Les mondes de François Mitterrand: à l'Elysée, 1981-1995
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Hubert Védrine Les mondes de

François

Mitterrand

À

l’Élysée

1981-1995

Fayard

BOSTON PUBLIC UBRARY

Copley Square

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LES

MONDES

DE ERANÇOIS MITTERRAND

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Hubert Védrine

Les mondes de

François

Mitterrand À FÉlysée 1981-1995

Fayard

© Librairie Arthème Fayard,

1996

AVANT-PROPOS

Ce

livre raconte le heurt, le

corps à corps entre une volonté

individuelle puissante et une formidable réalité. Heurt dont j’ai été,

quatorze années durant,

comme

conseiller diplomatique, puis conseil-

ler

pour

ral

de l’Elysée, tantôt témoin, tantôt acteur. La volonté, c’est celle de

les affaires stratégiques, porte-parole et enfin secrétaire

La

François Mitterrand.

réalité, celle

géné-

du monde des années 1981-

1995.

La première

vient de loin. Elle est à la fois enracinée dans des

siècles d’histoire de Il

France

et

des décennies d’ambition personnelle.

existe depuis les légistes capétiens

De

vouloir être maître chez soi.

faire respecter le roi,

est

imperator

chrétienté. Et

Car

le

in

de

De

une volonté française de vouloir. vouloir façonner un peuple.

« empereur en son royaume »

suo regno - par toutes dire, au-delà,

les autres

son mot dans

De

- Rex Franciae

puissances de

les affaires

gallicanisme, religieux ou politique, préserve le

la

du monde. pays mais

n’étanche pas sa soif d’influence. Fille aînée de l’Église, patrie des

Lumières, berceau de

la

Révolution

et

des Droits de l’homme,

la

France veut, au-delà de ses frontières, marquer l’Europe, rayonner sur

monde, évangéliser, coloniser, porter au loin ses couleurs et sa conception de la liberté. De même, la gauche française voudra affranchir, instruire, émanciper elle a son projet, et veut croire qu’elle le

;

porte le progrès dans ses flancs.

Aucun

contrepoint tragique à cette geste lumineuse, aucune des

stations douloureuses

de nos

xix"^ et

xx^

siècles,

de 1815 à 1940 en

passant par 1870, ou, pour la gauche, aucun échec, aucune déception n’ont entamé cette façon bien française de se raconter l’histoire de

France, cette croyance en un rôle et en une mission, miroir et

Les mondes de François Mitterrand

8

mémoire de nous-mêmes que, onze années

durant, le gaullisme pré-

voulu ressusciter. L’obstination continue de François Mitterrand à bâtir son destin et à' en rester, quoi qu’il arrive, le maître, s’inscrit dans cette continuité. En mai 1981, il hérite, avec la V® sidentiel avait

République, de cette nostalgique mémoire nationale, et des espérances si constamment déçues de la gauche.

même

:

il

est porteur

Il

les cultive

clocher, meetings et Panthéon.

Mais ce monde de 1981, dans lequel il devient le premier Président de la République de gauche de la V® République, lointain successeur du général de Gaulle en même temps que de Jaurès et de Blum,

est déjà

largement celui de

omniprésente, du consommateur-zappeur

communiste va sombrer

rance/illusion

de l’image

l’ ultra-libéralisme,

;

bientôt, celui

comme une



l’espé-

Atlandide, l’Asie

émerger, et où vont triompher les flux d’une économie virtuelle sur laquelle le soleil ne se couche jamais.

Un monde

dans lequel s’éva-

nouissent les références qui furent celles des gauches européennes

depuis la révolution industrielle.

pouvoirs publics est tenue

-

leur volonté,

en suspicion par

Un monde où que

dis-je ? leur légitimité à agir

nouveaux pouvoirs

les

volonté d’agir des

la

:

-

marchés, opinion,

individu.

Décrivant celles

un

la distance

qui sépare les attentes des Français,

du « peuple de gauche

État moderne,

», et les

y compris

moyens

même

l’État

comme

d’action dont dispose

à la fin du

français,

pour atteindre ses objectifs dans ses relations avec les autres États, ce livre retrace les chemins que le Président Mitterrand est parvenu malgré tout à ouvrir, et ceux sur lesquels il nous a permis

XX®

siècle

de progresser. Entre maintes raisons, François Mitterrand fascine encore, parce qu’il a été,

comme nous

usée jusqu’à

la

tous,

en ces années de mutation - expression

trame, mais, s’agissant de la période 1981-1995,

l’homme de l’étang de Montsauche et celui du défilé de Jean-Paul Goude pour le Bicentenaire, celui des cantons et celui des sommets des Sept, celui de la géographie électorale et celui exacte -, à la fois

de

la géopolitique, celui

de

la

pyramide de Peï

de Jamac, celui des lieux de mémoire

et celui

du cimetière lutte pour les

et celui

de

la

parts de marché, celui des livres anciens et celui de la télévision, écartelé, multiple, réunifié

1918

et s’est

au terme ultime. Le xx® siècle

achevé en 1989

;

né en 1916

et

est

né en

mort en 1996, François

Mitterrand embrasse ce temps où court d’un bout à l’autre sa fièvre

Avant-propos de destin.

est celui à qui

Il

« passeur » du

De

monde

d’avant

cette pérégrination

revenu d’être, en 1989-1990, notre

est

il

le

dans

Mur

au monde d’après

haute mer de

la

sein de l’équipage de notre grand

homme

voulu être un fidèle narrateur, pas

le

ici ni

9

Mur.

géopolitique, au

la

de cette

le

fin

de

siècle, j’ai

mémorialiste. Je n’ai recherché

l’égotisme, ni le plaisir des portraits acidulés, ni les délices des

sous-entendus, des mots piquants, des confidences venimeuses, de

Quant aux « révélations

l’esprit à la française.

»,

genre attrape-nigaud

d’une époque qui adore croire à l’existence de vérités cachées, de preuves dissimulées, de scandales à dénoncer,

et qui

aimerait tant

avoir des Pouvoirs manipulateurs à clouer au pilori, ce n’est pas

mon

genre. D’autres s’en chargent, y compris parmi ceux qui feignent d’en dénoncer l’usage.

Je n’ai garde d’omettre dans ces pages la part que j’ai prise aux analyses, et parfois aux décisions successivement

comme

conseiller

diplomatique (1981 à 1986), conseiller pour les affaires stratégiques (de 1986 à 1991), porte-parole (de 1988 à 1991) puis secrétaire géné-

constamment au cœur de la réflexion et de l’action en politique étrangère. Mais je n’en fais pas le pivot de mon récit. J’ai mis en revanche une certaine passion ral

(de 1991 à 1995), fonctions qui m’ont placé

à expliquer l’enchaînement des analyses et des décisions, leur chro-

nologie, leur logique. Expliquer, tout simplement ? Oui, expliquer.

L’évolution du monde, celle de

la

France. Les analyses du Président,

Ce

ses objectifs, sa méthode, ses résultats.

pensé, et pourquoi nous l’avons pensé

voulu

comment

il,

et

de femmes, ministres

à

un m.oment donné, de

s’inscrire

dans

a,

que nous avons

ce que nous avons ce qui est

l’avons

fait,

le petit

groupe d’hommes

et conseillers, qui a

se sont relayés et ont participé, autour

de

ce qu’/7

comment nous advenu. « Nous », c’est-à-dire

faire,

finalement

;

qu’// a, ce

la

eu

le

et

bonheur

et la fierté,

longue chaîne de ceux qui

du Chef de

l’Etat, à l’alchimie

estimé qu’il y avait à cette relation et à cet éclairage une nécessité pédagogique, une utilité civique, et une urgence. la décision. J’ai

D’abord pour répondre à ces critiques quoique jamais étayées, contre terrand, surtout celle être dit,

«

politique étrangère de François Mit-

du second septennat.

Puis, parce

que tout peut

des raisons qui l’ont inspirée. Ensuite, parce que

Que peut

la

France dans

plus que jamais. fois

la

litaniques, répétées à satiété

échoué

;

le

Nous avons

dans

les

deux

monde

la

question

:

actuel ? » préoccupe aujourd’hui

parfois réussi dans nos entreprises, par-

cas, c’est instructif et cela doit être connu.

Les mondes de François Mitterrand

10

Enfin, parce que ce heurt quotidien d’une volonté

homme,

François Mitterrand, qui fut

l’invincible

de droit

et

la politique

mouvement d’un monde où où s’émoussent

les



celle

incarnée

d’un

- avec

plus rien ne nous est acquis

uns après

les autres les outils forgés

des siècles par les souverains, puis par les dirigeants français, a été parfois attristant, mais souvent aussi enthousiasmant et promet-

au

fil

voudrais contribuer à faire que cela aussi soit compris et tout instant de ce récit, je me suis méfié autant que je l’ai ressenti. pu de l’anachronisme, ce suborneur de la mémoire, ce maquilleur de teur. Je

À

témoignages.

Le public veut

tout savoir ?

Il

a le droit de tout savoir ?

Eh

bien

!

Qu’il partage cette passion, cet acharnement, cette obstination à ouvrir à la volonté des voies encore vierges quand s’érodent passé et

que l’État-nation se retrouve nu Qu’il voie, de l’intél’action à long terme en permanence menacée d’être soumise

mémoire, rieur,

et

au court terme,

!

le réfléchi et

l’émotionnel se révulser mutuellement,

qu’il regarde s’affronter bénédictins et et bâtisseurs, et qu’il

touche du doigt

« faiseurs de coups

», surfeurs

la solitude et la responsabilité

de celui ou de ceux qui, au bout du compte, tout ayant été décident et seront jugés sur leurs actes.

dit et pesé,

PRÉFACE

Le 10 mai 1981, après avoir voté en de Saint-Léger-des-Vignes, dans

la

fin

de matinée à

mairie

la

Nièvre, et déjeuné avec nos amis

du conseil municipal, nous prenons, Michèle et moi, la route de Château-Chinon. Dans la petite sous-préfecture du Morvan règne une joie qui n’ose pas encore dire son

impressions de

campagne

la

nom, nourrie d’espérances, des

fortes

électorale, et étayée par les estimations

qui circulent sous le manteau. Après

18 heures, chacun dit déjà

« savoir » de source sûre, qui par des radios, qui par des instituts de

sondage, qui par se gonfler

le

comme

ministère de l’Intérieur.

sous

l’effet

dienne qui se trouve réunie

là.

La

certitude

monte

et fait

d’une houle

la petite

Puis c’est

confirmation, l’annonce,

la

foule mitterran-

l’ovation à François Mitterrand, au Président François Mitterrand

apparu sur une terrasse de l’hôtel du Vieux-Morvan, enfin

la

marche

vers la mairie.

nouveau Président vient vers nous, se prend le visage entre les mains

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CHAPITRE

Le monde

et

II

François Mitterrand en 1981

Le monde en 1981 Le monde de 1981 est déjà loin, très loin de nous. Un effort de mémoire est nécessaire pour le retrouver. En premier lieu, les « trente glorieuses » années de croissance se sont alors achevées depuis six à

nombre des chômeurs ne cesse d’augmenter dans les pays développés. Cette situation a amené le Président Giscard d’Essept ans, et le

taing à proposer, en 1975, une rencontre annuelle des principaux diri-

geants des autres pays industrialisés afin de coordonner les politiques et

de prévenir

qui,

dans

les

la répétition

années

des très maladroites réactions nationales

trente,

Une au château de Ram-

avaient généralisé la récession.

réunion à Quatre s’est tenue bouillet, en 1975, suivie de cinq autres. Cela va devenir

modeste

et utile

médiatique du

Sommet

des Sept,

le

«

G7

»,

comme

le

Bamum

diront les

médias

journaux économiques anglo-saxons auront imposé cette terminologie réservée à l’origine aux réunions des sept ministres de

quand la

les

Défense. Evolution entamée, déjà, sous

le

Président Carter.

L’opinion voit encore en ces années de « vaches maigres » une « crise » transitoire, une anomalie, certainement pas une « mutation »

avec ce que ce mot a d’excitant pour

monde de

la

production,

les

commentateurs étrangers au

mais d’angoissant pour

les

premiers

concernés. Cette opinion publique n’est disposée ni à proclamer, avec certains intellectuels, « Vive la crise gistes,

!

», ni

à se réjouir, avec les écolo-

de l’avènement d’une croissance zéro. C’est d’ailleurs pour

cela qu’elle a voté « à gauche ».

Les plus clairvoyants des dirigeants

Les mondes de François Mitterrand

80

gauche savent bien que, sans cette crise et leur promesse d’y pas parporter énergiquement remède, ils ne seraient certainement venus au pouvoir mais que cette même crise va beaucoup limiter d’achat, l’application de leur programme de relèvement du pouvoir social. de relance de la consommation, de redistribution et de progrès tout Et que, pourtant, ils seront jugés sur leur capacité à tenir malgré de

la

;

leurs promesses.

D’autre part,

en

Est/Ouest et la course aux armements qui

le conflit

est l’expression la plus visible continuent,

en 1981, à structurer

le

antagonistes et à obséder les esprits. Per-

monde en deux systèmes

sonne n’en voit ni n’en prévoit même la fin à terme rapproché*. La politique de « détente » entamée après la crise de Cuba et les négociations sur le contrôle des armements menées à l’époque de de Leonid Brejnev ont atténué les formes de cet antagonisme jusqu’en 1975. Mais, depuis lors, pour la majeure partie des analystes occidentaux, l’« expansionnisme soviétique » est redevenu une menace majeure, pour certains une obsession. Pour ceux-

Nixon-Kissinger

là, les

et

démocraties sont encerclées,

l’URSS brejnévienne,

et

inexorablement grignotées par

ses satellites et ses complices.

aujourd’hui, cela prête à sourire.

À

l’époque, la

liste

A

y repenser

des conquêtes

communistes, imprimée en noir sur les cartes des journaux en 19791981, fait froid dans le dos Somalie, Angola, Yémen du Sud, Viet:

nam, Cuba, bientôt Nicaragua. Des conseillers soviétiques, est-allemands ou cubains sont aperçus partout. Moins de dix-huit mois auparavant, l’invasion de l’Afghanistan a provoqué un électrochoc.

En rité

1981, une grande partie des opinions occidentales attend par priode leurs dirigeants une fermeté accrue face aux Soviétiques.

térêt

Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt pensent que l’inde l’Occident demeure malgré tout de préserver la détente, ses

acquis, ses canaux de communication. D’autres sont au contraire

convaincus, avec ou par

que

les

le

Président Reagan, élu en

provocations de l’« Empire du

vigoureuse sur tous les plans

l’Amérique d’effectuer

1.

une

Dans L’Empire

le

et

la

que

le

nécessitent une réplique

moment

retour qu’il a promis

:

venu pour « America is back ». est

éclaté (Flammarion, 1978), Hélène Carrère d’Encausse a eu

intuition pénétrante sur la fragilité de

y conquérir

Mal »

novembre 1980,

majorité démographique, et

l’URSS. Mais

elle voyait les

non pas l’URSS

disparaître.

musulmans

Le monde

François Mitterrand en 1981

et

81

Quelques rares dirigeants occidentaux subodorent qu’en pénétrant dans le « guêpier afghan », les Soviétiques viennent de commettre une erreur fatale. Aucun d’eux ne va néanmoins jusqu’à prophétiser que, de la

en

fil

aiguille, cette décision

chute de l’URSS.

De nouveaux accords

sur la limitation {limitation et pas encore

(SALT

réduction) des armes nucléaires stratégiques le

18 juin 1979. Pourtant, depuis 1977,

de l’Est (Pologne,

moyenne

RDA,

l’URSS

II)

ont été signés

Europe

a déployé en

Tchécoslovaquie) des missiles nucléaires à

portée (5 000 km), capables donc de frapper toute l’Europe

occidentale,

de

absurde précipitera

l’OTAN

dénommés SS 20

par les Américains, sans que les pays

se soient livrés au préalable à

ment qui pourrait

un quelconque renforce-

justifier pareille escalade.

Jugeant cette menace

Helmut Schmidt a obtenu des autres pays de l’OTAN,

intolérable pour l’Allemagne, le Chancelier

en 1979 du Président Carter, afin

par suite,

et,

de rétablir l’équilibre rompu, que

108 Pershing

II,

missiles

800 km, soient déployés en Allemagne à partir de décembre 1983, ainsi que 464 missiles de croisière d’une portée de 2 500 km en Grande-Bretagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en RFA. Sauf si VURSS retire d'ici là ses SS 20. Cet engagement est connu sous le nom de « double décision ».

nucléaires américains d’une portée de

Une polémique saires

s’est

1

engagée en Occident entre partisans

et

adver-

de cette mesure.

Afin de ne pas fournir aux Soviétiques le moindre argument pour exiger que dans les négociations américano-soviétiques les forces françaises soient comptabilisées (« prises en

occidental (risquant, de ce d’être contrôlées par

fait,

compte

de se faire « toiser

dilatoire qui a affecté ses relations



»,

camp

autrement

dit

un jour, réduites), controverse une attitude

un accord des deux grands

Valéry Giscard d’Estaing a adopté dans cette

») dans le

excellentes

et,

— avec

le

Chancelier.

Le degré de fermeté à adopter face à l’URSS est ainsi devenu un élément majeur du débat public au cours des deux années précédant l’élection comme pendant la campagne présidentielle.

En

que chef de l’opposition, François Mitterrand a critiqué l’ambiguïté du Président Giscard d’Estaing dans l’affaire des « eurotant

férocement qualifié de « petit télégraphiste » lorsque ce dernier avait cru pouvoir annoncer, au Sommet des Sept réuni à Venise, un premier retrait soviétique d’Afghanistan (en fait, une

missiles ».

Il

l’a

simple rotation de troupes) sur

la

seule foi d’un

message de Brejnev.

Les mondes de François Mitterrand

82

est très attenL’attitude de François Mitterrand en tant que Président

de celle des sociaux-démocrates » que seraeuropéens, tous arrangeants avec l’URSS par « pacifisme gouvernement ? t-elle s’il fait entrer des communistes au Dans le même temps, la construction européenne est en panne

due sur ce point

;

elle se distingue

:

élue toute depuis que Margaret Thatcher a bloqué en 1979 à peine « ifioncy nouvelle décision a Neuf jusqu’à ce qu elle obtienne sa et back ». Ce différend sur le montant de la contribution britannique

réclame, a plongé la sur le prétendument «juste retour» qu’elle Communauté européenne dans l’atonie et le plus noir pessimisme.

des autres grands sujets d’actualité, à propos duquel l’opinion française a confirmé, pendant la campagne, sa vive sensibilité, Proche-Orient. parti-pris, ses divisions, est bien sûr le conflit du

Un

ses

israélienne, le Fort de sa victoire d’un jour dans le Sinaï sur 1 armée du Président Sadate a pu ouvrir, grâce à l’entremise et à l’obstination

directe Président Carter, la voie nouvelle et risquée de la négociation peravec Israël. L’Égypte, plus grand des pays arabes, peut se le

mettre.

Mais

le

monde

arabe

l’a

maudite. Pour

lui

complaire, Valéry

Giscard d’Estaing a cru devoir faire condamner par la France la « paix séparée de Camp David ». Il a même obtenu d’un autre sommet de Venise - européen, celui-ci - qu’il proclame que la paix au Proche-

'

Orient ne pourra être que « globale », à l’exclusion donc de tout accord séparé. Ce mot « global » est un élément clef du dogme que la

diplomatie français a

fait sien.

Mais

c’est se paralyser

François Mitterrand juge cette politique avec une extrême sévé-

Tout d’abord, pour des raisons morales autant que politiques, condamne l’ostracisme dont Israël est encore, en 1981, l’objet de

rité.

part de la diplomatie française.

Il

s’est

engagé -

et

il

il

la

tiendra parole

à interdire toute soumission ouverte ou déguisée aux consignes de boycott d’Israël édictées par la Ligue arabe. Il a promis de faire, au

-

plus tôt après son élection, un voyage en Israël. Il estime qu’en n’entretenant en réalité des relations politiques actives qu’avec un

deux camps en présence, la France s’interdit d’exercer une influence effective. Ce raisonnement sera constant chez lui, de la

seul des

question du Proche-Orient à celle de la Yougoslavie. Concernant un éventuel processus de paix, il ne voit pas au

de quoi

Européens seraient fondés à

interdire à

un grand pays

l’Égypte, qui a fait la guerre à Israël, de conclure la paix avec fut-ce sous les auspices des États-Unis. Sur tous ces plans, il a

comme lui,

les

nom

Le monde

et

annoncé une réorientation par

une rupture avec

radicale,

la ligne

jugée

étroitement mercantile et financière suivie par son prédéces-

lui

seur.

83

François Mitterrand en 1981

Ses déclarations ont suscité une attente fervente de

partisans d’Israël. Les

mêmes

la part

des

ont prêté moins d’attention à ses posi-

tions audacieuses sur les droits des Palestiniens.

Au

Moyen-Orient, d’autre

de deux ans entre l’Irak

part, la guerre fait rage

et l’Iran

;

depuis près

or la France a conclu depuis des

années, donc avant cette guerre, des contrats qui l’engagent à fournir

des armes à l’Irak.

nouveau Président va avoir à se saisir du conflit du Tchad - en mai 1981, les forces libyennes sont aux portes de N’DJamena -, ainsi que du conflit qui oppose depuis six ans, au Sahara occidental, l’armée marocaine au Polisario et à l’armée algérienne. Là plus encore qu’ailleurs se pose la question du maintien, de l’inflexion ou de la révision de nos engagements internationaux. Enfin, en Afrique, le

Que

fera le Président

quée par

de

la

« politique africaine » de

la

campagne de 1981

et

dans

comment François Mitterrand liste

fera face à la

adoptera en matière de défense,

» l’amènera à rompre avec

et tels points importants,

mondiste risme,

»,

à

la ligne

souvent sont de savoir

menace si

la

soviétique, quelle

« diplomatie socia-

de ses prédécesseurs sur

commencer par

l’Europe,

s’il

tels

sera « tiers-

ce qu’il fera au Proche-Orient ainsi que face au terro-

comment

comme un

criti-

semaines qui suivent

les

l’élection, les questions qui reviennent le plus

il

France

gauche ?

la

Durant

attitude

la

il

s’entendra avec les Grands,

des leurs et

s’il

si

ceux-ci l’accepteront

saura ou non maintenir

le

« rang » de

la

France.

François Mitterrand va avoir notamment à travailler avec Ronald

Reagan qui, six mois auparavant, a été élu Président des Etats-Unis sur un programme aux antipodes de celui du PS français. Les deux hommes n’ont à première vue en commun que d’avoir su faire preuve d’une longue patience avant d’accéder au pouvoir. l’archevêque de Cracovie, élu pape

de Jean-Paul

II

capable d’ébranler

le

le

le

nom

avec regret que

cardinal Karol Wojtyla le bélier

A

communisme.

lancé à l’Est son désormais célèbre

voit son

16 octobre 1978 sous

le

grâce aux cardinaux allemands, américains et d’Eu-

rope de l’Est qui ont décelé dans

c’est

rencontrera

Il

le

:

peine élu, celui-ci a en effet

« N’ayez pas peur

!

»

Chancelier Helmut Schmidt, malade

ami Valéry Giscard d’Estaing - avec lequel

il

A et

Bonn, amer,

a instauré la

Les mondes de François Mitterrand

84

pratique des Conseils européens, progrès déterminant pour l’Europe,

adopter par les

et fait

Neuf

l’élection

du Parlement européen au

suf-

désavoue par les électeurs lors des réunions de l’Internationale socialiste, il a sèchement reproché à François Mitterrand son alliance avec les communistes. À Moscou, Leonid Brej-

frage universel



être

;

censé régner sans partage sur un système immuable, monoFrançois Mitterrand a été lithique, inefficient et pourtant menaçant

nev

est

;

au Kremlin en 1975. Autour de la table du Conseil européen de Luxembourg, le Président va retrouver dès le 29 juin, en sus d’Helmut Schmidt, de Margaret Thatcher et de Giovanni Spadolini, reçu par

lui

premiers ministres de Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg et de Grèce. Et, au Sommet des Sept à Ottawa, le 19 juillet, en sus des leaders allemand, anglais, italien et du président de la Commission, les

Gaston Thom, le Canadien Pierre-Eliott Trudeau, le Japonais Zanko Suzuki et Ronald Reagan. Les leaders au pouvoir voient sans plaisir se produire des changements politiques qui viennent perturber les rapports de forces ou les relations de travail établis, et les obliger à s’adapter à de nouveaux partenaires. «

L 'alliance des

orthodoxies



écrira François Mitterrand

dans ses Mémoires interrompus^ — se noue dès que l’ordre établi est remis en question. » L’ordre établi, ou tout simplement la routine. Parmi ceux qui sont en fonction en 1981, lesquels se montrent satisde l’élection de François Mitterrand en dehors de Margaret Thatcher et des Japonais qui estiment avoir été humiliés par Valéry Giscard d’Estaing, du FNL algérien qui pense avoir des droits sur le PS, faits

nouveau pouvoir, des Israéliens qui voient en François Mitterrand un « ami », des socialistes espagnols de Felipe Gonzales, et du Portugais Mario Soares ? Le reste du monde réserve son jugement et s’apprête à observer, circonspect ou attentif, les débuts du donc sur

le

nouveau pouvoir

français.

