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French Pages 784 p. [796] Year 1996
Hubert Védrine Les mondes de
François
Mitterrand
À
l’Élysée
1981-1995
Fayard
BOSTON PUBLIC UBRARY
Copley Square
Digitized by the Internet Archive in
2016 with funding from
Kahle/Austin Foundation
https://archive.org/details/lesmondesdefrancOOvedr
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LES
MONDES
DE ERANÇOIS MITTERRAND
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Hubert Védrine
Les mondes de
François
Mitterrand À FÉlysée 1981-1995
Fayard
© Librairie Arthème Fayard,
1996
AVANT-PROPOS
Ce
livre raconte le heurt, le
corps à corps entre une volonté
individuelle puissante et une formidable réalité. Heurt dont j’ai été,
quatorze années durant,
comme
conseiller diplomatique, puis conseil-
ler
pour
ral
de l’Elysée, tantôt témoin, tantôt acteur. La volonté, c’est celle de
les affaires stratégiques, porte-parole et enfin secrétaire
La
François Mitterrand.
réalité, celle
géné-
du monde des années 1981-
1995.
La première
vient de loin. Elle est à la fois enracinée dans des
siècles d’histoire de Il
France
et
des décennies d’ambition personnelle.
existe depuis les légistes capétiens
De
vouloir être maître chez soi.
faire respecter le roi,
est
imperator
chrétienté. Et
Car
le
in
de
De
une volonté française de vouloir. vouloir façonner un peuple.
« empereur en son royaume »
suo regno - par toutes dire, au-delà,
les autres
son mot dans
De
- Rex Franciae
puissances de
les affaires
gallicanisme, religieux ou politique, préserve le
la
du monde. pays mais
n’étanche pas sa soif d’influence. Fille aînée de l’Église, patrie des
Lumières, berceau de
la
Révolution
et
des Droits de l’homme,
la
France veut, au-delà de ses frontières, marquer l’Europe, rayonner sur
monde, évangéliser, coloniser, porter au loin ses couleurs et sa conception de la liberté. De même, la gauche française voudra affranchir, instruire, émanciper elle a son projet, et veut croire qu’elle le
;
porte le progrès dans ses flancs.
Aucun
contrepoint tragique à cette geste lumineuse, aucune des
stations douloureuses
de nos
xix"^ et
xx^
siècles,
de 1815 à 1940 en
passant par 1870, ou, pour la gauche, aucun échec, aucune déception n’ont entamé cette façon bien française de se raconter l’histoire de
France, cette croyance en un rôle et en une mission, miroir et
Les mondes de François Mitterrand
8
mémoire de nous-mêmes que, onze années
durant, le gaullisme pré-
voulu ressusciter. L’obstination continue de François Mitterrand à bâtir son destin et à' en rester, quoi qu’il arrive, le maître, s’inscrit dans cette continuité. En mai 1981, il hérite, avec la V® sidentiel avait
République, de cette nostalgique mémoire nationale, et des espérances si constamment déçues de la gauche.
même
:
il
est porteur
Il
les cultive
clocher, meetings et Panthéon.
Mais ce monde de 1981, dans lequel il devient le premier Président de la République de gauche de la V® République, lointain successeur du général de Gaulle en même temps que de Jaurès et de Blum,
est déjà
largement celui de
omniprésente, du consommateur-zappeur
communiste va sombrer
rance/illusion
de l’image
l’ ultra-libéralisme,
;
bientôt, celui
comme une
où
l’espé-
Atlandide, l’Asie
émerger, et où vont triompher les flux d’une économie virtuelle sur laquelle le soleil ne se couche jamais.
Un monde
dans lequel s’éva-
nouissent les références qui furent celles des gauches européennes
depuis la révolution industrielle.
pouvoirs publics est tenue
-
leur volonté,
en suspicion par
Un monde où que
dis-je ? leur légitimité à agir
nouveaux pouvoirs
les
volonté d’agir des
la
:
-
marchés, opinion,
individu.
Décrivant celles
un
la distance
qui sépare les attentes des Français,
du « peuple de gauche
État moderne,
», et les
y compris
moyens
même
l’État
comme
d’action dont dispose
à la fin du
français,
pour atteindre ses objectifs dans ses relations avec les autres États, ce livre retrace les chemins que le Président Mitterrand est parvenu malgré tout à ouvrir, et ceux sur lesquels il nous a permis
XX®
siècle
de progresser. Entre maintes raisons, François Mitterrand fascine encore, parce qu’il a été,
comme nous
usée jusqu’à
la
tous,
en ces années de mutation - expression
trame, mais, s’agissant de la période 1981-1995,
l’homme de l’étang de Montsauche et celui du défilé de Jean-Paul Goude pour le Bicentenaire, celui des cantons et celui des sommets des Sept, celui de la géographie électorale et celui exacte -, à la fois
de
la géopolitique, celui
de
la
pyramide de Peï
de Jamac, celui des lieux de mémoire
et celui
du cimetière lutte pour les
et celui
de
la
parts de marché, celui des livres anciens et celui de la télévision, écartelé, multiple, réunifié
1918
et s’est
au terme ultime. Le xx® siècle
achevé en 1989
;
né en 1916
et
est
né en
mort en 1996, François
Mitterrand embrasse ce temps où court d’un bout à l’autre sa fièvre
Avant-propos de destin.
est celui à qui
Il
« passeur » du
De
monde
d’avant
cette pérégrination
revenu d’être, en 1989-1990, notre
est
il
le
dans
Mur
au monde d’après
haute mer de
la
sein de l’équipage de notre grand
homme
voulu être un fidèle narrateur, pas
le
ici ni
9
Mur.
géopolitique, au
la
de cette
le
fin
de
siècle, j’ai
mémorialiste. Je n’ai recherché
l’égotisme, ni le plaisir des portraits acidulés, ni les délices des
sous-entendus, des mots piquants, des confidences venimeuses, de
Quant aux « révélations
l’esprit à la française.
»,
genre attrape-nigaud
d’une époque qui adore croire à l’existence de vérités cachées, de preuves dissimulées, de scandales à dénoncer,
et qui
aimerait tant
avoir des Pouvoirs manipulateurs à clouer au pilori, ce n’est pas
mon
genre. D’autres s’en chargent, y compris parmi ceux qui feignent d’en dénoncer l’usage.
Je n’ai garde d’omettre dans ces pages la part que j’ai prise aux analyses, et parfois aux décisions successivement
comme
conseiller
diplomatique (1981 à 1986), conseiller pour les affaires stratégiques (de 1986 à 1991), porte-parole (de 1988 à 1991) puis secrétaire géné-
constamment au cœur de la réflexion et de l’action en politique étrangère. Mais je n’en fais pas le pivot de mon récit. J’ai mis en revanche une certaine passion ral
(de 1991 à 1995), fonctions qui m’ont placé
à expliquer l’enchaînement des analyses et des décisions, leur chro-
nologie, leur logique. Expliquer, tout simplement ? Oui, expliquer.
L’évolution du monde, celle de
la
France. Les analyses du Président,
Ce
ses objectifs, sa méthode, ses résultats.
pensé, et pourquoi nous l’avons pensé
voulu
comment
il,
et
de femmes, ministres
à
un m.oment donné, de
s’inscrire
dans
a,
que nous avons
ce que nous avons ce qui est
l’avons
fait,
le petit
groupe d’hommes
et conseillers, qui a
se sont relayés et ont participé, autour
de
ce qu’/7
comment nous advenu. « Nous », c’est-à-dire
faire,
finalement
;
qu’// a, ce
la
eu
le
et
bonheur
et la fierté,
longue chaîne de ceux qui
du Chef de
l’Etat, à l’alchimie
estimé qu’il y avait à cette relation et à cet éclairage une nécessité pédagogique, une utilité civique, et une urgence. la décision. J’ai
D’abord pour répondre à ces critiques quoique jamais étayées, contre terrand, surtout celle être dit,
«
politique étrangère de François Mit-
du second septennat.
Puis, parce
que tout peut
des raisons qui l’ont inspirée. Ensuite, parce que
Que peut
la
France dans
plus que jamais. fois
la
litaniques, répétées à satiété
échoué
;
le
Nous avons
dans
les
deux
monde
la
question
:
actuel ? » préoccupe aujourd’hui
parfois réussi dans nos entreprises, par-
cas, c’est instructif et cela doit être connu.
Les mondes de François Mitterrand
10
Enfin, parce que ce heurt quotidien d’une volonté
homme,
François Mitterrand, qui fut
l’invincible
de droit
et
la politique
mouvement d’un monde où où s’émoussent
les
—
celle
incarnée
d’un
- avec
plus rien ne nous est acquis
uns après
les autres les outils forgés
des siècles par les souverains, puis par les dirigeants français, a été parfois attristant, mais souvent aussi enthousiasmant et promet-
au
fil
voudrais contribuer à faire que cela aussi soit compris et tout instant de ce récit, je me suis méfié autant que je l’ai ressenti. pu de l’anachronisme, ce suborneur de la mémoire, ce maquilleur de teur. Je
À
témoignages.
Le public veut
tout savoir ?
Il
a le droit de tout savoir ?
Eh
bien
!
Qu’il partage cette passion, cet acharnement, cette obstination à ouvrir à la volonté des voies encore vierges quand s’érodent passé et
que l’État-nation se retrouve nu Qu’il voie, de l’intél’action à long terme en permanence menacée d’être soumise
mémoire, rieur,
et
au court terme,
!
le réfléchi et
l’émotionnel se révulser mutuellement,
qu’il regarde s’affronter bénédictins et et bâtisseurs, et qu’il
touche du doigt
« faiseurs de coups
», surfeurs
la solitude et la responsabilité
de celui ou de ceux qui, au bout du compte, tout ayant été décident et seront jugés sur leurs actes.
dit et pesé,
PRÉFACE
Le 10 mai 1981, après avoir voté en de Saint-Léger-des-Vignes, dans
la
fin
de matinée à
mairie
la
Nièvre, et déjeuné avec nos amis
du conseil municipal, nous prenons, Michèle et moi, la route de Château-Chinon. Dans la petite sous-préfecture du Morvan règne une joie qui n’ose pas encore dire son
impressions de
campagne
la
nom, nourrie d’espérances, des
fortes
électorale, et étayée par les estimations
qui circulent sous le manteau. Après
18 heures, chacun dit déjà
« savoir » de source sûre, qui par des radios, qui par des instituts de
sondage, qui par se gonfler
le
comme
ministère de l’Intérieur.
sous
l’effet
dienne qui se trouve réunie
là.
La
certitude
monte
et fait
d’une houle
la petite
Puis c’est
confirmation, l’annonce,
la
foule mitterran-
l’ovation à François Mitterrand, au Président François Mitterrand
apparu sur une terrasse de l’hôtel du Vieux-Morvan, enfin
la
marche
vers la mairie.
nouveau Président vient vers nous, se prend le visage entre les mains
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CHAPITRE
Le monde
et
II
François Mitterrand en 1981
Le monde en 1981 Le monde de 1981 est déjà loin, très loin de nous. Un effort de mémoire est nécessaire pour le retrouver. En premier lieu, les « trente glorieuses » années de croissance se sont alors achevées depuis six à
nombre des chômeurs ne cesse d’augmenter dans les pays développés. Cette situation a amené le Président Giscard d’Essept ans, et le
taing à proposer, en 1975, une rencontre annuelle des principaux diri-
geants des autres pays industrialisés afin de coordonner les politiques et
de prévenir
qui,
dans
les
la répétition
années
des très maladroites réactions nationales
trente,
Une au château de Ram-
avaient généralisé la récession.
réunion à Quatre s’est tenue bouillet, en 1975, suivie de cinq autres. Cela va devenir
modeste
et utile
médiatique du
Sommet
des Sept,
le
«
G7
»,
comme
le
Bamum
diront les
médias
journaux économiques anglo-saxons auront imposé cette terminologie réservée à l’origine aux réunions des sept ministres de
quand la
les
Défense. Evolution entamée, déjà, sous
le
Président Carter.
L’opinion voit encore en ces années de « vaches maigres » une « crise » transitoire, une anomalie, certainement pas une « mutation »
avec ce que ce mot a d’excitant pour
monde de
la
production,
les
commentateurs étrangers au
mais d’angoissant pour
les
premiers
concernés. Cette opinion publique n’est disposée ni à proclamer, avec certains intellectuels, « Vive la crise gistes,
!
», ni
à se réjouir, avec les écolo-
de l’avènement d’une croissance zéro. C’est d’ailleurs pour
cela qu’elle a voté « à gauche ».
Les plus clairvoyants des dirigeants
Les mondes de François Mitterrand
80
gauche savent bien que, sans cette crise et leur promesse d’y pas parporter énergiquement remède, ils ne seraient certainement venus au pouvoir mais que cette même crise va beaucoup limiter d’achat, l’application de leur programme de relèvement du pouvoir social. de relance de la consommation, de redistribution et de progrès tout Et que, pourtant, ils seront jugés sur leur capacité à tenir malgré de
la
;
leurs promesses.
D’autre part,
en
Est/Ouest et la course aux armements qui
le conflit
est l’expression la plus visible continuent,
en 1981, à structurer
le
antagonistes et à obséder les esprits. Per-
monde en deux systèmes
sonne n’en voit ni n’en prévoit même la fin à terme rapproché*. La politique de « détente » entamée après la crise de Cuba et les négociations sur le contrôle des armements menées à l’époque de de Leonid Brejnev ont atténué les formes de cet antagonisme jusqu’en 1975. Mais, depuis lors, pour la majeure partie des analystes occidentaux, l’« expansionnisme soviétique » est redevenu une menace majeure, pour certains une obsession. Pour ceux-
Nixon-Kissinger
là, les
et
démocraties sont encerclées,
l’URSS brejnévienne,
et
inexorablement grignotées par
ses satellites et ses complices.
aujourd’hui, cela prête à sourire.
À
l’époque, la
liste
A
y repenser
des conquêtes
communistes, imprimée en noir sur les cartes des journaux en 19791981, fait froid dans le dos Somalie, Angola, Yémen du Sud, Viet:
nam, Cuba, bientôt Nicaragua. Des conseillers soviétiques, est-allemands ou cubains sont aperçus partout. Moins de dix-huit mois auparavant, l’invasion de l’Afghanistan a provoqué un électrochoc.
En rité
1981, une grande partie des opinions occidentales attend par priode leurs dirigeants une fermeté accrue face aux Soviétiques.
térêt
Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt pensent que l’inde l’Occident demeure malgré tout de préserver la détente, ses
acquis, ses canaux de communication. D’autres sont au contraire
convaincus, avec ou par
que
les
le
Président Reagan, élu en
provocations de l’« Empire du
vigoureuse sur tous les plans
l’Amérique d’effectuer
1.
une
Dans L’Empire
le
et
la
que
le
nécessitent une réplique
moment
retour qu’il a promis
:
venu pour « America is back ». est
éclaté (Flammarion, 1978), Hélène Carrère d’Encausse a eu
intuition pénétrante sur la fragilité de
y conquérir
Mal »
novembre 1980,
majorité démographique, et
l’URSS. Mais
elle voyait les
non pas l’URSS
disparaître.
musulmans
Le monde
François Mitterrand en 1981
et
81
Quelques rares dirigeants occidentaux subodorent qu’en pénétrant dans le « guêpier afghan », les Soviétiques viennent de commettre une erreur fatale. Aucun d’eux ne va néanmoins jusqu’à prophétiser que, de la
en
fil
aiguille, cette décision
chute de l’URSS.
De nouveaux accords
sur la limitation {limitation et pas encore
(SALT
réduction) des armes nucléaires stratégiques le
18 juin 1979. Pourtant, depuis 1977,
de l’Est (Pologne,
moyenne
RDA,
l’URSS
II)
ont été signés
Europe
a déployé en
Tchécoslovaquie) des missiles nucléaires à
portée (5 000 km), capables donc de frapper toute l’Europe
occidentale,
de
absurde précipitera
l’OTAN
dénommés SS 20
par les Américains, sans que les pays
se soient livrés au préalable à
ment qui pourrait
un quelconque renforce-
justifier pareille escalade.
Jugeant cette menace
Helmut Schmidt a obtenu des autres pays de l’OTAN,
intolérable pour l’Allemagne, le Chancelier
en 1979 du Président Carter, afin
par suite,
et,
de rétablir l’équilibre rompu, que
108 Pershing
II,
missiles
800 km, soient déployés en Allemagne à partir de décembre 1983, ainsi que 464 missiles de croisière d’une portée de 2 500 km en Grande-Bretagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Belgique et en RFA. Sauf si VURSS retire d'ici là ses SS 20. Cet engagement est connu sous le nom de « double décision ».
nucléaires américains d’une portée de
Une polémique saires
s’est
1
engagée en Occident entre partisans
et
adver-
de cette mesure.
Afin de ne pas fournir aux Soviétiques le moindre argument pour exiger que dans les négociations américano-soviétiques les forces françaises soient comptabilisées (« prises en
occidental (risquant, de ce d’être contrôlées par
fait,
compte
de se faire « toiser
dilatoire qui a affecté ses relations
—
»,
camp
autrement
dit
un jour, réduites), controverse une attitude
un accord des deux grands
Valéry Giscard d’Estaing a adopté dans cette
») dans le
excellentes
et,
— avec
le
Chancelier.
Le degré de fermeté à adopter face à l’URSS est ainsi devenu un élément majeur du débat public au cours des deux années précédant l’élection comme pendant la campagne présidentielle.
En
que chef de l’opposition, François Mitterrand a critiqué l’ambiguïté du Président Giscard d’Estaing dans l’affaire des « eurotant
férocement qualifié de « petit télégraphiste » lorsque ce dernier avait cru pouvoir annoncer, au Sommet des Sept réuni à Venise, un premier retrait soviétique d’Afghanistan (en fait, une
missiles ».
Il
l’a
simple rotation de troupes) sur
la
seule foi d’un
message de Brejnev.
Les mondes de François Mitterrand
82
est très attenL’attitude de François Mitterrand en tant que Président
de celle des sociaux-démocrates » que seraeuropéens, tous arrangeants avec l’URSS par « pacifisme gouvernement ? t-elle s’il fait entrer des communistes au Dans le même temps, la construction européenne est en panne
due sur ce point
;
elle se distingue
:
élue toute depuis que Margaret Thatcher a bloqué en 1979 à peine « ifioncy nouvelle décision a Neuf jusqu’à ce qu elle obtienne sa et back ». Ce différend sur le montant de la contribution britannique
réclame, a plongé la sur le prétendument «juste retour» qu’elle Communauté européenne dans l’atonie et le plus noir pessimisme.
des autres grands sujets d’actualité, à propos duquel l’opinion française a confirmé, pendant la campagne, sa vive sensibilité, Proche-Orient. parti-pris, ses divisions, est bien sûr le conflit du
Un
ses
israélienne, le Fort de sa victoire d’un jour dans le Sinaï sur 1 armée du Président Sadate a pu ouvrir, grâce à l’entremise et à l’obstination
directe Président Carter, la voie nouvelle et risquée de la négociation peravec Israël. L’Égypte, plus grand des pays arabes, peut se le
mettre.
Mais
le
monde
arabe
l’a
maudite. Pour
lui
complaire, Valéry
Giscard d’Estaing a cru devoir faire condamner par la France la « paix séparée de Camp David ». Il a même obtenu d’un autre sommet de Venise - européen, celui-ci - qu’il proclame que la paix au Proche-
'
Orient ne pourra être que « globale », à l’exclusion donc de tout accord séparé. Ce mot « global » est un élément clef du dogme que la
diplomatie français a
fait sien.
Mais
c’est se paralyser
François Mitterrand juge cette politique avec une extrême sévé-
Tout d’abord, pour des raisons morales autant que politiques, condamne l’ostracisme dont Israël est encore, en 1981, l’objet de
rité.
part de la diplomatie française.
Il
s’est
engagé -
et
il
il
la
tiendra parole
à interdire toute soumission ouverte ou déguisée aux consignes de boycott d’Israël édictées par la Ligue arabe. Il a promis de faire, au
-
plus tôt après son élection, un voyage en Israël. Il estime qu’en n’entretenant en réalité des relations politiques actives qu’avec un
deux camps en présence, la France s’interdit d’exercer une influence effective. Ce raisonnement sera constant chez lui, de la
seul des
question du Proche-Orient à celle de la Yougoslavie. Concernant un éventuel processus de paix, il ne voit pas au
de quoi
Européens seraient fondés à
interdire à
un grand pays
l’Égypte, qui a fait la guerre à Israël, de conclure la paix avec fut-ce sous les auspices des États-Unis. Sur tous ces plans, il a
comme lui,
les
nom
Le monde
et
annoncé une réorientation par
une rupture avec
radicale,
la ligne
jugée
étroitement mercantile et financière suivie par son prédéces-
lui
seur.
83
François Mitterrand en 1981
Ses déclarations ont suscité une attente fervente de
partisans d’Israël. Les
mêmes
la part
des
ont prêté moins d’attention à ses posi-
tions audacieuses sur les droits des Palestiniens.
Au
Moyen-Orient, d’autre
de deux ans entre l’Irak
part, la guerre fait rage
et l’Iran
;
depuis près
or la France a conclu depuis des
années, donc avant cette guerre, des contrats qui l’engagent à fournir
des armes à l’Irak.
nouveau Président va avoir à se saisir du conflit du Tchad - en mai 1981, les forces libyennes sont aux portes de N’DJamena -, ainsi que du conflit qui oppose depuis six ans, au Sahara occidental, l’armée marocaine au Polisario et à l’armée algérienne. Là plus encore qu’ailleurs se pose la question du maintien, de l’inflexion ou de la révision de nos engagements internationaux. Enfin, en Afrique, le
Que
fera le Président
quée par
de
la
« politique africaine » de
la
campagne de 1981
et
dans
comment François Mitterrand liste
fera face à la
adoptera en matière de défense,
» l’amènera à rompre avec
et tels points importants,
mondiste risme,
»,
à
la ligne
souvent sont de savoir
menace si
la
soviétique, quelle
« diplomatie socia-
de ses prédécesseurs sur
commencer par
l’Europe,
s’il
tels
sera « tiers-
ce qu’il fera au Proche-Orient ainsi que face au terro-
comment
comme un
criti-
semaines qui suivent
les
l’élection, les questions qui reviennent le plus
il
France
gauche ?
la
Durant
attitude
la
il
s’entendra avec les Grands,
des leurs et
s’il
si
ceux-ci l’accepteront
saura ou non maintenir
le
« rang » de
la
France.
François Mitterrand va avoir notamment à travailler avec Ronald
Reagan qui, six mois auparavant, a été élu Président des Etats-Unis sur un programme aux antipodes de celui du PS français. Les deux hommes n’ont à première vue en commun que d’avoir su faire preuve d’une longue patience avant d’accéder au pouvoir. l’archevêque de Cracovie, élu pape
de Jean-Paul
II
capable d’ébranler
le
le
le
nom
avec regret que
cardinal Karol Wojtyla le bélier
A
communisme.
lancé à l’Est son désormais célèbre
voit son
16 octobre 1978 sous
le
grâce aux cardinaux allemands, américains et d’Eu-
rope de l’Est qui ont décelé dans
c’est
rencontrera
Il
le
:
peine élu, celui-ci a en effet
« N’ayez pas peur
!
»
Chancelier Helmut Schmidt, malade
ami Valéry Giscard d’Estaing - avec lequel
il
A et
Bonn, amer,
a instauré la
Les mondes de François Mitterrand
84
pratique des Conseils européens, progrès déterminant pour l’Europe,
adopter par les
et fait
Neuf
l’élection
du Parlement européen au
suf-
désavoue par les électeurs lors des réunions de l’Internationale socialiste, il a sèchement reproché à François Mitterrand son alliance avec les communistes. À Moscou, Leonid Brej-
frage universel
—
être
;
censé régner sans partage sur un système immuable, monoFrançois Mitterrand a été lithique, inefficient et pourtant menaçant
nev
est
;
au Kremlin en 1975. Autour de la table du Conseil européen de Luxembourg, le Président va retrouver dès le 29 juin, en sus d’Helmut Schmidt, de Margaret Thatcher et de Giovanni Spadolini, reçu par
lui
premiers ministres de Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg et de Grèce. Et, au Sommet des Sept à Ottawa, le 19 juillet, en sus des leaders allemand, anglais, italien et du président de la Commission, les
Gaston Thom, le Canadien Pierre-Eliott Trudeau, le Japonais Zanko Suzuki et Ronald Reagan. Les leaders au pouvoir voient sans plaisir se produire des changements politiques qui viennent perturber les rapports de forces ou les relations de travail établis, et les obliger à s’adapter à de nouveaux partenaires. «
L 'alliance des
orthodoxies
—
écrira François Mitterrand
dans ses Mémoires interrompus^ — se noue dès que l’ordre établi est remis en question. » L’ordre établi, ou tout simplement la routine. Parmi ceux qui sont en fonction en 1981, lesquels se montrent satisde l’élection de François Mitterrand en dehors de Margaret Thatcher et des Japonais qui estiment avoir été humiliés par Valéry Giscard d’Estaing, du FNL algérien qui pense avoir des droits sur le PS, faits
nouveau pouvoir, des Israéliens qui voient en François Mitterrand un « ami », des socialistes espagnols de Felipe Gonzales, et du Portugais Mario Soares ? Le reste du monde réserve son jugement et s’apprête à observer, circonspect ou attentif, les débuts du donc sur
le
nouveau pouvoir
français.
