Des saints et des livres: Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord a la fin du Moyen Age; XIIIe-XVIe siecle (Hagiologia, 17) (French Edition) 9782503595856, 2503595855

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Des saints et des livres: Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord a la fin du Moyen Age; XIIIe-XVIe siecle (Hagiologia, 17) (French Edition)
 9782503595856, 2503595855

Table of contents :
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Fernand Peloux. Une culture hagiographique flamboyante au prisme de ses manuscrits (xive-xvie siècle)
Catherine Vincent. Pourquoi réécrire des Vies de saints en français à la fin du Moyen Âge ?
Ariane Pinche. Li Seint Confessor de Wauchier de Denain,une œuvre sérielle et son contexte manuscrit
Anne-Françoise Leurquin-Labie. Composition, usage et diffusion du légendier picard
Esther Dehoux, Marc Gil et Mathieu Vivas. Un légendier picard illustré de la fin du xve siècle (Lille, BM, ms. 795)
Florent Coste. Du local à l’universel
Marie-Geneviève Grossel. Les traductions en prose des Vies des Pères après le xiiie siècle : reprise, évolution, transformation aux xive et xve siècles
Werner Verbeke. Prolégomènes pour une Bibliotheca Hagiographica Neerlandica
Barbara Fleith. Fabrication, fonctions et usages de quelques manuscrits contenant des chapitres des traductions néerlandaises de la Legenda aurea
Clovis Chloé Maillet. Singularité et sérialité d’un très rare manuscrit latin enluminé de la Légende Dorée au xve siècle (Glasgow UL 1111)
Véronique Hazebrouck-Souche. La figure de l’évêque dans l’œuvre de Jean Gielemans
Xavier Hermand. Composer, compiler, copier des textes hagiographiques à la fin du Moyen Âge
Marjolaine Lémeillat. Manuscrits hagiographiques et saints bretons en Bretagne à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle)
Fernand Peloux et Laura Vangone. Un légendier méconnu, commandité par le cardinal Georges d’Amboise vers 1500 (Rouen, BM, A. 40 [1412])
Sarah Olivier. Réécrire la sainteté
Mickaël Wilmart. Un placard hagiographique
Sara Pretto. Entre dévotion et outil de travail
Bastien Dubuisson. Les transformations d’un recueil hagiographique monumental
André Vauchez. Conclusions
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Des saints et des livres Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle)

HAGIOLOGIA Études sur la sainteté et l’hagiographie – Studies on Sanctity and Hagiography

Volume 17

Comité de Rédaction – Editorial Board HAGIOLOGIA Gordon Blennemann Stefanos Efthymiadis Stéphane Gioanni Anne-Marie Helvétius

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Des saints et des livres Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle) Études réunies par Fernand Peloux

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© 2021, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2021/0095/253 ISBN 978-2-503-59585-6 E-ISBN 978-2-503-59586-3 DOI 10.1484/M.HAG-EB.5.124789 ISSN 1378-1006 E-ISSN 2565-9553 Printed in the EU on acid-free paper.

Introduction

Une culture hagiographique flamboyante au prisme de ses manuscrits (xive-xvie siècle) Fernand Peloux (Toulouse) « La curieuse galerie des saints gagnait chaque jour en vie et en couleur »1. Voilà qui caractériserait, entre autres, l’ Automne du Moyen Âge dans le nord de l’Europe selon Johan Huizinga. L’objet de ce livre collectif est de comprendre plus précisément une des composantes de « cette curieuse galerie des saints » : les manuscrits qui portent leurs légendes, à l’heure de la religion que Johan Huizinga ne qualifiait pas encore de « flamboyante ». L’expression, consacrée plus tard par Jacques Chiffoleau, s’accorde parfaitement avec la situation dans laquelle se trouve l’édition hagiographique : appliquant à la « religion » occidentale entre les années 1320 et 1530 un qualificatif d’abord utilisé pour désigner les formes architecturales de la période, Jacques Chiffoleau voulait attirer l’attention sur les « accumulations, avec l’extrême polymorphisme des pratiques religieuses », pour conclure que « c’est encore l’originalité, l’invention, le foisonnement des dévotions qui caractérisent le mieux ces deux siècles »2 . À regarder les courbes de production 1  J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, Paris, 1948 (éd. originale en 1919), p. 138. Je m’appuie sur l’édition française de 1948 parue sous un autre titre, car il en existe une version en ligne ­facilement consultable : http://classiques.uqac.ca/classiques/huyzinga_johan/declin_ moyen_age/declin_moyen_age.html [consultée le 03/05/2021]. 2  Le texte de Jacques Chiffoleau fut publié en 1988 dans le tome II de l’Histoire de la France religieuse dirigée par Jacques Le Goff et René Rémond. La même année paraissait N. Lemaitre, Le  Rouergue flamboyant : clergé et paroisses du diocèse de Rodez, 1417-1563, Paris, 1988 qui ne justifie pas le qualificatif et l’applique à une chronologie différente, comme le fit ensuite F. Rapp dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. vii : De la Réforme

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 7-40. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126286

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Fernand Peloux

des manuscrits hagiographiques dans le temps long du Moyen Âge, l’accumulation et le foisonnement sont évidents3 ; à regarder de plus près ces manuscrits, le polymorphisme et l’originalité ne le sont pas moins. L’objectif de cet ouvrage est de mieux saisir les traces manuscrites d’une culture hagiographique qu’on n’hésitera donc pas à qualifier de flamboyante4.

1. Tendances historiographiques et grands traits de la production de manuscrits hagiographiques à la fin du Moyen Âge Le maître ouvrage de Guy Philippart sur les Légendiers latins reste toujours indispensable pour qui veut aborder cette matière5. Un des principaux intérêts des travaux de cet auteur est de toujours considérer l’histoire des manuscrits hagiographiques dans la longue durée. Cette approche permet de se rendre compte, que, dans leur immense majorité, les manuscrits hagiographiques de la fin du Moyen Âge portent des textes relatifs à des saints anciens, essentiellement des martyrs de l’Antiquité, et qu’ils transmettent bien souvent des textes écrits avant l’an mil. L’édition hagiographique du bas Moyen Âge était minée par un traditionalisme pesant qui se mesure à la permanence, à travers mille ans d’histoire, de genres sans doute adaptés aux premiers siècles de la période, mais qui l’étaient de moins en moins. Permanence, c’est peu dire. Les best-sellers du ixe siècle sont encore ceux de 1200, voire, à peine rhabillés dans les Abbreviationes, ceux de 1500 : ce sont les Passions de martyrs. Ces récits – souvent épiques et fabuleux – ont continué de véhiculer une représentation antique du saint, une morale et une théologie désaccordées d’avec les aspirations et à la Réformation (1450-1530), éd. M. Venard, Paris, 1994, p. 358 (qui qualifie le travail de Jacques Chiffoleau de « vue d’ensemble très neuve »). Du reste et malgré la chronologie retenue par Jacques Chiffoleau, le terme n’est guère utilisé pour le xive siècle. J’utilise la réédition de l’ouvrage : J. Chiffoleau, La religion flamboyante (1320-1520), Paris, 2011 : la première citation est issue de l’avant-propos inédit (p. 15) et la seconde se trouve dans la conclusion, p. 167. Une étude de l’apparition et de l’usage de l’adjectif « flamboyant » dans l’historiographie serait à coup sûr utile. Sur  le rapport de Jacques Chiffoleau à l’ouvrage de Johan Huizinga, voir N. Bériou, « Religion, culture et communication. Les “intuitions” de Johan Huizinga », dans L’odeur du sang et des roses. Relire Johan Huizinga aujourd’hui, éd. É. Lecuppre-Desjardin, Villeneuve d’Ascq, 2020, p. 187-189. 3  Voir les graphiques proposés par M.  Trigalet, « Compter les livres hagiographiques  : aspects quantitatifs de la création et de la diffusion de la littérature hagiographique latine (iie-xve siècle) », Gazette du livre médiéval, 38 (2001), p. 9. 4  J’ai explicité ailleurs ce que recouvrait l’expression de culture hagiographique : F. Peloux, « Avant-propos », dans Le  légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale ­autour de l’an mil, éd. Id., Turnhout, 2018, p. 8. 5  G. Philippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout, 1977.

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Une culture hagiographique flamboyante

les croyances renouvelées. Quand ils ouvrent leurs collections aux œuvres nouvelles, les éditeurs le font avec parcimonie : partout les vieux genres l’emportent sur les autres6.

Les récits hagiographiques relatifs aux saints anciens furent sans cesse réécrits ou bien abrégés à la fin du Moyen Âge. Un tel constat a des conséquences encore peu explorées sur la manière dont on pouvait concevoir les débuts du christianisme, dans un monde dans lequel les saints, et, en fait, derrière eux, leurs promoteurs, ont contribué à la fois à forger des identités territoriales et un sentiment d’appartenance à un même espace, façonné par le « grand légendier chrétien », dans lequel les martyrs des temps anciens avaient la part belle7. Lisons encore un autre maître, François Dolbeau, à ce sujet : Quant aux Passions de martyrs antiques, elles représentent – cela est bien connu – un pourcentage important des textes copiés dans les légendiers, et cela jusqu’à la fin du Moyen Âge. Dans n’importe quel monastère, on devait entendre au minimum un récit de ce genre par semaine. On sait moins que des textes sur les martyrs ont continué d’être rédigés durant toute la période : réécritures de passions antiques, ou bien textes nouveaux pour des cultes nouveaux, suscités par une vision, la trouvaille d’une inscription, d’un sarcophage, d’un squelette, etc. L’iconographie des martyrs est partout abondante (vitraux, peintures murales, statuaires). Il est donc étrange que les historiens, notamment ceux des mentalités, ne prêtent aucune attention aux Passions, au moins quand elles sont d’époque médiévale8.

L’importance de la littérature martyriale au Moyen Âge attend en effet encore d’être explorée : reproduisant le sacrifice christique, elle a pourtant fondé les représentations et les discours sur la violence en Occident9. Sans même parler des Passions, il est à craindre que la situation des historiens visà-vis de la matière hagiographique ne se soit guère améliorée : la bibliographie Ibid., p. 47. A.  Boureau, « Le grand légendier chrétien », dans Id., L’Événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 15-37. 8  F. Dolbeau, « Les travaux français sur l’hagiographie médiolatine (1968-1998) », Hagiographica, 6 (1999), p. 60-61. 9  Voir ce qu’écrivait J.  Delumeau à propos de la fonction sociale des martyrs et de leur culte dans Rassurer et protéger : le  sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, Paris, 1989, p. 227-228, notamment : « la destinée sanglante d’un héros chrétien créait, certes, une distance énorme entre le martyr et le chrétien ordinaire qui l’invoquait. Mais la puissance d’intervention du saint était à la mesure de cet écart ». P.  Buc, Guerre sainte, martyre et terreur. Les formes chrétiennes de la violence en Occident, Paris, 2017, malgré son titre, traite du martyre sans tenir compte de l’hagiographie médiévale. Il faut lire à propos de ce livre la mise au point de P. Henriet, « Christianisme et sainte violence. Les religions peuvent-elles évoluer  ? Notes critiques », Revue de l’histoire des religions, 3 (2020), p. 397-412. 6  7 

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Fernand Peloux

officielle proposée en 2020 et 2021 aux concours de l’enseignement en France sur le thème Écrit, pouvoirs et société en Europe (xiie-xive siècle), forte de plus d’un millier de titres, ne propose aux étudiants qu’une seule référence consacrée à la littérature hagiographique10, et cette dernière porte sur une étude de cas très localisée11. Pourtant, et malgré le poids du passé et des modèles, c’est bien au cœur de cette période que la production hagiographique manuscrite – contenue vers 1100 dans d’immenses légendiers – se transforme avec l’arrivée sur le marché du livre de légendiers abrégés qui ont largement inondé les bibliothèques autour de 1400. Durant cette période que les futurs professeurs français d’histoire ont été invités à scruter, l’hagiographie reste la matière narrative dominante. On a bien du mal à concevoir que l’étude des relations entre l’écrit, les pouvoirs et la société puissent donc en faire l’économie, et ce d’autant que des travaux lui sont consacrés depuis des décennies. Voilà un oubli inquiétant. Les contributions réunies dans ce livre proposent de regarder en aval : la culture hagiographique médiévale connaît indéniablement son dernier âge d’or entre le succès éditorial de la Légende dorée et l’arrivée de l’imprimerie12 . Les premiers temps des légendiers abrégés ont été étudiés, et notamment la genèse de la Légende dorée (1267) ou avant elle, les légendiers de Jean de Mailly et de Barthélemy de Trente13, mais il manque encore des études abordant Écrit, pouvoirs et société en Occident du début du xiie siècle à la fin du xive siècle (Angleterre, France, péninsule italienne, péninsule ibérique). Bibliographie d’orientation coordonnée par  M.  Allingri et A.  Mairey, avec les contributions de dix-neuf médiévistes, mise en ligne le 19 septembre 2019 sur le site de la Société des Historiens médiévistes de l’Enseigne­ ment Supérieur (SHMESP) : http://www.shmesp.fr/spip.php ?article890, 60 p., consultée le 04/05/2021. 11  R. Durand, « Le souverain vu du cloître. Hagiographie et idéologie royale au Portugal : le cas de Sainte-Croix de Coïmbre », dans Religion et mentalités médiévales au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, éd. S. Cassagnes-Brouquet et al., Rennes, 2003, p. 55-63. 12  La diffusion de la Légende dorée joue un rôle déterminant dans la tendance générale à l’accroissement des manuscrits hagiographiques : cf. M. Trigalet, « Compter les livres hagiographiques » et surtout les travaux de B. Fleith, « Legenda Aurea : destination, utilisateurs, propagation. L’histoire de la diffusion du légendier au xiiie et au début du xive siècle », dans Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, éd. S. Boesch Gajano, Fasano, 1990, p. 41-48 et Ead., Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda Aurea, Bruxelles, 1991. Expliquer les raisons d’un tel succès est l’objet de l’ouvrage récent de F. Coste, Gouverner par les livres. Les Légendes dorées et la formation de la société chrétienne (xiiie-xve siècles), Turnhout, 2021. Ce dernier a bien voulu relire et discuter le texte de cette introduction : qu’il en soit remercié. 13  Sur les légendiers qui ont précédé Jacques de Voragine, voir A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la “legenda nova” », dans Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo. Strutture, messaggi, fruizioni, éd.  S.  Boesch Gajano, Fasano, 1990, p.  23-39 ; Id., « Vincent de Beauvais et les légendiers dominicains », dans Lector et compilator. Vincent 10 

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l’articulation et la co-existence entre ces nouveaux légendiers et les légendiers traditionnels. Pour ce faire, il faudrait se concentrer sur une région donnée, dans laquelle on envisagerait globalement tous les manuscrits hagiographiques, qu’ils soient conservés14, ou qu’ils aient disparu15. En ce qui concerne le terminus de ce dernier âge d’or de la production manuscrite, on peut aisément le fixer au xvie siècle, avec d’une part l’irruption de l’imprimerie, et de l’autre la Réforme, qui constitue une rupture majeure dans l’histoire de l’Occident. Les travaux d’Alison Frazier pour l’Italie et de David J. Collins pour l’espace germanique ont montré qu’à la veille de la Réforme, on produit toujours des textes hagiographiques en nombre et qu’il ne faut donc pas sous-estimer l’intérêt porté pour cette littérature de la part des humanistes16. Alison Frazier compte dans la Biblioteca agiografica italiana 1040  manuscrits dont 70% datent du xve siècle17. L’imprimerie arrive au plus fort de l’édition hagiographique. Elle représente 12% des incunables et ce support, et la standardisation qu’il induit, contribue à transformer les usages qui sont faits de l’hagiographie manuscrite, car les deux types d’écrits se sont longtemps côtoyés. de Beauvais, frère prêcheur, un intellectuel et son milieu au xiiie  siècle, éd.  S.  Lusignan et M.  Paulmier-Foucart, Grâne, 1997, p.  113-125 et G.-P.  Maggioni, « La  trasmissione dei Leggendari abbreviati del xiii  secolo », Filologia Mediolatina, 9  (2002), p.  87-107. De précieuses éditions existent désormais : Barthélemy de Trente, Liber epilogorum in gesta sanctorum, éd. E. Paoli, Florence, 2001 et Jean de Mailly, Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum : supplementum hagiographicum, éd. G.-P. Maggioni, Florence, 2013. 14  C’est le récent vœu de F. Dolbeau, « Faire l’expertise de manuscrits ou de collections hagiographiques », dans Ingenio facilis. Per Giovanni Orlandi (1938-2007), éd. P. Chiesa et al., Florence, 2017, p. 110. 15  À cet égard, l’étude de J.-M. Matz, « Les manuscrits hagiographiques des églises d’Angers à la fin du Moyen Âge », dans Scribere sanctorum gesta  : recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. E. Renard et al., Turnhout, 2005, p. 261-281 est particulièrement précieuse. Sur les mentions de manuscrits hagiographiques dans les inventaires, cf. J.-L. Lemaitre, « Les livres liturgiques et hagiographiques dans les inventaires des bibliothèques médiévales », Cultus sanctorum (cults, saints, patronage, Hagiography), quaestiones medii aevi novae, 14 (2009), p. 83-108, repris dans Id., Precamur fraternitatem uestram. Autour des livres, du nécrologe au martyrologe. Choix d’articles publiés de 1984 à 2008, éd. P. Henriet, Genève, 2019, p. 617-646. 16  A.  Frazier, Possible Lives : Authors and Saints in Renaissance Italy, New-York, 2005 et D. J. Collins, Reforming saints : Saint’s lives and their authors in Germany, 1470-1530, Oxford, 2008. 17  A.  Frazier, « Spreading the Word about Saints in Manuscript and Print », dans The saint beetween manuscript and print, éd. Ead., Toronto, 2015, p. 36 ; d’après J. Dalarun et C. Leonardi et al. Biblioteca agiografica italiana, BAI : repertorio di testi e manoscritti, secoli xiii-xv, Florence, 2003, cf. Eid., « Biblioteca agiografica italiana. Du projet à la publication », Mélanges de l’École française de Rome, 115-1 (2003), p. 7-40. Voir aussi l’étude récente d’un légendier vernaculaire italien de la fin du xve siècle : L. Ingallinella, « Lo scrittoio volgare d’un agiografo umanista : il Catalogo de li santi del ms. Houghton, Typ. 142 », dans Studi di filologia offerti dagli allievi a Claudio Ciociola, Pise, 2020, p. 135-154.

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Fernand Peloux

À la fin du Moyen Âge, de nombreux textes anciens sont abrégés pour intégrer de nouvelles collections. Ce phénomène est en partie responsable du relatif désintérêt des historiens à l’égard de ces collections tardives : à quoi bon s’intéresser à ces textes courts et à ces manuscrits alors qu’il reste tant à découvrir dans ceux du Moyen Âge central18, et qu’on commence à peine à mieux connaître les tout premiers manuscrits conservés ?19 Des travaux récents ont pourtant montré combien on gagnait à ne pas considérer ces manuscrits tardifs et les collections qu’ils transmettent comme de seuls réservoirs de textes, mais comme des objets en soi dont il faut comprendre la logique intrinsèque, la fabrication, la circulation et les usages. L’analyse du légendier de Bernard Gui par Agnès Dubreil-Arcin est à cet égard exemplaire : c’est une partie de l’histoire de l’ordre dominicain qui se déploie, dans ses aspects institutionnels, intellectuels, religieux et liturgiques, mais c’est aussi l’histoire de l’insertion de l’ordre au sein du tissu social qui est perceptible à travers l’analyse. Le poids des saints du sud-ouest de la France dans une collection qui se voulait universelle, montre en réalité l’ancrage territorial d’un légendier aux prises avec le terrain dans lequel il a été composé20. La situation de la connaissance des collections en langue vernaculaire semble bien meilleure. De ce point de vue, il faut souligner l’importance des travaux fondateurs de Paul Meyer21. Depuis, les romanistes n’ont pas cessé d’explorer ces manuscrits et les textes qu’ils contiennent. Une place particulière doit être faite au livre de Pamela Gehrke paru en 1993 : Saints and scribes. Medieval hagiography in its manuscript context 22 . Cet ouvrage s’attachait à comprendre les scribes et les éditeurs de textes hagiographiques en langue romane en partant des recueils pris comme un ensemble : Pamela Gehrke montrait alors que l’organisation des manuscrits révèle les projets de leurs concepteurs. Elle construit son étude en examinant quatre témoins : le premier est composé dans un but didactique et s’adresse à des laïcs pour qui la vie ascétique est impossible (BNF, fr.  2162) ; le second Voir par exemple T. Snijders, Manuscript communication : visual and textual mechanics of communication in hagiographical texts from the southern low countries, 900-1200, Turnhout, 2015, qui s’appuie sur 169 exemplaires. 19  M. Goullet (coord.), Le légendier de Turin : ms. D.V.3 de la bibliothèque nationale universitaire, Florence, 2014. 20  A. Dubreil-Arcin, Vies de saints, légendes de soi : l’écriture hagiographique dominicaine jusqu’au Speculum sanctorale de Bernard Gui (1331), Turnhout, 2011. 21  Voir notamment sa synthèse : P. Meyer, « Légendes hagiographiques en français, I. Légendes en vers et II. Légendes en prose », Histoire littéraire de la France, t. 33, Paris, 1906, p. 328-458. 22  P. Gehrke, Saints and scribes. Medieval hagiography in its manuscript context, Berkeley, 1993. 18 

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contient des textes rassemblés dans le but de divertir des croisés (BNF, fr. 1374) ; le troisième, destiné à un bourgeois désireux d’alternatives spirituelles en dehors des seuls cadres ecclésiastiques, est composé à la fois de Vies d’ermites et de romans épiques du cycle du Graal (Berkeley, Bancroft Library, ms. 106) ; le dernier enfin, centré sur la figure de saint François, semble avoir été fait dans le Tiers-Ordre ou bien par des franciscains pour un public laïc (BNF, fr. 2094). Enfin, il faut mentionner l’importance de la base de données Jonas qui recense l’ensemble des textes hagiographiques romans connus23. Elle compte plus de 3500 œuvres et 200 recueils hagiographiques. Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux contenus actuellement dans la base Légendiers latins (près de 14 000 textes pour 7000 manuscrits), pourtant très largement incomplète : l’écrasant nombre des manuscrits latins explique en partie la longueur de la tâche de recensement qu’il reste à accomplir24. L’espace septentrional retenu ici correspond à l’espace belge actuel et à une large France du Nord (Bretagne, Normandie, espace parisien) sans qu’on s’interdise une excursion dans l’espace circonvoisin de la cité de Trèves. Politiquement, linguistiquement, il s’agit d’un espace très divers et les études hagiologiques menées y sont inégalement réparties. L’espace belge, terrain premier des Bollandistes, a fait l’objet de davantage de recherches. Ailleurs, les études sont plus rares. L’hagiographie vernaculaire se taille une part considérable, avec les travaux de Jean-Pierre Perrot25, Anne-Françoise Leurquin26 et Martine Thiry-Stassin, qui a par ailleurs porté une attention particulière aux communautés féminines27. Dans le domaine latin, il faut mentionner le travail de Véronique Souche, consacré à l’immense œuvre hagiographique de Jean Gielemans (1427-1487), qui mit en chantier à l’abbaye de Rouge-Cloître

http://jonas.irht.cnrs.fr/, consultée le 04/05/2021. La publication de cette base de données pensée à Namur par Guy Philippart et mise en œuvre principalement par Michel Trigalet est en cours par l’IRHT. Elle doit être encore enrichie des données tirées des fiches papiers des Bollandistes. En attendant, la BHLms, qui recense les textes et les manuscrits parus dans les catalogues hagiographiques publiés par les Bollandistes reste consultable : http://bhlms.fltr.ucl.ac.be/ 25  J.-P. Perrot, Le passionnaire français au Moyen Âge, Genève, 1992. 26  En particulier sa thèse de doctorat : A.-F. Leurquin-Labie, Les légendiers en prose française à la fin du Moyen-Âge (région picarde et Flandre française) avec une édition critique de vingt Vies de saints, thèse de doctorat sous la direction de J. Monfrin, Paris, 1985. 27  Voir notamment M. Thiry-Stassin, « Les légendiers en prose française écrits dans la Belgique actuelle : le cas du Leiden, BPL, 46A (Huy) et du KBR II 2243 (Namur) », Le Moyen Français, 46-47 (2000), p.  563‑575 et « Un  légendier propre pour les Blanches Dames de Namur (xve siècle) », dans Le recueil au Moyen Âge. La fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et S. Marzano, Turnhout, 2010, p. 303-313. 23 

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plusieurs manuscrits28. Chez cet auteur s’entremêlent à la fois des modèles hagiographiques anciens, l’exaltation patriotique du Brabant et une spiritualité marquée par la Devotio moderna, trame de fond dévotionnelle à l’œuvre dans de nombreuses communautés religieuses des Pays-Bas méridionaux. Paul Bertrand a bien noté que la « grande tradition de la Devotio moderna – ce mouvement de réforme de grande ampleur au xve siècle » a été couplée à « une obsession de collection qui naît alors, une sorte d’obsession encyclopédique des saints »29. Signe de la fécondité des recherches menées sur cet espace, on peut mentionner la parution dans un récent volume d’Hagiographies. Histoire internationale de l’hagiographie latine et vernaculaire d’une synthèse sur les œuvres produites dans l’espace belge, sous la plume de Valerie Vermassen pour l’hagiographie latine et de Werner Verbeke pour celle en vers et en moyen néerlandais, en attendant la parution de son chapitre sur l’hagiographie néerlandaise en prose pour un prochain volume30. La situation linguistique du nord de la France et de la Belgique actuelle oblige à poser les questions essentielles des usages, du public, et de la réception du discours hagiographique. Dans leur immense majorité, les chercheurs se sont concentrés sur un domaine linguistique unique. Notons tout de même que les spécialistes d’hagiographie vernaculaire ont systématiquement cherché les sources latines des pièces qu’ils ont étudiées. L’inverse n’est pas avéré : les spécialistes d’hagiographie latine se sont rarement intéressés à ce que devenaient les textes latins. Un des buts de cet ouvrage est de proposer des réflexions communes, en rassemblant des études traitant de plusieurs langues : dès son origine, le programme d’Hagiographies a aussi insisté sur la nécessité d’associer les latinistes et les spécialistes des langues vernaculaires31. La distinction entre hagiographie latine et vernaculaire n’est nullement artificielle : il apparaît clair au premier abord que les manuscrits en langue vernaculaire et en latin n’ont ni le même public, ni les mêmes usages. Reste qu’on ne peut V. Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme  : glorification du Brabant dans l’œuvre hagiographique de Jean Gielemans (1427-1487), Turnhout, 2007. 29  P. Bertrand, « Une sociologie de l’édition hagiographique  : la sainteté franciscaine du xiiie au début du xvie s. », dans Le silence du cloître : l’exemple des saints, xive- xviiie siècle, éd. L. Viallet et F. Meyer, Clermont-Ferrand, 2011, p. 248. 30  V. Vermassen, « Latin hagiography in the Dutch-speaking parts of the Southern Low Countries (1350-1550) », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature latine et vernaculaire des origines à 1550, vol. vii, éd. M. Goullet, Turnhout, 2017, p. 565-613 et W. Verbeke, « La littérature hagiographique en moyen néerlandais (vers 1170-1550). Les légendes rimées », ibid., p. 615-755. 31  G.  Philippart, « Introduction », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, vol. I, éd. Id., Turnhout, 1994, p. 16. 28 

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toutefois généraliser : on connaît des manuscrits latins et vernaculaires issus d’une même communauté. Un exemple le montre.

2. Un exemple : les manuscrits hagiographiques de l’abbaye cistercienne de Loos, près de Lille Sur les cent-cinquante-neuf manuscrits signalés par Antoine Sanders, seuls cinquante-neuf manuscrits de l’abbaye cistercienne de Notre-Dame de Loos sont parvenus dans le fonds ancien de la bibliothèque municipale de Lille32 . Malgré leur signalement par Anne Bondéelle-Souchier, ils ont été peu étudiés33. Parmi les manuscrits en provenance de cette abbaye fondée en 1146 par le comte de Flandre Thierry d’Alsace, on trouve quelques manuscrits hagiographiques. Le premier est un recueil du xive siècle en langue d’oïl qui contient 168 textes tirés du légendier de Jean de Mailly (ms. 451)34. Les autres sont des manuscrits latins (ms. 92, 449, 450) dont le contenu n’a pas encore été relevé. L’étude de ces recueils serait à terme tout à fait souhaitable : François Dolbeau a émis ce vœu à propos de l’un d’eux dans lequel se trouve un prologue dont il a donné pour la première fois l’édition (ms. 450)35. Pour sa partie hagiographique, ce manuscrit du xive siècle porte 112 textes abrégés, dont l’intérêt pour la transmission de certains dossiers ne saurait être négligé : au fol. 53v, la vierge du diocèse d’Amiens Ulphia fait l’objet d’un texte. Si les Bollandistes ont connu une Vie (BHL 8371) à partir d’un manuscrit d’Abbeville envoyé à Rosweyde, aucun manuscrit n’en est conservé aujourd’hui36. A.  Sanders, Bibliotheca Belgica Manuscripta, siue elenchus universalis codicum…, Lille, 1641 et H. Rigaud, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, bibliothèque municipale de Lille, Paris, 1885, p. 14 sqq. 33  A. Bondéelle-Souchier, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale : répertoire des abbayes d’hommes, Paris, 1991, p.  197-202. Le  désintérêt dans lequel ils se trouvent est regretté encore récemment par X.  Hermand, « Scriptoria et bibliothèques dans les monastères cisterciens réformés des Pays-Bas méridionaux au xve siècle », dans Les cisterciens et la transmission des textes (xiie-xviiie siècles), éd. T. Falmagne et al., Turnhout, 2018, p. 89. 34  J’utilise les nos du CGM cité à la n. 32. Sur les problèmes de cotation des manuscrits de la BM de Lille, il faut se reporter à J.-C. Lemaire, Les cotes des manuscrits de la bibliothèque municipale de Lille : concordances, Liège, 2007. Sur le ms. 451 voir surtout la notice de la base Jonas (http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/28954, consultée le 04/05/2021) et, récemment, P. Tylus, « À propos d’un nouveau manuscrit de l’Abrégé des gestes et miracles des saints de Jean de Mailly en ancien français », Revue d’histoire de l’Église de France, 100/2 (2014), p. 377-383. 35  F.  Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », dans Les prologues médiévaux, éd. J. Hamesse, Turnhout, 2000, p. 376 (éd. p. 393). 36  Sur ce dossier, je me permets de renvoyer à F. Peloux, « L’écriture hagiographique dans le diocèse d’Amiens (c.  viiie-xie siècle) », dans Hagiographies, Histoire internationale de 32 

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Pour un autre saint, Bandaridus de Soissons, orthographié ici Bandalidus (fol. 98v), sa Vie a été éditée également par les Bollandistes (BHL 912), mais il n’en subsiste qu’un manuscrit du xve siècle. Le manuscrit de Loos est donc à ce jour le plus ancien témoin d’un texte relatif à ce saint. Le ms. 449 quant à lui est composite. Le cœur, rédigé au xiie siècle, est un petit légendier thématique : apôtres, martyrs et confesseurs. À ce noyau sans saints locaux, on a ajouté en tête et en queue (fol. 1-7 et 194-239), au xve siècle, les Vies de Firmin, Bertin, Piat, Quentin, Sauve et d’autres. Pour s’y retrouver, au fol. 5v, à la fin du premier ajout, une table est adjointe, intitulée : Incipiunt intitulationes sanctorum quorum passiones vel vite in hoc libro continentur. Une  dernière unité codicologique porte enfin la Vie de Gérard de Brogne (BHL 3422), écrite dans les années 107037, qui se termine (fol. 239v) par un petit glossaire naguère édité en 183938. Le copiste donne clairement son but : In hac predicta vita invenies ista difficiliora vocabula. Scilicet. Suivent vingtdeux mots plus ou moins précieux ou archaïsants et leur équivalent dans un latin plus quotidien, actualisé (ex. Arx : id est altitudo ; Argolico : id est greco ; Inuolatores : id est fures, etc.). La présence de cet outil témoigne de l’intérêt particulier des moines de l’abbaye de Loos pour la compréhension de ce texte dont la qualité littéraire a bien été notée par son dernier éditeur39. Ce  petit glossaire s’inscrit dans une volonté de rationalisation des lectures hagiographiques – typique de la fin du Moyen Âge – qui a conduit à la reprise de cet ancien manuscrit hagiographique du xiie siècle et à son adaptation pour que soient lus aussi des textes hagiographiques régionaux. On serait tenté d’y voir aussi une volonté de meilleure observance de la vie monastique dans un mouvement de réforme récemment étudié dans ses implications par Xavier Hermand40. Ce dernier a l’hagiographie latine et vernaculaire, vol.  viii, éd.  M.  Gaillard et M.  Goullet, Turnhout, 2020, p. 439-442. 37  Sur ce texte voir en dernier lieu J. R. Webb, « Hagiography in the diocèse of Liège (9501130) », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature, vol. vi, éd. M. Goullet, Turnhout, 2014, p. 851-852. 38  A.-J. Le Glay, « Mémoire sur les bibliothèques publiques et les principales bibliothèques particulières du département du Nord », Mémoires de la société royale des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille, (1839), p. 57. 39  L. von Heinemann, MGH, SS, t. xv/2, Hanovre, 1888, p. 654-673, spéc. p. 655 : Bene literatus fuit libri auctor, veterum poetarum, Vergilii, Ouidii, Horatii necnon Venantii, Sedulii Auiani sententiis sermonem suum putidum illuminavit versibusque hexametris et rhytmicis exornavit. 40  Voir notamment X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques » ; Id., « Réforme, circulation de scribes et transferts de manuscrits dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Liège au xve  siècle », Scriptorium, 64 (2010), p.  3-80. Pour un exemple méridional du lien entre confection d’un libellus hagiographique et réforme, voir C. Caby, « Écrire la Vie d’Honorat

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par ailleurs noté que la Vie de Gérard, finalement peu diffusée, était connue également dans l’abbaye cistercienne du Jardinet où elle fut copiée en 145841. On voit là la circulation de textes communs dans les monastères cisterciens réformés : à  Brogne même, monastère bénédictin d’où vient ce texte, c’est un cistercien de Florennes qui entreprit de restaurer la discipline en 144742 . On entrevoit les canaux réformateurs qui ont permis la diffusion de ce texte ancien nécessitant d’être compris, et donc explicité. Reste le ms. 92, composite également, ainsi qu’incomplet. Il s’ouvre avec les Dialogues de Grégoire le Grand, suivis d’une table (fol. 99v) et de quelques textes ne concernant que des saints universels. Il ne manque à cet ensemble que quelques saints ainsi que des œuvres de Bernard de Clairvaux, annoncés dans la table. Une telle configuration n’est pas sans rappeler le ms. 93 du xve siècle, recueil d’œuvres de saint Bernard, dans lequel la Vie de Malachie est suivie de celles d’Edmond de Canterbury et de Guillaume de Bourges. Ce très bref exemple illustre parfaitement la situation historiographique dans laquelle peuvent se trouver les manuscrits hagiographiques tardifs. Les  Bollandistes n’ayant pas publié de catalogue des manuscrits hagiographiques de la bibliothèque municipale de Lille, les manuscrits de Loos sont tombés dans l’oubli, du moins chez les spécialistes d’hagiographie. Mais il n’y a pas que cela : Lille est une grande ville universitaire et une terre de médiévistes. Aucun d’eux ne s’est penché sur cette documentation alors qu’un survol aussi incomplet que celui que je viens de proposer permet immédiatement d’en déceler la richesse. Pourquoi ? Parce qu’ils sont tardifs, sans décoration ? Combien de bibliothèques en recèlent de semblables ? Il  y  a là un chantier immense auquel ce livre aimerait modestement ajouter sa pierre. Notons d’emblée la diversité typologique dans laquelle les manuscrits de Loos nous à Lérins au début du xve siècle. Autour de la Vita Honorati du manuscrit Stresa, Biblioteca Rosminiana,  4 », dans Lérins, une île sainte dans l’Occident médiéval, éd.  Y.  Codou et M. Lauwers, Turnhout, 2009, p. 669-730. 41  Namur, Bibliothèque de la Ville, ms. 76. Outre par ce manuscrit, et désormais celui de Lille, cette Vie n’est connue que par un ms. de Mons, originaire de Saint-Ghislain du xiie siècle (Mons, BM 27), par le ms. de Londres, BL, Add. 10050 du xiie siècle, mais aussi grâce à la collection d’Antoine Geens de Rouge-cloître (KBR, ms. 11987) sur laquelle voir désormais V. Vermassen dans Hagiographies, vol. vii, p. 605-606. Il faut enfin mentionner le Bollandianus 288, copié en 1464 par l’ermite augustin Arthur Reynier (Vermassen, ibid., p. 582). 42  X.  Hermand, « Scriptoria et bibliothèques », p.  120-121. Voir aussi G.  Philippart, « Un petit légendier des cisterciens du Jardinet, de la fin du xve siècle  ? (Ville de Namur, cod. 73, fol. 95-130) », Annales de la Société archéologique de Namur, 69 (1995), p. 167-224, et sur la réforme au Jardinet : X. Hermand, « Les relations de l’abbaye cistercienne du Jardinet avec des clercs réformateurs des diocèses de Cambrai et de Tournai (2e moitié du xve s.) », Revue Mabillon, 13 (2002), p. 237-263 et Id., « Réformes, circulation de scribes et transferts de manuscrits ».

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plongent : légendier vernaculaire, miscellanées, vieux légendier remis au goût du jour, légendier abrégé au sanctoral local marqué. Ont-ils fonctionné ensemble ? Comment s’organisait la bibliothèque hagiographique de l’abbaye ? Autant de questions qui amènent à celle des usages et des destinataires de ces objets.

3. Usages des manuscrits hagiographiques En ce qui concerne les manuscrits en langue vernaculaire, il est bien difficile de connaître leurs destinataires et leurs usages. Certains sont bien organisés per circulum anni, mais faut-il pour autant, comme le font les spécialistes de ce domaine, les qualifier de « légendiers liturgiques » ? Nullement. Même dans le domaine latin, lorsqu’un légendier porte des saints dans l’ordre du calendrier, tous ne font pas l’objet d’un culte liturgique dans l’abbaye où ce même légendier est utilisé : à Moissac dans le sud de la France, sur les 150 saints présents dans le grand légendier du xie siècle, seuls 90 apparaissent dans les manuscrits liturgiques de l’établissement, qui totalisent pourtant plus de 350 saints43. Dans le cas d’un légendier de Sainte-Marie de Trastevere, François Dolbeau a souligné pour sa part la grande proximité entre le sanctoral du légendier et celui de la collection de reliques de l’abbaye44. Comment le manuscrit hagiographique s’articule-t-il aux sanctoraux des établissements tels qu’on peut les connaître au travers des manuscrits liturgiques ou bien des listes de reliques ? L’enquête a été trop rarement menée et il faudrait, à chaque fois que c’est possible, proposer des études de cas –  entreprise fastidieuse, mais qui permettrait un jour une synthèse. Les ouvrages rédigés en latin restent, dans le temps long de la production hagiographique, destinés à des communautés religieuses, même si cela peut changer à la fin du Moyen Âge, avec le développement de pratiques individuelles de lecture, la constitution de bibliothèques privées et plus largement la mise en place d’une « chrétienté citoyenne », caractérisée par « l’ingérence progressive des fidèles dans l’espace fonctionnel des clercs et la municipalisation afférente des pôles et des instruments de la sacralité urbaine »45. La réDénombrement expliqué dans F.  Peloux, « Le légendier de Moissac à l’époque clunisienne », dans Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an mil, éd. Id., Turnhout, 2018, p. 446-450. 44  F. Dolbeau, « Notes sur deux collections hagiographiques conservées à la Bibliothèque Vaticane », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, Temps modernes, 87-2 (1975), p. 397-424. 45  D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes : l’Église et l’architecture de la société, 12001500, Paris, 2016, p. 72-73. 43 

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ception de la littérature hagiographique et l’usage des manuscrits liturgiques sont restés longtemps un impensé de la recherche, ou du moins, ont trop souvent été traités a  priori : les  saints sont populaires, donc l’hagiographie est populaire. La  popularité des saints est certaine. De  ce point de vue, ce qu’écrivait Huizinga en 1919 est particulièrement juste : à la question – toujours d’une grande pertinence – « quelle réalité ,́ quelle valeur représentative les saints avaient-ils dans la croyance populaire du Moyen Âge ? », il répondait : « À cette question, il n’est qu’une seule réponse : les saints étaient des figures si réelles, si matérielles et si familières de la religion courante, qu’ils attirèrent à eux toutes les manifestations religieuses de nature superficielle ou sensuelle »46. Superficielle ou sensuelle – ces mots mériteraient un long commentaire, et ce jugement n’est pas sans rappeler la Christian Materiality qui caractériserait la religion occidentale de la seconde moitié du Moyen Âge selon Caroline Bynum47. Si les saints sont des figures « réelles », « matérielles » et « familières » de la religion courante, qu’en est-il de leurs légendes ? Huizinga poursuit : Tandis que les émotions profondes allaient au Christ et à sa mère, tout un amas de croyances et d’imaginations naïves se cristallisaient autour des saints. Tout contribuait à les rendre familiers et vivants. L’imagination populaire s’en était emparée : ils avaient leurs formes et leurs attributs spéciaux, on connaissait leurs épouvantables martyres et leurs étonnants miracles48.

Rien n’est moins sûr. De manière générale, lorsqu’on a quelques éléments pour mesurer la réception du discours hagiographique, ce n’est que de manière indirecte. Se vouer à un saint, le prier, aller en pèlerinage, est-ce avoir nécessairement assimilé un récit hagiographique ? Comme l’a noté justement Guy Philippart, « les cultes populaires s’accommodent parfaitement de l’absence de vitae »49. Et que dire encore des contempteurs des saints, que nombre de sources permettent d’entrevoir ? Le prédicateur Jean Lailler, en 1484, ne déclarait-il pas devant son auditoire parisien : « on n’est point plus tenu de croire aux légendes des saints qu’aux Chroniques de France »50 ! J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p. 151. C.  W. Bynum, Christian materiality : an essay on religion in late medieval Europe, New York, 2011. 48  J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p. 151. 49  G.  Philippart, « L’édition médiévale des légendiers dans le cadre d’une hagiographie générale », dans Hagiography and Medieval Literature. Proceedings of the 5th International Symposium, éd. H. Bekker-Nielsen et al., Odense, 1981, p. 135. 50  cité par N. Balzamo, Les miracles dans la France du xvie siècle : métamorphoses du surnaturel, Paris, 2014, p. 67. 46  47 

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Et, bien avant lui, un auteur d’une branche du Roman de Renart, vers 1200, s’adressait ainsi à ses lecteurs : Il me faut maintenant vous raconter quelque chose dont je peux tous vous faire rire, car je sais bien, c’est la pure vérité, que vous n’avez cure d’entendre un sermon ou la vie d’un saint ; de cela vous n’avez aucune envie, mais plutôt de quelque chose qui puisse vous faire plaisir51.

Contempteurs de cette littérature cléricale, mais aussi moqueurs donc. Johan Huizinga le sait bien, qui rappelle le « comique grossier des Cent nouvelles nouvelles, qui joue sur l’homonymie de saints et seins ou emploie dans un sens obscène les mots bénir et confesser »52 . La réécriture hagiographique, Monique Goullet l’a rappelé, se fait aussi sur « un mode ludique » et « les textes parodiques sont plus fréquents à la fin du Moyen Âge »53 : n’en déplaise à l’auteur de la Confession Renart, l’hagiographie pouvait aussi divertir. Un récolement de toutes ces mentions d’usage, de réception, et parfois de rejet de l’hagiographie permettrait de mesurer la juste place de la littérature hagiographique dans le tissu social et par là, on saisirait mieux encore les manuscrits hagiographiques, notamment en dehors des seules communautés religieuses54. Dans ce cadre, les lectures hagiographiques sont attestées pour l’office, à matines, mais aussi au réfectoire, ou au chapitre. On peut utiliser un lectionnaire de l’office, manuscrit préconçu pour ce type de lecture communautaire, avec des textes calibrés, découpés en leçons. À la fin du Moyen Âge, le discours hagiographique se lit aussi dans les innombrables bréviaires, qui furent de très loin les véritables best-sellers de l’imprimerie55, si riches pour étudier le sanctoral, et encore à peine étudiés systématiquement dans cette perspective : comment abrègent-t-ils les textes ? Quels sont leurs modèles ? 51  Or me covient tel case dire/ Dont je vous puis tous faire rire/ Car je sai bien, çou est la pure/ Que de sermon n’avés vous cure/ Ne de cor saint oïr la vie / De ce ne vous prent nule envie/ Mais de tel case qui vous plaise : A. Strubel, R. Bellon, D. Boutet et S. Lefèvre (éd.), Le Roman de Renart, éd., Paris, 1998, p. 163. Je remercie Nicolas Minvielle d’avoir attiré mon attention sur ce passage. 52  J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p. 101. L’édition la plus récente est celle de F. P. Sweetser (éd.), Les cent nouvelles nouvelles, Genève, 1966. 53  M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques  : essai sur les réécritures de Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie  s.), Turnhout, 2005, p.  218-229. Sur  les parodies hagiographiques au xvie siècle, voir encore N. Balzamo, Les miracles, p. 68. 54  C’est ce qu’a appelé à faire Guy Philippart à plusieurs reprises, voir notamment : G. Philippart, « Pour une histoire générale, problématique et sérielle, de la littérature et de l’édition hagiographique latines de l’antiquité et du Moyen Âge », Cassiodorus, 2 (1996), p. 197-213. 55  M. Milway, « Forgotten Best-Sellers from the Dawn of the Reformation », dans Continuity and Change. The Harvest of Late Medieval and Reformation History. Essays Presented to Heiko A. Oberman on his 70th Birthday, éd. R. J. Bast et A. C. Gow, Leyde, 2000, p. 124, 141.

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Une étude sur la Vie de sainte Aure de Paris a montré tout ce que l’historien peut tirer de l’analyse de tels livres : la transmission du texte « est abondante, si l’on inclut les leçons des bréviaires ; médiocre si l’on s’en tient aux légendiers et lectionnaires hagiographiques »56. Il  faut donc bien se garder de tirer des conclusions sur la diffusion d’un récit hagiographique, si l’on ne regarde pas le contenu des bréviaires. François Dolbeau a permis de prendre en compte l’incroyable diversité des choix opérés dans le sanctoral de ces derniers, dont les textes vont en se raccourcissant d’année en année. Dans les bréviaires manuscrits, imprimés, incunables et post-incunables se trouvent encore de nombreux textes inédits. En Écosse, une bonne part de la littérature hagiographique de ce pays passé à la Réforme a été détruite : des dizaines de textes ne nous sont plus connus que par le bréviaire d’Aberdeen de 151057. Un moyen souvent utilisé pour tenter de cerner les commanditaires ou les destinataires des manuscrits est de comprendre l’agencement des textes qui les composent afin d’éclairer les buts et les usages attendus, l’horizon d’attente des collections. C’est ce que proposa Guy Philippart en étudiant « un petit légendier des cisterciens du Jardinet, de la fin du xve siècle »58. Il concluait : « à l’ère de l’humanisme et de la renaissance, l’individu, mieux outillé, est davantage soucieux de se prendre en charge et de déterminer les orientations de sa “culture” privée ». C’est là un point essentiel qui différencie très nettement la fin du Moyen Âge dans l’histoire de l’édition hagiographique : le poids des pratiques individuelles dans la fabrique des manuscrits. Un exemple, du côté de l’abbaye bénédictine de Saint-Trond, dans un manuscrit du xve siècle (Liège, bibliothèque universitaire, ms no 278)59 : sur le premier feuillet, l’ex-libris donne le nom de son possesseur, le moine Trond de Gembloux60, suivi des mentions Nisi in Deo gaudium et d’un jeu de mots – qui, au passage, sied à merveille à nos études hagiologiques – Patience, passe science. Le manuscrit est un libellus principalement consacré à saint Trond. L’intérêt pour ce saint n’a jamais cessé : vers 1400, une Vie en vers et en néerlandais est rédigée. Le manuscrit étant fragmentaire, il ne reste que 384 vers d’une œuvre qui devait en contenir 7700 et qui fut ensuite mise en prose dans le courant F. Dolbeau, « Vie et miracles de sainte Aure, abbesse, jadis vénérée à Paris », Analecta Bollandiana, 125 (2007), p. 30 et, p. 73-90 (analyse des bréviaires). 57  A.  Macquarrie et R.  Butter (éd.), Legends of scottish saints : readings, hymns and prayers for the commemorations of Scottish Saints in the Aberdeen Breviary, Dublin, 2012. 58  G. Philippart, « Un petit légendier ». 59  Voir son contenu dans « Catalogus codicum hagiographicorum Bibliothecæ publicæ Civitatis et Academiæ Leodiensis », Analecta Bollandiana, 5 (1886), p. 358-361. 60  Liber monasterii sancti Trudonis in Hasbania, in usum fratris Trudonis de Gemblaco in Gallobrabantia. 56 

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du xve siècle61. Après la confection du libellus du moine Trond de Gembloux, le saint fit encore l’objet de plusieurs œuvres, à commencer par celles du moine de Saint-Trond, Petrus Crullus62 . Ce manuscrit montre l’intérêt d’un moine pour le saint dont il porte le nom et plus largement pour l’histoire sainte de son monastère. On  possède encore un recueil du xvie  siècle tout à fait comparable (Liège, bibliothèque universitaire, ms no 41) : il contient la Vie de saint Trond par Thierry de Saint-Trond (BHL 8323 et 8324), suivie du livre II des miracles du saint (BHL 8327). L’ensemble s’accompagne d’un très copieux dossier relatif à Amand d’Elnone63. Le propriétaire du volume a inscrit son nom au premier feuillet : frater Amandus de sancto Trudone, le frère du monastère, Amand64. Comme dans le cas précédent, on imagine dans ce libellus une commande individuelle, destinée à explorer ce qui fait justement une partie de l’individualité : le nom qui se confond parfois avec son saint patron en religion. Ces moines, on peut le supposer, ont bien lu et assimilé ces légendes au point qu’elles ont aussi en quelque sorte contribué à construire leurs individualités. Il est à noter que la confection de ce livret accompagne probablement un mouvement de réforme à Saint-Trond, dans lequel les moines de Saint-Amand jouèrent justement un rôle dès 152065. Motivations individuelles, intérêts communautaires et projet de réforme se mêlent étroitement dans ce manuscrit. Quand un établissement donné met en chantier un légendier, quel est le rapport entre celui-ci et les collections hagiographiques déjà présentes, non seulement en son sein, mais plus largement dans l’espace qui l’entoure ? Nombre d’établissements ne font pas de nouveau manuscrit hagiographique. On ne négligera pas du reste les traces de l’utilisation, à la fin du Moyen Âge, de manuscrits produits dans les siècles précédents, qui peuvent-être relus, supplémentés, rendus plus maniables (tables, foliotation, normalisation linguistique, etc.). Les cas sont nombreux, pour qui veut les relever : on connaît un légendier du xiie siècle de Stavelot, dont les manques ont été complétés par une main de la toute fin du Moyen Âge (KBR, II 1181) ; le légendier de Les deux se trouvent dans le ms. KBR, IV 175, cf. Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden : Provinciaal Museum voor Religieuze Kunst, Begijnhofkerk, Sint-Truiden  : 28 juni-5 oktober 1986, Louvain, 1986, p. 116-119 et W. Verbeke, « La littérature hagiographique », p. 692. 62  Voir BU Liège, 19, 78A et 366 cf. Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden, p. 120-124, 289. 63  « Cat. cod. hag. bib. publicæ Civitatis et Academiæ Leodiensis », p. 319-320. 64  Notons que saint Amand fit aussi l’objet en  1525 d’un libellus : le ms.  KBR 21001 (VdG 3266), cf. Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden, p. 131-134. 65  Cf. X. Hermand, « La réforme de l’abbaye de Saint-Trond et les réseaux monastiques au début du xvie siècle. Autour d’un recueil de textes réformateurs  : Bruxelles, Bibliothèque royale, 20929-20930 », Revue Bénédictine, 112 (2002), p. 356-378. 61 

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l’abbaye bénédictine de Saint-Ghislain du xie siècle fait l’objet d’un investissement particulier au xve siècle (KBR II 984) : une main a systématiquement repris certains textes, en repassant sur ce qui n’était pas lisible, ou bien en transcrivant les titres ; dans le même codex, un texte incomplet, la Vie de Marie l’Égyptienne, a été complété par des feuillets, toujours au xve siècle, et de manière tout à fait continue (fol. 72-78). On a donc un légendier qui a eu une durée de consultation d’environ 500 ans, même si celle-ci a pu se faire de manière discontinue. Analyser des manuscrits hagiographiques à une échelle géographique bien circonscrite permet de comprendre comment le discours hagiographique, et le manuscrit qui le véhicule, se déploient dans l’espace à la fin du Moyen Âge. Quittons le Nord pour un exemple toulousain. Dans un Languedoc bien pauvre en manuscrits hagiographiques, une petite éclaircie documentaire se dégage au tournant des années 1300. Dans les couvents mendiants, on s’affaire. D’abord chez les Dominicains, peut-être en 1295. On met en chantier un grand légendier en trois volumes (Toulouse, BM, 477-479) : deux pour les Vies, classées per circulum anni, et un volume pour les Passions, classées aussi selon le calendrier, pour un total de 154 textes. Quelques années après, vers 1300, à quelques pas de là, chez les Franciscains, on entreprend de faire un légendier immense, en deux volumes, comprenant cette fois 222 saints (BNF, lat.  5306 et  3809a). Qu’a-t-on utilisé pour faire ces deux ensembles ? Une seule et même collection, attestée dès l’an mil dans le légendier de Moissac66. On trouve donc bien souvent les mêmes textes, augmentés de Vies de saints récents dans le légendier franciscain, et réorganisés thématiquement chez les Dominicains. En réalité, ce ne sont pas exactement les textes du légendier de Moissac qu’on est allé chercher mais ceux d’un manuscrit apparenté. Au milieu du xiiie siècle, l’abbaye Saint-Sernin conservait trois légendiers et deux passionnaires67. Disparus. Les mendiants y ont peut-être utilisé un modèle. On en revient à la longue durée de l’édition hagiographique médiévale. Et du reste, Agnès Dubreil-Arcin a bien montré que lorsque Bernard Gui compose son Speculum sanctorale dans les années 1310, à Toulouse, il annote le légendier dominicain, qu’il utilise abondamment. Il  faut voir un même mouvement Sur ces manuscrits voir H. Haruna-Czaplicki, « Histoire et décoration de deux légendiers toulousains du xive siècle », dans Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an mil, éd. F. Peloux, Turnhout, 2018, p. 231-287 et A. Dubreil-­ Arcin, « Une collection hagiographique dominicaine apparentée au légendier de Moissac  : les ms. 477, 478 et 479 de la Bibliothèque municipale de Toulouse », ibid., p. 289-322. 67  M. Morard, « Les livres des chanoines de Saint-Sernin de Toulouse d’après les inventaires de 1246 et 1263 », dans Universitas scolarium. Mélanges en l’honneur de M. le professeur Jacques Verger, éd. C. Giraud et M. Morard, Genève, 2012, p. 236. 66 

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dans ces deux entreprises éditoriales, une concurrence qui a peut-être aussi pour enjeu la prédication, dans laquelle excellaient les frères mendiants. Finalement, la prédication n’est-elle pas le point de rencontre entre le discours hagiographique et le « peuple » à la fin du Moyen Âge ? Il semble bien difficile de comprendre les transformations de l’édition hagiographique sans tenir compte de la prédication, « mode principal de communication du message religieux »68, en particulier en milieu urbain, alors que « l’investissement de la ville par l’Église est continu jusqu’au xvie  siècle »69. Dès le xiie  siècle, plusieurs auteurs de sermons exhortent clairement le clergé à utiliser des Vies de saints pour prêcher. « Mais combien de curés disposaient de légendiers pour le faire ? »70. Dans les visites épiscopales du diocèse de Rodez conduites par Guillaume de la Tour entre 1446 et 1453, Jean-Loup Lemaitre compte 31 flores sanctorum à réparer, 69 à acheter. Ce sont les seuls manuscrits hagiographiques mentionnés. C’est bien peu pour 371  paroisses visitées, mais tellement plus que ce qui a été conservé de ces livres : rien71. Il est bien connu que « l’enthousiasme prédicatif du xiiie siècle, et notamment au sein de l’ordre des Prêcheurs, constitue bien le contexte le plus immédiat de la Légende dorée » pour reprendre une formule d’Alain Boureau72 . Cécile Lanéry a récemment décrit un manuscrit messin du xive siècle composé de notices tirées de la Légende dorée, de la rédaction messine du légendier de Jean de Mailly, et de textes rares tirés notamment du petit cartulaire de Saint-Arnoul, si bien que 84 textes ont été ajoutés à ceux de Jacques de Voragine73. Le compilateur était « moins intéressé par la lecture continue des Vies que par la somme des exempla susceptibles d’y être prélevés »74. Parfois, il insère même des remarques de type homilétique et, fait inédit et rarissime, N. Bériou, Religion et communication : un autre regard sur la prédication au Moyen Âge, Genève, 2018, p. 14. 69  D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes, p. 70. 70  N. Bériou, Religion et communication, p. 299. Maurice de Sully indique ainsi qu’il ne faut pas seulement lire et chanter ces Vies lors des fêtes des saints mais bien s’en servir pour les sermons. Voir J. Longère, Œuvres oratoires de maîtres parisiens au xiie siècle : étude historique et doctrinale, Paris, 1975, p. 208-218. 71  J.-L.  Lemaitre, « Les livres liturgiques des paroisses du Rouergue au milieu du xve siècle », dans L’encadrement religieux des fidèles au Moyen Âge, Paris, 1985, p. 379-390 repris dans Id., Precamur fraternitatem uestram. Autour des livres, du nécrologe au martyrologe. Choix d’articles publiés de 1984 à 2008, éd. P. Henriet, Genève, 2019, ici p. 319 sqq. 72  A.  Boureau dans Jacques de Voragine, La légende dorée, trad. Id. (dir.), Paris, 2004, p. xxxi. 73  C. Lanéry, « Hagiographie et prédication : le légendier Charleville-Mézières, BM, 177 », Analecta Bollandiana, 133 (2015), p. 282-349. 74  Ibid., p. 289. 68 

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il rassemble en fin de volume des Notabilia super legendas sanctorum, sortes de très courtes notices qui permettent ensuite la construction de sermons hagiographiques. Il faut aussi comprendre le succès des légendiers abrégés dans cette perspective. Ensuite, dans la diffusion sociale du discours hagiographique à la fin du Moyen Âge, il faut aussi penser à ce « rituel du dehors »75 qu’est le théâtre hagiographique, étudié par Katell Lavéant pour notre espace, qui rappelle que : les mystères mettant en scène la vie, le martyre ou les miracles de saints et de saintes font partie, dans notre région d’étude comme dans les autres régions de langue française, des pièces les plus souvent jouées aux xve et xvie siècles76.

Le lien que le théâtre entretient avec la matière hagiographique transmise dans les légendiers mériterait d’être exploré77. L’importance du théâtre hagiographique est telle que le contenu des pièces fournit ensuite l’essentiel de la matière aux « pièces gothiques » diffusées par l’imprimerie78. C’est elle, qui, d’une certaine manière, met en partie fin aux légendiers : de plus en plus de textes circulent seuls, hors collection, sous la forme de pièces isolées79. On le voit, les derniers siècles du Moyen Âge se caractérisent par une diversification de la typologie des manuscrits hagiographiques.

J. Chiffoleau, La religion flamboyante, p. 85, repris par D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes, Paris, 2016, p. 128-129. 76  K. Lavéant, Un théâtre des frontières. La culture dramatique dans les provinces du Nord aux xve et xvie siècles, Orléans, 2011, p. 313. L’œuvre de l’Augustin J. de Wackerzeele à la fin du xive siècle sur sainte Marguerite a circulé dans notre espace et a donné lieu à des représentations théâtrales : B. de Gaiffier, « La Légende latine de sainte Barbe par Jean de Wackerzeele », Analecta Bollandiana, 77 (1959), p. 12. 77  Notons que le théâtre hagiographique fait spécifiquement l’objet des travaux récents de Marie Bouhaïk-Gironès, dont on pourra lire « L’écriture en action  : les processus de mise en texte du Mystère de saint Sébastien (1497) et du Mystère des trois Doms (1509) », dans Histoires pragmatiques, éd. F. Chateauraynaud et Y. Cohen, Paris, 2016, p. 77-104 et « Le spectacle de la mort sainte : mettre en scène la Passion et les martyres chrétiens », dans Les vivants et les morts dans les sociétés médiévales : XLVIIIe Congrès de la SHMESP, Paris, 2018, p. 367-378. 78  M.  Pouspin, Publier la nouvelle : les pièces gothiques, histoire d’un nouveau média, xvexvie siècles, Paris, 2016. Sur la circulation manuscrite des textes dramatiques, cf. D. Smith, « Les manuscrits “de théâtre”. Introduction codicologique à des manuscrits qui n’existent pas », Gazette du livre médiéval, 33-1 (1998), p. 1-10. 79  Voir B. Ferrari, « Dal leggendario alla leggenda : la prima circolazione francese a stampa delle vite di santi estratte dalla « Légende dorée », Carte Romanze. Rivista di Filologia e Linguistica Romanze dalle Origini al Rinascimento, 6-2 (2018), p. 165-186. Outre les « pièces gothiques », voir aussi les livrets de pèlerinage étudiés par B. Maes, Les livrets de pèlerinage : imprimerie et culture dans la France moderne, Rennes, 2016, en particulier p. 155 sqq. 75 

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4. Poids des héritages et éclatement typologique La matière hagiographique se déploie de différentes manières dans les manuscrits. Il est trop tôt pour esquisser une typologie qui ne saurait être ni exhaustive, ni surtout rigide : les lignes qui suivent, nécessairement incomplètes, se veulent simplement une invitation à saisir la circulation manuscrite de l’hagiographie dans sa grande diversité. Passons rapidement sur des types auxquels plusieurs contributions sont consacrées. La Légende dorée est partout : elle domine, elle sature même parfois l’espace manuscrit de la littérature hagiographique. Est-elle vraiment un type de manuscrit hagiographique ? Parfois, oui, mais elle s’infiltre dans d’autres types, pour les phagocyter. Il en sera abondamment question dans les contributions de ce livre. Les Vitae patrum, collection multi-séculaire, sont toujours là, traduites, découpées, réagencées : Patrick Henriet vient de rappeler que les « Vies d’ermites orientaux servaient de socle à l’ensemble de l’édifice hagiographique » et que cette collection eut une « profonde influence sur le long terme »80, bien attestée dans l’Occident de la fin du Moyen Âge, comme le montrent toutes les enquêtes81. Les légendiers, latins ou vernaculaires, qu’on qualifiera de traditionnels, généralement per circulum anni sont toujours présents. On a vu que ceux des alentours de l’an mil peuvent toujours servir. À l’abbaye de Saint-Trond, deux volumes d’un légendier qui en comptait trois subsistent (Liège, bibliothèque universitaire, ms. 210 I et II, olim 57-58). Les manuscrits de cette collection, qui comprenait près de 200 textes hagiographiques et une vingtaine de sermons, sont richement décorés et datés précisément de 1366, et on connaît à la fois leur copiste principal, Martin de Venne, et son commanditaire, l’abbé

P. Henriet, « Remarques sur les origines et sur l’importance des recueils de Vitae patrum dans le monde latin », dans Understanding Hagiography : Studies in the Textual Transmission of Early Medieval Saints’ Lives, éd. P. F. Alberto, P. Chiesa et M. Goullet, Florence, 2020, p. 207-208. 81  Pour l’Italie, voir C. Delcorno, Città e deserto : studi sulle « Vite dei Santi Padri » di Domenico Cavalca, Spolète, 2016. Pour l’espace croate, voir I. Petrović, « Les Vitae Patrum dans la littérature croate du Moyen Âge », dans Scribere sanctorum gesta, Recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. É. Renard et al., Turnhout, 2005, p. 283-307 et pour un espace plus proche du nôtre : M.-G. Grossel (éd.), La traduction champenoise de la Vie des Pères, Paris, Abbeville, 2017. De telles enquêtes mériteraient d’être multipliées pour d’autres espaces. Les Vies des Pères servent d’exemple aux novices à qui s’adresse un des best-sellers de la littérature spirituelle de la Devotio moderna, l’Imitation du Christ de Thomas a Kempis, I, XVIII, cf. C. Giraud (éd.), Écrits spirituels du Moyen Âge, Paris, 2019, p. 818-820. 80 

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Robert de Craenwyck (1350-1366)82 . La date de confection correspond non seulement à la mort de l’abbé, mais aussi au terme de la quatrième continuation de la chronique de l’abbaye, qui permet de documenter un abbatiat mouvementé, sur fond de luttes avec les autorités municipales et le duc de Brabant ainsi que de difficultés matérielles dans la gestion de l’abbaye83. Comme l’a bien noté Maurice Coens, l’abbaye est marquée durant l’abbatiat de Robert de Craenwyck par la poursuite de l’accroissement de la bibliothèque entamée sous ses prédécesseurs84. L’abbé avait fait faire, quelques années avant le légendier, un martyrologe (Université de Liège, ms. 326) en 1361, lui aussi daté précisément par son colophon et dont l’essentiel a été copié par le même Martin de Venne85. Ce martyrologe, utilisé jusqu’au xvie siècle, porte le texte d’Adon, truffé de notices locales. Il est suivi de la règle de saint Benoît et de l’obituaire de l’abbaye, continué jusqu’en 1612. C’est donc bien un livre du chapitre que fit faire Robert de Craenwyck86. Martin de Venne a aussi copié des Homélies et des Dialogues de Grégoire87. Maurice Coens a également repéré « une main qui ressemble fort à celle du martyrologe de  1361 » dans une Vie de saint Trond (BHL  8321) copiée dans manuscrit composite des Voir sur le premier volume, le feuillet de garde : Hunc librum fieri fecit domnus Robertus de Craenwic, piae memoriae, Dei gratia abbas huius monasterii sancti Trudonis ; qui perfectus et ligatus fuit anno Domini millesimo tricentesimo sexagesimo sexto. Au fol. 309v : Explicit libri passionalis prima pars, scripti per Martinum dictum de Venne, in nomine Domini. Amen. Deux autres copistes ont ensuite travaillé sur le tome II (respectivement aux fol. 229v-266 et 266272) selon J. Olivier, dans Florilège du livre en Principauté de Liège du ixe au xviiie siècle, éd. P. Bruyère et A. Marchandisse, Liège, 2009, p. 49. Sur la décoration du ms., voir M. Smeyers, Flemish miniatures from the 8th to the mid-16th Century, Turnhout, 1999, p. 171 et Id., « De verluchting in handschriften uit de abdij van Sint-Truiden », dans Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden : Provinciaal Museum voor Religieuze Kunst, Begijnhofkerk, Sint-Truiden  : 28 juni-5 oktober 1986, Louvain, p. 60-61 et P. Valvekens, « De handschriftenproduktie onder abt Robert Van Craenwyck (1350-1366) », ibid., p. 234-238. 83  Cf. J. Stiennon, « La “Vita sancti Philiberti” dans le passionnaire-légendaire de SaintTrond », dans Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, éd. S. Gouguenheim et M. Goullet, Paris, 2004, p. 980-981. 84  M. Coens, « Les saints particulièrement honorés à l’abbaye de Saint-Trond », Analecta Bollandiana, 73 (1955), p. 140-141. Voir aussi M. Haverals, « Geschiedenis van de bibliotheek », dans Handschriften uit de abdij van Sint-Truiden : Provinciaal Museum voor Religieuze Kunst, Begijnhofkerk, Sint-Truiden  : 28 juni-5 oktober 1986, Louvain, 1986, p. 44-45 et surtout P. Valvekens, « De handschriftenproduktie onder abt Robert Van Craenwyck (1350-1366) ». 85  Sur ce ms., voir M.  Coens, « Les saints particulièrement honorés a l’abbaye de SaintTrond », Analecta Bollandiana, 72 (1954), p. 417-425 et J. Stiennon, « La “Vita sancti Philiberti” », p. 981, n. 13. 86  J.-L Lemaitre, « Liber Capituli. Le  livre du chapitre, des origines aux xvie  siècle », dans « Memoria ». Der geschichtliche Zeugniswert des liturgischen Gedekens im Mittelalter, éd. K. Schmid et J. Wollasch, Munich, 1984, p. 625-648. 87  Ms. 138 et 43, cités par V. Vermassen, « Latin hagiography », p. 574, n. 27. 82 

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Bollandistes (bollandianus 465) issu de la paroisse de Schaffen, qui dépendait de Saint-Trond. Quand Martin de Venne s’attelle donc à la copie d’un légendier « de format quasi monumental » (42 sur 31 cm ; 313+272 folios pour les parties conservées)88, l’organisation du culte des saints est en pleine réforme à Saint-Trond. Fait plutôt rare pour un légendier traditionnel, le manuscrit est précédé d’un prologue, édité par François Dolbeau, qu’on retrouve dans d’autres légendiers tardifs des Pays-Bas89. De portée assez générale et réutilisant le prologue de la Passion de Chrysanthe et Darie (BHL 1787)90, il fait l’éloge des martyrs, des confesseurs et des vierges. Au fol. 2 de ce légendier figure une pièce rare, que transcrivit jadis Maurice Coens : une Divisio libri passionalis in tria volumina, avec l’indication du premier et du dernier texte qui délimitent chacun des volumes91. Il  y  a clairement la volonté de guider l’utilisateur de ce manuscrit. Ce souci de rationalisation est renforcé par la présence d’une table (fol. 2v-3v pour le vol. 1), contemporaine de l’ensemble, à la suite de laquelle on trouve une note invitant les lecteurs qui voudraient trouver des textes hagiographiques relatifs à des saints dont le culte n’est pas développé à Saint-Trond à les chercher dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais et dans les Vies des Pères92 . Maurice Coens a bien noté que si les Vitae patrum ont disparu, le Speculum de Vincent de Beauvais est toujours conservé à Liège (bibliothèque universitaire, ms. 60 et 61) et a été composé en 1350-1352, soit toujours sous l’abbatiat de Robert de Craenwyck dont on devine la politique planifiée d’enrichissement M. Coens, « Les saints particulièrement honorés », 73 (1955), p. 142-143. F.  Dolbeau, « Les prologues de légendiers latins », dans Les  prologues médiévaux, éd. J. Hamesse, Turnhout, 2000, p. 355-356 et 388-389. 90  L’utilisation de cette Passion est aussi attestée dans le prologue d’un légendier de RougeCloître par Jean Back au siècle suivant, cf.  F.  Dolbeau, « Un  prologue inédit de légendier latin », Analecta Bollandiana, 123 (2005), p. 372, n. 9 et dans un autre de Deventer au xive siècle, cf. F. Dolbeau, « Prologue inédit d’un homéliaire-légendier des anciens PaysBas », Analecta Bollandiana, 133 (2015), p. 350-361. 91  M. Coens, « Les saints particulièrement honorés », 73 (1955), p. 144 : Incipit divisio libri passionalis in tria volumina. Notandum quod liber iste, qui passionalis vel passionale dicitur, partitus est in tres partes sive in tria volumina. Quorum hoc presens est primum, et incipit a die nativitatis beati Iohannis Baptiste et terminatur exclusive in die beati Dionysii. Secundum vero incipit a die beati Dionysii et terminatur exclusive in die purificationis beate Marie. Tertium et ultimum volumen incipit a die purificationis beate Marie et terminatur exclusive in die nativitatis beati Iohannis Baptiste. Explicit divisio libri passionalis in tria volumina. 92  Ed. M. Coens, p. 148 : Notandum quod in hac prima parte libri passionalis et in aliis duabus, de quibus supra notatur, tantummodo tractatur de passionibus et gestis sanctorum de quibus memoria agitur apud nos et in nostro monasterio sancti Trudonis confessoris, quibusdam additis. Qui autem de aliis sanctis quorum in iis gesta non notantur legere velit, inspiciat Vincentium in Speculo historiali et librum qui dicitur Vitas Patrum, et inveniet sub numeris tabularum eorumdem de singulis ibidem contentis. 88 

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de livres consacrés aux saints. Cette note indique bien qu’on ne trouve copiés dans ce passionnaire que les saints dont on fait mémoire à Saint-Trond (de quibus memoria agitur apud nos et in nostro monasterio). Ici, un lien clair est donc établi entre le culte liturgique des saints (memoria) et le contenu du légendier93. Pour Jacques Stiennon, « cet ouvrage n’était pas destiné à prendre place, tout au moins de façon permanente, dans la bibliothèque de l’abbaye, mais il appartenait à la catégorie des livres de chœur ou de réfectoire, destinés à être lus et, le cas échéant, psalmodiés dans les offices liturgiques ou les repas communautaires »94. Malgré cela, les traces de lectures sont rares95. Par ailleurs, contrairement à d’autres légendiers, on ne trouve ni calendrier, ni indication du jour de la fête du saint dans les rubriques qui introduisent les textes hagiographiques Autre type de légendier, d’un genre nouveau, qu’on pourrait qualifier de grands légendiers nationaux : les œuvres de Jean Gielemans entrent en partie dans cette catégorie qui compte finalement assez peu d’exemplaires. L’exaltation d’un territoire donné par l’hagiographie, à l’aide de Patriotische Heilige, est une chose bien connue qui s’inscrit dans un temps long 96. Mais à l’heure de la genèse de l’État moderne, des collections nationales naissent, et le genre s’épanouit à l’époque moderne97. Du reste, pour plus de clarté, il faudrait que les hagiologues réfléchissent aux qualificatifs nationaux qui ont été donnés pour des raisons diverses à certaines collections, pour différentes périodes :

C’est aussi la conclusion de G. Philippart, Les légendiers latins, p. 97. J. Stiennon, « La “Vita sancti Philiberti” », p. 981. 95  Le début d’un seul texte a été découpé en leçons : l’exaltation de la Croix (tome I, fol. 183). Dans le tome I, au fol. 5v on trouve la mention finis in choro au beau milieu d’un sermon sur Jean-Baptiste. Au fol. 14v, un relecteur a transcrit d’une main plus tardive en toutes lettres les chiffres romains, peut-être pour en faciliter la lecture. La Vie de saint Trond (BHL 8321), vol. ii, fol. 132, col. 2 a fait l’objet d’un ajout, par une main plus tardive, d’une mention pour préciser la localisation de l’église Sainte-Geneviève fondée près de la villa Septimburias (auj. Zepperen) : Propter interpositum ab antiqua tempore nemus spatiosum ; sed nunc gratia campestris planities dimidio tantum miliario illuc usque perducit. 96  Voir le volume dirigé par D. R. Bauer, K. Herbers et G. Signori, Patriotische Heilige. Beiträge zur Konstruktion religiöser und politischer Identitäten in der Vormoderne, Stuttgart, 2007. 97  S.  Boesch Gajano et R.  Michetti (dir.), Europa sacra : raccolte agiografiche e identità politiche in Europa fra Medioevo ed Età moderna, Rome, 2002. Pour la France, doit-on considérer dans une perspective nationale les Festes nouvelles de Jean Golein (xive siècle) qui circulent comme un complément français à la Légende dorée ? C’est une piste de recherche à laquelle invite C.  Vincent, « Saint Médard à travers ses trois Vies françaises », Revue d’histoire de l’Église de France, 106 (2020), p. 81-93 à propos « d’un ensemble qui est à la fois bien connu des spécialistes, mais demeure mystérieux, attendant encore son éditeur et son historien » (p. 82). 93 

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« grand légendier autrichien »98, « passionnaire français »99, « légendier sud-anglais »100, « légendier écossais »101, « passionnaire hispanique »102 etc. Il s’agit certes de désigner un espace, ou encore un domaine linguistique, mais le singulier et l’utilisation du qualificatif ne sont peut-être pas les plus adéquats pour désigner ces collections, même si leur usage s’est imposé et qu’il semble bien difficile de s’en départir. Par ailleurs, il est parfois gênant d’appeler par le même nom de Légendier un manuscrit copié ad hoc et une collection de textes. Laissons ces questions terminologiques pour plus tard. Les libelli consacrés à un saint ou un groupe de saints circulent toujours. On a pu en voir deux de moines de Saint-Trond, signe de l’intérêt pour la sainteté locale. Cet  intérêt serait un trait typique du xve  siècle selon Anne-Françoise Leurquin-Labie, qui ne connaît que très peu de manuscrits en Terme forgé par A.  Poncelet, « De Magno Legendario Austriaco », Analecta Bollandiana, 17 (1898), p. 24-264 pour designer « a voluminous legendary assembled at the latter end of the twelfth century and transmitted in six extant exemplars, all with a provenance within the borders of modern-day Austria » selon D. Ó Riain, « The Magnum Legendarium Austriacum : a New Investigation of One of Medieval Europe’s Richest Hagiographical Collections », Analecta Bollandiana, 133 (2015), p. 87 qui a repris à nouveau frais l’étude de cette immense collection rassemblée au sein d’un établissement monastique pour des raisons qui restent à éclaircir mais qui ne doivent rien à une exaltation territoriale. 99  Jean-Pierre Perrot, Le passionnaire français, p. 5-6 désigne ainsi « des Passions en prose des apôtres, martyrs et vierges qui constituent du xiiie au xve siècle, le fond commun le plus important des légendiers français méthodiques et dont l’ensemble peut être désigné du nom de Passionnaire français ». Les plus anciens témoins datent du milieu du xiiie siècle. Le caractère artificiel de la désignation (et de la circonscription même de son contenu) se lit également p. 16 : « Afin de respecter une certaine unité de genre, il convient donc de restreindre le Passionnaire français à toutes les légendes relatives aux martyrs des premiers siècles. […] C’est ainsi qu’en ont été délibérément exclus quelques martyrs plus récents : s. Lambert, s. Julien l’Hospitalier, s. Thomas de Canterbury, les 11000 Vierges de Cologne, etc. Ont été par contre comptés au nombre des martyrs s. Jean l’Évangéliste, et ste. Pétronille par exemple, qui n’ont pas péri par le glaive, ni succombé aux supplices, mais dont les légendes répondent en tous leurs autres aspects aux règles du genre. Enfin, doivent être retenues quelques pièces qui ne sont pas à proprement parler des Passions, mais qui concernent des martyrs (ex. Chaire de s. Pierre, Invention de la Croix, etc. ». 100  La réflexion critique est bien plus avancée sur cette collection et ses témoins : H. Blurton et J. Wogan-Browne, Rethinking the South English legendaries, Manchester, 2011. 101  Est-il raisonnable de qualifier ainsi une collection vernaculaire dont on ne connaît en réalité qu’un seul exemplaire, contenant seulement deux saints locaux (sur un total de 55) et puisant largement chez Jacques de Voragine ou encore Vincent de Beauvais ? cf. E. Contzen, The  Scottish Legendary. Towards a poetics of hagiographic narration, Manchester, 2016. Le terme n’est pas employé par A. MacQuarrie, « Medieval Scotland », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire, vol.  i, éd. G. Philippart, Turnhout, 1994, p. 494. 102  Le terme est né en 1950 dans un contexte proprement franquiste, cf. F. Peloux, « Le légendier de Moissac et le Passionnaire hispanique », dans Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an mil, éd. Id., Turnhout, 2018, p. 133-139. 98 

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langue vernaculaire ouverts au sanctoral local avant cette date103. Ce n’est pas le cas du domaine latin104. À Saint-Pierre de Gand, Magelin de Saint-Bavon, chantre de l’abbaye, liste en 1321 les ouvrages qu’il a fait faire, parmi lesquels un livre contenant la Vie des saints Amalberge, Gudwal, Bertulf, Vulfran, etc.105. Cet etc, frustrant pour nous, rend imprécis cette courte liste avare en détails. En 1396, le moine Baudouin Wandelert a fourni vingt ouvrages destinés à être lus per circulum anni106. Parmi eux, sept manuscrits hagiographiques dont un Passionalis minor qui s’ouvrait avec la légende de saint Bavon et se terminait par la Vie de saint Nicaise, un volume De vita sancti Remigii, un parvus libellus avec les Passions des saints Vincent et Agnès, un autre commençant par la Vie de saint Gérard et contenant des textes relatifs à Thomas Becket et à saint Amand, un autre commençant par une Vie de saint Dunstan et deux autres contenant respectivement les Vies de saint Wandrille, Vulfran et Ansbert (soit trois saints et trois textes de l’abbaye de Fontenelle) et celles de Bertulf, Gudwal et Amalberge (cf. supra, le livre mentionné en 1321). Plus tard, au xve siècle, à Saint-Bavon, un intellectuel de haut-vol, probablement à l’origine du programme iconographique du fameux retable de l’Agneau mystique de Van  Eyck, le prieur Olivier de Langhe, auteur d’une chronique de sa ville107 et d’un commentaire en flamand de la Règle de Benoît108, ne dédaigna pas l’hagiographie et composa des recueils exaltant les saints de son sanctuaire109. Il fit dresser un catalogue riche de 618 livres, composé de ses livres personnels, des ceux de la principale bibliothèque de A.-F.  Leurquin-Labie, « La promotion de l’hagiographie régionale au xve  siècle  : l’exemple du Hainaut et du Cambrésis », dans Richesses médiévales du Nord et du Hainaut. Actes de la deuxième journée Valenciennoise de Mediévistique les  1er-2  décembre 2000, éd. J-C. Herbin, Valenciennes, 2002, p. 253-254. 104  Sur les premiers libelli, cf. J.-C. Poulin, « Les libelli dans l’édition hagiographique avant le xiie siècle », dans Livrets, collections et textes. Études sur la tradition hagiographique latine, éd. M. Heinzelmann, Ostfildern, 2006, p. 15-193. 105  Cf. A. Derolez et al., Corpus catalogorum Belgii : the medieval booklists of the southern low countries. Volume III, Counts of Flanders, Provinces of East Flanders, Antwerp and Limburg, Bruxelles, 1999, p. 113. 106  Ibid., p. 114-115. 107  Sur ce texte voir S. Vanderputten, « De kroniek van prior Olivier de Langhe o.s.b. als exponent van de hagio-historiografie, een vergeten subgenre uit de vijftiende-eeuwse monastieke geschiedschrijving », Ons geestelijk erf, 73 (1999), p. 178-197. 108  Cf.  U. Berlière, « Mélanges d’histoire monastique », Revue Bénédictine, 9  (1892), p. 420-422. 109  Voir surtout C.  Hap, « Middelnederlandse heiligenlegenden bewerkt door Olivier de Lange. Een studie over de handschriften », Handelingen der Koninklijke Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal-en Letterkunde en Geschiedenis, 27 (1973), p. 75-121. Le rapprochement entre son Tractatus de Corpore Christi et l’œuvre de Van Eyck a d’abord été proposé par D. R. Goodgal, The iconography of the Ghent altarpiece, PhD, University of Pennsylvania, 1981. 103 

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l’abbaye et enfin des livres liturgiques110. Parmi les livres dont il est l’auteur, notons une legenda sanctorum huius loci, composée de plusieurs pièces sur les saints Bavon, Liévin, Landoald, Macaire, Landrada, Pharaildis. Il possède encore des Vacecia sancti Livini in vlaemsche (no 56) et leur probable version latine (Ludus sancti Livini, no 64). On note encore une Vita sancte Amelberge virginis (no 63) et la Vie de sainte Colette de Corbie en français par Pierre de Vaux, rédigée en 1448 (no 79). En ce qui concerne les livres de l’abbaye, si une Vita sanctorum et Anthonii (no 346) apparaît au milieu de plusieurs psautiers, les manuscrits hagiographiques sont regroupés (no 520 à 533), et, à l’exception de Passiones diversorum sanctorum (no 524), il s’agit d’ouvrages consacrés à un tout petit nombre de saints. D’une manière générale, les inventaires anciens des bibliothèques confirment en effet l’importance des libelli dans les différents établissements : on connaît plusieurs listes de livres à Saint-Laurent de Liège111. L’une d’elles, de la première moitié du xiiie siècle se trouve insérée à la fin d’un manuscrit hagiographique consacré à des saintes vierges (KBR 9810-14, fol. 197)112 . Cette liste est ensuite mise à jour au xve siècle avec l’indication de la perte éventuelle des exemplaires. On  y remarque un petit groupe de manuscrits hagiographiques : un passinalis [sic] virginum, une Vita sancti Silvestri pape et aliorum multorum, une Vita sancti Martini et une Vita sancti Heriberti, ce dernier exemplaire étant considéré comme perdu113. Plus tard, entre 1438 et 1449, on dispose d’une liste de livres copiée par le moine Jean de Stavelot, qui donne 65 item dans lesquels l’hagiographie a une place importante, à côtés de textes relatifs à la Vie du Christ114 : les item 10 à 16 sont consacrés à des libelli relatifs à saint Laurent ou aux saints fondateurs de l’abbaye tant en latin qu’en langue vernaculaire115 et sont suivis de quatre autres qui renvoient à des manuscrits hagiographiques relatifs à saint Benoît. Notons également un passional des sains qui ons fiestee par tout l’annee el evesquee de paiis de Ibid., p. 72-97. Cf. A. Derolez et al., Corpus catalogorum Belgii : the medieval booklists of the southern low countries. Volume II, Provinces of Liege, Luxemburg and Namur, Bruxelles, 1994, p. 107-135. 112  Ibid. p. 118-124. 113  No 122 à 125. 114  Ibid., p. 126-131. KBR 10547-48, fol. 130-131. 115  Item le passion sains Loren en II manieres en proise et I maniere en vers, tout en latin. Item XXII sermons de sains Loren en latin. Item XVIII miracles de sains Loren. Item encor le vie sains Loren figuree et comparee al vie Jhesucrist ; premier en proise en latin, et apres rymees en latin, en romains, en texhe et en ponture ; et encor pluseurs autres choses si comme orisons et canchons de l’engliese. Item le livre del vie dez III principauz fondatours de l’engliese Sains Loren, assavoir Enracle, sains Wolbodo et Reginar. Item le livre del vie des abbeis de Sains Loren. Item le livre des larmes, où sont plusieurs miracles qui ont esteit fais el engliese Sains Loren, ibid., p. 127-128. 110  111 

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Liege, en romans ; et mult de nobles exemples et devoltes doctrines. On pourrait multiplier encore les exemples : ces listes sont particulièrement précieuses et témoignent bien de la fragmentation manuscrite de l’hagiographie à la fin du Moyen Âge, parallèle à l’« éclatement » de l’« église-bâtiment » qui caractérise la religion flamboyante116. Je voudrais terminer en insistant sur des types d’objets qui devraient être pris en compte dans la catégorie volontairement large de « manuscrit hagiographique », car ils défient parfois nos catégories documentaires, dont les contours sont particulièrement poreux à la fin du Moyen Âge. Il suffit de penser aux recueils hybrides, aux « multiples codices miscellanei du xve siècle, qui désespèrent les auteurs de catalogues de manuscrits »117. Une vaste enquête sur les manuscrits associant des récits hagiographiques avec d’autres types de textes mériterait d’être conduite. L’insertion de textes hagiographiques dans des cartulaires n’est pas rare et se poursuit à la fin du Moyen Âge118, où la transmission de récits hagiographiques sous la forme de chartes est bien attestée119. Reste à mesurer l’ampleur et les implications sociales du phénomène. On connaît même, en Gévaudan, pour le xive siècle, des manuscrits hagiographiques réalisés dans l’entourage épiscopal pour servir de preuves destinées à étayer des argumentaires juridiques dans le cadre de procès : ces pièces ont conservé des œuvres hagiographiques peu diffusées, dont elles sont l’unique exemplaire ; on connaît même une légende hagiographique, celle d’un évêque des temps apostoliques, Séverien, uniquement par ce qu’en ont dit les juristes dans des rouleaux et des liasses de procédures120. L’utilisation de récits hagiographiques devant la justice civile est plus courante que ce que l’on pourrait croire, et a dû nécessiter la copie ad hoc de récits hagiographiques121. Il suffit D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes, p. 127. G. Philippart, « Un petit légendier », p. 202. 118  Voir notamment le cas du petit cartulaire de Saint-Arnoul dont il existait plusieurs exemplaires à la fin du Moyen Âge, cf. M. Gaillard (dir.), Le souvenir des Carolingiens à Metz au Moyen Âge. Le petit cartulaire de Saint-Arnoul, Paris, 2006. 119  On possède pour la France du Sud une véritable charte hagiographique daté de 1384 par laquelle l’abbé de Saint-Volusien de Foix, à la demande des consuls de la ville, authentifie le récit de la Passion de saint Volusien qui se trouve dans les archives de l’abbaye, cf. F. Peloux, « La violence dans un dossier hagiographique inédit (ixe-xive s.) : le martyre de Volusien de Foix et ses miracles », dans L’Église et la violence dans le Midi, cahier de Fanjeaux, no  54, Toulouse, 2019, p. 134-135. 120  Sur le cas du Gévaudan et d’autres exemples languedociens, je me permets de renvoyer à la publication de ma thèse de doctorat : F. Peloux, Les premiers évêques du Languedoc. Une mémoire hagiographique médiévale, Genève, à paraître. 121  Sur les arguments hagiographiques en justice, voir A. Demurger, « L’histoire au secours de la chicane  : la place de l’histoire dans les procès au Parlement au début du quinzième siècle (1419-1436) », Journal des savants, 1985, p. 231-312. Cette étude fondatrice n’a malheureusement pas été suivie d’autres. 116  117 

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de regarder la production de preuves dans le cadre de la querelle, devenue procès, entre les moines de Saint-Denis et les chanoines de Notre-Dame de Paris au sujet de l’authenticité des reliques de Denis au début du xve siècle122 . Rappelons aussi pour mémoire qu’alors que la sainteté se décide depuis Rome, les manuscrits qui préparent et enregistrent la procédure de canonisation sont aussi des manuscrits hagiographiques dont les formes et les usages sont spécifiquement liés aux pratiques imposées par la monarchie pontificale123. Cela nous amène à une autre terre de la religion flamboyante, l’Italie, d’où la Légende dorée inonda l’Occident. Le terrain italien est particulièrement riche et les inventaires de manuscrits hagiographiques qui s’y développent depuis les années 2000 en font aujourd’hui une exception historiographique sur laquelle on aurait intérêt à prendre exemple124. André Vauchez a signalé que des Vies d’Homebon de Crémone, premier laïc canonisé, ont été copiées au milieu du xive siècle dans un manuscrit provenant « des archives de la corporation des tailleurs de Reggio »125. Voilà un type de manuscrit peu étudié, et qui pose plus largement la question de l’appropriation laïque des supports hagiographiques126. Celle-ci est attestée dans un cas rarissime de manuscrit hagiographique : les livrets utilisés comme amulettes. Au début du siècle dernier, un habitant d’Aurillac possédait un sachet qui se prêtait encore pour favoriser la délivrance des femmes enceintes127. Il contenait notamment une Vie provençale de sainte Marguerite sur un parchemin de la fin du xiiie siècle ainsi qu’une Voir la documentation rassemblée par H.-F. Delaborde, « Le procès du chef de saint Denis en 1410 », Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris et de l’Île-de-France, 11 (1884), p. 297-409 et l’étude de C. Gauvard, « Écrire l’histoire et restaurer l’honneur au Parlement de Paris. À propos de la relique du chef de saint Denis en 1410 », dans Rerum gestarum scriptor. Histoire et historiographie au Moyen Âge, Mélanges Michel Sot, éd. M. Coumert, M.-C. Isaïa, K. Krönert et S. Shimahara, Paris, 2012, p. 509-520. 123  À ce sujet, il faut toujours lire A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge  : d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1988. Didier Lett a proposé une étude de cas, attentive aux traces manuscrites de la procédure : D. Lett, Un procès de canonisation au Moyen Âge : essai d’histoire sociale, Paris, 2008. 124  Ils sont publiés par la SISMEL. Voir les plus récents : B. Valtorta, Manoscritti agiografici latini della Biblioteca Capitolare di Verona. Catalogo, Florence, 2020 ; F. S. D’imperio, Manoscritti agiografici italiani di Trento e Rovereto, Florence, 2012 ; R. E. Guglielmetti, I testi agiografici latini nei codici della Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence, 2007. 125  A. Vauchez, Saint Homebon de Crémone « père des pauvres » et patron des tailleurs : vies médiévales et histoire du culte, Bruxelles, 2018, p. 17. 126  Pour le xve siècle, voir l’étude de cas proposée par Florent Coste d’une appropriation d’un exemplaire de la Légende dorée dans le Midi de la France : F. Coste « “Cette lesgende auree est a moy…” : marginalia et appropriations de la Légende dorée (reg. lat. 534) », Miscellanea Bibliothecae Apostolicae Vaticanae, 18 (2011), p. 111-145. 127  A. Aymar, « Contribution à l’étude du folklore de la Haute-Auvergne. Le sachet accoucheur et ses mystères », Annales du Midi, 38-149 (1926), p. 273-347. 122 

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autre feuille de parchemin pliée pour former un médaillon, sur lequel on pouvait lire plusieurs formules, dont diverses prières aux saints. Un parchemin similaire est conservé au Musée national des Arts et Traditions populaires à Paris. Daté du xve siècle, il comprend une Vie de Marguerite cette fois en langue d’oïl, puis différents textes et formules128. L’usage magique de récits hagiographiques fut peut-être plus diffusé que ce que la rareté de ce type de manuscrits pourrait suggérer129 : « la Vie du saint, dans sa matérialité, protège et guérit »130. Dernier type de manuscrit hagiographique, tout aussi rare que le précédent, puisqu’il n’en reste aussi que deux exemplaires : les rouleaux hagiographiques. Il  s’agit de longs rouleaux de petite taille, portant des scènes figuratives tirées de la Vie du saint et accompagnées d’un texte. L’un, réalisé vers 1240, relatif à saint Éloi, est conservé à Paris au musée Carnavalet ; il provient de Noyon et il n’en reste que des épaves : il y avait 28 scènes de la Vie du saint. Le rouleau présentant la Passion de saint Quentin, dont un extrait illustre la page de couverture de ce livre, est mieux conservé : daté du xive siècle, il est originaire de l’église Saint-Quentin de Louvain ; il mesure 8 mètres de long et 16,5 cm de large (KBR, II, 3189). Le texte est en langue d’oïl, puis a été traduit dans un second temps au xve siècle en dialecte flamand. On doit à Robert Branner deux études sur ces curieuses œuvres131. Il pense qu’il s’agit en fait d’un outil de travail, un modèle pour des sculpteurs, ou encore pour des brodeurs. Les broderies hagiographiques étaient en effet relativement répandues à la fin du Moyen Âge, comme celle représentant la Vie de Martin et servant à couvrir l’autel de la basilique Saint-Martin de Liège.

L.  Carolus-Barré, « Un nouveau parchemin amulette et la légende de sainte Marguerite, patronne des femmes en couches », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123 (1979), p. 256-275. Sur les usages magiques de la légende de sainte Marguerite, voir N.  Balzamo, Les  miracles, p.  94-95 et sur le succès de sa légende au xvie siècle : É. Suire, « Entre sclérose et renouveau. Les orientations de l’hagiographie française du xvie siècle », Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 33-2 (2003), p. 63. 129  Voir aussi sur ces témoignages, les analyses de J.-P. Boudet, Entre science et nigromance  : Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, 2006, ch. VII. Sur les usages magiques de l’écrit au Moyen Âge, cf. D. C. Skemer, Binding Words : Textual Amulets in the Middle Ages, University Park, 2006. 130  S. Bledniak, « L’hagiographie imprimée : œuvres en français, 1476-1550 », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire, vol. i, éd. G. Philippart, Turnhout, 1994, p. 397. 131  R. Branner, « The Saint-Quentin Rotulus », Scriptorium, 21-2 (1967), p. 252-260 et Id., « Le Rouleau de saint Eloi », L’information d’histoire de l’art, (1967), p. 55-73 (à compléter par D. Gaborit-Chopin, « Le rouleau de saint Éloi », Bulletin monumental, 127-3 [1969], p. 249-250). 128 

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Ce dernier exemple nous fait revenir à Johan Huizinga. Quand il indiquait que « la curieuse galerie des saints gagnait chaque jour en vie et en couleur », ou bien qu’il évoquait encore « la bigarrure de l’hagiologie »132 , c’est peut-être avant tout l’omniprésence des représentations iconographiques des saints qu’il avait en tête, thème qui n’est abordé dans ce livre qu’à travers la décoration des manuscrits. Or, si l’on veut justement replacer ces manuscrits au cœur de la culture hagiographique de la fin du Moyen Âge, il faut bien tenir compte aussi de l’environnement visuel dans lequel les saints étaient nombreux, y compris dans l’espace domestique133. Puisqu’il s’agit bien, à terme, de saisir – à travers les saints et les manuscrits hagiographiques qui portent leur légendes  – toute une société, terminons ce long et incomplet parcours qui interroge jusqu’aux limites mêmes de ce qu’on appelle communément l’hagiographie en rappelant cette mise en garde de Guy Philippart : « nous ne pouvons concevoir la littérature hagiographique sans songer à ses concurrents »134. La manière dont l’hagiographie est traitée par Johan Huizinga permet du reste de se convaincre de l’intérêt qu’il y a aussi à regarder l’hagiographie dans sa relation avec d’autres discours. Johan Huizinga constate que le « culte des héros à la fin du Moyen Âge a trouvé sa forme littéraire dans les biographies de chevaliers parfaits »135. Parmi elles, celle d’un contemporain, Jean Le Meingre, dit « Boucicaut », aventurier parti en Orient, prisonnier à Azincourt en 1415 et mort ensuite en captivité. Je cite Huizinga : En 1409 déjà, un de ses admirateurs écrivit ses exploits, de sources très certaines, mais avec l’intention de produire, non pas une page d’histoire contemporaine, mais une image du parfait chevalier. […] Dimanche et les jours de fête, il fait à pied un pèlerinage, écoute la lecture de Vies de saints ou des histoires des “vaillans trespassez, soit Romains ou autres”136.

Héros antiques et saints chrétiens apparaissaient comme des points d’ancrage de l’imaginaire d’un chevalier de la fin du Moyen Âge. C’est qu’« à J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p. 159. De ce point de vue, on lira avec intérêt J.-L. Lemaitre, « Le culte des saints entre liturgie officielle et rites familiaux », dans La comunicazione del sacro (secoli ix-xviii), éd. A. Paravicini Bagliani et A. Rigon, Rome, 2008, p. 269-288, repris dans Id., Precamur fraternitatem uestram, ici p. 606-610. 134  G. Philippart, « Pour une histoire générale », 1996, p. 199. 135  J. Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p. 66. 136  Ibid., p. 67. Le Livre des fais se lit désormais grâce à D. Lalande (éd.), Le Livre des fais du bon messire Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, Genève, 1985. La citation auquel fait référence Johan Huizinga s’y trouve p. 433, voir aussi p. 416 : Moult lui plaist ouÿr lire beaulx livres de Dieu et des sains, des Fais des Rommains et histoire autentiques. 132  133 

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côté du romantisme de la chevalerie, on pourrait placer le romantisme de la sainteté, si l’on entendait par là le besoin de créer la représentation idéale d’une forme de vie déterminée »137. Ce « romantisme de la sainteté » ne caractérise-t-il pas le christianisme flamboyant de la fin du Moyen Âge ? Il explique en tout cas en partie le dernier âge d’or de la culture hagiographique médiévale, où se côtoient, tant dans les lectures que sous forme de géants dans les festivités urbaines des villes du Nord, les héros de l’Antiquité, les saints locaux et les figures universelles de la Légende dorée138.

5. Organisation de l’ouvrage Ce livre constitue les actes d’un colloque tenu successivement dans les universités de Lille, Namur et Louvain-la-Neuve. Il m’est agréable de remercier ceux qui en ont permis l’organisation et le bon déroulement : Esther Dehoux, Charles Mériaux et l’Institut de recherches historiques du Septentrion (IRHIS) à Lille ; Xavier Hermand et l’équipe du centre de recherche Pratiques médiévales de l’écrit (PRAME) à Namur, et enfin Paul Bertrand à l’Université Catholique de Louvain. Que tous les contributeurs reçoivent également l’expression de ma gratitude pour leur travail et les échanges qu’ils ont permis d’engager. Il faut être reconnaissant à Guy Philippart, qui, comme à son habitude, a relu certaines contributions, a participé à la qualité des discussions et à l’ambiance chaleureuse de chacune de ces riches journées. Merci également à André Vauchez, qui, avec un regard plus méditerranéen, a accepté de conclure ce colloque et ce livre. Merci enfin aux relecteurs anonymes d’une première version de l’ouvrage pour leur acribie. Ce colloque avait donné d’abord lieu à un appel à contributions. Ce livre, avec ses manques et ses desiderata est donc tout autant le reflet de l’historiographie francophone que des contingences qui font la vie de tout chercheur, débutant ou confirmé. Toute tentative de classification des contributions peut être critiquée et est de fait en partie artificielle. Il a semblé toutefois que se dégageaient clairement trois grandes thématiques, derrière lesquelles on a regroupé chacun des articles. Ces thématiques recouvrent des réalités linguistiques et territoriales – et donc des contextes sociopolitiques – différents qui, J.  Huizinga, Le déclin du Moyen Âge, p.  165. Sur  la chevalerie chez Huizinga, cf.  B.  Deruelle, « “L’idée de chevalerie” : du crépuscule de la chevalerie à l’histoire des représentations chevaleresques », dans L’odeur du sang et des roses. Relire Johan Huizinga aujourd’hui, éd. E. Lecuppre-Desjardin, Villeneuve d’Ascq, 2020, p. 151-176. 138  E. Lecuppre-Desjardin, La ville des cérémonies : essai sur la communication politique dans les anciens Pays-Bas bourguignons, Turnhout, 2004, p. 68-71. 137 

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même si des échanges intenses et évidents existent entre les différents milieux, gardent leur cohérence et semblent à même d’organiser la restitution de nos travaux. Une première partie est consacrée à l’hagiographie vernaculaire du nord de la France, ce qui est aussi en partie le reflet d’un champ de recherche relativement dynamique dans lequel sont engagés depuis longtemps les littéraires, mais dont les historiens auraient tout intérêt à s’emparer comme le montre la première contribution. Le nom de Wauchier de Denain émerge du flot anonyme des collections hagiographiques vernaculaires, et l’édition électronique en cours de son œuvre montre tout l’intérêt d’un retour systématique aux témoins manuscrits. Le Légendier picard, ou plutôt les légendiers picards y occupent une place de choix, successivement examinés comme collection, dans leurs rapports aux images des saints, et à la Légende dorée. Celle-ci, avec les Vies des Pères, a servi de base à un certain nombre de recueils. La deuxième partie est consacrée aux Pays-Bas méridionaux, terrain de prédilection de la Devotio moderna, lieu de rencontres linguistiques, d’élans réformateurs et d’expériences religieuses lisibles dans les manuscrits hagiographiques. Dans un riche domaine linguistique néerlandais dans lequel des outils permettent désormais de naviguer, la Légende dorée est aussi traduite, réutilisée ou encore richement décorée pour des usages multiformes. Les manuscrits latins côtoient les légendiers vernaculaires au moment où Jean Gielemans compose en latin une série d’œuvres hagiographiques parmi les plus importantes de la fin du Moyen Âge. C’est que, même s’il pénètre dans l’espace public comme jamais, lors des « grandes animations ecclésiales du théâtre urbain »139, le discours hagiographique, comme le montre l’exemple du Namurois, demeure le produit littéraire de première consommation qu’il n’a jamais cessé d’être dans les communautés religieuses. Enfin, une troisième partie propose des études de cas typologiques, sur un groupe de manuscrits, sur la fabrique d’un légendier ou d’un libellus, sur le placard hagiographique d’un sanctuaire, sur un manuscrit spécialement conçu pour se repérer dans la bibliothèque hagiographique d’une abbaye ou encore sur un légendier du xiiie siècle toujours utilisé. Elles s’ancrent dans différentes régions, le long d’un axe Ouest-Est, de la Bretagne à Trèves. L’espace considéré est immense et les études rares : signe historiographique de la méconnaissance générale dans laquelle se trouvent encore les historiens, dans Hagiographies, seul le sud-ouest du royaume de France a été abordé pour

139 

D. Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes, p. 72.

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Une culture hagiographique flamboyante

les périodes postérieures à 1100140. Il faudra y remédier. Que connaît-on par exemple de la culture hagiographique dans le cœur politique, culturel de cet espace ? S’il y a des pages absolument essentielles chez Colette Beaune sur les saints Clovis, Denis, Louis et quelques autres à la fin du Moyen Âge141, si on connaît les Légendes dorées de Charles V142 , la question de l’usage royal de l’hagiographie à la fin du Moyen Âge demeure encore peu traitée143. Même les manuscrits hagiographiques d’un lieu aussi important que l’abbaye de Saint-Denis attendent encore d’être étudiés en profondeur144. Que sait-on des manuscrits hagiographiques des innombrables communautés religieuses de la capitale ? S’est-on vraiment penché – autrement que pour y collationner les leçons de tel ou tel texte – dans le grand légendier du xve siècle de Saint-Victor de Paris (BNF, lat. 14650-14652), apparenté au Liber de natalitiis ?145 La région parisienne offre un observatoire privilégié pour qui veut saisir l’histoire de l’édition hagiographique à la fin du Moyen Âge. Ce livre aimerait modestement contribuer à une entreprise qui prendra du temps. Une introduction ne devrait peut-être pas poser tant de questions, qui dépassent largement le cadre de ce livre. En fait, l’histoire globale de la culture hagiographique reste encore à écrire, et il faut bien être plusieurs pour le faire. Commençons par nous appuyer sur des bases solides : les manuscrits C. Baillet et P. Henriet, « Gallia, 1130-fin xiiie siècle. Provinces de Bordeaux, Auch et Narbonne », dans Hagiographies. Histoire internationale de l’hagiographie latine et vernaculaire des origines à 1550, vol. vi, éd. M. Goullet, Turnhout, 2014, p. 705-807. 141  C. Beaune, Naissance de la nation France, Paris, 1993. 142  A.-F.  Leurquin-Labie, M.-L.  Savoye et G.  Veysseyre, « Les Légendes dorées de Charles  V : Jacques de Voragine et Jean de Vignay dans la librairie royale à la fin du xive siècle », dans Traduire au xive siècle. Évrart de Conty et la vie intellectuelle à la cour de Charles V, éd. J. Ducos et M. Goyens, Paris, 2015, p. 403-434. 143  Notons que Murielle Gaude-Ferragu a soutenu à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne une habilitation à diriger des recherches le 23 novembre 2019 sur un thème proche avec un mémoire inédit intitulé Des  reliques et des rois (1328-1435) dont on espère une publication rapide. 144  On dispose pour ce faire de solides bases pour s’orienter : D. Nebbiai-Dalla Guarda, La  bibliothèque de l’abbaye de Saint-Denis en France, du ixe au xviiie  siècle, Paris, 1985 et A. W. Robertson, The service-books of the royal abbey of Saint-Denis  : images of ritual and music in the Middle Ages, Oxford, 1991. Le sanctilogium de l’abbé Guy de Châtres, jadis évoqué par H. Omont, « Le Sanctilogium de Gui de Châtres, abbé de Saint-Denys », Bibliothèque de l’École des chartes, 86 (1925), p. 407-410 a fait l’objet d’une étude récente : J. Mews, « Re-structuring the Golden Legend in the Early Fourteenth Century : The  Sanctilogium of Guy of Châtres, abbot of Saint-Denis », Revue Bénédictine, 120 (2010), p. 129-144. Pour l’époque moderne : J.-M. Le Gall, Le mythe de saint Denis : entre Renaissance et Révolution, Paris, 2007. 145  Cf. F. Dolbeau, « Notes sur la genèse et sur la diffusion du Liber de natalitiis », Revue d’histoire des textes, 6 (1976), p. 155 et G. Ouy, Les manuscrits de l’abbaye de Saint-Victor. Catalogue établi sur la base du répertoire de Claude de Grandrue (1514), t. 2, Turnhout, 1999, p. 476-477. 140 

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hagiographiques. L’analyse globale de ces manuscrits permet d’éclairer des pans entiers des sociétés qui les ont produits et utilisés, tandis que celle de leurs modèles documente nécessairement des périodes antérieures. Sachant que les manuscrits hagiographiques sont conservés par milliers en Occident, il y a là un terrain de recherches considérable, un « gisement documentaire » immense que les historiens auraient décidément bien tort de délaisser, car c’est tout un monde qui « gît » non loin d’eux, dans les bibliothèques et les archives146.

G.  Philippart, « Le manuscrit hagiographique latin comme gisement documentaire. Un  parcours dans les Analecta Bollandiana de 1960 à  1989 », dans Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, éd. M. Heinzelmann, Sigmaringen, 1992, p. 17-48. 146 

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Première partie

L’hagiographie vernaculaire de la France du Nord. Usages et réception des manuscrits

Pourquoi réécrire des Vies de saints en français à la fin du Moyen Âge ? Quelques pistes

Catherine Vincent (Paris) La fin du Moyen Âge a connu « un dernier âge d’or » de la production hagiographique manuscrite, est-il rappelé au seuil de ces études1. Dernier âge d’or mais aussi temps de transformations, marqué par deux phénomènes majeurs : l’abréviation des textes latins anciens en des légendiers plus maniables, dont l’exemple emblématique n’est autre que la Légende dorée du dominicain Jacques de Voragine ; la réécriture en vernaculaire de certaines Vitæ anciennes ou produites en vue de la canonisation, aboutie ou non, de nouvelles figures de sainteté. Or, autant le premier mouvement a donné lieu à de nombreuses études, plus spécialement dédiées au célèbre légendier de l’évêque de Gênes2 , autant le second attira moins les chercheurs, à l’exception de rares travaux pionniers3.

F. Peloux, en introduction de ce volume. D’une très riche bibliographie, on retiendra : Jacopo de Varazza, Legenda aurea, éd. G. P. Maggioni, Florence, 1998 et Jacques de Voragine, La  légende dorée, trad. A.  Boureau (dir.), Paris, 2004 ; Legenda Aurea, sept siècles de diffusion, éd. B. Dunn-Lardeau, Montréal, 1986 ; B. Fleith et F. Morenzoni, De la sainteté à l’hagiographie : genèse et usage de la Légende dorée, Genève, 2001. 3  A.-F. Leurquin-Labie, Les légendiers en prose française à la fin du Moyen Âge, avec une édition critique de vingt Vies de saints, thèse de doctorat sous la direction de J. Monfrin, université Paris IV, 1985. 1 

2 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 43-63. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126287

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Catherine Vincent

Depuis quelques années, le panorama historiographique change. Le travail des abréviateurs, longtemps déconsidéré, se voit reconnaître une authentique dignité dans l’opération de recomposition et de sélection du discours des hypotextes, dans le contexte plus large de l’intérêt porté à la réécriture, avant tout de l’hagiographie latine4. Pour sa part, la littérature hagiographique en vernaculaire s’est trouvée incluse dans deux vastes opérations de recherche qui se sont penchées sur l’acte de traduction. L’une est consacrée à l’ensemble des traductions médiévales vers le français, des translations est-il plus juste de dire5. L’autre est centrée sur l’étude de la diffusion de cinq best-sellers de la littérature de dévotion de la fin du Moyen Âge (OPVS : Œuvres Pieuses Vernaculaires à Succès), au sein desquelles figure une œuvre hagiographique, la Légende dorée dans ses traductions6. Il faut enfin ajouter à ces deux entreprises la réalisation de la base de donnée JONAS qui répertorie les textes hagiographiques conservés en langues d’oïl et d’oc (outre d’autres types de production) et informe pour chacun de sa tradition manuscrite7. Dès les années 1980, plusieurs éminents spécialistes ont attiré l’attention sur la profonde empreinte dont la culture hagiographique a marqué l’Occident médiéval8. Il n’y a donc rien de surprenant à voir le champ des Vies de saints et autres récits de miracles ou de manipulations des reliques gagné par le mouvement de vernacularisation qui s’affirme dans de nombreux secteurs de M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques : essai sur les réécritures de Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie  s.), Turnhout, 2005 et É.  Renard et  al. (éd.), Scribere sanctorum gesta, Recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, Turnhout, 2005. 5  Translations médiévales : cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve siècle). De la translatio studii à l’étude de la translatio, éd. C. Galderisi, Turnhout, 2011 et Le corpus Transmédie : répertoire, « purgatoire », « enfer » et « limbes », éd. Id., Turnhout, 2011, 2 vol. 6  Dirigé par Géraldine Veysseyre (Sorbonne Université), le projet OPVS (Œuvres Pieuses Vernaculaires à Succès) a retenu les œuvres suivantes : Jacques de Voragine, La Légende dorée (traductions) ; La Somme le roi ou Livre des vices et des vertus de Frère Laurent ; Le pèlerinage de vie humaine de Guillaume de Digulleville ; l’Horologium saptientiæ d’Henri Suso (traductions) ; les Meditationes vitæ Christi du Pseudo-Bonaventure (traductions) et les Vitas patrum (traductions). Pour chacune d’elles, le nombre de témoins manuscrits conservés dépasse le seuil de 80 dans les cinq langues suivantes : français (oïl), anglais, allemand, néerlandais et italien. 7  La base de données JONAS (Répertoire des textes et des manuscrits médiévaux d’oc et d’oïl), œuvre de la Section romane de l’IRHT, est actuellement dirigée par M.-L. Savoye et A-F. Leurquin-Labie : http://jonas.irht.cnrs.fr, consulté le 4 mai 2021. 8  Hagiographie, cultures et sociétés ive-xiie siècles, éd. É. Patlagean et P. Riché, Paris, 1981. F.  Peloux, « Avant-propos », dans Le  légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an mil, éd.  Id., Turnhout, 2018), p.  8, n.  5 rappelle la distinction entre « production hagiographique » et « culture hagiographique », ou « champ hagiographique », pour reprendre l’expression de Guy Philippart. 4 

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la production écrite à partir du xiiie siècle. L’usage des langues « vulgaires », celles du peuple, s’observe non seulement pour les actes courants de la vie économique et sociale ou dans l’administration9, mais s’introduit aussi dans la sphère religieuse. Tel était déjà le cas de la prédication qu’il était prescrit de délivrer en vernaculaire depuis les Carolingiens. Or, à partir du xiiie et plus encore aux xive et xve siècles, c’est toute une production didactique et spirituelle qui est gagnée par le mouvement, au nom d’objectifs pastoraux et pour répondre à l’attente des fidèles, clercs inclus. Près d’un siècle après Paul Meyer, Geneviève Brunel-Lobrichon, Anne-Françoise Leurquin-Labie et Martine Thiry-Stassin ont brossé, dans le tome II de la collection « Hagiographies » dirigée par Guy Philippart, un tableau de la production de Vies de saints en langues d’oïl et d’oc, avançant des réponses à la question centrale que pose l’émergence de telles œuvres : au sein de l’immense corpus hagiographique latin, quels sont les textes qui ont été retenus pour être translatés10 ? Que révèle cette sélection des attentes des commanditaires, du travail des translateurs et de l’horizon culturel de ceux qui en furent destinataires, par des canaux divers ? Gardons-nous en effet d’oublier la dimension d’oralité que présente toute la littérature médiévale et à laquelle n’échappe pas la production hagiographique. Au premier regard, on constate qu’au sein de cet ensemble, les saints anciens côtoient les saints nouveaux : curieusement, les premiers, Anne-Françoise Leurquin-Labie l’a souligné, se font très présents, surtout au xve siècle11. Plus encore, les saints locaux ou régionaux le disputent aux « grands » saints universels, bien que pour les seconds le nombre de textes conservés soit sans comparaison avec ce qu’il en est pour les premiers : on passe de quelques unités à plusieurs dizaines, comme par exemple pour Marie Madeleine (44 Vies répertoriées dans la base JONAS), Nicolas (42), Pierre (42) ou, saint plus récent mais non moins populaire, François d’Assise (41), pour ne citer qu’eux. C’est dans le prolongement de ces remarques que se situe la présentation de cinq dossiers rattachés à un Nord du royaume de France dilaté jusqu’aux confins du Cotentin ou à la capitale, Paris. Il s’agit de Vies qui ne sont pas connues par leur insertion dans des légendiers liturgiques mais ont circulé 9  S. Lusignan, La langue des rois au Moyen Âge : le français en France et en Angleterre, Paris, 2004. 10  P.  Meyer, « Légendes hagiographiques en français », Histoire littéraire de la France, t.  33, Paris, 1906, p.  328-458 ; G.  Brunel-Lobrichon, A.-F.  Leurquin-Labie et M. Thiry-Stassin, « L’hagiographie de langue française sur le continent, ixe-xve siècle », dans Hagiographies : histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, vol. ii, éd. G. Philippart, Turnhout, 1996, p. 291-371. 11  G. Brunel-Lobrichon, A.-F. Leurquin-Labie et M. Thiry-Stassin, « L’hagiographie de langue française », p. 322-325.

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soit de manière isolée, soit dans de petits légendiers « thématiques », soit enfin associées à d’autres textes spirituels dans des recueils factices. Plus rarement, l’une ou l’autre peut provenir des archives des groupes qui l’ont commanditée, ce qui permet de contextualiser au plus près sa production et de saisir les attentes auxquelles répondit sa rédaction. Notons également que ces textes furent peu diffusés, à en juger par une tradition manuscrite fort limitée et qui revêt la forme de témoins très simples, dépourvus des enluminures qui ont fait la célébrité, par exemple, des copies de la traduction française de la Légende dorée par Jean de Vignay. Mais, précisément, ces deux caractères, qui pourraient faire négliger de telles productions, attestent la profondeur sociale du phénomène de la réécriture hagiographique en langue d’oïl. La vernacularisation cache souvent, même si ce n’est pas systématique, une vulgarisation qui se perçoit ici avec force. Relatifs à des saints très divers, anciens (Geneviève de Paris, Didier de Langres et Romain de Rouen) et nouveaux (Dominique de Guzman et Thomas Hélie de Biville), célèbres ou peu connus, ces dossiers contribuent à éclairer les diverses facettes de l’hagiographie tardive en vernaculaire. Après la présentation de chacun, qui suit l’ordre chronologique, on tentera quelques remarques conclusives.

1. Nourrir la vie spirituelle des mouvements évangéliques : saint Dominique Les études qui ont été publiées à la suite de la récente commémoration du VIIIe centenaire de la fondation de l’ordre dominicain en 1215 ont montré que le culte du fondateur des Prêcheurs se diffusa lentement, du moins dans la partie nord du royaume de France12 . L’observation rend d’autant plus intéressante la rédaction d’une Vie française de saint Dominique à une date très précoce, dès les années 1256-1259, à suivre l’hypothèse proposée par son éditeur, le professeur Warren Francis Manning13 : il faut ensuite attendre le xve siècle pour trouver une autre Vie française de Dominique. L’auteur de ce texte en vers, long de 5368 octosyllabes répartis en 67 chapitres, est inconnu ; mais Warren Francis Manning le pense originaire du Beauvaisis en raison de sa langue et le situe dans la mouvance du couvent Saint-Jacques de Paris, C. Vincent, « La lente diffusion du culte de saint Dominique dans le nord du royaume de France (xiiie-xve siècle) », dans Les Dominicains en France (xiiie-xxe siècle), éd. N. Bériou, A. Vauchez et M. Zink, Paris, 2017, p. 197-220. 13  W.  F. Manning, The  Life of saint Dominic in Old French Verse, criticaly edited, Cambridge, 1944. Voir aussi : A.-F. Leurquin et M.-L. Savoye, notice de « Vie de saint Dominique, Anonyme » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/ oeuvre/1704), consultée le 23/03/2020. 12 

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dont il fut peut-être membre. Il convient de souligner la double précocité de cette Vie française du fondateur des Prêcheurs : la première, au titre de la littérature hagiographique en vernaculaire, puisque le xiiie siècle voit le début de cette production dont le rythme s’accélère ensuite, notamment au cours du xve siècle14 ; la seconde, au titre de l’hagiographie dominicaine. En effet, les grands textes latins qui fixent la vie de Dominique, reconnu saint en 1234, ont été pour la plupart produits entre les années 1233 et 1256. Ils le furent tout d’abord dans le contexte du procès de canonisation, avant d’être remaniés, adaptés à l’usage liturgique et insérés en version écourtée dans les premiers légendiers abrégés dominicains15. Confirmant ce qui vient d’être dit sur le rayonnement limité du culte de saint Dominique au xiiie siècle, surtout si on le compare à celui de saint François d’Assise, notre Vie française n’a pas connu une large diffusion. Sa tradition manuscrite se limite à deux témoins, renvoyant l’un et l’autre au même contexte géographique, circonscrit à la ville d’Arras et sa région16. Le premier témoin, daté de la seconde moitié du xiiie siècle et ayant appartenu à l’abbaye Saint-Vaast d’Arras, se présente comme un recueil de trente légendes où voisinent des figures anciennes du christianisme, dont de nombreux apôtres (Pierre, André, Jacques, Barthelemy, Matthieu, Jean, Simon et Jude ainsi que Paul), d’autres propres au contexte « français » (Martin de Tours et Martial de Limoges), d’autres encore d’introduction récente dans les cultes en Occident (saint Nicolas), d’autres enfin très ancrées dans le contexte local, tel saint Vaast17. D’après Paul Meyer, la Vie de saint Vaast contenue dans ce manuscrit serait une création originale18. Plusieurs de ces Vies sont dues à Wauchier de Denain, qui œuvra au début du xiiie siècle au service des comtes de Flandre et la Vie de Jean l’Évangéliste est attribuée à Henri de Valenciennes, membre à la même période de l’entourage des deux empereurs latins de Constantinople Baudouin et Henri de Flandre. Relevons également deux pièces qui G. Brunel-Lobrichon, A.-F. Leurquin-Labie et M. Thiry-Stassin, « L’hagiographie de langue française ». 15  Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, témoignages écrits, éd.  N.  Bériou et B. Hodel, Paris, 2019, p. 593-1059 : présentation du dossier de canonisation et de l’hagiographie (Vies et insertion dans les légendiers), p. 1461-1509 : offices liturgiques pour les fêtes de saint Dominique et p. 1647-1665 : tableau chronologique final. 16  Des variantes mineures distinguent les deux versions ; W. F. Manning, The Life of saint Dominic. 17  Arras, Bibliothèque municipale, ms. 307 (ancien 851). A.-F. Leurquin et M.-L. Savoye, notice de « ARRAS, Bibliothèque municipale,  0851 (0307) » dans la base Jonas-IRHT/ CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/3629), consultée le 23/03/2020. 18  P. Meyer, « Notice sur le manuscrit 307 (ancien 851) de la bibliothèque d’Arras. Recueil de Vies de saints en prose et en vers », Romania, 17 (1888), p. 365-400 (ici p. 369). 14 

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se rattachent à la tradition du Purgatoire : Le  Purgatoire de saint Patrick19 et une Vie de saint Fursy. Saint Dominique est le seul saint nouveau présent dans ce corpus. Bien que sa Vie soit placée à la fin de la collection, elle ne saurait être considérée comme un ajout, puisqu’elle est attribuée à la main 2 (trois mains ont été repérées) qui se lit dès les premiers feuillets du manuscrit. Notons enfin que celui-ci compte de nombreuses enluminures de petite taille et de facture très simple. Le second témoin de la Vie française de saint Dominique du xiiie siècle est également situé dans la région d’Arras suivant des critères philologiques, sans que l’on en sache plus sur sa provenance médiévale20. Recueil factice de douze textes, il est très marqué par la spiritualité nouvelle. La Vie de saint Dominique y côtoie en effet celles de François d’Assise et d’Élisabeth de Hongrie, auxquelles on peut associer celles de Marthe et de Marie-Madeleine : les deux sœurs de Béthanie font l’objet d’une dévotion de plus en plus soutenue en Occident depuis le xiie siècle. Figurent aussi des textes de nature spirituelle : Les Vers de la mort d’Hélinand de Froidmont21 et un Enseignement pieux sur l’amour divin. On y retrouve Le Purgatoire de saint Patrick et au revers du premier feuillet se lisent quelques dictons sur les nations : « Pitié de Lombardt, Labeur de Picart… »22 . Au-delà de cette indéniable tonalité « mendiante », la présence d’une Vie de saint Augustin tendrait à rattacher cet ensemble au milieu dominicain. Les deux témoins de la Vie de saint Dominique du xiiie siècle mériteraient chacun une analyse plus approfondie. Tous deux font état d’un intérêt soutenu pour les courants nouveaux de la vie religieuse, dans cette ville alors renommée pour sa fécondité littéraire : le modèle apostolique incarné par divers saints récents, les représentations de l’au-delà en profonde évolution avec la conceptualisation et la localisation du Purgatoire, l’interrogation sur Il s’agit ici d’une version anonyme en prose du xiiie siècle présente dans de nombreux légendiers  ; notice ARLIMA  : https://www.arlima.net/mp/purgatoire_de_saint_patrice. html consultée le 04/05/2021 et Dictionnaire des lettres françaises, Le Moyen Âge, Paris, 1992, p. 1208-1209. Le texte latin, quant à lui, est daté des années 1179-1185 : G. P. Maggioni et al., L’aldilà nel medioèvo. Il Purgatorio di san Patrizio, Florence, 2018, dont p. xxxii (je remercie Guy Philippart de m’avoir communiqué cette référence). 20  Paris, BNF, fr. 19531. Catalogue général des manuscrits français de la bibliothèque nationale, Paris, 1900, t. iii, p. 343-344. Section romane, notice de “PARIS, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, fr.  19531” dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas. irht.cnrs.fr/manuscrit/45877), consultée le 23/03/2020. Manuscrit consultable sur Gallica. 21  Les Vers de la mort d’Hélinand de Froidmont étaient très appréciés à lire Vincent de Beauvais, Speculum historiale, XIX, Venise, 1591, c. 108, fol. 424b : Helinandus… qui et illos versus de morte in vulgari nostro qui publice leguntur tam eleganter et utiliter ut luce clarius patet composuit (je remercie Guy Philippart de m’avoir communiqué cette indication). 22  Ibidem, fol. 1v. 19 

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la mort. C’est à Arras que la mention explicite du Purgatoire se repère pour la première fois en France dans des statuts de confrérie. Il s’agit en l’occurrence de la compagnie Notre-Dame-et-Saint-Dominique des Barbiers, fondée en 1247-1248 auprès du couvent des Prêcheurs, dont les membres verront « acourcier leur paines en Purgatore » grâce à leur association aux bénéficies spirituels de la prière des Frères prêcheurs23. Aucune relation précise n’a pu cependant être établie entre cette association et l’émergence de la Vie française de saint Dominique, alors que l’implantation des frères à Arras vient d’être autorisée par le chapitre en 123324. En revanche, il est tentant de suivre l’hypothèse du professeur Manning qui voit dans la Vie de Dominique une œuvre destinée aux milieux féminins, mulieres religiosæ ou béguines qui sont nombreuses dans la région, notamment en ville, et auxquelles il est bon de faire connaître le saint par un texte en vernaculaire25. Les images viendraient-elles conforter la suggestion ? Le second témoin manuscrit dans lequel le texte se trouve inclus comporte, au début du poème, une enluminure qui met en scène un prédicateur (Dominique, sans doute) s’adressant à un groupe de femmes assises ou agenouillées26. De même, dans le manuscrit de Saint-Vaast, deux enluminures figurent la Vierge suivie de deux compagnes au chevet de Réginald d’Orléans, des figures féminines qui pourraient faire écho aux sœurs hospitalières27 ? L’écriture d’une Vie française de saint Dominique au milieu du xiiie siècle semble donc répondre à un contexte bien précis, dans une région qui, faut-il le rappeler, connut régulièrement des foyers de dissidence entre le début du xie siècle et le milieu du xiiie : il importe d’y diffuser la bonne doctrine jusque dans ses nouveautés28. Selon toute vraisemblance, ce texte vient en réponse à l’attente de groupes sociaux très limités, proches des courants spirituels évangéliques. À sa modeste place, il s’inscrit aussi dans un temps où 23  G. Espinas, Les origines du droit d’association dans les villes de l’Artois et de la Flandre française jusqu’au début du xvie siècle, Lille, 1941-1942, 2 vol., t. 1, p. 43-57 et t. 2, documents no 8 et 9, p. 17-24 (citation, t. 2, p. 20, 1, 21-22). 24  B. Delmaire, Le diocèse d’Arras de 1093 au milieu du xive siècle, Arras, 1994, p. 239. 25  Ibid., p. 318-333, « Le grand succès des Béguines » où sont identifiées pour la cité et la ville d’Arras, avec bien des incertitudes, précise l’auteur, dix couvents ou maisons de béguines, dont deux au xiiie siècle et les huit autres au xive. Il n’est pas exclu que ces implantations aient été plus nombreuses. 26  Paris, BNF, fr. 19531, fol. 22. 27  Arras, Bibliothèque municipale, ms. 307 (ancien 851), fol. 196. 28  B.  Delmaire, Le diocèse d’Arras, p.  385-389 : tout en voyant « le catharisme » comme « une étoile filante » dans le diocèse d’Arras, l’auteur cite de petits foyers d’hérésie échelonnés depuis le début du xie siècle jusqu’au milieu du xiiie ; le diocèse d’Arras fait partie du terrain d’action de l’inquisiteur tristement célèbre Robert le Bougre, deux fois suspendu par le pape à la demande des évêques de la région en raison de son zèle intempestif.

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l’ordre dominicain se préoccupe de fixer son histoire, à commencer par celle de son fondateur. C’est en 1256 que Humbert de Romans achève la rédaction de la Legenda major : « l’image de Dominique, telle qu’elle est véhiculée dans l’hagiographie, se stabilise »29. Enfin, sa présence dans un légendier dont l’origine monastique est bien attestée prouve que production hagiographique vernaculaire et monde régulier « ancien » ne sont pas étrangers l’un à l’autre.

2. Entretenir un culte local : Thomas Hélie de Biville30, un saint « apostolique » Le cas du prédicateur itinérant Thomas Hélie de Biville (1180/1187-1257), qui se rattache lui aussi à la spiritualité évangélique, plonge au plus profond de la sainteté locale31. Issu d’un milieu rural modeste, Thomas se fait remarquer par ses qualités intellectuelles. D’abord maître d’école dans la région de Cherbourg, il se convertit à un âge non déterminé à une vie de pauvreté à la suite de la guérison miraculeuse d’une grave maladie. Abandonnant sa part d’héritage à son frère, il accepte, à la demande de son évêque, d’être ordonné prêtre à la condition de pouvoir se rendre en pèlerinage à Rome et à Compostelle et de se former un an à Paris. Depuis la paroisse de Biville dont il est originaire, mais ne semble pas avoir été curé, il sillonne alors les campagnes des diocèses de Coutances et d’Avranches, sans jamais, curieusement, rallier aucun ordre religieux, mais avec l’assentiment des évêques. L’homme a suffisamment marqué ses contemporains, jusque dans les sphères influentes de la société civile et cléricale, pour que soit entreprise à son propos une procédure de canonisation, peu après sa mort en odeur de sainteté en 1257. Débutée en 1264, l’initiative a entraîné la rédaction d’une Vita et d’un recueil de près de soixante-neuf Miracula32 . La Vita est rapidement adaptée en Saint Dominique de l’ordre des frères prêcheurs, témoignages écrits, p. 790. Biville : Manche, arr. Cherbourg-Octeville, c. Beaumont-Hague. 31  A. Silvera, Le bienheureux Thomas Hélie de Biville († 1257) : dossier hagiographique et culte (xiiie-xive  siècle), Mémoire de master dirigé par C.  Vincent, Université Paris-Ouest-Nanterre, 2011, 2 tomes ; C. Vincent, « L’attention portée au monde rural par le bienheureux Thomas Hélie de Biville, prédicateur itinérant en Cotentin (xiiie siècle) », dans Ruralités : des terres, des dieux et des hommes. Hommage à Jean Tricard, éd. J. Hoareau-Dodinau, Limoges, 2015, p. 199-215 ; fiche sur le site de l’Inventaire des sanctuaires et lieux de pèlerinage français : A. Silvera, « Saint-Pierre-de-Biville », Inventaire des sanctuaires et lieux de pèlerinage chrétiens en France : https ://sanctuaires.aibl.fr/fiche/354/saint-pierre-de-biville, version du 13/12/2012, consultée le 19/03/2020 (le pèlerinage est cité sous le nom du lieu de culte, Thomas n’ayant pas été canonisé). 32  Dossier hagiographique en latin : BHL 8252-8253 ; AASS, Octobris, VIII, 1866, p. 592-622 (19 octobre). 29  30 

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un long poème en « Hague langage » (v. 30) de 1083 octosyllabes ordonnés en strophes irrégulières, daté des années 1340 par son plus récent éditeur33. L’auteur de ce texte, dont on ne connaît que le nom, Jehan Hélie, parfois dit de Saint-Martin (un village voisin), se désole que la cause n’ait pas abouti, en raison, dit-il, du manque de soutiens à la cour (royale et/ou pontificale ?). Le but de cette réécriture, qui suit de près le texte latin, est sans conteste de diffuser et entretenir le souvenir de Thomas auprès de la population de la région. Le culte, encore vivant de nos jours, a en effet très vite débuté dans l’église de Biville, autour du tombeau de Thomas et de diverses reliques secondaires, dont sa chasuble. La Vie de Thomas Hélie n’est connue que par une copie manuscrite d’un érudit du xviie siècle, ce qui empêche de juger de la qualité du support sur laquelle elle fut fixée, mais que tout porte à voir comme très modeste34. Elle n’a sans doute guère circulé au-delà des diocèses d’Avranches et de Coutances, qui furent le terrain d’action du prédicateur. Sa rédaction peut être mise en relation avec la fondation, le 19 octobre 1317, d’une confrérie Saint-Thomas, signe qu’en dépit de la non reconnaissance officielle de la sainteté du prêtre, celui-ci continue d’être vénéré sur place. Cette association est encore bien vivante au milieu du xive siècle, où ses comptes sont connus pour 1327 et pour 136635. Sur un autre registre que la Vie française de saint Dominique, celle de Thomas Hélie de Biville et le complexe dévotionnel dans lequel elle s’insère montrent la force du modèle évangélique. Celle-ci s’observe tant auprès des responsables de la pastorale qui ont apporté leur soutien à ce prédicateur itinérant, dans une sorte d’application du canon 10 du IVe concile du Latran36, qu’auprès des populations, comme en témoigne, au sein des récits de la Vie et des Miracles du saint, l’attention manifestée au monde rural.

3. Faire écho à la pastorale et à l’actualité : Les Miracles madame sainte Genevieve Le texte dont il va être question désormais conduit à Paris au début du xve siècle, dans un contexte très différent, celui d’une grande ville, en plein Fiche sur le site JONAS : A.-F.  Leurquin et M.-L.  Savoye, notice de « Vie du bienheureux Thomas Helie de Biville, Jean de Saint Martin » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/oeuvre/1825), consultée le 23/03/2020. P. E. Bennett, « La Vie du bienheureux Thomas Élie de Biville », Pluteus, 4-5, (1986-1987), p. 151-230 (plus récente édition). 34  Paris, BNF, fr. 4901 (copie de Toustain de Billy). 35  A. Silvera, « Saint-Pierre-de-Biville ». 36  G. Alberigo (éd.), Les conciles œcuméniques : Les Décrets, tome II-1, Paris, 1994, p. 512-515 : IVe concile du Latran, canon 10, « L’institution de prédicateurs ». 33 

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cœur de la guerre de Cent ans et de la guerre civile qui déchire le royaume. Il  s’agit de l’une des réécritures françaises de l’hagiographie latine de sainte Geneviève de Paris, qui se présente sous la forme d’un ensemble de petits jeux scéniques connus sous le titre Les Miracles madame sainte Genevieve, datés par leur éditrice de 142037. Ces jeux sont conservés dans le manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, qui, pour sa part, aurait été réalisé un peu avant 1450, d’après Gabriella Parussa38. Le copiste en aurait peut-être été un chanoine de l’abbaye, le prieur de Marizy, près de Meaux, Jehan Liiocte de Coupeureez, cité au fol. 218r dans l’ex libris de son neveu Arnoul, daté de 1502. Le codex rassemble des pièces spirituelles diverses et se clôt par quelques lignes profanes, sur le registre amoureux. Il est connu de longue date des spécialistes de la littérature médiévale en raison des onze Mystères qu’il renferme : un cycle consacré au Sauveur et un cycle des premiers martyrs, Étienne, Paul et Denys de Paris, suivi par Les Miracles madame sante Genevieve. La patronne de Paris est ainsi mise en relation avec les grands acteurs de la christianisation de la cité, qui se rattachent aux temps apostoliques et à l’histoire de l’abbaye génovéfaine. Plusieurs des pièces du manuscrit Sainte-Geneviève 1131 ont été l’objet d’études particulières avant que celui-ci ne soit récemment considéré dans sa totalité par Gabriella Parussa. Celle-ci y voit une collection unitaire, destinée autant à la lecture qu’à la performance. Quant au texte des Miracles madame sainte Genevieve, il est ponctué de quelques didascalies qui précisent que les divers éléments dont il se compose peuvent être joués séparément : l’ensemble comporte en effet pas moins de 3127 vers, répartis en quinze pièces d’inégale longueur. Avant l’étude de Gabriella Parussa, avait été avancée l’hypothèse selon laquelle les jeux du manuscrit Sainte-Geneviève 1131 auraient été destinés à la C.  Sennevaldt, Les Miracles de sainte Genevieve, Francfort-sur-le-Main, 1937. Sur l’œuvre, on renvoie à la notice du site ARLIMA : https://arlima.net/no/4028, dernière mise à jour 28 octobre 2014 ; consultée le 31/03/2020. 38  Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms.  1131 (consultable en ligne sur le site de la Bibliothèque Sainte-Geneviève : https://archive.org/details/MS1131). Sur  ce manuscrit, voir les notices des bases JONAS : Section romane, notice de « PARIS, Bibliothèque Sainte-­ Geneviève, 1131 » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/ manuscrit/48894), consultées le  23/03/2020 et CALAMES : http://www.calames.abes.fr/ pub/#details ?id = BSGA13150. On observe de légères différences dans la description du manuscrit d’une notice à l’autre : contrairement à la notice de CALAMES, celle de JONAS n’inclut pas Les Miracles madame sainte Genevieve, achevant sa description du manuscrit au feuillet 182 ; en revanche, elle identifie la farce incluse dans la Vie de saint Fiacre (fol. 55-69), Le Brigand, le Vilain, la Femme du Vilain (fol. 63v-67) et Les Neuf Joies de Notre Dame de Rutebeuf (fol. 116-117) ; G. Parussa, « Le manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève de Paris : un montage signifiant ? », dans Mouvances et jointures, du manuscrit au texte médiéval, éd. M. Mikhaïlova, Orléans, 2005, p. 22-51. Gabriella Parussa prépare en collaboration avec Jean-Pierre Bordier une édition de ces Miracles. 37 

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confrérie de la Passion, tout nouvellement instituée dans la capitale, en 1402, par le roi Charles VI. La proposition n’est plus reçue désormais : il est impossible d’apporter la preuve de telles performances39. Mais faut-il pour autant abandonner toute relation entre cet ensemble de jeux, plus spécialement Les Miracles madame sainte Genevieve, et le milieu confraternel40 ? Le bourg qui s’est constitué autour de l’abbaye compte en effet plusieurs confréries instituées par les divers corps de métier représentés. Il  serait étonnant que l’une d’elles ne soit pas dédiée à la sainte patronne de l’abbaye41. Une étude des confréries parisiennes à la fin du Moyen Âge identifie deux compagnies Sainte-Geneviève autorisées par Charles  VI, l’une en  1402 à l’église Sainte-Geneviève des Ardents et l’autre en  1413 en l’église Saint-Pierre-etPaul42 . On serait ainsi tenté de suggérer des origines médiévales à la célèbre confrérie des porteurs de la châsse de sainte Geneviève. Bien documentée à partir du début du xvie siècle, cette importante compagnie attire durant toute l’époque moderne l’élite de la société parisienne, dont les membres se disputent le privilège de porter le lourd coffre durant les processions43. Faute de pouvoir établir une telle continuité, on invoquera d’autres indices pour plaider en faveur du lien entre les Miracles madame sainte Genevieve et le monde des confréries. On  citera tout d’abord la taille modeste de certains jeux (de 200 à 500 vers, pour les plus longs) qui se prêtent aisément à une performance dans le contexte des fêtes annuelles de ces groupes, souvent marquées par un temps de prédication ou de glorification du saint parton44. Mais, plus encore, on se fondera sur l’analyse des orientations données à la G. Runnalls, Le cycle des mystères des premiers martyrs du manuscrit 1131 de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, Genève, 1976, p.  1416 récuse le lien entre le manuscrit  1131 et la confrérie de la Passion, tout en avouant que celui qui serait plus vraisemblable, avec la confrérie Sainte-Geneviève de l’abbaye, n’est guère plus solide. 40  C. Vincent, « Sainte Geneviève, le royaume et l’Église au début du xve siècle, au témoignage des Miracles par personnages (Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 1131) », dans Rerum novarum ac veterum scientia. Mélanges en l’honneur du professeur Brigitte Gaudemet-Basdevant, s. l., 2020, t. 2, p. 667-683. 41  P. Feret, L’abbaye Sainte-Geneviève et la Congrégation de France, Paris, 1883, p. 326 et suiv. 42  S. Claus, Les confréries parisiennes à la fin du Moyen Âge, Mémoire de DEA dirigé par C. Gauvard, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 1995, p. 95 et 96. L’église Sainte-Geneviève des Ardents, ou la Petite, est située sur l’île de la Cité et commémore la fin de l’épidémie du mal des ardents obtenue par l’intercession de la sainte en 1130. 43  Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 1874 (statuts de la confrérie des porteurs de la châsse, 1527 ; liste des confrères) ; notice CALAMES : http://www.calames.abes.fr/pub/#details ?id = BSGB11508, consultée le 04/03/2021. Sur les processions de la châsse de sainte Geneviève, voir M. Sluhovsky, Patroness of Paris : Rituals of Devotion in Early Modern France, Leyde, 1998. 44  C. Vincent, Les confréries dans le royaume de France, xiiie-xve siècle, Paris, 1994, p. 24-29 ; Jean-Pierre Bordier, éminent spécialiste du théâtre médiéval, considère qu’il faut compter approximativement une heure pour l’interprétation de 1000 vers. 39 

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réécriture des récits. Certes, chacun des épisodes mis en scène provient de la tradition latine dont la trame narrative est conservée, ce qui n’étonnera pas pour une sainte aussi célèbre que Geneviève. Pourtant, dans le traitement des épisodes retenus, se perçoivent des traces du contexte qui a porté cette réécriture. Parmi les thèmes mis en valeur, on observe en effet l’insistance apportée à la prière d’intercession : Geneviève apprend ainsi à prier à la mère d’un enfant mort noyé dans un puits sans avoir reçu le baptême, l’invitant à s’adresser à la Vierge, ce qui ne figure pas dans le récit latin du miracle où la sainte sauve directement le petit45. Plus probant encore, peut-être, la présence de plusieurs épisodes qui offrent l’occasion de mettre en scène des processus de réconciliation, notamment entre un maître et son valet fautif46. Or, de nombreux statuts de confréries préconisent à leurs membres entrés en litige de tenter de résoudre leurs conflits par l’entremise des maîtres avant d’aller en justice47. Plus largement, on retrouve dans ces jeux les traits saillants de la pastorale de la fin du Moyen Âge : dans la manière dont sont détaillés les vertus de la confession individuelle, dans le rôle dévolu à l’évêque pour le pardon des graves fautes – rôle tenu par Geneviève elle-même dans la tradition latine – 48, enfin, dans l’insertion d’une violente diatribe contre les ravages de la haine, qui rappelle le climat de guerre civile auquel il a été fait allusion49. Sans analyser davantage des textes d’une grande richesse, on aimerait souligner en quoi ils témoignent d’une manière particulièrement éloquente de l’actualisation qui accompagne toute réécriture hagiographique. On mesure à quel point Vies et Miracles des saints sont des matériaux vivants, objets d’appropriations sans cesse renouvelées, dans un jeu d’équilibre complexe entre les éléments de la tradition, familiers à tous, et leur mise au goût du jour. Cy apres est comment .1. enfant noiez fut resuscitez par les prieres madame Sainte Genevieve (v. 1539-1862, spécialement v. 1656-1692) ; C. Sennevaldt, Les Miracles de sainte Genevieve, p. 105-118, spécialement p. 110-111 : notons que l’enfant en cause n’est plus un nourrisson ; le miracle accompli par Geneviève de son vivant, selon la tradition, se réfère à une période où le baptême des nouveau-nés n’était pas entré dans les habitudes comme il l’est à la fin du Moyen Âge. 46  Comment madame Saincte Geneviefve pria ung bourgois d’Orlïens qu’il pardonnast a son varlet son meffait  (v.  1863-2004) ; Cl.  Sennevaldt, Les Miracles de sainte Genevieve, p. 119-123. 47  C. Vincent, Les confréries, p. 130-135. 48  Ces deux traits s’observent plus spécialement dans les récits suivants : Cy apres est de une nonnain de Bourges qui vint voir madame Sainte Geneviefve (v. 11501528) et Cy apres est de une fame a qui madame Sainte Genevieve rendit la veue que elle avoit perdue pour ce que elle avoit emblé les soullers de la dicte Vierge (v. 2818-3127) ; Cl. Sennevaldt, Les Miracles de sainte Genevieve, respectivement p. 94-105 et 157-166. 49  M.  Vincent-Cassy, « Réflexions sur la haine et la charité en France à la fin du Moyen Âge », dans Justice et Miséricorde : discours et pratiques dans l’Occident médiéval, éd. C. Vincent, Limoges, 2015, p. 257-294, spécialement p. 285-292. 45 

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4. Glorifier l’histoire locale : Langres et Rouen L’actualisation dont témoignent les réécritures françaises de Vitæ à la fin du Moyen Âge accorde une large place à un type de saint dont Anne-Françoise Leurquin-Labie souligne également pour sa part l’importance, surtout dans la production du xve siècle50 : les évêques, plus précisément les saints évêques anciens, martyrs ou confesseurs de l’époque mérovingienne. Dans l’attente d’une étude systématique qui reste à mener à l’échelle du royaume de France, on n’est pas en peine pour citer des diocèses dont l’une des figures épiscopales jugée majeure se trouve ainsi mise, ou remise, à l’honneur par une, plusieurs, voire de nombreuses, récritures françaises de leurs Vitæ : citons parmi les plus célèbres Clément de Metz, Denis de Paris, Eutrope de Saintes, Hilaire de Poitiers, Martial de Limoges, Martin de Tours ou Remi de Reims51. Compte tenu de son enracinement local, chacun de ces textes répond aux enjeux précis des institutions qui en portent la production ; mais la convergence de ces initiatives ne laisse pas d’intriguer. À l’appui du propos, on développera deux exemples, situés aux extrémités Ouest et Est du royaume de France pour deux personnalités de second plan : l’évêque de Rouen, Romain (629-639) et celui de Langres, Didier (ive siècle). Romain est une figure peu documentée quand bien même son appartenance à la liste épiscopale rouennaise n’est pas remise en cause52 . Beaucoup moins célèbre que son successeur Ouen, il bénéficie pourtant (ou pour cette raison) d’une importante tradition hagiographique, régulièrement enrichie au cours du Moyen Âge53. C’est ainsi que dans une Vita du xie siècle, on lui prête la prédiction de la venue des Vikings à Rouen, de leur installation et de leur conversion. Il s’impose ensuite comme le saint patron privilégié du A.-F. Leurquin-Labie dans ce volume. Sur le culte des saints évêques, anciens et récents, à la fin du Moyen Âge, voir J.-M. Matz, « La construction d’une identité : le culte des saints évêques d’Angers au Moyen Âge », Hagiographica, 13 (2006), p. 95-120 et Id., « La sainteté épiscopale en France (xve-début xvie  siècle) », dans Yves Mahyeuc, 1462-1541, Rennes en ­Renaissance, éd. A. Pic, Rennes, 2010, p. 249-264. 51  Voir les dossiers répertoriés sur http://jonas.irht.cnrs.fr, consultés le  04/03/2021 : Clément de Metz (2 textes), Denis de Paris (25, sans compter la traduction de la Légende dorée de Jacques de Voragine par Jean de Vignay), Eutrope de Saintes (5), Hilaire de Poitiers (18), Martial de Limoges (8, dont l’un de Wauchier de Denain), Martin de Tours (19, sans compter les traductions de la Légende dorée) ou Remi de Reims (27, sans compter la traduction de la Légende dorée). 52  L. Violette, « Les Actes des archevêques de Rouen », dans La cathédrale de Rouen, seize siècles d’histoire, éd. J.-P. Chaline, Rouen, 1996, p. 52 où il est simplement dit de lui qu’il était « de noble origine et très célèbre par sa vertu ». 53  C. Vincent, « Un “vieux” saint sans cesse rajeuni : l’évêque Romain de Rouen », dans La mémoire des saints des origines entre xvie et xviiie siècle, éd. B. Dompnier et S. Nanni, Rome, 2019, p. 299-317. 50 

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chapitre cathédral, avant d’étendre encore plus explicitement sa protection à la cité entière qu’il aurait sauvée d’une crue de la Seine et des ravages d’un dragon. Il est célébré chaque année au moment des Rogations et de l’Ascension par des festivités qui s’amplifient à partir du xiiie  siècle et persistent encore à l’époque moderne. On y rappelle le miracle du dragon en portant en procession l’effigie en paille de l’animal, qui finit brûlée. Des rites similaires sont connus à la même époque pour d’autres villes, Paris ou Douai, par exemple54. Mais, à Rouen, ces célébrations et processions se distinguent en raison de l’étonnant privilège dont le chapitre se prévaut depuis au moins le début du xiiie siècle : obtenir à cette occasion la grâce d’un condamné à mort détenu dans les geôles royales55. Libéré d’abord sous contrôle des chanoines, le prisonnier doit participer à une procession au cours de laquelle il porte la lourde châsse de saint Romain devant toute la ville rassemblée et au terme de laquelle il est restauré dans son honneur et ses biens. Dans la mise en œuvre de ce long rituel, qui se déroule sur plusieurs jours, les chanoines sont secondés par la confrérie Saint-Romain fondée en 1292 et dont le siège se trouve dans l’une des chapelles latérales de la cathédrale. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la production de deux Vies françaises de Romain. La plus précoce, du milieu du xive siècle (après 1328), est connue de manière très fragmentaire dans un gros corpus de dévotion mariale d’origine dominicaine, le Rosarius : curieusement, Romain est l’un des rares saints à y figurer56. La seconde a été identifiée dans un manuscrit de la fin du xve siècle ou du début du xvie, Paris, BNF, nouv. acq. fr. 10721, qui rassemble les Vies de divers saints et les légendaires d’origine de quelques sanctuaires, comme ceux de Notre-Dame du Puy-en-Velay, Notre-Dame de

Les processions des Rogations mettent souvent en scène un dragon, symbole du paganisme terrassé par le saint évêque évangélisateur local : J.  Le  Goff, « Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Âge : saint Marcel de Paris et le Dragon », dans Id., Pour un autre Moyen Âge, Paris, 1977, p. 236-279 (p. 269-270, exemples de villes où se déroulent ce type de procession). 55  Étude et édition de nombreuses sources, dont les plus anciennes conservées ne remontent pas avant 1210, dans A. Floquet, Histoire du privilège de saint Romain, Rouen, 1833. Sur la peine de mort au Moyen Âge : C. Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge, Paris, 2018. 56  C.  Vincent, La « recluse arse », un mystérieux miracle de saint Romain de Rouen », dans Sur  les pas de Lanfranc, du Bec à Caen. Recueil d’études en hommage à Véronique Gazeau, Cahier des Annales de Normandie, 37 (2018), p.  585-595. Le  Rosarius, connu par un unique témoin (Paris, BNF, fr.  12483) est en cours d’édition par Marie-Laure Savoye (CNRS-IRHT-Section romane) : Section romane, notice de « Rosarius, Anonyme » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/oeuvre/9716), consultée le 24/03/2020. ARLIMA : https ://arlima.net/no/1974, dernière mise à jour 10 octobre 2016 ; consultée le 31/03/2020. 54 

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Liesse ou la Sainte-Larme de Vendôme57. Or  cette Vie de saint Romain se retrouve à la lettre dans un petit livret conservé à la Bibliothèque municipale de Rouen, témoin de ceux qui devaient être distribués à la population lors des festivités des Rogations58. Le livret de six feuillets (20 × 14 cm) est orné sur la première page d’un bois gravé illustrant l’épisode qui s’impose alors dans la vie du saint évêque : la délivrance de la cité de Rouen du dragon que Romain dompte avec l’aide d’un condamné à mort. Ce cliché hagiographique, très vivant à partir du xiiie siècle, justifie aux yeux du chapitre le privilège de justice qu’il continue de détenir, il faut le souligner, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Partant du principe que des petits livrets comparables sont attestés pour de nombreux autres cultes et sanctuaires à partir de la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne59, on se demande si les autres textes du manuscrit Paris, BNF, nouv. acq. fr. 10721 n’auraient pas été l’objet de la même diffusion. Autrement dit, ce codex, dont la présentation est très simple, efficace, sans aucune décoration, ne pourrait-il pas avoir été conçu comme outil de travail pour les officines de production des livrets de dévotion et autres textes de piété ou de divertissement? Outre les Vies et récits d’origine de sanctuaires mentionnés, il contient quelques feuillets sur les vertus de l’eau bénite et une Vie de Richard sans Peur, fils de Robert le Diable, qui, après des années d’aventure, finit ses jours saintement60. Avec Didier de Langres, on se situe à un autre niveau littéraire61. Ce saint évêque martyr voit en effet son histoire reprise à la toute fin du Moyen Âge sous la forme d’un long Mystère, de plus de 10 000 vers et requérant Paris, BNF, nouv. acq. fr. 10721, fol. 9r-13v ; Section romane, notice de « PARIS, Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, nouv. acq. fr.  10721 » dans la base Jonas-IRHT/ CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/71318), consultée le 24/03/2020. 58  Rouen, Bibliothèque municipale, NORM, 274-60. Sur l’image, le condamné maîtrise le dragon avec l’étole de l’évêque, lui-même figuré en pied, tenant une crosse crucifère d’une main et bénissant de l’autre. 59  B. Maes, Les livrets de pèlerinage : imprimerie et culture dans la France moderne, Rennes, 2016. 60  Paris, BNF, nouv. acq. fr.  10721, respectivement fol.  13v-15r et 83r-93r : la  question de la présence dans ce manuscrit de l’histoire en vers de Richard sans Peur mériterait approfondissement ; le Dictionnaire des lettres françaises, p.  1271-1272 situe la composition de cette pièce avant 1496 et indique qu’il n’en existe pas de manuscrit mais un incunable, imprimé à Lyon avant 1496. Voir aussi ARLIMA, https ://arlima.net/no/7302, mis à jour 3 août 2019 ; consulté le 31/03/2020. 61  Pour tout ce qui suit, avec une analyse plus précise du texte : C. Vincent, « Donner à voir et à entendre la gloire du saint patron : Guillaume Flamang et les confrères de Saint-Didier de Langres », dans Théâtre et révélation : donner à voir et à entendre au Moyen Âge. Hommage à Jean-Pierre Bordier, éd. C. Croizy-Naquet, S. Le Briz-Orgeur et J.-R. Valette, Paris, 2017, p. 385-399. 57 

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116 personnages, dont l’auteur n’est autre que Guillaume Flamang, chanoine de la cathédrale, connu pour une œuvre hagiographique abondante. Attiré par la vie contemplative, ce chanoine mourut à Clairvaux, abbaye à laquelle il était très lié, après avoir exercé quelques temps la cure d’une paroisse proche de Chaumont62 . Daté de 1482 et conservé par un manuscrit de 1507, le Mystère a été écrit « a la requeste de messeigneurs les confreres de la confrarie dudit saint audit Langres »63. Plus intéressant encore pour notre propos, Guillaume Flamang donna de ce mystère une version abrégée, également destinée à la confrérie dont elle accompagne les statuts. Cette composition versifiée, beaucoup plus courte (1208  vers), est conservée à la bibliothèque municipale de Langres dans un manuscrit très simple, en papier, dépourvu de tout décor64. Elle est subdivisée en quatre parties. La première n’est autre que le texte des statuts de la confrérie. Fondée en 1354 à la cathédrale, celle-ci ne se distingue en rien de ses homologues médiévales, sauf par son caractère élitiste : nombre de confrères limité à soixante, droit d’entrée élevé (une livre), célébration de trois messes quotidiennes, ce qui traduit une réelle aisance65. Le registre de ses membres, qui nous est également parvenu, atteste la présence mêlée de clercs et de laïcs. Les trois autres parties de la composition rimée de Guillaume Flamang suivent grossièrement les trois journées du Mystère : vie et martyre de saint Didier sous les coups du chef « vandre » (vandale) Chrocus ; miracles du saint ; récit de la translation de ses reliques en 1314, sous l’épiscopat de Guillaume de Durfort : il s’agit plus exactement de l’élévation de son corps au sein du prieuré éponyme qui le conserve, alors que seul son bras droit et quelques autres ossements sont déposés à la cathédrale. De taille réduite, chacune de ces trois parties se prête à la performance lors de la fête annuelle de la confrérie. Pour Guillaume Flamang, la glorification de Didier est l’occasion, en accord faut-il penser avec les confrères qui lui ont passé commande, de délivrer un message à destination des élites, laïques et cléricales, qui composent la compagnie. Au fil du récit, on lit un éloge de la vie fraternelle, de la concorde, du bon gouvernement dans la collégialité, y compris pour les affaires ecclésiastiques, et de la loyauté envers l’autorité politique, en l’occurrence, pour Didier, l’empereur de Rome et son représentant en Gaule dans la cité d’Arles. Or  la production de ces textes vient au terme de plusieurs initiatives qui, Dictionnaire des lettres françaises, p. 623. J. Carnandet (éd.), La Vie et Passion de monseigneur saint Didier, martir et évêque de Lengres… par maistre Guillaume Flamang, Paris, 1855. 64  Langres, Bibliothèque municipale, ms. 65 ; A.-F. Leurquin et M.-L. Savoye, notice de « Vie de saint Didier de Langres, Guillaume Flamang » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink : http://jonas.irht.cnrs.fr/oeuvre/1821), consultée le 24/03/2020. 65  C. Vincent, Les confréries. 62  63 

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depuis le début du xive  siècle, visent à affirmer la place de Didier dans la cité de Langres : translation solennelle de ses reliques en 1314, fondation de la confrérie en 1354, instauration de la Saint Didier, le 23 mai, comme fête chômée obligatoire dans tout le diocèse en 1481, l’année qui précède la représentation du Mystère. Il est remarquable de constater cette attention nouvelle portée à un évêque peu connu66, alors que la cathédrale possède depuis 1209 le chef du saint oriental Mammès, dérobé à Constantinople lors du sac de 1204 par le chanoine de Langres Galon de Dampierre. Sans doute Didier, dont le corps entier est présent dans la cité, se prête-t-il mieux que d’autres figures, plus célèbres mais plus lointaines, à la construction d’un récit identitaire, fédérateur de toute la société urbaine. En  1482, l’interprétation du Mystère, qui n’est pas réservé à la seule confrérie, joua parfaitement ce rôle. Mais, à l’égal de Romain, Didier pourrait aussi être la figure tutélaire sur laquelle les chanoines s’appuient pour défendre leurs privilèges, victimes d’empiètements croissants de la part des représentants du roi, dans une cité située aux marges du royaume et dont le contrôle est riche d’enjeux politiques. À ces deux exemples, il conviendrait d’en ajouter d’autres pour étayer plus solidement l’hypothèse de la mise en valeur par l’hagiographie vernaculaire des figures anciennes d’évêques dans le royaume de France à la fin du Moyen Âge. La remarque rejoint le développement attesté ailleurs d’une hagiographie locale, par la constitution de légendiers régionaux67. Mais ces œuvres, pour identitaires qu’elles soient, ne mettent pas toutes l’accent sur le même type de sainteté : ainsi, la valorisation du corps épiscopal ne se remarque pas autant dans le Brabant voisin, au sein de l’œuvre de Jean Gielemans68.

5. Remarques conclusives Les cinq textes d’hagiographie française qui viennent d’être présentés ne permettent pas d’avancer des conclusions : l’échantillon est trop réduit. Leur La présence de Didier au concile de Sardique en 343 est attestée. Au viie siècle, une Passio Desiderii fut écrite par Warnaharius. Didier de Langres est cité dans les grands martyrologes, tels ceux d’Adon et d’Usuard : J. Dubois et G. Renaud (éd.), Le martyrologe d’Adon, Paris, 1984, p. 166-167 et J. Dubois (éd.), Le martyrologe d’Usuard, Bruxelles, 1965, p. 233 ; AASS, Maii, V, p. 244-249. 67  A.-F.  Leurquin-Labie, « La promotion de l’hagiographie régionale au xve  siècle : l’exemple du Hainaut et du Cambraisis », dans Richesses médiévales du Nord et du Hainaut, Actes de la deuxième journée Valenciennoise de Mediévistique les 1er-2 décembre 2000, éd. J.-C. Herbin, Valenciennes, 2002, p. 253-267 et V. Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme : glorification du Brabant dans l’œuvre hagiographique de Jean Gielemans (14271487), Turnhout, 2007. 68  V. Hazebrouck-Souche dans ce volume. 66 

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confrontation dessine cependant quelques lignes de force qui sont autant d’invitations à poursuivre la recherche. Leur production isolée et leur circulation en dehors de grands légendiers liturgiques aux listes préconstituées donnent à leur témoignage une valeur propre. L’identité des saints retenus comme les choix formels (vers plus que prose, jeux théâtraux) manifestent le dynamisme de la culture hagiographique, dont l’un des vecteurs privilégiés semble avoir été les confréries, au sein desquelles se mêlent les intérêts des laïcs et ceux des clercs.

a. La profondeur du « champ hagiographique » (Guy Philippart) La profondeur du « champ hagiographique » qui s’observe à travers les cinq Vies françaises étudiées est tout d’abord sociale. Même si certaines Vies ont été prioritairement destinées aux élites citadines (Vie de saint Didier) ou à des groupes dévots limités (Vie de saint Dominique), d’autres ont connu un rayonnement qui va bien au-delà de leur tradition manuscrite très réduite. On retiendra pour exemples le Mystère de saint Didier et les Miracles madame sainte Genevieve. Les petites pièces qui composent les seconds jouent sur des registres très variés, mettant en scène des types sociaux qui vont du bourgeois au miséreux venu quêter sa guérison auprès du tombeau de la sainte, des hommes comme des femmes de tout âge et de tout statut, pauvre vieille au terme d’une vie mouvementée, mère éprouvée par la perte de son enfant ou religieuse en délicatesse avec ses vœux. Et que dire de la vie de saint Romain que les Rouennais se racontaient chaque année lors des fêtes des Rogations et de l’Ascension : la manifestation était si populaire que le chapitre n’hésitait pas à jouer sur des menaces de révolte urbaine pour conserver son privilège que lui contestaient régulièrement les représentants du roi. Une autre modalité de l’insertion de la culture hagiographique dans le tissu des représentations et des pratiques sociales s’observe dans le fait que les Vies se trouvent associées, au sein des manuscrits, à des productions écrites de tout autre nature, loin des classifications étanches introduites par les analyses historiques. Les  textes abordés, quand ils ne sont pas conservés isolément comme pour Thomas Hélie de Biville ou Didier de Langres, font en effet partie de recueils hybrides qui juxtaposent récits hagiographiques et textes spirituels, mais aussi profanes. Tel est le cas de l’un des témoins qui conserve la Vie de saint Dominique, du recueil où figure celle de saint Romain ou bien encore du manuscrit où se trouvent les Miracles madame sainte Genevieve. Ce dernier inclut les Neuf joies de Notre-Dame de Rutebeuf et une Vie de saint Fiacre dans laquelle est enchâssée une farce ; de plus, une brève invocation amoureuse a été ajoutée au verso du dernier feuillet. Le  Rosarius constitue

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à cet égard un exemple à part, composition de nature encyclopédique qui convoque pour la célébration de la figure mariale, outre des récits exemplaires (exempla), tout un ensemble de connaissances naturalistes (sur la faune ou la flore), ainsi que des chants. Enfin, on relèvera la manière dont le discours même des réécritures entrelace récit hagiographique et récit historique. Les deux genres, hagiographie et historiographie, ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Mais il semble que leur rapprochement se fasse plus étroit ou, plus précisément, que l’historiographie soit plus présente dans l’écriture hagiographique tardive69. Ces noces de l’hagiographie et de l’histoire se célèbrent à différentes échelles : celle de la cité, à travers l’exaltation de la figure d’un saint patron, comme on le voit ici pour Rouen ou Langres ; celle du diocèse70 ou celle plus large de la région, ce dont l’œuvre de Jean Gielemans offre l’un des exemples sans doute le plus aboutis71 ; celle enfin du royaume. Dans cette dernière perspective, il faudrait étudier de plus près les suppléments français de la Légende dorée, dont les Festes nouvelles, ce petit légendier à la fois parisien et monarchique72 . La démarche plonge souvent aux origines lointaines et manifeste un goût prononcé, dans le contexte français, pour les périodes mérovingienne et carolingienne. Faut-il y lire des échos de la quête incessante de continuité dynastique menée par les Valois nouvellement arrivés sur le trône ?

b. L’importance du vecteur confraternel Dans ce champ hagiographique si fécond, se trouve à l’œuvre un vecteur très efficace : les confréries. Ainsi, pour deux des exemples présentés, la production d’une Vie française se rattache à une commande confraternelle : pour Didier de Langres sans aucun doute ; pour Thomas Hélie de Biville avec grande vraisemblance. Dans deux autres cas, la relation est moins immédiate, mais la confrérie se profile à l’horizon de réception des Miracles madame sainte Genevieve et de la Vie de saint Romain. La présence de la confrérie se fait plus lointaine pour la Vie de saint Dominique : qui dit cependant que la transmission de l’histoire de Dominique aux Barbiers d’Arras, implantés auprès des Frères prêcheurs, n’a pas pu s’appuyer sur cette Vie précoce, dont les deux témoins qui en conservent trace renvoient à cette cité ?

Voir S. Olivier dans ce volume. Voir B. Dubuisson dans ce volume. 71  Voir n. 67 et 68. 72  ARLIMA, https ://arlima.net/no/1151 ; dernière mise à jour 10/11/2018 ; consultée le 31/03/2020. 69 

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Associations de prière plus encore que d’entraide matérielle, les confréries reposent sur la mise en œuvre de l’intercession, à laquelle les trois derniers siècles du Moyen Âge se montrent très sensibles73. Leur fondation et leurs activités sont électives : elles ne correspondent à aucune norme de pratique, les autorités religieuses comme civiles ayant plutôt tendance à nourrir de la méfiance à leur endroit. Pour ces différentes raisons, elles s’avèrent un excellent indicateur de l’attractivité de certains cultes, tout en constituant des relais pastoraux dont le clergé sait user. Il n’est donc pas étonnant de les voir entrer en action pour promouvoir, par la commande de textes en vernaculaire, certaines figures de sainteté dont elles s’attachent la protection et rappellent, lors de leurs réunions annuelles, des épisodes de la vie dans la perspective d’édifier leurs membres.

c. Une affaire de clercs autant que de laïcs Les deux séries de remarques qui précèdent conduisent à une dernière : la vernacularisation, dont on a vu qu’elle se doublait souvent d’une vulgarisation, ne doit cependant par être cantonnée au champ culturel des laïcs. Plusieurs éléments viennent étayer le propos, qui ne fait que rejoindre des analyses antérieures. Relevons tout d’abord que les recueils qui ont conservé les Vies françaises ne sont pas totalement dépourvus de textes latins, bien que ceux-ci restent assez rares et courts dans les exemples retenus. Guillaume Flamang n’hésite pas à citer en latin le premier verset du psaume 133, véritable devise de la vie fraternelle à laquelle il exhorte les confrères de saint Didier. Parmi les prières en français à sainte Geneviève qui figurent aux côtés des Miracles par personnages dans le manuscrit Sainte-Geneviève 1131, se glissent quatre oraisons latines. De même, la Vie de saint Romain s’achève par deux courtes oraisons en latin, qui n’apparaissent que sur le livret conservé à la bibliothèque municipale de Rouen. Il y a plus de porosité qu’on ne l’a cru entre le monde des lettrés et celui des illettrés74. Relevons de plus que les clercs se sont prêtés à l’entreprise de vernacularisation, à suivre l’exemple de Guillaume Flamang et, sans doute, celui de Jehan Hélie de Saint-Martin. Ils le firent animés d’un souci de communication, dont témoigne l’art avec lequel les récits anciens sont reformulés en fonction des évolutions institutionnelles et pastorales dont ils sont contemporains. Il n’est pas non plus interdit de penser qu’ils C. Vincent, Les confréries ; L’intercession du Moyen Âge à l’époque moderne : autour d’une pratique sociale, éd. J.-M. Moeglin, Genève, 2004. 74  Voir l’introduction de S.  Lefèvre dans Translations médiévales, éd.  C.  Galderisi. ­Notons que l’opération de translation a pu aussi se faire du vernaculaire au latin. 73 

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goûtèrent eux-mêmes les charmes de la langue « vulgaire », même si celle-ci leur était moins usuelle pour l’écriture que le latin. Mais allons plus loin, en nous fondant sur les exemples des Vies des saints Romain et Didier. Dans les deux cas, la mise en valeur de ces figures de sainteté épiscopale à l’intention de la société urbaine comporte une forte dimension identitaire. Elle offre également aux deux chapitres respectifs un puissant levier pour défendre leurs droits : privilège de saint Romain, à Rouen, libertés anciennes jugées menacées, à Langres. Il y va donc à chaque fois non seulement de la gloire de la cité mais aussi d’une certaine autonomie de l’Église locale. La glorification de la « petite patrie », en l’occurrence la cité, aurait, sur la foi des deux exemples évoqués, trouvé un acteur majeur dans les corps capitulaires liés aux élites laïques locales. Pour autant, les clercs ne semblent pas avoir perdu de vue leurs propres intérêts. L’observation serait à approfondir en fonction de ce qui a été souligné à propos de la place tenue par les Vies d’évêques dans la production hagiographique française du xve siècle. Après les deux graves crises de la guerre de Cent Ans et du Grand Schisme, n’exprimerait-elle pas la volonté de centrer sur l’échelle nationale, voire locale, dans un gallicanisme autant ecclésiastique que politique ? L’ecclésiologie viendrait-elle ajouter sa touche aux enjeux dévotionnels et pastoraux de la vernacularisation hagiographique ?

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Li Seint Confessor de Wauchier de Denain, une œuvre sérielle et son contexte manuscrit Ariane Pinche (Paris) Le projet d’édition du recueil hagiographique Li Seint Confessor de Wauchier de Denain est né de la volonté de ne pas étudier une Vie de saint, mais une série de Vies de saints1. Face à l’ampleur du corpus, mais aussi dans un souci de mettre à disposition les données de la recherche, faire une édition numérique est apparue comme une bonne solution. Cette méthode, qui permet d’encoder le texte au plus près de son aspect dans le manuscrit2 , a naturellement entraîné une attention accrue au support du texte. Le contexte manuscrit de l’objet d’étude a donc également pris une plus grande importance dans le travail d’analyse de l’œuvre, contexte qui semble d’autant plus important quand on travaille sur des textes hagiographiques en langue vernaculaire. En effet, si l’on s’intéresse à la qualité littéraire d’une Vie de saint et non pas au dossier historique, il est difficile de trouver ce qui fait la particularité de l’œuvre, car l’écriture hagiographique est avant tout la réutilisation d’anciens modèles, jouant ainsi sur le plaisir de la reconnaissance. Ce manque d’originalité est encore plus flagrant quand on travaille sur des Vies en ancien français qui sont des transpositions de Vies latines dans la majorité des A. Pinche, Édition nativement numérique du recueil hagiographique « Li Seint Confessor » de Wauchier de Denain d’après le manuscrit fr. 412 de la Bibliothèque nationale de France, Lyon, dir. C. Pierreville et B. Bureau, thèse de doctorat, soutenue le 18/05/21. 2  Dans notre cas, l’édition numérique permet de proposer plusieurs vues du texte, une version diplomatique et une version normalisée. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 65-77. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126288

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cas. Si le sel de l’hagiographie médiévale en langue vernaculaire n’est pas au niveau de l’unité d’une Vie, peut-être se trouve-t-il dans l’art de la compilation ? Dès lors, la clé de compréhension de la réception des textes hagiographiques ne serait pas uniquement dans le texte lui-même, mais également dans l’étude de la série à laquelle il appartient. Remettre l’œuvre en contexte, que ce soit le contexte manuscrit direct, l’histoire des manuscrits ou l’étude de la transmission de la série, pourrait alors nous livrer quelques précieuses informations sur les projets d’écriture sousjacents et la réception des œuvres hagiographiques au Moyen Âge.

1. Li Seint Confessor de Wauchier de Denain Wauchier de Denain est un auteur du xiiie siècle qui a très certainement travaillé pour la cour de Flandre au service de Philippe de Namur3. Il  est connu pour sa continuation du Conte du Graal, mais aussi pour son Histoire ancienne jusqu’à César. Il est également l’auteur de deux recueils hagiographiques : les Seint Confessor et les Sainz Peres. On date la composition des Seint Confessor du début du xiiie siècle, autour de 1212, date de la mort de Philippe de Namur, son mécène. Le recueil comprend les neuf textes suivants : – – – – – – – – –

Dossier sur saint Martin de Tours ; Dialogues de Sulpice-Sévère ; Vie de saint Brice ; Vie de saint Gilles ; Vie de saint Marcel de Limoges4 ; Dossier sur saint Nicolas ; Vie de saint Jérôme ; Vie de saint Benoit ; Vie de saint Alexis.

Le recueil des Seint Confessor est d’autant plus intéressant que cette œuvre sérielle en langue vernaculaire est née quelques décennies avant les légendes nouvelles comme la Légende Dorée de Jacques de Voragine et ses adaptations en ancien français. Alors que le renouvellement hagiographique propose des légendes courtes et simples, Wauchier de Denain propose des Vies pour certaines relativement longues au sein d’une composition des plus littéraires qui ne suit pas le calendrier liturgique. Philippe de Namur (1174-1212), marquis de Namur, régent des comtés de Flandre et de Hainaut. 4  Il s’agit bien évidemment de saint Martial de Limoges. 3 

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a. Cohérence de la série Li Seint Confessor forment une série cohérente de la main d’un même auteur qui se signale à différents endroits du texte. Ainsi, on peut lire dans la Vie de saint Marcel de Limoges, « Ce dist Gauchiers par seint Ylaire »5 ou encore dans les Dialogues sur les vertus de saint Martin : Or vos ai l’uevre consommee des miracles de seint Martin si com jes trovai el latin qe Severus fist et treita, mes Gauchiers qi les translata en romanz avant nos raconte de Namur son signor avant la vie de seint Brice sanz sejor qi fu esleüz a archevesque del païs aprés la [fol. 127b] mort de ce seint home dont contee vous ai la some6 .

Cette deuxième citation est particulièrement intéressante, car Wauchier de Denain, en plus de se signaler comme l’auteur de la translation, fait également allusion à son mécène, ce qui permet de supposer que Philippe de Namur est le commanditaire du recueil. Ainsi, Li Seint Confessor n’a pas été composé dans un contexte religieux, mais dans une sphère laïque et aristocratique. Ces neuf textes sont également unifiés par l’insertion de vers moralisateurs au sein de la prose, particularité stylistique de Wauchier de Denain. Le narrateur y fait entendre sa voix et s’adresse à son public7. Dont cil serront mat et confus Qi bien servi ne l’averont. Et cil qi ses comans feront Averont joie et tel leesche, Tel signorie et tel hautesce Qe nus deviser nel sauroit, Ja tant ne s’en entremetroit Riches, povres conmunement Qi a cel esjoïssement Peüssent venir sanz desfense.8

Ces vers qui laissent entendre le chant du poète s’insurgeant contre les mœurs de son époque et regrettant l’avarice des plus riches, thème de prédilection de notre auteur, ne font pas exception dans le recueil. Toutes les Vies possèdent une ou plusieurs interventions de la sorte à l’exception de la Vie de saint Gilles et de la Vie de saint Alexis9. BNF, fr. 412, fol. 137v. BNF, fr. 412, fol. 127r. 7  M. Szkilnik, « Écrire en vers, écrire en prose. Le choix de Wauchier de Denain », Romania, 107 (1986), p. 208-230. 8  Vie de saint Martin, BNF, fr. 412, fol. 109r. 9  On compte, en tout, dix interventions en vers du narrateur. 5 

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Enfin, il semblerait que le recueil ait une préface. En effet, contrairement aux autres textes du recueil, la Vie de saint Martin ne commence pas directement, mais s’ouvre sur une introduction générale qui paraît annoncer le récit des Seint Confessor. De seint Martin mout doit on doucement et volentiers le bien oïr et entendre, car par le bien savoir et retenir puet l’en sovent a bien venir. […] A ce regarderent li seint confessors et messires seinz Martins dont ci comence la vie.10

On ajoutera à cela que les trois premiers textes s’enchaînent les uns aux autres grâce à des transitions de la plume de Wauchier de Denain.

b. Structuration du recueil La composition des Seint Confessor possède une structure travaillée qui joue sur des phénomènes de rappels et de symétrie. Dans le recueil, des effets d’écho affleurent à travers des motifs récurrents. Ainsi, le motif du manteau donné au pauvre apparaît dans la Vie de saint Martin et dans la Vie de saint Gilles, le motif de l’apaisement des flots dans les Vies de saint Gilles et de saint Nicolas. On remarque aussi la présence d’animaux : la biche nourricière pour saint Gilles et le lion repentant pour saint Jérôme. En outre, le recueil est organisé selon deux séries symétriques qui ne suivent pas le calendrier liturgique, comme l’a montré John Jay Thompson11. La première est une série de quatre saints français : Martin, Brice, Gilles et Martial, la deuxième une série de quatre saints italiens : Nicolas, Jérôme, Benoit et Alexis. Les deux séries commencent par un long texte, la Vie de saint Martin, accompagnée des Dialogues, pour la première et la Vie de saint Nicolas, suivie de trois Vies plus brèves. Cette composition en deux séries est d’autant plus flagrante, si on s’intéresse aux occurrences des noms de lieux. En effet, la première série contient 99% des noms de lieux français du corpus, tandis que la deuxième série contient 64% des noms de lieux italiens. Bien que Li Seint Confessor soit un recueil de saints occidentaux, on remarque que 36% des noms de lieux font référence à l’Orient. Si on regarde plus précisément, à l’échelle du recueil, la seconde série possède 53% des noms de lieux orientaux et, à l’échelle de la deuxième série, les noms de lieux orientaux représentent 51% des noms de lieux. Ces chiffres semblent dessiner dans le recueil un mouvement depuis la France vers l’Italie qui s’achève en Orient, depuis les évêques occidentaux vers les ermites orientaux comme le préfigure le diptyque de la BNF, fr. 412, fol. 103r. Wauchier de Denain, La vie de Mon Signeur Seint Nicholas le Beneoit confessor, éd.  J.  J. Thompson, Genève, 1999, p. 22-23. 10  11 

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Vie de saint Martin et des Dialogues12 . Ce mouvement de l’Ouest vers l’Est est peut-être également une clé de compréhension du lien qui unit les deux recueils hagiographiques de Wauchier de Denain.

c. Lien avec les Sainz Peres Ainsi, l’écriture en série pourrait déborder le cadre du recueil des Seint Confessors. En effet, comme le signale John Jay Thompson dans son travail de thèse, les deux recueils hagiographiques attribués à Wauchier de Denain possèdent entre eux des liens étroits et fonctionnent comme un diptyque : les Seint Confessor, offrant un volet hagiographique occidental des Vies de saints les plus célèbres, tandis que les Sainz Peres proposeraient un volet oriental. Les  structures des deux recueils semblent dialoguer entre elles. Les  Sainz Peres sont également composés de huit textes (si on rassemble la Vie de saint Martin et les Dialogues). On y retrouve la traduction des livres I et III des Dialogues de Grégoire le Grand, tandis que dans les Seint Confessor, la Vie de saint Benoit est en réalité la traduction du livre II de ces mêmes Dialogues. On  remarque également un personnage récurrent entre les deux recueils. Wauchier de Denain attribue à un certain Postumien le témoignage des Dialogues de Sulpice Sévère et l’Historia Monachorum in Aegypto de Rufin d’Aquilée, dont le narrateur de la source latine est Rufin13. Que ce soit une erreur ou une confusion volontaire, cela permet d’établir un lien très fort entre les deux recueils. Toutefois, malgré ces liens sensibles, il n’existe aucun manuscrit qui possède les deux recueils complets et encore moins les deux séries dans l’ordre. Ces observations qui révèlent un recueil extrêmement travaillé, très différent du renouveau hagiographique du xiiie siècle, amènent à se demander pour qui étaient composées ces Vies et quel a été leur mode de diffusion et de réception.

2. Le recueil des Seint Confessor et son contexte manuscrit L’édition du recueil des Seint Confessor que nous avons entreprise a pour manuscrit de base le manuscrit BNF, fr.  412. Ce  manuscrit est

En effet, dans les Dialogues, le récit de Postumien est consacré aux ermites d’Orient. M.-G. Grossel, « Quand dans les cours on rêvait d’ascèse et de vie solitaire. La traduction romane des “Vies des Pères” de Wauchier de Denain », dans Richesses médiévales du Nord et du Hainaut, Actes de la deuxième journée Valenciennoise de médiévistique les 1er-2 décembre 2000, éd. J.-C. Herbin, Valenciennes, 2002, p. 49-64. 12  13 

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traditionnellement choisi pour les éditions des Vies tirées des Seint Confessor14 , car il fait, entre autres, partie de la seule famille de manuscrits qui possède le recueil complet avec les Dialogues sur les vertus de saint Martin.

a. Les légendiers de la famille C Le manuscrit fr. 412 de la BNF est un des représentants de la famille des légendiers C, d’après la terminologie de Paul Meyer15. C1 Paris, BNF, Manuscrits, fr. 412, 1285 ; C2 Paris, BNF, Manuscrits, fr. 411, xive siècle ; C3 Londres, British Library, Royal 20.D.VI, milieu du xiiie siècle. Les légendiers de la famille C résulteraient de la juxtaposition des légendiers A et B auxquels s’ajoute une nouvelle série de Vies. Le légendier A contient essentiellement des Vies de saints apôtres et le légendier B des Vies de saints et de saintes martyrs. La partie propre au légendier C s’ouvre sur le recueil de Wauchier de Denain. 1. Wauchier de Denain, Dossier sur saint Martin de Tours 2. Wauchier de Denain, Dialogues de Sulpice-Sévère 3. Wauchier de Denain, Vie de saint Brice 4. Wauchier de Denain, Vie de saint Gilles 5. Wauchier de Denain, Vie de saint Marcel de Limoges 6. Wauchier de Denain, Dossier sur saint Nicolas 7. Wauchier de Denain, Vie de saint Jérôme 8. Wauchier de Denain, Vie de saint Benoit 9. Wauchier de Denain, Vie de saint Alexis 10. Vie de sainte Irène 11. Assomption de Notre Dame 12. Vie de sainte Catherine 13. Vie et miracles de saint André 14. Purgatoire de saint Patrice 15. Vie de saint Paul ermite 16. Translation des reliques de saint Benoit à Fleury 17. Vie de saint Maur 18. Vie de saint Placide 19. Vie de saint Eustache Il a été choisi par John Jay Thompson pour son édition de la Vie de saint Nicolas et par Molly Lynde-Recchia pour la Vie de saint Marcel de Limoges. 15  P. Meyer, « Légendes hagiographiques en français », dans Histoire littéraire de la France, t. 33, Paris, 1906, p. 328-458. 14 

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20. Vie de saint Fursi 21. Vie de sainte Marguerite 22. Vie de sainte Pélagie 23. Vie de saint Siméon le stylite 24. Vie de saint Mamertin 25. Vie de saint Julien du Mans 26. Vie de sainte Marie l’Égyptienne 27. Vie de sainte Euphrasie. Le légendier dans son ensemble ne présente ni une organisation selon le calendrier liturgique ni une organisation thématique (martyrs, saints confesseurs, saintes vierges, etc.), mais d’après Paul Meyer, la composition de ce légendier semble relativement conservatrice de l’ordonnancement de ses sources. En effet, l’agencement de ces nouvelles Vies fait penser à une agglomération de groupements hagiographiques préexistants, à l’instar du recueil des Seint Confessor de Wauchier de Denain qui possède sa propre cohérence interne, mais qui ne rentre pas dans une logique de classement à l’échelle du légendier complet. Pour preuve, on trouve à la seizième place la Translation du corps de saint Benoit, accompagnée de la Vie de saint Maur (17) et de la Vie de saint Placide (18), compagnons et disciples de saint Benoit, qui par conséquent ne font pas suite à la Vie de saint Benoit du recueil de Wauchier de Denain qui se trouve en huitième position. Cette distribution montre bien que le légendier est composé pour sa seconde partie d’éléments composites qui ont été réunis par la suite, car une composition globale à l’échelle du légendier aurait fait se suivre la Vie de saint Benoit et la translation de son corps. Enfin, l’étude de la tradition manuscrite du légendier C révèle certains blocs de Vies de saints ou de saintes récurrents d’un manuscrit à un autre, ce qui amène à penser que la production hagiographique en ancien français pouvait se faire de manière sérielle sous forme de livrets préexistants qui réunissaient différentes Vies de saints et saintes et que les légendiers ont compilé ces livrets en conservant parfois l’ordre de leur source16.

b. Le manuscrit BNF, fr. 412 Ce luxueux manuscrit a l’avantage d’être d’une grande lisibilité, d’autant plus que le scribe y commet très peu d’erreurs. En outre, il a été écrit peu de temps après la date de composition des Seint Confessor. En effet, le manuscrit Pour en savoir plus sur la production sérielle des Vies de saints dans le manuscrit fr. 412, voir J.-B.  Camps, T.  Clérice et A.  Pinche, « Stylometry for Noisy Medieval Data : ­Evaluating Paul Meyer’s Hagiographic Hypothesis », Digital Humanities Conference 2019, ­Utrecht, ⟨hal-02182737⟩, consulté le 04/05/2021. 16 

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fr. 412, anciennement Regius 7019.3, a été composé en 1285 par une unique main qui se présente dans le colophon : Icis livres ici finist Bone Aventure ait qui l’escrist Henris ot non l’enlumineur Dex le gardie de deshouneur Si fu fais l’an m cc iiii xx et v17

Le scribe s’y présente sous le nom de « Bone Aventure » et nomme l’enlumineur, Henri, qui travaillait à Mons pour les cisterciens de l’abbaye d’Anchin dans le Hainaut18. Ce colophon permet de dire que le manuscrit a été produit au xiiie siècle dans le nord de la France, ce qui vient corroborer l’idée que le recueil de Wauchier de Denain aurait circulé dans le nord de la France et dans les Flandres. Grâce à l’ex-libris du folio 245r, nous savons que le manuscrit a appartenu à Jacques d’Armagnac, duc de Nemours († 1477) : Ceste legende dorée/est au duc de Nemors/conte de la marche/Jacques/Pour Carlat

On peut également lire au folio 4 une cote ancienne : codex Lancellot 135 qui indique que le manuscrit, avant d’être légué à la bibliothèque royale, a appartenu à Antoine Lancelot (1675-1740). Ainsi le manuscrit n’aurait pas circulé après 1477 dans des milieux religieux. Sa composition est quelque peu particulière, car il n’est pas occupé uniquement par des textes religieux, contrairement aux deux autres représentants de la famille C. En effet, il possède trois sections bien distinctes, une première partie des folios 1 à 4 qui comporte un calendrier en latin avec une liste des foires de Champagne, des aunages des villes de fabriques, et des vendredis de jeûne. Ces listes sont suivies au folio 4r d’une table de comput. La deuxième partie qui s’étend du folio 5r au folio 227v est occupée par le légendier C qui s’achève par une table, sous le titre Capitulum, des différentes Vies de saints qu’il comporte. Enfin la troisième partie des folios 228 à 245 est composée du Bestiaire d’amour ou l’arrière ban de Richard de Fournival (228r-236r) et de La response sour l’Arrirere Ban maistre Richart (236v-245r). Le rassemblement de ces trois sections n’est pas issu d’une compilation postérieure, car les On peut lire ces mots au verso du folio 227 v, juste au-dessus du capitulum du légendier. Album de manuscrits français du xiiie siècle, éds. Institut de recherche et d’histoire des textes et Istituto di storia medievale e moderna (Chieti, Italie), Rome, 2001, p. 147. Maître Henri fut aussi responsable d’une partie du cycle des miniatures du «  Livre d’images de ­Madame Marie  » (BNF, nouv. acq. fr.  16215), voir H.  et A. Stones, Le  livre d’images de ­madame Marie : reproduction intégrale du manuscrit Nouvelles acquisitions françaises 16251 de  la Bibliothèque nationale de France, Paris, 1997. 17  18 

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trois sont écrites d’une même main et se suivent sans changement de cahier de l’une à l’autre. Ainsi, ce légendier mêle calendrier des foires, légendier et bestiaire, ce qui nous laisse bien penser qu’il a circulé dans le monde laïque, très certainement aristocratique, et qu’il n’a jamais eu d’usage liturgique. Par ailleurs, il ne porte aucune annotation, ce qui indique un rôle plus ostentatoire que de document de travail.

c. Les autres représentants de la famille C Le manuscrit Royal 20.D.VI de la British Library19, légèrement plus ancien (milieu du xiiie siècle), est très proche de manuscrit fr. 412. Il est intégralement écrit en langue d’oïl et est également probablement issu du nord de la France20. La forme de la cote indique que le manuscrit appartient aux anciens fonds royaux, antérieurs à la nouvelle norme de cotation du xviiie siècle. On peut également lire sur le premier folio l’inscription suivante : « God save kyngge Harre and Kyenne Ellessabet ». Cette inscription pourrait indiquer que le manuscrit a appartenu à Henry VIII (1491-1547). Enfin, on observe la première mention du manuscrit dans le catalogue de  166621. La  qualité du manuscrit et son entrée à date ancienne dans la bibliothèque royale laissent penser que ce manuscrit est très certainement un manuscrit d’apparat destiné à édifier la noblesse de la cour d’Angleterre, soit un milieu laïque et aristocratique comme le manuscrit fr. 412. Le dernier témoin est le manuscrit fr. 411 qui appartient aux fonds français de la Bibliothèque nationale de France (anciennement Regius 7019). Daté du xive siècle, il constitue un témoin plus tardif que les deux autres manuscrits de la famille C. Ce dernier est malheureusement inachevé. En effet, les emplacements des miniatures et des lettres ornées sont restés blancs, sauf dans le troisième quaternion, feuillets 17 à 24, qui a été enluminé. Cet inachèvement est très certainement à l’origine d’une diffusion différente des deux autres témoins, ce manuscrit ne pouvant pas devenir à son tour un livre d’apparat. En effet, certains indices montrent qu’il a connu une utilisation différente. Ses nombreux folios endommagés témoignent d’une utilisation plus fréquente. De même les gribouillis ou les dessins que l’on peut y trouver sont le signe d’un moins grand respect de l’objet par son utilisateur22 . Section romane, notice de «  LONDON, British Library, Royal 20.D.VI  » dans la base Jonas-IRHT/CNRS (permalink  : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/31258), consultée le 11/07/2019. 20  G. F. Warner et J. P. Gilson, Catalogue of Western manuscripts in the old royal and king’s collection in the British Museum, Londres, 1921, p. 381. 21  Ibid. 22  Voir les folios 76r, 109r, 146v, 178r. 19 

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Ainsi, les manuscrits C1 et C3 permettent de confirmer une diffusion de l’œuvre de Wauchier de Denain dans un milieu aristocratique. Le  manuscrit 412 permet, également en raison de sa composition originale, d’envisager le recueil des Seint Confessor comme une œuvre littéraire quand il est placé à côté du Bestiaire d’Amours de Richard de Fournival.

3. Tradition manuscrite et deuxième rédaction du recueil Si le recueil n’est transmis de manière complète et dans l’ordre que dans les trois représentants de la famille C, la transmission partielle de ses textes est plus complexe, car on recense tout de même vingt-six témoins qui possèdent au moins une Vie du recueil. Parmi ces différents manuscrits, une deuxième famille se détache pour l’étude des Seint Confessor.

a. Les légendiers de la famille G La famille G est extrêmement intéressante pour la transmission du recueil de Wauchier, car elle est la deuxième famille de manuscrits à donner la version la plus complète des Seint Confessor. Elle est composée de cinq manuscrits : G1 Bruxelles, Bibliothèque royale, 9225, 1ère moitié du xive siècle ; G2 Paris, BNF, français 183, 1re moitié du xive siècle ; G3 Paris, BNF, français 185, 1re moitié du xive siècle ; G4 Londres, British Library, addit. 17275, 2e quart du xive siècle ; G5 Arras, Bibliothèque municipale, 851 (307), 2e moitié du xiiie siècle. G1, G2, G3 et G4 semblent issus des mêmes milieux. G1, G2 et G4 ont vraisemblablement été conçus au même endroit dans l’atelier de Thomas Maubeuge. G1 et G2 sont tous les deux enluminés par Maître Fauvel23. De plus, G2 et G4 ont été copiés par le même scribe, Jean de Senlis. Enfin, G1 aurait été commandé par Gérard de Diest, châtelain d’Anvers, et Jeanne de Flandre24. Ces quelques informations permettent de rattacher ces manuscrits à la même zone géographique de production que le légendier C et au même public aristocratique. On peut également noter que G2, G3 et G4 ont été attribués à un certain Jean Belet, sans pour autant être tous les trois les copies d’un même exemplaire, Il est toutefois intéressant de remarquer que les enluminures ne sont pas les mêmes pour les deux manuscrits. 24  R. H. Rouse et M. A. Rouse, Manuscripts and their makers : Commercial book producers in medieval Paris, 12001500, Turnhout, 2000. 23 

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mais plutôt trois compilations, relativement différentes, très certainement issues d’un même modèle25. L’attribution à Jean Belet est difficilement explicable, l’une des hypothèses de Paul Meyer serait que « les réutilisations de la légende dorée dans ces compilations seraient issues d’une traduction en langue vernaculaire d’un Jean Belet dont nous ne savons rien »26. Enfin, si G5 a connu la même aire géographique de diffusion que les autres témoins de la famille, il semble connaître un contexte de production et de diffusion quelque peu différent. Il a peut-être appartenu à l’abbaye Saint-Vaast à Arras, comme devait le mentionner une des marques d’appartenance relevée par Jules Quicherat dans son catalogue : « Bibliothecae monasterii Sancti Vedasti Atrebatensis », qu’on ne peut malheureusement plus lire aujourd’hui en raison très certainement de la nouvelle reliure27. Cette localisation est également confirmée par la présence d’une traduction la Vie de Saint Vast d’Haimon de Halberstadt qui vient clore le recueil et qu’on ne retrouve pas ailleurs28. Ainsi la famille G, majoritairement composée au xive siècle, semble un peu plus tardive que la famille C (milieu du xiiie siècle). On peut toutefois conclure après analyse de C et de G qu’il est fort probable que les textes de Wauchier de Denain aient surtout circulé dans le nord de la France, près de leur lieu production. Pour la famille C, les textes ont clairement été produits pour un public laïque issu de l’aristocratie de Flandre, à l’instar du mécène de Wauchier de Denain, Philippe de Namur, et la circulation des manuscrits s’est faite pour l’essentiel dans des bibliothèques aristocratiques et pas dans un milieu religieux. Cette conclusion est à nuancer pour G en raison de G5, témoin le plus ancien, qui a très certainement été produit pour l’abbaye SaintVaast. Quant aux autres témoins de G, ils semblent avoir été diffusés dans les mêmes milieux que C.

b. Transmission du recueil de Wauchier de Denain dans la compilation de la famille G Sur les cinq manuscrits de la famille G, seuls deux témoins, G1  et  G2, possèdent tous les textes du recueil, à l’exception des Dialogues, et aucun des

P. Meyer, Notice sur trois légendiers français attribués à Jean Belet, Paris, 1899. Ibid., p.  1. Paul Meyer écarte une attribution au théologien Jean Beleth et ajoute que le patronyme Belet est fort répandu en Normandie et en Angleterre. 27  P. Meyer, « Notice sur le manuscrit 307 (ancien 851) de la bibliothèque d’Arras. Recueil de Vies de saints en prose et en vers. », Romania, 17 (1888), p. 366-400, ici, p. 367. 28  Tandis que G3 et G4 contiennent une traduction de la Légende dorée. 25 

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deux ne semble avoir conservé l’ordre du recueil. Dans les deux cas, on trouve successivement les Vies de saint Gilles et de saint Alexis, puis plus loin : – – – – – –

Vie de saint Marcel de Limoges Vie de saint Nicolas Vie de saint Jérôme Vie de saint Benoit Vie de saint Martin de Tours Vie de saint Brice.

On notera également que, dans tous les représentants de G, la Vie de saint Brice est suivie des Vies de Paulin de Nole, Malchus et de Paul le Simple, également écrites par Wauchier de Denain, et issues des Sainz Peres. La distinction entre les deux recueils avait d’ailleurs échappé à Paul Meyer lors de sa description de G1 où il délimite une section Wauchier de Denain sans chercher d’effet de composition interne. Ainsi dans les manuscrits de la famille G, le recueil n’est plus compris comme un tout et les effets de composition par symétrie sont annulés par la réorganisation de l’ordre des Vies, effaçant ainsi l’originalité de ce recueil d’auteur. En outre, les manuscrits de la famille G ne transmettent pas la même version du recueil de Wauchier de Denain que les témoins de la famille C. En effet, comme l’a montré John Jay Thompson29, il existe pour le recueil des Seint Confessor deux rédactions. La première est une version antérieure du recueil qu’il nomme  Ω  1 et que l’on retrouve dans les témoins des familles C, D, E et F. La deuxième est une rédaction appelée Ω 2, qui apparaît dans les témoins de la famille G, mais également dans certaines Vies isolées et disséminées dans différents manuscrits. Cette deuxième rédaction se voit privée de toutes les signatures de l’auteur, ainsi que de tous les passages en vers qui faisaient l’originalité de l’œuvre de Wauchier de Denain. Cette simplification des Vies semble liée à la volonté de davantage faire correspondre le recueil aux critères des nouvelles légendes, initiés par La Légende dorée. D’ailleurs, les Vies de la deuxième rédaction appartiennent souvent à des compilations qui contiennent également des traductions de cette dernière. Ainsi, le recueil, tel que le livrent les manuscrits de la famille G, ne semble plus compris. Le réagencement des Vies qui efface l’originalité de l’œuvre de Wauchier de Denain et son remaniement tendent à standardiser les Vies du 29  J. J. Thompson, From the translator’s worktable to the predictor’s lectern : The work of a thirteenth-century author, Wauchier de Denain, PhD in Candidacy for the Degree of Doctor of Philosophy, Yale University, 1993, p. 45-48.

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recueil. La  cohérence de la composition sérielle a été détruite. L’enchaînement des textes de Wauchier de Denain paraît lié au hasard d’une compilation conservatrice des blocs originaux, sans qu’une attention particulière ait été portée au fait que ces Vies faisaient partie dans un premier temps d’un même recueil. Comme le suppose John Jay Thompson, le projet d’écriture de Wauchier de Denain n’aurait pas été compris. Le raffinement de la compilation originale et les interventions versifiées du narrateur pour s’adresser à son public rapprochaient davantage Li Seint Confessor d’une Histoire didactique, d’un recueil écrit pour édifier, que d’un objet uniquement dédié à la dévotion, ce que les éditeurs médiévaux semblent pourtant, au gré des différentes compilations, en avoir fait30. L’originalité de cette œuvre, peut-être trop marginale pour sa période de composition, a, semble-t-il, entraîné sa transformation et son démantèlement au fil des compilations pour faire correspondre les Vies du recueil aux nouveaux canons hagiographiques.

4. Conclusion L’étude des Vies en série des Seint Confessor, mais aussi l’analyse du contexte manuscrit et de la transmission du recueil à travers différents témoins a permis de mieux appréhender la réception de cette œuvre au cours du temps. Les Seint confessor semblent pouvoir être compris comme une œuvre littéraire à part entière, destinée à un public aristocratique pour œuvrer à sa moralisation et son édification. Toutefois, ce recueil original, très certainement parce qu’il ne correspondait pas aux goûts de l’époque, a vu sa composition sérielle se déliter au fil du temps pour s’intégrer sous une forme plus standardisée dans les nouvelles légendes françaises. L’étude de ce recueil et de son contexte manuscrit soulève également le problème extrêmement complexe de la formation des compilations hagiographiques, rapidement évoqué ici, et qui pourtant pourrait révéler de nouvelles séries pour nous rapprocher des premières formes de diffusion de ces textes, et par là nous permettre de mieux comprendre les projets d’écriture qui ont amené à la création des légendiers en langue vernaculaire, ainsi que leur réception.

30 

Ibid., p. 4.

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Composition, usage et diffusion du légendier picard Anne-Françoise Leurquin-Labie (Paris) La fin du Moyen Âge voit la multiplication des légendiers hagiographiques en langue vernaculaire, en particulier la Légende dorée, tant manuscrits qu’imprimés. Certains ont souhaité donner à ces recueils qui se voulaient universels une couleur régionale, parfois à petite dose comme BNF, fr. 23114, une Légende dorée qui se termine par une Vie de saint Éloi, ou Florence, Bibl. Laur., Med. Pal. 141, qui farcit une Légende dorée de Vies tirées de l’Abbreviatio de Jean de Mailly et de quelques saints du domaine picard (Riquier, Servais) ou normand (Vigor de Bayeux). Dans ses Festes nouvelles, Jean Golein ne fait pas autre chose, puisque les saints qu’il choisit, s’ils sont issus de diverses régions de France, ont presque tous en commun de faire l’objet d’un culte introduit à Paris depuis peu. En dehors de la Légende dorée, des recueils de Vies de saints à forte appartenance régionale apparaissent au xve siècle : c’est le cas de BNF, fr. 13496, centré autour de Vézelay, ou Paris, Institut de France, 663, à forte coloration bourguignonne, ce qui n’empêche pas d’y trouver Piat de Tournai et quelques saints bretons ; on voit aussi de l’hagiographie lorraine dans les mss Arsenal 3684 et Leipzig, UB 1551. Le légendier picard s’inscrit dans ce mouvement1. Il s’agit d’un ensemble de recueils hagiographiques qui farcissent un fonds de Légende dorée d’un certain nombre de Vies de saints de la région de parler picard. Et la couleur est fortement marquée puisque ces légendes régionales sont au nombre de 47 en tout. Mais qui dit légendier pense à des volumes qui contiennent peu ou A.-F.  Leurquin-Labie, Les légendiers en prose française à la fin du Moyen Âge, région ­picarde et Flandre française, thèse de 3e cycle, sous la direction de J. Monfrin, Paris, 1985. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 79-93. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126289

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prou les mêmes textes, avec quelques variantes, ajouts ou omissions. La composition du légendier picard est plus complexe ; le premier indice est qu’aucun des cinq manuscrits regroupés sous cette dénomination ne transmet plus de la moitié des 47 légendes régionales. De fait, il s’apparente plus à une mosaïque qu’à un bloc. Les cinq témoins du légendier picard sont tous conservés dans le département du Nord, deux à Cambrai, deux à Lille, le dernier à Douai2 . Cambrai, BM 811 est un volume épais, pas moins de 500 feuillets de papier, dans un format proche du A4. Copie courante, dont les seules fantaisies sont un petit motif floral au début du texte et surtout une grande initiale très travaillée en tête de la table, il contient 194  articles classés en ordre liturgique, dont 21 consacrés à des saints de la région de parler picard. Il s’ouvre sur un calendrier, que le manuscrit appelle une table, dont la lettre dominicale permet de proposer trois dates de copie : 1475, 1486 ou 1497. Il porte l’ex-libris de l’abbaye bénédictine du Saint-Sépulcre de Cambrai et de son abbé Guillaume Courtois, qui fit rebâtir l’église à la fin du xve siècle. C’est du scriptorium du Saint-Sépulcre aussi que provient le ms. Cambrai, BM 812, tout au moins sa première partie car il s’agit d’un volume hétérogène. Je ne prendrai pas en considération le deuxième élément, recueil de textes à consonance morale en prose et en vers3, qui porte une numérotation propre4, signe d’une circulation indépendante à l’origine. Le  légendier lui-même compte 201  articles, dont 19  saints picards, et suit l’ordre de l’année liturgique avec quelques irrégularités et additions en fin de volume. C’est un exemplaire très simple, de format identique au précédent, mais des marges bien plus étroites et des légendes plus condensées lui permettent de faire tenir à peu près le même nombre de légendes en 100 feuillets de moins. Les mss 811 et 812 ont un temps été considérés comme un seul légendier en 2 volumes. Il n’en est rien puisque le 811 ne comporte que la partie d’hiver, de l’Avent à juin, tandis que le 812 contient l’année liturgique entière. On notera en passant que le 811, qui ne couvre que la moitié de l’année, ne compte toutefois que 7 légendes de moins que le 812. Ils sont décrits dans la base Jonas sous les références suivantes : Cambrai, BM 811, http:// jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/11779 ; BM  812, http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/11780 ; Douai, BM 869, http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/19350 ; Lille, BM 452, http://jonas.irht. cnrs.fr/manuscrit/28955  ; BM  453, http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/28956, consultées le 04/03/2021. 3  Elle commence par une Vie de saint Grégoire le Grand et contient, la Visio Philiberti, quelques ballades à thématique pieuse, les Regrets Notre Dame de Huon de Cambrai, le Sentier et la Voie de Paradis, le Dit de l’arbre, l’Évangile selon saint Matthieu, des conseils à des femmes pieuses, un dicton, quelques prières et, dans un autre genre, le conte de Griseldis de Philippe de Mézières. 4  Doublée par une numérotation continue à la suite du légendier. 2 

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Le troisième témoin, Lille, BM 452 (795)5, est un livre de beaucoup plus grandes dimensions, presque 40  cm sur  30, et près de 600  feuillets de papier. C’est le seul aussi qui soit illustré, avec 150 aquarelles, en tête de presque toutes les légendes. Il contient 160 articles, dont 25 saints picards, suivis de nomenclatures pieuses (commandements, articles de la foi, péchés capitaux, etc.) et un texte un peu long, inconnu par ailleurs, consacré à la fête des défunts du 2 novembre6. Dans un sanctoral apparemment sans ordre, on discerne des regroupements correspondant plus ou moins au calendrier liturgique. Les blasons de Lille et de Tournai, dessinés dans des initiales à plusieurs reprises7, ainsi que la longueur de la Vie d’Éleuthère, évêque de Tournai, sont une indication d’origine. Mais la plus ancienne marque de possession sur le volume remonte seulement au xviie siècle, lorsqu’il appartenait au chapitre augustin de Saint-Pierre de Lille. Lille, BM 453 (383), proche d’un format A4 comme les deux volumes de Cambrai, est cependant beaucoup moins épais, 337 feuillets seulement, mais l’étroitesse des marges et une présentation peu aérée permettent d’y copier 160 articles, soit 137 Vies de saints, dont 20 picards, et 23 sermons. La succession des textes paraît dans le plus grand désordre ; de-ci de-là émergent quelques petits blocs classés en ordre liturgique mais leur apparition dans le volume semble erratique, en tout cas sans suite chronologique. Les sermons, par exemple pour l’Assomption ou la Toussaint, sont toutefois à proximité immédiate de saints fêtés dans les jours environnants. C’est un exemplaire courant. Avant de figurer dans la bibliothèque de la collégiale Saint-Pierre de Lille, il a appartenu au xve siècle à un nommé Ballet dont on ne sait rien, sinon qu’il a possédé également le ms. Arras, BM, 587, un recueil pieux du xive siècle qui contient, outre quelques Vies de saints, le Roman de la Rose et le Testament de Jean de Meung. Dernier témoin, Douai, BM  869, est un manuscrit hétérogène. Sa  première unité codicologique8, qui seule nous intéresse, regroupe 62 Vies de saints, dont 14 saints picards, sans classement, accompagnées d’une prière, une ballade pieuse et surtout de deux textes dont la tonalité fortement mystique est très éloignée du caractère anecdotique des légendes du corpus, les Prophéties 452 est la cote du CGM, 795 le numéro de classement employé par la bibliothèque. Ce texte, qui n’est pas traduit de la Légende dorée, explique l’origine de la fête des morts, l’utilité du trentain grégorien, cette tradition de célébrer trente messes consécutives pour l’âme du défunt, et il indique les moyens de soulager les âmes du purgatoire. 7  Armes de Lille, de gueule à une fleur de lis d’argent, aux fol. 156 et 326 ; celles de Tournai, de gueule à une tour d’argent surmontée de trois tourillons aux fol. 240v et 442v. 8  Le deuxième élément, fol. 188-fin, contient un recueil de quarante miracles de Notre Dame en prose (à rapprocher de BNF, fr. 410 et fr. 1881), plus un texte interpolé, De continance et virginité, au fol. 195rv. 5 

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de Joachim de Flore et le Jardin de Dévotion attribué à Pierre de Luxembourg. La réunion des deux éléments est de peu postérieure à la copie, puisque la table ancienne mentionne l’ensemble du contenu. Ce volume est le seul du groupe du légendier picard à transmettre la Vie de Marie d’Oignies, qui tranche sur le reste du corpus régional aussi bien par la date et le contexte de vie de son sujet (une béguine mystique du début du xiiie siècle) que par la longueur du texte et le maintien des commentaires spirituels développés par l’auteur du récit latin, Jacques de Vitry. Pour ces raisons et à cause du nombre réduit de légendes, le manuscrit de Douai occupe une place un peu à part dans le légendier picard. Simplicité des volumes, cursivité de l’écriture, brièveté des récits mettant en valeur anecdotes et miracles sans intérêt marqué pour la vie spirituelle des saints, aussi bien pour les saints de tradition universelle que pour le corpus régional, sont les caractères communs de ces cinq volumes.

1. Le corpus régional Comment se dessine le corpus picard dans l’histoire religieuse régionale ? Quels critères ont présidé à la sélection ? Car 47  personnages, c’est un choix drastique dans un paysage hagiographique régional beaucoup plus étendu : rien que pour la période mérovingienne, Léon Van der Essen recense 82 saints9. La sélection s’est faite sur des critères chronologiques, géographiques et de type hagiographique. Les légendes situent souvent le cadre historique par le nom du souverain régnant : Charlemagne est mentionné cinq fois, Clovis quatre et Dagobert quatorze, mais avec une répartition à faire entre Dagobert Ier mort en 639 et son petit-fils homonyme mort en 678. Sont aussi cités Sigebert II († 613) et Pépin de Herstal († 714). Le cadre est donc la fin de l’époque mérovingienne et l’émergence des Pippinides, soit moins de deux siècles, de la fin du vie siècle à 750 environ. Seulement quatre saints antérieurs et deux de la fin du Moyen Âge s’en écartent. Les critères géographiques, fondés sur le lieu d’implantation ou de culte, dessinent franchement une zone francophone par opposition à une zone néerlandophone. Aucun saint au nord de la frontière linguistique ne trouve place dans le légendier picard. Du point de vue ecclésiastique, les saints choisis relèvent de l’archidiocèse de Cambrai et principalement du diocèse de Cambrai-Arras, mais ses dimensions considérables faussent la statistique. La limite nord dessine une ligne qui relie Nivelles à Tournai. Une  cartographie des L. Van der Essen, Étude critique et littéraire sur les Vitae des saints mérovingiens, Louvain-Paris, 1907.

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lieux d’exercice des saints montre trois zones de forte densité, autour des  deux cités épiscopales de Tournai et de Cambrai, et dans un triangle ­Nivelles-Mons-Maubeuge, où se concentrent des fondations monastiques. La fin de la dynastie mérovingienne avait offert à la région une période de stabilité politique toute nouvelle, qui a permis une rechristianisation durable. Le type hagiographique des saints du légendier picard est évidemment très dépendant du contexte historique et du cadre géographique : ce sont des missionnaires comme Ursmer ou Sauve, ou de grands évêques qui ont posé les bases de l’organisation ecclésiastique : Géry, Aubert, Vindicien, Aldebert à Cambrai, Éleuthère à Tournai, Médard et Éloi à Noyon, Omer à Thérouanne, Amand, Lambert, Hubert à Liège. Ce  sont surtout des fondateurs et fondatrices d’abbayes : Riquier fondateur de Centulle, Bertin de Sithiu, Foillan de Fosses, Humbert de Maroilles, Landelin de Lobbes, etc. Avec Waudru de Mons, son époux Vincent de Soignies et sa sœur Aldegonde de Maubeuge, leurs cousines Gertrude de Nivelles et Gudule, et quelques générations plus tard Aldebert fondant le monastère de Denain pour sa fille Rainfroye (ou Ragenfrède), c’est tout un réseau familial apparenté aux Pippinides et donc à la future dynastie française qui est à l’œuvre, et le topos historique de la noble naissance prend ici tout son poids. Mais le tableau hagiographique s’interrompt là, ou presque : sur la deux­ ième vague d’élan monastique, qui voit aux xe-xie siècles de nouvelles fondations et un mouvement de rénovation, le légendier picard est muet. Il est vrai que ces implantations se sont faites surtout au nord de la frontière linguistique entre français et flamand, qui semble une barrière infranchissable pour le légendier picard ; mais la réforme de Gérard de Brogne par exemple n’apparaît pas, malgré son importance dans l’histoire régionale et son rayonnement. Les  ordres récents comme les Mendiants sont invisibles. Les  spiritualités nouvelles de la fin de Moyen Âge, pourtant très présentes dans cette région du Nord, n’apparaissent pas non plus, avec deux exceptions seulement, le reclus Druon et la béguine Marie d’Oignies. Il y avait pourtant matière, avec les Vitae de Christine l’Admirable, Marguerite d’Ypres et Lutgarde écrites par Thomas de Cantimpré, pour ne citer qu’elles. Le légendier picard dresse donc le portrait d’une sainteté de fondateurs, très liée à la famille régnante en France. À la fin du xve siècle, dans un contexte où la Flandre affirme sa conscience nationale, la sélection des saints pour le légendier peut faire figure d’affirmation politique. Un graphique permet de voir comment se croisent les 47 légendes de saints locaux dans les cinq témoins du légendier picard. Les parties blanches montrent le nombre de textes que chaque manuscrit est le seul à porter, tandis que les autres parties montrent les textes communs avec chacun des autres manuscrits.

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La part de légendes qui ne se trouvent que dans un seul manuscrit est tout à fait variable, de totalement négligeable dans Cambrai, BM 812 (1 légende) à très largement majoritaire (76% dans Lille, BM 452 et 78% dans le manuscrit de Douai). On nuancera néanmoins légèrement l’impact de ces chiffres, puisqu’ils regroupent les saints propres à un des volumes – qui ne figurent nulle part ailleurs – et les rédactions propres pour des saints figurant dans d’autres exemplaires sous d’autres rédactions. Si on ne tient compte que des saints présents dans un seul manuscrit, Cambrai, BM 812 tombe à zéro, et ailleurs les chiffres sont faibles, de trois à six légendes10. Signalons seulement que la Vie de Marie d’Oignies d’après Jacques de Vitry, unicum dans Douai si on s’en tient au légendier picard, a aussi été transmise par le Miroir des curés et par un légendier de Stavelot11.

Cambrai, BM 811 : Lieffart, Médard, Pharaïlde, Ursmer, Vindicien, Wulfran.  – Lille, BM  453 : Amé, Donatien, Foillan, Translation d’Hubert, Humbert, Rainfroye.  – Lille, BM 452 : Aldebert, Josse, Omer, Silvin, Druon. – Douai, BM 869 : Benoîte d’Origny, Trond, Marie d’Oignies. 11  Cambridge, Fitzwilliam Museum, Charles Fairfax Murray 12, de la fin du xve siècle. 10 

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On notera la forte proportion des légendes partagées par Cambrai, BM 811 et 812, et par eux seuls (environ 40%) et le fait que le ms. de Douai ne partage de légendes qu’avec Lille, BM  452. On  constate surtout qu’aucune légende ne trouve place dans les cinq témoins à la fois, ou même – si on exclut Douai, BM 869, qui peut être considéré comme un satellite de Lille, BM 452 – dans les quatre témoins. Lille, BM 453 s’associe parfois à un seul des manuscrits de Cambrai, parfois aux deux ensembles. Lille, BM 452 n’est lié à ces trois volumes que par des liens ténus, parfois avec Cambrai, BM 811 seul, parfois avec Cambrai, BM 812 et Lille, BM 453, jamais seulement avec l’un ou l’autre de ces deux derniers. De l’examen du corpus régional se dégage donc un objet protéiforme où l’intensité des liens varie, qui n’a pas grand chose de commun avec les regroupements démontrés par Paul Meyer de légendiers cohérents où la variance n’apparaît qu’aux marges. Ici, les contours sont beaucoup moins bien dessinés, et même les deux volumes les plus fortement liés, ceux de Cambrai, n’ont qu’une minorité d’articles communs. La part originale de Lille, BM 453 est plus forte encore ; quant à Lille, BM 452, il joue l’indépendance. Il serait donc tentant de réduire le légendier picard à trois volumes, en ajoutant même une nuance, car entre Cambrai, BM 811 et 812 il n’y a que des variantes orthographiques, tandis que Lille, BM 453 présente des variantes textuelles pour les mêmes rédactions.

2. Source et traduction Peut-on savoir de quels outils ou modèles le ou les traducteurs disposaient pour leur travail ? Un examen de nombreux légendiers latins écrits dans le domaine picard n’a pas permis d’identifier un modèle global de l’un ou l’autre des cinq manuscrits. Une  source partielle des deux volumes de Cambrai se trouve toutefois dans Cambrai, BM 806, un lectionnaire de la cathédrale, contemporain du légendier picard. Il  contient environ 150  Vies de saints divisées en neuf leçons pour la récitation de l’office du matin, parmi lesquelles 27 Vies de saints du nord de la France ou du sud de la Belgique12 . Neuf d’entre elles sont la source littérale du légendier picard, sans hésitation possible13 : au lieu de résumer les légendes pour tenir dans les limites imposées Éloi, Aubert, Firmin, Fursi, Aldegonde, Waudru, Lieffart, Vaast, Amand, Gertrude, Médard, Landelin, translation d’Éloi, Vincent de Soignies, Géry, Remacle, Humbert, Lambert, translation de Géry, Firmin, Rainfroye, Ghislain, Donatien, Amé, Amand, Quentin, Maxellende. 13  Aubert et sa translation, Médard, Landelin, Vincent de Soignies, la translation de Géry, Ghislain, Donatien et Amé. 12 

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par la lecture à haute voix, le compilateur du lectionnaire a copié le début de chaque paragraphe de sa source. La méthode se révèle simple et efficace, même le récit ainsi haché n’est pas d’une lecture fluide. Le procédé de prélèvement paraît tout à fait inhabituel ; je  n’en connais aucun autre exemple dans les légendiers en français. En outre deux légendes (Landelin et Vincent) ne sont connues dans cette rédaction que par le lectionnaire et le légendier picard. En quelques endroits, la traduction française complète ou précise un détail absent de sa source : le récit de la conversion de Landelin est plus détaillé ; la Vie de Géry mentionne les travaux de reconstruction de l’église. Quelques questions toutefois restent en suspens : pourquoi ne copier que neuf Vies et pas les 27, d’autant qu’il s’agit de 27 saints qui figurent tous dans le légendier picard ? Pourquoi le traducteur a-t-il cherché ailleurs des légendes dont le lectionnaire fournissait une version toute prête, déjà abrégée ? La question n’a pour l’instant pas trouvé de réponse. Hormis ce succès partiel, la recherche des sources doit se faire texte par texte. Bien évidemment, il est totalement improbable que le compilateur du légendier picard ait utilisé près de cinquante ouvrages différents et ait luimême abrégé les cinquante légendes tout en les traduisant ; force est donc pour l’instant de rechercher les Vitae-sources légende par légende. S’il est assez facile de repérer les légendes-sources et de comprendre le travail d’abrègement – à quelque étape qu’il se situe – pour le groupe des deux volumes de Cambrai et de Lille, BM 453, en revanche les légendes du ms. 452 de Lille résistent aux investigations : le remaniement semble si profond qu’il est la moitié du temps impossible de rattacher les légendes à une Vita plutôt qu’à une autre. C’est le cas par exemple pour Aldegonde ou Ghislain. Il en est de même pour une bonne part des saints universels. Cela donne à Lille, BM 452 une allure de corps flottant à côté du légendier picard. D’une façon générale, et avec les réserves liées aux éventuels intermédiaires disparus, les traductions ont procédé par sélection, conservé le récit des faits historiques et légendaires et fait disparaître la plupart des références scripturaires, les exhortations morales, l’appel à suivre les saints comme un modèle. Les miracles, guérisons, punitions ou démonstrations spectaculaires se taillent la part belle dans le récit. De-ci de-là on voit quelques ajouts, précisions sur une localisation le plus souvent : par exemple dans la Vie de saint Lieffart (Cambrai, BM  811), le texte français donne deux noms absents de la source latine, ceux des villages de Trescault et de Honnecourt-sur-Escaut, distants d’une douzaine de kilomètres. Parfois aussi une glose explique un mot peu usuel, par exemple armillas, c’est asçavoir que armilles a proprement parler sont une maniere d’aournemens que les femmes soloient porter sur leurs espaulez, et encore le font elles en aulcunes terres (Gudule, Cambrai, BM 811,

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§ 15), ou bien coma capitis, traduit par come, c’est la chevelure du chief (Landelin, Cambrai, BM 812, § 1). Si les légendes régionales ne semblent pas avoir dépassé une diffusion locale, dans quelques cas, il en existe des témoins en dehors du légendier picard : le légendier du ms. Londres, BL, Stowe 50-51 transmet quelques rédactions communes avec Lille, BM 452 (Aldegonde et Waudru), avec Douai (Liévin et Sauve) ou avec ces deux manuscrits (Bavon) ; le recueil intitulé le Miroir des curés partage deux textes avec Cambrai, BM 812 et Lille, BM 453 (Hubert et Lambert) et deux autres avec Douai (Fursi et Marie d’Oignies). Nous y reviendrons.

3. Le fonds universel Le fonds universel du légendier picard offre-t-il un bloc plus rigoureux, plus cohérent ? Il est principalement constitué de chapitres de la Légende dorée traduits ex novo sans recours à une traduction française préexistante. On peut s’étonner qu’à la fin du xve siècle, on ait ressenti le besoin de traduire à nouveaux frais une œuvre déjà si répandue en français. Les traducteurs euxmêmes nous donnent un élément de réponse : Jean de Vignay, achevant tout juste la traduction du Sepculum historiale, commence celle de la Légende dorée pour échapper à l’oisiveté, porte ouverte sur les vices, car cil qui vit en oiseuses si vit en maniere de beste mue. Pareillement, le moine de Saint-Nicolas des Prés à Tournai qui traduit l’œuvre de Jacques de Voragine en 1450, le jour saint Lois et Eleuthere, glorieus confessors de Jhesucrist (BNF, fr. 1054) justifie ainsi la nouvelle traduction qu’il entreprend : Combien que le legende d’or ait esté translatee par pluseurs notables clers, des quels je ne soufis considerer le science et eloquence, che non obstant par command de obedience, car je n’ai point volu par arrogance deffendre mon ignorance, ai emprins cheste translation. Et il énumère ses raisons : agir par obéissance, éviter l’oisiveté, céder aux supplications de ses frères, qui ne ont point grande connoissance de le langue latine, enfin œuvrer pour le profit de tous et pour le reverence et honneur que je ai ou doibs avoir as sains. Traduire la Légende dorée est donc en quelque sorte un exercice spirituel. Pour son corpus universel, extrait ou non de la Legenda aurea, le légendier picard ne croise que tout à fait ponctuellement les légendiers des siècles précédents étudiés par Paul Meyer. Il offre non pas une mais deux traductions nouvelles de la Légende dorée, indépendantes des traductions antérieures. La configuration dessinée autour des légendes régionales se confirme : les mss 811 et 812 de Cambrai et la plupart du temps 453 de Lille forment bloc avec une traduction commune

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(rédaction A). Une fois encore, le ms. Lille, BM 452 montre son originalité (rédaction B), ne se joignant que rarement à ce groupe, et enfin le ms. de Douai est presque toujours attaché à Lille, BM 452. Ces deux traductions de la Légende dorée n’ont pas fait l’objet d’une diffusion extérieure au légendier picard, sauf dans les recueils déjà évoqués du ms. Londres, British Library, Stowe 50-51, du Miroir des curés et du légendier copié à Stavelot (Cambridge, Fitzwilliam Museum, Charles Fairfax Murray 12)14. Le Miroir des curés est une compilation, mélange de légendier, de sermonnaire et d’écrits d’instruction chrétienne. Nous y reviendrons plus loin. En ce qui concerne le corpus plus universel, le Miroir offre des légendes communes avec tous les témoins du légendier picard, isolément ou par groupes, mais jamais avec tous à la fois. Le légendier Stowe est une rédaction mixte de la Légende dorée, mêlant la traduction de Jean de Vignay, celle du légendier picard et au moins une troisième, complétée par des Festes nouvelles de Jean Golein, quelques Vies de saints à culte régional et quelques sermons, soit en tout 238 articles. Il partage certaines Vies de saints régionaux avec le légendier picard, offre pour certains saints une rédaction différente et contient aussi des Vies de saints du Nord ignorés de notre légendier, comme Austreberte, Mauront de Douai et Tillon, un disciple d’Éloi. Le volume provient des Pays-Bas méridionaux. Le légendier provenant de Stavelot est majoritairement une Légende dorée dont certaines légendes sont communes avec le Miroir des curés et/ ou avec les légendier picard ; il transmet quelques légendes de saints très locaux, Hubert, Lambert, Servais, Remacle fondateur de Stavelot – dans la rédaction de Jeanne de Malonne, bénédictine de Huy – et enfin Marie d’Oignies, dans une version brève sans lien avec celle copiée dans Douai, BM 869. Dans la plupart des cas, c’est ensemble que le Miroir et le légendier de Stavelot rejoignent les versions du légendier picard, alors que le légendier de Stowe le fait en solo. Mais la situation est beaucoup moins monobloc qu’il n’y paraît quand elle est ainsi schématisée ; elle est même carrément confuse. Le ms. Cambrai, BM 811, qui ne contient que 20 articles de la Légende dorée, est parfois seul à transmettre une légende, mais plus souvent en duo avec le ms. 812, qui en transmet 66 articles. Ce dernier, souvent seul, rejoint aussi souvent Lille, BM 453, mais, contrairement à ce qui se passe pour les saints régionaux, Cambrai, BM 811 n’a aucun article de la Légende dorée commun avec Lille, BM 453. Ceux des 30 articles de la Légende dorée de Lille, BM 453 qui ne sont pas liés à Cambrai, BM 812 sont des unica, sauf une légende provient du légendier A de Meyer15. Le Miroir des curés peut parfois rapprocher rédacCes rapprochements n’ont été possibles que grâce à la base Jonas de l’IRHT, jonas.irht. cnrs.fr, dans laquelle le corpus hagiographique est entièrement dépouillé. 15  Modène, Bibl. Estense, etr 116 et Tours, BM 1008. 14 

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tion A et rédaction B du légendier picard ; c’est le seul cas dans lequel elles se croisent. Ni les manuscrits de Cambrai ni Lille, BM 453 n’ont d’article de la Légende dorée en commun avec le légendier Stowe. La majorité des 69 articles de la Légende dorée dans Lille, BM 452 forment la rédaction B, mais de façon ponctuelle on y croise quelques textes du légendier A de Meyer et du légendier de Florence, Bibl. Laur., Med. Pal. 141, originaire d’Artois. Quelques-uns de ses articles se lisent aussi dans un autre légendier lillois, Lille, BM 454. S’il partage, comme les volumes précédents, un certain nombre d’articles avec le Miroir des curés, il recoupe aussi souvent le légendier Stowe, isolément ou en association avec le Miroir. Il y a par ailleurs une source à laquelle Lille, BM 452 est seul à puiser : c’est la version française de l’Abbreviatio de la Summa de vitis sanctorum de Jean de Mailly16, dont quelques légendes viennent se glisser de ci-de là. Sur 18  articles traduits de l’œuvre de Jacques de Voragine, Douai, BM  869 en emprunte deux à des traductions antérieures : une à la traduction de Jean de Vignay, l’autre au légendier du Puy-en-Velay, de la fin du xiiie siècle. Il en partage neuf avec Lille, BM 452 et il est le seul témoin du légendier picard à transmettre les sept autres. Y compris pour ces dernières, on constate les mêmes recoupements avec le Miroir et le légendier Stowe. Pour en finir avec la composition du légendier picard, mais sans nous y attarder, il importe de signaler la présence de saints d’autres régions que le Nord. Tour d’abord un groupe d’une dizaine de légendes de saints normands et des îles britanniques, dont plusieurs archevêques de Canterbury, dans le groupe de Cambrai. Le contexte politique du xve siècle n’est pas à l’amitié franco-anglaise, mais il peut suffire d’une relation personnelle ou d’une sorte de jumelage entre Cambrai et un évêché anglais, entre le Saint-Sépulcre et une abbaye anglaise, pour que des saints trouvent place dans un légendier. Ce  point mériterait une exploration. On  voit aussi quatre saints bourguignons, et d’autres régions sont représentées de façon plus pointilliste, par un ou deux saints : l’Anjou, la Bretagne, la Lorraine, le Poitou, le Midi, ainsi que Reims, Bourges, Meaux. Ce phénomène de semis n’est pas quelque chose d’unique. Il se lit ailleurs, par exemple dans le légendier Stowe ou dans Paris, Institut de France, 663. Une enquête du côté des légendiers latins conservés à Cambrai ne m’a pas permis d’y trouver trace des mêmes saints. Quelques sondages dans la BHLms montrent que des saints exogènes, dont le rayonnement aurait dû rester très localisé, ont occasionnellement trouvé place dans

La traduction de l’Abbreviatio est connue par tout un groupe de manuscrits étudiés par P. Meyer, « Notice sur un légendier français du xiiie siècle classé selon l’ordre de l’année liturgique, Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, 36/1 (1899), p. 1-69. 16 

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des légendiers tardifs loin de leurs bases, par exemple Pons de Cimiez dans des légendiers conservés à Bruxelles, Charleville et Namur. Le corpus universel confirme les conclusions du corpus régional : le légendier picard qui semblait un ensemble cohérent s’avère être une mosaïque. Après en avoir dispersé les pièces, tentons de lui redonner figure. Quelques traits se dessinent : la multiplicité des sources, l’impossibilité de définir un bloc, l’effet toile d’araignée des liens entre manuscrits. Le  légendier picard n’a pas puisé à une source unique, sauf si celle-ci a disparu sans laisser de trace. C’est une compilation faite à partir d’éléments disparates : disparates par la langue puisqu’on y voit du latin et du français ; disparates par l’usage, liturgique et monastique avec le lectionnaire, pastoral avec le Miroir des curés ; disparates enfin par la date, du xiiie au xve siècle. C’est un témoignage intéressant de la façon dont travaillaient les compilateurs hagiographiques, formant un tout unifié et cohérent en picorant de ci de là, ce qui exigeait une bibliothèque conséquente. Il est impossible de distinguer un bloc dans le légendier picard, puisque même les manuscrits les plus proches montrent des rédactions différentes pour un même saint. Hormis l’exemplaire de Douai, chaque témoin rejoint chacun des autres, isolément ou par deux, dans toutes les configurations possibles, pour un article, pour quelques-uns ou pour quelques dizaines. Aucune logique rigoureuse ne transparaît dans ces fils tendus. Le légendier picard s’apparente plus à une nébuleuse, faite de poussières mouvantes et insaisissables. Au-dessus de lui, comme une toile d’araignée, trois recueils, le légendier Stowe, celui de Stavelot et le Miroir des curés, se relient à des articles de l’un, de l’autre ou de plusieurs témoins picards, se relient aussi entre eux trois, ou plus souvent à deux. Ici encore toutes les configurations, tous les croisements, sont possibles, sans projet distinct. Les rapprochements les plus nombreux se font avec le Miroir des curés : outre ceux déjà mentionnés, on peut signaler les Vies de Bède et d’Origène, deux unica dans la littérature médiévale française, communes au Miroir et à Cambrai, BM 811, Lille, BM 453 et Douai, BM 869. Mais c’est surtout pour les sermons, dans les trois témoins du légendier picard qui en contiennent, que le Miroir apparaît comme la source incontournable : Cambrai, BM  811 en contient huit, tous issus du Miroir ; cinq des six sermons du Cambrai, BM 812 en proviennent, ainsi que dix sermons sur quatorze pour Lille, BM 453.

4. Derrière le légendier picard, le Miroir des curés Ce Miroir des curés, omniprésent autour du légendier picard, est une compilation qui associe légendier, sermonnaire du temps et divers autres

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textes pieux, dont la thématique est orientée vers la formation dogmatique et catéchétique du peuple chrétien et la pastorale : nomenclatures (articles de la foi et commandements), textes s’intéressant au péché (Création et chute d’Adam, traité des vices et des vertus, manuel de confession) et admonitions ad status, qui n’oublient pas les gens de religion. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un manuel conçu pour aider les curés dans leurs tâches de pasteur. On y lit la première attestation française de la Vie de Marie d’Oignies, considérée comme un modèle pour les curés, ce qu’illustre un épisode où elle donne à un prêtre une leçon de dévotion à l’Eucharistie. Le Miroir nous est parvenu par trois témoins complets : le plus ancien, et probablement l’exemplaire originel, Bruxelles, KBR, 10202-10203, porte un colophon qui date la copie de 1385 et la localise au Nouvion-en-Thiérache (Aisne, arrondissement de Vervins)17. Les  deux autres sont un volume du xve siècle de provenance incertaine, Paris, Institut de France, 12, et Cambrai, BM, 210, du dernier tiers du xve siècle, qui a, selon toute vraisemblance, été copié à Saint-Aubert de Cambrai. Trois autres manuscrits en contiennent des extraits18. C’est le compilateur du ms. de Bruxelles qui a donné à son ouvrage le nom de Miroir des curés, nom fidèlement transmis par les deux autres témoins. Sans pouvoir être assimilé au Miroir, le légendier de Stowe partage avec lui des Vies de saints du légendier picard et plusieurs sermons. C’est bien le Miroir des curés qu’il faut placer au centre de la nébuleuse hagiographique picarde, ou plus précisément sa copie la plus ancienne, écrite en Thiérache. Son influence a été importante puisqu’on en retrouve des articles dans une dizaine de manuscrits au moins (tous les témoins du légendier picard et les volumes mentionnés ci-dessus). Elle est restée très localisée dans le nord du domaine picard. C’est lui qui introduit des touches de sermonnaire dans les légendiers, pratique inhabituelle dans les receueils hagiographiques en français, et déplace la finalité du légendier en l’ouvrant sur une dimension pastorale.

5. Conclusion J’avais jadis, dans ma thèse, formulé l’hypothèse d’une écriture du légendier picard pour des couvents féminins ou dans des milieux laïques. Les nouveaux éclairages sur le dossier changent la donne. La  langue vernaculaire L’an mille III cens LXXXV fut cis presens livres escris en le foreis dou Nouvion. Copenhague, Kongelige Bibliotek, Ny.  Kgl.  S. 1838, fol.  129v-132r et 137r-138v, Troyes, BM 1041, fol. 1r-104v et Valenciennes, BM 126. Le manuscrit de Troyes a été copié à Clairvaux en 1462, les deux autres, du xve siècle, ont été écrits près de Valenciennes.

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opposée au latin, qui me semblait un argument de poids, ne l’est pas, nous dit le moine de Saint-Nicolas de Tournai. Le  noyau dur des trois témoins de Cambrai, BM  811, 812 et Lille, BM  453 nous montre une institution, le Saint-Sépulcre de Cambrai, un cadre géographique restreint, l’archidiocèse de Cambrai, une nette orientation pastorale, des volumes de dimensions qui ne permettent guère la lecture privée. On peut sans trop d’hésitation en conclure à une écriture en milieu religieux cambrésien, régulier plutôt que séculier, compilée en piochant dans un fonds documentaire assez vaste et bilingue ; la bibliothèque d’une grande abbaye, complétée par celle d’un évêché par exemple. Quant aux destinataires, l’exemple de Saint-Martin de Tournai prouve que l’emploi de la langue vernaculaire n’est pas en contradiction avec un usage interne pour les frères d’un monastère bénédictin comme le Saint-Sépulcre, mais on peut aussi voir dans le légendier picard un réservoir de sermons tout prêts et d’exempla hagiographiques pour les illustrer, destiné à des curés ou des prédicateurs. Certes la prédication n’était pas la vocation première des bénédictins, mais ils possédaient des paroisses et, par leur implantation en centre urbain, peut-être n’étaient-ils pas complètement fermés à cette mission. En admettant un usage pastoral et professionnel du légendier picard, un bon classement du contenu était indispensable. À cette fin, Cambrai, BM 811 est parfait, avec son classement liturgique et sa table-calendrier renvoyant aux feuillets ! Cambrai, BM 812, classé en ordre liturgique, est convenable. Mais dans Lille, BM 453, non classé, avec des zones plus ou moins liturgiques émergeant du magma, il est impossible de se retrouver. Devons-nous le mettre de côté, réduire encore le légendier picard aux deux manuscrits de Cambrai qui sont fonctionnels, et considérer Lille, BM 453 comme un témoin dont l’usage n’a pas été réfléchi ? Mais en revanche il contient bien plus de sermons, ce qui le placerait plus facilement entre les mains d’un curé ou d’un prédicateur. La destination des deux autres manuscrits semble moins claire. Celui de Douai est un objet hybride : des liens peu nombreux vers Lille, BM 452, ténus vers le légendier Stowe, plus denses avec le Miroir qui est le filtre de tous ses liens avec les trois témoins du noyau dur défini ci-dessus ; pas de sermon mais la Vie de Marie d’Oignies, modèle pour les curés ; des textes mystiques qui tranchent avec la tonalité de l’hagiographie française. C’est proprement un OVNI. Il en est tout autrement de Lille, BM 452 : c’est un volume épais, très illustré, il a fallu du temps pour l’écrire et le décorer. Ce n’est pas vraiment un objet de luxe, certes, mais il a néanmoins un certain prestige. On n’y lit aucun sermon, uniquement des récits hagiographiques très courts, souvent des rédactions uniques, et quelques nomenclatures pieuses. Toute idée de pastorale est à exclure. L’importance donnée à la fête des défunts suggère une dévotion

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particulière mais n’est pas une piste vers un destinataire. Le dessin à la plume des aquarelles, naïf, est dans l’esprit du Maître de Wavrin19, la vivacité des couleurs, l’emploi d’orangé en particulier, se voit dans les Pays-Bas. La naïveté des dessins fait penser à ce que les allemands appellent Nonnenarbeit, le travail de copie et d’enluminure réalisé dans des monastères féminins, dans le monde germanique, essentiellement à la fin du Moyen Âge. Le manuscrit provient-il d’un atelier laïque ou d’un couvent féminin travaillant sur commande ? Il était en tout cas très probablement destiné à un commanditaire aisé, laïque ou religieux. La nébuleuse hagiographique et pastorale dans laquelle le légendier picard a trouvé place mériterait une étude plus approfondie. Il reste sûrement à apprendre sur les sources, les échos, l’usage effectif du Miroir des curés et de ses satellites.

Voir par exemple les illustrations à la plume des manuscrits BNF, fr. 11610 et fr. 12572 ou Bruxelles, KBR 9631. 19 

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Un légendier picard illustré de la fin du xve siècle (Lille, BM, ms. 795) Originalité et tradition d’un cycle iconographique unique

Esther Dehoux, Marc Gil et Mathieu Vivas (Lille) Le manuscrit ms. 795 de la bibliothèque de Lille, appelé familièrement la Grosse légende, est un recueil de Vies de saints et de commémorations en langue picarde1. Il reflète le contenu du calendrier chrétien universel et celui de certains calendriers locaux, propres au nord de la France (Flandre, Hainaut et Artois), même si le déroulé ne suit pas l’année liturgique ni un ordre bien particulier2 . L’ouvrage tient une place à part dans le corpus des légendiers en langues vernaculaires de la fin du Moyen Âge, non seulement par son contenu textuel, mais aussi et surtout par son illustration. En effet, plus de 150 miniatures et son ornementation secondaire tranchent avec la décoration traditionnelle Le manuscrit a été entièrement numérisé. Il  est consultable en ligne, sur la base « patrimoine » de la bibliothèque municipale de Lille, sous le no 452. 2  Anne-Françoise Leurquin-Labie en a fait une étude approfondie dans sa thèse de 3e cycle, en 1985, puis dans un article de 2002. Il a également fait l’objet d’un mémoire de Master 2 en histoire de l’art, par Lise Ayello en 2017. A.-F. Leurquin-Labie, Les légendiers en prose française à la fin du Moyen Âge (région picarde et Flandre française), Thèse de 3e cycle, Paris, 1985 ; Ead., « La promotion de l’hagiographie régionale au xve siècle : l’exemple du Hainaut et du Cambrésis », dans Richesses médiévales du Nord et du Hainaut, actes du colloque tenu à la Faculté des Lettres de l’Université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis les 1er et 2 décembre 2000, éd. J.-C. Herbin, 2002, p. 253-267 ; L. Ayello, Étude du légendier ms. 795 de la bibliothèque municipale de Lille appelé la Grosse légende, Mémoire de Master 2 sous la direction de M. Gil, université de Lille 3, 2017, 3 vol. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 95-118. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126290

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de ce type de textes apparentés à la Légende dorée de Jacques de Voragine, dans la traduction à succès de Jean de Vignay. Son cycle iconographique s’éloigne également de celui, riche de 155 miniatures, du Légendier de Metz de la première moitié du xve  siècle3. En  effet, dans ce dernier, l’ordre des Vies suit l’année liturgique et les miniatures, malgré leur exécution soignée, reprennent le modèle stéréotypé de la production du commerce de librairie des manuscrits liturgiques et dévotionnels, aussi bien dans l’illustration du sanctoral de certains missels courants que dans celle des livres d’heures. Si la Grosse légende fait partie des cinq légendiers picards de la fin du Moyen Âge parvenus jusqu’à nous, elle est le seul recueil à être illustré4. Elle s’éloigne aussi des exemplaires flamands, luxueusement enluminés, de la Légende dorée en français5. En effet, avec ses miniatures lavées d’encre, aquarellées ou peintes à la gouache épaisse, le ms. 795 témoigne, par son contenu littéraire et l’exécution un peu fruste de ses images, de la diffusion et du succès d’une dévotion populaire en milieu urbain. Si le légendier lillois paraît donc être un manuscrit quelque peu unique dans le nord de la France à la fin du xve siècle, cet article souhaite surtout souligner qu’il est la combinaison de modèles hagiographiques et dévotionnels anciens et d’originalités plus locales. Pour ce faire, il est nécessaire d’examiner à nouveau les données codicologiques et le contenu même du manuscrit, certes en se focalisant sur sa fabrication et ses usages mais, surtout, en les contextualisant et en les rattachant à la ville de Tournai (1). Apparus dans un milieu culturel hagiographique septentrional, les modèles hagiographiques anciens et nouveaux sont par la suite analysés à l’aune des scènes imagées de Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms.  3684. Notice en ligne : https ://ccfr.BNF.fr/portailccfr/ jsp/index_view_direct_anonymous.jsp ?record  = eadbam :EADC :NE0081130_FRBNFEAD0000843072822, consultée le 04/03/2021 ; A.-J. Surdel, L’hagiographie en prose française au xve  siècle. Étude sur le légendier du ms.  3684 de la Bibl. de l’Arsenal de Paris, Thèse de 3e cycle, Nancy, 1984 ; A.-F. Leurquin-Labie, « La promotion de l’hagiographie régionale », p. 254. 4  Il s’agit des manuscrits de : Cambrai, BM, mss. 811 et 812, provenant de la bibliothèque de l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai ; Douai, BM, ms.  869, appartenait au xviie  siècle à un chanoine de Tournai ; Lille, mss.  795 (anc. cote  452) et 383 (anc. cote  453), conservés au xviie  siècle à la collégiale Saint-Pierre de Lille. Sur  ces manuscrits, voir les travaux d’A.-F. Leurquin-Labie cités à la n. 2 et son article dans le présent ouvrage. 5  Voir l’exemplaire de luxe exécuté par Guillaume Vrelant et son entourage, vers 1470 à Bruges, pour Jean, seigneur d’Auxi, chevalier picard de la cour de Bourgogne : Macôn, BM, ms. 3 (t. iii) et New-York, Pierpont Morgan Library and Museum, mss. M.672-M.675 (t. I et II) : B. Bousmanne, Item a Guillaume Wyelant aussi enlumineur. Willem Vrelant, Un aspect de l’enluminure dans les Pays-Bas méridionaux sous le mécénat des ducs de Bourgogne, Philippe le Bon et Charles le Téméraire, Turnhout, 1997, p. 271. Pour la notice et les miniatures du ms. 3 de la bibliothèque municipale de Mâcon, voir : http://initiale.irht.cnrs.fr/​­codex/2656/7167, consultée le 04/04/2021. 3 

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martyres. Plutôt traditionnelles et même stéréotypées, ces images prouvent que les miniaturistes ont utilisé les procédés iconographiques de l’époque et ont donc parfaitement inscrit le manuscrit dans l’air du temps (2). Toutefois, malgré un contenu et des thématiques assez classiques, cette œuvre de littérature hagiographique reflète des pratiques culturelles et sociales marquées, à l’aube des temps pré-modernes, par la Devotio moderna (3).

1. Données codicologiques et historiques d’un manuscrit tournaisien a. Le recueil : contenu, datation et illustrations La Grosse légende a le format d’un petit in folio épais de près de 600 feuillets de papier filigrané. Si  le début manque, il est probable qu’il présentait à l’origine un frontispice, une introduction et une table des rubriques. Aujourd’hui, le texte commence au milieu d’une Vie de saint André non illustrée. Si l’on suit la Légende dorée qui a inspiré une partie du contenu du légendier lillois, la fête de saint André devait être précédée de la commémoration de l’Avent. Cependant, il ne s’agit que d’une hypothèse : le reste du texte montre clairement que le copiste n’a respecté ni l’ordre de succession des Vies de la Légende dorée, ni le cycle de l’année liturgique, même si, parfois, des regroupements de Vies suivent le calendrier liturgique6. Si nous ne connaissons rien de l’histoire du manuscrit avant la fin du xviie siècle et son entrée dans la bibliothèque du chanoine de Saint-Pierre de Lille Paul-Frédéric Charles de Vallory, une première datation relative du manuscrit peut être fournie par l’analyse des trois filigranes du papier. Ainsi, deux ‘t’ gothiques surmontés d’un écu couronné à trois fleurs de lys correspondent aux nos  1740 et  1741 de l’ouvrage de C.-M.  Briquet7. Un  huchet, dont nous avons retrouvé le motif exact dans le papier d’un incunable imprimé à Louvain en 1475 et conservé à la Bibliothèque Nationale de France, se rapproche quant à lui du filigrane 7826 de l’ouvrage de C.-M. Briquet. Ainsi, en suivant les dates extrêmes d’utilisation du papier, la Grosse légende

A.-F. Leurquin-Labie, Les légendiers en prose, p. 21-24 ; L. Ayello, Étude du légendier ms. 795, I, p. 10-14, II, notice, p. 1-5. 7  C.-M. Briquet, Les filigranes, dictionnaire historique des marques de papier dès leur apparition vers 1282 jusqu’en 1600, Genève, 1907. En ligne : http://www.ksbm.oeaw.ac.at/_scripts/ php/BR.php ?IDtypes = 3&lang = fr. Pour cette recherche sur les filigranes, nous avons également utilisé le portail  de Biblissima, Baobab : https ://baobab.biblissima.fr/fr/caracteristiques-physiques/filigrane et, en particulier, la base Watermark in Incunabula printed in the Low Countries (WILC), consultées le 04/05/2021. 6 

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de Lille pourrait avoir été copiée entre 1464/65 au plus tôt, et 1479 au plus tard. L’étude des costumes dans les miniatures et certaines lettrines permet de resserrer la datation relative du manuscrit autour de la fin du règne de Charles le Téméraire, et cela même si l’on note quelques archaïsmes (fig. 1). En effet, les  points de comparaison avec les manuscrits contemporains des Pays-Bas bourguignons, aussi bien lillois – autour du Maître du Champion des Dames, peintre et cartonnier de tapisserie (actif vers 1470-75)8 et de son entourage9 – que flamands – avec, par exemple, l’œuvre du Bruxellois Jean Hennecart10 – permettraient de placer la copie du légendier lillois entre 1468/70 et 1475. Le codex contient 160 « Vies », dont 9 non illustrées, suivies des Dix commandements introduits par une image de Moïse recevant les tables sur le Mont Sinaï. Vient ensuite une série de textes rubriqués, s’apparentant à des listes : les sept articles de la foi (fol. 583v) ; les sept sacrements (fol. 584) ; les cinq sens de la nature (fol. 584) ; les sept péchés mortels (fol. 584) ; les sept vertus contre les sept péchés mortels (fol. 584v) : les sept dons du Saint Esprit (fol. 584v) ; les trois vertus théologales (fol. 584v) ; les quatre vertus cardinales (fol. 584v) ; les sept œuvres de miséricordes corporelles (fol. 584v) ; les sept œuvres de miséricorde spirituelles (fol. 585) ; prière à Jesus Maria Jesus (fol. 585) ; prière du jour des âmes (fol. 585). Le manuscrit contenait à l’origine au moins 152 miniatures : 136 pour les Vies de saints proprement dites ; 12 pour la Vierge et le Christ ; 5 pour la vie de la Vierge (Rencontre à la porte dorée [fol. 212v], Assomption [fol. 268v], Annonciation [fol. 335v], Pentecôte [fol. 339v], Naissance de la Vierge [fol. 353]) ; 7 pour la vie du Christ (Massacre des Innocents [fol. 26], Circoncision [fol. 37v], Nativité [fol. 149v], Présentation au temple [fol. 163v], Purification, Résurrection (fol. 228v), Ascension [fol. 243v]) ; Fête du Saint-Sacrement (fol. 292) ; Invention de la vraie Croix avec sainte Hélène (fol. 135v) ; Moïse recevant les tables de Par exemple, Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 3326, Recueil sur la guerre de Troie, pour Jean V de Créquy, v. 1470 ; Saumur, Château-musée, Tenture du Bal des sauvages, d’après des cartons du Maître du Champion des Dames. Pour ces œuvres, voir la récente monographie de P. Charron, Le Maître du Champion des dames, Paris, 2004. 9  Par exemple l’auteur anonyme lillois des miniatures d’un exemplaire Champion des dames de Martin Le franc conservé à Paris (BNF, ms. fr. 841) qui a également illustré, avec un second enlumineur, un recueil de textes moraux conservé à Lille (BM, ms. 342) – Le Pas de la Mort et La Danse aux aveugles – pour le milieu lillois des enlumineurs des années 1465-1475. Voir P. Charron, Le Maître du Champion des dames, p. 285-327. 10  Jean Hennecart († 1475) a illustré un exemplaire de L’instruction d’un jeune prince de Guillebert de Lannoy, (Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms.  5104, Bruxelles entre 1468 et  1470). Voir B.  Bousmanne et T.  Delcourt (dir.), Miniatures flamandes, 1404-1482, Catalogue d’exposition (Bruxelles-Paris, 2011-2012), Bruxelles-Paris, 2011, p. 204-209, notice 30 (P. Schandel). 8 

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la Loi (fol. 577v, les Dix commandements). On note toutefois que les courts textes des folios 583v-585 n’ont pas été illustrés.

b. Tournai comme origine et destination du Codex En analysant le texte, A.-F. Leurquin-Labie a montré que le manuscrit avait été copié dans le diocèse de Tournai, pour Lille ou Tournai même, mais sans pouvoir conclure nettement pour l’une ou l’autre cité, même si la seconde semblait la candidate idéale quant à l’origine du légendier. Si l’on compare les saints et les commémorations de la Grosse légende avec le contenu du calendrier du missel à l’usage de Tournai contemporain, 83% s’y retrouvent inscrits, à l’exception de 27 saints11. Par ailleurs, parmi les Vies nouvelles du légendier, on peut noter certains saints « nouveaux » absents du calendrier tournaisien12 . Tous les auteurs ayant travaillé sur la Grosse légende ont noté la présence, dans les lettrines, d’une part, de très nombreuses fleurs de lys rouges, bleues ou blanches (folios 141v, 149v, 156v, 161v, 163v, 178v, 193, 201v, 212v, 228v, 292, 324) et, de l’autre, à deux reprises, des armoiries de la ville de Tournai et de la couronne de France (folios 240v et 342v) (fig. 2). Les lis paraissent renvoyer immanquablement aux armoiries de la ville de Lille, capitale francophone du comté de Flandre et du duché de Bourgogne. Les deux écus renvoient à Tournai même, enclave française fidèle au roi de France, au milieu des territoires bourguignons et dont l’évêque, au xve siècle, fut un très proche conseiller du duc et son chancelier de l’Ordre de la Toison d’or. L’étude de ce riche décor héraldique et de certaines images à l’iconographie particulière permet d’affirmer aujourd’hui que la Grosse légende de Lille est bien un manuscrit tournaisien fait pour Tournai. En effet, le décor fleurdelisé est aussi traditionnellement étroitement associé aux armes de Tournai, comme le montrent à la fois la matrice du grand sceau de la Ville de Tournai, gravée en 1428 au moment de la révolution « bourgeoise » des métiers (fig. 3),

À savoir, Guillaume, Adalbert d’Ostrevant, Druon de Sebourg, Dorothée, Yves, Arnoul de Metz, Omer (Bertin est absent), le Saint-Sacrement, Mathurin, Victor de Syrie, Claire, Ghislain, Hilaire, les « deux sœurs Notre Dame », Leu (Loup de Sens), Nicolas de Tolentino, Longin, Patrice, Sauve, Aubin, Basile, Justine, Riquier, Silvin, Second, Gudule,
Jacques l’Intercis. 12  Vies nouvelles (en italiques les absents du calendrier tournaisien) : Maur ; Guillaume ; Sébastien ; Eloy ; Eutrope ; Conception Notre-Dame ; Yves ; Arnoul de Metz ; Saint-Sacrement ; Mathurin ; Louis ; Victor ; Remi ; Donat ; Eufémie ; Germain ; Geneviève. Manuscrit de comparaison : Mâcon, BM, ms. 3, Légende dorée en français (Bruges, Guillaume Vrelant, v. 1470). Cf. supra n. 5. 11 

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et le frontispice de la Chronique des évêques de Tournai, peint dans la première moitié du xvie siècle (fig. 4)13. Par ailleurs, trois miniatures insistent sur les liens avec le royaume de France (fig.  5a-c). C’est  d’abord la Messe de saint Éleuthère (Lehire dans le texte), patron de la ville et du diocèse (fol.  308), montrant un Clovis dont la physionomie rappelle le célèbre portrait de Charles  VII. L’ampleur que prend le texte, par rapport aux autres Vies, est d’ailleurs la preuve d’une origine tournaisienne du codex. C’est ensuite la miniature de saint Louis en long manteau fleurdelisé nourrissant lui-même les pauvres (fol. 413) et, enfin, saint Remi baptisant Clovis (fol. 452v)14. Une quatrième peinture nous ramène encore à Tournai et plus précisément à l’hôpital Saint-Jacques (fol. 324) (fig. 6). On y voit un autel qui, surmonté de la statue de saint Jacques le Majeur, évoque celui qui se trouvait dans la cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle. Plutôt qu’un souvenir de l’enlumineur qui n’avait sans doute pas fait lui-même le voyage, elle  est très probablement inspirée par le récit des pèlerins revenus de Galice, comme le montre le frontispice du Cartulaire de l’hôpital Saint-Jacques de Tournai (fig. 7)15. Remarquable par sa qualité picturale, cette œuvre est due au Maître du Livre de prières de Dresde, un peintre et enlumineur brugeois d’un talent exceptionnel, qui illustra le cartulaire lors d’un passage probable à Tournai, alors qu’il était soit en route vers Amiens, soit de retour de cette ville16. De peu postérieur à notre légendier, ce frontispice est plus fidèle à la réalité, Tournai, Bibl. du chapitre cathédral, ms.  B. 1, fol.  1. Voir Les Grands siècles de Tournai. 20e anniversaire des Guides de Tournai, Tournai, 1993, p. 233, fig. 82. 14  Ainsi, sur les 28 exemplaires manuscrits enluminés de la Légende dorée dans la traduction de Jean de Vignay, étudiés par Hilary Maddocks dans sa thèse, douze contiennent entre une et trois miniatures mettant en scène saint Remi, soit pour la fête de son natalice, soit pour celle de la translation de son corps, donnant 20 images au total. Sur ces 20 images, seules sept représentent le baptême de Clovis, provenant de six manuscrits parisiens (datables entre 1348 et 1486) et d’un manuscrit enluminé à Bruges, principalement par Guillaume Vrelant, mais pour un chevalier picard de la cour de Bourgogne, Jean IV seigneur d’Auxi. Ce dernier, tout en servant fidèlement les deux derniers ducs, reste attaché à Louis  XI qui le nomme, en 1461, maître des arbalétriers de France puis, en août 1466, amiral pour les côtes et rivières de Somme (New York, Pierpont Morgan Library and Museum, ms. M.672-5 ; Mâcon, BM, ms.  3). Voir H.  Maddocks, The  Illuminated Manuscripts of the ‘Légende Dorée’, Jean de Vignay’s Translation of Jacobus de Voragine’s Legenda Aurea, PhD thesis, université de Melbourne, 1990, 2 vol. (En ligne : https ://minerva-access.unimelb.edu.au/handle/11343/35717 ; téléchargée le 09/05/2020). 15  Tournai, Bibl. de la ville, ms. 27, fol. 1. Voir D. Vanwijnsberghe, « Réalité et fiction chez le Maître du Livre d’heures de Dresde : le cartulaire de l’hôpital Saint-Jacques de Tournai (Tournai, Bibl. de la Ville, ms. 27) », dans Als Ich Can. Liber amicorum in memory of Professor Dr. Maurits Smeyers, éd. B. Cardon et al., 2 vol., Louvain, 2002, p. 1509-1546, en part. ill. 3. 16  Sur cet artiste, voir en dernier lieu, Lieve de Keysel, dans B. Bousmanne et T. Delcourt, Miniatures flamandes, p. 409-412 et 415-418. 13 

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comme le montre à la fois la disposition originale dans l’église espagnole et un tableau bruxellois des mêmes années, encore plus proche du modèle17. Il faut noter enfin que la miniature du légendier est accompagnée d’une initiale à la Fleur de Lys, comme est omniprésent, dans la peinture du cartulaire, le décor fleurdelisé, comprenant également l’écu de France couronné. Cinquième et dernière peinture en lien direct avec Tournai : celle de la Vie de saint Audebert, comte d’Ostrevent, dont le texte fut composé au xve  siècle (fol.  173) (fig.  8). Dans  un paysage désertique cher aux ermites, l’image montre le saint retirant du four les pains qu’il chargera ensuite dans les sacs que son âne va porter aux habitants de Tournai. Comme l’a montré Maurice Coens, cet épisode résulte de la fusion de deux Vies de « boulangers-ermites », celle d’Audebert, comte d’Ostrevent, père de la fondatrice de l’abbaye Notre-Dame de Denain à la fin du viiie siècle, et celle d’Audebert ou Aubert, évêque du diocèse double de Cambrai-Arras au viie siècle18. Le premier, d’après sa Vie, devint boulanger après la mort de ses filles et se réfugia en ermite sur le Mont de la Trinité, près de Tournai, pour exercer son activité, secondé par son âne. Puis, après être revenu à Denain, il fut élu évêque de Cambrai. Il s’agit là d’une pure invention car l’Audebert évêque cambrésien vécu un siècle plus tôt. La confusion vient du fait que l’évêque du viie siècle, d’après une légende locale tournaisienne absente de la Vita officielle, se serait retiré à un moment donné sur le Mont de la Trinité, où d’ailleurs l’église paroissiale, qui dépendait de l’église Saint-Géri de Cambrai, lui fut par la suite dédiée. Le mont prit dès lors le nom de Mont-Saint-Aubert. Toujours selon la légende locale, cet Aubert évêque aurait lui aussi exercé le métier de boulanger et aurait aussi envoyé son âne vendre son pain en ville. Avec raison, Maurice Coens en a conclu que l’auteur de la Vita de saint Audebert d’Ostrevent avait composé son œuvre dans la région de Tournai, où circulait donc l’histoire du saint évêque cambrésien, boulanger-ermite.

c. La décoration Dans son étude sur l’enluminure du manuscrit, Lise Ayello a mis en lumière les pratiques d’atelier et identifié trois miniaturistes19, là où nous en verrions plutôt quatre : A  (cahiers  1-13, folios  1-130, 35  miniatures),

D. Vanwijnsberghe, « Réalité et fiction chez le Maître du Livre d’heures de Dresde », p. 1518, ill. 5. 18  M. Coens, « La légende de saint Audebert, comte d’Ostrevant », Annalecta Bollandiana, 51 (1933), p. 99-116. 19  L. Ayello, Étude du légendier ms. 795, p. 22-23, 34-59. 17 

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B (cahiers 14-23, folios 131-230, 22 miniatures), C (cahiers 24-38, folios 231-381, 39 miniatures) et D (cahiers 39-58, folios 382-579, 54 miniatures) (fig. 9). Les scribes ont copié leur texte en laissant naturellement des emplacements pour les illustrations, les rubriques et les grandes initiales introduisant les chapitres20. Ils ont aussi inscrit à l’encre, en écriture courante, le nom de la lettrine à enluminer, soit à côté, soit dessous, soit à l’intérieur de la réserve21. Ces lettrines ont été ensuite peintes au pochoir, alternativement en rouge et en bleu. Afin de faciliter le travail des vigneteurs22 , pour une activité somme toute répétitive et monotone, mais aussi pour permettre une récapitulation plus aisée du type de lettres enluminées en vue du paiement, le superviseur ou le vérificateur a placé deux repères à la pointe sèche en marge : un ‘V’ pour les lettres rouges, encadrée à main levée de bleu et le même signe inversé ‘Λ’ pour les bleues, encadrées de rouge23. D’une manière générale, ces grandes lettrines enluminées relèvent de deux types. L’un montre des lettres aux jambages pleins, le second des lettres aux jambages ajourés et dentelés de motifs divers, en particulier des fleurs de lis (fig. 2 et 9). Chaque type n’est pas associé à un miniaturiste en particulier, mais les lettrines de type I se retrouvent sous les miniatures des miniaturistes A, C et D, alors que le type II n’apparaît que sous celle du Maître B24. Les quatre miniaturistes, enfin, forment deux groupes stylistiques distincts. Le premier comprend les miniaturistes A, C et D ; le style du dernier maître, bien identifiable, relevant à la fois de A et de C, ce qui témoigne, nous semble-t-il, d’une collaboration étroite entre artistes au sein du même atelier ou plutôt d’une pratique de voisinage. La culture artistique et visuelle de ces trois artistes se rattache à l’enluminure locale lilloise25, qui tend à imiter parIl est difficile de déterminer le nombre exact de mains. Cependant, on note au moins deux copistes différents. L’écriture en lettres courantes est peu soignée. 21  L. Ayello, Étude du légendier ms. 795, p. 14-15. 22  Les vigneteurs (terme médiéval) étaient les enlumineurs spécialisés, à la fin du Moyen Âge, dans l’exécution des lettrines ornées, à l’origine de motifs de feuilles de vigne et des marginalia. 23  L. Ayello, Étude du légendier ms. 795, p. 13. 24  Le rubricateur intervenant en fin de processus, après la peinture des illustrations, a dû improviser pour inscrire la rubrique accompagnant les miniatures du Maître B. En effet, ce dernier a donné à ses miniatures un format oblong avec un cadre débordant largement de la surface réservée à l’illustration, faisant disparaître du même coup l’étroite ligne destinée à la rubrique. Le rubricateur fut alors obligé de copier le titre du chapitre à l’intérieur du cadre de la peinture ou au-dessus de l’image. 25  On se reportera plus haut au paragraphe concernant la datation par les costumes. Sur l’enluminure lilloise, voir en dernier lieu, P.  Charron, Le  Maître du Champion des dames, p. 283-327 ; M. Gil, « Le métier de relieur à Lille (v. 1400-1550), suivi d’une prosopographie des artisans du livre lillois », Bulletin du bibliophile, 1 (2002), p. 7-46 ; Id., « Jean du Chesne, écrivain lillois à la fin de l’époque bourguignonne », dans Manuscript Studies in the Low 20 

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fois les premiers imprimés illustrés, à l’instar de certains dessins du chanoine et écrivain lillois Jean Miélot, reprenant l’esthétique des images xylographiées contemporaines (fig. 10)26. Si nous pouvons aisément trouver des points de comparaison avec l’enluminure lilloise, en revanche, il est impossible d’en faire de même avec la production tournaisienne. En  effet, jusqu’à  présent, aucun manuscrit enluminé sur papier des années 1460-1490 n’a pu être rattaché à Tournai, bien que la ville soit l’une des premières à avoir statué sur le métier de « papiéreurs » dans sa réglementation des métiers de peintres et d’enlumineurs renouvelés en 148027. Lille et Abbeville ont été les deux seules autres villes à statuer, au tout début du xvie siècle, sur les peintres sur papier, rattachés à la guilde des peintres28. En revanche l’artiste B est probablement d’origine flamande, peut-être de Gand, ville où certains ateliers étaient aussi actifs à Tournai29. Deux détails, entre autres, le montrent parfaitement. Dans la Nativité, la scène se déroule entre intérieur et extérieur, avec au premier plan à droite, un soupirail fermé par une grille, au beau milieu de ce qui peut ressembler à un pré, malgré la couleur grise (fol. 149v) (fig. 11). Ce détail singulier se retrouve par exemple dans la Nativité du livre d’heures de Roland de Wedergate, bourgeois gantois et bailli de Ninove, et son épouse Catherine van der Camere, exécuté à Gand ou Bruges vers 148030. Il s’agit d’un motif circulant alors dans les ateliers flamands, probablement par l’intermédiaire d’un carnet de modèles ou d’une gravure, comme le montre la composition en miroir des deux Nativités. Countries : Proceedings of the ‘Groninger Codicologendagen in Friesland’, 2002, éd. A. M. W. As-Vijsvers, J.  M.  M. Hermans et G.  C. Huisman, Groningue-Leeuwarden, 2008, p. 159-184 ; B. Bousmanne et T. Delcourt, Miniatures flamandes, p. 350-384. 26  Miélot, entré au service du duc de Bourgogne vers 1448, fut promu chanoine de SaintPierre de Lille en  1453. Même s’il ne néglige pas ses fonctions d’homme d’Église, il demeura avant tout un écrivain pré-humaniste, compilateur et traducteur prolifique, et un dessinateur non dénué de talent. À Lille, il assura toutes les activités du libraire médiéval. Voir M. Colomba Timelli et P. Sachandel, « Jean Mielot », dans B. Bousmanne et T. Delcourt, ­Miniatures flamandes, p. 351-353. Voir par exemple son recueil de textes autographes (Paris, BNF, fr. 17001), en particulier les dessins accompagnant le poème, Le Mors de la pomme (fol. 107-114v) (B. Bousmanne et T. Delcourt, Miniatures flamandes, p. 352, ill. 254 et notice 96 (P. Schandel), p. 356-357). 27  D. Vanwijnsberghe, « De fin or et d’azur ». Les commanditaires de livres et le métier de l’enluminure à Tournai à la fin du Moyen Âge (xive -xve siècle), Louvain, 2001. Sur les statuts tournaisiens, p. 111 et suiv. Le chapitre sur l’enluminure lilloise (p. 89-92) est à actualiser à l’aune des études des années 2000-2010 (cf. supra n. 25-26) et des travaux récents de l’auteur sur l’enlumineur Jean Markant, actif à Lille et Tournai vers 1500. 28  P. Charron, Le Maître du Champion des dames, p. 368. 29  D. Vanwijnsverghe et E. Verroken, « A l’Escu de France ». Guillebert de Mets et la peinture de livres à Gand à l’époque de Jan van Eyck (1410-1450), Bruxelles, 2017, I, p. 483-490. 30  Lille, BM, ms. 158. M. Gil, Bibliothèque municipale de Lille. Catalogue des livres de dévotion manuscrits et imprimés (xiie-xvie siècle), Villeneuve d’Ascq, 2006, notice p. 80-85, fig. 21.

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Le second motif est la servante de dos, portant sur sa tête le panier aux deux colombes, dans la Présentation au temple (fol. 163v) (fig. 12). Cette figure dérive de l’art du peintre tournaisien Robert Campin († 1444)31. Le modèle se diffuse à partir des années 1440 dans les Pays-Bas bourguignons32 et, en particulier, dans les œuvres du Maître de Guillebert de Mets et de son successeur le Maître des Privilèges de Gand, toujours dans le contexte de la Présentation au temple. Ces deux artistes doivent désormais être sans aucun doute identifiés avec les enlumineurs gantois Jean Ramont l’Aîné († v. 1441-43) et Jean Ramont le Jeune (v. 1445-1460), qui possédaient un deuxième atelier à Tournai, et peut-être, pour le second, une troisième échoppe à Mons en Hainaut33. En définitive, la Grosse légende de Lille est un beau témoignage du fonctionnement du commerce de libraire local à l’extrême fin du Moyen Âge, renvoyant indéniablement à une fabrication rationnelle et à une pratique de la sous-traitance34 : usage du papier plutôt que du parchemin, division du travail de copie entre plusieurs scribes, répartition de ‘paquets’ de cahiers entre plusieurs artistes, décoration secondaire confiée à deux vigneteurs spécialisés, collaboration de plusieurs miniaturistes travaillant en sous-traitance, intervention finale du rubricateur et du superviseur/correcteur. Bien que plusieurs intervenants aient participé à la réalisation de ce légendier, le résultat final offre au lecteur une œuvre hagiographique orignale dans laquelle se mêlent des modèles hagiographiques, textuels et iconographiques, qui oscillent, au gré des folios, entre tradition et originalité.

Groupe Campin : Triptyque de la Mise au tombeau (Triptyque Seilern), Tournai, vers 14101420, Londres, Courtauld Institute Galleries ; Mariage de la Vierge, Tournai ou Gand, vers 1445, Madrid, Musée du Prado. 32  Suiveur de Robert Campin, Scènes d la Vie de la Vierge, Tournai, vers 1450 (?), Hoogstraten, église Sainte-Catherine ; Jacques Daret, Présentation au Temple, provenant du Triptyque de la Vierge, exécuté vers 1433-1435, pour l’abbaye Saint-Vaast d’Arras, Paris, musée du Petit-Palais. 33  D. Vanwijnsberghe et D E. Verroken, « A l’Escu de France », I, p. 280-281 et 483490 ; G. Clark, Made in Flanders. The Master of Ghent Privilèges and the Manuscripts Painting in the Southern Netherlands in the Time of Philip the Good, Turnhout, 2000. 34  Sur cette question, voir P. Charron et M. Gil, « Les manuscrits à peintures au Moyen Âge : bilan et perspectives de la recherche. Points de vue de Gregory T. Clark, Dominique Vanwijnsberghe, Hanno Wijsman et Harald Wolter-von dem Knesebeck », Perspective, La Revue de l’INHA, 2. Antiquité-Moyen Âge (2010-2011), p. 301-318 ; M. Gil, « La théorie de l’atelier et de l’officine dans la miniature septentrionale (L. Delaissé) : Modèles alternatifs à la lumière des sources et de la recherche actuelle », dans Image et images du Moyen Âge. ­Mélanges offerts au professeur Jacques Charles Lemaire, éd. A.  Goldschälger, Orléans, 2013, p. 109-127. Voir également l’étude remarquable en tout point de D. Vanwijnsberghe et D. E. Verroken, « A l’Escu de France » sur les enlumineurs flamands regroupés sous le terme générique de Maîtres de Guillebert de Mets. 31 

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2. Saintes, saints et martyres : un légendier au contenu et au décor assez classiques Comme nous l’avons souligné plus haut, la Grosse légende présente un contenu et des thématiques qui se retrouvent classiquement dans les autres manuscrits hagiographiques de la fin du Moyen Âge. Ainsi, sur plus de 160 entrées, 18 se rapportent aux apôtres, 24 à l’histoire du Christ et de la Vierge et 47 concernent des martyres – dont des femmes (12) et des hommes (35) –, que nous avons choisi de mettre en lumière.

a. Les martyres Sans étonnement, on trouve plus de saintes, de saints et d’évènements se rapportant aux siècles originels du christianisme avec 150 entrées pour le ier siècle avant J.-C.-viiie siècle après, et seulement 11 entrées pour les xiiexive  siècles. En  gardant en tête cette chronologie, on note toutefois que 30 chapitres concernent des saintes et des saints du Nord, autrement dit des personnages affiliés à un territoire allant des Flandres à la Bourgogne35. Lorsque l’on regarde les images des martyres, on s’aperçoit qu’elles sont assez classiques et stéréotypées, même si elles donnent à voir des spectacles violents où bourreaux, juges et suppliciés prennent place dans des mises en scène sanglantes. Aussi, les supplices mis en image sont assez communs : décapitation36, démembrement37, amputation (mains, langues, seins)38, immolation Saint Liévin de Gand (fol. 92v), sainte Aldegonde de Maubeuge (fol. 161v), saint Druon de Sebourg (fol. 176), saint Éloi de Noyon (fol. 181v), sainte Gertrude de Nivelles (fol. 185v), sainte Waudru de Mons (fol. 188), saint Firmin évêque d’Amiens (fol. 240v), saint Nicaise (fol. 250v), saint Arnoul de Metz (fol. 261), saint Géry de Cambrai (fol. 265), saint Fiacre de Meaux (fol. 276v), saint Hubert évêque de Tongres, Maastricht, Liège (fol. 286), saint Omer évêque de Thérouanne (fol.  289), saint  Bertin (fol.  297v), saint Seurin évêque de Cologne (fol. 300), saint Éleuthère de Tournai (fol. 308), saint Bavon de Gand (fol. 321), saint Lambert de Liège (fol. 360), saint Piat évangélisateur des peuples de Tournai (fol. 361v), saint Quentin (fol. 367), saint Ghislain de Mons (fol. 439), saint Gangolf d’Avallon (fol. 472), saint Vaast évêque d’Arras (fol. 499), saint Germain évêque d’Auxerre (fol. 505v), saint Leu évêque de Sens (fol.  516), saint Sauve évêque d’Amiens (fol.  530v), saint Donat évêque de Besançon (fol. 549v), saint Riquier (fol. 560v), saint Silvin confesseur, évêque et évangélisateur de l’Artois (fol. 567). 36  Fol. 12 : saint Denis ; fol. 20 : saint Thomas de Cantorbéry ; fol. 127 : saint Jacques le Mineur ; fol. 178v : sainte Dorothée ; fol. 240v : saint Firmin d’Amiens ; fol. 250v : saint Nicaise ; fol. 361v : saint Piat ; fol. 386 : saint Paul ; fol. 424v : saint Jean-Baptiste ; fol. 457v : onze mille vierges ; fol. 504v : saint Valentin ; fol. 528 : saint Pierre ; fol. 530v : saint Sauve ; fol. 535v : saint Aubin ; fol. 574v : saint Gervais et saint Protais. 37  Fol. 190 : saint Eutrope ; fol. 428 : saint Adrien. 38  Fol. 92v : saint Liévin ; fol. 523v : saint Longin ; fol. 79v : sainte Agathe. Sur les seins coupés, voir E.  Dehoux, « Couper les seins des femmes : du supplice à la monstruosité », 35 

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par le feu (grill ou bûcher)39, crucifixion40, ébouillantage41, traînage avec la corde au cou42 , noyade43, lapidation44, empoisonnement45, énucléation46, jet dans un puits47, abandon aux fauves48, etc. À ces supplices s’ajoutent des sévices corporels – torture, flagellation, énervation, jets de flèches, etc. – faisant rimer martyre avec polymartyre. En termes de représentation iconographique, les scènes de supplices ne semblent à première vue pas différer de celles donnant à voir la justice pénale à la fin de l’époque médiévale. Ainsi, les 47 martyres imagés de la Grosse légende lilloise présentent une mise en scène judiciaire où prennent place le ou la martyr(e), le ou les tourmenteur(s) (32 cas) et le juge (32 cas), dernières figures qui prouvent que les supplices interviennent après la décision d’une autorité compétente et qu’ils exigent des rituels. Parce que la justice et le droit ont été mis en images, il est tentant de comparer nos miniatures aux images qui apportent des informations précieuses sur les théories juridiques et les pratiques judiciaires du bas Moyen Âge49. Si l’on note justement une certaine judiciarisation des gestes, des pratiques et des rituels (nous reviendrons sur ce point en suivant), on soulignera toutefois quelques différences. Premièrement, contrairement aux images de condamnation pénale à mort, les miniaturistes du légendier n’ont intégré aucun spectateur dans leurs dans Le corps en lambeaux. Violences sexuelles et sexuées faites aux femmes, éd. L. Bodiou, F. Chauvaud, L. Gaussot, M.-J. Grihom et M. Soria, Rennes, 2016, p. 191-200. 39  Fol. 329 : saint Laurent ; fol. 510 : sainte Agnès ; fol. 536v : sainte Anastasie ; fol. 543v : sainte Lucie de Syracuse. 40  Fol. 377v : saint Pierre ; fol. 395v : saint Victor. 41  Fol. 14v : sainte Cécile ; fol. 557 : sainte Justine. 42  Fol. 123 : saint Marc ; fol. 374 : saint Barnabé. 43  Fol. 10 : saint Clément. 44  Fol. 23 : saint Étienne. 45  Fol. 156 : saint Jean l’Évangéliste. 46  Fol. 364 : saint Léger. 47  Fol. 366 : saint Calixte. 48  Fol. 547 : saint Ignace d’Antioche. 49  Depuis l’ouvrage de référence de Robert Jacob, l’étude des images de la justice est un champ d’investigation fertile. Voir, entre autres, R. Jacob, Images de la justice. Essai sur l’iconographie judiciaire du Moyen Âge à l’âge classique, Paris, 1994 ; B. Morel, Une iconographie de la répression judiciaire. Le châtiment dans l’enluminure en France du xiiie au xve  siècle, Paris, 2007 ; C. Voyer, « Fourches patibulaires et corps suppliciés dans les enluminures des xive-xve siècles », dans Les fourches patibulaires du Moyen Âge à l’époque moderne. Approche interdisciplinaire, Actes du colloque tenu à Bordeaux les 23-24 janvier 2014, éd. M. Charageat et M. Vivas, Criminocorpus [En ligne]. URL : http://journals.openedition.org/criminocorpus/3098 (consulté le 15/04/ 2020) ; Ead., « Le corps des prisonniers dans les images des xive et xve siècles », dans Corps en peines. Manipulations et usages des corps dans la pratique pénale depuis le Moyen Âge, éd. M. Charageat, B. Ribémont et M. Soula, Paris, 2020, p. 189-212.

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compositions. Pourtant, dans le jeu de la communication visuelle, les applications judiciaires de la fin du Moyen Âge se déroulent en présence d’un public. Il s’agit en effet d’assouvir des exigences politiques et d’honneur perdu qu’il convient de décrypter à l’aune d’un contexte historique précis. Mais il s’agit aussi de montrer aux spectateurs que les crimes sont punis, que la paix sociale est recouvrée et garantie et, enfin, de satisfaire une exigence pédagogique en éduquant les justiciables par l’exemplarité judiciaire50. De  l’échafaud et du gibet aux images qui les donnent à voir, le spectacle de la mort pénale a donc, à la fin du Moyen Âge, des objectifs différents de ceux des miniatures de martyres de la Grosse légende. Pour ce manuscrit, le seul spectateur est en effet celui qui regarde l’image, celui qui a besoin de retrouver une synthèse visuelle du récit qu’il s’apprête ou non à lire. Au-delà d’une simple représentation, ces images de martyres structurent donc le texte et agissent comme une sorte de titulus iconographique. Elles  constituent une « image-échos », pour reprendre un terme de Jérôme Baschet, ou un « faire voir », pour reprendre celui de Jean-Claude Schmitt51. En effet, elles permettent aux lecteurs de se remémorer rapidement le contenu du chapitre. Si traiter les images de la justice pénale sur le même plan que celles de martyres peut donc s’avérer dangereux, puisque les discours et les enjeux ne sont pas les mêmes, appréhender le juge et le tourmenteur de la même manière l’est tout autant. Si la représentation du juge n’est en rien péjorative, celle du bourreau peut l’être, contrairement aux images de la justice pénale. Il s’agit là de la deuxième différence que nous tenions à souligner.

b. Le juge et ses représentations allégoriques Dans les 47 miniatures de martyres, 32 mettent en scène un juge dans l’exercice de ses fonctions (fig.  13)52 . Dans 18  cas, il est représenté avec l’atSur la condamnation à mort au Moyen Âge, et dans une large bibliographie, nous renvoyons au récent ouvrage de C. Gauvard, Condamner à mort au Moyen Âge, Paris, 2018. 51  J. Baschet, « Introduction : l’image-objet », dans L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Actes du 6e  « International Workshop on Medieval Societies », Centre Ettore Majorana (Erice, Sicile, 17-23 octobre 1992), éd. J. Baschet et J.-C. Schmitt, Paris, 1996, p. 7-26 ; J.-C. Schmitt, « Imago : de l’image à l’imaginaire », ibid., p. 29-57. 52  Fol. 14v* : sainte Cécile ; fol. 26 : saints Innocents ; fol. 49 : saint Thomas l’apôtre ; fol. 70* : saint Vincent ; fol.  79v* : sainte Agathe ; fol.  92v* : saint Liévin de Gand ; fol.  123* : saint Marc ; fol. 127* : saint Jacques le Mineur ; fol. 141v* : sainte Catherine ; fol. 156 : saint Jean l’Évangéliste ; fol. 193* : sainte Barbe ; fol. 240v* : saint Firmin évêque d’Amiens ; fol. 329* : saint Laurent ; fol. 349 : sainte Christine ; fol. 364* : saint Léger ; fol. 367* : saint Quentin ; fol. 374* : saint Barnabé ; fol. 377v : saint Pierre ; fol. 386* : saint Paul ; fol. 395v : saint Victor ; fol. 410 : saint Barthélémy ; fol. 428* : saint Adrien ; fol. 457v : onze mille Vierges ; fol. 504v : saint Valentin ; fol. 510* : sainte Agnès ; fol. 535v : saint Aubin ; fol. 536v : sainte Anastasie ; 50 

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tribut de son pouvoir de justice : le bâton ou la verge53. Cet objet prend parfois l’apparence d’un sceptre, essentiellement pour les images montrant un juge couronné, autrement dit un roi paré de ses regalia (fig. 13)54. Il n’y a ici rien d’étonnant et on repère régulièrement le bâton de justice et le sceptre dans l’iconographie entre le xiie et le xve siècle, tant dans les images d’hagiographie que dans d’autres (politique, judiciaire, etc.)55. Ce bâton est ici un attribut allégorique qui permet, d’une part, de comprendre qui est le juge et, de l’autre, de circonscrire visuellement la pensée autour de la sentence et du rituel judiciaires. Pour la lectrice et le lecteur, il n’y a aucun doute, le supplice du saint ou de la sainte intervient après une décision judiciaire qui, bien que mauvaise, le place dans un cadre pénal et légal. Le bâton de justice renvoie également, nous l’avons dit, à un autre attribut : la couronne. Elle est représentée dans 9 images et renvoie directement celles et ceux qui les regardent aux éléments mêmes du récit hagiographique56. C’est en ce sens que 6 images octroient au juge un costume et/ou un chapeau « orientalisé » – pour ne pas dire juif – qui, bien que largement fantasmé, amène visuellement et mentalement le lecteur vers les lieux « lointains » où se sont déroulés les martyres (fig.  13)57. Le  procédé analogique est quelque peu poussé lorsque le peintre veut souligner certaines actions, comme lors de l’arrachement de la langue de Liévin où le rouge sur les lèvres du juge et celles du tourmenteur répond à celui de la langue du saint évêque (fol. 92v) (fig. 14). fol. 543v : sainte Lucie de Syracuse ; fol. 547* : saint Ignace d’Antioche ; fol. 557 : sainte Justine ; fol. 574v* : saint Gervais et saint Protais ; fol. 576 : sainte Euphémie. 53  Voir, dans la note précédente, les folios marqués d’un « * ». 54  Fol. 26 : les saints Innocents, fol. 155v : saint Jean l’évangéliste, fol. 386 : saint Paul. 55  Outre l’étude de Barbara Morel citée n. 49, on se reportera à L. Hablot, « Le bâton du pouvoir dans l’image médiévale », dans Des signes dans l’image. Usages et fonctions de l’attribut dans l’iconographie médiévale (du concile de Nicée au concile de Trente), Actes du colloque de l’EPHE (Paris, INHA, 23-24  mars 2007), éd.  M.  Pastoureau et O.  Vassilieva-­ Codognet, Turnhout, 2014, p. 191-209 ; E. Dehoux et M. Billoré, « The Judge and the Martyr. Images of Power and Justice in Religious Manuscripts from the Twelfth to the Fifteenth Centuries », dans Textual and Visual Representations of Power and Justice in Medieval France : Manuscripts and Early Printed Books, éd. A. H. Hedeman, R. Brown-Grant et B. Ribémont, Farnham-Burlington, 2015, p. 171-190. 56  Fol.  26 : saints Innocents ; fol.  49 : saint Thomas l’apôtre ; fol.  141v : sainte Catherine ; fol. 156 : saint Jean l’Évangéliste ; fol. 193 : sainte Barbe ; fol. 329 : saint Laurent ; fol. 386 : saint Paul ; fol. 410 : saint Barthélémy ; fol. 428 : saint Adrien. 57  Fol.  364 : saint Léger ; fol.  374 : saint Barnabé ; fol.  395v : saint Victor ; fol.  510 : sainte Agnès ; fol. 535v : saint Aubin ; fol. 536v : sainte Anastasie. Sur la représentation des Juifs dans l’art chrétien médiéval, voir – entres autres – B. Blumenkranz, Le Juif médiéval au miroir de l’art chrétien, Paris, 1966 ; H. Schreckenburg, The Jews in Christian Art. An illustrated History, Londres, 1996 ; J.-F.  Faü, Les  Juifs dans l’iconographie chrétienne au Moyen Âge, ­Paris, 2016.

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Les représentations du juge invitent également à s’attarder sur sa posture et ses gestes, en particulier sur ses mains qui peuvent être cachées ou cramponnées à sa ceinture58. Sur les 32 images du juge, 15 le dévoilent pointant de son index59. Là encore, il n’y a rien de surprenant. Véritable communication non-verbale, le geste est langage et, dans les images de la Grosse légende, le doigt pointé dirige le regard du lecteur : il lui fait visuellement comprendre la sentence verbale prononcée par le juge. On notera, parfois, qu’il se tourne vers sa gauche (vers la droite de l’image) et qu’il peut pointer du doigt gauche. La gauche étant le côté de la lâcheté, le lecteur s’aperçoit-il alors plus aisément que la décision judiciaire est mauvaise et, peut-être, arbitraire ? Pour le lecteur, il ne s’agirait alors pas d’une peine capitale permettant de rétablir l’ordre et la cohésion sociale et, au sein de l’image, le supplice s’apparente alors plus à une torture judiciaire en vue d’un aveu et d’un reniement de la foi que d’une peine punissant un crime. Quoi qu’il en soit, aucun procédé iconographique ne semble venir ternir l’image du juge, contrairement à celle du tourmenteur, véritable vecteur de l’infamie du supplice.

c. Le tourmenteur : des représentations traditionnelles pour la littérature hagiographique Nous appelons tourmenteur le personnage qui persécute et supplicie, qu’il soit soldat ou tout autre agent de l’application pénale, autrement dit celui que nous serions tentés de nommer un bourreau. Les  études sur ce dernier se multiplient depuis quelques années et, pour l’époque médiévale, elles soulignent toutes, directement ou indirectement, l’importance de ne pas affilier le tourmenteur des récits hagiographiques au bourreau de la justice temporelle et pénale60. L’étude des images de la Grosse légende le prouve également. Loin de pouvoir citer l’ensemble des travaux en histoire ou en anthropologie historiques sur les gestes et les expressions du corps au Moyen Âge, nous renvoyons à F. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Âge, 1 : Signification et symbolique et 2 : Grammaire des gestes, Paris, 19821989 ; J.-C. Schmitt, La raison des gestes dans l’Occident médiéval, Paris, 1990 ; Le geste et les gestes au Moyen Âge, Actes du 22e Colloque du Centre universitaire d’études et de recherches médiévales d’Aix, Aix-en-Provence, 1998. 59  Fol.  26 : saints Innocents ; fol.  92v : saint Liévin de Gand ; fol.  141v : sainte Catherine ; fol. 156 : saint Jean l’Évangéliste ; fol. 240v : saint Firmin d’Amiens ; fol. 329 : saint Laurent ; fol. 386 : saint Paul ; fol. 395v : saint Victor ; fol. 410 : saint Barthélémy ; fol. 428 : saint Adrien ; fol. 504v : saint Valentin ; fol. 535v : saint Aubin ; fol. 543v : sainte Lucie de Syracuse ; fol. 547 : saint Ignace d’Antioche ; fol. 576 : sainte Euphémie. 60  H.  Klemetillä, The  Executionner in Late Medieval French Culture, Turku, 2003 ; Id., Epitomes of the evil. Representations of Executioners in Northern France and the Low 58 

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Les 47 scènes de martyre font intervenir un ou plusieurs tourmenteurs (fig. 15)61. Là encore, il n’y a rien de nouveau dans leur mode de représentation62 . Celui qui martyrise le/la ou les saints/saintes est soit un homme en armure (6 images) – c’est-à-dire un soldat ou un agent de l’application pénale –, soit un tourmenteur représenté comme un bourreau judiciaire (43 images). Dans le jeu de la déduction mentale, l’armure renvoie au soldat et au chevalier qui, comme par exemple pour le chapitre concernant Thomas Becket, renvoie aux éléments mêmes de l’histoire (fol. 20) (fig. 16). Le bourreau judiciaire se distingue parfois complètement des autres personnages de la scène par son costume aux motifs particuliers (rayés, bigarrés) (7 cas), à ses chausses ou bottes bicolores (7 cas) et, parfois, par son bandeau de tête (4 cas) (fig. 15). Comme pour les éléments vestimentaires se rapportant au juge, ceux concernant le tourmenteur permettent de visuellement synthétiser le récit : on note en effet, parfois, une orientalisation de son costume et de son épée (fig. 15)63. Si les couleurs peuvent avoir un impact dans l’analyse des images et des différentes situations de la vie à l’époque médiévale, leur symbolique doit cependant être interprétée à l’aune des contextes où se mêlent vertus et vices, mais aussi qualités et péchés64. Ainsi, encore une fois, il convient de ne pas affilier le tourmenteur des miniatures de la Grosse légende aux représentations du bourreau dans les enluminures de justice à la fin du Moyen Âge : les situations sont différentes, tout autant que les objectifs et les discours des enlumineurs. Aussi, alors que le bourreau de la Grosse légende pâtit de procédés picturaux qui le rendent méprisable, ce n’est pas forcément le cas pour les images liées à une peine de mort punissant un crime65. Countries in the Late Middle Ages, Turnhout, 2006 ; F. Armand, Les bourreaux en France. Du Moyen Âge à l’abolition de la peine de mort, Paris, 2012 ; M. Charageat, « Le bourreau au Moyen Âge : entre représentation et réalité », Conférence à la cour de Cassation dans le cycle Histoire 2016 : Gens de justice, images et réalités, 2016 [En ligne], URL : https ://www. courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/colloques_videos_6111/histoire_droit_justice_7885/ge_entre_35808.html (consultée le 16/05/2020). 61  Vingt-et-une miniatures présentent 2 tourmenteurs (fol. 10 : saint Clément ; fol. 19 : saint Urbain ; fol. 23 : saint Étienne protomartyr ; fol. 26 : saints Innocents ; fol. 27 : saint Blaise ; fol. 70 : saint Vincent ; fol. 79v : sainte Agathe ; fol. 190 : saint Eutrope ; fol. 193 : sainte Barbe ; fol. 329 ; saint Laurent ; fol. 349 : sainte Christine ; fol. 361v : saint Piat ; fol. 366 : saint Calixte ; fol. 367 : saint Quentin ; fol. 374 : saint Barnabé ; fol. 377v : saint Pierre ; fol. 395v : saint Victor ; fol. 410 : saint Barthélémy ; fol. 457v : onze mille Vierges ; fol. 536v : sainte Anastasie ; fol. 574v : saint Gervais et saint Protais) et une en présente trois (fol. 20 : saint Thomas Becket). 62  E. Dehoux et M. Billoré, « The Judge and the Martyr ». 63  Fol. 178v : sainte Dorothée ; fol. 250v : saint Nicaise ; fol. 410 : saint Barthélémy ; fol. 504v : saint Valentin ; fol. 535v : saint Aubin. 64  Nous renvoyons ici aux travaux de Michel Pastoureau. 65  Comme le soulignent plusieurs études de cas récentes. Voir ainsi les articles d’Iñaki Bazán Diaz, de Martine Charageat, de Flocel Sabaté, de Cyrielle Chamot et de Mathieu Vivas dans

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Plus que le costume ou ses couleurs, l’apparence physique et la gestuelle du tourmenteur sont des éléments qui permettent une meilleure compréhension des images de martyres. Pour les interpréter, on peut dès lors s’engager sur la voie de la physiognomonie, cette science qui fait correspondre des caractéristiques physiques (traits du visage et du corps) à un caractère, à des mœurs ou à des pathologies66. Il existe trois procédés de physiognomonie : un procédé anatomique, un procédé ethnologique et un procédé zoologique67. Ces trois procédés ont été utilisés pour représenter les bourreaux du manuscrit  795. On retrouve ainsi des sourcils froncés, mais aussi des tourmenteurs chauves (9 cas)68, des nez proéminents et, dans 2 cas, un nez très retroussé et des narines si larges que, mentalement, le bourreau ne peut être qu’associé à un cochon (fig. 15)69. On est là, irrémédiablement, face à une représentation de la bestialité. Cet aspect sauvage et animal est parfois renforcé par la semi-nudité du tourmenteur qui a les jambes nues, les pieds nus ou des vêtements qui ressemblent à des haillons (14 cas). Certains éléments invitent également à s’avancer sur la voie de la pathognomonie, c’est-à-dire à s’intéresser aux manifestations physiques des émotions qui renvoient aux caractéristiques de l’âme. Tout comme la physiognomonie, cette science s’intéresse aux traits du visage et du corps, mais elles s’intéressent surtout aux expressions provoquées par une action et/ou un sentiment. En  menant une enquête pathognomonique, on pourra ainsi prendre en considération le sourire du bourreau qui, avec ses larges dents visibles, dénote son plaisir sadique à effectuer sa tâche (fig. 15). Toute comme pour le juge, l’analyse des positions corporelles du bourreau sont intéressantes : les bras levés au-dessus de la tête pour tenir l’épée ou Corps en peines. Manipulations et usages des corps dans la pratique pénale depuis le Moyen Âge, éd. M. Charageat, B. Ribémont et M. Soula, Paris, 2020, p. 25-140. 66  Dans une large bibliographie, voir : J. Ziegler, « Médecine et physiognomonie du xive au xve  siècle », Médiévales, 46 (2004), p.  89-108 ; D.  Jacquart, « La  physiognomonie à l’époque de Frédéric II : le traité de Michel Scot », dans Recherches médiévales sur la nature humaine. Essais sur la réflexion médicale, éd. Ead., Florence, 2014, p. 3-24. 67  L. Marcucci, « Le rôle méconnu de la physiognomonie dans les théories et les pratiques artistiques de la Renaissance à l’âge classique », Nouvelle Revue d’Esthétique, 15 (2015), p. 123-133. 68  Fol. 12 : saint Denis ; fol. 329 : saint Laurent ; fol. 349 : sainte Christine ; fol. 364 : saint Léger ; fol. 377v : saint Pierre ; fol. 386 : saint Paul ; fol. 510 : sainte Agnès ; fol. 535v : saint Aubin ; fol. 536v : sainte Anastasie. 69  Fol.  23 : saint Étienne ; fol.  127 : saint Jacques. Ce  zoonyme se retrouve dans plusieurs bestiaires à l’usage du physiognomoniste depuis l’Antiquité. Voir : A. Zucker, « La physiognomonie antique et le langage animal du corps », Rursus, Le modèle animal  (i), Actes du 38e Congrès International de l’APLAES : « L’animal, un modèle pour l’homme » dans les cultures grecque et latine de l’Antiquité et du Moyen Âge, 2006 [En ligne : https://journals. openedition.org/rursus/58#tocto2n6], consulté le 04/05/2021.

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la hache qui va s’abattre sur la sainte ou le saint (14 cas) – on est là dans une représentation stéréotypée du bourreau judiciaire qui va effectuer sa besogne –, les  mains sur le fourreau avec l’épée prête à être dégainée (5  cas), l’instrument du supplice déjà utilisé (34 cas), le pied ou le genou placé sur la sainte ou le saint pour faciliter son œuvre (3 cas), la tête ou le regard tourné/e vers le juge (10 cas)70. Dans certains cas, sa position au sein même de la composition lui donne un statut particulier : il n’est parfois que partiellement représenté (il sort du cadre) ou représenté à cheval sur le cadre (fig. 15). En comparant le juge et le tourmenteur, on a surtout l’impression que c’est ce dernier qui génère et cristallise les fantasmes des miniaturistes. Il n’y a ici rien de nouveau et les procédés décrits plus haut sont également utilisés dans d’autres compositions contemporaines71. À l’instar du tourmenteur du Christ, à l’instar des Arabes massacrant les chrétiens, le tourmenteur est en effet le vecteur de l’infamie du châtiment. Il n’y a donc dans les images des martyres du légendier lillois que peu de place à l’originalité. Celle-ci est plutôt à rechercher dans la nouvelle lecture personnelle de la spiritualité chrétienne et dans la valorisation de la pastorale, éléments qu’il convient de contextualiser à l’aube de l’époque pré-moderne.

3. Spiritualité et dévotion : l’originalité de la Grosse légende S’il ne se distingue pas spécialement par la représentation des martyres, le décor de la Grosse légende se révèle plus original dans sa manière d’encourager l’intériorisation tout en valorisant le cadre ecclésial72 . Nous sommes là dans un contexte de Devotio moderna73. Sa tête est complètement inversée par rapport à son corps dans les deux scènes où il traîne un martyr (cf. fol. 123 et fol. 373v). 71  Voir, par exemple, Maître E. S., 1440/50-1467,
Le martyre de saint Sébastien, Munich,
Collection graphique d’État de Munich ; Livre de prière, Constance ou Augsbourg, 1461, Constance, Rosgartenmuseum, Dat. Auf fol. 144v ; Martin Schongauer, v. 1450-1491, La flagellation du Christ, Suisse, collection privée dans le catalogue d’exposition Spätmittelalter am Oberrhein. Maler und Werkstätten 1450-1525. Große Landesausstellung Baden-Württemberg : Staatliche Kunsthalle Karlsruhe, 29. September 2001-3. Februar 2002, Stuttgart, 2001. 72  Cette thématique a déjà fait l’objet d’études. Voir, par exemple, J. Deploige, « Intériorisation religieuse et propagande hagiographique dans les Pays-Bas méridionaux du xie au xiiie siècle », Revue d’histoire ecclésiastique, 94 (1999), p. 808-831. 73  Sur ce thème, dans une large bibliographie, voir – depuis l’ancien J. Toussaert, Le sentiment religieux en Flandres à la fin du Moyen Âge, Paris, 1963 – J.-M. Cauchies, La dévotion moderne dans les pays bourguignons et rhénans des origines à la fin du xvie siècle, Bâle, 1989 ; C. Loubet, « Flandres-Italie (1420-1570). Dévotion moderne et renaissance des arts », dans Érasme et la montée de l’humanisme. Naissance d’une communauté européenne de la culture 70 

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a. L’encouragement à l’intériorisation L’iconographie complète le discours du texte et rappelle des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Elle encourage ainsi les bonnes œuvres, à commencer par la charité, avec les figures aussi reconnues que remarquables de Martin, Gilles ou Nicolas74, et l’attention au pauvre, avec le modèle qu’incarne Yves75, comme au plus faible, avec l’exemplaire Georges (fig. 17)76. Le propos, s’il est à noter, doit être nuancé par l’attention portée à l’intériorisation de la piété. Celle-ci se manifeste, dans un premier temps, par la mise en avant de la méditation et de la prière privée qui caractérisent ici quelques personnalités du sanctoral, des femmes en particulier (fig. 18). Ainsi Geneviève, que l’on peut montrer lisant, mais plus souvent assise, en extérieur et en bergère, et non agenouillée comme elle l’est ici77, ou Claire, plus fréquemment figurée avec crosse et/ou ostensoir que recueillie telle qu’elle l’est dans ce manuscrit78. Il  en est de même pour Gertrude de Nivelles79. L’abbesse est plus souvent représentée en pied, avec livre et crosse, qu’agenouillée et en prière devant une Vierge à l’Enfant. La fonction abbatiale n’est pas non plus valorisée dans la miniature consacrée à Aldegonde80 : il n’y a pas de crosse et, si livre il y a, celui-ci sert à montrer l’attention portée par la sainte à la lecture et, en particulier, à la lecture personnelle à laquelle elle encourage sa sœur en religion. Méditation, prière et dévotion visent à permettre une « connaissance expérimentale de Dieu » (Jean Gerson), qu’atteint François quand il reçoit les stigmates81. L’utilité, sinon la nécessité, d’une vie marquée par la prière et la méditation est volontiers soulignée par le rappel, dans l’iconographie, des tentations que connurent saints et saintes et auxquelles ils ne purent résister que par leur profonde piété. C’est le cas pour Julienne de Nicomédie82 . Celle-ci résiste à la volonté de ses parents désireux de la marier au préfet de la ville qui, sur la miniature, a l’allure d’un démon quand il incite la jeune femme à céder à ses attentes. Concernant Waudru, il n’y a aucune allusion à sa vie d’épouse, souvent rappelée pourtant dans l’iconographie. La sainte de Mons est, ici, figurée éd. J. Ries, Louvain-la-Neuve, 2001, p. 111-118 ; M.-A. Vannier (éd.), Mystique rhénane et Devotio moderna, Actes du colloque tenu les 5 et 6 octobre 2016 à Metz, Paris, 2017. 74  Fol. 83, 351 et 201v. 75  Fol. 216. 76  Fol. 465v. 77  Fol. 170. 78  Fol. 406v. 79  Fol. 185v. 80  Fol. 161v. 81  Fol. 253v. 82  Fol. 101v.

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en religieuse, occupée à chasser le démon de sa demeure (fig. 19)83. On peut à nouveau mentionner Claire qui, recueillie, est, elle aussi, soumise à la tentation (fig. 18)84. Les hommes sont également visés par ces attaques destinées à les faire fléchir ou à les détourner de leurs missions ou vocations. C’est le cas, assez classiquement, pour Antoine et Éloi85. Cependant, cet accent est également mis sur la vie d’autres saints que l’iconographie présente « traditionnellement » sous des jours différents. Ainsi en est-il de Maur, qu’un démon veut déranger dans sa prière86, d’Achard à l’heure où il entre en religion87, mais aussi de Nicolas de Tolentino que le démon cherche à empêcher de prêcher (fig. 20)88. L’autre moment où les démons pourraient être présents, mais qui ne s’avèrent pas si fréquemment figurés dans le décor de la « grosse légende », est celui de la mort. Le trépas est, en effet, un sujet récurrent de l’iconographie du ms.  795 de la bibliothèque lilloise : aux  miniatures rappelant des martyres, s’en ajoutent d’autres – 8 – qui montrent les derniers instants de certains saints ou saintes que l’on n’a pas l’habitude de voir allongés sur leur lit de mort. C’est le cas de Bernard de Clairvaux89, Seurin de Bordeaux90, Antoine de Padoue91, Omer de Thérouanne92 ou encore – seule femme dans cette série – Élisabeth de Hongrie93. La configuration retenue est inspirée de celle adoptée dans les artes moriendi qui circulent dans la région depuis les années 1470. Le mourant est sur son lit, assisté souvent et, surtout, entouré de ceux, anges et démons, qui sont les acteurs du drame qui se déroule alors et qui concerne, non le corps de l’individu en fin de vie, mais son âme dont l’avenir se joue dans l’au-delà. À une nuance près toutefois : en effet, exception faite de la miniature consacrée à Élisabeth de Hongrie, aucune enluminure ne laisse place aux démons. Seuls les anges sont présents et ils sont parfois deux ou trois, rassurant le lecteur sur le sort de l’âme du saint concerné, mais exprimant bien également le lien entre la vie menée, le calme des derniers instants et le sort éternel heureux.

Fol. 188. Fol. 406v. 85  Fol. 138v et 181v. 86  Fol. 57v. 87  Fol. 280. 88  Fol. 517v. 89  Fol. 416v. 90  Fol. 300. 91  Fol. 247v. 92  Fol. 289. 93  Fol. 130. 83 

84 

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b. La valorisation du cadre ecclésial et de l’action pastorale Avec Ambroise de Milan94 – que l’on n’a pas l’habitude de voir figuré ainsi –, les conditions de la bonne mort sont iconographiquement précisées. Le mourant doit, idéalement, avoir le temps de se préparer à la mort, mais aussi se munir des sacrements, du viatique en particulier. C’est l’intervention d’Honoré, l’évêque de Verceil, rapportée dans le récit hagiographique, que montre et rappelle la miniature, invitant ainsi à solliciter l’extrême-onction. De façon plus générale, c’est la communion qui est encouragée et qui contribue, ipso facto, à la valorisation du cadre ecclésial. Elle l’est, sans grande originalité, avec la représentation de la procession du Saint-Sacrement95, qui réunit fidèles et prélats autour du reliquaire. Elle l’est surtout par l’association de trois saints à l’eucharistie : Thomas Becket, Benoît et Éleuthère de Tournai96. Le  parti retenu pour figurer Thomas Becket n’est pas fondamentalement original, mais on note, outre le calice, la représentation de la Crucifixion qui, ornant l’autel, rappelle l’événement commémoré. Un choix comparable, consistant à montrer le décor de l’autel, est opéré pour la miniature consacrée à Éleuthère, qui  célèbre sur un autel orné d’une image de l’Annonciation, mais aussi pour celle, plus singulière, de Benoît recevant la communion devant une évocation du Jugement dernier. Témoins des réalités de l’ornementation des chœurs et autels des églises, ces trois décors rappellent, associés au sacrement, l’Incarnation, la mort du Christ et la finalité du sacrifice avec l’évocation de l’enjeu ultime : le salut pour celui qui croit ou la damnation. C’est encore par l’expression de l’objectif visé que l’iconographie de la Grosse légende, mettant en valeur un point du récit, encourage l’action pastorale. En effet, il n’est pas original de rappeler, dans l’image, l’œuvre d’évangélisation ou de prédication des saints, que ceux-ci soient apôtres, confesseurs ou martyrs. On peut mentionner ici Jacques le Mineur, Patrick ou Urbain97. Il n’est pas plus original de souligner que certains, tels Sylvestre ou Amand98, ont triomphé de dragons, gagnant ainsi les populations au christianisme en les libérant, comme leur territoire, des monstres. Le décor du manuscrit 795 se distingue peut-être davantage, dans un premier temps, par la présence des démons dans ces scènes évoquant l’œuvre pastorale des saints. Ceux-ci figurent, en effet, sur les miniatures consacrées à Thomas, Augustin, Donat et

Fol. 119. Fol. 292. 96  Fol. 20, 111v et 308. 97  Fol. 127v, 525 et 19v. 98  Fol. 34v et 77v. 94  95 

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Basile99, donnant ainsi à voir un épisode du récit hagiographique, mais aussi la réalité spirituelle de l’action. La prédication est une lutte visant à chasser les démons qui habitent les idoles qu’honorent les païens, mais également à arracher ceux qui sont prisonniers de ces démons et de leur culte pour les amener à se convertir au christianisme. La miniature associée au récit relatif à la « chaire de saint Pierre » est, sur ce point, explicite100 : l’apôtre prêche et, à son message, des démons s’échappent par la bouche des corps de ceux qui l’écoutent. Pour la fête consacrée à sa charge, la miniature caractérise sa mission en montrant la dimension spirituelle du combat qu’est la prédication, mais se révèle aussi quasiment programmatique car c’est, avec la mission de Pierre, celle de ses successeurs, à Rome ou dans les divers diocèses, qui est définie. On comprend aussi mieux le sens de l’image à l’honneur de l’ermite de saint Augustin récemment canonisé (1446), Nicolas de Tolentino101 : le jeune homme, alors qu’il approche d’une église dont le tympan rappelle la crucifixion, est attaqué physiquement par un démon qui cherche à le retenir et à l’empêcher de poursuivre son œuvre de prédication. Un deuxième élément valorise encore, peut-être au sens le plus strict de la formule, l’action pastorale : la présence des animaux. Outre l’ourse auprès de Ghislain102 , on note les moutons entourant Mathurin103, que le récit définit, tardivement, comme un berger, ou les sanglier, licorne, cerf et lion écoutant Hilaire de Poitiers104. On notera enfin, pour compléter le propos, la part importante qu’occupent les séculiers, diacres, prêtres, évêques et papes qui ne sont pas moins de  45 dans le manuscrit, l’attention portée aux Mendiants également, de François à Nicolas de Tolentino105, en passant par Antoine de Padoue106, Pierre de Vérone et Dominique107, associé, pour définir sa mission et, avec celle-ci, celle de l’ordre, à Pierre et à Paul. L’encouragement à l’intériorisation de la piété s’accompagne donc d’une valorisation de l’action, que l’œuvre vise à encadrer les fidèles ou davantage à évangéliser les païens. Il ne conduit pas à une mise en avant de la vie contemplative. Le nombre des réguliers est, d’ailleurs, limité (une dizaine) et réduit à quelques figures majeures, comme Fol. 49, 420, 549v et 551v. Fol. 99v. 101  Fol. 517v. 102  Fol. 439. 103  Fol. 306v. 104  Fol. 503. 105  Fol. 253 et 517v. 106  Fol. 247v. 107  Fol. 528 et 491. 99 

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Benoît, Bernard ou Gilles108, ou plus locales, à l’instar d’Achard (fol. 280), Josse, Bertin ou encore Bavon109. L’iconographie accompagnant les récits qui leur sont consacrés va dans le même sens : elle n’insiste pas sur la vie sous la règle et en communauté, mais davantage sur leur engagement personnel, leur piété, personnelle également, ou les miracles qu’ils ont pu accomplir.

4. Conclusion Au terme de ces quelques pages, le nouvel examen des données codicologiques et historiques du légendier ms.  795 de la bibliothèque municipale de Lille placerait sa confection entre les années 1468/70 et  1475. En  se focalisant sur son contenu textuel et iconographique, il invite aussi à penser que le manuscrit a été copié à et pour Tournai, une ville liée au royaume de France. Au sein de sa réalisation même, les différents intervenants (miniaturistes, vigneteurs, superviseurs, etc.) prouvent qu’il s’agit d’une œuvre, d’une part, parfaitement réalisée en collaboration et, d’autre part, témoignant d’un fonctionnement du commerce de libraire local à la fin du Moyen Âge. Bien que plusieurs mains aient participé à la réalisation des miniatures de ce légendier, l’ensemble des images de martyres prouve qu’il persiste un certain goût pour des modèles classiques, en particulier dans les représentations du juge et du tourmenteur. On note toutefois une différence entre ces deux derniers : les miniaturistes ont surtout fait du tourmenteur l’homme qui véhicule l’infamie du châtiment. On est ici loin des images de la peine capitale qui, à la fin du Moyen Âge, montrent un bourreau judiciaire sans élément péjoratif. Cette différence tient aux finalités divergentes des deux catégories d’images. Dans la Grosse légende, le message n’est pas celui du rétablissement de l’ordre et de la cohésion sociale par la punition du crime ; bien au contraire, les miniaturistes ont cherché à apparenter la scène à une torture judiciaire en vue d’un aveu et/ou d’un reniement de la foi et, surtout, à apparenter la laideur du bourreau à l’infamie du geste qu’il effectue. L’originalité de la Grosse légende tient surtout à son discours spirituel pour accéder à ce que Jean Gerson nomme « la connaissance expérimentale de Dieu ». En  effet, au  gré des folios, la lectrice et le lecteur comprennent que l’accent doit être mis sur la méditation, la prière privée, la contemplation et la réception de l’eucharistie, pratiques qui les engagent sur la voie de la transformation intérieure. En  suivant les principes de la Devotio moderna, ils sont ainsi invités à une vie intérieure riche qui, cependant, ne doit jamais 108  109 

Fol. 111v., 416v et 351. Fol. 280, 234, 257v et 321v.

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être déconnectée d’une vie sociale (en particulier des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles) et, surtout, ecclésiale (communion). Dans ce cadre ecclésial, on notera également l’importante valorisation de la pastorale et de ses objectifs : mise en fuite des démons et enjeux de la communion apparaissent clairement dans l’expression iconographique du manuscrit. Ce parcours dans les images du manuscrit 795 de la bibliothèque municipale de Lille n’est qu’un aperçu et bien d’autres études devraient être menées. Ainsi, outre l’analyse des miniatures qu’il conviendrait de parfaire en bien des points, tout un champ d’investigation reste à mener sur le texte de cette Grosse légende.

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Du local à l’universel Modulations septentrionales de la Légende dorée dans quelques légendiers vernaculaires

Florent Coste (Nancy) L’objet de cette contribution est de s’intéresser aux logiques de production et de transformation des légendiers hagiographiques en langue vernaculaire à partir de la Légende dorée. Dans un article synthétique et toujours très utile, Anne-Françoise Leurquin-Labie affirmait que les légendiers vernaculaires du nord de la France « complètent une base très classique (en général la Légende dorée) par l’ajout de vies de saints au culte purement local »1. Elle pointait là un phénomène considéré comme nouveau : sur fond d’une hagiographie française et en langue vernaculaire globalement peu créative, on voit se constituer un légendier dans le nord de la France médiévale assurant la promotion de la sainteté régionale, à partir d’un mécanisme d’addition et de greffe au sein de légendiers puisant majoritairement dans la Légende dorée de Jacopo da Varazze. Abondant dans le même sens, Piotr Tylus a souligné à très juste titre combien il importe de mesurer l’influence d’un recueil hagiographique en langue vernaculaire sur la spiritualité laïque en la corrélant à sa régionalisation : A.-F. Leurquin-Labie, « La promotion de l’hagiographie régionale au xve siècle : l’exemple du Hainaut et du Cambrésis », dans Richesses médiévales du Nord, éd. J.-C. Herbin, Valenciennes, 2002, p. 253-267 ; je renvoie pour le reste à sa contribution dans le présent volume sur les contours et la consistance du « légendier picard ». 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 119-133. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126291

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Examiner l’influence d’un recueil régionaliste sur la spiritualité des laïcs, et ceci en rapport avec l’influence d’un recueil universel, et, simultanément, démontrer comment un recueil universel se régionalise (en vernaculaire) pour exercer son influence dans la zone française, ce sont des questions importantes à résoudre pour l’histoire de la culture spirituelle en France, qui a influencé, en même temps, la spiritualité européenne au sens large.2

Même si cet article ne fera qu’indirectement contribution à ce champ de la recherche, une juste compréhension de ces logiques textuelles de production hagiographique peut offrir une contribution à une histoire des pratiques religieuses médiévales. Je me concentrerai simplement ici de dégager quelques implications de ce double constat quant aux logiques de production hagiographique dans un contexte local. Comment la Légende dorée s’acclimate-t-elle aux régions francophones septentrionales ? Comment régionalise-t-on une Légende dorée ? Comment puise-t-on en elle et que lui fait-on subir ? Est-elle d’ailleurs reconnaissable en tant que telle à la fin de ce processus d’acclimatation ? L’une des conditions préalables pour répondre à ces questions est de ne pas considérer la Légende dorée comme une œuvre unitaire et scellée par une intention initiale programmatique, mais plutôt comme une matière textuelle disponible à des usages et des recontextualisations, c’est-à-dire pour reprendre l’expression d’Anne-Françoise Leurquin-Labie, comme une « base », au sens culinaire et pâtissier du terme, susceptible de se décliner au gré des contextes. La thèse défendue ici est la suivante : derrière l’addition de Vies de saints locaux et la régionalisation de légendiers universels se trame une double logique d’implantation et de promotion. Dans un premier temps, par une logique descendante, l’universel s’appuie sur le local pour arrimer le légendier aux contextes locaux de dévotion et augmenter ainsi son coefficient de pénétration en leur sein ; puis dans un second temps, en vertu d’une logique montante, répondant de manière complémentaire à la première, les légendes locales s’extraient de leur contexte de naissance, pour bénéficier du rayon de diffusion des légendes universelles qui leur servent de tremplin et avec lesquelles elles circulent. Pour démontrer cette thèse, je reviendrai en premier lieu sur le statut littéraire pour le moins ambigu de la Légende dorée, qu’on aurait tort d’assimiler à une œuvre au sens moderne du terme ; j’évoquerai ensuite quelques-unes des interventions qui sont manifestes dans des manuscrits hagiographiques P. Tylus, « Les légendiers en vernaculaire, miroirs de la spiritualité des laïcs du Moyen Âge finissant », Réseau français des Instituts d’Études avancés, 2013, URL : http://rfiea.fr/articles/ les-legendiers-en-vernaculaire-miroirs-de-la-spiritualite-des-laics-du-moyen-age-finissant consulté le 04/05/2021. 2 

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vernaculaires du Nord puisant dans la Légende dorée et m’intéresserai enfin à un autre type de recontextualisation de textes hagiographiques au sein d’ensembles à caractère pastoral.

1. De la carrière de la Légende dorée Il sied d’abord de revenir sur le statut textuel et la carrière littéraire de la Légende dorée. Dans une formule ramassée, on pourrait affirmer que, pour l’essentiel de sa carrière littéraire, la Légende dorée n’est pas une œuvre littéraire singulière fondée sur une identité textuelle stricte et formée par un auteur qui serait « Jacques de Voragine ». L’une des conséquences serait qu’on doit envisager son histoire non comme une trajectoire rectiligne, mais comme une carrière tumultueuse, incertaine, émaillée de réaménagements tantôt locaux et ponctuels, tantôt substantiels qui finissent par la rendre méconnaissables.

a. L’identité sans l’intégrité S’il est vrai que nous avons une bonne connaissance de ce qu’est la Légende dorée (avec ses 178  chapitres, ses deux versions, son origine dominicaine et son articulation serrée à la prédication), s’il est vrai que cette bonne connaissance s’est opportunément matérialisée dans des éditions redoutablement fiables et précieuses tant en latin qu’en traduction française3, il est incontestable aussi que, dans l’immense corpus de manuscrits qui la conservent en latin comme dans les langues vernaculaires européennes, il existe une Légende dorée en un sens beaucoup large, où le corpus initial fixé par Jacopo da Varazze a fonctionné comme un attracteur textuel et polarisé autour de lui des nébuleuses de textes à très forte dominante hagiographique, mais aussi de registre spirituel et pastoral. Au-delà donc d’une vision philologique et canonique de la Légende dorée, il existe une vaste archive de légendiers hagiographiques fondées sur elle qui méritent notre attention et reposant sur des phénomènes d’accrétion dont on peut présumer qu’ils participent à expliquer la durée de vie et la carrière à nulle autre pareille de la Légende dorée dans des espaces sociaux, des territoires politiques, dans des aires linguistiques et à des époques pour le moins variées. Dans les Moralia in Job, Grégoire le Grand comparait les saints à la constellation de la Pléïade, comme un amas d’étoiles à la fois singulièrement Jacopo da Varazze, Legenda aurea, éd. G. P. Maggioni, Florence, 1998 ; Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. A. Boureau (dir.), Paris, 2004. 3 

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brillantes et si solidement intégrées qu’elles ne cessent de renvoyer les unes aux autres. On peut lire de manière analogue les collections hagiographiques : tantôt comme un ensemble intégré et structuré de chapitres (legenda sanctorum : la légende des saints), tantôt comme une suite moins solidaire de petits textes davantage dispersés et plus facilement autonomisables (legendae sanctorum : les légendes des saints) ; dans un cas comme dans l’autre, elles fonctionnent toujours comme des constellations susceptibles d’être recomposées, reconfigurées ou réintégrées dans un ordre plus grand4. Dans une telle perspective, la Légende dorée en vient à ne plus être une œuvre close, verrouillée et circonscrite par un auteur biographiquement individualisable – Jacopo da Varazze. À certains égards, la Légende dorée ressemble moins à une œuvre littéraire qu’à un genre littéraire, c’est-à-dire une matrice de possibilités discursives contraintes : il est assez symptomatique qu’un libraire florentin, Piero Morosi, propose sur son registre de vente un « leggendario santi anti-voragine » de manière à rompre avec la manière traditionnelle de faire des légendiers, utilisant le surnom du compilateur dominicain sous la forme d’une antonomase pour décrire une manière de faire5. Une autre comparaison loisible et moins contre-intuitive consisterait à la considérer comme un produit artisanal, à la fois souple et robuste, dont on pourrait customiser le design et sur lequel se serait déposée une marque de fabrique : on peut sans doute considérer que l’étiquette « Jacques de Voragine » fonctionne davantage comme un label auctorial reconnu dans le champ hagiographique autant que « Robert de Boron » peut l’être pour la fiction vernaculaire arthurienne. Au-delà de Jacopo da Varazze, dont on sait par ailleurs qu’il travaille avec le renfort d’une équipe de copistes qu’il coordonne, « Jacques de Voragine » fait signe vers une signature collective et vers un savoir-faire dominicain qui garantit une intégration fluide et efficace dans un « système de communication de masse »6 et dans une industrie pastorale de retraitement textuel mettant le fonds hagiographique et les sermons au service de la pénitence. Pour toutes ces raisons, la carrière textuelle, littéraire, livresque de la ­Légende se caractérise par une modification substantielle de son intégrité (des éléments qui la composent) sans pour autant que son identité – de legenda Pour de plus amples développements sur cette question, je me permets de renvoyer à F.  Coste, « De  quoi la Légende dorée est-elle le nom ? Propositions pour une philologie pragmatique », dans De l’(id)entité textuelle au Moyen Âge, éd. A. Mairey, G. Veysseyre et R. Gay-Canton, Paris, 2018, p. 255-291. 5  L. Pagnotta, Le edizione italiane della Legenda aurea (1475-1630), Florence, 2005, p. 13 et n. 14. 6  Pour reprendre l’expression de D. d’Avray, Medieval Marriage Sermons : Mass Communication in a Culture without Print, Oxford, 2001. 4 

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sanctorum ou de légende d’or – n’en soit substantiellement modifiée ou affectée. À titre de confirmation, on imprime au seuil de l’époque moderne des livres hagiographiques encore intitulées Légendes dorées comptant pas moins de 600 chapitres – soit plus de 200% de matière nouvelle par rapport au corpus initial. Autrement dit, la Légende dorée ressemble moins à une œuvre littéraire au sens moderne du terme qu’à un logiciel accumulant de nouvelles versions et de nouvelles mises à jour le rendant plus efficient et plus opératoire.

b. Universalisme de la Légende dorée Le deuxième trait caractéristique qu’on peut légitimement assigner à la Légende dorée est qu’elle est portée par une ambition universaliste. À bien des égards, la Legenda aurea possède un caractère universel qui plonge rapidement dans l’ombre les autres legendae novae dominicaines – l’Abbreviatio in gestis et miraculis sanctorum de Jean de Mailly et le Liber Epilogorum de Barthélémy de Trente – conservant une plus forte coloration locale et au rayon de diffusion réduit. L’universalisme du projet de la Légende tient certes en partie à la bonne sélection de saints qui préside à sa composition ; au-delà de la qualité de ce best of de la sainteté, cette ambition universaliste se laisse aisément lire aussi dans le prologue du légendier : universum tempus vitae humanae, tels sont ses quatre premiers mots qui livrent explicitement ses principes directeurs visant à embrasser, à articuler et à enchâsser le temps de l’histoire humaine, le temps de l’année liturgique, le temps même de la journée au sein de cette structure symbolique et liturgique7. La  Légende dorée s’est donc imposée comme une infrastructure calendaire, liturgique et temporale, trouvant une solution ingénieuse pour articuler temps fixe et temps mobile qui la rend en réalité à la fois souple et robuste, et qui lui donnera la forme d’un attrape-tout hagiographique. Reste que l’universalisme (de principe, ou programmatique) du célèbre légendier dominicain n’est pas une garantie suffisante de son universalité (de fait, ou effective). Les prétentions universalistes de la Légende dorée n’expliquent que partiellement son efficacité considérable et son succès sur le temps long. Elles constituent seulement une condition nécessaire mais loin d’être suffisante à sa diffusion massive dans l’Occident médiéval. Ou pour le dire encore autrement, son universalisme n’est pas une garantie suffisante de son efficacité et de son succès. On s’en convaincra en remarquant que toute universaliste qu’elle Jacopo da Varazze, Legenda aurea, p. 3 ; Jacques de Voragine, Légende dorée, p. 3. ; A. Boureau, « Barthélemy de Trente et l’invention de la “legenda nova” », dans Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo. Strutture, messaggi, fruizioni, éd. S. Boesch Gajano, Fasano, 1990, p. 23-39. 7 

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se prétende, la Légende demeure une œuvre fatalement située dans son temps. Et qu’on signala, rapidement, d’ailleurs au sein même de l’ordre dominicain, sa précoce péremption et son caractère peu actuel (avec un faible nombre de saints du xiiie siècle8). Comme l’a montré Agnès Dubreil-Arcin, dès le tout début du xive siècle, Bérenger de Landorre, alors maître général de l’ordre dominicain, jugea la Légende dorée lacunaire et douteuse et commanda à Bernard Gui de refondre l’ensemble du légendier de Jacopo da Varazze dans un nouveau sanctoral qui évite d’une part d’oublier trop de saints, d’autre part de pratiquer l’abbreviatio d’une manière trop drastique pour chaque Vie de saint9. Pourtant ces entreprises de reprise et de réfection hagiographique n’ont pas remplacé ou destitué la Légende dorée, qui est peut-être moins actuelle qu’actualisable.

c. La disponibilité de la Légende dorée On pourrait à cet égard attribuer au légendier de l’archevêque de Gênes deux propriétés : celle de la modularité d’abord – comme dans certains jeux de construction, on peut enlever une pièce sans que tout s’effondre ; comme dans l’architecture gothique, certains pans du bâtiment sont plus modulables, plus légers et à ce titre optionnels, d’autres occupent au contraire une place plus fonctionnelle et plus architectonique propre à garantir la bonne tenue de l’ensemble ; celle ensuite de la ductilité – terme emprunté à la physique des matériaux pour décrire une matière capable de se déformer sans se rompre, et susceptible de caractériser la Légende dorée qui s’accroit, s’adapte, s’assouplit au gré des besoins des usagers. Ce que Bérenger de Landorre et Bernard de Gui n’ont peut-être pas mesuré ou pu mesurer à travers le double reproche de sélection serrée et d’abréviation excessive, c’est qu’il était relativement facile de la remodeler, de l’actualiser, de l’adapter, bref de jouer sur sa capacité d’implantation et de la rendre disponible à d’autres usages. On en trouvera un exemple, à la fois simple et saillant, dans l’usage et l’appropriation culturelle dont la Légende fait l’objet par les autres ordres religieux que l’ordre des frères prêcheurs qui veulent y laisser leur empreinte. Pour franciscaniser le légendier, il suffit d’y ajouter en tête ou en queue de manuscrit des Vies plus complètes de saint François ou la Vie de sainte Claire d’Assise ; pour confectionner un légendier cartusien, les Chartreux ajoutaient au bout d’une Légende dorée une Vie de saint Bruno de Cologne ou celle de A. Vauchez, « Jacques de Voragine et les saints du xiiie siècle dans la Légende dorée », dans Legenda aurea. Sept siècles de diffusion, éd. B. Dunn-Lardeau, Montréal-Paris, 1986, p. 27-56. 9  Voir A. Dubreil-Arcin, Vies de saints, légendes de soi : l’écriture hagiographique dominicaine jusqu’au Speculum sanctorale de Bernard Gui (1331), Turnhout, 2011, p. 153 et suiv. 8 

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saint Hugues de Lincoln10 ; l’ordre des Servites de Marie introduit les Vies de saint Joachim et de saint François de Sienne dans un manuscrit de la Légende dorée pour en faciliter l’usage dans les communautés servites en Toscane, tout autant que pour intégrer leur saint dans le canon hagiographique11. Ces réglages sont relativement élémentaires et révèlent une logique à l’œuvre assez simple : adaptation contextuelle à un public usager et canonisation textuelle du saint par intégration dans le catalogue calendaire (le faisant participer à la grande histoire sainte). Ils laissent entrapercevoir bien le paradoxe de cette œuvre à la fois rapidement périmée, dont on sait qu’elle n’est plus à jour et qui a pourtant une durée de vie rarement atteinte dans l’histoire de la littérature (non seulement hagiographique, non seulement religieuse, mais aussi dans la littérature tout court). Une grande partie de la carrière de la Légende dorée tire son intérêt des aménagements dont elle a fait l’objet – tantôt en restant une Légende dorée, tantôt en se transformant en autre chose – pour mieux s’adapter aux contextes où l’on voulait l’implanter. Ces réfections ont été tantôt planifiées (le cas du projet de Speculum Sanctorale sous l’égide de Bérenger de Landorre), tantôt sinon improvisées, du moins bricolées au cas par cas dans des formules qui se sont parfois stabilisées et ont pu circuler comme telles. Ces dernières situations plus bricolées forment la majorité des cas et le philologue qui s’intéresse à la Légende dorée en tant qu’œuvre a une tendance naturelle à s’en écarter parce qu’il voit dans ces pièces périphériques des impuretés qui troublent la tradition ou des interventions qui nous éloignent des premiers temps de son histoire. Ces phénomènes d’accroissement, d’agglomération, d’accrétion de pièces qu’on lui a rajoutées font toute la carrière littéraire de la Légende dorée ; ce sont autant de procédés qui sont susceptibles d’augmenter la performance, la pertinence, la pénétration du légendier dans des contextes donnés et d’améliorer sa valeur d’usage et son ergonomie (sa prise en main, son caractère manipulable, critère essentiel de qualité pour les dominicains). Réciproquement, la capacité d’accueil de la Légende à de nouvelles légendes permet à ces dernières de promouvoir des saints locaux dans une liturgie générale, de s’insérer dans des circuits et des réseaux de diffusion moins locaux et plus étendus. Se met ainsi en place une économie de services réciproques : d’un côté l’ajout de saints locaux permet à la Légende dorée de pénétrer dans des territoires cultuels qui auraient pu ne pas se sentir concernés (ils font office de points de fixation) ; de l’autre, ils Grenoble, Bibliothèque Municipale, 1173 ; Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Calci, 33, fol. 387r-389r, (BHL 4022) ; Biblioteca Apostolica Vaticana, Biblioteca Apostolica Vaticana, Rossiani, 624, fol. 186vb-187rb. 11  Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. lat. 10187, fol. 271v-276r (BHL 4285, 4286) et fol. 276v-284v (BHL 3139). 10 

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utilisent le légendier, selon une logique du poisson pilote, pour frayer au-delà du périmètre local auquel on pourrait les assigner et accroître leur rayonnement et intégrer une collection plus ample et circuler avec elle.

2. Comment régionaliser la Légende dorée ? Ces précisions expliquent sans nul doute que la Légende dorée ait pu constituer, pour de nouvelles collections hagiographiques, une « base » à laquelle on a pu ajouter des ingrédients pour l’adapter à un contexte local. D’autres facteurs peuvent cependant intervenir. D’une part, sa mobilisation dans le nord de la France a été évidemment d’autant plus facile que la Légende compte et intègre dans l’économie initiale de son calendrier quelques saints importants du Nord : saint Vaast (chap. 40, saint mérovingien, évêque d’Arras), saint Amand (chap. 41, évangélisateur de la Flandre, autour de Tournai), saint Fursy (chap. 140, fortement honoré autour de Péronne, dans le diocèse d’Amiens et de Cambrai) – qui ont certainement facilité, favorisé et encouragé la pénétration du légendier dans le nord de la France. D’autre part, s’ajoutent à cela les caractéristiques propres aux légendiers en langue vernaculaire. On l’a fréquemment souligné : parmi la petite quinzaine de versions de traductions de la Légende dorée, les traductions très littérales, étroitement liées au texte latin, voire non loin du calque comme celle de Jean de Vignay – même si elle est représentée par un nombre important de témoins – ne sont que de rares exceptions, par ailleurs sociologiquement plus élitaires que les autres. La traduction du légendier de Jacopo da Varazze dans les légendiers vernaculaires s’accompagne la plupart du temps d’autres interventions relevant d’un travail substantiel de réaménagement et de remaniement. Et si ces refontes de légendiers sont manifestes en langue d’oïl, ils sont encore plus visibles avec les volgarizzamenti de la Légende dorée : il suffit de compulser le catalogue de la Biblioteca Agiografica Italiana de J. Dalarun et L. Leonardi pour être frappé par l’impression de pulvérisation et de redistribution des chapitres de la Légende dorée dans des manuscrits très éloignés du légendier12 ; mais au-delà de cette observation empirique, les travaux de Speranza Cerrullo ont récemment offert un panorama synthétique sur les Cette différence reste à expliquer : peut-on imputer cela aux spécificités de la géographie ecclésiastique des territoires français et italiens au Moyen Âge ou à la domination des ordres mendiants ? ou  à des situations sociolinguistiques différentes de diglossie ? Dans l’espace sociolinguistique de la péninsule italienne, davantage dominé par la langue haute et sacrée qu’est le latin ecclésiastique, des textes comme la Légende dorée jouissent-ils d’une plus grande autorité et résistent-ils davantage au mouvement de volgarizzamento ? Il est remarquable à cet égard qu’un dominicain pisan comme Domenico Cavalca du tout début du xive siècle 12 

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modalités de traduction et de transformation de la compilation dominicaine, en la considérant comme une « œuvre ouverte », qui a donné lieu, avant d’avoir été intégralement traduite, à des traductions partielles redistribuées dans des compilations plus vastes (florilèges, légendiers, miscellanées religieux)13. Autrement dit, le passage du légendier à la langue vernaculaire diminue la résistance du texte latin devenu moins autoritatif, accroit sa ductilité et donne davantage de marges de manœuvre aux copistes et éditeurs confectionnant une nouvelle compilation. Alors que de manière générale les ajouts de Vies de saints sur une Légende dorée latine s’insèrent ou s’inscrivent dans la suite du calendrier initial (comme des compléments ou des suppléments juxtaposés et homogènes en genre), dans le cas des légendiers en langue d’oïl, leur structure semble se déverrouiller et s’assouplir en raison du plus grand éloignement du modèle latin qui autorise un plus grand coefficient d’intervention des copistes-traducteurs-remanieurs. Précisons immédiatement que les rapports à la Légende dorée sont plus ou moins explicites et plus ou moins serrés selon les légendiers en langue vernaculaire, qui nomment diversement leur source et reconnaissent leur dette de manière variée. Il arrive que le légendier en langue d’oïl mentionne comme source la « légende d’or » ou la « légende dorée » (sans garanties pour autant que cette source soit d’un point de vue philologique le légendier de Jacopo da Varazze), à l’instar de Lille, BM, 454 à une dizaine de reprises en fin de chapitre ; cela dit, les rapports à la source de la Légende dorée, loin d’être homogènes et stables au sein d’un même manuscrit, d’un chapitre à l’autre, peuvent assez fortement fluctuer. Cas symptomatique, Lille, BM, 454 offre des Vies similaires mais plus développées que Lille, BM, 452 : certaines Vies sont clairement empruntées à la version de Jean de Vignay (Vie de saint Barthélémy), d’autres établissent une ressemblance superficielle (Vies de saint Louis, de sainte Barbara, de saint Albin) avec cette version de la Légende dorée dont le traducteur s’inspire (de loin), dans d’autres Vies, enfin, le remanieur se montre plus interventionniste par rapport à la source dominicaine, dont il change la structure et transforme la narration hagiographique en sermon (comme le cas du chapitre de la Décollation de saint Jean Baptiste)14. Enfin, bien qu’ils outrepassent et débordent s’engage dans une politique de traduction et de vulgarisation qui s’occupe par exemple des Vitae patrum, mais ne s’empare pas du légendier de Jacopo da Varazze. 13  S. Cerrullo, « La traduzione della Legenda aurea », dans Tradurre dal latino nel Medioevo italiano. Translatio studii e procedure linguistiche, éd. Ead. et L. Leonardi, Florence, 2017, p. 69-119 ; Ead., I volgarizzamenti italiani della Legenda aurea. Testi, tradizioni, testimoni, Florence, 2018. 14  Voir O. Collet et S. Messerli, Vies médiévales de Marie-Madeleine, Turnhout, 2008, p. 535 et suiv.

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largement le corpus initial de Jacopo da Varazze dans lequel ils puisent, certains manuscrits n’hésitent pas à se désigner dans leur ensemble comme des Légendes dorées, à la manière de Lille, BM, 453 qui se présente comme une « Légende d’or » ou de Leyde, Bibliothèque Universitaire, 46A qui est un manuscrit copié par la bénédictine Jeanne de Malone (active en 1477 à Saint-Victor de Huy), puisant dans une Légende dorée de Jean de Vignay assortie des Festes nouvelles de Jean Golein et injectant en elle une petite dizaine de Vies de saints flamands et wallons15. On se tromperait cependant à imaginer qu’il suffise d’ajouter de nouvelles Vies de saints à un corpus (comme c’est le cas avec une Légende dorée appropriée par un ordre religieux). La greffe de l’insertion, du supplément ou du complément ne peut « prendre » qu’à la condition de travailler à la fois le légendier-cible (qu’il faut aménager pour accroître sa capacité d’accueil) et les collections sources. Par exemple, Florence, Biblioteca Medicea Palatina, Mediceo Palatino,  141 est une version traduite de la Légende dorée copiée par et ayant appartenu à Jehan des Escohiers dans la ville d’Arras en 139916. On  peut la repérer également dans Tournai, Bibliothèque locale et principale de la Ville, 127 ainsi que dans Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, Berol. Gall. Fol. 15617. Ces trois manuscrits sont marqués linguistiquement par une scripta de l’Artois ou de Picardie. Cependant, malgré ces airs de famille, leurs constructions sont légèrement différentes et divergentes : le manuscrit de Tournai emprunte et colle le prologue de Jean de Vignay, alors qu’il n’en suit pas du tout la traduction pour le reste du légendier et ajoute au canevas du compilateur dominicain la Vie de sainte Gudule de Brabant ou celle de saint Éleuthère comte de Tournai ; le manuscrit de Florence, lui, retravaille M. Thiry-Stassin, « Les légendiers en prose française écrits dans la Belgique actuelle : le cas du Leiden, BPL, 46A (Huy) et du BRB II 2243 (Namur) », Le Moyen Français, 4647 (2000), p.  563-575 ; « Une  Vie de saint Gondulphe chez Jean d’Outremeuse et chez Johanne de Malone : une question de variantes », dans Jeux de la variante dans l’art et la littérature du Moyen-âge : mélanges offerts à Anna Drzewicka, éd. A. Bartosz, et al., Cracovie, 1997, p. 67-77 ; « Johanne de Malone : une rédactrice atypique de vies de saints (Leyde, BPL, 46A) », dans Scribere sanctorum gesta  : recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. E. Renard et al., Turnhout, 2005, p. 507-521. 16  Jean des Escohiers laisse cet explicit : Sachant tout cil qui ceste legende liront qu’ele fut parescripte le xiiije du mois d’Aoust, nuit de le assomption de la benoite Vierge Marie, l’an de grasce mil  iijc et iiijxx et xix. Et  l’escripsi Jehans di Escohiers, demourans [a] Arras en le rue de l’abbeye, entre l’ospital S. Jullien et le rue du Pré (Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Med. Pal. 141, fol. 330rb). 17  O. Collet et S. Messerli, Vies médiévales de Marie-Madeleine, p. 451 et suiv. Le manuscrit de Cracovie a été identifié par Piotr Tylus, dans Les manuscrits médiévaux français et occitans de la Preussische Staatsbibliothek et de la Staatsbibliothek zu Berlin, Preussischer Kulturbesitz, décrits par D. Stutzmann et P. Tylus, Wiesbaden, 2007, p. 75-77. 15 

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d’abord le chapitre mineur dans la Légende dorée de saint Vaast, évêque d’Arras et de Cambrai, pour en offrir une version indépendante et plus fortement développée ; après quoi, il insère différents saints régionaux selon divers procédés : tantôt en puisant dans le légendier de Jean de Mailly traduit en langue d’oïl – baptisé par Paul Meyer le « Légendier liturgique » – la Vie de saint Éloi (de Noyon, évangélisateur de la Flandre) ou la Vie de saint Lambert de Liège ; tantôt en important d’une autre source la Vie de saint Servais, évêque de Tongres et de Maestricht (qu’on repère également dans les trois légendiers vernaculaires de Cambrai, BM, 210, 811, 812 et qui n’appartient pas au Légendier liturgique), la Vie de saint Vigor de Bayeux moine de l’abbaye de saint Vaast et évêque d’Arras (fêté le 1er novembre et placé avant saint Léonard de Noblat, fêté le 6 novembre) et la Vie de saint Riquier évangélisateur de la Picardie (dans une version qu’on ne trouve nulle part ailleurs). Cambrai, BM, 811 et 812, sont deux légendiers issus du scriptorium du Saint-Sépulcre de Cambrai18. On peut les caractériser par : – une relative absence de la partie temporale (la vie du Christ reste présente sur les fêtes du début du cycle calendaire, ce qui n’est pas le cas des fêtes du Carême et de Pâques, de la Toussaint et de la Commémoration des morts), voire par son élimination complète dans Cambrai, BM, 812 ; – une élimination de certains chapitres mineurs du corpus de la Légende, selon une logique assez simple d’économie : on fait de la place, en évacuant une vierge d’Antioche, Jean devant la Porte latine, saint Pancrace, sainte Pétronille, saints Prime et Félicien, saints Vit et Modeste, saints Cyr et Julitte, sainte Marine, saint Syr, sainte Théodora, saint Apollinaire, saints Nazaire et Celse, saint Felix, saint Simplice, sainte Marthe, saint Eusèbe, saint Dominique, saint Symphorien, saint Mamertin, saints Gorgon et Dorothée, saints Prote et Hyacinthe, sainte Pélagie, sainte Marguerite, saint Léonard, saint Chrysante ; – en lieu et place de quoi, l’insertion dans l’économie calendaire d’un fonds hagiographique français et septentrional : sainte Aldegonde, saint Aubert, saint Vindicien, saint Waudru de Mons, sainte Gertrude de Nivelles, saint Landelin, saint Vincent de Soignies, saint Géry, etc. – et enfin, dernière étape, le remplacement des chapitres septentrionaux du corpus initial : les Vies des saints du Nord déjà présents dans la Légende dorée sont remplacées : on ôte les versions abrégées de Jacques de Voragine, on leur substitue des versions amplifiées, dans le cas de saint Amand, saint Fursy, saint Lambert, saint Vaast, saint Macaire. Je renvoie à la contribution d’A. F. Leurquin-Labie dans ce volume sur la place de ces deux manuscrits dans le « légendier picard ». 18 

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Comme on le voit, les ressources hagiographiques septentrionales ne tombent pas du ciel et ne se baladent pas isolément ; elles circulent par grappes ou en groupes (les évêques de Tongres que Jeanne de Malone redistribue dans le calendrier du légendier), ou sous forme de collections pré-existantes ; et il est symptomatique à cet égard que soit mobilisé le légendier de Jean de Mailly traduit en langue d’oïl – baptisé par Paul Meyer le « Légendier liturgique »  – marqué comme on le sait de cette emprunte française et septentrionale. Les légendiers du Nord ne vont pas se constituer par des ponctions ponctuelles dans le Légendier liturgique, mais par des emprunts massifs et par l’adoption de séquences de chapitres. En  mutualisant deux légendiers, il est possible de prendre le meilleur du plus universaliste et le meilleur du plus « couleur locale ». C’est ainsi que Lille, BM, 452 peut être décrit par la base Jonas comme un « légendier liturgique » et par Olivier Collet et Sylviane Messerli comme une traduction partielle de la Légende dorée. Ce pluralisme descriptif tient précisément à cette propriété d’une matière à changer de forme sans changer de nature –  la  ductilité  – et à être brassée avec de nouvelles possibilités d’intervention jusqu’à devenir presque indiscernable.

3. Légendier ou somme pastorale ? Une dernière caractéristique des légendiers du Nord en langue vernaculaire mérite d’être signalée : loin d’être exclusivement hagiographique et de contenir seulement des Vies de saints, ils tendent à être accompagnés de fragments textuels parfois assez substantiels relevant de la spiritualité plus générale, quitte parfois à se transformer en sommes pastorales, où la matière hagiographique s’encastre dans des éléments de catéchèse et de spiritualité. Les modalités de cette association avec le vaste fonds de la littérature pastorale et catéchétique sont plurielles. Le cas le plus notable et le plus massif, par lequel il faut commencer, est celui du Miroir des Curés, une compilation certainement confectionnée dans le Nord et qui mutualise somme pastorale, sermonnaire et légendier d’une manière particulièrement fluide et singulièrement intégrée. Recyclant par bouts la Somme le Roi ou le Compendium theologiae de Thomas d’Aquin, le Miroir des curés se présente explicitement comme une œuvre pastorale d’éducation et de gouvernement des âmes : ung miroir prins hors de la sainte escripture auctentique meismement pour les curés dont l’entendement de tous ceuls qui le liront et orront puist estre enluminiez de cognoistre et de faire le bien et de refuser le mal, pour tellement leur

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vie mener qu’il puissent par les bonnes euvres le Royalme du Ciel conquester et a la joie permanable venir19 .

Deux manuscrits du Nord incarnent cette compilation : Cambrai, BM, 210 (composé à saint-Aubert de Cambrai) ; Bruxelles, KBR, 10202-10203, composé en 1385 en Picardie à en croire son calendrier et utilisé en milieu canonial régulier ou en milieu cistercien dans le nord de la France20. Dans ces deux témoins, le légendier se trouve surmonté par un précis théologico-pastoral qui forme une solide première partie de manuscrit, les  100  premiers feuillets sont occupés par ce qui paraît être une traduction du Compendium theologie et une collection de sermons de l’Avent à la Pentecôte qui circulera par ailleurs dans le légendier picard. Il  importe de le souligner, un tel cas de fusion de légendier et de somme pastorale n’est pas fréquent : bien sûr dans le corpus latin autant que dans celui des Légendes dorées en langue italienne, les cas de montage entre légendier et somme de confesseur ne sont pas rares (même s’ils ne sont pas légion), non plus que ceux qui associent dans une continuité tout à fait naturelle séquences hagiographiques et sermons. Je pense à des Légendes dorées latines suivies de Summula Remundi versifiée d’Adam Alderspacensis21 ou de traités de la confession dominicains22 , ainsi qu’un volgarizzamento de la Légende conservé à la Biblioteca Nazionale de Florence qui associe une Légende volgarizzata, le Libro de vizi e delle virtu de Bono Giamboni, le Trattato della vera penitenza qui est un volgarizzamento de l’Interrogantium confessionum de Niccolò da’Osimo23. Reste que dans de telles configurations, l’hétérogénéité entre les œuvres est manifestement maintenue, alors que le brassage et la continuité de l’hagiographique, du pastoral, du pénitentiel n’ont jamais été aussi poussés que dans ces Miroirs des curés du Nord – œuvre qui mériterait sans doute qu’on s’attache à son édition. Ce cas massif du Miroir des curés se redéploie sous forme de compléments spirituels plus ponctuels en queue de manuscrits : Lille, BM, 452 ajoute sur une vingtaine de feuillets des fragments du Miroir des curés (avec de courtes Cambrai, BM, 210, fol. 1v. Un troisième manuscrit, Paris, Bibliothèque de l’Institut, 12 est difficile à situer. D’autres manuscrits n’intègrent pas le légendier et n’en conservent que la partie homilétique (Valenciennes, BM, 126 ; Troyes, BM, 1041 – copié à Clairvaux). 21  Trente, Biblioteca Communale, 1789-1790. Voir la description de ce manuscrit dans F. S. D’Imperio, Manoscritti agiografici italiani di Trento e Rovereto, 2012. 22  Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottob. Lat. 223, fol.  311-312ra (Liber confessionum d’Hugues de Saint-Cher) et fol. 312va-320 (Summa penitentiae fratrum predicatorum, ­Pseudo-Jean Rigaud, Cum ad sacerdotem). 23  Florence, Biblioteca Nazionale Centrale, Palat. 97 ; pour une description de ce manuscrit, voir I manoscritti datati del Fondo Palatino della Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze, Impruneta, 2003, 25 ; S. Cerrullo, I volgarizzamenti, p. 145 et suiv. 19 

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séquences catéchétiques sur les Dix commandements, le Credo, les cinq sens, les sept sacrements, la nomenclature des péchés et les sept œuvres de miséricorde) ; dans Cambrai, BM, 812, le légendier se trouve associé à une unité codicologique différente, dans laquelle on pourra lire un Sentier de paradis, une lettre de direction spirituelle à une religieuse, des lais et des ballades. On pourrait mentionner également Bruxelles, KBR, 10295-10304 qui est copié dans le Hainaut en 1428 et qui associe une compilation de Vies de saints (qui n’est pas une Légende dorée cependant), l’Isopet de Marie de France, l’Image du monde de Gossuin de Metz, la traduction de la Consolation de Philosophie de Boèce par le dominicain Renaut de Louhans sous le titre de Roman de Fortune et de Félicité. Dernier cas : d’une manière plus élaborée que ces montages en forme de complément et de suite, on peut placer des textes spirituels de manière encadrante, en tête et en queue de manuscrit – laissant présager un projet éditorial plus concerté ou un travail plus actif sur les sources. Le légendier de Jeanne de Malone conservé à Leyde (BPL, 46) me semble y correspondre, il commence et s’achève sur des conseils de vie spirituels qui enserrent le légendier et se termine sur un combat des vices et des vertus, ponctionné une fois encore dans le Miroir des curés. S’il est vrai qu’il ne faut pas surestimer la signification de ces compléments qui viennent opportunément et de manière contingente combler des feuillets vierges et finir des cahiers entamés, ces agencements textuels, naviguant à la frontière toujours incertaine entre le légendier, la somme de théologie, le recueil pénitentiel et le florilège pastoral, sont plus que de l’habillage de pièces accessoires et périphériques. Ils montrent autant de manières d’équiper le légendier de ces prolongements, de l’associer directement à ses débouchés pratiques, en termes de pénitence, de prière, de discipline spirituelle et corporelle. Ils confèrent au légendier un peu de son caractère opérationnel et font apparaître l’horizon pratique de direction spirituelle où ces manuscrits hagiographiques s’implantent. Il est de ce point de vue nécessaire de noter que ce sont plutôt des manuscrits probablement de milieu régulier et monastique (découplant le passage au vernaculaire avec un lectorat laïc).

4. Conclusions Les techniques de réaménagement des légendiers que l’on a examinées témoignent de combinatoires textuelles, qui ne relèvent pas pour autant d’une vulgaire loterie, mais répondent bien d’une dialectique vertueuse entre universalisme et localisme. Une  telle mécanique vise à optimiser la

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pertinence contextuelle de ces recueils hagiographiques, en les faisant fonctionner comme des courroies de transmission entre le local (le saint régional) et l’universel (la cour ou la communion des saints). Ce sont comme autant de réglages que l’on fait sur une interface pour capter la bonne fréquence et trouver le bon canal de communication entre l’ici-bas et l’au-delà. Ces légendiers sont avant tout des connecteurs dans une grande économie de la prière et de l’intercession. Parce que la Légende dorée est une structure suffisamment souple et solide à la fois pour se plier aux spécificités et aux besoins des cultes locaux, une deuxième conclusion s’impose. Un message se diffuse d’autant mieux qu’il se décline et se module pour mieux s’ajuster à sa cible. Le caractère massif de la diffusion d’un message ne suffit pas en soi pour garantir son effectivité, il faut examiner ses capacités d’implantation et d’adaptation en contexte. En conséquence de quoi, l’universalité d’une œuvre tiendrait non pas à sa capacité à matraquer et à marteler sous la pression d’une propagande pré-orwellienne un même et unique message standardisé, mais à assurer habilement la jonction entre le local et l’universel. On s’adresse différemment à des publics différents, c’est là une vérité ancienne et une règle élémentaire pour des experts de rhétorique comme de la pastorale, comme aujourd’hui pour les entreprises de big data œuvrant au microciblage d’électeurs et à l’hypermodulation des messages pendant des campagnes politiques. Le meilleur moyen de faire passer son message ne consiste pas à le destiner à un plus petit dénominateur commun ou à un individu-type abstrait, mais de le moduler au plus près de la granularité du public visé pour s’adresser à tous et à chacun24. Grégoire le Grand le rappelle déjà dans sa Règle Pastorale, tout comme plus tard ce grand promoteur de la prédication ad status Jacques de Vitry25. C’est ce que manifeste sur le plan des logiques de recomposition textuelle cette carrière toute en modulations de la Légende dorée qui, au lieu de sacrifier l’un pour l’autre, concilie universalisme et localisme.

M. Foucault, « Omnes et singulatim. Vers une critique de la raison politique », dans Id., Dits et Écrits, t. ii, Paris, 2001, p. 953-980. 25  Grégoire le Grand, La Règle Pastorale, t. 2, livre III et IV, éd. F. Rommel et R. W. Clement, Paris, 1992, 3, 1 ; Jacques de Vitry, Histoire occidentale, trad. G. Duchet-Suchaux, Paris, 1997, chap. 34, p. 205. 24 

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Les traductions en prose des Vies des Pères après le xiiie siècle : reprise, évolution, transformation aux xive et xve siècles Marie-Geneviève Grossel (Château-Thierry) Très souvent, lorsqu’un littéraire médiéviste travaille sur une œuvre, les manuscrits auxquels il a recours pour éditer son texte sont de date incertaine et d’origine inconnue. Il lui faut se fonder, pour éclairer l’histoire de l’œuvre, sur la critique interne, lorsqu’elle est possible, ou sur la langue du manuscrit. C’est dire combien l’on reste fréquemment démuni, car un même manuscrit révèle souvent plusieurs copistes avec leurs divers graphies et traits dialectaux, et la « langue » ne caractérise guère que ces copistes, sauf si l’on peut s’appuyer sur des rimes. La Vie des Pères en prose dont il sera ici question est une œuvre de traduction où (théoriquement) la personnalité littéraire d’un auteur ne se pose pas d’emblée. La source est bien identifiée autant que pléthorique : les Vitæ Patrum sont, de tous les écrits monastiques, l’un des plus anciens, l’un des plus répandus ; lecture accoutumée au réfectoire, les Vitae Patrum faisaient partie des ouvrages présents dans tous les monastères. Le  caractère agglomérateur du recueil et sa relative facilité empreinte de traits merveilleux ont permis que s’y incorporent beaucoup d’autres œuvres du même registre et un nombre appréciable de Vies de saint(e)s, sur le modèle fameux de Jérôme. Par la suite, ces morceaux, originellement exogènes, connurent le sort inverse : des extraits particulièrement appréciés devinrent récits exemplaires, tandis que leurs Vies de saints – souvent plutôt à admirer qu’à imiter – venaient grossir les légendiers. Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 135-154. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126291

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Ces rapides remarques, bien connues de ceux qui ont étudié l’énorme ensemble que constituèrent les Vies des Pères, ne sont rappelées que pour éclairer l’angle un peu spécial où s’est placée la présente analyse. Les Vies des Pères furent traduites en prose romane dès le xiiie  siècle. Les  traducteurs furent confrontés à deux aspects de leur source qui, à nos yeux modernes, paraissent distincts : d’un côté les Vies (Antoine, Hylarion, Paul l’ermite, Malchus…) et les courtes scènes présentant les ermites in situ. Traduire ces passages ne nécessitait qu’une adaptation sans grandes difficultés : les translateurs offraient ainsi à leurs mécènes laïcs et dévots matière à une pieuse réflexion agrémentée de plaisir : docere et delectare ! De l’autre côté, ce que le Moyen Âge nommait Verba seniorum pour (les modernes), apophtegmes, relevait d’une morale ascétique et s’avérait plus difficile en raison du caractère de ces « bons mots », lapidaire et allusif. Dans le grand mouvement de traduction qui ouvrit les Vitae Patrum au monde non monastique, ce sont bien évidemment les historiettes et les récits hauts en couleur qui furent d’abord privilégiés et adaptés. Pourtant, lorsque l’on recense les manuscrits de ces adaptations, on doit constater qu’en fin de compte, les traductions véritables furent assez peu nombreuses, d’autant plus celles qui s’attaquaient aux apophtegmes. Aussi les manuscrits conservés recopient-ils le plus souvent les grandes traductions premières, en les abrégeant ou les modernisant pour en faire des épitomai. Enfin, on sait que naquirent, à côté des traductions proprement dites, des recueils de contes dévots, les Vies des Anciens Pères1, dont les auteurs assez vite s’éloignent du décor obligé de la Thébaïde, conservant la trame des récits, mais non le caractère ni exactement le registre des sources. Le talent tout à fait remarquable des auteurs des Vies des anciens Pères explique que, cette fois, nous les conservions dans un nombre impressionnant de manuscrits. Pour suivre la trace des traductions, nous ne trouvons pas, sauf erreur, au xive siècle de manuscrits qui seraient précisément localisés ou datés. Notre géographie sera donc une géographie littéraire, un manuscrit peut en effet nous apporter de précieux enseignements en tant que recueil : du regroupement d’œuvres qui le composent, on peut tirer des indices pour l’origine, pour le dessein du concepteur ou de son mécène ; on peut ainsi scruter le milieu qui a vu naître la demande d’un tel recueil, enfin la personnalité du copiste se devine souvent dans de petits détails qui éclairent également la recherche. La très riche analyse de Paul Meyer a répertorié essentiellement trois grandes traductions en prose des Vitæ Patrum au xiiie  siècle2 : celle de F. Lecoy (éd.), La vie des Pères, Paris, 1977-1979. P. Meyer, « Version en vers et en prose des Vies des Pères », Histoire littéraire de la France, t. 33, Paris, 1906, p. 254-328. 1 

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Wauchier de Denain, celle de l’Anonyme champenois et une compilation anonyme, qui daterait de la fin du siècle ; les deux dernières ont servi de réservoir pour des extraits que l’on trouve tout au long du xive et encore au xve  siècle. L’œuvre de Wauchier nous a été transmise par deux manuscrits du xiiie siècle ; ce que les compilateurs ont surtout retenu de sa traduction, ce sont les Vies de saints. De  la traduction champenoise nous n’avons que deux manuscrits complets, tous deux de l’Est. De bonne qualité et contenant une très grosse partie du texte champenois, un troisième manuscrit, le BNF, fr. 422, date du xive siècle et provient, selon la langue de son copiste, du nord de la France, plus précisément du Hainaut. Puis le BNF, fr. 24430 date du debut du xive siècle, il présente une anthologie des textes de la version champenoise ; certaines Vies de saints, comme celle de l’évêque Éleuthère, corroborent l’étude de la langue : le manuscrit provient de Tournai. À côté de ces manuscrits « nordiques », le très beau Légendier de Pétersbourg, BNF, nouv. acq. fr.  23686 se voit doté le plus souvent d’une origine champenoise ou « parisienne » ; sa langue est de fait très peu marquée3. Mais Doris Oltrogge estime, pour sa part, que le Légendier de Pétersbourg a été décoré à Saint-Omer4. Il est permis de voir, dans ce faisceau de convergences, l’indice que la traduction en prose romane des Vies des Pères a été particulièrement goûtée dans les milieux du Nord auxquels se destinaient les copies. Cet intérêt a t-il duré ou le succès des Vies des anciens pères a-t-il démodé ces traductions ? Pour en avoir une première idée, avant un travail plus approfondi, on relira ici quelques manuscrits du xive et du xve siècle qui représentent la suite des translations du xiiie siècle pour vérifier si ce grand mouvement de traduction se poursuivait encore « au nord de Paris ». Mon esquisse d’analyse repose sur trois sondages. À  la charnière du xive  siècle, le BNF, fr.  23111 présente une des premières versions de la traduction-compilation ; de cette dernière, quelques petits morceaux avaient été extraits dès la seconde moitié du xiiie siècle, dans le BNF, fr. 422 qui est un peu plus ancien que le BNF, fr. 23111. La traduction des Vies des Pères en prose que propose le BNF, fr. 23111 a été recopiée presque à l’identique dans le BNF, fr. 9588 qui, pour sa part, date du xve siècle. Puis, toujours pour le Album de manuscrits français du xiiie siècle éd. Institut de recherche et d’histoire des textes et Istituto di storia medievale e moderna (Chieti, Italie), Rome, 2000 (notice du ms. p. 143146) ; P.  Meyer, « Notice d’un légendier français conservé à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, 36-2 (1901), p. 677-721. 4  Voir https ://archivesetmanuscrits.BNF.fr/ark :/12148/cc121654 consulté le 04/05/2021 et D. Oltrogge, Die Illustrationszyklen zur « Histoire ancienne jusqu’à César », 1250-1400, Francfort-sur-le-Main, 1989, p. 19. 3 

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xive siècle, je relirai plus rapidement le BNF, fr. 9760 qui possède lui aussi un jumeau, le BNF, fr. 430 ; ces deux manuscrits sont contemporains. Le ms. BNF, fr.  9760 présente un cas vraiment étonnant quant à sa traduction  – entre autres difficultés ! Pour finir, je m’intéresserai au BNF, fr. 22911, copié par Hanin le Fevre à la fin du xve siècle. Le copiste (ou le traducteur) use d’une langue teintée de nombreux picardismes, ce qui au xve siècle n’est plus un critère absolu. Voici mes prémices : je prends le ms.  BNF, fr.  23111 (avec son corollaire le BNF, fr. 9588) comme parfaite illustration d’un manuscrit de compilation. Le manuscrit BNF, fr. 9760 (et son jumeau le BNF, fr. 430) pourrait se définir comme le manuscrit de l’énigme : quel fut l’auteur, où vivait-il ? Cela reste inconnu ; l’exactitude qu’il poursuit de tous ses moyens évoque les humanistes à venir et non plus la conception ancienne des translations. Je passerai plus vite sur cet exemple qui n’est évoqué ici que par souci d’exhaustivité, un peu en contre-exemple. Le  manuscrit BNF, fr.  22911 représentera le xve  siècle : conçue pour un lecteur ou une catégorie bien spécifique, cette traduction, volontiers glosante, évoque assurément un univers différent des premières traductions du xiiie  siècle. J’examine mes trois référents sous deux angles : le recueil où s’insère parmi d’autres textes la Vie des Pères ; la traduction avec tout ce qu’elle révèle dans ses choix, son vocabulaire, sa succession.

1. BNF, fr. 23111 et fr. 9588 Les manuscrits BNF, fr. 23111 et BNF, fr. 9588 sont apparentés, le second est un ms.  lacunaire : il lui manque sans doute plusieurs cahiers ; en l’état actuel, il ne compte plus que 111 feuillets – à titre de comparaison, le BNF, fr. 23111 en a 332. Outre la Vie des Pères (fol. 1-37), le ms. BNF, fr. 9588 comprend une Vie de Jesus Christ en vers (fol. 38-110). Enfin, juste avant la mutilation, le début d’une traduction en vers d’un sermon de saint Bernard (un fol.). Pour les Vies des Pères en prose que présentent ces manuscrits, si le texte est le même, le ms. BNF 9588 donne un nombre sensiblement inférieur d’apophtegmes (autour de 105 seulement), leur succession est parfois différente, enfin le ms. BNF, fr. 9588 donne huit pièces qui ne se trouvent pas dans le BNF, fr. 231115. La majeure partie de ces ajouts provient de la recension de 5  Il s’agit des pièces suivantes (référencées suivant la recension de Solesmes : L. Regnault (éd.), Les  sentences des Pères du désert, Solesmes, 1976-1985, citées  DR. Non référencées : H. Rosweyde, Vitæ Patrum, Anvers, Plantain, éd. 1628.) : (1) Filia boni patris et malæ matris ; (2) la fille du prêtre égyptien, DR Les sentences, I, no 38, p. 81-82 ; (3) le frère qui sauva son compagnon en lui faisant croire qu’il avait péché comme lui, DR Les sentences, I, no 27, p. 76 ;

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Pélage, telle que nous l’ont conservée les « collections alphabétiques » des manuscrits des Vitae Patrum. On notera l’histoire de l’ange et de l’ermite qui renvoie à l’exemplum (elle est surtout connue pour avoir été reprise dans un conte des Vies des anciens pères). En ce qui concerne l’Histoire de Jésus, texte qu’on date du xiiie  siècle, on la trouve également dans le ms. Arsenal 52046 (avant 1373). Ainsi, pour les groupements de textes, le BNF, fr. 9588 offre une traduction de la Vie des Pères en prose qu’il partage avec le BNF, fr. 23111 tandis que le ms. Arsenal 5204 partage avec le BNF, fr. 9588 la Vie de Jésus Christ, mais donne la version en vers de la Vie des anciens Pères. Le  ms.  de l’Arsenal provient de l’église de Saint-Quentin. La mutilation du BNF, fr. 9588 empêche toute autre comparaison, sauf à dire que le sermon de saint Bernard dont il ne reste plus qu’un feuillet n’apparaît ni dans le ms. de l’Arsenal ni dans le BNF, fr. 23111. Le ms. BNF, fr. 231117 offre la caractéristique tout-à-fait remarquable d’aligner à la suite la Vie des anciens Pères en vers, puis la Vie des Pères en prose8. Je n’ai encore pas rencontré une telle succession dans un autre manuscrit. On sait que la Vie des anciens Pères est l’ouvrage de deux poètes consécutifs, le premier (contes 1 à 42) écrivait vers 1230 et est sous influence cistercienne ; le second (contes  43 à  74), beaucoup plus attaché aux ordres mendiants, a écrit après 1241. Le BNF, fr. 23111 puise chez ces deux auteurs, (4) le solitaire qui guérit la fille possédée, Rosweyde, Vitae Patrum, I, 395 ; (5) l’ermite qui donna un sachet au voleur, Les sentences, I, no 13, p. 240-241 ; (6) le jouvenceau qui courut nu en l’ermitage, DR Apophtegmes inédits ou peu connus, p. 33 (traduit du grec) ; (7) l’ange et l’ermite (provient probablement d’un sermon de Jacques de Vitry, voir J.-C. Schmitt, « Trente ans de recherche sur les exempla », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 35 | 2005, mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 04/03/2020. URL : http://journals.openedition.org/ccrh/3010 : Uns hermites maigres et pales trespassoit par une cité et un seculers plein d’ourgueil et par bobans l’encontra, sy ly dist : ‘tu es samblans a celuy qui vient d’enfer’ et l’ermites ly repondit : ‘tu es samblans celui qui va en enfer’, source non identifiée. 6  Le ms. Arsenal 5204 comprend : Vie de Jésus Christ, fol. 1-30 ; dit de la corneille, fol. 31-32 ; Gautier de Coinci, Miracles Notre Dame, fol. 33-76 ; dit de l’unicorne, fol. 77-78 ; Vies : Thays, fol. 78-87 ; sainte Euphrosine, fol. 87-97 ; Quinze signes, fol. 97-98 : Huon le Roi, Regres Notre Dame, fol. 98-99 ; plainte de Notre Dame, fol. 99-100 ; Vies des anciens Pères, fol. 152-194 ; sept psaumes de pénitence, fol. 194-196 ; une suite des Vie des Pères, fol. 96-216. Ce gros volume, incomplet, débutait par un légendier. 7  BNF, fr. 23111 : fol. 2-156, Vies des anciens Pères ; fol. 156-201, Vies des Pères en prose ; (pages restées blanches) ; fol.  204-208, Complainte Notre Dame ; fol.  208v-211, Quinze joies Notre Dame ; fol.  211-215, Livre d’amoretes ; fol.  215v-235, Carité ; fol.  235-256v, Miserere ; fol.  256283v, Miracle de l’empereris ; fol. 283v-290, Chastee as nonains ; fol. 290v-293v, prologue du livre II des Miracles ; fol. 294-299v, De la misere de l’ome et la doutance de mort ; fol. 299v316, De la doutance (bis) ; fol. 317-320v, Les vers de la mort ; fol. 321-329, Salut Notre Dame ; fol. 329v-332, .V. joies de Gautier de Coinci ; fol. 329v-332, prière de Gautier à Notre Seigneur ; fol. 322-322v, fragment sur les béguines. 8  Rubrique : Ci commence la Vie des Pères et Ci commence la Vie des Pères en prose.

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offrant même parfois la seule version conservée de certains contes de la partie II. Le copiste a copié 52 contes (sur les 74) sous la rubrique Vies des Pères. Pourtant Félix Lecoy est sévère pour le BNF, fr. 23111 : […] quelle que soit la qualité de sa source [… c’] est en réalité une compilation de contes pieux qui mélange et entremêle des textes de G. de Coinci et de notre auteur sans égard pour l’ordre primitif et certain de notre recueil, ce qui rend à l’occasion inutiles ou dérisoires les formules de raccord qui lient parfois un conte au suivant9.

Ne peut-on, avec plus d’indulgence, voir dans ces « formules » un effort notable de donner une continuité à sa copie ? Remarquons que le ms. BNF, fr. 23111 donne une partie « contes en vers » beaucoup plus longue que la traduction en prose. Mais la présence de pages restées blanches après cette dernière œuvre signifie peut-être que le copiste se réservait la possibilité de compléter ? Enfin, on peut vérifier que les contes en vers qui ont pour source directe les Vitæ Patrum, ne sont pas repris une seconde fois par le le concepteur du ms. dans la partie prose10. Pour conclure ce point, il reste bien difficile de saisir comment le lecteur du Moyen Âge concevait les rapports entre des textes au titre si proche. La place de choix laissée aux contes (par conséquent à la forme vers ?) souligne-t-elle que la traduction en prose était déjà moins appréciée, ou au contraire, la succession immédiate des deux registres suggère-t-elle que le commanditaire du ms. voulait conserver le souvenir des traductions passées ? Si l’on poursuit l’étude du recueil constitué par le ms.  23111, d’autres points doivent être soulignés. La notice que lui consacre la BNF le caractérise comme traitant d’Amour et Théologie. Mais on peut être plus précis. On aura remarqué la forte présence de Gautier de Coinci qui n’est pas pour nous surprendre : la Vie des anciens Pères et la littérature mariale miraculaire sont liées. Outre qu’une partie des contes dévots a directement été empruntée à ce dernier registre, le voisinage des Vies des anciens Pères et des Miracles de Gautier est une constante des manuscrits qui recopient ces contes dévots. Ce n’est pas le cas pour les traductions des Vies des Pères en prose, lesquelles sont beaucoup moins sensibles à la ferveur mariale. Le BNF, fr. 23111 cultive, à côté des pièces à Marie, une sensible tendance ascétique autour de la thématique de la misère humaine, de la faute et de la mort : on peut ranger sous cette rubrique les deux œuvres poétiques les Vers F. Lecoy (éd.), La vie des Pères, t. iii, p. ix-x. Ainsi des contes Fornication imitée, ermite accusé, brûlure, sarrasine ; exception : le Prévôt d’Aquilée. Mais l’auteur de ce conte a pris une telle distance avec sa source que les deux textes n’ont quasi plus rien à voir.

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de la Mort d’Hélinand de Froimont et les Carité et Miserere du Reclus de Molliens, dont la verve satirique est terriblement âpre. Le Reclus semble avoir écrit dans la dernière partie du xiie siècle sous le règne de Philippe Auguste11. On rappellera que Molliens est un village tout proche d’Amiens. Gautier de Coinci est un auteur des marges picardes (Soissons) ; les œuvres du Reclus ont connu un très grand succès jusqu’au xve siècle, particulièrement au Nord. Nous en avons même une version en néerlandais ! Les 30 manuscrits que recensait Anton Gerard Van Hamel sont presque tous empreints de formes picardes, aussi bien à la rime qu’ailleurs, plusieurs copistes montrent des traits wallons. Les Carité et Miserere semblent avoir été fort goûtés et recopiés dans la région même où l’auteur avait vécu et rédigé son œuvre satirique avec ses prouesses versificatrices. Hélinand, autre poète picard, n’est pas un moine bénédictin comme on suppose que le fut le Reclus, mais un cistercien12 ; on a parfois cherché qui, du Reclus ou du Cistercien, avait inventé la fameuse « strophe d’Hélinand », promise à une gloire durable. C’est plus probablement Hélinand, ancien trouvère repenti. Mais cela montre que les deux poètes étaient aussi proches dans le temps qu’ils l’étaient géographiquement. Le ms. BNF, fr. 23111 a choisi de faire voisiner les Carité et Miserere du Reclus avec le poème de Gautier de Coinci, sur la misère de l’omme et la doutance de mort, privilégiant ici les motifs de la mort et du mal. Au xiiie siècle, le BNF, fr. 1038 qui contient toute la translation champenoise de la Vie des Pères, constituait lui aussi un recueil axé sur l’ascèse et l’eschatologie13 ; effectivement, un certain nombre de manuscrits latins associaient les Vitae Patrum et le Barlaam dans des recueils où ces deux thématiques sont étroitement liées. Il faut ici relever un fait que les notices du BNF, fr. 23111 ne signalent généralement pas : le texte de Gautier sur La dotance de mort se trouve copié deux fois à la file. La première copie donne sur cinq folios une abbreviatio dans laquelle toutes les digressions, si caractéristiques de Gautier, ont été supprimées ; la seconde donne le texte de la Dotance in  extenso sur dix-sept folios14. Ce  fait notable est une nouvelle preuve du goût de la compilation, véritable marque de ce manuscrit. A. G. Van Hamel (éd.), Les romans de Carité et Miserere du Renclus de Moiliens, Paris, 1885. 12  L’abbaye cistercienne de Froidmont se trouvait dans le diocèse de Beauvais. 13  Composition : Vie des Pères en prose, Barlaam et Josaphat, Assomption de la Vierge Marie [Pseudo Melitton] et De Antichristo d’Adson de Montier-en-Der. 14  La rubrique intitule les deux fois de la misere de l’omme et de la doutance de la mort ; pour la première copie : après le v. 143, on trouve quatre vers de « suture », puis le texte originel reprend au vers 1932. Un détail significatif : l’omission des vers 17-24 remplacés par deux vers exogènes semble nous renvoyer au seul ms. S2 (cf. apparat de l’édition de F. Koenig, Les Miracles de Notre Dame de Gautier de Coinci, t. IV p. 440). Pour la seconde copie, il semble que 11 

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D’autre part, dans le bouquet des poèmes à Marie, le concepteur, toujours fidèle à ce dessein, traite et les .XV. joies Nostre Dame15 et les .V. joies, attribuées à Gautier de Coinci. Les deux thématiques relevées dans notre recueil nouent ainsi la misère et la faute du pécheur à l’espérance que suscite le culte de la Vierge. Suit un très beau petit texte, encore inédit16 ; le rubricateur ignore son titre, il se contente d’un bref sommaire préliminaire : « de l’amour JésuCrist et comment nous devons l’aimer ». Dans l’autre ms. où il se trouve, cet ouvrage porte en explicit : Icy fenist li livres d’amoretes. Priez pour le povres hermites qui les fist.

Le Livre d’amoretes use volontiers d’un vocabulaire emprunté au registre courtois, s’apparentant à la Minne Mystik17, ce que viennent encore souligner les insertions lyriques, insolites dans le BNF, fr. 23111. Il semble que l’idée de farcir un texte religieux avec des fragments de chansons romanes revienne au cistercien Gérard de Liège18 que l’auteur anonyme des amoretes avait presque assurément lu. La tonalité et le registre font à certains endroits penser aux le ms. BNF, fr. 23111 suive le BNF, fr. 25532 ou un parent : les alinéas signalés par une grande capitale sont exactement les mêmes que dans le BNF, fr. 23111 ; les vers particuliers à S2 ne se retrouvent pas. 15  Les XV joies ND (dit ailleurs Prière de Théophile), se trouvent dans une douzaine de mss. De tous ces manuscrits, le BNF, fr. 23111 est l’un des plus anciens, seul le BNF, fr. 1553 daté entre 1285-1290 semble antérieur ; ce dernier ms. est nettement picard, c’est aussi une compilation, mais assez disparate : les fabliaux côtoient les lais au milieu de textes dévots ; les auteurs du Nord y sont à l’honneur (Huon le roi de Cambrai, Jozaphat de Gui de Cambrai, de Engerran ki fu vesque Cambrai…) Pour les XV joies, voir G. Gros, « Ave Vierge Marie », études sur les prières mariales en vers français (xiie-xve siècles), Lyon, 2004, qui juge que le poème s’est élaboré fin xiiie-xive siècle (p. 103). 16  Anne Ibos-Augé et moi-même préparons une édition de ce texte, appelé Livre d’amoretes dans l’autre ms. qui nous l’a donné, le BNF, lat. 13091, un recueil factice de fragments. Il y est sensiblement plus long que dans le BNF, fr.  23111. Anne Ibos-Augé est la première à avoir identifié cette œuvre qu’elle a également retrouvée dans un ms. catalan. 17  C’est pourquoi B.  Roy, le seul à s’être intéressé au Livre d’amoretes, qu’il ne connaissait que par le ms. 23111, estimait que le texte était une traduction de Suso. Mais le BNF, fr. 23111 est antérieur à Suso. Voir B. Roy, « Mysticisme et refrains d’amour : le Livre d’amoretes », dans À la quête du sens. Études littéraires, historiques et linguistiques en hommage à C. Marchello-Nizia, textes réunis par C. Guillot, S. Heiden, S. Prévost, Lyon, 2006, p. 314-320. 18  Septem incitamenta ad Deum amandum ardenter (A. Wilmart, « Gérard de Liège, un traité inédit de l’amour de Dieu », Revue d’ascétique et de mystique, 48 [1931], p. 349-430). Ce traité est fortement influencé par la mystique nuptiale propre à Bernard, dont Gérard cite à plusieurs reprises les Sermons sur le Cantique des Cantiques, ainsi que le De diligendo Deo ; le titre-sommaire donné par le Rubricateur au Livre d’amoretes est d’ailleurs assez proche de celui du traité de Bernard. On  notera que li sermon saint Bernart sor les cantikes était accessible en roman, car la traduction en avait été faite par un moine anonyme de l’abbaye d’Orval. Ce très beau texte wallon fut peu répandu en dehors de sa région (deux manuscrits incomplets).

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écrits des béguines19. De petites scènes allégoriques évoquent ainsi celles qui agrémentaient le ms. de béguines (disparu) Metz, BM, 53520. La complainte Notre Dame que donne le BNF, fr. 23111 se trouvait aussi dans le BNF, fr. 422, hainuyer, qui contenait à la fois, nous l’avons vu, un petit morceau de la compilation des Vies des Pères qui est celle du ms. 23111, puis la version champenoise des Vies en prose. La Complainte connut le succès21. Dans le BNF, fr. 23111, elle est mise sous l’autorité d’Augustin. Le concepteur du ms. aurait-il voulu regrouper en tête de son recueil les autorités Jérôme et Augustin ? Il se différencierait en cela des Vitae Patrum latines qui regroupaient « Jérôme » et Grégoire le Grand22 ; le ms. 23111, pour sa part, intègre quelques extraits des Dialogues (avec un petit morceau de la Vie de saint Benoît) dans les derniers folios de sa translation, avant de conclure sa Vie des Pères en prose par trois apophtegmes tirés des collections alphabétiques. Notons le caractère particulier de la Complainte attribuée à Bernard. L’œuvre, emphatique, douloureuse, infiniment répétitive, où Marie verse des torrents de larmes, dessine une image qui nous étonne un peu chez un Cistercien. Mais ici cette piété rejoint celle de Gautier de Coinci, attachée à l’expression du sublime. Pour resserrer toutes ces pistes autour du ms. recueil 23111, on peut le dire bâti sur une double conception : à travers l’alternance du récit et de la poésie, il cultive deux tendances qui s’entrecroisent, la veine ascétique et l’exaltation poétique ; cette dualité qui articule l’ensemble, se retrouve jusque dans les parties différentes, deux registres autour des Pères du désert, deux textes sur la Mort (Hélinand / Gautier), deux Joies Nostre Dame (les Quinze joyes / les .v. Joies), deux textes sur la chasteté féminine (Chasteé et l’Empereris), deux Prières (à Nostre Dame et à Notre Seigneur). Les textes choisis et rassemblés pour composer (au sens fort) l’ensemble s’alimentent à des ouvrages issus de la région picardo-nordique et conservés dans des manuscrits voisins, de langue picardisante ; ces ouvrages se différencient par leur écriture et leur Il faut tout de même noter que le concepteur du Recueil a jugé bon de clore son ms. sur un fragment repris à Gautier de Coinci vitupérant les béguines que le Prieur de Vic haïssait. 20  Pour les pièces de ce ms.  disparu recopiées au xixe siècle, voir A.  Hilka, « Altfranzösische Mystik und Beginentum », Zeitschrift für romanische Philologie, 47 (1927), p.  121142. Les textes se trouvaient aussi, en extraits, dans le ms. Louvain G 53, également détruit, fol. 172b-174b. Le ms. choisi par A. Hilka pour son édition est le ms. Berlin, Staatsbibliotek Gall Oct 28. A. Hilka le donne pour « Pikarden, vielleicht in Lille » (début xive siècle). 21  Pour l’original latin, voir BNF, lat. 2541, on trouve la traduction dans les manuscrits BNF, fr. 422, 818, 1745, 22543, Tours, BM 944, BNF, fr. 1768 venu de Clairvaux (attrib. Bernard) et BNF, fr. 1802. Pour l’étude de ce texte, voir H. Barré, « Le planctus Mariæ attribué à saint Bernard », Revue d’ascétique et de mystique, 28 (1952), p. 243-266 et Ph. Delhaye Le Microcosmus de Godefroy de Saint Victor, étude théologique, Lille, Gembloux, 1951, p. 253 sqq. 22  Comme le fait Wauchier, voir aussi plus loin le ms. BNF, fr. 9760. 19 

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vision religieuse : Hélinand, le Reclus et, par certains aspects, Gautier gardent une vision austère de la responsabilité et de la misère humaines. Le texte des amouretes, l’exultation débordante d’autres textes de Gautier, et même le dolorisme spectaculaire de la Complainte Notre Dame revèlent une piété qui se fonde sur l’émotion, la compassion, la force quasi charnelle de l’affection. Le  ms.  23111 illustrerait alors la différence qui existe entre les deux parties distinctes des Vies des anciens Pères ; il serait un bon témoin du moment où la dévotion se met à privilégier moins la crainte révérencieuse d’un Dieu infiniment transcendental que le désir de nourrir et exprimer une dévotion aussi ardente qu’affective. Pour mieux affirmer son dessein, il a choisi la voie de la compilation qui paraît souvent de fait la plus probante. Il est malheureusement impossible de découvrir pour qui furent copiés les BNF, fr. 23111 et 9588. En ce qui concerne la traduction des Vies des Peres en prose, il serait trop long ici d’en faire une analyse approfondie. Mais un fait semble sûr : cette version-compilation est tout-à-fait dans la ligne des translations premières du xiiie siècle : pour les apophtegmes sentencieux, leur caractère lapidaire reste intact ; pour les historiettes brossant une figure exemplaire, la trame est conservée. Le respect du texte-source reste relatif à notre regard contemporain ; le lexique trahit une oscillation maîtrisée entre la « modernisation » et le goût d’un exotisme tolérable. Ainsi on peut encore hésiter entre « traduction » et « translation ». La succession des textes demeure aléatoire, elle incorpore quelque texte exogène, un exemplum, des Vies de saints inattendues (saint Gilles, saint Sevrin, l’anecdote bien connue de Benoît et le merle tentateur…) avant de retrouver les Vitae Patrum proprement dites. Ce cheminement est le propre des translations anciennes.

2. L’énigme des mss BNF, fr. 9760 et fr. 430 Mon second groupe se compose des BNF, fr. 9760 et 430, le second est, là encore, incomplet23. Ils sont tous les deux, selon Paul Meyer, d’une écriture italienne. Mais le texte n’est nullement italien et le copiste, extrêmement soigneux, ne se permet vraiment que de très rares mots franco-italiens. Datés tous les deux du xive  siècle, ces manuscrits sont, à de rares exceptions, BNF, fr. 9760, xive siècle : les enortemens des sains peres et les perfections des moinnes lesquels st Jerome translata [Pélage lb. I-XII], fol. 1-73 ; La vie Saint Pol, fol. 73-125 ; La vie saint Malchus, fol. 125-130 ; La Vie saint Fronton, fol. 130-133 ; (deux folios blancs) ; Li dyalogues saint Gregoire l’apostoile (IV livres), fol. 135-247 ; Vie et Miracles de st François d’Assise, fol. 248323 ; BNF, fr. 430, xive siècle : Dialogues de Grégoire, fol. 1-58 ; La Vie mgr St François, fol. 5997 ; Vie des pères du désert, fol. 97v-178 (incomplet). 23 

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strictement jumeaux. Cela pousse à leur postuler un ancêtre commun. Je fonderai mes remarques sur le BNF, fr. 9760, ce qui n’est aucunement dénier sa qualité au BNF, fr. 430. Le ms. BNF, fr. 9760 est un splendide codex à l’écriture soigneuse et parfaitement régulière, en outre richement décoré. Devant la qualité du travail, on est amené à se demander pour quel type de commanditaire a pu être conçu un ouvrage d’une telle valeur. Les trois œuvres qu’il copie occupent des places différentes : c’est la Vie des Pères qui est la plus longue (132 fol.), les Dyalogues remplissent 113 fol. et la Vie de saint François, 75. Le regroupement des deux premiers textes correspond, nous l’avons vu, à l’une des traditions manuscrites. Dans l’association Vie des Pères / Dialogues de Grégoire, Paul Meyer24 voyait le respect du dessein de Grégoire lui-même, qui avait conçu son ouvrage en diptyque avec les Vies des ermites de la Thébaïde. Alain Boureau a dressé un bref récapitulatif des manuscrits qui présentent ce choix traditionnel, mais il donne essentiellement des exemples latins (Pierre Comestor, Pierre de Blois, Jacques de Vitry)25. La traduction que nous offre le ms. BNF, fr. 9760 n’est pas celle de Wauchier de Denain, mais rappelle un texte plus ancien des Dialogues, jadis édité par Wendelin Förster qui le faisait remonter au xiie  siècle26. Cette traduction, réalisée à l’abbaye d’Orval, est extrêmement fidèle au texte-source latin, et cela jusqu’à la lourdeur et la maladresse du style. Cependant on ne peut se fonder sur cette caractéristique partagée pour penser que l’anonyme du BNF, fr. 9760 aurait eu sous les yeux, outre le texte de Grégoire, sa traduction romane ancienne27 : les deux traductions usent d’un lexique différent28. Rappelons qu’Orval était une abbaye de moines blancs où nous relevons ici pour la seconde fois l’existence de traducteurs remarquables dès la fin du xiie siècle. D’un autre côté, l’association de la traduction des Vies des Pères avec le courant franciscain, Histoire littéraire, p. 269. A.  Boureau : « Vitæ patrum, vitæ fratrum. L’ordre dominicain et le modèle des Pères du désert au xiiie siècle », Mélanges de l’École française de Rome, 99-1 (1987), p.  79-100. Le livre IV des Dialogues de Grégoire se répand sous le titre Vitas sanctorum patrum per Italiam commorantium ; c’est ce dernier sur lequel a buté Wauchier qui l’a laissé de côté dans sa translation. 26  W. Foerster a choisi d’éditer le ms. BNF, fr. 24764 qui recopie à la suite des Dialogues, le sermo de Sapientia, nous restons dans l’orbe bernardienne. 27  Nous avons peu de manuscrits témoins de cette traduction ancienne : les BNF, fr.  430 et 431, les BNF, fr. 24764 et 24765 ; dans sa précieuse notice, L. Brun (Arlima) a omis le BNF, fr. 9760, jumeau de BNF, fr. 430. 28  Le traducteur du BNF, fr. 9760, comme celui d’Orval, travaillait à l’évidence sur la langue originelle de ses textes ; il faudrait chercher dans les manuscrits latins le texte-source, avec sa lacune finale des derniers livres de Pélage. La tâche est colossale sans compter le nombre des manuscrits disparus… 24  25 

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qui apparaît au xiiie siècle et que l’on pouvait déjà soupçonner dans le BNF, fr. 2311129, n’a pas été soulignée dans l’article d’Alain Boureau. Ce qui intéressait l’historien était l’inflation de « saints du désert » dans les légendiers à la suite de « l’invention du légendier hagiographique universel » ainsi que la volonté des fratrum de trouver dans les apophtegmes des patrum un modèle, volonté qui semble moins nette chez les Cordeliers. Dans la composition du recueil telle que la présente notre couple du xive siècle, le lien entre les Vies des Pères en prose, les Dialogues de saint Grégoire l’apostoile et la Vie de François dans sa version bonaventurienne ne peut être mis sur le même plan que les desseins de Gérart de Frachet : l’ordre dominicain se construit dans un miroir qu’il veut imaginer fidèle. Mais pour un manuscrit en langue vernaculaire, d’autres publics sont visés. C’est pourquoi je verrais bien un dessein similaire à l’origine du groupe BNF, fr. 958823111 d’une part et du groupe BNF, fr.  430-9760, d’autre part, et par delà on retrouverait la comtesse Blanche de Champagne, commanditaire d’une traduction des Vitae Patrum dont elle devait avoir entendu lire les exemples à Tulebras, lors de sa jeunesse, quand elle se destinait à être moniale. Il s’agirait dans tous ces cas de manuscrits conçus pour des laïcs à une époque où la foi s’individualise et où la ferveur se cherche des sources. La référence franciscaine, si présente chez les béguines, éclaire d’un regard nouveau ces exemples vénérables : il ne s’agit plus tant de voir en eux des modèles que de les prendre comme compagnons de méditation, de s’unir à eux en communion de foi. Plutôt que commandité par un ordre, un livre magnifique et écrit en langue vernaculaire comme le BNF, fr. 9760, se destinait peut-être à un séculier qui y retremperait ses recherches30. Reste que la traduction ici offerte est la seule (pour le moment) que j’aie pu trouver, effectuée au xive siècle, après les trois grandes traductions du siècle précédent. Mais le trait le plus extraordinaire du BNF, fr. 9760, c’est sa langue ! On se demande quel auteur a pu écrire ce texte qui calque avec une étroitesse totale le latin-source affichant un superbe mépris pour le « beau style » et l’élégance, au rebours des anciens translateurs. Il faut sans doute penser que la langue un peu bizarre à laquelle on aboutit fut au contraire un véritable régal pour un lecteur, qui, gardant sans cesse à la mémoire le texte-source, pouvait ainsi savourer le résultat obtenu. De la part du traducteur, cela implique deux choses : la première est une scrupuleuse fidélité. Pour guider mon travail je me suis appuyée sur sa traduction de la recension de Pélage. Le traducteur Influence qui se déduit surtout des rapprochements possibles avec le milieu des béguines. Un séculier, habitué du voyage outre les Alpes, n’aurait-il pas plus facilement fait recopier en Italie un ms. amené de régions plus septentrionales ? 29  30 

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anonyme traduit tout ce que le latin lui dicte : l’ordre des mots, l’emploi du subjonctif, les subordonnées participiales sont jalousement conservées, le latin est comme le filigrane du texte roman. Alain Boureau notait que l’identification des Prêcheurs aux ermites s’appuyait sur le mot frater dont ils usaient entre eux. Dans mes traductions vernaculaires, on rencontre moins frère, que père qui renvoie à l’abba initial ; les verba seniorum usent de senex que la recension de Solesmes rend excellemment par « l’Ancien » ; mais l’anonyme du BNF, fr. 9760 utilise li viel, et aussi la vieille pour l’amma Sarre31. La seconde implication est que le traducteur se veut tout aussi exhaustif qu’il est fidèle. Au  point que lorsqu’il manque les derniers libelli du texte de Pélage, nous sommes enclins à penser que la source dont il disposait était lacunaire. Cette source pose à son tour difficulté. Quel manuscrit latin des Vitæ Patrum a été consulter ce traducteur intelligent et consciencieux ? On reste surpris que, par delà la recension de Rosweyde, certains apophtegmes renvoient aux textes grecs, ou du moins à des versions anciennes, telles celles conservées dans le ms. Coislin 126. On n’ira pas jusqu’à supposer que le traducteur était héllénophone ! Mais il est parfois nécessaire de retourner à François Nau et aux textes grecs qu’il donnait dans la Revue de l’Orient chrétien pour comprendre les différences. En voici un exemple, pris au hasard : Uns des anciens freres fu une fois en une grant maladie si que il aloit moult de sanc des entrailles et uns freres li aporta sorbes secches et li en fist pouls et li bailla et li pria disant : « Menjue quar par aventure il te fera bien » (fol. 14vb).

La recension de Solesmes fait apporter au disciple des pruneaux (ce qui ne laisse pas d’étonner quand on a une dysenterie…) ; et c’est bien le texte de Rosweyde32 . Mais dans l’original grec donné par François Nau, on lit μυξάρια ξηρά, soit des sébestes sèches33 . Le sébestier est un arbuste orginaire de l’Indoustan et de l’Égypte ; la confusion avec le sorbier se trouve chez les naturalistes arabes34. La sorbe se mange blette ; son goût rappelle la prune. En médecines

Fol. 59v col. a. DR, no  65 p.  61. Rosweyde, V, 571 ; voir Du Cange, « art. Nixa » : Hispanis, Prunus Damascena, a  multitudine enixi fructus dicta, ut est apud Isidorum lib.  17. cap.  7. Occurrit apud Pelagium lib. 5. de Vitis Patrum, libello 4. cap. 65 : Et attulit quidam frater Nixas siccas, et fecit pultes. Glossar. Provinc. Lat. ex Cod. reg.  7657 : Coquinella, prunus, pruniens, Prov. Nixa, idem. 33  F. Nau, « Histoire des solitaires égyptiens », Revue de l’Orient chrétien, 156 (1908), p. 52. 34  Encore Ibn Awam au xiie siècle : Le livre de l’Agriculture d’Ibn Awam, trad. J.  J. Clément-Mullet, Paris, 1866, voir notamment tome II, p. 105, 182 et glossaire, p. 491. 31 

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simples, la sébeste était à la fois astringente, antidiarrhéique et circulatoire ; la sorbe était utilisée pour soigner la dysenterie d’origine infectieuse. Parfois, Rosweyde signale qu’il a choisi une version antérieure : Uns des viels homes fu malades. Et come il ne peust riens mengier par moult de jours, son deciple li prioit moult que l’en li feist aucune chose que il peust prendre pour lui conforter. Si s’en ala et li fist de farine de lentille cipple35 . Il avoit ilueques un vaisselet pendant ou il avoit miel. Et un autre ou il avoit une liqueur qui a non rafaneleon (fol. 15ra).

Cipple calque le latin savant retenu par Rosweyde pour zippula « galette », qui traduit le grec πλακοῦς employé par Pélage. Rufin l’avait remplacé par placenta, plus familier. D’autre part, pour rafaneleon traduit par « huile de lin », Rosweyde note36 :  Parisiensis editio  = oleum de semine lini expressum. Vetus editio rafenealion – est lini oleum ; le traducteur a préféré le terme originel à la périphrase explicative devenue traditionnelle ; peut-être était-ce aussi à cause du paronyme raphanelle37, ce qui expliquerait qu’il ait ajouté « liqueur ». On  peut ainsi suivre le traducteur au travail et, par là même, avoir une idée de sa source. Ce rapide survol du BNF, fr. 9760 en montre l’intérêt. Le traducteur s’il n’était pas moine, fréquentait certainement un armarium recelant des textes de haute valeur, parfois très anciens. C’est aussi un manuscrit qui infléchit explicitement la lecture proposée par son regroupement de textes significatifs. Se crée alors une langue qui se déguste dans sa latinité même, ici éclairée du regard roman. Mais ce regard roman est lui-même guidé par la vie exemplaire de François qui vient parachever le volume, comme pour suggérer que la compréhension – fût-elle laborieuse – des textes patristiques est la clef véritable de l’imitation. Malheureusement on ne peut aller plus loin dans le présent contexte. Le seul lien ténu qui rattacherait cette unique traduction du xive siècle à la grande tradition, tant aimée au Nord, des Vies en prose est Orval, mais cela semble trop frêle pour être vraiment probant. La version de Rosweyde suit celle de F. Nau, no 151, p. 51. Pour cipple Rosweyde indique (V, 571 et n. 17 p. 642) zippula : placenta Pelagius, IV, 59 et en n. 17, pulmentum. F. Godefroy, Lexique de l’ancien français, Paris, 1990, p. 544 n’ignore pas la forme zipule, mot savant, mais avec le sens de « friture de farine faite avec de l’huile » ; le DMF le traduit par fouace qui est le terme choisi dans les translations du xiiie siècle. Le μικρὸν, λακέντιν grec qui signifiait « plat de légumes » devient chez Rosweyde farinula lenticula, disparu des translations alors que le BNF, fr. 9560 le conserve. 36  Cf. n. 32. 37  Il s’agit de rafanum sarivum sorte de raifort, fraxinelle, cresson alenois et passerage. Voir Godefroy à rafane/ raphane. 35 

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3. Le ms. BNF, fr. 22911 d’Hanin le Fevre (1496) Avec Hanin le Fevre et le BNF, fr. 22911, il ne sera pas question de recueil au sens où ce mot a été employé jusqu’à maintenant : en effet, le BNF, fr. 22911 ne comprend en tout et pour tout que la Vie des Pères ; en revanche, il l’a copiée tout du long38. Le BNF, fr. 22911 est un gros livre de papier qui comprend 448 folios, il mesure 280 × 200 mm ; son écriture sur deux colonnes est plus jolie qu’aisée, l’encre est roussie, parfois un peu effacée, il y a peu d’abréviations, le copiste porte en tête de chaque recto le titre courant du chapitre avec le numéro en chiffres romains de la page. Tous les noms propres sont soulignés de rouge. L’ensemble du volume est de la même main. Chaque nouveau chapitre est présenté en quelques mots de sommaire, soulignés en rouge, le texte commence par un pied-de-mouche sensiblement plus gros, ou une initiale sur deux colonnes, là aussi à l’encre rouge. Tel quel, le manuscrit ne se présente pas du tout comme un objet de luxe, mais comme un ensemble compact, d’utilisation facile, un livre à lire et utiliser, non pas à admirer. Enfin, et cela clora mon enquête sur l’influence franciscaine, le ms. 22911 est l’ancien Cordeliers 15, sans qu’on ait plus de précisions39 et il peut nous montrer, de l’intérieur du couvent cette fois, comment se présentait une traduction des Vies des Pères dont la copie du moins se destinait à des Frères Mineurs. Le traducteur de la Vie des Pères copiée par Hanin le Fevre n’a pas du tout la même vision de son travail que celui que nous avons vu à l’œuvre dans le BNF, fr. 9760. Il ajoute des Vies de saints peu fréquentes ou ignorées des Vitæ Patrum. S’il donne la version la plus complète possible des Libri rassemblés par Rosweyde, c’est de l’intérieur qu’il infléchit le texte, et par Détails : fol.  1-37, Historia Monachorum in Ægypto  – fol.  37, prologue Jérôme puis Vies de saints : Paul, Antoine, Hylarion, Malchus, Paule, Pélagie, Marie L’Égyptienne, Marine, Euphrosine, Frontin, Siméon, Euphrasie, Macaire de Rome, Postumius, Onufrius, Abraham l’ermite, Pacôme, Chrétien du Mans, Jean l’aumônier, Eugénie, Basile, Ephrem ; fol. 213, Verba Seniorum du Ps. Rufin, Rosweyde, III ; Prologue ; Exortacion des sains peres ; fol. 272v, Verba Seniorum de Pélage, Rosweyde, V – s’ensuit apres quelques petis livres ou traictiés ; fol. 388 : Verba Seniorum de Jean, Rosweyde, VI – conversacion des peres ; fol. 403 : tierce partie de la regle et conversacion des peres ; fol. 404, Verba Seniorum Sévère et Cassien, Rosweyde, IV – des distz de Origene : saint Ambroise parlant à Theodoric ; fol. 435, de la volonté de lire les Escritures du doy de paix ; fol. 438, epistre saint Machaire ; fol. 440, cy fenist la vie des peres escript par moy Havin le fevre encommenché l’an mil .iiiic iiiixx xvi le .vi. jour de marche et parfait le. x.e jour de juing ensuivant. Priés pour lui. 39  La traduction montre des traits nettement picards ; Hanin le Fevre portait-il déjà un patronyme héréditaire où était-ce un simple copiste quelque part en Picardie ? Auquel cas, il faut distinguer copiste et auteur, le lieu de copie et le lieu où le manuscrit fut conservé, etc. 38 

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conséquent, aussi bien le rôle du traducteur que le dessein d’une telle traduction deviennent différents. Ce sont ces deux points que je vais brièvement explorer, sans nulle autre ambition que d’ouvrir quelques pistes. Voici quelques exemples pour illustrer mon hyptothèse : Rosweyde, V, 562 : Dicebant quidam patrum quod siccior et non inæqualis victus charitati coniunctus, citius introducat monachum in portum impassibilitatis. Évagre, Le moine 91 : φησί τις αὐτῶν τὴν ξηροτέραν καὶ μὴ ἀνώμαλον δίαιταν ἀγάπῃ συζευχθεῖσαν θᾶττον εἰσάγειν τὸν μοναχὸν εἰς τὸν τῆς ἀπαθείας λιμένα40. BNF, ms. 22911, fol. 273 : saint Evagrius disoit que la viande seiche et sans saveur artificielle comme fruitz herbes et racines est viande convenable a tous religieus et que telle viande les maine au port de salut inpassible, c’est a dire a la joie pardurable.

Le traducteur du BNF, fr. 22911 choisit d’expliciter le texte en le précisant : saveur artificielle – autrement dit les sauces, l’art de cuisiner – ne rend pas exactement le terme latin inæqualis, encore moins le terme grec qui impliquait une « irrégularité » ou un déséquilibre, nourriture qui varie dans la quantité et dans la qualité peut-on imaginer. Le traducteur éprouve le besoin de gloser, bien que son texte soit parfaitement clair : le régime proposé est un régime végétarien sans apprêts ; quant à l’affirmation qu’un tel régime est le bon (convenable) pour toute personne consacrée à Dieu, c’est un ajout évident qui offre l’avantage de mettre sur le même plan les ermites d’autrefois et les frères d’aujourd’hui ; l’adverbe au comparatif θᾶττον est absent à la fois de la copie de Hanin et du latin de Rosweyde. Quant à la métaphore le « port de salut impassible », elle est fort belle, mais c’est un faux-sens, car l’ἀπαθεία n’est pas le but, mais le moyen. En outre, la brachylogie qui fait du Génitif (port de l’ἀπαθεία) un qualificatif « port de salut impassible » nécessite une explicitation de la métaphore, car l’impassibilité – ou fait de ne souffrir de rien – n’est plus dès lors cette victoire ascétique de l’homme sur l’agitation charnelle des pensées, des sentiments, des émotions, elle devient la joie qui ne finit pas, définition de la béatitude du salut. Peut-être peut-on s’aventurer jusqu’à deviner derrière cette riche métaphore du port de salut, l’image de la nef du pécheur ballotée par les tempêtes existentielles et derrière le timonier qui mène au salut, la Vierge Marie chère aux Franciscains ? Entraîné par la métaphore jaillie tout naturellement de sa mémoire, le traducteur ressent le besoin d’une explication « ce est a dire »… Évagre le Pontique, Traité pratique ou Le moine, éd. et trad. A. Guillaumont et C. Guillaumont, t. II, Paris, 1971, no 91.

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Cette liberté que le traducteur s’autorise en transformant les mots semble moins minime que l’on pourrait le supposer, en voici un second exemple : Rosweyde, V, 563 : abbas Chame, cum esset moriturus, dixit filiis suis : « Nolite habitare cum hæreticis… » BNF, fr. 22911, fol. 274v : L’abbe Chames ainsy qu’il voloit trespasser de ce monde disoit a ses religieux : « Gardés vos bien de frequenter ne communiquer avec les heretiques ».

Le BNF, fr.  22911 attache beaucoup d’importance à cette présence hérétique (gardez-vous bien) et surtout donne l’impression que les hérétiques, nombreux, nécessitent un interlocuteur bien versé dans l’art de la dispute, le religieux plus simple doit éviter non seulement la conversation, mais même la fréquentation des déviances. L’ordre des mots, la syntaxe de la phrase révèlent ainsi le point de vue où se place le locuteur raisonnant avec ses convictions personnelles dans le monde qui lui est contemporain : Rosweyde, V, 563 : Frater interrogavit senem : « Quomodo venit timor Dei in hominem ? » Et dixit senex : « Si habet homo humilitatem et paupertatem et non judicet alterum, sic venit in eo timor Domini. » BNF, fr. 22911, fol. 274v : Ung frere interrogua .i. ancien pere en lui demandant comme peult venir la crainte de Dieu a l’omme. A quoy il respondit : « Se l’omme est povre voluntaire et qu’il se garde de juger autrui alors il aura infaliblement la grace de Dieu. »

L’expression povre volontaire a une résonance très proche de la règle des « frères mendiants ». Il arrive que la glose soit nettement plus développée : Rosweyde, V, 564 : Venit aliquando abbas Arsenius in quodam loco et erat ibi arundinetum et motum est a vento et dixit senex ad fratres : « Quis est motus hic ? » Dicunt ei : « Arundines sunt. » Dicit eis senex : « Vere, quia si quis sedet cum quiete et audierit vocem avis, non habebit cor eius eamdem quietem, quanto magis habentes sonum arundinum harum ! » BNF, fr. 22911, fol. 276 : Une autre fois lequel st pere Arseny ala visiter aucuns religieux demorant en un lieu ou croissoient des canaies ou roseaulx, lesquelz furent soudainement esmeus par une impetuosité de vent. Laquelle chose voyant, iceluy saint pere demanda aus ditz religieux dont procedoit ce bruiant mouvement ; eulx respondent que c’estoit le vent qui debatoit les ditz roseaulx, il leur dist : « Certainnement, se aucun siet en repos et oye la voix d’un roseau, il n’avra point en son cuer le repos qu’il avoit par avant et quiet(e) ; doncques poés vous avoir ne esperer transquilité et repos en oyant le bruit de ces roseaulx ! » Comme s’il vosist dire que .i.  homme qui desire faire le sauvement de son ame ne peut estre trop distrait ne separés des cures

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et sollicitudes temporelles qui lui sont nuysibles de tant que plus il se delecte a vivre solitairement.

Ici c’est la notion d’ἡσυχία qui pose difficulté, le latin a de fait quelque mal à bien cerner ce concept grec. Mais là où le traducteur latin de Pélage passait sans difficulté, le traducteur roman manifeste sa gêne. Le moderne traducteur, Dom Regnaut, choisit comme d’habitude la précision et l’exactitude : Le vieillard leur dit donc : « Vraiment si quelqu’un vit dans le recueillement, mais qu’il entend le chant d’un moineau, son cœur n’a pas le même recueillement. À combien plus forte raison, vous qui percevez l’agitation de ces roseaux ! »41

On aura remarqué le lapsus, qui fait de la voix d’un oiseau la voix des roseaux, et la glose laborieuse, quand le rhema de l’Ancien implique un sens tout autre : le seul babil du moineau apporte perturbation. Mais le sage qui a atteint l’ hésuchia n’entend plus le moineau, les moines qui entourent Arsène ont encore des progrès à faire, eux qui entendent et identifient le bruit ! Ainsi la glose affaiblit le propos en lui conférant un sens tout symbolique : les roseaux sont la simple image des cures et sollicitudes temporelles, que, constatation banale, tout religieux doit éviter de faire siennes. On comprend comment le traducteur se comporte vis-à-vis de son texte, il l’adapte, il lui donne vie et cela, en ajoutant les petits détails familiers qui rendent chaleureux le récit, ainsi : Rosweyde, V, 572 : Frater quidam attulit panes recentes in cellam et invitavit ad mensam seniores. BNF, fr. 22911, fol. 285 : Un autre religieux invita aucuns a menger des petits pains tendres qu’il avoit cuit dessoulz les cendres.

Il laisse libre cours à l’affabilité dans la relation entre maître et disciple alors que le texte-source se refusait à tout attendrissement : il traduira Fili en vocatif par Mon fils, mais aussi Mon enfant, et l’adresse du novice à l’abba par Mon Seigneur.On découvre en passant un homme du xve siècle qui n’ignore pas les nouveautés, y compris potagères : Rosweyde, V, 569 : Abbas Zenon ambulans aliquando in Palæstina, cum laborasset, resedit ut manducaret iuxta cucumerarium. BNF, fr. 22911, fol. 282 : L’abbé Zenon ainsy qu’il cheminoit par le pays de Palestine se trouva pres d’un lieu ouquel y avoit des courges.

L.  Regnaut (éd.), Les apophtegmes des Pères (recension de Jean et de Pelage), Solesmes, 1966, « De l’hésuchia », no 5, p. 32. 41 

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Courge a pour étymon cucurbita et ce n’est pas le mot employé par Rosweyde ; ailleurs la copie de Hanin n’ignore pas le mot cocombre > cucumis/ cucumeris qui est la seule forme médiévale attestée pour le xiiie siècle tandis que courge apparaît en moyen français. On suit le traducteur dans des rues toutes médiévales avec odeurs et boutiques : Soyés ainsy que celui qui passe par une rotisserie ou paticerie ou par une taverne (fol. 290v) et prent l’odeur d’une chacune viande ou buvrage que on y veut. Et y entre et en mengust et boit ung chacun qui entrez y veult. Et qui n’en veust menger, il s’en passe tout oustre en resistant a l’apetit desordonné qu’il y a eu par l’oudeur ou par la saveur qu’il y a sentue42 .

Pour finir, à ces menus détails si révélateurs s’adjoint un sens quasi théâtral, lui aussi bien de son temps, et qui convenait parfaitement à certains passages dialogués des Vitæ Patrum, comme dans ce Concile des diables43 : Lors Sathan lui demanda en combien de tamps il avoit machiné celle tant digne besongne. A quoy il respondy : « en .xxx. jours » Laquelle response oye, Sathan commanda qu’il fust sy bien festoié et flagellé en disant : « As tu mis tant de tamps a faire se beau mistere44 ? » (fol. 300v).

Pour entrer dans son texte, le traducteur du BNF, fr. 9760 estimait nécessaire la remise en cause de sa propre langue, devenue autre tout en restant vernaculaire. Celui du BNF, fr. 22911 pratique l’inverse : c’est le texte qui par petits changements accède à une forme autre : par moments, il adopte comme dans les Vies des anciens pères le ton d’un conteur, mais ce n’est pas pour faciliter la tâche d’un public éloigné de l’ascèse et de la vie solitaire, ce n’est pas non plus pour séduire l’auditoire ou faciliter son attention. L’apophtegme conserve et sa trame et son sens. En témoignera ce dernier exemple, où le traducteur a étoffé chaque détail, muant un récit squelettique en bonne histoire revigorante, aussi amusante qu’une fable et non moins explicite : Ung moyne cheminant par le chemin rencontra jadis45 une abbeesse acompagnie d’autres religieuses, lesquelles ycelui moyne s’efforcha regarder pour congnoistre quelles religieuses c’estoient et ce fait divertit de son chemin. Auquel l’abbesse dist que eust été parfait religieux il n’eust point mis tant de 42  Rosweyde, V, 575 : Esto velut qui transit in platea aut per tabernam et capit cuiuscumque cocturæ odorem aut alicuius assaturæ. Et qui vult ingreditur et manducat et qui autem non vult odoratus est tantum atque preterit. 43  Rosweyde, V, 580. 44  Mistere au sens ironique de « service » (religieux) ; festoié traduit assez bien le moderne « on lui a fait sa fête ». 45  Jadis relègue le conte dans le passé.

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paine de les regarder qu’il eust congneu que estoient femmes come s’elle vosist dire que en alant son chemin il devoit sy sobrement ouvrir ses yeulz qu’il en devoit regarder ne apercevoir ceulx qui venoient a l’encontre de lui ou qui passoient leur chemin46. (fol. 285)

La traduction vive et amusée est entée dans le présent, pleine d’humour. C’est quand le traducteur ajoute au texte qu’il se justifie avec des « c’est a dire, c’est a savoir ». Les Vies des Pères ainsi remaniées ne participent pas de l’exotique et ne se situent pas non plus dans un lointain nimbé de merveilleux. L’étranger (relativement proche du moins par sa croyance) semble à la fois divers et familier. Les Vies des Pères en prose racontées par Hanin le Fevre consolident ainsi leur statut de livre-modèle, et sans doute surtout de livre à utiliser, offrant à ceux qui le lisent et le mémorisent un trésor de paroles et de situations qui, tels les exempla dans les sermons, puissent accompagner et apporter au besoin un témoignage, fraternel et non plus formidable. Le ms. BNF, fr. 22911 paraît bien avoir été un ms. « spécialisé » destiné à un public de religieux. Son accès est aisé, son maniement facile. On peut imaginer qu’on le lisait dans des groupes, où ces historiettes, rendues faciles à mémoriser par l’ancrage présent, pouvaient facilement se muer en florilèges, offerts à des frères qui ne pratiquaient pas le retrait dans la solitude.

Rosweyde, V, 572 : Monachus occurrit ancillis Dei in itinere quodam. Quibus visis divertit extra viam. Cui dixit abbatissa :« Tu, si perfectus monachus esses, non respiceres nos sic ut agnosceres quia feminæ eramus. » 46 

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Deuxième partie

Un terrain propice. Manuscrits et spiritualité dans l’espace belge et les anciens Pays-Bas

Prolégomènes pour une Bibliotheca Hagiographica Neerlandica Werner Verbeke (Louvain) L’éminent philologue allemand Werner Williams-Krapp n’a pas laissé la moindre ombre d’un doute1 : dans l’étendu univers germanique, le territoire des anciens Pays-Bas fut exceptionnellement fertile en production hagiographique en moyen néerlandais. Rappelons qu’il s’agit de la langue parlée et écrite entre grosso modo 1100 et 1500/1600 dans le nord de la Belgique actuelle – ou la Flandre actuelle – et dans les Pays-Bas actuels2 . Cet héritage se trouve aujourd’hui dispersé dans une innombrable quantité de manuscrits conservés dans différents pays : bien entendu en Belgique et dans les PaysBas, mais aussi en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, au Danemark, aux États-Unis, en France, en Hongrie et en Russie. La survie manuscrite de l’hagiographie en moyen néerlandais s’étale entre quelques fragments du commencement du xiiie siècle, quasi contemporains des premières légendes connues, et un immense nombre de manuscrits produits durant le xve et le début du xvie  siècle, malgré l’épanouissement W.  Williams-Krapp, « German and Dutch Legendaries of the Middle Ages : a Survey », dans Hagiography and Medieval Literature : a Symposium, éd. H. Bekker-Nielsen, Odense, 1981, p. 66-75 ; Id., Die deutschen und niederländischen Legendare des Mittelalters : Studien zu ihrer Überlieferungs-, Text- und Wirkungsgeschichte, Tübingen, 1986, particulièrement p.  53 ; Id., « Zum Stand der niederländischen Hagiographieforschung », Queeste. ­Tijd­schrift voor Middeleeuwse Letterkunde, 6 (1990), p. 197-200. 2  On inclut normalement le duché de Gueldre et les régions de Drente, Groningue et Overrijsel, ainsi que les communautés de Frenswegen et Gaesdonck, aujourd’hui situées en Allemagne. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 157-183. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126292

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simultané de l’imprimerie. Sa  complexité se manifeste dès la toute première légende attestée : la Vie versifiée de saint Servais, premier évêque de Maastricht, par le poète Heinric van Veldeke, plus apprécié pour ses poèmes d’amour et un roman courtois, et plus renommé de son vivant en terre allemande qu’en Flandre3. De son poème d’environ 1170, il nous reste neuf fragments du début du xiiie siècle (c. 1220), soit en tout 320 vers, récupérés de reliures du xvie siècle4, et une copie tardive unique de 1473 due à l’intérêt pour le saint local d’un bégard anonyme de Saint-Barthélemy à Maastricht5. C’est un cas symptomatique : la survie d’un poème de la fin du xiie siècle, un des fleurons de notre histoire littéraire, est due à un témoin unique de la fin du xve siècle, quand la prose avait détrôné la versification depuis plus d’un siècle et que l’art d’imprimer était déjà bien amorcé. La découverte de ce manuscrit tardif qui porte encore l’emblème d’un grammairien de l’école des bégards de Maastricht au xvie  siècle, est aussi fortuite6. Confisqué et vendu aux enchères par l’administration française en 1801, le codex surgit en 1856 dans un notariat à Aubel, village francophone dans le nord de l’actuelle province de Liège. Grâce à un alerte de l’administrateur de l’École normale de Liège, le manuscrit a été remis à un éminent philologue, le professeur liégeois J. H. Bormans, qui s’est rendu compte de l’importance du texte et en a fourni rapidement la toute première édition en 1858. Plus tard, le fils de Bormans, archiviste à Namur, a déposé le précieux manuscrit à la bibliothèque universitaire à Leyden en  1880, où il se trouve encore à l’heure actuelle. Un sort plus malchanceux a été réservé à une collection de légendes versifiées composée à la fin du xiiie siècle, probablement à l’abbaye bénédictine d’Eename près d’Oudenarde, au bord de l’Escaut qui constituait à ce moment-là la frontière entre le comté de Flandre, féodalement territoire du roi de France, et l’Empire germanique. Les 32 folios conservés de ce qui a dû être un W.  Verbeke, « La littérature hagiographique en moyen néerlandais (vers 1170-1550) : les ­légendes rimées », dans Hagiographies, Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, vol. vii, éd. M. Goullet, Turnhout, 2017, p. 623-629. 4  J. Goossens, « Die Servatiusbruchstücke : Mit einer Untersuchung und Edition der Fragmente Cgm 5249/18.1b der Bayerischen Staatsbibliothek München », Zeitschrift für deutsches Altertum und deutsche Literatur, 120 (1991), p.  1-65 ; J.  Goossens, B.  Schlusemann et N. Voorwinden (éd.), Heinric van Veldeke, Sente Servas, Münster, 2008. 5  Leyde, Universiteitsbibliotheek, BPL, 1215, fol. 1r-106r. 6  L’histoire du manuscrit est décrite en détail par J. Deschamps, « De herkomst van het Leidse handschrift van de Sint-Servatius-legende van Hendrik van Veldeke », Handelingen van de Zuidnederlandse Maatschappij voor Taal- en Letterkunde en Geschiedenis, 16 (1962), p. 219-284 ; Id., Middelnederlandse handschriften uit Europese en Amerikaanse bibliotheken. Tentoonstelling. Catalogus, Leyde, 1972, p. 58-61. 3 

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volumineux manuscrit hybride de plus de 250 folios contenant, entre autres, les légendes d’Agathe, Catherine d’Alexandrie, Eustache, Marie l’Égyptienne, Philibert et le jeune Werner, sont dispersés dans les bibliothèques d’Oudenarde, Bruges et Oxford7. Les responsables de ce démembrement sont les augustiniennes de l’abbaye de Sion à Oudenarde qui entre 1528 et 1534 ont dépecé le manuscrit pour en utiliser les folios dans leur atelier de reliure. En vue d’apporter des éléments de réponses à l’ample questionnaire qui est à la base de cette publication, je retiens déjà de ce qui précède : 1. 2. 3. 4.

L’importance des copies du xve siècle pour des textes bien plus anciens ; La part du hasard dans la transmission des textes médiévaux ; L’importance du manuscrit unique, même incomplet ; La relation étroite avec l’hagiographie latine et les contacts sporadiques avec des milieux allemands qui ont perduré tout au long du Moyen Âge au détriment de l’hagiographie en langue française ; 5. La traduction littérale ou plus libre, en rapport avec le niveau littéraire du traducteur et de son premier public ; 6. Le désintérêt croissant, dès le commencement du xvie siècle, pour certains manuscrits anciens, probablement non seulement à cause de leur contenu versifié mais peut-être aussi par une perte d’intérêt pour l’hagiographie vernaculaire en général. N’est-il pas significatif que la traduction néerlandaise de la Légende dorée a été imprimée douze fois entre 1478 et 15168 ? Par la suite aucun éditeur ne prit plus ce risque commercial. L’histoire manuscrite de l’hagiographie en moyen néerlandais commence véritablement avec la légende de Lutgarde de Tongres, la cistercienne à caractère mystique dont le confident était le dominicain brabançon Thomas de Cantimpré, plus renommé pour son Bonum universale de apibus et son De natura rerum que pour ses quelques Vitae9. Espérant être récompensé par un bras de Lutgarde, ce collectionneur passionné de reliques a rédigé sa Vita entre 1246 et 1248, peu de temps après le décès de Lutgarde. Encore avant 1270, l’œuvre de Thomas a servi de modèle pour un poète – probablement W.  Verbeke, « La littérature hagiographique », p.  664-666 ; J.  Deschamps, Middel­ nederlandse handschriften, no 14, p. 55-57 ; M. Gysseling, Corpus van Middelnederlandse teksten (tot en met het jaar 1300), Reeks II : Literaire handschriften, t. i : Fragmenten, La Haye, 1980 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde. Middelnederlandse handschriften uit kloosters en semi-religieuze gemeenschappen in de Nederlanden, t. 2, Louvain, 1997, p. 148-149, no 435-436. 8  K. Goudriaan, « Het passionael op de drukpers », dans Gouden legenden. Heiligenlevens en heiligenverering in de Nederlanden, éd. A. B. Mulder-Bakker et M. Carasso-Kok, Hilversum, 1997, p. 73-88. 9  W. Verbeke, « La littérature hagiographique », p. 639-642. 7 

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un certain Willem (Guillaume) – qui, avec beaucoup de talent littéraire, a transposé et profondément remodelé la légende de la future sainte patronne de la Flandre moderne. Contrairement à son origine brabançonne, son identification précise n’a jamais fait l’unanimité10. Ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est l’attestation manuscrite unique de cette traduction – remaniement versifié dans un manuscrit de la collection royale à Copenhague, daté de vers 1274 – et en tout cas d’avant 130011. Ce manuscrit surprend par la qualité du parchemin et les trois miniatures à pleine page, ce qui est une rareté dans les manuscrits hagiographiques en moyen néerlandais12 . Quant à ses origines, les philologues ont toujours gardé les abbayes bénédictines de Saint-Trond et d’Affligem en point de mire sans pour autant fournir une preuve irréfutable. À une date non précisée, le manuscrit a été acquis par la riche bibliothèque des chanoines réguliers de Rouge-Cloître (à Oudergem près de Bruxelles) appartenant à la congrégation de Windesheim, porte-bannière de la Devotio moderna, la spiritualité dominante pendant tout le xve siècle. À l’exemple de son modèle latin, le poète a divisé la légende de Lutgarde en trois parties évoquant les trois stades conventionnels de la lente progression vers la rencontre mystique avec la divinité. Dans sa totalité, le poème comptait probablement plus de 30 000 vers, le volume d’un vaste roman d’époque. Hélas, la première partie, estimée à environ 10 000 vers, n’a pas survécu. Mais ce qui reste est toujours aussi impressionant et garde l’auréole du manuscrit littéraire le plus ancien de la littérature en moyen néerlandais, et au fond de la littérature néerlandaise tout court. À partir d’ici, le courageux qui veut prendre le risque de plonger dans le mare magnum de textes et de manuscrits entre grosso modo 1270 et  1525 peut compter sur les mains tendues par les générations précédentes et de nombreux contemporains. D’abord, il faut exprimer notre profonde gratitude envers les romantiques du xixe siècle qui parfois avec plus d’enthousiasme que W. Verbeke « La littérature hagiographique », p. 642-649. Copenhague, Kongelige Bibliothek, Ny kongelige samling, 168 4°. À propos de ce manuscrit voir J. Deschamps, Middelnederlandse handschriften, no 17, p. 63-65 ; J. Deschamps et B. Cardon, « Het Kopenhaagse Leven van de H. Lutgardis », dans Handschriften van de abdij van Sint-Truiden, Sint-Truiden, 1986, p.  278-284 ; K.  Stooker et T.  J. Verbeij, Collecties op orde, t. 2, p. 341, no 1019 et p. 378, no 1136 ; E. Mantingh, Een monnik met een rol. Willem van Affligem, het Kopenhaags Leven van Lutgart en de fictie van een meerdaagse voorlezing, Hilversum, 2000 ; F. P. Van Oostrom, Stemmen op schrift. Geschiedenis van de Nederlandse literatuur vanaf het begin tot 1300. Geschiedenis van de Nederlandse Letterkunde, t. 1, Amsterdam, 2000, p. 391-401 et 579-580. 12  Un rare témoin d’une Gulden legende illustrée est le ms. Londres, BL, Add. 18162 (c. 14651470), probablement originaire d’un atelier d’Utrecht. Cf.  W. Williams-Krapp, Legendare, p. 78, 163-170. 10  11 

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de compétence philologique se sont voués à l’édition des textes récemment redécouverts. Le résultat de leur effort n’a pas toujours été remplacé par une édition plus performante. Depuis maintenant plus d’un siècle, la Bibliotheca Neerlandica Manuscripta poursuit le noble objectif de son fondateur gantois, Willem De Vreeze : rassembler toutes les données concernant les manuscrits contenant des textes en moyen néerlandais. Grâce à l’informatique, la consultation de cet outil indispensable – récemment mis à jour par l’Institut Huyghens ING – peut se faire aujourd’hui n’importe où13. La bibliothèque royale de La Haye offre de son côté sur le web des informations sommaires à propos de tous les manuscrits conservés dans des institutions publiques des Pays-Bas, au sens actuel du terme, ce qui facilite le repérage des textes et des manuscrits14. On peut considérer comme un dossier en soi la traduction de la collection de Vies de saints omniprésente au Moyen Âge : la Legenda aurea de Jacques de Voragine. Sans le moindre doute de Gulden legende ou Passionael constitue le noyau dur de l’hagiographie en moyen néerlandais. Werner Williams-Krapp mérite le titre de pionnier de ce vaste domaine composé de manuscrits incomplets15, de fusions entre différentes traductions, d’amalgames avec d’autres légendes ou textes de dévotion, d’innombrables extraits au service des compilateurs et des prédicateurs enflammés à la recherche d’exempla et finalement de plusieurs transcriptions dans l’un ou l’autre parler allemand de couleur locale. Avec l’acribie allemande réputée, il a examiné les légendiers en néerlandais et en allemand dans un maître-livre qui date déjà de 198616. Des années de recherche ont abouti à un inventaire des manuscrits contenant la Gulden legende et une analyse détaillée de leur contenu. L’auteur a même eu le courage et l’audace d’élaborer un stemma codicum, travail toujours délicat. Sa vision comparatiste des légendiers néerlandais et allemands devance de bien d’années les plaidoyers pour une étude plus globale de la littérature néerlandaise et allemande du Moyen Âge17. Son étude s’achève par un Legendenregister, une solide liste de saints, de leurs différentes légendes et de leur présence instable dans les légendiers les plus importants. Le tout est justifié par des références précises aux manuscrits. C’est un instrument irremplaçable jusqu’à aujourd’hui. Bibliotheca neerlandica manuscripta (eBNM&I). Pour son histoire voir G.  Warnar et T. Bouwman, « The Bibliotheca Neerlandica manuscripta as an electronic database », dans Sources for the history of medieval books and libraries, éd.  R.  Schlusemann, Groningue, 1999, p. 339-352. 14  Medieval Manuscripts in Dutch Collections (MMDC). 15  Aucun manuscrit ne contient une traduction complète. 16  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare. 17  W. Verbeke « La littérature hagiographique », p. 617, n. 3. 13 

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Il va de soi que cet aperçu doit également rendre hommage à un autre pionnier de l’hagiographie vernaculaire : Jan Deschamps, aimable et enthousiaste collaborateur au cabinet des manuscrits de la Bibliotheca Regia de Bruxelles pendant des années. Le  catalogue de « son » exposition de  1970 dédiée aux manuscrits en moyen néerlandais, dont forcément plusieurs au contenu hagiographique, reste un monument d’érudition18. Jan Deschamps a été le premier à considérer la possibilité de deux traductions différentes de la Legenda aurea, un problème majeur – ainsi que pour d’autres traductions – que les éditeurs de l’édition récente de la Gulden legende proposent de réexaminer19. Par  son examen comparatif des légendes de saint Servais et de saint François20, il a stimulé les rares études comparatives sur la survivance de l’hagiographie néerlandaise à propos d’un même saint21. Sa collaboration avec Herman Mulder pour le catalogue des manuscrits en moyen néerlandais conservés à la KBR – ingénieuse abréviation de Koninklijke Bibliotheek-Bibliothèque royale de Bruxelles dans un pays bilingue – lui a donné un second J. Deschamps, Middelnederlandse handschriften. A. Berteloot, G. H. M. Claassens et W. Kuiper (éd.), Gulden legende. De Middel­ nederlandse vertaling van de Legenda aurea door Petrus Naghel, uitgegeven naar handschrift Brussel, Koninklijke Bibliotheek, 15140, t. 1, Turnhout, 2017. La question de deux traductions en prose se pose pour plusieurs textes à caractère hagiographique, d’abord pour d’autres traductions attribuées à Petrus Naghel, le traducteur présumé de la Legenda aurea, comme les Dialogi de Grégoire le Grand, les Collationes de Jean Cassien, les Vitae Patrum et les Verba seniorum. Le même problème surgit pour le dossier de saint François (Actus beati Francisci et sociorum eius), l’Exordium magnum Cisterciense (ou la Narratio de initio Cisterciensis ordinis) de Conrad d’Éberbach, le Dialogus miraculorum de Caesarius de Heisterbach, le Bonum universale de apibus de Thomas de Cantimpré et la légende des Rois Mages. En marge, je rappelle l’existance d’une collection de Vies d’apôtres versifiées intitulée Der ystorien bloeme – florilège d’histoires – (voir W. Verbeke « La littérature hagiographique », p. 667). Ce recueil de la fin du xiiie siècle a été considéré comme une tentative de traduire en vers l’ouvrage à succès de Jacques de Voragine, en optant cependant pour une structure thématique (apôtres, martyrs, confesseurs, etc.) au lieu du calendrier liturgique. Il semble que le poète anonyme n’ait pas terminé son travail audacieux qui aurait été une première inouïe parmi les traductions vernaculaires de la Legenda aurea. Néanmoins, il en reste plus de 4000 vers dans un seul manuscrit du milieu du xive siècle (Leyde, Universiteitsbibliotheek, LTK 191, fol. 59r-84v). C’est une indication de l’assimilation rapide de l’hagiographie latine universelle dans les anciens Pays-Bas. 20  J. Deschamps, « Legenden van de H. Servatius in Middelnederlands proza », dans Liber amicorum voor Jef Notermans, Maastricht, 1964, p. 179-195 ; Id., « Middelnederlandse vertalingen van Levens en Legenden van de H. Franciscus van Assisi. Handschriften en drukken », Franciscana, 31 (1976), p. 59-73. 21  Quelques exemples : J. Van Dijk, Een rij van Spiegels : De heilige Barbara van Nicomedia als voorbeeld voor vrouwelijke religieuzen, Hilversum, 2000 ; N. J. Palmer, Visio Tnugdali : The  German and Dutch Translations and their Circulation in the Later Middle Ages, Munich, 1982 ; R. Verdeyen et J. Endepols (éd.), Tondalus’ Visioen en St. Patricius’ Vagevuur, t.  i, Gand, 1914 et t.  ii, La  Haye-Gand, 1917. Voir aussi le ‘Legendenregister’ de W.  Williams-Krapp dans Die deutschen und niederländischen Legendare. 18 

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souffle et une survie assurée. Quinze fascicules que les éditeurs estimaient comme « provisoires » ont été publiés depuis 199822 . Hélas, l’avenir de cet instrument de travail ne semble pas assuré. La récente description des manuscrits de Bruxelles connait son parallèle dans le catalogue des manuscrits en moyen néerlandais possédés par l’université de Gand, décrits méticuleusement par Joris Reynaert23. Le  nombre des manuscrits conservé dans la bibliothèque universitaire de Nimègue est moins élevé24. Hautement profitables sont l’inventaire, la description et le commentaire des manuscrits en moyen néerlandais provenant des communautés religieuses et semi-religieuses, masculines et féminines, par Karl Stooker et Theo Verbeij25. Comme ce segment se taille la part du lion parmi la totalité des manuscrits conservés, l’ensemble de leurs 1355 descriptions offre une mine d’informations concernant l’hagiographie vernaculaire. En outre, ils discutent longuement la représentativité des manuscrits conservés par rapport à la réalité médiévale estimée, les différences frappantes entre le nord et le sud des anciens Pays-Bas et entre les différentes observances, et finalement le succès de certains textes. Entre-temps ont été amorcés des projets qui envisagent l’inventaire de toutes les sources narratives – selon le jargon des historiens26 – produites sur le territoire des anciens Pays-Bas, aussi bien en latin, français et néerlandais, impliquant forcément l’hagiographie vernaculaire. Ainsi Marijke Carasso-Kok a pris en charge le territoire des Pays-Bas actuels. Le résultat a été publié en 1981 quand l’informatique n’en était pas encore à ses premiers balbutiements27. Dans son sillage, un groupe de médiévistes de Gand, Louvain et Groningue a entrepris de mettre à jour le J. Deschamps et H. Mulder, Inventaris van de Middelnederlandse handschriften van de Koninklijke Bibliotheek van België (voorlopige uitgave), afl. 1-15, Bruxelles, 1998-2013. 23  J. Reynaert, Catalogus van de Middelnederlandse handschriften in de bibliotheek van de Rijksuniversiteit te Gent, t. i : De handschriften verworven voor 1852, t. ii : De handschriften verworven na 1852, Gand, 1984-1996. 24  C. G. Huisman, Catalogus van de middeleeuwse handschriften in de Universiteitsbibliotheek Nijmegen, Louvain, 1997. 25  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde. Middelnederlandse handschriften uit kloosters en semi-religieuze gemeenschappen in de Nederlanden, 2 t., Louvain, 1997. Ils distinguent les communautés organisées selon un règle monastique et les conseils évangéliques des maisons de semi-religieux et semi-religieuses comme les béguines, les tertiaires ou les frères et sœurs de la Vie commune. 26  Voir L. Genicot, Typologie des sources du Moyen Âge occidental, no 1 : Introduction, Turnhout, 1972 ; E. Van Mingroot, « Aperçu typologique des sources de l’histoire médiévale des XVII provinces », Archives et bibliothèques de Belgique, 53 (1982), p. 175-306. 27  M. Carasso-Kok, Repertorium van verhalende historische bronnen uit de middeleeuwen. Heiligenlevens, annalen, kronieken en andere in Nederland geschreven verhalende bronnen, La Haye, 1981. 22 

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répertoire de Marijke Carasso-Kok et d’élargir son projet vers les Pays-Bas méridionaux28. Depuis le début ils ont opté pour la voie électronique. Cette initiative toujours en cours est aujourd’hui patronnée par la Commission Royale d’Histoire de l’Académie Royale de Belgique. Les résultats sont librement accessibles sur internet. La brevitas me contraint de passer sous silence les nombreuses publications récentes sur des thèmes plus restreints, sans oublier les traductions en néerlandais moderne de textes médiévaux. On les retrouve par les outils habituels29. Elles ont largement contribué aux sérieux progrès dans des domaines particuliers dont voici une sélection. D’abord, nous disposons depuis peu d’une édition critique de la première traduction brabançonne de la Legenda aurea30. Enfin, nous connaissons le nom de son traducteur, un nommé Petrus Naghel, chartreux d’Herne (Hérines) à la frontière entre le Brabant et le Hainaut, dans la proximité de Bruxelles. Il y serait décédé vers 1395 ; mais les informations à propos de ce personnage sont vraiment clairsemées. Aujourd’hui on attribue au même Petrus Naghel la traduction des livres historiques de la Bible et de leur commentaire par Petrus Comestor et d’un corpus d’œuvres fondamentales de la spiritualité occidentale comme la Règle de saint Benoît, les Dialogi et les Homiliae XL in Evangelia de Grégoire le Grand, les Collationes de Jean Cassien, les Vitae Patrum, les Verba seniorum, et encore plusieurs ouvrages qui s’éloignent de l’hagiographie31. Certes, c’est un ensemble gigantesque pour une seule personne, même s’il menait une vie http://www.narrative-sources.be., consulté le 05/05/2021. Comme par exemple International Medieval Bibliography. Je pense particulièrement aux publications concernant la Légende dorée, les Vies et Passions de Jésus, la légende de la croix, des saintes femmes (Anne, Barbe, Christine l’Admirable, Cunéra, Lidwina, etc.), Brandaen, les imprimés, les traductions en néerlandais moderne par l’équipe autour de L. Jongen, l’influence de la Devotio moderna ou le courant mystique, les relations avec la terre allemande comme indiquées entre autres dans le Verfasserlexikon. Je ne cite pas de noms pour ne pas courir le risque d’oublier – et ainsi de frustrer involontairement – l’un ou l’autre. 30  A. Berteloot, G. H. M. Claassens et W. Kuiper, Gulden legende. De Middelnederlandse vertaling van de Legenda aurea door Petrus Naghel, uitgegeven naar handschrift Brussel, Koninklijke Bibliotheek, 15140, 2 t., Turnhout, 2011-2017. 31  A. Berteloot, G. H. M. Claassens et W. Kuiper, Gulden legende, t. 1, 2017, p. xxviiixxix. Dans sa thèse de doctorat à propos des traductions de Petrus Naghel (Van Woerde tot woerde oft van synne te sinne : Petrus Naghel en het translatorium van de kartuis te Herne (c. 1350-1400), Louvain, 2009), t. i, p. 15-69, K. De Bundel attribue pour la première fois au même traducteur une série de traductions dont le Lignum vitae de Bonaventure (Vanden houte slevens, 1386), le Stimulus amoris maior (Der minnen gaert, 1387), In  laudibus virginis matris, un sermon de Bernard de Clairvaux (Sente Bernaert op dat evangelie ‘Missus est Gabriel angelus’), Instructio pie vivendi et superna meditandi, aussi connu comme Audi filia (Hore dochter), le  Compendium theologicae veritatis d’Hugues Ripelin de Strasbourg (Der sonderen daet ofte werken), le Manuale de saint Augustin (Sente Augustijns waerde), Meditationes piissimae de cognitione humanae conditionis (Sente Bernaerts overpeysinghen van der 28 

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ordonnée de chartreux. À côté du succès de sa Gulden legende, la survivance manuscrite de ses autres traductions reste vraiment discrète32 . Finalement, nous sommes mieux informés sur le milieu où s’est développé le talent de Petrus Naghel qui, selon ses propres mots, traduisait scrupuleusement mot à mot, en respectant le sens profond du texte, et en s’exprimant dans un langage qui surmontait les différences régionales33. N’empêche que les provinces du Nord ont souvent opté pour une traduction moins latinisante, et cela aussi pour la Gulden legende. Que Herne disposait non seulement d’un translatorium mais aussi d’un scriptorium équipés par les mêmes chartreux entre grosso modo 1350 et 1400 est une des heureuses découvertes récentes. Le centre de traduction avait déjà été mis en avant à partir de 1980 par l’étude de Theo Coun à propos de la traduction de la Règle de saint Benoît34 ; la présence d’un scriptorium hautement spécialisé résulte de l’examen minitieux d’un grand nombre de manuscrits par Erik Kwakkel dans une publication qui date de 200235. Les conclusions de Kwakkel ont des conséquences majeures pour l’exploration de l’hagiographie en moyen néerlandais. Le mystère qui entoure le volumineux 2e  tome du Spieghel historiael, la traduction –  et  remaniement bien réfléchi – du Speculum historiale de Vincent de Beauvais est une belle illustration des problèmes de la recherche hagiographique en moyen néerlandais36. Ce projet colossal a été entamé à la fin du xiiie siècle par notre Dante local, Jacob van Maerlant, à la demande du comte de Hollande en vue de soutenir ses aspirations politiques par des initiatives culturelles de prestige. Il a été poursuivi par Philip Utenbroeke, un poète quasi inconnu, résidant probablement à Damme, près de Bruges, comme son maître Maerlant, au moins à la fin de sa vie. Ce deuxième tome, attribué à Utenbroeke, nous intéresse particulièrement car il se compose presque entièrement de légendes de martyrs. Contrairement aux trois autres tomes du Spieghel Historiael qui ont connu une large diffusion, même sous forme de manuscrits illustrés, ce tome à caractère hagiographique explicite est menscheleken cativecheit) et finalement des extraits de textes attribués au pseudo-Augustin ou au pseudo-Bède (Sermones de sanctis, sermo 231 et Homilia 57 : In dedicatione ecclesiae). 32  On retrouve des traces de sa Gulden legende dans plus de 150 manuscrits ; en revanche, on compte pour les Collationes deux manuscrits ; pour les Dialogi trois, pour les Vitae Patrum huit ; et pour les Verba seniorum cinq. 33  K. De Bundel, Van Woerde tot woerde oft van synne te sinne. 34  T. Coun, De oudste Middelnederlandse vertaling van de Regula S. Benedicti, Hildesheim, 1980. 35  E. Kwakkel, Die dietsche boeke die ons toebehoeren : De kartuizers van Herne en de productie van Middelnederlandse handschriften in de regio Brussel (1350-1400), Louvain, 2002. 36  F. P. Van Oostrom, Maerlants wereld, Amsterdam, 1996 ; W. Verbeke, « La littérature hagiographique en moyen néerlandais », p. 661-664.

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attesté par un seul manuscrit, incomplet de surcroît, du commencement du xve siècle37. Il est conservé aujourd’hui à la Nationalbibliothek autrichienne, bien loin de ses origines. Depuis les recherches d’Erik Kwakkel, ce manuscrit n’est plus attribué au scriptorium de Rouge-Cloître mais à celui de Herne. Un chartreux anonyme (ou des chartreux anonymes ?) a (ou ont ?) facheusement sauté des passages en se référant à un breviaris et un passionael toujours non identifiés. On suppose avec raison qu’il s’agit d’une traduction de la Legenda aurea qu’on avait à portée de main. Erik Kwakkel a démontré que les coupures résultent de la distribution du travail dans le scriptorium de Herne. À partir de 1402, on aurait commencé à copier le volumineux texte d’Utenbroeke, de telle manière que chaque livre du modèle – la subdivision en libri étant celle utilisée par Utenbroeke à l’exemple de Vincent de Beauvais – devait entrer dans une « unité de production » – selon la terminologie codicologique de Kwakkel. Une fois remplis tous les feuillets mis à la disposition du scribe, celui-ci a forcément dû sauter les passages restants de son modèle pour des raisons budgétaires et organisationnelles. Finalement, les unités contenant le texte mutilé d’Utenbroeke ont été rajoutées à des unités déjà disponibles depuis une décennie dans l’atelier, bien que leur contenu fût fort différent. Reste à examiner quels facteurs ont pu favoriser la montée, le succès, la programmation et le déclin de Herne entre grosso modo 1350 et 1400. Les éditeurs de la Gulden Legende promettent de nous proposer des réponses dans les meilleurs délais. Par le biais de Petrus Naghel et des chartreux de Herne, nous nous sommes rapprochés du xve siècle, l’âge d’or de la production manuscrite de l’hagiographie vernaculaire. Le curieux y est promptement confronté à un débordement inouï, presque exclusivement dans et pour des milieux en rapport avec la Devotio moderna. C’était la spiritualité en vogue à ce moment, poursuivie par des frères et sœurs de la vie commune, des chanoines et chanoinesses vivant selon la Règle de saint Augustin dont la plupart ont adhéré à la congrégation de Windesheim, et des adeptes qui se sont réfugiés sous le parapluie du Tiers-Ordre de saint François par manque d’une règle canonique J.  A.  A.  M.  Biemans, « La tradition manuscrite du “Spiegel historiael” de Jacob van Maerlant : étude de réception et archéologie du livre », dans Vincent de Beauvais : intentions et réceptions d’une œuvre encyclopédique au Moyen Âge, éd. M. Paulmier-Foucart, Saint-Laurent (Québec), 1990, p.  375-389 ; Id., ‘Onsen Speghele Ystoriale in Vlaemsche’ : ­Codicologisch onderzoek naar de overlevering van de ‘Spiegel historiael’ van Jacob van Maerlant, Philip Utenbroecke en Lodewijk van Velthem, met een beschrijving van de handschriften en fragmenten, 2 t., Louvain, 1997 ; J. Deschamps, The Vienna manuscript of the ‘Second part’ of the ‘Spiegel historiael’ : ms. Vienna, Österreichische Nationalbibliothek, 13.708 – Het Weense handschrift van de ‘Tweede Partie’ van de ‘Spiegel Historiael’, Hs.  Wenen, Österreichische ­Nationalbibliothek, 13.708, t. 1, Copenhague, 1971. 37 

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appropriée. Et n’oublions pas les frères convers qui semblent avoir joué un rôle important dans cet univers de prédication par l’écrit et de méditation par la lecture et la pratique de copier38. À ce stade, j’ai rassemblé les données primordiales d’approximativement 700 manuscrits, rarement homogènes comme on pouvait s’y attendre, mais plutôt hybrides. En  1972 le philologue allemand Konrad Kunze avait déjà proclamé dans les Analecta Bollandiana son ambition de réaliser une Bibliotheca Germanica Hagiographica impliquant l’hagiographie thioise39. Hélas, ce projet n’a pas abouti, probablement du fait de son amplitude, sa profondeur et l’absence de l’appui qu’offre aujourd’hui la technologie moderne. Mon objectif reste bien plus modeste : il se limite à un inventaire des manuscrits et aux données essentielles souvent déjà disponibles mais fort dispersées ou submergées dans des contextes plus larges : évidemment après la cote viendront des rubriques obligatoires comme la datation, précise ou approximative ; l’origine (scriptorium, si possible le scribe) ; l’appartenance à une collectivité ou un individu ; le contenu – mais principalement les textes à caractère hagiographique – les folios, si possible ; l’état du texte : récit complet, abrégé, remaniement, extrait et finalement une référence à une publication récente – si disponible – qui met l’intéressé sur la voie d’une documentation complémentaire que je ne cite pas – ou pas entièrement – afin de ne pas charger la rubrique bibliographique par l’énième copie de la littérature déjà citée ailleurs. Cela aboutit à un guide in statu nascendi de moins de 150 pages, donc réduit mais maniable, qui se concentre sur un seul type de texte, bien qu’en principe aussi répertorié déjà – ou qui le sera dans le futur – par la Bibliotheca Neerlandica Manuscripta, le répertoire de M. Carasso-Kok ou les Narrative

Une référence explicite aux frères convers se trouve dans les manuscrits Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin – Preussicher Kulturbesitz, Germ. Qu. 1395 : transcription ripuaire de la Gulden legende pour le réfectoire de la chartreuse de Cologne ; Bruxelles, KBR, 388 : RougeCloître (Gulden legende) ; KBR, 1805-08 : Grégoire le Grand, Dialogi, copié à Herne pour les convers de Rouge-Cloître ; KBR, 2137-38 : Groenendael, Dialogi, classé sous la lettre  I dans le réfectoire ; KBR, 2810-13, Sint Jheronymus sterfboec, en possession des frères convers de Hérent ; KBR, 11150 : réfectoire de Groenendael (Vie de Jésus) ; KBR, 11178 : régistré sous le chiffre  VIII dans le réfectoire de Corsendonck (Verba seniorum) ; KBR, 11729-30 : Rouge-Cloître, le frère Petrus de Muentere était le propriétaire d’une Gulden legende ; KBR, 12166 : l’Exordium de Conrad d’Éberbach servait de lecture au réfectoire de Béthanie près de Malines ; KBR, 15087-90, réfectoire de Groenendael (légende de Gommaire et autres) ; KBR, 19950, copié par un frère convers à Nimègue (Gulden legende) ; La Haye, KB, 71 H 6 et 71 H 64, pour le réfectoire à Groenendael. 39  K. Kunze, « Projekt einer Bibliotheca hagiographica germanica », Annalecta Bollandiana, 90 (1972), p. 299-322. 38 

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Sources40 . Mais dans ces projets prodigieux, aussi méritoires qu’ils soient, l’hagiographie en moyen néerlandais risque d’être voilée par la masse de textes de tous bords. Mon objectif vise avant tout à un approfondissement et à un élargissement accélerés des Narrative Sources, ce vaste projet qui me tient à cœur par mon implication à sa naissance et à son développement initial. En bref, il s’agit de rassembler dans les meilleurs délais l’information disponible mais dispersée afin d’obtenir une vue d’ensemble qui faciliterait la rédaction d’une histoire de l’hagiographie moyen néerlandaise en prose dans laquelle je me suis engagé prématurement il y a bien longtemps. Il est sans doute un peu précipité de recourir à ce guide très provisoire pour apporter des éléments de réponse aux multiples questions posées par l’éditeur de ce volume. Je me limiterai à une seule considération. Il faut bien se rendre compte que, malgré la quantité de légendes et de manuscrits conservés, un nombre indéfini de traductions a dû se perdre pour des raisons diverses. La survie tronquée de textes vernaculaires dans les reliures des livres imprimés manifeste le manque d’intérêt pour certains récits hagiographiques à partir du xvie  siècle. Ensuite, le mouvement réformiste dans le nord des anciens Pays-Bas n’a guère contribué à la conservation des bibliothèques d’institutions religieuses ; de même, la politique de centralisation de l’empereur Joseph II d’Autriche à la fin du xviiie siècle, mais cette fois dans la partie méridionale des anciens Pays-Bas, s’est fait sentir41. L’invasion des révolutionnaires français a contribué au recensement du patrimoine des communautés religieuses mais aussi à sa dispersion ou même à sa perte. La destruction d’une légende de Marie d’Oignies pendant la deuxième guerre mondiale à Arnhem42 , ainsi que le sort de la collection des manuscrits de l’université de Louvain montrent que notre héritage littéraire n’est jamais définitivement à l’abri des circonstances imprévues43. Cependant, dès le Moyen Âge, la diffusion des traductions semble déjà fort inégale et souvent même extrêmement réduite. L’héritage de l’inlassable Petrus Naghel présenté plus haut en est un bon indicateur : extrêmement vaste dans le cas de la Gulden legende44, fort limitée pour ses autres traductions45. Si les informations à propos des possesseurs individuels reste maigre, L’information concernant la transmission manuscrite est particulièrement restreinte dans Narrative Sources parce que les éditeurs visaient d’autres objectifs depuis le commencement. 41  Il faut reconnaître que sa politique a aussi contribué à sauver quelques bibliothèques. 42  Olim Arnhem, Israel 1. 43  La Bibliotheca Neerlandica Manuscripta donne une longue liste de manuscrits de Louvain perdus. 44  Plus de 150 manuscrits. 45  Je rappelle le nombre d’exemplaires : Collationes, 2 ; Dialogi, 3 ; Vitae Patrum, 8 ; Verba seniorum, 5. 40 

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nous sommes mieux informés sur la situation concrète dans nombre de communautés religieuses, entre autres grâce au répertoire déjà mentionné : Collecties op orde de Stooker et Verbeij qui réunit des indications précieuses concernant l’origine, l’histoire et le contenu de nombreux manuscrits vernaculaires. Il en ressort que la plupart des communautés examinées ne possédaient qu’un nombre restreint de livres vernaculaires, souvent pas plus d’un ou deux. En conséquence, elles avaient seulement accès à une fraction de la production hagiographique. Parmi les exceptions se trouvent les heureux possesseurs d’un exemplaire complet de la Gulden legende. De nombreuses institutions ne disposaient vraisemblablement que de la première ou de la deuxième partie de l’année liturgique, si on peut du moins se fier principalement aux manuscrits conservés46. Quelques communautés brabançonnes de chanoines de la congrégation de Windesheim étaient particulièrement privilégiées à ce propos. Par exemple, la richesse de la bibliothèque des chanoines réguliers de Rouge-Cloître (Rooklooster) située dans la forêt à Auderghem (Bruxelles) est indéniable47. La  communauté avait accès aux traductions –  au moins partielles  – des textes fondamentaux comme les Collationes de Cassien48, les Dialogi de Grégoire le Grand49 et la Legenda aurea50. Ils disposaient d’un dossier classique sur saint Jérôme51 et saint François52 . On y conservait des traductions de nombreuses légendes de saints universels dispersées dans plusieurs manuscrits : celles de Dorothée et Théophile53, d’Alexis54, de Marine d’après le Vaderboec55, de Guillaume d’Aquitaine – un récit par ailleurs bien enflé –56, de Catherine d’Alexandrie57 et de Catherine de Sienne – bien que dans un allemand régional58  –, de  saint Éloi59, et de saints locaux comme Stooker et Verbeij expriment leur doute à propos de cette possibilité. Il est évident que le nombre de manuscrits d’origine inconnue risque également de troubler la vue panoramique et son interpretation. 47  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 332-348. 48  Bruxelles, KBR, 2844 (2e traduction). 49  Bruxelles, KBR, 388 (extraits) et 1805-08 (pour les frères convers). 50  Bruxelles, KBR, 388 (Winterstuc) et 1729-30. 51  Bonn, UB, S 723. Ce  recueil appelé Jheronymus sterfboeck se compose de l’Epistula de morte Hieronymi, l’Epistola de magnificentiis beati Hieronymi et de l’Epistola de miraculis Hieronymi. 52  Vienne, ÖNB, 13880 (Legenda de Bonaventura et Actus beati Francisci et sociorum). 53  Bruxelles, KBR, 11729-30. 54  Bruxelles, KBR, 3067-73 et 11729-30. 55  Bruxelles, KBR, 3067-73. 56  Vienne, ÖNB, s.n. 12897. 57  Bruxelles, KBR, 1805-08 et Bonn, UB, S 723. 58  Bonn, UB, S 723. 59  Bruxelles, KBR, 1805-08. 46 

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Servais de Maastricht60, Cunéra de Remen61 et Lutgarde62 . Particulièrement précieux est l’unique exemplaire, bien qu’incomplet, du deuxième tome du Spiegel Historiael de Jacob van Maerlant et de son collaborateur Utenbroeke dont l’aspect hagiographique a été souligné63. Cet aperçu est à compléter par des miracles eucharistiques64, d’innombrables exempla65 et naturellement des Vies et Passions de Jésus, comme le livre à succès connu sous le nom de pseudo Bonaventura-Ludolphiaans leven van Jezus66. Il semble que les voisins de Groenendael à Hoeilaart avaient constitué une collection spécialement destinée à la lecture au réfectoire des frères67. Elle était composée des traductions du Vaderboec68, des Dialogi de Grégoire le Grand69, et de la Legenda aurea70 . Puis, on disposait des Vies des saints François, Augustin, Barbe, Gommaire de Lierre, des Rois Mages (extraits) et de nombreuses autres légendes71, et cela à côté des Vies et Passions de Jésus72 . Il faut noter le manuscrit Gand, UB, 1080, probablement partiellement copié par Thomas Moonincx, prieur à Groenendael et ancien prieur de Septfontaines. Ce légendier hybride a appartenu à frère Joes van Lokere († 1479) qui

Bruxelles, KBR, 388. Bruxelles, KBR, 388. 62  Copenhague, KB, NKS 168 Qu. 63  Vienne, ÖNB, 13708. 64  Bruxelles, KBR, 388. 65  Vienne, ÖNB, s.n. 12784. 66  Bruxelles, KBR, 1956-57. Parmi les multiples Vies de Jésus, Tleven ons heren Jhesu Christi, ou La Grande Vie de Jésus-Christ a connu la diffusion la plus vaste. Jadis considérée comme une compilation des Meditationes Vitae Christi du Pseudo-Bonaventure et de la Vita Jesu Christi de Ludolphe le Chartreux dit de Saxe, cette composition hybride est désignée dans l’histoire de la littérature néerlandaise comme Bonaventura-Ludolphiaanse leven van Jezus, une claire référence à ses origines supposées. J. J. Van Moolenbroek a argumenté que cette Grande Vie du Seigneur ne serait autre que la traduction d’une Vita domini nostri Jesu Christi anonyme du xive siècle, bien antérieure à celle de Ludolphe. Voir « De gevarieerde overlevering van een vijftiende-eeuws prozaverhaal over het lijden van Christus en de mirakelen na zijn dood », Ons Geestelijk Erf, 68 (1994), p. 30-75. 67  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 217-225. 68  Bruxelles, KBR, 15134. Le manuscrit fut copié par sœur Marie Doeghens à la demande de Willem van Sundert, originaire de Bergen-op-Zoom, et frère à Groenendael, pour un usage au réfectoire par les donati et familiares. Il contient aussi la légende de Thaïs selon la traduction brabançonne de la Légende dorée, et une Vie de saint Antoine différente de la traduction de Petrus Naghel, cf. J. Deschamps et H. Mulder, Inventaris van de Middelnederlandse handschriften, t. 9, 2007, p. 17-18. 69  Bruxelles, KBR, 2137-38 (pour les frères convers). 70  Bruxelles, KBR, 15140, avec Alexis et Martine selon le Vaderboec. 71  La Haye, KB, 71 H 6 ; Bruxelles, KBR, 15087-90 (frères convers) et II 138 ; Gand, UB, 1080. 72  Bruxelles, KBR, 2694 et 11150 ; Gand, UB, 1016. 60  61 

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à Septfontaines s’occupait non seulement du bétail mais aussi de l’acquisition des manuscrits pour le réfectoire des frères73. Quelques manuscrits vernaculaires de la bibliothèque de Bethlehem située à Herent près de Louvain portent encore l’indication explicite qu’ils étaient destinés aux « lekebroeders » –  les frères convers  – de la communauté74. Ceux-ci avaient accès à la traduction (partielle) des Collationes de Cassien75, un légendier (en quatre volumes ?) dont subsiste seulement une partie de la Gulden legende (version Petrus Naghel), un martyrologe d’Usuard, et finalement une poignée de légendes dont celle de Servais, l’évêque de Maastricht76. Ils disposaient des Verba Seniorum77 avec la légende d’Onuphrius selon les Vitae Patrum, le Sinte Hieronymus sterfboec 78 et différentes Passions de Jésus79. L’origine du ms. Vienne, ÖNB, 15458 contenant le commencement de l’histoire des cisterciens par Conrad d’Éberbach reste incertaine. Leur collection était globalement de datation plus récente que celle de Rouge-Cloître ou de Groenendaal. Les autres communautés de la même congrégation de Windesheim comme Corsendonck à Oud-Turnhout et le Val-Saint-Martin à Louvain possédaient un nombre insignifiant de manuscrits vernaculaires contenant des textes hagiographiques80. Corsendonck par exemple détenait un manuscrit de la traduction des Verba seniorum par Petrus Naghel81 et un dossier à propos de saint François82 . On conserve l’autographe du Livre de la Passion par Jan van Meerhout à la KBR de Bruxelles83. La  problématique concernant l’usage des textes vernaculaires exposée dans le traité de Gerard Zerbold ne leur était certainement pas inconnue84. Les chanoines du Val-Saint-Martin à Louvain, centre intellectuel dans l’ombre de l’université, possédaient la traduction de Petrus Naghel du Zomerstuc de la Gulden legende85 avec de K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 223-4, no 677 et 112 ; J. Reynaert, Catalogus, p. 101-113. 74  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 198-204. 75  Bruxelles, KBR, 2341. 76  Vienne, ÖNB, 15148. 77  Bruxelles, KBR, 2528. 78  Bruxelles, KBR, 2810-13. 79  Olim Louvain, UB, 172 et D 319. 80  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 256-257 et 348-350. 81  Bruxelles, KBR, 11178. 82  Vienne, ÖNB, 13880. 83  Bruxelles, KBR, 3037, cf. J. Deschamps et H. Mulder, Inventaris van de Middelnederlandse handschriften, t. 12, Bruxelles, 2010, p. 6-7. 84  Corsendonk gardait un exemplaire du traité De libris teutonicalibus par Gerard Zerbolt (Bruxelles, KBR, 2285-2301). 85  Bruxelles, KBR, 1116. 73 

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nombreuses additions, dont le séduisant Barlaam et Josaphat, et un extrait du Vaderboec86. Un de leurs manuscrits vernaculaires, contenant l’Horologium de Henricus Suso, portait l’indication « destiné aux frères convers »87. Si le scriptorium de la chartreuse de Herne88 n’a été mise en avant que récemment grâce aux recherches d’E. Kwakkel, celui des bégards à Maastricht (Saint-Barthélemy) était mieux connu89, entre autres par l’unique témoin du Servas d’Hendrik van Veldeke90. On  attribue avec une certaine réserve au même copiste anonyme un exemplaire de la Gulden legende91 et du Sint Jheronymus Sterfboeck92 et des extraits du Vaderboeck et des Collationes de Cassien93. Le nom d’un autre scribe du même scriptorium est bien notifié : Jan de Test van Emmerik. Étant le père spirituel de sa communauté, il a activement participé à la production de manuscrits94. Ainsi, après sa mort en 1503, Jan de Test a laissé un manuscrit fort personnalisé car copié par lui-même et pour lui-même, dans lequel il a réuni quelques traductions rares ou même uniques de textes hagiographiques95. On reconnaît aussi la collaboration du même Jan

Olim Louvain, UB, 26. Olim Louvain, UB, 26. 88  Récapitulons sa production : la Legenda aurea ; les Dialogi de Grégoire, les Collationes de Cassien, les Vitae Patrum, les Verba Seniorum et la deuxième partie du Spieghel Historiael. 89  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 288-296. 90  Leyde, UB, BPL, 1215. 91  Bruxelles, KBR, IV 138, avec un extrait du Vaderboeck et les légendes de Servais, Claire et Hieron. 92  Bruxelles, Bollandistes, 494. 93  Bruxelles, KBR, II 112. 94  Pour les manuscrits copiés par Jan de Test van Emmerik voir J. Deschamps, Catalogus, no 21, p. 202-205. Le manuscrit Bruxelles, Bollandistes, 494 (Sint Jheronymus Sterfboeck) a été copié par trois copistes différents dans la même maison des bégards (Saint-Barthélemy) à Maastricht vers 1470. La première main a été identifiée comme celle du scribe de la Vie de Servas de Veldeke dans le ms. Leyde, UB, BPL, 1215 ; la deuxième main serait celle de Jan de Test van Emmerik († 1503). 95  Légendes à propos de Jean l’Évangeliste (témoin unique), de saint Servais (un mélange de plusieurs versions), la légende de Liborius, l’ami de saint Martin, Barlaam et Josaphat d’après le Speculum de Vincent de Beauvais, légendes de saint Lambert de Liège selon Nicolas de Liège, de saint Trond (version Donatus), Pantaléon, saint Antoine abbé selon la Vita d’Athanasius dans le Liber Patrum (traduction de Petrus Naghel) et la Disputatio sancti Antonii (de Alphonsus Boni Hominis), légende de saint Rombaut et de Guillaume, fondateur des Guillemites, selon Theobaldus. Voir la description par J. Deschamps, Catalogus, no 71, p. 202-205 ; W. Williams-Krapp, Legendare, p. 395, 431, 433, 447, 458, 465 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, no 880, p. 294. Ce trésor se trouvait chez les franciscains à Vaalbeek, près de Louvain (Vaalbeek, Bibliothèque des Franciscains /Bibliotheek der Franciskanen, A  21). Le  transfert dans un centre de recherche de la KULeuven (KADOC) s’est produit récemment. Une traduction « nordique » des Collationes de Jean Cassien et une légende de sainte Claire ont suivi le même chemin. 86  87 

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de Test dans le dossier de saint François96. Au même scriptorium remontent encore différents exemplaires des Vies de Jésus97. À la fin du xve siècle dans la même ville de Maastricht, Katrijn van Rade, tertiaire de la communauté de Maagdendriesch, a développé une grande activité de copiste98. Elle a vu passer sous ses yeux le Mariale de Jacques de Voragine99 et un ensemble composé de la Visio Tnugdali, des légendes des 10 000 Vierges et de sainte Euphrosyne, suivi par des extraits des Vitae Patrum, du Bonum universale de apibus et du Dialogus miraculorum100. Un autre manuscrit de sa plume contenait les Vies de saint Martin, saint Hubert, saint Liévin (par Olivier de Langhe) et saint Roch101. La bibliothèque de la communauté contenait des extraits des Collationes de Jean Cassien et des Vitae Patrum, avec un poème à propos de saint Jérôme et la légende de la martyre romaine sainte Victoria102 . On pouvait y consulter des documents à propos de sainte Barbe103, de la Vierge Marie104 et de la Passion du Christ105. La cerise sur le gâteau était sans doute le plus ancien manuscrit (c. 1300) d’un Ludus paschalis106. Parmi les communautés féminines des anciens Pays-Bas méridionaux, celle des chanoinesses de Sainte-Agnès à Maaseik, située non loin de Maastricht dans la même vallée de la Meuse, a été une des plus riches dont nombres de manuscrits vernaculaires ont été copiés sur place107. À côté d’une Gulden legende incomplète108, leur bibliothèque contenait – mais dispersées sur plusieurs manuscrits109 – les légendes d’Adrien, Alexis, Anne, Barbe, Catherine d’Alexandrie, Élisabeth de Hongrie, Gertrude de Nivelles, Laurent, Servais,  etc. La  communauté de Sainte-Agnès possédait un exemplaire incomplet du dossier de saint Jérôme (Sint Hieronymus sterfboec110) et un extrait du récit de Conrad d’Eberbach sur les premiers abbés cisterciens111. La Haye, KB, 73 H 12. Utrecht, UB, 1032 (2 D 23). 98  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 297-302. 99  La Haye, KB, 70 E 13. 100  Cologne, HA, W. Oct. 25. 101  Amsterdam, UB, I G 12. 102  Bruxelles, KBR, 11231-36. 103  Bruxelles, KBR, II 4334. 104  Bruxelles, KBR, II 5574. 105  La Haye, KB, 143 C 34 et Leyde, UB, BPL, 2259. 106  La Haye, KB, 70 E 5. 107  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 261-288. 108  La Haye, KB, 70 E 14 et 70 E 15. 109  Budapest, OSK, Holl. 4 (Anne) ; Bruxelles, KBR, 4302-05 ; La Haye, KB, 70 E 14, 70 E 15, 70 E 44, 73 H 6, 73 H 11, 73 H 13 et 73 H 24. 110  La Haye, KB, 73 H 7. 111  Bruxelles, KBR, 4302-05. 96  97 

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Les traductions du Mariale de Jacques de Voragine112 et des Collationes de Cassien étaient plus complètes113. On comptait de nombreuses Vies et Passions de Jésus114. Trois Visions des plus connues – celles de Tondale, Patrick et Gobius – ont été rassemblées dans un seul manuscrit115. La présence des Verba seniorum en langue ripuaire témoigne des bonnes relations avec le pays rhénan116. Non loin de là, à Hasselt117, les tertiaires de St. Catherinendal détenaient un exemplaire des Collationes de Jean Cassien118 et plusieurs extraits de la même traduction dans des manuscrits différents119, ainsi qu’un extrait du Vaderboec120. Rien de surprenant qu’elles se soient procurées aussi le dossier de saint François121. Le tout est à compléter par des Vies de Jésus122 . L’information disponible à propos d’autres communautés féminines nous ramène à la région bruxelloise. Des chanoinesses à Ter Roosen (NotreDame ter Roosen geplant in Jéricho123) proviennent un Mariale de Jacques de Voragine124 et diverses légendes de saintes femmes comme celles de sainte Barbe, de Catherine d’Alexandrie (en deux exemplaires), d’Élisabeth de Thuringe, de Claire et de Lutgarde125 ; on y trouvait aussi la légende de l’ermite fondateur de Lierre, saint Gommaire126, le Sint Hieronymus Sterfboec127 et des nombreux exempla tirés du Dialogus miraculorum, de Vincent de Beauvais, de Conrad d’Eberbach, et de Thomas de Cantimpré128. Sion, autre communauté de chanoinesses à Bruxelles129, possédait un dossier à propos de saint Augustin130, le Sint Hieronymus Sterfboec, et les légendes de Catherine d’Alexandrie, Élisabeth de Thuringe et Godelieve de Budapest, OSK, Holl. 4. La Haye, KB, 73 H 4 et Utrecht, UB, 1015 (5 E 17). 114  Anvers, Ruusbroecgenootschap, Misc. 26 ; Bruxelles, KBR, II 166, II 1332 et IV 94 ; Francfort, SUB, Praed. 12 ; La Haye, KB, 73 H 6, 73 H 8 et 73 H 9. 115  La Haye, KB, 73 H 14. 116  Utrecht, UB, 1013 (5 E 19). 117  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 189-195. 118  Berlin, Staatsbibliothek-Preussicher Kulturbesitz, Germ. Qu. 1109 (traduction nordique). 119  La Haye, KB, 135 F 12 (avec une légende de la croix) ; Hasselt, GA, Inv. 2068. 120  Gand, UB, 1305 : extrait de la légende de Macarius selon la traduction de Petrus Naghel. 121  Utrecht, olim Weert, OFM 8 ; Weert, CMW 28. 122  La Haye, KB, 73 E 7 (d’après Ludolphe de Saxe) et Liège, BU, 2635. 123  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 79-90. 124  Bruxelles, KBR, 15069. 125  Bruxelles, Bollandistes, 487 ; KBR, 1683-87 (Catherine et Élisabeth) et IV 296 ; Gand, UB, 1761 ; Londres, BL, Egerton 677 (Catherine d’Alexandrie). 126  Bruxelles, Bollandistes, 487. 127  Gand, UB, 904. 128  Par exemple Bruxelles, KBR, 4367-68, 11146-48 et IV 402. 129  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 90-96. 130  Bruxelles, KBR, 2190-91. 112  113 

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Gistel, et cela à côté d’une sélection de saints masculins comme Bède, Bonaventure, Antoine de Padoue, etc.131. Au xve siècle, Heylken Lievens a encore fait traduire à ses frais une longue Vie de sainte Hedwige, sa patronne, qui remplit un manuscrit entier132 . Signalons, en rapport avec la dévotion locale, les miracles eucharistiques qui ont eu lieu à Bruxelles à la fin du Moyen Âge133. Les clarisses de Bruxelles134 gardaient une légende des Rois mages135 tandis que les frères de la vie commune (Nazareth136) avaient acquis la Narratio d’Eberhard, mais seulement après  1500137. Pour achever cet aperçu par quelques communautés plus réduites signalons à titre d’exemple qu’à Louvain, le couvent des clarisses avait acquis un extrait des Collationes Patrum138 et un manuscrit exclusivement dédié à des légendes de saintes femmes139. Les tertiaires ou « grauwzusters » (sœurs grises) de la même ville devaient se contenter d’une Vie d’Alexis140. En déplaçant le regard vers le nord des anciens Pays-Bas, on constate ensemble avec Stooker et Verbeij que la majeure partie des manuscrits conservés provient de communautés féminines. On n’y retrouve aucune communauté masculine d’envergure comparable à celles des environs de Bruxelles dans le duché de Brabant, même pas à Windesheim. Après la fusion des sœurs de la dévotion moderne du Brandeshuis et du Kerstekenshuis (Saint-Cyprien) sous le nom de Sainte-Ursule vers 1470, on disposait à Deventer d’une solide collection de traductions141 : les Vitae Patrum (I et II)142 , les Verba seniorum143, un court extrait des Dialogi du pape Grégoire144, des dossiers à propos de saint Augustin145, de saint Jérôme (Sint Hieronymus sterfboec146) et de saint Fran-

Bruxelles, KBR, 2190-1 (Legenda aurea, incomplet), II 1302 (Catherine), II 11988 (Élisabeth) ; Gand, UB, 1761 (Barbe), Vienne, ÖNB, 13655 (Dialogi, incomplet) et s.n. 12847. 132  Vienne, ÖNB, s.n. 12874. 133  Vienne, ÖNB, 15419. 134  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 78-79. 135  Bruxelles, KBR, 2546. 136  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 77. 137  Vienne, ÖNB, 15458. 138  Paris, BNF, Néerl. 40. 139  Gand, UB, 1379. 140  Bruxelles, KBR, 20105. 141  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 116-130. 142  Deventer, SAB, I 8 (101 F 4) et un extrait (saint Basile) dans I 36 (101 F 15). 143  Deventer, SAB, I 40 (101 F 12). 144  Deventer, SAB, I 40 (101 F 12). 145  Deventer, SAB, I 36 (101 F 15). 146  Deventer, SAB, I 40 (101 F 12) et I 51 (101 F 7), incomplet. Un autre exemplaire se trouvait dans le Lamme van Diesenhuis (Nimègue, UB, 301). 131 

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çois147, et puis plusieurs manuscrits avec des sélections différentes de la Gulden legende et avec de nombreuses additions148. Un de ces manuscrits contient 58 légendes qui remontent à la Legenda aurea et 52 légendes additionnelles, avec, en outre, celles des missionnaires du Nord à l’époque mérovingienne et carolingienne149. Dans d’autres manuscrits on peut lire les récits relatifs à saint Antoine150, aux 10 000 Vierges151, à sainte Apolline d’Alexandrie, à Pantaléon et aux Rois Mages152 . À Deventer, on pouvait consulter plusieurs exemplaires de l’Exordium magnum ordinis Cisterciensis ordinis (ou la Narratio…) de Conrad d’Eberbach153. Enfin, on ne peut passer sous silence la matière hagiographique réunie dans Der  sielen troest154 et les importants « zusterboeken » – libri sororum – et libri fratrum qui ont circulé dans la région de Deventer155. Les augustiniennes de Sainte-Marie-Madeleine à Amsterdam156 disposaient de la deuxième traduction des Dialogi de Grégoire le Grand, un dossier sur saint Martin et une légende de saint Servais en prose157. Elles possédaient un exemplaire du Dialogus miraculorum de Césaire de Heisterbach158, du dossier de saint François159 et évidemment aussi de la légende de Marie MadeDeventer, SAB, I 34 (101 F 8) et Weert, OFM, 4 ; un autre exemplaire était disponible chez les voisines de Sainte-Cécile (Nimègue, UB, 301). 148  Deventer, SAB, I 41 (101 F 13) avec 12 légendes ajoutées ; I 44 (101 F 10) ; I 45 (101 F 11) ; I 46 (101 D 5), copié sur place. 149  Deventer, SAB, I 43 (101 F 9). 150  Deventer, SAB, I 46 (101 D 5) et I 53 (101 F 6). 151  Deventer, SAB, I 46 (101 D 5). 152  Deventer, SAB, I 42 (101 D 6). 153  Deventer, SAB, I 38 (101 D 8) et I 39 (101 D 9) ; un autre exemplaire incomplet se trouvait chez les voisines de Sainte-Agnès (I 37, 101 D 18). 154  Deventer, SAB, I 58 (101 D 1). Cf. Deschamps, Catalogus, p. 193-4, no 68. Il s’agit d’un livre didactique en forme de dialogue comblé d’exempla avec entre autres, les légendes de Barlaam et Josaphat et d’Ami et Amelie. 155  À propos des Zusterboeken voir, entre autres, W.  Scheepsma, « For hereby I  hope to rouse some piety : Books of Sisters from Convents and Sister-Houses associated with the Devotio Moderna in the Low Countries », dans Women, the Book and the Godly : Selected proceedings of the St Hilda’s Conference, 1993, éd. L. Smith et J. H. M. Taylor, Cambridge, 1995, p. 27-40 ; Id., « Writing, editing, and rearranging : Griet Essinchghes and her version of the Sister Book of Diepenveen », dans Nuns’ Literacies in Medieval Europe. The Hull Dialogue, éd. V. Blanton et P. Stoop, Turnhout, 2013 ; Id., « “As Sister Souken was wont to say” : the Diepenveen book of sisters », dans Women’s writing from the Low countries 12001875. A bilingual anthology, éd. L. Van Gemert et al. Amsterdam, 2010, p. 112-119 ; J. Van Engen, « Communal Life : The Sister-books », dans Medieval Holy Women in the Christian Tradition c. 1100-c. 1500, éd. A. Minnis et R. Voaden, Turnhout, 2010, p. 105-131. 156  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 17-21. 157  Arnhem, OB, 7. 158  Utrecht, MCC, BMH SJ 91. 159  Leyde, UB, LTK, 266. 147 

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leine, leur sainte patronne, mais reliée à un manuscrit de la Gulden legende160. Les chanoinesses de Sainte-Agnès à Arnhem161 possédaient le Sint Jheronymus sterfboeck162 , l’Exordium magnum de l’ordre cistercien par Conrad d’Eberbach163 et la Gulden legende (winterstuc) avec une sélection de sept légendes dont celle de Cunéra164. À la fin du xve siècle, on y copiait encore 85 chapitres de la Gulden legende selon la traduction brabançonne165. La communauté de Sainte-Agnès à La Haye, composée elle aussi des chanoinesses166, avait constitué une collection de base avec la Legenda aurea167, les Vitae Patrum168 et les Verba seniorum169. Un manuscrit originaire des chanoinesses à Neerbosch près de Nimègue170 contient un trésor : le Bienboeck de Thomas de Cantimpré, l’Exordium magnum de Conrad d’Eberbach, la Visio Guidonis, et des extraits de la Vie de Marie d’Oignies mélangés avec celle de Christine de Saint-Trond171. Un autre offrait une sélection de la Légende dorée avec une ample légende de Marie l’Égyptienne172. Un troisième réunissait des extraits du Vaderboeck avec le Sinte Jheronymus Sterfboeck, la légende des Trois Mages selon Johannes de Hildesheim, ainsi que le dossier de sainte Barbe composé par Johannes van Wakkerzele173. Si l’héritage des tertiaires de Groesbeekshof à Nimègue se limite à un seul folio d’une légende d’Élisabeth de Hongrie, les voisines du Hessenberg possédaient en revanche des manuscrits fort intéressants dans leur « librije »174. À côté des extraits des Vitae patrum175, on y trouvait le martyrologe d’Usuard avec une paraphrase originale de 146 légendes de la Gulden legende selon la traduction de Petrus Naghel, le tout augmenté de 23 légendes176. Elles avaient même deux exemplaires du dossier de saint François177. Un autre maLa Haye, KB, 133 F 17. K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 53-56. 162  Olim Bonn, UB, 315. 163  Leyde, UB, BPL, 2895. 164  Leyde, UB, LTK, 281. 165  Nimègue, UB, 303. 166  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 166. 167  Leyde, UB, LTK, 283. 168  Vienne, ÖNB, s.n. 248. 169  Utrecht, MCC, ABM 51. 170  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 314-316. 171  Utrecht, UB, 1016 (5 D 6). 172  Kassel, GHB, Theol. Fol. 56. 173  Nimègue, GA, I a 23. 174  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 320-322. 175  Nimègue, GA, Weeshuis 952. 176  Nimègue, GA, Weeshuis 954. 177  Berlin, Staatsbibliothek-Preussischer Kulturbesitz, Germ. Qu. 1318 et Nimègue, GA, 1 a 24. 160  161 

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nuscrit contenait le dossier composé par Johannes van Wakkerzeele à propos de sainte Barbe, la légende de Georges, Pantaléon et du pape Alexandre avec ses compagnons (Eventius, Theodulus, Hermes et Quirinus)178. Enfin, elles pouvaient aussi lire l’histoire de Pantaléon, Barlaam, Marie l’Égyptienne et des 10 000 Vierges dans la collection d’exempla présente dans Der sielen troest179. Les tertiaires d’Amsterdam (Sainte-Barbe180) s’étaient approprié une Gulden legende particulière : un mélange des deux traductions existantes de la Legenda aurea, augmenté des Vies des saints missionnaires du nord des anciens Pays-Bas et de l’Evangelium Nicodemi181. Un autre manuscrit contenait une traduction partielle des Collationes de Jean Cassien182 . À Utrecht183, les tertiaires de Bethlehem possédaient la deuxième traduction des Collationes de Jean Cassien184, une sélection de 84  légendes de la Gulden legende avec de nombreuses additions185, et le Bienboec (Bonum universale) de Thomas de Cantimpré, aussi bien la première traduction que la deuxième186. Dans la bibliothèque des tertiaires d’Oud Hof à Weesp187, nous retrouvons des extraits des Vitae patrum188 et du Dialogus miraculorum de Césaire de Heisterbach189, ainsi qu’une traduction incomplète de l’Exordium de Conrad d’Eberbach190. Cette communauté détenait aussi le martyrologium d’Usuard191 et les légendes de Jérôme192 , d’Élisabeth de Thuringe et d’Euphrosyne193. La bibliothèque des brigittins et brigittines de Marienwater à Rosmalen excelle en Passions du Christ194. Ce sont surtout les saintes femmes fondatrices de leur propre congrégation qui semblent avoir attiré l’attention, comme Brigitte et Catherine de Suède195, mais n’y manquaient pas non plus Nimègue, GA, Weeshuis 955. Nimègue, GA, Weeshuis 953. 180  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 39-40. 181  Leyde, UB, LTK, 280. 182  Leyde, UB, LTK, 335. 183  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 404-406. 184  Bruxelles, KBR, IV 5. 185  Utrecht, CM, 1569. 186  La Haye, KB, 75 E 14 et Leyde, UB, LTK, 360. 187  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 425-434. 188  La Haye, KB, 73 G 31. 189  La Haye, KB, 73 G 31. 190  Weesp, GA, inv. 286. 191  La Haye, KB, 73 G 40. 192  La Haye, KB, 73 G 33. 193  La Haye, KB, 73 G 32. 194  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 355-364. 195  Uden, AMR Inv. 078 et Tilburg, UB, KHS 26 ; Nimègue, JBB 5000, PB 53. 178 

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Élisabeth de Hongrie196, Barbe197, Catherine d’Alexandrie198, Agnès, Marie Madeleine, Agathe, et Godelieve de Gistel199. La Vie de Petrus Olovsson de Skänninge et celle de frère Olof font exception, mais leur présence est compréhensible vu leurs relations avec Brigitte de Suède200. Les béguines du Grand béguinage de Haarlem201 s’étaient procuré plusieurs exemplaires de la Vie de Jésus202 , les Collationes de Jean Cassien203, un extrait du Vaderboec204, le Sinte Hieronymus sterfboec205, le Bienboec206 et un dossier sur sainte Agnès possédé autrefois par les sœurs Agnès et Rekelant Stevensdochter207. Finalement, un exemplaire du Purgatoire saint Patrick figurait parmi les manuscrits en leur possession208. Dans la même ville, les clarisses209 pouvaient consulter la Gulden legende210, le dossier sur saint François211 et une Vie de Jésus212 . On pourrait certainement encore multiplier les exemples à partir des manuscrits conservés pour se faire une idée encore plus fondée des textes en vogue. Cependant, pour affiner cette enquête à propos de la distribution des textes, on devrait se tourner aussi vers les catalogues médiévaux des bibliothèques, les legs testamentaires de particuliers et de religieux, les listes de donation ou les inventaires des biens. Un  premier sondage pour les Pays-Bas méridionaux livre relativement peu d’informations pertinentes213. En plus, celles-ci concernent presque exclusivement la Gulden legende et les Passions du Christ. Par exemple le testament de Peter Mailliarts († 1477), sous-diacre de la collégiale Saint-Michel et Gudule à Bruxelles, mentionne une Aurea legenda in teuthonico214, tandis que Martinus Tosseyen († 1500), chapelain Tilburg, UB, KHS 26 ; Nimègue, JBB 5000, PB 53. La Haye, KB, 133 B 13. 198  Paris, BNF, Néerl. 129 ; Paris, Collection privée et New York, PML, M 868. 199  Nimègue, JBB 5000 PB 53. 200  Uden, AMR, D :1. 201  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 171-176. 202  La Haye, KB, 133 D 32 ; Leyde, UB, LTK, 259 et LTK, 1984 ; Utrecht, MCC, BMH SJ 93. 203  Utrecht, MCC, BMH SJ 93 ; Leyde, UB, LTK, 334. 204  Olim Hamburg, SUB, Theol. 2058. 205  Deventer, SAB, I 64 (10 V 1). 206  La Haye, KB, 73 E 26. 207  Gand, UB, 1269. 208  Utrecht, MCC, Warmond 92 F 26. 209  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, II, p. 176. 210  La Haye, KB, 75 E 16 (zomerstuc). 211  Leyde, UB, LTK, 265. 212  Nimègue, UB, 312. 213  A.  Derolez, Corpus catalogorum Belgii. The  Medieval Booklists of the Southern Low Countries. De middeleeuwse bibliotheekcatalogi der Zuidelijke Nederlanden, 7 t., Bruxelles, 1966-2009. 214  A. Derolez, Corpus, IV, no 29.16. 196  197 

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de la même collégiale, avait acquis un exemplaire imprimé215. L’auteur de l’inventaire de l’église de Sainte-Marie à Nieuport, qui dépendait des prémontrés à Furnes, a noté à côté d’une Aurea Legenda impressa une Gulden legende in parcemine216. Un légendier in vlaemsche de la chapelle de Jérusalem à Bruges a été emprunté entre 1455 et  1465 par Jacob, membre de famille Adorne, réputée pour son amour des lettres217. Thomas de Malecoust, chanoine de Saint-Pierre à Anderlecht, possédait à sa mort en 1467 quelques livres dont 1  dietsche passie218. Parmi les autres possesseurs d’une Passion du Christ se trouvent des laïcs comme Jan, seigneur de Gistel et membre d’une famille influente219 et un certain Jan Wasselin, bourgeois gantois220 ; parmi les religieux, on rencontre deux bénédictins de l’abbaye Saint-Bavon à Gand : Michael van der Stoct, mort en  1400221 et Olivier De Langhe, prieur, bibliothécaire et traducteur réputé222 . À l’hôpital Sainte-Marie-Madeleine de Bruges, on disposait de deux cahiers avec la légende de sainte Barbe et d’un livre sur saint François, probablement en néerlandais223. Les deux manuscrits étaient attachés avec des chaînes dans le chœur de l’église. Que faire enfin des informations à propos de communautés dont aucun manuscrit n’est conservé et avec les manuscrits dont l’origine est inconnue ou incertaine ? Ce sont deux questions pertinentes posées par Stooker et Verbeij. Mais risquent-t-elles de changer fondamentalement la vue d’ensemble révélée par les manuscrits conservés et dont l’origine est attestée ? Un premier dossier concerne la donation importante d’Élisabeth de Grutere, veuve du riche Simon Borluut, au moment de son entrée dans le béguinage gantois Onze-Lieve-Vrouw-Ter Hooie vers 1500. Elle a donné pas moins de 80 livres dont huit avec une Vie ou une Passion du Christ224. Parmi eux se trouvait une A. Derolez, Corpus, IV, no 64.10 et 65.8. A. Derolez, Corpus, I, no 90.8. 217  A. Derolez, Corpus, I, no 2 (origine incertaine). 218  A. Derolez, Corpus, IV, no 1, 3. 219  A. Derolez, Corpus, I, no 105, 4 (Van der passie van Onsen Heere) ; l’information date de 1417. 220  A.  Derolez, Corpus, III, no  28, 2 ; le livre avec la groete passie est mentionné en  1389. Il contient aussi un livre moralisant (Jans Teestye, Dietsche Doctrinael) et une histoire des papes. 221  A. Derolez, Corpus, III, no 10.189 : van christus levene ende passie in dietssche in papiro. Nous devons cette information à une dispute entre Michael van der Stoct, à ce moment professeur de théologie à Cologne, et l’abbaye de Saint-Bavon concernant la propriété de ses livres. Michael a dressé une liste de ce qu’il considérait comme sa proprièté. 222  A. Derolez, Corpus, III, no 11.69 ; la référence De passione Domini in vlaemsch concerne ses propres livres vers 1450. 223  A. Derolez, Corpus, I, no 102. 2 et 102.20. 224  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, I, p. 344-345 ; Derolez, Corpus, III, no 4.16 (van dat Ons Heere starf an tcruce ende dat wij ons voughen sullen tot sijnder heligher 215 

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traduction de la Légende dorée225 et un Vaderboec relié avec Der sielen troest en un volume226, et puis surgissent des Vies de saintes femmes comme Brigitte227, Catherine de Sienne228, Christine229, Claire230, et finalement les Vies de François d’Assise231 et d’Elzéar de Sabran232 , la translation de Colette233 et les Quinze joies de la Vierge Marie234. Du même ordre d’intérêt est le catalogue de 1508 rédigé par le confesseur Jan Ysenbaert pour les riches clarisses de Gentbrugge, un faubourg de Gand235. Il énumère les livres en précisant souvent leur origine. Ainsi le Gul­ den bouc (livre d’or) avec la Vie de Jésus était-il un legs de la sœur converse Lysbetten uter Meere, qui l’avait copié d’ailleurs elle-même236. La  légende de Marie Madeleine avait été la propriété de sœur Mergrieten Vijts237. Elle n’était pas la seule à posséder une légende en rapport avec son prénom. La légende de sainte Élisabeth venait de Lysbetten Sturtewaghins238 et celle de Catherine de Kathelinen van Meersen239. La Vie de sainte Claire appartenait à Meynen van Aemste240 et les sœurs Avezoeten et Lysbetten sVrients avaient, elles, donné un légendier241. Un exemplaire imprimé du Der sielen troest pro-

passien) ; 4.17 (een bouckin van der passien Ons Heeren up de VII ghetiden) ; 4.18 (rosencrans van der passien) ; 4.27 (een bouckin want al onsen troest, hope, verdiente, welvaert ende salichede es in dat lijden Ons Heeren ghelegen es) ; 4.44 (die principale artikelen van der passien Ons Heeren Jhesu Christi) ; 4.45 (van der passien Ons Heeren Jhesu Christi) ; 4.60 (bouc van der passion Ons Heeren welke gheset es van sente Bernaerdijn) ; 4.63 (van den levene Ons Heeren Jhesu Christi). 225  A. Derolez, Corpus, III, no 4.1-2 (tsomerdeel van der gulden legende / de gulden legende van den winterdeel). 226  A. Derolez, Corpus, III, no 65. Rapellons que Der sielen troest contient plusieurs légendes de saints. Un livre avec des exempla tirés du Vaderboec est mentionneé sous 4.7. 227  A. Derolez, Corpus, III, no 4.57 (van sente Birgitte). 228  A. Derolez, Corpus, III, no 4.58 (van sente Katheline van der Seynen). 229  A. Derolez, Corpus, III, no 4.48 (legende van sente Kerstine). 230  A. Derolez, Corpus, III, no 4.32 (van der legenden van sente Claren). 231  A. Derolez, Corpus, III, no 4.59 (bouc van sente Fransoys). 232  A. Derolez, Corpus, III, no 4.33 (van den levene van sente Elzearius). 233  A. Derolez, Corpus, III, no 4.3 (translatie van suster Colette). 234  A. Derolez, Corpus, III, no 4.15 (bouckin van de XV blijscappen). 235  Gand, Rijksarchief, Fonds der Rijke Claren, register 3, fol. 22-30, cf. K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, I, p. 144, 162, 286, 306, 346-349 (liste des livres en néerlandais) ; t. ii, p. 155, no 453-454 ; Derolez, Corpus, III, no 5. 236  A. Derolez, Corpus, III, no 5.72. 237  A. Derolez, Corpus, III, no 5.60. 238  A. Derolez, Corpus, III, no 5.80. 239  A. Derolez, Corpus, III, no 5.76. 240  A. Derolez, Corpus, III, no 5.69. 241  A. Derolez, Corpus, III, no 5.58.

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cédait du don de sœur Sapiencen Triest242 . L’origine du tome IV du Vaderboec243 et un livre avec les oude vaders244 ne sont pas précisées. La bibliothèque des tertiaires de Delft (Sainte-Barbe) a dû compter parmi les plus importantes de l’époque, mais aucun manuscrit n’est conservé. Vers 1500, elle comptait environ 100 manuscrits dont l’origine reste obscure. Parmi eux se trouvaient des traductions de la Legenda aurea, les Vitae Patrum, les Collationes de Jean Cassien, l’Evangelium Nicodemi, le Bonum universale, la Vie et Passion du Christ, la Vie de la Vierge Marie, et de nombreuses légendes de saints et saintes d’époques différentes245. La  collection reflète à merveille ce que devait contenir la bibliothèque d’une communauté féminine246. Rares sont les traces de la réception individuelle des textes bien qu’une des particularités des actes de lire et de copier dans les milieux de la Devotio moderna consistait précisément à en faire un acte de dévotion personnelle. Il  fallait mâcher, intérioriser les textes en les transcrivant. Cela peut expliquer les grandes variétés d’un même récit dans sa tradition manuscrite. Exemplaire à cet égard est l’étude de la Vie et des Miracles de sainte Barbe par M. Van Dijk. Elle a pu différencier un nombre de récits courts, longs et extra longs avec des nombreuses sousdivisions247. C’est pour cette raison que l’information à propos d’une lecture attentive et sélective d’un lecteur (ou d’une lectrice) anonyme de la Vie de Marie d’Oignies († 1213), une des premières mystiques de nos régions, est si précieuse. À la fin du Moyen Âge, sa Vita due au cardinal Jacques de Vitry est réduite en moyen néerlandais à neuf folios de phrases isolées, comme de simples citations, et cela semble-t-il dans le cadre d’une propagande de réforme248. A. Derolez, Corpus, III, no 5.73. A. Derolez, Corpus, III, no 5.75. 244  A. Derolez, Corpus, III, no 5.75. 245  Entre autres : Agnès, Anne, Antoine, Augustin, Barbe, Basile, Catherine, Claire, Élisabeth, Epictetus et Astion, Euphrasie, François, Jérôme, Josse, Laurent, Lidwina, Marie d’Oignies, Pelgrimus, Profectus, Rois mages, Tondalus, Frères Maccabées, Ursule. 246  Voir la comparaison avec Sainte-Agnès de Maaseik dans K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, I, p. 296-305. 247  M. Van Dijk, « Hagiografie van de heilige Barbara », dans Genoechlike ende lustige historiën. Laatmiddeleeuwse geschiedschrijving in Nederland, éd. B. Ebels-Hoving, Hilversum, 1987, p. 141-156 ; Ead., « Barbara’s borsten nader beschouwd : Het zaad der Middeleeuwen », Jaarboek voor vrouwengeschiedenis, 16 (1996), p. 57-71 ; Ead., « Travelling-companion in the journey of life : Saint Barbara of Nicomedia in a Devotio Moderna context », dans Death and dying in the Middle Ages, éd. E. DuBruck et B. Gusich, New York, 1999, p. 221-237 ; Ead., Een rij van Spiegels. 248  Ms. Utrecht, UB, 1016 (5 D 6), fol. 307vb-309r. Le manuscrit faisait partie de la bibliothèque des chanoinesses de Sainte-Agnès à Neerbosch (Nimègue). On  connaît le scribe –  Adam Daemz de Gaesdonck près de Goch en Allemagne – mais pas le traducteur-sélectionneur. 242  243 

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PROLÉGOMÈNES POUR UNE BIBLIOTHECA HAGIOGRAPHICA NEERLANDICA

Je me rends compte que je n’ai pas répondu à toutes les questions, mais permettez-moi de rappeler la recommandation du poète anonyme de la légende de Lutgarde, patronne de la Flandre. À la fin d’une session de sa déclamation publique – mais purement rhétorique – il propose à son auditoire de faire une pause et de revenir le lendemain, « car j’ai encore tant de choses à vous raconter, et je vous promets d’être plus bref ».

En six courts chapitres (plutôt des paragraphes), il a traduit des phrases isolées de la légende de Marie d’Oignies par Jacques de Vitry. Le résultat me semble captivant par son témoignage de l’intérêt particulier d’au moins un lecteur de la Vita de Marie à la fin du xve siècle, une rareté.

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Fabrication, fonctions et usages de quelques manuscrits contenant des chapitres des traductions néerlandaises de la Legenda aurea Barbara Fleith (Genève/Lausanne)

1. Les deux traductions néerlandaises de la Legenda aurea latine a. La traduction du Sud Pendant le Moyen Âge tardif, le français était la langue parlée à la cour des ducs de Brabant, à Louvain et à Bruxelles. Mais dans la rue, autour des palais des régions de la Flandre et du nord du Brabant, du Limbourg et de quelques parties du nord de la région de Liège, le peuple parlait le moyen-néerlandais du Sud. C’est dans cette région qu’est apparue la première traduction de la Legenda aurea latine en néerlandais. Cette traduction a été terminée en janvier 1358 par un traducteur d’abord connu sous le nom de Bijbelvertaler van 1360 (le traducteur de la bible de  1360)1 ; il a été actif entre 1358 et 1388 dans la chartreuse d’HéA. Berteloot et J. M. Hlatky, « Die südniederländische Legenda aurea und der “Bij­ belvertaler van 1360” », dans ‘Een boec dat men te Latine heet Aurea Legenda’, Beiträge zur niederländischen Übersetzung der Legenda aurea, éd. A. Berteloot, H. van Dijk et J.  Hlatky, Münster, 2003, p.  35-51 ; A.  Berteloot, G.  Claassens et W.  Kuiper, éd. Gulden legende. De Middelnederlandse vertaling van de Legenda aurea door Petrus Naghel, uitgegeven naar handschrift Brussel, Koninklijke Bibliotheek, 15140, vol.  i, Turnhout, 2017, vol. ii, Turnhout, 2012, ici vol. i, p. xxiv. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 185-209. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126293

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rinnes2 , au sud de Bruxelles, dans le Brabant flamand, à la frontière entre les régions néerlandophones et francophones. Ce  traducteur a été récemment identifié comme étant le chartreux Petrus Naghel d’Aalst. Après avoir été prêtre, Petrus a rejoint l’ordre des chartreux d’Hérinnes, dont il devint plus tard le prieur3. Il a traduit, entre autres, pour des riches patriciens bruxellois. La ville de Bruxelles, résidence ducale et ainsi centre politique, économique et culturel, se développa au milieu du xive siècle comme une plateforme de production de livres en latin, français et néerlandais4. Ses clients se trouvaient parmi les fonctionnaires, les patriciens et les bourgeois de la ville, mais venaient également des centres spirituels des alentours comme Hérinnes ou les prieurés de Rouge-Cloître et de Groenendaal, dans lesquels Jean Ruusbroec attirait des dévots de toute l’Europe (surtout de la région du long du Rhin, de Cologne, et même de Strasbourg et de Bâle)5. À  côté de la production des livres dans les monastères, on constate ainsi l’émergence d’une production commerciale dans des ateliers urbains dont le représentant le plus connu à Bruxelles est Goedevaert de Bloc6. La chartreuse d’Hérinnes est, elle aussi, impliquée dans cette production, non seulement par l’activité de Petrus Naghel mais également par celle d’autres chartreux contemporains qui copiaient des livres aussi bien en latin qu’en néerlandais7. G. Claassens, « Dietschen soe ic naest mach. Petrus Naghel en de kartuis van Herne als vertaalcentrum (1358-1388) », dans Het zwijgzame verleden. 700 jaar kartuizerkroniek. Klooster van Onze-Lieve-Vrouwe-Kapelle te Herne, éd. Gemeentelijk Studiegenootschap Hernse Kartuis, Hérinnes, 2014, p. 73-126. Je remercie chaleureusement M. Jos Bernaer, qui pendant le colloque m’a rendue attentive à ses recherches concernant Hérinnes, cf. p. ex. J. Bernaer, « …als boodschappers van de waarheid… Herne als spirituele bakermat » et « … Ende dit willic gerne doen. Jan van Ruusbroec, een claer verlicht man », dans Het zwijgzame verleden, p. 55-72, 127-128. 3  M.  Kors, De Bijbel voor leken. Studies over Petrus Naghel en de Historiebijbel van 1361, Turnhout, 2007, p. 21 ; Ead., « Bijbelvertaler », dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon (Studienausgabe), éd. B. Wachinger et al., Berlin-New York, 2004, t. 11, col. 249-256, ici col. 250. 4  E. Kwakkel, Die Dietsche boeke die ons toebehoeren. De kartuizers van Herne en de productie van Middelnederlandse handschriften in de regio Brussel (1350-1400), Louvain, 2002, p. 162-180. 5  Cf.  les différents articles dans l’ouvrage collectif W.  Scheepsma, G.  van Vliet et G. Warnar, éd. Friends of God. Vernacular Literature and Religious Elites in the Rhineland and the Low Countries (1300-1500), Rome, 2018. 6  P. Verheyden, Huis en have van Godevaert de Bloc, scriptor en boekbinder te Brussel, 13641384, La Haye, 1936/37. 7  E. Kwakkel, Die Dietsche boeke, p. 87-136. Les livres copiés à Hérinnes étaient destinés, entre autres, au couvent bénédictin de Vorst, à Groenendaal ou à la chartreuse de Zelem : E.  Kwakkel, « Lost but Not Forgotten : References to a Remarkable Middle Dutch ­Legenda aurea Manuscript », dans Signs on the Edge. Space, Text and Margin in Medieval ­Manuscripts, éd. S. Larrat Keefer et R. H. Bremmer jr., Paris, 2007, p. 261-287, ici p. 262. 2 

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FABRICATION, FONCTIONS ET USAGES DE QUELQUES MANUSCRITS

Comme la traduction française de Jean de Vignay – établie à Paris vers 1348, juste dix ans avant la première traduction en néerlandais –, la traduction du Sud contient un prologue du traducteur8. Dans ce court texte qui se caractérise par de nombreuses références bibliques, le traducteur justifie son travail par le fait que le légendier de Jacques de Voragine contenait de bons exemples pour l’imitatio du Christ : par amour, le doux Christ s’est humilié jusqu’à donner sa vie sur la croix. Les saints ont imité le Christ à leur manière : c’est ce que décrit ce légendier. En lisant les récits, en les mémorisant et en les ruminant, le lecteur doit réaliser qu’il est, lui aussi, appelé à imiter le Christ (dat wi Hem navolghen souden) en simulant les vertus des saints. Dans la douceur du cœur et dans l’amour, par une foi sincère, en faisant de bonnes œuvres, en vivant l’amertume de ce monde sans se plaindre, et en assistant son prochain dans ses peines, il peut devenir imitator Christi. Apparemment, ce texte est rédigé par une personne qui se sent investie d’une mission pastorale. Le prologue se termine par la condamnation des mauvais prêtres qui – censés guider et enseigner – ne se comportent guère de manière exemplaire. En terminant son prologue avec une critique des mauvais prêtres, il semble que l’auteur s’adresse surtout à un public laïc ou semi-religieux qui – non conduit par de bons prêtres – a besoin d’orientation dans sa vie. L’auteur vise un public qui ne comprend probablement pas le latin mais qui sait lire et méditer attentivement (de woorde cauwen – ruminer) un texte spirituel en langue vernaculaire. L’accent mis sur l’imitation du Christ, la douceur et l’amour évoque un idéal de vie retirée du monde. Cet idéal correspond non seulement à l’esprit du traducteur chartreux mais également à certains mouvements spirituels de son époque9.

b. La traduction du Nord Plus au nord, dans les régions néerlandophones, la Zélande, la Hollande, à Utrecht et en Gueldre, une deuxième traduction de la Legenda aurea est Parmi les commanditaires se trouve également le libraire et stationnaire bruxellois Godevaert de Bloc pour qui les chartreux copiaient des livres pro pretio, ibid., et E. Kwakkel, « A New Type of Book for a New Type of Reader : The Emergence of Paper in Vernacular Book Production », The Library. The Transactions of the Bibliographical Society. Seventh Series, t. 4, no 3 (2003), p. 219-248, également edité dans The History of the Book in the West : 400AD-1455, éd. J. Roberts et P. Robinson, Aldershot, 2010, p. 409-438, ici p. 431. 8  Gulden legende, t. 1, p. 1-2. 9  Au moment de la rédaction du prologue, le rassemblement de personnes, séculiers ou laïcs, qui quittent le monde pour se retrouver en communauté semi-religieuse était assez fréquent : voir par exemple l’ermitage du riche commerçant Rulman Merswin à Strasbourg (le Grüne Wörth) ou celui de Gérard Groote (1340-1384) à Deventer.

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née et a été utilisée : la traduction en moyen néerlandais du Nord10. Cette traduction s’est beaucoup moins propagée, et elle a surtout été compilée sur la base des chapitres de la traduction du Sud. Nous conservons également des manuscrits qui viennent de la zone du bas-Saxon des Pays-Bas (Overijssel et Gueldre) ; dans ces manuscrits se trouvent la traduction du Nord, du Sud ou la compilation des deux. En raison des nombreuses compilations de ces deux traductions, je ne distinguerai plus les deux idiomes dans ce qui suit, pour ne parler que de « la traduction néerlandaise » ou de « notre » traduction ; cela est d’autant plus justifié que l’aspect linguistique n’est pas primordial pour le propos.

2. Le corpus des manuscrits Depuis les travaux fondamentaux de Werner Williams-Krapp11, de Leonard Scheurkogel12 et d’Amand Berteloot13, nous connaissons aujourd’hui environ 170 manuscrits qui transmettent des textes issus de notre traduction. On reconnaît la volonté de transmettre la Legenda aurea en tant qu’œuvre à part entière seulement dans une cinquantaine de ces copies : ces manuscrits contiennent souvent le prologue du traducteur, celui de Jacques de Voragine, les étymologies et la structure de l’année en quatre temps. Mais il est plutôt rare de trouver l’ensemble des chapitres réunis dans un seul manuscrit : les copies contiennent souvent seulement une partie des chapitres du compilateur. Beaucoup reproduisent uniquement la partie hivernale ou estivale. Les cent-vingt manuscrits restant ne transmettent souvent qu’un seul ou plusieurs extraits de notre traduction14. Après avoir été extraits de leur corpus original, ces chapitres ont été intégrés ou compilés avec d’autres textes. Ces  manuscrits forment alors des témoins importants pour l’utilisation et W.  Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare des Mittelalters. Studien zu ihrer Überlieferungs-, Text- und Wirkungsgeschichte, Tübingen, 1986, p. 161-184 ; L.  Scheurkogel, Dat ander pasenael. De Noordnederlandse vertaling van de Legenda aurea, thèse de doctorat non publiée, Groningue, 1990, et Ead., « De overlevering van de Noord- en Zuidnederlandse Legenda aurea : Een tussentijds verslag »,  dans Verslagen en ­Mededelingen  van de Koninklijke Academie voor Nederlandse taal- en letterkunde, Gand, 1997, p. 60-118, ici p. 66-81. 11  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 53-187. Les sigles définis par Williams-Krapp sont toujours d’actualité et repris ici. 12  L. Scheurkogel, « De overlevering ». 13  Gulden legende, t. 1, p. lxxxviii-xciii. 14  Ces manuscrits ne sont probablement que la partie visible d’un énorme iceberg car on peut supposer que de nombreux autres manuscrits contenant des extraits de la Legenda Aurea ­latine ou de la Gulden legende n’ont pas été inventoriés à ce jour. 10 

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la fonction de ces chapitres dans une étape ultérieure de l’histoire de leur transmission15. Dans mon exposé, j’aimerais présenter quelques milieux d’utilisation de notre traduction et présenter des occasions dans lesquelles elle a été employée. Pour terminer, j’aimerais à titre d’exemple montrer comment les chapitres de cette traduction ont été compilés avec un martyrologe néerlandais. Sur un corpus de cent-soixante-dix manuscrits, près d’une centaine (quatre-vingt-treize) contiennent des indices exploitables permettant de les localiser. Il est intéressant de constater que tous ces manuscrits datent uniquement du xve siècle. Ils appartiennent aux différentes communautés religieuses ou semi-religieuses de la région ; la répartition est très peu équilibrée : par la quantité de manuscrits qu’on peut leur attribuer, certaines communautés ont davantage utilisé ces exemplaires16. En tant qu’utilisatrices, onze communautés apparaissent seulement deux ou trois fois ; ce sont les frères et sœurs des ordres des bénédictins, des cisterciens, des ermites de saint Augustin, des chartreux et des franciscains, des brigittines, des carmélites, des croisiers. On trouve aussi des béguines et des bégeards et des utilisateurs laïcs17. Pour quarante-trois manuscrits, nous observons une utilisation dans des communautés qui, à un moment de leur histoire, se sont soumises à la Règle de saint Augustin (CRSA frères et sœurs) ; ces communautés ont souvent rejoint la congrégation de Windesheim. Quatorze manuscrits proviennent du milieu des frères et des sœurs de la Vie commune (CRVC) et douze manuscrits Actuellement, le groupe de recherche ERC Starting Grand projet « OPVS – Œuvres Pieuses Vernaculaires à Succès », sous la direction de Géraldine Veysseyre (IRHT-CNRS, Université Paris IV-Sorbonne), rassemble ces données pour les comparer avec celles concernant les traductions médiévales de l’œuvre en allemand et en français. Le but est de comparer les utilisatrices et utilisateurs d’une même œuvre dans différentes régions linguistiques. 16  Cf.  également W.  Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 155-158. 17  Il est difficile de prouver l’utilisation des manuscrits par des laïcs. Peuvent entrer en ligne de compte les manuscrits suivants : Leyde, Bibl. univ., cod. Lett. 278 (Ld5), une pars estivalis, copiée en 1420 (fol. Iva) ; il est issu des biens de Willem vander Does wonende tot leyden (fol. Iva). Un Guillaume Van der Does est attesté comme échevin et bourgmestre (maire) de Leyde. Il est né vers 1428 et mort vers 1510 ; sa possession est mise en doute par L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 80-81. On pourrait aussi penser que le manuscrit Bruxelles, KBR, Cod. IV 592 (Br22) qui contient quelques extraits de notre traduction a été utilisé par des laïcs ; il a été copié à la fin du xvie siècle par P. Wilms qui a été probablement membre d’une rederijkerskamer (association de poètes amateurs) en Flandre (Gand ?), cf.  W.  Williams-Krapp, Die  deutschen und mittelniederländischen Legendare, p.  65-66. Les  deux volumes Bornem, Sint-Bernardusabdij, cod.  70-71 (Bo2) (pars hiemalis complète) ont été copiés par mariken mannaerts, jans wijf (fol. 307vb), cf. ibid., p. 161-162. Le fait de trouver une femme mariée copiste pourrait suggérer qu’il s’agit de copies produites à l’intérieur d’un atelier professionnel. 15 

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des sœurs du Tiers-Ordre de saint François (TOR). Il faut reconnaître qu’il est très difficile de lier l’utilisation des manuscrits à un certain type de communauté car il y avait une fluctuation des observances dans les monastères. Autres 24

TOR 12 Sans Indice 70 TOR 12

CRSA 43

Dans le courant du xve siècle, la plupart des communautés de frères et de sœurs abandonne la vie semi-religieuse et adopte une vie plus monastique, soit dans des maisons de chanoines et de chanoinesses, soit dans des couvents du Tiers-Ordre franciscain18. Souvent ces franciscains ont rejoint plus tard à leur tour l’ordre de saint Augustin. Prenons le cas de la maison de Sint-Margaretha à Gouda : « Machtild Cosijns a fondé une communauté de quelques filles pieuses dans une maison à Gouda en 1386. Elle y a été encouragée, semble-t-il, par la prédication de Gérard Groot. Les femmes vivaient sans règle monastique jusqu’en 1396, quand la fondation, dédiée à s. Marguerite, devint membre du Troisième ordre de s. François. En 1423, elles se convertirent en Chanoinesses régulières de saint Augustin »19, car elles désiraient une vie plus austère. Seule une analyse exacte de l’histoire de chaque communauté et de ses livres permettrait des conclusions définitives. On se contentera M. Costard, Spätmittelalterliche Frauenfrömmigkeit am Niederrhein. Geschichte, Spiritualität und Handschriften der Schwesternhäuser in Geldern und Sonsbeck, Tübingen, 2011, p. 169-172. 19  E.  A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits des anciens diocèses d’Utrecht et de Liège. Études sur le développement et la diffusion du Martyrologe d’Usuard, 2 vol., Hilversum, 1993, p. 417. 18 

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ici d’un survol approximatif pour déterminer des tendances. Les trois groupes mentionnés plus haut forment les trois piliers du mouvement de la Devotio moderna20. La traduction néerlandaise de la Legenda aurea semble avoir eu un réel succès chez ceux qui ont adhéré à ce mouvement réformateur. Quelles idées fondamentales et quelles façons de vivre de ces communautés et du mouvement réformateur auraient pu stimuler l’utilisation de notre texte ? Je procéderai par ordre chronologique.

3. Les milieux d’utilisation a. Prieurés de chanoines (Jean Ruusbroec/Groenendaal/ Rouge-Cloître/Sept-Fontaines)21 Autour de Bruxelles – dans la région du néerlandais du Sud – se trouvent trois prieurés qui, à un moment donné, ont été de simples maisons de chanoines : Groenendaal, Rouge-Cloître et Sept-Fontaines. Devenus prieurés augustiniens, ils se réunissent d’abord en congrégation, puis se rallient en 1412 à la congrégation de Windesheim. Groenendaal a été fondée par le prêtre Jean Ruusbroec : après avoir passé quarante ans (1304-1343) comme prêtre et chanoine de la collégiale Sainte-Gudule de Bruxelles, Ruusbroec décide de se retirer du monde. Avec deux amis, il s’isole à Groenendaal où d’autres compagnons les rejoignent : c’est ainsi que naît un lieu de vie pour une nouvelle communauté dont les membres veulent consacrer leur vie à l’imitation du Christ. En 1350, la communauté décide de se soumettre à la règle des chanoines réguliers de saint Augustin. La communauté se compose alors de religieux de chœur et de frères laïcs : des convers et des « donnés ». Ruusbroec devient le prieur de la communauté et entretient des liens étroits avec la chartreuse voisine d’Hérinnes22 . Son projet de vie ressemble beaucoup à l’idéal esquissé par Petrus Naghel23. Ruusbroec séjourne souvent à Hérinnes et un des chartreux copie une de ses œuvres pour sa lecture personnelle. Malgré toutes ces relations, on ne conserve aucun exemplaire complet de notre traduction en provenance de Groenendaal24. C’est proba20  Pour le rôle des femmes de ce mouvement et leur rapport à la littérature, cf. W. Scheepsma, Medieval Religious Women in the Low Countries : The ‘Modern Devotion’, the Canonesses of Windesheim, and their Writings, transl. D. Johnson, Woodbridge, 2004. 21  Les manuscrits suivants viennent de ce milieu : Groenendaal (Gh21), Rouge-Cloître (Br1, Br9), Sept-Fontaines (Gt3) ; ils ont été comptabilisés avec les manuscrits des CRSA. 22  Cf. J. Bernaer, « …als boodschappers van de waarheid », p. 58-59. 23  Ead., « …Ende dit willic gerne doen », p. 127-128. 24  K. Stooker et T. Verbeij, Collecties op orde. Middelnederlandse handschriften uit kloosters en semi-religieuze gemeenschappen in de Nederlanden, Louvain, 1997, partie  2, p.  222

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blement pour la lectura ad mensam dans le réfectoire des frères laïcs de cette communauté que l’on utilisait à la fin du xve siècle le manuscrit La Haye, Bibl. Royale, cod. 71 H 6 (Gh21) qui contient un calendrier, une collection d’exempla et des légendes ainsi qu’un petit libellus de saint Augustin, enrichi d’un extrait de notre traduction25. Depuis 1374, la maison voisine de Rouge-Cloître – près d’Oudergem – est également un prieuré augustinien ; en 1412, il rejoint la congrégation de Windesheim. Ce prieuré possédait un scriptorium, constituait un vrai centre de collection de manuscrits dévots et entretenait lui-aussi au xive siècle des liens étroits avec la chartreuse d’Hérinnes26. Un des témoins de notre traduction provient de Rouge-Cloître (Bruxelles, KBR, cod. 388 [Cat. 3425] [Br1]). Ce manuscrit en parchemin a été conservé à la bibliothèque des frères laïcs, ce qu’indique la note suivante : …hoort toe de leeckenbroeders van Rooclooster 27 (appartient aux frères laïcs de Rouge-Cloître) ; au fol. 308v on trouve la demande d’intercession suivante : Bidt voer den arbeyter. Il s’agit d’une pars hiemalis enrichie d’extraits de littérature spirituelle en tout genre : notamment d’extraits d’Hendrik Mande (Een deuoet boexken), de Mechthilde de Hackeborn (Boek der bijzondere genade), de Dirc van Delf (Tafel van den kersten ghelove), d’un sermon de Jean Gerson, d’une homélie et de récits de miracles de Jacques de Vitry28. Thomas Kock part du principe que ce manuscrit fait partie des nouveaux livres copiés à Rouge-Cloître pour la lecture à table des frères laïcs29. reprennent la thèse selon laquelle le ms. Bruxelles, KBR, 15140 (Br12) pourrait provenir de Groenendaal. Mais A. Berteloot et al., Gulden legende, t. 1, p. lvi-lix ont pu montrer que ce ms. ne contenait aucun indice en faveur d’une telle provenance. 25  K.  Stooker et T.  Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p.  224 ; L.  Scheurkogel, « De overlevering », p. 96. 26  Ce prieuré conservait quatre copies de la traduction en moyen néerlandais du Sud du Nouveau Testament : T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna. Handschriftenproduktion, Literaturversorgung und Bibliotheksaufbau im Zeitalter des Medienwechsels, 2. überarbeitete und ergänzte Auflage, Francfort, 2002, p. 210 ; cette traduction a été établie par Petrus Naghel. Il est assez difficile de différencier les manuscrits qui viennent d’Hérinnes et ceux qui viennent de Rouge-Cloître ; c’est par exemple le cas du ms. Bruxelles, KBR, 1805-08, partie 3, un cahier contenant deux chapitres de notre traduction, cf. E. Kwakkel, « Lost but Not Forgotten », p. 274-275. 27  T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 207. 28  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 60-61, avec des notices bibliographiques jusqu’à l’année 1986 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie  2, p.  332-333. Pour une bibliographie actuelle du texte de Dirc van Delft, voir G.  Warnar, « The  Dominican, the Duke and the Book. The  Authority of the Written Word in Dirc van Delft’s Tafel van den kersten gelove (ca. 1400) », dans The authority of the word : reflecting on image and text in northern Europe, 1400-1700, éd. C. Brusati, K. A. E. Enenkel et W. S. Melion, Leyde, 2012, p. 49-74, ici p. 73-74. 29  T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 218-219.

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Le prieuré de Sept-Fontaines est situé à cheval sur la frontière linguistique entre le français et le moyen néerlandais du Sud. Au xve siècle, le prieur Thomas Moonincx est probablement un des copistes qui compose un recueil de textes spirituels (Gand, Bibl. univ., Cod. 1080 [Gt3]) dans lequel sont intégrés quelques chapitres de notre traduction30. À partir de 1467, Moonincx devient prieur de Groenendaal. À Sept-Fontaines, le recueil a été utilisé par Joes van Lokere († 1479), responsable du réfectoire des frères laïcs31. Le manuscrit est une collection de textes spirituels contenant des homélies et surtout des légendes dont quelques petits extraits de notre traduction, rapprochant ainsi cette copie du manuscrit Gh21 de Groenendaal32 . Dans le Gt3, on retrouve en outre une Vie du Christ, le Tleven ons heren Ihesu Cristi, et quelques extraits des œuvres de Jean Ruusbroec33.

b. Les communautés des frères et des sœurs de la Vie commune (Gérard Groote/Deventer) Passons maintenant à la communauté des frères et des sœurs de la Vie commune34, fondée par le laïc Gérard Groote35. Après des études universitaires, une rencontre avec Ruusbroec à Groenendaal et un séjour de trois ans

W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 70-71. K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 373. 32  L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 96. 33  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 374. 34  Nos manuscrits sont issus de Brandeshuis à Deventer (Dv1, Dv3, Dv4, Dv5, Dv7), de Kerstekenshuis (Dv8) à  Loen près de Deventer qui fut rattaché en  1470 au Brandeshuis (K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 123), de Mariengarde à Schüttorf (Ar2) (L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 83), d’Adamanshuis à Zutphen (Ld15) (L. Scheurkogel, ibid., p. 99) et d’une maison de sœurs qui était en relation avec la maison des frères à Münster (B3) (W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 59). D’autres manuscrits viennent des maisons qui ont adopté plus tard la Règle de saint Augustin : Sint-Maartensdaal à Louvain (Br2) – la maison a été fondée comme maison des frères ; en 1447, la communauté prit la Règle de saint Augustin et rejoint en 1461 la congrégation de Windesheim (W. Williams-Krapp, ibid., p. 61) ; Marienbrinck à Coesfeld (B6) qui a été un haut-lieu de la Devotio moderna, en relation avec la maison des frères à Münster. En 1479, Marienbrink s’est placé sous la Règle de Saint Augustin (L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 84 ; U. Obhof, Das Leben Augustins im ‘Niederrheinischen Augustinusbuch’ des 15. Jahrhunderts. Überlieferungs- und Textgeschichte. Teiledition, Heidelberg, 1991, p. 79-80 et 84-85) et Sint-Agnès à La Haye (Ld9). La maison a adopté la Règle de saint Augustin en 1454 (W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 162 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 166). 35  Voir par exemple G. Épiney-Burgard, « Gérard Grote, fondateur de la Dévotion Moderne (1340-1384) », Revue des sciences religieuses, 71/3 (1997), p. 345-353 ou K. Ruh, Geschichte der abendländischen Mystik, vol. iv : Die niederländische Mystik des 14. bis 16. Jahrhunderts, Munich, 1999, p. 154-164. 30  31 

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chez les chartreux, l’évêque ordonne Groote diacre et prédicateur en 137936. Il  exerça ensuite une activité itinérante comme réformateur en critiquant surtout le clergé indiscipliné. À  Deventer –  dans la région du néerlandais du Nord –, il rassemble en 1381 des disciples autour de lui et fonde un lieu de vie pour une nouvelle communauté : les frères de la Vie commune (Fraterherren – Messieurs les frères) ; dans certaines régions on les appela « les messieurs au chaperon »37. À la fin de sa vie, Groote légua sa maison familiale à un groupe de femmes dévotes et créa ainsi la maison mère de la branche féminine de son mouvement, les « sœurs de la Vie commune »38. Groote prône une vie semi-religieuse sans vœux où vivent ensemble prêtres et laïcs. Au début, les communautés recrutent des illiterati et utilisent la langue vernaculaire pour se démarquer du clergé séculier39, mais les frères sont en principe capables de lire la langue latine. Ils vivent en communauté, mais mènent leur vie de manière assez individuelle. La spiritualité du mouvement des frères et sœurs de la Vie commune – telle qu’elle a été conçue par leur fondateur – met l’accent sur la recherche d’une vie apostolique et sur l’imitation du Christ40. La journée est structurée par les repas pris en commun, les prières et les travaux, mais il y a des moments réservés à la lecture en privé, à la méditation et aux exercices spirituels. Groote avait lui-même désigné les livres qui stimulent l’imitatio : d’après lui, les légendiers se positionnent à côté des textes patristiques et ascétiques comme les Vies des pères du désert41. D’après les frères de la Vie commune, la lecture des légendes aide à construire des exemples mentaux pour une vie sainte, des exemples à imiter. Wybren Scheepsma a pu montrer que l’auteur du Livre des sœurs de Diepenveen s’inspire d’épisodes hagiographiques pour décrire les vies de ces sœurs de la Vie commune42 . Les légendes servent à l’edificatio

Ibid. p. 157. F. Rapp, « Les provinces ecclésiastiques », dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, éd. J.-M. Mayeur, C. et L. Pietri, A. Vauchez et M. Venard, t. vi, Paris, 1990, p. 685-719, ici p. 710. 38  K. Ruh, Geschichte der abendländischen Mystik, p. 156. 39  T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 223. 40  F. Rapp, « Les caractères communs de la vie religieuse », dans Histoire du christianisme des origines à nos jours, éd. J.-M. Mayeur, C. Pietri, A. Vauchez et M. Venard, t. vii, Paris, 1995, p. 234 : « Que chaque geste de la vie soit accompli comme une imitation du Maître, et Jésus fera de l’âme dévote sa demeure ». 41  T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 127-128, cf. également p. 191, n. 19, le jugement positif des légendes comme lecture pour les laïcs par Gérard Zerbolt : Nochtan sunderlynge vor vngelerde menschen synt orberliker vnd mer vruchtbar gude slichte boke… vnde der gelijck de leren van den leuen vnde dode der hillighen. 42  W. Scheepsma, « Illustere voorbelden ». 36  37 

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– surtout pour les lecteurs illiterati43 –, une forme de lecture qui informe (catéchèse) tout en restant agréable à lire. Ces idées rejoignent celles développées dans le prologue de notre traduction.

c. Les chanoines et chanoinesses de saint Augustin et la congrégation de Windesheim44 La congrégation de Windesheim tire son nom du monastère de chanoines fondé par un disciple de Gérard Groote. La maison se trouve dans la province d’Overijsel près de Zwolle et de Deventer. Les chanoines suivaient la Règle de saint Augustin et devaient soutenir la communauté des frères de Deventer aussi bien d’un point de vue spirituel que juridique. En outre, les personnes dévotes qui préféraient vivre dans une communauté régulière – au lieu d’une communauté semi-religieuse comme à Deventer – pouvaient rejoindre la maison de Windesheim avec des statuts reconnus par l’Église : soit ils rejoignaient les chanoines de chœur, souvent lettrés et capables de lire le latin, soit ils devenaient des « frères laïques »45. On  exigeait de ces laïcs obéissance et travail manuel ; mais fidèles aux idées de la Devotio moderna, les chanoines veillaient à leur instruction. Ceux-ci trouvaient leur nourriture spirituelle pendant la lecture à table, les moments de méditation, l’instruction et l’exhortation par leurs supérieurs46. Pour les chanoinesses soumises à la Règle de saint Augustin, la journée et la nuit étaient rythmées par la prière des heures canoniques en latin. Comme les frères et les sœurs semi-religieux de la Vie commune, les chanoinesses se Cf. la citation n. 41. Les manuscrits viennent des monastères suivants : Andrieskamp à Birket près d’Amersfoort (Am1, Am2, Ld6), Maria-Wijngaard à Limbourg (Am4), Sint-Elisabeth à Bruxelles (Br4), de Galilea à Gand (Br5), Marienpol à Leyde (Br6), de Ter Nood Gods à Tongres (Br16), de Sint-Luciendal à Saint-Trond (Br18, Br21, Gt2), de Sint-Agnès à Maaseik (Gh1, Gh2, Gh6), de Sint-Ursula en Sint-Antonius (Jerusalem) à Venray (Gh13), Roma/Hieronymushuis à Leyde (Gh18), de Bethlehem près de Louvain (W1) et de Sint-Agnès aan de Tiers te Neerbosch près de Nimègue (Ks1). Les maisons suivantes étaient d’abord des maisons des sœurs du Troisième ordre de saint François et ont plus tard pris la Règle de saint Augustin : Sint-Marie Madeleine à Amsterdam (Ar1, Gh12), Sint-Agnès en Sint-Paul à Arnhem (Gh4, Ld8, Nm2), Sint-Margaretha à Gouda (La1, Nm3 ?), Sint-Niclaesbergh à Aarschot (Ld2), Catharinenberg à Oisterwijk et Sint-Annenborch à Rosmalen (Tb1), Besselich près de Trèves (Tr3, Tr2) et Sint-Margaretha à Bergen op Zoom (Br10). Les deux maisons suivantes étaient d’abord des maisons de béguines ou de pénitentes, qui ont adopté ensuite la Règle de saint Augustin : Schele/Gross-Nazareth à Cologne (B8) ; Marie-Madeleine de la Pénitence à Cologne (Ds3 et D5). 45  K.  Elm, « Windesheimer Kongregation », Lexikon für Theologie und Kirche, vol.  10 (2001), col. 1224-1225. 46  T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 200-203. 43 

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retrouvaient au réfectoire pour le repas pris en commun qui était accompagné de lectures de textes vernaculaires ; elles devaient respecter des moments de prière et de lecture privée. Wybren Scheepsma a pu montrer à quel point la vie de ces chanoinesses était marquée par une forte vénération des saints47.

d. Le Tiers-Ordre de saint François Douze de nos manuscrits sont en relation avec le Tiers-Ordre régulier de saint François, surtout avec sa branche féminine48, située essentiellement dans les régions d’Amersfoort, d’Utrecht et de Delft49, c’est-à-dire la région du moyen-néerlandais du Nord. Au début, ces communautés se destinaient à une vie dans le monde ; il n’était demandé que peu d’obligations : le jeûne, la prière, des vêtements simples, des œuvres de charité et de la retenue dans les amusements. Avec le temps, on attribua aux communautés avec un certain nombre de sœurs des obligations monastiques comme par exemple la promesse d’abstinence ou la célébration de la messe dans le couvent. Cela pouvait aller jusqu’à l’introduction de la clôture et la consécration des vierges50. Le manuscrit Londres, Brit. Libr. Cod. Add. 20034 (L2) souligne clairement et fièrement cet état : Dit boec hoort in dat besloten conuent sinte ursulen binnen delff – Ce livre appartient au couvent clôturé de Sainte-Ursule de Delft51. Pour la communauté franciscaine d’Amsterdam, le broeder peter priester, un frère, a produit une belle copie d’une pars estivalis de notre traduction (La Haye, Koninkl. Bibl. cod. 73 D 9 [Gh4]) dans laquelle la première page du chapitre de saint François est joliment mise en valeur par des initiales52 . Au moment de la décoration, le manuscrit semble bien avoir été W. Scheepsma, « Illustre voorbelden », p. 262-263. Il s’agit du couvent Sint-Catharina (chapitre d’Utrecht) à Heusden (Am3) – le chapitre d’Utrecht est une congrégation de monastères franciscains situés dans l’ouest et dans le centre des Pays-Bas actuels ; Sint-Katharina (chapitre d’Utrecht) à Hoorn (Gh11, Gh15), Sint-Katharina (chapitre d’Utrecht) à Haarlem (Ha1 ?), Sint-Katharina (chapitre d’­Utrecht) à Leyde (Ld3), Sint-Margaretha (chapitre d’Utrecht) à Haarlem (Ld16), probablement Sint-Lucia (chapitre d’Utrecht) à Amsterdam (Ma1), couvent Bethlehem à Utrecht (Ut1), Marie ten Zijl (chapitre de Sion) à Haarlem (Ld17), couvent de Maagdendries à Maastricht (Kö5), Sint-Barbara à Amsterdam (Ld7), Sint-Ursula à Delft (L2). 49  R. van Dijk, « Spiritualität der “innicheit”– Mystik und Kirchenkritik in der Devotio moderna », dans Die Kirchenkritik der Mystiker. Prophetie aus Gotteserfahrung, éd. M. Delgado et G. Fuchs, vol. 2 : Frühe Neuzeit, Fribourg-Stuttgart, 2005, p. 9-38, ici p. 14. 50  D’après M. Costard, Spätmittelalterliche Frauenfrömmigkeit, p. 169-172. 51  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 78 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 108-109 ; E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 44-45 et p. 484. 52  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 72 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 44-45. 47  48 

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destiné à cette communauté franciscaine ; plus tard, il a appartenu à la communauté des sœurs du Tiers-Ordre à Arnheim qui adopta la Règle de saint Augustin en 1459.

4. Fabrication et occasions de l’utilisation Thomas Kock a différencié trois types de formes écrites produites dans le mouvement de la Devotio moderna : l’écriture pour l’utilisation personnelle, pour la communauté et pro pretio53. Pour ces trois types, nous trouvons des exemples parmi les manuscrits des communautés décrites plus haut. Le besoin de traités et de littérature pour guider la méditation et les exercices fait naître des florilèges, comparables aux rapiaria destinés à l’utilisation personnelle54 : une personne choisit et copie elle-même des extraits de textes pour ses propres exercices spirituels (scribere pro se ipso/ pro privato uso)55. Il s’agit donc du premier type de forme écrite : l’écriture pour l’utilisation personnelle. Les  anthologies qui ne contiennent que très peu de chapitres extraits de notre traduction mais de nombreux passages de la littérature dévote pourraient faire partie de ce premier groupe. C’est le cas par exemple du ms. Bruxelles, KBR, cod. II 469 (Br16) : il contient, entre autres, des passages extraits des œuvres de Gérard de Vliederhoven, de Jean de Louvain, de Jean Ruusbroec, de David d’Augsbourg, d’Henri Suso, deux extraits du chapitre de tous les défunts issus de notre traduction et également des extraits concernant les églises romaines d’après les Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae56. Le manuscrit est composé de plusieurs fascicules qui n’ont pas été copiés au même moment ; il ne mesure que 143 × 102 mm ; il provient de la communauté des chanoinesses Ter Nood Gods de Tongres57. Un autre exemple est peut-être le ms.  Bruxelles, KBR, cod.  2559-62 (Br5), du xve siècle58 : à part deux chapitres (Hieronymus et Franciscus) de notre traduction, il contient T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 15. Pour la définition de ce terme complexe, cf. T. Mertens, « Rapiarium », dans Dictionnaire de la Spiritualité, t. 13, Paris, 1987, col. 114-119 ; T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 18-19. 55  Ibid., p. 18. 56  N.  R. Miedema, Die ‘Mirabilia Romae’. Untersuchungen zu ihrer Überlieferung mit Edition der deutschen und niederländischen Texte, Tübingen, 1996, p.  147-148 ; Ead., Die römischen Kirchen im Spätmittelalter nach den ‘Indulgentiae ecclesiarum urbis Romae’, Tübingen, 2001, p. 102. 57  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 64 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 394-395. 58  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 61-62 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 157. 53 

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des textes de Ruusbroec et de Jean de Louvain, des chansons, des traités et des exempla. Au xvie siècle, le manuscrit appartenait à Jan Stevens qui était recteur du couvent des chanoinesses de saint Augustin de Galilea à Gand (entre 1571-1578). Il légua cet ouvrage parmi d’autres à ce couvent. On sait que de telles anthologies étaient d’abord des livres composés pour l’utilisation propre d’une personne ; après sa mort, le livre était légué à un autre membre de la communauté ou à la bibliothèque de la maison. Aussi bien dans les communautés des frères laïcs que dans celles des sœurs, on peut observer des efforts pour copier, améliorer et entretenir des manuscrits en langue vernaculaire pour les besoins propres de la communauté ; ces manuscrits font partie du deuxième groupe de Thomas Kock. La  bibliothèque constitue le centre névralgique d’approvisionnement en livres, car, pour les mouvements réformateurs, une bibliothèque bien fournie jouait un rôle clef. Parmi nos manuscrits, Gand, Bibl. univ. Cod. 896 (Gt2)59 témoigne de ce lieu de conservation grâce à la note suivante : desen boec hoert toe den clooster van sinte lucien dael buijten der stat van sintruden in die prochie van sint jans in die liberie, (fol. 1) ; ce livre appartient à la bibliothèque des chanoinesses de Sint-Luciendal dans la paroisse de Saint-Jean dans la ville de Saint-Trond. Le livre contient les chapitres de Longinus à Christina60. De même, le manuscrit Kassel, Landes- u. Murhardsche Bibl., 2° Ms Theol. 56 (Ks1) a pu servir dans une telle bibliothèque car il contient, en plus des extraits de notre traduction, l’inventaire de Gerard Zerbolt van Zutphen (De libris teutonicalibus), qui forme un catalogue de livres en langue vernaculaire destiné aux dévots laïcs61. Plus tard, le manuscrit a été conservé au couvent des chanoinesses de Sint-Agnès à Nimègue. La bibliothèque fournissait des livres pour différentes utilisations, par exemple pour la lectura ad mensam  – élément important d’une vie commune dévote. Dans les communautés des frères laïcs et des sœurs, la lecture au réfectoire se déroulait en langue vernaculaire : c’est dans ce contexte que notre traduction a trouvé son utilisation première, ce qui est documenté par de nombreuses traces laissées dans les manuscrits  – nous l’avons vu pour Groenendal et Rouge-Cloître. C’est ainsi qu’un calendrier annuel comprenant pratiquement tous les chapitres de notre traduction mais dans un ordre 59  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 70 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 382. 60  Berteloot, A., G. H. M. Claassens et W. Kuiper, Gulden legende, t. 1, p. 6-7, no 47-92. 61  Cf. T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 186-196, notre manuscrit est mentionné p. 192 et 193 et n. 28.

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modifié pour la lecture à table62 a été ajouté au manuscrit Darmstadt, Hessische Landes- und Hochschulbibliothek, cod.  2196 (Ds5). Ce  manuscrit provient peut-être du couvent des pénitentes à Cologne (Sainte-Marie-Madeleine de la Pénitence) qui s’est soumis à la Règle de saint Augustin en 147663. Les membres de ces communautés – frères et sœurs – ont souvent exercé le travail de copiste eux-mêmes – nous l’avons vu pour Rouge-Cloître. On a relevé que les chanoines, les Fraterherren, les chanoinesses et les sœurs alphabétisées maîtrisaient parfaitement l’art de copier des textes avec grand soin ; ce soin apporté aux manuscrits fut compris comme un service pour la communauté. Écrire pour sa propre maison et enluminer les manuscrits était compris comme un acte de charité envers les confrères ou consœurs64. Encore à la fin du xvie siècle, onse gemynde lieue suster (notre chère sœur bien aimée) Albert van myddachten copiait une abréviation de notre traduction (Nimègue, Bibl. Univ., cod. 303 [Nm2]), qu’elle donna à l’hospice des malades de sa communauté, probablement les chanoinesses de Sint-Agnieten à Arnhem65. Pour le soin des malades, les chanoinesses engageaient des sœurs laïques66 – et ce manuscrit était peut-être destiné à l’édification de celles-ci. L’acte de copier des textes religieux lors d’une retraite absolue était également considéré comme un moment d’intériorisation qui faisait partie du programme de formation spirituelle. Cela servait à l’appropriation des textes et à la méditation de ceux-ci. En plus, l’acte d’écriture était considéré comme un acte d’ascèse personnelle et de maîtrise de soi-même. Nombreux sont les colophons qui témoignent de l’acte d’écriture par les femmes dans nos manuscrits : comme dans le ms. Bruxelles, KBR, cod. II 2454 (Br18) qui a été utilisé par les chanoinesses de Sint-Luciendal de Saint-Trond que nous avons déjà mentionné plus haut67 : Ce livre a été écrit par la sœur Woutryt. Par la bonté et l’amour de Marie, la mère de notre Seigneur, je prie celle qui lit ce livre – qui s’appelle le miroir de notre Dame – de vouloir lire un Ave Maria pour moi68. W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 67-68. K. H. Staub et T. Sänger, Deutsche und niederländische Handschriften. Mit Ausnahme der Gebetbuchhandschriften, Wiesbaden, 1991, p. 112-113. 64  M. Costard, Spätmittelalterliche Frauenfrömmigkeit, p. 19. 65  Dit boek heeft onse gemynde lieue suster Albert van myddachten tsamen gescriuen ende gegeuen int syeckhuys, W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 80-81 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 57. 66  M. Costard, Spätmittelalterliche Frauenfrömmigkeit, p. 33-34. 67  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 64 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 381. 68  Dit boec heeft ghescreue[n] suster woutryt. Ic bidde v allen doer die my[n]ne en[de] weerdicheit maria der moeder ons here[n] dat ghi die i[n] desen boec leest die die spieghel onser lieuer 62  63 

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Il s’agit d’un speculum Mariae, avec un extrait du chapitre de l’assomption de la vierge de notre traduction. On y trouve aussi, parmi d’autres textes, des extraits des St. Georgener Predigten sur les fol. 76v-100r69. Le ms. Berlin, Staatsbibl. Preuß. Kulturbesitz, mgq 1687 (B8) est issu du monastère des chanoinesses de Schele à Cologne70 ; cette maison est née d’une communauté de béguines qui adopta la Règle de saint Augustin en 1426. Elle était un haut lieu de la Devotio moderna à Cologne. La copiste écrit : Biddet… vur eyn arme sunderynne die dit boich geschreuen hait (fol. 330ra) – Priez… pour une pauvre pécheresse qui a écrit ce livre. Il  s’agit d’une compilation de légendes pour les diocèses de Cologne et de Trèves dans laquelle ont été intégrés quelques extraits du chapitre sur sainte Catherine de notre traduction. Werner Williams-Krapp émet l’hypothèse que ce petit légendier a été rédigé comme complément à notre traduction dans laquelle il manquait des chapitres relatifs à des saints locaux. Sur les fol. 316va à 330ra se trouve une Vie de saint Augustin71. Le manuscrit a été copié en 1463 (fol. 330ra). Les frères et sœurs copiaient également sur commande pro pretio, soit pour d’autres communautés avec un faible niveau d’alphabétisation, soit pour des prêtres et des laïcs. Ce travail de copiste pouvait assurer un certain revenu aux communautés et leur permettait de verser l’aumône aux pauvres. Ce  sont surtout les Fraterherren, moins contraints par le rythme de la vie monastique, qui pouvaient se consacrer à la copie de manuscrits72 . Apparemment, les frères « eurent l’idée d’offrir à bas prix des ouvrages pour lesquels ils ne se faisaient payer que ce dont ils avaient besoin pour vivre »73. À Cologne, les messieurs au chaperon semblent avoir entretenu un atelier assez actif au milieu du xve siècle : un de nos manuscrits (Londres, Univ. College Libr., Ms. Germ. 17 [L4])74, a été relié dans leur atelier, et trois autres ont vrouwe[n] heet En Aue maria voer my leest. Cf. K. O. Seidel, ‘Die St. Georgener Predigten’. Untersuchungen zur Überlieferungs- und Textgeschichte, Tübingen, 2003, p.  41-49, citation p. 42. 69  W. Scheepsma, The ‘Limburg Sermons’. Preaching in the Medieval Low Countries at the Turn of the Fourteenth Century, translated by D. F. Johnson, Leyde-Boston, 2008, p. xiii, 471 (registre) ; R. D. Schiewer et K. O. Seidel (éd.), Die St. Georgener Predigten, Berlin, 2010, p. xxi. 70  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 31-32 et p. 198 ; L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 85. 71  ‘Niederrheinisches Augustinusbuch’ version abrégée B, U. Obhof, Das Leben Augustins, p. 38-40, p. 102-103. 72  Voir les détails chez T. Kock, Die Buchkultur der Devotio moderna, p. 79-121. 73  F. Rapp, « Les caractères communs de la vie religieuse », p. 244. 74  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 79. Le manuscrit ne contient que quelques extraits de notre traduction, mais d’autres légendes et un extrait du Niederrheinisches Augustinusbuch, rédaction  a : une partie de la Vie de Saint Augustin

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été probablement produits par eux. Ces manuscrits ne sont pas identiques mais ils ont une mise en page commune75 et tous sont rendus utilisables par un calendrier liturgique. Leur but premier est de livrer l’œuvre de Jacques de Voragine dans notre traduction : Kö476 représente une pars hiemalis, Ds177 les chapitres compris entre juin et novembre, et Ds378 la traduction complète. Chacune des trois copies est enrichie de chapitres concernant des saints de Cologne et d’extraits des Vitas patrum. Les descriptions des Vies des pères (et des mères) du désert étaient primordiales pour le mouvement de la Devotio moderna car ces textes esquissaient un idéal de vie ascétique, comme par exemple celle d’Euphrasie de Constantinople dans le ms. Kö4 (fol. 165va-175vb). Dans nos trois manuscrits, le choix des chapitres ajoutés n’est pas complètement identique ; on peut donc penser que l’atelier ne copiait pas automatiquement mais se chargeait de la composition des chapitres d’après les intérêts du commanditaire. Au  moins deux copies étaient destinées à des communautés de sœurs, notamment au couvent Marie-Madeleine de la Pénitence à Cologne. Comme dans ces trois manuscrits, nombreux sont les témoins de notre traduction qui ont été supplémentés par des chapitres pour adapter leur contenu au culte des saints locaux de chaque communauté. Mais en même temps, on peut observer que notre traduction a été utilisée comme source pour enrichir d’autres œuvres ou copies. Par exemple dans le Br21 – un petit légendier du Val-Sainte-Lucie à Saint-Trond – le chapitre de sainte Lucie de notre traduction a été intégré79. Et dans le Br10, un recueil de textes spirituels avec une sorte de libellus Francisci (fol. 4r-215r), la copiste Martine van (sans étymologie de notre traduction) et quelques exempla, U. Obhof, Das Leben Augustins, p. 78-79. 75  Taille des feuilles autour de 280  ×  205  mm, justification de l’écriture autour de 215 et 145 mm, environ 43 lignes. 76  Kö4, 2e m. du xve siècle. W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p.  76 ; A.  Berteloot, « Die  Legenda aurea an Rhein, Maas und Ijssel », dans Die  spätmittelalterliche Rezeption niederländischer Literatur im deutschen Sprachgebiet, éd.  R.  Schlusemann et P.  Wackers, Amsterdam-Atlanta, 1997, p.  9-37, ici p.  25-26 ; la langue est le francique ripuaire. 77  Ds1 (1471), W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 66 ; M.  Brand,  K.  Freienhagen-Baumgardt,  R.  Meyer et W.  Williams-Krapp (éd.), Der Heiligen Leben, vol. i : Der Sommerteil, Tübingen, 1996, p. xix. 78  Ds3 (environ 1471), W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 67. W. Hoffmann, « Die ripuarische und niederdeutsche “Vitaspatrum”-Überlieferung im 15.  Jahrhundert », Niederdeutsches Jahrbuch, 116 (1993), p.  72-108 ; Id., « Die “Vitaspa­ trum”-Übersetzung », ici p. 241. 79  Bruxelles, KBR, cod. IV 174, W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 65 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 381.

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Woelputte a intégré l’étymologie de saint François issue de notre traduction80. Ce manuscrit a été produit autour de 1460-1470, probablement dans le couvent des sœurs du Tiers-Ordre de saint François à Bergen op Zoom qui s’est soumis à la Règle de saint Augustin en 1470. En ce qui concerne les communautés féminines de la région du Rhin inférieur, Monika Costard a observé qu’on conserve aujourd’hui surtout des manuscrits datant de la deuxième moitié du xve  siècle, c’est à dire de la période postérieure à la transformation de la majorité des communautés semi-religieuses en communautés monastiques. Ces  nouveaux manuscrits accompagnent donc la vie monastique institutionnalisée et rythmée par le chant des heures canoniques, des prières, des lectures privées et de l’écriture. Cette vie réglée demandait une stabilité économique et créait plus d’espace pour la contemplation et la lecture ainsi que la conservation des livres81. Beaucoup de communautés en relation avec nos manuscrits ont connu cette transformation institutionnelle et l’observation de Monika Costard serait applicable à notre corpus s’il n’était pas difficile de déterminer précisément si tel ou tel manuscrit a été copié avant ou après cette transformation. Les manuscrits ne contiennent que rarement une datation de leur année d’origine, et nous ne connaissons pas toujours les dates exactes d’affiliation des communautés. Mais l’observation est très intéressante et vaudrait la peine d’être approfondie. L’un de nos manuscrits la confirme clairement : le ms. Br2 vient de la maison des chanoines de Sint-Martensdaal à Louvain82 . La sœur copiste demande au chanoine lecteur d’intercéder pour elle auprès de Dieu pour le travail accompli : Le livre a été écrit l’an de notre Seigneur mille-quatre-cent-quarante-neuf. Veuille intercéder auprès de Dieu et de tous les saints pour celle qui l’a écrit. Que Dieu dans sa grâce donne à elle la vie éternelle après ce temps bref. Amen83. Bruxelles, KBR, cod. 11797, Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen ­Legendare, p. 63 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 60-61. 81  M. Costard, Spätmittelalterliche Frauenfrömmigkeit, p. 238. 82  Bruxelles, KBR, cod. 1116, W.  Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen ­Legendare, p. 61 ; K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 256. 83  Fol. 165va : dit boec waert vols[creuen] Int iaer ons here[n] .M. CCCC .xlix. Wilt o[m] gode alde[n] lieue[n] heilegen voer haer bidden[n] diet heeft ghes[creuen] Dat haer God na deser corter tijt doer sij[n] heilege v[er]diente geuen wil dat eweghe leuen Ame[n]. (Le texte transcrit par J. van den Gheyn, Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque Royale de Belgique, t. 5 : Histoire – Hagiographie, Bruxelles, 1905, p. 400 est à corriger dans ce sens). Le même colophon se trouve dans un autre de nos manuscrits, le codex Leyde, Bibl. univ., cod. B.P.L. 86 (Ld2) qui est daté de 1460 et qui était utilisé chez les chanoinesses de Sint-Niklaasberg à Aarschot, fol. 269v : Dit boec wart vol screven Int iaer ons heeren MCCCC ende lx opden vierden dach in Augusto. Wilt om gods wille alle den lieven heilighen voer haer bidden die dit boec hefft 80 

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Sint-Martensdaal a été fondé comme maison des frères de la Vie commune ; mais en  1447, les frères avaient adopté la Règle de saint Augustin. Notre manuscrit a été copié juste deux ans après la transformation et remplit ainsi les conditions décrites par Monika Costard : il  a été fabriqué dans la période qui a suivi la transformation. Il est en outre intéressant de noter que c’est une sœur qui a produit la copie pour les « nouveaux » chanoines.

5. Réutilisation de chapitres Tout au long de cet article, nous avons rencontré des recueils spirituels qui ne transmettent que quelques chapitres de notre traduction ; cette technique d’extraction et d’intégration est observable et même caractéristique de l’histoire de la transmission des légendiers. On peut se demander dans quelle mesure notre traduction a servi de source pour enrichir d’autres recueils et dans quelle mesure elle-même a été enrichie par ces mêmes recueils dans une sorte d’interaction. On pourrait ainsi discuter du cas des libelli, par exemple celui de saint Augustin84 ou de la compilation de notre traduction avec les recueils des Vies des pères85. Je me limiterai à la présentation de la combinaison de notre légendier avec une traduction néerlandaise du martyrologe d’Usuard86. Everardus Adrianus Overgaauw a rappelé que les martyrologes ont été utilisés lors de l’office du chapitre, à Prime, ou lus pendant les Matines dans les communautés régulières87 ; ils font partie des textes liturgiques écrits en latin. Avec ce chercheur, on peut se demander quelle fonction pouvait bien avoir la traduction vernaculaire d’un texte liturgique. Pourquoi a-t-on combiné les éloges du martyrologe avec des chapitres de notre légendier ? Dans quelle mesure la matérialité de nos manuscrits et leurs paratextes donnent-ils des éléments de réponse ? Dans ces compilations, on peut observer plusieurs cas de figure : ghescreven Dat haer God na deser corter tijt doer sijn heilighe verdienste gheven wilt dat eewighe leven Amen, cf.  G.  I. Lieftinck, Manuscrits datés conservés dans les Pays-Bas. Catalogue paléographique des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, vol. 1 : Les manuscrits d’origine étrangère (816-c.  1550), Amsterdam, 1964, p.  75 (no  170) et pl.  202-203. Comme les frères de Sint-Martensdaal à Louvain – et sous leur influence – les sœurs du TiersOrdre de saint François d’Arschot avaient pris la Règle de saint Augustin en 1451, neuf ans avant la copie du manuscrit, K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 9. 84  Cf. U. Obhof, Das Leben Augustins. 85  Cf.  W. Hoffmann, « Die “Vitaspatrum”-Übersetzung des Bijbelvertalers ». Id., « Die ripuarische und niederdeutsche “Vitaspatrum”-Überlieferung ». 86  K. Kunze, « Usuard OSB und deutsche Martyrologien », dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon (Studienausgabe), éd. B. Wachinger et al., Berlin-New York, 2010, vol. 10, col. 141-144. 87  E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 23.

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Tr2 Pars hiemalis

éloges de janvier à mars Martyrologe

Legenda Aurea 146 chapitres abrégés

Seule 1 élogie par jour Nm1

Le cas le plus simple est celui dans lequel les compilations sont clairement séparées en deux parties : d’abord une série d’une œuvre, suivie d’une série d’une autre. Prenons comme exemple le ms. Trier, Stadtbibl., Hs. 1185/487 4°(Tr2)88 ; il a probablement été utilisé par les sœurs tertiaires de saint François à Besselich près de Trèves. À l’origine, le manuscrit ne contenait que 61 chapitres de la pars hiemalis de notre traduction dont les fêtes mobiles manquent. Plus tard, ce manuscrit a été complété par une deuxième partie89 qui devait contenir les éloges du martyrologe de janvier à mars mais qui est restée inachevée90. Dans un prologue (fol. 195v), au début de la deuxième partie, le compilateur (le confesseur de la commanditaire), affirme travailler sur commande d’une abbesse qui voulait connaître et vénérer les saints pour tous les jours de l’année91. La traduction du W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 82 ; B. C. Bushey, Die deutschen und niederländischen Handschriften der Stadtbibliothek Trier bis 1600, Wiesbaden, 1996, p. 177-178 ; E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 486. 89  Pour la deuxième partie, on constate un changement de dialecte, de main, de mise en page (par exemple une colonne au lieu de deux) et de filigrane. 90  Le texte des éloges ressemble au texte du martyrologe moyen-néerlandais, cf. E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p.  422-445 et au martyrologe latin composé à Windes­ heim, ibid., p. 486. 91  Fol. 195v : Hochwūrdige genedige fröwe uwere andaht zuo merende vnde zuo bestetigende .die ir habent zuo den heiligen . vnd zuo den lieben frūnden gottes. vnde aller meist zuo den lieben martelern ihesu cristi . So begertent ir von mir uwerem Cappelan ze wissende. alle tage durch das ior. die heiligen die denne kumment vmbe das ir sū moehtent geeren. vnd ir doch nicht ze mole vergessen. 88 

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FABRICATION, FONCTIONS ET USAGES DE QUELQUES MANUSCRITS

martyrologe rajoutée au légendier répond au désir de pouvoir méditer tous les jours au moins un modèle de sainteté. Cette composition en deux parties est équipée d’un signet à roulet en parchemin92. En ce qui concerne l’utilisation d’un tel signet, Gunther Franz pense qu’il était plutôt utilisé dans le cadre d’une lecture privée et méditative qui s’arrête après chaque phrase pour l’intérioriser93. Le manuscrit Nimègue, Gemeentearchief, Rooms Katholiek Weeshuis cod. 954 (62) (Nm1) forme un deuxième exemple94 ; il provient d’un monastère de sœurs de Nimègue et contient 146 chapitres de notre traduction, fortement abrégés (fol. 2r-95v). La deuxième partie (97r-173v) transmet un martyrologe complet mais avec uniquement un éloge par jour. Ici aussi, un signet à roulet formé par deux rubans de cuir, […] était primitivement attaché […] au dos de la reliure. Chacun des deux rubans est muni d’un tournant en parchemin portant les chiffres I et II. Ce morceau de parchemin est mobile sur le ruban ; il servait à la fois d’indicateur de page et de position de la page, dans la Légende dorée aussi bien que dans le Martyrologe95.

La présence de ce signet laisse penser que les deux parties du manuscrit étaient utilisées simultanément, notamment pour compléter l’éloge dans la partie martyrologique avec le texte du légendier. Nous pouvons constater des combinaisons plus complexes que celle à deux parties. On pourrait parler d’une échelle graduée avec différents stades de compilation de la traduction de la Legenda aurea avec le martyrologe néerlandais : du point de vue du légendier, il y a un stade minimal (à gauche), où le légendier est contaminé par un seul éloge. Il s’agit alors d’un martyrologe-légendier car des parties du martyrologe sont intégrées au corps du légendier. Au milieu de l’échelle se trouve le stade où le nombre des chapitres de notre traduction et les éloges se contrebalancent. Dans la moitié droite de l’échelle, le nombre d’éloges prédomine sur les chapitres du légendier ; tout à droite on trouve le martyrologe qui n’intègre qu’un seul chapitre du légendier ; il s’agit vnd gotte danckber sin. der sū mit sinen genaden hett gestercket… got mache es [le livre] uweren genoden nūtze vnd bringe ūch andaht vnd ein selig leben. vnd do noch bi gotte daz ewige leben Amen. So men alle tage einest liset der heiligen zuo gedencken so sol men allewegen sprechen hindennach also. vnd vil andere heiligen. martler. bihtiger vnd Jungfrowen der tot kostbar ist vor gottes angesichte. 92  G. Franz, « Drehbare Lesezeichen und Stecklesezeichen aus der Trierer Kartause und aus anderen Klosterbibliotheken », dans Ars et Ecclesia. Festschrift F. J. Ronig, éd. H.-W. Stork, Trèves, 1989, p.  119-134, notre manuscrit est mentionné p.  122 et pl.  3, voir également Id., « Lesezeichen aus Klosterbibliotheken », Sammler Journal, 20, H.  8 (1991), p.  1396-1401, p. 1399 une photo en couleur du fol. 2r avec le signet. 93  Ibid., p. 1400-1401. 94  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 80 ; E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 464-468. 95  Ibid., p. 465.

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Légendier

L1

L2

Ld4 Ld11 Ma1

Martyrologe

alors d’un légendier-martyrologe car des parties du légendier sont intégrées ou soumises à certains jours du martyrologe. Une des caractéristiques des manuscrits de ce martyrologe-légendier vient du fait que les éloges ne sont intégrés que dans une seule série de chapitres96. Prenons comme exemple le ms.  Londres, British Library, Add.  18162 (L1)97. Il contient 166 chapitres et représente ainsi un témoin quasi complet de notre traduction. Des éloges ont été intégrés uniquement pour les mois de décembre et janvier et seulement pour les ‘jours vides’ – c’est-à-dire les jours pour lesquels le légendier ne contient pas de chapitres. Ce manuscrit a été richement enluminé ; le début de chaque chapitre concernant le Seigneur, la Vierge et quelques autres textes est mis en valeur par des initiales historiées et fleuronnées, probablement produites dans un des ateliers d’Utrecht pour un client aisé. Le manuscrit ne porte aucune trace de provenance d’un milieu religieux mais son format (395 × 290 mm) laisse penser à sa destination pour une lecture publique. Seul le manuscrit Londres, British Library, Add. 20034 (L2) contient un mélange harmonieux entre les chapitres de la traduction et les éloges98 ; les chapitres sont chaque fois précédés du texte intégral des éloges. Néanmoins, la copie couvre uniquement le temps entre Pâques et l’Assomption de la Vierge ; dans le passé, ce codex formait un des trois volumes qui constituaient une entité99. Le manuscrit provient des sœurs du Tiers-Ordre de saint François Cf. par exemple les manuscrits La Haye, Bibl. Royale, cod. 78 F 1 (Gh9) (novembre à mai), et Wolfenbüttel, Herzog-August Bibl., cod. 80,5 Aug. 2° (Wo1) (juin à août). 97  Chez  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, le manuscrit L1 est mentionné aussi bien sous la traduction du Sud (p. 78) que celle du Nord (p. 163) ; W. Hoffmann, « Die “Vitaspatrum”-Übersetzung », p. 242, n. 65. 98  W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p. 78 ; E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 44-45, p. 484 ; M. Embach et M. Wallner, Conspectus der Handschriften Hildegards von Bingen, Münster, 2013, p. 138 (no 156). 99  Pour enrichir leurs exemplaires, certains imprimeurs de la traduction de la Legenda aurea à Utrecht et à Zwolle ont utilisé la même traduction néerlandaise du martyrologe que l’on trouve dans ce manuscrit  L2, W.  Williams-Krapp, Die  deutschen und niederländischen 96 

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FABRICATION, FONCTIONS ET USAGES DE QUELQUES MANUSCRITS

à Delft100 et – vu son format (295 × 193 mm) et sa mise en page – il pourrait également être destiné à la lecture publique. Le manuscrit Leyde, Bibl. Univ., cod. Ltk. 274 (Ld16), petit codex de 211 × 147 mm, contient un martyrologe pour toute l’année101 ; pour quelques éloges, le rédacteur ne cite que leur première phrase (en gras) et remplace le reste par des citations ou des paraphrases tirées soit d’autres sources, soit de notre traduction. Voici, à titre d’exemple, le début du texte pour la fête Circum­cisio Domini (1er janvier) : Huden ist een grote hoechtijt inder Kercken, wanttet die achtende dach is vander Geboerten ons Heren. Ende sonderlinge daer om, want onse Heer op desen dach besneden wort nader Yoetscher wise ende alsoe storte Hi opten eersten dach vanden jaer sijn eerste bloet tot onser salicheit ende lere. Want hi der besnidenis niet en behoevede om dat hi sonder erfsonden in deser werelt was gecomen102 .

Everardus Adrianus Overgaauw fait remarquer que les légendes de certains saints très populaires sont dans ce manuscrit divisées en leçons, ce qui indiquerait la possibilité d’un usage liturgique pendant les Matines. Mais vu la taille de cette copie et la densité de l’écriture, nous doutons qu’elle se prête à une lecture publique. Le codex provient du couvent Sint-Margaretha des sœurs du TiersOrdre de saint François à Haarlem103 ; le début du chapitre de sainte Marguerite est décoré avec une initiale historiée, tout comme l’était probablement le feuillet avec le début de la Vie de saint François qui manque aujourd’hui104. Les manuscrits Leyde, Bibl. Univ., cod. Lett. 273 (Ld4)105 (205 × 145 mm, prov. des cisterciennes d’Utrecht), Leyde, Bibl. Univ., cod. Ltk. 275 (Ld11)106 (201 × 142 mm) et Manchester, John Rylands Library, cod. Dutch 10 (Ma1)107 Legendare, p.  185-186 ; Werner Williams-Krapp considère cet enrichissement comme une stratégie de renouvellement et de marketing. 100  K. Stooker et T. J. Verbeij, Collecties op orde, partie 2, p. 108. 101  L.  Scheurkogel, « De overlevering », p.  99-100 ; E. A Overgaauw, Martyrologes ­manuscrits, p. 478-482. 102  Cité d’après ibid., p. 549 ; si le rédacteur a utilisé notre traduction, il a établi une brève paraphrase de Gulden legende, t. 1, p. 105-110 (les mots repris directement sont imprimés en caractères droits). Mais peut-être a-t-il utilisé une rédaction ou une autre traduction de notre légendier ? L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 99-100, a constaté que le rédacteur du texte de ce manuscrit a utilisé des paraphrases et des citations en se basant sur les deux traductions néerlandaises. 103  E.  A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p.  442 ; K.  Stooker et T.  J. Verbeij, ­Collecties op orde, partie 2, p. 185-186. 104  E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 480. 105  W.  Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare, p.  77 ; E.  A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 450-454. 106  Ibid., p. 460-464. L. Scheurkogel, « De overlevering », p. 98. 107  E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 454-456 ; L. Scheurkogel, « De over­ levering », p. 101-102.

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Barbara Fleith

sont de vrais martyrologes et contiennent tous le même extrait de notre traduction. Il s’agit d’un petit extrait du chapitre sur la Toussaint dans lequel Jacques de Voragine parle de l’impossibilité de vénérer tous les saints ayant vécu. Cet extrait sert de prologue au martyrologe néerlandais et est introduit par le renvoi à notre traduction108 : Dit is ghenomen wter heiligher legende die die Gulden legende hiet109. Le manuscrit Ma1 contient le nécrologe des sœurs du TiersOrdre de saint François à Amsterdam. Cette combinaison – martyrologe et nécrologe – dans un même codex est une caractéristique des versions latines du martyrologe : les deux collections sont utilisées pendant l’office du chapitre110. La description de ces quelques exemples mélangeant éloges et légendes ou extraits de légendes montre des résultats contradictoires. Quelques indices suggèrent une utilisation à des fins de lecture publique : (très rare) division en leçons, transmission conjointe avec un nécrologe et grand format de certains manuscrits. D’autres indices font comprendre que les livres servaient à une lecture privée : signets à roulet et surtout petit format de quelques-uns parmi eux. La fonction me semble être de rassembler des informations sur un maximum de saints.

6. Conclusions Dans cet article, j’ai présenté des indices de fabrication, de fonction et d’usage de quelques manuscrits contenant des chapitres des traductions néerlandaises de la Legenda aurea. La traduction du Sud est née dans le cercle des chartreux près de Bruxelles, dix ans après la traduction française de Jean de Vignay à Paris et en même temps que la traduction alsacienne à Strasbourg (avant 1360). Un tel intérêt pour les Vies des saints s’explique certainement par l’intensité du culte des saints durant le Moyen Âge tardif, mais n’explique pas pourquoi c’est tout spécialement le légendier de Jacques de Voragine qui fut traduit quasi simultanément en trois langues vernaculaires. D’une part, à Paris, la version latine a été approuvée par l’université et les copies latines et françaises furent vendues avec beaucoup de succès chez les stationnaires et libraires parisiens. D’autre part, la Legenda aurea se prêtait à merveille à une traduction car elle contenait ldes récits de vies exemplaires pour construire l’orientation spirituelle que notre chartreux cherchait à transmettre à un public peu ou non lettré. La traduction en moyen-néerlandais du Sud ne pourrait-elle pas être le A.  Berteloot, A., G.  H.  M. Claassens et W.  Kuiper, éd.  Gulden legende, t.  1, p. 474-475. 109  Cité d’après Ld4, fol. 1r ; E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits, p. 453. 110  Ibid., p. 423. 108 

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FABRICATION, FONCTIONS ET USAGES DE QUELQUES MANUSCRITS

résultat d’une collaboration fructueuse entre un commerçant bruxellois habile et un chartreux bon pasteur et traducteur ? Cependant, le succès semble avoir été limité dans l’immédiat ; la production massive de copies ne démarre qu’après 1400. Ce sont des hommes et des femmes, des sœurs et des frères laïcs dans les communautés religieuses et des professionnels dans les ateliers qui se mettent à copier notre traduction. Pour les uns, la fabrication constitue un acte d’ascèse, un moment d’intériorisation ou de charité pour leur propre communauté ou pour des prêtres et des laïcs. L’extraction de certains passages et leur compilation par écrit sert aussi à fournir des copies et des florilèges pour la méditation en privé et les exercices spirituels. Pour les autres, c’est le moyen de gagner l’argent nécessaire à l’entretien d’un atelier, à la survie d’une communauté ou encore à l’entretien des pauvres. Comme notre traduction contient des descriptions de vies chrétiennes exemplaires, elle a surtout trouvé ses lecteurs et lectrices dans la sphère de la Devotio moderna. Dans ce milieu, la fonction principale du récit hagiographique était la mise en évidence de l’exemple. Nous avons constaté une forte tendance à intégrer des extraits de notre traduction dans d’autres contextes, par exemple en complétant un libellus, un Miroir marial ou en construisant le prologue du martyrologe néerlandais. Le  légendier de Jacques de Voragine est assez complet en ce qui concerne le nombre des chapitres et abondant en passages didactiques et encyclopédiques – surtout dans les chapitres concernant le temps de l’année liturgique et les fêtes du Seigneur. C’est une des raisons qui expliquent qu’il se prête à être utilisé dans tout nouveau texte spirituel. Enfin nous avons présenté une tendance à combiner notre traduction avec le martyrologe néerlandais. Cette compilation résulte probablement du désir de connaître et vénérer le saint ou la sainte de chaque jour de l’année, ou alors du désir de l’utilisateur de vouloir connaître tous les saints et toutes les saintes que l’Église a choisis et canonisés depuis son origine –objectif irréalisable d’après Jacques de Voragine : Nos enim multos sanctos omisimus, de quibus nullam festivitatem sive etiam memoriam fecimus. Non enim possumus omnium sanctorum festa agere tum propter sanctorum multiplicitatem, quia multi et quasi infiniti sunt111 .

Cf.  Jacobus de Voragine, Legenda aurea. Goldene Legende. Einleitung, Edition, Übersetzung und Kommentar, éd. B. W. Häuptli, Freiburg, 2014, vol. 2, p. 2086, 724 – p. 2088, 2. 111 

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Singularité et sérialité d’un très rare manuscrit latin enluminé de la Légende Dorée au xve siècle (Glasgow UL 1111) Clovis Chloé Maillet (Paris) J’aurais dû emporter sa Légende dorée dans ma valise ; comment n’y ai-je pas pensé, car enfin cette œuvre était le livre de chevet du Moyen Âge, le stimulant des heures alanguies par le malaise prolongé des jeûnes, l’aide naïve des vigiles pieuses (Joris-Karl Huysmans)1.

La question des usages de ce que l’écrivain Joris-Karl Huysmans nommait le « livre de chevet du Moyen Âge » occupe depuis plusieurs décennies l’historiographie. Les  études de Barbara Fleith2 , Giovanni Paolo Maggioni3, Alain Boureau4 et Florent Coste5 ont montré la plasticité J.-K. Huysmans, En Route [1895], Paris, 1996, p. 278-279. B. Fleith, « Legenda aurea : destination, utilisateurs, propagation. L’histoire de la diffusion du légendier au xiiie et au début du xive siècle », dans Raccolte di vite di santi dal xiii al xviii secolo, Strutture, messagi, fruizioni, éd. S. Boesch Gajano, Brindisi, 1990, p. 41-48 ; Ead., Studien zur Überlieferungsgeschichte der lateinischen Legenda Aurea, Bruxelles, 1991 ; Ead. et F Morenzoni (éd.), De la sainteté à l’hagiographie, genèse et usages de la Légende dorée, Genève, 2001. 3  G. P. Maggioni, « Studio preliminare sulle raccolte di sermoni De sanctis di Iacopo da Varazze. Problemi di autenticità delle macrovarianti », Filologia mediolatina, 12 (2005), p. 227-247. 4  A. Boureau, La Légende dorée. Le système narratif de Jacques de Voragine, Paris, 1984. 5  F. Coste, « De quoi la Légende dorée est-elle le nom ? Propositions pour une philologie pragmatique », dans De l’(id)entité textuelle au Moyen Âge, éd. A. Mairey, G. Veysseyre 1 

2 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 211-226. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126294

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Clovis Chloé Maillet

de cet ouvrage si difficile à saisir. Certaines versions permettaient la lecture silencieuse, d’autres l’usage homilétique, avec le complément des Sermones ad sanctos, que Maggioni décrit comme un véritable « Légende dorée mode d’emploi ». Pour certains manuscrits, le fait de nommer Légende dorée un légendier qui n’aurait qu’une partie en commun avec le corpus de Jacques de Voragine permettait d’en assurer la diffusion. La tradition des manuscrits enluminés de la Légende dorée est étonnamment mal connue en regard du succès colossal de l’ouvrage qui envahit les riches collections de manuscrits des xiiie-xve siècles6. Ces miniatures dans les livres invitaient à la contemplation des images de saints ou dialoguaient de manière complexe avec le récit des Vitae. Au sein de ce corpus, une série se démarque qui a attiré l’attention de plusieurs historiennes et historiens de l’art. Ces  manuscrits sont tous datés des environs de  1400 et furent réalisés à Paris ou en Flandres dans un temps pourtant politiquement difficile entre les deux cours. Le manuscrit parisien conservé à Genève fut présenté par Barbara Fleith et Franco Morenzoni, et donna lieu à la publication d’essais importants7. Il  fut associé par François Avril à l’artiste du Policraticus et ensuite dénommé maître du Policratique. Celui de Paris (BNF, fr. 404) fut présenté durant l’exposition Paris 1400, et associé à l’entourage de Jean Malouel, peintre flamand de grande renommée, attribué à un ou une artiste venant peut-être aussi de Flandres, connu pour avoir enluminé Virgile (dénommé maître du Virgile par Millard Meiss8). Cet ensemble de manuscrits déterminait de nouveaux usages de la compilation dominicaine et du rapport à la dévotion, puisqu’ils avaient en commun d’être commandés par de riches aristocrates, proches du pouvoir royal, et profitant du livre par une traduction en français et plus d’une centaine d’enluminures. Il restait un manuscrit, fascinant, et étonnamment singulier, rarement associé à ce corpus, pour la raison simple qu’il était en latin, alors que les thèses successives de Hilary Maddocks et Marie Guérinel-Rau avaient

et R. Gay-Canton, Paris, 2018, p. 255-291. 6  Un catalogue de ces manuscrits est publié en annexe de ma thèse de doctorat : C. Maillet, La parenté hagiographique (xiiie-xve siècle). D’après Jacques de Voragine et les manuscrits enluminés de la “Légende dorée” (c. 1260-1490), Turnhout, 2014. 7  Genève, Bibliothèque universitaire, ms.  57, c.  1400. Voir F.  Avril, « Le  parcours exemplaire d’un enlumineur parisien à la fin du xive siècle. La carrière et l’œuvre du Maître du Policratique de Charles V », De la sainteté à l’hagiographie, genèse et usages de la « Légende dorée », éd. B. Fleith et F. Morenzoni, Genève, 2001, p. 265-282. 8  Paris 1400, Les arts sous Charles  VI, catalogue de l’exposition au Musée du Louvre du 22 mars au 12 juillet 2004, Paris, 2004, notice de F. Avril, fig. 75, p. 263.

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SINGULARITÉ ET SÉRIALITÉ D’UN TRÈS RARE MANUSCRIT LATIN

été consacrées aux manuscrits enluminés français du légendier9. Il s’agit de l’exemplaire exceptionnel conservé à la bibliothèque universitaire de Glasgow sous la cote 1111. La Légende dorée fut traduite en vernaculaire à partir du début du e xiv  siècle. Dès lors, les manuscrits enluminés de ce texte étaient réalisés de préférence en langue vulgaire (français, catalan, italien, etc.). Les historiens de l’art ont parfois dès lors présenté le texte en deux corpus : un ensemble de manuscrits latins de piètre facture destinés aux dominicains et à l’étude, et un autre ensemble d’objets de dévotion et de contemplation en français. Le manuscrit de Glasgow a beaucoup de similarités avec ces magnifiques exemplaires destinés à la contemplation, mais il est pourtant entièrement écrit en latin. Etudié naguère par Maurits et Katharina Smeyers10, ce manuscrit est singulier à la fois dans le choix du corpus de textes (soixante-dix Vies ajoutées par rapport à Jacques de Voragine et différentes des Festes nouvelles de Jean Golein), et par la qualité des images-tableaux qui le constituent, qui l’a fait associer par les spécialistes de la miniature flamande à l’émergence du « réalisme pré-eyckien ». La manière dont il s’insère dans le corpus des Legendae latines est paradoxale et presque unique ; cette étude comparatiste, fondée sur l’observation de l’ensemble de la tradition des manuscrits enluminés de la Légende dorée, vise à comprendre à la fois la place du manuscrit dans la sérialité des légendiers enluminés, au sein de la production picturale flamande des années 1400, afin d’ouvrir des pistes sur les nouveaux usages de la Legenda aurea dans une région polyglotte.

1. Le manuscrit de Glasgow au sein des Légende dorée enluminées latines L’étude de l’iconographie des manuscrits latins de la Legenda aurea s’est longtemps heurtée à l’apparence pléthorique du corpus, aux lacunes dans les H. Maddocks, « Pictures for aristocrats : The manuscripts of the Légende dorée », dans Medieval Texts and images : Studies of Manuscripts from the Middle Ages, éd. M. Manion et B. J. Muir, Reading, Paris, Sydney, 1991, p. 1-24 ; Id., The illuminated manuscript of the Legende dorée, Jean de Vignay’s translation of Jacobus de Voragine’s Legenda Aurea, PhD, université de Melbourne, 1990 ; M. Guerinel-Rau, La Légende dorée conservée à la Bibliothèque Municipale de Rennes. Approche pluridisciplinaire et comparée du manuscrit 266, un exemplaire enluminé de la fin du 14ème siècle, dans la version française de Jean de Vignay, thèse de doctorat, sous la direction de Xenia Muratova, université Rennes 3, 2007 [en ligne : http:// tel.archives-ouvertes.fr/tel-00189607/en/]. 10  M.  Smeyers, L’art de la miniature flamande du viiie au xvie  siècle, Tournai, 1998, p. 209-212. 9 

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descriptions des catalogues de bibliothèque, aux difficultés d’accéder à l’ensemble du corpus, qui empêchent souvent d’anticiper l’ampleur de l’enluminure dans les manuscrits avant de les avoir consultés de visu. Le problème tend à s’estomper avec la numérisation et le partage des images en ligne, mais certains manuscrits, comme celui de Glasgow sont encore reproduits de manière partielle à l’heure de l’écriture de ces lignes. La consultation directe est donc encore le seul moyen d’accéder à l’intégralité du corpus. Pour résumer les grands tournants chronologiques, on peut dire que 1280 est la première date qui voit l’apparition de manuscrits largement enluminés. Assez rapidement donc après l’écriture du légendier, il se diffuse non seulement comme un outil de pédagogie dans les studia dominicains, comme l’ont montré Barbara Fleith et Giovanni Paolo Maggioni, mais aussi pour un usage de contemplation. Les plus anciens manuscrits enluminés de la Légende dorée sont donc antérieurs aux traductions vernaculaires11. Les  deux premiers du corpus, le manuscrit HM 3027 de la Huntington Library de San Marino12 et le ms. latin 534 de la Bibliothèque Vaticane sont ornées respectivement de cent trentecinq13 et de cent quatre-vingt-douze miniatures. Pour le manuscrit de San Marino, ce n’est pas tant la facture du manuscrit qui le rend particulier que ses choix iconographiques. L’intérêt pour les saints n’est pas individualisé, ils sont représentés en groupe et toute l’attention est portée à la violence de leur martyre, dans une dynamique opposée à celle qui se dessine à la fin du xive siècle. Les choix de représentation reposent très clairement sur la lecture fine du texte, même si l’amputation du manuscrit empêche de s’appuyer sur tout colophon pour en déterminer le commanditaire et la destinée. Pour prendre un exemple, en regard du chapitre sur saint Julien (fol. 28v., fig. 1), on trouve la Vie des saints Jules et Julien d’Orta, fondateurs d’églises et vénérés près d’un lac d’Orta dans le Piémont, qui ne sont représentés dans aucune autre Légende dorée. Dans presque tous les autres manuscrits, on préféra le fameux Julien l’hospitalier, rendu célèbre au xixe  siècle par Flaubert14. Jules et JuLa traduction la plus précoce se fait en catalan, et on connaît un manuscrit où de nombreuses initiales sont enluminées à la fin du xiiie siècle : BNF, Esp. 44. 12  Ce manuscrit est mieux connu depuis les études de M.  Easton : The  Making of the Huntington Library Legenda Aurea and the Meanings of Martyrdom, Phd Dissertation, New York university, 2001 ; Id., « Pain, Torture and Death in the Huntington Library Legenda Aurea », dans Gender and holiness : men, women, and saints in Late Medieval Europe, éd. S. Riches et S. Salih, Londres et New York, 2002, p. 49-64. 13  Le manuscrit a été amputé et en comprenait cent soixante-dix-huit au départ. 14  G. Flaubert, Trois Contes, Paris, (1877) 1999. Jacques de Voragine évoque dans son chapitre quatre Julien homonymes : le premier évêque du Mans (ive s.), Julien de Brioude, martyr 11 

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lien, frères grecs de l’époque de Théodose, avaient demandé à l’empereur romain la permission de bâtir des églises à la place des anciens temples. Celui-ci leur avait donné son accord, assorti d’une menace de mort envers quiconque se mettrait en travers de leur entreprise ou refuserait son concours. On peut reconnaître dans cette image les deux saints au deuxième plan, distingués par leur coiffure. Le visage de l’un est tourné vers une architecture (l’église en construction) et s’adresse, le doigt levé, à un ouvrier qui manipule une poulie. L’autre a le doigt tendu vers un homme menant une charrette, sur laquelle repose un corps étendu. L’anecdote raconte que celui-ci, avec la complicité de ses compagnons, contreferait le mort afin d’être, par ce subterfuge, dispensé de travailler à la construction de l’église. Les  saints se doutèrent du mensonge et leur dirent : « Qu’il en soit pour vous selon la vérité de votre affirmation »15. Les hommes furent bien surpris de découvrir quelque temps plus tard que le faux-mort s’était transformé en un vrai mort. Ces manuscrits sont loin de montrer des images de saints uniques comme objets de dévotion, ils préfèrent privilégier les scènes de double ou de triple martyrs, ou comme avec Jules et Julien les liens de germanité qui amènent plusieurs personnes à accéder à la sainteté dans leur parcours de vie, même en provoquant la mort de mécréants. Le manuscrit de la Vaticane (Reg. lat. 534), des années 1300 présente des images originales pour presque chaque chapitre. Le  manuscrit s’est davantage consacré à la dévotion en la mettant en scène : les images sont souvent bipartites et associent un épisode de la vie du saint et une scène de dévotion au tombeau. Le colophon indique que le manuscrit a été fait pour un évêque non nommé mais qui pourrait être si l’on suit la datation probable selon le style, Pierre Taillefer, évêque de Toulouse. On a aussi gardé la trace de l’usage du manuscrit par un lecteur, Louis de la Vernade, président du Parlement de Toulouse ayant acquis le manuscrit en 143716. Ce dernier avait rempli d’annotations son exemplaire de la Légende dorée, y adjoignant son livre de famille, d’époque dioclétienne, le deuxième Julien frère de Jules (saints grecs du ve s.), et le troisième est curieusement Julien l’Apostat. Hormis le manuscrit de San Marino, un seul autre manuscrit propose une iconographie non issue de la Vie de Julien l’hospitalier : le BNF, fr. 414. Au fol. 68v est représenté saint Julien, évêque du Mans, ressuscitant trois morts tandis que leur âme sortait déjà de leur bouche. 15  Secundum veritatem dicti vestri ita vobis contingat, Légende dorée, traduction sous la direction d’A. Boureau, Paris, 2004, p. 173, Legenda Aurea, éd. G. P. Maggioni, Florence, 1998, I, p. 211. 16  Ceste legende auree est à moy Loys / de la Vernade, chevalier, conseilheur et chambellan / du roy et de monsieur le duc de Borbon [add. post et chancelier de mondit seignieur de duc et premier président du parlement du Languedoc] / laquelle je achetay des hoirs de feu monsieur / Odart Clepier président en Borbon, ou moys / d’avril mil cccc.xxxvii, annotation au fol. 254.

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inscrivant ad sanctos sa descendance. Il fit aussi des commentaires critiques, liés à certaines vérifications de sources. Mais surtout il mentionnait les reliques qu’il avait vues, associant de fait les dévotions au tombeau du manuscrit à sa propre pratique de dévotion dans divers sanctuaires, comme celui de Charroux où il dit avoir vu la relique du prépuce, en marge de l’image de la circoncision du Christ17. Le manuscrit de la Vaticane permet ainsi d’attester de l’usage actif, y compris dans le cadre des pèlerinages d’une Légende dorée latine par un laïc lettré du xve siècle18. À partir de 1348, date de la parution du premier manuscrit de la Légende dorée française, il est même possible de comparer très précisément des exemplaires en langue française avec les exemplaires latins. Ainsi par exemple, l’atelier de Richard et Jeanne de Montbaston, auquel fut confiée l’enluminure du premier exemplaire connu de la traduction de Jean de Vignay19 avait déjà peu de temps auparavant enluminé une Legenda latine, actuellement conservée à Munich20, et les enluminures ont une certaine proximité iconographique. C’est donc plutôt de l’époque de ce manuscrit latin, vers 1330, que l’on peut dater avec certitude les copies de manuscrits de la Légende dorée dans ces ateliers laïcs parisiens (Montbaston et maître de Fauvel), et ce n’est pas la vernacularisation qui a fait entrer le texte dans les ateliers commerciaux. De manière intéressante, les enlumineurs travaillaient en parallèle sur Annotations marginales : Carosium credo quod est abbatia de Charroux quam fondavit Carolus Magnus, et ibi fertur preputium Christi fore, quod vidi. ; Vidi digitum in sancto Iohanne de Morianne inter Alpes, in patria Sabaudie. Saint Maurice, en Suisse, canton de Valais : In quodam « Et nunc, sanctus Mauricius Euchableys vocatur, ubi religiosi sunt, et in eo fui et tenui ensem quo sucisa fuerunt capita ». 18  Sur ce manuscrit, je me permets de renvoyer à mon article : « Image-action. La  performance avec et entre les images : quelques exemples à la fin du Moyen Âge et aujourd’hui. », dans La performance des images, éd. G. Bartholeyns et T. Golsenne, Bruxelles, 2010, p. 209-224 ainsi que F. Coste, « Cette Lesgende auree est a moy… Marginalia et appropriations de la Légende dorée (ms. Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. lat. 534) », Miscellanea Bibliothecae Apostolicae Vaticanae, t. XVIII (2011), p. 111-145. 19  BNF, fr. 241, enluminé selon Richard et Mary Rouse par Richard de Montbaston. L’ensemble des manuscrits enluminés par cet atelier a été rencensé par R. et M. A. Rouse, « Illiterati et uxorati », Manuscripts and their makers : commercial book producers in medieval Paris 1200-1500, Turnhout, 2000, t. 2, appendix 9A, p. 202-206 ; M.-T. Gousset, « Libraires d’origine normande à Paris, au xive siècle », dans Manuscrits et enluminures dans le monde normand (xe-xve siècle), éd. P. Bouet et M. Dosdat, Caen, 1999, p. 169-180. Pour une critique des attributions à Jeanne et à Richard sur des critères de qualité stylistique inférieure attribuée à Jeanne voir : C.  Maillet, « Image et genre », dans Les  images médiévales, éd. J. Baschet et P.-O. Dittmar, Turnhout, 2015, p. 409-420. 20  Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 10177, enluminé par Jeanne de Montbaston, comme le manuscrit BNF, fr.  185 : un exemplaire des Vies des saints, enluminé à la même époque qui reprend certaines iconographies présentes dans les deux autres manuscrits apparentés. 17 

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des textes comme le Roman de la Rose et sur la Légende dorée, et les scènes de martyre commencèrent à orner les marges d’un manuscrit de la Rose21. Ainsi on ne saurait d’emblée conclure sur l’usage et l’origine de la commande du manuscrit de Glasgow du fait de sa langue. Au cours du xve siècle, un autre manuscrit, conservé à Vienne et que l’on date de 1447-1448 (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. lat. 326) fut abondamment historié (cent-quatre-vingt une initiales). La réalisation des miniatures est de petite taille, mais peinte avec soin. L’iconographie est quelque peu répétitive et est souvent centrée sur le martyre, mais on y remarque plusieurs spécificités iconographiques. Ainsi, le chapitre sur Marie Madeleine est illustré par un de ses miracles : une femme enceinte ayant imploré la sainte aurait été sauvée d’un naufrage. L’image (fol. 123, fig. 2) montre celle-ci l’enfant dans les bras sur un rocher perdu au milieu des flots tandis que le navire sombre. Ce manuscrit ne saurait être comparé avec celui de Glasgow, mais il montre que l’enluminure des manuscrits latins n’est pas inexistante, même après la traduction du texte dans diverses langues vernaculaires.

2. Le corpus vers 1400 : les riches Légende dorée en temps de guerre Au tournant du xve siècle, en pleine guerre et alors que les relations se compliquent entre Armagnacs et Bourguignons, on écrit et on peint de multiples Légende dorée richement enluminées. Les  échanges artistiques se font entre Paris et Bruges, et les artistes flamands sont les plus réputés de la cour française. Un même enlumineur travaille alors à trois manuscrits du légendier. François Avril lui attribua aussi un manuscrit du Policraticus et le dénomma le Maître du Policratique22 . Ils sont conservés à Arras, Genève et Rennes ; trois autres manuscrits sont conservés à la BNF et sont très probablement liés au pouvoir royal. On trouve aussi deux manuscrits parisiens conservés à Bruxelles et un manuscrit, aujourd’hui conservé à Glasgow, qui est un peu à part car réalisé dans les Flandres (cf. tableau 1). De plus, plusieurs de ces manuscrits comportent un corpus renouvelé du texte de Jacques de Voragine traduit par Jean de Vignay auquel ont été ajoutées des Festes nouvelles, attribuées au carme Jean Golein23. Ces Festes nouvelles réactualisent le corpus de 21  BNF, fr.  25526, fol.  161 v. Pour l’analyse de cette image, je me permets de renvoyer à C. Maillet, La parenté hagiographique, p. 141. 22  Cet artiste est dénommé d’après le Policraticus de Jean de Salisbury de 1372, cf. F. Avril, « Le parcours exemplaire d’un enlumineur », et M. Guérinel-Rau, La légende dorée, p. 183. 23  Théologien de l’ordre des Carmes, il fut doyen de l’université de Paris à partir de 1389, et prit parti pour la papauté d’Avignon contre l’avis de l’université de Paris. Jean Golein était également connu pour ses traductions, effectuées pour le roi Charles V, de Jean Cassien, Bernard

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la Légende dorée, centré sur les martyrs antiques et les saints d’époque christique. Y sont adjointes la Conception de la Vierge (qui affirme une position maculiste sur le dogme de la conception), un ensemble de saints anciens mais davantage liés à l’histoire française que le corpus d’origine (dont Geneviève, Éloi, Louis de France, Louis de Toulouse, etc.) et la fête du saint Voult ou Volto santo. Comme Jean-Claude Schmitt l’a montré, de nombreuses influences avaient joué sur les choix de composition du corpus. On pense que c’est la forte présence des marchands lucquois qui aurait fait pression pour que soit intégrée la fête du Volto Santo, image miraculeuse qui faisait la gloire de leur cité, et qui donnait parfois lieu à des cycles enluminés détaillés figurant chaque étape de la translation du crucifix miraculeux24. Cet exemple incite à penser à partir de cette époque une forte influence du pouvoir politique et social sur la production manuscrite. Dans ces manuscrits, on lit un changement dans la conception : au lieu de multiples images visant à illustrer chacune des Vies par des épisodes singuliers, c’est avant tout le frontispice qui devient la pièce maîtresse. On peut imaginer le livre ouvert à sa première page devant des hôtes importants, faisant montre de la maîtrise du peintre choisi pour l’enluminure. On y trouve des Couronnements de la Vierge, mais aussi des Vierges à l’Enfant ou des Majestés du Christ. Chaque Vie est parfois ornée d’un saint en majesté devant lequel il était possible de se recueillir et de prier.

3. Glasgow 1111 un corpus hagiographique spécifique : flamand, français et italien Conçu à la même période, le manuscrit de Glasgow est un des plus soignés, et des plus délicatement enluminés de tous les manuscrits de la Légende dorée mais il ne suit pas ce modèle : il n’a pas de frontispice, mais de multiples images colorées au fil des pages. De grande taille (23,5×32 cm), il fut séparé

Gui et Guillaume Durand. Les manuscrits de la Légende dorée auxquels ont été adjoints les « Festes nouvelles » sont Bruxelles, KBR 9228 et 9282-5 ; Genève, BPU, fr. 57 ; Jena, TUND gall. 86 ; Mâcon, BM 3 ; Munich, BS Gall. 3 ; BNF, fr. 184, 242, 243, 244-245, 415-416 et Paris, Musée Marmottan, Wildenstein 197. Deux autres manuscrits comportent les « festes nouvelles » dans une version totalement remaniée de la Légende dorée, dans laquelle temporal et sanctoral ont été séparés en deux ensembles différents : Cambridge, Fitz. 22, et Londres, BL, Stowe 50-51. Voir : R. Hamer, « Jean Golein’s Festes nouvelles : a Caxton source », ­Medium Aevum, 55-1 (1985), p. 254-260. 24  J.-C. Schmitt, « Cendrillon crucifiée, à propos du volto santo de Lucques », dans Le corps des images, essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, éd. Id., Paris, 2002, p. 266-271.

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en deux volumes et relié à l’époque moderne25. Il est pourvu d’une liste des saints en début de volume, par ordre alphabétique, et donc conçu pour être feuilleté en fonction de la fête choisie. On voit à l’examen que le livre a été précisément lu et annoté, puisque des renvois à des passages concordants sont indiqués dans les annotations marginales, de la main du copiste ou de mains ultérieures, parfois difficilement lisibles26. Aucune marque de possesseur ne peut malheureusement aider à en identifier la provenance. Le colophon est une prière (fol. 374v) : Benedicamus Domino Deo gratias amen Amen trino numini gloriam canamus Amen Deo homini gratias agamus Amen matri virgini in laudes referamus

Les hypothèses qui ont été faites concernant le commanditaire sont essentiellement d’ordre stylistique. L’importance accordée à Antonin de Plaisance (une enluminure de taille importante, pour un chapitre qui n’appartenait pas au corpus de Jacques de Voragine), mit Mauritz Smeyers sur la piste d’une commande faite à des artistes flamands pour la cité de Plaisance (Emilie Romagne). Malgré l’adjonction de saints fêtés à Bruges, Smeyers ne penche pas pour une commande brugeoise. L’originalité du corpus lui fait dire également qu’un conseiller tel que Lubert Hautscilt, supérieur de l’abbaye brugeoise d’Eeckout, avait pu être impliqué dans la rédaction27. Noël Geirnaert, suivant les hypothèses de Smeyers, proposa comme commanditaire Fortigarius de Piacenza (chapelain et conseiller de Philippe le Bon, puis évêque d’Arras). Plutôt qu’à une commande destinée à l’Emilie Romagne,

25  Il est mis en page en deux 2 colonnes (7,5 × 23,5) de 53 lignes, la réglure mesure 4 mm et les cahiers sont des quadrifolii pour la plus grande partie. 26  Pour les annotations en cursive on trouve surtout des commentaires sur le texte : au fol. 17 (Vie de saint Ambroise) : procuras salutem, misericors, non precebat labori ; au fol. 278v (Vie de saint Lazare) : Lazarus frater marie magdalenie et morti ; au fol. 332 (Vie de saint Martial) munia fuit debita officia vel tributa vel munera, ou des annotations visant à retrouver un passage comme la messe de saint Ambroise (indiquée missa sancti ambrosii dans la marge du fol. 62 dans la Vie de Grégoire), au fol. 276 (Narcisse, évêque), une note renvoie à sainte Afra, prostituée chrétienne martyrisée à Augsbourg où Narcisse préchait : passio autem beate affre continet in foliis CCXXXI. On lit aussi des nota nombreux : fol. 72 (Annonciation), 73 (Passion), 253v (chapitre adjoint De pluribus Hystoriis). 27  M. Smeyers, L’art de la miniature flamande du viiie au xvie siècle, Tournai, 1998, p. 209212 ; et Id., « Een Brugse Legenda Aurea van ca. 1400 (Glasgow, UL, ms. Gen. 1111). Bijdrage tot de studie van het zgn. Pre-Eyckiaanse realisme », dans Middeleeuwse handschriftenkunde in de Nederlanden 1988, éd. J. J. M. Hermans, Grave, 1989, p. 201-214.

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il penchait pour une commande pour les marchands de Plaisance installés à Bruges28. Le corpus est bien la première donnée qui mérite examen (cf. tableau 2). Il fit l’objet d’un programme très spécifique, avec un ajout de Vies différentes de l’adjonction qui fut faite au texte français. Le texte commence après l’index, par un Tractatus de perfectione penitentie, qui s’achève par un texte dont une partie a été grattée, et qui donnait peut-être des indications de possession ou d’intention aujourd’hui illisibles : « Iste liber est… » (fol. 5v.) Ensuite, vient le texte indiqué comme « legendam auream I legendas et flores sanctorum quas compilavit frater iacobus natione ianuensis » (fol.  6). Mais le corpus génois a été largement adapté à de nouveaux cultes que l’on ne peut seulement associer à des saints flamands. En plus, le corpus des Vies adjointes n’est pas accolé en fin de volume comme c’est souvent le cas avec les Festes nouvelles, mais fait l’objet de plusieurs ensembles, entre la Vie de Catherine et celle de Jacques l’Intercis (fol. 229-234), puis Louis de Toulouse après les Pères du désert et avant la Vie de Barlaam et Josaphat (fol. 237v.) puis un autre texte intitulé Pelagius papa et aliis historie (fol. 252), la Vie d’Élisabeth de Jacques de Voragine, la Vie de Claire d’Assise, et la dédicace de l’Eglise qui clôt normalement le corpus du génois. Viennent ensuite plusieurs corpus hagiographiques intitulés De  pluribus hystorie, qui se clôturent avec la Vie d’Antonin de Plaisance, ermite, et de saint Cassien, martyr d’Emilie, maître d’école chrétien du ive siècle livré aux poinçons de ses élèves mécontents. Pour les saints venant de Flandres, on ne remarque qu’un corpus spécifique à la ville de Gand. Rien ne semble orienter vers Bruges, qui était pourtant en toute probabilité le lieu de conception du manuscrit, mais cela s’explique aisément par le fait que l’apôtre André, saint patron de Bruges était déjà dans la Légende Dorée. Le plus grand nombre de saints adjoints concerne le royaume de France, dont Louis de France ; un groupe de Vies de la péninsule italienne est remarquable, et ce d’autant que certains sont enluminés. Enfin, il faut noter un groupe de Vies hispaniques, réunies dans un ensemble de texte non enluminés (fol. 268-277). Il ne s’agit que de pistes pour encourager l’étude précise du corpus hagiographique de ce manuscrit, qui est remarquable par son projet, sans doute préparé par un hagiographe chevronné. Le  souci semble en tous cas de répondre à un corpus non local, mais ouvert aux aires françaises et italiennes, N.  Geirnaert, « The Bruges nation of Piacenza, the socio-economic context of a pre-­eyckian Legenda aurea », dans Als  ich can. Liber amicorum in memory of professor Dr. ­Maurits Smeyers, éd. B. Cardon, J. Van der Stock et D. Vanwijnsberghe, Paris, Louvain, 2002, vol. 1, p. 673. 28 

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SINGULARITÉ ET SÉRIALITÉ D’UN TRÈS RARE MANUSCRIT LATIN

dont on sait qu’elles étaient les principales routes commerciales du marché du livre brugeois. Le corpus des Vies semblait donc d’une grande plasticité, et en capacité de s’adapter à plusieurs publics. Il est probable que la langue latine pouvait fonctionner comme une langue-véhicule commode pour une ville de Bruges multiculturelle, où vivaient français, italiens et flamands.

4. Des miniatures tableaux à l’époque de Jean Malouel Le corpus hagiographique est donc sophistiqué, le latin est bien maîtrisé, et le texte a été lu et annoté. Il n’en est pas moins orné d’une série d’images d’une rare qualité picturale. Ce manuscrit se distingue par son usage des couleurs et la légèreté de la touche, comme aquarellée. Les figures semblent voler avec légèreté au-dessus des pages. Le regard est absent, les contours flous. Les saintes semblent observer au loin comme si elles habitaient un temps qui est inconnu des habitants de la terre. Les peintres montrent leur dextérité en usant de plusieurs qualités de blanc et en jouant sur les transparences, comme dans la miniature des litanies, qui laisse planer les officiants au-dessus du sol, tandis que leurs habits semblent faits de voiles blancs (fig. 3). On trouve le même procédé avec les nuances de roses des robes d’Espérance, Foi et Charité, filles de Sagesse, qui sont figurées en jeunes filles ; l’une regarde à droite et les deux autres à gauche. Elles sont de tailles descendantes, et tiennent la main de leur mère. Leurs robes rose tendre s’avancent sur le fond rouge à traits d’or, et les tissus se confondent et se répondent dans leurs ondulations. Si la miniature gothique avait été le temps des contrastes colorés, et de la rythmicité des alternances de couleurs, bien décrites par les analyses magistrales de Jean-Claude Schmitt29, cette époque est bien celle des subtils effets de transparence, et de délicates ondulations textiles parfois monochromes. Entre la fin du xive et le début du xve siècle, l’art flamand présente des caractéristiques particulières qui le distinguent assez nettement des œuvres précédentes, Smeyers dit que « l’époque de la grâce gothique était révolue »30. Il désigne ce style comme « le réalisme pré-eyckien », terme à ne pas comprendre, paradoxalement, comme un souci de représenter le monde tel qu’il apparaît à nos yeux. Les visages féminins seraient plus idéalisés que les traits masculins, les mouvements sont fluides. De fait, les images de ces manuscrits montraient les saints auxquels on s’adressait pour prier, ils ressemblaient quelque peu à des personnes, car on devait les reconnaître s’ils apparaissent en vision, mais ils n’avaient pas besoin 29  30 

J.-C. Schmitt, Les rythmes au Moyen Âge, Paris, 2016. M. Smeyers, L’art de la miniature, p. 175.

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de prendre des traits terrestres. La  dévotion privée changeait l’usage des images aussi bien que leur apparence. Les saints étaient souvent seuls, accompagnés d’un objet permettant de les reconnaître, l’attribut, mais avec lequel ils pouvaient être gracieusement enlacés, comme Marguerite dans le dragon, dont la robe sort en volutes de la gueule de l’animal qu’elle vient de traverser (fig. 4). Si les images précédentes des Légende dorée étaient à comprendre dans un dialogue texte-image et en commentaire mutuel, ce n’est plus le cas au début du xve siècle. Les visions étaient devenues réelles, et les images ressemblaient à des apparitions, ou favorisaient celles que l’on espérait en priant. On  vit aussi petit à petit apparaître des images peintes qui imitaient les livres et que l’on pouvait transporter. La fameuse grande Pietà de Jean Malouel du Louvre (v. 1400) est un tableau de dévotion portatif qui était transporté avec un étui de cuir pour être dévoilé au duc lors de ses prières. Le livre de dévotion et le tableau avaient un usage proche, avec deux avantages pour le premier : la lecture et la multiplicité des images. On sait que les frères Limbourg avaient réalisé pour le duc de Berry un objet en bois à la couverture reliée imitant un livre, un trompe l’œil de livre qui était une image peinte31. Des manuscrits comme celui de Glasgow permettaient d’avoir en un seul objet un texte érudit indexé et manipulable, et une centaine de petites images de dévotion. L’invention du tableau mobile, ou le tour de passe-passe qui fit passer le fait de peindre une seule image de format modeste pour plus méritoire qu’une série de cent images minutieusement peintes et protégées sous leur couverture est un mystère que ne s’explique toujours pas l’histoire de l’art. Hans Belting décrit avec précision l’invention de ce modèle en Flandres dans les années 1430, autour de peintres comme Jan van Eyck, par la pression d’une classe bourgeoise qui s’échange ces tableaux peints, sans doute moins coûteux et longs à réaliser que les manuscrits enluminés. Ce passage du manuscrit au tableau change pour longtemps le rapport aux images et la dévotion aux saints32 . Finalement, le manuscrit de Glasgow s’inscrit dans une série de livres de haute qualité produite dans les années 1400 mais reste exceptionnel. Il fait partie des quelques exemplaires des manuscrits latins de la Légende dorée qui sont parvenus jusqu’à nous avec leur centaine d’enluminures. Il contribue à attester que l’usage hagiographique n’est pas à penser séparément du goût de la contemplation des images peintes. On  n’en connaîtra jamais les 31  I.  Villela-Petit, « Frères Limbourg », dans Dictionnaire d’histoire de l’art du Moyen Âge occidental, éd. J. M. Guillouët et al., Paris, 2009, p. 527-528. 32  H. Belting, Miroir du monde – L’invention du tableau dans les Pays-Bas, Paris, 2014.

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SINGULARITÉ ET SÉRIALITÉ D’UN TRÈS RARE MANUSCRIT LATIN

commanditaires ni les possesseurs de manière certaine. Il est possible qu’un possesseur successif ait choisi d’effacer l’origine du manuscrit et se le soit réapproprié par des annotations marginales. Mais contrairement au possesseur de la Légende dorée latine de la vaticane, Louis de la Vernade, président du Parlement de Toulouse (Reg. Lat. 534), il ne pensa pas nécessaire d’y inscrire son nom. La langue ne signifie pas qu’il était nécessairement un clerc, mais une personne cultivée. Peut-être même que le latin pouvait être envisagé comme une langue véhicule dans une cité de Bruges abritant de multiples communautés marchandes venant du nord de l’Italie comme de France septentrionale, et faisant usage de sources hagiographiques variées33. Étape cruciale du cheminement vers le tableau mobile, le manuscrit flamand était déjà un objet érudit, complexe, manipulable et admirable. Ce ne sont pas forcément les dévots, ni même les catholiques, qui sont le plus savant concernant la Légende Dorée ou les vitraux du xiiie siècle […] (Marcel Proust)34.

Pour un point sur l’hagiographie latine dans la région voir : V.  Vermassen, « Latin ­ agiography in the Dutchspeaking parts of the Southern Low Countries (1350-1550) », H dans Hagiographies, vol. vii, éd. M. Goullet, Turnhout, 2017, p. 565-613. 34  M. Proust, Le temps retrouvé, Paris, 1927, t. 2 p. 127. 33 

223

BM, 266

BNF, fr. 242

BNF, fr. 184

BR, 9228

Paris

Paris

Bruxelles

Bib. de la ville, 630 BPU, fr. 57

Cote

Rennes

Genève

Arras

Ville

Paris Paris

Paris

 

c. 1402

c. 1400

c. 1405

Paris

c. 1400

c. 1395-1403

Paris

Origine

c. 1400

Date

224 233

41

?

?

Philippe le Bon, Maximilien Ier

Raoul de Gaucourt (1371-1452)

Nombre de Artistes Commanditaires miniatures et possesseurs 102 Maître du Policra- ? tique et al. 94 Maître du Couvent de Policratique bénédictines ? Aymar de Poitiers (xvie s.) 159 Maître du Policra- ? tique et al. 219 Artiste flamand Entourage de Jean de Berry ?

Tableau 1 : La Légende dorée enluminée autour de 1400

Annexes

fol. A Couronnement de la Vierge fol. 1 Jean de Vignay dictant fol. 1 S. Grégoire

Pas de frontispice

fol. 1 Christ en majesté fol. 1 Couronnement de la Vierge

Frontispice

Clovis Chloé Maillet

BR, 9226

Bruxelles

University, lib. 1111

BNF, fr. 414

Paris

Glasgow

Cote

Ville

Flandres

France

c. 1400

1405-1410

Paris

Origine

1404

Date

107

78

Maître des litanies, Maître du diacre, Maître d’Hélène.

?

Nombre de Artistes miniatures 80 Maître du Virgile/Maître des médaillons, et al. fol. 1 Vierge à l’enfant et Assemblée céleste fol. 1 Couronnement de la Vierge

Frontispice

Charles de Croy, comte de Chimay, Marguerite d’Autriche (autographe), Marie de Hongrie (armoiries)   Pas de frontispice

Commanditaires et possesseurs Louis de la Gruthuyse, Louis XII

SINGULARITÉ ET SÉRIALITÉ D’UN TRÈS RARE MANUSCRIT LATIN

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Clovis Chloé Maillet

Tableau 2 : Glasgow MS gen. 1111 : fêtes ajoutées à la Légende dorée de Jacques de Voragine Aire géoChapitres enluminés graphique Royaume Éloi, Victor, Thomas d’Aquin, de France Nicaise, Louis de France, Lazare d’Aix, Boniface, Espérance Péninsule Nicolas (Tolentino), Antoine italienne (Padoue), Antonin (Plaisance). Flandres Bavon (Gand), Liévin (Gand), Donatien (reliques à Bruges) Péninsule   ibérique

Autres

Texte seul Martial (Limoges), Médard (Soissons), Firmin (Amiens), Omer Cassien (Emilie) Claire (Assise), Benedicte (Assise) Amalberge (Flandres)

Isidore (Séville), Léandre (Séville), Ildephonse (Tolède), Dominique (abbé de Silos), Émeterius et Célidonius (Calahorra), Facond et Primitif (Sahagún, León), Félix, Narcisse (Gérone), Colombe (Cordoue), Eulalie, Émilien, Léocadie. Afra (prostituée d’Augsbourg), Walburge (Saxone), Alban (Londres) Boniface (d’origine Narcisse (de Girone, mais britanique mais apôtre des ger- ayant prêché à Augsbourg), mains), Sagesse, Espérance, Foi Fronton Thècle, Richard et Charité, Barbe (Nicomédie) abbé, Pantaléon (Nicomédie), Mammès

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La figure de l’évêque dans l’œuvre de Jean Gielemans De la collection de Vies abrégées à une chorographie sacrée du Brabant ?

Véronique Hazebrouck-Souche (Nanterre) Le « plus grand compilateur de Vies de saints à la fin du Moyen Âge »1 était, si l’on en croit Ernest Persoons, le brabançon Jean Gielemans († 1487). En effet, ce chanoine régulier de saint Augustin, tour à tour sous-prieur de Sept Fontaines et Rouge-Cloître2 , deux prieurés de la forêt de Soignes, fut également copiste d’une vingtaine d’ouvrages religieux pour la bibliothèque de Rouge-Cloître3, mais surtout l’auteur de la plus vaste collection hagiographique de la fin du Moyen Âge4. Ces quelque 2700 folios composés de façon 1  E. Persoons, « Jean Gielemans », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 20, Paris, 1984, c. 1256. 2  Jean Gielemans y a probablement reçu le sacerdoce en 1464. Il y vécut comme simple chanoine avant d’être désigné sous-prieur de Sept Fontaines vers 1480 pour un an, puis de Rouge­ Cloître. Il y exerça cette charge jusqu’à sa mort d’après le Catalogus fratrum r­ egularium / choralium coenobii Rubeae Vallis in Zonia propre Bruxellam de Gaspar Ofhuys, Bruxelles, KBR, ms. II 480, fol. 223, éd. De Codicibus Hagiographicis Iohannis Gielemans, canonici regularis in Rubea Valle propre Bruxellas, Bruxelles, 1895, p. 6-7 et p. 319. 3  Jean Gielemans copia notamment, pro libraria, l’Historia Ecclesiastica tripartita d’Eusèbe de Césarée et les sept volumes des Postillae de Nicolas de Lyre. Voir G. Ofhuys, op. cit., fol. 223. 4  Voir V.  Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme. Glorification du Brabant dans l’œuvre hagiographique de Jean Gielemans (1427-1487), Turnhout, 2007. Le Père A. Poncelet a dressé un répertoire de l’ensemble de la collection dans le De Codicibus Hagiographicis Iohannis Gielemans, canonici regularis in Rubea Valle propre Bruxellas, Bruxelles, 1895 (abrégé DC).

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 227-257. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126295

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Véronique Hazebrouck-Souche

discontinue entre 1471 et 1485 sont le fruit d’un minutieux travail de collecte de sources très disparates, puis de compilation5, selon un ordre original, et une logique qui a beaucoup évolué au fil du temps. Ainsi, son premier ouvrage, le Sanctilogium (v. 1471-1482), s’apparente à une imposante collection encyclopédique de Vies abrégées en quatre volumes6. Puis le second recueil, l’Agyologus Brabantinorum (v. 1476-1483), adopte un discours plus original avec un premier volume consacré aux saints carolingiens puis un second dévolu aux saints qui ont vécu en Brabant. Le troisième, le Novale Sanctorum (v. 1483-1485), est un légendier axé cette fois sur la modernité (depuis 1300) qui intègre des cycles hagiographiques régionaux ainsi que des documents sur l’actualité de la Chrétienté. Enfin, l’Hystoriologus Brabantinorum (1485-1487) est un mélange hagiographique et historiographique particulièrement hétéroclite qui illustre la grandeur du Brabant dans le contexte religieux et politique de son époque. Au fil de ces quatre recueils, le prisme brabançon devient de plus en plus prégnant. La mise en exergue de la Terra beata Brabancia7 à la fin du xve siècle, à l’issue du siècle d’or bourguignon, tandis que le Brabant s’apprête à se fondre dans le vaste empire habsbourgeois, devient tellement systématique que nous avons pu conclure précédemment à une hagiographie mise au service du patriotisme brabançon, un genre précurseur de l’Europa sacra moderne8. Dans le même temps, l’hagiographe brabançon met en valeur une sainteté à la fois ancienne et moderne, masculine et féminine, universelle et locale, ainsi que toute la panoplie des modèles de perfection, dont la figure du saint évêque. Mais le modèle épiscopal tient une place particulière dans cette collection hagiographique, notamment à travers la présence de plusieurs catalogues d’évêques de Maastricht et de Liège. Sa place interroge si on la confronte au regain d’intérêt Nous nous reportons à la définition de Florent Coste : « La compilation s’étend dans ses formes et ses pratiques sur un spectre très large de la pure répétition et reconduction des textes à l’intrication des hypotextes mobilisés, en passant par l’abréviation et la dilatation, le compilateur se manifeste selon diverses modalités et selon un quotient d’intervention tout à fait variable » : F. Coste, « Le travail d’un compilateur. Jacques de Voragine et la Légende dorée », Hypothèses, 13 (2010/1), p. 61-71. 6  Ces manuscrits sont conservés à la Bibliothèque nationale de Vienne : Sanctilogium (ÖNB, S.n. 12811-12814, 4 vol.), Agyologus Brabantinorum (ÖNB, S.n. 12706- 12707, 2 vol., abrégés Ag I et Ag II), Novale Sanctorum (ÖNB, S.n. 12708-12709, 2 vol., abrégés NS I et NS II), Hystoriologus Brabantinorum (ÖNB, S.n.  12710, 1  vol., abrégé  Hy). Certains volumes ont été numérisés et mis en ligne par l’ÖNB. Les miniatures sont toutes éditées dans V. Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme. 7  Ag. II, fol. Irb : « Letare, inquam, ô terra beata Brabancia, qua ab initio omnigenos sanctos procreare non destitisti ». 8  V.  Hazebrouck-Souche, « Terra beata Brabancia. Hagiographie et sentiment patriotique en Brabant. Genèse du concept dans l’historiographie brabançonne. Bilan et perspectives », dans Expériences religieuses et chemins de perfection dans l’Occident médiéval, éd. D. Rigaux, D. Russo et C. Vincent, Paris, 2012, p. 105-118. 5 

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LA FIGURE DE L’ÉVÊQUE DANS L’ŒUVRE DE JEAN GIELEMANS

pour la sainteté épiscopale que l’on observe dans le royaume de France au tournant du xvie siècle9 et dont témoignent des réécritures françaises de Vies de saints évêques à la fin du Moyen Âge, comme celle de saint Médard10, ou encore les catalogues d’évêques qui fleurissent à l’époque moderne et que Jean-Marie Le Gall a mis en relation avec un patriotisme civique11. Ce regain d’intérêt pour le modèle épiscopal, sous toutes ces formes, à l’extrême fin du Moyen Âge, trouverait-il un écho en Brabant chez Jean Gielemans ? Pour commencer, la collection gielemanne manifeste-t-elle un regain d’intérêt quantifiable pour la sainteté épiscopale ? Deuxièmement, ce travail de compilation laisse-t-il affleurer une évolution de ce modèle de sainteté à la fin du xve siècle dans les régions du Nord ? Enfin, nous verrons dans quelle mesure le corpus épiscopal dessine une chorographie sacrée du Brabant originale par rapport au discours patriotique de Jean Gielemans.

1. La place de la figure hagiographique de l’évêque dans l’œuvre de Jean Gielemans Tout d’abord, quelle place numérique occupe la figure épiscopale, et plus particulièrement, la sainteté épiscopale, dans l’œuvre de Jean Gielemans ? Notons que, pour établir ce corpus, nous avons adopté la logique de sélection très souple et inclusive de l’hagiographe brabançon : nous prenons en compte tous les évêques proposés comme modèles, qu’ils soient canonisés, translatés ou simplement hommes illustres de bonne mémoire ! Notre hagiographe tente en effet de capter la benevolentia de ses lecteurs dans le prologue du Sanctilogium en ces termes : Je veux que le lecteur ou copiste de ce qui suit soit averti pour qu’il ne s’émeuve pas ni [ne se] scandalise s’il trouve ici quelques personnes non canonisées, car J.- M. Matz et A.- M. Helvetius, Église et société au Moyen Âge, Paris, 2008, rééd. 2014, p. 226 : « Pour conclure, “la crise de la sainteté épiscopale” (Vauchez) semble prendre fin au xve  siècle ». Voir également J.-M. Matz, « La  sainteté épiscopale en France (xve siècle ­début xvie siècles) », dans Yves Meheuc (1462-1541). Rennes en Renaissance, éd. A. Pic, 2007, Rennes, p. 311-329. 10  C.  Vincent, « Saint Médard à travers ses trois Vies françaises », Revue d’histoire de l’Église de France, 106 (2020), p. 81-93. Voir plus globalement A-.F. Leurquin-Labie, Les ­légendiers en prose française à la fin du Moyen Âge (région Picardie et Flandre française) avec une édition critique de vingt vies de saints, thèse de doctorat sous la direction de J. Monfrin, Paris IV-Sorbonne, 1985. Ead., « Les Vies de saint Géry dans les légendiers en français de la fin du Moyen Âge », Revue du Nord, 68 (1986), p. 445-452. 11  J.-M. Le Gall : « Catalogues et séries de Vies d’évêques dans la France moderne : lutte contre l’hérésie ou illustration de la patrie ? », dans Liber, Gesta, histoire. Écrire l’histoire des évêques et des papes, de l’Antiquité au xxie siècle, éd. F. Bougard et M. Sot, Turnhout, 2009, p. 367-406. L’historien montre que le genre des listes épiscopales, répandant de toutes parts le doux parfum des fleurs épiscopales, atteint son apogée entre 1560 et 1650, en pleine Contre-Réforme. 9 

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elles ne sont pas pour cela de moins bonne réputation aux yeux de Dieu ni moins méritantes au Ciel, quoiqu’elles n’aient pas été canonisées sur terre12.

Nous lui emboitons donc le pas. À  une réserve près néanmoins : nous n’avons retenu que les personnages présentés comme modèles de vie épiscopale, évêques ou archevêques. Nous avons exclu les papes qui ne sont pas considérés ici comme modèle « épiscopal », a fortiori Célestin V († 1296) qui tient une place de choix dans le Novale Sanctorum mais qui n’a jamais été évêque13. Sur cette base, nous avons dénombré, disséminés au fil des quatre recueils, 360 Vies d’évêques. Mais qu’est-ce que cela représente par rapport aux 1517 documents copiés ou composés par Jean Gielemans dans cette collection ? Quelle est la part des évêques parmi les saints ou personnages donnés en exemple par l’hagiographe au fil des volumes ? Évolution de la part des saints évêques parmi les personnages saints ou illustres mis en exergue par Jean Gielemans14  

S

Ag I

Ag II

Ag II NS I NS II Hy HC 8 2 1 5

Saints 315 16 22 évêques 67 33 Personnages 1132 92 saints ou illustres % 27,8% 17,3% 32,8% 24,2%

39

12

5,1% 8,3%

39

Ensemble 361 1381

12,8% 26,1%

12  S I, fol. vi : Sciendum est autem postremo quod lectorem sive scriptorem eorum que sequuntur ammonitum esse volo, quatenus non moveat eum neque scandalizet, si reperiat hic aliquos non canonizatos quoniam non sunt propterea minoris reputationis coram Deo neque inferioris ­meriti in celo, quamvis non sunt canonizati in mundo. 13  NS I, fol. 2-12. Du reste, les papes sont presque absents de l’œuvre de Jean Gielemans, hormis dans le Sanctilogium. Cela va à l’encontre de la tendance générale observée par André Vauchez qui faisait remarquer l’importance relativement croissante des souverains pontifes au sein de la catégorie des prélats à la fin du Moyen Âge : A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen-Âge, Rome, 1981, p. 304. 14  Pour notre étude statistique, nous avons été amenée à faire des choix dans la sélection des données. Ainsi, les personnages sont comptabilisés autant de fois qu’une rubrique leur est consacrée car cela est révélateur de l’intérêt de l’hagiographe. En Ag I, nous avons cependant comptabilisé un seul saint pour tous les rois de la descendance troyenne qui étaient regroupés dans une rubrique unique. Concernant l’Ag II, nous avons distingué deux résultats, selon que l’on prend en compte les catalogues des évêques de Tongres - Maastricht - Liège ou non (HC : Hors-Catalogues). En Hy, nous avons exclu les simples listes de noms des rois, évêques, patriarches et autres habitants de Jérusalem, mais nous avons pris en compte les rubriques plus développées et individuelles à la gloire des princes séculiers car ils sont présentés dans le prologue comme des champions de la bienheureuse terre de Brabant. Enfin, nos totaux se fondent sur l’acceptation large en Ag II .

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En moyenne brute, au regard de l’ensemble du Moyen Âge mais aussi de la fin de cette période, la place du modèle épiscopal est globalement assez faible : même dans le cas d’une acceptation large, sans le filtre de la canonisation, à peine plus d’un quart (26,1%) des figures qui font l’objet d’une rubrique dans l’œuvre du chanoine brabançon sont des évêques alors que ce status vitae, prépondérant dans la chrétienté latine depuis l’Antiquité, représentait encore aux xiiie-xve siècles un peu plus du tiers (34%) des seuls procès en canonisation, et cela malgré la « crise de la sainteté épiscopale » qui commence dès le dernier tiers du xiiie  siècle15. Dans le sanctoral de l’hagiographe brabançon, non seulement le poids de la sainteté épiscopale est inférieur mais, surtout, contrairement à ce qu’on a pu observer pour la France au tournant du xvie siècle, il ne cesse de décroître.

a. Une place décroissante dès le Siècle des saints Le premier recueil, le Sanctilogium, au sanctoral très universel, portant majoritairement sur les débuts du christianisme et le haut Moyen Âge, présente encore une proportion relativement élevée d’évêques : presque  28%, dont une part relativement importante d’évêques régionaux (16% des évêques du recueil). Mais ensuite, dans l’Agyologus Brabantinorum, cette proportion chute fortement : même dans le premier volume consacré au Siècle des saints16, ce statut canonique ne représente plus que 17% du sanctoral. En outre, la totalité de ces évêques sont régionaux, au sens très large bien sûr, puisque l’hagiographe y inclut par exemple Arnaud de Soissons (1040-1087), champion de la Paix de Dieu en Flandre17, ou Louis de Toulouse († 1297). Toutefois, ce faible poids statistique doit être nuancé au regard de l’iconographie : dans la miniature en pleine page qui ouvre ce volume, Charlemagne est représenté dans le chœur d’une cathédrale gothique, sous un baldaquin surmonté des blasons de France, Empire et Brabant18. Le saint empereur auréolé se tient debout en armure. Il domine la scène de son imposante stature et protège sous son manteau les saints du Brabant, représentés en petit format. Deux saints se détachent de part et d’autre de l’empereur par leur taille intermédiaire et leur A. Vauchez, La sainteté en Occident, p. 220-221, 302-306 et p. 352-358. André Vauchez a également montré que certains pays du Nord comme l’Angleterre faisaient exception. Afin de réaliser une comparaison cohérente avec le corpus de Jean Gielemans, nous avons décompté de sa base statistique les trois papes ayant fait l’objet d’une canonisation. 16  L. Van der Essen, Le « Siècle des saints », 625-739 : étude sur les origines de la Belgique chrétienne, Bruxelles, 1942. Nous prenons ici en compte tous les saints mérovingiens et carolingiens. 17  Ag I, fol. 121-127. Sur ce saint évêque, voir R. Nip, « The canonization of Godelieve of Gistel », Hagiographica, 2 (1996), p. 152. 18  Ag I, fol.  IIv. Voir V.  Hazebrouck-Souche, Spiritualité, saintité et patrimoine, ill. 8. 15 

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posture : ils tiennent chacun un pan du manteau protecteur de l’empereur et encadrent ainsi les autres saints19. Ce sont deux évêques : à gauche, Albert de Louvain († 1192), évêque martyr de Liège et, à droite, Louis de Toulouse († 1297) ! Un troisième évêque figure au milieu des autres saints du Brabant, sans place ni format particulier : Arnoul de Metz († 640), un saint dynastique majeur dans la tradition hagiographique régionale. Soient trois saints évêques sur dix saints personnages, dont deux mis en exergue par leur taille particulière. Notons enfin que, s’ils portent bien la mitre, aucun d’eux n’arbore la crosse pastorale. Nous y reviendrons. Dans le second volume de l’Agyologus consacré aux saints et saintes qui ont vécu en Brabant jusqu’au milieu du xiiie  siècle, les évêques revêtent un poids plus important : ils représentent environ un tiers du corpus, si l’on tient compte du catalogue des évêques de Maastricht, et à tout le moins un quart du corpus hors catalogues. En outre, les évêques occupent la première place dans la typologie des saints qui structure le recueil, comme l’annonce le prologue : Réjouis-toi, dis-je, ô bienheureuse terre [de] Brabant, toi qui, depuis l’origine, n’as cessé d’enfanter des saints de toutes sortes […]. Puisque l’on peut trouver chez toi des patriarches dont le rôle est tenu par des archevêques comme Rombaud, des prophètes également qui ont prédit l’avenir comme Remacle, mais encore des apôtres qui t’ont instruite dans la Foi comme Livin, des martyrs enfin comme les mêmes et Théodard, ou encore des confesseurs comme Gommaire, également des vierges, comme Alène et Dymphna de sang royal, en cueillant tous les fruits très doux de leur vie, il ne t’est pas nécessaire, lecteur, d’aller glaner dans un champ étranger car, en vérité, tu trouveras le paradis spirituel dans le tien. Je décrirai d’abord au centre de ce champ un très bel arbre – la Vie du bienheureux archevêque Rombaud – puis je descendrai vers tous les autres saints. En effet, le Brabant fut jadis le lieu de son repos éternel, comme il apparaît dans les chroniques20 [fin du prologue].

Cette hiérarchie dans la typologie des saints est directement transposée dans l’iconographie : la miniature en pleine page qui ouvre ce second volume offre au regard un magnifique arbre au pied duquel se tient une martyre bruxelloise, Halena regina et virgo, vierge de Forest († 640), encadrée de ses deux bourreaux ; plus haut, les branches déployées se terminent par sept fleurs supportant chacune un saint, dans le registre des Flores sanctorum21 . Si le programme iconographique de cette miniature fait preuve d’une belle Ces autres saints sont Guillaume l’ermite d’Aquitaine († 1157), Arnoul de Metz († 640), le roi saint Louis († 1270), Gertrude de Nivelles († 659), Begge († 698), Gudule († 712), ­patronne de Bruxelles, Amelberge (viiie siècle), patronne de Gand et Louis de Toulouse. 20  Ag II, fol. Ir. 21  Ag II, fol. iiv. 19 

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parité avec quatre femmes sur huit personnages22 et, ce faisant, confirme la féminisation du sanctoral chez Jean Gielemans, nous relèverons surtout ici que, sur les quatre hommes qui illustrent la sainteté brabançonne, trois sont des évêques23. Ainsi, à la cime de l’arbre, nous retrouvons le premier patriarche annoncé dans le prologue, Rombaud ou Rumold. Dans la Vita qui lui est consacrée à la suite de la miniature, il est qualifié d’archevêque de Malines24 bien qu’il fût avant tout un moine anglo-saxon devenu selon la tradition évêque régionnaire en Hollande et Brabant, puis ermite près de Malines. C’est là qu’il aurait été assassiné en 775 par deux hommes dont il avait dénoncé les vices. L’hagiographe retient de lui qu’il contribua activement à évangéliser le Brabant en tant qu’évêque. Aussi saint Rombaud arbore-t-il dans la miniature la mitre, ainsi qu’une sorte de houe, allusion probable à l’arme qui l’a mortellement frappé25. Vient ensuite, en bas à gauche, Théodard, évêque de Tongres-Maastricht mais également abbé de Stavelot, et finalement martyr en  670 alors qu’il effectuait une mission d’évangélisation26. Cette fin glorieuse est évoquée par l’épée qu’il tient dans sa main droite. Notons au passage qu’il est ici revêtu des habits abbatiaux et non épiscopaux. Enfin, dans la fleur du bas à droite, siège Lambert. Lui aussi vécut la vie monacale lorsqu’il fut déposé de son siège épiscopal et exilé à l’abbaye de Stavelot où il s’illustra par sa piété et son humilité27. Lui aussi est mort en martyr : en 709, alors qu’il était en prière chez ses parents, il fut frappé d’un coup de lance fatal dans le cadre d’une vendetta familiale. Cet apôtre du Brabant est toutefois davantage connu comme le saint patron de Liège… Reste que le ratio de trois évêques sur quatre saints, la position en figure de proue de ceux-ci au début de la typologie en tant qu’évangélisateurs et apôtres du Brabant (de quattuor apostolis Brabantiae), et enfin leur double profil épiscopal et monastique sur Les autres saintes sont Wivine, abbesse de Grand-Bigard († 1170), Ode de Rode († 726 ?) et Lutgarde de Tongres (1182-1246). 23  Le quatrième saint est Gommaire ou Gomer de Lier († 774), ermite de la région d’Anvers. 24  Ag II, fol. 7. Jean Gielemans choisit de suivre la version de l’abbé Thierry de Saint-Trond († 1107) qui en fait un saint irlandais, fils d’un roi d’Écosse. Selon certains chroniqueurs, Rombaud aurait été évêque ou archevêque de Dublin et, selon d’autres, évêque régionnaire en Hollande et Brabant, ou encore ni l’un ni l’autre ! Selon Sigebert, il aurait été assassiné par des pilleurs d’églises. Il est du moins attesté comme le saint patron de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles. 25  Dans l’iconographie, saint Rombaud peut aussi être représenté avec une crosse dont il ­aurait frappé la terre pour faire sourdre une source d’eau vive. 26  Connu également sous le nom de Théodard d’Oeren, il avait repris la charge de l’évêché après la démission de Remacle. Il se rendait auprès de Chilpéric II lorsqu’il fut assassiné. 27  Ag II, fol. 47v-56v, d’après Sigebert, Vita altera, éd. PL, t. 160, 1854, col. 781-811. P. George, « La pénitence de saint Lambert à Stavelot (vers 675-682), une ordalie hagiographique ? », Revue belge de philologie et d’histoire, 96 (2018), p. 431-442. 22 

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fond d’hagiocratie28 sont assez représentatifs du Siècle des saints. Suit le Catalogus pontificum Traiectensium29 constitué d’une série de Vies d’évêques de Maastricht, depuis saint Servais au ive siècle jusqu’à saint Hubert qui transféra le siège épiscopal à Liège au viiie siècle30, en passant par saint Amand d’Elnone (évêque vers 646-649, † 679), saint Remacle († 669), également abbé-fondateur de l’abbaye de Stavelot, et saint Lambert31. Une seconde liste épiscopale, introduite comme un extrait de la Chronica sanctorum pontificum Traiectensium32 , vient compléter cette série. Enfin, disséminés dans la deuxième partie du volume, trois Vies d’évêques viennent encore illustrer la sainteté du Brabant : Eucher d’Orléans, d’abord moine bénédictin normand, mais exilé en Hesbaye par Charles Martel et mort à Saint-Trond en 74333 ; Feuillen de Fosses († 655), moine irlandais devenu missionnaire puis abbé-évêque en Brabant34 ; et enfin Boniface († 1265), saint bruxellois plus récent qui, contrairement aux précédents, n’est pas passé par l’état monastique35.

b. Disparition presque totale des évêques dans les derniers légendiers Dans les derniers légendiers qui portent sur un sanctoral plus moderne, la figure du saint évêque disparaît presque complètement : on ne dénombre que trois saints évêques du xiiie siècle, puis un seul par siècle, et encore certains titres d’évêque sont-ils assez discutables ! Ainsi, dans le premier volume du Novale Sanctorum, les deux évêques retenus sur 39 personnages (5%) sont le bienheureux André Corsini († 1373)36 et Thomas de Hereford ou de Cantilupe (12181282)37. Or, le premier fut bien autant carme qu’évêque de Fiésole, et le second, Thomas de Cantilupe, reste dans les mémoires un modèle de prédicateur devenu évêque sur le tard. Quant au second volume du Novale Sanctorum, il ne compte à première vue aucun évêque, à moins d’inclure Louis Allemand († 1450), ce que nous avons fait. En effet, si Jean Gielemans introduit bien ce dernier comme Ces évêques sont tous issus de la noblesse. En outre, au moins 50% d’entre eux relèvent de l’ordre des Bénédictins. 29  Ag II, fol. 24v-58v. 30  Ag II, fol. 56v-58v. 31  La Passion de saint Lambert, insérée dans le catalogue des évêques de Maastricht (Ag II, fol. 47v-56v), reprend la version de Sigebert de Gembloux, Vita Landiberti episcopi Traiectensis (BHL 4686, 4687), éd. MGH, SS rer. mer., t. 6, p. 399-402. 32  Ag II, fol. 58v-63v. 33  Ag II, fol. 118v-119v. 34  Ag II, fol. 117-118v. Feuillen fonda une abbaye sous la règle de saint Colomban sur des terres offertes par Gertrude de Nivelles. 35  Ag II, fol. 156-159v : civis Bruxellensis, postea episcopi Lausanensis. 36  NS I, fol. 60-64. 37  NS 1, fol. 40-41. D’après la Légende dorée de 1483, il ne devint évêque qu’en 1275. 28 

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prêtre-cardinal (presbyter cardinalis) et s’attarde sur la vie mouvementée du chef de file des conciliaristes, il fait également son éloge en tant qu’évêque de Maguelone (1418-1423) puis archevêque d’Arles (1423-1450) et souligne que Louis Allemand était très investi dans sa mission pastorale38. Notons cependant que l’hagiographe situe la mort du prélat au couvent des Frères Mineurs de Salon alors que d’autres sources la situent au château des archevêques à Salon ; Jean Gielemans a donc opté pour la fin monastique39. Enfin, dans l’Hystoriologus Brabantinorum, outre la translation de saint Sauve par Charlemagne40 et les Gesta de Jacques de Vitry, évêque transmarin sans titre de sainteté auquel Jean Gielemans consacre une longue rubrique parmi les hommes illustres du Brabant41, on ne relève que les évêques de Jérusalem, simplement énumérés dans une liste très laconique42. Enfin, le recueil s’achève sur les épitaphes de trois évêques de Liège des xe-xiie siècles : Étienne († 920), Walbodon († 1021) et Frédéric († 1121)43. Au-delà de la faiblesse de leur nombre et de l’absence de titre de sainteté reconnu de façon universelle, ces épitaphes sont peut-être une façon détournée de les glorifier à l’égal des saints universels44, tout comme le nombre disproportionné de leurs translations dans l’ensemble de la collection45.

c. Bilan : une crise du modèle épiscopal plus marquée et plus durable en Brabant Si l’on dresse maintenant le bilan de l’ensemble de la collection gielemanne, il apparaît clairement que l’intérêt de l’hagiographe brabançon pour NS II, fol. 194-196. Jean Gielemans évoque le bon évêque qui visite ses fidèles à Arles, ainsi que l’insurrection populaire à laquelle il fut confronté. Dans le même temps, Louis Allemand portait également le titre d’abbé de Saint-Pierre-La-Tour. 39  NS II, fol. 196 : in Sallone in conventu Fratrum Minorum. Sa dépouille aurait ensuite été transférée à la cathédrale. D’autres sources affirment qu’il est mort de la peste au château des archevêques d’Arles. Voir G. Pérouse, Le cardinal Louis Aleman et la fin du Grand Schisme, Lyon, 1904. Reste que Louis Allemand ne fut élevé au rang de bienheureux qu’en 1527, ne fut jamais canonisé, et n’est habituellement pas présenté comme évêque. 40  Hy, fol. 122-125v. 41  Hy, fol. 190-194v. 42  Hy, fol. 94v-95v. 43  Hy, fol. 285-287. 44  La plupart de ces évêques n’étaient inscrits qu’au calendrier local, à l’instar de Walbodon ou Wolbodon (21 avril). 45  Nombre de Vies épiscopales sont doublées d’une translation, de façon dispersée dans le Sanctilogium, puis presque systématiquement à la suite de la Vita ou de la Passio du saint correspondant dans les volumes suivants. Ainsi, sur les 53 translations de saints personnages, dix-sept concernent des évêques depuis les débuts du christianisme et neuf des évêques médiévaux du Brabant tel qu’il est délimité par Jean Gielemans. Or, les translations épiscopales in loco decentiori ont longtemps été une façon de contourner les préceptes canoniques au profit d’une canonisation de facto. 38 

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ce status vitae accuse, après le Siècle des saints, un déclin plus marqué que dans d’autres régions comme le royaume de France ou Liège, mais également un déclin plus définitif : on n’y décèle aucun signe de reprise de la dévotion pour les évêques après le Grand Schisme d’Occident. Cette désaffection très relative revêt probablement un caractère régional à en juger par la place assez réduite des évêques dans le corpus hagiographique de la bibliothèque de Rouge-Cloître : l’inventaire de sa libraria dénote plutôt une préférence pour les Pères de l’Église ou les écrits mystiques. De même, Jean Gielemans promeut davantage la sainteté mystique et laïque, et plus particulièrement la sainteté des semi-religieuses46. Le contexte régional explique sans doute cette désaffection relative : comme André Vauchez l’a fait observer, aucun saint évêque des Pays germaniques n’a été élevé sur les autels au moins depuis le xive siècle47. Le champ spirituel si fécond du Brabant que chante Jean Gielemans ne fait pas exception. De fait, le contexte géopolitique dans lequel évolue le Brabant s’est largement différencié de celui du royaume de France où des liens privilégiés se sont noués entre le roi et ses évêques. Jean Gielemans témoigne donc d’une crise du modèle épiscopal plus marquée et plus durable en Brabant. Toutefois, si la sainteté épiscopale ne suscite pas un intérêt particulier chez l’hagiographe, ne perdons pas de vue qu’elle demeure un modèle de premier ordre dans l’échelle de perfection, et un modèle d’actualité à la fin du xve siècle.

2. Quels traits de sainteté Jean Gielemans met-il en avant sous la mitre de ses évêques ? Au-delà des limites inhérentes à l’œuvre de compilation et aux topoi de la sainteté épiscopale conformes à l’idéal martinien et aux préceptes du Pastoral, il est possible de dégager, entre saint Servais au ive siècle et Louis de Bourbon en 1482, des évolutions et accents propres à l’œuvre de Jean Gielemans et, plus largement, au Brabant.

a. Les vertus cardinales du saint évêque Le saint évêque est d’abord un homme à la vie exemplaire,  plenus virtutibus, à l’instar de saint Médard († 545 ou 556)48 au vie siècle ou de saint 46  Alors que les séculiers - des prêtres, quelques papes et cardinaux mais surtout des évêques représentaient 43,3% du sanctoral pour la période allant du vie au xiie siècle, leur proportion a chuté à moins du quart à la fin du Moyen Âge. 47  A. Vauchez, La sainteté en Occident, p. 306. 48  S II, fol. 424. La Vie de saint Médard initie une brève série épiscopale.

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Bonaventure († 1274) au xiiie siècle. Il réunit toutes les vertus évangéliques et se nourrit des Écritures. Chez les évêques de la fin du Moyen Âge, comme Thomas de Hereford ou Cantilupe († 1282) ou Nicolas de Tolentino († 1305), la piété se fait plus démonstrative et contemplative, avec force larmes, oraisons fréquentes, jeûnes et autres pratiques ascétiques49. L’hagiographe souligne également son érudition et ses qualités intellectuelles, citant par exemple les œuvres du « docteur séraphique » saint Bonaventure50. En  revanche, la figure de l’évêque bâtisseur, évergète et défenseur de sa cité n’est guère mise en avant dans ce corpus, alors qu’elle est souvent mise en exergue dans les Gesta episcoporum. L’évêque idéal est ici avant tout le bon pasteur de ses brebis, conformément à la longue tradition du gardien (épiskopos) des âmes sur le modèle christique51. Ce  trait est souligné chez l’évêque de Cambrai saint Géry52  († 626), tout comme chez son homologue de Liège du xe  siècle, le bienheureux Étienne (901-920). La brève épitaphe reproduite à la fin de l’Hystoriologus en mémoire de ce dernier ne retient d’ailleurs que ce trait : « tu as bien veillé sur tes troupeaux »53. Pour guider ses fidèles vers le salut, le saint évêque se distingue comme prédicateur hors pair, « predicator egregius », à l’image de saint Vaast d’Arras († 541)54 . Cependant, le bon évêque, Pastor ou Rector, donne davantage l’exemple par ses actes que par les mots, maniant avec tempérance et humilité la crosse de l’évêque, symbole double du bâton qui châtie et guide, qui frappe et réconforte. Mais pour cela, il doit sans cesse rechercher le délicat équilibre entre vie spirituelle et gestion du temporel, à l’exemple de saint Remi55.

Respectivement en NS I, fol. 18-20v et fol. 40-41. Sans citer nommément son fameux Office de la Sainte-Croix, l’hagiographe termine avec son épitaphe : Heu Bonaventurus sacer et seraphice doctor, S IV, fol. 951-951v, éd. AASS, Iulii, III, p. 826. 51  J. Fontaine, « L’évêque dans la tradition littéraire du premier millénaire en Occident », dans Les évêques normands du xie siècle, éd. P. Bouet et F. Neveux, Caen, 1995, p. 41-51. 52  Cette image apparaît dans l’épisode du bâton de saint Géry qui reste miraculeusement debout. La Vita Gaugerici tertia commandée par l’évêque Gérard de Cambrai au xie siècle dessine à elle seule un véritable programme de sainteté épiscopale. Vita Gaugerici, S  II, fol. 507v-508. 53  Hy, fol. 285, éd. A. Poncelet, DC, p. 557 : Stephane pie pater […] gregibus bene consuluisti. Jean Gielemans ne fait aucun ajout, même sur ses origines lotharingiennes, pas plus que sur ses œuvres de composition liturgiques ou ses cantiques. Il reprend très probablement l’épitaphe telle qu’elle était gravée sur la pierre tombale. 54  S I, fol. 91-92 (BHL 8508d) : Sanctus Dei sacerdos Vedastus et predicator egregius. 55  La Vita Remigii, composée en 878, fait de larges emprunts au Pastoral de Grégoire le Grand sur le thème du délicat équilibre que le Bon Pasteur doit maintenir entre fonctions temporelles (cura exteriorum) et spirituelles (cura interiorum). Ce thème devient récurrent dans les Gesta episcoporum. 49  50 

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Enfin, le bon évêque suit le modèle apostolique en tant qu’évangélisateur ou apôtre, parfois au prix du martyre, comme Rombaud de Malines dont nous reparlerons plus loin. À partir du xiie-xiiie siècle, l’évêque modèle combat plutôt au titre de defensor Ecclesie les rois prévaricateurs, à l’image bien sûr de Thomas Becket56 († 1170) dans le Sanctilogium, ou de Thomas de Cantilupe († 1282)57 et Nicolas de Tolentino († 1305)58 dans le Novale Sanctorum, mais aussi de deux évêques de Liège mis en avant dans l’Agyologus et l’Hystoriologus, cette fois dans le contexte de la Reichskirche. Le premier est Albert de Louvain († 1192), évêque et martyr du xiie  siècle, qui figure à ce double titre en avant plan dans la miniature du premier volume de l’Agyologus59. Le saint y tient un pan du manteau de Charlemagne, mais aussi un glaive pour rappeler que cet évêque frère du duc de Brabant Henri Ier, nommé par le pape Célestin III avec l’approbation de l’archevêque de Reims, mais non reconnu par le parti impérial représenté par l’archevêque de Cologne, fut assassiné à Reims par des partisans de l’Église impériale. Dans les deux Vies abrégées que Jean Gielemans lui consacre respectivement dans le Sanctilogium et l’Agyologus I60, l’hagiographe évoque son martyre mais aussi son épitaphe supposée dans le chœur de l’église cathédrale de Liège où l’on pouvait lire Legia me elegit, electum Roma probavit, Remis sacravit, sanctum martyrizavit61 . On retrouve le même schéma à la fin de l’Hystoriologus dans l’épitaphe d’un autre évêque de Liège, Frédéric de Namur (1070 ?-1121). Issu du puissant lignage mosan qui dominait alors le duché de Basse-Lotharingie, proclamé en 1119 évêque clero et populo puis consacré des mains du pape Calixte II, ce princeévêque  aurait été assassiné à l’ergotine en  1121 à l’instigation d’un rival, l’archidiacre Alexandre, soutenu par l’empereur Henri V dont il avait reçu S I, fol. 288v-289v. NS I, fol. 40-41. 58  NS I, fol. 18-20v. 59  Ag I, fol. iiv. On peut en effet lire dans la légende au pied de la miniature Sanctus Albertus Leodiensi episcopus et martyr. 60  S IV, fol. 1122v-1123 et Ag I, fol. 270v. Dans ce dernier volume, l’hagiographe présente ainsi l’évêque de Liège : De beato Alberto episcopo et martyre […]. Anno Domino M C XII floruit beatus Albertus frater domini Henrici ducis Brabantie huius nominis primi, primo archidyaconus qui postmodum ab omni clero Leodiensis ecclesie electus est episcopus consentiente omni populo… Voir MGH, SS, t. xxv, p. 139-168, en version abrégée chez Jean Gielemans qui n’évoque pas sa charge éphémère de cardinal, pourtant parfois associée à la palme du martyre, comme dans une gravure sur bois du xvie siècle, reproduite dans A. Segal, « Paléopathologie autour des reliques de Saint-Albert de Louvain », Histoire des Sciences médicales, t. 32-2 (1998), p. 115. 61  Ag  I, fol.  270v. Legia désigne ici Liège. On  retrouve littéralement cette épitaphe dans le passage du Sanctilogium, fol. 1123 : Henrico filio Frederici magni, cuius epytaphium est tale : ‘Legia me legit, electum Roma probavit, Remis sacravit et sanctum martyrizavit’. En réalité, Albert de Liège n’a pas été enterré à Liège, mais à Reims où l’on a retrouvé sa tombe après les destructions de la première guerre mondiale. Voir A. Segal, « Paléopathologie », p. 115-122. 56  57 

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les régales. La guerre entre les Frederini, incarnant l’investiture papale, et les Alexandrini, du parti impérial, marque la fin de la Querelle des Investitures dans la région62 . C’est le principal thème que l’hagiographe retient au sujet de Frédéric de Namur à travers les quelques lignes de son épitaphe : celles-ci sont centrées sur la légitimité de Frédéric et les guerres sans merci dont il fut la victime dans la gloire du martyre (Christi praesul martyrque)63. Jean Gielemans ne reproduit pas la très christique Vita Frederici composée probablement par le moine Nizon de Saint-Laurent de Liège64. Il omet même de vanter ses origines carolingiennes. Il se contente de reproduire cette épitaphe à la gloire du défenseur de l’Église romaine. L’intérêt très sélectif de l’hagiographe pour un évêque pourtant déjà tombé dans l’oubli à son époque prouve que le sujet de la défense de l’Église par les évêques face au pouvoir temporel restait d’actualité65. Voire, comme nous le montrerons plus loin, la situation de l’évêché de Liège en 1482, alors même que Jean Gielemans composait son recueil, peut sans doute expliquer ce regain d’intérêt pour la Querelle des investitures… En somme, dans l’œuvre de Jean Gielemans, le bon évêque, comme les autres saints, gagne idéalement les palmes du martyre, d’abord en mission contre les païens et brigands, puis contre le pouvoir temporel envahissant. Cette fin héroïque le place au sommet de l’échelle de perfection. Or, environ un quart des évêques du corpus a connu cette gloire du martyre, surtout parmi les

Son successeur, Adalbéron  Ier de Louvain, est élu en  1122 conformément aux nouvelles règles établies par le Concordat de Worms : l’évêque de Liège est désormais d’abord élu clero et populo puis investi des régales par l’empereur, avant d’être finalement consacré par l’archevêque de Cologne. Voir J.-L. Kupper, Liège et l’Église impériale aux xie-xiie siècles, Liège, 1981. 63  Hy, fol. 285 : Plebis catholice te pontificem, Frederice / Elegit Christus, sacravit papa Calixtus. Version légèrement écourtée, avec interversion de deux vers, mais sans changement de sens par rapport à la version la plus répandue éditée dans AASS, Mai, VI, p. 725. 64  La Vita Friderici episcopi Leodiensis fut a minima composée par un fervent partisan de Frédéric, sans doute le moine Nizon de Saint-Laurent de Liège, entre 1139 et 1145. C’est elle qui a répandu la tradition selon laquelle l’archidiacre Alexandre aurait fait empoisonner Frédéric par un échanson corrompu de sa maisonnée. Si l’ergotine pourrait bien cacher le Mal des ardents, la tradition a retenu la version christique du Bon Pasteur trahi par Judas, inflexible dans sa Foi et miséricordieux. 65  Des miracles furent bien recensés, une confrérie fondée et l’évêque vénéré comme martyr au xve siècle. Pourtant, son culte ne semble pas avoir dépassé les murs de Liège – à tout le moins les frontières du diocèse –, le jour de sa mort n’était pas connu avec certitude et l’on avait déjà oublié jusqu’à l’emplacement de sa tombe ! Son culte s’est rapidement effacé devant le renouveau du culte de saint Lambert, un culte plus prestigieux qui a permis de dépasser l’épisode de la Querelle des Investitures. J. Daris, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège depuis leur origine jusqu’au xiiie  siècle, Liège, 1890, p.  472 ; J.-L. Kupper, « La double mort de l’évêque de Liège Frédéric de Namur (1121) », Bischofsmord im Mittelalter, éd. N. Fryde et D. Reitz, Göttingen, 2003, p. 168. 62 

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saints universels66 ; les autres saints prélats ont du moins connu une mort très chrétienne. Après sa bonne mort, à l’instar des autres saints, le saint évêque assure la fonction d’intercesseur. Par exemple, la Vie de saint Médard dans le Sanctilogium s’achève sur la formule pro nobis suffragator qui s’accompagnait dans des versions antérieures d’une prière d’intercession dynastique pro rege et stabilitate regni67.

b. L’idéal monastique chez le saint évêque : l’évêque en robe de bure Mais au-delà de ces topoi légèrement nuancés, le saint évêque endosse dans la collection gielemanne des traits plus spécifiques, à commencer par des traits particulièrement monastiques. Certes, il n’est pas surprenant que les évêques de l’Agyologus, essentiellement issus du haut Moyen Âge, soient presque systématiquement moines ou abbés sur le modèle martinien68 : cela reflète un modèle de sainteté privilégié par toute la culture hagiographique alto-médiévale et, de surcroît, un modèle particulièrement bien établi dans la région. La miniature du second volume illustre de façon très éloquente cette double fonction épiscopale et abbatiale par la juxtaposition de la mitre et de la crosse abbatiale chez chacun des évêques présentés dans l’arbre de la sainteté brabançonne. Plus surprenante est la persistance du modèle dans les volumes qui couvrent le reste du Moyen Âge. Bien sûr, l’idéal monastique demeure universellement valorisé durant tout le Moyen Âge, que ce soit sous la plume de Bernard de Clairvaux dans son De moribus et officiis episcoporum ou à travers le succès inaltérable de la Vita Martini de Sulpice Sévère, l’archétype du modèle martinien. Ce modèle plus monastique qu’épiscopal semble toutefois particulièrement prégnant chez Jean Gielemans, où il est souvent associé aux ordres mendiants. Le cas le plus flagrant est celui de saint Louis de Toulouse ou d’Anjou († 1297) que l’hagiographe brabançon fait figurer par deux fois dans le premier volume de l’Agyologus. Dans la Vita, l’hagiographe précise que, si le jeune 66  Sur les 360 évêques, on relève 88 martyrs, soit 24,4% de ce corpus. La plupart figurent dans le Sanctilogium avec 82 évêques martyrs sur 315 (26%). 67  S I, fol. 426. Cette Vie est un magnifique exemple de centon hagiograhique. On y reconnaît notamment l’incipit et l’explicit de la Vita prosa (BHL 5864b) composée par le pseudo Fortunat au tournant du viie siècle. Elle est par ailleurs largement augmentée d’anecdotes plus tardives comme la donation du roi Clotaire sur le fisc royal. En revanche, elle ne donne aucune précision sur la fonction épiscopale. Voir V.  Hazebrouck-Souche, « De  saint ­Médard de Noyon à Saint-Médard de Soissons : hagiographie latine et culte », Revue d’histoire de l’Église de France, 106 (2020), p. 67-79. 68  Voir C. Mériaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Âge, Stuttgart, 2006, p. 361.

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prince a bien été élevé au rang d’évêque en 1296 et endossa malgré lui la fonction épiscopale, il demeura avant tout un religieux de ordine fratrum minorum69, conservant obstinément sa robe de bure sous la mitre. L’iconographie souligne également ce trait : le miniaturiste de Rouge-Cloître représente saint Louis d’Anjou parmi les saints carolingiens, tenant à la main non pas la crosse épiscopale mais une croix pastorale surmontée d’un crucifix qui rappelle la spiritualité franciscaine au Christ souffrant70, conformément à la tradition iconographique qui répandit son culte du Brabant à la Hongrie arpadienne71. Quant aux deux mitres et à la couronne déposées à ses pieds, elles évoquent très probablement les deux sièges épiscopaux auxquels Louis de Toulouse fut nommé et tenta de renoncer72 , ainsi que le renoncement au royaume de Naples73. À travers l’évêque franciscain qui voulait endosser la robe de bure, c’est donc bien davantage l’évêque du renoncement et la spiritualité franciscaine qui sont célébrés que le modèle épiscopal. Comme l’a fait observer André Vauchez, « il est préférable de [le] considérer comme un saint franciscain74 ». Il en est de même pour saint Bonaventure († 1274) canonisé en 1482. Si pas moins de deux Vies abrégées lui sont consacrées dans le Sanctilogium75, aucune ne développe son statut d’évêque, très secondaire, voire fort discutable. Ainsi, dans la seconde de ces Vies, l’hagiographe n’évoque sa fonction d’évêque que de façon lapidaire et préfère mettre l’accent sur son rôle éminent chez les Frères Mineurs, ses nombreuses vertus ainsi que sur l’œuvre du docteur séraphique76. Ag I, fol. 322-325, d’après sa Bulle de canonisation. Ag I, fol. iiv. 71  Voir A. Tüskés, « L’iconographie de saint Louis d’Anjou de Toulouse en Hongrie aux xvexviiie siècles », dans Nyolcszáz esztendős a ferences rend. Művelődéstörténeti Műhely Rendtörténeti konferenciák, 8/1, Budapest, 2013, p.  755-771. On  observe en outre d’importantes similitudes avec le pape Célestin V (NS I, fol. 2-12) : comme saint Louis d’Anjou, Célestin V est à la fois un régulier (bénédictin) et un séculier, ainsi qu’un saint du renoncement puisque ce pape-ermite renonça d’abord à sa vie d’ermite puis finalement à la charge pastorale suprême. 72  En effet, saint Louis d’Anjou, avant d’être élevé à la charge épiscopale à Toulouse, avait d’abord été promu par Célestin V au siège épiscopal de Lyon alors qu’il était retenu en prison en tant qu’otage et sans qu’il pût prendre ses fonctions. 73  Saint Louis d’Anjou aurait dû hériter du royaume de Naples à la mort de son frère aîné en 1295, mais il préféra laisser le trône à son frère cadet, Robert. Un retable de Simone Martini conservé à Naples évoque ce renoncement plus explicitement : on y voit saint Louis couronner son frère tandis que lui-même est couronné par les anges. 74  A. Vauchez, La sainteté en Occident, p. 304 et 355. 75  S IV, fol. 951v-952 et 979v-980. 76  L’hagiographe mentionne son titre de cardinal-évêque d’Albano au début de la Vita en ces termes, en S IV, fol. 979 : In Provincia Burgundie apud Lugdunum requiescit venerabilis et sanctus pater Bonaventura de Balneo regio provincie Romanie, sanctae Rome ecclesie cardinalis, episcopus Albanensis. Par ailleurs, saint Bonaventure avait refusé le titre d’archevêque d’York. L’hagiographe relate ici qu’il organisa un chapitre général en Angleterre, mais il n’évoque pas ce renoncement. 69 

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Un autre ordre mendiant est célébré dans le Novale Sanctorum à travers des évêques : celui des Carmes, à travers les Vies reproduites consécutivement de Pierre Thomas77 et André Corsini78, tous deux présentés d’emblée de ordine Carmelitarum. La Vita beati Andreae Corsini episcopi Fesulani de ordine Carmelitarum rappelle que cet évêque n’avait, lui non plus, jamais abandonné sous sa mitre l’habit ni la rigueur du carme. Ce sont d’ailleurs les Carmes de Florence qui ont réclamé sa dépouille à sa mort en 1373. Il semble clair que c’est davantage l’appartenance de Pierre Thomas et André Corsini aux Carmes que la figure épiscopale qui a retenu, là encore, l’attention de l’hagiographe brabançon. De même, lorsque Jean Gielemans célèbre des évêques issus des chanoines réguliers de Saint-Augustin au fil de la chronique du prieuré, le Primordiale monasterii Rubeae Vallis dont notre hagiographe est l’auteur et qu’il insère dans le Novale Sanctorum I, celui-ci met surtout en avant leurs vertus ou leurs actions d’éclat. Tout au plus précise-t-il au passage qu’ils étaient également de grands prélats79. De manière générale, dans toute son œuvre, Jean Gielemans met ainsi en avant ces évêques au titre de leur vie régulière plutôt que des hiérarques au titre de leur fonction épiscopale, ce qui rejoint une tendance commune à tout l’Occident depuis la fin du xiie siècle80. Il témoigne de la vitalité persistante et particulièrement marquée en Brabant à la fin du Moyen Âge de cet idéal monastique, ou du moins régulier, avec ses accents martiniens, mystiques et ascétiques, et plus spécifiquement du succès des ordres mendiants dans la région, à commencer par les Carmes. Toutefois, d’autres accents sont propres au chanoine brabançon et s’inscrivent plutôt dans la logique de son discours patriotique.

c. Des traits plus spécifiques : le double prisme carolingien et brabançon Dans l’œuvre de Jean Gielemans, le prisme carolingien est constamment associé au Brabant, jusqu’à l’assimilation totale. On note ainsi dès le 77  NS I, fol. 59-60. Jean Gielemans reproduit là un extrait de la Vie composée par Philippe de Mézières (1327-1405). 78  NS I, fol. 64. 79  Dans le Primordiale, au fil du dialogue entre l’Ancien et le Novice sur l’importance des saints issus de leur « ordre », l’Ancien multiplie les exemples, généralement récents comme le prieur Jean de Bridlington ou Thomas Becket (Thomas de Cantuariensi episcopus et martyr). Et de conclure que ces chanoines ont éclairé l’ordre de leurs vertus mais qu’ils furent aussi de grands prélats : sed et habitum non mediocriter clarificat, quod non licet pluribus pro libitu suo uti, sed tantum nobiscum summis praelatis ecclesiarum, NS I, fol. 271, éd. DC, p. 241-242. 80  « Désormais, dans la plupart des Vies, l’image de l’ascète prévaut sur celle du hiérarque » : A. Vauchez, La sainteté en Occident, p. 335. Voir également P. R. Oliger, Les évêques réguliers. Recherches sur leur condition juridique depuis les origines du monachisme jusqu’à la fin du Moyen Âge, Paris-Louvain, 1958, p. 105-113.

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Sanctilogium une assez grande proportion de saints évêques liés dans l’historiographie à la beata stirps Karolidarum et associés par Jean Gielemans au Brabant. Nous les retrouvons ensuite systématiquement dans le premier volume de l’Agyologus Brabantinorum où le lien entre la sainteté carolingienne et le Brabant est clairement affirmé, pour les évêques comme pour les autres saints. C’est le cas d’Arnoul de Metz († 640), trait d’union entre Mérovingiens et Carolingiens, présenté par l’hagiographe comme brabançon. L’évêque austrasien figure dès le début du volume dans la miniature parmi les saints carolingiens du Brabant. Une  centaine de folios plus loin, il est introduit, dans l’incipit de sa Vita, comme celui qui primo fuit princeps Brabantinorum, postea episcopus Methensium81. Suit une note généalogique qui martèle les origines troyennes de sa lignée82 . De même, c’est aussi au titre de carolingien et brabançon, et non pas seulement au titre de martyr susmentionné, qu’Albert de Louvain († 1192), frère du duc de Brabant Henri Ier, figure également dans la miniature puis dans une Vie très abrégée du même volume83. Ce double prisme carolingien et brabançon prime clairement sur les autres critères de sélection dans l’Agyologus Brabantinorum  I. Mais la double filiation à la beata stirps carolingienne et brabançonne est à nouveau revendiquée à la fin de l’Hystoriologus Brabantinorum pour l’évêque de Liège Walbodon (1018-1021) qui fait l’objet d’une rubrique non seulement dans le Sanctilogium84 et dans l’Agyologus au titre « d’évêque et confesseur, moine issu de la noble lignée de Flandre qui descend, par les Brabançons, d’une fille de Charles le Chauve, roi de France et duc de Brabant85 », mais également au dernier folio de l’Hystoriologus. Jean Gielemans y reproduit l’épitaphe du prince-évêque en y ajoutant une ligne autographe fort éloquente : Iste fuit de stirpe ducum Brabantinorum86. Carolingien et brabançon, moine bénédictin Ag I, fol. 129. Ag I, fol. 133 : nam gens Francorum, sicut a veteribus est traditum, a Troyana prosapia trahit exordium. Cette Notabile quiddam de sancto Arnolpho est extraite des Gesta episcoporum Mettensium issus de l’œuvre de Paul Diacre. 83  Ag I, fol. 270v : Anno D M C XII floruit beatus Albertus, frater domini Henrici ducis Brabantie huius nominis primi, primo archidyaconus qui postmodum ab omni clero Leodiensis ecclesie electus est episcopus, consentiente omni populo, (…) solus comes Hannonie contradixit. Pour la Vie dont Jean Gielemans donne une version abrégée, voir MGH, SS, t. xxv, p. 139-168. 84  S III, fol. 900v. 85  Ag  I, fol.  270ra :  De sancto Walbodone Leodiensis episcopo et confessore. Anno Domini M. XXI claruit sanctus Walbodo monachus qui ex preclara nobilitate Flandriensum prodiit qui ex Brabantinis descenderunt a filia Karoli Calvi regis Francie atque ducis Brabancie. Il s’agit ici d’une version abrégée de la Vie composée par Renier de Saint-Laurent. Voir MGH, SS, t. xx, p. 565. 86  Hy, fol.  285rb. Cette épitaphe est connue des sources mais elle n’est pas celle qui était gravée sur sa tombe dans la crypte du monastère Saint-Laurent dont il était le fondateur. 81 

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fondateur d’abbaye et évêque exemplaire défenseur de l’Église87, Wolbodon cumule et synthétise à lui seul presque tous les traits de la sainteté épiscopale polymorphe chère à Jean Gielemans : il ne lui manque, contrairement à Albert de Louvain ou à saint Lambert88, que les palmes du martyre ! Ainsi donc, chez l’hagiographe brabançon, même s’il semble illusoire de rechercher une règle absolue89, il apparaît globalement que, sous la mitre de l’évêque, carolingien ou non, élevé officiellement sur les autels ou non, se cache le plus souvent la robe de bure avec un intérêt marqué pour les ordres mendiants, notamment les Carmes, et parfois la palme du martyre désormais pour la défense de l’Église. Tous ces saints évêques contribuent à sanctifier la Terra beata Brabancia. À l’instar des autres saints, ils constituent autant de bornes pour délimiter cet espace sacré. Or le prisme des évêques dessine une chorographie sacrée du Brabant qui ne coïncide pas avec celle des autres saints brabançons.

3. Quelle chorographie du Brabant épiscopal chez Jean Gielemans ? Diocèses et tropismes politiques a. Logique territoriale et chorographie sacrée Le second volume de l’Agyologus est placé d’emblée dans le double registre typologique et géographique. Son prologue et sa miniature dépeignent en effet la Terra beata Brabancia sous la forme d’un arbre parsemé de flores sanctorum qui correspondent aux différentes catégories de saints, tandis que l’image du jardin en arrière-plan ancre clairement la sainteté brabançonne dans l’espace physique. Dans cette logique géographique, Jean Gielemans intercale d’ailleurs, entre la miniature et les Vies de saints, une liste de localités intitulée

En  particulier, l’inscription ne faisait aucune référence à ses origines carolingiennes. Voir J. Daris, Histoire du diocèse, p. 334. 87  Il est connu pour avoir déposé Ingobrand (1007-1020), abbé de Lobbes qui négligeait la discipline monastique. L’abbaye de Lobbes était située à la fois dans le diocèse de Cambrai et la principauté de Liège. Voir J. Daris, Histoire du diocèse, p. 327-335. 88  Saint Lambert réunit toutes les qualités du saint. Ag  II, fol.  55 : confessor cum confessoribus (…), monachus cum monachis (…), apostolus cum apostolis (…), propheta cum prophetis (…), patriarcha cum patriarchis (…), postremo martyr cum martyribus. En revanche, il lui manque les origines carolingiennes, même si sa Vita souligne de nobles origines franques (Ag  II, fol. 47v). 89  On ne peut toutefois ériger le double prisme carolingien et brabançon en règle absolue puisque le même hagiographe n’a pas souligné les origines carolingiennes de Frédéric de Liège.

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Civitates Brabancie cum oppidis et villis earum quam plurimis90. Il s’agit d’un document plus familier des chancelleries que des abbayes, mais que l’on trouve souvent associé aux catalogues d’évêques à partir du xvie siècle. Ces catalogues sont ici déjà présents, mais indépendamment, un peu plus loin dans le volume, comme nous le verrons ultérieurement. Après cette liste des localités, le  légendier se poursuit conformément à la typologie annoncée dans le prologue (apôtres, évêques, simples confesseurs91) par les Vies des patriarches et apôtres du Brabant, à savoir les saints évêques Rombaud († 775), Livin ou Liévin de Gand († v. 650), Willibrord († 739)92 puis Martin de Tongres († v. 350). Or, à la suite de la Vie de ce « père des apôtres brabançons », l’hagiographe prend la peine d’ajouter une colonne autographe (fol. 24v) où il exprime son intérêt pour la terre sacrée de Brabant dans une vision patriotique et géographique. Il y affirme en effet que ces apôtres du Brabant, auxquels il associe saint Lambert, illuminent toute la patrie (totam patriam) comme autant de luminaires93 ; puis il énumère les noms de vingt évêques de Maastricht depuis saint Servais († 384), qui transféra le siège épiscopal de Tongres à Maastricht, jusqu’à saint Hubert († 727), qui le transféra à son tour à Liège94. Enfin, l’hagiographe conclut : En somme, les quatre apôtres précités du Brabant se répartissent ainsi : de l’Orient, Lambert a converti la Texandrie, de l’Occident, Livin la Flandre, du Sud, Martin la Hesbaye, et du Nord, Willibrord la Campine95. Ag  II, fol.  IVr. Il  existait d’autres listes des localités brabançonnes plus exactes, notamment dans des registres comme le Latynsboek (v. 1350) ou l’Eda-Boek (v. 1450). Voir à ce sujet A. Vincent, « La liste des villes et villages brabançons de Jean Gielemans. Étude critique », Bijdragen tot de geschiedenis bijzonderlijk van het aloude Hertogdom Brabant, 9 (1910), p. 365385. À compléter avec L. Galesloot, Inventaire des archives de la cour féodale de Brabant, I, Bruxelles, 1870, p.  139. Henri de Coster avait déjà associé l’hagiographie à une liste de villes en 1430 ou 1437 dans son Carmen in laudem Brabantiae, éd. J. Ijsewijn, Humanistica ­Lovaniensia, 18 (1969), p. 7- 23. Voir V. Hazebrouck-Souche, « Terra beata Brabancia ». 91  Cette série des confesseurs commence avec Évermare en Ag II au fol. 64. 92  En tant qu’abbé d’Esternach, Willibrod († 739) était en charge de plusieurs abbayes et églises dans la région et était également proche des Pippinides. Voir P. C. Boeren, « Les évêques de Tongres-Maastricht », La christianisation des pays entre Loire et Rhin (ive-viie siècle), Revue d’histoire de l’Église de France, 168 (1976), p. 36 et G. H. Verbist, Saint Willibrord, Louvain, 1939. 93  Ag II, fol. 24v : Et sic pater de tribus Brabantinorum apostolis, videlicet Livino, Willibrordo et Martino, sanctissimis episcopis, (…) utpote qui totam patriam non solum verbis salutiferis, sed et operibus virtuosis ac miraculis gloriosis illuminaverunt. Quartus vero Brabantinorum apostolus fuit beatus Lambertus, decimus nonus Traiectensium episcopus et martyr. Ce paragraphe totalement autographe a été reproduit en partie par A. Poncelet, DC, p. 55. 94  On en trouve mention notamment à la fin de la colonne autographe évoquée précédemment en Ag II, fol. 24v : Vicesimus et ultimus Hubertus, qui sedem denuo transtulit de Brabantia in Lotharingiam, videlicet de Traiecto in Leodium sive Legiam ubi nunc requiescit. 95  Ag II, fol. 24v : Hii denique prefati quatuor apostoli Brabantiam ita sibi diviserunt, ut ab oriente Lambertus converteret Tessandriam, ab occidente Livinus versus Flandriam, ab austro Martinus Hasbaniam, et ab aquilone Willibrordus Campinam. 90 

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Ainsi, l’apostolat de ces saints évêques apôtres du Brabant résume l’évangélisation du Brabant par ses marges depuis les quatre points cardinaux. Ces saints évêques constituent autant de luminaires ou bornes pour délimiter la Terra beata Brabancia, terre de refuge et terre nourricière pour les saints96. À l’instar des autres saints de l’Agyologus et de l’Hystoriologus Brabantinorum, les saints évêques sont donc des marqueurs déterminants de la chorographie sacrée du Brabant au sein du discours patriotique de l’hagiographe brabançon. Mais de quel Brabant s’agit-il en l’occurrence ? Quel espace brabançon le sanctoral épiscopal de Jean Gielemans dessine-t-il ?

b. Glissement du centre de gravité : entre sanctoral universel, rhéno-mosan et liégeois Théoriquement, les saints du Brabant devraient se concentrer dans le cœur géopolitique du Brabant, entre Texandrie97, Hesbaye, Campine, Flandre, mais aussi Hainaut, au sud. Nous avons donc confronté la cartographie des saints brabançons de l’Agyologus98 – d’abord l’ensemble des saints régionaux puis uniquement le corpus des évêques brabançons – aux délimitations historiques du duché de Brabant et des deux diocèses dont il dépend, Cambrai et Liège. Dans le cas des saints brabançons en général, nous observons des points de convergence avec le sanctoral de l’aire rhéno-mosane élargie dont le Légendier de Cologne (mi xiiie siècle - v. 1240) est un bon témoin99. Nous constatons également une conception très extensible de l’aire géographique du Brabant, voire très inclusive par rapport aux régions périphériques citées précédemment (Hesbaye,  etc.), mais aussi très méridionale par rapport au duché de Brabant. Dans le cas des seuls évêques, la superposition des cartes Dans certains textes, comme la Vie de Wivine, le Brabant est présenté comme un refuge pour tous les saints venus des marges du duché érigé en véritable sanctuaire. L’hagiographe explique en l’occurrence que Wivine avait fui sa Flandre natale, terre génitrice, pour se réfugier en Brabant, terre nourricière, Ag II, fol. 160-166v, éd. DC, p. 145-167. 97  Aux viiie-xiie siècles, le pagus de Texandrie (Taxandrie ou Toxandrie, Texandria) avait des contours assez flous ; il englobait principalement l’ouest du Brabant septentrional, entre l’Escaut et la Meuse. 98  Il s’agit principalement de saints du second volume car les saints carolingiens du premier volume sortent du cadre régional stricto sensu, hormis les saints Hubert, Wolbodon et Albert, tous trois évêques de Liège. 99  Au delà du choix des variantes, on relève plusieurs points de convergence intéressants entre ce légendier de Cologne (IRHT, CP 438, xiie siècle, en provenance de l’abbaye Saint-Pantaléon de Cologne), qui couvre une large aire rhéno-mosane jusqu’au nord de la France actuelle, et l’œuvre de Jean Gielemans. On y retrouve ainsi l’évêque de Cologne Héribert de Cologne (999-1021) en S II, fol. 482v-484, mais surtout Frédéric de Liège, Servais de Tongres et saint Médard. Sur ce légendier, se reporter à C. Lanéry, « Un légendier de Cologne conservé dans une collection privée », Analecta Bollandiana, 136 (2018), p. 241-333. 96 

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Répartition des saints de l’Agyologus Brabantinorum99

révèle un net glissement du centre de gravité vers l’Est, autour du siège épiscopal de Tongres et surtout Maastricht, puis Liège. En effet, les évêques apparaissent surtout dans les listes et catalogues épiscopaux qui reflètent naturellement l’évolution de la géographie ecclésiastique de ce diocèse101. Le premier document est la liste épiscopale des évêques de Maastricht évoquée précédemment, très laconique et assez fantaisiste, de saint Servais à saint Hubert, selon l’ordre d’Hériger de Lobbes († 1007)102 . Carte réalisée à partir de la carte des diocèses d’É. de Moreau, « Belgique », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 7, Paris, 1934, planche hors-texte entre c. 528 et c. 529. 101  Sur le genre lui-même, voir M. Sot, Gesta Episcoporum, gesta abbatum, Turnhout, 1981 et F. Bougard et M. Sot (dir.), Liber, Gesta, histoire. En ce qui concerne le siège de TongresMaastricht-Liège, voir J.  Ruwet, « Les  archives de Vienne et l’histoire de notre pays », ­Bulletin de la Commission royale d’histoire, 118 (1953), p. 41-120. 102  Ag II, fol. 24v. Une note marginale indique Cathalogus pontificum Traiectensium mais ce Cathalogus suit en fait un folio plus loin (voir note suivante). Dans le cas présent, il s’agit plutôt d’une series episcoporum qui suit l’ordre des Gesta pontificum Tungrensium et Leodiensium 100 

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Suit un Cathalogus pontificum Traiectensium sous la forme d’une série de Vies abrégées de dix évêques de Maastricht selon l’ordre de la liste de Jocundus du xie siècle103. La série commence par la Vie de saint Servais (v. 340-360)104, premier évêque de Maastricht105, dont la vie est illustrée par une généalogie qui affirme sa parenté avec le Christ106. Il se poursuit avec les Vies de dix des derniers évêques, de Domitianus (535-549) à Hubert, donc à nouveau jusqu’au transfert du siège épiscopal à Liège au viiie siècle. Jean Gielemans reproduit ensuite les extraits d’une Cronica sanctorum pontificum Traiectensium, probablement autographe107, qui présente les mêmes évêques de saint Servais à saint composés à partir de 980 par Hériger de Lobbes puis Anselme de Liège († 1056) vers 10521056, éd. J. Chapeaville, Gesta pontificum Tungrensium, Traiectensium, et Leodiensium, Liège, 1612-1616. Comme toutes les listes épiscopales liégeoises qui s’en sont inspiré jusqu’au xiiie siècle, celle-ci omet des noms (par exemple Pharamond, évêque mythique parfois ajouté postérieurement entre Lambert et Hubert). En  outre, l’auteur de notre liste a interverti ­Eucharius et Domitianus, et a mal orthographié Falco, devenu Flacro. Se reporter aux Series episcoporum, éd. MGH, SS, t. xii, p. 126. Sur les variantes, voir P. C. Boeren, « Les évêques de Tongres-Maestricht », p. 27-29 et Id., Jocundus, biographe de saint Servais, La Haye, 1972, p. 113. 103  Ag II, fol. 25-58v, éd. MGH, SS, t. xii, p. 126. Ce catalogue suit la liste de Jocundus qui amplifie celle d’Hériger de Lobbes. Il manque cependant les évêques Ébregise (Evergisus) et Jean l’Agneau (respectivement 15e et 16e chez Hériger) ainsi que, bien sûr, Pharamond. Les notices sont brèves (de 1 à 4 folios pour les saints les plus importants comme saint Amand ou saint Remacle) et chapitrées à partir du second évêque (Domitien) de 25 à 33. Sur les sources variées dont ce catalogue s’inspire, voir DC, p. 55-56. Sur le mystérieux auteur de la liste, voir P. C. Boeren, Jocundus, biographe de saint Servais. 104  Ag II, fol. 25-32v. Cette Vita, inspirée de la version de Jocundus sans les Miracles, est répertoriée dans M. Carasso-Kok, Repertorium van verhalende historische bronnen uit de middeleeuwen, La Haye, 1981, p. 94-95 (avec prologue II). Voir également MGH, SS, t. 12, p. 91. 105  Ag  II, fol.  32v : qui fuit primus residens in oppido Traiectensium. Sur  ce transfert et les ­légendes afférentes, voir P. C. Boeren, « Les évêques de Tongres-Maestricht », p. 29-32 et É. de Moreau, « Le transfert de la résidence des évêques de Tongres à Maestricht », Revue d’histoire ecclésiastique, 20 (1934), p. 457-464. 106  Ag II, fol. 32v. Cette parenté christique, que l’on trouve également dans le légendier de Cologne ou dans les voussures du portail de la cathédrale Saint-Servais de Maastricht, s’appuie sur les Doctrina Traiectensium à partir principalement de la Vie de saint Servais par Jocundus, ainsi que sur le soutien des chanoines de Saint-Servais. Sur cette parenté dans l’architecture, voir D. Sandron, « Du nouveau sur le portail de Saint-Servais de Maastricht », Bulletin monumental, 153-4 (1995), p. 384. Sur sa place dans l’hagiographie, voir C. Lanéry, « Un ­légendier », p. 28. 107  Ag II, fol. 58v-63v. On peut penser qu’il s’agit d’une synthèse personnelle de Jean Gielemans à partir des Gesta episcoporum Tungrensium, Traiectensium et Leodiensium d’Anselme de Liège cités précédemment. En effet, au-delà de l’aspect inégalement condensé, voire laconique sur le mode d’annales pour les premiers évêques, on relève plusieurs références d’une apparence plus personnelle à des saints chers au chanoine de Rouge-Cloître. On  note par exemple une incise sur sainte Ode de Rode († 726 ?), l’une des figures mise en exergue dans la miniature en tête du recueil ainsi que dans la Vie de saint Hubert au détour d’un passage sur la fondation d’une église en l’honneur de sainte Walburge sur les hauteurs de Liège par le saint évêque. Ag II, fol. 63-63v : In monte quoque Leodii edificavit ecclesiam in honore sancte

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Hubert sous la forme de notices de longueurs variables, ordonnées selon la liste de Jocundus. Enfin, Jean Gielemans propose une nouvelle series episcoporum qui énumère sur deux colonnes les noms des pontifes de la Cité mosane depuis Floribert, le successeur de saint Hubert, jusqu’à Louis de Bourbon, assassiné en 1482108. Au passage, l’hagiographe insiste sur la continuité de l’histoire du diocèse de Tongres-Maastricht-Liège car même si les lieux changent, les évêques occupent en fait le même siège : Sciendum quod, licet sedes Tungrensis propter eiusdem civitatis excidium sit a beato Servato translata in Traiectum ac postremo eadem sedes pontificalis per beatum Hubertum sit deportata de Traiecto in Leodium, quamplures tamen posteriorum locorum episcopi attitulantur et nominantur, Tungrenses pontifices antiquum nomen retinentes, quippe licet loca mutaverunt, eadem tamen sedem possiderunt. Cuius sedis pontifices post beatum Hubertum fuerunt hii109. [suit la liste].

Pourtant, on observe que ces catalogues épiscopaux éludent presque systématiquement les pontifes de Tongres110, à l’exception de saint Martin de Tongres. Or, dans la Vie de ce dernier, l’hagiographe fait explicitement référence à la liste des évêques de Tongres par Hériger de Lobbes111. Inversement, c’est le siège de Maastricht qui est mis en avant, avec la succession de ses évêques depuis saint Servais, le véritable point de départ des catalogues épiscopaux de Jean Gielemans. Ensuite, dans l’Hystoriologus, le centrage sur Maastricht fait place à un certain tropisme épiscopal liégeois à travers divers récits concernant des faits d’actualité autour de Louis de Bourbon dont nous Walburgis virginis, eo quod in illo loco beata virgo qui requiescit in villa de Rode, filia regis Scotie, a nativitate ceca ad memoriam beati Lamberti lumen oculorum recepit. 108  Ag II, fol. 63v. Une main postérieure a complété la liste jusqu’à l’évêque Georges d’Autriche (1544-1557). La  sélection de Jean Gielemans jusqu’à Louis de Bourbon rappelle les Gesta Pontificum Tungrensium et Leodiensium usque ad Ludovicum Borbonium (1456-1482) rédigés à la même époque, entre 1470 et 1476, par le chanoine régulier de Corsendonk, Jean de Merhout. 109  Ag II, fol. 63v. 110  Saint Materne ne figure dans l’œuvre de Jean Gielemans qu’en tant qu’évêque de Trêves dans le Sanctilogium  II, fol.  385v-386v. De  fait, il n’a probablement été qu’un apôtre de la civitas Tungrorum, tandis que saint Servais est le premier évêque attesté de Tongres : P. C. Boeren, « Les évêques », p. 28. Selon Hériger de Lobbes, il y aurait eu au contraire huit évêques à la tête du diocèse de Tongres entre Materne et Servais, dont saint Martin de Tongres en septième position : MGH, SS, t. xii, p. 126. 111  Ag II, fol. 23v : Post beatum Florenti[n]um qui sextus a sancto Materno Tungrorum ac Trevorum rexit ecclesias. Saint Martin est célébré comme un apôtre qui combatit les idolâtres en Hesbaye. L’hagiographe évoque aussi ses successeurs, Maximinus et Valentinus, respectivement huitième et neuvième évêques de Tongres selon le même Hériger de Lobbes (Ag II, fol. 24).

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reparlerons, mais aussi via les épitaphes des trois princes-évêques Étienne (901-920)112 , Walbodon († 1021) et Frédéric († 1121)113. Les évêques de Liège tiennent ainsi une place relativement importante à la fin de l’œuvre de Jean Gielemans. Cependant, aucun des saints évêques n’est présenté comme saint-patron du Brabant. Deux figures épiscopales se détachent tout au plus légèrement du lot par leurs occurrences : saint Hubert114, mais surtout saint Lambert115 qui est célébré dans sa Vita comme le saint patron de la Cité mosane : « Habes, Legia, tuum gaudium ; ecce, tenes tuum speciale patrocinium116 » ! La chorographie sacrée du Brabant qui se dessine sous la plume de Jean Gielemans à travers la figure épiscopale se révèle donc de plus en plus liégeoise. En outre, au détour de la compilation d’autres sources hagiographiques, le chanoine bruxellois n’hésite pas à assimiler Liège au Paradis ou à la Terre promise117, au même titre que le Brabant, ou que le Hainaut du reste118. Le tropisme liégeois s’affirme ainsi presque exclusivement à travers le corpus des évêques, alors même que le prieuré de Rouge-Cloître et toute la partie sud-ouest du Brabant

Son épitaphe est particulièrement laconique. Pourtant, l’évêque Étienne était notoirement connu comme l’auteur de traités liturgiques et de cantiques religieux, dont la Magna Vox, qui constitua l’hymne liégeois jusqu’à la fin de la Principauté, ainsi que pour l’institution de la fête de la Trinité qui retient l’attention de Jean Gielemans dans le Novale Sanctorum II. Voir F. Close, Le rôle de l’Église de Liège dans le développement du culte de la Trinité en Europe, mémoire de licence en histoire, Université de Liège, 2000-2001. 113  Voir infra. 114  Saint Hubert apparaît cinq fois (Vie avec doublon en S I, fol. 151-153 ; translation en S IV, fol. 1112v ; Ag I, fol. 133v-135v ; translation en Ag I, fol. 135v-137v ; Ag II, fol. 56v-58v), outre de simples mentions, au détour des series Episcoporum par exemple. 115  Saint Lambert fait l’objet de nombreuses rubriques ad hoc : en S I, fol. 134v-138, en S IV, fol.  1095-1095v (translation, folios perdus), en Ag  II, fol.  47v-56v dans le catalogue épiscopal, outre des mentions dans les listes. Il  figure également dans la miniature au début de l’Agyologus II. 116  Ag II, fol. 56, d’après la Vita altera de Sigebert, éd. PL, t. 160, 1854, col. 808. Liège, où saint Lambert tomba en martyr et où il fut le premier évêque enseveli, s’est affirmée comme la « cité de saint Lambert » alors que ce n’était encore qu’un village. Voir J. L. Kupper, « Les sépultures des évêques de Tongres-Maastricht-Liège : depuis les origines jusqu’en 1200 », Publications de la Section historique de l’Institut G.-D. de Luxembourg, 118 (2006), p. 190-191. 117  Ag II, fol. 219 : illam prosus inexplicabilem sanctitatis dyocesim, quam picturat et insignit quasi quedam voluptatis melliflue paradysum, lit-on dans la Vie d’Ide de Léau (v.  1200v. 1260) par Jacques de Vitry. L’évocation de la Terre promise est également un emprunt à Jacques de Vitry, dans sa Vie de Marie d’Oignies, où il opposait la terre liégeoise à la terre du Sud, souillée par l’hérésie cathare. Ag II, fol. 126v : terram Promissionis in partibus Leodii invenisti. 118  Ag I, fol. 84 : Sed et pagus antiquitus […] dictus Haynoensis, coronam gestabat vernantem sanctorum meritis, lit-on dans la Vie très remaniée de Philippe de Harvengt sur sainte Waudru (BHL 8777). 112 

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dépendait du diocèse de Cambrai ! Comment expliquer ce mutisme sur Cambrai et ce recentrage sur Maastricht-Liège dans le corpus épiscopal ?

c. Pourquoi Jean Gielemans passe-t-il sous silence les saints évêques de Cambrai ? On peut d’abord s’étonner du désintérêt de Jean Gielemans pour le diocèse de Cambrai et ses saints au regard de l’histoire ecclésiastique de Rouge-Cloître et du Brabant. En effet, si Rouge-Cloître a vu le jour dans les années 1360119 grâce aux largesses des ducs et duchesses de Brabant, c’est aussi avec l’autorisation et la bénédiction des évêques de Cambrai, comme Jean T’Serclaes (1378-1388)120, puis Pierre V (1396/7-1411), le célèbre cardinal Pierre d’Ailly121. Rouge-Cloître releva en effet du diocèse de Cambrai jusqu’en 1412 puisque le Brabant était alors divisé en deux diaconés dont l’un – autour de Bruxelles – relevait du diocèse de Cambrai, tandis que l’autre relevait du diocèse de Liège122 . Pourquoi Jean Gielemans n’a-t-il donc pas reproduit a minima les Gesta episcoporum Cameracensium composés en nombre depuis le xie siècle123 ? Ce n’est pas faute de disposer de cette source largement diffusée dans toute la région et parfois déjà mise en relation avec la beata gens carolingienne ou le duché de Brabant124. Ce n’est pas non plus faute de compter L’ermitage a vu le jour en  1360, mais le site de Rouge-Cloître ne fut occupé qu’à partir de 1367. L’autel fut consacré en 1369, avant l’adoption de la Règle de saint Augustin en 1373. Sur  l’histoire du prieuré, voir le Monasticon belge, Province de Brabant, IV, Liège, 1964, p. 109 sqq et A. Maes, Rouge-Cloître. Son domaine foncier, ses revenus, ses charges, Bruxelles, 1992. 120  La visite à Rouge-Cloître de Jean IV T’Serclaes (1378-1388), natione Bruxellensem, alors qu’il n’était encore que chanoine de Cambrai, est évoquée en NS I, fol. 264v, éd. DC, p. 215. 121  Primordiale, NS I, fol. 281 : impetravit capitulo nostro generali a domino Petro de Alyaco, cardinali Cameracensi et apostolicae sedis legato, plurima beneficia seu indulgentias seu privilegia. 122  Cette double appartenance est régulièrement précisée dans les sources, par exemple chez Césaire d’Heisterbach dans les Gesta de Jean de Nivelles à Oignies. Hy, fol. 199 : Quidam magister Iohannes in partibus Brabancie in monasterio de Oignies, Leodienses dyocesis. Jean Gielemans précise cela également au sujet d’un chanoine de Windesheim dans une partie autographe en NS I, fol. 273, éd. DC, p. 245 : Magister autem Guihelmus cautor Parisiensis et archidiaconus Brabantiae in ecclesia Leodiensis. 123  Les Gesta ne virent le jour dans le diocèse de Cambrai qu’à partir de 1024/1025 sous l’évêque réformateur Gérard Ier, parfois sous le titre de « chronique », comme la Chronique d’Arras et de Cambrai par Baldéric (1082). L. Bethmann (éd.), Gesta episcoporum Cameracensium, MGH, SS, t. 7, p. 393-489. Sur ce sujet, voir Les représentations de l’autorité épiscopale au xie siècle : Gérard de Cambrai et les Gesta episcoporum Cameracensium, no spécial de la Revue du Nord, 410 (2015). 124  En témoigne un manuscrit composé vers 1537 et qui provient de la bibliothèque du prieuré voisin, Sept Fontaines, le Bruxelles, KBR, ms. 2088-2098 (VdG 4192). À peine plus tardif que les manuscrits de Jean Gielemans, il embrasse la même logique hybride en associant une remarquable carte du Brabant, la liste des évêques de Cambrai (fol. 17), ainsi que la liste des 119 

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suffisamment de saints illustres dans les rangs des pontifes de Cambrai-Arras125. Certains de ces saints évêques remplissaient même particulièrement bien les critères de sainteté épiscopale chers à l’hagiographe brabançon et faisaient encore l’objet d’un culte bien vivant dans la région. Or, ils sont à peine mentionnés au détour de quelques Vies de saints, épisodiquement comme bienfaiteurs lointains au fil du Primordiale monasterii Rubeae Vallis126, ou tout au plus sous une forme très abrégée dans le Sanctilogium, tels saint Vaast († 539)127, saint Géry († 508)128 et saint Aubert († 669)129. Quant à Fulbert († 956), il ne fait tout simplement l’objet d’aucune rubrique dans l’ensemble de la collection gielemanne malgré son implication dans la défense de l’Église et ses origines brabançonnes130. Si le diocèse de Cambrai se targuait tout autant que Liège d’être une « autre Jérusalem »131 et pouvait légitimement être rattaché pour partie au Brabant, pourquoi s’en être détourné ? On peut avancer plusieurs explications. D’abord, le différend entre RougeCloître et Cambrai au sujet de l’obédience lors du Grand Schisme d’Occident avait profondément creusé le fossé de l’éloignement physique132 . La fidélité de localités brabançonnes avec leurs armoiries, mais aussi des généalogies, celle des comtes de Hainaut voisinant la généalogie carlomanne. La carte du Brabant et la liste des localités du Brabant sont reproduites dans P. F. X. de Ram, Chroniques inédites de Brabant, vol. viii, t. i, Bruxelles, 1854-1860. 125  L’évêché de Cambrai-Arras s’étendait sur l’Artois, le Hainaut, le Brabant, Anvers. En 1092, le diocèse fut scindé en deux avec le rétablissement de l’évêché d’Arras. 126  Parmi les rares évêques de Cambrai mentionnés dans le Primordiale, on trouve par exemple Gérard III de Dainville (1371-1378) en NS I, fol. 264, éd. DC, p. 214 : praefatus noster episcopus suis gratiosis beneficiis spiritualibus et larga sua episcopali benedictione, licet corporaliter absens, per litteras munificas largiflue dotavit. 127  On trouve une Vita sancti Vedasti episcopi en S I, fol.  91v-92 et sa Translatio en S  III, fol. 868v-869. 128  Saint Géry, malgré son importance pour Cambrai et la christianisation de la région, n’apparaît qu’une seule fois, dans une brève Vita sancti Gaugerici episcopi en S II, fol. 507v-508. 129  Saint Autbert ne fait l’objet que d’une simple notice en S III, fol. 754-757, alors que sa Vita composée, comme celle de saint Géry, sous l’évêque Gérard Ier de Cambrai (1012-1051), était bien connue. Voir à ce sujet Gerardi Cameracensis Acta Synodi Atrebatensis, Vita Autberti, Vita tertia Gaugerici, varia scripta ex officina Gerardi exstantia, éd. S. Vanderputten et D. Reilly, Turnhout, 2014. 130  Sur cet évêque, voir C.  Mériaux, « Fulbert, évêque de Cambrai et d’Arras (933/934, † 956) », Revue du Nord, 356-357 (2004), p. 525-542. 131  H.  Platelle, « L’éloge des villes au Moyen Âge : Cambrai, une autre Jérusalem (xiie siècle) », dans Autour de la ville en Hainaut, Mélanges d’archéologie et d’histoire offerts à Jean Dugnoille et à René Sansen, Ath, 1986, p. 65-80. 132  Tongres et Maastricht sont distantes d’environ 50 km de Louvain, le cœur historique du Brabant, contre 160  km pour Cambrai. Mais surtout, le schisme a profondément déchiré le Brabant entre les deux obédiences rivales : tandis que l’évêque de Cambrai prenait parti pour le pape d’Avignon, à la suite de Jean T’Serclaes, nommé en 1378 par Clément VII, il ne fut suivi que par une partie francophone de son diocèse. Rouge-Cloître, à l’instar de

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Rouge-Cloître au camp urbaniste de concert avec les autres prieurés soniens l’avait directement opposé à son évêque. Or, ce différend a manifestement durablement marqué les esprits si l’on en juge au récit d’un prodige relaté dans le Novale Sanctorum133 . Puis Rouge-Cloître s’est définitivement émancipé de Cambrai en 1412 lorsque le prieuré a fini par obtenir l’autorisation de s’affilier à la congrégation de Windesheim134, tandis que Bruxelles obtenait également de son côté une autonomie juridictionnelle vis-à-vis de Cambrai135. Mais c’est surtout le basculement géopolitique de Cambrai dans l’orbite française depuis le milieu du xve siècle qui fut déterminant. En effet, si les deux principautés ecclésiastiques de Cambrai et Liège relevaient toutes deux in fine du Saint empire romain, Cambrai était terre d’empire vassale du roi de France, passée dans le giron des ducs de Bourgogne, tout en dépendant sur le plan ecclésiastique de la province ecclésiastique de Reims. Le comte-évêque de Cambrai était donc tiraillé entre plusieurs suzerainetés. Mais en 1477, à la mort de Charles le Téméraire, Cambrai bascule dans le camp du roi de France en la personne de Louis XI. À l’époque de Jean Gielemans, Rouge-Cloître s’est donc largement désolidarisé de son diocèse d’origine, à l’image d’une bonne partie du Brabant. L’hagiographie de la fin du xve siècle traduit cette rupture à sa manière : d’un côté, les rééditions en français de Vies de saints évêques

Windesheim et de l’ensemble des régions néerlandophones, mais aussi de Maastricht et de l’évêque de Liège, est resté fidèle à Rome et à l’obédience urbaniste. Sur ce thème, voir M.  Maillard-Luypaert, Papauté, clercs et laïcs : le diocèse de Cambrai à l’épreuve du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), Bruxelles, 2001 ; J. Paquet, « Le schisme d’Occident à Louvain, Bruxelles et Anvers », Revue d’histoire ecclésiastique, 69 (1964), p. 401-409 ; sur la géographie complexe des obédiences face au schisme, se reporter à la carte dressée dans le Großer historischer Weltatlas, II, Munich, 1979, p. 76-77. 133  Le sujet était sans doute encore d’actualité car le chanoine insère dans son recueil le récit d’un prodige sur le châtiment infligé à des opposants d’Urbain VI en 1380 dans les Abruzzes, NS I, fol. 113, éd. L. A. Muratorio, Antiquitates italicae medii aevi, t. 6, 1742, col. 933. 134  Une première demande d’affiliation à la congrégation de Windesheim avait été rejetée par l’évêque Pierre d’Ailly, favorable à la papauté d’Avignon. En 1402, un compromis avait été trouvé avec l’institution d’un chapitre sonien sous la direction de Groenendael. Mais ce n’est qu’en 1412 que Rouge-Cloître put s’affilier à Windesheim sous l’obédience directe de Rome et échapper au giron de Cambrai : A. Maes, Rouge-Cloître. 135  Au milieu du xve siècle, sous l’évêque Jean VI de Bourgogne (1439-1480), Bruxelles fut érigée en officialité pour les archidiaconés de Bruxelles, Anvers, etc. « Les vicaires généraux de Jean de Bourgogne, tous membres du chapitre cathédral, étaient des proches de Philippe le Bon. L’immensité du diocèse, la densité de sa population, particulièrement en Brabant, et les difficultés pour les populations du Nord de gagner la cité épiscopale expliquent sans doute en partie qu’en 1448, l’évêque crut devoir ériger à Bruxelles une curie compétente pour les archidiaconés de Brabant, de Bruxelles et d’Anvers » : M. Maillard et A. Marchandisse, « Les dernières volontés de Jean de Bourgogne, évêque de Cambrai (1439-1480). Édition critique des testaments et codicilles », Le Moyen Âge, 119 (2013), p. 85-129.

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de Cambrai comme saint Géry136 ou de Noyon comme saint Médard137 et, de l’autre, chez le chanoine brabançon, l’omission pure et simple des saints évêques d’Arras-Cambrai.

d. Pourquoi le glissement vers l’Est dans le corpus épiscopal ? L’hagiographe se reporte volontiers sur les évêques de Tongres-MaastrichtLiège, dont son prieuré ne relève pas, mais dont toute la partie orientale du duché de Brabant dépend. Dans un premier temps, au fil des catalogues épiscopaux de l’Agyologus Brabantinorum II, Jean Gielemans célèbre avant tout les pontifes de Maastricht, cité qu’il assimile à une ville brabançonne, tout comme Tongres à l’occasion138. C’est du moins ce qu’il revendique à plusieurs reprises, en particulier dans une colonne autographe entre la Vie de Martin de Tongres et le catalogue des évêques de Maastricht où il présente saint Hubert en ces termes : Vicesimus et ultimus Hubertus, qui sedem denuo transtulit de Brabantia in Lotharingiam, videlicet de Traiecto in Leodium sive Legiam  ubi nunc requiescit139.

L’assimilation de Maastricht au Brabant est récurrente  dans plusieurs passages autographes140. De fait, si Maastricht bénéficiait depuis 1204 du statut de double seigneurie relevant, en théorie, de l’autorité conjointe du duc de Brabant et du prince-évêque de Liège141, elle était devenue en réalité, au fil du temps, la grande alliée des ducs de Brabant, notamment contre Liège. Maastricht était ainsi entrée de facto dans l’aire d’influence du duché de Brabant. L’insistance de Jean Gielemans sur la continuité entre les trois sièges Anne-Françoise Leurquin-Labie a montré que la traduction française de la Vita sancti Gaugerici à la fin du xve siècle, à l’instar d’autres Vies de saints régionaux, peut s’inscrire dans l’affirmation d’une identité francophone dans le Cambraisis face à l’influence germanique croissante dans la région. A.-F. Leurquin-Labie, « Les Vies de saint Géry », p. 452. 137  C. Vincent, « Saint Médard ». 138  Ag  II, fol.  23v, dans la Vie de saint Martin de Tongres, proche de BHL  5607, on relève des ajouts personnels : Incipit vita sancti Martini Tungrorum episcopi et Brabantinorum in Hasbania apostoli. 139  Ag II, fol. 24v (colonne autographe). 140  Ag II, fol. 25 : Vita sancti Servatii episcopi qui pontificalem sedem transtulit de Lotharingia in Brabantia, videlicet de Tungri in Traiectum superius. De même, dans une autre colonne autographe entre le second catalogue et la series episcoporum, en Ag II, fol. 54v : sanctus Servatius, qui (…) transtulit episcopalem cathedram de Lotharingia in Brabantiam, videlicet de Tungri in Traiectum. 141  Maastricht conserva ce statut de 1204 à 1794. Symboliquement, le Dinghuis, bâtiment municipal édifié en  1470, est construit autour de deux cours, celle du Brabant et celle de Liège ! 136 

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épiscopaux successifs de Tongres-Maastricht-Liège permet sans doute indirectement de valoriser le Brabant dépourvu d’un diocèse en propre. Reste qu’à la fin de son œuvre, notamment dans l’Hystoriologus, l’intérêt de l’hagiographe brabançon se porte plutôt sur Liège, la « cité de saint Lambert ». Comment expliquer ce tropisme pour la cité épiscopale qui est aussi une principauté rivale du duché de Brabant ? L’intérêt de Jean Gielemans pour la capitale mosane est probablement alimenté par l’actualité récente, le contexte géopolitique et ecclésiastique, ainsi que par des visées patriotiques142 . Il n’est pas anodin de trouver tour à tour dans l’Hystoriologus un récit célébrant la victoire du duc de Brabant en 1468 sur Liège143, la civitas grandis sed rebellis, urbs ampla sed tumultuosa144, des bulles émanant de Paul II en 1474 et visant à apaiser les différends entre l’évêque Louis de Bourbon (1465-1482) et ses sujets145, et enfin, une quarantaine de folios plus loin, un poème en l’honneur de Charles le Téméraire, célébré pour sa victoire sur les Liégeois et la France146… La  nomination de ce prince-évêque sur l’intervention de son oncle Philippe, duc de Bourgogne et de Brabant, avait en effet déclenché en 1455 une insurrection populaire, qui fut matée avec une rare brutalité par le nouveau duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. À la mort de ce dernier en 1477, Liège avait recouvré une certaine indépendance sous la bannière de la neutralité. Mais l’assassinat de l’évêque Louis de Bourbon en 1482, alors que Jean Gielemans achève la rédaction de son recueil147, relance la rivalité entre les deux camps : l’empire, sous la houlette du « très excellent duc et prince de Brabant Maximilien148 » que l’hagiographe glorifie justement dans la rubrique suivante, et le royaume de France. Certes, le chanoine bruxellois ne prétend jamais que Liège soit brabançonne. Mais, quelques folios plus loin, Voir V. Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme. Hy, fol. 134-147, Compendiosa historia de victoria ducis Brabantensium et cladibus Leodiensium d’après Henri de Merica ou van der Heyden (v. 1420-1473/79), témoin oculaire et prieur chez les chanoines réguliers de Bethléem. Voir l’édition de P. F. X. de Ram, Documents relatifs aux troubles du pays de Liège, Bruxelles, 1844, p. 135-183. Sur le contexte, voir les actes du colloque Liège et Bourgogne, éd. P. Harsin, Paris, 1972 et B. Schnerb, L’État bourguignon (1363-1477), Paris, 1999, p. 150-151. 144  Hy, fol. 143. 145  Hy, fol. 147-149. 146  Hy, fol. 186v-187. L’auteur Robert de Lacu ou van de Poele († 1483) appartenait au même milieu que Jean Gielemans ; il fut enterré chez les chanoines réguliers de Saint-Martin de Louvain : A. Foppens, Bibliotheca Belgica, II, Bruxelles, 1739, p. 1076-1077. 147  Ag II, fol. 63vb. Louis de Bourbon est le dernier évêque de la liste épiscopale rédigée par Jean Gielemans. Or, ce dernier acheva le recueil en 1483, un an avant la nomination également contestée de son successeur, Jean de Horn († 1505). Le problème de succession ne fut résolu qu’en 1492 : Voir J. Lejeune, La principauté de Liège, Liège, 1948 et B.  Schnerb, L’État bourguignon, p. 395-405. 148  Hy, fol. 161v : praecellentissimi ducis et principis brabantini Maximiliani. 142  143 

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dans des lettres de saints adressées ad principes brabantinos seu lotharingos149, il assimile la Lotharingie, région frontalière très disputée depuis les Ottoniens et dont Liège est une ville-clef, au Brabant. Ce  lien entre Liège et le Brabant est consolidé par divers maillons, comme la Vie de saint Lambert : l’hagiographe se plaît à y rappeler que le saint patron de Liège est originaire de Maastricht150, donc du Brabant, et qu’il n’y eut pas de meilleur évêque pour Maastricht151… L’œuvre hagiographique confirme ainsi implicitement le basculement du Brabant dans le giron habsbourgeois, tout en récupérant la sainteté épiscopale de Liège sous la bannière du Brabant sacré152 .

4. Conclusion Dans l’œuvre de Jean Gielemans, si on ne décèle aucun regain de dévotion au modèle épiscopal contrairement au royaume de France après le Grand Schisme et si ce modèle demeure très effacé derrière l’idéal monastique et le prisme brabançon carolingien, la figure du saint évêque demeure néanmoins bien présente, contribuant à la louange de la Terra beata Brabancia tout autant qu’à l’édification des Brabançons. Le corpus épiscopal se révèle ainsi presque aussi inclusif que le reste du sanctoral, exploitant les ambiguïtés d’une histoire diocésaine accidentée et de champs juridictionnels complexes. Il s’en démarque cependant par une chorographie sacrée du Brabant originale. La géographie épiscopale se singularise en effet du reste de l’œuvre par l’exclusion des évêques de Cambrai et un net glissement vers l’est, en particulier vers Maastricht puis Liège. Ce tropisme reflète la géopolitique de l’époque, traduisant notamment, aux delà des vicissitudes de l’histoire liégeoise, le basculement du Brabant dans l’aire habsbourgeoise à la fin du xve  siècle, aux dépends de Cambrai qui s’est définitivement tournée vers la France. C’est l’occasion pour l’hagiographe de récupérer dans le giron brabançon les grands saints évêques du diocèse de Liège, à commencer par saint On retrouve cette idée dans une lettre de saint Bernard de Clairvaux à Godefroid le Barbu (1095-1140) qui renovavit imperium et recuperavit Brabantiae ducatum (Hy, fol. 187). 150  Les origines maastrichoises de saint Lambert sont soulignées à plusieurs reprises. Ainsi, dans sa Vie abrégée en S I, fol. 134 : Gloriosus vir Lambertus pontifex oppido Traiectensi oriundus fuit et en Ag II, fol. 48 : Gloriosus vir Lambertus (…) sacerdos dilectus, insigni ex prosapia Traiectensis oppidi vico extitit oriundus, extrait de sa Vita par Sigebert, chapitre I, éd. PL, t. 160 (éd. 1880), col. 760. 151  Ag II, fol. 49v, éd. PL, t. 160 (éd. 1880), col. 764 : nullum Lamberto meliorem esse, ac per hoc nullum episcopatu Traiectensium esse digniorem. 152  On remarquera en revanche un grand absent : Notger (930-1008), premier prince-évêque. La Vita Notgeri ne figure même pas de manière abrégée dans le Sanctilogium. Or, la glorification de Liège comme cité élue via l’étymologie constituait un véritable pilier de la propagande liégeoise. 149 

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Lambert, le saint patron incontesté de la cité mosane. Reste qu’aucun saint patron ne se détache au nom du Brabant lui-même. De fait, duché écartelé sur le plan de la géographie ecclésiastique, ce dernier ne pouvait développer un culte épiscopal propre. Cette situation peut contribuer à expliquer le patriotisme hagiographique brabançon sous la forme de collections de saints estampillés brabançons, à la manière de Jean Gielemans et de ses successeurs, plutôt que par l’identification à une figure de sainteté unique, a fortiori épiscopale. Inversement, Liège bénéficiait de son double statut de siège épiscopal et de principauté, une stature civique et nationale qui lui a permis de développer une identité forte. Dans ce contexte, quelle autre figure de sainteté aurait pu offrir meilleur saint patron à la cité mosane qu’un évêque153 ? La figure de l’évêque offrait un socle naturel à une hagiographie civique, relayée et amplifiée après la mort de Charles le Téméraire par la liturgie, notamment des antiphonaires liégeois qui glorifient les saints évêques de Liège dans une sorte de civic panegyric154. Aussi, pour savoir si l’œuvre de Jean Gielemans, somme toute peu diffusée, jamais éditée ni imprimée, est néanmoins représentative d’une hiérophanie du Brabant, d’une « patria » à l’échelle du duché à défaut de celle d’une cité, on pourrait la confronter au corpus hagiographique en thiois155 mais également aux sources liturgiques : les manuscrits liturgiques brabançons glorifient-ils les mêmes saints évêques de Liège ? Et à défaut de saint patron unique, glorifient-ils le Brabant à travers sa multitude de saints comme le firent Jean Gielemans et ses successeurs ? Sur la problématique de l’hagiographie et des catalogues épiscopaux comme genres historiographiques au service d’un patriotisme civique, voir J.-M. Le Gall, « Catalogues », et la conclusion d’André Vauchez sur la sacralisation de la figure de l’évêque et l’exaltation des lieux lors du colloque sur Liber, Gesta, histoire, p. 459. Voir également M. Heinzelmann, « L’hagiographie au service de l’histoire : l’évolution du “genre” et le rôle de l’hagiographie sérielle », dans Des saints et des rois. L’hagiographie au service de l’histoire, éd. F. Laurent, L. Mathey-Maille et M. Szkilnik, Paris, 2014, p. 23-44. 154  C. Saucier, A Paradise of Priests : Singing the Civic and Episcopal Hagiography of Medieval Liege, New York, 2014, p. 203. Les saints Théodard, Lambert et Hubert que Jean Gielemans met à l’honneur, en sont les principaux ! 155  Les catalogues de manuscrits issus du Brabant laissent penser que la littérature hagiographique en langues vernaculaires, thiois comme français, est largement minoritaire. La langue latine reste massivement dominante. On trouve bien des recueils de Vies des xve et xvie siècles en thiois à Rouge-Cloître, mais la plupart des Vies en vieux flamand proviennent plutôt de régions plus septentrionales comme Berg-op-Zoom ou Utrecht. Cependant, une étude approfondie reste à faire. Les saints brabançons ont également pu être intégrés dans une chronique hagiographique explicitement brabançonne, comme Die alder excellentse cronyke van Brabant (Anvers, incunable anonyme, 1498, copie dans BNF, Res M 184). Voir J. Tigelaar, Brabants historie ontvouwd. Die alder excellenste cronyke van Brabant en het Brabantse geschiedbeeld anno 1500, Hilversum, 2006. Une telle œuvre composée en thiois au tournant du xvie siècle a pu contribuer à affirmer une identité locale, mais elle semble assez isolée dans la littérature thioise. Voir V. Hazebrouck-Souche, « Terra beata Brabancia ». 153 

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Composer, compiler, copier des textes hagiographiques à la fin du Moyen Âge Le cas des maisons religieuses du Namurois*

Xavier Hermand (Namur) Quelle place la littérature hagiographique occupait-elle dans la culture écrite des maisons religieuses des Pays-Bas méridionaux à la fin du Moyen Âge ? Telle quelle, la question est évidemment bien trop ambitieuse et il faut d’emblée préciser et limiter le sujet. Il concerne « l’hagiographie historiographique », soit l’ensemble des textes « qui racontent l’histoire des saints, dans leurs activités terrestres ou célestes »1, à l’exclusion donc des écrits où la di*  Abréviations utilisées : AEN, AE = Archives de l’État à Namur, Archives ecclésiastiques – ASAN = Annales de la Société archéologique de Namur – CCB = Corpus catalogorum Belgii, t. 1-4. The Medieval Booklists of the Southern Low Countries ; t. 7. The Surviving Manuscripts and Incunables from Medieval Belgian Libraries, éd.  A.  Derolez et  al., Bruxelles, 19942009 – Hagiographies = Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, éd. G. Philippart puis M. Goullet, vol. 1-8, Turnhout, 1994-2020 – KBR = Bibliothèque royale Albert Ier – MPAAN, FV = Musée provincial des arts anciens du Namurois – Trésor d’Oignies (TreM.a), Fonds de la Ville. Les manuscrits mentionnés dans cette contribution sont pour l’essentiel conservés à la KBR, au MPAAN et au Grand Séminaire de Namur ; ils ont jadis fait l’objet de bonnes descriptions, auxquelles on renvoie une fois pour toutes : J. van den Gheyn, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, t. 1-6, Bruxelles, 1901-1906 ; P. Faider, C ­ atalogue des manuscrits conservés à Namur (Musée archéologique, Évêché, Grand Sémi­naire, Museum artium S.J., etc.), Gembloux, 1934. 1  G.  Philippart, « L’hagiographie comme littérature : concept récent et nouveaux programmes ? », Revue des sciences humaines, 251 (1998), p. 11-39, à la p. 25 ; Id., « Introduction », dans Hagiographies, vol. 1, p. 9-24, aux p. 13-14. Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 259-294. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126296

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mension narrative fait défaut (authentiques, inventaires de reliques et autres pièces d’archives bien sûr, mais aussi calendriers, litanies, éloges, prières liturgiques, textes homilétiques…) ; pour le dire autrement et de manière pragmatique, ce syntagme qualifie la plupart des textes répertoriés aujourd’hui dans la BHL. Cette limitation est contrebalancée par la volonté de proposer une approche globale et « contextualisée » de cette matière. L’enquête sera conduite de manière à considérer toutes les facettes de la production, généralement étudiées séparément : composition – ou traduction – d’une œuvre originale et réécriture d’un écrit déjà existant, constitution d’une collection de textes, copie (reproduction) d’un modèle2 . Dans cette optique, il s’agira aussi d’être autant que possible attentif aux conditions d’élaboration, aux fonctions et aux usages concrets des pièces examinées. Cette perspective élargie suppose que toutes les sources disponibles soient sollicitées. Les  textes eux-mêmes (Passion, Vie, recueil de Miracles, Translation…) et les livres (manuscrits et incunables) qui les véhiculent, bien sûr. Mais le taux de pertes très élevé qui a affecté les uns et les autres, avec une intensité certes variable selon le genre, la langue, le statut, le possesseur ou le commanditaire, impose d’étendre l’heuristique à la documentation d’archives : catalogues, inventaires et testaments, comptabilités, correspondance, textes normatifs ou travaux d’érudits procurent en effet des données inédites sur la littérature Il va de soi que ces différentes opérations intellectuelles se complètent et se recoupent, voire se recouvrent partiellement : un scribe a la possibilité d’adapter de manière plus ou moins significative le modèle reproduit, tout comme un compilateur est libre d’intervenir sur les textes qu’il a sélectionnés. Il n’empêche : ces opérations peuvent être analysées en tant que telles –  il  suffit de songer à l’étude exemplaire de M.  Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques. Essai sur les réécritures de Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiiexiiie s.), Turnhout, 2005 – et, n’en déplaise aux tenants de la new philology, les distinctions classiques auxquelles elles renvoient demeurent des outils efficaces pour inventorier, classer et in fine étudier la matière hagiographique. Pour ce domaine, les enjeux ont été clairement exposés par Guy Philippart dans plusieurs publications, notamment : G.  Philippart, « Pour une histoire générale, problématique et sérielle de la littérature et de l’édition hagiographiques latines de l’Antiquité et du Moyen Âge », Cassiodorus, 2 (1996), p. 197-213, aux p. 209-210. On lira aussi avec profit les réflexions de Jeroen Deploige, qui envisage cette question dans une perspective voisine et avec les mêmes conclusions : J. Deploige, « Anonymat et paternité littéraire dans l’hagiographie des Pays-Bas méridionaux (c. 920-c. 1320). Autour du discours sur l’“original” et la “copie” hagiographique au Moyen Âge », dans « Scribere sanctorum gesta ». Recueil d’études d’hagiographie médiévale offert à Guy Philippart, éd. É. Renard, M. Trigalet, X. Hermand et P. Bertrand, Turnhout, 2005, p. 77-107. Récemment, Tjamke Snijders a innové en introduisant le concept de scriptum, résolument attentif à la présentation matérielle d’une œuvre (ou d’une de ses versions) dans chacun de ses exemplaires : T. Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200, Turnhout, 2015, p. 222-237. On n’y a pas eu recours dans cette contribution, entre autres pour les raisons pratiques exposées à la n. 43. 2 

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hagiographique et ses supports matériels ; au-delà, ils détaillent de manière parfois très précise les modalités de leur confection et de leur utilisation. Examiner ainsi la production hagiographique à l’échelle de la Belgique et de la France du Nord, cadre géographique de ce colloque, était illusoire. Il fallait se limiter à un espace suffisamment vaste pour constituer un corpus de sources exploitable, mais point trop étendu sous peine de s’y égarer ; une région, aussi, qui fût représentative de la réalité médiévale la plus courante. L’enquête portera en l’occurrence sur un secteur défini de manière quelque peu arbitraire, correspondant grosso modo à l’actuelle province de Namur et dans une moindre mesure à l’ancien comté du même nom. On  peut le caractériser sommairement : un territoire restreint, structuré par la Meuse et son affluent la Sambre, et qui appartenait alors au diocèse de Liège ; une zone plutôt rurale, du moins comparée au Brabant ou au Hainaut voisins, dépourvue de véritables villes hormis Namur et Dinant (qui comptaient chacune bien moins de 10 000 habitants), et où le dynamisme culturel demeurait largement l’apanage du monde ecclésiastique à la fin de la période médiévale. Dans cette aire géographique « provinciale », les maisons religieuses se sont accumulées en plusieurs vagues au fil des siècles. En excluant les béguinages, les fondations charitables et les simples prieurés, on en dénombre 35 à la fin du xve siècle : 12 chapitres séculiers, 13 abbayes bénédictines ou cisterciennes, sept monastères de chanoines réguliers, deux couvents franciscains et un de carmélites3. Aucune de ces institutions, dont le patrimoine était généralement limité, n’a laissé une collection de livres particulièrement copieuse, susceptible de focaliser l’attention des spécialistes de la culture écrite. Enfin, un dernier trait caractérise le Namurois – comme d’ailleurs l’ensemble des Pays-Bas méridionaux  –, principalement au xve  siècle : l’influence de l’observance. Si en effet les formes de vie religieuse générées par la Devotio moderna ne s’y implantèrent pas, ce mouvement fondé sur le retour aux normes traditionnelles de la vie régulière connut en revanche un vif succès et renouvela la majorité des monastères4 ; plusieurs d’entre eux, refondés ou réformés Toutes ces maisons religieuses sont répertoriées en annexe. Une vue d’ensemble des mouvements de l’observance dans les Pays-Bas méridionaux est proposée dans l’ouvrage classique d’É.  de  Moreau, Histoire de l’Église en Belgique, t. 4. L’Église aux Pays-Bas sous les ducs de Bourgogne et Charles-Quint, 1378-1559, Bruxelles, 1949, p. 304-335, actualisée récemment pour l’ancien diocèse de Liège : M.-É. Henneau et A. Marchandisse, « Velléités de réformes dans l’Église de Liège des xve et xvie siècles », dans De  Pise à Trente : la réforme de l’Église en gestation. Regards croisés entre Escaut et Meuse. Actes du colloque international de Tournai (Séminaire épiscopal), 19-20  mars 2004, éd. M. Maillard-Luypaert et J.-M. Cauchies, Bruxelles, 2004, p. 153-212. À propos des abbayes bénédictines, il faut à présent se référer au panorama donné par P.-J. De Grieck, De  benedictijnse geschiedschrijving in de zuidelijke Nederlanden (ca.  1150-1550) : historisch 3 

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– croisiers de Namur, bénédictins de Florennes, cisterciens de Moulins et du Jardinet, cisterciennes de Marche-les-Dames, de Soleilmont et d’Argenton – joueront en outre un rôle important dans la diffusion de l’idéal de la réforme, en rayonnant largement. Bref, ce cadre assez riche et diversifié constitue à priori un bon observatoire pour identifier et caractériser les formes de la production hagiographique des institutions ecclésiastiques « traditionnelles » à la fin du Moyen Âge, en évaluer la vitalité et, plus largement, cerner la place, le contenu et les usages des textes qui furent alors composés, compilés ou copiés.

1. Composer Si l’on en croit les répertoires usuels5, l’âge d’or de l’hagiographie namuroise est antérieur aux premières décennies du xiiie  siècle. C’est en effet durant le premier Moyen Âge – et singulièrement aux xie-xiie siècles – que les communautés religieuses composèrent ou firent composer de nombreux textes hagiographiques, en fonction d’enjeux variés et dans des contextes parfois conflictuels sur lesquels il n’y a pas lieu de revenir ici. Elles se dotèrent alors d’histoires de leurs fondateurs ou de leurs saints patrons, souvent doublées de récits rapportant l’invention, l’arrivée ou la translation de leurs reliques ; des recueils de Miracles furent également rédigés afin de glorifier les mérites de tel ou tel d’entre eux. Certains de ces textes ont connu une ou plusieurs réécriture(s) successive(s) en vue d’être adaptés aux besoins liturgiques, à des préoccupations nouvelles ou à la mode du temps ; de manière plus spécifique, les recueils de Miracula ont pu bénéficier dès cette époque de compléments ou de continuations6. Face à cette abondance, le contraste est net lorsqu’on aborde les deux derniers siècles de l’époque médiévale, qui semblent caractérisés par un reflux de la documentation disponible : passé le seuil du xiiie siècle, les œuvres nouvelles se font plus rares, du moins au miroir des instruments de travail classiques. Faut-il en conclure à un tarissement de bewustzijn en monastieke identiteit, Louvain, 2010, aux p. 92-120 ; sur les réformes des monastères de cisterciennes, de cisterciens et de croisiers, voir les travaux signalés infra, respectivement aux n. 38, 61 et 97. 5  En ce qui concerne l’espace belge, il suffit de renvoyer à L. Genicot et P. Tombeur, Index scriptorum operumque latino-belgicorum Medii Aevi. Nouveau répertoire des œuvres médiolatines belges, Bruxelles, 1973-1979, qui couvre la période antérieure à 1200, et à la base de données Narrative Sources (cf. http://www.narrative-sources.be/index_uk.html), consultée le 18/05/21. 6  Panorama synthétique et récent, limité dans le temps mais sur une échelle plus vaste : J. R. Webb, « Hagiography in the Diocese of Liège (950-1130) », dans Hagiographies, vol.  vi, p. 809-904.

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la création littéraire hagiographique ? Sans doute pas. Pour une part au moins, il s’agit d’un effet de source, lié à l’abondance (toute relative) des manuscrits des xive et xve siècles, rendant plus ardu le recensement des textes contemporains. Intervient aussi un certain désintérêt des spécialistes pour ces périodes tardives, qui a nui au repérage et à l’analyse des récits composés alors. La brièveté et la médiocrité de beaucoup d’entre eux ont également joué, sur leurs chances de survie comme sur leur attractivité auprès des chercheurs ou sur la possibilité même d’une critique d’attribution7. Enfin, les finalités d’abord internes de ces textes, en n’étant guère propices à leur diffusion, n’ont pas non plus favorisé leur sauvegarde. Quoi qu’il en soit, le corpus rassemblé au terme d’une heuristique approfondie et autant que possible attentive aux deperdita offre déjà de précieux renseignements. Dans une mesure qu’il est certes difficile de préciser, la composition hagiographique tardo-médiévale en Namurois s’inscrivait encore dans les perspectives traditionnelles qui viennent d’être évoquées. Ainsi peut-on supposer que des déplacements de reliques – et les prodiges qui accompagnaient parfois de tels événements – ont entraîné la rédaction de textes neufs, comme cette Translatio beati Hadelini composée vers 1350 pour rapporter le transfert du corps de saint Hadelin de la collégiale de Celles vers le nouveau chapitre de Visé (BHL 3733b)8. De même, les rivalités entre institutions ont pu relancer l’intérêt pour l’hagiographie ancienne, voire susciter de nouveaux écrits, bien qu’il n’en subsiste pas de traces explicites. Il suffit de songer au conflit de préséance opposant les chapitres namurois de Notre-Dame et de Saint-Aubain à Prenons cette courte anecdote jadis repérée dans un légendier de l’abbaye cistercienne du Jardinet dont il sera question plus loin (Namur, MPAAN, FV 73, fol. 124v) et éditée dans les Analecta Bollandiana, 1  (1882), p.  523. Elle rapporte la punition infligée à un messager du comte de Gueldre qui s’était moqué de saint Louis (BHL  5045). Guy Philippart s’est interrogé sur l’existence d’un culte envers ce roi au monastère, en s’appuyant sur quelques indices ténus ; ajoutons-en un nouveau : la mention Ludovicus sanctissimus rex Francorum, portée au début du xvie siècle sur un codex conservé sur place à la fin du Moyen Âge (Namur, MPAAN, FV 165, fol. 177r). Dès lors, ce petit récit « ne pourrait-il appartenir à une tradition orale du Jardinet » où, peut-être, « la vénération envers le saint roi avait pris plus d’ampleur qu’ailleurs » ? Voir G. Philippart, « Un légendier des cisterciens du Jardinet, de la fin du xve siècle ? Namur, Ville, 73, fol. 95-130 », ASAN, 69 (1995), p. 167-224, aux p. 192, 204-205, 221-222 (p.  205 pour la citation). En  l’absence d’informations probantes, la question reste ouverte. 8  D. De Bruyne, « La translation de S. Hadelin », Analecta Bollandiana, 42 (1924), p. 121125. Il est vrai que cette translation était exceptionnelle puisqu’elle coïncidait avec le déplacement définitif de l’ensemble de la communauté canoniale sur la rive droite de la Meuse, tout récemment étudié par J.-L. Kupper, « Le transfert de la collégiale de Celles à Visé sous l’évêque de Liège Adolphe de La Marck en  1338. De  la piété d’un prince-évêque », ­Revue d’histoire ecclésiastique, 113 (2018), p.  94-130. Le  récit lui-même était destiné à un usage liturgique. 7 

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partir du xive siècle, qui mobilisa les énergies et incita à se plonger dans les archives, les chroniques et les Vies de saints9. Dans un contexte moins antagonique, les établissements abritant un lieu de pèlerinage ont continué à enrichir leur collection de Miracles10, en profitant parfois des circonstances. Au milieu du xiiie siècle, un bénédictin de l’abbaye de Florennes tira ainsi profit du passage du rouleau mortuaire de l’abbé de Solignac (Haute-Vienne) pour raconter un miracle qui venait de se produire, assurant de la sorte la publicité de son sanctuaire11. Si l’on manque de données pour les siècles qui suivent, il n’en est pas moins assuré que des enquêtes menées sur nouveaux frais gonfleraient le dossier. Sur la base d’informations remontant à l’époque moderne, Guy Philippart a ainsi supposé que la collégiale de Walcourt possédait un recueil d’historiettes dédié à la Vierge, aujourd’hui perdu, qui comprenait plusieurs anecdotes rédigées à la fin de la période médiévale, selon toute vraisemblance par un lettré local12 . Enfin, les dispositifs d’information mis en place autour des reliques ou des images exposées dans les églises ont Sur cette rivalité, voir F.  Rousseau, « La légende de saint Materne et du dieu Nam », ASAN, 35 (1922), p. 181-221, aux p. 204-205 : dans la seconde moitié du xive siècle, un clerc a reproduit dans le cartulaire de Notre-Dame (AEN, AE, 605) un passage des Gesta abbreviata de Gilles d’Orval censé établir l’ancienneté de son institution, qu’il a conclu par une « remarque triomphante » suggérant qu’il s’était documenté sur la vie des patrons respectifs des deux collégiales. Qui sait si le conflit n’aura pas engendré la fabrication ou la réécriture d’écrits hagiographiques ? Par contre, une étude consacrée au « petit cartulaire » du chapitre de Saint-Aubain (AEN, AE, 101), transcrit dans le premier quart du xve siècle, n’a pas révélé un grand intérêt pour les saints et leur culte : G. Philippart, « Les Namurois des xiiie et xive siècles honoraient-ils leurs saints ? Le témoignage du “petit cartulaire” de la collégiale Saint-Aubain », dans Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, éd. S. Gouguenheim et M. Goullet, Paris, 2004, p. 719-727. 10  Voir les exemples donnés par J. Deploige, « Écriture, continuation, réécriture : la réactualisation des Miracles posthumes dans l’hagiographie des Pays-Bas méridionaux, ca. 920ca. 1320 », dans Miracles, Vies et réécritures dans l’Occident médiéval, éd. M. Goullet et M. Heinzelmann, Ostfildern, 2006, p. 21-65, aux p. 60-61. 11  J.  Dufour (éd.), Recueil des rouleaux des morts (viiie  siècle-vers  1536), t.  2, Paris, 2006, p. 284. 12  G. Philippart, « Un légendier des cisterciens du Jardinet », p. 199-201. C’est en général au custos qu’il revenait de consigner les faits extraordinaires survenus dans son église (cf. J. Deploige, « Écriture, continuation, réécriture », p. 54). En revanche, l’enquête menée à propos des trois Miracles présents dans les exemplaires tardifs de la Vie de sainte Begge (= BHL 1084-1085), patronne de la collégiale d’Andenne, a fait chou blanc. D’après S. Leclère, « Le dossier hagiographique de sainte Begge, fondatrice de l’abbaye d’Andenne », Revue belge de philologie et d’histoire, 95 (2018), p. 581-596 (surtout p. 584-587), la rédaction de deux d’entre eux est sans lien avec l’institution, mais la chose est moins assurée pour le troisième, à propos duquel deux positions différentes sont d’ailleurs soutenues : il serait lié à « une volonté de repeupler la communauté religieuse d’Andenne » (p. 585) – et donc rédigé sur place ? –, mais on voit mal alors pourquoi « Gielemans [le célèbre hagiographe de RougeCloître, près de Bruxelles] pourrait être l’auteur » (p. 587). 9 

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sans doute inspiré la composition de notices ou d’opuscules hagiographiques destinés à une lecture publique, sous la forme d’inscriptions, de panneaux, d’affiches ou de livrets13. De la même manière, beaucoup de communautés ont dû entreprendre d’écrire ou, bien plus souvent sans doute, de réécrire certains récits pour des motifs purement liturgiques. Ces textes destinés au culte ne bénéficient que d’une place restreinte dans la BHL et les catalogues spécialisés de manuscrits hagiographiques les ont généralement dédaignés, mais François Dolbeau a récemment souligné leur poids dans la création hagiographique latine14. Un même constat ressort d’une enquête de Tjamke Snijders fondée sur l’examen d’un corpus de manuscrits copiés aux xie et xiie siècles pour les abbayes bénédictines de Marchiennes et de Saint-Vaast, au diocèse d’Arras, et renfermant quelque 75 textes hagiographiques divisés en lectiones pour les lectures de matines15. Certes, la plupart du temps, les chantres (?) se sont contentés de découper en parts à peu près égales les premiers chapitres de chaque récit ; toutefois, une petite minorité des textes, mettant habituellement en scène le saint patron de la communauté, mais aussi des saints associés à ce dernier ou vénérés sur place, témoigne d’une sélection plus réfléchie des passages à lire, qui s’apparente à un travail de réécriture (que l’on pourrait qualifier ici de « virtuelle »). Des travaux du même ordre se sont vraisemblablement déployés en Namurois dans les derniers siècles de l’époque médiévale, en vue de répondre aux desideratas de communautés soucieuses de rénover leur matériel hagiographique dans un contexte liturgique. En l’état, il n’en subsiste qu’un seul témoin16 : un fragment de lectionnaire du xive siècle issu de l’abbaye de chanoines réguliers de Malonne (Bruxelles, Bibliothèque des Bollandistes, Sur ces dispositifs, voir H.  Boockmann, « Über Schrifttafeln in spätmittelalterlichen deutschen Kirchen », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 40 (1984), p. 210-224, et P. Cordez, « Gestion et médiation des collections de reliques au Moyen Âge. Le témoignage des authentiques et des inventaires », dans Reliques et sainteté dans l’espace médiéval, éd. J.-L. Deuffic, Saint-Denis, 2006, p. 33-63. On pourrait ajouter encore les authentiques de reliques, dont la taille croît dans les derniers siècles de la période médiévale au point de s’apparenter souvent à de petits procès-verbaux d’ouverture de châsse ; sur cette évolution, voir P. Bertrand, « Authentiques de reliques : authentiques ou reliques ? », Le Moyen Âge, 112 (2006), p. 363-374. 14  F. Dolbeau, « Un livret inédit sur saint Georges : une passion latine réécrite et son abrégé liturgique », Journal des savants, 2017, p. 303-352, surtout aux p. 318-322. 15  T. Snijders, « Celebrating with Dignity. The Purpose of Benedictine Matins Readings », dans Understanding Monastic Practices of Oral Communication (Western Europe, Tenth-­ Thirteenth Century), éd. S. Vanderputten, Turnhout, 2011, p. 115-136. 16  Il faudrait s’interroger sur d’éventuelles compositions tardives de lectiones transmises par les bréviaires, dans la foulée de l’étude exemplaire menée par F. Dolbeau, « Vie et Miracles de sainte Aure, abbesse, jadis vénérée à Paris », Analecta Bollandiana, 125 (2007), p. 17-91, aux p. 73-90. En l’occurrence, les matériaux issus du Namurois sont rarissimes : un volume 13 

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329, fol. 9r-11r). Il renferme un épitomé de la première partie de la Vie la plus ancienne de saint Bertuin (BHL 1306), le patron de l’institution, augmenté de quelques phrases empruntées à une version plus récente (BHL 1308), et est réparti en lectiones pour l’octave de la fête du saint : ce montage est sans doute contemporain de la confection du codex17. Bien sûr, ce processus de réécriture présentait un caractère très modeste et n’a sans doute concerné qu’une petite partie du stock de textes disponibles18 : on comprend qu’il ait largement échappé au radar de l’érudition. Il n’empêche qu’il découlait d’une décision institutionnelle, mobilisait des moyens matériels et humains et supposait certaines capacités de la part des religieux impliqués. Et il faut aussi évoquer tous ces opuscules liturgiques dont la composition est étroitement associée au culte des saints (séquences, hymnes, antiennes, répons…), mal conservés, peu connus des historiens et de toute façon malaisément datables et attribuables, mais dont certains remontent sans doute à la fin du Moyen Âge19. Parmi les facteurs qui ont contribué à relancer l’activité littéraire autour des textes hagiographiques, il faut surtout pointer le rôle des mouvements de l’observance – et, contrairement aux pratiques qui viennent d’être retracées, il s’agit là d’un trait spécifique à la fin de la période médiévale. Pour l’examiner, nous sommes en terrain plus solide, car plusieurs dossiers issus de différentes familles religieuses livrent une information abondante. provenant de l’abbaye de Brogne (Namur, Grand Séminaire,  54) ; un autre vraisemblablement issu du couvent des croisiers de Namur (Bruxelles, Bibliothèque des Bollandistes, 656). 17  M.  Coens, « Note sur un ancien manuscrit de Malonne », Analecta Bollandiana, 53 (1935), p. 130-139. 18  Les études disponibles sur les exemplaires namurois de martyrologes historiques ne révèlent pas non plus un effort d’enrichissement systématique de la part d’un écrivain local : voir l’analyse des martyrologes des abbayes cisterciennes de Moulins, Rochefort et Salzinnes menée par E. A. Overgaauw, Martyrologes manuscrits des anciens diocèses d’Utrecht et de Liège. Étude sur le développement et la diffusion du martyrologe d’Usuard, Hilversum, 1993, p. 146-148, 164-175 ; voir aussi P. Delhaye, « À propos d’un manuscrit namurois. Le livre du chapitre de la collégiale de Ciney », dans Études d’histoire et d’archéologie namuroises dédiées à Ferdinand Courtoy, Namur, 1952, p. 397-410, qui a tout de même repéré une série d’adjonctions tardives dans le liber capituli de Ciney (Namur, Musée diocésain, 21), liées à l’évolution du culte des saints sur place (p. 399-400). 19  Pour un exemple récent d’étude de cette matière concernant une institution de l’espace namurois, voir A.-E. Ceulemans, « La messe et l’office de sainte Begge au chapitre noble d’Andenne », Revue belge de musicologie, 67 (2013), p. 27-48, et P.-A. Deproost, « Laeto ­iucundetur ore : la séquence de la messe de sainte Begge », ibid., p. 49-59. Sur ce point, voir aussi F. Dolbeau, « Un livret inédit sur saint Georges », p. 318-322, qui insiste sur la disparition des libelli transmettant l’intégralité du dossier « textuel » d’un saint : œuvres narratives et leçons liturgiques, mais aussi antiennes, répons, hymnes, sermons panégyriques, qu’il faudrait étudier simultanément. Un ouvrage récent montre tout le profit à tirer de ces écrits dans une perspective historique : C. Saucier, A Paradise of Priests. Singing the Civic and Episcopal Hagiography of Medieval Liège, Rochester (NY), 2014.

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Le premier est celui de l’abbaye de Florennes, qui fut un foyer réformateur assez vigoureux au xve siècle, après avoir pourtant bien failli disparaître au début de ce siècle20. En 1448, l’abbé Charles de Crahen y compila une collection de onze Miracles survenus entre 1444 et 1447, attribués à l’intervention de saint Jean-Baptiste et de saint Maur, les deux patrons de la communauté21. Ses motivations immédiates étaient très concrètes : susciter un renouveau des pèlerinages en direction du monastère alors en pleine restauration, dont il fallait aussi rétablir l’autorité dans son environnement social – et l’on rejoint ici des préoccupations classiques de l’écriture hagiographique. Mais il s’agissait également de confirmer saint Maur dans sa fonction de patron secondaire de l’institution et de renforcer la cohésion de la communauté autour de ce nouveau patronus22 . Dans le second quart du xve  siècle (probablement vers 1430-1435), l’abbé commanda d’ailleurs à un moine de l’abbaye de Saint-Jacques à Liège –  où il avait fait profession avant d’être installé à Florennes – un long poème versifié en l’honneur de saint Maur (BHL 5784) ainsi qu’une courte prière appelant son aide en vue de la reconstruction de l’abbaye23. En 1448, Charles de Crahen composa lui-même un opuscule sur la fondation de l’institution (Litterae fundationis), en exploitant très largement le recueil de Miracles opérés par l’intercession de saint Gengoux rédigé par l’un de ses prédécesseurs dans le second quart du xie siècle (BHL 3330)24. Ce sont probablement des raisons analogues qui incitèrent Nicolas de Lesve, abbé du monastère bénédictin de Brogne entre 1433 et 1447, à écrire – ou à réécrire – un récit aujourd’hui perdu de la translation de la Sainte-Croix à l’abbaye25, au moment où sa communauté rencontrait précisément de grosses X.  Hermand, « Réformer une abbaye au xve  siècle : l’exemple de Florennes », Revue ­Bénédictine, 122 (2012), p. 342-365. 21  F. Baix, « Charles de Crahen, abbé de Florennes († 1457) et le culte de saint Jean-Baptiste et de saint Maur », ASAN, 42 (1936-1937), p. 33-63, aux p. 39-44. 22  Ibid., p. 46-47 ; voir aussi D. Misonne, « Le culte de saint Maur martyr, de Reims à l’abbaye de Florennes », Revue Bénédictine, 123 (2013), p. 65-97. 23  L. Reynhout, « L’étonnante histoire d’un “fantôme” littéraire : Corneille de Liège, auteur de la Vita beati Mauri (BHL 5784) », Revue belge de philologie et d’histoire, 81 (2003), p. 1083-1107. 24  F.  Baix, « Charles de Crahen », p.  35-39 ; sur la datation des Miracula Gengulphi, voir A.  Dierkens, Abbayes et chapitres entre Sambre et Meuse (viie-xie  siècles). Contribution à l’histoire religieuse des campagnes du haut Moyen Âge, Sigmaringen, 1985, p. 261, n. 8. 25  L’œuvre était encore connue à l’époque moderne : J.-N. Paquot, Mémoires pour servir à l’histoire littéraire des dix-sept provinces des Pays-Bas  […], t.  12, Louvain, 1768, p.  294-295. Elle s’inscrit parmi une série de textes consacrés à la relique de la Croix que détenait l’abbaye depuis le xiie siècle (BHL 4195, 4196), à propos desquels on verra F. Baix, « Les Miracles de la Sainte-Croix à Brogne », ASAN, 45 (1950), p. 253-261, à la p. 254, en attendant l’étude que prépare Nicholas Paul. 20 

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difficultés économiques et prenait des libertés avec la Règle26. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une œuvre hagiographique sensu stricto, un dernier texte mérite de retenir l’attention : la biographie spirituelle de Jean Eustache († 1481), le maître d’œuvre de la refondation de l’abbaye cistercienne du Jardinet en 1441, composée au début du xvie  siècle par Jacques de Wismes († 1524), l’un de ses successeurs27. On voit bien ou l’on devine l’une des fonctions de tous ces écrits : restaurer ou confirmer l’identité et le prestige des communautés auxquelles ils étaient destinés, dans une perspective mémorielle, et peut-être aussi renforcer leur cohésion à des moments difficiles, voire résoudre les tensions internes engendrées par l’introduction de l’observance28. Dans le contexte tout à la fois troublé et dynamique du dernier siècle du Moyen Âge, bien d’autres institutions furent concernées par ces phénomènes. Ce fut le cas des nombreuses communautés de religieuses établies en Namurois. À  cet égard, un couvent s’impose par l’ampleur de son dossier documentaire : celui des carmélites installées à Dinant (c.  1455) puis, après la destruction de cette ville en  1466, à Namur (1468)29. Le  confesseur des religieuses, Thomas de Lemborc, traduisit à leur intention un ensemble de récits hagiographiques en lien immédiat avec l’ordre des carmes, transmis dans un légendier confectionné vers 1480 (Bruxelles, KBR, II 2243 [3363])30. Le  recueil contient les pièces suivantes : trois Vies des saints prophètes de l’Ancien Testament considérés alors comme les « fondateurs » de l’ordre des carmes (Élie, Élisée et Jonas), quatre Vies de saints « récents » issus de l’ordre lui-même31, une Vie des suers de nostre dame centrée sur Marie Jacobé E. Bodart, « Gérer une abbaye en crise au xve siècle : de l’utilité du recueil de Nicolas de Lesve pour l’abbaye de Brogne », ASAN, 85 (2011), p. 171-196. 27  Cet ouvrage nous est parvenu à travers une version française tardive : J.  d’Assignies, ­Cabinet des choses plus signalées […], Douai, 1598, p. 840-871, dont une version latine a été donnée par C.  Henriquez, Fasciculus sanctorum ordinis cisterciensis, Bruxelles, 1624, dist. 16. Au xviie siècle, l’abbaye possédait une ceinture servant de remède aux femmes parturientes, attribuée à saint Bernard ou à Jean Eustache : J.-L. Lemaître, « Reliques et reliquaires dans le Hierogazophylacium Belgicum d’Arnould de Raisse », Revue du Nord, 356-357 (2004), p. 813-822, à la p. 821. Sur la réforme du Jardinet, voir infra, p. 277. 28  Sur cette question, voir X. Hermand, « Réformer une abbaye au xve siècle », p. 348-350. 29  A. Staring, « The Carmelites Sisters in the Netherlands », Carmelus, 10 (1963), p. 56-92. 30  M. Thiry-Stassin, « Un légendier propre pour les blanches dames de Namur (xve s.) », dans Le recueil au Moyen Âge. La fin du Moyen Âge, éd. T. Van Hemelryck et S. Marzano, Turnhout, 2010, p. 303-313 (avec renvoi aux travaux antérieurs de l’auteur relatifs à ce légendier). 31  Elles sont respectivement consacrées aux personnages suivants (entre parenthèses : no BHL du modèle latin) : Albert de Trapani († 1307), canonisé en 1476, mais son culte était autorisé dès 1457 (= BHL 228) ; André Corsini († 1373), canonisé en 1629, au terme d’une longue procédure introduite dans la seconde moitié du xve siècle (= BHL 446, sans le prologue) ; Ange de Jérusalem († c. 1223), fêté dans l’ordre à partir de 1450 ou 1456 (= BHL 464) ; Pierre 26 

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et Marie Salomé qui étaient vénérées dans l’ordre (= BHL 5427-5430) ; vient ensuite, intégrée dans un second temps au légendier et d’un traducteur resté anonyme, la Vie de sainte Anne, reliée aux carmes par l’intermédiaire de sa mère32 ; à quoi s’ajoute un manuel de vie spirituelle à l’usage des sœurs, rédigé par Thomas. La réalisation de ce recueil s’éclaire à la lumière de l’histoire du couvent et, plus largement, de celle de l’ordre des carmes, dont la branche féminine venait alors d’être créée : il était nécessaire de proposer aux religieuses d’une jeune communauté éprouvée par le sort des modèles de vie (notamment féminins) qui soient ancrés dans l’histoire du carmel. À cet effet, Thomas de Lemborc aurait également traduit pour les dames blanches les Decem libri de institutione et peculiaribus gestis religiosorum carmelitarum composés en 1370 par Philippe Ribot, qui proposent une histoire de l’ordre depuis les origines jusqu’au xiiie siècle33. Les communautés de cisterciennes ont aussi suscité une activité de traduction, voire de rédaction, en langue vernaculaire de Vies destinées à fournir en lectures pieuses les religieuses, qui comprenaient mal le latin. Un seul témoin, de surcroît fort tardif, nous en est parvenu : une traduction de la Vie et des Miracles de saint Éloi réalisée en 1528 par un moine de l’abbaye de Rochefort pour les sœurs de Robertmont, près de Liège, dont il était le confesseur (Bruxelles, KBR, IV 679)34. Mais plusieurs indices suggèrent que cet exemple n’était pas isolé. Les spécialistes ont ainsi observé une efflorescence de l’hagiographie française au xve siècle, associée notamment à l’essor des dévotions personnelles et de la Devotio moderna35. Il faut surtout souligner le rôle joué Thomas († 1366), dont le procès de canonisation était alors en cours à Rome (= BHL 6778, sans le prologue ; le manuscrit contient aussi le dossier de canonisation [= BHL 6778a-d]). 32  Les modèles latins de ce texte demeurent méconnus : pour M.  Thiry-Stassin, « Un ­légendier propre », p. 310, l’œuvre « paraît sortie d’une accumulation de sources ». 33  La traduction est perdue : O. Steggink, « Thomas de Lemborch », dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, t. 15, Paris, 1991, col. 844-846, à la col. 845. 34  X.  Hermand, « Les manuscrits médiévaux de l’ancienne abbaye de Rochefort », dans Curvata resurgo. Histoire et patrimoine de l’abbaye Notre-Dame de Saint-Remy de Rochefort, Namur, 2014, p. 66-113, aux p. 111-113. Pour mémoire, mentionnons aussi ce poème daté de 1448 relatif à l’élévation des reliques de Marie Jacobé et de Marie Salomé : composé à la demande du roi René d’Anjou, il est attribué à Jean Eustache, le réformateur du Jardinet, qualifié d’abbé de Nizelles dans le texte (cf. É. Brouette, « Eustache [Jean] », dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t. 16, Paris, 1967, col. 10-11) ; l’attribution serait à vérifier. Le même prélat est en tout cas le traducteur de plusieurs textes (prières à la Vierge et homélies de Bernard de Clairvaux), comme vient de le démontrer O. Delsaux, « La contregarde inconnue du manuscrit Bruxelles, KBR, 11052. Un témoignage inédit sur la vie littéraire à la cour des ducs de Bourgogne », Le Moyen Âge, 124 (2018), p. 99-117. 35  G. Brunel-Lobrichon, A.-F. Leurquin-Labié et M. Thiry-Stassin, « L’hagiographie de langue française sur le Continent, ixe-xve siècle », dans Hagiographies, vol. ii, p. 291371, aux p. 322-326.

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par les monastères cisterciens de Moulins et du Jardinet dans l’encadrement spirituel de nombreuses abbayes féminines principalement implantées dans les diocèses de Cambrai et de Liège36. Cette mission supposait la présence de manuscrits apportés sur place par les religieux, dont témoignent encore plusieurs miscellanées au contenu protéiforme ; elle suscita aussi la rédaction d’un corpus textuel bigarré – sermons, œuvres d’édification, chroniques, enseignements, exempla, correspondance…  –, où les œuvres hagiographiques ont dû trouver place37. On rappellera qu’en Namurois, tous les couvents de cisterciennes furent renouvelés par l’observance, trois d’entre eux favorisant son rayonnement : Marche-les-Dames, où le mouvement prit naissance et s’épanouit au seuil du xve siècle, puis Soleilmont et Argenton38. Le contexte était donc propice à la rédaction ou à la traduction de pièces hagiographiques, ce travail étant d’ailleurs peut-être partiellement pris en charge par les religieuses elles-mêmes, si l’on en juge d’après ce légendier terminé en 1477 par une moniale du prieuré bénédictin de Saint-Victor à Huy, aux confins de notre terrain d’investigation39. Cette activité ferait ainsi écho à l’efflorescence Pour une mise au point sur cette question et sur le personnel d’encadrement des religieuses, voir X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques dans les monastères cisterciens réformés des Pays-Bas méridionaux au xve siècle », dans Les cisterciens et la transmission des textes (xiiexviiie siècles), éd. T. Falmagne, D. Stutzmann et A.-M. Turcan-Verkerk, Turnhout, 2018, p. 79-126, aux p. 103-106. 37  Présentation d’un de ces recueils, copié en  1475 par des religieux de Moulins (Londres, British Library, Add. 17715), où il est bien difficile de distinguer les pièces « originales » des copies : M.-É. Henneau, « La cistercienne et le livre : analyse de quelques exemples liégeois entre le xiiie et le xve siècle », dans Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Âge et Renaissance, éd. A.-M. Legaré, Turnhout, 2007, p. 175-190, aux p. 182-186. Aucun écrit hagiographique n’y figure. Par contre, l’une ou l’autre composition locale se cache peutêtre dans un codex transcrit en 1480 par un moine du Jardinet sans doute en charge d’une communauté féminine (Namur, MPAAN, FV 160 ; cf. infra, chap. 3) : y apparaissent deux séries de miracles mariaux comptant respectivement huit et neuf historiettes (fol. 66v-69v, 125r-127v),  la plupart absentes de l’Index miraculorum B.  V. Mariae que saec.  vi-xv latine conscripta sunt d’A. Poncelet, paru dans les Analecta Bollandiana, 21 (1902), p. 241-360. 38  Sur les réformes des abbayes de cisterciennes dans les Pays-Bas méridionaux, voir notamment J.-B. Lefèvre, « Réformes cisterciennes en Namurois et leur rayonnement (xvexvie siècles) », dans Les cisterciens en Namurois, xiiie-xxe siècle, éd. J. Toussaint, Namur, 1998, p. 47-54, et M.-É. Henneau, « Pouvoirs d’abbesses et abbesses au pouvoir dans l’ordre de Cîteaux. Quelques cas de figures aux Pays-Bas et en Principauté de Liège à l’aube de la Renaissance », dans Femmes de pouvoir, femmes politiques durant les derniers siècles du Moyen Âge et au cours de la première Renaissance, éd. É. Bousmar et al., Bruxelles, 2012, p. 529-547, aux p. 538-547, parmi les travaux de ces deux spécialistes. 39  M. Thiry-Stassin, « Les légendiers en prose française écrits dans la Belgique actuelle : le cas du ms. Leiden, BPL, 46A (Huy) et du BRB II 2243 (Namur) », Le moyen français, 46-47 (2000), p. 563-575, aux p. 564-567 ; Ead., « Johanne de Malone : une rédactrice atypique de Vies de saints (Leyde, BPL, 46A) », dans Scribere sanctorum gesta, p. 507-521 (avec renvois à d’autres publications de l’auteur relatives à ce recueil). 36 

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des textes hagiographiques en langue vernaculaire dans l’espace germanique, à l’usage surtout des religieuses observantes40. Au témoignage des sources conservées, ce sont donc les nécessités de la liturgie, vraisemblablement, ainsi que les besoins – et, dans certains cas, les remous – suscités par l’observance, assurément, qui stimulèrent la composition hagiographique dans les maisons religieuses du Namurois tardo-médiéval, en l’orientant vers les saints sur lesquels s’était bâtie l’identité des communautés concernées41. D’autres traits caractérisent le corpus de textes mis au jour : son public largement féminin et son ouverture corrélative à la langue vernaculaire, sa dimension institutionnelle, ses visées internes que reflète aussi l’indigence des traditions manuscrites42 . Mais on devine que ce corpus ne constitue que la partie émergée d’un ensemble bien plus ample : inspirés par des motifs variés, allant de la dévotion ou du goût pour l’histoire à la simple curiosité en passant par les impératifs du culte et de la pastorale ou des intérêts locaux, des écrivains plus ou moins occasionnels ont pris la plume et abordé ce champ, multipliant les écrits mineurs – miracles et anecdotes, épitomés, notices… – qui ne nous sont pas parvenus ou demeurent anonymes. Et s’il faut renoncer à évaluer la part relative de toutes ces productions parmi l’ensemble des œuvres « nouvelles » conçues en Namurois, elle ne devait en tout cas pas être médiocre43.

2. Compiler Du reste, la créativité en matière hagiographique ne se mesure pas uniquement à l’aune de l’activité littéraire sensu stricto : de manière plus discrète, W.  Williams-Krapp, « Observanzbewegungen, monastische Spiritualität und geistliche Literatur im 15. Jahrhundert », Internationales Archiv für Sozialgeschichte der deutschen Literatur, 20 (1995), p. 1-15 (parmi une abondante bibliographie). 41  Des saints « anciens » donc, même s’il faut rester prudent : ce constat s’appuie sur de maigres données relatives à quelques institutions et ne s’applique qu’à moitié au cas des carmélites de Namur. Or, durant les xiie-xiiie siècles, la composition hagiographique s’était de plus en plus ouverte aux saints « nouveaux » : J. Deploige, « Intériorisation religieuse et propagande hagiographique dans les Pays-Bas méridionaux du 11e au 13e siècle », Revue d’histoire ecclésiastique, 94 (1999), p. 808-831, aux p. 811-813. 42  Sur la tradition manuscrite comme reflet du public visé par les hagiographes, voir G. Philippart, « Hagiographies locale, régionale, diocésaine, universelle. Les hagiographies du saint patron dans l’aire belge du xe s. », Mittellateinisches Jahrbuch, 24-25 (1989-1990), p. 355-367. 43  Et ce d’autant plus que la part d’inventivité des scribes namurois dans la « mise en texte » des écrits qu’ils reproduisaient nous échappe : la rareté des manuscrits disponibles et l’impossibilité d’identifier les modèles utilisés par les copistes empêchent d’appréhender le phénomène à l’échelle du Namurois. Or une étude vient de souligner l’impact de ces dispositifs graphiques sur la signification des œuvres transcrites, éclairant par le fait même l’« originalité » du travail des scribes – du moins de certains d’entre eux : T. Snijders, Manuscript Communication, p. 202-219. 40 

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elle s’exprime également à travers le rassemblement de textes en collections plus ou moins originales, ce que Guy Philippart avait appelé l’« édition » hagiographique. Il qualifiait ainsi l’ensemble des opérations présidant à la sélection, l’organisation, la mise en forme graphique et la diffusion des textes : relèvent spécifiquement de l’édition, les préfaces générales, les rubriques, le numérotage des pièces, les titres, les dates des fêtes, éventuellement la division des légendes en lectiones, les formules d’introduction et de clôture des textes, la composition du sanctoral, son ampleur, le choix des légendes, leur nombre, la matière du manuscrit, le format, la mise en page, l’illustration44.

Ceux qui prenaient en charge ce travail d’édition peuvent difficilement être réduits au statut de simples copistes : sur bien des plans, la nature de leur activité s’apparentait à celle d’un « véritable » auteur –  plus encore si elle s’accompagnait d’une réécriture plus ou moins nette des textes sélectionnés. Il est vrai que l’on considère habituellement qu’à partir de la seconde moitié du xiiie siècle, la diffusion des légendiers abrégés, et singulièrement celle de la Legenda aurea de Jacques de Voragine, a considérablement réduit la composition de légendiers traditionnels, en favorisant la reproduction pure et simple de ces collections nouvelles, parfois agrémentées de récits exaltant des figures locales et/ou récentes45. Dans les derniers siècles du Moyen Âge, ce sont donc les legendae novae, le cas échéant augmentées, qui dominaient l’édition hagiographique, alors que les éditeurs agençant leur collection à partir de textes traditionnels se raréfiaient. Tout récemment, Valerie Vermassen a nuancé cette vision à l’échelle des territoires néerlandophones, en pointant le dynamisme des communautés religieuses liées au monde de la Devotio moderna – et singulièrement les chanoines de Windesheim et les chartreux –, qui produisirent des légendiers parfois très imposants au cours du xve  siècle. Mais dans le même temps, elle a souligné le déclin de cette activité dans l’univers des moines traditionnels (bénédictins, cisterciens, G. Philippart, « L’édition médiévale des légendiers latins dans le cadre d’une hagiographie générale », dans Hagiography and Medieval Literature. A Symposium. Proceedings of the 5th International Symposium Organized by the Centre for the Study of Vernacular Literature in the Middle Ages, Odense University, 17-18 November 1980, éd. H. Bekker-Nielsen et al., Odense, 1981, p. 127-158, à la p. 138. 45  Sur l’histoire de l’édition hagiographique, la mise au point suivante demeure fondamentale : G. Philippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout, 1977, p. 27-50 ; cf. aussi la Mise à jour, 1985, p. 7-12. Voir aussi, plus récemment : Id., « Legendare (lateinische im deutschen Bereich) », dans Die deutsche Literatur des Mittelalters. Verfasserlexikon, t. 5, Berlin, 1985, col. 644-657 (+ corr., t. 11, 2002, col. 910-911) ; Id., « L’édition médiévale des légendiers latins », p. 138-147 ; Id., « Martirologi e leggendari », dans Lo spazio letterario del Medioevo, 1. Il medioevo latino, 2. La circolazione del testo, éd. G. Cavallo, C. Leonardi et E. Menestò, Rome, 1994, p. 605-648, aux p. 618-648. 44 

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prémontrés), qui bénéficiaient de l’héritage multiséculaire de leurs prédécesseurs ; quant au monde canonial séculier, elle ne l’a pas envisagé46. Un survol rapide des données les plus facilement accessibles pour le Namurois semble confirmer ces constats. Parmi les manuscrits médiévaux tardifs issus de cet espace, ne subsistent que quelques maigres collections hagiographiques, en rien comparables aux nombreux légendiers de Belgique et de France du Nord compilés aux xe-xiie  siècles qu’a récemment étudiés Tjamke Snijders47, ni aux imposantes réalisations caractéristiques des monastères brabançons de la congrégation de Windesheim dont il vient d’être question. L’examen de l’ensemble des sources disponibles laisse pourtant entrevoir un véritable travail d’édition pris en charge par des lettrés locaux48. Spontanément, on songe aux impératifs de la liturgie, pour l’office de matines, et des lectures à haute voix, lors des repas, voire le soir, avant complies49 : si les nécessités de la lecture en assemblée ont incité certaines communautés à renouveler les textes lus à ces occasions, elles ont pu aussi les encourager à compiler des lectionnaires ou en tout cas des légendiers ad hoc, à l’instar peut-être de ce manuscrit provenant de l’abbaye de Malonne dont il a déjà été question, qui nous est parvenu dans un état trop incomplet (15 feuillets, correspondant à deux fragments distincts) pour que l’on puisse déterminer la V. Vermassen, « Latin Hagiography in the Dutch-Speaking Parts of the Southern Low Countries (1350-1550) », dans Hagiographies, vol. vii, p. 565-613, surtout aux p. 572-578, 596600 ; voir aussi S. Folkerts, Voorbeeld op schrift. De overlevering en toe-eigening van de vita van Christina Mirabilis in de late Middeleeuwen, Hilversum, 2010, davantage centré sur les manuscrits hagiographiques, au sens large, et sur leurs fonctions à la fin du Moyen Âge. 47  T. Snijders, Manuscript Communication, passim. Parmi eux, un seul provient d’un monastère namurois : le légendier de Brogne (Namur, Grand Séminaire, 45). 48  Il faut écarter du corpus documentaire le Florarium sanctorum attribué au moine de Floreffe Henri Van Eyck († 1520) par L. Goovaerts, Écrivains, artistes et savants de l’ordre de Prémontré. Dictionnaire bio-bibliographique, t.  2, Bruxelles, 1899, p.  244 (et encore mentionné par T.  Haye, Verlorenes Mittelalter : Ursachen und Muster der Nichtüberlieferung mittellateinischer Literatur, Leyde, Boston, 2016, p. 266). Cet ouvrage perdu fut en fait composé entre 1464 et 1486 par Nicolas Clopper Jr, chanoine régulier du prieuré de Mariënhage (Eindhoven), comme l’a démontré V. Vermassen, « Le Florarium sanctorum de Nicolaus Clopper Jr et le martyrologe brabançon de Pierre de Thimo. Deux martyrologes perdus, deux hagiographes brabançons méconnus », Analecta Bollandiana, 126 (2008), p.  119-150. La confusion résulte sans doute du fait qu’un certain Hendrik van Eyck, également chanoine à Mariënhage, en exécuta une copie en 1486, mentionnée dans les Acta sanctorum Belgii (t. 6, p. 443), et qu’un érudit du xixe siècle prit ce scribe pour l’auteur et en fit un religieux de Floreffe : cf. T. I. Welvaarts, Geschiedenis der abdij van Postel naar hare eigene archieven, Turnhout, Bois-le-Duc, 1878, p. 291-292, n. 7. 49  Sur ces lectures, voir la toute récente mise au point de F. Dolbeau, « À propos des lectures de table. Présentation de trois calendriers cisterciens renvoyant à des légendiers », dans Les cisterciens et la transmission des textes, éd. D. Stutzmann et A.-M. Turcan-Verkerk, Turnhout, 2018, p. 401-435. 46 

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nature et l’ampleur du travail d’édition accompli. En l’absence d’autres exemplaires conservés et faute de listes de lecture, il faut se rabattre sur les données indirectes fournies par les archives, principalement les comptabilités : issues pour l’essentiel de chapitres séculiers et de couvents de cisterciennes, elles laissent dans l’ombre les monastères d’hommes les mieux dotés en livres ou les plus impliqués dans les réformes de l’observance, et documentent surtout les dépenses liées aux ouvrages de la sacristie50. Les mentions de manuscrits hagiographiques n’y manquent pas, généralement à l’occasion de travaux de reliure ou de réfection, comme ces deux lectionnaires (au moins partiellement hagiographiques ?) des religieuses d’Argenton en  1445-1446 ou ce passionnaire (passionale) de la collégiale de Saint-Pierre-au-Château à Namur relié par les bogards d’Ovelaar (Hoegaarden) en  148451. Malheureusement, les volumes n’y sont pas décrits : les usages auxquels ils étaient destinés ainsi que leur contenu précis – et donc leur degré d’originalité – nous échappent52 . Par chance, quelques sources comptables se montrent plus disertes et indiquent que l’on confectionnait encore des collections hagiographiques aux xive  et xve  siècles. Le  premier exemple reste certes ambigu. Il  concerne la réalisation d’un passionnaire commandé par les chanoines de la collégiale de Notre-Dame à Namur autour de 1500 : domini de capitulo suis communibus expensis fecerunt fieri novum passionale sanctorum cum certis aliis solum lectionatim descriptis, et hoc pro lectionibus matutinarum in festis eorundem sanctorum ac aliis certis diebus legendis et deserviendis dumtaxat53. La manière dont le manuscrit est présenté et l’attention portée à son usage lors des lectures des matines suggèrent que son contenu avait fait l’objet d’une sélection attentive sous la houlette d’un éditeur. Mais ce sont surtout les comptes du petit chapitre de Sclayn, implanté en bord de Meuse, entre Namur et Huy, qui éclairent un tel travail d’édition, en détaillant les dépenses consenties Sur cette documentation, conservée pour l’essentiel aux AEN, voir J. Bovesse, Inventaire général sommaire des archives ecclésiastiques de la Province de Namur, Bruxelles, 1962. 51  Voir respectivement : AEN, AE, 2932, fol. 129r ; AEN, AE, 794, fol. 75v. 52  Le constat est généralisable à l’ensemble des renseignements fournis par les sources « secondaires » : listes de livres, correspondance, papiers d’érudits… Que déduire, par exemple, de la mention d’un Recueil de Vies de saints à l’abbaye de Florennes par P.-L. de Saumery, Les Délices du païs de Liège, t. 4, Liège, 1744, p. 378 ? Et comment savoir si les exemplaires de la Legenda aurea aujourd’hui disparus qui sont mentionnés dans les testaments du personnel des collégiales des Pays-Bas méridionaux, entre autres de celui du chapitre de Notre-Dame à Namur (cf. infra, chap. 3), ne proposaient pas des versions révisées ou augmentées (et, dans l’affirmative, jusqu’à quel point) de ce légendier ? 53  CCB, t.  2, no  82, p.  200. La  note apparaît dans un registre intitulé Memoranda Beatae Mariae Namurcensis, copié par plusieurs mains aux xve et xvie siècles pour l’essentiel, qui contient une série de mentions intéressant la bibliothèque du chapitre, mêlées à des copies de documents relatifs aux années 1427-1643 (AEN, AE, 618). 50 

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en 1422-1425 pour la réalisation de plusieurs manuscrits hagiographiques au service du culte54. C’est une campagne d’écriture soigneusement conçue que l’on identifie alors, notamment en ce qui concerne la sélection des pièces à exécuter : un scribe de la ville de Huy fut ainsi chargé de copier les Ystore de saint Remacle et plusseurs altrez besoingne que li capitle n’avoit point ; un autre copiste transcrivit plusseurs legente et vie de sains, lez queles on ne poioit auoir le coppie chientours. Les chanoines de Sclayn semblent donc avoir élaboré un véritable projet éditorial impliquant la recherche de textes qu’ils ne possédaient pas, dans un contexte, notons-le, qui n’avait rien d’exceptionnel – du moins pour autant que l’on sache55. Bien qu’ils soient isolés, ces deux exemples mettent l’accent sur la nécessité, pour une communauté religieuse, de remplacer tout ou partie de sa collection (para)liturgique à intervalles plus ou moins réguliers et pour des motifs très variés. Dressé en  1218, l’inventaire du trésor du chapitre de Saint-Aubain à Namur enregistre ainsi, sous la même entrée, un vetus passionale puis quindecim quaterni novi passionalis, soit un ensemble de cahiers sans doute fraîchement exécutés car encore dépourvus de reliure, destinés à remplacer le « vieux passionnaire »56. Abbayes, couvents et chapitres pouvaient bien sûr se contenter de reproduire à peu près tels quels les exemplaires usagés ou endommagés en leur possession ; mais ils pouvaient aussi, comme à Sclayn, en profiter pour développer leur bibliothèque hagiographique. Plus largement, dans beaucoup d’institutions, les manuscrits anciens affectés aux lectures publiques, et par conséquent régulièrement utilisés, ont dû faire l’objet de travaux de réfection à un moment ou à un autre durant les xive et xve siècles. Abîmés par l’usage, les premiers et derniers feuillets ou cahiers étaient particulièrement menacés et finissaient tôt ou tard par être remplacés. Dans certains cas, ces opérations d’entretien ont pu entraîner ou accompagner une réorganisation des volumes ou leur enrichissement, par l’ajout de cahiers porteurs de textes nouveaux, voire de petits recueils complémentaires. Un légendier du xiie siècle provenant de la collégiale de Celles (Oxford, Bodleian Library, Add. D. 106 [SC 29645]) fut ainsi muni de plusieurs suppléments (au moins trois et probablement quatre) dans la seconde moitié du xive siècle57. AEN, AE, 889, fol. 63r, 64r, 64v. Sur l’institution voir L.-F. Genicot, « La collégiale romane de Sclayn sur Meuse », Bulletin de la Commission royale des monuments et des sites, 18 (1969), p. 41-82 ; à propos de ses comptes, voir aussi L. Genicot, L’économie rurale namuroise au Bas Moyen Âge, t. 4. La communauté et la vie rurales, Louvain-la-Neuve, Bruxelles, 1995, p. 325, 332-333 (avec une erreur de chronologie dans le tableau). 56  CCB, t. 2, no 87, p. 212. 57  F. Dolbeau, « Deux légendiers démembrés du diocèse de Liège », Analecta Bollandiana, 109 (1991), p. 117-135, aux p. 117-126. Rappelons que ce chapitre fut transféré de Celles à Visé 54  55 

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De manière plus brutale, les incendies et les pillages dont furent victimes nombre d’institutions, principalement au xve siècle58, ont pu favoriser la compilation de nouvelles collections hagiographiques. De telles déprédations sont attestées au moins à Andenne, Boneffe, Brogne, Dinant, Florennes, Fosses, Leffe, Moulins, Walcourt et Waulsort, avec des conséquences plus ou moins dramatiques pour les fonds de livres des établissements concernés. Dans le cas de la collégiale de Dinant, le dossier est suffisamment étoffé pour établir l’ampleur des pertes consécutives au sac de la ville en 1466, les archives fournissant de précieuses informations sur les efforts déployés ensuite en vue de récupérer une partie des ouvrages emportés par les pillards, dont deux manuscrits qualifiés de passionnaires59. Bien que les sources soient muettes sur ce point, ces événements dramatiques ont peut-être incité certaines communautés dont la bibliothèque avait plus ou moins complètement disparu à se lancer dans des entreprises similaires à celle menée par le chapitre de Sclayn en 1422-1425. Dans le domaine de l’édition comme dans celui de la composition, l’observance a sans nul doute joué un rôle positif. En suscitant la fondation ou la réforme de nombreuses maisons religieuses, ce mouvement a lancé une dynamique culturelle globalement favorable, dont l’édition hagiographique a dû constituer l’une des nombreuses déclinaisons. C’est ici qu’il faut revenir sur les rares légendiers tardifs du Namurois parvenus jusqu’à nous : on laissera de côté deux d’entre eux, à la dimension identitaire fortement affirmée – celui des carmélites présenté supra60, ainsi qu’un recueil « mémoriel » compilé à l’abbaye bénédictine de Waulsort vers 1525, dans un contexte de redressement institutionnel (Namur, Grand Séminaire, 56)61 –, pour centrer le propos sur le milieu cistercien, particulièrement concerné. en 1338 : voir supra, à la n. 8. À l’inverse, le légendier de l’abbaye de Brogne (Namur, Grand Séminaire, 45), des xie-xiie siècles, n’a pas reçu de compléments à la fin du Moyen Âge, alors qu’il était encore utilisé, comme le montre l’ajout de deux tables des matières en tête de volume. 58  Il faut surtout pointer les ravages causés par deux guerres opposant Liégeois et Bourguignons : celle de 1430 (cf. D. D. Brouwers, « Indemnités pour dommages de guerre au pays de Namur, en 1432 », ASAN, 40 [1932-1933], p. 87-103) et, dans une moindre mesure, celle de 1466 ; un tableau d’ensemble de ces calamités dans les derniers siècles de la période médiévale est dressé par L. Genicot, M.-S. Bouchat et B. Delvaux, La crise agricole du bas Moyen Âge dans le Namurois, Louvain, Gand, 1970, p. 8-14. 59  S. Bormans, Cartulaire de la commune de Dinant, t. 2, Namur, 1881, no 170, p. 339. 60  Thomas de Lemborc est non seulement le copiste et le traducteur de la grande majorité des textes du recueil, mais vraisemblablement aussi le responsable de leur rassemblement en une même collection, bien qu’il existe au moins un autre manuscrit renfermant les Vies latines d’Ange, Albert et André, cf. F. Van Ortoy, « Hagiographia carmelitana ex codice vaticano latino 3813 », Analecta Bollandiana, 17 (1898), p. 314-336. 61  Ce recueil accueille entre autres trois écrits hagiographiques composés à Waulsort dans le deuxième quart du xiie siècle : N. Verpeaux, « Le Liber monasteriorum Walciodorensis

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Quatre monastères d’hommes furent fondés en Namurois au cours du xve siècle, des communautés masculines remplaçant les premières occupantes des lieux à Moulins en 1414, au Jardinet en 1441, à Boneffe en 1461-1462 et à Rochefort en 1462-146462 . On l’a vu, dans les décennies qui suivirent leur installation, les deux premières abbayes surtout s’imposèrent comme des foyers de l’observance dans les Pays-Bas méridionaux. Le contexte était donc favorable à la production de collections hagiographiques d’envergure, dont les matériaux auraient pu être puisés dans les riches bibliothèques des abbayes d’Aulne, Cambron et Villers, géographiquement proches, associées à la réforme et largement exploitées d’ailleurs pour constituer les fonds de livres des nouveaux monastères63. Rien de tel n’apparaît pourtant dans les sources qui nous sont parvenues. Que leurs carences soient ici en cause est probable, d’autant qu’on peut tout de même verser une pièce au dossier : un recueil en papier de 280 feuillets copiés dans les dernières décennies du xve siècle (Bruxelles, KBR, 8272-8282 [3195]), qui contient quelque 50 textes hagiographiques et provient de l’abbaye de Nizelles en Brabant, fondée en 1441 par des moines de Moulins et dirigée un temps par l’abbé du Jardinet64. Ce légendier mériterait une expertise plus fouillée, en vue de préciser sa datation, son origine et les modalités de sa confection, de caractériser son sanctoral, d’identifier sa fonction ; en tout état de cause, son existence incite à penser que des entreprises similaires furent lancées dans les monastères cisterciens refondés du Namurois, étant donné leur vitalité et la présence en leur sein de nombreux lettrés, dont plusieurs pourvus de grades universitaires65. Dans la même veine, il ne serait pas étonnant que l’accompagnement spirituel des couvents de moniales pris en charge par les communautés réformées ait entraîné la compilation d’une ou de plusieurs collections hagiographiques féminines, analogues à celle que transmet un manuscrit copié en 1320 pour un religieux de

et Hasteriensis, miroir d’une difficile introduction de l’observance de Bursfeld au début du xvie siècle », Revue Bénédictine, 126 (2016), p. 373-405. 62  X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques », p. 80-82 (avec bibliographie complé­mentaire). 63  Id., « Réforme, circulation de scribes et transferts de manuscrits dans les abbayes cisterciennes du diocèse de Liège au xve siècle. À propos de sept volumes provenant de l’abbaye du Jardinet (Namur, Musée provincial des arts anciens du Namurois, Fonds de la Ville, 48, 49, 50, 51, 67, 70, 71) », Scriptorium, 64 (2010), p. 3-79 ; Id., « Scriptoria et bibliothèques », p. 84-94. 64  Id., « Les relations de l’abbaye cistercienne du Jardinet avec des clercs réformateurs des diocèses de Cambrai et de Tournai (seconde moitié du xve siècle) », Revue Mabillon, 13 [= 74] (2002), p. 237-263, aux p. 244-245. 65  Un premier recensement de ceux qui avaient fait profession au Jardinet a été dressé par G. Philippart, « Un légendier des cisterciens du Jardinet », p. 173.

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Villers alors confesseur des cisterciennes de Parc-les-Dames (Bruxelles, KBR, 4459-4470 [3161])66. Il faut pourtant se contenter d’une documentation plus modeste, mais qui a l’avantage d’éclairer un volet de l’édition hagiographique tardo-médiévale resté jusqu’ici dans l’ombre. Trois manuscrits –  au  vrai, plutôt des livrets67 – doivent être considérés. Dépourvus de prologue et d’envergure assez modeste – moins d’une quinzaine d’écrits chacun, tous connus par ailleurs –, ils datent des dernières décennies du xve siècle et proviennent l’un de Rochefort (Bruxelles, KBR, II 1045 [3297], fol. 1r1-71r2), les deux autres du Jardinet (Namur, MPAAN, FV 73, fol. 95r1-130v2, et FV 76, fol. 172r1-219r1). Le plus ancien est probablement le Bruxellensis, datable de c. 1450, riche de neuf textes distribués selon le calendrier et mettant en scène des personnages bibliques (Marthe et Marie-Madeleine) ou des héros du christianisme des premiers siècles (Georges, Silvestre et, dans un autre registre, Paul l’Ermite et Antoine) : sa coloration ascétique et monastique est patente et s’inscrit bien dans un contexte de réforme, mais son origine demeure incertaine68. Très certainement transcrite au Jardinet vers 1475, la deuxième unité codicologique de l’actuel Namurcensis 73 comporte 12 pièces également rangées per circulum anni (à une exception près), dont cinq tirées de la Legenda aurea, et présente un sanctoral « masculin, plutôt moderne, offrant une touche cistercienne et plutôt occidental, voire français, avec un trait liégeois »69. Enfin, indépendante de la précédente, la petite collection de six textes disposés sans ordre apparent que transmettent les derniers cahiers du Namurcensis 76 est la plus délicate à appréhender : elle résulte de l’activité de plusieurs scribes dans la dernière décennie du xve siècle et l’homogénéité matérielle du recueil

T.  Falmagne, Un texte en contexte : les « Flores Paradisi » et le milieu culturel de Villers-en-Brabant dans la première moitié du 13e  siècle, Turnhout, 2001, p.  46-51 ; Id., « Le scriptorium et la bibliothèque de La Ramée au xiiie siècle : des “légendes” au manuscrit Bruxelles, B.R., 8895-96 », dans La  Ramée. Abbaye cistercienne en Brabant wallon, éd.  T.  Coomans, Bruxelles, 2002, p.  32-40, aux p.  36-37 ; S.  Folkerts, Voorbeeld op schrift, p. 124-131. 67  Sur les libelli hagiographiques, voir l’étude fouillée de J.-C.  Poulin, « Les libelli dans l’édition hagiographique avant le xiie siècle », dans Livrets, collections et textes. Études sur la tradition hagiographique latine, éd. M. Heinzelmann, Ostfildern, 2006, p. 15-193. La définition qu’il en propose à la p. 21 – « un livre de format modeste, au contenu homogène et destiné à circuler de façon indépendante » – s’applique à nos trois petits légendiers, qui répondent en tout cas aux exigences de maniabilité et d’unité. 68  X.  Hermand, « Les manuscrits médiévaux de l’ancienne abbaye de Rochefort », p. 100-110. 69  G.  Philippart, « Un légendier des cisterciens du Jardinet », p.  167-224 (citation aux p. 187-189). 66 

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n’est pas garantie70 ; mais la sélection des textes et en tout cas leur réunion semblent avoir répondu au souhait de disposer de récits/recensions parfois faiblement diffusés, impliquant des saints cistercien (Guillaume de Bourges) ou apparenté (Guillaume de Maleval [BHL 8923]) et des reliques honorées dans l’ordre (11 000 vierges [BHL  8433]), mais aussi des saints régionaux (Ghislain [BHL 3559] et Waudru [BHL 8777]), voire local (Gérard de Brogne [BHL 3422]). De l’expertise, il ressort que ces collections ne sont pas le simple décalque de séries déjà disponibles71, mais plutôt le fruit de l’activité de lettrés anonymes, qui ont eux-mêmes procédé à la sélection et au classement des pièces, voire à un travail de réécriture du matériau textuel – mais c’est bien plus difficile à déterminer. La  question de l’usage –  des usages  – de ces légendiers est elle-même délicate. Leurs caractéristiques matérielles ne sont en effet guère discriminantes. Ils sont en papier, le support d’écriture qui s’impose dans la production manuscrite dans les Pays-Bas méridionaux dès le début du xve  siècle72 . Rapportées à la typologie élaborée par Carla Bozzolo et Ezio Ornato, leurs dimensions les placent dans la catégorie des livres « petit-moyens », bien représentée à la fin du Moyen Âge et qui n’est pas associée 70  La question de la datation est délicate à trancher. La première unité codicologique du volume est datée de 1493 par un colophon et son copiste est intervenu dans la transcription de la Vie de saint Ghislain (fol. 172r1-176r2). La date de 1459 apparaît à la fin de Vita Gerardi (fol.  186v2), sur un papier portant un filigrane attesté plus tardivement (Briquet no  3635) : faut-il supposer que le scribe a reproduit la date du témoin qu’il avait devant les yeux ? Quant au copiste du dernier texte – la Vie de Guillaume de Bourges (fol. 218v1-219r1), tirée du Speculum historiale de Vincent de Beauvais –, il a peut-être utilisé comme modèle l’exemplaire de cet ouvrage copié au Jardinet au début du xvie siècle dont il est question infra, chap. 3 (Namur, MPAAN, FV 66) : dans l’affirmative, la transcription de ce récit serait postérieure à celle des autres pièces du recueil. 71  Pour le déterminer, on a exploité la banque de données des manuscrits hagiographiques latins élaborée à l’Université de Namur sous la direction de Guy Philippart, dont une version abrégée est disponible sur internet : http://bhlms.fltr.ucl.ac.be/ (à propos de laquelle on verra : « BHLms. Bibliotheca hagiographica latina manuscripta », Analecta Bollandiana, 116 [1998], p. 250-252). La version complète sera bientôt accessible en ligne sur le site de l’IRHT. La genèse de l’entreprise et quelques pistes d’exploitation sont notamment présentées dans les deux travaux suivants : G. Philippart, F. De Vriendt et M. Trigalet, « Problèmes et premiers résultats d’une histoire générale de la littérature hagiographique », dans Studies in Irish Hagiography. Saints and Scholars, éd. J. Carey, M. Herbert et P. Ó Riain, Dublin, 2001, p. 337-355 ; G. Philippart et M. Trigalet, « L’hagiographie latine du xie siècle dans la longue durée : données statistiques sur la production littéraire et sur l’édition médiévale », dans Latin Culture in the Eleventh Century. Proceedings of the Third International Conference on Medieval Latin Studies. Cambridge, 9-12 September 1998, éd. M. W. Herren, C. J. ­McDonough, et R. G. Arthur, Turnhout, 2002, p. 281-301. 72  E. Kwakkel, « A New Type of Book for a New Type of Reader : the Emergence of Paper in Vernacular Book Production », The Library. The Transactions of the Bibliographical ­Society, 7e série, 4 (2003), p. 219-248, aux p. 222-223.

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à un mode précis de lecture (à haute voix, en privé…)73. Les deux Namurcenses sont transcrits dans des écritures (hybrida ou semihybrida) de petit module, parfois assez peu soignées dans le Namurcensis 76 ; quant au Bruxellensis, il est copié dans une belle textualis – l’écriture normale des ouvrages destinés à la lecture publique74  –, mais il s’agit précisément du codex de plus petite taille… Enfin, aucun manuscrit ne présente de division en lectiones ou, plus largement, de dispositif d’aide à la lecture à haute voix. S’il reste difficile de se prononcer sur le statut du Namurcensis 76, dont la confection pourrait résulter d’un projet collectif visant à compléter le matériel hagiographique déjà disponible au Jardinet, les deux autres recueils s’apparentent à des compilations personnelles réalisées en vue de répondre aux intérêts propres de leur éditeur et leur aspect semble plutôt les destiner à la lecture privée. En dépit de leur caractère épars, les données rassemblées suggèrent en définitive une réelle activité de constitution de collections hagiographiques en Namurois, dont l’ampleur, la nature et le degré d’originalité demeurent toutefois méconnus. Tout au plus pouvons-nous soupçonner qu’elle devait être plus fréquente qu’on ne l’affirme parfois, présenter une grande variété et répondre à des objectifs assez diversifiés. D’abord au service de la liturgie et en tout cas des lectures en assemblée, dans une perspective à la fois traditionnelle et communautaire. Mais aussi – surtout ? – afin de satisfaire les intérêts de tel ou tel religieux, chargé de mission (réforme, direction spirituelle, prédication…) ou qui souhaitait peut-être simplement garder à portée de main sa propre collection hagiographique, dans un contexte d’individualisation de la culture écrite bien visible à la fin du Moyen Âge et sur lequel il faudra revenir. Guy Philippart avait évoqué naguère le renouvellement de l’édition hagiographique au xve siècle, à travers la multiplication de ces miscellanées où « exempla, sermons, traités théologiques, lettres spirituelles, exhortations morales et Vies de saints sont présentés pêle-mêle »75 : à côté de « l’édition hagiographique pure », ce « simple » processus de juxtaposition de textes renvoie au travail de copie proprement dit qu’il convient maintenant d’examiner de plus près.

C.  Bozzolo et E.  Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen Âge. Trois essais de codicologie quantitative, 2e éd., Paris, 1983, p. 218, 268 : la taille (hauteur + largeur) des manuscrits de cette classe doit être comprise entre 321 et 490 mm, ce qui est bien le cas du Bruxellensis (466 mm) et des Namurcenses 73 (483 mm) et 76 (484 mm). 74  Sur les écritures gothiques, voir A.  Derolez, The  Palaeography of Gothic Manuscript Books. From the Twelfth to the Early Sixteenth Century, Cambridge, 2003. 75  G. Philippart, Les légendiers latins. Mise à jour, p. 9 ; cette évolution est soigneusement documentée par l’étude de S. Folkerts, Voorbeeld op schrift, notamment aux p. 170-220. 73 

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3. Copier La notion de « production » recouvre en effet un dernier aspect, le plus modeste sur le plan intellectuel, mais sans doute aussi le plus répandu : la transcription de manuscrits contenant des textes narratifs consacrés aux saints. Il s’agira de considérer d’un seul tenant l’ensemble des écrits hagiographiques qui ont intégré les collections de livres des maisons religieuses namuroises à la fin de la période médiévale, en envisageant leur poids relatif, leurs fonctions, les pratiques de lecture dont ils faisaient l’objet et leurs finalités (liturgie, dévotion, prédication…), en vue d’appréhender globalement le rôle de l’hagiographie dans la culture écrite des maisons religieuses76. Autant l’avouer immédiatement, l’enquête est difficile, en raison du silence des sources, mais aussi de leurs lacunes et de leurs limites : la plupart des manuscrits et des incunables conservés en Namurois aux xive et xve siècles ont disparu, les listes (catalogues, inventaires, testaments) offrant des aperçus plus ou moins détaillés d’une collection à un moment précis ne sont guère fréquentes et jamais exhaustives, les « guides de lecture » (au sens très large du mot) font défaut. L’exposé s’attachera successivement à trois ensembles de maisons religieuses abordés globalement (les institutions féminines, les chapitres séculiers, les établissements réguliers), puis se focalisera sur un dossier plus opulent, celui de l’abbaye du Jardinet. Le collège des dames nobles d’Andenne est le seul pour lequel une information assurée est disponible : deux inventaires compilés en  1473 puis en 1485 proposent une vue panoramique du fonds de livres possédé par les chanoinesses77. On l’aura deviné, c’est un fonds orienté pour l’essentiel vers le service divin qui est décrit. Quelle place y tient l’hagiographie ? Parmi les 55 pièces recensées, apparaissent une dizaine de livrets, dont certains renferment le texte d’un ou de plusieurs offices propres78. Quelques volumes surtout attirent l’attention : un passionaire dont seule la couleur de la reliure Idéalement, il conviendrait d’étendre l’enquête aux manuscrits hagiographiques plus anciens encore en usage dans les maisons religieuses aux xive et xve siècles, mais ils ont tous disparu, hormis quelques volumes issus de l’abbaye de Brogne. 77  CCB, t. 2, no 73-74, p. 185-188, analysé dans X. Hermand, « Les livres du chapitre de chanoinesses nobles d’Andenne au Moyen Âge », Revue belge de musicologie, 67 (2013), p. 7-26. 78  Outre des quayers couverts de cuir rouge ou noir dont le contenu n’est pas précisé, sont mentionnés les livrets suivants, au contenu parfois ambigu : un quayer covert de rouge cuire ou l’ystore dez claux et delle lance se contient et plusieurs aultre offices, unc gran quayez ou y soit contient l’office delle conception Nostre Dame et plusieurs aultrez offices, deux quayers de sainte Elizabeth, unc quayer delle visitation Nostre Dame et deux quayers de sacrament. Notons que l’office de sainte Begge, la patronne du chapitre, n’apparaît pas. Pour les autres institutions namuroises, les libelli de ce type ont disparu (sur ce point, voir aussi supra, à la n. 19). 76 

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(blanche) est précisée (item no 5) ; deux recueils ou il y at plusieurs legent dez sains (items no  7-8), dont l’un appelé le livre de Nostre Damme ; le regle ou on list a primme lez anniversairez (sans doute un liber capituli, item no 19) ; un livre ou on list alle collation (entre autres des Vies de saints ?, item no 20). On aimerait connaître l’âge, le contenu et le degré d’originalité de ces manuscrits ; savoir aussi s’ils étaient découpés en lectiones en vue des lectures de l’office, ce que le contenu globalement liturgique des ouvrages recensés invite à supposer. Quoi qu’il en soit, à Andenne, l’hagiographie était bien présente dans le cadre des lectures communautaires, que ce soit à l’église (matines), au réfectoire, peut-être aussi au chapitre (ad collationem). Elle se fait plus discrète si l’on se penche sur les fonds privés des chanoinesses, tels que les présentent leurs testaments : n’y figurent que des bréviaires ou des diurnaux, des psautiers et des livres d’heures79. La littérature hagiographique semble donc à peu près absente de l’horizon culturel de ces dames, hormis à travers les leçons de l’office80, bien que l’on ne puisse exclure la possibilité que certains des volumes mentionnés dans les archives contenaient l’un ou l’autre récit mettant en scène les saints. Ces constats sont-ils valables pour les autres communautés féminines ? Même s’il faut se garder de conclure trop rapidement du silence des sources à l’absence, la réponse semble globalement positive, en tout cas à en juger d’après les rares manuscrits conservés81, ou sur la base des mentions de livres qui apparaissent dans les comptes des cisterciennes d’Argenton (1430-1452) et de Salzinnes (1453-1457, 1463-1483, 1496-1506), à l’occasion de commandes, d’achats, de travaux de réfection ou de reliure : tous ces ouvrages étaient voués au service du culte82 . Font peut-être exception un libre de vie des sains que les X.  Hermand, « Les livres du chapitre de chanoinesses nobles d’Andenne », p.  21-25. La présence presque systématique du bréviaire dans le patrimoine des chanoinesses explique sans doute que les inventaires de 1473 et 1485 n’en recensent qu’un seul (item no 18), en deulx tamps, en mauvais état (a covertur rompue). 80  Une même conclusion se dégage de l’examen des inventaires dressés pour d’autres chapitres de dames nobles, comme ceux de Remiremont en 1363-1365 (cf. M. Parisse, « Les livres de l’abbaye de Remiremont en 1365 et la vie intellectuelle des religieuses au Moyen Âge », dans Remiremont : l’abbaye et la ville. Actes des journées d’études vosgiennes, Remiremont, 1720 avril 1980, éd. Id., Nancy, 1980, p. 71-87) ou celui de Maubeuge en 1427 (cf. D. Vanwijnsberghe, « Ung bon ouvrier nommé Marquet Caussin » : peinture et enluminure en Hainaut avant Simon Marmion, Bruxelles, 2013, p. 401-402). 81  CCB, t. 7, no 4226-4227 (Soleilmont) ; no 3305-3315 (Marche-les-Dames ; plusieurs numéros concernent des fragments). 82  AEN, AE, 2932 (Argenton) ; AEN, AE, 3241, 3242-3243, 3244-3246 (Salzinnes). Comme manuscrit touchant à l’hagiographie, on relève un liber capituli copié pour Salzinnes en 15021503 (AEN, AE, 3246 [non folioté]) et, peut-être, ces deux lectionnaires d’Argenton auxquels il a été fait allusion supra, à la n. 51. 79 

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moniales de Salzinnes achetèrent et firent décorer en 1498-149983, ainsi que cet exemplaire de la Vie nostre Seigneur Jehsu Christ (de Ludolphe de Saxe ?) en trois volumes légué à la communauté d’Argenton en 1456 par la veuve d’un riche bourgeois de Namur84. En fin de compte, ce sont les quelques manuscrits évoqués précédemment, réalisés par les confesseurs en charge de l’encadrement spirituel des religieuses, qui nous renseignent sur la manière dont l’hagiographie pouvait alimenter la méditation des moniales et proposer des exemples de vie religieuse à leur édification. Mais, en tout état de cause, les conditions concrètes d’accès à ces textes nous demeurent largement inaccessibles : lecture privée ou à haute voix par les religieuses, prédication ou conférence assurée par les moines ? Outre qu’elles sont un peu mieux connues, les collections de livres des établissements masculins permettent de quitter l’église et la sacristie pour pénétrer dans la bibliothèque proprement dite. À cet égard, une institution retient l’attention : la collégiale de Notre-Dame à Namur. Alors que les fonds des autres collèges canoniaux restent à peu près hors d’atteinte, sa libraria est connue grâce à un inventaire réalisé en 1526 à partir de listes préétablies : riche de 92 entrées correspondant à un nombre de textes plus important, il classe les livres d’après leurs anciens propriétaires, au nombre de dix, tous membres du chapitre autour de  1500. Complétée par une dizaine de testaments contemporains et quelques mentions de prêts datées de c. 1485-148685, cette liste jette un éclairage sur les principales composantes de la culture écrite des clercs namurois à l’extrême fin du Moyen Âge86. L’hagiographie en est absente, hormis deux succès tardo-médiévaux : la Legenda aurea de Jacques de Voragine, mentionnée dans deux testaments87, et l’Historia trium regum (de Jean de Hildesheim ?) empruntée vers 148688. Même l’ample collection AEN, AE, 3245 [non folioté]. Il faut aussi mentionner la reliure d’un exemplaire en rommant des sermons de saint Bernard sur le Cantique des cantiques (Argenton, 1434-1435 : AEN, AE, 2932, fol. 25v) et l’achat d’un livre de sapienche (Salzinnes, 1500-1501 : AEN, AE, 3245, [non folioté]). 84  « Testament de Dame Veuve Jean de Warizoul, 1456 », éd.  M.  Van  Spilbeeck, Documents et rapports de la Société paléontologique […] de Charleroi, 18 (1891), p. 217-223, à la p. 222. 85  L’essentiel de cette documentation est édité dans le CCB, t. 2, no 79-86, p. 196-210. 86  Pour une analyse des principaux traits de cette culture, voir X. Hermand, « Les bibliothèques et les livres des collégiales et couvents de Namur aux derniers siècles du Moyen Âge », dans Histoire de Namur : nouveaux regards, Namur, 2005, p. 123-148, aux p. 137-139. 87  CCB, t. 2, no 80, p. 198 (Jean Hollette, 1469) et no 81, p. 199 (Daniel de Warisoul, 1471). Il s’agit du même exemplaire légué par Jean à Daniel, puis par ce dernier à son clerc. 88  Ibid., no  84, p.  202. Encore l’Historia était-elle reliée avec un exemplaire du Rationale ­divinorum officiorum de Guillaume Durand, qui a peut-être davantage suscité l’intérêt de ­l’emprunteur ; dans le catalogue de 1526, où le volume est recensé (ibid., no 86, p. 207), c’est en tout cas ce seul titre qui apparaît. 83 

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de Jean de Romont, forte d’une quarantaine d’ouvrages, n’abritait qu’un martyrologium89. Un constat de carence identique ressort de l’étude des deux autres catalogues conservés pour les bibliothèques capitulaires de l’espace belge : à Saint-Donatien à Bruges en 1417 comme à Saint-Paul à Liège vers 1460, l’« indifférence envers l’hagiographie » est manifeste90. L’examen des testaments et inventaires après-décès des autres chapitres namurois, complété par celui d’une soixantaine de documents similaires relatifs aux collégiales liégeoises, confirme cette indigence91, ce qui d’ailleurs n’étonne pas s’agissant de collections appartenant à des lecteurs « professionnels » pour lesquels les livres étaient avant tout des outils de travail92 . Bien sûr, il reste probable que telle pièce noyée dans un recueil composite a échappé à l’attention des rédacteurs, tout comme il va de soi que chanoines et chapelains ont eu la possibilité de posséder personnellement ou en tout cas d’emprunter ou de consulter des textes hagiographiques au cours de leur existence. Il n’en reste pas moins qu’en milieu canonial, cette littérature était confinée à la sphère (para)liturgique, dans les bréviaires que les clercs possédaient en propre et dans les volumes rangés à la sacristie ou au chœur (qui, du reste, nous échappent largement)93, en vue des lectures communautaires. Seule la Legenda aurea fait exception, mais on sait que ce légendier pouvait répondre à plusieurs types

89  Ibid., no 86, p. 209-210. Ce fonds est aussi décrit dans une seconde liste, antérieure, répertoriant les livres que Jean imposuit in libraria tempore vite sue ; son contenu ne diffère qu’à la marge de celle de 1526 (ibid., no 85, p. 204-205). 90  B. Victor, « Les pratiques bibliothéconomiques des chapitres belges du Moyen Âge finissant », dans Les bibliothèques médiévales et leurs catalogues dans les Pays-Bas méridionaux, 5 novembre 2004, éd. A. Derolez et W. Bracke, Bruxelles, 2005, p. 37-44, aux p. 38-44 (citation à la p. 40). D’après l’auteur, l’hagiographie est représentée par deux items sur 100 dans le premier document et par trois sur 261 dans le second (p. 43) ; ce dernier chiffre est légèrement augmenté si l’on élargit quelque peu le périmètre de la matière hagiographique, par exemple aux Dialogi de Grégoire le Grand. 91  À l’exception de plusieurs chanoines ou chapelains liégeois, qui possédaient la Legenda ­aurea ou des légendiers apparentés : voir CCB, t. 2, passim. 92  R. Adam, « Bibliothèques privées du xiiie au xve siècle », dans Florilège du livre en Principauté de Liège du ixe au xviiie siècle, éd. P. Bruyère et A. Marchandisse, Liège, 2009, p. 485-493. 93  Voir supra, chap. 2. D’une institution à l’autre, le nombre de ces volumes pouvait varier : à la collégiale de Courtrai, les inventaires disponibles (1407, 1429 et 1441) répertorient une legenda aurea enchaînée in revestibulo et, in choro, duo magna volumina de legendis sanctorum, scilicet unum de martiribus et aliud de confessoribus, un martirologium ainsi qu’un liber regularum sanctorum patrum sub cantore (CCB, t. 1, no 71-72, p. 123-127) ; celui du chapitre de Soignies (1382) recense une legende d’or, deux martyrologes, I grand passionaire, VI altres passionairez, I vita patrum et plusieurs livrets, mais sans préciser leur localisation (ibid., t. 4, no 107, p. 291-293).

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d’usage : pour la prédication, comme encyclopédie religieuse ou au service de la lecture dévote94. Les bibliothèques des maisons religieuses régulières présentent un profil similaire en ce qui concerne la place de l’hagiographie. Ce  sont ici les volumes survivants qui constituent notre principale ressource – encore les données disponibles excluent-elles toute appréciation quantitative globale : elles manquent pour la plupart des monastères, dont ne subsistent au mieux que de rares épaves, et leur provenance médiévale n’est pas toujours assurée95… Quant aux rares fonds un peu mieux documentés, ils ne s’ouvrent guère aux récits hagiographiques, sans que l’on sache si cette pénurie doit être imputée aux hasards de l’histoire – c’est sans doute le cas, au moins partiellement – ou au désintérêt des communautés concernées. De la libraria des croisiers de Namur, il subsiste plusieurs dizaines de manuscrits et d’incunables témoignant du dynamisme de ce couvent fortement impliqué dans la réforme de l’ordre à partir de 1410, mais hormis un exemplaire imprimé de la traduction néerlandaise de la Vita Christi de Ludolphe de Saxe et un recueil consacré à saint François96, aucune œuvre hagiographique n’y apparaît ; sans doute un biais documentaire est-il ici en cause, si l’on considère le succès de certaines Vies dans les maisons de l’ordre97. Les quelque 30 manuscrits datés des xive et xve siècles issus de l’importante abbaye norbertine de Floreffe ne livrent guère plus de renseignements : outre un livret contenant un excerptum de beata Clara (Namur, MPAAN, FV 110, fol. 1r1-2), n’y figurent que deux volumes de la Legenda aurea (Namur, MPAAN, FV 21 et 102), respectivement copiés dans le premier quart du xve siècle et en 1467, et vraisemblablement 94  A. Boureau, « Conclusion », dans De la sainteté à l’hagiographie. Genèse et usage de la Légende dorée, éd. B. Fleith et F. Morenzoni, Genève, 2001, p. 283-289, aux p. 287-289. 95  À l’instar de cette Legenda aurea imprimée à Lyon en 1497 provenant de l’abbaye bénédictine de Waulsort (Namur, Société archéologique, inc. 85A), cf. L. Knapen, « Les incunables de la Société archéologique de Namur », Le livre et l’estampe, 41 (1995), p. 33-76, 83-165, à la p. 120, dont l’ex-libris date de l’époque moderne. 96  Liège, Bibliothèque universitaire, XV.C.138 ; Paris, Bibliothèque Mazarine, 1743. La présence du premier ouvrage sur place à une époque ancienne n’est pas garantie : il porte l’ex-libris du couvent apposé au xviiie siècle, contrairement aux autres volumes du fonds, munis d’une marque d’appartenance du xve siècle. 97  Il faut déplorer la perte des ouvrages liturgiques du couvent de Namur, mais aussi celle des manuscrits copiés à des fins personnelles, qui subsistent en masse pour les maisons de Huy et de Liège : X. Hermand, « Entre le scriptorium et la cella : production communautaire et copie individuelle dans les monastères de l’ordre des croisiers au xve siècle », dans Scriptorium. Wesen, Funktion, Eigenheiten. Comité international de paléographie latine, XVIII. Kolloquium, St. Gallen, 11.-14. September 2013, éd. A. Nievergelt, R. Gamper et al., Munich, 2015, p. 275-293, aux p. 289-292. Or des textes hagiographiques relatifs à des saintes récentes, mais aussi à Odile et Hélène, « patronnes » de l’ordre, figurent dans les manuscrits hutois et liégeois : S. Folkerts, Voorbeeld op schrift, p. 187-200 et passim.

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destinés à des religieux ayant charge d’âmes dans les paroisses desservies par le monastère98. On y ajoutera peut-être ces trois témoins (ou trois volumes ?) de la Legenda aurea (?) mentionnés dans le Manuscriptorum Index de Floreffe édité en 1734, sans doute à partir d’un document bien plus ancien99. Et ce sont à nouveau deux exemplaires de ce légendier, l’un en latin et l’autre dans la traduction française de Jean de Vignay (Namur, Société archéologique, inc. 83B et 86C), qui représentent l’hagiographie parmi la cinquantaine d’incunables provenant du couvent des franciscains de Namur, au contenu résolument pastoral100. Le bilan serait donc plutôt médiocre101, n’était le dossier de l’abbaye du Jardinet, qui offre des perspectives différentes. Dans la seconde moitié du xve  siècle, cette communauté fut un foyer de l’observance : bien intégrée dans les réseaux réformateurs qui innervaient les Pays-Bas méridionaux, elle exerça une réelle influence sur de nombreuses abbayes, pas uniquement cisterciennes d’ailleurs, jusqu’aux premières décennies du xvie  siècle102 . Plus spécifiquement, elle s’équipa en quelques décennies d’une solide collection de livres, dont il est possible d’esquisser les phases de formation et d’entrevoir l’importance et la diversité. Il est vrai que les ouvrages liturgiques ont à peu près complètement disparu et qu’aucune source n’atteste une activité de copie d’exemplaires de la Legenda aurea ou de compilations fréquemment présentes dans les abbayes cisterciennes des Pays-Bas méridionaux, comme le Liber de natalitiis ou le Legendarium Flandrense103. Pas de trace non plus, on l’a vu, L’orientation pastorale de l’ensemble du fonds a été soulignée par A.-C.  Fraëys de Veubeke, « Les manuscrits de l’abbaye de Floreffe : histoire d’une bibliothèque factice », Archives et bibliothèques de Belgique, 48 (1977), p. 601-616. 99  C.-L.  Hugo, Sacri et canonici ordinis Praemonstratensis Annales, t.  1, Nancy, 1734, col.  100-102, à la col.  102 : Legenda de Sanctis, seu Vitæ & Passiones plurium Sanctorum. fol. ter. Ces trois volumes n’appartenaient sans doute pas au fonds liturgique de l’institution, qui n’est pas pris en compte dans le document. 100  On peut y ajouter une édition des Dialogi de Grégoire le Grand (inc. 60) ; sur tous ces volumes, voir L. Knapen, « Les incunables de la Société archéologique de Namur », p. 110111, 118, 120. Bien qu’ils ne portent pas d’ex-libris anciens, ces incunables furent sans doute acquis à l’extrême fin du xve siècle, comme la majorité des autres volumes du fonds, à la suite de la difficile introduction de l’observance dans la communauté et des pertes en livres qu’elle avait entraînées : X. Hermand, « Les bibliothèques et les livres des collégiales et couvents de Namur », p. 135, 141-142. 101  Des éléments de comparaison sont fournie par une étude de Jean-Michel Matz concluant également que l’hagiographie ne formait pas « une section majeure » dans les bibliothèques des maisons religieuses d’Angers : J.-M. Matz, « Les manuscrits hagiographiques des églises d’Angers à la fin du Moyen Âge », dans Scribere sanctorum gesta, p. 261-281 (citation à la p. 275). 102  X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques », p. 82-83, 122-124. 103  Sur ces deux compilations, voir F.  Dolbeau, « Notes sur la genèse et sur la diffusion du Liber de natalitiis », Revue d’histoire des textes, 6 (1976), p. 143-195 ; Id., « Nouvelles recherches sur le Legendarium Flandrense », Recherches augustiniennes, 16 (1981), p. 399-455. 98 

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de la confection ab ovo d’un grand légendier par un éditeur du cru, même si le petit ensemble organisé notamment autour de saints « régionaux » transcrit à la toute fin du xve siècle (Namur, MPAAN, FV 76), dont il a déjà été question, pourrait refléter le souhait de développer une collection hagiographique déjà disponible104. Un parcours parmi la quarantaine de manuscrits et d’incunables conservés qui appartenaient à l’abbaye du Jardinet permet toutefois d’étoffer le corpus et d’éclairer de manière suggestive la place et les usages des textes hagiographiques dans une communauté observante à la fin du Moyen Âge105. Plusieurs manuscrits entièrement dédiés à cette matière intégrèrent en effet la bibliothèque dans les décennies immédiatement postérieures à la réforme. Deux d’entre eux, transcrits au xve siècle, renferment des collections de Vitae patrum et des Vies de saints et de saintes du désert : l’un fut donné au plus tard en 1470 à la communauté cistercienne par la sœur du chanoine tournaisien Jean Tinctor († 1469), l’une des figures marquantes du clergé séculier des Pays-Bas méridionaux et grand partisan de la réforme de l’Église (Namur, MPAAN, FV  159)106 ; l’autre, in  teutonico, était conservé dans la libraria du Jardinet à la fin du Moyen Âge, mais il avait appartenu auparavant au couvent des croisiers de Huy, où il fut sans doute exécuté (Liège, Grand Séminaire, 6.N.5)107. Qu’elle ait été souhaitée ou pas, la présence, dans la bibliothèque abbatiale, de ces textes consacrés aux ascètes orientaux, dont la fortune fut immense dans l’univers monastique, ne surprend pas, tant ils étaient susceptibles d’inspirer une communauté religieuse. Relié et peut-être copié au Jardinet dans la seconde moitié du xve  siècle, un troisième codex contient une autre œuvre à succès de la fin du Moyen Âge : la Vita Christi de Ludolphe de Saxe (Namur, MPAAN, FV 47), dans une traduction française dont on connaît plusieurs autres témoins108 –  et dont la fonction demeure ambiguë : servait-elle à l’encadrement des moniales, voire à celle des convers ? Enfin, à une date bien tardive certes (entre 1503 et 1507), un moine copia en deux volumes l’énorme Speculum historiale de Vincent de Beauvais (Namur,

V. Vermassen, « Latin Hagiography in the Dutch-Speaking Parts of the Low Countries », p. 576-577. 105  Dans une perspective semblable, mais élargie à l’ensemble du Moyen Âge, voir l’étude fouillée de F. Dolbeau, « Typologie et formation des collections hagiographiques d’après les recueils de l’abbaye de Saint-Thierry », dans Saint-Thierry, une abbaye du vie au xxe siècle. Actes du colloque international d’histoire monastique, éd. M. Bur, Reims, 1979, p. 159-182. 106  X. Hermand, « Les relations de l’abbaye cistercienne du Jardinet », p. 251-254, 261-262. 107  Sur les liens entre croisiers et cisterciens, voir Id., « Scriptoria et bibliothèques », p. 121-122. 108  Voir les données livrées par la base « Jonas » (IRHT) : http://jonas.irht.cnrs.fr/manuscrit/37643, consultée le 04/05/2021. 104 

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MPAAN, FV 66A-B), dont un quart des chapitres relatent la vie et les miracles des saints. À côté de ces quelques ouvrages très largement diffusés que l’on ne s’étonne pas de trouver sur les meubles d’une bibliothèque en pleine croissance dans la seconde moitié du xve siècle, d’autres manuscrits, où l’hagiographie est pourtant moins présente, en disent davantage sur les contextes d’utilisation de cette littérature. Un premier groupe concerne le noyau primitif de la collection de livres du Jardinet. L’abbaye avait été refondée en 1441, lorsque des religieux venus de Moulins s’étaient substitués aux moniales présentes sur les lieux depuis le xiiie  siècle. Une  partie du fonds apporté alors par les réformateurs subsiste encore et nous informe sur les orientations culturelles fondamentales de la nouvelle communauté. Au nombre de six, ces manuscrits contiennent pour l’essentiel des écrits des Pères et d’auteurs monastiques antérieurs au xiiie siècle, conformes à la culture cistercienne la plus traditionnelle109. Dans cet ensemble, apparaissent quelques sermons de sanctis divisés en lectiones et trois textes hagiographiques : les Dialogi de Grégoire le Grand (BHL 6542), où la vie monastique et la figure de saint Benoît occupent une place prépondérante (Namur, MPAAN, FV 49, fol. 4r-69r) ; la Passio de saint Maur (BHL  5783), dont le culte était alors promu par l’abbaye de Florennes, qui soutint et assista matériellement le Jardinet lors de sa refondation (Namur, MPAAN, FV  48, fol.  215r-217r)110 ; la Vita de Marie d’Oignies composée par Jacques de Vitry entre 1213 et 1216 (BHL 5516), qui avait bénéficié d’un grand succès dans les monastères cisterciens, comme exemple de vie spirituelle (Namur, MPAAN, FV 49, fol. 182r-210v)111. Il faut rapprocher de ces textes le début de la Vie de saint Alexis (BHL 288) figurant dans un codex copié au tout début du xve siècle à l’abbaye de Moulins (Bruxelles KBR, 36953697 [1647], fol. 168r), à l’époque même de sa refondation (1414). Il s’agit de la seule œuvre hagiographique attestée parmi les rares manuscrits subsistants issus de cet autre foyer de l’observance cistercienne. Sa présence s’explique facilement dans ce contexte, le récit incarnant les idéaux de la réforme en milieu

X. Hermand, « Réforme, circulation de scribes et transferts de manuscrits », p. 76-78. Id., « La réforme de l’abbaye de Saint-Trond et les réseaux monastiques au début du xvie  siècle. Autour d’un recueil de textes réformateurs : Bruxelles, Bibliothèque royale, 20929-20930 », Revue Bénédictine, 112 (2002), p. 356-378, à la p. 374 ; Id., « Réformer une abbaye au xve siècle », p. 361-363. Sur cette Passio de saint Maur, voir supra, à la n. 22. 111  S.  Folkerts, « The Manuscript Transmission of the Vita Mariae Oigniacensis in the ­Later Middle Ages », dans Mary of Oignies : Mother of Salvation, éd. A. B. Mulder-Bakker, Turnhout, 2006, p. 221-241 ; S. Folkerts, Voorbeeld op schrift, p. 117-123. 109  110 

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monastique, avec un accent particulier sur le retrait du monde112 . Au miroir de ces manuscrits, ce n’est donc qu’à travers les Dialogi et quelques Vies de saints intégrées à des volumes plus amples que la littérature hagiographique a trouvé place dans les bibliothèques des cisterciens du Jardinet et de Moulins à leurs débuts ; mais ces textes ont manifestement fait l’objet d’une sélection soigneuse, étroitement connectée aux principes de l’observance113. Un autre groupe de manuscrits nous renseigne sur la présence de l’hagiographie dans les fonds à usage personnel que les religieux avaient pris l’habitude de se constituer dans la seconde moitié du xve  siècle. Trois volumes réunissant chacun un ensemble diversifié de textes livrent ici l’essentiel des données. Copié à la va-vite – citissime a précisé le scribe, Barthélemy Rome, à deux reprises (fol.  83v2, 138r2)  – à l’occasion d’un séjour à l’abbaye d’Igny en  1469, le premier (Namur, MPAAN, FV  163) contient une Vita Christi (fol. 141r-220v) et la Vita Iohannis Eremita (BHL 4329, fol. 240v-248v), parmi une trentaine de sermons, opuscules et autres extraits. Si les raisons précises qui ont conduit le copiste vers la bibliothèque d’un monastère situé dans le diocèse de Reims, où il mourut, nous échappent114, la réalisation du recueil répondait vraisemblablement à des intérêts personnels, en parfaite concordance du reste avec les choix institutionnels de la communauté. Exécuté en 1480, le C. Vincent, « Fortunes médiévales du culte de saint Alexis », Mélanges de l’École française de Rome – Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 124 (2012), p. 629-642, aux p. 632-633. Dans notre codex, le récit s’interrompt précisément au moment où Alexis quitte le monde, le soir de ses noces (cf.  Catalogus codicum hagiographicorum Bibliothecae regiae Bruxellensis, I. Codices latini membranei, t. 1, Bruxelles, 1886, p. 223-224 [§ 1 et 2, jusqu’à la ligne 20]). 113  Une liste des livres emportés par les moines du Jardinet chargés, vers 1500, de réformer la prestigieuse abbaye bénédictine de Lobbes propose un autre éclairage, malheureusement biaisé, sur la place de l’hagiographie dans les ensembles de livres constitués pour ces occasions (CCB, t. 2, no 78, p. 194-195). En l’occurrence, ce fonds spécifique était pour une bonne part formé d’ouvrages liturgiques, parmi lesquels figurent de nombreux bréviaires destinés aux moines lobbains (plura breviaria quibus utuntur fratres), peut-être imprimés, à l’image de celui réservé à l’abbé (item breviarium impressum in duobus voluminibus concessum abbati). Une seule Vie de saint y figure explicitement : la Vita sancti Gregorii dont il est précisé qu’elle était pulchre littere et preciose materie ; ce texte bien connu, très largement diffusé à travers tout le Moyen Âge, devait être destiné aux lectures communautaires. On  ne tirera toutefois pas de conclusions trop hâtives de ce document, car plusieurs miscellanées y sont décrites de manière trop sommaire et surtout dans la mesure où la collection ainsi détachée à Lobbes doit être considérée comme un simple complément à la bibliothèque locale, l’une des plus riches des Pays-Bas méridionaux, à propos de laquelle on verra en dernier F. Dolbeau, « La bibliothèque de Lobbes, d’après ses inventaires médiévaux. Bilan et perspectives », dans Autour de la Bible de Lobbes (1084). Les institutions. Les hommes. Les productions. Actes de la journée d’étude organisée au Séminaire épiscopal de Tournai, 30 mars 2007, dir. M. Maillard-Luypaert et J.-M. Cauchies, Bruxelles, 2007, p. 59-84. 114  Sur ce codex et les contacts entre le Jardinet et Igny, voir X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques », p. 118-119. 112 

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deuxième manuscrit, dont il a déjà été question à propos d’une série de miracles mariaux, constitue comme la bibliothèque portative d’un religieux chargé de la direction spirituelle de moniales (Namur, MPAAN, FV 160) : son contenu renvoie clairement à l’encadrement des communautés de cisterciennes assuré par les religieux du Jardinet ; rien d’étonnant, dès lors, d’y retrouver la Vita de la célèbre mystique cistercienne Lutgarde d’Aywières (fol. 1r1-43r1, BHL 4950), accompagnée d’extraits du Liber specialis gratiae de Mechtilde de Hackeborn (fol. 114r1-125r1, BHL 5860)115. Le troisième volume a été constitué à la fin du Moyen Âge par la réunion de 11 unités codicologiques (Namur, MPAAN, FV 162), parmi lesquelles deux livrets hagiographiques datant vraisemblablement de la première moitié du xve siècle, respectivement consacrés à Malachie (fol. 52r-61r, BHL 5188 ?) et à Georges (fol. 118r-123v, BHL 3372) : les deux entités étaient manifestement destinées à la lecture privée et ont circulé un temps isolément, comme le prouvent certains indices matériels116. Bien sûr, dans ces trois manuscrits, l’hagiographie est réduite à la portion congrue. Mais là n’est pas l’essentiel : au-delà de leur contenu, ces témoins sont significatifs en ce qu’ils nous documentent sur la diffusion et les usages concrets de cette littérature, non seulement à l’église, au chapitre, au réfectoire, voire dans la libraria, mais aussi dans l’intimité de la cellule. Sur le plan matériel, ils présentent un faciès similaire, caractéristique des productions d’« amateurs » : en papier, de dimensions réduites (c. 210 × 150 mm), à peu près dépourvus de décoration et transcrits dans une cursiva peu soignée. Manifestement, ces manuscrits ne résultent pas de décisions prises par les supérieurs de la communauté en réponse à des besoins collectifs, mais découle plutôt des intérêts propres des religieux qui les ont exécutés et en ont d’ailleurs assuré la conservation pendant un certain temps, à une époque précisément caractérisée par la « privatisation » du livre et du travail de copie117. Joints aux petits légendiers cisterciens déjà présentés, Voir ibid., p. 111, n. 106 (et p. 121, pour les liens avec un codex de l’abbaye bénédictine du Saint-Sépulcre à Cambrai) ; à propos des miracles mariaux, voir supra, à la n. 37. Aux fol. 44r161r2, le manuscrit contient aussi l’Evangelium Nicodemi (BHL 4151p). 116  Id., « Comment les communautés religieuses géraient-elles leur bibliothèque (Pays-Bas méridionaux, xive-xve  s.) ? », dans Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge. Formes, fonctions et usages des écrits de gestion. Actes du colloque international organisé à l’Université de Namur (FUNDP) les 8 et 9 mai 2008, éd. Id., J.-F. Nieus et É. Renard, Paris, 2012, p. 355-414, aux p. 386-387. 117  Sur ce phénomène et les facteurs qui l’ont favorisé (diffusion du papier, généralisation de la cellule, succès de courants spirituels favorables à la lecture méditative…), voir X. Hermand, « Lecture personnelle et copie individuelle dans le monde monastique à la fin du Moyen Âge », dans Lecteurs, lectures et groupes sociaux au Moyen Âge. Actes de la journée d’étude organisée par le centre de recherche « Pratiques médiévales de l’écrit » (PraME) de l’Université de Namur et le département des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, 18 mars 2010, éd. Id., É. Renard et C. Van Hoorebeeck, Turnhout, 2014, p. 57-78. Pour le 115 

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ces productions, qui ne doivent qu’au hasard d’être parvenues jusqu’à nous, constituent de précieux témoins de l’intérêt que suscitaient encore les textes hagiographiques au crépuscule du Moyen Âge auprès de tel ou tel lecteur, surtout si l’on considère les maigres chances de survie de cette classe de manuscrits.

4. Conclusion L’enquête menée dans les pages qui précèdent visait à brosser un tableau de la « culture hagiographique » des communautés religieuses du Namurois aux xive-xve siècles, sur la base de l’heuristique la plus large possible. La présentation des résultats s’est articulée autour des différentes facettes de cette production hagiographique, depuis la création littéraire originale jusqu’à la simple copie de modèles déjà existants en passant par la constitution de collections hagiographiques. En guise de conclusion et sur la base des résultats engrangés, il convient de reprendre cette problématique de manière à la fois plus globale et plus transversale, autour de quatre constats de portée générale. Le premier concerne l’accent mis par ce colloque sur les derniers siècles de la période médiévale, souvent délaissés par les spécialistes du manuscrit (du moins quand il ne s’agit pas de « beaux » manuscrits) comme par ceux qui étudient l’histoire monastique ou la littérature hagiographique. Sans vouloir anticiper sur les conclusions de ces journées, les dossiers namurois confirment toute la fécondité de ce choix : les matériaux sont plus abondants qu’on ne le pense généralement et ils témoignent d’un réel dynamisme dans le domaine, qui s’est concrétisé sous des formes diverses et variées, tout à la fois inscrites dans des pratiques séculaires et présentant des spécificités nouvelles, sur lesquelles on voudrait maintenant attirer l’attention. Pour une part non négligeable, ce dynamisme découle d’un phénomène extérieur à l’hagiographie elle-même et typique du xve siècle : les mouvements de l’observance, qui traversent alors le monde des réguliers et dont l’influence est manifeste dans le Namurois bas-médiéval. Ces réformes ont constitué un puissant stimulant culturel, qui a exercé une réelle influence sur l’ensemble de la production hagiographique, dont elle a aussi orienté le contenu autour des textes fondateurs et de la « mémoire des origines »118. La dimension communautaire de cette monde cistercien, on peut renvoyer à l’étude de M.-F. Damongeot, « Pauvres sous le regard du Père… Moines et convers de Cîteaux dans les années 1470, d’après vingt-cinq inventaires de leurs biens personnels », Revue Mabillon, 4 [= 65] (1993), p. 231-263 : elle montre que les religieux conservaient des livres auprès d’eux et disposaient d’un matériel à écrire. 118  C. Caby, « La mémoire des origines dans les institutions médiévales : présentation d’un projet collectif », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, 115 (2003), p. 133-140. Dans son étude de la production historiographique des monastères bénédictins implantés

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production doit également être soulignée, qu’il se soit agi de pourvoir aux lectures en assemblée ou de développer la bibliothèque ; bien souvent d’ailleurs, c’est l’exercice de fonctions institutionnelles et les responsabilités y afférentes qui ont provoqué la confection ou la traduction de nouveaux textes, la compilation de légendiers ou la copie de manuscrits, ceux qui ont pris la plume comme auteur ou éditeur, voire comme copiste, exerçant généralement des responsabilités dans leur communauté (comme abbé, chantre, sacristain ou confesseur) et répondant à des demandes collectives. Mais, de manière plus discrète certes, affleure aussi dans notre documentation une création davantage personnelle, à usage privé ou semi-privé, liée aux transformations profondes dont il vient d’être question à propos de la copie personnelle, qui affectèrent les conditions matérielles de la vie culturelle et spirituelle à la fin de la période médiévale et contribuèrent à transformer la relation à l’écriture et au texte, dans le sens d’une plus grande familiarité et d’une plus forte intimité. De ce rapport plus personnel, témoignent les libelli et les « dossiers de travail » constitués par certains confesseurs, mais aussi les petits légendiers « privés », voire la rédaction de certaines pièces hagiographiques119. Sur la base de tous ces éléments, ne faut-il pas en définitive conclure qu’au terme du Moyen Âge, la littérature hagiographique demeurait l’une des composantes de base de la culture écrite des communautés religieuses ?

dans les Pays-Bas méridionaux, Pieter-Jan De  Grieck observe certes une recrudescence de ces écrits dans la seconde moitié du xve siècle, en lien avec la diffusion de l’observance, mais estime dans le même temps que ces œuvres ne se situent pas au cœur de la dynamique réformatrice, au contraire des textes normatifs et spirituels : P.-J. De Grieck, De benedictijnse geschiedschrijving, p. 222-223, 257. En tout cas, l’hagiographie « historiographique » du Namurois semble bien avoir été mobilisée au service de la réforme. 119  À l’instar de cet opuscule composé en 1466 par Gérard de Gingelom, sous-prieur de l’abbaye de Saint-Laurent à Liège, et récemment étudié (cf. S. Denoël, « En marge de la liturgie, au cœur de la dévotion populaire : étude historique du culte à saint Mort et de son sanctuaire », Annales du cercle hutois des sciences et des beaux-arts, 56 [2002-2003], p. 19-72, aux p. 19-20) : en exil forcé à Huy à cause des guerres, il parcourut les églises de la ville et, arrivant à l’oratoire consacré à saint Mort, recueillit auprès des paroissiens les informations qui lui permirent d’écrire la Vie de ce dernier sur quelques feuilles (BHL 5782). Ce texte modeste n’est pas le résultat d’une commande et n’a pas été dicté par des circonstances particulières ; il reflète simplement la curiosité de son auteur et est sans doute représentatif des nouvelles pratiques d’écriture, largement individualisées.

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Annexe Les maisons religieuses du Namurois aux xive et xve siècles120 Andenne Argenton Boneffe Brogne Celles Ciney Dinant Dinant Dinant Florennes Florennes Fosses Floreffe Géronsart Grandpré Le Jardinet Leffe Malonne Marche-les-Dames Moulins Moustier-sur-Sambre

chapitre de chanoinesses nobles (40 prébendes) abbaye de cisterciennes, réformée vers 1439 abbaye de cisterciennes, refondée en abbaye d’hommes en 1462 abbaye bénédictine, réformée dans la seconde moitié du xve siècle chapitre de chanoines (12 prébendes), transféré à Visé en 1338 chapitre de chanoines (13 prébendes) chapitre de chanoines (13 prébendes) couvent de franciscains monastère de croisiers, fondé en 1490 abbaye bénédictine, réformée en 1415 chapitre de chanoines (7 prébendes) chapitre de chanoines (30 prébendes) abbaye norbertine, réformée vers 1342-1361 monastère de chanoines réguliers abbaye de cisterciens abbaye de cisterciennes, refondée en abbaye d’hommes en 1441 abbaye norbertine monastère de chanoines réguliers abbaye de cisterciennes, réformée en 1406 abbaye de cisterciennes, refondée en abbaye d’hommes en 1414 chapitre de chanoinesses nobles (25 prébendes)

Dans ce tableau, le terme « réforme » doit s’entendre dans un sens très large : il qualifie une phase de renouveau d’une institution, souvent provoquée ou soutenue par des initiatives extérieures (selon des modalités variables : intervention des autorités de l’ordre, nomination d’un abbé/d’une abbesse extérieur[e] à la communauté, intégration de moines/moniales venu[e]s d’une autre communauté), parfois aussi menée de l’intérieur même de l’établissement. 120 

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Xavier Hermand

Namur Namur Namur (Saint-Aubain)

couvent de franciscains, réformé vers 1482-1491 monastère de croisiers, réformé en 1410 chapitre de chanoines (20 prébendes + 20 vicairies [depuis 1207]) Namur (Notre-Dame) chapitre de chanoines (18 prébendes) Namur (Saint-Pierre-au- chapitre de chanoines (13 prébendes) Château) Namur couvent de carmélites, fondé à Dinant (1455) puis à Namur (1468) Oignies monastère de chanoines réguliers, réformé en 1405 et 1499 Rochefort abbaye de cisterciennes, refondée en abbaye d’hommes en 1464-1467 Salzinnes abbaye de cisterciennes, réformée vers 1451 Sclayn chapitre de chanoines (9 prébendes) Soleilmont abbaye de cisterciennes, réformée vers 1414 Solières abbaye de cisterciennes, réformée vers 1460 Walcourt chapitre de chanoines (8 prébendes) Waulsort-Hastière abbaye bénédictine, réformée autour de 1500

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Troisième partie

De Brest à Trèves, approche typologique de la diversité des manuscrits hagiographiques

Manuscrits hagiographiques et saints bretons en Bretagne à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle) Marjolaine Lémeillat (Tours) La Bretagne est une terre fertile en manuscrits hagiographiques (consacrés à des saints locaux en particulier), à la fin du haut Moyen Âge et au Moyen Âge central. Qu’en est-il à la fin du Moyen Âge, entre le xive siècle et le début du xvie siècle ? Les manuscrits hagiographiques1 figurent alors toujours parmi les ouvrages attestés dans les librairies particulières ou dans les communautés religieuses, mais n’en représentent pas la majorité. Cinquante livres seulement ont été relevés2 . Leur étude n’en est pas moins instructive quant aux types d’ouvrages considérés, à leur périodes et circonstances de composition et de copie, à leurs commanditaires et possesseurs. En outre, quelle place y occupent les saints locaux3, parmi les autres personnages vénérés dans toute la chrétienté ?

1  Je précise n’avoir relevé, pour la constitution du présent corpus d’étude, que les récits ou attestations claires de récits biographiques de saints personnages, à l’exclusion des simples listes de noms. Celles-ci servent uniquement à titre comparatif, pour les attestations de saints bretons dans les sources. 2  Certains de ces titres peuvent se décliner en plusieurs volumes. La Légende dorée de Catherine de Coëtivy (vers 1460-1529) en compte deux, BNF, fr. 244-245. 3  Précisons, concernant les saints locaux bretons, qu’à l’exception des figures notables de Guillaume Pinchon (†­1234), d’Yves Hélori (1248-1303) et du Catalan Vincent Ferrier (1350-1419), décédé à Vannes, tous sont des saints antérieurs à la mise en place d’une procédure de canonisation par la papauté.

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 297-309. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126297

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1. Légendiers et Vies particulières Cinquante ouvrages ont donc été relevés. Seuls dix d’entre eux subsistent, généralement en bon, voire en excellent état4. Les quarante autres sont connus par des sources diverses. Onze d’entre eux figurent dans des inventaires, généralement après-décès5. Cinq paraissent au détour de comptes ducaux6 et six, dans des comptes de chapitres cathédraux ou de fabrique paroissiale7. Trois sont indiqués dans des enquêtes de canonisation8 et trois, par des emprunts en librairie9. Les  recherches entreprises par des érudits antérieurs portent aussi à la connaissance des manuscrits désormais disparus10.

BNF, fr. 243-245, 914 et 2090-2092 ; ibid., ms. lat. 1148 ; ibid., nouv. acq. lat. 3081 ; Nantes, bibl. mun., mss. 116 et 652 ; Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Cod. Theol. et Phil. 2°25 ; Ex-Hambourg, Jorn Günther Antiquariat, 1997. 5  A. Le  Moyne de La Borderie, « Notes sur les livres et les bibliothèques du Moyen Âge en Bretagne », Bibliothèque de l’École des chartes, 23 (1862), p. 42-43 ; P. Marchegay, « Lettres-missives originales du chartrier de Thouars », Bulletin de la Société archéologique de Nantes, 10 (1870), p. 161-162 ; F.-L. Bruel, « Inventaire de meubles et de titres trouvés au château de Josselin après la mort du connétable de Clisson », dans Bibliothèque de l’École des chartes, 66 (1905), p. 228, no 400 ; M.-F. Damongeot-Bourdat, « Le coffre aux livres de Marie de Bretagne (1424-1477), abbesse de Fontevraud », dans Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Âge et Renaissance, éd. A.-M. Legaré, Turnhout, 2007, p. 90-95 ; J.-L. Deuffic, « Peintures et enlumineurs à Guingamp à la fin du xve siècle », dans Notes de bibliologie. Livres d’heures et manuscrits du Moyen Âge identifiés (xive-xvie siècles), éd. Id., Turnhout, 2009, p. 47-50. 6  A.-M. Legaré, « Sources relatives aux livres de Jeanne de Laval », dans Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livres, éd. M.-É. Gautier, Angers-Arles, 2009, p. 398-399. 7  Chapitres Saint-Pierre de Vannes et Saint-Tugdual de Tréguier ; fabrique Saint-Melaine de Morlaix : J.-L. Deuffic, « Copistes bretons du Moyen Âge (xiiie-xve siècles) : une première “handlist” », Du scriptorium à l’atelier. Copistes et enlumineurs dans la conception du livre manuscrit au Moyen Âge, éd. Id., Turnhout, 2010, p. 154, 167, 171, 181 et 184. 8  Les deux livres d’Yves Hélori et la Légende dorée de Charles de Blois sont mentionnés dans les enquêtes de canonisation dont chacun a fait l’objet : J.-L. Deuffic, Monuments originaux de l’histoire de saint Yves. Sources manuscrites d’histoire médiévale, Saint-Denis, 2003, p. 49, 54, 64 ; A. de Sérent, Monuments du procès de canonisation du bienheureux Charles de Blois, 1320-1364, Saint-Brieuc, 1921, p. 30 ; A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1981, p. 420-421. 9  V.  Roudaut-Adam, Réédition des cartulaires de l’église cathédrale Saint-Corentin de Quimper, dactyl., mémoire de maîtrise, Brest, 1996, nos 332 et 355. 10  Le Dominicain Albert Le Grand (1599-1641) nous apprend ainsi l’existence d’un légendier chez les Franciscains de Quimper et d’un autre à la basilique du Folgoët : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques de Bretagne, livres d’heures, de piété, de dévotion et ouvrages associés antérieurs à 1790, manuscrits et imprimés. Quimper, Saint-Denis, 2014, p. 236, no 242 et ibid., p. 141, no 160. 4 

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MANUSCRITS HAGIOGRAPHIQUES ET SAINTS BRETONS EN BRETAGNE

Tableau 1 : Genre d’ouvrages et leur nombre respectif, parmi les livres hagiographiques attestés en Bretagne, à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle). Genre d’ouvrages

Nombre d’ouvrages 16 30 14 20 20 50 50

Légende dorée Vies de saints Vie particulière d’un(e) saint(e) Total

Avec trente manuscrits, les légendiers prédominent largement cet ensemble. En outre, plus de la moitié d’entre eux (seize manuscrits) correspond à des Légende dorée11. Les Vies d’un saint ou d’une sainte en particulier sont au nombre de vingt. Elles représentent soit un livre complet, soit occupent une section d’un ouvrage12 . La date de conception est connue ou déductible pour quarante-quatre de ces livres. Dix datent du xive siècle : quatre Légende dorée, cinq autres Vies de saints et une Vie de saint particulière. Trente-quatre sont des xve et début du xvie siècle, répartis pour moitié entre légendiers (dont dix Légende dorée) et Vies de saint particulières13. En quelle langue sont-ils rédigés ? Quand il est possible de la déterminer, il appert sans surprise que le français est majoritaire dans les œuvres que possèdent les laïcs. Elles sont tout d’abord des traductions du latin : la Légende dorée traduite par Jean de Vignay a sa place dans les collections de Marguerite d’Orléans (1390-1466), de Jeanne de Laval (1433-1498), de Catherine de Coëtivy (vers 1460-1529) et peut-être dans celle de Marie de Bretagne (14241477)14. Dans la seconde moitié du xve siècle, les œuvres directement rédigées en français sont par ailleurs plus fréquentes. La plupart des titres que possède Jeanne de Laval sont en français15, tout comme La vie de saincte Anne d’Anne Ce ratio n’est pas surprenant. La Légende dorée est un des ouvrages les plus lus d’Occident médiéval : La Légende dorée de Jacques de Voragine : le livre qui fascinait le Moyen Âge [exposition organisée à la Salle Ami Lullin, Bibliothèque publique et universitaire, du 8 décembre 1998 au 10 avril 1999], éd. B. Fleith, I. Engammare, V. Germanier et al., Genève, 1998, p. 16-28. 12  Tel l’extrait de la Vie de sainte Anne, Nantes, bibl. mun., ms. 652, fol. 3-10. 13  Six restent indéterminés entre le xive et le xve siècle. 14  BNF, fr.  243-245 ;  Ex-Hambourg, Jorn Günther Antiquariat, 1997 ; M.-F.  Damongeot-Bourdat, « Le coffre aux livres », p. 90, no 7. 15  Translacion de Saint Anthoine, La Vie et office de saincte Marthe, Histoires de saint Honnorat et autres saints, Histoires de saint Honnorat : A.-M. Legaré, « Sources relatives aux livres de Jeanne de Laval », p. 398-399. 11 

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de Bretagne (1477-1514) ou Vie, mort et miracles de saint Jérôme de Catherine de Coëtivy16. Le latin prédomine-t-il davantage dans le monde religieux ? C’est probablement en partie le cas au sein des communautés monastiques, qui n’en méconnaissent pour autant pas l’usage de la langue vernaculaire : le seul ouvrage pour lequel la langue de rédaction soit spécifiée est une « vieille vie en vers françois » de saint Jacut17. De même, la Vie seur Collecte, rédigée par Pierre de Reims (1447), puis Perrine de La Roche et de Baume (vers 14711474), la Vie saint Franczois (sans doute dans sa version traduite par Bonaventure), la Vie de madame Ysabeau de France et la Vie sainte Pole, figurent parmi les titres que possède Marie de Bretagne18 . Le latin est sans doute également davantage en usage dans le milieu clérical séculier, bien que là aussi, la langue vernaculaire soit attestée, pour les commandes paroissiales de Saint-Melaine de Morlaix, par exemple (1461-1462, 1466-1467 et 1467-1468)19. Le  breton n’apparaît en tout cas jamais20. Quand ils sont conservés, ces manuscrits présentent souvent un fort bel aspect. Cela s’explique : les ouvrages préservés en priorité sont ceux de riches bibliophiles et la majorité compte plusieurs miniatures, notamment en pleine page21. Seule Louise de Laval (1448-1480) a une austère Vie de saint Grégoire, qui ne compte que des colonnes de texte22 . En revanche, le fait qu’il s’agisse de Vies de saints n’impliquait pas systématiquement que l’ouvrage fût de belle facture. Mis à part la Vie sainte Pole, tous les ouvrages hagiographiques que possède la religieuse Marie de Bretagne sont en papier, sans qu’un rehaussement particulier y ait été relevé23. Tout dépend, en outre, de l’usage qui en était fait : fréquent, dans le cas des dévotions personnelles, mais aussi pour les

Nantes, bibl. mun., ms.  652, fol.  3-10v ; Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Cod. Theol. et Phil. 2°25. 17  BNF, nouv. acq. lat. 3081. 18  M.-F. Damongeot-Bourdat, « Le coffre aux livres », p.  90, no 15, p. 91, no 24, p. 94, nos 64 et 66. Cette présence du français n’est pas une surprise. De manière générale, tous les livres de Marie de Bretagne sont en français, à part ses Heures et peut-être la Bible : ibid., p. 83 et 90-95. 19  La Légende et Office de la Présentation de Notre-Dame, les seze ystoires de la vie dudit sainct Yves, la Légende de saint Melaine et la Fête de la Visitation sont très vraisemblablement rédigés en français : J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 167 et 171. 20  Cela n’est pas une surprise. De manière générale, il est très peu présent dans les manuscrits. 21  Nantes, bibl. mun., ms. 652, fol. 3 ; BNF, mss. fr. 244-245. On note en outre l’adjonction éventuelle d’armes sur des manuscrits acquis de seconde main, par Jeanne de Laval, par exemple, ibid., ms. fr. 2090, fol. 1. 22  Ibid., ms. fr. 914. 23  C’est, de manière générale, le cas de plusieurs de ses 177 ouvrages, M.-F.  Damongeot-Bourdat, « Le coffre aux livres », p. 90-95. 16 

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ouvrages empruntés ou enchaînés ; ou plus exceptionnel, notamment pour les bibliophiles amateurs de beaux volumes.

2. Circonstances de constitution Certaines de ces œuvres sont de composition antérieure et font essentiellement l’objet de copies durant notre période : la Légende dorée, naturellement, mais aussi la Vie de saint Grégoire de Louise de Laval. D’autres sont entièrement créées aux xive-xve siècles. Parmi ces rédactions contemporaines figurent les « Fleurs des saints » nées sous la plume d’Yves Hélori, la Vie de saint Maurice de Carnoët rédigée par l’abbé Guillaume (vers 1323), le légendier des Franciscains de Quimper (après 1349)24, mais aussi la Vie seur Collecte de Marie de Bretagne, écrite par Pierre de Reims, puis Perrine de La Roche et de Baume (respectivement en 1447 et vers 1471-1474). Plusieurs volumes, enfin, sont de copie contemporaine, sans qu’on sache néanmoins si la composition est plus ancienne. Il est, par exemple, impossible de savoir si les miracles de saint Yves que font consigner le chapitre cathédral de Tréguier ou la paroisse Saint-Melaine de Morlaix (1466-1467) sont une copie d’un modèle antérieur, une création contemporaine ou un mélange des deux. Peut-être est-ce davantage un modèle reproduit, pour la version de Tréguier, attendu que la copie en est confiée à un professionnel de l’écriture : Alain Riou, « escripvaign et relieur de livres », reçoit du chapitre 6 sous 8 deniers « pour ung papier à mettre les vertus de monsieur saint Yves »25. En revanche, des élaborations ou remaniements personnels ont pu avoir lieu pour les ouvrages commandés par Saint-Melaine et travaillés par deux prêtres de la paroisse qui interviennent : Henri Maguet, pour la Légende et Office de la Présentation de Notre-Dame (1461-1462), et Jean Auregan, pour la Légende de saint Melaine (1467-1468)26. De même, les pages supplémentaires que Pierre Aliet, chanoine de Saint-Pierre de Vannes, rédige en « lettre fourmée », afin de compléter le grand légendier, sont peut-être plus qu’une copie servile (1483)27. Quelles étaient les sources précises utilisées par ces divers rédacteurs ? Ceux-ci s’appuyaient visiblement sur plusieurs textes antérieurs, qu’il s’agisse Celui-ci inclut en effet une Vie de Jean Discalcéat († 1349) : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Quimper, p. 236, no 242. Le légendier lui-même, s’il n’est entièrement de rédaction contemporaine, a au moins été remanié après cette date. 25  J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 154 et 167. 26  Ibid., p. 167. 27  Arch. départ. du Morbihan, 74 G 3, fol. 39 ; J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 184. 24 

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de la base de leur copie (Légende dorée) ou de sources d’inspiration : Yves Hélori, par exemple, a probablement utilisé des Vies de saints qu’il lisait régulièrement et où « quand il trouvait du bien ou de la perfection dans la Vie de quelque saint, il voulait l’imiter autant qu’il le pouvait, comme saint Martin, pour sa générosité à l’égard des pauvres, et saint Augustin pour sa charité et sa perfection ; et ainsi des autres saints »28. Enfin, quelle aspiration les animait, que ce soit pour la copie d’œuvres anciennes ou la rédaction d’œuvres nouvelles ? Les souhaits de posséder une œuvre de base (Légende dorée) et de compléter un ensemble insuffisant, à titre personnel (Yves Hélori et ses Fleurs des saints), ou pour un chapitre ou une paroisse (compléments au grand légendier à Vannes ; rédaction de la Vie de saint Yves, à Saint-Melaine de Morlaix), en incluant de nouveaux noms à l’excellente réputation chez les leurs et auprès des fidèles (Jean Discalcéat, chez les Franciscains de Quimper et les Quimpérois en général, à partir de 1349). En revanche, mis à part les Franciscains de Quimper, les abbayes ne font rien faire de neuf. Les recueils rédigés entre le ixe et le xiie siècle et qu’elles possèdent déjà leur suffisent. Elles les conservent et les font restaurer si besoin, mais ne les font ni remanier, ni compléter. Les seules nouvelles Vies rédigées sont celles de saints récents.

3. Grands nobles, gens de savoir et clergé : les possesseurs des manuscrits hagiographiques Vingt-neuf propriétaires, dont quinze individuels et quatorze collectifs29, se partagent ces manuscrits30. Parmi les quinze propriétaires individuels figurent quatre membres de la famille ducale, dont un duc et une duchesse de Bretagne, ainsi que deux femmes membres de cette dynastie ; six nobles laïcs, répartis pour moitié entre femmes et hommes ; et cinq gens de savoir (dont trois assurément religieux). Les  quatorze propriétaires collectifs appartiennent aux clergés régulier et Suivant le témoignage de l’ermite plestinais Hamon Tolefflan : vidit eum […] vitam eciam Sanctorum legentem, et quando inveniebat aliquid boni seu perfectionis in vita alicujus sancti, in quantum poterat, ipsum volebat imitari, sicut beatum Martinum in liberalitate erga pauperes, et beatum Augustinum in caritate et perfectione ; et sic de aliis sanctis : J.-L. Deuffic, Monuments originaux de l’histoire de saint Yves, p. 43. 29  Voir tableau 2. 30  En outre, Jean II, duc de Bretagne (1286-1305), avait promis aux Carmes de Ploërmel « une legende de sainz » (avant 1305, année de son décès) : M. Jones et P. Charon, Comptes du ­duché de Bretagne. Les comptes, inventaires et exécution des testaments ducaux, 1262-1352, Rennes, 2017, p. 304, no xxix, art. 93. 28 

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Tableau 2 : propriétaires individuels et collectifs de manuscrits hagiographiques en Bretagne, à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle). Individuels Famille ducale

Collectifs

Duc de Bretagne Duchesse de Bretagne Femmes membres de la famille ducale Familles nobles Femmes nobles Hommes nobles Gens de savoir Clergé séculier Chapitres cathédraux Chapitres collégiaux Paroisses Diocèse (sans plus de précision) Clergé régulier Abbayes Couvent mendiant

1 1 2

4

3 3 5 4 2 2 1

6

4 1

5

5 9

15

29

14

séculier : quatre abbayes (deux bénédictines, deux cisterciennes) et un couvent mendiant (franciscain), pour le premier ; quatre chapitres cathédraux, deux chapitres collégiaux, deux paroisses et un diocèse (sans plus de précision), pour le second. Six de ces vingt-neuf propriétaires sont attestés pour le xive siècle, dont trois individuels31 et trois collectifs32 . Quatre sont à la charnière des xive et

Charles de Blois, duc de Bretagne (1341-1364) : A. de Sérent, Monuments du procès de canonisation, p. 30 ; Yves Hélori, official de Tréguier (1284-1298/1300) : J.-L. Deuffic, Monuments originaux, p. 49, 54, 64 ; Pierre Dorenge, chanoine de Nantes (après le 15 février 1387/ avant le 31 août 1390-1395) : D. E. Booton, Manuscripts, Market and the Transition to Print in Late Medieval Brittany, Farnham, 2010, p. 336. 32  L’abbaye cistercienne Saint-Maurice de Carnoët, qui détient la Vie de saint Maurice, rédigée par l’abbé Guillaume (1323), Gallia christiana in provincias ecclesiasticas distributa, Paris, 1856, t.  xiv, col.  909 ; le  chapitre cathédral de Quimper (1365) : V.  Roudaut-Adam, Ré­ édition des cartulaires de l’église cathédrale Saint-Corentin de Quimper, no 332 ; et sans doute une paroisse (anonyme), pour une Vie de saints avec hommages particuliers rendus à saints Lunaire, Cunwal et sans doute Tugdual : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques. Tréguier, Saint-Denis, 2014, p. 23-24. 31 

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xve  siècles33. Les  dix-neuf autres sont attestés au xve siècle et au début du xvie siècle, dont dix individuels et neuf collectifs. Parmi les possesseurs individuels prédominent six femmes nobles, dont trois membres de la dynastie ducale34 et trois d’autres familles nobles35. Comme les deux hommes nobles laïcs également propriétaires de manuscrits hagiographiques à cette période36, elles appartiennent toutes à des lignages bibliophiles37. Deux gens de savoir complètent ce premier ensemble38. Quant aux neuf propriétaires collectifs, ils Deux individuels : Thibaut Guiho, bachelier ès-arts († 1403), cf. J.-L. Deuffic, Inventaire des livres, p.  101, no  211 ; Olivier de Clisson (1336-1407), connétable de France (1380-1392) : F.-L. Bruel, « Inventaire de meubles et de titres trouvés au château de Josselin », p. 228, no 400. Deux collectifs : les Franciscains de Quimper, dont on ignore si le légendier date de la seconde moitié du xive siècle ou du xve siècle : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres, p. 236, no 242. De même, la « vieille vie en vers françois » de saint Jacut, que détient le monastère du même nom, n’a pu être précisément datée, sinon d’avant 1455, du fait de l’absence de mention à saint Vincent Ferrier, canonisé cette même année, BNF, nouv. acq. lat. 3081 et J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques. Dol, Saint-Denis, 2014, p. 34-35, no 31. 34  Marguerite d’Orléans (1390-1466), épouse de Richard de Bretagne  (1395-1438), BNF, fr. 243 ; Marie de Bretagne (1424-1477), abbesse de Fontevraud : M.-F. Damongeot-Bourdat, « Le coffre aux livres », p. 90-95 ; Anne, duchesse de Bretagne (1488-1514) et reine de France (1491-1514), Nantes, bibl. mun., ms. 652. 35  Louise de Laval (1441-1480), BNF, fr. 914 ; Jeanne de Laval (vers 1450-1494), ibid., mss. fr. 2090-2092, ex-Hambourg, Jorn Günther Antiquariat, 1997 et A.-M. Legaré, « Sources relatives aux livres de Jeanne de Laval » ; Catherine de Coëtivy (vers 1460-1529), BNF, fr. 244-245 et Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Cod. Theol. et Phil. 2°25. 36  Prigent de Coëtivy (1399-1450), amiral de France  (1439-1450), P.  Marchegay, « Lettres-missives originales », p.  161-162 ; Jean  II de Rohan  (1452-1516) : D.  E. Booton, Manuscripts, p. 304-305. 37  Au sujet de ces lignages, voir notamment les travaux que R. Harrouët a consacrés aux Coëtivy, Une famille de bibliophiles au xve siècle : les Coëtivy, dactyl., thèse de l’École nationale des chartes, Paris, 1999, en partie reprise dans un article du même titre, dans Bulletin et mémoires de la Société archéologique historique d’Ille-et-Vilaine, 52 (1999), p. 139-199, ainsi que « “Que ma mémoire ‘là demeure’, en mes livres” : Catherine de Coëtivy (vers 1460-1529) et sa bibliothèque », dans Livres et lectures de femmes en Europe entre Moyen Âge et Renaissance, éd. A.-M. Legaré, Turnhout, 2007, p. 101-107. Sur les Laval, voir M. Mauger, Aristocratie et mécénat en Bretagne au xve siècle. Jean de Derval, seigneur de Châteaugiron, bâtisseur et bibliophile, Rennes, 2013, p. 8690 et 100-102 ; et H. Kogen, « Les goûts littéraires de la famille de Laval : constitution d’une bibliothèque familiale », dans Le goût du lecteur à la fin du Moyen Âge. Études réunies par Danielle Bohler, Cahiers du Léopard d’Or, 11 (2006), p. 213-223. Sur Jeanne de Laval en particulier, A.-M. Legaré, « Reassessing women’s libraries in late medieval France : the case of Jeanne de Laval », Renaissance Studies, 10/2 (1996), p. 209-229, Ead., « Les deux épouses de René d’Anjou et leurs livres », dans Splendeur de l’enluminure. Le roi René et les livres (catalogue de l’exposition d’Angers, 2009-2010), éd. M.-É. Gautier, Angers-Arles, 2009, p. 65-67 et « Sources relatives aux livres de Jeanne de Laval », p. 59-71 et p. 398-399. Voir enfin ma propre analyse des « Livres, lectures et bibliophilie chez les femmes de la noblesse bretonne à la fin du Moyen Âge (xiiie-début xvie siècle) », Mémoires de la Société d’Histoire et d’archéologie de Bretagne, 115 (2017), p. 217-236. 38  Maître Jean d’Aulnay, paroissien de Notre-Dame de Nantes et juriste († 1458), et Martin Badaud, chapelain de Notre-Dame de Bon-Secours à Nantes (1476), très probablement ancien étudiant : D. E. Booton, Manuscripts, p. 294 et 328. 33 

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regroupent trois chapitres cathédraux39, deux chapitres collégiaux40, une paroisse41 et un diocèse42 , pour les séculiers ; deux abbayes, pour les réguliers43. Comment entrent-ils en possession de ces manuscrits ? Les canaux sont nombreux, mais classiques. Douze de ces ouvrages sont le fruit d’une commande personnelle. Les commanditaires ont deux profils bien précis : trois sont de nobles femmes bibliophiles et de lignages bibliophiles, qui se font réaliser un total de huit ouvrages44 ; un neuvième est conçu pour un chapitre cathédral45 et les trois derniers, à l’usage d’une paroisse46. Sans qu’une demande spécifique soit nécessairement attestée, les acquisitions personnelles existent également. Viennent ensuite la transmission familiale47, les dons et les legs, généralement au profit d’abbayes ou de librairies de chapitres cathédraux48. Il existe enfin le cas du propriétaire auteur de son ouvrage : Yves Hélori, rédacteur de Fleur des saints49. Les personnages qui en font l’objet sont généralement des saints auxquels le propriétaire de l’ouvrage tient particulièrement, qu’il s’agisse de son protecteur éponyme, comme sainte Anne, pour Anne de Bretagne ou saint Jean Baptiste, pour Jean II de Rohan (1452-1516)50 ; qu’il s’agisse de saints importants dans sa région : Jeanne de Laval, duchesse d’Anjou et comtesse de Provence par son mariage avec René d’Anjou (1409-1480), a par exemple la Vie et office de saincte Saint-Samson de Dol (1440), Saint-Pierre de Vannes (1483 et 1497) : J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 181, J.-P. Leguay, « Vannes au xve siècle. Aspects institutionnels, économiques et sociaux », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 103, 1976, p. 96 et D. E. Booton, Manuscripts, p. 139 ; Saint-Tugdual de Tréguier (1491), « Comptes de l’église de Tréguier », Bulletin et Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 2 (1885-1886), p. 1-13, J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 154 et D. E. Booton, Manuscripts, p. 145. 40  Notre-Dame de Guingamp (1465) et Le Folgoët (1472) : J.-L. Deuffic, « Peintures et enlumineurs à Guingamp », p. 47-50 et Id., Inventaire des livres, p. 141, no 160. 41  Saint-Melaine de Morlaix : Id., Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Léon, p. 145 et « Copistes bretons », p. 167 et 171. 42  Ce lectionnaire hagiographique à usage de l’église de Tréguier n’a pu être plus précisément rattaché, BNF, lat. 1148 et J.-L. Deuffic, Inventaire des livres, p. 21-22. 43  La Melleraye : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres, p. 185-186, no 26 ; et Bégard, C. Evans, L’abbaye cistercienne de Bégard, des origines à 1476 : histoire et chartes, Turnhout, 2012, p. 412. 44  Cinq pour Jeanne de Laval et un pour Louise de Laval ; deux pour Catherine de Coëtivy. 45  Le copiste Jean Pocart œuvre à « l’escripture de cinquante cayers de vellin du legendaire » de Saint-Pierre de Vannes, en 1497 ; J.-L. Deuffic, « Copistes bretons », p. 181. 46  Ibid., p. 167. 47  De Charles à Marguerite d’Orléans : D. E. Booton, Manuscripts, p. 319. 48  Du chanoine Pierre Dorenge ou de Jean d’Aulnay à Notre-Dame de Nantes : M. Lémeillat, Les gens de savoir en Bretagne à la fin du Moyen Âge (fin xiiie-xve siècle), thèse de doctorat sous la direction de N. Gorochov, université Paris-Est Créteil, 2018, vol. i, p. 546, tableau 120, et p. 550, tableau 122 ; de l’étudiant Thibaut Guiho à l’abbaye de Paimpont : J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Saint-Malo, p. 101, no 211. 49  J.-L. Deuffic, Monuments originaux de l’histoire de saint Yves, p. 43. 50  Nantes, bibl. mun., ms. 652 ; D. E. Booton, Manuscripts, p. 304-305. 39 

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Marthe et des Histoires de saint Honnorat, tous deux vénérés en Provence51 ; ou que ces saints représentent beaucoup dans son existence ou sa spiritualité quotidiennes. C’est surtout le cas pour des religieux, à titre individuel, comme Marie de Bretagne, nous l’avons vu précédemment ; ou à titre collectif, pour les communautés religieuses qui conservent la Vie de leur saint dédicataire.

4. Où sont les saints bretons ? Dans cet ensemble, les vies de saints bretons sont seulement six. Toutes sont des Vies de personnages tutélaires conservées par les couvents, les chapitres cathédraux ou les paroisses directement concernés. Saint-Maurice de Carnoët possède ainsi la Vie de saint Maurice rédigée par l’abbé Guillaume. Saint-Jacut garde une « vieille vie en vers françois » du saint du même nom. Les chapitres cathédraux de Dol et de Tréguier ont respectivement une Vie de saint Samson et une de saint Yves. La  paroisse Saint-Melaine de Morlaix a aussi une Vie de Saint Yves et une Vie du dit saint Melaine. À ce total s’ajoutent trois légendiers dont il est précisé qu’ils comptent des Vies de saints bretons. Le premier est celui des Franciscains de Quimper et comporte, entre autres, la Vie de Jean Discalcéat52 . Le deuxième se trouve à la collégiale du Folgoët : Albert Le Grand l’a utilisé, afin d’établir les Vies de Guevroc, Hervé ou Tenenan53. Le dernier n’a pas de possesseur attitré, mais on sait qu’il y est fait référence aux saints Lunaire, Cunwal et Tugdual54. En revanche, aucun des propriétaires individuels de manuscrits hagiographiques attestés n’a de Vie de saint breton en particulier. Comment l’expliquer ? Un premier fait est à souligner : les dix nobles propriétaires du corpus entretiennent tous des liens privilégiés avec le royaume de France, dont ils sont originaires (Charles de Blois, Marguerite d’Orléans), ou bien où ils résident : Marie de Bretagne, fille de Richard de Bretagne, comte d’Étampes (14211438), et de Marguerite d’Orléans, est abbesse de Fontevraud (1457-1477). Anne est duchesse de Bretagne (1488-1514) et reine de France  (1491-1514). Jeanne de Laval est duchesse d’Anjou (1454-1480). Catherine de Coëtivy, fille d’Olivier de Coëtivy (1418-1480), sénéchal de Guyenne (1451-1461), et de Marie de Valois (1444-1473), fille adultérine du roi de France Charles VII (14221461) et d’Agnès Sorel (vers 1422-1450), est l’épouse d’Antoine de Chourses, A.-M. Legaré, « Sources relatives aux livres de Jeanne de Laval », p. 398-399. J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Quimper, p. 236, no 242. 53  Id., Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Léon, p. 141, no 160. 54  Id., Inventaire des livres liturgiques de Bretagne. Tréguier, p. 23-24. De tels saints peuvent aussi bien le rattacher aux diocèses de Dol et Saint-Malo qu’à ceux de Léon ou de Tréguier. 51 

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conseiller et chambellan royal, gouverneur de Béthune (avant 1480-1485). Son oncle Prigent (1399-1450) est notamment amiral de France (1441-1450)55. Parmi d’autres serviteurs des souverains français figure aussi le connétable Olivier de Clisson (1380-1392). Cela explique pour certains l’accentuation locale non bretonne de leurs textes (Honorat et Marthe chez Jeanne de Laval) ; et contribuerait à expliquer, pour tous, le caractère généraliste des œuvres qu’ils détiennent, avec une priorité donnée à la Légende dorée. Néanmoins, cela ne suffit pas. Prenons les cinq autres propriétaires individuels (et gens de savoirs) de livres qui, s’ils sont parfois passés par la France pour leurs études, vivent et travaillent en Bretagne. Yves Hélori y est official (1284-1298/1300) ; Pierre Dorenge, chanoine de la cathédrale Saint-Pierre de Nantes (après le 15 février 1387/avant le 31 août 1390-1395) ; Jean d’Aulnay, juriste et paroissien de la collégiale Notre-Dame de Nantes († 1458)56. Or, tous détiennent d’abord des légendiers généraux. Les Vies de saints particuliers ne se retrouvent que dans les chapitres séculiers et les couvents réguliers, où elles côtoient d’ailleurs parfois un recueil de saints global décidément indispensable (une Légende dorée aux chapitres cathédraux de Dol et de Quimper, au chapitre collégial de Guingamp)57. Les saints bretons ne sont pourtant pas inconnus dans le duché. Plusieurs prélats en préconisent le culte et la prière, comme en attestent quelques-uns des statuts conservés pour les xive et xve  siècles. Alain Hélori, évêque de Tréguier (1330-1338), précise en  1334 diverses obligations que sont tenus de respecter les curés de son diocèse, notamment celle d’avoir la Vie, la légende et l’histoire de saint Tugdual, dont la fête est naturellement à faire célébrer. En outre, tout ecclésiastique a obligation de dire les heures canoniales et de réciter les offices de saint Yves, saint Tugdual et de la Vierge Marie58. Ces cultes Sur le personnage, R. Harrouët, « Une famille de bibliophiles », p. 143-160. Pour le cursus d’Yves Hélori, ancien étudiant à Paris et à Orléans, M. Lémeillat, Les gens de savoir, vol. ii, p. 426. Pierre Dorenge et Jean d’Aulnay n’ont pas d’études universitaires attestées, mais le premier est notaire et le second est manifestement juriste ; sur leur bibliothèque (à accentuation théologique pour le premier et juridique pour le second), ibid., vol. i, p. 546, tableau 120, et p. 550, tableau 122. 57  Pour Quimper (1361) : V.  Roudaut-Adam, Réédition des cartulaires, no  332. Pour Dol (1440), où la Légende dorée est d’ailleurs enchaînée dans le chœur, à disposition, A.  Le  Moyne de La  Borderie, « Notes sur les livres », p.  41. Pour Guingamp (1465), J.-L. Deuffic, « Peintures et enlumineurs à Guingamp », p. 49. 58  E. Martène et U. Durand, Thesaurus novus anecdotorum. Complectens Regum ac Principum, aliorumque virorum illustrium epistolas et diplomata, monumenta prosa de Schismate Pontificum avenionensium, chronica varia, monumenta historica, varia concilia, statuta Syno­ dalia, et opuscula varia SS. Patrum, aliorumque auctorum Ecclesiasticorum : omnia nunc primum edita, studio et opera Domni Edmundi Martene et Domni Ursini Durand, monachorum Benedictinorum, F. Delaulne, t. iv, Paris, 1717, col. 1113-1118 et P.-H. Morice, Mémoires pour 55 

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spécifiques sont aussi rappelés par son successeur Even Begaignon (1362-1371), en 136259. À Quimper, Geoffroy Le Marhec (1357-1383) appuie le culte de saints locaux (Corentin, Conogan et Ronan), également dans le cadre d’un rappel plus large de ses missions, à l’intention de son clergé paroissial60. Le xve siècle débute avec davantage de classicisme. Les statuts subsistants61 évoquent principalement des saints célébrés dans toute la chrétienté. En 1437, l’évêque de Tréguier Raoul Rolland (1434-1441) fait établir une énumération des fêtes à honorer durant le calendrier annuel. Les saints classiques, tels Vincent, Agathe, Mathieu ou Thomas d’Aquin, y occupent la majeure partie. Quelques Bretons y figurent aussi, mais parmi les plus renommés (Yves) ou les plus spécifiques au diocèse de Tréguier (Maudez et Tugdual)62 . Pas davantage. La  situation change à partir de la seconde moitié du xve  siècle63. En 1450, l’évêque de Tréguier Jean de Ploeuc (1442-1453) reprend une liste des célébrations à effectuer, plus succincte, mais avec les mêmes personnages à honorer. Toutefois, deux nouveautés paraissent : la première est la précision, pour certains noms, de la paroisse ou des paroisses du diocèse dans lesquels ceux-ci font l’objet d’une vénération particulière. Il est ainsi précisé que saint Maudez est spécialement célébré à Hengoat, ou saint Georges, à Pleucastel et Pleubian. La seconde est que, de nouveaux noms sont, pour ce motif, ajoutés à la liste d’origine : saint Goneri, en raison de la place qu’il tient dans la paroisse de Plougrescant, ou saint Brieuc, à Bourbriac ; et il est bien exposé dans les statuts que l’ajout de ces fêtes au calendrier tient à cette vénération64. En 1459, c’est au tour du prélat Jean de Coëtquis (1454-1464) de faire énoncer l’intégralité des fêtes de saints à célébrer dans son diocèse trégorrois : tous y servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de la Bretagne, Paris, 1742-1746, t.  i, réimp. Paris, 1974, col. 1370-1375 ; partiellement résumés par R. Couffon, « Un catalogue des évêques de Tréguier », Bulletin monumental de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, 61 (1929), p. 53. 59  E. Martène et U. Durand, Thesaurus, t. iv, col. 1118-1120 ; P.-H. Morice, Mémoires, t. i, col. 1600-1601. Quelques passages repris par R. Couffon, « Un catalogue des évêques de Tréguier », p. 59, et par A. Bigaignon, qui en donne une traduction en français : « Une figure éminente du Panthéon breton : Even Begaignon. Évêque de Tréguier (xive siècle) », Bulletin monumental de la Société d’émulation des Côtes d’Armor, 121 (1992), p. 81-84, annexe VII. 60  J.-P. Leguay et H. Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, Rennes, 1997, p. 149 ; A. Chauou, « Les évêques réformateurs en Bretagne à la fin du Moyen Âge », dans Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget par ses anciens élèves, éd. P. Boucheron et J. Chiffoleau, Paris, 2000, p. 75. 61  Le diocèse de Tréguier est le seul pour lequel une série assez régulière est conservée. Le diocèse de Quimper n’en a guère. Il ne reste que des extraits pour celui de Saint-Malo. 62  P.-H. Morice, Mémoires, t. ii, col. 1280. 63  Sur cette reprise de vigueur dévotionnelle bretonne à l’égard des saints locaux : J.-P. Leguay et H. Martin, Fastes et malheurs, p. 364-366. 64  P.-H. Morice, Mémoires, t. ii, col. 1523.

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figurent, tant les saints classiques que les saints bretons anciens et nouveaux65. Le pouvoir clérical encadrant (en tout cas, pour les diocèses dont les statuts synodaux sont conservés) donne une place officielle et d’ampleur diocésaine à une dévotion visiblement fervente, mais souvent très localisée, pour des « individus vénérés comme des saints en milieu populaire », dont il approuve et accompagne un culte en pleine recrudescence66. Outre les statuts synodaux, les fêtes de saints locaux vénérés et objets de processions sont marquées dans les bréviaires et missels à l’usage des différents diocèses bretons67. Enfin, des saints spécifiques transparaissent dans quelques-uns des livres d’Heures conservés pour la fin de la période médiévale bretonne : chez les du Chastel (milieu du xve siècle), par exemple68. Si le saint breton est connu : pourquoi est-il circonscrit à un secteur donné ? Il semble davantage qu’il existe deux niveaux de vénération : l’une plus internationale, à échelle de la chrétienté (Anne, Jean, Pierre), de la part de la haute noblesse notamment ; l’autre à échelle diocésaine, de la part de lignages ancrés localement, mais surtout de la part du petit peuple. Celui-ci destine plus sa confiance à des personnages locaux (certes, aux origines parfois douteuses, mais finalement validées par l’Église), qui, à ses yeux, font régulièrement la preuve de leur efficacité par des miracles, parfois transmis par les clercs (lors de prêches, par exemple), mais d’abord et surtout dans le cadre familial, garant de l’aura et du prestige d’un saint aux prouesses testées et approuvées par les prédécesseurs. Le présent corpus atteste à la fois de la conservation et d’une certaine continuité de création de manuscrits hagiographiques à l’intention de Bretons, à la fin du Moyen Âge. Propriété de grands nobles bibliophiles ou de gens de savoir, de couvents réguliers ou de chapitres séculiers, ils demeurent à la base de la pratique religieuse. Toutefois, on ne saurait s’appuyer sur eux seuls pour retracer la vénération bretonne. En effet, les saints bretons n’y paraissent guère, alors même qu’ils font parallèlement l’objet d’une vénération du petit peuple, suivi et encadré par les autorités diocésaines ; probablement suivant plusieurs niveaux de croyances, entre vénération populaire et cultes plus classiques, communs à l’ensemble de la chrétienté. Ibid., t. ii, col. 1532. La citation est d’A. Vauchez, même si celle-ci est à l’origine destinée aux personnages considérés comme des martyrs par les fidèles, La sainteté en Occident, p. 181. 67  J.-L. Deuffic, Inventaire des livres liturgiques de Bretagne, passim. 68  Avec présence de plusieurs saints vénérés dans le Léon familial, incluant quelques raretés comme saint Turien, saint Alour ou saint Tuzven : Saint-Brieuc, bibl. mun., ms.  1 et ­J.-L. Deuffic, « Saint (T)Uzven, un nouveau saint breton… « homologué » par un Livre d’Heures du xve  siècle  », http://blog.pecia.fr/post/2013/04/13/Saint-Uzven, consulté le  04/05/2021. Je renouvelle mes remerciements à J.-L. Deuffic pour avoir ré-attiré mon attention sur saint Tuzven. 65 

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Un légendier méconnu, commandité par le cardinal Georges d’Amboise vers 1500 (Rouen, BM, A. 40 [1412]) Fernand Peloux et Laura Vangone (Toulouse)

(Bologne)

Le manuscrit qui fait l’objet de cette contribution à quatre mains nous conduit dans un angle mort de la recherche sur les manuscrits hagiographiques de la fin du Moyen Âge : les légendiers produits vers 1500. Quels sont leur nombre, leurs caractéristiques, leurs fonctions et leurs usages à l’ère de l’imprimerie ? Aucune réponse globale à ces questions ne peut être apportée tant les études de cas manquent. On voudrait donc modestement en proposer une ici. La bibliographie sur le manuscrit BM Rouen, A. 40 (1412) est famélique. Henri Omont en donne une description extrêmement sommaire dans le catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France en 1886 tandis qu’en 1902, le Bollandiste Albert Poncelet en relève le contenu dans son catalogue des manuscrits hagiographiques de la bibliothèque1. À le lire, on se rend compte que l’essentiel du manuscrit est composé de Miracles de la Vierge, suivis de textes concernant des saints universels et locaux : les saints locaux sont – à une exception près – exclusivement normands, ce qui ne saurait étonner vu la localisation actuelle de ce manuscrit. L’exception est constituée par saint Paul de Narbonne, dans une version de sa Vie relativement rare. Depuis, personne ne s’est véritablement intéressé à cet exemplaire qui partage donc le délaissement commun des historiens à l’égard de A. Poncelet, « Catalogus codicum hagiographicorum Bibliothecae publicae Rotomagensis », Analecta Bollandiana, 23 (1904), p. 131-135. 1 

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 311-347. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126298

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Fernand Peloux et Laura Vangone

l’essentiel des manuscrits hagiographiques tardifs. Le codex aurait pu toutefois attirer l’attention des historiens de l’art car sa décoration est tout à fait remarquable (fig. 1). Il n’en fut rien. En réalité, la date du manuscrit, sa décoration, tout comme son contenu et son histoire même orientent vers un prestigieux commanditaire : le cardinal Georges d’Amboise (1460-1510), archevêque de Rouen à partir de 14932 , gouverneur de Normandie en 1495 et cardinal de San Sisto en 1498, enfin principal conseiller du roi Louis XII (1498-1515) – il faillit même devenir pape en 15033. Les lignes qui suivent veulent avant tout tenter de saisir la cohérence de ce légendier, en retraçant son histoire et en examinant brièvement son contenu.

1. Un manuscrit de la Renaissance, témoin de l’influence italienne en Normandie Le manuscrit a été vraisemblablement réalisé entre la fin du xve et le début du xvie siècle. Dans la province de Rouen, Georges d’Amboise s’est adonné à des entreprises de restauration et de modernisation, comme celle du palais épiscopal de Rouen et du château de Gaillon4. Ce dernier, considéré comme le « premier foyer de la Renaissance en France » a attiré l’attention de nombreux spécialistes5. Les qualités de bibliophile et de collectionneur d’art de Georges d’Amboise ont été examinées dans des études qui ont notamment mis en lumière l’acquisition de codices d’Italie et le rôle que ces derniers ont Nous remercions grandement Patricia Stirnemann qui nous a mis sur la bonne voie. Cet article a été écrit de concert, mais Laura Vangone est responsable des recherches qui relèvent de la première partie « Un manuscrit de la Renaissance ... » p. 312-317, puis des saints universels et normands « Figures d’autorité ... », p. 322-324 et « Continuité épiscopale ...  », p. 325-327, tandis que Fernand Peloux s’est concentré sur le recueil marial et la Vie de Paul de Narbonne dont il donne l’édition en annexe. 3  Sur la biographie de Georges d’Amboise voir, entre autres, les actes d’un colloque qui s’est tenu à Liège en 2010 et qui a abordé la figure du personnage sous différents angles (J. Dumont et L. Fagnard [dir.], Georges Ier d’Amboise [1460-1510]. Une figure plurielle de la Renaissance, Rennes, 2013) ainsi que ceux d’un colloque tenu à Rouen : J.-P. Chaline (dir.), Au seuil de la Renaissance. Le cardinal Georges d’Amboise (1460-1510), Rouen, 2012. 4  Ce chantier fut dévoilé par l’ouvrage d’A. Deville, Comptes de dépenses de la construction du château de Gaillon publiés d’après les registres manuscrits des trésoriers du Cardinal d’Amboise, Paris, 1850. Depuis, la bibliographie est riche : É. Thomas, « Gaillon, chronologie de la construction », dans L’architecture de la Renaissance en Normandie, éd. B. Beck et al., Caen, 2003, vol. 1, p. 153-161 ; Y. Bottineau-Fuchs, « Georges Ier d’Amboise et la Renaissance en Normandie », dans Du Gothique à la Renaissance. Architecture et décor en France (1470-1550), éd. Y. Esquieu, Aix-en-Provence, 2003, p. 89-104. 5  Voir notamment É. Chirol, Un premier foyer de la Renaissance en France : le château de Gaillon, Paris, 1952. 2 

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UN LÉGENDIER MÉCONNU, COMMANDITÉ PAR LE CARDINAL GEORGES D’AMBOISE

joué dans l’élaboration de nouveaux manuscrits en France6. Or notre manuscrit possède bien les caractéristiques d’un artefact d’inspiration italienne. Parmi les livres commandités par Georges d’Amboise, nous proposons de voir dans le manuscrit BM Rouen, A. 40 le « volume en parchemin des Miracles Notre Dame, couvert de satin violet » mentionné à la fin de l’année 1503 ou au début de l’année  1504 dans l’inventaire A du château épiscopal de Gaillon sous le numéro  237. En  1508, il est à nouveau mentionné sous le même numéro 23, dans l’inventaire B du château8. Plus tard, en 1550, après Il fut également amateur d’art et notamment d’Andrea Mantegna (cf.  G.  Toscano, « Le cardinal George d’Amboise [1460-1510] collectionneur et bibliophile », dans Les cardinaux de la Renaissance et la modernité artistique, éd. F. Lemerle et al., Villeneuve d’Ascq, 2009, p. 52-54), ainsi que mécène d’Andrea Solario. Sur la bibliothèque de Georges d’Amboise, voir M.-P. Laffitte, « La librairie de Georges d’Amboise à Gaillon », dans Léonard de Vinci entre France et Italie « miroir profond et sombre », éd. S. Fabrizio-Costa et J.-P. Le Goff, Caen, 1999, p. 261-273. Il s’agit d’une bibliothèque pour la plupart en latin même s’il y a des manuscrits français. En  même temps que les travaux commençaient à Gaillon, Georges avait acheté au roi Frédéric III, exilé en France, un important noyau de manuscrits appartenant déjà à la prestigieuse bibliothèque de la cour fondée à Naples par Alphonse V d’Aragon au milieu du xve  siècle. Léopold Delisle dressa en premier l’inventaire des manuscrits dans lesquels il avait pu reconnaitre les armes du cardinal (cf. L. Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque Impériale, Paris, 1868), puis les manuscrits exécutés à Rouen pour l’archevêque de Rouen firent l’objet de l’étude de G. Ritter et J. Lafond, Manuscrits à peinture de l’École de Rouen : Livres d’heures normands, Paris, 1913 et ensuite de celle d’I. Delaunay, « Le manuscrit enluminé à Rouen au temps du cardinal Georges d’Amboise : l’œuvre de Robert Boyvin et de Jean Serpin », Annales de Normandie, 45 (1995), p. 211-244. Aucune de ces études ne parle de notre manuscrit. 7  Ce premier inventaire, beaucoup plus bref que le deuxième, contient la liste des biens meubles, des tapisseries, des draps d’or et de soie, vaisselle, reliquaires, livres de Georges et est conservé à Rouen (Archives départementales de la Seine-Maritime [désormais ADSM], G 867). Il comprend cinquante-huit manuscrits. Les inventaires ont été réédités récemment par M.-P. Laffitte, « Édition des inventaires de Gaillon », dans Une Renaissance en Normandie. Le  Cardinal Georges d’Amboise, éd.  F.  Calame-Levert et  al., Montreuil, 2017, p. 264-274. 8  L’inventaire B (Rouen, ADSM, G 866, fol. 16-18) a été établi au moment du transfert à Gaillon des collections de Georges d’Amboise à l’occasion de la visite de Louis XII et d’Anne de Bretagne (il est daté du 20 septembre 1508). Il a été publié plusieurs fois au cours du xixe siècle (A. Deville, Comptes de dépenses, p. 213-214 ; L. Delisle, Le Cabinet, p. 233 sqq). L’inventaire des livres est ici divisé en deux parties, la première correspondant au contenu de l’inventaire A et comprenant les acquisitions plus récentes, la deuxième incluant les manuscrits achetés au roi de Naples Frédéric d’Aragon vers 1502-1503. Notre manuscrit apparait donc dans la première partie alors que la deuxième liste 138 manuscrits parmi lesquels figurent des ouvrages de saint Augustin, saint Thomas, saint Bonaventure, Duns Scot, saint Grégoire à côté des œuvres d’Ovide, Livie, Plutarque, Virgile, Platon, Aristote. Comme on le voit, dans l’inventaire, le nom de l’auteur avec le titre de l’œuvre est suivi d’une brève description de la reliure. Ils sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France (quarante-quatre manuscrits) mais aussi à la British Library de Londres (une trentaine), à la bibliothèque municipale de Louviers, à la Bibliothèque Vaticane ainsi que dans les bibliothèques universitaires de Leyde et de Cambridge (cf.  G.  Toscano, « I  manoscritti della biblioteca napoletana 6 

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Fernand Peloux et Laura Vangone

la mort de Georges d’Amboise, le manuscrit apparaît localisé à Gaillon sous la cote 110 et est intitulé « De miraculis beate Marie et vitis plurimorum sanctorum », ce qui désigne plus précisément son contenu9. Il en résulte que le manuscrit a dû être réalisé à Rouen – où il se trouvait au moment de la rédaction de l’inventaire A –, entre 1493 (date de l’accession de Georges d’Amboise à l’épiscopat de Rouen) et la date de l’inventaire (fin 1503-début 1504). Ce manuscrit se trouvait au xixe siècle à l’abbaye Saint-Ouen de Rouen10 : à sa mort, le prélat avait choisi de laisser ses livres en français et ses livres personnels à son petit-neveu Georges III, fils de Charles II, qui les a probablement déplacés au château de Chaumont-sur-Loire. Mais ses livres en latin, il les laissa à son successeur (et neveu homonyme) sur le siège de Rouen, Georges II. Grâce à la lecture du troisième inventaire établi le 31 août 1550 alors que Georges  II était en charge, nous savons que la bibliothèque était encore intacte. Le pillage commence avec Charles Ier de Bourbon-Vendôme (1550-1590) : de nombreux manuscrits passent dans les collections de Jacques-Auguste de Thou, du chancelier Séguier, de Philippe Hurault,  etc. Le  fils du Chancelier de Cheverny, Philippe Hurault, évêque de Chartres de 1598 à 1621, avait rassemblé de nombreux manuscrits appartenant déjà à plusieurs membres de sa famille. À sa mort, le Conseil d’État a décidé de les faire acquérir par la Bibliothèque du Roi11. Du point de vue matériel, le manuscrit est composé de 119 folios et mesure 24,8 × 17,6 cm. Il est en parchemin, en bon état de conservation. Les cahiers se présentent en quaternions ; des réclames se retrouvent à chaque fin de cahier en position horizontale. Le texte apparaît sur une seule colonne et semble avoir été écrit par une seule et même main. Le manuscrit est anoure et s’arrête au milieu de l’epitome de la Vie de sainte Barbe. Il est difficile de savoir combien de folios sont perdus : un seul demi-quaternion ? Ou d’autres cahiers encore ? Les armes de la famille d’Amboise – des anges portant les armes – ont été effacées mais nous retrouvons à peu près le même module dans d’autres manuscrits de Georges d’Amboise (fig. 1). À l’intérieur du manuscrit, on lit à deux reprises le nom d’un certain Nicholas Ducer latinisé ensuite en Nicolas Acervo (du serf/du cerf > a servo/a cervo – qui ne se distinguent pas dans la dei re d’Aragona acquistati dal cardinale Georges d’Amboise », dans La biblioteca reale di ­Napoli al tempo della dinastia aragonese, éd. Id., Valence, 1998, p. 305-314). 9  Cet inventaire comporte une liste de cent quatre-vingt-quinze volumes (ADSM, G 868). 10  Le manuscrit présente à deux reprises l’ex-libris de l’abbaye (fol. 1, 54). 11  Sur la dispersion de la bibliothèque du cardinal d’Amboise, voir M. Hermant, « Les bibliothèques après la mort du cardinal. Enrichissements et dispersions », dans Une Renaissance en Normandie, éd. F. Calame-Levert et al., Montreuil, 2017, p. 231-244 ; M.-P. Laffitte, « La librairie de Georges », p. 269-271.

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prononciation française du latin) qui écrit dans une écriture de la seconde moitié du xvie siècle12 . Malgré nos efforts, nous n’avons pu identifier ce personnage qui indique posséder ce manuscrit. L’écriture est une écriture humaniste d’inspiration italienne. Normalement, les copistes n’ont pas l’habitude d’écrire de cette manière à cette date. Comme Patricia Stirnemann nous l’a suggéré, le scribe semble être le même que celui d’un manuscrit de la Cité de Dieu (BNF, lat. 2070, fig. 2 et 3), également mentionné parmi les manuscrits du château de Gaillon et enluminé par Jean Pichore13. Georges d’Amboise avait en fait acquis une bonne partie de la bibliothèque des rois aragonais14 et « son influence (scil. du cardinal d’Amboise) s’exerça d’une manière décisive sur l’art des calligraphes et des enlumineurs de son temps » et il « proposa à ces artistes des modèles italiens ; il mit probablement sous leurs yeux les beaux manuscrits qu’il avait rapportés de Naples. L’influence italienne est en effet visible dans les œuvres des artistes rouennais »15. Dans certains manuscrits enluminés pour le cardinal, une contamination des motifs français et du goût italien est évidente ; l’influence italienne se manifeste essentiellement dans les riches cadres enluminés qui entourent les scènes, réalisés selon les canons typiques de la miniature française de la fin du xve siècle. En ce qui concerne les enluminures, une importance capitale dans la commande des livres de Georges d’Amboise est revêtue par le BNF, lat. 7774, provenant de la librairie royale de Naples et donné à l’archevêque par Guillaume II Briçonnet, évêque de Lodève de 1489 à 1516. On voit facilement les similitudes de ce manuscrit avec le Rouen, A. 40, ainsi qu’avec le ms. BNF, lat.  1890 (fig.  4) et le BNF, lat.  5809 (fig.  5). Le  décor du premier, le BNF,

Nous remercions Mark Smith pour ces informations. Le nom est inscrit aux fol. 12v, 106, 119v. 13  La rédaction de ce volume a débuté en 1496 et fut achevée le 5 janvier 1502 (cf. I. Delaunay, « Le manuscrit enluminé », p. 212-213). 14  Alphonse  V d’Aragon, dit le Magnanime (1416-1458), après avoir battu les Angevins et conquis la ville de Naples en 1442, s’est construit l’image d’un prince-humaniste. La création de cette image va de pair avec la rénovation du Castel Nuovo et la construction de l’Arc de Triomphe, mais surtout avec l’aménagement de la bibliothèque et du studium à l’intérieur de son château. Il a aussi organisé autour de lui un cercle d’humanistes dont les principaux représentants étaient Lorenzo Valla et Antonio Beccadelli, dit le Panormita, pour n’en citer que deux. Sur la bibliothèque de ce roi, voir G. Toscano, « La formación de la biblioteca de Alfonso el Magnánimo : documento, fuentes, inventarios », dans La biblioteca real de Nápoles en tiempos de la dinastia aragonesa, éd. G. Toscano, Valence, 1998, p. 183-219 ; L. Delisle, « Notice historique sur la bibliothèque du Cardinal d’Amboise », Bulletin de la Société de l’histoire de France, 3 (1861-1862), p. 99-110. 15  G. Ritter et J. Lafond, Manuscrits à peinture, p. 7-9. 12 

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lat. 777416, a été réalisé par Cristoforo Majorana à la demande du cardinal Jean d’Aragon. Il contient le texte du De oratore de Cicéron, probablement écrit à Florence. Le frontispice du premier tome représente des palmettes, des putti, des animaux et des créatures chimériques ; les armes du cardinal d’Amboise y sont superposées à celles du cardinal de Briçonnet. Le frontispice et la première page du texte ont été réalisés en France au début du xvie siècle, en imitant la manière vénitienne et romaine17. Notre manuscrit a donc été vraisemblablement enluminé à Rouen. Les deux volumes d’un Monstrelet (BNF, fr. 2678-2679), dont l’enluminure est attribuable à Jean Pichore et Jean Serpin, présentent des ressemblances avec notre manuscrit (fig. 6) ainsi qu’avec le ms. BNF, lat. 2070 déjà mentionné. Il est possible que Jean Pichore enluminât ce légendier caractérisé par un mélange du répertoire italianisant et de motifs floraux, vu qu’il travailla surtout sur les lettres ornées et les encadrements et non comme illustrateur. Il réalisa également la décoration secondaire du ms. BNF, lat. 5809 et du Paris, Bibl. Mazarine, 1581 contenant les Antiquités juives de Flavius Josèphe18. Quoi qu’il en soit, ce manuscrit a été réalisé probablement à Rouen, en s’inspirant de modèles italiens tant pour l’écriture que pour l’enluminure19, mais sans que l’élément nordique ne disparaisse : par exemple, les feuilles d’acanthe blanches sont typiquement normandes, tout comme le décor de fleurs naturalistes sur fond doré était conforme à la tradition locale normande. Il faut dire qu’un bilan sur les échanges entre Naples et la Normandie au début du xvie siècle ne peut se faire sans un catalogage complet et donc une connaissance précise des codices d’origine napolitaine entrés dans les collections de l’archevêque de Rouen. L’étude critique de l’inventaire de 1508, fréquemment cité, serait très utile pour reconstituer ce patrimoine aujourd’hui dispersé entre la Bibliothèque nationale de Paris, les bibliothèques de Louviers, Rouen, Oxford, Cambridge, Londres, Berlin et d’autres encore. Il est intéressant de noter que notre manuscrit est parmi les premiers que Georges d’Amboise a fait réaliser, ce qui devait impliquer un choix délibéré Ce manuscrit est aujourd’hui composé de deux volumes (cotés latin 7774-1 et 7774-2). G. Toscano, « Le cardinal George d’Amboise », p. 66. 18  F.  Avril et N.  Reynaud, Les manuscrits à peintures en France, 1440-1520, Paris, 1993, n. 54, no 234 ; É. Taburet-Delahaye et al. (dir.), France 1500 : entre Moyen Âge et Renaissance, Paris, 2010, n. 30, no 162. 19  « Comme les rois de France Charles VIII puis Louis XII, le cardinal d’Amboise fut donc particulièrement sensible aux livres manuscrits d’origine italienne. Ces beaux volumes décorés de riches frises et de scènes selon un goût Renaissance permirent la diffusion des motifs décoratifs d’un pays à l’autre. Si la circulation entre l’Italie et la France des manuscrits peints est très ancienne, ce furent les prises de guerre de Charles VIII à Naples en 1495 et de Louis XII à Pavie en 1499 qui déterminèrent en France un véritable engouement pour le livre italien de la Renaissance » : G. Toscano, « Le cardinal George d’Amboise », p. 69. 16  17 

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et peut-être l’existence d’un programme réfléchi20. Quoi qu’il en soit, il faut d’une part reconnaître en ce manuscrit conservé à la BM de Rouen l’ancien numéro 23 du catalogue de Gaillon, ce qui n’a pas été fait lors d’une récente exposition qui a donné lieu à un catalogue partiel des manuscrits du prélat21, et d’autre part admettre que bien des manuscrits ont subi la même sort et qu’ils n’ont pas encore été attribués à leur célèbre commanditaire.

2. Sainteté universelle et ancrage local. La cohérence d’un légendier personnel Ce légendier n’est pas organisé per circulum anni. L’organisation des textes, dont la plupart sont des abrégés et des extraits, en font un légendier thématique pourvu d’une certaine cohérence qui le rapproche des légendiers que François Dolbeau a défini comme « généraux et systématiques »22 : après un recueil marial et des sermons de Bernard, les docteurs de l’Église sont placés en tête des confesseurs locaux, qui sont suivis par les saintes femmes. Aucun texte n’est découpé en leçon liturgique et un certain nombre d’indices indiquent plutôt un usage privé.

a. En ouverture. Un recueil marial (fol. 1-46) Le recueil marial, comme l’ensemble du manuscrit, a été décrit par Albert Poncelet dans son catalogue hagiographique en 1904. Il est assez malaisé de naviguer au sein d’un corpus miraculaire dédié à la Vierge qui s’apparente à « une forêt touffue »23 dans laquelle on pourrait se perdre. Pour utiles que sont le travail pionnier d’Adolf Mussafia ainsi que l’inventaire des Miracles mariaux établi par Albert Poncelet en 1902 (désormais abrégé en BVM), ils ne permettent pas d’être précis, tant les réécritures et les transformations des miracles mariaux ont

20  Les paiements de 1495-1497 (Rouen, ADSM, G 82) dans les comptes de la fabrique de la cathédrale de Rouen attestent de l’intérêt du cardinal d’Amboise. Ces paiements font référence à un bréviaire et à un De civitate Dei de saint Augustin et au financement de l’impression de deux textes liturgiques pour le clergé, un bréviaire et un missel à l’usage de Rouen (cf. I. Delaunay, « Le manuscrit enluminé », p. 211). 21  Florence Calame-Levert et  al., Une Renaissance en Normandie. Le  cardinal Georges d’Amboise bibliophile et mécène, Montreuil, 2017. 22  F. Dolbeau, « Notes sur l’organisation interne des légendiers latins », dans Hagiographie, cultures et sociétés, ive-xiie siècles, Paris, 1981, p. 11-29. 23  L’expression est de G. Philippart, « Le récit miraculaire marial dans l’Occident médiéval », dans Marie. Le culte de la Vierge, éd. D. Iogna-Prat et al., Paris, 1996, p. 563, n. 1.

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été intenses24. Surtout, ils ne permettent pas d’identifier facilement d’autres manuscrits dans lesquels se trouveraient à l’identique ces miracles ou une partie de ces miracles. Autrement dit, il est difficile – à moins d’une recherche approfondie qui nous emmènerait trop loin dans le cadre de cette étude –, de repérer un ou des modèles qui ont servi à l’éditeur de ce légendier. Est-ce à dire que la composition de notre recueil est tout à fait originale ? Impossible de le dire à ce jour. Lorsque le manuscrit est composé à l’orée du xvie siècle, il est évident qu’il existe une longue tradition de recueils et de compilations mariales. On se contentera ici de quelques remarques à partir de la première moitié des miracles copiés. Le légendier s’ouvre avec un texte sur la conception de la Vierge (8  décembre) attribué à Anselme de Canterbury et dont les premiers mots nous placent d’emblée en Normandie : Tempore illo, quo gloriossissimus Normannorum dux Guillermus Anglorum patriam debellando (fol.  1-3v). En fait, ce texte est identique à celui qu’on trouve dans certains exemplaires de la Légende dorée, mais non pas dans la version première de Jacques de Voragine éditée par Giovanni Paulo Maggioni25. Cependant, ce texte a bien circulé dans plusieurs exemplaires de la Légende dorée26. Suivent immédiatement des extraits des chapitres de la Légende dorée dans sa version primitive, pris dans le chapitre 127 sur la Nativité de la Vierge (fol. 4-5v) et dans le chapitre 37 relatif à la Purification (fol. 5v-6v). Suit (fol. 6v-8) un autre miracle relatif à la Purification, dans une version qu’on retrouve, d’après Albert Poncelet, dans un manuscrit des xiie-xiiie  siècles conservé à Gand, mais avec un incipit différent (BVM 1707)27. La dépendance par rapport à la Légende dorée se poursuit ensuite avec un extrait du texte relatif à l’Annonciation tel qu’il se trouve chez Jacques de Voragine (fol. 8-9, chapitre 50), puis un texte sur la Visitation de Marie à Élisabeth qui a aussi circulé dans des exemplaires de la Légende dorée (fol. 9-10v)28. 24  A.  Mussafia, Studien zu den mittelalterlichen Marienlegenden, Vienne, 1887-1898 et A. Poncelet, « Miraculorum B. V. Mariae quae saec. vi-xv latine conscripta sunt : Index », Analecta Bollandiana, 21 (1902), p. 241-360. Sur ces travaux et l’histoire des recueils latins de miracles mariaux, voir K. Fuchs, « Les collections de Miracles de la Vierge : rassembler, copier, réécrire. L’exemple du récit du pain offert à l’image du Christ », dans Miracles, Vies et réécritures dans l’Occident médiéval, éd. M. Goullet et M. Heinzelmann, Sigmaringen, 2006, p. 67-92 ; M.-L. Savoye, De Fleurs, d’or, de lait, de miel  : les images mariales dans les collections miraculaires romanes du xiiie siècle, thèse de doctorat sous la direction de F. Lecercle, université Paris-Sorbonne, 2009, p. 845-898. 25  Jacopo de Varazza, Legenda aurea, éd. G.-P. Maggioni, Florence, 1998. Le texte se trouve dans T.  Graesse (éd.), Jacobi a Voragine Legenda aurea vulgo Historia lombardica dicta, Dresde et Lipsiae, 1850, ch. 189, p. 869 sqq. 26  Voir par exemple F. Morenzoni, « La Légende dorée d’un curé du xve siècle du diocèse de Genève », Schweizerische Zeitschrift für Religions- und Kulturgeschichte, 98 (2004), p. 25. 27  « Appendix ad Catalogum codd. hagiogiographicorum Bibliothecæ Academiæ et Civitatis Gandavensis », Analecta Bollandiana, 4 (1885), p. 168 sqq. 28  Le texte se trouve dans l’édition de T. Graesse (éd.), Jacobi a Voragine Legenda, p. 885. Sur la domination de la légende dorée dans l’hagiographie du xvie siècle : É. Suire, « Entre

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Suivent plusieurs textes relatifs à l’Assomption de la Vierge, qui ne se trouvent pas dans la Légende dorée : un texte attribué à Jérôme, mais qui est en fait de Pascase Radbert, et qui a surtout été utilisé dans les milieux cisterciens (BHL 5355d, fol. 10v-12v)29, puis le récit d’une Vision d’Élisabeth de Schönau, toujours en lien avec ce thème (fol. 12v-13, BHL 5355). La base BHLms recense 14  manuscrits de ce texte, principalement localisés au nord de la France30. Autre indice des influences septentrionales, on trouve copié à la suite, toujours à propos de l’Assomption (fol.  13-14) un extrait du Livre des Abeilles de Thomas de Cantimpré (II, 40, 7)31. Enfin, pour clore cette partie spécifiquement consacrée à l’Assomption, un miracle tiré de l’Exordium magnum Cisterciense sive Narratio de initio Cisterciensis ordinis auctore Conrado qui raconte le début de l’ordre cistercien : la  majorité des manuscrits de cette œuvre vient des Pays Bas méridionaux, mais aucun manuscrit normand n’a été repéré par son éditeur Bruno Griesser32 . On trouve ensuite toute une série de Miracles (fol.  15v-45v) introduite par la rubrique Miracula varia ad omnem materiam de gloriosa Dei genitrice semperque virgine et intemerata Maria. Le  premier est un extrait du texte BHL 5403, porté selon la BHLms dans seize autres manuscrits, tous italiens. Le second (fol. 17) correspond à un thème qu’on trouve dans le De Miraculis beatae Virginis Mariae, rédigé dans la première moitié du xiie siècle par Guillaume de Malmesbury (BHL  5369, ch.  29), et ayant intensément circulé en Normandie, mais qui est donné dans une version plus courte : il est rapporté qu’un prêtre ignare célébrait une messe en l’honneur de la Vierge. sclérose et renouveau. Les orientations de l’hagiographie française du xvie siècle », Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 33-2 (2003), § 8-9. Sur les utilisations de la Légende dorée dans les recueils mariaux, voir les remarques de G. Philippart, « Les miracles mariaux de Jean Herolt (1434) et la Legenda aurea », Le Moyen Français, 32 (1993), p. 53-67. 29  Inc.  Cogitis me o Paula et Eustochium immo charitas Christi me compellit qui vobis dudum tractatibus loqui consueueram : PL XXX, 122 sqq, cf. A. Ripberger, Der Pseudo-Hieronymus-Brief IX « Cogitis me » : ein erster marianischer Traktat des Mittelalters von Paschasius Radbert, Fribourg, 1962 et C. Waddell, « La vierge Marie dans la liturgie cistercienne au xiie siècle », dans La Vierge dans la tradition cistercienne, éd. J. Longère, Paris, 1999, p. 128. 30  Parmi eux notons Saint-Pantaléon de Cologne (KBR 329-341, VdG 3134), xive siècle ; SaintLaurent de Liège (KBR  9810-9814, VdG  3229, xiie-xve siècle) ; Saint-Martin de Tournai (KBR 18421-18429, VdG 3241, xiie-xiiie siècle) ; Saint-Vaast d’Arras (Arras, BM 569, xiie siècle, cf.  J.  Van der Straeten, Les  manuscrits hagiographiques d’Arras et de Boulogne-sur-Mer, Bruxelles, 1971, p. 38-42) ; Anchin (Douai, BM 865, xiie siècle, cf. « Catalogus codicum hagiographicorum latinorum bibliothecae publicae Duacensis », Analecta Bollandiana, 20 [1901], p. 416) et la chartreuse de Bourg-Fontaine (diocèse de Soissons) : BNF, lat. 2042, xiiie siècle. 31  Voir son résumé dans J.  Berlioz et  al., « La face cachée de Thomas de Cantimpré », ­Archives d’histoire doctrinale et litteraire du Moyen Âge, 68 (2001), p. 73-94. 32  Exordium magnum Cisterciense sive Narratio de initio Cisterciensis Ordinis auctore Conrado, éd. B. Griesser, Turnhout, 1997 (1961) ; le passage en question se trouve aux p. 255-257.

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Il ne connaissait que cette messe et fut privé de la célébrer pour cette raison par son évêque à qui la Vierge apparut33. Le miracle suivant rapporte l’apparition mariale survenue dans l’église Saint-Michel à l’évêque de Clermont du viie siècle, Bonnet (BHL 1419)34. Ce manuscrit est le seul repéré à porter un tel texte. La source semble être ici Vincent de Beauvais (Speculum historiale, VII, 9735), mais ce miracle se trouve déjà longuement chez Guillaume de Malmesbury36. La  dépendance par rapport à Vincent de Beauvais se lit encore dans les deux miracles suivants, tirés du Speculum Historiale (VIII, 87 [fol. 18v], 103-105 [fol. 19v]). Ensuite, vient un texte non identifié par Albert Poncelet (fol.  22v) qui se rapproche textuellement d’un exemplum présent dans le Speculum exemplorum du chanoine de Windesheim Johannes Buch (mort après 1479), recueil de  1266 récits exemplaires imprimé en  1481, en grande partie dépendant des recueils médiévaux précédents37. On trouve le suivant (fol. 23v) dans le Stellarium Coronae Mariae Virginis du franciscain hongrois Pelbartus de Themeswar édité en 1498. Ce court exemplum provient probablement d’un recueil marial précédent qu’il reste à identifier. Ensuite, c’est dans les Dialogues de Césaire d’Heisterbach (VII, 32-33) qu’il faut chercher l’origine des deux miracles suivants (fol. 23v et 25) puis chez Géraud de Frachet pour les deux qui succèdent (fol.  25v et 26 Vitae Fratrum Ordinis Guillaume de Malmesbury, Miracles of the Blessed Virgin Mary, éd. R. M. Thomson et M. Winterbottom, Woodbridge, 2015, p. 83 sqq. 34  On ne connaît pas de chapelle Saint-Michel dans le libellus des églises de Clermont du xe siècle (cf. C. Lauranson-Rosaz, « Espace ecclésial et liturgie en Auvergne autour de l’an mil à partir du Libellus de sanctis ecclesiis et monasteriis Claromontii », dans Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, éd. A. Baud, Lyon, 2010, p. 43-66). La scène est représentée sur des vitraux de la cathédrale (actuellement dans la chapelle Saint-Bonnet) : cet exemplum ne vient pas de la Vie mérovingienne du saint (BHL 1418). Bernard Gui consacre à Bonnet une Vie dans son speculum sanctorale mais ne mentionne pas ce miracle (voir A. Dubreil-­ Arcin, Autour du Speculum sanctorale de Bernard Gui : ou l’écriture hagiographique, entre vues universelles, logiques grégaires et destins de clochers (xiiie-milieu xive  siècle), thèse de doctorat sous la direction de M. Fournié, université de Toulouse, 2007, p. 734-736), cf. aussi BVM, 972 et 175. 35  Éd. M. Tarayre, La Vierge et le miracle : le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, Paris, 1999, p. 86-89 qui donne une commode introduction sur les miracles mariaux chez cet auteur. 36  Guillaume de Malmesbury, Miracles of the Blessed Virgin Mary, p. 30. 37  Ce texte se lit dans B. Kruitwagen, « Het speculum Exemplorum », Haarlemsche Bij­ dragen, 29 (1905), p. 386-387, Distinctio decima, VI, où il est rapproché par l’éditeur de Césaire d’Heisterbach, VI, 30 mais le texte porté à cet endroit dans le Dialogus miraculorum est bien différent. La distinctio X est constituée de récits que l’auteur a pris dans des livres en langue thioise. Sur l’œuvre de Buch, voir N. Louis, L’exemplum en pratiques  : production, diffusion et usages des recueils d’exempla latins aux xiiie-xve siècles, thèse de doctorat sous la direction de X. Hermand et M.-A. Polo de Beaulieu, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)- Facultés Universitaires Notre Dame de la Paix, 2013, vol. ii, p. 310-314. 33 

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Praedicatorum, VII, 2 et VII, 738). Dans le suivant, il est fait clairement référence à Jacques le Chartreux (Inc. Refert doctor Jacobus Carthusiensis quod quaedam matrona beatae Virgini devota exstitit, fol. 26v), dit encore Jacques de Jüterborg ou Jacques de Paradiso (1381-1465)39, qui rapporte comment l’Ave Maria a sauvé une jeune fille du diable40. Arrêtons-nous là pour laisser le soin à d’autres de poursuivre –  et  nécessairement de corriger  – les lignes qui précèdent. Notons à ce stade que l’on peut établir la dépendance de cette compilation envers Jacques de Voragine, des récits exemplaires cisterciens ou encore Vincent de Beauvais (le dernier miracle de ce recueil dédié à la Vierge est explicitement tiré de son Speculum historiale). Il  n’est peut-être pas anodin de trouver un tel recueil marial en Normandie, organisé d’abord autour des grandes fêtes que sont, dans l’ordre,  la Conception, la Nativité, la Purification et l’Assomption. La première de ces fêtes, le 8 décembre, est une grande fête normande : dès la seconde moitié du xiiie siècle, cette date est la fête de la nation normande à l’université de Paris41. Les origines de la fête sont obscures mais il est certain qu’elle naît dans le monde anglais ou normand dans la seconde moitié du xie siècle. Il y a eu de vifs débats jusqu’à la fin du Moyen Âge sur la conception de la Vierge mais la fête s’ancre partout, notamment en Normandie, et à Rouen même où, en 1486, la confrérie de la Conception organise les Palinods, des concours de poésie en l’honneur de l’Immaculée. À  cette date, l’adhésion à cette idée se fait « sans aucune ambiguïté » pour reprendre les mots de Marielle Lamy. La fête attire tant de Rouennais qu’il faut même déplacer le concours dans le couvent des Carmes en 151442 . Finalement donc, au tournant de l’année 1500, la présence de ce recueil relatif à la Vierge en tête d’un légendier commandité par l’archevêque de Rouen n’est pas anodine et oriente vers un contexte normand.

Gérard Frachet, Vitae fratrum ordinis praedicatorum  : necnon Cronica ordinis ab anno MCCIII usque ad MCCLIV, éd. B. M. Reicher, Louvain, 1896, p. 60-63. Dans le second ­miracle, le nom du monastère de Prouilhe a été enlevé. 39  Cf. D. Mertens, Jacobus Carthusiensis. Untersuchungen zur Rezeption der Werke des Kar­ täusers Jakob von Paradies (1381-1465), Göttingen, 1976. 40  Ce thème se trouve déjà chez Jean Gobi, dans la scala cœli (XV, 8), cf. Jean Gobi, La scala cœli, éd. M.-A. Polo de Beaulieu, Paris, 1991, p. 459 (n. 683). 41  M.  Lamy, « Le culte marial entre dévotion et doctrine : de la “Fête aux Normands” à l’Immaculée Conception », dans Marie et la ‘Fête aux Normands’. Dévotion, images, poésie, éd. F. Thelamon, Mont-Saint-Aignan, 2011, p. 39-58. 42  D. Hüe, « La “Fête aux normands” et le Puy de Palinods de Rouen : la fête dans la ville », dans Marie et la ‘Fête aux Normands’. Dévotion, images, poésie, éd. F. Thelamon, MontSaint-Aignan, 2011, p. 110. 38 

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b. Figures d’autorité de l’Histoire sainte Après cette large première partie dédiée à la Vierge, on trouve des extraits de sermons, qui s’apparentent parfois à des centons, de saint Bernard (fol. 46-53v) : il s’agit de cinq extraits tirés des homélies sur l’Avent43, quatre du Missus est angelus, ou louange de la Vierge Marie, l’écrit qui a peut-être le plus contribué à faire de Bernard le docteur marial par excellence44 ; deux extraits tirés du premier sermon pour la veille de la naissance du Christ45 ; trois du troisième sermon pour la veille de la naissance du Christ46 ; deux tirés des quatrième et cinquième sermons pour cette même fête47 ; un extrait tiré du troisième sermon pour la naissance du Christ, deux tirés du quatrième et un du cinquième sermon pour cette même fête48. Suivent encore deux extraits du sermon pour les fêtes des saints Jean, Étienne et des saints Innocents49 et deux du premier sermon sur la Circoncision50. Seule une édition critique pourrait indiquer si ces extraits dérivent du Bernardinum (ou Flores s. Bernardi), un florilège des œuvres de saint Bernard attribué à Guillaume de Saint-Martin de Tournai (xiiie siècle), édité dès la fin du xve siècle en Allemagne et en 1499 à Paris par Philippe Pigouchet, et dont nous savons On relève dans les notes qui suivent les incipit et les explicit (non notés par Poncelet) : fol. 47 : Inc. : Non oportet, o homo, te maria transfretare, non penetrare nubes, non transalpinare necesse est… Expl. : …indignum est illuc auctorem puritatis intrare ; fol. 47 : Inc. : Noli fugere Adam quia nobiscum deus… Expl. : …similis nobis passibilis ; fol. 47-47v : Inc. : Per te accessum habeamus ad filium… Expl. : …super omnia benedictus Deus in secula. Amen ; fol. 47v-48 : Inc. : Venit siquide universitatis creator et Dominus… Expl. : …lucem habitat inaccessibilem ; fol. 48 : Inc. : Nemo enim reperitur in nobis… Expl. : …fragilitatem nostram protegat et propugnet. 44  Fol. 48-49 : Inc. : Pulchra permixtio virginitatis et humilitatis… Expl. : …quam virginitas simul comitatur et humilitas ; fol.  49-50 : Inc. : Porro Deum huiusmodi decebat Nativitas… Expl. : …ipsa propicia, pervenis ; fol. 50-50v : Inc. : Dura necessitas et grave iugum… Expl. : … quod tacuit et cogitavit prudentie ; fol. 50v-51 : Inc. Non magnum est esse humilem in abiectione… Expl. : …adepti sunt nummis, attribuere meritis. 45  Fol. 51 : Inc. : Vos qui in pulvere estis… Expl. : …ut regni sui faciat coheredes et fol. 51-51v : Inc. Hanc itaque Dei filius concupiscens… Expl. : …his sericis delectatur involvi. 46  Fol.  51v : Inc. : Vos qui in pulvere estis… Expl. : …ad proprie dignitatis reportet originem ; fol.  51v : Inc.  Tria opera, tres mixturas fecit Omnipotens… Expl. : …fides et cor humanum ; fol. 51v-52 : Inc. : Voluit quoque infirmiora nostra abundantiori gloria sublimare… Expl. : … et non sis ingratus. 47  Fol. 52 : Inc. : Absconde, inquam, absconde Maria… Expl. : …humilibus autem dat gratiam et fol. 52v : Inc. Nec enim tunc videbit maiestatem… Expl. : …non luxerit hodierna. 48  Fol.  52v : Inc. : Nasciturus itaque Dei filius… Expl. : …a seductore cavendum ; fol.  52v-23 : Inc. : Quam multa hodie gemmis et auro… Expl. : …usque hodie contradicitur ; fol. 53 : Inc. : Fornicator semetipsum dehonestat… Expl. : …impius plane et infidelis ; fol.  53v : Inc. : Non consolatur Christi infancia… Expl. : …pauperibus cedere videbuntur. 49  Fol. 53v : Inc. : Siquidem advertere est in his tribus solemnitatibus… Expl. : …aut solo spiritu, aut corpore solo ; fol. 53v-54 : Inc. : Si queris eorum apud Deum… Expl. : …occisos coronare. 50  Fol.  54-54v : Inc. : Erubescimus vulnerum ligaturam… Expl. : …regularis observatio discipline ; fol. 54v : Inc. : Hoc nempe est salutationis… Expl. : …optare quod contempnabamus. 43 

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grâce à l’inventaire du château de Gaillon que Georges d’Ambroise possédait deux copies qui ont malheureusement disparu ou n’ont pas été identifiées. Il faut également signaler la présence d’un abrégé de la Vita prima s. Bernardi (BHL 1211) par Guillaume de Saint-Thierry en avant-dernière position dans le manuscrit (fol. 113-114v). Après ce dossier de sermons de Bernard, on trouve une version abrégée du De ortu et obitu prophetarum (BHL 6546) d’Isidore de Séville (fol. 5471v)51 et un texte sur saint Georges tiré du Speculum historiale de Vincent de Beauvais (XIII, 131-132, fol. 72-73v). La présence de ce dernier saint s’explique peut-être par le nom du commanditaire qui lui voua un culte particulier52 . À la suite, on trouve des extraits de l’Historia Monachorum de Rufin (fol. 7480, BHL 6524). Un des plus anciens témoins de ce traité vient de Normandie : il s’agit d’un codex conservé à Rouen (1377 [U.  108]) qui contient aussi les Vies anciennes de Paul (BHL 6596) et d’Antoine d’Égypte (BHL 609), avec quelques-unes des Vies des abbés de Jumièges, où le manuscrit a été produit vers la fin du xe siècle. Un autre manuscrit conservé à Rouen provient également de Jumièges, Rouen, BM, U. 40 (1378) et remonte au xie siècle. Des trente-trois Vitae faisant partie de la traduction de Rufin, seules les Vies de sept moines ont été retenues ici. Sont ensuite copiés des extraits des Verba seniorum (fol. 80-85v) qui, comme partout en Occident, ont circulé en Normandie au Moyen Âge53. Isidore de Séville, De ortu et obitu Patrum, éd. C. Chaparro Gómez, Paris, 1985. Cette version s’arrête à Mathias, c’est-à-dire au 78e chapitre de l’édition. Le texte du ms. donne Seth avant Enoch et il manque Melchisedech entre Noé et Abraham, Loth entre Jacob et Joseph. Ensuite, il y a une importante lacune entre Joseph et Job, et un saut entre Josué et Samuel. Il manque encore Salomon entre David et Helias. Une autre importante lacune existe entre Daniel et Jean-Baptiste, puis, il manque Marie entre Jean-Baptiste et Simon Pierre. Philippe est placé après Thomas et non entre Jean et Thomas. Vers la fin on retrouve Jacques Alphée, Barthélemy, Matthieu, Simon, Judas et Mathias (et non Barthélemy, Matthieu, Jacques ­A lphée, Judas, Mathias, Simon, les Douze apôtres, les évangélistes Luc et Marc, Barnabé, ­Timothée et Titus). 52  M. Deldicque, « Entre Normandie et Italie. Georges d’Amboise, cardinal et commanditaire », dans Une Renaissance en Normandie. Le cardinal Georges d’Amboise, bibliophile et mécène, éd. F. Calame-Levert et al., Montreuil, 2017, p. 19. Que l’auteur soit remercié de sa relecture. Voir aussi, p. 29 de ce catalogue, l’octroi d’une indulgence au nom du prélat sous forme de placard daté de 1511, en haut duquel on voit la Vierge et Georges terrassant le dragon. Les religieuses de Saint-Sauveur firent probablement faire un retable dédié à la Vierge et à saint Georges pour « honorer leur archevêque » (ibid. p. 58-59). Enfin, la chapelle haute du château de Gaillon fut dédiée à ce saint et décorée d’un retable présentant le saint terrassant le dragon (ibid. p. 87). 53  Les Verba seniorum se retrouvent, parmi les manuscrits normands, dans Rouen, A.  120 (1375) daté du xie siècle, aux fol. 45-127v, et provenant de Jumièges ; dans Rouen, A. 370 (529), fol. 106-129v, un libellus du xiie siècle qui se trouvait à l’abbaye de Saint-Ouen de Rouen ; 51 

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Avec cet ensemble, on a une narration abrégée typique de la fin du MoyenÂge qui rapproche ce manuscrit d’un répertoire d’exempla, comme pour les textes mariaux. On a l’impression que Georges d’Amboise a souhaité avoir sous les yeux des textes hagiographiques brefs qui embrassent l’ensemble du sanctoral universel et l’histoire de la chrétienté. Du reste, les Vitae Patrum comme les Verba seniorum ont représenté à la fin du Moyen Âge un modèle pour l’ordre dominicain qui, d’abord avec Jacques de Voragine, puis avec Vincent de Beauvais, s’est largement répandu dans les légendiers54. Toujours dans cette perspective suivent les Vies de quatre docteurs de l’Église latine : un abrégé de la Vie interpolée de Grégoire attribuée à Paul Diacre (BHL 3640, fol. 86-87), un de la Vita Ambrosii par Paulin de Milan (BHL 377, fol. 8788v), un autre de la Vie d’Augustin par Possidius (BHL 785, sans prologue, fol. 88v-90) et un abrégé de la Vita Ieronimi (BHL 3869, fol. 90-91), faussement attribuée à Gennade de Marseille. Un abrégé du Sermo in veneratione sanctae Mariae Magdalenae (BHL 5439) et de la Vie apostolique de la sainte (BHL 5443) attribuée à Odon de Cluny vient clore cet ensemble de textes dédié aux grandes figures du christianisme (fol. 91v-93v)55. L’organisation du légendier est globalement thématique, de l’universel au local. Toutefois, l’éditeur n’a pas organisé strictement la matière. Après le dossier relatif aux évêques normands et avant la Vie de Paul de Narbonne, on trouve un abrégé de la Vita Benedicti (BHL 1102), tirée du livre II des Dialogues de Grégoire le Grand (fol. 96v-97v). Il s’agit d’un abrégé qui appartient bien à son époque : comme l’a montré Fabiana Boccini, jusqu’au xiiie siècle les éditeurs de manuscrits hagiographiques n’osent pas intervenir sur le texte de Grégoire et se limitent à couper surtout les dialogues et les expositiones. Mais avec l’arrivée des Legendae novae, les premiers épitomés et remaniements apparaissent. À partir encore de la fin du xiiie siècle, ces épitomés ont un texte soit abrégé soit retravaillé56.

un extrait du livre 18, § 3, se trouvait dans le Rouen, U. 123 (1467), en provenance de SaintÉvroult, du xiie siècle. 54  A. Boureau, « Vitae fratrum, Vitae patrum. L’ordre dominicain et le modèle des Pères du désert au xiiie siècle », Mélanges de l’École française de Rome, 99-1 (1987), p. 79-100, et sur l’importance des Vitae Patrum pendant le bas Moyen Âge, voir C. Delcorno, « Le Vitae Patrum nella letteratura religiosa medievale (secc. xiii-xv) », Lettere Italiane, 43-2 (1991), p. 187-207. 55  Voir D. Iogna-Prat, « La Madeleine du Sermo in veneratione sanctae Mariae Magdalenae attribué à Odon de Cluny », Mélanges de l’École française de Rome, 104 (1992), p. 37-70. 56  F. Boccini, « La “Vita beati Benedicti abbatis” (BHL 1102) in alcuni omeliari e leggendari medievali », dans I  ‘Dialogi’ di Gregorio Magno. Tradizione del testo e antiche traduzioni, éd. P. Chiesa, Florence, 2006, p. 57-81.

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c. Continuité épiscopale et dévotions populaires : le sanctoral normand Le manuscrit est ensuite consacré à des saints locaux normands. On trouve d’abord trois abrégés de Vies d’évêques de Rouen. Georges, archevêque de la ville, souhaite se placer dans la lignée de ses prédécesseurs en rassemblant des écrits concernant les plus importants d’entre eux. Le premier traite de saint Mellon (fol. 93v-94v), mais il ne s’agit pas d’un abrégé tiré de l’un des textes composant le dossier hagiographique du saint (BHL 5899-5902d). En fait, le texte se limite seulement à dire que Mellon fut le premier évêque de Rouen vers 360 pour une durée de cinq ans. En revanche, il se penche sur la diatribe au sujet de l’antériorité sur le siège épiscopal de Rouen entre Mellon et Nicaise. Il faut donc reconnaître dans ce texte l’interpolation des Acta des archevêques de Rouen réalisé à l’abbaye de Saint-Ouen pour justifier l’inscription de Nicaise à la tête de la liste des évêques de Rouen57. Georges d’Amboise s’intéresse aux origines mêmes de son siège et à ses heures les plus glorieuses. Le deuxième texte a pour objet le grand abbé mérovingien de Rouen, saint Ouen (641-684). Il s’agit d’un abrégé de la deuxième Vie du saint, très probablement rédigée à Saint-Ouen de Rouen (BHL 751)58. Le troisième texte est un abrégé de la Vita de Romain (BHL 7313), prédécesseur d’Ouen, attribué à Fulbert et rédigée vers  103659. Il  ne s’agit toutefois pas de la Vita la plus L’auteur du texte, écrivant à l’abbaye, connaissait la légende de Nicaise et conclut son récit en affirmant que Nicaise fut le premier à être désigné évêque tandis que Mellon fut le premier à s’asseoir sur le siège épiscopal. Depuis l’époque carolingienne, Mellon était considéré comme le premier évêque de Rouen (c’est de cette période qui datent les plus anciennes listes épiscopales de Rouen). Mais au xie  siècle, la rivalité grandissante entre la cathédrale de Rouen et l’abbaye de Saint-Ouen avait fait en sorte que Nicaise, qui apparaît comme un simple presbyter dans le martyrologe d’Usuard, devienne premier évêque de Rouen grâce à une manœuvre des moines rouennais. Des textes hagiographiques (BHL 6081/6083/6084) sont composés à l’abbaye qui présentent ce martyre comme premier évêque. L.  Violette semble bien avoir démontré l’antériorité de la version du Livre d’Ivoire qui en premier a relaté l’histoire des évêques de Rouen de Mellon à Jean d’Avranches (1067-1079) sur celle interpolée du Livre Noir de l’abbaye, qui présente avant Mellon un développement sur Nicaise (cf. L. Violette, « Le problème de l’attribution d’un texte rouennais du xie siècle : les Acta Archiepiscoporum Rotomagensium », Analecta Bollandiana, 115 (1997), p. 113-129 et surtout Id., « Nicaise, du martyr du Vexin au saint rouennais : valorisation de reliques par l’hagiographie au xie  siècle », dans Autour des morts : mémoire et identité, éd.  O.  Dumoulin et F. Thélamon, Rouen, 2011, p. 377-387). 58  Ce texte remonterait au commencement du ixe siècle car on y ignore l’invasion de la Basse Seine par les Normands. Il est conservé dans vingt-six manuscrits et constitue ainsi la plus répandue des Vies de l’évêque ; on la retrouve avec la troisième Vie (BHL 753) dans le Livre Noir de l’abbaye (Rouen, BM, Y. 41 [1406]). 59  Cf. L. Vangone, L’hagiographie latine du duché de Normandie (911-1204). Établissement d’un corpus raisonné de textes et analyse littéraire et historique, thèse de doctorat sous la direction de P. Bauduin, Caen, 2019. 57 

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répandue du patron de l’Église de Rouen (BHL 7312), dont le culte et l’ancrage dans la mémoire du diocèse étaient fondamentaux vers 1500 : sa légende figure sur un vitrail, un livret imprimé paraît en son honneur à l’orée du xvie siècle, et il figure aux côtés de Ouen sur le portail de la Calende de la cathédrale60. Quant au privilège de saint Romain – par lequel lors d’une cérémonie le chapitre cathédral graciait un détenu lors de la fête de l’Ascension –, il reçut le soutien décisif de l’évêque face aux officiers royaux61 . Une enquête dans les bréviaires permettrait de savoir si ces versions abrégées ont été rédigées ad hoc pour le légendier de Georges d’Amboise ou bien s’il ne s’agit pas d’abord de lectiones pour la liturgie des heures. Peut-être faut-il adjoindre à cet ensemble les textes qui clôturent le légendier, après la Vie de Paul de Narbonne. Le manuscrit se termine en effet avec deux abrégés de Vies de saintes femmes. Le premier a pour objet Catherine (fol. 114v-116), sainte plutôt populaire en Normandie : des reliques de sainte Catherine d’Alexandrie étaient conservées à l’abbaye de la Trinité-au-Mont de Rouen : trois petits os auraient été apportés en Normandie du temps du duc Richard II par le moine Syméon († 1035) et déposés dans la nouvelle fondation rouennaise. On  avait ainsi rédigé à l’époque ducale une Translatio (BHL 1679b), un recueil de miracles (BHL 1679c) et probablement une Vie (BHL  1663)62 . La  dernière sainte est sainte Barbe, dont le culte était également répandu en Normandie après l’arrivée de reliques d’Orient comme dans le cas de Catherine et la fondation du prieuré de Sainte-Barbe-en-Auge par Odon Stigand vers 1055, que J. Fournée définit comme le probable plus ancien lieu de culte de Barbe en France63. Le texte porté par le légendier est BHL 520 (fol. 116-117v), la Compilatio par l’augustin Jean de Wackerzeele, appelé aussi Jean de Louvain, remontant à la deuxième moitié du xive siècle64. Il faut rappeler que sainte Catherine et sainte Barbe étaient deux des quatre Sur la circulation de sa Vie imprimée au début du xvie siècle, voir M. Pouspin, Publier la nouvelle : les pièces gothiques, histoire d’un nouveau média, xve-xvie siècles, Paris, 2016, p. 516. Sur l’iconographie des portails de la cathédrale, voir M. Schlicht, La cathédrale de Rouen vers 1300 : un chantier majeur de la fin du Moyen Âge, Caen, 2005. 61  Sur saint Romain : C. Vincent, « Un “vieux” saint sans cesse rajeuni : l’évêque Romain de Rouen », dans La mémoire des saints des origines entre xvie et xviiie siècle, éd. B. Dompnier et S. Nanni, Rome, 2019, p. 299-317 et son article dans le présent ouvrage. Nous remercions chaleureusement C. Vincent qui a bien voulu relire notre contribution. 62  T. Chronopoulos, « The Date and Place of Composition of The Passion of St Katherine of Alexandria (BHL 1663) », Analecta Bollandiana, 130 (2012), p. 40-88. 63  Il lie la naissance du culte en Normandie à l’arrivée de reliques venues d’Orient à Saint-Martin-d’Écajeul. Cf. J. Fournée, Le culte populaire et l’iconographie des saints en Normandie. Étude générale, Paris, 1973, notamment, p. 53. 64  B. de Gaiffier, « La légende latine de sainte Barbe par Jean de Wackerzeele », Analecta Bollandiana, 77 (1959), p. 5-41. 60 

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virgines capitales avec Marguerite et Dorothée, dont le culte était très répandu au xve siècle et au début du xvie siècle : rien ne nous empêche de penser qu’on aurait pu trouver les Vies de Marguerite et Dorothée pour clôturer le manuscrit si celui-ci n’était pas incomplet. Dans ce légendier où même les cultes universels peuvent renvoyer à la Normandie, les saints locaux sont somme toute rares. Reste que le choix de présenter et de résoudre la diatribe sur l’antériorité de Mellon et Nicaise, puis de donner des résumés des Vies des saints les plus importants pour le siège et la province ecclésiastique de Rouen révèle peut-être la volonté précise d’un prélat bien conscient de son rang, qui souhaitait dessiner et s’insérer dans une courte mais significative chaîne de prédécesseurs. À cet égard, la présence d’une rare Vie de saint Paul de Narbonne est éloquente.

d. La longue Vie d’un contemporain des apôtres : Paul de Narbonne La copie de cette longue Vie de Paul de Narbonne est une pièce rare, mais pas unique, puisqu’on la trouve également dans un manuscrit conservé à Narbonne, BM, ms. 4, du xive siècle : ce manuscrit (autographe ?) porte la compilation hagiographique de Guillaume Hulard, conducher de la collégiale Saint-Paul de Narbonne dans les années 1360, auteur d’une grande œuvre à la gloire du saint, dans laquelle est insérée cette Vie longue, dont on donne pour la première fois une édition en annexe65. Cette Vie est une amplification des textes écrits précédemment sur Paul. Le saint est d’abord connu par une Vie transmise dans deux versions : l’une tardo-antique, circule dans les légendiers avant le xie siècle, et l’autre, BHL  6589, légèrement plus longue et plus élaborée, est attestée pour la première fois dans des lectionnaires de la province ecclésiastique de Narbonne au xie siècle66. Ce texte faisait de Paul un romain Sur l’œuvre toujours inédite de Guillaume Hulard, on consultera J. Mercier, « La Vie de saint Paul (-Serge), Guillaume Hulard et le manuscrit  4 de la bibliothèque municipale de Narbonne », dans Hagiographie et culte des saints en France méridionale (xiiie-xve siècle), cahier de Fanjeaux, n° 37, Toulouse, 2002, p. 285-323 ; A. Krüger, Südfranzösische Lokalheilige zwischen Kirche, Dynastie und Stadt vom 5. bis zum 16. Jahrhundert, Stuttgart, 2002, p. 261-269 ; M. Fournié, « Les origines mythiques de Narbonne », dans Ab urbe condita… Fonder et refonder la ville  : récits et représentations, éd.  V.  Lamazou-Duplan, Pau, 2011, p. 147-162 ; Ead., « La collégiale Saint-Paul de Narbonne et la mémoire épiscopale à l’époque de Pierre de la Jugie », dans Fasti ecclesiae gallicanae. Diocèse de Narbonne, par B. Brouns et al., Turnhout, 2019, p. 47-60 et F. Peloux, Les premiers évêques du Languedoc. Une mémoire hagiographique médiévale, Genève, à paraître. 66  Seule cette dernière version a été éditée jusqu’alors dans les Acta sanctorum des Bollandistes. Sur tout ce qui suit voir de plus amples détails dans F. Peloux, Les premiers évêques, avec édition de la première Vie du saint. 65 

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venu évangéliser à une date indéterminée les cités de Béziers et Narbonne. Une nouvelle Vie est ensuite rédigée, portée pour la première fois dans trois manuscrits du xiie siècle (BHL 6590)67 : dans ce texte, Paul de Narbonne est identifié au proconsul de Chypre Paul-Serge mentionné dans les Actes des apôtres, assimilation dont Adon semble est le premier responsable dans son martyrologe. Paul est présenté dans cette Vie comme l’évangélisateur de la cité italienne de Luni (Ligurie), de l’ensemble du Midi de la Gaule et de la péninsule Ibérique. Ensuite, une version longue de ce texte a été écrite, transmise par la compilation de Guillaume Hulard et par le légendier de Georges d’Amboise. Cette dernière version comble les lacunes des textes antérieurs en donnant à Paul, qualifié de prothopresul, une généalogie noble et romaine. Son ancêtre n’est autre que Paul-Émile, dépêché en Orient pour consolider l’assise de l’État Romain mis à mal par le roi Persée de Macédoine. Ces  éléments se trouvent déjà dans le prologue (de BHL  6590) repéré par François Dolbeau dans un légendier de Lagrasse du xiie siècle68, mais ils sont ici nettement amplifiés, notamment grâce à Orose : Paul Émile est à la tête d’une armée qui affronte le roi de Macédoine, et c’est de cette très noble parentée (nobilissima stirps) qu’est issu Paul-Serge. L’empereur, ayant vent de sa virtus, le fit proconsul et gouverneur de Chypre avant qu’il ne soit appelé à évangéliser Narbonne. Parmi les ajouts significatifs, comparé aux autres saints apostoliques méridionaux, il est indiqué que le saint a fondé des sièges et ordonné de nombreux évêques parmi lesquels des métropolitains, tant en Gaule qu’en Espagne, qui dépendaient tous de Narbonne. Bien que ce ne soit pas clairement dit, ce passage pourrait faire référence au statut primatial de Narbonne. La  figure de Paul de Narbonne est ancrée plus fermement dans le monde évangélique et apostolique, comme le prouve un long chapitre qui décrit la conversion du proconsul à Chypre, en compagnie des apôtres Paul et Barnabé. Que fait cette version rare et peu diffusée en Normandie ? Pierre de la Jugie, archevêque de Narbonne pendant 30 ans, très attaché à son statut de primat, et au service duquel a dû écrire Guillaume Hulard, a fini archevêque de Rouen quelques mois avant sa mort en 1376, mais il ne s’y est semble-t-il jamais rendu69. La version courte de BHL 6590 est notamment connue par Voir édition infra. Seul un manuscrit, le légendier de Lagrasse porte un prologue et un desinit quelque peu différent, cf.  F.  Dolbeau, « Un  légendier de l’abbaye de Lagrasse », Analecta Bollandiana, 130 (2012), p. 354-358. Ses leçons sont souvent supérieures aux deux autres manuscrits. On peut se demander s’il ne s’agit pas d’une réécriture de la première Vie apostolique. 68  Voir la note précédente. 69  Voir en dernier lieu sa notice par V. Tabbagh, Fasti ecclesiae gallicanae. Diocèse de Rouen, Turnhout, 1998, p. 109-111 et B. Brouns et al., Fasti ecclesiae gallicanae. Diocèse de Narbonne, Turnhout, 2019, p. 171-176. 67 

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un libellus contenu dans un manuscrit composite, dont une partie est probablement originaire de l’abbaye cistercienne de La Noë (Eure, BNF, lat. 5575, fol. 95-99v), contenant une quinzaine de textes dont on a du mal à saisir la cohérence, mais qui nous rapproche de la Normandie70. En réalité, il faut lier ce texte au commanditaire du manuscrit, qu’un lien fort unissait à la figure de Paul de Narbonne. Le premier office ecclésiastique de Georges d’Amboise fut justement d’être abbé de Saint-Paul de Narbonne, l’établissement qui chérissait les reliques du saint qui avait fondé le christianisme. Il avait alors 14 ans, en 147571. Deux ans plus tard, il est aussi à la tête des abbayes cisterciennes de Fontfroide et de Grandselve. À 22 ans, en 1482, il est élu par les chanoines sur le siège archiépiscopal de Narbonne, mais le roi et le pape désignent finalement à sa place François Hallé. Alors qu’il avait déjà prêté serment entre les mains des chanoines, et après que ses partisans eurent envahi le palais épiscopal narbonnais, après avoir encore défendu ses droits à Narbonne et devant les tribunaux, il renonce. Il est élu évêque de Montauban contre l’avis du chapitre et avec l’appui du roi en 1484, avant d’être réinstallé en 1492 sur le siège de Narbonne à la mort de François Hallé. Il est donc bien le successeur du premier évêque de la cité, Paul (Serge). Deux ans après, il devient archevêque de Rouen. Selon Guillaume Laffont qui écrivit une Histoire des archevêques de Narbonne restée manuscrite72 , Georges d’Amboise porta le titre de primat, d’où peut-être son intérêt pour la figure de Paul Serge qui légitimait de telles prétentions. En tout cas, son prédécesseur, François Hallé s’était disputé, face au primat de Bourges, la nomination d’un évêque à Toulouse, diocèse autrefois sous domination narbonnaise avant la réforme de Jean  XXII73. Georges d’Amboise n’ignorait pas la force du titre primatial que la légende de Paul-Serge venait justifier. Dans un légendier essentiellement composé de textes brefs et abrégés, la présence de cette rare longue Vie F. Dolbeau, « Anciens possesseurs des manuscrits hagiographiques latins de la Bibliothèque Nationale de Paris », Revue d’histoire des textes, no 9 (1979), p. 209, n. 2 et A. Bondéelle-Souchier, Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale  : répertoire des abbayes d’hommes, Paris, 1991, p.  165. Voir enfin sur la première partie de ce manuscrit : B. Ebersperger, Die angelsächsischen Handschriften in den Pariser Bibliotheken. Mit einer Edition von Ælfrics Kirchweihhomilie aus der Handschrift Paris, BN, lat. 943, Heidelberg, 1999, p. 65-66. Notons que le nom du saint a été ajouté tardivement au 22 mars dans le calendrier d’un bréviaire de Bayeux du xve siècle, BNF lat. 1299, fol. 180. 71  Sur les lignes qui suivent voir les notices sur Georges dans V. Tabbagh, Fasti ecclesiae gallicanae, p. 139-141 et B. Brouns et al., Fasti ecclesiae gallicanae, p. 200-204. 72  Archives municipales de Narbonne, sans cote, vol. ii, p. 520. 73  F. Délivré, « Aux fondements de la juridiction du primat-patriarche de Bourges dans la province ecclésiastique de Narbonne  : genèse, transmission et usages d’une lettre interpolée du pape Nicolas Ier (xie-xve siècle) », dans Les justices d’Église dans le Midi (xie-xve siècle), cahier de Fanjeaux, no 42, Toulouse, 2007, p. 428. 70 

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narbonnaise n’était pas anodine : elle rappelait à la fois à Georges d’Amboise son rang dans la hiérarchie ecclésiastique, et peut-être, ses premiers offices narbonnais. Par le récit des hauts faits antiques de Paul-Serge, descendant de Paul Émile, elle pouvait aussi plaire à un prélat qui avait par ailleurs un goût prononcé pour l’Antiquité romaine et pour l’Italie.

3. Conclusion Une fois encore, le sanctoral de ce légendier confirme le poids écrasant des modèles de sainteté anciens, et ce, en pleine Renaissance74. C’est qu’ « à l’aube du xvie siècle, le royaume de France – mais on pourrait en dire autant de tout l’Occident – offrait le spectacle d’une contrée scintillante de miracles où la profusion des lieux saints n’avait d’égale que l’enthousiasme des hommes qui s’y pressaient dans l’espoir de trouver un remède aux difficultés de la vie »75. Georges d’Amboise était au cœur d’« une vie religieuse collective saturée d’intercesseurs »76. Rouen, où fut composé ce légendier, n’échappait pas à la règle et « le culte des saints demeure florissant en la capitale normande jusqu’aux premières décennies du xvie siècle »77. Ce culte était multiforme, d’une diversité et d’une ampleur bien plus importante que ce que le manuscrit – incomplet, rappelons-le – laisse entrevoir. Il est bien loin d’enregistrer un texte pour chacun des saints fêtés en Normandie ou même dans la cité archiépiscopale de Rouen. Mais il intègre aussi à son sanctoral des saints absents du calendrier local : Paul de Narbonne ne fut semble-t-il jamais fêté en Normandie. C’est que ce manuscrit reflète avant tout la personnalité de son exceptionnel commanditaire. Les légendiers manuscrits du xvie siècle sont rares. Objet de prestige, celui-ci apparaît comme une exception alors que c’est l’imprimerie qui s’est emparée du discours hagiographique du temps de Georges d’Amboise78. Deux décennies après sa confection, et une fois le prélat décédé, le culte des saints Le fait a été souligné par É. Suire, « Entre sclérose et renouveau », § 4. N.  Balzamo, Les miracles dans la France du xvie siècle : métamorphoses du surnaturel, ­Paris, 2014, p. 42. Sur les pélerinages, notamment mariaux, voir les études de cas proposés par B. Maes, Le roi, la vierge et la nation : pèlerinages et identité nationale entre guerre de Cent ans et Révolution, Paris, 2003, p. 49-131. 76  J.-M. Le Gall, Les moines au temps des réformes : France (1480-1560), Paris, 2001, p. 595. 77  C. Vincent, « Les mutations du culte des saints à Rouen du xiiie au xve siècle », dans Les Saints dans la Normandie médiévale, éd. P. Bouet et F. Neveux, Caen, 2000, p. 151-167. 78  Voir notamment S.  Bledniak, « L’hagiographie imprimée : œuvres en français, 14761550 », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire, vol.  i, éd.  G.  Philippart, Turnhout, 1994, p.  359-405 ainsi que les « pièces gothiques » recensées par M. Pouspin, Publier la nouvelle, p. 513-516. 74  75 

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connaît une contestation brutale et l’édition hagiographique un coup d’arrêt – temporaire79. Fait habituellement rare dans l’histoire de l’édition hagiographique, conçu pour un individu et non une communauté, le légendier de Georges d’Amboise porte incontestablement la trace de son commanditaire, d’abord par sa décoration italianisante : c’est que le cardinal d’Amboise fut « l’un des premiers acteurs de la diffusion du langage de la Renaissance italienne en France »80. Si  le contenu peut rappeler la dévotion mariale de Georges (dont les modalités ne pourront être connues qu’au prix d’un examen approfondi du recueil qui ouvre ce manuscrit), l’attachement à son saint patron, ses offices narbonnais et rouennais, tout comme sa position de primat, il ne permet de saisir que de manière indirecte et médiatisée sa personnalité, la conscience de sa charge épiscopale et sa spiritualité, en partie à cause de la nature même de cet objet : un légendier, fut-il la commande d’un seul homme, s’inscrit dans une longue tradition éditoriale. Il reflète tout autant les goûts de son époque que ceux de l’accumulation des siècles antérieurs.

79  80 

É. Suire, « Entre sclérose et renouveau », § 12-13. M. Deldique, « Entre Normandie et Italie », p. 15.

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Annexe La longue Vie apostolique de Paul de Narbonne d’après le légendier de Rouen Les gros caractères indiquent les passages ajoutés par rapport à la Vie apostolique courte du saint. Le manuscrit transcrit est le légendier de Georges d’Amboise (R). Les variantes des autres manuscrits sont indiquées en note. Ces derniers servent parfois à corriger le texte fautif de R, mais le texte de la version longue (si elle est attestée dans R et N) a été autant que possible maintenu. Je ne note pas les simples variantes orthographiques. La numérotation est celle des Bollandistes (elle ne s’applique donc que pour la Vie courte). Conspectus siglorum

Vie longue R N

Rouen, BM, A40, v. 1500, fol.  99r-105v : légendier de Georges d’Amboise. Narbonne, BM, ms. 4, seconde moitié du xive siècle, fol. 14rb-22rb : compilation hagiographique de Guillaume Hulard.

Vie courte M P L T

Paris, BNF, lat. 2838, xiie s., fol. 90r-94r : manuscrit de Moissac. Paris, BNF, lat. 5575, xiie s. fol. 95r-99v : manuscrit de La Noë. Londres, Harley 4699, xiie s., fol. 151v-154 : légendier de Lagrasse81. Toulouse, BM, ms. 477, fin du xiiie s., fol. 118v-121v : légendier des Dominicains de Toulouse82 .

Boll. Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum saeculo  xvi qui asservantur in Bibliotheca nationali Parisiensi, 1889, I, p. 212-218 [transcription de M].

Dans ce ms. le texte est précédé d’un prologue et de la notice d’Adon consacrée à Paul, cf. F. Dolbeau, « Un légendier de l’abbaye de Lagrasse ». On ne les reproduit pas ici. Le ms. a une importante lacune entre les fol. 151 et 152 entre Frater Paule (fratrem tuum…) §1 et (… in anima et corpore) statimque qui mortuus, §8. 82  Dans ce ms. le texte est précédé de la notice d’Adon consacrée à Paul, non reproduite ici. 81 

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Gloriosi confessoris Domini Pauli prothopresulis Narbonensis genus ex 99r Romanis magnum, nobile et antiquum sequens in speciali digressio notum facit. Tempore quidem magne dominationis Romanorum, calcitrante Perseo rege magno Macedonum contra Romam, delegatus est a Romanis Crassus senator et consul romanus, ut rebellem istum pro imperio et republica debellaret. Interea dies ad peragendum prelium statuitur, et in eo Crassus senator a Perseo rege uincitur, et cum exercitu suo miserabiliter effugatur. Iterum Crassus falangem congregans, et Perseum regem ad pugnam compellans, ab eodem iterato deuictus miserabilis cum omni acie romana terga fuge laxauit. Tam ferocissimis igitur euentibus ac belli congressibus obstupuerunt animi Romanorum et secordes a Deo facti sunt, ut nemo illorum auderet Perseum regem aggredi, aut comparere in conspectu eius causa preliandi. Interea profligante Perseo rege, Romanos macerando, trucidando, aut uinctos ad Macedoniam | emittendo, post multam ac multimodam uexationem deter- 99v minatum est a senatu romano, ut Paulus consul romanus qui aliter Lucius Emilius nominabatur, miles strenuus et admodum in armis expertus, mitteretur in hostem. Oblatum quoque honus pro imperii romani et reipublice utilitate nullo alio audente ultro recipiens, multum ilico congregauit militem et peditem, et accessit. Dies igitur ad preliandum statuitur et sistitur uterque exercitus hinc et illinc. Ut autem prospexit Paulus aduersarios suos, rugiit uelut leo paratus ad predam. Et bene prius disposita acie sua, irruit uiriliter contra illos. Decertantibus autem per magnam diei illius partem, facta est tanta strages Macedonum, ut totum quodam modo operirent campum cadauera hostium occisorum. Propterea exterriti sunt residui et, tolerare molem ulterius nequeuntes, fuge se presidio commiserunt. Nec tamen fugientes omnes fuge remedium saluos fecit. Namque Paulus consul cum exercitu suo fugans, hostes dispersos, et sine refugio fugientes, eorum multos | peremit gladio, et 100r quamplurimos captiuauit. Abscessit autem Perseus rex, uix uiuus, cum

7/14 Iterum – emittendo] «itaque aduenienti Cr a ss o c o n su l i Pe r s e us occurrit, commissoque p ro e l i o m i s e r a b i l i t e r u i c ti f u g ere Romani, sequenti pugna […] deinde Per s e us p r o fl i g ato multis proeliis […] partim secum in Macedoniam duxit». Orose, Histoires : contre les païens, vol. II, éd. Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Paris, 1991, IV, 20, 37-38. 21 uelut – predam] Psaumes, 16, 12 8 falangem N] falagem R disperserint R, dispersi N

9 miserabilis N] miserabili R

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28 dispersos correxi]

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30 exiguo equitum comitatu fugiens, et euasit. Interfecti sunt itaque de exercitu

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Macedonum uiginti milia peditum ac maior pars militum, et cum palma magnus adductus est ad carcerem Pauli consulis numerus captiuorum. Nec multo post Perseus rex a Paulo capitur, et captus Romam cum filiis suis adducitur ante currum ipsius Pauli in signum glorie et triumphi. Qui Perseus postmodum apud Albam in carcerem truditur, ubi diutina fame et squalore maceratus turpissima morte occubuit. Sed et filius eius minor ob tolerandam inopiam Rome fabricam erariam didicit, et ibidem infeliciter expirauit. Et quia hic solus Paulus, qui alia nominatione Lucius Emilius dicebatur, ceteris Romanis formidine trepidantibus ac renuentibus, audacter susceperat cum tanto tamque truculento rege preliari; et de certamine triumphum cunctarum Romanarum uexationum perhemptorium reportauerat, tam felicem idcirco fuit tunc Rome in eius gloriam ordinatum et quasi | pro lege perpe- 100v tuo obseruanda statutum, quod primogenitis ex eius posteritate ex tunc descendentibus imponeretur hoc nomen Paulus, ut memoria uiueret tanti uiri. Ex huius igitur Pauli consulis nobilissima stirpe ortus est uir quidam nomine Sergius, ciuis romanus, nobilitate clarissimus. Qui duxit ex stirpe regali uxorem facie decoram, corpore castam, mente pudicam, et in copiosa elemosinarum largitione assiduam, cui nomen erat Eustorgia. Que ex ipso Sergio uiro suo concepit, ac peperit filium elegantis forme. Erant autem ambo gentiles. Cumque iam de impositione nominis tractaretur, uolentes antique pretacte ac proprie generositatis sue glorie satisfacere, illius aui antiquissimi predicti et patris nati pueri nomina conferentes primogenitum suum Paulum nomine et Sergium cognomine uocauere. Peractis quoque infancie nutrimentis atque rudimentis, tradiderunt statim puerum Paulum parentes eius magistris, ut imbueretur studiorum liberalium disciplinis. Tantam autem assecutus est periciam | litterarum, ut magistris suis eruditior 101r haberetur. Porro cum expleta adolescentia iam migraret in uirile robur, cepit per urbem Romam eius excellentia propensius diuulgari. Cursitante autem hac fama per aures hominum, etiam ad imperatoris peruenit auditum. Nuntiatum est igitur imperatori quod Rome esset iuvenis quidam cui nomen Paulus Sergius genere nobilissimus, qui inter prudentes prudentior, et inter 30/37 Interfecti – expirauit] «nam X X m i l i a p e d i t um in eo bello i nte r f e c i t ; rex cum equitatu subterfugit, sed continuo c a p t u s atque in tr i ump h o c um fi l i i s a n t e c urr um actus est et p o st ap u d A l b a m in custodia defecit. Fi l i u s e i u s iunior f a b r i c a m a er a ri a m o b t o l er a n d a m i n o p i a m R o ma e d i d i c i t », Orose, Histoires : contre les païens, vol. II, éd. Marie-Pierre Arnaud-Lindet, Paris, 1991, IV, 20, 39-40. 41 tam R] tamen N 43 primogenitis N] primogenitus R 48 decoram N] decorem R

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peritiores doctores peritior habebatur. Quapropter iussit accersiri eumdem. Cumque astitisset imperatori et ab eo interrogatus bene respondisset, complacuit admodum. Erat siquidem Paulus Sergius statura satis procerus, uultu formosus, mente iocundus, uoce nitidus et in locutione ordinatus, gratus et lepidus. Idcirco protinus fecit eum suum assistentem, consiliarium, doctorem et aulicum. Post hec comperiens illum esse in sermone ueracem, in consilio prouidum et in uniuersa morum honestate conspicuum, totum eius consilio se commisit. Denique eius sinceritate ac bonitate imperator illectus sublimauit eum proconsulatus honore | et gubernatorem Cypri insule eumdem 101v constituit loco sui. Neque solo imperatori romano Paulus Sergius gratissimus erat, immo et ab omnibus caro diligebatur affectu, sed et reuerebatur a plerisque qui eum non uiderant. Namque superaddens uirtuti sine intermissione uirtutem, famam bone conuersationis sue longe lateque diffuderat. Suscepto igitur proconsulatus honore et insule Cypri regiminis potestate, protinus ad commissam insulam se transtulit, et adeo prouide atque sapienter illam rexit, ut omnes ipsam inhabitantes dicerent Paulum proconsulem non solum humanitus, immo et diuinitus sibi missum. Nemini enim noxius, nemini tediosus, suis stipendiis contentus erat et, unicuique ius suum iudiciario ordine tribuens, creditum sibi ab imperatore romano populum bene per omnia gubernabat. Factum est autem ut misereretur Deus tam elegantis morigerati rectoris insule Cypri et in eadem habitantium. In diebus namque illis cum domini nostri Ihesu Christi fides nouiter propalabatur per uniuersum | orbem, erant in ecclesia que erat Antiochie prophete et docto- 102r res, inter quos et de quibus erant Barnabas et Saulus. Ministrantibus autem Domino et ieiunantibus, dixit illis Spiritus sanctus: «segregate mihi Barnabam et Saulum in opus ad quod assumpsi eos». Tunc ieiunantes et orantes imponentesque eis manus dimiserunt illos. Et ipsi quidem missi a Spiritu sancto abierunt Seleuciam, et inde nauigauerunt Cyprum. Et cum uenissent Salaminam, predicabant uerbum Dei in synagogis iudeorum. Habebant autem et Iohanem in ministerio. Et, cum ambulassent uniuersam insulam usque ad Paphum, inuenerunt quemdam uirum magum pseudo prophetam iudeum, cui nomen erat Barieu, qui interpretatur Elimas, qui erat cum pro-

68/69 Post – conspicuum] cf. Passion de Sébastien, BHL 7543 (éd. Mombritius, Sanctuarium, Paris, 1910, II, p. 459) : «s er m o n e u e r a x, in iudicio iustus, i n c o n s i l i o p r o u i d u s […] in bonitate c o n sp i c uu s , i n un i u er s a m o r um h o n e stat e praeclarus». 86/102 Ministrantibus – daret] Actes des Apôtres, 13, 2-12. 67 assistentem Np.c.] assistricem RNa.c. 70 illectus N] elletus R 86 Barnabas et Saulus] Saulus et Barnabas N autem] autem illis N 92 ambulassent] perambulassent N

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95 consule Paulo Sergio uiro prudente. Hic accersitis Barnaba et Saulo, desi-

derabat audire uerbum Dei. Resistebat autem illis Elimas magus, querens auertere proconsulem a fide. Saulus autem, qui et Paulus repletus Spiritu sancto, intuens in eum dixit: «O plene omni dolo et omni falacia, fili dyaboli, inimice omnis iusticie, non desinis subuertere uias Domini | rectas. Et 102v 100 nunc ecce manus Domini super te et eris cecus et non uidens solem usque ad tempus». Et confestim cecidit in eum caligo et tenebre, et circuiens querebat qui ei manum daret. Uidens autem proconsul Paulus Sergius mirabile quod factum erat, magis secum ad conuersionem flexit affectum. Dedit tamen collocutioni dilationem ad diem posteram. Interea inquisiuit et percepit 105 laudabilia multa super doctrina et miraculis apostolorum Domini. Mane autem facto, in consistorio sedens, iussit accersiri eosdem. Tunc coram se statutos, talibus uerbis alloquitur.

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Interrogatio per Sergium Paulum apostolo Paulo facta. «Qui estis et unde et cur aduenistis huc?». Et responderunt: «ex Ierosolimis dudum Hebrei. Nunc miserante Deo christiani sumus. Uenimus autem idcirco ad uos Spiritu sancto precipiente nobis, ut spernatis ac relinquatis ydolorum uanam et supersticiosam culturam et suscipiatis agnitionem ueri Dei, qui uos fecit atque, nisi salutaria spreueritis, redemit per dominum nostrum Ihesum Christum et saluemini per fidem eius». | Ait illis proconsul 104r Paulus: «o disserite, precor, cum probationibus, que adhiberi possunt uerba hec et misteria omnia fidei christiane». Et incipientes a fide sancte Trinitatis et a creatione uniuersorum et a lapsu Ade, recitauerunt ei sacre scripture probationes, interponendo quomodo pro hominum reparatione Dei filius de Spiritu sancto ex Maria uirgine incarnatus, natus, passus, mortuus et sepultus fuerit, et ad inferos descenderit et tercia die resurrexerit et ad celos ascenderit et Spiritum sanctum Paraclitum miserit et postremo districtissimus iudex cum gloria uenturus sit dare bonis beatitudinem et malis dampnationem. Et intelligens diligenter uerba eorum subiunxit. «Michi, obsecro, declarate plene iudicium istud cum remunerationibus». Apostoli autem de attentione eius gaudentes, et resurrectionem mortuorum, et iudicis maiestatem, et proborum atque reproborum retributiones explicauerunt integriter. Admirans autem proconsul super apostolorum doctrina et eam summe ueram atque rationabilem inspiciens, cum huiusmodi zelator esset, idcirco 95 Paulo Sergio] Sergio Paulo N 108 Interrogatio – facta correxi] Interrogatio per Sergium Paulum apostolo Paulo factam R, om. N 112 uanam N] uana R 119 Maria] Maria semper N 120 ad inferos N] inferos R 124/125 attentione eius correxi] de attentitate eius R, sancti de attentione eius N 125 resurrectionem N] resurrectione R

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respondit: «Nulla | dubietas restare potest; explete in me quecumque uere 104v

130 christiano expediunt». Saulus autem plenus Spiritu sancto dixit proconsuli:

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«Audi, carissime fili, Christus dominus in Euangelio ait: Qui crediderit et baptizatus fuerit, saluus erit. Si igitur ex toto corde credis, necesse et hoc habes ut baptismum suscipias». At ille respondit: «firmissime credenda credo, et precordiis totis postulo baptizari». Saulus autem illico catetizauit atque baptizauit eum, nec illi pristinum mutauit nomen. Sicut igitur prius sic uocauit eum, nolens generositatem eius posteris occultare. Et quod maius est quoddam nouum et inauditum Spiritu sancto ductus apostolus ipse fecit. Mutauit enim tunc sibi nomen filioli. Nam hucusque uocatus Saulus, ex tunc nominatus est Paulus, de conuersione tanti tamque frugiferi in posterum uiri multa leticia consolatus. Baptizata est etiam cum proconsule Paulo Sergio maior pars uirorum ac mulierum in ciuitate Papho habitantium. Dilatabatur autem incessanter in Cypri insula fides Christi et crescebat credentium | numerus propter aposto- 105r lorum doctrinam et signa. Ipsam enim insulam peragrantes seminando uerbum Dei, surdis auditum, cecis uisum, infirmis salutem ac mortuis uitam reddebant et multa alia in nomine domini nostri Ihesu Christi miracula faciebant et augebantur quotidie Christo credentes propter proconsulem Paulum nouiter baptizatum. Nam intuens mirabilia magna que apostoli sancti in Christi nomine multipliciter exercebant, cepit et ipse uerba uite secundum magistri sui Pauli doctrinam uiriliter predicare. Qui uero conuertebantur confringebant et comburebant ydola sua et subsannabant cultores eorum. Cepit itaque multiplicatus in breui christianorum cuneus ydolorum templa diruere et edificare ecclesias. Indignabantur autem exinde ydolorum sacerdotes liuore repleti, sed cunctis potior preualuit Christi fides. Constructe sunt igitur in Papho et Cypri insula plures Deo dicate ecclesie, et in eisdem presbiteri ac dyacones ab apostolis Domini Paulo et Barnaba instituti et beatus Paulus Sergius ab eisdem est in episcopatum | ordinatus. Denique 105v ipsum Paulum Sergium in fide diuinitatis et humanitatis Christi et in omnibus que docenda erant instructum plenissime ibi ipsi apostoli sancti dimiserunt ad tempus episcopum, illi ecclesias totius insule commendantes, et uale dicentes abierunt. Paulus uero Sergius, potestate suscepta, perambulabat 131/132 Qui – erit] Marc, 16, 16. 131 carissime fili] fili carissime N 133 ut] ut et N 134 catetizauit correxi] catezizauit N, catitezizavit R 136 occultare] occulere N 138 sibi] om. N 144 et N] et et R 146 multa] uaria N 147 faciebant et] faciebant. Sed et N 154 potior Na.c.] petior R Nmanu recentiore 156 dyacones] diaconi Np.c. 157 episcopatum N] episcopum R 158 diuinitatis N] Trinitatis R

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totam illam insulam predicando et euangelizando uerbum Dei, in ieiuniis et orationibus atque in ceteris operibus sanctitatis didascali sui Pauli apostoli uestigia imitatus. Conuersatus autem est inibi de bono in melius uitam 165 ducens, donec ad honorem Narbonensis gradus celitus ac diuinitus est uocatus. 1. Post passionem namque domini nostri Ihesu Christi et ascensionem eius ad celos, omnes apostolorum condiscipuli mittuntur indictione Spiritus sancti, singuli per loca sua, ad predicandum Christi Euangelium ; Ariopagita quidam summe sanc170 titatis uir Parisius, beatus autem confessor Domini Marcialis ad Lemouicas, sanctissimus uero Paulus Sergius presul insignis mittitur ad nobilissimam ciuitatem Narbonensem. Erat autem tunc temporis urbs Narbona uelut | regia, omnium Gallie ciuita- 106r tum nobilissima, nobilissimis potentibus atque cordatis stipata ciuibus, prole 175 fecunda, in propagatione generis humani uberrima, cultoribus populosa, capitolio pollens, ditissima opibus, mira operibus, edificiosa turribus, domibusque

pulcherrimis, artibus et artificibus studiosa, fontibus et riuis dulcibus impinguata, aquis ac fluminibus auriferis et argentiferis irrigua, diuersorum metallorum copiis locupletissima, pratis ac floribus iocunda, melle et lacte affluens, 180 uiridariis et ortis uernans, arboribus diuersi modi et fructibus optimis opulentissima, segetibus, uineis et oliuetis fertilissima, nemoribus, montibus, planis et pascuis predotata, ferorum atque siluestrium animalium uenationibus copiosa, domesticis peccoribus et altilibus saginata, iuxta mare magnum sita, uniuersis piscibus superabundans, nauibus nauigiisque ceteris et omnibus 185 commerciis seu negociationibus terrenis atque marinis famosa, nimis sal habens optimum quod ex industria inhabitantium patriam illam in tanta ibi sit copia, ut etiam ad longiquas partes largiflue asportetur, aere salubris et | 106v circumcincta ultra ceteras Gallie urbes omni bonitate. Huic igitur tali urbi decentissime mirificus pastor Paulus a Domino mittitur, ut ad inuicem con190 uenirent, et ut ille per illam decoraretur peramplius et illa per illum per manifestationem et susceptionem nominis Ihesu Christi.

167 namque] om. MPL, igitur T 168 celos] celos, omnes ad celos T condiscipuli] discipuli T 169 Christi] om. MPLT 170 Parisius] Parisium MPLT 170/171 beatus autem confessor Domini Marcialis ad Lemouicas sanctissimus uero Paulus Sergius presul insignis] Paulus uero Sergius MPLT 173/191 Erat – Christi] erat tunc Narbona omnium Galliarum ciuitatum nobilissima, opibus ditissima, arboribus nemorosa, aquis irrigua, prole fecunda (fecundata P), in propagatione generis humani opulentissima MPLT 173 omnium N] omni R 186 quod N] qui R

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2. Post gloriosum itaque apostolorum triumphum, demorante Sergio Paulo in insula Papho sue ciuitatis loco, astitit ei Paulus apostolus dicens per uisionem : «frater Paule, fratrem tuum apostolum Paulum audi, et precepto domini nostri Ihesu 195 Christi quantotius ad partes occidentales uade ad ciuitatem Narbonensem et predica euangelium domini nostri Ihesu Christi ibi et omnibus gentibus. Ydola falsa a falso dyabolo inuenta uerissimis assertionibus destrue, phana quoque templorum ad nichilum redige, infirmos sana, pauperes Christi euangeliza, ecclesias construe, quia quartodecimo anno glorioso confessorum triumpho eris consortio fratrum 200 tuorum ascribendus in gaudio Domini tui. Doctrinam Elime magi deuitandam predica, et annuncia qualiter sunt deuitande omnes dyabolice falsitates !». 3. De nocte autem | consurgens Sergius Paulus, duobus diaconibus accersitis 107r scilicet Rufo et Stephano, romanum iter expetens, Rome uenit. Quo in loco summam magistri sui Pauli apostoli predicans euangelizando doctrinam, Neronis 205 falsam esse legem omnibus indicans ac Symonis magi callidi hostis errorem nichili pendendum esse commemorat, qui dudum de aere proiectus obierat. Ubi Pauli apostoli ecclesiam construens, ordinatis presbiteris ac diaconibus, iter cepit ad Gallias. 4. Factum est autem, dum in ciuitate Lune deueniret predicando et baptizando 210 et infirmos sanando, mulier quedam sibi obtulit filium cecum ac, ut sibi misericordiam sanitatis impenderet, obnixe deposcit. Tum ille ut erat mente iocundus, affabilis bonitate, nitidus locutione, luculento sermone eloquens, mulieri protinus respondit : «Dominus meus Ihesus Christus, qui apparuit Paulo apostolo magistro meo, 215 qui ecclesias persequebatur eumque cecum splendore claritatis sue instituit, et de persecutore fecit uas electionis ministerio Ananie et baptismo illuminauit, ipse aperiat oculos filii tui, ut uideat claritatem magnitudinis Dei». | Et subiunxit: 107v «domine Ihesu Christe audi me miserum peccatorem et in tua misericordia confidentem. Illumina oculos cordis et corporis huius pueri, ut te solum Deum uideat et 220 intelligat quatenus cognoscant omnes te esse unum et uerum dominum Ihesum Christum per infinita secula seculorum, Amen». Et statim de oris sui sputo tetigit 214/217 Dominus – Dei] cf. Actes, 9, 17-18. 192 demorante] demoranti MPT 193 ciuitatis] natiuitatis L dicens] ei dicens MPLT 195 ad ciuitatem Narbonensem] om. MPT 196 ibi et] in MPT 197 assertionibus N] accersionibus R 202 autem] om. MPT 203 scilicet] om. MPT Rome] om. MPT 204 sui Pauli apostoli] Pauli MPT 206 pendendum N] pendum R 207 apostoli] om. M 210 misericordiam] om. MP, [munus] add. Boll. 211 Tum N] tunc R 215 qui] om. P sue] caelestis MPT 216 persecutore] persecutione T ministerio] misterio MPT 217 filii] fidei MPa.c. Et subiunxit] om. MPT 219 Deum] om. MPT 221 sui] eius MP T

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oculos eius, lumenque pristine incolumitatis accepit. Astantes uero hoc miraculum uidentes, ruentes proni in terram, pectora percutientes ac dicentes : «sit nomen tuum, Deus, benedictum, qui nos uisitasti meritis sancti episcopi Pauli. Pereant 225 simulachra demoniorum, pereant qui non credunt Deum quem predicat seruus Dei Paulus».

5. Horum autem relatu turbatus est eiusdem ciuitatis proconsul Sapricius, missis apparitoribus, iussit sanctum Dei ad se uenire. Cumque presentatus esset ait ei. «Cuius nominis es ?». Et respondit : «Paulus uocitor». Et ille : «ex qua 230 progenie es ?». Respondit Paulus : «ex partibus transmarinis legatione sancti Pauli apostoli huc ueni pro uestrorum omnium salute». Proconsul autem iratus iussit cathomo eum suspendi. Cui sic ait : «Paule, consule | tue pulchritudini, ut non 108r perdas lucem uite presentis». Cui sanctus Paulus : «tu consule senectuti tue, quia si non feceris cum tuis demonibus dampnaberis in sempiternabilibus flammis». Ad 235 hec iniquissimus iudex : «per deos deasque iuro, nisi sacrificaueris deo Appolini, grauissimis tormentis te faciam interfici». Et iussit eum in carcere custodiri. In carcere eo denique posito, ueniebant undique infirmi, et sanabantur. Ceci recipiebant uisum, surdi auditum, et claudi gressum. 6. Audiens hec, Sapricius tyrannus iussit eum uinculis ferreis ligari, et in mare 240 precipitari. Quo proiecto in mare cum duobus diaconibus, psallebat, dicens : «deduc me, Domine, in uia tua, ut ingrediar in ueritate tua». Et iterum : «transiuimus per ignem et aquam et eduxisti nos in refrigerium». Et peruenerunt usque ad litus super aquas ambulantes illesi. Hoc comperto, proconsul eos ad se uenire iubet, inquiens : «quibus magicis artibus etiam mare delusistis ?». Beatus Paulus respondit : «uirtute 245 Domini, proconsul, hoc actum est, non figmento ullius presagii». Illico cesos sanctos Dei iussit iniquissimus proconsul | in carcere recipi, dicens : «per inuictissimos 108v deos Mercurium et Iouem quia in exemplo crucifixi Galilei te cras diuersis tormentis faciam interfici cum tuis his similibus si non sacrificia reddideris deo Apolini». Eadem autem nocte morte repentina Sapricius occubuit. Tunc sancti Dei cum sum250 mo gaudio ab omnibus trahuntur de carcere.

237/238 Ceci – gressum] cf. Matthieu, 11, 5. 222 uero] om. MPT 223 ruentes] ruerunt MPTN sit] sint T 227 Horum – est] om. MPT Sapricius] Sampricius MP (passim) 228/229 Cumque – ei] cui sic ait MPT 229 Et respondit] cui ille MPT uocitor] uocor Ma.c. PNa.c. 231 omnium N] omni R 233 senectuti] senectutis P 238 et] om. MPT 239 hec] om. MPT 241 ut] et MPT 242 eduxisti] induxisti MN 243 inquiens] dicens eis MPT 245 ullius presagii] illius presagii P, ullius praestigii corr. Boll. Illico] om. MPT 247 quia] quia [iuro] Boll. 248 tuis] om. MP similibus] consimilibus MPTN Apolini] Apollinari P 249 autem] om. MPT repentina] repentino P

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7. In illa uero ciuitate sancte Dei genitricis ecclesiam beatus Paulus construens, catholica fide predicata omnibus et confirmata, recessit. Post paucos autem dies Ticinum deueniens, ibi etiam quam plures ad fidem sancte Trinitatis adduxit. Interea, Ebredunensem Galliarum ciuitatem adiit, ubi Neptuni ydolum a nefandis paganis 255 colebatur quod in Trinitatis nomine exsufflauit, et mox ad nichilum redegit. Hoc homines ciuitatis audientes unanimiter ad eum concurrerunt, atque in grabatis ei male habentes offerunt. Quibus omnibus curam sanitatis impendens, ecclesias benedicens, Christum predicans, ciuitatem Aurisium deuenit. Ubi cum famam tanti uiri ciues loci illius audissent, ad eum deuoto corde ueniunt, postulantes ut | apud eos 109r 260 maneret et uiam ac legem Domini omnibus predicaret. Quibus uotis uir Dei annuit, ibique per spacium mensium trium moratus est. In eadem quoque ciuitate fecit ecclesiam sancte Dei genitricis et sancti Iacobi fratris Domini, constituitque episcopum ac presbiteros et dyacones. 8. Tunc Narbonenses omnes ciues, audita fama uiri Dei, unanimiter concurre265 runt ad eum, dicentes : «uir uirorum omnium optime, ueni et utere seruicio famulorum tuorum. Aufer iam filios futuros de captione inimicorum nostram terram ad nichilum redigentium. Doce famulos futuros legem ueri Dei, doce mandatum quo semper futuris generationibus laudetur per te in nobis nomen Domini». Tunc claues ciuitatis portarumque omnium a principibus eiusdem ciuitatis tradite sunt sancto 270 confessori Paulo, ut ipse eiusque successores ea lege haberentur in ciuitate predicta, uti Petrus apostolus Roma. Omnibus autem Aurisie ciuitatis uale dicens, profectus est. Alio quoque die Arelatensem ciuitatem ingressus est, | ubi ciuibus rogantibus 109v ecclesiam sancti Petri benedixit, constituit presbiteros ac clericos ordinans recessit. 9. In transuadatione uero equoris Rodani, nauta ad uisum equora tundens, de 275 naui ruens in aquam ruit. Quem fundus ipsius aluei ita absorbuit, ut penitus ab omnibus mortuus diceretur. Omnibus autem hac de re lugentibus, imperauit uir Dei silentium, dicens : «Domine Ihesu Christe, qui pedibus super mare ambulasti, et ne mergeretur dexteram porrexisti Petro apostolo, exaudi me famulum tuum ad te

277/278 et – apostolo] Matthieu, 14, 22-33. 251 illa uero] qua MPT 253 deueniens ibi] ueniens, ubi MP, deuenit, ubi T 254 adiit] adiens MPT 255 quod] quo MP 257 Quibus] qui MPT impendens] impendentes T 259 corde] pectore MPT 260 et] om. MT 261 ciuitate] ciuitatem P 262 constituitque] constituit MPT 264 concurrerunt] concurrunt MPT 267 ueri Dei] Dei ueri N 268 laudetur] laudent N 269 portarumque – ciuitatis2] om. T 270 haberentur] haberetur MP 271 autem] om. MPT 272 Arelatensem – est2] Arelatem ciuitatem ingrediens MPT ubi] ibi T 273 ecclesiam sancti Petri] ecclesie sancti Petri apostoli MPT 274 uero] om. MPT tundens] scindens T 275 ruens] om. MPT aluei] om. MP absorbuit] obsorbuit MN 276 autem] om. MPT 278 dexteram] manum T

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clamantem, ut mihi nautam hominem reddat uirtus potentie tue quem aqua Rodani 280 huius absorbuit». Hoc super ripam fluminis dicto, cadauer exanime super aquam natans apparuit. Quem rastris homines ad litus trahunt, eumque in presentia uiri Dei deportauerunt. Hunc autem uir Dei intuens, flexis genibus orauit, dicens : «Domine Ihesu Christe, qui ad salutem hominum de sinu patris ad terras descendisti et nobis in tua resurrectione spem donasti resurrectionis, aperi aures tue pietatis, aperi 285 thesaurum benignitatis tue, ut uidentes benedicant nomen tuum in secula seculorum». | Cumque omnes respondissent «Amen», apprehendens manum naute, 110r dixit : «qui tercia die resurrexit a mortuis, ipse te resuscitet in anima et corpore». Statimque qui mortuus fuerat repente surrexit seseque prostrauit ad genua uiri Dei, dicens : «per illum quem inferni baratra tremiscunt et metuunt te, uir Dei, adiuro ut 290 me non diutius differas baptizare, quia quoddam ineffabile uidi quod omnium mortalium uisibus patet. Ecce omnis mea domus, ecce omnis familia quam letificasti miraculis sanctitatis tue ; baptiza me una cum illis, per illum te adiuro quem predicas». Occurrunt itaque omnes a minimo usque ad maximum ex ciuitate, mortuumque hominem resuscitatum inspiciunt, benedicentes et glorificantes nomen 295 Domini. Baptizati sunt autem in illa die mille et eo amplius uiri, exceptis paruulis et mulieribus.

10. Contractus etiam quidam hinc adducitur, uiroque Dei presentatur. At ille manum contracti tenens, erigens eum dixit : «in nomine Ihesu Christi, sta super pedes tuos». Et confestim languidus et claudus stetit super pedes suos sanus, benedi300 cens et laudans Deum. 11. Hinc iter Narbonense ceptum, beato confessore Paulo peragrante, inumera- 110v bilis turba uicinarum ciuitatum eum adeunt, dicentes : «ad nos, uir Dei, ad nos ueni, uisita plebem Domini, uisita loca a dyabolo constituta. Auffer a nobis iniquitates aduersariorum, et uersutias demoniorum, quatenus omnis creatura Deum suum crea-

298/299 in – tuos] cf. Actes des Apôtres, 26, 16. 279 ut mihi] in hoc MP, mihique T nautam] nauta T Rodani] Rodanis P 280 absorbuit] obsorbuit MPTNa.c. aquam] aque M 281 rastris homines] rastri omines P, rastris T uiri Dei] uir T 282 Hunc autem] quem Na.c. 286 Cumque – Amen] amen T 287 resurrexit] surrexit MPN 288 fuerat] uidebatur MPL prostrauit] proiecit L 290 baptizare] baptizari T ineffabile] ineffabilis P 291 patet] latet T familia] familia adstat L 293 itaque] om. MPLT 294 resuscitatum] quem resuscitauit T 297 etiam] om. MPLT uiroque] eique uiro L 298 eum] om. MP Christi] Christi qui erigit Elisos L 301 iter – ceptum] iter ceptum MPT, itinere cepto L beato – peragrante] beatus confessor Paulus narbonense (est add. T) peragens MPT, beatus confessor Narbonam Paulus peruenit, quo L 302 adeunt dicentes] adiit, dicens T 303 constituta] destituta L 303/ 304 Auffer – uersutias] Aufer a (a om. L) nobis iniquitatem aduersariorum, aufer uersucias MPLTN

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305 torem agnoscat, uerum et unicum filium Dei». Tunc confessor Domini beatus Paulus omnes alloquitur, dicens : «Narbone, fratres mei, Narbone sum datus et ad hoc missus, ut ibi cineres mei corporis condantur, ubi ossa funebria diem mortalium reparationis expectent. Certe, fratres mei, Narbone ciuitati me dominus meus sanctus Paulus apostolus uas electionis mihi dedit, ut per me ciuitas Narbonensis filia 310 Rome in sanctis actibus sit filia Dei et omnes filios eius patri Domino reddam. Uos autem, fratres, credite in unum Dominum, patrem omnium creaturarum, qui in principio terram fundauit et opera manuum eius sunt celi. Credite filium eius unigenitum dominum nostrum ex uirgine natum, et pro salute hominum passum ; | credite 111r eum resurrexisse a mortuis die tercia, credite eum super omnes celos ascendisse et 315 Spiritum sanctum Paraclitum die penthecosten suis discipulis dedisse, qui eos docuit de omnibus generibus linguarum ad predicandum in omnibus gentibus euangelium suum. Credite etiam eum uenturum in extremo iudicii die ad reddendum malis mala et bonis bona». Cumque omnes respondissent compuncti corde se reos, se peccasse in ydolorum culturis, in simulachris demoniorum, baptizauit eos in nomine Patris, et 320 Filii et Spiritus sancti, ecclesiamque sancte resurrectionis Pasche super Rodani saxa benedicens, abiit.

12. Tunc ciues Narbonenses pariter conglobati, audientes aduentum uiri Dei episcopi Pauli obuiam sibi occurrunt, cum lampadibus et coronis et cymbalis, dicentes : «uisita, domine, uisita presul sancte, familiam tuam, quam sibi atrahit hostis 325 callidus in culturis demonum et in manufactis ydolis. Nos filii, tu pater, nos serui, tu sis dominus, nos oues, tu pastor». Et pergentes simul uenerunt Biterris, cuius

tunc parue ciuitatis habitatores eis cateruatim obuiam occurrentes, sanctum Paulum | episcopum precati sunt enixe, dicentes: «nobiscum permane, serue 111v omnipotentis Dei, nobiscum permane, ut in uiis eius nos dirigas». Et 330 respondit: «ecce fratres mei ad Narbonenses propero, quibus sum a Domino deditus». Cumque in precibus persisterent, dixit: «etiam et uos ego uicinus uester in Domino educabo. Sed quoniam me quem postulatis pastorem in speciali non potestis habere, preficiam uobis indolis bone uirum». Sedens igitur explicauit credenda pariter et agenda, ordinauitque ac dedit eis episco312 opera – celi] Psaumes, 101, 26. 323 cum – coronis] cf. Judith, III, 10. 305 unicum] uniuersum MP 308 expectent] expectant T 309 mihi] me N, Domini MPLT ciuitas] ciuitatis MP 310 in] om. L et – Domino] uero omnes filios eius Domino L 311 Dominum] Deum L, om. T 313 hominum] hominis L 316 in] om. V 317 eum] om. MPLTN 318 reos] reos esse L 319 in1] om. L in simulachris demoniorum] et simulachris demoniorum seruiendo L 320 sancte] quamdam L 322 ciues] oues MP audientes aduentum] audiunt aduentum MP, audito aduentu L uiri Dei] om. T 323 occurrunt] occurrerunt N 324 atrahit] acciuit L 326/338 Et – comitiua] om. MPLT

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335 pum sanctum Afrodisium ab apostolo Petro ad sacros ordines prius Rome

promotum ; qui Afrodisius in Galliis ipsi sancto Paulo uenienti exierat obuiam et societati eius se iunxerat. Tunc dicessit protinus sanctus Paulus cum tota illa sua Narbonensium comitiua. Per duorum itaque dierum spacia ad

ciuitatem Narbone ueniunt, ubi a ciuibus eiusdem urbis est mirifice susceptus.

13. Quedam autem illius ciuitatis principis coniux ex amisso coniuge habebat filiam nimia pulchritudine speciosam, quam dudum antiquus inuaserat hostis. Que cum fuisset ad uirum Dei deducta, exclamat demon per os puelle, dicens : «uir Dei magni, | Paule episcope, cur me persequeris ? Ex insula Papho tuis orationibus me 112r expulisti. Nunc uero cur me persequeris ? Desine iam, desine persequi insontem, 345 desine persequi innocentem. Quamobrem me igne consumis ? Cur me igne exuris ? Nunquid nam unquam tibi incongrua tuisque similibus peregi ? Obsecro parce, obsecro ignosce, noli auferre uascula dudum ante me recepta». Hoc demone dicente, eam uir Dei manibus apprehendens, dixit : «exi immunde spiritus, exi de plasmate domini nostri Ihesu Christi, qui tibi precepit ire ubi non sit ullus accessus homi350 num». Dans uero beatus Paulus orationem dixit : «Domine Ihesu Christe, cuius nutu uniuersa dispersa congregantur et congregata gratia tue potentie semper conseruas, adesto nobis clamantibus misericordiam tuam et hunc nequissimum demonem dextera tue uirtutis allide, quo omnes agnoscant te uerum dominum Ihesum Christum unicum patris de celo descendisse pro peccatoribus». Cum autem hoc diceret, 355 cepit demon clamare : «o uir Dei Paule, quo ibo ? Quo me uertam ? Ubi fugiam ? A facie tui furoris mihi apertus aditus ubi erit ?». Hoc demone dicente, | exscreat puel- 112v la teterrimum similitudine scarabeum, tantusque fetor intolerabilis omnibus apparuit, ut illum tolerare nulla fragilitas hominum quiuisset. Et statim sanata est puella eamque matri reddidit sanam.

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14. Tunc nobilissima illa matrona cum omnibus suis optimatibus et familiis siue ciuibus effecta est christiana, omnesque hereditates proprias sancto uiro contulit in ecclesiis faciendis et cum filia sanctissima sanctimonialis effecta deposuit omnem

338 Per] Post T 339 Narbone ueniunt] Narbonam ueniunt MPLN, Narbonam uenit T urbis] ciuitatis uir Dei L 340 autem] om. MPLT amisso] amissione P 342 deducta] adducta T exclamat] exclamauit MPLTN 343 magni ] magne MPT 344 cur me] cur MP, om. T 346 nam] om. T incongrua – similibus] congruum tuique simili T 347 ante] a MPLT demone dicente] demon dicens L 348 spiritus] spiritus sancti T 349 non sit ullus] nullus sit L 350 uero] om. T 353 quo] ut T 353/354 uerum – descendisse] om. P 354 Cum autem hoc diceret] hec dicens MPL, hoc dicens T 356 tui] tua T apertus aditus] aptus aditus MLT, aptus aditum P demone dicente] demon dicens L 357 similitudine scarabeum] sputum similem scarabeo L 358 Et statim sanata est puella] Et statim puella sana facta est MPLTN 360 familiis] familii P, famulis T

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ornatum in gemmis et auro, quas tradidit in ornatibus ecclesiarum Dei. Que postea facta est perfectissima discipula Christi ammonitione sancti Pauli episcopi cum 365 propria filia uirgine Clenone nomine, quam sibi in propriam sanctus Paulus adoptauit filiam. Infra palatium quoque illius matrone construxit beatus Paulus ecclesiam sancte Dei genetricis, ubi ipse sanctus postea quieuit multis annis et defunctus

requiescit.

15. In perfectione autem huius sancte Dei genetricis ecclesie tota ciuitas corona370 tur, clauduntur templa, aperiuntur ecclesie, phana dissipantur, delubra demoniorum ab omnibus eiciuntur. Quid plura ? | Nouis rosarum floribus ciuitas Narbonensis 113r coronatur. In qua ciuitate plurimas ecclesias construens, presbiteros ac diacones ordinans, Stephano proprio dyacono, uiro sanctissimo, omnes ecclesias commitens, Rufum etiam Auinione prefecit, «uale» quoque dicens fratribus, Tolosam adiit, ut 375 ibi uerbum Domini predicaret. Ubi plurimas Domino ecclesias benedixit titulo Christi, presbiterisque ac dyaconibus inibi constitutis, Narbonam petiit. Hyspaniarum inde partes circuiens, predicans Euangelium, confirmans ecclesias per annos multos, precepto sancti Pauli apostoli, nauigio marino Narbonam repetiit propriam ciuitatem. Consecrauit autem hic uir Domini Paulus cum sanctis presulibus 380 Maximino Aquense, Trophimo Arelatense, Saturnino Tholosanense, Fron-

tone Petragoricense, Marciale Lemouicense et Eutropio Sanctonense, duo cimiteria illis temporibus ualde precipua, unum apud Arelatem in Alescampis et alterum apud Burdegalam. Sed et in burgo Narbone, in loco dudum uocato Albolas, ubi primam 385 Narbonensem in qua quiescit ecclesiam fabricauit, ipse beatus Paulus tam deuotum | atque famosum cimiterium consecrauit, ut felicem aut beatum 113v quodam modo se putaret olim omnis christianus qui ibidem poterat sepeliri. Ex frequentia etenim miraculorum et ex consideratione tanti consecratoris quiescentis ibi tanta deuotio resultabat, ut magnates tam ecclesiastici quam 390 seculares quam plurimi et innumeri populares facerent corpora sua etiam de longinquis partibus asportari et humari Narbone in cimiterio antedicto; quemadmodum superstites tumuli marmorei adhuc usque pandunt. Fun363 ornatum] ornamentum L 365 Clenone nomine] Clenone MPL, helemone T, Cleone nomine Np.c. 366 Infra] intra T beatus Paulus] beatus confessor Paulus MPp.c. LT N 367 quieuit] requieuit MPLTN 367/368 et defunctus requiescit] om. MPLT 371 ciuitas] om. MP, add. Boll. 372 diacones] diaconis P, diaconos LT 373/ 374 commitens Rufum etiam] omittens, Rufum uero MP, comisit, Rufum uero L, comittens, Rufum uero T 374 prefecit uale quoque dicens] prefecit, ualedicens MLT, prefectus ualedicens P 374/375 adiit – predicaret] adiit, ut uerbum Domini predicaret N, ut uerbum Domini adiens predicaret MP, uerbum Domini adiit predicare L, adiit ut uerbum ibi predicaret T 376 presbiterisque ac] presbiteris et MPT, presbiteris ac L 378 repetiit] repetit MPLT 379/401 Consecrauit – matri] om. MPLT 384 et] om. N

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dauit etiam multas ecclesias nunc cathedrales in cunctis partibus quas peragrauit, et in multis earum ordinauit episcopos, quarum nunc quedam 395 archiepiscopales existunt, que tunc temporis et multis postea temporibus subfuere et adhuc in magna parte subsunt archipresuli sancte ecclesie Narbonensis. Lactauit enim et aluit laboriose ac diligenter uerbo uite totam Hyspaniam et multas Galliarum ac prouincie partes sanctus Paulus prothopresul Narbonensis quas apostoli sancti eidem commiserant, et ideo climata 400 pretacta merito dudum subiecta fuere sancte Narbonensi ecclesie tanquam matri. 16. Expleto itaque | Hispaniarum fructuose labore, reuersus ut premis- 114r sum est. Cum Narbone per spacium parui temporis perdurasset et uitam celestem in terris duceret, quadam nocte ei per uisionem astitit Paulus apostolus dicens : 405 «Paule, bone serue, euge, intra in gaudium Domini tui». Euigilans autem Paulus quod sompno uiderat mente pertractat. Rursum sopori deditus Paulus obdormiuit. Cui sanctus Paulus apostolus iterum apparuit dicens : «Paule, bone serue, euge, et fidelis, intra in gaudium Domini tui». Iterumque sanctus Paulus sopore euigilans preripitur sompno. Ei quoque tertio apostolus Paulus per uisionem dixit : «Paule 410 Sergi, serue fidelis et bone, euge, intra in gaudium Domini tui». Expergefactus autem Paulus Sergius Stephano proprio dyacono rem sibi patefactam manifestat. «Scio», ait, «frater, scio me dominum meum sanctum Paulum apostolum uocasse. Nunc uero tibi, frater Stephane, ecclesias Galliarum in Deo commendo. Et sicut ciuitas Narbona in perceptione euangelii domini nostri Ihesu in partibus occidentali415 bus extitit gloriosior et prima, ita et in honoribus sacerdotum pre omnibus Gallia114v rum | ciuitatibus splendidior erit et ditior futuris generationibus». 17. Facto uero mane, corripitur pater sanctus uexatione febrium. Et post matutinarum excubias omnes proceres Narbonenses ad eum undique gratia uisitationis ueniunt, eique uerbum salutis exposcunt. Plorat inde omnis ecclesia, plorat uulgus 420 omniumque etas. Motus autem uir Dei pietate eos ita alloquitur : «O», inquit, «filii carissimi, recordamini mei sermonis, rememoramini doctrinam sancti Pauli

405 Paule – tui] Matthieu, 25, 21-23. 410 Paule – tui] Matthieu, 25, 21-23.

407/408 Paule – tui] Matthieu, 25, 21-23.

409/

402/403 Expleto – Narbone] Cumque MPLT 403 perdurasset] perdurasset inibi MP LT 404 nocte] die MPLT astitit] astat MP 405 autem] om. MPLT 406 sopori] sopore MPT 407 apparuit] apparuit ei MP euge] om. L 408 Iterumque] Iterum T 409 Ei] Ei tempore P apostolus] sanctus MPLTN dixit] dicit MPLT 411 autem Paulus Sergius] sanctus Paulus MPLTN 412 ait] om. T 414 Ihesu] Ihesu Christi MPL TN 416 et N, om. R 417 uero] om. MPLT pater] om. MP 419 eique] a quo L inde] om. MPLT ecclesia plorat] om. L 420 autem] om. MPLT Dei] om. T ita] om. MPT

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UN LÉGENDIER MÉCONNU, COMMANDITÉ PAR LE CARDINAL GEORGES D’AMBOISE

apostoli ; meminisse etiam uos uolo illud Domini : Cauete uos a falsis prophetis, qui ueniunt ad uos in uestimentis ouium sed intrinsecus sunt lupi rapaces. Scitote ecclesiam Dei multa aduersa passuram in presenti tempore persecutione futuri antichristi. 425 Sed nunc, cari fratres, uos Deo commendo. Credite unum Deum in Trinitate, et trinum in unitate. Scire uos uolo quia pax a Deo dabitur ecclesie sancte post tyrannorum persecutionem et Narbonnensis ecclesia predicabitur in partibus occidentalibus omnium ecclesiarum excellentior». Et hec dicens, Deo spiritum reddidit. Tantus|que odor pariter omnes repleuit, 115r 430 ut omnis dolor patris miri odoris dulcedine aufferretur. Sepultus est autem in ecclesia sancte Dei genitricis Marie, in qua per quadriennium nullus dies extitit qui miraculis uacuus transiret. Scripsit autem discipulus eius Stephanus in lapide porfiretico ad caput eius hunc titulum : «Hic requiescit sanctus Paulus discipulus apostoli Pauli, episcopus Narbonensis ecclesie.» Tunc discipuli eius uitam ipsius colligentes 435 scripserunt tria uolumina de laudabilibus gestis eius. Rexit autem post eum

ecclesiam Narbonensem prefatus Stephanus, quondam dyaconus et dilectior discipulus ipsius sancti Pauli, uir sanctissimus, qui Stephanus est sepultus in ecclesia sancti Stephani subtus Narbonam.

422/423 Cauete – rapaces] Matthieu, 7, 15. 435 tria – eius] cf. Vie de Théodard de Narbonne, BHL 8045 : La Vita sancti Theodardi (B.H.L. 8045). Analyse et édition critique, éd. Jean Mercier, Thèse de doctorat sous la direction de P. Bonnassie, Toulouse 1994, vol. II, p. 59 et AASS, Maii I, 1680, col. 153. 422 Domini] uerbi Domini T falsis] falsas P 423 sed intrinsecus sunt lupi rapaces] et cetera T 424 Dei] om. MPLT persecutione] persecucionem M 428 excellentior] excellentissima L 429 Et] om. MPLT 430 aufferretur] aufugeret L 432 in] om. N 433 hunc] om. MPT, istum L 434/438 Tunc – Narbonam] om. MPT, Ipse uero Stephanus, postquam discessit, sepultus est in ecclesia sancti Stephani subtus Narbonam L

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Réécrire la sainteté Autour du ms. BNF, lat. 917, libellus de sainte Clotilde au xive siècle Entre pratiques dévotionnelles et échos politiques

Sarah Olivier (Genève) Le manuscrit 917 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale, daté du xive siècle et connu sous le nom d’Officium et Vita sanctae Clotildis, présente une réécriture tardive d’une Vita carolingienne consacrée à Clotilde, reine des Francs et épouse du roi Clovis. Si le manuscrit apparaît unique en tant que production, son sujet même et la façon dont il est traité fait écho à une atmosphère bien plus générale, qui dépasse cette apparente singularité. Le glissement du matériel – le manuscrit et sa composition – à l’immatériel – les enjeux sémantiques de ce contexte de re-production – révèle tout ce qu’il y a gagner de la prise en compte d’un produit hagiographique émancipé, abordé dans la longue durée, et qui dialogue avec un contexte – notamment politique – dont il contribue à éclairer l’appréhension. Nul n’est besoin de rappeler le renouveau que les études hagiologiques ont connu depuis maintenant plusieurs décennies, qui a su replacer la production hagiographique dans le champ de l’histoire. La réintroduction du récit hagiographique dans un contexte qui dépasse le champ strictement religieux a ainsi ouvert la voie à de nombreuses nouvelles investigations, notamment sur la question du rapport entre hagiographie et politique, comme l’avait très Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 349-380. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126299

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bien résumé Edina Bozoky dans son introduction aux actes du colloque Hagiographie, idéologie et politique organisé en 2008 : La reconnaissance de la sainteté et encore davantage sa propagation par l’écrit et l’image dépendent étroitement de la conjoncture sociale et politique. Le saint incarne certes des valeurs morales et religieuses universelles, mais sa représentation – interprétation, actualisation – varie d’une époque à l’autre […]. Au-delà de la célébration de la sainteté dans le cadre liturgique, ecclésial, certains cultes deviennent porteurs de messages idéologiques, voire politiques […]. L’écriture et la réécriture des Vies et d’autres écrits hagiographiques reflètent aussi les intérêts du pouvoir spirituel et temporel1.

Il convient de s’arrêter quelques instants sur le terme de réécriture employé ici par Edina Bozoky, en tant qu’il met au jour l’un des pendants les plus récents et sans doute aussi l’un des plus fructueux de la recherche hagiologique. L’investigation des procédés de réécriture et de réadaptation d’un texte à un nouveau contexte a donné lieu à un certain nombre de travaux importants ; je me contenterai de citer l’apport des études menées par Monique Goullet et Martin Heinzelmann sur la question2 . L’analyse que nous proposons de l’objet qui nous intéresse tout particulièrement aujourd’hui – la Vie de sainte Clotilde – est rendue possible par ce support théorique et interprétatif, qui prend en compte à la fois les enjeux politiques et symboliques du récit hagiographique, mais aussi le fonctionnement et les mécanismes de la réécriture, considérant l’objet hagiographique dans sa litérarité3. L’acte de réécrire se déploye assurément sous plusieurs formes, en ce qu’il transforme tour à tour le signifiant et le signifié, en modifiant formellement ou sémantiquement un texte préexistant. Le ms. lat. 917 offre selon nous un exemple tout à fait intéressant de la diversité des niveaux de réécriture dont une tradition textuelle peut profiter, tant sur le plan de la forme et de la structure que sur celui de l’appartenance à un genre défini et à l’émergence d’une nouvelle signification. Nous choisissons de diviser notre étude en deux parties : dans un premier temps, nous nous intéresserons à la composition d’une Vita de Clotilde à l’époque carolingienne et à sa diffusion manuscrite. Nous verrons qu’il est 1  E.  Bozoky, « Introduction », dans Hagiographie, idéologie et politique au Moyen-Âge en Occident. Actes du colloque international du Centre d’Études supérieures de Civilisation ­médiévale de Poitiers, 11-14 septembre 2008, éd. Ead., Turnhout, 2012, p. 5. 2  M. Goullet, M. Heinzelmann, dir., La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval : transformations formelles et idéologiques, Ostfildern, 2003 ; M. Goullet, Écriture et réécriture hagiographiques. Essai sur les réécritures de Vies de saints dans l’Occident latin médiéval (viiie-xiiie siècles), Turnhout, 2005 ; Ead., M. Heinzelmann et C. Veyrard-Cosme, L’hagiographie mérovingienne à travers ses réécritures, Ostfildern, 2010. 3  M. Goullet, Écriture et réécriture, p. 9-10.

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possible de distinguer, dans le groupe de manuscrits recensés comme transmettant cette Vita, deux versions distinctes. Il s’agira alors de s’intéresser à la deuxième version, tardive, de la Vita en examinant les procédés mis en place par le remanieur, qui ont pour conséquence de transformer formellement et sémantiquement l’ancienne Vita. La seconde partie sera consacrée à l’examen du contexte de composition du ms. lat. 917, qui contient précisément cette version tardive de la Vita ; nous verrons quelle place accorder au manuscrit dans l’atmosphère royale des années 1330-1350 et la façon dont il peut dialoguer, aussi, avec d’autres productions qui lui sont contemporaines. Aussi tenterons-nous, par l’examen détaillé du manuscrit et l’étude approfondie de son contexte de production, d’aborder le produit hagiographique dans sa totalité et sa longue durée. Le ms. lat. 917 du fonds latin de la Bibliothèque Nationale est un manuscrit de 44 folios à deux colonnes, aux dimensions considérables (375 × 270 mm). Il contient trois « pièces » : un office suivi d’une messe et une Vie de sainte Clotilde4. Le manuscrit est richement décoré ; en sus d’une très belle enluminure figurant sur le frontispice (Fig. 1), le manuscrit contient par ailleurs de nombreuses lettres ornées et initiales filigranées. La forme du manuscrit est ainsi celle du libellus, selon la définition qu’en donne Guy Philippart dans sa contribution sur les légendiers latins dans la Typologie des sources du Moyen Âge occidental, soit un « ensemble de textes consacrés à un seul saint » et qui contient, dans sa version liturgique, toutes les pièces destinées à célébrer l’office d’un saint particulier5. En ce qui concerne son historique de conservation, nous le retrouvons dans un certain nombre d’inventaires de la Librairie du Louvre entre 1380 et 1424. Le manuscrit est très probablement racheté par Charles d’Orléans au moment de la dispersion de la librairie en 1429, car il figure dans la liste des œuvres qu’il rapporte avec lui lors de son retour d’exil. Le manuscrit est ensuite conservé à Blois, comme en témoigne un ex-libris au dernier folio : de camera compotorum Bles[ensi]. Il figure ensuite dans les inventaires de la Bibliothèque royale en 1544, puis en 1622, 1645 et 16826. Le manuscrit a longtemps été daté du xve siècle –  notamment dans l’édition de la Vita de sainte Clotilde livrée par Bruno Krusch dans les Monumenta Germaniae Historica7  – et  l’est toujours dans le catalogue en

Office (fol. 1r-19r) ; Messe (fol. 19v-23v) ; Vie (fol. 24r-44v). G. Philippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout, 1977, p. 99-100. 6  Ces éléments proviennent en grande partie de la notice du manuscrit sur le site de la Bibliothèque Nationale : https ://archivesetmanuscrits.BNF.fr/ark :/12148/cc78532x, consultée le 04/05/2021. 7  Vita sanctae Chrothildis, éd. B. Krusch, MGH, SSRM, 2, p. 341-348, ici p. 341. 4  5 

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ligne des Bollandistes8. François Avril, dans son ouvrage sur la librairie de Charles  V, proposait quant à lui de dater le manuscrit du deuxième quart du xive siècle9. L’historien de l’art identifiait en effet le commanditaire du manuscrit à Jeanne de Bourgogne, épouse de Philippe VI de Valois et reine de France de 1328 à sa mort en 1348. Il s’appuyait, pour justifier cette attribution, sur l’enluminure du frontispice ; il proposait d’identifier le personnage agenouillé à Jeanne de Bourgogne, dont la position ne laisse que peu de doute quant à sa qualité de destinataire du manuscrit. Nous aurons l’occasion, de revenir sur cette attribution et ses enjeux. Notons pour l’instant que cette identification et la datation du manuscrit qui en découle semblent aujourd’hui faire référence10.

1. Fortune hagiographique de Clotilde et tradition manuscrite de sa Vita Pour bien comprendre les particularités du ms. lat. 917, il nous faut en premier lieu revenir sur « l’historique » hagiographique de Clotilde. Le premier portrait de la reine est dû à Grégoire de Tours, qui s’étend longuement sur l’importance de son rôle dans la conversion de Clovis. Si Clotilde occupe une place considérable au sein des Dix livres d’histoires de l’évêque de Tours, le texte ne pouvait néanmoins suffire, comme l’avait noté Robert Folz, « à faire naître la fama sanctitatis de la reine11 ». Deux siècles plus tard, la chronique du Liber Historiae Francorum (désormais  LHF) reprend le récit de Grégoire avec quelques innovations12 , mais insiste à son tour bien plus sur le rôle politique de Clotilde que sur d’éventuelles qualités répondant au canon hagiographique. Par la suite, la sainteté de Clotilde prend véritablement corps dans la rédaction d’une Vita qui lui est spécifiquement consacrée. Cette Vita

http://bhlms.f ltr.ucl.ac.be/Nquerysaintsectiondate.cfm ?code_bhl=1785&requesttimeout = 500, consulté le 04/05/2021. 9  F. Avril, La librairie de Charles V, Paris, 1968, p. 71. 10  La notice de la BNF date ainsi le manuscrit de second quart du xive siècle (avant 1348) ; Anne-­Hélène Allirot, dans les lignes qu’elle consacre à la bibliothèque de Jeanne de ­Bourgogne, inclut formellement l’ouvrage à la liste des commandes de la reine : « Jeanne de ­Bourgogne possède un autre manuscrit remarquable, exclusivement consacré au culte de la reine Clotilde (…) » : A-H. Allirot, Filles de roy de France : princesses royales, mémoire de saint Louis et conscience dynastique (de 1270 à la fin du xive siècle), Turnhout, 2010, p. 496. 11  R. Folz, Les saintes reines du Moyen Âge en Occident (vie-xiiie siècles), Bruxelles, 1992, p. 10 ; C. Thiellet, « La sainteté royale de Clotilde », dans Clovis, Histoire et mémoire, I, Le baptême de Clovis, l’événement, éd. M. Rouche, Paris, 1996, p. 147. 12  La plus marquante étant le rôle attribué au nouveau personnage d’Aurélien, émissaire de Clovis, dans les tractations en vue du mariage avec Clotilde (LHF, 11-13). 8 

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a été éditée par Bruno Krusch en 1888 dans les Monumenta Germaniae Historica. Ce dernier recense quatre manuscrits transmettant le récit : – Bruxelles, KBR, 8690-8702, fol. 129r-134v (xiie siècle) Recueil de Vies de saints, 136 folios à une colonne (220 × 135 mm), mutilé de deux folios contenant les chapitres 4-7. Manuscrit ayant appartenu à Corneille Duyn puis conservé dans la collection des Bollandistes. – Paris, BNF, lat. 12612, fol. 172r-178v (xiiie siècle) Recueil de Vies de saints provenant certainement de l’abbaye de Corbie et conservé par la suite à Saint-Germain-des-Prés, 250 folios à deux colonnes (338 ×240 mm). – Paris, BNF, lat. 5333, fol. 101v-114r (xive siècle)13 Recueil de Vies de saints en latin daté du xive siècle, provient du monastère de Sainte-Geneviève puis appartient à Claude Dupuy / 301 folios à deux colonnes (317 × 210 mm) (Vita sanctae Chrotildis reginae). – Paris, BNF, lat. 917, fol. 24r-44v (xive siècle, premier quart, avant 1348) Officium et Vita sanctae Clotildis, 44  folios à deux colonnes (375  × 270 mm).

a. Sources de la Vita Bruno Krusch s’appuie premièrement, pour livrer son édition, sur le manuscrit de Saint-Germain – le manuscrit de Bruxelles étant mutilé à plusieurs endroits. Il remarque, dans son introduction, que la Vita s’inspire en grande partie du LHF : « celui qui a composé sa Vie tire l’histoire de la reine Clotilde presque en totalité du Livre de l’histoire des Francs (ch. 11-27) […]. Il n’ajoute presque rien14 ». Ce que l’hagiographe semble ajouter, ce sont des motifs qui sont de l’ordre de la topique hagiographique : prédestination de Clotilde à une mission exceptionnelle (Prologue), exposition de ses malheurs (ch. 11), miracle lors duquel Clotilde transforme l’eau en vin pour donner à boire aux ouvriers bâtissant un monastère (ch. 12), mécénat envers les églises (ch.  13), vision et mort (ch.  14). S’il ajoute plusieurs éléments, de même en retranche-t-il d’autres ; ainsi certains épisodes sont-ils omis, durant lesquels

Anciennement conservé à la bibliothèque Mazarine. Il s’agit vraisemblablement d’un légendier en provenance de Sainte-Geneviève. Les Bollandistes mentionnent en effet un manuscrit Cardinalis Mazarini où la vita est divisée en leçons, destinées à être récitées durant l’office de Matines à l’église Sainte-Geneviève. Les leçons pourraient correspondre à la division du texte en chapitres (AASS, Iunii, I, p. 291). 14  Vita sanctae Chrothildis, p. 341 (Traduction de l’auteur). 13 

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Clotilde se montre sans doute trop vengeresse au goût de l’hagiographe15. La Vita est ainsi construite en deux parties : une première (ch. 1-10) qui suit de très près les chapitres 11-15, 17, 19, 23-24 et 27 du LHF et une seconde partie (ch. 11-14) qui s’émancipe de cette source pour mettre au jour la sanctitas de Clotilde : Vita sanctae Chrothildis16 1. Prologue 2. Présentation des origines de Clotilde 3. Les légats de Clovis aperçoivent Clotilde, elle s’entretient avec Aurélien déguisé en mendiant 4. Aurélien retourne voir Clotilde l’année suivante ; Gondebaud accepte le mariage entre Clovis et Clotilde 5. Clotilde tente de convertir Clovis sans succès ; mort de leur premier fils Ingmar après son baptême, naissance de leur second fils Clodomir 6. Bataille de Clovis contre les Alamans, le roi promet de se convertir 7. Clotilde fait venir l’évêque Remi, baptême de Clovis 8. Bataille de Clovis contre les Goths, construction d’une église en l’honneur de saint Pierre à Paris, mort de Clovis 9. Les fils de Clovis combattent le roi des Goths Almaric qui maltraite leur sœur Clotilde ; mort d’Almaric et de la jeune Clotilde 10. Clotaire et Childebert assassinent les fils de leur frère Clodomir ; Clotilde enterre les corps dans la basilique des Saints Apôtres 11. Exposition des malheurs de Clotilde

Sources   Liber Historiae Francorum, ch. 11

Liber Historiae Francorum, ch. 12-14

Liber Historiae Francorum, ch. 15 Tradition rémoise (Vita Remigii, ch. 15 ?) Liber Historiae Francorum, ch. 17 et 19 Liber Historiae Francorum, ch. 23 Liber Historiae Francorum, ch. 24  

R.  Folz, Les saintes reines, p.  11. C’est le cas, par exemple, de l’épisode des représailles contre les Burgondes, menées à l’instigation de Clotilde, et passé sous silence par le rédacteur de la vita. 16  La division en chapitres reprend celle proposée par Bruno Krusch. 15 

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Vita sanctae Chrothildis 12. Clotilde opère un miracle en transformant de l’eau en vin lors de la construction d’un monastère aux Andelys 13. Liste des constructions d’églises menées par Clotilde 14. Clotilde reçoit une vision de sa mort proche ; mort de Clotilde ; transport de son corps à Paris dans la basilique des Saints Apôtres pour être enterré aux côtés de Clovis et de sainte Geneviève

Sources Vita Genovefae (A), ch. 21 ?

  Liber Historiae Francorum, ch. 27

Concernant donc les sources de la Vita, outre le LHF que nous avons déjà mentionné, il faut citer l’influence des premières traditions hagiographiques de saint Remi, démontrée par la présence de l’épisode de la « Sainte Ampoule », qui prend place lors du baptême de Clovis. Cette légende, qui apparaît à Reims dans les années 860, est par la suite fixée définitivement par Hincmar de Reims dans sa Vita Remigii17. Notons néanmoins que l’auteur de la Vita de Clotilde – s’il transmet bien l’épisode – commet quelques imprécisions, la principale étant qu’il ne mentionne pas une ampoule, mais deux : Consecrat sanctus presul fontem ; rex indumentis corporalibus exuitur et a predicto presule baptizatur. Cumque chrisma defuisset, Dei nutu in specie columbe venit Spiritus sanctus, portans duas ampullas oleo et chrismate plenas, quas beatus Remigius devote suscepit, regemque more ecclesiastico perunxit vocavitque eum Lucdovicum, quasi laudabilem virum18.

Cette infidélité au récit d’Hincmar avait fait dire à Monique Goullet que l’auteur de la Vita ne s’appuyait pas sur la Vita Remigii19. Nous ne nous montrons pas aussi catégorique ; il est possible, en réalité, que l’hagiographe ait confondu deux épisodes de la Vita Remigii20 . Remi réalise en effet un miracle, avant le baptême de Clovis, lors duquel deux ampoules contenant l’huile et le chrême se remplissent miraculeusement : Denique cum quidam egrotus familiae non ignobilis necdum baptizatus se a sancto Remigio visitari postularet et iam velut in ultimo spiritu positus, credere se fateretur et baptizari deposceret […] sanctus Remigius a presbitero loci Sur cette tradition voir infra, n. 23. Vita sanctae Chrothildis, 7. 19  Adso Deruensis, Opera hagiographica, éd. M. Goullet, Turnhout, 2003, p. l. 20  Cette hypothèse a été pour la première fois développée dans les Acta Sanctorum (AASS, Octobris, I, 1765, p. 88). 17  18 

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illius exorcizatum oleum et chrisma quesivit. Qui simplex oleum se habere, sed oleum exorcizatum et chrisma in ampullis in quibus fuerant penitus iam defecisse respondit. Sanctus autem Remigius ipsas ampullas sibi afferri precepit, quas vacuas super altare misit et se in orationem prostravit. Surgens autem ab oratione, ampullam, in quam brevis habebatur olei exorcizati, et alteram ampullam, in qua brevis continebatur sacri chrismatis, plenas invenit21.

La proximité entre ce miracle et l’épisode du baptême de Clovis est parlante ; l’auteur de la Vita aurait-il pu penser qu’il s’agissait des mêmes deux ampoules ? Si l’hagiographe n’a pas eu recours directement à la Vita Remigii telle que constituée par Hincmar, il demeure néanmoins évident que le texte est fortement influencé par le milieu rémois et la réécriture qu’il propose du baptême de Clovis22 . Il est aussi probable, en dernier lieu, que l’hagiographe se soit appuyé sur la recension A de la Vie de sainte Geneviève ; on constate en effet une reprise, dans la Vita Chrothildis, de certaines épithètes allouées à la vierge parisienne, et le miracle opéré par Clotilde paraît fortement inspiré de celui réalisé par Geneviève qui, au chapitre  21, remplit miraculeusement une coupe lors de la construction de la basilique de Saint-Denis, après que les ouvriers aient réclamé de l’eau. Il est délicat de se montrer affirmatif sur la filiation entre les deux textes, sachant que le miracle est évidemment déjà un décalque du miracle des noces de Cana (Jean 2, 1-12) ; néanmoins la proximité des deux femmes et la mention de Geneviève à la fin de la Vita pourraient nous orienter dans ce sens.

b. Tentatives de datation Plusieurs tentatives ont été menées pour dater la première composition de la Vita, donnant lieu à différentes hypothèses. La  mention de l’épisode de la Sainte Ampoule permet de fixer un terminus post quem que l’on peut situer autour de 860, période à laquelle l’évenement se trouve évoqué pour « Alors qu’un certain malade d’une famille connue, pas encore baptisé, demanda que saint Rémi se rende auprès de lui comme il se croyait arrivé au dernier moment de sa vie et exigeait d’être baptisé (…) saint Rémi demanda au prêtre l’huile et le chrême. Celui-ci répondit qu’il avait de l’huile simple, mais qu’il n’y avait plus d’huile et de chrême dans les ampoules où elles se trouvaient auparavant. Alors saint Rémi demanda qu’on lui apporte ces ampoules vides ; il les plaça sur l’autel et il s’abaissa en prières. Lorsqu’il se releva de sa prière, il découvrit que l’ampoule qui contenait auparavant l’huile et l’autre ampoule, qui contenait le chrême sacré, étaient toutes deux pleines » (Vita Remigii episcopi remensis auctore Hincmaro, 10, éd. B. Krusch, MGH, SSRM, 3, p. 290). 22  Arguments très convaincaints chez C.  Thiellet, « La sainteté royale de Clotilde », p. 147-152. 21 

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RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

la première fois23. Pour Bruno Krusch, le lexique utilisé par l’hagiographe – qui décrit notamment Clotilde comme Romanorum imperatorum mater et regum Francorum genitrix24 – signale un contexte de production très probablement carolingien25. Une tentative de datation plus précise a été menée par le biais de la recherche d’un auteur auquel attribuer la Vita, point sur lequel l’historiographie ne paraît pas être tombée d’accord. En 1990, dans le seul article spécifiquement consacré à la Vita Chrothtildis, Karl Ferdinand Werner proposait d’attribuer la composition du texte à Adson de Montier-en-Der, moine puis abbé de cette même cité dans la seconde moitié du xe  siècle26. Cette attribution semble avoir fait rapidement figure d’autorité dans l’historiographie qui a eu l’occasion, par la suite, de mentionner la Vita27. Néanmoins, cette hypothèse a été fortement remise en question par Monique Goullet dans un article consacré à Adson de Montier-en-Der ; elle relevait en effet le manque d’arguments philologiques convoqués par l’historien dans sa démonstration et, s’appuyant sur sa connaissance du corpus d’Adson, éliminait fermement la Vita Chrothtildis de la liste de ses œuvres28. Par la suite, dans son édition des œuvres du moine, elle réaffirmait cette première opinion29. Si nous ne pouvons établir un terminus ante quem avec certitude, il paraît néanmoins évident que le texte est produit dans une atmosphère très Si la dernière composition de la Vita Remigii est traditionnellement datée entre 878 et 882 (M.-C. Isaïa, Remi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une Eglise, Paris, 2010, p. 418), on sait par ailleurs que l’épisode apparaît pour la première fois dans un office en l’honneur de saint Remi, composé à la demande d’Hincmar avant 860 (M.-C. Isaïa, « Objet du sacre, objet sacré ? L’exemple de la Sainte Ampoule », dans Objets sacrés, objets magiques de l’Antiquité au Moyen Âge, éd. C. Delattre, Paris, 2007, p. 154). Il est alors possible que l’hagiographe carolingien – d’autant plus s’il écrit dans le contexte rémois – ait connu l’épisode avant que celui-ci ne soit consigné dans la Vita Remigii. 24  Vita sanctae Chrothildis, 14. 25  Voir la réfléxion détaillée de Bruno Krusch (Vita sanctae Chrothildis, p. 341). 26  K. F. Werner, « Der Autor der Vita sanctae Chrothildis », Mittellateinisches Jahrbuch, 24-25 (1989-1990), p.  517-551. L’historien s’appuie sur plusieurs arguments, à la fois philo­ logiques et contextuels, que nous ne développerons pas ici. Notons seulement qu’il percevait dans le texte une promotion de la Francie occidentale comme berceau des dynasties franques qui s’accorderait bien avec le contexte dans lequel évolue Louis IV d’Outremer ; il maintenait que le texte aurait pu être rédigé pour Gerberge, l’épouse de Louis IV, en vue de lui présenter ainsi un modèle de reine. 27  Cette attribution est notamment évoquée par C. Thiellet, « La sainteté royale de Clotilde », p. 147 ainsi que par A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 496. La notice de la BNF reprend elle-aussi cette attribution. 28  M. Goullet, « Adson hagiographe », dans Les moines du Der (673-1790). Actes du colloque international d’histoire, Joinville-Montier-en-Der, 2-3 octobre 1998, dir. P. Corbet, Langres, 2000, p. 110-113. 29  Adso Deruensis, opera, p. xlix-l. 23 

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« impériale » ; faute de mieux, nous placerons sa composition supposément entre la seconde moitié du ixe siècle et la fin du xe siècle.

c. Présence de deux traditions (A et B) Comme nous l’avons vu, cette Vita carolingienne nous est parvenue par l’intérmédiaire de quatre témoins manuscrits, recensés par Bruno Krusch dans son édition30. Les  Bollandistes attribuent au récit hagiographique le numéro BHL 1785 et s’en tiennent à ces quatre témoins31. Seulement, l’étude détaillée et la confrontation des quatre manuscrits rendent évidente la présence de deux traditions distinctes de la Vita de sainte Clotilde ; une première –  que nous nommons  A (ou Vita ancienne)  – qui se trouve dans les deux manuscrits les plus anciens (Bruxelles, KBR, 86908702 et Paris, BNF, lat. 12612) – et une seconde, que nous nommons B (ou Vita tardive), présente dans les deux manuscrits du xive siècle (Paris, BNF, lat. 533332 et Paris, BNF, lat. 917). La présence de deux traditions de la Vita n’a jamais, à notre connaissance, été investiguée ; tout au plus certaines notices se contentent-elles de relever la présence d’une version plus tardive33. De  plus, la classification des Bollandistes, qui attribuent un numéro commun aux versions des quatre manuscrits, tend malheureusement à estomper les variantes qui existent entre les différents textes. L’intérêt peu marqué pour la Vita des manuscrits du xive siècle s’explique certainement aussi par le fait que cette version tardive n’invente rien ; elle réassemble bien plus qu’elle ne recrée. Néanmoins, si le processus de réécriture peut paraître, à première vue, peu original dans sa forme, nous soutenons cependant qu’il est signifiant dans sa visée. Vita sanctae Chrothildis, p. 341. http://bhlms.fltr.ucl.ac.be/Nquerysaintsectiondate.cfm ?code_bhl=1785&requesttimeout=500, consultée le 07/05/2021. 32  Le manuscrit 5333 n’étant pas daté avec précision, il nous est difficile de savoir lequel des deux manuscrits précède l’autre dans la chronologie. 33  Les Bollandistes, dans leur notice du ms. lat. 917, mentionnent une composition différente de la vita de sainte Clotilde (Vita sanctae Clotildis altera) et la décrivent comme un décalque du Liber Historiae Francorum, suivi des chapitres 11-14 de la vita ancienne, avec peu de modifications (Hujus prior pars tota excerpta est Gestis regum Francorum, cap. 11-24. Posteriorem praebuerunt capp.  11-14 Vitae, admodum paucis mutatis in fine ultimi capitis) (Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum saeculo  xvi qui asservantur Bibliotheca Nationali Parisiensi, t. i, Bruxelles, 1889, p. 52-53). La notice de la BNF consacrée au manuscrit lat. 917 use de la dénomination de « version tardive », mais mentionne à tort qu’elle se trouve éditée dans les Acta Sanctorum ; en réalité l’édition des AASS rassemble les épisodes de l’Historia Francorum de Grégoire de Tours ayant trait à Clotilde et ne fait que rajouter les chapitres 11-14 de la VC, par ailleurs communs aux deux versions (AASS, Iunii, I, p. 295-298). 30  31 

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RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

Le rédacteur de la Vita B s’appuie sur la Vita A, mais ne décide d’en conserver que les derniers chapitres (11-14), ceux traitant de la fin de la vie de Clotilde (exposition de ses malheurs, miracle du vin, constructions d’églises, vision et mort). En ce qui concerne la première partie du texte, outre le prologue qui n’apparaît pas dans cette version, l’auteur de la Vita B retourne de façon rigoureuse au texte du LHF (A). Si le premier hagiographe restait déjà proche de cette source, le remanieur reprend quasiment à la lettre le texte de la chronique. Prenons comme exemple la manière dont se trouve relatée la rencontre entre Aurélien, l’émissaire de Clovis, et Clotilde : VC (A) ch. 3

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 24r-25v)

Liber Historiae Francorum34 (A) ch. 11

Ipso tempore Flodoveus. Childerici regis Francorum filius, frequenter mittebat in Burgundia legationem ad Gundebaudum regem. Videntesque eius legati in domum prefati regis Gundebaudi Chrothildem puellam sapientem, pulcram, eligantem atque decoram, que esset interrogant. Responsum est eis, hanc fuisse filiam Chilperici regis, quem predictus Gundebaudus interfecit. Reversi igitur ad Flodoveum, se vidisse referunt regis Gundebaudi neptem, moribus inclitam, corpore pulcram, regali desponsatione dignam.

Clodoveus itaque dum frequenter legationem in Burgondiam mitterit Clotildis puella invenit (corr. en invenitur) a legatis. Qui cum eam vidissent pulchram, elegantem atque sapientem Clodoveo nunciaverunt hec.

Chlodovechus itaque dum frequenter legationem in Burgundiam mitteret, Chrotchildis puella invenitur a legatariis. Qui cum eam vidissent pulchram, elegantem atque sapientem, Chlodoveo nunciaverunt haec.

Texte tiré de La Geste des rois des Francs, Liber Historiae Francorum, éd. B. Krusch, trad. S. Lebecq, Paris, 2015, p. 31-34.

34 

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VC (A) ch. 3

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 24r-25v)

Qua de re Flodoveus valde gavisus, dixit suis in quos fidebat militibus : « Tempus mee aetatis exigit, ut societur mihi uxor nobilis, de qua procedat proles regia, regnum post obitum meum gubernatura. Habet rex Gundebaudus neptem, quam, si datis consilium, volo ducere in coniugium ». O altitudo sapientie et scientie Dei, auditur a palatinis, laudatur, ut adducatur Chrothildis et fiat regina puella tam nobilis. Decebat enim, ut reges Francorum futuri, Deo immortali regi monasteria multa quae sunt per Galliam edificaturi, nascerentur de progenie regali et per edificationem periture ecclesie pervenirent ad gaudia celestis Ierosolime, ecclesiae sine fine permansure. Erat tunc temporis in aula regis Flodovei quidam Aurelianus, vir peritus in secularibus et secretorum regis non innarus.

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Liber Historiae Francorum34 (A) ch. 11

RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

VC (A) ch. 3

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 24r-25v)

Liber Historiae Francorum34 (A) ch. 11

Hunc rex misit ad Gundebaudum in Burgundiam, ut ab eo peteret neptem suam, ut in Galliam adducatur et regina efficiatur. Erat enim prefata Chrothildis christiana. Que cum quadam die dominica venisset ad missarum solenpnia, ut consueverat, pauperibus elemosinam dabat. Prefatus Aurelianus, mutatis vestibus, sedebat cum pauperibus alimoniam prestolantibus. Beata Chrothildis ad eum venit unumque aureum ei dedit. A ille manui dantis osculum prebuit eiusque pallium retro traxit. Beata Chrothildis ancillam suam misit, Aurelianum ad se venire fecit dixitque ei : « Dic mihi, iuvenis, cur te pauperem simulans, pallium meum retraxisti ? » A tille ait : « Loquatur tibi, obsecro, servus tuus secreto ». Illa respondente : « Loquere ! » « Dominus », inquid, « meus rex Francorum Flodoveus misit me ad te ; vult te uxorem habere. Ecce anulus eius et ornamenta reliqua et regalia sponsalia ! ».

At ille hec audiens iterum legationem ad Gondebaudum misit Aurelianum legatum suum clotildem neptem suam petendam. Erat enim Clotildis christiana. Quadam die cum ad missarum solemna Clotildis venisset aurelianus missus Clodovei acceptas vestes paupercolas bonas vero vestes quas secum habebat sociis suis in silvas reliquit et ante ecclesie matriculam in medio pauperum consedit. Transactis itaque missarum solenmis Clotildis iuxta solitam consuetudinem cepit elemosinam dare pauperibus. Cumque ad Aurelianum pauperem venisset misit aureum unum in manu eius. At ille osculans manum ipsius puelle retraxit pallium eius retro. Post hec illa ingressa est in cubiculum suum et misit ancillam suam vocare peregrinum illum. At ille anulum Clodovei regis manu tenens reliqua ornamenta sponsalia reposita in sacculum retinuit relicto eo ante hostium camere. Cui ait clotildis ‘Dic mihi, iuvenis cur te pauperem simulas vel pro qua causa retraxisti pallium meum’ Et ille dixit ‘Loquatur obsecro servitus tuus secrecto tecum’ Et illa ait ‘Loquere’.

At ille haec audiens, iterum legationem ad Gundobadum misit Aurelianum legatarium suum Chrotchilde neptem suam petendam. Erat enim Chrotchildis christiana. Quadam die dominica cum ad missarum sollempnia Chrotchildis venisset, Aurilianus missus Chlodoveo, acceptas vestes paupercolas – bonas vero vestes quas secum vestitas habuerat sociis suis in silvas reliquit –, et ante ecclesiae matricolam in medio pauperum consedit. Transacta itaque missarum sollempnia, Chrotchildis iuxta consuetudinem solitam coepit elymosinam dare in pauperibus. Cumque ad Aurilianum pauperem simulantem venisset, misit aureum unum in manu eius. Et ille osculans manum ipsius puellae, retraxit pallium ieus retro. Post haec illa ingressa est in cubiculum suum, misit ancillam suam vocare peregrinum illum. At ille anolum Chlodoveo rege manu tenens, reliqua ornamenta sponsalia reposita retenebat in saccolum suum, relictoque eo retro secus hostium camerae. Cui ait Chrotchildis : « Dic mihi, homo iuvenis : quur te pauperem simulas, vel pro qua causa retraxisti pallium meum ? » Et ille dixit : « Loquatur, obsecro, servuus tuus secrecto tecum ». Et illa ait « Loquere ».

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VC (A) ch. 3

Beata Chrothildis anulum et reliqua dona recepit, et in tesaurum avunculi sui regis Gundebaudi reposuit. Dixitque Aureliano : « Domino meo regi Flodoveo salutem dicito. Quod petis quomodo fiat innoro. Licitum enim non est christianam nubere pagano. Hanc rem nemo sciat, ut Deus voluerit fiat. Vade in pace, prospere ad tuos revertere ».

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 24r-25v)

Liber Historiae Francorum34 (A) ch. 11

Qui dixit ‘Dominus meus Clodoveus rex Francorum misit me ad te et vult te habere reginam et ecce anulus eius et reliqua ornamenta sponsalia’. Respiciens vero retro hostium camere non invenit sacculum suum et molestus cepit tristari. Illa vero sollicite requisita ait ‘Quis tulit pauperis istius sacculum’. Confestimque invenit eum. Recepit itaque abscondite ornamenta sponsalia. Acceptoque anulo quem Clodoveus rex miserat per Aurelianum reposuit illum in thesauro avunculi sui. Aureliano eo legato dixit ‘Clodoveus salutem dicito ac subiunge. Licitum non est christiane pagano nubere’. Et addidit ‘Vide hanc causam nemo sciat. Quomodo vero jubet dominus meus quem ego coram omnibus confiteor sic fiat. Tu autem vade in pace.

Qui dixit : « Dominus meus Chlodoveus rex Francorum misit me ad te ; vult te habere reginam. Ecce anolus eius et reliqua ornamenta sponsalia ! ». Respexit retro hostium camerae : non invenit saccolum suum et molestus coepit tristare. Illa vero sollicite requisita ait : « Quis tullit pauperi istius saccolum suum ? ». Et invenit eum recepitque illa abscondite ornamenta sponsalia. Acceptoque anolo, quem Chlodoveus rex miserat per Aurelianum, reposuit illum in thesaurum avuncoli sui. « Chlodoveoque salutem dicito ; licitum non est christiana paganum nubere. Vide ut hac causa nemo sciat. Quomodo iubet dominus Deus meus, quem ego coram omnibus confiteor, sic fiat. Tu vero vade in pace ».

Cet exemple donne à voir la méthode employée par le remanieur,  qui choisit de retourner à la source plutôt qu’à la paraphrase du premier hagiographe. Aussi la version remaniée ne transmet-elle pas certaines originalités de la Vita ancienne et ajoute au récit des épisodes du LHF que le premier rédacteur avait omis : la longue tirade de la Vita A (O altitudo sapientie et scientie Dei…) n’est pas retransmise dans la Vita B, de même que cette dernière choisit de réintroduire l’épisode de la perte du sac d’Aurélien, développé dans le Liber mais laissé de côté dans la Vita ancienne. Sur un plan quantitatif, la Vita B est ainsi bien plus longue que la Vita A ; en choisissant de retourner au Liber, le second rédacteur a ainsi recours à un procédé d’extension. Seulement, alors que l’extension, telle que définie par Monique Goullet, consiste le plus souvent à ajouter des éléments rhétoriques (prologue, exclamations, commentaires, etc.)35 à un texte prééxistant, l’auteur de la version tardive choisit quant 35 

M. Goullet, Écriture et réécriture, p. 107.

362

RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

à lui, dans un mouvement que l’on pourrait qualifier d’inverse, de retourner à des sources antérieures conséquentes et d’y insérer en quelque sorte le premier hypotexte hagiographique. Un autre exemple s’illustre dans le récit du baptême de Clovis : VC (A) ch. 7

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 30r-30v)

Vita Remigii, ch. 1536

Consecrat sanctus presul fontem ; rex indumentis corporalibus exuitur et a predicto presule baptizatur. Cumque chrisma defuisset, Dei nutu in specie columbe venit Spiritus sanctus, portans duas ampullas oleo et chrismate plenas, quas beatus Remigius devote suscepit, regemque more ecclesiastico perunxit vocavitque eum Lucdovicum, quasi laudabilem virum.

Cum vero pervenissent ad baptisterium clericus qui crisma ferebat a populo interceptus est ad fontem venire nequivit. Sanctificato autem fonte nutu divino crisma defuit. Et quia propter populi pressuram nulli patebat egressus ecclesie vel ingressus sanctus pontifex oculi sac manibus protensis in celum cepit tacete orare cum lacrimis. Et ecce subito columba nive candidior attulit in rostro ampullam crismate sancto repletam cuius odore mirifico super omnes odores quos ante in baptisterio senserant omnes qui aderant inestimabili suavitate repleti sunt.

Cum vero pervenissent ad baptisterium, clericus qui chrisma ferebat a populo est interceptus, ut ad fontem venire nequiverit. Sanctificato autem fonte, nutu divino chrisma defuit. Et quia propter populi pressuram ulli non patebat egressus aecclesiae vel ingressus, sanctus pontifex, oculis ac manibus protensis in caelum, cepit tacite orare cum lacrimis. Et ecce ! subito columba nive candidior attulit in rostro ampullulam [sic] chrismate sancto repletam, cuius odore mirifico super omnes odores, quos ante in baptisterio senserant, omnes qui aderant inestimabili suavitate repleti sunt.

Là encore, la Vita B retourne à une source de première main, qui est la Vita Remigii d’Hincmar de Reims. En témoigne d’ailleurs la mention d’une seule ampoule, comme dans le récit de l’évêque et non de deux, originalité, comme nous l’avons relevé, du premier hagiographe.

36 

Vita Remigii, p. 296-297.

363

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L’une des grandes différences formelles entre la Vita A et la version tardive réside aussi dans le fait que le texte de la Vita B est divisée en chapitres, introduits chacuns par une rubrique à l’encre rouge, et qui suivent de près les chapitres du Liber : VC (A), ch. 3

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 25r)

Liber Historiae Francorum (A), ch. 12

Rex vero Flodoveus anno sequenti Aurelianus ad Gundebaudum misit, et ut sponsam suam Chrothilde ei mitteret per Aurelianum mandavit […]

Quando Clodoveus mittit ad Gondebaudum pro Clotilde Annno sequenti misit Clodoveus Aurelianum legatum suum ad Gondebaudum pro sponsa sua Clotilde.

Ubi Chlodovechus rex misit ad Gundobadum pro sponsa sua Chrotchilde Anno insequuto misit Chlodoveus Aurilianum legatarium suum ad Gundobadum pro spunsa sua Chrotchilde […].

VC (A), ch. 6

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 29r)

Liber Historiae Francorum (A), ch. 15

De bello Clodovei regis contra Alemmanos Factum est autem pugnanti inter se Francorum et Alemannorum exercitum, ut populus clodovei nimis caderet […]

Bellum contra Alamannos, ubi Chlodovechus necessitate conpulsus, verum Deum sibi invocat in adiutorio et a sancto Remigio baptizatus est Factum est autem, pugnantibus inter se Francorum et Alamanorum exercitu, ut populus Chlodoveo nimis caderet […].

Pugnantibus vero Francis et Alamannis, populus Flodovei cadere cepit […]

364

RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

En ce qui concerne la dernière partie du texte, la Vita B choisit en revanche de revenir à la Vita A (ch. 11-14), comme en témoigne, par exemple, le récit de la mort de Clotilde : VC (A), ch. 14

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 43v-44v)

Liber Historiae Francorum (A), ch. 27

Hic et aliis sanctis operibus referta sancta Chrothildis olim regina, tunc pauperum et servorum Dei famula, despiciens mundum et corde diligens Deum, consenuit in senectute bona, a Christo receptura premia sine fine mansura. Contigit itaque, eam ad Turonicam urbem pergere, in qua pro dilectione sancti Martini sepius manere solebat. Ubi dum moraretur, didicit angelica revelatione, in proximo adesse diem vocationis suae. Tunc exuitans in Deo, orabat, corde dicens devoto : « Ad te, Domine, levavi animam meam, veni et eripe me, Domine, ad te confugi ». Hinc corporali egritudine gravata, lecto decubuit, tamen ab oratione et elemosinarum largitione nullo modo cessavit. Sed, quid daret, Christi paupera non habebat, quia regium thesaurum minuerat et per manus pauperum celo transmiserat. Misit ergo nuntium ad filios suos Childebertum et Chlotharium, iubens eos ad se venire. Qui mox ut audierunt, celeriter advenerunt. Quibus sancta Dei famula plurima que eis postea evenerunt predixit, sicut ei divinitus revelatum fuit. Tricesimo itaque die vocationis suae secundum apostolum.

His et aliis sanctis operibus referta sancta Clotildis olim regina tunc pauperum et servorum Dei famula despiciens mundum et corde diligens Deum consenuit in senectute bona a Christo receptura premia sine fine mansura. Contigit itaque eam ad Turonicam urbem pergere in qua pro dilectione sancti Martini sepius manere solebat. Ubi autem dum moraretur didicit angelica revelatione in proximo adesse diem vocationis sue. Tunc exultans in Deo orabat corde dicens devoto ‘Ad te Domine levam animam meam veni et eripe me Domine ad te confugi’. Hinc corporali egritudine gravata lecto decubuit tamen ab oratione et elemosinarum largitione nullo modo cessavit. Sed quod daret Christi paupera non habebat quia regium thesaurum minuerat et per manus pauperum cela transmiserat. Misit ergo nuncium ad filios suos Childebertum et Clotarium iubens eos ad se venire. Qui mox ut audierunt celeriter advenerunt. Quibus sancta Dei famula plurima que eis postea evenerunt predixit sicut ei divinitus revelatum fuit. Tricesimo itaque die vocationis sue secundum apostolum.

Igitur bonae memoriae Chrodchildis regina, bonis operibus predita, apud urbem Toronicam migravit ad Dominum plena dierum. Quae cum magno psallentio Parisius deportata, in sacrario basilicae sancti Petri ad latus Chlodovechi regis, viri sui, sepulta est, a filiis suis Childeberto et Chlothario regibus humata. Ibi et beatissima Genoveva sepulta est.

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VC (A), ch. 14

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 43v-44v)

inuncta a sacerdotibus oleo sancto, et sacri corporis et sanguinis Christi percepto viatico, in confessione sancte Trinitatis corpus exuit, mundum reliquid. Cuius anima angelicis manibus ad celum deducta, inter choros sanctorum agminum est collocata. Exivit autem a corpore prima hora noctis, tertio Nonas Iunii. Qua migrante, tam immensa claritas omnium replevit, ac si esset sexta hora diei, tantusque odor nares et ora omnium replevit, ut putarent se tymiamatis et omnium aromatum odoribus confoveri. Hec claritas et odor tam diu ibi permansit, donec dies illucesceret, et sol super terram clarissime luceret. Tunc a duobus regibus, filiis suis, Childeberto et Chlothario a Turonis translata et Parisius deportata, in basilica apostolorum Petri et Pauli iuxta regem Lucdovicum est sepulta, in qua etiam basilica requiescit corpus sancte Genovefe virginis. Dignum namque est, ut ecclesia sanctorum apostolorum nomine dedicata decoretur tante virginis corpore membrisque regine tam gloriose et vidue tam devote, Romanorum imperatorum matris et regum Francorum genitricis. Ad laudem et gloriam sancte et individue Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus sancti, cuius regnum et imperium permanet sine fine in secula seculorum. Amen.

inuncta a sacerdotibus oleo sancto et sacri corporis et sanguinis Christi percepto viatico in confessione sancte trinitatis corpus exuit mundum reliquit. Cuius anima angelicis manibus ad celum deducta inter choros sanctorum agminum est collocata. Exivit autem a corpore prima hora noctis tercio nonas iunii. Qua migrante tam immensa claritas tantusque odor nares et ora omnium replevit ut putarent se tymiamatis et omnium aromatum odoribus confoveri. Hic autem odor tam diu circa corpus permansit donec dies illucesceret. Itaque bone memorie Clotildis regina bonis operibus predita apud urbem Turonicam migratur ad Dominum plena dierum. Que cum magno psalentio Parisius deportata in sacrario basilice sancti Petri ad latus Clodovei regis a filiis suis Childeberto et Clothario regibus atque humata. Ibi est beatissima Genovefa sepulta est.

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Liber Historiae Francorum (A), ch. 27

RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

Excepté pour l’extrême fin du récit, où la Vita B retourne au LHF, il est évident que le remanieur suit la Vita A pour décrire la mort de la reine. Il en va d’ailleurs de même pour les récits, qui précèdent, du miracle du vin et du mécénat de Clotilde en faveur des églises. Pour résumer, tout ce qui a trait, spécifiquement, à la sanctitas de Clotilde est repris par la Vita B quasiment tel quel – avec quelques rares inflexions. En revanche, la vie « publique » de Clotilde se trouve considérablement étoffée par le biais de l’ajout d’épisodes entier du LHF. Le processus de réécriture mis en place dans la Vita B donne le sentiment que l’intérêt du remanieur se porte bien plus sur l’histoire collective que sur l’histoire individuelle ; il s’en faut de peu pour que Clotilde ne disparaisse derrière l’impressionnante prolifération d’épisodes historiques – parmi lesquels, d’ailleurs, certains vont même jusqu’à ne pas la mentionner37. Composition hybride historiographico-hagiographique, cette nouvelle configuration textuelle désindivualise ainsi le personnage de Clotilde pour l’inscrire au sein d’une histoire plus vaste, qui est celle de la royauté franque de son époque.

d. La Vita ancienne et la liturgie Les deux manuscrits du xiie et xiiie siècles constituent-ils alors l’unique trace de la tradition ancienne de la Vie de sainte Clotilde ? En réalité, si nous ne possédons pas, à notre connaissance, d’autres manuscrits transmettant la Vita sous la forme d’un récit hagiographique continu, nous retrouvons néanmoins sa trace dans la tradition liturgique. Il est temps pour nous de revenir à la partie liturgique, stricto sensu, du ms. lat. 917, que nous avions jusqu’à présent quelque peu laissée de côté : l’Officium de sainte Clotilde. En effet, aux fol. 1r-19v se trouve un office avec diverses pièces chantées (antiennes, hymnes, leçons, répons), suivi par une messe (fol. 19v-22v). Au fol. 4r commencent les leçons, neuf au total, séparées chacunes par un répons. Lorsque l’on étudie en détail le texte des leçons, il apparaît évident qu’il se base sur la Vita ancienne, dont il transmet une version abrégée. En  témoigne le récit de l’épisode du baptême de Clovis, où réapparaissent les deux ampoules :

C’est le cas, par exemple, de l’épisode de la guerre de Clovis contre Ragnachaire (Liber Historiae Francorum, 18, p. 63-65 ; BNF, lat. 917, fol. 35v-36v).

37 

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VC (A), ch. 7

Officium (Lectio V) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 10r)

VC (B) (Paris, lat. 917, fol. 30r-30v)

Consecrat sanctus presul fontem ; rex indumentis corporalibus exuitur et a predicto presule baptizatur. Cumque chrisma defuisset, Dei nutu in specie columbe venit Spiritus sanctus, portans duas ampullas oleo et chrismate plenas, quas beatus Remigius devote suscepit, regemque more ecclesiastico perunxit vocavitque eum Lucdovicum, quasi laudabilem virum.

Consecrat sanctus presul fontem rex indumentis corporalibus exuitur et a predicto presule baptizatur. Cumque crisma defuisset Dei nutu cunctis videntibus in specie columbe spiritus sanctus detuli duas ampullas oleo et crismate plenas. Quas beatus Remigius devote suscepit regemque more ecclesiastico perunxit. Vocavitque eum Ludovicum quasi laudabiliter virum.

Cum vero pervenissent ad baptisterium clericus qui crisma ferebat a populo interceptus est ad fontem venire nequivit. Sanctificato autem fonte nutu divino crisma defuit. Et quia propter populi pressuram nulli patebat egressus ecclesie vel ingressus sanctus pontifex oculi sac manibus protensis in celum cepit tacete orare cum lacrimis. Et ecce subito columba nive candidior attulit in rostro ampullam crismate sancto repletam cuius odore mirifico super omnes odores quos ante in baptisterio senserant omnes qui aderant inestimabili suavitate repleti sunt.

Les neuf leçons contenues dans l’office correspondent ainsi aux chapitres  1 (uniquement les dernières phrases), 2  (excepté la dernière phrase), 3 (uniquement la première partie), 4 (sans la première phrase), 5 (uniquement la première partie), 6 (en entier), 7 (la première partie et les dernières phrases), 8 (uniquement la première partie), 11 (uniquement les dernières phrases), 12-13 (en entier), 14 (exceptés les dernières phrases, qui suivent la version B). Ce dernier constat est troublant : si les leçons suivent incontestablement la Vita A, le récit de la mort de Clotilde semble néanmoins suivre le texte de la Vita B :

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VC (A), ch. 14

Officium (Lectio IX) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 16r-16v)

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 43v-44r)

Exivit autem a corpore prima hora noctis, tertio Nonas Iunii. Qua migrante, tam immensa claritas omnium replevit, ac si esset sexta hora diei, tantusque odor nares et ora omnium replevit, ut putarent se tymiamatis et omnium aromatum odoribus confoveri. Hec claritas et odor tam diu ibi permansit, donec dies illucesceret, et sol super terram clarissime luceret. Tunc a duobus regibus, filiis suis, Childeberto et Chlothario a Turonis translata et Parisius deportata, in basilica apostolorum Petri et Pauli iuxta regem Lucdovicum est sepulta, in qua etiam basilica requiescit corpus sancte Genovefe virginis. Dignum namque est, ut ecclesia sanctorum apostolorum nomine dedicata decoretur tante virginis corpore membrisque regine tam gloriose et vidue tam devote, Romanorum imperatorum matris et regum Francorum genitricis. Ad laudem et gloriam sancte et individue Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus sancti, cuius regnum et imperium permanet sine fine in secula seculorum. Amen.

Exivit autem a corpore prima hora noctis tercio nonas iunii. Qua migrante tam immensa claritas tantusque odor nares et ora omnium replevit ut putarent se thymiamatis et omnium aromatum odoribus confoveri. Hic autem odor tam diu circa corpus permansit donec dies illucesceret. Itaque bone memorie Clotildis regina bonis operibus predita aput urbem Thuronicam migravit ad Dominum plena dierum. Que cum magno psallentio Parisius deportata in sacrario basilice sancti Petri ad latus Clodovei regis viri sui sepulta est a filiis suis Childeberto et Clothario regibus atque humata. Ibi et beatissima virgo Genovefa sepulta est.

Exivit autem a corpore prima hora noctis tercio nonas iunii. Qua migrante tam immensa claritas tantusque odor nares et ora omnium replevit ut putarent se tymiamatis et omnium aromatum odoribus confoveri. Hic autem odor tam diu circa corpus permansit donec dies illucesceret. Itaque bone memorie clotildis regina bonis operibus predita apud urbem Turonicam migratur ad Dominum plena dierum. Que cum magno psalentio Parisius deportata in sacrario basilice sancti Petri ad latus Clodovei regis a filiis suis Childeberto et Clothario regibus atque humata. Ibi est beatissima Genovefa sepulta est.

Si les traces de la célébration du culte de Clotilde apparaissent somme toute relativement modestes, d’autres témoignages liturgiques subsistent néanmoins entre le xiie et le xve siècle. Outre le ms. lat. 917, la sainte apparaît dans plusieurs calendriers, à la date du 3 juin38 ; nous trouvons aussi, dès le xiie siècle, quelques Psautier à l’usage de Soissons (xiiie siècle) (Le Mans, BM, ms.  157, fol.  4v) ; Psautier-­ antiphonaire à l’usage de Sainte-Geneviève (xiiie  siècle) (Paris, BSG, ms.  2641, fol.  10v) ; Missel de Sainte-Geneviève (xiiie siècle, première moitié) (Paris, BSG, ms. 1259 ; Missel de 38 

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oraisons et litanies qui lui sont dédiées39. Ce sont souvent les leçons du sanctoral qui transmettent la matière hagiographique la plus conséquente. Nous avons ainsi trouvé deux autres manuscrits qui fournissent eux aussi des leçons : un missel de Sainte-Geneviève40 et un bréviaire de Sainte-Geneviève41, datés respectivement des xiiie et xve siècles. Là encore, le texte des leçons semble suivre la Vita ancienne, comme en témoigne la reprise dans le bréviaire, d’une partie du ch. 8 : VC (A), ch. 8

Bréviaire de Sainte-Geneviève, deuxième moitié du xve (Paris, BSG, ms. 1263-1264, fol. 176r)

VC (B) (Paris, BNF, lat. 917, fol. 33v-34v)

Tunc cum exercitu magno rex perrexit, regina Parisius remansit ecclesiamque sanctorum apostolorum edificavit. Reversusque rex cum victoria adepta, regnum Francorum strenue rexit, monasteria plurima sanctorum edificavit et, sicut a sancto Remigio et a beata Chrothilde didicerat, vitam religiosam usque ad finem deduxit.

S. Clotildis. Lectio prima. Tempore illo cum rex Clodoveus ad subiugandam gentem Arrianam pergeret regina Clotildis Parisius permansit ecclesiamque sanctorum apostolorum Petri et Pauli edificavit ut eorum patroniis gente barbara subiugata rex ad propriam cum Dei honore victor remearet. Lectio II. Rex autem Clodoveus Deo auxiliante sanctorumque apostolorum meritis reversus cum victoria adepta regnum Francorum strenue rexit monasteria plurima sanctorum edificavit et sicut a sancto Remigio et a beata Clotilde didicerat vitam religiosam usque ad mortem deduxit.

Movit autem rex cunctum exercitum populi francorum et Pictavis dirigit ibi enim tunc Alaricus rex Gothorum commorabatur. Multa autem pars hostium perterritorium Turonicum transibat. Precepit autem rex pro reverencia sancti Martini nichil aliud nisi herbam presumerent accipere ad equos sustendandos. Dixerit itaque nuncios rex ad beati Martini basilicam cum muneribus multis et equum suum velocissimum quem amabat plurimum […] Clodoveus autem iniit bellum cum Alarico rege Gothorum in campo Uogladinse super fluvium Clinno miliario decimo ab urbe pictava. Illisque inter se compugnantibus Gothi cum rege suo nimis lesi terga verterunt. Clodoveus sicut solebat victor extitit.

Sainte-Geneviève (xiiie  siècle, seconde moitié), (Paris, BSG, ms.  90, fol.  6v) ; Bréviaire de ­Paris (1417) (Paris, Bibl. de l’Arsenal, ms. 582, fol. 118v (Psautier férial) ; Bréviaire de Sainte-­ Geneviève (xve siècle, seconde moitié) (Paris, BSG, ms. 1263-1264, fol. 6r). 39  Bréviaire de Morienval (xiie siècle) (Charleville, BM, ms.  14, fol.  216v, oraison) ; psautier-antiphonaire à l’usage de Sainte-Geneviève (xiiie siècle) (Paris, BSG, ms. 2641, fol. 72v, oraison) ; bréviaire de Sainte-Geneviève (xve siècle, seconde moitié) (Paris, BSG, ms. 12631264, fol. 91r, oraison) ; heures à l’usage de Rennes (xve siècle) (BNF, lat. 10551, fol. 93, litanie). 40  Paris, BSG, ms. 1259. 41  Paris, BSG, ms., 1263-1264, fol. 176r-177r.

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Il n’est pas étonnant que Sainte-Geneviève apparaisse comme étant le principal foyer au sein duquel se maintiennent le souvenir et le culte de la sainte ; lieu de sépulture de Clotilde42 , c’est aussi là qu’est conservée la plus grande partie des reliques de la sainte. Aux xive et xve siècles encore, la châsse de Clotilde est d’ailleurs portée en procession dans la ville lorsque celle-ci est menacée43. Sur les neuf manuscrits liturgiques faisant mention de Clotilde, quatre proviennent ainsi de Sainte-Geneviève. Les autres témoignages liturgiques que nous conservons suivent eux-aussi, sans grande suprise, la carte des lieux de conservation des reliques et nous permettent alors de définir un territoire relativement circonscrit où se diffuse le culte de Clotilde au fil des siècles. Autour de Paris, outre Sainte-Geneviève, certaines reliques semblent aussi avoir été conservées à l’abbaye de Joyenval44. Au ixe siècle, durant l’invasion normande, les reliques conservées alors à Sainte-Geneviève auraient été transportées au monastère de Vivières, dans les environs de Soissons45. La présence de Clotilde dans deux bréviaires et un psautier à l’usage de Soissons tend à conforter cette idée46. L’église rendra par la suite à Sainte-Geneviève une partie des reliques, et conservera un morceau de la tête et un bras de la sainte47. Il semble en dernier lieu que le culte soit demeuré vivace aussi autour de la collégiale Notre-Dame-des-Andelys48, en Normandie, fondée originellement par la sainte (VC [A], 11) et lieu du miracle dont il a été fait mention plus haut (VC [A], 12). Ce qui rend néanmoins le ms.  lat. 917 particulièrement intéressant et unique, c’est la cohabitation, dans un même objet, de deux traditions de la Vita ; une tradition ancienne, transmise dans les leçons de l’office, et une version renouvelée, qui clôt le manuscrit. Nous avons brièvement mentionné un autre manuscrit du xive  siècle transmettant cette version tardive de la Vita49, en énonçant l’hypothèse qu’il puisse avoir été produit à Sainte-Geneviève50. Etant donné la difficulté que nous rencontrons à dater ce dernier manuscrit avec précision, il demeure délicat de savoir s’il a précédé ou suivi L’ancienne église dediée à saint Pierre, construite par Clovis et Clotilde, prendra ensuite le nom d’église Sainte-Geneviève. 43  Notamment en 1426, 1439 et 1568 (AASS, Iunii, I, p. 292 ; R. Folz, Les saintes reines, p. 13). 44  G. Kurth, Sainte Clotilde, Paris, 1905 (1897), p. 150 ; R. Folz, Les saintes reines, p. 12. 45  G. Kurth, Sainte Clotilde, p. 147-148 ; R. Folz, Les saintes reines, p. 12. 46  La mention de Clotilde apparaît dans le bréviaire de Morienval (xiie siècle), dans un psautier à l’usage de Soissons (xiiie siècle) ainsi que dans un bréviaire de Soissons (xiiie siècle). 47  G. Kurth, Sainte Clotilde, p. 148. 48  L’église actuelle a été construite en  1225, sur les ruines de l’abbaye mérovingienne (G. Kurth, Sainte Clotilde, p. 128). 49  Paris, BNF, lat. 5333. 50  Voir supra, n. 13. 42 

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la composition du lat. 917. Sachant l’implication de Sainte-Geneviève dans le culte de la sainte, il est envisageable que la première rédaction d’une nouvelle version de sa Vita soit née dans ce cadre. Néanmoins l’hypothèse inverse est selon nous tout aussi plausible ; la réécriture aurait pu être composée dans le contexte royal, sur la demande de Jeanne de Bourgogne ou à l’initiative de l’hagiographe souhaitant présenter un modèle à l’épouse de Philippe VI. En dernier lieu, nous ne pouvons rejeter la possibilité de l’existence d’un manuscrit « source », perdu, qui aurait servi à la composition des deux autres manuscrits.

2. Le lat. 917 à l’aune de son contexte a. Jeanne de Bourgogne et la dévotion à Clotilde : dialogues et réciprocités Désormais que nous avons décrit brièvement la composition du manuscrit, relevé son contenu liturgique et la présence d’une version remaniée de la Vie de sainte Clotilde, il est temps d’aborder la question de son contexte de commande et des différents enjeux que celui-ci suppose. Comme nous l’avons noté en introduction, depuis une cinquantaine d’année et la notice de François Avril, le manuscrit est intimement lié à Jeanne de Bourgogne et sa composition ainsi située entre 1328 et 1348 – années durant lesquels cette dernière règne aux côtés de son époux Philippe VI. Il convient de mentionner en premier lieu combien ce rapprochement nous convainc, en enrichissant l’argumentaire de François Avril de quelques observations. Rappelons ce que l’étude de l’enluminure du manuscrit présente d’intéressant : figurant l’épisode du baptême de Clovis, elle dépeint, à droite du roi mérovingien, l’évêque Remi et, à gauche, debout, la reine Clotilde, couronnée et nimbée. Une  troisième figure féminine –  elle aussi couronnée – se tient dans une position d’orante, dans la continuité de la sainte reine (Fig. 1). Les deux personnages féminins sont parés de vêtements identiques : un manteau orné de fleurs de lis, recouvrant une robe aux armes bourguignonnes. La  couronne portée par le personnage agenouillé ne laisse aucun doute quant à son statut royal, et, de la même manière, sa position évoque assurément celle de destinataire/commanditaire. La composition du libellus de sainte Clotilde s’inscrit parfaitement dans la politique de commande menée sous le règne de Philippe  VI ; nous connaissons en effet l’ampleur des textes et manuscrits commandés par

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l’entourage royal durant cette période51. Parmi ces textes, un grand nombre a trait à l’histoire royale, revêtant ainsi un rôle mémoriel de transmission et de raffermissement des prérogatives du souverain. L’attrait particulier de Jeanne de Bourgogne pour les livres est chose connue ; reine particulièrement « bibliophile » – pour reprendre ici le terme d’Anne-Hélène Allirot52 – les ouvrages qu’elle commande sont le plus souvent à caractère historique ou politique. Au traducteur Jean de Vignay, la reine commande pas moins de cinq traductions de textes latins, parmi lesquels le Speculum historiale de Vincent de Beauvais et la Legenda aurea53. Jeanne de Bourgogne se trouve aussi parmi les dédicataires du Livre royal de Jean de Chavenges, qui vante les mérites du lignage « de France54 ». Clotilde, qui fille fu dou roy de Bourgoigne, y figure d’ailleurs parmi la liste des exemples de bonnes reines55. Ces différentes entreprises textuelles semblent refléter l’atmosphère royale des premiers temps du conflit franco-anglais en ce qu’elles constituent une forme de réponse – plaidoirie en faveur de la légitimité de la lignée des rois de France56. Il est probable que Jeanne de Bourgogne soit ainsi à l’origine de la commande du libellus, qui a pour effet de la placer en parallèle – ou dans la continuité de – Clotilde, comme le suggère d’ailleurs, figurativement, l’enluminure du manuscrit. Il est difficile, en effet, de les distinguer l’une de l’autre, conséquence du jeu de mimétisme établi par l’enlumineur ; Clotilde et Jeanne, en sus de porter les mêmes vêtements – dont les manteaux respectifs semblent d’ailleurs se fondre l’un dans l’autre – apparaissent aussi physiquement identiques. Cette formidable proximité dans la représentation des deux figures dévoile alors une Jeanne de Bourgogne construite, presque littéralement, à l’image de Clotilde. L’épouse de Philippe VI a toutes les raisons de vouloir se rattacher à Clotilde en qui s’incarne ce double statut de princesse bourguignonne – la Burgondie mérovingienne préfigurant le futur duché de Bourgogne – et de reine de France. En choisissant Clotilde comme modèle, Jeanne de Bourgogne promeut ainsi, par réciprocité, sa propre position au sein du A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 463. Ibid., p. 464. 53  La traduction du Speculum historiale est sans doute commencée avant l’avènement de Philippe VI (1328) et achevée en 1332 ou 1333 (C. Knowles, « Jean de Vignay, un traducteur du xive siècle », Romania, 299 [1954], p. 358-361 ; C. Chavannes-Mazel, « Problems in translation, transcription and iconography : The Miroer historial, Books 1-8 », dans Vincent de Beauvais : intentions et réceptions d’une œuvre encyclopédique au Moyen Âge, éd. S. Lusignan, M. Paulmier-Foucart et A. Nadeau, Paris, 1990, p. 345-346). La traduction de la Légende dorée est quant à elle sans doute achevée plus tard, entre 1333 et 1348 (A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 465). 54  A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 475. 55  Chantilly, Condé 1477, fol. 54, cité par Allirot, Filles de roy de France, p. 498-499. 56  A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 478. 51 

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royaume de France. Il convient de rappeler, à un autre niveau, que la promotion du culte de Clotilde équivaut à mettre en avant l’importance du rôle de la maison bourguignonne dans la construction de la royauté franque. Nous connaissons l’influence considérable du parti bourguignon sur le gouvernement de Philippe VI – notamment dans les premières années de son règne57 – et Jeanne apparaît alors comme la dépositaire de la lignée familiale auprès du roi. Rappelons-le aussi, notre manuscrit n’est pas l’unique témoignage du processus de promotion d’un modèle, s’incarnant dans un ancêtre illustre, mis en place au sein des commandes de Jeanne de Bourgogne. L’exemple le plus parlant est certainement celui de la traduction du Speculum historiale, que la reine commande à Jean de Vignay ; terminé en 1333, le manuscrit présente, au premier folio, une enluminure représentant en miroir Louis IX et Vincent de Beauvais, et Jeanne de Bourgogne et Jean de Vignay (Fig. 2)58. Comment ne pas lire dans cette représentation chiasmatique la volonté de démontrer picturalement la filiation entre Jeanne et le prestigieux Louis IX, son grand-père59 ? Cette remémoration de saint Louis s’aligne alors sur celle menée en parallèle par son époux Philippe VI dans le but de faire valoir le prestige de son ascendance capétienne60. La valorisation, durant cette période, de la sainte royale qu’est Clotilde est caractéristique aussi du rapport qu’entretient avec la sainteté le milieu royal, qui tente d’affirmer et de promouvoir le caractère sacré de son lignage61, principe qui s’illustre notamment dans l’effort déployé par le pouvoir en faveur de la canonisation de plusieurs membres de la maison capétienne62 . Il convient de voir dans la figure de Clotilde un modèle63 pour Jeanne de Bourgogne, qu’elle peut alors invoquer dans des circonstances particulières. En effet, si les deux femmes sont l’une et l’autre issues du lignage bourguignon R. Cazelles, La société politique et la crise de la royauté sous Philippe de Valois, Paris, 1958, p. 111-115. 58  Paris, BNF, fr. 316, fol. 1r. 59  Jeanne de Bourgogne est la fille d’Agnès de France (v. 1260-1325), dernière fille de Louis IX. 60  R. Cazelles, La société politique, p. 96-98. 61  A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1981, p. 209-215. 62  Notons d’ailleurs qu’une tentative de canonisation d’Isabelle de France, sœur de Louis IX, est menée à l’initiative de Charles d’Anjou autour de 1285 (G. Klaniczay, Holy Rulers and Blessed Princesses. Dynastic Cults in Medieval Central Europe, Cambridge, 2002 [2000], p. 235 ; A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 255-292). 63  Nous savons que les femmes du milieu royal trouvent souvent dans ces figures de sainteté royale féminine un modèle, comme cela était le cas, par exemple, pour Blanche de Castille et Isabelle de France après elle, qui ont toutes deux fait montre d’une dévotion particulière à Élisabeth de Hongrie (A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 260 ; G. Klaniczay, Holy rulers, p. 237-238). 57 

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et épouses d’un roi de France, il est aussi une troisième caractéristique que partage Jeanne avec son modèle : celle de mère des rois à venir. Si Clotilde se présente comme l’archétype de la bonne épouse et de la bonne reine, elle est aussi un modèle de « bonne mère » ; après avoir « offert » son premier fils à Dieu – rappelons que celui-ci meurt juste après son baptême – elle procure à Clovis trois fils, destinés à régner après lui. Plus encore, c’est par le biais de ces enfants que se donne à voir la piété de Clotilde, puisque son second fils, Clodomir, tombé malade après son baptême, est sauvé par les prières de sa mère  et constitue donc le tout premier espace de la démonstration divine, et cela avant la révélation de la bataille de Tolbiac. Jeanne de Bourgogne ne pouvait que vouloir se conformer à cet exemple de bonne maternité, à une période où la perpétuation de la filiation n’avait sans doute jamais été aussi impérative et où se trouve mise en doute la capacité de Jeanne de Bourgogne à honorer cette mission64. De plus, il arrive que l’héritier tombe malade et qu’il faille alors s’en remettre à Dieu et aux saints. Les Grandes Chroniques relatent ainsi la maladie qui frappa Jean le Bon en 1335 : Item, en ce meismes an, environ mi juign, il vint une très grant maladie à messire Jehan duc de Normendie, ainsné filz du roy de France […]. Adonques le roy et la royne si mistrent leur esperance en Nostre Seigneur, et firent faire prieres tant par les religieux comme par d’autres gens de l’Eglise […] Assez tost après, par les merites des sains et par les prieres du peuple, il fu assez tost en bonne convalescence et fu gueri65.

On peut alors imaginer que ce contexte se prête à l’invocation d’une filiation « réussie » et d’une descendance sauvegardée par la volonté divine, s’incarnant dans la figure maternelle tutélaire de Clotilde. Enfin un dernier argument, bien qu’anécdotique en apparence, tend à étayer le lien entre Jeanne de Bourgogne et Clotilde. Il semblerait que Clotilde ait souvent été invoquée dans les cas de maladies des jambes probablement, nous dit la Biblioteca sanctorum, en raison de la proximité de son nom avec le verbe « claudiquer66 ». Or certaines rumeurs prêtent cette infirmité à l’épouse de Philippe VI, dont nous trouvons la trace notamment dans la Chronique des quatre premiers Valois et dans la Chronique normande de Pierre Après les morts successives de trois fils nés entre 1328 et 1333, la capacité de Jeanne de Bourgogne à assurer la descendance se trouve mise en doute et contribue à façonner sa « légende noire ». De plus, chez certains chroniqueurs, les accouchements de la reine sont parfois entourés d’éléments surnaturels (A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 122-124). 65  J. Viard (éd.), Les Grandes chroniques de France, t. ix, Charles IV le Bel, Philippe VI de Valois, Paris, 1937, p. 148-149. 66  Biblioteca sanctorum, IV, 1964, p. 65. Cet argument est repris par A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 496. 64 

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Cochon aux xive et xve siècles67. Rappelons néanmoins que, si la dévotion de Jeanne à Clotilde pourrait aller dans le sens de cette boiterie suggérée par les chroniqueurs68, il se peut aussi que ce handicap ne soit qu’une invention destinée à agrémenter sa « légende noire69 ». Jeanne de Bourgogne est-elle à l’origine de la commande du libellus – voyant en Clotilde à la fois une ancêtre légitimant sa position et une figure tutélaire à invoquer – où est-il né de l’initiative d’un remanieur souhaitant présenter un modèle à la reine ? Que Jeanne de Bourgogne ait été commanditaire active ou destinataire dynamique du libellus, il est évident qu’il se dote d’une forte charge symbolique, tant sur le plan politique que spirituel. Mais reste désormais l’épineuse question du public : devant qui l’Office de sainte Clotilde était-il destiné à être performé ? Si l’hypothèse d’un usage strictement privé du manuscrit semble devoir être écartée au vu des dimensions et de l’aspect général du manuscrit, il n’en reste pas moins difficile d’en délimiter l’audience. La  célébration de la sainte prenait-elle place dans un cadre restreint limité autour de la reine et de sa suite ou s’agissait-il de promouvoir, plus vastement, le culte de Clotilde à la Cour ? À  défaut de pouvoir répondre à ces questions sur la réception immédiate du manuscrit, nous pouvons néanmoins tenter d’examiner de quelle manière il s’inscrit dans le contexte, plus général, de son époque de composition.

b. La mémoire de Clotilde dans l’atmosphère des années 1330-1350 Si le manuscrit est unique dans sa matérialité et certainement limité dans son utilisation, il peut aussi être mis en parallèle, plus globalement, avec d’autres productions contemporaines qui dévoilent symboliquement des enjeux analogues. Clotilde semble en effet appelée à contribution pour renforcer les prérogatives royales, dans un moment où, inutile de le rappeler, la royauté se trouve menacée dans sa légitimité. Aussi, par exemple, l’épouse de Clovis se voit-elle attribuer un rôle majeur dans le développement de la légende qui se construit autour du don de la fleur de lis. À une légende ancienne – probablement composé au xiie siècle par un moine de Saint-Denis70 –, rela67  A.-H. Allirot, « La male royne boiteuse : Jeanne de Bourgogne », dans Royautés imaginaires (xiie-xvie siècles), Actes du colloque organisé par le Centre de recherche d’histoire sociale et culturelle de l’Université de Paris X-Nanterre, 26-27 septembre 2003, éd. A.-H. Allirot, G. Lecuppre et L. Scordia, Turnhout, 2005, p. 130-133. 68  A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 496-497. 69  La mauvaise réputation de Jeanne de Bourgogne a été développée en détail par A.-H. Allirot, « La male royne ». 70  A.  Lombard-Jourdan, Fleur de lis et oriflamme, signes célestes du royaume de France, Paris, 1991, p. 21-22.

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tant de quelle manière la fleur de lis remplace miraculeusement les croissants sur l’écu de Clovis et lui accorde la victoire contre son ennemi Conflac, se trouve ajoutée, dans le premier quart du xive siècle, une seconde partie. Cette continuation accorde à Clotilde un rôle nouveau et de la plus haute importance ; elle aurait reçu l’écu de la part d’un ermite – qui lui-même l’avait reçu d’un ange – avec pour mission d’effectuer la substitution sur les armes de son époux71 : Fac, inquid, arma deleri Clodovei crescentibus Qui sibi sunt plus oneri quam belli juvaminibus Et loco horum haberi azurium cum floribus Auri lilii celeri victoria valentibus […] Radens arma Clodovei crescentum nudilencia, Impressit amore Dei prelibata recencia72 .

Probablement composée dans les premières années du règne de P ­ hilippe VI73, la version « définitive » de la légende est due à un moine de Joyenval qui rattache alors le don de la fleur de lis à la fondation de l’abbaye74. Fondée en 1221 par Barthélémy de Roye – chambrier de France sous Philipe Auguste – l’abbaye profite des faveurs royales dès sa construction et célèbre les obits de tous les rois de France75. En 1328, Philippe VI souligne l’attachement ancien de la royauté à l’abbaye dans une lettre de sauvegarde76 et, à partir de 1331, le souverain s’y rend presque chaque année77. Or il semblerait qu’une partie des reliques de sainte Clotilde aient été conservées dans l’abbaye78 ; il est possible, alors, que cela ait contribué au développement de la légende. Le texte est édité par R. Bossuat, « Poème latin sur l’origine de la fleur de lis », Bibliothèque de l’École des chartes, 101 (1940), p. 93-101. 72  R. Bossuat, « Poème latin », p. 98-99 (« Fais détruire, dit-il, les croissant des armes de Clovis, en ce qu’ils sont plus un fardeau qu’un secours pour la guerre ; fasses qu’il ait à la place celles-ci, azures et ornées de fleurs de lis dorées grâce auxquelles il obtiendra rapidement la victoire […] Effaçant en secret le croissant des armes de Clovis, elle imprima les armes récemment offertes, mue par l’amour de Dieu »). 73  R. Bossuat, « Poème latin », p. 86. 74  A. Lombard-Jourdan, Fleur de lis et oriflamme, p. 22. 75  A. Molinier, Obituaires de la province de Sens, t. ii, Paris, 1906, p. 283-309. 76  Ordonnances des rois de France de la cinquième race, vol. 5, éd. D.-F. Secousse, Paris, 1736, p. 297. 77  En août 1331, septembre 1334, avril 1335, juin 1336 et septembre 1337 : J. Viard, « Itinéraire de Philippe VI de Valois » Bibliothèque de l’École des chartes, 74 (1913), p. 104, 115, 117, 121 et 127. 78  Le chancelier de Sainte-Geneviève Jean-Baptiste d’Autecourt rédige en février 1689 une note dans laquelle on peut lire : Unum constat, multo antem seculum xiii, sacrarum sanctae Clotildis reliquiarum partem aliquam in monasterio Vallis Sevii Ordinis Praemonstratensis asservari cum in antiquo ejusdem monasterii diplomate legatur (…) (Il est établi que bien avant le xiiie siècle une partie des reliques sacrées de sainte Clotilde étaient gardées au monastère 71 

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Le récit revêt une importance toute particulière, en ce qu’il marque l’entrée de Clotilde dans le cycle des mythes royaux. Cette réécriture de la légende de la Sainte Ampoule – remplacée sous la plume du poète par la fleur de lis – réaffirme tout à la fois le rôle de Clotilde dans la conversion de Clovis, mais lui confie aussi une mission primordiale dans la construction de la symbolique royale en la hissant au rang de garante des armes de France. Nous connaissons l’importante postérité de cette légende, qui sera reprise par Raoul de Presles en 1371-1375 dans son commentaire de la Traduction de la Cité de Dieu de saint Augustin ainsi que par Jean Golein dans son Traité du Sacre, composé en 1372. Ce récit du don miraculeux79 de la fleur de lis se déploie bien évidemment – au même titre que les autres signes que constituent le miracle de la Sainte Ampoule et l’origine célèste de l’oriflamme80 – en vue de renforcer la légitimité des rois de France en réaffirmant leur statut de « protégés » de Dieu. Au sein de ce cycle légendaire, la figure de Clovis revêt une importance toute particulière. Le poids de la mémoire de Clovis aux derniers siècles du Moyen Âge a été remarquablement étudié par Colette Beaune81, il y a maintenant plusieurs années. Le Dit de la fleur de lis de Guillaume de Digulleville, composé autour de 1338, fait du souverain mérovingien le premier destinataire de la fleur de lis et dessine le portrait d’un roi Philippe VI/Clovis82 , visant ainsi à démontrer la continuité et l’unité royales depuis sa première incarnation jusqu’à son représentant contemporain. Observerait-on, alors, une remémoration parallèle – ou complémentaire – s’incarnant dans la promotion du culte et de la mémoire de Clotilde ? En ranimant le souvenir de la sainte reine de Prémontrés de Joyenval, comme nous lisons dans une charte ancienne du monastère (…) (AASS, Iunii, I, p. 293, repris dans F. Gay, Sainte Clotilde et les origines chrétiennes de la nation et monarchie françaises, Paris, 1867, p. 371). Mentionné aussi dans P. Guérin, Les petits Bollandistes, Vies des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament, vi, 1883, p. 427 ; G. Gariel, « À propos du quatorzième centenaire de la mort de sainte Clotilde », Bulletin de l’Académie delphinale, 13-14 (1945), p. 295-296 ; R. Folz, Les saintes reines, p. 12. 79  Notons que le thème de la fleur de lis inspire plusieurs auteurs contemporains, parmi lesquels Philippe de Vitry et Guillaume de Digulleville (A. Piaget, « Le Chapel des fleurs de lys, par Philippe de Vitri », Romania, 105 [1898], p. 55-92 ; Guillaume de Digulleville, Le dit de la fleur de lis, éd. Fr. Duval, Paris, 2014). 80  Sur le sujet, voir A. Lombard-Jourdan, Fleur de lis et oriflamme et J. Krynen, L’empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècle, Paris, 1993, p. 220-228. 81  Notamment  C. Beaune, « Saint Clovis. Histoire, religon royale et sentiment national en France », dans Le métier d’historien au Moyen Âge, éd. B. Guenée, Paris, 1977, p. 139156 ; Ead., Naissance de la nation France, Paris, 1985 ; Ead., « Clovis dans les grandes Chroniques de France », dans Clovis, Histoire et mémoire, I, Le baptême de Clovis, l’événement, éd. M. Rouche, Paris, 1996, p. 191-211. 82  Guillaume de Digulleville, Le dit de la fleur de lis, p. 52.

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dans les milieux royaux, c’est assurément aussi le souvenir de Clovis et de sa conversion que l’on vivifie.

3. Conclusion Plusieurs observations se dégagent à l’issue de cette analyse que nous avons souhaitée établir à différentes échelles – celles du manuscrit, de l’espace de composition et du contexte élargi de production. Cette étude de cas révèle ce qu’il peut y avoir d’enrichissant dans la prise en compte du produit hagiographique dans la longue durée, par le biais de l’étude des réécritures. L’investigation du passé, de sa remémoration dans le présent et de « l’écriture médiatrice83 » qui les relie permet à l’historien de rencontrer tout à la fois le passé et sa « présentification », dont il peut alors questionner les mécanismes et les enjeux. En ce qui concerne spécifiquement le ms. lat. 917, en plus d’être, à notre connaissance, le premier et le seul libellus consacré à Clotilde, le manuscrit transmet aussi une version renouvelée de la Vita de la sainte reine ; le retour massif à une source historiographique tend à replacer Clotilde dans une histoire plus collective. Si elle est toujours bien sainte, il ne fait aucun doute aussi qu’elle n’a jamais été aussi reine. Nous avons relevé le jeu de miroir établi entre le sujet du manuscrit et son commanditaire/destinataire. Si l’on fait de Jeanne de Bourgogne la commanditaire « active » du libellus, il est alors possible d’y voir une volonté de promouvoir, d’une manière ou d’une autre, à la fois le culte de Clotilde et, par récriprocité, l’importance de son rôle spécifique au sein du gouverment royal. Les points de rencontre entre Clotilde et Jeanne forcent immanquablement le parallèle, que ce soit au titre de leur ascendance (bourguignonne), de leur statut (épouse d’un roi de France), ou de leur mission (garantir la descendance royale). Jeanne de Bourgogne calque ainsi sa légitimité sur celle portée par le prestige de la figure de Clotilde ; le manuscrit peut alors se lire aussi comme une forme de discours politique et symbolique voulu par celle qui se voit confier à plusieurs reprises la lieutenance du royaume en lieu et place de son époux84. Il se peut tout à fait aussi que l’on ait souhaité, par le biais du libellus, présenter un modèle à Jeanne de Bourgogne ; par son double caractère – royal

L’expression est de P. Chastang, « Introduction. Le passé, le présent et l’écriture médiatrice », dans Le passé à l’épreuve du présent. Appropriations et usages du passé du Moyen Âge à la Renaissance, éd. Id., Paris, 2008, p. 10. 84  A.-H. Allirot, Filles de roy de France, p. 414-424. 83 

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et féminin – et les différents points de rencontre qui la rapprochent de Jeanne, Clotilde apparaissait alors comme un choix particulièrement approprié. Qu’elle soit la commanditaire ou la destinataire du manuscrit, il semble évident que Jeanne de Bourgogne a fait montre d’une dévotion particulière pour la figure de Clotilde. Il est évident aussi que cette dévotion s’inscrit dans un contexte plus large de remémoration et de promotion de l’épouse de Clovis, qui, par le biais de la Légende de Joyenval, fait son entrée dans le cycle des mythes royaux. Car convoquer Clotilde, c’est aussi convoquer Clovis et l’aspect miraculeux qui entoure sa conversion et son baptême, berceau des prérogatives royales. Le sous-titre de cette courte étude – « Entre pratiques dévotionnelles et échos politiques » – ne doit alors pas donner l’illusion trompeuse d’une opposition entre deux niveaux ; le ms. lat. 917 et les réflexions qu’il engendre montrent au contraire à quel point, à cette époque, politique et spiritualité peuvent se montrer conjuguées dans le domaine de la dévotion royale.

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Un placard hagiographique Les miracles de sainte Foy enregistrés à Coulommiers au xve siècle

Mickaël Wilmart (Paris) Le manuscrit perdu des miracles de sainte Foy enregistrés à Coulommiers au xve siècle n’était ni un beau manuscrit enluminé, ni même un registre bien tenu. Il tenait en tout et pour tout en une seule pièce de parchemin accrochée à la vue de tous dans un sanctuaire, le prieuré Sainte-Foy de Coulommiers, lieu d’un pèlerinage régional au xve  siècle1. Il  s’agissait donc d’une affiche ou d’un placard, bien que ce dernier terme soit souvent associé aux feuillets volants imprimés au xvie siècle. Connu par une seule copie du xviiie siècle, il est un témoignage rare de ce qu’on pourrait appeler une hagiographie subalterne. Employer l’adjectif de subalterne renvoie nécessairement à une hiérarchie sociale ou culturelle. Cela ne veut évidemment pas dire que dans mon esprit, il y a un jugement de valeur entre les productions hagiographiques. Il me semble pourtant qu’il y a chez certains historiens une hiérarchie entre ce qui relève du beau ou du lettré et ce qu’on pourrait classer dans le pratique ou l’administratif. Dans cette optique, le manuscrit de Coulommiers peut bien être vu comme une production subalterne puisqu’il échappe à toute pratique 1  Pour une analyse de ce pèlerinage à travers ces miracles : M. Wilmart, « Les aveugles dans le diocèse de Meaux à la fin du Moyen Âge », dans Science et médecine en Brie des origines à nos jours : actes du colloque de Meaux, 20 novembre 2010, éd. D. Blanchard, Meaux, 2012, p. 127-147.

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 381-395. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126300

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littéraire pour concentrer la geste hagiographique dans la simple constatation et dans l’affichage d’un témoignage sans doute rarement vraiment lu. Parler d’hagiographie subalterne, c’est aussi réfléchir au destinataire du manuscrit. Le fait qu’il soit affiché le destine au plus grand nombre, à la foule pèlerine pour qui il a certainement seulement valeur de preuve, une preuve qu’on ne peut pas toujours lire, mais on touche ici la question plus large du rapport à l’écrit d’une société médiévale en majorité illettrée. L’objectif du manuscrit n’est pas une compilation adressée à un public clérical ou à être lu au rythme de l’année liturgique. Il est bien destiné aux subalternes, à ceux qui en temps normal n’ont pas accès aux manuscrits hagiographiques. Cependant, il ne s’agit pas d’une production faite par des subalternes, ce qu’on pourrait appeler une hagiographie populaire. Comme entend le montrer cet article, elle a tous les codes d’une culture non pas savante, mais juridique et plus précisément notariale. Sa production, destinée à la foule pèlerine, est cependant bien encadrée par les élites de la petite ville. Nous ne connaissons ce manuscrit que par une copie effectuée dans la seconde moitié du xviiie siècle par un certain Pierre-Nicolas Hébert. Celui-ci, petit-fils d’un tanneur de Coulommiers, né en 1690 et mort en 1766, est avocat au Parlement de Paris2 . Dans la dernière partie de sa vie, il s’attache à l’histoire de sa ville en s’attelant à la composition d’un cartulaire de Coulommiers dans lequel il copie toutes sortes de documents tirés d’archives paroissiales, municipales, monastiques et seigneuriales pour la plupart toutes disparues aujourd’hui. Il en résulte neuf volumes in-4o rassemblant plus de 4700  pages de notes auxquels s’ajoutent d’autres volumes d’analyses historiques3. C’est au septième volume, entre les pages  3367 et  3370, que se trouve la seule copie des miracles de sainte Foy de Coulommiers qui nous intéresse4. Ce manuscrit, trouvé dans les archives du prieuré Sainte-Foy de Coulommiers, est décrit par Hébert comme une grande peau de parchemin d’écriture gothique qui paroit avoir été clouée et attachée sur un fond de bois ou de menuiserie encadrée, lequel 2  Sur Pierre-Nicolas Hébert, voir les informations biographiques données dans A. de Maricourt, « Essai sur l’histoire du duché de Nemours de 1404 à 1666 », Annales de la Société historique et archéologique du Gâtinais, 21 (1903), p. 1-72, présentation p. 5-6. Ses manuscrits sont restés aux mains de sa famille jusqu’en 1969, date de leur acquisition par les Archives départementales de Seine-et-Marne (voir F. Perrot, « L’activité artistique à Coulommiers aux xve et xvie siècles », dans Utilis est lapis in structura. Mélanges offerts à Léon Pressouyre, Paris, 2000, p. 413-421 qui reste une des rares utilisatrices de ce travail de copiste). 3  Archives départementales de Seine-et-Marne : 944F 22/1 à 9 pour le « cartulaire », 944 F 2324 pour les notes historiques. Concernant Pierre-Nicolas Hébert, on possède en plus de ces travaux, le catalogue de sa bibliothèque (944 F 76) et son livre de raison (944 F 86). 4  Archives départementales de Seine-et-Marne : 944F 22/7, p. 3367-3370.

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étoit anciennement placé derrière le grand autel du chœur au chevet de l’église, à côté de la niche ou enfoncement où se voyoit ci devant et jusqu’en 1760 à travers d’une grille la statue de sainte Foy5.

Il précise ensuite que « ce parchemin est devenu avec le tems si sale, si obscur et si enfumé » et que son écriture « quoiqu’assez grosse et bien formée » est difficile à lire au moment où il l’a dans les mains. Les miracles euxmêmes sont datés entre 1406 et 1488. Une composition du manuscrit dans la dernière décennie du xve siècle apparait comme vraisemblable compte tenu du contexte local. On remarque que la description du manuscrit par le copiste permet d’en comprendre la destination : un affichage de miracles dans un lieu de pèlerinage, à proximité de la statue qui est précisément l’objet des dévotions de pèlerins. Toutefois, il est nécessaire de relever qu’au moment de la copie, il n’est plus accroché et que Pierre-Nicolas Hébert est très sceptique devant ces « prétendus miracles » datant tous du xve siècle « tems d’ignorance, de trouble et de confusion occasionnez par les guerres des Anglois et des Bourguignons »6. Heureusement, son scepticisme ne l’empêche pas de recopier les quinze miracles contenus dans le manuscrit, une copie fautive par endroit, notamment sur quelques noms propres, et avec une orthographe qui semble avoir été modernisée. Après cette présentation rapide, il est utile de se pencher sur son contexte de production. Une analyse plus poussée du contenu permettra ensuite d’esquisser quelques éléments sur la rédaction du manuscrit et les étapes qui l’ont précédée. Enfin, nous essaierons de réfléchir à la typologie des placards et leur place dans celle des manuscrits hagiographiques.

1. Sainte Foy en Brie : un culte importé Évoquer sainte Foy en Brie, c’est aborder un culte importé du Rouergue7. Le contexte de production du manuscrit commence donc par la compréhension de cette importation et de cette acclimatation à une Brie déjà bien dotée

Ibid., p. 3371. Id. 7  La bibliographie sur le culte de sainte Foy à Conques est pléthorique. On  renverra ici à l’analyse très complète à son propos du chapitre « L’hagiographie au service de sainte Foy » de S. Fray, L’aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques des pays d’Olt et de Dordogne (xe-xie siècles), vol. 1, thèse de doctorat sous la direction de D. Barthélémy, Université Paris IV, 2011, p. 335-402. 5 

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en saints. Grâce à Foulcoie de Beauvais8, auteur de plusieurs Vies de saints qui finit sa carrière comme archidiacre de Meaux avant de mourir vers 1110, on possède une bonne idée de la géographie sacrée du diocèse de Meaux au tournant des xie et xiie siècles, époque qui est aussi celle de la fondation d’un prieuré Sainte-Foy à Coulommiers. Pour résumer, on doit distinguer deux pôles. Le premier est centré autour de la cité épiscopale de Meaux, dans ses faubourgs encore très ruraux avec Saint-Faron, Sainte-Céline et Saint-Rigomer9 ou dans les villages alentours avec Saint-Fiacre10, auxquels s’associent bien évidemment la cathédrale et la collégiale Saint-Saintin, premier évêque supposé de la ville. S’y ajoutent plusieurs saints évêques dont on connait mal le culte mais qui sont énumérés par Foulcoie de Beauvais dans une liste de saints briards qu’il glisse à la fin de la Vie de saint Blandin (saint Pathus, saint Hildevert, saint Gilbert)11. L’autre pôle se situe plus à l’Est, avec trois importantes abbayes fondées à l’époque mérovingienne abritant chacune des tombeaux de saints dont le culte est bien attesté : Faremoutiers12 , avec sainte Fare (sœur de saint Faron déjà citée), Rebais13, avec saint Aile, et la célèbre abbaye de Jouarre14, dont les cryptes sont à ce moment-là réaménagées pour mettre en valeur les tombeaux de saint Ébrégésile, sainte Aguilberte et quelques autres15. À ces deux abbayes, il faut ajouter deux prieurés fondés au xie siècle, celui de la Celle-sur-Morin

Sur cet auteur prolixe mais encore assez méconnu, M. Wilmart, « Foulcoie de Beauvais, itinéraire d’un intellectuel du xie siècle », Bulletin de la Société littéraire et historique de la Brie, 57 (2002), p. 35-52. 9  Sur cette géographie sacrée urbaine, J.-P. Laporte, « Topographie chrétienne de Meaux avant l’an mil », Revue d’histoire et d’art de la Brie et du Pays de Meaux, 46 (1995), p. 31-78. 10  Sur ce pèlerinage au Moyen Âge, J.  Dubois, Un sanctuaire monastique au Moyen Âge : Saint-Fiacre-en-Brie, Genève, 1976. 11  A. Poncelet, « Vita sancti Blandini saeculo vii anachoretae Brigensis auctore Fulcoio Bellovacensi », Analecta Bollandiana, 7  (1888), p.  145-166, v. 344-363. Sur  les trois saints évêques cités, voir T. Du Plessis, Histoire de l’Église de Meaux, t. i, Paris, 1731, p. 65-66 pour Pathus ; p. 62-65 pour Hildevert et p. 92-93 pour Gilbert. 12  Sainte Fare et Faremoutiers. Treize siècles de vie monastique, Faremoutiers, 1956. 13  V. Leblond, L’abbaye de Rebais-en-Brie. Sommaire chronologique de 635 à 1800, Beauvais, 1898. Malgré son importance, l’abbaye de Rebais n’a pas fait l’objet d’études solides. Les actes de la journée d’études qui lui a été consacrée le 21 juillet 2001 n’ont malheureusement pas été publiés. On trouvera une rapide synthèse historiographique et archéologique dans V. Majewski, « Nouvelles découvertes à l’abbaye de Rebais », Bulletin de la Société littéraire et historique de la Brie, 56 (2001), p. 33-44. 14  Y. Chaussy et al., L’abbaye royale Notre-Dame de Jouarre, Paris, 1961. 15  C. de Mecquenem, « Les cryptes de Jouarre (Seine-et-Marne). Des indices pour une nouvelle chronologie », Archéologie médiévale, 32 (2002), p. 1-29. 8 

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abritant le tombeau de saint Blandin16 et celui de Reuil-en-Brie17, dont on fait rapidement une fondation plus ancienne attribuée au frère des fondateurs de Jouarre et Rebais. Au milieu de ces monastères, se trouve Coulommiers qui prend progressivement, au cours de la seconde moitié du xie siècle, le statut de ville18, comme en témoignent l’apparition d’un castrum et d’un mercatorum dans la topographie, ainsi que l’existence de plusieurs moulins et de « bourgeois » dans une charte comtale. Les comtes, pas encore de Champagne, mais seulement de Meaux et de Troyes, y résident d’ailleurs régulièrement. Comme on le voit, l’imaginaire hagiographique n’est pas en reste dans la région. Pourtant le comte Thibaut Ier ressent le besoin d’importer le culte de sainte Foy sur ses terres après une visite à Conques quelques années avant sa mort (1089). Il finit par se rétracter sous la pression des religieux de l’abbaye de Rebais qui en réclament la propriété19. S’ouvre un long procès entre Conques et Rebais définitivement clos en  1102, Conques conservant le prieuré Sainte-Foy de Coulommiers. Si cet évènement s’inscrit dans une politique comtale de réforme monastique20, on voit aussi ici la difficulté à venir ajouter des pièces à un échiquier déjà bien rempli. Et j’ajouterais à un moment où les corps saints des abbayes de Rebais, Faremoutiers et Saint-Fiacre sont de forts producteurs de miracles21. Les sources ne permettent toutefois pas de comprendre l’état du culte à sainte Foy aux xiie et xiiie siècles. Coulommiers poursuit sa croissance urbaine, mais semble tout de même plus en retrait dans la politique comtale. C’est l’attribution de Coulommiers comme douaire à

Sur ce prieuré, M. Wilmart, « « Une traduction de la Vita Sancti Blandini de Foulcoie de Beauvais par Nicolas Le Coq, diacre de Meaux (1705) », Revue d’histoire et d’art de la Brie et du Pays de Meaux 51 (2000), p.  39-58 et T.  Du  Plessis, Histoire de l’Église, t.  i, p. 115-119. 17  Sur la fondation (problématique) de Reuil, T. Du Plessis, Histoire de l’Église, t. i, p. 5152 et, pour le reste du Moyen Âge, P. Racinet, « Le prieuré de Reuil-en-Brie et son réseau monastique (xie-xvie siècles) », dans Papauté, monachisme et théories politiques : études d’histoire médiévale offertes à Marcel Pacaut, t. i, éd. P. Guichard et al., Lyon, 1994, p. 319-337. 18  Sur le statut de petite ville de Coulommiers et sa place dans le réseau urbain, M. Wilmart, Meaux au Moyen Âge. Une ville et ses hommes du xiie au xve siècle, Montceaux-lès-Meaux, 2013, p. 44-45. Sur l’histoire de Coulommiers, la monographie la plus érudite quoiqu’imparfaite reste E. Dessaint, Histoire de Coulommiers des origines à nos jours, Coulommiers, 1925. 19  T. Du Plessis, Histoire de l’Église, t. i, p. 125-127. 20  M. Bur, La formation du comté de Champagne, v. 950-v. 1150, Nancy, 1977, p. 353. 21  Voir la production aux xie-xiie siècles de recueil de miracles de saint Aile à Rebais (AASS, Augusti, VI, Bruxelles, 1870, p. 587-596), suivie (à moins qu’elle ne soit contemporaine) par la composition d’une Vita sancti Agili encore inédite par Foulcoie de Beauvais (Beauvais, Bibliothèque municipale, ms. 11, fol. 97-113). Le xiie siècle voit aussi la rédaction des miracles de saint Fiacre (J. Dubois, Un sanctuaire monastique, p. 52-59) et le témoignage de miracles opérées par les reliques de sainte Fare (T. Du Plessis, Histoire de l’Église, t. ii, p. 36-39). 16 

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la reine Jeanne d’Évreux qui change la donne au xive siècle22 . Les séjours réguliers de la reine devenue veuve en 1328 ne sont pas étrangers à l’obtention d’indulgences en juin 1331 pour un nombre important de jours de l’année23. Dans les années qui suivent, la guerre fait le reste, la région étant le théâtre d’opérations militaires dès 1359 avant de servir de base arrière aux Armagnacs dans leurs assauts vers Paris, puis de se voir imposer une présence anglaise : les abbayes rurales sont pillées, désertées par les pèlerins. À  Coulommiers, le prieuré bénéficie de la sécurité de la ville, mais le bilan n’est pas forcément idyllique. Tout le long du xve siècle, les effectifs oscillent entre deux ou trois moines dont le prieur le plus souvent envoyé du Rouergue par l’abbaye de Conques24. On doit noter des conflits réguliers entre les habitants de la ville et le prieur, ces premiers reprochant aux religieux des offices mal faits voire non effectués. Malgré cela, le xve siècle est le siècle des miracles de sainte Foy à Coulommiers, ce qui dénote sans doute le succès du pèlerinage. Ce succès, le sanctuaire le doit en grande partie à la confrérie Sainte-Foy dont l’effectif gonfle dans la première moitié du xve siècle, sans toujours inclure les religieux du prieuré, mais en étendant progressivement l’aire géographique d’influence qui finit par englober la Champagne et l’Île-de-France25. Même s’il est difficile de le prouver compte tenu de l’état de la documentation, on peut émettre l’hypothèse d’un lien entre cette confrérie et la rédaction du placard manuscrit, d’une part parce que l’élite de la ville en est membre dans sa quasi-totalité, y compris les notaires qu’on retrouve dans le manuscrit, et d’autre part parce qu’au moins une des miraculées, originaire de la Chapelle-sous-Crécy

Sujet non étudié pour lequel on renverra aux comptes de son douaire conservés aux Archives nationales : KK 3B. 23  Archives départementales de Seine-et-Marne : 944 F 22/7, p. 3385-3387. 24  L’enquête de juillet 1483 livre de nombreux renseignements sur la situation du prieuré au xve  siècle et les conflits avec les habitants de Coulommiers, Archives départementales de Seine-et-Marne : 944 F 22/6, p. 3237-3268. Au milieu du xive siècle, l’effectif des religieux tourne autour de huit individus comme le montrent des actes de  1347 (Archives départementales de Seine-et-Marne : 9944 F 22/7, p. 3335-3338). Le lien entre le Rouergue et la Brie se retrouve jusque dans la rédaction en 1418 de l’obituaire par le frère Vital Plinchant qui a laissé quelques traces d’occitan dans le texte (« Obituaire du prieuré Sainte-Foy de Coulommiers », dans E.-S. Bougenot, Notices et extraits de manuscrits intéressant l’histoire de France conservés à la Bibliothèque impériale de Vienne, Paris, 1892, p. 35-49). 25  Sur la confrérie Sainte-Foy de Coulommiers : A. Vernon, « Les comptes de la confrérie de Sainte-Foi de Coulommiers au xve siècle », Bulletin de la Conférence d’histoire et d’archéologie du diocèse de Meaux, 5  (1897), p.  211-232. Les  comptes de la confrérie (1412-1456) forment un registre de 495 feuillets et sont conservés aux Archives départementales de Seineet-Marne sous la cote H 831. Ils ont également été étudiés dans N.  Deroux, La confrérie Sainte-Foy de Coulommiers au xve siècle, mémoire de maitrise sous la dir. de M. Mollat, Paris, 1968 (consultable aux Archives départementales de Seine-et-Marne : 100 J 207). 22 

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à une quinzaine de kilomètres, figure sur la liste des confrères et consœurs entre 1418 et 1456 (date de la fin du registre qu’on possède)26. Le contexte de production articule donc plusieurs éléments qui ont conduit au succès de cette implantation : une importation d’un culte au xie siècle mais qui prend son véritable essor au xive siècle et surtout au xve siècle, une désertion des pèlerinages ruraux, conséquence de la guerre dans la région, des tensions entre élites locales et religieux et une confrérie influente bien au-delà de la ville. Ce contexte se reflète-t-il dans la composition du manuscrit ?

2. La production d’un placard hagiographique Il est difficile de commenter davantage la forme présentée par ce placard hagiographique puisque l’original a disparu. On peut, en revanche, s’arrêter sur la manière dont il a été rédigé, non pour en tirer une analyse sur le culte en tant que tel, mais parce que cela conduit à envisager encore un type d’écrit hagiographique complémentaire à cette affiche. Le placard présente quinze miracles, répartis de façon inégale entre 1406 et 1488. En fait, il faut distinguer une première période qui va de 1406 à 1421 qui regroupe six miracles et qui correspond à une période troublée dans les campagnes environnantes, mais avant l’occupation de la ville par les troupes anglaises. Une deuxième période entre 1438 et 1445 correspond aux années suivant immédiatement la reprise de la ville par les troupes françaises. Un miracle isolé en 1471, puis une troisième période de 1480 à 1488 pendant laquelle on compte cinq miracles et qui suit un séjour de Louis XI en 1479 dans le prieuré et la fin d’une période de fortes tensions entre les bourgeois et le prieur qui a fait l’objet d’une cabale visant à l’écarter. Toutefois les miracles, s’ils sont bien datés, ne sont pas retranscrits dans l’ordre chronologique. Il y a donc bien une rédaction qui s’opère après 1488 visant à rassembler des informations éparses, ou à mettre au propre une première version qui aurait pu connaître des ajouts marginaux et serait devenue à force illisible. Cette première version hypothétique aurait pu alors être rédigée au fil des enregistrements avant que la place réservée sur la pièce de parchemin ne soit devenue insuffisante. De fait, le texte retranscrit par Pierre-Nicolas Hébert reflète bien une rédaction post-1488 avec une certaine standardisation des récits. Prénommée Jeanne, elle est mentionnée pour la première fois dans la liste des membres de la confrérie en 1418 comme « veuve de Thomas Bourgot, de la Chapelle sous Crecy » (Archives départementales de Seine-et-Marne : H 831, fol. 51v), puis de « Thevenin Bourgot, de la Chapelle sous Crecy » de 1419 (ibid., fol. 58) à 1456 (ibid., fol. 481). Le recueil de miracles la dit « veusve de Thevin Brasjot de la Chapelle sous Crecy » qu’il faut assimiler à Thevenin Bourgot comptetenu de la proximité des noms et de la taille réduite de la paroisse de la Chapelle-sous-Crécy. 26 

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Il est important de souligner qu’aucun religieux, ni même le prieur, n’est mentionné dans le document, pas plus que la confrérie. L’attestation du miracle ressort uniquement de l’acte juridique. Sur ce point, l’introduction de l’affiche est très claire : Ensuivent plusieurs miracles faits en l’Eglise de Madame Sainte Foy de Coulommiers, approuvez et reçeus de plusieurs notoires et tabellions publics dudit lieu et plusieurs personnes qui estoient venues à ladite eglise dont les noms d’aucuns s’ensuivent, faits par les jours et les ans cy après declarez.

De fait, les quinze récits de miracles ne dérogent pas à cette règle : ils commencent tous par une date, puis indiquent l’identité du miraculé et son lieu d’origine, suit le récit résumé, puis le nom du notaire qui a enregistré la déposition. Une seule exception à ce dispositif rédactionnel est à relever pour le miracle de 1471 dont le texte mentionne à la fois le tabellion et le garde du scel de la prévôté. Tous ces notaires sont connus dans la documentation, sauf deux dont les noms semblent une mauvaise lecture27. Leur mention, avec la date précise, renvoie à des actes notariés dont on a malheureusement perdu les minutes. Cela sous-entend que chaque miracle reporté dans ce manuscrit a fait l’objet d’une déclaration mise par écrit devant notaire, sans doute également validée par le garde du scel de la prévôté comme tout acte notarié. Il a donc été élaboré, derrière cette affiche placardée, quinze autres feuilles volantes aujourd’hui perdues contenant le récit détaillé du miracle déposé devant un notaire royal. Une lecture attentive du texte témoigne d’ailleurs de cet enregistrement dont l’auteur du résumé n’a pas toujours réussi à se détacher28. Le récit du miracle n’est pas enregistré par l’autorité religieuse (qui pourrait être le prieur de Sainte-Foy ou le desservant de la paroisse) mais par une autorité laïque qui y dépose son sceau. On pourrait alors penser qu’il y a une prise en charge du récit miraculeux par les laïcs, mais en fait ce phénomène n’est pas propre à Coulommiers. Bien attestée notamment dans les grandes enquêtes hagiographiques menées au xive siècle lors des procès de canonisation29, la pratique est courante également dans les petits centres de la région afin d’attester le surgissement du merveilleux. Il s’agit de Pierre Denis pour le miracle du 27 juillet 1438 et de Pierre Corbé pour celui du 4 novembre 1488. 28  Par exemple, pour le miracle du 10 juin 1443, il est fait mention de Guillemette « icy presente », formule sans doute empruntée à l’acte notarié enregistrant le témoignage. 29  Sur les enquêtes de canonisation : A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1988. Sur  la question particulière du rôle du notaire dans la mise par écrit du récit du miracle : D. Lett, « La langue du témoin sous la plume du notaire : témoignages oraux et rédaction des procès de canonisation au début du xive siècle », dans L’autorité de l’écrit au Moyen Âge 27 

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Par exemple, on possède pour la collégiale de Brie-Comte-Robert, à mi-chemin entre Coulommiers et Paris, l’enregistrement d’un miracle qui se serait déroulé pendant la guerre de Cent Ans30. Aujourd’hui conservé aux Archives municipales de Melun, il date du 31 mai 1451 et n’est pas un acte notarié, même s’il y ressemble, mais un acte émanant du prévôt de Brie-Comte-Robert et de son garde du scel, reprenant le récit d’un miracle rapporté par vingt-cinq témoins en leur présence « au lieu et auditoire ou l’on a accoustumé de tenir les plaiz et juridiction audit Braye ». S’en suit le récit du vol par des soldats anglais des reliques de saint Étienne et d’un morceau de la couronne d’épines et de la croix du Christ, le miracle consistant à faire subir divers malheurs aux soldats voleurs et à aboutir au retour des reliques dans la ville. Ce qui est intéressant ici est la forme prise par le récit du miracle dans ce qui reste un sanctuaire très mineur : un acte rédigé par des autorités laïques, sur lequel on pose le sceau de la prévôté et dans lequel les autorités religieuses de la ville ne figurent qu’à titre de témoins parmi d’autres. Il y a peut-être là une nouvelle piste pour des récits hagiographiques, même si repérer une telle attestation dans des minutes notariales revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Ce détour par Brie-Comte-Robert permet au final de comprendre le déroulé du processus de rédaction du placard de Sainte-Foy de Coulommiers, à savoir un enregistrement passé devant notaire et, comme tout acte notarié, devant la prévôté. S’il y a eu une étape préparatoire avec les actes notariés, ceux-ci n’ont évidemment pas la même destination. L’acte enregistre une déclaration, le placard rend l’information visible. Il faut maintenant s’arrêter sur ce dernier point qui fait l’originalité du dossier présenté ici.

3. Le placard hagiographique, un dispositif de communication ou une démonstration d’efficacité ? Comment replacer cette affiche manuscrite dans une production plus vaste ? Nous ne sommes pas devant un manuscrit de bibliothèque, mais devant un manuscrit utilitaire accroché à la vue de tous. On pourrait le classer dans la catégorie feuille volante, bien que la pièce de parchemin devait être de bonne taille pour contenir l’ensemble du texte. Ces feuilles volantes sont les parents pauvres de la codicologie. Si on connaît un peu mieux les placards imprimés (Orient-Occident). XXXIXe  congrès de la SHMESP (Le  Caire, 30  avril-5  mai 2008), Paris, 2009, p. 89-106. On renverra également au livre du même auteur, Un procès de canonisation au Moyen Âge. Essai d’histoire sociale, Paris, 2008. 30  G. Leroy, Relation des miracles opérés par les reliques conservées à Brie-Comte-Robert au xve siècle, Melun, 1862.

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(on recense ainsi près de 2500 au xve  siècle dans le Saint Empire Germanique31), les affiches manuscrites ont peu intéressé les historiens32 , faute d’en avoir beaucoup d’exemplaires sous la main il est vrai. Les affiches ou placards sont de l’ordre de l’éphémère pour reprendre le titre d’un numéro spécial de la Revue de la Bibliothèque nationale de France paru en 2002. Ils sont destinés à porter une information à la connaissance de tous, ou du moins l’attester par la force de l’écrit présenté à une majorité de gens ne sachant pas lire. Une fois l’information obsolète, ils sont décrochés, mis au rebus, utilisés au mieux comme reliure. Dans le cas des miracles de Sainte-Foy de Coulommiers, c’est la persistance du pèlerinage, dans le dispositif duquel le manuscrit placé près de la statue jouait sans doute un rôle de validation de l’efficacité sacrale du lieu, qui l’a rendu moins éphémère que les autres, lui assurant une durée de vie d’au moins 250 ans avant son dépôt aux archives du prieuré où l’a trouvé le copiste au xviiie siècle. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur cette durée d’utilisation qui en dit long sur le caractère symbolique de l’affichage de l’écrit, un écrit rendu peu à peu illisible par la fumée mais aussi l’évolution même de l’écriture. Il est probable que son caractère médiéval a longtemps rassuré sur l’ancienneté de la dévotion, avant de devenir un argument dubitatif chez le copiste moderne. Mais on laissera les modernistes réfléchir sur ce point. Revenons au Moyen Âge. Comme l’a montré Élodie Lecuppre-Desjardins dans un article si justement intitulé « Des portes qui parlent », les villes médiévales connaissent bien ce type de support de communication que sont les placards et les feuilles volantes33. Elle y montre comment les princes et les villes utilisent ce procédé pour diffuser de la propagande, mais surtout pour afficher des règlementations (on pourrait certainement ajouter à sa typologie les tarifs de péage) : « le texte affiché permet de maintenir dans les mémoires un interdit, une convocation, une mesure quelconque, mais il assure également la présence de l’autorité en son absence ».34 31  U.  Baurmeister, « Des éphémères plusieurs fois centenaires : placards du xve et du xvie siècle à la BNF », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 10 (2002), p. 64-67. 32  Quelques exemples avec P. Fournier, « Affiches d’indulgences manuscrites et imprimées des xive, xve et xvie siècles », Bibliothèque de l’École des chartes, 84 (1923), p. 116-160 ; G. Ouy, « Feuilles d’information politique sauvées de la destruction », dans Information et société en Occident à la fin du Moyen Âge, éd. C. Boudreau et al., Paris, 2004, p. 69-83. Une interrogation subsiste toutefois sur la généralisation de telles pratiques d’affichage, comme le souligne dans son introduction P. Bruyère, « Un mode singulier d’affichage des lois et des coutumes au Moyen Âge. La traille de la cathédrale Saint-Lambert de Liège », Le Moyen Âge, 113 (2007), p. 273-308. 33  E. Lecuppre-Desjardin, « Des portes qui parlent : placards, feuilles volantes et communication politique dans les villes des Pays-Bas à la fin du Moyen Âge », Bibliothèque de l’École des chartes, 168 (2010), p. 151-172. 34  Ibid., p. 159.

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Et pour elle, l’écrit dans l’espace public « se propose comme un gage de vérité ». Afficher un écrit est assurément un acte performatif autant que d’information. Dans le cas de miracles et du dispositif de dévotion, la dimension performative paraît évidente. Si tout le monde ne sait pas lire, tout le monde sait que l’écrit sert à valider des actes. Si peu de pèlerins lisent l’affiche des miracles de sainte Foy, elle joue bien un rôle de preuve à leurs yeux. Les Vies de saints ou les récits de miracles affichés ont laissé peu de traces, même si on compte tout de même des placards imprimés en allemand comportant des prières à des saints à la fin du xve siècle35. On connait toutefois l’usage de textes affichés dans les églises à travers le cas des indulgences. Ces textes font parfois l’objet d’une attention particulière sur l’esthétique de leur présentation comme le montre le cas exceptionnel d’une pièce de parchemin décorée, affichée à Aurillac en 1454 pour annoncer vingt-cinq jours d’indulgences aux bienfaiteurs de la collégiale Notre-Dame de Saint-Flour36. Mais l’imprimé prend là aussi progressivement le dessus comme le laisse penser l’exemple d’une affiche annonçant des indulgences en 1482 à Notre-Dame de Reims37. Ce placard, imprimé spécialement à Paris, précède de peu la composition du manuscrit perdu de Coulommiers. L’affiche des miracles de sainte Foy est rédigée au moment même où la pratique du placard est en train de se modifier, de s’amplifier même grâce à l’innovation technique. Celle-ci n’a cependant pas encore atteint la petite ville briarde. En conclusion, si ce manuscrit nous fournit de précieuses informations sur un pèlerinage du xve siècle, l’analyse de son contexte de production ouvre une problématique plus large, celle du rapport à l’écrit dans la société médiévale. Sa composition, à partir d’actes notariés dont les notaires sont dûment cités, lui confère un statut de preuve présentée à la vue des pèlerins. Si la plupart d’entre eux ne le déchiffre pas, chacun sait la valeur probatoire de l’écrit, non seulement parce qu’ils savent ce que représente juridiquement un acte notarial, mais parce que le commun est lui-même habitué à rencontrer des affiches dans l’espace public, affiches règlementaires, politiques ou religieuses. Il y a là une piste à explorer qui brouille les limites entre une société de l’oral et de l’écrit, dans laquelle l’écrit n’est pas forcément lu pour dire quelque chose. J’ajouterais qu’on ne peut pas écarter l’idée que ce manuscrit soit lu à haute voix de temps en temps, par l’intermédiaire d’un religieux, d’un confrère ou d’un pèlerin lettré.

U. Baurmeister, « Des éphémères plusieurs fois centenaires ». E. Delmas, « Une affiche illustrée du xve siècle (1454) », Revue de la Haute-Auvergne, 19 (1917-1918), p. 133-138. Le document est actuellement conservé aux Archives départementales du Cantal : 1 Fi 1. 37  Bibliothèque Carnégie de Reims : incunable 195, « Le Grant Pardon de Nostre Dame de Rains ».

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Annexe Édition des miracles de Sainte-Foy de Coulommiers (xve siècle) A Original : perdu, anciennement conservé aux archives du prieuré SainteFoy de Coulommiers, une grande pièce de parchemin, fin du xve siècle B Copie effectuée au milieu du xviiie siècle par Pierre-Nicolas Hébert, dans son Cartulaire de la ville de Coulommiers, à partir de A. Archives départementales de Seine-et-Marne : 944F22/7, p. 3367-3370. [p. 3367] Ensuivent plusieurs miracles faits en l’Eglise de Madame Sainte Foy de Coulommiers, approuvez et reçeus de plusieurs notoires et tabellions publics dudit lieu, et plusieurs personnes qui estoient venues à ladite Eglise, dont les noms d’aucuns s’ensuivent, faits par les jours et les ans cy après déclarez. Le onzieme jour de decembre 1471 vint en l’Eglise de cians devant l’image de Madame Sainte Foy un nommé Jacquin Nicolas, tonnelier, demourant en la Ville-Nopce38, lieu dit Amoural39, accompaigné d’un sien fils nommé Philipot âgé anviron de dix ans. Lequel dit Jacquin dit et affirma par son serment que dès le vingt-deuxiesme du mois de novembre dernier passé son dit fils perdit la veue de l’oeil senestre, tellement qu’il n’avoit depuis veu en aucune maniere. Et eux estans dans ladite Eglise, le troisiesme jour de la neufvaine par eux encommencée ledit Philipot vit et commença à voir comme il faisoit auparavant, et de ce on les fit affirmer pardevant Pierre Charpentier40 lors garde du scel dudit Coulommiers. Approuvé par maitre Denis Charpentier41, tabellion dudit lieu. Le 27 juillet 1438, Jean Amonet du Moustier, natif de Jouy le Chastel42 , lequel estoit malade de chaude maladie, perdit la veue par icelle. Parquoy il se voua à Madame Sainte Foy et luy estant en ladite Eglise fit sa neufvaine et convenoit d’un homme pour le mener et conduire. Le  cinquieme jour d’icelle partit de l’Hostel-Dieu dudit Coulommiers où il estoit logé et s’en vint tout seul sans conduite en ladite Eglise, et tellement recouvrit la veue et

38  Villenauxe-la-Grande (canton et arrondissement de Nogent-sur-Seine, Aube) ou Villenauxe-la-Petite (canton et arrondissement de Provins, Seine-et-Marne). 39  Non identifié. 40  Pierre Charpentier, garde du scel de 1462 à 1475. L’identification des notaires ou tabellions et officiers cités dans ce document a été faite à partir des manuscrits de Pierre-Nicolas Hébert. 41  Denis Charpentier, tabellion de 1470 à sa mort en 1472. 42  Jouy-le-Châtel, canton et arrondissement de Provins, Seine-et-Marne.

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de [p. 3368] ce en jura et affirma pardevant Pierre Denis1, notaire audit Coulommiers. Approuvé par ledit notaire. Le 15e jour de septembre 1484 comparut par devant Jean Pillet2 , tabellion de Coulommiers, Jean Le Febvre, natif de Soissons3, lequel jura et affirma qu’il avoit esté trois semaines sans voir goute et que sa mere le voua à Madame Sainte Foy et incontinent son vœu fait, commença à voir un peu et partit dudit Soissons et s’en vint sans conduite à ladite Eglise et fit ses dévotions et se fit mettre la pierre dedans les yeux, et incontinent il vit aussi clair comme il faisoit dix ans auparavant. Le 10e jour du mois de may 1480 en ladite Eglise, un nommé Jean de Hustre, demeurant à Saint Seny4 près Chauny, jura et affirma qu’il y avoit trois ans qu’il ne voyoit goute et pendant ce tems prioit tousjours Madame Sainte Foy, et qu’il visita à sa dite Eglise et faisoit mettre chacun jour la pierre dedans ses yeux, tant que de force un jour sa veue luy revenoit, et commença à voir, et au sixieme jour il vit le Saint Sacrement entre les mains du prestre, ce que n’avoit veu trois ans avoit et cognoissoit toutes choses. Approuvé par Jean Pillet, notaire substitut dessus nommé. Le 12e jour de may 1411 fut présent Jean Pellerin, charpentier, lequel jura et affirma que dix jours avoit qu’il battoit une meule de moulin, et en la battant luy vola une pierre dans l’oeil, tellement qu’il en perdit la veue, et lors se voua à Madame Sainte Foy et en venant à ladite Eglise commença à voir et vit aussi clair comme auparavant et s’en retourna sain et net de sa dite veue. Approuvé par Estienne Dautun5, tabellion. Le 6e jour d’avril 1421 vint en ladite Eglise Pierre Perard, natif de la Fertésur-Loire6, lequel affirma qu’il avoit esté sans voir, et que quinze jour avoit, il avoit ouy parler de Madame Sainte Foy, et qu’elle en donnoit guerison, tellement qu’il se voua et partit de sa maison pour venir à ladite Eglise, et luy estant en icelle devant l’image de Madame Sainte Foy faisant sa priere, il recouvrit la veue et connoissoit toutes choses comme auparavant. Fait et approuvé par ledit [p. 3369] Dautun, tabellion. Le 24e jour de juin l’an que dessus fut présent Sedillon, veusve de feu Robin Bagrin, laquelle vint de Saint Martin les Crecy7 où elle demeuroit Pierre Denis, non identifié. Jean Pillet, tabellion de 1476 à 1485. 3  Soissons, Aisne. 4  Sinceny, canton de Chauny, arrondissement de Laon, Aisne. 5  Étienne Dautun, tabellion de 1410 à 1432. 6  Mauvaise lecture de Pierre-Nicolas Hébert pour La Ferté-sous-Jouarre, arrondissement de Meaux, Seine-et-Marne. 7  Saint-Martin-lès-Voulangis, aujourd’hui Voulangis, canton de Serris, arrondissement de Meaux, Seine-et-Marne. 1 

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jusqu’audit Coulommiers, et affirma que huit jours avoit une vache la frapa de sa corne en l’œil, tellement qu’elle ne voyoit goute et elle estant en ladite Eglise fit mettre la pierre de Madame Sainte Foy dans son œil, et incontinent après elle recouvoit la veue. Approuvé par ledit Dautun, notaire susdit. Le 13e jour de septembre 1486, Perette, fille de Jean Doublet, demeurant à Estrepilly8 lès Meaux nous a dit et déclaré que la veille Saint Arnoult, elle vint à Madame Sainte Foy pour ce que par adventure elle avoit perdu la veue, et qu’estant en ladite Eglise faisant ses devotions recouvrit la veue, et de ce affirma pardevant Jean Pillet, tabellion. Le 20 juillet 1484 vint à ladite Eglise Marion Gouiette, femme de Jacques Gouviet de Senlis9, laquelle affirma, présent sondit mary, que depuis quatre ans elle perdit la veue et estant venue à l’Eglise Sainte Foy, elle commença à voir, et à son retour elle ne vit plus goute et pour ce se voua à cette Eglise pour y faire sa neufvaine, et quand elle fut en ladite eglise, fit mettre la pierre en ses yeux et incontinent elle vit et recognut son mary et toutes autres choses. Approuvé par ledit Pillet. Le 27e jour de may 1415, Jeanne, veusve de feu Thevin Brasjot de la Chapelle-sous-Crecy10, jura et affirma qu’il y avoit trois semaines qu’elle n’avoit veu goute jusques à ce qu’elle se voua pour venir en ladite Eglise, où estant devant l’image de Madame Sainte Foy, elle recouvrit la veue. Approuvé par Jacques Saunier11, notaire. Le 4 novembre 1488, fut présent en l’Eglise de Madame Sainte Foy Jean Miguay de la paroisse de Tinguieres12 , diocese de Liège, qui affirma que dès l’entrée du caresme dernier, il avoit perdu la vue mais environ neuf semaines après, pour ce qu’il se voua à ladite Eglise, incontinent son dit vœu fait, il vit aussi clair que auparavant. [p. 3370] Approuvé par Pierre Corbé13, notaire. Le dernier jour de septembre 1406, comparurent Martin Villain de Crespy en Valois14 et Jeanne sa fille, âgée de unze ans, lequel jura que sadite fille n’avoit jamais veu ; pour quoy il la voua à Madame Sainte Foy ; et eux arrivez en entrant en l’Eglise, ladite Jeanne commença à voir et se conduire. Et le jour suivant, vit clairement, connoissant toutes choses. Approuvé par Nicolas Vieillard15, tabellion. Étrépilly, canton de La Ferté-sous-Jouarre, arrondissement de Meaux, Seine-et-Marne. Senlis, Oise. 10  La Chapelle-sous-Crécy, commune de Crécy-la-Chapelle, canton de Serris, arrondissement de Meaux, Seine-et-Marne. 11  Jacques Saunier, notaire de 1415 à 1416. 12  Sans doute Tongres, province de Limbourg, Région flamande, Belgique. 13  Pierre Corbé, notaire non identifié. 14  Crépy-en-Valois, arrondissement de Senlis, Oise. 15  Nicolas Vieillard, tabellion en 1406. 8 

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Le 6e jour de may 1421, fut présente Denisette, femme de Thevin Jubert de Meaux laquelle affirma que vingt jours avoit que Catherine sa fille n’avoit veu goute, et pour ce l’avoit vouée à Madame Sainte Foy, et incontinent qu’ils furent dans l’Eglise devant l’image de ladite Dame, elle commença à voir et fut guérie. Approuvé par Estienne Dautun, notaire. Le 14 juin 1445 vint et arriva en l’Eglise de Madame Sainte Foy Pierre Pierron, tisserand, lequel jura et affirma qu’il avoit esté deux ans sans pouvoir trouver guarison en nul lieu, jusqu’à ce qu’il ouit parler de Madame Sainte Foy, et incontinent qu’il eut ouï dire, se voua et promit de la venir voir, et aussitôt qu’il eut dit ces paroles, il commença à voir et se conduit ; et luy estant devant l’image de Madame Sainte Foy, vit plus qu’il n’avoit encore fait en sa neufvaine et s’en retourna tout sain à Poseville16 sous Clermont en Argonne17 où il demeuroit. Approuvé par Bernard Bernier18, tabellion. Le 10 juin 1443, vint en ladite Eglise Jeanne, femme de Nicolas Rennat de Neuville sous Brie19 laquele affirma que Guillemette sa fille icy présente n’avoit veu goute depuis le dimanche de Pasques, et avoit esté en plusieurs places pour chercher guarison ; ce qu’elle n’avoit pu trouver jusqu’à ce qu’elle ouit dire que Madame Sainte Foy faisoit beaucoup de miracles et lors se voua à ladite Eglise, et incontinent qu’ils y furent, ladite Guillemette recouvrit sa veue et vit aussi clair qu’elle n’avoit jamais fait. Approuvé par ledit Bernier, notaire.

Non identifié. Peut-être une mauvaise lecture pour Aubréville (limitrophe de Clermont-en-Argonne) où le patronyme « Pierron » est encore présent aux xviie et xviiie siècles. 17  Clermont-en-Argonne, arrondissement de Verdun, Meuse. 18  Bernard Bernier, notaire de 1424 à 1461. 19  Neuville-lès-Bray, canton d’Albert, arrondissement de Péronne, Somme. 16 

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Entre dévotion et outil de travail Le Repertorium singulorum sanctorum per annum de l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai (Cambrai, BM, 116)*

Sara Pretto (Cambrai) Fondée en 1064 par l’évêque Liébert1, l’abbaye bénédictine du Saint-Sépulcre de Cambrai a accumulé au fil des siècles une importante collection de livres, dont beaucoup remontent au dernier siècle du Moyen Âge, période particulièrement étudiée dans le cadre de mes recherches sur le scriptorium et la bibliothèque du monastère. En feuilletant ces volumes, un petit manuscrit a tout de suite attiré mon attention : le BM  116, qui porte sur sa première page le titre Repertorium singulorum sanctorum per annum et s’apparente aux calendriers-indicateurs récemment étudiés par François Dolbeau2 . En soi, la *  Les manuscrits mentionnés dans cette contribution sont conservés à la médiathèque de Cambrai (aujourd’hui le Labo de Cambrai, dorénavant : BM). Ils ont été décrits dans ma thèse de doctorat, sous la direction de X. Hermand : S. Pretto, Les manuscrits et la bibliothèque de l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai au xve  siècle, Université de Namur, 2019-2020. On trouvera une description sommaire de ces manuscrits dans le catalogue d’A. Molinier, Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, XVII : Cambrai, Paris, 1891, et D. Muzerelle, Manuscrits datés des bibliothèques de France, 1 : Cambrai, Paris, 2011. 1  L’histoire de l’abbaye à l’époque médiévale reste à écrire. Voir néanmoins un récent article qui analyse les premiers temps de l’activité du scriptorium bénédictin : T.  Snijders, « Behind the Scenes : Establishing a Scriptorium in the Eleventh-Century Monastery of Saint-Sépulcre, Cambrai », Manuscripta, 63 (2019), p. 105-145. 2  F. Dolbeau, « À propos des lectures de table », dans Les cisterciens et la transmission des textes (xiie-xviiie siècles), éd. T. Falmagne, D. Stutzmann et A.-M. Turcan-Verkerk, Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 397-408. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126301

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présence d’un répertoire de ce type à l’abbaye ne doit pas étonner : la communauté possédait en effet beaucoup de manuscrits hagiographiques. Le Repertorium se présente comme un texte à mi-chemin entre un calendrier, un légendier et un catalogue de bibliothèque. Dans cette contribution, il s’agira d’en donner une présentation détaillée en vue de mieux comprendre ses fonctions et son contexte d’utilisation.

1. Le BM 116 : un répertoire atypique La reliure du manuscrit est d’époque moderne, en peau brune, décorée à l’aide de filets et de roulettes avec un simple encadrement d’entrelacs. Il comprend 78 feuillets et mesure environ 210 × 140 mm : il est donc peu épais et d’un format facile à manier. Il est composé de dix cahiers de quaternions en papier, écrits d’affilée par la même main. On relève seulement une foliotation moderne : probablement l’auteur puis les utilisateurs médiévaux du Repertorium n’ont-ils pas ressenti le besoin de numéroter les feuillets, étant donné que le volume était organisé selon le calendrier. L’écriture est une gothica hybrida sobre et soignée, à l’encre brune ; les initiales sont de plus grandes dimensions que le texte, à l’encre rouge, et servent uniquement à mettre en évidence le début de chaque mois. Le texte est à longues lignes et les marges sont modestes, 30 mm environ ; il y a des traces de piqûres et de réglure pour la mise en page. Un seul filigrane apparaît dans le manuscrit : une lettre ‘P’ à long jambage bifurqué, surmontée par un fleuron, correspondant à Briquet 8601, attesté entre 1467 et 14693. Les notes qui apparaissent à l’intérieur du volume attestent que le manuscrit a été utilisé pendant tout le siècle suivant. Combinée à ces données codicologiques, l’analyse des œuvres mentionnées dans le Repertorium menée infra permet de dater le manuscrit de la deuxième moitié du xve siècle, probablement après 1493. Le recueil est organisé selon le calendrier civil : jour après jour, le Repertorium indique le nom des saints dont il fallait faire mémoire avec l’indication précise du ou des volume(s) de la bibliothèque où trouver les lectures à effectuer. Ainsi, aux calendes de janvier (fol. 1v), on lit : Kalendas Ianuarii. A. Circuncisio domini nostri Iesu Christi secundum carnem, de qua habetur in lombardica Historia, folio xxxiii et in Cathalogo sanctorum libro ii, capitulo xxvii. Ou encore (fol. 6) : C. xvi Kalendas Februarii. Anthonii abbatis, de quo habetur in Speculum Vincentii libro xiiii, capitulis xci, xcii et xcii. Turnhout, 2018, p. 401-435. 3  C.-M. Briquet, Les filigranes. Dictionnaire historique des marques du papier dès leur apparition vers 1282 jusqu’en 1600, 3, Paris, 1907, p. 463.

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Et in lombardica Historia folio xliii, etiam in Cathalogo sanctorum libro ii, capitulo xcii. Et melius et ad longum in prima parte libri Vitas Patrum folio xv. À la fin du volume (fol. 49v), une liste alphabétique des saints commémorés est transcrite avec l’indication du jour de la commémoration, pour faciliter la consultation et le repérage des lectures. Dans quelques cas, plusieurs saints sont mentionnés au même jour : généralement, les premiers sont les plus importants pour l’Église universelle (personnages bibliques, apôtres, évangélistes) ; suivent les pères du désert, les évêques, les martyrs, les confesseurs et de nombreux docteurs de l’Église. Il est intéressant d’observer que certains personnages bénéficient d’une notice plus riche : il s’agit de saints célèbres et très connus (Benoît, Augustin, Jérôme, etc.). Le sanctoral est pour l’essentiel masculin et comprend presque 1100 figures : si plus de 90 saintes sont nommées, parmi lesquelles les mystiques Mechtilde d’Hackeborn, Hildegarde de Bingen et Lutgarde de Saint-Trond, elles représentent au total moins de 10% des personnages mentionnés. Fort logiquement, les patrons de Cambrai et du nord de la France se distinguent : on relève ainsi Géry au 24 septembre, Aldegonde au 30 janvier, Maxellende au 13  novembre, Bertulphe au 5  février, Vincent de Soignies au 14  juillet. De  manière plus étonnante, manquent à l’appel Autbert (10  septembre) et surtout Liébert, le fondateur de la communauté. En outre, les fêtes de la dédicace de l’église et de la translation de Liébert, événements marquants dans la vie liturgique de l’abbaye et qui figurent dans d’autres manuscrits4, ne sont pas non plus mentionnées. Ces absences nous mettent sur la piste de l’usage principal prévu pour le volume : il doit s’agir d’un outil de travail pour le responsable de la bibliothèque (voire certains lecteurs) plutôt qu’un instrument exclusivement voué au service spécifique de la liturgie. Le Repertorium ne doit pas être considéré comme une simple liste de lectures ou un calendrier dans lequel les informations se présenteraient sous la forme de tableaux : sa structure s’apparente plutôt à celle d’un catalogue bibliographique, mais où les livres seraient classés à partir de leur fonction, en l’occurrence la commémoration des saints. Les  catalogues traditionnels étaient plutôt des documents administratifs, impropres à la recherche d’un texte précis ; et même si leur fonction de guide bibliographique s’est développée à la fin du Moyen Âge, ceux qui nous sont parvenus analysent rarement les homéliaires et les légendiers et sont souvent organisés par auteurs et par disciplines, comme l’observe François Dolbeau5. Par contre, le BM 116 suit une simple structure chronologique et cite à de nombreuses reprises une 4  5 

Voir, par exemple, le bréviaire BM 101 ou le graduel BM 64, tous deux du xve siècle. F. Dolbeau, « À propos des lectures », p. 405-406.

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partie des légendiers et autres manuscrits hagiographiques présents dans la bibliothèque6, en mentionnant aussi un homéliaire dans une note de peu postérieure à l’exécution du volume7. Le contenu de ces recueils est bien connu du rédacteur qui suggère souvent des choix entre les différentes versions disponibles des Vies citées. Par exemple, en ce qui concerne saint Maur, au fol. 3v, on lit : Melius autem et ad longum in Legendario de sanctis, folio lix ; dans une note en marge, une autre main a en outre écrit abbreviata habetur bene in Cronica Anthonini in 2a parte. En somme, le Repertorium est bien un répertoire, où l’élément fondamental – l’identification des textes hagiographiques dans les volumes de la libraria – est donné non pas en suivant un ordre thématique ou alphabétique, mais d’après le calendrier des saints, du 1er janvier au 31 décembre, sans qu’une attention particulière soit accordée aux fêtes propres de l’abbaye. Notre manuscrit est, semble-t-il, un exemplaire unique mais il a été conçu dans le sillage d’une longue tradition d’instruments de travail, tels que des calendriers et des listes de lectures. Malheureusement, aucun catalogue médiéval de la collection de livres du Saint-Sépulcre ne nous est parvenu et l’archéologie ne donne pas de témoignages directs sur l’aménagement de la bibliothèque. Mais les sources modernes nous parlent d’une communauté cultivée et riche en manuscrits8, et il est certain que, dans la deuxième moitié du xve siècle, l’activité de copie y a connu une forte croissance9. Or, à mesure que les bibliothèques grandissent, diverses questions se posent, liées à l’organisation du cycle annuel des lectures en communauté et au repérage des livres correspondants à l’intérieur d’une bibliothèque10. Au fil du temps, les communautés ont développé des outils en vue de fournir des réponses à ces questions. Les premières informations à ce sujet figurent dans d’anciens coutumiers, où l’on rencontre des indications sur les lectures hagiographiques proposées aux religieux11. Les autres documents qui contiennent des mentions Sur ce point, voir infra, La bibliothèque exploitée par le rédacteur. Au fol. 29, on lit item libro omeliarum hyemali habetur sermo de sancto Petro ad vincula. 8  Dans une chronique du début de l’ère moderne, on lit que le géographe Pierre Bergeron, en visitant la ville de Cambrai, a été impressionné par le patrimoine livresque dont l’abbaye pouvait se vanter ; l’épisode est narré dans l’Itinéraire germano-belgique de Pierre Bergeron, écrit en 1617 et rapporté dans L. Trenard, « La vie quotidienne en cambrésis au temps de la conquête française », Mémoires de la société d’émulation de Cambrai, 95 (1978), p. 58. 9  Voir S.  Pretto, Les manuscrits et la bibliothèque de l’abbaye, 1 :  §  L’abbazia di Saint-­ Sépulcre alla fine del Medioevo, p. 32-37, et § La biblioteca e la gestione del patrimonio librario, p. 155-158. 10  F. Dolbeau, « À propos des lectures », p. 401. 11  H. R. Philippeau, « À propos du coutumier de Norwich », Scriptorium, 3 (1949), p. 295302 ; C. Dereine, « Coutumiers et ordinaires de chanoines réguliers », Scriptorium, 5 (1951), p. 107-113 ; L. Brou, The Monastic Ordinale of St. Vedast’s Abbey Arras, Londres, 1957, p. 9. 6  7 

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de ce type sont les calendriers et les martyrologes, dont Baudouin de Gaiffier a dressé une liste intéressante12 . Une contribution qui est parmi les meilleures dans le domaine est celle d’Emmanuel Munding, consacrée au Sangall. 56613, du xe siècle, qui contient un légendier sous forme de calendrier, avec les noms de saints et le renvoi au volume à lire : l’auteur l’a défini comme ein kalendarisch geordnetes Verzeichnis von Heiligenleben, rendu en français par François Dolbeau comme « indicateur de Vies de saints sous forme de calendrier » ou « calendrier bibliographique », expression reprise par cet auteur dans son étude de trois catalogues de bibliothèques cisterciennes14. Parmi eux, le calendrier-bibliographique de Mortemer15, remontant au xiiie  siècle, qui s’apparente au Sangall. 566 : sur trois colonnes, il signale les textes hagiographiques dont la communauté disposait et dans quels volumes les trouver16. Le BM 116 peut lui aussi être défini comme un indicateur de Vies de saints sous forme de calendrier, mais sur certains points, il se différencie des exemples qui viennent d’être présentés. Notre Repertorium est un opuscule autonome tandis que les documents dont il vient d’être question apparaissent à l’intérieur d’un volume. Sa mise en page est à longues lignes, sans présenter une structure en tabulae, souvent ornées, typique des calendriers plus traditionnels. En outre, le répertoire propose plusieurs lectures pour les saints à commémorer avec la mention précise des chapitres et livres correspondants, tandis que les références dans les calendriers-indicateurs sont souvent génériques ou limitées. Enfin, le Repertorium n’est pas lié à un moment spécifique de la vie communautaire, comme le calendrier-indicateur de Longpont, destiné au repérage des lectures pour les repas17 : il ne fournit aucune indication sur les circonstances ou sur les moments prévus pour les lectures proposées (à l’office, au chapitre, voire en privé…). Par rapport aux documents similaires qui nous sont parvenus, le BM 116 est donc plus qu’une liste des lectures et plus qu’un catalogue bibliographique : B.  de Gaiffier, « À propos des légendiers latins », Analecta Bollandiana, 97 (1979), p. 59-68. 13  E.  Munding, Das Verzeichnis der St.  Gallen Heiligenleben und ihrer Handschriften in ­Codex Sangall. no 566, Leipzig, 1918 (Texte und Arbeiten, 1. Abteilung, Heft 3/4). Voir aussi Mittelalterliche Bibliothekskataloge Deutschlands und der Schweiz (=  MBDS), 1, Munich, 1918, p. 89-99. 14  F. Dolbeau, « Trois catalogues de bibliothèques médiévales restitués à des abbayes cisterciennes (Cheminon, Haute-Fontaine, Mortemer) », Revue d’histoire des textes, 18 (1988), p. 81-108. 15  BNF, lat. 3922A. 16  F. Dolbeau, « Trois catalogues de bibliothèques », p. 98-99 ; l’auteur reprend et approfondit l’étude du manuscrit dans Id., « À propos des lectures », p. 415-416, 426-429. 17  F. Dolbeau, « À propos des lectures », p. 414, n. 65 : In indiculo manu exarato ante quadrigentos annos vel circiter, in quo cuique solemnitati assignantur legenda in refectorio. 12 

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il semble avoir être écrit en vue de satisfaire des exigences aussi bien matérielles que spirituelles, c’est-à-dire essayer d’aider les moines à établir ce qu’il faut lire et où le trouver. En revanche, il ne permet pas de repérer concrètement les livres mentionnés, qu’ils soient conservés sur les rayonnages de la bibliothèque, ou sur un pupitre du chœur ou de la salle capitulaire : le Repertorium ne contient aucun renvoi à des cotes qui auraient été apposées sur les volumes ni même d’information sur leurs caractéristiques matérielles. De facto, seul un bon connaisseur de la bibliothèque pouvait repérer rapidement les manuscrits mentionnés. Pour cette raison, il faut supposer que l’armarius de l’institution en était le principal utilisateur, bien qu’il ne soit pas exclu que le répertoire ait été composé aussi pour améliorer l’organisation des lectures communautaires ou pour soutenir la lecture privée et qu’il pouvait être utilisé par les moines du monastère : il s’agit sûrement d’un objet multifonctionnel, si l’on peut dire. En tout cas, ce texte est l’œuvre d’un bibliothécaire diligent, qui connaissait très bien les manuscrits de l’abbaye ; les ajouts postérieurs sont d’ailleurs peu nombreux et attestent de son exhaustivité. Sur quelques feuillets seulement, une autre main (celle de son successeur ?) a ajouté des renvois à d’autres textes présents dans les volumes de la bibliothèque18. La main de l’auteur est aussi intervenue à plusieurs endroits pour ajouter ou corriger les mentions, preuve que l’opuscule remplissait sa fonction. Toutefois, jusqu’ici, la comparaison de cette écriture avec celle des copistes actifs au xve siècle n’a pas donné lieu à des correspondances ; la recherche devrait être élargie aux notes présentes sur les manuscrits plus anciens de la bibliothèque, en vue de repérer d’éventuelles traces de son activité19.

2. La bibliothèque exploitée par le rédacteur La première page du manuscrit, qui précède le calendrier, fournit un intéressant témoignage sur la composition de la bibliothèque bénédictine à la fin du xve siècle. On y trouve en effet la liste des ouvrages hagiographiques exploités par l’auteur du Repertorium : Au fol. 29, il mentionne un homiliaire pour l’hiver (item libro omeliarium hyemali) dont nous n’avons aujourd’hui aucune trace (voir infra) ; au fol. 3v, il précise un renvoi au Chronicon d’Antonin de Florence et au fol. 31 à l’Historia lombardica. 19  L’étude des manuscrits du xve siècle a mis en évidence la présence d’au moins deux bibliothécaires, à partir de la deuxième moitié de la période jusqu’au début du xvie siècle. Cette identification a été possible grâce à l’analyse paléographique d’une série des notes et des outils de travail (étiquette, table des matières, cotes, etc.) portés sur les manuscrits. Malheureusement, la main du BM 116 n’est pas identique à celles des armarii identifiés. 18 

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Incipit repertorium singulorum sanctorum per annum occurentium quorum gestarum, passiones vel acta in hoc cenobio sanctissimi dominici Sepulcri Cameracensis in diversis codicibus sparsim habentur. Presertim notabiles legendas habentium ut unicuique legere aut cantare volenti facile occurrat quidam querit. Quorum principales hic notantur : videlicet Aurea legenda de martiribus, Aurea legenda de confessoribus, Speculum historiale Vincentii Beluacensis, liber De apostolis, liber De sanctis noviter collectis, Cronica Anthonini archiepiscopi Florentini, Cathalogus sanctorum Petri de Natalibus Venetiorum episcopi, Historia lombardica fratris Iacobi de Voragine quondam Ianuensis episcopi, liber qui intitulatur Legendarius de sanctis, Vitas patrum, Liber sanctorum Hannonie, libellus qui intitulatur De vita sancti Vulfranni archiepiscopi, libellus De sanctis Hongarie qui in libro que Summa Collationum intitulatur continetur et alii qui in suis locis specificati invenientur. In quo non arbitretur quis superflue poni unam eandemque vel similem legendam in diversis libris haberi, cum hoc ideo fit ut si plures ea opus habuerint unus ab altero non impediatur et quia aliquando melius et planius in uno quam alio libro habetur. Si vero aliqui ipsas secundum ordinem infrascripti repertorii, in uno vel pluribus voluminibus, ad otium vitandum scribere voluerint, beati erunt illi qui labores manuum suarum manducabunt, quia ipsis bene erit in hoc seculo et in futuro facientque opus meritorium presentibus et successoribus utile nec minus necessarium.

Plusieurs de ces volumes peuvent être identifiés avec plus ou moins de certitude : – Les deux copies de la Legenda aurea, l’une consacrée aux martyrs et l’autre aux confesseurs, pourraient être les BM 811 et 812, manuscrits originaires de l’abbaye et copiés au xve siècle, bien que ces deux manuscrits contiennent à la fois des Vies de martyrs et de confesseurs. Il  faut noter que tous les deux contiennent une annexe qui propose les Vies des saints de la région et de la ville de Cambrai : Aldegonde, Vaast et Amand, Waudru et Géry. L’abbaye possédait encore deux autres exemplaires de ce légendier : l’un, intitulé Historia lombardica, dont il est question ci-dessous ; l’autre, datable du xive siècle, a sans doute été acheté ou donné à la communauté (BM 120). – Du Speculum historiale de Vincent de Beauvais, nous n’avons aucune trace parmi les manuscrits conservés provenant du monastère, mais une copie du xve  siècle est présente dans le BM  205, provenant de la communauté des Guillemites de Walincourt, installée juste en dehors de Cambrai : l’œuvre était donc facilement accessible. D’autre part, plusieurs incunables issus de maisons religieuses géographiquement proches contiennent également le Speculum : Cambrai, BM, Inc. B 160

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(provenance inconnue) ; Cambrai, BM, Inc. 2-3 (provenant de Saint-Aubert)20 ; Saint-Omer, BM 2844 (probablement originaire de Saint-Omer). – Quant au livre De apostolis, il s’agit probablement du BM 809, appartenant à l’abbaye dès le xiie siècle, qui réunit les Passions des apôtres avec les Vies de nombreux saints. Par contre, nous n’avons pas identifié le texte De sanctis noviter collectis, ni dans les manuscrits de l’abbaye ni dans les incunables. – Composé entre 1440 et 1460, le Chronicon d’Antonin de Florence propose une histoire du monde interrompue par de longues notices biographiques relatives notamment à des saints. Le texte est présent dans un incunable du monastère (Cambrai, BM, Inc.  B  164-166), mais nous ne savons pas quand il est arrivé au Saint-Sépulcre. – Le Cathalogus sanctorum Petri de Natalibus Venetiorum episcopi est une véritable encyclopédie hagiographique en  12  livres, composée dans la deuxième moitié du xive  siècle, qui comprend 1589  éléments avec une forte attention au temps liturgique dans l’organisation des contenus. Ce  recueil est présent dans un incunable du Saint-Sépulcre : Cambrai, BM, Inc. B. 183 (Vicenza, 1493). Malheureusement, nous ignorons si ce volume a intégré la bibliothèque du monastère dans les années qui ont suivi sa production. Si tel est bien le cas, il s’agirait d’un intéressant témoignage de la diffusion de l’imprimé en France du Nord, qui pourrait aussi nous aider à préciser la date de confection du Repertorium, qui serait postérieure à 1493. – L’  Historia lombardica mentionnée dans le prologue (titre sous lequel une partie de la Légende dorée a circulé) pourrait être le BM 801, remontant au xive siècle et propriété de l’institution (un ex-libris du xve siècle en témoigne). – En ce qui concerne les Vitae patrum, la communauté disposait de beaucoup de Vies des pères ou d’extraits éparpillés dans les volumes de la bibliothèque. On peut ainsi mentionner le BM 221 (xiie siècle), qui contient les Vies de Marguerite et de Marie l’Égyptienne, dont la conversion est liée à la célébration de la croix du Saint-Sépulcre. Un important recueil de Vies de saints en deux volumes (BM  863 et  864), daté du xie  siècle mais encore utilisé au xve siècle (les notes marginales en témoignent)21 contient, entre autres, des Vies de pères. Toutefois, seuls trois manuscrits Le catalogue des imprimés de Cambrai est en cours de rédaction et les cotes attribuées aux volumes ne sont pas définitives : je remercie le personnel de la médiathèque de Cambrai pour m’avoir aidée. 21  Sur ces légendiers voir S. Lecouteux, « Les anciens légendiers de Cambrai (xe-xiie s.) : structures et parenté avec le “grand légendier de Flandre” (Legendarium Flandrense) », dans 20 

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qui nous sont parvenus sont entièrement consacrés aux pères du désert : les BM 822 et 824, en parchemin, qui datent du xiiie siècle ; le BM 817, en papier, remonte au xve siècle et a été probablement transcrit au monastère. Au fol. 49 du Repertorium, on lit à propos de la translation de saint Jacques : in fine libri Vitas patrum qui est in pergameno scriptum ; malheureusement cette translation n’est pas mentionnée dans les BM 822 et 824 : le répertoire renvoie donc à un manuscrit probablement perdu. – À noter enfin, la mention d’un libellus consacré à saint Vulfran, qui pourrait correspondre à celui contenu dans le BM 846, copié au xie siècle in loco. – Le Legendarius de sanctis mentionné correspond au BM 816, du xve siècle, transcrit par Augustin Voesels, religieux de l’abbaye, qui contient des Vies de saints, dont beaucoup provenant du nord de la France. La comparaison entre les saints de deux livres permet l’identification : en effet, les renvois aux feuillets du manuscrit correspondent parfaitement (par exemple, le BM 116, au fol. 2, rappelle que la Vie de saint Pierre dit “Balsame” se trouve au fol. 45 du Legendarius sanctorum : aux fol. 44v-45 du BM 816 nous lisons la Passio sancti Petri martiris, qui Balsami vocatur). – Le Liber sanctorum Hannonie n’apparaît pas dans les manuscrits conservés du Saint-Sépulcre (ni d’ailleurs dans ceux des institutions voisines, d’après les sondages effectués) ni dans les collections des incunables. – La Summa Collationum de John Waleys est présente dans un incunable provenant de l’abbaye voisine de Saint-Omer : Saint-Omer, BM 316, imprimé à Cologne en 1470, mais elle ne comprend pas le libellus De sanctis Hongarie qui in libro que Summa collationum intitulatur continetur ; de ce titre nous n’avons aucune correspondance. La liste se termine par une mention plus vague, renvoyant à d’autres ouvrages : alii qui in suis locis specificati invenientur. De fait, plusieurs renvois à d’autres œuvres figurent au sein même du Repertorium : – Au fol. 11v, les Dyalogorum libri Gregorii pape : la bibliothèque en possédait une copie dans le BM 586, transcrit pendant la deuxième moitié du xve siècle probablement à l’abbaye. – Au fol. 29, un homeliarium hyemali et une antiqua Biblia. Sur cet homiliaire, nous n’avons aucune information. La  collection de livres de l’abbaye n’abrite plus aujourd’hui aucun homiliaire d’été ou d’hiver, mais seulement des bréviaires : par exemple, le BM  117, remontant au Le livre et l’écrit : texte, liturgie et mémoire dans l’Église au Moyen Âge, éd. J.-L. Deuffic, Turnhout, 2012, p. 109-184, ici p. 112-132.

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xiiie-xive siècle, est un bréviaire à l’usage de l’abbaye du Saint-Sépulcre composé d’une partie estivale et d’une partie hivernale. Divers éléments suivent, parmi lesquels un sanctoral avec tous les saints de la ville (Géry, Waudru, Landelin, Ghislain, Aubert) et les patrons de la communauté (fol. 76 et 387v, Benoît institutor monachorum). En ce qui concerne l’antiqua Biblia, il s’agit probablement du BM 281-285, une grande bible latine en cinq volumes, datable du xiiie siècle avec un ex-libris de l’abbaye du xve siècle. – Au fol. 33v, le De xii gradibus humilitatis attribué à saint Bernard, présent dans le BM 264, du xiie siècle, et qui appartient au noyau le plus ancien de la bibliothèque bénédictine ; on connaît un autre exemplaire du même texte, également du xiie siècle, le BM 1259, qui réunit manuscrit et imprimé. Un troisième témoin figure dans le BM 836, un recueil de textes relatifs à la vie monastique : toutefois ce manuscrit a été écrit en 1476 à Saint-Sauveur-le-Vicomte et nous ne savons pas à quel moment il est arrivé au Saint-Sépulcre. Les légendiers le plus souvent mentionnés dans le répertoire sont premièrement le liber qui intitulatur Legendarius de sanctis et le Cathalogus de Pierre de Natalibus : les nombreux renvois à ces deux recueils nous amènent à penser qu’il s’agissait d’ouvrages de référence dans la bibliothèque. Le Speculum historiale et la Legenda aurea apparaissent aussi à maintes reprises. Suivent les Vitae patrum et le Chronicon d’Antonin de Florence. Si l’auteur du Repertorium a exploité beaucoup de manuscrits hagiographiques présents dans la bibliothèque de son monastère, il a néanmoins procédé à une sélection en laissant de côté certains volumes qui étaient pourtant disponibles. Outre les exemplaires de la Legenda aurea et des Vitae patrum dont il a déjà été question, on peut signaler le BM 839, un recueil hagiographique qui renferme des récits relatifs à sainte Marguerite, Christine de Saint-Trond, Brendan et Servais, ainsi que plusieurs volumes d’origine parfois incertaine mais qui appartenaient à la bibliothèque bénédictine à la fin du Moyen Âge. Le BM 840, copié sur place, porte sur le premier feuillet le titre Nonnulle sanctorum martyrum et confessorum et contient les gestes et les martyres des saints célèbres comme Cassien, Secundien, Marcellien et Vérien. Des intérêts plus particuliers se reflètent dans les BM 844, 817 et 810, où les récits hagiographiques alternent avec des réflexions sur la vie érémitique et sa valeur morale. On le voit, les manuscrits remontant au dernier siècle du Moyen Âge sont nombreux et souvent d’origine locale, et l’analyse de leur contenu fait apparaître un intérêt pour les traditions locales et les patrons historiques de la ville

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et de la région. Il ne faut pas s’en étonner dans la mesure où s’est produit au xve siècle « une véritable résurrection du scriptorium »22 , vraisemblablement liée à un nouveau climat spirituel dans le cadre du mouvement de réforme dit de l’“observance”23 : ce phénomène redynamisa alors beaucoup de communautés en Belgique et France du Nord, et toucha notamment la ville de Cambrai grâce à l’évêque Henri de Berghes24. Si un processus réformateur n’est pas directement attesté au Saint-Sépulcre, l’abbaye adopta une politique culturelle en ligne avec cette tendance, surtout sous l’abbatiat de Guillaume Courtois (1482-1503), caractérisé notamment par un renouveau de la copie de manuscrits. Le prologue du Repertorium fait d’ailleurs allusion à ce développement du travail de copie « personnelle », en incitant les lecteurs à s’adonner à cette activité. Dans ce contexte, la production hagiographique a reçu une nouvelle impulsion. Pour Denis Muzerelle, les codices transcrits alors démontrent qu’il y avait la volonté de créer un corpus de textes consacré aux saints25, proposés comme sources d’inspiration : leurs gestes étaient lus en communauté ou dans la solitude de la cellule, et leurs miracles étaient objets de méditation. C’est dans ce contexte favorable et sur cette toile de fond que s’inscrit la composition du Repertorium.

3. Conclusions La vie monastique était rythmée par la liturgie et les lectures communautaires, tirées de la Bible, des textes patristiques, mais aussi hagiographiques. D. Muzerelle, Manuscrits datés, p. xxiv. Sur le scriptorium local à la fin du Moyen Âge, voir S. Pretto, Les manuscrits et la bibliothèque de l’abbaye, 1 : § Attività di copia e prassi scrittorie alla fine del xv secolo, p. 112-154. 23  Pour un aperçu des mouvements de réforme dans le monde monastique aux xive-xve siècles, voir K.  Elm, Reformbemühungen und Observanzbestrebungen im spätmittelalterlichen Ordenswesen, Berlin, 1989 ; pour les Pays-Bas méridionaux on se réfèrera aux travaux classiques d’É. de Moreau, Histoire de l’Église en Belgique, t. iv : L’Église aux Pays-Bas sous les ducs de Bourgogne et Charles-Quint, 1378-1559, Bruxelles, 1949, p. 304-335, et d’U. Berlière, « L’ordre bénédictin en Belgique. Réformes des xve et xvie siècles », Revue Bénédictine, 11 (1894), p.  1-16, ainsi qu’aux enquêtes plus récentes de M.-É.  Henneau et A.  Marchandisse, « Velléités de réformes dans l’Église de Liège des xve et xvie siècles », dans M. Maillard-Luypaert et J.-M. Cauchies, De Pise à Trente : la réforme de l’Église en gestation. Regards croisés entre Escaut et Meuse. Actes du colloque international de Tournai (Séminaire épiscopal), 19-20 mars 2004, Bruxelles, 2004, p. 153-212, et de P.-J. De Grieck, De benedic­ tijnse geschiedschrijving in de Zuidelijke Nederlanden (ca. 1150-1550) : historisch bewustzijn en monastieke identiteit, Louvain, 2010. 24  Voir X. Hermand, « Les relations de l’abbaye cistercienne du Jardinet avec des clercs réformateurs des diocèses de Cambrai et de Tournai (seconde moitié du xve siècle) », Revue Mabillon, 13 (2002), p. 237-263. 25  D. Muzerelle, Manuscrits datés, p. xxv. 22 

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La fonction et le type de lecture influençaient aussi bien la structure physique des volumes (format, mise en page, signes d’accentuation) que leur rangement (au chœur, au réfectoire, dans la librairie, etc.). Par ailleurs, la Règle de saint Benoît prévoyait des moments réservés à la lecture privée, où l’hagiographie pouvait aussi occuper une place importante. Dans une institution religieuse comme le Saint-Sépulcre, il ne devait pas être facile de s’orienter parmi tous les manuscrits utilisés à ces occasions, comme le suggère le début du prologue du Repertorium, rappelant que les textes hagiographiques diversis codicibus sparsim habentur : il fallait non seulement bien connaître les volumes de la librairie et leur contenu pour repérer les textes intéressants, mais aussi savoir à quel moment de l’année il convenait de les lire. Le Repertorium sanctorum per annum constitue un bel exemple de l’inventivité des bibliothécaires médiévaux en ce domaine. Il témoigne aussi du renouveau culturel qui caractérisa l’abbaye du Saint-Sépulcre et bien d’autres abbayes bénédictines de Belgique et de France du Nord à la fin du Moyen Âge, dont l’historiographie commence seulement à prendre la pleine mesure26.

Voir X. Hermand et É. Terlinden, « L’abbaye de Saint-Jacques à Liège et la réforme de l’observance au xve siècle », dans D. Allart, M. Piavaux, B. Van Den Bossche et A. Wilkin, L’église Saint-Jacques à Liège : “Templum pulcherrimum”. Une histoire, un patrimoine », Namur, 2016, p. 121-128 ; X. Hermand, « La réforme de l’abbaye de Saint-Trond et les réseaux monastiques au début du xvie siècle », Revue Bénédictine, 112 (2002), p. 356-378 ; Id., « Réformer une abbaye au xve siècle : l’exemple de Florennes », Revue Bénédictine, 122 (2012), p. 342-365. 26 

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Les transformations d’un recueil hagiographique monumental Le grand légendier de Saint-Maximin de Trèves aux xive-xvie siècles

Bastien Dubuisson (Luxembourg/Namur) L’abbaye bénédictine de Saint-Maximin de Trèves fut la détentrice de l’un des plus amples légendiers latins de l’époque médiévale1. Sa réalisation dans le second quart du xiiie siècle précéda chronologiquement l’affirmation des Abbreviationes ou Legendae Novae/Passionalia Nova, collections hagiographiques d’un genre nouveau qui se démarquèrent notamment par leur concision et dont la Légende dorée de Jacques de Voragine constitue l’exemple le plus notoire2 . En d’autres termes, la genèse de ce « grand légendier » précède le cadre temporel défini à l’occasion de ce colloque. Toutefois, considérer un légendier comme une entité statique dans le temps serait faire abstraction de données essentielles à sa bonne compréhension car l’histoire des manuscrits ne peut se borner à l’étude de leur genèse. Dans le cas du grand légendier de Trèves, l’analyse codicologique a mis en évidence les nombreuses 1  Celui-ci a été étudié en détail dans le cadre d’un mémoire de master inédit : B. Dubuisson, Le grand légendier de l’abbaye de Saint-Maximin de Trèves. Analyse codicologique et mise en contexte d’une collection hagiographique monumentale, Mémoire de Master en Histoire, Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 2018. 2  G. Philippart, Les légendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout, 1977, p.  45-48. En  ce qui concerne la Legenda aurea, on se réfèrera notamment aux travaux de B. Fleith, F. Coste ou encore C. Maillet.

Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 409-441. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126302

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transformations que le recueil a connu au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge et au début des Temps modernes, une époque durant laquelle de nombreux établissements ecclésiastiques furent confrontés à un certain nombre de difficultés ayant favorisé un relâchement de la Règle et une dégradation de la vie commune3. Il s’agira donc ici de voir comment une collection présentant encore toute les caractéristiques des légendiers dits « classiques » a évolué après l’époque de sa rédaction, suivant les besoins de ses utilisateurs et l’histoire de l’abbaye détentrice4. Après avoir brièvement présenté l’objet au cœur de mon enquête, j’évoquerai l’histoire des livres et de la bibliothèque de l’abbaye du xive au début du xvie siècle5. Enfin je me livrerai à une « gymnastique » codicologique et paléographique afin de mettre en évidence les interventions sur le grand légendier tout en les rattachant à leur contexte historique. Il convient également de dire un mot sur le cadre géographique, même si celui-ci n’occupera de facto qu’un rôle mineur dans cette communication. Bien que Trèves se situe en dehors de l’espace investigué, on n’aura aucun mal à comprendre que le grand légendier de Saint-Maximin est un objet étroitement lié à ces régions limitrophes puisqu’il renferme un nombre relativement important de textes issus des diocèses voisins de Trèves, au premier rang desquels figure notamment celui de Liège6. Par ailleurs, il ne faudrait pas non Concernant la période de « crise » traversée par les abbayes aux derniers siècles du Moyen Âge, cf. pour les établissements des Pays-Bas méridionaux, P.-J. De Grieck, De benedictijnse geschiedschrijving in de Zuidelijke Nederlanden (ca. 1150-1550) ; historisch bewustzijn en monastieke identiteit, Louvain, 2010, p. 92-98. En ce qui concerne Trèves, la « décadence » des abbayes bénédictines du diocèse transparaît surtout à travers les réformes menées par Jean Rode au xve siècle. À ce sujet, on renverra aux nombreuses publications de P. Becker. La question des réformes monastiques et donc, de facto, des périodes de crises traversées par les établissements monastiques a essentiellement été traitée pour le Moyen Âge central sur lequel on a eu tendance à projeter des réalités tardo-médiévales. On pourra néanmoins renvoyer à W. Seibrich, « Episkopat und Klosterreform im Spätmittelalter », Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte, 91 (1996), p. 263-338. 4  On pourrait reprendre l’expression de T. Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200, Turnhout, 2015, p. 9, qui évoque « l’instabilité des manuscrits », une notion qui se traduit au niveau codicologique par les concepts théoriques développés par P. Andrist, P. Canart et M. Maniaci, La syntaxe du codex. Essai de codicologie structurale, Turnhout, 2013. 5  À ce sujet, je renvoie à un autre de mes articles à paraître qui recoupera inévitablement certains des propos développés ici : B.  Dubuisson, « Bibliothéconomie et pratiques de l’écrit à Saint-Maximin de Trèves du xiiie au xvie  siècle. Premiers regards sur la base du “grand ­légendier” et d’autres manuscrits hagiographiques », Questes. Revue pluridisciplinaire d’études médiévales. 6  Le découpage « géographique » du sanctoral du grand légendier, partant du centre (Trèves) pour aller vers les périphéries, montre un espace qui, dans ses grandes lignes, correspond à 3 

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plus oublier que Trèves était la métropole d’une province ecclésiastique qui englobait des diocèses situés dans l’actuel Nord-Est de la France, soit ceux de Metz, Toul et Verdun.

1. Le grand légendier : une entreprise monumentale du xiiie siècle Tel qu’il nous est conservé, le grand légendier de Saint-Maximin de Trèves se présente sous la forme de huit volumes in-folio, épais d’environ 160 à 250 feuillets chacun. Un neuvième volume contenant le sanctoral relatif au mois de décembre a disparu7. Cet ensemble organisé per circulum anni couvrait donc l’entièreté de l’année liturgique8.

l’ancienne Lotharingie. Le cœur de la matière hagiographique, soit le contingent des saints « régionaux » est essentiellement fourni par les diocèses de Trèves, Liège et Cologne. Sur  l’espace lotharingien,  cf.  M.  Margue, « Lotharingien als Reformraum (10. bis Anfang des 12. Jahrhunderts). Einige einleitende Bemerkungen zum Gebrauch räumlicher und religiöser Kategorien », dans Lotharingien und das Papsttum im Früh- und Hochmittel­ alter. Wechselwirkungen im Grenzraum zwischen Germania und Gallia, éd. K. Herbers et H. Müller, Berlin-Boston, 2017, p. 14-22 ; M. Parisse, Religieux et religieuses en Empire du xe au xiie siècle, Paris, 2011, p. 32-37. Pour ce qui est des saints lotharingiens, on renverra à T. Bauer, Lotharingien als historischer Raumbildung und Raumbewußtsein im Mittel­alter, Cologne et al., 1997, qui s’est justement appuyé sur des sources du Moyen Âge central et du bas Moyen Âge pour délimiter un contingent régional. On lui a notamment reproché de projeter ces réalités sur le haut Moyen Âge : J. Schneider, Auf der Suche nach dem verlorenen Reich. Lotharingien im 9. und 10. Jahrhundert, Cologne et al., 2010, p. 217-220. Voir depuis T.  Bauer, « Gibt es lotharingische Heiligen ? », dans La  Lotharingie en question. Identités, oppositions, intégration. Actes des 14èmes Journées Lotharingiennes, Luxembourg, 2018, p. 421-456. 7  Lorsque deux bénédictins de la congrégation de Saint-Maur visitèrent l’abbaye en 1718, la collection ne comptait déjà plus que huit volumes : « Il y a aussi un très beau recueil de Vies de Saints distribuées par mois, en huit gros volumes, d’une écriture d’environ six cens ans » : E. Martène et U. Durand, Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la congrégation de S. Maur, vol. 2, Paris, 1724, p. 285. La disparition du volume serait même antérieure à l’entreprise bollandiste ainsi qu’à ses prémices initiées par Héribert Rosweyde (1569-1629). De  fait, on n’en a pas trace dans les Collectanea Bollandiana, ces volumes préparatoires aux Acta Sanctorum, contrairement aux huit autres volumes de la collection. Pourtant, Rosweyde s’était déjà employé, entre 1607 et 1629, à amasser maintes copies de manuscrits, dont certains exemplaires étaient issus de Saint-Maximin : F. Dolbeau, « Les sources manuscrites des Acta Sanctorum et leur collecte (xviie-xviiie siècles) », dans De  Rosweyde aux Acta Sanctorum. La recherche hagiographique des Bollandistes à travers quatre siècles. Actes du Colloque international (Bruxelles, 5 octobre 2007), éd. R. Godding et al., Bruxelles, 2009, p. 118-119. 8  BNF, lat. 9741 (janvier) ; Trèves, Stadtbibliothek, 1151/453 (février-avril) ; 1151/454 (maijuin) ; 1151/455 (juin-juillet) ; BNF, lat.  9742 (août) ; Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 35 (septembre) ; Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456 (octobre) ; Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 36 (novembre).

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Qualifié dès la fin du xixe siècle, de « grand légendier » (Das große Trierer Legendar)9, la collection de Saint-Maximin ne se démarque pourtant pas en raison de son format10 : ses volumes figurent dans la norme des manuscrits médiévaux et se classent même loin derrière les légendiers italiens du xiie siècle par exemple11. C’est donc bien par le biais de la densité de son sanctoral que le légendier de Saint-Maximin peut être qualifié de « grand » puisque la collection regroupait à l’origine plus de 400  dossiers hagiographiques, ce qui en fait l’un des ultimes témoins de l’accroissement du sanctoral des recueils hagiographiques occidentaux ainsi que l’un des plus amples légendiers latins du Moyen Âge12 . À ce titre, il fait partie du cercle restreint de ces amples recueils auxquels on a attribué une appellation spécifique : il s’agit des « grands légendiers » (Magna legendaria) d’Autriche et de Flandre L’expression remonte à B.  Krusch, « Reise nach Frankreich im Frühjahr und Sommer 1892 », Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde, 18 (1893), p. 618. 10  Les huit volumes conservés, abstraction faite des quelques millimètres de rognage, sont tous de dimensions similaires, à savoir, en moyenne, 33,33 × 23,24 cm. En additionnant la somme de la hauteur et de la largeur de chaque manuscrit, puis en calculant la moyenne, on obtient 565,63 mm, ce qui permet de classer les volumes du grand légendier parmi les livres de format « moyen-grand » : C. Bozzolo et E. Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen Âge. Trois essais de codicologie quantitative, Paris, 1983, p. 218 ; quant à leurs proportions (sur la base du rapport de la largeur divisée par la hauteur), elles se rapprochent de la constante définie pour un échantillon de manuscrits allant du viiie au xiiie siècle, en se situant entre 0,60 et 0,80, voire même entre 0,67 et 0,72 pour la grande majorité des cas : J. P. Gumbert, « The Sizes of Manuscripts. Some Statistics and Notes », dans Hellinga Festschrift. Forty-three Studies in Bibliography presented to Prof. Dr. Wytze Hellinga on the occasion of his retirement from the Chair of Neophilology in the University of Amsterdam at the end of the year 1978, éd. A. R. A. Croiset van Uchelen, Amsterdam, 1980, p. 285. 11  G. Philippart, Les légendiers latins, p. 37-38, a dressé un tableau comparatif des dimensions des légendiers latins contenant la Passio Cypriani. Le grand légendier de Saint-Maximin, représenté par son volume du mois de septembre, se situe en effet en-deçà des trois quarts des manuscrits pris en compte par l’auteur, qui mesurent entre 350 et 470 mm et est à ce titre classé parmi les manuscrits dits « plus petits ». De la même manière, le grand légendier ne se plie pas aux observations concernant l’évolution des légendiers des Pays-Bas méridionaux qui, à partir du xiie  siècle, « mesuraient d’habitude plus de 40  ×  25  cm » : T.  Snijders, Manuscript Communication, p. 366. 12  G. Philippart, Les légendiers latins, p. 39-40, présente un second tableau comparatif relatif cette fois à l’ampleur du sanctoral des légendiers latins contenant la Passio Cypriani. Pour la « période classique » (ixe-xiiie  siècle), le grand légendier de Saint-Maximin n’est dépassé de justesse que par deux exemplaires du grand légendier d’Autriche (fin xiie-­début xiiie  siècle). Si  l’on se limite strictement à la région rhéno-mosane, il faudra attendre le xve  siècle pour que la collection de Jean Gielemans (1470) de l’abbaye de Rouge-Cloître dépasse en ampleur le grand légendier de Saint-Maximin. Il faut toutefois noter que cette collection constitue un exemple de légendier latin tardif tout à fait exceptionnel. Ibid., p. 37. Sur Jean Gielemans, cf. V. Souche-Hazebrouck, Spiritualité, sainteté et patriotisme : glorification du Brabant dans l’œuvre hagiographique de Jean Gielemans (1427-1487), Turnhout, 2007. 9 

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ou encore du Liber de Natalitiis, trois collections constituées au tournant des xiie-xiiie siècles, dont la diffusion s’est concentrée dans une aire géographique spécifique avec une présence toute particulière en milieu cistercien. Toutefois, contrairement au « grand légendier de Trèves », dénomination qui ne concerne que l’unique exemplaire maximinien13, ces collections sont connues et ont été reconstituées à travers une série de légendiers témoins souvent incomplets14. Chronologiquement parlant, l’historiographie attribue au grand légendier le terminus post quem de  1235, date de la canonisation d’Élisabeth de Hongrie dont le dossier figure dans le volume de novembre (BHL  2493 et 2509)15. Mes investigations ont permis de confirmer que le grand légendier avait bel et bien été produit dans le courant des années 1230-1240, soit sous les abbatiats respectifs de Bartholomé d’Esch et de Henri III de Bruch16, à L’abbaye bénédictine voisine de Saint-Euchaire/Matthias a pu posséder un voire deux grand(s) légendier(s). On conserve en effet deux volumes (Trèves, Stadtbibliothek, 1152/776 et Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 5) du xiie siècle qui partagent un programme hagiographique très proche de celui du légendier de Saint-Maximin, bien que ce dernier ait été amplifié. 14  G.  Philippart, Les légendiers latins, p.  37-40. La  collection connue sous le nom de Magnum Legendarium Austriacum est née à la fin du xiie  siècle et s’est diffusée jusqu’au xve siècle dans une série d’établissements monastiques, principalement cisterciens, situés sur le territoire de l’actuelle Autriche : D. Ó Riain, « The Magnum Legendarium Austriacum : a new investigation of one of medieval Europe’s richest hagiographical collections », Analecta Bollandiana, 133 (2015), p. 99-106 ; A. Kern, « Magnum Legendarium Austriacum », dans Die Österreichische Nationalbibliothek. Festschrift zum 25-jährigen Dienstjubiläum des Generaldirektors Univ.-Prof. Dr.  Josef Bick, éd.  J.  Stummvoll, Vienne, 1948, p.  429-434. De son côté, le Legendarium Flandrense constitue une collection d’origine cistercienne née au début du xiiie siècle en Flandre maritime, dont une version plus ample s’est ensuite répandue dans le Cambrésis, le Hainaut et l’Artois : S. Lecouteux, « Les anciens légendiers de Cambrai (xe-xiie s.) : structures et parenté avec le “grand légendier de Flandre” (Legendarium Flandrense) », dans Le livre et l’écrit : texte, liturgie et mémoire dans l’Église au Moyen Âge, éd. J.-L. Deuffic, Turnhout, 2012, p. 109-184 ; F. Dolbeau, « Nouvelles recherches sur le “Legendarium Flandrense” », Recherches augustiniennes, 16 (1981), p. 399-455. Enfin, le L ­ iber de Natalitiis est une collection en six volumes qui fut majoritairement diffusée dans les abbayes cisterciennes du nord de la France entre la fin du xiie et le xive siècle : F. Dolbeau, « Notes sur la genèse et sur la diffusion du Liber de natalitiis », Revue d’histoire des textes, 6 (1976, publiée en 1978), p. 143-195 ; H. Rochais, Le Liber de natalitiis et autres légendiers du Moyen Âge, 3 vol., Rochefort, 1975. 15  Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 36, fol. 92r-99v. À propos d’Élisabeth de Thuringe, cf. R. Folz, Les saintes reines du Moyen Âge en Occident (vie-xiiie siècles), Bruxelles, 1992, p. 105-129. 16  Sur ces deux abbés, cf. Die Benediktinerabtei St. Maximin vor Trier, éd. B. Resmini, vol. 2, Berlin-Boston, 2016, p. 1066-1069. Ils sont tous deux mentionnés dans l’obituaire du livre du chapitre (Trèves, Stadtbibliothek, 1634/394, fol.  139v-151r), respectivement le 28  février (fol. 141r : Henricus, abbas hujus loci, fundator hospitalis sanctae Elysabeth) et le 14 novembre (fol. 150r : Bartholomeus abbas hujus loci, qui plura beneficia fecit fratribus). 13 

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un moment charnière de l’histoire de l’ancienne abbaye impériale. De fait, d’après l’historiographie, Saint-Maximin aurait connu, après sa soumission à l’archevêque de Trèves en 113917, un important déclin ayant eu des conséquences néfastes sur l’activité de son scriptorium18, ce qui poussait notamment Anton Chroust à considérer le grand légendier comme une production de l’abbaye voisine de Saint-Matthias19. Pourtant, dans la première moitié du xiiie siècle, un concours de circonstances permit à l’abbaye de retrouver un certain dynamisme20. En 1231, on K.  Krönert, « Bernard de Clairvaux et l’affaire de Saint-Maximin de Trèves : entre idéaux réformateurs et relations amicales », Revue du Nord, 391-392 (2011), p.  779-794 ; J.  R. Müller, Vir religiosus ac strenuus. Albero von Montreuil, Erzbischof von Trier (1132-1152), Trèves, 2006, p. 387-420 et 625-658 ; H. Büttner, « Der Übergang der Abtei St.  Maximin an das Erzstift Trier unter Erzbischof Albero von Montreuil », dans Festschrift Ludwig Petry, éd. J. Bärmann, K. G. Faber et A. Gerlich, vol. 1, Wiesbaden, 1968, p. 65-77. 18  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 273-277. En réalité, le devenir des abbayes est relativement peu connu en ce qui concerne la seconde moitié du xiie  siècle. Certains établissements, tels que Stavelot, Gembloux, Saint-Trond ou encore Saint-Hubert, connurent d’importants problèmes financiers. De manière générale, la littérature scientifique a mis en exergue l’important déclin spirituel ayant frappé les abbayes bénédictines au tournant des xiie et xiiie siècles : T. Snijders, Manuscript Communication, p. 35 ; P.-J. De Grieck, De benedictijnse geschiedschrijving, p. 74 sqq. 19  D’après F. Avril et C. Rabel, Manuscrits enluminés d’origine germanique, vol. 1, Paris, 1995, p.  148. Comme noté plus haut, cette abbaye bénédictine voisine possédait depuis le xiie  siècle au moins deux légendiers partageant une partie significative du programme du légendier de Saint-Maximin, du moins en ce qui concerne les mois de janvier à mars : cf. n. 13. Or, comme le soulignait G. Philippart, Les légendiers latins, p. 101, les collections hagiographiques latines se seraient diffusées à la manière de la « boule de neige » : un tronc commun aurait été copié d’un recueil à un autre tout en étant continuellement augmenté par l’ajout de textes locaux ou à faible diffusion. Que ce tronc commun inclue les deux légendiers de Saint-Matthias n’aurait rien de surprenant : outre la proximité géographique, deux abbés de Saint-Matthias furent abbés d’Echternach avant Bartholomé d’Esch. Les collections hagiographiques du tournant des xiie-xiiie siècles de ces trois abbayes bénédictines – Saint-Maximin, Saint-Matthias et Saint-Willibrord d’Echternach  – présentent donc nécessairement des similitudes. Dès lors, on ne pourra pas étudier l’un de ces légendiers sans prendre en compte les autres de même que l’intégralité du « patrimoine hagiographique » de ces trois établissements. 20  À partir du second quart du xiiie siècle, une entente cordiale et une étroite collaboration entre l’abbaye et les archevêques de Trèves fut initiée, tant au niveau religieux que politique : B. Resmini, « Adler und Bär. Aspekte zur verfassungsmäßigen Stellung der Abtei St. Maximin im späten Mittelalter und in der frühen Neuzeit », Jahrbuch für westdeutsche Landesgeschichte, 30 (2004), p. 38. Lors de l’absence du métropolitain, il revenait à l’abbé de Saint-Maximin le droit d’exercer certains pouvoirs épiscopaux, notamment lors de la procession du dimanche des rameaux. Il  jouissait également d’une place particulière lors de la célébration des stationes, ces actions liturgiques menées par l’archevêque et le clergé urbain. Cette position de première des abbayes tréviroises se marque encore dans les listes de témoins des synodes diocésains de cette époque : le nom de l’abbé y figure après celui des archidiacres, du prévôt du chapitre cathédral et des prévôts des grands chapitres collégiaux 17 

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assista notamment à la consécration de quatre nouveaux autels au niveau de la crypte extérieure par l’archevêque Thierry II de Wied. Entretemps, l’église, menacée par la ruine et lourdement endommagée à la suite d’un incendie, fut l’objet d’importants travaux et se fit nouvellement consacrer avec huit autels le 28  juin 1245 par l’archevêque de Cologne en présence de l’élu de Trèves, Arnold d’Isenbourg, de l’archevêque de Mayence ainsi que d’autres évêques21. Cette époque vit également la mise en place du liber aureus, un caret devance ceux des autres abbés : Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 269-293. Cette position prédominante doit toutefois être nuancée. Pour P.  Becker, « Die  monastische Observanz in den Trierer Abteien St. Eucharius-St. Matthias und St. Maximin bis zum 15. Jahr­ hundert. Versuch eines Überblicks », Kurtrierisches Jahrbuch, 7 (1967), p. 28, c’est l’abbaye bénédictine de Saint-Matthias qui jouissait du statut de primus inter pares. En  1218, le pape Honorius  III chargea en effet les abbés des abbayes bénédictines de Saint-Matthias de Trèves et de Saint-Èvre de Toul, ainsi que les abbés cisterciens d’Himmerod et de Wörschweiler, de réformer les abbayes bénédictines de la province ecclésiastique de Trèves. Le choix de Saint-Matthias au détriment de Saint-Maximin s’expliquerait par le fait que l’ancienne abbaye impériale n’avait pas su surmonter son passage au statut d’Eigenkloster épiscopal. Pourtant, les efforts considérables déployés par les abbés successifs de la première moitié du xiiie siècle ainsi que le soutien de l’archevêque Thierry II de Wied contribuèrent à redonner à Saint-Maximin une certaine vigueur. La  situation s’explique en fait davantage par le contexte politique de l’époque avec le conflit opposant l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen à la papauté. Alors que l’archevêque de Trèves soutenait le parti impérial, l’abbé de Saint-Matthias, Jacob (1212-1257), qui était issu de la famille des ducs de Lorraine, prit soin de se maintenir à l’écart des querelles et continua à entretenir de bonnes relations avec la papauté. Ceci expliquerait dès lors l’importance toute particulière accordée par Thierry II de Wied à Saint-Maximin. Dans une contribution plus récente, Becker insistait d’ailleurs sur le fait que l’âge d’or de Saint-Matthias fut révolu dès le début du siècle : P. Becker, « Trier. St. Eucharius – St. Matthias », dans Die Männer- und Frauenklöster der Benediktiner in Rheinland-Pfalz und Saarland, éd. F. Jürgensmeier, Sainte-Odile, 1999, p. 906-907. 21  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 70 et 286. Les notes de dédicace des autels de 1231 sont éditées dans les MGH, SS, vol. 15, 2, p. 1269-1272. Aucun détail ne nous est parvenu concernant les reliques des huit autels consacrés en 1245. En tout cas, la reparatio chori eut encore des résonnances aux siècles ultérieurs. Dans sa Series abbatum imperialis monasterii S. Maximini, le jésuite luxembourgeois Alexander Wiltheim (1604-1684) accorda à cet événement une importance toute particulière, le faisant figurer parmi les six grands événements ayant marqué l’histoire du monastère jusqu’à son époque (cf.  Bruxelles, Bibliothèque Royale, II  6835-36) : (1)  La  fondation de l’abbaye sur ordre de Constantin et de sa mère Hélène ; (2) Les destructions successives par les Vandales (433) et par les Huns (453) ; (3) La destruction par les Normands (883), la redécouverte miraculeuse du corps de saint Maximin et la reconstruction par l’abbé Ogon, futur évêque de Liège ; (4) La restauration à proprement parler du chœur et sa consécration en 1245 ; (5) La destruction de l’abbaye après le départ du mercenaire François de Sickingen (1522) et sa reconstruction sous l’abbé Jean III Schienen de Zell en 1533 ; (6) La destruction de l’abbaye par le feu sur ordre du marquis de Brandebourg en  1553. Texte édité dans Compte-rendu des séances de la commission royale d’Histoire, ou recueil de ses bulletins, 5 (1842), p. 7-31, voir particulièrement les p. 7 et 16. Le moine Nicolas Novillanius (1579-1618), auteur du Chronicon Imperialis Monasterii S. Maximini O.S.B. prope Treviros. Ab anno Christi CCCXXXIII. ad annum MDLXXXII., n’est pas non plus

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tulaire prestigieux rassemblant les actes entérinant les droits et les privilèges de l’abbaye22 . À côté de ce dernier, l’atelier de l’abbaye se lança également dans une vaste campagne de production de manuscrits à laquelle se rattachent les volumes du grand légendier23. Cette entreprise, à laquelle on peut imputer pas avare d’informations et fournit le détail des notes de dédicaces des autels consacrés en 1231. Le  texte est édité dans J.  N. von  Hontheim, Prodromus Historiae Trevirensis, vol.  2, Augsbourg, 1757, p. 1019-1022. Au sujet de Novillanius, voir Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1180-1182. 22  Tirant leur appellation de leurs couvertures précieuses, les Libri aurei sont de prestigieux cartulaires propres aux abbayes de Prüm, d’Echternach et de Saint-Maximin de Trèves. Alors que celui de Prüm fut établi dès le début du xiie siècle, le deuxième et le troisième datent tous deux du tournant du xiiie siècle. Or, ces Libri aurei d’Echternach et de Saint-Maximin ont en commun l’intervention de l’abbé Bartholomé d’Esch, qui détenait Echternach et Saint-Maximin en union personnelle depuis 1214. Du Liber aureus maximinien, détruit après la sécularisation de l’abbaye en 1807, on ne conserve que deux copies dressées respectivement au xive siècle – Coblence, Landeshauptarchiv, Best. 211, no 2111, fol. 4s – et au xviie siècle sous l’abbatiat d’Alexandre Henn (1680-1698) – Trèves, Stadtbibliothek, 1632/396, p. 1-343 – ainsi qu’une plaquette d’ivoire provenant de la couverture. Cette dernière fut cependant détruite en  1945 lors d’un bombardement de Berlin. Les  copies manuscrites du Liber aureus présentent l’avantage d’indiquer la foliotation d’origine du document. Compilant un cartulaire (fol. 6r-78v), un polyptyque (fol. 79r-125v) et un registre de rentes (fol. 126v-139r), l’ouvrage constitue une actualisation de documents préexistants établis à la charnière des xiie et xiiie siècles. Impossible cependant de préciser, sur la base des seules copies, le moment précis auquel le travail a abouti. Le dernier acte concernant l’abbatiat de Bartholomé remonte à 1228, bien que le noyau dur du Liber ait pu être fixé dès 1219, 1222 ou 1225. Outre son programme diplomatique, le Liber aureus de Saint-Maximin est surtout connu pour sa couverture précieuse, fabriquée entre 1220 et 1240 et attribuée à un groupe d’orfèvres actifs dans les années 1225-1250. Malheureusement détruite, on ne conserve de cette dernière qu’une vue d’artiste à l’aquarelle et une gravure de détail datant respectivement de 1731 et 1638. Si l’ensemble des bienfaiteurs royaux de l’abbaye, légendaires ou attestés, est représenté sur cette couverture, celle-ci met avant tout l’accent sur les possessions de l’abbaye puisque les noms des donations sont associés aux figures des bienfaiteurs. À l’instar du contenu du manuscrit, elle n’avait donc pas pour objectif de manifester une volonté de recouvrer le statut perdu de Reichsabtei mais plutôt d’attester de l’ancienneté de l’histoire abbatiale, d’adapter celle-ci au nouveau statut d’abbaye épiscopale et enfin de consolider et d’ancrer par l’écrit les possessions de l’institution. La mise par écrit d’un document tel que le Liber aureus a nécessairement été réalisée au sein du scriptorium de l’abbaye, seul endroit où la manipulation, la copie et la réécriture du corpus issu du chartrier a pu se concrétiser. R. Nolden, Das goldene Buch von Prüm : Liber aureus Prumiensis (StB Trier, Hs 1709). Ein Kopiar mit Urkunden­ abschriften des 8. bis 12. Jahrhunderts, Trèves, 2013 ; M. Margue, « Libertas ecclesiae. Réformes monastiques et réécriture de l’histoire dans l’espace lotharingien (xe-xiie s.). Le cas de l’abbaye d’Echternach », dans Écrire son histoire. Les communautés régulières face à leur passé. Actes du 5e colloque international du C.E.R.C.O.R. ; Saint-Étienne, 6-8 novembre 2002, éd. N. Bouter, Saint-Étienne, 2006, p. 107-123 ; C. Sauer, Fundatio und Memoria. Stifter und Klostergründer im Bild (1100 bis  1350), Göttingen, 1993, p.  215-216 et 246-279 ; H.  W. Kuhn, « Das politische Programm des Liber aureus von St. Maximin (Trier). Untersuchungen über Chartular und Prachteinband aus dem 13. Jahrhundert », Jahrbuch für westdeutsche Landesgeschichte, 4 (1978), p. 81-128. 23  Cf. B. Dubuisson, « Bibliothéconomie ».

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moins de 16 manuscrits ainsi que des fragments, fut probablement chapeautée par le prieur Frédéric qui est attesté pour les années 1232 à 124024. Son nom est référencé dans deux des volumes du grand légendier ainsi que dans un volume des gloses sur les épîtres de Paul de Pierre Lombard, aujourd’hui en mains privées25. Par ailleurs, la mémoire du prieur est également célébrée dans l’obituaire du livre du chapitre où l’on insiste notamment sur son rôle dans les activités livresques de l’institution26. Tout en tenant compte des aléas de la conservation, le nombre très limité de manuscrits hagiographiques provenant de Saint-Maximin antérieurs au grand légendier permet de supposer que c’est probablement sur la base d’une autre collection que la plupart des textes des volumes du grand légendier furent copiés27. Or, la comparaison de son sanctoral avec celui de plusieurs autres reliquats de légendiers provenant de l’abbaye voisine de Saint-Matthias a permis de mettre en évidence un tronc commun qui pose la question de la diffusion d’une collection dans la région de Trèves vers le tournant des xiie-xiiie siècles28. Quant au sanctoral du légendier, la confrontation des volumes de la collection avec une série de documents, essentiellement des calendriers, montre que les textes dédiés aux saints les plus importants de l’abbaye, notamment ceux dont elle possédait des reliques, figurent bel et bien au sein de la collection. Il  faut préciser que c’est essentiellement grâce à deux documents figurant au sein du livre du chapitre, soit le martyrologe ainsi qu’une liste

Die Benediktinerabtei, vol.  2, p.  1153-1154 ; G.  Kentenich, « Das Trierer Kunsthandwerk in seiner geschichtlichen Entwicklung », Trierische Heimatblätter, 1  (1922), p.  62-64 et 177-183. 25  Hunc librum comparavit bone memorie prior Fridericus. Cf. BNF, lat. 9741, p. 452 ; lat. 9742, p. 321 ; K. von Rózycki, « Die Freiherrlich v. Cramer-Klettsche Schloßbibliothek in Hohenaschau », Zeitschrift für Bücherfreunde, Neue Serie, 7 (1915/16), p. 115. 26  Trèves, Stadtbibliothek, 1634/394, fol.  139v-151v (c.  1260), 20  mai (fol.  144r) : Fridericus prior nostrae congregationis qui hanc ecclesiam in aedificis, libris et ornamentis multum emendavit. Cette mention nécrologique relative à un membre de la communauté est la seule qui ait été intégralement transcrite à l’encre rouge à côté du nom des grands bienfaiteurs princiers et archiépiscopaux. Les noms des abbés Bartholomé d’Esch (14/11) et Henri III de Bruch (28/02) ont quant à eux été soulignés d’un trait rouge. Dans un nécrologe présent dans le même manuscrit (fol. 93r-139r, c. 1180), une main postérieure a ajouté à l’encre rouge la mention du prieur Frédéric, mais au 21  mai (Fridericus prior, sacerdos et monachus nostrae congregationis). À propos de ce nécrologe, cf. D. Geuenich, « Eine unveröffentlichte Verbrüderungsliste des 12. Jahrhunderts aus St. Maximin/Trier », Rheinische Vierteljahrsblätter, 41 (1977), p. 180-195 ; F. Roberg, Das älteste ‘Necrolog’ des Klosters St. Maximin vor Trier, Hanovre, 2008, p. 58. 27  Cf. B. Dubuisson, « Bibliothéconomie ». 28  Cf. n. 13 et 19. 24 

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très fournie de Vies et de passions de saints organisée sous la forme d’un calendrier29, que je suis parvenu à rétablir les dates de célébration d’un certain nombre de saints dont la présence au sein de tel ou tel volume pouvait paraître incongrue, d’autant plus que tous ne faisaient pas partie du sanctoral maximinien traditionnel. Avant de passer au point suivant, il faut relever que, dans le grand légendier, le classement de la matière hagiographique suivant le déroulement de l’année liturgique n’est pas strictement respecté30. En effet, chaque volume peut être scindé en blocs de légendes induisant des ruptures du circulus anni qui traduisent très certainement un travail par groupes de copistes31. Par ailleurs, il convient également de souligner que le légendier n’a pas été intégralement terminé au xiiie siècle. En effet, une série d’initiales ainsi que les titres Trèves, Stadtbibliothek, 1634/394, fol. 1-6 (calendrier hagiographique), fol. 15v-56r (mar­tyrologe). Il s’agit là d’un trait propre aux grandes collections : la copie des textes se faisait parfois au compte-gouttes, en fonction de l’arrivage de modèles qui pouvait s’étaler dans le temps. Voir à ce sujet le témoignage du compilateur d’un légendier du xiie siècle de l’abbaye de Fulda : B.  Vogel, « Hagiographische Handschriften im 12.  Jahrhundert », dans Europa an der Wende vom 11. zum 12. Jahrhundert. Beiträge zu Ehren von Werner Goez, éd. K. Herbers, Stuttgart, 2001, p. 211. 31  L’uniformité du grand légendier se marque au niveau de la mise en texte des volumes puisqu’une même écriture praegothica a servi de modèle de référence à l’ensemble des copistes. Plusieurs collaborateurs ont œuvré à la transcription des textes et se sont fréquemment relayés. Toutefois, l’homogénéité qui se dégage de leur travail rend toute identification des mains extrêmement délicate. L’étudier impliquerait par ailleurs de se pencher plus en avant sur les autres manuscrits liés à la même campagne de production. Sur la base de la structure codicologique que j’ai dégagée pour chaque volume, il est toutefois possible de repérer des « blocs » de légendes couvrant chacun un nombre aléatoire de jours. C’est l’agencement de ces ensembles, les uns à la suite des autres, qui constitue en quelque sorte la colonne vertébrale de chaque volume. Chaque ensemble commence et se termine par une légende, de sorte qu’aucune œuvre ne chevauche deux cahiers à l’endroit de la jonction des blocs. Souvent, le saut d’un bloc à un autre se traduit par un changement de main, parfois aussi par un changement du procédé de réglure (pointe sèche ou pointe traçante). Les  copistes semblent donc avoir agi en groupes de travail chargés de transcrire un certain nombre d’œuvres. Le produit de leur labeur respectif, s’articulant en une série de cahiers, fut ensuite adjoint à celui des autres pour former finalement les différents volumes du légendier. À propos de la collaboration entre copistes, voir les articles regroupés à ce sujet dans La collaboration dans la production de l’écrit médiéval. Actes du XIIIe  colloque du Comité International de Paléographie Latine, éd.  H.  Spilling, Paris, 2003. La subdivision du travail par groupes de scribes a également été mise en évidence par M. Maniaci concernant la production de « bibles atlantiques » (i.e. bibles de grand format, produites à partir du xie siècle). La mise par écrit des différents livres était confiée à différentes équipes, après quoi le travail de chacun était assemblé, ce qui donnait parfois lieu à certaines incohérences : parmi d’autres travaux, voir : M. Maniaci, « L’officina delle Bibbie atlantiche : artigiani, scribi, miniatori », dans Come nasce un manoscritto miniato. Scriptoria, tecniche, modelli e materiali, éd. F. Flores d’Arcais et F. Crivello, Modène, 2010, p. 197-212. 29 

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rubriqués de plusieurs textes, dont certains dédiés à des saints de première importance dans le sanctoral de l’abbaye, y compris des saints patrons, n’avait tout simplement pas été apposés. Dès lors, le caractère non systématique du classement per circulum anni, l’absence de la date de la fête des saints dans les intitulés rubriqués des légendes, voire l’absence pure et simple de ces titres devait faire du grand légendier un ensemble de volumes assez peu pratique pour les lectures quotidiennes aux offices ou au réfectoire. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas un hasard si les seules annotations évoquant clairement un tel usage remontent à la toute fin du Moyen Âge, après que le grand légendier ait subit un certain nombre d’interventions destinées à en améliorer la consultation32 . Ces modifications s’échelonnèrent jusqu’au début du xvie siècle et leur compréhension nécessite tout d’abord une remise en contexte plus large.

2. Les entreprises bibliothéconomiques des xive-xvie siècles À Saint-Maximin de Trèves, le regain d’activité de la première moitié du xiiie siècle fut suivi d’une période moins faste dès la seconde moitié du xive siècle. Alors que la communauté regroupait 35 à 45  moines au xiiie  siècle, ce nombre chuta à neuf en 1373 puis à six ou cinq en 1434. Par ailleurs, certaines parties des bâtiments partirent en fumée en 1325 tandis qu’une série de conflits opposèrent l’abbaye à l’archevêque et aux bourgeois de Trèves, les seconds allant jusqu’à détruire l’abbaye en 1433/1434 avec l’assentiment du premier. Enfin, au niveau économique, la situation de l’institution était devenue déplorable, du fait notamment d’abbés dépensiers, si bien que dans les années 1440, l’abbaye était criblée de dettes et menaçait faillite33. Face à cette dégradation de la vie monastique et de la situation matérielle de l’abbaye, plusieurs tentatives de redressement furent initiées34. Dans la seconde moitié du xive siècle, l’abbé Rorich d’Eppelborn (1369-1411), lança un projet de restauration, marqué notamment par le

On relève deux annotations marginales remontant au tournant des xve-xvie siècles invitant à poursuivre la lecture au réfectoire et au chœur. BNF, lat. 9742, p. 71 : Hoc continuatur in refectorio ; Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 36, fol. 138r : Hic continuatur lectiones in choro. 33  Les problèmes de recrutement, les conflits et faits de guerre ainsi que les problèmes financiers sont en effet les maux qui frappèrent de nombreux établissements monastiques à cette époque : P.-J. De Grieck, De benedictijnse geschiedschrijving, p. 92-98. 34  Pour un aperçu général des tentatives de restauration de la vie monastique à Saint-Maximin, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 290-293 (xive siècle) et p. 294-316 (xve siècle). 32 

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renouvellement de la liturgie et une tentative d’assainissement des finances35. Bien que l’on connaisse assez mal les tenants et aboutissants de ses actions, on conserve de cette époque un inventaire daté du 13 mai 1393 recensant des livres, seul autre document fournissant un aperçu du contenu de la bibliothèque à côté du catalogue du xiie siècle qui détaillait celui de l’armarium36. Revêtant un caractère officiel, ce document fut rédigé sur ordre de l’abbé par le prêtre de Tylo, au sujet duquel on ne sait rien, en présence du prieur Engelbert de Blankenheim et du moine Nicolas de Redeling le 13 mai 1393, jour de la Saint-Servais37. Qualifié à tort de « catalogue »38, cet inventaire témoigne d’une profonde méconnaissance des livres détenus par l’institution, hormis ceux utilisés quotidiennement au chœur pour la liturgie39, et ainsi d’une vo-

Au sujet de l’abbé Rorich, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1076-1079. Outre l’inventaire dont il sera ici question, il fit également rédiger un ordinaire pour réorganiser la liturgie (Trèves, Stadtbibliothek, 1635/48, fol. 60r-87v) : P. Becker, « Die monastische Observanz », p. 31. 36  Cet inventaire est transcrit à la toute fin d’un manuscrit aujourd’hui conservé aux Landeshauptarchiv à Coblence (Best. 211, no 2111, p. 168-170), à la suite d’une copie du Liber aureus. Il est édité, de même que le catalogue du xiie siècle, dans M. Keuffer, « Bücherei und Bücherwesen von S. Maximin im Mittelalter », Jahresbericht der Gesellschaft für nützliche Forschungen zu Trier von 1894 bis 1899, (1899), p. 48-94 (p. 54-58). Voir également I. Knoblich, Die Bibliothek des Klosters St. Maximin bei Trier bis zum 12. Jahrhundert, Trèves, 1996. 37  Au sujet d’Engelbert de Blankenheim et de Nicolas de Redeling, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1157 et 1235. 38  « Le catalogue se distingue du simple inventaire par la présence d’une classification (alphabétique par noms d’auteurs et titres d’anonymes, alphabétique par sujet, systématique par matières, ou autre) » : A. Derolez, Les catalogues de bibliothèques, Turnhout, 1979, p. 15 ; cet aspect est en l’occurrence absent du document de 1393. 39  Notandum, quod omnes libri, quibus utimur in choro, non sunt registrati ; sed sola volumina librorum in byblioteca scripta sunt. Il existait peut-être un autre catalogue recensant également les manuscrits du chœur. En  effet, l’intitulé du document, Primo libri collacionum, laisse entendre que d’autres inventaires de la sorte existaient. Nous n’en avons malheureusement aucune trace. Le terme de collatio renverrait ici au sens de « réunion » ou d’« assemblage », en ce sens qu’on aurait rassemblé tous les livres de la bibliothèque (peut-être dans des coffres ou dans des armoires) pour en dresser l’inventaire. On aurait également pu interpréter le terme comme renvoyant à la collatio monastique, ce qui aurait alors fait de cet inventaire un répertoire des livres qui pouvaient être lus au chapitre. Toutefois, la différence clairement établie entre les livres de la bibliothèque et les livres utilisés au chœur, le caractère officiel du recensement ainsi que le nombre très important d’ouvrages référencés de nature très diverse rend ce raisonnement peu probable. Pour comparer, on pourra consulter d’autres listes de lecture pour la collatio : D. Nebbiai-Dalla Guarda, « Les listes médiévales de lectures monastiques. Contribution à la connaissance des anciennes bibliothèques bénédictines », Revue Bénédictine, 96 (1986), p. 271-326. Cf. également F. Dolbeau, « À propos des lectures de table. Présentation de trois calendriers cisterciens renvoyant à des légendiers », Les cisterciens et la transmission des textes (xiie-xviiie siècles), éd. T. Falmagne, D. Stutzmann et A.-M. Turcan-Verkerk, Turnhout, 2018, p. 402-403 et 404-405. 35 

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lonté de réagir contre le profond laisser-aller dans la gestion de la bibliothèque40. En tête des ouvrages listés, on retrouve les neuf volumes du grand légendier41. L’établissement de ce document serait donc l’une des premières tentatives de réorganisation du fonds de livres42 . L’entreprise lancée par l’abbé Rorich ne fut toutefois que la première étape d’un long travail qui allait connaître ultérieurement des développements plus importants. En 1436, deux ans après avoir été détruite à la suite d’une querelle avec l’élu de Trèves, Ulrich de Manderscheid, l’abbaye de Saint-Maximin introduisit en l’adaptant le coutumier de Jean Rode († 1439), abbé et réformateur Les manuscrits sont listés en groupes, pêle-mêle, les uns à la suite des autres sans que transparaisse de véritable logique de classement. À la fin de chaque regroupement, on a indiqué la somme des volumes en « pièces entières » (summa voluminum pecie integre). Au  total, 159 volumes ou pièces sont ainsi recensés (summa summarum voluminum : CLIX pecie integre), abstraction faite d’une série de livres jugés de moindre valeur (Item multi alii libri modici valoris). L’utilisation du terme « pecia » renvoie à une notion employée dans le monde universitaire où les œuvres étaient reproduites à la chaine par le système des « peciae », luimême inspiré de la subdivision du travail des moines copistes au sein des scriptoria monastiques : H.  V. Schooner, « La  production du livre par la pecia », dans La  production du livre universitaire au Moyen Âge. Exemplar et pecia, éd.  L.  J. Bataillon, G.  Guyot et R.  H. Rouse, Paris, 1991, p.  17-37. Dans le contexte de l’inventaire, le terme de « pecia » ne renvoie cependant pas à ce système mais est employé comme synonyme de « volumen », puisque l’addition des titres listés correspond bien aux sommes indiquées à la fin de chaque regroupement ainsi qu’au total final. Il convient de noter qu’à la suite de chaque élément listé, on donne des précisions d’ordre matériel sur le volume en question (« in uno/magno/parvo/ antiquo/… volumine »). À une seule occasion, le même volume est cité à deux reprises (« in eodem volumine ») mais n’est finalement comptabilisé qu’une seul fois. On l’aura compris, ici, le terme de « pecia » doit donc être compris dans son acception « d’unité de compte » : L. J. Bataillon, « Exemplar, pecia, quaternus », dans Vocabulaire du livre et de l’écriture au moyen âge. Actes de la table ronde. Paris 24-26 septembre 1987, éd. O. Weijers, Turnhout, 1989, p. 210-211. 41  Cf. B. Dubuisson, « Bibliothéconomie », en part. les tableaux annexes. 42  Le contenu de l’ancien armarium, tel qu’il transparaît dans le catalogue du xiie siècle et auquel il faut ajouter les manuscrits produits avant 1393, avait sans doute été dispersé à travers les bâtiments claustraux suivant les besoins des moines. Outre cet aléa de la conservation, il faut également tenir compte des « accidents » naturels ou causés par l’homme (vols, humidité, feu, parasites et rongeurs). Ce n’est sans doute pas un hasard si le mot « byblioteca » est désormais expressément mentionné comme lieu de conservation des manuscrits. On voit en effet apparaître, à partir du xiiie siècle, les premières véritables bibliothèques monastiques. Celles-ci remplacèrent progressivement les armaria, ces petits locaux, dépôts ou armoires qui avaient prévalu jusqu’au xiie  siècle. La  première mention d’une bibliothèque pour Saint-Maximin, à l’extrême fin du xive  siècle, doit dès lors être mise en lien avec la multiplication des bibliothèques monastiques aux derniers siècles du Moyen Âge : X. Hermand, « Comment les communautés religieuses géraient-elles leur bibliothèque (Pays-Bas méridionaux, xive-xve siècles) ? », dans Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge. Formes, fonctions et usages des écrits de gestion. Actes du colloque international organisé à l’université de Namur (FUNDP) les 8 et 9 mai 2008, éd. Id., J.-F. Nieus et É. Renard, Paris, 2012, p. 355-361. 40 

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de l’abbaye voisine de Saint-Matthias de Trèves43. Dans les années qui suivirent, l’abbaye retrouva un certain dynamisme mais surtout une nouvelle attractivité puisqu’elle fut ouverte aux membres de la bourgeoisie et non plus exclusivement réservée à la noblesse44. De huit moines en 1449, la communauté s’agrandit progressivement jusqu’à réunir 27 membres en 1516. Ce regain d’activité se marqua également dans la gestion de la collection de livres. C’est sans doute sous l’abbatiat d’Antoine  II de Drüblein (1452-1482), ancien prieur de Saint-Matthias, promu à la tête de Saint-Maximin par le célèbre penseur Nicolas de Cues et le pape Nicolas V, que ces initiatives importantes furent lancées45. Elles se perpétuèrent sous l’abbatiat d’Othon IV d’Elten (1483-1502) qui envoya en 1496 douze de ses moines réformer l’abbaye d’Echternach où une entreprise similaire fut lancée46. Influencés par les travaux menés parallèlement à Saint-Matthias47, les moines de Saint-Maximin dotèrent la majorité de leurs livres de cotes, d’indications de contenu et d’ex-libris, systématiquement apposés par deux ou trois mains récurrentes48. L’introduction de ces procédés témoigne non seulement d’une volonté de structuration du fonds de livres afin de mieux guider Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 294-298. Le coutumier est édité par P. Becker (éd.), Consuetudines et observantiae monasteriorum Sancti Mathiae et Sancti Maximini Treverensium ab Iohanne Rode abbate conscriptae, Siegburg, 1968. Pour son commentaire, cf. Id., Das monastische Reformprogramm des Johannes Rode, Abtes von St. Matthias in Trier, Münster, 1970. Sur la réforme de Rode, on se réfèrera aux nombreuses autres publications de P. Becker. 44  Id., « Die ständische Zusammensetzung der Abteien St.  Matthias und St.  Maximin in Trier zu Beginn der Reform des Abtes Johannes Rode († 1439) », Archiv für mittelrheinische Kirchengeschichte, 18 (1966), p. 313-320. 45  Au sujet de cet abbé cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1087-1089. 46  Ibid., p.  1090-1091 ainsi que vol.  1, p.  153. Les  activités menées par les moines de Saint-Maximin à Echternach permirent de renouveler le lien étroit qui unissait les deux abbayes. En 1511, l’abbé Thomas de Huisdem offrit un rituel à sa consœur luxembourgeoise (Luxembourg, ­Bibliothèque nationale du Luxembourg, 136) : P.  Becker, Das monastische Reformprogramm, p. 179 ; Id., « Bemühungen um eine geistliche Erneurerung der Abtei Echternach. Eine Visitation im Jahre 1443 », dans Willibrord : Apostel der Niederlande, Gründer der Abtei Echternach, éd. G. Kiesel et J. Schroeder, Luxembourg, 1989, p. 294. Voir également R. Nolden, « Zu den Continet-Einträgen in den Echternacher Handschriften in Trier », dans Analecta Epternacensia. Beiträge zur Bibliotheksgeschichte der Abtei Echternach, éd. L. Deitz et R. Nolden, Luxembourg, 2000, p. 71-82. 47  À Saint-Matthias, la réforme introduite par Jean Rode se marqua par un soin particulier apporté à la réorganisation et au renouvellement de la bibliothèque. Elle fut remodelée pour répondre à une utilisation quotidienne portant sur l’étude, les lectures spirituelles et la pastorale. Cependant, pareille initiative entraîna également la perte et le démantèlement de nombreux manuscrits jugés vétustes et devenus peu lisibles : P. Becker, Das monastische Reformprogramm, p. 116 ; Id., « Die Trierer kirchlichen Bibliotheken. Geistesgeschichtliche Aspekte aus verschiedenen Jahrhunderten », dans Armaria Trevirensia. Beiträge zur Trierer Bibliotheksgeschichte, éd. G. Franz, Wiesbaden, 1985, p. 8-10. 48  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 152-153. 43 

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le lecteur désireux de trouver un ouvrage particulier mais aussi d’un souci de conservation accru de la part des moines qui allait de pair avec la naissance de véritables bibliothèques monastiques49. À l’image de ce que l’on constate à Saint-Matthias et à Echternach, les cotes attribuées aux livres de Saint-Maximin renvoyaient à un classement thématique et étaient formées d’une lettre suivie d’un numéro d’ordre. Ainsi, le grand légendier et une majorité d’autres manuscrits hagiographiques furent classés sous la lettre  « N »50. Ces  cotes ont généralement été inscrites sur le premier recto des manuscrits, incunables ou livres imprimés mais peuvent également avoir été répétées à d’autres endroits des volumes. Elles figuraient par ailleurs sur le dos des reliures des ouvrages, bien que peu de témoins subsistent du fait des campagnes de reliure successives51. Les travaux entrepris ne se limitèrent toutefois pas à la seule apposition de cotes mais prirent également la forme de restructurations ou de réassemblages de manuscrits, généralement dans le cadre de campagne de mise en reliure. J’y X. Hermand, « Comment les communautés », p. 389-390. L’interprétation la plus simple et la plus usuelle consiste à faire correspondre chaque lettre de l’alphabet à un meuble ou partie de meuble tandis que le numéro serait relatif à la position du livre parmi les volumes déposés à cet endroit : ibid., p. 391. Toutefois, T. Falmagne a souligné que le système de cotation de l’abbaye d’Echternach, importé par les douze moines réformateurs de Saint-Maximin en 1496 puis perpétué et systématisé par le bibliothécaire Willibrord Schramm de 1526 à 1541, se basait sur un classement des ouvrages par genre littéraire (ex. : « I » = hagiographie et histoire). T. Falmagne, Die Echternacher Handschriften bis zum Jahr 1628 in den Beständen der Bibliothèque nationale Luxembourg sowie der Archives diocésaines de Luxembourg, der Archives nationales, der Section historique de l’Institut grand-ducal und des Grand Séminaire de Luxembourg, vol. 1, Wiesbaden, 2009, p. 123-127. La même logique prévalait à l’abbaye de Saint-Matthias pour laquelle on conserve la copie d’un catalogue reprenant ces cotes (Trèves, Stadtbibliothek, 2229/1751). Il existait en effet au bas Moyen Âge une tendance à privilégier un classement des ouvrages par matières, influencé par les classifications scolastiques des sciences : A. Derolez, Les catalogues, p. 29 et 32-33. Bien entendu, ces logiques de classement thématique n’étaient pas étrangères à des systèmes de rangement par meuble ou partie de meuble et pouvaient leur être complémentaires. Pour revenir à Saint-Maximin et au classement de la matière hagiographique, les huit volumes subsistant du grand légendier portent les cotes « N 2-9 ». J’ai relevé toute une série d’autres manuscrits hagiographiques portant une cote débutant par la lettre « N » : Londres, Society of Antiquaries, 279 (légendier abrégé de Jean de Mailly, « N 11 ») ; BNF, lat. 9742, p. 323492 (Vie et miracles de Bernard de Clairvaux suivi du Liber prognosticorum futuri saeculi de Julien de Tolède, « N 14 ») ; Vienne, ÖNB, cod. 490, 541 et 1052 (libelli contenant les Vies des saints Guibert, Malo, Germain et Conrad, « N 16 ») ; Bruxelles, Bibliothèque Royale, II 2611 (Vie de saint Remacle, « N 20 ») ; Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, theol. lat. fol. 729 (Legendae patronorum monasterii S. Maximini Trevirensis, « N 22 »). 51  Deux incunables de la Stadtbibliothek de Trèves – inc.  1766 (« R 29 ») et 1777 (« I 21/22 ») – conservent leur reliure d’origine sur laquelle figure encore la cote. Cette dernière fut transcrite à l’encre noire sur le dos des volumes, de manière à pouvoir être lue lorsque ceux-ci étaient couchés sur le plat du dessous. 49  50 

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reviendrai en ce qui concerne les volumes du grand légendier. Les interventions sur les livres de l’institution se poursuivirent encore dans le premier quart du xvie siècle jusqu’au sac de l’abbaye en 1522 par les bourgeois de la ville52 . Cette époque fut en outre imprégnée par l’humanisme « monastique » (monastischer Humanismus ou Klosterhumanismus)53, par l’acquisition d’incunables puis de livres imprimés ainsi que par la production de quelques manuscrits dont la très notable Bible géante (Riesenbibel) en trois volumes commencée sous l’abbé Thomas de Huisdem (1502-1514) par le moine Vincent de Cochem et achevée par Jacob Gladbach en  1526/2754. Par son parchemin de grande qualité55, sa calligraphie soignée et ses riches enluminures, cette dernière atteste du maintien d’une production manuscrite exceptionnelle et maîtrisée à une époque où le papier et les livres imprimés prenaient le dessus56. À l’instar de ce que l’on observe pour d’autres monastères touchés par les mouvements de l’observance57, la « réforme » inspirée de Rode s’est donc traduite sur le long terme par un nouvel essor des pratiques de l’écrit à Saint-Maximin

52  L’abbaye fut attaquée par les bourgeois de la ville suite au départ du mercenaire François de Sickingen qui y avait établi ses quartiers lors du siège de la ville. Saint-Maximin se situait en effet extra muros. Les moines, confinés dans leur refuge urbain, ne purent que constater les destructions : cf. Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 318. 53  La terminologie pose problème dans la mesure où elle induit l’existence d’un courant parallèle, cloisonné car développé à l’ombre du cloître. Or, le courant humaniste pouvait se manifester sous différentes formes au sein des abbayes : la copie ou la rédaction d’œuvres certes, mais aussi les contacts entretenus par certains moines avec les milieux humanistes, que ce soit à travers la correspondance, les études universitaires ou la participation active à des cercles érudits : H. Müller, Habit und Habitus : Mönche und Humanisten im Dialog, ­Tübingen, 2006, notamment la conclusion. Voir également P.-J. De Grieck, De benedictijnse geschiedschrijving, p. 509. 54  Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1091-1093 (Thomas de Huisdem), p. 1093-1095 (Vincent de Cochem) et p. 1230 (Jacob Gladbach). Aujourd’hui en mains privées, la Bible géante a bénéficié d’une étude détaillée de la part de F. Bezner, Von der Liturgie zur Geschichte. Die Riesenbibel von St. Maximin und die Historia Excidii Sancti Maximini, Passau, 2011. 55  Près d’un millier de peaux de parchemin furent achetées par les moines, notamment à Aixla-Chapelle, comme en témoignent les comptes de l’abbaye pour les deux premières décennies des années 1500 (Trèves, Stadtbibliothek, 1626/401, p. 805-1232). 56  F. Bezner, Von der Liturgie, p. 21-23, y a vu la manifestation d’une forme de « résistance à Gutenberg et à la congrégation de Bursfelde », propos nuancés dans les Germania Sacra (Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 164, n. 113) : parmi les abbayes effectivement membres de la congrégation de Bursfelde, on produisait encore des manuscrits « à l’ancienne » (ex. : à Laach ou à Saint-Matthias) tandis que Saint-Maximin posséda relativement tôt un exemplaire de la Bible de Gutenberg. 57  Voir par exemple X. Hermand, « Scriptoria et bibliothèques dans les monastères cisterciens réformés des Pays-Bas méridionaux au xve siècle », dans Les cisterciens et la transmission des textes (xiie-xviiie siècles), éd. D. Stutzmann et A.-M. Turcan-Verkerk, Turnhout, 2018, p. 79-126.

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de Trèves58. Or, parmi les manuscrits produits dans la seconde moitié du xve au début du xvie siècle, une certaine place fut accordée à l’hagiographie. En 1461, sous l’abbatiat d’Antoine II de Drüblein (1452-1482)59, le moine Louis de Ratingen rédigea intégralement un volume de Vies des Pères, agrémenté d’une série d’autres dossiers de saints ainsi que de textes non hagiographiques (Bruxelles, Société des Bollandistes, 27)60. Comme le soulignait déjà Guy Philippart, ce manuscrit de haute facture s’avère particulièrement intéressant de par une annotation invitant le lecteur à se reporter à un « passionnaire » pour toute une série de textes61. Or, il s’agit bel et bien du grand légendier dont il est ici question puisque l’ensemble des textes indiqués s’y retrouvent et que Louis de Ratingen a personnellement pris soin d’y écrire les titres manquants de certaines de ces œuvres62 . Ce renvoi explicite nous rapId., « Comment les communautés », p.  357. Un  phénomène identique s’est par exemple manifesté à l’abbaye de Saint-Laurent de Liège dès la première moitié du xve siècle. Une étude plus approfondie des productions et acquisitions de Saint-Maximin à la fin du Moyen Âge et au début des Temps modernes fournirait à n’en pas douter maintes informations sur l’organisation des pratiques de l’écrit à cette époque : É. Terlinden, « Réformes, scriptoria et bibliothèques au bas Moyen Âge : le cas de Saint-Laurent de Liège », dans Lecteurs, lectures et groupes sociaux au Moyen Âge. Actes de la journée d’étude organisée par le Centre de recherche « Pratiques médiévales de l’écrit » (PraME) de l’Université de Namur et le Département des Manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles, 18 mars 2010, éd. X. Hermand, É.  Renard et C.  Van  Hoorebeeck, Turnhout, 2014, p.  79-121. Pour le monde germanique, on pourra également se référer aux travaux de W. Williams-Krapp qui s’est surtout intéressé aux écrits en langue allemande. 59  Cf. n. 45. 60  Fol. 3r : Anno Domini 1461, sub venerabili patre et domino Anthonio abbate, scriptus est liber iste per fratrem Lodwicum Rathingen professum, orate pro eo : Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1319. Si le nom de Louis de Ratingen n’est attesté pour Saint-Maximin que dans ce manuscrit, il se trouve que le même individu fut ensuite moine à Saint-Matthias de Trèves (c. 14701498) où il exerça la charge de custos sive thesaurarius. En 1489, il rédigea un bréviaire en deux parties pour l’infirmerie de cette abbaye (Trèves, Stadtbibliothek, 380/1049 [pars hiemalis] et 433/1928 [pars aestivalis]) : P. Becker, Die Benediktinerabtei St. Eucharius-St. Matthias vor Trier, Berlin-New York, 1996, p. 710. Il décéda le 19 septembre 1498 et son nom fut inscrit dans le nécrologe du livre du chapitre (Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars,  63, fol.  162r). En  ce qui concerne le contenu du manuscrit de Saint-Maximin : Vitae Patrum, BHL 6524-6529, fol. 3v-29r (= livre 1), fol. 29r-74r (= livre 2), fol. 75v-137v (= livre 3), fol. 143r-177r (= livre 4). Entre ces quatre livres sont intercalées l’une ou l’autre Vie : Vita sancti Frontini, BHL 3189, 3192, fol. 74r-75v ; Vita sancte Marine, BHL 5528, fol. 137v-139r ; Vita sancti Pachomii, BHL 6412, fol. 139r-143r ; Vita sancte Abrahe, BHL 12, fol. 177r-185r. S’ensuit une série d’autres œuvres (lettres, sermons, homélies…) ne relevant pas du genre hagiographique. Ce recueil assez dense mériterait d’être étudié pour lui-même. 61  G. Philippart, Les légendiers latins, p. 55. Fol. 2v : Vita Pauli primi heremite, Vita sancti Anthonii, Vita sancti Hilarionis, Vita Malchi captivi monachi, Vita sancti Pachumii, Vita sancte Eufraxie et aliorum patrum habentur in passionalibus. 62  Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456 : Vita sancti Hilarionis (fol. 104r-113r) ; Vita sancti Malchi (fol. 113r-115v). 58 

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pelle qu’il ne faut pas considérer une collection hagiographique comme un ensemble clos mais qu’il pouvait bel et bien exister une certaine complémentarité entre les différents manuscrits hagiographiques d’une institution. Un autre membre de la communauté a joué un rôle central dans la mise par écrit d’œuvres consacrées aux saints à une époque plus tardive : Jean Scheckmann († 1531)63. Auteur prolifique, on lui doit plusieurs « Heiltumsbücher » allemands et latins, des sortes de petits guides imprimés pour pèlerins qui pullulèrent à Trèves à la suite de l’Inventio de la Sainte-Tunique en 1512 pour faire la promotion de l’histoire et des reliques de la ville et de ses églises64. Il est aussi à l’origine de plusieurs textes hagiographiques consacrés aux saints patrons de l’abbaye repris dans un légendier copié entre 1513 et 1519 (Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, theol. lat. fol. 729) et on le soupçonne également d’être l’auteur d’une série d’autres écrits65. À côté de la Relativement peu de choses nous sont connues de la vie de Jean Scheckmann. La biographie la plus « détaillée » se trouve dans Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1244-1246 ainsi que chez F. Bezner, Von der Liturgie, p. 161-166. Voir également P. Diel, « Johannes Scheckmann von St. Maximin und seine Geschichte der Belagerung Triers durch Franz von Sickingen », Studien und Mitteilungen aus dem Benedictiner- und Cistercienserorden, 8 (1887), p. 348-357. Scheckmann est surtout connu pour avoir traduit en latin les Medulla Gestorum Trevirensium de l’évêque auxiliaire Jean Enen, activité qui est d’ailleurs consignée dans les comptes de l’abbaye pour les années 1518/19 et 1519/20 (Trèves, Stadtbibliothek, 1626/401, p. 1211 et p.  1217). On  suppose qu’il entra à l’abbaye de Saint-Maximin de Trèves au début du xvie siècle et qu’il exerça le rôle de « bibliothécaire » (librarius) de cette institution. Dans une lettre de l’humaniste Jean de Borssele adressée à Scheckmann et reproduite dans l’Epitome alias medulla Gestorum Trevirorum – la traduction latine de l’œuvre d’Enen – le professeur de Louvain désigne explicitement son destinataire comme le responsable de la bibliothèque de Saint-Maximin (apud divum Maximinum bibliothecae curam agenti). Toutefois, la fonction de « librarius » n’est pas autrement attestée à Saint-Maximin avant le xviiie siècle. En 1524, deux ans après la destruction de Saint-Maximin par les habitants de Trèves, Scheckmann occupait l’office de coquinarius (Coblence, Landeshauptarchiv, Best.  211, no  1020). Enfin, un obituaire-nécrologe inédit de l’abbaye nous apprend qu’il mourut le 12 août 1531 : Johannes Scekmannus sacerdos et monachus nostrae congregationis 1531 (Trèves, Stadtbibliothek, 1635/48, fol. 8r-55v, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1013-1014). 64  La littérature entourant la « découverte » de la sainte Tunique dans la cathédrale est bien trop dense pour être répertoriée ici. Je me contenterai de renvoyer à l’ouvrage collectif Die Medulla gestorum Treverensium des Johann Enen : ein Trierer Heiltumsdruck von 1514, éd. M. Embach et W. Schmid, Trèves, 2004, dans lequel certaines contributions évoquent les Heiltumsdrucke de Scheckmann. Les Heiltumsschriften de Trèves mériteraient une étude plus approfondie, particulièrement les livrets latins. Sur les Heiltumsschriften, cf. D. Fessl, Das spätmittelalterliche Heiltumsbuch als autonomer Publikationstypus  – der erste Ausstellungskatalog neuzeitlicher Prägung mir Erinnerungswert, thèse de doctorat en philosophie, Ludwig-Maximilians-Universität, Munich, 2013. 65  Concernant le légendier, cf. J. P. Becker et T. Brandis, Die theologischen lateinischen Handschriften in folio der Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz Berlin, vol. 2, Wiesbaden, 1985, p. 283-285. Pour ce qui est des textes hagiographiques, on doit à Scheckmann une Vie de Basin (BHL 1028), saint patron de Saint-Maximin, ainsi qu’une Histoire et Élevation de 63 

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Bible géante, cet autre légendier constitue un témoignage supplémentaire de la production de manuscrits de bonne facture à Saint-Maximin dans le premier quart du xvie siècle. Sans entrer dans les détails, ce volume peut être rapproché d’un manifeste politique destiné à protéger les intérêts de l’institution : dans un contexte marqué par la volonté d’attirer les pèlerins, il fallait à tout prix défendre sa position face aux autres établissements de la métropole, notamment l’abbaye voisine de Saint-Matthias qui souhaitait se positionner comme le lieu de sépulture de l’évêque Agrice, l’un des saints patrons de Saint-Maximin66. Le tournant des xve-xvie siècles fut donc marqué par une intense activité bibliothéconomique visant à réorganiser le fonds de livres de l’abbaye ainsi que par la production de plusieurs œuvres notables, fruit du travail de moines engagés dans le monde du livre et de l’écrit. L’intérêt marqué de certains auteurs pour l’hagiographie ne se limita toutefois pas aux nouvelles productions puisque l’abbaye possédait, dans sa bibliothèque, une collection de premier plan regorgeant de légendes consacrées aux saints les plus divers. Le grand légendier, à un certain degré, dut servir de recueil de matériaux de travail mais nécessitait, avant toute chose, d’être adapté pour répondre à de nouveaux besoins. l’archevêque Poppon de Trèves (BHL vacat) : A. Poncelet, « L’auteur de la Vie de s. Basin évêque de Trèves », Analecta Bollandiana, 31 (1912), p. 122-147. Il pourrait également être l’auteur d’une Vie de saint Maximin (BHL 5824g), d’une Histoire de saint Agrice (BHL 179d) et d’une Passion des martyrs de Trèves et de la légion thébaine (BHL vacat). 66  Outre la Vita sancti Agritii (BHL 178 ; fol. 35r-48v), on y trouve également plusieurs autres textes témoignant du culte particulier rendu au saint patron de l’abbaye et de l’archevêché. La première de ces pièces (fol. 49r) remonte à l’archevêque Thierry II de Wied (1212-1242), celui-là même qui avait favorisé l’abbaye dans la première moitié du xiiie siècle et qui y consacra quatre nouveaux autels en 1231. Daté du 12 janvier 1239, soit de la veille de la fête de saint Agrice, cet acte accorde quarante jours d’indulgence aux pèlerins et fait suite à une disposition identique prise par le pape Grégoire IX le 7 janvier 1236. Cette bulle pontificale est d’ailleurs reprise un peu plus loin dans le volume (fol. 51v). Entre les deux (fol. 49v-50v) se glisse un protocole relatif à l’ouverture de la tombe d’Agrice le 19 mai 1513 sous l’abbatiat de Thomas de Huisdem. Cette Inventio prend place dans le contexte des rivalités qui opposaient Saint-Maximin et Saint-Matthias concernant le lieu de sépulture de l’évêque. Le 12 juin 1378, sous l’abbé Rorich, le sarcophage d’Agrice avait été une première fois ouvert et on y avait trouvé une plaque de plomb portant le nom du saint. Cependant, en 1513, l’abbé de Saint-Matthias fit réaliser un reliquaire pour le bras d’Agrice et, le 7 mai, les moines découvrirent une pierre tombale avec le soi-disant cercueil de l’évêque. Pour faire face à cette « menace », l’abbé Thomas de Huisdem fit à nouveau ouvrir la sépulture d’Agrice, ordonna la mise par écrit de la découverte sur une dalle de schiste et fit consigner le tout par acte notarié. C’est précisément ce dernier document que l’on retrouve dans le légendier ainsi qu’une hymne au saint (fol. 51r) et l’Historia adventus sancti Agritii ad Treviros (fol. 52r-67r), texte qui pourrait être de Scheckmann. Dans le même état d’esprit, le légendier commémore également saint Thyrsus, saint Boniface et leurs compagnons (fol. 113r-118v), soit les martyrs de la légion thébaine dont l’abbaye disputait la possession des corps aux autres établissements monastiques de Trèves dont Saint-Paulin J.  P. Becker et T.  Brandis, Die  theologischen lateinischen Handschriften, p. 284-285 ; Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 607-609.

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3. Achèvement et réorganisation pragmatique du grand légendier Comme je l’ai déjà évoqué, le projet du grand légendier n’avait pas entièrement abouti au xiiie siècle. Peu de temps après se serait manifesté un nouvel acmé de l’édition hagiographique : les Legendae Novae connurent un grand succès, de même que les légendiers en langue vulgaire. Plus concis, ces nouveaux types de collection concurrencèrent les anciens modèles au point de mettre à mal l’édition de légendiers « traditionnels »67. C’est en tout cas la ligne de fond qui avait été esquissée mais qui se voit aujourd’hui de plus en plus nuancée68, notamment dans le cadre de ce colloque69. Qu’en est-il des réalités tréviroises ? Je ne me risquerai pas à formuler d’hypothèses trop hâtives70, encore moins en me limitant au seul cas de Saint-Maximin dont le patrimoine hagiographique a été largement dispersé après la sécularisation (abstraction faite des pertes probables). Au  xive  siècle, l’abbaye comptait parmi ses livres deux exemplaires de la Legenda aurea71. Au siècle suivant, elle se dota également d’une copie du légendier abrégé de Jean de Mailly72 . C’est beaucoup moins que pour Saint-Matthias, mais la conservation du fonds de cette abbaye est tout à fait exceptionnel et le nombre de légendiers « traditionnels » y demeure par ailleurs très largement majoritaire73. Aucune trace G. Philippart, Les légendiers latins, p. 45-48. On pourra notamment renvoyer aux travaux suivants : V.  Vermassen, « Latin hagiography in the Dutch-speaking parts of the Southern Low Countries (1350-1550) », dans Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, vol. vii, éd. M. Goullet, Turnhout, 2017, p. 564-613 ; S. Folkerts, Voorbeeld op schrift : de overlevering en toe-eigenig van de vita van Christina Mirabilis in de late middeleeuwen, Hilversum, 2010. 69  Je renvoie à la communication de X. Hermand qui a très justement relevé pour l’espace namurois que « la composition [et l’édition] hagiographique tardo-médiévale […] s’inscrivait encore dans les perspectives traditionnelles », avec d’une part la rédaction de textes neufs, mais aussi et surtout la compilation de collections, bien que cette activité eût été amoindrie. 70  Ces questions sont au cœur du projet de recherche doctoral financé par le Fonds National de la Recherche luxembourgeois que je mène à l’Université du Luxembourg et à l’Université de Namur. 71  Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, lat. oct. fol. 223 et Trèves, Stadtbibliothek, 1173/37. 72  Londres, Society of Antiquaries, 279. 73  P. Becker, Die Benediktinerabtei, p. 76-240 ; Id., « Bibliothek der Abtei St. Matthias », dans Handbuch der historischen Bestände in Deutschland, éd. B. Fabian, vol. 6, Hildesheim, 1993, p. 245-248 ; J. Montebaur, Studien zur Geschichte der Abtei St. Eucharius-Matthias zu Trier, Fribourg-en-Brisgau, 1931. La majorité des manuscrits de l’abbaye ont par ailleurs été numérisés et sont consultables via le Virtuelles Skriptorium St. Matthias. Cf. M. Embach, « Das virtuelle Skriptorium St. Matthias : ein Projekt zur Digitalisierung mittelalterlicher Handschriften », dans Die Bibliothek der Abtei St. Matthias in Trier : von der mittelalterlichen Schreibstube zum virtuellen Skriptorium, éd. M. Embach et C. Moulin, Trèves, 2013, p. 9-29. 67  68 

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toutefois de légendiers allemands74, ni de livres imprimés de contenu hagiographique75. Les bréviaires, qui demeurent la terre en friche des études hagiographiques, sont plus nombreux mais il s’agit souvent de copies personnelles de moines76. Ces nouvelles « armes » des cloîtres firent-elles définitivement basculer dans l’oubli les anciennes collections ? Certainement pas. Un nouvel intérêt fut porté aux volumes du grand légendier dans la mesure où plusieurs mains pourvurent les textes inachevés d’initiales et d’intitulés. S’il s’avère difficile de situer ces interventions dans le temps ou de les attribuer à des intervenants précis, on peut affirmer qu’elles s’échelonnèrent sur une période chronologique assez longue et semblent plutôt avoir été le résultat d’actions individuelles que de véritables campagnes programmées. On l’a vu, les volumes du grand légendier suivent grosso modo le déroulement de l’année liturgique, mais les incohérences sont nombreuses. Afin de pallier cette désorganisation accentuée par le caractère inachevé de la plupart des volumes, il était nécessaire d’en faciliter la consultation. C’est dans cette Pour les bénédictins, je n’ai relevé qu’un seul légendier d’apôtres provenant de Saint-­ Matthias (Trèves, Stadtbibliothek, 812/1339). Plusieurs autres manuscrits hagiographiques vernaculaires proviennent quant à eux de l’abbaye de chanoines de saint Augustin d’Eberhardsklausen, notamment un légendier dédié à des saints locaux (Trèves, Stadtbibliothek, 809/1341) ainsi que la partie estivale de la Legenda aurea (Trèves, Stadtbibliothek, 1191/492) : B. C. Bushey, Die deutschen und niederländischen Handschriften der Stadtbibliothek Trier bis 1600, neu beschrieben, Wiesbaden, 1996 ; Die deutschen Handschriften der Stadtbibliothek zu Trier, éd. A. Becker, Trèves, 1911. Sur les légendiers vernaculaires en langue allemande de manière générale, cf. W. Williams-Krapp, Die deutschen und niederländischen Legendare des Mittelalters : Studien zu ihrer Überlieferungs, Text und Wirkungsgeschichte, Tübingen, 1986. 75  L’exception serait un exemplaire des Dialogues de Grégoire le Grand de 1479/80 (Trèves, Stadtbibliothek, Inc. 1192). On relève à nouveau un nombre plus important de livres pour Saint-Matthias : E. Voullième, G. Kentenich, Die Inkunabeln der öffentlichen Bibliothek und der kleineren Büchersammlungen der Stadt Trier, Leipzig, 1910, p.  89, no  1445. Je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de consulter le nouveau catalogue : R. Nolden, Die Inkunabeln der Wissenschaftlichen Stadtbibliothek Trier, 2 vol., Wiesbaden, 2015. Pour les autres fonds trévirois, cf. Id., « Die Inkunabeln in der Bibliothek der neuen St. Matthias-­ Abtei vor Trier », Kurtrierisches Jahrbuch, 50 (2010), p. 167-185 ; M. Embach, Die Inkunabeln der Trierer Dombibliothek : ein beschreibendes Verzeichnis mit einer Bestandgeschichte der Dombibliothek, Trèves, 1995 ; Incunabula des Bischöflichen Priesterseminars Trier, éd. F. R. Reichert, M. Embach et L. Brinkhoff, Wiesbaden, 1991. 76  Pour ne nommer qu’un seul exemple d’un bréviaire « de bonne facture » : Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, aug.  perg.  266 (xive  siècle). Il  conviendrait d’étudier le lien entre les bréviaires et le patrimoine hagiographique d’une institution. À ma connaissance, G.  Philippart est l’un des seuls à avoir tenté l’expérience dans le cas d’un bréviaire monumental – certes beaucoup plus ancien – qui proviendrait de l’abbaye de Prémontrés de Knechtsteden : G.  Philippart, « Un  bréviaire monumental de  1139 destiné aux prémontrés (?) de Knechtsteden (?) (Codex Bruxellensis 104) », dans Amicorum societas : mélanges offerts à François Dolbeau pour son 65e anniversaire, éd. J. Elfassi, C. Lanéry et A.-M. Turcan-Verkerk, Florence, 2013, p. 601-634. 74 

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optique que l’on adjoignit des tables des matières aux manuscrits. À une exception près, celles-ci sont postérieures à l’époque de production du grand légendier et sont issues de mains différentes. Seule la table du volume de mai (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/454) pourrait être le reliquat d’un dispositif remontant à la genèse du grand légendier. Figurant en début de volume, la table des matières actuelle a été transcrite sur un texte préalablement gratté. Seul l’intitulé rubriqué en haut du feuillet permet de suggérer qu’il s’agissait déjà d’une sorte de table des matières organisée sous la forme d’un calendrier dont subsiste la colonne des lettres dominicales à droite (Kalendarium [KL] : Majus mensis habet dies XXXI luna XXX. In hoc libro continentur passiones et actus sanctorum de mense Majo)77. Quant aux tables des volumes de septembre et d’octobre, elles peuvent être rattachées avec certitude à une seule et même main et débutent de la même manière : – Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 35 : Horum sanctorum passiones vel vitas continet liber iste et secundum hunc ordinem eas invenies – Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456 : Horum sanctorum passiones vel vitas secundum hunc ordinem invenies in hoc libro Une particularité du support de la table du volume de février-mars-avril (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/453) mérite d’être évoquée. Sur ce bifeuillet adjoint au manuscrit figure en effet un texte étranger au reste du grand légendier. Cette œuvre néo-latine versifiée s’intitule De prodigiis qui apparuerunt Rome in pontificatu Eugenii pape IV et serait l’œuvre d’un certain magister Porcellus. Il s’agit en fait d’un poème inédit du napolitain Porcelio de’ Pandoni (c. 1405-c. 1485) : le Bos prodigiosus78. Sa présence dans le Treverensis avait jusqu’ici tout à fait échappé aux spécialistes ainsi qu’aux éditeurs de

77  La plupart des volumes du grand légendier d’Autriche sont dotés de tables-calendriers. D.  Ó  Riain, « The  magnum Legendarium Austriacum », p.  96. On  en trouve aussi dans les deux légendiers susmentionnés de Saint-Matthias de Trèves (Trèves, Stadtbibliothek, 1152/776 ; Bibliothek des Bischöflichen Pristerseminars, 5). 78  Ce texte a été très peu étudié et surtout mal interprété. Une  description sommaire du contenu est donnée par U. Frittelli, Giannantonio de’ Pandoni detto il Porcellio, Florence, 1900, p. 18-19. Depuis lors, l’historiographie s’est contentée de reprendre ce résumé sans revenir au texte. À propos de Porcelio de’ Pandoni, cf. G. M. Cappelli, « Porcelio Pandone », dans Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 80, Rome, 2014, p. 736-740 ; A. Iacono, Porcelio de’Pandoni : L’umanista e i suoi mecenati. Momenti di storia e di poesia con un’Appendice di testi, Naples, 2017, p. 43-57.

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catalogues79. Le texte relate les « prodiges » qui se déroulèrent sous le pontificat d’Eugène IV, plus précisément à la mort de son prédécesseur, Martin V (1431), et à la suite de son élection sur le siège apostolique80. Les circonstances dans lesquelles ce livret parvint à Trèves sont encore à élucider. Offert aux moines ou recopié par l’un d’entre eux, le bifeuillet véhiculant le poème fut ensuite remployé afin de servir de support à la table des matières du volume de janvier/février/mars. Sa présence à Saint-Maximin coïncide en tout cas avec la période marquée par un intérêt pour les textes humanistes (c. 1450-1522) ainsi qu’avec l’abbatiat d’Antoine II de Drüblein (1452-1482) sous lequel de vastes opérations bibliothéconomiques furent initiées (cf. supra)81. Initialement, la plupart des tables renvoyaient à une numérotation en chiffres romains des légendes. Pour assurer la correspondance, ces mêmes numéros ont été apposés de manière non systématique à côté de l’intitulé initial des légendes dans le corps des volumes. Toutefois, cette numérotation a majoritairement été grattée et remplacée ultérieurement par un renvoi à la foliotation des manuscrits82 . Dans les volumes de janvier, de février-mars-avril et d’octobre, les renvois à la foliotation sont attribuables à une seule et même main. Celle-ci a d’ailleurs intégralement rédigé la table des matières de février-mars-avril, ce qui permet donc de préciser qu’elle ne fut pas active avant l’arrivée à l’abbaye du bifeuillet véhiculant le livret contenant le poème de Porcelio de’ Pandoni sur lequel elle fut retranscrite. On peut également affirmer que cette même main fut active avant l’ajout de la Vie de sainte Irmine d’Oeren qui a été copiée à cheval sur deux cahiers au sein du volume de janvier. En effet, le renvoi à ce texte fut ajouté a posteriori aux autres entrées de la table du volume de janvier. Le poème n’était connu qu’à travers un unique manuscrit florentin (Biblioteca Nazionale Centrale, Conventi Soppressi, J IX 10, fol. 22v-26r). Sur ce manuscrit, cf. P. O. Kristeller, Iter Italicum. A Finding List of Uncatalogued or Incompletely Catalogued Humanistic Manuscripts of the Renaissance in Italian and other Libraries, vol. 1, Londres-Leyde, 1963, p. 164. 80  Les « prodiges » relatés se retrouvent en effet dans le troisième livre du De varietate fortunae de Poggio Bracciolini où ils se manifestent à la mort du souverain pontife et après l’élection de son successeur. Poggio Bracciolini, De  varietate fortunae, éd.  O.  Merisalo, Helsinki, 1993. 81  Précisons encore que c’est en 1472/1473 que fut créée l’Université de Trèves ce qui contribua également à ancrer la diffusion, l’étude et la rédaction d’œuvres humanistes dans la région : cf. M. Embach, Trierer Literaturgeschichte : Das Mittelalter, Trèves, 2007. 82  La numérotation des dossiers et les renvois à la foliotation sont des dispositifs tout à fait courant dans les manuscrits hagiographiques, particulièrement lorsque ceux-ci sont denses et complexes. Il n’est pas rare non plus que de tels dispositifs ne soient pas d’origine : F.  Dolbeau, « Faire l’expertise de manuscrits ou de collections hagiographiques », dans Ingenio facilis. Per Giovanni Orlandi (1938-2007), éd. P. Chiesa, A.-M. Fagnoni et R. E. Guglielmetti, Florence, 2017, p. 87-90. 79 

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Notons encore que cette même main a rédigé la table des matières à la fin du volume des Causae et curae d’Hildegarde de Bingen, aujourd’hui conservé à la bibliothèque royale du Danemark83. Outre le poème de Porcelio, d’autres textes, cette fois-ci relatifs aux saints, ont été copiés sur certains feuillets des volumes ou sur des feuillets adjacents. Une première addition textuelle se trouve dans le volume de mai (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/454, fol.  125v) et concerne un miracle qui se serait produit à Saint-Maximin en 1444 lorsqu’une femme possédée recouvra l’esprit après s’être rendue au sous-sol de la crypte hors-œuvre dédiée à la Vierge84. Ce miracle eut lieu sous l’abbatiat de Lambert de Sassenhausen (1411/16-1449), l’un des successeurs de l’abbé Rorich († 1411) qui avait fondé une confrérie de sainte Marie (Marienbruderschaft) dans cette même crypte85. C’est également à cet endroit, près d’un puits, que les moines de Saint-Maximin firent apposer une inscription stipulant que saint Athanase d’Alexandrie, alors qu’il se cachait des Ariens, y avait découvert les reliques de martyrs de la légion thébaine, également évoquées dans le miracle de 1444 (in qua corpora trecentorum martyrum de gloriosa legione Thebeorum tumulata noscuntur)86. Or, cette précision n’a rien d’anodin. De fait, la présence des « 300 »  martyrs de la légion thébaine à Saint-Maximin découle d’une tradition hagiographique complexe qui a synthétisé deux groupes de martyrs distincts, les martyrs de la légion thébaine d’une part et les citoyens trévirois massacrés par Rictiovare de l’autre87. Or, depuis le xie siècle, Saint-Maximin et la collégiale de Saint-Paulin se disputaient le titre de lieu de sépulture de ces martyrs88. D’ailleurs, un autre témoignage de cette tradition manipulée se trouve sur le premier feuillet du même volume du grand légendier où l’on résume la découverte de reliques des saints martyrs dans un puits par saint Athanase d’Alexandrie, tout en précisant que cette découverte eut lieu à l’abbaye de Saint-Maximin de Trèves. Ces deux additions portées au volume de mai renseignent ainsi sur un aspect plus particulier du légendier comme Copenhague, Det Kongelige Bibliotek, NKS 90 b 2°, p. 184-185. Le texte est édité dans M.  Coens, « Catalogus codicum hagiographicorum latinorum ­bibliothecae civitatis Treverensis », Analecta Bollandiana, 52 (1934), p. 199-200, no 38. 85  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 82. Concernant l’abbé, cf. vol. 2, p. 1080-1083. Le miracle est repris par Nicolas Novillanius, p. 1028. Ce dernier donne sa source : Ex pervetusto libro anno Domini 1444, sub Frederico III. À la fin de la transcription, il ajoute Sub Lamberto abbate, post reformationem. 86  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 616. 87  Ibid., vol. 1, p. 612-617 ; K. Krönert, L’exaltation de Trèves. Écriture hagiographique et passé historique de la métropole mosellane (viiie-xie siècle), Ostfildern, 2010, p. 194 et 240-255. 88  Je rappelle également qu’une place fut donnée aux martyrs de la légion thébaine dans le légendier du début du xvie siècle, précisément dans le contexte d’un afflux massif de pèlerins à Trèves. 83 

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support ou écrin de l’histoire et de la politique de défense de l’abbaye face à ses concurrents, notamment pour y attirer des pèlerins. Une autre addition de premier plan concerne la Vita sanctae Irminae (BHL  4471-4472)89, une œuvre élaborée par le moine Thiofrid d’Echternach au xie siècle90. Transcrite à cheval sur deux cahiers du volume de janvier (BNF, lat. 9741, p. 139-140), elle forme un ajout qui, indirectement, livre certaines informations quant à la disparition du manuscrit véhiculant le sanctoral de décembre. Fêtée le 24 de ce mois, la sainte fit peut-être son entrée dans les calendriers de l’abbaye à la fin du Moyen Âge mais ne s’y maintint que temporairement91. Dès lors, elle ne faisait probablement pas partie du programme initial du volume de décembre et son intégration ultérieure au sein du « mauvais » manuscrit n’a logiquement pu avoir lieu qu’après la disparition du volume de décembre, soit après 1393 puisque ce dernier est encore mentionné dans l’inventaire dressé sous l’abbé Rorich (« Item December in uno volumine »)92 . Jusqu’ici, l’historiographie avait vaguement daté cette addition du e xv   siècle93. Néanmoins, l’expertise paléographique permet de déterminer Sur Irmine, co-fondatrice d’Echternach, de la famille des Pippinides, cf. F. de Vriendt, « Irmine », dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, t.  26, Paris, 1995, col. 49-51. 90  W. Kohl, « Thiofrid (1110) », dans Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, vol. 11, Herzberg, 1996, col. 1233-1234. 91  À partir du xive siècle d’après P. Miesges, Der Trierer Festkalender. Seine Entwicklung und seine Verwendung zu Urkundendatierung. Ein Beitrag zur Heortologie und Chronologie des Mittelalters, Trèves, 1915, p. 112. Il conviendrait néanmoins de vérifier chaque calendrier utilisé par Miesges. De fait, celui-ci regroupe dans ses tableaux plusieurs calendriers sous un seul sigle : M3 regroupe également M4 tandis que M5 comprend aussi M6 et M7. Dans le cas de sainte Irmine justement, Miesges renseigne notamment le M5. Or, lorsque l’on se rapporte au calendrier de M7 (Trèves, Stadtbibliothek, 451/797, fol. 7v), le nom d’Irmine n’apparaît pas. Par ailleurs, on ne peut affirmer dans l’absolu que chaque calendrier employé provienne avec certitude de Saint-Maximin de Trèves sans investigation plus poussée. Les datations des calendriers données par Miesges doivent également être abordées avec précaution. À la fin du xvie  siècle, le nom de la sainte n’apparaît plus dans les calendriers de deux manuscrits vraisemblablement transcrits par des moines pour leur usage privé (Trèves, Stadtbibliothek, 443/1908 et 479/1613), comme le suggère l’apposition dans le second du nom de Maximin Schram de Vianden (Frater Maximinus Schram Viennensis), prieur de 1583 à  1589. À  son propos, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1168-1169. À la cathédrale, la fête de la sainte aurait été célébrée dès le xe siècle. Elle est encore mentionnée dans un calendrier du xie siècle provenant de la collégiale de Saint-Siméon : A.  Kurzeja, Der älteste Liber ordinarius der Trierer Domkirche (London, Brit. Mus., Harley 2958, Anfang 14. Jh.). Ein Beitrag zur Liturgiegeschichte der deutschen Ortskirchen, Münster, 1970, p. 171-172. 92  M. Keuffer, « Bücherei und Bücherwesen » p. 54, no 9. 93  O.  Schneider, Erzbischof Hinkmar und die Folgen. Der vierhundertjährige Weg historischer Erinnerungsbilder von Reims und Trier, Berlin-New York, 2010, p. 178 ; M. Kni­ chel, « Irmina von Oeren. Stationen eines Kultes », dans Studien zum Kanonissenstift, 89 

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que le renvoi au texte dans la table des matières fut ajouté après la rédaction de celle-ci sur l’un des feuillets du livret contenant le poème de Porcelio (cf. supra). En outre, l’examen de l’écriture, une gothique semi-hybride, permet d’identifier la main qui transcrivit la Vie comme étant celle qui rédigea également l’intégralité du légendier dédié aux saints patrons réalisé entre 1513 et  1519 (Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, theol.  lat. fol.  729)94. Or, rappelons que certains membres de la communauté avaient été envoyés à Echternach pour réformer l’abbaye et que, parmi eux, certains jouèrent ensuite un rôle dans le domaine du livre, dont les abbés Thomas de Huisdem et Vincent de Cochem, ce dernier étant également l’auteur des deux premiers volumes de la Bible géante de Saint-Maximin. Par ailleurs, une partie de la communauté trouva refuge à l’abbaye luxembourgeoise suite à la destruction de 1522, comme nous l’apprend l’Historia Excidii Sancti Maximini, une chronique contemporaine des faits qui est plus que probablement l’œuvre de Scheckmann et qui est transcrite au début et à la fin du troisième volume de la Bible géante95. L’une ou l’autre occasion dut permettre le transfert de la Vie d’Irmine, d’autant plus que des échanges de livres entre les deux institutions sont attestés96. L’œuvre de Thiofrid avait été recopiée à la fin du xiie siècle par Thierry d’Echternach dans le Liber aureus de l’abbaye97. Toutefois, ce n’est pas de ce dernier que l’exemplaire du volume de janvier dérive98. On peut supposer que les travaux de réorganisation de la bibliothèque epternacienne menés par les éd. I. Crusius, Göttingen, 2001, p. 192 ; MGH, SS rer. Merov., vol. 7, p. 645 ; B. Krusch, « Reise nach Frankreich », p.  620 ; F.  Avril et C.  Rabel, Manuscrits enluminés, vol.  1, p. 148 ; K. Krönert, La construction du passé de la cité de Trèves : viiie-xie siècles. Étude d’un corpus hagiographique, thèse de doctorat en histoire sous la direction de F. Dolbeau et M. Sot, vol. 2, Université de Paris X-Nanterre, 2003, p. 610. 94  Le scribe est probablement Nicolas Dubgin qui a laissé son nom dans une note marginale au fol. 67r du légendier. À son propos, cf. Die Benediktinerabtei, vol. 2, p. 1166 et 1195. 95  F. Bezner, Von der Liturgie zur Geschichte, p. 248, VIII, 13 : Eramus namque alii in monasterio Echternacensi (…). 96  Vincent de Cochem copia en 1511/1512 le martyrologe d’Usuard, la règle de saint Benoît et un obituaire à destination de l’abbaye luxembourgeoise (Luxembourg, Bibliothèque nationale du Luxembourg, 136). D’autres manuscrits écrits ou importés par des moines de Saint-Maximin incluent encore un bréviaire ainsi qu’un psautier-hymnaire (Ibid., 7 et 10) : M. Embach, « Das Skriptorium der Abtei Echternach im Mittelalter. Eine Skizze », dans Kostbare Handschriften und Urkunden aus Echternach und Trier. Eine Ausstellung der Stadtbibliothek und des Stadtarchivs Trier, mit Leihgaben aus der Nationalbibliothek Luxemburg und dem Domschatz Trier, éd.  M.  Embach et R.  Nolden, Trèves, 2010, p.  147 ; T.  Falmagne, Die Echternacher Handschriften. 97  Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, Memb. I. 71, fol. 23r-25r. 98  En effet, Thierry avait ajouté le nom de la mère d’Irmine, Nanthilde, au texte (édité dans MGH, SS, vol. 23, p. 48), ajout que l’on ne retrouve pas dans le volume de janvier du grand légendier : O. Schneider, Erzbischof Hinkmar, p. 341-342, n. 706.

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moines de Saint-Maximin permirent de mettre la main sur d’anciens manuscrits ou livrets et que c’est sur la base de l’un de ces derniers que la Vie fut copiée. Il ne s’agit d’ailleurs pas du seul matériau de Thiofrid qui est inclus dans des productions maximiniennes du premier quart du xvie siècle : le manuscrit des Legendae patronorum comprend également deux sermons du moine epternacien99. De son côté, Scheckmann a utilisé et a copié certains extraits du Flores Epytaphii Sanctorum100 – le seul traité médiéval sur le culte des saints et la vénération de leurs reliques à côté de celui de Guibert de Nogent (De sanctis et eorum pigneribus) – pour la composition de ses Heiltumsdrucke101. Tenant compte de ces éléments et puisque la Vie d’Irmine a été copiée dans le volume de janvier, on peut supposer que le volume de décembre avait été détruit ou spolié au cours de l’une des destructions de l’abbaye en 1433/34 ou en 1522102 . Toutefois, il semble qu’il ait bel et bien été pris en compte lors de l’inscription des cotes au tournant des xve-xvie siècles. En effet, les volumes de janvier et de novembre portent respectivement les cotes « N  2 » et « N 9 », ce qui suggère donc que le volume de décembre correspondait à « N 1 », ce qui serait impossible en cas d’une disparition du volume en 1433. À côté de la Vie de sainte Irmine qui fut copiée dans le premier quart du xvie siècle, un autre ajout textuel retient l’attention : la Vita sancti Malachie episcopi, retranscrite à la fin du volume d’octobre (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456, fol. 147v-164v). Si le début de ce texte remonte au xiiie siècle (fol. 147v-160r), il était demeuré incomplet et fut complété grâce à un binion sur lequel on transcrivit la fin de l’œuvre (fol.  160v-164v). Or, le scribe de Berlin, Staatsbibliothek Preußischer Kulturbesitz, theol.  lat.  fol.  729, fol.  131v-135v. J.  P. Becker et T. Brandis, Die theologischen lateinischen Handschriften, vol. 2, p. 28. Les sermons sont édités dans la Patrologia Latina, vol. 157, col. 405-410. 100  L’œuvre est connue par trois manuscrits du xiie  siècle dont un seul provient de Trèves (Bruxelles, Bibliothèque Royale, 10615/729). Ce  codex issu de Saint-Matthias avait néanmoins été acquis par Nicolas de Cues avec une série d’autres manuscrits au xve  siècle. Les  deux autres témoins proviennent d’Echternach (Trèves, Stadtbibliothek, 1378/103 et Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, Memb. I 70). M. C. Ferrari, « Lemmata sanctorum. Thiofrid d’Echternach et le discours sur les reliques au xiie siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 151 (1995), p. 215-225 ; Theofridus Epternacensis, Flores Epytaphii Sanctorum, éd. M. C. Ferrari, Turnhout, 1996 et son complément de 1999. 101  On peut, grâce à une comparaison automatique par ordinateur, identifier un extrait du traité dans le Tractatulus non tam ornatus quam devotus, in laudem sancte ecclesie Treverensis, Mayence, 1512, un livret de portée assez générale sur la ville de Trèves et ses reliques : B. Dubuisson, A Monk’s Legacy. OCR, Lemmatization, and Computational Exploration of Some of the Works of Johannes Scheckmann of Trier († 1531), mémoire de Master inédit en Digital Humanitites, KU Leuven, 2019. 102  Après l’élection d’Ulrich de Manderscheid au siège archiépiscopal, celui-ci fut contesté par l’abbaye, ce qui le poussa à mener des expéditions vengeresses qui débutèrent à la fin de l’année 1433 : Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 309. 99 

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cette « suite » laissa en fin d’ouvrage une indication chronologique : Anno domini 1545 in recompactione libri adjectum. Cette main est par ailleurs identique à celle qui transcrivit l’Historia Excidii Sancti Maximini de Scheckmann dans le troisième volume de la Bible géante finalisée par Jacob Gladbach en 1527. Il ne peut cependant pas s’agir de Scheckmann lui-même, puisque ce dernier était décédé en 1531. Les textes dédiés à sainte Irmine et à saint Malachie d’Armagh ne sont pas les seuls ajouts qui remonteraient au premier quart du xvie siècle. À l’extrême fin du volume de janvier (BNF, lat. 9741, p. 452-453), une main a écrit un texte bref véhiculant une série d’informations miraculeuses sur saint Marus, évêque de Trèves dont le corps reposait dans la crypte de l’église collégiale voisine de Saint-Paulin103. Saint Marus était célébré le 26 janvier et sa présence au sein des calendriers de l’abbaye est constante depuis le xe  siècle. Toutefois, aucun texte consacré à ce saint ne nous est parvenu mis à part les informations véhiculées dans les Gesta Treverorum (c.  1100)104. C’est justement de ces derniers que le premier paragraphe de l’opuscule, livrant un bref aperçu biographique sur l’évêque, s’inspire en partie105 : BNF, lat. 9741, p. 452 Hac in tumba saxea conditur corpus sanctissimi Mari, ab Eucharie quadragesimi Trevirorum archiepiscopi, qui hoc sacrum melyti Paulini templum, a barbaris una cum diversis urbis Trevirorum vastationibus destructum, reparavit. […]

Gesta Treverorum (MGH, SS, vol. 8, p. 158) […] Cirillum, Iamnerius, Iamnerium Emerus subsecutus, Marum post se constituit ; qui monasterium sancti Paulini, a barbaris cum praedictis urbis vastationibus desolatum, reparavit ; ubi et ipse sepultus requiescit. […]

Hic sequitur aliqua de sancto Maro ab Euchario XL. Treverensis archiepiscopo qui jacet post altare quod est ad australem partem chori ecclesiae Sancti Paulini archipraesulis Treverorum et martyris. Le texte est édité dans les Acta Sanctorum : AASS, Ianuarii, II, p. 730-731. 104  MGH, SS, vol. 8, p. 111-200. Cf. K. Krönert, L’exaltation, p. 277-287. 105  Comme l’a démontré une confrontation automatique des deux textes à l’aide de l’ordinateur (cf. n. 101), Scheckmann s’est inspiré du texte figurant dans le grand légendier ou de son archétype pour sa biographie de l’évêque dans l’Heiltumsdruck de Saint-Paulin. Éventuellement, c’est Scheckmann lui-même qui fit copier le texte dans le grand légendier. Peutêtre l’avait-il découvert à Saint-Paulin au cours de ses recherches. En tout cas, il qualifie le miracle dont il est question de « recentius ». Or, le saxon paralysé ayant recouvré l’usage de ses membres dont il est question pourrait être un certain Heinrich Duverß de Brakel qui a visité l’abbaye vers 1515 et dont le nom figure dans le livre de confraternité de Saint-Paulin (Trèves, Stadtbibliothek, 1675/346, fol. 51r). Cf. F.-J. Heyen, Das Stift St. Paulin vor Trier, Berlin-New York, 1972 (Germania Sacra ; Neue Folge, 6 ; Das Erzbistum Trier, 1), p. 291, n. 2. 103 

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L’écriture de cette annotation s’avère extrêmement proche de certaines des écritures figurant au sein des volumes de la Bible géante. Or, au moment même où les deux premiers volumes de la Bible de Saint-Maximin étaient en cours de confection, on procéda, en 1515, à l’ouverture de la tombe de saint Marus106. Une cinquième addition dont l’écriture suggère qu’elle remonte au premier quart du xvie siècle est l’épitaphe de l’abbé Jean Ier (1034-1035/36) qui fut annotée dans la marge de pied de l’un des feuillets du volume de janvier (BNF, lat. 9741, p. 357)107. Neveu de Poppon de Stavelot, Jean occupa brièvement l’abbatiat à la place de son oncle. Il était commémoré à Saint-Maximin par une pierre tombale sur laquelle était transcrite le texte reproduit dans le grand légendier. Jean est essentiellement connu à travers les informations véhiculées à son sujet dans la Vita sancti Popponis (BHL 6898) et c’est justement sur l’un des feuillets reprenant cette légende (p. 341-366) que fut copié cette épitaphe avec un renvoi à l’aide d’une croix au passage concernant la mort de Jean108. Enfin, je signalerai encore, dans le même volume, l’ajout à la toute fin de la Vie de sainte Paule (BHL 6548 ; p. 370-385) d’un éloge que saint Jérôme lui aurait consacré et qui est considéré comme étant le principal complément à sa Vie109. S’agissant comme précédemment de la mise en relation d’une inscription funéraire avec la Vie du saint à laquelle elle se rapporte, l’écriture de cette annotation présente toujours de grandes similitudes avec les autres additions susmentionnées, ce qui permet de la dater de la même époque. Pour terminer, il convient encore d’évoquer certaines manipulations des cahiers des volumes du grand légendier. Dans le volume d’octobre (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456), à la toute fin du binion ajouté en fin d’ouvrage pour compléter la Vie de Malachie d’Armagh, figure, comme je l’ai déjà mentionné, l’indication d’une recompactio, soit d’un « réassemblage » du volume en 1545 (Anno Domini 1545 in recompactione libri adjectum). Il ne s’agit pas de la seule annotation de ce type puisqu’à la toute fin du volume de septembre (Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 35), une autre main a Ibid., p. 290-291. L’épitaphe est reproduite dans J. N. von Hontheim, Prodromus Historiae Trevirensis, vol. 2, p. 981. 108  Pour l’édition de la vie, cf. MGH, SS, vol. 11, p. 291-316. Le passage consacré à Jean se situe p. 309, no 23. Quant au renvoi à l’épitaphe, dans le légendier, il se situe au niveau de la phrase : Res itaque non post modicum ex condicto viri Dei effectum invenit, vivendique finem eodem nimirum anno ipse dedit. 109  Cette épitaphe a bénéficié il y a quelques années d’une édition et d’une étude complète : A.  Cain, Jerome’s Epitaph on Paula. A  commentary on the Epitaphium sanctae Paulae, Oxford, 2013. 106  107 

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indiqué : Anno Domini recompactas 1546 f [uerunt] paginas. Le terme de compactio, s’il désigne un « assemblage », une « liaison » ou une « réunion de choses diverses qui forment un tout », est également l’un des termes employés pour désigner la mise en reliure d’un livre ou tout simplement sa reliure (libri compactio)110. Or, en 1548, des travaux de reliure étaient justement en cours de réalisation puisque les volumes de la Bible géante, finalisés en 1527, ne furent pas reliés avant cette année-là111. À n’en pas douter, les reliures des volumes du grand légendier, marquées par trois siècles d’existence, avaient plus que certainement subi les affres du temps et rendaient nécessaire une entreprise telle que la recompactio, la « remise en reliure » donc, bien que des réfections aient déjà pu être menées antérieurement. Une mise en reliure impliquait de détacher chaque cahier de la couture de l’ancienne reliure puis de les réassembler à nouveau. Certains soins étaient donc requis dans la mesure où le désordre pouvait facilement s’immiscer dans la succession des cahiers si ceux-ci n’étaient pas soigneusement organisés. De même, une fois détachés des nerfs de reliure, les feuillets d’un cahier étaient volants et il fallait donc faire attention à ne pas les dissocier ou à ne pas les mélanger. Pour éviter ce genre d’incident, les cahiers pouvaient recevoir des signatures ou des réclames112 . Toutefois, force est de constater que ce type de dispositif n’est pas homogène à travers la collection et demeure marginal113. De plus, il s’avère difficile de les dater sans prendre d’autres inLes anciens dictionnaires latin-français regorgent d’exemples de définition. Pour n’en citer que deux : P. Monet, « Relieure », dans Inventaire des deux langues, françoise et latine, assorti des plus utiles curiositez de l’un et de l’autre Idiome, Lyon, 1636, p. 746 ; J. F. Boinvilliers, « Reliure », dans Dictionnaire des commençants Français-Latin, composé sur le plan des meilleurs dictionnaires, 8e éd., Paris, 1851, p. 389. 111  F. Bezner, Von der Liturgie zur Geschichte, p. 67. 112  Malgré les précautions, certains « incidents » étaient inévitables, en témoigne l’ordre compromis des cahiers véhiculant le dossier de Laurent de Rome dans le volume d’août (BNF, lat. 9742, p. 63-102). Face à ce désordre, on a pris soin de rectifier le tir en indiquant au lecteur par des notes marginales comment retrouver la suite logique des textes (« […] quaere post VIII folia » ou « […] reverte VIII folia »). 113  Trois volumes seulement contiennent des réclames ou une signature des cahiers, y compris le volume d’octobre où l’on trouve la mention de recompactio. Les deux autres volumes sont ceux de janvier et d’août (BNF, lat. 9741 et 9742). On notera une particularité du volume de janvier dans lequel deux signatures des cahiers sont repérables dont une, plus récente, inscrite au début de chaque cahier à la pointe traçante en chiffres arabes. Celle-ci est pratiquement imperceptible mais confirme la perte du quatrième cahier dès l’époque médiévale ainsi que la disparition de deux textes pourtant référencés dans la table des matières : la Passio Secundi martyris et la Vita sancti Anthonini martyris. Les saints en question sont plus que probablement Second (dit « cultus Ameriae, Eugubii, Pergulae, etc. ») et Antonin de Pamiers dont les dossiers se trouvent dans l’un des légendiers de Saint-Matthias de Trèves avec lesquels le grand légendier est apparenté (BHL 7559 et 569). Cf. n. 13 et 19. Le fait que ces saints n’étaient pas célébrés au mois de janvier et que le dossier d’Antonin de Pamiers se retrouvait ailleurs 110 

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dices en considération : l’exploitation des données codicologiques suggère que les volumes, ou du moins certains d’entre eux, furent l’objet d’au moins deux campagnes de réfection des reliures. Une première avant et une seconde après 1470, probablement dans les années 1540114. On sait que l’abbaye possédait aux xve et xvie siècles son propre atelier de reliure au sein duquel des manuscrits plus anciens furent dépecés pour en récupérer le parchemin afin de le remployer dans la confection de nouveaux ouvrages, notamment pour la consolidation des couvertures d’incunables et de livres imprimés. Les volumes du grand légendier constituent d’ailleurs en eux-mêmes des témoins de ce travail de récupération puisque le parchemin vierge a systématiquement été récupéré par découpe où il pouvait l’être, éventuellement lors de l’une de ces campagnes de réfection des reliures115.

4. Conclusions Trouvant son origine dans une campagne de production de manuscrits lancée dans le second quart du xiiie  siècle, l’ambitieux grand légendier de Saint-Maximin de Trèves était demeuré inachevé à bien des égards. Alors que l’ensemble des textes avaient été copiés dans leur intégralité, à l’exception de celui dédié à saint Malachie d’Armagh, l’absence des intitulés relatifs à de nombreux dossiers devait compliquer la consultation de la collection dans le cadre des utilisations imputées traditionnellement aux légendiers116. Ainsi, un grand nombre des légendes véhiculées par les volumes échappait à une identification précise, dont certains dossiers pourtant dédiés à des saints dans la collection (Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 35, fol. 7v-10v) expliquerait que le cahier ait été enlevé du volume de janvier. 114  Il semblerait qu’ailleurs aussi, la période 1470-1530 fut propice aux opérations de reliure. Cf. G. Lanoë, « L’apport de l’analyse des reliures à l’histoire des bibliothèques (1470-1530) », dans Le berceau du livre imprimé. Autour des incunables. Actes des ‘Rencontres Marie Pellechet’ (22-24 septembre 1997) et des Journées d’étude des 29 et 30 septembre 2005, éd. P. Aquilon et T. Claerr, Turnhout, 2010, p. 199-205. 115  Die Benediktinerabtei, vol. 1, p. 154-155. Le fait que l’abbaye ait disposé de son propre atelier de reliure ne doit pas étonner : la reliure relevait en effet souvent de la responsabilité de l’acheteur et non pas du vendeur. Saint-Maximin, en acquérant des livres imprimés tout en poursuivant la manufacture de manuscrits, avait intérêt à disposer de son propre atelier de reliure : M. M. Foot, « Some changes in binding structure and decoration during the first quarter of the sixteenth century », dans La reliure médiévale. Pour une description normalisée. Actes du colloque international (Paris, 22-24 mai 2003) organisé par l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS), éd. G. Lanoë, Turnhout, 2008, p. 236. 116  Lectures à l’office, au réfectoire, au chapitre, sur les lieux de travail ou en privé : G. Philippart, Les légendiers, p. 112-117 ; F. Dolbeau, « Faire l’expertise », p. 76-77 et 90-91 ; Id., « À propos des lectures ».

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importants pour l’abbaye117. Le côté peu pratique, voire encombrant de ces gros manuscrits joua certainement en leur défaveur : on les conserva à cause du coût financier qu’ils avaient représenté, peut-être aussi par souci de mémoire envers les morts – à l’instar du prieur Frédéric –, mais surtout pour leur valeur symbolique118. Potentiellement concurrencée par les légendiers abrégés mais aussi par d’autres types de manuscrits liturgiques tels que les bréviaires ou les lectionnaires, la collection fut éventuellement reléguée dans un coin de l’abbaye, si bien qu’en 1393, lors de l’inventoriage des manuscrits à la bibliothèque, elle ne faisait pas partie des livres employés au chœur119. Toutefois, bien conscients de la richesse textuelle que représentaient ces neuf gros volumes, certains moines s’efforcèrent d’en atténuer les défauts et d’en rendre la consultation plus efficace par l’adjonction de tables des matières renvoyant à une numérotation des dossiers. Parmi ces intervenants figure notamment Louis de Ratingen, à qui l’on doit également un volume de Vitae Patrum rédigé en 1461 avec renvoi explicite au grand légendier. Pourtant, loin de satisfaire les besoins des moines, les volumes connurent d’autres mutations au tournant des xve-xvie  siècles lorsqu’une vaste campagne bibliothéconomique fut enclenchée : les manuscrits furent alors dotés d’une foliotation et l’on adapta les tables des matières existantes. Jusqu’à cette époque, la place des neuf volumes du grand légendier au sein du fonds de livres de l’abbaye demeurait relativement vague. L’inscription des cotes (« N 1-9 ») permit expressément de les identifier comme les neuf « premiers » livres de la catégorie « hagiographie ». Désormais, les volumes du grand légendier pouvaient être consultés de manière efficace et suscitèrent certainement l’intérêt de moines tels que Jean Scheckmann. Plusieurs mains du xvie siècle ajoutèrent d’ailleurs l’un ou l’autre On peut donner l’exemple de Nicet, l’un des saints patrons de Saint-Maximin, dans le volume d’octobre (Trèves, Stadtbibliothek, 1151/456, fol. 19r-22r). 118  Comme le fait remarquer D. Ó Riain, « The Magnum Legendarium Austriacum », p. 91, à propos du grand légendier d’Autriche : « A collection containing the Lives of over five hundred saints, which covers a period running from Antiquity to the second half of the twelfth century creates the impression of a shared and continuous Christian past and of a universal Church ». 119  Y avait-elle seulement eu sa place avant l’extrême fin du Moyen Âge tel que le laisse entendre une note marginale dans le volume de novembre (cf. n. 32) ? Comme le fait remarquer F. Dolbeau, « Faire l’expertise », p. 76 : « dans les grandes abbayes, on utilisait [en principe] au chœur des lectionnaires de l’office (…) et au réfectoire des légendiers », mais « dans la pratique, il semble qu’en beaucoup d’endroits des lectionnaires aient parfois servi au réfectoire et que des légendiers aient aussi servi au chœur et même, d’après certaines de leurs annotations marginales, ad collationem ». J’ajouterai qu’à l’instar des évolutions codicologiques des manuscrits hagiographiques, ces emplois étaient eux aussi susceptibles d’évoluer d’une génération de moines à l’autre. 117 

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texte sur les feuillets vierges du légendier, dont la Vie de sainte Irmine ou les notes relatives à saint Marus. Dans le domaine du livre, le tournant des xvexvie siècles fut très fécond à Saint-Maximin de Trèves. Cet intérêt renouvelé pour les « antiquités » du fonds doit certainement être mis en relation avec la production d’œuvres manuscrites luxueuses sur parchemin, telles que la Bible géante ou encore le légendier de legendae patronorum qui s’insère dans le contexte plus large des ostensions de reliques et de la défense des intérêts privés de l’abbaye. Il ne s’agit d’ailleurs que de la partie émergée des écrits hagiographiques de cette époque dont une étude plus détaillée, tenant compte des supports plus anciens, dont le grand légendier, serait tout à fait intéressante du point de vue de la transmission du patrimoine hagiographique. En 1522, la catastrophe s’abattit sur Saint-Maximin de Trèves : incendiée par les Trévirois après le départ du mercenaire François de Sickingen, l’abbaye fut pratiquement rasée. Bien que son patrimoine manuscrit fût préservé, c’est sans doute au cours de ces événements que le volume du grand légendier contenant le sanctoral de décembre fut perdu, raison pour laquelle il ne figure pas parmi les manuscrits employés par les Bollandistes au siècle suivant pour l’édition des Acta Sanctorum. La collecte des données codicologiques et leur mise en contexte ont prouvé que l’analyse d’une collection manuscrite aussi ample que le grand légendier de Trèves ne pouvait se limiter à une approche centrée sur l’époque de production. Dans les siècles suivants, les initiatives développées dans le cadre de la gestion de la bibliothèque eurent des conséquences non-négligeables sur l’aspect actuel des volumes. La mise en place de systèmes organisationnels, tels que les cotes ou, dans un autre registre, les tables permettant une meilleure circulation au sein de la matière, témoigne de l’intérêt des moines pour ces manuscrits bien après leur confection. Ces derniers œuvrèrent à pourvoir les textes des intitulés et des initiales manquants, parfois en lien avec d’autres productions (Louis de Ratingen et ses Vitae Patrum), ou encore à inscrire certains compléments textuels véhiculant des données chronologiques et historiques. Parallèlement à ces transformations, la production de manuscrits (Bible géante et légendiers), ainsi que l’acquisition des premiers livres imprimés et leur mise en reliure, encouragea la récupération de parchemin et justifia certaines campagnes de réfection des reliures des codices. Les manipulations successives des volumes du grand légendier à la charnière des époques médiévale et moderne reflètent donc d’une part les aléas historiques que connut l’abbaye (destructions et reconstructions) tout en témoignant d’autre part des réponses apportées à des besoins propres et évolutifs. Plus largement, elles démontrent que les manuscrits hagiographiques anciens continuaient à susciter l’intérêt des communautés religieuses, ce que les évolutions spectaculaires de l’édition hagiographique tardive tendent parfois à masquer.

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Conclusions André Vauchez (Paris) Les études sur l’hagiographie médiévale ont connu un grand essor depuis une vingtaine d’années et les publications dans ce domaine se succèdent à un tel rythme qu’il m’arrive parfois de me demander si cette inflation est vraiment un signe de bonne santé… Mais, dans ce flot inégal de travaux, l’orpailleur trouve parfois des pépites et je placerai volontiers dans cette catégorie les actes du colloque de Lille, Namur et Louvain-la-Neuve sur Les manuscrits hagiographiques du nord de la France et de la Belgique actuelle à la fin du Moyen Âge (xive-xvie siècle). Car si l’hagiographie latine de l’époque médiévale a fait l’objet de nombreuses études et publications, on ne peut en dire autant pour les textes hagiographiques en langue vulgaire qui, jusqu’à présent, n’ont guère retenu l’attention des chercheurs. Certes, des efforts ont été faits dans ce sens, comme en témoigne l’existence de la Biblioteca agiografica italiana de Jacques Dalarun et Lino Leonardi ; mais ce précieux répertoire n’a guère fait école et ne semble pas avoir suscité beaucoup d’intérêt chez les historiens. Il  en va de même pour la Légende Dorée, dont la version latine a fait l’objet des travaux de Barbara Fleith et a bénéficié de l’excellente édition critique de Giovanni Paolo Maggioni mais dont les traductions en langue vernaculaire n’ont pas reçu autant d’attention de la part des chercheurs. Ce texte fondamental était destiné avant tout aux prédicateurs et il n’a commencé à toucher un public plus large qu’à partir du milieu du xive siècle avec la multiplication des traductions en langue vernaculaire. Dans ce cas qui n’est pas isolé, la diffusion a eu plus d’importance que le texte originel, dans la mesure où la langue vulgaire était le seul moyen de le faire Des saints et des livres. Christianisme flamboyant et manuscrits hagiographiques du Nord à la fin du Moyen Âge (xiiie-xvie siècle), éd. par Fernand Peloux, Turnhout, 2021 (Hagiologia, 17), p. 443-446. © FHG10.1484/M.HAG-EB.5.126303

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connaître aux laïcs dans une perspective pastorale, à commencer par ceux et celles qui gravitaient dans le sillage des ordres religieux : convers, ermites et recluses, membres du Tiers-Ordre et des confréries de dévotion. Il y avait là tout un public désireux d’accéder à la littérature spirituelle par des traductions et dont l’existence permet de comprendre le succès que celles-ci rencontrèrent alors. Parallèlement, on voit apparaître, dans les années 1330/40, des textes hagiographiques rédigés directement en langue vernaculaire, comme la Vie de la sainte reine Élisabeth de Portugal († 1336), composée peu après sa mort par un évêque, qui n’a pas d’antécédent latin, et surtout en néerlandais. Dans ce mouvement de « vulgarisation », les Pays-Bas au sens large, depuis la Flandre jusqu’au Brabant et à la Hollande, ont en effet joué un rôle pionnier et il était logique qu’une place importante leur soit consacrée dans le présent volume. Mais on ne rendrait pas justice à cette production hagiographique en langue vulgaire si on la limitait à une simple entreprise de traduction des textes latins. Elle s’est en effet souvent accompagnée de nombreuses adaptations et a été marquée par des productions originales. Si on reprend l’exemple de la Légende dorée, on voit bien que les traductions intégrales de ce texte ont été assez rares, tandis que se sont multipliés les recueils de morceaux choisis et les florilèges où les Vies de saints étaient souvent associées à d’autres types d’œuvres. De plus, dans bien des cas, les traducteurs de la Legenda Aurea profitèrent de l’occasion pour y intégrer des saints locaux qui ne figuraient pas dans le texte latin, créant ainsi des légendiers « farcis », comme on les appelait dans le français de l’époque. De façon générale, l’hagiographie de la fin du Moyen Âge eut tendance à s’inscrire dans un cadre régional, comme on le voit chez un Jean Gielemans, chanoine à Rouge-cloître près de Bruxelles, qui consacra son œuvre à l’exaltation de sa patrie, le Brabant, comme l’a bien montré Véronique Souche-Hazebrouck, avec le souci d’enraciner la sainteté dans un cadre territorial – assez élastique en vérité, puisqu’il inclut la principauté de Liège – prédestiné et privilégié par Dieu. Parallèlement s’affirme, dans cette hagiographie des Pays-Bas, un souci nouveau : celui de mettre l’accent sur la sainteté moderne – essentiellement celle des religieuses mystiques et des saintes béguines. Certes, la plupart des légendiers continua à faire la part belle aux saints des premiers siècles, depuis les martyrs jusqu’aux premiers évêques. Mais certains de leurs auteurs s’intéressèrent également aux formes et aux figures récentes de la sainteté, comme le montre bien le fait que le même Jean Gielemans ait composé un Novale sanctorum, dont le titre est à lui seul tout un programme. Son cas n’était pas isolé puisque, chez les Carmélites de Namur, on trouve vers 1480 des textes hagiographiques concernant quatre saintes très proches dans le temps.

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Conclusions

Par ailleurs, un des grands mérites des contributions contenues dans le présent volume est de nous mettre en garde contre les généralisations trop hâtives ou les idées reçues. Il apparaît clairement, par exemple, que, dans l’hagiographie néerlandaise de la fin du Moyen Âge, les formes nouvelles se sont greffées sur la tradition et les usages anciens et n’ont pas fait disparaître ces derniers. Ainsi la traduction de la Légende Dorée est allée parfois de pair avec celle du Martyrologe d’Usuard, qui était utilisé par des prêtres et des laïcs dévots pour des lectures se rapportant à la liturgie de chaque jour. Et l’on ne doit pas oublier le rôle – peu étudié jusqu’à présent – qu’ont pu jouer les bréviaires qui concurrencèrent souvent les légendiers à l’office, même si la part qui y était faite à l’hagiographie demeurait assez limitée. L’intérêt des études ici rassemblées tient également au fait que qu’elles nous permettent de saisir les acteurs et les modalités du travail qui fut alors effectué dans le domaine hagiographique. Xavier Hermand nous rappelle à bon droit que ces textes ont été surtout produits par des communautés religieuses observantes ou réformées, soucieuses de retrouver la pureté des origines à travers l’évocation de leurs fondateurs ou de leurs héros, et que la production hagiographique d’un établissement dépendait de sa vitalité dont elle constituait une manifestation. Les  efforts des rédacteurs de Vies de saints et de recueils de miracles ont porté sur la constitution de collections plutôt que sur la rédaction de monographies. Ces religieux procédaient souvent à des réécritures et à des mises à jour de textes anciens, en abrégeant ceux qui leur paraissaient trop longs et en compilant des lectures destinées à être lues au réfectoire. Mais un usage personnel de ces textes est aussi de plus en plus fréquemment attesté, en liaison avec la généralisation des cellules dans les couvents et les monastères ainsi que chez les nobles et les bourgeois lettrés, avec une tendance à la privatisation de la lecture dans le cadre d’une pièce particulière, la chambre, appelée en Italie « studiolo ». Cette évolution sera évidemment accentuée par la diffusion de l’imprimerie à partir des années 1460/70. Il est significatif à cet égard que la Légende Dorée ait été – au même titre que la Bible – un des « best-sellers », à la fin du xve et au début du xvie siècle, dans la production typographique. Pour rendre compte de cette production hagiographique foisonnante, il faudrait aussi évoquer les gravures illustrées et les images réputées saintes. Car, s’il est vrai, comme l’a bien montré Jean-Marie Sansterre, qu’au nord des Alpes, les images n’ont pas remplacé les reliques, elles ont cependant contribué à accroitre leur rayonnement et ont parfois constitué un relais du pouvoir thaumaturgique des saints. Une dernière tendance qui caractérise la production hagiographique des Pays-Bas et de la France du Nord à la fin du Moyen Âge est l’utilisation des Vies de saints dans une perspective politique. Cette influence est sensible

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dans les réécritures qui furent alors effectuées de textes anciens, comme la Vie de Sainte Clotilde, où l’accent est mis sur l’influence de la reine sur son mari et ses enfants, ainsi que sur le rôle actif qu’elle avait joué au sein du couple royal. Et toute l’œuvre de Jean Gielemans s’efforce de mettre en évidence la continuité du pouvoir impérial dans le Brabant, depuis les ancêtres de Charlemagne jusqu’à Maximilien. Les  hagiographes de l’époque se placent désormais dans le contexte d’une « religion royale », qu’il s’agisse du caractère sacré de la monarchie française ou de la continuité du pouvoir impérial. Ces quelques remarques ne visent pas à rendre compte de tous les thèmes abordés par les différents auteurs, mais elles devraient suffire à illustrer la richesse et l’originalité des contributions qui s’y trouvent rassemblées. En effet, s’il est vrai que l’hagiographie médiévale a suscité récemment de très nombreuses publications, le présent volume se signale par le fait qu’il concerne deux domaines qui ont été plutôt négligés par la recherche : l’hagiographie en langue vulgaire et la production hagiographique dans son ensemble dans les Pays-Bas et le nord de la France aux derniers siècles du Moyen Âge. Il reste certes encore beaucoup à faire dans ces champs de recherches, mais le mouvement est en marche et ce livre constituera sans doute à l’avenir un ouvrage de référence pour les spécialistes de l’hagiographie ainsi que pour l’ensemble des historiens.

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Résumés Introduction Fernand Peloux, « Une culture hagiographique flamboyante au prisme de ses manuscrits (xive-xvie siècle) » Cette introduction prend pour point de départ les intuitions essentielles de Johan Huizinga sur le culte des saints dans les anciens Pays-Bas à la fin du Moyen Âge, qui préfigurent les travaux sur le flamboiement des dévotions et des pratiques religieuses. Il s’agit de replacer la multiplication et l’éclatement typologique des manuscrits hagiographiques dans ce cadre en donnant dans ses grandes lignes une historiographie des recherches sur cette matière, en présentant une étude de cas sur les manuscrits hagiographiques de l’abbaye cistercienne de Loos, en réfléchissant aux usages, aux fonctions et à la typologie de ces manuscrits au moment du dernier âge d’or de l’édition hagiographique médiévale.

Première partie. L’hagiographie vernaculaire de la France du Nord. Usages et réception des manuscrits Catherine Vincent, « Pourquoi réécrire des Vies de saints en français à la fin du Moyen Âge ? Quelques pistes » L’étude aborde la production hagiographique en vernaculaire à travers cinq textes français qui ont circulé de manière isolée ou dans de petits légendiers, voire dans des recueils factices : une Vie de saint Dominique des années 1256-1259 ; la Vie de Thomas Hélie de Biville datée vers 1340 ; un ensemble de jeux, Les Miracles madame sainte Geneviève (1420) et deux Vies apparues à la fin du xve siècle pour deux saints évêques des premiers siècles chrétiens de la Gaule, Romain de Rouen (629-639) et Didier de Langres (ive  siècle). La diffusion réduite de ces textes, qui pourrait constituer une limite à leur intérêt, leur donne au contraire une valeur propre qui permet de sonder la profondeur du « champ hagiographique » dans la culture médiévale. Leurs

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horizons de réception balaient en effet un large spectre social : femmes dévotes, population rurale attachée à « son » saint ; composantes variées de la société urbaine. Tout en attestant le rôle joué par les confréries dans la commande de telles productions, ces dossiers laissent aussi percevoir le fait que la vernacularisation hagiographique est autant une affaire de clercs que de laïcs. Ariane Pinche, « Li Seint Confessor de Wauchier de Denain, une œuvre sérielle et son contexte manuscrit » Le travail d’édition, qu’il repose sur des méthodes traditionnelles ou numériques, exige une compréhension profonde du texte qu’il met en lumière afin de déterminer comment présenter et délimiter son corpus. L’édition complète des huit Vies qui composent les Seint Confessor, rendue possible par les outils numériques, s’est donc imposée afin de permettre au lecteur moderne de lire ensemble ces textes conçus dès leur création sous la forme d’un recueil. L’intérêt ne portant plus sur l’étude de la Vie d’un seul saint et de son culte, la problématique s’oriente alors du côté de l’écriture hagiographique et de la réception de tels récits. La question, ainsi déplacée, invite à s’intéresser au support qui a véhiculé le texte et à interroger la composition ainsi que l’histoire des manuscrits qui ont transmis le recueil pour mieux appréhender le contexte de création et de circulation de l’œuvre. Anne-Françoise Leurquin-Labie, « Composition, usage et diffusion du légendier picard » Le légendier picard, recueil hagiographique transmis par cinq manuscrits du nord de la France (Cambrai, BM 811 et 812, Douai, BM 869 ; Lille, BM 452 et 453) s’avère composé comme une mosaïque plutôt que comme un bloc. Les liens entre les volumes s’entrecroisent dans toutes les configurations possibles. Il pioche à des sources multiples, latines et françaises, en particulier le Miroir des curés, un recueil de Vies de saints, de sermons et de textes pieux à visée pastorale, qui occupe une place particulière en toile de fonds de tous les légendiers écrits dans le domaine de parler picard au xve siècle. Esther Dehoux, Marc Gil et Mathieu Vivas, « Un légendier picard illustré de la fin du xve siècle (Lille, BM, ms. 795). Originalité et tradition d’un cycle iconographique unique » Familièrement appelé la Grosse légende, le manuscrit 795 de la bibliothèque municipale de Lille est un légendier picard de la fin du xve siècle réalisé à et pour Tournai. S’il fait partie des cinq légendiers de même langue de la fin du Moyen Âge aujourd’hui connus, il est le seul à être illustré. Son contenu littéraire et l’exécution quelque peu « grossière » de ses images le

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distinguent des luxueux exemplaires enluminés flamands de la Légende dorée, mais ce recueil est toutefois un témoin essentiel de la diffusion d’une dévotion moderne et populaire en milieu urbain. À ce titre, il est la combinaison de modèles hagiographiques traditionnels, d’originalités locales et de nouveautés dévotionnelles et spirituelles. Florent Coste, « Du local à l’universel. Modulations septentrionales de la Légende dorée dans quelques légendiers vernaculaires » On considère généralement la Légende dorée de Jacques de Voragine comme une des œuvres les plus diffusées de la littérature médiévale et comme un pilier de l’hagiographie de la fin du Moyen Âge occidental. L’objectif de la présente contribution est de montrer que son influence ne se limite pas à sa diffusion et à son adaptation en langue vernaculaire. La Légende dorée a en effet constitué une matrice textuelle évolutive, à partir de laquelle se sont agrégés, recombinés et bricolés de nouveaux ensembles hagiographiques, dont le résultat final peut paraître bien lointain du projet de l’archevêque dominicain de Gênes. L’étude de quelques légendiers septentrionaux en langue d’oïl vient confirmer cette hypothèse. Marie-Geneviève Grossel, « Les traductions en prose des Vies des Pères après le xiiie siècle : reprise, évolution, transformation aux xive et xve siècles » L’étude se fonde sur la « géographie littéraire » de trois manuscrits du xive et du xve siècle. On les considérera d’abord sous l’angle du recueil autour du texte des Vies des Pères traduites en prose au siècle précédent. Avec la recherche à l’intérieur du ms. de sa possible origine, on peut se faire une idée du concepteur et du commanditaire de l’ouvrage. Un ms. d’œuvres littéraires porte ainsi en creux son milieu de réception tout autant que la personnalité du/des copiste(s). Les traductions des Vies des Pères semblent avoir été particulièrement appréciéees au nord de Paris. Trois traductions en sont ici envisagées : (1) à la charnière du xiiie et du xive siècle, le BNF, fr. 23111 inscrit ses Vies des Pères dans un recueil de compilation. Il présente un choix d’ouvrages significatif, la plupart nordiques. Le  récit en prose et les textes en vers font converger deux tendances, la veine ascétique et l’exaltation poétique. Ce ms. témoigne de changements importants dans la dévotion, mais l’écriture reste très traditionnelle. (2)  Le  BNF, fr.  9760 semble un contreexemple. Ce magnifique ouvrage regroupe deux auctoritates (La Vie des Pères, les Dialogues-Grégoire) et une Vie de st François. Le  latin est traduit d’une façon étroitement littérale. La langue difficile qui en résulte visait peut-être la réflexion d’un séculier. (3) Le ms. BNF, fr. 22911 du xve siècle est tout autre : mille détails ancrent la traduction dans le quotidien. Le ms. offre un florilège d’exempla pour un auditoire spécialisé – sans doute des frères mendiants.

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Deuxième partie. Un terrain propice. Manuscrits et spiritualité dans l’espace belge et les anciens Pays-Bas Werner Verbeke, « Prolégomènes pour une Bibliotheca Hagiographica Neerlandica » Dans l’étendu univers germanique, le territoire des anciens Pays-Bas fut exceptionnellement fertile en production hagiographique en moyen néerlandais. La survie manuscrite de l’hagiographie en moyen néerlandais s’étale entre quelques fragments du commencement du xiiie siècle, quasi contemporains des premières légendes connues, et un immense nombre de manuscrits produits durant le xve et le début xvie siècle. Qui veut plonger dans le mare magnum de textes et de manuscrits entre grosso modo 1270 et 1525 peut compter sur les mains tendues par les générations précédentes et de nombreux contemporains. Parmi les sérieux progrès des années récentes, il faut souligner l’importance de l’édition de la première traduction brabançonne de la Legenda aurea et l’identification de son traducteur, un nommé Petrus Naghel, chartreux d’Herne (Hérines). Le xve siècle a été l’âge d’or de la production manuscrite de l’hagiographie vernaculaire. À ce stade, j’ai rassemblé approximativement 700 manuscrits. Malgré la quantité de légendes et de manuscrits conservés, un nombre indéfini de traductions a dû se perdre pour des raisons diverses. Cependant, dès le Moyen Âge, la diffusion des traductions semble déjà fort inégale et souvent même extrêmement réduite. La plupart des communautés examinées avaient seulement accès à une fraction de la production hagiographique. Barbara Fleith, « Fabrication, fonctions et usages de quelques manuscrits contenant des chapitres des traductions néerlandaises de la Legenda aurea » Nous connaissons aujourd’hui environ 170 manuscrits qui transmettent des chapitres des deux traductions néerlandaises de la Legenda aurea. Beaucoup de ces témoins ne transmettent qu’un ou plusieurs extraits des chapitres qu’ils intègrent dans de nouveaux contextes (collection de légendes vernaculaires, livret d’un saint, martyrologe en néerlandais). Dans cette contribution, j’examine les indices de fabrication, de fonction et d’usages dans quelquesuns de ces manuscrits pour répondre à la question de la réutilisation des chapitres de Jacques de Voragine en langue néerlandaise. Les communautés sous la Règle de saint Augustin, les frères et sœurs de la Vie commune et les sœurs du Troisième Ordre de Saint François sont les utilisateurs principaux de ces manuscrits. Dans quelle mesure les indices dans les manuscrits permettent-ils de relier les manuscrits à l’usage et aux idées fondamentales de ces communautés ?

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Chloé Clovis Maillet, « Singularité et sérialité d’un très rare manuscrit latin enluminé de la Légende Dorée au xve siècle (Glasgow UL 1111) » La Légende dorée de Jacques de Voragine a connu une diffusion importante au tournant du xve siècle, dans un contexte de guerre. Ces manuscrits présentèrent une forme nouvelle : celui du manuscrit de prestige au frontispice recherché, confié à des enlumineurs de renom. La plupart des manuscrits de cette série sont des traductions françaises du légendier et ont été commandés par des aristocrates fortunés et souvent proches de la cour des Armagnacs. Le manuscrit latin conservé à Glasgow (UL 1111), commandé en Flandres vers 1401 (ses marques de possession ont été effacées) nous permet de poser des questions importantes sur la diffusion savante des manuscrits enluminés, sur l’usage du latin comme langue véhicule en Flandres et sur la production brugeoise au moment où les échanges artistiques se complexifient entre Flandres et Paris. Véronique Hazebrouck-Souche, « La figure de l’évêque dans l’œuvre de Jean Gielemans : de la collection de Vies abrégées à une chorographie sacrée du Brabant ? » La vaste collection hagiographique composée par Jean Gielemans († 1487) à Rouge-Cloître entre 1471 et 1487 offre un beau panorama de la sainteté à la fin du Moyen Âge en Brabant. Le saint évêque y tient une place relativement modeste, qui confirme une crise du modèle épiscopal plus définitive que dans d’autres régions. Présent néanmoins à travers des Vitae et plusieurs catalogues d’évêques de Tongres-Maastricht - Liège, le saint évêque, idéalement martyr, moine et defensor Ecclesiae, carolingien et « brabançon », contribue activement à la louange de la Terra Beata Brabancia. Mais, au fil de ces recueils, la sainteté épiscopale retient surtout l’attention par sa géographie : une chorographie sacrée marquée par un étonnant glissement vers l’Est, vers Maastricht puis Liège. Ce  tropisme traduit la complexité de la géographie diocésaine dans la région, mais plus encore une évolution géopolitique majeure : le basculement du Brabant dans l’aire habsbourgeoise à la fin du xve siècle, aux dépends de Cambrai qui s’est définitivement tournée vers la France, tout en récupérant la sainteté épiscopale de Liège sous la bannière du Brabant sacré. Xavier Hermand, « Composer, compiler, copier des textes hagiographiques à la fin du Moyen Âge : le cas des maisons religieuses du Namurois » Cette contribution dresse un panorama de la production hagiographique des maisons religieuses du Namurois aux xive et xve  siècles, envisagée ici dans toutes ses dimensions : de la copie à la composition proprement dite

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en passant par la réécriture ou la constitution de collections (plus ou moins) originales. L’enquête s’appuie sur l’examen de toutes les sources disponibles (textes et manuscrits conservés, en latin comme en vernaculaire, mais aussi catalogues, inventaires et testaments, comptabilités, voire textes normatifs) issues d’une grosse trentaine d’institutions (chapitres séculiers, abbayes et monastères). Elle permet de caractériser cette production polymorphe, d’en évaluer la vitalité et, plus largement, de redéfinir la place et les usages des textes hagiographiques dans une « province » de l’Occident aux derniers siècles du Moyen Âge.

Troisième partie. De Brest à Trèves, approche typologique de la diversité des manuscrits hagiographiques Marjolaine Leméillat, « Manuscrits hagiographiques et saints bretons en Bretagne à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle) » Cinquante manuscrits hagiographiques ont été dénombrés pour le duché de Bretagne, entre le xive siècle et le début du xvie siècle (dix originaux et quarante connus par des sources diverses). Plus de la moitié sont des légendiers (dont une majorité de Légende dorée), le reste est composé de Vies de saints en français, pour les recueils possédés par des laïcs, et en latin pour ceux conservés en milieu monastique. Quelques-uns sont de superbes volumes détenus par des bibliophiles distingués. Œuvres copiées sur des textes antérieurs ou entièrement créées pendant la période, elles appartiennent à vingt-neuf propriétaires, dont quinze individuels (tous de nobles lignages ou des gens de savoir) et quatorze collectifs (chapitres, paroisses, couvents), qui en sont les héritiers ou les commanditaires. Dans cet ensemble figurent seulement six Vies de saints bretons, tutélaires des couvents, chapitres ou paroisses qui en sont les détenteurs. Aucune n’est attestée chez les propriétaires individuels de manuscrits hagiographiques, d’une part, parce qu’ils sont membres de dynasties familières ou implantées dans le royaume de France, et d’autre part, parce que la vénération des saints bretons est davantage le fait des lignages ancrés localement et du petit peuple. Fernand Peloux et Laura Vangone, « Un légendier méconnu, commandité par le cardinal Georges d’Amboise vers 1500 (Rouen, BM, A. 40 [1412]) » Le manuscrit conservé à la bibliothèque de Rouen sous la cote A. 40, malgré sa description par A. Poncelet, n’a jamais fait l’objet de travaux. Pourtant, il étonne par la qualité de sa décoration italianisante. Essentiellement composé de miracles de la Vierge, de textes abrégés relatifs à des saints universaux et de

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Vies des évêques de Rouen, il comprend aussi une longue et rare Vie de saint Paul de Narbonne, connue par la compilation hagiographique de Guillaume Hulard au xive siècle (édition en annexe). L’examen de l’histoire du manuscrit, de sa décoration et de son contenu orientent vers un prestigieux commanditaire : le cardinal et archevêque de Rouen Georges d’Amboise, ancien archevêque de Narbonne, bibliophile et prélat bien conscient de son rang. Alors que l’imprimé s’empare de la matière hagiographique et que les légendiers manuscrits se font plus rares, il fait faire un objet de prestige où se déploient en partie son histoire et ses dévotions propres ainsi que celles de la Normandie vers 1500. Sarah Olivier, « Réécrire la sainteté. Autour du ms.  BNF, lat.  917, libellus de sainte Clotilde au xive siècle : entre pratiques dévotionnelles et échos politiques » Au sein de l’ensemble d’ouvrages commandés par Jeanne de Bourgogne (v.  1295-1348), épouse de Philippe  VI et reine particulièrement bibliophile, se trouve un manuscrit exclusivement consacré au culte de la reine Clotilde ; actuellement conservé sous la cote lat. 917 de la BNF, il se compose d’un office (fol. 1r-19v), d’une messe (fol. 19v-23v) et d’une Vita (fol. 24r-44v). L’examen détaillé du manuscrit, et notamment de la Vita, permet d’éclairer l’hagiographie dans sa longue durée, et de mettre au jour les différents procédés de réécriture mis en place au gré des contextes de (re)composition du récit hagiographique. Une étude circonstanciée, à la fois de la composition du manuscrit et de son contexte de production, permet de l’inscrire plus étroitement dans l’atmosphère politique des premiers Valois et des procédés de promotion de la mémoire royale dans un moment de fragilité dynastique. Mickaël Wilmart, « Un placard hagiographique : les miracles de sainte Foy enregistrés à Coulommiers au xve siècle » À Coulommiers, à la fin du xve siècle, les miracles de sainte Foy sont affichés à la vue de tous dans le sanctuaire qui lui est consacré et qui fait l’objet d’un pèlerinage régional. Conservé grâce à une copie du xviiie siècle, ce placard manuscrit aujourd’hui disparu témoigne de pratiques d’affichage encore peu étudiées. Rédigé à partir de dépositions passées devant les notaires de la ville, le placard rappelle la charge sacrale du lieu, son efficacité et sert sans doute de preuves aux yeux d’une foule pèlerine pas toujours capable de le lire. Si les religieux du prieuré Sainte-Foy semblent absents de cette composition, on peut émettre l’hypothèse d’un lien avec la confrérie dédiée à la sainte qui connaît un véritable succès au cours du même siècle, succès confirmant l’implantation réussie d’un culte importé du Rouergue. Le document est édité en annexe.

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Sara Pretto, « Entre dévotion et outil de travail : le Repertorium singulorum sanctorum per annum de l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai (Cambrai, BM, 116) » Cette contribution porte à la lumière un manuscrit assez singulier, le Repertorium singulorum sanctorum per annum, BM  116, conservé à la médiathèque de Cambrai. Il  s’agit d’un opuscule rédigé à l’abbaye du Saint-­ Sépulcre de Cambrai à la fin du xve siècle qui se présente comme un texte à mi-chemin entre un calendrier, un légendier et un catalogue de bibliothèque. En suivant le cours de l’année du 1er janvier au 31 décembre, ce répertoire indique le nom des saints dont il fallait faire mémoire avec l’indication précise du ou des volume(s) de la bibliothèque où trouver les lectures à effectuer. Plus de 1100 saints sont nommés : il s’agit d’un précieux témoignage de la composition de la bibliothèque à l’époque et du culte des saints dans une communauté bénédictine. Sa rédaction présuppose une excellente connaissance de la bibliothèque que seulement l’armarius pouvait avoir : il constitue un bel exemple de l’inventivité des bibliothécaires médiévaux en ce domaine. Il témoigne aussi du renouveau culturel qui caractérisa l’abbaye du Saint-Sépulcre et bien d’autres abbayes bénédictines de Belgique et de France du Nord à la fin du Moyen Âge, dont l’historiographie commence seulement à prendre la pleine mesure. Bastien Dubuisson, « Les transformations d’un recueil hagiographique monumental. Le grand légendier de Saint-Maximin de Trèves aux xive-xvie siècles » Le grand légendier de l’abbaye bénédictine de Saint-Maximin de Trèves constitue l’une des plus amples collections hagiographiques latines compilées à l’époque médiévale. Largement exploités par les philologues pour les textes qu’ils renferment, ses volumes n’avaient pourtant jamais été étudiés pour eux-mêmes. Produit dans le second quart du xiiie siècle à une époque marquée par un nouveau dynamisme au sein de l’abbaye, le grand légendier s’inscrit dans une campagne manuscrite beaucoup plus large. Toutefois, l’étude des manuscrits ne peut s’astreindre à l’époque de leur genèse : ayant subi plusieurs transformations au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge et au début des Temps modernes, les huit volumes subsistants de la collection sont le reflet des entreprises de gestion des livres menées par les moines qu’une contextualisation historique permet de mieux appréhender tout en jetant un regard neuf sur le légendier.

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Index

Index des manuscrits Amsterdam, Universiteitsbibliotheek, I G 12 : 173 (n. 101) Anvers, Ruusbroecgenootschap, Misc. 26 : 174 (n. 114) Arnhem, Openbare Bibliotheek, 7 : 176 (n. 157) — —, Israel 1 : 168 (n. 42) Arras, Bibliothèque municipale, 307 : 47, 49 (n. 27), 74, 75 — —, 587 : 81 — —, 630 : 224 Aurillac, Archives départementales du Cantal, 1 Fi 1 : 391 (n. 36)

—, Koninklijke Bibliotheek/Bibliothèque royale (KBR), 329-341 : 319 (n. 30) — —, 388 : 167 (n. 38), 169 (n. 49-50), 170 (n. 60, 61, 64), 192 — —, 1116 : 171 (n. 85), 202 (n. 82) — —, 1683-87 : 174 (n. 125) — —, 1805-08 : 167 (n. 38), 169 (n. 49, 57, 59), 192 (n. 26) — —, 1956-57 : 170 (n. 66) — —, 2088-2098 : 251 (n. 123) — —, 2137-38 : 167 (n. 38), 170 (n. 69) — —, 2190-91 : 174 (n. 130), 175 (n. 131) — —, 2285-2301 : 171 (n. 84) — —, 2341 : 171 (n. 75) — —, 2528 : 171 (n. 77) — —, 2546 : 175 (n. 135) — —, 2694 : 170 (n. 72) — —, 2810-13 : 167 (n. 38), 171 (n. 78) — —, 2844 : 169 (n. 48) — —, 3037 : 171 (n. 83) — —, 3067-73 : 169 (n. 54-55) — —, 3695-3697 : 288 — —, 4302-05 : 173 (n. 109, 111) — —, 4367-68 : 174 (n. 128) — —, 4459-4470 : 278 — —, 8272-8282 : 277 — —, 8690-8702 : 353, 358 — —, 9228 : 218 (n. 23), 224 — —, 9282-5 : 218 (n. 23) — —, 9295 : 74-76 — —, 9631 : 93 (n. 19) — —, 9810-14 : 32, 319 (n. 30) — —, 10202-10203 : 91, 131 — —, 10295-10304 : 132 — —, 10547-48 : 32 (n. 114) — —, 10615/729 : 435 (n. 100) — —, 11146-48 : 174 (n. 128) — —, 11150 : 167 (n. 38), 170 (n. 72)

Berkeley, Bancroft Library, 106 : 13 Berlin, Staatsbibliotek, Preussischer Kulturbesitz, Gall. Ocr 28 : 143 (n. 20) — —, Germ. Qu. 1109 : 174 (n. 118) — —, Germ. Qu. 1318 : 177 (n. 177) — —, Germ. Qu. 1395 : 167 (n. 38) — —, Germ. Qu. 1687 : 200 — —, Theol. lat. fol. 729 : 423 (n. 50), 426, 434, 435 (n. 99) — —, Theol. lat. oct. fol. 223 : 428 (n. 71) Bonn, Universitätsbibliothek (UB), 315 : 177 (n. 162) — —, S 723 : 169 (n. 51, 57, 58) Bornem, Sint-Bernardusabdij, 70-71 : 189 (n. 17) Bruxelles, Bibliothèque des Bollandistes, 27 : 425 — —, 288 : 17 (n. 41) — —, 329 : 266 — —, 465 : 28 — —, 487 : 174 (n. 125-126) — —, 494 : 172 (n. 92, 94) — —, 656 : 266 (n. 16)

505



— —, 11178 : 167 (n. 38), 171 (81) — —, 11231-36 : 173 (n. 102) — —, 11729-30 : 167 (n. 38), 169 (n. 53-54) — —, 11797 : 202 (n. 80) — —, 11987 : 17 (n. 41) — —, 12166 : 167 (n. 38) — —, 15069 : 174 (n. 124) — —, 15087-90 : 167 (n. 38), 170 (n. 71) — —, 15134 : 170 (n. 68) — —, 15140 : 170 (n. 70), 192 (n. 24) — —, 18421-18429 : 319 (n. 30) — —, 19950 : 167 (n. 38) — —, 20105 : 175 (n. 140) — —, 21001 : 22 (n. 64) — —, 2559-62 : 197 — —, II 112 : 172 (n. 93) — —, II 138 : 170 (n. 71) — —, II 166 : 174 (n. 114) — —, II 302 : 175 (n. 131) — —, II 469 : 197 — —, II 984 : 23 — —, II 1045 : 278 — —, II 1181 : 22 — —, II 1198 : 175 (n. 131) — —, II 1332 : 174 (n. 114) — —, II 2243 : 268 — —, II 2454 : 199 — —, II 4334 : 173 (n. 103) — —, II 5574 : 173 (n. 104) — —, II 6835-36 : 415 (n. 21) — —, IV 5 : 178 (n. 184) — —, IV 94 : 174 (n. 114) — —, IV 138 : 172 (n. 91) — —, IV 174 : 201 (n. 79) — —, IV 175 : 22 (n. 61) — —, IV 296 : 174 (n. 125) — —, IV 402 : 174 (n. 128) — —, IV 592 : 189 (n. 17) — —, IV 679 : 269 Budapest, Országos Széchényi Könyvtár, Holl. 4 : 173 (n. 109), 174 (n. 112)

— —, 210 : 91, 129, 131 — —, 221 : 404 — —, 264 : 406 — —, 281-285 : 406 — —, 586 : 405 — —, 801 : 404 — —, 806 : 85-86 — —, 809 : 404 — —, 811 : 80, 84-86, 88, 90, 92, 96 (n. 4), 129, 403 — —, 812 : 80, 83-85, 87, 88, 90, 92, 96 (n. 4), 129, 132, 403 — —, 817 : 405 — —, 822 : 405 — —, 824 : 405 — —, 836 : 406 — —, 839 : 406 — —, 840 : 406 — —, 846 : 405 — —, 863 : 404 — —, 864 : 404 — —, 1259 : 406 Cambridge, Fitzwilliam Museum, 22 : 218 (n. 3) — —, Charles Fairfax Murray 12 : 84 (n. 11), 88 Charleville-Mézières, Bibliothèque municipale, 14 : 370 (n. 39) Coblence, Landeshauptarchiv, Best 211, no 1020 : 426 (n. 63) — —, Best 211, no 2111 : 416 (n. 22), 420 (n. 36) Cologne, Historisches Archiv (HA), W. Oct. 25 : 173 (n. 100) Copenhague, Kongelige Bibliotek, Ny. Kgl. S. 90 b 2° : 432 (n. 83) — —, Ny. Kgl. S. 138 : 91 (n. 18) — —, Ny. Kgl. S. 168 4° : 160 (n. 11), 170 (n. 62), Cracovie, Biblioteka Jagiellońska, Berol. Gall. Fol. 156 : 128

Cambrai, Bibliothèque municipale, 64 : 399 (n. 4) — —, 101 : 399 (n. 4) — —, 116 : 397-408 — —, 117 : 405

Darmstadt, Hessische Landes- und Hochschulbibliothek, 2196 : 199 Deventer, Stadsarchief en Athenaeumbibliotheek (SAB), I 8 (101 F 4) : 175 (n. 142)

506



— —, I 34 (101 F 8) : 176 (n. 147) — —, I 36 (101 F 15) : 175 (n. 142, 145) — —, I 37 (101 D 18) : 176 (n. 153) — —, I 38 (101 D 8) : 176 (n. 153) — —, I 39 (101 D 9) : 176 (n. 153) — —, I 40 (101 F 12) : 175 (n. 143, 144, 146) — —, I 42 (101 D 6) : 176 (n. 152) — —, I 43 (101 F 9) : 176 (n. 149) — —, I 44 (101 F 10) : 176 (n. 148) — —, I 45 (101 F 11) : 176 (n. 148) — —, I 46 (101 D 5) : 176 (n. 148, 149, 151) — —, I 53 (101 F 6) : 176 (n. 150) — —, I 56 (191 F 7) : 175 (n. 146) — —, I 58 (101 D 1) : 176 (n. 154) — —, I 64 (10 V 1) : 179 (n. 205) Douai, Bibliothèque municipale, 869 : 80 (n. 2), 81, 84 (n. 10), 85, 88-90, 96 (n. 4),

Hambourg, Jorn Günther Antiquariat, 1997 : 298 (n. 4), 299 (n. 14), 304 (n. 35) —, Staats- und Universitätsbibliothek Hamburg, Theol. 2058 : 179 (n. 204) Hasselt, Gemeentarchief (GA), Inv. 2068 : 174 (n. 119) Jena, Thüringer Universitäts- und Landesbibliothek, Gall. 86 : 218 (n. 23) Karlsruhe, Badische Landesbibliothek, Aug. perg. 266 : 429 (n. 76) Kassel, Universitätsbibliothek – Landesbibliothek und Murhardsche Bibliothek der Stadt (GHB), Theol. Fol. 56 : 177 (n. 172)

Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana, Calci 33 : 125 (n. 10) — —, Pal. 97 : 131 (n. 23) — —, Pal. 141 : 33, 89, 128 —, Biblioteca Nazionale, Conventi Soppressi J IX 10, fol. 22v-26r : 431 (n. 79) Francfort, Universitätsbibliothek, Praed. 12 : 174 (n. 114)

La Haye, Koninklijke Bibliotheek, 3 H 8 : 174 (n. 114) — —, 70 E 5 : 173 (n. 103) — —, 70 E 13 : 173 (n. 99) — —, 70 E 14 : 173 (n. 108, 109) — —, 70 E 15 : 173 (n. 108, 109) — —, 70 E 44 : 173 (109) — —, 71 H 6 : 167 (n. 38), 192 — —, 71 H 64 : 167 (n. 38) — —, 73 D 9 : 196 — —, 73 E 7 : 174 (n. 122) — —, 73 E 26 : 179 (n. 206) — —, 73 G 31 : 178 (n. 188-189) — —, 73 G 32 : 178 (n. 193) — —, 73 G 33 : 178 (n. 192) — —, 73 G 40 : 178 (n. 191) — —, 73 H 4 : 174 (n. 113) — —, 73 H 6 : 173 (n. 109), 174 (n. 114) — —, 73 H 7 : 173 (n. 110) — —, 73 H 9 : 174 (n. 114) — —, 73 H 11 : 173 (n. 109) — —, 73 H 12 : 173 (n. 96) — —, 73 H 13 : 173 (n. 109) — —, 73 H 14 : 174 (n. 115) — —, 73 H 24 : 173 (n. 109) — —, 75 E 14 : 178 (n. 186) — —, 75 E 16 : 179 (n. 210)

Gand, Bibliothèque universitaire, 896 : 198 — —, 904 : 174 (n. 127) — —, 1016 : 170 (n. 72) — —, 1080 : 170, 193 — —, 1269 : 179 (n. 207) — —, 1305 : 174 (n. 120) — —, 1379 : 175 (n. 139) — —, 1761 : 174 (n. 125), 175 (n. 131) —, Rijksarchief, Fonds der Rijke Claren, register 3 : 181 (n. 235) Genève, Bibliothèque universitaire, 57 : 212 (n. 7), 218 (n. 23), 224 Glasgow, University Library, 1111 : 211-226 Gotha, Forschungs- und Landesbibliothek, Memb. I. 70 : 435 (n. 100) — —, Memb. I. 71 : 434 (n. 97) Grenoble, Bibliothèque municipale, 1173 : 125 (n. 10)

507



— —, 78 F 1 : 206 (n. 96) — —, 133 B 13 : 179 (n. 197) — —, 133 D 32 : 179 (n. 202) — —, 133 F 7 : 177 (n. 160) — —, 135 F 12 : 174 (n. 119) — —, 143 C 34 : 173 (n. 105) Langres, Bibliothèque municipale, 65 : 58 (n. 64) Leipzig, Universitätsbibliothek, 1551 : 79 Le Mans, Bibliothèque municipale, 157 : 369 (n. 38) Leyde, Universiteitsbibliotheek, 46A : 128, 132 — —, BPL 86 : 202 (n. 83) — —, BPL 1215 : 158 (n. 5), 172 (n. 90, 94) — —, BPL 2259 : 173 (n. 105) — —, BPL 2895 : 177 (n. 163) — —, LTK 191 : 162 (n. 19) — —, LTK 259 : 179 (n. 202) — —, LTK 265 : 179 (n. 211) — —, LTK 266 : 176 (n. 159) — —, LTK 269 : 179 (n. 211) — —, LTK 273 : 207 — —, LTK 274 : 207 — —, LTK 275 : 207 — —, LTK 278 : 190 (n. 17) — —, LTK 280 : 178 (n. 181) — —, LTK 281 : 177 (n. 164) — —, LTK 283 : 177 (n. 167) — —, LTK 334 : 179 (n. 203) — —, LTK 335 : 178 (n. 182) — —, LTK 360 : 178 (n. 186) — —, LTK 1984 : 179 (n. 202) Liège, Bibliothèque universitaire, 19 : 22 (n. 62) — —, 41 : 22 — —, 43 : 27, n. 87 — —, 78A : 22 (n. 62) — —, 138 : 27, n. 87 — —, 210 : 26 — —, 278 : 21 — —, 326 : 27 — —, 366 : 22 (n. 62)

— —, 2635 : 174 (n. 122) —, Grand séminaire, 6. N. 5 : 287 Lille, Bibliothèque municipale1, 92 : 15, 17 — —, 93 : 17 — —, 342 : 98 (n. 9) — —, 449 : 15, 16 — —, 450 : 15 — —, 451 : 15 — —, 452 (795) : 80 (n. 2), 81, 84-89, 92, 95-118, 130-131 — —, 453 : 80 (n. 2), 81, 84 (n. 10), 85-90, 92, 96 (n. 4), 128 Londres, British Library, Add. 10050 : 17 (n. 41) — —, Add. 17275 : 74, 75 — —, Add. 17715 : 270 (n. 37) — —, Add. 18162 : 160 (n. 12), 206 — —, Add. 20034 : 196, 206 — —, Egerton : 174 (n. 125) — —, Harley 4699 : 332 — —, Royal 20.D.VI : 70, 73, 74 — —, Stowe 50-51 : 87-92, 218 (n. 23) —, University College Library, Germ. 17 : 200 Louvain, Bibliothèque universitaire, 26 : 172 (n. 86-87) — —, 172 : 171 (n. 79) — —, D 319 : 171 (n. 79) Luxembourg, Bibliothèque nationale (BNL), 136 : 422 (n. 46), 434 (n. 96) Mâcon, Bibliothèque municipale, 3 : 96 (n. 5), 99 (n. 12), 218 (n. 23), 100 (n. 14) Manchester, John Rylands Library, Dutch 10 : 207 Meaux, Archives départementales de Seine-et-Marne, 944 F 22/ 1 à 9 : 382 (n. 3-4), 386 (n. 23, 24), 392 — —, 944 F 23-24 : 382 (n. 3) — —, 944 F 76 : 382 (n. 3) — —, 944 F 86 : 382 (n. 3) — —, H 831 : 386 (n. 25), 387 (n. 26) Metz, Bibliothèque municipale, 535 : 143

Pour ce fonds, on donne la numérotation employée par le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, 1885. 1 

508



Narbonne, Bibliothèque municipale, 4 : 332 New-York, Pierpont Morgan Library (PML), M. 672-675 : 96 (n. 5), 100 (n. 14) — —, M 868 : 179 (n. 198) Nimègue, Gemeentearchief, I a 23 : 177 (n. 173) — —, I a 24 : 177 (n. 177) — —, Weeshuis 952 : 177 (n. 175) — —, Weeshuis 953 : 178 (n. 178) — —, Weeshuis 954 : 177 (n. 176), 205 — —, Weeshuis 955 : 178 (n. 179) —, Jezuïetenbibliotheek Berchmanianum (JBB), 5000 PB 53 : 178 (n. 195), 179 (n. 196), 179 (n. 199) —, Universiteitsbibliotheek, 301 : 175 (n. 146) — —, 176 (n. 147) — —, 312 : 179 (n. 212) — —, 303 : 177 (n. 165), 199

Modène, Biblioteca Estense, Etr 116 : 88 (n. 15) Mons, Bibliothèque municipale, 27 : 17 (n. 41) Munich, Bayerische Staatsbibliothek (BSB), Clm 10177 : 216 (n. 20) — —, Gall. 3 : 218 (n. 23) Namur, Archives de l’État, archives ecclésiastiques, 101 : 264 (n. 9) — —, 605 : 264 (n. 9) — —, 618 : 274 (n. 53) — —, 794 : 274 (n. 51) — —, 889 : 275 (n. 54) — —, 2932 : 274 (n. 51), 282 (n. 82), 283 (n. 83) — —, 3241 : 282 (n. 82) — —, 3242 : 282 (n. 82) — —, 3243 : 282 (n. 82) — —, 3244 : 282 (n. 82) — —, 3245 : 282 (n. 82), 283 (n. 83) — —, 3246 : 282 (n. 82) —, Bibliothèque de la ville2, 21 : 285 — —, 47 : 287 — —, 48 : 288 — —, 49 : 288 — —, 66 : 279 (n. 70), 288 — —, 73 : 263 (n. 7), 278, 280 (n. 73) — —, 76 : 17 (n. 41), 278, 280, 287 — —, 102 : 285 — —, 110 : 285 — —, 159 : 287 — —, 160 : 270 (n. 37), 290 — —, 162 : 290 — —, 163 : 289 — —, 165 : 263 (n. 7) —, Bibliothèque du Grand séminaire — —, 45 : 273 (n. 47), 276 (n. 57) — —, 54 : 266 (n. 16) — —, 56 : 276 —, Musée diocésain, 21 : 266 (n. 18) Nantes, Bibliothèque municipale, 116 : 298 (n. 4) — —, 652 : 298 (n. 4), 299 (n. 12), 300 (n. 16, 21), 304 (n. 34), 305 (n. 50)

Oxford, Bodleian Library, Add. D. 106 : 275 Paris, Archives Nationales, KK3B : 386 (n. 22) —, Bibliothèque Mazarine, 1581 : 316 —, Bibliothèque nationale de France (BNF), Arsenal, 582 : 370 (n. 38) — —, Arsenal, 3326 : 98 (n. 8) — —, Arsenal, 3684 : 79, 96 (n. 3) — —, Arsenal, 5104 : 98 (n. 10) — —, Arsenal, 5204 : 139 — —, Coislin 126 : 147 — —, Esp. 44 : 214 (n. 11) — —, fr. 183 : 74, 75 — —, fr. 184 : 218 (n. 3), 224 — —, fr. 185 : 74, 75, 216 (n. 20) — —, fr. 241 : 216 (n. 19) — —, fr. 242 : 218 (n. 3), 224 — —, fr. 243 : 218 (n. 3) — —, fr. 244-245 : 218 (n. 3), 297 (n. 2), 298 (n. 4), 300 (n. 21), 304 (n. 35)

i. e : Désormais Musée provincial des arts anciens du Namurois – Trésor d’Oignies, Fonds de la ville. 2 

509



— —, fr. 316 : 374 (n. 58) — —, fr. 404 : 212 — —, fr. 411 : 70, 73 — —, fr. 412 : 67-76 — —, fr. 414 : 225 — —, fr. 415-416 : 218 (n. 3) — —, fr. 422 : 137, 143 — —, fr. 430 : 138, 144-146 — —, fr. 818 : 143 (n. 21) — —, fr. 914 : 298 (n. 4), 300 (n. 22), 304 (n. 35) — —, fr. 1038 : 141 — —, fr. 1054 : 87 — —, fr. 1374 : 13 — —, fr. 1745 : 143 (n. 21) — —, fr. 1768 : 143 (n. 21) — —, fr. 1802 : 143 (n. 21) — —, fr. 2090-2092 : 298 (n. 4), 300 (n. 21), 304 (35) — —, fr. 2094 : 13 — —, fr. 2162 : 12 — —, fr. 22543 : 143 (n. 21) — —, fr. 22911 : 138, 149-154 — —, fr. 25526 : 217 (n. 21) — —, fr. 25532 : 142 (n. 14) — —, fr. 2678-2679 : 316 — —, fr. 4901 : 51 (n. 33) — —, fr. 9588 : 137-139, 144, 146 — —, fr. 9760 : 138, 143 (n. 22), 144-149, 153 — —, fr. 10721 : 56-57 — —, fr. 11610 : 93 (n. 19) — —, fr. 12572 : 93 (n. 19) — —, fr. 13496 : 79 — —, fr. 17001 : 103 (n. 26) — —, fr. 19531 : 48 — —, fr. 23111 : 137-144, 146 — —, fr. 23114 : 79 — —, fr. 23686 : 137 — —, fr. 24430 : 137 — —, lat. 917 : 349-380 — —, lat. 1148 : 298, 305 (n. 42) — —, lat. 1299 : 329 (n. 70) — —, lat. 1890 : 315 — —, lat. 2070 : 315-316 — —, lat. 2838 : 332 — —, lat. 2541 : 143 (n. 21) — —, lat. 3809A : 23

— —, lat. 3922A : 401 (n. 15) — —, lat. 5306 : 23 — —, lat. 5333 : 353, 358, 371 (n. 49) — —, lat. 5575 : 329, 332 — —, lat. 5809 : 315, 316 — —, lat. 7774 : 315, 316 — —, lat. 9741 : 411 (n. 8), 417 (n. 25), 433, 436, 437, 438 (n. 113) — —, lat. 9742 : 411 (n. 8), 417 (n. 25), 419 (n. 32), 423 (n. 50), 438 (n. 112-113) — —, lat. 10551 : 370 (n. 39) — —, lat. 12612 : 353, 358 — —, lat. 14650-14652 : 39 — —, Néerl. 40 : 175 (n. 138) — —, Néerl. 129 : 179 (n. 198) — —, Nouv. Acq. Lat. 3081 : 298 (n. 4), 300 (n. 17), 304 (n. 33) —, Bibliothèque Sainte-Geneviève, 90 : 370 (n. 38) — —, 1131 : 52-53, 62 — —, 1259 : 369 (n. 38), 370 (n. 40) — —, 1263-1264 : 370 (n. 38, 39, 41) — —, 2641 : 369 (n. 38), 370 (n. 39) —, Institut de France, 12 : 91 — —, 663 : 79, 89 —, Musée Marmottan, Wildenstein 197 : 218 (n. 23) Rennes, Bibliothèque municipale, 266 : 224 Rouen, Archives départementales de Seine-Maritime, G 82 : 317 (n. 10) — —, G 866 : 313 (n. 8) — —, G 867 : 313 (n. 7) —, Bibliothèque municipale, A 40 (1412) : 311-347 — —, A 120 (1375) : 323 (n. 53) — —, A 370 (529) : 323 (n. 53) — —, U 40 (1378) : 323 — —, U 123 (1467) : 324 (n. 53) — —, Norm 274-60 : 57 (n. 58) Saint-Gall, Stifsbibliothek, Cod. Sang. 566 : 401 San Marino, Huntington Library, HM 3027 : 214

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Stuttgart, Württembergische Landesbibliothek, Cod. Theol. et Phil. 2°25 : 298 (n. 4), 300 (n. 16), 304 (n. 35)

— —, 1675/346 : 436 (n. 105) — —, 2229/1751 : 423 (n. 50) Troyes, Bibliothèque municipale, 1041 : 91 (n. 18), 131 (n. 20)

Tilburg, Universiteitsbibliotheek (UB), KHS 26 : 178 (n. 195), 179 (n. 196) Toulouse, Bibliothèque municipale, 477-479 : 23, 332 Tournai, Bibliothèque de la ville, 27 : 100 (n. 15) — —, 127 : 128 —, Bibliothèque du chapitre cathédral, B. 1 : 100 (n. 13) Tours, Bibliothèque municipale, 944 : 143 (n. 21) — —, 1008 : 88 (n. 15) Trèves, Bibliothek des Bischöflichen Priesterseminars, 5 : 413 (n. 13), 430 (n. 77) — —, 35 : 411 (n. 8), 437, 439 (113) — —, 36 : 411 (n. 8), 413 (n. 15), 419 (n. 32), 430 — —, 63 : 425 (n. 60) — —, 413 (n. 13) —, Stadtbibliothek, 380/1049 : 425 (n. 60) — —, 443/1908 : 433 (n. 91) — —, 451/797 : 433 (n. 91) — —, 479/1613 : 433 (n. 91) — —, 809/1341 : 429 (n. 74) — —, 812/1339 : 429 (n. 74) — —, 1151/453 : 411 (n. 8), 430 — —, 1151/454 : 411 (n. 8), 430, 432 — —, 1151/455 : 411 (n. 8), 430 — —, 1151/456 : 411 (n. 8), 425 (n. 62), 435, 437, 440 (n. 117) — —, 1152/776 : 413 (n. 13), 430 (n. 77) — —, 1173/37 : 428 (n. 71) — —, 1185/487 4° : 204 — —, 1191/492 : 429 (n. 74) — —, 1378/103 : 435 (n. 100) — —, 1626/401 : 424 (n. 55), 426 (n. 63) — —, 1632/396 : 416 (n. 22) — —, 1634/394 : 413 (n. 16), 417 (n. 26), 419 (n. 29) — —, 1635/48 : 420 (n. 35), 426 (n. 63)

Uden, Abdij Maria Refugie, D 1 : 179 (n. 200) — —, Inv 078 : 178 (n. 195) Utrecht, Centraal Museum (CM), 1569 : 178 (n. 185) —, Museum Catharijneconvent (MCC), ABM 51 : 177 (n. 169) — —, BMH SJ 91 : 176 (n. 158) — —, BMH SJ 93 : 179 (n. 202-203) — —, Warmond 92 F 26 : 179 (n. 208) —, Universiteitsbibliotheek, 1013 (5 E 19) : 174 (n. 116) — —, 1015 (5 E 17) : 174 (n. 113) — —, 1016 (5 D 6) : 177 (n. 171), 182 (n. 248) — —, 1032 (2 D 23) : 173 (n. 97) Vaalbeek, Bibliotheek van het Instituut voor Franciscaanse Geschiedenis, A 21 : 172 (n. 95) Valenciennes, Bibliothèque municipale, 126 : 91 (n. 18), 131 (n. 20) Vannes, Archives départementales du Morbihan, 74 G 3 : 301 (n. 27) Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Ottob. lat 223 : 131 (n. 12) — —, Reg. lat. 534 : 214, 215, 223 — —, Ross. 624 : 125 (n. 10) — —, Vat. lat. 10187 : 125 (n. 11) Vienne, Österreichische Nationalbibliothek (ÖNB), 248 : 177 (n. 168) — —, 326 : 217 — —, 490 : 423 (n. 50) — —, 541 : 423 (n. 50) — —, 1052 : 423 (n. 50) — —, 12706-12707 : 228 (n. 6) — —, 12708-12709 : 228 (n. 6) — —, 12710 : 228 (n. 6) — —, 12784 : 170 (n. 65) — —, 12811-12814 : 228 (n. 6) — —, 12847 : 175 (n. 131) — —, 12874 : 175 (n. 132)

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— —, 12897 : 169 (n. 56) — —, 13655 : 175 (n. 131) — —, 13708 : 170 (n. 63) — —, 13880 : 169 (n. 52), 171 (n. 82) — —, 15148 : 171 (n. 76) — —, 15419 : 175 (n. 133) — —, 15458 : 171, 175 (n. 137)

Weert, Provinciaal Archief van de Minderbroeders, CMW 28 : 174 (n. 121) — —, OFM 4 : 176 (n. 147) — —, OFM 8 : 174 (n. 121) Weesp, Gemeentearchief (GA), Inv. 286 : 178 (n. 190) Wolfenbüttel, Herzog-August Bibliothek, 80, 5 Aug. 2° : 206 (n. 96)

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Index des saints*3 Adrianus : 105 (n. 37), 107 (n. 52), 108 (n. 56), 109 (n. 59), 173 Aegidius : 66-68, 70, 76, 113, 117, 144 Afra : 219 (n. 26), 226 Afrodisius : 344 Agatha : 105 (n. 38), 107 (n. 52), 110 (n. 61), 159, 179, 308 Agilus : 384, 385 (n. 21) Agnes : 31, 106 (n. 39), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 111 (n. 68), 179, 182 (n. 245) Agritius : 427 Aguilberta : 384 Aicardus : 114, 117 Albanus : 226 Albertus (Gambrunensis) : 83, 85 (n. 1213), 101, 129, 252, 406 Albertus (Leodiensis) : 232, 238, 243 Albinus : 99 (n. 11), 105 (n. 36), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 109 (n. 59), 110 (n. 63), 111 (n. 68), 127 Aldebertus : 83, 84, 99 (n. 11) Aldegundis : 83, 85 (n. 12), 86, 87, 105 (n. 35), 113, 129, 399, 403 Alena : 232 Alexander : 178 Alexius : 66-68, 70, 76, 169, 170 (n. 70), 173, 175, 288, 289 (n. 112) Alour : 309 Amalberga : 31, 32, 226, 232 (n. 18) Amandus : 22, 31, 83, 85 (n. 12), 115, 126, 129, 234, 248 (102), 403 Amatus : 84 (n. 10), 85 (n. 12) Ambrosius : 115, 149 (n. 38), 219 (n. 17), 323

Anastasia : 106 (n. 39), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 110 (n. 61), 111 (n. 68) Andreas (ap.) : 47, 70, 97, 220 Andreas (Corsini) : 234, 242, 268 (n. 31), 276 Anna : 164 (n. 29), 173, 182 (n. 245), 269, 299, 305, 309 Ansbertus : 31 Antonius (abbas) : 32, 114, 136, 149 (n. 38), 170 (n. 68), 172 (n. 95), 323, 398, 425 (n. 60-61) Antonius (de Padua) : 116 (n. 106), 175, 176, 182 (n. 245), 226, 278 Antoninus (Apamiis) : 438 (n. 113) Antoninus (Placentiae) : 218 (n. 3), 220 Apollinaris : 129 Apollonia : 176 Arnaldus : 231 Arnulphus : 99 (n. 11-12), 105 (n. 35), 232, 243, 394 Arsenius : 151 Athanasius : 432 Audebertus : 101 Audoenus : 55, 325, 326 Audomarus : 83, 84 (n. 10), 99 (n. 11), 105 (n. 35), 114, 226 Augustinus : 48, 115, 143, 164 (n. 31), 166, 170, 174, 175, 182 (n. 245), 189, 192, 193 (n. 34), 195, 197, 199, 200, 202, 203, 251 (n. 118), 302, 313 (n. 8), 317 (n. 20), 324, 378, 399 Aura : 21 Austreberta : 88

Pour des raisons pratiques, les saints sont, à de rares exceptions, indiqués en latin. En cas d’homonymie, on précise leurs qualités. * 

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Bandaridus : 16 Barbara : 76 (n. 25), 107 (n. 52), 108 (n. 56), 127, 110 (n. 61), 164 (n. 29), 170, 173, 174, 175 (n. 131), 177-180, 226, 314, 326 Barlaam et Iosaphat : 141, 172, 176 (n. 154), 178, 220 Barnaba : 106 (n. 42), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 110 (n. 61), 323 (n. 51), 328, 335-337 Bartholomeus : 47, 323 (n. 51), 107 (n. 52), 108 (n. 56), 109 (n. 59), 110 (n. 61 et 63), 127 Basilius : 99 (n. 11), 116, 149 (n. 38), 175 (n. 142), 182 (n. 245) Basinus : 426 (n. 65) Bavo : 31, 32, 87, 105 (n. 35), 117, 226 Beda : 90, 165 (n. 31), 175 Bega : 232 (n. 18), 264 (n. 12), 281 (n. 78) Benedicta : 84 (n. 10), 226 Benedictus : 27, 31, 32, 66, 69-71, 76, 115, 117, 144, 164, 288, 324, 399, 406, 408, 434 (n. 96) Bernardus : 17, 114, 117, 138, 139, 142 (n. 18), 143, 164 (n. 31), 240, 256 (n. 148), 268 (n. 27), 269 (n. 34), 283 (n. 83), 317, 322, 323, 406, 423 (n. 50) Bertinus : 16, 83, 99 (n. 11), 105 (n. 35), 117 Bertuinus : 266 Bertulfus : 31, 399 Birgitta : 53, 179, 181 Blandinus : 384, 385 Bonaventura : 44 (n. 6), 164 (n. 31), 169 (n. 52), 170, 175, 237, 241, 313 (n. 8) Bonifatius (Lausanensis) : 234 Bonifatius (Moguntinus) : 226 Bonitus : 320 Brandanus : 164 (n. 29) Bricius : 66-68, 70 Briocus : 308 Bruno : 124,

Catharina (Alexandriae) : 107 (n. 52), 108 (n. 56), 109 (n. 59), 159, 169, 173, 174, 175 (n. 131), 179, 182 (n. 245), 200, 326 Catharina (Kathelinen van Meersen) : 181 Catharina (Senensis) : 169, 181 Catharina (Suecica) : 178 Cecilia : 106 (n. 41), 107 (n. 52) Celestinus : 230, 241 (n. 70-71) Christianus : 149 (n. 38) Christina (Vulsinii) : 107 (n. 52), 110 (n. 61), 111 (n. 68) Christina (Mirabilis) : 83, 164 (n. 29), 177, 181, 198, 406 Chrysanthus et Daria : 28 Clara : 99 (n. 11), 113, 114, 124, 172 (n. 91), 174, 181, 182 (n. 245), 220, 226 Clemens : 55, 106 (n. 43), 110 (n. 61) Clodoveus : 39, 82, 100, 349, 352, 354-356, 359, 363, 367, 371 (n. 42), 372, 375-380 Clothildis : 349-380, 446 Coleta : 32, 181, 300 Conogan : 308 Corentinus : 308 Cunera : 164 (n. 29), 170, 177 Cunualus : 303 (n. 32), 306 Dagobertus : 82 Desiderius : 46, 55, 57-63 Dionysius : 28 (n. 91), 34, 39, 55, 105 (n. 36), 111 (n. 68) Dominicus (o.p.) : 46-51, 60, 61, 116, 129 Dominicus (Siliensis) : 226 Domitianus : 248 Donatianus : 84 (n. 10), 85 (n. 12-13), 226 Donatus : 99 (n. 12), 105 (n. 35), 115 Dorothea : 99 (n. 11), 105 (n. 36), 110 (n. 63), 129, 169, 327 Drogo : 83, 84 (n. 10), 99 (n. 11), 105 Dunstanus : 31 Ebregesilus : 384 Edmundus : 17 Eleutherius : 81, 83, 87, 100, 105 (n. 35), 115, 128, 137 Eligius : 35, 79, 83, 85 (n. 12), 88, 105 (n. 35), 114, 129, 169, 218, 226, 269 Elisabetha (Portugalensis) : 444

Calixtus : 106 (n. 47), 110 (n. 61) Carolus (Blesensis) : 298 (n. 8), 303 (n. 31), 306 Carolus (Magnus) : 82, 231, 235, 238 Cassianus : 220

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Elisabetha (Schonaugiensis) : 319 Elisabetha (Thuringiae) : 48, 114, 173, 174, 177-179, 181, 220, 374 (n. 63), 413 Elzearius : 181 Emetherius et Celedonius : 226 Emilianus : 226 Ephrem : 149 (n. 38) Epictetus et Astion : 182 (n. 245) Eucherius : 234 Eugenia : 149 (n. 38) Eulalia : 226 Euphemia : 99 (n. 12), 108 (n. 52), 109 (n. 59) Euphrasia : 71, 149 (n. 38), 182 (n. 245), 201, 425 (n. 62) Eusebius : 129 Eustachius : 70, 159 Eutropius : 55, 99 (n. 12), 105 (n. 37), 110 (n. 61), 345

Gertrudis : 83, 85 (n. 12), 105 (n. 35), 113, 129, 173, 232 (n. 18), 234 (n. 34) Gervasius et Protasius : 105 (n. 36), 108 (n. 52), 110 (n. 61) Gilbertus : 384 Gislenus : 85 (n. 12-13), 86, 99 (n. 11), 105 (n. 35), 116, 279, 406 Gobius : 174 Godeleva : 174, 179 Goericus : 83, 85 (n. 12-13), 86, 105 (n. 35), 129, 237, 252, 254, 339, 403, 406 Gonerius : 308 Gregorius (Magnus) : 17, 27, 69, 80 (n. 3), 121, 133, 143-145, 162 (n. 19), 164, 167 (n. 38), 169, 170, 172 (n. 88), 175, 176, 219 (n. 26), 224, 237 (n. 54), 284 (n. 90), 286 (n. 100), 288, 300, 301, 313 (n. 8), 324, 429 (n. 75) Gregorius (Turonensis) : 352, 358 (n. 33) Gudila : 83, 86, 128, 179, 232 (n. 18) Gudwalus : 31 Guevroc : 306 Gummarus : 167 (n. 38), 170, 174, 232, 233 (n. 22)

Facundus et Primitivus : 226 Fara : 384, 385 (n. 21) Faro : 384 Felix : 129 Felix (Gerundae) : 226 Fiacrius : 52 (n. 38), 60, 105 (n. 35), 385 (n. 21) Fides : 381-395 Fides, Spes et Caritas : 221, 226 Firminus : 16, 85 (n. 12), 105 (n. 35), 107 (n. 52), 109 (n. 59), 226 Foillanus : 83, 84 (n. 10), 234 Franciscus (Assisiensis) : 13, 45, 48, 113, 116, 124, 144-146, 148, 162, 166, 169-171, 173-177, 179, 180-182, 190, 195 (n. 44), 196, 202, 204, 206, 207, 208, 285, 300 Franciscus (de Senis) : 125 Fridericus : 238, 239, 244 (n. 88), 246 (n. 98), 250 Fronto : 345 Frontonius : 144 (n. 23), 226 Furseus : 48, 71, 85 (n. 12), 87, 126, 129

Hadelinus : 263 Hedwigis : 175 Helena : 98, 225, 285 (n. 97), 415 (n. 21) Heribertus : 32 Herveus : 306 Hieron : 172 (n. 91) Hieronymus : 66, 68, 70, 76, 135, 143, 149 (n. 38), 169, 173, 175, 178, 182 (n. 245), 197, 300, 319, 399, 437 Hilarion : 136, 147 (n. 38), 425 (n. 61-62) Hilarius : 55, 99 (n. 11), 116 Hildevertus : 384 Homobonus : 34 Honoratus : 299 (n. 15), 306, 307 Hubertus : 83, 84 (n. 10), 87, 88, 105 (n. 35), 173, 234, 245-250, 254, 257 (n. 153), 414 (n. 18) Hugo : 125 Humbertus : 83, 84 (n. 10), 85 (n. 12)

Gengulfus : 105 (n. 35), 267 Genovefa : 46, 51-54, 60-62, 99 (n. 12), 113, 218, 355, 356, 369 Georgius : 113, 178, 200, 278, 290, 308, 323 Gerardus : 16, 17, 31, 83, 279 (n. 70) Germanus : 99 (n. 12), 105 (n. 35), 423 (n. 50)

Iacobus (intercisus) : 99 (n. 11), 220 Iacobus (maior) : 47, 100, 111 (n. 69), 405

515



Iacobus (minor) : 105 (n. 36), 107 (n. 52), 115, 323, 341 Iacutus : 300, 304 Ida : 250 (n. 116) Ignatius : 106 (n. 48), 108 (n. 52), 109 (n. 59) Ildephonsus : 226 Innocentes : 98, 107 (n. 52), 108 (n. 54, 56), 109 (n. 59), 110 (n. 61), 322 Ioachim : 125 Iohannes (Baptista) : 28 (n. 91), 29 (n. 95), 105 (n. 36), 127, 267, 305, 323 (n. 51) Iohannes (Discalcéat) : 301 (n. 24), 302, 306 Iohannes (Eleemosynarius) : 149 (n. 38) Iohannes (evangelista) : 30 (n. 99), 47, 106 (n. 45), 107 (n. 52), 108 (n. 54, 56), 109 (n. 59), 172 (95), 309, 322, 323 (n. 51), 356 Irene : 70 Irmina : 431, 433, 434-436, 441 Isabella : 300 Isidorus : 226, 323 Iudocus : 84 (n. 10), 117, 182 (n. 245) Iuliana : 113, Iulianus (Cenomannensis) : 25, 71, 215 (n. 14) Iulianus (hospitator) : 30 (n. 99), 214 Iulius et Iulianus : 214, 215 Iustina : 99 (n. 11), 106 (n. 41) Ivo : 99 (n. 11-12), 113, 297 (n. 3), 298 (n. 8), 300 (n. 19), 301-303, 305-308

Liborius : 172 (n. 95) Lidwina : 164 (n. 29), 182 (n. 245) Lietbertus : 397, 399 Lifardus : 84 (n. 10), 85 (n. 12), 86 Liutgardis : 83, 159, 160, 170, 174, 183, 233 (n. 21), 290, 399 Livinus : 32, 52 (n. 107), 87, 105 (n. 35, 38), 108, 109 (n. 59), 173, 226, 245 Longinus : 99 (n. 11), 105 (n. 38), 198 Lucia : 106 (n. 39), 108 (n. 52), 109 (n. 59), 201 Ludovicus (IX) : 39, 99 (n. 12), 100, 127, 218, 220, 253, 263 (n. 7), 374 Ludovicus (Alamandus) : 234-235, 240, 241 Ludovicus (Tolosanus) : 218, 220, 226, 231, 232 Lupus : 99 (n. 11), 105 (n. 35) Macarius : 32, 129, 149 (n. 38), 174 (n. 120) Machabei : 182 (n. 45) Magi : 162 (n. 19), 170, 177, 182 (n. 245) Malachias : 17, 290, 435-437, 439 Malchus : 76, 136, 149 (n. 38), 425 (n. 61-62) Mamas : 59, 226 Mamertinus : 71, 129 Marcus : 106 (n. 42), 107 (n. 52), 323 (n. 51), 337 Margarita : 25 (n. 76), 34, 35, 71, 129, 190, 222, 327, 404, 406 Margarita (de Ipris) : 83 Maria (seu Virgo) : 28 (n. 91), 49, 54, 98, 104 (n. 31-32), 105, 113, 128 (n. 16), 140143, 150, 173, 181, 182, 199, 200, 206, 218, 224, 225, 264, 269 (n. 34), 307, 311, 314, 317-322, 323 (n. 51), 347, 432 Maria (Aeygyptiaca) : 23, 71, 149 (n. 38), 159, 177, 178, 404 Maria (Iacobi) : 267-269 Maria (Oigniacensis) : 82-84, 87, 88, 91, 92, 168, 177, 182, 250 (n. 116), 288 Maria (Salome) : 269 Maria Magdalena : 45, 48, 176, 179, 181, 183 (n. 248), 217, 278, 324 Marina : 129, 149 (n. 149), 169, 425 (n. 60) Martha : 48, 278, 299 (n. 15), 306, 307 Martialis : 47, 55, 66-68, 70, 76, 219 (n. 26), 226, 388, 345

Lambertus : 30, 83, 85 (n. 12), 87, 88, 105 (n. 35), 129, 172 (n. 95), 233, 234, 239 (n. 64), 244, 245, 248-250, 256, 257 Landelinus : 83, 85 (n. 12), 86, 129, 406 Landoaldus : 32 Landrada : 32 Laurentius : 32, 106 (n. 39), 107 (n. 52), 108 (n. 56), 109 (n. 59), 110 (n. 61), 111 (n. 68), 173, 182 (n. 245), 438 (n. 112) Lazarus : 219 (n. 26), 226 Leander : 226 Leocadius : 226 Leodegarius : 106 (n. 46), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 111 (n. 68) Leonardus : 129 Leonorius : 303 (n. 32), 306

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Martinus (Tungrensis) : 245, 249, 254 (n. 137) Martinus (Turonensis) : 32, 35, 47, 55, 66-70, 76, 113, 172 (95), 173, 176, 240, 302, 365, 370 Marus : 436, 437, 441 Maternus : 249 (n. 109-110) Mattheus : 47, 80 (n. 3), 308, 323 (n. 51), 340, 341, 346, 347 Matthias : 323 (n. 51) Maturinus : 99 (n. 11-12), 116 Maxellendis : 85 (n. 12), 399 Maximinus (Aquis Sextiis) : 345 Maximinus (Treverensis) : 427 (n. 65) Maudetus : 308 Mauritius : 216 (n. 17), 306 Maurontus : 88 Maurus : 70, 71, 99 (n. 12), 114, 400 Maurus (seu Mortuus) : 267, 288, 292 (n. 119) Mechtildis : 290, 399 Medardus : 83, 84 (n. 10), 85 (n. 12-13), 226, 229, 236, 240, 246 (n. 98) Melanius : 300 (n. 19), 301, 306 Mellonus : 325, 327

Paulus (apostolus) : 47, 52, 105 (n. 36), 107 (n. 52), 108 (n. 54 et 56), 109 (n. 59), 111 (n. 68), 116, 366, 369, 370, 417 Paulus (eremita) : 70, 136, 149 (n. 38), 278, 425 (n. 61) Paulus (Narbonensis) : 311, 312 (n. 2), 323, 324, 326-330, 332-347 Paulus (simplex) : 76 Pelagia : 71, 129, 149 (n. 38) Peregrinus : 182 (n. 245) Petronilla : 30 (n. 99), 129 Petrus (apostolus) : 30 (n. 99), 45, 47, 105 (n. 36), 106 (n. 40), 107 (n. 52), 110 (n. 61), 111 (n. 68), 116, 309, 341, 344, 354, 365, 366, 369, 370, 371 (n. 42), 400 (n. 7) Petrus (martyr) : 116 Petrus Balsamus : 405 Petrus Olovsson : 159 Petrus Thomae : 268-269 (n. 31) Pharaildis : 32, 84 (n. 10) Philibertus : 89 (n. 3), 159 Philippus : 323 (n. 51) Placidus : 70, 71 Piatus : 16, 79, 105 (n. 35-36), 110 (n. 61), 105 (n. 35), 107 (n. 52), 110 (n. 61) Pontius : 90 Poppo : 427 (n. 65), 437 Postumius : 149 (n. 38) Primus et Felicianus : 129 Profectus : 182 (n. 245) Protus et Hyacinthus : 129

Narcissus : 219 (n. 26), 226 Nazarius et Celsus : 129 Nicasius : 31, 105 (n. 35-36), 110 (n. 63), 226, 325, 327 Nicetius : 440 (n. 117) Nicolaus (Myrensis) : 45, 47, 66, 68, 70, 76, 113 Nicolaus (Tolentinas) : 99 (n. 11), 114, 116, 226, 237, 238

Quintinus : 16, 35, 85 (n. 12) Ragenfredis : 83, 84 (n. 10), 85 (n. 12) Remaclus : 85 (n. 12), 88, 232, 233 (n. 26), 234, 248 (n. 103), 275, 423 Remigius : 31, 55, 99 (n. 12), 100, 354-357, 363, 364, 368, 370, 378 Richardus : 57, 226 Richarius : 79, 83, 99 (n. 11), 105 (n. 35), 129, 226 Rochus : 173 Romanus : 46, 55-57, 59-63, 325, 326 Ronanus : 308 Rufus : 345 Rumoldus : 172 (n. 95), 232-233

Oda : 233 (n. 21), 248 (n. 106) Onuphrius : 149 (n. 38), 171 Pachomius : 149 (n. 38), 425 (n. 61) Pancratius : 129 Pantaleon : 172 (n. 95), 176, 178, 226 Patricius : 48, 70, 99 (n. 11), 115, 174, 179 Patusius : 384 Paula : 149 (n. 38), 300, 437 Paulinus (Nolensis) : 76 Paulinus (Treverensis) : 436

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Salvius : 16, 83, 87, 99 (n. 11), 105 (n. 35-36), 235, 335 Samson : 306 Saturninus : 345 Sebastianus : 99 (n. 12), 112 (n. 71) Secundianus, Marcellianus et Veranus : 406 Secundus : 99 (n. 11), 438 (n. 133) Servatius : 79, 88, 129, 158, 162, 170-173, 176, 234, 236, 245-249, 406 Severianus : 33 Severinus : 105 (n. 35), 114, 144 Silvester : 32, 115, 278 Silvinus : 84 (n. 10), 99 (n. 11), 105 (n. 35) Simon et Iudas : 47, 323 (n. 51) Simplicius : 129 Stephanus (prothomartyr) : 52, 106 (n. 44), 110 (n. 61), 111 (n. 69), 322, 389 Stephanus (Leodiensis) : 235, 237, 250 Symeon : 71, 149 (n. 38) Symphorianus : 129 Syrus : 129

Turiavus : 309 (n. 68) Tutgualus : 173, 174, 182 (n. 245), 303 (n. 32), 306, 307, 308 Tuzven : 309 (n. 68) Ulphia : 15 Urbanus : 110 (n. 61), 115 Ursmarus : 83, 84 (n. 10) Ursula (et undecim milia uirginum) : 182 (n. 245), 30 (n. 99), 105 (n. 36), 107 (n. 37), 110 (n. 61), 173, 176, 178, 279 Valentinus : 105 (n. 36), 107 (n. 52), 109 (n. 59), 110 (n. 63) Vedastus : 47, 75, 237 (n. 53), 252 (n. 126), 85 (n. 12), 105 (n. 35), 126, 129, 237, 252, 403 Victor : 99 (n. 11-12), 106 (n. 40), 107 (n. 52), 108 (n. 57), 109 (n. 59), 110 (n. 61), 226 Victoria : 173 Vigor : 79, 129 Vincentius (Ferrerius) : 297 (n. 3), 304 (n. 33) Vincentius (Sonegiensis) : 83, 85 (n. 12-13), 86, 129, 399 Vincentius (Valentiae) : 31, 107 (n. 52), 110 (n. 61), 129, 308 Vindicianus : 84, 84, 129 Vitus et Modestus : 129 Volusianus : 119 (n. 33) Vulframnus : 31, 403, 405, 84 (n. 10)

Tenenanus : 306 Thais : 139 (n. 6), 170 (n. 68) Thecla : 226 Theodardus (Narbonensis) : 347 Theodardus (Traiectensis) : 232, 233, 257 (n. 153) Theodora : 129 Theophilus : 169, 142 (n. 15) Thomas (apostolus) : 107 (n. 52), 108 (n. 56), 323 (n. 51) Thomas (Aquinas) : 130, 226, 308, 313 (n. 8), Thomas (Cantuariensis) : 30 (n. 99), 31, 105 (n. 36), 110, 115, 238, 242 (n. 78) Thomas (de Cantiprato) : 83, 159, 162 (n. 19), 174, 177, 178, 319 Thomas (Heliae) : 46, 50, 51, 60, 61 Thomas (Herefordensis) : 234, 237, 238 Thyrsus et Bonifatius (m. Thebaeus) : 427 (n. 66) Tillo : 88 Timotheus : 323 (n. 51) Titus : 323 (n. 51) Trophimus : 345 Trudo : 21, 22, 27, 29 (n. 95), 84 (n. 10), 172 (n. 95)

Walbodo : 235, 243, 250 Waldedrudis : 83, 85 (n. 12), 87, 105 (n. 35), 113, 129, 279, 403, 406 Wandregesilus : 31 Wernerus : 159 Willelmus (magnus) : 279 Willelmus (Bituricensis) : p. 17, 99 (n. 1112), 169, 232 (n. 18), 279 Willelmus (fundator eremitarum Montis Virginarum) : p. 172 (n. 95) Willibrordus : 245 Wivina : 233 (n. 21), 246 (n. 95) Zenon : 152

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Table des matières Introduction Fernand Peloux, Une culture hagiographique flamboyanteau prisme de ses manuscrits (xive-xvie siècle) ���������������������������������������������������� 7 Première partie

L’hagiographie vernaculaire de la France du Nord. Usages et réception des manuscrits Catherine Vincent, Pourquoi réécrire des Vies de saints en français à la fin du Moyen Âge ? Quelques pistes������������������������������������������������������� 43 Ariane Pinche, Li Seint Confessor de Wauchier de Denain, une œuvre sérielle et son contexte manuscrit����������������������������������������������������� 65 Anne-Françoise Leurquin-Labie, Composition, usage et diffusion du légendier picard��������������������������������������������������������������������������������������������� 79 Esther Dehoux, Marc Gil et Mathieu Vivas, Un légendier picard illustré de la fin du xve siècle (Lille, BM, ms. 795). Originalité et tradition d’un cycle iconographique unique����������������������������������������������� 95 Florent Coste, Du local à l’universel. Modulations septentrionales de la Légende dorée dans quelques légendiers vernaculaires������������������� 119 Marie-Geneviève Grossel, Les traductions en prose des Vies des Pères après le xiiie siècle : reprise, évolution, transformation aux xive et xve siècles��������������������������������������������������������������������������������������������� 135

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Deuxième partie

Un terrain propice. Manuscrits et spiritualité dans l’espace belge et les anciens Pays-Bas Werner Verbeke, Prolégomènes pour une Bibliotheca Hagiographica Neerlandica���������������������������������������������������������������������������������������� 157 Barbara Fleith, Fabrication, fonctions et usages de quelques manuscrits contenant des chapitres des traductions néerlandaises de la Legenda aurea���������������������������������������������������������������������������������������������� 185 Clovis Chloé Maillet, Singularité et sérialité d’un très rare manuscrit latin enluminé de la Légende Dorée au xve siècle (Glasgow UL 1111)��������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 211 Véronique Hazebrouck-Souche, La figure de l’évêque dans l’œuvre de Jean Gielemans. De la collection de Vies abrégées à une chorographie sacrée du Brabant ?����������������������������������������������������������������� 227 Xavier Hermand, Composer, compiler, copier des textes hagiographiques à la fin du Moyen Âge. Le cas des maisons religieuses du Namurois����������������������������������������������������������������������������������������������������������� 259 Troisième partie

De Brest à Trèves, approche typologique de la diversité des manuscrits hagiographiques Marjolaine Lémeillat, Manuscrits hagiographiques et saints bretons en Bretagne à la fin du Moyen Âge (xive-début xvie siècle)��������� 297 Fernand Peloux et Laura Vangone, Un légendier méconnu, commandité par le cardinal Georges d’Amboise vers 1500 (Rouen, BM, A. 40 [1412]) ������������������������������������������������������������������������������������������� 311 Sarah Olivier, Réécrire la sainteté. Autour du ms. BNF, lat. 917, libellus de sainte Clotilde au xive siècle. Entre pratiques dévotionnelles et échos politiques ������������������������������������������������������������������������������� 349 Mickaël Wilmart, Un placard hagiographique. Les miracles de sainte Foy enregistrés à Coulommiers au xve siècle��������������������������������� 381

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Table des matières

Sara Pretto, Entre dévotion et outil de travail. Le Repertorium singulorum sanctorum per annum de l’abbaye du Saint-Sépulcre de Cambrai (Cambrai, BM, 116) ����������������������������������������������������������������� 397 Bastien Dubuisson, Les transformations d’un recueil hagiographique monumental. Le grand légendier de Saint-Maximin de Trèves aux xive-xvie siècles��������������������������������������������������������������������������� 409 André Vauchez, Conclusions��������������������������������������������������������������������������� 443 Bibliographie����������������������������������������������������������������������������������������������������������� 447 Résumés������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 495

Index Index des manuscrits��������������������������������������������������������������������������������������������� 505 Index des saints������������������������������������������������������������������������������������������������������� 507 Index des lieux��������������������������������������������������������������������������������������������������������� 509

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ESTHER DEHOUX – MARC GIL – MATHIEU VIVAS – UN LÉGENDIER PICARD ILLUSTRÉ

Fig. 1 et 2 : costumes et lettrines ornées de fleurs de lys et des armoiries de la ville de Tournai et de la couronne de France

ESTHER DEHOUX – MARC GIL – MATHIEU VIVAS – UN LÉGENDIER PICARD ILLUSTRÉ

Fig. 3 : grand sceau de la ville de Tournai (1428) (Lille, Archives départementales du Nord, cote B 1392 / 15545)

Fig. 4 : Chroniques des évêques de Tournai, 1ère moitié xvie s. : un évêque en prière devant les saints patrons de l’Église de Tournai, Piat à gauche, Éleuthère à droite (Tournai, Bibliothèque du chapitre cathédral, ms. B. 1, fol. 1)

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Fig. 5 : trois miniatures montrant les liens avec le royaume de France (fol. 308 : Clovis venu se confesser à saint Éleuthère assiste à la messe ; fol. 413 : saint Louis nourrissant les pauvres et les estropiés ; fol. 452v : saint Remi baptisant Clovis)

Fig. 6 : autel surmonté de la statue de saint Jacques à l’hôpital Saint-Jacques (Lille, BM, ms 795, fol. 324) – fig. 7 : frontispice du Cartulaire de l’hôpital Saint-Jacques de Tournai (Tournai, Bibliothèque de la Ville, ms. 27, fol. 1)

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Détails de Lille, BM, ms. 795 Fig. 8 : saint Audebert, comte d’Ostrevent (fol. 173)

Fig. 11 : la Nativité (fol. 149v) Fig. 12 : la présentation au temple (fol.  163v)

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Main A : cahiers 1-13 (ff. 1-130) 35 miniatures + Lettrines de type I Main B : cahiers 14-23 (ff. 131-230) 22 miniatures + Lettrines de type II Main C : cahiers 24-38 (ff. 231-381) 39 miniatures + Lettrines de type I Main D (tient à la fois de A et de C) : cahiers 39-58 (ff. 382-579) 54 miniatures + Lettrines de type I

Fig. 9 : Répartition des miniatures et des types de lettrines

Fig. 10 : Jean Miélot, Recueil de textes, copiés et enluminés par l’auteur lui-même (Lille, v. 1470) (Paris, BNF, fr. 17001, fol. 110v ) : Le Mors de la pomme

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Fig. 13a : sainte Cécile (fol. 14v), saints Innocents (fol. 26), saint Vincent (fol. 70)

Fig. 13b : saint Liévin (fol. 92), saint Aubin (fol. 535), saint Gervais (fol. 574)

Fig. 15a: saint Denis (fol. 12), sainte Cécile (fol. 14v), saint Étienne (fol. 23)

Fig. 15b: sainte Dorothée (fol. 178v), saint Barnabé (fol. 373v), saint Pierre (fol. 377)

ESTHER DEHOUX – MARC GIL – MATHIEU VIVAS – UN LÉGENDIER PICARD ILLUSTRÉ

Fig. 14 : arrachement de la langue de saint Liévin (fol. 92v)

Fig. 16 : meutre de saint Thomas Becket (fol. 20)

Fig. 17 : saint Nicolas (fol. 201), saint Martin (fol. 83), saint Georges (fol. 246v), saint Yves (fol. 216)

ESTHER DEHOUX – MARC GIL – MATHIEU VIVAS – UN LÉGENDIER PICARD ILLUSTRÉ

Fig. 18 : sainte Aldegonde (fol. 161v), sainte Geneviève (fol. 170), sainte Gertrude (fol. 185v), sainte Claire (fol. 406v)

Fig. 20 : saint Maur (fol. 57v), saint Achard (fol. 280), saint Nicolas de Tolentino (fol. 517v)

Fig. 19 : sainte Waudru de Mons occupée à chasser le démon de sa démeure (fol. 406v)

CLOVIS CHLOÉ MAILLET – UN MANUSCRIT LATIN ENLUMINÉ DE LA LÉGENDE DORÉE

Fig. 1 : Legenda aurea – Jules et Julien (San Marino, Huntington Library, HM 3027, fol. 28v)

Fig. 2 : Legenda aurea –Madeleine (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. lat. 326, fol. 123)

CLOVIS CHLOÉ MAILLET – UN MANUSCRIT LATIN ENLUMINÉ DE LA LÉGENDE DORÉE

Fig. 3 : Legenda aurea – Litanies (Glasgow, University Library, ms. gen. 1111, fol. 95)

Fig. 4 : Legenda aurea – Marguerite (Glasgow, University Library, ms. gen. 1111, fol. 115)

FERNAND PELOUX – LAURA VANGONE – UN LÉGENDIER MÉCONNU

Fig. 1 : Rouen, Bibliothèque municipale, A40 (1412), fol. 1

FERNAND PELOUX – LAURA VANGONE – UN LÉGENDIER MÉCONNU

Fig. 2 : Paris, BNF, lat. 2070, fol. 154v

Fig. 3 : Rouen, Bibliothèque municipale, A40 (1412), fol. 89v

FERNAND PELOUX – LAURA VANGONE – UN LÉGENDIER MÉCONNU

Fig. 4 : Paris, BNF, lat. 1890, fol. 13

FERNAND PELOUX – LAURA VANGONE – UN LÉGENDIER MÉCONNU

Fig. 5 : Paris, BNF, lat. 5809, fol. 1

FERNAND PELOUX – LAURA VANGONE – UN LÉGENDIER MÉCONNU

Fig. 6 : Paris, BNF, fr. 2679, fol. 441

SARAH OLIVIER – RÉÉCRIRE LA SAINTETÉ

Fig. 1 : Officium et Vita sanctae Clotildis (Paris, BNF, lat. 917, f°1r, xive siècle [2e quart, avant 1348])

Fig. 2 : Vincent de Beauvais, Miroir historial, trad. Jean de Vignay (Paris, BNF, fr. 316, f°1r [xive siècle])