Les conceptions de François Mitterrand en 1981

Ce monde de 1981, François Mitterrand ne l’aborde ni en technocrate bardé de programmes d’action et d’« agendas » à l’anglo-

1

.

Dans

cet ouvrage, François Mitterrand consacre

nationales à son élection de 1981.

27 pages aux réactions

inter-

Le monde

François Mitterrand en 1981

et

85

saxonne, ni en militant socialiste, ni en moraliste utopiste seur de

torts.

pénètre sur la prestigieuse scène planétaire en

Il

homme

pragmatique, en

et redres-

politique français, en historien et en géo-

graphe.

L’Histoire est l’histoire de son pays mais aussi la sienne propre et celle

de sa génération, qui l’ont tant marqué. Son expérience

d’un

celle

homme

né en 1916 pendant

la bataille

est

de Verdun, marqué

dès l’enfance par les récits de ses parents et de ses grands-parents

Clemenceau

qui admiraient

études et découvert le

la

;

qui a eu vingt ans en 1936, a

pensée de Briand, d’Herriot

et

fait

ses

Blum dans

de

Paris d’avant-guerre, à l’époque d’Hitler et de Mussolini

l’armée française se volatiliser en 1940, a été

fait

;

qui a vu

prisonnier à 24 ans

connu l’Allemagne comme interné dans un stalag, puis comme évadé est revenu en France à 26 ans, a trouvé un emploi au Commiset a

;

aux Prisonniers de guerre, à Vichy, avant de rejoindre la Résistance avec la plupart des cadres de cet organisme qui s’y est imposé comme un chef, avant de faire, à la Libération, de ce milieu « prisariat

;

sonniers » le tremplin d’une carrière politique fondée sur l’habileté et la ténacité, et qui a trouvé

le caractère,

en chemin son sens.

Faire que son pays, jamais, ne connaisse un nouvel an 40, voilà

qui est chevillé au plus profond de lui-même. Faire que plus jamais les

Européens



et

d’abord les Français

tredéchirent à

nouveau

intime chez un

homme

en

fait,

:

telle

et les

est l’autre

Allemands - ne s’en-

face de cette conviction

né pendant une Première Guerre mondiale

européenne -, puis soldat

et prisonnier

pendant

la

-

Seconde.

Si fortes qu’elles aient été, ses expériences et rencontres ulté-

rieures

-

l’Afrique

IV® République'

;

comme

les socialistes et les

sociaux-démocrates d’Europe,

d’Afrique à l’époque du PS

d’Amérique

latine et

socialiste^

les leaders

;

ministre de la France d’outre-mer sous la

et

de l’Internationale

des cinq continents au cours de ses voyages

1.

Mémoires interrompus,

2.

François Mitterrand évoquera

op.

ciî.,

p. 176. le

16 février 1991 les contacts facilités par

l’Internationale socialiste à l’occasion d’une interview sur le Président équatorien

Borja

:

«L’Internationale socialiste a permis à de nombreux responsables de tous

pays de se connaître et de créer entre eux de solides amitiés. Je me souviens d 'une rencontre organisée à Stockholm par Olof Palme. S’y trouvaient Willy Brandt, Helmut Schmidt, Felipe Gonzales, Harold Wilson, Bettino Craxi, Joop Kreisky, et des Sud-Américains

comme

Carlos Andrès Ferez. »

Den

Uyl, Joergensen,

Les mondes de François Mitterrand

86

intimes, sont venues ou viendront compléter ce socle de convictions jamais s’y substituer. On le vérifiera dans ses dernières années.

-

Étrangement, au point de départ, ses convictions européennes ne — essensont guère commentées et jamais jugées pour ce qu elles sont tielles.

Pourtant, de très

nombreux signes pourraient

laisser prévoir

Congrès ce que sera sa politique en ce domaine, de sa participation au européen de La Haye en 1948 jusqu’aux véritables parties de bras de des années soixante-dix au sein du PS, contre prévaloir Jean-Pierre Chevènement et ses amis du CERES, pour faire Maastricht déjà le cap européen sur le repli sur soi, sorte de débat de fer

engagées à

la fin

socialo-socialiste avant la lettre.

Mais

la

mémoire des

sociétés média-

tiques est courte...

La dimension

historique est, chez

tout sauf anecdotique.

lui,

Pierre Éclairés, aujourd’hui, par les propos de François Mitterrand à Péan^ sur son enfance {« être roi ou pape »), et par ses textes de jeu-

nesse, nous

pouvons l’imaginer ne cessant pas un seul

jour,

l’enfance à l’âge mûr, de se pénétrer de l’Histoire, de ses

de

mouve-

d’un spectacle, mais comme d’une affaire personnelle. D’où cette familiarité, délibérée chez lui, avec les grands du passé, tous en quelque sorte alliés ou parents — il se montre -, mais qui se combine là clairement antérieur à l’école des Annales avec une vision de l’histoire des peuples dans la longue durée, pour

ments, de ses héros, non

comme

!

notamment pour tout ce qui a France, à l’Allemagne, à l’Afrique ou au Proche-Orient.

le

coup

très braudélienne,

trait

à la

Ses convictions, sa vision des choses sont celles d’un homme de province à la culture classique, français dans ses tripes, européen de raison, occidental par le hasard de la géopolitique. Il entend s’inscrire

dans «

la trace

continue du sillon creusé par le destin bientôt

millénaire de la plus ancienne nation d’Europe ». Et, dès mai 1981, sans même attendre 1986^, il pourrait proclamer «l’unité d’une

démarche qui exprime de bout en bout l’ambition que d’instinct, de passion, de raison, je nourris pour la France ». Et il ajoutera « Ceci expliquant cela, aussi loin que remontent mes origines, je suis né d’elle :

et

de l ’une de ses provinces,

et j ’en tire fierté.

»

1.

Une Jeunesse française, Yayaxà,

2.

Réflexions sur la politique extérieure de la France. Introduction à vingt-cinq

discours. Fayard, 1986.

1994.

Le monde Tout cela - ce

lire

manière de voir -

ton, ce frémissement, cette

perceptible, en 1981, par quiconque veut

de

comprendre

/,

sans

même

parler dt

est

et a fait l’effort

Ma Part de vérité, La Paille et le grain, L 'Abeille et

Politique

87

François Mitterrand en 1981

et

l

'architecte.

Aux frontières de l'Union française

ou de La Chine au défi\ Mais ses adversaires sont trop aveuglés et la gauche trop égocentrique en 1981, c’est le Premier secrétaire du PS que voient partisans et adversaires, non le François Mitterrand des :

cinquante-cinq années antérieures à 1971, date du Congrès d’Épinay.

Les contresens

fleurissent.

y a à cela maintes raisons François Mitterrand arrive au pouvoir à 65 ans après trente-six années d’une vie politique très intense au cours de laquelle il s’est fait autant d’adversaires que de partisans. Il

:

1981, ni les uns ni les autres ne sont disposés à une analyse

En

sérieuse de sa personnalité ni de ses orientations.

Pour

les premiers,

François Mitterrand est à jamais maudit pour

avoir osé défier le général de Gaulle. Pour d’autres, plus nombreux,

en s’associant aux communistes,

a trahi sa classe et pactisé avec le

il

Pour ceux-ci, à partir de 1981, chaque événement apportera preuve de l’orientation pro-soviétique ou tiers-mondiste (ce qui,

diable. la

pour eux,

est identique

!)

de sa diplomatie^.

D’une façon plus générale, pour

toute

une droite de combat,

la

présence de François Mitterrand à l’Elysée est illégitime (on a oublié depuis que des voix illustres pronostiquent alors que « tout cela ne durera pas longtemps »), et tout ce qu’il y fera ne pourra être que funeste. Ainsi,

ce sera par

quand

il

approuvera

Américains sur

les

suivisme » ou par « atlantisme »

;

quand

ou

tel il

tel point,

résistera

aux

Soviétiques, ce sera pour faire oublier ses alliés encombrants, les

pour une chose, on dira qu’il veut singer de Gaulle pour une autre, qu’il ne songe qu’à le contredire par-delà la tombe.

communistes

Quand il

il

;

;

respectera le protocole de la République, on ricanera

bousculera, le soupçon resurgira

le

listes sont-ils à la

1.

Ma

Part de

hauteur ?

vérité.

Il

comme un

ressort

:

;

quand

les socia-

faudra du temps pour que ses opposants

Fayard, 1969

La

;

L’Abeille et l’Architecte, Flammarion, 1978

;

Paille et le grain, Flammarion, 1975

Politique

I,

Fayard, 1977

;

;

Aux fron-

La Chine au défi, 1961. 2. Ainsi de la nomination de Régis Debray à l’Élysée. Le Figaro Magazine de l’époque offre un exemple burlesque de cette obsession.

tières

de l’Union française,

Julliard,

1953

;

Les mondes de François Mitterrand

88

origine reconnaissent l’ampleur de sa politique étrangère. Mais, d’une

ou d’une autre, jamais les attaques ne Quoique à l’opposé, la vision de

cesseront. certains partisans de François

de Mitterrand est également erronée. Pour eux, il va être un combiné Léon Blum et d’Olof Palme. Il va appliquer ses 110 propositions, guerre, juger du bien et du mal, condamner les méchants, bannir la par les canons, proclamer la paix et la sécurité collective faire reculer

l’arbitrage

plus de

lui

ou

la

on attend nobles, des mots justes ou émouvants que

médiation. Sur nombre de points, en

des attitudes

des solutions concrètes. Une partie non négligeable de

la

gauche

vit

fait,

« son » arrivée au

pouvoir non pas par rapport à la France et au monde de 1981, mais par rapport à sa propre histoire, a son propre passe, comme effaçant promesses. ses défaites et permettant enfin l’accomplissement de ses François Mitterrand, lui, sait qu’il n’accède au pouvoir ni en 1789,

en 1848, ni en 1916, et qu’il ne pourra pas choisir Edward Heath, Willy Brandt ou le Président Wilson comme partenaires, mais aura à traiter avec les leaders en fonction dans le monde réel de 1981. Entre ce que l’on peut alors savoir de François Mitterrand, subodorer de ses intentions, et la sensibilité socialiste, il y a plus qu’une

ni

marge. Aussi

les journalistes s’épuisent-ils à

imaginer ce que pourrait

une « diplomatie socialiste ». Les interrogations sont d’autant plus grandes que nulle politique étrangère « de gauche » ne peut servir de référence récente ou de point de comparaison. Leon Blum, Pierre Mendès France et Guy Mollet ont œuvré dans un autre monde. L’action des démocrates américains avec Jimmy Carter de 1976 à être

1980, celle des travaillistes anglais avec Wilson et Callaghan, celle du SPD avec Willy Brandt et Helmut Schmidt, ne sont compréhensibles

que dans

les contextes américain, anglais

tique étrangère suédoise

- pays

neutre

-

est

ou allemand. La

également

poli-

très particu-

au mieux le rôle d’une amicale propice aux rencontres et aux échanges de vues - ce que François Mitterrand a beaucoup mis à profit -, mais ne se prononce sur les problèmes du moment qu’en termes généraux, vagues

lière.

et

et

Quant à

l’Internationale socialiste, elle joue

peu compromettants, avec lesquels on ne peut qu’être d’accord. Quoi qu’il en soit, François Mitterrand a des vues personnelles des intentions précises sur tous les grands sujets du moment. Elles

sont simples

:

d’abord, étouffer dans l’œuf tout éventuel ostracisme

de V establishment international, envers

le

premier Président de

Le monde

et

89

François Mitterrand en 1981

gauche élu en France au suffrage universel s’imposer d’emblée être ferme, autant que possible, face à l’URSS, sans rompre le contact ;

;

;

se

montrer l’ami des États-Unis sans se

d’œuvrer à une relance européenne accrue

;

enrégimenter

laisser

et

une

à

en douceur

l’homme

;

soucier davantage

se

;

de

accru en fonction du rapport de forces,

et,

le faire

évoluer

défense des droits de

la

France

faire respecter partout la

tenter

Nord/Sud

solidarité

d’une façon générale, assumer l’héritage mais

;

lui faire

;

pour

jouer un rôle selon

le reste, agir

les circonstances.

C’est dans cet esprit que François Mitterrand va aborder les

nombreux sommets prévus

à son

diplomatie multilatérale, tentative

programme. L’importance de des gouvernants pour maîtriser

la la

mondialisation croissante, est une caractéristique majeure de cette fin

de

siècle. Cette

mondialisation ne surgit pas brusquement dans les

années quatre-vingt. Elle résulte d’une suite ininterrompue d’inven-

d’événements

tions et

ment

leur loi

deux

qui, depuis

aux politiques

siècles,

aux peuples

et

:

imposent inexorable-

télégraphe, téléphone.

Première Guerre mondiale, crise mondiale, radio, avion. Deuxième

Guerre mondiale, télévision, ordinateurs, missiles, peuples de

la

Désormais,

les frontières

du temps -

et

n’a souhaité. C’est

les idées, les

Les

Terre ont connu en moins de cent ans une véritable

fusion/compression de l’espace

- qu’aucun

satellites, fax...

la

globalité, instantanéité

mondialisation « concasseuse

».

déterminent de moins en moins les images,

marchandises, les modes de

vie. Cette révolution

humaine

leverse toutes les données sur lesquelles l’espèce

bou-

s’est orga-

nisée, s’est repérée et s’est fixée depuis le néolithique, sur lesquelles les

peuples ont bâti leur identité, leur perception d’eux-mêmes et des

autres,

du dedans

et

du dehors, de ce qui protège

Cette unification, qui n’est pas

le

de ce qui agresse.

et

d’un conquérant, d’un

fait

Napoléon ou d’un Alexandre, d’une religion ou d’une idéologie explicite, entraîne l’extension d’un système économique, l’économie de marché,

qui

triomphe

constructions économiques et

économique majeure plique aux biens

:

après

étapes

fait

fatalement

les États-Unis.

comme aux

de toutes le

de

la

puissance

En

1981,

informations et aux images.

:

le

monde ne

autres

s’ap-

tiers

monde y

phénomène ne va

forcer pendant la décennie et se précipitera, après

auquel personne au

lit

les

La logique du marché

une partie du

tout le « bloc de l’Est » et

encore. Pas pour longtemps

étapes

s’attendait.

1

résistent

cesser de se ren-

989, à un rythme

Les mondes de François Mitterrand

90

régaliennes Placés sur la défensive, voyant leurs prérogatives eux une rognées par cette globalisation qui entraîne pour chacun d

dépendance accrue vis-à-vis non seulement du plus fort, mais aussi de l’ensemble des autres et de forces économiques elles-mêmes que leur incontrôlées, les Etats se sont fait violence. Ils ont admis avec souveraineté n’était plus entière. Ils ont donc essayé, quoique de se doter d’instruments de règlement des conflits, ou d’acen 1981, tion collective régionale ou mondiale. Preuves de ce souci ans qu’ont cela fait 61 ans qu’a été fondée la Société des Nations, 36 ans créés l’Organisation des Nations unies et son Conseil, 36

retard,

:

été

également qu’ont été signés les

accords

l’Élysée,

GATT, 24

1 1

ans

ans les accords

accords de Bretton- Woods, 34 ans Traité de Rome et 18 ans celui de

les le

SALT

I,

6 ans qu’ont été instaurés les

industrialisés et le Conseil européen.

sommets des pays

D’exceptionnelles, solennelles et formelles, les rencontres au sommet des chefs d’État ou de gouvernement sont devenues, au cours

sous l’empire de la nécessité, fréquentes, informelles, routinières mais indispensables. Que l’on compare le Congrès de avait cinq participants, ou celui de Berlin en Vienne de 1815 où il

de ce

siècle,

y

Potsdam, aux Sommets des Sept ou aux Conseils européens d’aujourd’hui La conférence de la paix à Versailles en 1918 avait été d’une ampleur exceptionnelle. En 1875, les

Sommets de Téhéran, Yalta

et

!

1960 encore, la rencontre des « quatre Grands » à Paris avait été un événement. Les vingt années suivantes ont vu s’installer, se ritualiser les années soixante-dix, les Conseils euroles sommets Est/Ouest péens bi-annuels et les Sommets des Sept annuels. Tout a changé ;

hormis

la vanité

des importants dont

le

nombre a crû^

Ainsi, à peine élu, le Président français trouve-t-il inscrit d’office sur son agenda de 1981, avant même d’y avoir fait figurer le moindre projet personnel de voyage à l’étranger ou d’invitation d un chef

d’État en France

:

un Conseil européen à Luxembourg, en juin

;

un

Dans son Disraeli, André Maurois décrit ainsi un « congrès international » « Un Congrès international : la plus parfaite des (il s’agit là du Congrès de Berlin) Foires aux Vanités. D'abord, à l’intérieur de chaque pays, éliminatoires des vanités 1

.

:

Chaque Premier ministre pense qu 'il est seul capable de représenter sa polià la tique. Chaque ministre des Affaires étrangères pense que le Premier n 'entend rien diplomatie. Chaque Ambassadeur professionnel a la même opinion de son ministre. »

locales.

Le monde

et

François Mitterrand en 1981

91

sommet franco-allemand à Bonn, puis un Sommet des Sept à Ottawa en juillet un sommet Nord/Sud à Cancûn en octobre un autre som;

;

met franco-allemand en France à l’automne un autre Conseil européen en décembre à Londres un sommet franco-africain dont le principe est retenu et dont la date reste à arrêter. Au niveau du ministre et des principaux responsables du quai d’Orsay, la concertation pro;

;

grammée avec

la

France

est tout sim.plement inces-

demeurent, mais elles s’insèrent dans un réseau

relations multilatérales.

quent

de

Les relations bilatérales (France-Allemagne, France-Angle-

sante. terre)

les partenaires

la

Un Sommet

très

dense de

des Sept représente par consé-

combinaison de 21 relations

bilatérales

!

Nous,

les collabo-

du Président, formés à la diplomatie, ou frais émoulus, prenons cette réalité pour un fait. Peut-être est-ce une question de génération ? Que les Etats modernes doivent se regrouper à deux rateurs

f

(France

et

membres permanents du Conseil Sommet des Sept), à dix (la Communauté

Allemagne), à cinq

de Sécurité), à sept

(le

(les

européenne), à seize (l’Alliance atlantique), à une centaine ou plus (le

GATT),

à cent quatre-vingt-dix

(l’ONU) pour

agir,

décider

uti-

lement, éviter les contradictions entre eux, essayer de peser en ras-

semblant leurs forces sur

les

grandes évolutions stratégiques, écono-

miques ou commerciales, ne nous inspire aucun état d’âme. Notre souci est que le Président réussisse son entrée et nous faisons tout pour cela. Pourtant, nous sous-estimons encore le degré d’interdépendance entre

les Etats, la technicité particulière et les contraintes

qui s’imposent de ce fait à toute politique étrangère.

Nous

allons vite

nous en rendre compte.

La distance trois points

:

est ainsi substantielle,

l’état

comme

du monde, d’une part

listes et les électeurs

;

ce qu’espèrent les socia-

de gauche, d’autre part

intentions de François Mitterrand.

dans un triangle, entre

;

enfin la pensée et les



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CHAPITRE

Un

acte fondateur

:

111

le refus

des SS 20

Avant 1981

Au

nouveau Président, il y a la question soviétique qui a dominé la fin des années 70 et, logiquement, la campagne électorale. En 1981, cela fait près de soixante-cinq ans que le problème des rapports avec l’URSS trouble et divise l’opinion point de départ, pour

le

française, et ce passé, encore très présent dans le débat public, l’est

autant dans les conceptions de François Mitterrand, qu’il éclaire.

Tant qu’il

s’est agi

de Napoléon en 1812

de

et la

la

seule Russie, et hormis la

campagne

guerre de Crimée, nos relations ont été

plutôt bonnes. Redoutant les desseins des peuples situés entre leurs

deux

territoires, la

Russie

et la

France ont été en général portées à

s’appuyer l’une sur l’autre, voire à contracter une alliance, fut le cas

en 1892. Nicolas

II s’était

comme

rendu à Paris en 1896,

ce

et Félix

Faure à Saint-Pétersbourg en 1897.

Les choses ont changé du tout au tout avec d’octobre esprits

- ou de novembre* - 1917 les

événements

qui n’ont cessé d’opposer les

pendant plus de soixante-dix ans.

l’URSS révolutionnaire

les

Fallait-il

bons rapports que

la

poursuivre avec

France avait entre-

tenus avec la Russie tsariste ? Fallait-il au contraire les réviser radi-

calement, tout subordonner à la contre-révolution puis, à défaut, à

l’endiguement de

1.

Selon

le

la

révolution ? Pouvait-on être de gauche en France

calendrier employé, julien

ou grégorien.

Les mondes de François Mitterrand

94 sans soutenir

soviétique ? Pouvait-on, à

FUnion

communisme en France Ces questions

inverse, refuser le

tout en cherchant a s entendre avec

se poseront jusqu’en

grandes querelles du

1

URSS

1

?

1991. Cela aura été une des

siècle.

entité Avait-on encore affaire à la Russie étemelle ou bien à une dilemme radicalement nouvelle, le « pays des Soviets »? En 1981, le pour autant à perdure. Conclure à la continuité slave ne revient pas tirer

des conclusions réconfortantes. sans l’opposé, ceux qui ont vu en l’URSS une expérience

À

contraire. précédent ne concluent pas qu’elle doive être rejetée, au

pour d’autres, de là, une l’avenir de l’humanité. Ce n’est pas encore pour tous, loin

Car

si c’est,

pour

certains, le

mal absolu, cela

reste,

illusion*. la scission majoritaire

Avec de

- au congrès de

Tours, en 1920

-

de l’Internationale communiste qui s’était détaavait pris le nom, en 1922, de Parti communiste,

la section française

chée de

la

SFIO

et

devenue en France - pour — un problème aigu ne plus cesser de l’etre pendant soixante-dix ans obtenu de politique intérieure. Aux élections de 1924, le PCF a la

question des rapports avec

%

9,51

1^2

des voix

et

;

pour

% en 1928, avant de retomber à 8,4 % en 15 % en 1936. Comment capter, pour les uns, En

se déclarant

en

l’URSS par réalisme

historique ?

En

les autres, ce capital électoral ?

faveur de bonnes relations avec favorisant

est

puis 13

de réatteindre

neutraliser,

l’URSS

directement l’action idéologique et révolutionnaire du

PCF? C’était l’époque

où de prestigieux

artistes et

hommes

de culture

poids des idées communistes et marxistes devant se faisait sentir bien au-delà du PCF. Socialistes complexés un engagement « plus avance » que le leur, intellectuels fascines par

ralliaient

«

le Parti »,



le

l’ambition messianique de la patrie de la Révolution et

d’Homme Nouveau,

esprits indépendants

le

mais alors inhibés,

projet

comme

de voyageurs de 1919 à 1939^ - on ne compte pas ceux qui n’osèrent s’exprimer contre le philosoviétisme ambiant. Léon Blum dénonça cependant la « dépendance psychique »

en témoignent

1.

2.

1979.

les récits

Le Passé d’une illusion, Fred Kupferman, Au pays des Soviets,

Cf. François Furet,

éd. Laffont, 1995. coll.

«Archives», Gallimard,

Un

:

elle était

serv'ants

de

la

SS 20

refus des

95

socialiste se définissait privative-

non communiste

1

!;••.



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CHAPITRE Vin

Prélude à

Un

la

relance européenne

tour d’Europe

C’est à partir de 1984, une fois François Mitterrand sorti des

turbulences euro-atlantiques des trois premières années et tion

la

construc-

européenne débloquée, que l’Europe occupera une place centrale

dans sa politique étrangère. Mais lorsqu’il

est élu Président, si ses

convictions pro-européennes ne peuvent être mises en doute, dans

le

contexte du début des années 1980, elles semblent relever de l’opi-

nion personnelle davantage que du programme politique. Sous IV® République, sans être « fédéraliste

pro-européens plutôt que des « anti

Communauté « européenne » de choix, considérant que et

que

l’instituer fût

le

il

».