Les conceptions de François Mitterrand en 1981
Ce monde de 1981, François Mitterrand ne l’aborde ni en technocrate bardé de programmes d’action et d’« agendas » à l’anglo-
1
.
Dans
cet ouvrage, François Mitterrand consacre
nationales à son élection de 1981.
27 pages aux réactions
inter-
Le monde
François Mitterrand en 1981
et
85
saxonne, ni en militant socialiste, ni en moraliste utopiste seur de
torts.
pénètre sur la prestigieuse scène planétaire en
Il
homme
pragmatique, en
et redres-
politique français, en historien et en géo-
graphe.
L’Histoire est l’histoire de son pays mais aussi la sienne propre et celle
de sa génération, qui l’ont tant marqué. Son expérience
d’un
celle
homme
né en 1916 pendant
la bataille
est
de Verdun, marqué
dès l’enfance par les récits de ses parents et de ses grands-parents
Clemenceau
qui admiraient
études et découvert le
la
;
qui a eu vingt ans en 1936, a
pensée de Briand, d’Herriot
et
fait
ses
Blum dans
de
Paris d’avant-guerre, à l’époque d’Hitler et de Mussolini
l’armée française se volatiliser en 1940, a été
fait
;
qui a vu
prisonnier à 24 ans
connu l’Allemagne comme interné dans un stalag, puis comme évadé est revenu en France à 26 ans, a trouvé un emploi au Commiset a
;
aux Prisonniers de guerre, à Vichy, avant de rejoindre la Résistance avec la plupart des cadres de cet organisme qui s’y est imposé comme un chef, avant de faire, à la Libération, de ce milieu « prisariat
;
sonniers » le tremplin d’une carrière politique fondée sur l’habileté et la ténacité, et qui a trouvé
le caractère,
en chemin son sens.
Faire que son pays, jamais, ne connaisse un nouvel an 40, voilà
qui est chevillé au plus profond de lui-même. Faire que plus jamais les
Européens
—
et
d’abord les Français
tredéchirent à
nouveau
intime chez un
homme
en
fait,
:
telle
et les
est l’autre
Allemands - ne s’en-
face de cette conviction
né pendant une Première Guerre mondiale
européenne -, puis soldat
et prisonnier
pendant
la
-
Seconde.
Si fortes qu’elles aient été, ses expériences et rencontres ulté-
rieures
-
l’Afrique
IV® République'
;
comme
les socialistes et les
sociaux-démocrates d’Europe,
d’Afrique à l’époque du PS
d’Amérique
latine et
socialiste^
les leaders
;
ministre de la France d’outre-mer sous la
et
de l’Internationale
des cinq continents au cours de ses voyages
1.
Mémoires interrompus,
2.
François Mitterrand évoquera
op.
ciî.,
p. 176. le
16 février 1991 les contacts facilités par
l’Internationale socialiste à l’occasion d’une interview sur le Président équatorien
Borja
:
«L’Internationale socialiste a permis à de nombreux responsables de tous
pays de se connaître et de créer entre eux de solides amitiés. Je me souviens d 'une rencontre organisée à Stockholm par Olof Palme. S’y trouvaient Willy Brandt, Helmut Schmidt, Felipe Gonzales, Harold Wilson, Bettino Craxi, Joop Kreisky, et des Sud-Américains
comme
Carlos Andrès Ferez. »
Den
Uyl, Joergensen,
Les mondes de François Mitterrand
86
intimes, sont venues ou viendront compléter ce socle de convictions jamais s’y substituer. On le vérifiera dans ses dernières années.
-
Étrangement, au point de départ, ses convictions européennes ne — essensont guère commentées et jamais jugées pour ce qu elles sont tielles.
Pourtant, de très
nombreux signes pourraient
laisser prévoir
Congrès ce que sera sa politique en ce domaine, de sa participation au européen de La Haye en 1948 jusqu’aux véritables parties de bras de des années soixante-dix au sein du PS, contre prévaloir Jean-Pierre Chevènement et ses amis du CERES, pour faire Maastricht déjà le cap européen sur le repli sur soi, sorte de débat de fer
engagées à
la fin
socialo-socialiste avant la lettre.
Mais
la
mémoire des
sociétés média-
tiques est courte...
La dimension
historique est, chez
tout sauf anecdotique.
lui,
Pierre Éclairés, aujourd’hui, par les propos de François Mitterrand à Péan^ sur son enfance {« être roi ou pape »), et par ses textes de jeu-
nesse, nous
pouvons l’imaginer ne cessant pas un seul
jour,
l’enfance à l’âge mûr, de se pénétrer de l’Histoire, de ses
de
mouve-
d’un spectacle, mais comme d’une affaire personnelle. D’où cette familiarité, délibérée chez lui, avec les grands du passé, tous en quelque sorte alliés ou parents — il se montre -, mais qui se combine là clairement antérieur à l’école des Annales avec une vision de l’histoire des peuples dans la longue durée, pour
ments, de ses héros, non
comme
!
notamment pour tout ce qui a France, à l’Allemagne, à l’Afrique ou au Proche-Orient.
le
coup
très braudélienne,
trait
à la
Ses convictions, sa vision des choses sont celles d’un homme de province à la culture classique, français dans ses tripes, européen de raison, occidental par le hasard de la géopolitique. Il entend s’inscrire
dans «
la trace
continue du sillon creusé par le destin bientôt
millénaire de la plus ancienne nation d’Europe ». Et, dès mai 1981, sans même attendre 1986^, il pourrait proclamer «l’unité d’une
démarche qui exprime de bout en bout l’ambition que d’instinct, de passion, de raison, je nourris pour la France ». Et il ajoutera « Ceci expliquant cela, aussi loin que remontent mes origines, je suis né d’elle :
et
de l ’une de ses provinces,
et j ’en tire fierté.
»
1.
Une Jeunesse française, Yayaxà,
2.
Réflexions sur la politique extérieure de la France. Introduction à vingt-cinq
discours. Fayard, 1986.
1994.
Le monde Tout cela - ce
lire
manière de voir -
ton, ce frémissement, cette
perceptible, en 1981, par quiconque veut
de
comprendre
/,
sans
même
parler dt
est
et a fait l’effort
Ma Part de vérité, La Paille et le grain, L 'Abeille et
Politique
87
François Mitterrand en 1981
et
l
'architecte.
Aux frontières de l'Union française
ou de La Chine au défi\ Mais ses adversaires sont trop aveuglés et la gauche trop égocentrique en 1981, c’est le Premier secrétaire du PS que voient partisans et adversaires, non le François Mitterrand des :
cinquante-cinq années antérieures à 1971, date du Congrès d’Épinay.
Les contresens
fleurissent.
y a à cela maintes raisons François Mitterrand arrive au pouvoir à 65 ans après trente-six années d’une vie politique très intense au cours de laquelle il s’est fait autant d’adversaires que de partisans. Il
:
1981, ni les uns ni les autres ne sont disposés à une analyse
En
sérieuse de sa personnalité ni de ses orientations.
Pour
les premiers,
François Mitterrand est à jamais maudit pour
avoir osé défier le général de Gaulle. Pour d’autres, plus nombreux,
en s’associant aux communistes,
a trahi sa classe et pactisé avec le
il
Pour ceux-ci, à partir de 1981, chaque événement apportera preuve de l’orientation pro-soviétique ou tiers-mondiste (ce qui,
diable. la
pour eux,
est identique
!)
de sa diplomatie^.
D’une façon plus générale, pour
toute
une droite de combat,
la
présence de François Mitterrand à l’Elysée est illégitime (on a oublié depuis que des voix illustres pronostiquent alors que « tout cela ne durera pas longtemps »), et tout ce qu’il y fera ne pourra être que funeste. Ainsi,
ce sera par
quand
il
approuvera
Américains sur
les
suivisme » ou par « atlantisme »
;
quand
ou
tel il
tel point,
résistera
aux
Soviétiques, ce sera pour faire oublier ses alliés encombrants, les
pour une chose, on dira qu’il veut singer de Gaulle pour une autre, qu’il ne songe qu’à le contredire par-delà la tombe.
communistes
Quand il
il
;
;
respectera le protocole de la République, on ricanera
bousculera, le soupçon resurgira
le
listes sont-ils à la
1.
Ma
Part de
hauteur ?
vérité.
Il
comme un
ressort
:
;
quand
les socia-
faudra du temps pour que ses opposants
Fayard, 1969
La
;
L’Abeille et l’Architecte, Flammarion, 1978
;
Paille et le grain, Flammarion, 1975
Politique
I,
Fayard, 1977
;
;
Aux fron-
La Chine au défi, 1961. 2. Ainsi de la nomination de Régis Debray à l’Élysée. Le Figaro Magazine de l’époque offre un exemple burlesque de cette obsession.
tières
de l’Union française,
Julliard,
1953
;
Les mondes de François Mitterrand
88
origine reconnaissent l’ampleur de sa politique étrangère. Mais, d’une
ou d’une autre, jamais les attaques ne Quoique à l’opposé, la vision de
cesseront. certains partisans de François
de Mitterrand est également erronée. Pour eux, il va être un combiné Léon Blum et d’Olof Palme. Il va appliquer ses 110 propositions, guerre, juger du bien et du mal, condamner les méchants, bannir la par les canons, proclamer la paix et la sécurité collective faire reculer
l’arbitrage
plus de
lui
ou
la
on attend nobles, des mots justes ou émouvants que
médiation. Sur nombre de points, en
des attitudes
des solutions concrètes. Une partie non négligeable de
la
gauche
vit
fait,
« son » arrivée au
pouvoir non pas par rapport à la France et au monde de 1981, mais par rapport à sa propre histoire, a son propre passe, comme effaçant promesses. ses défaites et permettant enfin l’accomplissement de ses François Mitterrand, lui, sait qu’il n’accède au pouvoir ni en 1789,
en 1848, ni en 1916, et qu’il ne pourra pas choisir Edward Heath, Willy Brandt ou le Président Wilson comme partenaires, mais aura à traiter avec les leaders en fonction dans le monde réel de 1981. Entre ce que l’on peut alors savoir de François Mitterrand, subodorer de ses intentions, et la sensibilité socialiste, il y a plus qu’une
ni
marge. Aussi
les journalistes s’épuisent-ils à
imaginer ce que pourrait
une « diplomatie socialiste ». Les interrogations sont d’autant plus grandes que nulle politique étrangère « de gauche » ne peut servir de référence récente ou de point de comparaison. Leon Blum, Pierre Mendès France et Guy Mollet ont œuvré dans un autre monde. L’action des démocrates américains avec Jimmy Carter de 1976 à être
1980, celle des travaillistes anglais avec Wilson et Callaghan, celle du SPD avec Willy Brandt et Helmut Schmidt, ne sont compréhensibles
que dans
les contextes américain, anglais
tique étrangère suédoise
- pays
neutre
-
est
ou allemand. La
également
poli-
très particu-
au mieux le rôle d’une amicale propice aux rencontres et aux échanges de vues - ce que François Mitterrand a beaucoup mis à profit -, mais ne se prononce sur les problèmes du moment qu’en termes généraux, vagues
lière.
et
et
Quant à
l’Internationale socialiste, elle joue
peu compromettants, avec lesquels on ne peut qu’être d’accord. Quoi qu’il en soit, François Mitterrand a des vues personnelles des intentions précises sur tous les grands sujets du moment. Elles
sont simples
:
d’abord, étouffer dans l’œuf tout éventuel ostracisme
de V establishment international, envers
le
premier Président de
Le monde
et
89
François Mitterrand en 1981
gauche élu en France au suffrage universel s’imposer d’emblée être ferme, autant que possible, face à l’URSS, sans rompre le contact ;
;
;
se
montrer l’ami des États-Unis sans se
d’œuvrer à une relance européenne accrue
;
enrégimenter
laisser
et
une
à
en douceur
l’homme
;
soucier davantage
se
;
de
accru en fonction du rapport de forces,
et,
le faire
évoluer
défense des droits de
la
France
faire respecter partout la
tenter
Nord/Sud
solidarité
d’une façon générale, assumer l’héritage mais
;
lui faire
;
pour
jouer un rôle selon
le reste, agir
les circonstances.
C’est dans cet esprit que François Mitterrand va aborder les
nombreux sommets prévus
à son
diplomatie multilatérale, tentative
programme. L’importance de des gouvernants pour maîtriser
la la
mondialisation croissante, est une caractéristique majeure de cette fin
de
siècle. Cette
mondialisation ne surgit pas brusquement dans les
années quatre-vingt. Elle résulte d’une suite ininterrompue d’inven-
d’événements
tions et
ment
leur loi
deux
qui, depuis
aux politiques
siècles,
aux peuples
et
:
imposent inexorable-
télégraphe, téléphone.
Première Guerre mondiale, crise mondiale, radio, avion. Deuxième
Guerre mondiale, télévision, ordinateurs, missiles, peuples de
la
Désormais,
les frontières
du temps -
et
n’a souhaité. C’est
les idées, les
Les
Terre ont connu en moins de cent ans une véritable
fusion/compression de l’espace
- qu’aucun
satellites, fax...
la
globalité, instantanéité
mondialisation « concasseuse
».
déterminent de moins en moins les images,
marchandises, les modes de
vie. Cette révolution
humaine
leverse toutes les données sur lesquelles l’espèce
bou-
s’est orga-
nisée, s’est repérée et s’est fixée depuis le néolithique, sur lesquelles les
peuples ont bâti leur identité, leur perception d’eux-mêmes et des
autres,
du dedans
et
du dehors, de ce qui protège
Cette unification, qui n’est pas
le
de ce qui agresse.
et
d’un conquérant, d’un
fait
Napoléon ou d’un Alexandre, d’une religion ou d’une idéologie explicite, entraîne l’extension d’un système économique, l’économie de marché,
qui
triomphe
constructions économiques et
économique majeure plique aux biens
:
après
étapes
fait
fatalement
les États-Unis.
comme aux
de toutes le
de
la
puissance
En
1981,
informations et aux images.
:
le
monde ne
autres
s’ap-
tiers
monde y
phénomène ne va
forcer pendant la décennie et se précipitera, après
auquel personne au
lit
les
La logique du marché
une partie du
tout le « bloc de l’Est » et
encore. Pas pour longtemps
étapes
s’attendait.
1
résistent
cesser de se ren-
989, à un rythme
Les mondes de François Mitterrand
90
régaliennes Placés sur la défensive, voyant leurs prérogatives eux une rognées par cette globalisation qui entraîne pour chacun d
dépendance accrue vis-à-vis non seulement du plus fort, mais aussi de l’ensemble des autres et de forces économiques elles-mêmes que leur incontrôlées, les Etats se sont fait violence. Ils ont admis avec souveraineté n’était plus entière. Ils ont donc essayé, quoique de se doter d’instruments de règlement des conflits, ou d’acen 1981, tion collective régionale ou mondiale. Preuves de ce souci ans qu’ont cela fait 61 ans qu’a été fondée la Société des Nations, 36 ans créés l’Organisation des Nations unies et son Conseil, 36
retard,
:
été
également qu’ont été signés les
accords
l’Élysée,
GATT, 24
1 1
ans
ans les accords
accords de Bretton- Woods, 34 ans Traité de Rome et 18 ans celui de
les le
SALT
I,
6 ans qu’ont été instaurés les
industrialisés et le Conseil européen.
sommets des pays
D’exceptionnelles, solennelles et formelles, les rencontres au sommet des chefs d’État ou de gouvernement sont devenues, au cours
sous l’empire de la nécessité, fréquentes, informelles, routinières mais indispensables. Que l’on compare le Congrès de avait cinq participants, ou celui de Berlin en Vienne de 1815 où il
de ce
siècle,
y
Potsdam, aux Sommets des Sept ou aux Conseils européens d’aujourd’hui La conférence de la paix à Versailles en 1918 avait été d’une ampleur exceptionnelle. En 1875, les
Sommets de Téhéran, Yalta
et
!
1960 encore, la rencontre des « quatre Grands » à Paris avait été un événement. Les vingt années suivantes ont vu s’installer, se ritualiser les années soixante-dix, les Conseils euroles sommets Est/Ouest péens bi-annuels et les Sommets des Sept annuels. Tout a changé ;
hormis
la vanité
des importants dont
le
nombre a crû^
Ainsi, à peine élu, le Président français trouve-t-il inscrit d’office sur son agenda de 1981, avant même d’y avoir fait figurer le moindre projet personnel de voyage à l’étranger ou d’invitation d un chef
d’État en France
:
un Conseil européen à Luxembourg, en juin
;
un
Dans son Disraeli, André Maurois décrit ainsi un « congrès international » « Un Congrès international : la plus parfaite des (il s’agit là du Congrès de Berlin) Foires aux Vanités. D'abord, à l’intérieur de chaque pays, éliminatoires des vanités 1
.
:
Chaque Premier ministre pense qu 'il est seul capable de représenter sa polià la tique. Chaque ministre des Affaires étrangères pense que le Premier n 'entend rien diplomatie. Chaque Ambassadeur professionnel a la même opinion de son ministre. »
locales.
Le monde
et
François Mitterrand en 1981
91
sommet franco-allemand à Bonn, puis un Sommet des Sept à Ottawa en juillet un sommet Nord/Sud à Cancûn en octobre un autre som;
;
met franco-allemand en France à l’automne un autre Conseil européen en décembre à Londres un sommet franco-africain dont le principe est retenu et dont la date reste à arrêter. Au niveau du ministre et des principaux responsables du quai d’Orsay, la concertation pro;
;
grammée avec
la
France
est tout sim.plement inces-
demeurent, mais elles s’insèrent dans un réseau
relations multilatérales.
quent
de
Les relations bilatérales (France-Allemagne, France-Angle-
sante. terre)
les partenaires
la
Un Sommet
très
dense de
des Sept représente par consé-
combinaison de 21 relations
bilatérales
!
Nous,
les collabo-
du Président, formés à la diplomatie, ou frais émoulus, prenons cette réalité pour un fait. Peut-être est-ce une question de génération ? Que les Etats modernes doivent se regrouper à deux rateurs
f
(France
et
membres permanents du Conseil Sommet des Sept), à dix (la Communauté
Allemagne), à cinq
de Sécurité), à sept
(le
(les
européenne), à seize (l’Alliance atlantique), à une centaine ou plus (le
GATT),
à cent quatre-vingt-dix
(l’ONU) pour
agir,
décider
uti-
lement, éviter les contradictions entre eux, essayer de peser en ras-
semblant leurs forces sur
les
grandes évolutions stratégiques, écono-
miques ou commerciales, ne nous inspire aucun état d’âme. Notre souci est que le Président réussisse son entrée et nous faisons tout pour cela. Pourtant, nous sous-estimons encore le degré d’interdépendance entre
les Etats, la technicité particulière et les contraintes
qui s’imposent de ce fait à toute politique étrangère.
Nous
allons vite
nous en rendre compte.
La distance trois points
:
est ainsi substantielle,
l’état
comme
du monde, d’une part
listes et les électeurs
;
ce qu’espèrent les socia-
de gauche, d’autre part
intentions de François Mitterrand.
dans un triangle, entre
;
enfin la pensée et les
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i
CHAPITRE
Un
acte fondateur
:
111
le refus
des SS 20
Avant 1981
Au
nouveau Président, il y a la question soviétique qui a dominé la fin des années 70 et, logiquement, la campagne électorale. En 1981, cela fait près de soixante-cinq ans que le problème des rapports avec l’URSS trouble et divise l’opinion point de départ, pour
le
française, et ce passé, encore très présent dans le débat public, l’est
autant dans les conceptions de François Mitterrand, qu’il éclaire.
Tant qu’il
s’est agi
de Napoléon en 1812
de
et la
la
seule Russie, et hormis la
campagne
guerre de Crimée, nos relations ont été
plutôt bonnes. Redoutant les desseins des peuples situés entre leurs
deux
territoires, la
Russie
et la
France ont été en général portées à
s’appuyer l’une sur l’autre, voire à contracter une alliance, fut le cas
en 1892. Nicolas
II s’était
comme
rendu à Paris en 1896,
ce
et Félix
Faure à Saint-Pétersbourg en 1897.
Les choses ont changé du tout au tout avec d’octobre esprits
- ou de novembre* - 1917 les
événements
qui n’ont cessé d’opposer les
pendant plus de soixante-dix ans.
l’URSS révolutionnaire
les
Fallait-il
bons rapports que
la
poursuivre avec
France avait entre-
tenus avec la Russie tsariste ? Fallait-il au contraire les réviser radi-
calement, tout subordonner à la contre-révolution puis, à défaut, à
l’endiguement de
1.
Selon
le
la
révolution ? Pouvait-on être de gauche en France
calendrier employé, julien
ou grégorien.
Les mondes de François Mitterrand
94 sans soutenir
soviétique ? Pouvait-on, à
FUnion
communisme en France Ces questions
inverse, refuser le
tout en cherchant a s entendre avec
se poseront jusqu’en
grandes querelles du
1
URSS
1
?
1991. Cela aura été une des
siècle.
entité Avait-on encore affaire à la Russie étemelle ou bien à une dilemme radicalement nouvelle, le « pays des Soviets »? En 1981, le pour autant à perdure. Conclure à la continuité slave ne revient pas tirer
des conclusions réconfortantes. sans l’opposé, ceux qui ont vu en l’URSS une expérience
À
contraire. précédent ne concluent pas qu’elle doive être rejetée, au
pour d’autres, de là, une l’avenir de l’humanité. Ce n’est pas encore pour tous, loin
Car
si c’est,
pour
certains, le
mal absolu, cela
reste,
illusion*. la scission majoritaire
Avec de
- au congrès de
Tours, en 1920
-
de l’Internationale communiste qui s’était détaavait pris le nom, en 1922, de Parti communiste,
la section française
chée de
la
SFIO
et
devenue en France - pour — un problème aigu ne plus cesser de l’etre pendant soixante-dix ans obtenu de politique intérieure. Aux élections de 1924, le PCF a la
question des rapports avec
%
9,51
1^2
des voix
et
;
pour
% en 1928, avant de retomber à 8,4 % en 15 % en 1936. Comment capter, pour les uns, En
se déclarant
en
l’URSS par réalisme
historique ?
En
les autres, ce capital électoral ?
faveur de bonnes relations avec favorisant
est
puis 13
de réatteindre
neutraliser,
l’URSS
directement l’action idéologique et révolutionnaire du
PCF? C’était l’époque
où de prestigieux
artistes et
hommes
de culture
poids des idées communistes et marxistes devant se faisait sentir bien au-delà du PCF. Socialistes complexés un engagement « plus avance » que le leur, intellectuels fascines par
ralliaient
«
le Parti »,
où
le
l’ambition messianique de la patrie de la Révolution et
d’Homme Nouveau,
esprits indépendants
le
mais alors inhibés,
projet
comme
de voyageurs de 1919 à 1939^ - on ne compte pas ceux qui n’osèrent s’exprimer contre le philosoviétisme ambiant. Léon Blum dénonça cependant la « dépendance psychique »
en témoignent
1.
2.
1979.
les récits
Le Passé d’une illusion, Fred Kupferman, Au pays des Soviets,
Cf. François Furet,
éd. Laffont, 1995. coll.
«Archives», Gallimard,
Un
:
elle était
serv'ants
de
la
SS 20
refus des
95
socialiste se définissait privative-
non communiste
1
!;••.
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»/i
CHAPITRE Vin
Prélude à
Un
la
relance européenne
tour d’Europe
C’est à partir de 1984, une fois François Mitterrand sorti des
turbulences euro-atlantiques des trois premières années et tion
la
construc-
européenne débloquée, que l’Europe occupera une place centrale
dans sa politique étrangère. Mais lorsqu’il
est élu Président, si ses
convictions pro-européennes ne peuvent être mises en doute, dans
le
contexte du début des années 1980, elles semblent relever de l’opi-
nion personnelle davantage que du programme politique. Sous IV® République, sans être « fédéraliste
pro-européens plutôt que des « anti
Communauté « européenne » de choix, considérant que et
que
l’instituer fût
le
il
».
