rubriques et illustrations du règne d’Uter et Pandragon », 2011, p. 301-22 et « Les variations formelles d’un moule stylistique », 2012, p. 339-40 et 345.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 263

Ygerne la feme au duc de Cambenic et dona le fille le duc au roi Loth de Orcanie »). La représentation de ces mariages annonce la naissance d’Arthur et de Gauvain qui sont amenés à jouer un rôle important dans la continuation, sans insister sur les circonstances troubles de la naissance du futur souverain. Le rituel du sacre célébré au début de la Suite Vulgate fait écho à la cérémonie nuptiale représentée dans la miniature précédente, mais la hiérarchie religieuse est plus explicitement représentée sous les traits de l’archevêque Debrice. La prééminence accordée dans la miniature et la rubrique à l’épée qu’Arthur place sur l’autel rappelle en outre le miracle du perron et le caractère divin de son élection (fr. 110 f. 67, Figure 37, « Ensi come Artus est a jenols devant un autel et met une espee sus et li archeveskes li met une couronne sor son chief et li pules est entour als »). Dans fr. 110, l’illustration du Merlin insiste sur les origines d’Arthur et sur la légitimité de son couronnement tout en intégrant des événements plus sombres comme l’assassinat de Maine et la triple mort du baron incrédule. La représentation dramatique du régicide (fr. 110 f. 50v, «  Ensi com icie .XII. chevalier tout armé ochisent le roi Maines a coutiaus et a espees  ») souligne l’impuissance du souverain sur lequel s’acharnent ses adversaires : la rubrique précise le nombre des assassins et insiste sur leur armement. L’image rend compte du désordre souligné par les différentes lignes de forces créées par l’orientation des épées mais aussi par la position d’infériorité du roi happé par l’un de ses meurtriers. On peut voir dans l’épée tenue par Arthur lors de son sacre et dans la cérémonie du couronnement l’annonce d’un règne qui restaurera le prestige politique et militaire d’un pouvoir royal dont la mort de Maine offre une image dégradée et bafouée. La focalisation de la miniature sur cet aspect du crime tend à éluder la question de la responsabilité de Vertigier. Quant à la triple mort du seigneur incrédule (fr. 110 f. 57, « Ensi com li hom a qui Merlins atermina sa mort cevaucha a grant compaignie sor le pont d’une iauwe et chei de son cheval et brisa le col  »), démontrant les dons prophétiques de Merlin, elle fait l’objet d’une miniature synthétique qui peut se décomposer en plusieurs scènes. L’image donne à voir la chevauchée du baron, puis sa chute : la représentation en mouvement de l’homme tombant du pont insiste sur l’entre-deux qui permet l’accomplissement de la triple mort. La miniature se focalise sur un instant précis tout en cristallisant les différents aspects de la narration : dans sa chute, l’homme s’est brisé le cou, en tombant dans l’eau, il va se noyer et il meurt aussi pendu, dans la mesure où il reste accroché au pont. Le texte demeure une référence nécessaire pour saisir le sens de l’illustration, car la rubrique ne rend compte que de deux aspects de cette mort (la noyade est seulement suggérée par la mention de l’eau). La rubrique facilite l’identification du baron en présentant la scène comme la réalisation de la prédiction de Merlin, ce qui témoigne

264 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

de la justesse de ses prophéties. Reliant différents fils de la trame narrative, la rubrique synthétise le texte et malgré son caractère sélectif, elle facilite la lecture et la compréhension de l’image. Dans fr. 110, les images et rubriques de la Suite Vulgate, qui commencent par le couronnement d’Arthur, accordent une place importante aux différentes guerres qu’il mène contre les barons rebelles et contre les Saxons. Les miniatures ne sont pas placées au début de l’affrontement, mais au cours du récit de la bataille, et elles se focalisent sur des actions assez précises plutôt que sur le cadre général du combat. Ainsi les illustrations successives des batailles de Bédingran (f. 73v), Carohaise (f. 81v) et Briolande (f. 87v) constituent trois variations sur le motif iconographique du combat, avec deux affrontements à la lance et un autre à l’épée, mais les rubriques permettent la spécification des scènes dépeintes, notamment à travers l’identification des protagonistes. La rubrique se focalise sur une action guerrière engagée entre deux combattants, elle donne le nom des personnages et précise leur statut hiérarchique (« li rois Artus », « Tradelinant le roi de Norgales », « li rois Maaglains  »), leurs caractéristiques («  le roi Caelenc le jaiant  ») ou leur appartenance familiale (« Dorilas le neveu le roi Nantre de Garlot ») avant de décrire le coup porté, en mentionnant les armes utilisées et le résultat de l’action (« abati a cop de lance », « s’entreporterent a terre as cops de lances »). À l’occasion, elle extrait du texte des formules hyperboliques et stéréotypées héritées de la chanson de geste (« feri le roi sor le hiaume qu’il le fendi jusqu’al nonbril ») : cette scène frappante est mise en exergue par un tour stylistiquement marqué. Si l’image présente un caractère générique, elle restitue fidèlement les mouvements spécifiés par la rubrique. Celle-ci précise donc le contenu de la miniature, faisant ressortir une action d’éclat qui devient emblématique d’une bataille dont le contexte n’est pourtant pas indiqué. La formulation de la rubrique s’inspire le plus souvent de l’énonciation du passage textuel avant lequel elle est immédiatement située : Ensi come li rois Artus abati Tradelinant le roi de Norgales a cop de lance. // Si encontra Tradelinant le roi de Norgales qui encore venoit tout frescement, si le fiert li durement que par mi l’escu et parmi le haubert le blecha (fr. 110 f. 73v). Ensi que li rois Maaglains et Dorilas le neveu le roi Nantre de Garlot s’entreporterent a terre as cops des lances. // Et si tost qu’il s’entrevirent il et Dorilas, si se laissent courre les glaives eslongiés et s’enfierent si durement sour les escus qu’il les font fraindre et percier... (fr. 110 f. 87v).

L’illustration et la rubrique se concentrent sur un aspect particulier du texte tout en faisant ressortir sa tonalité. Lors de la bataille de Danablaise, Arthur combat à nouveau un géant, le roi Jonap (fr. 110 f. 101v). Même si aucun de ses combats contre le roi Rion n’est représenté, la stature militaire d’Arthur ressort donc des choix d’illustration de ce manuscrit.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 265

Gauvain fait également l’objet de plusieurs miniatures : Merlin l’envoie ainsi au secours d’Yvain (fr. 110 f. 93v) mais aussi de sa mère (fr. 110 f. 97, «  Ensi com Gauvain et li rois Taurus jousterent ensamble et Gauvain li conduist le lance parmi le cors por rescorre sa mere »). À l’occasion de sa lutte contre Thaurus, la rubrique précise l’enjeu d’un affrontement que rien ne distingue autrement d’un combat ordinaire. La scène de réconciliation de Gauvain et des chevaliers de la Table Ronde (fr. 110 f. 129, « Ensi come Hervieu de Riviel et Nasciiens et li compaignon de la Table Roonde s’ajenoillent devant monsignor Gauvain por lui proier k’il lor perdoinst son maltalent ») est plus originale : l’humiliation symbolique de ces derniers, qui lui demandent pardon pour leurs forfaits, contraste particulièrement avec la posture d’autorité adoptée par Gauvain. Dans les deux cas, la rubrique n’est pas seulement descriptive, mais elle précise les enjeux de la scène dépeinte. Comme le souligne Keith Busby, dans l’énoncé des rubriques, l’articulation de différentes propositions coordonnées par la conjonction « et » peut renvoyer à trois types de relation : le couplage d’éléments narratifs distincts (qui en général se succèdent chronologiquement), la représentation des différents aspects concurrents d’une même scène, ou bien la description d’une action et l’explication de sa motivation (dont la visualisation ne va pas de soi)339. Dans fr.  110, les questions chevaleresques semblent tenir une place importante dans l’illustration de la fin de la Suite Vulgate : malgré la réconciliation des chevaliers de la Reine et de ceux de la Table Ronde, l’aventure de la Forêt Aventureuse témoigne de la rivalité qui persiste entre eux (fr. 110 f. 141). À l’inverse, l’adoubement d’Enadain le chevalier nain et les aventures de ce dernier témoignent de l’ouverture de la chevalerie arthurienne et du caractère fructueux de la lutte contre les chevaliers mécréants ou orgueilleux. À cette occasion, la rubrique et l’image se focalisent sur deux aspects du rite de l’adoubement, la colée et la remise des éperons (fr. 110 f. 152v). Le nom d’Enadain n’est pas précisé, ce qui suppose un lecteur informé ou prêt à se reporter au texte pour compléter ces informations. Le personnage de Merlin apparaît de façon récurrente dans l’iconographie de ce manuscrit, d’abord déguisé en messager d’Yvain puis métamorphosé en cerf.  La première image (fr. 110 f. 93v) s’inscrit dans une série d’apparitions où le personnage prodigue conseils et avertissements aux neveux d’Arthur, transformé en chevalier, en gardien de bêtes ou en vieil homme. La rubrique, « Ensi comme Merlins est el palais devant Gawaniet a jenous en samblance de chevalier et li baille une letre close », amalgame plusieurs de ses déguisements, car il se présente à Gauvain sous les traits d’un « garçon a pied trotant », comme un messager somptueusement vêtu 339

Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1, p. 277.

266 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

(Pl. I, 1014). Écrite au présent, la rubrique ne coïncide pas totalement avec l’image qu’elle semble décrire, puisqu’elle précise que Merlin est agenouillé devant Gauvain, ce qui n’est pas le cas dans la miniature. Merlin apparaît en civil, mais il est habillé de vert, l’unique occasion dans ce manuscrit où cette teinte est utilisée pour un vêtement, ce qui peut constituer un indice de la transformation du personnage. Le vert est en effet une couleur instable qui au Moyen Âge connote la variation et le changement340. La symbolique des couleurs prime donc sur le respect de la lettre du texte, puisque la longue description de la tenue du messager précise qu’il porte une futaine noire. La lettre apportée par Merlin est un faux, un stratagème par lequel il envoie Gauvain au secours d’Yvain, mais la rubrique ne précise pas l’objet du message. L’image consacrée à la transformation de Merlin en cerf (fr. 110 f. 116), bien que située au commencement de l’épisode, illustre plus particulièrement le passage où l’animal quitte la cour de l’empereur, poursuivi par Grisandole et divers jeunes gens attirés par la récompense promise par Jules César341. Elle synthétise la chasse au cerf et le moment où l’animal, trouvant Grisandole en prières dans la forêt, lui explique comment capturer l’homme sauvage. Le mouvement du cerf, sa tête retournée et la flèche qui le menace directement soulignent la complexité de la miniature et contribuent au dynamisme de la scène. La rubrique, « Ensi come grant plenté de gent cacent un cierf et li cers s’arreste et parole a Grisandolet », ne précise pas la véritable identité de l’animal, supposant la reconnaissance de l’intrigue. La lecture du texte est nécessaire pour comprendre l’objet de la discussion de Merlin et de Grisandole. La rubrique se focalise donc à nouveau sur un aspect particulier de la narration sans se charger de sa contextualisation. Enfin la représentation de l’enserrement de Merlin par Viviane constitue la dernière illustration de la continuation (fr. 110 f. 159v, Figure 257, « Ensi que Merlins se dort desous un buisson d’aubespine et Niniane sa mie fait son cerne tout entor lui por lui enserrer par sez encantemens »). Elle fait

340

341

« La première fonction symbolique de la couleur verte est de signifier, de mettre en valeur ou d’emblématiser tout ce qui est instable, éphémère, mouvant, que ce soit en bonne ou en mauvaise part ». Le vert est ainsi associé à la Fortune, et « peut être à la fois la couleur de la chance et de la malchance ». Pastoureau, Michel. « La couleur verte au XVIe siècle : traditions et mutations », Shakespeare. Le Monde vert : Rites et Renouveau. Dir. Marie-Thérèse JonesDavies, 1995, p. 27-38. Le jaune et le vert constituent en outre des couleurs du désordre et de la folie. Voir Pastoureau, Michel. « Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert », Médiévales, 1983, 2 (4), p. 62-73 et Vert : histoire d’une couleur. Paris : Seuil, 2013, p. 89. Fabry-Tehranchi, Irène. « ‘Conment Merlin se mua en guise de cerf ’ : écrire et représenter la métamorphose animale dans les manuscrits enluminés de la Suite Vulgate du Merlin. » Textimage, Varia, 2, 2010, p. 23-24, http://www.revue-textimage.com/05varia2/fabry1.html (01/08/2013).



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 267 Merlin

Suite Vulgate

Miniature

2

1

0 570

770

970

1170

1370

1570

Pléiade Graphique 1 : Situation des illustrations et rubriques dans BNF, fr. 110 Légende : Pléiade = pagination dans l’édition Pléiade

coïncider la fin du texte avec la disparition du personnage, ce qui signale l’achèvement de « l’Estoire de Merlin », telle qu’elle était annoncée à la fin de l’Estoire del Saint Graal (fr. 110 f. 45v), même si l’enfance de Merlin ne figure pas dans le programme iconographique de ce manuscrit. Dans fr. 110, il faut donc attendre la dernière image de la Suite Vulgate pour voir Merlin représenté sous sa forme première. L’ultime apparition du personnage résonne a posteriori sur l’ensemble de l’œuvre où seules transparaissent ses muances et mutations. Dans fr. 110, les rubriques servent de guides pour la lecture des illustrations  : elles permettent de spécifier les scènes dépeintes et d’identifier les personnages et leurs actions en se focalisant sur un passage textuel précis. La contextualisation des événements décrits implique cependant la connaissance de l’intrigue : lorsque le lecteur est projeté au cœur d’une joute chevaleresque, une lecture plus étendue du texte est nécessaire à la mise en situation de ce combat au sein d’une bataille ou d’une guerre donnée. Rubriques et miniatures font ressortir des événements politiques et religieux fondateurs, comme le mariage d’Uterpandragon et d’Ygerne ou le couronnement d’Arthur, et elles mettent en exergue les figures d’Arthur, Merlin et Gauvain. Si l’illustration de la seconde partie de la continuation est moins dense342, elle se concentre sur des enjeux de plus en plus chevaleresques, soulignant l’intervention de Merlin dont la disparition fait l’objet de la dernière miniature. Les questions politiques et dynastiques soulevées par l’iconographie du Merlin propre semblent progressivement s’effacer devant l’illustration d’épisodes relevant davantage du merveilleux courtois.

342

Voir Graphique 1 : Situation des illustrations et rubriques dans BNF, fr. 110, p. 255.

268 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

b.  BNF, fr. 332 : « La memorable hystoire de Merlin en laquelle est contenues plusieurs notables faiz d’armes et par especial de la Table Ronde » BNF, fr. 332343 est un manuscrit du XVe siècle copié sur papier en écriture cursive et comprenant le Merlin et sa suite : il intitule l’ensemble « la mémorable hystoire de Merlin » (f. 1). Le texte est divisé en paragraphes signalés par le recours à une lettrine de couleur rouge et dont les premiers mots sont écrits dans un format d’écriture plus large que les autres. Des titres de chapitres introduits par l’adverbe « comment » et rédigés le plus souvent au présent précèdent certains de ces paragraphes : on en compte seulement trois dans le Merlin propre (ce qui inclut la présentation liminaire du texte) contre une centaine dans la continuation. Le titre liminaire mentionne l’histoire de Merlin, mais annonce aussi l’importance des épisodes militaires dans la Suite Vulgate, même si les tournois et aventures chevaleresques y sont relativement moins représentés que les guerres arthuriennes en Grande-Bretagne et au-delà. La Table Ronde constitue manifestement un élément important et susceptible d’intéresser le lecteur, puisque sa fondation fait l’objet d’un des deux tituli du Merlin propre.  L’emploi d’un tour passif («  Comment la Table Ronde fut trouvee », fr. 332 f. 35v) ménage le mystère, gommant l’implication de Merlin dans la création de la compagnie. L’autre titulus compris dans le Merlin propre se rapporte à l’assassinat de Maine qu’il attribue directement à Vertigier («  Comment Vertiger fait occir le roy son seigneur par douze chevaliers », fr. 332 f. 12v). L’affaire est relativement ambiguë, car après le crime, Vertigier se distance des douze conspirateurs et les fait exécuter. Le titre de chapitre démonte donc le procédé par lequel Vertigier essaie de dissimuler sa culpabilité. Ce choix est intéressant, car il intervient lors du passage de l’histoire de Merlin à l’histoire des rois de Bretagne mais se focalise moins sur Constant ou sur ses fils que sur la figure de l’usurpateur, présenté comme un traître responsable de l’assassinat de son souverain. Dans fr.  332, le premier titulus relatif à la continuation se situe avant l’arrivée de Ban et Bohort à la cour d’Arthur, un passage qui marque le commencement des Premiers Faits du roi Arthur dans le manuscrit Bonn, ULB, 526. Cette subdivision met en avant l’importance de cette nouvelle alliance négociée par Merlin  : elle pallie dans une certaine mesure la défection des barons bretons révoltés. Dans fr. 332, les tituli sont souvent insérés lors d’articulations narratives marquées par l’emploi de formules d’entrelacement. Ils interviennent après des phrases du type « Mais atant se taist le compte d’icy endroit... et retourne a parler / si vous dirons... comme le compte vous a devisé 343

Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », 1958, p. 80.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 269

ça avant / comme vous avez ouy ou compté... » et avant des passages mentionnant : « Cy (endroit) / Or / En ceste partie / Ce dit li compte que... ». L’autorité du conte justifie le découpage de différentes séquences au sein de l’intrigue, mais au même moment s’affirme la voix du narrateur soucieux d’exposer à son public l’organisation du récit et de faire appel à la mémoire fictionnelle de son lecteur / auditeur. On peut relever ce phénomène à l’occasion de la préparation de Bédingran. Après avoir décrit l’organisation du camp d’Arthur, le récit revient sur le sort des six rois rebelles déconfits lors de leur première bataille contre le jeune souverain, avant de se focaliser sur l’action de Merlin qui amène en Grande-Bretagne des renforts venus de Gaule : Mais atant se taist le compte d’icy endroit d’eulx [Arthur et les siens] et retourne a parler des six rois qui furent desconfiz a Carlion eulx et toute leur compaignie si comme vous avez ouy ou compté. [Titulus] Comment six roys sont desconfiz par le roy Artus. Cy endroit dit le compte que moult furent dolans les six roys de ce qu’ilz furent ainsi desconfiz par le roy Artus et qu’ilz eurent perdu tout leur harnois. [...] Mais atant se taist le compte ung peu d’eulx, si vous dirons de Merlin et du secours qu’il amaine qui fut entré en mer comme le compte vous a devisé ça avant. [Titulus] Comment Merlin yst de mer et amene les gens du roy Ban et du roy de Bohors pour rescourir le roy Artur. Or dist le compte que quant Merlin fut entré en mer il et sa compaignie qu’il eust amenee de la terre aux deux freres roys... (fr. 332 ff. 74-74v).

Le titulus répète et met en exergue ce qui est annoncé et récapitulé dans les formules d’entrelacement, il se caractérise par sa brièveté, puisqu’il est généralement composé d’une seule proposition. Dans Bonn, ULB, 526, mais aussi Naf. 4166 ou New Haven, Beinecke, 227, la formule conclusive, copiée à l’encre rouge, est promue au rang de rubrique, alors que dans fr. 332, le titulus constitue un énoncé paratextuel inséré entre la phrase de conclusion et celle qui ouvre le paragraphe suivant. Comme le souligne Colette-Anne Van Coolput, la généralisation de la rubrique à l’intérieur même d’un texte romanesque et pratiquant elle aussi un découpage de la matière a sans doute été facilitée par la formule conclusive incluant une anticipation344.

Les premiers tituli de la Suite Vulgate se concentrent donc sur la lutte d’Arthur, Ban et Bohort contre les barons rebelles lors de la bataille de Bédingran. Les affrontements guerriers constituent le sujet de la plupart des tituli, qu’il s’agisse de la lutte d’Arthur et de Léodegan, des barons révoltés ou des neveux du roi contre les Saxons, de la guerre de Gaule ou de celle contre les Romains. 344

Van Coolput, Colette-Anne. «  Por deviser comment  : l’évolution de la formule dans le Tristan en prose », Tristania, 11,  1985-86, p. 13.

270 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

L’ambassade de Loth et de ses fils auprès des barons révoltés et les combats qui rythment leur chevauchée sont bien représentés. Dans fr. 332, Arthur se distingue particulièrement lors de son premier duel contre Rion et de son combat contre le géant du mont saint Michel. Quatre tituli témoignent de l’attraction qu’exerce la cour arthurienne chez Sagremor, Gauvain et ses frères, et Eliezer. En ce qui concerne Merlin, les tituli évoquent ses transformations en messager d’Yvain, en cerf et en harpeur, ainsi que son don d’interprétation des rêves auprès de Ban et de Jules César, sa première rencontre avec Viviane et son enserrement. Les aventures de la Forêt Aventureuse et l’histoire d’Enadain et de Gauvain font aussi l’objet de plusieurs titres de chapitres et c’est sur elles que se conclut « l’hystoire de Merlin » (f. 314v). Dans fr. 332, la continuation est donc beaucoup plus subdivisée que le Merlin propre et fait l’objet de titres de chapitres relativement synthétiques qui permettent de suivre minutieusement le déroulement de l’intrigue. La multiplication des formules d’entrelacement relatives au conte facilite l’insertion des titres de chapitres dans la Suite Vulgate, même s’ils interviennent à d’autres moments de la narration. Le titre général donné à l’ensemble formé par le Merlin et sa continuation met en avant l’histoire du personnage éponyme ainsi que l’action des chevaliers arthuriens  : la faible subdivision du Merlin propre ne met guère en valeur les prodiges réalisés par l’enfant sans père. Ses métamorphoses et son don d’interprétation des songes ou sa relation avec Viviane sont pourtant bien relayés par les tituli de la continuation. Quant à l’annonce des prouesses des chevaliers de la Table Ronde, elle est reprise par l’évocation de la fondation de l’institution dans le Merlin, mais ne donne pas lieu à des développements spécifiques dans la Suite Vulgate. Les « notables faiz d’armes » (fr. 332 f. 1) se rapportent de façon plus générale aux exploits guerriers d’Arthur et de ses compagnons, au-delà des divisions rapportées entre les chevaliers de la Table Ronde et ceux de la Reine, puisque la mise en place d’aventures chevaleresques ne concerne que la toute fin de la continuation.

c.  Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 : une version abrégée du cycle du Graal Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 sont deux manuscrits de la deux­­­­ ième moitié du XVe siècle qui présentent la même version abrégée du cycle du Graal345. Si l’on ne connaît pas les circonstances de production du premier ouvrage, le second a été réalisé à Bruges en 1479, comme l’indique son 345

Dans ces deux compilations, l’effort de mise en cycle va de pair avec le choix d’une numérotation consécutive des différents chapitres tandis que les explicits et préambules délimitant les différentes œuvres sont supprimés. Voir Bogdanow, Fanni. « Another Hitherto Unidentified Arthurian Manuscript  : New York, Pierpont Morgan Library M 38  », BBSIA, 28, 1976, p. 191-203 et Bogdanow, Fanni. « An Arthurian Manuscript : Arsenal 3350 », BBSIA, 7, 1995, p. 105-08.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 271

colophon (f. 292), pour Ysembert de Rolin (1460’-1528), bailli d’Aymeries et chancelier du duc de Bourgogne, dont les armes d’azur aux trois clefs d’or en pal figurent au début de la Table des matières (f. 2) et au commencement de l’Estoire (f.  10). Copiés sur papier (à l’exception du premier cahier de l’Estoire dans Arsenal, 3350), en écriture cursive, sur deux colonnes pour le premier et en pleine page pour le second, ces manuscrits ne sont pas enluminés mais comprennent des titres de chapitres regroupés dans une table des matières précédée d’une présentation de l’ouvrage intitulé « livre du Saint Graal » (Ars., 3350 f. A). Celle d’Arsenal, 3350 se concentre sur le motif du Graal et les aventures merveilles qui caractérisent le royaume de Logres, de Joseph d’Arimathie à leur accomplissement par Galaad. Dans Pierpont Morgan, 38, l’introduction est nettement plus développée et insiste sur la division en chapitres visant à faciliter la circulation au sein de l’œuvre. Elle met l’accent sur la fondation des trois tables du Graal, mentionnant les prouesses d’Arthur, des chevaliers de la Table Ronde, mais aussi de Lancelot et de Galaad, dont les qualités chevaleresques sont présentées avec emphase et selon un principe de gradation : la chasteté et la virginité de Galaad, présenté comme un élu de Dieu, confortent sa supériorité. Le paratexte et l’iconographie des manuscrits du XVe siècle soulignent ainsi l’intérêt particulier suscité à cette époque par la question du Graal, en relation avec l’exaltation des valeurs chevaleresques. Tableau 11 : Présentation de la table des matières d’Arsenal, 3350 C’est la table du livre du Saint Graal qui contient dont le Saint Graal vint et que ce fut et dont les merveilles vindrent au royaulme de Logres qui y commencerent despuis le temps de Joseph d’Arimathie et y durerent jusquez au temps de Galaad le bon chevalier qui acheva toutes celles que les aultres chevaliers n’avoient peu achever devant lui (f. A).

Tableau 12 : Présentation de la table des matières de Pierpont Morgan, 38 Cy commance le rubricque des chapitres de ce present livre qui est appellé le Sainct Graal ouquel on pourra veoir par chascun chapitre einsy comme ilz sont seignez par leur nombre pour les myeulx trouver chascun en son lieu et en son nombre. Et par lesdis chapictres einsy qu’ilz sont escrips par ordre l’en porra trouver, veoir et entendre la vraye ystoire du digne et sainct Graal, c’est asavoir comment il fu trouvé premierement et qui le trouva et quelle chose c’est et aprés les grans et merveilleux miraclez que Nostre Seigneur Jhesu Crist monstra en cest monde par la vertu et dignité dudit sainct Graal qui est une moult belle hystoire. Et y est demonstré la première contituçon des troys Tables Rondes qui furent establies en ce monde depuis la digne incarnation de Nostre Saulveur Jhesu Crist. Et aprés y sera parlé de la grant noblesse et puissant proesse du vaillant roy Artus et des vaillans chevaliers de la Table Ronde qui furent les plus renommés de tous aultres et aussy des nobles fais d’armes et grans proesses de messire Lancelot du Lac qui fut en son temps le meilleur et le plus plus vaillant chevalier du monde. Et telle fut sa renommée par tout jusques ad ce que de luy issit le bon chevalier Galaad son filz, lequel en son temps fut granment meilleur chevalier que Lancelot son pere, car celluy Galaad fut chaste et vierge toute sa vie. Et por les biens et vertus que Dieu mit en luy, il conquist ledit Sainct Graal et acheva la Queste d’ycellui et sy mit a fin toutes les merveilleuses et grandes adventures du royaulme de Logres, ce que onques nul aultre chevalier n’avoit peu achever, comme il sera dit cy aprés par chascung chappitre (f. 2).

272 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Les tituli d’Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 sont peu nombreux (4 dans le Merlin et 11 dans la Suite Vulgate) mais assez développés, car ils récapitulent en général différents épisodes narratifs. Débutant de façon traditionnelle par l’adverbe « comment », ils ne se contentent pas d’annoncer le passage qui suit immédiatement mais résument plusieurs aventures successives, regroupant en plusieurs phrases ou propositions ce qui peut faire l’objet de chapitres distincts dans d’autres ouvrages. Ils s’insèrent habituellement avant des compléments circonstanciels de temps, en l’absence de formules d’entrelacement mentionnant le conte. Dans le manuscrit de New York, au début du 16e chapitre, le narrateur intervient exceptionnellement à la première personne pour signaler une articulation narrative importante : il apparaît ainsi comme directement responsable de l’organisation du récit. Ensy comme j’ay dit dessus, destruisoient les Sesnes le royaulme de Logres... (Pierpont Morgan 38, f. 68).

Le Merlin commence par l’évocation de la conception et de l’enfance du jeune prodige plutôt que par la référence à la Descente aux enfers ou au projet de conception d’un antéchrist. Cela focalise l’intérêt autour de la figure de l’enfant sans père qui par ses paroles merveilleuses obtient l’acquittement de sa mère. Les trois autres titres de chapitres se concentrent chacun sur une figure royale : Vertigier, Uterpandragon et Arthur. Les circonstances de l’accès au trône de l’usurpateur ne sont pas précisées, mais l’ensemble de son règne est considéré à travers la perspective de la merveille de la tour qui s’effondre et des paroles prophétiques de Merlin dont le caractère prodigieux est à nouveau mis en exergue. La mort de Vertigier, comme celle d’Uterpandragon, constitue un repère politique et chronologique autour duquel s’articule le découpage en chapitres. Le règne d’Uterpandragon est caractérisé par deux événements majeurs : la fondation de la Table Ronde, annoncée dans le prologue, et la conception d’Arthur. L’intervention de Merlin est présentée comme le moteur de leur réalisation. Enfin le titre du dernier chapitre du Merlin (ch. 13) évoque le couronnement d’Arthur comme une autre « merveille » : l’origine divine du miracle de l’épée du perron et la procédure d’authentification de l’élection ne sont pas spécifiées, mais la réticence des barons est immédiatement mentionnée, bien que modalisée : « les princes et les barons ne luy vouloient obeir au commancement » (Pierpont Morgan, 38, f. 57v). En l’absence de seuil particulier entre le Merlin et sa suite, on peut considérer que ce chapitre joue un rôle de charnière puisqu’il coïncide avec l’avènement d’un nouveau souverain dont le règne sert de cadre aux aventures qui suivent. La division s’accentue dans le chapitre suivant où le conflit prend la forme d’un affrontement guerrier.Le chapitre 15 est consacré aux exploits des neveux d’Arthur dans leur lutte contre les Saxons : leur ralliement à Arthur contraste particulierement



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 273

avec la dissidence de leurs pères. Le début du règne d’Arthur est donc marqué par la victoire sur les barons révoltés et l’aide militaire apportée à Léodegan. La conception de Mordred et celle de Lancelot, évoquée à l’occasion de la guerre de Gaule sont particulièrement mises en avant au sein d’une compilation de type cyclique puisqu’elles introduisent les protagonistes des œuvres transmises après le Merlin et sa suite, le Lancelot et la Mort Artu. Comment le roy Artus se combatit encontre ses barons qui ne luy vouloient obeyr et les vainquit. Et comment il ala servir le roy Leodagan de Carmelide. Et coment il engendra Mordret. Le XIIIIe chapitre. (Pierpont Morgan, 38, f. 60v). Comment le roy Artus passa la mer a host et leva le siege que le roy Claudas tenoit devant le chastel de Trebes. Et comment Lancelot du Lac fut engendrés. Le XVIIe chapitre. (Pierpont Morgan, 38, f. 72v).

Dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, la division en chapitres fait aussi l’objet de regroupements thématiques plus lâches. Au chapitre 16, à la mention des amours de Merlin et Viviane succède dans la table des matières l’évocation des fiançailles d’Arthur et de Guenièvre, et la merveille de la carole créée par Guinebaut, qui n’est pas reprise dans le titulus, ainsi qu’une référence à la défaite du roi Rion : Comment Merlin s’accointa premierement de Viviane s’amie qui despuis fut appellee la Dame du Lac. Et comment le roy Loedegan donna Guenievre sa fille en mariage au roy Artus. Et comment le roy Rion fut desconfit. Et de la quarrole de Guinebaus qui si longuement durra en la forest perilleuse. Et comme le roy Boors occist le roy Amant en champ de bataille. Chappitre XVIe (Arsenal, 3350 f. Av)

Si le titre rassemble des aventures merveilleuses et amoureuses, par le biais de Merlin et Guinebaut, le mariage d’Arthur se caractérise par ses fortes implications politiques, mais rien ne le relie explicitement à la bataille de Danablaise où pourtant Arthur aide Léodegan, le père de Guenièvre, dans son combat contre les envahisseurs Saxons. L’énumération de traits saillants semble l’emporter sur la logique d’ensemble du récit sans souci de hiérarchisation. Au chapitre 17, consacré à la guerre de Gaule succède celui relatif à l’intervention de Merlin à la cour romaine : les métamorphoses de Merlin s’intègrent ainsi aux différentes merveilles réalisées par le personnage tandis que se crée une alternance entre des épisodes guerriers et des passages relevant d’une autre tonalité. Ainsi le titre du chapitre 19 souligne la difficulté des barons chrétiens à repousser les Saxons à Cambénic. Il associe cet événement au guet-apens dressé par le roi Loth à la reine Guenièvre, après le complot des parents de la Fausse Guenièvre le soir du mariage royal. L’ambassade qui prépare la coalition de Salesbières et la bataille de Clarence témoignent du succès de l’alliance des rois chrétiens. Le titre du chapitre 21 insiste sur la

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reconnaissance de la souveraineté d’Arthur par les barons en mentionnant leur hommage qui suscite pourtant d’assez grandes difficultés. Merlin apparaît comme l’instigateur de cette résolution politique. Enfin après la victoire d’Arthur contre Rion, le chapitre 23 semble recouvrir des actions particulièrement dispersées, évoquant quatre ou cinq fils narratifs distincts. Les tables des matières présentent alors une version plus développée que celle du titre. Au sein du texte, Pierpont Morgan, 38 f. 90 intègre le songe de Flualis, l’adoubement d’Enadain, la guerre contre Rome, la mort de l’empereur romain et la lutte d’Arthur contre le chat de Lausanne, mais omet l’enserrement de Merlin, alors que le titulus d’Arsenal, 3350 f. 56 s’arrête à la mention du tribut demandé par l’empereur. Comment Merlin allast soubdainement es parties de Jherusalem exposer au roy Flualis son songe. Et de la damoiselle qui amena son nain a court que le roy Artus fit chevalier. Et comment l’empereur de Romme envoya demander finage au roy Artus. Et comment le roy Artus passa la mer et alla combatre l’empereur en la vallee de Langres en Bourgogne. Et comment l’empereur fut ocis et les Rommains desconfis. Et comment le roy Artus occit le merveilleux chat sur le lac de Losanne. Et comme Merlin fut deceu par Viviane s’amye. Chappitre XXIIIe (Arsenal, 3350, f. Av-B).

Cet éclatement de l’intrigue manifeste une hésitation entre différentes veines narratives, des aventures de Merlin à celle d’Arthur et du récit mythique de la lutte contre le monstre à la guerre contre une puissance impérialiste. Le titre de chapitre intégré dans le texte est parfois plus succinct que celui qui lui correspond dans la table des matières dont la lecture linéaire offre un aperçu légèrement plus développé des différents aspects de l’action. Alors que le motif de l’interprétation des songes s’inscrit dans la série des interventions merveilleuses de Merlin, l’adoubement d’Enadain se lit dans la continuité de ceux des neveux d’Arthur et introduit l’orientation plus romanesque de la fin du texte. Le dernier chapitre de la Suite Vulgate revient sur la disparition du personnage de Merlin, enserré par Viviane, qui fait l’objet d’une première quête de type chevaleresque. Comment la queste commença en la court du roy Artus pour Merlin qui estoit perdu. Et des adventures qui advindrent aux chevaliers de celle queste. Et comment messire Gauvains parla a Merlin en la forest ou s’amye l’avoit mis en prison. XXIIIIe Chappitre (Arsenal, 3350 f. 58v).

Dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, le texte se clôt après le retour d’Enadain et de Gauvain à la cour d’Arthur : l’annonce de la naissance de Lancelot est donc intégrée au début du texte suivant. La perspective cyclique permet ainsi de restructurer et de réorganiser la matière textuelle, que ce soit entre le Merlin propre et la continuation, ou entre celle-ci et le Lancelot.



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Comment Lancelot du Lac, Lionel et Boors furent nez. Et comment le roy Claudas desherita le roy Ban. Et comment le roy Ban morut de dueill. Et comment une damme saillit en ung lac atout Lancelot. Et comment la royne Helayne sa mere devint nonnain. Et puis sa seur. XXVe Chappitre (Arsenal, 3350 f. 60).

A la logique dynastique adoptée dans le découpage du Merlin succèdent donc dans la Suite Vulgate des titres de chapitres qui font alterner différents points de vue sur l’action en se focalisant successivement sur Arthur, ses neveux ou les barons rebelles, à travers leurs conflits internes, ou dans leur lutte commune contre les Saxons ou d’autres adversaires. Les titres de chapitres d’Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 soulignent le rôle politique et militaire joué par Merlin, et intègrent d’autres types d’interventions merveilleuses du personnage, sans négliger la relation amoureuse qui mène à son enserrement. La constitution de chapitres plus longs s’accompagne donc dans ces manuscrits d’un effort de rassemblement d’une matière narrative dont certains titres font pourtant ressortir le caractère divers et composite. Si la perspective cyclique est déterminante dans l’organisation et la structuration du texte, la question du Graal, pertinente dans le Merlin propre, s’efface relativement dans sa continuation. Même si cette dernière semble rétrospectivement s’organiser autour de l’histoire de Merlin, elle met en scène la chevalerie arthurienne et prépare l’introduction de nouveau protagonistes, ainsi que le schéma des quêtes et aventures qui jouent un rôle déterminant dans l’organisation du Lancelot et de la Queste.

c.  BL, Harley 6340 : la multiplication des titres de chapitres Comme l’a montré Barbara Wahlen au sujet du passage du manuscrit à l’imprimé concernant le roman de Méliadus, « l’accroissement de la fonction informative et narrative des titres [...] facilite l’accès au texte et oriente le lecteur dans la trame touffue du roman »346. Cette pratique perceptible dans les manuscrits de la fin du Moyen Âge se trouve portée à son paroxysme dans BL, Harley 6340347. Cet ouvrage, copié en écriture cursive sur papier dans la deuxième partie du XVe siècle, constitue un exemplaire du Merlin et de sa suite tout à fait unique par le nombre de tituli dont il fait l’objet. Il y a 99 titres de chapitres dans le Merlin propre et un peu moins de 600 dans la Suite Vulgate, ce qui constitue en moyenne 2,1 tituli par folio dans le Merlin et 2,5 dans la continuation.

346

347

Wahlen, Barbara. L’Ecriture à rebours, Le Roman de Méliadus du XIIIe au XVIIIe siècle. Genève : Droz, 2010, p. 325. Micha, Alexandre. «  Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron  », 1958, p. 88-89.

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Dans Harley 6340, le Merlin et sa continuation sont copiés l’un à la suite de l’autre : aucun indice visuel ne marque spécifiquement le début de la Suite Vulgate. Pourtant, la Suite Vulgate commence avec le chapitre 100 : le concepteur du manuscrit a pu planifier l’organisation de la copie de manière à faire coïncider ce seuil symbolique avec le début de la continuation. Bien qu’écrits d’une même encre que le corps du texte, les titres de chapitres ressortent dans la mise en page car ils sont copiés en retrait, après un pied de mouche, et leur numérotation, qui n’est pas systématique dans la seconde partie du manuscrit, se fait à l’encre rouge. Ils sont le plus souvent insérés avant des phrases commençant par des adverbes ou des conjonctions du type « ainsi », « lors » ou « quand », qui permettent de récapituler des éléments antérieurs de la narration ou de marquer le commencement d’une nouvelle action. Dans ce manuscrit tardif, l’étude des tituli est particulièrement intéressante du fait de leur densité. Ils offrent une reformulation paraphrastique et condensée du texte, mais contribuent aussi à mettre en relief certains éléments narratifs et discursifs. Le nombre et la fréquence des tituli vont de pair avec un découpage du texte en séquences narratives assez brèves, qui s’étendent en général sur moins d’un folio. Certains, composés de plusieurs phrases ou propositions, intègrent des éléments de discours direct ou indirect, ce qui réduit leur spécificité stylistique mais contribue à dramatiser leur énonciation.

La syntaxe formulaire des tituli de Harley 6340 A l’exception du premier titulus, qui sert d’incipit au Merlin (Harley 6340 f.  14 «  Ci commence le livre de Merlin, premierement comment Merlin fu engandré par l’Ennemy en une demoiselle »), tous les titres de chapitre débutent par l’adverbe « Comment... ». Il est rare que le titulus soit formé d’une seule proposition, même si cela permet de mettre en exergue une action réalisée par un personnage précis. Ainsi la première mention de Vertigier lui attribue la responsabilité du régicide de Maine en soulignant sa traîtrise à l’égard de son suzerain348, alors que les titres de chapitres suivants nuancent son implication dans l’assassinat : Comment Vertiger fait occire le roy son seigneur par douze chevalliers (Harley 6340 f. 22).

L’adoption d’un titre de chapitre bref fait ressortir un aspect du récit au lieu de détailler ses péripéties. Cette concision permet de faire ressortir plus nettement des éléments énoncés de façon relativement nuancée au sein de la narration : 348

Vertigier, qui commet à la fois un régicide et un infanticide, est triplement coupable car il s’allie avec les infidèles au lieu de les combattre, il brise la promesse d’apporte son aide et son service à celui qu’il a reconnu comme roi et seigneur, et enfin qu’il profite du fait que ce souverain est un enfant. Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 120.



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Comment Vertigiers fut hay de son peuple. Et comment il doubtoit le retour des deux enfans de Constans. Aprés tout ce sceut Vertigiers qu’il n’estoit pas bien amé de ses hommes. Et si scavoit bien que les deux filz de Constans en avoient esté menez en estrange terre et qu’ilz repaireroient au plus tost qu’il pourroient. Et sceut bien que s’ils revenoient que ce seroit pour son dommaige. Et pensa qu’il feroit faire une tour... (Harley 6340 f. 23va).

Le titre de chapitre accentue ici l’hostilité du peuple breton à son nouveau souverain tout en synthétisant les pensées de l’usurpateur telles qu’elles sont développées dans le corps du texte. En général, les tituli font l'objet de plusieurs compléments et propositions subordonnées. L’utilisation de propositions relatives introduites par le pronom relatif «  dont  » dépourvu d’antécédent exprimé et qui renvoie alors de façon résomptive à l’ensemble de la proposition précédente permet d’établir entre les deux parties de la phrase une relation temporelle ou consécutive. Comment Merlin se magnifesta au roy Pandragon en secret dont le roy eut grant joye (Harley 6340 f. 31v).

Quand une seconde phrase introduite par l’adverbe « comment » est coordonnée à la première, elle tend à subdiviser le chapitre qui suit, puisque les deux énoncés sont mis à égalité, présentant chacun les marques d’un titre et renvoyant donc à différents aspects du récit qu’ils précèdent : Comment Vertiger fut assailly de ses ennemys de son royaume. Et comment il espousa la fille de Angis qui n’estoit pas crestienne, dont le peuple de son royaume murmura fort contre luy (Harley 6340 f. 23).

La formulation de ces énoncés leur confère une certaine autonomie, mais ils sont successifs et coordonnés au sein d’un même titre, ce qui implique différentes relations logiques. Vertigier doit combattre la famille des barons bretons qui ont assassiné Maine et dont il a ordonné l’exécution, puis faire face à la révolte de son peuple. De ce fait, il noue une alliance avec les Saxons, malgré leur ancienne hostilité militaire et leur différence à la fois ethnique et religieuse, ce qui ne fait qu’aggraver son cas aux yeux des Bretons. Le double titulus fait donc ressortir deux types d’oppositions à l’usurpateur : le conflit militaire et politique motivé par un mauvais gouvernement, et la désapprobation morale et religieuse que suscite son mariage. Dans la seconde phrase du titulus, l’emploi de deux propositions relatives permet d’expliquer l’hostilité à Vertigier par la caractérisation négative de la religion de son épouse. Le texte précise en effet : Moult furent doulans les Crestiens de ce que Vertigier avoit prinse la [f ]ille Angis. Et dirent souventes foiz pluseurs qu’il avoit laissé grant partie de sa creance pour sa femme qui ne creoyt pas en Jhesu Crist (Harley 6340 f. 23va).

278 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

La critique du mariage de Vertigier sur des fondements religieux était déjà développée chez Geoffroy de Monmouth et chez Wace qui noircissent davantage que Nennius le caractère du personnage349. La représentation de Vertigier d’après les tituli de Harley 6340 est donc très largement négative. L’utilisation de deux propositions introduites par «  comment  » peut aussi distinguer un événement de l’effet qu’il produit, ainsi elle fait ressortir le caractère inattendu des métamorphoses de Merlin et la confusion qu’elles suscitent chez Uter et Pandragon : Comment Merlin s’apparut aux deux freres le .XI.e jour et comment de prime face ilz ne le congneurent pas ains le mescongneurent (Harley 6340 f. 32va1).

Quand au sein d’un même titulus plusieurs phrases ou propositions sont articulées sans que l’adverbe « comment » soit répété, elles permettent de développer différents aspects d’une seule et même action, participant ainsi à sa contextualisation. L’omission de l’adverbe favorise le développement narratif du titulus qui offre ainsi un résumé de l’action. Des propositions coordonnées en fin de phrase soulignent le caractère dramatique de l’action de Merlin : lors de l’épisode de la tour de Vertigier, des spectateurs choisis sont les témoins de ses révélations prodigieuses. Comment Merlin declara a Vertiger roy comment ne pour quoy sa tour tomboit ainsi et le dist en la presence des sept clers (Harley 6340 f. 17vb1). Comment Merlin declara au roy la signifiance de ces deux dragons dont l’ung avoit occis l’autre et tout ce il dist en la presence du roy et de son conseil (Harley 6340 f. 28v).

Cette construction syntaxique des tituli relaye la mise en scène des interventions de Merlin, notamment à travers les différentes muances  qu’il prend pour rencontrer les fils de Constant :

349



«  Intrante Sathana in corde suo, amauit puellam et postulauit eam a patre suo. Intrauerat, inquam, Sathanas in corde suo quia cum Chritianus esset cum pagana coire desiderabat  » (Satan pénétrant dans son cœur, il aima la jeune fille et demanda sa main à Hengist. Je précise que Satan était entré dans son cœur car il désirait s’unir avec une païenne alors qu’il était chrétien), Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain, 2007 § 100. « Tant l’ad Diables timoné, / Ki maint home ad a mal turné, / D’amur et de rage l’esprit/ De prendre la fille Henguist. / Deus, quel hunte ! Deus, quel pechié ! / Tant l’ad Deiables desveied, / Ne l’ad pas pur ço refusee / Que paene ert, de païens nee. » (Wace. Le Roman de Brut. Ed. Ivor Arnold, vv. 6989-96). Voir Fabry, Irène. « Construction impossible et défense improbable : la tour du roi Vertigier dans l’Historia Brittonum de Nennius, l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, le Brut de Wace et le Merlin de Robert de Boron », Rêves de pierre et de bois. Imaginer la construction au Moyen Âge. Dir. Clotilde Dauphant et Vanessa Obry. Paris : Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2009, p. 93-112.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 279

Comment le roy Pandragon se fist mener par un de ses messaiges au lieu ou ilz avoient trouvé Merlin en habit de baucheton et parla a luy (Harley 6340 f. 30v). Comment Merlin se moustra au roy Pandragon et puis aux deux freres ensemble (Harley 6340 f. 32va2).

Dans le premier titulus, le développement de la proposition introduite par « comment », qui régit une proposition relative et différents compléments circonstanciels, contraste avec la brièveté de la seconde et fait ressortir la difficulté d’accéder à Merlin et le caractère initiatique de la rencontre avec le prophète qui fait l’objet de plusieurs quêtes. Les apparitions de Merlin relèvent d’une véritable scénographie, comme le souligne la construction binaire du second titulus. Si la coordination par « et » des différentes propositions des tituli est majoritaire, des conjonctions comme « si » ou « mais », qui précisent leur relation logique, sont parfois utilisées : Comment les prelatz et les barons coururent veoir le perron et y gecta ung arcevesque de l’eaue benoiste dessus. Si regarda de prés et vit lectres d’or qui disoient que celluy seroit leur roy qui tireroit l’espee dehors de celle enclume (Harley 6340 f. 56v). Comment le roy Loth voulut revanchier son cousin germain le roy Nantres si alla contre Artus mais il fut mis par terre en la maniere comme le roy Nantres (Harley 6340 f. 63vb).

Dans le premier cas, l’utilisation de « si » indique une relation de successivité temporelle et dans le second un lien de cause à conséquence, alors que l’emploi de « mais » porte une valeur adversative : Comment le dragon apparut en l’air aux deux freres dont ilz eurent victoire des Senes. Mais le signe signifyoit que Pandragon y morroit comme il fist (Harley 6340 f. 37vb2). Comment a l’arriver de ceulx de Longres, Doon de Carduel fut abatu du roy Medelant et le vouloit occire. Mais Gauvain survint qui occist le roy Medelant et saulva Doon de Carduel (Harley 6340 f. 90b).

Dans le titulus évoquant le dragon qui apparaît lors de la bataille des fils de Constant contre les Saxons à Salesbières, la proposition introduite par « mais » nuance le caractère positif du signe merveilleux en indiquant sa senefiance. Dans celui relatif aux premiers exploits des neveux d’Arthur contre les Saxons, l’utilisation de « mais » fait ressortir le caractère mouvementé de la bataille à travers l’un de ses rebondissements. Alors que le développement de propositions subordonnées ou coordonnées rapproche l’écriture du titulus du corps du récit, certains titres se

280 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

terminent par des phrases ou propositions nominales coordonnées à la première, ce qui souligne leur spécificité et les distingue stylistiquement du reste de la narration Comment Merlin print congié de sa mere et des belles parolles et enseignemens qu’il luy dist en la presence des messagiers (Harley 6340 f. 26a2). Comment le roy fist par ses lectres venir la duchesse de Tintajol et tous ses amys a Carduel pour les contenter de la mort au duc et des lectres que Merlin demanda au roy du fruit qu’il luy avoit donné qu’il avoit engendré en la duchesse (Harley 6340 f. 49b). Comment il fut conclut que Artus seroit sacré et couronné a la Penthecouste et des grand dons et joyaulx qu’il despartit par sa prudence (Harley 6340 f. 59va).

Cela permet de mettre en exergue un groupe nominal ensuite développé par une proposition subordonnée relative, comme les paroles édifiantes de Merlin au moment où il quitte sa mère. Les tituli insistent notamment sur les connaissances religieuses du fils du diable dont l’enseignement profite même à un homme d’Eglise, « l’ermite Blaise », « confesseur » de sa mère (« Comment Merlin monstra de grans enseignemens a Blaise pour acquerir paradis », Harley 6340 f. 21b). Dans le deuxième titre de chapitre, l’emploi d’un énoncé nominal permet de distinguer deux types d’écrits à caractère légal : les lettres relatives à la convocation du parti du duc de Tintagel pour négocier la compensation due à sa femme et celles qui documentent la conception d’Arthur. Le passage d’un tour verbal à un tour nominal met davantage en valeur la seconde série de lettres qui sont également rédigées par le roi, mais à l’initiative et à l’intention de Merlin. Au début de la Suite Vulgate, ces écrits serviront de preuve pour expliquer l’origine d’un souverain dont la légitimité est alors contestée. Dans le troisième titulus, le passage d’un tour impersonnel à une proposition nominale fait contraster la planification collective du sacre, qui demeure de l’ordre du virtuel (le couronnement se trouve en outre plusieurs fois repoussé dans le temps du fait de la réticence des barons), avec les produits effectifs de l’action d’Arthur qui manifeste ainsi les qualités d’un souverain avisé. La formulation des tituli de Harley 6340 distingue donc ces énoncés du reste de la narration mais fait l’objet de plusieurs niveaux de formalisation, que ce soit par l’emploi de l’adverbe « comment » ou le recours à des propositions nominales. L’articulation de différents compléments, ainsi que de propositions subordonnées ou coordonnées complexifie le développement syntaxique des tituli et contribue à mettre en place des relations logiques au sein de chacun de ces énoncés dont l’écriture se rapproche alors davantage de celle du texte qu’ils introduisent.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 281

L’écriture des tituli de Harley 6340 et leur développement littéraire  -Les reprises thématiques et lexicales

Dans leur dimension formulaire, les tituli de Harley 6340 soulignent le retour de certaines situations narratives, comme la décision des neveux d’Arthur et d’autres jeunes gens, attirés par la renommée du souverain, de se faire adouber par lui : Comment l’empereur de Constantinoble ne peut faire que Saigremor se face faire chevalier si non par la main Artus (Harley 6340 f. 85va). Comment Gauvain et ses trois freres et Galescins son cousin allerent au roy Artus pour estre faiz par sa main chevaliers (Harley 6340 f. 86). Comment Ywains le filz du roy Urien et Yvains l’Avoultre de Urien ne voulurent estre faiz chevaliers de leur pere, mais dirent qu’ilz seroient chevaliers de la main Artus leur oncle (Harley 6340 f. 106a). Comment Yvonnet demanda congié a sa dame de mere pour s’en aller faire chevalier soubz Artus, et ne vouloit pas que son pere Uriens le sceut, car il l’avoit destitué de sa terre et l’avoit donnee a son nepveu Baudemagus (Harley 6340 f. 107a). Comment Dodinel s’en alla a l’Espine, et la Keux et luy conclurent que jamais ne retourneroient a leurs peres tant qu’ilz feussent faiz chevaliers de la main Artus (Harley 6340 f. 111va).

Alors que ces tituli font ressortir la similarité de ces scènes, construites sur le même canevas (le jeune homme exprime sa volonté de rejoindre Arthur et prend congé d’un de ses parents), ceux qui les entourent permettent de spécifier les modalités du départ et la singularité du parcours de chacun. Merlin tient une place de choix dans les tituli de Harley 6340 qui insistent sur son caractère prodigieux et ses enchantements. La lecture sérielle des tituli met en évidence la progression narrative et son déploiement temporel. De nombreux titres de chapitres sont consacrés à la première rencontre de Merlin et Viviane, plus développée que toutes les suivantes. Les tituli retiennent à la fois l’énonciation du défi merveilleux que se lance Merlin et la démonstration de ses talents surnaturels : Comment Merlin dist a Viviane qu’il feroit qu’il iroit par-dessus une riviere sans se moiller les piez, et ung chasteau tout plain de gens et dehors des gens qui l’assauldroient (Harley 6340 f. 132v). Comment Merlin par son art fist venir devant Viviane dames, damoiselles, escuiers et tous instrumens devant elles. Et fist incontinent illec ung bel chastel pour avoir l’amour de la belle Viviane (Harley 6340 f. 133).

282 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

A travers le passage du dire au faire, Merlin établit dans un cadre naturel des jeux chevaleresque et courtois favorables au développement d’une relation galante. La mise en scène ludique de l’attaque d’une forteresse fait écho au motif littéraire et iconographique de la prise du château d’amour350. Les titres de chapitres rendent compte à la fois de la promesse faite par Merlin d’instruire Viviane dans le domaine magique et de l’exécution de ce serment : Comment Merlin print la pucelle par la main et luy dist qu’il luy aprandroit a congnoistre toutes les choses que l’en fait, mais qu’elle luy tiegne ce qu’elle luy avoit promis, et elle luy octroya (Harley 6340 f. 133va). Comment seigneurs escuiers, dames, damoiselles et chasteau s’esvanouyrent pendant que Merlin parloit a la pucelle. Mais le jardin de liesse si demoura pour s’esbatre. Et Merlin luy aprint a faire venir une grant riviere quant elle vouldroit ou il luy plaisoit (Harley 6340 f. 133vb). Comment Merlin s’en alla veoir son amye laquelle luy prya qu’il l’aprint a faire dormir ung homme qui jamais ne se peust esveiller sans son congié. Et Merlin luy aprint (Harley 6340 f. 177v). Comment Viviane requist a Merlin qu’il luy aprint a faire demourance de laquelle nul homme jamais ne porroit partir sans son congié (Harley 6340 f. 283).

La reprise systématique du verbe « apprendre » au passé simple, martelé lors de la première rencontre, puis repris au cours des suivantes, montre que la relation amoureuse de Merlin et de Viviane se double dès leur premier entretien d’un pacte qui l’associe à une relation d’enseignement. Cette harmonie semble absente de la relation entre Merlin et Morgane telle qu’elle est présentée dans un autre titulus : dans ce cas, le magicien semble uniquement exploité et manipulé351. La progression du savoir de Viviane constitue le principal élément des tituli consacrés aux rencontres des amants. Si la disparition finale de Merlin est présentée comme définitive, le « beau lieu » où l’enclot l’enchantement de Viviane constitue un locus amoenus rappelant le jardin et les fontaines du Roman de la rose et il partage les qualités esthétiques et la tonalité du cadre de leur première rencontre : Comment Merlin se tira vers une fontaine dont le ruisseau estoit moult bel et sembloit la gravelle petites perles d’argent et trouva une moult belle pucele laquelle il salua et elle luy rendit moult doulcement son salut (Harley 6340 f. 132b). Comment Viviaine enclouyt Merlin par enchantement en ung beau lieu dont il ne retourna depuis (Harley 6340 f. 283v).

350 351

Voir Camille, Michael. L’art de l’amour au Moyen Âge, 2000, p. 35-36. « Comment la grant clergesse Morgain si trouva moien d’avoir Merlin et print de luy mainte science » (f. 160vb).



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 283

Le premier titulus ne se contente pas de mentionner la beauté du lieu mais intègre des éléments de description de ce dernier ainsi que l’image des perles qui ne figure pas dans le texte : Si se tira [Merlin] vers une fontaine dont le vivier estoit moult beau et moult cler. Et la gravelle telle qu’il sembloit qu’elle feust d’argent fin. À celle fontaine venoit souvent Viviane jouer et desduire... (Harley 6340 f. 132b).

Le cadre idyllique des aventures amoureuses de Merlin, relayé par les titres de chapitres, se caractérise par la mise en œuvre de réseaux lexicaux spécifiques qui annoncent déjà son enserrement. L’attention portée dans ce manuscrit du XVe siècle aux enchantements de Merlin et à ses rencontres avec Viviane, développées dans un cadre essentiellement courtois, contraste avec le soupçon grandissant porté sur les actes à caractère magique à la fin du Moyen Âge352. Si Merlin met à disposition de son amante des pouvoirs qu’il tire aussi bien de Dieu que du diable, il s’en dépossède consciemment, et renonce à la suprématie qu’ils lui donnent pour se conduire en parfait amant. Dans un autre registre, tout au long du récit, les titres de chapitres de BL, Harley 6340 mettent en scène les merveilles produites par Merlin sur le champ de bataille. La présence récurrente de l’enseigne au dragon qui jette des flammes est ainsi mise en valeur dans plusieurs tituli : Comment Merlin fist rendre au dragon par sa gueulle grant flambe de feu que tout l’air en estoit enflammbé (Harley 6340 f. 94a). Comment les deux roynes qui estoient en la cité de Trebes s’esmerveillerent de ceulx qui avoient assailly l’ost de leurs ennemys. Et sur tout elles s’esbahissoient du dragon qui gectoit telles flambes de feu que Keux portoit (Harley 6340 f. 169v).

Alors que le premier titulus insiste sur la responsabilité de Merlin dans la création de cette merveille, les autres reprennent l’image du dragon jetant des flammes. La présence de spectateurs, comme les reines Elaine et Evaine au cours de la bataille de Trèbes, contribue à souligner l’effet du prodige. Son efficacité est démontrée par la réaction qu’il suscite sur le champ de bataille chez les ennemis d’Arthur (Harley 6340 f. 172vb).

352

L’édification merveilleuse d’un château, associée dans les manuels de sorcellerie au sacrifice d’un animal dont on utilise le sang pour écrire le nom d’un démon, et le fait de tracer un cercle magique ou encore de se servir de paroles magiques comme amulette protectrice sont des cas notoires de sorcellerie dont l’usage est formellement condamné par l’Eglise. Voir LawrenceMathers, Anne. The True History of Merlin the Magician. New Haven : Yale University Press, 2012, p. 203-04 et Lidaka, Juris G. « The Book of Angels, Rings, Characters and Images of the Planets Attributed to Osbern Bokenham », Conjuring Spirits. Texts and Traditions of Medieval Ritual Magic. Ed. Claire Fanger. Pennsylvania : Pennsylvania State University Press, 1999, p. 32-75.

284 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Plusieurs tituli rappellent que les sorts jetés par Merlin prennent souvent la forme du souffle du vent voire de la tempête : Comment les espies des deux roys retournerent es tentes et cryerent alarme. Et ce pendant les gens de Artus vindrent sur eulx avecques Merlin qui ensouffla, comme le roy Loth avoit songié. Si fut illec es tentes des deux roys fait grande occision par les gens Artus (Harley 6340 f. 75b). Comment Merlin et ses quarente compaignons combatirent les Senez qui emmenoient l’aumaille. Et lors y vindrent .XV.M. Senez sur lesquelx Merlin fist venir ung vent et ung estourbillon, qu’ilz ne se veoient l’ung l’autre (Harley 6340 f. 92v). Comment Merlin suyvit dix mille Senez avec sa banyere jusques en une lande parfonde ou il souffla, et y fist venir une riviere noire et parfonde et bruyant, et derriere eulx une bruyne espesse, tant qu’il leur convint demourer illecques toute la nuyt (Harley 6340 f. 150vb1).

On peut lire dans ces manipulations météorologiques la manifestation de l’origine démoniaque du personnage, même s’il met sa magie au service d’Arthur. Comme le montre Joëlle Ducos353, l’air est conçu, depuis l’Antiquité et jusqu’au Moyen Âge, « comme lieu de corruption et des démons. La météorologie apparaît alors comme une œuvre de l’esprit malin », d’autant qu’elle « bouleverse l’ordre fixé par la nature et par Dieu. Elle mêle en effet tous les éléments  ». Le vent est donc diabolisé  : «  l’agitation de l’air, les conflits permanents de l’eau et du vent seraient ainsi le signe de l’agitation de la vie démoniaque, opposés à la sérénité des cieux »354. Ces conceptions perdurent jusqu’au XVe siècle, même si elles sont alors davantage considérées comme relevant du fantasme ou de la superstition. Or le rédacteur des tituli de Harley 6340 ne semble pas influencé par ces préoccupations, car il fait ressortir l’utilisation magique d’un vent prodigieux par le personnage de Merlin sans expliciter ni condamner ces associations démoniaques. Les enchantements sont donc omniprésents et ils expliquent sans doute l’attraction que continue d’exercer le roman de Merlin à la fin du Moyen Âge. Ainsi les déguisements de Merlin, qui manifestent les pouvoirs surnaturels du personnage, sont régulièrement mentionnés dans les tituli, sans être nécessairement signalés comme tels :

353

354

Ducos, Joëlle. La météorologie en français au Moyen Âge : XIIIe-XIV e siècles. Paris : Champion, 1998, p. 396-98. Gervais de Tilbury dépeint ainsi les lieux démoniaques comme agités de tempêtes et de vents. Gervais de Tilbury. Le livre des merveilles : divertissement pour un empereur. Trad. Annie Duchesne. Paris : les Belles lettres, 1992, 3e partie, p. 80-81. Les encyclopédistes présentent le vent comme une « force perturbatrice, contrairement à la Bible qui en fait le souffle des narines de Dieu ou son messager ». Ducos, Joëlle. « Le temps qu’il fait, signe de Dieu ou du Mal : la météorologie du Bourgeois de Paris », Le mal et le diable : leurs figures à la fin du Moyen Âge. Dir. Nathalie Nabert. Paris : Beauchesne, 1996, p. 105-06.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 285

Comment Merlin s’apparut sus la riviere de la pree ung arc au poing et des sagectes qu’il bailla au roy Artus (Harley 6340 f. 80va). Comment Merlin se trouva devant la cité de Caamalot ou il fist ung grant cry, plaignant la destruccion du pays Artus et la mort de Saigremor et de ses compaignons (Harley 6340 f. 115a). Comment Merlin en forme de chevalier dist a Gauvain qu’il seroit bon que luy, ses compaignons, et Saigremoret et ses compaignons s’en allassent vers Caamalot pendant que les Senez estoient aprés Oriles, menant dueil de son mal (Harley 6340 f. 116vb). Comment Merlin print la forme de ung garson vaquaye et porta unes lectres a Gauvain et luy dist que Yvains le filz du roy Urien son oncle les luy envoyoit, qu’il luy pleust faire tantost le contenu d’icelles (Harley 6340 f. 121vb). Comment Gauvain et toute sa compaignie par le conseil du viellart s’en retourna au chastel d’Arrondel (Harley 6340 f. 127). Comment ung chevalier bien armé et bien monté, son escu dessiré et son haubert desrompu, crya devant Arrondel s’il y avoit ou chastel chevalier qui le voulsist suyvre. Et Gauvain luy respondit que ouy (Harley 6340 f. 128). Comment au premier maix que Keux le seneschal porta entra leans la plus belle forme de homme qui oncques feust veue (Harley 6340 f. 254a). Comment l’aveugle qui harpoit requist au roy Artus que pour son sallaire il portast son enseigne en bataille (Harley 6340 f. 257). Comment Merlin en l’eage de huit ans demanda au roy Artus sa banyere a porter contre le roy Rion, ce qu’il luy fut octroyé (Harley 6340 f. 257v).

Si de nombreux tituli qui donnent le nom de Merlin éclairent son identité, il est plus rare qu’ils énoncent de façon explicite sa transformation à travers des expressions comme « en forme de » ou « print la forme de ». Le lecteur averti du déguisement du protagoniste est dans une relation de connivence : il bénéficie d’un savoir supérieur aux personnages dupés par les apparences de Merlin. D’autres désignations, comme le « viellart », le « chevalier », « la plus belle forme de homme qui oncques feust veue » ou « l’aveugle qui harpoit » ménagent le suspens : la reconnaissance du personnage intervient seulement au fil de la lecture du texte. Les tituli accordent donc une place importante à la démonstration des pouvoirs surnaturels de Merlin, à travers la réalisation de prodiges ou par le biais de ses métamorphoses, même si ce polymorphisme peut rappeler son origine diabolique. Les titres de chapitres révèlent des correspondances narratives et participent à la construction de réseaux lexicaux et thématiques qui traversent le Merlin propre et sa continuation, insistant sur le caractère prodigieux du personnage, sans pour autant souligner le caractère suspect de ces enchantements.

286 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

-L’introduction du discours direct et indirect L’intégration de discours au sein des tituli de Harley 6340 crée un effet de variété énonciative, tout en rapprochant l’énoncé titulaire du récit dont il extrait des citations. L’autorité politique mais aussi spirituelle de Merlin se manifeste ainsi à travers des titres de chapitres qui insistent autant sur ses discours que sur ses actions. Un titulus relativement développé rapporte les confidences de Merlin à Uterpandragon concernant l’origine de ses dons surnaturels et le projet de création de la Table Ronde : Comment Merlin dist au roy Uterpandragon qu’il scavoit par l’Ennemy qui l’avoit engendré les choses passées et presentes, et par le baptesme qu’il avoit reçu en saincte Eglise, Dieu luy avoit donné vertu de scavoir les choses naturelles a venir. Et comment il conseilla au roy de faire une table ronde pour acomplir les trois tables dont l’une fut en la Cene Jhesus Crist et l’autre aprés la destruicion de Jheruzalem (Harley 6340 f. 39).

Ces explications confortent l’autorité morale et religieuse de Merlin en dépit de son ascendance diabolique et renforcent la sacralité de la Table Ronde en l’inscrivant dans le prolongement de l’histoire biblique. Sept tituli relatent cette fondation et les péripéties associées au lieu vide de la Table Ronde. Outre la possibilité de lecture sérielle de ces énoncés paratextuels, un même titulus peut rendre compte de différents points abordés dans le récit : Comment Merlin fist faire la Table Ronde des cinquante bons chevaliers qui y furent assiz. Et comment il y avoit ung siege wyde entre les autres pour y mectre ung chevalier. Et comment les chevaliers dirent que eulx et leurs femmes mangeroient a tousjours mais sur ceste table a leurs sieges (Harley 6340 f. 37vb2).

La nature synthétique de l’énoncé du titre de chapitre entre alors en tension avec une tendance à l’amplification, comme en témoigne la multiplication des propositions. Dans de nombreux tituli des éléments de discours sont intégrés sous la forme de dialogues rapportés : Comment le roy demanda a Merlin qui soit le chevalier qui seroit assiz au lieu wyde, et Merlin luy respondit que il n’estoit pas encores né et qu’il n’y seroit pas assiz de la vie du roy (Harley 6340 f. 40v).

Le texte se fait aussi l’écho des conseils édifiants prodigués par Merlin à Uterpandragon avant la mort de ce dernier : Comment Merlin conforta le roy et luy conseilla qu’il allast contre ses ennemys en ung chariot et qu’il les vaincroit, et puis qu’il donnast de ses tresors a l’Eglise pour son ame, car quant l’on donne aprés la mort, l’on donne ce en quoy on n’a riens (Harley 6340 f. 54).

La reprise d’une parole proverbiale marquée par l’emploi de formes indéfinies et l’utilisation du présent gnomique accentuent la dimension



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 287

didactique du passage. Le titulus résume le long discours où Merlin exhorte Uterpandragon à se défaire de ses richesses terrestres, le préparant à une bonne mort afin qu’il puisse accéder à la vie éternelle dans l’autre monde : « Et si vueil bien que tu saiches que ceulx qui ont les grans avoirs et meurent a tout, qu’ilz ne pevent despartir ne faire pour leurs ames bien. Et les avoirs ne sont pas leurs, ains sont a ceulx qui ne leur en laissent bien faire. Et saiches que tout est au diable. [...] Les richesses et les graces qu’on a en ce terrien siecle ne sont si non nuysement a l’ame si on ne les despart si comme l’en doit. [...] [f. 54v] Or convient doncques, se tu veulx estre saige, que de ce que Dieu t’a donné en ceste mortelle vie, que tu en pourchasses la vie pardurable » (Harley 6340 f. 54-54v).

Le prestige moral de Merlin est enfin renforcé par le sursaut quasi miraculeux qu’il obtient du roi sur son lit de mort et par ses prophéties concernant l’avenir d’Arthur et de la Table Ronde : Comment le roy fut trois jours et trois nuyts sans parler et soy mouvoir. Et comment Merlin le fist parler en la presence de ses barons quant il luy dist que son filz Artus seroit roy aprés luy et qu’il acompliroit le lieu de la Table Ronde (Harley 6340 f. 54v).

L’autorité spirituelle de Merlin auprès d’Uterpandragon et son implication dans la création de la Table Ronde, dont la sacralité exalte la condition chevaleresque, servent de contrepoint aux utilisations plus suspectes de ses pouvoirs magiques. Elles sont particulièrement mises en valeur dans les tituli du Merlin qui rapportent aussi bien ses paroles que ses actions. Dans BL, Harley 6340, les titres de chapitres, qui rendent compte des gestes des personnages, de leur discours et de leurs projets, s’ouvrent en outre à une certaine polyphonie. Ils exposent les pensées intimes des personnages, en relation avec l’élaboration de stratégies politiques. Cela peut annoncer et expliquer les développements narratifs subséquents, qu’il s’agisse du mariage d’Arthur et de Guenièvre ou de la réconciliation de Loth et de son souverain : Comment le roy Leodegan regarda le service que le roy Ban et le roy Bohors faisoient a Artus, par quoy il dist en son cuer qu’il vouldroit qu’il eust espousé sa fille Genyevre (Harley 6340 f. 100vb). Comment le roy Loth mauldit le jour que oncques il fut contraire au roy Artus. Et que cela estoit cause qu’il avoit perdu ses enfans et qu’il en estoit en la subjeccion de ces mescreans Senez (Harley 6340 f. 127vb1).

Ces titres n’offrent pas uniquement des synthèses narratives  : ils intègrent des éléments de discours direct ou indirect, relayant avec vivacité les paroles frappantes des protagonistes, notamment sur le champ de bataille, qu’il s’agisse d’encourager les troupes ou de piquer l’honneur des

288 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

combattants pour les pousser à se surpasser, une méthode fréquemment employée par Merlin. Les paroles rapportées prennent la forme d’exhortations stéréotypées ou d’adresses plus personnelles à des personnages particuliers : Comment Merlin et tous les siens allerent secourir Cleodalis et ses gens. Et quant ilz y arriverent, Merlin dist : « Or y perra comment vous les ferez, car maintenant estes vous a l’essay » (Harley 6340 f. 98). Comment Gauvain crya a haulte voix a ses compaignons : « Amys, or sus aux armes ! » et divisa vingt mille hommes en six eschielles qui s’en allerent par le garson vaquaye qui les conduisoient vers le pont de Sordayne (Harley 6340 f. 122b). Comment Guiomar dist que chascun d’eulx devoit valoir ung roy pour sa teste deffendre. Et Merlin dist a Artus que mal avoit employé le baiser de son amye Genyevre, dont il rougit (Harley 6340 f. 144). Comment Merlin vint a Keux et luy osta le dragon de la main en le blasmant comme les autres puis picqua et dist : « Qui m’aymera, si me suyve » (Harley 6340 f. 172b).

L’introduction du discours direct au sein du titre de chapitre contribue à dramatiser les situations dépeintes, exprimant l’intensité des émotions ressenties par les personnages, comme le désespoir du roi Loth quand il pense avoir perdu son fils au cours d’un combat contre les Saxons : Comment le roy Loth regarda derriere luy et il ne vit mye messire Gauvain, si dist : « Helas mes enfants, j’ay tout perdu ! » (Harley 6340 f. 216a).

Le titre du chapitre annonce la plainte hyperbolique de Loth dont il reprend le début : « Helas, j’ay tout perdu ! [...] Mes enfans, voustre frere nous fault. Et certes, s’il est mort, je me occiray, car aprés luy ne quiers je ung seul jour vivre » (Harley 6340 f. 216).

Les tituli rapportent aussi les paroles de défi échangées entre les combattants au cours de la bataille, comme lors du second affrontement d’Arthur et de Rion : Comment le roy Rion dist au roy Artus qu’il se rendist et qu’il ne tirast plus avant pour le dommaige qui s’ensuyvroit a cause de sa mort (Harley 6340 f. 260v).

Lors de leur premier duel, les tituli retracent les circonstances du combat, le recul pris par les deux combattants et le dialogue qui s’engage entre eux : Comment le roy Artus assaillit le roy Rion le geant entre deux fontaines en une vallee du boys. Et la Artus tira son espee faee Escalibor dont il rompit la massue du roy Rion qu’il avoit eue de Hercules, laquelle il doulut mout (Harley 6340 f. 145v).



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 289

Comment Artus en soy repousant regarda l’espee du roy Rion flamboyer plus que cent torches. Et le roy Rion regarda celle d’Artus. Si demanderent aprés leur naissance l’ung a l’autre (Harley 6340 f. 146).

Chacun apprécie la qualité de son adversaire, ce qui accroît la valeur et l’intérêt de l’affrontement. Les titres de chapitres rapportent donc les événements du récit et s’ouvrent à la parole des protagonistes, exploitant leur qualité expressive et leur résonance dramatique, plutôt que de les reformuler. Si le rédacteur des tituli de Harley 6340 ne procède pas à un commentaire direct de l’action, le nombre des titres de chapitres et la reprise minutieuse de certains détails soulignent l’importance qu’il confère à la narration. Il se montre ainsi particulièrement fidèle au texte dont il sélectionne des extraits, incorporant des citations dans une perspective d’illustration et non pas seulement de synthèse. Le titulus offre des aperçus plongeants dans le texte dont il propose un florilège qui demeure ancré dans la trame narrative. Cela contribue à l’élaboration d’un discours paratextuel prolifique et relativement exhaustif. 

-Les séquences de type juridique et les rituels politiques et religieux Avec une trentaine de tituli, les amours d’Uterpandragon et Ygerne et la conception d’Arthur sont particulièrement bien représentés dans Harley 6340. Les négociations qui suivent la mort du duc de Tintagel sont soigneusement rapportées, ce qui montre l’importance des affaires juridiques et l’attention à leur développement narratif : Comment le conseil du roy ordonna que les amys du duc de Tintajol venissent tous pour satisfaire a la duchesse de la mort au duc (Harley 6340 f. 49a). Comment le roy fist par ses lectres venir la duchesse de Tintajol et tous ses amys a Carduel pour les contenter de la mort au duc... (Harley 6340 f. 49b).

Le caractère redondant des tituli réduit leur dimension synthétique car ils se font l’écho du caractère formel des procédures légales et de l’agrément auquel aboutissent le camp d’Uterpandragon et celui de la duchesse, de la proposition formulée par Ulfin à l’accord des deux partis : Comment a ce conseil Ulfin fut d’oppinion que le roy print a femme et a espouse la duchesse pour les tors et griefz que le roy avoit fait en occiant son mary et en destruant ses terres, et a ce conseil s’accorderent tous les barons du roy (Harley 6340 f. 51a). Comment le roy s’accorda au conseil de ses barons et de Ulfin de prandre la duchesse a espouse. Et la duchesse se acorda aussi par son conseil de pardonner au roy la mort du duc et de le prandre a mary et espoux (Harley 6340 f. 51b).

290 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Si le mariage d’Uterpandragon et d’Ygerne est le résultat d’un important processus juridique, le don d’Arthur à Merlin passe également par un engagement écrit qui servira de preuve lorsque après la mort du roi Merlin devra expliquer l’origine d’Arthur : ... Des lectres que Merlin demanda au roy du fruit qu’il luy avoit donné qu’il avoit engendré en la duchesse (Harley 6340 f. 49b).

Les tituli de Harley 6340 témoignent donc de l’importance que prennent les questions légales au sein de la narration, même si après l’union d’Ygerne et Uterpandragon l’accord passé entre eux ne fait que régulariser leur situation : l’exercice de la justice est manipulé par le roi et par ses conseillers355. D’un point de vue narratif, le Merlin se clôt sur le miracle de l’épée du perron et le couronnement d’Arthur, qui font l’objet de neuf chapitres dans Harley 6340, tandis que le début de la suite correspond à la révolte des barons. Cette dernière contraste avec la réconciliation et l’harmonie évoquées avant le couronnement car toute une série de titres de chapitres se concentre sur la validation formelle de la merveille du perron et insiste sur l’unanimité dans laquelle se déroule le couronnement d’Arthur : Comment les barons et le peuple commun requirent pardon a Artus et luy a eulx. Et comment il fut sacré et couronné a Londres par la voulenté de tous les seigneurs espirituelz et temporels du pays (Harley 6340 f. 59vb).

Lors des événements qui mènent au sacre d’Arthur, les tituli soulignent l’accord de tous les états du royaume : la noblesse, le clergé et le peuple jouent un rôle actif dans l’élection puis servent de témoins lors de la cérémonie du couronnement. Comment tous seigneurs d’Eglise et de temporalité avecques le peuple commun pryerent Nostre Seigneur qu’il leur donnast bon roy le jour de Noel (Harley 6340 f. 55v). Comment tous barons et prelatz furent a Londres a Noel pour eslire leur roy par la voulenté de Dieu (Harley 6340 f. 56). Comment Antour commanda a Artus en la presence des barons et de l’arcevesques qu’il tirast l’espee de l’enclume, ce qu’il fist legierement (Harley 6340 f. 59b1) Comment en la presence des barons et de tout le peuple, l’arcevesque commanda a Artus qu’il tirast l’espee du perron, ce qu’il fist (Harley 6340 f. 59b2)

355

Dans le Merlin, la résolution des affaires légales prend souvent un cours sinueux : lors du procès de la mère de Merlin, c’est un élément extérieur à l’affaire, l’inculpation de la mère du juge pour adultère, qui disqualifie le représentant de la justice et rend possible l’acquittement de la première accusée.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 291

Tous sont concernés par l’avènement d’un nouveau souverain et assistent au miracle de l’épée du perron, qui marque l’élection divine d’Arthur. Les tituli de Harley 6340 ne se content pas de synthétiser le récit, mais ils font ressortir les effets de reprises et de répétitions qui caractérisent le déroulement narratif, insistant sur la série de démonstrations et de confirmations de la merveille du perron qui précèdent le couronnement du successeur d’Uterpandragon. Les titres de chapitres soulignent la longueur et le caractère formel de la procédure qui aboutit au sacre en montrant l’implication de tous les ordres de la société, ce qui discrédite par avance la révolte ultérieure des barons. Les tituli qui marquent le début de la Suite Vulgate dans Harley 6340 permettent de retracer avec une assez grande précision les objections que posent les barons à l’élection d’Arthur, alors que ce dernier a déjà été sacré et couronné. Les titres de chapitres se répondent les uns aux autres, faisant alterner les propos des barons et ceux de Merlin. Les premiers contestent d’abord la jeunesse d’Arthur : « ung si jeune filz ne doit estre roy d’ung tel royaume » (Harley 6340 f. 60va). Merlin dévoile alors l’identité d’Arthur, faisant valoir qu’il est le personnage le plus élevé du royaume, en tant que fils d’Uterpandragon : Il leur dist que Artus estoit de plus grant lignee que homme qui feust en son regne (Harley 6340 f. 60vb).

Les barons s’attaquent ensuite à la légitimité d’Arthur : Les barons dirent qu’ilz ne souffreroient point ung homme estre roy de leur pays s’il n’estoit engendré de bon pere et de bonne mere en loial mariage (Harley 6340 f. 62a1).

Quand ils se préparent à prendre les armes contre le jeune roi, Merlin leur promet la défaite et souligne leur culpabilité. Le titulus intègre même les insultes dont il fait alors l’objet : Merlin leur dist que s’ilz alloient contre l’eleccion de Dieu, qu’ilz en seroient honniz a la fin, par quoy aucuns appellerent Merlin gabuseur (Harley 6340 f. 62a2).

Les débats juridiques et politiques sont donc soigneusement retranscrits. Il en va de même lors de la réconciliation officielle de Loth et d’Arthur : les tituli de Harley 6340 insistent sur la médiation de Gauvain et les différentes étapes du rite de l’hommage, du point de vue de Ban puis de celui d’Arthur. Cette attention minutieuse au déroulement de scènes dont le développement est ritualisé se retrouve lors des ambassades envoyées par Rion d’Irlande et Luce l’empereur romain à la cour d’Arthur. Les titres de chapitres accentuent alors le caractère formel de ces événements qui se prêtent particulièrement bien à un minutieux découpage narratif.

292 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

-L'interférence des matiéres épique et romanesque Pour Alexandre Micha, les chansons de geste sont une des sources de la Suite Vulgate, « suite historique » du Merlin où « les faits d'armes et les tentatives diplomatiques constituent le plus clair de l'action »356. Ainsi, lesmerveilles produites par Merlin sur le champ de bataille évoquent les miracles accomplis par Dieu dans les chansons de geste. Les chrétiens projettent sur leurs ennemis sarrasins des convictions et des comportements qui sont le miroir des leurs. Alors que dans la littérature épique, dès la Chanson de Roland, les Sarrasins détruisent et humilient pour se venger les statues des Dieux qui les ont abandonnés, l’un des tituli de la bataille de Trèbes dans BL, Harley 6340 montre l’armée de Claudas et de ses alliés interpréter la merveille du dragon comme un châtiment, une manifestation de la colère divine : Comme le dragon gectoit grant flambe de feu par la gueulle dont les ennemys dirent que leur Dieu estoit courroucé a eulx... (Harley 6340 f. 172vb).

Si le titre de chapitre reprend la matière du texte qui suit immédiatement, il procède à une distinction entre le Dieu des Chrétiens et celui de leurs ennemis, ce qui permet de clarifier la référence à « Nostre Seigneur » dans le texte original : Atant s’en vint Merlin et sa compaignie qui estoient plus de mille que ungs que autres. Et il tint le dragon en la main qui rendoit par la gueulle si grans brandons de feu que l’air en devint tout rouge, si disoient ceulx qui oncques ne l’avoient venu que Nostre Seigneur estoit courroucié encontre eulx moult durement quand tel signe leur faisoit apparoir (Harley 6340 f. 172vb).

Au cours de la bataille de Carohaise, l’un des titres de chapitres, prenant ses distances par rapport à la narration, attribue à l’auteur l’énumération des combattants, un motif hérité de la chanson de geste357 : Comment l’acteur de ce livre nomme les quarente compaignons Artus par leurs noms (Harley 6340 f. 95).

La plus grande partie du chapitre consiste en une liste numérotée de chacun de ces chevaliers, ce qui peut expliquer le recours à un énoncé synthétique pour le titulus. La mention de l’auteur accentue le caractère véridique et historique de cette énumération qui commence par Ban, Bohort et Arthur et se termine par Merlin. Cette liste exalte chacun des personnages mentionnés, tout en créant des liens intertextuels avec les autres récits arthuriens où 356 357

Micha, Alexandre. « Les sources de la Vulgate du Merlin », 1987, p. 310. Le chiffrage ou l’énumération des combattants font partie de la « Revue des troupes » dans l’index des motifs rhétoriques de Jean-Pierre Martin. Les motifs dans la chanson de geste, 1992, p. 360.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 293

ils apparaissent : beaucoup figurent dans le Lancelot, mais elle inclut aussi Calogrenant (mis en scène dans le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes) ou Méraugis. La réunion de ces guerriers valeureux accroît le prestige d’Arthur et rappelle l’énumération des barons réunis à sa cour, un élément déjà présent dans l’Historia Regum Britanniae que l’on retrouve dans le Brut de Wace et qui devient un motif dans les œuvres de Chrétien de Troyes. Le caractère synthétique des titres de chapitre favorise l’adoption de tours formulaires parfois réminiscents du style épique : Comment l’estour fut mortel et merveilleux devant la cité de Daneboyse... (Harley 6340 f. 143a).

La description de l’action prodigieuse ses combattants souligne l’efficacité de leurs gestes : un seul coup suffit à provoquer la mort de l’adversaire : Comment Gauvain vint deffendre son pere le roy Loth qui estoit a pié et se deffendoit contre le roy Monaclius qui avoit tué son cheval. Si luy donna Gauvain tel coup qu’il l’abatit mort a terre (Harley 6340 f. 143a). Comment Cleodalis le seneschal ceste premiere assaillie ferit si durement le roy Argant qu’il le mist mort a terre (Harley 6340 f. 255va). Comment messire Gauvain combatit tellement a l’empereur Luce de Rome qu’il le rendit a terre tout mort (Harley 6340 f. 275v).

Les titres de chapitre mettent ainsi en avant les précisions textuelles sur la trajectoire des coups portés, accentuant l’importance d’une esthétique épique qui expose souvent les corps démembrés et mutilés : Comment ung Senet vint encores contre l’enfant et luy bailla ung grant coup de lance, mais l’enfant le fendit jusques es dens (Harley 6340 f. 219a). Comment messire Gauvain en secourant son pere et ses freres donna tel coup au roy Pignoras qu’il le fendit tout jusques au brayer (Harley 6340 f. 222a). Comment Saigremor ferit si rudement Agravadains par le heaulme qu’il le mist en deux pieces et entra du fer en sa teste jusques au nez, si en fut tout estourdy (Harley 6340 f. 235b).