Certes,

il

il

n’a jamais renié ce

caractère européen de la

revenu à « remettre ».

les clefs

a voté contre la

CED

de

la

usurpé

était

défense euro-

Plus tard. Premier secrétaire du

n’a pas hésité à s’opposer à plusieurs reprises, à ce sujet, à

Jean-Pierre

Chevènement

et à ses amis,

Joxe, Claude Estier, d’autres encore. hostile

a toujours été du côté des

il

défense, mais

péenne aux généraux du Pentagone PS,

»,

la

au « Marché

commun

mais aussi aux

siens, Pierre

La gauche du PS

était alors

capitaliste » (son slogan était

f

:

« Les

r

Etats-Unis d’Europe seraient l’Europe des Etats-Unis

»), et favorable,

sans plus de précisions, à une Europe plus large, plus démocratique,

thèmes qui survivront aux années 80. Quand Pierre Joxe le pressait de s’intéresser à l’Europe de l’Est, il se méfiait comme si cela pouvait le

détourner de son dessein principal

D’autre part,

la

:

la

construction européenne.

gauche non communiste française, par tradition

anglophile, voit dans la Grande-Bretagne, outre l’alliée de 1940, la

Les mondes de François Mitterrand

274

mère des parlements

et

de

la

démocratie.

Léon Blum,

Pierre

France,

Guy

comme

je Fai rappelé, la gauche s’est jusqu’alors sentie

Mollet étaient imprégnés de cette conception.

vis-à-vis d’un « couple franco-allemand », français, depuis les débuts

gaullistes

En ou de

de

ou « conservateurs

la

Mendès

De

ce

fait,

mal à l’aise incarné de surcroît, du côté

V® République, par des présidents

».

1981, ces divergences potentielles entre partisans de la petite

grande Europe, défenseurs ou adversaires du Marché

la

commun,

tenants

du couple franco-allemand ou de

l’alliance anglaise,

militants européens et militants socialistes, n’ont guère l’occasion de

s’exprimer. D’abord parce que le premier gouvernement de Pierre

Mauroy

absorbé par l’application de son programme et a des pro-

est

blèmes économiques dant,

il

et

prendra à bras

sociaux bien plus urgents à résoudre. (Cepenle

corps

la

de l’élargissement à l’Espagne

préparation économique et sociale

et

au Portugal). Ensuite

et surtout

parce que la construction européenne est en panne, les Dix n’arrivant à se mettre d’accord ni sur la contribution britannique, ni sur la

réforme de

la

PAC

(politique agricole

commune). Depuis 1979, Mar-

garet Thatcher a pris l’Europe en otage. Elle bloque toute décision afin d’obtenir pour son pays

un «juste

Communauté européenne vous

rapporte chaque année autant que ce

retour’ ».

Vouloir que

la

une hérésie par rapport à l’esprit communauinévitable que certains pays soient, certaines années,

qu’elle vous coûte est taire.

Il

est

contributeurs nets.

De

surcroît, les bienfaits

tenance d’un pays donné à

la

économiques de l’appar-

Communauté ne

se mesurent pas en

termes strictement comptables.

Toujours

est-il

qu’en 1981,

la

Communauté

est paralysée.

Au

dernier Conseil européen précédant l’élection de François Mitterrand,

à Maastricht, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing n’ont pas réussi à faire céder le Premier ministre britannique. Résultat

:

les

nou-

veaux dirigeants français n’ont pas à prendre en ce domaine de décision difficile, puisqu’ils n’ont pas à prendre de décision du tout !

La Grande-Bretagne conteste la « quote-part » qu’elle doit reverser pour respecter le mécanisme des prélèvements et des restitutions agricoles qui, en assurant 1.

la

préférence communautaire par rapport aux produits moins chers importés du reste

du monde, permet de financer a pourtant accepté

le

la politique agricole

principe en adhérant en 1973.

commune -

quote-part dont elle

Prélude à

la

relance européenne

275

Cette situation va durer plus de deux ans et demi, jusqu’au lendemain

du Conseil européen d’Athènes où les Dix échoueront de nouveau. Le relais passe alors aux mains de la France pour les six premiers mois de 1984, puisque les présidences européennes sont semestrielles, ce qui va tout changer. La réussite de tainebleau, en juin

l’Europe,

dix, au-delà

la suite,

même

dépit

présidence française à Fon-

1984, ouvrira en effet la voie à

mot souvent galvaudé mais

puisque toute

En

la

de

dans la

les

qui,

en l’espèce,

années quatre-vingt

et quatre-vingt-

anglais, les cinq premiers semestres euro-

péens du Président ne sont pas inemployés.

d’Europe de nos voisins il

est approprié

présidence mitterrandienne, en découlera.

du blocage

France même, quand

relance de

la

entreprend un tour

Il

et partenaires qui suscite

peu

en

d’intérêt

n’y est pas brocardé. Le Président aime voya-

myope. François Mitterrand aime effectivement voyager, même si, au bout de deux ou trois jours, le parfum de la France lui manque. En l’occurence, il a un dessein il n’a certes pas du tout l’intention de laisser péricliter la relation franco-allemande, même s’il préfère y voir un couple plutôt qu’un axe, comme il l’a dit d’emblée à Helmut Schmidt. Mais il juge que les autres pays européens, qui ne sont déjà que trop enclins à dénoncer en toute occasion, bonne ou mauvaise, l’« arrogance de la grande ger

!

plaisante-t-on à l’époque. Critique

:

nation », ont été traités avec désinvolture et maladresse par ses prédécesseurs. C’est une erreur, selon

d’attendre d’avoir besoin de

lui,

ces pays, pour un vote à Bruxelles, pour les redécouvrir

Tout cela n’a rien à

« alliance de substitution » à la

Grande-Bretagne. Sans

comme

Pierre

dans son

voir,

la relation

esprit,

avec une illusoire

Paris-Bonn, par exemple avec

aller jusque-là,

des

hommes

proches de

lui,

Bérégovoy, Claude Cheysson, Pierre Joxe, André

Chandernagor,

suggèrent

que

la

France

Londres. Son raisonnement est plus subtil

RE A

plus à l’aise avec la tous les Européens les autres aussi

!

;

:

en :

la

« fasse

plus »

avec

France sera d’autant

qu’elle aura des relations plus fournies avec

Grande-Bretagne, Espagne,

la diversité

européenne

est

Italie

bien sûr, mais

un atout plus qu’un han-

dicap. Cela suppose de faire l’effort d’aller vers les autres, chez eux,

de leur parler, de régler à chaque fois des contentieux, en général

mineurs mais gênants, qui n’ont que trop duré, de prendre

la

peine

de lancer des projets communs.

De

1981 à 1984, ce raisonnement

que je suis chargé d’organiser en

tant

lui inspire

un tour d’Europe

que conseiller diplomatique

et

Les mondes de François Mitterrand

276 auquel

il

qu’aux « grands » voyages tels que l’Inde Japon (1982), la Chine (1983), en attendant notamment le

s’intéresse autant

(1981), le

Brésil (1985), l’Argentine et l’Indonésie (1986).

découvre qu’il n’y a pas eu, dans

tel

ou

A

cette occasion, je

pays, de visite officielle

tel

r

d’un chef de

l’Etat français depuis

Pays-Bas,

dernière remonte à 1953

la

Suède, à 1914 Suisse,

il

de

en Norvège, à 1907

;

n’y en a jamais eu

nombreuses années.

très

;

;

au Danemark, à 1955

même

ni

Premiers ministres ou

en

François Mitterrand ne borne ce projet

!

aux candidats à l’adhésion. les

;

en Autriche, en Hongrie, en

de grand tour « européen » ni aux seuls membres de

neuf autres -

Aux

A

CEE -

la

chaque

les

fois, les

souverains ainsi que les milieux officiels

sont ravis et touchés que le nouveau Président français veuille venir

chez eux. L’intérêt gagne vite avec

la

les

médias, puis l’opinion. Leur relation

France en est rajeunie, détendue,

et la concertation

européenne

facilitée.

A

-

l’occasion de ces voyages, dans les années 1981, 82, 83

SS 20 dominant

l’actualité -, le Président est

les

souvent amené à expli-

quer devant des auditoires plus ou moins réfractaires, par exemple en

Europe du Nord, ses conceptions sur le rétablissement de l’équilibre des forces en Europe. J’ai ainsi souvenir d’une vraie bronca des parlementaires écologistes, pacifistes et sociaux-démocrates danois.

Lisbonne ni,

et

à Madrid,

il

n’élude pas

la

question de l’élargissement,

en ce qui concerne l’Espagne, celle du terrorisme.

penche sur plusieurs contentieux bilatéraux, d’auberge laissée impayée par Napoléon ce que pourrait être l’avenir érudition et âme.

Il

commun

commence

À

!

À

Berne,

et fait régler

En chaque

des Européens.

lieu, Il

il

se

une note il

dessine

en parle avec

par nouer une relation personnelle très

étonnante, fondée sur la séduction mutuelle, avec Margaret Thatcher, lors

du mariage du prince Charles, en juin 1981. Ce

jour-là,

ils

se

parlent longuement. C’est la première fois que je suis preneur de

notes dans un

tel entretien.

Cette relation ne sera pas tout à

fait

vaine,

malgré leur désaccord conceptuel sur l’Europe, puisqu’ensemble

ils

Manche. En décembre 1981, François Mitterrand va à Lisbonne. En 1982, il est à Copenhague, Vienne, Budapest, Madrid et Athènes. En 1983, dans plusieurs cantons suisses, à feront le tunnel sous la

Gand et Liège, et même à Belgrade et Zagreb. En 1984, La Haye et Amsterdam, Oslo, Stockholm, en Grande-Bretagne.

Bruxelles, à

Chaque

fois,

il

s’exprime à l’occasion de dîners, devant

les parle-

Prélude à

ments, dans

la

relance européenne

277

aux Français de l’étranger ou à

les mairies, s’adresse

la

presse.

C’est en l’écoutant prononcer de longs toasts lors des « dîners d’Etat »

-

plus

projets préparés, plus

mes pas dans

heureux d’être quelque

est

il

improvise

il

les siens

moins

et

moins

part,

est concis -,

il

dans tant de capitales

et

de

villes

les

lit

il

en mettant d’Europe,

du tombeau des Rois du Portugal à la crypte des Capucins à Vienne', de Naples à Oslo, de Salamanque à Varsovie, que je réalise combien lui, l’amoureux des terroirs et l’arpenteur des cantons français, est aussi pétri, dans toutes ses fibres, d’histoire et de civilisation euro-

péennes, combien et le meurtrit

Quand tique, j’ai

monde,

le

passé européen,

commun

et fratricide, le fascine

!

m’appelle auprès de

il

trente-quatre

ans.

comme

lui

Comme

tant

conseiller diploma-

d’autres, j’ai

aux anciens parapets »

loin de « l’Europe

:

couru

Etats-Unis,

le

Ouz-

békistan, Binnanie,

Yémen, Maroc,

tant d’autres ciels. Et j’adore la

m’a

fallu attendre ce

moment pour

France. Mais à

ce continent perdu

lui,

de

il

:

le

monde

redécouvrir, grâce

européen. Tous ceux qui, autour

à l’Elysée, seront les artisans de sa politique européenne

lui,

Jean-Louis Bianco, Jacques Attali, Elisabeth Guigou, conseillers diplomatiques

À

chaque étape,

lorsque Louis traités

XIV

il

-

sont dans ce cas

nomme

le

les

-

autres

!

passé pour l’exorciser, surtout

(en Allemagne), Napoléon (en Espagne), ou les

de Versailles (en Europe centrale) en ont été

les causes.

Un

rombre noire des siècles passés

».

« Les Français ont souvent eu dans leur histoire un aspect batailleur

»,

jour, en

Allemagne,

il

parlera de «

reconnaît-il devant les Danois. lité

des dynasties,

nuis

».

Devant

le désir

il

Autrichiens,

il

rappelle « la riva-

de puissance de nos deux pays, qui se sont

la reine Beatrix,

Grande-Bretagne,

Aux il

mentionne

souligne que

le

roi

la

Saint-Barthélemy.

Edouard VII a proposé

l’Entente cordiale six ans seulement après Fachoda.

avec

lui,

des niaises motions de congrès

et

On

est bien loin,

des moulins à prières.

n’a pas l’Europe technocratique, mais spirituelle et chamelle à et

inspirée. Peut-être parce

que

l’histoire

de Napoléon

I"...

Il

la fois,

de l’Europe, c’est aussi

L’y accompagnant en 1994, je me demanderai, à de chaque Habsbourg, s’il ne songe pas à la visite en ce 1.

En

le

voir détailler la sépulture

lieu, à la

lueur des torches,

Les mondes de François Mitterrand

278 l’histoire

de France,

étroitement mêlés.

et

que leurs bonheurs

En ravaudeur des

des espérances européennes,

ne

soit

il

et leurs tragédies sont

liens entre peuples,

en réveilleur

parle contre l’amnésie, pour que rien

perdu ni des uns ni des autres,

et

que

les volontés

retrempées. C’est au début du premier septennat, quand

encore absorbé par

les

il

en soient n’est pas

grands travaux d’après Fontainebleau,

et à la

du second, quand il adoptera, après la ratification de Maastricht, un ton pudiquement testamentaire, que cette attitude est la plus marquée. Sur un plan plus diplomatique, il va ajouter aux sommets fin

semestriels

franco-allemands des sommets annuels franco-britan-

niques, franco-italiens et franco-espagnols.

Le Conseil européen Mais l’Europe est aussi une machinerie, même si elle est en panne. Les Conseils européens se réunissent au moins deux fois par an, quoi qu’il amve, et il s’en tiendra huit entre l’élection de François Mitterrand à l’Elysée et

la

présidence française de 1984. Dès

mier, les 29 et 30 juin 1981, à ses

Luxembourg,

le

pre-

Président propose à

neuf partenaires de créer un « espace social européen

un plan

le

»,

d’élaborer

industriel européen, d’aller vers

une réduction du temps de travail. Vaste programme Il est regardé comme un Martien, sauf par le social-démocrate danois. Mais il va vite apprendre le mode d’emploi de ces sommets. Le Conseil européen est l’une des instances les plus représen!

tatives des relations internationales

originales en

même

temps.

Au

contemporaines

et l’une

des plus

début des années 1980, déjà, la mon-

dialisation de l’économie, la circulation des

hommes, des marchan-

dises, des idées et des images, le caractère global des

problèmes

d’environnement, font qu’il y a de moins en moins de questions qu’un Etat peut traiter seul. Et, même quand il peut encore décider souverainement, sa décision est tributaire de multiples facteurs extérieurs à sa volonté. Depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale, des tentatives ont été faites pour donner aux États, face à cette inter-

dépendance généralisée, imposée par des faits techniques et économiques, un cadre dans lequel ils puissent se concerter et agir. Multilatéralisme sorte.

Avant

organisé contre mondialisation sauvage, d’être le pari européen, ce fut

en quelque

une utopie mondialiste

Prélude à

avec

279

Société des Nations de Wilson de 1919 à 1939', puis avec

la

rONU

depuis 1945.

En Europe,

l’idéologie des précurseurs fut fédéraliste, avec la

Haute Autorité de l’Acier créée en

Communauté européenne du Charbon

la

sion, constituaient l’intérêt

Pour

1951.

ensuite, les institutions

les

inspirateurs

du

une sorte de Richelieu chargé de

et

de

de Rome,

traité

communautaires, principalement

Commis-

la

faire prévaloir

général contre les Etats nationaux, ces féodaux modernes.

C’était

compter sans

dou,

premier, réunit un

le

relance européenne

la

la

résistance de ces derniers

sommet des

Etats

!

Georges Pompi-

membres de

la

Commu-

nauté européenne. Puis Valéry Giscard d’Estaing suscita avec Helmut

Schmidt un Conseil européen régulier qui fois l’an (en juin et

décembre), parfois

ou octobre un Conseil exceptionnel).

se réunit

trois

A

au

minimum deux

(quand se

partir

de

en mars

tient

Conseil euro-

là, le

péen, qui regroupe les détenteurs du pouvoir politique légitime et réel,

prend peu à peu

un

pas sur

le

les autres institutions

conflit toujours sous-jacent,

monté, avec

la

européennes. D’où

mais en général heureusement sur-

Commission qui n’entend pas devenir un simple

organe d’exécution des décisions du Conseil, mais garder son pouvoir de proposition, celui-là

même

dont Jacques Delors

fera,

de 1985 à

1994, un usage inspiré.

En

-

il

1981,

le

Conseil européen n’a pas encore d’existence légale

ne figurera dans

les textes

tue déjà le centre et le

qu’avec l’Acte unique -, mais

consti-

il

moteur du système. Contrairement au Sommet

des Sept qui n’est qu’une instance de concertation,

il

prend en effet

des décisions^ dans tous les domaines, hormis ceux dévolus par traité

de

Rome

à la

Commission - par exemple,

commerciales multilatérales. De plus,

les

les

le

négociations

dirigeants européens ne

peuvent passer trente-six heures ensemble sans aborder de façon « informelle » tous les problèmes qui leur tiennent à cœur, situation politique, et les

1.

économique

et sociale

la

SDN, en

la

dans leurs pays respectifs,

grandes questions d’actualité internationale.

Jean Monnet, qui travailla à

comme

tint

Même

compte par

si le

Conseil

la suite

dans son

action européenne. 2.

Formellement, à l’époque, c’est encore

le

Conseil des ministres qui décide à

partir des orientations fixées par le Conseil européen.

Les mondes de François Mitterrand

280

n’a pas de compétence formelle pour en

traiter,

est

il

devenu un

rendez-vous essentiel à tous égards.

Quand François Mitterrand commence à y participer, l’organisation des travaux est déjà immuable. Le Conseil débute à la mijoumée et s’interrompt avant le dîner. Il travaille à partir des rapports préparés par

le

pays qui exerce

la

présidence semestrielle, avec l’aide

de

la

Commission, sur

ou

le

Premier ministre du pays président,

base d’un ordre du jour fixé par

la

et

le

Président

communiqué au

préalable

à ses partenaires. Les Chefs d’Etat et de gouvernement dînent

ensemble,

Pendant de

la

des Affaires étrangères aussi, de leur côté.

les ministres

la nuit, les fonctionnaires

de

la

Commission

et

ceux du pays

Présidence mettent au propre les conclusions des travaux de

La matinée du lendemain

cette première demi-journée.

est consacrée

à la relecture de ces conclusions et à l’examen des questions non

Le Conseil

tranchées.

par

la

se termine en général juste avant le déjeuner,

conférence de presse du Président en exercice

chaque autre chef de délégation.

et celle

pu

Si les participants n’ont

de

se mettre

d’accord, les travaux sont prolongés dans l’après-midi, voire dans la soirée.

Les « numéro un »

des Affaires étrangères (ces

et leurs ministres

derniers composent, aux termes

du

traité

de Rome,

le

« Conseil des

Affaires générales ») sont entourés d’une délégation qui peut aller de

cinq ou six personnes pour un petit pays à une trentaine pour

France

la

du Président, collaborateurs du Premier ministre (même si celui-ci, pour la France, ne participe pas aux travaux), collaborateurs du ministre des Affaires étrangères, porte-parole collaborateurs

:

des uns

et

des autres, mais aussi représentants des administrations

compétentes pour par les Finances

tel

ou

tel

point de l’ordre du jour, à

(le directeur

du Trésor

et le directeur

commencer

des Relations

économiques internationales sont toujours présents). Secrétariat général pour la Coopération interministérielle pour les questions communautaires, le représentant

permanent à Bruxelles

collaborateurs, etc. Sans compter le chef le

chef du service des voyages

missions,

etc.,

et plusieurs

du protocole

de ses

et ses services,

officiels et ses collaborateurs, les trans-

tous habitués des petits matins à Villacoublay.

Le Président

est

Affaires étrangères.

en général en séance avec

Comme

il

le

ministre des

n’y a que deux sièges par pays,

le

Prélude à

la

relance européenne

281

ministre des Affaires européennes' est obligé de prendre son mal en

patience dans l’un des bureaux de

collègue des Affaires étrangères le

Président

du

lieu

délégation, en attendant que son

cède un

lui

moment

sa place,

ou que

fasse venir lorsqu’il sort se dégourdir les jambes. Les

le

membres des salles

la

délégations, en général entassés dans deux

où se tiennent

les séances, palais historique

des congrès, passent leur temps à

lire

ou

trois

ou palais

des journaux, des dépêches ou

des notes, à téléphoner à Paris, à bavarder, à faire les cents pas, à regarder toutes les chaînes de télévision disponibles, à improviser des réunions, à boire de mauvais cafés (plaisanterie classique dans ce

milieu

:

pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas imposé par directive

les cui-

sines française et italienne et l’expresso italien ?), à parler avec leurs

homologues des autres pays,

Babel des couloirs

cette

à attendre qu’on ait besoin d’eux.

et cafétérias, et

suivent les travaux par les

Ils

dehriefings des anticf qui viennent, toutes les trente ou quarante

minutes,

lire les

justifient

qu’une information ou une suggestion

en sus du copieux dossier que

sident,

pour

notes qu’ils ont prises durant les débats. Si ceux-ci

les Affaires

européennes^, les

compétents rédigent sur

transmise au Pré-

a déjà préparé son conseiller

lui

membres de

champ une

le

soit

la

délégation les plus

note. Elle est visée par le plus

« gradé » des collaborateurs présents du Président (secrétaire général,

ou conseiller les Affaires

et porté

par

lui (il

des débats) à l’aide-de-camp qui

la salle

destinataire.

ou conseiller pour faut un badge spécial

secrétaire général-adjoint,

européennes)

pour approcher de

met à son

ou

spécial,

la trans-

Toutes ces opérations peuvent s’effectuer en

quelques minutes.

En

général, dans

un bâtiment

distinct,

ou à un autre étage, des

centaines de journalistes essaient d’apprendre ce qui s’est dit et se

perdent en

1

.

conjectures.

Successivement

:

De nombreux membres

des

délégations

André Chandernagor, Roland Dumas, Catherine Lalumière,

»

t

Bernard Bosson, Edith Cresson, Elisabeth Guigou, Alain Lamassoure. 2.

Antici

était,

dans

les

années 1970, un conseiller de

la

représentation per-

communautés européennes, chargé d’animer un groupe de coordination des ambassadeurs. Quand la décision fut prise, lors d’un des premiers manente

italienne auprès des

conseils européens, de désigner un preneur de notes chargé d’informer ses collègues

des représentations permanentes,

il

fut le

premier

et

donna son

nom

à la fonction.

/

3.

Successivement

:

Thierry Bert, Jean Vidal.

Pierre Morel, Elisabeth Guigou, Caroline de Margerie,

Les mondes de François Mitterrand

282

viennent les voir. Les porte-parole, bien sûr, dont c’est

le rôle,

mais

aussi les ministres et tous ceux qui veulent passer le temps, apprendre

des potins, en colporter eux-mêmes, répandre un message, se valo-

donner corps par leur passage, leur

riser,

une rumeur

utile.

attitude, leurs

Les journalistes en profitent pour extorquer à leurs

visiteurs des détails pittoresques susceptibles d’attente, et,

«ce

pour

mimiques à

les plus optimistes,

de nourrir des papiers

de demander des pronostics sur

qui va se passer». Lassitude, tabac, alcool et

Même

troc...

les

plus habiles manipulateurs d’informations ne peuvent guère contrôler leurs effets, car dans cette

atmosphère confinée, cette promiscuité

nerveuse, n’importe quoi peut paraître crédible et tout est

tromper l’ennui. nalistes

À cela,

envoyés dans

un antidote

:

bon pour

l’extrême compétence des jour-

Conseils européens pour accomplir cette

les

amène malgré tout à préférer une cela, en bon franglais, faire du off the

sorte de garde statique, ce qui les

explication de fond (on appelle

record ou du background) à des anecdotes croustillantes sur les menus, l’« argent gaspillé » pour loger les hôtes ou assurer leur sécu-

ou autres diversions. Quand un Conseil s’ouvre, de nombreux sujets ont pu être réglés, sur la base des impulsions données par le Conseil précédent, rité,

soit entre les représentants

permanents,

soit lors

d’une des réunions,

générales ou spécialisées, du Conseil des ministres. Parfois, est rien et ce sont alors les

nantes, sur la table. L’ordre

mêmes

des rendez-vous fixés.

n’en

questions qui reviennent, lanci-

du jour du Conseil européen a

en tenant compte des orientations déjà retenues et

il

les fois

La Communauté connaît

été arrêté

précédentes

ses défauts, ses

contradictions d’intérêts, donc ses lenteurs. Elle sait que les pro-

blèmes

les plus délicats

pour

tel

des États membres, telles questions

de fond, devront être contournés ou étudiés jusqu’à ce que telle catégorie socio-professionnelle,

soient résignés,

ou bien

pays,

voire les esprits en général se

aient évolué, aient compris le parti qu’ils

pourraient tirer d’une situation nouvelle.

sivement moins vrai avec

tel

le

vote à

la

Ce

qui deviendra progres-

majorité qualifiée.

D’où

l’im-

portance des pré-rapports, des rapports préparatoires, des reports, des échéanciers, des calendriers, des comptes à rebours, qui ménagent du

temps pour ticuliers fait, il

Dix

-

y a

cette thérapie collective

fussent-ils nationaux -, très

(a fortiori

de dépassement des intérêts par-

de compromis

et d’adaptations.

