Sandro Botticelli
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Baseline Co Ltd 33 Ter - 33 Bis Mac Dinh Chi St., Star Building, 6e étage District 1, Hô-Chi-Minh-Ville Vietnam © Parkstone Press International, New York, USA © Confidential Concepts, worldwide, USA Tous droits réservés Tous droits d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Sauf mention contraire, le copyright des œuvres reproduites se trouve chez les photographes qui en sont les auteurs. En dépit de nos recherches, il nous a été impossible d’établir les droits d’auteur dans certains cas. En cas de réclamation, nous vous prions de bien vouloir vous adresser à la maison d’édition. ISBN : 978-1-78042-403-3

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Introduction

L

a place qu’occupait Botticelli parmi les artistes italiens de son temps était certes honorable, mais elle n’avait rien d’exceptionnel. De son vivant, déjà ses contemporains parlaient souvent de sa vie et de son œuvre de façon assez circonstanciée, sans pourtant lui accorder de place particulière par rapport à ses coreligionnaires. Ceci est aussi vrai des sources littéraires de l’époque, en particulier telles que nous les livrent les mémoires d’Albertini et les travaux de Francesco Billi, ou encore l’Anonymus de Gaddi. Plus tard, Botticelli tombe de plus en plus dans l’oubli. Au XIXe siècle, alors que l’intérêt pour l’art italien ancien se remet à croître peu à peu, celui-ci se porte d’abord sur les sévères représentations d’une dévotion fanatique du Pérugin plutôt que sur les œuvres de Botticelli. Même un admirateur aussi enthousiaste de l’art de la Renaissance que Jacob Burckhardt ne place pas Botticelli aussi haut que ses contemporains florentins dans son Cicerone ; la description qu’il en donne relève moins les talents que les faiblesses de l’artiste. C’est ainsi qu’il écrit : « Botticelli n’a pas été à la hauteur de ses ambitions. Il aimait exprimer la vie et les émotions à travers un geste tempétueux et peignait souvent dans une précipitation maladroite. Il aspirait à un idéal de beauté et est resté figé sur un type de visage récurrent et reconnaissable de loin, qu’il reproduit ici et là de façon fort charmante, mais souvent plutôt avec rudesse et sans y mettre de vie. » Dans son histoire de la peinture italienne, Cavalcaselle juge l’artiste avec encore plus de condescendance et le range bien loin derrière son compatriote Domenico Ghirlandaio. Et, il faut le reconnaître, les critiques sévères adressées par Morelli, sont tout aussi injustes. Les premiers à gratifier Botticelli d’une plus grande attention furent les peintres anglais. Depuis l’engouement des Préraphaélites pour les créations de Botticelli – et en particulier Dante Grabriel Rossetti, et Burne-Jones – la considération qu’on lui voue n’a cessé d’augmenter de façon très nette, donnant lieu à la publication de multiples monographies populaires ainsi que de quelques ouvrages scientifiques fondamentaux. Aujourd’hui ses œuvres comptent parmi les plus recherchées du marché de l’art. On sait assez peu de choses sur la vie même de Botticelli. Vasari, l’une des sources les plus exhaustives, relate quelques anecdotes sur la vie de l’artiste, mais ce qu’il nous livre par ailleurs sur sa personne et son travail, se révèle parfois peu fiable à la lumière des documents que l’on a découverts depuis. C’est pourquoi, c’est avant tout sur ses œuvres et leur interprétation que nous devons fonder notre critique, pour en tirer les conclusions qui s’imposent quant à sa personnalité.

1. Portrait de jeune homme, vers 1469. Tempera sur panneau de bois, 51 x 33,7 cm. Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence.

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2. La Vierge et l’Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste, vers 1470-1475. Tempera sur panneau de bois, 90 x 67 cm. Musée du Louvre, Paris.

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3. La Vierge à l’Enfant et deux anges, vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 100 x 71 cm. Museo e Galleria Nazionale di Capodimonte, Naples.

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Mais même là, il est parfois difficile de livrer une opinion rigoureuse. Tout d’abord parce qu’il est délicat de distinguer, parmi toutes les œuvres reproduites avec une fidélité intentionnelle par ses élèves et ses imitateurs, lesquelles sont réellement de la main de Botticelli, mais également parce que le foisonnement créatif de l’auteur en rend l’interprétation difficile. De ce fait, ces œuvres ont tendance à nous induire souvent en erreur là où l’information fait défaut. Et pourtant, s’il y a un artiste qui requiert de la rigueur dans son analyse, c’est bien Botticelli. Dans les légendes et les commentaires de ses tableaux, et en particulier de ses dessins pour la Divine Comédie de Dante, le peintre nous indique lui-même la voie à suivre.

I. Origines, maîtres et œuvres de jeunesse

4. Madone à la roseraie, vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 124 x 65 cm. Musée des Offices, Florence. 5. La Vierge à l’Enfant, 1469-1470. Tempera sur panneau de bois, 120 x 65 cm. Musée des Offices, Florence.

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Nous savons aujourd’hui que la carrière de Botticelli s’étend sur les trois dernières décennies du XVe siècle : il réalisa sa première œuvre connue en 1470, la dernière daterait de 1500. Mais il est possible que quelques tableaux aient vu le jour avant ou surtout après cette période, car il est peu probable que Botticelli n’ait plus rien produit entre 1500 et l’année de sa mort, en 1510. Botticelli devint un artiste, alors que les maîtres anciens comme Uccello, Castagno ou Donatello étaient toujours en activité ; en fait, il fut non seulement l’élève d’un des artistes les plus fameux de son temps, Fra Filippo Lippi, mais il eut aussi pour amis Léonard de Vinci et Michel-Ange. Et pourtant, aucun d’entre eux ne l’a véritablement influencé. Ses réalisations ne possèdent ni la sobre splendeur d’un Masaccio ou d’un Andrea del Castagno, ni la liberté maîtrisée qui caractérise déjà les œuvres de jeunesse des artistes de la Haute Renaissance italienne. Les œuvres de Botticelli sont l’expression picturale la plus pure et la plus singulière de cette culture, dont il est l’enfant authentique, qui culmina avec Laurent le Magnifique et son entourage. La précédente génération d’artistes récolta apparemment sans efforts ce que toute une lignée géniale avait conçu et obtenu péniblement avant elle. De surcroît, l’art de cette jeune génération de Florentins apparut comme un pâle reflet des prodiges réalisés par les maîtres anciens. Ces disciples, dont Fra Filippo fut le meilleur professeur et guide avec son sens de la réalité et son don de la composition, ne sont plus des pionniers comme leurs prédécesseurs et maîtres, mais au contraire, ils s’approprient leurs acquis, les développent dans certaines directions, préparant ainsi le moment où l’art connaîtra un renouveau. Les frères Antonio et Piero Pollaiuolo ainsi qu’Andrea Verrocchio, tous trois maîtres de la sculpture du bronze, parent les formes de leurs toiles de rondeurs pleines et d’effets pittoresques ; grâce à leurs couleurs vernies si originales, les sujets qu’ils peignent se teintent de nuances lumineuses,

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6. La Vierge à l’Enfant et cinq anges (La Madone du Magnificat), 1480-1481. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 118 cm. Musée des Offices, Florence.

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7. La Vierge à l’Enfant et huit anges (Tondo Raczynski), vers 1478. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 135 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.

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auxquels ils offrent ensuite pour cadre les paysages idylliques de la vallée de leur Arno natal. Benozzo Gozzoli et Domenico Ghirlandaio font de Florence et de ses somptueux environs le théâtre de leurs représentations, transposant les scènes saintes avec une naïve joie de vivre et un goût encore plus prononcé pour l’affabulation, dans la vie quotidienne florentine, qu’ils peuplent des silhouettes de leurs mécènes et de leur lignée. Pietro Perugino, dit le Pérugin, originaire des montagnes ombriennes, imprègne ses tableaux d’une atmosphère touchante, encore renforcée par une architecture grave resserrant la composition. À cette liste d’artistes, vient s’ajouter leur contemporain et collaborateur, Botticelli. Et ce, de plein droit, même s’il n’égale ni les uns par leurs effets plastiques et par la magnificence de leurs couleurs, ni les autres par la manière si vivante qu’ils ont de rendre l’animation des rues de Florence, par leur évocation des paysages ensoleillés de la Toscane ou par la profondeur de leur pieuse dévotion. Mais son imagination débordante, son goût et son sens de l’ambiance habitent ses œuvres comme celles d’aucun autre artiste et exposent l’art florentin à de toutes nouvelles impulsions. Botticelli est né dans une maison proche de l’église d’Ognissanti, sa date de naissance reste cependant difficile à déterminer avec précision. En effet, comme l’année florentine commençait à l’époque le 25 mars, Botticelli serait né entre le 25 mars 1444 et le même jour de l’année 1445, car son père indique dans la Denunzia di beni de l’an 1457, qu’en plus de deux filles, il aurait quatre fils, dont le plus jeune, Alessandro, serait âgé de 13 ans. On sait aussi que le petit, bien que doué et encouragé par son père à suivre des cours dans toutes les matières « ...que l’on pouvait enseigner à un enfant à l’époque », aurait été instable et, à l’école, n’aurait manifesté aucun goût pour la lecture, l’écriture ou le calcul, de sorte que son père l’aurait finalement placé en apprentissage auprès d’un orfèvre nommé Botticelli. Nous pouvons néanmoins présumer, au vu des connaissances de base que Botticelli a pu démontrer dans ses œuvres, aussi bien de la Bible ou de la Divine Comédie de Dante que de la littérature classique, que son éducation scolaire suffit amplement à son développement ultérieur. Son père était tanneur et fit l’acquisition, quelques années après la naissance de Botticelli, d’une maison près de leur ancien logement, aujourd’hui située dans la Via Porcellana. C’est là que l’artiste a vécu jusqu’à l’époque de Savonarole, probablement même jusqu’à sa mort. Des trois frères aînés de Botticelli, c’est Giovanni, le plus âgé, né en 1420, qui s’est principalement occupé de sa famille et qui a sans doute aussi pris en charge l’éducation de Botticelli. Ce frère arborait le surnom de Botticello, le « petit tonneau », dont il avait certainement hérité en raison de la forme trapue et massive de son corps. Que le surnom soit finalement devenu le nom de tous les membres de la famille et non plus uniquement du jeune Alessandro, trahit également la place prédominante de ce fils aîné fortuné dans la maison.

8. La Vierge à l’Enfant et six saints (Retable de Sant’Ambrogio), vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 170 x 194 cm. Musée des Offices, Florence.

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9. La Découverte du corps d’Holopherne, vers 1469-1470. Tempera sur panneau de bois, 31 x 25 cm. Musée des Offices, Florence.

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10. Le Retour de Judith à Béthulie, 1469-1470. Tempera sur panneau de bois, 31 x 24 cm. Musée des Offices, Florence.

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À la fin de sa scolarité, moment correspondant à la Denunzia de 1457, Alessandro fut placé par son père chez son cadet, Antonio, qui possédait un atelier d’orfèvre. Celui-ci remarqua bientôt les dispositions particulières de son jeune frère, et c’est sans doute grâce à lui que Botticelli entra en apprentissage auprès de Fra Filippo. Ces quelques phrases sur les vicissitudes, au fond assez ennuyeuses, d’une famille de la petite bourgeoisie florentine font l’objet d’une description aussi circonstanciée, car elles rendent possibles quelques précieuses déductions sur le caractère et les dispositions de Botticelli, ainsi que sur leur incidence éventuelle sur son art. C’est très certainement aux liens étroits qui unissaient sa famille dans une existence animée par un humour et une joie de vivre toute toscane, que l’on doit la chaleur des émotions et la piété qui s’expriment dans ses œuvres. Il est difficile de dire si sa mère, Smeralda, toujours évoquée dans les registres par son nom et son âge, a vraiment joué un rôle important dans l’éducation de Botticelli, car l’influence des femmes n’était guère estimée dans la Florence de l’époque. Les informations concordantes que nous fournissent certains biographes, qui mentionnent Botticelli comme étant l’élève de Fra Filippo Lippi, n’ont pas été attestées par des textes officiels, mais bien par ses premiers tableaux. C’est probablement vers 1458 ou 1459 qu’il dût entrer au service de Filippo à Prato. À cette époque, le Frate peignait son plus fameux cycle de fresques, aujourd’hui encore conservé dans la cathédrale. On lui en avait passé commande dès 1451-1452, mais comme il avait dû s’interrompre pendant de longues périodes, le travail ne fut terminé qu’aux environs de 1465. Vasari relate que Filippo entretenait des liens étroits avec ses élèves et prenait grand soin de l’enseignement qu’il leur dispensait. Cela nous est confirmé par Fra Diamante, qui fut en même temps son élève et son collaborateur à Prato et, qui dès 1470, confia à Botticelli le fils de Filippo, Filippino alors âgé de 13 ans, pour qu’il en fasse son élève. Botticelli s’était déjà fait un nom à Florence en tant que peintre indépendant, car dès le printemps 1470, c’est à lui, et non à Piero Pollaiuolo, qu’on demanda de peindre l’une des vertus manquantes à la Mercanzia, sans doute parce que les tableaux des autres qualités n’avaient pas eu le succès escompté. En effet, l’image de La Force par Botticelli est d’une facture bien supérieure aux vertus réalisées par Piero Pollaiuolo. Des tableaux, que l’on considérait autrefois comme des travaux d’études de Fra Filippo ou de Botticelli ou comme des œuvres de Filippino, sont désormais classés parmi les œuvres de jeunesse de Botticelli exécutées sous la coupe du Frate. À cette catégorie appartient en particulier une représentation de l’Adoration des Mages, exécutée dans le format plutôt ramassé d’un cassone, où foisonnent les personnages. La composition de cette peinture, avec ses multiples petites silhouettes, rappelle une œuvre de jeunesse de Filippo, réalisée sur le même thème de l’Adoration des Mages mais dans un format rond.

11. Portrait de Julien de Médicis, 1478-1480. Tempera sur panneau de bois, 75,5 x 52,5 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C.

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12. Portrait d’un jeune homme, vers 1480-1485. Tempera sur panneau de bois, 37,5 x 28,3 cm. The National Gallery, Londres.

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13. Portrait d’un inconnu tenant la médaille de Cosme de Médicis, vers 1474. Tempera sur panneau de bois, 57,5 x 44 cm. Musée des Offices, Florence.

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14. Portrait d’un homme (Michele Marullo Tarcagniota ?), vers 1490. Tempera sur bois détachée et marouflée sur toile, 49 x 35 cm. Collection Cambó, Barcelone.

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Dans les deux tableaux, nous retrouvons le défilé solennel, la disposition au cœur des ruines et l’étroit sentier rocailleux par lequel débouche le cortège à cheval. Le groupe principal, en particulier Marie et l’Enfant, témoigne de l’exemple de Filippo, de même que les longues robes avec leurs plis profonds, les superbes coiffes semblables à des turbans, les têtes et les mains minuscules et les tendres traits des jeunes garçons ou encore la richesse des tons clairs employés. Par contre, le regroupement des personnages, la plus grande tranquillité de l’agencement et des positions, la formation des plis, les colonnes élancées des ruines antiques et l’écurie, ou encore la composition des couleurs, sont, pour l’essentiel, déjà des caractéristiques du style des débuts de Botticelli. Dans le cortège, on entrevoit déjà le jeune et fringant écuyer, et, entre de jeunes garçons par ailleurs tout à fait typiques, nous découvrons parmi les chevaliers cet homme d’un certain âge, à la barbe noire et pointue et à la longue chevelure ondulée, qui deviendra plus tard une figure étrange et récurrente des tableaux de Botticelli. Les costumes d’époque, la largeur de la bride des chevaux, l’utilisation de certains motifs comme les nains qui disparaîtront ultérieurement, ou encore la sobriété du style, où un morceau de mur du décor se voit transposer au premier plan au nom de la perspective, nous permettent de déduire que ce tableau a sûrement été peint avant 1470. De même, la seconde Adoration des Mages, (antérieure en réalité) également attribuée à Filippino, est un tableau rond (Tondo) peint aux environs de 1470, et également une œuvre de jeunesse caractéristique du travail de Botticelli encore sous l’influence de Fra Filippo. Les progrès réalisés depuis l’image du jeune artiste que nous avons décrite plus haut sont frappants. L’élaboration de la composition suffit à révéler sa supériorité : en effet, Botticelli ne se contente pas ici d’une juxtaposition des personnages et des groupes au premier plan de la scène, mais les place les uns derrière les autres, selon un agencement obéissant aux lois de la perspective. C’est pourquoi la Sainte Famille n’est plus disposée dans un coin à l’avant du tableau, mais à une distance relative du bord, au centre sous les hautes ruines élancées. À droite et à gauche de la Sainte Famille et des Rois Mages agenouillés à leurs pieds, la cour est étroitement regroupée à l’arrière-plan, tandis que le cortège formé par l’équipage, les chevaux, les trompettes et les soldats s’étale en demi-cercle au premier plan. Les bergers, qui, dans l’Adoration précédente, occupaient une place de choix sur le devant - mais certes excentrés - sont ici à peine visibles, tout au fond, là où l’artiste a aussi relégué le bœuf et l’âne, alors que même Ghirlandaio dans sa représentation de l’Adoration, leur permettait encore de se pencher au-dessus de l’Enfant. Tout comme dans sa première peinture de L’Adoration des Mages, Botticelli a, ici aussi, placé d’imposants blocs de pierre au tout premier plan, afin de renforcer l’effet de perspective et de mieux délimiter les groupes de personnes.

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15. Portrait de dame (Smeralda Bandinelli), vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 65,7 x 41 cm. Victoria & Albert Museum, Londres.

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16. Portrait d’une femme, vers 1475. Tempera sur panneau de bois, 61 x 40 cm. Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence.

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Les personnages sont toujours plus évocateurs, les groupes se formant d’avantage selon les types, comme ceux des jeunes gens forts ou des hommes à barbes. Les plis tombent avec plus de goût et de naturel, et pourtant les extrémités des silhouettes, exagérément petites, révèlent encore une certaine maladresse. Ni l’architecture, ni les costumes ne trahissent la joie si personnelle qu’il éprouve à rendre la splendeur des matières ; et même le paysage au loin, qui ici comme dans d’autres tableaux des années suivantes occupe une place exceptionnellement importante, témoigne encore d’une retenue totale dans l’usage de la couleur. Afin de faire ressortir la partie consacrée aux personnages, Botticelli l’a dépeinte dans des tons de gris laiteux, plutôt indéterminés, évoquant un rideau. Sa perspective également, aussi bien rendue soit-elle dans le dessin, révèle néanmoins le fait qu’il travaille sa composition moins dans la profondeur que dans la surface, et qu’il dispose ses personnages, non pas les uns derrière les autres, mais les uns sur les autres. Il démontre ici déjà, que dans l’intérêt d’une intensification de l’effet décoratif et de l’expressivité de ses personnages, il refuse le naturalisme béat de ses contemporains et se tourne résolument vers les tapissiers du Nord, dont le style est toujours régi par une absence de perspective toute gothique.

17. Un Jeune Homme présenté par Vénus (?) aux sept Arts libéraux, vers 1483-1485. Fresque, 237 x 269 cm. Musée du Louvre, Paris. 18. Vénus et les Trois Grâces offrant des présents à une jeune fille, vers 1483-1485. Fresque, 211 x 283 cm. Musée du Louvre, Paris.

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19. Saint Jérôme, 1480. Fresque, 184 x 119 cm. Église Ognissanti, Florence.

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20. Saint Augustin, 1480. Fresque, 152 x 112 cm. Église Ognissanti, Florence.

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Le tableau figurant La Force dans toute sa majesté, et qui appartient aujourd’hui aux Offices de Florence, est une œuvre tout à fait typique de Botticelli, à la fois chef-d’œuvre et jalon incontournable dans l’étude de son évolution. Cette peinture en très bon état de conservation fut réalisée en 1470 et constituait l’ultime panneau de la série des Vertus, réalisée l’année précédente par Piero Pollaiuolo. Botticelli fut payé vingt florins pour cette commande. Après son départ de l’atelier de Fra Filippo, l’unique influence que connut le jeune Botticelli fut celle de Verrocchio, facteur décisif dans le développement d’un style botticellien. Cette double influence, Fra Filippo d’abord puis Verrocchio ensuite, est encore perceptible dans une série de représentations de la Vierge, jadis attribuées à tous les peintres imaginables, sauf à Botticelli. Mais outre le fait que ce mélange d’influences de Filippo et de Verrocchio n’est propre qu’à Botticelli, toutes ses représentations de la Vierge trahissent un style unique, d’autant plus marqué que celles-ci sont tardives. Dans certaines d’entre elles pourtant, l’empreinte laissée dans sa mémoire par le chef-d’œuvre du Frate, L’Adoration de l’Enfant, transparaît encore. La composition bien plus libre de la madone des Guidi, recentrée sur Marie et l’Enfant, présage déjà du style plus tardif de Botticelli, que ce soit par la tête de la mère, les formes de l’Enfant ou même par ses couleurs. Ce tableau aussi s’inspire d’une autre Vierge à l’Enfant de Fra Filippo. Pour le paysage montagneux, l’artiste a encore imité son maître, mais en revanche, la charmante et singulière petite coupole de l’église est ici tout à fait caractéristique du style Renaissance. Dans une composition similaire, mais d’un point de vue stylistique considérablement plus libre, où réapparaît le thème des anges présentant l’Enfant Jésus à Marie, le visage de la Vierge est déjà celui du modèle qui a posé pour La Force, et l’ange qui se trouve à l’arrière est déjà typiquement botticellien. Le décor est constitué d’une falaise sur laquelle se détache une coupole octogonale ; à côté de celle-ci des cyprès graciles s’élancent sur le ciel lumineux. Par le recours à une lumière terne, laissant à peine transparaître la couleur locale, l’artiste nous donne déjà un aperçu du traitement très singulier qu’il appliquera au paysage. C’est vraisemblablement quelque temps plus tard qu’il réalisa des représentations de la Vierge en pied. Le portrait de la Vierge, flottant sur des nuages et entourée d’une couronne de chérubins rouges, est particulièrement précieux, grâce à la conservation de son somptueux cadre Renaissance d’origine. Marie tient dans ses bras l’Enfant bénissant l’assemblée, et son visage, affichant une expression typique des Vierges de Botticelli, est empreint de sérieux et de tristesse. Le cadre richement doré et coloré constitue un rappel de l’or des bijoux, des vêtements, des auréoles et des flammèches qui entourent les chérubins, formant un bel ensemble aux teintes délicates, dont seul Botticelli était capable.

21. Pallas et le Centaure, 1482. Tempera sur panneau de bois, 205 x 147,5 cm. Musée des Offices, Florence.

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22. La Tentation du Christ, porteur de la Loi de l’Évangile, 1481-1482. Fresque, 345 x 555 cm. Chapelle Sixtine, Vatican.

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23. La Tentation de Moïse, porteur de la Loi écrite, 1481-1482. Fresque, 348,5 x 558 cm. Chapelle Sixtine, Vatican.

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24. La Force, vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 167 x 87 cm. Musée des Offices, Florence.

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Il existe une autre Vierge à l’Enfant des débuts de l’artiste qui possède encore son cadre d’origine, robuste et en forme de tabernacle. On y voit Marie, représentée jusqu’à la taille, qui serre contre elle l’Enfant debout à ses côtés. La composition nous rappelle certaines sculptures de l’époque, en l’occurrence les célèbres reliefs de la Vierge que Desiderio réalisera quelques années plus tard. Le motif de la grande fenêtre, divisée par une colonne, qui laisse à la fois entrevoir le paysage et entrer un flot de lumière frontale, est inspiré de son professeur Filippo, qui lui-même suivait l’exemple des maîtres flamands. Le corps de l’Enfant est mal proportionné car ses jambes sont trop courtes, mais le trait et le modelé sont exemplaires, dominant ceux de Fra Filippo et montrant à nouveau clairement l’influence de Verrocchio. Ici déjà, Botticelli surpasse l’interprétation picturale de la relation mère-enfant aussi bien de ses maîtres, que de ses contemporains florentins. Une composition très similaire, d’un style déjà accompli, représente une autre Vierge, cette fois accompagnée d’un ange plutôt que de saint Jean enfant. Cet ange tend à l’Enfant Jésus une coupe en argent délicatement ouvragée, pleine de raisins et d’épis mûrs. Épis et raisins – le pain et le vin - c’est-à-dire les symboles du sacrifice du Christ, que Marie accepte pour son Enfant qui, en retour, lui donne sa bénédiction. La gravité du thème de cette sobre représentation de la Vierge nous explique l’attitude réservée du groupe, en particulier l’expression de la mère et de l’enfant. Mais puisque l’on retrouve une atmosphère quasiment similaire, exprimée de façon plus ou moins nette, dans toutes les peintures de Vierges de Botticelli, il est indéniable que l’artiste désirait rendre, par la gravité, voire la mélancolie de l’expression de la mère et de l’enfant, le pressentiment de leur destin. Les détails de cette image offrent également matière à de captivantes observations, nous autorisant à tirer des conclusions intéressantes sur les œuvres de jeunesse de l’artiste. Le groupe est délimité à l’arrière par une construction rudimentaire, une sorte de haute balustrade faite de colonnes et de blocs de pierre dénués d’ornements, s’ouvrant largement sur le paysage au loin. La manière dont cette partie de l’édifice se rétrécit, montre que l’artiste cherchait à augmenter l’impression de perspective. Par son dessin, son modelé, son élaboration et sa composition, cette Madone est la plus tardive et la plus achevée de toutes les œuvres de jeunesse de Botticelli que nous venons d’énumérer. Elle aura vu le jour après le panneau de La Force de 1470, car elle se détache déjà de l’ascendant de Verrocchio et nous révèle le talent de l’artiste dans toute sa singularité. Cet exposé de détails en eux-mêmes plutôt secondaires était nécessaire, car il établit le moment de la création des œuvres significatives dans le développement précoce de l’artiste. Nous pouvons ainsi exclure toute attribution abusive à des élèves ou des disciples de Botticelli. Leurs couleurs aussi bien que leur technique en font des œuvres caractéristiques du style botticellien, et en particulier de sa première période : Marie arbore régulièrement une robe rouge carmin,

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25. Madone Bardi, 1485. Tempera sur panneau de bois, 185 x 180 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin. 26. La Vierge apprenant à lire à l’Enfant (Madone au livre), vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 58 x 39,5 cm. Museo Poldi Pezzoli, Milan.

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et, sur les épaules, un manteau doublé de fourrure, dans des tons profonds de bleu outremer ou de vert foncé ; les robes des anges varient du mauve clair au rose, en passant par le vert ; ces riches couleurs sont ensuite atténuées par un voile laiteux et transparent.

II. Premières Œuvres naturalistes de Botticelli

27. Le Châtiment des Lévites (La Colère de Moïse, porteur de la Loi écrite), 1481-1482. Fresque, 348,5 x 570 cm. Chapelle Sixtine, Vatican.

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À travers ces multiples images de la Vierge, pourtant étroitement apparentées, et les deux représentations de l’Adoration des Mages, nous pouvons clairement suivre l’évolution de Botticelli. Dans des tableaux comme La Force et La Vierge, tout aspect scolaire a disparu. Elles marquent le début d’une période où Botticelli va marcher dans les pas des grands peintres et plasticiens naturalistes de Florence, en développant le modelé de ses personnages, la puissance de leurs formes et la vigueur de leur mouvement, puis, grâce au succès obtenu, se hisser au premier rang des artistes de sa ville natale. La reconnaissance que lui procurent ses œuvres, les relations qu’il peut ainsi établir avec le cercle d’humanistes qui gravite autour des Médicis et les grosses commandes qui en résultent, lui permettent à présent de faire rapidement évoluer son art vers un style qui lui est propre. Peintes à la même époque et dans le même style que La Force, deux représentations de l’histoire de Judith étaient originellement destinées à orner un meuble. Au XVIe siècle, elles agrémentèrent l’atelier de la grande-duchesse Bianca. La première nous montre Judith, son acte accompli, sur le chemin de retour du camp ennemi, la seconde, la découverte du cadavre d’Holopherne dans sa tente. Bien qu’il n’existe ni document, ni information postérieure à la fin du XVIe siècle, il ne fait aucun doute qu’elles ont été peintes par Botticelli dans les années 1470. La tête de Judith a visiblement été réalisée au même moment que La Force. Rien ne manque, pas même le diadème dans les cheveux. À ceci vient s’ajouter le fait que l’influence de Verrocchio est toujours extrêmement forte, notamment dans le thème de Judith. Cet ascendant ne transparaît pas uniquement dans le dessin de la tête de la jeune héroïne, très semblable à la tête de l’ange dans Le Baptême du Christ par Verrocchio, mais également dans la composition d’une scène qui se déroule sur une hauteur. Dans ce tableau, la démarche rapide de Judith et sa façon de s’adresser à sa servante, trahissent de façon éloquente sa source d’inspiration, qui n’est autre que Le Voyage du jeune Tobie en compagnie de trois archanges de Verrocchio. Botticelli, âgé d’environ 25 ans au moment de la peindre, révèle ici déjà son style propre. Malgré leur petite taille, les deux tableaux comptent certainement parmi ses travaux les plus beaux et délicats. On retrouve cette influence manifeste dans la représentation de Judith dans La Découverte du cadavre d’Holopherne, une œuvre dont le sujet est pourtant bien différent du premier. Au lieu de la simple représentation de deux personnages, l’intérêt psychologique repose ici en particulier,

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28. Le Banquet de mariage de Nastagio degli Onesti, vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 83 x 142 cm. Collection privée.

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sur le contraste entre Judith et son accompagnatrice, d’une part, et la foule innombrable qui se serre derrière le cadavre dans la tente d’autre part. Au lieu de l’ambiance presque enjouée à laquelle la satisfaction de Judith aurait pu donner lieu, nous assistons ici à une scène terrifiante : les lamentations et l’effroi causé par le meurtre. Sur le lit où repose le corps nu et décapité du Roi, est penché un jeune soldat tout en armure, qui soulève délicatement le drap recouvrant le cadavre ; derrière lui, plusieurs hauts fonctionnaires demeurent figés dans un douloureux silence, tandis que de l’autre côté, des fantassins et des cavaliers s’empressent pour exprimer leur affliction. Les deux peintures, bien qu’opposées dans leur construction et dans leurs couleurs, sont très clairement structurées. Ici, alors que la douleur transparaît sous diverses formes, se manifeste déjà dans toute sa mesure cette pondération, cette retenue silencieuse des émotions même les plus fortes, qui font le charme et la singularité des œuvres de Botticelli à son apogée. De même, au moment d’évoquer la tête coupée dans la corbeille de la

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servante, il a su éviter toute allusion au terrible combat mortel qui a dû conduire à une telle mutilation. Nous retrouvons cette même image simplifiée du nu masculin, telle que nous la voyons dessinée ici, presque comme une miniature, mais avec légèreté et assurance, dans le grand tableau que Botticelli a consacré à la peinture soigneuse de Saint Sébastien, en 1473 ou 1474. Le saint, que l’on aperçoit presque de face, est attaché à un tronc d’arbre. Le corps est en fait peint comme un nu. Ses traits trahissent cette expression mi-douloureuse, mi-rêveuse, si propre à l’artiste. Dans le célèbre tableau d’Antonio Pollaiuolo, saint Sébastien a la même position, sauf que dans le martyre du saint, l’accent est mis sur les tireurs, et que le foisonnant paysage toscan contribue de façon essentielle à enrichir le tableau. Botticelli en revanche, n’évoque que vaguement les bourreaux qui fuient dans le lointain et le paysage à l’arrière-plan n’a qu’une fonction ornementale, celle d’un décor peint dans des tons gris et neutres.

29. Nouveaux Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti (II), vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 83 x 142 cm. Musée du Prado, Madrid.

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30. Premiers Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti, vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 83 x 138 cm. Musée du Prado, Madrid.

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Dans le tableau de saint Sébastien comme dans celui de Judith, Botticelli ne parvient pas à éviter une certaine clarté qui écrase presque complètement les couleurs locales. Dans ses œuvres ultérieures, il ne tient absolument plus compte de la perspective aérienne, car elle est incompatible avec son style. À ses yeux, le paysage comptait à peine plus que l’arrièreplan pour le photographe. C’est à la même époque que les tableaux décrits jusque là, c’est-à-dire avant le milieu des années 1470, que doit remonter son premier grand retable, La Vierge à l’Enfant et six saints. Les critiques ont toujours eu une vision majoritairement négative de ce tableau, car certaines figures du milieu en particulier ont subi des modifications dues à d’anciens ajouts de peinture, faisant ainsi perdre à l’œuvre de son attrait, voire de son caractère. Cependant, les parties de l’œuvre conservées dans un état bon ou moyen autorisent un jugement sûr et révèlent un travail dans le plus pur style botticellien. En effet, le modèle des deux saintes rappelle bien celui des œuvres de jeunesse de l’artiste et le dessin de leurs extrémités, la

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formation des plis, les couleurs fortes, parmi lesquelles les teintes typiques de rose et de mauve ressortent particulièrement, renvoient sans équivoque à Botticelli. Cette indication ne vaut pas uniquement pour les personnages agenouillés de saint Côme et de saint Damien, dont la position et la teinte rouge des vêtements de diacre sont si propres à la manière de Botticelli, mais également pour l’agencement de l’architecture intérieure, les ornements du socle et les panneaux de marbres colorés qui parent les murs. Le tableau fut visiblement peint pour la famille Médicis. Les traits de Damien à droite sont les mêmes que ceux du jeune homme situé aux pieds de Julien dans L’Adoration des Mages, dépeint dans la même position agenouillée. Par la disposition des personnages dans cet espace restreint évoquant une chapelle, et par la manière dont la Vierge trône dans une niche peu profonde, Botticelli affiche ses affinités avec les modèles florentins de son temps. Ce retable commandé par les Médicis vient lui aussi confirmer les liens unissant Botticelli à cette famille influente.

31. Nouveaux Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti (I), vers 1483. Tempera sur panneau de bois, 82 x 138 cm. Musée du Prado, Madrid.

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32. L’Annonciation (Annonciation de Cestello), 1489-1490. Tempera sur panneau de bois, 150 x 156 cm. Musée des Offices, Florence. 33. La Vierge à l’Enfant et saint Jean-Baptiste, vers 1491-1493. Tempera sur panneau de bois, 47,6 x 38,1 cm. Collection Ishikuza, Tokyo.

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Il est bien possible que les deux tableaux dépeignant l’histoire de Judith aient été peints pour l’un des membres de la famille Médicis, car le jeune cavalier juché sur un cheval blanc derrière le cadavre d’Holopherne arbore de façon ostentatoire les trois plumes symbolisant les armes des Médicis. La position de conseiller artistique qu’occupait alors Botticelli auprès de la famille est attestée par la commande que lui passa Julien de Médicis à l’occasion du grand tournoi qui devait se dérouler le 28 janvier 1475. Il s’agissait d’orner son étendard (perdu depuis) avec la figure de Pallas, illuminée par la lueur des flammes à ses pieds : la bannière du jeune et vigoureux Julien, le bien-aimé des Florentins, sorti vainqueur du tournoi. L’une de ses œuvres les plus singulières, L’Adoration des Mages, nous introduit dans le cercle de cette famille, dont les membres demeurèrent ses principaux mécènes jusqu’à la terrible fin imposée par Savonarole. Il s’agit d’une œuvre majeure révélant l’orientation naturaliste précoce de l’artiste, vers des rondeurs sculpturales, des clairs-obscurs et des effets pittoresques. Cette représentation, basée à l’origine sur une composition ronde et à laquelle il donna finalement une forme carrée, est le signe d’un progrès supplémentaire dans l’agencement de ce thème, visiblement très cher au peintre et à ses admirateurs, qui le lui commandaient régulièrement. Le groupe principal, la Sainte Famille, est certes surélevé, mais encore un peu lointain. À sa gauche et à sa droite, les rois Mages, parés de leurs vêtements de voyage et les mains chargées de cadeaux, forment un cercle autour de l’Enfant Jésus, au cœur de l’assemblée recueillie. La scène se déroule entre les murs effondrés d’une ruine antique au toit chichement recouvert de paille, appuyée contre une falaise. Des deux côtés de la ruine, il est possible d’entrevoir le paysage, et à gauche se dressent d’autres vestiges. Au cœur de cette illustre compagnie, le bœuf et l’âne ne trouvent déjà plus leur place ; au lieu de cela, on peut admirer un oiseau bien plus distingué, un paon splendide, juché sur l’un des murs. Comme dans la peinture d’Holopherne, la vague évocation du paysage sert principalement à mettre en valeur les personnages, à faire ressortir leurs contours et leurs couleurs dans le délicat clair-obscur, grâce à la lumière reflétée par les murs blancs intérieurs et extérieurs.

34. Le Couronnement de la Vierge (Retable de Saint-Barnabé), 1487. Tempera sur panneau de bois, 268 x 280 cm. Musée des Offices, Florence. 35. La Vierge à l’Enfant et six anges (Madone à la grenade), vers 1487. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 143,5 cm. Musée des Offices, Florence.

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En cela, ce tableau s’apparente encore à son allégorie de La Force de 1470, mais il la surpasse sans mal par l’intensité, la profondeur et la richesse de ses couleurs. Et encore une fois, ce sont bien des coloris botticelliens : plusieurs tons puissants de rouge, un vert profond, du jaune, du mauve, du bleu, parfois dans différentes nuances et enrichis d’abondants ornements à l’or finement ciselés. Le dessin et le modelé, la fluidité des plis des vêtements et leur agencement plein de goût, l’élaboration même en fonction des différentes étoffes, font de cette œuvre son plus grand achèvement. On date habituellement ce tableau de l’année 1478, tantôt peu avant, tantôt après l’assassinat, le 26 avril, dans la cathédrale de Florence, du favori des Florentins, Julien de Médicis, par les Pazzi et leurs conjurés. Il a probablement vu le jour un ou deux ans plus tôt.

III. Peintures mythologiques et allégoriques

36. La Calomnie d’Apelle, 1494-1495. Tempera sur panneau de bois, 62 x 91 cm. Musée des Offices, Florence.

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Les liens étroits qui unirent le peintre à Laurent le Magnifique et son entourage peuvent être établis avec plus de précision encore. Quarante ans avant l’assassinat de Julien, Castagno avait peint quelques traîtres sur la façade du Bargello. À présent, l’histoire des meurtriers et de leurs commanditaires se répétait. C’était maintenant des membres de la famille Pazzi que l’on allait exposer sur les murs du Palais. Le 21 juillet 1478, le Conseil des Huit passa une commande à Botticelli pour laquelle il fut payé quarante florins. Il devait représenter les meurtriers – dont faisait partie l’archevêque de Pise – pendus à la potence, l’un d’entre eux par le pied. C’est essentiellement à partir des peintures de Botticelli que l’on en apprend le plus sur les relations qu’il entretenait avec Laurent et les autres membres de la famille Médicis ; non seulement sur les commandes, mais bien plus encore sur les liens spirituels et la collaboration de l’artiste avec ses mécènes et leurs conseillers humanistes au moment de créer et d’exécuter des œuvres aussi foisonnantes et imaginatives. Ceci est particulièrement vrai pour le tableau que l’on appelle Le Printemps, parfois aussi Le Royaume de Vénus, qui est à juste titre le chef-d’œuvre le plus célébré de Botticelli, mais dont l’interprétation ne sera jamais complète et définitive. Les questions fréquentes que soulève le contenu du Printemps, nous mènent au cœur des idées animant l’humanisme italien, qui connut son apogée à Florence. Botticelli fut de tout temps un fervent admirateur de Dante, et c’est avec un degré de perfection toujours plus grand qu’il peignit ses Vierges, entourées de saints à l’expression grave ou d’une ribambelle d’anges gracieux et pleins de dévotion. À côté de cela, il réalisa une série de tableaux où il dépeint les dieux antiques et les héros des mythes et légendes païens avec une naïveté et une conviction aussi intenses que l’enthousiasme qu’il met à glorifier la beauté nue du corps humain. Les créations inventives de Botticelli, telles que La Naissance de Vénus,

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37. Le Printemps, vers 1482. Tempera sur panneau, 203 x 314 cm. Musée des Offices, Florence.

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Le Printemps et La Calomnie, sont le fruit de la culture humaniste qui régnait au temps de Laurent le Magnifique. Dès le premier tableau attribué officiellement à Botticelli, La Force, l’artiste avait choisi de représenter une figure antique, à la manière transmise et façonnée par la scolastique médiévale. Dans le grand tableau dépeignant Le Printemps, il peint un motif antique, certes imposé par ses mécènes et conseillers, mais il l’imprègne de son esprit, de son imagination et de son sens du pittoresque. La composition est constituée de neuf figures presque grandeur nature, situées au premier plan d’une orangeraie. Les personnages sont empruntés au poème que Poliziano composa à l’occasion de la Giostra, le grand tournoi du printemps 1475 dont Julien fut déclaré vainqueur. Cette représentation picturale du Printemps, dont la couche de vernis même est très bien conservée, se distingue de la majorité des œuvres de Botticelli car les couleurs locales sont très secondaires. Par ce procédé, l’artiste cherchait à mettre en valeur la beauté du corps de ces femmes, qui, aussi bien Vénus que le Printemps, sont presque

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complètement dévêtues. Il accentue encore le phénomène grâce au vert foncé de l’arrière-plan, couvert de fleurs et de fruits. Là où les couleurs locales apparaissent en surfaces plus importantes, comme dans la courte tunique rouge de Mercure, dans la teinte bleue pâle qui couvre le corps du dieu du vent, ou encore dans la robe bleue et le manteau rouge de Vénus où elles sont alors fortement atténuées par l’emploi de dorures et de glacis. Un autre tableau de Botticelli, dont on parlait déjà au XVIe siècle, est La Naissance de Vénus. D’origine similaire, ce tableau a souvent été tenu pour un pendant du Printemps, en raison de leurs thèmes mythologiques très voisins. Cependant, le fait, exceptionnel, qu’il ait été peint sur toile, ainsi que son format différent, nous permettent d’affirmer qu’ils possédaient des natures et des destinations bien distinctes. Tous les deux avaient sans aucun doute une fonction décorative : Le Printemps venait s’insérer dans les boiseries d’un mur, et La Naissance de Vénus servait de tapisserie murale.

38. La Déploration sur le Christ mort, vers 1490. Tempera sur panneau de bois, 140 x 207 cm. Alte Pinakothek, Munich.

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En concevant la forme et la posture de la déesse, Botticelli est resté presque fidèle à la statue antique. Il l’offre à notre regard dans sa nudité divine, pudique derrière le voile de son abondante chevelure dorée, entourée, à sa gauche par la jeune Grâce vêtue d’une robe richement fleurie, et par le couple des dieux du vent étroitement enlacés, qui l’a poussée vers la terre. Botticelli a situé la naissance de Vénus, sa sortie des flots, sur sa côte natale, dans le plus joli port de la Riviera de l’époque, Porto Venere. C’est dans la villa de la famille génoise des Cattaneo, près de Porto Venere, que la bien-aimée de Julien, Simonetta, avait vu le jour. Son arrivée à Florence fut célébrée comme l’arrivée de la déesse de l’amour, comme le commencement du printemps. De telles allusions correspondaient parfaitement à la vision de l’époque.

IV. Le Peintre de fresques Si l’on en juge d’après la plus grande douceur des formes, la clarté des couleurs, et une certaine nervosité dans le tombé des plis, La Naissance de Vénus a sûrement été peinte quelque temps après Le Printemps, mais très vraisemblablement avant que Botticelli ne soit appelé à Rome en 1481. Peu auparavant, c’est-à-dire presque à la même époque que La Naissance de Vénus, l’artiste avait choisi saint Augustin pour thème de sa première fresque, toujours conservée à ce jour, offrant ainsi un pendant au Saint Jérôme de Ghirlandaio, de 1480. Celuici crée la transition vers l’abondante production de fresques par Botticelli et compte parmi ses œuvres les plus importantes en termes de taille, d’énergie de l’expression et du mouvement, ainsi que de maîtrise de l’agencement dans un espace restreint. Après cela, Botticelli n’a plus jamais peint de figure masculine dotée d’un tel caractère, d’une telle harmonie entre l’enthousiasme de l’expression et la force de l’émotion. Cette fresque lui valut de gagner l’attention du Pape Sixte IV, qui envisageait à ce momentlà la décoration d’une des chapelles situées à l’intérieur du Vatican. Parmi les artistes retenus pour participer à l’ornementation des murs, se trouvaient les ombriens Signorelli, Pinturicchio, et le Pérugin, les florentins Botticelli, Ghirlandaio et Cosimo Rosselli. Ils prirent connaissance de la commande le 27 octobre 1481. Ces fresques de la Chapelle Sixtine sont de loin les plus grandes œuvres conservées de Botticelli. Il se voit attribuer comme thèmes La Punition des Rebelles, ainsi que les événements correspondants tels que Les Épreuves de Moïse, et La Tentation du Christ. Botticelli ne devait pas se contenter d’un seul panneau, mais devait en imaginer toute une série, positionnés par ordre d’importance : au milieu et au premier plan les événements majeurs, au fond ou sur les côtés, ceux d’un moindre intérêt. Outre les imposants portraits imaginaires des papes martyrs grossièrement peints et destinés à orner les parties les plus élevées, Botticelli a réalisé trois fresques comportant de nombreuses figures grandeur nature.

39. Vénus et Mars, vers 1485. Tempera et huile sur panneau de peuplier, 69,2 x 173,4 cm. The National Gallery, Londres. 40. La Naissance de Vénus, vers 1485. Tempera sur panneau de bois, 172,5 x 278,5 cm. Musée des Offices, Florence.

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41. Saint Augustin dans sa cellule, 1490-1494. Tempera sur panneau de bois, 41 x 27 cm. Musée des Offices, Florence.

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42. La Déploration sur le Christ mort, vers 1495. Tempera sur panneau de bois, 107 x 71 cm. Museo Poldi Pezzoli, Milan.

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La place importante accordée au paysage, et sa description dans les moindres détails, diffèrent bien trop de son traitement habituel, décoratif et simplement allusif par Botticelli, laissant ainsi supposer la présence d’assistants. Pourtant, son plan est ici également parfaitement identifiable ; le modèle des maisons nordiques dans la vue de la ville, les piliers et les colonnes élancés avec leurs chapiteaux imitant l’architecture antique, sont déjà présents dans ses œuvres des années 1470. La chapelle fut solennellement inaugurée le 15 août 1483 par le Pape, mais Botticelli et ses collègues avaient vraisemblablement achevé leur travail avant. Dans la période suivant son retour de Rome, Botticelli se concentra sur les esquisses de quatre panneaux de bois illustrant le roman de Boccace sur l’amour de Nastagio degli Onesti pour la fille de Paolo Traversari. Ces tableaux étaient censés servir de dot lors du mariage de Lucrezia di Piero di Giovanni Bini avec Giannozzo Pucci en 1483. D’après le récit de Boccace, Nastagio erre dans la forêt de pins, la Pineta de Ravenne, déjà célèbre à l’époque, désespéré car son amour est dédaigné, lorsqu’il voit soudain passer une femme nue, poursuivie par un cavalier et ses chiens (1er tableau). Le cavalier attrape l’impitoyable bien-aimée, lui arrache le cœur et le donne à dévorer à ses chiens. Bouleversé, Nastagio s’enfuit (2ème tableau). Dans le troisième tableau, Nastagio a convié dans la Pineta, Paolo Traversari et sa fille revêche avec leurs amis à un banquet, lorsque la même scène de la jeune femme poursuivie par le cavalier se déroule sous leurs yeux. Alors que Nastagio explique la vision à ses hôtes, la jeune fille réticente finit par accepter le mariage. Le quatrième tableau dépeint la noce.

V. Le Peintre de retables

43. La Communion de saint Jérôme, vers 1490. Tempera sur panneau de bois, 34,3 x 25,4 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

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Après son retour de Rome, Botticelli se consacra pendant une dizaine d’années essentiellement à la réalisation d’œuvres religieuses, de grands retables et de plus petits tableaux destinés aux églises et aux chapelles privées. Les œuvres de jeunesse de l’artiste furent, à deux ou trois exceptions près, exclusivement des portraits de madones. La dernière et la plus achevée de celles-ci est la Madone Chigi, peinte au début des années 1470. Cependant, un ensemble de portraits de Vierges, datant des premières années du second séjour florentin, possède un cachet commun nouveau et singulier. Dès L’Adoration des Mages, peinte une bonne dizaine d’années plus tôt, Botticelli avait opté pour le format rond, qui devint alors la règle pour ce genre de tableaux. La plus ancienne parmi toutes ces images de madones parfaitement symétriques de format rond, et à la fois la meilleure par son expression, son dessin, ses couleurs et son état de conservation, est la Madone Raczynski. Marie est assise au milieu, le visage presque complètement orienté vers le spectateur, l’Enfant a les mains posées sur la poitrine de sa mère dont il se détourne pour nous regarder.

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44. La Vierge à l’Enfant et trois anges, vers 1493. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 65 cm. Pinacoteca Ambrosiana, Milan.

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45. La Vierge adorant l’Enfant, vers 1490. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 58,9 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C.

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De chaque côté, se trouvent quatre anges, chacun tenant une fleur de lys à la main. Au-dessus de la tête de la mère de Dieu, les mains d’anges invisibles maintiennent une couronne dont les rayons d’or tombent sur le groupe. Le visage de Marie, d’une forme ovale allongée, est doté d’un menton proéminent et ses traits trahissent une mélancolie plus grande encore que dans les madones précédentes. Les anges sont incarnés par de jeunes garçons affichant un air robuste caractéristique, et une expression grave à la fois paisible et amicale. Mais la madone de loin la plus connue et la plus appréciée parmi toutes ces images rondes de Vierges entourées d’anges en adoration, est celle dite du Magnificat. Ici, Botticelli a renoncé à la composition rigoureusement symétrique de la Madone Raczynski. La construction certes plus libre, perd de son caractère énergique et imposant. Marie est tournée vers deux anges qui lui tendent un encrier et un livre, et elle est occupée à transcrire l’hymne Magnificat anima mea Dominum. Un troisième ange, posté un peu plus en hauteur, l’entoure de ses bras et regarde le texte avec dévotion, tandis que de part et d’autre du groupe, un peu en retrait, se tiennent deux anges maintenant une couronne d’or ciselé audessus de la tête de la mère de Dieu. L’Enfant, tenant une grenade dans la main gauche, a la main droite posée sur celle de sa mère en train d’écrire, et tourne les yeux vers elle, comme s’il voulait lui dicter le texte. L’arc, qui clôt la partie supérieure du tableau, laisse entrevoir une petite partie du paysage.

VI. Son Art sous l’influence de Savonarole Dès le début, Botticelli avait mis son art au service de mécènes appartenant à l’élite de la culture italienne. Il avait réalisé ses œuvres majeures pour le Pape Sixte IV et pour la famille des Médicis, notamment pour Laurent le Magnifique, et leurs amis. Mais après la mort de Laurent, le 8 avril 1492, le moine dominicain Fra Girolamo Savonarole montra aussi aux Florentins le revers de cette culture brillante, et leur révéla le néant et les mensonges que cet humanisme avait cachés. Lorsqu’il rompit le voile derrière lequel s’abritait bien souvent la vie licencieuse des dignitaires de l’Église et que, pendant des années, il prêcha du haut de sa chaire, avec un incroyable fanatisme, annonçant un jugement divin aux couleurs les plus sombres, Botticelli fut alors lui aussi profondément ébranlé par ces prédications qui, à leur tour, affectèrent son art. Mais ce n’est qu’avec le tableau dépeignant L’Adoration de l’Enfant de 1500, que Botticelli révèle son attrait pour le discours de Savonarole. Car, tout comme le destin du dominicain l’affligea profondément, sa personnalité, ses enseignements et ses prédications l’émurent aussi à un tel point, que son art en fut fortement influencé. Luther trouva en Lucas Cranach un disciple et un sympathisant de son œuvre de réformation et il l’incita à illustrer et à propager ses enseignements à travers son art,

46. La Vierge et saint Jean adorant l’Enfant, 1483-1487. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 96 cm. Musei Civici di Palazzo Farnese, Plaisance.

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47. La Vierge à l’Enfant et saint Jean-Baptiste, 1490-1495. Tempera sur toile, 134 x 92 cm. Galleria Palatina (Palazzo Pitti), Florence. 48. La Trinité et sainte Marie-Madeleine, saint Jean-Baptiste, Tobie et l’ange (Retable des converties), 1490-1495. Tempera sur panneau de bois, 214 x 192,4 cm. Courtauld Institute Galleries, Londres.

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ce dernier s’éloignant ainsi toujours plus de l’art véritable ; de même, une génération plus tôt, le réformateur italien trouva en Botticelli un disciple tout aussi enthousiaste, au point que la mort de son maître sur le bûcher le 23 mai 1498 fit de lui un fanatique considérant et appliquant les préceptes ascétiques dans l’art comme une loi venant de Dieu. C’est à travers les dernières œuvres de l’artiste que nous pourrons clairement saisir comment Botticelli intégra peu à peu les règles du moine, comment son art se transforma progressivement et comment même le désir de pratiquer cet art finit par s’éteindre. Le laps de temps entre l’arrivée de Savonarole à Florence et la mort de Botticelli est presque aussi long que celui couvrant toute sa période d’activité antérieure et documentée. Et combien sont rares les œuvres de cette époque, et combien elles sont inférieures à celle de la jeunesse ! Ce n’est que longtemps après la mort de Savonarole que Botticelli fut à nouveau invité à produire des tableaux de grand format sur des thèmes bibliques, mais seul l’un d’entre eux a pu être authentifié par la signature de l’artiste. Il est évident – et certains documents de l’époque l’attestent – que les ultimes retables de Botticelli ou encore les décors de boiseries ou de meubles de cette même époque ont été exécutés principalement par des élèves. Le retable, représentant Marie avec l’Enfant, avec à ses côtés le jeune saint Jean qui tend les bras vers elle, est tout à fait caractéristique de cette période. La mélancolie de l’expression et du mouvement, trait propre à presque toutes les madones de Botticelli, se mue ici en tristesse, voire en une espèce de léthargie. Les vêtements lourds et sans ornement, dont les plis profonds tombent sans aucune souplesse, masquent les corps, et les couleurs fortes, à peine nuancées intensifient le sentiment d’une atmosphère morne et triste. Malgré tout, les modèles comme les couleurs, le dessin et le traitement, sont tout à fait propres à Botticelli et ne trahissent nullement l’empreinte des différents élèves ou disciples de l’artiste.

VII. Ses Dessins pour la Divine Comédie

49. L’Adoration des Mages, vers 1470. Tempera sur panneau de bois, 50,2 x 135,9 cm. The National Gallery, Londres.

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Si l’on considère la longue et ultime période d’activité de Botticelli, couvrant presque deux décennies, entre la mort de Laurent le Magnifique et la sienne, nous pouvons ainsi nous faire une idée, à partir des œuvres difficilement authentifiables et datables de cette époque, de sa capacité créatrice pour le moins irrégulière. Botticelli, fortement affaibli par des scrupules moraux et religieux, tente d’établir des lignes directrices claires pour son art. Parallèlement aux œuvres hétérogènes de ces années là, nous disposons d’une création volumineuse mais incomplète tout à fait singulière du début de la période, qui pourrait en partie compenser la valeur conditionnelle de ces travaux peu satisfaisants dans l’ensemble :

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50. Le Couronnement de la Vierge (Retable de Saint-Marc), 1490-1492. Tempera sur panneau de bois, 378 x 258 cm. Musée des Offices, Florence. 51. La Crucifixion, Madeleine pénitente et un ange (La Crucifixion symbolique), vers 1500. Tempera sur panneau de bois, 72,4 x 51,4 cm. Fogg Art Museum, Harvard University, Cambridge.

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52. Saint Sébastien, 1474. Tempera sur panneau de bois, 195 x 75 cm. Staatliche Museen zu Berlin, Berlin.

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il s’agit des dessins destinés à la Divine Comédie de Dante. Ces dessins possèdent une valeur particulière car ceux de Michel-Ange ont été perdus. Botticelli les a tout d’abord légèrement esquissés avec un stylet de métal, puis, plus tard, il a librement suivi ce tracé à l’aide d’une plume. Certains feuillets décrivant l’Enfer, ont même été recouverts de couleur opaque avec autant de soin que des miniatures. On peut donc en déduire avec certitude que le commanditaire désirait que les feuillets soient tous enluminés de la sorte, dans l’intention de posséder un manuscrit du plus grand art, à la manière ancienne et distinguée. De même, le style des contours et l’absence de presque tout volume montrent clairement qu’ils devaient encore être mis en couleurs. En effet, les feuillets colorés sont en relief et bien plus compréhensibles que les autres, mais nous devons toutefois lui être reconnaissants de cette lacune, car la palette des teintes choisies pour les peindre par un de ses élèves, masque la finesse et l’expressivité du dessin et confère aux feuillets un aspect bariolé incommodant. Comme dans les fresques de la Chapelle Sixtine et dans ses décorations de meubles, Botticelli réunit ici également plusieurs thèmes en un seul dessin ; il suit fidèlement le poète dans son récit au lieu de tirer de celui-ci des compositions picturales uniques et indépendantes les unes des autres. Mais en essayant de le traduire à la lettre, il obtient parfois des résultats peu satisfaisants sur le plan artistique. Cela est particulièrement vrai des représentations de l’Enfer et, en partie, du Purgatoire de La Chute. Ici aussi, Botticelli fait régulièrement montre d’une imagination débordante et d’une profonde sensibilité et parvient à ne presque jamais heurter notre sens du beau. Toutefois, il fatigue le spectateur par une accumulation de portraits de malchanceux : ils errent tantôt sans tête, tantôt la tête à l’envers ; ils sont tantôt coincés la tête en bas entre des rochers, tantôt dévorés par les flammes ou luttant contre celles-ci, ou encore torturés par des diables fantastiques. Tous ces supplices et diableries sont dépeints non pas sans imagination, mais plutôt sans cet humour, par lequel un Jérôme Bosch les aurait rendus non seulement supportables, mais aussi extrêmement drôles. Un autre aspect dérangeant de ce travail est le fait que les innombrables personnages nus sont complètement dépourvus de conception naturaliste et d’individualité, ce qui les rend parfaitement uniformes. Peut-être que certaines de ces représentations, notamment dans Le Purgatoire, lui étaient indifférentes, voire peu sympathiques, ainsi que nous pouvons le constater au vu de quelques dessins peu soignés. Nous pouvons également noter que l’artiste n’a pratiquement esquissé aucune femme parmi les silhouettes nues. Quelques feuillets montrent que, même dans ces dernières années, Botticelli possédait encore une vision et un rendu pleinement naturalistes. Le plus beau de tous est celui qui représente le géant dans le 30ème chant du Purgatoire. Les vertus cardinales de l’intelligence,

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53. La Nativité mystique, 1500. Tempera sur toile, 108,6 x 74,9 cm. The National Gallery, Londres.

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54. Le Christ sur le mont des Oliviers, vers 1500. Tempera sur panneau de bois, 53 x 35 cm. Capilla Real, Grenade.

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55. Judith sortant de la tente d’Holopherne, 1497-1500. Tempera sur panneau de bois, 36,5 x 20 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.

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de la modération, du courage et de l’équité, finement caractérisées, sont présentes sur presque tous les feuillets où elles exécutent une gracieuse chorégraphie. Des jeunes femmes, semblables à des anges, vêtues de robes amples et virevoltantes, encerclent et dansent autour de Dante, et, les vertus pieuses de la Foi, de l’Amour et de l’Espérance folâtrent, emportées par un tourbillon d’émotion. À son tour, la ronde qu’ils forment ensemble accompagne le chariot de l’Église transportant une Béatrice voilée, sur laquelle des anges rayonnants, que l’on distingue à peine des vertus, jettent joyeusement des poignées de fleurs. D’autres feuillets illustrant les chants précédents et suivants du Purgatoire sont de la même veine attentive et sensible, comme par exemple, les différents dessins représentant les envieux frappés de cécité, accroupis à côté de leurs ennemis ou encore dans le dessin à peine esquissé du 8ème chant, le personnage de Sordello, une figure délicieusement apollinienne, d’une liberté digne de Raphaël. Toutefois, c’est dans les trente dessins illustrant les chants du Paradis que Botticelli excelle. Ceux-ci se distinguent de la plupart des dessins de l’Enfer et du Purgatoire par le simple fait que l’artiste s’est contenté de décliner un motif unique, à savoir Dante et Béatrice, représentés la plupart du temps seuls, ou simplement entourés de flammèches symbolisant les âmes des défunts, ou encore parmi des anges chantant. Ils diffèrent également des autres illustrations par la plus grande taille des deux personnages.

VIII. Botticelli, l’homme et l’artiste Les dessins de la Divine Comédie de Dante constituent un point culminant dans sa dernière période de création. La fraîcheur et la naïveté des compositions viennent confirmer qu’au moins les esquisses de la majorité des feuillets ont été réalisées très peu de temps après son retour de Rome. Comme chez son frère Simone, le souvenir de Savonarole et de ses enseignements imprègne les œuvres ultimes de Botticelli, mettant progressivement fin à la production de son art le plus authentique et le plus admirable. Après la mort de Savonarole sur le bûcher, on n’entend presque plus parler de Botticelli ; à partir de l’an 1505, les informations se tarissent, jusqu’à l’annonce laconique, le 17 mai 1510, que les restes du peintre sont allés rejoindre ceux de la famille Filipepi dans le caveau familial du petit cimetière d’Ognissanti. Il a quitté la vie aussi tranquillement et modestement qu’il l’avait traversée ; malade et oublié du monde, il avait vécu ses dernières années aux côtés des siens dans la maison paternelle. Le tragique de sa fin comme du tarissement de sa créativité ne fait qu’ajouter à la grandeur de l’homme et de l’artiste. Les tableaux de Botticelli font de lui un romantique, un artiste doté d’une imagination florissante, d’une vision profondément mystique, d’un grand sens de la beauté et d’une vaste érudition humaniste, qui a côtoyé, à Rome comme à Florence, les grands de son temps.

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56. Trois Miracles de saint Zénobe, 1500-1505. Tempera sur panneau de bois, 64,8 x 139,7 cm. The National Gallery, Londres.

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Comme nous le montrent les documents, Botticelli était issu d’une humble famille de tanneurs. Il ne renia jamais ses origines petites-bourgeoises et vécut jusqu’à sa mort dans la modeste demeure de la Via Porcellana, en compagnie de ses nombreux frères et neveux. Sa vie se déroula simplement sans connaître d’incidents significatifs, et mise à part son unique convocation à Rome, il passa toute sa vie à Florence avec les siens. C’est pourquoi, ce sens aigu de la famille est un trait tout aussi caractéristique de la personnalité de l’artiste que son caractère modeste et bourgeois. Et il est assez peu vraisemblable que les membres de l’élégante famille Médicis se soient aventurés dans le complexe de vieilles petites maisons anguleuses (rasé au XVIIIe siècle) situé au fin fond d’une ruelle sombre. Au Quattrocento, les artistes étaient encore assimilés à des artisans et étaient à peine mieux considérés que les orfèvres. Toutefois, à l’instar de tous les éminents artistes de son temps, Botticelli a entretenu des relations d’affaires avec les mécènes des grandes familles. Il aura certainement discuté directement avec les commanditaires, en particulier avec Laurent, de la composition de certaines de ses œuvres de commande, notamment de leur contenu parfois très complexe et personnel. Mais bien souvent aussi, ce sont les érudits de l’entourage de Laurent qui ont servi d’intermédiaires. Dans ses mémoires, Simone, le frère de Botticelli, raconte qu’à l’époque de la suprématie de Savonarole, l’artiste se tint également loin de toute activité

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publique, se conformant ainsi aux préceptes du moine. Cela est aussi une indication du caractère réservé de Botticelli. Une vie entière vouée au célibat est aussi tout à fait représentative de la timidité de la personne qu’était Botticelli et de son art solitaire et méditatif. Lorsqu’un jour, son ami Tommaso Soderini lui eut conseillé de se marier, l’artiste aurait répondu : « Il y a peu, j’ai rêvé que j’étais marié, et une telle peur s’est emparée de moi, que je me suis réveillé et que j’ai erré dans la ville jusqu’au matin, en proie au désespoir ». Et pourtant, cet ennemi du mariage a peint les plus gracieux des corps féminins, les plus charmantes des jeunes mères. Le curieux phénomène qui veut que les plus belles madones aient toutes été peintes ou sculptées par des artistes célibataires – Botticelli, Luca della Robbia, Donatello, Léonard de Vinci ou Raphaël – serait-il éventuellement dû au fait que le désir pour la femme stimule l’imagination et l’aptitude à l’exprimer des artistes bien plus que leur possession ? Le portrait que Filippino, l’élève de Botticelli, a inséré dans ses fresques de la Cappella Brancacci en mémoire de son maître, nous en offre une image sobre et vivante, fidèle à son modèle. Il était de petite stature, plutôt chétif, mais son profil tranchant, agrémenté d’un nez fortement busqué, révèle des traits expressifs et sympathiques ; les yeux, bas dans le visage, trahissent un caractère sérieux, et dans la bouche charnue, nous pouvons déceler, outre une certaine souffrance, un sens de l’humour propre aux Florentins.

57. Trois Miracles de saint Zénobe, vers 1500-1510. Tempera sur panneau de bois, 67,3 x 150,5 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York.

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58. La Jeunesse et le premier miracle de saint Zénobe, vers 1500. Tempera sur panneau de bois, 66,7 x 149,2 cm. The National Gallery, Londres.

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Il était certainement un homme simple et convivial, peu exigeant, amical et bienveillant, épris de son art, dans lequel il plaçait toutes ses aspirations, pensif, doté d’un profond sens moral et d’une inébranlable fidélité religieuse : un vrai Florentin du Quattrocento, avec toutes les aimables qualités et les talents de cette époque, mais sans les vices qui entachaient certains grands hommes du moment. Botticelli devint un artiste grâce à des professeurs qui avaient un penchant pour le naturalisme. Le jeune peintre s’appropria leur savoir et les suivit pendant un temps sur la même voie, mais dès le départ avec une certaine indépendance d’esprit, d’où émergea peu à peu un style puissant, propre et incomparable, qui marqua non seulement l’apogée de la peinture florentine du Quattrocento, mais également son terme. Parmi les éminents maîtres de la jeune génération, il était le plus singulier et le plus important des artistes. La beauté des formes des personnages de Botticelli est absolument unique. Les corps nus de Vénus, des Grâces, de Mars ou de saint Sébastien ne peuvent pas rivaliser dans la justesse ou la beauté du dessin avec ceux de Raphaël, ni avec ceux de Léonard de Vinci dans la compréhension de la forme. Un critique sévère saura y découvrir certaines lacunes mais elles sont d’une beauté étrangement captivante, décorative et à la fois réservée et pudique, que les maîtres de la perfection ne possèdent plus dans les mêmes proportions. Ses personnages féminins et ses anges sont les créatures les plus gracieuses de l’art florentin de l’époque, tandis que son idéal masculin

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est bien souvent dépeint de manière chétive ou théâtrale. Son saint Michel, dans la Grande Madone avec les saints, est tout aussi inhumain que le jeune Baptiste affamé à ses côtés, tandis que les trois vieux saints du même retable, avec leurs énormes barbes, ressemblent presque à des saints d’opérette. Il en va de même des portraits de papes de la Chapelle Sixtine ou encore du Moïse, dans la fresque du Châtiment de Coré, que l’on a, à tort, tant admiré. Lorsque nous avons ici comparé Botticelli avec des artistes comme Michel-Ange ou Léonard de Vinci, ce n’était pas dans le but de le placer au même niveau que les plus grands parmi les nombreux maîtres de la Renaissance italienne. Il s’agissait d’une part de faire ressortir les aspects de son art par lesquels il était proche de ces maîtres, et d’autre part, de mettre au jour les liens qui le rattachaient aux pionniers de l’art nouveau. Botticelli est en outre un fils authentique du Quattrocento et c’est justement cela qui fait son intérêt exceptionnel. L’art florentin de la dernière partie du XVe siècle atteint avec lui sa perfection ultime et suprême. À la joie dont il imprègne sa peinture de la vie et de l’individu, il associe une exploration de l’âme, que l’Italie n’a plus connue depuis, permettant ainsi aux émotions les plus tendres de son peuple et de son temps de s’exprimer. Le sérieux et l’enthousiasme avec lesquels il s’est adonné à sa tâche, et la richesse d’une imagination constamment renouvelée, lui garantissent une place et une valeur uniques dans la postérité.

59. Le Neuvième Miracle et la mort de saint Zénobe, vers 1500-1505. Tempera sur panneau de bois, 66 x 182 cm. Staatliche Kunstsammlungen, Gemaldegalerie Alte Meister, Dresde.

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60. L’Adoration des Mages, 1470-1475. Tempera sur panneau de bois, diamètre : 130,8 cm. The National Gallery, Londres.

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Biographie 1445 :

Alessandro Botticelli di Mariano Filipepi voit le jour dans le bourg d’Ognissanti à Florence. Il est le quatrième fils du tanneur Mariano di Vanni Filipepi. La mauvaise santé persistante de Botticelli est sans doute due à l’âge déjà avancé de ses parents au moment de sa naissance. Son surnom de ‘Botticelli’ signifie « tonnelet » et n’est pas un legs de son professeur, le peintre et orfèvre florentin Botticelli, mais bien de son grand frère Giovanni, qui l’a sans doute aussi élevé. 1465 (env.) : Formation dans l’atelier de Fra Filippo Lippi. Il apprend à peindre dans le style de Fra Angelico. 1469 : Botticelli devient indépendant. 1470 : Il trouve un atelier et obtient une commande du Tribunal de l’Arte della Mercanzia (Guilde des marchands). Il doit peindre La Force, panneau complétant une série de sept représentations des Vertus, exécutée par Piero del Pollaiuolo. 1472 : Il devient membre de la Guilde de saint Luc. 1474 : Son premier travail d’importance, Saint Sébastien, orne une colonne de l’église de Santa Maria Maggiore. 1475 : Il peint le fameux Julien de Médicis, porte-drapeau du tournoi organisé par les Médicis. Cette famille, qui décide du sort de la ville depuis plusieurs décennies, comptera plus tard parmi les plus importants commanditaires de Botticelli. 1476 : Il peint L’Adoration des Mages. 1480 : Il possède son propre atelier où il est entouré de nombreux collaborateurs. L’église d’Ognissanti lui commande la fresque de Saint Augustin. 1480 - 1495 : Botticelli réalise un cycle d’illustrations destiné à la Divine Comédie. 1481 : Le succès de L’Adoration des Mages vaut à Botticelli une commande du Pape ; il est chargé, aux côtés des peintres les plus en vue de l’époque, d’orner la Capella Magna (connue plus tard sous le nom de Chapelle Sixtine) de Rome, des portraits des papes précédents. Les thèmes qu’il choisira sont : Les Épisodes de la vie de Moïse, le Châtiment de Coré, Nathan et Abiron, et Les Tentations de Jésus. 1482 : Son père décède et Botticelli rentre à Florence. Il a plusieurs élèves sous son aile et obtient beaucoup de commandes grâce à ses célèbres Vierges à l’Enfant. 1482 (env.) : Ses deux tableaux les plus célèbres, Le Printemps et La Naissance de Vénus, auraient été peints à cette époque - vraisemblablement pour Laurent de Médicis. 1490 : Suite au départ des Médicis de Florence et aux prêches du moine dominicain Savonarole, appelant à la privation et aux réformes, Botticelli traverse une crise religieuse. Ses travaux ultérieurs, La Pietà et surtout La Nativité mystique et La Crucifixion avec Marie-Madeleine, illustrent sa profonde dévotion. 1497 : Laurent de Médicis, le mécène de Botticelli, qui lui a passé de nombreuses commandes, quitte la ville pour des motifs politiques. 1500 (env.) : Ses peintures semblent démodées, et il tombe dans l’oubli. Ce n’est qu’au XIXe siècle que son travail rencontre une nouvelle reconnaissance. 1510 : Botticelli meurt le 17 mai à l’âge de 65 ans à Florence et est enterré au cimetière d’Ognissanti. Aujourd’hui, sa tombe se trouve dans la chapelle de San Pietro d’Alcantara.

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LISTE DES ILLUSTRATIONS A/ B L’Adoration des Mages L’Annonciation (Annonciation de Cestello) Le Banquet de mariage de Nastagio degli Onesti C La Calomnie d’Apelle Le Châtiment des Lévites (La Colère de Moïse, porteur de la Loi écrite) Le Christ sur le mont des Oliviers La Communion de saint Jérôme Le Couronnement de la Vierge (Retable de Saint-Barnabé) Le Couronnement de la Vierge (Retable de Saint-Marc), La Crucifixion, Madeleine pénitente et un ange (La Crucifixion symbolique) D/ F La Découverte du corps d’Holopherne La Déploration sur le Christ mort La Force J Un Jeune Homme présenté par Vénus (?) aux sept Arts libéraux La Jeunesse et le premier miracle de saint Zénobe Judith sortant de la tente d’Holopherne M Madone à la roseraie Madone Bardi N La Naissance de Vénus La Nativité mystique Le Neuvième Miracle et la mort de saint Zénobe Nouveaux Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti (I) Nouveaux Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti (II)

p. 65, 78 p. 42 p. 38

p. 23

Portrait de dame (Smeralda Bandinelli)

p. 22

Portrait de jeune homme

p. 4

Portrait de Julien de Médicis

p. 16

Premiers Épisodes de l’histoire de Nastagio degli Onesti

p. 40

p. 47

Le Printemps

p. 48

p. 37 p. 71 p. 57 p. 44 p. 66

R/ S

p. 67

Le Retour de Judith à Béthulie

p. 15

Saint Augustin

p. 27

Saint Augustin dans sa cellule

p. 54

Saint Jérôme

p. 26

Saint Sébastien

p. 68

T p. 14 p. 49, 55 p. 32

La Tentation de Moïse, porteur de la Loi écrite

p. 31

La Tentation du Christ, porteur de la Loi de l’Évangile

p. 30

La Trinité et sainte Marie-Madeleine, saint Jean-Baptiste, Tobie et l’ange (Retable des converties) Trois Miracles de saint Zénobe

p. 24 p. 76 p. 72

p. 9 p. 34

p. 52 p. 70 p. 77 p. 41 p. 39

P Pallas et le Centaure p. 28 Portrait d’un homme (Michele Marullo Tarcagniota ?) p. 21 Portrait d’un inconnu tenant la médaille de Cosme de Médicis p. 19 Portrait d’un jeune homme p. 18

80

Portrait d’une femme

p. 63 p. 74, 75

V Vénus et les Trois Grâces offrant des présents à une jeune fille

p. 25

Vénus et Mars

p. 50-51

La Vierge à l’Enfant

p. 9

La Vierge à l’Enfant et cinq anges (La Madone du Magnificat)

p. 10

La Vierge à l’Enfant et deux anges

p. 7

La Vierge à l’Enfant et huit anges (Tondo Raczynski)

p. 11

La Vierge à l’Enfant et saint Jean-Baptiste

p. 43, 62

La Vierge à l’Enfant et six anges (Madone à la grenade)

p. 45

La Vierge à l’Enfant et six saints (Retable de Sant’Ambrogio)

p. 12

La Vierge à l’Enfant et trois anges

p. 58

La Vierge adorant l’Enfant

p. 59

La Vierge apprenant à lire à l’Enfant (Madone au livre)

p. 35

La Vierge et l’Enfant avec le jeune saint Jean-Baptiste

p. 6

La Vierge et saint Jean adorant l’Enfant

p. 60