Certes,
il
il
n’a jamais renié ce
caractère européen de la
revenu à « remettre ».
les clefs
a voté contre la
CED
de
la
usurpé
était
défense euro-
Plus tard. Premier secrétaire du
n’a pas hésité à s’opposer à plusieurs reprises, à ce sujet, à
Jean-Pierre
Chevènement
et à ses amis,
Joxe, Claude Estier, d’autres encore. hostile
a toujours été du côté des
il
défense, mais
péenne aux généraux du Pentagone PS,
»,
la
au « Marché
commun
mais aussi aux
siens, Pierre
La gauche du PS
était alors
capitaliste » (son slogan était
f
:
« Les
r
Etats-Unis d’Europe seraient l’Europe des Etats-Unis
»), et favorable,
sans plus de précisions, à une Europe plus large, plus démocratique,
thèmes qui survivront aux années 80. Quand Pierre Joxe le pressait de s’intéresser à l’Europe de l’Est, il se méfiait comme si cela pouvait le
détourner de son dessein principal
D’autre part,
la
:
la
construction européenne.
gauche non communiste française, par tradition
anglophile, voit dans la Grande-Bretagne, outre l’alliée de 1940, la
Les mondes de François Mitterrand
274
mère des parlements
et
de
la
démocratie.
Léon Blum,
Pierre
France,
Guy
comme
je Fai rappelé, la gauche s’est jusqu’alors sentie
Mollet étaient imprégnés de cette conception.
vis-à-vis d’un « couple franco-allemand », français, depuis les débuts
gaullistes
En ou de
de
ou « conservateurs
la
Mendès
De
ce
fait,
mal à l’aise incarné de surcroît, du côté
V® République, par des présidents
».
1981, ces divergences potentielles entre partisans de la petite
grande Europe, défenseurs ou adversaires du Marché
la
commun,
tenants
du couple franco-allemand ou de
l’alliance anglaise,
militants européens et militants socialistes, n’ont guère l’occasion de
s’exprimer. D’abord parce que le premier gouvernement de Pierre
Mauroy
absorbé par l’application de son programme et a des pro-
est
blèmes économiques dant,
il
et
prendra à bras
sociaux bien plus urgents à résoudre. (Cepenle
corps
la
de l’élargissement à l’Espagne
préparation économique et sociale
et
au Portugal). Ensuite
et surtout
parce que la construction européenne est en panne, les Dix n’arrivant à se mettre d’accord ni sur la contribution britannique, ni sur la
réforme de
la
PAC
(politique agricole
commune). Depuis 1979, Mar-
garet Thatcher a pris l’Europe en otage. Elle bloque toute décision afin d’obtenir pour son pays
un «juste
Communauté européenne vous
rapporte chaque année autant que ce
retour’ ».
Vouloir que
la
une hérésie par rapport à l’esprit communauinévitable que certains pays soient, certaines années,
qu’elle vous coûte est taire.
Il
est
contributeurs nets.
De
surcroît, les bienfaits
tenance d’un pays donné à
la
économiques de l’appar-
Communauté ne
se mesurent pas en
termes strictement comptables.
Toujours
est-il
qu’en 1981,
la
Communauté
est paralysée.
Au
dernier Conseil européen précédant l’élection de François Mitterrand,
à Maastricht, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing n’ont pas réussi à faire céder le Premier ministre britannique. Résultat
:
les
nou-
veaux dirigeants français n’ont pas à prendre en ce domaine de décision difficile, puisqu’ils n’ont pas à prendre de décision du tout !
La Grande-Bretagne conteste la « quote-part » qu’elle doit reverser pour respecter le mécanisme des prélèvements et des restitutions agricoles qui, en assurant 1.
la
préférence communautaire par rapport aux produits moins chers importés du reste
du monde, permet de financer a pourtant accepté
le
la politique agricole
principe en adhérant en 1973.
commune -
quote-part dont elle
Prélude à
la
relance européenne
275
Cette situation va durer plus de deux ans et demi, jusqu’au lendemain
du Conseil européen d’Athènes où les Dix échoueront de nouveau. Le relais passe alors aux mains de la France pour les six premiers mois de 1984, puisque les présidences européennes sont semestrielles, ce qui va tout changer. La réussite de tainebleau, en juin
l’Europe,
dix, au-delà
la suite,
même
dépit
présidence française à Fon-
1984, ouvrira en effet la voie à
mot souvent galvaudé mais
puisque toute
En
la
de
dans la
les
qui,
en l’espèce,
années quatre-vingt
et quatre-vingt-
anglais, les cinq premiers semestres euro-
péens du Président ne sont pas inemployés.
d’Europe de nos voisins il
est approprié
présidence mitterrandienne, en découlera.
du blocage
France même, quand
relance de
la
entreprend un tour
Il
et partenaires qui suscite
peu
en
d’intérêt
n’y est pas brocardé. Le Président aime voya-
myope. François Mitterrand aime effectivement voyager, même si, au bout de deux ou trois jours, le parfum de la France lui manque. En l’occurence, il a un dessein il n’a certes pas du tout l’intention de laisser péricliter la relation franco-allemande, même s’il préfère y voir un couple plutôt qu’un axe, comme il l’a dit d’emblée à Helmut Schmidt. Mais il juge que les autres pays européens, qui ne sont déjà que trop enclins à dénoncer en toute occasion, bonne ou mauvaise, l’« arrogance de la grande ger
!
plaisante-t-on à l’époque. Critique
:
nation », ont été traités avec désinvolture et maladresse par ses prédécesseurs. C’est une erreur, selon
d’attendre d’avoir besoin de
lui,
ces pays, pour un vote à Bruxelles, pour les redécouvrir
Tout cela n’a rien à
« alliance de substitution » à la
Grande-Bretagne. Sans
comme
Pierre
dans son
voir,
la relation
esprit,
avec une illusoire
Paris-Bonn, par exemple avec
aller jusque-là,
des
hommes
proches de
lui,
Bérégovoy, Claude Cheysson, Pierre Joxe, André
Chandernagor,
suggèrent
que
la
France
Londres. Son raisonnement est plus subtil
RE A
plus à l’aise avec la tous les Européens les autres aussi
!
;
:
en :
la
« fasse
plus »
avec
France sera d’autant
qu’elle aura des relations plus fournies avec
Grande-Bretagne, Espagne,
la diversité
européenne
est
Italie
bien sûr, mais
un atout plus qu’un han-
dicap. Cela suppose de faire l’effort d’aller vers les autres, chez eux,
de leur parler, de régler à chaque fois des contentieux, en général
mineurs mais gênants, qui n’ont que trop duré, de prendre
la
peine
de lancer des projets communs.
De
1981 à 1984, ce raisonnement
que je suis chargé d’organiser en
tant
lui inspire
un tour d’Europe
que conseiller diplomatique
et
Les mondes de François Mitterrand
276 auquel
il
qu’aux « grands » voyages tels que l’Inde Japon (1982), la Chine (1983), en attendant notamment le
s’intéresse autant
(1981), le
Brésil (1985), l’Argentine et l’Indonésie (1986).
découvre qu’il n’y a pas eu, dans
tel
ou
A
cette occasion, je
pays, de visite officielle
tel
r
d’un chef de
l’Etat français depuis
Pays-Bas,
dernière remonte à 1953
la
Suède, à 1914 Suisse,
il
de
en Norvège, à 1907
;
n’y en a jamais eu
nombreuses années.
très
;
;
au Danemark, à 1955
même
ni
Premiers ministres ou
en
François Mitterrand ne borne ce projet
!
aux candidats à l’adhésion. les
;
en Autriche, en Hongrie, en
de grand tour « européen » ni aux seuls membres de
neuf autres -
Aux
A
CEE -
la
chaque
les
fois, les
souverains ainsi que les milieux officiels
sont ravis et touchés que le nouveau Président français veuille venir
chez eux. L’intérêt gagne vite avec
la
les
médias, puis l’opinion. Leur relation
France en est rajeunie, détendue,
et la concertation
européenne
facilitée.
A
-
l’occasion de ces voyages, dans les années 1981, 82, 83
SS 20 dominant
l’actualité -, le Président est
les
souvent amené à expli-
quer devant des auditoires plus ou moins réfractaires, par exemple en
Europe du Nord, ses conceptions sur le rétablissement de l’équilibre des forces en Europe. J’ai ainsi souvenir d’une vraie bronca des parlementaires écologistes, pacifistes et sociaux-démocrates danois.
Lisbonne ni,
et
à Madrid,
il
n’élude pas
la
question de l’élargissement,
en ce qui concerne l’Espagne, celle du terrorisme.
penche sur plusieurs contentieux bilatéraux, d’auberge laissée impayée par Napoléon ce que pourrait être l’avenir érudition et âme.
Il
commun
commence
À
!
À
Berne,
et fait régler
En chaque
des Européens.
lieu, Il
il
se
une note il
dessine
en parle avec
par nouer une relation personnelle très
étonnante, fondée sur la séduction mutuelle, avec Margaret Thatcher, lors
du mariage du prince Charles, en juin 1981. Ce
jour-là,
ils
se
parlent longuement. C’est la première fois que je suis preneur de
notes dans un
tel entretien.
Cette relation ne sera pas tout à
fait
vaine,
malgré leur désaccord conceptuel sur l’Europe, puisqu’ensemble
ils
Manche. En décembre 1981, François Mitterrand va à Lisbonne. En 1982, il est à Copenhague, Vienne, Budapest, Madrid et Athènes. En 1983, dans plusieurs cantons suisses, à feront le tunnel sous la
Gand et Liège, et même à Belgrade et Zagreb. En 1984, La Haye et Amsterdam, Oslo, Stockholm, en Grande-Bretagne.
Bruxelles, à
Chaque
fois,
il
s’exprime à l’occasion de dîners, devant
les parle-
Prélude à
ments, dans
la
relance européenne
277
aux Français de l’étranger ou à
les mairies, s’adresse
la
presse.
C’est en l’écoutant prononcer de longs toasts lors des « dîners d’Etat »
-
plus
projets préparés, plus
mes pas dans
heureux d’être quelque
est
il
improvise
il
les siens
moins
et
moins
part,
est concis -,
il
dans tant de capitales
et
de
villes
les
lit
il
en mettant d’Europe,
du tombeau des Rois du Portugal à la crypte des Capucins à Vienne', de Naples à Oslo, de Salamanque à Varsovie, que je réalise combien lui, l’amoureux des terroirs et l’arpenteur des cantons français, est aussi pétri, dans toutes ses fibres, d’histoire et de civilisation euro-
péennes, combien et le meurtrit
Quand tique, j’ai
monde,
le
passé européen,
commun
et fratricide, le fascine
!
m’appelle auprès de
il
trente-quatre
ans.
comme
lui
Comme
tant
conseiller diploma-
d’autres, j’ai
aux anciens parapets »
loin de « l’Europe
:
couru
Etats-Unis,
le
Ouz-
békistan, Binnanie,
Yémen, Maroc,
tant d’autres ciels. Et j’adore la
m’a
fallu attendre ce
moment pour
France. Mais à
ce continent perdu
lui,
de
il
:
le
monde
redécouvrir, grâce
européen. Tous ceux qui, autour
à l’Elysée, seront les artisans de sa politique européenne
lui,
Jean-Louis Bianco, Jacques Attali, Elisabeth Guigou, conseillers diplomatiques
À
chaque étape,
lorsque Louis traités
XIV
il
-
sont dans ce cas
nomme
le
les
-
autres
!
passé pour l’exorciser, surtout
(en Allemagne), Napoléon (en Espagne), ou les
de Versailles (en Europe centrale) en ont été
les causes.
Un
rombre noire des siècles passés
».
« Les Français ont souvent eu dans leur histoire un aspect batailleur
»,
jour, en
Allemagne,
il
parlera de «
reconnaît-il devant les Danois. lité
des dynasties,
nuis
».
Devant
le désir
il
Autrichiens,
il
rappelle « la riva-
de puissance de nos deux pays, qui se sont
la reine Beatrix,
Grande-Bretagne,
Aux il
mentionne
souligne que
le
roi
la
Saint-Barthélemy.
Edouard VII a proposé
l’Entente cordiale six ans seulement après Fachoda.
avec
lui,
des niaises motions de congrès
et
On
est bien loin,
des moulins à prières.
n’a pas l’Europe technocratique, mais spirituelle et chamelle à et
inspirée. Peut-être parce
que
l’histoire
de Napoléon
I"...
Il
la fois,
de l’Europe, c’est aussi
L’y accompagnant en 1994, je me demanderai, à de chaque Habsbourg, s’il ne songe pas à la visite en ce 1.
En
le
voir détailler la sépulture
lieu, à la
lueur des torches,
Les mondes de François Mitterrand
278 l’histoire
de France,
étroitement mêlés.
et
que leurs bonheurs
En ravaudeur des
des espérances européennes,
ne
soit
il
et leurs tragédies sont
liens entre peuples,
en réveilleur
parle contre l’amnésie, pour que rien
perdu ni des uns ni des autres,
et
que
les volontés
retrempées. C’est au début du premier septennat, quand
encore absorbé par
les
il
en soient n’est pas
grands travaux d’après Fontainebleau,
et à la
du second, quand il adoptera, après la ratification de Maastricht, un ton pudiquement testamentaire, que cette attitude est la plus marquée. Sur un plan plus diplomatique, il va ajouter aux sommets fin
semestriels
franco-allemands des sommets annuels franco-britan-
niques, franco-italiens et franco-espagnols.
Le Conseil européen Mais l’Europe est aussi une machinerie, même si elle est en panne. Les Conseils européens se réunissent au moins deux fois par an, quoi qu’il amve, et il s’en tiendra huit entre l’élection de François Mitterrand à l’Elysée et
la
présidence française de 1984. Dès
mier, les 29 et 30 juin 1981, à ses
Luxembourg,
le
pre-
Président propose à
neuf partenaires de créer un « espace social européen
un plan
le
»,
d’élaborer
industriel européen, d’aller vers
une réduction du temps de travail. Vaste programme Il est regardé comme un Martien, sauf par le social-démocrate danois. Mais il va vite apprendre le mode d’emploi de ces sommets. Le Conseil européen est l’une des instances les plus représen!
tatives des relations internationales
originales en
même
temps.
Au
contemporaines
et l’une
des plus
début des années 1980, déjà, la mon-
dialisation de l’économie, la circulation des
hommes, des marchan-
dises, des idées et des images, le caractère global des
problèmes
d’environnement, font qu’il y a de moins en moins de questions qu’un Etat peut traiter seul. Et, même quand il peut encore décider souverainement, sa décision est tributaire de multiples facteurs extérieurs à sa volonté. Depuis les lendemains de la Première Guerre mondiale, des tentatives ont été faites pour donner aux États, face à cette inter-
dépendance généralisée, imposée par des faits techniques et économiques, un cadre dans lequel ils puissent se concerter et agir. Multilatéralisme sorte.
Avant
organisé contre mondialisation sauvage, d’être le pari européen, ce fut
en quelque
une utopie mondialiste
Prélude à
avec
279
Société des Nations de Wilson de 1919 à 1939', puis avec
la
rONU
depuis 1945.
En Europe,
l’idéologie des précurseurs fut fédéraliste, avec la
Haute Autorité de l’Acier créée en
Communauté européenne du Charbon
la
sion, constituaient l’intérêt
Pour
1951.
ensuite, les institutions
les
inspirateurs
du
une sorte de Richelieu chargé de
et
de
de Rome,
traité
communautaires, principalement
Commis-
la
faire prévaloir
général contre les Etats nationaux, ces féodaux modernes.
C’était
compter sans
dou,
premier, réunit un
le
relance européenne
la
la
résistance de ces derniers
sommet des
Etats
!
Georges Pompi-
membres de
la
Commu-
nauté européenne. Puis Valéry Giscard d’Estaing suscita avec Helmut
Schmidt un Conseil européen régulier qui fois l’an (en juin et
décembre), parfois
ou octobre un Conseil exceptionnel).
se réunit
trois
A
au
minimum deux
(quand se
partir
de
en mars
tient
Conseil euro-
là, le
péen, qui regroupe les détenteurs du pouvoir politique légitime et réel,
prend peu à peu
un
pas sur
le
les autres institutions
conflit toujours sous-jacent,
monté, avec
la
européennes. D’où
mais en général heureusement sur-
Commission qui n’entend pas devenir un simple
organe d’exécution des décisions du Conseil, mais garder son pouvoir de proposition, celui-là
même
dont Jacques Delors
fera,
de 1985 à
1994, un usage inspiré.
En
-
il
1981,
le
Conseil européen n’a pas encore d’existence légale
ne figurera dans
les textes
tue déjà le centre et le
qu’avec l’Acte unique -, mais
consti-
il
moteur du système. Contrairement au Sommet
des Sept qui n’est qu’une instance de concertation,
il
prend en effet
des décisions^ dans tous les domaines, hormis ceux dévolus par traité
de
Rome
à la
Commission - par exemple,
commerciales multilatérales. De plus,
les
les
le
négociations
dirigeants européens ne
peuvent passer trente-six heures ensemble sans aborder de façon « informelle » tous les problèmes qui leur tiennent à cœur, situation politique, et les
1.
économique
et sociale
la
SDN, en
la
dans leurs pays respectifs,
grandes questions d’actualité internationale.
Jean Monnet, qui travailla à
comme
tint
Même
compte par
si le
Conseil
la suite
dans son
action européenne. 2.
Formellement, à l’époque, c’est encore
le
Conseil des ministres qui décide à
partir des orientations fixées par le Conseil européen.
Les mondes de François Mitterrand
280
n’a pas de compétence formelle pour en
traiter,
est
il
devenu un
rendez-vous essentiel à tous égards.
Quand François Mitterrand commence à y participer, l’organisation des travaux est déjà immuable. Le Conseil débute à la mijoumée et s’interrompt avant le dîner. Il travaille à partir des rapports préparés par
le
pays qui exerce
la
présidence semestrielle, avec l’aide
de
la
Commission, sur
ou
le
Premier ministre du pays président,
base d’un ordre du jour fixé par
la
et
le
Président
communiqué au
préalable
à ses partenaires. Les Chefs d’Etat et de gouvernement dînent
ensemble,
Pendant de
la
des Affaires étrangères aussi, de leur côté.
les ministres
la nuit, les fonctionnaires
de
la
Commission
et
ceux du pays
Présidence mettent au propre les conclusions des travaux de
La matinée du lendemain
cette première demi-journée.
est consacrée
à la relecture de ces conclusions et à l’examen des questions non
Le Conseil
tranchées.
par
la
se termine en général juste avant le déjeuner,
conférence de presse du Président en exercice
chaque autre chef de délégation.
et celle
pu
Si les participants n’ont
de
se mettre
d’accord, les travaux sont prolongés dans l’après-midi, voire dans la soirée.
Les « numéro un »
des Affaires étrangères (ces
et leurs ministres
derniers composent, aux termes
du
traité
de Rome,
le
« Conseil des
Affaires générales ») sont entourés d’une délégation qui peut aller de
cinq ou six personnes pour un petit pays à une trentaine pour
France
la
du Président, collaborateurs du Premier ministre (même si celui-ci, pour la France, ne participe pas aux travaux), collaborateurs du ministre des Affaires étrangères, porte-parole collaborateurs
:
des uns
et
des autres, mais aussi représentants des administrations
compétentes pour par les Finances
tel
ou
tel
point de l’ordre du jour, à
(le directeur
du Trésor
et le directeur
commencer
des Relations
économiques internationales sont toujours présents). Secrétariat général pour la Coopération interministérielle pour les questions communautaires, le représentant
permanent à Bruxelles
collaborateurs, etc. Sans compter le chef le
chef du service des voyages
missions,
etc.,
et plusieurs
du protocole
de ses
et ses services,
officiels et ses collaborateurs, les trans-
tous habitués des petits matins à Villacoublay.
Le Président
est
Affaires étrangères.
en général en séance avec
Comme
il
le
ministre des
n’y a que deux sièges par pays,
le
Prélude à
la
relance européenne
281
ministre des Affaires européennes' est obligé de prendre son mal en
patience dans l’un des bureaux de
collègue des Affaires étrangères le
Président
du
lieu
délégation, en attendant que son
cède un
lui
moment
sa place,
ou que
fasse venir lorsqu’il sort se dégourdir les jambes. Les
le
membres des salles
la
délégations, en général entassés dans deux
où se tiennent
les séances, palais historique
des congrès, passent leur temps à
lire
ou
trois
ou palais
des journaux, des dépêches ou
des notes, à téléphoner à Paris, à bavarder, à faire les cents pas, à regarder toutes les chaînes de télévision disponibles, à improviser des réunions, à boire de mauvais cafés (plaisanterie classique dans ce
milieu
:
pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas imposé par directive
les cui-
sines française et italienne et l’expresso italien ?), à parler avec leurs
homologues des autres pays,
Babel des couloirs
cette
à attendre qu’on ait besoin d’eux.
et cafétérias, et
suivent les travaux par les
Ils
dehriefings des anticf qui viennent, toutes les trente ou quarante
minutes,
lire les
justifient
qu’une information ou une suggestion
en sus du copieux dossier que
sident,
pour
notes qu’ils ont prises durant les débats. Si ceux-ci
les Affaires
européennes^, les
compétents rédigent sur
transmise au Pré-
a déjà préparé son conseiller
lui
membres de
champ une
le
soit
la
délégation les plus
note. Elle est visée par le plus
« gradé » des collaborateurs présents du Président (secrétaire général,
ou conseiller les Affaires
et porté
par
lui (il
des débats) à l’aide-de-camp qui
la salle
destinataire.
ou conseiller pour faut un badge spécial
secrétaire général-adjoint,
européennes)
pour approcher de
met à son
ou
spécial,
la trans-
Toutes ces opérations peuvent s’effectuer en
quelques minutes.
En
général, dans
un bâtiment
distinct,
ou à un autre étage, des
centaines de journalistes essaient d’apprendre ce qui s’est dit et se
perdent en
1
.
conjectures.
Successivement
:
De nombreux membres
des
délégations
André Chandernagor, Roland Dumas, Catherine Lalumière,
»
t
Bernard Bosson, Edith Cresson, Elisabeth Guigou, Alain Lamassoure. 2.
Antici
était,
dans
les
années 1970, un conseiller de
la
représentation per-
communautés européennes, chargé d’animer un groupe de coordination des ambassadeurs. Quand la décision fut prise, lors d’un des premiers manente
italienne auprès des
conseils européens, de désigner un preneur de notes chargé d’informer ses collègues
des représentations permanentes,
il
fut le
premier
et
donna son
nom
à la fonction.
/
3.
Successivement
:
Thierry Bert, Jean Vidal.
Pierre Morel, Elisabeth Guigou, Caroline de Margerie,
Les mondes de François Mitterrand
282
viennent les voir. Les porte-parole, bien sûr, dont c’est
le rôle,
mais
aussi les ministres et tous ceux qui veulent passer le temps, apprendre
des potins, en colporter eux-mêmes, répandre un message, se valo-
donner corps par leur passage, leur
riser,
une rumeur
utile.
attitude, leurs
Les journalistes en profitent pour extorquer à leurs
visiteurs des détails pittoresques susceptibles d’attente, et,
«ce
pour
mimiques à
les plus optimistes,
de nourrir des papiers
de demander des pronostics sur
qui va se passer». Lassitude, tabac, alcool et
Même
troc...
les
plus habiles manipulateurs d’informations ne peuvent guère contrôler leurs effets, car dans cette
atmosphère confinée, cette promiscuité
nerveuse, n’importe quoi peut paraître crédible et tout est
tromper l’ennui. nalistes
À cela,
envoyés dans
un antidote
:
bon pour
l’extrême compétence des jour-
Conseils européens pour accomplir cette
les
amène malgré tout à préférer une cela, en bon franglais, faire du off the
sorte de garde statique, ce qui les
explication de fond (on appelle
record ou du background) à des anecdotes croustillantes sur les menus, l’« argent gaspillé » pour loger les hôtes ou assurer leur sécu-
ou autres diversions. Quand un Conseil s’ouvre, de nombreux sujets ont pu être réglés, sur la base des impulsions données par le Conseil précédent, rité,
soit entre les représentants
permanents,
soit lors
d’une des réunions,
générales ou spécialisées, du Conseil des ministres. Parfois, est rien et ce sont alors les
nantes, sur la table. L’ordre
mêmes
des rendez-vous fixés.
n’en
questions qui reviennent, lanci-
du jour du Conseil européen a
en tenant compte des orientations déjà retenues et
il
les fois
La Communauté connaît
été arrêté
précédentes
ses défauts, ses
contradictions d’intérêts, donc ses lenteurs. Elle sait que les pro-
blèmes
les plus délicats
pour
tel
des États membres, telles questions
de fond, devront être contournés ou étudiés jusqu’à ce que telle catégorie socio-professionnelle,
soient résignés,
ou bien
pays,
voire les esprits en général se
aient évolué, aient compris le parti qu’ils
pourraient tirer d’une situation nouvelle.
sivement moins vrai avec
tel
le
vote à
la
Ce
qui deviendra progres-
majorité qualifiée.
D’où
l’im-
portance des pré-rapports, des rapports préparatoires, des reports, des échéanciers, des calendriers, des comptes à rebours, qui ménagent du
temps pour ticuliers fait, il
Dix
-
y a
cette thérapie collective
fussent-ils nationaux -, très
(a fortiori
de dépassement des intérêts par-
de compromis
et d’adaptations.