En

peu de décisions qui peuvent se prendre d’un coup a à Douze, à Quinze, voire à plus). Des processus conti-

Prélude à

la

relance européenne

283

nus, des chaînes de décisions qui s’étendent sur des mois

ou des

années sont inévitables.

masse des conclusions préparées à l’avance, seuls trois ou quatre points font en général problème. Le Président doit décider Parmi

la

à propos duquel (ou desquels)

à quel

moment

il

le fera

il

va jeter son poids dans

balance

;

(dès l’ouverture, en séance plénière, l’après-

midi ou au dîner), sur quels appuis lui être

la

demandé en échange

il

peut compter, ce qui risque de

sur d’autres sujets au sein du Conseil

ou bien dans une autre enceinte, ce

ou non accepter. Ces échanges ne se limitent pas, en effet, au seul champ communautaire la France est presque toujours engagée ailleurs au même moment au Conseil de Sécurité, dans la préparation du prochain Sommet des qu’il peut

:

Sept, par

exemple

-,

dans d’autres négociations où

elle

peut avoir

ou tel de ses partenaires européens. Tout cela doit être pris en compte avant et pendant un Conseil, d’autant plus qu’avec neuf partenaires, a fortiori avec onze ou quatorze, plus la Commission, on ne peut pas, fut-ce au nom de la France, prétendre imposer besoin de

tel

ses vues sur trop de sujets à la fois.

Cette description des Conseils européens et de la mécanique

communautaire évoque une « usine à gaz »

de dix, puis douze, puis quinze pays, en attendant plus,

outil à partir et

La reconstruction d’un

!

au travers duquel on peut espérer exercer à nouveau une certaine

influence sur les affaires du

Dès que

la

monde, donc sur

les nôtres, est à ce prix.

construction européenne aura redémarré, nous aurons

maintes occasions de vérifier que l’entente franco-allemande, avant et

pendant un Conseil,

les autres

est la clef

de sa poursuite,

États-membres rouspètent - cas de

l’Italie -, ils

la

et que,

même

si

Grande-Bretagne, de

s’attendent à notre impulsion.

Piétinements

En 1981-82, nous n’en sommes pas là La Communauté se lanDe 1981 à 1984, les gouvernements Mauroy I, II et III se suc!

guit.

cèdent

:

quième semaine de congés payés, de mort. Mais, par de 8,5

39 heures payées 40, cinAuroux, abolition de la peine

nationalisations, décentralisation,

ailleurs, le

4 octobre 1981,

% par rapport au mark. Le

de 5,5 %,

le

mark

étant

lois

le

franc a été dévalué

nouveau réévalué de 4,25 %. Pour accompagner cette 12 juin 1982,

il

doit l’être à

Les mondes de François Mitterrand

284

deuxième dévaluation,

bloqués jusqu’au 31 octobre,

PIB pour 1983, sociaux sident les

-

et

le déficit

l’engagement

tout cela pour

mesure

lors des

budgétaire est limité à 3

est pris

ramener

de rééquilibrer

l’inflation à 10

Sommets des Sept

la

%

embûches dans

les jungles

les

sont

% du

budgets

en 1983. Le Pré-

domination américaine,

marottes reaganiennes, l’omniprésence des médias,

face aux

SMIC)

les prix et les salaires (sauf le

et doit faire

centre-américaine, libanaise,

israélienne, irako-iranienne...

Pendant ce temps-là,

les

Conseils européens piétinent. Les 26 et

27 novembre 1981, à Londres, d’accord ni sur

la limitation

Dix ne parviennent pas à

les

des excédents

laitiers, ni

se mettre

sur le plafon-

nement des dépenses agricoles (nous savons que nous devrons y consentir tôt ou tard, mais pas n’importe comment), ni sur le budget.

La position britannique est qu’il faut réduire la politique agricole commune, qui coûte trop cher, et limiter le budget communautaire en deçà du plafond de rent,

%

1

mais à l’opposé de

de

de

l’assiette

la

TVA.

la position française.

Point de vue cohé-

Malgré

demandent un rapport sur l’Union européenne sur positions Genscher-Colombo. Situation inchangée à Bruxelles, fin le

la

tout, les

Dix

base des pro-

mars 1982. En

avril,

malgré

soutien européen dont la Grande-Bretagne a bénéficié dans la

guerre des Malouines, beaucoup grâce au Président Mitterrand solidarité

européenne passe avant

les

chimères tiers-mondistes ou des

sympathies Nord/Sud peu regardantes), Londres bloque annuelle des prix agricoles, et

(la

la fixation

un vote à la majorité qualifiée pour passer outre. Du coup, le 19 mai 1982, François Mitterrand, exaspéré, déclare posé « le problème de la présence de la Grande-Bretagne dans la Communauté ». il

faut

Les Dix ne parviennent pas plus à se mettre d’accord sur les mêmes sujets, les 3 et 4 décembre 1982 à Copenhague, et sont obligés de repousser encore

demandes d’adhésion espagnole et portugaise, qui supposent réglée au préalable la question du budget de la Communauté. Cela nous laisse du temps pour y préparer nos agriculteurs du Sud-Ouest et du Sud-Est. Ce sujet est très important car, depuis les

Valéry Giscard d’Estaing, c’est résoudre affiché par

24 juin 1982)

le

est le

la

France qui bloque. Le désir de

le

Président à partir de son voyage à Madrid (22-

premier signe tangible d’une nouvelle volonté

française de construction européenne.

Prélude à

Le Conseil suivant

la

relance européenne

285

mars 1983 à l’issue de dix joumées-clés. Le 6 mars, la gauche a perdu le premier tour des municipales en France, et Helmut Kohl a emporté les législatives en Allemagne. Le mark s’est envolé, le franc s’est efffondré*. Les consultations intensives auxquelles le Président a procédé entre se tient à Bruxelles le lundi 21

le

13 et le 21 mars ont été racontées par le

et

Michel Martin-Rolland

pendant quatre jours

les

menu

par Pierre Favier

par Jacques Attali. Le Président a pesé

et

deux options

(sortir

ou non du SME), ce qui

beaucoup pour un choix aussi lourd de conséquences, et affiché ensuite une « indécision tactique » pour obtenir le maximum des Allemands dans le réaménagement monétaire. Au Conseil européen de Bruxelles, le franc est à nouveau dévalué, de 2,5 %, le mark n’est pas

réévalué de 5,5 %.

En

outre, la France reste

dans

le

SME

et

s’engage

à rétablir l’équilibre de sa balance des paiements en deux ans par une

ponction de 65 milliards (soit 2

ménages

et les

dépenses de l’État en 1983.

Comment aux Français

% du PNB) sur la consommation des

Président justifie-t-il ces choix quand

le

mercredi 23 ? Par sa volonté

le

il

s’adresse

de ne pas isoler

la

France de la Communauté européenne » et de lutter contre le chômage, l’inflation et le déficit extérieur. Argumentation essentielle, qui annonce toute la suite. C’est peut-être la dernière fois qu’une orientation stratégique différente aurait

pu

être prise, si elle avait

eu

la

moindre consistance. «Mitterrand, dira Lionel Jospin

16

le

novembre 1988

à Pierre

Favier, a eu Fimpression de faire une concession extrêmement difficile

à

la réalité

imposée par

les autres,

de devoir se plier à une sanction

imposée de l’étranger. C’était pour originale, socialiste, mixiste, fière

lui la fin

d’une certaine France

de sa personnalité face à l’égoïsme

féroce des libéraux. » Jean-Pierre Chevènement a déclaré au même, le

28 mars 1989

Dès

1.

le

:

« Notre faiblesse, avec Riboud, Fabius et Bérégo-

21 février, Élisabeth

Guigou

avait alerté le Président

:

«La

France,

qui a emprunté pour 90 milliards de francs en 1982, a saturé ses possibilités d’endet-

tement extérieur sans conditions. Si

le franc sort

balance des paiements, sera conduite avant

du SME,

la fin

la

France, pour financer sa

de l’année à

solliciter

des prêts

CEE ou

du FMI. Mais cet argent ne nous serait prêté qu ’à la condition d’appliquer un plan de redressement imposé de l’extérieur ». Jean-Louis Bianco avait auprès de la

résumé op. cit).

:

« Sortir du

SME nous mettrait au FMI »

(cité

par Favier et Martin-Rolland,

Les mondes de François Mitterrand

286 voy, est ficelée.

de ne pas avoir proposé une politique alternative suffisamment Mitterrand a beaucoup

conformiste, car

il

gauche perdrait

le

rigueur

lui

puis s

’est

rabattu sur

l



option

pensait qu’en cas d’échec de l’autre politique, la

pouvoir pour de bon. Le succès de la politique de a permis de garder le pouvoir. Mais pour quoi faire ? »

Lionel Jospin, à

mon

sens, a

vu plus

essentiels ont guidé sa décision

que

hésité,

loin

en disant

de rester [dans

le

:

«

Deux éléments

SME]

;

le

sentiment

du serpent serait une fuite en avant dramatique, sans garantie d efficacité pour le redressement de la balance commerciale ; l’ambition de conduire une grande politique européenne. Ce qu’il a la sortie ’

fait plus tard éclaire le choix de

mars 1983. » De

fait,

son forcing

européen des années 1984-92 est impensable sans le préalable de la rigueur de mars 1983. Sinon, le tandem franco-allemand n’aurait pas fonctionné et aucun pays européen n’aurait consenti à se laisser entraîner par une France qui se serait engagée dans

une voie purement

hexagonale.

En mars

1983, en tout cas, les médias et les gouvernements

occidentaux se réjouissent sans réserve du choix français. Le bon sens contre l’aventure, en quelque sorte. Mais le redémarrage de l’Europe est

encore loin

Les

!

17, 18 et 19 juin 1983, à Stuttgart,

Helmut Kohl préside son premier Conseil européen. Les Britanniques exigent une compensation de 1250 mécus (millions d’écus)*, mais seraient prêts à en accepter 850.

Les Néerlandais,

les Belges, les

Danois seraient prêts à en

accorder 820. François Mitterrand ne veut pas aller aussi loin. Finalement, après de sévères affrontements - le Président nous réunit en pleine nuit, y compris un ministre en pyjama, pour faire le point

nous acceptons 750, à condition que

la

Grande-Bretagne ne s’oppose

plus à l’augmentation des ressources propres de la

compromis ne

-

Communauté. Ce

aux interprétations contradictoires qui se manifesteront, les semaines suivantes, sur la réalité de cette condition. Quant aux questions du financement et du budget, de l’élargissement résistera pas

à l’Espagne et au Portugal (l’Allemagne y pousse, la France estime que les problèmes de concurrence qui vont en découler pour les agri-

L’ECU

(European Currency Unit) a été créé en 1978 avec le SME. Sa valeur découle d’un « panier » pondéré des monnaies participant au SME. Elle tourne autour de 6 francs français. 1.

Prélude à

du Sud-Ouest

culteurs

et

la

relance européenne

287

du Sud-Est ne sont pas encore

réglés'), elles

sont une fois de plus renvoyées au Conseil suivant, à Athènes, en

décembre. Pierre Mauroy mesure à sident pour une journée, «

Stuttgart,

combien l’Europe



il

remplace

le

est conserx’atrice

Pré-

»...

Les Dix poussent ainsi leur rocher devant eux, de Conseil en Conseil. A Athènes, le 6 décembre suivant, ils ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord et Andréas Papandréou ne peut que transmettre à François Mitterrand, qui prend sa première présidence

tournante semestrielle à partir du

janvier 1984, une

liste

de dix-

sept sujets de contentieux, dont la contribution britannique, la pêche, le

lait,

le

vin,

financement de

le

l’augmentation des ressources de

la la

commune,

politique agricole

Communauté,

les

montants

compensatoires, l’élargissement... Leur simple énoncé rappelle que l’Europe n’en est pas à prétendre exercer une influence dans le

monde, mais, plus simplement, à essayer d’ajuster en son sein des intérêts contradictoires. Tout convaincu qu’il soit qu’il ne peut faire cavalier seul, chacun des dirigeants des Dix se sent souvent sur le fil du rasoir au moment d’inventer cette gestion commune des intérêts exacerbés de dix peuples, de décider quand doit accepter

convaincre

et

sous quelle forme

un compromis, moyennant quelles compensations,

in fine

son opinion nationale - donc ses opposants

« c’est bon pour l’Europe

», qu’elle

et

il

de

- que

« s’y retrouvera » dans un autre

domaine, ou à plus long terme, ou, plus crûment, que

les autres solu-

tions eussent été pires.

La France a par exemple

commune qui a mantes du monde en lui agricole

fait

tiré

un grand

profit de la politique

de son agriculture une des plus perfor-

garantissant des débouchés augmentés et en

dopant ses exportations. Mais

les partenaires

de

la

France ne peuvent

accepter éternellement qu’une part excessive des ressources de

Communauté

serve à financer sans plafond ni limites cette machine

à surproduire^

Compte tenu de l’extrême combativité du monde

cole qui prétend que la politique agricole

s’oppose à sa réforme,

1.

résolus, 2.

Ce

n’est pas

comme

les

la suite l’a

les

commune

l’a

agri-

ruiné mais

responsables français doivent choisir

un prétexte. La France

Puisque ce sont

des agriculteurs.

la

finira

le

par obtenir qu’ils soient vraiment

montré. cours des produits qui sont garantis,

et

non

les

revenus

Les mondes de François Mitterrand

288

moins mauvais moment pour accepter une réforme de la PAC afin que celle-ci ne disparaisse pas purement et simplement sous les coups de boutoir américains, via les cycles du GATT, et du fait du lâchage de nos partenaires européens. La question se posera ponctuellement - par exemple pour le lait, au début des années 1980, ou pour les jachères -, ou, globalement, pendant T Uruguay 1986, et pendant

le

second septennat jusqu’à

Round

la fin

à partir de

1993.

Ainsi s’ouvre l’année 1984, année charnière dans la politique étrangère mitterrandienne, qui va être celle la construction

du nouveau départ pour

européenne. Départ rendu possible par

le

renforcement

préalable des rapports franco-allemands et de la relation entre Prési-

dent et Chancelier.

D’Helmut Schmidt à Helmut Kohl

On

se souvient qu’en dépit de leurs préventions antérieures,

François Mitterrand et Helmut Schmidt avaient trouvé dès mai 1981

un

solide terrain d’entente sur les euromissiles et avaient réagi à

l’identique face

aux

initiatives

reaganiennes des années 1981-82 sur

échanges Est/Ouest. C’est aussi entre eux qu’a été esquissée, dès 1981, l’idée d’une réactivation, concrétisée plus tard avec Helmut

les

Kohl, des dispositions oubliées du volet militaire du Traité francoallemand. Certes, Schmidt a trouvé incongrue, voire chimérique l’idée mitterrandienne d’« Europe sociale ». Et la France n’a obtenu ni en octobre 1981 ni en juin 1982 la réévaluation du deutschmark qu’elle souhaitait pour éviter

ou atténuer

la

dévaluation du franc. Mais les

deux hommes ont appris à se parler. Dès le 7 octobre 1981, à Latché, où il l’a invité à passer deux jours, et où il m’a convié comme preneur de notes, François Mitterrand a apporté une précision importante au Chancelier «J’ai dit que je ne voulais pas d’axe, mais je suis d’ac:

cord pour une amitié privilégiée. Nos relations sont dictées par son, elles sont fondées sur l ’intérêt de nos peuples. »

la rai-

C’est Helmut Schmidt qui a abordé la question de la réunification, mais, je m’en souviens, sur un ton désabusé.

Helmut Schmidt « Tous les Européens se sentent bien dans leur :

État-nation, sauf les Allemands. Il

ya

le

poids de l’Histoire

(Hitler,

Auschwitz). Les Allemands vivent dans l’angoisse. J’essaie (et Willy

Brandt l ’afait avant moi) de combler ce manque de relations normales

Prélude à

avec

la

RDA

(...).

aura

lieu

après

l

véritable

289

danger neutraliste

la réunification inten'ienne d’ici

ma

(...).

Mais

mort.

’an 2000. »

François Mitterrand

Mais

la réunification.

relance européenne

Ne craignez pas un

Je ne pense pas que elle

la

:

«

Il

vous faudra du temps pour atteindre

elle est inscrite

à des réalités objectives

dans

et subjectives

l

'Histoire. Elle

Il faut

(...).

correspond

que l’Empire sovié-

tique se soit affaibli, ce qui interviendra dans les quinze ans. »

Helmut Schmidt « A mon avis, cela durera plus longtemps ! » En mai 1982, François Mitterrand a fait chez le Chancelier, à :

Hambourg, une

sorte de visite de retour.

didactique (sur les rapports

grands

la politique

économique

Il

un discours émouvant (sur

a prononcé

française) et

franco-allemands) devant l’Ubersee Club, cénacle des

hommes

d’affaires hanséatiques, et a dîné au domicile de

Schmidt. Alors qu’ auparavant ses relations avec ce dernier f) ^

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CHAPITRE X

Nouvelles querelles franco-américaines

Le

GATT

/

l’Uruguay Round

Après deux années

demie d’affrontements diplomatiques entre l’Est et l’Ouest comme entre les pays occidentaux', 1984 a donc marqué une accalmie bienvenue dans le cours de la cyclothymique et

et querelleuse amitié franco-américaine^. Cette

pause se révèle de

courte durée car déjà deux nouvelles exigences, deux nouvelles

pagnes sont en gestation à

la

cam-

Maison Blanche, qui vont perturber

les

rapports euro-américains et contraindre le Président Mitterrand, pen-

dant les années suivantes à de nouveaux refus.

L’une

est l’initiative

de défense stratégique, l’IDS dont

il

sera

question plus loin. L’autre concerne les nouvelles négociations dans

cadre du

GATT,

initiales

de l’accord général sur

le

les tarifs douaniers,

le

« General Agreement for Trade and Tarifications » signé à Genève

le

30 octobre 1947 par 23 membres fondateurs pour réglementer après guerre le commerce international, en assurer la sécurité et la stabilité, surtout promouvoir la libéralisation des échanges grâce à des cycles

la

et

périodiques

- ou « rounds » - de

térales

(NCM)

faires.

Cet accord

négociations commerciales multila-

visant à abaisser droits de est entré

en vigueur

douane le

1®*^

et obstacles

non

tari-

Janvier 1948 à «titre

provisoire », les États-Unis ayant refusé de souscrire à la création, plus

ambitieuse, d’une Organisation internationale du le

texte,

1

.

2.

en raison

des

Cf. chapitres III à VI. Cf. chapitre VII.

transferts

de

commerce prévue par

souveraineté

qu’elle

aurait

Les mondes de François Mitterrand

348 impliqués.

ont voulu conserver la possibilité d’appliquer de leur

Ils

propre chef des sanctions commerciales à d’autres pays

membres en

vertu de la « section 301 » de leur Trade Act, ou de les

menacer sans

membres du GATT. Bel

avoir à obtenir pour cela l’accord des autres

exemple de

deux tableaux démarche

façon dont un grand pays joue en permanence sur les

la

quand

la concertation multilatérale

:

unilatérale et souveraine à laquelle

elle l’avantage, la

ne renonce jamais.

il

Le libéralisme institutionnalisé du GATT a remarquablement accompagné l’explosion du commerce international jusqu’au début des et la croissance exceptionnelle qui

années soixante-dix Par

la suite,

GATT

en

est entré

il

crise.

De

sa ratification jusqu’à 1985, le

a généré sept cycles de négociations commerciales multilaté-

rales censées concerner tous les participants

lon

en a découlé.

Round»

(1960-1962)

Round » (1973-1979),

1967) et « Tokyo

des États-Unis d’entraver

la gestation

avait été précisément

du

la compatibilité

Round»

traité

avait permis

de

commune,

agricole

Communauté européenne, protectionniste ». Le « Dillon la

avec

les États-Unis le

GATT

aux États-Unis d’obtenir de

européenne qu’en contrepartie de elle

la

exempte de

« Dil-

«Kennedy Round» (1964-

demandé par

Rome

qui, depuis le

ont été marqués par la volonté

de

eux de « forteresse

vite qualifiée par

Round »

et surtout les

mais

pour

« Kennedy

le

;

vérifier

Communauté

la

mise en œuvre d’une politique

droits

de douane

les exportations

américaines d’aliments à base de gluten de maïs, produits de substi-

aux céréales

tution

quant au « Tokyo

;

Round

»,

plus justement appelé r

« Nixon Round

»,

avait à

il

nouveau permis aux Etats-Unis de dénon-

cer la politique agricole européenne, mais aussi la fermeture japonais.

Même

après ce round, la politique agricole

Européens n’a jamais cessé d’être dénoncée par

les

du marché

commune

des

milieux agro-ali-

mentaires américains, entreprises et politiciens confondus. Plus la capacité

exportatrice

de

la

communauté européenne

s’accroît,

plus la

compétition euro-américaine devient âpre sur les marchés des pays r

tiers,

plus le déficit commercial

américain se creuse et plus les Etats-

Unis se montrent pressants pour obtenir un accès plus large au marché européen.

péen

Il

y

a,

de

et l’idéologie Il

fait,

un antagonisme

purement

structurel entre le projet euro-

libérale qui sous-tend les accords

n’y a donc rien d’ étonnant à voir au

Sommet

GATT.

des Sept de

r

Londres, les

7, 8 et

9 juin 1984, les Etats-Unis et

le

Japon réclamer

une décision formelle d’ouverture d’un nouveau cycle de négociations

Nouvelles querelles franco-américaines dès avant

la fin

1985\

349

mise en place d’un comité préparatoire.

et la

Cette demande, dirigée à l’origine contre

une assemblée ministérielle

PAC, est dans des membres du GATT, la

l’air

depuis

en

réunie

novembre 1982 à Genève. Pour que ce nouveau cycle s’ouvre sur des bases permettant à la France de trouver par ailleurs des avantages, en incluant par exemple d’autres secteurs tels ceux des services, nous allons devoir négocier

durement. Par formation, âge, culture

et

conceptions politiques,

n’est pas spontanément libre-échangiste, mais protectionniste.

dissimule en général le

le

non plus manœuvres que

discours libéral qui, de plus en plus, domine

monde.

Ce phénomène de la

Président

n’est pas

il

se méfie surtout des hypocrisies et

Il

le

libéralisation des échanges, important volet

de

mondialisation avec les progrès techniques qui permettent l’échange

instantané d’informations de toute nature à la surface

sans que les gouvernements,

en mesurent toutes

les

même

les

conséquences.

de l’équilibrer, de l’organiser.

Que

du globe, s’étend plus dogmatiquement libéraux, faut essayer de l’accompagner,

Il

faire d’autre ? C’est

en tout cas

la

philosophie du Président.

Au Sommet

de Londres, François Mitterrand choisit pour commencer de gagner du temps, c’est-à-dire de ne pas discuter du contenu de

la

demande, mais de

l’écarter

pour des raisons concrètes

susceptibles d’être partagées par d’autres pays.

faut toujours rassembler des forces

tilatérales,

il

Surtout

France, sur un

fait

la

tel sujet



est prématuré, explique-t-il

du “Tokyo Round”

est

:

les enceintes

pour

mul-

faire le poids.

elle est a priori minoritaire

de ses traditions rurales, colbertistes

gement

Dans

la

et politiques.

«

Un

tel

du

enga-

mise en œuvre des résolutions

encore loin d’être achevée

;

la consultation

des

pays en développement au sein du GATT est nécessaire, et leur réticence à l’égard de ce projet est bien connue^, » Il souligne l’importance de l’environnement économique « Enfin et surtout, les conditions écono:

1.

2.

Le GATT compte alors 107 pays. Le président Mitterrand se préoccupe plus

démuni, celui dont

la

mondialisation aggrave

la



du

tiers

détresse que

monde du

tiers

de développement, celui que l’on appellera bientôt « émergent »

un accès accru au marché européen.

pauvre,

le

plus

monde en

voie

et qui

revendique

Les mondes de François Mitterrand

350

miques ne sont pas encore réunies des taux d'intérêt et

le

:

une croissance soutenue,

la baisse

retour à la stabilité monétaire devraient précéder

des concessions commerciales qui, dans la conjoncture mondiale actuelle, n 'auraient pas d'effets sur l'état des pays pauvres. »

La pression américaine, combinée,

sur ce point, à celle des Japo-

pendant l’hiver 1984-85. Le soutien britannique aux États-Unis est acquis d’avance. Le Chancelier Kohl, hôte du prochain

nais, s’accentue

Sommet

des Sept à Bonn, prévu pour mai 1985, est favorable à un

nouveau round du GATT, profitable par principe à exportateur. Mais, fidèle à sa ligne,

il

tout grand pays

déclare ne pas vouloir qu’on

isole la France.