Ce style épique se retrouve non seulement dans les tituli relatifs à la description des guerres arthuriennes mais aussi dans ceux qui retracent en détail les différents tournois donnés à la cour d’Arthur et de Léodegan. Comment Gauvain mist garde es portes et alla sur ceulx de la Table Ronde et en occist par oultrance quatre a son venir et coupa piez, bras, mains a plusieurs autres (Harley 6340 f. 208vb).

Le titre de chapitre met en exergue de façon synthétique l’action frénétique et destructrice de Gauvain alors que le texte fait alterner les passages de discours et de récit pour souligner le caractère exacerbé du combat :

294 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Quant messire Gauvain se ouyt menacier de la mort, si s’en courrouça moult durement et leur dist : « Filz de putains ! Recreans ! Traistres, mauvais et failliz qui avez par mal aguet cecy basty, saichés que vous ne m’eschapperez huy. Et vous dy que li plus hardy de vous tous en buens temps ne vouldroit estre cy venu pour tout ce royaume  !  ». Lors tira l’espee Escalibor toute senglante. Et ceulx luy coururent [f.  209] sus aux haches et aux espees moult durement. Et il se plongea entre eulx, si ferit tellement le premier qu’il encontra qu’il luy fist la teste voller, et puis ung autre, et le gecta mort, et puis le tiers et le quart, si ferit tant a dextre et a senestre et couppa piez et bras et testes et coustez, et fist en peu de heure que nul ne l’eust osé a coup actendre, ains coururent en fuite doulans et courroucez et disoient : «  Fuyés, fuyés, vez cy ung diable qui deviser est venu tout deschayné  » (Harley 6340 f. 208vb-209a).

L’affrontement ludique laisse ainsi place à une mêlée mortelle, ce qui témoigne d’une perversion de l’esprit du tournoi : Comment le tournoyment fut finé pour les trois roys qui descendirent pour soupper. Et aussi il estoit heure car ilz le faisoient plus pour mal que par amour (Harley 6340 f. 70va). Comment a l’entree de la porte de Carohaise les chevaliers de la Table Ronde et les nouveaulx adoubez se feussent occis, mais par le conseil de Merlin leur fut silence imposee (Harley 6340 f. 193vb). Comment messire Gauvain et ses compaignons enchacerent les autres jusques devant l’eglise sainct Estienne et se feussent illec occis, mais le roy Artus les despartit (Harley 6340 f. 208va). Comment les chevaliers de la Table Ronde commancerent a ferir sur messire Gauvain et ses gens aussi cruellement comme s’ilz eussent esté en mortelle guerre (Harley 6340 f. 205v).

L’intervention d’Arthur et de Merlin est nécessaire pour mettre fin à des batailles qui dégénèrent. Cela justifie la mise en place de mesures préventives et restrictives : Comment le roy Ban conseilla au roy Artus que jamais ne souffrist tornoyer ses chevaliers l’ung contre l’autre pour les dangiers qui en pourroient venir (Harley 6340 f. 212b). Comment messire Gauvain prya a la royne qu’elle ne laissast jouster ses chevaliers contre ceulx de la Table Ronde pour voulenté qu’ilz en eussent, ce que le roy Artus et elle luy fiancerent (Harley 6340 f. 213).

L’épisode de la Forêt Aventureuse (Pl. I, 1454 ss.) témoigne des limites de cette régulation, même si au même moment sont formulées les règles d’un comportement chevaleresque et courtois dans l’assistance portée aux demoiselles en détresse :



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 295

Comment les chevaliers de la Table Ronde vouerent que ja pucelle ne viendroit demander secours pour son grief reparer qu’ilz ne feussent tous prestz d’y aller et de ne retourner jusques que son grief luy feust reparé a sa voulenté (Harley 6340 f. 202v).

Les tituli de Harley 6340 soulignent la fascination exprimée dans la Suite Vulgate pour les affrontements les plus violents, que ce soit au cours des guerres arthuriennes ou lors de tournois internes. Ils insistent donc, comme le texte, sur les dérapages causés par les rivalités chevaleresques, et sur les différentes tentatives effectuées pour les réguler. Même en temps de paix, et malgré l’élaboration d’une idéologie et d’un code chevaleresque, la société arthurienne semble dans la Suite Vulgate demeurer un univers principalement guerrier.

Les tituli de Harley 6340 et la temporalité narrative : des jeux de prolepses et d’analepses souvent masqués Le titulus fonctionne toujours comme annonce de ce qui va être développé dans le chapitre qu’il introduit, néanmoins il tend à uniformiser les différentes temporalités dans lesquelles s’inscrit ce contenu narratif. L’usage du passé simple et l’absence de compléments circonstanciels permettant de situer l’événement dans une chronologie relative amènent à présenter de façon similaire des événements passés, présents ou futurs. Le savoir prodigieux de Merlin, utilisé à des fins politiques et tactiques, se manifeste lorsqu’il explique l’intérêt de l’alliance entre Arthur et Léodegan qui doit aboutir au mariage du roi de Bretagne et de la fille du roi de Carmélide : Comment Merlin dist a Artus qu’il auroit vengeance de ses barons et ennemys et puis qu’il yroit secourir le roy Leodegan de Carmelide qui se deffendoit contre le roy Rion des Pastures et des Geyans. Et puis Leodegan luy donneroit a femme sa fille (Harley 6340 f. 62vb). Comment Merlin conseilla aux deux freres roy Ban et Bohors qu’ilz allassent aider au roy Leodegan contre le roy Rion et menassent Artus avec eulx comme leur souldoyer et que la il seroit maryé a Genyevre fille de Leodegan et seroit roy de Carmelide (Harley 6340 f. 71v).

Alors que le premier titulus est entièrement de l’ordre de la prédiction, marquée par l’utilisation du conditionnel, dans le second Merlin démontre sa connaissance des événements à venir, mais aussi son rôle de stratège. Il cherche à consolider l’influence politique d’Arthur à travers la planification de son mariage avec Guenièvre : ce dernier résultera logiquement de l’aide apportée par Arthur à Léodegan. Les titres de chapitres de Harley 6340 mentionnent chacune des aventures amoureuses des rois Arthur, Léodegan et Ban. Leur issue est contrastée,

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avec d’une part la conception de valeureux chevaliers et de l’autre celle de personnages qui vont mettre en péril le royaume arthurien. Les tituli ne développent cependant pas systématiquement la caractérisation des personnages dont ils annoncent la naissance : Comment Artus trouva le moien de engendrer Mordrés en la femme de Loth roy, laquelle estoit seur dudit Artus (Harley 6340 f. 83vb). Comment Leodegan engendra en la femme de Cleodalis une moult belle fille nommee Genyevre. Ce non obstant, Cleodalis son seneschal ne le voulut pas renoncier, ains le servit tousjours loyaument (Harley 6340 f. 95v).

Le caractère analeptique des récits concernant la conception de Mordret et de la Fausse Guenièvre n’apparaît pas dans l’énonciation de tituli qui semblent mis sur le même plan que celui annonçant la naissance de Lohot : Comment Lisanor une pucelle vint faire hommaige au roy Artus de sa terre, lequel en fut amoureux et geut avec elle par l’art Merlin et engendra [Lohot]358 (Harley 6340 f. 81).

La Suite Vulgate comprend deux références au personnage de Lohot : la première, à laquelle se réfère le titulus de BL, Harley 6340, a lieu après la bataille de Bédingran et le déguisement de Merlin en chasseur de canards. Arthur conçoit Lohot avec Lisanor, venue lui rendre hommage avec d’autres barons (Pl. I, 859)359. Cet événement s’inscrit dans le déroulement narratif de la Suite Vulgate, contrairement aux naissances de Mordred et de la Fausse Guenièvre qui font l’objet d’une analepse. Le texte comprend une autre référence à Lohot lors d’un développement relatif au caractère du personnage de Keu. La mention de la trahison du sénéchal qui tue Lohot par jalousie dans la Forêt Périlleuse360, contraste avec l’effort pour dresser un portrait élogieux

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*Loth. Cette confusion apparaît déjà dans le manuscrit Bonn, ULB, 526 f. 204v. La Suite Vulgate développe, dans un paragraphe qui reste relativement concis, une mention du Lancelot où Lohot fait partie des prisonniers de la Douloureuse Garde que rejoignent Gauvain et ses compagnons : « Laiens estoit em prison li rois Ydyers, et Givrés de Lambale, et Yvains de Lyonnel, et Kadolain de Kaermusin, et Kahadins li Prous, et Kex d’Estraus, et Girflés li fix Do, et Dodiniaus li Sauvages, et li dus Taulas et Mador de la Porte, et Lohouls li fix au roi Artu, qu’il engendra en la bele damoisele qui avoit a non Lisanor, devant ce qu’il eüst espousee la roïne Genievre –et en cele prison prist i le mal de la mort–, et avoc aus estoit Gaheriés de Karaheu : tout cil estoient em prison laiens » (Pl. II, 353). Lohot est mentionné un peu plus loin comme le patient d’un ermite que rencontre Lancelot (Pl. II, 362). Cette péripétie ne renvoie pas au Lancelot mais au Perlesvaus où Lohot est présenté comme le fils d’Arthur et de Guenièvre. Un ermite fait le récit de sa mort à Perlesvaus : Lohot tue le géant Logrin puis s’endort sur sa dépouille, mais Keu décapite le jeune chevalier afin de s’attribuer la gloire de son exploit. Un coffre merveilleux apporté à la cour par une demoiselle démontrera la culpabilité de Keu. Le Haut Livre du Graal : Perlesvaus. Ed. et trad. Armand Strubel. Paris : Librairie générale française, Lettres gothiques, 2007, p. 572-77. Cette version de l’histoire apparaît également dans le Livre d’Artus, qui lui-même se situe dans la continuation de la première partie de la Suite Vulgate : lors de cette troisième référence à Lohot, Arthur rêve que Keu ôte un oiseau blanc du sein de son fils endormi près de la bête qu’il a tuée ; Keu avoue ce forfait sous la pression d’un mystérieux chevalier à tête de lion et au corps d’éléphant, avatar de



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 297

de Keu et se réfère à une autre tradition littéraire elle-aussi incorporée à la continuation (Pl. I, 1307-08)361. Ces épisodes, qu’ils soient contemporains ou passés, ne prennent toute leur signification qu’en connaissance des autres œuvres du cycle, voire d’autres textes arthuriens : ils constituent des récits des origines, posant les fondements d’histoires mentionnées ou développées ailleurs362. Ainsi dans le Lancelot, la Fausse Guenièvre, qui prétend être l’épouse légitime d’Arthur, se rend à sa cour et parvient à rallier le roi à ses intérêts (Pl. II, 1014 ss.). Dans la partie Agravain, un ermite révèle à Mordred qu’il n’est pas le fils de Loth mais d’un autre roi plus valeureux et plus puissant, et qu’ils s’entretueront : « Ensi morra li peres par le fils et li fix par le pere » (Pl. III, 598). Il évoque le songe du serpent, mentionné dans la Mort Artu, quand le roi apprend la trahison de Mordred363. Toutes ces mentions inscrivent la continuation du Merlin dans un ensemble textuel plus large et soulignent la fécondité romanesque du procédé de « rétrodiction »364. Il s’agit d’expliquer des événements déjà établis dans des œuvres dont l’écriture est antérieure mais qui se placent après la Suite Vulgate dans le cycle du Graal, même si leur récit peut être contaminé par la référence à d’autres œuvres. L’intervention de Merlin est décisive dans plusieurs cas de conceptions illégitimes où son savoir prodigieux oriente certaines de ses actions. C’est lui qui est à l’origine de la naissance d’Hector, alors que la conception d’Arthur résultait du désir d’Uterpandragon pour Ygerne. Merlin prend l’initiative, soumettant Ban et la fille d’Agravadain des Marais à un enchantement amoureux, malgré les scrupules moraux éprouvés par le roi. La conception d’Hector apparaît du point de vue de Merlin comme un bien supérieur justifiant cet écart. Il endort tous les occupants du château des Marais pour mieux réaliser son plan.

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Perceval, et le sénéchal est alors exilé. Voir The Vulgate Version of the Arthurian Romances, t. 7, 1916, p. 51-52. Lohot est alors présenté comme « le fil le roi Artu » (Pl. I, 1307), ce qui évite de soulever la question problématique de l’identité de sa mère. Patrick Moran voit dans cette hésitation «  un cas manifeste de tension entre la pression logique de l’univers de fiction, qui aspire à la non-contradiction et à la cohérence interne, et la pression transversale du canon, qui promeut les éléments en fonction de leur notoriété et de leur centralité au sein de la perception qu’a le lecteur de la matière de Bretagne, aux dépens de ce qui doit ou non s’insérer dans la continuité cyclique ». Lectures cycliques, 2011, p. 136-137. « Ha ! Mordret, or me fais tu connoistre que tu es li serpens que je vi jadis issir de mon cors, qui ma terre ardoit et a moi se prendoit. Mais onques peres ne fist autretant d’un fil conme je ferai de toi, car je t’ocirrai a mes mains, ce sace tous li siecles ! » (Pl. III, p. 1419). Taylor, Jane. «  The Sense of a Beginning  : Genealogy and Plenitude in Late Medieval Narrative Cycles », Transtextualities : of Cycles and Cyclicity in Medieval French Literature. Dir. Sara Sturm-Maddox et Donald Maddox. Binghamton ; New York : Center for Medieval and Early Renaissance Studies, 1996, p. 93-124.

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Comment Merlin fut desguisé au soupper et comment par son sort la fille de Agravadins desiroit moult estre seule avecques le roy Ban (Harley 6340 f. 250v). Comment le roy Ban dist que pour l’aguillon de sa char il ne honnyroit point celle fille, mais Merlin dist en son penser que si feroit et que grant bien en ystroit (Harley 6340 f. 251a). Comment Merlin par son enchantement print la pucelle et la mena au roy Ban pour en faire a sa voulenté (Harley 6340 f. 251b). Comment Merlin retourna querir la damoiselle au point du jour. Et le roy Ban luy donna ung annel qu’elle mist en son doy (Harley 6340 f. 251v). Comment le roy Ban dist a la damoisele qu’elle estoit enseinte de luy et qu’elle gardast bien son fruit et qu’elle par luy auroit grant joye et grant honneur (Harley 6340 f. 252).

Ponctué par les prophéties de Merlin, formulées au conditionnel et relayées par le discours de Ban, l’épisode, tendu vers la naissance d’Hector, prend sens à la lumière du Lancelot. Les tituli relatifs à l’affrontement entre Agravadain et Lériador, le prétendant éconduit de la jeune femme, donnent un prolongement à l’épisode, après la guerre contre Rion et celle contre l’empereur Luce, soulignant la détermination et la bravoure de la famille des Marais. Les tituli de Harley 6340 procèdent donc à plusieurs types d’annonces narratives : ils exposent le contenu du chapitre qui suit, anticipant parfois des événements qui ne seront pleinement réalisés qu’ultérieurement, dans la Suite Vulgate ou dans d’autres textes du cycle. Ces prolepses narratives concernent le Lancelot, la Queste del Saint Graal ou la Mort Artu, dont les aventures sont annoncées au terme du tournoi organisé pour célébrer la réconciliation de Loth et d’Arthur (Pl. I, 1350 ss.) et à l’occasion du départ d’Eliezer, le fils du roi Pellès, pour la cour d’Arthur (Pl. I, 1378 ss.). Les tituli font se succéder deux références au « meilleur chevalier du monde », l’une concernant celui qui accomplira les aventures du Graal dans la Queste et l’autre renvoyant aux exploits de Gauvain au cours du tournoi de la Table Ronde. Cette mention suggère une ouverture des possibles narratifs et souligne l’investissement positif du personnage de Gauvain dans la Suite Vulgate, même s’il ne fera pas partie des élus du Graal. Comment il fut revellé a Longres par voix invisible que le sainct Graal ou autrement le vaisseau ouquel estoit le sang du cousté Nostre Seigneur Jhesu Crist ne seroit trouvé que par le meilleur chevalier du monde (Harley 6340 f. 211v). Comment les chevaliers de la Table Ronde et les compaignons Gauvain disoient que c’estoit le meilleur chevalier du monde et que nul ne pourroit avoir a luy duree (Harley 6340 f. 212a). Comment le roy Pellés dist a son filz que les adventures du sainct Graal doivent estre achevees par trois hommes dont les deux seront vierges et le tiers chaste (Harley 6340 f. 217vb).



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La mésaventure de Gauvain à la fin de la Suite Vulgate affecte le prestige du personnage, même si à cette occasion, les sept tituli évoquent la transformation en nain sans insister sur la crise psychologique qu’elle suscite chez Gauvain365. Comment messire Gauvain devint nain par l’enchantement de une damoiselle, si descendit pres d’une croix (Harley 6340 f. 289). Comment messire Gauvain s’en retourna joyeulx de ce que la damoiselle le devoit garir et doulant de ce qu’il n’emmenoit pas Merlin (Harley 6340 f. 290b).

Lancelot, qui prétend également au titre de meilleur chevalier du monde, et dont la naissance est mentionnée dans le dernier titulus du manuscrit, ne fera pas non plus partie de ces élus. Comment le roy Ban et sa femme eurent ung filz qui fut nommé Galaad de Lancelot, moult preux et hardy es armes (Harley 6340 f. 292).

Les nombreux tituli de Harley 6340 posent donc des pierres d’attentes par rapport à des événements appelés à se réaliser au sein de la Suite Vulgate ou excédant sa chronologie, mais leur degré de précision varie considérablement d’une annonce à l’autre. Le cas de Gauvain montre la tension créée par la réapparition et l’évolution des personnages dans les différents textes d’un même cycle. Gauvain est présenté comme l’un des meilleurs chevaliers d’Arthur, et avant même d’être adoubé par son oncle, il démontre sa prouesse lors des combats contre les Saxons. Certes, l’emportement que suscite chez lui la déloyauté de ses adversaires lors des tournois qui l’opposent aux chevaliers de la Table Ronde peut annoncer les débordements de la Mort Artu ou du Tristan qui noircissent considérablement le personnage366. La fin de la Suite Vulgate, qui tempère l’image héroïque élaborée dans la plus grande partie du texte, s’inscrit peut-être davantage dans la lignée des textes en vers du XIIIe siècle qui comme Hunbaut ou les Merveilles de Rigomer exploitent davantage la mise en scène comique ou parodique de Gauvain. Les annonces proleptiques se font soit sous l’autorité du narrateur, soit sous celle de Merlin, à travers des prophéties concernant des faits plus ou moins rapprochées dans le temps. Si le mariage d’Arthur et de Guenièvre fait l’objet d’annonces dès le début de la Suite Vulgate, il est perturbé par le complot des parents de la Fausse Guenièvre qui aura des répercussions dans le Lancelot367. Le 365

366 367

Voir Fabry, Irène. « ‘Si en i ot de teus qui i conterent plus lor honte que leur honour’, Enadain et Gauvain, les chevaliers transformés en nains dans la Suite Vulgate du Merlin ». Guilt and shame, Essays in French Literature, Thought and Visual Culture. Dir. Jenny Chamarette et Jennifer Higgins. Oxford : Peter Lang, 2010, p. 31-49. Voir Busby, Keith. Gauvain in Old French Literature. Amsterdam : Rodopi, 1980, ch. 6. Sur cet épisode, voir Micha, Alexandre. « Études sur le Lancelot en Prose, I. Les épisodes du Voyage en Sorelois et de la Fausse Guenièvre ; II. L’esprit du Lancelot Graal », Romania, 76, 1955, p. 334-41 ; 82, 1961, p. 357-78 et sur son illustration particulièrement abondante dans

300 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

texte et les tituli de Harley 6340 dévoilent les futures revendications de l’usurpatrice et son relatif succès. À cette occasion, la formulation des tituli tend à créer une confusion entre différentes strates temporelles, ce qui constitue une de leurs limites. Le mariage d’Arthur et de Guenièvre, qui scelle l’alliance politique et militaire entre le jeune souverain et le roi Léodegan, est officiellement célébré après le retour de la guerre de Gaule. Deux titres de chapitres rapportent le déroulement de la cérémonie, insistant sur la noblesse de l’assemblée et la solennité religieuse du rituel, mais le complot des parents de la Fausse Guenièvre, développé dans huit titres de chapitres, enserre cette description, puisqu’il est annoncé dès le folio 190v et qu’il suit le récit de la célébration. Comment Merlin arriva a Carohaise la veille dont le lendemain le roy Artus devoit espouser Genyevre son amye en la cité dessus dicte (Harley 6340 f. 190). Comment les parens de Claudalis conclurent entre eulx de embler Genyevre le soir de ses nopces et de l’emmener. Mais Merlin encusa tout (Harley 6340 f. 190v). Comment le roy Ban et le roy Bohors menerent la belle Genyevre pour espouser au roy Artus en l’eglise. Et la tres grant noblesse qui estoit devant et derriere de seigneurs et de dames (Harley 6340 f. 191a). Comment l’arcevesque de Viste et monseigneur Amistant espouserent sollempnellement le roy Artus a la belle Genyevre. Et puis retourner[ent] au palais ou il y eut joye sans compte demenee et faicte (Harley 6340 f. 191b). Comment dix chevaliers du parenté de Cleodalis amenerent bien tard leur niepce Genyevre pour la bailler a couschier avec Artus. Et devoient avoir Genyevre a femme espouse de Artus par trahison de sa maistresse (Harley 6340 f. 195a). Comment Bretel et Ulfin allerent aux chevaliers qui gardoient le bateau, si les occirent puis s’en allerent vers les cinq autres qui mallement traictoient la belle roye Genyevre ou jardin (Harley 6340 f. 195v). Comment Ulfin et Bretel occirent deux des cinq qui emmenoient Genyevre et puis gecterent la vielle sa maistresse du rochier en l’eaue puis prindrent la fille Cleodalis Genyevre et l’emmenerent a leur houstel (Harley 6340 f. 196a1). Comment Merlin compta l’aventure au roy Leodegan qui estoit advenue a sa fille Genyevre. Et lors le roy Leodegan l’alla conforter et luy mena trois damoiselles pour la servir (Harley 6340 f. 196a2). Comment aprés mariage consummé le roy Artus perdit Genyevre par trois ans. Et la ravyt Galahous prince de Soreloys pour l’amour de Lancelot. Et Artus print en lieu Genyevre fille de Cleodalis (Harley 6340 f. 196va).

BL, Add. 10292, Stones, Alison. « Illustration et stratégie illustrative dans quelques manuscrits du Lancelot-Graal », Quand l’image relit le texte, p. 101-18.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 301

Comment Bricolays le Roux occist ung chevaliers le soir des nopces du roy Artu et de Genyevre pour ce qu’il avoit occis son cousin germain pour avoir sa femme (Harley 6340 f. 196vb). Comment Cleodalis emmena sa fille Genyevre a la fin du royaume de Carmelide et la fist nonnain en une abbaye. Mais long temps aprés Bricolais la trouva et la gecta de l’abbaye et en fist toute sa voulenté (Harley 6340 f. 197va1).

Bien que la référence à Merlin annonce dès l’origine l’échec de la conspiration (f. 190v), la reprise minutieuse des différentes étapes de la conjuration souligne le danger couru par la reine, insistant sur l’intervention armée d’Ulfin et de Bretel. En outre, la résolution de l’affaire n’est que provisoire, comme l’indiquent les deux tituli annonçant les prolongements de cette histoire dans le Lancelot (ff. 196va et 197va1). Le titulus du folio 196va bouleverse la chronologie narrative de la Suite Vulgate car pour le lecteur non averti, il semble placer l’épisode de la Fausse Guenièvre dans la continuité immédiate de la nuit de noces (« aprés mariage consummé ») alors qu’il s’agit uniquement d’un résumé anticipant une aventure éloignée dans le temps : elle se déroule « long temps aprés » (f. 197v) et relève d’une autre œuvre. Si le titulus du folio 197va souligne la corruption de la Fausse Guenièvre, celui du folio 196va évoque le rebondissement de l’intrigue sous un angle particulier. Il procède à une inversion de la chronologie du Lancelot : il présente l’éloignement de Guenièvre, évoquant par l’intermédiaire de Galehaut sa relation avec Lancelot, avant de mentionner l’union d’Arthur et de la Fausse Guenièvre, ce qui inverse leur relation de cause à conséquence368. Le ralliement d’Arthur à la Fausse Guenièvre précède en effet l’éloignement de la reine légitime qui trouve asile en Sorelois mais n’est pas enlevée par Galehaut, contrairement à ce que suggère l’utilisation du verbe « ravir ». Outre ces éléments, le texte développe la fin de la « faulse Genyevre » (désignée dans le titulus comme « Genyevre fille de Cleodalis ») et du traître Bertholais (déshérité et banni pour avoir vengé le meurtre de son cousin sans être passé par la justice royale) présentés comme responsables de l’excommunication du royaume de Logres : Ainsi cuida estre enguygnee la royne Genyevre par les traistres et par ceulx par qui elle eut puis moult grant ennuy qui puis advint long temps aprés, ainsi comme le compte le vous divisera s’il est que je le vous dye. Car le roy la perdit bien trois ans que oncques ne fut en sa compaignie et l’emena Galahous, un riche prince, ou royaume de Sorelays pour l’amour de Lancelot. Et le roy tint en

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Dans le Lancelot, après avoir accusé la reine, la Fausse Guenièvre fait enlever Arthur, le séduit et le persuade de sa légitimité. Il répudie alors la vraie Guenièvre, malgré la victoire de Lancelot lors du combat judiciaire, la condamnation du pape et l’Interdit jeté sur son royaume (Pl. II, 1012 ss.). Guenièvre trouve alors refuge en Sorelois où l’invite Galehaut.

302 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

lieu la faulse Genyevre. Tant que ce vint a ung jour que maladye la print et a Bricolays ung traistre par qui ce fu que guerpir ne la voulut par nul homme tant que tout pourrit sur terre. Si en fut la terre et le royaume pres de trois ans en excommunyment. Et tout cest tribouel leur consentit Nostre Seigneur a avoir pour la desloyaulté de leur pechez dont ilz firent puis de moult grant. Et tout ce advint par ung chevalier qui puis en mourut de si malle mort comme le compte le vous divisera ça en avant (Harley 6340 f. 292v).

Dans son entreprise de sélection, le titulus, qui met sur le même plan des événements chronologiquement distincts, oriente la lecture de ce qu’il annonce. Il résume les annonces narratives d’un épisode qui ne concerne pas seulement la Suite Vulgate mais renvoie plus spécifiquement au Lancelot. Les péripéties concernant le mariage d’Artur dans la Suite Vulgate posent de façon proleptique les fondations du complot de la Fausse Guenièvre et de Bertholais et sont écrites à partir des analepses intégrées dans le Lancelot. Comme le manuscrit Harley 6340 comprend uniquement le Merlin et sa suite, cette annonce serait le moyen d’intégrer un épisode qui ne figure pas dans le codex en question. La formulation des tituli guide la compréhension des enjeux de cet épisode, préférant suggérer la culpabilité de Lancelot et de Guenièvre plutôt que d’insister sur la responsabilité d’Arthur lui-même, davantage présenté comme une victime. Cette histoire dépasse le cadre temporel du roman et s’inscrit dans une perspective cyclique par des jeux de prolepse et d’analepse. D’autres passages s’efforcent de tisser des liens entre la Suite Vulgate et les autres textes du cycle du Graal. Ainsi, au terme de la guerre de Gaule, et après l’énonciation des songes d’Elaine et de Ban, deux tituli intègrent des anticipations narratives qui ne sont plus codées par le langage symbolique du songe. Ils concernent des événements touchant un futur à la fois proche (la conception d’Hector, narrée dans la Suite Vulgate) et lointain (la mort de Ban au début du Lancelot). Comment il fut revellé au roy Ban qu’il mourroit la premiere foiz qu’il le demanderoit a Nostre Seigneur, mais premier convenoit qu’il pechast mortellement en adultere (Harley 6340 f. 176va).

Dans ce titulus sont comprises deux annonces qui renvoient l’une à la conception d’Hector avec la fille d’Agravadain des Marais, qui a lieu dans la Suite Vulgate après le mariage d’Arthur, la coalition de Salesbières, la défaite de Rion et celle des Saxons, et l’autre à la dernière prière de Ban devant Trèbes en flammes au début du Lancelot. La conception d’Hector constitue un péché mortel, mais cette faute est atténuée dans le cadre d’un récit qui insiste sur la piété du roi dont la prière est exaucée : Si prya le roy Ban a Nostre Seigneur qu’il luy donast la mort quant il la demanderoit. Le roi Ban estoit moult preudome en foy et en creance et celle



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pryere fist il puis par mainte ffoiz, tant qu’il advint une nyut en son dormir que une voix luy dist que sa pryere estoit ouye et qu’il auroit la mort au premier jour qu’il la demandroit. Mais avant luy conviendroit pecher une fois sans plus mortellement en adultere et qu’il ne demourroit pas longuement. Et qu’il ne s’en esmayast car bien accorderoit a Nostre Seigneur (Harley 6340 f. 176).

Le titulus suivant évoque l’invasion par Claudas des royaumes de Ban et Bohort. L’annonce de la défaite à venir des deux rois frères contraste avec la victoire que viennent de remporter Arthur, Ban et Bohort : Comment le roy Claudas par l’aide de Ponce Anthoine et du roy de Gaule exilla le roy Ban et le roy Bohors de leurs regnes tellement que leurs femmes se rendirent nonnains voillees (Harley 6340 f. 176vb).

L’emploi uniforme du passé simple dans l’évocation des désastres concernant le royaume de Ban et de Bénoïc suggèrent qu’ils vont s’actualiser immédiatement alors qu’ils renvoient à des événements bien ultérieurs. Ainsi fut le roy Artus avec le roy de Benoyc a sejourner ung moys tout entier. Si coururent en la terre du roy Claudas chascun jour, si la gasterent et exillerent et l’atournerent en telle façon que moult fut puis grant piece avant qu’il peust courre sur le roy Ban. Mais puis y courut il par la force Ponce Anthoine et par la force du roy de Gaule, si comme le compe le vous divisera ça en avant. Et atourna si mallement les deux freres qu’il ne leur demoura roye de terre, si que ilz furent exillez et moururent pouvres sur terre et leurs femmes pouvres et esgarees, si que depuis devindrent elles nonnains voillees en roial moustier pour paour du roy Cler. Car oncques puis ne peurent elles avoir secours du roy Artus, car il avoit tant affaire en son pays qu’il n’y povoit entendre. Si furent leur hoirs qu’ilz engendrerent moult longuement desherités. Mais puis leur rendit le roy Artus leur terre et si leur donna le royaume de Gaule si comme le compte vous divisera ça en avant (Harley 6340 f. 176v-177).

Si au début du Lancelot, Arthur néglige ses devoirs de suzerain, à la fin de ce texte, il répare le tort fait aux enfants de ses vassaux en participant à la lutte contre Claudas et en faisant, à la requête de Lancelot, de Lionel le roi de Gaule et de Bohort le roi de Gaunes (Pl. III, 744). L’avenir narratif de la Suite Vulgate est déjà programmé par le Lancelot, et la continuation du Merlin choisit de privilégier la représentation positive d’Arthur, alors que le titre de chapitre ne retient que l’usurpation du roi Claudas qui fait partie d’un futur relativement proche. La formulation du titulus brouille donc parfois les repères chronologiques, car elle ne permet pas de distinguer les événements uniquement annoncés, à l’échelle du roman voire du cycle du Graal, de ceux qui vont immédiatement se réaliser dans le récit.

304 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Les titres de chapitres reprennent enfin nombre d’énoncés prophétiques et de songes allégoriques. Ces annonces, notamment celles concernant le destin de Lancelot, Galaad ou Mordred, sont souvent assez hermétiques, et Merlin lui-même n’en donne pas toujours une explication complète ou susceptible d’éclairer pour son auditeur leur signification. Pour Alexandre Micha, le mystère qui entoure les circonstances dans lesquelles vont se dérouler les événements prédits par Merlin permet de préserver la curiosité du lecteur369. Comment Blaise prya a Merlin qu’il soustenist tousjours la foy et occist tous les contraires a la foy. Et comment il prophetiza que la loupve lieroit le lion sauvaige qui estoit ou pays de Benoyc et de Bohors (Harley 6340 f. 130vb). Comment Merlin dist au roy Artus que le liepard viendroit en ce lieu avec trois lions qui devoureront la mauvaise lignee du royaume de Longres en ceste place (Harley 6340 f. 238b). Comment Merlin dist au roy Artus que le lion filz de l’ourse courroit par le royaume de Longres (Harley 6340 f. 261v).

Les tituli exploitent le bestiaire symbolique utilisé par Merlin dans ses prophéties370. Le premier se rapporte à l’enserrement de Merlin par Viviane. Lorsque Merlin annonce à Arthur qu’il quitte définitivement la cour, sa référence cryptée à la venue de Galaad ne peut être comprise par le roi et ne parvient guère à le réconforter. La compréhension du titulus est d’autant plus difficile qu’il omet la précision de Merlin concernant le léopard (Lancelot) qui engendrera le lion (Galaad), ce rend quasiment impossible leur identification : « Le lion qui est filz de l’ourse et qui fut engendré du liepard courra par le royaume de Longres » (Harley 6340 f. 261v).

Le recours au symbolisme animal se retrouve non seulement dans les prophéties de Merlin mais aussi dans les songes allégoriques du roi Ban et de sa femme ou du roi Arthur371.

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370

371

Micha, Alexandre. « La Suite-Vulgate du Merlin, étude littéraire », Essais sur le cycle LancelotGraal. Genève : Droz, Publications romanes et françaises, 179, 1987, p. 403-29. Voir Curley, Michael. « Animal Symbolism in the Prophecies of Merlin », Beasts and Birds of the Middle Ages : The Bestiary and Its Legacy. Ed. Willene B. Clark et Meradith T. McMunn. Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 1989, p. 151-63. Moranski, Karen R. « The Prophetie Merlini, Animal Symbolism, and the Development of Political Prophecy in Late Medieval England and Scotland », Arthuriana, 8 (4), 1998, p. 58-68 et Wille, Clara. « La symbolique animale de la Prophetia Merlini », Reinardus, 15, 2002, p. 175-90. Voir Demaules, Mireille. La corne et l’ivoire  : étude sur le récit de rêve dans la littérature romanesque des XIIe et XIIIe siècles. Paris : Champion, 2010, « Le language symbolique des songes », p. 380-423.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 305

Comment la royne Helene, femme du roy Ban, songea la nuyt que le roy jeut avec elle qu’elle estoit en une montaigne et illec paissoient diverses bestes qui aprés mangier se coururent sus l’une a l’autre (Harley 6340 f. 175va). Comment le lion couronné avoit en sa compaignie dix huit leonceaulx tous couronnez qui eurent moult a souffrir, mais ung liepard vint qui les secourut a merveilles (Harley 6340 f. 175vb). Comment Artus songea qu’il veoit ung grant ours es montaignes et vint ung dragon d’Occident qui occist celluy ours (Harley 6340 f. 267b).

Le rêve de la reine Elaine concernant Lancelot est filé sur plusieurs tituli (ff. 175va et b) : l’énoncé prophétique, qui est relativement développé, est alors traité de la même façon que d’autres types de contenus narratifs. Le souci de subdiviser la matière textuelle l’emporte sur la cohérence interne de ce passage consacré au récit du songe. Ce dernier, lié à des enjeux généalogiques, fait le lien entre différentes temporalités narratives et différentes œuvres du cycle. Dans le titulus relatif au songe d’Arthur, qui anticipe sa lutte contre le géant du mont saint Michel, le roi est représenté par le dragon et le géant par l’ours. Et ainsi que le roy Artus dormoit luy vint en advision ung grant ours en une montaigne et luy venoit, ce luy estoit advis, ung grant dragon devers les nues d’Orient qui par muy la gueulle gectoit feu et flambe si tres grande et si tres merveilleuse que tout le rivaige enluminoit. Et assailloit moult vigoureusement l’ors. Et l’ours se deffendoit moult bien mais le dragon embraçoit l’ours et le gectoit par terre, ce luy estoit advis, et l’occioit. (Harley 6340 f. 267vb).

Alors que le texte évoque un dragon venu d’Orient, le titre de chapitre indique qu’il provient d’Occident, ce qui pourrait faciliter l’identification d’Arthur en tant que souverain de Grande-Bretagne plutôt que de renvoyer de façon plus générale à l’imaginaire des merveilles de l’Orient. Les tituli de Harley 6340 accordent donc une place considérable aux énoncés analeptiques et prophétiques qui soulignent le fonctionnement cyclique de la compilation et mettent en relation le Merlin et sa suite avec d’autres œuvres de la Vulgate arthurienne. Néanmoins, la formulation des tituli a parfois pour effet d’amalgamer différentes strates temporelles du récit, mettant sur le même plan l’annonce d’un événement et sa réalisation.

La numérotation des tituli et la table des chapitres : l’histoire de Grisandole dans BL, Harley 6340 A partir du folio 132v (sur 292 au total) et après le chapitre 277, principalement dans la seconde moitié du manuscrit Harley 6340, un certain nombre de chapitres ne sont pas numérotés. L’ensemble du Merlin et de la suite compte 570 chapitre numérotés alors qu’il y en a au total 99 pour le Merlin propre et 586 pour la Suite Vulgate. Plus d’une centaine de tituli ne

306 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

sont donc pas comptabilisés et ne figurent pas dans la table des matières372. Cela correspond à une forme de hiérarchisation que l’on peut examiner à travers l’exemple du séjour de Merlin à la cour romaine. Dans Harley 6340, l’histoire de Grisandole fait l’objet de 21 tituli qui retracent en détails le rêve de l’empereur, l’intervention de Merlin sous la forme d’un cerf puis d’un homme sauvage, la révélation de la supercherie de l’impératrice et du sexe de Grisandole et les mariages qui concluent l’épisode, avant la découverte ultime de l’intervention de Merlin. Le nombre de ces titres de chapitres confirme l’importance symbolique de l’épisode au sein de la narration373. L’étude de la distribution des chapitres numérotés et de ceux qui ne le sont pas (13 contre 8) montre que les tituli numérotés sont plus nombreux dans la première partie de l’épisode  : leur nombre décroît par la suite374. Ils se rapportent au contenu du songe, à la transformation en cerf, à la capture de l’homme sauvage et à ses révélations, au double mariage qui est célébré, et à la retraite finale de Merlin auprès de Blaise. Les titres des chapitres non numérotés traitent d’éléments pouvant être considérés comme moins importants  : le premier (f.  179a) développe et clôt l’exposition du rêve de l’empereur, évoqué dans le titulus précédent (f. 178v), d’autres précisent les conditions posées par l’homme sauvage (f.  181va) et l’effet que produisent ses paroles sur l’assemblée : l’empereur est « esbahy » (f. 182va) et chacun reconnaît la sagesse de l’homme sauvage et le caractère merveilleux de ses déclarations (f. 182vb). Les trois rires de l’homme sauvage font chacun l’objet d’un titulus explicatif, mais seul celui relatif à l’identité de Grisandole est numéroté, contrairement à ceux qui traitent de l’écuyer et de son maître et du trésor enterré sous eux ou de l’impératrice et de sa dissimulation. Les tituli concernant la signature merveilleuse de l’aventure par Merlin, grâce aux lettres d’or écrites au-dessus de la porte, ne sont pas non plus numérotés, contrairement à sa visite à Blaise qui joue un rôle de clôture narrative et met

372

373

374

Il s’agit d’une situation inverse à celle présentée par Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 où les titres de chapitres intégrés au sein du texte constituent parfois un abrégé du titre correspondant figurant dans la table des matières. Les épisodes secondaires et autonomes qui ponctuent le Merlin et la Suite Vulgate ne sont donc pas oubliés dans la division du texte en chapitres : l’histoire du chat de Lausanne fait ainsi l’objet de trois tituli qui contextualisent l’épisode, narrent la prouesse d’Arthur, et en indiquent les conséquences toponymiques, faisant ressortir le caractère mythique de cette aventure. « Comment ung pescheur print ung chat en mer qu’il nourrit mais a la fin le chat estrangla l’omme et femme ». « Comment le roy Artus par le conseil Merlin occist ung chat gros grant et noir et merveilleux es piez et es dens ». « Comment celluy mont fut surnommé par le roy Artus le mont du Chat pour ce que celluy mauldit chat y avoit fait son repaire » (ff. 276v-278). Voir Tableau 13 : L’Histoire de Grisandole dans les tituli et la table des matières de BL, Harley 6340, p. 308.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 307

en abyme le mode d’écriture du roman, puisque Blaise transcrit l’épisode dont Merlin lui fait le compte-rendu. La comparaison de la formulation des tituli numérotés et de la table des matières montre en outre que celle-ci est plus sélective. Elle abrège ou synthétise certains des éléments développés dans les titres de chapitres, comme les circonstances de la capture de Merlin (dont «  l’enferrement  » par Grisandole anticipe « l’enserrement » par Viviane), même si à une occasion, elle fait la synthèse de deux tituli, rapportant à la fois le conseil de mariage donné par Merlin et les lettres d’or qui signent son intervention (f. 184 et 184va). À l’inverse, les titres de chapitres sont parfois plus longs, et donnent des précisions comme le rang d’Avenable, compatible avec un mariage impérial, ou la célébration du double mariage qui unit la famille de l’empereur et celle de la jeune femme. L’histoire de Grisandole fait donc dans Harley 6340 l’objet de nombreuses subdivisions et la comparaison des tituli et de la table des matières permet de voir les différents niveaux de hiérarchisation et de synthèse adoptés au fil du texte et dans le sommaire. Les précisions apportées par les titres de chapitre et plus particulièrement par ceux qui ne sont pas numérotés font mieux saisir le glissement qui s’opère quand l’intérêt se déplace subrepticement de la compréhension du songe de l’empereur à l’exploration de l’identité de Merlin, son interprète. Dans BL, Harley 6340, la division du récit en de nombreux chapitres favorise le compte-rendu minutieux de la trame narrative et la mise en avant du personnage de Merlin. Au début du Merlin, les tituli ne mentionnent pas la Descente aux enfers ni le conseil des démons, mais se concentrent sur la pré-histoire et l’enfance de Merlin. « L’Ennemi (d’enfer) » ou le « diable » est mentionné cinq fois dans les six premiers tituli qui le présentent comme le principal responsable des malheurs s’abattant sur la famille de Merlin et comme le géniteur de ce dernier. L’ingéniosité du puer senex375, qui ne tarde pas à se manifester, prend le contrepied du plan diabolique. Les titres de chapitres font alors ressortir le caractère hybride du récit qui tout en revendiquant un ancrage biblique se développe comme une fiction centrée autour du personnage merveilleux de Merlin, mais reprenant aussi le fil de l’histoire des rois de Bretagne. Les titres de chapitres fournissent ainsi une vision assez exhaustive de la narration, intégrant même les anecdotes et péripéties secondaires, liées à la démonstration des pouvoirs surnaturels de Merlin.

375

Voir Berthelot, Anne. « Merlin puer senex par excellence », Old Age in the Middle Ages and the Renaissance: Interdisciplinary Approaches to a Neglected Topic. Ed. Albrecht Classen. Berlin : de Gruyter, 2007, p. 251-61.

178v

179a

179b

179v

180

180v

180vb

181

181va

1.

2.

3.

4.

5.

6.

7.

8.

9.

Folio

Comment l’omme sauvaige dist a l’empereur qu’il luy diroit pour quoy il rist devant l’abbaye et en la chapelle, mais que ses barons feussent presens. Chappitre.

Comment l’omme sauvaige fut presenté a l’empereur qui le voulut faire enferrer. Mais il luy jura sur sa crestienté qu’il ne s’en yroit point sans son congié et qu’il ne le fist mye enferrer. Chappitre .XIX.XX.I.

1239

1237

Comment Merlin ainsi lyé out la messe en une chappelle ou y avoit ung chevalier au 1235 quel l’ung de ses escuyers donna a trois foiz trois buffes sur la joe, tant que Merlin s’en print a rire. Chappitre .XVIII.XX.XIX.

Ø

Comment l’omme sauvage fut presenté a l’empereur qui le voulut faire enferrer mais il luy jura qu’il ne s’en yroit point sans congié. .XIX.XX.

Comment Merlin ainsi lié ouit la messe en une chappelle ou il y avoit ung chevalier auquel l’un de ses escuiers donna a trois fois troys buffes sur la joue tant que Merlin s’en prist a rire. .XVII. XX.XIX.

Comment Merlin en passant devant une abbaye vit plusieurs pouvres qui demandoient l’aumosne dunt il se prist a rire. .XVIII. XX.XVIII.

Comment Grisandolles fist provisions que Merlin luy avoit dictes et comment Merlin fit prins. .XVIII.XX.XVII.

Comment Grisandoles fist provision des choses que Merlin luy avoit dictes et puis 1232 retourna en la forest ou Merlin vint mangier du porc et du miel. Et puis s’endormit prés du feu. Et Grisandoles le lya en dormant.Chappitre .XVIIII.XX.XVII. 1234

Comment l’empereur Jullius Cesar fist chercher le cerf ou l’omme sauvaige, et qui le prendroit auroit sa fille a femme et la moitié de l’empire. .XVIII.XX.XVI.

Comment l’empereur Jullius Cesar fist cerchier le cerf ou l’omme sauvaige. Et qui 1230 le prandroit auroit sa fille a femme et la moitié de l’empire. Et aprés sa mort seroit totallement empereur. Chappitre .XVIII.XX.XVI.

Comment Merlin en passant devant une abbaye vit pluseurs pouvres qui demandoient l’aumosne a la porte, dont il se print a rire. Et ne voulut dire la cause de son ris a Grisandoles qui le menoit a Romme. Chappitre .XVIII.XX.XVIII.

Comment Merlin se mua par art en ung serf qui avoit le destre pié blanc et entra en Romme a l’eure que l’empereur estoit a penser en son songe. .XVIII.XX.XV.

Ø

1229

Comment Merlin par art se mua en ung cerf qui avoit le pié dextre blanc et entra en Romme a l’eure que l’empereur estoit a penser en son songe. Chappitre [.XVIII. XX.XV.]

Comment il fut conclut en ce songe par l’empereur que la truye et les douze loup- 1228 veaulx seroient ars en ung grant feu por ce que le fruit qui d’elle ystroit ne vauldroit rien a mangier. Chappitre.

Comment Julles Cesar empereur de Romme songea qu’il y avoit en sa court une grant et merveilleuse truye qui aprés elle menoit .XII. loupveteaulx, pour laquelle cause fut Merlin cherché et alla es parties romainnes. .XVIII.XX.XIIII.

Pléiade Table des matières

Comment Julles Cesar empereur de Romme songea ou lit qu’il y avoit en sa court 1226 une grant et merveilleuse truye. Et aprés elle menoit douze petiz loupveteaulx. Et pour ce songe alla Merlin es parties rommaines pour l’exposer. Chappitre .XVIII. XX.XIIII.

Titulus

Tableau 13 : L’histoire de Grisandole dans les tituli et la table des matières de BL, Harley 6340 308 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

182

182va

182vb

183

183va

183vb

184

184va

184vb

185b1

185b2

11.

12.

13.

14.

15.

16.

17.

18.

19.

20.

21.

Folio

181vb

10.

1251

Comment Merlin par son art fut en ung jour et en une nuyt a Blaise son maistre auquel il compta le fait de Trebes et de l’empereur Jullius Cesar. Chappitre .IIII.C.V.

1253

Comment ainsi que l’empereur et son conseil eurent levez les lectres sur la porte, 1252 elles soubdainement en leur presence furent effacees. Chappitre.

Comment l’empereur envoya querre le pere, la mere et le frere de Venable a Montpeslier. Si les receut a grant joye, puis se marya a Venable et donna sa fille a Patrices. Chappitre .IIII.C.IIII.

Comment Merlin par son art fut en ung jor et une nuyt a Blaise son maistre auquel il compta tout ce que advenu estoit. .IIII.C.V.

Ø

Comment l’empereur envoya querir le pere, la mere et le frere de Avenable a Montpeslier. .IIII.C.IIII.

Ø

Comment Merlin conseilla a l’empereir qu’il prinst Avenable a femme, et au partir mist a la porte en lectres d’or que c’estoit Merlin. .III.C.III.

Comment l’omme sauvaige conseilla a l’empereur qu’il print Amenable a femme 1248 et qu’elle estoit d’assez hault lignaige pour estre maryee haultement. Chappitre .IIII.C.III.

Comment l’omme sauvaige a l’issue de la salle de l’empereur mist contre la porte 1249 en hebrieu en lectres d’or que c’estoit Merlin qui s’estoit monstré a luy en cerf et en homme sauvaige. Chappitre.

Ø

Ø

Comment Merlin dist que le premier ris qu’il fist estoit pour ce qu’il fust prins et lié par femme qui estoit vestue en forme d’omme, et c’estoit Grisandoles que se nommoit Avenable. .IIII.C.II.

Ø

Ø

Comment l’omme sauvage fist creanter a l’empereur que pour exposicion qui luy die, que pis ne luy en sera. .IIII.C.I.

Comment Merlin declaira pour quoy il rist quant l’empereriere entra au conseil et 1247 pour quoy il torna sa face derriere elle. Chappitre.

Comment l’omme sauvaige declaira le second riz que il fist en la chapelle quant il 1246 vit que l’escuier bailla par trois foiz trois buffes au chevalier son maistre. Chappitre.

Comment Merlin dist que le premier ris qu’il fist c’estoit pour ce qu’il fut prins 1244 et lyé par femme qui estoit vestue en forme de homme, c’estoit Grisandoles qui se nommoit par droit nom Avenabe. Chappitre .IIII.C.II.

Comment l’empereur et ses barons dirent que l’omme sauvaige estoit saige et que 1243 encores diroit il chose dont l’on pourroit avoir grant merveille. Chappitre.

Comment l’omme sauvaige commença a exposer le songe de l’empereur Julles Cesar 1242 de mot a mot comme il l’avoit songié. Et la declaracion finie, l’empereur fut moult esbahy. Chappitre.

Comment l’omme sauvaige fist creanter a l’empereur que pour exposicion qu’il luy 1240 dye, que pis ne luy en fera et qu’il luy diroit toute verité. Chappitre .IIII.C.I.

Comment l’empereir fist seoir Merlin auprés luy et luy pria qu’il exposast son songe devant ses barons. .IIII.C.

Pléiade Table des matières

Comment l’empereur sist Merlin aprés luy et luy prya qu’il exposast son songe 1239 devant ses barons. Mais il ne voulut jusques que l’emperiere feust venue. Chappitre .IIII.C.

Titulus

Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 309

310 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

L’origine diabolique du personnage entre en tension avec sa promotion comme figure d’autorité morale et religieuse. Son rôle de conseiller des rois de Bretagne sert de lien entre le Merlin et la Suite Vulgate qui offre un terrain privilégié à la manifestation de ses talents prodigieux de prophète et de magicien. Les tituli mettent en avant l’origine d’Arthur, son élection divine et la régularité de son couronnement. Ils accompagnent soigneusement le déroulement des conseils et pourparlers, soulignant le caractère réglé de leur développement. Reprenant certaines situations narratives, ils intègrent également des discours ou dialogues marquants. Leur omniprésence a pour conséquence une bonne intégration des aventures amoureuses des personnages qui sont plus rarement figurées dans l’iconographie. De même que les songes et prophéties, dont l’interprétation est parfois problématique, ces épisodes jouent un rôle particulièrement important par rapport à la représentation du devenir romanesque, tissant a posteriori des liens entre la Suite Vulgate et les autres textes du cycle du Graal auxquels elle sert d’introduction. Dans Harley 6340, le Merlin et sa continuation circulent pourtant de façon indépendante des autres œuvres du cycle et forment un tout relativement autonome, ce qu’accentue la présence de la table des matières. Découpés en courts chapitres, le Merlin et la Suite Vulgate se retrouvent paradoxalement investis d’un paratexte prolifique mais hiérarchisé, qui en fournit des extraits. Les tituli offrent au lecteur une vue à la fois synthétique et très détaillée de l’intrigue, lui permettant, grâce à la table des matières, de se repérer et de circuler plus aisément au sein du texte. Les titres dévoilent le contenu du chapitre à suivre tout en préservant certains effets de suspens. Les nombreuses prophéties et références intertextuelles que relaient les tituli nécessitent une bonne connaissance générale de la matière arthurienne, d’autant que la formulation des titres brouille certains aspects de la chronologie narrative : ils ont sans doute fait l’objet de différents niveaux de compréhension. On peut s’interroger sur l’identité et la motivation du copiste responsable de la division du texte en chapitres aussi nombreux. La rédaction de centaines de titres témoigne d’une grande attention au déroulement narratif et discursif du Merlin et de sa suite. L’importance accordée au texte ressort de la constitution d’un paratexte extrêmement développé qui joue entre synthèse et redoublement à chaque fois qu’il en extrait des fragments. La lecture des tituli rassemblés dans la table des matières peut se substituer à la celle du texte en fournissant un compte rendu assez précis et exhaustif de la trame narrative. Comme le souligne Barbara Wahlen, les titres de chapitres modifient la réception du texte en profondeur. Non seulement ils structurent et ordonnent le récit, mais ils régulent aussi le rythme de la lecture, la guident et l’orientent. Facilitant la lisibilité du texte, permettant une lecture fragmentaire et fragmentée, ils sont tout à fait conformes à l’esthétique



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 311

littéraire du [XVIe] siècle, puisqu’ils reflètent la recherche de la cohérence narrative et le goût pour l’explication376.

Cette modernité est déjà présente dans Harley 6340 où l’intégration des titres de chapitres accroît paradoxalement le volume de l’œuvre, même s’ils rendent possible une lecture plus discontinue, marquant des subdivisions qui permettent de ménager des moments de pause et d’interruption. L’organisation du manuscrit et la rédaction soignée d’un énorme ensemble de tituli insérés à la fois au début du volume et au sein du texte copié témoignent du souci d’établir des repères textuels ouvrant la possibilité de renvois entre la table des matières et le corps du texte. Même dans la seconde partie du XVe siècle, et en l’absence de programme iconographique susceptible de les mettre en valeur pour des raisons non littéraires, le Merlin propre et sa continuation continuent donc d’être copiés et lus avec une extrême attention.

e.  Rubriques et tituli à la fin de la Suite Vulgate : de l’enserrement de Merlin aux aventures d’Enadain et des chevaliers de la Table Ronde Les rubriques et tituli à la fin de la Suite Vulgate renvoient à différentes mises en œuvre de la fin du texte, en relation ou non avec l’ouverture du Lancelot. Ces énoncés paratextuels sont tendus entre le souci de synthétiser les éléments essentiels du récit et l’effort de rapporter fidèlement des étapes importantes de la narration. Entre abbreviatio et amplificatio, les rubriques recourent à différents procédés rhétoriques, parallélismes syntaxiques, jeux rythmiques et effets de répétition. L’effort de condensation y est favorisé par l’emploi de formules qui mettent en valeur les éléments présentés, mais leur caractère lapidaire tient aussi à des contraintes d’ordre matériel telles que l’espace laissé sur la page manuscrite pour la miniature et la rubrique377. L’étude de ces variations permet en recoupant d’autres informations textuelles, codicologiques et historiques d’affiner notre compréhension des relations entre les manuscrits et de la transmission du Merlin et de sa suite comme un ensemble soit autonome soit intégré au cycle du Graal. La fin de la Suite Vulgate constitue un endroit stratégique par rapport à la clôture du Merlin et de sa suite et à leur éventuel prolongement par le Lancelot. Après l’emprisonnement de Merlin par Viviane, les chevaliers de la cour d’Arthur partent en quête de Merlin. Entre temps, Arthur adoube Enadain, le chevalier nain, qui part à l’aventure accompagné de son amie 376 377

Wahlen, Barbara. L’écriture à rebours, 2010, p. 327. Doner, Janet. «  Illuminating Romance  : Narrative, Rubric, and Image in Mons, BU, 331/206, Paris, BN, fr. 1453, and Paris, BN, fr. 12577 », Arthuriana, 9 (3), 1999, p. 6 ss.

312 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Bianne et croise différents chevaliers de la Table Ronde, dont Gauvain, qui sous le sort d’une demoiselle magicienne se voit temporairement transformé en nain. C’est sous cette forme qu’il dialogue pour la dernière fois avec Merlin. Après le retour d’Enadain et Gauvain délivrés de leurs enchantements à la cour arthurienne, l’histoire se termine par l’annonce de la naissance des enfants des rois Ban et Bohort. La clôture de la continuation est donc triple, puisqu’elle comprend la disparition de Merlin, la mise en place de différentes aventures chevaleresques, qui se substituent aux conflits guerriers précédents, et l’introduction de personnages appelés à jouer un rôle déterminant dans le Lancelot378. BNF, fr. 9123 f. 298 (1325’) (Figure 126) consacre à cette dernière partie de la Suite Vulgate une seule miniature, montrant la prouesse d’Enadain lors de son combat contre quatre chevaliers. La rubrique, qui évoque le motif de l’envoi à la cour d’Arthur des adversaires faits prisonniers par ses chevaliers, témoigne de la nouvelle orientation chevaleresque de l’œuvre, bien que l’image elle-même diffère peu d’autres scènes de combats guerriers. L’illustration de fr. 9123 contraste ici avec celle de son manuscrit jumeau, fr.  105, qui montre Bianne appelant Yvain au secours d’Enadain (fr. 105 f. 345v, « Comment une damoisele vint a monseigneur Yvain moult grant duel demenant pour le nain son ami ») et se conclut sur l’image de la dernière apparition de Merlin à Gauvain (fr. 105 f. 347, Figure 259, «  Comment monseigneur Gawain fu muez en faiture de nayn et comment il parla a Merlin qui estoit enprisonnez »). Dans fr. 105, la mise en scène d’une demoiselle en détresse souligne le caractère plus romanesque de la fin du récit, tandis que la dernière représentation de Merlin dans sa prison d’air, exceptionnelle dans la tradition manuscrite de la Suite Vulgate, va de pair avec celle de Gauvain transformé en nain. Chacun d’eux est la victime d’un enchantement créé par une femme, même si le sort jeté à Gauvain est réversible, alors que la disparition de Merlin est définitive379. La fin de ce manuscrit insiste particulièrement sur la clôture de l’histoire du personnage : « Explicit toute la vie Merlin » (fr. 105 f. 349v)380. Dans fr.  110 (1295’), l’illustration du Merlin se termine par l’adoubement d’Enadain, le fils du roi Brangoire (f. 152v, «  Ensi come li rois Artus done a un nain la colee et le fait chevalier et une damoisele li cauche 378

379

380

L’étude de ce passage exclut les rubriques de Chantilly, Condé, 643, un manuscrit inachevé de la fin du XIVe siècle ou du début du XVe siècle dont l’illustration n’a pas été exécutée et qui s’interrompt vers la moitié de la Suite Vulgate, au cours de la bataille de Danablaise contre le roi Rion. Voir Fabry, Irène. «  Enadain et Gauvain, les chevaliers transformés en nains  », 2010, p. 31-49. Fr. 91, qui a été copié sur fr. 105, est incomplet de la fin et s’achève avant la guerre contre les Romains.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 313

Figure 126 : BNF, fr. 9123 f. 298 (1325’) Comment un nain contrefait se combati a .IIII. chevaliers et les mist a desconfiture et les envoia au roy Artus. Combat d’Enadain contre quatre chevaliers

l’esperon »), et l’enserrement de Merlin par Viviane. La première cérémonie rappelle l’adoubement des neveux d’Arthur et celui d’Eliézer par Gauvain, soulignant le prestige et l’attraction de la cour arthurienne, notamment chez les enfants des barons révoltés. Dans ce manuscrit du cycle du Graal, la célébration de ce rituel introduit les aventures et quêtes chevaleresques qui se développent à la fin de la Suite Vulgate et se multiplieront dans le Lancelot ou la Queste del Saint Graal. La représentation de l’enchantement opéré par Viviane (fr. 110 f. 159v, Figure 257) joue un rôle conclusif par rapport à l’histoire de Merlin. La rubrique présente Viviane exécutant son sort tandis que Merlin est endormi, alors que l’image montre l’interaction des deux personnages. La jeune femme tient un rouleau où sont sans doute inscrites les formules magiques qu’elle est en train de prononcer. Dans la miniature, Merlin dialogue avec son amie, mais son index dressé vers le ciel indique qu’il garde une position d’autorité. Même si les enfances du personnage ne sont pas représentées dans le Merlin propre, le paratexte fait de lui le cœur de l’ensemble formé par ce texte et sa continuation, présenté initialement comme « l’Estoire de Merlin » (fr. 110 f. 45v) et qui s’achève par « Explicit li ensierremens de Merlin » (fr. 110 f. 163). L’explicit, qui reprend le passage faisant l’objet de la dernière illustration confirme donc son caractère déterminant.

314 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Dans BL, Add. 10292, les rubriques des dernières miniatures de la Suite Vulgate, qui traitent des aventures du chevalier nain (f. 213, Figure 127 et f. 214v) et de la quête de Merlin (f. 214, Figure 128 et f. 214v) n’ont pas été réalisées. Le programme illustratif se clôt sur l’histoire de Bianne et Enadain et plus particulièrement sur l’image de la demoiselle en détresse qui tire ses cheveux en signe d’affliction (f. 214v, Figure 129), mais du point de vue de l’iconographie, ni cette aventure, ni la quête de Merlin ne sont élucidées. L’emprisonnement de Merlin par Viviane n’est pas représenté, bien que dans ce manuscrit la Suite Vulgate se termine sur « Explicit l’enserrement de Merlin » (f. 216v). Dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, dont les tituli, particulièrement développés, jouent le rôle de résumé de l’intrigue, la première mention d’Enadain et de Bianne intervient dans le 23e chapitre, après l’histoire du songe de Flualis, et avant la guerre contre les Romains, l’aventure du chat de Lausanne et la rencontre de Merlin et Blaise381. De ce fait, les aventures du chevalier nain ne sont plus mentionnées dans le titre du chapitre 24, qui se focalise sur la quête de Merlin et son dernier entretien avec Gauvain, se consacrant donc à la trajectoire des chevaliers arthuriens et à la clôture de l’histoire de Merlin. Une des spécificités de cette version abrégée du cycle du Graal est qu’elle redéfinit les limites de l’œuvre, distinguant la conclusion de l’histoire de Merlin des événements relatifs aux familles de Ban et Bohort. Le chapitre suivant intègre ainsi au début du Lancelot l’annonce de la naissance du personnage, qui fait habituellement partie de la fin de la Suite Vulgate, en l’associant à la mort de Ban, à l’enlèvement de son fils et à la retraite monastique des reines Elaine et Evaine. Dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, l’emprisonnement de Merlin marque donc bien la fin de son histoire, en relation avec le développement des aventures des chevaliers de la Table Ronde dont l’importance était déjà mise en exergue dans l’introduction de ces manuscrits. La perspective cyclique l’emporte sur la distinction des œuvres qui le composent, comme le souligne la présence de chapitres numérotés de façon consécutive et l’ajustement relatif au seuil de la Suite Vulgate et du Lancelot. Si dès l’origine, le Lancelot ne comprend pas de prologue382, la fin de la continuation du Merlin lui sert ici d’introduction. Dans le manuscrit Cologny, Bodmer, 147, la dernière miniature concerne Agravadain, le seigneur des Marais, et sa fille : les enluminures suivantes sont de petites initiales historiées comprenant le portrait d’un personnage. À la 381

382

Voir ci-dessus, «  Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38  : une version abrégée du cycle du Graal ». Combes, Annie. «  Le prologue en blanc du Lancelot en prose  », Seuils de l’œuvre dans le texte médiéval. Dir. Emmanuèle Baumgartner et Laurence Harf-Lancner. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002, p. 21-52.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 315

Figure 127 : BL, Add. 10292 f. 213 (artiste 2) Combat d’Enadain contre Tradelinant

Figure 128 : BL, Add. 10292 f. 214 (artiste 2) Sagremor et ses compagnons en quête de Merlin hébergés par un ermite

Figure 129 : BL, Add. 10292 f. 214v (artiste 2) Bianne implorant le secours d’Yvain pour son ami Enadain

fin du manuscrit sont ainsi représentés Merlin (f. 284v, Figure 130), Enadain (f. 285), Sagremor (f. 286a), Bianne (f. 286b) et Gauvain (f. 287, Figure 131). On repère un titulus qui précède une initiale ornée de motifs végétaux. La disparition de Merlin marque la conclusion de son histoire, mais contraste avec la quête chevaleresque qui suit son enserrement et s’entrecroise avec les aventures du chevalier nain. Contrairement aux rubriques précédentes, les deux dernières ne commencent pas par l’adverbe « comme » mais constituent un énoncé nominal comprenant une proposition relative, « La queste que mesires Yvains (f. 286v) / Gauvains (f. 287) fist de Mellin  » ce qui

316 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Figure 130 : Cologny, Bodmer, 147 f. 284v Comme Mellin est par sa mie enprisonez et issir ne puet. Portrait de Merlin

Figure 131 : Cologny, Bodmer, 147 f. 287 La queste que mesires Gauvains fist de Mellin. Portrait de Gauvain

constitue paradoxalement une forme d’ouverture du récit, puisque sa résolution n’est pas indiquée. L’immobilisation de Merlin semble donc à l’origine du départ des chevaliers arthuriens pour diverses chevauchées aventureuses. Dans BNF, fr. 332, l’enserrement de Merlin constitue aussi le point de départ de la quête des chevaliers arthuriens parmi les six tituli de la fin du texte. Les exploits d’Enadain alternent avec les aventures de Gauvain ou Sagremor, mais les derniers titres de chapitres se focalisent plus particulièrement sur la transformation de Gauvain en nain, un enchantement jeté par la demoiselle magicienne qui fait écho au sort par lequel Viviane enserre Merlin. : Comment Vivianne, l’amye de Merlin, l’a enchanté (f. 304v). Comment messire Gauvain devient nain par l’enchentement d’une damoiselle (f. 311).

La fin de l’œuvre voit donc se réaliser le programme annoncé au début du manuscrit, puisque se clôt l’histoire de Merlin, tandis que se mettent en place les « notables faiz d’armes » des chevaliers de la Table Ronde, même si la quête de Merlin ne connaît qu’un succès mitigé. Les rubriques du manuscrit Bonn, ULB, 526, dans l’Estoire et le Merlin, à l’exception de celle qui accompagne la miniature frontispice (f. 1), correspondent aux formules conclusives d’entrelacement. Elles sont systématiquement introduites par le tour «  Mais atant se taist ici li contes de... et retourne à parler de... », tandis que le texte qui suit commence par la formule « Or dist li contes que... » (f. 167, Figure 132 et f. 167v, Figure 133).



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 317

Du fait de leur dimension principalement récapitulative, les rubriques, qui servent d’articulation narrative, ne correspondent pas toujours au sujet de la miniature qui peut concerner un élément introduit ultérieurement au sein du récit. Elles sont donc davantage conditionnées par l’organisation narrative que par le souci de décrire ou d’expliquer l’image qu’elles introduisent, comme c’est le cas dans le Lancelot, la Queste et la Mort Artu. Les pratiques de rubrication diffèrent au sein d’un même manuscrit, mettant en évidence le rassemblement et la copie de textes d’origine différente. La rubrique de Bonn, ULB, 526 f. 166 («  Mais ici endroit se taist li contes d’aus et retourne a parler del roi Artu, ensi com il s’en repaira lui et sa gent el roiaume de Benuyc  »), évoque le retour d’Arthur à Bénoïc, après la guerre contre les Romains, alors que la miniature correspondante montre l’emprisonnement de Merlin par Viviane (Figure 256). Tandis que Merlin est endormi devant un bosquet, l’enchantement réalisé par Viviane est matérialisé par un filet placé au-dessus de lui. La rubrique de Bonn, ULB, 526, f. 166v (« Mais ici endroit se taist li contes de Merlin et de s’amie. Et retourne a parler del roi Artu. Ensi com il fu mornes et pensis del departement de Merlin »), mentionne le chagrin d’Arthur après les adieux de Merlin. À la fin des « Premiers Faitz » (f. 170), la figure du souverain s’efface au profit de celle de ses chevaliers : l’image représente le début de la quête de Merlin. Dans les rubriques suivantes, la partie de la formule d’entrelacement consacrée à l’annonce des péripéties à venir est plus développée, ce qui produit une meilleure adéquation entre la rubrique et le contenu de la miniature. Dans Bonn, ULB, 526, les images de la fin du texte mettent en évidence le développement d’aventures chevaleresques et le rôle particulier de différentes figures féminines. Alors que Viviane enserre Merlin pour jouir en exclusivité de sa compagnie, Bianne accompagne fidèlement son ami Enadain au cours de ses aventures (f. 167, Figure 132), tandis que la demoiselle magicienne exerce ses pouvoirs sur Gauvain afin de corriger son manque de civilité (ff. 168-168v, Figure 134). La majorité des rubriques de la fin du texte se focalisent sur ces personnages féminins, même s’ils n’apparaissent pas de façon systématique dans l’illustration. Cela permet de décliner différents modèles de relations amoureuses et d’utilisation des pouvoirs surnaturels détenus par les femmes. Le merveilleux se manifeste ainsi à travers des enchantements contraignants qui expriment une forme de domination féminine. L’aventure et la quête sont déterminées par l’intervention de demoiselles qui mettent à l’épreuve l’identité courtoise et chevaleresque. L’ultime représentation de Gauvain transformé en nain (Bonn, ULB, 526, f. 168v, Figure 135) exhibe les limites d’un personnage qui représente tout au long de la Suite Vulgate le parangon de la chevalerie, mais se trouve

318 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Figure 132 : Bonn, ULB, 526 f. 167 Mais atant se taist li contes a parler d’als et retourne a la damoisele qui menoit le nain chevalier ensi com il encontrerent un chevalier armé de toutes armes et bien monté. Enadain abattant Tradelinant

Figure 133 : Bonn, ULB, 526 f. 167v Mais atant se taist li contes d’aus tous et retourne a parler de Saygremor ensi com il se mist en la queste de Merlin soi disisme de chevaliers et errerent tant qu’il vinrent a la celle d’un hermite pour herbergier. Sagremor et ses compagnons, en quête de Merlin, hébergés par un ermite

ensuite dépassé par Lancelot. L’insistance de la rubrique et de l’image sur la croix près de laquelle Gauvain rajuste son armure après sa métamorphose souligne peut-être le caractère symbolique de ce châtiment, mais sert aussi de repère accentuant la dimension initiatique de cette expérience. Elle peut faire écho à l’hébergement de Sagremor et de ses compagnons auprès d’un ermite, rappelant le fondement spirituel des valeurs défendues par les chevaliers arthuriens. La dernière miniature de la série contraste avec toutes les autres puisqu’elle quitte les forêts aventureuses pour évoquer la réunion de Ban et Bohort et de leurs femmes (Bonn, ULB, 526, f. 169v, Figure 136). Le retour à Bénoïc sert donc de transition, dans cette compilation cyclique, entre la fin de la Suite Vulgate et le début du Lancelot. Cette scène associée aux réjouissances mentionnées dans la rubrique constitue cependant l’antithèse des premières miniatures du texte suivant qui introduisent immédiatement le conflit de Ban et de Claudas et annoncent la trahison de Pharien. On pourrait y voir la trace d’une double construction cyclique, selon les catégories élaborées par Jane Taylor, avec d’une part une cyclicité séquentielle, fondée sur une conception linéaire du temps, s’exprimant par la réunion d’un ensemble de textes qui peuvent s’articuler autour de la mise en scène d’un héros ou d’un lignage, et d’autre part une cyclicité organique ou réciproque, marquée par les vicissitudes de l’histoire et la discontinuité, avec une succession de hauts



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 319

et de bas, de périodes de splendeur et de catastrophes, comme dans un tour complet de la Roue de Fortune383. New Haven, Yale, Beinecke, 227384, qui date de 1357 et a été copié dans le Hainaut par Jehan de Loles se distingue par un programme illustratif comprenant de nombreuses miniatures réalisées dans la marge inférieure du folio (la rubrique correspondante est alors intégrée au corps du texte), ainsi que par la présence ponctuelle d’initiales historiées traitant du même sujet que les miniatures. Jean de Loles a sans doute copié le Merlin et la Suite Vulgate en utilisant le manuscrit de Bonn (copié en 1286 par le scribe Arnulfus de Kayo), un exemplaire apparenté, ou un modèle commun, à moins qu'il ait eu recours à la liste d'instructions concernant le placement des images utilisée par le concepteur de Bonn, ULB, 526. En effet, dans les deux manuscrits, les rubriques sont généralement insérées au même endroit dans le texte, même si les miniatures sont souvent rejetées en marge dans le manuscrit de Yale. Dans la Suite Vulgate, les rubriques de Beinecke, 227 reprennent comme celles de Bonn, ULB, 526 les formules d’entrelacement « Mes atant se test ore li contes de... et retourne a parler de... » et précèdent le tour relativement figé « Or / Ci endroit dist li contes que... ». Ces rubriques présentent la même structure, mais leur formulation et leur contenu varient : la relation entre Bonn, ULB, 526 et Beinecke, 227 est plus lâche que celle qui existe entre BNF, fr. 91 (1480’) et son modèle, fr. 105 (1325’). La formation de ces recueils diffère également puisque Bonn, ULB, 526 est un manuscrit complet du cycle du Graal, alors que Beinecke, 227 comprend seulement l’Estoire, le Merlin et la Suite Vulgate, et commence par une partie du Joseph d’Arimathie, un texte plus ancien qui semble alors compléter l’Estoire del Saint Graal. Beinecke, 227 ne reprend pas non plus la distinction originale entre le Merlin et les Premiers faits d’Arthur qui est caractéristique de Bonn, ULB, 526. Le manuscrit de Yale ne met pas particulièrement en valeur le début de la continuation du Merlin, même si une miniature est placée au début traditionnel de la Suite Vulgate (f. 172v, Figure 47) et une autre au début des Premiers faits (f. 178). Bonn, ULB, 526 présente en outre la version courte du Merlin et de la Suite Vulgate, tandis que Beinecke, 227 comporte une version contaminée385. Il a donc sans doute été copié à partir de plusieurs modèles.

383

384

385

Taylor, Jane. «  Order from Accident  : Cyclic Consciousness at the End of the Middle Ages ». Cyclification : the Development of Narrative Cycles in the Chansons de Geste and the Arthurian Romances. Ed. Bart Besamusca, Amsterdam  ; Oxford  : North-Holland, 1994, p. 59-73 et « The Sense of a Beginning : Genealogy and Plenitude in Late Medieval Narrative Cycles », 1996, p. 93-124. Voir Shailor, Barbara. Catalogue of Medieval and Renaissance Manuscripts in the Beinecke Rare Book and Manuscript Library, 1984, I, p. 318-20. Voir Micha, Alexandre. « Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron », 1958, p.  145-74 et Trachsler, Richard. «  Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 128-48.

320 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

Figure 134 : Bonn, ULB, 526 f. 168c Mais ici endroit se taist li contes del roi Artu et retourne a parler de mon signour Gavain, ensi com il encontra une damoisele chevauchant a sambue. Gauvain et la demoiselle magicienne

Figure 135 : Bonn, ULB, 526 f. 168v Mais ici endroit se taist li contes d’aus et retourne a parler de mon singour Gavain. Ensi com il devint nains par l’enchantement que la damoisele li fist, si descendi d’encoste une crois lés un perron. Gauvain transformé en nain

Figure 136 : Bonn, ULB, 526 f. 169v Mais ici endroit se taist li contes del roi Artu et de sa compaingnie et retourne a parler del roi Ban de Benuyc et del roi Boort son frere qui estoit roi de Gaunes ensi com il demourerent a molt grant joie et a molt grant leece a Benuyc avoec les roines lor femes. Ban et Bohort et leurs épouses Hélène et Evaine



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 321

Graphique 2 : Comparaison de la répartition des illustrations dans le Merlin et la Suite Vulgate de Bonn, ULB, 526(1286) et New Haven, Beinecke, 227(1357) Merlin

Suite Vulgate

Pléiade Légende : Pléiade = référence à la pagination dans l’édition Pléiade 1 : Situation des miniatures de Bonn, ULB, 526 2 : Situation des miniatures de New Haven, Beinecke, 227

Le manuscrit de Yale est légèrement plus enluminé avec 4 et 154 illustrations pour le Merlin et la Suite Vulgate contre 2 et 118 dans le manuscrit de Bonn. On ne connaît pas les commanditaires et premiers possesseurs de ces manuscrits ni les circonstances dans lesquelles Jehan de Loles a pu avoir accès à Bonn, ULB, 526. Le manuscrit de Yale montre qu’au milieu du XIVe siècle, la technique narrative de l’entrelacement n’est pas obsolète mais se combine à l’illustration pour structurer la masse textuelle. Certes, la formule d’entrelacement est dans une certaine mesure extraite du texte et prend un statut intermédiaire entre la narration et l’image du fait de sa rubrication. Dans Beinecke, 227 f. 313c, la formule conclusive, « Si se test li contes de la damoiselle un petit et retourne a monseignour Yvain qui va secourre le nain », qui ne correspond pas exactement au sujet de l’image, est complétée par un énoncé adressé au lecteur qui est plus directement en relation avec la miniature  : « Ci poés veoir comment le nain se conbat »386. Comme le souligne Keith Busby, l’adverbe déictique « ci » désigne à la fois la miniature et le texte qui suit immédiatement  : la rubrique permet de réaliser l’intégration des éléments verbaux et visuels dans le codex387. Les rubriques de Beinecke,

386

387

Sur la signification des différents adverbes introduisant les formules d’entrelacement, voir Perret, Michèle. « De l’espace romanesque à la matérialité du livre : l’espace énonciatif des premiers romans en prose », Poétique, 13, 1982, p. 173-182 et « L’espace du texte : localisation et auto-référence dans la prose des XIVe et XVe siècles », Théories et pratiques de l’écriture au Moyen Âge. Dir. Emmanuèle Baumgartner et Christiane Marchello-Nizia, Littérales, 4, 1988, p. 191-98. Busby, Keith. Codex and Context, 2002, vol. 1 p. 277.

322 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

227 demeurent cependant assez elliptiques, surtout lorsqu’elles présentent le protagoniste qui figure dans la miniature sans autre contextualisation narrative : « et retourne a parler del roi Artus » (f. 311), « et retourne au chevalier blecié » (f. 312), « et retourne a parler de monseignour Yvain » (f. 313a), « et retourne a monseignour Gavain » (ff. 313v-314, Figure 138). En cela, elles sont considérablement abrégées par rapport à celles de Bonn, ULB, 526. Le manuscrit de Yale garde en outre la trace d’annotations marginales qui ont pu constituer un guide pour l’illustration, alors que les rubriques ne remplissent pas ce rôle. Dans la marge droite du folio 313 est ainsi indiqué « Le nain issi en a .III. abatus et l’autre navré. Et une demoiselle qui deserre ses cheveus ». Cette mention implique la représentation d’un certain nombre de protagonistes tout en donnant des informations relatives au statut des personnages et à leur gestuelle. Dans l’illustration de la fin du manuscrit de Yale, qui ne représente pas l’enserrement de Merlin par Viviane, l’histoire de Bianne et Enadain est particulièrement développée, peut-être aux dépens de la quête de Merlin (f. 312v). La jeune femme est représentée à trois reprises (Beinecke, 227 ff. 311v, Figure 137, 313a et 313c) et une miniature est également consacrée au voyage de Tradelinant qui introduit deux motifs fréquents dans les romans arthuriens  : la mise en scène du chevalier blessé transporté dans une litière et la victoire des chevaliers de la Table Ronde sur des adversaires qui doivent se constituer prisonniers auprès d’Arthur (f. 312). Cet emprisonnement constitue surtout une contrainte morale et symbolique, car les chevaliers en question sont rapidement libérés et intégrés à la cour arthurienne. Leur sort n’est pas comparable à celui de Merlin, définitivement coupé du monde dans sa prison enchantée, ou à celui d’Enadain ou Gauvain qui se retrouvent prisonniers d’un corps de nain. La rencontre de Gauvain et de la demoiselle magicienne ainsi que sa transformation en nain sont aussi représentés (ff. 313v-314, Figure 138). Comme dans le manuscrit de Bonn, la dernière miniature de la Suite Vulgate du manuscrit de Yale est consacrée à Ban et Bohort et à leurs femmes (f. 315v, Figure 139). La représentation des couples enlacés, qui va au-delà de la discussion courtoise dans laquelle ils sont engagés dans le manuscrit de Bonn, peut évoquer la conception de Lancelot et de ses cousins, même si l’on ne conserve pas le Lancelot, pourtant annoncé à la fin de la Suite Vulgate, dans la dernière rubrique de Beinecke, 227. Contrairement au manuscrit de Bonn, celui de Yale ne transmet pas l’intégralité du cycle du Graal, et il fait précéder l’Estoire du Joseph, insérant le Merlin et sa suite dans une autre configuration textuelle. BL, Harley 6340 consacre 17 tituli à la fin de la Suite Vulgate  : deux d’entre eux se rapportent à l’enserrement de Merlin par Viviane, évoquant la



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 323

Figure 137 : New Haven, Beinecke, 227 f. 311v Mes atant se test ore li contes de monseignour Gauvain et de sa compaingnie. Et retourne a parler de la damoisele qui maine le nain chevalier. Enadain et Bianne

Figure 138 : New Haven, Beinecke, 227 f. 313v Si se test ore ici li contes del roi Artus et de monseignour Yvain et de l’autre compaingnie et retourne a monseignour Gavain. Gauvain et la demoiselle magicienne

Figure 139 : New Haven, Beinecke, 227 f. 315v Se test ici endroit li contes del roi Artus et de toute la compaingnie et retourne a parler del roy Ban et del roi Boort qui moult sont noble. Ban et Bohort et leurs épouses Hélène et Evaine

formation de cette dernière. Les tituli mentionnent également la révélation de l’identité d’Enadain par son prisonnier Tradelinant et le dernier entretien de Gauvain et de Merlin. Les différentes étapes de la métamorphose de Gauvain sont soigneusement rapportées, de même que le rétablissement d’Enadain. Le nombre important des titres de chapitre met en évidence la complexité de l’entrelacement des aventures d’Enadain avec la quête des chevaliers de la Table Ronde. Les tituli décomposent l’action avec précision, mais seule leur lecture sérielle permet d’expliquer la transformation de Gauvain en nain et le transfert de la malédiction portant sur Enadain, en éclairant leur relation logique. Les tituli ménagent donc le suspens narratif en ne livrant pas

324 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

immédiatement les clefs de l’intrigue. Certes, ils décrivent l’action et suivent la trame narrative, mais ils la décomposent et ne fournissent que partiellement les éléments nécessaires à sa compréhension. La présence de plusieurs demoiselles dont l’identité n’est pas précisée ne facilite pas leur distinction. Les pouvoirs surnaturels de la demoiselle que Gauvain omet de saluer ne sont pas immédiatement mentionnés, et le caractère punitif de l’enchantement qu’elle lui fait subir n’est pas explicité : Comment messire Gauvain tout pensif encontra une damoiselle qu’il ne salua pas, dont elle fut iree. Comment Gauvain pour saluer une damoiselle et ung nain devint nain et le nain homme parfait. Comment messire Gauvain devint nain par l’enchantement de une damoiselle, si descendit pres d’une croix (Harley 6340 ff. 288-289).

La compréhension générale de l’action et de ses motivations passe donc par la mise en relation de titres de chapitres qui ne présentent en eux-mêmes qu’un point de vue partiel sur la narration. Les tituli donnent la résolution de l’histoire de Merlin et d’Enadain et de la mésaventure de Gauvain : Merlin « luy dist que jamais le roy Artus ne le verroit » (f. 289v), Enadain redevient « homme parfait » et Gauvain retrouve « sa premiere semblance  » f.  291). Ils se font aussi l’écho de l’état psychologique des personnages : Comment messire Gauvain s’en retourna joyeulx de ce que la damoiselle le devoit garir et doulant de ce qu’il n’emmenoit pas Merlin (Harley 6340 f. 290).

Les titres de chapitres ne se contentent pas d’expliquer l’action, mais reprennent également le discours des personnages et leurs jeux de mise en scène : Comment Enadain le nain de la damoiselle vint au roy Artus avec elle et luy demanda s’il le congnoissoit point (Harley 6340 f. 291v).

Le dernier titulus de BL, Harley 6340, qui se rapporte à la naissance de Lancelot, contraste avec la série narrative développée auparavant. Comment le roy Ban et sa femme eurent ung filz qui fut nommé Galaad de Lancelot moult preux et hardy es armes (Harley 6340 f. 292).

Il introduit Lancelot qui par ses qualités chevaleresques peut rivaliser avec Gauvain et fait l’objet du texte suivant dans le cycle du Graal, même si BL, Harley 6340 se présente comme le « livre de Merlin » (f. 1),



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 325

une œuvre autonome qui se concentre sur « l’hystoire » (f. 292v) de ce personnage. Tableau 14 : Les choix de rubriques et de tituli à la fin de la Suite Vulgate  Enserrement de Merlin par Viviane 1. Bonn, ULB, 526 f. 166 (1286) 2.  BNF, fr. 110 f. 159v (1295’) 3.  Cologny, Bodmer, 147 f. 284v (1300’) 4.  BNF, fr. 332 f. 304v (XVe s.) 5.  BL, Harley 6340 f. 283 et 283v (XVe s.) Les chevaliers de la Table Ronde en quête de Gauvain 1. Bonn, ULB, 526 f. 166v et 167v (1286) 2.  Cologny, Bodmer, 147 f. 286a, 286v et 287 (1300’) 3.  BL, Add. 10292 f. 214 et 214v (1316) [Image seule] 4.  New Haven, Beinecke, 227 f. 311, 312v et 313a (1357) 5.  BNF, fr. 332 f. 306v et 309a (XVe s.) 6.  Ars., 3350 f. 58v (XVe s.) 7.  BL, Harley 6340 f. 284, 286v et 287 (XVe s.) 8.  Pierpont Morgan, 38 f. 94v (1479) Aventures d’Enadain 1. Bonn, ULB, 526 f. 167 et 168a (1286) 2.  BNF, fr. 110 f. 152v (1295’) 3.  Cologny, Bodmer, 147 f. 285 et 286b (1300’) 4.  BL, Add. 10292 f. 213 et 214v (1316) [Image seule] 5.  BNF, fr. 9123 f. 298 (1325’) 6.  BNF, fr. 105 f. 345v (1325’) 7. New Haven, Beinecke, 227 f. 311v, 312, 313a et 313c (1357)

BNF, fr. 332 f. 307 et 309b (XVe s.) Ars., 3350 f. 56 (XVe s.) BL, Harley 6340 f. 284v, 286a, 286b, 291v (XVe s.) Pierpont Morgan, 38 f. 90 (1479) Mésaventure de Gauvain avec la demoiselle magicienne et rencontre avec Merlin Bonn, ULB, 526 f. 168c et 168v (1286) BNF, fr. 105 f. 347 (1325’) New Haven, Beinecke, 227 f. 313v et 314 (1357) BNF, fr. 332 f. 110, 111 (XVe s.) Ars., 3350 f. 58v (XVe s.) BL, Harley 6340 f. 288a, 288b, 289, 289v, 290a, 290b, 291 (XVe s.) Pierpont Morgan, 38 f. 94v (1479) Ban et Bohort et leurs épouses Bonn, ULB, 526 f. 169v (1286) New Haven, Beinecke, 227 f. 315v (1357) [Ars., 3350 f. 60 (XVe s.)] BL, Harley 6340 f. 292 (XVe s) [Pierpont Morgan, 38 f. 96v (1479)]

La Suite Vulgate s’achève donc sur l’enserrement et la quête de Merlin, entrelacés avec les aventures d’Enadain le chevalier nain. Différentes lectures du texte ressortent de sa répartition en chapitres, dont le nombre varie considérablement. Dans le cas des rubriques, la considération des illustrations ajoute une dimension visuelle à l’examen des relations entre le texte et le paratexte. L’enserrement de Merlin n’est pas systématiquement évoqué par les titres et les rubriques, même s’il offre une parfaite conclusion à la biographie du personnage. Comme le souligne Paul Zumthor, le développement de Merlin comme personnage romanesque ne constitue qu’une parenthèse dans le parcours de celui dont on ne garde jusqu’au XIXe siècle que l’image du prophète politique. Le Merlin en prose développe sa relation avec Viviane qui ne figure pas dans l’Historia Regum Britanniae388. L’emprisonnement de Merlin peut être introduit de deux façons : à travers l’enchantement réalisé

388

Zumthor, Paul. « La délivrance de Merlin », Zeitschrift für romanische Philologie, 62, 1942, p. 375.

326 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

par Viviane ou par le biais de la dernière apparition de Merlin à Gauvain. Rubriques et tituli présentent une version assez nuancée de cet enserrement : il est motivé par les sentiments amoureux de la jeune femme qui grâce à ce sortilège peut bénéficier en exclusivité de la compagnie de son amant. La dimension courtoise de l’enchantement ressort ainsi des manuscrits qui donnent le plus de précisions sur sa mise en œuvre : Ensi que Merlins se dort desous un buisson d’aubespine et Niniane sa mie fait son cerne tout entor lui por lui enserrer par sez encantemens (fr. 110 f. 159v). Comment Viviaine enclouyt Merlin par enchantement en ung beau lieu dont il ne retourna depuis (BL, Harley 6340 f. 283v).

Merlin est « enserré », « emprisonné » ou « enclos » de façon définitive (« issir ne puet », Cologny, Bodmer, 147 f. 284v), mais c’est « en la prison de sa mie » (Pierpont Morgan, 38 f. 94v) : en compagnie de son amante et dans des conditions relativement agréables. Dans fr. 332 f. 304v («  Comment Vivianne, l’amye de Merlin, l’a enchanté  »), la relation de Viviane et de Merlin est précisée, alors que la nature de l’enchantement n’est pas spécifiée, ce lui confère une certaine abstraction et contribue à atténuer sa gravité. La représentation du sommeil de Merlin dans les illustrations de Bonn, ULB, 526 f. 166 (Figure 256) ou BNF, fr. 110 f. 159v (Figure 257) contribue à donner de ce passage une image apaisée. Seul fr.  105 f. 347 (Figure 259) illustre de façon assez dramatique sa dernière apparition devant Gauvain métamorphosé en nain, même si elle est mentionnée dans plusieurs tituli au XVe siècle. On pourrait se demander si le nombre relativement faible de rubriques et tituli traitant de l’enserrement de Merlin par Viviane est à mettre en relation avec le début du Lancelot qui propose une version concurrente de la disparition de Merlin dont la figure est considérablement noircie dans le portrait qu’en fait la Dame du Lac. Cela ne semble pourtant pas avoir posé problème aux enlumineurs de Bonn, ULB, 526 et BNF, fr. 110. Les formule d’explicit qui mentionnent la fin de l’histoire de Merlin ou son enserrement renforcent la cohésion du Merlin propre et de sa suite, y compris dans des compilations cycliques comme fr. 110 ou Add. 10292, tandis que Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38 utilisent la division en chapitre pour gommer le seuil des différentes œuvres. Paradoxalement, le paratexte insiste moins fréquemment sur l’enchantement jeté par Viviane à Merlin que sur le sort lancé à Gauvain par la demoiselle magicienne. Ce dernier est mentionné en écho au charme dont Merlin est la victime dans Bonn, ULB, 526, BNF, fr. 332 et BL, Harley 6340, quoique dans ce manuscrit, le second passage fasse l’objet d’un nombre de tituli beaucoup plus important. Dans les deux cas « l’enchantement » est jeté par une femme, mais celui qui affecte Gauvain prend le tour d’une métamorphose à caractère burlesque qui remet en question la construction



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 327

héroïque d’un personnage exalté jusqu’à la fin de la Suite Vulgate389. Elle rejoue de façon parodique l’histoire de la disparition de Merlin, d’autant que s’y ajoute un procédé carnavalesque d’échange et d’inversion des apparences de Gauvain et d’Enadain. La mise en série de ces épisodes fait ressortir dans l’emprisonnement de Merlin l’utilisation du thème satirique et misogyne du sage amoureux390 que l’on retrouve dans l’Estoire à travers la mésaventure d’Hippocrate, ou dans le Lai d’Aristote391, dont le motif d'Aristote chevauché par Phyllis connaît entre le XIIIe et le XVe siècle un important succès iconographique dans un contexte aussi bien profane que religieux et sur des supports variés : enluminures, miséricordes, tapisseries, aquamanilles et coffrets392. La quête de Merlin, qui constitue la première aventure romanesque dans laquelle s’engagent les chevaliers arthuriens, est relayée par de nombreux tituli et rubriques à la fin de la Suite Vulgate. Elle peut se lire en écho aux différentes quêtes du personnage ordonnées par Vertigier, Pandragon et Uter dans le Merlin propre, mais la mission est cette fois confiée à des chevaliers plutôt qu’à des messagers et serviteurs. La mésaventure de Gauvain et l’aide apportée par Yvain à Enadain et Bianne interrogent les valeurs courtoises investies par les compagnons de la Table Ronde. Dans le cas de Sagremor, la quête de Merlin ne constitue au final qu’un prétexte à la mise en œuvre d’une chevauchée aventureuse qui annonce celles du Lancelot et de la Queste. Le merveilleux associé à l’itinéraire d’Enadain participe cependant à la construction d’un modèle chevaleresque qui promeut la fidélité amoureuse. Son aventure sert d’avertissement par rapport au caractère trompeur des apparences. Elle s’inscrit dans la continuité des métamorphoses de Merlin, de façon peutêtre moins ludique mais plus didactique, puisque le comique se déplace sur la figure de Gauvain. À la fin de la Suite Vulgate, la disparition de Merlin et l’établissement d’aventures chevaleresques introduisent un modèle narratif qui quitte la sphère épique des « premiers faits » d’Arthur pour se concentrer sur des épisodes plus romanesques. Selon la classification élaborée par Annie Combes, le « type héroïque », de tonalité guerrière, qui s’inscrit dans la tradition des chroniques arthuriennes, de Geoffroy de Monmouth à Wace, laisse place au « type narratif breton » caractérisé par l’errance chevaleresque et la merveille, dans la continuité des romans de Chrétien de Troyes393.

389 390 391 392

393

Voir Fabry, Irène. « Enadain et Gauvain, les chevaliers transformés en nains », 2010, p. 31-49. Zumthor, Paul. « La délivrance de Merlin », 1942, p. 382. Henri d'Andeli. Les Dits. Ed. Alain Corbellari. Paris : Champion, CFMA 146, 2003. Voir Randall, Lilian M.C. Images in the Margins of Gothic Manuscripts. Berkeley : University of California Press, 1966. Combes, Annie. Les voies de l’aventure : réécriture et composition romanesques dans le Lancelot en prose. Paris : Champion, 2001, p. 97 ss.

328 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

L’ultime référence aux rois Ban et Bohort, introduite par le procédé de l’entrelacement, se place en rupture par rapport à cette nouvelle orientation du récit, annonçant les conflits guerriers du début du Lancelot. Une logique dynastique est à nouveau à l’œuvre et permet de combler l’écart chronologique qui sépare la Suite Vulgate du texte qui le suit dans le cycle du Graal. Pourtant, cette transition pose d’importants problèmes  : dans la version α de la Suite Vulgate, qui serait la plus ancienne394, la mort de Pharien est mentionnée à deux reprises, alors que le personnage joue un rôle déterminant dans la Marche de Gaule. Comme l’a montré Richard Trachsler, cela indique sans doute que pour le rédacteur de ce passage, « l’enchaînement avec le Lancelot propre ne devait pas s’imposer »395. Les deux versions de la Suite Vulgate construisent pourtant de nombreux épisodes en référence au Lancelot. La version α de la Suite Vulgate comportant cette discordance ultime apparaît en outre dans plusieurs manuscrits cycliques où elle précède le Lancelot : fr. 344, Arsenal, 3482 et fr. 98. Cela indique sans doute que la contradiction posée par la mort de Pharien ne dérangeait pas outre mesure les scribes et les lecteurs médiévaux qui «  n’étaient pas gênés par les discordances de la version α », et qui « accordaient aux deux textes le même degré de cyclicité »396. Certes, la version β, qui apparaît uniquement dans des manuscrits cycliques, s’efforce de corriger les deux références à la mort de Pharien. Après la disparition de Merlin, dont les prophéties annoncent tout au long du Merlin et de sa suite le futur du récit, on assiste paradoxalement à un accroissement de la teneur proleptique du texte, dans un passage synthétique formé d’anticipations narratives qui servent de transition entre le Merlin et le Lancelot.

Conclusion  La reconnaissance formelle des rubriques et tituli et leur constitution en systèmes créent une familiarité du lecteur avec ces énoncés dont la fonction varie. La rubrique s’impose après le texte original  : elle est, comme l’image, la marque d’une réception ultérieure à partir de la sélection qu’elle opère dans la matière textuelle397. Sa couleur la rapproche de

394

395

396

397

Micha, Alexandre. «  Les manuscrits du Merlin en prose de Robert de Boron  », 1958, p. 78-94 et 145-74. Trachsler, Richard. « Pour une nouvelle édition de la Suite-Vulgate du Merlin », 2001, p. 140-44. « Les témoins manuscrits de la version α montrent que le public supportait très bien qu’un personnage réapparaisse après sa mort  ». Moran, Patrick. Lectures cycliques  : le réseau inter-romanesque dans les cycles du Graal du XIIIe siècle. Thèse  : Université de Paris IV, dir. Dominique Boutet, 2011, p. 280-81. « Prenant appui sur le texte, l’illustration en emblématise le contenu, ne se contentant pas de représenter la scène décrite par le roman, mais interprétant, produisant à son tour son propre texte



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 329

l’image et la différencie du corps du texte dont elle extrait la substance. Mais si la rubrique se comprend habituellement en relation avec la miniature qu’elle décrit ou dont elle explique la signification, elle se confond parfois, comme dans Bonn, ULB, 526 ou New Haven, Beinecke, 227 avec les formules d’entrelacement, marqueurs narratifs dont le lien avec l’image n’est pas toujours évident. Ceci témoigne bien de sa place ambivalente, entre le texte et l’illustration. Les tituli, dont la référence est uniquement textuelle, constituent un énoncé second qui se déroule de façon discontinue et ponctuelle, même si l’exemple de BL, Harley 6340 montre l’envahissement de l’œuvre par le paratexte. Du titre elliptique au résumé plus détaillé de l’action, les tituli se déclinent alors selon différents modèles stylistiques et narratifs. Si les lettrines et initiales ornées constituent une forme de ponctuation visuelle de la matière textuelle, les titres de chapitres explicitent la teneur narrative du passage qu’ils introduisent et orientent sa lecture. Les rubriques et tituli des manuscrits étudiés nous renseignent sur le statut du Merlin et de sa suite ainsi que sur l’articulation de ces textes à l’origine distincts au sein de différents ensembles manuscrits. Les rubriques et titres de chapitres, de même que l’illustration, ne sont pas employés de façon homogène dans un même texte ou entre les différentes œuvres d’une même compilation. Ils tendent à distinguer le Merlin de sa suite, comme dans fr.  747, où ils insistent sur l’histoire des rois de Bretagne et l’ascendance d’Arthur, plus que sur la figure prodigieuse de l’enfant sans père. Dans Naf. 4166, ils font ressortir le caractère central du Merlin et des prophéties qui y sont interpolées au sein de la trilogie du pseudo-Robert de Boron. La densité et la répartition des tituli sont importantes car elles varient considérablement d’un manuscrit à l’autre. Quand le nombre des passages rubriqués est limité, leur caractère sélectif en est accru : dans fr. 110, ils accompagnent les miniatures pour mettre en exergue quelques épisodes qui se démarquent du reste de la narration : des rituels politiques et religieux fondateurs, mais aussi les aventures surnaturelles associées à la figure de Merlin et la mise en place d’aventures chevaleresques à la fin de la continuation. Au XVe siècle, dans Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, qui proposent une version abrégée du cycle du Graal, la relative rareté des tituli est partiellement compensée par leur dimension résomptive : ils ne renvoient plus au seul épisode qu’ils précèdent immédiatement, mais récapitulent plusieurs aventures au sein d’un même énoncé et tendent à gommer les frontières entre les différents textes du cycle. Fr. 332 comprend des tituli plus concentrés dans la continuation qui, comme l’indique de façon programmatique [par son] langage pictural, puis dans celui de la rubrique marginale qui bientôt l’accompagne ». James-Raoul, Danièle. La parole empêchée dans la littérature arthurienne, p. 210.

330 Chapitre 2 | Variations textuelles et paratextuelles

l’incipit, se focalisent sur l’histoire de Merlin ainsi que sur la geste héroïque et chevaleresque d’Arthur et des compagnons de la Table Ronde. Enfin dans BL, Harley 6340, l’élaboration minutieuse d’un système paratextuel très développé passe par l’intégration de nombreux éléments narratifs ou discursifs au sein des titres de chapitres, ce qui crée un effet de polyphonie et de variété par-delà l’adoption d’un moule formel particulier. Le nombre des rubriques et tituli rend possible une lecture à la fois syntagmatique et paradigmatique, de la linéarité de la table des matières à la mise en lumière d’échos et de reprises thématiques et stylistiques, d’une partie à l’autre du texte. Les phénomènes d’annonces narratives et de renvois cycliques sont particulièrement bien intégrés à la trame des titres de chapitres, mais leur formulation tend à lisser la spécificité de leur inscription chronologique. À la fin de la Suite Vulgate, rubriques et tituli ne mentionnent que ponctuellement la disparition de Merlin, qui constitue une rare adjonction romanesque à la matière historique héritée de Geoffroy de Monmouth. La spécificité du récit que livre la Suite Vulgate de l’enserrement de Merlin par son amante, se retrouve aussi bien dans le paratexte que dans l’illustration et contribue alors à conclure l’histoire de l’enchanteur, renforçant la cohésion du Merlin et de sa continuation. Cet épisode n’est pourtant que rarement mis en valeur, peut-être à cause de la version divergente qu’en propose le début du Lancelot. Le sort jeté à Gauvain par la demoiselle magicienne, mésaventure qui offre une variation comique sur l’enchantement dont Merlin est la victime, conclut la Suite Vulgate sur l’émergence de nouvelles valeurs courtoises. La clôture du texte sur la première quête menée par les chevaliers arthuriens le fait entrer en consonance avec les aventures du Lancelot et de la Queste. Rubriques et tituli intègrent enfin les retrouvailles de Ban et de Bohort avec leurs épouses et l’annonce de la naissance de Lancelot et de ses cousins. Ce rebondissement ultime apparaît non seulement dans des manuscrits cycliques comme Bonn, ULB, 526 ou Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38, qui redéfinissent les limites de la Suite Vulgate et du Lancelot, mais aussi dans des ouvrages qui s’achèvent avec la Suite Vulgate, comme New Haven, Beinecke, 227 ou BL, Harley 6340. Si la rubrique du premier manuscrit se contente de reprendre la formule d’entrelacement, sa dernière illustration va au-delà, inscrivant dans la continuation du Merlin la conception de personnages appelés à briller dans d’autres textes arthuriens. Dans BL, Harley 6340, qui se focalise pourtant sur «  l’hystoire de Merlin  » (f.  292v), la dernière référence à « Galaad de Lancelot » (f. 292) peut s’expliquer par l’intérêt particulier que suscitent au XVe siècle les ordres chevaleresques, sur le modèle de la Table Ronde, en relation avec l’exaltation spirituelle de la chevalerie, dans une optique similaire à celle de la Queste del Saint Graal.



Variations textuelles et paratextuelles | Chapitre 2 331

Dans les deux versions du Merlin et de sa suite, les constructions généalogiques et les jeux de rappels et de prédictions, souvent associés à la figure de Merlin, même si ce n’est pas exclusif, favorisent la mise en réseau des œuvres du cycle du Graal. La formation et la complétion de l’Estoire de Merlin vont donc de pair avec son intégration dans la Vulgate arthurienne, dans la version longue comme dans la version courte. Toutes deux témoignent aussi d’un effort plus large pour rendre compte de l’histoire chevaleresque du royaume breton. Rubriques et tituli présentent souvent un traitement différencié du Merlin propre et de sa suite, ce qui peut résulter des conditions de copie et de transmission des textes et souligne l’hétérogénéité originelle de ces œuvres. Reprenant des termes et des formulations très proches de celles employées dans le roman, rubriques et tituli en proposent non seulement une récapitulation mais aussi une interprétation. Ils jouent pourtant un rôle distinct au sein des différents manuscrits où ils apparaissent : si le plus souvent ils décrivent le contenu de la miniature qu’ils accompagnent, ils coïncident parfois avec les formules d’entrelacement, privilégiant le marquage d’une articulation narrative à l’anticipation d’une scène précise (Bonn, ULB, 526 et New Haven, Beinecke, 227). Leur nombre et leur distribution au sein de la trame textuelle déterminent la formulation et la portée des titres de chapitres, du résumé épisodique des principaux événements narratifs (Arsenal, 3350 et Pierpont Morgan, 38) aux énoncés récapitulatifs dont la prolifération phagocyte la narration (BL, Harley 6430). Le découpage en chapitres, qui se développe dans les manuscrits de la fin du Moyen Âge, favorise parfois l’intégration du Merlin et de sa suite dans le cycle du Graal. Le traitement de la fin du texte par les rubriques et tituli met en jeu une conception globale de l’œuvre dont la clôture peut aussi bien porter sur la fin de l’histoire de Merlin que sur la mise en place d’aventures chevaleresques ou l’anticipation de la naissance de Lancelot. La disparition de l’enchanteur met un terme à l’Estoire de Merlin mais constitue aussi un préalable au développement narratif du Lancelot.

Chapitre 3 : Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin Dans cette troisième partie, nous nous concentrerons sur la constitution iconographique d’une Estoire de Merlin. Nous étudierons les effets de continuité et de discontinuité perceptibles entre le texte original et sa continuation ainsi que leur implication esthétique et idéologique. Dans les manuscrits enluminés du Merlin et de sa suite, la lecture des images n'est pas isolée, mais s'intègre dans un continuum narratif, elle prend place dans une série iconographique donnée. L’image s’insère dans un passage textuel déterminé et prend sens en relation avec d’autres images disséminées dans le cours de la narration. Les jeux d’échos et de répétitions contribuent ainsi sur le plan visuel à la structuration du récit, se prêtant à une lecture à la fois à la fois syntactique, linéaire ou horizontale et paradigmatique, verticale voire transversale, au sein d’un manuscrit particulier, et au-delà, dans un contexte iconographique plus élargi. L’image insérée dans le texte joue d’effets de rupture et de continuité : interrompant le récit, elle bouscule le fil chronologique en annonçant des événements à venir. Par elle-même, elle joue un rôle mémoriel et structure la narration. S’inscrivant dans un réseau iconographique, elle contribue à tisser des liens thématiques et visuels entre différents épisodes, renforçant ainsi la cohérence du récit et mettant l’accent sur sa composition tout en accompagnant son déroulement. Le Merlin est un texte composite où l’enfance prodigieuse du fils du diable se mêle à l’histoire mouvementée des rois de Bretagne. La démonstration des pouvoirs surnaturels de Merlin passe par des anecdotes comiques en forme de fabliau398, mais aussi par des interventions plus complexes, comme dans l’histoire d’Uterpandragon et Ygerne. Comme le souligne Annie Combes, Le Merlin est un récit chatoyant caractérisé par un mélange de tons. Rassemblant chronique et prodiges, narration de combats, dialogues en enfer et métamorphoses plaisantes, cette œuvre abonde en variations de tonalités : à l’image de son héros tantôt grave tantôt espiègle, le récit juxtapose les scènes sérieuses avec celles où résonne le rire du prophète399.

La Suite Vulgate, qui se greffe sur le couronnement d’Arthur, modifie considérablement la temporalité romanesque, constituant une remarquable amplification sur les débuts du jeune roi. Elle relaie l’orientation historique du Merlin propre, contribuant à l’élaboration héroïque voire épique du

398 399

Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, p. 54 ss. Combes, Annie. « Des fabliaux dans le Lancelot-Graal ? », Romania, 126 (3-4), 2008, p. 421.

334 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

personnage d’Arthur, même si à la fin de la continuation se mettent en place des aventures chevaleresques relevant du type romanesque breton. Nous nous demanderons comment la mise en œuvre manuscrite et l’illustration conjointe du Merlin et de sa suite se situent par rapport à la diversité et à l’hétérogénéité première de ces textes. L’étude de l’iconographie et de la transmission manuscrite de l’Estoire de Merlin nous éclairera sur sa compréhension et sa réception. Nous étudierons les mises en scène variées du personnage de Merlin, son rôle dans l’histoire des rois de Bretagne, ainsi que les personnages féminins auxquels il est associé.

1. Un modèle biographique ? L’élaboration textuelle et visuelle de la vie de Merlin Du Merlin propre à la Suite Vulgate, l’intérêt se déplace du personnage du fils du diable aux « premiers faits » du roi Arthur. Merlin continue cependant de jouer un rôle important dans la seconde partie de la continuation qui se termine sur son enserrement. Sa vie pourrait donc servir de fil conducteur du Merlin à sa continuation et à leur illustration. Différentes évolutions sont à l’œuvre : l’enfant prodige, marqué par son ascendance démoniaque, laisse place à une figure de conseiller politique et militaire bien intégrée à la cour arthurienne, même s’il se livre à quelques incursions dans d’autres domaines. La représentation des caractéristiques diaboliques du personnage peut faire l’objet de discordances entre le Merlin et la Suite Vulgate. L’apparence de Merlin constitue en elle-même un ressort de l’intrigue, à travers les multiples transformations du personnage. Ses rencontres avec Blaise sont un autre point d’ancrage dans le Merlin et sa suite dont elles ponctuent la trame narrative tout en investissant le texte de l’autorité du prophète. Les programmes iconographiques du Merlin et de sa suite reprennent un modèle biographique, mais font aussi ressortir le caractère changeant et polyvalent de la figure de Merlin.

1.1. Du fils du diable au conseiller des rois de Bretagne La conception de Merlin La représentation de Merlin se caractérise davantage par des effets de variations, accentués par ses métamorphoses, que par sa cohérence. L’illustration de la conception du personnage rappelle son origine démoniaque, dans la continuité du complot infernal évoqué au début du texte, comme le montre notamment Arsenal, 2997. La mère de Merlin est abusée par le diable durant son sommeil alors qu’elle est inconsciente. Le lendemain, elle ne trouve aucune trace d’intrusion humaine :



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 335

Figure 140 : Modène, Estense, E. 39 f. 20 (1215’) Conception de Merlin

Figure 141 : BL, Add. 10292 f. 77v (1316) Ensi comme le dyables engenra Merlin. Conception de Merlin

« Et quant je m’esveillai si me trouvai hounie et despucelee et trouvai ma chambre bien fermee, tout ensi com je l’avoie fermé. Ne onques n’i trouvai riens nee, ne ne soi qui ce m’ot fet » (Pl. I, 587).

Elle a compris que le diable est responsable de sa mésaventure : Lors sot ele bien qu’ele estoit enguignie d’anemi (Pl. I, 586).

L’initiale historiée du manuscrit de Modène, Estense, E. 39 f.  20 (Figure 140) ne montre pas le démon et la jeune femme gisant ensemble mais souligne par la position verticale de l’incube et par sa gestuelle la victoire du plan diabolique, puisqu’il prend symboliquement possession de la jeune femme endormie. BL, Add. 10292 f. 77v (Figure 141) montre le démon comme un personnage barbu et cornu couché au-dessus de la jeune femme et posant sur elle un bras velu. Dans Bonn, ULB, 526 f. 60 (Figure 23), la conception de Merlin est la première miniature d’un texte qui en comprend uniquement deux (la seconde étant l’assassinat de Maine), ce qui donne à ce choix iconographique une importance tout à fait singulière. Le personnage éponyme lui-même est complètement absent de l’illustration du Merlin propre. L’illustration insiste alors sur la nature diabolique de Merlin plus que sur les prodiges qu’il réalise ou sur sa conversion. La présence démoniaque de l’incube ressort clairement des miniatures qui ne laissent planer aucun doute sur son identité. Sa couleur foncée, ses cornes et sa pilosité sont autant de marques d’une nature diabolique, des traits qui hormis les cornes se retrouvent chez le jeune Merlin, même si l’illustration n’en tient pas toujours compte. Arsenal, 3482 p. 1 (1350’) (Figure 26) se distingue des autres manuscrits car il présente le démon comme une créature ailée et vêtue de rouge, ce qui réduit partiellement l’animalité qu’on

336 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

lui prête. L’incube, le plus souvent couché auprès de la jeune femme, fait un geste de possession, soit qu’il l’enserre dans ses bras, soit qu’il pose sa main au niveau de son sexe. Dans fr. 96 f. 62v (1445’) (Figure 24), les yeux fermés, sa victime appuie sa tête contre sa main, un geste caractéristique des personnages endormis ou en proie à un songe400. Bien que d’après le texte la jeune femme soit inconsciente, dans Cologny, Bodmer, 147 f. 91 (1300’) (Figure 20), elle écarte les bras, ce qui peut indiquer la peur et l’étonnement401. Dans les miniatures frontispices compartimentées notamment, la conception de Merlin, qui figure après le conseil des démons et les désastres s’abattant sur la famille de son grand-père, entre en tension avec les représentation de Blaise et celles du procès de sa mère. Le choix et l’articulation de ces différentes scènes accentuent parfois l’effet de cause à conséquence, du projet diabolique de création d’un antéchrist à sa mise en œuvre, soit à travers une image composée de plusieurs registres, comme dans fr. 95 f. 113v (1290’) (Figure 19), soit par le jeu entre la miniature et l’initiale historiée qui la suit, comme dans Arsenal, 2997 f. 1 (Figure 18). D’autres miniatures soulignent au contraire l’échec relatif de cette conspiration, en particulier lorsque la miniature est encadrée par la représentation de la Descente du Christ aux enfers et la confession de la mère de Merlin. Ainsi l’image quadripartite de Cologny, Bodmer, 147 f. 91 (1300’) (Figure 20) met en relation le Descensus et la confession à Blaise, rapprochant dans une première diagonale ces images situées au niveau supérieur et inférieur. Dans une lecture linéaire, qui procède de gauche à droite et de haut en bas, ces scènes encadrent la représentation du conseil diabolique et de la conception de Merlin, reliées par une seconde diagonale, dont elles semblent minimiser l’influence. Des jeux d’échos similaires se créent entre des images disséminées au début du texte, comme dans BL, Add. 38117 f. 18v (1310’) (Figure 14) : au tout début du texte, l’initiale historiée du conseil des démons, placée en haut de colonne, est plus grande que la miniature représentant la Descente aux enfers, au bas de la colonne précédente, mais elle demeure conditionnée par cette dernière. La situation de l’image au sein du programme iconographique du début du Merlin est donc importante pour saisir sa fonction et la signification qui lui est donnée. Parmi les manuscrits du XVe siècle, BNF, fr. 96 f. 61 (1445’) (Planche VII) met en scène l’espace infernal dans sa miniature frontispice, puis donne à voir la conception puis la naissance de Merlin. Il s’agit des dernières miniatures réalisées dans ce manuscrit : le programme iconographique prévu pour le Merlin, la Suite Vulgate et le Lancelot y est inachevé, même si d’autres 400 401

Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 181-84. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 223.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 337

Figure 142 : BNF, fr. 96 f. 63v (1445’) Naissance de Merlin

scènes sont esquissées. La représentation de l’union entre l’incube et la fille de Merlin l’Ancien, qui joue du contraste chromatique entre le rouge et le bleu, est particulièrement frappante (f. 62v, Figure 24). L’image suivante (f. 63v, Figure 142) fait pénétrer le regard par delà les fortifications du château dans la tour où la mère de Merlin est enfermée jusqu’au terme de sa grossesse. Elle utilise le principe pictural de la « maison de poupée »402 402

Panofsky, Erwin. Les primitifs flamands. Trad. Dominique Le Bourg, Paris : Hazan, 1992 (1953).

338 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

qui est utilisé de façon récurrente dans le programme iconographique de ce manuscrit. Cet artifice, combiné à l’usage de la perspective, souligne l’effet de dévoilement auquel procède la miniature. Fr. 96, comme fr. 91, montre un intérêt particulier pour la représentation des châteaux et citadelles, lieux stratégiques qui inscrivent dans l’espace et matérialisent la domination royale et aristocratique ou dans ce cas-ci la puissance judiciaire. La jeune femme, qui porte son enfant dans les bras, entourée des deux compagnes chargées de la surveiller, se trouve au cœur d’un impressionnant ensemble architectural fortifié. Merlin, par sa pilosité, présente les caractéristiques physiques de son ascendance diabolique. L’illustration s’arrête avec cette miniature, mais les esquisses qui suivent confirment la place prépondérante réservée à Merlin dans le programme iconographique. Le personnage apparaît ainsi aux côtés de Vertigier (f. 68v), puis d’Uter et de Pandragon (f. 71), avant qu’Arthur lui soit confié (f. 79). On ne peut que faire des hypothèses concernant l’inachèvement de ce manuscrit : pour François Avril, l’ampleur du programme iconographique envisagé «  semble avoir dépassé les moyens financiers du commanditaire (dont nous ne savons rien) ou les capacités de l’artiste », qui avait peu d’expérience dans l’illustration de textes profanes403. La représentation de la conception de Merlin est pourtant l’une des plus saisissantes dans toute la tradition iconographique de ce texte. Fr. 91 commence par une grande fresque englobant la réunion infernale et la pré-histoire de Merlin. Ce manuscrit dont l’illustration a été dans un premier temps réalisée par le maître de Charles de France (nommé d’après le manuscrit des Heures à l’usage de Paris de la Bibliothèque Mazarine, 473), joue de la perspective pour dessiner dans la miniature frontispice un parcours symbolique et chronologique retraçant les origines de Merlin de façon à la fois synthétique et narrative404. BNF, fr. 91 a sans doute été copié sur BNF, fr. 105, illustré à Paris par le sous-maître de Fauvel405 vers 1320-1330, comme en attestent le texte, le placement des rubriques, et leur formulation. Mais l’organisation en compartiments de l’illustration frontispice d’un ouvrage de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle comme fr. 105 laisse place dans fr. 91 à une représentation de grand format, caractéristique des peintures manuscrites 403 404

405

Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France, 1993, p. 123-24. A la mort de son commanditaire, Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève, fr. 91, qui forme un tout avec le manuscrit de l’Estoire del Saint Graal, Bruxelles, BR, 9246, est entré en possession de son neveu et héritier Charles I de Savoie qui a fait continuer l’illustration de l’ouvrage par Jean Colombe. Le programme iconographique de fr. 91 reste cependant inachevé. Voir Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520. 1993, p. 163 et 352-353 et Jacob, Marie. « Jean Colombe, un pittore di Bourges familier e miniatore del duca Carlo I di Savoia », Corti e città. Arte del Quattrocento nelle Alpi occidentali. Dir. Enrica Pagella, Elena Rossetti Brezzi, Enrico Castelnuovo. Milan : Skira, 2006, p. 463-469. Stones, Alison. «  The Artistic Context of le Roman de Fauvel  », Fauvel Studies, 1998, p. 529-67.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 339

de la fin du XVe siècle. Ainsi, dans fr. 105 f. 126 (Planche VI), une miniature divisée en neuf compartiments montre le conseil des démons, leur destruction des biens et de la famille de Merlin l’Ancien, ainsi que la conception du fils du diable et le procès de sa mère, pourtant conseillée par Blaise. Ces différentes scènes sont reprises de façon synoptique dans l’image frontispice de fr. 91. Dans fr. 91 f. 1 (Planche VIII), si la Descente du Christ aux enfers n’est pas illustrée, la Crucifixion qui figure à l’arrière plan de la miniature et les différentes représentations de la mère de Merlin accompagnée de son confesseur placent l’histoire sous le signe de la Rédemption, alors que la rubrique se concentre sur le conseil des démons et la conception du fils du diable. La miniature liminaire de fr. 91 présente de façon spectaculaire le conseil démoniaque et les vicissitudes qui s’abattent sur la famille de Merlin l’Ancien. Elle constitue une image synoptique où la Passion du Christ est représentée en arrière-plan (un élément absent de fr. 105) et où se lit le cheminement spirituel de la mère de Merlin. Cette dernière succombe au plan démoniaque mais demeure accompagnée et épaulée par la figure de Blaise son confesseur qui la remet sur le droit chemin. Cette orientation est à mettre en relation avec les conditions de production du manuscrit  : BNF, fr.  91 a été commandé en même temps que l’Estoire del Saint Graal de l’actuel Bruxelles, BR, 9246, par Jean-Louis de Savoie, archevêque de Genève (1447-1482), dont les armes (de gueules à la croix d’argent) sont représentées en couleur sur le drapeau flottant au-dessus de la tente située à l’arrière-plan de l’illustration du folio 7 et se déclinent de façon monochrome dans plusieurs autres images406. Ce haut dignitaire de l’Eglise pouvait être particulièrement sensible au message chrétien porté par ces œuvres, même si elles relèvent d’une littérature courtoise et romanesque. Fr. 91 f. 7 (Figure 143) traite come fr. 96 de la naissance de Merlin, mais procède à nouveau par la juxtaposition de plusieurs scènes successives au sein d’une même image. Le développement iconographique de fr. 91 permet de traiter de façon plus exhaustive des informations déjà présentes dans la rubrique inspirée de son modèle fr. 105 qui en évoquant le jugement de la mère de Merlin offrait un panorama de l’action plus large que la miniature correspondante. Le baptême de l’enfant et le procès de sa mère sont ainsi illustrés dans un parcours de gauche à droite qui fait pénétrer progressivement dans la profondeur de l’image. Le déroulement visuel de la procession baptismale permet d’insister sur l’intégration du fils du diable dans la communauté chrétienne et de dissiper une bonne partie des soupçons qui pèsent sur lui. Le procès de sa mère, représenté à l’arrière plan, fait cependant

406

Voir Loomis, Roger Sherman et Laura Hibbard. Arthurian Legends in Medieval Art, 1938, p. 111-12.

340 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 143 : BNF, fr. 91 f. 7 (1480’) -Naissance et baptême de Merlin, -Jugement de la mère de Merlin Comment Merlin fut né lequel estoit tout vellu, et comment il fust en allé de la tour en ung panier, et comme il fust bathisé et comment sa mere fut menee devant les juges quy la vouloient par justice condampner a ardoir en ung feu.

toujours peser sur elle la menace du bûcher, déjà préparé par des hommes vêtus de jaune, une couleur associée au désordre qui porte au Moyen Âge une connotation négative407. Comme l’indique Barbara Morel, la mort par le feu est un châtiment privilégié pour les hérétiques et les sorciers, il préfigure les flammes de l’enfer auquel sont destinés les damnés. Dans les romans, il est réservé aux femmes, accusées de trahison ou d’adultère408. Pourtant, ces dernières sont le plus souvent disculpées et parviennent à échapper à ce châtiment, ce qui est effectivement le cas pour la mère de Merlin. À l’arrière-plan de l’image, l’enfant fait face au juge devant lequel comparaît sa mère. Contrairement à fr. 105 f. 130v 407

408

Pastoureau, Michel. « Formes et couleurs du désordre : le jaune avec le vert », Médiévales, 1983, 2 (4), p. 62-73. Voir Morel, Barbara. « Le bûcher, enfer des hérétiques et des femmes », Une iconographie de la répression judiciaire, 2007, p. 59-71. On peut noter que dans l’un des tituli de BL, Harley 6340, Merlin épargne à sa mère non seulement le bûcher mais la lapidation (« Comment la mere du juge confessa ce que Merlin luy disoit de son filz le juge. Et par ce moien ledit Merlin delivra sa mere d’estre lapidee » f. 20v). Dans la Bible, la lapidation constitue le châtiment des personnes adultères (Deutéronome 22, 22-24 ; Jean 8, 2-11). Cette dramatique amplification de la menace pesant sur la mère de Merlin souligne l’habileté de l’enfant qui parvient à la dissiper.

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 341



Figure 144 : BNF, fr. 105 f. 130v (1325’) Comment Merlins fu nez et estoit touz veluz et comment il fu avalez de la tor en un panier et comment il fu baptisiez et comment sa mere fu menee devant les juges qui le vouloient ardoir. -Naissance de Merlin -Merlin descendu de la tour

(Figure 144), fr. 91 f. 7 ne présente aucun des traits monstrueux (noirceur et pilosité) décrits à la naissance de Merlin, et mentionnés dans la rubrique, ce qui atténue son caractère démoniaque. La représentation du baptême de l’enfant, très rare dans la tradition iconographique409, témoigne dans fr. 91 d’un net souci de dissocier le personnage de sa paternité diabolique. Blaise lui-même a donné ce conseil à la mère de Merlin : « Quant tu auras eu ton enfant, si le fai bauptizier au plus tost que tu porras » (Pl. I, 593).

L’illustration insiste moins sur la monstruosité diabolique de l’enfant sans père que sur son retour précoce dans le giron de l’église. Les choix iconographiques manifestes dans les premières illustrations de ce manuscrit réalisé pour un grand prélat soutiennent une lecture chrétienne voire apologétique 409

Dans Tours, BM, 951 f. 178v (1290’), il n’y a pas de procession, mais le sacrement est administré au-dessus des fonds baptismaux. La même composition est reprise pour le baptême d’Arthur qui constitue dans ce manuscrit la dernière miniature du Merlin propre. La double illustration de ce rituel permet d’insister sur la purification et la renaissance symbolique d’enfants dont la conception est socialement et moralement problématique.

342 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 145 : BNF, fr. 749 f. 139 (1300’) Merlin et Vertigier devant les dragons de la tour

Figure 146 : BNF, fr. 749 f. 176v Merlin rentrant en Grande - Bretagne avec les renforts du continent



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 343

f. 176v (détail)

du roman de Merlin, alors que seules la naissance de l’enfant et la descente de la tour sont représentées dans fr. 105.

Les caractéristiques diaboliques du jeune Merlin Dès sa naissance, Merlin présente des traits physiques remarquables hérités de son père qui effrayent son entourage : N’i ot cele qui n’i eust molt grant paour pour ce qu’il le virent plus pelu et plus grant poil avoir qu’eles n’avoient onques veu a nul enfant avoir (Pl. I, 594). Et les femes qui avoec li [la mère de Merlin] estoient li disoient par maintes fois que molt s’esmervelloient de cel enfant qui si estoit velus qui n’avoit que .IX. mois, si sambla bien que il eüst .II. ans ou plus (Pl. I, 595).

La plupart des représentations du début du texte intègrent la jeunesse du personnage, mais il s’établit une nette distinction entre les manuscrits où Merlin apparaît comme un enfant ordinaire, (même si sa conception y est parfois représentée), et ceux qui prennent en compte les traits monstrueuses du fils du diable, sa couleur et sa pilosité. Lorsque les caractéristiques physiques de Merlin sont figurées, en écho avec la représentation des démons qui sévissent au début du texte ou de l’incube responsable de sa conception, elles ne peuvent que susciter une certaine suspicion à son égard. Fr. 749 (1300’) est particulièrement cohérent dans ses représentations de Merlin qui apparaît tout au long du manuscrit comme un être humain mais qui est doté d’une importante chevelure noire et frisée (f. 139, Figure 145 et f. 176v, Figure 146). Dans BL, Add. 38117 (1310’), le caractère diabolique du personnage n’est pas systématiquement représenté mais Merlin se distingue occasionnellement par des traits du visage déformés et par sa pilosité (f. 50v, Figure 147). En outre, dans la Suite Post-Vulgate, le personnage est parfois doté d’une taille inférieure à celle des autres personnages (ff. 147, 161v et 178, Figure 148), ce qui peut refléter l’infériorité de son statut et tend à le dévaloriser à l’égard de Viviane (ff. 179v et 185).

344 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

f. 50v (détail) Figure 147 : BL, Add. 38117 f. 50v (1310’) Rencontre de Merlin et Blaise

Figure 148 : BL, Add. 38117 f. 161v Merlin à la cour d’Arthur

f. 161v (détail)

Dans fr. 105 (1325’), seule la miniature relative à la naissance du personnage (f. 130v, Figure 144) lui attribue une pilosité particulière  : les autres images ne reprennent pas cette caractéristique, ce qui facilite l’intégration du personnage à la cour des rois de Bretagne en faisant oublier ses origines suspectes. Le manuscrit jumeau de fr. 105, fr. 9123, accentue l’animalisation de Merlin en le représentant comme un être dénudé et couvert de poils, mais sa couleur blanche insiste sur son caractère prodigieux plutôt que sur son aspect démoniaque (f. 141, Figure 149 et f. 143v, Figure 150). Merlin apparaît sous cet aspect jusqu’à l’arrivée de Ban et Bohort à la cour d’Arthur, avant que son apparence se normalise également, notamment lors de ses rencontres avec Blaise et quand il assume son rôle de conseiller (f. 178v, Figure 151). Dans fr. 9123, après le folio 168, Merlin n’apparaît plus que déguisé ou sans traits distinctifs. La représentation et l’identification du personnage constituent un défi



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 345

Figure 149 : BNF, fr. 9123 f. 141 (1325’) Comment Merlins fait sairement au roy Ban et au roy Boort son frere que le roy Artus fu filz Uterpandragon et de la royne Ygerne et comment li doi roy frere font hommage au roy Artus. Merlin en ambassade auprès de Ban et Bohort

Figure 150 : BNF, fr. 9123 f. 143v Ci devise li contes comment Merlins est en mer a tout sa chevalerie. Merlin rentrant en Grande - Bretagne avec les renforts du continent

Figure 151 : BNF, fr. 9123 f. 178v Comment Merlins a les .IIII. roys a une part et leur raconte les aventures qui sont avenues ou royaume de Logres. Conseil de Merlin, Arthur, Ban et Bohort

346 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

puisque faisant usage de ses dons surnaturels, il ne cesse de changer de forme. Enfin au XVe siècle, fr. 96 f. 63v (Figure 142) donne à voir les caractéristiques diaboliques du jeune Merlin à sa naissance, mais on ne peut savoir s'il devait ultérieurement conserver ces traits à cause de l'inachèvement du manuscrit. Les caractéristiques diaboliques de Merlin ne sont donc pas mises en images dans tous les manuscrits et ne sont pas nécessairement reprises dans l’ensemble des représentations d’un même codex. L’apparence de Merlin ne se confond jamais totalement avec celle de son père ou des démons représentés au début du texte. Les miniatures font en effet ressortir l’humanité du personnage, bien qu’elle soit contaminée par des éléments qui rappellent son hybridité diabolique. Le caractère monstrueux de Merlin est bien mentionné à sa naissance, mais tend à s’estomper au cours du récit, d’autant que le personnage s’illustre aussi par son pouvoir de métamorphose. Au cours de la guerre de Gaule, le narrateur rappelle pourtant ses particularités physiques, tout en atténuant l’importance de son héritage paternel : « Si dist [Artus] au roi Boort que molt a prodonme en Merlin. Et sans faille il estoit plains de prouece et fors de cors et de membres. Mais bruns estoit et maigres et plus velus de poil sauvage que nus autres hom. Et gentix hom de par sa mere, mais de par son pere ne vous en dirai plus, car assés en avés oï cha en ariere qui l’engendra. Mais nous ne trouvons pas lisant qu’il mesist onques main sor home pour mal faire. Mais souvent avenoit que, quant il estoit empressé de gent, qu’il abatoit del pis del cheval et home et cheval et tout en un mont » (Pl. I, 1204-1205).

Cette mention qui figure dans la Suite Vulgate ne semble pas avoir joué un rôle capital dans les représentations iconographiques du personnage de Merlin dont l’apparence au sein de la continuation est largement normalisée.

La normalisation de l’apparence du personnage  Si l’illustration de BL, Add. 38117 (1310’) montre Merlin sous les traits d’un enfant monstrueux, un certain nombre de manuscrits choisit de passer outre le caractère diabolique du personnage pour ne retenir que l’image du jeune prodige, même après avoir représenté sa conception. L’omission visuelle des caractéristiques physiques du fils du diable atténue la dimension menaçante de Merlin qui apparaît comme un puer senex doté de pouvoirs merveilleux et rejette le projet diabolique élaboré pour lui. BL, Add. 10292 (1316) est le manuscrit qui consacre le plus grand nombre d’illustrations à ses différents prodiges, de ses explications et prophéties concernant le miracle de la tour de Vertigier à celles relatives à la triple mort du baron incrédule. L’enfance ou la jeunesse du personnage sont alors ses caractéristiques distinctives. Dans toutes les représentations, à l’exception peut-être de fr. 91 (1480’), où il est davantage tourné vers sa mère que vers le juge, Merlin, malgré son jeune âge, discute d’égal à égal avec les adultes, et sa gestuelle, notamment dans fr. 95 (1290’), indique une position d’autorité. Tours, BM, 951 (1290’)



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 347

et fr. 91 vont au-delà, car non seulement ils omettent les traits diaboliques de Merlin, mais ils illustrent aussi son baptême, ce qui contribue à le racheter de toute influence démoniaque. Dans Tours, BM, 951 f. 178v, le sacrement est administré au-dessus des fonts baptismaux. La même composition est reprise pour le baptême d’Arthur (f. 216v) qui constitue dans ce manuscrit la dernière miniature du Merlin propre. La double illustration de ce rituel religieux permet d’insister sur la purification et la renaissance symbolique d’enfants dont la conception est moralement et socialement problématique. Fr. 91 f. 7 (Figure 143) met en scène à la fois la procession baptismale et la célébration du sacrement, qui ne figurent pourtant pas dans l’illustration de son modèle, fr. 105 f. 130v (Figure 144), et comme Arsenal, 3482 p. 1 (Figure 26), il reprend avec minutie les indications concernant la sortie de la tour en vue de son baptême : Et lors le misent en un panier et l’avalerent aval a une corde puis conmandent que il soit bauptisiés et que il ait le non de son taion de par sa mere et cil prodom ot non Merlins. Ensi fu cis enfes bauptisiés et fu apelés Merlins pour son aioul (Pl. I, 595).

Merlin est enfant lors du règne de Vertigier, mais adulte au terme du règne d’Uterpandragon, puisqu’au moment de la mort du roi, Arthur est adolescent. Dans la Suite Vulgate, les représentations de Merlin sont plus stables, puisqu’il a déjà atteint l’âge adulte : le changement est particulièrement sensible dans fr. 95 où Merlin porte systématiquement un habit monastique. BL, Add. 10292, dont le programme iconographique est particulièrement développé, est un des rares manuscrits où peut se lire d’une image à l’autre la croissance du personnage (voir ff. 88, 98v et 105v), même si Merlin semble ensuite conserver l’apparence d’un jeune homme tout au long de la continuation. Dans la miniature compartimentée qui marque le début de la Suite Vulgate dans Cologny, Bodmer, 147 f. 161 (1300’) (Figure 45), Merlin apparaît par deux fois en habit religieux. La première représentation est particulièrement intéressante, car elle se focalise sur le trio formé par Merlin, l’archevêque Debrice et Arthur, soulignant le rôle joué par les deux premiers protagonistes dans le couronnement du jeune souverain. Une représentation traditionnelle du couronnement mettrait en exergue le roi et l’archevêque mais exclurait Merlin qui pourtant dans cette image est mis sur le même plan que ces derniers. La scène suivante montre Merlin essayant de négocier avec les barons rebelles. L’échec de ces pourparlers apparaît au niveau inférieur à travers la figuration du combat d’Arthur contre les rois révoltés. Le fait de représenter Merlin avec≈un habit similaire à celui que porte Blaise dans le même manuscrit (ff. 267v et 272, Figure 206) renforce l’autorité morale voire religieuse du personnage, bien que lors de ses entretiens avec l’ermite, Merlin soit représenté tête nue. Même si Merlin justifie l’aide qu’il apporte à Uter par le bien supérieur que constitue la naissance de l’enfant à l’égard du plan divin, son intervention est particulièrement suspecte, puisqu’elle passe par la transformation du roi et de ses compagnons qui conspirent pour tromper Ygerne.

348 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Or le compilateur de Bodmer, 147 contribue aussi à investir le personnage d’une mission d’ordre religieux. L’insertion d’une interpolation située après la conception d’Arthur semble racheter la figure de Merlin en insistant au contraire sur sa piété filiale et son autorité morale. Elle « s’inscrit en droite ligne du traité de confession de Maurice de Sully et des autres textes à portée religieuse »410. Dans Bodmer, 147, avant que ne soit négocié le mariage d’Uter et de la duchesse de Tintagel, Merlin rend successivement visite à sa mère et à Blaise. Il accompagne le trépas de sa mère en lui procurant un soutien spirituel et la fait ensuite enterrer dans une abbaye bénédictine. Merlin n’administre pas lui-même les derniers sacrements, mais il est directement impliqué dans l’accompagnement religieux des derniers moments de sa mère. Dans cette compilation qui entrelace des textes bibliques, romanesques ou historiques et des œuvres de pastorale chrétienne, le fils du diable devient un modèle d’édification. Les multiples versions de la conception de Merlin et de sa fin dans le Merlin propre, la Suite Vulgate, la Suite Post-Vulgate et le Lancelot pourraient expliquer les variations iconographiques concernant la représentation du personnage. Les manuscrits où le Merlin et sa suite ne sont pas suivis du Lancelot, qui sont majoritaires (même s’il faut relativiser ce constat par rapport aux disparitions possibles de certains ensembles cycliques ou de leurs parties) n’ont pas de raison particulière d’insister sur la dimension négative du personnage. Cela peut être mis en relation avec la normalisation de l’apparence du personnage dans la plupart des manuscrits. Dans les ouvrages qui ne comprennent pas de représentations iconographiques du personnage éponyme dans le Merlin propre, au moment où sont évoquées son origine diabolique et ses caractéristiques physiques, ce lissage s’opère encore plus facilement. Merlin apparaît ainsi comme un personnage ambivalent dont la Suite Vulgate exploite le potentiel positif alors que le Lancelot et la Suite Post-Vulgate développent son caractère diabolique. L’influence du Lancelot pourrait se traduire sur le plan visuel par la représentation diabolisée de Merlin. En effet, ce texte écrit avant la Suite Vulgate mais après le Merlin développe une image très négative du personnage qui sert alors de faire-valoir à la Dame du Lac. Au début de la Marche de Gaule, un récit analeptique raconte ainsi les origines de Merlin puis son entombement par Viviane : ce procédé permet l’éviction narrative d’un personnage qui n’a plus sa place dans le 410



Voir Messerli, Sylviane. « Lire le Graal dans le Codex Bodmer, 147 », 2011, p. 318. « Ainsi prinst Merlin congié dou roy et de Ulfin et li roys chevaucha tant par ses jornees que il vint a Tyntanel et Mellin s’en ala tant que il vint la ou sa mere estoit qui estoit malade dou mal de la mort. Et quant ele le vit, si ne le connut mie, mes quant ele oÿ que ce fu Mellin son fil si en fu moult esbaÿe, dont Mellin la reconforta et li dist : ‘Bele mere, pensez de l’ame de vos que vostre vie est mais petite en cest siecle’. Et quant ele oÿ ce, si se confessa et commenia et reçut toz les autres droiz de Sainte Eglyse et moult fu humeliee a Dieu, et aprés ce ne demora gueres que ele devia. Si la fist Mellin mestre en terre en une abaÿe de nonains blanches qui pres d’ilec estoit moult honoreement. Et puis s’en parti Mellin et tant erra par ses jornees que il vint en Hoberlande a Blaize son mestre... » (Cologny, Bodmer, 147 f. 113v).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 349

nouvel univers romanesque du Lancelot411. Le texte souligne l’ascendance diabolique du personnage, source de son savoir prodigieux et de son caractère luxurieux : Sot toute la sapience qui des dyables puet deschendre (L, 38)412. Fu engendrés en feme par dyable et de diable mismes (L, 38). Fu de la nature son peire dechevans et desloiaus et sot quanques cuers pooit savoir de toute perverse science (L, 41).

Merlin est doté d’un savoir maléfique, mais Viviane parvient à retourner contre lui son enseignement magique, de façon à protéger sa virginité contre la concupiscence de l’enchanteur : Metoit sour ses .II. aignes .II. nons de conjuremens, que ja tant com il i fussent, ne le peust ja nus hons despucheler ne jesir a lui carnelement. En tel maniere le mena moult longement, et tous jours quida Merlins au partir que il eust a li jeu. Si le decevoit ensi pour che qu’il estoit morteus en une partie, mais se il fust del tout deables, ele ne le peust dechevoir, car deables ne puet dormir. En la fin sot ele tant par Merlin qu’ele l’engigna et le seela tout en une cave dedens la preilleuse forest de Darnantes qui marchist a la mer de Cornouaille et la roialme de Soreillois. Illeuc remeist en teil maniere, car onques puis par nului ne fus seus ne par nul homme veus qui noveles en seust dire (L, 42-43).

La ruse déployée par Viviane et la fin cruelle à laquelle elle condamne Merlin sont justifiées par le caractère luxurieux du fils du diable, même si la jeune femme exploite une faille proprement humaine. On ne conserve cependant que trois manuscrits illustrés du Merlin et de la Suite Vulgate comprenant aussi la version longue du début du Lancelot : BL, Add. 1029293, Arsenal, 3482 et fr.  105-Ars., 3481. Seul le dernier met en images les caractéristiques diaboliques de Merlin, et ce uniquement jusqu’au début de la Suite Vulgate. Ces représentations iconographiques s’expliquent donc sans doute davantage par les descriptions du personnage au début du Merlin que de façon rétroactive par son évocation dans le Lancelot. BL, Add. 10292 (1316), qui normalise l’apparence du personnage, semble accorder davantage de poids à sa présentation au sein du Merlin et de la Suite Vulgate qu’à ce qui en est dit ultérieurement dans le Lancelot, au sein de la même compilation. Dans les manuscrits où le Merlin est copié avant la version longue du Lancelot, la représentation du personnage peut donc subir soit 411

412

Combes, Annie. Les voies de l’aventure, 2001, p. 68. Sur l’enserrement de Merlin, voir aussi Krappe, Alexandre. « L’enserrement de Merlin », Romania, 60, 1934, p. 79-85, Kennedy, Elspeth. « Merlin and the Role of Allusions in the First Part of the Prose Lancelot », BBSIA, 12, 1960, p. 126-27, Trachsler, Richard. Clôtures du Cycle Arthurien. Étude et Textes. Genève : Droz, 1996, p. 65-68, et Moran, Patrick. Lectures cycliques, 2011, p. 426 ss. Par rapport au texte édité par A. Micha, BNF fr. 110, 111, 113-14 et Bonn, ULB, 526 présentent une version spéciale qui résume l'histoire de la naissance de Merlin. Ce dernier y est présenté de façon moins négative. Lancelot : roman en prose du XIIIe siècle. Ed. Alexandre Micha, Genève : Droz, 1980 t. 7, p. x et 459-62 [= L].

350 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

l’influence positive du récit de l’enserrement du personnage tel qu’il est narré à la fin de la Suite Vulgate soit celle du texte suivant qui procède à la diabolisation du personnage. La question de l’influence possible du Lancelot sur les représentations iconographiques de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate est aussi à relativiser car quatre manuscrits : BNF, fr. 110, fr. 111, fr. 113, et Bonn, ULB, 526 modifient dans le Lancelot le récit de la fin du personnage en renvoyant explicitement à l’Estoire de Merlin. Comme le souligne Alexandre Micha413, Merlin, racheté par la pénitence de sa mère, n’est plus un être « decevans et desloiaus ». En accord avec la fin de la Suite Vulgate, Viviane enferme ainsi Merlin dans une prison d’air et il dialogue une dernière fois avec Gauvain : En la fin sot elle par lui tant de merveille qu’ele l’engingna et l’enseela tout endormis en l’air dedens la forest de Darnantes. Illoc remest en tel maniere que onques puis ne parla a home fors une fois a mon signour Gavain, si con li contes le devise el livre de Merlin (Pl. II, 46).

Dans sept autres manuscrits, qui ne sont pas nécessairement apparentés, le récit de la fin de Merlin, au début du Lancelot, fait l’objet de différentes réécritures en accord avec la Suite Vulgate : « ces modifications s’expliquent par le désir d’assurer plus d’unité au cycle, d’éviter de choquantes contradictions »414. Cela concerne Oxford, Bodleian Ashmole 828 (qui présente également une rédaction résumée du Merlin), BNF, fr. 98 et BL, Royal 20 D III (qui omettent la naissance de Merlin, même s’ils rappellent son origine diabolique), BNF, fr. 767 et 341 (particulièrement synthétiques), BNF, fr. 754 (qui insiste sur la naissance de Merlin, sur sa vie jusqu’au mariage d’Uterpandragon et Ygerne et finit sur son entombement : ce manuscrit ajoute de façon originale que Merlin aurait été ultérieurement tiré de sa prison par Perceval, mais cela ne donne lieu à aucun prolongement textuel), et New York, Pierpont Morgan, 805-806415. Dans les manuscrits cycliques où le Lancelot est mis en conformité avec le Merlin et sa continuation, c’est donc à nouveau le portrait positif de Merlin, conseiller des rois de Bretagne inspiré par Dieu, tel qu’il est transmis par la Suite Vulgate, qui est privilégié et qui détermine les représentations iconographiques du personnage. Dans la Suite Post-Vulgate, l’objectif premier est de continuer le Merlin : contrairement à la Suite Vulgate qui sert de charnière cyclique, ce texte n’est pas censé introduire le Lancelot. Pourtant, le Lancelot (ainsi que la Queste et la Mort Artu) joue un rôle déterminant dans la construction idéologique de la Suite Post-Vulgate, et c’est dans cette perspective que se modèle une image assez péjorative de Merlin qui détermine l’illustration de BL, Add. 38117. 413 414 415

Micha, Alexandre, « La tradition manuscrite du Lancelot en prose », Romania, 85, 1964, p. 295. Voir Micha, Alexandre, « La tradition manuscrite du Lancelot en prose », 1964, p. 297. Voir Meuwese, Martine. « Inaccurate Instructions and Incorrect Interpretations : Errors and Deliberate Discrepancies in Illustrated Prose Lancelot Manuscripts », BBSIA, 54, 2002, p. 319-44.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 351

1.2. Les transformations de Merlin De même que ses rencontres avec Blaise, les transformations de Merlin concernent à la fois le Merlin et sa suite (on en compte 8 dans le Merlin propre et 14 dans la continuation), mais leur illustration se concentre dans le second texte416. Ces déguisements sont moins nombreux dans le Livre d’Artus (où Merlin se déguise en pèlerin, LA p. 66, puis en homme sauvage, lors de sa rencontre avec Calogrenant, LA p. 124)417 et la Suite Post-Vulgate (Merlin se transforme en adolescent puis en vieillard, SPV § 10-14, avant de prendre l’apparence d’un paysan, SPV § 115)418, mais ils prennent dans ces textes des formes proches de celles que Merlin adopte dans la Suite Vulgate. Si la mise en série des rencontres avec Blaise se caractérise par la récurrence d’images de composition similaire aisément identifiables, le repérage des métamorphoses de Merlin pose davantage de problèmes. Seuls trois manuscrits illustrent des transformations du Merlin propre : BNF, fr. 95, Add. 10292 et fr. 96. Ces représentations interviennent dans deux des manuscrits les plus illustrés du Merlin et de sa suite : elles ne correspondent pas à une tradition iconographique préétablie. Add. 10292 comporte le plus grand nombre de miniatures, et fr. 95 inclut relativement moins d’images, ces dernières le plus souvent formées de deux registres, ce qui permet de dédoubler le nombre de scènes représentées. Christina Noacco distingue dans le polymorphisme de Merlin quatre niveaux de semblance : « le déguisement humain, la régression à l’état sauvage, l’aspect animal et enfin, la dissolution de toute forme dans l’invisibilité »419. Dans fr.  95 (1290’), les images relatives aux premières transformations de Merlin ne mettent pas en exergue les changements d’aspect les plus remarquables mentionnés dans le texte. Ainsi Merlin rencontre Pandragon sous les traits d’un homme de bien (Pl. I, 656), une apparence moins distinctive que celle du bûcheron ou du gardien de bêtes sauvages laid et contrefait qu’il adopte un peu plus tôt (Pl. I, 654). Dans fr. 95 f. 134, Merlin porte un habit 416

417

418

419

Voir Tableau 16 : Illustrations des déguisements et transformations de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate, p. 355. Voir Busby, Keith. « The Reception of Chrétien’s Calogrenant Episode ». Tussentijds. Bundel studies aangeboden aan W. P. Gerritsen ter gelegenheid van zijn vijftigste verjaardag. Dir. A. van Buuren, H. van Dijk, O. Lie et F. van Oostrom. Utrecht : Hilversum, 1985, p. 327-32. Lors des deux premiers passages (BL, Add. 38117 ff. 76 et 79v) Merlin est représenté comme un enfant alors qu’il est censé prendre l’apparence d’un vieillard lors de la seconde occurrence. Sa troisième transformation n’est pas illustrée. Noacco, Christina. La Métamorphose dans la littérature française des XIIe et XIIIe siècles, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 181. Sur les transformations de Merlin, voir aussi Berthelot, Anne. « Les métamorphoses de Merlin, de Robert de Boron au Book of Merlyn », Études de Linguistique et Littérature en l'honneur d’André Crépin. Dir. Danielle Buschinger et Wolfgang Spiewok. Greifswald : Reineke-Verlag, Wodan 20, 1993, p. 11-20 et Berthelot, Anne. « Merlin, ou l’homme sauvage chez les chevaliers », Le nu et le vêtu au Moyen Âge : XIIe-XIIIe siècles. Aix-en-Provence : Presses universitaires de Provence, Senefiance, 47, 2001, p. 17-28.

352 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

au capuchon relevé, une tenue reprise lors d’un entretien conventionnel avec Uterpandragon (f.  141v) ou ultérieurement au cours de ses visites à Blaise. Quand Uterpandragon, Merlin et Ulfin chevauchent vers Tintagel sous les traits de Gorlois, Bretel et Jourdain (f. 149v, Figure 230), ils sont représentés sous leur apparence première, comme l’indiquent les attributs royaux du sceptre et de la couronne. Enfin lorsque Merlin reçoit Arthur nourrisson des bras de la suivante d’Ygerne, il porte à nouveau un habit à capuche. Sa barbe et la canne sur laquelle il s’appuie concordent avec le texte qui le présente comme « un home qui estoit vix et febles » (Pl. I, 747). L’illustration de fr. 95 semble alors hésiter entre l’intégration des transformations de Merlin et la mise en place d’une forme de continuité visuelle d’une représentation à l’autre d’un personnage dont l’apparence évolue dans le temps, puisqu’il est seulement un enfant au début du texte. Dans Add. 10292 f. 87 (1316), la première transformation de Merlin joue un rôle ludique : le personnage prend l’apparence d’un messager de la dame aimée par Uter avec la complicité de Blaise. Il s’agit d’un stratagème destiné à impressionner les fils de Constant et à s’attirer leur faveur en les divertissant : «  Il sont jouens et jolis et je nes poroie mie en nule maniere si bien traire a amour com par faire et par dire une partie de lor volentés. Et pour aus metre en joie et en bele risee, je sai une dame qui Uter aimme, si venrai a li, si li porterai unes letres de par lui que vous me ferés, que il me croie de ce que je li dirai. Ensi parlerai a els cel onsisme jour que il me verront et si ne me connoistront. Et quant venra a lendemain si m’acointerai des .II. ensamble si m’en sauront meilleur gré d’assés » (Pl. I, 663).

La rubrique précise l’identité de Merlin tout en signalant son déguisement puisqu’il apparaît « en gise d’un garçon ». Merlin exprime le souci de se faire connaître des deux frères à la fois et l’image les met sur le même plan, même si Pandragon se distingue par sa couronne. La transformation joue alors un rôle pédagogique : Merlin use de séduction pour asseoir son influence et gagner l’estime et l’affection des jeunes gens. Cette transformation fait écho à son déguisement en messager d’Yvain qui est également illustré dans Add. 10292 f. 132v (Figure 163). Add. 10292 f. 97v illustre aussi l’abandon d’Arthur, mais la miniature correspondante semble esquiver l’intervention de Merlin déguisé en vieillard  : la rubrique indique en effet que le nourrisson est remis à Antor, ce qui constitue un raccourci narratif, bien que ce dernier devienne ensuite le père adoptif de l’enfant. L’esquisse de fr. 96 f. 79 (1445’) relative à cette scène constitue l’unique représentation d’une transformation de Merlin dans ce manuscrit dont l’illustration demeure inachevée. L’intervention de Merlin est décisive par rapport à l’avenir du fils d’Uterpandragon et d’Ygerne, néanmoins elle se fait en secret et de façon détournée. La transformation du personnage ne



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 353

fait que redoubler la dissimulation qui entoure la conception et la naissance d’Arthur. Cela peut expliquer les hésitations perceptibles dans l’illustration et la rubrique de BL, Add. 10292 f. 97v qui vont dans le sens d’une simplification de l’épisode. L’identification de Merlin métamorphosé ne va pas de soi et le recours au texte et aux rubriques est alors déterminant pour reconnaître le personnage, car la transformation n’est pas toujours relayée dans l’illustration. Certaines métamorphoses posent aussi des problèmes de représentation, en particulier l’invisibilité de Merlin, lors de son intervention auprès du roi de Jérusalem Flualis420. Tantôt Merlin apparaît dans l’image, ce qui contredit le texte, tantôt le personnage n’est pas du tout représenté : son absence, associée à d’autres indices, constitue peut-être un moyen de figurer son invisibilité. La disparition ultime de Merlin, enserré par Viviane à la fin du texte, constitue la dernière transformation du personnage, même s’il n’est pas lui-même à l’initiative de ce changement. BNF, fr. 105 f. 347 (1325’) (Figure 259) est le seul manuscrit à illustrer ce dernier épisode. L’illustration de la première rencontre avec Viviane, où Merlin « prist une semblance d’un molt biau vallet » (Pl. I, 1057), est également très rare : on ne la trouve que dans Bonn, ULB, 526 f. 106v (Figure 249) et BL, Add. 10292 f. 138 (Figure 251). Les péripéties militaires du règne d’Arthur sont beaucoup plus illustrées que les amours de l’enchanteur. Nous nous concentrerons ici sur quelques transformations du personnage bien représentées dans la tradition iconographique du Merlin. Quand Merlin se déguise en vilain chassant des canards, il met à l’épreuve la générosité d’Arthur tout en exhibant ses connaissances surnaturelles et son pouvoir de métamorphose. Parmi la série des transformations où Merlin se déguise pour prodiguer des conseils stratégiques et militaires aux neveux d’Arthur, on peut noter son déguisement en vieux berger qui avertit Gauvain du danger couru par Sagremor, son déguisement en messager d’Yvain, qui alerte Gauvain sur le sort des fils du roi Urien, et son apparition en guise de chevalier, qui lance Gauvain au secours de sa mère. Enfin après les métamorphoses de Merlin en cerf puis en homme sauvage à la cour de l’empereur romain, qui permettent de creuser la question de l’identité du personnage, la transformation de Merlin en harpiste puis en enfant constitue un interlude divertissant à la cour d’Arthur.

420

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Le rêve du roi Flualis », 2013, p. 85-100.

354 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Tableau 15 : D  éguisements et transformations de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate Type de transformation

Situation

Merlin 1.

Merlin déguisé en bûcheron

651

2.

Merlin déguisé en gardien de bêtes

654

3.

Merlin déguisé en homme de bien

656

4.

Merlin déguisé en messager courtois

659

5.

Merlin déguisé en vieil homme

718

6.

Merlin déguisé en paralytique aveugle

720

7.

Merlin transformé en serviteur du duc de Tintagel

725

8.

Merlin déguisé en vieil homme

746

Suite Vulgate

 

1.

Merlin déguisé en chasseur de canards

854

2.

Merlin déguisé en vieux berger

988

3.

Merlin déguisé en chevalier

995

 

4.

Merlin déguisé en messager d’Yvain

1014

5.

Merlin déguisé en vieil homme

1036

6.

Merlin déguisé en chevalier blessé

1039

7.

Merlin déguisé en beau jeune homme

1057

8.

Merlin transformé en cerf

1229

9.

Merlin déguisé en homme sauvage

1232

10.

Merlin transformé en jeune garçon de 15 ans

1519

11.

Merlin déguisé en harpiste

1540

12.

Merlin transformé en enfant de 8 ans

1542

13.

Merlin invisible à la cour de Flualis

1557

14.

Merlin invisible parle une dernière fois à Gauvain

1649

Arthur et Merlin déguisé en vilain chassant des canards Le déguisement de Merlin en vilain qui chasse des canards est la première de ses transformations en présence d’Arthur. Elle intervient après sa victoire à Bédingran contre les barons rebelles. La forme adoptée par Merlin rappelle ses premières apparitions comme bûcheron et gardien de bêtes auprès d’Uter et Pandragon421, ce qui inscrit l’épisode dans la continuité du Merlin

421

« Vint en la vile come un bosquerons, une grant coingie a son col et uns grans sollers cauchiés et une courte cote vestue toute depechie. Et ot les chaveus tous ireciés et la barbe molt grande et bien sambla home sauvage » (Pl. I, 651-52).

422

X

X

X

1300’

X

1300’

X

1316

X

1325’

X

1325’

1350’

1357

X

1445’

1450’

X

1480’

988

854 X

X

X

X

(Continue)

7

5

1 3

725 746 X

0

720 X

0

1

718

659

1

X

1295’

656 X

1285’ 1285’ 1286 1290’ 1295’

0 0

1280’

Total

651 654

X

1280’

Dans certains cas, notamment dans Oxford, Bodl., Douce 178, l’épisode est illustré mais Merlin n’est pas représenté sous sa nouvelle apparence.

1. Chasseur de canards 2. Vieux berger

1. Bûcheron 2. Gardien de bêtes 3. Homme de bien 4. Messager courtois 5. Vieil homme 6. Paralytique aveugle 7. Bretel 8. Vieil homme Suite Vulgate

Merlin

Date

Transf. de Pléiade fr. 24394 fr. 19162 Douce fr. 770 Bonn fr. 95 fr. 110 fr. 344 Bodmer, fr. 749 BL, fr. 105 fr. 9123 Ars., Beinecke, fr. 96 P. fr. 91 Merlin 178 147 Add. 3482 227 Morgan 526 10292 207-208

Tableau 16 : Illustrations des déguisements et transformations de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate422

3. Chevalier 4. Messager d’Yvain 5. Vieil homme 6. Chevalier blessé 7. Beau jeune homme 8. Merlin transformé en cerf 9. Homme sauvage 10. Jeune garçon de 15 ans 11. Harpiste 12. Enfant de 8 ans 13. Invisible à la cour de Flualis 14. Invisible dans sa prison d’air Total :

X

1649

1557

5

X

3

X

7

X

X

XX

X

X

X

X

2

X

4

X

1

X

X

5

5

9

X

X

5

12

X

X

X

XX

X

X

X

X

X

X

X

X

XX

X

X

X

XX

X

X

X

XX

X

1

X

4

8

4

5

2

X

1

5

15

2

83

1

7

10 2

X

X

X

X

1530 1542

X

X

X

X

0

X

X

X

X

X

1519

1232

1229

1049

X

X

11

X

X

1039

X

0

X

0 12

Total

1036

995 1014

Transf. de Pléiade fr. 24394 fr. 19162 Douce fr. 770 Bonn fr. 95 fr. 110 fr. 344 Bodmer, fr. 749 BL, fr. 105 fr. 9123 Ars., Beinecke, fr. 96 P. fr. 91 Merlin 178 147 Add. 3482 227 Morgan 526 10292 207-208

Tableau 16 : (Suite)



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 357

propre où les transformations du personnage sont, par le biais du divertisement, un moyen de gagner l’affection des jeunes princes. La scène apparaît d’abord sous un jour pittoresque : Lors regarderent aval, si voient venir un grant vilain par desore la riviere tous les prés, un arc en sa main. Et il avoit saietes et il ot asnes salvages en un roissel qui se baignoient si comme lor nature lor aporte (Pl. I, 855).

Merlin prend l’aspect d’un personnage aux antipodes du canon courtois, à la fois par son appartenance sociale et par son apparence hirsute. Ce déguisement grotesque a une résonance ludique même si au premier abord, il étonne et déconcerte le roi et ses compagnons. Le chasseur présente en effet un aspect effrayant et potentiellement menaçant : Et il ot chauciés uns grans sollers de vache et ot vestu cote et sercot de briel et caperon et fu chains d’une coroie nouee de mouton. Et il estoit grans et lons et noirs et hireciés et sambla molt bien cruel et felon (Pl. I, 855-56).

La taille du vilain, son teint sombre et son caractère échevelé, son costume primitif et son apparence effrayante le placent à mi-chemin entre l’homme et l’homme sauvage423. La transformation n’est pas uniquement extérieure, mais interroge aussi l’identité du personnage. Comme le souligne Christine Ferlampin-Acher, Cette apparence n’est pas un pur travestissement  : Merlin, par son père diabolique, est lié, comme l’homme sauvage, aux forces obscures de la Nature, et cette semblance est l’indice de la double nature du personnage424.

Les rubriques facilitent pour le lecteur l’identification du personnage puisqu’elles nomment Merlin avant de préciser son apparence, que ce soit au moyen de locutions (« en semblance d’un vilain », Bodmer, 147 f. 169v ou « en la forme d’um lait villain », fr. 91 f. 76), ou de comparaisons (« comme un vilains a tout son arc et ses sajetes », fr. 1923 f. 149). La miniature de fr. 9123 f. 149 (Figure 155) représente Merlin vêtu d’un habit marron et tenant à la main son arc et ses flèches. L’ouverture réalisée sur le fond doré de la miniature est un élément décoratif, mais contitue peut-être aussi un indice du caractère merveilleux de la transformation du personnage. Tous les manuscrits, à l’exception de Cologny, Bodmer, 147 f.  169v (Figure 154) montrent Merlin tenant un arc et des flèches, mais la spécificité de son costume ne ressort que dans un manuscrit tardif, fr. 91 f. 76 (Figure 156). Dans fr. 95 f. 177v (Figure 152), le personnage tient une posture courbée, ce qui peut indiquer une difformité physique, tandis que sa chevelure hirsute ressort de Bonn, ULB, 526 f. 86v (Figure 153). Le déguisement en

423

424

Son apparence physique peut évoquer la version qu’il donne de sa naissance à la cour de l’empereur romain : Merlin aurait été conçu dans la forêt de Brocéliande par un homme sauvage (Pl. I, 1238-39). Ferlampin-Acher, Christine. Fées, bestes et luitons  : croyances et merveilles dans les romans français en prose, XIIIe-XIVe siècles. Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002, p. 208.

358 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 152 : BNF, fr. 95 f. 177v (1290’) -Merlin déguisé en vilain chassant des canards -Merlin déguisé, Arthur, Ban et Bohort

Figure 153 : Bonn, ULB, 526 f. 86v (1286) Merlin déguisé en vilain, Arthur et Ulfin Mais atant se taist ore li contes de Merlin et de Blayse et retourne a parler del roi Artu et des .II. compaignons roi qui sont en sa compaingnie qui frere estoient et nous contera li contes conment il s’em partirent de l’ost lié et joiant de ce qu’il orent eü victoire desor lor anemis.

Figure 154 : Cologny, Bodmer, 147 f. 169v (1300’) Comme Mellins parle a .III. roys en semblance d’un vilain. Merlin déguisé en vilain, Arthur, Ban et Bohort

Figure 155 : BNF, fr. 9123 f. 149 (1325’) Ci devise li contes comment li roys Artus et li roys Bans et li roys Boors sejournerent a Bredigan pour atendre Merlin qui vient a eus comme un vilains a tout son arc et ses sajetes. Arthur et Merlin déguisé en vilain

vilain qui chasse des canards est l’unique transformation de Merlin qui soit illustrée dans Cologny, Bodmer, 147. L’illustration semble insister davantage sur le statut social du vilain que sur sa sauvagerie, même si son caractère inquiétant ressort du commentaire d’Arthur relatif aux paroles extraordinaires du personnage : « Quel dyable ont dit a cel vilain que je ai tresor en terre ? » (Pl. I, 856).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 359

Figure 156 : BNF, fr. 91 f. 76 (1480’) -Arthur récompensant ses hommes après la victoire de Bédingran, -Merlin déguisé en vilain Coment le roy Artus s’en restorna de l’ost fort lié et joieulx de la victoire qu’il avoit eue et s’en vint a Logres et departit le tresor aux povres chevaliers et serjans de l’ost et comment Merlin vint a l’ostel du roy Artus en la forme d’um lait villain.

Cette question qui exprime la perplexité du souverain rappelle pour le lecteur l’origine en partie démoniaque des connaissances surnaturelles de Merlin. La rencontre a lieu dans un espace intermédiaire, à la fois naturel et aménagé par l’homme : près des loges construites dans les jardins de Bédingran, à proximité d’une rivière, mais dans Bonn, ULB, 526 et fr. 9123, la représentation d'Arthur (avec Ban et Bohort dans Bodmer, 147) assis sur son trône semble décontextualiser la rencontre, tandis que fr. 91 téléscope en une même image deux passages distincts. Ces canards sont représentés dans fr. 95, Bonn, ULB, 526 et fr. 91, mais le premier manuscrit insiste sur la chasse préalable, qui occupe tout le registre supérieur de la miniature et permet de contextualiser la deuxième scène. L’intégration d’un statut marginal permet à Merlin de prendre ses distances par rapport au monde courtois et d’assumer une parole subversive et décalée à l’égard de la figure royale. Alors qu’Arthur demande au chasseur le prix de ses oiseaux, celui-ci le sermonne rudement sur son manque de générosité, la largesse faisant partie des qualités aristocratiques nécessaires à l’exercice de la fonction royale425. Merlin réclame ainsi sa part d’un trésor enterré dont il révèle au passage l’existence :

425

Voir Boutet, Dominique. « Sur l’origine et le sens de la largesse arthurienne », Le Moyen Âge, 89 (3-4), 1983, p. 397-411, Clamote Carreto, Carlos Fonseca, « Le don en anamorphose

360 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

« Je ne prise mie roi qui trop aime son tresor et qui est regratiers. Et mal dehait ait rois regratiers qui n’ose faire d’un povre home riche et bien le puet faire. Je vous doing, fait-il, les oisiaus. Et si n’ai-je plus vaillant que vous veés et vous n’avés pas cuer de donner la tierce partie de vostre avoir qui en terre porrira ançois que vous l’aiiés trait ne ce n’est mie vostre honour ne votre preu, ce saciés » (Pl. I, 856).

A plusieurs reprises dans la Suite Vulgate, le personnage expose la présence de trésors cachés. Son don pour déceler ce qui est enfoui sous la terre va de pair avec sa capacité à révéler la vérité dissimulée sous des apparences trompeuses426. La référence au trésor enfoui près de Bédingran relève d’une soigneuse construction narrative, puisque ce thème a été annoncé avant la bataille de Bédingran, quand Merlin recommande à Arthur de se montrer généreux envers son peuple et ses barons : « Saciés que en ceste terre a le plus grant tresor qui onques fust, mais vous n’en prendrés encore point devant ce que vous soiiés repairiés de la bataille, car vous avés assés a departir d’autre chose et prendés vous bien garde de ceste piece de terre que vous i saciés bien assener ». Lors le maine illuec endroit ou li tresors estoit et firent illuec un saing (Pl. I, 831).

Malgré les marques prises par Arthur et Merlin, toute référence à ce trésor semble oubliée avant l’apparition de Merlin en guise de vilain. La mise en scène dramatique de la transformation permet d’insister sur le message moralisateur et didactique qu’elle véhicule en renouant avec les conseils de Merlin avant la bataille de Bédingran.

426



ou la réécriture du monde. Configurations et enjeux de l’hospitalité dans le récit médiéval (XIIe-XIIIe siècles) », Contextes, 5, 2009, http ://contextes.revues.org/4250 (01/08/2013) et Haugeard, Philippe. Ruses médiévales de la générosité : Donner, dépenser, dominer dans la littérature épique et romanesque des XIIe et XIIIe siècles. Paris : Champion, 2013, p. 236-37. On peut mettre en relation ce passage avec le test auquel les barons soumettent le jeune Arthur avant son sacre, lorsqu’ils lui offrent de sompteux présents qu’il a la sagesse de redistribuer : « Ensi departoit tous les dons que cil li donnoient, qui essaiierent de quel maniere il vauroit estre » (Pl. I, 771-72). Ainsi lors de l’épisode de Grisandole, Merlin se moque de l’ironie par laquelle des pauvres gens attendent l’aumône devant une abbaye alors qu’un trésor est caché sous leurs pieds (Pl. I, 1234 et 1244 ss.). Un autre trésor est enfoui sous la chapelle où un écuyer gifle par trois fois son maître : Merlin donne trois interprétations allégoriques de ce comportement involontaire de la part du serviteur et en apparence incompréhensible. La première gifle est dirigée contre l’orgueil de l’homme riche, la seconde contre la cupidité du riche usurier et la troisième contre la perfidie des mauvais plaideurs. Comme lors du premier passage, la référence au trésor est l’occasion d’une réflexion morale et d’un discours didactique sur la juste utilisation des richesses : pas de retour à la ligne? « Car aussi com li avoirs est en terre, n’est richesse se morte non a tous ciaus qui se dorment en pechié et Dieu oublient, pour faire les œuvres au dyable qui les maine a la pardurable fin par les delis qu’il ont es grans avoirs » (Pl. I, 1247-48). Ce passage qui se distingue par l’usage de l’allégorie fait écho aux conseils édifiants donnés par Merlin à Uterpandragon sur son lit de mort (Pl. I, 750 ss.).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 361

Le développement du passage introduit la découverte progressive de l’identité de Merlin. Ulfin et Bretel devinent rapidement l’identité du vilain. Ils ont été les témoins du pouvoir de métamorphose du personnage au temps d’Uterpandragon, auquel Merlin a permis de s’introduire auprès d’Ygerne sous les traits de son mari. La présence de ces personnages capables de comprendre la métamorphose assure une forme de continuité entre le Merlin et la Suite Vulgate. Leur expérience leur permet d’apprécier le caractère divertissant du déguisement de Merlin qui suscite immédiatement un rire complice. Ulfin fournit à Artur l’explication de la merveille : «  Biau signour, ne vous esmerveilliés mie des affaires Merlin car il vous mousterra de samblances assés car toutes les fois qu’il velt se cange et mue par force d’art d’yngremance dont il estoit plains ». Et Guinebaus, qui illuec estoit, le tesmoigne bien et lor dist il qu’il se mue pour ce qu’il a molt grant plenté de gent el païs qui le vauroient avoir mort (Pl. I, 858).

Alors qu’Ulfin s’efforce de rassurer Arthur, soulignant la fréquence et l’aisance avec lesquelles Merlin se livre à ses métamorphoses, il les rapporte à une forme de nécromancie, c’est-à-dire de magie noire. La mention de Guinebaut, un clerc expert en magie qui est le frère de Ban et Bohort tend à justifier rationaliser l’utilisation du pouvoir surnaturel de Merlin comme défense contre ses ennemis. Cette explication est assez surprenante  : très restrictive, elle s’applique mal au caractère fantaisiste des apparitions du personnage à la cour d’Arthur où la sécurité de Merlin ne semble guère menacée. Certes, pendant le règne d’Uterpandragon, son autorité, objet de jalousie, est plusieurs fois mise à l’épreuve, que ce soit par le baron auquel il prédit une triple mort (Pl. I, 671), ou par celui qui s’assied sur le siège périlleux (Pl. I, 700). La réception que font Arthur, Ban et Bohort à Merlin une fois qu’il a repris son apparence habituelle écarte néanmoins toute suspicion, elle est en effet marquée par la joie et la bonne humeur. Malgré leur origine suspecte, ces déguisements qui font jouer le « plaisir de la mystification »427 ont un caractère festif et distrayant. Le rire marque la connivence et la complicité de ceux qui reconnaissent l’intervention de Merlin et apprécient pleinement son ingéniosité : Quant Ulfins entent [le vilain] si conmence a rire et sot bien tantost que ce estoit Merlins. [...] A ceste parole vint Bretel qui ot oï ce que Ulfins ot dit a celui, si connut tantost que ce fu Merlins, si s’en conmence a rire (Pl. I, 857).

La question de la crédibilité du personnage métamorphosé, qui affirme avoir appris l’existence du trésor par l’intermédiaire de Merlin, est centrale. « Se vous volés, fait li vilains, si me creés, et se vous volés si ne me creés pas, car je n’ai riens acreü a vous si soions quite a quite » (Pl. I, 856-57).

427

Voir Ménard, Philippe. Le rire et le sourire dans le roman courtois en France au Moyen Âge, 1150-1250. Genève : Droz, 1969, p. 355.

362 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

La mise en scène de Merlin déguisé en chasseur de canards est donc appréciée comme un subtil divertissement qui confirme et renforce l’affection réciproque du roi et de son conseiller : Si trouvent Merlin en la sale en sa droite samblance. Lors courent a lui se li font moult grant joie come cil qui molt l’amoient et se rient a lui del trait qu’il li virent faire et des paroles qu’il dist au roi. Lors dist Artus a Merlin : « Or sai je bien que vous m’amés car vous me donnastes volentiers vos oisiaus et si les mengerai por l’amor de vous. » (Pl. I, 859).

L’acceptation et la reconnaissance des métamorphoses de Merlin témoignent du succès de son intégration à la cour arthurienne. Merlin « assied son pouvoir par la séduction »428, et l’origine diabolique de ce don surnaturel ne semble plus entrer en considération. Merlin s’efforce d’impressionner Arthur en exhibant son pouvoir de métamorphose tout en mettant sa confiance à l’épreuve. Les illustrations montrent le roi seul en tête à tête avec Merlin (fr. 9123 f. 149), secondé d’Ulfin (Bonn, ULB, 526 f. 86v) ou en compagnie de Ban et Bohort (fr. 95 f. 177v, Bodmer, 147 f. 169v). Ceux-ci partagent la surprise du roi à la découverte de l’identité du vilain : «  Dont regardés bien cel prodome, fait Ulfins, se vous le veïstes onques. Mais il puet bien dire que a mal emploié son service en vous, car c’est Merlin qui tant vous a servi et amé et aïdié de quanqu’il pooit faire ne dire contre tous ciaus qui mal vous vouloient ». Et li rois Artus s’en segne, et li doi frere roi s’en sont molt esmerveillié (Pl. I, 858).

Au final, les canards et le trésor enterré n’apparaissent que comme le prétexte à une initiation d’Arthur qui conseillé par Ulfin se remémore l’aide que lui a déjà apportée Merlin et se familiarise avec ses prodiges et transformations. Cette transformation en vilain inaugure la série des métamorphoses de Merlin dans la Suite Vulgate et sous le règne d’Arthur tout en se plaçant dans la continuité de celles qui ont lieu du temps d’Uter et Pandragon.

Merlin déguisé et les neveux d’Arthur Le goût de Merlin pour l’accumulation des métamorphoses se manifeste aussi bien dans le Merlin propre que dans sa continuation. Alors qu’il se montre successivement à Uter et Pandragon sous les traits d’un bûcheron (Pl. I, 651), d’un gardien de bêtes (Pl. I, 654), d’un homme de bien (Pl. I, 656) et d’un messager (Pl. I, 659), il prend pour les neveux d’Arthur l’apparence d’un vieux berger (Pl. I, 988), d’un chevalier (Pl. I, 995), d’un messager (Pl. I, 1014), d’un vieil homme (Pl. I, 1036) et à nouveau d’un chevalier (Pl. I, 1039). Merlin reprend des déguisements similaires, même s’ils varient

428

Baumgartner, Emmanuèle et Andrieux-Reix, Nelly. Le « Merlin » en prose, fondations du récit arthurien. Paris : PUF, 2001, p. 33 ss.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 363

d’une apparition à une autre. Ces transformations ne sont pas toutes aussi développées : elles se réduisent parfois à des mentions très brèves. Au cours de la guerre des neveux d’Arthur contre les Saxons, les déguisements de Merlin introduisent un élément de fantaisie dans un contexte politique sérieux. Merlin fait bénéficier les jeunes gens de son savoir sans prendre immédiatement crédit pour l’aide qu’il leur apporte. Le mystère qu’il ménage lui permet d’aiguiser la curiosité puis de s’attacher le respect et la confiance des jeunes gens sans s’imposer à eux. Par ses déguisements, il laisse Gauvain et ses frères libres et responsables de juger du caractère opportun ou non de leur engagement militaire, même s’il n’hésite pas à les provoquer en questionnant leur courage et leur volonté. Merlin disparaît généralement à l’issue de l’épisode où il est intervenu : sa participation, connue du lecteur, n’est découverte que tardivement par ses bénéficiaires.

-Le berger sous les murs de Camelot Dans le Merlin, la Suite Vulgate, mais aussi le Livre d’Artus, Merlin apparaît à plusieurs reprises sous les traits d’un berger. Comme le chasseur de canards, le personnage dépeint apparaît aux limites de l’humain et de l’animal, mais la figure du pasteur ou gardien de bêtes sauvages dont l’identité est également problématique renvoie plus particulièrement aux origines celtiques du personnage. Ainsi dans la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth, à l’occasion du remariage de sa femme, Merlin adresse ses félicitations à Guendoloena monté sur un cerf et entouré d’un troupeau de bêtes sauvages qui lui obéissent429. De la même façon, devant Camelot, Merlin apparaît comme un vieux berger difforme et dépenaillé : S’en revint devant la vile de Kamaaloth et prist une vielle samblance et fu em par le cors vestus d’une vielle cote de buirel toute desciree et toute despanee. Et il fu lons et crochus avant et les espaulles retraites et bochus pour la corbesce de la viellece. Et ot sa teste entremellee de chaines et la barbe longe et tournee et tenoit une mache a son col et chaçoit molt grant foison de bestes entour lui (Pl. I, 988).

429



« Il parcourut successivement tous les bois et les breuils, rassembla en un seul troupeau des hardes de cerfs ainsi que des daims et des chevreuils. Puis il monta un cerf et, comme l’aube naissait, il poussa son troupeau devant lui et se hâta vers le lieu des noces de Gwendolyne. [...] Elle s’étonna qu’un homme pût monter un cerf et que ce dernier obéît de la sorte. Elle s’étonna également qu’un si grand nombre d’animaux sauvages pût être regroupé et qu’un homme seul les poussât devant lui, tel un berger accoutumé à conduire ses moutons au pâturage ». « Et silvas et saltus circuit omnes / cervorumque greges agmen collegit in unum / et damas capreasque simul cervoque resedit / et veniente die compellens agmina pre se / festinans vadit quo nubit Guendolonea. [...] Gestari virum cervo miratur et illum sic parere viro, tantum quoque posse ferarum uniri numerum, quas pre se solus agebat / sicut pastor oves quas ducere suevit ad herbas  ». Geoffroy de Monmouth, Vita Merlini in Le devin maudit  : Merlin, Lailoken, Suibhne, textes et étude. Dir. Philippe Walter. Grenoble : ELLUG, 1999, vv. 451-63.

364 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Ce déguisement est très proche de celui qu’il adopte dans le Merlin propre pour aborder Pandragon et ses messagers : Et quant [Pandragon] vint en Norhomberlande [...]. Si chevaucha parmi la forest pour Merlin querre. Si avint que il trouva moult grant plenté de bestes et un home qui estoit molt lais et molt contrefais qui ces bestes gardoit (Pl. I, 654-655).

Une continuité s’établit donc entre le Merlin et sa continuation à travers la récurrence des transformations où Merlin revêt un aspect sauvage et contrefait, à la limite de l’humanité, même si l’illustration se concentre sur la Suite Vulgate. Ces déguisements peuvent s’inspirer du portrait du gardien de taureaux du Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes430. Les questions posées par Calogrenant au sujet de l’humanité de son interlocuteur font écho à la nature hybride de Merlin. Cette séquence est d’ailleurs reprise et développée dans le Livre d’Artus où Merlin prend la place du gardien de bêtes. Sa monstruosité est alors amplifiée : Et il estoit granz et corbes et noirs et maigres et veluz et vielz de grant villesce, chauciez d’un housiaus horz a merveille qui li avenoient jusqu’au braier. Et estoit si tresfigurez que les oreilles li pendoient jusqu’a la ceinture aval autresi lees com uns vans. Et avoit les elz en la teste autresi gros et noirs com est une liche. Et la teste grosse come uns bufles. Et les chevels si lons qui li batoient jusqu’au braier toz hericiez et crespés et noir comme arremenz. Et la bouche grant et lee autresi come uns dragons fendue jusque vers les oreilles... (LA, 124-125).

Le portrait de Merlin intègre des éléments empruntés aux récits des merveilles de l’Orient, puisqu’il peut utiliser ses oreilles pour se couvrir et s’abriter de la pluie431. Contrairement à son homologue du Chevalier au lion, le berger du Livre d’Artus n’affirme pas directement son humanité et il est qualifié « d’hom sauvage ». Il dit se nourrir aussi bien d’herbes et de racines, « come ces autres bestes », que de viande, et peut dormir à l’extérieur ou encore faire du feu si nécessaire432. Il se situe à la frontière du monde sauvage 430 431

432

Chrétien de Troyes. Le chevalier au lion. Ed. Mario Roques, Paris : Champion, 1960, v. 276 ss. « Et il plovivoit un petitet si ot sa teste et ses espaules afublee d’une de ses oreilles et de l’autre se fu envelopez si qu’il ne moilla ne tant ne quant par dedesouz » LA, p. 125. Sur les implications anthropologiques des pratiques culinaires, voir Lévi-Strauss, Claude. Mythologiques. 1, Le cru et le cuit. Paris : Plon, 1989. Cet enjeu réapparaît à l’occasion de la capture de l’homme sauvage par Grisandole. Sur cet épisode, voir Fabry, Irène. « Le festin de l’homme sauvage dans la Suite Vulgate du Merlin et le Roman de Silence  : l’attrait de la nourriture et la mise en scène paradoxale du personnage de Merlin ». Questes, 12, La faim et l’appétit, 2007, p. 49-64, http : //questes.free.fr/pdf/bulletins/faim/FetA_Irene%20FABRY. pdf (01/08/2013), Demaules, Mireille. « Les jeux du visible et de l'invisible dans l'histoire de Grisandole », Littérature et révélation au Moyen Âge, I, Le Visible et l'Invisible, Littérales, 40, 2007, p. 11-28, Berthelot, Anne. « Merlin and Grisandole or the Wild Man Emprisoned by the Damsel-Knight in the Suite-Merlin, Of Arthour and Merlyn, and the Rheinische Merlin fragment ». Mélanges de langue, littérature et civilisation offerts à André Crépin. Ed. Danielle Buschinger et Arlette Sancery, Médiévales, 44, 2008, p. 20-24 et Sturges, Robert S.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 365

et du monde civilisé. Au-delà de leur caractère ludique, les apparences prises par Merlin soulignent donc le caractère ambigu de l’identité du personnage tout en l’inscrivant dans une tradition littéraire. D’un point de vue narratif, la transformation de Merlin ne constitue pas a priori l’aspect principal de l’épisode, mais elle permet de dramatiser l’intervention du personnage qui parvient de la sorte à envoyer Gauvain au secours de Sagremor. Merlin semble se complaire dans le rôle qu’il adopte, poussant la comédie quand Gauvain lui demande d’en venir aux faits : Et Gavains apele le vilain a haute vois et li dist : « Vilains, vien cha parler a nous et nous di que tu as et pour coi tu te dementes si. Et si nous di qui cil est que tu si fierement regretes. » Et cil si fait sorde oreille et fiert sa machue en terre aussi com s’il fust fors del sens et qu’il ait grant doulour au cuer si s’apoie sor sa machue et reconmenche son duel a faire. [...] Gauvain si le rapelle .III. fois ou IV. fois tout en un randon : « Vilain, vilain, parole a moi et me di que tu as ! » Et cil qui tous jours tourne l’oreille et la teste en travers et fait samblant que pas ne l’oïe et il rapele l’autre fois et il lieve la teste qu’il ot laide et herechie et regarde celui en haut l’un oel ouvert et l’autre clos et esquingne des dens com cil qui regarde encontre le soleil et respont : « Que volés vous ? »... (Pl. I, 989-90)

La mise en scène de Merlin, qui semble se complaire dans son rôle d’acteur, pique la curiosité de Gauvain et met à l’épreuve sa détermination, puisqu’il doit supplier le prétendu berger de lui expliquer les raisons de sa douleur. Les miniatures de BNF, fr. 749 f. 298v, fr. 24394 f. 176v, fr. 344 f. 131v (Figure 157) et Add. 10292 f. 129c (Figure 159) montrent le dialogue qui se noue entre le berger et les jeunes gens qui apparaissent aux créneaux de la forteresse. Dans fr. 105 f. 212v (Figure 160), ils viennent à la rencontre du gardien de bêtes dont la douleur, mentionnée dans la rubrique, s’exprime par le biais d’une gestuelle codée : il a la tête appuyée sur la main. Dans fr. 9123 f.  179v, Gauvain et ses compagnons sont absents, tandis que l’illustration d’Oxford, Bodl., Douce 178 f.  238 (Figure 158), montre le dialogue de Merlin et d’Arthur sans représenter la transformation. Les rubriques de Add. 10292 et fr. 9123 se focalisent sur la figure de Merlin et le troupeau qu’il mène. Alors que dans l’épisode où Merlin se présente à Pandragon sous les traits d’un berger l’enjeu réside entièrement dans la familiarisation du roi avec les diverses muances du personnage, son intervention devant Camelot lui permet d’apporter à Gauvain et à ses compagnons des informations stratégiques par rapport à la lutte contre les Saxons, sans pour autant révéler son identité. Le lecteur est dans une relation de connivence

« Le Roman de Silence : Merlin at the Limit of the Human », L’Humain et l’Animal dans la France médiévale (XIIe-XVe s.). Dir. Irène Fabry-Tehranchi et Anna Russakoff. Amsterdam : Rodopi, 2014, p. 43-56.

366 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 157 : BNF, fr. 344 f. 131v (1295’) Merlin déguisé en berger

Figure 159 : BL, Add. 10292 f. 129c (1316) Merlin déguisé en berger Ensi com Merlins entre en une cité et devant lui plenté de bestes.

Figure 158 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 238 (1270-1300’) Merlin déguisé en berger

Figure 160 : BNF, fr. 105 f. 212v (1325’) Comment Merlins vint devant la cyté de Kamaaloth en guise d’un vilain et du grant duel qu’il demenoit. Merlin déguisé en berger

car il est immédiatement informé du déguisement de Merlin, tandis que les personnages impliqués ne découvrent sa contribution qu’à la fin de l’épisode, comme dans l’histoire de Grisandole. C’est seulement après la troisième apparition de Merlin que Do de Cardeuil devine et révèle son identité : Atant en vint a Gauvains et si li dist : « Biaus amis, connustes vous oncques celui qui nouveles aporta de Saygremor premierement ? [...] Et de Yvonet votres cousin, ne savés vous mie qui les letres vous aporta ensi come je ai oï dire ? [...] Ne de celui, fait Dos, que vostre mere vous enseigna, ne sacés vous mie qui il est ? Nenil, fait Gavains. [...] Or saciés donc, fait Dos, que cil qui ces nouveles vous a aportees a non Merlins et si est li miudres devins qui onques fust ne qui jamais soit. [...] il est plains de si forte art qu’il se mue et change en quel samblance il veut » (Pl. I, 1047-48).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 367

Ce décalage souligne le caractère insaisissable de Merlin, remis au centre de l’action, tandis que son absence aiguise la curiosité et le désir de le rencontrer. Les transformations de Merlin sont présentées par Do de Cardeuil comme le produit de son « art », mais elles s’expliquent aussi par l’origine diabolique du personnage et les dons surnaturels qui en découlent. Si les métamorphoses en cerf ou en homme sauvage interrogent la nature même du personnage, ses transformations ponctuelles lorsqu’il apparaît « en guise » de vilain ou de messager éclairent différentes facettes de son identité. Même s’il se présente sous différentes formes à Gauvain comme à d’autres personnages, «  Merlin, comme le diable, n’emprunte jamais une apparence au hasard, mais la choisit en fonction du message qu’il veut transmettre et de ceux à qui il s’adresse »433.

-Le messager d’Yvain Si la transformation en gardien de bêtes interroge l’identité ambiguë du personnage, aux frontières de l’humanité et de l’animalité, son rôle de messager, d’informateur et de conseiller stratégique et militaire découle de sa connaissance surnaturelle des choses passées, présentes et futures. Doté d’une vélocité extraordinaire, Merlin se déplace à sa guise, de Grande-Bretagne en Gaule, et des forêts du Northumberland à celle de Brocéliande, accompagnant les troupes en déplacement et relayant les nouvelles d’une partie à l’autre du royaume d’Arthur. Les nombreuses représentations iconographiques de sa transformation en messager d’Yvain mettent donc en exergue une des fonctions majeures du personnage, même si, comme son déguisement en berger, il s’agit d’un motif visuel courant et volontiers réemployé. La riche tenue du messager est soigneusement décrite, de sa couronne de fleurs à la baguette qu’il tient à la main et de son habit noir au chapeau de feutre qui pend à son cou : Lors prist samblance d’un garçon a pié trotant et porta unes letres seelees en un escucel qui pains estoit des armes au roi Urien. Lors s’en ala et vint a Bedingram et fu en cors et escourciés, un chapelet de flours en sa teste et tint un bastounet lonc et graille, si fu chaucié d’uns sollers bas as noiaus et d’unes chauces noires de sinbrun et fu vestus d’une fustane noire et d’orfrois bendee, la chevessaille et les mances ausi et fu chains d’une coroire blanche feree a menbres de laiton de lix en lix. Et il fu lons et bruns et n’ot point de barbe et fu sans coife et ot entre ses espaulles un chapelet de feutre qui pendoit a son col par un las qui i estoit (Pl. I, 1014-15).

433

Noacco, Christina. La Métamorphose dans la littérature française des XIIe et XIIIe siècles, p. 184.

368 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 162 : BNF, fr. 344 f. 135 (1295’) Merlin déguisé en messager

Figure 161 : Bonn, ULB, 526 f. 103 (1286) Mais ore se taist li contes a parler d’aus tous. Et retourne a parler du vilain qui fu mués en guise de garçon. Et nous devisera ci aprés li contes conment il porta unes letres selees en une boiste en guise de messagier et devise des abis qu’il prist en son message. Merlin déguisé en messager

Figure 163 : BL, Add. 10292 f. 132v (1316) Ensi com Merlins est en guise d’un garcon a pié et est a genouls devant Gavainet et li baille unes lettres. Merlin déguisé en messager

Ces détails sont réinvestis dans l’illustration avec plus ou moins de précision : la couleur noire, assez rarement utilisée dans la palette des miniaturistes, figure dans moins de la moitié des images (elle apparaît dans fr. 749 f. 214, Bonn, ULB, 526 f. 103, Figure 161, fr. 344 f. 135, Figure 162, et Add. 10292 f. 132v, Figure 163). Le raffinement du costume et des accessoires qui lui sont assortis peut refléter la courtoisie du jeune Yvain, son maître supposé. Cet épisode fait écho au Merlin propre où le personnage se fait passer pour le messager d’une dame aimée d’Uter (Pl. I, 659). BNF, fr. 749 et Bonn, ULB, 526, dont la rubrique se distingue des autres en mentionnant la description des habits du jeune homme (« et devise des abis qu’il prist en son message », Bonn, ULB, 526 f. 103), sont les seuls à représenter la couronne de fleurs, tandis que dans fr. 105 f. 219 le messager porte une longue barbe, alors que le texte précise le contraire.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 369

Les rubriques jouent un rôle décisif dans l’identification des personnages, indiquant la « guise » ou la « semblance » prises par Merlin : « garçon » (à pieds), « messager », « écuyer », ou ce qui est moins évident, « chevalier » dans fr. 110 f. 93. Même si l’illustration de fr. 9123 est assez générique, ce manuscrit consacre deux miniatures à cet épisode, ce qui n’est pas le cas dans fr. 105. La rubrique de fr. 9123 f. 184v développe aussi avec davantage de précision que son homologue le contenu de la lettre : l’arrivée des fils d’Urien et leur lutte contre les Saxons devant Arondel. Les rubriques de Bonn, 526 f. 103 (Figure 161) et Beinecke, 227 f. 216 qui correspondent à des formules d’entrelacement, mentionnent les deux déguisements successifs de Merlin en vilain puis en messager, soulignant la proximité temporelle de ces épisodes de fonctionnement similaire. Dans l’intervalle, Merlin intervient pourtant sous la forme d’un chevalier qui conseille à Gauvain de profiter de la déconfiture des Saxons pour prendre refuge à Camelot (Pl. I, 995). La fausse lettre rédigée par Blaise contient des informations relatives à la situation militaire des deux Yvain et du roi Yder. Elle donne des indications numériques et géographiques précises concernant leur lutte contre les Saxons : Somes venus jusques au pont sor Diane ou nous avons trouvé .X.M. Saisnes qui nous tiennent au caple desus le pont et nous ne sonmes que .CCC. Et d’autre part se combat li rois Ydier si n’a que .XIII.M. homes et se combat a plus de .XL.M. Saisnes a la chaucie desous Arondel (Pl. I, 1015).

L’inégalité du rapport de force souligne comme dans les chansons de geste la bravoure héroïque des combattants chrétiens devant la masse de leurs ennemis. Enfin le ton provocateur et culpabilisant de la conclusion n’est pas sans rappeler les invectives de Merlin, une stratégie qu’il emploie fréquemment pour pousser les chevaliers à se dépasser au cours du combat : « Et se nous i somes pris ne ocis la honte en sera vostre et li damages nostres. Et tous les jours de vostre vie vous en sera il reprocié et mis devant. Ci diront tout cil qui en orront parler : ‘Veés la Gavain qui par sa mauvestié perdi son cousin, et si avoit bien pooir de lui resourre’. Et pour Dieu remembre vous de pitié et de franchise et de deboinaireté et de courtoisie » (Pl. I, 1016).

La vie d’Yvain et de ses compagnons est en jeu, mais aussi la réputation de Gauvain et son attachement aux valeurs chevaleresques. Cette stratégie discursive est efficace, puisque Gauvain rallie son armée sur le champ. L’utilisation pragmatique de la fausse lettre et ses enjeux militaires contrastent avec le caractère galant de la missive apportée par Merlin à Uter lors de sa première transformation en messager : Si ot prise la samblance d’un garçon a la dame. [...] Si dist a Uter : « Sire, ma dame vous salue, si vous envoie ces letres ». Et cil les prist qui molt grant joie en ot, et quide vraiement que la dame les li eüst envoiies. Si les fait lire por savoir que les letres diroient. Et Merlins li dist ce qu’il sot que plus volentiers orroit (Pl. I, 663-64).

370 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Le contenu de cette première lettre, exclusivement personnelle et courtoise, est moins important que la démonstration des pouvoirs de métamorphoses de Merlin. La Suite Vulgate développe donc les implications stratégiques de ses transformations et de son savoir extraordinaire, en relation avec la situation politique et militaire du royaume de Logres. Ces déguisements lui permettent de s’introduire indirectement auprès de personnages qu’il familiarise progressivement avec ses dons surnaturels, gagnant du même coup leur admiration et leur confiance. La disparition du personnage est pour les protagonistes aussi soudaine et mystérieuse que son apparition, ce qui constitue un indice de son caractère merveilleux. Quand Yvain explique à Gauvain qu’il ne lui a envoyé aucune lettre, ils essaient en vain de retrouver le messager : Quant Gavains entent que Yvonet li dist que onques letres ne message ne li envoia, si en est molt esmerveilliés et tout cil qui l’oïrent s’esmerveillent dont ce puet venir. Lors font encerchier et enquerre se li vallés qui les letres avoit aportees estoit en la vile. Mais il ne trouverent onques qui nouveles lor en seüst a dire. Si s’en esmerveillierent qu’il puet estre devenus (Pl. I, 1029-30).

Le récit ménage toujours un temps de décalage entre l’intervention extraordinaire et la découverte du mystère, puis sa résolution.

-Le chevalier alertant Gauvain de l’enlèvement de sa mère Le déguisement de Merlin en chevalier est précédé d’une apparition du personnage sous les traits d’un vieillard qui conseille à Gauvain et à ses compagnons de se replier à Arondel. Ce déguisement intermédiaire croise la figure du messager qu’il vient d’adopter et celle du chevalier qu’il revêt par la suite, mais il n’est pas illustré. Le costume revêtu par Merlin rappelle celui du prétendu valet d’Yvain, mais sa vieillesse contraste avec la jeunesse de ce dernier : Et lors vint uns vix hom montés sor un cheval tout desarmé a Gavain [...]. Quant Gavains entent la parole al prodome si le regarde. Et il li samble si vix et si crollant qu’il s’enmerveille coment il se puet tenir a cheval et voit qu’il avoit la barbe si longe qu’ele li venoit jusques au neu del baudré et estoit toute chanue. Et si avoit un chapel en sa teste de flours et une robe de noirs dras vestue... (Pl. I, 1036).

Cet effet de continuum d’un déguisement à l’autre facilite la reconnaissance de Merlin dont l’identité n’est explicitement indiquée qu'à la fin de l'épisode, que ce soit dans le texte ou les rubriques. La similitude de cette intervention avec les deux autres permet au lecteur de deviner l’implication de Merlin, mais du point de vue de Gauvain, seule l’interprétation ultérieure de ces événements par Do de Cardeuil permet d’éclairer l’intervention de Merlin. L’irruption du chevalier interrompt les réjouissances de Gauvain et de ses compagnons à Arondel.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 371

Figure 164 : BNF, fr. 749 f. 219v (1300’) Merlin déguisé en chevalier

Figure 165 : BNF, fr. 344 f. 138 (1295’) Merlin déguisé en chevalier

Et en tel joie com il estoient et en tel feste vint un chevaliers molt bien armés sor un grant destrier liart tout tressué. Si avoit son escu estroé et percié et son hauberc desront et desmaillié em pluisours lix et venoit par devant le chastel les grans galos, sa lance palmoiant (Pl. I, 1039).

Le délabrement de son équipement et le caractère précipité de l’arrivée du cavalier soulignent l’urgence de la situation. Fr. 749 f. 219v (Figure 164) et fr. 344 f. 138 (Figure 165) représentent un chevalier couvert de sang tandis que Arsenal, 3482 p. 155 (Figure 166) le dote d’un écu totalement déchiqueté. Un dialogue se noue entre Merlin est les jeunes gens situés dans la forteresse, dans la même configuration visuelle que son arrivée en berger devant Camelot. Comme dans la lettre prétendument écrite par Yvain, la provocation est l’un des ressorts stratégiques majeurs de Merlin : Si conmence a crier s’il avoit esquier laiens si hardi qui l’osast suirre la ou il iroit par couvent qu’il n’auroit garde d’ome ne nient pis que le sien cors meïsmes (Pl. I, 1039).

L’intégration du discours rapporté, direct ou indirect, souligne la dynamique d’un échange orienté par l’omniscience de Merlin et sa capacité à lire les pensées de son interlocuteur : « En cest forest ci est avenue tele aventure dont je vous parole, si est une des plus honnerees aventures del siecle et dont vous serés plus loés se vous le poés faire. Mais vous n’avés mie le cuer ne le hardement que vous i osissiés venir et si saciés que, se vous i venés, si irai je, saciés de voir ». Quant Gavains entent celui qui le claime couart si en ot molt grant doel et dist, s’il i devoit morir, si li tenra il compaignie. Et cil s’en conmence a aler qui bien connoist son cuer et sa pensee (Pl. I, 1040).

Le défi lancé par Merlin, qui constitue une nouvelle mise à l’épreuve de Gauvain, est rapidement relevé. L’insistance sur la notion « d’aventure »

372 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 166 : Arsenal, 3482 p. 155 (1350’) Merlin déguisé en chevalier (1)

Figure 167 : New Haven, Beinecke, 227 f. 220v (1357) Mes atant se taist li contes del roi Loth et de sa conpaingnie et retourne a parler de Gauvenet. Merlin déguisé en chevalier (1)

souligne le caractère non seulement militaire mais chevaleresque de l’épisode qui a pour objet la rescousse d’une femme. Fr.  9123 f. 192v, Arsenal, 3482 p. 155 (Figure 166) et Beinecke, 227 f. 220v (Figure 167) se distinguent des autres manuscrits car ils illustrent la transformation de Merlin à la fin de l’épisode, présentant le personnage sous les traits d’un chevalier lorsqu’il s’éclipse pour retrouver Blaise. Or dist li contes en ceste partie que quant Gavain et si compaingon se furent mellé à Thaurus et il vit que Gauvain avoit sa mere rescousse qu’il s’en parti si soudainnement qu’il ne sot onques qu’il devint et s’en ala en Nohomblande a Blayse son maistre... (Pl. I, 1049)

Dans fr.  9123 f. 185, l’illustration s’accompagne d’une rubrique qui éclaire la participation de Merlin (« Comment Merlins a pris la samblance d’un escuier a pié portant une lance a son col et porte letres a Gauvenet », f. 185v). Le point d’insertion de l’image ménage cependant l’effet de suspense. L’énoncé paratextuel, qui assure l’identification du personnage audelà de ses diverses apparences, favorise ainsi la mise en série des miniatures consacrées à ses transformations. L’illustration est placée aux charnières du récit, au début ou à la fin d’une séquence donnée, et elle contribue à mettre en évidence le mode d’intervention de Merlin et la récurrence de ses déguisements. Elle est pourtant sélective, puisque le personnage apparaît sous six formes différentes à Gauvain et à ses compagnons au cours de ce passage, même s’il réutilise des déguisements ressemblants qui constituent des variations sur les figures du vieil homme, du chevalier et du messager.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 373

Figure 169 : New Haven, Beinecke, 227 f. 222v Merlin déguisé en chevalier (2) Mes or se test atant li contes des enfans que plus n’en parole a ceste fois et retorne au chevalier qui mena Gauvenet sa mere secourre. Figure 168 : Arsenal, 3482 p. 158 Merlin déguisé en chevalier (2)

Dans Arsenal, 3482 p. 155 et 158 (Figure 168) et Beinecke, 227 ff. 220 et 222v (Figure 169), la double illustration du déguisement de Merlin au début et à la fin de ce passage crée un effet de clôture et d’insistance, car dans la plupart des manuscrits, Merlin retrouve un aspect normalisé lors de son entrevue avec Blaise. Cette disparition énigmatique ne fait qu’accroître le mystère concernant l’identité du chevalier : Lors fist Gavain encerchier et enquerre se nus counoissoit le chevalier qui les avoit amenés pour sa mere rescourre, mais onques ne le sot tant que enquerre que nus li seüst nouveles a dire (Pl. I, 1047).

L’anonymat du personnage et sa disparition finale jouent comme marques de reconnaissance de l’action de Merlin. Cependant, il faut attendre les explications de Do de Cardeuil pour que Gauvain découvre la triple intervention de Merlin. Cette révélation passe par un questionnement maïeutique à travers lequel Do récapitule la série des transformations de Merlin, soulignant leur analogie de fonctionnement, avant d’éclairer Gauvain (Pl. I, 1047-48). Cette intervention finale déplace l’accent des péripéties militaires de la lutte des neveux d’Arthur contre les Saxons à la figure de Merlin, ultimement crédité de l’aide stratégique qu’il a apportée. De façon plus générale, les métamorphoses de Merlin invitent ceux qui y sont confrontés à « dépasser la semblance » : elles font voir que « le monde n’est qu’un théâtre où des formes instables se manifestent de façon apparemment arbitraire et que seul l’initié parvient à déchiffrer »434. La même technique est adoptée dans l’épisode de Grisandole. Les transformations que Merlin adopte devant Gauvain

434

Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 104-05.

374 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

ou Uter et Pandragon constituent une forme d’introduction au personnage et à ses talents extraordinaires. Cela permet à ses interlocuteurs de se familiariser avec la variété et le caractère ludique de ses interventions.

Les métamorphoses de Merlin à la cour de l’empereur romain La transformation de Merlin en cerf, son unique métamorphose animale, est la plus populaire de ses métamorphoses  : elle est illustrée par quinze miniatures dans quatorze manuscrits435. Elle s’inscrit dans le cadre d’un épisode dont l’intégration narrative est problématique mais qui démontre magistralement le savoir et les pouvoirs surnaturels du personnage. À la cour romaine, l’histoire de Grisandole est l’occasion de réfléchir sur la relation entre être et apparence à travers les cas de l’impératrice et de ses amants déguisés en suivantes, d’Avenable / Grisandole, mais aussi de Merlin lui-même. La question de la nature et des origines du personnage se déploie à travers le choix de transformations qui vont au-delà des déguisements revêtus par Merlin dans le reste de l’œuvre et interrogent sa véritable identité. Il s’agit du seul cas où Merlin expérimente un changement de règne dans la série de ses transformations. La métamorphose animale relève du pouvoir diabolique de Merlin qui transgresse les frontières entre l’animal et l’humain. Si les illustrations de Merlin métamorphosé en cerf sont nombreuses, le processus de la transformation n’est jamais illustré. En effet, il affecte l’apparence du personnage, mais ne remet en cause ni son identité ni son autorité. Le masque adopté par Merlin permet de théâtraliser son intervention et donne davantage de poids à ses révélations. L’irruption du cerf à la cour romaine comporte un aspect divertissant, mais elle permet le rétablissement d’un ordre moral et sexuel perverti. Malgré des origines et des pratiques suspectes, Merlin s’attache à réaliser les plans divins et restaure l’ordre moral, social et politique à la cour de l’empereur romain. Cette transformation spectaculaire problématise et met à nu l’intervention dramatique de Merlin dans un contexte géographique et politique distinct de la Bretagne arthurienne. Le passage intègre le motif du songe allégorique et de son interprétation quand l’empereur romain rêve d’une truie alaitant des louveteaux, image de sa femme et des amants de cette dernière. Comme le souligne Mireille Demaules, « le mystère de l’onirisme est transféré sur la figure de l’interprète » car Merlin, qui apparaît successivement sous la forme d’un cerf et d’un homme sauvage, le seul être capable d’expliquer la signification du rêve, devient « objet de quête et de questionnement, tout autant

435

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « ‘Conment Merlin se mua en guise de cerf ’ » 2010, p. 1-32.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 375

que le songe »436. L’interrogation sur l’être, l’apparence et l’identité dépasse alors le cadre de la cour romaine. L’inscription littéraire et iconographique de la figure de Merlin au centre de ce passage à caractère interpolé favorise ainsi son intégration romanesque. L'histoire de Grisandole se caractérise par son origine folklorique437 et développe sous la forme d’un récit d’aspect interpolé le motif du travestissement d’une jeune femme en chevalier. Ce type d’intrigue connaît un important succès littéraire tout au long du Moyen Âge et au-delà, dans différents genres, comme en témoigne au XIIIe siècle le Roman de Silence d’Heldris de Cornouailles438, Yde et Olive, une chanson de geste du cycle d’Huon de Bordeaux439 ou encore la pièce du XVe siècle le Miracle de la fille d’un roy440. Néanmoins, les images se concentrent sur la figure de Merlin plutôt que sur celle d’Avenable / Grisandole, ainsi que sur ses transformations lorsqu’il dévoile l’identité de Grisandole et des prétendues suivantes de l’impératrice. Le jeu sur les apparences auquel se livre Merlin se fait l’écho des désordres caractérisant la cour romaine, tout en creusant la question de la nature et des origines du personnage lui-même. Merlin prend successivement l’apparence d’un cerf puis d’un homme sauvage. Cette dernière transformation interroge plus particulièrement la véritable nature de Merlin, même si elle est bien moins représentée que sa métamorphose en cerf (BL, Add. 10292 f. 160v, Figure 170), qui constitue peut-être une scène plus frappante. Merlin se livre en effet à un récit rétrospectif où il explique être le fils d’un homme sauvage, une version de sa conception qui contredit et atténue celle du début du Merlin où il est engendré par un démon. La rareté des représentations de Merlin en homme sauvage, qui apparaissent seulement dans deux manuscrits, constituent le revers de l’illustration de la transformation en cerf. BL, Add. 10292 est exceptionnel puisqu’il comprend deux miniatures représentant Merlin en homme sauvage au sein d’un petit cycle iconographique de cinq

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Demaules, Mireille. La corne et l’ivoire, 2010, p. 426-27. La structuration du récit confirme cette lecture, en effet « l’épisode de Grisandole ne saurait se clore avec le dévoilement du sens du rêve de Jules César, mais avec la révélation de l’identité de son interprète ». Paton, Lucy Allen, « The Story of Grisandole : A Study in the Legend of Merlin », PMLA, 22 (2), 1907, p. 234-76. Heldris de Cornuälle. Le Roman de Silence  : A Thirteenth-Century Arthurian Verse Romance. Ed. Lewis Thorpe. Cambridge : Heffer, 1972. Esclarmonde, Clarisse et Florent, Yde et Olive, drei Fortsetzungen der Chanson von Huon de Bordeaux, nach der einzigen Turiner Handschrift zum erstenmal veröffenlicht. Ed. Max Schweigel. Marburg : Elwert, 1889. Miracles de Nostre Dame par personnages publiés d’aprés le manuscrit de la Bibliothèque nationale. Ed. Gaston Paris et Ulysse Robert. Paris  : Firmin Didot, Société des Anciens Textes Français, 1876-1893, t. 7 p. 1-117.

376 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

miniatures consacrées à l’épisode romain441. Dans ce manuscrit, l’homme sauvage se caractérise par sa grande taille et la dimension presque disproportionnée de sa tête, ses longs cheveux et sa longue barbe. Le texte décrit ainsi Merlin : Et fu noirs et hurepés et barbus et deschaus et avoit vestu une cote despanee [...] Et quant il voit que la char estoit assés quite si s’en vint vers le garçon et li tolt l’espoi fors de poins, autresi com s’il fust forsenés (Pl. I, 1232-33).

Dans la miniature de BL, Add. 10292 f. 161 (Figure 171), l’homme sauvage est pieds nus et présente sa jambe découverte, signe d’impudicité. L’appétit et la gourmandise de l’homme sauvage permettent de le piéger, tandis que le récit ultérieur de sa conception rappelle le caractère luxurieux attribué à ce type de personnage442. La seconde représentation de l’homme sauvage au folio 162 (Figure 172) renverse cependant le stéréotype, puisqu’elle montre un homme debout, pieds nus, qui dialogue avec l’empereur. Sa gestuelle indique qu’il porte un discours d’autorité, tandis que la rubrique mentionne son pouvoir d’interprétation des songes. La sagesse paradoxale du fou et du marginal, un motif qui remonte au texte biblique, est alors exhibée443. La transformation de Merlin en cerf constitue jusqu’au XVe siècle une scène très populaire dans l’iconographie de la Suite Vulgate et dans Pierpont Morgan 208, elle est aussi combinée à la représentation de Merlin en homme sauvage (f. 259, Figure 173 et f. 162, Figure 174). L'homme sauvage, reconnaissable à sa pilosité, n'est plus en position d'autorité, mais il est enchaîné et emmené par deux hommes devant l'empereur romain. Le succès iconographique de ces transformations de Merlin à la fin du Moyen Âge tient peut-être à la popularité du cerf et de l’homme sauvage comme figures du renversement carnavalesque. Si la première tire ses origines du folklore celte444, la popularité de l’homme sauvage semble culminer dans la culture et l’art de la fin du Moyen Âge445. 441

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Voir Fabry, Irène. «  Composition cyclique et programme d’illustrations. L’épisode de Grisandole dans le manuscrit enluminé de la Suite Vulgate du Merlin, B. L. Add. 10292 », Cycle et collection. Paris : L’Harmattan, Itinéraires et contacts de Cultures, 41, 2008, p. 213-33. Bernheimer, Richard. Wild Men in the Middle Ages  : a Study in Art, Sentiment, and Demology. Cambridge : Harvard University Press, 1952, p. 121-75. Voir Laharie, Muriel. La folie au Moyen Âge : XIe-XIIIe siècles. Paris : le Léopard d’or, 1991, p. 87 ss. et Fritz, Jean-Marie. Le discours du fou au Moyen Âge : XIIe-XIIIe siècles. étude comparée des discours littéraire, médical, juridique et théologique de la folie. Paris : Presses universitaires de France, 1992, p. 181 ss. Lombard-Jourdan, Anne.  Aux origines de Carnaval  : un dieu gaulois ancêtre des rois de France. Paris : Odile Jacob, 2005, p. 54 ss. L’homme sauvage apparaît alors à travers une grande variété de manifestations, dans l’enluminure, la tapisserie, la sculpture ou le domaine des célébrations de cour (comme en témoignent les récits du bal des ardents organisé par Charles VI en 1393), même s’il figure



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 377

Figure 170 : BL, Add. 10292 f. 160v (1316) Ensi com li rois gist au manger et Merlins y vint en samblance d’un cherf. Merlin en cerf à la table de l’empereur romain

Figure 173 : Pierpont Morgan 208 f. 259 (1450') Merlin en cerf à la table de l’empereur romain

Figure 171 : BL, Add. 10292 f. 161 Ensi com uns homs salvages est venus a un fu ou l’en rostisoit une haste et il tolt au garchon le haste. Capture de Merlin transformé en homme sauvage

Figure 172 : BL, Add. 10292 f. 162 Ensi com li homs salvage est levés en estant et espont al empereour son songe. Merlin en homme sauvage devant l’empereur romain

L’intervention de Merlin métamorphosé conserve une dimension ludique, cependant il ne s’agit pas dans cet épisode d’un simple déguisement, mais déjà dans des représentations et récits antérieurs. Voir Husband, Timothy. The Wild Man : Medieval Myth and Symbolism. New York : Metropolitan Museum of Art, 1980, p. 1-18.

378 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 174 : Pierpont Morgan 208 f. 261 Merlin en homme sauvage devant l’empereur romain

de transformations qui interrogent plus spécifiquement l’identité du personnage et prennent des formes tout à fait emblématiques.

Merlin en harpiste puis en enfant à la cour d’Arthur Les dernières transformations de Merlin que nous allons étudier sont situées à la fin de la Suite Vulgate et concernent son intervention à la cour d’Arthur, lors de la fête de Notre Dame. Elles interviennent après la victoire des rois chrétiens contre les Saxons à la bataille de Salesbières et avant le dernier combat contre Rion. Ces déguisements précèdent l’intervention de Merlin à la cour du roi de Jérusalem Flualis, où il demeure invisible, comme lors de son ultime entretien avec Gauvain. Alors que les transformations destinées aux neveux d’Arthur interviennent dans un contexte d’urgence militaire, celles de Merlin à la cour d’Arthur renouent avec la pratique de mises

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 379



en scène ludiques destinées à éprouver leur destinataire. Gauvain conclut ainsi de la transformation de Merlin en harpiste : « Et tout ceci est pour nous soulagier et conjoiir » (Pl. I, 1542).

Merlin et son don de métamorphose sont donc remis au centre de l’épisode car les demandes que font le harpiste puis le jeune enfant à Arthur ont certes un caractère militaire et stratégique (il s’agit de porter l’étendard royal au combat), mais elles s’inscrivent dans une perspective de divertissement et offrent avant tout un moyen d’identifier leur auteur. a. Merlin harpiste La transformation de Merlin en ménestrel peut évoquer la figure du barde et prophète gallois Taliesin, son « ancêtre mythique »446, un interlocuteur privilégié qui l’accompagne dans sa retraite au terme de la Vita Merlini447. Le musicien combine différents traits remarquables qui sont autant d’indices de son caractère surnaturel. La beauté merveilleuse du jeune homme va de pair avec la magnificence de son costume et la préciosité de sa harpe. Atant es vous laiens entrer la plus bele fourme d’ome que il onques mais eüssent veüe. Et ot vestu une coste de samit et un baudré chaint de soie et a menbres d’or et a pieres preciouses qui rendoient si grant clarté que tous li palais en reflamboioit, et ot les chevex sors et crespés et une coroune d’or en sa teste come rois et ot cauces de brun paile et uns sollers de cordoan blanc ouvré d’orfrois qui fermoient sor le col del pié a .II. boucletes d’or (Pl. I, 1530).

La richesse extraordinaire qui entoure le personnage est attestée par l’omniprésence de l’or, des pierres précieuses et de riches tissus. Sa couronne l’investit d’une royauté symbolique, à l’image des treize rois et reines couronnés présents à la cour d’Arthur à l’occasion de la fête de Notre Dame. Pour Christine Ferlampin-Acher, Merlin apparaît ici comme « un gracieux jeune homme, vêtu au goût du jour » même si, « aveugle comme Homère ou Tirésias, il tient encore du devin qui communique avec l’au-delà » : La couleur du chien, la richesse, la luminosité, suggèrent tout en conservant le mystère, un lien possible avec l’autre mode féerique. Le réalisme du portrait se combine avec la surenchère et les indices étranges pour entretenir l’ambiguïté de Merlin, devin en relation avec la surnature ou joli jeune homme. La plasticité du personnage est grande, et la multiplicité de ses formes renforce l’incertitude autour de son être448.

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Walter, Philippe. Merlin ou le savoir du monde. Paris : Imago, 2000, p. 31 ss. Voir Le devin maudit  : Merlin, Lailoken, Suibhne, textes et étude. Dir. Philippe Walter. Grenoble : ELLUG, 1999. Ferlampin-Acher, Christine. Fées, bestes et luitons, 2002, p. 209-10.

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La cécité confère au personnage un caractère mythique et explique la présence d’un petit chien qui constitue une sorte de guide merveilleux : Mais ice li empira molt son vis et sa biauté que il ne vit goute. Et non pourquant il avoit les ex biaus et clers en la teste et avoit une grelle chaine atachie a son baudré, par devant. À cele chaine estoit loiiés un chiennés petis, plus blans que noif negie, et un petit coler de soie avoit entour son col a menbres d’or. Et cil chiennés le mena tout droit devant le roi Artu (Pl. I, 1530).

Ce petit chien est représenté dans la plupart des manuscrits. Sa couleur blanche, sans doute héritée du merveilleux celtique, est systématiquement respectée dans les miniatures. Dans Oxford, Bodl., Douce 178 f. 378v (Figure 175), dont les miniatures sont généralement peu particularisées, rien ne permet d’identifier le harpiste : ni sa harpe, ni le chien qui l’accompagne ne sont représentés, à moins qu’il s’agisse du messager envoyé par Rion. À l’inverse, fr. 9123 f. 281v (Figure 176) met particulièrement en exergue la figure du harpiste qui occupe toute la partie gauche de l’image et se trouve sur un piédestal par rapport à l’assemblée. La rubrique précise à la fois son identité et le succès de la transformation, puisque « nulz [ne] li reconneust ». Dans la miniature, la performance de Merlin occupe le devant de la scène, même si le texte indique qu’il se déplace de table en table pour jouer de son instrument. Par contraste, la rubrique de fr. 105 f. 322, qui dépeint la réunion de la cour arthurienne, mentionne l’intervention de Merlin déguisé en « menestrel » sans pour autant la représenter. Par l’illustration d’une scène de cour traditionnelle et la place centrale accordée à la figure royale, à travers la réunion des barons autour de leur suzerain, fr. 105 insiste davantage sur le contexte politique que sur l’arrivée dramatique de Merlin et sur sa transformation ludique. Dans les autres manuscrits où cet épisode est illustré, Merlin joue de la harpe debout devant la cour attablée, apportant un divertissement qui n’est qu’un des éléments du banquet. Dans Arsenal, 3482 p. 295 (Figure 177), le personnage figuré devant le couple royal ne porte pas de harpe : sa génuflexion fait penser à la posture traditionnelle des messagers, mais sa gestuelle indique qu’il porte une parole d’autorité, et le petit chien blanc qui l’accompagne confirme son identité. L’omission de l’instrument de musique pourrait être une façon de renvoyer à l’identité véritable du personnage de Merlin, derrière la semblance qu’il a adoptée. D’un point de vue iconographique, la scène est donc bien distincte et permet le repérage de cet épisode singulier. Le texte ne précise pas l’identité du harpiste, qui demeure également masquée dans les rubriques de Bonn, 526 f. 157 (Figure 180) et Add. 10292 f. 199. Celle de fr. 9123 f. 281v anticipe cependant sa révélation, reprenant un tour familier puisque Merlin apparaît « en guise de harpeur ». Toute la description est pourtant marquée par une forme d’incertitude concernant la nature du personnage.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 381

Figure 175 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 378v (1270-1300’) Merlin déguisé en harpiste

Figure 176 : BNF, fr. 9123 f. 281v (1325’) Comment Merlins estoit a la court le roy Artus en guise de harpeur sanz ce que nulz li reconneust. Merlin déguisé en harpiste

Figure 177 : Arsenal, 3482 p. 295 (1350’) Merlin déguisé en harpiste

La beauté surnaturelle du musicien s’accompagne d’un talent exceptionnel qui le place au-dessus de tous ses confrères et lui permet de surprendre et de charmer l’assemblée : Et il harpoit un lay breton tant doucement que ce estoit melodie a escouter (Pl. I, 1530). Si aloit li harperes d’un renc en l’autre et lor harpoit seriement et cler, si le regarderent a merveilles li un et li autre car il n’avoient pas apris a oïr tel harpeour. Si lor plot plus et embeli li deduis del harpeour que de nule chose que li autre menestrel feïssent (Pl. I, 1540).

La harpe celtique, de petite taille, est de manipulation aisée, et peut facilement être utilisée par les artistes itinérants. Merlin parvient ainsi à enchanter ses auditeurs comme Orphée avec sa lyre. Malgré tous ces indices du caractère merveilleux du personnage, qui demande ensuite à Arthur de porter sa bannière au cours du prochain combat, le roi ne parvient pas à deviner son identité.

382 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 178 : BNF, fr. 749 f. 319 (1285’) Merlin déguisé en harpiste

Figure 179 : BNF, fr. 24394 f. 264v (1280’) Merlin déguisé en harpiste

Figure 180 : Bonn, ULB, 526 f. 157 (1286) Mais ici endroit se taist li contes del roi Rion et retourne a parler del roi Artu et de sa baronnie, ensi com uns [ f. 157b] harperes harpoit devant le roi Artu et devant toute la baronnie. Merlin déguisé en harpiste

Et li rois Artus meïsmes en est tous esmerveilliés dont tés hom puet venir. Si le deüst il bien connoistre car maintes fois l’avoit veü en autre maniere et en autre samblance (Pl. I, 1540).

Seule la disparition du harpiste éveille les soupçons d’Arthur, alors que Ban a déjà deviné qu’il s’agissait de Merlin. Gauvain est le dernier à découvrir le mystère. Li harperes s’esvanui d’entre als si que nus ne sot onques qu’il devint. Lors apensa li rois Artus de Merlin. Si en fu molt dolans et molt coureciés de ce que il ne li avoit otroiié sa volenté. Et tout cil de laiens en furent esbahi de ce que si soudainnement l’orent perdu (Pl. I, 1541-42).

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 383



L’étonnement que suscite l’évanouissement du personnage confirme son caractère merveilleux et facilite son identification. b. Merlin enfant Alors que l’identité du harpeur est pressentie par Arthur, ce dernier est bientôt remplacé par un enfant étrange qui formule la même requête : Endementres qu’il estoient en tés paroles entra en la sale uns petis enfes qui bien pooit avoir .VIII. ans d’aage. Et fu toute sa teste entrepelee, et fu sans braies, une machue en sa main. Et s’en vint devant le roi Artu et li dist qu’il s’apareillast d’aler encontre le roi Rion a bataille et que il li baillast sa baniere a porter (Pl. I, 1542).

La calvitie qui affecte ce nouveau personnage rappelle les caractéristiques physiques du ménestrel aveugle ou des vilains difformes dont Merlin prend l’apparence lors de ses transformations. L’enfant porte les attributs de l’homme sauvage, puisqu’il brandit une massue et qu’il n’est que partiellement habillé, ce qui contraste radicalement avec la tenue magnifique du harpeur qui l’a précédé. Malgré leur variété, le caractère consécutif des métamorphoses et la reprise de la même requête facilitent l’identification de Merlin, de la part du roi ainsi que de l’ensemble de la cour : Et quant cil del palais le voient en tel maniere si conmencent a rire molt durement. Et li rois Artus respondi tout en riant come cil qui croit que ce soit Merlin de vraiement (Pl. I, 1542).

Il ne s’agit plus seulement du rire énigmatique et inquiétant du prophète, qui provoque interrogation et attente, annonçant une relation ou un événement extraordinaire, et marquant la supériorité du sage par contraste avec l’aveuglement humain449. Le rire collectif suscité par l’incongruité de l’enfant et de sa demande, réaction spontanée devant l’altérité, est aussi un rire de complicité, un rire partagé témoignant de l’appréciation et de la reconnaissance du tour joué par Merlin à travers ses métamorphoses successives. L’adoption de l’aspect d’un enfant rappelle aussi la transformation de Merlin en écuyer de quinze ans au château d’Agravain des Marais, ce qui témoigne du jeu de variations à l’œuvre parmi ses métamorphoses. C’est d’ailleurs le souvenir de cet épisode qui amène Ban à suspecter l’identité du harpiste (Pl. I, 1541).

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Voir Thorpe, Lewis. «  Merlin’s Sardonic laughter  », Studies in Modern Literature and Langage in Memory of F. Whitehead. New York ; Manchester : Manchester University Press, 1973, p. 323-39, Bloch, Howard. « Le rire de Merlin », Cahiers de l’Association des études françaises, 37, 1985, p. 7-21, Le Goff, Jacques. « Rire au Moyen Âge », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 3, 1989, p. 1-14, Le Goff, Jacques. « Le rire dans les règles monastiques du haut Moyen Âge  », Un autre Moyen Âge. Paris  : Gallimard, 1999, p. 1343-68, Dubost, Francis. Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale : XIIe-XIIIe siècles : l’autre, l’ailleurs, l’autrefois. Paris : Champion, 1991, ch. 21 et Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 84-86.

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Dans fr. 95 et Add. 10292, la double illustration de la transformation en harpiste et de celle en enfant souligne la multiplication de ces déguisements et le caractère sériel des métamorphoses de Merlin. Fr. 95 f. 327 (Figure 181) met en scène sur deux registres différentes apparences de Merlin puisqu’il apparaît en enfant sauvage au niveau supérieur et qu’au niveau inférieur, conformément à sa demande, il porte l’étendard d’Arthur lors de la bataille contre Rion. Merlin figure alors sous sa forme habituelle, portant un habit monastique qui le distingue de ses compagnons. Dans la marge inférieure de ce folio, la représentation d’un hybride ayant la jambe cassée s’appuyant sur des béquilles rappelle l’infirmité des personnages dont Merlin prend successivement l’apparence à la cour d’Arthur. La rapidité avec laquelle est découverte l’identité de l’enfant explique peut-être le caractère explicatif de la rubrique de Add. 10292 f. 200v (Figure 182) qui ne ménage ici aucun suspens. Comme lors de ses apparitions à Gauvain, amené à s’en remettre à de parfaits inconnus, Merlin met à l’épreuve la confiance de ceux qu’il veut familiariser avec la multiplicité de ses apparences, privilégiant les déguisements les plus incongrus et les plus marginaux. La régression de Merlin au statut d’un enfant contraste par ailleurs avec le fait que lui-même a constitué un enfant prodige, un puer senex qui étonne les adultes par une précocité à la fois physique et intellectuelle. Les déguisements de Merlin sont donc principalement illustrés dans la Suite Vulgate. Pourtant, leur mise en série fait ressortir des jeux de reprises et de variations, aussi bien dans la succession linéaire de ces transformations qu’entre des épisodes éloignés l’un de l’autre, qu’ils soient situés dans le Merlin ou dans sa continuation. Les illustrations se montrent généralement très sélectives dans la représentation des transformations de Merlin, mais des manuscrits comme BL, Add. 10292, fr. 95 ou fr. 9123 y consacrent entre 8 et 12 miniatures, ce qui constitue entre la moitié et le tiers de toutes les métamorphoses, et la proportion est plus élevée si l’on se concentre sur la Suite Vulgate. La répartition est plus équilibrée dans fr. 95 qui illustre 3 métamorphoses sur 8 dans le Merlin et 6 sur 14 dans la Suite Vulgate, alors que dans Add. 10292, une seule des 11 transformations représentées se rapporte au Merlin propre. Fr. 95 accorde relativement davantage d’importance aux diverses muances prises par Merlin du temps d’Uter et Pandragon, tandis que Add. 10292, qui privilégie celles de la continuation, souligne la multiplicité des situations dans lesquelles Merlin se déguise ou se métamorphose. Le personnage met en scène son pouvoir de transformation devant Arthur et ses neveux, ou pour charmer Viviane, et il impressionne aussi bien l’empereur romain que le roi de Jérusalem. Alison Stones et Michael Gullick ont identifié les différentes mains des scribes et artistes ayant participé à la production de BL, Add. 10292-94450. La plupart des métamor450

Stones, Alison. The Lancelot-Grail project, «  London, British Library, MS Additional 10292-4  », http  : //www.lancelot-project.pitt.edu/LG-web/LG-Project-MSS-Add.html (01/08/2013).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 385

Figure 181 : BNF, fr. 95 f. 327 (1290’) Merlin déguisé en enfant

Figure 182 : BL, Add. 10292 f. 200v (artiste 2) (1316) Ensi com Merlins est devant le roy Artu et sa baronie en samblance d’un enfant. Merlin déguisé en enfant

phoses illustrées dans Add. 10292 (1316) sont exécutées par l’artiste 2, qui est responsable de 112 des 149 illustrations de la continuation. Néanmoins, l’artiste 1, qui a réalisé tout le programme iconographique du Merlin propre, ainsi que certaines miniatures de la Suite Vulgate, a exécuté les deux miniatures représentant Merlin transformé en homme sauvage, ce qui est exceptionnel dans la tradition manuscrite de l’œuvre. Dans ces manuscrits se développent

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ainsi des séries iconographiques qui, en tension avec les autres représentations du personnage (comme cela apparaît sur le double registre de certaines miniatures de fr. 95), insistent sur le caractère protéiforme de Merlin. Oxford, Bodl., Douce 178 (1280’) consacre 7 miniatures à ces épisodes, mais ne représente pas de façon systématique le changement de forme du protagoniste. Merlin privilégie l’adoption de déguisements correspondant à des états marginaux de la société, comme celui de vilain ou du personnage atteint d’une tare physique. Il manifeste une préférence pour la jeunesse ou la vieillesse, ainsi que pour les formes frontières, à la limite de l’humanité et de l’animalité. Cette dernière est pleinement assumée lors de sa transformation en cerf, mais est aussi convoquée à travers la figure de l’homme sauvage ou du paysan bestial, métamorphoses qui interrogent la nature et l’identité de celui qui se livre à ces muances. Le rôle d’intermédiaire, d’informateur et de passeur que Merlin est appelé à jouer favorise l’adoption du déguisement de messager, tandis que ses apparitions en guise de chevalier font écho aux responsabilités militaires qu’il doit assumer. Ces transformations illustrent le caractère polymorphe du fils du diable, reflètent différents aspects de son identité et se modulent en fonction de ceux auxquels elles s’adressent. Or l’identification de Merlin métamorphosé est souvent problématique du point de vue des personnages auxquels il se présente. Le lecteur dispose parfois d’une longueur d’avance, grâce aux explications ménagées dans le texte et dans les rubriques, mais ces indices se raréfient progressivement. Comme les personnages, le lecteur doit alors utiliser son expérience pour reconnaître les possibles transformations de Merlin et pour apprécier leur caractère divertissant. S’il est possible de mettre en série les métamorphoses de Merlin, elles n’en restent pas moins marquées par une irréductible diversité. Les transformations de Merlin tiennent une place importante dans la trame iconographique des manuscrits enluminés. La diversité des semblances adoptées met en tension avec le caractère sériel de ses déguisements et la plus grande stabilité de certaines de ses représentations. L’identification visuelle du personnage, aisée quand il apparaît avec les caractéristiques du fils du diable, est plus problématique quand son aspect se normalise et qu’il accumule les métamorphoses. Ces dernières remplissent, comme l’a montré Francis Dubost451, différentes fonctions : elles constituent la signature paradoxale du personnage, une marque de reconnaissance au-delà de ses différents avatars. Témoignant de son humeur facétieuse, elles exhibent ses pouvoirs surnaturels et lui per451

Dubost, Francis. Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale, 1991, ch. 21.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 387

mettent de triompher de ses opposants. Enfin elles constituent une sorte de signal narratif annonçant des révélations décisives sur les autres ou sur lui-même. L’illustration des différentes apparitions du personnage semble ajouter à son omniscience une forme d’omnipotence, certes relativisée par sa disparition finale. La diversité de ces interventions, qui n’est ni arbitraire ni fortuite mais reflète à chaque fois un aspect de la nature ambivalente et plurielle du personnage, brouillant la relation entre être et apparence. Comme le souligne Emmanuèle Baumgartner, Héros protéiforme, Merlin pose de façon cruciale le problème de la semblance qui ne peut directement mener au sens et à l’essence des êtres452.

Ces effets de discordance ne peuvent qu’aiguiser la vigilance du lecteur bien que le texte et les rubriques créent une forme de connivence en révélant immédiatement et presque systématiquement l’identité du personnage. Les transformations de Merlin et leur mise en image rendent possibles différentes lectures du Merlin et de sa suite  : elles s’inscrivent dans un fil narratif continu mais peuvent également être lues de façon indépendante, comme les anecdotes qui au début du texte démontrent l’omniscience extraordinaire de Merlin et sa capacité à entrevoir l’avenir. Dans leur caractère divertissant, qui introduit une rupture de tonalité au sein du récit, elles se prêtent à une lecture par fragments, d’autant que certaines se situent dans un contexte spatio-temporel distinct (notamment celles qui interviennent à la cour romaine ou à Jérusalem). La dimension comique de ces épisodes dotés d’une relative autonomie et le discours misogyne sur les femmes introduit à l’occasion de l’épisode de Grisandole rappellent par moments l’esthétique du fabliau453. La relative autonomie des passages consacrés aux transformations de Merlin, reliés à la trame narrative par le recours à la technique de l’entrelacement, crée une tension entre continuité et discontinuité qui joue un rôle fondamental dans l’esthétique romanesque du Merlin et de sa suite. Le flot narratif de la prose romanesque et la succession des entreprises militaires d’Arthur se trouvent alors interrompus par des épisodes distincts mais récurrents qui peuvent être mis en série et proposent différentes variations sur le motif de la métamorphose. Certes, même les transformations qui constituent parfois le cœur d’épisodes relativement autonomes, ne sont pas absolument détachées du reste de l’intrigue : elles s’inscrivent au cœur

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Baumgartner, Emmanuèle et Andrieux-Reix, Nelly. Le « Merlin » en prose, fondations du récit arthurien. Paris : PUF, 2001, p. 58. Il s’agit de petits récits édifiants et amusants qui peuvent aussi servir d’exempla. Voir Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, ch. 7.

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des développements politiques et militaires du Merlin et de sa continuation. Elles sont en effet le plus souvent adressées à des souverains et interviennent dans des contextes militaires ou stratégiques, que ce soit auprès des neveux d’Arthur dans leur lutte contre les Saxons, ou quand Merlin propose sous la forme d’un ménestrel puis d’un enfant de porter l’étendard d’Arthur dans la dernière bataille contre Rion. Ces péripéties narratives contribuent à mettre en perspective l’action principale dans laquelle leur insertion est plus ou moins motivée. La transformation de Merlin en cerf, qui relève du premier groupe, et les déguisements en messager d’Yvain, en chevalier blessé et en harpiste, dont l’intégration narrative est plus forte, sont les plus fréquemment illustrés (ils figurent dans 15 à 10 manuscrits). La variété de ces métamorphoses et du contexte dans lequel elles sont introduites fait ressortir leur fécondité à la fois visuelle et narrative. Les rencontres entre Merlin et Blaise se construisent également de façon sérielle, mais elles s’en distinguent par leur caractère plus répétitif et stéréotypé.

1.3. La mise en abyme de l’écriture : l’illustration des ­rencontres entre Merlin et Blaise L’image du conseil des démons, qui entre souvent en tension avec celle de la Descente aux enfers, et l’illustration de la conception de Merlin peuvent être contrebalancées par les portraits de l’enfant dépourvu de ses caractéristiques diaboliques mais aussi par les miniatures qui donnent à voir ses entretiens avec le prêtre Blaise. Une fois dissipées ses inquiétudes premières concernant le fils du diable, le confesseur de la mère de Merlin sert de garant religieux à la figure du jeune prodige, même si la relation d’autorité attendue s’inverse. La confrontation des deux personnages est souvent l’occasion de mettre en valeur leur différence d’âge. Blaise demeure l’aîné et le « maître » de Merlin mais il s’incline devant la science de ce dernier et devient son secrétaire. Le récit des rencontres entre Merlin et Blaise passe par la reprise de formulations stéréotypées qui permettent d’inscrire les épisodes concernés dans des séries narratives codées, à la fois dans le Merlin et la Suite Vulgate et dans le Livre d’Artus. On retrouve ainsi de façon quasi-systématique l’articulation de trois éléments454 : 1. la mention du déplacement de Merlin et de son arrivée auprès de Blaise (dans le Northumberland), 2. l’évocation de la joie de Blaise à la venue de Merlin,

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Voir Tableau 17 : Situation des rencontres de Merlin et Blaise dans le Merlin et la Suite Vulgate, p. 393.



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3. la référence aux paroles de Merlin et à leur scrupuleuse mise en écrit par Blaise, sur le modèle : S’en vint au soir meïsmes a Blayse son maistreen Norhomberlande (1) que molt grant joie li fist quant il le vit com cil qui molt amoit sa compaingnie (2). [...] Et cil le mist en escrit mot a mot, et par lui savons encore ce que nous en savons (3) (Pl. I, 985).

Différentes variations sont possibles, mais l’articulation de ces trois éléments marque thématiquement et stylistiquement les entretiens entre Merlin et Blaise. Tantôt ils sont présentés de façon conjointe, lorsque la rencontre est rapidement évoquée, tantôt ils se répartissent au début et la fin du passage. Ils jouent alors un rôle d’encadrement et de transition comparable aux formules d’entrelacement. La récurrence des entretiens avec Blaise, marqués par l’emploi de formules stéréotypées, rappelle au lecteur le mode d’écriture qui garantit et authentifie l’histoire de Merlin. Ce dispositif est continué dans le Livre d’Artus où la «  mise en livre  »455 constitue une variation sur la «  mise en écrit  »456 évoquée dans le Merlin et sa suite, alors que la Suite Post-Vulgate ne reprend pas ce procédé. Le caractère exhaustif du compte rendu apparaît à travers l’utilisation de l’indéfini « tout » : « Et cil mist tout en escrit »457, ainsi que par la précision récurrente « mot à mot » qui se réfère tantôt au récit de Blaise (Pl. I, 985, LA, 123), tantôt aux paroles de Merlin (Pl. I, 1271). Le texte insiste sur la correspondance entre l'oral et l'écrit, ce qui est « dit » ou « conté », et ce qui est transcrit. Comme le souligne Miranda Griffin, la voix et l’écrit sont complémentaires et permettent ensemble de contenir la vérité et de la communiquer à la postérité458. Les livres mis en scène dans la Vulgate arthurienne et ceux qui la transmettent font partie d’un processus de mémorisation, et deviennent une garantie externe de l’authenticité de l’histoire arthurienne telle qu'elle est rapportée459. La continuité à l’œuvre dans la transmission de cet écrit aux générations futures apparaît à travers l’ajout final d’une proposition où l’utilisation de la quatrième personne réunit le scribe et le lecteur : « Et par ce le savons nous encore (bien) »460. Parfois l’intervention de Blaise lui-même est mise en valeur : « Et par lui le

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Pl. I, 649, LA, 60, 123, 148, 69. Pl. I, 661, 732, 825, 853, 985, 1052, 1167, 1253, 127, 1526, 1560, 1629 et LA,123. Pl. I, 825, 853, 1167, 1271, 1303 1526 et 1560. Griffin, Miranda. The Object and the Cause in the Vulgate Cycle. Londres : Legenda, 2005, p. 84-90. Voir Carruthers, Mary. The Book of Memory : a Study of Memory in Medieval Culture. Cambridge : Cambridge University Press, 1990, p. 16-32 et 221-69. Pl. I, 649, 662, 732, 757, 825, 853, 1049, 1526, 1560 et 1629.

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savons nous encore » (Pl. I, 1253, 985, 1303, LA, 60)461. La transcription scrupuleuse par Blaise des paroles de Merlin est à l’origine du livre que nous lisons462 et permet la conservation d’un savoir relatif à l’histoire de Merlin et du royaume de Grande-Bretagne. Le caractère stéréotypé des rencontres entre Merlin et Blaise évoque l’aspect formulaire de l’introduction des Prophéties de Merlin qui partagent avec ces épisodes des affinités à la fois structurelles et thématiques. Les prophéties suivent tantôt un patron dialogique : « Or me di / Di-moi, Merlin, fet maistre Antoine... » est suivi de « Je vueil que tu metes en (ton) escrit, ce dit Merlin, que... », tantôt elles commencent directement par une injonction du prophète : « Or met en escrit, ce dit Merlins a maistre Antoine... »463. Les formules traditionnelles d’entrelacement incluant la mention du conte sont également utilisées dans les Prophéties à l’occasion de passages plus narratifs. On peut enfin mettre en relation ce dispositif qui justifie le développement de la parole merlinesque avec le rôle dynamique que joue Arthur dans le Méliadus où, « désirant lecteur », il se fait moteur du récit, sollicitant et recueillant à la cour la parole de chevaliers-conteurs qui rendent témoignage de leurs aventures464.

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Le Livre d’Artus mentionne aussi Gautier Map, ce qui relie ce texte au Lancelot-Graal puisque la Queste del Saint Graal et la Mort le Roi Artu s’y réfèrent également : « Et li conta toute l’aventure si com ele estoit [a]venue tout mot a mot et il le mist en son livre avec les autres aventures. Et par lui le savons encore si com maistre Gautiers Map le tesmoigne qui de latin le translata en langue françoise par la proiere au roi Henris qui riche loier l’en dona » (LA, 69). Dans le Livre d’Artus, Merlin accepte également de révéler à Hélie, un clerc venu de Rome à la cour d’Arthur, la substance du livre de ses prophéties (LA, 160-162). Il demeure nécessairement un écart entre le discours à l’origine du texte et la création littéraire qui en résulte. Le Merlin correspond bien au « Livre du Graal » dicté par Merlin à Blaise, mais le scribe n’a pas été lui-même le témoin des événements qu’il relate et Merlin ne lui révèle pas les paroles secrètes échangées entre Jésus et Joseph. D’autres œuvres complètent le Merlin, notamment le «  Joseph  » et le «  Bron  ». Sur la transmission du texte et le rapport entre Blaise et Merlin, voir Crist, Larry. « Les livres de Merlin », Senefiance, 7, 1979, p. 197-210 ; Baumgartner, Emmanuèle. « L’écriture romanesque et son modèle scripturaire », 1985, p. 129-43 et « Le livre et le roman (XIIe - XIIIe siècles) », 1986, p. 7-19 et Trachsler, Richard. Merlin l’enchanteur, 2000, p. 81-116. Voir Les Prophécies de Merlin  : Ed. from ms. 593 in the Bibliothèque Municipale of Rennes. Ed. Lucy Allen Paton, Londres : Oxford University Press, 1926-27, 2 vol. et Les Prophesies de Merlin (Cod. Bodmer 116). Ed. Anne Berthelot, Cologny : Fondation Martin Bodmer, 1992. « Le roi est un auditeur qui non seulement cherche à en savoir toujours plus, mais qui veut aussi savoir ce qu’il sait déjà [...]. La narration répond toujours à une demande qui est la formulation de la curiosité narrative du roi ». Wahlen, Barbara. L’Ecriture à rebours, 2010, p. 263 ss. Le passage d’un niveau narratif à un autre et l’embrayage sur le récit second passent alors par le recours à la formule : « Li rois Artus met adonc en paroles... et li dit... ». La mise par écrit n’est cependant pas directe mais fait l’objet de plusieurs « courroies de transmission », car la parole d’Arthur est ensuite consignée, garantissant la mémoire des aventures de ces chevaliers. La situation est complexe, car différentes versions voient le jour, le livre d’Uter faisant concurrence à celui d’Arthur et le contredisant potentiellement. Alors que s’y ajoutent trois livres qui font sans doute référence à la suite du Merlin, la prolifération des ouvrages permet peutêtre de « prendre en compte les contradictions et la fragmentation effectives du grand livre arthurien ».



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 391

L’isolement de Blaise lui permet de se consacrer exclusivement à la rédaction du livre de Merlin et le campe dans la figure du saint ermite qui accueille parfois les chevaliers arthuriens errant à l’aventure. La forêt, contrepoint du désert, est le lieu des épreuves et des tentations, mais aussi de la résistance spirituelle à la présence du démon465. Espace de privation, elle peut néanmoins constituer le point de départ d’une entreprise de civilisation et d’évangélisation. Elle est cependant peu représentée dans les miniatures, sauf dans fr. 749 (1300’) qui insiste sur le cadre sylvestre de la retraite de Blaise (f. 222, Figure 183 et f. 264v, Figure 184). Dans un autre registre, les forêts du Northumberland font écho à celle de Brocéliande où Merlin rejoint Viviane, souvent après avoir préalablement rencontré Blaise. L’expression « qui molt grant joie li fist » et les variations sur cette formule sont fréquemment utilisées, que ce soit au sujet de Blaise (Pl. I, 985, 1167, 1447 ; LA, 60, 69, 123, 162) ou de Viviane (Pl. I, 1628, 1303), de même que les termes de la famille de « lié » : « qui molt en fu liés et joians de sa venue » (Pl. I, 1560 et 1253 ; LA, 65 et 160). Le vocabulaire relatif au désir et à l’attente est également employé : « qui molt longement l’avoit atendu et desiré » (Pl. I, 853, 1525, 1560). L’amour de Blaise pour Merlin explique ces effusions : « car molt l’amoit de grant amour » (Pl. I, 1167, 985, LA, 162), tandis que la douleur et la longueur de leur séparation sont fréquemment indiquées (Pl. I, 1303, 1448 ; LA, 160, 60). Ainsi se crée un parallèle entre les réceptions de Merlin par Blaise et par Viviane. Comme Blaise, Viviane transcrit scrupuleusement les enseignements de Merlin466, même si elle poursuit un but distinct. Elle devient « la maîtresse de l’écrit », allant jusqu’à « note[r] les mots magiques sur son corps pour se protéger du désir de Merlin467. Les visites de Merlin et Blaise constituent des épisodes relativement autonomes mais intégrés à la narration par le biais de l’entrelacement. Les jeux de reprises et de variations propres à leur construction sérielle trouvent un écho dans la mise en place de séries iconographiques correspondantes,

465

466

467

Voir Uitti, Karl. « The Clerkly Narrator Figure in Old French Hagiography », Medioevo Romanzo, 2, 1975, p. 394-408 ; Kennedy, Angus. « The Hermit’s Role in French Arthurian Romance (c. 1170-1530) », Romania, 95, 1974, p. 54-83 ; Kennedy, Angus. « The Portrayal of the Hermit-Saint in French Arthurian Romance : the Remoulding of a Stock-Character. An Arthurian Tapestry. Essays in Memory of L. Thorpe. Ed. K. Varty, Glasgow : Glasgow University Press, 1981, p. 69-82. Bretel, Paul. Les ermites et les moines dans la littérature française du Moyen Âge : 1150-1250. Paris : Champion, 1995, p. 662-70 et Szkilnik, Michelle. « Des pères du désert aux premiers héros du Graal : solitude et apostolat », Linguistica y literatura, 28 (51), 2007, p. 91-114. « Il li aprist a faire venir une grant riviere […] et d’autres gix assés dont elle escrit les mots em parchemin tel com il li devisa » (Pl. I, 1061-62). Pl.  I, 1224. Voir Ferlampin-Acher, Christine. «  Le double dans la Suite du Roman de Merlin et la Suite Vulgate ». Jeunesse et Genèse du royaume arthurien, les Suites romanesques du Merlin en prose. Dir. Nathalie Koble. Orléans : Paradigme, 2007, p. 46.

392 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 183 : BNF, fr. 749 f. 222 (1300’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 184 : BNF, fr. 749 f. 264v Rencontre entre Merlin et Blaise

bien que le nombre d’images concernées soit plus restreint. Les images sont presque interchangeables, et à l’exception de la première, qui se réfère à des «  merveilles  », leurs rubriques, inspirées d’un texte formulaire, sont très répétitives : elles mentionnent successivement Merlin, son maître Blaise et la mise par écrit de ses « aventures ». Les séries iconographiques auxquelles donnent lieu ces entretiens insistent, comme les rencontres disséminées dans le texte, sur l’origine de l’écriture et le dispositif d’authentification du récit et de sa transmission. Elles deviennent ainsi emblématiques de l’œuvre, permettant dans une certaine mesure son identification468. On pourrait s’attendre à ce que la mise en série iconographique des rencontres entre Merlin et Blaise crée des ponts entre le Merlin et sa suite puisque qu’ils ont dix entretiens dans le premier texte et douze dans le second469. Pourtant, même si proportionnellement à la masse textuelle, ces visites sont plus nombreuses dans le Merlin propre, l’illustration privilégie celles qui relèvent de la suite : elles sont 36 miniatures dans la continuation contre 6 dans le premier texte. Cela s’explique peut-être par la tendance générale à privilégier l’illustration de la Suite Vulgate par rapport à celle du Merlin propre, comme c'est aussi le cas pour les transformations de Merlin. En outre, deux des trois manuscrits où le Merlin intègre l’illustration des visites à Blaise ne contiennent pas la Suite Vulgate. Ainsi BNF, fr. 748 inclut uniquement le Merlin propre et BL, Add. 38117 transmet la Suite PostVulgate. Add. 10292 est le seul manuscrit comprenant le Merlin et de la 468

469

Ce type de miniatures peut cependant être aussi utilisé pour illustrer les Prophéties de Merlin, comme le montrent les représentations des entretiens de Merlin et de maître Antoine dans BNF, fr. 350 (fin XIIIe-début XIVe s.). Voir Tableau 18 : Illustration des rencontres entre Merlin et Blaise, p. 395.

Au cours du procès de la mère de Merlin

Avec les messagers de Vertigier

Après du débarquement des fils de Constant

Après les déguisements de Merlin face à Pandragon

Après l’épisode du baron jaloux qui subit une triple mort

Après que Merlin a annoncé à Uter l’issue de la bataille de Salesbières

Après la fondation de la Table Ronde

Après la demande de Merlin d’obtenir l’enfant d’Uterpandragon et Ygerne

Après que Merlin a recommandé au roi de confier son fils à Antor

Après la mort d’Uterpandragon

2.

3.

4.

5.

6.

7.

8.

9.

10.

Situation de la rencontre

1.

Merlin

627

649 661 678 686 698 732 743 757

Et s’en ala en Norhomberlande a Blaise et li conta ces choses. Et Blaises les mist en son livre. Et par son livre le savons nous encore bien. Lors prist Merlins congié au roi Pandragon et s’en ala a Blaise et li dist ces choses et il les mist en escrit et par ce les savons nous encore. Merlins s’en ala en Norhomberlande a Blayse pour raconter toutes ces choses pour baillier matere a son livre faire. Et Merlins s’en ala en Norhomberlande a Blayse pour atorner toute ceste estoire. Ensi s’en parti Merlins de Uterpandragon et vint en Norhomberlande a Blayse, si li dist ces choses et ces establissemens de cele table et maintes autres choses que vous orrés en son livre. Ensi se departi Merlins del roi et de Ulfin, si s’en vient a Blayse son maistre si li conta ces choses et il les mist en escrit et par l’escrit les savons nous encore. Lors prist congié et s’en ala a Blayse. Ensi s’en parti Merlins et s’en ala a Blayse et li dist ces choses qui a venir estoient. Et parce qu’il le dist a Blayse le savons nous encore.

608

Pléiade

« Et tu vienras pour acomplir ceste œuvre que tu as conmencié, mais tu ne venras mie avoeques moi ains vienras par toi et demanderas une terre qui est apelee Nortomberlande. Et celle terre est si plainne de molt grans forés et si est molt estrange as gens del païs meïsmes car il i a tels partie ou nus n’a encore esté. Et la converseras et iras et je m’en irai a toi et te conterai toutes les choses que t’auront mestier au livre faire que tu as conmencié. »

Merlins li dist : « Or quier enque et parchemin adés que je te dirai molt choses, ce que tu quideroies que nus hom te peüst dire. [...] Si li commencha Merlins a conter les amours de Jhesu Crist et de Joseph de Barimachie...

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Tableau 17 : Situation des rencontres de Merlin et Blaise dans le Merlin et la Suite Vulgate

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Miniatures

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 393

Après la décision de chercher des renforts sur le continent parmi les hommes de Ban et Bohort

Après la bataille de Bédingran contre les dix rois rebelles

Après que Merlin a raconté les prouesses de ses neveux à Arthur, Ban et Bohort

Après la rescousse de la mère de Gauvain et l’annonce des malheurs qu’apportera Claudas sur les terres de Ban et Bohort

Après qu’Arthur et ses alliés se sont embarqués pour mener la guerre contre Claudas en Gaule

Après l’épisode de Grisandole

Après le retour d’Arthur en Grande-Bretagne

Après le mariage d’Arthur et de Guenièvre

Après la défaite des Saxons à Cambénic

Après le séjour de Merlin auprès de Viviane

Après le séjour de Merlin chez Flualis

Après les adieux de Merlin à Arthur

2.

3.

4.

5.

6.

7.

8.

9.

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11.

12.

Situation de la rencontre

1.

Suite Vulgate 825 853 983

1049

1167 1253 1271

1303 1447 1526 1560 1628

S’en entre en la forest ou il trouva Blaise qui molt longement l’avoit atendu et desiré. [...] Et Blayse mist tout ce en escrit et par lui le savons nous encore. S’en vint au soir meïsmes a Blayse son maistreen Norhomberlande que molt grant joie li fist quant il le vit com cil qui molt amoit sa compaingnie. [...] Et cil le mist en escrit mot a mot, et par lui savons encore ce que nous en savons. Et s’en ala en Norhomberlande a Blayse son maistre et li conta toutes cieles aventures qui avoient esté le roiaume de Logres. Et il escrit tout et par son livres le savons nous encore. [...] Quant Merlins ot parlé ensi couvertement et Blayse l’ot bien entendu, si pensa molt longement a ces paroles et toutes voies les mist en escrit ensi com il li ot dites. Si s’en ala Merlins a Blayse, son maistre, en Northomberlande qui molt grant joie li fist quant il le vit car molt l’amoit de grant amour. [...] Et cil mist tout en escrit. Il se mist au chemin envers la Grant Bretaigne a Blayse son maistre qui molt le rechut liement. [...] Et quant il ot tout ce conté a Blayse, si le mist en escrit et par lui le savons nous encore. Et retourne a parler de Merlin qui est en la forest de Norhomberlandea Blayse son maistre qui li ot toutes les choses contees que vous avés devant oïes. Si les mist Blayses toutes en escrit. [...] Si le conta a Blayse tout mot a mot. Et il le remist tout en escrit. (Pl. I, 1271) Et Merlins s’en vint a Blayse cel soir meïsmes et cil le rechut a molt grant joie quant il le vit. [...] Si li conta autres choses tout en escrit et par lui le savons nous encore. Il s’en ala en Norhomberlande a Blayse son maistre qui molt grant joie li fist quant il le vit, car il avoit grant tans qu’il ne l’avoit veü. Et d’autre part il amoit sa compaingnie molt. S’en vint droit a Blayse son maistre qui molt estoit desirans de lui veoir. [...] Et cil mist tout en escrit ensi come Merlins li contoit et pour ce le savons nous encore. Et lors s’en vint Merlins a Blayse son maistre qui molt en fu liés et joians de sa venue, car molt le desiroit a veoir. [...] Et Blayses mist tout en escrit, et par ce le savons nous encore. Et erra tant qu’il vint a Blayse son maistre qui molt ot grant joie de sa venue. [...] Quant Merlins ot toutes ces choses racontees, et Blayses les ot mises en escrit l’une aprés l’autre, tot en ore, et par ce le savons nous encore.

Pléiade

Et s’en vint a Blayse et li conta toutes ices choseset il les mist toutes en escrit et par ce le savons nous encore.

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394 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

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Total

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Merlin

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BNF, BNF, Cologny, BL, BL, fr. fr. Bodmer, Add. Add. 344 749 147 38117 10292

1290’ 1295’ 1300’

Pléiade BNF, BNF, BNF, Oxford, BNF, Bonn, BNF, fr. fr. fr. Bodl., fr. 526 fr. 95 748 19162 24394 Douce 770 178

Tableau 18 : Illustration des rencontres entre Merlin et Blaise BNF, fr. 9123

Ars., 3482

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New Ex-NewHaven, castle Beinecke, 937 227

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396 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 185 : BNF, fr. 19162 f. 246v (1280’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 186 : BNF, fr. 19162 f. 289 Rencontre entre Merlin et Blaise

Suite Vulgate à illustrer une rencontre avec Blaise dans la première partie du texte. L’illustration associe donc ces épisodes à la continuation et c’est dans ce texte qu’ils se constituent en séries iconographiques, alors que d’un point de vue littéraire, ils s’ancrent davantage dans le Merlin propre. L’illustration des rencontres de Merlin et Blaise dans le Merlin propre est donc marginale : elle ne concerne que trois manuscrits qui mettent tous en exergue le premier épisode de la série, soulignant son caractère fondateur, puisqu’il met en place un modèle textuel qui devient ensuite récurrent, même si cette sérialité n’apparaît pas nécessairement sur le plan visuel. Tous les autres manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate situent l’illustration de ces entretiens uniquement dans la continuation, alors qu’ils sont presque aussi nombreux dans le premier texte que dans le second, et ce malgré la différence de volume de chaque œuvre. Dans la plupart des manuscrits, la première rencontre illustrée du Merlin et de sa continuation suit la rescousse de la mère de Gauvain. Trois épisodes concentrent ainsi 30 des 36 miniatures relatives aux rencontres entre Merlin et Blaise dans la Suite Vulgate et ils sont tous trois illustrés dans BNF, fr. 19162 (f. 246v, Figure 185, f. 289, Figure 186 et f. 328v), fr. 95 (ff. 210, 268 et 309), fr. 749 (ff. 222, 264v et 299v), Add. 10292 (ff. 137, 163v et 188) et New Haven, Beinecke, 227 (ff. 222v, 258v et 281v). Ils se caractérisent par une veine prophétique permettant à Merlin d’anticiper des événements relatifs aux autres œuvres du cycle du Graal. A l’inverse, sept des douze entretiens de la Suite Vulgate ne sont jamais représentés, notamment les deux premiers et les trois derniers. On peut se demander ce qui motive cette différence de traitement iconographique. Aucun manuscrit ne met en images l’intégralité de ces épisodes : BNF, fr. 95 (f. 210, Figure 187, f. 223, f. 268, Figure 188 et f. 309), fr. 344 (f. 130v,



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 397

Figure 187 : BNF, fr. 95 f. 210 (1290’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 188 : BNF, fr. 95 f. 268 Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 199, f. 139v, Figure 200, ff. 165v et 168) et BL, Add. 10292 (f. 80v, Figure 192, f. 137, Figure 193, ff. 163v et 188), qui leur consacrent au total quatre images, sont les plus abondamment illustrés. Un examen global du point d’insertion des miniatures dans les programmes iconographiques des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate permet de faire ressortir les charnières narratives et les épisodes dont l’illustration entre en concurrence avec celle des entretiens de Merlin et Blaise. Dans la Suite Vulgate, un premier groupe de ces rencontres semble négligé au profit de la représentation des péripéties militaires qui marquent le début du règne d’Arthur et ses premiers faits, qu’il s’agisse de la troupe des rois rebelles (Pl. I, 827), du retour victorieux d’Arthur à Logres (Pl. I, 854), ou de l’embarquement pour le continent suivi de la bataille de Trèbes (Pl. I, 1168-69). Après le mariage d’Arthur, l’illustration privilégie la représentation du couple royal et son retour à Logres, intégrant parfois l’embuscade manquée du roi Loth (Pl. I, 1300-04), plutôt que d’évoquer l’excursus de Merlin auprès de Blaise. Les événements politiques et militaires du royaume breton prennent alors le dessus sur des épisodes réflexifs où Merlin en fait le compte-rendu pour nourrir le livre de Blaise. L’absence d’illustration de ces entretiens ne correspond pas cependant à un effacement de la figure de Merlin au profit de celle d’Arthur. En effet, un second groupe de miniatures favorise d’autres formes d’intervention du personnage, lorsqu’il apparaît à la cour déguisé en harpiste (Pl. I, 1526), ou qu’il interprète le rêve du roi de Jérusalem Flualis (Pl. I, 1556 et 1623). Ces passages mettent en scène le caractère polymorphe et la prescience de Merlin. A la fin du texte, les rencontres avec Blaise s’effacent devant l’illustration des visites de Merlin à Viviane, structurées de façon similaire et souvent placées après ces dernières. L’avant-dernière et la dernière rencontre de Merlin et de ces personnages sont concomitantes, et à ces occasions sont privilégiées les représentations de la relation avec Viviane, qui endort son amant

398 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

au moyen d’un oreiller enchanté (Pl. I, 1559) avant de parvenir à l’enserrer de façon définitive (Pl. I, 1625). Blaise ne peut rivaliser avec Viviane et il se trouve impuissant face à l’enserrement annoncé de Merlin, comme il en exprime lui-même le regret (Pl. I, 1449). L’illustration des différents manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate réserve donc un traitement varié aux rencontres entre Merlin et Blaise, intégrant ou non le caractère sériel de ces épisodes sans chercher à l’exhaustivité. Une poignée de ces passages concentre la majorité des miniatures, sans doute en raison de leur contenu prophétique et de leurs implications cycliques. La mise en contexte textuelle et iconographique des entretiens qui ne sont pas illustrés éclaire leur concurrence avec d’autres sujets potentiels et fait ressortir une forme de hiérarchisation des différents éléments de la narration. Au début de la Suite Vulgate, l’illustration semble privilégier l’action, tandis qu’à la fin du texte, Merlin est toujours présent, mais l’effacement de la figure de Blaise s’effectue au profit de celle de Viviane, ce qui favorise la transition du Merlin au Lancelot. L’illustration de fr. 748-fr. 754 (1240’), qui comprennent le Joseph et le Merlin ainsi que le Lancelot, est d’un style tout à fait particulier  : constituée d’initiales historiées mettant en scène des personnages aux traits stéréotypés, elle se distingue par une palette de couleurs très vive qui privilégie le rouge, le vert, le jaune et le bleu et le violet, et par l’utilisation de fonds quadrillés470. L’identification des scènes pose de nombreux problèmes car les miniatures sont souvent très dégradées, néanmoins on peut y discerner deux représentations des rencontres entre Merlin et Blaise (fr. 748 ff. 27v et 51, Figure 189), ce qui n’est pas négligeable sur un total de treize initiales historiées dans le Merlin propre. Les initiales historiées se rapportent à la première rencontre où Merlin charge Blaise de l’écriture de son livre : cet épisode est relativement développé, car Merlin explique à Blaise l’histoire de Joseph d’Arimathie et du Graal tout en éclairant sa propre origine (Pl. I, 608). La seconde miniature représente une visite à Blaise qui suit l’annonce à Uter et Pandragon de l’issue de la bataille de Salesbières, même si cette rencontre est moins développée (Pl. I, 686). L’illustration de ces entrevues s’intègre bien dans un manuscrit dont l’iconographie semble privilégier les portraits471, conseils ou entretiens individuels (comme ceux d’Uterpandragon et Ygerne au sujet de la grossesse de la reine, f. 66v ou d’Uterpandragon et d’Antor concernant l’adoption d’Arthur, f. 67v). 470

471

Voir La Légende du roi Arthur. Dir. Thierry Delcourt. Paris : Bibliothèque nationale de France : Seuil, 2009, p. 140. La représentation de Merlin dans fr. 748 n’est pas uniforme : habituellement, rien ne le distingue physiquement des autres personnages, à l’exception du folio 64v où il est de couleur noire.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 399

Figure 189 : BNF, fr. 748 f. 51 (1240’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 190 : BL, Add. 38117 f. 30v (1310’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 191 : BL, Add. 38117 f. 45v -Rencontre entre Merlin et Blaise -Conseil d’Uter et Pandragon

Dans le Merlin de BL, Add. 38117 (1310’) sont représentés trois des entretiens de Merlin et de Blaise  : après leur première rencontre, ils se retrouvent quand Merlin s’est montré aux fils de Constant sous différents déguisements et leur a annoncé la mort d’Angis (f. 30v, Figure 190), puis après la triple mort du baron incrédule (f. 45v, Figure 191). Au même moment, on décide à la cour de Pandragon de systématiquement mettre par écrit les prophéties de Merlin : Et disent qu’il ne li orront jamais dire chose qui avenir doive que il ne metent en escrit. Ensi l’ont devisé et pour chou que il dist des rois d’Engleterre et de toutes les autres choses dont il parla puis. Et pour chou ne dist pas chis

400 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

livres qui Merlin est ne qui i fu, qu’il ne metoient en escrit fors que chou que il disoit (BL, Add. 38117 f. 51)472.

Ce livre de prophéties dont l’autorité semble diminuée par l’accumulation des tours négatifs, se distingue de celui rédigé par Blaise qui comprend également des éléments biographiques. Merlin précise en outre que ces prophéties ne pourront être comprises avant leur réalisation, alors qu’il fournit déjà des éléments d’interprétation de celles qu’il confie à Blaise : Et quant Merlins sot qu’il avoient ensi parlé qu’il devoient metre en escrit ses paroles si le dist a Blayse. Et Blayses li demande s’il feront autretel livre com il fera. Et Merlins li respont que nenil, il ne metront en escrit se ce non qu’il ne porront connoistre jusque ce soit avenu. Et Merlins s’en revint a la court [...]. Et Merlins conmencha a dire lors les oscures paroles dont ses livres fu fais des profesies que on ne puet connoistre jusques eles soient avenues (Pl. I, 679).

Cette référence au livre des prophéties permet de reconnaître l’existence de ce texte particulièrement populaire et potentiellement concurrent, tout en soulignant la spécificité, voire la supériorité du Merlin. Dans BL, Add. 38117, le caractère démoniaque du jeune Merlin, dont le visage présente une certaine difformité, est dans une certaine mesure atténué par le caractère récurrent de ces entretiens avec l’ermite Blaise. Lors de ses deux premières visites, Blaise discute avec Merlin et copie ses paroles sur un rouleau de parchemin alors que la dernière initiale historiée (f. 50v, Figure 147) intègre en arrière plan quelques arbres qui peuvent figurer les forêts du Northumberland où se déroulent ces rencontres. BL, Add. 10292 (1316) est le seul manuscrit à créer des effets de correspondance et de continuité visuelle du Merlin à sa continuation par la reprise iconographique des rencontres entre Merlin et Blaise. Cependant, une seule de ces miniatures se situe dans le Merlin propre : il s’agit du premier de ces entretiens, quand Merlin demande au religieux d’écrire son histoire, mais les trois autres sont placées dans la continuation473. La reprise de la même scène et de la même composition semble donc prévue et fixée par le libraire avant que le travail ne soit réparti entre les différents miniaturistes : elle ne relève pas de la prédilection d’un des artistes mais bien d’une planification en amont de la production. Les deux enlumineurs du Merlin (artiste 1) et de la Suite Vulgate (artistes 1 et 2) ont contribué à la série des miniatures illustrant les rencontres de Merlin et Blaise. La mise en scène de l’activité d’écriture est soignée : outre

472

473

La version du manuscrit de Bonn (β) est plus spécifique dans la désignation de cet ouvrage : « Par ce fu conmenciés li contes des profesies Merlin de ce qu’il dist del roi d’Engleterre et de toutes les autres choses dont il parla plus » (Pl. I, 679), même si le terme de prophéties est repris dans la suite du texte, y compris dans BL, Add. 38117. Voir Hoffman, Donald L. «  Seeing the Seer  : Images of Merlin in the Middle Ages and beyond », 1996, p. 105-50.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 401

Figure 192 : BL, Add. 10292 f. 80v (artiste 1) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 193 : BL, Add. 10292 f. 137 (artiste 2) Rencontre entre Merlin et Blaise

la chaise et le pupitre, les outils de l’écriture, plume, encre, couteau et parchemin, sont minutieusement dépeints. Blaise est toujours représenté en habit monastique, mais le premier artiste montre Merlin enfant aux ff. 80v (Figure 192) et 163v, ce qui ne correspond à son âge que dans la première miniature. Dans les images réalisées par le second artiste, ff. 137 (Figure 193) et 188c, Merlin apparaît comme un grand et svelte jeune homme, assis plutôt que debout devant son maître, sous un décor d’arcs gothiques. Les représentations de Merlin enfant ou adulte ne suivent pas la chronologie narrative mais dépendent de facteurs externes. Dans Add. 10292, le début de l’Estoire ne comporte pas de représentation de l’auteur, cependant un autre manuscrit du même atelier, dans un ensemble qui comprend l’Estoire, la Queste et la Mort Artu, emploie au début du recueil une image de style et de composition similaires à celles réalisées par le premier artiste. Dans BL, Royal 14 E III f. 6v, le siège et le pupitre sont exécutés de façon analogue. L’image ne montre pas un clerc écrivant sous la dictée, mais la copie d’un texte dont le scribe détient le modèle, minutieusement représenté par une feuille de parchemin fixée au-dessus de la page sur laquelle il travaille. La présence d’un autel du côté gauche de l’image souligne le contexte religieux d’un épisode marqué par la célébration des offices de la Semaine Sainte. Le Christ a miraculeusement donné à lire l’Histoire du saint Graal à l’auteur et lui demande de la retranscrire : Si aparut a moi li Haus Maistres ausi que il avoit fait autre fois par devant, et me dist : « Au premier jour ouvrable, escri cest livret ; et prens a l’aumaire quanque il couvient a escrivain, et si ne t’esmaie pas se tu ne sés escrire, car tu le savras molt bien. » Au matin me levai ensi com il m’avoit rouvé, et trouvai tout ce qu’il covient a escrivain, et penne et enque et parchemin et coutel. Et quant li diemences fu passés, et j’oi le lundi chanté la messe et fait mon

402 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

service, si prist le livret et le parchemin tout droit a la quinsainne de Pasques : li conmencemens d’Escriture si fu pris del sacrefiement Jhesu Crist... (Pl. I, 22)

Dans le Merlin, la source du texte n’est pas directement investie de l’autorité divine, et l’œuvre ne s’inscrit pas aussi nettement dans le prolongement de l’Ecriture sainte. Pourtant, à travers cette correspondance, la retranscription des paroles de Merlin est mise en valeur par le prestige culturel, moral et religieux qui demeure associé à l’écrit. Les trois miniatures de BL, Add. 10292 placées dans la Suite Vulgate correspondent aux trois rencontres entre Merlin et Blaise les plus souvent illustrées dans la tradition iconographique, avec respectivement 10, 8 et 12 miniatures. Au cours de la première, Merlin annonce sous forme allégorique son enserrement par Viviane La leuve est el païs qui le lyon sauvage doit loiier de cerceles qui ne seront de fer ne de fust ne d’argent ne d’or ne d’estain ne de plomc ne de riens nule de terre qui aigue ne herbe port, si en sera estroit loiiés que mouvoir ne se porra. […] Ceste prophesie chiet sor moi. Et si sai bien que je ne m’en saurai garder (Pl. I, 1050-51).

Il évoque en outre la venue de Lancelot, le «  merveilleous lupart qui del roiaume de Benuyc istra si grans et si fors et si fiers que toutes autres bestes sormontera de son païs  » (Pl.  I, 1051). Malgré la distinction mise en place par Merlin entre le livre de Blaise et celui des « profesies que on ne puet connoistre jusques eles soient avenues  » (Pl.  I, 679), ses prédiction demeurent très obscures. Si elles peuvent être décryptées par le lecteur connaissant la fin de la Suite Vulgate et le Lancelot, il n’est pas certain que Blaise lui-même puisse en comprendre la signification. La seconde rencontre entre Merlin et Blaise illustrée dans la Suite Vulgate de BL, Add. 10292 se situe après l’épisode de Grisandole. L’importance iconographique de ce passage peut être mise en relation avec l’annonce de la naissance de Lancelot, conçu au terme de la guerre de Gaule, une prédiction qui s’effectue cette fois sans le filtre de l’allégorie : Et puis li conta conment [...] li rois Bans avoit conceü un enfant en sa feme et conment il sormenteroit tous les chevaliers qui seroient a son tans (Pl. I, 1253).

La fréquence des illustrations consacrées à cet entretien s’expliquent aussi par son rôle de transition narrative  : les rencontres entre Merlin et Blaise correspondent souvent à l’utilisation du procédé de l’entrelacement, avec des effets de déplacement temporel et géographique et la focalisation sur de nouveaux personnages. Le voyage de Merlin à Rome intervient ainsi après la guerre d’Arthur et de ses vassaux sur le continent et avant le retour à la lutte des barons révoltés contre les envahisseurs saxons.

Déroulement de la rencontre

Rubrique / Situation

Merlin rencontre Blaise après l’épisode de Grisandole.

Merlin rencontre Blaise Merlin raconte le mariage d’Arthur et le projet de coaliaprès la défaite des Saxons à tion des Chrétiens contre les Saxons à Salesbières. Il proCambénic. phétise son enserrement et la venue de Galaad.

163v

188

Merlin raconte l’histoire de Grisandole, la bataille des rois chrétiens contre les Saxons à Clarence et celle d’Arthur, Ban et Bohort contre Claudas, Ponce Antoine et Frolle d’Allemagne à Trèbes.

Merlin rencontre Blaise après avoir envoyé Gauvain secourir sa mère.

Merlin dit à Blaise qu’il va aller sur le continent où Claudas, Ponce Antoine et Frolle d’Allemagne menacent les terres de Ban et Bohort. Il se livre à des prophéties allégoriques concernant son enserrement par Viviane et la venue de Lancelot.

Ensi com Merlins conte a maistre Blaise les aventures et il les mist en escript. [Miniature] Or dist li contes en ceste partie que a l’eure que Merlins se fu partis del roi Artu de Carohaise en Carmélide, qu’il s’en ala en Norhomberlande a Blayse son maistre qui molt grant joie li fist. (Pl. I, 1447)

Ensi com Merlins est devant maistre Blaise et li fait mettre lez aventures en escrit. [Miniature] Chi endroit dist li contes que ausi tost que Merlins fu departis de Jullius Cesar, qui se mist au chemin vers la Grant Bretaigne a Blaise son maistre mout liement. (Pl. I, 1253)

Ensi que Merlin [*Gavaine] est devant maistre Blaise et li conte lez aventures et il les mist en escrit. [Miniature] En ceste partie dist li contes que quant Gavains et si compaignon se furent mellé a Taurus et il vit que Gauvains avoit sa mere rescosse, si s’en parti si soudainement qu’il ne sorent onques qu’il devint et s’en ala en Norhomberlande a Blaise. Et li conta toutes les aventures. (Pl. I, 1049)

Après le procès de sa mère, Merlin rassure Blaise et lui raconte l’histoire de Joseph Ensi que Merlins fait escrire un livre plain de merveilles a Blase sen clerc. Merlin demande à Blaise d’Arimathie, celle du Graal, ainsi que celle de sa propre [Miniature] d’écrire son histoire. origine. Lors quist Blayses ce que mestier li fu et quant il l’ot quis et assamblé si li commencha a conter les amors de Jhesu Crist et Joseph d’Arithmathie... (Pl. I, 611)

Contexte narratif

137

Suite Vulgate

80

Merlin

Folio

Tableau 19 : Situation des rencontres entre Merlin et Blaise illustrées dans BL, Add. 10292 (1316)

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 403

404 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Enfin la dernière miniature de BL, Add. 10292 consacrée à ces visites a lieu au terme de l’ambassade de Loth et de ses fils auprès des barons rebelles, alors que trois chevaliers de la Reine et trois compagnons de la Table Ronde partent pour la Forêt Aventureuse. Après avoir raconté à Blaise les péripéties relatives au mariage d’Arthur et de Guenièvre, ainsi que le succès diplomatique de Loth et de ses fils, Merlin se rendra en Gaule pour chercher des renforts en vue de la coalition de Salesbières. Blaise l’interroge sur la réalisation des prophéties concernant son enserrement et la venue de Galaad, et Merlin le charge d’écrire des lettres qui s’y rapportent. Il les dissémine ensuite sur les chemins aventureux : « Ce est li conmencemens et li contes des aventures du païs par coi li merveillous lyons fu enserrés et que fix de roi et de roine descendra et convenra que il soit chastes et li miudres del monde ». Et les letres que Blayse fist mist Merlins par tous les chemins ou les aventures estoient et ne pooient estre ostees se par ciaus non qui les acheviroient. Et par ce furent li chevalier en volonté d’errer, ne ja autrement ne fust destruis li grans lyons (Pl. I, 1450).

Il s’agit donc d’un passage qui se situe au croisement d’épisodes guerriers propres à la Suite Vulgate et d’aventures chevaleresques amenées à jouer un rôle de plus en plus important dans le Lancelot et la Queste del Saint Graal. Les lettres déposées par Merlin font écho aux différentes inscriptions qui orientent la quête des chevaliers arthuriens. Elles annoncent la disparition du prophète, qui continuera néanmoins d’habiter le royaume breton et les aventures merveilleuses des autres romans du cycle. Le livre de Blaise ne se concentre pas sur les prédictions de Merlin, recueillies dans un ouvrage différent par les clercs du roi Arthur (Pl.  I, 678-79), mais sur le récit fourni par ce dernier concernant les événements marquants du royaume de Logres. Pourtant, les trois entretiens de Merlin et Blaise sur lesquels se focalise l’illustration de la Suite Vulgate ont tous une composante prophétique. Ces passages contribuent par l’évocation des figures de Claudas, Lancelot ou Galaad à l’intégration de l’histoire de Merlin, au-delà de son enserrement, dans celle du royaume arthurien et dans le cycle du Graal. Dans fr. 105 et fr. 9123 (1325’), l’apparence et l’origine diabolique de Merlin semblent progressivement oubliées alors que croît son autorité. L’association du personnage avec la figure de Blaise lui donne une caution morale et religieuse qui renforce sa crédibilité. Dans fr. 9123 ff. 236 et 266 (Figure 194 et Figure 195), la reprise de miniatures de composition et de coloris similaires renvoie au caractère sériel de ces rencontres. L’illustration de fr. 9123 insiste plus que celle de fr. 105 sur les caractéristiques physiques du fils du diable, reprenant de façon plus systématique et continue les marques de son altérité. Or si Merlin recourt tout au long de l’œuvre aux pouvoirs surnaturels dont il a été doté à sa naissance, même dans fr. 9123, les stigmates de son origine semblent s’effacer au bout du premier tiers de la continuation.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 405

Figure 194 : BNF, fr. 9123 f. 234 (1325’) Comment Merlins conte a son maistre les choses a venir que il met en escript. Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 195 : BNF, fr. 9123 f. 265 Comment Merlins parle a Blayse son maistre et li fait escrire lectres et li demande de son estat. Rencontre entre Merlin et Blaise

Les choix existentiels effectués par le personnage, qui rejette son ascendance démoniaque afin d’œuvrer à l’établissement du plan divin expliquent peutêtre la relative normalisation de ses représentations. Fr. 105 illustre un seul de ces entretiens, mais l’associe à une scène symétrique (f. 227, Figure 196). Après avoir averti Blaise de l’alliance entre Claudas, Frolle d’Allemagne et Ponce Antoine et de leur projet d’envahir les royaumes de Gaunes et Bénoïc, Merlin en informe Léonce de Palerne, le sénéchal du roi Ban, à qui il conseille de préparer la défense militaire. D’une part Merlin assure la mise par écrit de ses prophéties concernant son propre enserrement ainsi que l’avenir des royaumes de Logres, Ban et Bénoïc, de l’autre il met sa prescience au service des alliés d’Arthur. Bien que Léonce semble plus jeune que Blaise et que son siège soit plus visible dans la seconde partie de la miniature, la symétrie et l’abstraction de l’image sont renforcées par l’utilisation d’un fond quadrillé dans ses deux compartiments. Les circonstances de chacune de ces rencontres ne sont pas spécifiées et on assiste à la reprise d’un motif iconographique très répandu, puisqu’il s’inspire de la tradition biblique de représentation des évangélistes en train d’écrire. L’atelier du maître de Fauvel dans lequel ont été réalisés fr. 105 et 9123 a produit une grande variété de textes liturgiques, juridiques, littéraires, historiques et hagiographiques, principalement en langue vernaculaire mais aussi

406 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 197 : BNF, fr. 770 f. 236v (1285’) Rencontre entre Merlin et Blaise Figure 196 : BNF, fr. 105 f. 227 (1325’) Comment Merlins se parti de Blayse son maistre et comment il ala au seigneur de Paerne pour lui denoncier sa guerre. -Rencontre entre Merlin et Blaise -Rencontre entre Merlin et Léonce de Palerme

en latin474. Les représentations de Merlin dictant son livre à Blaise rappellent des compositions adoptées dans d’autres manuscrits produits par cet atelier à la même période475. La représentation biblique des quatre évangélistes en train d’écrire fournit un motif iconographique adaptable à différentes situations et donne à Blaise des modèles prestigieux. Pour l’enlumineur médiéval, la répétition de scènes quasi identiques ne pose pas problème476. Dans de nombreuses miniatures, les rencontres sont représentées en l’absence de tout décor. On distingue alors les miniatures où Blaise est assis avec les outils nécessaires à l’écriture du livre dicté par Merlin, la plume et le rouleau ou le codex, ainsi que le siège et le pupitre, de celles où les deux personnages semblent uniquement discuter ensemble. Les deux types de compositions alternent le plus souvent au sein d’un même manuscrit, comme dans fr. 19164, fr.  770, Bonn, ULB, 526, fr.  95, Cologny, Bodmer, 147, ou New Haven, Beinecke, 227, créant un effet de variation d’une miniature à l’autre. Dans fr. 749, le caractère démoniaque de Merlin est physiquement marqué par une 474 475

476

Stones, Alison. « The Artistic Context of le Roman de Fauvel », 1998, p. 529-567. On y voit des prophètes et des évangélistes à l’œuvre, comme dans la Bible Historiale de Guiard des Moulins, BNF, fr. 8 (1325’), ou la représentation de Jean Belet, l’auteur / traducteur d’une Vie de saints copiée dans BNF, fr. 183 (1325’). Ainsi dans l’Apocalypse glosée partiellement illustrée par Colin Chadewe, BNF, fr.  13096 (1313), la représentation de St Jean à son pupitre est reprise d’une image à l’autre, soit comme sujet principal de la miniature, soit sur le côté d’autres scènes.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 407

Figure 198 : BNF, fr. 770 f. 270v Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 199 : BNF, fr. 344 f. 130v (1295’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 200 : BNF, fr. 344 f. 139v Rencontre entre Merlin et Blaise

chevelure noire et frisée. À l’inverse, dans fr. 95, qui fait alterner miniatures et initiales historiées, et dont les scènes marginales contribuent à individualiser les folios illustrés, malgré la reprise de compositions similaires, Merlin arbore un habit dont le capuchon est relevé, ce qui lui donne une apparence monastique (f. 210, Figure 187). Blaise lui-même est représenté de cette façon dans fr. 19162, 770, 344, Cologny, Bodmer, 147, fr. 105 et 9123. L’homme de religion est doté d’une tonsure dans fr. 770 f. 236v, (Figure 197) et fr. 749, alors qu’il porte un bonnet de docteur dans Bonn, ULB, 526 (f. 127v, Figure 201), fr. 95, Arsenal, 3482 et New Haven, Beinecke, 227 : sa science et ses connaissances sont alors davantage mises en valeur que son statut ecclésiastique. Dans Arsenal, 3482 p. 158 (Figure 168) et New Haven, Beinecke, 227 f. 222v (Figure 169), l’illustration du premier passage se distingue des autres car Merlin y figure sous l’aspect d’un chevalier : c’est en effet sous cette apparence qu’il mène Gauvain au secours de sa mère. Au terme de l’épisode, Do éclaire le jeune homme sur l’intervention du magicien et sur son pouvoir de métamorphose. La formule d’entrelacement désigne alors Merlin par le biais d’une périphrase qui rappelle sa transformation :

408 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 201 : Bonn, ULB, 526 f. 127v (1286) Mais ici endroit se taist li contes d’aus. Et retourne a parler de Merlin qui s’en parti de Julius Cesar et s’en vint an la forest de Norhomberlande a Blayse son maistre. Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 202 : Bonn, ULB, 526 f. 129va Mais de ce se taist li contes. Et retourne a parler de Merlin qui est en la forest de Norhomberlande a Blayse son maistre qui li ot toutes les choses contees que vous avés devant oïes. Si les mist Blayses toutes en escrit. Rencontre entre Merlin et Blaise

Mais ici endroit se taist li contes d’aus. Et retorne a parler au chevalier que Gavains amena pour sa mere recourre. Et nous contera conment il s’en ala en Norhomberlande a Blayse son maistre (Pl. I, 1049).

Malgré sa forme inhabituelle, cet entretien est le seul illustré dans Arsenal, 3482, alors que la mise en scène de Merlin déguisé en chevalier est peu représentative de l’ensemble de ces rencontres. Dans Beinecke, 227, l’intégration iconographique de ce détail peut s’expliquer par le fait que la rubrique correspond à la formule d’entrelacement. Bonn, ULB, 526 consacre trois miniatures aux rencontres de Merlin et Blaise. La formulation très proche des rubriques des folios 129v (Figure 202, « li ot toutes les choses contees que vous avés devant oïes ») et 147v (« li conta tout ce qui avenu estoit ») insiste sur le caractère récapitulatif des paroles de Merlin plutôt que sur leur dimension prophétique. Les visites à Blaise soulignent la proximité temporelle entre les événements du royaume arthurien et leur mise par écrit. Blaise arbore un bonnet de maître, mais sa tenue varie dans chaque miniature : il porte un surcot au folio 129v mais un manteau au folio 147v, et tient un livre au folio 127v (Figure 201) mais écrit sur un rouleau au folio 129v. Le livre composé par Blaise bénéficie de l’autorité du personnage de Merlin, acteur et témoin des faits qu’il expose. Sur le plan textuel, ces épisodes permettent de dresser des bilans narratifs à fonction structurante et mémorielle au cours d’une action souvent multiple et dispersée, mais leur illustration se trouve parfois assez concentrée.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 409

Figure 203 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 354 (1270-1300’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 204 : BNF, fr. 96 f. 111v (1445’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Les rubriques de fr. 9123 et New Haven, Beinecke, 227 sont cependant plus variées : celle de fr. 9123 f. 236 évoque la rédaction de prophéties (« Comment Merlins conte a son maistre les choses a venir que il met en escript »), tandis que celle du folio 266 articule en plusieurs propositions les différentes étapes de la rencontre (« Comment Merlins parle a Blayse son maistre et li fait escrire lectres et li demande de son estat »). Enfin celle de New Haven, Beinecke, 227 f. 281v délaisse le contenu narratif de l’épisode pour rappeler de façon plus générale les dons surnaturels de Merlin ainsi que leur origine diabolique à travers le terme d’engien : « parolle de Merlin qui moult sot d’art et d’engien ». Outre les trois épisodes déjà mentionnés, seules deux autres visites à Blaise sont mises en images dans la tradition manuscrite de la Suite Vulgate : celle située après la victoire de Léodegan à Carohaise, quand Merlin annonce à Arthur, Ban et Bohort qu’il va se rendre à Logres pour prêter main forte aux neveux du roi (Pl. I, 983), un épisode qui est illustré dans fr. 95 f. 210 et fr. 344 f. 130v, et celle qui précède le mariage d’Arthur et de Guenièvre à Carohaise, alors que Loth prépare une embuscade contre la reine lors de son retour à Logres (Pl. I, 1271) (elle est illustrée dans Bonn, 526 f. 129v, fr. 344 f. 168, fr. 9123 f. 236 et Beinecke, 227 f. 258v). Ces deux épisodes ne font l’objet que de quelques lignes, leur importance relève donc moins de leur développement narratif ou de leur contenu prophétique que de leur fonction structurante au sein du récit. L’illustration fait alors ressortir l’entrelacement de différents passages, les rencontres entre Merlin et Blaise servant de transition d’un aspect à l’autre de l’action. Dans les deux cas, on passe des aventures d’Arthur dans le royaume de Carmélide à celles des rois rebelles ou des neveux du roi au cours de leur lutte contre les Saxons. Dans Oxford, Bodl., Douce 178 f. 354 (Figure 203), Arsenal, 3482 p.  158 (Figure 168) et fr.  96 f. 111v (Figure 204), dont le programme illustratif est cependant inachevé, les rencontres entre Merlin et Blaise font l’objet d’une seule miniature. Le manuscrit d’Oxford se distingue de tous

410 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 205 : BNF, fr. 24394 f. 186v (1280’) Rencontre entre Merlin et Blaise

Figure 206 : Cologny, Bodmer, 147 f. 272 (1300’) Comme Mellin parle a Blaise son mestre en Ohomberlande. Rencontre entre Merlin et Blaise

les autres car il représente Merlin comme plus âgé que Blaise. Il s’agit d’une logique propre à cet ouvrage où dans la Suite Vulgate Merlin apparaît systématiquement sous les traits d’un vieillard. Dans fr. 96 f. 111v (Figure 204), le cadre forestier de ces réunions situées dans le Northumberland est particulièrement mis en avant : il apparaît également dans fr. 749, notamment au folio 264v (Figure 184), où la forêt semble enserrer la demeure de l’ermite, mais également de façon plus intermittente et symbolique, par la présence d’un ou de plusieurs arbres, dans fr. 19162, fr. 24394 (f. 186v, Figure 205), fr. 770, Bonn, ULB, 526 et Cologny, Bodmer, 147 (f. 272, Figure 206). Fr. 96 insiste aussi sur le caractère religieux de l’ermitage de Blaise, un élément qui ressort également de fr. 749 où le prêtre est placé à l’entrée d’une chapelle surmontée d’un clocher. La représentation des entretiens de Blaise et de Merlin, esquissée dans fr. 96 f. 111v, apparaît dans l’ex-Newcastle 937 au folio 280, mais n’a pas été réalisée dans fr. 91 f. 141v (voir fr. 105 f. 227). Au XVe siècle, ces occurrences isolées contrastent avec les mises en séries de ces entretiens dans plusieurs manuscrits enluminés des XIIIe et XIVe siècles. Les rencontres entre Merlin et Blaise jouent un rôle structurant dans le Merlin et sa suite, mais leur illustration est le plus souvent limitée à la continuation. Comme le souligne Robert Hanning477, à travers ces entretiens, l’histoire met en place son propre mythe des origines, se justifiant et rachetant son caractère fictionnel en insistant sur son pouvoir de rédemption. Le Merlin en prose combine ainsi plusieurs modèles d’autorité, celle du témoignage oculaire de celui qui réalise de grands faits (comme dans les premiers récits historiques vernaculaires en prose), et celle du livre inspiré sur le modèle des Evangiles. Merlin est inspiré par Dieu et Blaise transcrit ses paroles comme un évangéliste. Le livre qu’il fait écrire à Blaise a une visée d’édification et de conversion, pourtant dans

477

Hanning, Robert. « Arthurian Evangelists : the Language of Truth in Thirteenth Century French Prose Romances », Philological Quarterly, 64, 1985, p. 357.

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 411



la Suite Vulgate, ce caractère religieux semble s’atténuer au profit d’une histoire de Merlin et d’Arthur ou de prophéties relatives au devenir du royaume de Logres. Même si la mise en image de l’écriture et du statut ecclésiastique de Blaise rappelle le sérieux de ces entretiens fondés sur une scénographie de la parole et de sa mise en écrit, la construction symétrique des rencontres de Merlin et de Blaise et de ses entrevues avec Viviane, ainsi que la reprise de la prophétie relative à l’enserrement du magicien soulignent la transformation qui s’opère au sein de la continuation tout en préparant la fin du texte.

Conclusion  La mise en scène du personnage de Merlin se situe donc au croisement de différentes séries narratives et visuelles. Dans l’iconographie du Merlin propre, son origine diabolique va de pair avec des traits physiques qui sont soit peu illustrés (BL, Add. 38117, BNF, fr. 749 et 9123) et ne sont pas systématiquement repris dans la continuation (fr. 9123), soit normalisés dès le début du texte (BL, Add. 10292, BNF, fr. 95, Beinecke, 227, Tours, BM, 951 et BNF, fr. 91), alors que du point de vue textuel, ils sont ponctuellement rappelés dans la Suite Vulgate. L’image du futur conseiller des rois de Bretagne est donc relativement lissée. La faible illustration du Merlin propre et la conversion précoce du personnage478 expliquent aussi la rareté des représentations accentuant son caractère démoniaque, bien que sa conception soit souvent représentée. Principalement situées dans la Suite Vulgate, les miniatures relatives aux transformations de Merlin, qui constituent la marque de fabrique du personnage à l’âge adulte, privilégient la métamorphose la plus spectaculaire de Merlin, celle en cerf, auprès de l’empereur romain. Elles accordent néanmoins une place à d’autres déguisements destinés à Arthur, sa cour et ses neveux. Non seulement ces transformations s’organisent en réseau au niveau du Merlin et de sa suite, bien que leurs illustrations soient assez sélectives, mais elles s’inscrivent également dans des séries plus limitées constituées des diverses apparences que Merlin adopte au sein d’un même épisode : il privilégie en effet les jeux de redoublement et d’accumulation. Devant Gauvain et ses compagnons, Merlin se change ainsi successivement en vieux berger, en chevalier, en messager, en vieil homme et à nouveau en chevalier, tandis qu’à Rome il apparaît d’abord comme un cerf puis comme un homme sauvage. Le choix de ces déguisements reflète la nature complexe du personnage.

478

« La nature de Merlin est diverse, mais les merveilles qu’il accomplit restent au service d’une intention politique et spirituelle ordonnée par Dieu », Revol, Thierry. « Diversité et unité, le Merlin de Robert de Boron », Merlin, roman du XIIIe siècle, Robert de Boron. Dir. Danielle Quéruel et Christine Ferlampin, Paris : Ellipses, 2000, p. 120.

412 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Si le don de métamorphose est un attribut diabolique, les séries de miniatures consacrées aux rencontres de Merlin et Blaise contribuent à la légitimation spirituelle et religieuse du personnage. La relative stabilité de ces images contraste avec la variété de celles qui se rapportent aux transformations de Merlin. Ponctuant le Merlin et sa suite, quoique proportionnellement plus nombreuses dans le texte original, elles ne servent pas de liant visuel entre les deux œuvres puisque leur illustration est presque exclusivement réservée à la continuation. Ces rencontres se distinguent par leur placement et leur contenu discursif, entre compte-rendu narratif et développement de prophéties relatives au devenir du royaume arthurien. D’un manuscrit à l’autre et au sein d’un même codex, la contextualisation visuelle de ces entretiens varie, intégrant ou non la représentation des forêts du Northumberland, le saint ermitage de Blaise, et la mise en scène de la genèse de l’écriture. La construction narrative du personnage de Merlin, marquée par le retour de ses métamorphoses, semble dans une certaine mesure aller à rebours du modèle biographique. Si les origines et les enfances du personnage sont narrées de façon chronologique et exposent son évolution, la représentation de Merlin adulte est beaucoup moins déterminée par une trajectoire de type progressif. Avant sa disparition ultime, c’est sous les traits d’un enfant qu’il se montre une dernière fois à la cour d’Arthur. Les révélations du personnage sur son origine à la cour de l’empereur romain contredisent en outre le récit de sa conception diabolique. Enfin la construction identitaire de Merlin passe autant par son établissement comme conseiller des rois de Bretagne que par la reconnaissance de son goût pour les métamorphoses et par l’identification du personnage derrière ses multiples avatars. Certes, les rencontres avec Blaise constituent un élément de stabilité et un point d’ancrage ponctuel au sein de la trame narrative. Elles s’établissent pourtant sur un modèle épisodique, partageant la relative autonomie et le caractère sériel des transformations de Merlin. Merlin émerge comme adjuvant des rois de Bretagne, accompagnant Arthur et ses troupes lors des différents conflits qui les opposent aux barons révoltés ou aux envahisseurs saxons. Il fait en outre l’objet d’historiettes relativement autonomes visant à exhiber ses pouvoirs prodigieux ou à rappeler son rôle dans l’élaboration d’un texte qui bénéficie alors de son autorité. Merlin n’occupe donc le devant de la scène que de façon intermittente, contribuant par le caractère circonscrit de certaines de ses interventions à souligner la construction paratactique du roman, même si corrélativement, ses absences ne l’empêchent pas de continuer à influencer la narration. L’illustration, bien que sélective, insiste sur la sérialité de ces épisodes dont l’intégration narrative semble parfois sommaire. Elle favorise la mise en correspondance de ces passages, invitant à lire l’ensemble comme un tout. Si les rencontres entre Merlin et Blaise fonctionnent sur le modèle de la répétition et de l’analogie, reflétant par leur accumulation le développement progressif de l’écriture de l’œuvre, les transformations de Merlin peuvent faire l’objet



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de regroupements logiques et thématiques et contribuent à approfondir la réflexion sur l’identité fuyante du personnage. Comme l’a montré Michelle Szkilnik, l’écriture des romans en prose est traversée par des tensions contradictoires : elle multiplie les effets d’échos entre des aventures qu’elle s’efforce de conjoindre étroitement et de motiver par une syntaxe narrative rigoureuse, tout en s’autorisant des échappées et des contradictions, par le biais de petits récits dont la relation avec l’intrigue principale est plus lâche mais qui satisfont à un désir ludique de fantaisie et d’évasion479. Ces passages peuvent se lire «  ensemble ou par pièces  »480, se développant de façon relativement indépendante tout en entretenant des liens avec le roman dans lequel ils s’insèrent. Pour Sophie Albert, on peut ainsi envisager «  une réception par épisodes, voire une réception partielle, plutôt qu’une lecture intégrale et suivie ». La composition narrative du texte en prose « dévoilerait la conscience d’une unité problématique ou, peut-être, une tension entre la globalité de l’œuvre et la présence de morceaux autonomes  ». Cela peut enfin renvoyer à la technique narrative de l’insertion de récits enchâssés dans le fil du récit principal. À partir de là, l’entrelacement ne contribue plus seulement à la conjointure d’épisodes convergents et intrinsèquement liés, mais permet aussi de rattacher le développement sériel d’aventures relativement autonomes dont on pourrait virtuellement modifier l’agencement par le biais d’ajouts et de suppressions481. L’apparente liberté de cette construction à tiroirs effectuée sur le mode de la compilation contraste cependant avec la stabilité textuelle de la Suite Vulgate, bien que les anecdotes relatives aux débuts prodigieux de Merlin soient parfois réagencées dans d’autres versions européennes du texte482. Le développement de récits seconds, caractéristique de la fabrique romanesque des œuvres de la fin du Moyen Âge, reste donc fédéré par le personnage de 479

480

481

482

Voir Szkilnik, Michelle. L’Archipel du Graal. Étude de l’ Estoire del Saint Graal. Genève : Droz, 1991 et Szkilnik, Michelle. « La cohérence en question : la Suite-Merlin et la constitution d’un cycle romanesque  », Materia de Bretanha em Portugal. Ed. L. C. Neves, M. Madureira et T. Amado, Lisbonne : Colibri, 2002, p. 9-27. Je reprends ici l’expression du copiste du manuscrit BNF, fr. 350 qui figure dans l’intitulé de la thèse de Sophie Albert : « Ensemble ou par pièces ». Guiron le Courtois (XIIIe-XVe siècles) : la cohérence en question. Paris : Champion, 2010, p. 10-11 ss. La formule s’applique à la construction du récit ainsi qu’à « la plasticité du corpus et [à] la mouvance des manuscrits ». Cela permet ainsi, par souci de complétude et de saturation, l’interpolation d’éléments de la Compilation de Rusticien de Pise et de la Continuation du Roman de Guiron dans le Méliadus. Voir Wahlen, Barbara. L’Ecriture à rebours, 2010, p. 345. Voir notamment Of Arthour and of Merlin. Ed. O. D. Macrae-Gibson, Oxford  : Oxford University Press, EETS, o. s. 268, 279, 1973-79, et Pieri, Paolino. La storia di Merlino. Ed. Mauro Cursietti. Rome  : Zauli, 1997, qui datent respectivement de la deuxième moitié du XIIIe siècle et de la première moitié du XIVe siècle. Voir Annexe 1 : La postérité du Merlin, sa diffusion européenne et ses versions imprimées. 

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Merlin dont les enfances nourrissent le Merlin propre. Dans la Suite Vulgate, la dissémination de ses transformations et le caractère épisodique de ses rencontres avec Blaise renforcent paradoxalement la cohésion d’un texte qui s’achemine progressivement vers la disparition de Merlin.

2. Merlin dans l’histoire des rois de Bretagne Si le début du Merlin est consacré aux origines et aux enfances du personnage éponyme, son parcours individuel se mêle très tôt à l’histoire des rois de Bretagne, à partir du tournant textuel que constitue la mention de la succession du roi Constant, suivie du récit de l’usurpation de Vertigier et du retour d’Uter et Pandragon483. La Suite Vulgate accentue le trait, si bien que l’on peut se demander si Merlin demeure le personnage principal ou s’il n’est pas ensuite relégué au second plan en tant qu’adjuvant du jeune roi Arthur qui va s’affirmer comme souverain de la Grande-Bretagne et dont le texte raconte l’ascension sur le trône et la geste héroïque. Merlin demeure une figure primordiale en tant que prophète et conseiller des rois bretons, mais il prend aussi pleine part aux combats menés par Arthur contre les barons révoltés et les envahisseurs saxons, exhortant les troupes et utilisant ses enchantements pour faire triompher le camp breton.

2.1. Le prophète et le conseiller des souverains bretons Doté par Dieu et par le Diable de la connaissance du passé, du présent et du futur, Merlin utilise ce savoir à des fins politiques, s’immisçant dans le règne des souverains bretons pour mettre en œuvre ce qu’il présente comme le plan divin. Si la manifestation précoce de ses dons extraordinaires en fait un puer senex, elle le met aussi très tôt en relation avec les rois de Bretagne dont il devient un conseiller et un familier. L’intervention de Merlin est cependant problématique, car s’il rend possible la conception d’Arthur, le secret dans lequel sont tenues l’affaire et la naissance de l’enfant est à l’origine de la difficulté du fils adoptif d’Antor à se faire reconnaître comme le fils légitime d’Uterpandragon et l’héritier du trône breton.

La tour de Vertigier et les prophéties de Merlin Fr. 105 (1325’) met en scène la merveille des dragons enfouis sous la tour de Vertigier484. La prophétie de l’enfant prodige se voit ensuite confirmée par le sort de Vertigier. L’illustration inscrit donc ce règne dans la perspec483

484

Jean Charles Payen va jusqu’à dire que le Merlin propre « est moins une histoire de Merlin qu’une histoire des rois bretons ». « L’art du récit dans le Merlin de Robert de Boron, le Didot Perceval et le Perlesvaus », Romance Philology, 17 (3), 1964, p. 570. Voir Fabry, Irène. « Construction impossible et défense improbable : la tour du roi Vertigier », 2009, p. 93-112.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 415

Figure 207 : BNF, fr. 105 f. 139v (1325’) Comment li roys Vertigier envoia quer Merlin par .XII. de ses serjans et comment les .II. dragons se combatirent l’un a l’autre et en fu li uns occis et ars du feu qui issoit l’autre de la guele. Merlin et Vertigier assistant au combat des dragons

Figure 208 : BNF, fr. 9123 f. 116 (1325’) Comment Merlins commence a parler obscures paroles que nuls ne povoit congnoistre devant qu’elles fussent avenues. Merlin prophétisant

tive de sa fin tragique. L’interprétation de Merlin joue sur la symbolique des couleurs rouge et blanc : l’embrasement de Vertigier est annoncé par la mort du dragon roux. Or la miniature de fr. 105 f. 139v (Figure 207) peint un dragon noir et un dragon vert, une représentation de type plus naturaliste qui porte en outre une connotation péjorative485. Les dons surnaturels de Merlin sont mis en valeur de façon différente dans fr. 9123 (1325’) lors de l’évocation de ses prophéties, recueillies en un « conte » grâce à leur mise par écrit à la cour d’Uterpandragon, après la confirmation de la triple mort du baron incrédule. Ce livre censé retranscrire fidèlement les paroles divinatoires de Merlin constitue une œuvre distincte de celle que rédige Blaise au sujet de son maître. L’histoire de Merlin se positionne donc par rapport à l’existence et à la notoriété d’un texte de sujet proche, potentiellement concurrent, tout en faisant sa propre promotion. La rubrique, reprenant presque mot à mot la phrase avant laquelle elle s’insère (Pl. I, 679), insiste sur l’hermétisme des prophéties (fr. 9123 f. 116, Figure 208). Au contraire, le livre de Blaise se déploie clairement comme le récit d’événements avérés dont Merlin est le témoin et le protagoniste. Or la miniature choisit en cet endroit de représenter non pas la dictée de Merlin à Blaise, la genèse fictionnelle du roman, mais l’activité prophétique du fils du diable. Merlin, dont l’aspect physique trahit les origines (il apparaît comme 485

Voir Pastoureau, Michel. Noir : histoire d'une couleur. Paris : Seuil, 2008 et Vert : histoire d'une couleur. Paris : Seuil, 2013.

416 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 209 : BNF, fr. 91 f. 20v (1480’) Comment Vertigier envoia querir Merlin par douze de ses serviteurs, et comment les deux dragons se combatirent li un a l’autre, et en fut l’un ars et mis a mort par le feu quy yssoit a l’autre de la gueulle. Merlin et Vertigier assistant au combat des dragons de la tour

un homme sauvage poilu, bien que de couleur claire), prophétise face à ses auditeurs. Les manuscrits jumeaux fr.  105 et fr.  9123 représentent donc Merlin de façon différente : celui-ci est dessiné comme une personne normale souvent revêtue d’un habit monastique dans le premier manuscrit, alors que dans le second il se distingue par un corps recouvert de poils. Fr. 9123 applique les caractéristiques données au personnage au début du Merlin, à l’occasion de la naissance de l’enfant prodige. La merveille de la tour est davantage contextualisée dans fr.  91 f.  20v (1480’) (Figure 209), qui prend pour modèle fr. 105, puisque les dragons, des créatures hybrides entre serpent et lynx ou léopard, se combattent au milieu d’un amoncellement de rochers. Merlin est représenté sous les traits d’un enfant qui, comme le personnage situé derrière lui, ôte son chapeau devant Vertigier et la merveille des dragons. À la composition symétrique adoptée dans fr. 105 succède une mise en scène où la figure royale n’est plus excentrée mais semble reprendre la prérogative. Vertigier se retourne cependant vers Merlin pour lui montrer le prodige. La miniature de fr. 91 a été réalisée par le maître de Charles de France avec une technique spécifique, une grisaille en différents camaïeux rehaussés d’or et parfois accompagnés de quelques touches de couleur rouge ou verte486. Ce type d’exécution pour des miniatures de grand format est exceptionnel dans la tradition iconographique du Lancelot-Graal et dans l’œuvre de l’artiste : il était réservé aux portraits compris dans les initiales historiées, comme c’est 486

Avril, François et Reynaud, Nicole. Les manuscrits à peintures en France : 1440-1520, 1993, p. 163 et 352-53.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 417

parfois le cas dans fr. 91, plutôt qu’à l’illustration principale. Cette technique contraste avec les deux premières images polychromes du Merlin, exécutées par le même peintre, d’autant que l’on passe de miniatures synoptiques à des images traitant d’une seule scène. À un point de vue distant porté sur plusieurs événements succède une focalisation sur quelques personnages et une scénographie plus dépouillée. Cela contribue à nettement dissocier les peintures consacrées à l’origine et aux enfances de Merlin et celles qui se concentrent sur l’histoire des rois bretons, même si Merlin est aussi amené à y participer. On peut souligner la rareté des représentations de l’épisode pourtant dramatique de la tour de Vertigier dans la tradition iconographique du roman de Merlin. Les dragons relèvent d’un bestiaire iconographique courant, et le passage est popularisé depuis Geoffroy de Monmouth par la tradition des prophéties de Merlin. Néanmoins, seuls fr. 749 f. 139 et BL, Add. 10292 f. 84v illustrent ce prodige, alors qu’il est enluminé dans d’autres manuscrits de l’Historia Regum Britanniae ou des chroniques anglaises. L’illustration des manuscrits du Merlin privilégie peut-être l’origine extraordinaire de Merlin et son rôle de conseiller des souverains bretons légitimes.

La conception d’Arthur Dans le Merlin propre, Merlin joue aussi un rôle fondamental en favorisant l’union d’Uterpandragon et d’Ygerne et la conception d’Arthur487. Fr.  105 représente la discussion entre Uter, Ulfin et Merlin concernant la passion du roi pour Ygerne. La rubrique résume l’intrigue et les différentes étapes de cette histoire (f. 153, Figure 211). Elle ne se contente pas de décrire l’image, c’est-à-dire le conseil entre les trois hommes, dans un contexte militaire, sous une tente, mais en développe aussi les conséquences. Il s’agit d’expliquer les conditions de la conception du successeur d’Uterpandragon, car même après le témoignage de Merlin, d’Ulfin et d’Antor, la légitimité d’Arthur fait objet de litiges au début de son règne. Dans ce groupe de manuscrits, l’iconographie de l’histoire d’Uterpandragon et d’Ygerne est peu développée. Fr. 91 f. 40 (Figure 210) montre le départ d’Uterpandragon pour Tintagel, mais cette scène de chevauchée est peu révélatrice de l’enjeu de cette histoire, alors que la rubrique évoque à la fois la fin tragique du duc et les circonstances de la conception d’Arthur. L’image ne rend pas compte du stratagème utilisé par le roi, aidé de Merlin, pour satisfaire sa passion pour Ygerne, alors que fr. 105 f. 153 (Figure 211), son modèle, montre le conseil précédant la transformation qui permet à Uterpandragon de s’introduire auprès de la duchesse sous les traits de son mari. Le caractère problématique de cette union illégitime qui, sur le modèle 487

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Rubriques et illustrations du règne d’Uter et Pandragon », 2011, p. 301-22.

418 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 210 : BNF, fr. 91 f. 40 (1480’) Comment le roy Pandragon alla a ost contre le duc de Tintagnel et comment le duc y fut occis, et comment le roy deceult Ygerne la femme au duc et coucha avec elle et engendra le roy Artus. Uterpandragon partant assiéger le château du duc de Tintagel

Figure 211 : BNF, fr. 105 f. 153 (1325’) Comment li roys Pandragons ala a ost contre le duc de Tintaguel et comment li dus y fu occis et comment li roys deçut Ygerne la femme au duc et comment il jut avec li et engendra le roy Artus. Merlin, Uterpandragon et Ulfin avant la conception d’Arthur

Figure 212 : Modène, Estense, E. 39 f. 40 (1215’) Conception d’Arthur



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 419

biblique de l’histoire de David et de Bethsabée, ternit le lustre moral de la figure royale explique peut-être le choix d’une image plus neutre dans le manuscrit réalisé pour l’archevêque de Genève. Par contraste, c’est l’engendrement du fils illégitime d’Uterpandragon et d’Ygerne qui est représenté dans le manuscrit de Modène, Estense, E. 39 f. 40 (Figure 140) et dans l’ex-Newcastle 937. Fr. 96 illustre la conception d’Arthur (f. 77), puis sa remise à Merlin (f. 79). Ces esquisses ne sont guère lisibles, mais on peut relever que dans ce manuscrit, lorsque Uterpandragon et Ygerne gisent ensemble, ils ne sont pas seuls. La présence de témoins assis sur un banc situé à l’extrémité du lit est peut-être justifiée par la volonté de dissiper les doutes planant sur la conception d’Arthur. De même, la représentation de l’intervention de Merlin permet de suivre le parcours de l’enfant une fois qu’il est abandonné par ses parents, comme pour anticiper et contrecarrer les attaques concernant son origine. Les scènes de conseil interviennent de façon récurrente dans la Suite Vulgate. Souvent en relation avec les épisodes de batailles, comme lors de la bataille de Bédingran ou de la guerre contre les Romains, elles constituent le lieu stratégique de la prise de décision politique et militaire. Ces réunions forment un cadre privilégié pour l’intervention de Merlin : ce dernier joue un rôle d’informateur, de messager et de conseiller. Au début de la Suite Vulgate, fr. 91 f. 52 (Figure 42) présente de façon symbolique la réunion de différents ordres de la société autour du nouveau roi alors que fr. 105 f. 162 reprend l’iconographie traditionnelle du couronnement (Figure 36), également adoptée dans son manuscrit jumeau fr.  9123 f. 131v (Figure 35). Après la victoire de Léodegan et de ses alliés contre les Saxons à Carohaise, Merlin raconte ainsi à Arthur, Ban et Bohort les dégâts causés par les Saxons dans le royaume de Logres et son intention d’aller aider les neveux du souverain (Pl. I, 983). De retour en Carmélide, Merlin fait le récit des exploits de Gauvain et des jeunes gens qui l’accompagnent, et il donne à Arthur et à ses alliés un plan d’attaque pour délivrer Danablaise, assiégée par le roi Rion (Pl. I, 1066). La représentation des scènes de conseil joue alors un rôle structurant, puisqu’elle accompagne le procédé de l’entrelacement. Dans fr. 9123 ff. 178v et 195v et dans fr. 105 f. 230, elles ne sont pas figurées comme des réunions formelles au cours desquelles le souverain consulte ses vassaux, mais comme des conseils privés prodigués par Merlin dans une certaine intimité.

2.2. Le guide spirituel et le chef militaire : un nouveau Turpin dans la geste du roi Arthur  Ni le Merlin en prose ni la Suite Vulgate ne comprennent de prologue métadiscursif susceptible de nous éclairer sur les intentions poétiques de l’auteur et du continuateur. Le terme d’estoire est pourtant régulièrement utilisé pour désigner le récit qui suit l’Estoire del Saint Graal, aux moments charnières

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de la narration, à la fin de l’Estoire, au début et à la fin du Merlin ainsi qu’au terme de la Suite Vulgate. Cette histoire de Merlin désigne principalement la constitution d’un ensemble narratif qui cherche sa cohérence autour du personnage éponyme. Tout en étant intrinsèquement liée à l’histoire des rois de Bretagne, elle prend ses distances par rapport à l’histoire sainte en laquelle elle s’origine. L’auteur de la Suite Vulgate, plus encore que celui du Merlin propre, participant à la construction romanesque de « l’histoire fictive d’un royaume imaginaire »488, met en exergue les « Premiers faiz le roy Artu » (Bonn, ULB, 526 f. 82), exploitant une matière composite inspirée à la fois des chroniques et des chansons de geste489. Comme le souligne Michelle Szkilnik, ce trait différencie nettement la Suite Vulgate de la Suite Post-Vulgate : A la logique épique qui prévaut dans la Suite Vulgate et dans le début du Livre d’Artus se substitue dans la Suite du Merlin une logique romanesque. Les deux premiers textes développement un conflit féodal qui oppose les barons rebelles à leur nouveau roi et se conclut par le triomphe de l’idéologie royale. Ils campent un Arthur héroïque massacrant joyeusement les païens, à l’instar de Charlemagne490.

La Suite Vulgate développe ainsi une orientation à la fois historique et épique déjà présente dans le Merlin propre où elle alterne cependant avec d’autres modes narratifs. L’histoire des successions de Constant ou d’Uterpandragon et les récits de la bataille de Salesbières et des guerres menées par Uter contre les Saxons à la fin de son règne occupent une place restreinte dans le Merlin propre. Ils constituent pourtant le point de départ de développements politiques et militaires considérablement amplifiés dans la continuation. Au début du XIIIe siècle, l’écriture de la chanson de geste continue d’influencer à la fois les textes romanesques et les récits historiques en prose vernaculaire dont ils sont contemporains491. Les motifs épiques492 que constituent l’énumération des combattants493 et les scènes de conseils ou de combats, se transmettent de la chanson de geste au roman et au récit historique. Le roman médiéval procède d’une translation de la matière antique 488

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492 493

Gallais, Pierre. «  Recherches sur la mentalité des romanciers français du Moyen Âge  », Cahiers de Civilisation Médiévale, 13, 1970, p. 338 ss. Voir Fabry, Irène. « La Suite Vulgate, 'Suite historique' du Merlin? Histoire et roman dans un récit arthurien en prose ». Tracés, Genres et Catégories, Lyon, ENS-Editions, 2006, 10, p. 75-94, http://traces.revues.org/index151.html (01/08/2011). Szkilnik, Michelle. « La jeunesse guerrière d’Arthur », Jeunesse et Genèse du royaume arthurien, les Suites romanesques du Merlin en prose. Dir. Nathalie Koble. Orléans : Paradigme, 2007, p. 32. L’apparition des histoires en vernaculaire dès 1140-50, était déjà contemporaine de celle des premiers romans, d’ailleurs écrits dans un mètre commun (la suite d’octosyllabes à rimes plates), et par les mêmes auteurs comme Wace ou Benoît de Sainte Maure. Voir Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, p. 30-48. Voir Martin, Jean-Pierre. Les motifs dans la chanson de geste, 1992, p. 11 ss. Ce motif est notamment repris au début de la bataille de Carohaise où les quarante compagnons d’Arthur sont systématiquement énumérés (Pl. I, 912-13).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 421

épique494 elle-même dotée, comme la matière de France, d’une valeur historique, et il adopte la forme de l’octosyllabe tout en développant des motifs spécifiques495. Au XIIIe siècle, le roman a déjà une histoire et une tradition, mais son évolution correspond à l’adoption d’une nouvelle forme, la prose, qui se dit apte à véhiculer une matière historique et vraie, et digne de ­crédibilité, sans pour autant renoncer à des prétentions littéraires. Si la Suite Vulgate est fortement déterminée par le modèle historiographique, le roman influence en retour l’écriture de l’histoire. Le modèle que procure l’Historia de Geoffroy de Monmouth est celui d’une histoire romanesque, et Wace et Layamon vont développer les éléments chevaleresques de la légende496. Inversement, la structure narrative de la littérature historique au Moyen Âge est façonnée par les conventions du récit de fiction. L’écriture historique est un produit littéraire et recourt en langue vernaculaire aux mêmes procédés stylistiques et rhétoriques que les textes à caractère romanesque. Le traitement des batailles et les descriptions de l’agencement des troupes sont liés dans les textes romanesques et historiques à l’utilisation de motifs stéréotypés. Si la Suite Vulgate rompt l’ordonnancement métrique qui détermine le récit en vers, elle utilise toujours un style très formulaire, des effets rythmiques et des jeux d’énumération ainsi qu’un lexique qui rappellent l’écriture de la chanson de geste, dans une veine qu’explorent d’autres textes du cycle du Graal comme le Lancelot ou la Mort Artu. Ces procédés créent une impression de saturation auditive et visuelle, soulignant l’intensité du combat. Des outils rhétoriques mettent en valeur coups extraordinaires et événements notables et mémorables ou encore merveilleux. Les mentions d’exploits individuels alternent avec l’adoption d’un point de vue surplombant qui permet d’apprécier la fureur du combat et la prouesse collective par le recours à l’hypotypose. Comme le souligne Richard Trachsler,

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Les plus anciens récits romanesques se sont constitués à partir de longues versifications françaises de récits comme la Thébaïde de Stace ou l’Enéide même s’ils sont progressivement colorés par l’influence de la poésie lyrique courtoise. Zumthor, Paul. Langue, texte, énigme. Paris : Seuil, 1975, p. 241. Petit, Aimé. Naissances du roman. Les techniques littéraires dans les romans antiques du XIIe siècle. Paris : Champion, 1985, p. 296 ss. La tradition historiographique, après la rédaction des grands cycles romanesques en prose au XIIIe siècle, semble prendre des orientations différentes en France et en Angleterre. Les chroniques françaises qui débutent avec la matière arthurienne sont prédisposées à un traitement chevaleresque des événements, mais ce type d’histoire chevaleresque n’est pas central dans la tradition anglaise, car à partir du milieu du XIVe s., la langue française décline en Angleterre, et les Chroniques de Froissart semblent avoir peu d’influence directe sur les chroniques anglaises du XVe siècle. Taylor, John. English Historical Literature in the Fourteenth Century. Oxford : Clarendon, 1987, p. 46 ss. La langue demeure pourtant un élément qui relie et distingue Français et Anglais tout au long de la guerre de Cent Ans : cette dernière ne constitue pas tant un conflit entre deux nations qu’un affrontement à la fois féodal et familial. Voir Butterfield, Ardis. The Familiar Enemy : Chaucer, Language and Nation in the Hundred Years War. Oxford : Oxford University Press, 2009, partie I, ch. 3.

422 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Des formules peuvent migrer d’un genre à l’autre, des motifs [...] peuvent apparaître dans des contextes inattendus et génériquement non limités [...]. Des affinités dans l’organisation du récit et des influences thématiques transgénériques achèvent de brouiller les pistes. Dans ces conditions, un « type », une « formule » ou un « motif » peuvent appartenir à plusieurs matières narratives et renvoyer simultanément dans plusieurs directions497.

La reprise de motifs et de formules épiques témoigne du succès prolongé de l’univers guerrier mis en place dans la chanson de geste et de l’idéologie qui lui est associée ainsi que de leur pénétration dans le roman arthurien en prose498. Les textes historiques et romanesques en prose portent encore la marque du style épique, et souvent le roman utilise les mêmes procédés que l’historiographie dans l’identification de ses sources, le rassemblement de sa matière, son amplification et son appropriation. DU XIVe au XVIe siècle, les remaniements et mises en prose des chansons de geste antérieures et leur évolution romanesque témoignent, dans un mouvement convergent, d’un processus plus général de « confluence générique »499 ou « d’interférence des matières narratives »500.

L’action militaire de Merlin Si l’écriture de la Suite Vulgate est marquée par le modèle de textes historiques et épiques, la mise en scène iconographique des combats privilégie aussi des compositions stéréotypées qui font écho au caractère très codifié de leur écriture. Dans l’illustration, le cadrage resserré de l’image et la densité de la représentation peuvent suggérer visuellement le caractère frénétique de l’affrontement. Dans la Suite Vulgate, Merlin prend régulièrement part aux combats. Sur le plan visuel, la mise en scène de son action guerrière au cours de la bataille de Danablaise contre le roi Rion, représentée dans BNF, fr. 9123 f. 206v (Figure 213), ne se distingue guère de celle des autres combattants, faisant 497

498

499

500

Trachsler, Richard. Disjointures – Conjointures. Étude sur l’interférence des matières narratives dans la littérature française du Moyen Âge, Bâle ; Tübingen : Francke, 2000, p. 36-37. Une étude comparative menée sur le récit du combat singulier dans la chanson de geste et le roman arthurien, en prose comme en vers, au XIIIe siècle montre que ces différents textes suivent une même structure générale formée de quatre séquences successives consacrées au mouvement du cheval, à la portée du coup, à ses effets, et aux résultats du combat. Ils recourent en outre au même style formulaire : on constate ainsi « des survivances d’un style épique traditionnel, des permanences de formules, avec une grande fixité du lexique et des structures », ce qui remet en question « la traditionnelle division en genres dans la littérature narrative du XIIe siècle ». Aragón Fernández, María Aurora et Fernández Cardo, José Manuel. « Les traces des formules épiques dans le roman français du XIIIe s. : le combat individuel », Essor et fortune de la chanson de geste dans l’Europe et l’Orient latin. Modène : Mucchi, 1984, p. 435-63. Ainsi l’intertextualité épique « franchit sans cesse les bornes du genre » : « il s’agit de la « contamination » par des matières diverses ». Maddox, Donald. « Les figures romanesques du discours épique et la confluence générique », Essor et fortune de la chanson de geste, 1984, p. 521. Trachsler, Richard. Disjointures – Conjointures, 2000, p. 10-14. Travaillant sur un corpus de textes narratifs allant du XIIIe au XVe siècle, le critique se concentre sur « l’interférence des personnages clairement issus de matières hétérogènes », mettant au second plan d’autres options comme le « motif », le « style », ou « l’intrigue ».



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 423

Figure 213 : BNF, fr. 9123 f. 206v (1325’) Comment Merlins enchace une grant compaignie de Saisnes qui bien estoient .X. mille ou plus. Merlin poursuivant les Saxons

de lui un soldat à part entière, au même titre que Guiomar ou Antor qui figurent au recto du même folio (fr. 9123 f. 206 b et c) : Du point de vue de l’illustration, il est rare que la présence de Merlin soit spécifiquement mise en valeur sur le champ de bataille, même s’il est possible de l’identifier avec le porteur de l’enseigne d’Arthur, quand il ne s’agit pas de Keu. Deux manuscrits insistent pourtant sur sa participation au combat en le distinguant visuellement de tous les autres combattants. Dans BNF, fr. 95, Merlin apparaît dans un habit ecclésiastique lors des deux batailles de Carohaise (ff. 190v et 327, Figure 214). BNF, fr. 749 f. 195v (Figure 215) n’insiste pas sur l’autorité quasi religieuse du personnage mais au contraire sur sa nature prodigieuse et son origine diabolique, ce dont témoignent ses caractéristiques physiques ainsi que la symbolique des couleurs. Merlin se reconnaît à sa chevelure noire et frisée, il porte un chapeau noir plutôt qu’un heaume et se distingue par sa monture ou son habit de couleur noire. Merlin participe aux combats, mais il se livre aussi en amont à un travail stratégique, planifiant la bataille et intervenant directement dans le rassemblement des troupes arthuriennes et des divisions alliées. Sa médiation joue ainsi un rôle déterminant avant la bataille de Bédingran, comme le soulignent fr. 105 et 9123. Dans fr. 105, Merlin apparaît tantôt en habit militaire, à l’instar de Léonce de Palerne, Pharien et Antoine, tantôt en costume civil (f. 174, Figure 216), ce qui le distingue des combattants. Fr. 9123 f. 143 insiste davantage sur les négociations politiques menées par l’intermédiaire de Merlin et souligne son altérité en mettant visuellement en valeur

424 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

(f. 190v, détail) Figure 214 : BNF, fr. 95 f. 190v (1290’) Merlin à la bataille de Carohaise

Figure 215 : BNF, fr. 749 f. 195v (1300’) Merlin à la bataille de Carohaise

Figure 216 : BNF, fr. 105 f. 174 (1325’) Comment li roys Artus ordena sa gent et ses batailles par le conseil de Merlin et comment Merlins s’esvanui des gens au roy Artus et comment il mirent pluiseurs gaites es chemins que nulz des barons ne leur eschapast. Arrivée de Merlin à Bédingran

l’intervention bénéfique de cet être extraordinaire entièrement couvert de poils. La dimension militaire de l’alliance entre Arthur et Ban et Bohort est accentuée dans fr. 105 par la mise en scène d’une série de campements militaires et de mouvements de troupes armées. La préparation de la bataille prend visuellement davantage d’importance que l’affrontement lui-même. Jacques Le Goff distingue trois types de manifestations du surnaturel au Moyen Âge : le miraculeux qui correspond au « surnaturel proprement chrétien  », le magique, qui est son opposition diabolique et le merveilleux qui regroupe « toutes les étrangetés qui ne viennent ni de Dieu ni du



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 425

Diable »501. La figure de Merlin interroge pourtant la distinction entre ces différentes catégories : si son don de métamorphose et sa capacité à réaliser des enchantements extraordinaires proviennent de son origine diabolique, son omniscience doit autant au démon, qui lui donne la connaissance des choses passées qu’à Dieu lui-même, qui équilibre cette influence en le dotant de la connaissance des choses futures (Pl. I, 594).

L’enseigne d’Arthur : l’étendard au dragon La représentation de l’enseigne magique d’Arthur est un élément caractéristique de l’illustration des combats dans la Suite Vulgate. Le dragon, emblème d’origine orientale, formé d’une tête de métal et d’un corps souple de tissu ou de peaux502, qui apparaît à de nombreuses reprises sur la colonne de Trajan comme enseigne des Daces, est adopté par les cohortes romaines à partir du IIe siècle, et a ensuite été associé à la figure impériale503. Le De re militari de Végèce (fin du IVe-début du Ve siècle) qui précise que le porteur de l’enseigne au dragon, appelé draconarius, est un soldat d’élite appartenant généralement à l’ordre équestre504. Durant le Bas Moyen Âge, le dragon constitue un emblème privilégié chez les peuples de Grande-Bretagne, pour les rois de Mercie et de Galles, les Angle et les Saxons505. Il continue également d’être employé par la cavalerie carolingienne506. A la fin de la tapisserie de Bayeux (XIe s.), peu avant la mort d’Harold, est aussi représenté un groupe de soldats à pieds dont l’un tient une enseigne formée d’une hampe au bout de laquelle se trouve un dragon. Si cette représentation manifeste le succès prolongé de l’enseigne au dragon dans un contexte militaire, les figurations iconographiques de ce motif témoignent peut-être aussi de l’influence de l’image biblique du serpent d’airain mentionné dans l’Exode (21, 1-9). Le serpent présente en effet des connotations très contrastées puisqu’il apparaît aussi bien comme emblème protecteur et 501

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503

504 505

506

Le Goff, Jacques. « Le merveilleux dans l’Occident médiéval », L’Etrange et le Merveilleux dans l’Islam médiéval. Dir. M. Arkoun, J. Le Goff, T. Fahd et M. Rodinson, Paris, Ed. J. A., 1978, p. 61-79 ; Le Goff, Jacques. L’imaginaire médiéval, Paris : Gallimard, 1985, p. 151-87. Il est décrit dans les Res Gestae rédigées par Ammien Marcellin dans la deuxième partie du IVe siècle : voir Ammien Marcellin, Histoire. Ed. et trad. Édouard Galletier. Paris : Les Belles Lettres, 1968, t. 1. Livre XVI, 10, 4 et Malcor, Linda. « Merlin and the Pendragon : King Arthur’s ‘Draconarius’ », Arthuriana, 10 (1), Essays On Merlin, 2000, p. 6. Bury, John Bagnell, Cook, Stanley Arthur et Adcock, Frank Ezra. The Cambridge Ancient History. Cambridge : Cambridge University Press, 1954, t. 8, p. 546. Voir Malcor, Linda. « Merlin and the Pendragon : King Arthur’s ‘Draconarius’ », p. 3-13. Voir Tatlock, John. « The Dragons of Wessex and Wales », Speculum, VIII (2), 1933, p. 223. Dupuy, Trevor. International Military and Defense Encyclopedia. Washington ; New York : Brassey’s, 1993, t. 2 p. 948. Au IXe siècle, un étendard au dragon apparaît dans le psautier de St Gall, Stift-Bib. 22, p. 140, pour l’illustration du psaume 59/60.

426 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

préfiguration du Christ que comme signe diabolique507. Cette ambivalence sied parfaitement au personnage de Merlin. L’étendard merveilleux prodigué par Merlin à Arthur rappelle le signe prodigieux qui conformément à la prédiction du prophète scelle la victoire d’Uter contre les Saxons au troisième jour de la bataille de Salesbières : « Et au tiers jours a toute vostre ost, si tost com li jours sera biaus, vous verrés aller un dragon en l’air vermeil et courra entre le ciel et la terre. Et quant tu auras veüe, si te puez combatre seürement que tes gens averont la victoire » (Pl. I, 685).

Terrifiant les adversaires des princes chrétiens508 et contribuant à l’exaltation des forces bretonnes au cours du combat, ce dragon merveilleux joue un rôle stratégique puisqu’il sert de signal pour lancer l’offensive : Lors aparut li moustres en l’air, uns dragons vermaus, et jetoit fu et flambe et parmi le nés et parmi la bouche, ce estoit avis a tous ciaus de l’ost. Si s’en esmaierent molt li Saisne et en orent molt grant paor. Et Pandragon et Uter disent a lor gent : « Courons lor sus ! » Et il si fisent. « Car il sont desconfit, car nous avons veü tous les signes que Merlins nous a dit » (Pl. I, 686-87).

Le dragon volant au-dessus de la mêlée est représenté en rose dans BL, Add. 38117 f. 53 (Figure 217), en rouge dans BL, Add. 10292 f. 90 (Figure 218), en grisaille dans BNF, fr.  91 f.  31 (Figure 219) et en or dans Pierpont Morgan, 207 ff. 123v et 130 (Figure 220 et Figure 221). Dans fr. 91, par contraste avec la mêlée de fr. 105 f. 146v, les troupes sont plus parsemées, et deux duels chevaleresques sont mis en scène au centre de l’image. Alors que la rubrique insiste sur la mort de Pandragon et la transmission de son pouvoir à Uter, le décès du roi, pourtant illustré dans fr. 105, n’est pas représenté. L’image semble ainsi tempérer la violence du combat et l’hécatombe décrite dans le texte : l’affrontement prend alors une forme très civilisée. L’enseigne au dragon évoque en outre la figure de Pandragon et le nom d’Uterpandragon adopté par le père d’Arthur à la mort de son frère en souvenir de cette bataille :

507

508

Voir Mâle, Emile. L’art religieux du XIIIe s. en France : étude sur l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration. Paris : Armand Colin, 1902 ; 1993, livre 4, ch. 2 ; Schiller, Gertrud. Iconography of Christian Art. 2, The Passion of Jesus Christ. Trad. Janet Seligman. Londres : Lund Humphries, 1972, p. 126-28 et Malcor, Linda. « Merlin and the Pendragon : King Arthur’s ‘Draconarius’ », p. 6-7. Cet effet apparaît également lors de la seconde bataille de Carohaise contre le roi Rion : « Et Merlin vint l’enseigne empoignie en la main ou li dragons estoit qui très parmi la goule jetoit fu et flambe et se fiert en la greignour presse. Et quant la gent le roi Rion virent le fu et la grant merveille du dragon si en ont paour et guerpissent la presse... » (Pl. I, 1547).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 427

Lors dist Merlins et conta la senefiance del dragon. Et dist que li dragons estoit venus senefier la mort Pandragon et le sauvement Uter. Et que il fu mesavenu au roi pour la mort de lui et pour la senefiance de la bataille et pour la moustre du dragon fu puis tous jours apelés li rois Uterpandragon (Pl. I, 688).

Dans l’Historia Regum Britanniae, une étoile apparaît dans le ciel à la bataille de Winchester, prolongée par une boule de feu en forme de dragon d’où sortent plusieurs rayons. Merlin explique que ce présage annonce la mort d’Aurelius Ambrosius et la descendance d’Uter. Ce dernier fait alors fabriquer une enseigne d’or qu’il emportera au combat. Il se fera ensuite appeler Uterpandragon, « Pendragon » signifiant en langue bretonne « tête de dragon »509. Du point de vue étymologique, le nom Pandragon proviendrait d’un mélange entre le latin « caput dragonis » et le celte où « pen » désigne la tête. Merlin apparaît ainsi d’après Mireille Demaules comme « le créateur d’un symbole qui se transmet de père en fils dans le lignage d’Arthur » : Prodige, emblème héraldique et symbole onirique, le dragon créé par Merlin semble un symbole royal signifiant la puissance et la souveraineté510.

L’enseigne au dragon est également mise en scène dans la bataille de Clarence qui ouvre le Livre d’Artus. Dans ce texte, le dragon est plus explicitement présenté comme un produit de la magie de Merlin et il a pour senefiance d’annoncer la trahison de Mordred et la fin du royaume arthurien : son symbolisme est donc considérablement développé511. On peut mettre ce passage en relation avec le Lancelot propre où un ermite raconte à Mordret comment Arthur, qu’il lui révèle être son père, a rêvé qu’un grand serpent sortait de ses entrailles. Cela permet d’expliquer les origines de Mordret car cette « parturition monstrueuse » désigne Arthur comme « le géniteur du serpent », ainsi que de « souligner de manière plus mystérieuse le lien de parenté entre Arthur et Mordred, le dragon servant d’emblème guerrier au lignage du roi Arthur »512. Dans le manuscrit de New York, l’adoption de cet emblème est anticipée puisque trois drapeaux de gueules au dragon d’or flottent sur les navires qui ramènent Uter et Pandragon à Winchester où ils affrontent Vertigier (f. 123v, Figure 220). Même si les couleurs ne sont pas concordantes, on peut y voir la réalisation de la prédiction de Merlin concernant la merveille de la tour qui s’écroule. En effet, le prophète explique à l’usurpateur :

509 510 511

512

Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain, 2007, § 133-35. Demaules, Mireille. La corne et l’ivoire, 2010, p. 422. Merlin fait ainsi lever « par art de nigramance un dragon tout noir de goutes vermeilles » : « Et por voir senefiance avoit il molt grant u dragon, quar ce nos retrait l’Estoire des Estoires, tesmoing la prophetie de Merlin que li cors ou dragon senefie la gent du roi Artus et la grant coe que il avoit longue tortice senefie la traïson du mauvais pueple de la terre qui en la fin ver lui se revelerent... » LA, p. 14. Demaules, Mireille. La corne et l’ivoire, 2010, p. 421.

428 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 217 : BL, Add. 38117 f. 53 (1310’) Bataille de Salesbières

Figure 218 : BL, Add. 10292 f. 90, (artiste 1) (1316) Ensi que une bataille des Saines et du roy Pandragon en lequel li rois fu ocis. Bataille de Salesbières : mort de Pandragon

Figure 219 : BNF, fr. 91 f. 31 (1480’) Comment le roy Pandragon et Uter son frerre se combatirent aulx Cesnes et y fut occis le roy Pandragon, et comment Uter Pandragon descomffit tous les Sesnes, et aprés ce il tind tout le royaulme de son frerre. Bataille de Salesbières

« Li [dragons] rous senefie toi et li blans senefie les fix Coustant [...]. Il ne puet estre que tu ne muires del fu as enfans Costant ensi come tu veïs le blanc dragon ardoir le rous » (Pl. I, 646-48).



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 429

Figure 220 : Pierpont Morgan, 207 f. 123v (1450’) Bataille de Wincestre

Figure 221 : Pierpont Morgan, 207 f. 130 (1450’) Bataille de Salesbières

(f. 123v, détail)

430 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

L’enseigne d’Arthur, outre ses pouvoirs magiques, est donc une figure emblématique et mémorielle dotée d’une interprétation symbolique propre à l’histoire des rois bretons, dont elle représente le lignage et la souveraineté. Dans la Suite Vulgate, la merveille est davantage canalisée  : le dragon n’apparaît plus comme une créature surnaturelle survolant librement le champ de bataille, mais il constitue l'enseigne de bronze que Merlin donne au roi Arthur, lors de sa première bataille contre les barons rebelles : Et Merlins donna au roi Artu une baniere ou il ot molt grant senefiance, car il i avoit un dragon dedens, et le fist fermer en une lance et il jetoit par samblant fu et flambe par la bouche, si avoit une keue tortice molt longe. Cil dragons dont je vous di estoit d’arrain, si ne sot onques nus ou Merlin le prist. Et il fu a merveilles legiers et maniables et le bailla a Keu le seneschal a porter par tel couvent qu’il fu puis a tous les jours de sa vie maistres gonfanonniers del roaiaume de Logres (Pl. I, 786).

La première mention de cet objet rationalise l’artefact qui semble uniquement doté d’un pouvoir illusionniste. Le métal dans lequel il a été exécuté rappelle l’enseigne d’or forgée par Uterpandragon dans l’Historia Regum Britanniae (§ 135). Pourtant, les références ultérieures à l’enseigne montrent que le dragon prend réellement vie. Ainsi, lors de la bataille de Danablaise contre le roi Rion, il crache du feu qui consume les bannières ennemies : Lors s’en tourne Merlins le dragon en sa main qui jetoit brandons de fu parmi la goule si que li airs en devint tous vermeus et onques mais ne les avoit si grans jetés, et chaïrent li brandon sor les banieres as gaians que toutes esprisent en clere flambe et ce fu une chose par coi il furent molt esfreé et molt espoenté de la merveille que il voient (Pl. I, 1095).

Or pour Anne Berthelot, le dragon « convient beaucoup moins à Arthur qu’à ses père et oncle » : Aucun texte prophétique n’associe le rex quondam rexque futurus de la GrandeBretagne avec un dragon : ses contreparties animales sont, soit l’ours pour des raisons étymologiques, soit comme on l’a vu chez Geoffroy de Monmouth, le sanglier. L’introduction d’un dragon dans le cours du récit constitue un hommage aux épisodes antérieurs du cycle romanesque, et une tentative de la part d’un texte de transition au statut incertain de s’inscrire dans une tradition honorable, mais cette tentative avorte assez rapidement [...] dans un récit plus soucieux de scènes de bataille que de séquences symboliques513.

Certes, les mentions de l’étendard au dragon dans la Suite Vulgate ne développent pas son origine et sa senefiance comme dans le Merlin propre, mais la continuation peut se fonder sur ce qui a déjà été mis en place dans le

513

Berthelot, Anne. « Dragon rouge / dragon blanc, dragon d’or / dragon d’airain : les avatars du dragon dans le corpus merlinesque », Le Dragon dans la culture médiévale : colloque du Mont-Saint-Michel, 31 octobre-1er novembre 1993. Greifswald : Reineke, 1994, p. 11-25.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 431

texte précédent. Ainsi Add. 10292 (1316) qui comprend une seule miniature représentant l’emblème magique, située dans le Merlin lors de la mort de Pandragon, fait figure d’exception (f. 90, Figure 218). La plupart des manuscrits enluminés où apparaît le dragon mettent en place des séries d’images distribuées à la fois dans le Merlin et dans sa suite, quand ce n’est pas exclusivement dans la continuation. Le manuscrit BNF, fr. 95 est celui où l’enseigne au dragon avec sa queue « tortice » est le plus systématiquement représentée, même lors de la bataille de Bédingran contre les barons rebelles (f. 173, Figure 222), où l’on mentionne l’enseigne d’Arthur sans la décrire, contrairement à celles des rois Ban et Bohort (Pl. I, 826-53). Les miniatures qui représentent l’enseigne sont souvent de composition très similaire au sein d’un même manuscrit, même si dans Pierpont Morgan, 207 f. 130 (Figure 221), le monstre représenté à la bataille de Salesbières contraste avec l’image figurant sur l’étendard d’Arthur dans les autres miniatures. Lors de la bataille de Salesbières, qui oppose l’armée des fils de Constant à celle des Saxons, chaque groupe armé constitue une masse compacte, hérissée de lances, au-dessus de laquelle flotte leur enseigne. Au premier plan, les lances ont déjà été brisées et les combattants s’affrontent à l’épée. Le dragon ailé, crachant du feu, surplombe la bataille, c’est lui qui donne le signe de l’attaque. Soit le dragon crachant du feu est planté au sommet d’une hampe, ce qui met visuellement en valeur le prodige (c’est le cas dans la plupart des manuscrits de la fin du XIIIe siècle, fr. 770, 95, 344 et 749), soit il apparaît comme un étendard plus conventionnel sur lequel est représenté l’animal (BL, Add. 10292, Pierpont Morgan, 207-208 et BNF, fr. 91). Cette bannière apparaît dans plusieurs miniatures consacrées à la première bataille de Carohaise (fr. 344 f. 121v, fr. 95 ff. 190v et 191v et fr. 749 ff. 193v et 195v). Merlin traverse ainsi la ville en arborant l’étendard merveilleux : Porta l’enseigne tele que a grant mervelle fu le jour esgardee d’uns et d’autres. Car il portoit el somet un dragon petit, ne gaires grant, qui avoit la keue longe une toise et demie tortice et avoit la goule baee si grant qu’il vous fust avis que la langue qui dedens estoit se branlast tous jours et li sailloient estinceles de fu hors de la goule parmi l’air (Pl. I, 902).

Il porte également l’enseigne au cœur de la mêlée où elle répand une lumière extraordinaire : Et Merlins fu devant a toute l’enseigne [...]. Et li dragons qu’il portoit rendoit parmi la goule si grans brandons de fu qu’il s’en montoit lasus en l’air que cil qui estoient desus les murs de la cité en voient la clarté de demie lieue loing et plus, ce lot iert avis (Pl. I, 908-909). Le dragon que Merlins portoit [...] jetoit parmi la goule fu et flambe si grans flotiaus de cops a autres que li airs en estoit tous vermaus (Pl. I, 924).

La mention systématique du point de vue des spectateurs et de l’effet produit sur eux pourrait suggérer qu’il s’agit uniquement d’une illusion,

432 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 222 : BNF, fr. 95 f. 173v (1290’) Bataille de Bédingran : Arthur contre les barons rebelles

pourtant le prodige semble bien avéré. La description du dragon, qui frappe l’imagination, se prête bien à la représentions picturale, fr. 95 et 749 reprenant même le détail de la « queue tortice ». L’enseigne joue parfaitement son rôle militaire de repère et d’objet de ralliement au cours de l’affrontement et elle indique à plusieurs reprises la venue de renforts : Et quant [li .CC.L. chevalier de la Table Reonde] voient devant aus l’enseigne au dragon que Merlin portoit, si guencissent cele part... (Pl. I, 918).

Lors de l’affrontement de Carohaise, les miniatures de fr.  95, 344 et 749 révèlent différentes techniques et stratégies d’illustration. Dans fr.  344 f.  121v (Figure 223), la mêlée sature l’initiale historiée  : les casques des chevaliers sont ramassés dans la partie supérieure de l’image, tandis que le niveau inférieur est jonché des cadavres de soldats tombés sur le champ de bataille, ce qui accentue l’intensité du corps à corps où sont échangés coups de lances et coups d’épée. Les marques rouges du sang qui coule et des blessures infligées sont omniprésentes, et le mouvement des armes contraste avec l’immobilité des cadavres représentés au-dessous. L’espace de l’initiale est complètement saturé. L’enseigne au dragon se situe en dehors de la miniature. Elle constitue, avec l’épée brandie par l’un des guerriers, l’un des éléments qui débordent à la fois



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 433

Figure 223 : BNF, fr. 344 f. 121v (1295’) Bataille de Carohaise

Figure 224 : BNF, fr. 749 f. 193v (1300’) Bataille de Carohaise

de la lettre historiée et du cadre dans lequel cette dernière est insérée. Cet élément surnaturel est concrètement et symboliquement placé en surplomb par rapport à l’action car il joue un rôle déterminant concernant l’issue de l’affrontement. Fr.  95 f.  190v (Figure 214), montre l’opposition de deux groupes de combattants, l’armée d’Arthur et celle des Saxons. Le personnage de Merlin, reconnaissable à sa barbe et à son habit monastique, se situe à l’avant du groupe, au cœur de la bataille, tandis que le dragon à la queue « tortice » qui lui sert d’étendard surplombe la bataille. L’illustration de fr. 749 f. 193v (Figure 224) insiste encore davantage sur la figure de l’enchanteur, placé au centre de l’image. Porté par un cheval noir pommelé, une couleur potentiellement inquiétante, il brandit un étendard sur lequel s’appuie un dragon dont c’est la plus imposante représentation dans ce manuscrit. En effet, dans fr. 749 ff. 195v et 230, le monstre est de couleur moins vive ; cantonné dans la partie supérieure de la miniature, il n’occupe plus qu’un espace très réduit, comme dans fr.  344. Fr.  749 met donc en exergue le rôle de Merlin, placé au premier plan, au centre de la scène, à l’avant des troupes conduites par le roi Arthur. Il tourne la tête en arrière, en direction du roi Arthur dont il porte l’enseigne, ce qui suggère une complicité entre les deux hommes et met en avant la collaboration féconde du souverain et de son conseiller. Merlin ne se contente pas de prodiguer des recommandations stratégiques mais prend aussi pleine part au combat, il est le premier à mener les troupes à l’assaut et à encourager les hommes au cours de la bataille : Et Merlins chevauche grant aleüre tant qu’il vint ateignant une compaingnie de Saisnes qui bien estoient .II.M. [...]. Et si tost come Merlins les voit, si se flatist entr’aus a tote la baniere et si compaingnong ausi, si en abatent et craventent quanqu’il ataignent (Pl. I, 903). Et si tost conme Merlins vit [li Saisne et li gaiant] si escrie : « Ore a els, franc cevalier, car vous estes tout mort se uns sels vous eschape. » Et sil lor courent

434 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

sus tost et delivrement come prou et se fierent en aus com tempeste si abatent et ocient quanque il ataignent en lor venir (Pl. I, 907)514.

Dans fr. 749 f. 193v, Merlin est précédé de deux chevaliers saxons prenant la fuite devant leurs ennemis  : leurs chevaux sont déjà partiellement sortis du cadre de la miniature. Le premier, tourné vers ses adversaires, croise les bras, une position parfois attribuée aux prisonniers qui suggère détresse et impuissance515. Le texte insiste d’abord sur la violence de l’affrontement entre les Chrétiens et les géants, puis évoque la déroute des Saxons après la mort de leur chef Sarmedon (Pl. I, 911). Dans fr. 749 f. 195v, Merlin porte également l’enseigne merveilleuse et sa silhouette, mise en valeur par la couleur noire qui est cette fois celle de son habit, se détache nettement, non plus sur un fonds orné, mais sur la foule compacte des combattants. Alors que dans fr. 95 le dragon lui-même sert d’enseigne, dans fr. 749, il est juché au sommet de la bannière d’Arthur. On y reconnaît les armoiries du souverain, malgré une inversion par rapport aux couleurs adoptées par la tradition héraldique, puisque l’étendard est d’or aux trois couronnes de gueules et non d’azur aux trois couronnes d’or516. L’enseigne au dragon est mentionnée et illustrée de façon assez similaire à l’occasion de la bataille de Trèbes, lors de la guerre de Gaule (fr. 344 f. 159, fr. 95 f. 254 et fr. 91 f. 178). Les reines Elaine et Evaine assistent au prodige depuis les fenêtres de la forteresse : Et voient le dragon que Kex portoit qui parmi la goule jetoit si grans brandons de fu que tous li airs en devint vermaus et la poudriere qui estoit levee en devenoit rouge par la ou li dragons estoit alés (Pl. I, 1195).

Dans fr. 95 f. 254 (Figure 225), le caractère défensif de l’affrontement apparaît avec la redistribution de la place traditionnellement affectée à chaque armée dans l’image. Arthur et ses hommes sont en effet placés du côté droit de la miniature, devant les murailles du château. Les femmes de Ban et Bohort sont clairement visibles : assistant aux combats, elles envoient un messager à pied s’enquérir de l’identité de leurs défenseurs. Dans l’esquisse réalisée à l’encre de fr. 91 f. 178 (Figure 226), l’animal est inscrit dans le cadre d’une bannière qui domine le ciel de la bataille et 514



515 516

Lors de la bataille de Trèbes, l’action héroïque de Merlin est aussi mise en valeur. Arthur vante son courage et le texte profite de cette occasion pour souligner sa force physique, évoquant ses origines sans s’y attarder : Merlin, qui a renoncé à son héritage paternel, parvient en effet à s’illustrer dans le combat sans faire couler de sang. « Si dist [Artus] au roi Boort que molt a prodonme en Merlin. Et sans faille il estoit plains de prouece et fors de cors et de membres [...]. Nous ne trouvons pas lisant qu’il mesist onques main sor home pour mal faire. Mais souvent avenoit que, quant il estoit empressé de gent, qu’il abatoit del pis del cheval et home et cheval et tout en un mont. [...] Et quant il aproche la bataille si se fiert ens si durement que tout li renc en fremissent et bruient... » (Pl. I, 1204-05). Garnier, Francois. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, p. 216-19. Pastoureau, Michel. Armorial des chevaliers de la Table Ronde, 2006 (1983), p. 100-02.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 435

Figure 225 : BNF, fr. 95 f. 254 (1290’) Bataille de Trèbes

il s’anime en crachant du feu. L’inscription « feu, feu, feu, feu » dans l’espace de la miniature peut servir de guide pour l’illustration, de même que la mention « pré plein de sanc sanc sanc » dans le coin inférieur droit. Les murailles du château, visibles du coté droit, campent le décor, tandis qu’apparaît le messager des reines Elaine et Evaine. L’enseigne, d’abord portée par Keu, est reprise en main par Merlin qui lui reproche de ne pas assez la mettre en valeur : S’en vint a Keu le seneschal et li taut li dragon de la main et li dist qu’il ne le doit mie porter, car enseigne de roi ne doit pas muchier ne tapir em bataille champel, ains le doit on porter el premier front (Pl. I, 1204).

Le dragon vermeil, adopté comme emblème par le Pays de Galles, constitue dans le Merlin un objet senefiant investi d’une valeur prophétique qui est étroitement attaché à la lignée des rois de Bretagne et contraste dans la Suite Vulgate avec l’aigle romain, symbole de Jupiter, même si le dragon est aussi utilisé comme emblème par les Romains (Pl. I, 1604)517. Certes, l’imagerie utilisée dans le Merlin propre n’est pas complètement cohérente, puisque parmi les dragons qui s’affrontent sous la tour de Vertigier, c’est le blanc et 517

Voir Tatlock, John. « The Dragons of Wessex and Wales », p. 223. Pour Catalina Girbea, « la reprise d’un signe du pouvoir romain ne peut qu’étayer la vocation d’Arthur à l’empire et corroborer la prophétie selon laquelle il est supposé conquérir Rome marchant sur les traces de Belin et de Brenne », « Le dragon et le perroquet : bref aperçu sur les origines possibles des deux animaux emblématique du roi Arthur », Analele Universitatii Bucuresti, 2006, http : // www.e-scoala.ro/limbi-straine/catalina_garbea2.html (01/08/2013).

436 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

(détail) Figure 226 : BNF, fr. 91 f. 178 (1480’) Comment les deux roygnes envoierent ung message a ceulx quy se combastoient devant la cité de Trebes et de la grant joye qu’elles firent quant elles sceurent que c’estoit le roy Artus et ses gens. Esquisse : Bataille de Trèbes

f. 343, détail Figure 227 : Pierpont Morgan 208 f. 343 (1450’) Guerre contre les Romains

non le rouge, comme dans l’Historia Regum Britanniae518, qui représente le camp breton (Pl. I, 646-48). Dans la chanson de geste, l’armée des Chrétiens est directement soutenue par Dieu dont les miracles rendent possible la victoire contre les Sarrasins. Merlin, comme l’archevêque Turpin, est une autorité morale qui n’hésite pas à intervenir au cœur même des combats. Dans le Merlin et sa suite, l’enchanteur provoque vent, brouillard, incendies, et détourne même le cours de rivières pour créer des conditions favorables à la victoire des armées d’Arthur. La présence récurrente du dragon ou de l’étendard merveilleux donne l’assurance de la victoire, témoignant du bon droit et de la légitimité des rois de Bretagne, que ce soit pour Uter et Pandragon dans 518

Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain, 2007, § 112. Voir aussi Berthelot, Anne. « Dragon rouge / dragon blanc, dragon d’or / dragon d’airain », p. 11-25.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 437

leur lutte contre les Saxons, ou dans le cas d’Arthur, lors des diverses batailles qui lui permettent de consolider son pouvoir dans le royaume breton. L’illustration permet d’insister sur les premières entreprises militaires d’Arthur et l’affirmation de son pouvoir, par la résistance aux invasions saxonnes ainsi que par la confrontation aux barons rebelles, avant leur ralliement à la cause royale. La relation particulière qui s’établit entre Arthur et ses neveux souligne le rôle privilégié de la jeunesse dans le texte tout en reprenant des structures héritées de la chanson de geste. Les images de combat, qui rythment la lecture, contribuent à la mise en place d’une esthétique épique à la fois par leur sujet et par des jeux de répétition et de variation formelles qui entrent en écho avec une écriture romanesque où se lit encore l’influence poétique de la chanson de geste. Ainsi se développent des séries iconographiques qui accompagnent minutieusement le récit de certaines batailles tout en instaurant des effets d’échos et de reprise d’un épisode à l’autre. À l’échelle de l’œuvre, la formation de l’univers arthurien prend donc une cohésion de type épique. Si une attention particulière est portée à la logistique militaire et aux conditions de la guerre contre l’envahisseur saxon, la représentation du sort des populations civiles permet de mieux noircir l’image des ennemis du peuple breton. Les représentations récurrentes de l’étendard merveilleux de Merlin, ancré dans une tradition littéraire et historique, exploitent la symbolique du dragon, une figure prodigieuse récurrente dans l’histoire des rois Bretons. Enfin l’intervention du surnaturel en faveur des armées d’Arthur, bien qu’opérant par l’intermédiaire du personnage ambigu de Merlin, fils du diable qui décide d’œuvrer pour le plan divin, fonctionne comme les miracles qui dans les chansons de geste favorisent les chrétiens.

La lutte des chrétiens contre les païens et l’étendard à la croix vermeille La lutte militaire des Bretons contre les Saxons s’accompagne d’une opposition religieuse. Le caractère religieux de ces affrontements ressort de la désignation des forces en présence lors des affrontements militaires, du discours édifiant porté par le personnage de Merlin et de la place accordée à l’emblème à la croix vermeille. Lors de la bataille des rois rebelles contre les Saxons, le roi des Cent Chevaliers présente cette lutte comme une épreuve envoyée par Dieu : «  Ja Nostres Sires Dix qui tant est dous et debonaires n’oubliera les siens amis ou qu’il soient. Mais par aventure ensi li plaist il des maus et des painnes que nous avons et ce que nous sousfrons si grant martire c’est pour sa loi essauchier et eslever. Et pour ce nous a il eslevé et envoié ces Saisnes en cest païs qui chascun jour ne font se croistre non et esforcier » (Pl. I, 947).

Les « Saxons » s’opposent aux « Chrétiens » avec lesquels le lecteur est appelé à s’identifier, comme le montre l’utilisation du pronom possessif « les nôtres », lors de l’attaque surprise du camp du roi saxon Brangoire de Saissogne :

438 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

La ot grant ocision de Saisnes car li nostre les haoient de mortele haine, car li Crestiien estoient .VIII.M. tout ferarmé et a chevaus courant fors et delivrés et li Saisne estoient bien .IV.M. et plus, si estoient tout desarmé... (Pl. I, 955-56).

Au cours des combats, comme lors de la bataille de Danablaise, l’armée d’Arthur est régulièrement désignée par son appartenance confessionnelle. Le caractère religieux de l’affrontement ressort particulièrement du discours de Sadoine qui au cours du combat exhorte les troupes bretonnes en insistant à la fois sur l’honneur des chevaliers et la défense de la foi chrétienne : « Si desfendons nos vies et iretages encontre les anemis Jhesu Crist et cil qui morra pour sainte Crestienté desfendre sera saus et garis ne jamais n’aurons si grant mestier d’onour recouvrer come avons. [...] Et d’autre part nous doit molt rehaitier ce que nous desfendons nostre droit iretage et sainte Crestienté que Nostres Sires Dix nous a establie nouvelement » (Pl. I, 1098-99).

Gauvain lui-même promet l’absolution à ceux qui iront combattre les Saxons, une exhortation qui peut faire écho à celles adressées aux croisés et aux pèlerins pour Jérusalem : « Li pardons est donnés et otroiés a tous ciaus qui iront en la bataille contre les Saisnes, qu’il seront quite et mondé de tous lor pechiés come le jour nonmeement que il nasquirent » (Pl. I, 1443).

Avant la bataille de Salesbières, Merlin adresse aussi des conseils spirituels à Arthur (comme il l’avait fait pour préparer Uterpandragon à une bonne mort), car c’est la foi en Dieu qui assurera sa victoire : « La bone creance, fait Merlins, que vous avés en Nostre Signour vous vaut et a valut et vaudra, de ce ne soit nus en doutance. Si vous lo et conseil que vous ne vous departés de cel proposement a nul jour. Car, tant que vous serés en bon proposement et en bone creance envers Nostre Signour, tant aurés vous victoire vers les anemis Nostre Signour » (Pl. I, 1473).

Pour Dominique Boutet, la Suite Vulgate met en scène « la notion augustinienne de la justice, fondée sur la foi ». Le souverain obtient la victoire non pas grâce au système féodal, puisque les grands barons sont révoltés contre lui, mais grâce à sa foi en Dieu : Le seul appui dont dispose le roi, ce n’est pas la vigueur du pacte féodal, ni la reconnaissance de chevaliers qui auraient reçu des bienfaits : c’est la seule foi en Dieu, une fois inébranlable qui guide constamment le roi dans ses décisions et sa façon de vivre, qui assurera à son âme le salut éternel et à son peuple la victoire sur les ennemis de la Foi519.

La Suite Vulgate se distingue alors de «  l’idéologie la plus commune de la croisade  », car la victoire dépend de la justice royale et de la foi du souverain : elle ne tient pas au fait que par nature les Païens ont tort et les 519

Boutet, Dominique. Charlemagne et Artur ou le roi imaginaire, 1992, p. 169-71.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 439

Chrétiens ont droit. La défense de la chrétienté réunit cependant Arthur et les barons rebelles pour la coalition de Salesbières, même si les grands seigneurs refusent toujours de lui prêter hommage. Que ce soit dans les chansons de geste, dans le Brut ou le Perlesvaus, la lutte contre les ennemis saxons et la défense de la foi chrétienne sont ambiguës, car elles ne sont jamais spontanées mais procèdent toujours d’une réaction face à la menace d’ordre territorial que pose l’adversaire : La défense de la « Sainte Eglise », c’est avant tout le combat contre les empiètements du monde païen et la volonté de répandre le christianisme par la force. Le combat et la conversion sont les deux moyens d’essaucier sainte crestienté. Or quel que soit l’enthousiasme du roi et de ses guerriers dans l’accomplissent de cette tâche, la décision de se porter contre les Sarrasins (qu’ils soient Arabes, Saxons ou Scandinaves) n’a jamais un caractère idéologique : elle est toujours la conséquence d’une attaque, d’une provocation ou d’une déclaration de guerre de l’Infidèle. Bien plus : la cause principale de la convocation des vassaux est la menace qui pèse explicitement sur le territoire520.

Les circonstances historiques expliquent en partie cette ambiguïté. L’unité chrétienne se réalise moins dans la croisade que dans l’établissement d’une puissance impériale dont la croisade est un instrument521. Dans la lettre de défi qu’il envoie à Arthur, le roi saxon Rion prétend imposer la domination païenne sur tous les peuples chrétiens : il se présente ainsi comme «  li sires et li maistres de tous les Crestiens  » (Pl.  I, 1537). La lutte d’Arthur contre les Saxons se trouve donc idéologiquement justifiée par le péril qui menace le peuple chrétien. Merlin participe activement au combat. Il se rapproche ainsi de la figure du druide celtique qui a une vocation guerrière522. À Carohaise, il porte l’enseigne d’Arthur et mène sa compagnie au cœur de la lutte contre les Saxons : Et si tost come Merlins voit [les Saisnes], si se flatist entr’aus a tote la baniere et si compaingnon aussi si en abatent et craventent quanqu’il ataignent... (Pl. I, 903).

Au cours de la bataille de Danablaise, il encourage les troupes et n’hésite pas à charger au milieu des ennemis : Si s’escrie : « Franc chevalier, ore a els ! Ore i parra qui bien i ferra ! Car se vous ore bien les encontrés tout seront a la voie  ». [...] Quant Merlins s’aproce de la bataille, si s’escrie : « Ore a els ! » et lors se flatist si durement 520 521

522

Boutet, Dominique. Charlemagne et Artur ou le roi imaginaire, 1992, p. 193-97. De façon symétrique, l’idéologie impériale « est moins représentée par l’idée romaine et pontificale que par celles d’universalité géographique et de défense de la chrétienté ». Boutet, Dominique. Charlemagne et Artur ou le roi imaginaire, 1992, p. 609. Jules César mentionne ainsi dans la Guerre des Gaules (II, 5) le druide Diviciacus qui est à la tête d’un corps de cavalerie. Voir les notes dans Pl. I, p. 1820 et 1899.

440 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

entr’aus a toute la baniere o le dragon que il porte tout a terre quanque il a consiut si que riens ne remaint devant lui en estant (Pl. I, 1100-01).

De même, lors de la seconde bataille de Carohaise, Merlin porte l’enseigne d’Arthur sur le champ de bataille, guidant les troupes au cœur de la mêlée : « Or me sivés dont, fait Merlins, tout belement, et vous et tous ciaus de l’ost, tant que nous soions en lor bataille. Et vous ferrés sor ciaus de la bataille sans rengier et pensés tous jours de venir a ma baniere quel part que vous me veés tourner ». [...] Puis se mist au chemin tant qu’il vinrent en l’ost le roi Rion, et Merlin tout premierement, si grant oirre com il pooit del cheval traire, le dragon sor la lance dont li forçons li batoit jusques el poing (Pl. I, 1544).

Comme Turpin dans la Chanson de Roland, Merlin accompagne donc les soldats sur le champ de bataille et les exhorte, même si contrairement à son prédécesseur, il ne manie pas l’épée au sein de l’affrontement. Dès le Merlin propre, le personnage prononce des discours édifiants comme celui qu’il adresse aux fils de Constant avant la bataille de Salesbières « Soiés confés, car vous le devés estre plus ci qu’en autre termine pour ce que vous savés que vous vous avés a combatre vers vos anemis. Et, se vous estes tels com je vous di, seürs soiés que vous le vancerés que il ne croient mie en la Trinité ne en la pitié que Jhesu Crist sousfri en terre. Et vous desfendrés vostre droit iretage qui est vostres par droit et par religion et cil qui ensi morra a son droit tenant sera acordés a la loy Jhesu Crist par le comandement de Sainte Eglise » (Pl. I, 683).

La légitimité d’Uter et Pandragon telle que la présente Merlin est à la fois juridique et religieuse. Comme le soulignait déjà Alexandre Micha, plusieurs de ses interventions prennent ainsi la forme de sermons qui mettent l’accent sur la foi en Jésus Christ et en l’Eglise, sur la nécessité de la Pénitence, sur le renoncement ou sur la confiance en Dieu523. La bannière blanche à la croix vermeille sert de signe de ralliement aux princes chrétiens réunis à Salesbières, comme l’explique Merlin à Léonce de Palerne : «  Et gardés que vous faites vostre grant baniere blanche et qu’il i ait une crois vermeille sans plus. Et autresi auront tout li prince qui vienront. Et si ne sauront ja mot li uns de l’autre pour coi il ont ce fait, et en ce aura molt grant senefiance » (Pl. I, 1451).

Si la symbolique chrétienne de l’étendard va de soi, Merlin laisse planer une forme de mystère sur sa senefiance. Cet emblème constitue le signe de reconnaissance des Chrétiens à Salesbières : Et Kex li Seneschaus ot aportee la grant enseigne a la vermeille crois dont li chans estoit blans come noif. Et li dragons estoit au desous de la crois, car ensi le conmanda Merlins (Pl. I, 1468).

523

Voir Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, 1980, p. 212-14.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 441

Cet étendard permet aux assiégés de Clarence de reconnaître leurs défenseurs et les incite à se lancer au combat : Et quant cil de la cité voient le caplé si mortel et si dolerous et il virent Crestiens et Saisnes verser a terre si espessement que li un chaoient sor les autres, et il virent les enseignes as crois vermeilles qui blanches estoient, si pensent bien que ce estoit secours que Nostres Sires lor avoit envoié. Si font ouvrir les portes et s’en issirent fors de la cité tout armé (Pl. I, 1509-10)

Cet emblème est utilisé dès le XIe siècle lors de la conquête par les Normands de la Sicile sous domination musulmane, ainsi que par les rois d’Aragon lors de leur lutte contre les Maures. Il est ensuite adopté par les pèlerins chrétiens et par les croisés, en relation avec différentes légendes et représentations relatives à l’intervention miraculeuse de saint Georges au cours de plusieurs batailles contre les musulmans524. On peut s’étonner qu’il ne figure dans aucune des miniatures relatives aux batailles de Salesbières et Clarence, à l’exception de Pierpont Morgan 208 f. 317v (Figure 228). Dans plusieurs manuscrits comme BNF, fr. 19162 et 24394 (1280’), Add. 10292 (1316) ou fr. 9123 et 105 (1325’), cela va de pair avec le recours à des armoiries imaginaires en l’absence de système héraldique fixe. L’utilisation de cet emblème dans la Suite Vulgate rappelle pourtant l­ ’Estoire del Saint Graal où le roi de Sarras Evalach se convertit après un miracle qui intervient lors de la guerre contre le roi d’Egypte Tholomer (Pl.  I, 120)525. Le traitement de ce motif est caractéristique des procédés de l’écriture cyclique526. Cette «  réécriture inventive  » s’accompagne d’une forte amplification narrative et érige l’Estoire en texte matriciel et

524

525

526

Voir Deschamps, Paul. « Combats de cavalerie et épisodes des croisades dans les peintures murales du XIIe et du XIIIe siècle », Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 92e année, 1, 1948, p. 35-38, Stones, Alison. « Les débuts de l'héraldique dans l'illustration des romans arthuriens », 1998, p. 395-420, Meuwese, Martine. « Inaccurate Instructions and Incorrect Interpretations : Errors and Deliberate Discrepancies in Illustrated Prose Lancelot Manuscripts », 2002, p. 319-44 et Dehoux, Esther. Saints guerriers : Georges, Guillaume, Maurice et Michel dans la France médiévale : XIe-XIIIe siècle. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 133-35. Comme le souligne Carol Chase, qui analyse en détails l’épisode de la Croix Noire, « l’Estoire accorde beaucoup d’importance aussi à la croix, signe du christianisme. Cet objet hautement symbolique est évoqué à maintes reprises tout le long du roman ». « Des Sarrasins à Camaalot », Cahiers de recherches médiévales, 5, 1998, p. 43-53. L’écu d’Evalach / Mordrain fait l’objet de plusieurs péripéties narratives, car après la guerre contre Tholomer, il guérit miraculeusement un homme au bras coupé : la croix vermeille se transpose alors sur le bras de ce dernier (Pl. I, 146). Enfin avant de mourir, Josephé retrace avec son sang une croix vermeille sur cet écu destiné à Galaad (Pl. I, 545-46) : l’objet circule ainsi entre l’Estoire et la Queste, de même que la figure mystérieuse du chevalier blanc. Pour Mireille Séguy, « le récit rétrospectif primitivement pris en charge par un énonciateur hétérodiégétique (dans la Queste) devient dans l’Estoire contemporain des autres événements de la diégèse, et rapporté par un narrateur omniscient  ». «  L’Estoire del Saint Graal ou la fabrique du cycle romanesque médiéval », Cycle et collection. Paris : L’Harmattan, Itinéraires et contacts de Cultures, 41, 2008, p. 203-205.

442 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 228 : Pierpont Morgan 208 f. 317v (1450’) Bataille de Salesbières

p­ rogrammatique527. Le signe de la croix figure également de façon proéminente dans l’Estoire sur les voiles du navire qui vient rendre visite chaque jour à Mordrain sur l’île rocheuse de Port Péril (Pl. I, 185, Pierpont Morgan, 207 f. 33)528.

Les enchantements de Merlin sur le champ de bataille Quant à la manipulation des phénomènes atmosphériques, à laquelle Merlin se livre fréquemment au cours des combats, elle est peut-être de provenance diabolique, mais ce n’est jamais explicite, et elle s’effectue par contre dans la perspective de la réalisation du plan divin. Les enchantements de Merlin concourent ainsi régulièrement à la victoire de l’armée d’Arthur sur les forces ennemies. Outre l’étendard au dragon, qui sert de signe de 527

528

Du point de vue iconographique, si fr. 95 ff. 35v et 108 (1290’), fr. 749 ff. 118-121 (1300’) et fr. 105 ff. 24v et 121v (1325’) représentent plusieurs fois cet écu à la croix vermeille dans l’Estoire, ce motif n’est pas repris visuellement dans la Suite Vulgate où il apparaît sur un autre support et n’est pas directement associé à des aventures merveilleuses. La correspondance entre l’Estoire et la Queste, de l’écu d’Evalach à celui de Galaad, ou à travers le retour du chevalier blanc, n’est pas non plus représentée dans des manuscrits cycliques comme Bonn, ULB, 526 (1286), fr. 344 (1295’), fr. 110 (1295’) ou Add. 10292 (1316), mais elle apparaît visuellement dans un manuscrit plus tardif, fr. 113-116 (1475’). Dans le manuscrit Pierpont Morgan, 207 f.  33, il est représenté sous la forme d’une croix vermeille sur des voiles blanches. Cela suscite, dans un ensemble manuscrit qui comprend seulement une trentaine de miniatures, un écho visuel de l’Estoire au Merlin, puisque la croix vermeille sur fond blanc est utilisée sur les étendards des batailles de Salesbières (f. 317v) et de Clarence (f. 321v), soulignant alors, bien que de façon isolée dans la tradition manuscrite, une forme de continuité idéologique entre ces deux textes.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 443

ralliement aux armées bretonnes dans le Merlin comme dans sa continuation, des enchantements et prodiges climatiques liés aux éléments que sont l’air, l’eau et le feu interviennent de façon récurrente dans la Suite Vulgate. Il s’agit alors d’un merveilleux fonctionnel, qui s’exerce au service d’un « didactisme politique et religieux »529. Ainsi, dès le premier combat contre les rois révoltés, Merlin intervient pour susciter un incendie qui ravage le camp de ceux qui assiègent la tour où Arthur et ses hommes sont rassemblés : Et Merlins monta en haut en la tour et lor jeta un enchantement tel que toutes lor loges et lor paveillons esprisent tout en flambe (Pl. I, 786).

BL, Add. 10292 est le seul manuscrit à représenter ce prodige, il montre Merlin au sommet de la tour mettant le feu au camp des barons rebelles (f. 102, Figure 48). La rubrique insiste pourtant moins sur cette action magique que sur la sortie militaire d’Arthur et sur le rôle plus traditionnel de stratège et de conseiller joué par Merlin. Lors de la bataille de Bédingran, Merlin et Arthur attaquent par surprise le camp des barons rebelles et l’enchanteur fait se lever un tourbillon destructeur qui gêne la préparation des soldats désarmés : Merlins lor envoia un si fort vent et un si grant estourbeillon que toutes lor tentes chaïrent a tere desor lor testes et si ot entr’aus une tele bruine que li uns ne veoit l’autre s’a moult grant painne non (Pl. I, 836).

Le caractère prodigieux du phénomène est accentué par le récit du songe prophétique du roi Loth qui amplifie la menace pesant sur les barons révoltés : Si avint que li rois Loth feri en un songe molt fort et molt espoentable, car il li estoit avis qu’il veoit un vent lever si grant et si fort qu’il abatoit toutes les maisons et les clochiers la ou il estoit. Et aprés vint uns tonnoiles et uns despars si grans que tous li mondes trambloit de paour. Et aprés ce venoit une grant aigue si bruiant que il amenoit toutes les maisons aval et une grant partie de la gent et il meïsmes estoit en grant peril de noiier en l’aigue (Pl. I, 834-35).

Le cataclysme évoqué dans ce récit onirique chargé d’une valeur proleptique permet d’anticiper et de dramatiser la suite des événements. De même, lors de la bataille de Carohaise, Merlin multiplie les prodiges : il fait intervenir l’étendard merveilleux au dragon crachant du feu (Pl. I, 902), ouvre par magie les portes de la ville pour faire sortir Arthur et sa compagnie de la ville assiégée (Pl. I, 903), et fait se lever une tempête qui désorganise l’armée des Saxons : Si avint que, aussi tost come Merlins jeta un sifflet, si leva uns vens et un estorbeillons et une pourdriere si grans et si merveillose qui venoit devers la cité et descendoit desor les hiaumes des Saisnes et des gaians et tel foison que petit i peüst on connoistre l’un l’autre (Pl. I, 904).

529

Voir Micha, Alexandre. Étude sur le Merlin de Robert de Boron, p. 170.

444 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Lors de la bataille de Danablaise contre le roi Rion, l’effet de la tempête provoquée par Merlin se combine à nouveau à l’effroi causé par le dragon crachant du feu : Lots jeta Merlins un enchantement molt merveillous, car il fist venir un estourbeillon trop grant et une poudriere et un vent si fort que toute la poudre versa sor les gaians si grans que a envis couneüssiés les uns des autres. Si lieve li hus et la noise si grans que vous n’i oïssiés mie Dieu tonnant. Lors s’en tourne Merlin le dragon en sa main qui jetoit brandons de fu parmi la goule si que li airs en devint tous vermeus et onques mais ne les avoit si grans jetés, et chaïrent li brandon sor les banieres as gaians que toutes esprisent en clere flambe et ce fu une chose par coi il furent molt esfreé et molt espoenté de la merveille que il voient (Pl. I, 1095).

Le feu dévastateur n’est pas uniquement lié à la merveille du dragon car lors de la guerre de Gaule, Merlin lance l’attaque en sonnant du cor et fait apparaître un brandon de feu au-dessus du campement de ceux qui assiègent la forteresse de Trèbes : Lors prist le cor, si le sonne si haut que toute la riviere en retentit et tout le boschage, et aprés jeta un enchantement fort et merveillous, car il fist aparoir en haut, en l’air, un grant brandon de fu plus vermeil de foudre, et encore par desus les loges a ciaus de l’ost (Pl. I, 1179).

Dans fr. 91 f. 173 (Figure 229), une esquisse réalisée à la mine de plomb et à l’encre représente de façon dynamique l’arrivée des renforts amenés par Merlin devant Trèbes. Deux groupes armés s’élancent l’un contre l’autre : l’accès direct à la ville n’est pas possible, puisque cette dernière est totalement encerclée par les Saxons. Des annotations placées dans le cadre de la miniature permettent de décrire les éléments attendus dans l’illustration (notamment « une lande ») ou d’identifier les personnages : le premier chevalier à s’élancer en sonnant du cor, représenté au premier plan au centre de l'image, est ainsi désigné comme « Merlin ». Dans l’illustration, la spécificité du phénomène surnaturel est réduite, car le brandon de feu évoqué dans le texte laisse la place à la représentation de l’enseigne merveilleuse. Les enchantements lancés par Merlin sont particulièrement efficaces même s’ils consistent en manipulations météorologiques potentiellement suspectes d’associations diaboliques530. L’arrêt miraculeux du soleil, qui dans la Chanson de Roland permet de rallonger le jour pour que les troupes de Charlemagne puissent rattraper les Sarrasins, constitue de ce point de vue un antécédent illustre. Si les miniatures retiennent le prodige de l’enseigne au dragon, les autres merveilles réalisées par Merlin, peut-être plus difficiles

530

Voir Ducos, Joëlle. La météorologie en français au Moyen Âge, 1998, p. 396-98 et « Le temps qu’il fait, signe de Dieu ou du Mal : la météorologie du Bourgeois de Paris », Le mal et le diable : leurs figures à la fin du Moyen Âge. Dir. Nathalie Nabert. Paris : Beauchesne, 1996, p. 105-06.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 445

Figure 229 : BNF, fr. 91 f. 173 (1480’) Comment Merlin amena le secours au roy Artus devant la cité de Trebes quy estoit assegee. Bataille de Trèbes : Merlin secourant Arthur

à représenter, sont beaucoup plus rarement mises en images. Enfin comme le souligne Christine Ferlampin-Acher, l’utilisation des pouvoirs magiques de Merlin est propre à la Suite Vulgate et témoigne de l’assurance d’un personnage qui se dit guidé par Dieu : A la fois magicien et prophète, le Merlin de la Vulgate n’hésite pas à s’engager dans le monde et à utiliser des pouvoirs dont il ne cherche jamais à savoir s’ils sont de Dieu ou du diable, leur fin seule les justifiant. Dans la version Post Vulgate au contraire, hanté par l’idée que certaines de ses facultés sont diaboliques et porté par son respect inconditionnel du monde comme œuvre de Dieu qu’il serait sacrilège de modifier, Merlin se contente de prophétiser et refuse d’être magicien, de crainte de servir le démon [...]. Dans la version Post Vulgate, les enchantements ne font qu’entériner la fatalité alors que dans la Vulgate ils participent activement au triomphe du Droit incarné par Arthur531.

Dans la Suite Post-Vulgate, les interventions de Merlin sont beaucoup plus mesurées : au sein d’un univers plus sombre placé sous le signe de la fatalité, elles seraient en effet suspectes d’interférer avec l’ordre divin. Dans la Suite Vulgate, Merlin utilise ses pouvoirs magiques au service des armées d’Arthur, contribuant à la réalisation d’un plan divin favorable au souverain breton. Ses prodiges font écho aux miracles qui favorisent le camp des chrétiens dans les textes épiques. La Suite Vulgate témoigne ainsi de l’influence poétique et idéologique de la chanson de geste, mais aussi de la chronique. 531

Ferlampin-Acher, Christine. Fées, bestes et luitons, 2002, p. 207.

446 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Conclusion  Le cycle Vulgate, ensemble composite sur le plan littéraire et idéologique, retrace l’histoire du Graal et de sa transmission depuis les temps de Joseph d’Arimathie jusqu’à la fin du royaume d’Arthur, et mêle aventures spirituelles et épreuves chevaleresques. Dans la Suite Vulgate, le Graal s’éclipse en partie et la dimension religieuse est moins forte que dans l’Estoire et la Queste. Il s’agit autant d’une suite du Merlin que d’un récit des « premiers faits » d’Arthur, sinon de ses enfances, qui demeure très influencé par l’écriture historico-épique et complète l’histoire de ce roi de Bretagne en retraçant ses premières actions militaires. Certes, les prodiges réalisés par Merlin en font un acteur de premier plan, mais le personnage reste marqué par son origine diabolique, même quand il met ses pouvoirs au service du plan du Salut, dans son engagement spirituel et militaire contre les Saxons. L’idée d’un déroulement chronologique intégrant les aventures du Graal dans une histoire universelle, à la suite de l’histoire sainte, contribue à la cohérence du cycle du Graal. Ce dernier est caractérisé par des jeux de renvois et des effets de circularité, bien que chacune de ses composantes puisse prétendre à une certaine autonomie. Cette création en prose se distingue des romans arthuriens fondés sur certaines aventures chevaleresques d’un personnage donné de la cour d’Arthur, selon le modèle procuré par Chrétien. Mais la constitution du cycle du Graal contraste aussi avec celle d’un cycle épique comme celui de Guillaume d’Orange qui permet le développement d’œuvres parallèles focalisées sur différents personnages appartenant à la parenté du héros.

3. La place des femmes : une évolution romanesque et ­courtoise ? Le Merlin et sa Suite Vulgate accordent une place relativement peu importante aux personnages féminins. Déjà présents à travers la famille de Merlin l’Ancien et la figure d’Ygerne, ceux-ci se diversifient néanmoins dans la continuation. Comme le Merlin propre, la Suite Vulgate met en scène des femmes corrompues ou abusées et des figures maternelles, mais elle introduit aussi des péripéties militaires et chevaleresques, ainsi que des épisodes amoureux, présentant d’autres versants de l’implication des femmes dans l’univers arthurien. On s’interrogera dans cette partie sur l’évolution de la représentation des femmes du Merlin à la Suite Vulgate, sur le plan textuel et iconographique : les nouvelles orientations prises dans la continuation vont dans le sens d’une intégration du Merlin aux autres œuvres du cycle du Lancelot-Graal.

3.1. La famille de Merlin l’Ancien : des femmes corrompues sous influence démoniaque Dans le Merlin, les personnages féminins sont particulièrement sensibles à l’influence démoniaque, comme le souligne la mise en garde initiale du manuscrit New Haven, Beinecke, 227. Cet ouvrage qui contient le Joseph, l'Estoire, le Merlin



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 447

et la Suite Vulgate comprend à la fin de l'Estoire un ajout relatif à la vengeance de la mort de Lancelot l'Ancien par ses fils Ban et Bohort, ainsi qu'un prologue introduisant le Merlin532. La misogynie du texte est accentuée par un développement sur la femme de Merlin l'Ancien à laquelle le rédacteur reproche non seulement sa luxure mais aussi sa tendance à se moquer des personnes pieuses : Cil prodom dont ge vous ira parler [Merlin l'Ancien], si estoit molt gentis hons et si avoit non Mellins et estoit molt amés de ces voisins et de prochains et d'eloingnés, mes il avoit une fame, la plus desloiaus riens dou monde ne qui fust de mere nee, car en nulle maniere que l’en seüst deviser de bou[f. 140v]-che, il n'estoit pechiez de luxure ne d'austres il li chausist quant elle le fesoit, mez assez se gaboit del autre gent, quant elle les voioit relegieux (New Haven, Beinecke, 227, ff. 140-140v).

Dans le Merlin propre, la femme de Merlin l’Ancien et l’entremetteuse qui corrompt sa plus jeune fille sont directement soumises au démon : « Je sai une feme qui fait a devise quanques je voel » [...]. Et quant il vint a li, si trouva molt a sa volenté et donna la soie part et quanqu’ele avoit et ces œuvres tout a l’anemi (Pl. I, 574-75). Si se pourpensa [li diables] conment il les pourroit engigner. Illueques prés avoit une feme qui maintes fois avoit faites ses volentés et ses œuvres. Icele feme prist li anemis et l’envoia a la mainsnee... (Pl. I, 579).

Les filles cadettes de Merlin l’Ancien se laissent assez facilement séduire et pervertir. Si la luxure est représentée comme un vice qui touche plus particulièrement les femmes, les hommes sont parfois impliqués, comme le souligne la révélation de l’identité du père du juge lors du procès de la mère de Merlin. Dans la Suite Vulgate, cette dimension est moins présente, même si l’insertion de l’histoire des amants cachés de l’impératrice romaine prend la forme d’une fable qui permet de souligner l’étendue de la duplicité féminine et justifie un discours particulièrement misogyne de la part de Merlin déguisé en homme sauvage : «  Par feme sont maint prodome decheü et mainte vile arse et fondue et mainte terre essilie et gastee et mains pules ocis et afolés [...]. Par feme sont maint home honi [...]. Molt sont cleres semees qui en aucune maniere n’aient mes erré envers lors signours. Na jamais tant com li siecles duerra ne feront s’empirier non. Et tout ce lor avenra par pechié de luxure qui est en eles et dont eles sont esprises »... (Pl. I, 1245)

532

Voir Fabry-Tehranchi, Irène. Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate : mise en cycle et poétique de la continuation, ou suite et fin d’un roman de Merlin? Thèse : Paris III, dir. Michelle Szkilnik, 2011, « L'épilogue de l'Estoire et le prologue du Merlin dans New Haven, Yale 227 ». Le manuscrit Arsenal, 3348, qui date également du XIVe siècle, comprend aussi ces sections et en propose une meilleure rédaction, mais il se clôt sur ces dernières et n'inclut ni le Merlin ni la Suite Vulgate. Voir Ponceau, Jean-Paul. Étude de la tradition manuscrite de l'Estoire del saint Graal, 1983, p. 93 ss.

448 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

La corruption de ces femmes, qui mettent en danger le Salut de toute leur famille, et comme Hélène de Troie sont responsables des plus grandes calamités historiques, contraste cependant avec la piété et la contrition de la mère de Merlin, avec l’honnêteté de la duchesse de Tintagel qui s’efforce de demeurer fidèle à son mari en refusant les avances d’Uter, ou avec la droiture de Grisandole / Avenable qui pourra remplacer avantageusement l’impératrice. Du point de vue de l’illustration, si la conception de Merlin est souvent représentée, le début du Merlin insiste davantage sur le complot et l’intervention diabolique que sur la responsabilité de la femme de Merlin l’Ancien : son suicide par pendaison ne figure que dans quelques manuscrits et s’insère alors dans la série des malheurs qui s’abattent sur la famille de Merlin l’Ancien.

3.2. Merlin entremetteur : du mariage d’Uterpandragon et Ygerne à celui d’Arthur et Guenièvre Merlin joue un rôle stratégique de premier plan en favorisant les amours d’Uterpandragon et d’Ygerne et ceux d’Arthur et de Guenièvre. L’utilisation de la ruse, de la magie et des subtilités juridiques permet à Uterpandragon de satisfaire son désir pour Ygerne grâce à l’intervention de Merlin qui justifie sa compromission par le bénéfice supérieur que constitue la conception d’Arthur. Les circonstances du mariage d’Arthur et de Guenièvre tranchent passablement avec les machinations qui président à celui d’Uterpandragon et d’Ygerne. Dès l’origine, Merlin expose à Arthur l’intérêt politique de l’alliance avec le roi Léodegan. La mise en scène des premiers faits du jeune souverain lui fait gagner l’estime du roi de Carmélide et prépare la célébration de son union avec Guenièvre. Le développement des amours des jeunes gens se trouve alors favorisé par un nouveau contexte chevaleresque et courtois.

Les amours d’Uterpandragon et Ygerne et la conception d’Arthur Dans le Merlin, la conception illégitime d’Arthur, rendue possible par l’intervention surnaturelle du fils du diable, rejoue sur un mode mineur celle de Merlin lui-même (voir la similarité de leurs représentations dans le manuscrit de Modène, Estense, E. 39 ff. 20 et 40, Figure 140 et Figure 212). Son illustration démontre qu’Arthur est bien le fils d’Uterpandragon. Avant de s’en remettre à Merlin, dont le subterfuge lui permet d’abuser d’Ygerne, Uterpandragon, aidé par Ulfin, tente sans succès de séduire la femme de son vassal le duc de Tintagel. Ygerne résiste aux avances du roi, mais même si elle connaît ses véritables intentions, elle est contrainte d’accepter la coupe d’or qu’Uter lui offre lors d’un banquet où il lui demande de boire « pour l’amour del roi  » (Pl. I, 710). Dans la relation entre Uterpandragon et Ygerne, les codes courtois sont donc dévoyés et manipulés. 533 533

*Ulfins. Ulfin suggère à Uter d’envoyer la coupe à Ygerne, mais c’est Bretel l’apporte.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 449

Figure 230 : BNF, fr. 95 f. 149v (1290’) -Arrivée d’Uterpandragon à Tintagel -Conception d’Arthur

Figure 231 : BL, Add. 10292 f. 93 (artiste 1) (1316) Ensi que uns roys et un dus sient au disner et Bretel [*Ulfins] servoit d’une coupe d’or devant la duchoise. Uterpandragon envoyant Bretel offrir une coupe d’or à Ygerne

Le don de la coupe peut porter une intention galante, mais il s’inscrit aussi dans un réseau de pratiques sociales bien établies qui permet au roi de sauvegarder les apparences. Les présents de vaisselle précieuse relèvent de procédés courants au Moyen Âge, qu’il s’agisse d’honorer un invité distingué, de récompenser un loyal serviteur, ou d’envoyer des gages diplomatiques de bonne volonté politique voire de soumission534. Dans le Merlin, les représentations font alterner la coupe (BNF, fr. 24394 f. 280v et BL, Add. 10292 f. 93, Figure 231) et le hanap, pourvu d’un couvercle, dont on se servait au Moyen Âge pour boire (New Haven, Beinecke, 227 f. 308v)535. Le don d’une coupe apparaît fréquemment lors des scènes de banquet. L’utilisation de vaisselle précieuse est un moyen d’honorer ses invités, comme lors de la réception Lériador chez Agravadain. L’illustration, qui montre le transfert de la coupe, rapproche ce passage de celui où Uterpandragon fait offrir une coupe à Ygerne. BNF, fr. 24394 f. 280v (Figure 232) et New Haven, Beinecke, 227 f. 308v (Figure 233), montrent ainsi la fille du seigneur des Marais offrant une coupe à l’invité de son père. Le motif prend une 534

535

Voir Haugeard, Philippe. Ruses médiévales de la générosité : donner, dépenser, dominer dans la littérature épique et romanesque des XIIe et XIIIe siècles. Paris : Champion, 2013. Ainsi dans une des illustrations des Voyages ou du Livre des merveilles du monde (1355-57) de Jean de Mandeville du célèbre manuscrit BNF, fr. 2810 (1410-12), le grand Khan se voit offrir trois magnifiques hanaps d’or. Dans les ambassades, le don d’ustensiles et d’objets précieux peut constituer un signe d’hommage : c’est le cas pour Jeanne Ière de Naples, de Sicile et de Jérusalem, comtesse de Provence, de Forcalquier et de Piémont (1326-82) dans un manuscrit des Femmes Illustres de Boccace datant également du début du XVe siècle, BNF, fr. 598 f. 159.

450 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 232 : BNF, fr. 24394 f. 280v (1275-85’) La fille d’Agravadain offrant une coupe à Lériador

Figure 233 : New Haven, Beinecke, 227 f. 308v (1357) La fille d’Agravadain offrant une coupe à Lériador Si se test li contes d’els que il plus n’en parolle et retourne a parler del seignour des Mares et de sa fille.

Figure 234 : New Haven, Beinecke, 227 f. 292v Ci endroit poés entendre comment le frere Lancelot, de Bans fu engendrés. Conception d’Hector

coloration courtoise car il permet l’introduction de deux jeunes gens. Séduit par sa jeune hôtesse, Lériador la demande immédiatement en mariage : Et li sires del castel [...] fist en l’onour de lui servir sa fille de la coupe, come cele qui molt estoit cortoise et sage et bien enseignie. Li chevaliers qui laiens estoit herbergiés regarda la damoisele, et li plot tant et embeli qu’il le requist a son pere. Et dist qu’il le prendroit a feme, s’il li plaisoit (Pl. I, 1616).

Certes, dans ce cas, la jeune fille refuse : elle est déjà éprise du roi Ban avec lequel elle a conçu Hector sous l’emprise d’un sort jeté par Merlin (Pl. I, 1515). Cette scène est également représentée dans New Haven, Beinecke 227, f. 238v (Figure 234) où de façon exceptionnelle, la rubrique ne se



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 451

Figure 235 : Bonn, ULB, 526 f. 94v (1286) Guenièvre servant Arthur dans la coupe de son père

Figure 236 : Cologny, Bodmer, 147 f. 176v (1300’) Guenièvre servant Arthur dans la coupe de son père

contente pas de reprendre la formule d’entrelacement mais annonce la naissance du demi-frère de Lancelot, ce qui témoigne d’une attention particulière à la conception d’un personnage appelé à jouer un rôle important dans le Lancelot. Si en l’état actuel ce texte ne figure pas dans le manuscrit de Yale, la Suite Vulgate s’y termine pourtant par l’annonce du Lancelot.

L’union d’Arthur et de Guenièvre : un mariage d’amour et de raison Par contraste avec les histoires d’Uter et Ygerne et de Lériador et de la fille d’Agravadain, la mise en scène de la réception d’Arthur à Carohaise permet de développer les potentialités courtoises du don de la coupe, soulignant le caractère réciproque de l’attirance entre Guenièvre et Arthur. Ainsi dans les manuscrits Bonn, ULB, 526 f. 94v (Figure 235) et Cologny, Bodmer, 147 f. 176v (Figure 236), le début de la relation amoureuse entre Arthur et Guenièvre est mis en valeur par l’échange de la coupe. Les guerriers sont reçus somptueusement après leur première victoire contre les Saxons. La jeune femme lave elle-même le visage d’Arthur, non sans une touche d’érotisme : Et quant il furent desarmé, si fist li rois Leodegans sa fille amener acesmee des plus riches dras qu’ele avoit et li fist prendre l’aigue chaude em bacins d’argent et le fist porter devant les rois et servir les [...]. Si li [Arthur] lava la damoisele ele meïsmes ses cors, le vis et le col et l’essuia d’une touaille molt doucement (Pl. I, 933).

Le diner est l’occasion pour les deux jeunes-gens de s’observer et de s’admirer réciproquement. Et li rois Artus fu de molt grant biauté plains, si le regarde la pucele molt durement et li rois li. Et ele dist entre ses dens que molt deüst estre lie la dame qui si biau chevalier requerroit d’amours et si bons com cis est et deveroit bien estre honnie qui l’en escondiroit (Pl. I, 933).

452 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Guenièvre transpose la situation dans un registre galant, transformant le farouche guerrier en chevalier courtois. L’expression à voix basse de ses pensées constitue une déclaration d’amour indirecte. De son côté, le jeune homme « ne dist mot de la bouche » (Pl. I, 937), subjugué par la beauté de la jeune femme, il devient « pensif », comme Perceval ou Lancelot, plongés dans une rêverie amoureuse au souvenir de leur amie536. Dans la Suite Vulgate, c’est plus concrètement la beauté charnelle de Guenièvre et l’attirance physique qu’elle suscite chez Arthur qui le laissent sans voix : Quant li rois Artus voit la pucele as jenous devant lui qui estoit de si grant biauté si l’esgardoit molt volentiers. Car adonc primes li venoient les mameles dures et roides come pometes et ele avoit la char plus blanche que noif negie, si ne fu pas trop crasse ne maigre. Si le couvoita li rois tant en son cuer que tous en fu trespensés et en laissa son mengier et tourne d’autre part sa ciere. Car il ne vaut que li roi ne autre gent ne s’en aperceüssent de riens (Pl. I, 936).

Le verbe « convoitier », souligne la force du désir éprouvé par le jeune homme. Comme Uterpandragon devant Ygerne, Arthur manifeste les signes physiques de la maladie d’amour. Il arrête de manger, et éprouve le besoin de dissimuler ses émotions. Malgré sa distraction, il entre dans un échange de type courtois, comme l’indiquent les termes qu’il utilise : « Grant merchis de vostre bel service, et Dix me doinst force et pooir del guerredonner. » (SV 937).

Guenièvre éprouve aussi une forte attirance pour lui, s’imaginant déjà l’avoir pour conjoint : Et molt le couvoite et aimme la fille au roi Leodegan et tant i muse que toute s’en oublie et bien vauroit, s’il peüst estre, qu’ele l’eüst a per et a compaignon (Pl. I, 939).

Cet amour est donc réciproque et convoque rêverie et imagination. Le texte fait ainsi alterner les pensées du personnage et le discours du narrateur. Un parfait équilibre est posé entre deux personnages de rang et de valeur similaires. Les termes de « per » et de « compaignon », suggèrent une relation matrimoniale fondé sur une égalité comparable à celle d’une fraternité chevaleresque comme celle de la Table Ronde plutôt que sur un système hiérarchique et dissymétrique. La mise en scène des relations entre Uterpandragon et Ygerne puis Arthur et Guenièvre témoigne donc du développement dans la Suite Vulgate de valeurs courtoises peu représentées dans le Merlin propre. Après la mort du duc de Tintagel, le mariage d’Uterpandragon et d’Ygerne permet de restaurer l’ordre féodal compromis par la convoitise du roi pour la femme de son vassal, puisqu’il est l’aboutissement de négociations 536

Voir Chrétien de Troyes. Le chevalier de la charrette. Ed. Mario Roques, Paris : Champion, 1965, vv. 4209 ss. ; Chrétien de Troyes. Le conte du Graal. Ed. Félix Lecoy, Paris : Champion, 1975, vv. 1463 ss.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 453

Figure 237 : BNF, fr. 95 f. 152 (1290’) -Paix entre Uterpandragon et Ygerne -Mariage d’Uterpandragon et Ygerne

Figure 238 : BNF, fr. 110 f. 63v (1295’) Ensi com li rois Uterpandragon espousa Ygerne la feme au duc de Cambenic et dona le fille le duc au roi Loth de Orcanie. -Mariage d’Uterpandragon et Ygerne -Mariage de la fille d’Ygerne et du roi Loth

Figure 239 : BL, Add. 38117 f. 63v (1310’) -Mariage d’Uterpandragon et Ygerne -Mariage de la fille d’Ygerne et du roi Loth

entre les deux camps. L'illustration de BNF, fr. 110 f. 63v (Figure 238) et BL, Add. 38117 f. 63v (Figure 239) montre la double célébration du mariage d'Uter et d'Ygerne et de celui de la fille d'Ygerne avec le roi Loth. La pratique d’un double mariage pour des personnages apparentés se retrouve dans la Suite Vulgate à l’occasion de l’épisode de Grisandole qui épouse l'empereur romain tandis que son frère Patrice épouse la fille de ce dernier. Différents degrés de sacralité sont cependant donnés à la célébration : celle-ci est généralement dirigée par une tierce personne, le prince ou l’évêque, comme dans fr. 95 f. 152 (Figure 237), ou encore un clerc, comme dans BL, Add. 38117 f. 63v, mais dans fr.  110 f. 63v, l’union est simplement représentée par le rapprochement de chaque couple. La représentation du mariage d’Uterpandragon et Ygerne trouve un écho dans la Suite Vulgate où les fiançailles puis l’union d’Arthur et Guenièvre sont régulièrement illustrées. Dans ce cas, des considérations politiques élaborées par

454 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Merlin justifient le séjour d’Arthur et de ses compagnons en Carmélide et préparent une union favorisée par l’attirance physique des jeunes gens. Comme la souveraineté d’Arthur est contestée, les célébrations de son couronnement et de son mariage jouent un rôle important du point de vue de son affirmation politique et de la reconnaissance sociale et religieuse de sa légitimité. Au XIIe siècle, les fiançailles constituaient déjà un rituel ecclésiastique, qui se systématise aux XVe et XVIe siècles. Cependant, cet engagement était légal avant d’être religieux, et la présence d’un prêtre n’était pas nécessaire537. À la fin du Moyen Âge, la noblesse le conçoit comme un serment à valeur d’obligation qui entérine un accord concernant la dot ou l’héritage et sert de garantie formelle538. Les négociations précédant le rituel du mariage sont alors formalisées par la cérémonie des fiançailles539. Ainsi dans BNF, fr. 105 f. 231 (Figure 240), seules les fiançailles d'Arthur et Guenièvre sont représentées alors que dans fr. 9123 f. 239 (Figure 241), illustré dans le même atelier, c’est bien le mariage d’Arthur et de Guenièvre qui a été figuré. Deux actions successives indiquées dans la rubrique sont simultanément représentées dans fr. 105 : après l’arrivée de Guenièvre, escortée par les chevaliers de la Table Ronde, Léodegan, tenant le bras de sa fille, la remet à Arthur. L’évêque, placé entre les deux jeunes gens, procède ensuite au rite des fiançailles. L’iconographie souligne donc la dimension religieuse de la cérémonie, même si la portée politique de cette alliance est rappelée par la présence du roi Léodegan540. La tradition consistant à joindre la main droite des ­promis existait déjà dans les rites juifs et romains et elle s’accompagne dans la cérémonie chrétienne de la demande des consentements. À partir du XIIIe siècle, le prêtre se substitue au père lors du mariage qui n’est plus seulement un acte civil mais devient un sacrement541. Dans le manuscrit Bonn, ULB, 526 (1286'), les deux cérémonies sont représentées. Elles se distinguent par des variations comme la présence des rois Ban et Bohort et le statut de l’officiant. Pour les fiançailles, un clerc présente Guenièvre à Arthur, mais il se tient en retrait (f. 108v, Figure 242). Pour le 537

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Molin, Jean-Baptiste et Mutembe, Protais. Le rituel du mariage en France du XIIe au XVIe siècle. Paris : Beauchesne, 1974, ch. 1. Ribordy, Geneviève. « Les fiançailles dans le rituel matrimonial de la noblesse française à la fin du Moyen Âge : tradition laïque ou création ecclésiastique ? », Revue historique, 2001- 4 (620), p. 885-911. Les intérêts diplomatiques et matrimoniaux fusionnent dans l’emploi du terme « alliance ». Nabert, Nathalie. Les réseaux d’alliance en diplomatie aux XIVe et XVe siècles. Étude de sémantique. Paris : Champion, 1999. Dans les Chroniques de France, les mariages royaux sont souvent associés aux rites de couronnement et promeuvent la figure du roi, répugnant à partager le pouvoir avec la reine ou l’Eglise. C’est donc souvent le père de la mariée qui accorde la main de sa fille, même s’il est parfois remplacé par un prêtre. Voir Raynaud, Christiane. « Les mariages royaux : une affaire d’État », La description au Moyen Âge, Bien dire et bien aprandre, 11, 1993, p. 341-69. Closson, Monique. « Cour d’amour et célébration du mariage à travers les miniatures aux XIIIe, XIVe et XVe siècles  », Amour, mariage et transgressions au Moyen Âge. Dir. Danielle Buschinger et André Crépin. Göppingen : A. Kümmerle, 1984, p. 512-23.

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 455



Figure 240 : BNF, fr. 105 f. 231 (1325’) Comment li roys Leodagan donna Guenievre sa fille au roy Artus et les fiança l’evesque de Theroaise. Fiançailles d’Arthur et Guenièvre

Figure 241 : BNF, fr. 9123 f. 239 (1325’) Comment li roys Artus espousa la roynne Genievre et de la grant feste qui y fu faite. Mariage d’Arthur et de Guenièvre

mariage, c’est l’évêque Brice qui joint les mains des époux entre lesquels il sert de médiateur (f. 129vb, Figure 243). L’intervention de l’Eglise dans le rite du mariage est donc marquée de façon plus officielle alors que rien ne distingue les fiançailles et le mariage d’Arthur et Guenièvre dans l’illustration de New Haven, Beinecke, 227 ff. 224vc et 259 (Figure 244 et Figure 245) (1357). Le lexique utilisé à l' occasion des fiançailles anticipe le mariage luimême  : l’invitation de Léodegan à Arthur  : «  venés avant et recevés ma fille a feme », le commentaire de Merlin, « vous avés donnee votre fille au roi Artu de Bretaingne », ou encore la référence à Guenièvre comme « la feme au roi Artu » et la description d’Arthur comme « son nouvel espous » (Pl. I, 1075-76). Pour la noblesse, les fiançailles constituent une étape décisive quasiment équivalente au mariage lui-même542. Les parents se trouvent souvent aux côtés de leurs enfants. L’aristocratie a ainsi adopté les rites religieux qui confirment l’importance des fiançailles. De son côté, l’Eglise valide les fiançailles mais reconnaît uniquement le mariage et l’échange des vœux comme contraignants et indissolubles. De même que la cérémonie des fiançailles, l’ordre du rite mariage s’établit donc progressivement : les époux sont donnés l’un à l’autre, le prêtre joint leurs mains, la partie du rituel privilégiée dans toutes les illustrations de ce sacrement, et ils échangent leurs vœux (c’est l’uniquement moment où l’on utilise la langue vernaculaire et non le latin)543. Le prêtre bénit alors l’anneau nuptial et parfois des pièces d’argent ainsi que 542

543

Jusqu’au XVe siècle, on a le témoignage de couples qui consument leur union immédiatement après leurs fiançailles, alors qu’elle n’est pas encore reconnue comme valide par l’église. Ribordy, Geneviève. « Les fiançailles dans le rituel matrimonial de la noblesse française à la fin du Moyen Âge, 2001- 4 (620), p. 904 ss. A la fin du XIe siècle, la liturgie et la réflexion théologique concernant le mariage promeuvent ainsi l’idée de consentement mutuel plutôt que la consommation charnelle.

456 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 242 : Bonn, ULB, 526 f. 108v (1286) Fiançailles d’Arthur et Guenièvre

Figure 244 : New Haven, Beinecke, 227 f. 224vc (1357) Fiançailles d’Arthur et de Guenièvre

Figure 243 : Bonn, ULB, 526 f. 129vb Mariage d’Arthur et de Guenièvre

Figure 245 : New Haven, Beinecke, 227 f. 259 Ci aprés orés comment li roy Artus espusa la roine Genivre fille le roy Leodagan. Mariage d’Arthur et de Guenièvre

l’acte de mariage544. Au XIIIe siècle, le droit canon parvient ainsi à réguler de façon cohérente et efficace les pratiques sexuelles de la communauté chrétienne, bien que des conflits avec la juridiction laïque continuent tout au long du XIVe siècle545. 544

545

Jusqu’au XIe siècle, la cérémonie pouvait avoir lieu au domicile des époux ou prendre place à l’extérieur de l’église et être suivie d’une messe. Voir Molin, Jean-Baptiste et Mutembe, Protais. Le rituel du mariage en France du XIIe au XVIe siècle, 1974, p. 26 ss. Brundage, James A. Law, Sex, and Christian Society in Medieval Europe. Chicago; Londres : University of Chicago Press, 1987, ch. 8 à 10. Les réformateurs grégoriens remettent en vigueur le droit romain et inscrivent dans le corpus légal les prescriptions ecclésiales. Le Décret de Gratien écrit à Bologne entre 1140 et 1150 organise un système juridique sur la base des conceptions patristiques de la sexualité. Il en résulte une redéfinition des pratiques matrimoniales et des conceptions de la famille dans l’Europe occidentale, dans un effort pour



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 457

Figure 246 : Ex-Newcastle 937 f. 245 (1405’) Mariage d’Arthur et de Guenièvre L’espousement le roy Artus et Genievre, fille au roy Leodagan, et du tournoiement qui y fu.

Dans la Suite Vulgate, le récit du mariage d’Arthur et Guenièvre est plus long et plus formalisé que dans les textes antérieurs, même si toutes les étapes du rite liturgique ne sont pas systématiquement mentionnées. Leur union devient ensuite un modèle courtois convoqué dans des contextes autres que la littérature arthurienne546. La description de la cérémonie insiste sur l’ordre de la procession nuptiale, énumérant tous les membres du cortège et soulignant la beauté de Guenièvre ainsi que la splendeur de son costume : Et li rois Leodegas fist apareillier sa fille si richement c’onques fille de roi ne fu mix apareillie. [...] Et li rois Bans le prist d’une part et li rois Boors d’autre et l’enmenerent au moustier Saint Estiene. Si ot illuec molt grant baronnie qui tout furent au convoier [...]. Et [Guenievre] fu toute desafublee et ot le plus biau chief que nule feme porroit avoir, un chapel en son chief d’or le plus riche que on seüst. Et ele fut vestue d’une robe a or batue de sigamor si longe que ele li trainoit plus de demie toise. Si li fist si bien que tous li mondes s’esbahissoit de sa grant biauté (Pl. I, 1273-74).

Dans la miniature de fr. 95 f. 273 (Figure 247) (1290'), l’or figure à la fois dans l’habit des personnages et en arrière plan dans la constitution du

546

sanctionner pénalement la fornication et l’adultère. Les Sentences rédigées par Pierre Lombard en 1152, définissent plus clairement les conditions du mariage et le quatrième concile du Latran en 1215 l’établit comme un sacrement. Ce concile souligne la nécessité de publier des bans, l’indissolubilité du mariage, la nécessité d’un consentement libre et public, définit un âge minimum et précise les cas d’invalidité. Leur mariage est ainsi exalté au sommet de quatre autres unions dans une miniature du manuscrit des Chroniques de Hainaut de Jacques de Guise traduites par Jean Wauquelin pour Philippe le Bon, Bruxelles, BR, 9243 f. 39 (1448-68). Les chroniques comprennent souvent davantage d’illustrations de mariages que les romans, les textes antiques ou les livres religieux. Voir Raynaud, Christiane. « Les mariages royaux : une affaire d’État », p. 341-69.

458 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 247 : BNF, fr. 95 f. 273 (1290’) -Mariage d’Arthur et de Guenièvre -Jeu de quintaine

fond de l’image. L’illustration insiste sur l’alliance politique en jeu à travers le nombre des témoins rassemblés autour des jeunes mariés. La miniature inscrit le mariage dans un contexte courtois : après la cérémonie ecclésiastique, les festivités se poursuivent au château de Léodegan avec banquet et don de cadeaux puis organisation de joutes chevaleresques. Dans ce manuscrit, l’utilisation de miniatures à deux niveaux permet de représenter le jeu de la quintaine où les chevaliers s’exercent en pratiquant autour d’une cible, fixe ou mobile, plantée sur un pieu547. Le banquet organisé pour célébrer le mariage d’Arthur et de Guenièvre est représenté au folio 277 de fr. 95, dont le programme iconographique est particulièrement développé, et qui insiste aussi bien sur la cérémonie religieuse que sur les réjouissances profanes qui l’accompagnent. La Suite Vulgate développe donc les circonstances du mariage entre Arthur et Guenièvre et ancre cette alliance politique conçue par Merlin dans l’idéologie courtoise, alors réconciliée avec les normes sociales et 547

Voir Clare, Lucien. La quintaine, la course de bague et le jeu des têtes : étude historique et ethnolinguistique d'une famille de jeux équestres. Paris : Éditions du CNRS, 1983, p. 37-48.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 459

religieuses. Des scènes courtoises donnent à voir les premiers échanges des deux jeunes gens. Elles servent d’introduction à l’iconographie relativement stéréotypée des fiançailles et du mariage, qui sont narrées et représentées de façon très similaire, et formalisent sur le plan politique et religieux leur union.

3.3. Merlin et Viviane : l’enchanteur enchanté548 Dans la Suite Vulgate, Viviane est exclusivement représentée en compagnie de Merlin549. Ses origines font l’objet d’un développement narratif lors de sa première apparition, mais par la suite, elle n’apparaît dans le récit que lorsque Merlin décide de la retrouver. La situation se retourne quand elle enferme Merlin dans sa prison d’air puisque dès lors, c’est elle qui impose à son amant le rythme de ses visites, se réservant l’exclusivité de sa compagnie. Merlin et Viviane se retrouvent à six occasions dans la Suite Vulgate. La troisième et la quatrième rencontre sont très brièvement narrées, alors que la première et la seconde sont assez développées, et seuls le premier, le cinquième et le dernier entretien font l’objet d’une illustration550. La première rencontre des deux personnages est l’occasion d’une explication concernant la famille de Viviane et permet d’anticiper le sort de Merlin. La deuxième et la cinquième se concentrent sur l’apprentissage magique de Viviane, et la dernière traite de l’enserrement de l’enchanteur. Neuf manuscrits représentent Merlin et Viviane, mais dans la Suite Vulgate, un seul d’entre eux, Bonn, ULB, 526 leur consacre non pas une mais deux miniatures : sur le plan narratif, ces entretiens s’articulent de façon sérielle, mais la plupart du temps, ils n’apparaissent que de façon isolée dans les programmes iconographiques. L’illustration des rencontres des amants et la représentation de Viviane ne semblent pas avoir été primordiales pour les concepteurs et enlumineurs des manuscrits du Merlin et de sa suite. Elles sont ainsi absentes de fr. 95, qui est pourtant l’un des manuscrits les plus richement enluminés de ces textes. La rareté des miniatures consacrées à ce sujet s’explique peut-être par le caractère fuyant de Viviane ainsi que par l’ambiguïté de

548

549

550

Voir Fabry, Irène. «  Continuity and Discontinuity  : Illuminating and Interlacing the Adventures of Viviane and Merlin in the Prose Merlin ». Marginalia, Journal of the Medieval Reading Group at the University of Cambridge, 3, Illuminations, 2006. http : //www.marginalia.co.uk/journal/06illumination/fabry.php (01/08/2013). Le nom de Viviane fait l’objet d’importantes variantes manuscrites, de Niniane à Nymenche (Lancelot), Niviene (Suite Post-Vulgate) ou Nimuë (Morte Darthur). Voir Tableau 20 : Illustration des rencontres entre Merlin et Viviane dans la Suite Vulgate, p. 462.

460 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

sa relation avec Merlin, ou encore par la différence des récits consacrés à leurs amours dans la Suite Vulgate et au début du Lancelot ou encore dans la Suite Post-Vulgate551 où le personnage de Merlin est considérablement dégradé552. Dans fr.  344 (1295’), un manuscrit du cycle du Graal au complet, la Suite Vulgate ne comprend pas de miniature consacrée aux rencontres entre Merlin et Viviane, mais l’une de leurs entrevues est illustrée au début du Lancelot (f. 187v, Figure 248). Fr. 344 transmet une version abrégée de la fin de la Suite Vulgate553 : il supprime ainsi la narration de l’enserrement du prophète. Cela permet de gommer la divergence entre les deux récits de la fin de Merlin au terme de la Suite Vulgate et au début du Lancelot et privilégie la version de l’épisode tel qu’il est raconté par Viviane elle-même. Merlin ne finit plus dans une prison amoureuse où il jouit exclusivement de la compagnie de son amante. Il est présenté par Viviane comme une créature démoniaque et luxurieuse dont la jeune femme, anxieuse de préserver sa virginité, parvient à se débarrasser définitivement. La miniature du folio 187v met pourtant en scène la conversation des deux personnages et l’autorité du discours de Merlin. Elle insiste moins sur la lubricité du personnage ou la violence de sa disparition que sur la relation pédagogique qu’il entretient avec son amie.

La première rencontre Le point d’insertion des illustrations de la première rencontre entre Merlin et Viviane diffère dans Oxford, Bodl., Douce 178, Bonn, ULB, 526 et BL, Add. 10292. Dans le manuscrit de Bonn (1286), la miniature est placée bien en amont de l’épisode, avant une rencontre entre Merlin et Blaise : ces dernières, créant des interruptions au sein de la trame narrative, précèdent souvent les entretiens entre Merlin et Viviane, qui fonctionnent de façon similaire. L’illustration contribue à rapprocher ces épisodes à caractère sériel, car si le texte précise que Merlin, métamorphosé, « prist une samblance d’un

551

552

553

Sur le personnage de Viviane et ses différentes représentations dans la Suite Vulgate et la Suite Post-Vulgate, voir notamment Zumthor, Paul. Merlin le Prophète  : un thème de la littérature polémique, de l’historiographie et des romans. Paris : Champion 1943, p. 240 ss., HarfLancner, Laurence. Les Fées au Moyen Âge. Morgane et Mélusine, la naissance des fées. Paris : Champion, 1984, p. 291-315, Larrington, Carolyne. King Arthur’s Enchantresses : Morgan and her Sisters in Arthurian Tradition. Londres  : Tauris, 2006, ch. 5 et Campbell, Laura. Translation and Réécriture in the Middle Ages  : Rewriting Merlin in the French and Italian Vernacular Traditions. Thèse  : Durham University, 2011, http  : //etheses.dur.ac.uk/705/ (01/08/2013).  Dans la plupart des manuscrits, les traits démoniaques de Merlin, figurant parfois au début du Merlin, s’estompent au niveau de la Suite Vulgate. L’un des manuscrits du Lancelot, Pierpont Morgan, 805 f. 10 montre pourtant Merlin discutant avec Viviane sous les traits d’un homme au teint foncé. Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Arthur et ses barons rebelles », 2014.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 461

Figure 248 : BNF, fr. 344 f. 187v (1295’) Lancelot : Merlin et Viviane

Figure 249 : Bonn, ULB, 526 f. 106v (1286), Première rencontre entre Merlin et Viviane

molt biau vallet » (Pl. I, 1059), la miniature insiste moins sur l’aspect galant de la rencontre que sur la relation d’enseignement qui s’établit entre l’enchanteur et la jeune femme (Bonn, ULB, 526, f. 106, Figure 249). Merlin croise les jambes, un signe d' autorité, et le miniaturiste le dote d’un bonnet de docteur, inversant la représentation habituelle de ses visites à son maître Blaise (voir Bonn, ULB, 526, f. 147v). La gestuelle de Viviane imite celle de son compagnon : elle ne se contente pas de l’écouter passivement mais devient progressivement experte en enchantements, grâce au transfert du savoir de Merlin. Le seul élément de décor est constitué par la source ici figurée entre Merlin et la jeune femme :

1285

Turin, BNU, L.III.12

Paris, BNF, fr. 770

Bonn, ULB, 526

Paris, BNF, fr. 95

Tours, BM, 951

Ex-Phillipps 1047

Paris, BNF, fr. 344

Paris, BNF, fr. 110

Darmstadt, ULB, 2534

Paris, BNF, fr. 749

Cologny, Bodmer, 147

Londres, BL, Add. 10292[-94]

Paris, BNF, fr. 105

Paris, BNF, fr. 9123

Paris, Arsenal, 3482

New Haven, Beinecke, 227

Ex-Newcastle 937

New York, Pierpont Morgan, 207-208

Paris, BNF, fr. 96

Paris, BNF, fr. 91

4.

5.

6.

7.

8.

9.

10.

11.

12.

13.

14.

15.

16.

17.

18.

19.

20.

21.

22.

23.

Total

1300

Paris, BNF, fr. 24394

3.

1480-82

1450-55

1450

1400-10

1357

1350

1320-30

1320-30

1316

1310

1300

1300

1295

1290-1300

1290-1300

1290

1290

1286

1275-85

1275-85

Paris, BNF, fr. 19162

1270-1300

Oxford, Bodl., Douce 178

2.

Date

1.

Dépôt, Cote

3

X

X

X

Pl. I, 1055-63

Pl. I, 1223-25

Pl. I, 1452

Tableau 20 : Illustration des rencontres entre Merlin et Viviane dans la Suite Vulgate Pl. I, 1525-26

4

X

X

X

X

Pl. I, 1559-60

3

X

X

X

Pl. I, 1630-32

462 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 463

Si se trait vers une fontainne dont li viviers estoit moult biaus et molt clers et la gravele fourmiant si qu’il sambloit qu’ele fust de fin argent. De cele fontainne venoit souvent Viviane joer et deduire (Pl. I, 1057).

La beauté des lieux forme ainsi un cadre particulièrement propice à une rencontre courtoise. Dans Oxford, Bodl., Douce 178 f. 249 (Figure 250) (1280’), Merlin et Viviane sont dans une position similaire, mais Merlin semble tourner la tête. Les bras croisés554 peuvent constituer un signe de retenue de la part de personnages traversés de sentiments contradictoires. L’image s’insère après la rencontre des amants, lors du retour de Merlin à Carohaise. Elle pourrait représenter la difficulté de la séparation de Merlin et Viviane, même si l’enchanteur promet de revenir pour la Saint Jean (Pl. I, 663). Dans le manuscrit de Londres, BL, Add. 10292 f.  138 (Figure 251) (1316), l’image est située à un emplacement stratégique, après les explications concernant le père de Viviane, Dyonas. Merlin a déjà repéré la jeune femme et débat intérieurement sur le caractère immoral et déraisonnable de la relation qui peut s’ensuivre. La miniature se situe juste avant qu’il ne prenne une décision : Et quant Merlin i vint et il le vit si le remira molt ançois qu’il li deist mot. Et dist en son cuer et pensa que molt seroit fols se il s’endormoit en son pechié que il em perdist son sens et son savoir pour le deduit a avoir d’une damoiselle et lui honnir et Dieu perdre. [Miniature] Et quant il ot assés pensé si le salua toutes voies (Pl. I, 1057).

L’action entreprise par Merlin marque la fin de ses tergiversations en l’introduisant auprès de Viviane. Merlin succombe à la tentation, son action contredisant ses pensées : l’adverbe « si », en relation avec la conjonction « et », n’exprime pas une relation logique mais une successivité temporelle, comme l’indique l’emploi de la locution « toutes voies ». L’image elle-même anticipe l’action ultérieure et permet de deviner la conclusion du débat intérieur de Merlin, de même que la rubrique. En fait la miniature située à l’extrême droite de la double page manuscrite attire le regard bien avant la lecture du texte auquel elle se rapporte et devance ainsi la narration. Merlin, en discussion avec Viviane, observe le spectacle qu’il a lui-même suscité par son enchantement : les « jeux » qu’il a créés intègrent les acrobaties d’un jongleur (« tumeour »), tandis que des jeunes gens participent à une carole représentée au second plan. Devant eux apparaît l’eau de la « fontainne » près de laquelle se rencontrent les deux amants. Le caractère frappant de l’acrobatie réalisée au centre de l’image est peut-être un indice de 554

Voir Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 216 ss.

464 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 250 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 249 (1270-1300’), Merlin et Viviane Figure 251 : BL, Add. 10292 f. 138 (1316) (artiste 2), Ensi com Merlins siet deles damoisele dencoste une fontaine si li monstre des ses gieus. Première rencontre entre Merlin et Viviane

la dimension merveilleuse de la scène dépeinte. La contorsion du personnage contraste avec l’attitude réservée de Merlin et Viviane qui ne prennent pas part à la carole magique. Le reversement du corps du jongleur annonce peutêtre déjà de façon symbolique l’inversion à laquelle aboutit cette relation, quand l’élève dépasse le maître et le fait succomber à ses propres enchantements. Viviane parvient ainsi à maîtriser les jeux merveilleux de Merlin, promettant son amour au magicien en échange de son enseignement : «  Je vauroie savoir de vos gix par couvent que je fuisse a tous jours mais vostre acointe et vostre amie sans mal et sans vilenie tant com je vivroie a nul jour. » « Certes, damoisele, fait il, vous me samblés a estre si douce et si debonaire que pour la vostre amour vous mousterrai une partie de mes gix par couvent que vostre amour soit moie, que autre chose plus ne vous demant » (Pl. I, 1059).

Viviane n’est donc pas dans une simple relation d’observation et de jouissance, mais se lance avec détermination dans l’apprentissage du savoir prodigieux de Merlin, sans pour autant se compromettre. Au terme de la rencontre, la dissipation des enchantements témoigne de la fragilité de l’univers merveilleux suscité par la magie et annonce le départ de Merlin lui-même : Si s’asamblent les dames et les damoiseles et s’en aloient tout dansant vers la forest, et chevaliers et esquier. Et quant il vinrent prés de la forest si se ferirent ens et s’en fuirent tout si soudainement que on ne sot qu’il furent devenu. Et li chastiaus et tout fu devenu a nient, mais li vergiers i remest puis lonc tans, pour la pucele qui doucement l’em proia, et fu apelés par nom Repaire par joie et par leece. Et quant Merlins et la pucele orent longement esté ensamble si li dist Merlins : « Au daerrain, bele pucele, je m’en vois car je ai molt a faire aillours » (Pl. I, 1061-62)



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 465

Le verger qui demeure conserve la mémoire des prodiges effectués mais évoque aussi, à travers la polysémie du terme « repaire », le retour de l’amant auprès de sa dame. La disparition du château merveilleux créé par Merlin contraste ainsi avec la pérennité du château d’air dans lequel il sera ultimement enserré. L’emprisonnement de Merlin garantit à Viviane la disponibilité totale et exclusive de son amant : le sort qu’elle lui jette éclipse alors tous les prodiges de l’enchanteur, puisqu’il est irréversible, par contraste avec la plupart des merveilles conjurées par Merlin.

L’apprentissage magique de Viviane L’avant-dernière rencontre de Merlin et Viviane fait l’objet de plusieurs illustrations. Le texte insiste à la fois sur l’avidité de savoir de Viviane et sur sa capacité à neutraliser Merlin en l’endormant. New Haven, Beinecke, 227 f. 298v (Figure 252) (1357) montre l’arrivée de Merlin auprès de son amante dont l’impatience procède surtout de son désir d’apprendre : Et s’en vint droit a Viviane s’amie qui molt estoit angoissouse de lui veoir, car encore ne savoit ele riens de son art a ce que ele en vausist savoir (Pl. I, 1559).

La rubrique résonne de façon ironique, car la sagesse de Merlin est certes ce qui attire Viviane, mais l’attraction que ressent le personnage pour la jeune femme semble ici l’emporter sur son jugement. Dans fr.  770 f. 291 (Figure 253), la gestuelle des amants suggère une conversation animée où Merlin dispense avec autorité son savoir à Viviane : il a l’index pointé vers le ciel, tandis que la jeune femme présente les mains ouvertes en signe d’écoute et d’acquiescement555. Comme dans Arsenal, 3482 p. 301 (Figure 255), les deux personnages sont pourtant assis sur un lit qui évoque à la fois l’intimité des amants et le subterfuge trouvé par Viviane pour échapper à la concupiscence de Merlin, bien que l’oreiller magique ne soit pas visuellement mis en valeur : Si li fist la greignour joie que ele onques pot. Et mengierent et burent ensamble et jurent ensamble en un lit. Mais tant savoit ele de ses affaires, quant ele savoit qu’il avoit volenté de gesir o li ele avoit enchanté et conjuré un oreillier que ele li metoit entre ses bras. Et lors s’endormoit Merlins. Non mie por ce que li contes faces mencion que Merlins couchast onques a feme charnellement (Pl. I, 1560).

Viviane parvient ainsi à préserver sa chasteté, ce qui disculpe du même coup Merlin des accusations de luxure qui portent sur lui556. Le motif de

555 556

Voir Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1 p. 167-74. Au cours de la seconde visite de Merlin, Viviane apprend des paroles magiques qui l’assurent de protéger sa virginité : « Et si li aprist .III. nons qu’elle escrist en ses ainnes toutes les fois que il vauroit a li jesir qui estoient si plain de si grant force que ja tant que ele les eust sor li n’i peust nus hom habiter carnelment. Et des illuec en avant conreoit ele tel Merlin toutes les fois qu’il venoit parler a li qu’il n’avoit pooir de jesir a li » (Pl. I, 1224). À nouveau, ces précautions

466 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Figure 252 : New Haven, Beinecke, 227 f. 298v (1357) Si se taist ici endroit li contes de lui et retourne a parler de Merlin qui moult estoit saiges. Merlin et Viviane

Figure 253 : BNF, fr. 770 f. 291 (1285’) Merlin et Viviane

l’oreiller enchanté apparaît déjà dans Cligès de Chrétien de Troyes557 : pour Fénice, mariée contre son gré à l’empereur Alis, et amoureuse de Cligès, le sommeil constitue une version euphémisée de la disparition souhaitée du mari importun. Cette situation diffère cependant de celle de Viviane qui utilise le procédé pour préserver sa virginité de celui qu’elle a accepté pour amant, sans pour autant renoncer à la compagnie de ce dernier. Le sommeil auquel elle force Merlin n’est qu’une des façons par lesquelles elle s’efforce d’acquérir une maîtrise totale sur ce dernier. Il facilitera l’enserrement de son amant. Viviane préfère ainsi la formation magique aux déduits amoureux, utilisant ses nouvelles connaissances pour se protéger d’une sexualité perçue comme menaçante. Elle inverse alors les représentations médiévales de la femme comme être faible davantage gouverné par son corps, ses pulsions et ses appétits, que par sa raison558. Certes, Viviane n’hésite pas à user de ses charmes et tolère une certaine promiscuité physique pour parvenir à ses fins559 : La pucele le mist couchier en son giron et le traïst tant a li et une fois et autre que Merlins l’amoit a merveilles (Pl. I, 1224). Et Merlins mist son chief en giron a la damoisele. Et ele li conmenche a tastonner tant qu’il s’endormi (Pl. I, 1632).

557 558

559

permettent au narrateur de souligner l’innocence de Merlin, malgré la défiance que son origine diabolique inspire à Viviane : « Mais nous ne trouvons pas lisant c’onques Merlins requesist vilenie a li ne a autre feme » (Pl. I, 1224). Chrétien de Troyes. Cligès. Ed. Alexandre Micha. Paris : Champion, 1957, v. 3319 ss. Voir Bloch, Howard. Medieval Misogyny and the Invention of Western Romantic Love. Chicago : University of Chicago Press, 1991, p. 9. On peut alors rapprocher le couple formé par Merlin et Viviane de celui de Samson et Dalila, qui figure dans de nombreux exempla misogynes où l’homme perd le contrôle rationnel de lui-même pour se soumettre à ses instincts naturels. Voir Campbell, Laura. Translation and Réécriture in the Middle Ages, 2011, p. 118.

Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 467



Figure 255 : Arsenal, 3482 p. 301 (1350’) Merlin et Viviane

Figure 254 : BNF, fr. 9123 f. 285 (1325’) Comment Merlins vint a Nyniaie sa mie qui molt grant joie li fist. Merlin et Viviane

A défaut de posséder physiquement Viviane, Merlin fait ainsi l’expérience d’une forme de régression infantile  : elle le berce et le pousse au sommeil, neutralisant ainsi le désir sexuel de son amant560. Dans fr.  9123 et Arsenal, 3482, Merlin pose la main au niveau du ventre de Viviane, ce qui exprime clairement son attirance physique envers la jeune femme. Dans fr. 9123 f. 285 (Figure 254), la main ouverte de Viviane et sa tête légèrement inclinée peuvent rappeler la soumission de la jeune mariée devant son époux561. Merlin arbore un costume bleu similaire à celui qu’il revêt lors de ses entretiens avec Blaise, mais cet habit s’arrête au genou. L’adoption d’un vêtement plus court correspond à un contexte différent, celui d’un rendez-vous galant562. Dans Arsenal, 3482 p. 301 (Figure 255), la gestuelle de Merlin est un peu plus réservée. Leur relation est complexe car Viviane 560

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Dans le Lancelot, son enfermement dans une grotte, et plus encore dans la Suite Post-Vulgate, l’image de son entombement résonnent de façon plus sinistre avec l’idée de ce regressus ad uterum, même si dans la Suite Vulgate, la tour d’air, bien qu’érigée par Viviane, contraste avec ces espaces symboliquement féminins. Garnier, François. Le langage de l’image au Moyen Âge, 1982, vol. 1, p. 141.  Lors de sa première rencontre avec Viviane, Merlin « prist une samblance d’un molt biau vallet » (Pl. I, 1057) : pour séduire la jeune femme, il fait la démonstration de ses talents surnaturels en créant autour d’eux un univers courtois et festif.

468 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

accepte d’être l’amie de Merlin et de dormir à ses côtés mais ne se livre pas pour autant à lui, recourant à la magie pour se protéger. Si l’histoire de Merlin et Viviane est placée sous le signe des enchantements et de l’initiation à la magie, l’acquisition de cet art est présentée de façon assez rationnelle. Dès leur première rencontre, Viviane met par écrit les formules magiques que lui dicte Merlin, de même que Blaise transcrit ses paroles mot à mot, une structure reprise d’un épisode à l’autre : «  Et je vous dirai de mes gix, fait Merlins, et vous les metrés en escrit, car autresi sacés vous assés de letres. Et je vous aprendrai autretant de merveilles que onques nule feme autre tant n’en sot » (Pl. I, 1061). « Il li aprist a faire venir une grant riviere […] et d’autres gix assés dont elle escrit les mots em parchemin tel com il li devisa, et elle en savoit molt bien venir a chief » (Pl. I, 1062-63). Et il li aprist toutes les choses que cuer mortex pooit penser et ele le mist tout en escrit (Pl. I, 1224-25). Et ele metoit tout en escrit quanqu’il disoit conme cele qui bien estoit endouctrinee de la clergie. Si retenoit assés plus legierement ce que Merlins li disoit (Pl. I, 1560). Et cele les retint bien et le mist tout en escrit, come cele qui molt estoit bone clergesse des .VII. ars (Pl. I, 1630).

L’éducation de Viviane facilite son apprentissage, et elle se montre bien disposée à retenir les sorts que Merlin lui enseigne, dépassant les limites imposées à son sexe. En effet, elle s’approprie comme Héloïse, disciple et compagne d’Abélard, une clergie associée avec l’Eglise et avec son monopole de type patriarcal sur une connaissance habituellement réservée aux hommes563. Certes, le savoir de type magique est davantage associé au Moyen Âge aux figures de sexe féminin564. Ces caractéristiques font de Viviane un être double faisant écho à la double nature de Merlin. Mais contrairement à Merlin, Viviane n’entretient pas de relations spécifiques avec Dieu ou avec le diable. De ce fait, les enchantements qu’elle opère, bien qu’ils relèvent de pratiques magiques condamnées par l’Eglise565, apparaissent comme l’application consciencieuse des leçons qu’elle a reçues, plus que comme la manifestation de puissances surnaturelles énigmatiques et maléfiques. A l’inverse, lors de sa relation avec Viviane, Merlin fait l’expérience d’une forme de dépossession et de fragmentation identitaire. Merlin quitte

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Voir Looper, Jennifer. « L’Estoire de Merlin and the Mirage of the Patrilineage », Arthuriana, 12, 2002, p. 63-85. Voir Berthelot, Anne. «  Merlin and the Ladies of the Lake  », Arthuriana, 10, 2000, p. 55-82. Lawrence-Mathers, Anne. The True History of Merlin the Magician, 2012, p. 203-04.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 469

la sphère du raisonnable et du rationnel pour arriver au bord de la folie, dans la mesure où il contribue en connaissance de cause à sa propre perdition. Si Merlin exprime d’abord une certaine réserve par rapport à l’enseignement qu’il accepte de prodiguer à Viviane, (« vous mousterrai une partie de mes gix », Pl. I, 1059), ces limites semblent très rapidement franchies : Et ele li demanda molt de choses et enquist et il l’en aprist molt, car il l’amoit si durement qu’a poi qu’il n’esragoit (Pl. I, 1223). Et li enseigna grant partie de ce qu’il savoit (Pl. I, 1452). Il li enseigna ce qu’il ne vaut a nului enseignier (Pl. I, 1525). Tant s’i abandonna et tant li aprist de ses afaires une fois et l’autre que il s’em pot tenir pour fol [...]. Et tous jours li enqueroit cele de son sens et de ses maistries. Et li enqueroit chascune par soi et il li faisoit tout a savoir (Pl. I, 1560). Et tout adés li enquist ele grans partie de ses affaires. Et il l’en dist tant et enseigna qu’il en fu puis tenus pour fol et encore (Pl. I, 1630).

Merlin semble incapable de limiter l’étendue du savoir qu’il communique à Viviane tant il est épris d’elle, tandis que les multiples questions posées par son élève mettent en place une maïeutique particulièrement efficace. Comme Merlin l’avoue à Gauvain lors de leur dernière rencontre, son amour pour Viviane a surpassé son amour de soi : « Conment puet ce a force avenir qui estiés li plus sages hom del monde ? –Mais li plus fols, fait Merlins, car je savoie bien ce que avenir m’estoit, et je fui si fols que j’amai plus autrui que moi » (Pl. I, 1652-53).

L’image de la folie d’amour va de pair avec le caractère inéluctable de la passion que Merlin conçoit et explique le total abandon auquel il consent566.

L’enserrement de Merlin Les miniatures représentant l’enserrement de Merlin dans Bonn, ULB, 526, fr. 749 et dans une moindre mesure dans fr. 110, sont situées bien avant le passage textuel correspondant, lors du retour en Gaule d’Arthur et de son armée, après la conception d’Hector et la conclusion de l’histoire de Flualis. L’image joue alors un rôle de structuration narrative, en association avec le

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Dans la Suite Post-Vulgate, Merlin se trouve plus nettement face à un dilemme moral, en effet, il est déchiré entre son attraction physique pour Viviane, qui va de pair avec l’espoir de la posséder charnellement, et la crainte d’exprimer ses intentions par une requête susceptible de lui déplaire : « Et por la grant amour qu’il avoit a li ne li osoit li requerre que elle fesist pour lui, car il ne l’osoit courechier. Et il pensoit toutes voies que il li avroit en auchune maniere, si qu’il en feroit outreement ses volentés » (§ 329). « Et Merlins amoit tant la Damoisele del Lac qu’il en moroit, ne il ne li osoit requerre que elle fesist pour lui por chou qu’il savoit bien que elle estoit encore pucelle. Et neporquant il ne baoit pas gramment avoec li estre qu’il ne la conneust carneument et qu’il en fesist tout chou que hom fait de feme ». La Suite du Roman de Merlin, 1996, § 379.

470 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

procédé de l’entrelacement. Ce décalage entre l’image et le texte auquel elle renvoie crée un effet d’anticipation, et permet de souligner le renversement qui s’opère : comme dans l’épisode du château des Marais, l’enchantement intervient dans un contexte amoureux, mais cette fois, Merlin en est l’objet et la victime. Certes, son emprisonnement est inéluctable et a été préparé à plusieurs reprises dans le texte, depuis la prophétie relative à la louve qui doit lier le lion sauvage, énoncée par Merlin à Blaise avant sa première rencontre avec Viviane567, lors d’entretiens ultérieurs avec l’ermite568, à travers les adieux de Merlin à Arthur569, ou lors de ses autres rencontres avec Viviane570. Le destin de Merlin est déjà fixé, ce qui donne à son histoire davantage de résonance, complexifiant le motif du savant trompé par une femme, tel qu’il apparaît dans le récit misogyne du Lai d’Aristote571. Le récit de l’enserrement, aboutissement de multiples annonces narratives, se trouve donc également précédé par sa représentation visuelle. Dans le manuscrit de Bonn, ULB, 526 f. 166 (Figure 256), Merlin apparaît assoupi sous un buisson d’aubépine, un arbre qui dans la mythologie celtique sert de contact avec l’autre monde572 : Il aloient main a main deduisant parmi la forest de Brocheliande, si trouverent un boisson bel et haut d’aubespines tous chargiés de flours. Si s’asissent en l’onbre... (Pl. I, 1632).

La verticalité de Viviane, qui contraste avec la position allongée de son amant, souligne son emprise sur l’action. Viviane portait à l’origine une couronne qui a ensuite été effacée. La jeune femme n’est pas reine, comme le souligne la correction de l’image, mais son attribut originel souligne sa domination sur l’enchanteur étendu et endormi qu’elle surplombe de toute sa hauteur. Dans les miniatures médiévales, les dieux antiques, lorsqu’ils sont représentés sous forme humaine573, portent très souvent une couronne. Cet 567

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« La leuve est el païs qui le lyon sauvage doit loiier de cerceles qui ne seront de fer ne de fust ne d’argent ne d’or ne d’estain ne de plomc ne de riens nule de terre qui aigue ne herbe port, si en sera si estroit loiiés que mouvoir ne se porra. [...] Tant vous dis je bien que ceste prophesie chiet sor moi. Et si sai bien que je ne m’en saurai garder » (Pl. I, 1050-51). « Et Blayse li dist qu’il s’apercevoit bien qu’il amoit une dame dont la prophesie devoit chaoir qui dite en avoit esté » (Pl. I, 1449). « Molt serai a malaise jusques a tant que je vous voie. [...] –Sire, fait Merlins, c’est la daerrainne fois » (Pl. I, 1628). « Et nonpourquant sot il bien son pensé, mais toutes voies li aprist il, et ce et autres choses, car Dix Nostres Sires le vaut ensi » (Pl. I, 1224). Henri d’Andeli. Les dits. Ed. Alain Corbellari, 2003. Voir Walter, Philippe. « L’épine ou l’arbre-fée », PRIS-MA, 5 (1), 1989, p. 95-108. On peut distinguer deux formes de représentation des dieux antiques : « Les dieux ‘en état’, ceux que l’on va solliciter, sont invariablement représentés sous la forme figée d’une statue, tandis que les dieux ‘en action’, ceux qui interviennent dans les rêves ou qui apparaissent aux hommes, sont représentés sous une forme animée, qu’elle soit humaine ou angélique »,



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 471

Figure 256 : Bonn, ULB, 526 f. 166 (1286), Enserrement de Merlin par Viviane

attribut pourrait évoquer la figure de la déesse Diane, marraine de Viviane, qui défend farouchement sa virginité, et punit cruellement Actéon lorsqu’il la surprend au bain. Le sort réservé à Merlin est cependant plus doux dans la Suite Vulgate où Viviane n’est pas aussi hostile à Merlin que dans le Lancelot ou la Suite Post-Vulgate. Elle désigne du doigt un filet placé au-dessus de Merlin, une façon ingénieuse de représenter l’enserrement574, puisque la forteresse où elle emprisonne Merlin est à la fois imprenable et invisible, dépourvue de tout matériau solide : « El monde n’a si forte tour come ceste est ou je sui enserrés. Et se n’i a ne fust ne fer ne pierre, ains est sans plus close del air par enchantement, si fort qu’il ne puet estre desfait jamais a nul jour del monde » (Pl. I, 1652).

La merveille de l’enserrement de Merlin, jouant par inversion avec le motif littéraire de la femme gardée dans une tour par son mari jaloux, constitue un défi pour la représentation. Seul fr. 105 f. 347 (Figure 259) s’exerce à représenter le personnage lorsqu’il est devenu invisible, le faisant apparaître au sein d’une nuée lorsqu’il s’adresse une dernière fois à Gauvain.

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Pérez-Simon, Maud. Mise en roman et mise en image : les manuscrits du Roman d’Alexandre en prose, 2008, p. 415. De tels filets sont utilisés comme pièges pour capturer les oiseaux. Voir par exemple le dessin marginal du psautier et livre d’heures flamand du début du XIVe siècle, Baltimore, Walters Art Gallery, 82, f. 75v (Randall, Lilian. Images in the Margins of Gothic Manuscripts, 1966, figure 10). Les marges des manuscrits enluminés utilisent aussi cette image comme symbole de la captivité amoureuse, comme le montre le bas de page du psautier produit à Gand dans le premier quart du XIVe siècle, Oxford, Bodleian Library, 6 f. 83v, où une femme tire vers elle son amant, étendu sur l’herbe, qu’elle a attrapé dans un filet (Elsig, Frédéric. « La ridiculisation du système religieux », Les marges à drôleries des manuscrits gothiques (1250-1350). Dir. Jean Wirth. Genève : Droz, 2008, figure 4.6.6., p. 319).

472 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

Dans fr. 110 f. 159v (Figure 257), Merlin se trouve prisonnier du buisson d’aubépines tandis que Viviane, tenant à la main un rouleau de parchemin, lance son enchantement. La rubrique, plus proche du texte, évoque Merlin endormi sous le buisson. La miniature de fr. 110 n’illustre donc pas littéralement l’enserrement de Merlin ni le château d’air, dont la représentation serait difficile, mais trouve un autre moyen de signifier son emprisonnement. Les plantes qui enserrent Merlin, variation créative sur le buisson d’aubépines, matérialisent l’enchantement dont il est la victime575. Merlin, portant le chapeau de docteur, demeure éveillé et reste dans la posture du maître qui enseigne, alors même que son élève prend le dessus. Le rouleau de parchemin que Viviane tient à la main symbolise l’inversion de leur position respective et emblématise la connaissance qu’elle a acquise grâce à la mise en écrit des enseignements de Merlin. Le rouleau est traditionnellement l’attribut du poète lyrique576, mais dans ce contexte, il contient littéralement le « carmen », l’incantation magique utilisée par Viviane. La présence de cette miniature consacrée à la disparition du protagoniste dans fr. 110 est remarquable car il s’agit de la dernière des seize images comprises dans le Merlin et dans sa suite au sein de ce manuscrit cyclique. Fr. 749 f. 331 (Figure 258) montre Merlin, reconnaissable à sa chevelure noire, endormi au pied d’un imposant buisson d’aubépine, tandis que Viviane, débout et en position dominante, tourne autour de lui avec sa guimpe. La figure du cercle, également utilisée lors du premier enchantement montré par Merlin à Viviane577, est particulièrement appropriée à l’enserrement de Merlin. En effet, selon Claude Lecouteux578, le rite de circumbulation a une fonction d’appropriation, d’expropriation et de protection, différents éléments qui s’appliquent à la situation respective des deux amants. Le chiffre neuf semble également investi de propriétés magiques qui contribuent à l’efficacité du sort jeté :

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Sur le plan iconographique, la représentation de l’enserrement de Merlin dans BNF fr. 110 fait écho à celle de l’apparition merveilleuse de Dieu à Moïse dans le buisson ardent, telle qu’elle est représentée en marge du Bréviaire de Marguerite de Bar, Londres, BL, Yates Thompson 8 f. 214v, réalisé en Lorraine après 1302 (Randall, Lilian. Images in the Margins of Gothic Manuscripts, 1966, figure 507). Le rouleau est souvent lié à l'oralité et au lyrisme, alors que le codex est davantage associé à l'écriture narrative. Voir Drobinsky, Julia. « Peindre, pourtraire, escrire », le rapport entre le texte et l’image dans les manuscrits enluminés de Guillaume de Machaut (XIVe-XVe s.), 2004, p. 77-78. Sur la distinction entre la représentation de l’auteur assis à son pupitre, qui remplace celle du poète écrivant ou lisant sur un rouleau dans un cadre extérieur, voir Huot, Sylvia. From Song to Book : the Poetics of Writing in Old French Lyric and Lyrical Narrative Poetry, 1987, p. 246-47. « Et Merlins se traist a une part et fait un cercle d’une verge enmi la lande » (Pl. I, 1059). Peu après, dames et chevaliers apparaissent et commencent à chanter et à danser. Voir Lecouteux, Claude. Démons et génies du terroir au Moyen Âge. Paris : Imago, 1995, p. 108-18.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 473

Figure 257 : BNF, fr. 110 f. 159v (1295’) Ensi que Merlins se dort desous un buisson d’aubespine et Niniane sa mie fait son cerne tout entor lui por lui enserrer par sez encantemens. Enserrement de Merlin par Viviane

Figure 258 : BNF, fr. 749 f. 331 (1300’) Enserrement de Merlin par Viviane

Et quant la damoisele senti qu’il dormoit, si se leva tout belement et fist un cerne de sa guimpe tout entour le buisson et tout entour Merlins. Si conmencha ses enchantements tels conme Merlins li avoit apris. Et fist par .IX. fois son cerne et par .IX. fois ses enchantemens... (Pl. I, 1632).

Dans fr. 749, les cheveux roux de Viviane, dont la couleur n’est pourtant pas précisée dans le texte579, ressortent sur la verdure de l’arbre et soulignent la duplicité du personnage qui fait ainsi pièce à la double nature de son amant. L’atmosphère magique qui baigne la scène est accentuée par le bleu profond de l’arrière plan dont les mouchetures font écho aux fleurs d’aubépine représentées dans l’arbre. Le sommeil de Merlin, manifestation de son abandon à l’égard de Viviane, précède et annonce son enserrement. Les rencontres entre Merlin et Viviane se placent donc dans la continuité de ses entretiens avec Blaise, dont elles partagent le caractère marginal et épisodique. Mais tandis que les secondes se concentrent sur la mise par écrit des événements racontés par Merlin, les premières ont un impact narratif plus net, contribuant à la clôture du texte à travers la disparition de son principal protagoniste. L’illustration met rarement en valeur la dernière visite de Viviane à Merlin et l’enserrement de ce dernier, mais connaît une distribution plus large au sein du texte, omettant généralement le caractère sériel de ces entretiens. Différents éléments permettent de contextualiser les rencontres des jeunes gens, qu’il s’agisse du cadre naturel de leur premier entretien et

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De la même manière, aucun texte biblique canonique ou apocryphe ne précise la couleur de cheveux de Judas. Il commence à présenter cette caractéristique dans l’iconographie carolingienne puis dans des ouvrages du XIIe siècle. Voir Pastoureau, Michel. Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental. Paris : Seuil, 2004, p. 197 ss.

474 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

des merveilles suscitées par Merlin à cette occasion, des prodiges particulièrement mis en valeur dans BL, Add. 10292, fr. 770 et Arsenal, 3482, ou du lit qui emblématise les subterfuges auxquels se livre Viviane pour échapper aux ardeurs de son amant. Leur relation s’inscrit dans un cadre courtois et dans la perspective d’un apprentissage de la magie. Viviane se lance en effet dans une étude appliquée et systématique de cet art. Il s’agit d’un personnage féminin ambigu, qui dans son face à face avec la figure tout aussi complexe de Merlin redéfinit l’image de l’amante courtoise et son identité à la fois sexuelle et intellectuelle marquée par les distinctions du genre. Viviane parvient à la maîtrise de puissants enchantements, de façon méthodique, plutôt que grâce à une nature extraordinaire ou à des dons innés, présentant une version rationalisée du personnage de la fée. L’enserrement de Merlin, qui assoit la domination de l’élève sur son maître et de l’amante sur l’amant, scelle ainsi le destin que l’enchanteur s’était lui-même prédit. L’illustration se focalise davantage sur la mise en œuvre de l’enchantement que sur l’enserrement lui-même, soulignant de ce fait le rôle joué par Viviane dans la clôture du texte. Seul fr. 110 fait de cette miniature la dernière image du programme iconographique du Merlin et de sa Suite Vulgate. L’introduction de la figure de Viviane dans la Suite Vulgate, intimement liée à la disparition de Merlin, prépare le début du Lancelot. La jeune femme se substitue alors à l’enchanteur, mais comme pour se justifier, elle y présente un portrait de Merlin relativement dissonant à l’égard du texte précédent. Lors de son ultime manifestation au monde, la voix de Merlin s’exprime au milieu d’une brume mystérieuse : Et [Gauvain] tourne cele part ou il ot oïe cele vois, si regart de sus et jus, mais riens n’i voit fors une fumee tout autresi come air, ne outre ne pooit passer (Pl. I, 1651).

Cette scène fait l’objet de la dernière miniature de la Suite Vulgate dans fr. 105 f. 347 (Figure 259) où l’enlumineur résout le problème de la représentation de la quasi-invisibilité du personnage en le montrant au sein d’une nuée qui reprend la « fumée » évoquée par le texte tout en constituant un indice du caractère merveilleux de l’apparition de Merlin. Son identification est assurée par la rubrique, qui insiste pourtant moins sur sa disparition visuelle que sur l’origine de cette situation : l’enserrement du magicien par son amante Viviane, même si cette dernière n'est pas explicitement nommée (« estoit enprisonnez »). Le brouillage des apparences est alors généralisé, puisque Gauvain, « muez en faiture de nayn », est également victime d’un sort maléfique jeté par une demoiselle magicienne qui le punit pour avoir dérogé aux règles de la courtoisie. Perdu dans ses pensées, il est passé devant elle en omettant de la saluer. Lors de cette dernière apparition, Merlin, qui a



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 475

Figure 259 : BNF, fr. 105 f. 347 Comment monseigneur Gawain fu muez en faiture de nayn et comment il parla a Merlin qui estoit enprisonnez. Gauvain transformé en nain et Merlin prisonnier

déjà fait ses adieux à Arthur, rassure Gauvain sur son apparence. Il explique aussi les modalités de son enserrement dans la merveilleuse tour d’air construite par Viviane : «  Et quant vous departirés de ci jamais ne parlerai a vous ne a autre, fors a

m’amie. Car jamais nus n’aura pooir que il puisse ci assener pour riens que aviengne. Ne de chaiens ne puis je issir, ne jamais n’en isterai. Car el monde n’a si forte tour come ceste est ou je sui enserrés. Et se n’i a ne fust ne fer ne pierre, ains est sans plus close del air par enchantement, si fort qu’il ne puet estre desfait jamais a nul jour del monde. Nen je ne puis issir ne nus n’i puet entrer fors sans plus cele qui ce m’a fait, qui me fait ici compaingnie quant il li plaist. Et ele vient et s’en vait quant il li vient a plaisir et a volenté »(Pl. I, 1652).

La disparition visuelle et sonore de Merlin ainsi que son emprisonnement contrastent avec la liberté d’aller et de venir conservée par son amante. Il s’agit certes d’un des récits les moins violents de la fin du personnage, puisque contrairement à la Suite Post-Vulgate, Viviane ne cherche pas à éliminer définitivement son amant après l’avoir utilisé, mais lui tient « compagnie ». Merlin s’est de lui-même soumis au bon plaisir de la dame, et doit pour cela renoncer à toute autre forme d’existence au monde. Il reconnaît cette fatalité et le caractère définitif de son emprisonnement. « Je savois bien ce que avenir m’estoit, et je fui si fols que j’amai plus autrui que moi et si apris m’amie, pour coi je sui emprisonnés, ne nus ne me piet desprisonner » (Pl. I, 1653).

Si la mésaventure de Gauvain rappelle au chevalier l’importance primordiale des valeurs courtoises, le jeune homme recouvre rapidement son statut et son apparence première, à la différence de Merlin qui demeure

476 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

entièrement soumis au pouvoir féminin. L’illustration de fr. 9123 se clôt sur une aventure chevaleresque puisque Enadain, dont Gauvain subit momentanément le handicap, démontre sa prouesse au combat (f. 298, Figure 126). Si la dernière miniature de fr. 105 évoque cet épisode, elle articule davantage la clôture de son programme iconographique autour de la fin de l’histoire de Merlin. L’illustration détermine ainsi la représentation que peut se faire le lecteur du dénouement de l’œuvre, en relation ou non avec le début iconographique de fr. 105 et 9123 qui se focalise sur les origines de Merlin. Dans fr.  105, qui se clôt comme fr.  9123 par «  Explicit toute la vie Merlin » (f. 349v) le lecteur peut contempler l’intégralité de l’existence de Merlin, de l’histoire de sa conception à ses enfances et de son rôle politique à sa disparition. La représentation de la dernière rencontre de Merlin et de Gauvain dans fr. 105 est exceptionnelle, d’autant que cet épisode n’est pas le dernier de la continuation. Les dernières miniatures de la Suite Vulgate se consacrent généralement à la mise en scène de la quête de Merlin et des aventures d’Enadain et de Bianne ou de Gauvain et de la demoiselle magicienne (voir Bonn, ULB, 526 ff. 167, 167v, 168c et 168v, Figure 132 à Figure 135 ou BL, Add. 10292 ff. 213, 214 et 214v, Figure 127 à Figure 129), qui témoignent de l’orientation chevaleresque de la fin de l’œuvre, en annonçant la tonalité dominante du Lancelot. Ils intègrent parfois une représentation des enfants de Ban et Bohort dont la naissance est mentionnée à la toute fin du texte (voir Bonn, ULB, 526 f. 169v, Figure 136), ce qui facilite l’intégration cyclique en servant de transition. Alors que le personnage de Merlin demeure très présent dans la Suite Vulgate, sa disparition n’est qu’exceptionnellement illustrée, malgré l’effet de clôture iconographique qu’elle aurait pu constituer. Même si un groupe important de manuscrits se termine par : « Explicit l’enserrement de Merlin »580, ils ne représentent pas visuellement cet emprisonnement.

Conclusion La représentation des femmes dans l’illustration des manuscrits du Merlin et de sa suite est signifiante, car elle concerne un nombre relativement restreint d’épisodes au sein d’un texte où prédominent les aventures guerrières. Elle concerne principalement les manuscrits du XIIIe et du XIVe siècle : l’illustration du Merlin et a fortiori celle la Suite Vulgate est moins abondante dans ceux du XVe siècle qui privilégient les miniatures frontispices (comme dans Arsenal, 3479-80, fr. 117-120 et fr. 113-116) et dont le programme iconographique est parfois inachevé (fr. 91 et fr. 96). Dans le Merlin, l’exemple de la

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Voir Tableau 8 : Les manuscrits comprenant un explicit à la fin de la Suite Vulgate, p. 123.



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 477

famille de Merlin l’Ancien souligne la faiblesse des femmes face à la corruption diabolique et leur prédisposition à la luxure, un trait qui réapparaît à travers la figure excessive de l’impératrice romaine dans l’histoire de Grisandole. Dans le Merlin comme dans la Suite Vulgate, le mariage, dont l’iconographie est à la fois stéréotypée et récurrente, apparaît comme un moyen de canaliser ce penchant et offre une forme de réparation envers Ygerne mais aussi Avenable. Dans le cas d’Arthur et Guenièvre, il fait l’objet d’une importante élaboration textuelle et iconographique et permet la conciliation d’intérêts politiques ainsi que la mise en scène d’une relation amoureuse à caractère courtois. Cela témoigne d’une évolution par rapport aux circonstances de l’union d’Uterpandragon et d’Ygerne dans le Merlin propre. La mise en scène de l’idylle qui se noue entre Arthur et Guenièvre contraste cependant avec leur infidélité réciproque dans le Lancelot. Apportant une nuance courtoise au Merlin, la Suite Vulgate annonce l’orientation romanesque du cycle du Graal, même si elle privilégie habituellement les épisodes militaires et politiques. Le motif de l’enlèvement apparaît de façon récurrente dans la continuation du Merlin  : les femmes concernées, des souveraines, constituent un enjeu symbolique et politique majeur, ce qui renforce l’intégration de ces épisodes à la trame narrative principale. Le complot des parents de la Fausse Guenièvre, motivé par une vengeance familiale, se comprend de façon plus large dans la perspective narrative et idéologique du Lancelot, qui ne se confond pourtant pas entièrement avec celle la Suite Vulgate. Le sort des femmes des rois révoltés exhibe l’orientation militaire du texte, soulignant la menace que constitue la division de la noblesse bretonne face à l’invasion saxonne. Il permet de réfléchir sur l’articulation des liens d’allégeance et de parenté à travers l’émergence narrative des neveux d’Arthur et leur engagement à la fois militaire et chevaleresque. Ce développement propre à la continuation permet de glisser insensiblement de l’épique au romanesque et favorise la transition vers le Lancelot, ouvrant ainsi le Merlin sur les autres parties du cycle. L’histoire de Bianne et Enadain illustre la nouvelle orientation de la Suite Vulgate, une fois résolus les conflits internes et externes au royaume breton. L’émergence de la demoiselle aventureuse marque l’introduction d’un type de personnel féminin caractéristique des romans arthuriens en vers et en prose581. Quant à la figure de Viviane, au détour d’épisodes marginaux mais itératifs, elle fait l’objet d’une construction narrative particulièrement complexe et élaborée. En relation avec l’évolution romanesque du personnage

581

Voir Milland-Bove, Benédicte. La demoiselle arthurienne : écriture du personnage et art du récit dans les romans en prose du XIIIe siècle. Paris : Champion, 2006.

478 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

de Merlin, son apparition est indissociablement liée à la construction et à la clôture du texte. La mise en scène de l’apprentissage magique de la jeune femme permet d’introduire une figure appelée à jouer un rôle déterminant au début du Lancelot. Le programme iconographique de chaque manuscrit accorde une place différente à la représentation des personnages féminins évoqués dans le texte. Dans BL, Add. 10292, la reprise de compositions iconographiques stéréotypées employées pour représenter les unions charnelles et les songes royaux contribue à mettre en valeur le caractère récurrent de ces épisodes tout en invitant à leur lecture sérielle, à l’échelle du Merlin et de sa suite, mais aussi du cycle du Graal. Les femmes continuent de jouer un rôle essentiel dans la conception des héros du Merlin et de sa suite, introduisant des protagonistes présents dans d’autres parties du cycle et rappelant l’importance du lignage. C’est par le biais d’aventures secondaires ou de références furtives que sont introduites des aventures amoureuses déterminantes dans la construction généalogique de l’ensemble cyclique, que ce soit par la conception de Mordred, de Lohot ou d’Hector. L’articulation textuelle et visuelle du Merlin et de sa suite ne va pas de soi, mais la figure de Merlin peut servir de trait d’union entre ces œuvres, donnant une cohérence de type biographique au texte original et à sa continuation. La disparition de Merlin contribue à la clôture du texte même si l’ensemble ne s’édifie pas exclusivement autour de ce personnage. La représentation des retraites de Merlin auprès de Blaise se prête à des mises en série nettement identifiables qui se démarquent des images relatives aux métamorphoses constitutives de ce personnage polymorphe mais que l’on retrouve comme elles à la fois dans le Merlin et dans la Suite Vulgate. L’Estoire de Merlin est fédérée autour de la figure l’enchanteur et du prophète, mais l’influence poétique et stylistique de la chanson de geste et des récits historiques informe aussi son écriture et sa réception. Le Merlin propre s’inspirait déjà en partie du modèle de la chronique, dans la lignée de l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy. Les valeurs collectives promues par les textes épiques et leur ancrage religieux déterminent dans la Suite Vulgate la représentation de la geste d’Arthur et du combat des Bretons contre les Saxons. Le texte original et sa continuation témoignent donc d’orientations poétiques et idéologiques à la fois convergentes et distinctes. Des différences apparaissent entre le Merlin et sa suite dans le traitement du personnel féminin, avec des amorces de développements courtois au sein de la continuation. Au discours principalement moral porté sur les femmes dans le Merlin propre, dont certains éléments mysogynes ressurgissent dans l’épisode de Grisandole et dans la mise en scène de



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la relation entre Merlin et Viviane, succèdent des aventures d’abord informées par des enjeux politiques, et des épisodes où domine une tonalité merveilleuse et romanesque. Si cet aspect n’intervient dans la Suite Vulgate que de façon tardive, il constitue une ­véritable innovation à l’égard du Merlin, favorisant son intégration dans l’ensemble romanesque du cycle du Graal.

Conclusion générale Au terme de cette étude, nous souhaitons tirer des conclusions d’ordre méthodologique sur la question du rapport entre texte et image, avant de revenir sur l’importance de l’illustration dans la réception de l’œuvre manuscrite et la compréhension des relations entre le Merlin et la Suite Vulgate. Mise en page et iconographie font ressortir le statut particulier de l’ensemble formé par ces textes, et les enjeux que soulève leur insertion au sein du cycle du Graal mais aussi d’autres types de compilations. D’un point de vue méthodologique, l’étude de la relation entre texte et image ne se révèle pas toujours aisée. Elle implique un long travail de préparation, de la collecte d’images dispersées dans de multiples collections à leur recensement et à leur situation dans le texte. Le repérage et la transcription des rubriques et tituli demandent la même attention. En l’absence de ces guides paratextuels, l’identification du sujet traité par les miniatures pose parfois problème, notamment pour les manuscrits anciens ou dégradés. Le développement des bases de données numériques disponibles en ligne constitue un précieux apport dans ce domaine, mais elle porte sur un nombre limité de manuscrits et de bibliothèques. La qualité des reproductions, le mode de navigation au sein de ces répertoires qui privilégient souvent l’image au détriment du texte, et l’absence de normes de catalogage et de présentation de ces données demeurent un obstacle à leur utilisation. Or il paraît essentiel d’adopter dans la mesure du possible une démarche systématique et exhaustive sur un corpus donné : c’est le point de départ des études comparatives et diachroniques. Au croisement des études littéraires et de l’histoire de l’art, l’analyse et l’interprétation des miniatures n’est pas accessoire car les images constituent un élément incontournable de l’expérience de lecture du manuscrit médiéval : dans le cas du Merlin et de sa suite, la majorité des ouvrages qui nous ont été transmis sont enluminés. Néanmoins, les exemplaires dépourvus d’illustrations nous renseignent aussi sur la constitution de ces recueils et leur mise en page, et ils transmettent parfois des textes et des rédactions uniques, comme dans le cas du Livre d’Artus ou du manuscrit de Cambridge, UL, Add. 7071.

480 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

L’abondance des miniatures augmente la valeur marchande d’un codex, mais la quantité des images prévaut parfois sur la finesse de leur exécution et peut s’effectuer au prix d’une relation assez distante au texte concerné. Le mode de fabrication sériel des manuscrits dans les centres de production laïcs de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle explique le nombre de miniatures stéréotypées, bien que d’importantes variations subsistent, y compris entre des manuscrits jumeaux ou issus d’un même atelier. Les manuscrits des œuvres romanesques en prose et notamment du cycle du Graal offrent un corpus d’images particulièrement abondant. On peut être tenté de se concentrer sur les exemplaires dotés de la plus grande valeur artistique, réalisés par des miniaturistes célèbres et pour des commanditaires identifiés ou témoignant d’une lecture particulièrement attentive du texte. Or cela restreint considérablement le champ de l’étude et amène à négliger les ouvrages les plus modestes et les pratiques d’illustration les plus représentées. L’absence d’informations concernant les circonstances de production de la plupart de ces œuvres demeure cependant un obstacle à leur compréhension. Si l’identification des miniatures pose parfois problème, il est aussi difficile de départager le caractère intentionnel d’une composition ou d’un détail iconographique, les habitudes artistiques de l’enlumineur, l’intervention du libraire et la contribution de l’éventuel commanditaire. La fréquence des remplois pose la question de la signification du déplacement d’une image d’un contexte à un autre, qu’il s’agisse d’une situation narrative différente ou du transfert d’un motif religieux dans le domaine profane. L’image est l’indice d’une lecture et d’une réception du texte à différents moments de sa circulation, mais elle ne livre pas pour autant une explication limpide de l’interprétation dont il a pu faire l’objet. L’étude des programmes iconographiques des manuscrits enluminés repère ainsi des récurrences et des postures plus singulières, mais il s’agit d’hypothèses relatives à une lecture du texte qui ne s’exprime que de façon indirecte et qui fait l’objet de plusieurs médiations. L’examen des conditions de circulation manuscrite du Merlin et de ses suites est important pour mieux cerner le statut de ce texte et comprendre la spécificité de son articulation avec la Suite Vulgate. En effet, la mise en cycle de l’Estoire de Merlin n’est pas nécessaire, mais elle conditionne la lecture de l’œuvre. Les liens qui s’établissent entre les différentes parties du cycle de la Vulgate arthurienne fonctionnent de façon mémorielle, conditionnés par la familiarité du lecteur avec ce contexte plus large. L’image offre alors un point d’ancrage dans la matière romanesque, accompagnant la lecture linéaire et favorisant les parcours transversaux. L’image frontispice tient souvent une place particulière : distincte par sa mise en page, elle traite souvent d’un sujet particularisé à l’échelle de l’œuvre, mais entre en correspondance avec les réalisations liminaires d’autres manuscrits enluminés du même texte. L’illustration du début d’un texte joue un



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 481

rôle important dans son identification. Elle peut varier, mais c’est à moindre échelle que l’ensemble du programme iconographique d’une œuvre, où le nombre d’images et leur point d’ancrage textuel sont autant de facteurs de différenciation. L’illustration liminaire des œuvres du cycle du Graal, suggère le plus souvent un parcours du spirituel au profane, même si dans Arsenal, 3479-80, fr. 117-120 et 113 et 116 les aventures de Lancelot sont déplacées au début du recueil. Au sein du programme iconographique d’une œuvre et d’un manuscrit donné, la peinture de scènes particularisées permet d’identifier des épisodes narratifs fondateurs, tandis que l’utilisation d’images types contribue de façon plus générale à l’élaboration de l’identité visuelle d’un texte ainsi qu’à la mise en place d’un registre et d’une tonalité. L’Estoire de Merlin, ponctuée par les transformations de l’enchanteur et par ses rencontres avec Blaise, met en tension l’histoire du fils du diable ou fils sans père et celle du jeune roi dont la légitimité est immédiatement contestée. L’image fait ressortir la nature de ce texte et accentue parfois sa diversité, même si elle participe également à la construction du cycle, exhibant le fonctionnement en réseau de ses différentes parties et la hiérarchisation de ces dernières. Elle se prête à l’interprétation autant qu’elle interprète. La transmission et l’illustration des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate éclairent la réception de ces textes, leur insertion dans le cycle du Graal et la constitution d’une Estoire de Merlin. Si pour le lecteur moderne, le Merlin et sa suite constituent des œuvres à dominante fictionnelle et romanesque, ils ont circulé dans des recueils à caractère didactique, inspirés de l’histoire sainte, qui légitime la fiction du Graal et l’investit de son autorité. Cette perspective édifiante se combine avec l’ambition historique de récits situés dans le prolongement du texte biblique. La translation du Graal justifie ainsi un déplacement symbolique d’Orient en Occident qui se focalise sur la christianisation de la Grande-Bretagne et sur l’apogée que constitue le règne arthurien au sein de l’histoire des souverains bretons. L’histoire romancée des croisades, qui affleure dans BNF, fr. 770 (1285’), s’inscrit dans la continuité du parcours du peuple chrétien, insistant par le biais de la fiction sur les implications morales et religieuses de la dignité chevaleresque, à travers un retour aux lieux et aux objets saints qui emblématisent les origines symboliques du christianisme. Le Graal ne tient pourtant qu’une place limitée dans l’histoire de Merlin qui vise autant à l’édification qu’au divertissement. Placere et docere vont de pair, comme le souligne l’association de l’Estoire et du Merlin avec des récits hagiographiques et des contes tirés de la Vie des Pères et dans la compilation Berkeley, Bancroft, 106 (1260’). Les manuscrits du XVe siècle, Arsenal, 3479-80, fr.  117-120 et 113-116, témoignent de la tension qui s’instaure

482 Chapitre 3 | Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin

entre l’intérêt courtois et chevaleresque suscité par les œuvres de la Vulgate arthurienne et les exigences spirituelles associées à la quête du Graal. Le genre et le registre de l’Estoire de Merlin souligne sa place singulière au sein du cycle du Graal, même si elle trouve des échos de part et d’autre d’une construction romanesque rassemblant des œuvres à la fois solidaires et distinctes sur le plan génétique, poétique et idéologique. La Suite Vulgate opère une transition entre le Merlin et le Lancelot, mais ne s’intéresse que tardivement aux questions amoureuses et aux aventures chevaleresques imprégnées du merveilleux breton qui prennent une place centrale dans le Lancelot. La représentation des amours et du mariage d’Arthur et de Guenièvre, qui témoigne d’avancées courtoises par rapport aux modalités de l’union entre Uterpandragon et Ygerne dans le Merlin, semble s’effectuer en réaction contre le développement ultérieur de la relation entre Lancelot et la reine. Enfin l’histoire d’Enadain et de Gauvain, dont l’enchantement, représenté dans Bonn, ULB, 526, fr. 105 et New Haven, Beinecke, 227, qui fait symboliquement écho à celui dont Merlin est la victime, relève d’une veine comique ponctuellement exploitée par la figure du prophète. Gauvain est mis à l’honneur dans la Suite Vulgate, où les neveux d’Arthur se distinguent par leur bravoure et participent à l’élaboration des règles qui gouverneront le déroulement des aventures chevaleresques dans le monde arthurien. Néanmoins, sa mésaventure finale prépare peut-être son déclassement dans le Lancelot, la Quête et la Mort Artu. L’ambivalence de la Suite Vulgate tient à une hésitation entre les figures d’Arthur et de Merlin, qui prolonge celle du Merlin propre, partagé entre le récit des enfances du fils sans père et l’histoire des rois de Bretagne. Les transformations, les enchantements et les prophéties de Merlin présentent un caractère parfois divertissant et digressif, introduisant péripéties et ruptures de tonalité. Elles renvoient à la nature complexe du personnage, qui reste stigmatisé par son statut de fils du diable dans l’illustration de fr. 749, BL, Add. 38117 et fr. 105 et 9123, même s’il se met rapidement au service du plan du divin. Par le biais de ses entretiens avec Blaise, Merlin devient l’autorité qui garantit la vérité de l’histoire. Il n’est pas cantonné à des épisodes anecdotiques mais tient un rôle narratif central, y compris en tant qu’adjuvant et conseiller des rois de Bretagne, auxquels il apporte un secours merveilleux et providentiel. L’Estoire de Merlin élabore donc la biographie du personnage telle qu’elle était programmée par le texte original, déroulant son histoire jusqu’à sa disparition, qui n’est pourtant représentée que dans Bonn, ULB, 526, fr. 110 et 749. La constitution d’un roman de Merlin n’est pas incompatible avec la rédaction d’une transition orientée vers le Lancelot, puisqu’elle prépare l’effacement de l’enchanteur, remplacé par la Dame du Lac, et que les prophéties de Merlin renforcent



Mise en texte et mise en images de l’Estoire de Merlin | Chapitre 3 483

les liens de la suite et des autres œuvres du cycle par des jeux d’annonces et d’anticipations. La Suite Vulgate ne se contente pas de mener à terme le récit de la vie de l’enchanteur, qui sert pourtant de fil directeur, mais poursuit l’histoire des rois de Bretagne, et expose les débuts à la fois troublés et héroïques du règne d’Arthur. Elle comble ainsi un écart, entre le couronnement du jeune souverain à la fin du Merlin propre et la remise en cause ultérieure de sa négligence envers ses vassaux, auxquels il omet de prêter assistance au début du Lancelot. Néanmoins, elle développe aussi des événements tirés de l’Historia Regum Britanniae et du Brut qui peuvent créer un effet de redondance à l’égard de la Mort Artu, même si la Suite Vulgate adopte une perspective différente, celle de la promotion du jeune roi. La continuation s’écrit en regard du Lancelot et de la Mort Artu et qui présentent une vision passablement dégradée d’un royaume arthurien en déclin gouverné par un monarque faible et soumis à l’influence d’autrui. Contrairement à la Suite Post-Vulgate, le développement de la Suite Vulgate n’est pas conditionné par l’horizon tragique qui guette un monde rongé par le péché, où les valeurs chevaleresques se trouvent discréditées. Le Merlin et la Suite Vulgate peuvent se lire à la fois comme l’Estoire de Merlin et la mise en scène héroïque des Premiers Faits du roi Arthur.

Annexes

Annexe 1 : La postérité du Merlin, sa diffusion européenne et ses versions imprimées L’importance littéraire du Merlin et de ses suites est attestée par l’existence de plusieurs versions de ces textes dans différentes langues européennes autres que le français. Après l’épanouissement des textes consacrés au personnage dans la littérature médiévale en ancien français, de multiples traductions, adaptations et réécritures voient le jour dans d’autres langues vernaculaires, au sein d’œuvres romanesques en vers et en prose, à travers la tradition des Prophéties, et même dans des adaptations théâtrales. Le développement de l’imprimé témoigne aussi des diverses fortunes du roman de Merlin au sein de la littérature européenne. Jusqu’à la fin du Moyen Âge et même à la Renaissance, l’histoire de Merlin continue donc de susciter l’intérêt, mais de façon distincte et sélective. En effet, cette diffusion remet en question la prédominance de la Suite Vulgate dans la transmission manuscrite du roman de Merlin en ancien français. Si les lecteurs s’intéressent toujours au personnage de Merlin, les prétentions historiques du récit des Premiers Faits d’Arthur ne suffisent peut-être pas à justifier le développement d’une continuation où Merlin lui-même connaît un effacement relatif et où les aventures chevaleresques ne tiennent qu’une place limitée. En France582, l’histoire de Merlin fait l’objet au XVIe siècle de plusieurs éditions imprimées pour Antoine Vérard (1498)583, Michel le Noir (1505, 1507) puis Philippe le Noir (1526, 1528), Jean et Richard Mace de Rouen et Michel Anger de Caen (1526), pour Jean Mace à nouveau (1535), ainsi que pour la veuve de Jean Trepperel et pour Jean Jeannot584. Toutes ces éditions consistent en volumes in quarto, à l’exception d’une édition de 1526 de plus petit format (in octavo). Les éditions de Vérard comprennent des bois ­gravés de remploi, mais plusieurs exemplaires sur vélin ont été enluminés par le maître de Jacques de Besançon.

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La diffusion du Merlin s’effectue principalement en langue d’oïl, néanmoins on conserve des fragments d’une version occitane du texte. Voir Chabaneau, Camille. «  Fragments d’une traduction provençale du roman de Merlin », Revue des langues romanes, 22, 1882, p. 105115 et 237-242 et Cornagliotti, Anna. «  Les fragments occitans du Merlin de Robert de Boron » (archives départementales de Gap). Études de langue et de littérature médiévales offertes à Peter T. Ricketts à l’occasion de son 70e anniversaire. Dir. Dominique Billy et Ann Buckley. Turnhout : Brepols, 2005, p. 5-16. Merlin : 1498. Ed. Cedric Pickford, Londres : The Scolar press, 1975, 3 vol. Voir aussi Koble, Nathalie. « Le testament d’un compilateur : montages textuels et invention romanesque dans l’édition princeps des ‘livres de Merlin’ (Antoine Vérard, 1498) », Du roman courtois au roman baroque : actes du colloque des 2-5 juillet 2002. Dir. Emmanuel Bury et Francine Mora. Paris : Belles lettres, 2004, p. 251-64. Meads, William. « Outlines of the history of the legend of Merlin », Merlin, or the Early History of Arthur  : A Prose Romance (About 1450-1460 A. D.). Ed. Henry B. Wheatley, Londres : K. Paul, Trench, Trübner and Co., EETS, o. s. 10, 1965, p. XLIX.

486 Annexes

Les éditions Vérard et Philippe le Noir forment trois volumes regroupant le Merlin, la Suite Vulgate et les Prophéties de Richard d’Irlande, ce qui conforte la prédominance de la suite historique du Merlin dans les ouvrages en français, mais témoigne aussi de la stabilisation d’une configuration textuelle où le Merlin et la Suite Vulgate sont détachés de l’Estoire et associés aux Prophéties. Si l’on assiste dès le XIIIe siècle à la mise en cycle des romans de la Vulgate arthurienne, comme l’a souligné Carol Chase, « les éditions imprimées changent cette perspective », en effet elles gardent bien le noyau cyclique formé de la séquence Lancelot, Queste et Mort Artu, dont l’unité se forme autour de la biographie de Lancelot, mais l’Estoire del Saint Graal et le Merlin sont publiés de façon distincte585. Dans certains manuscrits, les Prophéties suivent le Merlin propre, comme dans  Venise, Bibl. Marciana, App. Cod. XXIX (243) (XIVe s.) ou bien elles sont  interpolées au sein du Merlin ou de la Suite Vulgate, comme dans Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini, 1687 (XIVe s.), qui comprend aussi l’Estoire et le Joseph, ou dans BNF, fr. 98 (XVe s.), qui transmet l’intégralité du cycle du Graal. Or l’avènement de l’imprimé isole les Prophéties, qui s’ins­­­ crivent à la suite de l’histoire de Merlin, mais font l’objet d’un volume distinct et ne sont plus disséminées au sein d’interpolations qui les placent dans la dépendance d’autres textes. Quand à la répartition du Merlin et de la Suite Vulgate dans les deux premiers volumes imprimés, elle ne provient pas d’un découpage narratif spécifique mais relève de la distribution matérielle du texte. Les volumes 1 et 2, qui constituent les deux parties du « Livre de Merlin » commencent chacun par une table des matières formée d’énoncés apparentés à des rubriques introduits par l’adverbe « comment » avec leur correspondance dans la foliation de chaque tome. Par contraste, le passage du Merlin propre à la Suite Vulgate n’est pas marqué comme le début d’un nouveau texte. Le deuxième volume s’ouvre sur la guerre de Gaule. Le troisième tome de Vérard se distingue des précédents car il est appelé «  Les Prophéties de Merlin  », sa table des matières récapitule des titres commençant par la proposition « de » (« De la mer qui croistra..., De .XX.II. chanoynes... »), et  il ne comprend pas de gravures, contrairement aux deux premiers volumes586 Les Prophéties sont donc étroitement associées à l’histoire de Merlin qu’elles prolongent et complètent, mais la mise en page révèle leur spécificité à l’égard de ce texte587.

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Chase, Carol. « Les prologues dans les éditions imprimées du Lancelot du Lac », ‘Chançon legiere a chanter’, Essays on Old French Literature in Honor of Samuel N. Rosenberg. Ed. Karen Fresco et Wendy Pfeffer, Birmingham, Al. : Summa Publications, 2007, p. 265-83. Voir Fabry-Tehranchi, Irène. « Du manuscrit à l’imprimé : les remplois de bois gravés dans l’illustration du Merlin et de sa suite dans l’édition d’Antoine Vérard (1498) », Viator, 46 (1), 2015 [à paraître]. Sur la réorganisation textuelle et la rubrication des Prophéties dans l'édition de Vérard, voir Taylor, Jane H. M. Rewriting Arthurian Romance in Renaissance France, from Manuscript to Printed Book. Cambridge : Brewer, 2014, p. 97-106.



Annexe 1 487

Merlin apparaît ultérieurement dans le théâtre de foire des XVIIe et XVIIIe siècles, notamment à travers les pièces Les forces de l’amour et de la magie (1678), les Eaux de Merlin de Lesage (1715), ou encore le Monde renversé (1718), qui font figurer des bergers et des bergères, le sorcier Zoroastre ou encore Pierrot et Arlequin588. Elles témoignent de la persistance de la figure de l’enchanteur dans la culture populaire. En Italie, le destin du Merlin a aussi été intimement lié à celui des Prophéties qui, transmises en latin, en français et en italien, ont suscité beaucoup plus d’intérêt que la Suite Vulgate, témoignant d’une réception davantage axée sur les résonances politiques et polémiques des paroles du prophète589 que sur le caractère romanesque et historique d’un texte arthurien inséré dans le cycle du Graal. Ainsi la Storia di Merlino, écrite vers 1324 par un chroniqueur de Florence, Paulino Pieri590, constitue une transposition en prose, partielle et assez libre, du Merlin de Robert de Boron. Elle tend à réduire la puissance diabolique et à accentuer l’autorité religieuse de Merlin. À partir de l’épisode de la tour de Vertigier, le texte passe à une adaptation des Prophéties de Merlin de Richard d’Irlande591. Un autre texte en prose, la Historia di Merlino, rédigé vers 1379, est conservé  dans  deux manuscrits du XVe siècle et plusieurs éditions imprimées à  Venise en 1480592, 1507, 1529, 1539 et 1554 ainsi qu’à Florence en 1495593. Premier ouvrage arthurien imprimé en Italie594, ce texte comprend une traduction plus fidèle de l’ensemble du Merlin jusqu’au couronnement d’Arthur, mais omet la Suite Vulgate, remplacée par des prophéties originales dont les références suggèrent que l’auteur serait plutôt Lombard que Vénitien595. Le succès de cette œuvre

Voir Hüe, Denis. « Six apparitions de Merlin sur les tréteaux », Actes du 22e Congrès de la Société Internationale Artuhurienne, Rennes, 15-20 juillet 2008, http ://www.sites.univ-rennes2.fr/celam/ias/actes/pdf/hue.pdf (01/08/2013). 589 Voir Zumthor, Paul. Merlin le Prophète, 1943 et Daniel, Catherine. Les prophéties de Merlin et la culture politique, XIIe-XVIe siècle. Turnhout : Brepols, 2006. 590 Il serait également l’auteur des Cronica delle cose d’Italia dall’anno 1080 all’anno 1305, publiées par A. F. Adami à Rome en 1755. Voir Pieri, Paolo. La storia di Merlino. Ed. Ireneo Sanesi. Bergame : Istituto Italiano d’Arti Grafiche, 1898, p. XLVI. 591 Pieri, Paolino. La storia di Merlino. Ed. Mauro Cursietti. Rome : Zauli, 1997. 592 I due primi libri della Istoria di Merlino, ristampati secondo la rarissima edizione del 1480. Ed. Giacomo Ulrich. Bologne : Gaetano Romagnoli, 1884. C’est dans le colophon de cette édition qu’est mentionnée l’année 1379, date à laquelle le texte aurait été traduit du français pour Pietro Delfino, théologien et abbé du monastère camaldule de l’île de Murano près de Venise. Il a écrit une chronique désormais perdue et sa correspondance a été publiée à Venise en 1524. Il faisait partie d’un cercle d’intellectuels vénitiens de la fin du XVe siècle intéressés par la lecture et la diffusion d’écrits prophétiques, en particulier ceux de Joachim de Flore. Voir McGinn, Bernard. « Circoli Giachimiti Veneziani (1450-1530) », Cristianesimo nella storia, 7, 1986, p. 19-39. 593 Voir Meads, William. « Outlines of the history of the legend of Merlin », 1965, p. LII. 594 Gardner, Edmund. The Arthurian Legend in Italian Literature. Londres : J. M. Dent and sons, 1930, p. 191. 595 Visani, Oriana. «  I testi italiano della Historia di Merlino  : prime osservazioni sulla tradizione  », Schede Umanistiche, 1, 1994, p. 17-62. Laura Campbell, qui a dans sa thèse a 588

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s’explique sans doute moins par sa matière arthurienne que par l’intérêt particulier que les cercles intellectuels et ecclésiastiques italiens manifestent tout au long des XIVe, XVe et XVIe siècles pour une littérature à la fois politique et prophétique. Dans l’Italie de la fin du XVe siècle, la figure de Merlin demeure liée à des enjeux politiques et dynastiques dans les épopées chevaleresques de Boiardo et de l’Arioste. Impliqué dans l’immanence de la politique impériale et des dynasties ducales, Merlin intéresse moins pour son histoire que pour ses talents prophétiques, et s’il n’atteint jamais la popularité de Tristan, il a bien été adopté comme lui dans la littérature et la culture locales596. Dans la péninsule ibérique, la traduction du Merlin et la Suite Post-Vulgate, La estoria de Merlin, apparaît d’abord à la suite du Libro de Josep Abarimatia castillan, une adaptation de l’Estoire, dans un manuscrit fragmentaire de 1469 qui comprend le Lançarote, une version espagnole de la Mort Artu Post-Vulgate, ainsi que d’autres textes à caractère religieux et chevaleresque597. La question de la mise en cycle de la matière arthurienne semble se poser de façon spécifique dans cette aire culturelle et géographique. Le Merlin, la Suite Post-Vulgate et les Prophéties ont aussi été diffusés à travers l’ouvrage castillan imprimé à Burgos en 1498, El baladro del sabio Merlin con sus profecías598. Cette œuvre comprend le récit du dernier cri jeté par Merlin, ce qui correspond au « conte du brait » –baladro– évoqué dans la Suite Post-Vulgate mais absent du texte français599. Le caractère démoniaque de la figure de Merlin est souligné par

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comparé la Storia di Merlino et la Historia di Merlino oppose leurs choix de traduction respectifs. Alors que Paolo Pieri propose une réinterprétation des Prophéties de Merlin, dirigeant et précisant leur lecture, comme le font la majorité de ses contemporains, l’auteur du second texte semble davantage privilégier la retranscription littérale des paroles de Merlin tout en conservant leur ambiguïté sémantique. L’édition de 1480 témoigne cependant d’une évolution dans la réception du texte puisqu’elle comprend des rubriques qui guident son interprétation et en restreignent la signification. Translation and Réécriture in the Middle Ages, 2011. Hoffman, Donald. « Merlin in Italy », Philological Quarterly, 70 (1), 1991, p. 261-75. Spanish Grail fragments : El libro de Josep Abarimatia, La estoria de Merlin, Lançarote. Ed. Karl Pietsch. Chicago : University of Chicago Press, 1924-25 ; Cátedra, Pedro et Rodríguez Velasco, Jesús. Creación y difusión de « El Baladro del Sabio Merlin ». Salamanque : Sociedad de Estudios Medievales y Renacentistas, 2000, p. 32-33 ; Moreno, Juan Miguel Valero. « La vida santa de los caballeros : camino de perfección lor de santidad. Reflexiones en torno al manuscrito 1877 de la Biblioteca Universitaria de Salamanca », Revista de Filología Románica, 2010, 27, p. 327-57, http ://periodicals.faqs.org/201001/2101077761.html (01/08/2013). El Baladro del sabio Merlín : según el texto de la edición de Burgos de 1498. Ed. Pedro Bohigas. Barcelone : Impr. Talleres de Gráficas, 1957-1962, 3 vol. et El Baladro del sabio Merlín con sus profecías. Ed. María Isabel Hernández. Oviedo : Trea, 1999, 2 vol. [Facsimile]. Selon Fanni Bogdanow, l’explication proposée dans le texte espagnol serait une création réalisée à partir de références de la Suite Post-Vulgate sans équivalent en ancien français. «  The Spanish Baladro and the Conte du Brait ». Romania, LXXXII, 1962, p. 383-99.



Annexe 1 489

sa fin dramatique, puisque le personnage, délivré par le diable de la prison où l’a jeté Viviane, est emmené en Enfer par une légion de démons600. Les Prophéties apparaissent également dans un des manuscrits du cycle du Graal, BNF, fr. 98 (XVe s.), mais dans cette compilation, elles sont interpolées au milieu et à la fin de la Suite Vulgate. La configuration que propose l’incunable espagnol évoque l’ouvrage imprimé la même année par Antoine Vérard qui réunit l’histoire de Merlin et les Prophéties, mais privilégie la suite historique du Merlin plutôt que sa version romanesque601. L’édition de Juan de Burgos témoigne de la circulation de la Suite Post-Vulgate ainsi que de l’importance de l’association du Merlin et des Prophéties dans le domaine espagnol. Dans une édition imprimée à Séville en 1535, le Baladro, qui présente de nombreuses variantes par rapport à l’édition de 1498, même s’il semble remonter à un archétype commun, paraît en tant que première partie de la Demanda del Sancto Grial602. Il s’inscrit dans un ensemble cyclique qui joue un rôle important dans la reconstruction par Fanny Bogdanov du cycle Post-Vulgate603. Les Prophéties sont également interpolées dans cet ouvrage, au chapitre neuf du Baladro, lors de l’épisode de la tour de Vertigier, ainsi que dans la Demanda, où elles portent à nouveau sur la senefiance des dragons, ce qui peut faire envisager leur intégration à une matière arthurienne cyclique604. On conserve en outre un fragment galaïco-portugais de la Suite Post-Vulgate dans un manuscrit de la première moitié du XIVe siècle605 qui souligne l’importance de cette version du texte dans la péninsule ibérique. Selon les critiques, les textes espagnols du Merlin et de la Demanda auraient été traduits d’une version portugaise antérieure plutôt que du français, mais la traduction espagnole de l’Estoire pourrait précéder le texte portugais correspondant606. Les traductions hispaniques du cycle

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Pour Rosalba Lendo, l’auteur espagnol propose une version moralisante de la fin de Merlin. « Du Conte du Brait au Baladro del sabio Merlin. Mutation et réécriture ». Romania, 122, 2001, p. 414-439. Merlin : 1498. Ed. Cedric Pickford. 1975, 3 vol. El Baladro del sabio Merlín dans Libros de caballerias. I Ciclo Artúrico, Ciclo Carolingio. Ed. Adolfo Bonilla y San Martín. Madrid : Bailly-Balliére, 1907. Bogdanow, Fanni. The Romance of the Grail. A Study of the Structure and Genesis of a thirteenth-century Arthurian Prose Romance. Manchester : Barnes and Noble, 1966. D’après l’étude de Julien Abed, ces traductions espagnoles des Prophéties suivent de près le texte de Geoffroy de Monmouth et se distinguent en cela de la traduction proposée dans l’ex-Didot. « La traduction de la Prophetia Merlini dans le ms BnF n.a.f. 4166 », Moult obscures paroles, Études sur la Prophétie médiévale. Dir. Richard Trachsler. Paris : Presses de l’Université de ParisSorbonne, 2007, p. 81-105. Barcelone, Bibliothèque de Catalogne, 2434. Le fragment est édité dans « La version galaïco-portugaise de la Suite du Merlin  ». Ed. Amadeo Soberanas. Vox Romanica, 38, 1979, p. 174-93. Rodrigues Lapa, Manuel. « La Demanda do Santo Graal : priorité du texte portugais par rapport au texte castillan ». Bulletin des Études portugaises, 1, 1931, p. 137-60 ; Pickford, Cédric. «  La priorité de la version portugaise de la Demanda do Santo Graal  », Bulletin

490 Annexes

Post-Vulgate se réclament en outre d’un traducteur commun, le frère Juan Vivas, peut-être portugais, qui aurait été actif vers 1313, mais dont l’œuvre n’a pas été conservée607. Les différents textes ont cependant pu circuler et être traduits séparément avant d’être mis en cycle. Si dans le domaine français, la Suite Vulgate est la plus diffusée, en relation avec le Merlin et l’Estoire, voire dans le cadre des compilations du cycle du Graal, c’est donc la Suite Post-Vulgate qui semble avoir été la plus répandue dans la péninsule ibérique, en relation avec la traduction des Prophetiae Merlini de Geoffroy de Monmouth. En 1261 Jacob van Maerlant608 traduit en vers néerlandais le Joseph d’Arimathie et le Merlin pour Albrec de Voorne, un membre de la cour du comte de Hollande, ce qui montre la persistance de l’association entre le Joseph et le Merlin. Lodewijc van Velthem continue son œuvre en traduisant la Suite Vulgate, dans le Boec 609 van Coninc Artur en 1326 . L’adjonction de cette traduction à l’Historie van den Grale et au Boek van Merline témoigne d’un décalage entre la transmission du Merlin propre et celle de sa continuation, mais aussi de la fortune littéraire du Joseph, en relation avec le Merlin et sa Suite Vulgate, même après la rédaction de l’Estoire del Saint Graal. Au vu des quelques témoins conservés, il semble que la traduction néerlandaise de la Suite Vulgate du Merlin soit assez bien représentée, puisque sur les trois manuscrits moyen néerlandais différents dont on a conservé des fragments, l’un correspond à la traduction du Merlin et les deux autres à celle de la continuation610. Les traductions du Merlin et de la Suite Vulgate sont assez fidèles, même si Jacob van Maerlant insère au début du premier texte un passage de 900 vers interpolé de

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610

Hispanique, 63 (3-4), 1961, p. 211-16 et El Baladro del sabio Merlín  : según el texto de la edición de Burgos de 1498. Ed. Pedro Bohigas. Barcelone : Impr. Talleres de Gráficas, 1957, I, p. 189-92. El Baladro del sabio Merlín. Ed. Pedro Bohigas, 1957, p. 68-80. Jacob van Maerlant. Historie van den grale en Merlijns boeck. Ed. Hendrik Bouwman. Groningen : M. de Waal, 1905 ; Jacob van Maerlant. Historie van den Grale und Boek van Merline. Ed. Timothy Sodmann. Cologne ; Vienne : Böhlau, 1980. Cet auteur néerlandais a laissé une œuvre considérable : entre 1260 et 1300, il a traduit en vers neuf ouvrages narratifs dont l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, le Roman de Troie de Benoît de sainte Maure, le De natura rerum de Thomas de Cantimpré, l’Historia scholastica de Pierre le Mangeur, la Legenda major de saint Bonaventure et le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, ainsi que dix poèmes strophiques. Il a également rédigé des traités sur les rêves et sur les pierres et une vie de sainte Claire d’Assise. Jacob van Maerlant. Merlijn, naar het eenig bekende steinforter handschrift. Ed. Johannes van Vloten, Leiden : E. J. Brill, 1880 ; Jacob van Maerlant en Lodewijk van Velthem. Merlijn, de tovenaar van koning Arthur. Ed. Frank Brandsma. Amsterdam : Atheneum-Polak & Van Gennep, 2004. Voir Claassens, Geert et Johnson, David. « Arthurian Literature in the Medieval Low Countries : An Introduction », King Arthur in the Medieval Low Countries. Louvain : Leuven University Press, 2000, p. 19-21.



Annexe 1 491

la tradition européenne des Maskeroen611. Il s’agit d’un rapport sur le procès tenu au Paradis par les diables qui souhaiteraient reprendre pouvoir sur les hommes. L’humanité est défendue par la Vierge Marie qui argue contre Maskeroen que les hommes ont été rachetés par la mort de son fils. Cette parenthèse amplifie l’épisode du procès diabolique, permettant d’approfondir de façon dramatisée au sein de la fiction la question théologique de la Faute et de la Rédemption. Dans sa traduction du Joseph, Jacob van Maerlant témoigne d’une attention critique à la réécriture de l’histoire biblique, signalant les discordances et n’hésitant pas à intervenir par des corrections612. L’auteur semble manifester un intérêt particulier pour une matière littéraire entretenant des liens étroits avec la Bible et les questions d’ordre religieux, ce qui peut expliquer l’absence de la Suite Vulgate dans son œuvre. La traduction du Joseph, du Merlin et de sa continuation n’apparaît au complet que dans un seul manuscrit, Burgsteinfurt, B 37, qui date d’environ 1430 et constitue linguistiquement plutôt du moyen bas allemand adapté du moyen néerlandais613. Ce codex témoigne à une date relativement tardive de la réception dans les régions avoisinantes de langue allemande de textes moyen néerlandais écrits plus d’un siècle auparavant. Alors que trois traductions néerlandaises indépendantes du Lancelot, de la Queste et de la Mort Artu témoignent de l’impact de ces œuvres, notamment en Flandres, l’intérêt pour la littérature arthurienne semble ultérieurement s’émousser, ce qui contraste avec le succès éditorial des ouvrages consacrés à Charlemagne et la poursuite des éditions d’autres romans arthuriens dans les régions germanophones tout au long du XVIe siècle. En effet, on conserve uniquement deux cahiers d’une édition d’une Historie van Merlijn reliés par mégarde dans un autre ouvrage imprimé par Simon Cock à Anvers en 1539614. L’imprimeur a dû publier les deux textes à la même période. Or cette œuvre ne correspond pas à l’adaptation de Maerlant mais constitue une traduction de Of Arthour and of Merlin écrit en moyen anglais et imprimé par Wynkin de Worde à Londres en 1510 sous le titre A lytel

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613

614

Snellaert, Ferdinand Augustijn. Nederlandsche gedichten uit de veertiende eeuw van Jan Boendale : Hein van Aken en anderen, naar het Oxfordsch handschrift, op gezag van het staatsbestuur en in naam der Koninklijke akademie van wetenschappen, letteren en fraaie kunsten. 1. Meliboeus. 2. Jans Teesteye. 3. Het boek. Het boec vander wraken. 4. Dit es van Maskeroen. Dit es van Saladijn. Dit sijn die .x. plaghen en die .x. ghebode. Dit sijn noch die .x. ghebode. Dit es noch van Salladine. Brussel : M. Hayez, 1869 et Busken Huet, Gideon. « Iets over Maskaroen ». Tijdschrift voor Nederlandse Taal-en Letterkunde, 28, 1909, p. 262-73. Voir Jacob van Maerlant, Historie van den grale und Boek van Merline. Ed. Timothy Sodmann. Köln ; Wien : Böhlau, 1980, p. 12 ss. Voir Schlusemann, Rita. « The Late-Medieval Reception of Dutch Arthurian Literature in Heidelberg and Blankenheim », Arthur in the Medieval Low Countries. Dir. Geert Claassens et David Johnson. Louvain : Leuven University Press, 2000, p. 97-111. Voir Burger, C. P.  « Fragmenten van een volksboek van Merlijn », Het Boek, 19, 1930, p. 216-20 et Pesch, Pierre. « Het Nederlandse volksboek van Merlijn. Bron, drukker en datering », Liber Amicorum Leon Voet. Dir. F. de Nave. Anvers : Vereeniging der Antwerpse bibliophielen, 1985, p. 303-28.

492 Annexes

treatyse of ye byrth and prophecye of Marlyn. De nouvelles voies d’échanges culturels entre l’Angleterre et les Pays Bas, déjà mises en évidences par l’itinéraire de William Caxton615, sont alors dessinées. Le catalogue de 1608 de la bibliothèque d’Utrecht mentionne aussi un Merlin d’Anvers datant de 1588, mais aucun exemplaire n’en est conservé616. En Allemagne, c’est à la fin du XIIIe siècle que Albert de Scharfenberg écrit une histoire de Merlin en vers, Der Theure Mörlin, mais elle est uniquement conservée à travers l’œuvre qu’Ulrich Füetrer, poète de la cour du duc Albert ­­IV de Bavière, compose en 1478 sur les chevaliers de la Table Ronde et le Graal. Ce Buch der Abenteuer ou Livre des aventures, qui constitue une vaste compilation de textes relativement divers subsiste dans quatre manuscrits  : Munich, Staatsbibliothek, Cmg. 1, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek 3037-38 (Ambras. 426), Munich, Staatsbibliothek, Cmg. 247 et Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, 2888 (Ambras. 436) et inclut le récit de la vie de Merlin617. Ce dernier suit la Quête du Graal et l’Histoire de la Guerre de Troie et se clôt sur le couronnement d’Arthur qui serait le petit fils de Merlin, alors annexé à la lignée des rois de Bretagne. Cette œuvre intègre l’histoire de Merlin à une vaste compilation arthurienne et chevaleresque mais se démarque aussi considérablement des textes français. Enfin dans la tradition anglaise, plusieurs textes reprennent l’histoire de Merlin  : le poème Of Arthour and Merlin618, datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, réécrit et réorganise chronologiquement les éléments du Merlin et de sa source, l’Historia Regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, tout en incluant une bonne partie de la Suite Vulgate. Même si son auteur l’introduit comme « romance », il s’agit d’une œuvre à caractère historique écrite dans une perspective plus nettement religieuse et didactique que le Merlin français. Elle se caractérise par le choix du vers, qui correspond à la forme dominante de l’écriture romanesque en Moyen Anglais jusqu’au XVe siècle. Le texte est conservé dans cinq principaux manuscrits dont le célèbre Auchinleck de la bibliothèque nationale d’Ecosse à Edimbourg (1330’), et le Percy Folio compilé par Thomas Percy au

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616

617

618

Voir Sutton, Anne et Visser-Fuchs, Livia. « Choosing a Book in Late Fifteenth-century England and Burgundy  », England and the Low Countries in the Late Middle Ages. Dir. Caroline Barron et Nigel Saul. Stroud : Alan Sutton, 1995, p. 61-98. Voir Claassens, Geert et Johnson, David. « Arthurian Literature in the Medieval Low Countries », 2000, p. 32-33. Albrecht von Scharfenberg. Merlin und Seifrid de Ardemont, in der Bearbeitung Ulrich Füetrers. Ed. Friedrich Panzer. Tübingen : Literarischer Verein, 1902. Voir Nyholm, Kurt. «  Albrechts von Scharfenberg Merlin  », Acta Academiae Aboensis, Ser. A, Humaniora, 33 (2) 1967, p. 3-47 et Buschinger, Danielle. «  Le personnage de Merlin dans le Buch der Abenteuer d’Ulrich Füetrer », Zauberer und Hexen in der Kultur des Mittelalters, Greifswald : Reineke-Verlag, 1994, p. 19-25. Of Arthour and of Merlin. Ed. O. D. Macrae-Gibson, Oxford : Oxford University Press, EETS, o. s. 268, 279, 1973-79.



Annexe 1 493

XVIIe siècle. Il a fait l’objet de plusieurs éditions de Wynkyn de Worde sous le titre Marlyn en 1500, 1510 et 1529. The History of the Holy Grail et The Romance of Merlin, deux autres traductions anglaises en vers de l’Estoire et du Merlin par Henry Lovelich (1450’)619, un « écorcheur » de Londres, ne subsistent qu’en un exemplaire, Cambridge, Corpus Christi College, 80, mais témoignent du talent d’écrivain de ce personnage d’origine sociale relativement modeste, ainsi que de l’intérêt de la bourgeoisie urbaine pour la littérature arthurienne. Le Prose Merlin écrit en moyen anglais vers le milieu du XVe siècle620, est conservé à la fois dans la copie de Cambridge, UL, Ff.3.11, sans doute réalisée pour un commanditaire lettré d’appartenance aristocratique, et dans un fragment plus modeste, vraisemblablement destiné à un public bourgeois, Oxford, Bodleian, Rawlinson D. 913 f. 43. Il s’agit d’une traduction assez fidèle du Merlin et de sa Suite Vulgate dans leur version α. Elle constitue un témoin important de la variété socio-culturelle de la réception de ces textes en Angleterre ainsi que du développement d’une littérature vernaculaire en prose. Enfin le Morte Darthur de Thomas Malory (1470’), transmis dans le manuscrit de Winchester, Londres, BL, Add. 59678, et dans l’édition publiée par William Caxton en 1485621, s’inspire à la fois de textes français, le Lancelot-Graal, le Merlin Post-Vulgate et le Tristan en prose, et de textes anglais comme le Morte Arthur strophique et le Morte Arthure allitératif. Cette œuvre qui connaît un grand succès détermine la réception ultérieure de la légende arthurienne en Grande-Bretagne tout en optant pour la version la plus romanesque de la continuation du Merlin. En Angleterre, la tradition parallèle des Prophéties de Merlin, liée à une littérature politique et pamphlétaire, est tout aussi développée, et perdure jusqu’aux XVIe et XVIIe siècles622. Enfin c’est aussi dans le domaine anglais que sont écrites aux XVIIe et XVIIIe siècles des pièces de théâtre dont Merlin est le personnage principal, comme The Birth of Merlin de William Rowley (1662)623 ou des intermèdes dramatiques comme ou The Royal Chace or Merlin’s Hermitage and Cave, d’Edward Phillips, 619

620

621

622

623

Lovelich, Henry. The History of the Holy Grail. Ed. Frederick James Furnivall. Londres : N. Trübner & Co., EETS, e. s. 20, 24, 28, 30, 95, 1874-1905, 5 vol. et Lovelich, Henry. Merlin : A Middle-English Metrical Version of a French Romance. Ed. Ernst A. Kock, Londres : Oxford University Press, EETS, e. s. 93, 112 ; o. s. 185, 1904-32, 3 vol. Merlin, or the Early History of Arthur  1865-98, The Middle English Compendium, http  :// www.hti.umich.edu/cgi/c/cme/cme-idx?type=header&idno=Merlin (01/08/2013). Malory, Sir Thomas. The Works of Sir Thomas Malory. Ed. Eugène Vinaver, Oxford  : Clarendon, 1948, 3 vol. Voir Zumthor, Paul. Merlin le Prophète, 1943 et Daniel, Catherine. Les prophéties de Merlin et la culture politique, 2006. The Birth of Merlin attributed to William Shakespeare and William Rowley. Ed. Joanna Udall. Londres : Modern Humanities Research Association, 1991.

494 Annexes

joué à Londres en 1736624. Alors que dans The Birth of Merlin l’histoire de Merlin se transforme en comédie bourgeoise mélodramatique, dans les suivantes, son apparition relève surtout du divertissement. The Royal Chace est une pastorale modernisée qui se déroule dans les jardins royaux de Richmond et met en scène un chauffeur du roi, un docteur et sa femme, et leur domestique, Merlin est associé à d’autres personnages fabuleux tirés de la mythologie grecque : Diane, accompagnée de Jupiter, Mercure, Pan, Hercule ou Europe... qu’il distrait par ses enchantements en appelant les esprits aériens Cupidon, Psyché, les Grâces, les Heures et les Zéphyrs. Merlin figure aussi dans des pantomimes comme Merlin, or The Devil of Stone-Henge, écrit par Lewis Theobald, mis en musique par John Ernest Galliard et représenté à Londres en 1734625, un divertissement fantaisiste où il croise le fantôme de Dr Faust ainsi que le personnage d’Arlequin, ou Merlin in Love or Youth against Magic d’Aaron Hill (1685-1750’), où il courtise en vain Colombine, la fille d’un docteur, amoureuse d’Arlequin, qui finit par se débarrasser de son ennuyeux prétendant en le transformant en âne626. Dans ces œuvres, les épisodes marquants de la naissance et de la disparition de Merlin sont réécrits de façon assez libre et la figure familière de l’enchanteur, parfois soumise au ridicule, sert de prétexte à la mise en scène de prodiges et d’enchantements divertissants. Si les romans médiévaux consacrés à Merlin s’estompent à partir du XVIe siècle, la fortune du personnage de Merlin reste cependant vivace, témoignant de l’importance culturelle de l’héritage légendaire arthurien, notamment dans le monde anglo-saxon627.

624

625

626

627

Phillips, Edward. A New Dramatic Entertainment called The Royal Chace or Merlin’s Cave. With Several New Comic Scenes of Action Introduced into the Grotesque Pantomime of Jupiter and Europa. As it is Performed at the Theatre Royal in Covent-Garden. Londres : T. Wood, Mr. Jolliffe, Mr. Amey and Mr. Fisher, 1736. The Vocal Parts of an Entertainment Call’d Merlin, or The devil of Stone-Henge: as it is Perform’d by His Majesty’s Company of Comedians at the Theatre Royal in Drury-Lane; with a Preface Containing a Succinct Account of Stone-Henge and Merlin, written by Mr. Theobald and set to Musick by Mr. Galliard. Londres: J. Watts, 1734. Hill, Aaron. « Merlin in love or Youth against magic », The Dramatic Works of Aaron Hill. Londres : T. Lownds, 1760, vol. 1, p. 319-42. Voir Dean, Christopher. A Study of Merlin in English Literature from the Middle Ages to the Present : The Devil’s Son. Lewiston : Edwin Mellen Press, 1992.

255

fr. 337

fr. 747 [-fr. 751]

fr. 748 [-fr. 754]

2. Rennes, BM

3. Paris, BNF

4. Paris, BNF

5. Paris, BNF

629

Lieu

Paris ou Champagne

1230-50 Thérouanne ou Sud de la France

1230-50 Nord de la France

1230-40 ? Nord de la France

1220

1210-20 ? Nord de la France, Champagne

Date

77-102v

18-75v inc.

Joseph 1-18

0

1-77

0

101-135v

13v-44v

Joseph 1-13v 1-100v

Merlin

Estoire

0

103-229

1-115 inc.

0

0

Suite Vulgate

[L, BNF, fr. 754]

2+13[+28 = 43]

1+1+1[+1 = 4]

0

Livre d’Artus 115-251 Evangile de Nicodème 251-290v Livre d’Artus 290v-270v 629 inc. [BNF, fr. 751 : L, 1-350 Q, 350-415 MA, 415-88]

31+1+32 = 64

3+10+5 = 18

13

1+1 = 2

0

1

10

43

3[+1 = 4]

0

64

18

(Continue)

0

X

0

0

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

L, 137-275 inc.

Perceval 44-74v Lapidaire 75-80

Autres textes

Ce tableau qui exclut Paris, BNF, fr. 112 (comprenant uniquement la Suite Post-Vulgate) est en partie basé sur les travaux du projet Lancelot-Graal dirigé par Alison Stones : « Chronological and Geographical Distribution of Lancelot-Grail Manuscripts », The Lancelot-Graal Project, http ://www.lancelot-project.pitt.edu/LG-web/Arthur-LGChronGeog.html (01/08/2013). Problème de positionnement des feuillets. Voir The Vulgate Version of the Arthurian Romances. 7, Supplement : Le Livre d’ Artus, 1916, p. 254, note 2.

E. 39

1. Modène, Biblioteca Estense

628

Cote

Dépôt

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate628

fr. 24394

11. Paris, BNF

2997

9. Paris, Arsenal

fr. 19162

2996

8. Paris, Arsenal

10. Paris, BNF

Douce 178

106

6. Berkeley, Bancroft

7. Oxford, Bodl.

Cote

Dépôt

Lieu

 ?

Nord de la France

1275-85 Saint Omer ou Thérouanne

1275-85 Saint Omer ou Thérouanne

1275 ?

1275 ? 1300 ?

1270-1300 Bologne ou Venise

1250-75 Jumièges ?

Date

1-107v

1v-144v

108-141v

145-188

1-37v

15v-60v

Joseph 2-15v erreur de reliure 38-130

149-181v

t. 2 1-26

Merlin

 1-148 

t.1 117-191v

Estoire

141v-287v

188-372v

0

0

181v-417

t. 2 26-155v

Suite Vulgate

0

23+2+44 = 75

29+2+54 = 85

2+0+0

Quinze signes de la fin du monde 130 0

0

34+4+125 = 163

1+22+2+0 = 25

2+44 = 46

2+54 = 56

2

0

4+125 = 129

2+0 = 2

75

85

2

0

163

25

0

0

0

0

0

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

0

t. 1 Vie des pères 1-92v Vie de Théophile 92v-101 Conte dou Baril 101-105 Neuf joies de Notre Dame 105r-v Passion de Jésus Christ 105v-111 Vie de sainte Catherine 111-116v

Autres textes

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (Suite) 496 Annexes

644

16 Chantilly, Condé

1290 ?

1290

1290

Italie

Acre, Chypre ou Italie

Thérouanne

Amiens, Thérouanne ou Cambrai

1290-1300 Metz ou Verdun

951

15. Tours, BM

fr. 344

fr. 95

14. Paris, BNF

1286

Douai

18. Paris, BNF

526

13. Bonn, ULB

1285

Lieu

1290-1300 Metz ou Verdun

fr. 770

12. Paris, BNF

Date

17. Lebaudy (Ex-Phillipps 1047)

Cote

Dépôt

inc. du début 82-163

Joseph 59v-81v inc.

1-81

81v-101v

119 ?-X

172v-223

Estoire 1-158v Joseph 159-172

1-118

113v-160

1-113v

60-82

121v-149

Estoire 1-121v Joseph 6-11v

1-59

Merlin

Estoire

101v-184

X-241 (inc. ?)

0

224-441v

160-354v

82v-170v

149-312v

Suite Vulgate

L, 184-476 Q, 476-517v MA, 518-548v

Prophéties 1-59v et 163-164

0

Sept sages de Rome 355-380 Pénitence Adam 380-394

L, 171-416v Q, 417-454 MA, 455-479

Chronique d’Outre Mer d’Ernoul 313-354v Fille du comte de Ponthieu 315v-322 Ordene de chevalerie 326-327v

Autres textes

15+105 = 120

2+118 = 120

3+116 = 119

41+3+92+179+ 16+22 = 353

27+ ?+ ?

(2 miniatures non exécutées) 0

3+92 = 95

 ?

0

27+1+7+125 = 160 7+125 = 132

41+15+105+ 1+1 = 163

40+2+118+151+ 18+23 = 352

27+3+116+4+ 1+1 = 152

353

129

0

160

163

352

152

(Continue)

0

X

0

0

0

X

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

Annexe 2 497

Add. 7071

147

2534

fr. 749

L.III.12

Naf. 4166 (Didot)

20. Cambridge, UL

21. Cologny, Bodmer

22. Darmstadt, ULB

23. Paris, BNF

24. Turin, BNU,

25. Paris, BNF

632

631

1301

1300

1300

1300

1300

1300

1295

Date

1-158

1-45v

Estoire

1-123

 2-79

Normandie ?

Joseph 2-19v

Thérouanne [ff. 1-90]632 ou Gand 0

Thérouanne ou Gand

Arras

Arras, Est  1-88v ou Sud de la (+ interpoFrance ? lations)

Angleterre

Thérouanne ou Cambrai

Lieu 45v-67

Merlin

19v-95

90-X

123-165

79v-104v

91-120v

159-202v

Les nombres entre parenthèses correspondent aux interpolations. Une seule rubrique sous la miniature frontispice. Détruit par l’incendie de 1904.

fr. 110

19. Paris, BNF

630

Cote

Dépôt

0

X-243

165-338

104v-209

Prophéties 44-52v Didot-Perceval 95-126

0

0

0

0

 ?+4+16 = 20

33+4+91 = 128

2+1+0 = 3

13(+92)630 +2+3+14(+6) +18+22 = 170

161-289v Histoire de Troie (+ 121-158v interpolations) Sermons de Maurice de Sully 289v-290v Q, 291-344 MA, 344-388

8+4+12+66+7+ 5 = 102

0

4+16 = 20

4+91 = 97

1+0 = 1

2+14 = 16

0

4+12 = 16

0

20

128

3

170

0

102

X

0

0631

0

X

0

X

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

0

L, 164-404v Q, 405-440v MA, 441-457

Autres textes

202v-230 inc. Suite Post-Vulgate 230-342v

67-163v

Suite Vulgate

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (Suite) 498 Annexes

Add. 38117 (Huth)

26. Londres, BL,

633

Il y a des rubriques mais pas dans le Merlin.

1320-30 Paris

fr. 9123

Angleterre

Saint-Omer, Tournai ou Gand

31. Paris, BNF

1320

1316

1320-30 Paris

Add. 32125

29. Londres, BL,

Laon ou St Quentin

Lieu

1310-20 Saint-Omer, Tournai ou Gand

1310

Date

30. Paris, BNF, fr. 105 [-Ars., 3481]

Add. 10292 [-94]

28. Londres, BL,

27. Collection privée (Suisse) (ex-Amsterdam, BPH, 1 [+Oxf., Bodl., Douce 215 + Manch., Rylands, Fr. 1])

Cote

Dépôt

4-95v

2-125v

59-205

1-76

96-131v

126-161v

206-245 inc.

76-101v

t. 2 : 1-37

18v-74

Joseph 1-18v t. 1 : 1-118

Merlin

Estoire

131v-302

162-349v

0

101v-214v

0

Suite Post-Vulgate 74-226

Suite Vulgate

0

[L, Ars., 3481 1-289]

Brut 1-58 Estoire des Englés 58-59

[Add. 10293 : L, 1-383v Add. 10294 : Q, 1-53 MA, 53-96v]

t. 2 : L, 37-233v t. 3 : L, 1-104v [Douce 215 : L, 1-8v Q, 9-39v ; 45 MA, 40-44v Rylands, Fr. 1 : L, 1-181v Q, 181v-204v MA, 212-257v]

0

Autres textes

40+4+126 = 170

50+7+70 [+78] = 205

4+126 = 130

7+70 = 77

0

27+149 = 176

61+27+149 [+437+ 25+48 ] = 747

0

1

19

27+1+121+22+19 = 190

6+19+46 = 71

170

127

0

747

190

71

(Continue)

X

X

0

X

X633

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

Annexe 2 499

Reg. Lat. 1687

3482

B VI 24

Fr. App. XXIX (243)

227

33. Vatican, Bibl. Vat.

34. Paris, Arsenal

35. Florence, Bibl. Marucelliana

36. Venise, Bibl. Marciana

37. New Haven, Beinecke

635

1357

1350 ?

1350 ?

1350

1325 ?

1325 ?

Date

Tournai

Italie

Italie

Paris

Picardie

Italie

Lieu

172v-317v

0

19v-74

Joseph 1-19v 1-32

62-344

1-61634

Joseph 1-11 141-172v Estoire 12-140v

0

 0

0

Suite Vulgate 0

Autres textes

Prophéties 33-83

0

L, 345-394, Q, 395-539 inc. début, MA, 539-652

inc. du 122-137v Prophéties 89-111v début inc. du début inc. 82-89 et de la fin et 111v-121v inc. du début et de la fin

18-59

Joseph 1-18 inc. du début Estoire 1-75v Joseph 76-81v inc.

Merlin

Estoire

Pagination et non foliation. Une miniature et 19 initiales historiées de plus de 2 Unités de Réglure.

2759

32. Florence, Bibl. Riccardiana

634

Cote

Dépôt

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (Suite)

0

1+27+4+154 = 186 4+154 = 158

0

(4) 0

2+92 = 94

2+92+4+ 17+22 = 137

(3+4 = 7 min. non exécutées) 0

0

1

0

1+1 = 2

186

20635

(7) 0

137

0

2

X

0

0

0

0

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

500 Annexes

Reg. 1517

643

38. Vatican, Bibl. Vat icana

39. Chantilly, Condé,

3479 [-80]

fr. 117 [-120]

fr. 98

41. Paris, Arsenal

42. Paris, BNF

43. Paris, BNF

40. Collection privée Ex-Newcastle 937

Cote

Dépôt

France

 ?

Lieu

1430 ?

1406

1405

Metz

Paris

Paris

1400-10 Paris ?

1400 ?

1380

Date

1-129v

1-50v

t. 1 : 1-109

129v-152

50v-73

t. 1 : 109-157

132-162v

137v-163v

Estoire 1-137v Joseph 5v-12v 1-132

131-179v

Merlin

0

Estoire

[Fr. 118 : L, 155-308 Fr. 119 : L, 309-474v Fr. 120 : L, 474(1)-519v Q, 520-564v MA, 520-602v] L, 288-636 Q, 636-685 MA, 685-722

73-154v

SV 152-250 et 258-276 Prophéties 250-258 et 276-288

0

0

2+0 = 2

1+2+0 [+115+ 1+11+3] = 153

4+20 = 24

1+1 = 2

12+4+20+4 = 40

Vie de du Guesclin 332-419

(2+39 = 41 min. non exécutées) 0

0

1+1+1+107+13+2 = 125

(45+1+2+39 = 87 min. non exécutées) 0

0

0

153

125

= 40

(87 min. non exécutées) 0

0

(Continue)

0

X

X

X

X

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

0

Garin de Montglane 1-130

Autres textes

t. 1 : 157-338 t. 1 : L, 339-624 [t. 2 : L, 1-482 Q, 482-590 MA, 591-678]

162v -331

163v-262v inc.

0

Suite Vulgate

Annexe 2 501

637

636

Lieu

1475

1450 ?

1450 ?

1450 ?

1450 ?

1450

Centre de la France

 ?

 ?

 ?

 ?

Centre de la France

1440-55 Anger ou Poitiers

Date

1-116v

116v-150v

1-59 30-122v

0

22v-35v

14-60

[207] 108-145v

61-82

Merlin

Joseph 1-30

1-22v

 0

[207] 1-108

1-60v

Estoire

0

0

59-314v

35v-60

60-162

[207] 145v-159v [208] 160-357

82-177

Suite Vulgate

L, 150v-205v [Fr. 114 : L, 206-354v Fr. 115 : L, 355-576v Fr. 116 : L, 577-606v Q, 607-673, Tristan 673-677 MA, 678-735]

0

0

L, 60-144v Q, 144v-159 MA, 159-168v inc.

0

0

L, 178-331v

Autres textes

A partir du folio 65v, les miniatures n’ont pas été exécutées. 9+35 si l’on comptabilise les espaces laissés blancs pour des miniatures qui n’ont pas été exécutées.

fr. 113 [-116]

50. Paris, BNF

3350

47. Paris, Ars.

fr. 332

Harley 6340

46. Londres, BL,

fr. 1469

207-208

45. New York, Pierpont Morgan

49. Paris, BNF

fr. 96

44. Paris, BNF

48. Paris, BNF

Cote

Dépôt

Annexe 2 : Les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate (Suite)

25+1+126+29+ 0+4+24 = 209

0

0

0

0

10+3+19 = 32

33+2+0+0 = 35636

1

0

0

0

0

3+19=22

2+0637

209

0

0

0

0

32

35 + espaces blancs

X

X

X

X

X

0

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

502 Annexes

38

fr. 91

52. New York, Pierpont Morgan, Libr.

53. [Bruxelles, BR, 9246] Paris, BNF

639

Bruges

 ?

Lieu

1480-82 Bourges ?

1479

1475 ?

Date

[Bruxelles, BR, 9246 1-185v]

10-41

 0

Estoire

1-52

41-59

1-69v

Merlin

52v-266

59-96v

69v-263v inc.

Suite Vulgate

0

L, 96v-241 Q, 241-265v MA, 266-292

0

Autres textes

Espaces blancs peut-être réservés pour des miniatures non exécutées. De nombreuses miniatures de la Suite Vulgate n’ont pas été exécutées ou sont seulement esquissées.

fr. F. pap. XV. 3

51. St Petersbourg, BNR

638

Cote

Dépôt

[52]+7+69 = 128639

0

0

0

128

7+69=76

0638

0

0

X

0

Nb de min. / texte Total min. Total min. Rubriques M + SV dans ms / tituli

Annexe 2 503

Paris, BNF, fr. 747

3.

1230 -50’

1230 -40’

1210 -20’

Date

103

1

44v-45

Folio

Initiale historiée

0

0

Enluminure

Merlin et les barons rebelles

0

0

Légende

0

0

0

Rubrique

α

α

Version

(Continue)

[Einsis fu Artus esliz et fait roi dou roiaume de Logres et tint [ f. 102v] la terre et le roiaume en pais.] Et je Rebert de Borron qui cest livre retrais par l’enseignement dou Livre dou Graal ne doi plus parler d’Artus tant que j’aie parlé d’Alain le fil Bron et que j’aie devisé par raison queles choses les poines de Bretaigne furent establies, et einsis com li livres le reconte me covient a parler et retraire quels hom il fu et quel vie il mena et quels oirs oissi de lui et quel vie si oir menerent. Et quant tens sera et leus et je avrai de celui parlé, si reparlerai d’Artus et prendrai les paroles de lui et de sa vie a s’election et a son sacre. [ f. 103] Ci endroit dit li contes que aprés la mi aost que li rois Artus fu coronnez, que il tint cort grant et merveilleuse.

Ci endroit dit li contes que a la mi ost, aprés ce que li rois Artus fu coronez

Ensi fu Artus esleus a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans en pais. Quant Artus fu fais rois et le messe fu cantée si s’en revint Artus a son palais... RG 191 [transition entre le Merlin et le Perceval] ... Si s’en ala en Nortumberlande a Blaise, qui ot esté confessere se mere, e qui avoit mises toutes ses ouevres en escrit, çou que Merlins l’en avoit dit. Et Artus remest avuec ses barons, et pensa molt a çou que Merlins li avoit conté. RG 195

Situation : Pl. I, 774

J’inclus dans ce tableau le Livre d’Artus (BNF, fr. 337) et les manuscrits de la trilogie du pseudo-Robert de Boron : même si le Perceval n’est pas une suite du Merlin, il pose de façon spécifique le problème des limites du Merlin et de l’articulation de ces deux textes. Par contre, certains manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate auxquels je n’ai pas eu accès n’y figurent pas : Turin, BNU, L.III.12, l’ex-Phillipps, 1047 et l’ex-Newcastle, 937, ainsi que Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini, 1687 où le début de la continuation est manquant.

Paris, BNF, fr. 337

2.

640

Modène, Estense, E. 39

1.

Cote

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites640

Berkeley, Bancroft, 106, II

Oxford, Bodl., Douce 178

Paris, BNF, fr. 19162

Paris, BNF, fr. 24394

Paris, BNF, fr. 770

4.

5.

6.

7.

8.

Cote

1285’

1275 -85’

1275 -85’

1270 -1300’

1250’

Date

149

141v

188

181v

26

Folio

Miniature

0

0

Initiale historiée

Lettrine filigranée

Enluminure

Arrivée du roi Loth à la cour d’Arthur à Logres

0

0

Couronnement d’Arthur

0

Légende

0

0

0

0

0

Rubrique

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites (Suite) α

α

β

β

α

[En tele maniere fu Artus esleu a roi et tint la tere et le regne de Logres lonc tans em pes.] Chi endroit dit li contes que aprés la mie aust que li rois Artus fu coronez, que il tint cort grant et merveilleuse. [Ensi fu Artus esleus a roi et tint la tere et le regne de Logres lonc tans em pais] tant ke un jor fist assavoir a toute la tere k’il tenroit cort moult enforchie. [Ensi fu Artus esleus a roi et tint le tere et le regne de Logres lonc tans en pais] tant qu’un jor fist asavoir par toute sa tere qu’il tenroit cort enforchie. [En tel maniere fu Artus esleus a roi et tint la tere et l’oneur de Logres lonc tanz en grant pais.] Chi endroit dit li contes que aprés la mi aoust que Artus fu coronez, que il tint court grant et mervilleuse.

Version

[En tel maniere fu Artus esleu a rois et tint le roiaume de Logres, mais ce ne fu mie longuement en pes.] Ci endroit dit li contes que aprés la mi aoust que li rois fu coronez a rois, qu’il tint grant cort et merveilleuse.

Situation : Pl. I, 774

506 Annexes

Miniature à 2 compartiments

0

160

Miniature

82

159v

Lettrine filigranée

Enluminure

79

Folio

0

-Arthur sortant l’épée de l’enclume -Couronnement Arthur

Réception de Ban et Bohort par Arthur.

0

Légende

0

β

β

Version

(Continue)

Ensi fu Artus [ f. 160] esleus a roi et tint la tere et le regne de Logres bien lonc tans en pais. Tant que un jour fist asavoir par toute sa terre que il tenroit court enforcié. [initiale champie 3 UR] A celle court qu’il tenoit si vint li rois Loth d’Orcanie...

Et quant il li ot mise si le sacrerent et enonissent et en fisent toutes iceles coses que on doit faire a roi. Et quant il fu sacrés...

Or dist li contes que quant li message se furent parti del roi Artu, que li rois Artus garni toutes ses forteresces de sergans et d’arbalestriers. Pl. I, 809

[ f. 82a marge inférieure : Ici fine de Merlin641.] [ f. 82a marge supérieure : Ici conmence des premiers faiz le roy Artu.] Mais atant se taist ore le contes d’aus a parler jusques a une autre fois. Et retournera a parler del roi Artu, conment il envoia ses messages au roi Ban de Benuyc et au roi Boort. 0

[Ensi fu Artus esleüs a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais] tant que un jour fist a savoir par toute la terre qu’il tenroit court esforcie.

Situation : Pl. I, 774

0

Rubrique

Il s’agit sans doute d’un ajout du XIVe siècle. Voir Stones, Alison. Gothic Manuscripts, 2013, Part I, vol. 2, p. 539.

1290’

10. Paris, BNF, fr. 95

641

1286

Date

Bonn, ULB, 526

9.

Cote

Annexe 3 507

Date

1290’

1290 -1300’

1295’

1300’

1300’

Cote

11. Tours, BM, 951

12. Paris, BNF, fr. 344

13. Paris, BNF, fr. 110

14. Cambridge, UL, Add. 7071

15. Darmstadt, ULB, 2534

104v

104v

202v

67

101v

224

Folio

Lettrine filigranée

0

Initiale ornée

Miniature

Initiale historiée

Initiale historiée

Enluminure

0

0

Rubrique

0

0

0

0

0

0

Couronnement Ensi come Artus est a d’Arthur jenols devant un autel et met une espee sus et li archeveskes li met une couronne sor son chief et li pules en entour als.

Arthur et sa cour

Arthur à sa table

Légende

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites (Suite)

α

β

[Ensi fu Artur esleu a roi e tint la tere e le regne de Logres long tens en pes.] Ci endroit dit li contes que a le mie aust aprés ceo que Artus fu oinz et sacrez, il tint court efforcie e merveilleuse. [Ensi fu Artus eslis a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans em pais] tant que un jour fist a savoir a toute sa terre qu’il tenroit court efforcie. Quant li baron virent les rices present que li rois Artus lor offroit si le tinrent a grant desdaing...

β

α

[En cele manere fut Artus sacres et esleus a roi et tint la terre et lou regne de Logres lonc tens em pais.] Ci endroit dist li contes que a la mi awast aprés ceu que li rois Artus fut coronez et il tint cort efforcee et merveilllouse. [Et lors porta l’espee entre ses mains toute droite et l’en menerent a l’autel et il le mist sus et quant il l’i ot mise si le sacrerent et enoinrent et firent toutes iceles choses que on doit faire a roi. Et quant il fu sacrés et la messe fu chantee, si issirent fors du moustier, si esgarderent, si ne virent point du perron et ne sorent que il fu devenus. Ensi fu Artus esleus a roi et tint la tere et le regne de Londres lonc tans en pais.] Tant qu’a un jour fist asavoir a toute sa tere qu’il tenroit cour enforcie.

α

Version

[Einsin fu Artus receuz a roi et tint la terre et le roiaume de Logres lonc tens en pais.] [ f. 224] Ci endroit dit li contes que a la mi aoust aprés ce que li rois Artuz fu coronez, il tint court anforciee grant et merveilleuse.

Situation : Pl. I, 774

508 Annexes

Date

1300’

1301

1310’

Cote

16. Paris, BNF, fr. 749

17. Paris, BNF, Naf. 4166 (Didot)

18. Cologny, Bodmer, 147

161

93-95

165

Folio

Miniature à 3 compartiments + initiale historiée

0

Lettrine filigranée

Enluminure

-Merlin, Brice et Arthur -Merlin et les barons rebelles -Bataille de Bédingran entre Arthur et les barons rebelles -[initiale historiée] Retour de Merlin en Angleterre les renforts du continent

0

0

Légende

0

0

0

Rubrique

α

[ f. 120v] Ainsi fu Artus esleuz a estre roy dou païs. Et aprés, par le conseil l’arcevesque et de Mellin et des genz dou païs, il fist savoir par tout le royaume de Logres que il tenroit a la mi aoust ensivant une grant feste a Karlion. [Histoire de Troie ff. 121-160v] [ f. 161] A la mi aoust aprés ce que li roys Artus ot esté coronez et que il ot receue l’ordre de chevalerie, si comme li contes et la sainte Escripture le tesmoigne, que il tinst court grant et merveilleuse a Karlyon...

(Continue)

α

contaminé

Version

[Et einsint fust Artus esleüz et sacrez a rois et tint la terre et le regne lonc tens mult am plez] Quant il fust coroneez et l’en li ot fait toutes ses droitures, si l’en menerent a son pa[la]is et Key le senechal aveuc lui... [transition entre le Merlin et le Perceval] ... Einsi desparti li rois et Mellins s’en ala e[n] Nortoberlande a Blaise son mestre et li conta ces choses. Et Mellins quant il les i ot contees, Blaises les mist en escrit, et par son escrit le savons nos encore. Et Artus remaint aveuc ses barons et pensa mult en ce que Mellins li avoit dit.

[Ensi fu Artus esleus a roi et tint le terre et le regne lonc tans en pais] tant que un jour fist asavoir par toute sa terre que il tendroit court enforchie.

Situation : Pl. I, 774

Annexe 3 509

1310’

1316

20. Londres, BL, Add. 10292

Date

19. Londres, BL, Add. 38117 (Huth)

Cote

102c

101v

101

74

Folio

Miniature

0

Miniature

Initiale historiée

Enluminure 0

Rubrique Ore dist li contes que Artus fu agenoilliés et prist l’espee as les mains jointes et le leva de l’englume aussi legierement comme se elle n’i tenist riens. Et lors porta l’espee entre ses mains et toute droite et le menerent a l’au- [ f. 74] -tel et il le mist sus. Et quant il li l’ot mise, si le sacrerent et oinrent et firent tout chou c’on doit faire a roy. Quant Artus fu sacrés et la messe chantee, se issirent dou moustier, si esgarderent et ne virent point del perron. Et ne sorent qu’il fu devenus. Ensi fu Artus esleus a roi et tint la terre et le regne de Logres lonc tans a pais. [Lettrine] Ore dist que uns jors aprés le couronnement le roi Artu vint a une grant court que li rois semonst a Carduel en Gales.

Situation : Pl. I, 774

0

[Ensi fu Artus esleus a roy et tint la terre et le regne de Logres lonc tans en pais.] Et tant qu’il fit un jor asavoir par toute sa terre qu’il tenroit court enforcie.

Sortie d’Arthur Ensi que li roi Artu ist Quant li arcevesques et li menus pueples voent la desloiauté des contre les hors d’un castel et desconfit barons... barons rebelles une bataille par le conseil Pl. I, 781 Merlin.

0

Couronnement Ensi que uns archevesques Ensi assaierent Artu si qu’en mile maniere ne porent en lui d’Arthur tient une coroune d’or pour trover nule malvaise teche... donner au roi Artu qui Pl. I, 772 s’asaioit a l’espee trere.

Miracle de l’épée du perron et couronnement d’Arthur

Légende

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites (Suite)

β

α

Version

510 Annexes

Date

1320-30

1320-30

1350’

1357

Cote

21. Paris, BNF, fr. 105

22. Paris, BNF, fr. 9123

23. Paris, Arsenal, 3482

24. New Haven, Beinecke, 227

172v

p. 62

131v

162

Folio

Miniature

Miniature

Miniature

Miniature

Enluminure

[Et tient le roiaume de Logres mes ce ne fu mie longement em pes.] [ f. 172v] Ci endroit dist li contes que aprés la mi aoust que li rois Artus fu couronnés, que il tint court merveilleuse.

[172] Ci aprés trouverés coument li rois Artus si deffendi contre les barons dou païs qui ne voloit pas qu’il fust rois. Mes Melins li aida moult durement sa guere a maintenir.

Conseil des barons rebelles

(Continue)

α

α

[En tel maniere fu Artus esleus a roy et tint le royaume de Logres mais ce ne fu mie longuement en pais.] Ci endroit dit li contes que aprés la mi aoust que li roys Artus fu couronnés, que il tint grant court et merveilleuse.

0

Arthur et sa cour

α

Couronnement Comment li roys Artus fu [En telle maniere fu Artus esleus a roy. Et tint le royaume de d’Arthur couronnés, sacrés et enoins Logres, mais ce ne fu mie longuement en pais.] a roy du royame Logres. Ci endroit dit li contes que aprés la mi aoust que li roys Artus fu couronnés, que il tint grant court et merveilleuse.

Version α

Situation : Pl. I, 774 [En telle maniere fu Artus esleuz a roy et tint le royaume de Logres mais ce ne fu mie longuement en pais.] [ f. 162] Cil endroit dist li contes que aprés la mi aoust que li rois Artus fu couronnez, que il tint grant court et merveilleuse.

Rubrique

Couronnement Comment li roys Artus d’Arthur tint sa court aprés ce qu’il [ f. 162] fu couronnez et comment li baron se desacorderent a lui par envie de ce qu’il estoit roys et comment li menuz peuples et li baron se combatirent ensamble.

Légende

Annexe 3 511

Date

1400’

1405

Cote

25. Chantilly, Condé, 643

26. Paris, Arsenal, 3479

Miniature

Lettrine ornée

p. 157b

Miniature non exécutée

Enluminure

p. 155

163v

Folio

0

Arthur sortant l’épée de l’enclume

0

Légende

0

0

Cy devise le conte comment ce que aprés que le roy Artur fut couronné il tint court ouverte moult grant et molt merveilleuse et y vint .VII. rois et grant noblesse de chevalerie. Et comment ilz s’efforcerent de lui oster sa seigneurie.

Rubrique

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites (Suite)

β

Et Artus vint illeuc par la volenté de Dieu tout a cheval et prist l’espee par l’enhendeure si l’emporte et la couvrit du pan de sa cote... Pl. I, 763 [Ainsi fu Artu esleu a roy et tint le royaume de Logres en pais long temps.] Ci endroit dist li comptes que aprés la mi aoust que le roy Artus fut couronné par l’arcevesque, qu’il tint grant court et mervilleuse.

α

Version

[En celle maniere comme vous avez oy fut Artus esleu a roy et tint la terre moult long temps em paiz.] [C]y endroit dist le conte que aprés la my aoust que le roy Artur fut couronné, qu’il tint court moult grant et moult merveilleuse.

Situation : Pl. I, 774

512 Annexes

Date

1406

1430’

1450’

1450’

1450’

Cote

27. Paris, BNF, fr. 117

28. Paris, BNF, fr. 98

29. Londres, BL, Harley 6340

30. New York, Pierpont Morgan, 207-208

31. Paris, Arsenal, 3350

34v

145v

59v

152

73

72

Folio

0

Miniature

Lettrine filigranée

Initiale filigranée

0

Miniature

Enluminure

0

Couronnement d’Arthur

0

0

0

Arthur sortant l’épée de l’enclume

Légende

Situation : Pl. I, 774

0

0

0

0

β

α

abrégé

[Et ainsi fut Artus sacré et couronné et tint la terre et le royaume de Langres vray roy long temps en pais.] Avint ung jours qu’il fit assavoir par toute sa terre qu’il tiendroit court renforcee. [En tel maniere fu Artus esleus au roy et tint la terre et le reingne de Logres tout em pes mie une grant piece.] Ci endroit dit ly contes qu’aprés la mi ost que ly rois Artus fu coronnés, que il tint court grant et merveilleuse. [Et la le fit l’arcevesque chevalier et puis le sacra. Et fit tout ce que a couronner roy apartient. Et aprés la sollennité fut la feste grande. Et furent les offices donnés et departis. Et fut Keux seneschal du roy toute sa vie. Et demoura le roy en pais souvent.] Et demoura le roy en pais souvent, jusques a la my ost qu’il tint cour a Carlion a laquelle vindrent les barons et les chevaliers du païs.

(Continue)

α

β

Version

[Ainsi fuit Artus esleus a roi et tint la terre et le royalme de Logres.] Ci endroit dit li contes que a la mi aoust aprés ce que le roi Artus fu coroneit, il tint court enforcie grande et merveilleuse.

[Ainsi fu Artus eslu a roy et tint le royaume de Logres en paix long temps.] Cy endroit dist li contes que aprés la mi aoust que le roy Artus fut couroné par l’arcevesque qu’il tint grant court et merveilleuse.

Comment aprés le roy Ce Artus vint illeuc par la volenté de Dieu tout a cheval et prist Uterpandragon, Artus son l’espee par l’enheudure si l’emporte et la couvri du pan de sa filz fu couronné roy de la cote. Grand Brethaine et comment y tira l’epee hors du perron miraculieusement et aquit moult l’onneur de la Table Ronde.

Rubrique

Annexe 3 513

1479

1480-82

35. New York, Pierpont Morgan, 38

36. Paris, BNF, fr. 91

1450-55’

33. Paris, BNF, fr. 96

1475’

1450’

32. Paris, BNF, fr. 332

34. St Petersbourg, BNR, fr. F.  pap. XV. 3

Date

Cote

52

59

69v

82

59a

Folio

Miniature

0

Miniature non exécutée

Esquisse : miniature non réalisée

0

Enluminure

Arthur et sa cour

0

0

Arthur sortant l’épée de l’enclume

0

Légende

α

abrégé

[En telle maniere fut Artus esleu a roy et fust la terre et le royaulme de Logres longtemps en paix.] Cy endroit dit le compte que aprés la my oust que le roy fut couronnez, que il tint court grant et merveilleuse... [Et la le fit l’arcevesquez chevalier. Et le sacra et fit tout ce que a couronner roy apartenoit. Et aprés la solampnité fut la feste grande et riche et furent les offices donnees et fut Keux seneschal du roy toute sa vie. Et demoura le roy en son honneur einsi] jusques a la my ost qu’il tint court a Karlion a laquelle vindrent les barons et chevaliers du païs. Et entre les aultres y furent le roy Loth d’Orcanye... [En telle magniere fut Artus eslu a roy et tind le royaume de Logres bien pou en pais.] [ f.52v] Ci endroit dit le conte que aprés que le roy Artus fut couronné qu’il tind grant cort et merveilleuse.

0

[ f. 52v] Comment le roy Artus tind sa court aprés se qu’il fust couronné et comment les barons se desacorderent a luy par envie de se qu’il estoit roy et comment le menu peuple et les barons se combatirent ensamble.

0

α

β

0

0

[Et lors porta l’espee entre ses mains toute droict si l’en menerent a l’autel et il la mist sus et quant il y ot mise si le sacrerent et oinsirent et furent toutes les choses que on doibt faire a roy. Et quant il fu sacré et la messe fut chantee si yssirent hors du moustier et esgarderent si ne virent plus le perron et en sorent qu’il fut devenu. Ainsi fut Artus sacré et tint la terre et le regne de Logres long temps en paix.] Tant que ung jour fist assavoir par toute sa terre qu’il tiendroit court enforcee.

Version β

Situation : Pl. I, 774 [Et tint la terre et le regne de Logres long temps en paix.] Tant que ung jour fist savoir par toute sa terre qu’il tendroit court renforcee.

Rubrique

Annexe 3 : La transition entre le Merlin et ses suites (Suite)

514 Annexes

Annexe 4 : Index des anciens possesseurs des manuscrits du Merlin et de ses suites642 Aguesseau (d’), Henri François, chancelier (1668-1751) -Paris, BNF, Naf. 4166 (ex-Didot) -Chantilly, Condé, 644 Alexandre VIII, pape (1610-1691) -Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1517 Amédée VIII de Savoie (1383-1451) -Turin, BNU, L.III.12 Antoney de Racygnano (XIVe s.) -Cologny, Bodmer, 147 Arthur M. Rosenbloom (XXe s.) -New Haven, Beinecke, 227 Ashburnham, Bertram, lord, comte (1797-1878) -New York, Pierpont Morgan, 38 -New York, Pierpont Morgan, 207-208 Azzolino, Docio, cardinal (1623-1689) -Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1517 Bachelin-Deflorenne, Antoine (1835-19.. ?) -Londres, BL, Add. 38117 Ballyns, Thomas (XVIe s.) -Cambridge, UL, Add. 7071 Balsac (de), Jeanne (1516-1542)

642

-Oxford, Bodleian Library, Douce 178 Bandini, Angelo (1726-1803) -Florence, B. Marucelliana, B VI 24 Barrois, Jean Baptiste Joseph (1780-1855) -New York, Pierpont Morgan, 38 -New York, Pierpont Morgan, 207-208 Beaujeu (de), Pierre, duc de Bourbon (1439-1503) -Paris, BNF, fr. 117-120 Beauvilliers (de) de Saint-Aignan, PaulHippolyte (1684-1776) -Paris, Arsenal, 3482 Bernard VII d’Armagnac (1360-1418) -Paris, BNF, fr. 117-120 Bodmer, Martin (1899-1971) -Collection privée (Suisse), Ex-Newcastle 937 -Cologny, Bodmer, 147 Bonne de Berry (1365-1435) -Paris, BNF, fr. 117-120 Cambout (du) de Coislin, Pierre, évêque d’Orléans (1636-1706) -Paris, BNF, fr. 19162

Je traite ici uniquement des possesseurs individuels. Ils sont classés par prénom s’ils sont morts avant 1500 et par nom de famille s’ils sont morts après 1500, sauf pour les papes, rois et princes, classés par prénom.

516 Annexes

Cambout (du), Henri Charles, évêque de Metz, duc de Coislin et Pair de France (1665-1732) -Paris, BNF, fr. 19162 -Paris, BNF, fr. 20047 Cambout (du), Pierre César, marquis de Coislin (1613-1641) -Paris, BNF, fr. 19162 Cange (du), Charles du Fresne (1610-1688) -Londres, BL, Add. 38117 Chabannes (de), Jean, comte de Dammartin (1488-1503) -Paris, BNF, fr. 113-116 Charles I, duc de Savoie (1468-1490) -Bruxelles, BR, 9246-Paris, BNF, fr. 91 Charles VI (1368-1422) -Londres, BL, Add. 10292-94 Charles Philippe d’Artois, futur Charles X (1757-1836) -Paris, Arsenal, 2997 -Paris, Arsenal, 3479-80 Charles Yarnold -New Haven, Beinecke, 227 Châtre de Cangé, Jean-Pierre Imbert (†1746) -Paris, BNF, fr. 748 -Paris, BNF, fr. 770 Chievresson, Michel (XVIe s.) -Collection privée, Lebaudy Christine de Suède (1626-1689)

-Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1517 -Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1687 Clermont-Tonnerre (de), Henri Antoine, comte (1540-1573) -New Haven, Beinecke, 227 Coligny (de), Jacques, seigneur de Châtillon sur Long (†1512) -Paris, BNF, fr. 113-116 Colman of Hove, Dudley, Sussex (†1958) -New Haven, Beinecke, 227 Constable, Robert (XVIe s.) -Cambridge, UL, Add. 7071 Contarini, Girolamo (1770-1843) -Venise, B. Marciana, Fr. Appendice XXIX (243) Corbière (de), Jacques-Joseph, comte (1766-1853) -Londres, BL, Add. 38117 Croÿ-Chimay (de) Charles (1455-1527) -Paris, Arsenal, 3479-80 Daun (von) zu Oberstein, Wirich VI (1418-1501) -Bonn, ULB, 526 Dent, J. E. et G., Yorkshire (XIXe-XXe s.) -Cambridge, UL, Add. 7071 Douce, Francis (1757-1834) -Oxford, Bodleian Library, Douce 178



Annexe 4 517

Eléonore de Bourbon, comtesse de la Marche, de Castres et duchesse de Nemours (1412-1464) -Paris, BNF, fr. 117-120 Estienne du Chastiel, dit de la Houardie (XIVe s.) -Darmstadt, Hs, 2534 Fauchet, Claude (1530-1602) -Paris, BNF, fr. 20047 -Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1687 Fenwick, Thomas Fitzroy (1856-1938) -Berkeley, Bancroft 106 Filippo Maria Visconti, duc de Milan à Pavie (1392-1447) -Paris, BNF, fr. 95-Yale, Beinecke 229 Firmin Didot, Ambroise (1790-1876) -Paris, BNF, Naf. 4166 Foucault, Nicolas Joseph (1634-1721) -Paris, BNF, fr. 9123 Francesco Altoblanchi de Alberti, Florence (1401-1479) -Florence, B. Marucelliana, B VI 24 François I (1494-1547) -Paris, BNF, fr. 117-120 -Paris, BNF, fr. 105
G. Desriey (XVe s. ?) -Paris, BNF, fr. 105 G. Desriey (XVe s. ?) -Paris, BNF, fr. 105

Gaston, duc d’Orléans (1608-1660) -Paris, BNF, fr. 96 Geoffroy d’Esch, Metz (†1455) -Paris, BNF, fr. 98 Gilles Debrye (†1472) -Paris, BNF, fr. 1469 Gronnaix (de) Michel (XVe, XVIe s. ?) -Collection privée, Lebaudy Guillaume de Termonde, fils cadet de Gui de Dampierre, comte de Flandres (1248-1312) -New Haven, Beinecke 229 Guillemont-Roysin du Parcq (de), Jehanne (XVIe s.) -New York, Pierpont Morgan, 38 Heber, Richard (1773-1833) -Londres, BL, Add. 10292-94 -New York, Pierpont Morgan, 207-208 Heiss (d’), Joseph-Louis, baron (XVIIIe  s.) -Paris, Arsenal, 2997 Hévin, Pierre (1621-1692) -Rennes, BM, 255 Hoare (Sir), Richard Colt (1758-1838) -Londres, BL, Add. 32125 Huth, Alfred (1850-1910) -Londres, BL, Add. 38117 Huth, Henry (1815-1878)

518 Annexes

-Londres, BL, Add. 38117 Jacques d’Armagnac, comte de la Marche et duc de Nemours (1433-1477) -Paris, BNF, fr. 113-116 -Paris, BNF, fr. 117-120 Jakson, Thomas (XVIe s.) -Cambridge, UL, Add. 7071 Jean de la Rivière, seigneur de Champlemy (†1468) -Paris, BNF, fr. 770 Jean Debrye (†1446) -Paris, BNF, fr. 1469 Jean, duc de Berry (1340-1416) -Paris, BNF, fr. 117-120 Jean-Louis de Savoie, évêque de Genève (1447-1482) -Bruxelles, BR, 9246-Paris, BNF, fr. 91 Jean sans Peur, duc de Bourgogne (1371-1419) -Paris, Arsenal, 3479-80 Ker, John duc de Roxburghe (1740-1804) -Londres, BL, Add. 10292-94 -New York, Pierpont Morgan, 38 -New York, Pierpont Morgan, 207-208 La Curne de Sainte Palaye, JeanBaptiste (1697-1781) -Paris, BNF, fr. 747 La Mare (de), Philibert (1615-1687)

-Paris, BNF, fr. 2455 La Rochefoucauld (de), François (1558-1645) -Collection privée, Ex-Amsterdam, Oxford, Manchester La Vallière (de), Louis César de Baume le Blanc, duc (1708-1780) -Londres, BL, Add. 10292-94 -New York, Pierpont Morgan, 207-208 -Oxford, Bodleian Library, Douce 178 Lang, Robert (XIXe s.) -Berkeley, Bancroft, 106 Le Caronné, Claude (XVIIe, XVIIIe  s. ?) -Paris, Arsenal, 3350 Lebaudy, Versailles (XXe s.) -Collection privée, Lebaudy Loluic (de), Guellim -Paris, BNF, fr. 749 Lorette d’Herbeville, Metz (†1480 ?) -Paris, BNF, fr. 98 Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse (1422-1492) -Paris, BNF, fr. 749 Louis de Chalon (1448-1476) -Londres, BL, Add. 10292-94 Louis de Châtillon, comte de Blois ( ?-1346) -Darmstadt, ULB, 2534 Louis II de Chalon Arlay (1390-1463)



Annexe 4 519

-Londres, BL, Add. 10292-94 Louis XII (1462-1515) -Paris, BNF, fr. 95-New Haven, Beinecke, 229 -Paris, BNF, fr. 749 MacCarthy (de), Justin, comte (1744-1811) -New York, Pierpont Morgan, 207-208 Mallet de Graville, Anne (1490-1540) -Oxford, Bodleian Library, Douce 178 Manderscheid-Blanckenheim (comtes) (XVIIe -XVIIIe s.) -Bonn, ULB, 526 Marcey (de) -Vatican, B. Apostolica, Reg. lat. 1517 Marguerite d’Autriche, duchesse de Savoie (1480-1530) -Bruxelles, BR, 9246-Paris, BNF, fr. 91 -Paris, Arsenal, 3479-80 Marie de Hainaut, fille de Jean II, comte de Hainaut, épouse de Louis I, duc de Bourbon (†1354) -Paris, BNF, fr. 344 Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint (1505-1558) -Bruxelles, BR, 9246-Paris, BNF, fr. 91 -Paris, Arsenal, 3479-80

Monmerqué, Louis Jean Nicolas (1780-1860) -Chantilly, Condé, 644 Montbourcher (de), seigneurs du Bordage, à Ercé près de Liffré, près de Rennes (1470-1578) -Rennes, BM, 255 Monchet de Besançon (XVe s.) -Paris, BNF, fr. 2455 Montis, Cornelius (XVIIIe s.) -Chantilly, Condé, 644 Motteley, J. Charles (†1850) -Berkeley, Bancroft, 106 Paulmy (de) d’Argenson, Antoine-René (1722-1787) -Paris, Arsenal, 2996 -Paris, Arsenal, 2997 -Paris, Arsenal, 3350 -Paris, Arsenal, 3479-80 -Paris, Arsenal, 3481 -Paris, Arsenal, 3482 Pelham-Clinton, Henry Pelham Archibald Douglas (1864-1928), duc de Newcastle -Collection privée (Suisse), Ex-Newcastle, 937 Philippe de Croÿ-Chimay (1437-1482) -Paris, Arsenal, 3479-80 Philippe II le Hardi, duc de Bourgogne (1342-1404) -Paris, BNF, fr. 117-120 Philippe II d’Espagne (1527-1598)

520 Annexes

-Bruxelles, BR, 9246-Paris, BNF, fr. 91 Philippe III le Bon, duc de Bourgogne (1396-1467) -Paris, Arsenal, 3479-80 Phillipps (Sir), Thomas (1792-1872) -Berkeley, Bancroft, 106 (Phillipps 3643) -Collection privée, Lebaudy (Phillipps 1047 -cote réattribuée à l’ex-Amsterdam, BPH, 1) -Cologny, Bodmer, 147 (Phillipps 1046) -Ex-Amsterdam, BPH, 1 (Phillipps 1047 et 3630) -New Haven, Beinecke, 227 (Phillipps 1045) Pierpont Morgan, John (1837-1913) -New York, Pierpont Morgan, 207-208 -New York, Pierpont Morgan, 38 Pierpont Morgan, John (1867-1943) -New York, Pierpont Morgan, 207-208 -New York, Pierpont Morgan, 38 Pierre des Essars (†1349) -Paris, BNF, fr. 770 Ponthus Debrye (†1497)

-Paris, BNF, fr. 1469 Rolin (de), Ysembert, bailli d’Aymeries (1460’-1528) -New York, Pierpont Morgan, 38 Ronay (de) (XVIIe, XVIIIe s. ?) -Paris, Arsenal, 3481 Séguier, Antoine, chancelier (1552-1624) -Paris, BNF, fr. 20047 Séguier, Pierre, chancelier (1588-1672) -Paris, BNF, fr. 19162 -Paris, BNF, fr. 20047 Spencer Churchill, George, 5e duc de Marlborough (1766-1840) -Londres, BL, Add. 10292-94 Techener, Joseph (1802-1873) -New York, Pierpont Morgan, 207-208 Urfé (d’), famille (XVIe, XVIIe, XVIIIe s.) -Oxford, Bodleian Library, Douce 178 Valentin (XVIIe, XVIIIe s. ?) -Paris, Arsenal, 3350 Veusels (de), chanoine de Tournai, (XVIe s.) -New York, Pierpont Morgan, 38

Bibliographie Abréviations utilisées  BBSIA: Bulletin Bibliographique de la Société Internationale Arthurienne CFMA: Classiques Français du Moyen Âge EETS: Early English Texts Society (o. s. : original series e. s. : extra series) PRF: Publications Romanes et Françaises PUF: Presses Universitaires de France TLF: Textes Littéraires Français SATF: Société des Anciens Textes Français

1. Textes sources Manuscrits du corpus Manuscrits du Merlin et de ses suites 

Londres, British Library, Additional 38117 (Huth)

Londres, British Library, Harley 6340

Modène, Biblioteca Estense, E. 39

New Haven, Yale University, Beinecke Library, 227

New York, Pierpont Morgan Library, 38

16.

17.

18.

19.

Florence, Biblioteca Marucelliana, B VI 24

11.

15.

Darmstadt, Universitäts und Landesbibliothek, 2534

10.

Londres, British Library, Additional 32125

Cologny, Bibliothèque Bodmer, 147

9.

14.

Collection privée (Suisse) (ex-Amsterdam, Ritman Library, Bibliotheca Philosophica Hermetica, 1 [+ Oxford, Bodleian Library, Douce 215 + Manchester, John Rylands Library, French 1])

8.

Florence, Biblioteca Riccardiana, 2759

Collection privée Lebaudy (ex-Phillipps 1047)

7.

Londres, British Library, Additional 10292-94

Collection privée (ex-Duke of Newcastle 937)

6.

12.

Chantilly, Musée Condé, 644

5.

13.

Chantilly, Musée Condé, 643

137v-163v inc. début 82-163

fin XIII s.

t. 2 1-37 91-120v 79v-104v 19v-74 18-59 76-101v 206-245 inc.

fin XIIIe s. début XIVe s. début XIVe s. début XIV s. XIVe s. début XIV s. début XIVe s. début XIV s.

13v-44v

début XIIIe s. 1479

41-59

141-172v

XVe s. 1357

18v-74 14-60

début XIVe s.

e

e

e

132-162v 119- ?

début XVe s.

e

début XVe s.

159-202v

4.

60-82

1286 début XIVe s.

Bonn, Universitäts und Landesbibliothek, 526

Cambridge, University Library, Additional 7071

2.

α 0 59-96v

172v-317v

abrégé

contaminé

α

β

SPV 74-226 60-162

α

β

α

α

β contaminé

α

α

 ?

β

α

0

101v-214v

0

0

104v-209

161-289v interpolé

0

 ?-241

162v -331

0

α

α

163v-262v inc.

β

SV 202v-230 SPV 230-342v

α

Version

82v-170v

t. 2 26-155v

t. 2 1-26

milieu XIV s.

Berkeley, University of California, Bancroft Library, 106

3.

1.

Merlin (ff.) Suite Vulgate e

Date

Dépôt, cote

522 Bibliographie

Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3350

Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3482

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 91 [-Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, 9246]

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 95

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 96

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 98

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 105 [-Arsenal, 3481]

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 110

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 112

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 113 [-116]

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 117 [-120]

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 332

26.

27.

28.

29.

30.

31.

32.

33.

34.

35.

36.

Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 2997

23.

Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 3479 [-80]

Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 2996

22.

24.

Oxford, Bodleian Library, Douce 178

21.

25.

New York, Pierpont Morgan Library, 207-208

20.

1-37v 22v-35v

fin XIIIe s. XV s.

61-82 129v-152

milieu XVe s. début XV s.

45v-67

50v-73 1-59

XVe s.

116v-150v 1406

1480’

0

fin XIIIe s. 1480’

126-161v

1320’

e

113v-160

fin XIIIe s.

67-163v

59-314v

73-154v

0

SPV 17-58

β

β

α

β

α

α

SV 152-250 et 258-276 162-349v

β

β

α

α

β

(continue)

abrégé

α

α

α

contaminé

82-177

160-354v

52v-266

1-52

fin XVe s.

62-344

1-61

milieu XIVe s.

157-338

109-157

35v-60

0

0

181v-417

[207] 145v-159v [208] 160-357

1405

e

15v-60v

fin XIII s. e

149- 181v

[207] 108-145v

fin XIIIe s.

milieu XVe s.

Bibliographie 523

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 337

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 344

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 747 [-751]

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 748

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 749

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 770

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 1469

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 9123

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 19162

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 24394

Paris, Bibliothèque nationale de France, Nouvelle acquisition française 4166 (Didot)

Rennes, Bibliothèque Municipale, 255

Saint-Pétersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, fr. F. pap. XV. 3

Tours, Bibliothèque Municipale, 951

Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, L.III.12

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini, 1517

Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reginensi latini 1687

Venise, Biblioteca Marciana, App. Cod. XXIX (243)

38.

39.

40.

41.

42.

43.

44.

45.

46.

47.

48.

49.

50.

51.

52.

53.

54.

Dépôt, cote

37.

18-75v inc. 123-165 121v-149

milieu XIIIe s. début XIVe s. fin XIIIe s.

69v-263v inc.

19v-95 101-135v 1-69v 172v-223 90- ? 131-179v début inc. 82-89 et 111v-121v 1-32

début XIVe s. début XIVe s. fin XVe s. fin XIIIe s. fin XIIIe s. début XIV s. début XIVe s.

début XIVe s.

e

0

108-141v

fin XIII s.

0

122-137v inc.

0

 ?-243

224-441v

0

141v-287v

188-372v

145-188

e

fin XIIIe s.

131v-302

96-131v

0

149-312v

165-338

0

103-229

101v-184

1320’

30-122v

77-102v

milieu XIII s.

XVe s.

81v-101v e

fin XIIIe s.

Livre d’Artus 1-115 inc.

Merlin (ff.) Suite Vulgate 0

Date milieu XIIIe s.

α

α

α

 ?

α

α

α

α

β

β

α

α

α

contaminé

α

α

β

Version 524 Bibliographie

Bibliographie 525

-Fragments : Dépôt, Cote

Date

1.

Amsterdam, Bibliothèque Universitaire, I A 24 q

fin XIIIe s.

2.

Hanovre, Niedersächsische Landsbibliothek, IV 581

XIVe s.

3.

Iowa City, O’Gorman

début XIIIe s.

4.

Modène, Archives

début XIVe s.

5.

Paris, Archives Nationales, AB XIX 1734

milieu XIIIe s.

6.

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 423

XIVe s.

7.

Paris, Bibliothèque nationale de France, français 2455

XIVe s.

8.

Paris, Bibliothèque nationale de France, Nouvelle acquisition française 934

fin XIVe s.

9.

Paris, Bibliothèque nationale de France, Nouvelle acquisition française 5237

XIIIe s.

Éditions  -Éditions de référence  Le livre du Graal. I, Joseph d’Arimathie, Merlin, Les premiers faits du roi Arthur. Dir. Daniel Poirion et Philippe Walter ; Anne Berthelot, Robert Deschaux, Irène Freire-Nunes et al., Paris : Gallimard, Pléiade, 476, 2001 [Estoire, Merlin et Suite Vulgate β, Lancelot, Bonn, ULB, 526]. Robert de Boron. Merlin, roman du XIII e siècle. Ed. Alexandre Micha. Genève : Droz, TLF, 281, 1979 [Merlin, BNF, fr. 20047 (vers) et fr. 747 (prose), α].

-Autres éditions  Le roman de Merlin en prose : roman publié d'après le ms. BnF. français 24394. Ed. et trad. Corinne Füg-Pierreville. Paris : Champion, 2014. Le Roman de Merlin or The Early History of King Arthur. Ed. H. Oskar Sommer, Londres : Ballantyne Press, 1894 ; The Vulgate Version of the Arthurian Romances. Ed. H. Oskar Sommer, Washington : Carnegie Institute, 1908-16, vol. 1, L’Estoire del Saint Graal ; 2, L’Estoire de Merlin ; 3-5, Le Livre de Lancelot del Lac ; 6, Les Aventures ou la Queste del Saint Graal. La Mort le roi Artus ; 7, Supplement : Le Livre d’Artus, with Glossary and Index of Names and Places [BL, Add. 10292-94] Merlin, roman en prose du XIII esiècle, publié avec la mise en prose du poème de Merlin de Robert de Boron d’après le manuscrit appartenant à M. Alfred H. Huth. Ed. Gaston Paris et Jacob Ulrich. Paris : Firmin-Didot, 1886 [Merlin et Suite PostVulgate, BL, Add. 38117]. Merlin : 1498. Ed. Cedric Pickford, Londres : The Scholar press, 1975 ; Marseille : CRP Diffusion, 1987, 3 vol. [facsimile : Merlin, Suite Vulgate, Prophéties]. Robert de Boron. Le Roman du Graal, manuscrit de Modène. Ed. Bernard Cerquiglini, Paris : Union Générale d’éditions (10/18), 1981 [Joseph, Merlin, Perceval, Modène, Estense, E. 39].

525

526 Bibliographie

-Autres textes relatifs à Merlin et aux proses du Graal  A Demanda do Santo Graal, manuscrito do século XIII. Ed. Heitor Megale. São Paulo : Queiroz et EDUSP, 1988. A Demanda do Santo Graal. Ed. Augusto Magne. Rio de Janeiro : Imprensa nacional, 1944. Albrecht von Scharfenberg. Merlin und Seifrid de Ardemont, in der Bearbeitung Ulrich Füetrers. Ed. Friedrich Panzer. Tübingen : Literarischer Verein, 1902. Arthour and Merlin nach der Auchinleck-Hs, nebst zwei Beilagen. Ed. E. Kölbing, Altenglische Bibliothek, IV. Leipzig : O. R. Reisland, 1890. Demanda del sancto Grial. Ed. Adolfo Bonilla y San Martin. Madrid  : Nueva Biblioteca de Autores Espanoles, 1907. El Baladro del sabio Merlín : según el texto de la edición de Burgos de 1498. Ed. Pedro Bohigas. Barcelone : Impr. Talleres de Gráficas, 1957-62, 3 vol. Geoffrey of Monmouth. The Historia Regum Britannie. I, Bern, Burgerbibliothek, MS. 568. Ed. Neil Wright. Cambridge : Brewer, 1984. Geoffrey of Monmouth. The History of the Kings of Britain. An Edition and Translation of De Gestis Britonum [Historia Regum Britanniae]. Ed. Michael D. Reeve, trad. Neil Wright, Woodbridge : The Boydell Press, 2007. Geoffroy de Monmouth. Histoire des Rois de Bretagne. Trad. Laurence MatheyMaille, Paris : Les Belles Lettres, 1992. Geoffroy de Monmouth. Vita Merlini. Le devin maudit  : Merlin, Lailoken, Suibhne, textes et étude. Dir. Philippe Walter. Grenoble : ELLUG, 1999. [+ Lailoken ou la Vie du Merlin sylvestre ; La Folie de Suibhne] Gildas. De excidio Britanniae : Décadence de la Bretagne. Ed. Michael Winterbottom et trad. Christiane Kerboul-Vilhon. Sautron : Ed. du Pontig, 1996. Gildas. The Ruin of Britain, and Other Works. Ed. et trad. anglais Michael Winterbottom. Londres : Phillimore, 1978. Heldris de Cornuälle. Le Roman de Silence  : a Thirteenth-Century Arthurian Verse Romance. Ed. Lewis Thorpe, Cambridge : W. Heffer and Sons, 1972. Hill, Aaron. The Dramatic Works of Aaron Hill. Londres : T. Lownds, 1760, 2 vol. Istoria di Merlino. I due primi libri della Istoria di Merlino, ristampati secondo la rarissima edizione del 1480. Ed. Giacomo Ulrich. Bologne : Gaetano Romagnoli, 1884. Jacob van Maerlant en Lodewijk van Velthem. Merlijn, de tovenaar van koning Arthur. Ed. Frank Brandsma. Amsterdam : Atheneum-Polak & Van Gennep, 2004. Jacob van Maerlant. Merlijn, naar het eenig bekende steinforter handschrift. Ed. Johannes van Vloten, Leiden : E. J. Brill, 1880 [Historie van den Grale, Merlijn, Koning Arturs Boek.

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528 Bibliographie

Yvan G. Lepage, trad. Marie-Louise Ollier. Paris : Librairie générale française, Lettres gothiques, 1991-2002, 4 vol. Lancelot en prose. Farbmikrofiche-Edition der Handschrift Bonn, Universitätsbibliothek, Hs. S 526. Ed. Ulrich Mölk et Irmgard Fischer. Munich : Helga Lengenfelder, Codices Illuminati Medii Aevi, 28, 1992. Lancelot of the Laik : a Scottish Metrical Romance (1490-1500 A. D.) Ed. W. W. Skeat Londres : Trübner, EETS, 1865. Lancelot : roman en prose du XIII e siècle. Ed. Alexandre Micha, Genève : Droz, 19781983, 9 vol. [Londres, Add. 10293, Cambridge, Corpus Christi Coll, 45, Oxford, Bodl. Rawlinson D 899]. Layamon. Brut. Ed. G. L. Brook et R. F. Leslie, Londres : Oxford University Press, EETS, o. s. 250, 277, 1963, 1978. Layamon. Brut. Layamon’s Arthur : the Arthurian Section of Layamon’s Brut (Lines 9229-14297). Ed. et trad. William Barron et Carole Weinberg. Exeter : Univ. of Exeter Press, 2001 (1989). Le livre du Graal. II, Lancelot, De « la Marche de Gaule » à « la Première partie de la quête de Lancelot », III, Lancelot, « la Seconde partie de la quête de Lancelot », la Quête du Saint Graal, la Mort du roi Arthur. Dir. Daniel Poirion et Philippe Walter. Paris : Gallimard, Pléiade, 498, 554, 2001, 2009 [Bonn, ULB, 526]. Le Roman de Balain, a Prose Romance of the Thirteenth century. Ed. Dominica Legge. Manchester : Manchester University Press, 1942 [Suite Post-Vulgate]. Le Roman du Saint Graal publié pour la première fois d’après le manuscrit de la Bibliothèque Royale. Bordeaux : P. Faye, 1841 [BNF, fr. 20047]. Le roman en prose de Lancelot du Lac  : le conte de la charrette. Ed. Gweneth Hutchings. Paris : Droz, 1938 [Oxford Bodl. Rawlinson Q.b.6]. Le Saint-Graal ou le Joseph d’Arimathie, première branche des Romans de la Table Ronde, publié d’après des textes et des documents inédits. Ed. Eugène Hucher. Le Mans : Monnoyer, BNF, Naf. 1875-78, 3 vol. [vol. 1 : Joseph, Le Mans, BNF, fr. 748 et Naf. 4166, Perceval, BNF Naf 4166, vol. 2-3 : Estoire, Le Mans BM, 354]. Les Prophécies de Merlin : Ed. from ms. 593 in the Bibliothèque Municipale of Rennes. Ed. Lucy Allen Paton. New-York : Heath Londres : Oxford University Press, 1926-27, 2 vol. Les Prophesies de Merlin (Cod. Bodmer 116). Ed. Anne Berthelot, Cologny Genève : Fondation Martin Bodmer, 1992. Lovelich, Henry. Merlin : A Middle-English Metrical Version of a French Romance. Ed. Ernst A. Kock, Londres : Oxford University Press, EETS, e. s. 93, 112 o. s. 185, 1904-32, 3 vol. Lovelich, Henry. The History of the Holy Grail. Ed. Frederick James Furnivall. Londres : N. Trübner & Co., EETS, e. s. 20, 24, 28, 30, 95, 1874-1905, 5 vol.

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Liste des tableaux Tableau 1 : Les manuscrits du Merlin et de ses suites : aperçu chronologique

25

Tableau 2 : Les manuscrits enluminés du Merlin et de ses suites : aperçu chronologique

27

Tableau 3 : Rubriques et tituli au début du Merlin

35

Tableau 4 : Type d’illustration et situation sur la page au début du Merlin

44

Tableau 5 : L'iconographie frontispice des manuscrits du Merlin

45

Tableau 6 : La fin du Merlin dans les manuscrits du Merlin sans suite

75

Tableau 7 : L'iconographie frontispice de la Suite Vulgate

91

Tableau 8 : Les manuscrits comprenant un explicit à la fin de la Suite Vulgate

123

Tableau 9 : La rubrication des manuscrits du Merlin et de ses suites : aperçu chronologique

258

Tableau 10 : Rubriques et tituli dans les manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate

259

Tableau 11 : Présentation de la table des matières d’Arsenal, 3350

271

Tableau 12 : Présentation de la table des matières de Pierpont Morgan, 38

271

Tableau 13 : L’histoire de Grisandole dans les tituli et la table des matières de BL, Harley 6340

308

Tableau 14 : Les choix de rubriques et de tituli à la fin de la Suite Vulgate

325

Tableau 15 : Déguisements et transformations de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate

354

Tableau 16 : Illustrations des déguisements et transformations de Merlin dans le Merlin et la Suite Vulgate

355

Tableau 17 : Situation des rencontres de Merlin et Blaise dans le Merlin et la Suite Vulgate

393

Tableau 18 : Illustration des rencontres entre Merlin et Blaise

395

Tableau 19 : Situation des rencontres entre Merlin et Blaise illustrées dans BL, Add. 10292

403

Tableau 20 : Illustration des rencontres entre Merlin et Viviane dans la Suite Vulgate

462

Liste des figures et des planches Berkeley, Bancroft, 106 Figure 5 : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 191v

Figure 249 : Bonn, ULB, 526 f. 106v

Figure 12 : Berkeley, Bancroft, 106, II f. 1

Figure 256 : Bonn, ULB, 526 f. 166

Figure 61 : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 1

Collection privée, Ex-Amsterdam, BPH, 1

Figure 62  : Berkeley, Bancroft, 106, I f. 117

Figure 15 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 1

Bonn, ULB, 526

Figure 77 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, I f. 1

Figure 23 : Bonn, ULB, 526 f. 60

Figure 78 : Ex-Amsterdam, BPH, 1, II f. 37

Figure 49 : Bonn, ULB, 526 f. 82

Collection privée, Ex-Newcastle 937

Figure 87 : Bonn, ULB, 526 f. 1

Figure 246 : Ex-Newcastle 937 f. 245

Figure 88 : Bonn, ULB, 526 f. 171

Cologny, Bodmer, 147

Figure 89 : Bonn, ULB, 526 f. 259

Figure 20 : Cologny, Bodmer, 147 f. 91

Figure 90 : Bonn, ULB, 526 f. 307

Figure 45 : Cologny, Bodmer, 147 f. 161

Figure 91 : Bonn, ULB, 526 f. 335

Figure 118 : Cologny, Bodmer, 147 f. 1

Figure 92 : Bonn, ULB, 526 f. 406

Figure 119 : Cologny, Bodmer, 147 f. 20

Figure 93 : Bonn, ULB, 526 f. 443v

Figure 120 : Cologny, Bodmer, 147 f. 15

Figure 132 : Bonn, ULB, 526 f. 167

Figure 121 : Cologny, Bodmer, 147 f. 121

Figure 133 : Bonn, ULB, 526 f. 167v

Figure 122 : Cologny, Bodmer, 147 f. 291

Figure 134 : Bonn, ULB, 526 f. 168c

Figure 123 : Cologny, Bodmer, 147 f. 344

Figure 135 : Bonn, ULB, 526 f. 168v

Figure 130 : Cologny, Bodmer, 147 f. 284v

Figure 136 : Bonn, ULB, 526 f. 169v

Figure 131 : Cologny, Bodmer, 147 f. 287

Figure 153 : Bonn, ULB, 526 f. 86v

Figure 154 : Cologny, Bodmer, 147 f. 169v

Figure 161 : Bonn, ULB, 526 f. 103

Figure 206 : Cologny, Bodmer, 147 f. 272

Figure 180 : Bonn, ULB, 526 f. 157

Figure 236 : Cologny, Bodmer, 147 f. 176v

Figure 201 : Bonn, ULB, 526f. 127v

Darmstadt, ULB, 2534

Figure 202 : Bonn, ULB, 526f. 129v

Figure 4 : Darmstadt, ULB, 2534 f. 79v

Figure 235 : Bonn, ULB, 526 f. 94v

Figure 56 : Darmstadt, ULB, 2534 f. 2

Figure 242 : Bonn, ULB, 526 f. 108v

Londres, BL, Add. 38117

Figure 243 : Bonn, ULB, 526 f. 129v

Figure 14 : BL, Add. 38117 f. 18v

560 Liste des figures et des planches

Figure 29 : BL, Add. 38117 f. 73v

Figure 218 : BL, Add. 10292 f. 90

Figure 147 : BL, Add. 38117 f. 50v

Figure 231 : BL, Add. 10292 f. 93

Figure 148 : BL, Add. 38117 f. 161v

Figure 251 : BL, Add. 10292 f. 138

Figure 190 : BL, Add. 38117 f. 30v

Manchester, Rylands, Fr. 1

Figure 191 : BL, Add. 38117 f. 45v

Figure 79  : Manchester, Rylands, Fr. 1 f. 212

Figure 217 : BL, Add. 38117 f. 53 Figure 239 : BL, Add. 38117 f. 63v Londres, BL, Add. 10292-94 Figure 16 : BL, Add. 10292 f. 76 Figure 17 : BL, Add. 10292 f. 76 (détail) Figure 28 : BL, Add. 10292 f. 101 Figure 48 : BL, Add. 10292 f. 102 Figure 100 : BL, Add. 10292 f. 1

Modène, Estense, E. 39 Figure 1 : Modène, Estense, E. 39 f. 13v Figure 140 : Modène, Estense, E. 39 f. 20 Figure 212 : Modène, Estense, E. 39 f. 40 New Haven, Beinecke, 227 Figure 25 : New Haven, Beinecke, 227 f. 141

Figure 101 : BL, Add. 10293 f. 1

Figure 47 : New Haven, Beinecke, 227 f. 172v

Figure 102 : BL, Add. 10294 f. 1

Figure 57 : New Haven, Beinecke, 227 f. 1

Figure 103 : BL, Add. 10294 f. 53

Figure 58 : New Haven, Beinecke, 227 f. 12

Figure 124 : BL, Add. 10292 f. 149 Figure 125 : BL, Add. 10293 f. 292v Figure 127 : BL, Add. 10292 f. 213 Figure 128 : BL, Add. 10292 f. 214 Figure 129 : BL, Add. 10292 f. 214v Figure 141 : BL, Add. 10292 f. 77v Figure 141 : BL, Add. 10292 f. 77v Figure 158 : BL, Add. 10292 f. 129c Figure 163 : BL, Add. 10292 f. 132v Figure 170 : BL, Add. 10292 f. 160v Figure 171 : BL, Add. 10292 f. 161 Figure 172 : BL, Add. 10292 f. 162 Figure 182 : BL, Add. 10292 f. 200v Figure 192 : BL, Add. 10292 f. 80v Figure 193 : BL, Add. 10292 f. 137

Figure 137 : New Haven, Beinecke, 227 f. 311v Figure 138 : New Haven, Beinecke, 227 f. 313v Figure 139 : New Haven, Beinecke, 227 f. 315v Figure 167: New Haven, Beinecke, 227 f. 220v Figure 169 : New Haven, Beinecke, 227 f. 222v Figure 233 : New Haven, Beinecke, 227 f. 308v Figure 234 : New Haven, Beinecke, 227 f. 292v Figure 244 : New Haven, Beinecke, 227 f. 224v



Liste des figures et des planches 561

Figure 245 : New Haven, Beinecke, 227 f. 259

Paris, Arsenal, 2997

Figure 252 : New Haven, Beinecke, 227 f. 298v

Paris, Arsenal, 3479

New Haven, Beinecke, 229 Figure 115 : New Haven, Beinecke, 229 f. 1 Figure 116 : New Haven, Beinecke, 229, f. 187 Figure 117 : New Haven, Beinecke, 229, f. 272v

Figure 18 : Arsenal, 2997 f. 1 Figure 10 : Arsenal, 3479 p. 109 Figure 30 : Arsenal, 3479 p. 155 Figure 104 : Arsenal, 3479 p. 1 Figure 110 : Arsenal, 3479 p. 339 Paris, Arsenal, 3480 Figure 31 : Arsenal, 3480 p. 495

New York, Pierpont Morgan, 207-208

Figure 106 : Arsenal, 3480 p. 483

Figure 38 : Pierpont Morgan, 207 f. 145v

Figure 108 : Arsenal, 3480 p. 490

Figure 59 : Pierpont Morgan, 207 f. 1

Paris, Arsenal, 3481

Figure 60 : Pierpont Morgan, 207 f. 108

Figure 71 : Arsenal, 3481 f. 3

Figure 173 : Pierpont Morgan 208 f. 259

Paris, Arsenal, 3482

Figure 174 : Pierpont Morgan 208 f. 261

Figure 26 : Arsenal, 3482 p. 1

Figure 220 : Pierpont Morgan, 207 f. 123v

Figure 44 : Arsenal, 3482 p. 62

Figure 221 : Pierpont Morgan, 207 f. 130

Figure 75 : Arsenal, 3482 p. 345

Figure 227 : Pierpont Morgan 208 f. 343

Figure 76 : Arsenal, 3482 p. 539

Figure 228 : Pierpont Morgan 208 f. 317v

Figure 166 : Arsenal, 3482 p. 155

Oxford, Bodl., Douce 178

Figure 168 : Arsenal, 3482 p. 158

Figure 13 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 149

Figure 177 : Arsenal, 3482 p. 295

Figure 34 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 181v

Figure 255 : Arsenal, 3482 p. 301

Figure 50 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 1

Figure 42 : BNF, fr. 91 f. 52

Figure 159 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 238

Figure 143 : BNF, fr. 91 f. 7

Figure 175 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 378v

Figure 209 : BNF, fr. 91 f. 20v

Paris, BNF, fr. 91

Figure 156 : BNF, fr. 91 f. 76

Figure 203 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 354

Figure 210 : BNF, fr. 91 f. 40

Figure 250 : Oxford, Bodl., Douce 178 f. 249

Figure 226 : BNF, fr. 91 f. 178

Figure 219 : BNF, fr. 91 f. 31

562 Liste des figures et des planches

Figure 229 : BNF, fr. 91 f. 173

Figure 211 : BNF, fr. 105 f. 153

Planche VIII : BNF, fr. 91 f. 1

Figure 216 : BNF, fr. 105 f. 174

Paris, BNF, fr. 95

Figure 240 : BNF, fr. 105 f. 231

Figure 19 : BNF, fr. 95 f. 113v

Figure 259 : BNF, fr. 105 f. 347

Figure 27 : BNF, fr. 95 f. 141

Planche VI : BNF, fr. 105 f. 126

Figure 112 : BNF, fr. 95 f. 1

Paris, BNF, fr. 110

Figure 113 : BNF, fr. 95 f. 355

Figure 6 : BNF, fr. 110 f. 45v

Figure 114 : BNF, fr. 95 f. 380

Figure 37 : BNF, fr. 110 f. 67

Figure 152 : BNF, fr. 95 f. 177v

Figure 97 : BNF, fr. 110 f. 164

Figure 181 : BNF, fr. 95 f. 327

Figure 98 : BNF, fr. 110 f. 405

Figure 187 : BNF, fr. 95 f. 210

Figure 99 : BNF, fr. 110 f. 441

Figure 188 : BNF, fr. 95 f. 268

Figure 238 : BNF, fr. 110 f. 63v

Figure 214 : BNF, fr. 95 f. 190v

Figure 257 : BNF, fr. 110 f. 159v

Figure 222 : BNF, fr. 95 f. 173v

Paris, BNF, fr. 113-116

Figure 225 : BNF, fr. 95 f. 254

Figure 80 : BNF, fr. 113 f. 150v

Figure 230 : BNF, fr. 95 f. 149v

Figure 81 : BNF, fr. 114 f. 352

Figure 237 : BNF, fr. 95 f. 152 Figure 247 : BNF, fr. 95 f. 273 Paris, BNF, fr. 96

Figure 82 : BNF, fr. 113 f. 1 Figure 83 : BNF, fr. 116 f. 607 Figure 84 : BNF, fr. 116 f. 678

Figure 24 : BNF, fr. 96 f. 62v

Paris, BNF, fr. 117-120

Figure 74 : BNF, fr. 96 f. 1

Figure 11 : BNF, fr. 117 f. 50v

Figure 142 : BNF, fr. 96 f. 63v

Figure 32 : BNF, fr. 117 f. 72

Figure 204 : BNF, fr. 96 f. 111v

Figure 33 : BNF, fr. 120 f. 524v

Planche VII : BNF, fr. 96 f. 61

Figure 105 : BNF, fr. 117 f. 1

Paris, BNF, fr. 105

Figure 107 : BNF, fr. 120 f. 520

Figure 36 : BNF, fr. 105 f. 162

Figure 109 : BNF, fr. 120 f. 522v

Figure 70 : BNF, fr. 105 f. 2

Figure 111 : BNF, fr. 118 f. 155

Figure 144 : BNF, fr. 105 f. 130v

Planche I : BNF, fr. 113 f. 117

Figure 160 : BNF, fr. 105 f. 212v

Paris, BNF, fr. 344

Figure 194 : BNF, fr. 105 f. 227

Figure 40 : BNF, fr. 344 f. 101v

Figure 207 : BNF, fr. 105 f. 139v

Figure 41 : BNF, fr. 344 f. 109



Liste des figures et des planches 563

Figure 94 : BNF, fr. 344 f. 1

Paris, BNF, fr. 770

Figure 95 : BNF, fr. 344 f. 81

Figure 39 : BNF, fr. 770 f. 149

Figure 96 : BNF, fr. 344 f. 476

Figure 63 : BNF, fr. 770 f. 1

Figure 157 : BNF, fr. 344 f. 131v

Figure 64 : BNF, fr. 770 f. 6

Figure 162 : BNF, fr. 344 f. 135

Figure 65 : BNF, fr. 770 f. 121v

Figure 165 : BNF, fr. 344 f. 138

Figure 66 : BNF, fr. 770 f. 313

Figure 199 : BNF, fr. 344 f. 130v

Figure 67 : BNF, fr. 770 f. 315v

Figure 200 : BNF, fr. 344 f. 139v

Figure 197 : BNF, fr. 770 f. 236v

Figure 223 : BNF, fr. 344 f. 121v

Figure 198 : BNF, fr. 770 f. 270v

Figure 248 : BNF, fr. 344 f. 187v

Figure 253 : BNF, fr. 770 f. 291

Planche II : BNF, fr. 344 f. 81v

Paris, BNF, fr. 9123

Planche III : BNF, fr. 344 f. 184

Figure 35 : BNF, fr. 9123 f. 131v

Paris, BNF, fr. 747-751

Figure 72 : BNF, fr. 9123 f. 1

Figure 22 : BNF, fr. 747 f. 77

Figure 73 : BNF, fr. 9123 f. 4

Figure 46 : BNF, fr. 747 f. 103

Figure 126 : BNF, fr. 9123 f. 298

Figure 85 : BNF, fr. 747 f. 1

Figure 149 : BNF, fr. 9123 f. 141

Figure 86 : BNF, fr. 751 f. 1

Figure 150 : BNF, fr. 9123 f. 143v

Paris, BNF, fr. 748

Figure 151 : BNF, fr. 9123 f. 178v

Figure 189 : BNF, fr. 748 f. 51

Figure 155 : BNF, fr. 9123 f. 149

Paris, BNF, fr. 749

Figure 176 : BNF, fr. 9123 f. 281v

Figure 55 : BNF, fr. 749 f. 1

Figure 195 : BNF, fr. 9123 f. 236

Figure 145 : BNF, fr. 749 f. 139

Figure 196 : BNF, fr. 9123 f. 266

Figure 146 : BNF, fr. 749 f. 176v

Figure 208 : BNF, fr. 9123 f. 116

Figure 164 : BNF, fr. 749 f. 219v

Figure 213 : BNF, fr. 9123 f. 206v

Figure 178 : BNF, fr. 749 f. 319

Figure 241 : BNF, fr. 9123 f. 239

Figure 183 : BNF, fr. 749 f. 222

Figure 254 : BNF, fr. 9123 f. 285

Figure 184 : BNF, fr. 749 f. 264v

Planche V : BNF, fr. 9123 f. 96

Figure 215 : BNF, fr. 749 f. 195v

Paris, BNF, fr. 19162

Figure 224 : BNF, fr. 749 f. 193v

Figure 7 : BNF, fr. 19162 f. 145

Figure 258 : BNF, fr. 749 f. 331

Figure 9 : BNF, fr. 19162 f. 145

Planche IV : BNF, fr. 749 f. 123

Figure 52 : BNF, fr. 19162 f. 1v

564 Liste des figures et des planches

Figure 185 : BNF, fr. 19162 f. 246v

Rennnes, BM, 255

Figure 186 : BNF, fr. 19162 f. 289

Figure 2 : Rennes, BM, 255 f. 101

Paris, BNF, fr. 24394

Figure 68 : Rennes, BM, 255 f. 2

Figure 8 : BNF, fr. 24394 f. 108

Figure 69 : Rennes, BM, 255 f. 137

Figure 51 : BNF, fr. 24394 f. 1

Tours, BM, 951

Figure 179 : BNF, fr. 24394 f. 264v

Figure 3 : Tours, BM, 951 f. 172v

Figure 205 : BNF, fr. 24394 f. 186v

Figure 43 : Tours, BM, 951 f. 224

Figure 232 : BNF, fr. 24394 f. 280v

Figure 53 : Tours, BM, 951 f. 1

Paris, BNF, Naf. 934

Figure 54 : Tours, BM, 951 f. 159

Figure 21 : BNF, Naf. 934, f. 28

Crédits photographiques Berkeley, University of California, Bancroft Library © The Bancroft Library, University of California, Berkeley Bonn, Universitäts und Landesbibliothek © Universitäts und Landesbibliothek Bonn Cologny, Bibliothèque Bodmer © Fondation Martin Bodmer, Cologny (Genève) Darmstadt, Universitäts und Landesbibliothek © Universitäts und Landesbibliothek Darmstadt Londres, British Library © The British Library Board Manchester, John Rylands Library © The University Librarian and Director, The John Rylands Library, The University of Manchester Modène, Biblioteca Estense © Ministero dei beni e delle attività culturali e del turismo New Haven, Yale University, Beinecke Library © Yale University, Beinecke Rare Books and Manuscripts Library New York, Pierpont Morgan Library © The Morgan Library and Museum Oxford, Bodleian Library © The Bodleian Libraries, The University of Oxford Paris, Bibliothèque de l’Arsenal © Bibliothèque nationale de France Paris, Bibliothèque nationale de France © Bibliothèque nationale de France Rennes, Bibliothèque Municipale © Bibliothèque de Rennes Métropole Tours, Bibliothèque Municipale © Bibliothèque municipale de Tours, CNRS-IRHT

Index des manuscrits*

Berkeley, Bancroft, 106   38, 43, 141, 142, 143, 199 Bonn, ULB, 526  8, 355, 31, 35, 14, 45, 63, 84, 90, 91, 120, 121, 123, 125, 126, 176, 177, 179, 180, 181, 223, 230, 232, 237, 258, 259, 260, 262, 268, 269, 296, 316, 318, 319, 320, 322, 325, 326, 181, 236 Bruxelles, BR, 9246  124, 230 Cambridge, UL, Add. 7071  4, 25, 81, 87, 123 Chantilly, Condé, 643  27, 31, 34, 36, 45, 52, 81, 88, 91, 124, 259, 261, 312 Chantilly, Condé, 644  77, 78 Collection privée (ex-Amsterdam, BPH, 1)  31, 258 Collection privée (ex-Bodmer, ­ ex-Newcastle 937)  26, 29, 45, 74, 91, 123, 259, 261 Collection privée Lebaudy (­ex-Phillipps, 1047)  15, 45, 74, 91, 123, 258, 259 Cologny, Bodmer, 147  26, 29, 38, 40, 44, 45, 355, 59, 60, 83, 89, 91, 116, 124, 125, 140, 175, 208, 209, 212, 214, 215, 216, 217, 218, 220, 221, 222, 223, 225, 257, 259, 314, 316, 117, 325, 326, 316 Darmstadt, ULB, 2534  38, 44, 45, 46, 84, 85, 134, 135 Florence, Marucelliana, B VI 24  79 Florence, Riccardiana, 2759  37, 45, 76, 77, 79 Londres, BL, Add. 10292-94  8, 13, 29, 32, 35, 14, 40, 45, 48, 55, 56, 57, 60, 84, 90, 91, 98, 102, 119, 120, 124, 187, 189, 190, 191, 193, 243, *

258, 259, 260, 261, 314, 315, 325, 326, 355 Londres, BL, Add. 32125  75, 77, 79 Londres, BL Add. 38117 (Huth)  25, 29 Londres, BL, Add. 38117 (Huth)  4, 38, 44, 45, 53, 54, 60, 91, 99 Londres, BL, Harley 6340  13, 24, 26, 84, 85, 86, 124, 125, 259, 261, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 288, 289, 290, 291, 292, 293, 294, 295, 296, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 310, 322, 324, 325, 326, 330 Manchester, Rylands, Fr. 1  28, 102, 163, 166 Modène, Estense, E. 39  7, 37, 41, 44, 45, 46 New Haven, Beinecke, 227  14, 31, 35, 39, 45, 48, 65, 82, 88, 91, 118, 119, 137, 174, 259, 260, 261, 262, 269, 322, 323, 325, 329, 330, 331 New York, Pierpont Morgan, 38  34, 36, 86, 261, 270, 271, 272, 274, 314, 325, 326, 329, 330, 331 New York, Pierpont Morgan, 207208  41, 45, 355, 83, 88, 91, 108, 109, 110, 136, 139, 138 Oxford, Bodleian, Douce 178  39, 355, 88, 91, 104, 105, 123, 128, 129, 45 Paris, Arsenal, 2996  75, 78 Paris, Arsenal, 2997  28, 37, 44, 45, 57, 58, 75, 77, 78 Paris, Arsenal, 3350  34, 36, 81, 86, 257, 259, 261, 270, 271, 272, 274, 314, 325, 326, 329, 330, 331

Nb : les notices complètes des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate figurent dans FabryTehranchi, Irène. Texte et images des manuscrits du Merlin et de la Suite Vulgate, 2011, Annexe 7. Une version abrégée de ces fiches a été mise en ligne sur le site Jonas, Répertoire des textes et manuscrits médiévaux en langue d'oc et d'oïl (CNRS-IRHT), http://jonas.irht.cnrs.fr/ (01/01/2014)

568 Index des manuscrits

Paris, Arsenal, 3479-80  38, 41, 45, 49, 50, 81, 84, 90, 91, 98, 99, 100, 101, 103, 124, 168, 169, 170, 192, 193, 195, 196, 197, 198, 199, 223, 259 Paris, Arsenal, 3481  122, 124, 152, 153, 155 Paris, Arsenal, 3482  26, 39, 40, 45, 355, 67, 68, 82, 88, 91, 115, 116, 161, 162, 174, 162, 328 Paris, BNF, fr. 91  27, 29, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 41, 355, 68, 69, 70, 71, 89, 105, 113, 115, 124, 125, 153, 157, 159, 174, 257, 259, 261, 262, 312, 325, 156, 157, 230, 313, 575, 578 Paris, BNF, fr. 96  29, 39, 40, 45, 355, 52, 64, 70, 86, 89, 91, 98, 159, 160, 577 Paris, BNF, fr. 98  85, 124, 328 Paris, BNF, fr. 105  39, 40, 355, 68, 69, 70, 83, 88, 107, 122, 124, 125, 152, 153, 154, 157, 158, 159, 259, 261, 105, 312, 325, 326, 258, 576 Paris, BNF, fr. 110  29, 32, 35, 41, 45, 47, 355, 81, 89, 91, 102, 108, 110, 123, 175, 186, 187, 188, 223, 258, 259, 261, 262, 264, 265, 267, 312, 325, 326, 329, 188, 266 Paris, BNF, fr. 112  165, 175 Paris, BNF, fr. 113-116  28, 33, 36, 37, 40, 45, 71, 76, 78, 102, 165, 167, 168, 169, 170, 171, 172, 257, 258, 259, 571 Paris, BNF, fr. 117-120  33, 36, 41, 45, 47, 49, 50, 81, 90, 91, 100, 101, 102, 103, 124, 165, 168, 169, 170, 192, 193, 194, 195, 197, 198, 199, 223, 259 Paris, BNF, fr. 332  26, 32, 33, 36, 85, 124, 259, 261, 262, 268, 269, 316, 325, 326 Paris, BNF, fr. 337  4, 25, 26, 81

Paris, BNF, fr. 344  29, 40, 45, 355, 59, 61, 88, 113, 114, 182, 183, 184, 186, 185, 328, 572, 573 Paris, BNF, fr. 747  26, 29, 38, 44, 62, 79, 89, 118, 122, 123, 173, 174, 175, 232, 235, 236, 237, 238, 239, 241, 244, 245, 247, 249, 250, 251, 257, 258, 259, 260, 261, 329 Paris, BNF, fr. 748  28, 37, 45, 75, 78, 151 Paris, BNF, fr. 749  32, 35, 39, 40, 45, 355, 67, 84, 85, 91, 123, 125, 133, 258, 259, 125, 230 Paris, BNF, fr. 751  173, 175 Paris, BNF, fr. 770  26, 29, 45, 355, 88, 91, 112, 123, 125, 141, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 150, 225, 147 Paris, BNF, fr. 1469  34, 36, 76, 77, 78, 258, 259, 261 Paris, BNF, fr. 9123  29, 39, 40, 45, 68, 69, 70, 82, 88, 91, 105, 125, 257, 259, 261, 312, 321 Paris, BNF, fr. 19162  29, 45, 355, 48, 49, 84, 85, 91, 123, 129, 130 Paris, BNF, fr. 24394  29, 40, 45, 355, 48, 49, 84, 85, 91, 123, 128, 131, 130 Paris, BNF, Naf. 934  61, 62 Paris, BNF, Naf. 4166 (Didot)  33, 35, 77, 257, 258, 259, 260, 261, 269, 329 Rennes, BM, 255  26, 28, 37, 40, 44, 45, 46, 78, 150, 151 St. Petersbourg, BNR, fr. F. pap. XV. 3  81, 87, 124 Tours, BM, 951  29, 41, 44, 45, 46, 80, 81, 89, 91, 115, 116, 123, 131, 132, 254 Turin, BNU, L.III.12  15, 39, 45, 59, 85, 123 Vatican, BAV, Reg. 1517  30, 76, 77 Vatican, BAV, Reg. 1687  124 Venise, Marciana, App.Cod. XXIX  43, 76, 78, 123

Planches Couleur

Planche I : BNF, fr. 113 f. 117 (1475’) Comment Notre Sauveur aprés sa Benoiste Passion ala espoiller les Enfers dont les Ennemis et Princes Infernaulx furent moult yrés. Aprés, comment Merlin le grant prophete fut engendré et né. Et comment aprés la mort du roy Uterpandragon, le roy Artus son filz fu cree miraculeusement roy de la Grant Bretaigne qui ores est ditte Engleterre et de ses baillages. Et comment Merlin ordonna la Table Ronde. Et icy commence la seconde branche du premier livre de messire Lancelot du Lac. [f. 116v] Début du Merlin : Descente du Christ aux enfers

Planche II : BNF, fr. 344 f. 81v (1295’), Fin de l’Estoire Figure de l’auteur ; Fontaine bouillonnante ; Lions gardant la tombe de Lancelot l’Ancien Début du Merlin Miniature : -Descente du Christ aux enfers -Conseil des démons -Diable et femme de Merlin l’Ancien -Diable étranglant le fils de Merlin l’Ancien Initiale historiée : Suicide de la femme de Merlin l’Ancien



Planche III : BNF, fr. 344 f. 184 (1295’), Fin de la Suite Vulgate Miniature : -Gauvain et les rois rebelles -Hommage des rois rebelles à Arthur -Rois quittant Clarence -Rois rentrant dans leurs pays -Ban et Bohort rentrant dans leur pays -Débarquement de l’équipage de Ban et Bohort Début du Lancelot Miniature : -Fin des négociations entre Ban et Claudas -Retour du roi Ban à Trèbes -Sortie du sénéchal de Trèbes -Trahison du sénéchal de Trèbes -Incendie de la forteresse de Trèbes -Siège de Trèbes Initiale historiée : Prise de Trèbes

Planche IV : BNF, fr. 749 f. 123 (1300’), Début du Merlin Chi commence l’Estoire de Merlin que mesire Robers de Borron translata. Miniature : -Descente aux enfers, Ensi que Diex vient en infer. -Conseil des démons, Ensi come li dyable prisent parlement pour engendrer Merlin. -Conception de Merlin, Comment Merlins fu engenrés dou dyable. -Merlin et sa mère dans la tour, Comment Merlins fu nés en le prison et parole a sa mere a la fenestre de la tour. -Procès de la mère de Merlin, Comment Merlins rescous sa mere d’ardoir devant les juges.

Initiale historiée : Blaise et la mère de Merlin

Planche V : BNF, fr. 9123 f. 96 (1325’), Début du Merlin -Conseil des démons -Démon et femme de Merlin l’ancien ; Conception de Merlin ; Naissance de Merlin -Procès de la mère de Merlin ; Menace du bûcher ; Merlin devant le juge Ci commence li rommans de Merlin qui fu conceus de l’Anemi en sa mere en dormant et le deçut et pour ce sot Merlins toutes les choses faites dites et avenues.

Planche VI : BNF, fr. 105 f. 126 (1325’), Début du Merlin -Conseil des démons ; Démons tuant les bêtes de Merlin l’Ancien -Démons étranglant le fils de Merlin l’Ancien ; Suicide de la femme de Merlin l’Ancien ; Blaise et les filles de Merlin l’Ancien -Conception de Merlin ; Confession de la mère de Merlin ; Arrestation de la mère de Merlin

Planche VII : BNF, fr. 96 f. 61 (1450’), Début du Merlin Conseil des démons

Planche VIII : BNF, fr. 91 f. 1 (1480’), Début du Merlin -Conseil des démons-Destruction des troupeaux de Merlin l’Ancien -Mort du fils et de la femme de Merlin l’Ancien-Blaise et les filles de Merlin l’Ancien -Conception de Merlin -Confession de la mère de Merlin Cy commence l’Istoire de Merlin, et comment par le conseil que tous les diables quy sont en enfer tindrent avesques leur dampné maistre Lucifer, il fut engendré dedans le corps de une fille vierge.