En
peu de décisions qui peuvent se prendre d’un coup a à Douze, à Quinze, voire à plus). Des processus conti-
Prélude à
la
relance européenne
283
nus, des chaînes de décisions qui s’étendent sur des mois
ou des
années sont inévitables.
masse des conclusions préparées à l’avance, seuls trois ou quatre points font en général problème. Le Président doit décider Parmi
la
à propos duquel (ou desquels)
à quel
moment
il
le fera
il
va jeter son poids dans
balance
;
(dès l’ouverture, en séance plénière, l’après-
midi ou au dîner), sur quels appuis lui être
la
demandé en échange
il
peut compter, ce qui risque de
sur d’autres sujets au sein du Conseil
ou bien dans une autre enceinte, ce
ou non accepter. Ces échanges ne se limitent pas, en effet, au seul champ communautaire la France est presque toujours engagée ailleurs au même moment au Conseil de Sécurité, dans la préparation du prochain Sommet des qu’il peut
:
Sept, par
exemple
-,
dans d’autres négociations où
elle
peut avoir
ou tel de ses partenaires européens. Tout cela doit être pris en compte avant et pendant un Conseil, d’autant plus qu’avec neuf partenaires, a fortiori avec onze ou quatorze, plus la Commission, on ne peut pas, fut-ce au nom de la France, prétendre imposer besoin de
tel
ses vues sur trop de sujets à la fois.
Cette description des Conseils européens et de la mécanique
communautaire évoque une « usine à gaz »
de dix, puis douze, puis quinze pays, en attendant plus,
outil à partir et
La reconstruction d’un
!
au travers duquel on peut espérer exercer à nouveau une certaine
influence sur les affaires du
Dès que
la
monde, donc sur
les nôtres, est à ce prix.
construction européenne aura redémarré, nous aurons
maintes occasions de vérifier que l’entente franco-allemande, avant et
pendant un Conseil,
les autres
est la clef
de sa poursuite,
États-membres rouspètent - cas de
l’Italie -, ils
la
et que,
même
si
Grande-Bretagne, de
s’attendent à notre impulsion.
Piétinements
En 1981-82, nous n’en sommes pas là La Communauté se lanDe 1981 à 1984, les gouvernements Mauroy I, II et III se suc!
guit.
cèdent
:
quième semaine de congés payés, de mort. Mais, par de 8,5
39 heures payées 40, cinAuroux, abolition de la peine
nationalisations, décentralisation,
ailleurs, le
4 octobre 1981,
% par rapport au mark. Le
de 5,5 %,
le
mark
étant
lois
le
franc a été dévalué
nouveau réévalué de 4,25 %. Pour accompagner cette 12 juin 1982,
il
doit l’être à
Les mondes de François Mitterrand
284
deuxième dévaluation,
bloqués jusqu’au 31 octobre,
PIB pour 1983, sociaux sident les
-
et
le déficit
l’engagement
tout cela pour
mesure
lors des
budgétaire est limité à 3
est pris
ramener
de rééquilibrer
l’inflation à 10
Sommets des Sept
la
%
embûches dans
les jungles
les
sont
% du
budgets
en 1983. Le Pré-
domination américaine,
marottes reaganiennes, l’omniprésence des médias,
face aux
SMIC)
les prix et les salaires (sauf le
et doit faire
centre-américaine, libanaise,
israélienne, irako-iranienne...
Pendant ce temps-là,
les
Conseils européens piétinent. Les 26 et
27 novembre 1981, à Londres, d’accord ni sur
la limitation
Dix ne parviennent pas à
les
des excédents
laitiers, ni
se mettre
sur le plafon-
nement des dépenses agricoles (nous savons que nous devrons y consentir tôt ou tard, mais pas n’importe comment), ni sur le budget.
La position britannique est qu’il faut réduire la politique agricole commune, qui coûte trop cher, et limiter le budget communautaire en deçà du plafond de rent,
%
1
mais à l’opposé de
de
de
l’assiette
la
TVA.
la position française.
Point de vue cohé-
Malgré
demandent un rapport sur l’Union européenne sur positions Genscher-Colombo. Situation inchangée à Bruxelles, fin le
la
tout, les
Dix
base des pro-
mars 1982. En
avril,
malgré
soutien européen dont la Grande-Bretagne a bénéficié dans la
guerre des Malouines, beaucoup grâce au Président Mitterrand solidarité
européenne passe avant
les
chimères tiers-mondistes ou des
sympathies Nord/Sud peu regardantes), Londres bloque annuelle des prix agricoles, et
(la
la fixation
un vote à la majorité qualifiée pour passer outre. Du coup, le 19 mai 1982, François Mitterrand, exaspéré, déclare posé « le problème de la présence de la Grande-Bretagne dans la Communauté ». il
faut
Les Dix ne parviennent pas plus à se mettre d’accord sur les mêmes sujets, les 3 et 4 décembre 1982 à Copenhague, et sont obligés de repousser encore
demandes d’adhésion espagnole et portugaise, qui supposent réglée au préalable la question du budget de la Communauté. Cela nous laisse du temps pour y préparer nos agriculteurs du Sud-Ouest et du Sud-Est. Ce sujet est très important car, depuis les
Valéry Giscard d’Estaing, c’est résoudre affiché par
24 juin 1982)
le
est le
la
France qui bloque. Le désir de
le
Président à partir de son voyage à Madrid (22-
premier signe tangible d’une nouvelle volonté
française de construction européenne.
Prélude à
Le Conseil suivant
la
relance européenne
285
mars 1983 à l’issue de dix joumées-clés. Le 6 mars, la gauche a perdu le premier tour des municipales en France, et Helmut Kohl a emporté les législatives en Allemagne. Le mark s’est envolé, le franc s’est efffondré*. Les consultations intensives auxquelles le Président a procédé entre se tient à Bruxelles le lundi 21
le
13 et le 21 mars ont été racontées par le
et
Michel Martin-Rolland
pendant quatre jours
les
menu
par Pierre Favier
par Jacques Attali. Le Président a pesé
et
deux options
(sortir
ou non du SME), ce qui
beaucoup pour un choix aussi lourd de conséquences, et affiché ensuite une « indécision tactique » pour obtenir le maximum des Allemands dans le réaménagement monétaire. Au Conseil européen de Bruxelles, le franc est à nouveau dévalué, de 2,5 %, le mark n’est pas
réévalué de 5,5 %.
En
outre, la France reste
dans
le
SME
et
s’engage
à rétablir l’équilibre de sa balance des paiements en deux ans par une
ponction de 65 milliards (soit 2
ménages
et les
dépenses de l’État en 1983.
Comment aux Français
% du PNB) sur la consommation des
Président justifie-t-il ces choix quand
le
mercredi 23 ? Par sa volonté
le
il
s’adresse
de ne pas isoler
la
France de la Communauté européenne » et de lutter contre le chômage, l’inflation et le déficit extérieur. Argumentation essentielle, qui annonce toute la suite. C’est peut-être la dernière fois qu’une orientation stratégique différente aurait
pu
être prise, si elle avait
eu
la
moindre consistance. «Mitterrand, dira Lionel Jospin
16
le
novembre 1988
à Pierre
Favier, a eu Fimpression de faire une concession extrêmement difficile
à
la réalité
imposée par
les autres,
de devoir se plier à une sanction
imposée de l’étranger. C’était pour originale, socialiste, mixiste, fière
lui la fin
d’une certaine France
de sa personnalité face à l’égoïsme
féroce des libéraux. » Jean-Pierre Chevènement a déclaré au même, le
28 mars 1989
Dès
1.
le
:
« Notre faiblesse, avec Riboud, Fabius et Bérégo-
21 février, Élisabeth
Guigou
avait alerté le Président
:
«La
France,
qui a emprunté pour 90 milliards de francs en 1982, a saturé ses possibilités d’endet-
tement extérieur sans conditions. Si
le franc sort
balance des paiements, sera conduite avant
du SME,
la fin
la
France, pour financer sa
de l’année à
solliciter
des prêts
CEE ou
du FMI. Mais cet argent ne nous serait prêté qu ’à la condition d’appliquer un plan de redressement imposé de l’extérieur ». Jean-Louis Bianco avait auprès de la
résumé op. cit).
:
« Sortir du
SME nous mettrait au FMI »
(cité
par Favier et Martin-Rolland,
Les mondes de François Mitterrand
286 voy, est ficelée.
de ne pas avoir proposé une politique alternative suffisamment Mitterrand a beaucoup
conformiste, car
il
gauche perdrait
le
rigueur
lui
puis s
’est
rabattu sur
l
’
option
pensait qu’en cas d’échec de l’autre politique, la
pouvoir pour de bon. Le succès de la politique de a permis de garder le pouvoir. Mais pour quoi faire ? »
Lionel Jospin, à
mon
sens, a
vu plus
essentiels ont guidé sa décision
que
hésité,
loin
en disant
de rester [dans
le
:
«
Deux éléments
SME]
;
le
sentiment
du serpent serait une fuite en avant dramatique, sans garantie d efficacité pour le redressement de la balance commerciale ; l’ambition de conduire une grande politique européenne. Ce qu’il a la sortie ’
fait plus tard éclaire le choix de
mars 1983. » De
fait,
son forcing
européen des années 1984-92 est impensable sans le préalable de la rigueur de mars 1983. Sinon, le tandem franco-allemand n’aurait pas fonctionné et aucun pays européen n’aurait consenti à se laisser entraîner par une France qui se serait engagée dans
une voie purement
hexagonale.
En mars
1983, en tout cas, les médias et les gouvernements
occidentaux se réjouissent sans réserve du choix français. Le bon sens contre l’aventure, en quelque sorte. Mais le redémarrage de l’Europe est
encore loin
Les
!
17, 18 et 19 juin 1983, à Stuttgart,
Helmut Kohl préside son premier Conseil européen. Les Britanniques exigent une compensation de 1250 mécus (millions d’écus)*, mais seraient prêts à en accepter 850.
Les Néerlandais,
les Belges, les
Danois seraient prêts à en
accorder 820. François Mitterrand ne veut pas aller aussi loin. Finalement, après de sévères affrontements - le Président nous réunit en pleine nuit, y compris un ministre en pyjama, pour faire le point
nous acceptons 750, à condition que
la
Grande-Bretagne ne s’oppose
plus à l’augmentation des ressources propres de la
compromis ne
-
Communauté. Ce
aux interprétations contradictoires qui se manifesteront, les semaines suivantes, sur la réalité de cette condition. Quant aux questions du financement et du budget, de l’élargissement résistera pas
à l’Espagne et au Portugal (l’Allemagne y pousse, la France estime que les problèmes de concurrence qui vont en découler pour les agri-
L’ECU
(European Currency Unit) a été créé en 1978 avec le SME. Sa valeur découle d’un « panier » pondéré des monnaies participant au SME. Elle tourne autour de 6 francs français. 1.
Prélude à
du Sud-Ouest
culteurs
et
la
relance européenne
287
du Sud-Est ne sont pas encore
réglés'), elles
sont une fois de plus renvoyées au Conseil suivant, à Athènes, en
décembre. Pierre Mauroy mesure à sident pour une journée, «
Stuttgart,
combien l’Europe
où
il
remplace
le
est conserx’atrice
Pré-
»...
Les Dix poussent ainsi leur rocher devant eux, de Conseil en Conseil. A Athènes, le 6 décembre suivant, ils ne parviennent toujours pas à se mettre d’accord et Andréas Papandréou ne peut que transmettre à François Mitterrand, qui prend sa première présidence
tournante semestrielle à partir du
janvier 1984, une
liste
de dix-
sept sujets de contentieux, dont la contribution britannique, la pêche, le
lait,
le
vin,
financement de
le
l’augmentation des ressources de
la la
commune,
politique agricole
Communauté,
les
montants
compensatoires, l’élargissement... Leur simple énoncé rappelle que l’Europe n’en est pas à prétendre exercer une influence dans le
monde, mais, plus simplement, à essayer d’ajuster en son sein des intérêts contradictoires. Tout convaincu qu’il soit qu’il ne peut faire cavalier seul, chacun des dirigeants des Dix se sent souvent sur le fil du rasoir au moment d’inventer cette gestion commune des intérêts exacerbés de dix peuples, de décider quand doit accepter
convaincre
et
sous quelle forme
un compromis, moyennant quelles compensations,
in fine
son opinion nationale - donc ses opposants
« c’est bon pour l’Europe
», qu’elle
et
il
de
- que
« s’y retrouvera » dans un autre
domaine, ou à plus long terme, ou, plus crûment, que
les autres solu-
tions eussent été pires.
La France a par exemple
commune qui a mantes du monde en lui agricole
fait
tiré
un grand
profit de la politique
de son agriculture une des plus perfor-
garantissant des débouchés augmentés et en
dopant ses exportations. Mais
les partenaires
de
la
France ne peuvent
accepter éternellement qu’une part excessive des ressources de
Communauté
serve à financer sans plafond ni limites cette machine
à surproduire^
Compte tenu de l’extrême combativité du monde
cole qui prétend que la politique agricole
s’oppose à sa réforme,
1.
résolus, 2.
Ce
n’est pas
comme
les
la suite l’a
les
commune
l’a
agri-
ruiné mais
responsables français doivent choisir
un prétexte. La France
Puisque ce sont
des agriculteurs.
la
finira
le
par obtenir qu’ils soient vraiment
montré. cours des produits qui sont garantis,
et
non
les
revenus
Les mondes de François Mitterrand
288
moins mauvais moment pour accepter une réforme de la PAC afin que celle-ci ne disparaisse pas purement et simplement sous les coups de boutoir américains, via les cycles du GATT, et du fait du lâchage de nos partenaires européens. La question se posera ponctuellement - par exemple pour le lait, au début des années 1980, ou pour les jachères -, ou, globalement, pendant T Uruguay 1986, et pendant
le
second septennat jusqu’à
Round
la fin
à partir de
1993.
Ainsi s’ouvre l’année 1984, année charnière dans la politique étrangère mitterrandienne, qui va être celle la construction
du nouveau départ pour
européenne. Départ rendu possible par
le
renforcement
préalable des rapports franco-allemands et de la relation entre Prési-
dent et Chancelier.
D’Helmut Schmidt à Helmut Kohl
On
se souvient qu’en dépit de leurs préventions antérieures,
François Mitterrand et Helmut Schmidt avaient trouvé dès mai 1981
un
solide terrain d’entente sur les euromissiles et avaient réagi à
l’identique face
aux
initiatives
reaganiennes des années 1981-82 sur
échanges Est/Ouest. C’est aussi entre eux qu’a été esquissée, dès 1981, l’idée d’une réactivation, concrétisée plus tard avec Helmut
les
Kohl, des dispositions oubliées du volet militaire du Traité francoallemand. Certes, Schmidt a trouvé incongrue, voire chimérique l’idée mitterrandienne d’« Europe sociale ». Et la France n’a obtenu ni en octobre 1981 ni en juin 1982 la réévaluation du deutschmark qu’elle souhaitait pour éviter
ou atténuer
la
dévaluation du franc. Mais les
deux hommes ont appris à se parler. Dès le 7 octobre 1981, à Latché, où il l’a invité à passer deux jours, et où il m’a convié comme preneur de notes, François Mitterrand a apporté une précision importante au Chancelier «J’ai dit que je ne voulais pas d’axe, mais je suis d’ac:
cord pour une amitié privilégiée. Nos relations sont dictées par son, elles sont fondées sur l ’intérêt de nos peuples. »
la rai-
C’est Helmut Schmidt qui a abordé la question de la réunification, mais, je m’en souviens, sur un ton désabusé.
Helmut Schmidt « Tous les Européens se sentent bien dans leur :
État-nation, sauf les Allemands. Il
ya
le
poids de l’Histoire
(Hitler,
Auschwitz). Les Allemands vivent dans l’angoisse. J’essaie (et Willy
Brandt l ’afait avant moi) de combler ce manque de relations normales
Prélude à
avec
la
RDA
(...).
aura
lieu
après
l
véritable
289
danger neutraliste
la réunification inten'ienne d’ici
ma
(...).
Mais
mort.
’an 2000. »
François Mitterrand
Mais
la réunification.
relance européenne
Ne craignez pas un
Je ne pense pas que elle
la
:
«
Il
vous faudra du temps pour atteindre
elle est inscrite
à des réalités objectives
dans
et subjectives
l
'Histoire. Elle
Il faut
(...).
correspond
que l’Empire sovié-
tique se soit affaibli, ce qui interviendra dans les quinze ans. »
Helmut Schmidt « A mon avis, cela durera plus longtemps ! » En mai 1982, François Mitterrand a fait chez le Chancelier, à :
Hambourg, une
sorte de visite de retour.
didactique (sur les rapports
grands
la politique
économique
Il
un discours émouvant (sur
a prononcé
française) et
franco-allemands) devant l’Ubersee Club, cénacle des
hommes
d’affaires hanséatiques, et a dîné au domicile de
Schmidt. Alors qu’ auparavant ses relations avec ce dernier f) ^
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CHAPITRE X
Nouvelles querelles franco-américaines
Le
GATT
/
l’Uruguay Round
Après deux années
demie d’affrontements diplomatiques entre l’Est et l’Ouest comme entre les pays occidentaux', 1984 a donc marqué une accalmie bienvenue dans le cours de la cyclothymique et
et querelleuse amitié franco-américaine^. Cette
pause se révèle de
courte durée car déjà deux nouvelles exigences, deux nouvelles
pagnes sont en gestation à
la
cam-
Maison Blanche, qui vont perturber
les
rapports euro-américains et contraindre le Président Mitterrand, pen-
dant les années suivantes à de nouveaux refus.
L’une
est l’initiative
de défense stratégique, l’IDS dont
il
sera
question plus loin. L’autre concerne les nouvelles négociations dans
cadre du
GATT,
initiales
de l’accord général sur
le
les tarifs douaniers,
le
« General Agreement for Trade and Tarifications » signé à Genève
le
30 octobre 1947 par 23 membres fondateurs pour réglementer après guerre le commerce international, en assurer la sécurité et la stabilité, surtout promouvoir la libéralisation des échanges grâce à des cycles
la
et
périodiques
- ou « rounds » - de
térales
(NCM)
faires.
Cet accord
négociations commerciales multila-
visant à abaisser droits de est entré
en vigueur
douane le
1®*^
et obstacles
non
tari-
Janvier 1948 à «titre
provisoire », les États-Unis ayant refusé de souscrire à la création, plus
ambitieuse, d’une Organisation internationale du le
texte,
1
.
2.
en raison
des
Cf. chapitres III à VI. Cf. chapitre VII.
transferts
de
commerce prévue par
souveraineté
qu’elle
aurait
Les mondes de François Mitterrand
348 impliqués.
ont voulu conserver la possibilité d’appliquer de leur
Ils
propre chef des sanctions commerciales à d’autres pays
membres en
vertu de la « section 301 » de leur Trade Act, ou de les
menacer sans
membres du GATT. Bel
avoir à obtenir pour cela l’accord des autres
exemple de
deux tableaux démarche
façon dont un grand pays joue en permanence sur les
la
quand
la concertation multilatérale
:
unilatérale et souveraine à laquelle
elle l’avantage, la
ne renonce jamais.
il
Le libéralisme institutionnalisé du GATT a remarquablement accompagné l’explosion du commerce international jusqu’au début des et la croissance exceptionnelle qui
années soixante-dix Par
la suite,
GATT
en
est entré
il
crise.
De
sa ratification jusqu’à 1985, le
a généré sept cycles de négociations commerciales multilaté-
rales censées concerner tous les participants
lon
en a découlé.
Round»
(1960-1962)
Round » (1973-1979),
1967) et « Tokyo
des États-Unis d’entraver
la gestation
avait été précisément
du
la compatibilité
Round»
traité
avait permis
de
commune,
agricole
Communauté européenne, protectionniste ». Le « Dillon la
avec
les États-Unis le
GATT
aux États-Unis d’obtenir de
européenne qu’en contrepartie de elle
la
exempte de
« Dil-
«Kennedy Round» (1964-
demandé par
Rome
qui, depuis le
ont été marqués par la volonté
de
eux de « forteresse
vite qualifiée par
Round »
et surtout les
mais
pour
« Kennedy
le
;
vérifier
Communauté
la
mise en œuvre d’une politique
droits
de douane
les exportations
américaines d’aliments à base de gluten de maïs, produits de substi-
aux céréales
tution
quant au « Tokyo
;
Round
»,
plus justement appelé r
« Nixon Round
»,
avait à
il
nouveau permis aux Etats-Unis de dénon-
cer la politique agricole européenne, mais aussi la fermeture japonais.
Même
après ce round, la politique agricole
Européens n’a jamais cessé d’être dénoncée par
les
du marché
commune
des
milieux agro-ali-
mentaires américains, entreprises et politiciens confondus. Plus la capacité
exportatrice
de
la
communauté européenne
s’accroît,
plus la
compétition euro-américaine devient âpre sur les marchés des pays r
tiers,
plus le déficit commercial
américain se creuse et plus les Etats-
Unis se montrent pressants pour obtenir un accès plus large au marché européen.
péen
Il
y
a,
de
et l’idéologie Il
fait,
un antagonisme
purement
structurel entre le projet euro-
libérale qui sous-tend les accords
n’y a donc rien d’ étonnant à voir au
Sommet
GATT.
des Sept de
r
Londres, les
7, 8 et
9 juin 1984, les Etats-Unis et
le
Japon réclamer
une décision formelle d’ouverture d’un nouveau cycle de négociations
Nouvelles querelles franco-américaines dès avant
la fin
1985\
349
mise en place d’un comité préparatoire.
et la
Cette demande, dirigée à l’origine contre
une assemblée ministérielle
PAC, est dans des membres du GATT, la
l’air
depuis
en
réunie
novembre 1982 à Genève. Pour que ce nouveau cycle s’ouvre sur des bases permettant à la France de trouver par ailleurs des avantages, en incluant par exemple d’autres secteurs tels ceux des services, nous allons devoir négocier
durement. Par formation, âge, culture
et
conceptions politiques,
n’est pas spontanément libre-échangiste, mais protectionniste.
dissimule en général le
le
non plus manœuvres que
discours libéral qui, de plus en plus, domine
monde.
Ce phénomène de la
Président
n’est pas
il
se méfie surtout des hypocrisies et
Il
le
libéralisation des échanges, important volet
de
mondialisation avec les progrès techniques qui permettent l’échange
instantané d’informations de toute nature à la surface
sans que les gouvernements,
en mesurent toutes
les
même
les
conséquences.
de l’équilibrer, de l’organiser.
Que
du globe, s’étend plus dogmatiquement libéraux, faut essayer de l’accompagner,
Il
faire d’autre ? C’est
en tout cas
la
philosophie du Président.
Au Sommet
de Londres, François Mitterrand choisit pour commencer de gagner du temps, c’est-à-dire de ne pas discuter du contenu de
la
demande, mais de
l’écarter
pour des raisons concrètes
susceptibles d’être partagées par d’autres pays.
faut toujours rassembler des forces
tilatérales,
il
Surtout
France, sur un
fait
la
tel sujet
où
est prématuré, explique-t-il
du “Tokyo Round”
est
:
les enceintes
pour
mul-
faire le poids.
elle est a priori minoritaire
de ses traditions rurales, colbertistes
gement
Dans
la
et politiques.
«
Un
tel
du
enga-
mise en œuvre des résolutions
encore loin d’être achevée
;
la consultation
des
pays en développement au sein du GATT est nécessaire, et leur réticence à l’égard de ce projet est bien connue^, » Il souligne l’importance de l’environnement économique « Enfin et surtout, les conditions écono:
1.
2.
Le GATT compte alors 107 pays. Le président Mitterrand se préoccupe plus
démuni, celui dont
la
mondialisation aggrave
la
là
du
tiers
détresse que
monde du
tiers
de développement, celui que l’on appellera bientôt « émergent »
un accès accru au marché européen.
pauvre,
le
plus
monde en
voie
et qui
revendique
Les mondes de François Mitterrand
350
miques ne sont pas encore réunies des taux d'intérêt et
le
:
une croissance soutenue,
la baisse
retour à la stabilité monétaire devraient précéder
des concessions commerciales qui, dans la conjoncture mondiale actuelle, n 'auraient pas d'effets sur l'état des pays pauvres. »
La pression américaine, combinée,
sur ce point, à celle des Japo-
pendant l’hiver 1984-85. Le soutien britannique aux États-Unis est acquis d’avance. Le Chancelier Kohl, hôte du prochain
nais, s’accentue
Sommet
des Sept à Bonn, prévu pour mai 1985, est favorable à un
nouveau round du GATT, profitable par principe à exportateur. Mais, fidèle à sa ligne,
il
tout grand pays
déclare ne pas vouloir qu’on
isole la France.