Au

Conseil des ministres du 27 février,

parle tactique

«

n

dire

de

:

non de A à

Il

'est

Président

plus possible, au cours des pourparlers, de

Z. C'est pourquoi le '‘non " doit

la négociation.

le

précéder l'ouverture

»

Le 19 mars 1985, le gouvernement de Laurent Fabius accepte qu’un mandat de négociation soit donné à la Commission européenne - compétente, en vertu du traité de Rome de 1957, pour les négociations commerciales internationales -, mais il pose deux conditions y ait une préparation sérieuse et une consultation des pays en développement que la négociation ne porte pas que sur l’agriculture. Six jours auparavant, à Moscou, aux obsèques de Constantin Tchemenko, le Président français a parlé sans détours au Premier ministre japonais Nakasone « Les Etats-Unis nous imposent déjà les conséquences de leur déséqui-

préalables strictes à l’ouverture des pourparlers

:

qu’il

;

:

libre budgétaire, leurs taux

d 'intérêt élevés,

le

désordre monétaire.

ne vont pas, en plus, démolir notre système commercial

Ronald Reagan Sept avec

la

arrive à

Bonn

le

2 mai 1985 pour

ter à lui seul le principe (les États-Unis

tous ses préalables, mais

il

démantèlement de

la

de protectionnisme

:

PAC.

nouveau

gagnent du terrain) ni maintenir

le

dossier agricole soit prêt. Et

Il

il

s’opposera au

s’en prend à ceux qui taxent la France

« Parlons donc des mesures hypocrites (règles,

par les laminoir des Sommets des prises

le

des

ne peut plus contes-

prévient le Président américain que, de toute façon,

etc.)

Sommet

refuse encore de donner son accord à la

date d’ouverture en déplorant que seul

normes,

le

»

ferme intention d’obtenir d’entrée de jeu que

rowTî J commence avant 1986. François Mitterrand

il

!

Ils

antiprotectionnistes proclamés

!

» Mais

le

où s’expriment crûment les rapports de forces géopolitiques et géo-économiques mondiaux, en l’occurrence le poids américain, fonctionne à plein, et, le 4 mai au matin, François Sept,

Nouvelles querelles franco-américaines

351

Mitterrand se retrouve seul contre Reagan, Nakasone, Craxi, Margaret

même

Thatcher, et

que

le

Kohl

et

Delors (mais pas Mulroney) pour refuser

début des négociations

déterminés au préalable

le

soit fixé à

contenu, l’agenda

veau round. Le consensus étant quand

même

1986 sans et les

même

qu’aient été

modalités du nou-

de régie dans ces ren-

communiqué final est réduit au minimum du fait de notre « non » « Un nouveau round au sein du GA TT devrait commencer dès que possible. La plupart d'entre nous pensent que cela devrait être en 1986. » Ce « la plupart d’entre nous » ou « certains d’entre nous » constitue, au G7 comme à l’OTAN, la providence des rédacteurs de communiqués condamnés à un unanimisme de façade. L’affrontement à ce sommet de Bonn est plus bref, mais peutcontres, le :

être plus violent et cuisant

qu’à Williamsburg, un an auparavant,

propos qu’il inspire à François Mitterrand à l’issue de plus cinglants encore

notre politique

inacceptable

!

«

:

Il

n

’est

pas sain que des pays

on signe des

[...]. Ici,

traités

l ’est

séance sont

alliés dictent

en trente-six heures, c’est

J’entends dire que personne n

Très bien, mais elle

la

et les

en fait dans cette salle

’a

voulu isoler la France.

[...]. Il

n

’est pas

sain que

de l 'Europe soient jugées par des pays éloignés de l 'Europe. Je suis prêt à ouvrir une polémique publique si cela continue [...]. Je les affaires

n 'accepte pas le fait accompli.

sommes pas

D 'une façon plus générale,

des affaires du

le directoire

monde

[...].

pas non plus un tribunal qui aurait à juger amis France était ainsi traitée, je ne viendrais plus\ »

De

fait, si

celui de

Bonn

l’on tient

compte de

aura sans doute

Nous ne sommes

et alliés

[...].

Si la

pomme

de discorde, TIDS^,

des quatorze

Sommets des Sept

l’autre

été,

nous ne

auxquels François Mitterrand aura participé, celui au cours duquel se sera retrouvé le plus isolé,

ne l’empêche ni d’obtenir,

sur le

ni

même

par rapport à Helmut Kohl. Cela

de dormir, ni de dire non aux exigences américaines,

du coup, un an de

répit et

une amélioration du mandat

GATT (qui ne sera pas limité au secteur agricole).

est révélateur

de

il

la

Mais l’épisode

nature des rapports entre Occidentaux.

Durant ces prénégociations sur

le

GATT,

les

médias français

sont derrière nous, puisqu’ils défendent les intérêts agricoles et éco-

1.

le

Après ce Sommet de Bonn, Jacques Chirac donnera raison au Président sur

GATT. 2.

Voir plus

loin,

page 355-357.

Les mondes de François Mitterrand

352

nomiques français, Unis a tôt fait de

même les

si

la

moindre « tension » avec

inquiéter.,

En

fait,

les Etats-

banquiers et industriels

souhaitent, sans trop le dire, une libéralisation des échanges dans les

domaines de

l’industrie et des services

relais politiques et

;

mais

ils

n’ont pas les

médiatiques que les intérêts agro-alimentaires. La

France se voit plus agricole qu’elle n’est restée. difficile

mêmes

Il

donc plus

sera

de convaincre nos médias de l’opportunité d’un compromis

quand l’heure en sera venue. Le Président ayant donné son accord au nouveau Premier ministre Jacques Chirac, le nouveau round de négociations du GATT est finalement ouvert le 15 septembre 1986 à Punta del Este, station en présence de 103 parties contractantes.

balnéaire uruguayenne

Michel Noir, ministre du Commerce extérieur, y représente la France, muni d’instructions très précises refuser d’emblée tout accord séparé :

sur l’agriculture sujets ter

:

;

réclamer l’extension des négociations à d’autres

services, propriété intellectuelle, investissements

à invoquer au sein des

Douze

le

;

ne pas hési-

compromis de Luxembourg^ dans

l’hypothèse où les aides à l’exportation seraient en danger d’être sup-

primées. Finalement, les

«103

contractantes» décident

parties

d’ouvrir des négociations globales incluant la baisse des subventions

à l’agriculture

-

ralisation des

échanges dans

ce sera pour nous un casse-tête les

domaines

- mais

aussi la libé-

industriel et des services

-c’est un progrès.

L’Uruguay Round va durer sept ans

;

il

nos relations avec nos partenaires européens rieure française jusqu’au 15

La guerre des

pèsera lourdement sur et sur la politique inté-

décembre 1993^.

étoiles

Plus encore que l’obstination américaine sur l’« Initiative

1.

Il

de défense stratégique^» qui

prend de ce

fait le

nom

d’« Uruguay

aigrit,

Round

le

GATT,

en 1985

c’est

et 1986, les

».

»

2.

Un

Etat

membre de

la

Communauté s’oppose

à une prise de décision au

nom

de ses intérêts vitaux. 3.

Cf. infra, chapitre

XVI.

Dans les premiers temps, à l’Elysée, nous parlons, comme « SDI ». Le Président nous reprend « Parlez français ! » Cela donne 4.

:

la presse, :

« IDS

».

de

Nouvelles querelles franco-américaines relations franco-américaines.

de

poursuite de

la

Dans de

la politique

le

la

premier cas, on

353 vu,

l’a

il

s’agit

« porte ouverte » par laquelle

les

Etats-Unis, depuis qu’ils sont une puissance commerciale mondiale,

cherchent à faire tomber, chez

les autres, les barrières qui font obstacle

à la vente de leurs produits, démarche éventuellement transformable, si

l’on sait s’y prendre, en accords mutuellement avantageux.

l’autre,

Dans

d’une perturbante lubie personnelle du Président Reagan.

devenue publique le 23 mars 1983. Ce jour-là, Ronald Reagan a annoncé sa volonté de bâtir une « défense stratégique » qui permettrait - excusez du peu - de « libérer le monde de la menace Elle est

!

de

guerre nucléaire

la

».

Personne, à l’époque, ne prête attention à ce

qui semble relever de la pure rhétorique. Pourtant, au projet t-il,

du Président Reagan se précise

petit à petit.

Il

des mois,

fil

le

consiste, semble-

à placer dans l’espace, sur des satellites, des armes nouvelles

notamment

mesure de détecter et de détruire en vol tout missile hostile. Le Président Reagan espère ainsi protéger les Etats-Unis sans avoir à menacer leurs adversaires de mort nucléaire. utilisant

l’énergie dirigée, et qui seraient en

En premier

Quelles sont les motivations du Président américain ? lieu,

sans doute une raison conjoncturelle

de fer planétaire avec

:

alors

engagé dans un bras

notamment sur les SS 20, après mesures de réarmement décidées par le Pré-

les Soviétiques,

avoir encore amplifié les

sident Carter durant la dernière année de son mandat, être,

dans cette annonce spectaculaire, un

sement de l’épiscopat

et

moyen de

il

voit peut-

ralentir le glis-

d’une partie du public américains vers

pacifisme. Mais, en outre, ses déclarations l’attestent,

il

le

croit sincè-

rement à ce système défensif, comme, d’une façon plus générale, aux capacités quasi illimitées de la science américaine. Plusieurs amis

non nucléaire ne peut que rencontrer l’adhésion de l’opinion américaine, donc de son Président dont une des grandes forces a toujours été de partager instinccaliforniens l’en ont convaincu. Cette protection

tivement les sentiments de ses concitoyens. L’idée de dissuasion nucléaire est en effet restée à la fois incompréhensible et terrifiante

pour bien des peuples de

ceux qui ont dominé

le

la

seconde moitié du xx®

monde ou

qui ont

à l’exception peut-être des Français qui

connu

même

pour

paix grâce à

elle,

siècle,

la

y ont vu, jusqu’à un certain

un facteur de progrès et d’indépendance nationale. La forme américaine de cette phobie est particulièrement virulente. Peut-être est-ce le remords d’Hiroshima ? Pourtant, le concept

point,

Les mondes de François Mitterrand

354 de dissuasion

(je te fais

tellement peur que tu ne m’attaques pas) est

Les dictons anciens tels que « si vis pacem, para bellum », ou encore « mieux vaut montrer sa force pour ne pas avoir à s 'en servir », n’expriment rien d’autre. Mais le point faible de accessible à

un

enfant.

ces évidences est qu’elles remontent à la nuit des temps, c’est-à-dire

à une époque antérieure à la

bombe atomique

et

au traumatisme

provoqué dans l’imaginaire de l’humanité. Elles présupposent un monde où la paix s’obtient par l’acceptation de la vulnérabilité mutuelle et par l’équilibre des forces, notions qui répugnent aux qu’elle a

esprits américains,

À

comme

déplore régulièrement Henry Kissinger.

le

cela s’ajoute que, contrairement à la France



les Présidents ont

toujours sagement distingué entre dissuasion et emploi, les stratèges

américains et soviétiques ont admis, entre 1950 et 1990, de plus en plus d’hypothèses d’emploi d’armes nucléaires « tactiques », voire de

guerres nucléaires « limitées », ce qui a terrorisé les populations ainsi

« protégées

»,

d’abord

et

nucléaires

batailles

les

auraient

Allemands sur eu

le

sol

Finalement,

lieu*.

desquels ces la

dissuasion

nucléaire a beau avoir, en pratique, maintenu la paix entre les puis-

sances nucléaires pendant un demi siècle où un affrontement général aurait

pu

se produire à quatre

ou cinq

reprises, l’arme nucléaire est

devenue, malgré cette évidence, l’incarnation de l’arrogance promé-

moderne du Mal. Dans « dissuasion nucléaire », dissuasion convainc ou laisse sceptique, mais nucléaire horrifie. Dans les États-Unis des années 1980, cette évolution des théenne de l’humanité et

la figure

mentalités est déjà très avancée et l’ancien gouverneur de Californie, tout déterminé qu’il soit, dans le

même

temps, à renforcer

le potentiel

nucléaire américain, n’y échappe pas.

La phobie de

la vulnérabilité est l’autre raison,

à la précédente, de la séduction qu’exerce

Américains. Depuis l’origine, on territoire, qui

dangers

et

l’a vu,

le

étroitement liée

concept d’IDS sur

ceux-ci voudraient que leur

n’a jamais été envahi, soit invulnérable, à l’abri des

menaces du

reste

du monde,

qu’il s’agisse

de microbes ou

de missiles. Cette philosophie prophylactique leur a

comme un que

les

traumatisme national, dans

les Soviétiques disposaient

les

années 1950,

fait ressentir

la

découverte

de bombardiers à longue distance,

puis de missiles, enfin de satellites capables d’atteindre le sol amé-

1.

Cf. chapitre

XXL

Nouvelles querelles franco-américaines ricain. Ils se fixèrent

d’abord pour priorité

la

355

défense antiaérienne du

continent nord-américain contre une « attaque surprise » des

bom-

bardiers soviétiques, laquelle fut opérationnelle lorsque l’apparition

des missiles

la rendit

caduque. Toujours à cette époque,

les abris

individuels et la défense passive, évalués alors à 50 milliards de dol-

passaient pour indispensables.

lars,

Dans

les

années 1960,

d’une protection par des antimissiles

l’idée

comme

devant être globale, puis partielle

(contre la

menace

ABM). À chaque rompre

;

avancée

celle-ci fut présentée

(les villes), puis

chinoise), avant l’abandon négocié fois,

fut

du

légère

projet (Traité

cependant, pressentant qu’il serait périlleux de

l’équilibre de la dissuasion mutuelle'.

Américains

et

Sovié-

tiques surent s’arrêter à temps.

Le

ABM

traité

de 1972 par lequel

ils

s’étaient

développer de missiles antimissiles, sauf sur deux été

un bon exemple de

engagés à ne pas

sites

chacun, avait

cette mutuelle et paradoxale sagesse des

nucléaires. Bref, l’utopie de

temps

Ronald Reagan d’une protection her-

Tâme

métique correspond davantage encore à

américaine que toutes

les précédentes.

Au Reagan

fil

des mois, en 1983

se multipliant, opinion et dirigeants

sionner pour est

1984, les interventions de Ronald

et

commencent

à se pas-

à réagir, y compris en France. Cet épisode une fascinante leçon de choses... Non pas sur le plan

le sujet, et

pour moi

diplomatique

:

ce à quoi je participe alors ne diffère pas beaucoup de

ce que je vis depuis 1981.

Il

s’agit

de ces moments où, brusquement,

les États-Unis

prétendent dicter notre politique en fonction de « phobies qui ont cours en Californie », selon le mot de François Mitterrand.

Il

non tout seul, quand il doit le faire. Mais le débat commentaires des dirigeants du monde entier sur l’IDS

sait dire

public et les

sont extraordinaires tant

ils

révèlent de

trouble de la perception du réel qui est

futilité,

le

de crédulité,

symptôme

et

ce

croissant des

sociétés ultra-médiatisées.

Cependant, l’IDS ne devient un sujet de controverses entre alliés qu’en 1985. Jusque-là, la Maison Blanche s’est surtout employée à mettre

pied

la

« Strategie

Defense

Initiative

Organization »

Concept que, malheureusement pour les réactions de leur opinion publique, Américains ont traduit par « destruction mutuelle assurée », soit « mutual assured 1

les

sur

.

destruction », en abrégé

MAD,

qui, par-dessus le

marché, veut dire en

anglais...

fou

!

Les mondes de François Mitterrand

356

confiée à l’entreprenant général Abrahamson. Pour convaincre les membres du Congrès, récalcitrants, de voter les crédits nécessaires, s’efforce maintenant d’impressionner l’opinion la plus large.

elle

but, les chaînes de télévision américaines se voient proposer

Dans ce

des films d’animation qu’elles diffusent à des heures de grande écoute et qui montrent des missiles soviétiques pulvérisés dans l’espace, avec

une précision

infaillible,

par des armes à laser placées sur des satel-

Bientôt, ces images de synthèse sont diffusées par les télévisions

lites.

européennes

et

japonaises

et,

de proche en proche, durant l’année

monde

1984, la fièvre gagne les opinions du

entier.

printemps 1983, après le discours du 23 mars prononcé par Ronald Reagan, le Président Mitterrand m’a demandé d’examiner de près ce projet, de consulter et de lui dire « si cela peut marcher »,

Dès

le

et ce

que j’en pense. Durant

sitôt,

je suis surpris de voir

tielle,

me

les investigations

que j’entreprends aus-

combien cette question préalable, essen- est-ce que cela peut marcher ? -, intéresse peu

semble-t-il

de monde, mis à part le Président et quelques scientifiques, ces derniers étant généralement sceptiques. Pourtant, si cela ne marche pas, la discussion

Au

n’a aucun sens

!

départ, les milieux politiques et journalistiques n’ont pas

d’opinion sur

le sujet. Ensuite, leur

opinion découle de ce qu’ils pen-

sent des États-Unis. Ils ne savent toujours pas

mais

ils

sont

pour ou

contre.

imprégné de « space opéras mation

En

cela peut marcher,

pour un large public mondial

», tout cela existe déjà.

SDIO ne

réalisés par la

fait,

si

Les films d’ani-

reproduisent-ils pas les scènes

mon-

f

Guerre des Etoiles (1977), de L’Empire contre-attaque (1980, année de l’élection de Reagan) et du Retour du Jedei (1983, année du discours de Reagan) ? Saint-Thomas (revu et dialement connues de

inversé, sa

maxime

la

« Je ne crois que ce que je vois

:

»,

devenant

:

« Je crois tout ce que je vois ») et Georges Lucas ont préparé Reagan. Marque de l’époque cette crédulité n’est pas circonscrite au grand :

public,

comme

en témoignent

beaucoup de responsables. dans un

monde

Certains

Il

les questions

est vrai

que

que se posent avec gravité

les

responsables aussi vivent

d’images.

s’inquiètent

États-Unis et l’Europe.

d’un possible « découplage » entre

Ce cher

les

épouvantail est ressorti réguliè-

vieil

rement des armoires transatlantiques. En

réalité, la

défense de l’Eu-

f

rope est « découplée » de celle des Etats-Unis depuis longtemps, en fait

depuis que l’URSS a acquis

la capacité d’atteindre le territoire

Nouvelles querelles franco-américaines

357

américain avec ses missiles, vers 1960, ce qui a d’ailleurs amené Washington à décider aussitôt d’abandonner la stratégie des « représailles

»,

bonne quand on ne risque

remplacer

rien, et à la

« riposte graduée » qui lui laissait, en cas de guerre en Europe, temps de voir venir. Les dévots de l’atlantisme ont fait semblant

par le

massives

la

de ne pas s’en apercevoir. La stratégie, contrairement à ce que l’on croit, est nourricière de mythes, et les stratèges se laissent souvent

dominer par des croyances. Quoi pas cette situation,

s’il

qu’il

en

d’IDS ne crée

soit, le projet

l’aggrave.

Autre exemple de contre-sens

:

ce projet étant présenté

comme

un « bouclier » (ce qui alimente de pédantes gloses sur la dialectique du glaive et du bouclier), certains se demandent ce que va devenir l’Europe (sera-t-elle ou non sous le bouclier?), et quelle utilité conservera

force française de dissuasion une fois que

la

l’URSS

se

sera à son tour (personne ne doute qu’elle le fera) dotée d’un tel bouclier. Ainsi, alors

que personne ne

encore

« cela » pourra marcher, se constitue déjà, en 1984, un lobby pro-IDS, une sorte de

européen de

sait

si

Guerre des Étoiles, composé de pro-Américains, d’admirateurs de Reagan, d’antinucléaires, de pacifistes, d’entreprises parti

la

flairant le pactole, et d’esprits à la la

même

mode, fatigués d’avoir à approuver

théorie (la dissuasion) depuis trop longtemps.

Tout cela n’a aucun sens

Dès mes premières çais et étrangers,

il

investigations auprès de scientifiques fran-

m’apparaît évident que TlDS,

un jour, ne prendra pas

la

d’un continent particulier, globe afin de détecter après son envoi.

!

Une

si elle

doit exister

forme d’un « bouclier » placé au dessus mais d’un filet entourant l’ensemble du

et détruire tout missile,

d’où qu’il vienne, peu

surveillance des « terriers » et

non une protec-

La question du bouclier (« qui serait dessous ? ») est mal posée. Tout le monde serait protégé, ou personne. Il faudra attendre le 11 janvier 1985 pour que le énième conseiller de Ronald Reagan pour la Sécurité nationale, Bud MacFarlane, nous tion des cibles, en quelque sorte.

dise à l’Élysée, à Jacques Attali et à moi, ce qui

depuis un an Unis,

:

«

Il s ’agit

me

paraît évident

non pas de poser un bouclier sur

mais un couvercle sur

le

monde

entier.

» Suit cet aveu

les États:

« C'est

que nous avons trouvée de convaincre notre opinion de nous laisser augmenter nos dépenses militaires. » Sans doute les hommes politiques français ont-ils également peur, s’ils s’interrogent publiquement sur la fiabilité de ce système. la seule façon

Les mondes de François Mitterrand

358

pour archaïques, passéistes, ou anti-améPourquoi manifester tant d’héroïsme alors que,

d’être ridicules, de passer ricains, voire les trois.

n’est-ce pas, « l’avenir c’est

comme on

Vespace »,

« l’espace c’est l’avenir

et

l’assure dans les cocktails, ce qui est peut-être vrai,

»,

mais

problème posé. En France, depuis 1940, les responsables politiques ne craignent rien tant que d’être accusés d’avoir préparé leur pays à la guerre d’hier et d’avoir ignoré celle de demain parce qu’ils n’auraient pas lu à temps un nouveau colonel de

n’a aucun rapport avec

le

Gaulle.

En

1984, le gouvernement français,

détenteurs d’armes nucléaires, se

poursuivre les

le

Président

Reagan en

armes nucléaires d’« amorales

plus,

et,

comme

celui des autres pays

demande quel

comme

qualifiant,

Mais

».

objectif peut bien les pacifistes,

attendent d’en savoir

ils

officiellement, les États-Unis n’ont toujours rien

demandé à

leurs alliés.

Pendant cette année, je continue à consacrer beaucoup de temps à cette question, comme me l’a demandé le Président. Avec Jacques Attali,

Bianco,

Jean-Louis

Christian

Sautter,

secrétaire

général-

ou Jean-Daniel Lévi, conseiller scientifique, ou le chef d’état major particulier du Président, nous auditionnons de nombreux physiciens du CEA, du CNES, des spécialistes de l’espace, des lasers, adjoint,

des militaires français et américains. J’arrive assez vite à la conclusion que le projet,

tel

que

le

enflamme l’imagination des réalisable. Et cela,

En premier

Président

Reagan

annoncé,

téléspectateurs, n’est tout

pour plusieurs raisons

lieu, les

l’a

et tel qu’il

simplement pas

:

armes à énergie dirigée qui sont censées

un jour, avant de longues années. Pour en placer dans l’espace un nombre suffisant devoir être employées n’existeront pas,

à la constitution d’un

chaque semaine, des

filet

étanche,

satellites

dont

il

si

elles existent

conviendrait de mettre en orbite,

le

premier n’existe pas encore, en

quantité telle qu’il y faudrait plusieurs dizaines d’années. Même si c’était possible, qu’est-ce qui empêcherait l’URSS de prendre entre-

temps des contre-mesures, d’augmenter balistiques moins repérables, etc. ? D’autre part,

est-il réaliste

le

nombre de

de penser que

ses missiles

non

les États-Unis arrive-

raient à dégager les mille milliards de dollars nécessaires, selon ses

promoteurs, à

la

mise en œuvre du projet ?

comment croire qu’un système fiable à 100 % serait jamais réalisé ? Dès lors qu’il suffirait que deux ou trois missiles Enfin,

Nouvelles querelles franco-américaines franchissent cet hypothétique

shington,

pour prendre

ricain rité

comment imaginer

filet

la terrible

New

York ou Watrouve un jour un président amé-

pour détruire

qu’il se

359

responsabilité de faire reposer la sécu-

des États-Unis sur ce seul système « défensif » ?

Ma

conviction, vite forgée, est qu’aucun président, pour toutes

ces raisons, n’abandonnera jamais complètement les armes nucléaires.

Mais

alors, si l’IDS

ne peut être au mieux qu’un complément, pour-

quoi Ronald Reagan sape-t-il chaque jour les fondements de l’irremplaçable dissuasion en traitant les armes nucléaires d\< immorales et

dépassées » ? Je fais part au Président de

sions

«

mes

réflexions et de

Ce système ne marchera jamais

mes conclu-

nous devrons réaffirmer, contre la rhétorique reaganienne, la justesse et la crédibilité de la dissuasion qui, pendant longtemps encore, assurera la sécurité de iwtre :

et

pays. »

Mais François Mitterrand entend d’autres sons de cloche, notam-

ment

les avis

de Jacques Attali, convaincu de

de l’arme nucléaire, de Charles

propagande reaganienne

et

prochaine caducité

Hemu, lui-même impressionné

par

la

pressé par les industriels français de

l’aiTnement de ne compromettre le

la

la

conclusion d’aucun marché avec

Pentagone. Jacques Attali inspire

le

discours que François Mitter-

rand, également influencé sur ce point par Marie-France Garaud, pro-

nonce à La Haye

le

au-delà du nucléaire

6 février 1984 si

l

'on

:

«

Il faut

déjà porter nos regards

ne veut pas être en retard sur un futur plus

proche qu 'on ne le croit [...]. Que l 'Europe soit capable de lancer dans l'espace une station habitée qui lui permettra d'observer, de trans-

donc de contrarier une menace éventuelle, et elle aura fait un grand pas vers sa propre défense. Une Communauté européenne de l 'espace serait, à mon sens, la réponse la mieux adaptée aux réalités militaires de demain. » mettre, et

Au

début de 1984,

la

position française est donc loin d’être fixée.

Je fais valoir au Président que les capacités d’observation et de

communication dans l’espace devraient se concevoir en complément et non en remplacement du nucléaire. Il écoute les différentes thèses défendues dans son entourage, sans encore trancher. Chez lui, un certain scientisme de littéraire s’enchante de ce futur spatial. S’y mêle

une autre raison

:

la

volonté de trouver avec l’Allemagne un terrain

de coopération d’avenir, non nucléaire. Ainsi,

Ludwigshafen,

il

déclare à

Helmut Kohl

:

«

le

2 février 1984, à

Il faut faire

ensemble de

Les mondes de François Mitterrand

360

grandes choses, par exemple, sur habitées pour surveiller la planète,

le terrain militaire, et les lasers

des navettes

dont parlent

les

Amé-

»

ricains...

Comme

le

charisme reaganien rend

j’aborde, après le discours de

difficile

La Haye,

le

une attaque

frontale,

problème sous un autre

angle en proposant au Président de reprendre un passage resté

lettre

morte de son discours à l’ONU de 1983 contre l’introduction d’armes dans l’espace. Il me donne son accord, le 24 mars, et, après un travail de quelques semaines avec Claude Cheysson, Charles Hemu, le général Saulnier, Jacques Andréani et Pierre Morel, nous déposons, le 12 juin, à la

dant

Conférence sur

le

désarmement, à Genève, un texte deman-

:

«

P'')

La

limitation des systèmes antisatellites (existant déjà) et la

prohibition de ceux qui pourraient atteindre des satellites en orbite

haute (n 'existant pas encore) 2^)

;

L 'interdiction du déploiement

des nouvelles armes à énergie

dirigée capables de détruire les missiles balistiques ou les satellites. 3^)

Un système de déclaration de mise en

orbite.

»

Ces dispositions devraient constituer un bon verrou En 1984, alors que la faisabilité de l’IDS commence d’être mise en doute au Congrès et dans la presse américaine par un nombre !

croissant de scientifiques et de sénateurs américains, l’administration

Reagan

et plusieurs personnalités républicaines ont recours à

des

arguments plus classiques, plus « politiciens ». Henry Kissinger, par exemple, soutient l’IDS comme un moyen de « faire craquer » l’URSS, soit qu’elle croie à l’IDS et soit découragée d’avance devant

un

tel

saut technologique, soit qu’elle ait tout simplement peur d’une

relance de la course aux armements classique sous couvert de l’IDS

:

en vertu de ce raisonnement, hostile à notre proposition d’interdiction de déploiement des armes dans l’espace. Quant aux indusil

est,

tries spatiales, militaires et

électroniques américaines, elles sont natu-

rellement favorables à cette manne, quelles que soient la finalité et la crédibilité

du programme

!

Quoique théoriquement engagé par la proposition déposée par la France le 12 juin à Genève, François Mitterrand laisse encore ouvertes toutes les options. Le 29 octobre encore, au sommet francoallemand de Bad-Kreuznach, il presse à nouveau, avec des arguments explicites, Helmut Kohl « Il faut faire ensemble tout ce qui ne vous est pas interdit, c'est-à-dire l'espace, les armes chimiques, les :

Nouvelles querelles franco-américaines » Le 30,

361

du Président américain, reçu par notre ambassadeur à Washington, Bernard Vemier-Palliez, reconnaît que Ronald Reagan est, depuis le début,

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> Et à éventuelle réunification, 3 novembre, pressé de dire s’il craint une «Je n 'ai pas peur de la réunification^ » À l’échelle des redit

fique. Est-ce le il

:

un

siècles, c’est

fataliste confiant.

La polémique de

franco-française sur l’attitude à adopter vis-à-vis

la réunification est

née dès

la fin

conformément à nos manies,

lors

1989

et s’est

c’est-à-dire

perpétuée depuis

en faisant

con^e

si la

en prêtant peu d attention à la poliévénements sont incomprétique menée par ses partenaires. Or ces vue égocentrique fransi on les considère du seul point de France

était

au centre de tout

et

hensibles çais.

Rappelons en premier

lieu l’attitude allemande.

Au

cours des

changeants sur années précédentes, Flelmut Kohl a tenu des propos années une éventuelle réunification, tout en se comportant dès les exemple dans les 1984-85, chaque fois qu’il en avait l’occasion - par 1 enstratégiques, on l’a vu —, en protecteur des intérêts de affaires

remarque vaut pour Hans-Dietrich Genscher qui a suivi cette ligne^ pendant quinze années avec ingécollaborateurs d’Helmut niosité, talent et constance, et pour plusieurs

semble des Allemands. La

même

Kohl, notamment Horst Teltschik. qui Jusqu’en 1987-88, le Chancelier a eu l’attitude de quelqu’un

devra peut-être sacrifier un jour le deutschmark, symbole mais de la nouvelle Allemagne démocratique, sur l’autel de l’Europe, avec préfère à l’évidence retarder ce sacrifice et l’affrontement sait qu’il

qui

FUnion

tous ceux qui s’y opposeront. Pour ce qui est de

européenne, français.

1.

ou

De

il

est sur la

même

politique

longueur d ondes que son partenaire

1984, date de la relance de l’Europe, à 1989,

il

fait

émus Démonstration par l’absurde qu’il affectionne face à des gens vraiment

indignés.

selon Sondage BVA Paris Match du 15 novembre 1989 la France doit-elle, Non, 60 vous, craindre une réunification de l’Allemagne ? Oui, 28 Brandt. 3. Préfigurée par l’« Ost-Politik » du Chancelier 2.

;

%

,

De

Mur

chute du

la

au Traité de Maastricht

avancer lentement mais sûrement

les

429

deux projets avec son alter ego

français.

Vis-à-vis de Mikhaïl Gorbatchev,

montré sceptique

ment que

sceptique.

et méfiant, puis

A

mouvement

le

les

Bonn, témoigne

:

il

prend conscience

lancé par Gorbatchev, et qui est en train d’échap-

cheveux

la réunification ».

sceptique et attentif, puis amicale-

un moment donné, en 1989,

per à ce dernier, va faire de

chance par

Chancelier s’est d’abord

le

et se

lui,

pour peu

qu’il sache

montrer assez habile,

le

empoigner

la

« Chancelier de

Serge Boidevaix, alors ambassadeur de France à «Au printemps 1989, le Chancelier est préoccupé ;

sa cote de popularité tombe tique. Puis, soudain, le

[...].

En juin

1989, on parle de crise poli-

miracle se produit

[...],

les

Allemands de

l’Est

commencent à arriver [...]. Le Chancelier sent le vent tourner. Le 11 septembre, au congrès de la CDU, à Brême, M. Kohl est redevenu l’homme politique sûr de lui, le chef incontesté du parti. Face aux sociaux-démocrates, d’ailleurs divisés, qui ne savent plus très bien où ils en sont avec leur politique des petits pas pour le rapprochement

avec

RDA,

la

le

Chancelier voit la possibilité d’une percée.

son langage est national,

il

parle pour l’Allemagne

; il

est

À Brême,

applaudi

course à l’unification est lancée sans que chacun en conscience^.. » la

En octobre-novembre 1989, donc, certitudes ni sur le lui, l’issue

ne

allemande,

il

mains

fait

points »,

terme de

ni sur le

plus de doute.

En

pour

garder les

gauche.

S’il

Bundestag, un « plan en dix vite rédigé avec ses seuls proches collaborateurs, sans que le

le

à l’avance, ce n’est pas pour accélérer le soit

canaliser

difficile à

ni à droite ni à

ni ses ministres ni les dirigeants étrangers

que ce

la réunification,

expert de la politique intérieure

ne se laisser « doubler »

28 novembre, devant

ait

Chancelier n’a encore de

cherche avant tout dans cette passe

libres et à

présente

rythme

si le

;

devant

le

fait

un mouvement

n’en aient eu connaissance

mouvement

ni placer qui

accompli, mais, bien au contraire, pour

qu’il craint, s’il

échapper. (N’oublions pas que

si

ne l’encadre pas, de voir

Willy Brandt a été

lui

fêté à Berlin le

9 novembre, lui-même y a été sifflé le 10.) Qu’y évoque-t-il ? Une aide accrue à la RDA, une « communauté contractuelle » REA-RDA,

1.

et

Voir aussi

les excellentes

pages 226 à 232

et

235 à 250 du chapitre « Truman

Kohl » des Antiportraits d’Alain Mine, Gallimard, 1996.

Les mondes de François Mitterrand

430

Mais

reste prudent sur le

il

d’une fédération.

structtires confédérales, puis

mise en place de

la

terme ultime de

la réunification'. Il

remplit

heures d’ irritason rôle de Chancelier allemand. Après vingt-quatre Il n’y a rien là de chotion, le Président Mitterrand le comprend^ le Chand’aventureux. Fin novembre 1989, la RDA est pour quant, ni

un

celier

qui a encore État allemand déjà sous protectorat, mais

quelques années devant

lui et qu’il faut stabiliser

pendant cette tran-

Mitterrand Cela explique d’ailleurs que le voyage de François il réapprouve le en RDA en décembre, annoncé depuis un an et dont ne le gêne pas, principe lors du Conseil européen de Strasbourg, sition.

il aurait préféré contrairement à ce que l’on prétend à Paris, même s propos très responsables qu’il ait lieu plus tôt. Et ce ne sont pas les ni ses Président tient aux derniers dirigeants est-allemands,

que

le

l’indisposer « Si déclarations, le 21 décembre, à Leipzig, qui peuvent France qui peuple allemand décide Tunité allemande, ce n est pas la :

le

s

du peuple allemand, y opposera. S ’il s 'agit des aspirations profondes

nous Français, nous devons position de la liberté^. »

le

comprendre

et je choisirai toujours la

Encore plus d’Europe Pendant cette seconde moitié de l’année 1989, alors que les qu’ils changements prennent de l’ampleur en Europe de l’Est et parce pression européenne se précipitent, François Mitterrand maintient une entame ses traconstante sur ses partenaires. Le « groupe Guigou »

vaux

le

moins de

5 septembre et les bouclera en

trois

mois. Les

ont lieu Assises européennes de l’audiovisuel que nous avons voulues octobre à Paris. La directive « Télévision sans les 30 septembre et

1

.

« Nous

sommes

prêts à entreprendre un nouveau

pas

décisif,

en mettant en

de créer ensuite place des structures confédérales entre les deux États, avec l objectif perune fédération (...) Quelle sera finalement la forme d’une Allemagne réunifiée, Allemagne le sonne ne le sait aujourd’hui. Mais que l’unité se fasse, si les hommes en veulent, j ’en suis certain. » 2.

« Je n

’ai

pas

été prévenu. J’aurais préféré

cours a été prononcé. Je

prudence. » Entretien à 3.

Cf. infra,

l’ai

la

’étre. Il

n

’était pas obligé.

naturellement analysé et j ai vu qu

BBC, mars

pages 447

l

et

448.

1995, non diffusé.

il

était

Le

dis-

d une extrême

De

la

chute du

Mur

au Traité de Maastricht

431

frontières » est adoptée le 3. Elle invite les

États-membres à diffuser « une proportion majoritaire » d’œuvres européennes « chaque fois que c’est possible ». Le Président se rend au Parlement européen et y insiste sur le nécessaire renforcement de l’Europe, préalable à tout nouvel élargissement. C’est là, le 25 octobre, qu’il lance le projet de

banque pour l’Europe qui deviendra il

se bat contre

Mrs

la

BERD. Pour

Thatcher, avec qui

pour l’ouverture rapide de

la

Charte sociale,

un échange de

a

il

la

Conférence

lettres, et,

intergouvemementale,

contre Helmut Kohl.

La fixation de la date de cette ouverture devient, comme prévu, l’enjeu du mois de novembre. La France obtient d’abord que le Conseil des ministres des Finances transmette

le

Conseil européen. Puis,

rapport du « groupe de haut niveau » au le

20 novembre, aux Pays-Bas,

le

Président

demande que la date d’ouverture de la future Conférence intergouvemementale soit fixée avant la fin 1989, sous présidence française. Le 27 novembre encore, le Chancelier veut s’en tenir à un simple rapport à remettre pour

conférence.

En

démarre alors

fait,

ait été

il

la fin

de 1990 sur

voudrait que

auparavant

les principes préparant

une

le

processus de réunification qui

mené

à son terme, et ne pas avoir à

prendre d’engagement irrévocable sur

la

monnaie européenne, donc

sur le deutschmark, avant les premières élections générales prévues

dans l’Allemagne réunifiée à l’automne

1990.

C’est exactement

que veut François Mitterrand qui confirme au Chancelier, le 1*"^ décembre, qu’il demandera au Conseil européen de Strasbourg, huit jours plus tard, de fixer une date précise pour le début des travaux de la conférence intergouvemementale. l’inverse

Dans

les

jours précédents, les principaux représentants du patro-

nat allemand, et

même

H.D. Genscher sont venus à l’Élysée dire au Président qu’ils comptaient sur lui Bon exemple du pouvoir que peut !

conférer

la

présidence tournante du Conseil

:

finalement, au terme de

cette période de relative tension, trois jours avant Strasbourg,

Helmut Joachim Bit-

Kohl nous communique l’accord de l’Allemagne (c’est terlich qui le téléphone à Élisabeth Guigou) pour une ouverture de la Conférence lors du Conseil italien, un an plus tard. Ce délai nous convient, et, à la limite, peu nous importe sa longueur si la date est ferme. Avant même que s’ouvre le Conseil de Strasbourg, nous pouvons considérer qu’à coups répétés de lettres, de discours, de comités,

de propositions, trente à quarante personnes ayant été mobilisées pendant six mois pour relancer la mécanique « à la manivelle », le Chef

Les mondes de François Mitterrand

432 de l’État a déjà

s’était fixés

des buts qu’il

atteint le principal

pour

cette présidence française.

Le Conseil européen de Strasbourg des

8 et 9

décembre 1989 brouillard et un

le s’ouvre dans une ambiance chaleureuse, malgré soir une totale extinction froid pénétrant qui me valent dès le premier

Pour mes

suis alors de voix, gênante pour le porte-parole que je Élisabeth Guigou «briefings» devant près de 150 journalistes, Il dit m’accompagne et traduit pour la salle mes chuchotements « !

:

de Ce Conseil va être avec ceux de Fontainebleau en juin 1984, Luxembourg en décembre 1985 et de Maastricht en décembre 1991, Quand il s’ouvre, l’un des plus décisifs de la présidence Mitterrand. le

8,

le

Mur

est

« tombé » depuis un mois

;

des manifestafions

Mittermonstres ont déjà eu lieu en RD A George Bush et François à Malte et à rand ont rencontré Mikhaïl Gorbatchev respectivement problème de la Kiev ; le Président a posé depuis cinq semaines le Oder-Neisse le Chancelier a présenté son « plan en dix j

frontière

points »

;

dix jours

plus

tôt.

Fait

essentiel,

le

« renforcement

»,

approfondissement » de la Communauté européenne sont juges Mitterrand et essentiels, moyennant quelques nuances, par François

l’«

Mais ce qui va par Helmut Kohl pour accompagner la réunification. Strasbourg, permettre de juger de la pleine réussite de ce Sommet de économique et monéce sera la précision des conclusions sur l’Union soir du 8. Soirée marquée, taire. Tout se joue dans l’après-midi et au en outre, par des échanges tendus Kohl-Mitterrand-Thatcher-Lobbers

r intangibilité des frontières. Mais le 9 au matin, à la préfecture, au petit déjeuner qui les européens —, réunit — comme toujours le deuxième jour des Conseils heureux d’être sortis de le Président et le Chancelier sont détendus,

sur

entente euroces semaines de relative tension et d’avoir rescelle leur Joapéenne. Les textes préparés pendant la nuit, que leur présentent

chim

Bitterlich et Élisabeth

avons un échange badin

i

Guigou, sont agréés. Le Président

« Alors, vous êtes

mon porte-parole

et

et

moi vous

Du ne pouvez plus parler ! — Il me reste la force de vous ecouter. » première point de vue français, les résultats sont considérables la juillet étape de l’Union économique et monétaire commencera le U" de définir le la Conférence intergouvemementale chargée 1990 :

;

contenu

et le calendrier

quée avant

le

terme de

des deuxième et troisième étapes sera convola

présidence italienne, en décembre.

En

clair,

De

la

chute du

rUnion monétaire -

Mur

au Traité de Maastricht

433

objectif après lequel courait la diplomatie fran-

çaise depuis qu’au premier

Sommet

européen, réuni par

le

Président

Pompidou en 1969, Willy Brandt en avait évoqué la perspective — est lancée pour de bon. La « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des

travailleurs », dite Charte sociale, qui

annonce le Protocole social de Maastricht est adoptée à onze, sans une Margaret Thatcher hostile, mais pas acharnée. Nous avons également arraché aux onze autres leur accord pour la création de la BERD. Une aide financière à la Pologne et à la Hongrie, les deux pays qui paraissent les plus avancés sur la voie de la démocratie et de l’économie de marché, est décidée dans la foulée des orientations du Sommet de l’Arche.

Le Chancelier Kohl malgré

repart heureux de la déclaration finale qui,

angoisses exprimées au dîner par Margaret Thatcher, proclame que « le peuple allemand retrouvera son unité dans un état de les

paix en Europe, démocratiquement, pacifiquement, à travers une libre autodétermination ». Le Président précise en souriant « Je ne demande pas de restaurer l Empire français en 1805 ! » :

Le Monde, qui voyait alliée

de rechange

d’un bilan française

Au

»,

parle d’une «

très consistant »,

Sommet

à la veille du

communauté

«

la

France sans

sûre d’elle-même,

d’un « brillant succès pour

la

Présidence

».

lendemain du Sommet, François Mitterrand,

ces résultats, souhaite acter dans

la

très satisfait

de

Douze sur monnaie unique,

foulée l’accord des

l’Union politique de l’Europe. Pour

lui,

la future

indispensable, appelle plus que Jamais, en complément, un non moins

indispensable renforcement politique de

nouveaux engagements ambitieux dès

le

la

Communauté,

Roland Dumas, Jean-Louis Bianco, Jacques

La

donc de

semestre suivant, sous pré-

sidence irlandaise. C’est l’objectif qu’il fixe à

et

et

mi-décembre à Élisabeth Guigou

la

Attali,

moi.

frontière Oder-Neisse

Mais, autant

la

dialectique Mitterrand-Kohl permet que la réu-

nification allemande entraîne ce progrès européen, autant le celier est irrité et politiquement

Mitterrand, à partir

Chan-

gêné face à l’insistance de François d’octobre 1989, à voir confirmer par un acte juri-

Les mondes de François Mitterrand

434

dique international incontestable

allemand unilatéral -

le

-

et

statut 'de

donc pas seulement par un acte la frontière Oder-Neisse entre

diplomaPologne’. Son plus proche collaborateur s’en fera plusieurs fois l’echo tique de l’époque, Horst Teltschick le Président français n’ agit auprès de l’Élysée. Sur ce sujet sensible, de ce que cette exigence pas à la légère. Il est même très conscient à V Express en Juillet représente pour les Allemands. Il l’expliquera

l’Allemagne

et la

et de l ancienne « Les Allemands de Poméranie, de Silésie Ils avaient perdu leur Prusse orientale étaient comme nos Pieds-noirs. cruellement. Ils reprépatrie [...]. Ces Allemands de VEst ont souffert qu'il fallait ménager. sentaient en Allemagne une force contestataire publiques conduites par de puisIls se sont livrés à des manifestations peut-être aussi le sentisantes associations. Cela a joué. Mais existait toujours mouvante. ment profond d'avoir à officialiser une frontière cherché à la Chevaliers teutoniques, les Allemands avaient

1994

:

Depuis

les

reporter plus

loin.

La fixer une fois pour toutes

sans que cela soit exprimé, naturellement. » Dans De l'Allemagne, de la France^ il ,

les rendait

ira

malheureux,

plus loin encore dans

provinces compréhension de ce malheur allemand « Les belles de la vieille perdues, Poméranie, Mazurie, Silésie, et le berceau Russie. Stettin s 'apPrusse, c 'est maintenant la Pologne et un peu de Après Breslau, Wroclaw, et Kônigsberg, Kaliningrad. :

la

pelle Szczecin,

rentrés chez eux. Allemand, mille ans, les Chevaliers teutoniques sont déclinerais l'invitation au je souffrirais comme ils souffrent et je pas entériner renoncement. » Il dit même s’être interrogé « N'est-ce :

ethnique, le du même coup ce qu 'on nommera plus tard la purification et forcés nouveau tracé ayant servi de prétexte à des transferts massifs à la Pologne et de populations, les Allemands chassés des zones cédées les régions qu 'elle à la Russie tandis que celle-ci vidait des Polonais avait annexées ? » que Dans cet ouvrage, il reconnaît que son insistance a choque, les

Journaux de

1.

la

Republique fédérale

Limite occidentale de

la

1

ont dénoncée.

Pologne qui part de

la

L

opinion

côte balte, suit la rivière

conférence Neisse, jusqu’à la Tchécoslovaquie, fixée à la Churchill (puis Atlee). Admise de Potsdam en juillet-août 1945 par Staline, Truman, en 1950 et par la RP en 1970. frontière par la

Oder, puis son affluent

la

comme

RDA

2.

Op.

cit.,

voir

notamment

A

les

pages 127-134.

De Ta

française ne

Mur

chute du

la

au Traité de Maastricht

suivi qu’à moitié ?

(Il

est vrai qu’il

ne

435 lui

explique

pas grand-chose, ou par bribes). Par esprit de critique systématique, par parti pris, par peur, la presse française s’aligne dans sa majorité sur les griefs allemands ? Kohl est

Tant pis

irrité ?

rôle qui lui échoit est d’être celui qui se soucie, le

faire,

de l’avenir à long terme - après

Il

!

même

estime que

le

est seul à

s’il

après Kohl, après

lui,

Walesa, après Gorbatchev — de la paix en Europe. Qu’aucun drame ne puisse surgir plus tard d’une contestation sur une question de frontière négligée.

Et c’est parce qu’elle plonge ses racines dans un passé

ancien qu’il faut

très

avant

la

prendre au sérieux, c’est-à-dire

Le Président recevra

la réunification.

même

la clarifier

en mars 1990

le

général Jaruzelski et son ministre des Affaires étrangères pour leur manifester son appui et accroître la pression sur les Allemands.

Les pensées profondes de Helmut Kohl ne sont pas en cause. procédera à cette mise au point attendue, mais à son heure, quand sera sûr d’avoir bien circonscrit les éventuels et électoraux,

pour

la

CDU,

dommages

de ce renoncement.

Il

finira

Il il

politiques

par céder,

au printemps 1990, à l’amicale mais constante pression du Président français après s’être garanti

du côté des

en auront parlé à Latché

4 janvier

le

au cours d’un dîner édifiant dans

commence calmement François Mitterrand

injustes,

mais on

(le

Président

On en parlait chaquefois^

parlé sur la plage.

Cela

nationalistes. Entre-temps,

vit

avec.

:

ils

« Nous en avons

») et surtout le 15 février

salon des Portraits à l’Élysée.

le

:

«Les

:

traités

Il est très

de 1919

et

1945 sont

très

important de ne pas rouvrir une

frénésie collective en Europe.

Helmut Kohl

Aucun danger, François ! François Mitterrand La question la plus importante, c'est la ligne Oder-Neisse. Ce n 'est pas la seule frontière qui laisse de côté des Allemands. Je comprends ce que les Allemands doivent ressentir, sen:

:

timentalement. Mais, politiquement, c

Helmut Kohl la

RFA

sur

le

:

autre chose

Une Allemagne unifiée aura

nucléaire et les frontières

François Mitterrand

:

Entretien cité avec la

:

elle

Politiquement,

mer la frontière Oder-Neisse avant

1.

'est

BBC.

la

!

même position que

confirmera les frontières.

il

aurait été utile de confir-

la réunification.

Mais je comprends

Les mondes de François Mitterrand

436

ne puisse intervenir que, juridiquement, cette reconnaissance

qu 'après. Le Chancelier s’échauffe

,

,

,

On a fait mousser le problème de la être posé comme cela. Pour frontière Oder-Neisse. Il n 'aurait pas dû blessure. Traiter les blessures avec de les Allemands, c 'est une grosse pas à la guérirhuile bouillante plutôt qu'avec un baume, ça n'aide :

son!

,

,

Nous pouvons creer des communautés, Le la rigueur des frontières... des institutions européennes pour atténuer avec les Helmut Kohl C'est mon but. Ce qui a été possible Mais on n 'y arrivera pas si Sudètes doit être possible avec la Silésie. Président, apaisant

:

:

l'unification de l'Allemagne ces questions à l'unité, si on dit que paix. Il ne faut pas en faire des doit être accompagnée d'un traité de

on

lie

questions préalables.

^

C’est exactement ce que

fait,

à juste

sachant que Helmut Kohl devra céder,

titre, le

^

Président. Mais,

n’en « rajoute » pas

il

le fais pas.

:

Je ne

,

Helmut Kohl

En Allemagne,

:

la question

estposee en préalable.

S'il n'y avait pas les C'est devenu un thème de politique intérieure. question. élections, on ne se poserait pas cette héritée de la François Mitterrand La frontière Oder-Neisse, :

guerre, a été imposée

par

Staline. C'est le type

même du mauvais

Je ne pose pas ce problème en préalable. Mais un débat a commencé sur le traité de paix. essentiel Il en vient à l’autre point : nos fronVous dites : '‘C'est le Parlement unifié qui décidera " Mais il s'agira d'un acte unilatéral ! Il faut une décitraité.

Mais

c'est

un

fait.

:

tières sont là.

sion internationale des pays intéressés. Helmut Kohl Oui, d'accord. :

Réponse

Le Président peut consensuel Le présent, c 'est

essentielle.

européen, plus

:

revenir sur le terrain la

Communauté euro-

: les gens ont péenne. Je ne veux pas laisser s'envenimer le climat allemande, l Europe l'impression que, face au problème de l unité Conseil européen n'avance plus. Je suis favorable à la réunion d'un nous ne pour préparer le Sommet de Dublin, un Conseil informel où mais avec nous retrouvions pas chacun avec deux cents fonctionnaires, une discusseulement deux conseillers. Il faut aussi que nous ayons Dublin. Vous êtes le fil sion, tous les deux, pour donner le climat de Comprenez que je ne directeur d'une aventure historique considérable.

De

Mur

chute du

la

au Traité de Maastricht

437

crains pas l’Allemagne. D’ailleurs, ce qui se passe chez vous ne nous regarde pas. Je veux seulement que la France puisse examiner les

conséquences internationales de l unification. » Cinq ans plus tard, les journalistes de la BBC ’

à propos de cet épisode

je n

’étais

:

Vous étiezfâché, déçu

«

pas fâché. On ne se fâche pas pour

comme ça.

Simplement, cela a retardé

le

lui

Réponse

? »

On

ça.

moment où

demanderont, «

:

Non

se fâche pas

l’on pouvait pro-

clamer un accord. »

Accélération

Le

statut

de

la frontière

Oder-Neisse n’est pas

seule pierre

la

d’achoppement.

Helmut Kohl

freine également plusieurs semaines l’organisation

d’une négociation entre

Grande-Bretagne)

coup que

et les

RFA, dont

URSS,

« Quatre » (États-Unis,

les

deux États allemands.

Il

France,

préférerait de beau-

pense qu’elle a mérité, au terme de plusieurs décennies, la confiance de ses partenaires, prenne seule et souverainement les décisions que l’on attend d’elle, par exemple la confirmation du renoncement à l’arme nucléaire. Les quatre «puissances la

il

victorieuses » de 1945, dont la France, estiment au contraire qu’elles ont leur mot à dire sur la dévolution de leurs droits. Roland Dumas doit se mettre d’accord avec Hans-Dietrich Genscher, et ce dernier faire pression sur le Chancelier,

pour à

qu’il se laisse forcer la

«4+2‘ »

avec tout

main

et

que

le

le

poids du Parti

libéral,

principe d’une conférence

soit entériné, le 13 février 1990, à

Ottawa.

Autant Kohl reste prudent jusqu’au début de l’année 1990, autant les manifestations massives de janvier en RD A, l’effondrement

du mark est-allemand, puis la fixation d’élections au 18 mars, le convainquent que la stratégie progressive « étape par étape » qu’il a suivie jusque-là est dépassée.

Tout bascule en janvier. D’où sa proposition du 6 février d’union économique et monétaire entre la RFA et la

RDA,

puis sa décision capitale

à prendre en propre

- du 23

moyennant l’échange d’un

1.

« 4+2 »

:

États-Unis,

avril

DM

:

-

la

plus importante qu’il

union monétaire dès

contre un

mark de

URSS, Grande-Bretagne, France +

le

l’Est.

la

ait

eu

juillet,

Un

RFA

contre

et la

RDA.

Les mondes de François Mitterrand

438

problèmes économiques son triomphe politique, mais aussi les sont contenus dans ce coup de l’Europe pour les cinq années à venir

un

:

ne

Il

lui reste plus,

au printemps 1990, qu’à donner satisfaction à convaincre

Oder-Neisse, aux Polonais et à la France sur la frontière - en échange d’une aide avec les Américains Mikhaïl Gorbatchev - de se résigner économique censée amortir le choc pour ce dernier à avertir ses compatriotes au maintien de l’Allemagne dans l’OTAN' qu’imposera la réunification, de l’effort économique et financier réparti sur les partenaires poids qui sera, il est vrai, largement ;

dTntérêt allecommerciaux de l’Allemagne par le biais des taux François Mitterrand mands à entraîner enfin, main dans la main avec — chacun reconnaissant que l’autre a fait dans cette grande circonsle chemin du qu’il devait -, les autres Européens sur ;

tance tout ce

d’Union.

traité

du monnaie, thème principal de la présidence française présidence irlandaise du second semestre 1989, le sujet majeur de la François Mitterrand premier semestre 1990 va être l’Europe politique. Après

et

la

Helmut Kohl ont chacun

leurs raisons d’y tenir et j’ai dit plus haut

vite - dès un nouveau l’insistance qu’y mettait le Président. Très - on s’accorde sur entre les deux hommes, le 12 février

déjeuner

conférence intergoude proposer aux dix autres une seconde politique. vemementale, parallèle à la première, pour préparer l’Union entamé dès En février et mars, Élisabeth Guigou poursuit le travail notamment avec Strasbourg avec les collaborateurs du Chancelier, de la sur les institutions et la transformation

l’idée

Joachim

Bitterlich

Communauté en une Union

politique. Je

me

livre

au

même

exercice

commune » (qui deviencka sur la « Politique étrangère et de Sécurité Une nouvelle lettre commune Mitla « PESC » dans notre jargon). avril, huit jours terrand-Kohl, résultat de ces échanges, est adressée en avant

le

1.

la fin

Il

premier Conseil de Dublin, aux Dix autres.

n’empêche

de l’URSS.

:

dans un an, ce sera

le

putsch à

Moscou dans un an ;

_

et

demi,

relance de 1 Europe début 1989, Jacques Delors avait suggéré une » censé faire patienter les canpolitique ainsi qu’un « espace économique européen des institutions. didats à l’adhésion en attendant le renforcement 2.

Dès

le

De En

Mur

chute du

au Traité de Maastricht

439

y a deux Conseils européens de Dublin, et donc des en deux temps. Lors du premier, le 27 avril 1990, la Commu-

fait,

résultats

la

il

nauté entérine les propositions Kohl-Mitterrand

former avant

et

décide de se trans-

31 décembre 1992 en une « Union politique » qu’une seconde conférence intergouvemementale a pour mission de prépale

que l’unification allemande s’effectuera sans renégociation des traités européens (ce qui écarte l’hypothèse envisagée par Jacques Delors d’une adhésion de la RDA comme treizième État membre) rer

;

;

que

et

de

l’aide

aux pays de

l’Est sera étendue, au-delà de la

Hongrie, déjà retenues à Strasbourg, à la coslovaquie (souhait allemand), à la Bulgarie et à et

de

la

RDA

et

à

Pologne la

Tché-

Roumanie (vœu

la

France qui n’entend pas que les Douze ne s’intéressent qu’à l’Europe centrale, rentable et « diplomatiquement correcte », au détrila

ment de l’Europe

orientale). C’est le

Mitterrand pour frapper les esprits réveiller quelques clivages ?)

moment que

et

doper

la

choisit François

dynamique

(voire

en déclarant qu’il « souhaite aller vers

un système à finalité fédérale ». Trois jours après une agréable conversation Kohl-Mitterrand à bord d’un bateau sur le Rhin, autour du rocher de la Lorelei, le second Conseil de Dublin, les 25 premier.

Il

convoque

monétaire à

pour

le

Rome

14, et

et

26 juin 1990, parachève

du

conférence intergouvemementale sur l’Union

la

pour

le

13 décembre, celle sur l’Union politique

s’engage à ce que

le

nouveau

traité

leurs travaux soit ratifié avant la fin de 1992.

d’un calendrier précis

les résultats

et à court

qui résultera de

Nous disposons

enfin

terme.

Ainsi, alors que progresse la réunification allemande et que, les

uns après

les autres, les

problèmes qu’elle pose sont résolus, François

Mitterrand obtient du Chancelier l’accord sur

la

monnaie européenne,

deux hommes emportent ensuite, ensemble, l’adhésion des Douze sur l’Union politique. Grâce à l’exceptionnelle relation entre et

le

les

Président et

lérateur à

le

Chancelier, la réunification allemande sert d’accé-

une politique d’avenir entamée de longue

date.

Des préoccupations différentes Pendant cette année cupations, ses priorités.

clef,

chaque dirigeant a ses propres préoc-

Les mondes de François Mitterrand

440

pas un « numéro un », le ministre allemand Genscher, joue un rôle majeur. des Affaires étrangères, Hans-Dietrich depuis quinze ans. En 1989, il dirige la diplomatie ouest-allemande formation indispensable Son appartenance au Parti libéral FDP, petite imposé et lui a interdit tout à la fois d’ambitionner

Bien

qu’il

ne

soit

mais d’appoint, l’a en maintes circonstances, d’être plus que vice-Chancelier. Mais, et un comme je l’ai rappelé, il n’a cessé d’œuvrer avec opiniâtreté de doigté vis-àgrand sens des opportunités, et aussi avec beaucoup l’Allemagne, au rapprochement vis des alliés américain et français de près de Halle. la RD A où il est né, le 21 mars 1927,

RE A

entre la

et

Cette mission accomplie,

il

processus de réunification,

démissionnera en avril 1992. Pendant le son étroite entente établie depuis des

est manifeste, surtout années avec Roland Dumas, qui parle allemand, Luc Rosenzveig, au cours des négociations à « 4+2 ». En avril 1992, rôles pendant cette du Monde, décrira ainsi le renversement des Kohl, pendant quelques période « Tandis que le Chancelier Helmut irritait ses partenaires les mois, enfonçant l ^allure de la réunification étrangères qui s efforçait plus proches, c ’est son ministre des Affaires :



,



de rassurer

les voisins

polonais et français, et multipliait

les profes-

sions de foi européenne. »

tile

hosMargaret Thatcher est un cas à part. Elle est viscéralement Allemagne ». Elle à la réunification. Elle appréhende la « Grande septembre l’empêcher, mais ne voit pas comment. Le L

voudrait

Mitterrand «Kohl ment 1989, à Chequers, elle se plaint à François 18 novembre, au dîner tout le temps, et Gorbatchev est un faible. » Le :

de l’Élysée, quand Helmut Kohl se réfère à une routine de l’OTAN (de 1970 !) favorable à

la

de

réunification, elle

pas lieu ! » « Mais, c 'est parce qu ’on pensait qu 'elle n 'aurait President franStrasbourg, le 8 décembre, elle lance crûment au

s’écrie

À

vieille déclaration

çais

:

:

«

Il faut

empêcher

des quatre puissances

nera pas,

comme

le

[la réunification]

[..). Il faut être

Japon

[...]. Il

par

le biais

de

la

CSCE

et

sûrs que l'Allemagne ne domi-

faut nous voir régulièrement pour

ajoute à sa fureur, c est faire contrepoids à l'Allemagne ! » Ce qui la construction qu’elle est tout aussi hostile à la stratégie de relance de

Chancelier ait Thèse que, par ailleurs, je conteste je ne pense pas que le l’accélération quand la RDA forcé l’allure. Il a accompagné le mouvement et assumé 1.

a implosé.

;

De

chute du

la

Mur

au Traité de Maastricht

européenne que François Mitterrand ensemble, malgré leurs

441

Helmut Kohl ont conçue discussions serrées, pour accompagner la réuet

nification. Elle pensait avoir trouvé sa

revanche de Fontainebleau, de

quoi dissocier l’exaspérant couple franco-allemand, et voici qu’en

décembre 1989, à Strasbourg,

il

garet Thatcher n’a ni politique

fonctionne mieux que jamais

d’accompagnement,

!

Marde

ni politique

rechange. Elle est seule. Dans moins d’un an, elle devra démissionner.

Pendant des semaines,

dénonce encore en privé car, en public, elle se tait — ce Kohl « qui nous marche sur les pieds » (Paris, 20 janvier)... Par la suite, dans ses mémoires*, elle accusera François Mitterrand de qu’il tenait

lui

elle

avoir tenu en privé des propos différents de ceux

en public. En

inquiétude face à

la

Président voulait mettre à profit son réunification allemande pour la rallier enfin au fait, le

renforcement de l’Europe. Plus tard^ surtout voulu séparer

l

Allemagne de



parvenir. » Pourtant, jusqu’au bout,

commentera: « Elle aurait France et s 'irritait de ne pas y il

la

le

Président gardera pour elle une

Dans De l’Allemagne, de la France, il écrira à propos de cet épisode •

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CHAPITRE XIV

Aider Gorbatchev

Quand

le traité

de Maastricht

est signé le 7 février 1991,

Mikhaïl

Gorbatchev n’est plus Président de l’URSS, car l’URSS n’existe plus. Ses deux dernières années et demie au pouvoir ont été une lutte vaine, mais digne, pour faire prendre corps à ses réformes et tenter de reprendre

le

contrôle des événements. François Mitterrand

lui

a pro-

digué tout son soutien. Décembre 1989, mois historique, aura donc vu

l’URSS, s’accélérer

s’éteindre

la

réunification allemande, et l’union

monétaire européenne être enfin décidée

Quand une nouvelle haïl

Gorbatchev a

- événements

étroitement Lés.

rencontre entre François Mitterrand et M.k-

lieu à Paris le

4

juillet

1989, avant les fêtes du

Bicentenaire, les relations se dégèlent vraiment, car

le

passage par Paris

a recouvré toute son utilité pour un Gorbatchev en quête d’une aide extérieure.

Le numéro un soviétique

Nations unies,

«valeurs

il

s’est

y a célébré avec lyrisme

communes»

rendu en décembre aux semble-t-il, sincérité les

et,

à l’ensemble de l’humanité (qu’il oppose aux

« valeurs occidentales ») et a annoncé une réduction de 500 000 hommes des forces armées soviétiques. Les troupes soviétiques ont été

Le Vietnam a annoncé son retrait du Cambodge 30 septembre. Mais Boris Eltsine a aussi été plébiscité à Mos-

retirées d’Afghanistan. d’ici le

26 mars. Surtout, alors même que le sang a coulé, en mai, place Tien’anmen, la direction chinoise ayant voulu donner un coup d’arrêt à toute contagion du gorbatchevisme, la cou

lors des élections législatives, le

terre s’est

mise à bouger en Europe de

l’Est

:

Solidamosc a remporté

un succès massif aux élections du 4 juin, et la Hongrie a entrouvert le rideau de fer. Gorbatchev a déjà pris en son for intérieur LA décision majeure qui fait de lui l’homme clef de cette fin de siècle celle de :

,

Les mondes de François Mitterrand

482

pour maintenir le glacis soviétique imposé après la guerre par Staline en Europe de l’Est. Les signes annonciateurs du glissement de terrain qui va empor-

ne pas recourir à

la force

Sans cet engloutissement du monde de 1945, pas part de réunification allemande, pas d’initiative aventureuse de la d’un Saddam Hussein, pas de désintégration ni de dépeçage de la

ter

l’URSS

sont

là.

Yougoslavie. Mais, de cela, nul n’est encore conscient. Notre pays de la s’apprête à célébrer le bicentenaire de l’événement fondateur

France moderne par un défilé de mode conçu par un publicitaire malgré talentueux. Cette « absence de sens » n’est pas surprenante de méritoires tentatives d’entretien de la flamme, le message républicain de 1789 est devenu inintelligible dans le monde de l’image :

de l’économie globale de marché, quand bien même il paraît retrouver fligacement un sens au Centre et à l’Est de l’Europe et

!

« Vous ne pouvez pas savoir lance d’emblée Mikhaïl Gorbatchev au Président, à Paris, ce mardi 4 juillet 1989, à quel point c'est agréable de retrouver quelqu'un que l'on connaît depuis des années, en qui on a confiance et avec qui on peut parler avec franchise ! Vous savez^ enchaîne-t-il, je ne pensais pas, en 1985, que ce serait aussi dur ! Les résistances, les problèmes sont terribles. Mais je suis abso-

lument déterminé à aller de l 'avant ! » Durant ce séjour, Gorbatchev est invité à un grand dîner à l’Élysée, à un dîner en famille rue de Bièvre, à un déjeuner à Mati-

une rencontre - ratée - à la Sorbonne avec les intellectuels. Son souci majeur du moment, ce n’est plus le désarmement, même s’il reste très important, ni même le réveil des nationalités en

gnon

et à

général, mais la question, cruciale, de l’Europe orientale, et celle, qui ne va cesser de prendre de l’importance, de l’attitude du reste du

l’URSS. Gorbatchev annonce de « profonds changements, à des rythmes differents selon les pays, dans toute l'Europe de l'Est ». Il parle en homme qui pense encore conduire et maîtriser ces évolutions. Il se montre très dur à propos de George Bush, plus même

monde

vis-à-vis de

qu’à propos de Reagan qu’il paraît presque regretter, chait au

nouveau Président un retour en

arrière, le

comme

s’il

repro-

« réexamen straté-

gique » auquel son administration s’est livrée durant les trois premiers mois de son mandat et qui a tout suspendu, alors que lui, Gorbatchev, est si pressé...

« a peur de la

Il

le

considère

comme un

Communauté européenne

»,

« idéologue

»,

quelqu’un qui

peur « que l'URSS soit mieux

Aider Gorbatchev vue».

483

reproche d’avoir déclaré que « l’Europe devait retrouver ses frontières de 1939 », et même «d’animer personnellement un lui

Il

gf'oupe du Conseil national de Sécurité chargé de saboter la perestroïka et

de [me] discréditer

», ainsi

que d’avoir exigé, en parlant à des jour-

nalistes polonais, le retrait des troupes soviétiques de Pologne. C’est

ce que Gorbatchev appelle V« irresponsabilité des Occidentaux

message

est clair

Europe de

:

l’Est, je

si

vous cherchez à

me

ne réponds plus de rien

pousser dans

dans

;

».

cordes en

les

cas inverse,

le

Son n’y

il

a guère d’évolution impossible.

François Mitterrand reçoit ce message « cinq sur cinq

À

dire.

j’ose

», si

ses yeux, les Occidentaux seraient vraiment inconséquents de

chercher à déstabiliser Gorbatchev en précipitant le mouvement qui s’amorce. Le numéro un soviétique est maintenant trop avancé pour

Le changement

reculer.

est lancé. L’intérêt

de l’Est

comme

de l’Ouest

est qu’il reste gérable, qu’il se fasse à

maîtriser les

même

un rythme qui permette d’en dérapages éventuels. Toujours, chez le Président, la

philosophie de l’Histoire

de ses mutations... Qu’on incite

et

Gorbatchev à persévérer, bien sûr Mais qu’on l’aide à accomplir sa révolution plutôt que de se servir d’elle pour l’humilier ou le mettre Le Président français va s’employer à faire se mieux à genoux !

!

comprendre Gorbatchev

Au

premier, pour

et

George Bush.

le rassurer,

bas en Europe de l’Est

il

déclare

:

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CHAPITRE XV

La guerre du Golfe

Guerre du Golfe - 2 août 1990 17 janvier 1991

:

:

invasion du Koweït par l’Irak.

début des opérations aériennes de

la coalition anti-

25 février : libération du Koweït par l 'offensive terrestre. Ces quelques lignes résument l’essentiel de l’événement. Comment s’étonner de ce qu’une coalition de vingt-huit pays, dont irakienne.

la

première puissance militaire

plan, soit aisément

mais

et

deux autres puissances de premier

venue à bout d’un pays du Tiers monde, surarmé

solitaire ?

Guerre impensable en dehors du contexte

événements

des

et

hommes

de 1990.

Au

très particulier,

des

printemps de cette année-là,

f

les Etats-Unis,

l’URSS

et les

Européens ont

les

yeux braqués sur

l’Allemagne en train de se réunifier. Tous n’ont qu’une obsession

que

cette réunification soit

conditions.

batchev

;

Bush pense

à

menée

l’OTAN

;

à son terme dans les meilleures

Kohl, à Bush, Mitterrand

le

avec l’eau du bain communiste...

Au moment où

-

la

présence dans

bébé soviétique ne il

et

Gor-

A

Moscou,

soit

pas jeté

Mitterrand, à Kohl, à Gorbatchev et à l’Europe.

Gorbatchev se démène pour que tolérable

:

doit tolérer l’in-

l’OTAN de l’Allemagne

réunifiée -,

il

ne va pas se préoccuper de ce qui peut advenir, aux marches de l’Empire, dans un Etat qui n’est qu’un gros client (80

ment

%

de l’arme-

irakien proviennent de l’URSS).

du monde, on n’ignore pas que l’Irak n’a jamais admis, depuis 1961, l’indépendance du Koweït, création artificielle à ses yeux de l’impérialisme britannique par démembrement de ce qui appartient, de par l’Histoire, à Bagdad. Qui s’en

Dans

toutes les chancelleries

soucie à ce moment-là ?

Le monde

est plein

de rancœurs de ce type

pour des frontières mal admises, sans que, pour autant,

elles

dégé-

Les mondes de François Mitterrand

520

nèrent en guerres ouvertes. tions

Bagdad-Koweit sur

Saddam Hussein,

Que

Même

les âpres

négocia-

la dette irakienne.

ensuite

ne

il

:

même du monde

connaît-il

remarque pour sait rien

du monde

extérieur.

arabe, en dehors de brefs séjours

dans des « pays frères », dans des palais ou des palaces, à Damas, Riyad ou au Caire, à l’occasion de sommets arabes ? Il a pour lui un savoir-faire expéditif,

une cruauté sans

faille,

une rouerie qui

lui

ont

du pouvoir et qui lui permettent, avec son clan, de s’y maintenir. Mais comment apprécie-t-il le rapport des forces mondial et les motivations des dirigeants étrangers ? Sans aucun doute méprise-t-il l’Emir du Koweït, les émirs en frayé

un chemin de Takrit jusqu’au

faîte

général, ainsi que le Roi d’Arabie, et leurs familles.

que l’URSS

encore l’URSS

est

et

qu’à ce

à toute décision du Conseil de Sécurité sait

de vouloir autoriser contre

lui le

titre, elle

Il

croit peut-être

opposera son veto

par hasard, celui-ci s’avi-

si,

recours à la force. Mais va-t-il

jusqu’à envisager cette hypothèse ?

Se demande-t-il aussi ce que fera la France ? Peut-être, abusé par une vision purement industrielle et pétrolière de la politique française (donc hostile aux compagnies anglo-saxonnes), par les anciens contrats de ventes d’armes, par les avis de certains interlocuteurs, escompte-t-il notre neutralité ? Peut-être pense-t-il que, sous prétexte

que nous avons honoré les contrats signés avant nous afin que la parole de la France demeure respectée et que l’équilibre Arabes/Persans ne soit pas rompu, nous savoir ?

Saddam Hussein

du soutien dont la guerre, et Il

il

a

pu

et

mon

tirer

serons favorables ?

des conclusions erronées à la fois

des hésitations occidentales au Liban et face à l’Iran.

y a surtout l’inconnue américaine. Quelle sens.

Comment

a bénéficié face à Téhéran, alors qu’il avait engagé

tique des États-Unis ? s’est-on

à

lui

Il

demandé par

était la vraie poli-

la suite.

Fausse question,

y avait forcément, à Washington, des administrations

des services qui notaient les concentrations et les mouvements de

troupes irakiennes à la frontière du Koweït. Mais

comme

des pressions dans

pétrolières alors

1990, je

l’ai

menées

le

entre

ils les

ont interprétés

cadre des négociations financières et

Bagdad

et

Koweit-City.

Au

printemps

monoAllemagne, URSS, dé-

indiqué, l’attention des dirigeants américains est

polisée par quelques

grandes questions

:

sarmement. J’exclus qu’il y ait eu une intention provocatrice délibérée et une telle prise de risque à un niveau élevé dans la hiérarchie du pouvoir américain.

En

revanche, rien ne permet d’écarter l’hypothèse

La guerre du Golfe

521

de services administratifs ou autres qui, par souci des intérêts de sécurité de l’Etat d’Israël, auraient choisi de ne pas mettre

Hussein en garde pour

une raison valable de

le laisser

commettre une faute

Saddam

avoir ainsi

et

frapper avant qu’il ne soit devenu trop

le

Des amitiés iraniennes auraient pu jouer également. saura-t-on davantage un jour. De cette provocation, je

fort.

Peut-être en n’ai

en tout

preuve. Le plus probable est qu’il y a eu à Washington concomitance de plusieurs politiques parallèles, non cas pas vu

la trace ni la

grandes questions

reliées entre elles. C’est souvent le cas sur les

complexes, aussi bien aux Etats-Unis qu’à Paris, Londres ou Bonn,

que

tant et

ne

l’a

le

pouvoir politique ne s’est pas

d’une de ces questions

saisi

pas arbitrée clairement pour un temps donné.

Jusqu’à preuve du contraire, donc, l’attitude arrangeante de r

l’ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, présentée par

un « signal » encourageant ou, en tout sein,

me

parle,

il

cas,

la suite

comme

ambigu, à Saddam Hus-

paraît relever de la routine diplomatique (au

n’est pas encore question d’attaque

moment où

armée

!),

elle

assaisonnée

d’un soupçon de myopie bureaucratique, plutôt que du machiavélisme de haut vol. Convoquée en lui

avait dit

par

Saddam Hussein,

April Glaspie

que «son gouvernement n’avait pas d’opinion sur

conflits interarabes

En revanche,

juillet

il

comme

est clair

en profiteront au

les

[son] différendfrontalier avec le Koweït^ ».

qu’une

maximum

commise,

fois la faute

pour éliminer

la

les

puissance et

Etats-Unis la

menace

militaires irakiennes^.

1.

Orban, 1991, 2.

Guerre du Golfe

Pierre Salinger et Éric Laurent,

:

le

dossier secret, Olivier

p. 73.

L’avis du général Maurice Schmitt, alors chef d’état-major des Armées, est

intéressant

:

« Parfaitement au courant en juillet 1990 du déploiement des forces ira-

kiennes aux abords du Koweït, les États-Unis ont-ils sciemment évité les démarches dissuasives afin d’avoir le meilleur prétexte

kienne ?

En

[...]

Je pense que

laissant l’Irak pénétrer

la

pour abattre

réponse est non, car

au Koweït,

les

les

la

puissance militaire

ira-

dangers étaient considérables.

États-Unis prenaient

le

risque de voir les

forces irakiennes poursuivre, dès les premières réactions, en direction de Dahran et ainsi contrôler les puits

du nord-est de

Qatar. C’était un risque majeur.

Il est

l

Arabie Saoudite, voire ceux de Bahreïn



probable qu’à

l’instar

et

du

du Président égyptien

Moubarak et du Roi Fahd d’Arabie, le gouvernement américain a vu dans le déploiement irakien une simple manœuvre d’intimidation destinée à amener le Koweït à composer. » In De Dién Biên Phu à Koweït City, Éd. Grasset, 1992.

Les mondes de François Mitterrand

522

En

de l’Europe du

reître

et

Saddam Hussein, adepte de

réalité,

que

xvF

la force brute

comme un

penser que personne ne réagira

siècle, doit

de l’attention des grands pays sur les affaires paralysera. C’est un joueur de poker « décale ». Il

la focalisation

européennes

les

commet une profonde erreur d’analyse sur les conclusions que tirent au même moment les pays occidentaux, en ce qui concerne leur puissance et leur rôle, de l’effondrement de l’Est. Il a déjà commis en 1979 une première erreur, tragique pour son peuple, en estimant que ces l’Iran des mollahs s’effondrerait au premier coup de boutoir. De dix années d’une guerre atroce et vaine (il renoncera en août 1990, après l’annexion du Koweït, à toutes ses revendications sur 1 Iran !), est sorti. De même, il n’a tiré aucune leçon, puisque lui-même s’en la

notion de « droit » étant pour

lui inexistante,

scandale international que va provoquer,

non pas

la

première agression, mais

la

même

il

n’a aucune idée du

dans un

monde

blasé,

première annexion d’un pays

membre des Nations unies par un autre. Et il peut encore moins deviner comment l’alchimie des relations personnelles Bush-MitterrandThatcher-Gorbatchev va opérer dès les premières heures de l’invasion. Le 2 août, le Président Mitterrand est à Latché, Mrs Thatcher

Aspen, Colorado, avec George Bush, ce qui a une influence évidente sur la réaction de ce dernier. Les échanges téléphoniques entre eux sont intenses et, en quarante-huit heures, une première réso-

est à

lution (la 660) est votée par tous les

membres permanents du Conseil

de Sécurité*. Elle exige le retrait immédiat troupes irakiennes du Koweït.

et inconditionnel

des

Presque aussitôt, Washington envoie un porte-avions dans le Golfe. Edouard Chevamadze, à Moscou, se range derrière James Baker, ce qui paraît, en cet été 1990, presque naturel, alors que ce a peu improbable, constitue un événement déterminant choix, il

y

sans lequel la suite des événements eût été toute différente. Il est vrai qu’à ce stade, Moscou est prêt à approuver toutes les sanctions, mais

pas encore

le

recours à la force.

en l’espace de deux jours seulement, le Président Mitterrand passe de « Laissons s’avancer les Américains » à « Pas

De son

côté,

:

1.

Du

ticulier le

6 au 25 août suivront

les résolutions

661 à 665 qui instaureront en par-

boycottage commercial, financier et militaire de

de recours à

la force

pour

le faire respecter.

l’Irak,

avec autorisation

La guerre du Golfe

523

On

question de se singulariser dans cette affaire. »

va encore assister

à des semaines de discussions et de mises au point sur les modalités

des mesures, des sanctions, de T intervention, de

la

coordination entre

y aura les mouvements de l’opinion publique, le délicat ajustement du garrot diplomatique et militaire appliqué à l’Irak, les alliés, etc.

Il

vraies décisions de guerre à prendre.

de jeu, dans

les

accompli. Et,

dirigeants

plus

est,

le fait est là

:

c’est d’entrée

cinq ou six jours qui suivent l’invasion, que

Hussein perd son pari fait

Mais

s’il le

mondiaux

celui-ci était

si

d’imposer sans coup

férir

son

perd, c’est aussi parce que chacun des grands

a de bonnes raisons de saisir l’occasion

- d’une démonstration de

légitime

Saddam

-

qui

fermeté qu’ils imaginent

populaire contre un agresseur qui, de ce point de vue, est un adversaire idéal, inexcusable et abstrait, ni n’a rencontré.

En 1990,

qu’aucun d’entre eux ne connaît

Lesquelles ?

après un an et demi à

est toujours à la

la

Maison-Blanche, George Bush

recherche d’un terrain international où manifester

son « leadership » d’une façon plus vigoureuse que lorsqu’il désarme avec Gorbatchev ou qu’il arrête l’IDS. L’énorme provocation de Sad-

dam Hussein tombe pour la

lui

à pic. Margaret Thatcher, qui enrage de

réunification allemande, ne peut rêver

mieux que d’une guerre des

Malouines à grande échelle, aux côtés des Américains par-dessus le marché Le Président Mitterrand qui, au fond de lui-même, tout en !

agissant de façon utile, pense que les changements en cours à travers le la

monde annoncent

des temps plus exigeants

et plus difficiles

France, n’est pas fâché de trouver un ten*ain où celle-ci peut

s’engager militairement

et

rappeler son rang de

du Conseil de Sécurité.

Au

surplus, n’est-il pas

lement réussi, sept ans plus la

pour

Libye d’annexer

le

tôt,

membre permanent

l’homme

qui a habi-

avec ses seules forces, à empêcher

Tchad, non pas pour

la

valeur propre de ce

pays, mais pour l’exemple et pour ne pas laisser se créer un précé-

dent ? Quant à Mikhaïl Gorbatchev, à l’été 1990, une seule idée

l’anime

:

obtenir des Occidentaux une aide plus substantielle et moins

En conséconcerne Saddam

conditionnelle que celle promise par les Sept à Houston.

quence de quoi,

il

n’a rien à leur refuser en ce qui

Hussein, d’autant qu’il a clairement montré sa volonté de prendre ses distances avec l’héritage moyen-oriental du brejnévisme.

Toutes ces données sont connues

compté pour Saddam Hussein.

;

elles

ne semblent pas avoir

Les mondes de François Mitterrand

524 Malgré

cela, les raisons

profondes de cette mobilisation massive

discutées. Il est a mon contre l’invasion du Koweït ont été âprement (exemple le pétrole) aux avis vain d’opposer les « vraies » raisons car les unes et raisons « affichées » (exemple le droit international), espece, s additionnent. autres, loin de s’exclure, dans le cas d :

:

les

Invoquer

la

Charte de

l’ONU pour

refuser la modification de fron-

tières internationales par la force est

un argument

véritable, et

non

bouche de diripas seulement un argument de propagande dans la qui viennent de geants comme George Bush et François Mitterrand allemande passer plusieurs mois à faire en sorte que la réunification international. se déroule précisément dans le respect du droit pétrole^ D’autres arguments substantiels jouent assurément. Le en premier

lieu. Il paraît

en

effet impossible à

George Bush comme

un Saddam Hussein contrôler à la des Koweït, soit 20 fois les réserves pétrolières de l’Irak et du autres Emiréserves mondiales, en attendant celles de 1 Arabie et des

à François Mitterrand de laisser

rats.

Cela

dit,

si

Saddam Hussein

avait procédé avec ruse,

si,

par

gouexemple, l’Émir du Koweït avait été renversé et si le nouveau vernement avait conclu avec Bagdad un traité de coopération et pour d’assistance militaire, les coalisés n’auraient eu aucun argument réagir par des procédés autres que diplomatiques

ou commerciaux.

L’argument du précédent et de la contagion, ensuite ne pas condamner l’annexion serait revenu à donner partout dans le monde :

un «feu vert» à tous

dictateurs-aventuriers

les

moment opportun pour s’emparer d’une frontière internationalement reconnue*.

enfin,

guettent le

province ou rectifier une

Cela a été

ment de Margaret Thatcher aux Malouines en 1982, de notre « Opération Manta » au Tchad en 1983.

La défense d'Israël,

qui

le

meilleur argu-

et la raison d’être

comme s’il s’agissait d’une précédentes: «En fait, c'était pour

invoquée

explication cachée infirmant les

pense que cet aspect est assurément entré en ligne de compte, mais pas au sens où on 1 entend généralement. Pour George Bush ou François Mitterrand, le pire des

défendre Israël

», a-t-on

entendu

dire. Je

ou octobre 1990, Saddam Husétendu sa domination jusqu’à la Jordanie - où l’opinion

scénarios aurait été qu’en septembre sein ait

1.

Ce

qui n’est pas strictement transposable aux frontières entre les Républiques

yougoslaves, frontières internes à

la

Fédération yougoslave.

La guerre du Golfe publique

le

soutenait

Une

d’Israël.

ardemment

525

-, c’est-à-dire

jusqu’aux frontières

situation explosive en aurait résulté

:

Israël

directement

menacé, des dirigeants capables, en cas de vrai danger, de se servir de leurs armes nucléaires, un éventuel conflit nucléaire israélo-arabe qui aurait creusé pour longtemps un infranchissable fossé entre le

monde occidental et le monde arabo-islamique. prix, arrêter

en amont cet engrenage. Pendant

Saddam Hussein

dite,

Il

fallait l’éviter

guerre proprement

la

essaiera bien, à coups de

à tout

Scud bricolés (mais

sans Jamais oser y placer des ogives chimiques, peut-être par crainte

de représailles nucléaires), de précipiter Israël dans

le

conflit

;

en

notamment la défense anti-aérienne d’Israël, George Bush et James Baker feront tout pour déjouer ce stratagème. Tous ces éléments convergent vers un seul et même objectif faire évacuer le Koweït par l’Irak. Le premier atout de la coalition assurant

:

multinationale mise sur pied en août et septembre 1990 est qu’elle s’organise sans désaccords entre Occidentaux, spécialement entre la

deuxième est qu’elle déborde du monde occidental grâce au soutien de Gorbatchev le troisième est qu’elle va au delà de l’hémisphère Nord industrialisé, en raison de la participation de pays arabes Arabie Saoudite, bien sûr, mais aussi Egypte, Syrie, Maroc. On voit qu’elle bénéficie de circonstances France

et les

Anglo-Saxons

;

le

;

:

f

exceptionnellement favorables.

Une

petite dizaine

de dirigeants auront géré cette

toutes ses étapes clés sont soit des initiatives de soit

crise.

Mais

Saddam Hussein,

des décisions de George Bush, soit des initiatives conjointes de

George Bush, François Mitterrand et Margaret Thatcher l’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août 1990 la résolution 660 du Conseil de Sécurité qui, le jour même, condamne l’Irak les résolutions du :

;

;

6 août le le

et

des jours suivants, qui décrètent l’embargo contre l’Irak et

Koweït la décision du Président Bush, du même jour, après que Roi Fahd eut donné son accord au secrétaire à la Défense Dick ;

Cheyney, d’envoyer en Arabie non seulement des forces navales aériennes, mais également

-

et

c’est la première fois depuis la guerre

du Vietnam - des forces terrestres (c’est l’opération Bouclier du désert) la résolution 678 du Conseil de Sécurité du 29 novembre 1990, ;

surtout,

qui autorise

15 janvier 1991

si

le

recours à

la

force contre l’Irak après

ce pays n’a pas évacué

Bush de déclencher, opérations aériennes de Tempête du désert décision de George

le ;

le

le

Koweït

le

d’ici là; la

16 janvier au matin, les dernier ultimatum lancé

Les mondes de François Mitterrand

526

Hussein d’avoir à 22 février par le Président américain à Saddam prise le 24 fevner évacuer le Koweït dans les 24 heures la décision,

le

;

terrestre l’acceptation, le par Washington, de déclencher l’offensive Saddam Hussein (ces27 février, par George Bush, de la reddition de de Paris) sa décision, sez-le-feu' le 28 à 3 heures du matin, heure ;

;

enfin, de

ne pas poursuivre l’offensive jusqu’à Bagdad.

La France

s’engage

Comment

la

France

a-t-elle

abordé

et ressenti ces

événements

?

heures, conviction est que, dès les premières quarante-huit faits, même s il ne les dévoile les choix stratégiques du Président sont jours, c’est que par pans. Je dis bien du Président. Dès les premiers

Ma

:

qu il faut qui estime qu’« on » ne peut admettre cette annexion pas en être, juguler toute contagion ; que la France ne peut pas ne ,

lui

Etats-Unis que quels que soient les problèmes d’articulation avec les la logique de guerre cela posera ; qu’il faut être prêt à aller au bout de par Saddam Hussein, mais que, si 1 on peut obtenir

enclenchée

enfin, l’évacuation du Koweït sans la guerre, c’est encore mieux ; éventualité. Il est qu’il faut préparer l’opinion française à toute

Roland Dumas conforté dans ces choix par ses principaux alliés, par collaborateurs. Le Premier et le gouvernement, par ses proches ministre ministre ne les conteste pas. Seul Jean-Pierre Chevènement, de la Défense, renâclera et, finalement, démissionnera.

Le Président attend-il vraiment de cet engagement que la France des joue un rôle clef après, dans une sorte de règlement d’ensemble problèmes du Proche et du Moyen-Orient ? Être dans la guerre pour Lui-même 1 a se retrouver ensuite « a la table », en quelque sorte ? Persondéclaré à plusieurs reprises dans ses conférences de presse. nellement, je crois qu’il n’en est rien. En août 1990, après neuf années averti des de pouvoir, neuf Sommets des Sept, c’est un homme trop Les rapports réalités internationales pour nourrir ce type d’illusion.

même de forces prévaudront après la guerre comme avant, peut-être depuis plus crûment. D’ailleurs, et contrairement à la légende, quand, a-t-elle vraiment joué la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France - comme au Proche-Orient ? Voir juste avant les autres - ne modifie pas le de Gaulle en 1967, comme lui-même en 1982 poids du pays au nom duquel on s’exprime, même si on peut le

un

rôle clef

La guerre du Golfe regretter. S’il se sert

527

de l’argument de l’après-guerre, c’est donc parce

qu’il le croit propre à rassembler l’opinion autour

moment a

Mais

décisif.

je pense

de

que sa vraie motivation

comparé en quelques heures, entre

2

le

et le

dans un

lui

est ailleurs.

4 août,

Il

inconvé-

les

nients pour la France de la participation avec ceux de la non-parti-

pour

cipation, et opté

d’emblée que

les premiers,

moins nombreux.

France ne participait pas,

si la

elle serait

a

Il

mesuré

moralement,

militairement et diplomatiquement discréditée sur les terrains euro-

péen

même moment,

au

et euro-atlantique où,

se jouent son crédit et

son rôle à venir. N’oublions pas que tout

1990

l’été

pour que s’ouvrent avant

la fin

est le

moment où nous

faisons

de l’année des conférences

inter-

gouvemementales européennes chargées de rédiger un nouveau traité qui comportera un volet politique, et, au sein de celui-ci, une ambition de politique étrangère

et

de sécurité commune. Être dans

perdre notre leadership en Europe ainsi.

Tout

:

le

Golfe ou

l’alternative pourrait se formuler

en découle.

le reste

Les décisions tactiques ou opérationnelles à prendre en fonction de ce choix stratégique initial n’apparaîtront qu’au fur et à mesure, à travers péripéties multiples, hésitations apparentes et psychodrames.

Condamner pour

de jeu, par

l’Irak d’entrée

que

la

résolution

660 du 2

août,

un acte évident aussi bien aux yeux du Président qu’à ceux de Roland Dumas de même que c’est,

les raisons

j’ai rappelées,

;

décider, le 6 août, au Conseil de Sécurité, d’instaurer

ce moment,

la

un embargo.

À

décision d’aller au-delà de l’embargo et d'intervenir

militairement n’est encore prise par personne.

Comment

le

serait-

Qui pourrait prévoir à cette date que Saddam Hussein s’obstinera pendant cinq mois, au delà de toute raison, et ne saisira aucune elle ?

porte de sortie ?

Le Président prend très tôt les décisions visant à nous doter, à terme, des moyens de participer à une intervention. Il s’agit en même temps, dans son esprit, de donner corps à cette menace dans le but d’augmenter

chances de voir Saddam Hussein s’incliner. Tout cela

les

forme une seule l’œuvre durant

et

les

même

mois d’août à novembre 1990.

Quelles sont, au taires prises

est celle

par

le

fil

de

la crise, les

Président et

de l’embargo.

à sa mise en

politique, et c’est toute la dialectique à

À

partir

œuvre au nord

et

le

de

décisions proprement mili-

gouvernement la

?

La première étape

mi-août, nos navires participent

au sud de

la

mer Rouge

et

dans

le

Les mondes de François Mitterrand

528

Opération d’Ormuz c’est ce que notre état-major appelle V Djibouti assurent une surArtimon. Nos forces aériennes basées à Ensuite, le Président donne veillance du détroit de Bab el Mandeb. août, le porte-avion C/eson accord à V Opération Salamandre le 13 avec, à son menceau appareille pour le pourtour de l’Arabie Saoudite combat, escorté du croiseur le 5® régiment d’hélicoptères de détroit

:

:

bord,

matériels anti-aériens anti-aérien Colbert. Fin août, des avions et des sont mis en place au Qatar français et un escadron de cavalerie légère

pour assurer aux Émirats arabes unis, à la demande de ces derniers, des plates-formes pétroleur protection et appuyer la surveillance saoudien nous ayant fait lières. Par la suite encore, le gouvernement 5o/ de souhaitait une présence militaire française sur le

et

savoir qu’il

d’un détachement léger l’Arabie, le Président décide la mise en place

Yanbu. de l’aviation légère de l’Armée de terre (ALAT) à En septembre, trois éléments conduisent le Président, qui dose les rétisoigneusement notre engagement, à aller plus loin malgré Jean-Pierre Chevècences extrêmes du ministre de la Défense, renforcement régulier, surtout depuis la frn août, du Grande-Bretagne, le dispositif américain ; 2) la décision de la et, sur14 septembre, d’envoyer en Arabie une brigade blindée 3) de 1 imle même jour, par des militaires irakiens,

nement

1) le

:

;

tout, la violation,

résidence de notre ambassadeur à Bagdad. « C'est inacceptable ! Ça, Président y réagit très violemment me trouver ! » François ! Ils nous cherchent ? Ils vont

munité diplomatique de

Le

la

:

c’est la guerre

ne déploieMitterrand est de plus en plus convaincu que George Bush décidé à régler le problème rait pas autant de forces s’il n’était déjà vite et militairement.

au plus

De

toute façon,

un

tel

dispositif ne

printemps, et pourrait être maintenu avec les grandes chaleurs du Président pense que George serait gênant pendant le Ramadan’. Le

Bush voudra en

À

finir d’ici la fin

de l’année.

d’un Conseil restreint convoqué le samedi 15 sep- l’envoi de Président décide donc - tournant important

l’issue

tembre,

le

370 000 hommes 1 300 avions, 80 000 marins à terre (dont 90 000 mannes), 90 000 aviateurs et et 100 navires, dont 6 porte-avions. Pour les autres 1 500 hélicoptères, 2 000 chars, 36 000 Britanniques, pays de la coalition 265 000 hommes, dont 67 000 Saoudiens, compter la Marine ni 36 000 Égyptiens, 20 000 Syriens, 16 000 Français (sans 1.

Il

atteindra, à la mi-janvier,

pour

les seuls États-Unis;

;

:

Djibouti).

La guerre du Golfe troupes sur le sol de

rArabie, -

un schéma préparé en

AMX

les

529

Saoudiens

le

demandent - selon

détail depuis août par le général

Schmitt

:

d’une

RC, des véhicules de l’avant blindés (VAB) et des hélicoptères « Gazelle », les deux derniers équipés de missiles HOT portant à 4 000 mètres, capables de retarder les forces irakiennes

part,

dans

des chars

10

secteur qui serait confié à la France « et de les offrir aux

le

coups des avions

et

des hélicoptères américains »

avions de reconnaissance, de défense aérienne à-dire des

Daguet

Mirage Fl, des Mirage 2000

et

;

d’autre part, des

et d’appui-feu, c’est-

des Jaguar. Le

nom

de

donné à cette opération, la plus importante depuis la guerre d’Algérie 4 200 hommes spécialisés dans le combat antichars ou anti-hélicoptères, appuyés par 30 avions de combat. Le est

:

commandement en

est confié

au général Roquej offre.

Le 18 septembre, à Munich, en marge du sommet franco-allemand, le Président donne son accord à l’implantation de nos forces à l’ouest du dispositif allié, à Hafar el-Batin, là où le général Schmitt et le général Schwarzkopf, chef du haut-commandement américain pour le Moyen-Orient depuis 1988, ont estimé qu’il y avait un vide à combler. Cela convient parfaitement au Président. Dans l’après-midi du 18, il dit devant Jean-Pierre Chevènement, tout juste rentré du Golfe « Il ne faut pas que nos troupes soient trop au nord, elles seraient trop en première ligne ; il ne faut pas qu 'elles soient trop au sud, elles seraient trop en retrait. Il ne faut pas non plus qu 'elles soient trop mélangées avec les Américains, pour conserver leur autonomie. » :

Quel commandement Cependant,

la

?

question du

commandement de

ces troupes se

non que nos forces aériennes, navales et sous les ordres du commandement « interal-

pose. Faut-il accepter ou terrestres puissent être lié

» américain ? Ce débat est trop souvent obscurci par une confusion

entre autonomie dans la décision et autonomie dans l’exécution.

première

est

essentielle

;

la

La

seconde, au sein d’une coalition, est

absurde. Pour d’évidentes raisons de logistique, de communication,

de cohérence des manœuvres en préalable cipe du

d’artificiels

et d’efficacité, le Président,

sans poser

problèmes de principes, va accepter

commandement américain de

l’exécution.

le prin-

Les mondes de François Mitterrand

530

Dans son ouvrage déjà général Schmitt expose très

De Diên Biên Phu à Koweït City le L 'histoire est clairement ce problème ,

cité

;

des troupes appartenant à diverses riche d'exemples, rappelle-t-il, où d’opérations. » Il ajoute, ce nations ont coopéré sur un même théâtre exige l’unité de commandement. » qui n’est pas niable : « L 'efficacité stratégie, le contrôle opéPour lui, il faut distinguer trois niveaux la niveau qui a été réglé, pour rationnel et la tactique. C’est le second Ailleret-Lemnitzer en 1967, conformement la France, par les accords aux instructions du général de Gaulle^. :

Le général Schmitt raconte

: