Les Mondes théâtraux autour de Guillaume Coquillart (XVe siècle) 2878252853, 9782878252859

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Les Mondes théâtraux autour de Guillaume Coquillart (XVe siècle)
 2878252853, 9782878252859

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LES MONDES THÉÂTRAUX autour de

GUILLAUME COQUILLART (XVe siècle)

Études réunies par JEAN-FRÉDÉRIC CHEVALIER

DOMINIQUE GUÉNIOT éditeur

HOMMES ET TEXTES EN CHAMPAGNE

LES MONDES THEATRAUX AUTOUR DE GUILLAUME COQUILLART (XVe SIÈCLE)

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LES MONDES THEATRAUX AUTOUR DE GUILLAUME COQUILLART (XVe SIÈCLE)

DOMINIQUE GUÉNIOT éditeur

Collection «

Hommes et textes en Champagne » dirigée par Danielle QuÉRUEL

Déjà parus : — Jean de Joinville : de la Champagne aux royaumes d’Outre-Mer — Entre épopée et légende : Les quatre fils Aymon ou Renaut de Montauban Deux tomes

— Air, miasmes et contagion, Les épidémies dans l ’Antiquité et au Moyen Age — Le corps à l’épreuve, Poisons, remèdes et chirurgie : aspects des pratiques médicales dans l Antiquité et au Moyen Age — Mires, physiciens, barbiers et charlatans, Les marges de la médecine de l’Antiquité au XVIe siècle

Dominique Guéniot, 52200 Langres ISBN : 2-87825-285-3 DG : 322

Avant-Propos De Coquïllart s’estime la Champaigne Clément Marot (1540)

V

ers 1450 naissait à Reims Guillaume Coquillart, fils d’un personnage important de la ville, procureur de f archevêché et écrivain. Après avoir fait comme son père des études de droit, il se consacra à une carrière d’avocat à Paris, puis revint résider à Reims en 1492, où il prit une part très active aux affaires municipales : juge ecclésiastique, conseiller de la ville et personnalité considérée dans la région, il est aujourd’hui reconnu pour son œuvre littéraire. Auteur d’un théâtre comique important et encore peu étudié, il a composé des pièces pleines de verve, souvent parodiques, inspirées par les clercs de la Basoche. Sa virtuosité était grande, ses personnages bien campés : apparaissent les silhouettes des jeunes galants, des maris trompés, des valets, des coquettes, des étudiants, etc. Etudier l’œuvre de Guillaume Coquillart, connu pour son art du monologue théâtral, permet de réfléchir plus largement sur les caractéristiques du théâtre de cette époque. Ce colloque a souhaité mettre en évidence les modèles dramatiques en vogue au XVe siècle, poser le statut d’un théâtre qui ne fut peut-être pas représenté, étudier les éditions qui nous le transmettent, enfin mettre en évidence les liens entre théâtre latin et théâtre en langue vernaculaire. L’importance du théâtre en Champagne est méconnue : des auteurs comme Guillaume Coquillart pour Reims ou Guillaume Flamang pour Langres permettent pourtant de prendre la mesure

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Avant-propos

de ce que fut le théâtre urbain en cette fin du Moyen Age. Ce colloque a réuni des chercheurs de différents pays (France, Angleterre, Italie, Pays-Bas) et a permis d’accueillir en particulier le professeur Michael Freeman (Université de Bristol) qui nous procura en 1975 une savante édition des œuvres de Guillaume Coquillart. Conformément aux axes de notre centre de recherche, ce projet s’inscrit dans notre programme de valorisation du patri¬ moine champenois. Le Centre de Recherche sur la Transmission des Modèles Littéraires et Esthétiques s’interroge, en effet, sur les modélisations théâtrales. Laboratoire d’interférences et de contaminations, le théâtre bouleverse les modèles conventionnels en associant les genres (épique, dramatique, lyrique...) et les modes de représentation (simple lecture ou déclamation accompagnée ou non de gestes et de chants). De l’Antiquité au classicisme, les recherches du Centre s’orientent ainsi vers deux directions majeures : les modélisations génériques (rapports du genre dramatique et des autres genres) et représentatives (rapports du texte dramatique et de sa représentation). Les problèmes posés par l’œuvre de Guillaume Coquillart se situaient donc au cœur de nos préoccupations, d’autant que la période, la fin du Moyen Age, marque un tournant décisif dans les pratiques théâtrales. Guillaume Coquillart, ou le théâtre du rire Michael Freeman (Université de Bristol) nous permet de découvrir un Guillaume Coquillart bien différent de celui décrit par les précédents éditeurs (Prosper Tarbé et Charles d’Héricault). Dans Le Plaidoyé et L’Enqueste d’entre la Simple et la Rusee (à quelle femme le Mignon doit-il être accordé, à la Simple ou à la rusée ?), ou dans Les Droitz nouveaulx (parodie des livres de jurisprudence, qui va jusqu’à reconnaître le droit à l’adultère), loin d’être un poète sage et moralisateur, Guillaume Coquillart ! « célèbre » les plaisirs de la vie parisienne devant un public lettré, capable de goûter les parodies judiciaires. Sa sagesse ne consiste pas à condamner les convoitises ou les adultères, mais à savoir rire de toutes les folies du monde.

Avant-propos

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Théâtre joué ou lu ? La forme du débat juridique, note M. Freeman, est peu propice à l’action dramatique. Jelle Koopmans (Université d’Amsterdam) analyse alors l’esthétique de Guillaume Coquillart, l’auteur notamment des Droits nouveaulx. Le monologue doit être considéré comme un genre dramatique. J. Koopmans situe l’œuvre de Coquillart dans l’histoire du monologue dramatique du XIIIe au XVe siècle. En insistant sur la théâtralité de tels écrits, il montre la place primordiale de notre auteur dans cette tradition. S’appuyant sur une analyse de M. Freeman, Marie BouhaïkGironès (Université de Paris VII) relie le théâtre des « causes grasses » de Guillaume Coquillart au milieu de la Basoche, ou communauté des clercs attachés à la justice. En dépit du faible nombre de documents éclairant l’histoire de la Basoche, on peut, en effet, considérer que Le Plaidoyé et L’Enqueste d’entre la Simple et la Rusee relèvent de ces causes fictives servant d’exercices aux jeunes clercs. Guillaume Coquillart, ou le théâtre en débat Danielle Quéruel (Université de Reims) prolonge l’exploration de l’univers de Guillaume Coquillart en étudiant le Débat des dames et des armes. Lejeune roi doit-il privilégier les armes ou les dames ? Le poète, sous le pseudonyme de VHonneste Fortuné, rend un verdict équitable puisqu’il accorde autant de valeur aux unes qu’aux autres. Il revient au roi d’accorder le côté droit aux armes et le côté gauche aux dames. Cette œuvre, qui tient à la fois de la forme du débat et de celle du monologue, a été composée et lue à l’occasion de l’entrée d’un roi dans une ville (peut-être Louis XII à Reims le 27 mai 1498). Les entrées royales (Louis XI à Tournai en 1464 ' et à Lyon en 1476, Charles VIII à Reims en 1484 et à Troyes en 1486) étaient l’occasion de festivités. Le Débat des dames et des armes emprunte à la tradition du panégyrique le thème de la célébration du prince, mais sans recourir à un excès de gravité. Guillaume Coquillart reste l’auteur du Plaidoyé et de L’Enqueste. Franck Collard (Université de Reims) retrace l’histoire de la datation de ce même Débat. On a longtemps pensé que ce

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Avant-propos

débat avait été composé à l’occasion de l’entrée de Charles VIII à Reims en 1484 jusqu’à ce que M. Freeman propose de situer la composition de l’œuvre en 1498 lors de l’entrée de Louis XII à Reims. Partant de la nécessaire prise en considération du jeune âge du souverain, F. Collard propose de revenir à la première datation (1484) et de situer le Débat lors de l’entrée de Charles VIII à Paris et non à Reims. Une réflexion sur le théâtre de Guillaume Coquillart ne pouvait s’achever sans une étude des éditions. Jean Balsamo (Université de Reims) situe l’édition des œuvres de Coquillart en 1532 par le libraire parisien Galliot du Pré et l’imprimeur Antoine Augereau dans l’histoire de la production éditoriale de l’époque. Guillaume Coquillart et le théâtre de son temps Pour comprendre l’originalité de la production théâtrale de Guillaume Coquillart, nous avons souhaité présenter quelques aspects de l’histoire du théâtre en ce quinzième siècle, faire le point sur l’état de nos connaissances, étudier la place du théâtre latin et ses liens avec le théâtre en langue vernaculaire, notamment avec le théâtre sacré. Pierre Servet (Université Jean Moulin, Lyon III) a ainsi étudié la place du Credo dans les choix esthétiques et dramaturgiques des auteurs des mystères. Le Credo peut être intégré dans les mystères de manière peu dramatique ou devenir un principe structurant le mystère (comme dans le Mystère de la Résurrection représenté à Angers en 1456). Le choix d’un mode d’énonciation et de la deixis d’un texte révèle les hésitations d’un auteur face à l’expression (dramatisée ou non) de la parole sacrée. Face à l’ampleur du théâtre sacré et profane en langue vernaculaire, le théâtre en langue latine connut une histoire parfois plus confidentielle. Stefano Pittaluga (Université de Gênes) retrace l’histoire de la tragédie latine du XIIe au XVe siècle. La découverte du manuscrit Etruscus des tragédies de Sénèque permit de faire renaître ce genre littéraire disparu depuis la fin de l’Antiquité (en dépit des rares tentatives de définition suggérées

Avant-propos

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par Isidore de Séville ou Jean de Garlande). Stefano Pittaluga présente les principales caractéristiques de ces tragédies non conçues pour la scène, depuis YEcerinis d’Albertino Mussato (1315) jusqu’aux pièces célébrant des souverains comme Louis XII. Jean-Frédéric Chevalier (Université de Reims) reprend le corpus des tragédies latines établi par Stefano Pittaluga pour analyser l’influence du théâtre de Sénèque et des épopées latines de l’Antiquité aux Trecento et Quattrocento. Lefuror féminin mis en scène dans ces mêmes pièces (Achilles d’Antonio Loschi, Progne de Gregorio Correr, Hiensal de Leonardo Dati) détermine l’intrigue tragique. Les poètes tragiques des débuts de l’humanisme italien ont trouvé dans le furor des héros tragiques et épiques de l’Antiquité les éléments constitutifs de leur propre théâtralité. Les deux précédentes communications étaient consacrées à la renaissance de la tragédie en Italie aux XIVe et XVe siècles. Avec la comédie d’un poète qui deviendra pape, nous revenons à une inspiration proche de celle de Guillaume Coquillart. JeanLouis Charlet (Université de Provence) étudie la Chrysis d’Enea Silvio Piccolomini (composée en 1444) en se demandant s’il s’agit d’une vraie comédie. Qu’elle ait été représentée ou non, cette comédie, qui met en scène les aventures amoureuses de deux clercs, présente tous les critères permettant d’envisager sa repré¬ sentation. A tous les participants et à tous ceux qui ont été présents les 23 et 24 novembre 2000, nous voudrions exprimer notre grati¬ tude. Nous remercions tout particulièrement M. le Professeur Jean Dufournet qui nous a honorés de sa présence et a présidé nos travaux. Le Centre de Recherche, la ville de Reims, le Conseil Régional et la Maison Taittinger nous ont apporté leur chaleureux soutien. Nous remercions notre éditeur pour sa politique de valo¬ risation de notre patrimoine littéraire et pour la confiance qu’il a toujours manifestée à l’égard de nos travaux. Enfin nous tenons à exprimer notre profonde reconnaissance à Danielle Quéruel, avec qui nous avons organisé ce colloque. Sa générosité et son

dévouement ont permis à chacun de garder un excellent souvenir de ces deux journées rémoises. Qu’elle trouve dans ce volume le témoignage de notre amitié et de notre reconnaissance.

Jean-Frédéric CHEVALIER

GUILLAUME COQUILLART, OU LE THÉÂTRE DU RIRE

Michael Freeman Université de Bristol

Guillaume Coquillart ou Venvers de la sagesse

G

uillaume Coquillart peut sembler paradoxal. Comment interpréter en fait l’œuvre d’un auteur apparemment comique écrivant pour un public qui n’aimait pas rire ? Selon de nombreux critiques du XIXe et du début du XXe siècle, l’époque à laquelle il a vécu était atteinte d’une profonde crise morale, une sorte de dépression nerveuse collective. Ecoutons à cet égard le plus célèbre d’entre eux, Jules Michelet, pour qui la fin du Moyen Age est une époque où « l’âme [...] a la nausée d’elle-même ». Et comment ont-ils réagi devant la farce médiévale, florissante à la fin du XVe siècle et justement célébrée aujourd’hui comme un exemple du génie français, déluré et primesautier ? Tout ce théâtre joyeux est simplement condamné en bloc comme étant « trop malheureux pour faire rire », et même le petit chef-d’œuvre qu’est la Farce de Maistre Pierre Pathelin est censé symboliser « la misère irrémédiable du temps »1. Il est vrai que Michelet a exprimé ces opinions dans un ouvrage sur la Renaissance qui avait pour but de noircir les siècles précédents. Cependant, ce genre de jugement faisait plus ou moins l’unanimité à son époque. Et il a été repris par Johan Huizinga dans son livre aussi influent que partial sur le « déclin » du Moyen Age. Par conséquent, les mots-clés pour tous ceux qui s’intéressaient au XVe siècle étaient « déclin », « décadence ». 1.

Ces citations sont tirées de Jules Michelet, La Renaissance, Paris, 1899.

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Pour la critique moderne il en va tout différemment. John Parkin, par exemple, parle justement de la « ludic hilarity of the latter décades of the fifteenth century » qui constitue « a sign of social optimism »2. Nous savons maintenant que la deuxième moitié du XVe siècle était le commencement de l’âge d’or de la farce française. Le rire de la farce, qui est souvent qualifiée d’ailleurs de « bonne et fort joyeuse » dans les manuscrits et les éditions imprimées des XVe et XVIe siècles, n’a rien d’automnal ni de décadent. Grâce aux travaux de la critique depuis une quarantaine d’années, qui ont rendu enfin accessibles un grand nombre de textes de cette époque et qui ont permis d’ouvrir la voie à des perspectives aussi neuves que dénuées de préjugés, nous sommes aujourd’hui en mesure d’apprécier à leur juste valeur non seulement les farces, mais aussi les sotties, les contes et les sermons joyeux de cette période riche et pleine de nouveauté. Il y a une trentaine d’années, lorsque j’ai commencé à éditer les œuvres de Guillaume Coquillart, j’ai naturellement consulté les éditions de mes prédécesseurs, Prosper Tarbé et Charles d’Héricault3. Pour eux, travaillant au milieu du XIXe siècle et se fondant sur une vision moralisatrice de la littérature aussi bien que sur un malentendu très grave sur la biographie du poète, Coquillart avait été homme d’Eglise avant de devenir poète satirique et licencieux. C’est l’inverse qui est vrai. Les recherches d’Auguste Longnon et de Gaston Paris ont démontré depuis que le Guillaume Coquillart né à Reims aux alentours de 1450 et dont nous savons goûter la vivacité de l’esprit et du style a été étudiant et auteur à Paris dans les années 1478-1480 avant de venir finir ses jours à Reims, où il a exercé les fonctions d’« official » (c’est-à-dire déjugé ecclésiastique), comme il est noté sur la page de titre de l’édition princeps de ses œuvres. Pour P. Tarbé et Ch. d’Héricault, le mot d’ordre était (nous sommes 2. 3.

Voir French Humour, edited by John Parkin, Rodopi, Amsterdam, 1999. Les Œuvres de Guillaume Coquillart, publiées par Prosper Tarbé, 2 vol., Reims et Paris, 1847, et Œuvres de Coquillart. Nouvelle édition, revue et corrigée par M. Charles d’Héricault, 2 vol., Paris, 1857.

Guillaume Coquillart ou l’envers de la sagesse

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après tout en plein XIXe siècle) « bourgeois ». Pour eux, et malgré ses airs d’écrivain irrespectueux, Coquillart était donc — et surtout — sage. P. Tarbé le décrivait comme une sorte de Juvénal médiéval, qui non seulement incarnait mais aussi enseignait la sagesse. Mon propos ici est de prouver que ce que voulait enseigner Guillaume Coquillart dans les œuvres grivoises qu’il a écrites « au temps de sa jeunesse folle » était plutôt l’envers de la sagesse. Ce qui a rendu difficile toute interprétation de l’œuvre de notre poète était la confusion qui a longtemps régné autour de sa date de naissance, et de (on peut presque dire « par conséquent ») la portée de ses opinions sur la société de son temps. Pour ce qui est de la confusion d’auteurs et de personnalités, c’est un peu comme si on avait longtemps cru que François Villon et Guillaume de Villon n’avaient été qu’un seul personnage. Il y a là non seulement une question de générations mais aussi de milieux et, surtout, de mentalité. P. Tarbé et Ch. d’Héricault ont pris les œuvres d’un basochien pour une satire amère des mœurs dissolues de son temps. En réalité, le Coquillart qui a composé son Plaidoié et l ’Enqueste d ’entre la Simple et la Rusee et ses Droitz nouveaulx n’était pas un sexagénaire assagi — quoique armé d’une plume féroce — mais un jeune homme de moins de trente ans dont le but était de faire rire un public composé pour la plupart d’autres jeunes hommes issus de la même classe sociale et de la même classe d’âge que lui-même4. Plus qu’un appel au calme, l’œuvre de Coquillart constitue un appel au rire. Ce n’est pas l’ordre qu’il glorifie mais plutôt le désordre. Ne cherchons pas, cependant, à faire de lui un révolutionnaire. Il accepte avec un sourire la futilité et l’absurdité de l’existence. Ce jeune homme, écrivant donc pour d’autres jeunes hommes provisoirement sans souci et sans responsabilités comme lui, réclame le droit de rire dans ses œuvres du monde tel qu’il est. Et qu’il sera toujours ? Après plus de cinq

4.

Je me permets de renvoyer le lecteur à mon édition des Œuvres de Guillaume Coquillart publiée chez Droz à Genève en 1975 pour tous renseignements sur la biographie du poète et de son père.

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siècles, on peut toujours entendre à travers les écrits de Guillaume Coquillart la voix de cette jeunesse dont il faisait partie. Cela étant, il ne faut pas s’étonner de retrouver chez le Coquillart de ses débuts une espèce de contre-moralité. Mais il s’agit d’autre chose que d’un simple pied de nez à l’ordre établi. Il y a chez Coquillart (comme d’ailleurs chez Villon, qu’il a sans doute lu lors de son séjour à Paris) ce qui ressemble à une philosophie pour ainsi dire « naturelle » de la vie, qui nous incite à prendre les choses pour ce qu’elles sont, à accepter la vie dans toutes ses entorses et dans toute sa « joyeuseté » (pour utiliser un mot bien de l’époque) légitime et, parfois, illégitime. Nous ne sommes pas loin de ce que Bakhtine a appelé la « joyeuse littérature récréative des écoliers ». Les valeurs conventionnelles sont ainsi bafouées dans un esprit proche de celui des festivités carnavalesques. N’en déplaise à Johan Huizinga, qui le mentionne très rapi¬ dement, rien n’est jamais sérieux chez Coquillart. Pas de mélancolie, ni de déclin donc. La ville de Paris, comme les Parisiens et les Parisiennes qui jouent la comédie dans ses rues en tant qu’acteurs aussi bien que spectateurs, faisant étalage de luxe et d’extravagance, a ainsi trouvé son poète, prêt à critiquer mais aussi à louer, dans cette société en pleine mutation, ces nouveaux modèles de comportement fondés sur la parade et la parure. Le rire de Coquillart est positif, affectueux même. Et derrière ce rire on trouve une philosophie À de la vie et une morale bâtie sur un réalisme cynique et souriant. Voyons, par exemple, dans ce qui est sans doute la première œuvre de Coquillart, le Plaidoié d’entre la Simple et la Rusee, les dépositions des deux avocats, Maistre Olivier et Maistre Simon. S’ils sont censés s’opposer pour gagner leur procès, leur vision du monde et de la réalité parisienne est animée d’un même esprit réaliste : il est vérité Que la nature féminine La plus part du temps est encline A appeter le masculin. {Plaidoié, vv. 26-29)

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C’est une évidence, puisque le monde est ainsi fait. En même temps, cela ne peut que faire penser à Villon : G’ymagine, Sans l’onneur des dames blasmer, Que c’est nature femeninne Qui tout unyement veult amer. (Testament, vv. 609-612) Mais n’allons pas chercher quelque tendance misogyne là-dedans, du moins chez Guillaume Coquillart. Cela étant, tout homme « sage » (selon la définition bien particulière de la sagesse prônée par Coquillart), se doit de se méfier des droits « trop rigoreux » (.Plaidoié, v. 606) qui empêchent les jeunes femmes de tisser des liaisons amoureuses secrètes. Après tout, les femmes seront toujours les femmes... et il faut apprendre à faire avec. Est-ce là une question de tempérament chez notre auteur ? ou le signe d’un milieu, celui de la Basoche ? ou d’une époque ? Il est vrai que l’on trouve d’autres exemples de ce type de raisonnement dans les farces, comme dans les Cent Nouvelles nouvelles. Si les deux avocats étalent une incohérence à la fois logique et morale, ils tombent cependant d’accord sur la nécessité de suivre ce que l’on pourrait appeler les conventions de la vie naturelle. Aussi faut-il que la Simple ait ses désirs assouvis A toute heure, soir ou matin, A son plaisir, a son devis (Plaidoié, vv. 33-35). Quand viendra le tour de Maistre Olivier, il abondera dans le même sens, en plaidant, lui, pour la Rusée : Est elle [la Simple] bien si estourdie Que de cuidier ou de penser La chair d’ung homme estre assouvie D’une femme et de s’en passer ? (Plaidoié, w. 360-363)

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Son argument est on ne peut plus clair. Selon lui, il serait naïf de croire, comme semble le faire l’avocat de la Simple, qu’un / homme pourrait jamais se contenter d’une seule femme. Car l’immoralité (« naturelle » ?) des hommes vaut bien celle des femmes ; les deux sexes ont besoin d’assouvissement. D’autant plus que : Il n’est homme qui ne se bende Pour repaistre l’humanité, Et n’y a celluy qui ne tende A suivir la mundanité, Vêla le cas ! (Plaidoié, vv. 379-383)



Les mots « mundanité » et « mondain » sont parmi les clés de l’univers mental et social de Coquillart. Il n’y a rien de plus naturel, selon lui, que le désir de goûter les « mondaines plaisances ». On pense encore une fois à François Villon qui, dans un contexte beaucoup plus scabreux, décrit ses ébats avec la grosse Margot. Puisqu’ils se méritent et se plaisent : L’un vault l’autre, c’est a mau rat mau chat. En outre, toute femme (pour citer cette fois-ci François Rabelais) fait partie de ce « sexe tant fragil, tant variable, tant muable, tant inconstant et imperfaict que Nature me semble (parlant en tout honneur et reverence) s’estre esguarée de ce bon sens par lequel elle avoit créé et formé toutes choses, quand elle a basty la femme »5. Gardons-nous de conclure que la voix de son personnage Rondibilis est celle de Rabelais lui-même. Quoi qu’il en soit, les avocats de Coquillart semblent avoir l’esprit plus ouvert que le docteur Rondibilis de Rabelais. Car s’il est vrai que il n’est celle en vérité Qui ne veulle prester le moule. On est vaincu a tour de roulle. (Plaidoié, vv. 385-387) 5.

Voir François Rabelais, Le Tiers Livre, éd. M.A. Screech, Droz, Genève, 1964, pp. 226-227.

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il ne faut pas oublier qu’il : est necessaire Et besoing a la créature Aucunesfois de soy forfaire Et trouver bestail et pasture ! (Plaidoié, vv. 451-454) Les hommes, comme les femmes, ne sont pas capables de résister aux tentations de la chair. On commence à déceler les débuts d’une philosophie de la vie. Puisque nous sommes tous faibles, sachons au moins profiter de cette faiblesse. Qui plus est : Sy aucun quiert son adventure, Et une femme le déduit, Cela ce n’est que nourriture, En fault il faire tant de bruit ? Quant ces mignons si sont en ruit, Et qu’elles le font a plaisance, Le monde n’en est point destruit. Pourquoy ce n’est que accoustumance. (Plaidoié, vv. 455-462) Devant le phénomène (assez répandu, il faut bien l’avouer) du désir sexuel, notre auteur se permet un haussement d’épaules d’homme désabusé. Comme il le fait observer à bon titre, « le monde n’en est point destruit ». La sagesse conventionnelle se trouve à l’époque dans les diatribes d’un Olivier Maillard ou d’un Michel Menot. Par contre, lorsque Coquillart crie au scandale c’est en employant le style antiphrastique, dont ses premiers auditeurs/lecteurs n’ont pas été dupes. Par l’entremise de ce jeune (sans doute jeune) avocat qu’il met en scène, Coquillart fait semblant de fustiger les voyes indeuez, Par désordonnées fringueries Et par manières dissolues,

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Blandices, subornations, Par robbes fendues, sains ouvers, Menteries, séditions, Par mines, tetins descouvers, Machinations, motz couvers, Faulx entresains et controuvez, autrement dit, par tous ces moyens divers Qui sont indeuz et reprouvez. (Plaidoié, vv. 631-645) Une lecture superficielle (celle d’un P. Tarbé ou d’un Ch. d’Héricault par exemple ?) pourrait faire croire que l’auteur se laisse aller à la colère. Ce serait se méprendre sur ce clin d’œil vers son public, qui ne se serait pas trompé sur la valeur à accorder à des mots comme « indeuz » et à la réprobation de l’auteur envers ces femmes qui portent des « robbes fendues » et qui prennent plaisir à montrer leurs « tetins descouvers ». L’univers dépeint par Coquillart est un monde à l’envers. Il n’est pas difficile de lire entre les lignes de ses œuvres et d’y voir la célébration d’un monde anarchique. Peut-on parler de sagesse, de réalisme ? La sagesse selon lui consisterait à s’adapter aux exigences de la vie, surtout en ce qui concerne la vie sexuelle. Mais aussi en ce qui concerne ce monde indûment (mais délicieusement) corrompu qu’est le Paris des années 1478-1480. Il n’est pas difficile non plus, intertextualité oblige, d’y voir le reflet du même monde (parisien, soulignons-le) des jeunes en liesse que décrit François Villon, lorsqu’il fait appel, pour le délivrer de prison, à ceux qui chantent a plaisances, sans loy, Galans, rians, plaisans en faiz et diz ces Gens d’esperit, ung petit estourdiz

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qui risquent de l’oublier6. Ailleurs, Villon fait l’éloge de ce monde grouillant de la rue parisienne, criant « a toutes gens mercys » en guise d’adieu, surtout A musars et clacque patins, A servans et filles mignoctes Portans seurcoz et justes coctes, A cuidereaux d’amours transsiz [•••] A fillectes moustrans tetins Pour avoir plus largement hostes, A ribleurs, menneurs de hutins, A batelleurs trayans mermoctes, A folz, folles, a sotz, a soctes. (Testament, w. 1970-1980) On peut parier que, une vingtaine d’années plus tard, Coquillart a observé avec un sourire amusé les pirouettes de leurs successeurs. Revenons à notre Plaidoié d’entre la Simple et la Rusee. Celle qui, selon un des « assistens », un certain maistre Pierre Hapart, devrait avoir gain de cause dans cette affaire est la Simple : Car elle a plus belle apparence Que la Rusee, quoy que on en die. (Plaidoié, w. 762-763) Dans ce monde d’apparence et de frivolité, ce qui compte le plus est donc la beauté physique. Faut-il s’en étonner ? Faut-il s’en formaliser ? A bien comprendre Coquillart, non seulement il faut accepter cet état de fait, mais il faut s’en réjouir. Pour faire face à la situation délicieusement injuste qu’est la réalité parisienne de la fin des années 1470, il faudrait créer des droits nouveaux. C’est exactement ce que devrait faire Guillaume Coquillart deux ou trois ans plus tard en 1480, préparant pour les fêtes de la Basoche un nouveau code comiquement juridique. 6.

Voir YEpître à ses amis de Villon, dans laquelle le poète, apparemment oublié par ses jeunes amis qui profitent de leur liberté alors qu’il languit, lui, en prison, décrit sa détresse.

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Tout comme le Plaidoié et YEnquesîe d’entre la Simple et la Rusee, les Droitz nouveaulx ont dû être écrits en premier lieu

pour un public (parisien, il va sans dire) de clercs et d’étudiants en droit. C’était donc un public plus ou moins instruit, capable de saisir tout le sel des plaisanteries juridiques et grivoises. Coquillart fait allusion aux Gens instruis, plaisans topiqueurs Rempliz de cautelles latentes, Expers, habilles decliqueurs, Orateurs, grans rethoriqueurs Garnis de langues esclatantes. (Droitz nouveaulx, vv. 14-18) S’il s’adresse surtout à de « bruyans légistes » (v. 25), comme il se doit dans une fête de la Basoche, il semble compter parmi ses auditeurs des médecins, des courtisans, des musiciens, des soldats, des officiers de finance et de justice. Il est intéressant de s’interroger sur les goûts de ce public hétéroclite de la fin du XVe siècle mais qui est censé être à la fois lettré et connaisseur du droit. Comme Coquillart, beaucoup d’entre ceux qui faisaient partie du Tout-Paris de l’époque auraient fait des études de droit à Paris, même s’ils n’avaient pas tous terminé leurs études. Cela explique pourquoi on retrouve un grand nombre d’allusions juridiques dans les farces (comme la Farce du pect, par exemple), ainsi que la mode des « testaments » basés plus ou moins sur celui de Villon7. On sait que si le « bon peuple » pouvait être présent lors des fêtes de la Basoche (les défilés, par exemple), les représentations

7.

Sur cet aspect du théâtre de la farce, voir notamment Jean-Claude Aubailly, Le Théâtre médiéval profane et comique, Larousse, Paris, 1975. Pour les « testa¬ ments », voir en dernier lieu l’article de Richard Cooper, « Le Codicille Villon : Le Testament poétique à la Renaissance », dans Villon at Oxford : The Drama of the Text, éd. Michael Lreeman & Jane H.M. Taylor, Rodopi, Amsterdam, 1999, pp. 85-128.

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des « causes grasses » auxquelles les œuvres de Coquillart s’apparentent se faisaient dans les grandes salles du Palais de Justice. On peut conclure que si le public était mêlé, il était aussi choisi. On a raison de souligner l’aspect juridique de ces parodies. Cependant il est utile aussi d’essayer de cerner de plus près la philosophie sous-jacente de ces productions, et notamment celle de Coquillart lui-même. Il fait commencer ses Droitz nouveaulx par le « ius naturale ». En établissant ses règles pour une vie heureuse et saine, il fait comprendre qu’il faut en toute circonstance faire selon la nature. On voit tout de suite une opposition, comme dans le Plaidoié, entre la « sagesse » reconnue et la véritable sagesse naturelle. Il y fait notamment l’éloge de l’adultère. Et cela au nom de la loi naturelle. On fait semblant de se demander déjà comment l’esprit vient aux femmes. Selon lui, le « droit naturel » leur enseigne les moyens de tromper leur mari. Les maris trompés sont légion, et les jeunes dont l’ambition est de les cocufier à leur tour s’en glorifient. Boileau dira à peu près la même chose deux siècles plus tard (Satire X) : Que de maris trompés tout rit dans l’univers et J’ai lu tout ce qu’ont dit Villon et Saint-Gelais, Arioste, Marot, Boccace, Rabelais, Et tous ces vieux recueils de satires naïves, Des malices du sexe immortelles archives. Pour ce qui est de la faiblesse des femmes devant les tentations de la chair, Coquillart se montre on ne peut plus indulgent. A ses yeux, si une femme se « fourvoie », Ce n’est pas fort grande saigesse. Mais quoy, on n’en est ne noyé, Pendu, pugny ne corrigé ! Ainçoys, selon le commun son, Habiter ce n’est pas péché,

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Chascun en prise la façon. (Droitz nouveaulx, vv. 369-374) En outre, il réclame — au nom du « droit naturel » — pour les « povres femmelettes en friche » qui ne sont pas « labourees » aussi régulièrement qu’elles le voudraient, le droit à l’adultère. Elles sauraient d’ailleurs s’y prendre : Telz moyens d’amours, telz façons Viennent aux femmes de nature ; Telz industries, telz leçons Le droit naturel leur procure. {Droitz nouveaulx, vv. 168-171)

Aussi traite-t-il sur un ton léger la question de la corruption sexuelle. Il en va de même, d’ailleurs, de la corruption sociale : Ha, qu’il y a maint bon chapitre Et mainte notable leçon De l’estât des hommes, hon ! hon ! Et des femmes, que je concludz Tout ung, car par tout, ce dit on, Ne court que estatz dissolus. {Droitz nouveaulx, vv. 501-506)

Le monde qu’il décrit, sans indignation ni amertume mais plutôt avec une espèce de fascination enthousiaste, se caractérise par la « déception », la fraude, la « faintise », la convoitise. Tous ces mots se retrouvent d’ailleurs sous sa plume : Voyez, a destres et a senestres, En tous estatz qu’on peult choisir, Entre les gens laiz, clercz et prestres On ne voit que frauldes courir ! Chascun faict velours enchérir, Chascun veult prendre estatz nouveaulx. {Droitz nouveaulx, vv. 655-660)

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Le monde de Coquillart peut être résumé par le mot « contrefaire », dont il se sert à plusieurs reprises. Les snobs qui veulent, par exemple, faire accroire qu’ils sont riches ou qu’ils possèdent des titres de noblesse Contrefont des estatz plusieurs. Ilz sont maistres et gouverneurs, Ilz sont eschansons, escuyers, Hz sont capitaines, seigneurs — Bien souvent ilz ne sont que archiers ! (.Droitz nouveaulx, vv. 1410-1414) Avec un air de dédain enjoué, Coquillart note que Déception court, et sur grain, Sur femmes et sur escuyers, Et sur le vin et sur le pain, Et en effect sur tous mestiers. (.Droitz nouveaulx, vv. 1695-1698) Mais rien n’y fait... Son œuvre constitue en quelque sorte un dictionnaire du parfait cynique avant la lettre. Que ce soit à la cour, en ville, au Palais de Justice, dans les affaires commerciales comme dans les relations sexuelles ou conjugales, on ne trouve que mensonge et mauvaise foi : On peult donc jurer bonnement Que en amours, en toute façon, En tous estatz, présentement Il ne court que déception. (.Droitz nouveaulx, vv. 1803-1806) On trouve exprimés les mêmes sentiments dans Pathelin, où il est également question de gens qui ne pensent qu’à « contrefaire » : Si ont ceulx qui de camelos sont vestus et de camocas,

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qu’ilz dient qu’i sont advocas, mais pour tant ne le sont ilz mye8. Si nous refusons de voir en Coquillart un poète satirique scandalisé par les excès de son temps, nous pouvons prendre tous les éléments présents dans son œuvre comme les signes d’une société non pas, comme le voulait Charles d’Héricault, « en décomposition », mais en mutation. Mutation radicale et parfois déroutante pour ceux qui l’ont vécue, et il est vrai que pour certains moralistes de l’époque, la mobilité sociale, le snobisme, le désir de parader et de se faire remarquer dont Coquillart semble prendre plaisir à faire état à sa façon étaient bien les signes d’une décadence. Il suffit de consulter Eloy d’Amerval à cet égard. Ils le seront plus récemment pour des critiques comme Italo Sicilianco, qui fustige, dans son livre sur François Villon, l’esprit de parodie et de jeux de mots chez les écrivains de la fin du XVe siècle, comme s’il s’agissait là d’une faiblesse mentale. Il est important de ne pas tomber dans le même piège. Chez Coquillart, savoir s’amuser de la folie du monde est la vraie sagesse. Une sagesse faite de réalisme et d’un bon sens résigné et souriant. Serait-il exagéré d’y voir l’influence de Jean de Meung ? Coquillart fait souvent allusion aux règles de la « nature ». L’enseignement qu’il tire des leçons de la rue parisienne est qu’il ne sert à rien d’essayer d’aller « contre nature ». Comme tous ses contemporains, Coquillart aurait lu et médité la continuation du Roman de la Rose. Guillaume Coquillart peut faire semblant d’être choqué par la société de son temps ; en réalité, il en fait implicitement l’éloge. On aborde là toute la question de sa complicité avec son public. Les vrais « sages » selon lui et selon eux, ce ne sont pas 8.

Voir La Farce de Maître Pierre Pathelin, Texte établi et traduit, introduction, notes, bibliographie et chronologie par Jean Dufoumet, GF, Flammarion, Paris, 1986, p. 52, vv. 58-61. Sur ce que l’on pourrait appeler l’idéologie politique et privée de l’époque, voir les remarques judicieuses de J. Dufournet (p. 33) : « La Farce de Maître Pierre Pathelin, qui incarne des comportements fondés sur la duplicité dans un univers de mensonge, et qui suggère que la ruse est une arme utile contre le malheur, témoigne d’une période de changements profonds dans les mœurs et les mentalités qui remettent tout en question ».

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les représentants de l’ordre établi, obligés de vivre hypocritement, mais ceux qui apprécient les manèges des femmes (« naturellement » infidèles et avides de plaisir), les ruses des écornifleurs et des escrocs, les extravagances des basochiens et de leurs compagnons. Les grosses légumes de l’époque — il les appelle les « gros grains » — sont ces « faiseur[s] du sage » qui se donnent des airs importants et qui se prennent pour des gens futés, mais qui risquent d’être floués par des plus fins qu’eux-mêmes. Autrement dit, à trompeur trompeur et demi, comme chez Pathelin et dans d’autres œuvres de l’époque. Ce qui veut dire que l’on peut prendre Coquillart pour un moraliste, mais un moraliste d’un type très particulier : peu respectueux des valeurs de la société prétendument respectable, il décrit ses travers dans un langage savoureux qui mêle l’acidité, l’ironie et la tendresse amusée. J’ai parlé ailleurs de sa « satire affectueuse » du Paris de son époque, ville de plaisirs et d’une nouvelle prospérité. Loin d’en être le censeur, Guillaume Coquillart en est le chantre9. Il proclame explicitement au début des Droitz nouveaulx, dans un passage qui rappelle les « cris » de sotties dont se servaient les acteurs pour faire la publicité de leurs pièces, qu’il écrit pour un public composé de jeunes qui sont Frisques mignons, bruyans enfans, Monde nouveau, gens triumphans, Peuple tout confit en ymages, Parfaitz ouvriers, grans maistres Jehans, Tousjours pensans, veillans, songeans A bastir quelques haulx ouvrages, Farouches, privez et ramaiges, Humains, courtoys, begnins, sauvages, Dissimulateurs, inventeurs, Cueurs actifz et saffres couraiges,

9.

Voir M. Freeman, « La Satire affectueuse dans les Droitz nouveaulx de Guillaume Coquillart », Réforme Humanisme Renaissance 11 (1980), pp. 92-99.

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Laissez bourgades et villages Affin d’estre noz auditeurs. (.Droitz nouveaulx, vv. 1-12) Il les invite à venir faire la fête dans cette capitale du plaisir chère à Villon et « par tout tant renommée ». Contrairement à P. Tarbé ou à Ch. d’Héricault, personne n’aurait pu se méprendre à la fin du XVe siècle sur la portée de son message euphorique. La tonalité des œuvres de Guillaume Coquillart peut être celle d’une pseudo-indignation. En fait, il s’agit de la célébration d’une ville et d’un mode de vie qu’il ne fait que semblant de critiquer. Notre auteur donne aussi des leçons d’une sagesse faite pour déjouer les pièges et les misères d’un monde instable et trompeur. Ce faisant, il fournit à ses lecteurs les éléments d’une sagesse à l’image d’un monde à l’envers. Pour y bien vivre et réussir, quoi de plus raisonnable qu’une sagesse à l’envers ? Rémois de naissance, mais Parisien de cœur, Guillaume Coquillart nous laisse un portrait de sa ville de Paris, d’une ville en effervescence au lendemain de la Guerre de Cent ans où, pour ceux qui avaient appris à prendre le parti de profiter de la vie et de rire « avecques ceulx qui riront »10, il faisait sans doute bon vivre.

10.

Voir la Farce nouvelle et fort joyeuse des Femmes qui font escurer leurs chaulderons et deffendent que on mette la piece auprès du trou, dans Recueil de farces, éd. André Tissier, vol. IX, 1995, p. 220, vv. 75-76 : Rire avecques ceulx qui riront, Il n’est point de meilleure vie.

Jelle Koopmans Université d’Amsterdam

Esthétique du monologue : l ’art de Coquillart et compagnie

E

n guise d’entrée de jeu

Quant est de moy, pour vous instruire, Pour vous recreer et desduire, J’ay vestu ma chappe d’honneur, Mon chapperon foré, pour lire, Mon pulpitre, pour plus hault luire, Et mon bonnet rond de docteur, Ma grand lanterne de liseur, Mon livre, pour estre plus seur, Sans faillir ne sans repentir (...) (Coquillart, Droits Nouveaux vv. 85-93)1 Ce passage, tiré des Droits Nouveaux de Guillaume Coquillart, l’un des maîtres incontestés du genre du monologue, nous révèle tout de suite quelques caractéristiques essentielles du monologue dramatique comme genre : il est question d’un acteur avec costume et avec, surtout, des accessoires. L’action, si l’on est bien en droit de parler d’une action, consiste ici en la lecture d’un livre placé sur un pupitre, avec une sorte de liseuse, soit parce qu’il fait noir, soit pour augmenter le décorum. Les accessoires et le costume 1.

Ed. Mike Freeman, Guillaume Coquillart. Œuvres, Genève, 1975.

Jelle KOOPMANS

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campent un personnage. Même si l’action dramatique peut faire penser à la présentation d’un texte, il y a théâtre, il y a action dramatique — pour un seul personnage, il est vrai. Au total, toutefois, le monologue compte 2300 vers, soit deux bonnes heures de jeu, ce qui paraît a priori un peu long pour un monologue, mais il est divisé en deux sessions, car au milieu du texte, l’acteur indique Mais pource qu’il est tard, je dy, Veu que estes tous endormis, Qu’il vault mieulx attendre a jeudy (v. 1252 sq.) Voilà un premier exemple, peut-être peu typique (mais que veut bien dire atypique, quand on parle de monologues du Moyen Age ?) ou justement typique (car que veut dire typique, dans ce domaine) d’une pièce dramatique à une voix. Tout y est : personnage, costume, rôle, mise en scène, séparation de l’acteur et de son public. Qu’une telle pièce puisse s’étendre sur deux sessions, ou deux « unités de diffusion » pour utiliser un vocabulaire plus neutre, voire plus savant, ou même deux « journées », pour reprendre le vocabulaire technique des mystères, constitue également un élément important pour notre compréhension des monologues et s’explique sans doute par la situation. On pense aux Droits nouveaux établis sur les femmes qui se terminent sur l’affirmation Partons que ne perdons noz sommes : Le demourant aurez jeudy 2 Avant d’en arriver toutefois à des conclusions sans doute prématurées, prenons un deuxième exemple. Le brave Verconus, vantant ses capacités d’acteur, explique : Se j’ay de fleurs un boucquelet Frisquandinement sur ma teste Je contrefais le nouvellet [...] 2.

Ed. M. Freeman, p. 388.

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