Au
Conseil des ministres du 27 février,
parle tactique
«
n
dire
de
:
non de A à
Il
'est
Président
plus possible, au cours des pourparlers, de
Z. C'est pourquoi le '‘non " doit
la négociation.
le
précéder l'ouverture
»
Le 19 mars 1985, le gouvernement de Laurent Fabius accepte qu’un mandat de négociation soit donné à la Commission européenne - compétente, en vertu du traité de Rome de 1957, pour les négociations commerciales internationales -, mais il pose deux conditions y ait une préparation sérieuse et une consultation des pays en développement que la négociation ne porte pas que sur l’agriculture. Six jours auparavant, à Moscou, aux obsèques de Constantin Tchemenko, le Président français a parlé sans détours au Premier ministre japonais Nakasone « Les Etats-Unis nous imposent déjà les conséquences de leur déséqui-
préalables strictes à l’ouverture des pourparlers
:
qu’il
;
:
libre budgétaire, leurs taux
d 'intérêt élevés,
le
désordre monétaire.
ne vont pas, en plus, démolir notre système commercial
Ronald Reagan Sept avec
la
arrive à
Bonn
le
2 mai 1985 pour
ter à lui seul le principe (les États-Unis
tous ses préalables, mais
il
démantèlement de
la
de protectionnisme
:
PAC.
nouveau
gagnent du terrain) ni maintenir
le
dossier agricole soit prêt. Et
Il
il
s’opposera au
s’en prend à ceux qui taxent la France
« Parlons donc des mesures hypocrites (règles,
par les laminoir des Sommets des prises
le
des
ne peut plus contes-
prévient le Président américain que, de toute façon,
etc.)
Sommet
refuse encore de donner son accord à la
date d’ouverture en déplorant que seul
normes,
le
»
ferme intention d’obtenir d’entrée de jeu que
rowTî J commence avant 1986. François Mitterrand
il
!
Ils
antiprotectionnistes proclamés
!
» Mais
le
où s’expriment crûment les rapports de forces géopolitiques et géo-économiques mondiaux, en l’occurrence le poids américain, fonctionne à plein, et, le 4 mai au matin, François Sept,
Nouvelles querelles franco-américaines
351
Mitterrand se retrouve seul contre Reagan, Nakasone, Craxi, Margaret
même
Thatcher, et
que
le
Kohl
et
Delors (mais pas Mulroney) pour refuser
début des négociations
déterminés au préalable
le
soit fixé à
contenu, l’agenda
veau round. Le consensus étant quand
même
1986 sans et les
même
qu’aient été
modalités du nou-
de régie dans ces ren-
communiqué final est réduit au minimum du fait de notre « non » « Un nouveau round au sein du GA TT devrait commencer dès que possible. La plupart d'entre nous pensent que cela devrait être en 1986. » Ce « la plupart d’entre nous » ou « certains d’entre nous » constitue, au G7 comme à l’OTAN, la providence des rédacteurs de communiqués condamnés à un unanimisme de façade. L’affrontement à ce sommet de Bonn est plus bref, mais peutcontres, le :
être plus violent et cuisant
qu’à Williamsburg, un an auparavant,
propos qu’il inspire à François Mitterrand à l’issue de plus cinglants encore
notre politique
inacceptable
!
«
:
Il
n
’est
pas sain que des pays
on signe des
[...]. Ici,
traités
l ’est
séance sont
alliés dictent
en trente-six heures, c’est
J’entends dire que personne n
Très bien, mais elle
la
et les
en fait dans cette salle
’a
voulu isoler la France.
[...]. Il
n
’est pas
sain que
de l 'Europe soient jugées par des pays éloignés de l 'Europe. Je suis prêt à ouvrir une polémique publique si cela continue [...]. Je les affaires
n 'accepte pas le fait accompli.
sommes pas
D 'une façon plus générale,
des affaires du
le directoire
monde
[...].
pas non plus un tribunal qui aurait à juger amis France était ainsi traitée, je ne viendrais plus\ »
De
fait, si
celui de
Bonn
l’on tient
compte de
aura sans doute
Nous ne sommes
et alliés
[...].
Si la
pomme
de discorde, TIDS^,
des quatorze
Sommets des Sept
l’autre
été,
nous ne
auxquels François Mitterrand aura participé, celui au cours duquel se sera retrouvé le plus isolé,
ne l’empêche ni d’obtenir,
sur le
ni
même
par rapport à Helmut Kohl. Cela
de dormir, ni de dire non aux exigences américaines,
du coup, un an de
répit et
une amélioration du mandat
GATT (qui ne sera pas limité au secteur agricole).
est révélateur
de
il
la
Mais l’épisode
nature des rapports entre Occidentaux.
Durant ces prénégociations sur
le
GATT,
les
médias français
sont derrière nous, puisqu’ils défendent les intérêts agricoles et éco-
1.
le
Après ce Sommet de Bonn, Jacques Chirac donnera raison au Président sur
GATT. 2.
Voir plus
loin,
page 355-357.
Les mondes de François Mitterrand
352
nomiques français, Unis a tôt fait de
même les
si
la
moindre « tension » avec
inquiéter.,
En
fait,
les Etats-
banquiers et industriels
souhaitent, sans trop le dire, une libéralisation des échanges dans les
domaines de
l’industrie et des services
relais politiques et
;
mais
ils
n’ont pas les
médiatiques que les intérêts agro-alimentaires. La
France se voit plus agricole qu’elle n’est restée. difficile
mêmes
Il
donc plus
sera
de convaincre nos médias de l’opportunité d’un compromis
quand l’heure en sera venue. Le Président ayant donné son accord au nouveau Premier ministre Jacques Chirac, le nouveau round de négociations du GATT est finalement ouvert le 15 septembre 1986 à Punta del Este, station en présence de 103 parties contractantes.
balnéaire uruguayenne
Michel Noir, ministre du Commerce extérieur, y représente la France, muni d’instructions très précises refuser d’emblée tout accord séparé :
sur l’agriculture sujets ter
:
;
réclamer l’extension des négociations à d’autres
services, propriété intellectuelle, investissements
à invoquer au sein des
Douze
le
;
ne pas hési-
compromis de Luxembourg^ dans
l’hypothèse où les aides à l’exportation seraient en danger d’être sup-
primées. Finalement, les
«103
contractantes» décident
parties
d’ouvrir des négociations globales incluant la baisse des subventions
à l’agriculture
-
ralisation des
échanges dans
ce sera pour nous un casse-tête les
domaines
- mais
aussi la libé-
industriel et des services
-c’est un progrès.
L’Uruguay Round va durer sept ans
;
il
nos relations avec nos partenaires européens rieure française jusqu’au 15
La guerre des
pèsera lourdement sur et sur la politique inté-
décembre 1993^.
étoiles
Plus encore que l’obstination américaine sur l’« Initiative
1.
Il
de défense stratégique^» qui
prend de ce
fait le
nom
d’« Uruguay
aigrit,
Round
le
GATT,
en 1985
c’est
et 1986, les
».
»
2.
Un
Etat
membre de
la
Communauté s’oppose
à une prise de décision au
nom
de ses intérêts vitaux. 3.
Cf. infra, chapitre
XVI.
Dans les premiers temps, à l’Elysée, nous parlons, comme « SDI ». Le Président nous reprend « Parlez français ! » Cela donne 4.
:
la presse, :
« IDS
».
de
Nouvelles querelles franco-américaines relations franco-américaines.
de
poursuite de
la
Dans de
la politique
le
la
premier cas, on
353 vu,
l’a
il
s’agit
« porte ouverte » par laquelle
les
Etats-Unis, depuis qu’ils sont une puissance commerciale mondiale,
cherchent à faire tomber, chez
les autres, les barrières qui font obstacle
à la vente de leurs produits, démarche éventuellement transformable, si
l’on sait s’y prendre, en accords mutuellement avantageux.
l’autre,
Dans
d’une perturbante lubie personnelle du Président Reagan.
devenue publique le 23 mars 1983. Ce jour-là, Ronald Reagan a annoncé sa volonté de bâtir une « défense stratégique » qui permettrait - excusez du peu - de « libérer le monde de la menace Elle est
!
de
guerre nucléaire
la
».
Personne, à l’époque, ne prête attention à ce
qui semble relever de la pure rhétorique. Pourtant, au projet t-il,
du Président Reagan se précise
petit à petit.
Il
des mois,
fil
le
consiste, semble-
à placer dans l’espace, sur des satellites, des armes nouvelles
notamment
mesure de détecter et de détruire en vol tout missile hostile. Le Président Reagan espère ainsi protéger les Etats-Unis sans avoir à menacer leurs adversaires de mort nucléaire. utilisant
l’énergie dirigée, et qui seraient en
En premier
Quelles sont les motivations du Président américain ? lieu,
sans doute une raison conjoncturelle
de fer planétaire avec
:
alors
engagé dans un bras
notamment sur les SS 20, après mesures de réarmement décidées par le Pré-
les Soviétiques,
avoir encore amplifié les
sident Carter durant la dernière année de son mandat, être,
dans cette annonce spectaculaire, un
sement de l’épiscopat
et
moyen de
il
voit peut-
ralentir le glis-
d’une partie du public américains vers
pacifisme. Mais, en outre, ses déclarations l’attestent,
il
le
croit sincè-
rement à ce système défensif, comme, d’une façon plus générale, aux capacités quasi illimitées de la science américaine. Plusieurs amis
non nucléaire ne peut que rencontrer l’adhésion de l’opinion américaine, donc de son Président dont une des grandes forces a toujours été de partager instinccaliforniens l’en ont convaincu. Cette protection
tivement les sentiments de ses concitoyens. L’idée de dissuasion nucléaire est en effet restée à la fois incompréhensible et terrifiante
pour bien des peuples de
ceux qui ont dominé
le
la
seconde moitié du xx®
monde ou
qui ont
à l’exception peut-être des Français qui
connu
même
pour
paix grâce à
elle,
siècle,
la
y ont vu, jusqu’à un certain
un facteur de progrès et d’indépendance nationale. La forme américaine de cette phobie est particulièrement virulente. Peut-être est-ce le remords d’Hiroshima ? Pourtant, le concept
point,
Les mondes de François Mitterrand
354 de dissuasion
(je te fais
tellement peur que tu ne m’attaques pas) est
Les dictons anciens tels que « si vis pacem, para bellum », ou encore « mieux vaut montrer sa force pour ne pas avoir à s 'en servir », n’expriment rien d’autre. Mais le point faible de accessible à
un
enfant.
ces évidences est qu’elles remontent à la nuit des temps, c’est-à-dire
à une époque antérieure à la
bombe atomique
et
au traumatisme
provoqué dans l’imaginaire de l’humanité. Elles présupposent un monde où la paix s’obtient par l’acceptation de la vulnérabilité mutuelle et par l’équilibre des forces, notions qui répugnent aux qu’elle a
esprits américains,
À
comme
déplore régulièrement Henry Kissinger.
le
cela s’ajoute que, contrairement à la France
où
les Présidents ont
toujours sagement distingué entre dissuasion et emploi, les stratèges
américains et soviétiques ont admis, entre 1950 et 1990, de plus en plus d’hypothèses d’emploi d’armes nucléaires « tactiques », voire de
guerres nucléaires « limitées », ce qui a terrorisé les populations ainsi
« protégées
»,
d’abord
et
nucléaires
batailles
les
auraient
Allemands sur eu
le
sol
Finalement,
lieu*.
desquels ces la
dissuasion
nucléaire a beau avoir, en pratique, maintenu la paix entre les puis-
sances nucléaires pendant un demi siècle où un affrontement général aurait
pu
se produire à quatre
ou cinq
reprises, l’arme nucléaire est
devenue, malgré cette évidence, l’incarnation de l’arrogance promé-
moderne du Mal. Dans « dissuasion nucléaire », dissuasion convainc ou laisse sceptique, mais nucléaire horrifie. Dans les États-Unis des années 1980, cette évolution des théenne de l’humanité et
la figure
mentalités est déjà très avancée et l’ancien gouverneur de Californie, tout déterminé qu’il soit, dans le
même
temps, à renforcer
le potentiel
nucléaire américain, n’y échappe pas.
La phobie de
la vulnérabilité est l’autre raison,
à la précédente, de la séduction qu’exerce
Américains. Depuis l’origine, on territoire, qui
dangers
et
l’a vu,
le
étroitement liée
concept d’IDS sur
ceux-ci voudraient que leur
n’a jamais été envahi, soit invulnérable, à l’abri des
menaces du
reste
du monde,
qu’il s’agisse
de microbes ou
de missiles. Cette philosophie prophylactique leur a
comme un que
les
traumatisme national, dans
les Soviétiques disposaient
les
années 1950,
fait ressentir
la
découverte
de bombardiers à longue distance,
puis de missiles, enfin de satellites capables d’atteindre le sol amé-
1.
Cf. chapitre
XXL
Nouvelles querelles franco-américaines ricain. Ils se fixèrent
d’abord pour priorité
la
355
défense antiaérienne du
continent nord-américain contre une « attaque surprise » des
bom-
bardiers soviétiques, laquelle fut opérationnelle lorsque l’apparition
des missiles
la rendit
caduque. Toujours à cette époque,
les abris
individuels et la défense passive, évalués alors à 50 milliards de dol-
passaient pour indispensables.
lars,
Dans
les
années 1960,
d’une protection par des antimissiles
l’idée
comme
devant être globale, puis partielle
(contre la
menace
ABM). À chaque rompre
;
avancée
celle-ci fut présentée
(les villes), puis
chinoise), avant l’abandon négocié fois,
fut
du
légère
projet (Traité
cependant, pressentant qu’il serait périlleux de
l’équilibre de la dissuasion mutuelle'.
Américains
et
Sovié-
tiques surent s’arrêter à temps.
Le
ABM
traité
de 1972 par lequel
ils
s’étaient
développer de missiles antimissiles, sauf sur deux été
un bon exemple de
engagés à ne pas
sites
chacun, avait
cette mutuelle et paradoxale sagesse des
nucléaires. Bref, l’utopie de
temps
Ronald Reagan d’une protection her-
Tâme
métique correspond davantage encore à
américaine que toutes
les précédentes.
Au Reagan
fil
des mois, en 1983
se multipliant, opinion et dirigeants
sionner pour est
1984, les interventions de Ronald
et
commencent
à se pas-
à réagir, y compris en France. Cet épisode une fascinante leçon de choses... Non pas sur le plan
le sujet, et
pour moi
diplomatique
:
ce à quoi je participe alors ne diffère pas beaucoup de
ce que je vis depuis 1981.
Il
s’agit
de ces moments où, brusquement,
les États-Unis
prétendent dicter notre politique en fonction de « phobies qui ont cours en Californie », selon le mot de François Mitterrand.
Il
non tout seul, quand il doit le faire. Mais le débat commentaires des dirigeants du monde entier sur l’IDS
sait dire
public et les
sont extraordinaires tant
ils
révèlent de
trouble de la perception du réel qui est
futilité,
le
de crédulité,
symptôme
et
ce
croissant des
sociétés ultra-médiatisées.
Cependant, l’IDS ne devient un sujet de controverses entre alliés qu’en 1985. Jusque-là, la Maison Blanche s’est surtout employée à mettre
pied
la
« Strategie
Defense
Initiative
Organization »
Concept que, malheureusement pour les réactions de leur opinion publique, Américains ont traduit par « destruction mutuelle assurée », soit « mutual assured 1
les
sur
.
destruction », en abrégé
MAD,
qui, par-dessus le
marché, veut dire en
anglais...
fou
!
Les mondes de François Mitterrand
356
confiée à l’entreprenant général Abrahamson. Pour convaincre les membres du Congrès, récalcitrants, de voter les crédits nécessaires, s’efforce maintenant d’impressionner l’opinion la plus large.
elle
but, les chaînes de télévision américaines se voient proposer
Dans ce
des films d’animation qu’elles diffusent à des heures de grande écoute et qui montrent des missiles soviétiques pulvérisés dans l’espace, avec
une précision
infaillible,
par des armes à laser placées sur des satel-
Bientôt, ces images de synthèse sont diffusées par les télévisions
lites.
européennes
et
japonaises
et,
de proche en proche, durant l’année
monde
1984, la fièvre gagne les opinions du
entier.
printemps 1983, après le discours du 23 mars prononcé par Ronald Reagan, le Président Mitterrand m’a demandé d’examiner de près ce projet, de consulter et de lui dire « si cela peut marcher »,
Dès
le
et ce
que j’en pense. Durant
sitôt,
je suis surpris de voir
tielle,
me
les investigations
que j’entreprends aus-
combien cette question préalable, essen- est-ce que cela peut marcher ? -, intéresse peu
semble-t-il
de monde, mis à part le Président et quelques scientifiques, ces derniers étant généralement sceptiques. Pourtant, si cela ne marche pas, la discussion
Au
n’a aucun sens
!
départ, les milieux politiques et journalistiques n’ont pas
d’opinion sur
le sujet. Ensuite, leur
opinion découle de ce qu’ils pen-
sent des États-Unis. Ils ne savent toujours pas
mais
ils
sont
pour ou
contre.
imprégné de « space opéras mation
En
cela peut marcher,
pour un large public mondial
», tout cela existe déjà.
SDIO ne
réalisés par la
fait,
si
Les films d’ani-
reproduisent-ils pas les scènes
mon-
f
Guerre des Etoiles (1977), de L’Empire contre-attaque (1980, année de l’élection de Reagan) et du Retour du Jedei (1983, année du discours de Reagan) ? Saint-Thomas (revu et dialement connues de
inversé, sa
maxime
la
« Je ne crois que ce que je vois
:
»,
devenant
:
« Je crois tout ce que je vois ») et Georges Lucas ont préparé Reagan. Marque de l’époque cette crédulité n’est pas circonscrite au grand :
public,
comme
en témoignent
beaucoup de responsables. dans un
monde
Certains
Il
les questions
est vrai
que
que se posent avec gravité
les
responsables aussi vivent
d’images.
s’inquiètent
États-Unis et l’Europe.
d’un possible « découplage » entre
Ce cher
les
épouvantail est ressorti réguliè-
vieil
rement des armoires transatlantiques. En
réalité, la
défense de l’Eu-
f
rope est « découplée » de celle des Etats-Unis depuis longtemps, en fait
depuis que l’URSS a acquis
la capacité d’atteindre le territoire
Nouvelles querelles franco-américaines
357
américain avec ses missiles, vers 1960, ce qui a d’ailleurs amené Washington à décider aussitôt d’abandonner la stratégie des « représailles
»,
bonne quand on ne risque
remplacer
rien, et à la
« riposte graduée » qui lui laissait, en cas de guerre en Europe, temps de voir venir. Les dévots de l’atlantisme ont fait semblant
par le
massives
la
de ne pas s’en apercevoir. La stratégie, contrairement à ce que l’on croit, est nourricière de mythes, et les stratèges se laissent souvent
dominer par des croyances. Quoi pas cette situation,
s’il
qu’il
en
d’IDS ne crée
soit, le projet
l’aggrave.
Autre exemple de contre-sens
:
ce projet étant présenté
comme
un « bouclier » (ce qui alimente de pédantes gloses sur la dialectique du glaive et du bouclier), certains se demandent ce que va devenir l’Europe (sera-t-elle ou non sous le bouclier?), et quelle utilité conservera
force française de dissuasion une fois que
la
l’URSS
se
sera à son tour (personne ne doute qu’elle le fera) dotée d’un tel bouclier. Ainsi, alors
que personne ne
encore
« cela » pourra marcher, se constitue déjà, en 1984, un lobby pro-IDS, une sorte de
européen de
sait
si
Guerre des Étoiles, composé de pro-Américains, d’admirateurs de Reagan, d’antinucléaires, de pacifistes, d’entreprises parti
la
flairant le pactole, et d’esprits à la la
même
mode, fatigués d’avoir à approuver
théorie (la dissuasion) depuis trop longtemps.
Tout cela n’a aucun sens
Dès mes premières çais et étrangers,
il
investigations auprès de scientifiques fran-
m’apparaît évident que TlDS,
un jour, ne prendra pas
la
d’un continent particulier, globe afin de détecter après son envoi.
!
Une
si elle
doit exister
forme d’un « bouclier » placé au dessus mais d’un filet entourant l’ensemble du
et détruire tout missile,
d’où qu’il vienne, peu
surveillance des « terriers » et
non une protec-
La question du bouclier (« qui serait dessous ? ») est mal posée. Tout le monde serait protégé, ou personne. Il faudra attendre le 11 janvier 1985 pour que le énième conseiller de Ronald Reagan pour la Sécurité nationale, Bud MacFarlane, nous tion des cibles, en quelque sorte.
dise à l’Élysée, à Jacques Attali et à moi, ce qui
depuis un an Unis,
:
«
Il s ’agit
me
paraît évident
non pas de poser un bouclier sur
mais un couvercle sur
le
monde
entier.
» Suit cet aveu
les États:
« C'est
que nous avons trouvée de convaincre notre opinion de nous laisser augmenter nos dépenses militaires. » Sans doute les hommes politiques français ont-ils également peur, s’ils s’interrogent publiquement sur la fiabilité de ce système. la seule façon
Les mondes de François Mitterrand
358
pour archaïques, passéistes, ou anti-améPourquoi manifester tant d’héroïsme alors que,
d’être ridicules, de passer ricains, voire les trois.
n’est-ce pas, « l’avenir c’est
comme on
Vespace »,
« l’espace c’est l’avenir
et
l’assure dans les cocktails, ce qui est peut-être vrai,
»,
mais
problème posé. En France, depuis 1940, les responsables politiques ne craignent rien tant que d’être accusés d’avoir préparé leur pays à la guerre d’hier et d’avoir ignoré celle de demain parce qu’ils n’auraient pas lu à temps un nouveau colonel de
n’a aucun rapport avec
le
Gaulle.
En
1984, le gouvernement français,
détenteurs d’armes nucléaires, se
poursuivre les
le
Président
Reagan en
armes nucléaires d’« amorales
plus,
et,
comme
celui des autres pays
demande quel
comme
qualifiant,
Mais
».
objectif peut bien les pacifistes,
attendent d’en savoir
ils
officiellement, les États-Unis n’ont toujours rien
demandé à
leurs alliés.
Pendant cette année, je continue à consacrer beaucoup de temps à cette question, comme me l’a demandé le Président. Avec Jacques Attali,
Bianco,
Jean-Louis
Christian
Sautter,
secrétaire
général-
ou Jean-Daniel Lévi, conseiller scientifique, ou le chef d’état major particulier du Président, nous auditionnons de nombreux physiciens du CEA, du CNES, des spécialistes de l’espace, des lasers, adjoint,
des militaires français et américains. J’arrive assez vite à la conclusion que le projet,
tel
que
le
enflamme l’imagination des réalisable. Et cela,
En premier
Président
Reagan
annoncé,
téléspectateurs, n’est tout
pour plusieurs raisons
lieu, les
l’a
et tel qu’il
simplement pas
:
armes à énergie dirigée qui sont censées
un jour, avant de longues années. Pour en placer dans l’espace un nombre suffisant devoir être employées n’existeront pas,
à la constitution d’un
chaque semaine, des
filet
étanche,
satellites
dont
il
si
elles existent
conviendrait de mettre en orbite,
le
premier n’existe pas encore, en
quantité telle qu’il y faudrait plusieurs dizaines d’années. Même si c’était possible, qu’est-ce qui empêcherait l’URSS de prendre entre-
temps des contre-mesures, d’augmenter balistiques moins repérables, etc. ? D’autre part,
est-il réaliste
le
nombre de
de penser que
ses missiles
non
les États-Unis arrive-
raient à dégager les mille milliards de dollars nécessaires, selon ses
promoteurs, à
la
mise en œuvre du projet ?
comment croire qu’un système fiable à 100 % serait jamais réalisé ? Dès lors qu’il suffirait que deux ou trois missiles Enfin,
Nouvelles querelles franco-américaines franchissent cet hypothétique
shington,
pour prendre
ricain rité
comment imaginer
filet
la terrible
New
York ou Watrouve un jour un président amé-
pour détruire
qu’il se
359
responsabilité de faire reposer la sécu-
des États-Unis sur ce seul système « défensif » ?
Ma
conviction, vite forgée, est qu’aucun président, pour toutes
ces raisons, n’abandonnera jamais complètement les armes nucléaires.
Mais
alors, si l’IDS
ne peut être au mieux qu’un complément, pour-
quoi Ronald Reagan sape-t-il chaque jour les fondements de l’irremplaçable dissuasion en traitant les armes nucléaires d\< immorales et
dépassées » ? Je fais part au Président de
sions
«
mes
réflexions et de
Ce système ne marchera jamais
mes conclu-
nous devrons réaffirmer, contre la rhétorique reaganienne, la justesse et la crédibilité de la dissuasion qui, pendant longtemps encore, assurera la sécurité de iwtre :
et
pays. »
Mais François Mitterrand entend d’autres sons de cloche, notam-
ment
les avis
de Jacques Attali, convaincu de
de l’arme nucléaire, de Charles
propagande reaganienne
et
prochaine caducité
Hemu, lui-même impressionné
par
la
pressé par les industriels français de
l’aiTnement de ne compromettre le
la
la
conclusion d’aucun marché avec
Pentagone. Jacques Attali inspire
le
discours que François Mitter-
rand, également influencé sur ce point par Marie-France Garaud, pro-
nonce à La Haye
le
au-delà du nucléaire
6 février 1984 si
l
'on
:
«
Il faut
déjà porter nos regards
ne veut pas être en retard sur un futur plus
proche qu 'on ne le croit [...]. Que l 'Europe soit capable de lancer dans l'espace une station habitée qui lui permettra d'observer, de trans-
donc de contrarier une menace éventuelle, et elle aura fait un grand pas vers sa propre défense. Une Communauté européenne de l 'espace serait, à mon sens, la réponse la mieux adaptée aux réalités militaires de demain. » mettre, et
Au
début de 1984,
la
position française est donc loin d’être fixée.
Je fais valoir au Président que les capacités d’observation et de
communication dans l’espace devraient se concevoir en complément et non en remplacement du nucléaire. Il écoute les différentes thèses défendues dans son entourage, sans encore trancher. Chez lui, un certain scientisme de littéraire s’enchante de ce futur spatial. S’y mêle
une autre raison
:
la
volonté de trouver avec l’Allemagne un terrain
de coopération d’avenir, non nucléaire. Ainsi,
Ludwigshafen,
il
déclare à
Helmut Kohl
:
«
le
2 février 1984, à
Il faut faire
ensemble de
Les mondes de François Mitterrand
360
grandes choses, par exemple, sur habitées pour surveiller la planète,
le terrain militaire, et les lasers
des navettes
dont parlent
les
Amé-
»
ricains...
Comme
le
charisme reaganien rend
j’aborde, après le discours de
difficile
La Haye,
le
une attaque
frontale,
problème sous un autre
angle en proposant au Président de reprendre un passage resté
lettre
morte de son discours à l’ONU de 1983 contre l’introduction d’armes dans l’espace. Il me donne son accord, le 24 mars, et, après un travail de quelques semaines avec Claude Cheysson, Charles Hemu, le général Saulnier, Jacques Andréani et Pierre Morel, nous déposons, le 12 juin, à la
dant
Conférence sur
le
désarmement, à Genève, un texte deman-
:
«
P'')
La
limitation des systèmes antisatellites (existant déjà) et la
prohibition de ceux qui pourraient atteindre des satellites en orbite
haute (n 'existant pas encore) 2^)
;
L 'interdiction du déploiement
des nouvelles armes à énergie
dirigée capables de détruire les missiles balistiques ou les satellites. 3^)
Un système de déclaration de mise en
orbite.
»
Ces dispositions devraient constituer un bon verrou En 1984, alors que la faisabilité de l’IDS commence d’être mise en doute au Congrès et dans la presse américaine par un nombre !
croissant de scientifiques et de sénateurs américains, l’administration
Reagan
et plusieurs personnalités républicaines ont recours à
des
arguments plus classiques, plus « politiciens ». Henry Kissinger, par exemple, soutient l’IDS comme un moyen de « faire craquer » l’URSS, soit qu’elle croie à l’IDS et soit découragée d’avance devant
un
tel
saut technologique, soit qu’elle ait tout simplement peur d’une
relance de la course aux armements classique sous couvert de l’IDS
:
en vertu de ce raisonnement, hostile à notre proposition d’interdiction de déploiement des armes dans l’espace. Quant aux indusil
est,
tries spatiales, militaires et
électroniques américaines, elles sont natu-
rellement favorables à cette manne, quelles que soient la finalité et la crédibilité
du programme
!
Quoique théoriquement engagé par la proposition déposée par la France le 12 juin à Genève, François Mitterrand laisse encore ouvertes toutes les options. Le 29 octobre encore, au sommet francoallemand de Bad-Kreuznach, il presse à nouveau, avec des arguments explicites, Helmut Kohl « Il faut faire ensemble tout ce qui ne vous est pas interdit, c'est-à-dire l'espace, les armes chimiques, les :
Nouvelles querelles franco-américaines » Le 30,
361
du Président américain, reçu par notre ambassadeur à Washington, Bernard Vemier-Palliez, reconnaît que Ronald Reagan est, depuis le début,
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> Et à éventuelle réunification, 3 novembre, pressé de dire s’il craint une «Je n 'ai pas peur de la réunification^ » À l’échelle des redit
fique. Est-ce le il
:
un
siècles, c’est
fataliste confiant.
La polémique de
franco-française sur l’attitude à adopter vis-à-vis
la réunification est
née dès
la fin
conformément à nos manies,
lors
1989
et s’est
c’est-à-dire
perpétuée depuis
en faisant
con^e
si la
en prêtant peu d attention à la poliévénements sont incomprétique menée par ses partenaires. Or ces vue égocentrique fransi on les considère du seul point de France
était
au centre de tout
et
hensibles çais.
Rappelons en premier
lieu l’attitude allemande.
Au
cours des
changeants sur années précédentes, Flelmut Kohl a tenu des propos années une éventuelle réunification, tout en se comportant dès les exemple dans les 1984-85, chaque fois qu’il en avait l’occasion - par 1 enstratégiques, on l’a vu —, en protecteur des intérêts de affaires
remarque vaut pour Hans-Dietrich Genscher qui a suivi cette ligne^ pendant quinze années avec ingécollaborateurs d’Helmut niosité, talent et constance, et pour plusieurs
semble des Allemands. La
même
Kohl, notamment Horst Teltschik. qui Jusqu’en 1987-88, le Chancelier a eu l’attitude de quelqu’un
devra peut-être sacrifier un jour le deutschmark, symbole mais de la nouvelle Allemagne démocratique, sur l’autel de l’Europe, avec préfère à l’évidence retarder ce sacrifice et l’affrontement sait qu’il
qui
FUnion
tous ceux qui s’y opposeront. Pour ce qui est de
européenne, français.
1.
ou
De
il
est sur la
même
politique
longueur d ondes que son partenaire
1984, date de la relance de l’Europe, à 1989,
il
fait
émus Démonstration par l’absurde qu’il affectionne face à des gens vraiment
indignés.
selon Sondage BVA Paris Match du 15 novembre 1989 la France doit-elle, Non, 60 vous, craindre une réunification de l’Allemagne ? Oui, 28 Brandt. 3. Préfigurée par l’« Ost-Politik » du Chancelier 2.
;
%
,
De
Mur
chute du
la
au Traité de Maastricht
avancer lentement mais sûrement
les
429
deux projets avec son alter ego
français.
Vis-à-vis de Mikhaïl Gorbatchev,
montré sceptique
ment que
sceptique.
et méfiant, puis
A
mouvement
le
les
Bonn, témoigne
:
il
prend conscience
lancé par Gorbatchev, et qui est en train d’échap-
cheveux
la réunification ».
sceptique et attentif, puis amicale-
un moment donné, en 1989,
per à ce dernier, va faire de
chance par
Chancelier s’est d’abord
le
et se
lui,
pour peu
qu’il sache
montrer assez habile,
le
empoigner
la
« Chancelier de
Serge Boidevaix, alors ambassadeur de France à «Au printemps 1989, le Chancelier est préoccupé ;
sa cote de popularité tombe tique. Puis, soudain, le
[...].
En juin
1989, on parle de crise poli-
miracle se produit
[...],
les
Allemands de
l’Est
commencent à arriver [...]. Le Chancelier sent le vent tourner. Le 11 septembre, au congrès de la CDU, à Brême, M. Kohl est redevenu l’homme politique sûr de lui, le chef incontesté du parti. Face aux sociaux-démocrates, d’ailleurs divisés, qui ne savent plus très bien où ils en sont avec leur politique des petits pas pour le rapprochement
avec
RDA,
la
le
Chancelier voit la possibilité d’une percée.
son langage est national,
il
parle pour l’Allemagne
; il
est
À Brême,
applaudi
course à l’unification est lancée sans que chacun en conscience^.. » la
En octobre-novembre 1989, donc, certitudes ni sur le lui, l’issue
ne
allemande,
il
mains
fait
points »,
terme de
ni sur le
plus de doute.
En
pour
garder les
gauche.
S’il
Bundestag, un « plan en dix vite rédigé avec ses seuls proches collaborateurs, sans que le
le
à l’avance, ce n’est pas pour accélérer le soit
canaliser
difficile à
ni à droite ni à
ni ses ministres ni les dirigeants étrangers
que ce
la réunification,
expert de la politique intérieure
ne se laisser « doubler »
28 novembre, devant
ait
Chancelier n’a encore de
cherche avant tout dans cette passe
libres et à
présente
rythme
si le
;
devant
le
fait
un mouvement
n’en aient eu connaissance
mouvement
ni placer qui
accompli, mais, bien au contraire, pour
qu’il craint, s’il
échapper. (N’oublions pas que
si
ne l’encadre pas, de voir
Willy Brandt a été
lui
fêté à Berlin le
9 novembre, lui-même y a été sifflé le 10.) Qu’y évoque-t-il ? Une aide accrue à la RDA, une « communauté contractuelle » REA-RDA,
1.
et
Voir aussi
les excellentes
pages 226 à 232
et
235 à 250 du chapitre « Truman
Kohl » des Antiportraits d’Alain Mine, Gallimard, 1996.
Les mondes de François Mitterrand
430
Mais
reste prudent sur le
il
d’une fédération.
structtires confédérales, puis
mise en place de
la
terme ultime de
la réunification'. Il
remplit
heures d’ irritason rôle de Chancelier allemand. Après vingt-quatre Il n’y a rien là de chotion, le Président Mitterrand le comprend^ le Chand’aventureux. Fin novembre 1989, la RDA est pour quant, ni
un
celier
qui a encore État allemand déjà sous protectorat, mais
quelques années devant
lui et qu’il faut stabiliser
pendant cette tran-
Mitterrand Cela explique d’ailleurs que le voyage de François il réapprouve le en RDA en décembre, annoncé depuis un an et dont ne le gêne pas, principe lors du Conseil européen de Strasbourg, sition.
il aurait préféré contrairement à ce que l’on prétend à Paris, même s propos très responsables qu’il ait lieu plus tôt. Et ce ne sont pas les ni ses Président tient aux derniers dirigeants est-allemands,
que
le
l’indisposer « Si déclarations, le 21 décembre, à Leipzig, qui peuvent France qui peuple allemand décide Tunité allemande, ce n est pas la :
le
s
du peuple allemand, y opposera. S ’il s 'agit des aspirations profondes
nous Français, nous devons position de la liberté^. »
le
comprendre
et je choisirai toujours la
Encore plus d’Europe Pendant cette seconde moitié de l’année 1989, alors que les qu’ils changements prennent de l’ampleur en Europe de l’Est et parce pression européenne se précipitent, François Mitterrand maintient une entame ses traconstante sur ses partenaires. Le « groupe Guigou »
vaux
le
moins de
5 septembre et les bouclera en
trois
mois. Les
ont lieu Assises européennes de l’audiovisuel que nous avons voulues octobre à Paris. La directive « Télévision sans les 30 septembre et
1
.
« Nous
sommes
prêts à entreprendre un nouveau
pas
décisif,
en mettant en
de créer ensuite place des structures confédérales entre les deux États, avec l objectif perune fédération (...) Quelle sera finalement la forme d’une Allemagne réunifiée, Allemagne le sonne ne le sait aujourd’hui. Mais que l’unité se fasse, si les hommes en veulent, j ’en suis certain. » 2.
« Je n
’ai
pas
été prévenu. J’aurais préféré
cours a été prononcé. Je
prudence. » Entretien à 3.
Cf. infra,
l’ai
la
’étre. Il
n
’était pas obligé.
naturellement analysé et j ai vu qu
BBC, mars
pages 447
l
et
448.
1995, non diffusé.
il
était
Le
dis-
d une extrême
De
la
chute du
Mur
au Traité de Maastricht
431
frontières » est adoptée le 3. Elle invite les
États-membres à diffuser « une proportion majoritaire » d’œuvres européennes « chaque fois que c’est possible ». Le Président se rend au Parlement européen et y insiste sur le nécessaire renforcement de l’Europe, préalable à tout nouvel élargissement. C’est là, le 25 octobre, qu’il lance le projet de
banque pour l’Europe qui deviendra il
se bat contre
Mrs
la
BERD. Pour
Thatcher, avec qui
pour l’ouverture rapide de
la
Charte sociale,
un échange de
a
il
la
Conférence
lettres, et,
intergouvemementale,
contre Helmut Kohl.
La fixation de la date de cette ouverture devient, comme prévu, l’enjeu du mois de novembre. La France obtient d’abord que le Conseil des ministres des Finances transmette
le
Conseil européen. Puis,
rapport du « groupe de haut niveau » au le
20 novembre, aux Pays-Bas,
le
Président
demande que la date d’ouverture de la future Conférence intergouvemementale soit fixée avant la fin 1989, sous présidence française. Le 27 novembre encore, le Chancelier veut s’en tenir à un simple rapport à remettre pour
conférence.
En
démarre alors
fait,
ait été
il
la fin
de 1990 sur
voudrait que
auparavant
les principes préparant
une
le
processus de réunification qui
mené
à son terme, et ne pas avoir à
prendre d’engagement irrévocable sur
la
monnaie européenne, donc
sur le deutschmark, avant les premières élections générales prévues
dans l’Allemagne réunifiée à l’automne
1990.
C’est exactement
que veut François Mitterrand qui confirme au Chancelier, le 1*"^ décembre, qu’il demandera au Conseil européen de Strasbourg, huit jours plus tard, de fixer une date précise pour le début des travaux de la conférence intergouvemementale. l’inverse
Dans
les
jours précédents, les principaux représentants du patro-
nat allemand, et
même
H.D. Genscher sont venus à l’Élysée dire au Président qu’ils comptaient sur lui Bon exemple du pouvoir que peut !
conférer
la
présidence tournante du Conseil
:
finalement, au terme de
cette période de relative tension, trois jours avant Strasbourg,
Helmut Joachim Bit-
Kohl nous communique l’accord de l’Allemagne (c’est terlich qui le téléphone à Élisabeth Guigou) pour une ouverture de la Conférence lors du Conseil italien, un an plus tard. Ce délai nous convient, et, à la limite, peu nous importe sa longueur si la date est ferme. Avant même que s’ouvre le Conseil de Strasbourg, nous pouvons considérer qu’à coups répétés de lettres, de discours, de comités,
de propositions, trente à quarante personnes ayant été mobilisées pendant six mois pour relancer la mécanique « à la manivelle », le Chef
Les mondes de François Mitterrand
432 de l’État a déjà
s’était fixés
des buts qu’il
atteint le principal
pour
cette présidence française.
Le Conseil européen de Strasbourg des
8 et 9
décembre 1989 brouillard et un
le s’ouvre dans une ambiance chaleureuse, malgré soir une totale extinction froid pénétrant qui me valent dès le premier
Pour mes
suis alors de voix, gênante pour le porte-parole que je Élisabeth Guigou «briefings» devant près de 150 journalistes, Il dit m’accompagne et traduit pour la salle mes chuchotements « !
:
de Ce Conseil va être avec ceux de Fontainebleau en juin 1984, Luxembourg en décembre 1985 et de Maastricht en décembre 1991, Quand il s’ouvre, l’un des plus décisifs de la présidence Mitterrand. le
8,
le
Mur
est
« tombé » depuis un mois
;
des manifestafions
Mittermonstres ont déjà eu lieu en RD A George Bush et François à Malte et à rand ont rencontré Mikhaïl Gorbatchev respectivement problème de la Kiev ; le Président a posé depuis cinq semaines le Oder-Neisse le Chancelier a présenté son « plan en dix j
frontière
points »
;
dix jours
plus
tôt.
Fait
essentiel,
le
« renforcement
»,
approfondissement » de la Communauté européenne sont juges Mitterrand et essentiels, moyennant quelques nuances, par François
l’«
Mais ce qui va par Helmut Kohl pour accompagner la réunification. Strasbourg, permettre de juger de la pleine réussite de ce Sommet de économique et monéce sera la précision des conclusions sur l’Union soir du 8. Soirée marquée, taire. Tout se joue dans l’après-midi et au en outre, par des échanges tendus Kohl-Mitterrand-Thatcher-Lobbers
r intangibilité des frontières. Mais le 9 au matin, à la préfecture, au petit déjeuner qui les européens —, réunit — comme toujours le deuxième jour des Conseils heureux d’être sortis de le Président et le Chancelier sont détendus,
sur
entente euroces semaines de relative tension et d’avoir rescelle leur Joapéenne. Les textes préparés pendant la nuit, que leur présentent
chim
Bitterlich et Élisabeth
avons un échange badin
i
Guigou, sont agréés. Le Président
« Alors, vous êtes
mon porte-parole
et
et
moi vous
Du ne pouvez plus parler ! — Il me reste la force de vous ecouter. » première point de vue français, les résultats sont considérables la juillet étape de l’Union économique et monétaire commencera le U" de définir le la Conférence intergouvemementale chargée 1990 :
;
contenu
et le calendrier
quée avant
le
terme de
des deuxième et troisième étapes sera convola
présidence italienne, en décembre.
En
clair,
De
la
chute du
rUnion monétaire -
Mur
au Traité de Maastricht
433
objectif après lequel courait la diplomatie fran-
çaise depuis qu’au premier
Sommet
européen, réuni par
le
Président
Pompidou en 1969, Willy Brandt en avait évoqué la perspective — est lancée pour de bon. La « Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des
travailleurs », dite Charte sociale, qui
annonce le Protocole social de Maastricht est adoptée à onze, sans une Margaret Thatcher hostile, mais pas acharnée. Nous avons également arraché aux onze autres leur accord pour la création de la BERD. Une aide financière à la Pologne et à la Hongrie, les deux pays qui paraissent les plus avancés sur la voie de la démocratie et de l’économie de marché, est décidée dans la foulée des orientations du Sommet de l’Arche.
Le Chancelier Kohl malgré
repart heureux de la déclaration finale qui,
angoisses exprimées au dîner par Margaret Thatcher, proclame que « le peuple allemand retrouvera son unité dans un état de les
paix en Europe, démocratiquement, pacifiquement, à travers une libre autodétermination ». Le Président précise en souriant « Je ne demande pas de restaurer l Empire français en 1805 ! » :
Le Monde, qui voyait alliée
de rechange
d’un bilan française
Au
»,
parle d’une «
très consistant »,
Sommet
à la veille du
communauté
«
la
France sans
sûre d’elle-même,
d’un « brillant succès pour
la
Présidence
».
lendemain du Sommet, François Mitterrand,
ces résultats, souhaite acter dans
la
très satisfait
de
Douze sur monnaie unique,
foulée l’accord des
l’Union politique de l’Europe. Pour
lui,
la future
indispensable, appelle plus que Jamais, en complément, un non moins
indispensable renforcement politique de
nouveaux engagements ambitieux dès
le
la
Communauté,
Roland Dumas, Jean-Louis Bianco, Jacques
La
donc de
semestre suivant, sous pré-
sidence irlandaise. C’est l’objectif qu’il fixe à
et
et
mi-décembre à Élisabeth Guigou
la
Attali,
moi.
frontière Oder-Neisse
Mais, autant
la
dialectique Mitterrand-Kohl permet que la réu-
nification allemande entraîne ce progrès européen, autant le celier est irrité et politiquement
Mitterrand, à partir
Chan-
gêné face à l’insistance de François d’octobre 1989, à voir confirmer par un acte juri-
Les mondes de François Mitterrand
434
dique international incontestable
allemand unilatéral -
le
-
et
statut 'de
donc pas seulement par un acte la frontière Oder-Neisse entre
diplomaPologne’. Son plus proche collaborateur s’en fera plusieurs fois l’echo tique de l’époque, Horst Teltschick le Président français n’ agit auprès de l’Élysée. Sur ce sujet sensible, de ce que cette exigence pas à la légère. Il est même très conscient à V Express en Juillet représente pour les Allemands. Il l’expliquera
l’Allemagne
et la
et de l ancienne « Les Allemands de Poméranie, de Silésie Ils avaient perdu leur Prusse orientale étaient comme nos Pieds-noirs. cruellement. Ils reprépatrie [...]. Ces Allemands de VEst ont souffert qu'il fallait ménager. sentaient en Allemagne une force contestataire publiques conduites par de puisIls se sont livrés à des manifestations peut-être aussi le sentisantes associations. Cela a joué. Mais existait toujours mouvante. ment profond d'avoir à officialiser une frontière cherché à la Chevaliers teutoniques, les Allemands avaient
1994
:
Depuis
les
reporter plus
loin.
La fixer une fois pour toutes
sans que cela soit exprimé, naturellement. » Dans De l'Allemagne, de la France^ il ,
les rendait
ira
malheureux,
plus loin encore dans
provinces compréhension de ce malheur allemand « Les belles de la vieille perdues, Poméranie, Mazurie, Silésie, et le berceau Russie. Stettin s 'apPrusse, c 'est maintenant la Pologne et un peu de Après Breslau, Wroclaw, et Kônigsberg, Kaliningrad. :
la
pelle Szczecin,
rentrés chez eux. Allemand, mille ans, les Chevaliers teutoniques sont déclinerais l'invitation au je souffrirais comme ils souffrent et je pas entériner renoncement. » Il dit même s’être interrogé « N'est-ce :
ethnique, le du même coup ce qu 'on nommera plus tard la purification et forcés nouveau tracé ayant servi de prétexte à des transferts massifs à la Pologne et de populations, les Allemands chassés des zones cédées les régions qu 'elle à la Russie tandis que celle-ci vidait des Polonais avait annexées ? » que Dans cet ouvrage, il reconnaît que son insistance a choque, les
Journaux de
1.
la
Republique fédérale
Limite occidentale de
la
1
ont dénoncée.
Pologne qui part de
la
L
opinion
côte balte, suit la rivière
conférence Neisse, jusqu’à la Tchécoslovaquie, fixée à la Churchill (puis Atlee). Admise de Potsdam en juillet-août 1945 par Staline, Truman, en 1950 et par la RP en 1970. frontière par la
Oder, puis son affluent
la
comme
RDA
2.
Op.
cit.,
voir
notamment
A
les
pages 127-134.
De Ta
française ne
Mur
chute du
la
au Traité de Maastricht
suivi qu’à moitié ?
(Il
est vrai qu’il
ne
435 lui
explique
pas grand-chose, ou par bribes). Par esprit de critique systématique, par parti pris, par peur, la presse française s’aligne dans sa majorité sur les griefs allemands ? Kohl est
Tant pis
irrité ?
rôle qui lui échoit est d’être celui qui se soucie, le
faire,
de l’avenir à long terme - après
Il
!
même
estime que
le
est seul à
s’il
après Kohl, après
lui,
Walesa, après Gorbatchev — de la paix en Europe. Qu’aucun drame ne puisse surgir plus tard d’une contestation sur une question de frontière négligée.
Et c’est parce qu’elle plonge ses racines dans un passé
ancien qu’il faut
très
avant
la
prendre au sérieux, c’est-à-dire
Le Président recevra
la réunification.
même
la clarifier
en mars 1990
le
général Jaruzelski et son ministre des Affaires étrangères pour leur manifester son appui et accroître la pression sur les Allemands.
Les pensées profondes de Helmut Kohl ne sont pas en cause. procédera à cette mise au point attendue, mais à son heure, quand sera sûr d’avoir bien circonscrit les éventuels et électoraux,
pour
la
CDU,
dommages
de ce renoncement.
Il
finira
Il il
politiques
par céder,
au printemps 1990, à l’amicale mais constante pression du Président français après s’être garanti
du côté des
en auront parlé à Latché
4 janvier
le
au cours d’un dîner édifiant dans
commence calmement François Mitterrand
injustes,
mais on
(le
Président
On en parlait chaquefois^
parlé sur la plage.
Cela
nationalistes. Entre-temps,
vit
avec.
:
ils
« Nous en avons
») et surtout le 15 février
salon des Portraits à l’Élysée.
le
:
«Les
:
traités
Il est très
de 1919
et
1945 sont
très
important de ne pas rouvrir une
frénésie collective en Europe.
Helmut Kohl
Aucun danger, François ! François Mitterrand La question la plus importante, c'est la ligne Oder-Neisse. Ce n 'est pas la seule frontière qui laisse de côté des Allemands. Je comprends ce que les Allemands doivent ressentir, sen:
:
timentalement. Mais, politiquement, c
Helmut Kohl la
RFA
sur
le
:
autre chose
Une Allemagne unifiée aura
nucléaire et les frontières
François Mitterrand
:
Entretien cité avec la
:
elle
Politiquement,
mer la frontière Oder-Neisse avant
1.
'est
BBC.
la
!
même position que
confirmera les frontières.
il
aurait été utile de confir-
la réunification.
Mais je comprends
Les mondes de François Mitterrand
436
ne puisse intervenir que, juridiquement, cette reconnaissance
qu 'après. Le Chancelier s’échauffe
,
,
,
On a fait mousser le problème de la être posé comme cela. Pour frontière Oder-Neisse. Il n 'aurait pas dû blessure. Traiter les blessures avec de les Allemands, c 'est une grosse pas à la guérirhuile bouillante plutôt qu'avec un baume, ça n'aide :
son!
,
,
Nous pouvons creer des communautés, Le la rigueur des frontières... des institutions européennes pour atténuer avec les Helmut Kohl C'est mon but. Ce qui a été possible Mais on n 'y arrivera pas si Sudètes doit être possible avec la Silésie. Président, apaisant
:
:
l'unification de l'Allemagne ces questions à l'unité, si on dit que paix. Il ne faut pas en faire des doit être accompagnée d'un traité de
on
lie
questions préalables.
^
C’est exactement ce que
fait,
à juste
sachant que Helmut Kohl devra céder,
titre, le
^
Président. Mais,
n’en « rajoute » pas
il
le fais pas.
:
Je ne
,
Helmut Kohl
En Allemagne,
:
la question
estposee en préalable.
S'il n'y avait pas les C'est devenu un thème de politique intérieure. question. élections, on ne se poserait pas cette héritée de la François Mitterrand La frontière Oder-Neisse, :
guerre, a été imposée
par
Staline. C'est le type
même du mauvais
Je ne pose pas ce problème en préalable. Mais un débat a commencé sur le traité de paix. essentiel Il en vient à l’autre point : nos fronVous dites : '‘C'est le Parlement unifié qui décidera " Mais il s'agira d'un acte unilatéral ! Il faut une décitraité.
Mais
c'est
un
fait.
:
tières sont là.
sion internationale des pays intéressés. Helmut Kohl Oui, d'accord. :
Réponse
Le Président peut consensuel Le présent, c 'est
essentielle.
européen, plus
:
revenir sur le terrain la
Communauté euro-
: les gens ont péenne. Je ne veux pas laisser s'envenimer le climat allemande, l Europe l'impression que, face au problème de l unité Conseil européen n'avance plus. Je suis favorable à la réunion d'un nous ne pour préparer le Sommet de Dublin, un Conseil informel où mais avec nous retrouvions pas chacun avec deux cents fonctionnaires, une discusseulement deux conseillers. Il faut aussi que nous ayons Dublin. Vous êtes le fil sion, tous les deux, pour donner le climat de Comprenez que je ne directeur d'une aventure historique considérable.
De
Mur
chute du
la
au Traité de Maastricht
437
crains pas l’Allemagne. D’ailleurs, ce qui se passe chez vous ne nous regarde pas. Je veux seulement que la France puisse examiner les
conséquences internationales de l unification. » Cinq ans plus tard, les journalistes de la BBC ’
à propos de cet épisode
je n
’étais
:
Vous étiezfâché, déçu
«
pas fâché. On ne se fâche pas pour
comme ça.
Simplement, cela a retardé
le
lui
Réponse
? »
On
ça.
moment où
demanderont, «
:
Non
se fâche pas
l’on pouvait pro-
clamer un accord. »
Accélération
Le
statut
de
la frontière
Oder-Neisse n’est pas
seule pierre
la
d’achoppement.
Helmut Kohl
freine également plusieurs semaines l’organisation
d’une négociation entre
Grande-Bretagne)
coup que
et les
RFA, dont
URSS,
« Quatre » (États-Unis,
les
deux États allemands.
Il
France,
préférerait de beau-
pense qu’elle a mérité, au terme de plusieurs décennies, la confiance de ses partenaires, prenne seule et souverainement les décisions que l’on attend d’elle, par exemple la confirmation du renoncement à l’arme nucléaire. Les quatre «puissances la
il
victorieuses » de 1945, dont la France, estiment au contraire qu’elles ont leur mot à dire sur la dévolution de leurs droits. Roland Dumas doit se mettre d’accord avec Hans-Dietrich Genscher, et ce dernier faire pression sur le Chancelier,
pour à
qu’il se laisse forcer la
«4+2‘ »
avec tout
main
et
que
le
le
poids du Parti
libéral,
principe d’une conférence
soit entériné, le 13 février 1990, à
Ottawa.
Autant Kohl reste prudent jusqu’au début de l’année 1990, autant les manifestations massives de janvier en RD A, l’effondrement
du mark est-allemand, puis la fixation d’élections au 18 mars, le convainquent que la stratégie progressive « étape par étape » qu’il a suivie jusque-là est dépassée.
Tout bascule en janvier. D’où sa proposition du 6 février d’union économique et monétaire entre la RFA et la
RDA,
puis sa décision capitale
à prendre en propre
- du 23
moyennant l’échange d’un
1.
« 4+2 »
:
États-Unis,
avril
DM
:
-
la
plus importante qu’il
union monétaire dès
contre un
mark de
URSS, Grande-Bretagne, France +
le
l’Est.
la
ait
eu
juillet,
Un
RFA
contre
et la
RDA.
Les mondes de François Mitterrand
438
problèmes économiques son triomphe politique, mais aussi les sont contenus dans ce coup de l’Europe pour les cinq années à venir
un
:
ne
Il
lui reste plus,
au printemps 1990, qu’à donner satisfaction à convaincre
Oder-Neisse, aux Polonais et à la France sur la frontière - en échange d’une aide avec les Américains Mikhaïl Gorbatchev - de se résigner économique censée amortir le choc pour ce dernier à avertir ses compatriotes au maintien de l’Allemagne dans l’OTAN' qu’imposera la réunification, de l’effort économique et financier réparti sur les partenaires poids qui sera, il est vrai, largement ;
dTntérêt allecommerciaux de l’Allemagne par le biais des taux François Mitterrand mands à entraîner enfin, main dans la main avec — chacun reconnaissant que l’autre a fait dans cette grande circonsle chemin du qu’il devait -, les autres Européens sur ;
tance tout ce
d’Union.
traité
du monnaie, thème principal de la présidence française présidence irlandaise du second semestre 1989, le sujet majeur de la François Mitterrand premier semestre 1990 va être l’Europe politique. Après
et
la
Helmut Kohl ont chacun
leurs raisons d’y tenir et j’ai dit plus haut
vite - dès un nouveau l’insistance qu’y mettait le Président. Très - on s’accorde sur entre les deux hommes, le 12 février
déjeuner
conférence intergoude proposer aux dix autres une seconde politique. vemementale, parallèle à la première, pour préparer l’Union entamé dès En février et mars, Élisabeth Guigou poursuit le travail notamment avec Strasbourg avec les collaborateurs du Chancelier, de la sur les institutions et la transformation
l’idée
Joachim
Bitterlich
Communauté en une Union
politique. Je
me
livre
au
même
exercice
commune » (qui deviencka sur la « Politique étrangère et de Sécurité Une nouvelle lettre commune Mitla « PESC » dans notre jargon). avril, huit jours terrand-Kohl, résultat de ces échanges, est adressée en avant
le
1.
la fin
Il
premier Conseil de Dublin, aux Dix autres.
n’empêche
de l’URSS.
:
dans un an, ce sera
le
putsch à
Moscou dans un an ;
_
et
demi,
relance de 1 Europe début 1989, Jacques Delors avait suggéré une » censé faire patienter les canpolitique ainsi qu’un « espace économique européen des institutions. didats à l’adhésion en attendant le renforcement 2.
Dès
le
De En
Mur
chute du
au Traité de Maastricht
439
y a deux Conseils européens de Dublin, et donc des en deux temps. Lors du premier, le 27 avril 1990, la Commu-
fait,
résultats
la
il
nauté entérine les propositions Kohl-Mitterrand
former avant
et
décide de se trans-
31 décembre 1992 en une « Union politique » qu’une seconde conférence intergouvemementale a pour mission de prépale
que l’unification allemande s’effectuera sans renégociation des traités européens (ce qui écarte l’hypothèse envisagée par Jacques Delors d’une adhésion de la RDA comme treizième État membre) rer
;
;
que
et
de
l’aide
aux pays de
l’Est sera étendue, au-delà de la
Hongrie, déjà retenues à Strasbourg, à la coslovaquie (souhait allemand), à la Bulgarie et à et
de
la
RDA
et
à
Pologne la
Tché-
Roumanie (vœu
la
France qui n’entend pas que les Douze ne s’intéressent qu’à l’Europe centrale, rentable et « diplomatiquement correcte », au détrila
ment de l’Europe
orientale). C’est le
Mitterrand pour frapper les esprits réveiller quelques clivages ?)
moment que
et
doper
la
choisit François
dynamique
(voire
en déclarant qu’il « souhaite aller vers
un système à finalité fédérale ». Trois jours après une agréable conversation Kohl-Mitterrand à bord d’un bateau sur le Rhin, autour du rocher de la Lorelei, le second Conseil de Dublin, les 25 premier.
Il
convoque
monétaire à
pour
le
Rome
14, et
et
26 juin 1990, parachève
du
conférence intergouvemementale sur l’Union
la
pour
le
13 décembre, celle sur l’Union politique
s’engage à ce que
le
nouveau
traité
leurs travaux soit ratifié avant la fin de 1992.
d’un calendrier précis
les résultats
et à court
qui résultera de
Nous disposons
enfin
terme.
Ainsi, alors que progresse la réunification allemande et que, les
uns après
les autres, les
problèmes qu’elle pose sont résolus, François
Mitterrand obtient du Chancelier l’accord sur
la
monnaie européenne,
deux hommes emportent ensuite, ensemble, l’adhésion des Douze sur l’Union politique. Grâce à l’exceptionnelle relation entre et
le
les
Président et
lérateur à
le
Chancelier, la réunification allemande sert d’accé-
une politique d’avenir entamée de longue
date.
Des préoccupations différentes Pendant cette année cupations, ses priorités.
clef,
chaque dirigeant a ses propres préoc-
Les mondes de François Mitterrand
440
pas un « numéro un », le ministre allemand Genscher, joue un rôle majeur. des Affaires étrangères, Hans-Dietrich depuis quinze ans. En 1989, il dirige la diplomatie ouest-allemande formation indispensable Son appartenance au Parti libéral FDP, petite imposé et lui a interdit tout à la fois d’ambitionner
Bien
qu’il
ne
soit
mais d’appoint, l’a en maintes circonstances, d’être plus que vice-Chancelier. Mais, et un comme je l’ai rappelé, il n’a cessé d’œuvrer avec opiniâtreté de doigté vis-àgrand sens des opportunités, et aussi avec beaucoup l’Allemagne, au rapprochement vis des alliés américain et français de près de Halle. la RD A où il est né, le 21 mars 1927,
RE A
entre la
et
Cette mission accomplie,
il
processus de réunification,
démissionnera en avril 1992. Pendant le son étroite entente établie depuis des
est manifeste, surtout années avec Roland Dumas, qui parle allemand, Luc Rosenzveig, au cours des négociations à « 4+2 ». En avril 1992, rôles pendant cette du Monde, décrira ainsi le renversement des Kohl, pendant quelques période « Tandis que le Chancelier Helmut irritait ses partenaires les mois, enfonçant l ^allure de la réunification étrangères qui s efforçait plus proches, c ’est son ministre des Affaires :
‘
,
’
de rassurer
les voisins
polonais et français, et multipliait
les profes-
sions de foi européenne. »
tile
hosMargaret Thatcher est un cas à part. Elle est viscéralement Allemagne ». Elle à la réunification. Elle appréhende la « Grande septembre l’empêcher, mais ne voit pas comment. Le L
voudrait
Mitterrand «Kohl ment 1989, à Chequers, elle se plaint à François 18 novembre, au dîner tout le temps, et Gorbatchev est un faible. » Le :
de l’Élysée, quand Helmut Kohl se réfère à une routine de l’OTAN (de 1970 !) favorable à
la
de
réunification, elle
pas lieu ! » « Mais, c 'est parce qu ’on pensait qu 'elle n 'aurait President franStrasbourg, le 8 décembre, elle lance crûment au
s’écrie
À
vieille déclaration
çais
:
:
«
Il faut
empêcher
des quatre puissances
nera pas,
comme
le
[la réunification]
[..). Il faut être
Japon
[...]. Il
par
le biais
de
la
CSCE
et
sûrs que l'Allemagne ne domi-
faut nous voir régulièrement pour
ajoute à sa fureur, c est faire contrepoids à l'Allemagne ! » Ce qui la construction qu’elle est tout aussi hostile à la stratégie de relance de
Chancelier ait Thèse que, par ailleurs, je conteste je ne pense pas que le l’accélération quand la RDA forcé l’allure. Il a accompagné le mouvement et assumé 1.
a implosé.
;
De
chute du
la
Mur
au Traité de Maastricht
européenne que François Mitterrand ensemble, malgré leurs
441
Helmut Kohl ont conçue discussions serrées, pour accompagner la réuet
nification. Elle pensait avoir trouvé sa
revanche de Fontainebleau, de
quoi dissocier l’exaspérant couple franco-allemand, et voici qu’en
décembre 1989, à Strasbourg,
il
garet Thatcher n’a ni politique
fonctionne mieux que jamais
d’accompagnement,
!
Marde
ni politique
rechange. Elle est seule. Dans moins d’un an, elle devra démissionner.
Pendant des semaines,
dénonce encore en privé car, en public, elle se tait — ce Kohl « qui nous marche sur les pieds » (Paris, 20 janvier)... Par la suite, dans ses mémoires*, elle accusera François Mitterrand de qu’il tenait
lui
elle
avoir tenu en privé des propos différents de ceux
en public. En
inquiétude face à
la
Président voulait mettre à profit son réunification allemande pour la rallier enfin au fait, le
renforcement de l’Europe. Plus tard^ surtout voulu séparer
l
Allemagne de
’
parvenir. » Pourtant, jusqu’au bout,
commentera: « Elle aurait France et s 'irritait de ne pas y il
la
le
Président gardera pour elle une
Dans De l’Allemagne, de la France, il écrira à propos de cet épisode •
Éiti.iiwii'. _
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CHAPITRE XIV
Aider Gorbatchev
Quand
le traité
de Maastricht
est signé le 7 février 1991,
Mikhaïl
Gorbatchev n’est plus Président de l’URSS, car l’URSS n’existe plus. Ses deux dernières années et demie au pouvoir ont été une lutte vaine, mais digne, pour faire prendre corps à ses réformes et tenter de reprendre
le
contrôle des événements. François Mitterrand
lui
a pro-
digué tout son soutien. Décembre 1989, mois historique, aura donc vu
l’URSS, s’accélérer
s’éteindre
la
réunification allemande, et l’union
monétaire européenne être enfin décidée
Quand une nouvelle haïl
Gorbatchev a
- événements
étroitement Lés.
rencontre entre François Mitterrand et M.k-
lieu à Paris le
4
juillet
1989, avant les fêtes du
Bicentenaire, les relations se dégèlent vraiment, car
le
passage par Paris
a recouvré toute son utilité pour un Gorbatchev en quête d’une aide extérieure.
Le numéro un soviétique
Nations unies,
«valeurs
il
s’est
y a célébré avec lyrisme
communes»
rendu en décembre aux semble-t-il, sincérité les
et,
à l’ensemble de l’humanité (qu’il oppose aux
« valeurs occidentales ») et a annoncé une réduction de 500 000 hommes des forces armées soviétiques. Les troupes soviétiques ont été
Le Vietnam a annoncé son retrait du Cambodge 30 septembre. Mais Boris Eltsine a aussi été plébiscité à Mos-
retirées d’Afghanistan. d’ici le
26 mars. Surtout, alors même que le sang a coulé, en mai, place Tien’anmen, la direction chinoise ayant voulu donner un coup d’arrêt à toute contagion du gorbatchevisme, la cou
lors des élections législatives, le
terre s’est
mise à bouger en Europe de
l’Est
:
Solidamosc a remporté
un succès massif aux élections du 4 juin, et la Hongrie a entrouvert le rideau de fer. Gorbatchev a déjà pris en son for intérieur LA décision majeure qui fait de lui l’homme clef de cette fin de siècle celle de :
,
Les mondes de François Mitterrand
482
pour maintenir le glacis soviétique imposé après la guerre par Staline en Europe de l’Est. Les signes annonciateurs du glissement de terrain qui va empor-
ne pas recourir à
la force
Sans cet engloutissement du monde de 1945, pas part de réunification allemande, pas d’initiative aventureuse de la d’un Saddam Hussein, pas de désintégration ni de dépeçage de la
ter
l’URSS
sont
là.
Yougoslavie. Mais, de cela, nul n’est encore conscient. Notre pays de la s’apprête à célébrer le bicentenaire de l’événement fondateur
France moderne par un défilé de mode conçu par un publicitaire malgré talentueux. Cette « absence de sens » n’est pas surprenante de méritoires tentatives d’entretien de la flamme, le message républicain de 1789 est devenu inintelligible dans le monde de l’image :
de l’économie globale de marché, quand bien même il paraît retrouver fligacement un sens au Centre et à l’Est de l’Europe et
!
« Vous ne pouvez pas savoir lance d’emblée Mikhaïl Gorbatchev au Président, à Paris, ce mardi 4 juillet 1989, à quel point c'est agréable de retrouver quelqu'un que l'on connaît depuis des années, en qui on a confiance et avec qui on peut parler avec franchise ! Vous savez^ enchaîne-t-il, je ne pensais pas, en 1985, que ce serait aussi dur ! Les résistances, les problèmes sont terribles. Mais je suis abso-
lument déterminé à aller de l 'avant ! » Durant ce séjour, Gorbatchev est invité à un grand dîner à l’Élysée, à un dîner en famille rue de Bièvre, à un déjeuner à Mati-
une rencontre - ratée - à la Sorbonne avec les intellectuels. Son souci majeur du moment, ce n’est plus le désarmement, même s’il reste très important, ni même le réveil des nationalités en
gnon
et à
général, mais la question, cruciale, de l’Europe orientale, et celle, qui ne va cesser de prendre de l’importance, de l’attitude du reste du
l’URSS. Gorbatchev annonce de « profonds changements, à des rythmes differents selon les pays, dans toute l'Europe de l'Est ». Il parle en homme qui pense encore conduire et maîtriser ces évolutions. Il se montre très dur à propos de George Bush, plus même
monde
vis-à-vis de
qu’à propos de Reagan qu’il paraît presque regretter, chait au
nouveau Président un retour en
arrière, le
comme
s’il
repro-
« réexamen straté-
gique » auquel son administration s’est livrée durant les trois premiers mois de son mandat et qui a tout suspendu, alors que lui, Gorbatchev, est si pressé...
« a peur de la
Il
le
considère
comme un
Communauté européenne
»,
« idéologue
»,
quelqu’un qui
peur « que l'URSS soit mieux
Aider Gorbatchev vue».
483
reproche d’avoir déclaré que « l’Europe devait retrouver ses frontières de 1939 », et même «d’animer personnellement un lui
Il
gf'oupe du Conseil national de Sécurité chargé de saboter la perestroïka et
de [me] discréditer
», ainsi
que d’avoir exigé, en parlant à des jour-
nalistes polonais, le retrait des troupes soviétiques de Pologne. C’est
ce que Gorbatchev appelle V« irresponsabilité des Occidentaux
message
est clair
Europe de
:
l’Est, je
si
vous cherchez à
me
ne réponds plus de rien
pousser dans
dans
;
».
cordes en
les
cas inverse,
le
Son n’y
il
a guère d’évolution impossible.
François Mitterrand reçoit ce message « cinq sur cinq
À
dire.
j’ose
», si
ses yeux, les Occidentaux seraient vraiment inconséquents de
chercher à déstabiliser Gorbatchev en précipitant le mouvement qui s’amorce. Le numéro un soviétique est maintenant trop avancé pour
Le changement
reculer.
est lancé. L’intérêt
de l’Est
comme
de l’Ouest
est qu’il reste gérable, qu’il se fasse à
maîtriser les
même
un rythme qui permette d’en dérapages éventuels. Toujours, chez le Président, la
philosophie de l’Histoire
de ses mutations... Qu’on incite
et
Gorbatchev à persévérer, bien sûr Mais qu’on l’aide à accomplir sa révolution plutôt que de se servir d’elle pour l’humilier ou le mettre Le Président français va s’employer à faire se mieux à genoux !
!
comprendre Gorbatchev
Au
premier, pour
et
George Bush.
le rassurer,
bas en Europe de l’Est
il
déclare
:
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&
CHAPITRE XV
La guerre du Golfe
Guerre du Golfe - 2 août 1990 17 janvier 1991
:
:
invasion du Koweït par l’Irak.
début des opérations aériennes de
la coalition anti-
25 février : libération du Koweït par l 'offensive terrestre. Ces quelques lignes résument l’essentiel de l’événement. Comment s’étonner de ce qu’une coalition de vingt-huit pays, dont irakienne.
la
première puissance militaire
plan, soit aisément
mais
et
deux autres puissances de premier
venue à bout d’un pays du Tiers monde, surarmé
solitaire ?
Guerre impensable en dehors du contexte
événements
des
et
hommes
de 1990.
Au
très particulier,
des
printemps de cette année-là,
f
les Etats-Unis,
l’URSS
et les
Européens ont
les
yeux braqués sur
l’Allemagne en train de se réunifier. Tous n’ont qu’une obsession
que
cette réunification soit
conditions.
batchev
;
Bush pense
à
menée
l’OTAN
;
à son terme dans les meilleures
Kohl, à Bush, Mitterrand
le
avec l’eau du bain communiste...
Au moment où
-
la
présence dans
bébé soviétique ne il
et
Gor-
A
Moscou,
soit
pas jeté
Mitterrand, à Kohl, à Gorbatchev et à l’Europe.
Gorbatchev se démène pour que tolérable
:
doit tolérer l’in-
l’OTAN de l’Allemagne
réunifiée -,
il
ne va pas se préoccuper de ce qui peut advenir, aux marches de l’Empire, dans un Etat qui n’est qu’un gros client (80
ment
%
de l’arme-
irakien proviennent de l’URSS).
du monde, on n’ignore pas que l’Irak n’a jamais admis, depuis 1961, l’indépendance du Koweït, création artificielle à ses yeux de l’impérialisme britannique par démembrement de ce qui appartient, de par l’Histoire, à Bagdad. Qui s’en
Dans
toutes les chancelleries
soucie à ce moment-là ?
Le monde
est plein
de rancœurs de ce type
pour des frontières mal admises, sans que, pour autant,
elles
dégé-
Les mondes de François Mitterrand
520
nèrent en guerres ouvertes. tions
Bagdad-Koweit sur
Saddam Hussein,
Que
Même
les âpres
négocia-
la dette irakienne.
ensuite
ne
il
:
même du monde
connaît-il
remarque pour sait rien
du monde
extérieur.
arabe, en dehors de brefs séjours
dans des « pays frères », dans des palais ou des palaces, à Damas, Riyad ou au Caire, à l’occasion de sommets arabes ? Il a pour lui un savoir-faire expéditif,
une cruauté sans
faille,
une rouerie qui
lui
ont
du pouvoir et qui lui permettent, avec son clan, de s’y maintenir. Mais comment apprécie-t-il le rapport des forces mondial et les motivations des dirigeants étrangers ? Sans aucun doute méprise-t-il l’Emir du Koweït, les émirs en frayé
un chemin de Takrit jusqu’au
faîte
général, ainsi que le Roi d’Arabie, et leurs familles.
que l’URSS
encore l’URSS
est
et
qu’à ce
à toute décision du Conseil de Sécurité sait
de vouloir autoriser contre
lui le
titre, elle
Il
croit peut-être
opposera son veto
par hasard, celui-ci s’avi-
si,
recours à la force. Mais va-t-il
jusqu’à envisager cette hypothèse ?
Se demande-t-il aussi ce que fera la France ? Peut-être, abusé par une vision purement industrielle et pétrolière de la politique française (donc hostile aux compagnies anglo-saxonnes), par les anciens contrats de ventes d’armes, par les avis de certains interlocuteurs, escompte-t-il notre neutralité ? Peut-être pense-t-il que, sous prétexte
que nous avons honoré les contrats signés avant nous afin que la parole de la France demeure respectée et que l’équilibre Arabes/Persans ne soit pas rompu, nous savoir ?
Saddam Hussein
du soutien dont la guerre, et Il
il
a
pu
et
mon
tirer
serons favorables ?
des conclusions erronées à la fois
des hésitations occidentales au Liban et face à l’Iran.
y a surtout l’inconnue américaine. Quelle sens.
Comment
a bénéficié face à Téhéran, alors qu’il avait engagé
tique des États-Unis ? s’est-on
à
lui
Il
demandé par
était la vraie poli-
la suite.
Fausse question,
y avait forcément, à Washington, des administrations
des services qui notaient les concentrations et les mouvements de
troupes irakiennes à la frontière du Koweït. Mais
comme
des pressions dans
pétrolières alors
1990, je
l’ai
menées
le
entre
ils les
ont interprétés
cadre des négociations financières et
Bagdad
et
Koweit-City.
Au
printemps
monoAllemagne, URSS, dé-
indiqué, l’attention des dirigeants américains est
polisée par quelques
grandes questions
:
sarmement. J’exclus qu’il y ait eu une intention provocatrice délibérée et une telle prise de risque à un niveau élevé dans la hiérarchie du pouvoir américain.
En
revanche, rien ne permet d’écarter l’hypothèse
La guerre du Golfe
521
de services administratifs ou autres qui, par souci des intérêts de sécurité de l’Etat d’Israël, auraient choisi de ne pas mettre
Hussein en garde pour
une raison valable de
le laisser
commettre une faute
Saddam
avoir ainsi
et
frapper avant qu’il ne soit devenu trop
le
Des amitiés iraniennes auraient pu jouer également. saura-t-on davantage un jour. De cette provocation, je
fort.
Peut-être en n’ai
en tout
preuve. Le plus probable est qu’il y a eu à Washington concomitance de plusieurs politiques parallèles, non cas pas vu
la trace ni la
grandes questions
reliées entre elles. C’est souvent le cas sur les
complexes, aussi bien aux Etats-Unis qu’à Paris, Londres ou Bonn,
que
tant et
ne
l’a
le
pouvoir politique ne s’est pas
d’une de ces questions
saisi
pas arbitrée clairement pour un temps donné.
Jusqu’à preuve du contraire, donc, l’attitude arrangeante de r
l’ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, présentée par
un « signal » encourageant ou, en tout sein,
me
parle,
il
cas,
la suite
comme
ambigu, à Saddam Hus-
paraît relever de la routine diplomatique (au
n’est pas encore question d’attaque
moment où
armée
!),
elle
assaisonnée
d’un soupçon de myopie bureaucratique, plutôt que du machiavélisme de haut vol. Convoquée en lui
avait dit
par
Saddam Hussein,
April Glaspie
que «son gouvernement n’avait pas d’opinion sur
conflits interarabes
En revanche,
juillet
il
comme
est clair
en profiteront au
les
[son] différendfrontalier avec le Koweït^ ».
qu’une
maximum
commise,
fois la faute
pour éliminer
la
les
puissance et
Etats-Unis la
menace
militaires irakiennes^.
1.
Orban, 1991, 2.
Guerre du Golfe
Pierre Salinger et Éric Laurent,
:
le
dossier secret, Olivier
p. 73.
L’avis du général Maurice Schmitt, alors chef d’état-major des Armées, est
intéressant
:
« Parfaitement au courant en juillet 1990 du déploiement des forces ira-
kiennes aux abords du Koweït, les États-Unis ont-ils sciemment évité les démarches dissuasives afin d’avoir le meilleur prétexte
kienne ?
En
[...]
Je pense que
laissant l’Irak pénétrer
la
pour abattre
réponse est non, car
au Koweït,
les
les
la
puissance militaire
ira-
dangers étaient considérables.
États-Unis prenaient
le
risque de voir les
forces irakiennes poursuivre, dès les premières réactions, en direction de Dahran et ainsi contrôler les puits
du nord-est de
Qatar. C’était un risque majeur.
Il est
l
Arabie Saoudite, voire ceux de Bahreïn
’
probable qu’à
l’instar
et
du
du Président égyptien
Moubarak et du Roi Fahd d’Arabie, le gouvernement américain a vu dans le déploiement irakien une simple manœuvre d’intimidation destinée à amener le Koweït à composer. » In De Dién Biên Phu à Koweït City, Éd. Grasset, 1992.
Les mondes de François Mitterrand
522
En
de l’Europe du
reître
et
Saddam Hussein, adepte de
réalité,
que
xvF
la force brute
comme un
penser que personne ne réagira
siècle, doit
de l’attention des grands pays sur les affaires paralysera. C’est un joueur de poker « décale ». Il
la focalisation
européennes
les
commet une profonde erreur d’analyse sur les conclusions que tirent au même moment les pays occidentaux, en ce qui concerne leur puissance et leur rôle, de l’effondrement de l’Est. Il a déjà commis en 1979 une première erreur, tragique pour son peuple, en estimant que ces l’Iran des mollahs s’effondrerait au premier coup de boutoir. De dix années d’une guerre atroce et vaine (il renoncera en août 1990, après l’annexion du Koweït, à toutes ses revendications sur 1 Iran !), est sorti. De même, il n’a tiré aucune leçon, puisque lui-même s’en la
notion de « droit » étant pour
lui inexistante,
scandale international que va provoquer,
non pas
la
première agression, mais
la
même
il
n’a aucune idée du
dans un
monde
blasé,
première annexion d’un pays
membre des Nations unies par un autre. Et il peut encore moins deviner comment l’alchimie des relations personnelles Bush-MitterrandThatcher-Gorbatchev va opérer dès les premières heures de l’invasion. Le 2 août, le Président Mitterrand est à Latché, Mrs Thatcher
Aspen, Colorado, avec George Bush, ce qui a une influence évidente sur la réaction de ce dernier. Les échanges téléphoniques entre eux sont intenses et, en quarante-huit heures, une première réso-
est à
lution (la 660) est votée par tous les
membres permanents du Conseil
de Sécurité*. Elle exige le retrait immédiat troupes irakiennes du Koweït.
et inconditionnel
des
Presque aussitôt, Washington envoie un porte-avions dans le Golfe. Edouard Chevamadze, à Moscou, se range derrière James Baker, ce qui paraît, en cet été 1990, presque naturel, alors que ce a peu improbable, constitue un événement déterminant choix, il
y
sans lequel la suite des événements eût été toute différente. Il est vrai qu’à ce stade, Moscou est prêt à approuver toutes les sanctions, mais
pas encore
le
recours à la force.
en l’espace de deux jours seulement, le Président Mitterrand passe de « Laissons s’avancer les Américains » à « Pas
De son
côté,
:
1.
Du
ticulier le
6 au 25 août suivront
les résolutions
661 à 665 qui instaureront en par-
boycottage commercial, financier et militaire de
de recours à
la force
pour
le faire respecter.
l’Irak,
avec autorisation
La guerre du Golfe
523
On
question de se singulariser dans cette affaire. »
va encore assister
à des semaines de discussions et de mises au point sur les modalités
des mesures, des sanctions, de T intervention, de
la
coordination entre
y aura les mouvements de l’opinion publique, le délicat ajustement du garrot diplomatique et militaire appliqué à l’Irak, les alliés, etc.
Il
vraies décisions de guerre à prendre.
de jeu, dans
les
accompli. Et,
dirigeants
plus
est,
le fait est là
:
c’est d’entrée
cinq ou six jours qui suivent l’invasion, que
Hussein perd son pari fait
Mais
s’il le
mondiaux
celui-ci était
si
d’imposer sans coup
férir
son
perd, c’est aussi parce que chacun des grands
a de bonnes raisons de saisir l’occasion
- d’une démonstration de
légitime
Saddam
-
qui
fermeté qu’ils imaginent
populaire contre un agresseur qui, de ce point de vue, est un adversaire idéal, inexcusable et abstrait, ni n’a rencontré.
En 1990,
qu’aucun d’entre eux ne connaît
Lesquelles ?
après un an et demi à
est toujours à la
la
Maison-Blanche, George Bush
recherche d’un terrain international où manifester
son « leadership » d’une façon plus vigoureuse que lorsqu’il désarme avec Gorbatchev ou qu’il arrête l’IDS. L’énorme provocation de Sad-
dam Hussein tombe pour la
lui
à pic. Margaret Thatcher, qui enrage de
réunification allemande, ne peut rêver
mieux que d’une guerre des
Malouines à grande échelle, aux côtés des Américains par-dessus le marché Le Président Mitterrand qui, au fond de lui-même, tout en !
agissant de façon utile, pense que les changements en cours à travers le la
monde annoncent
des temps plus exigeants
et plus difficiles
France, n’est pas fâché de trouver un ten*ain où celle-ci peut
s’engager militairement
et
rappeler son rang de
du Conseil de Sécurité.
Au
surplus, n’est-il pas
lement réussi, sept ans plus la
pour
Libye d’annexer
le
tôt,
membre permanent
l’homme
qui a habi-
avec ses seules forces, à empêcher
Tchad, non pas pour
la
valeur propre de ce
pays, mais pour l’exemple et pour ne pas laisser se créer un précé-
dent ? Quant à Mikhaïl Gorbatchev, à l’été 1990, une seule idée
l’anime
:
obtenir des Occidentaux une aide plus substantielle et moins
En conséconcerne Saddam
conditionnelle que celle promise par les Sept à Houston.
quence de quoi,
il
n’a rien à leur refuser en ce qui
Hussein, d’autant qu’il a clairement montré sa volonté de prendre ses distances avec l’héritage moyen-oriental du brejnévisme.
Toutes ces données sont connues
compté pour Saddam Hussein.
;
elles
ne semblent pas avoir
Les mondes de François Mitterrand
524 Malgré
cela, les raisons
profondes de cette mobilisation massive
discutées. Il est a mon contre l’invasion du Koweït ont été âprement (exemple le pétrole) aux avis vain d’opposer les « vraies » raisons car les unes et raisons « affichées » (exemple le droit international), espece, s additionnent. autres, loin de s’exclure, dans le cas d :
:
les
Invoquer
la
Charte de
l’ONU pour
refuser la modification de fron-
tières internationales par la force est
un argument
véritable, et
non
bouche de diripas seulement un argument de propagande dans la qui viennent de geants comme George Bush et François Mitterrand allemande passer plusieurs mois à faire en sorte que la réunification international. se déroule précisément dans le respect du droit pétrole^ D’autres arguments substantiels jouent assurément. Le en premier
lieu. Il paraît
en
effet impossible à
George Bush comme
un Saddam Hussein contrôler à la des Koweït, soit 20 fois les réserves pétrolières de l’Irak et du autres Emiréserves mondiales, en attendant celles de 1 Arabie et des
à François Mitterrand de laisser
rats.
Cela
dit,
si
Saddam Hussein
avait procédé avec ruse,
si,
par
gouexemple, l’Émir du Koweït avait été renversé et si le nouveau vernement avait conclu avec Bagdad un traité de coopération et pour d’assistance militaire, les coalisés n’auraient eu aucun argument réagir par des procédés autres que diplomatiques
ou commerciaux.
L’argument du précédent et de la contagion, ensuite ne pas condamner l’annexion serait revenu à donner partout dans le monde :
un «feu vert» à tous
dictateurs-aventuriers
les
moment opportun pour s’emparer d’une frontière internationalement reconnue*.
enfin,
guettent le
province ou rectifier une
Cela a été
ment de Margaret Thatcher aux Malouines en 1982, de notre « Opération Manta » au Tchad en 1983.
La défense d'Israël,
qui
le
meilleur argu-
et la raison d’être
comme s’il s’agissait d’une précédentes: «En fait, c'était pour
invoquée
explication cachée infirmant les
pense que cet aspect est assurément entré en ligne de compte, mais pas au sens où on 1 entend généralement. Pour George Bush ou François Mitterrand, le pire des
défendre Israël
», a-t-on
entendu
dire. Je
ou octobre 1990, Saddam Husétendu sa domination jusqu’à la Jordanie - où l’opinion
scénarios aurait été qu’en septembre sein ait
1.
Ce
qui n’est pas strictement transposable aux frontières entre les Républiques
yougoslaves, frontières internes à
la
Fédération yougoslave.
La guerre du Golfe publique
le
soutenait
Une
d’Israël.
ardemment
525
-, c’est-à-dire
jusqu’aux frontières
situation explosive en aurait résulté
:
Israël
directement
menacé, des dirigeants capables, en cas de vrai danger, de se servir de leurs armes nucléaires, un éventuel conflit nucléaire israélo-arabe qui aurait creusé pour longtemps un infranchissable fossé entre le
monde occidental et le monde arabo-islamique. prix, arrêter
en amont cet engrenage. Pendant
Saddam Hussein
dite,
Il
fallait l’éviter
guerre proprement
la
essaiera bien, à coups de
à tout
Scud bricolés (mais
sans Jamais oser y placer des ogives chimiques, peut-être par crainte
de représailles nucléaires), de précipiter Israël dans
le
conflit
;
en
notamment la défense anti-aérienne d’Israël, George Bush et James Baker feront tout pour déjouer ce stratagème. Tous ces éléments convergent vers un seul et même objectif faire évacuer le Koweït par l’Irak. Le premier atout de la coalition assurant
:
multinationale mise sur pied en août et septembre 1990 est qu’elle s’organise sans désaccords entre Occidentaux, spécialement entre la
deuxième est qu’elle déborde du monde occidental grâce au soutien de Gorbatchev le troisième est qu’elle va au delà de l’hémisphère Nord industrialisé, en raison de la participation de pays arabes Arabie Saoudite, bien sûr, mais aussi Egypte, Syrie, Maroc. On voit qu’elle bénéficie de circonstances France
et les
Anglo-Saxons
;
le
;
:
f
exceptionnellement favorables.
Une
petite dizaine
de dirigeants auront géré cette
toutes ses étapes clés sont soit des initiatives de soit
crise.
Mais
Saddam Hussein,
des décisions de George Bush, soit des initiatives conjointes de
George Bush, François Mitterrand et Margaret Thatcher l’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août 1990 la résolution 660 du Conseil de Sécurité qui, le jour même, condamne l’Irak les résolutions du :
;
;
6 août le le
et
des jours suivants, qui décrètent l’embargo contre l’Irak et
Koweït la décision du Président Bush, du même jour, après que Roi Fahd eut donné son accord au secrétaire à la Défense Dick ;
Cheyney, d’envoyer en Arabie non seulement des forces navales aériennes, mais également
-
et
c’est la première fois depuis la guerre
du Vietnam - des forces terrestres (c’est l’opération Bouclier du désert) la résolution 678 du Conseil de Sécurité du 29 novembre 1990, ;
surtout,
qui autorise
15 janvier 1991
si
le
recours à
la
force contre l’Irak après
ce pays n’a pas évacué
Bush de déclencher, opérations aériennes de Tempête du désert décision de George
le ;
le
le
Koweït
le
d’ici là; la
16 janvier au matin, les dernier ultimatum lancé
Les mondes de François Mitterrand
526
Hussein d’avoir à 22 février par le Président américain à Saddam prise le 24 fevner évacuer le Koweït dans les 24 heures la décision,
le
;
terrestre l’acceptation, le par Washington, de déclencher l’offensive Saddam Hussein (ces27 février, par George Bush, de la reddition de de Paris) sa décision, sez-le-feu' le 28 à 3 heures du matin, heure ;
;
enfin, de
ne pas poursuivre l’offensive jusqu’à Bagdad.
La France
s’engage
Comment
la
France
a-t-elle
abordé
et ressenti ces
événements
?
heures, conviction est que, dès les premières quarante-huit faits, même s il ne les dévoile les choix stratégiques du Président sont jours, c’est que par pans. Je dis bien du Président. Dès les premiers
Ma
:
qu il faut qui estime qu’« on » ne peut admettre cette annexion pas en être, juguler toute contagion ; que la France ne peut pas ne ,
lui
Etats-Unis que quels que soient les problèmes d’articulation avec les la logique de guerre cela posera ; qu’il faut être prêt à aller au bout de par Saddam Hussein, mais que, si 1 on peut obtenir
enclenchée
enfin, l’évacuation du Koweït sans la guerre, c’est encore mieux ; éventualité. Il est qu’il faut préparer l’opinion française à toute
Roland Dumas conforté dans ces choix par ses principaux alliés, par collaborateurs. Le Premier et le gouvernement, par ses proches ministre ministre ne les conteste pas. Seul Jean-Pierre Chevènement, de la Défense, renâclera et, finalement, démissionnera.
Le Président attend-il vraiment de cet engagement que la France des joue un rôle clef après, dans une sorte de règlement d’ensemble problèmes du Proche et du Moyen-Orient ? Être dans la guerre pour Lui-même 1 a se retrouver ensuite « a la table », en quelque sorte ? Persondéclaré à plusieurs reprises dans ses conférences de presse. nellement, je crois qu’il n’en est rien. En août 1990, après neuf années averti des de pouvoir, neuf Sommets des Sept, c’est un homme trop Les rapports réalités internationales pour nourrir ce type d’illusion.
même de forces prévaudront après la guerre comme avant, peut-être depuis plus crûment. D’ailleurs, et contrairement à la légende, quand, a-t-elle vraiment joué la fin de la Seconde Guerre mondiale, la France - comme au Proche-Orient ? Voir juste avant les autres - ne modifie pas le de Gaulle en 1967, comme lui-même en 1982 poids du pays au nom duquel on s’exprime, même si on peut le
un
rôle clef
La guerre du Golfe regretter. S’il se sert
527
de l’argument de l’après-guerre, c’est donc parce
qu’il le croit propre à rassembler l’opinion autour
moment a
Mais
décisif.
je pense
de
que sa vraie motivation
comparé en quelques heures, entre
2
le
et le
dans un
lui
est ailleurs.
4 août,
Il
inconvé-
les
nients pour la France de la participation avec ceux de la non-parti-
pour
cipation, et opté
d’emblée que
les premiers,
moins nombreux.
France ne participait pas,
si la
elle serait
a
Il
mesuré
moralement,
militairement et diplomatiquement discréditée sur les terrains euro-
péen
même moment,
au
et euro-atlantique où,
se jouent son crédit et
son rôle à venir. N’oublions pas que tout
1990
l’été
pour que s’ouvrent avant
la fin
est le
moment où nous
faisons
de l’année des conférences
inter-
gouvemementales européennes chargées de rédiger un nouveau traité qui comportera un volet politique, et, au sein de celui-ci, une ambition de politique étrangère
et
de sécurité commune. Être dans
perdre notre leadership en Europe ainsi.
Tout
:
le
Golfe ou
l’alternative pourrait se formuler
en découle.
le reste
Les décisions tactiques ou opérationnelles à prendre en fonction de ce choix stratégique initial n’apparaîtront qu’au fur et à mesure, à travers péripéties multiples, hésitations apparentes et psychodrames.
Condamner pour
de jeu, par
l’Irak d’entrée
que
la
résolution
660 du 2
août,
un acte évident aussi bien aux yeux du Président qu’à ceux de Roland Dumas de même que c’est,
les raisons
j’ai rappelées,
;
décider, le 6 août, au Conseil de Sécurité, d’instaurer
ce moment,
la
un embargo.
À
décision d’aller au-delà de l’embargo et d'intervenir
militairement n’est encore prise par personne.
Comment
le
serait-
Qui pourrait prévoir à cette date que Saddam Hussein s’obstinera pendant cinq mois, au delà de toute raison, et ne saisira aucune elle ?
porte de sortie ?
Le Président prend très tôt les décisions visant à nous doter, à terme, des moyens de participer à une intervention. Il s’agit en même temps, dans son esprit, de donner corps à cette menace dans le but d’augmenter
chances de voir Saddam Hussein s’incliner. Tout cela
les
forme une seule l’œuvre durant
et
les
même
mois d’août à novembre 1990.
Quelles sont, au taires prises
est celle
par
le
fil
de
la crise, les
Président et
de l’embargo.
à sa mise en
politique, et c’est toute la dialectique à
À
partir
œuvre au nord
et
le
de
décisions proprement mili-
gouvernement la
?
La première étape
mi-août, nos navires participent
au sud de
la
mer Rouge
et
dans
le
Les mondes de François Mitterrand
528
Opération d’Ormuz c’est ce que notre état-major appelle V Djibouti assurent une surArtimon. Nos forces aériennes basées à Ensuite, le Président donne veillance du détroit de Bab el Mandeb. août, le porte-avion C/eson accord à V Opération Salamandre le 13 avec, à son menceau appareille pour le pourtour de l’Arabie Saoudite combat, escorté du croiseur le 5® régiment d’hélicoptères de détroit
:
:
bord,
matériels anti-aériens anti-aérien Colbert. Fin août, des avions et des sont mis en place au Qatar français et un escadron de cavalerie légère
pour assurer aux Émirats arabes unis, à la demande de ces derniers, des plates-formes pétroleur protection et appuyer la surveillance saoudien nous ayant fait lières. Par la suite encore, le gouvernement 5o/ de souhaitait une présence militaire française sur le
et
savoir qu’il
d’un détachement léger l’Arabie, le Président décide la mise en place
Yanbu. de l’aviation légère de l’Armée de terre (ALAT) à En septembre, trois éléments conduisent le Président, qui dose les rétisoigneusement notre engagement, à aller plus loin malgré Jean-Pierre Chevècences extrêmes du ministre de la Défense, renforcement régulier, surtout depuis la frn août, du Grande-Bretagne, le dispositif américain ; 2) la décision de la et, sur14 septembre, d’envoyer en Arabie une brigade blindée 3) de 1 imle même jour, par des militaires irakiens,
nement
1) le
:
;
tout, la violation,
résidence de notre ambassadeur à Bagdad. « C'est inacceptable ! Ça, Président y réagit très violemment me trouver ! » François ! Ils nous cherchent ? Ils vont
munité diplomatique de
Le
la
:
c’est la guerre
ne déploieMitterrand est de plus en plus convaincu que George Bush décidé à régler le problème rait pas autant de forces s’il n’était déjà vite et militairement.
au plus
De
toute façon,
un
tel
dispositif ne
printemps, et pourrait être maintenu avec les grandes chaleurs du Président pense que George serait gênant pendant le Ramadan’. Le
Bush voudra en
À
finir d’ici la fin
de l’année.
d’un Conseil restreint convoqué le samedi 15 sep- l’envoi de Président décide donc - tournant important
l’issue
tembre,
le
370 000 hommes 1 300 avions, 80 000 marins à terre (dont 90 000 mannes), 90 000 aviateurs et et 100 navires, dont 6 porte-avions. Pour les autres 1 500 hélicoptères, 2 000 chars, 36 000 Britanniques, pays de la coalition 265 000 hommes, dont 67 000 Saoudiens, compter la Marine ni 36 000 Égyptiens, 20 000 Syriens, 16 000 Français (sans 1.
Il
atteindra, à la mi-janvier,
pour
les seuls États-Unis;
;
:
Djibouti).
La guerre du Golfe troupes sur le sol de
rArabie, -
un schéma préparé en
AMX
les
529
Saoudiens
le
demandent - selon
détail depuis août par le général
Schmitt
:
d’une
RC, des véhicules de l’avant blindés (VAB) et des hélicoptères « Gazelle », les deux derniers équipés de missiles HOT portant à 4 000 mètres, capables de retarder les forces irakiennes
part,
dans
des chars
10
secteur qui serait confié à la France « et de les offrir aux
le
coups des avions
et
des hélicoptères américains »
avions de reconnaissance, de défense aérienne à-dire des
Daguet
Mirage Fl, des Mirage 2000
et
;
d’autre part, des
et d’appui-feu, c’est-
des Jaguar. Le
nom
de
donné à cette opération, la plus importante depuis la guerre d’Algérie 4 200 hommes spécialisés dans le combat antichars ou anti-hélicoptères, appuyés par 30 avions de combat. Le est
:
commandement en
est confié
au général Roquej offre.
Le 18 septembre, à Munich, en marge du sommet franco-allemand, le Président donne son accord à l’implantation de nos forces à l’ouest du dispositif allié, à Hafar el-Batin, là où le général Schmitt et le général Schwarzkopf, chef du haut-commandement américain pour le Moyen-Orient depuis 1988, ont estimé qu’il y avait un vide à combler. Cela convient parfaitement au Président. Dans l’après-midi du 18, il dit devant Jean-Pierre Chevènement, tout juste rentré du Golfe « Il ne faut pas que nos troupes soient trop au nord, elles seraient trop en première ligne ; il ne faut pas qu 'elles soient trop au sud, elles seraient trop en retrait. Il ne faut pas non plus qu 'elles soient trop mélangées avec les Américains, pour conserver leur autonomie. » :
Quel commandement Cependant,
la
?
question du
commandement de
ces troupes se
non que nos forces aériennes, navales et sous les ordres du commandement « interal-
pose. Faut-il accepter ou terrestres puissent être lié
» américain ? Ce débat est trop souvent obscurci par une confusion
entre autonomie dans la décision et autonomie dans l’exécution.
première
est
essentielle
;
la
La
seconde, au sein d’une coalition, est
absurde. Pour d’évidentes raisons de logistique, de communication,
de cohérence des manœuvres en préalable cipe du
d’artificiels
et d’efficacité, le Président,
sans poser
problèmes de principes, va accepter
commandement américain de
l’exécution.
le prin-
Les mondes de François Mitterrand
530
Dans son ouvrage déjà général Schmitt expose très
De Diên Biên Phu à Koweït City le L 'histoire est clairement ce problème ,
cité
;
des troupes appartenant à diverses riche d'exemples, rappelle-t-il, où d’opérations. » Il ajoute, ce nations ont coopéré sur un même théâtre exige l’unité de commandement. » qui n’est pas niable : « L 'efficacité stratégie, le contrôle opéPour lui, il faut distinguer trois niveaux la niveau qui a été réglé, pour rationnel et la tactique. C’est le second Ailleret-Lemnitzer en 1967, conformement la France, par les accords aux instructions du général de Gaulle^. :
Le général Schmitt raconte
: