Les Douze Apotres: Histoire de la Reception Des Figures Apostoliques Dans Le Christianisme Ancien (Judaisme Antique Et Origines Du Christianisme) (French Edition) 9782503551197, 250355119X

Histoire de la reception des figures apostoliques dans le christianisme ancien. Formant le groupe le plus proche de Jesu

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Les Douze Apotres: Histoire de la Reception Des Figures Apostoliques Dans Le Christianisme Ancien (Judaisme Antique Et Origines Du Christianisme) (French Edition)
 9782503551197, 250355119X

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LES DOUZE APÔTRES

Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris)

Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidovic (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)

Régis B URNET

LES DOUZE APÔTRES

Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien

2014

© 2014, Brepols Publishers n.v., Turnhout All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2014/0095/11 ISBN 978-2-503-55119-7 Printed in the EU on acid-free paper

REMERCIEMENTS Cet ouvrage reprend et amplifie les conférences données à l’École Pratique des Hautes Études dans le cadre de la chaire de Simon C. Mimouni. Je remercie le Professeur Simon Mimouni pour la confiance qu’il m’a accordée en me donnant cette charge de conférence, son soutien constant et ses encouragements, ainsi que l’honneur qu’il me fait d’inaugurer la collection qu’il dirige par ce volume. Il a été présenté dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches, soutenue en février 2013 à l’Université de Tours. Je remercie le Professeur Bernard Pouderon d’avoir bien voulu en accepter la direction : ce travail n’aurait jamais été aussi bien accueilli que dans ses mains compétentes et amicales. Je remercie les membres du jury Jean-Daniel Dubois, Daniel Marguerat, Simon Mimouni, Bernard Pouderon, Maurice Sartre et Geert van Oyen de leurs corrections et suggestions ayant permis l’amélioration de ce travail. Je remercie mes collègues de l’IUT de Montreuil (Université Paris 8) pour leur patience envers mon parcours universitaire un peu atypique et la compréhension qu’ils m’ont toujours manifestée lors du travail de préparation de cet ouvrage. Je remercie également ceux de l’UCL de m’avoir accueilli avec tant de sympathie et de chaleur et de m’avoir continuellement soutenu lors des étapes finales. Merci à Marguerite Roman pour son aide si précieuse dans la confection des index. J’ai trop épié les moindres détails des biographies des apôtres pour ne pas savoir que toute information personnelle est amplifiée puis déformée par la tradition. Je ne citerai donc pas ici les noms de ceux à qui je dois tout : ils savent quelle place ils occupent dans le secret de mon cœur. Ce travail est dédié à la mémoire de Sœur Claire François, disparue en décembre 2010, qui consacra sa vie au Zaïre, au Togo et surtout à Madagascar. Elle avait assisté à la soutenance de ma thèse en 2001 et se promettait d’assister à celle de la HDR. Avo fijery ny Andriamanitra ka mahita ny takona.

REMARQUES LIMINAIRES I. A BRÉVIATIONS Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le travail accompli par les membres de l’AELAC, qui s’est concrétisé dans la publication de deux volumes d’écrits apocryphes chrétiens dans la collection de la Pléiade. Nous y ferons si souvent référence que nous nous permettons de les abréger. EAC I : F. BOVON et P. GEOLTRAIN (éd.), Écrits apocryphes chrétiens I (Pléiade 442), Paris, Gallimard, 1997. EAC II : P. GEOLTRAIN et J.-D. KAESTLI (éd.), Écrits apocryphes chrétiens II (Pléiade 516), Paris, Gallimard, 2005. De même, l’étude des textes « gnostiques » coptes a été très largement facilitée par les travaux des groupes de recherches franco-québécois publiés dans un autre volume de la Pléiade. EG : J.-P. MAHÉ et P.-H. POIRIER, Écrits gnostiques (Pléiade 538), Paris, Gallimard, 2007. Pour repérer les textes, nous utilisons les numéros des claves compilées par les Bollandistes : CANT : Geerard (M.), Clavis apocryphorum novi testamenti (corpus christianorum), Turnhout, Brepols, 1992. BHL : Bibliotheca hagiographica latina antiquæ et mediæ ætatis (Subsidia Hagiographica 6), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1898-1901 ; Bibliotheca hagiographica latina antiquæ et mediæ ætatis. Supplementi editio altera auctior (Subsidia Hagiographica 12), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1911 ; Bibliotheca hagiographica latina antiquæ et mediæ ætatis. Novum Supplementum (subsidia Hagiographica 70), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1986. BHG : Bibliotheca hagiographica græca ; seu, Elenchus vitarum sanctorum, Bruxelles, Apud editores, 1895 ; Bibliotheca hagiographica græca (Subsidia Hagiographica 8), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1909 ; F. HALKIN, Bibliotheca hagiographica græca (Subsidia Hagiographica 8a), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1957 ; F. Bibliotheca hagiographica græca. Auctarium (Subsidia Hagiographica 47), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1969 ; F. HALKIN, Bibliotheca hagiographica græca. Novum Auctarium (Subsidia Hagiographica 65), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1984. BHO : P. PEETERS, Bibliotheca hagiographica orientalis (Subsidia Hagiographica 10), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1910.

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REMARQUES LIMINAIRES

Les textes bibliques sont donnés d’après la version de la TOB que nous corrigeons çà et là. Les textes anciens sont reproduits d’après les éditions regroupées en collection dont les abréviations sont les suivantes : PL : Patrologia Latina, Paris, Migne, 1844-1855. PG : Patrologia Græca, Paris, Migne, 1844-1855. PO : Patrologia Orientalis, Paris/Turnhout, Firmin Didot/Brepols, 1897-… GCS : « Griechischen Christlichen Schriftsteller », Berlin, Akademie der Wissenchafter, 1891-… CSEL : « Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum », Vienne, éditeurs variés, 1866-… CCSL : « Corpus Christianorum Series Latina », Turnhout, Brepols, 1958-… CCSG : « Corpus Christianorum Series Græca », Turnhout, Brepols, 1977-… CCCM : « Corpus Christianorum Continuatio Mediævalis », Turnhout, Brepols, 1966-… SC : « Sources chrétiennes », Paris, Cerf, 1941…

II. S UR L ’ USAGE

DE

« J UDÉEN »

ET

« J UIF »

Jusqu’à ses dernières versions, ce travail s’était conformé à une habitude en train de devenir majoritaire qui tend à traduire le grec Ἰουδαῖος par « Judéen » et non plus par « Juif ». L’argument principal en faveur de cet usage, présenté par la préface de S. Mason à la traduction anglaise des Antiquités Judéennes de Flavius Josèphe 1, est que le terme français « juif », comme le terme anglais Jew, qui n’apparaît pas avant le Moyen Âge, charrie de multiples stéréotypes hérités de l’histoire et méconnaît la dimension fortement identitaire de ce terme pour lui donner un sens uniquement religieux. Depuis les années 2000, l’utilisation de « Judéen »/Judean devient ainsi quasiment une obligation, au point que la version récente de la TOB a cru devoir traduire différemment Ἰουδαῖος selon les contextes 2 et que certains dictionnaires d’étude anglo-saxons en recommandent systématiquement l’usage 3. 1. S. MASON, « Series Preface », in L. H. FELDMAN (éd.), Judean Antiquities 1-4 (Flavius Josephus Translation and Commentary 3), Leiden, Brill, 2000, p. I-LX (XIXII). 2. J.-M. BABUT, « Les révisions de la TOB de 1988 à 2010 », in G. BILLON et al. (éds.), L’Aventure de la TOB, Paris, Cerf/Bibli’O, 2010, p. 81-89 (88-89). 3. F. W. DANKER (éd.), A Greek English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago (IL)/London, University of Chicago Press, 3 2000, p. 478.

REMARQUES LIMINAIRES

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Un article de Daniel R. Schwartz ainsi qu’un autre de David M. Miller nous a incités à revenir à l’ancienne traduction à partir des arguments suivants 4 : 1° dans l’Antiquité, le terme n’est pas réservé aux habitants de Judée, mais à tous ceux qui étaient d’origine juive, comme le prouvent les données épigraphiques 5. Or en anglais, comme en français, l’origine est connotée par le terme « juif » et non par le terme « judéen » qui connote une indication géographique. 2° dans Flavius Josèphe, on s’aperçoit que le terme Ἰουδαῖος est employé pour désigner aussi bien des Iduméens, des Judéens que des Galiléens. Comment rendre la différence entre Juif et Judéen si l’on opte pour la traduction majoritaire ? 3° dans l’Antiquité, certains termes géographiques pouvaient perdre leur connotation territoriale pour recouvrir des croyances religieuses, des convictions politiques, des pratiques sociales. Ainsi peut-on parler de « Grecs » pour des gens qui n’ont aucun rapport avec la Grèce et d’« Hellénistes » pour des habitants de la Judée. 4° depuis le Deuxième Livre des Macchabées, il est clair que le terme Ἰουδαῖος définit non pas une appartenance géographique, mais la relation qu’une personne peut entretenir avec les croyances de Judée, décrite comme Ἰουδαίσμος. Ce Ἰουδαίσμος, qui se définit par un zèle particulier et s’invente à cette époque, comme l’a montré S. Cohen6, se trouve à la jonction de ce que nous nommerions politique et religion. Comme l’a fait remarquer Goldblatt, ce Ἰουδαίσμος a fini par devenir ce que nous nommerions un « parti politique », au point qu’il contamina la désignation géographique. Après les révoltes de 135, les rabbins préférèrent s’en désolidariser et nommèrent la Judée Eretz Israel, tandis que les Romains renommèrent la contrée Syria Palæstina 7. 5° Ἰουδαῖος semble donc ressortir à une appellation « extérieure », tandis que « Israël » semble davantage avoir été favorisé par les principaux intéressés eux-mêmes. Tous ces arguments se combinent à un dernier argument qui a finalement emporté la décision. Puisque nous traitons des textes partant du Ier siècle 4. D. R. SCHWARTZ, « “Judaean” or “Jew” ? How Should We Translate Ioudaios in Josephus ? », in J. FREY et al. (éds.), Jewish Identity in the Greco-Roman World (Ancient Judaism and Early Christianity 71), Leiden/Boston, Brill, 2007, p. 3-28. D. MILLER, « The Meaning of Ioudaios and its Relationship to Other Group Labels in Ancient ‘Judaism’ », Currents in Biblical Research 9, 2010, p. 98-126. 5. M. H. WILLIAMS, « The Meaning and Function of Ioudaiois in Græco-Roman Inscriptions », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 116, 1997, p. 249-262. 6. S. J. D. COHEN, Beginnings of Jewishness. Boundaries, Varieties, Uncertainties, Berkeley (CA), University of Berkeley Press, 1999. 7. D. GOLDBLATT, « From Judeans to Israel : Names of Jewish States in Antiquity », Journal for the Study of Judaism 29, 1998, p. 1-36.

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REMARQUES LIMINAIRES

jusqu’au IXe siècle (et parfois au-delà), et que ces questions de terminologie concernent surtout les premiers siècles de notre ère, l’harmonisation du terme aurait été quasiment impossible. Nous employons donc « juif », sans mésestimer toutes les difficultés que comporte ce terme. L’une des plus redoutables est de chercher à caractériser ceux qu’on nommait naguère les « judéo-chrétiens » selon une dénomination inventée au XVIIe siècle 8. Que cette dénomination ne soit pas adéquate, tout le monde s’accorde à le dire, en particulier parce qu’elle s’opposerait à des « pagano-chrétiens », ce qui n’a pas de sens. Mais par quoi la remplacer ? Nous avons opté pour « chrétiens d’origine juive » en ne sous-estimant pas l’imperfection d’une telle dénomination. En effet, le terme d’« origine » laisse supposer que ce fameux « judaïsme » est une identité abandonnée par ceux qui seraient devenus « chrétiens », alors qu’il ne s’agit bien évidemment pas de cela. Les « chrétiens d’origine juive » font partie de ces communautés qui pratiquaient un judaïsme messianique reconnaissant que le Messie était Jésus.

8. La référence la plus ancienne semble être Of Scandall de Henry Hammond (1644) dans lequel il utilise le terme pour désigner la forme de christianisme de Pierre et Jacques par rapport à celle de Paul.

INTRODUCTION – Dis donc, fit l’homme sur ses grands chevaux, qui es-tu donc, toi ? – Moi je suis Jésus, Jésus II. Le fils de Dieu. – Diable, murmurait le bonhomme dans sa barbe… un fou ? – J’ai décidé de « noyauter » le monde, disait Jésus à tire-d’aile. – Diable ! diable ! – Oui, oui, il y a dans l’iris de ton œil un point brun, d’un brun de bure, de cancer, de tempête… Il suffit d’un grain de neige pour déclencher une avalanche, dis donc… Il y a dans ta barbe un poil rebelle, retors et qui lui donnera du fil à retordre, à la belle « nature ». Il y a au fond de ton âme un germe insensé, insatiable… le fameux grain de sénevé… Et c’est pourquoi je t’ai choisi. – Choisi… cria l’homme en colère. – Oui, oui, dit Jésus, je ne te lâche plus… Pas de pitié pour les élus ! Tu fais le poids. Ton compte est bon. […] – Que faut-il faire ? – Partir ! dit Jésus. Partir ! Partir ! Dieu au clair… droit à l’homme… Les réveiller les hommes, les mobiliser… Ils ne savent pas ce qu’ils sont, ils dorment… Faut les leur affûter les quinquets, la leur torcher, la jugeote. Homme réveille-toi ! Les attraper par la barbiche, par un bouton de culotte, par l’imagination… Là entre quatre z’yeux… Qu’ils sont tous de maîtres-hommes, des héros, de naissance… […] Que tout homme est engrossé de Dieu. […] Qu’ils trichent, qu’ils trichent dans les grandes largeurs… Qu’elle est vide leur vie, archivide, sans couleur, sans odeur et sans saveur… Fol alibi que votre idéal ! Et les vraies oreilles alors ?…. et le vrai soleil ?…. et le vrai Dieu ?…. Affole-la un peu, ton âme ! Joseph DELTEIL, Jésus II, chap. II.

L’histoire du christianisme est aussi une histoire d’influences et de pouvoir, car, dès sa naissance, le christianisme est composé de groupes. Et comment pourrait-il en être autrement ? Si Jésus a regroupé autour de lui des composantes diverses de la population de Judée et de Galilée, il semble que très tôt, ceux qui le reconnaissent comme Messie se soient réunis en plusieurs ensembles, en fonction des affinités ethniques particulières 1. De manière fort naturelle, les Judéens s’organisent entre Judéens. Avec un réflexe que l’on retrouvera par la suite dans le judaïsme rabbinique, ils acceptent l’autorité d’un parent de Jésus, Jacques (on a en effet souvent 1. H. W. EBERTS, « Plurality and Ethnicity in Early Christian Mission », Sociology of Religion 58, 1997, p. 305-321.

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INTRODUCTION

observé par après le fils ou le gendre d’un rabbin prendre la suite de son enseignement). Ce réflexe s’explique d’autant mieux si l’on fait l’hypothèse que Jésus avait déjà fondé un embryon de communauté à Jérusalem 2. Des Galiléens paraissent s’être plutôt retrouvés autour de certains membres des Douze, dont Pierre, André et Jean. Un groupe de Judéens (peut-être non hiérosolymitains) semble avoir formé communauté autour d’un disciple de Jésus. Enfin, certains milieux juifs issus de la Diaspora fusionnent autour de plusieurs figures comme Étienne ou Nicolas. Il est impossible d’être plus précis sur ces différentes communautés, mais force est de constater qu’elles étaient diverses et assez remuantes et qu’elles évoluaient de manière juxtaposée. Il semble que la communauté jacobite soit demeurée à Jérusalem dans une fidélité stricte au judaïsme hiérosolymitain – par « judaïsme » on entend ici davantage une dimension sociopolitique que religieuse – proche du Temple et se soit trouvée assez vite débarrassée des autres communautés peut-être nolens (à cause des persécutions), peut-être volens (à cause d’une série de reprises en main dont témoignent par exemple les lettres de Paul). Les partisans d’Étienne furent forcés de quitter les premiers la Ville sainte vers le milieu des années 30 pour des motifs assez peu clairs. Persécution des Romains contre des étrangers ? Rejet des habitants de Judée contre des pratiques hellénistes ? Les Actes des Apôtres affirment que Pierre ne se sentait pas non plus très à l’aise à Jérusalem et prit goût aux excursions côtières (à Joppé). En tout cas, après 41, on le retrouve lui aussi à Antioche, peut-être contraint et forcé après des troubles politiques. La communauté groupée autour du disciple inconnu semble avoir fait rupture avec les jacobites et s’être contenté de demeurer en Judée, en évoluant à son propre rythme. La suite des événements ne ramena pas davantage l’unité. Les deux décennies qui suivirent (années 50-70) furent sans conteste celles d’Antioche, où de fortes personnalités avaient trouvé refuge, comme Barnabé, qui sera le mentor de Saül de Tarse, ou comme Pierre. Les Actes des Apôtres et les épîtres pauliniennes conservent le souvenir d’oppositions, de querelles de pouvoir, de recherche de légitimité. Les guerres juives, qui sont autant une guerre civile qu’une guerre contre les Romains, contribuèrent à émietter les communautés. On avait coutume autrefois de penser qu’après les guerres juives, la majorité des tendances du judaïsme avaient disparu pour ne laisser subsister que les seuls pharisiens (appelés à devenir le judaïsme) et les chrétiens. Un scénario simple paraissait alors s’imposer dans lequel les chrétiens avaient le beau rôle : face au durcissement des communautés pharisiennes qui avaient expulsé les chrétiens de la synagogue et réduit à néant les Esséniens, les 2. S. C. MIMOUNI, « Origines du christianisme. L’histoire de la communauté chrétienne/nazoréenne de Jérusalem des origines à 135 », Annuaire de l’EPHE. Section des Sciences religieuses 114, 2005-2006, p. 241-249.

INTRODUCTION

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Sadducéens et tous les mouvements baptistes, les chrétiens avaient opté pour la séparation (à l’exception de quelques chrétiens d’origine juive que les rabbins se chargèrent promptement de faire disparaître). Les recherches contemporaines sur le Parting of the Ways 3 montrent bien qu’il n’en a pas été ainsi. Non seulement les chemins ne se séparèrent pas si tôt, mais les recherches sur le judaïsme tardo-antique montrent bien que la diversité ne cessa pas, et que la Diaspora conserva sa variété jusqu’au VIe siècle 4. I.

L A QUE STION DE L A LÉGITIMITÉ AU CŒUR D ’ UN CHRISTIANISME EN ARCHIPEL

A. Position du problème : légitimité et autorité Le christianisme, que l’on croyait un continent, se révèle donc un archipel. Et au sein de cet ensemble, le combat pour préserver son indépendance ou s’assurer le contrôle de la totalité fit rage. Il fut compliqué par un double mouvement : 1° Le processus de reconnaissance du christianisme par l’Empire (de l’Édit de Galère aux édits de Théodose) conduisit à renforcer une tendance qui s’imposa lentement et que l’on désigne souvent sous le terme de « Grande Église » d’après une appellation héritée du Contre Celse d’Origène (τῶν ἀπὸ μεγάλης ἐκκλησίας, « ceux de la grande Église ») que l’Alexandrin attribue à Celse (v. 178) et ne reprend pas pour son propre compte 5. Cette dénomination cache mal les disparités qui persistèrent au sein même de cette tendance et dont la plus évidente est la différence entre Église de langue grecque et Église de langue latine. Il n’en reste pas moins qu’une religio (le terme s’invente à ce moment comme une prise de pouvoir ainsi que l’avait déjà vu É. Benveniste 6) appuyée par la puis les autorités en place chercha à se définir et à s’imposer, ce qui provoqua prise de pouvoir d’un côté, et résistances très fortes de l’autre 7. 3. La bibliographie est tellement abondante et les références tellement diverses que nous renonçons à en faire état. 4. M. GOODMAN, « Jews and Judaism in the Mediterranean Diaspora in the LateRoman Period : The Limitations of Evidence », in C. BAKHOS (éd.), Ancient Judaism in its Hellenistic Context (Supplements to the Journal for the Study of Judaism 95), Leiden/Boston, Brill, 2005, p. 177-204. J. M. G. BARCLAY, Jews in the Mediterranean Diaspora, Edinburgh, T&T Clark, 1996. 5. ORIGÈNE, Contre Celse V, 59. 6. É. BENVENISTE, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes (Sens commun), vol. 2, Paris, Minuit, 1969, chap. 7. 7. V. LIMBERIS, « “Religion” as the Cipher for Identity : The Cases of Emperor Julian, Libanius, and Gregory Nazianzus », Harvard Theological Review 93, 2000, p. 373-400.

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INTRODUCTION

2° la fondation de communautés de plus en plus éloignées du centre hiérosolymitain engendra un besoin de reconnaissance accru de ces « Églises nouvelles » par rapport aux communautés plus anciennes de Syrie-Palestine. Selon le vieux principe voulant qu’antiquité vaut dignité, il leur apparut crucial de revendiquer une part de l’autorité fondatrice, et de se rapprocher en quelque manière du lieu et du temps de la fondation. À la question, traditionnelle dans le judaïsme, de savoir qui est le Verus Israël 8 se superposa la question de savoir quelle est l’Ecclesia vera. Au cœur de l’histoire de ces premiers siècles gît donc un problème de légitimité. Or, comme le montra Max Weber dans ses écrits, la question de la légitimité est l’autre facette de la question de l’autorité. Qu’est-ce qui fait donc autorité dans ce christianisme primitif ? Un détour par le contenu du message chrétien est nécessaire : l’un des fondements du mouvement de Jésus est le fait que Dieu se soit directement impliqué dans les affaires humaines, par l’intermédiaire de Jésus. Cette formule vague évite de parler de l’Incarnation – c’est-à-dire le fait que Dieu se soit fait homme – qui n’était pas admise par tous. Tous pouvaient en revanche s’accorder sur une série de formules kérygmatiques 9 : Jésus est le Messie et le Fils de Dieu, et il est aussi le Sauveur. Désormais, c’est lui le principe suprême d’autorité. Pour renouer avec cette autorité suprême, deux directions étaient possibles : – ou bien s’appuyer sur la révélation d’un voyant ayant contact direct avec Jésus, qui permet de conférer au message le sceau christique (ex. le voyant de l’Apocalypse). – ou bien exciper du témoignage de quelqu’un qui fut proche de Jésus : un disciple, un apôtre… Le contact personnel avec Jésus (que ce soit de manière anthume ou posthume) se révèle donc décisif dans la définition de l’autorité. Dans une religion où la divinité s’est adressée directement aux hommes par la bouche d’un de leurs semblables (ce que Jean exprime par la doctrine du Christ Verbum Dei), la question de la tradition, c’est-à-dire de la transmission se révèle bien évidemment cruciale. Le processus de légitimation que l’on évoque met donc la personne au cœur de ses préoccupations.

8. C’est la question fondamentale qui gouverne cette période selon S. C. MIMOUNI, « Les identités religieuses dans l’Antiquité classique et tardive : remarques et réflexions sur une question en discussion », in N. BELAYCHE et S. C. MIMOUNI (éds.), Entre lignes de partage et territoires de passage. Les identités religieuses dans les mondes grec et romain (Collection de la Revue des Études juives 47), Paris/Louvain/Walpole (MA), Peeters, 2009, p. 485-502. 9. Sur cette question voir L. HURTADO, Le Seigneur Jésus Christ. La dévotion envers Jésus aux premiers temps du christianisme (Lectio Divina), 2003, trad. de D. BARRIOS, C. EHLINGER, N. LUCAS, Paris, Cerf, 2009.

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INTRODUCTION

Reste maintenant à savoir quelles sont les personnes qui sont les plus à même de conférer cette légitimité dont toutes les communautés sont avides. La réponse coule de source : ceux qui ont été le plus fréquemment, et de manière la plus personnelle, en contact avec Jésus ; les apôtres. C’est d’ailleurs celle que donne Irénée dès le livre III du Contre les hérésies. Cette réponse pose cependant une certaine difficulté. Après 2000 ans de christianisme, l’habitude s’est prise de parler d’ apôtres pour désigner uniquement les Douze. Il est temps maintenant de faire un point sur les différents cercles qui suivent Jésus. B. « Ceux qui suivent Jésus » : qui est vecteur de légitimité ? Comme l’a montré John Paul Meier que nous suivons ici sans réserve 10, le terme clef utilisé par les textes pour décrire la fidélité à Jésus est celui d’akolouthéo (ἀκολουθέω, suivre) qui combine deux usages 11 : la suivance intellectuelle des membres d’une école de philosophie morale (héritage du « paganisme ») et le fait de suivre un prophète itinérant (héritage du « judaïsme »). Trois groupes sont dits « suivre » Jésus dans l’évangile : les foules, les disciples et les Douze.

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Figure 1 : les cercles concentriques de ceux qui suivaient Jésus

10. Ce paragraphe reprend un certain nombre de données de J. P. MEIER, Un Certain Juif Jésus (Lectio divina), Paris, Cerf, vol. 3, 2005, p. 27-190 ainsi que ID., « The Circle of the Twelve : Did it Exist during Jesus’ Public Ministry ? », Journal of Biblical Literature 116, 1997, p. 635-672. 11. A. SCHULZ, Nachfolgen und Nachahmen (Studien zum Alten und Neuen Testament 6), München, Kosel, 1962.

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INTRODUCTION

1. Les foules (ὅχλοι) Que Jésus ait été suivi par les foules (ὅχλος, « la foule » ou même ὅχλοι, « les foules »), cela est attesté de manière variée. Jésus était environné par les multitudes. Et il semble que ce grand nombre soit à l’origine de la crainte des autorités devant ce prédicateur. Parfois, les textes en fournissent l’ampleur en parlant des 5000 (Mt 14, 21) qui sont nourris par Jésus (même si le chiffre est certainement symbolique). Parfois on ne les remarque qu’incidemment : en particulier en considérant les personnages qui ne peuvent toucher Jésus, car la foule est trop nombreuse (Mc 2, 1-12). Tacite a apparemment conservé le souvenir de cette foule lorsqu’il affirme que « réprimée sur le moment [par l’exécution de Jésus], cette exécrable superstition faisait de nouveau [rursum] irruption non seulement en Judée, le berceau du mal, mais encore à Rome où tout ce qu’il y a d’affreux ou de honteux dans le monde converge et se répand 12. » Il semble que la foule ait connu diverses fluctuations au temps du ministère. Jn 6, 66 nous affirme que certains membres de la foule se sont détournés de Jésus au temps du discours du pain de vie. Jean 6, 61-68. – Plusieurs de ses disciples, après l’avoir entendu, dirent : Cette parole est dure ; qui peut l’écouter ? Jésus, sachant en lui-même que ses disciples murmuraient à ce sujet, leur dit : Cela vous scandalise-t-il ? […] Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui. Jésus donc dit aux douze : Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.

Bien entendu, le témoignage de Jn doit être pris avec beaucoup de précautions. La foule s’est-elle détournée de Jésus à cet instant précis ? S’estelle détournée de lui historiquement ou continue-t-elle à se détourner de son message ? On peut y voir, comme le suppose Raymond Brown 13, un écho de la prédication contemporaine à l’écriture de l’évangile à la fin du Ier siècle. En revanche, le caractère gênant de la situation plaide pour historicité de la notation : qui aurait intérêt à affirmer que son leader décourageait les foules ? Le propre de la foule est d’être inconstante : tous les évangiles s’accordent pour dire que Jésus a retrouvé sa popularité lors de son entrée à Jérusalem. Les flux et reflux de l’engouement des foules prennent d’ailleurs un sens différent en fonction des évangiles. Chez Mc, il y a une distinction nette 12. TACITE, Annales 15, 44 : repressaque in præsens exitiabilis superstitio rursum erumpebat, non modo per Iudæam, originem eius mali, sed per urbem etiam, quo cuncta undique atrocia aut pudenda confluunt celebranturque, éd H. HEUBNER, Leipzig, Teubner, 1994, p. 369. 13. R. E. BROWN, The Gospel According to John XIII-XXI (Anchor Bible 29A), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1970, ad loc.

INTRODUCTION

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entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors » qui ne comprennent pas. Tout le mouvement de l’évangile montre que ceux du dedans rejoignent ceux du dehors dans une même incompréhension : on pourrait résumer Mc comme le drame de l’aliénation des foules. Chez Mt, on constate une fluctuation très nette des foules qui se désolidarisent de Jésus pour parvenir à se fondre dans la même réprobation lors de la condamnation du Nazaréen. Lc alterne entre ὅχλος (la foule) et λαός (le peuple, dans le sens religieux du peuple juif ). La foule est plus sympathique, car elle est un réservoir potentiel de conversion, tandis que le peuple s’opiniâtre à vouloir le malheur de Jésus. Chez Jn, il y a peu de foules, et elles sont désemparées et divisées. La foule est parfois remplacée par « les Juifs » (οἱ Ἰουδαῖοι), un terme ambigu 14, dont la traduction pose d’incommensurables difficultés comme nous l’avons vu dans la remarque liminaire. Avec une certaine dose de romantisme, on a souvent dit que ces foules étaient faites de pauvres. Or, quand on considère qui en émerge, on s’aperçoit que la situation se révélait nettement plus complexe : Lévi le collecteur d’impôts (Mc 2, 13-15), la femme hémorroïsse qui avait des biens, mais les avait dépensés auprès des médecins (Mc 5, 25-34), le centurion d’Hérode Antipas (Mt 8, 5-13), Jaïre, chef de la synagogue (Mc 5, 21-43), Zachée le riche collecteur de taxe de Jéricho (Lc 19, 1-10), la femme qui verse un parfum de 300 deniers sur les pieds de Jésus (Mc 14, 3-9), les compagnes de Marie de Magdala, dont Jeanne, femme de Chouza l’intendant d’Hérode (Lc 8, 3)… Manifestement, il n’y avait pas que les miséreux à suivre Jésus, mais aussi des membres de la classe aisée, ainsi que des représentants des élites de Galilée.

2. Les disciples (μαθητής) Autant la foule est inconstante, autant les disciples ont fait le choix de demeurer avec Jésus. Le fait que Jésus ait eu des disciples est une certitude, 14. La bibliographie sur ce terme est considérable, car il s’agit d’une pierre de touche de la compréhension de ce qu’est le « judaïsme » à la fin du Ier siècle. Urban C. von Wahlde a fait le point sur la période 1948–1998 dans deux épais articles : « The Johannine “Jews” : A Critical Survey », New Testament Studies 28, 1982, p. 33-60 et « “The Jews” in the Gospel of John : Fifteen Years of Research (1983– 1998) », Ephemerides Theologicæ Lovanienses 76, 2000, p. 30-55. On peut également citer : D. RENSBERGER, « Anti-Judaism and the Gospel of John » in W. R. FARMER, Anti-Judaism and the Gospels, Harrisburg, Trinity, 1999, p. 120-157 ; D. BOYARIN, « The Ioudaioi in John and the Prehistory of “Judaism” » in J. C. ANDERSON et al., Pauline Conversations in Context : Essays in Honor of Calvin J. Roetzel ( Journal of the Study of the New Testament Supplement Series 221), Sheffield, SAP, 2002, p. 216-239 ; R. HAKOLA, Identity Matters : John, the Jews and Jewishness (Supplements to Novum Testamentum 118) Leiden, Brill, 2005 ; C. BENNEMA, « The Identity and Composition of οἱ Ἰουδαῖοι in the Gospel of John », Tyndale Bulletin 60, 2009, p. 239-263.

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le mot « disciple » (μαθητής) revient 72 fois dans Mt, 46 fois dans Mc, 37 fois dans Lc et 78 fois dans Jn. Il désigne à chaque fois le groupe proche de lui. Le terme n’a pas de parallèle dans la LXX, indice qu’il s’agit peut-être d’une spécificité du mouvement de Jésus. Une bibliographie considérable sur la question est disponible, voici quelques éléments simplifiés 15. a . Comment évaluer la place des disciples dans le mouvement de Jésus ? 1. La pratique d’avoir des disciples a un lien avec les écoles de l’Antiquité. – Le terme mathètès est très rare ailleurs que dans les écoles philosophiques de l’Antiquité (Stoïciens, Péripatéticiens, Platoniciens, etc.). Du coup, il est malaisé de savoir ce que le mot pouvait représenter en contexte juif. Philon d’Alexandrie (25 av. J.-C. - 50 apr. J.-C.) emploie mathétès pour désigner celui qui apprend quelque chose d’un maître. Il l’emploie aussi pour désigner le « parfait » qui est directement instruit par Dieu (on voit ici un écho de sa pensée mystique). Flavius Josèphe l’emploie rarement, et souvent pour désigner la relation de maître à disciple de l’AT : Josué et Moïse (Antiquités juives VIII, 13, 17 § 84) ; Élisée et Élie ; Baruch et Jérémie. Élie, ayant entendu ces paroles, retourne au pays des Hébreux et, ayant surpris Élisée, fils de Saphat(os), en train de labourer avec quelques autres qui poussaient douze attelages, il s’approcha et lança sur lui son manteau. Aussitôt, Élisée se mit à prophétiser et, laissant ses bœufs, suivit Élie [ὁ δ᾽ Ἐλισσαῖος εὐθέως προφητεύειν ἤρξατο καὶ καταλιπὼν τοὺς βόας ἠκολούθησεν Ἠλίᾳ]. Cependant il lui demanda la permission d’embrasser ses parents et, comme Élie la lui accorda, il prit congé d’eux et s’en alla ensuite avec lui, et, durant toute la vie d’Élie, il fut son disciple et son serviteur [καὶ ἦν Ἠλίου τὸν ἅπαντα χρόνον τοῦ ζῆν καὶ μαθητὴς καὶ διάκονος]. (Antiquités juives VIII, 13,17 § 354)

Ailleurs, on voit que le modèle grec du maître et du disciple a pénétré les cercles cultivés juifs, car un maître tel que Pollion le pharisien peut avoir des disciples : Le pharisien Pollion et son disciple Samaias furent surtout en honneur auprès de lui pendant le siège de Jérusalem [ἐτιμῶντο δὲ μάλιστα παρ᾽ αὐτῷ Πολλίων ὁ Φαρισαῖος καὶ Σαμαίας ὁ τούτου μαθητής], ils avaient en effet conseillé à leurs concitoyens d’ouvrir les portes à Hérode, et ils reçurent de celui-ci le retour de leurs bons offices (Antiquités juives XV, 1, 1). Il voulut amener Pollion le pharisien et Samaias, ainsi que la plupart de ceux de leur école [ceux qui vivent avec lui, συνδιατριβόντων], à prêter 15. M. J. WILKINS, The Concept of Disciple in Matthew’s Gospel (Novum Testamentum Sup 59), Leiden, Brill, 1988. R. A. CULPEPPER, The Johannine School (SBL Dissertation Series 26), Missoula, Scholars, 1975.

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serment, mais ils n’y consentirent pas et cependant ne furent pas châtiés comme les autres récalcitrants, car Hérode se montra indulgent pour eux, en considération de Pollion (Antiquités juives XV, 10, 4)

On peut donc en conclure que le fait d’avoir des disciples serait le reflet d’une pratique hellénistique entrée dans le judaïsme, sans qu’il soit nécessaire, comme le postulait Bultmann dans sa thèse de 1910, de supposer un Sitz im Leben cynico-stoïcien 16. Les caractéristiques de cette pratique sont plurielles : a) l’appartenance aux disciples d’un maître transcende les classes sociales (pratique héritée en particulier des Stoïciens et surtout des Épicuriens) ; b) les disciples entretiennent un lien très fort avec un maître qui fait l’unité du groupe (fondateur, écrits, etc.) ; c) les disciples pratiquent le compagnonnage ; d) ce compagnonnage est scellé par des activités communes (dont la prise en commun de repas) ; e) il est également ritualisé par des règles et pratiques d’admission strictes qui réalisent une prise de distance par rapport au monde. 2. Chez Jésus, cette pratique est pensée sur le modèle d’Élie – Héritage de l’hellénisme, le fait de susciter des disciples prend une coloration spécifiquement juive. Le lien avec les pratiques rabbiniques est tout sauf évident, non seulement parce qu’on risque de commettre un fort anachronisme, mais aussi parce que Jésus est un prophète et un guérisseur et non un docteur de la Loi. C’est donc plutôt le modèle d’Élie et d’Élisée qui doit être mis en avant. Jésus qui s’affirme comme le nouvel Élie se suscite de nouveaux Élisée. Cette parenté se révèle d’abord par l’appel dont on peut tirer les trois composantes : 1R 19, 19-21. – Élie partit de là, et il trouva Élisée, fils de Schaphath, qui labourait. Il y avait devant lui douze paires de bœufs, et il était avec la douzième. Élie s’approcha de lui, et il jeta sur lui son manteau. Élisée, quittant ses bœufs, courut après Élie, et dit : Laisse-moi embrasser mon père et ma mère, et je te suivrai. Élie lui répondit : Va, et reviens ; car pense à ce que je t’ai fait. Après s’être éloigné d’Élie, il revint prendre une paire de bœufs, qu’il offrit en sacrifice ; avec l’attelage des bœufs, il fit cuire leur chair, et la donna à manger au peuple. Puis il se leva, suivit Élie, et fut à son service.

16. Le concept de style cynico-stoïque vient de l’école allemande et est utilisé dès 1910 par Bultmann à propos de Paul : R. BULTMANN, Der Stil der paulinischen Predigt und die kynisch-stoische Diatribe (Forschung zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament 13), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 11910, 2 1984. L’idée est reprise par les Américains dans les années 1980 : F. G. DOWNING, Jesus and the Threat of Freedom, Londres, SCM, 1987. Elle sert de base à l’hypothèse de Crossan : J. D. CROSSAN, The Historical Jesus. The Life of a Mediterranean Jewish Peasant, San Francisco (CA), Harper, 1991.

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L’appel d’Élisée commence par (α) l’appel inopiné du prophète, il a pour conséquence (β) l’abandon de la famille et du gagne-pain pour (γ) se mettre à la suite du prophète. Or, en ce qui concerne l’appel des disciples, on constate le même schéma. Les attestations de l’appel (α) sont multiples : appel des quatre premiers disciples (Pierre, André, Jacques, Jean), Lévi le collecteur de taxes et le jeune homme riche (Mc 10, 17-22). À chaque fois, le futur disciple est saisi au milieu de ses activités qu’il laisse en plan. Cet appel va contre les lois sociales – « Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu » (Lc 9, 62). L’appel de Jésus comporte une radicalité qui va souvent contre la piété familiale (β) : Mt 8, 19-22. – Un scribe s’approcha, et lui dit : Maître, je te suivrai partout où tu iras. Jésus lui répondit : « Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. » Un autre, d’entre les disciples, lui dit : « Seigneur, permets-moi d’aller d’abord ensevelir mon père. » Mais Jésus lui répondit : Suis-moi, et laisse les morts ensevelir leurs morts.

Cette façon de faire est très différente de celle d’un Flavius Josèphe parlant de sa façon de trouver un maître : Autobiographie 2 – [10] Lorsque j’eus treize ans je désirai apprendre les diverses opinions des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens, qui forment trois sectes [αἱρέσις] parmi nous, afin que, les connaissant toutes je pusse m’attacher à celle qui me paraîtrait la meilleure. Ainsi je m’instruisis de toutes, et en fis l’épreuve avec beaucoup de travail et d’austérité. [11], Mais cette expérience me satisfit pas encore, et sur ce que j’appris qu’un nommé Bannous vivait si austèrement dans le désert, qu’il n’avait pour vêtement que les écorces des arbres, pour nourriture que ce que la terre produit d’elle-même, et que pour se conserver chaste il se baignait plusieurs fois le jour et la nuit dans de l’eau froide, je devins un de ses « zélés » [ζηλωτὴς ἐγενόμην αὐτοῦ]. [12] Après avoir passé trois années avec lui [διατρίψας παρ᾽ αὐτῷ], je retournai à l’âge de dix-neuf ans à Jérusalem. Je commençai alors à m’engager dans les exercices de la vie civile, et embrassai la secte des Pharisiens, qui approche plus qu’aucune autre de celle des Stoïques entre les Grecs 17.

Chez Jésus, l’une des spécificités de l’appel, est le fait de suivre (ἀκολουθέω). Cette suivance (γ) est bien différente de celle des écoles juives dans lesquelles l’appel est moins radical et moins indéfini et se fait avec l’espérance d’une marge de progression : on peut espérer devenir un

17. Nous reprenons la vieille traduction d’Arnaud d’Andilly que nous corrigeons à quelques (rares) reprises.

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« jeune collègue » 18. Elle est aussi bien différente de l’appel d’Élie, qui ne prononce aucune parole et ne fait aucune promesse d’avenir 19. La conséquence de cette impiété que constitue l’abandon de tout est de se trouver en butte à l’hostilité de sa propre famille. Suivre Jésus s’affirme donc comme un saut vers l’inconnu radical, car dans la tradition méditerranéenne, la famille, les relations, représentent un garde-fou contre l’hostilité du monde. L’ultime protection est perdue, comme Pierre le rappelle : Mc 10, 28-30 – Pierre se mit à lui dire : « Voici, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi. » Jésus répondit : « Je vous le dis en vérité, il n’est personne qui, ayant quitté, à cause de moi et à cause de la bonne nouvelle, sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou sa mère, ou son père, ou ses enfants, ou ses terres, ne reçoive au centuple, présentement dans ce siècle-ci, des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants, et des terres, avec des persécutions, et, dans le siècle à venir, la vie éternelle. »

Devenir disciple produit l’hostilité de sa famille, ce qui explique la réaction de Jésus face à sa mère et à ses frères et son appel à définir de nouvelles relations familiales. Devenir disciple place également face au danger. Derechef, une série d’attestations communes à tous les évangiles montrent le péril sous la forme : « celui qui voudra sauver sa vie la perdra » (Mc 8, 35 ; Mt 16, 25 ; Lc 9, 24 ; Jn 12, 25). Ce danger est si grand qu’il peut aller de pair avec la demande de « prendre sa croix » : Mc 8, 34. – Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive.

En résumé, on peut donc affirmer que Jésus a pris l’initiative de rassembler des disciples par une forme d’appel qui ressemblait aux appels prophétiques et qui frappe par sa radicalité. Le plus important dans cet appel n’était pas le fait que l’on doive apprendre (μανθάνω), mais bien que l’on doive suivre (ἀκολουθέω) : plus qu’une formation, Jésus a conçu la condition de disciple comme une marche à sa suite. Celle-ci suppose renoncement à soi et mort de la manière la plus choquante à sa vie antérieure. Cette exigence et cette dureté pourraient s’apparenter à celle de certains groupes retirés dans le désert. Mais la vie des disciples de Jésus s’opérait dans le monde, loin des frontières rassurantes de la communauté, loin des murs protecteurs du lieu de retraite. La condition de disciple de Jésus semble être donc unique dans l’Antiquité. 18. C’est l’avis de M. HENGEL, The Charismatic Leader and his Followers, trad. J. GREIG, New York, Crossroads, 1981, p. 13-14. 19. C’est ce qu’explique Vernon Robbins en analysant les parallèles entre Mc 1, 14-20 et l’appel d’Euthydème par Socrate chez Xénophon : V. K. ROBBINS, « Mark 1.14-21 ; An Interpretation at the Intersection of Jewish and Græco-Roman Traditions », New Testament Studies 28, 1982, p. 220-236.

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Tous ne pouvaient pas satisfaire à cette exigence. On connaît une série de personnages qui ne quittent pas leur maison : Zachée, Lazare, l’hôte anonyme du dernier repas, Simon le lépreux, Marthe et Marie. Tous ces personnages semblent tenir le rôle d’intendants, de soutien logistique à Jésus. Plusieurs arguments militent en faveur du fait que Jésus ait permis à des femmes de le suivre. Leur rôle éclate près de la Croix. Chez Luc, la présence de ces femmes est expliquée par le rôle qu’elles jouent : Lc 8, 1-3. – Ensuite, Jésus allait de ville en ville et de village en village, prêchant et annonçant la bonne nouvelle du royaume de Dieu. Les douze étaient avec lui [καὶ οἱ δώδεκα σὺν αὐτῷ] et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies : Marie, dite de Magdala, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne, et plusieurs autres, qui l’assistaient de leurs biens [διηκόνουν αὐτοῖς ἐκ τῶν ὑπαρχόντων αὐταῖς].

Aucune femme ne remplit ce service dans d’autres groupes ; ce rôle est en discontinuité avec tous les usages grecs ou juifs et paraît même « proprement inconcevable 20 ». En effet, on voit ici le tableau choquant de femmes dont certaines étaient mariées circulant loin de leurs maris. Comme le conclut J. P. Meier, « un entourage itinérant d’adeptes femmes sans mari, dont certaines étaient d’anciennes possédées, qui fournissaient maintenant à Jésus argent ou nourriture, n’a pas dû faire baisser le niveau de suspicion et de scandale auquel Jésus était déjà confronté dans une société rurale traditionnelle 21. » b. Soixante-dix ou soixante-douze disciples ? Les synoptiques relatent l’envoi des disciples et mentionnent qu’ils étaient soixante-dix. D’autres textes parlent de soixante-douze. Ces variations reflètent une compréhension différente de la notion de disciple et nous aident à préciser ce que l’on vient de dire. Lc 10, 1. – Après cela, le Seigneur désigna encore soixante-dix autres disciples, et il les envoya deux à deux devant lui dans toutes les villes et dans tous les lieux où lui-même devait aller. Lc 10, 17. – Les soixante-dix revinrent avec joie, disant : Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en ton nom.

On constate un flottement assez grand dans les manuscrits concernant ces deux versets ainsi que dans les textes qui y font référence. Il semble que l’on se trouve devant deux traditions. 20. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc (Commentaire du Nouveau Testament 3a), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 388. 21. J. P. MEIER, Jésus. Un Certain Juif (Lectio divina), vol. 3, Paris, Cerf, 2006, p. 84.

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(α) la majorité des manuscrits grecs (dont ‫א‬, Sinaïticus, mais aussi A, C, L W, ainsi que toute la tradition byzantine) portent ἑβδομήκοντα (soixante-dix). Certains bons témoins portent cependant ἑβδομήκοντα δύο (72), en particulier le P, le codex Bezæ (D), le Vaticanus (B), ainsi que le Diatessaron et Ambrosiaster. (β) la Vulgate porte 70 : post hæc autem designavit Dominus et alios septuaginta duos et misit illos. Bruce Metzger, lorsqu’il s’agit de quel texte inscrire dans l’édition du Nestle-Aland se fit l’avocat d’une solution éditoriale de compromis rarissime dans tout l’ouvrage 22 : mettre le δύο entre crochets, pour signaler que, vraiment, le choix n’était pas possible. 1. Soixante-dix, le nombre du peuple. – De nombreux indices militent pour que 70 soit le nombre authentique. (α) De nombreuses attestations se trouvent dans l’Ancien Testament : les enfants de Jacob pleurent le père 70 jours (Gn 50, 3), on immole 70 Taureaux pendant les 7 jours du 7e mois des holocaustes (Nb 29, 12-32). Dans les Chroniques, Salomon fait placer 10 chandeliers à 7 branches qui permettent d’allumer 70 flammes (2Ch 4, 7). On retrouve également 70 dans les généalogies. Jacob a ainsi 70 descendants : 33 issus de Léa fille de Laban (6 fils, 25 petits-fils et 2 arrières petitsfils, Gn 46, 8-15) ; 16 issus de Zilpah sa servante ; 14 issus de Rachel et 7 issus de Biléah servante de Rachel. D’ailleurs le Deutéronome confirme : Dt 10, 22. – Tes pères descendirent en Égypte au nombre de soixantedix personnes ; et maintenant Yahvé, ton Dieu, a fait de toi une multitude pareille aux étoiles des cieux.

On associe souvent généalogie et géographie (en particulier au début : les peuples descendent d’un même ancêtre). 70 c’est aussi le nombre de peuples descendants de Noé (Gn 10, 2-31) : 14 descendent de Japhet, 30 de Cham et 26 de Sem. (β) Son origine : un symbolisme astrologique 23. Le symbolisme du nombre est assez simple : 7, nombre de perfection, est associé à 10, nombre de grandeur. 7 x 10 marque donc la grandeur parfaite. Cette croyance provient de Babylone et de son astrologie qui avait remarqué qu’il y avait 7 planètes visibles et divisait le ciel en dix régions, ce qui dessine 70 constellations.

22. Références dans B. M. METZGER, « Seventy or Seventy-Two Disciples ? », New Testament Studies 5, 1958-1959, p. 299-306. 23. Sur ces questions astrologiques, ainsi que sur le symbolisme des nombres, Émile Nourry alias Pierre Saintyves fournit de nombreux parallèles impossibles à détailler ici : P. SAINTYVES, Deux Mythes évangéliques : les douze apôtres et les 70 disciples, Paris, Nourry, 1938.

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On retrouve des traces de ce symbolisme astrologique dans certains passages en lien avec des horoscopes. Le Psaume 110 estime qu’à 70 ans, l’homme a la plénitude de sa vie aussi David meurt-il à cet âge (1S 5, 4 ; 1Ch 29, 29). C’est également le temps pendant lequel Tyr tombe dans l’oubli pour Isaïe (« la durée de la vie d’un roi », précise-t-il) en Is 23, 15 ou qu’Israël sera livré aux mains de Babylone ( Jr 25, 11). (γ) Par retour, soixante-dix est une représentation symbolique du peuple. Le lien entre l’astrologie et la géographie est évident dans l’Antiquité. Moïse, avant de monter au Sinaï nomme 70 anciens (Ex 24, 1) pour être au pied de la montagne en adoration pendant qu’il monterait. Abimélek tue les 70 fils de Gédéon ( Jg 9, 1-15). Cette influence continue jusqu’à la période rabbinique : le traité Sanhédrin du Talmud (1, 6) nous apprend que le sanhédrin est composé de 71 membres (70 + le grand prêtre). On peut donc en conclure que lorsque Jésus choisit les 70, il choisit par métonymie l’ensemble du peuple : il construit en quelque sorte son mouvement comme communauté eschatologique. 2. Les soixante-douze : le nombre des nations. – Tout autre est le symbolisme inscrit dans le nombre soixante-douze. Le choix du nombre résulte d’un changement astrologique historique. Si l’on s’intéresse désormais au mouvement des astres et non plus à celui des planètes, on passe naturellement de soixante-dix à soixante-douze, car le mouvement du soleil impose de passer en base douze. Ce changement advint en Égypte : l’astrologie égyptienne connaît 12 signes et la légende veut que Sésostris divisât l’Égypte en 36 nomes 24. Cela donna donc 36 combinaisons, 36 dieux conseillers. Les Babyloniens adoptèrent aussi le même système : on connaît certains horoscopes portant les douze signes du zodiaque que l’on divisait en trois groupes. Les Douze tribus d’Israël (et les Douze disciples que l’on va étudier juste après) ressortissent à ce symbolisme astrologique. 3. La confusion entre les deux. – La confusion s’opéra dans le judaïsme alexandrin. On sait que 72 en vient à remplacer 70 dans certains esprits, car il est un multiple de 12. Ainsi les Septante de la lettre d’Aristée sont en réalité 72 (puisque l’on prend six sages de chaque tribu) 25. Cette hésitation n’est pas sans signification pour notre enquête. Elle traduit la volonté évangélique, probablement postérieure à l’événement 24. Alors qu’en réalité le nombre de nomes était de 42, 22 nomes en Haute Égypte et 20 en Basse Égypte : N. FAVRY, Le Nomarque sous le règne de Sésostris Ier (Passé-Présent, les Institutions dans l’Égypte Ancienne 1), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2004, p. 5. 25. S. JELLICOE, « St. Luke and the “Seventy(-two)” », New Testament Studies 6, 1959-1960, p. 319-321.

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pascal, de prendre en considération une mission s’étendant aux limites du monde connu, une prétention de l’appel à l’universalité.

3. Les Douze (οἱ δώδεκα) Au sein des disciples – et partageant donc toutes les caractéristiques que l’on vient de mettre en lumière – il semble que Jésus ait distingué un sous-groupe particulier, les Douze. Ceux-ci ne constituent pas l’entièreté des disciples puisqu’un certain nombre de disciples ne sont pas devenus membres des Douze. a . La distinction entre les Douze et les apôtres (ἀποσ τόλοι) 1. La distinction paulinienne. – Si la tradition parle des « Douze apôtres » (et à l’occasion nous ferons de même), il semble que l’on ne doit pas identifier strictement les apôtres et les Douze. En effet, « apôtre » 26 ne semble pas recouvrir, du temps de Jésus, un groupe particulier, mais plutôt une fonction 27, dont Paul, par la suite, pourra faire un usage complexe. Chez Marc et chez Matthieu on n’emploie pas le terme dans son sens technique. Par exemple en Mc 6, 30, on lit : « Les ἀπόστολοι, s’étant rassemblés auprès de Jésus, ils lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et 26. La littérature sur la question du terme apôtre est considérable, comme le sont les questions que le terme soulève, ainsi que l’a montré H.-D. BETZ, « Apostle », Anchor Bible Dictionnary, New York, Doubleday, 1993, p. 309-11. Pour une revue des questions : J. A. KIRK, « Apostleship since Rengstorf : Towards a Synthesis », New Testament Studies 21, 1975, p. 249-264 ; F. H. AGNEW, « The Origin of the NT Apostle-Concept : A Review of Research », Journal of Biblical Literature 105, 1986, p. 75-96. On cite le plus souvent : G. KLEIN, Die zwölf Apostel : Ursprung und Gehalt einer Idee (Forschungen zur Religion und Literatur des AT und NT 77), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1961 ; J. ROLOFF, Apostolat-Verkündigung-Kirche : Ursprung, Inhalt und Funktion des kirchlichen Apostelamtes nach Paulus, Lukas und den Pastoralbriefen, Gütersloh, Mohn, 1965 ; W. SCHMITHALS, The Office of Apostle in the Early Church, Nashville/New York, Abingdon, 1969 ; H. von CAMPENHAUSEN, Ecclesiastical Authority and Spiritual Power, trad. J. A. BAKEN, Stanford, Stanford University Press, 1969. On peut ajouter : R. SCHNACKENBURG, « Apostles before and during Paul’s Time », in W. W. GASQUE et R. P. MARTIN (éds.), Apostolic History and the Gospel : Biblical and Historical Essays presented to F. F. Bruce on his 60th Birthday, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1970, p. 287-303 ; M. LOHMEYER, Der Apostelbegriff im Neuen Testament. Eine Untersuchung auf dem Hintergrund der synoptischen Aussendungsreden (Stuttgarter Bibelstudien 29), Stuttgart, Katholisches Bibelwerk, 1995, p. 18-122 ; N. HYLDAHL, The History of Early Christianity (Studies in the Religion and History of Early Christianity 3), Frankfurt am Main, Lang, 1997, p. 152-66 ; W. REINBOLD, Propaganda und Mission im ältesten Christentum : Eine Untersuchung zu den Modalitäten der Ausbreitung der Kirche (Forschungen zur Religion und Literatur des AT und NT 188), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2000, p. 32-42, 114-116, 253-264. W. A. BIENERT, « The Picture of the Aspostle in Early Christian Tradition », in W. SCHNEEMELCHER-R. MCL. WILSON (éds.), New Testament Apocrypha, vol. 2, Louisville (KY), John Knox, 22003, p. 5-27. 27. R. SCHNACKENBURG, « Apostles Before and During Paul’s Time »…, p. 302.

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tout ce qu’ils avaient enseigné. » Les apôtres désignent ici ceux qui ont été envoyés. Le fait que les Douze aient été systématiquement appelés apôtres est très douteux. Ce n’est que dans des passages particuliers comme les listes apostoliques de Matthieu (Mt 10, 2) et Luc (Lc 6, 13), que l’on trouve l’expression « voici les noms des douze apôtres » qui pourrait être une glose tardive, ou bien dans l’Apocalypse (Ap 21, 14). Chez Jean l’expression n’apparaît pas, et dans les synoptiques, on parle des « douze disciples28 ». C’est Paul qui fait la première distinction, dans un passage où il cherche à revendiquer son autorité apostolique : 1Co 15, 5-9. – Il est apparu à Céphas, puis aux Douze [ὤφθη Κηφᾷ εἶτα τοῖς δώδεκα]. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères [πεντακοσίοις ἀδελφοῖς] à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres [ἔπειτα ὤφθη Ἰακώβῳ εἶτα τοῖς ἀποστόλοις πᾶσιν]. Après eux tous, il m’est aussi apparu à moi, comme à l’avorton ; car je suis le moindre des apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu.

Le Tarsiote opère bien une séparation entre les Douze, les frères (des chrétiens), Jacques (qui ne fait pas partie de ces frères), et tous les apôtres (donc pas les Douze). Il réalise une autodésignation comme apôtre tout en faisant mine de refuser rhétoriquement le titre. Il faut donc comprendre que pour Paul, les apôtres sont ceux à qui le Ressuscité est apparu et à qui il a donné une κλῆσις apostolique 29. « Apôtre » semble donc être encore à cette époque une fonction ad hoc plutôt qu’une fonction institutionnelle : est apôtre celui qui est envoyé. Le terme reprend les usages du Shaliach hébreu, y compris le caractère temporaire de l’envoi 30. L’ἀπόστολος est un simple envoyé, un travailleur (ἐργάτις) qui œuvre au nom du Christ (2Co 9, 13 ; Ph 3, 2 ; Mt 21, 28) 31. En grande partie sous l’influence de Paul tentant d’asseoir son autorité apostolique 32, cette fonction devient une sorte de lieutenance : l’apôtre, 28. Ibid., p. 113. 29. R. M. GRANT, « The Fourth Gospel and the Church », Harvard Theological Review 35, 1942, p. 95-116. 30. F. GAVIN, « Shaliach and Apostolos », Anglican Theological Review 9, 1927, p. 250-59. 31. D. GEORGI, The Opponents of Paul in Second Corinthians, Edinburgh, T&T Clark, 1987, p. 32-39. 32. La question a été identifiée par John Schütz et développée par la suite : J H. SCHÜTZ, Paul and the Anatomy of Apostolic Authority (Society for New Testament Studies Monograph Series 26), Cambridge, Cambridge University Press, 1975. B. HOLMBERG, Paul and Power, Philadelphia (PA), Fortress, 1980. J.-N. ALETTI, « L’Autorité apostolique de Paul, théorie et pratique », in A. VANHOYE (éd.), L’Apôtre Paul. Personnalité, style et conception du ministère (Bibliotheca Ephemeridum Theo-

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prenant la suite du Christ, se fait l’envoyé du Père, une sorte de vicaire du Christ, garant du message dont le sceau est sa vie et sa mort. Ignace d’Antioche représente en quelque sorte l’acmé de cette mystique de l’imitatio Christi héritée de Paul (voir l’article lumineux de Théo Preiss 33), selon laquelle la mort du martyr valide à la fois sa vie et son discours 34. 2. L’identification des apôtres aux Douze. – L’identification entre Douze et apôtres se fait chez Luc, qui réalise l’union entre les Douze et les apôtres lors du remplacement de Judas (Ac 1, 21-22). Par la suite, dans les Actes, il n’hésite pas à appeler Paul et Barnabé « apôtres » (Ac 14, 4, οἱ ἀπόστολοι Βαρναβᾶς καὶ Παῦλος). Il témoigne d’un certain resserrement du concept : parmi tous les missionnaires, il met en avant les Douze, qui finiront par être regardés comme les garants de la tradition ecclésiastique, et ajoute à ce collège quelques personnages éminents. On sait en effet que, pour Luc, le titre « apôtre » n’est pas décisif (entscheidend), contrairement au concept des Douze, dont il se sert pour bâtir son ecclésiologie 35. Il est donc possible de voir dans l’exception faite pour Paul et Barnabé une reprise de l’usage qu’en faisait Paul et une marque de l’influence des documents d’origine paulinienne utilisés par Luc 36. Par conséquent, on pourrait dater des années 80 et du milieu lucanien cet usage réservé du terme « apôtre » aux Douze. b. La signification des Douze Quel sens a ce groupe de Douze ? Deux réponses peuvent être apportées :

logicarum Lovaniensium 73), Louvain, Peeters, 1986, p. 229-246. Voir également R. BURNET, Épîtres et Lettres (Lectio Divina), Paris, Cerf, 2004. 33. T. PREISS, « La Mystique de l’imitation du Christ et de l’unité chez Ignace d’Antioche », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuse 3, 1938, p. 197-242 [reproduit dans ID., La Vie en Christ (Bibliothèque théologique), Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1951, p. 7-45]. 34. Nous avons déjà traité de cette question dans Épîtres et Lettres (dernière partie). On renverra à P. MEINHOLD, « Episkope – Pneumatiker – Märtyrer. Zur Deutung der Selbstaussagen des Ignatius von Antiochien », Studien zu Ignatius von Antiochien (Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz 97), Wiesbaden, Steiner, 1979, p. 1-18 [republication du Jahrbuch für Universalgeschichte 14, 1965, p. 308-324]. M. W. PATRICK, « Autobiography and Rhetoric : Anger in Ignatius of Antioch », in S. PORTER et D. STAMPS (ÉDS.), The Rhetorical Interpretation of Scripture ( Journal of the Study of the New Testament Supplements Series 180), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1999, p. 348-375. R. F. STOOPS Jr, « If I Suffer. Epistolary Authority in Ignatius of Antioch », Harvard Theological Review 80, 1987, p. 161-178. J. PERKINS, « The Self as Sufferer », Harvard Theological Review 85, 1992, p. 245-272. 35. J. JERVELL, Die Apostelgeschichte (Kritisch-Exegetischer Kommentar über das Neue Testament 3), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, p. 371. 36. C’est la proposition de K. Haacker, au terme de l’analyse des occurrences chez Lc : K. HAACKER, « Verwendung und Vermeidung des Apostelbefriffs im lukanischen Werk », Novum Testamentum 30, 1988, p. 9-38.

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1. Les Douze exemplifient la condition de disciple. – Les Douze ont été appelés, ont tout quitté et suivent Jésus jusqu’à la fin : ils sont donc une sorte d’image de la condition de disciple toujours aux côtés de Jésus, une sorte d’incarnation publique de la suivance de Jésus que ne réalisent qu’imparfaitement les foules inconstantes. 2. Les Douze sont le symbole prophétique du rassemblement des douze tribus d’Israël. – Les Juifs vivent dans une attente eschatologique : la réunion des Douze tribus. Cette espérance s’ente sur la reconstruction exilique de l’histoire d’Israël comprise comme la mise à part d’un peuple à partir d’Abraham, Isaac et Jacob/Israël, la réunion de ce peuple sous David, sa dispersion après la mort de Salomon. Ces temps davidiques sont vécus comme une sorte d’âge d’or qu’il s’agit de retrouver et que l’on décèle dans toutes les composantes du judaïsme sans distinction. On le retrouve en effet dès le prophétisme ancien de Michée qui appelle de ses vœux le rassemblement du peuple ; on le lit chez les grands prophètes comme Jérémie et Ézéchiel qui voient en Yahvé le Dieu de toutes les tribus d’Israël ; on le retrouve enfin dans les livres les plus récents comme Tobit, Baruch et Ben Sira (v. 180 av. J.-C.) qui ne cessent d’espérer en la restauration d’Israël. À la fin du Ier siècle av. J.-C. cette espérance est particulièrement vive comme témoigne 2M 1, 24-29 qui explique que les objets du Temple seront rendus au peuple quand Dieu aura opéré son rassemblement. De même le Rouleau de la Guerre de Qumran : lors du combat eschatologique, le grand étendard de tout le rassemblement portera « le peuple de Dieu, ainsi que le nom d’Israël et d’Aaron et les noms des douze tribus d’Israël » (1QM 3, 13-14). Mais elle s’est diversifiée, comme le prouve l’enquête de Michael Fuller sur la question 37 : le motif de la réunion des douze tribus est employé dans les textes aussi bien comme une espérance politique, que comme une espérance spirituelle. L’exil des Douze tribus est celle du peuple éloigné de son Dieu : chez Philon d’Alexandrie, la « Terre Promise » est allégorisée, spiritualisée pour désigner la Sagesse de Dieu elle-même. Cette prétention peut aussi recouvrir des prétentions particulières à un groupe déterminé : l’image est utilisée pour décrire la conversion de tout le peuple à une certaine interprétation de la Torah. Jésus, en choisissant les Douze, veut donc montrer qu’il est bien le nouvel Oint qui rassemblera les douze tribus d’Israël : les quatre évangiles soulignent la volonté de réunion des Douze tribus exprimée par Jésus 38. Aussi choisit-il des gens de toutes conditions et s’adresse-t-il à tous. Ce n’est pas 37. M. E. FULLER, The Restoration of Israel : Israel’s Re-gathering and the Fate of the Nations in Early Jewish Literature and Luke-Acts (Beihefte zur ZNW 138), Berlin, De Gruyter, 2006, voir en particulier les chap. I et II. 38. M. Fuller le montrait pour Luc (avec des incursions dans les synoptiques), mais la chose est vraie du Quatrième évangile comme l’a prouvé John Dennis : J. A. DENNIS, Jesus’ Death and the Gathering of True Israel : The Johannine Appropria-

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simplement un symbole, mais un acte performatif comme les actes prophétiques en général (Isaïe qui circule nu en public en Is 20, 1-6 ; Jérémie qui casse une cruche de vin en Jr 13, 12-14 pour prophétiser la destruction d’Israël). L’envoi des Douze dans une petite mission qui est, chez Luc, mis ensemble avec l’envoi des Soixante-dix disciples, représente l’annonce de la réunion des Douze Tribus. Décision personnelle de Jésus, les Douze ne sont donc pas simplement le « premier cercle » des intimes de Jésus, ils sont la manifestation publique de sa nature de Messie eschatologique. C’est donc bien eux qui constituent le cœur du système de légitimité des communautés chrétiennes : se recommander de leur patronage revient à profiter de l’autorité attribuée par le Maître lui-même à ce groupe restreint. c. La question de l’existence historique des Douze Avant de se lancer à corps perdu dans leur étude, il convient de se poser la question cruciale de leur existence historique. Leur nombre paraît trop beau… Ne s’agit-il pas, comme le prétendait Vielhauer 39, d’une rétrojection bien postérieure, forgée à l’époque où naît une conception eschatologique de la figure de Jésus ? J. D. Crossan 40 renchérit à propos de Judas : si l’existence d’un disciple qui trahit Jésus n’est pas contestable, l’existence du groupe de Douze est fort douteuse. Pour Klein, Schmithals et Spong 41, ni le groupe des Douze, ni Judas ne dateraient du ministère de Jésus. Ce serait un groupe postérieur, inventé pour que le groupe de Jésus paraisse accomplir l’espérance messianique d’Israël. Deux arguments viennent cependant nuancer ce doute : l’un repose sur l’unanimité de la tradition, et l’autre sur une grande difficulté du cas Judas. 1. Unanimité de la tradition. – Les Douze se retrouvent chez Mc, dans la source Q, et dans les synoptiques, et on trouve même une variation dans les listes des Douze.

tion of Restoration Theology in the Light of John 11.47-52 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.217), Tübingen, Mohr Siebeck, 2006. 39. P. VIELHAUER, « Gottesreich und Menschensohn in der Verkündigung Jesu », 1957, Aufsätze zum Neuen Testament (Theologische Bücher 31), München, Kaiser, 1965, p. 55-91. 40. J. D. CROSSAN, Who killed Jesus ? Exposing the Roots of Anti-Semitism in the Gospel Story of the Death of Jesus, San Francisco (CA), HarperCollins, 1995. 41. W. SCHMITHALS, The Office of Apostle in the Early Church, Nashville/New York, Abingdon, 1969. G. KLEIN, Die Zwölf Apostel : Ursprung und Gehalt einer Idee (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament 77), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1961. J. S. SPONG, Liberating the Gospel : Reading the Bible With Jewish Eyes, San Francisco (CA), HarperCollins, 1996, p. 257-276 et ID., « Did Christians invent Judas ? », The Fourth R, 1994, p. 3-16.

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Mc 3, 16-19

Mt 10, 2-4

Lc 6, 14-16

Ac 1, 13

Simon Pierre Jacques de Zébédée Jean frère de Jacques André

Simon Pierre André son frère Jacques de Zébédée Jean son frère

Simon Pierre André son frère Jacques Jean

Simon Pierre Jean Jacques André

Philippe Barthélemy Matthieu Thomas

Philippe Barthélemy Thomas Matthieu le collecteur de taxes

Philippe Barthélemy Matthieu Thomas

Philippe Thomas Barthélemy Matthieu

Jacques d’Alphée Thaddée Simon le Cananéen Judas Iscariote

Jacques d’Alphée Thaddée Simon le Cananéen Judas Iscariote

Jacques d’Alphée Simon le Zélé Judas de Jacques Judas Iscariote

Jacques d’Alphée Simon le Zélé Judas de Jacques _____

Le fait qu’il y ait variation renforce l’idée d’une liste figée qui s’est transmise de manière différente. La seule variation d’importance provient du dernier quaternaire Simon le Zélé et Simon le Cananéen, Thaddée et Judas fils de Jacques, ainsi que de la place d’André. La tradition johannique présente aussi l’existence des apôtres. Elle identifie formellement Pierre, Thomas et Judas comme faisant partie des Douze. Elle cite aussi André et Philippe. Dans le chapitre 6 (v. 67), Jésus demande si les Douze veulent aussi le quitter : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et pourtant l’un de vous est un diable ». Parler ainsi de ce groupe sans l’avoir présenté dans sa narration prouve que son existence était une évidence pour ses auditeurs. 2. La difficulté du cas Judas. – L’argument est très fort : Judas est toujours présenté comme « l’un des Douze ». L’exégèse hypercritique de la fin du XIXe siècle a particulièrement insisté sur le caractère mythique de Judas. En 1914, G. Schläger résume une série d’arguments 42 avancés avant lui par Robertson, Smith, Weiß et Volkmar : tout en soulignant les incohérences du récit biblique, il montre que παραδίδωμι n’a jamais signifié « trahir », mais bien « livrer ». Pour lui, Judas représente une sorte d’archétype des « Juifs » qui livrent Jésus. Contestée par l’exégèse catholique et par les travaux postérieurs 43, cette interprétation a été reprise par Ian Maccoby 44, soucieux de mettre en lumière les racines de l’antisémitisme chrétien. Le but est ici autre : dans un manifeste souci d’apologétique, Maccoby dédouane 42. G. SCHLÄGER, « Die Ungeschichtlichkeit des Verräters Judas », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 15, 1914, p. 50-59. 43. J.-M. VOSTÉ, De Passione et morte Iesu Christi (Studia Theologiæ Biblicæ Novi Testamenti 3), Roma/Paris, Libreria del Collegio Angelico/Gabalda, 1937, p. 80-90. 44. H. MACCOBY, « Who Was Judas Iscariot », Jewish Quarterly 152, 1991, p. 8-13 et ID., Judas Iscariot and the Myth of Jewish Evil, New York, Free Press, 1992, p. 153.

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les Juifs de toute faute dans la livraison de Jésus aux Romains et estime que Judas n’est qu’un mythe inventé par les chrétiens pour charger les Juifs, une thèse reprise sans précautions par Lawrence Briskin 45. Cependant, l’existence même de la figure de Judas n’a pu être qu’un inconvénient sérieux pour l’évangélisation. Cet argument était déjà mis en lumière au XVIe siècle par le réformateur Œcolampade (1482-1531) : « ainsi l’historicité de la narration sera moins suspecte si l’on ne la voit pas écrite en faveur des disciples 46 ». Quatre cents ans après, Maurice Goguel rajoute : « L’histoire de Judas a été, pour le christianisme primitif, le scandale des scandales. On n’a pu la raconter que parce qu’il y avait des raisons très solides de la tenir pour vraie 47. » C. Les Douze et la légitimation des Églises : une histoire de la réception

1. Les Douze comme figure de légitimité À partir du IIe s., ainsi que le relève le P. Benoît 48, une nouvelle conception de l’apostolicité, d’abord implicite, devient explicite : de simple envoyé, l’apôtre agit in persona Christi. Il s’affirme ainsi comme une sorte de « contractant » avec le Christ 49 : à lui de transmettre le message et il recevra en échange force et puissance (Ac 1, 8 ; 2, 1-11 ; Lc 24, 49 ; Mt 16, 19-20), sécurité physique (Mt 10, 10-20 ; Lc 21, 14-18 ; Jn 16, 13) et sécurité matérielle (Mt 6, 25-34). La manifestation de ce « contrat » est toujours la même dans les textes. L’apôtre reproduit les actions de Jésus : il possède le don de prophétie (topos du Christus omnisciens), le don de guérison et d’exorcisme (reprise du topos du Christus medicus 50). Reprenant les caractéristiques de l’« homme saint » qui rétablit l’ordre dans un monde toujours en passe de sombrer dans le chaos à cause de la violence et des démons 51, il s’identifie au Christ, dispensateur de paix et de grâce. Un étrange transfert de valeurs – que nous 45. L. BRISKIN, « Tanakh Sources of Judas Iscariot », Jewish Bible Quarterly 32, 2004, p. 189-197. 46. J. ŒCOLAMPADE, Annotationes piæ ac doctæ in Evangelium Johannis, Basel, Andreas Cratander et Johann Bebel, 1533, p. 142. 47. M. GOGUEL, La Vie de Jésus (Bibliothèque historique), Paris, Payot, 11932, 2 1950, p. 482. 48. A. BENOÎT, « L’apostolicité au second siècle », Verbum Caro 58, 1961, p. 173184. 49. C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 22. 50. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Histoires des Actes apocryphes des apôtres des III e au e IX siècles : le cas des Actes de Jean (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie 7), Genève, Labor et Fides, 1982, p. 59. 51. P. BROWN, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », Journal of Roman Studies 61, 1971, p. 82-101.

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allons maintes fois pouvoir constater – peut alors s’opérer : tandis que les qualités du Fils sont attribuées à l’apôtre, les qualités du Père sont attribuées au Fils que plus rien ne vient distinguer de celui qui l’a envoyé. C’est donc avec d’évidentes bonnes raisons que les communautés firent des Douze leur « patron », en reprenant ici une idée de la société romaine, dans laquelle les relations sociales étaient gouvernées par des liens de patron à client 52. Se revendiquer d’un apôtre, c’était profiter de son aura, et, d’une certaine manière, revendiquer une partie de sa légitimité. Dès les premiers temps de l’Église, la question de la légitimité apostolique semble avoir passionné les communautés pour qui l’attribution à un illustre personnage constituait un moyen de conférer une autorité à leurs écrits et une façon de conférer à leur groupe une certaine légitimité. Ainsi vit-on fleurir de nombreux évangiles, révélations, apocalypses, lettres mises sous le patronage des apôtres, qui seront par la suite apocryphisés. Des Actes sont rédigés, au sein de communautés fort diverses et poursuivant des buts différents. Remonter à une origine apostolique établie devenait crucial. Aussi les figures apostoliques jouèrent-elles un rôle clef dans les débats sur la canonicité des textes 53. L’épisode de l’évêque Sérapion, racontée par Eusèbe est à ce titre particulièrement caractéristique. Cet évêque d’Antioche, en tournée apostolique à Rhossos (un port situé près de la moderne İskenderun ou Alexandrette), approuve un évangile qu’il ne lit pas simplement parce qu’il porte le nom de Pierre. Puis, apparemment mis en alerte, il se le procure et finit par le condamner en envoyant un mémoire sur les erreurs qu’il y a trouvées : Pour nous, frères, ayant compris de quelle hérésie était Marcianus, qui se contredisait lui-même, ne sachant pas ce qu’il disait, ainsi que vous l’apprendrez par ce qui vous a été écrit, nous avons pu en effet, par d’autres personnes qui pratiquaient cet Évangile même, c’est-à-dire par les successeurs de ceux qui l’ont introduit d’abord – nous les appelons docètes, car la plupart de leurs pensées appartiennent à cet enseignement –, nous avons pu, dis-je, par ce moyen, emprunter ce livre, le parcourir et y trouver, avec l’ensemble de la vraie doctrine du Sauveur, quelques compléments, que nous vous avons soumis. Voilà ce que dit Sérapion 54.

L’histoire est des plus intéressantes, car elle prouve que, vers les années 190, le nom même d’un apôtre suffisait à garantir la validité d’un écrit. Au cours du siècle suivant, l’importance des apôtres, pris collectivement ou séparément, ne cessa de grandir. Une récente découverte iconographique, 52. R. F. STOOPS JR, « Patronage in the Acts of Peter », Semeia 38, 1986, p. 91-100. 53. Sur ces questions, voir R. BURNET, « Le canon des Écritures – Vers la fin d’une fausse question ? », Communio 37, 2012, p. 5-16. 54. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. VI, 12, 2.6, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 103.

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permet de nous en convaincre : la mise au jour, grâce à une technique de restauration au laser et à l’imagerie 3D 55, d’un cubiculus de la catacombe de Sainte-Thècle contenant une fresque portraiturant Pierre, Paul, André et Jean, datant du IVe siècle. Dès cette époque à Rome, une sorte d’autorité du collège apostolique (les Douze auquel vient s’adjoindre Paul qui va devenir dans la suite un thème iconographique courant56) est reconnue, si bien que le riche commanditaire de ce programme iconographique monumental 57 pouvait choisir d’en représenter les quatre principaux membres 58. Avec la reconnaissance puis l’officialisation du christianisme qui intervient au IVe siècle, l’importance des apôtres devint encore plus considérable. Le modèle apostolique des communautés particulières auto-organisées laissa place à un modèle beaucoup plus général calqué sur l’administration romaine. Cette nouvelle organisation systématisa la notion de succession épiscopale qui aspira souvent à devenir une succession apostolique. À qui faire remonter le charisme transmis, sinon aux apôtres eux-mêmes, et par leur intermédiaire, à Jésus ? Cette tradition, qui remonte au IIe siècle 59 et se manifeste particulièrement chez Irénée de Lyon 60 dans sa liste (peut-être plus ou moins fictive) des successeurs de Pierre et Paul à Rome, devint cruciale 61. À l’origine, cette succession apostolique était relativement floue : l’importance était de se rattacher « aux apôtres ». Mais avec le temps, la demande de précision se fit de plus en plus forte : il fallait savoir quel évêché fut fondé par quel apôtre. À ce mouvement s’ajouta la tradition, qui commença au cours du IVe siècle, de dédier les grandes églises et les basi55. L. PECCHILI et B. MAZZEI, « La catacomba di Santa Tecla e il metodo I-SEE », Kermes 80, 2010, p. 69-75. 56. P. TESTINI, « Osservazioni sull’iconografia del Cristo in trono fra gli apostoli. A proposito dell’affresco di un distrutto oratorio cristiano presso l’aggere severiano a Roma », Rivista dell’Istituto Nazionale di Archeologia e Storia dell’Arte 11-12, 1963, p. 230-300. 57. F. BISCONTI, « Il cubicolo degli apostoli in S. Tecla. Un complesso iconografico tra arte funeraria e decorazione monumentale, in B. MAZZEI (éd.), Il Cubicolo degli apostoli nelle catacombe romane di Santa Tecla. Cronaca di una scoperta, Città del Vaticano, Pontificia commissione di archeologia sacra, 2010, p. 185-230. 58. B. MAZZEI, « La pittura e la scultura funerarie : Tangenze e divergenze nel processo di formazione del repertorio paleocristiano », Antiquité tardive 19, 2011, p. 79-94. 59. H. von CAMPENHAUSEN, « Lehrreihen und Bischofreihen im 2. Jahrhundert », in W. SCHMAUSCH (éd.), In Memoriam Ernst Lohmeyer, Stuttgart, Evangelisches Verlagswerk, 1951, p. 240-249. 60. IRÉNÉE DE LYON, Contre les Hérésies 3, 3, 3. 61. Cette préoccupation est toujours d’actualité, comme le fait remarquer, avec malice, Jacques-Noël Pérès : J.-N. PÉRÈS, « Aspects ecclésiologiques des traditions apocryphes relatives aux apôtres », in F.-M. HUMANN et J.-N. PÉRÈS (éds.), Les Apocryphes chrétiens des premiers siècles, mémoire et traditions (Théologie à l’Université), Paris, DDB, 2009, p. 47-62.

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liques à un saint 62, et fut renforcée par l’importance grandissante que prit le culte des reliques. On procéda donc à une sorte de remise en ordre des traditions sur les Douze : on homogénéisa les traditions, soit en supprimant certaines traditions antérieures jugées « hétérodoxes », soit en « orthodoxisant » certaines autres. Ce mouvement de « normalisation » – qui avait débuté auparavant – s’accompagna d’un goût de plus en plus prononcé pour les reliques et pour les listes liturgiques (listes de lieux de décès tout d’abord) qui s’insérèrent dans un calendrier de plus en plus précis, où chaque fête était l’occasion de rappeler la légende « officielle ». Et pourtant, sur quelles bases factuelles reposait-on ? Figures de légitimité extraordinairement fortes, les Douze, à l’exception notable de Pierre, manquent pourtant cruellement de consistance. Car, sous l’effet d’un étrange processus d’amnésie, il semble que les communautés chrétiennes ont à peu près oublié les détails biographiques de ces personnages. L’exemple le plus caractéristique de cet oubli général nous est fourni par le personnage de Judas, pourtant central, à qui l’on attribue deux morts : repentant pendu chez Matthieu, il paraît relaps dans les Actes, où il périt par explosion des entrailles. Personne ne paraît se préoccuper avec sérieux du lieu de leur mort (à l’exception notable de Pierre et Paul), au point qu’un Jean Chrysostome peut encore faire remarquer avec désespoir à la fin du IVe siècle que si on sait bien où se trouvent Pierre, Paul, Jean et Thomas, on ignore tout des sépultures des autres apôtres 63. La tentation, héritée du positivisme historique, est de taxer tous ces textes de « légendes hagiographiques », ou bien d’« histoires de fantaisie » hors de tout propos historique 64. Mais alors, comment comprendre qu’ils eurent une telle influence ? Il s’agit de replacer de nouveau le soc sur le sillon labouré autrefois par ces illustres devanciers que furent César Baronius 65, Lenain de Tillemont 66 ou les Bollandistes des Acta Sanctorum, et dont l’intuition est aujourd’hui 62. La première que l’on connaisse remonte à la fin du IIIe siècle et fut consacrée à Clément de Rome ( JÉRÔME, De Vir. Inl. 15). On sait qu’au début du IVe siècle, la basilique de Milan située près de la porte romaine fut consacrée aux apôtres. Voir H. DELEHAYE, « Loca Sanctorum », Analecta Bollandiana 48, 1930, p. 4-64. 63. JEAN CHRYSOSTOME, In Epist. ad Hæb. XI, 26. PG 63, 179. Πέτρου μὲν γὰρ καὶ Παύλου καὶ Ἰωάννου καὶ Θωμᾶ δῆλοι οἱ τάφοι· τῶν δὲ ἄλλων τοσούτον ὄντων οὐδαμοῦ γνώριμοι γεγόνασι. « Les tombeaux de Pierre, de Paul, de Jean et de Thomas sont connus, mais ceux des autres, alors qu’ils sont si nombreux, ne sont connu de personne. » 64. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques (Subsidia Hagiographica 18), Bruxelles, Société des Bollandistes/Vromant, 21906, p. 9 et 11. 65. C. BARONIUS, Annales ecclesiastici Cæsaris Baronii, vol. 1, Barri-Ducis (Bar-leDuc), Guérin, 1864. 66. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693.

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relayée par P. Brown ou B. Beaujard 67, et d’établir la distinction entre la personne historique, dont on ne saurait dire grand-chose, et le personnage ou la figure, investie par la communauté à travers un certain nombre de textes.

2. La notion de figure d’autorité Pour élaborer cette notion de figure ou de personnage (nous traitons les deux termes comme de quasi-synonymes), il convient de se référer à la notion de « personnage conceptuel » élaborée par Gilles Deleuze dans Qu’est-ce que la philosophie ? 68. Le personnage conceptuel n’est pas une personnification abstraite d’une pensée ou d’une théorie. Il n’est pas non plus un double du penseur qui signe sous un pseudonyme. Il est le véritable sujet de la pensée du philosophe qui a tendance à s’assimiler à lui, tandis que lui-même disparaît : C’est le destin du philosophe de devenir son ou ses personnages conceptuels, en même temps que ces personnages deviennent eux-mêmes autre chose que ce qu’ils sont historiquement, mythologiquement ou couramment (le Socrate de Platon, le Dionysos de Nietzsche, l’Idiot de Cuse 69).

Comme le Socrate de Platon qui devient plus réel que le Socrate historique et en vient même à effacer Platon de la conscience de celui qui lit les dialogues platoniciens, le personnage n’est que le double d’une personne en voie d’expropriation. Il n’est qu’un reflet détaché d’un individu qui n’a plus les moyens de le contrôler. Il se laisse modeler, construire et déconstruire, au gré des groupes, des intérêts et des pensées qui s’en emparent. Au passage, il perd tout état civil, tout caractère concret, toute personnalité. Charles de Gaulle devient De Gaulle ou mieux le Général et se métamorphose en grand homme, « saint patron » de la Ve République ; Louis IX devient Saint Louis, un « bon roi » comme Henri IV amateur de chênes et de saintes chapelles ; l’obscur comte de la Marche tué dans une échauffourée contre les Basques le 15 août 778 devient Roland de Roncevaux, équipé pour les siècles de son cor mugissant et de son épée infrangible. Même la paisible Confédération helvétique exalte sa propre figure de résistance, Guillaume Tell, dont l’arbalète et la pomme constituent une sorte de « marque de fabrique » d’un peuple prêt à toutes les résistances contre des baillis Gessler de toute eau. Même la neutre Belgique exalte la

67. P. BROWN, The Cult of the Saints. Its Rise and Function in Latin Christianity, Chicago (IL), University of Chicago Press, 1981. B. BEAUJARD, Le Culte des saints en Gaule (Histoire religieuse de la France 15), Paris, Cerf, 2000. 68. G. DELEUZE et F. GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie ? (Critique), Paris, Minuit, 1991, p. 60-81. 69. G. DELEUZE et F. GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie ?, p. 62-63.

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figure d’Albert Ier, le « roi chevalier » des boîtes à biscuits et des tasses en porcelaine. Les historiens patentés ont beau jeu de railler cette naïveté, et de nous prouver que Charles de Gaulle profita des Trente Glorieuses pour réformer le pays ; que Louis IX était un autocrate inquiet de son image et catastrophique à la croisade, ou que Roland n’était qu’un soudard, rustre, ivrogne et mal élevé, à l’image de son maître à la barbe fleurie qui n’en avait pas ; que Guillaume Tell et le bailli Gessler ont laissé davantage de traces dans le drame de Schiller que dans le « livre blanc » de Sarnen, et qu’Albert Ier, piètre cavalier autant anglophile que francophobe, avait essayé de négocier une paix séparée avec l’Allemagne 70. Il n’empêche que « De Gaulle » sert à justifier une politique étrangère de la France, que « Saint Louis » fut la référence du rétablissement monarchique de Louis XVIII ou Louis-Philippe, que l’épisode de Roncevaux modela l’idéal chevaleresque et nostalgique d’une noblesse bien éloignée des preux d’antan, que l’arbalète servait à marquer jusqu’à une date récente les produits made in Switzerland, qu’Albert Ier servit à sceller l’unité belge déjà un peu chancelante dans les années 1930. Comme le remarquait déjà H. Delehaye : Au portrait vivant et nettement caractérisé que nous a légué l’histoire, se substitue un être idéal qui n’est que la personnification d’une abstraction ; au lieu de l’individu, la multitude ne connaît que le type. Alexandre incarne le type du conquérant ; César, le génie organisateur du peuple romain. Constantin, c’est l’empire régénéré par le christianisme. Dans les légendes hagiographiques véritablement populaires, ce n’est point saint Laurent, mais le type du martyr qui est mis en scène ; plus tard, saint Martin deviendra le type de l’évêque missionnaire et du thaumaturge. Il y a aussi le type du persécuteur. C’est Dioclétien en tête, puis certains juges, qui incarnent, pour ainsi dire, la cruauté des magistrats païens 71.

Souple et flexible, détaché de la médiocrité du réel, le personnage conceptuel ou le « type » peut servir de support pour tous les vêtements idéologiques que chaque groupe lui enfile. Il transmet en contrebande les idées dont on l’affuble. En effet, ce médium parfait ne se donne pas pour ce qu’il est : qui suspecterait l’odieuse propagande nationaliste sous l’aimable figure du bon père de famille qui tremble à l’idée de rater la pomme posée sur la tête de son fils ? Une fois construit, le personnage ne s’appartient plus, il est « canonisé ». De simple rouage narratif, il accède au statut d’icône, résumant toute une part de l’expérience humaine ou représentant un peuple, une histoire, 70. A. MORELLI (dir.), Les Grands Mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, Vie ouvrière, 1995. 71. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques…, p. 27.

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une nation, une tendance. Le processus de canonisation échappe rarement à des motivations politiques, économiques, idéologiques. Ainsi pour cimenter l’unité nationale, Napoléon III s’empressa-t-il d’ériger une impressionnante statue de bronze à Vercingétorix sur le site supposé d’Alésia ; ainsi la République populaire du Vietnam fit-elle du bandit de grand chemin Đề Thám, exécuté en 1913 par les Français, le symbole de son indépendance ; ainsi d’autres héros nationaux, comme Garibaldi en Italie, Simón Bolívar en Amérique du Sud, William Wallace en Écosse, Atatürk en Turquie, Marcus Garvey en Jamaïque, Jan Hus en République tchèque… Philippe Hamon, dans son analyse du cycle des Rougon-Maquart de Zola parlait de l’« effet personnage » dans le roman. Dans l’œuvre littéraire, le personnage est une métaphore de la cohérence du texte : un « point nodal anthropomorphe syncrétique où se recompose, dans la mémoire du lecteur, et à la dernière ligne du texte, une série d’informations échelonnées tout au long d’une histoire 72. » Le personnage littéraire, en effet, qui se construit par une série de portraits présents à travers la narration qui le font et le défont, finit par condenser la cohérence de tout le roman. En analysant un personnage possédant une quelconque importance, c’est toute une œuvre qui se découvre et l’unité du personnage, sa consistance, reprend celle du roman. Il en va de même en histoire, où les figures historiques sont sécrétées par différentes appropriations et finissent par révéler une certaine cohérence. En « déconstruisant » un personnage historique, c’est toute la consistance d’une évolution historique qui se révèle à nous. L’analyse littéraire doit se mettre ici au service de l’histoire puisque, comme l’avait noté le critique Robert Abirached, le personnage littéraire est en consonance avec celui qui le reçoit : Le personnage [littéraire] est tantôt en consonance avec la mémoire de son public, et il porte alors les reflets parfaitement repérables d’un système d’images exemplaires, valorisées par l’idéologie de son époque et rassemblées dans un trésor pour l’usage des générations suivantes. Tantôt, il est relié à un imaginaire social, producteur de types familiers à chacun et où chacun, dans la collectivité, aime à reconnaître sa vision de la vie quotidienne, des croyances et de la morale du groupe : il est alors soumis à un code, admis par tous, qui fonde une typologie générale des rôles et des modes d’expression. Tantôt enfin, le personnage est en liaison avec les instances fondamentales de l’inconscient collectif, et on aperçoit alors, en lui, par transparence, le filigrane des ombres archétypales. Il arrive, bien entendu, que ces trois jeux de signes s’entrecroisent dans la même figure, ou deux d’entre eux, selon des angles à valeur infiniment variable 73. 72. P. HAMON, Le Personnel du roman : le système des personnages dans les RougonMacquart d’Émile Zola (Titre courant 12), Genève, Droz, 1998, p. 185. 73. R. ABIRACHED, La Crise du personnage dans le théâtre moderne, Paris, Gallimard, 21994, p. 42.

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Dis-moi quel personnage tu vénères et je te dirai qui tu es. Sans renoncer tout à fait (comme on le verra dans cette enquête) à obtenir une quelconque information sur les faits et gestes des apôtres, il faut, comme le disait Éric Junod, chercher à retrouver « l’écho de traditions ecclésiastiques sur les apôtres 74 », c’est-à-dire s’interroger sur la réception qu’en ont faite les premières communautés. La recherche de la « vérité historique » sur les apôtres est bien une impasse, comme le prouve l’ouvrage magistral de Richard Adelbert Lipsius 75, die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, datant des années 1880. Ce dernier, qui prenait pour point de départ la distinction entre la connaissance scientifique et ce qu’il nommait l’« expérience éthico-religieuse » et se permettait de donner des leçons de théologie à Hegel à ce propos 76, débute son enquête par ce qui sonne déjà comme un constat d’échec : « les tentatives de tirer de ces légendes des choses utiles, même de manière générale, sur l’histoire des apôtres ou l’époque apostolique se sont révélées jusqu’à présent presque toujours infructueuses 77. » Plutôt que de chercher des fruits là où il n’y en a pas, cette enquête cherche avant tout à savoir comment et pourquoi on a utilisé les apôtres.

3. Pour une histoire de la réception des figures d’autorité La notion de figure d’autorité nous place donc dans le contexte de l’histoire de la réception. Celle-ci est définie par Hans-Georg Gadamer comme une réaction à l’historicisme. La naïveté de ce qu’on appelle l’historicisme [Historismus, il s’agit en réalité de l’historisme] consiste à se dérober à une telle réflexion [la réflexion de l’historicité de ses interprétations] et, en se fiant à la méthodologie de sa démarche, à oublier sa propre historicité. Il faut en appeler ici d’une pensée historique mal comprise à une autre qu’il reste à mieux comprendre. Une pensée vraiment historique doit inclure celle de sa propre historicité. 74. É. JUNOD, « Créations romanesques et traditions ecclésiastiques dans les Actes apocryphes des Apôtres », Augustinianum 33, 1983, p. 271-285. 75. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, 4 vol., 1883-1890. 76. M. J. SUDA, « Richard A. Lipsius’ theologische Auseinandersetzung mit Hegel », Jahrbuch für die Geschichte des Protestantismus in Österreich 96, 1980, p. 117-137. 77. Die Versuche, von jenem Legenden noch in umfassender Weise für die Geschichte der Apostel und des apostolischen Zeitalters Nutzen zu ziehen, haben sich bisher fast immer noch als fruchtlos erwiesen. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 1, 1883, p. 11. On trouve exactement la même considération dans le chapitre 7 de Mission und Ausbreitung de Harnack : A. von HARNACK, Mission et Expansion du christianisme dans les trois premiers siècles (Patrimoines christianisme), 1924, trad. J. HOFFMANN, Paris, Cerf, 2004, p. 139-143.

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À cette seule condition, elle cessera de poursuivre le fantôme d’un objet historique – objet d’une recherche en progrès – pour discerner dans l’objet l’autre que ce qui nous est propre et par là apprendre à reconnaître aussi bien l’un que l’autre. Le véritable objet de l’histoire n’est pas un objet, mais l’unité de cet « un » et de cet « autre », relation en laquelle consiste la réalité de l’histoire autant que celle de la compréhension historique 78.

L’engagement dans le temps est distanciation, prise en compte d’un éloignement. La première étape est de se rendre compte de l’éloignement temporel qui existe entre l’interprète et ce sur quoi il écrit ; la seconde étape est de s’aviser que son travail n’est qu’un maillon dans la chaîne d’interprétation de ces événements, et qu’il doit être sans cesse renouvelé. Et cette distance, bien loin d’être une malédiction, doit être comprise comme la seule condition possible de la compréhension : Désormais le temps n’est plus d’abord l’abîme qu’il faut franchir parce qu’il sépare et éloigne ; il est, en réalité, le fondement qui porte l’advenir [Geschehen] dans lequel le présent plonge ses racines. La distinction des périodes n’est donc pas un obstacle à surmonter. Dans l’hypothèse naïve de l’historicisme [Historismus], il fallait bien au contraire se transporter dans l’esprit de l’époque, penser selon ses concepts, selon ses représentations, et non selon sa propre époque, pour atteindre de cette façon à l’objectivité historique. Il importe en réalité de reconnaître dans la distance temporelle une possibilité positive et productive de la compréhension 79.

Le temps est fécond : bien loin d’être un obstacle à la compréhension, il permet l’épanouissement de toutes les potentialités qui étaient en germe dans un événement. Les contemporains d’un événement, les premiers lecteurs d’un texte qui en est l’émanation, n’ont véritablement contemplé qu’un bulbe, un oignon, une graine : ce sont les successeurs qui peuvent apercevoir la fleur, dans son lent développement à travers les siècles. Il faut même aller plus loin : si cet événement continue à nous occuper, si nous souhaitons encore le comprendre, c’est qu’il continue à avoir des effets sur nous. Nous sommes conditionnés dans son appréhension par ceux qui l’ont interprété avant nous, nous devons tenir compte d’une histoire de ses effets : Quand nous cherchons à comprendre un phénomène historique à la distance qui détermine globalement notre situation herméneutique, nous sommes toujours soumis aux effets [Wirkungen] de l’histoire de l’action [Wirkungsgeschichte]. Elle détermine d’avance ce qui à nos yeux fait problème et est objet de recherche : nous oublions en quelque sorte la moitié de ce qui est

78. H.-G. GADAMER, Vérité et Méthode (L’ordre philosophique), 1960, trad. P. FRUCHON, J. GRONDIN & G. MERLIO, Paris, Seuil, 1996, p. 321. 79. H.-G. GADAMER, Vérité et Méthode…, p. 319.

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réel ; plus encore : nous oublions l’entière vérité de ce phénomène si nous la confondons avec le phénomène lui-même dans son immédiateté 80.

Pour illustrer cette citation, on peut faire référence à la Formation de l’Esprit scientifique de Bachelard, qui évoquait l’histoire des sciences, mais dont la réflexion est valable de manière générale : « L’idée de partir de zéro pour fonder et accroître son bien ne peut venir que dans des cultures de simple juxtaposition où un fait connu est immédiatement une richesse. Mais devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue. Il est alors impossible de faire d’un seul coup table rase des connaissances usuelles. Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé 81. »

Devant le mystère du réel, l’âme ne peut se faire, par décret, ingénue : plus que jamais la formule de Bachelard se révèle juste. La simplicité avec laquelle nous croyons aborder les événements historiques n’est que l’ensemble des préjugés construits par nos prédécesseurs que nous avons tellement assimilés qu’ils nous paraissent aller de soi. Or rien ne va de soi et pour sortir de cette illusion, seule la prise en compte de l’histoire des interprétations historiques peut nous aider. Il faut donc désormais que l’interprète, le lecteur, devienne une instance de l’histoire. Cette proposition, faite au cours des années 1970 par HansRobert Jauss 82 à propos de l’histoire littéraire peut s’étendre aux sciences historiques. D’une part parce que celui qui parcourt ces champs a le plus souvent affaire à des textes littéraires et peut transférer sans difficulté les questions littéraires dans son propre champ d’action, et d’autre part parce que les processus de la compréhension, l’herméneutique, comportent une très grande généralité. Ce qui se découvre dans l’une des facettes du processus de la compréhension est vrai dans les autres. Le point de départ de la pensée de Jauss se trouve dans le structuralisme de l’école de Prague ( Jan Mukařovský et Felix Vodička) qui articule l’analyse structurale et l’analyse historique. Pour eux l’essence de l’œuvre ne se manifeste que dans la succession des différentes figures historiques qu’elle prend dans ses réceptions successives qui lui fournissent un certain achè-

80. H.-G. GADAMER, Vérité et Méthode…, p. 323. 81. G. BACHELARD, La Formation de l’Esprit scientifique (Bibliothèque des textes philosophiques), 1938, Paris, Vrin, 2004, p. 16. 82. H. R. JAUSS, « Der Leser als Instanz einer neuen Geschichte der Literatur », Poetica 7, 1975, p. 325-344.

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vement ; elle n’est jamais saisissable en tant que substance permanente 83. L’œuvre littéraire se doit donc d’être appréhendée de manière dynamique en fonction des différents contextes où elle est reçue : du contexte de production à ceux, nombreux et mutuellement influencés les uns par les autres, de la réception. Dans ses Struktura vývoje, Vodička nomme « horizons d’attente 84 » ces différents contextes. Il emprunte ce concept d’Erwartungshorizont 85 à Karl Mannheim, qui l’avait proposé dans les années 1920, et l’avait défini comme le contexte historique global dans lequel les textes sont lus, interprétés et appliqués aux problèmes et besoins contemporains. Pour Vodička, la reconstitution de l’horizon d’attente du premier public de l’œuvre permet de se guérir de tout psychologisme et de tout historicisme puisqu’il inscrit l’œuvre comme un écart entre l’œuvre et sa première réception. Jauss enchaîne en commentant : la reconstitution de l’horizon d’attente premier permet de « poser des questions auxquelles l’œuvre répondait et de découvrir ainsi comment le lecteur du temps peut l’avoir vue et comprise 86 » Cette reconstitution de l’horizon d’attente – qui pourrait s’assimiler à ce que font les analystes reader-oriented lorsqu’ils parlent du « lecteur impliqué » – n’est qu’une première étape. Car il faut ressaisir le sens et la forme de l’œuvre tels qu’ils ont été compris de façon évolutive à travers l’histoire 87. Pour résumer la pensée de Jauss, « l’œuvre » n’est pas seulement le contenu sémiotique enfermé dans le texte, c’est aussi l’ensemble de ses réceptions. Le sens du texte n’est pas une propriété substantielle ou un simple produit de réception, c’est le produit d’une dialectique intersubjective 88 entre la subjectivité de l’auteur qui propose un contenu, reçu par la subjectivité de récepteurs se succédant dans le temps et s’influençant les uns les autres dans leur réception. L’œuvre ne se laisse donc percevoir qu’à travers la réception tout au long des époques, sous la forme de ses lectures et de ses lecteurs, comme une succession de décontextualisations et de recontextualisations, Cette distanciation, comme le disait Paul Ricœur, « n’est pas le produit de la méthodologie, et, à ce titre, quelque chose de surajouté et de parasitaire ; elle est constitutive du phénomène du texte comme écriture 89. » Et il faut le rappeler hautement : si la Wirkungsge83. H.-R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception (Tel), Paris, Gallimard, 1978, p. 118. 84. F. VODIČKA, Struktura vývoje, Praha, Odeon, 1969, p. 35. 85. K. MANNHEIM, Strukturen des Denkens, 1922, Frankfurt, Suhrkamp, 1980, p. 230. 86. H.-R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception…, p. 58. 87. H.-R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception…, p. 62. 88. H.-R. JAUSS, Pour une esthétique de la réception…, p. 113. 89. P. RICŒUR, « La fonction herméneutique de la distanciation » in F. BOVON & G. ROUILLER, Exegesis (Bibliothèque théologique), Neuchâtel-Paris, Delachaux & Niestlé, 1975, p. 201-215 (210).

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schichte doit exister, elle ne doit pas être une nouvelle méthodologie, qui nous fera retomber dans les errements de l’historisme et de la pensée figée : comme le rappelle un récent article de Mark Knight, elle est avant tout conversation interprétative, dialogue, bref, polyphonie 90.

II. L ES

SOURCE S DE L ’ HISTOIRE DE L A RÉCEP TION DES

D OUZE

Notre propos n’est donc pas de faire l’histoire des Douze, ou de faire l’analyse de la montée en puissance de la question de l’apostolicité ; encore moins de faire l’histoire de l’autorité dans l’histoire ecclésiastique. Notre propos consiste à faire une histoire de la réception, majoritairement littéraire, de ces personnages que sont les Douze. Il convient donc de présenter les principales sources à notre disposition. Remarquons que, de manière générale, à l’exception des historiens ecclésiastiques comme Eusèbe de Césarée, les Pères s’intéressent peu aux Douze comme personnages, à leur biographie ou à leur histoire en tant que tels. S’il leur arrive de les rencontrer, ils se bornent à dire d’eux ce que le Nouveau Testament en dit, ou bien à reproduire des données issues de ce qui constitue le fond principal de la réception : les Actes (apocryphes) d’apôtre, les textes mis sous son nom et les listes apostoliques. A. Les Actes (apocryphes) des Apôtres C’est dans les Actes (apocryphes) des Apôtres que se dévoile la conception que les communautés se faisaient d’elles-mêmes à travers les destins de leurs personnages représentatifs. Sur le modèle des vies de philosophes 91, mais avec des buts bien différents 92, les chrétiens se sont plu à détailler les péripéties de leurs héros dans des récits qui empruntent de plus en plus au merveilleux. Si l’origine semble être les récits canoniques ainsi qu’un certain nombre de traditions ecclésiastiques, les communautés utilisèrent bien vite les éléments les plus divers, souvent inspirées du roman grec et des récits de miracles et de martyres qui fleurissent. Hippolyte Delehaye 90. M. KNIGHT, « Wirkungsgeschichte, Reception History, Reception Theory », Journal for the Study of the New Testament 33, 2010, p. 137-146. 91. R. GOULET, « Les Vies de philosophes dans l’Antiquité tardive et leur portée mystérique », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 161-209. 92. É. JUNOD, « Les Vies de Philosophes et les Actes apocryphes : un dessein similaire », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 209-220.

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les nommait « passions épiques » en montrant à quel point elles étaient répétitives tant sur le plan de la narration, que sur celui des éléments mis en œuvre (miracles, personnages, supplices, etc.)93. Et Martin Blumenthal avait déjà remarqué en 1933 que leur Form est très contrainte : on peut classer les récits en deux ou trois Typen très contraints 94. Il y a cependant des variations et c’est dans l’étude de ces variations, au creux des interstices de la Form, que peuvent se cacher les informations les plus capitales, ce que René Aigrain nommait les « coordonnées hagiographiques95 ». Nous présentons ici brièvement les principaux textes, en laissant les considérations plus approfondies pour l’étude de chaque apôtre.

1. Le roman pseudo-clémentin Le premier texte qui fournit un récit de quelque ampleur sur un apôtre est certainement le roman pseudoclémentin, qui nous est parvenu sous deux formes, les Homélies clémentines, en grec, et les Reconnaissances clémentines, en latin, qui datent d’avant la fin du IVe siècle. Placés sous l’autorité de Clément de Rome, les deux textes pourraient remonter à un « écrit de base » rédigé après 222 (comme nous le prouvent des citations de Bardesane dans les Reconnaissances). L’origine de cet écrit de base semble assez vraisemblablement la région syrienne. Les deux textes ont été édités par Bernhardt Rehm 96 et traduits sous la direction d’Alain Le Boulluec (Homélies) et d’André Schneider (Reconnaissances) dans le second volume des ÉAC 97.

2. Le « Pentateuque » de Leucius Charinus et les Actes de Philippe (IIe-Ve siècles) Les premiers actes sur les apôtres datent des IIe et IIIe siècles et concernent les cinq « grands apôtres » (incluant Paul). Ils forment donc une sorte de pentateuque qui fut mis à une époque tardive sous le nom d’un certain Leucius Charinus (Λεύκιος Χαρῖνος) 98, comme en témoigne Photius (821897) : 93. H. DELEHAYE, Les Passions des Martyrs et les genres littéraires (Subsidia Hagiographica 7), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1921. 94. M. BLUMENTHAL, Formen und Motive in den apocryphen Apostelgeschichten (Texte und Untersuchungen 48.1), Leipzig, Hinrich, 1933. 95. R. AIGRAIN, L’Hagiographie, ses sources, ses méthodes, son histoire (Subsidia Hagiographica 80), Bruxelles, Société des Bollandistes, 11953, 22000, p. 256-272. 96. B. REHM, Die Pseudoklementinen. 1 Homilien (Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte 42), Berlin, Akad.-Verl., 1969. B. REHM, Die Pseudoklementinen. 2. Rekognitionen in Rufins Übersetzung (Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte 51), Berlin, Akad.-Verl., 21994. 97. ÉAC II, p. 1213-2203. 98. Le dossier a été étudié par LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 1, 1883, p. 44-117.

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Lu un livre intitulé Τῶν ἀπόστολων Περίοδοι [Les Voyages des apôtres], comprenant les Actes de Pierre, de Jean, d’André, de Thomas et de Paul, dont l’auteur, comme il le montre lui-même, est un certain Leucius Charinus. Le style est complètement irrégulier et variable ; les expressions et les constructions, si parfois elles ne sont pas dénuées d’un certain soin, sont la plupart du temps communes et vulgaires. Il n’y a nulle trace d’expression égale et spontanée (ce qui est la caractéristique essentielle du langage des évangiles et des apôtres), ou des conséquences de la grâce naturelle. Le contenu en est stupide et fait de narrations contradictoires. Différent est pour lui le Dieu des Juifs, qu’il nomme mauvais, dont Simon le Mage fut le ministre, du Christ, qu’il appelle bon. Mélangeant et mêlant tout ensemble, il appelle le même Christ à la fois Père et Fils. Il affirme qu’il ne s’est jamais vraiment fait homme, mais seulement en apparence ; qu’il apparut sous différentes formes à des moments différents à ses disciples, parfois comme un jeune homme, parfois comme un vieil homme, et de nouveau parfois comme un enfant, parfois plus grand, parfois plus petit, parfois tellement grand que sa tête a atteint presque jusqu’aux cieux. Il invente aussi des absurdités et des inepties sur la croix, comme le fait que le Christ ne fut jamais crucifié, mais un autre à sa place, et ainsi qu’il a pu se rire de ceux qui ont imaginé le crucifier. Il déclare illégaux des mariages légaux, que toute procréation d’enfant est mauvaise et le fait du malin. Il parle avec folie du créateur des démons. Il débite des histoires monstrueuses de résurrections stupides et enfantines de morts, de bœufs et de bétail. Dans les Actes de saint Jean, il semble supporter les iconoclastes en attaquant l’usage des images. En un mot, le livre contient une vaste quantité de déclarations enfantines, incroyables, mal construites, menteuses, stupides, contradictoires, impies, et contraires à Dieu (ἄθεα), si bien qu’on ne serait pas loin de la vérité en l’appelant la source et la mère de toutes les hérésies 99.

Cette référence est la seule qui nous soit connue dans le monde grec à propos de ce Leucius, mis à part, celle d’Épiphane, très favorable : ce dernier nous le présente comme un disciple de Jean qui résistait aux ennemis de la divinité de Jésus 100. En revanche, dans le monde latin, Leucius est associé à diverses hérésies : celle des Montanistes par Pacien de Barcelone († v. 390) qui accuse les plus nobles d’entre eux d’avoir reçu leurs idées de Leucius (Epist. I, 2, 6) ; celle des Manichéens, selon Augustin, qui semble citer un passage (par ailleurs inconnu) d’actes qu’il attribue à Leucius Charinus en affirmant qu’ils étaient en honneur parmi les Manichéens 101. De la même manière Évode d’Uzala attribue les Actes d’André à Leucius dans 99. PHOTIUS, Bibliotheca 114, 90a-91b ; nous retraduisons de PHOTIUS, Bibliothèque II (collection byzantine), éd. R. HENRY, Paris, Les Belles Lettres, 1960, p. 84-86. 100. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion LI, 6. ἀντελέγοντο γὰρ πολλάκις ὑπὸ τοῦ ἁγίου Ἰωάννου καὶ τῶν ἀμφ’ αὐτόν, Λευκίου καὶ ἄλλων πολλῶν. 101. AUGUSTIN, In Felicem II, 6.

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son combat contre les Manichéens 102. On connaît deux condamnations de l’autorité romaine contre des Actes attribués à Leucius : celle d’Innocent Ier, qui dans un rescrit de 405 à Exupère de Toulouse, cite des écrits à rejeter sub nomine Petri et Johannis quæ a quodam Leucio scripta sunt, « sous le nom de Pierre et de Jean, qui furent écrits par un certain Leucius » 103 ; celle du Decretum Gelasianum qui, après avoir rejeté les Actes d’André, de Thomas, Pierre et Philippe poursuit en citant Libri omnes quos fecit Leucius discipulus diaboli, apocryphi, « tous les livres apocryphes que fit Leucius, le disciple du diable 104 ». Les quelques lignes de Photius, associées à ces références, sont à l’origine d’une grande quantité d’hypothèses. S’agit-il d’un recueil tardif ou bien d’une série de textes écrits par la même personne ? Le plus vraisemblable, au vu de la différence de style et de théologie des actes (notée par Photius), est de postuler qu’il s’agit de textes écrits à des époques différentes par des auteurs différents. Quant à l’attribution à Leucius, on peut ou bien voir dans ce personnage le nom littéraire de l’auteur des Actes de Jean (qui l’aurait emprunté à un personnage du cercle de Jean connu par Épiphane), ensuite usurpé par un auteur d’Actes de tendance manichéenne 105 ; ou bien postuler que les Actes étaient anonymes et que le nom de Leucius est une légende secondaire, née dans les cercles manichéens, destinée à conférer une certaine respectabilité à ces Actes 106. Les cinq textes sont des plus disparates : (α) Les Actes de Jean (CANT 215). – Ils semblent les plus anciens et pourraient remonter à la fin du IIe siècle. Ils sont le fruit d’un milieu chrétien d’origine païenne, fortement cultivé et marqué par le spiritualisme qui caractérise le paganisme de l’époque. L’usage d’un mot rare, un vêtement à double frange nommé dikrossion (δικρόσσιον), a fait postuler à ses éditeurs une origine égyptienne. Le texte grec a été édité par Éric Junod et Jean102. ÉVODE D’UZALA, De Fide contra Manichœos 38, éd. J. ZYCHA (CSEL 25), 1892, p. 968. 103. PL 20, 502. 104. E. VON DOBSCHÜTZ, Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis in kritischem Text herausgegeben und untersucht (Texte und Untersuchungen 38), Leipzig, J. C. Hinrichs, 1912, p. 56. 105. K. SCHÄFERDIEK, « The Manichean Collection of Apocryphal Acts Ascribed to Leucius Charinus », in W. SCHNEEMELCHER-R. McL. WILSON (éds.), New Testament Apocrypha, vol. 2, Louisville (KY), John Knox, 2003, p. 87-100. 106. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, L’Histoire des Actes apocryphes des Apôtres du III e au IX e siècle : le cas des Actes de Jean (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie 7), Genève/Lausanne/Neuchâtel, Revue de Théologie et de Philosophie, 1982, p. 133-145. L’hypothèse se trouve déjà dans Saintyves, Deux Mythes évangéliques : les douze apôtres et les 70 disciples, Paris, Nourry, 1938, p. 105 : « il est fort probable que le nom de Leucius ou de Leucius Charinus, comme l’appelle Photius, fut une sorte de firme destinée à donner aux premiers actes apocryphes une origine apostolique, en les attribuant à un disciple de S. Jean. »

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Daniel Kaestli et traduit en français par les mêmes dans le premier volume des ÉAC 107. (β) Les Actes de Pierre (CANT 190). – Les Actes de Pierre, du début du IIIe siècle, que Gérard Poupon, leur traducteur dans les ÉAC situe dans la région syrienne, sont une œuvre complexe, qui compile des extraits d’homélie, des prières ou des exorcismes tirés de recueils liturgiques, et des considérations platonisantes (tendant vers la gnose), tout en rappelant comme un leitmotiv la fondamentale bienveillance divine. Ils connurent probablement un ou plusieurs remaniements, dont l’un, en copte, conserve l’épisode connu sous le nom de « la fille de Pierre et Ptolémée ». Le Martyre grec et la version latine ont été publiés par Richard Adelbert Lipsius 108, les récits de l’épisode copte par Carl Schmidt 109, le dossier a été traduit en français par Gérard Poupon dans le premier volume des ÉAC 110. (γ) Les Actes de Paul (CANT 211). – Les Actes de Paul, mentionnés par Tertullien au tournant des IIe et IIIe siècles ne font pas partie de notre corpus et sont mentionnés ici pour mémoire. Ils sont connus par une version copte découverte à Akhmîm publiée par Carl Schmidt 111 et par des textes grecs. Ils ont été traduits en français par Willy Rordorf et Pierre Cherix dans le premier volume des ÉAC 112. (δ) Les Actes d’André (CANT 225.1). – Rédigés par un auteur cultivé semblant récemment converti, les Actes d’André sont un écrit de propagande faisant largement usage de la pensée grecque pour convaincre des lecteurs issus de ce même milieu lettré. Il s’agit d’une œuvre d’une seule venue écrite avant le début du IIIe siècle. Ils ont été édités par Jean-Marc Prieur et traduits en français par lui dans le premier volume des ÉAC 113. (ε) Les Actes de Thomas (CANT 245). – Rédigés dans la première moitié du IIIe siècle dans la région d’Édesse, ils recueillent des traditions

107. Acta Iohannis (Corpus christianorum series apocryphorum 1 et 2), 2 vol., Brepols, Turnhout, 1983. Traduction de tout le dossier dans ÉAC I, p. 987-1037. 108. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891, p. 45-103. 109. C. SCHMIDT, Die alten Petrusakten im Zusammenhang der apokryphen Apostelliteratur untersucht : nebst einem neuentdeckten Fragment (Texte und Untersuchungen 24.1), Leipzig, Hinrichs, 1903. 110. ÉAC I, p. 1049-1114. 111. C. SCHMIDT, Acta Pauli. Aus der Heidelberger koptischen Papyrushandschrift Nr. 1 (Veröffentlichungen aus der Heidelberger Papyrus-Sammlung 2), Leipzig, Hinrichs, 1905. 112. ÉAC I, p. 1127-1177. 113. J.-M. PRIEUR, Acta Andræ – Præfatio & Commentarius (Corpus Christianorum Series Apocryphorum 5 et 6), 2 vol., Turnhout, Brepols, 1989. Texte dans le vol. 2, p. 442-549. Traduction de tout le dossier dans ÉAC I, p. 887-933 et aussi dans Actes de l’apôtre André (Apocryphes 7), Turnhout, Brepols, 1995.

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diverses, en particulier encratites. Ils sont édités en grec par Max Bonnet 114 et en syriaque par William Wright 115, par Paul Bedjan 116 et par A. Smith Lewis 117. Ils sont traduits en français par Paul-Hubert Poirier et Yves Tissot dans le premier volume des ÉAC 118. Aux côtés de cette première série de cinq actes, il faut faire une place aux Actes de Philippe (CANT 250). Subissant les influences des Actes de Jean et de Pierre, ces actes peuvent être datés d’une période s’étendant de la seconde moitié du IVe siècle à la première moitié du Ve siècle. C’est un recueil composite mêlant plusieurs textes d’époques différentes. Le texte a été édité par François Bovon et Frédéric Amsler, et traduit par les mêmes dans le premier volume des ÉAC 119.

3. Le cycle monastique d’Égypte ( IVe-VIe siècle) Autour du IVe siècle, il semble que l’Égypte ait créé une riche hagiographie autour des apôtres dans les milieux monastiques. Celle-ci influencera les recueils que l’on nomme « Combat des apôtres », dont on va parler un peu plus loin. (α) Les Actes d’André et Matthias chez les Anthropophages (CANT 236). – On date habituellement ce texte de la fin du IVe siècle (vers 400), car il est originaire des milieux pachômiens d’Égypte. Il ne présente pas de parenté avec les Actes d’André de Leucius Charinus. On en connaît de nombreuses versions en copte, arabe, syriaque, éthiopien. Le texte grec a été édité par Max Bonnet 120 et traduit par Jean-Marc Prieur dans le second volume des ÉAC 121. (β) Les Actes de Pierre et André (CANT 237). – Ils prennent la suite des Actes précédents, mais n’en constituent pas forcément le prolongement. Ils proviennent en revanche du même milieu. Le texte grec a été édité par Max Bonnet 122 et traduit par Jean-Marc Prieur dans le second volume des ÉAC 123. 114. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.2, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1903, p. 99-291. 115. W. WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, 2 vol., London, Williams and Norgate, 1871, p. 172-333. 116. P. BEDJAN, Šarbe de-sāhedē wa-de-qaddīšē = Acta martyrum et sanctorum, vol. 3, Parisiis/Lipsiae, Harrassowitz, 1892, p. 3-175. 117. A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 192-228. 118. ÉAC I, p. 1331-1470. 119. ÉAC I, p. 1189-1320. 120. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 117-127. 121. ÉAC I, p. 527-538. 122. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 65-117. 123. ÉAC I, p. 493-519.

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(γ) le Martyre de Matthieu. – Ce texte brode de nouveau sur le thème des Anthropophages en y associant cette fois-ci Matthieu (peut-être par confusion avec Matthias). Il paraît plus tardif et pourrait remonter à la fin du Ve siècle. Le texte grec a été édité par Max Bonnet 124 et traduit par Frédéric Amsler et Bertrand Bouvier dans le second volume des ÉAC 125.

4. Les reprises latines « orthodoxes » (VIe siècle) Si ces premiers Actes témoignaient de la diversité des communautés des premiers siècles, ils furent repris en fonction de la tendance unitaire qui s’imposa lentement dans le monde latin. 1. La réécriture de la Vie d’André par Grégoire de Tours (CANT 225.2). – Le premier à opérer cette opération que l’on nomme encore « orthodoxisation », en suivant un usage hérité de la vision ancienne de l’histoire de l’Église des premiers siècles, est Grégoire de Tours (539-594). Le père de l’histoire des Francs, « lance » également l’hagiographie avec le De Gloria martyrorum ainsi que les trois vies qu’il fait paraître sous son nom : la vie de saint Martin, celle de saint Julien et enfin celle d’André. Ce dernier texte est un texte composite, qui comprend un résumé des Actes d’André et des Actes d’André et Matthias. Ces deux textes sont aboutés et réécrits à partir d’une version latine destinée à en expurger les passages les moins conformes avec la théologie de Grégoire. Cette vie a été éditée par Max Bonnet126 et traduite par Jean-Marc Prieur dans le premier volume des ÉAC 127. 2. Les Actes du Pseudo-Abdias ou Virtutes apostolorum (CANT 256). – À peu près à la même époque que Grégoire, et sans doute en connaissant le De Gloria Martyrorum, un auteur anonyme originaire de Gaule rédige une série de courts Actes sur les apôtres. Ces textes, qui s’appuient probablement sur une collection de « passions des apôtres » complétée par des notices sur leur vie 128, va avoir une postérité considérable sur l’Occident, puisqu’il influence toute l’hagiographie des apôtres jusqu’à nos jours. Le recueil n’a été placé qu’au XVIe siècle sous l’autorité d’un évêque légendaire de Babylone, Abdias. Le texte reste encore à éditer à nouveaux frais : la majorité des éditions récentes (dont celle de Fabricius 129) repose sur deux 124. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 217-262. 125. ÉAC I, p. 547-564. 126. M. BONNET, « Gregorii Turonensis de miraculis Andreæ apostoli », Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1), Hannoverae (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 821-846. 127. ÉAC I, p. 934-972. 128. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 1, 1883, p. 117-178. 129. J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Novi Testamenti, collectus, castigatus testimoniisque, censuris & animadversionibus illustratus à Johanne Alberto Fabricio, Hamburgi, sumptib. Benjam. Schiller, 1703.

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recensions, celle de Lazius et celle de Nausea 130. Dominique Alibert, Gisèle Besson, Michèle Brossard-Dandré et Simon C. Mimouni ont proposé la traduction de six notices à partir d’une édition textuelle nouvelle non publiée 131.

5. Le recueil alexandrin des « Combats des Apôtres » (VIe siècle et XIIIe siècle) Autour des Ve et VIe siècles existait dans l’Église monophysite d’Alexandrie un recueil de passions et de martyres grecs qui furent traduits en copte. Au XIIIe siècle, ce recueil fut traduit du copte à l’arabe, puis de l’arabe à l’éthiopien, non sans être largement expurgé, comme le pensait le premier éditeur des fragments coptes conservés, Ignazio Guidi 132. Si le texte copte est très fragmentaire, on connaît le recueil dans son entièreté dans sa version arabe, publiée par Agnes Smith-Lewis à partir d’un codex du XIVe siècle du monastère des Syriens (Deir al-Surian) du Wadi Natroun qu’elle compara à six autres témoins 133. On connaît également sa version arabe dans un grand nombre de manuscrits, dont l’un a été publié par Ernest Alfred Thompson Wallis Budge 134. Une sélection de textes a été traduite en français dans ÉAC II 135.

6. Textes liés à des Églises particulières (à partir du

IVe

siècle)

À partir du IV siècle, certaines Églises recherchent une légitimité en produisant une série d’actes centrés autour de leur territoire. e

130. F. NAUSEA, Anonymi Philalethi Eusebiani in uitas miracula, passionesque apostolorum, Coloniæ (Köln), in ædibus Quentelianis, 1531 ; W. LAZIUS, Abdiæ, Babyloniæ episcopi, & Apostolorum discipuli, de historia certaminis apostilici, libri decem, Basileæ, ex officina Joan. Oporini, 1552. 131. ÉAC II : Passion de Jacques frère du Seigneur, p. 747-760 ; Passion de Philippe, p. 761-770 ; Passion de Jacques frère de Jean, p. 771-788 ; Passion de Barthélemy, p. 789-808 ; Passion de Matthieu, p. 809-835 ; Passion de Simon et Jude, p. 837-864. 132. I. GUIDI, « Gli atti apocrifi degli Apostoli nei testi copti, arabi ed etiopici », », Giornale della Società Asiatica Italiana 2, 1888, p. 1-66 (32). 133. Ms Sinaï Ar. 405, 539 et O ; Ms BnF Ar. 75 et 81 ; Ms Vatican Ar. 694. Texte original : Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903. Traduction : Mythological Acts of the Apostles (Horæ Semiticæ 4), Londres, Clay and Sons, 1904. 134. The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898 (texte); The Contendings of the Apostles II, London, Henry Frowde, 1903 (traduction). 135. Prédication de Barthélemy dans l’Oasis et Martyre de Barthélemy (Alessandro Bausi), p. 873-899 ; Actes de Matthieu dans la ville de Kahenat et Martyre de Matthieu en Parthie ( Jacques-Noël Pérès), p. 901-932 ; Prédication de Jacques fils de Zébédée et Martyre de Jacques fils de Zébédée (Robert Beylot, Jacques-Noël Pérès & Pierluigi Piovanelli), p. 933-957 ; Martyre de Luc (Robert Beylot, Jacques-Noël Pérès & Pierluigi Piovanelli), p. 959-978.

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a . Les textes liés à l’Église de Rome Les textes de l’Église de Rome étaient destinés à renforcer l’importance de la ville de Rome. Ils accompagnèrent plusieurs cultes locaux. (α) Les Actes de Jean à Rome. – Ils font le récit d’une comparution de Jean devant l’empereur Domitien et ne semblent pas remonter avant le IVe siècle. Ils ont été conservés en deux recensions nommées γ et β par leur éditeur Max Bonnet 136 ; la recension γ a été traduite en français par Éric Junod et Jean-Daniel Kaestli dans le second volume des ÉAC 137. (β) La Passion de Pierre et Paul du Pseudo-Hégésippe. – Il s’agit d’un remaniement du IVe siècle de Flavius Josèphe attribué à Hégésippe et comportant le fameux épisode du Quo Vadis ? Texte latin édité par Vincenzo Ussani 138. (γ) La Passion du Pseudo-Marcel (CANT 193). – Il s’agit d’une réécriture datant du ve siècle des Actes de Pierre, qui associent Paul. Elle est connue sous deux formes éditées par R. A. Lipsius 139. (γ) La Passion de Pierre du Pseudo-Lin (CANT 191). – Elle reprend certaines données des Actes de Pierre en y ajoutant quelques traditions romaines. Elle remonterait au Ve siècle. Le texte a été édité par Lipsius et Aarne Henrik Salonius 140, et traduit en français par Gérard Poupon dans le second volume des ÉAC. b. Les textes liés à l’Église d’Édesse ( V e - V I I e siècles) La légende d’Édesse repose sur deux reliques insignes censées être conservées dans la ville : une lettre de Jésus à Abgar et le portrait de Jésus. Elles s’associent avec l’apôtre Addaï/Thaddée. (α) la Doctrine de l’apôtre Addaï (CANT 89). – Datée du Ve siècle, elle est la première formulation de la légende d’Abgar lancée par Eusèbe de Césarée. Elle est conservée en syriaque par un unique manuscrit de la Bibliothèque nationale de Russie à Saint-Pétersbourg (ancienne Bibliothèque M. E. Saltykov-Chtchédrine) syr. ns. 4 publié par George Philipps

136. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 151-160. 137. ÉAC II, p. 697-708. 138. V. USSANI (éd.), Hegesippus Historiæ libri V (CSEL 66), Wien, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1932. 139. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891 : forme A (p. 118-177) et forme B (p. 178-222). 140. A. H. SALONIUS, Martyrium beati Petri apostoli a Lino episcopo conscriptum (Commentationes humanarum litterarum 1,6), Helsingforsiæ (Helsinki), Societas Scientiarum Fennica, 1926. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891, p. 1-22.

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ainsi que quelques fragments publiés par William Cureton 141. Le texte a été traduit en français par Alain Desreumaux 142. (β) Les Actes de Thaddée (CANT 299). – Ils sont une réécriture du VIIe siècle des Actes précédents. Ils ont été édités par Lipsius 143 et traduits en français par Andrew Palmer sur une édition nouvelle non publiée 144. c. Le c ycle arménien ( V I e – V I I I e siècle) Le cycle arménien servit à assurer les ambitions d’autocéphalie de l’Église arménienne. Ils associent donc Thaddée (en retravaillant la Doctrine d’Addaï) puis Barthélemy à l’Arménie. Leur chronologie n’est pas assurée : on les date du VIe au VIIIe siècle. 1. Le cycle de Thaddée. – Il comprend 5 textes édités en arménien par les pères mékhitaristes 145, dont on peut retenir ceux qui ont été traduits dans des langues d’usage scientifique : (α) le Martyre de Thaddée (BHO 1145). – Il est le principal texte du cycle. Il a été traduit par Valentina Calzolari 146. (β) les Découvertes des reliques de Thaddée (BHO 1146). – Une invention de relique traduite par Valentina Calzolari 147. (γ) l’Histoire de l’apôtre Thaddée et de la vierge Sandoukht (BHO 1147). – Il a été traduit par Johann Michael Schmid 148. 2. Le cycle de Barthélemy. – Probablement plus récent que le précédent, ce cycle comprend trois textes édités par les pères mékhitaristes 149. (α) le Martyre de Barthélemy (BHO 156). – Traduit en français par Louis Leloir et par Valentina Calzolari 150. (β) le Martyre abrégé de Barthélemy et Jude 141. G. PHILLIPS, The Doctrine of Addai, the Apostle, London, Trübner, 1876. W. CURETON, Ancient Syriac Documents relative to the Earliest Establishment of Christianity in Edessa, London and Edinburgh, Williams and Norgate, 1864. 142. A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar et de Jésus (Apocryphes 3), Turnhout, Brepols, 1993 et ÉAC I, p. 1485-1525. 143. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891, p. 273-278. 144. ÉAC II, p. 651-660. 145. Toute la tradition textuelle dans V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy aux origines du christianisme arménien (Apocryphes 13), Turnhout, Brepols, 2011, p. 175-190. Outre les trois mentionnées, Martyre de Sandoukht (BHO 1040) et Passion de Sandoukht (BHO 1041). 146. ÉAC II, p. 661-696 et V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 51-88. 147. V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 89-102. 148. J. M. SCHMID, « Geschichte des Apostels Thaddaeus und der Jungfrau Sanducht », Zeitschrift für armenische Philologie 1, 1903, p. 67-73. 149. Toute la tradition textuelle dans V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 191-201. 150. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. II (Corpus Christianorum, series apocryphorum 4), Turnhout, Brepols, 1992, p. 493-514 ; V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 123-150.

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(BHO 160). – Traduit en français par Louis Leloir151. (γ) la Découverte des reliques de Barthélemy (BHO 159). – Traduit en français par Louis Leloir et par Valentina Calzolari 152. d. Les textes by zantins ( V I I I e - I X e siècle) Les textes byzantins concernent surtout l’Apôtre André qui fut considéré comme le fondateur du siège de Constantinople. On peut en citer cinq. (α) la Narratio (CANT 229) du VIIIe siècle est la première à mentionner la fondation d’une église à Byzance par André. Elle a été éditée par Max Bonnet 153 ; (β) Le Martyrium Andreæ prius (CANT 227) est une reprise du martyre d’André, elle a été éditée par Max Bonnet 154 ; (γ) Martyrium Andreæ alterum (BHG 97 et 98) ; (δ) la Vie d’André d’Épiphane (CANT 233) du début du IXe siècle, éditée par A. Dressel 155 ; (ε) la Laudatio de Nicetas David (CANT 228) du Xe siècle éditée par Max Bonnet 156.

7. Recueils hagiographiques tardifs Quoiqu’on les nomme « apocryphes », ces actes des apôtres ne furent pas cachés pour tout le monde : leurs données, réarrangées et parfois expurgées, se retrouvèrent dans les recueils des écrivains hagiographiques. On peut en citer quelques-uns. 1. Dans le monde byzantin. – Dans le monde byzantin, on trouve un certain nombre de textes hagiographiques consacrés à un apôtre. On présentera ainsi celui de Théodore Studite sur Barthélemy, d’Épiphane le moine sur André. Deux recueils comportent des notices sur tous les apôtres. (α) Nicétas David alias Nicétas de Paphlagonie (Νικήτας ό Παφλαγών), né vers 885 en Paphlagonie et mort vers le milieu du Xe siècle, a rédigé une louange sur chacun des apôtres 157. (β) Syméon le Métaphraste ou le Logothète était un homme d’État et un hagiographe byzantin mort vers l’an mil 158 qui fut l’auteur d’une chronique et surtout d’un ménologe. Il a, lui aussi, rédigé un encomium par apôtre 159. 151. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres…, p. 517-524. 152. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres…, p. 528-530 ; V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 151-156. 153. M. BONNET, « Martyrium Sancti apostoli Andreæ », Analecta Bollandiana 13, 1894, p. 353-372. 154. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 46-57. 155. Texte recueillit dans PG 120, 216-260. 156. M. BONNET, Analecta Bollandiana 13, 1894, p. 311-352. 157. Texte dans PL 105, 37-285. 158. On signalera l’ouvrage de Christian Høgel, l’unique monographie sur Siméon le Métaphraste : C. HØGEL, Symeon Metaphrastes, Rewriting and Canonization, Copenhagen, Museum Tusculanum Press, 2002. 159. La plupart sont recueillis dans PL 115. Il manque la vie de Pierre et Paul, recueillie dans G. HENSCHEN, et al., Acta sanctorum junii, vol. 5, Antverpiæ (Anvers),

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2. Dans le monde latin. – Dans le monde latin, les recueils hagiographiques sont compilés sur le recueil du Pseudo-Abdias, auquel on ajoute parfois des traditions nouvelles. On les trouve dans des textes de deux natures. (α) les textes de nature encyclopédique comme le Livre du Trésor de Brunetto Latini (1220-1294) qui dépend directement d’Isidore de Séville 160 ou le Speculum Historiale de Vincent de Beauvais (1184-1264) 161 ; (β) les textes proprement hagiographiques comme la Légende dorée de Jacques de Voragine (1230-1298) 162 ou le Catalogus Sanctorum et gestorum eorum de Pierre Nadal (Petrus a Natalibus, † v. 1405) 163. B. Les listes d’apôtres et les textes liturgiques L’autre lieu privilégié pour constater la réception des Douze est constitué par les listes apostoliques, prémices des synaxaires et des martyrologes, qui fournissent les lieux et genres de mort des apôtres. L’apparition de ces listes représente un pas important dans l’établissement d’une « géographie apostolique » 164 ainsi qu’une étape importante dans la vision chrétienne du monde. Faire une liste, comme l’avait montré Foucault dans la préface de son ouvrage Les Mots et les choses, est en effet un moment essentiel dans la construction d’un discours cohérent sur les apud viduam Petri Jacobs, 1709, p. 411-424. Il manque également la vie d’André (CANT 234) dont nous n’avons pas pu consulter l’unique édition, signalée par Maurice Geerard : A. DU SAUSSAY, Andreas, frater Simonis Petri, seu de Gloria S. Andreae apostoli libri XII, Lutetiæ Parisiorum (Paris), sumptibus S. Cramoisy et G. Cramoisy, 1656, p. 309-328. 160. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863. Sur la dépendance entre Brunetto et Isidore : B. RIBÉMONT, « Brunetto Latini, le Livre dou Tresor et l’histoire sainte », Cahiers de recherches médiévales 16, 2008, p. 135-158. 161. L’édition de référence demeure celle de Douai : VINCENT DE BEAUVAIS, Bibliotheca mundi. Vincentii Burgundi Speculum quadruplex, Naturale, Doctrinale, Morale, Historiale, in quo totius naturae historia, omnium scientiarum encyclopedia, moralis philosophiae thesaurus, temporum et actionum humanarum theatrum exhibetur, Duaci (Douai), B. Belleri, 1624. On trouve une commode version du Speculum Historiale sur http://atilf.atilf.fr/bichard/ 162. Traduction : JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004. 163. PETRUS DE NATALIBUS, Catalogus sanctorum et gestorum eorum ex diversis voluminibus collectus, Lugduni (Lyon), J. Sacon, 1514. 164. S. F. JOHNSON, « Apostolic Geography : The Origins and Continuity of a Hagiographic Habit », Dumbarton Oaks Papers 64, 2010, p. 5-25. S. F. JOHNSON, « Reviving the Memory of the Apostles : Apocryphal Tradition and Travel Literature in Late Antiquity », in K. COOPER et GREGORY (éd.), Revival and Resurgence in Christian History (Studies in Church History 44), Woodbridge, Boydell, 2008, p. 1-26.

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choses, une epistémè, rendue possible par leur « ordonnabilité » 165. Faire une liste, c’est à la fois refléter l’ordre du monde tout en mettant le monde en ordre. C’est une opération scientifique et rassurante. Ces listes d’apôtres remontent, selon l’hypothèse de A. M. Schwemer à laquelle nous nous rangeons, à un genre littéraire issu du judaïsme du Ier siècle de notre ère, les vies de prophètes, ces courtes notices rappelant brièvement l’origine, les actes et le lieu de la mort de ces héros bibliques 166. Aux « prophéties marquantes » habituelles dans ces listes sont substituées les régions évangélisées 167, mais l’idée est la même : cataloguer des personnages pour mieux se définir soi-même. À la suite des listes de douze noms (Matthias remplaçant le plus souvent Judas à la 12e place), on peut trouver aussi la liste des 70 ou 72 disciples dont les noms n’avaient pas été fournis par les textes évangéliques. En dépouillant Irénée de Lyon et Clément d’Alexandrie, Eusèbe avait bien été en peine d’en nommer quelques-uns 168 : c’était donner libre cours à l’imagination de ses successeurs, qui cherchaient aussi à nommer les rois mages, le jeune homme riche, les deux larrons crucifiés avec Jésus, les Saintes Femmes et même les deux disciples d’Emmaüs 169. En apparence, ces informations sont bien sèches et bien inutiles. En réalité, elles fournissent l’amorce d’une sorte de carte des communautés se réclamant du patronage d’un apôtre ; elles reflètent le plus souvent l’état de la tradition sur un apôtre. En effet, malgré des données narratives fort pauvres, elles reflètent les ambitions des Églises locales pour établir ou confirmer leur origine apostolique Ces listes semblent avoir été composées en Égypte et en Syrie 170 et pourraient contenir des données traditionnelles dans les communautés de la région. Recueillies dans le monde latin par Isidore de Séville et par Grégoire de Tours, autour du VIe siècle, elles furent introduites dans le monde byzantin autour de la seconde moitié du VIIe siècle. Comme l’a noté Els Rose 171, la condamnation de certains livres devenus ipso facto « apocryphes » – en particulier par le Decretum Gelasianium ou diverses déci165. M. FOUCAULT, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines (Tel 166), Paris, Gallimard, 1966, 1992, p. 7-11. 166. A. M. SCHWEMER, Studien zu den frühjüdischen Prophetenlegenden Vitæ prophetarum (Texte und Studien zum Antiken Judentum 49 et 50), 2 vol., Tübingen, Mohr Siebeck, 1995-1996. 167. F. DOLBEAU, EAC II, p. 456. 168. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. 1, 12, 1. 169. B. M. METZGER, « Names for the Nameless in the New Testament. A Study in the Growth of Christian Tradition », New Testament Studies (New Testament Tools and Studies 10), Leiden, Brill, 1980, p. 23-46. 170. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini, Lipsiæ (Leipzig), Teubner, 1907, p. 204-216. 171. Nous ne nous intéresserons ici qu’au début de l’usage liturgique des apôtres dans le culte de l’Occident. Pour une étude complète : E. ROSE, Ritual Memory : the Apocryphal Acts and Liturgical Commemoration in the Early Medieval West (c. 500-

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sions conciliaires – ne mit pas fin à leur utilisation : on les retrouve par exemple dans la liturgie. La complexité du dossier est immense et mériterait un travail à lui seul. Nous nous bornerons ici à quelques éclaircissements.

1. Les premières listes apostoliques Les divers catalogues d’apôtres et de disciples ont été étudiés dans les deux ouvrages de Theodor Schermann (1878-1922) qui constituent encore aujourd’hui un passage obligé – Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini et Propheten und Apostellegenden nebst Jüngerkatalogen des Dorotheus und verwandter Texte 172 –, ainsi que, plus récemment, par une série d’articles de François Dolbeau 173. a . Les listes gre cques et leurs traductions latines Les listes, donc, semblent être nées dans les communautés chrétiennes d’origine juive de Syrie-Palestine vers la fin du IVe siècle. Elles se répandirent ensuite assez vite, comme le montre le poème de Paulin de Nole (v. 405f ) qui donne déjà les lieux de prédications de huit apôtres174. Elles connurent un certain développement concomitant à celui de l’Église en train de s’institutionnaliser 175. 1. Premières listes : deux listes anonymes du Ve-VIe s. – Les premières listes connues ne portent pas le nom d’un auteur. Elles sont parfois confondues, mais il faut soigneusement les distinguer. (α) La liste anonyme I Index apostolorum cum appendiculis (BHG 153c = CPG 3780c). – Elle est attestée en traduction latine dans un manuscrit des Canons apostoliques recopié au Ve-VIe siècle (codex Veronensi lat. LI 49,

1215) (Mittellateinische Studien und Texte 40), Leiden, Brill, 2009. Voir ici son premier chapitre p. 23-78. 172. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini, Lipsiæ (Leipzig), Teubner, 1907 ; ID., Propheten und Apostellegenden nebst Jüngerkatalogen des Dorotheus und verwandter Texte (Texte und Untersuchungen 3, 1), Leipzig, Hinrichs, 1907. 173. Un grand nombre ont été recueillis dans F. DOLBEAU, Prophètes, apôtres et disciples dans les traditions chrétiennes d’Occident (Subsida hagiographica 92), Bruxelles, Société des Bollandistes, 2012. Nous continuons à donner les références de leur première publication, car ce recueil les publie de manière anastatique et que l’on peut aisément retrouver la pagination originale. 174. PAULIN DE NOLE, Pœmate 19, 6 : Parthia Matthæum complectitur, India Thomam, Lebbæum Libyes, Phryges accepere Philippum. PAULIN DE NOLE, Sancti Pontii Meropii Paulini Nolani Carmina (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 30), éd. W. A. VON HARTEL, Pragæ/Vindobonæ (Vienne)/Lipsiæ, Tempsky/Freytag, 1894, p. 121. PL 61, 514. 175. Nous nous servons de F. DOLBEAU, EAC II, p. 458-463 ; ID., « Listes latines d’apôtres et de disciples traduites du grec », Apocrypha 3, 1992, p. 259-279.

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f° 156v-157v = BHL 652f ) et éditée par Turner 176. Elle est connue par deux manuscrits : le Vat. gr. 1506 f° 78r et le Vatopédi 853 de l’Athos. Elle a influencé une adaptation latine inspirée du Breviarium (voir plus bas), conservée dans le ms. Parisinus lat. 4886, f° 66v-67v du XIe siècle, originaire de la région de Narbonne 177. (β) La liste anonyme II « gréco syrienne » Index anonymus græcus-syrus (BHG 154 = CPG 3780b). – Publiée par Schermann sous le nom de liste gréco-syrienne, est plutôt, selon lui ein anonymer griechischer Text syrischer Heimat 178. En effet, elle est très proche des traditions syriaques qui circulaient sous le nom d’Irénée ou des opuscules d’Épiphane. Elle est connue par deux manuscrits : le Vat. 2001, du XIIe siècle, qui représente la tradition la plus ancienne, et le Vat. 1506 qui connaît des réécritures byzantines. Elle a influencé une liste latine 179, le ms. Garret 65 (Princeton University), f° 99rv du XVe s. Elle a été traduite en français par François Dolbeau180. On en connaît également deux versions arméniennes : l’une, BHO 87, fut éditée à Venise par Chérubin Tchékarian en 1904 et traduite par L. Leloir 181, l’autre est conservée dans le codex 993 d’Erevan 182. 2. Les successeurs des deux premières listes. – Plusieurs listes s’inspirent de ces premières listes. Elles sont cette fois-ci attribuées à des auteurs connus. (α) La liste attribuée à Épiphane de Salamine (BHG 150-150m = CPG 3780) du VIIe s. – Attribuée à Épiphane de Salamine (367-403), elle est certainement antérieure au IXe siècle, ce qui confirme l’hypothèse de Schermann, car elle est la source de la liste qui suit et elle est citée littéralement dans une passion d’André remontant au IXe siècle : on la date donc du VIIe siècle. Elle est connue par le Parisinus græcus 1115 de 1276. On en connaît une traduction latine du XIIe siècle, due à Moïse de Bergame, qui servait d’interprète officiel à la cour de Byzance de 1128 à 1136 183, conservée dans le ms. de Nîmes, Bibl. Municipale 52, f° 141-142v, fin XIIe s.

176. C. H. TURNER, « A Primitive Edition of the Apostolic Constitutions and Canons : An Early List of Apostles and Disciples », Journal of Theological Studies 15, 1913, p. 63-65. 177. F. DOLBEAU, « Deux opuscules latins, relatifs aux personnages de la Bible et antérieurs à Isidore de Séville », Revue d’Histoire des Textes 16, 1986, p. 83-139 (127-130). 178. T. SCHERMANN, Propheten und Apostellegenden…, p. 161. 179. F. DOLBEAU, « Deux opuscules latins… », p. 134-136. 180. F. DOLBEAU, EAC II, p. 467-472. 181. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. II (Corpus Christianorum, series apocryphorum 4), Turnhout, Brepols, 1992, p. 738-744. 182. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales », Augustinianum 34, 1994, p. 109-199. 183. F. DOLBEAU, « Une liste ancienne d’apôtres et de disciples, traduite du grec par Moïse de Bergame », Analecta Bollandiana 104, 1986, p. 299-314.

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(β) La liste attribuée à Hippolyte (CPG 1911-1913 = BHG 153-153b) du VIIe-VIIIe siècle. – Cette liste, attribuée selon les manuscrits à Hippolyte de Rome ou de Thèbes dépend étroitement de celle d’Épiphane, dont elle paraît être la réécriture. Le premier témoin en est Georges Hamartolos dans sa Chronique de 866 qui l’attribue à l’antipape Hippolyte de Rome (début IIIe s.). Le plus ancien manuscrit, le Coisl. 120, est du Xe siècle. (γ) La liste attribuée à Dorothée (BHG 151-152b = CPG 3780a) du VIIIe siècle. – Elle est attribuée à Dorothée de Tyr, un évêque qui aurait été martyrisé sous l’empereur Licinius. La copieuse notice qui l’introduit prétend qu’elle aurait été rédigée en latin, puis traduite par Procope sous le consulat de Philoxène et Probus (525) lors de la visite du pape Jean Ier. Celui-ci aurait été contraint de reconnaître l’antériorité du siège patriarcal de Constantinople mis en avant par la liste, comme nous le verrons à propos de l’apôtre André. Cette légende est certainement apocryphe puisqu’en 536, le pape Agapet visita Constantinople et le récit que l’on a de son voyage ne parle absolument pas d’un incident quelconque ni même d’une visite de son prédécesseur 184. Elle date certainement d’une époque où les relations entre Église d’Orient et Église d’Occident commençaient à se détériorer, soit vers la fin du VIIIe siècle. Le terminus ad quem est fourni par la biographie de Dorothée intégrée dans la Chronographie de Théophane (vers 810). La liste n’est qu’une version amplifiée du Pseudo-Épiphane à partir de détails glanés chez le Pseudo-Hippolyte 185, ce qui fournit des idées de datation pour les deux précédentes. Elle est connue en particulier par le Parisinus græcus 237 du Xe s. On en connaît une traduction latine par un manuscrit unique venant de Vénétie et conservé à la BM de Metz (bibl. munic. 1160, f° IIIrv, XIIe s.) 186 ainsi qu’une liste originaire du Milanais (comme le prouve la remontée de Barnabé considéré comme l’apôtre de cette région à partir du Xe siècle) conservée à la bibliothèque de l’Université de Barcelone (ms. 574, f° 82v-90) 187. On en connaît également des versions géorgiennes présentes dans les manuscrits A-144 et A-9S (Xe siècle) qui montrent son influence dans le monde oriental. (δ) La liste attribuée à Syméon le Métaphraste (BHG 154b). – La liste qui lui est attribuée n’est manifestement pas de lui quand on compare le manuscrit qui la contient, le Parisinus 1712, avec les manuscrits authen-

184. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium and the Legend of the Apostle Andrew (Dumbarton Oakes Studies 4), Cambridge (MA), Harvard University Press, 1958, p. 140. 185. F. DOLBEAU, « une liste ancienne… », p. 305. 186. F. DOLBEAU, « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée », Analecta Bollandiana 108, 1990, p. 51-70. 187. F. DOLBEAU, « Une liste latine d’apôtres et de disciples compilée en Italie du Nord », Analecta Bollandiana 116, 1998, p. 5-25.

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tiques de Syméon. En revanche elle lui est contemporaine 188. Cette liste reprend largement la liste gréco-syrienne. b. Les listes latines Outre les manuscrits latins que l’on vient de citer et qui reprennent plus directement certains textes, il convient de citer les listes latines qui ont parfois été écrites en réaction aux listes grecques, dans lesquelles l’évangélisation de l’Occident n’avait guère de place. Chaque fois qu’elles le peuvent, les listes latines assignent donc des champs d’évangélisations occidentaux aux apôtres. (α) Le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum du Ve-VIe siècle. – La première version des listes latines est certainement le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum édité par François Dolbeau en 1986 189 et réédité en 1994 avec de nouveaux éléments 190. Il fait le lien entre le De Viris inlustribus de Jérôme 191 et le De Ortu et Obitu patrum d’Isidore de Séville. Les données du texte permettent une datation précise entre les années 360 et 500 (comme le prouve la mention de l’éphémère province de Phrygie Pacatienne dans l’une des notices). (β) Le Breviarium apostolorum (BHL 652) de la fin VIe siècle. – Le Breviarium apostolorum a été longuement étudié par B. de Gaiffier 192 qui cite et présente les 22 manuscrits allant du VIIIe au XIIIe siècle qui le contiennent. Il présente une tradition particulière, plus occidentale, de la mort des apôtres, qui n’est pas influencée par le recueil d’Actes des Apôtres (recensions du Pseudo-Abdias) qui était en train de se mettre en œuvre. Il a influencé, de manière certaine, de De Ortu et Obitu Patrum d’Isidore de Séville. (γ) Le Laterculus apostolorum (BHL 653). – Cette liste, qui recense uniquement les sépultures d’apôtres, a subi l’influence directe du Breviarium qu’elle abrège 193. C’est une liste assez répandue que l’on connaît par de nombreux manuscrits. (δ) Le De Ortu et Obitu Patrum d’Isidore de Séville (avant 636), BHL 6544. – Longtemps considéré comme un écrit inauthentique, il a été

188. T. SCHERMANN, Propheten und Apostellegenden…, p. 160. 189. F. DOLBEAU, « Deux opuscules latins, relatifs aux personnages de la Bible et antérieurs à Isidore de Séville », Revue d’Histoire des Textes 16, 1986, p. 83-139. 190. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107. 191. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inlustribus, éd. E. Richardson (TU 14.1a), Leipzig, Hinrich, 1896. 192. B. DE GAIFFIER, « Le Breviarum apostolorum. Tradition manuscrite et œuvres apparentées », Analecta Bollandiana 81, 1963, p. 89-116. 193. F. DOLBEAU, « Listes latines… », p. 264.

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déclaré comme isidorien par l’étude de C. Chaparro Gómez 194, ce qui le fait remonter avant la mort d’Isidore, intervenue en 636. Pour rédiger sa notice, Isidore se sert de nombreuses sources dont le Breviarium apostolorum, mais aussi les diverses listes latines dérivant du grec qui ont été mentionnées auparavant. Il en existe une seconde version (BHL 6545) qui n’est pas d’Isidore. (ε) La notice d’apôtres du codex Fuldensis 2 (alias codex Ragyntrudis) du VIIIe siècle. – Conservée dans un très beau codex du VIIIe siècle, cette liste d’apôtres a été publiée par Baudouin de Gaiffier, de manière plus précise que ne l’avait fait Schermann 195. Elle indique les lieux et les provinces dans lesquelles reposent les apôtres. (ζ) La liste Liber de ortu et obitu patriarcharum du VIIIe siècle. – Il s’agit d’une imitation du De Ortu et obitu d’Isidore. Remarquant ses grandes proximités avec un traité De numeris pseudo-isidorien originaire de Bavière, son éditeur, J. Carracedo Fraga, pense qu’elle aurait été rédigée dans la région bavaroise vers 780, Salzbourg et ses alentours constituant le lieu le plus probable 196. Certaines des conclusions de J. Carracedo Fraga ont été contestées par François Dolbeau dans un article de 1998, qui propose l’édition d’un manuscrit (L = Bayerische Staatsbibliothek lat. 14497, f° 18v-20v, v. 800) 197. c. Les listes orientales Les listes orientales ont le plus souvent été reprises des listes grecques, mais elles ont été parfois adaptées en fonction des prétentions locales de chaque Église. On en connaît plusieurs, souvent difficilement classables chronologiquement. L’ensemble du dossier mériterait d’être repris de manière suivie. 1. Les listes syriaques, arméniennes et géorgiennes éditées par Michel van Esbroeck. – Le bollandiste Michel van Esbroeck (1934-2002), infatigable découvreur de manuscrits syriaques, arméniens et géorgiens a édité un certain nombre de listes que l’on peut énumérer 198.

194. ISIDORE DE SEVILLE (ISIDORUS HISPALENSIS), De Ortu et obitu patrum (Auteurs Latins du Moyen Âge), trad. C. CHAPARRO-GOMEZ, Paris, Les Belles Lettres, 1985. 195. B. DE GAIFFIER, « Une ancienne liste d’apôtres », in L’Homme devant Dieu. Mélanges offerts au Père Henri de Lubac (Théologie 56), Paris, Aubier, 1963, p. 365372. 196. J. CARRACEDO FRAGA, Liber de ortu et obitu patriarcharum (Scriptores Celtigenæ 1), Turnholti (Turnhout), Brepols, 1996. 197. F. DOLBEAU, « Comment travaillait un compilateur de la fin du VIIIe siècle : la genèse du De ortu et obitu patriarcharum du Pseudo-Isidore », Bulletin Du Cange 56, 1998, p. 105-126. 198. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales », Augustinianum 34, 1994, p. 109-199.

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(α) la liste arménienne du Ms. Matenadaran 871. – Datée de 1680, elle remonterait au VIIIe siècle et pourrait s’inspirer d’Épiphane ; (β) les deux listes syriaques. – Elles sont contenues dans le manuscrit syriaque du British Museum Add. 14601, f° 164v-164v et Add. 17193 f° 79-82. Elles pourraient se faire le reflet d’une tradition éphésienne remontant au Ve siècle, car elles citent Luc parmi les Douze (en réalité quatorze) et mentionnent son tombeau. Leur principal intérêt est de ne pas remonter à des originaux grecs et de présenter une version proprement syriaque des traditions apostoliques. Elles ont été commentées 199 puis éditées 200 par M. van Esbroeck (γ) la liste syriaque des canons apostoliques. – Publiée en 1904 par le patriarche catholique syriaque Ignace Éphrem II Rahmani (1848 – 1929) 201, elle connaît une version arménienne dans le Ms. Matenadaran 993 f° 643 publiée par M. van Esbroeck. Cette liste opère une délimitation des zones d’influence des patriarcats en rappelant quel apôtre les a fondés. 2. Le Livre de l’Abeille de Salomon de Bassorah. – Édité par E. A. Wallis Budge 202, ce livre écrit vers 1220 par Salomon évêque nestorien de Bassorah, donne au chap. 48 une liste apostolique que l’on retrouve, à quelques variantes près dans une liste attribuée à Eusèbe de Césarée dans le Ms. Brit. Lib. Or. 2695 publiée par M. van Esbroeck 203. On ne connaît pas l’origine de cette liste, dont on trouve également une version attribuée à Bar-Şalîbî († 1171) publiée en appendice au livre V des Chroniques de Michel le Syrien. 3. La Chronique de Michel le Syrien. – Le patriarche jacobite Michel le Syrien (1126-1199) fournit une liste d’apôtres dans sa Chronique, connue par un seul manuscrit découvert par Mgr Rahmani et traduit en 1899 par J.-B. Chabot 204. On en connaît une version arménienne traduite par M. van Esbroeck (la liste arménienne du Ms. Matenadaran 2678, daté de 1426-1476) 205 ainsi qu’un compendium réalisé par Bar-Hebræus (Gregorius Abū al-Faragˇ, 1226-1286) 206. 199. M. VAN ESBROECK, « Deux listes d’apôtres conservées en syriaque », in R. LAVENANT (éd.), IIIe Symposium syriacum 1980 (Orientalia Christiana Analecta 221), Rome, Pontificio Istituto Orientale, 1983, p. 15-24. 200. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales »… 201. IGNATIUS EPHRÆM II RAHMANI, Studia syriaca seu collectio documentorum hactenus ineditorum ex codicibus syriacis, In seminario Scharfensi in Monte Libano (Charfet), typis patriarchalibus, 1904, p. 5-6. 202. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886. 203. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales », Augustinianum 34, 1994, p. 109-199. 204. J.-B. CHABOT, Chronique de Michel le Syrien I, Paris, Leroux, 1899, p. 146147. 205. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales »… 206. Texte syriaque et traduction latine dans J. B. ABBELOOS et T. J. LAMY, Gregorii Barhebræi Chronicon ecclesiasticum, Lovanii (Leuven), C. Peeters, 1872. Texte,

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4. Les fragments sogdiens de Berlin. – Conservés à Berlin et édités par Nicholas Sims-Williams 207, ces fragments sogdiens (une langue iranienne parlée en Sogdiane, dans l’actuel Ouzbékistan, qui servit de langue véhiculaire entre le Ve et le XIe siècle) reposent largement sur les canons apostoliques syriaques 208. 5. La liste fragmentaire du P. Paris Copt. 129. – Éditées par E. O. Winstedt 209, ces notices plus ou moins développées témoignent de traditions coptes diverses, certaines étant sui generis, d’autres témoignant de contacts avec d’autres traditions. Elles fournissent parfois des versions alternatives aux synaxaires ou aux recueils apostoliques, prouvant le caractère extrêmement contrasté de la réception des apôtres dans le monde copte. 6. La liste éthiopienne. – Éditée par Alessandro Bausi en 2012 210, elle repose sur trois manuscrits dont le plus ancien remonte au XIIIe siècle 211. Appartenant à un recueil de traditions liturgiques éthiopiennes, le Sinodos, elle pourrait remonter à une époque plus ancienne, l’époque Axoumite, et pourrait avoir ce que Bausi nomme un Vorlage grec. En effet, elle présente de nombreuses parentés avec la liste anonyme I identifiée par Dolbeau. 7. La liste samaritaine. – La chronique samaritaine n°II parfois nommée Serfer ha-Yamin dont le meilleur représentant est le manuscrit John Rylands Library Ms 1142 de 1616 212 est un texte d’origine samaritaine du Moyen Âge, mais qui pourrait s’appuyer sur des éléments plus anciens, comme le montre l’usage du nom Ælia pour désigner Jérusalem (un nom

facsimilés et traduction anglaise dans E. A. W. BUDGE (éd.), The Chronography of Gregory Abu’l Faraj Commonly Known as Bar Hebraeus. Being the First Part of his Political History of the World, London, Oxford University Press, 1932. 207. N. SIMS-WILLIAMS, The Christian Sogdian Manuscript C2 (Schriften zur Geschichte und Kultur des alten Orients Berliner Turfantexte 12), Berlin, Akademie-Verlag, 1985, p. 105-109. Merci à Jean-Daniel Dubois de m’avoir signalé cette référence. 208. N. SIMS-WILLIAMS, « Traditions concerning the Fates of the Apostles in Syriac and Sogdian », in H. PREISSLER (éd.), Gnosisforschung und Religionsgeschichte : Festschrift für Kurt Rudolph zum 65. Geburtstag, Marburg, Diagonal-Verl., 1994, p. 287-295. 209. E. O. WINSTEDT, « Some Coptic Apocryphal Legends », Journal of Theological Studies 9, 1908, p. 372-386. Merci à Jean-Daniel Dubois de cette référence. 210. A. BAUSI, « Una “lista” etiopica di apostoli e discepoli », in A. BAUSI, A. BRITA et A. MANZO (éds.), Æthiopica et Orientalia. Studi in onore di Yaqob Beyene (Studi Africanisti Serie Etiopica 9), vol. 1, Napoli, Università degli studi, 2012, p. 43-67. 211. Ms Ethiopian Manuscript Microfilm Library (Addis Ababa et Collegeville) 3515, 9, XVe s., f° 93r-94r ; Ms Paris éthiopien 181,11, XIXe s., f° 125v-127r ; collection privée (Éthiopie), XIIIe-XIVe s., f° 39r-40v. 212. On connaît également John Rylands Library Ms 1168 qui en dépend et deux versions arabes.

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qui n’est plus en usage après le IVe siècle) 213. Un extrait de cette chronique, publié par J. MacDonald et A. J. B. Higgins présente l’origine de la communauté chrétienne 214. On y trouve une liste d’apôtres assez dépendante de la liste d’Épiphane, comme le montre la mention de l’Éthiopie comme terre d’évangélisation d’André.

2. Les recueils liturgiques Ces différentes listes ont été ensuite reprises et collationnées dans divers livres liturgiques dont on peut faire brièvement l’histoire. 1. Dans le monde oriental. – Dans le monde grec, on distingue les ménologes et les synaxaires. Le synaxaire (συναξάριον) est à l’origine le calendrier des fêtes fixes assorti de la liste des lectures appropriées pour chaque fête, auquel eurent tendance à s’ajouter quelques brèves notices hagiographiques. C’est donc une version plus courte que le ménologe, qui recueille la vie des saints ordonnée selon le calendrier. Le ménologe grec (BHG 154k et 154p) fournit une liste de notices hagiographiques compilée au IXe siècle et publiée sous le patronage de l’empereur Basile II (976-1025) sous la plume de Syméon le Métaphraste. On en connaît deux formes, une forme brève et une forme longue. La forma brevior est la plus ancienne 215. Une troisième forme, la forma abbreviata se trouve dans le Parisianus græcus 1575. Les trois formes ont été publiées par Th. Schermann 216. On connaît des formes jacobites, éthiopiennes, arméniennes du synaxaire qui témoignent de nombreuses variantes locales. 2. Dans le monde latin. – Dans le monde latin, le livre liturgique qui eut tendance à s’imposer fut le martyrologe, un recueil de brèves notices sur les saints à fêter. Le plus ancien martyrologe, daté du Ve siècle, a été longtemps attribué à Eusèbe de Césarée et sa traduction latine à Jérôme : c’est le martyrologe hiéronymien (Martyrologium sancti Hieronymi). Il s’agit en réalité d’une compilation anonyme de plusieurs listes comme l’avait montré Louis Duchesne dès la fin du XIXe siècle 217. Le deuxième martyrologe fut compilé par Bède, et date du VIIIe siècle. Bède lança une mode puisque les martyrologes se multiplièrent au IXe siècle : on connaît les fragments d’un autre martyrologe anglais (The Old English Martyrology) qui date du IXe siècle, le 213. Une partie du texte a été édité par John MacDonald : J. MACDONALD, The Samaritan Chronicle n° II or Sepher ha-Yamim from Joshua to Nebuchadnezzar (Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 107), Berlin, W. de Gruyter, 1969. 214. J. MACDONALD et A. J. B. HIGGINS, « The Beginnings of Christianity according to the Samaritans », New Testament Studies 18, 1971, p. 54-80. 215. C’est elle qui est reproduite dans PG 117, 516. 216. T. SCHERMANN, Propheten und Apostellegenden…, p. 184-197. 217. L. DUCHESNE, « Les sources du Martyrologe hiéronymien », Mélanges d’archéologie et d’histoire 5, 1885, p. 120-160. Voir également J. DUBOIS, Les Martyrologes du Moyen Âge (Typologie des Sources 26), Turnhout, Brepols, 1978, p. 13-17.

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martyrologe d’Adon de Vienne datant de 858, celui d’Usuard, moine parisien du IXe siècle, ainsi que ceux de Florus de Lyon (v. 795-860) et de Notker le Bègue de Saint-Gall (840-912). Le concile de Trente demanda à ce que l’on remédiât à cette diversité – même si le martyrologe d’Usuard avait déjà eu tendance à s’imposer. En 1583 parut donc une première version du martyrologe romain suite à la réforme du calendrier julien par le pape Grégoire XIII. Il fut révisé en 1586 puis 1589 par César Baronio (1538-1607) et connut plusieurs autres révisions : en 1630 sous Urbain VIII, en 1748 sous Benoît XIV et, finalement, en 2001 puis 2005 sous Jean-Paul II 218.

3. En marge des listes apostoliques : les listes iconographiques Témoin de la fixation des traditions apostoliques, une iconographie se fixa peu à peu pour les apôtres. On connaît ainsi deux listes, réalisées probablement à l’intention des artistes, qui furent définies au début du Moyen Âge pour homogénéiser la représentation des Douze 219. (α) Le De figuris apostolorum attribué à Cummianus Longus. – Le plus ancien texte connu remonte à 633 et il a été attribué à Cummianus Longus, un écrivain irlandais du VIIe siècle 220. Il présente une liste d’apôtres que nous traduisons ici : LA FIGURE DES APÔTRES. – Matthieu, noir et bouclé, barbe rousse, chevelure courte et grise. Philippe, tout roux et barbe longue. Jacques, cheveux noirs, barbe longue. Jean cheveux noirs sans barbe. Thomas, tout bouclé et noir, sans barbe. Jacques barbe longue. Barthélemy roux, barbe qui n’est pas longue. André, noir, barbe longue chevelure grisonnante longue. Paul chauve et barbe longue 221.

218. R. GODDING, « Martyrologe romain : de 1584 à 2004 », Analecta Bollandiana 123, 2005, p. 368. ID., « Le nouveau martyrologe romain », Analecta Bollandiana 119, 2001, p. 344. 219. Analyse dans C. DENOËL, Saint André : culte et iconographie en France, V eXV e siècles (Mémoires et documents de l’École des Chartes 77), Genève, Droz, 2004, p. 135-136. 220. D. Ó. CRÓINÍN, « Cummianus Longus and the Iconography of Christ and the Apostles in Early Irish Literature », in C. MARTIN, D. Ó. CORRÁIN, L. BREATNACH, et K. MCCONE, Sages, Saints, and Storytellers : Celtic Studies in Honour of Professor James Carney (Maynooth Monographs 2), Maynooth, An Sagart, 1989, p. 268-279. 221. De figuris apostolorum. Matheus niger crispus barba rufa breuis et coma cana. Phillipus rufus totus et barba longa. Iacobus capillis nigris barba longa. Iohannes capillis nigris sine barba. Thomas crispus et niger totus barba longa. Iacobus barba longa. Bartholomeus rufus non longa barba. Andreas niger longa barba coma canuta longa. Paulus caluus longa barba. B. BISCHOFF, « Regensburger Beiträge zur mittelalterlichen Dramatik und Ikonographie », Mittelalterliche Studien : ausgewählte Aufsätze zur Schriftkunde und Literaturgeschichte, vol. 2, Stuttgart, Hiersemann, 1981, p. 156-168 (167).

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Cette liste ce retrouve également dans des manuscrits postérieurs, le ms. Lat. 2804 de la BnF (XIIe s.) et le ms. Einsiedeln 131 (v. 1063). (β) Le De tonsura apostolorum. – Ce texte remonte à la fin du VIIIe siècle. Conservé dans le manuscrit de la BnF 11561, il prétend donner l’iconographie romaine (romanorum pictura apostolorum imagines sic depinguit) 222. Cette liste fut diffusée assez largement comme le prouvent deux manuscrits conservés à Munich (Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14733, XIIe s. ; Clm 14277, fin VIIIe s.) 223.

222. Le texte a été édité dans A. WILMART, « Effigie des apôtres vers le début du Moyen Âge », Revue Bénédictine 42, 1930, p. 76. 223. Les deux textes ont été édités par B. BISCHOFF, « Regensburger Beiträge… »

CHAP. 1

JUDAS, L’APÔTRE QUI S’EST PERDU Les Douze sont en réalité treize. La douzième place fut en effet occupée successivement par deux apôtres. Dans notre enquête sur la question de la réception des apôtres, la question de l’apôtre qui se perd est cruciale ; aussi prenons-nous le parti de la traiter en premier, tant la réception de cet apôtre décrit en creux la définition que l’on donna aux apôtres. En effet, comment croire que les Douze forment un cercle parfait et absolument pur, quand l’un de ceux qui ont été personnellement choisis par le maître le trahit et devient l’agent de sa mort ? L’embarras des évangélistes et des Pères fut grand : il fallait trouver une raison à son action pour colmater les brèches d’une légitimité sérieusement malmenée. Le traitement du personnage de Judas ressemble donc à une procédure d’exclusion du territoire apostolique. Plus le temps passe et plus les textes tentent d’en faire un citoyen du domaine des ténèbres, égaré dans le royaume de la lumière. Chargé de tous les maux, on eut tôt fait de s’en débarrasser sans affronter directement la redoutable question qu’il posait 1. I. J UDA S

DANS LE S ÉVANGILES

Cette procédure d’exclusion fut lancée de manière précoce. La première réception de la figure de Judas s’opère dans des évangiles où, de Marc à Jean, on constate un noircissement de plus en plus grand du personnage. A. Positionnement des problèmes : Judas chez Marc L’évangile de Marc est le premier à évoquer la figure de Judas, à sa manière habituelle. Il ne s’étend nullement sur les motifs de la trahison de Judas, et ce faisant il laisse béant l’abîme des questions que l’on se pose sur ce disciple.

1. Un membre des Douze Judas apparaît au détour d’une phrase de l’évangile, sans que rien ne le prépare, et déjà les questions se posent dans la présentation qu’on en fait. 1. Ce chapitre reprend et prolonge les premières pages de notre ouvrage L’Évangile de la trahison. Une biographie de Judas, Paris, Seuil, 2008.

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CHAPITRE 1

À la fin de la liste des apôtres choisis par Jésus on lit : Ἰούδαν Ἰσκαριώθ, ὃς καὶ παρέδωκεν αὐτόν « Judas Iscariote, celui qui le livra » (Mc 3, 19). 1. Le nom de Judas. – Le nom « Judas » était des plus courants dans la Palestine du Ier siècle : n’était-il pas celui de Juda fils de Jacob, l’ancêtre mythique du roi David ? Rien que dans l’évangile, il désigne sept personnages différents. L’Iscariote, au premier chef, mais également un personnage inconnu de la généalogie de Jésus, ayant pour fils Joseph et père Syméon (Lc 3, 30), Jude fils de Jacques, l’un des Douze (Lc 6, 16 ; Ac 1, 13 ; Jn 14, 22), Jude frère de Jésus et de Jacques auteur déclaré de l’Épître de Jude (Mt 13, 55 ; Mc 6, 3 ; Jud 1), Judas le Galiléen (Ac 5, 37), Jude Barsabbas (Ac 15, 22-32) et Judas de Damas (Ac 9, 11). Ailleurs, on connaît 172 autres porteurs de ce nom 2. Il n’est guère possible de recueillir beaucoup d’informations sur ce nom fort courant. Remarquant que Flavius Josèphe citait 19 Judas et que 13 d’entre eux appartenaient à des milieux nationalistes, certains exégètes ont pu penser que ce prénom avait des consonances patriotiques 3 : n’était-il pas celui du patriarche fondateur ? n’était-il pas popularisé par des ouvrages en vogue à l’époque comme le Testament des Douze Patriarches ou le Testament de Juda ? Il y a peut-être un soupçon de nationalisme dans le choix de ce nom. Mais à moins de présupposer que le don d’un nom par les parents conditionne l’avenir de leur rejeton, il n’est guère possible d’admettre que ce nom fonctionne comme une prophétie autoréalisatrice et que l’apôtre ait été un agitateur politique. 2. Iscariote. – Vient Iscariote, qui est le second nom destiné à individualiser un personnage au premier nom courant. Quatre explications ont été proposées. (α) La première explication voit dans ce surnom d’Iscariote une préfiguration de l’acte de Judas. On invoque à ce propos plusieurs mots araméens ou hébreux. Le premier est scheqar, qui signifie « tromper » en araméen : Judas serait ainsi le menteur, le trompeur, le traître4. On peut aussi, d’une autre manière, faire référence à l’hébreu sagar/sakar, « livrer » 5, parfois traduit dans la LXX par le verbe παραδίδωμι utilisé dans la suite de la phrase : dire « celui qui allait le livrer » constituerait donc un pléonasme, car cette information serait déjà contenue dans le nom d’Isca-

2. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 112-125. 3. D. DERRETT, « The Iscariot, Mesira and the Redemption », Journal for the Study of the New Testament 8, 1980, p. 2-23. 4. C. C. TORREY, « The Name “Iscarioth” », Harvard Theological Review 36, 1943, p. 51-62. 5. C’est finalement l’explication retenue par J.-A. MORIN, « Les deux derniers des Douze », Revue biblique 80, 1973, p. 332-358.

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riote. D’autres, enfin, ont cru reconnaître saqrai, « roux » (la couleur du démon) 6 ou saqor, « teinturier » 7. (β) La seconde explication que l’on a donnée à ce nom d’Iscariote provient d’une lecture politique. Iscariote viendrait du latin sicarius, sicaire 8. Une variante du codex D05 (Codex de Bèze, v. 400) vient en aide à cette lecture : elle porte Σκαριώθ (« Scarioth ») dans sa version du texte de Matthieu, en laissant de côté l’iota. L’identification d’Iscariote avec les sicaires rencontre cependant une double opposition. La première est linguistique : on ne voit pas bien comment on passerait de sica à isca (une métathèse). En araméen et en grec, amorcer un mot en sik ne pose aucun problème (contrairement, par exemple à l’espagnol qui a parfois des difficultés à prononcer spe ou ste et rajoute un e comme dans especial ou estatua) 9 : le grec connaît le mot σικάριος que l’on trouve chez Flavius Josèphe et l’hébreu siqera’. La seconde est historique : le texte de Flavius Josèphe date clairement l’apparition des sicaires du principat de Néron soit plus d’une vingtaine d’années après les événements relatés par les évangiles. Auparavant, aucun texte ne parle de l’existence de ces terrifiants manieurs de couteaux 10. En outre, exciper d’une variante ne permet pas de conclure définitivement : le Codex Freer ne porte-t-il pas Ἰσκαρώτης sans l’ι, pour Mc 3, 19, pour le même passage le lectionnaire 150 ne porte-t-il pas Ἰσκαιώθ sans le ρ, et le Codex Bezæ ne transcrit-il pas Inscarioth en Lc 6, 16 ? (γ) Dans un article récent, Joan Taylor 11 propose de revaloriser une solution héritée d’Origène dans son Commentaire sur Matthieu. L’Alexandrin dit en effet : J’ai entendu quelqu’un expliquer que la patrie du traître Judas était nommée « étranglement » selon une interprétation hébraïque. Si cela est vrai, on trouve une grande convenance entre le nom de sa patrie et sa fin

6. H. INGHOLT, « The Surname of Judas Iscariot », Studia Orientalia Ioanni Pedersen dicata, København, Munsksgaard, 1953, p. 159-160. 7. A. EHRMAN, « Judas Iscariot and Abba Saqqara », Journal of Biblical Literature 97, 1978, p. 572-573. Hypothèse phonétiquement confirmée par Yoël ARBEITMAN, « The Suffix of Iscariot », Journal of Biblical Literature 99, 1980, p. 122-124. 8. L’hypothèse semble avoir été lancée par J. WELLHAUSEN, Das Evangelium Marci, Berlin, Reihmer, 1909, p. 24-26. Elle est reprise par J. SCHULTHESS, « Zur Sprache der Evangelien », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 21, 1922, p. 255 et O. CULLMANN, « Le douzième apôtre », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses 42, 1962, p. 133-140. 9. J.-A. MORIN, « Les deux derniers des Douze »…, p. 352. 10. Sur ces questions, voir C. MÉZANGE, Les Sicaires et les Zélotes au tournant de notre ère (Orients sémitiques), Paris, Geuthner, 2004. 11. J. E. TAYLOR, « The Name “Iskarioth” (Iscariot) », Journal of Biblical Literature 129, 2010, p. 367-383.

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tragique, puisque, en se pendant lui-même, étranglé, il accomplit la prophétie sur le nom de sa patrie 12.

Dans ce texte, que manifestement Joan Taylor a lu vite puisqu’elle attribue ce commentaire à une interprétation palestinienne en faisant un contresens sur le mot patria 13, Origène explique que le nom d’origine de Judas vient d’un lieu signifiant « étranglement ». Le terme hébraïque qui se tient derrière le nom serait donc iscara, comme le suggérait déjà au XVIIe siècle John Lighfoot 14. J. Taylor fait alors l’hypothèse qu’il s’agirait d’un nom donné à Judas comme celui de Boanergès ou de Képha. Ce n’est que par la suite qu’on aurait « inventé » deux morts pour l’expliquer : celle de la pendaison et celle de l’« explosion » dans le champ. Pourtant, là encore, la tradition résiste à l’explication. En effet, tout l’argument repose sur Origène, qui montre explicitement qu’il n’adhère pas entièrement à l’explication : audiui, dit-il et quod si ita est, pourFigure 2 : localisations possibles du lieu suit-il, montrant par là qu’il trouve la de naissance de Judas solution un peu trop belle. En outre, l’auteur des Hexaples rattache clairement ce surnom d’Iscariote à un nom d’origine (le nomen patriæ) et non à un surnom donné au sein de la communauté. 12. ORIGÈNE, Commentaire sur Matthieu 35, PG 13, 1727. Audiui quemdam exponentem patriam proditoris Iudæ secundum interpretationem Hebraicam exsuffocatum uocari. Quod si ita est, magna conunentia inuenitur nominis patriæ eius cum exitu mortis ipsius, quoniam et ipse laqueo se suspendens prophetiam nominis patriæ suæ suffocatus impleuit. 13. Elle traduit « I have heard a certain native [Palestinian] proposal following a Hebrew interpretation – the betrayer Judas (is) to be named “suffocated” » en prenant patria pour l’adjectif antéposé (très loin…) à interpretatio. Cette confusion qui fait de sa phrase une anacoluthe est impossible si on lit la phrase suivante. 14. L.-C. FILLION, Évangile selon S. Matthieu (La Sainte Bible avec commentaires), Paris, Lethielleux, 1890, p. 195. L’explication provient de J. LIGHTFOOT (1602-1675), In Evangelium Sancti Mattæi Horæ Hebraicæ et Talmudicæ, Cantabrigiæ (Cambridge), Johannes Field, 1658, p. 313.

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(δ) L’explication géographique est la plus ancienne et elle est déjà donnée par les Pères et jusqu’au XIIIe siècle par Salomon de Bassorah dans le Livre de l’Abeille 15 qui affirme que Judas était originaire de « Sękharyūţ ». Le nom viendrait de la ville de Qeriyyot ou Carioth, présente dans l’Ancien Testament. On lit deux mots dans « Iscariote » : ‘iš qui signifie « l’homme » et qerijjot « de Carioth », Judas serait donc originaire de Carioth. Cette formation de nom semble avoir été courante puisque Flavius Josèphe 16 voulant parler d’un individu issu de la bourgade de Tob le nomme Istob 17. En outre, cette explication va dans le sens des autres manières de désigner Judas : si Marc écrit Ἰσκαριώθ (« Iscariote »), Matthieu en fait un adjectif, Ἰσκαριώθης, « l’Iscariote ». Certaines variantes des manuscrits vont plus loin, en particulier le codex Sinaïticus (‫א‬01, IVe siècle) qui porte ἀπὸ Καριώτου pour Jn 6, 71, « venu de Karioth ». On distingue deux Carioth. La première se trouve dans l’une des listes du livre de Josué expliquant le partage de la terre sainte entre les tribus. Carioth serait échu à Juda et ferait donc partie de la Judée. Le texte hébreu explique ( Jos 15, 25) qu’elle s’appelle Qeriyyot-Hèçrôn et qu’elle n’est autre que Hazor ou une partie d’Hazor. D’autres pensent à Askar près de Sichem 18. La seconde est une ville fortifiée du plateau de Moab (à l’est de la mer Morte, dans l’actuelle Jordanie) qu’Amos et Jérémie incluent dans leurs salves de malédictions (Am 2, 2 ; Jr 48, 41). Encore plus que la Carioth de Judée, l’identification de cette ville demeure difficile. Si l’on opte pour la première ville, Judas serait le seul apôtre qui ne viendrait pas de Galilée, mais de Judée 19. Le Père Lagrange s’émeut de ce fait : « il était de Qarioth, au sud de la Judée, d’un tempérament plus froid que les Galiléens enthousiastes, mais, assure-t-on, plus intelligent, plus cultivé, digne de la confiance que lui témoigna Jésus en l’envoyant prêcher le règne de Dieu 20. » On ne sait si Judas, manquant d’enthousiasme, avait l’intelligence judéenne, mais, pour l’évangile de Marc, provenir de Judée n’était guère enthousiasmant. Comme l’avait montré Ernst Lohmeyer dès les années 1930 21, l’évangéliste construit en effet une opposition très nette entre la Galilée, la terre de Jésus, celle qui reçoit sa prédication, et la Judée 15. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 106-107. 16. FLAVIUS JOSÈPHE, Antiquités juives VII, 6, 1. 17. Ἵστοβος. L’exemple est rapporté par L.-C. FILLION, Évangile selon S. Matthieu (La Sainte Bible avec commentaires), Paris, Lethielleux, 1890, p. 195. 18. G. DALMAN, Sacred Sites and Ways, London, SPCK, 1935, p. 213. 19. C. LATTEY, « The Apostolic Groups », Journal of Theological Studies 10, 1909, p. 107-115. 20. M.-J. LAGRANGE, L’Évangile de Jésus Christ (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1948, p. 493. 21. E. LOHMEYER, Galiläa und Jerusalem, Göttingen (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament 52), Vandenhoeck & Ruprecht, 1936.

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(et surtout Jérusalem), la terre qui tue les prophètes et qui manifeste avec constance et opiniâtreté son opposition. Provenir de Judée, c’était déjà l’amorce d’une traîtrise. 3. « Celui qui allait le livrer ». – Enfin, le texte désigne Judas comme « celui qui allait le livrer ». Faut-il immédiatement traduire cette phrase en termes plus clairs et comprendre « celui qui allait le trahir » ? Le texte emploie le verbe παραδίδωμι qui n’a pas ce sens premier en grec. William Klassen, qui a longuement analysé ce terme (à la suite de l’exégèse libérale allemande du XIXe siècle 22), en conclut que ce composé du verbe δίδωμι (qui signifie « donner ») signifie d’abord « livrer, transmettre »23. Dans le grec classique, en effet, παραδίδωμι décrit les actes de remettre en main propre, remettre par succession, livrer une ville à l’ennemi, remettre ses armes, se rendre, livrer quelqu’un au tribunal, livrer quelqu’un au bourreau, se livrer à la débauche, se confier à la fortune… Le substantif dérivé, παραδόσις signifie quant à lui « livraison », « transmission » voire carrément « tradition » (et Marc l’emploiera clairement dans ce sens au cours du chapitre 7 portant sur les traditions pharisiennes). De même, dans la Septante, la traduction grecque de la Bible, παραδίδωμι n’a jamais de connotation négative. Quant à Flavius Josèphe, il n’emploie jamais παραδίδωμι pour évoquer la trahison puisqu’il dispose d’un autre verbe, προδίδωμι, « trahir » et de deux substantifs dérivés προδοσία, « trahison », et προδότης, « traître ». Le Nouveau Testament, en dehors de quelques mentions relatives au langage judiciaire (livrer au tribunal Mt 5, 25, livrer aux tortionnaires Ac 8, 3), l’emploie aussi pour décrire la mission de Jésus. Jésus se l’applique à lui-même : « le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes » (Mc 9, 31). Paul l’utilise dans ses « formules de livraison » pour évoquer le rôle du Christ dans le salut : Jésus s’est livré pour nous (Ga 2, 20), Dieu l’a livré (Rm 8, 32), il a été livré (Rm 4, 25) 24. La « livraison » s’énonce donc comme un processus à deux faces : une face purement humaine, dont Judas est l’instrument et une face divine – un plan divin – dont Jésus est le héros. Du point de vue humain, Judas se borne à « livrer » Jésus aux grands prêtres, comme on remet un prisonnier au tribunal. Du point de vue de Dieu, la mission de Jésus doit être comprise comme un « abandon » au monde.

22. Pour un résumé, voir G. SCHLÄGER, « Die Ungeschichtlichkeit des Verräters Judas », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 15, 1914, p. 50-59. 23. W. KLASSEN, Judas. Betrayer or Friend Jesus ?, Minneapolis, Fortress, 1996, p. 47-57. 24. Pour l’ensemble des occurrences, voir F. BÜCHSEL, « δίδωμι », in G. KITTEL (éd.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, t. 2 (Δ–Η), Stuttgart, Kohlhammer, 1935.

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Remarquons que le texte ne dit pas « celui qui le livrera », comme il le faudrait s’il avait l’intention de nous prévenir de ce qui va arriver, mais « celui qui le livra ». Il y a là un fait accompli, irrémédiable, comme s’il était impossible de désormais raconter l’histoire de Jésus sans faire référence à celui qui le livrait, comme s’il était impossible de refaire l’histoire des Douze sans mentionner ce signe irrévocable de fragilité et d’incomplétude 25.

2. L’Onction à Béthanie : y a-t-il des motifs à l’acte de Judas ? Après cette introduction en fanfare, on aurait pu s’attendre à ce que Judas dévoile une sorte de nature perverse : il n’en est rien. Judas se fond dans la foule des disciples et des apôtres. Marc semble faire un lien très net entre le récit de l’onction à Béthanie et la trahison de Judas. Tout commence par une irritation de l’équipe sacerdotale. Mc 14, 1-2. – La Pâque et les Azymes allaient avoir lieu dans deux jours, et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer. Car ils se disaient : « Pas en pleine fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple. »

Cette information n’est pas véritablement une surprise pour les lecteurs, car Jésus l’a annoncée à deux reprises : en Mc 8, 31, il dit « Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter. » En Mc 10, 33, il réitère son annonce : « Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes ; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens ». À la première livraison, celle de Judas, correspond une seconde livraison, celle des autorités juives qui livrent Jésus aux Romains. Cette annonce prend véritablement corps avec l’épisode des vendeurs chassés du Temple. Cette entorse aux codes religieux déchaîne la fureur des autorités : « Cela vint aux oreilles des grands prêtres et des scribes et ils cherchaient comment le faire périr ; car ils le craignaient, parce que tout le peuple était ravi de son enseignement. » (Mc 11, 18). Ils poursuivent : « Pas en pleine fête, de peur qu’il n’y ait du tumulte parmi le peuple. » On comprend leur inquiétude : Jésus est populaire et la révolte peut gronder. Cependant, pourquoi refuser de l’appréhender pendant la fête, alors que c’est précisément ce qui va se passer ? La précision montre que les autorités n’ont pas de plan arrêté 26 et que l’action de 25. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc (Lectio Divina 219), vol. 1, Paris, Cerf, 2007, p. 232. 26. Cette lecture, qui n’est pas majoritaire, a pour elle de bons commentateurs comme Schenke et Gnilka : L. SCHENKE, Studien zur Passiongeschichte des Markus (Forschung zur Bibel 4), Würzburg, Echter Verlag, 1971, p. 65-65 et J. GNILKA,

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Judas vient à pic pour leur permettre de réaliser leur résolution. Marc passe ensuite sans transition au récit de l’onction à Béthanie (Mc 14, 3-9). Alors que la femme fait un geste de respect, quasi-messianique (onction sur la tête réservée au Messie, qui en hébreu signifie « oint » comme le grec Χριστός d’ailleurs, même si cette onction se fait avec de l’huile et non du parfum), Jésus l’interprète comme un geste prophétique : elle l’oint comme on oignait rituellement les morts. Vivant, il annonce sa mort prochaine. Mais en même temps, il annonce sa vie ressuscitée : elle réalise cet embaumement ante mortem, car il n’y aura pas lieu de le faire post mortem, puisque Jésus ne demeurera pas longtemps cadavre27. En outre, elle a marqué un grand respect pour sa personne, dans une époque où les odeurs marquent un statut social et où l’on pouvait classer les gens à leur odeur 28. Ce qui retient notre attention, ce sont les versets 4 et 5 : « Or, il y en eut qui s’indignèrent entre eux : « À quoi bon ce gaspillage de parfum ? Ce parfum pouvait être vendu plus de trois cents deniers et donné aux pauvres ». » Au lieu de voir le geste prophétique, plusieurs assistants (pas forcément des disciples) ne pensent qu’au gâchis financier. Ils sont un petit groupe qui murmure et qui parle de gaspillage. Le prix du parfum cause leur agacement : 300 deniers. Par la mention de l’argent, le parfum change de nature. De parfum de fête, il devient parfum de murmure, et finalement, parfum de mort 29. La réclamation est irréelle : le parfum s’est déjà envolé, seule s’attarde la duplicité de ceux qui murmurent, qui parlent des pauvres et pensent à l’argent. Par la collocation de deux textes sans aucune transition, on a l’impression que l’épisode précédent provoque la démarche de Judas. La capiteuse fragrance d’un parfum répandu a donné à Judas l’idée de la trahison. De l’argent pour un parfum, de l’argent pour un corps 30. Rien n’indique le motif de cette démarche puisqu’il ne fait même pas explicitement partie des murmureurs. Mais il agit immédiatement :

Das Evangelium nach Markus (Evangelisch-Katolischer Kommentar zum Neuen Testament 2.2), t. 2, Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchnerverlag, 1979, p. 220. 27. C. SABBE, « The Anointing of Jesus in John 12, 1-8 and its Synoptic Parallels », in F. VAN SEGBROECK et al. (éds.), Four Gospels Festschrift Franz Neirynck, Leuven, Peeters, 1992, p. 2051-2082. 28. D. S. PORTER, « Odor and Power in the Roman Empire », in J. I. PORTER (éd.), Constructions of the Classical Body, Ann Arbor (MI), University of Michigan Press, 2002, p. 169-189. 29. L. MARIN, Sémiotique de la Passion (Bibliothèque de Sciences religieuses), Paris, Paris, Aubier Montaigne/Cerf/Delachaux & Niestlé/Desclée de Brouwer, 1971, p. 147. 30. J. DELORME, Parole et récit évangélique (Lectio Divina 209), études rassemblées par Jean-Yves THÉRIAULT, Paris, Cerf, 2006, p. 288.

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Marc 14, 10-11. – Judas Iscariote, l’un des Douze, s’en alla auprès des grands prêtres pour le leur livrer. À cette nouvelle ils se réjouirent et ils promirent de lui donner de l’argent. Et il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

Avec sa sécheresse coutumière, Marc se borne à décrire les faits : Judas se rend chez les grands prêtres et leur propose de leur livrer Jésus. Il en ressort avec la promesse d’une bonne récompense (qu’il ne semble pas avoir exigée) et une question qui le taraude : quel est le bon moment pour livrer Jésus ? À part cette obsédante répétition du verbe παραδίδωμι, rien n’indique que Judas savait que les grands prêtres attendaient un concours31 ni ce que va faire celui qui les quitte. Par cette absence Marc renforce l’impression qu’il participe à une œuvre qui le dépasse largement. Comme le disait Martin Dibelius, « il n’est pas ici question de développement psychologique ou de tragique erreur, mais uniquement de la volonté de Dieu et du péché de l’homme 32. »

3. L’annonce de la livraison : que sait Jésus de la trahison de Judas ? Judas n’eut pas à chercher bien longtemps ce moment favorable, et il n’eut même pas à en décider : Jésus opère ce choix pour lui. Au cours du Dernier Repas, dont on ne sait toujours pas s’il était historiquement un repas pascal 33, avant même les gestes qu’il va accomplir sur le pain et sur vin, Jésus annonce que l’un des disciples va le livrer. Mc 14, 18-19. – Tandis qu’ils étaient à table et qu’ils mangeaient, Jésus dit : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera, un qui mange avec moi. » Ils devinrent tout tristes et se mirent à lui dire l’un après l’autre : « Serait-ce moi ? »

Le repas tourne court : Jésus fait une annonce qui plonge les autres dans la tristesse. Avec une agaçante régularité, le terme παραδίδωμι revient sans qu’il soit possible d’en savoir davantage sur la nature de cette livraison. Mais, manifestement, les disciples y reconnaissent un écho aux prédictions de leur maître et sont plongés dans la tristesse. Leur inquiétude redouble par le fait de ne pas savoir qui sera l’auteur de cette livraison. Fait typique de l’ironie propre à Marc, leur propre sort

31. R. E. BROWN, La Mort du Messie, 1994, trad. J. Mignon, Paris, Bayard, 2005, p. 288. 32. M. DIBELIUS, « Judas und der Judaskuß », in G. BORNKAMM (éd.), Botschaft und Geschichte. Gesammelte Aufsätze von Martin Dibelius, Tübingen, Mohr Siebeck, 1953, p. 272-277 (274). Voir également J. GNILKA, Das Evangelium nach Markus (Evangelisch-Katolischer Kommentar zum Neuen Testament 2.2), t. 2, Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchnerverlag, 1979, p. 229. 33. É. NODET, « On Jesus’ Last Supper », Biblica 91, 2010, p. 348-369.

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semble bien plus les inquiéter que celui de Jésus 34. « Serait-ce moi ? » : la forme grecque de l’interrogatif – μήτι ἐγώ – implique que la réponse est négative. Personne, y compris Judas on peut le supposer, ne croit être le traître. Non seulement, aucun nom ne s’impose, nul « méchant » connu de tous, nul bouc émissaire tout désigné. Mais plus profondément, chaque disciple se refuse à envisager la trahison, alors que tous, jusqu’à Pierre, abandonneront Jésus au moment fatidique. Jésus précise son annonce : il ne s’agit pas d’un quelconque disciple, mais bien de l’un des Douze (rien n’indique en effet que l’on fût treize à table, car on parlait auparavant des disciples en général). Mc 14, 20-21. – Il leur dit : « C’est l’un des Douze, qui plonge avec moi la main dans le même plat. Oui, le Fils de l’homme s’en va selon qu’il est écrit de lui ; mais malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré ! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ! »

Chez Marc, Jésus ne désigne pas son livreur en le désignant comme celui qui plonge sa main dans le plat au moment où il parle 35 : le texte emploie un participe présent à valeur de substantif, ὁ ἐμβαπτόμενος, le « plongeant », ce qui n’exclut aucun des Douze puisque tous sont dans la situation de plonger leur main dans le même plat. Comme le dit joliment Claire Clivaz, « Jésus, qui sait tout, laisse douze noms possibles pour une seule main 36 ». Plus qu’une désignation d’un coupable, il s’agit d’une lamentation. Jésus déplore qu’un de ses amis, un commensal, le livre, et fait ainsi écho au psaume 41 (v. 10) : « Même le confident sur qui je faisais fond et qui mangeait mon pain, se glorifie à mes dépens. » Comme l’écrivait Jean Delorme, « Il y a là un pacte implicite de confiance et de fidélité que trahit (ici le mot tombe juste) celui qui simule le vouloir-vivre avec Jésus et s’apprête à collaborer à l’élimination de son corps 37. » Cela fait écho à ce qu’expliquait le jésuite Juan Maldonat (1533-1583) dès le XVIe siècle : Jésus n’a pas besoin de désigner le traître, il suffit qu’il dise qu’il sait qu’il y a un traître pour que celui-ci se reconnaisse 38. Pour le lecteur, la remarque constitue d’ailleurs une mise en garde : dans la lignée de l’apôtre Paul menaçant les Corinthiens qui se livrent à 34. B. WITHERINGTON III, The Gospel of Mark, A Socio-Rhetorical Commentary, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 2001, p. 373. 35. M. DIBELIUS, « Judas und der Judaskuß »..., p. 272-277. 36. C. CLIVAZ, « Douze noms pour une main : nouveaux regards sur Judas à partir de Lc 22, 21-2 », New Testament Studies 48, 2002, p. 400-416. Claire Clivaz parle de Luc, mais la remarque est vraie pour Marc. 37. J. DELORME, Parole et récit évangélique…, p. 305. 38. J. MALDONADO (Maldonat), R. P. Ioannis Maldonati Societatis Jesu Theologi Commentarii in Quatuor Evangelistas, Lutetiæ Parisorum (Paris), Dionysius Langlæus, 1617, p. 292.

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des désordres puis se présentent à l’Eucharistie, « celui qui mange et boit, mange et boit sa propre condamnation » (1Co 11, 29). La participation au repas eucharistique ne supporte pas que l’on s’apprête à s’éloigner de Dieu 39. S’ensuit une déclaration assez surprenante dans la bouche de Jésus puisqu’elle emploie la formule classique de déploration οὐαί [ouaí]. Si on la traduit souvent par « malheur à », elle exprime plutôt une tristesse pleine de sympathie qu’une véritable malédiction 40, et plus précisément l’annonce solennelle d’un jugement de Dieu. Elle reprend la prophétie ancienne où elle marque une sorte de continuum entre le deuil et l’accusation, mais rarement la malédiction 41. Cette ancienne forme de style prophétique exprime la mise en garde et la menace, mais ne promet pas le traître à la damnation éternelle 42. C’est d’ailleurs plus une information sur Jésus qu’une condamnation de Judas que la formule en ouaí nous apporte. En effet, en reprenant ce cri prophétique, Jésus assume la figure du prophète, témoin impuissant de l’injustice des hommes – on retrouve ces formules majoritairement dans Ézéchiel, Jérémie et Isaïe 43 – mais également celle du juste persécuté cher à l’Ancien Testament : comme Job, il est celui qui souffre de l’injustice sans raison 44, comme le juste du psautier de Qumrân, il se laisse surprendre par ses amis : Ceux qui mangeaient mon pain, contre moi ont levé. Et ils ont dit du mal de moi, avec une langue perverse, tous ceux qui s’étaient associés à mon assemblée. Et les hommes de mon conseil étaient en révolte et murmuraient alentour. (1QH 5, 23-25 cité par H.-J. Klauck 45) 39. M. PLATH, « Warum hat die urchristliche Gemeinde auf die Überlieferung der Judaserzählungen Wert gelegt ? », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 17, 1916, p. 178-188 (voir surtout 181 et 182). Plath est une bonne représentante de l’exégèse libérale allemande : elle en tire la conclusion que Judas a le rôle d’une parabole et remet en doute son existence historique. 40. N. HILLYER, « Woe », New International Dictionary of the New Testament Text, Grand Rapids (MI), Zondervan, 1971, p. 1051-1054. Voir la discussion dans W. KLASSEN, Judas. Betrayer or Friend Jesus ?, Minneapolis (MI), Fortress, 1996, p. 80-84. 41. W. JANZEN, Mourning Cry and Woe Oracle (Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft 125), Berlin, De Gruyter, 1972, p. 39. 42. R. SCHNACKENBURG, Das Evangelium nach Markus (Geistliche Schriftlesung 2), t. 2, Düsseldorf, 1970, p. 240. 43. Is 1,4.24 ; 3,9.11 ; 5, 8.11.18.20.21-22 ; 10, 1.5 ; 17, 12 ; 18, 1 ; 24, 16 ; 28, 1 ; 29, 1.15 ; 30,1, ; 31, 1 ; 33, 1 ; Jr 4, 13 ; 6,4 ; 10, 19 ; 13, 27 ; 22, 18 ; 46, 19 ; 48, 1 ; 50, 27 ; 51, 2 ; Éz 2, 10 ; 7, 26 ; 13, 3.18. 44. R. PESCH, Das Markusevangelium (Herders Theologischer Kommentar zum Neuen Testament 2), t. 2, Freiburg in Brisgau, Herder, 1980, ad loc. Voir également H.-J. KLAUCK, Judas un disciple de Jésus. Exégèse et répercussions historiques (Lectio Divina 212), Paris, Cerf, 2006, p. 58 qui parle de la passio justi. 45. H.-J. KLAUCK, Judas…, p. 58-59.

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Elle se poursuit par une phrase à la brutalité terrible : « mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître ! » Dire qu’il s’agit simplement d’une anticipation à but apologétique qui prouve que Jésus ne s’est pas laissé appréhender par surprise ne suffit pas 46. Comment le fils du Dieu qui aime la vie et qui ne cesse de proclamer qu’il est celui des vivants et non des morts peut-il ainsi préférer qu’un homme ne soit pas né ? On ne peut le comprendre que dans la perspective de ce que l’on vient de dire sur la formule en ouaí : comme Job clamant son désespoir en affirmant « Périsse le jour qui me vit naître et la nuit qui a dit « Un garçon a été conçu ». » ( Job 3, 3), comme, plus tard, Rabbi Yohanan († 279) « qui connaît la Torah et ne l’accomplit pas, il aurait été mieux qu’il ne vînt pas au monde et que son placenta se soit enroulé autour de son visage 47 », Jésus n’adresse pas une condamnation à Judas mais exprime sa douloureuse consternation face à l’injustice qu’il s’apprête à commettre et montre que la faute ne peut pas être mesurée sur les seuls standards moraux48. C’est en vérité une plainte sur la situation présente de cet homme qui déplore non le sort qui l’attend, mais le jour de sa naissance : en se nourrissant tout en collaborant à la mort du Fils de l’homme, il renie ce qui le fait homme, tandis que le Fils de l’homme accomplit sa condition humaine en obéissant à la Parole 49.

4. La livraison à Gethsémani : que fait Judas ? Après la Cène, Jésus emmène ses disciples de l’autre côté du ruisseau qui borde Jérusalem, le Cédron. On ne sait à quel moment Judas les quitte, ni s’il s’est éclipsé en cours de repas, même si tout semble indiquer qu’il a bien participé à l’institution de l’Eucharistie 50. Jésus enjoint à ses compagnons de ne pas dormir. Ceux-ci s’empressent de sombrer dans un profond sommeil pendant que Jésus connaît une période de souffrance communément nommée « agonie » : il sent venir la proximité du temps de la livraison et s’en émeut. Réitérant cette obsédante litanie de la livraison, Jésus réveille ses disciples en leur annonçant la venue de son livreur (Mc 14, 41-43). Dans tout cet épisode, Jésus montre qu’il reste maître de la situation puisqu’il ne se laisse pas surprendre et connaît à l’avance ce qui va se passer. Par 46. A. E. J. RAWLINSON, Saint Mark (Westminster Commentary), London, Methuen, 41936, p. 202. 47. Midrasch Rabba de l’Exode 40 (96d) in H. STRACK et P. BILLERBECK, Das Evangelium nach Matthäus erläutert aus Talmud und Midrash (Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrash 1), München, Beck, 1922, p. 990. 48. E. SCHWEIZER, The Good New According to Mark, London, John Knox, 1970, p. 293. 49. J. DELORME, Parole et récit…, p. 307. 50. R. T. FRANCE, The Gospel of Mark (New International Greek Text Commentary), Grand Rapids/Cambridge/Carlisle, Eerdmans/Paternoster, 2002, p. 567.

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sa formule, l’évangéliste montre la gravité du moment : il s’agit bien de l’Heure, du moment eschatologique voulu par Dieu pour accomplir son dessein. Et le caractère décisif du moment est renforcé par un verbe à l’impersonnel, ἀπέχει, « c’en est fait » qui représente une sorte de crux pour les commentateurs. En effet, le verbe ἀπέχω composé du préfixe ἀπο- (loin de) et du verbe ἔχω (avoir) possède deux sens : 1° se tenir éloigné ; 2° s’acquitter, avoir éloigné sa dette. Faut-il comprendre « il est éloigné » et ainsi admettre que Dieu s’est absenté pour permettre à Jésus son abaissement ultime, la mort sur la croix 51 ? Faut-il comprendre « il s’est acquitté de sa dette », ce qui s’appliquerait à Judas : le livreur a reçu le prix de sa livraison, le temps est proche 52 ? Faut-il au contraire y lire une corruption du verbe ἀποχῶ, « remplir », ce qui signifierait « la coupe est pleine » 53 ? Faut-il simplement revenir au sens premier d’ἀπέχω et supposer une sorte de locution familière « loin de moi tout ça », une sorte de « basta ! » ainsi que le propose la lecture du codex de Bèze – ἀπέχει τὸ τέλος καὶ ἡ ὥρα, « l’objectif et le moment sont atteints » – ou bien la Vulgate de saint Jérôme (sufficit, « il suffit ») ? Il y a en vérité tous ces sens dans ce petit mot qui marque l’accomplissement du dessein de Dieu 54. Ce dessein, pour la seule et unique fois, Marc l’exprime comme le fait d’être livré aux mains des pécheurs. En effet, une troupe (ὅχλος) s’avance. S’agit-il de la garde du Temple ? Il n’est pas raisonnable d’en faire l’hypothèse, surtout que le texte mentionne un armement plutôt hétéroclite, des grands couteaux (μάχαιρα) et des objets en bois comme des gourdins (ξύλον) ce qui donne l’impression d’armes ramassées en chemin 55. Comme le disait joliment le Père Lagrange dans les années 1930, c’est une « tourbe de gens ramassés pour faire un coup de main » et de poursuivre en bon connaisseur de la région : « Ces gens sans aveu sont armés de coutelas (μάχαιραι) et de bâtons, ces derniers probablement en forme de massue. Ce sont des armes d’occasion qui conviennent bien à cette troupe irrégulière ; les pasteurs que l’on rencontre aujourd’hui aux environs de Jérusalem ont ordinairement le coutelas à la 51. A. SUHL, « Die Funktion des Schwertsreichs bei der Gefangennahme Jesu : Beobachtung zur Komposition und Theologie der synoptischen Evangelien », The Four Gospels, Festschrift Franz Neyrinck, Louvain, Louvain University Press, 1992, p. 295-323 (298). 52. G. H. BOOBYER, « Ἀπέχει in Marc XIV.41 », New Testament Studies 2, 1955, p. 44-48. J. DE ZWAAN, « The Text and Exegesis of Mark xiv : 14 and the Papyri », Expositor 12, 1905, p. 470. 53. K. MÜLLER, « Ἀπέχει (Mk 14, 41) – absurda lectio ? », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 77, 1986, p. 83-100. 54. C’est la conclusion à laquelle arrive Raymond Brown après un examen complet de toutes les solutions proposées. Raymond E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 1517-1522. 55. La Mort du Messie…, p. 294.

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ceinture et la massue à la main 56. » Dans l’Antiquité, toute la communauté porte la responsabilité du maintien de l’ordre : l’intervention d’une telle « troupe irrégulière » n’avait rien de surprenant. Elle marque simplement que Jésus passe pour un agitateur public 57. La bande armée s’est munie d’épées et de bâtons, indiquant par là, l’importance qu’avait prise Jésus aux yeux des grands prêtres : un homme dangereux, que l’on arrête avec de grandes précautions. Judas conduit la troupe, ce qui laisse supposer que le fameux acte de livraison se résume à l’indication du lieu où se trouve Jésus. Rien de bien étonnant à cela, si l’on se replace dans le contexte de l’époque et de si l’on reprend les éléments de Marc 58. Les autorités entendent arrêter Jésus dans la discrétion, alors que la fête bat son plein. Mieux vaut l’arrêter nuitamment, mais où a-t-il décidé de passer la nuit ? Lui-même et ses disciples étant originaires de Galilée, ils ne disposaient vraisemblablement pas d’un hébergement en ville, et devaient dormir à la belle étoile quelque part dans les environs de Jérusalem. Judas guidera donc la petite troupe au milieu des pèlerins endormis : il connaît son maître, il connaît le point de rendezvous. Très exactement, il le livre, c’est-à-dire le remet aux autorités. Mc 14, 44-45. – Or, le traître leur avait donné ce signe convenu : « Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui ; arrêtez-le et emmenez-le en sûreté. » Et aussitôt arrivé, il s’approcha de lui en disant : « Rabbi », et il lui donna un baiser. Les autres mirent la main sur lui et l’arrêtèrent.

Que n’a-t-on pas écrit sur ce signe ultime de trahison que représente le baiser ! On est allé jusqu’à dire que ce geste était une manière de saisir Jésus pour qu’il ne s’échappe pas 59. Pourtant, à bien y regarder, cette notation apparaît particulièrement obscure : pourquoi Judas a-t-il besoin d’indiquer ce signe de reconnaissance, alors que Jésus semble connu de tous et qu’il n’y a aucune difficulté à le reconnaître ? Pourquoi, de même, Judas demande-t-il que Jésus soit emmené ἀσφαλῶς, qui signifie à la fois « en lieu sûr » ou « en sûreté » ? Judas se préoccuperait-il du sort de son maître ? Encore une fois, il semble que cette notation doit plutôt nous orienter vers une lecture symbolique. L’acte de livraison se fait par un baiser, osten-

56. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1929, p. 393. 57. E. BICKERMANN, « Utilitas Crucis. Observations sur les récits du procès de Jésus dans les évangiles canoniques », Revue de l’histoire des religions 112, 1935, p. 169-241 (p. 172-174). 58. M. DIBELIUS, « Judas und der Judaskuß », p. 277. Le P. Lagrange pense de même : M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc…, p. 393. 59. P. B. EMMET, « St Mark xiv.45 », The Expository Times 19, 1938-1939, p. 93. 4

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siblement donné 60, une marque d’amitié, que vient doubler une marque de respect, le fameux « Rabbi », qui désigne habituellement Jésus (Mc 9, 5 ; 11, 21) et qui sera le titre habituel des maîtres rabbiniques avec l’école de Yavneh après la chute du Temple en 70 61. Rien n’indique qu’il s’agit du baiser sur la joue ou sur la bouche, auquel des millénaires de représentation nous ont habitués 62 : il peut tout aussi bien s’agir de la salutation habituelle qu’un disciple doit avoir pour son maître, sur la main ou parfois sur les genoux et que l’on doit obligatoirement accompagner d’un titre honorifique, comme « Rabbi ». Plus que d’un geste privé, il s’agit d’un geste public 63. Le lecteur de l’évangile y reconnaît sans difficulté une série d’autres baisers traîtreusement donnés. Le premier est celui qu’Ésaü donne à Jacob en Gn 33, 4 et que toute la tradition juive interprète comme une tentative de mordre Jacob au cou 64. Le second est celui que Joab donna à Amasa pour lui prendre le commandement des armées de David. Nouvelle mise en garde pour les lecteurs : on sait que les chrétiens se saluaient très tôt d’un baiser (Paul parle de « saint baiser » et l’auteur de la Première Épître de Pierre mentionne un baiser de charité 65). La lecture de l’évangile de Marc ne devait-elle pas les engager à un peu de réflexion avant d’accomplir ce geste rituel ? De la même façon, comme le note Hilaire de Poitiers, n’est-ce pas pour eux un enseignement à l’amour des ennemis ? Dans le baiser de Judas, il y a cette idée que nous apprenions à aimer tous nos ennemis, et ceux dont nous savons qu’ils exerceront leur violence contre nous. Son baiser en effet n’est pas repoussé par le Seigneur 66.

B. Les étapes du portrait à charge : Judas chez Matthieu, Luc et Jean L’évangile de Marc fournit une sorte de narration de base, sans ornements. Les autres évangiles brodent : quelques années après Marc, la vision que l’on a de Judas et de son acte a parfois radicalement changé et de nou60. Comme le prouve l’emploi de καταφιλέω plus fort que le φιλέω du verset précédent : É. TROCMÉ, Évangile selon saint Marc (Commentaire du Nouveau Testament 2.2), Genève, Labor et Fides, 2000, p. 350. 61. R. E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 302. 62. M. DIBELIUS, « Judas und der Judaskuß »..., p. 276. 63. W. KLASSEN, « The Sacred Kiss in the New Testament. An Example of Social Boundary Lines », New Testament Studies 39, 1993, p. 122-135. 64. H. STRACK et P. BILLERBECK, Das Evangelium nach Matthäus erläutert aus Talmud und Midrash (Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrash 1), München, Beck, 1922, p. 996. 65. Rm 16, 16 ; 1Co 16, 20 ; 2Co 13, 12 ; 1Th 5, 26 (ἐν ἁγίῳ φιλήματι). 1P 5, 14 (ἐν φιλήματι ἀγάπης). 66. HILAIRE DE POITIERS, In Matthæum 32, 1, trad. J. DOIGNON (SC 258), 1979, vol. 2, p. 241.

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veaux éléments sont introduits, qui joueront un rôle prépondérant dans la constitution de sa figure 67. Après ces développements sur Matthieu et Luc, l’évangile de Jean représentera un moment capital dans la construction du personnage : celui de l’édification d’une légende noire.

1. Le Judas avare de l’évangile de Matthieu L’évangile de Matthieu a pour habitude de ne pas accuser les Romains, et s’efforce de montrer qu’une vie en commun reste possible. En ce qui concerne Judas, il évite donc très soigneusement d’attribuer la faute de la livraison aux Juifs et aux Romains, mais a tendance à en faire une histoire d’individu, ce qui a pour conséquence d’accroître l’opprobre pour la cause du supplice de Jésus. En même temps, il se garde bien de porter la moindre condamnation sur Judas ni même de lui faire connaître la damnation éternelle : s’acharner sur un seul individu serait méconnaître que ce mystère de la livraison est prévu par le plan divin annoncé par les Écritures. Il adopte donc une position complexe, à la fois à charge et à décharge. 1. Trente deniers pour trahir Jésus. – Par rapport à l’évangile de Marc, Matthieu insiste beaucoup plus sur les ressorts de l’acte de Judas. Cela peut se lire dès l’acte de livraison, situé après l’onction à Béthanie : Mt 26, 14-16. – Alors l’un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres et leur dit : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? » Ceux-ci lui comptèrent trente pièces d’argent. Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer.

On reconnaît les phrases de Marc, mais deux détails très caractéristiques apparaissent. 1. Judas fait le premier pas d’une sorte de marchandage financier : « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai ? » Marc laissait dans une bienheureuse inconsistance les motifs réels de la livraison, mais ici, on parle crûment : il est question d’argent. Comme le remarquait saint Jérôme, Judas ne « réclame pas une certaine somme, ce qui montrerait que sa trahison lui a été au moins lucrative, mais comme s’il livrait un vil esclave, il laisse aux acheteurs la possibilité de dire combien ils veulent donner 68 ». Le verbe utilisé, ἵστημι, décrit bien le processus : non seulement on « propose » à Judas trente pièces d’argent, mais surtout, on les lui compte, une à une 69.

67. B. GÄRTNER, « Judas Iskariot », Horæ Sœderblomianæ 4, Uppsala/Lund, Gleerup, 1957, p. 37-68. 68. JÉRÔME DE STRIDON, Commentaire sur Saint Matthieu IV, éd. É. BONNARD (SC 259), vol. 2, 1979, p. 240, nous traduisons. 69. Le verbe a pu laisser planer des hésitations quant à son sens, mais il nous semble, avec Senior, que l’allusion à Zacharie commande cette dernière traduction.

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2. On fixe un prix. L’épisode oriente le lecteur vers une question angoissante : combien vaut Jésus 70 ? La réponse tombe : pas grand-chose ; trente ἀργύρια, trente pièces d’argent. Le sens est évidemment symbolique. Il faut lire dans ce montant une allusion à un passage du livre de Zacharie (Za 11, 12) où la somme revient avec la même insistance. Si la première partie du livre de Zacharie peut être rapportée à un prophète du même nom qui a passé son enfance en exil à Babylone et commence sa mission vers 520 av. J.-C. 71, la seconde partie – dont provient le texte – se révèle beaucoup plus difficilement datable et renvoie à une période se situant largement après l’Exil. Le texte forme une « parabole » décrivant l’action d’un prophète-berger qui reçoit mission de Dieu pour conduire le troupeau d’Israël, permettre un temps de paix, puis voir son autorité contestée. Celui-ci finit par rompre le contrat et se faire payer son dû. Ce paiement constitue un moment crucial : de combien va-t-on le récompenser pour ses bonnes actions ? Le prix d’un esclave, selon le livre de l’Exode (Ex 21, 32). Une somme dérisoire, qui le ravale au rang de petit propriétaire que l’on peut révoquer sans autre forme de procès 72. Dieu lui-même ironise sur ce « prix splendide ». Furieux, il le remplace par un mauvais berger. Il apparaît quasiment impossible de déterminer si ce texte fait allusion à des événements historiques, messianiques ou eschatologiques, en d’autres termes de savoir si le bon pasteur incarne un roi de l’histoire d’Israël, le Messie ou bien Yahvé lui-même 73. Matthieu, lui, opte avec détermination pour une interprétation messianique : trente pièces d’argent sont le salaire pour lequel on se débarrasse du berger de Zacharie, trente pièces d’argent représentent le montant de la livraison de Judas, le salaire par lequel on se débarrasse du Christ. Au messie de Zacharie correspond le messie de Matthieu : les Écritures anticipent bien l’acte de trahison, du début à la fin, en plein accord avec le dessein divin 74. À quoi correspondent ces trente ἀργύρια ? La tradition parle de trente deniers. Mais cette interprétation pose problème, puisque Matthieu emploie le pluriel d’ἀργύριον [argúrion], la pièce d’argent, et que toutes les D. P. SENIOR, The Passion Narrative according to Matthew (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 39), Louvain, Leuven University Press, 1975, p. 47. 70. C. S. KEENER, A Commentary on the Gospel of Matthew, Grand Rapids/Cambridge, Eerdmans, 1999, p. 607. 71. B. TIDIMAN, Le Livre de Zacharie (Commentaire évangélique de la Bible 18), Vaux-sur-Seine, Edifac, 1996. 72. Ibid., p. 247. 73. Ibid., p. 242 pour une revue des hypothèses. 74. P. FOSTER, « The Use of Zechariah in Matthew’s Gospel », in C. TUCKETT (éd.), The Book of Zechariah and its Influence, actes du colloque d’Oxford, janvier 2002, Ashgate, Aldershot, 2003, p. 65-86 (77).

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pièces à partir du denier sont en argent 75. On a souvent raisonné à propos du texte de Zacharie qui évoque le sicle (le shekel) dans le monnayage juif et qui équivaut à un didrachme ou à un statère dans le monnayage grec. Selon cette hypothèse trente statères valent 120 deniers 76. On connaît de nombreuses tentatives 77 qui ne tiennent pas toujours compte du fait que le denier était dévalué régulièrement et qu’il différait selon les localités 78. Tout le monde s’accorde cependant à penser que la somme est dérisoire, ce que confirment les découvertes archéologiques : dans une lettre d’Amarna (EA 292), trente shekels d’argent correspondent à la rançon des gens de basse classe 79. Connaître le prix exact de cet argent ne représente pas grand intérêt 80. Seuls comptent deux éléments fondamentaux : il s’agit du prix d’un homme réduit en esclavage, et de celui qui est versé au bon berger messianique. Jésus est implicitement identifié à Joseph, vendu comme esclave par ses frères pour de l’argent (Gn 37, 26-28) : comme Joseph, il est appelé à sauver son peuple lorsque viennent les difficultés. Ces 30 deniers ont eu une fortune extraordinaire tout au long des siècles. Pour Augustin, ils représentent la multiplication du chiffre 5 (chiffre du corps, les cinq sens) par le chiffre 6 (celui de l’époque où a pris part la livraison, le 6e âge du monde) : ils symbolisent bien la livraison du corps au moment donné 81. On inventa ensuite une longue chaîne de transmission que l’on trouve en particulier chez Geoffroy de Viterbe : ces mêmes pièces 75. U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Evangelisch-katolischer Kommentar zum Neuen Testament 1.4), vol. 4, Düsseldorf/Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/ Neukirchner, 2002, p. 70. 76. Marie-Joseph LAGRANGE, Évangile selon saint Matthieu (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1941, p. 494. L’origine semble en être Origène. Le manuscrit D (Codex de Bèze, Ve siècle) suit d’ailleurs cette interprétation puisqu’il remplace τριάκοντα ἀργύρια par τριάκοντα στατήρας, trente statères. 77. L’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 10 nov. 1890, col. 646. Denis le Chartreux disait que le denier valait 50 sols et les 30 en tout 75 livres, Estius soutenait que chaque denier était un écu d’or, Lucas voit dans ces deniers l’équivalent d’une mine d’argent attique soit 750 livres. Maldonat estimait que le denier valait un réal espagnol et que quatre drachmes contenaient vingt sous français ( Juan MALDONADO (MALDONAT), R. P. Ioannis Maldonati Societatis Jesu…, p. 288.) 78. P. COLELLA, « Trenta denarii », Rivista Biblica 21, 1973, p. 325-327. Au temps de Néron, le denier de Rome contient 3,45 g d’argent, mais celui de Tyr qui circulait en Syrie-Palestine pesait 3,66 g d’argent. 79. E. REINER, « Thirty Pieces of Silver », in W. W. HALLO (éd.), Essays in Memory of E. A. Speiser, New Haven, American Oriental Society, 1968, p. 186-190 ; K. LUKE, « The Thirty Pieces of Silver », Indian Theological Studies 19, 1982, p. 15-32. 80. Notre opinion rejoint celle d’Adolf Schlatter qui dit que cette recherche hat keine Bedeutung : A. SCHLATTER, Der Evangelist Matthäus, Stuttgart, Calwer, 61963, p. 738. 81. U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus…, p. 73.

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permirent la vente de Joseph aux Égyptiens, furent rapportées en Israël par la reine de Saba puis volées par Nabuchodonosor. Heureusement, les mages les emportèrent avec eux. Quelques églises prétendent les avoir possédées dans leur trésor. Le plus souvent, ces « reliques » sont des pièces d’argent de Rhodes, peut-être parce que la mention gravée en grec du nom de la ville (Ῥόδος) fait allusion à la fin du nom d’Hérode (Ἡρῴδης) 82. Au XVIIIe siècle, elles ne trompent déjà plus la sagacité de dom Calmet, qui prend un malin plaisir à montrer qu’elles ne font pas illusion auprès des « connaisseurs », dont fait assurément partie l’abbé de Senones : On a montré à Rome et à Paris deux pièces d’argent que l’on prétendait être de celles dont notre Seigneur avait été vendu : mais les connaisseurs conviennent que ce sont d’anciennes médailles de Rhodes, marquées de la tête du colosse qui représentait le Soleil ; et sur le revers, d’une rose, le symbole de la ville de Rhodes 83.

Avec une ironie plus féroce encore, Collin de Plancy, qui les localise à Saint-Denis, à Florence dans l’église de l’Annonciade, à Sainte-Croix de Rome, à Saint-Jean du Latran et chez les visitandines d’Aix-en-Provence, démonte l’invraisemblance de l’histoire : Ces deniers […] passèrent des mains de Judas dans celle du marchand qui vendit le petit champ dont on fit un cimetière. Il n’est pas aisé de concevoir comment ces pièces ont été conservées ; comment on les a discernées des autres pièces de même valeur ; et il n’est pas probable que Dieu les ait fait reconnaître par des révélations 84.

Collin de Plancy poursuit avec la mention des autres reliques de Judas : la lanterne de Judas présente à la fois à Saint-Jean de Latran et à SaintDenis (qui était conservée avec « la tasse dans laquelle l’Iscariote buvait » [sic !]) et la corde de sa pendaison conservée au château d’Amras, « à une demi-lieue d’Inspruck [Innsbruck] ». En tout cas, on montrait encore à Rome, à Sainte-Croix, en 1862, « une monnaie romaine de cuivre, grosse comme une pièce d’un franc, et sur laquelle on, ne distingue plus ni figure, ni inscription 85. »

82. G. F. HILL, « The Thirty Pieces of Silver », Archæologia 59, 1905, p. 234254. F. DE MÉLY, « Les deniers de Judas dans la tradition du Moyen Âge », Revue numismatique 4, 1899, p. 500-509. 83. A. CALMET, Commentaire littéral sur tous les livres de l’ancien et du nouveau Testament, t. 7, Paris, Émery/Saugrain/Pierre Martin, 1726, p. 232 (nous modernisons l’orthographe). 84. J. A. S. COLLIN DE PLANCY, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Paris, Guien, vol. 2, 1821, p. 86. 85. C.-A.-N. POUPELIER, Mon pèlerinage à Rome, mai et juin 1862, Neuville-surSeine, s. n. [Troyes, Imprimerie Caffé], 1862, p. 82.

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2. Judas à la Cène et au Jardin des Oliviers. – Le texte matthéen s’appesantit ensuite sur la malignité du caractère de Judas au moment de la Cène. Ici encore, on relève une très grande proximité avec le texte de Marc, mais avec deux différences de taille. La première se trouve dans la formulation de la réponse à la question « serait-ce moi ? ». Au lieu d’employer le participe présent, comme Marc, ὁ ἐμβάτομενος μετ’ ἐμοῦ εἰς τῷ τρυβλίῳ « c’est celui qui est en train de tremper avec moi [sa nourriture] dans le plat », Jésus parle avec davantage de netteté : ὁ ἐμβάψας μετ’ ἐμοῦ τὴν χεῖρα ἐν τῷ τρυβλίῳ, « celui qui vient de tremper sa main avec moi dans le plat ». Non seulement Matthieu abandonne le présent de généralité pour un aoriste beaucoup plus précis (c’est celui qui vient de faire l’action), mais il spécifie le geste de Judas : plonger la main dans le plat. Comme le dit Loisy, « les disciples ne peuvent donc plus avoir le moindre doute sur l’identité de l’accusé 86. » La seconde est un ajout très significatif : alors que Jésus vient d’achever sa malédiction à l’encontre de celui qui va le livrer, un épisode supplémentaire s’intercale. Mt 26, 25. – À son tour, Judas, celui qui allait le livrer, lui demanda : « Serait-ce moi, Rabbi ? ». « Tu l’as dit », répond Jésus.

La discussion que Marc mettait en scène comme une énigme policière prend ici la forme d’une conversation de type rabbinique dans laquelle le maître fait naître la réponse dans le cœur du disciple par ses questions. Contrairement aux disciples qui consultaient leur maître en affirmant « Serait-ce moi, Seigneur ? » (μήτι ἐγώ εἰμι κύριε ;), Judas demande « Serait-ce moi, Rabbi ? » (μήτι ἐγώ εἰμι ῥαββί ;). Or dans l’évangile de Matthieu, les deux termes ont un sens bien différent : en Mt 23, 7, Jésus condamne fermement tous ceux qui ont l’outrecuidance de se faire appeler « rabbi » et seul Judas l’emploie. Les disciples ont coutume de l’appeler « maître » ou « seigneur ». Par ce petit détail, Matthieu confirme que Judas est en train de s’éloigner de son seigneur : il s’assimile à ces pharisiens qui appellent son maître « rabbi » mais s’empressent de le mettre en croix. Jésus ratifie d’ailleurs la parole de Judas par un σὺ εἶπας, « tu l’as dit », une expression sémitique assez vague, mal connue par ailleurs si l’on en croit Strack et Billerbeck 87, qui donne un assentiment 88 – « ce que tu dis par une question, moi je t’affirme que cela est », comme le reformule Estius 89. Jésus la répétera à Pilate lorsqu’il le nommera « roi des Juifs ». Par 86. A. LOISY, Les Évangiles synoptiques, Ceffonds, chez l’auteur, vol. 2, 1908, p. 517. 87. Strack et Billerbeck ne citent que deux exemples. K. STRACK et P. BILLERBECK, Das Evangelium nach Matthäus…, p. 990. 88. W. D. DAVIES et D. C. ALLISON JR., Matthew (International Critical Commentary), vol. 3, Edinburgh, T&T Clarck, 1997, p. 464. 89. G. ESTIUS, Annotationes in Præcipua ac Difficiliora Sacræ Scripturæ Loca, Paris, Guignard/Moëtte, Aubouyn, Huart, 5e éd., 1684, p. 423.

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le vague de l’expression, il confirme l’intuition de Judas : non seulement il va le livrer, mais il va aussi lui arriver malheur. Cet épisode a de quoi troubler : non seulement le livreur s’envisage comme livreur, mais il est reconnu comme tel par sa victime. Il n’a donc plus qu’à accomplir sa livraison : tout se passe comme si, par cette ratification de Jésus, l’acte de Judas devenait inéluctable 90. L’épisode fait d’autant plus réfléchir que le Rabbi du traître apparaît à un autre moment, qui marque une nouvelle différence avec Marc : au moment de la livraison. Contrairement à Marc qui peignait un Judas silencieux embrassant le Christ, Matthieu nous fait entendre ses paroles, χαῖρε ῥαββί, « salut rabbi », sans qu’il lui ait forcément rendu le baiser, comme le note Estius : « il accepte son baiser avec patience et le laisse venir, mais il ne l’embrasse pas en retour 91. » On retiendra l’extrême ambiguïté du mot χαῖρε. D’une part, on peut aisément y reconnaître une salutation banale, celle du disciple reconnaissant son maître, la retranscription d’un banal shalom, mais d’autre part, on ne peut pas ne pas entendre un soupçon d’ironie dans cet impératif qui vient du verbe χαιρῶ, « se réjouir ». « Sois heureux ! » dit le livreur à celui qu’il livre. Tout est consommé. Mais alors que l’évangile de Matthieu nous orientait vers une banale affaire de cupidité humaine, voici que la réponse de Jésus nous fait passer vers une autre dimension, qui change radicalement le sens de la figure de Judas : Ἑταῖρε ἐφ᾽ὃ πάρει, « ami, c’est pour cela que tu es venu. » Jésus commence par appeler Judas du terme de ἑταῖρος, « ami, compagnon, camarade ». Il n’emploie pas le terme habituel, ἀδελφός, « frère » mais un terme qu’il a déjà employé ailleurs avec une forte nuance d’ironie et de rejet (Mt 20, 13 et 22, 12) 92. Ce « camarade » sonne comme un « faux frère », à l’instar des reproches amers que les auteurs affectés par les injures proférées par un proche emploient dans l’Ancien Testament 93. Et il poursuit : ἐφ’ὃ πάρει, « pour cela tu es venu ». L’expression est difficile à traduire à cause du ἐφ’ὅ 94. Pour la comprendre, Alfred Deißmann 95 citait un verre acheté en Crimée, qui se trouve actuellement dans les collections du musée de Berlin. Il s’agit d’un de ces verres de banquet qui datent de 90. A. SCHLATTER, Der Evangelist Matthäus…, p. 740. 91. G. ESTIUS, Annotationes in Præcipua ac Difficiliora Sacræ Scripturæ Loca, Paris, Guignard/Moëtte, Aubouyn, Huart, 5e éd., 1684, p. 425. 92. U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus…, p. 70. 93. W. ELTESTER, « Freund, Wozu Du gekommen bist (Mt 26, 50) », in W. C. VAN UNNIK (éd.), Neotestamentica et Patristica. Eine Freundesgabe, Herrn Professor Dr. Oscar Cullmann zu seinem 60. Geburtstag überreicht (Novum Testamentum Supplementum 6), Leiden, Brill, 1962, p. 70-91. 94. Voir la discussion que lui consacre Raymond Brown. R. E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 1524-1527. 95. A. DEISSMANN, Licht vom Osten, Tübingen, Mohr, 41923, p. 104 ; ID., « Friend, wherefore art thou come ? », Expository Times 33, 191-1922, p. 491-493.

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la première moitié du Ier siècle et dont on trouve des copies dans tout le bassin méditerranéen. Il porte les mots suivants : εὐφραίνου ἐφ’ὃ πάρει, « Bois !, c’est pour cela que tu es ici » 96. On peut donc lire dans ἐφ’ὃ πάρει une sorte d’expression toute faite 97, « voilà pourquoi tu es là ! », qui renforce l’ironie de la situation. Jésus perce à jour les motifs de Judas par une parole cinglante 98. Ce dernier prend la place de l’acteur d’un scénario qui le dépasse largement et que Jésus identifie pleinement comme s’il en avait la connaissance parfaite. Judas n’est qu’un rouage dans ce processus, et Jésus s’étonne de sa manière de faire, plus que de ses actions. 3. Le suicide de Judas. – Lorsque ce rouage s’avise de son véritable rôle, sa pénitence devient extrême, preuve que Matthieu est loin de le condamner univoquement. Mt 27, 3-10. – Alors Judas, qui l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens : « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent. » Mais ils dirent : « Que nous importe ? À toi de voir. » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. Ayant ramassé l’argent, les grands prêtres dirent : « Il n’est pas permis de le verser au trésor, puisque c’est le prix du sang. » Après délibération, ils achetèrent avec cet argent le « champ du potier » comme lieu de sépulture pour les étrangers. Voilà pourquoi ce champ-là s’est appelé jusqu’à ce jour le « Champ du Sang ». Alors s’accomplit l’oracle de Jérémie le prophète : Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, que mirent à prix certains des fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a ordonné le Seigneur.

Judas a des remords, il se rend compte qu’il s’est fait l’agent d’une opération qui le dépasse et dont le sens ne peut être aperçu qu’après coup, une fois quelle a été accomplie 99. Plus que la culpabilité de Judas, la scène au Temple révèle l’horreur de la situation. Elle dédouane Judas, qui laisse l’impression de ne pas avoir compris dans quelle situation il a naïvement jeté 96. Voir également W. KLASSEN, « Judas and Jesus A Message on a Drinking Vessel of the Second Temple Period », in J. CHARLESWORTH (éd.), Jesus and Archaeology, Grand Rapids (MI)/Cambridge, Eerdmans, 2006, p. 503-520. 97. C’est la lecture du « classique » de la grammaire grecque, Blass-Debrunner : F. BLASS, D. DEBRUNNER, R. W. FUNK, A Greek Grammar of the New Testament, Chicago (IL), University of Chicago, 1961, p. 300. On la retrouve également chez Brown (R. BROWN, La Mort du Messie…, p. 1527), Rehkopf (F. REHKOPF, « Matth 26 : 50 : Ἑταῖρε, ἐφ’ ὃ πάρει », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 52, 1961, p. 109-115), Stählin (G. STÄHLIN, « φιλέω », in G. KITTEL (éd.), Theologisches Wörterbuch zum Neuen Testament, t. 9, Stuttgart, Kohlhammer, 1935, p. 140) 98. Comme le montre Spiegelberg, les traductions coptes et syriaques militent également pour ce sens : W. SPIEGELBERG, « Der Sinn von ἐφ’ ὃ πάρει in Mt 26 50 », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 28, 1929, p.341-343. 99. L. MARIN, Sémiotique de la Passion…, p. 172.

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son maître. Il accomplit un signe public de repentance pour redresser son honneur perdu 100 et ce faisant, il exprime ce que le lecteur a déjà perçu : Jésus est désigné comme le sang innocent (αἷμα ἀθῴων) 101, une expression biblique qui se réfère directement à la condamnation du Deutéronome (Dt 27, 25), « Maudit soit celui qui reçoit un présent pour répandre le sang de l’innocent ! ». Le sang de Jésus s’associe au sang des justes de l’Ancien Testament, et la condamnation de ses bourreaux s’associe à celle qu’il avait lui-même prononcée contre les Pharisiens 102 : « Que retombe sur vous tout le sang innocent répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le temple et l’autel. » (Mt 23, 35). Et le péché est d’autant plus grave que l’on a versé le sang innocent pour l’étranger, un acte particulièrement monstrueux 103. Le cynisme des prêtres éclate au grand jour. Ils n’hésitent pas à rejeter sur Judas la faute de la livraison de Jésus. On entend en effet la parole de Pilate se dédouanant de la condamnation « je suis innocent du sang de cet homme. C’est votre affaire » (Mt 27, 24). Ce sont bien eux, qui ont les mains souillées par le sang de Jésus 104. Ils devraient mettre Judas à mort, car telle était la conséquence normale de son aveu : leur réponse révèle leur injustice, leur corruption, une sorte de « banqueroute spirituelle 105 ». Car le sang n’est pas expié : l’argent choit aux pieds des grands prêtres (le texte emploie le mot ναός, « temple » pour signifier le bâtiment) et Judas court se pendre : puisque les grands prêtres censés lui donner la sentence ont refusé de faire leur devoir, il se fait justice lui-même 106. Une mort pour une mort, à l’image d’Ahitofel, le conseiller du roi David qui trahit son maître pour se mettre au service d’Absalom (2S 17, 23). Le conseiller de David trahit son maître, il se pend, le disciple du fils de David livre son maître, il se pend à son tour. 100. B. J. MALINA et R. L. ROHRBAUGH, Social Scientific Commentary on the Synoptic Gospel, Minneapolis, Fortress Press, 1992, p. 162. 101. Raymond BROWN, La Mort du Messie…, p. 717. 102. W. C. VAN UNNIK, « The Death of Judas in Saint-Matthew’s Gospel », in M. H. SHEPHERD et E. C. HOBBS (éds.), Gospel Studies in Honor of Sherman Elbridge Johnson, (Anglican Theological Review Supplement Series 3), Evanston (IL), Anglican Theological Review, 1974, p. 44-57. 103. D. DAUBE, « Judas », Rechtshistorisches Journal 13, 1994, p. 307-330 (312). J. D. M. DERRETT, « The Iscariot, Mesira and the Redemption », Journal of the Studies of the New Testament 8, 1980 p. 2-23. 104. Hans-Josef KLAUCK, Judas…, p. 103. C. F. WHELAN, « Suicide in the Ancient World : A Re-examination of Matt 27 : 3-10 », Laval Théologique Philosophique 49, 1993, p. 505-522. 105. Spiritual bankruptcy. L. NORTJÉ, « Matthew’s Motive for the composition of the Story of Judas’s Suicide in Matthew 27 : 3-10 », Neotestamentica 28, 1994, p. 41-51 (48). 106. A. SCHLATTER, Der Evangelist Matthäus…, p. 768. W. C. VAN UNNIK, « The Death of Judas in Saint Matthew’s Gospel »…, p. 44-57.

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Reste à savoir quoi faire de tout cet argent, dont la destinée intéresse plus Matthieu que le sort même de Judas 107. Le Deutéronome est clair : « Tu n’apporteras pas à la maison de Yahvé ton Dieu le salaire d’une prostituée ni le paiement d’un chien, quel que soit le vœu que tu aies fait » (Dt 23, 19). L’argent sale ne doit pas entrer dans le korban, le trésor du Temple (Matthieu emploie même une translittération εἰς τὸν κορβανᾶν) et ces mêmes prêtres, qui condamnent sans hésitation Jésus et finalement Judas à mort, font les délicats pour savoir quoi faire de l’argent. Ils rejettent le moucheron mais avalent le chameau : par cette réticence, ils admettent implicitement que leur action est un crime 108. Matthieu se livre à une étiologie, une explication a posteriori d’un nom de lieu 109. On sait que les potiers avaient leurs ateliers au sud-ouest de Jérusalem près de la vallée de Ben-Hinnom qui avait une réputation tragique : non seulement on y trouvait les industries polluantes qui requéraient l’eau et le feu qu’étaient les fonderies, les potiers, les foulons, mais surtout on y situait d’anciens sacrifices humains et l’on y avait construit un cimetière pour des condamnés. « Champ du sang » et « champ du potier » étaient donc intimement liés et pouvaient avoir gardé leur caractère sinistre dans la mémoire collective des premiers chrétiens. Matthieu termine son propos en brouillant les pistes par une citation d’accomplissement qu’il attribue à Jérémie alors qu’elle ne s’y trouve pas, et qu’on pourrait manifestement rattacher à Zacharie. Il va sans dire qu’une telle hésitation a jeté les exégètes des temps passés, y compris les Pères, dans le trouble 110, qui firent l’hypothèse d’un texte apocryphe de Jérémie non encore découvert 111, d’une addition de copiste 112, d’une confusion dans l’esprit de Matthieu, d’une analogie insufflée par l’Esprit Saint lui-même113, etc. Peut-être faut-il plutôt y voir une réminiscence du chapitre 19 où Dieu charge le prophète d’aller acheter un vase de potier, de se rendre dans la vallée d’Hinnom et de faire une prédication dans laquelle intervient le sang ( Jr 19, 3-4). 107. C’est A sound bite selon P. FOSTER, « The Use of Zechariah in Matthew’s Gospel »…, p. 77. 108. W. SCHWARZ, « Die Doppelbedeutung des Judastodes », Bibel und Liturgie 57, 1984, p. 227-233 (230). 109. A. BENOÎT, « La Mort de Judas », Synoptische Studien, FS A. WIKENHAUSER, München, Zink, 1953, p. 1-19. 110. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Matthieu…, p. 514. Recension chez Jacques-Marie Vosté : J-M. VOSTÉ, De Passione et morte Iesu Christi (Studia Theologiæ Biblicæ Novi Testamenti 3), Roma/Paris, Libreria del Collegio Angelico, Gabalda, 1937, p. 70-71) 111. ORIGÈNE, Commentaire sur Matthieu, PG 13, 1769. 112. AUGUSTIN, De Consensu Evangelistarum III, 7, 29, PL 34, 1174-1175 ; éd. F. WEIHRICH (CSEL 43), 1904, p. 304. 113. AUGUSTIN, De Consensu Evangelistarum III, 7, 29, PL 34, 1175 ; éd F. WEIHRICH (CSEL 43), 1904, p. 305.

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Chez Matthieu, d’un côté, Judas est coupable, car il livre son maître par cupidité, ne se laisse pas déconcerter par les remontrances publiques (par rapport à Marc, cette fois-ci le fait est bien clair) que lui adresse Jésus et pousse le cynisme jusqu’à le saluer d’un baiser. Mais d’un autre côté, avec ce baiser, tout bascule. Jésus montre clairement que tout cela est prévu, et que Judas n’est qu’un agent. Judas ne profite pas paisiblement de son crime, mais se paie le luxe d’avoir des états d’âme. Les autorités révèlent leur vraie nature : empêtrés dans leurs contradictions, ils respectent les lois de pureté à l’égard de l’argent, mais violent sans vergogne le sixième commandement, tu ne tueras point. Deux mots, αἷμα ἀθῴος, le sang innocent, dominent ce drame. C’est lui que Judas prend en horreur jusqu’à se suicider, que les prêtres refusent de prendre sur eux, qui baigne le champ qu’achète Judas, qui envahit le rêve de la femme de Pilate ; c’est lui dont le gouverneur essaie de se débarrasser, et dont les foules disent « que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ».

2. Le Judas possédé par le diable de l’évangile de Luc L’évangile de Luc relate un passage de témoin : si la Bonne Nouvelle s’enracine profondément dans le peuple juif, c’est désormais à une communauté nouvelle, l’Église, qu’incombe la tâche d’être dépositaire des promesses de l’Alliance. Par conséquent, Luc voit en cette première communauté, une sorte d’idéal, jamais souillé par les affaires humaines. Ne pouvant évacuer la flétrissure de Judas de la première collectivité, il s’efforce de la réduire en la qualifiant d’allogène : la tâche de l’Évangéliste va consister à noircir Judas. Dès le début de l’évangile, l’évangéliste Luc stigmatise Judas. Au lieu d’être caractérisé comme « celui qui allait le livrer », Luc affirme clairement, « Judas Iscariote, qui devint un traître » (Lc 6, 16). Le παραδότης n’est pas le προδότης : l’un est simplement « celui qui livre », l’autre est carrément, brutalement, le traître – seule occurrence du terme dans tout l’évangile de Luc. Pour autant, il n’est pas traître par essence, il le devient. Jésus ne saurait s’être trompé, il n’a pas choisi un homme mauvais en luimême, le cercle apostolique qui sert de référence à Luc n’est pas perverti dès l’origine, il le devient par accident. L’accident, c’est tout simplement l’irruption du Satan. En effet, si Luc ne connaît pas l’onction à Béthanie, il reprend la démarche de Judas vers les grands prêtres mais lui donne un tout autre visage : Lc 22, 1-6. – La fête des Azymes, appelée la Pâque, approchait. Et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment le tuer, car ils avaient peur du peuple. Or Satan entra dans Judas, appelé Iscariote, qui était du nombre des Douze. Il s’en alla conférer avec les grands prêtres et les chefs des gardes sur le moyen de le leur livrer. Ils se réjouirent et convinrent de lui donner de

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l’argent. Il fit une déposition, et il cherchait une occasion favorable pour le leur livrer à l’insu de la foule. »

Si le canevas général reste le même, une nouveauté s’immisce dans le texte : Satan entre dans Judas. Désormais, l’action ne baigne plus uniquement dans des affaires humaines, mais dans un drame plus large, celui du combat entre Satan et l’Église qui avait commencé chez Luc lors du récit de la Tentation : celui-ci n’a laissé Jésus que pour un temps (Lc 4, 13) 114. On se trouve bien loin d’une simple inspiration démoniaque 115, Satan n’est pas le diable de l’évangile de Jean, mais un procureur, qui, à l’instar de son rôle dans le livre de Job, « teste » le croyant et, finalement, permet de manifester les possibilités réelles de l’homme et la force de ses convictions 116. Il est une pierre de touche : Jésus y résiste, prémice de l’Église qui a la foi, Judas y succombe, image de ceux qui s’en éloignent. Judas se rend donc chez les grands prêtres, comme chez Marc, comme chez Matthieu. Luc reprend leur récit mais ajoute un détail : ἐξωμολόγεσεν, « il fit une déposition 117 ». Par ce petit verbe, Luc décrit l’acte de Judas dans le langage judiciaire : celui-ci fait une déposition contre son maître, en bonne et due forme. Son acte n’a plus rien d’une rencontre furtive entre chien et loup pour improviser une misérable arrestation fortuite, mais bien une démarche mûrement réfléchie, une vraie dénonciation : cela met en relief son libre arbitre et sa culpabilité 118. Si la suite de l’évangile ne mentionne plus Satan, il ne dédouane pas Judas de son acte, comme l’indique le récit de l’arrestation de Jésus. Lc 22, 47-48. – Tandis qu’il parlait encore, voici une foule, et à sa tête marchait le nommé Judas, l’un des Douze, qui s’approcha de Jésus pour lui donner un baiser. Mais Jésus lui dit : « Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ! »

Contrairement aux autres évangiles, le reproche se fait cinglant. Judas s’approche pour donner un baiser (ἤγγισεν) mais suspend son geste. Jésus 114. W. KLASSEN, Judas. Betrayer or Friend Jesus ?, Minneapolis, Fortress, 1996, p. 120. 115. J. NOLLAND, Luke 18 :35-24 :53 (Word Biblical Commentary 35c), Dallas (TX), Word Books, 1993, p. 1029 ; F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 174. 116. A. ABÉCASSIS, Judas et Jésus une liaison dangereuse, Paris, Éditions n°1, 2001, p. 219. 117. Nous suivons la traduction, inspirée des papyrus, de J. D. DERRETT, « The Iscariot, Mesira and the Redemption », Journal for the Study of the New Testament 8, 1980, p. 2-23 (15). Voir W. KLASSEN, Judas…, p. 121. Il convient cependant de noter que καὶ ἐξωμολόγησεν est absent du Sinaiticus (‫א‬01), de l’Ephraimi (C04), du 22 ainsi que de la version syriaque du Sinaï (sys). 118. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Luc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 4 1927, p. 539.

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l’en dissuade 119, qui lui reproche vertement son hypocrisie : rien n’a été dit dans l’évangile sur un quelconque signe de reconnaissance donné à la troupe par le baiser (ce qui a conduit certains manuscrits à le suppléer 120), mais Jésus sait. Le dernier épisode concernant Judas ne se trouve pas dans l’évangile de Luc mais dans le livre qui lui fait suite et dont tous les exégètes admettent qu’il provient de la même main : les Actes des Apôtres. Ce texte, qui relève certainement d’une tradition ancienne peut-être midrashique121, se révèle complexe au point qu’il est difficile d’en préciser la véritable origine 122. Pierre, avant de procéder à l’élection de Matthias 123, raconte la fin du disciple qui s’est perdu, comme si l’itinéraire de Judas servait de contreexemple pour l’élection à venir. À travers la question de la conservation du nombre, la communauté réfléchit à elle-même et regarde le destin de celui qui est parti comme un exemple à ne pas suivre, une sorte de mise en garde 124. Ceux qui restent ont une mission : devenir des témoins 125. Car le centre du texte n’est pas le récit de la trahison : une phrase plutôt allusive évacue la question, « il s’est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus». Seule la question du rang de l’apôtre au sein de la communauté intéresse le « Prince des Apôtres » et le récit qu’il fait de la mort de Judas explique comment l’Iscariote s’est volontairement déchu de ce rang. Alors que Judas avait une place déterminée dans le nombre des apôtres, une place de service et d’apostolat, qui ne dépendait pas de lui, voici qu’il la délaisse pour une place particulière, un endroit qui lui appartient en propre, un champ, une χωρίον, un domaine à la campagne, un proprium qui lui convenait mieux,

119. G. SCHNEIDER, Verleugnung, Verspottung und Verhör nach Lukas 22, 54-71, München, Kösel, 1969, p. 461. 120. La recension occidentale, représentée par le codex de Bèze, P69, la Vieille Syriaque et certains témoins latins portent un texte plus explicatif : « Quand il parlait encore, voici une troupe nombreuse ; et l’homme appelé Judas Iscariote était à leur tête ; et s’étant approché, il embrasse Jésus. Il leur avait donné un signe : “celui que j’embrasserai, c’est lui”. » 121. M. WILCOX, « The Judas Tradition in Acts 1 :15-26 », New Testament Studies 19, 1973, p. 438-452. 122. J. DUPONT, « Le Douzième Apôtre (Ac 1, 15-26). À propos d’une explication récente », Nouvelles Études sur les Actes des Apôtres (Lectio Divina 118), Paris, Cerf, 1984, p. 186-192. 123. Les difficultés concernant cette élection sont clairement mises en lumière dans l’article de Tzvi Novick qui propose une intéressante lecture issue du rabbinisme : T. NOVICK, « Succeeding Judas : Exegesis in Acts 1 :15-26 », Journal of Biblical Literature 129, 2010, p. 795-799. 124. R. C. TANNEHILL, The Narrative Unity of Luke-Acts A Literary Interpretation, vol. 2, Minneapolis, Augsburg, 1990, p. 21. 125. F. MARTIN, Actes des Apôtres lecture sémiotique, Lyon, Profac-Cadir, 2002, p. 39.

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comme le disait déjà au XVIe siècle Grotius, que sa fonction apostolique 126. Tout se passe comme si la véritable faute n’était pas d’avoir trahi Jésus, mais bien d’avoir pensé de manière personnelle et égoïste, d’avoir acheté son propre terrain. Le terrain constitue en lui-même une faute. Il y a certainement un jeu de mots entre τόπος (le lieu) qui recouvre à la fois κλήρος (le rang) et le χωρίον (le champ) 127. L’auteur de Luc-Actes décrit un transfert de valeurs : un homme pour de l’argent, de l’argent pour un champ, un champ pour du sang – celui de Judas qui s’est ouvert par le milieu –, du sang pour un lieu devenu désert. Dans cet échange de valeurs, Judas trouve sa propre condamnation : Luc vise une communauté idéale soudée. S’en abstraire représente la pire des fautes. La mort se dit en plusieurs temps. Il est un peu difficile de savoir ce qui se passe réellement tant le grec est obscur : πρηνὴς γενόμενος ἐλάκησεν μέσος. Λάσκω signifie « craquer » et μέσος, « milieu ». On peut donc supposer que Judas « craqua par le milieu » ou plus vulgairement parlant (le grec n’est pas très élégant non plus), « creva du milieu ». Πρηνής signifie « penché », aussi traduit-on souvent par « devenu penché » ou « tombant en avant ». Peut-être s’agit-il d’un terme de médecine évoquant l’enflure (ce qui expliquerait la rupture des entrailles) 128. Par une sorte d’hydropisie monstrueuse ou de ballonnement prodigieux, Judas serait devenu « enflé ». Mais on peut tout aussi bien penser que Judas tombe de haut et se rompt le cou 129 comme le relate par ailleurs le Talmud à propos d’un païen 130. La suite du texte reprend une étiologie postérieure 131 – tous les habitants n’appelaient certainement pas le champ de Judas d’un même nom, il s’agit ici d’une parenthèse insérée par la suite, comme le remarque avec

126. Proprium id est qui ipsi melius conveniebat, quam Apostolica functio, « un lieu privé, c’est-à-dire ce qui lui convenait mieux que sa fonction apostolique », in Critici Sacri, vol. 7, Amsterdam, Henri et Veuve Théodore Bloom et alii, 1698, col. 21. 127. L. S. THORNTON, « The Choice of Matthias », Journal of Theological Studies 46, 1945, p. 51-59 (59). 128. A. von HARNACK, Theologische Literaturzeitung 37, 1912, p. 235-237 ; A. LOISY, Les Actes des Apôtres, Paris, Rieder, 1920, p. 177. R. H. CHASE, « πρηνὴς γενόμενος in Acts 1, 18 », Journal of Theological Studies 13, 1912, p.278-285. 129. H. CONZELMANN, Die Apostelgeschichte (Handbuch zum Neuen Testament 7), Tübingen, Mohr Siebeck, 1963, p. 24. 130. H. STRACK et P. BILLERBERCK, Das Evangelium nach Matthäus…, p. 595 à propos du Talmud de Babylone traité Chullin 56b. 131. R. PESCH, Die Apostelgeschichte…, p. 88.

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une grande modernité Estius 132 : le champ se nomme Hakeldamakh 133, le champ du sang, soit qu’il soit acheté avec le prix du sang de Jésus, soit qu’il ait bu le sang répandu de Judas.

3. Judas dans l’évangile de Jean : le début d’une légende noire Tous les exégètes s’accordent à penser que Jean développe une « christologie haute ». Pour Judas, la conséquence de cette christologie haute est redoutable. Si Jésus se donne immédiatement comme le Verbe de Dieu, il est omniscient et omnipotent. Il ne saurait mourir par accident : tous les événements de sa vie ont été prévus dans un plan précis qui ne supporte pas la contingence. La livraison de Judas résulte donc d’un décret divin, préétabli dès le commencement et dont Jésus connaît à l’avance tous les détails. De toute éternité, Judas est « celui qui livre ». En retour, Judas ne saurait se contenter d’un petit rôle dans la pièce divine : il livre le logos de Dieu. L’excellence de la victime commande la grandeur du livreur. Pour Jean, Judas devient l’opposant par excellence 134, l’archi-félon, le diable lui-même. On a souvent qualifié la figure de Judas que Jean construit comme une image de haine – elle a tout d’une exécution. Romano Guardini, reprenant une longue histoire avant lui, a même trouvé une émouvante explication humaine : des tensions entre Jean, le fils de Zébédée et Judas 135, que l’auteur du Quatrième évangile n’aurait pas cherché à dissimuler. En réalité, c’est bien une figure théologique 136 : celle du Livreur par excellence, dont la noirceur révèle l’éclatante lumière du Livré. Si Jean, contrairement aux synoptiques, ne raconte rien de l’institution des Douze, il conserve de ses prédécesseurs la question de l’incrédulité de ses disciples qui éclate à l’occasion du discours sur le Pain de Vie : Jésus, reprenant l’image de la manne nourrissant les Hébreux au désert, se présente comme le pain de vie descendu du ciel. Il affirme clairement son origine divine. La réaction est vive et une curieuse scène se joue à ce moment : 132. G. ESTIUS, Annotationes…, p. 527 : « Tout ceci semble être parenthétique, c’est-à-dire écrit à la place de l’auteur du livre qui, au milieu du discours de Pierre, à l’occasion de ses paroles sur Judas et son champ, les insère ici ». 133. Sur l’histoire de la réception de ce toponyme : R. BURNET, « Pour une Wirkungsgeschichte des lieux : l’exemple d’Haceldama », New Testament Studies 59, 2013, p. 129-141. 134. K. LÜTHI, « Das Problem des Judas Iscariot neu untersucht », Evangelische Theologie 16, 1956, p. 98-114. 135. R. GUARDINI, Der Herr. Betrachtungen über die Person und das Leben Jesu Christi, Würzburg, 131964, p. 416. 136. En ce sens, l’explication de William Wright, qui explique la noirceur du personnage uniquement par un emprunt johannique au style littéraire antique du portrait moral, nous semble manquer l’importance théologique du personnage : W. M. WRIGHT IV, « Greco-Roman Character Typing And The Presentation Of Judas In The Fourth Gospel », Catholic Biblical Quarterly 71, 2009, p. 544-559.

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Jn 6, 64-71. – Jésus savait dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient point, et qui était celui qui le livrerait. Et il ajouta : « C’est pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui a été donné par le Père. » Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils ne marchaient plus avec lui. Jésus donc dit aux douze : « Et vous, ne voulezvous pas aussi vous en aller ? » Simon Pierre lui répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous avons cru et nous avons connu que tu es le Christ, le Saint de Dieu. » Jésus leur répondit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et l’un de vous est un diable ! » Il parlait de Judas Iscariote, fils de Simon ; car c’était lui qui devait le livrer, lui, l’un des Douze.

Confrontation de l’omniscience de Jésus avec la faiblesse de la connaissance humaine : tout tourne autour de la question du savoir et de la croyance. Du côté divin, on se trouve dans le savoir : Jésus sait qui murmure, qui étaient ceux qui ne croyaient point, qui était celui qui le livrerait. Du côté humain, on baigne dans la croyance : des disciples cessent de croire et se retirent, Pierre affirme que les Douze ont cru. Il n’ose pas affirmer qu’ils ont su, mais bien qu’ils ont connu (ἐγνώκαμεν), une connaissance acquise de l’expérience, un savoir tout humain. En outre, comme le remarquait au XVIIe siècle Maldonat 137, le texte repose aussi sur une opposition du dire et du taire : Jésus sait qui est ce diable mais se tait, il se borne à mentionner son existence. De ce fait, il compare tacitement les apôtres à des anges, il les fonde comme des anges. Mais en même temps, il définit leur mission : être apôtre, c’est accomplir son apostolat au milieu des diables. Judas, dans la pensée du jésuite espagnol, constitue donc à la fois le repoussoir par rapport auquel on se définit et le symbole du mal qui attend les apôtres dans leur mission. Jésus sait donc tout, y compris qu’il y a déjà un livreur. Dieu incarné, il a ce pouvoir de sonder les reins et les cœurs que le psaume 7 attribue à Yahvé 138. Certes, on a pu lire dans cette omniscience une réponse apologétique aux adversaires des chrétiens qui ricanaient de voir Jésus trahi par l’un des siens 139, mais bien davantage, il faut y voir la trace de ce plan divin préétabli « dès le commencement » (ἐξ ἀρχῆς). Dieu s’est abaissé et cet abaissement laisse nécessairement une place au traître 140. Des disciples s’éloignent ; Judas reste. Son rôle n’est pas d’être un simple incrédule, et peut-être n’est-il même pas incrédule. Ces questions psychologiques n’intéressent pas Jean. Preuve du combat cosmique, Judas est un 137. J. MALDONADO (MALDONAT), R. P. Ioannis Maldonati…, p. 664-665. 138. « Mets un terme à la malice des méchants, et affermis le juste, Toi qui sondes les cœurs et les reins, Dieu juste ! » (Ps 7, 9). 139. H.-J. KLAUCK, Judas…, p. 78. 140. J. WESTCOTT, The Gospel According to Saint John, London, John Murray, 1903, p. 111.

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διάβολος, un « diviseur ». Il faut, comme Cajetan, revenir au sens grec du terme, Judas est « un accusateur 141 » : son caractère diabolique se révèle au moment où il va témoigner contre Dieu lui-même dans le procès humain. Combat théologique, le conflit s’incarne dans l’humanité elle-même : Judas a été choisi, en toute conscience, par Jésus, pour être compté parmi les Douze, symbole de l’humanité. Le diable y a établi ses quartiers, elle est d’une fragilité intense. Cajetan le note avec finesse 142, c’est bien la condition de la question précédente : s’il n’y avait pas de diable, et si les Douze ne représentaient pas l’humanité entière, comment Jésus aurait-il pu poser la question « voulez-vous me quitter ? ». De manière étrange, la seule occurrence du mot διάβολος non attribuée à Judas se trouve en Jn 8, 44 où Jésus reproche aux Juifs d’avoir pour père le diable. Voilà une pierre d’attente pour l’antijudaïsme chrétien et pour l’assimilation que le christianisme fit entre Judas et le peuple juif. Judas représente dignement les Juifs : ils ont pour père le Diable, et lui-même est un diable. On saisit mieux, du coup, la forme particulière que prend la désignation de Judas dans l’évangile de Jean 143 : Ἰούδας Σίμωνος Ἰσκαριώτου, « Judas, le fils de Simon l’Iscariote144 ». Le rédacteur signifie que Judas a un père, qui porte le même surnom que lui, comme si la malédiction qui le frappe devait s’étendre sur l’ensemble de la parenté. Jean ne juge pas utile de présenter Judas accomplissant sa traîtrise : il est constitué en traître dès le début. Pas de rencontre furtive avec les grands prêtres, pas de baiser donné : à quoi bon rentrer dans les détails d’une livraison arrêtée par Dieu dès le commencement ? Jean opte plutôt pour une série de dévoilements successifs opérés, non par les actes de Judas mais par l’Omniscient, Jésus, Verbe de Dieu. Le premier dévoilement se tient à l’orée de la Passion, juste avant la montée à Jérusalem. Jn 12, 1-7. – Un de ses disciples, Judas Iscariote, fils de Simon, celui qui devait le livrer, dit : « Pourquoi n’a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? » Il disait cela, non qu’il se souciât des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait.

Par rapport aux textes parallèles de Marc et de Matthieu, la rédaction de Jean devient un portrait à charge de Judas : alors que ceux-ci ne désignaient 141. CAJETAN, RR. DD Thomæ de Vio Caietani quatuor euangelia et Acta Apostolorum Commentarii, 1530, vol. 4, Lugduni (Lyon), Jacques et Pierre Prost, 1639, p. 338. 142. CAJETAN, RR. DD Thomæ de Vio Caietani…, p. 338. 143. H.-J. KLAUCK, Judas…, p. 81. 144. K017 (Cyprius, IXe s., Paris), D05 (Codex de Bèze, VIe s., Cambridge), P024 e (VI s., Wolfenbütel) et la Koinè portent Ἰσκαριώτης, mais cela semble une harmonisation.

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pas expressément les disciples qui murmuraient contre la dépense, celuilà accuse nominalement l’Iscariote. Alors que Jésus répondait globalement aux convives de la tablée, il s’adresse directement à Judas en lui intimant l’ordre de laisser tranquille la femme (ἄφες αὐτήν). Pire, Jean se fait le témoin d’une tradition qui lui est propre et qui participe au mouvement de noircissement de la figure de Judas 145 : Judas était le trésorier du groupe, il tient la bourse commune (γλωσσόκομον, la « caisse »). Cela lui permet une belle intervention explicative du rédacteur : « parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il dérobait ce qu’on y mettait ». Cette accusation de vol convient bien au schéma développé par l’évangéliste dès le début de son portrait de Judas : perverti dès le début, l’Iscariote est pourri de l’intérieur, traître par nature, voleur invétéré. Il ne faudrait pas chercher dans cette accusation un quelconque motif psychologique : l’opposition entre le Christ et le voleur se trouve quelques chapitres auparavant lors du discours du Bon Berger. Le Christ berger s’oppose au voleur, comme le Jésus empirique s’oppose à Judas : deux faces du même combat, engagé entre celui qui vient pour la vie et celui qui vient pour la mort. On le sait, Jean ne relate pas l’institution de l’Eucharistie au cours du dernier repas et « remplace » cet épisode par le lavement des pieds. Laver les pieds de quelqu’un est un acte d’esclave. Une femme n’est pas censée le faire pour son mari selon Talmud de Babylone (Ket., 96a). Le faire quand on est un homme libre est une manière de se montrer comme un esclave (voir PLUTARQUE, Vie de Pompée, 73 et SUÉTONE, Caligula, 26) et dans Homère, la vieille nourrice se pose la question (Odyssée 19, 343-507). « Au cours d’un repas, alors que le diable avait mis au cœur de Judas fils de Simon Iscariote le dessein de le livrer » ( Jn 13, 2). Le lecteur sait à la fois que Judas est bien le diable indiqué en 6, 70 et donc qu’il n’est pas un partenaire fiable. D’ailleurs, au milieu du lavement des pieds, Jésus affirme que ses disciples sont purs, puis il se reprend : « vous êtes purs, mais non pas tous. Car il connaissait celui qui le livrait ; c’est pourquoi il dit : Vous n’êtes pas tous purs (καθαροί). » ( Jn 13, 10c-11) Manifestement, le lavement des pieds n’a rien d’un acte magique, un geste qui purifierait immédiatement tout pécheur. C’est bien un signe, une déchirure du tissu du monde qui laisse entrevoir les réalités célestes. Et ces réalités, on ne saurait les changer en ce qui concerne Judas : le diable est en lui, il ne peut devenir pur. Cette irrévocabilité du plan est reprise quelques phrases plus loin : « Je connais ceux que j’ai choisis. Mais il faut que l’Écriture s’accomplisse : Celui qui mange avec moi le pain a levé son talon contre moi. » ( Jn 13, 18) 145. C. K. BARRETT, The Gospel According to Saint John – An Introduction with commentary and notes on the Greek Text, London, SCPK, 21978, p. 413. R. E. BROWN, The Gospel According to John (Anchor Bible 29A), Garden City (N. Y.), 1970, p. 453.

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Le psaume 41, dont est cité le v. 10, avait déjà prophétisé la scandaleuse volte-face. Comme une obsédante ritournelle, le texte se conclut par ce même motif de la livraison. « Jésus fut troublé en son esprit et il témoigna en disant : « en vérité, en vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera. » » ( Jn 13, 21). La fameuse formule en double amen, ἀμὴν ἀμὴν λέγω ὑμῖν « en vérité, en vérité je vous le dis », qui constitue l’une des ouvertures favorites de Jean pour énoncer une parole essentielle de Jésus, l’atteste : tout le texte bâtit une réflexion sur le salut et son contraire, la livraison. Une sorte de terme technique de Jean précède la déclaration, le trouble (ταρασσῶ), que l’on retrouve à deux reprises ailleurs : lors de l’imminence de la Passion (12, 27) et devant la mort de Lazare (11, 33). Les trois manifestent l’horreur sacrée que Jésus ressent face au mystère du mal, dont l’une des manifestations est la mort. Ici, le trouble désigne à la fois un émoi de l’esprit, une sorte d’inspiration, qui permet de dénoncer l’acte de Judas dans une vision prophétique 146, mais aussi une horreur viscérale face à la trahison du disciple qui court ainsi à sa perte 147. Le repas se poursuit par une reprise de l’épisode de la bouchée alors qu’on ne se situe pas dans un contexte eucharistique. Troublé par cette annonce de la livraison, le disciple que Jésus aimait s’interroge : Jn 13, 23-30. – Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le sein de Jésus. Simon Pierre lui fit signe de demander qui était celui dont parlait Jésus. Et ce disciple, s’étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus répondit : C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper. Et, ayant trempé la bouchée, il la donna à Judas, fils de Simon, l’Iscariote. Après la bouchée, Satan entra dans Judas. Jésus lui dit : « Ce que tu fais, fais-le vite ». Mais aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela ; car quelques-uns pensaient que, comme Judas avait la bourse, Jésus voulait lui dire : « Achète ce dont nous avons besoin pour la fête », ou qu’il lui commandait de donner quelque chose aux pauvres. Judas, ayant pris la bouchée, se hâta de sortir. C’était la nuit. Lorsque Judas fut sorti, Jésus dit : « Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié en lui ».

On se tient ici à la limite de ce que Wilhelm Wrede avait nommé au tournant du XXe siècle un « sacrement satanique 148 » et de ce que Louis Marin nommait une « eucharistie négative 149 ». En effet, si l’on ne peut incriminer la bouchée donnée par Jésus, car le texte dit clairement μετὰ τὸ ψωμίον, « après la bouchée » et non « à cause de la bouchée », il semble 146. R. BULTMANN, Das Evangelium des Johannes…, p. 367. 147. H.-J. KLAUCK, Judas…, p. 91. 148. W. WREDE, « Judas Ischarioth in der urchristlichen Überlieferung », Vorträge und Studien, Tübingen, Mohr Siebeck, 1907, p. 127-146 (136). 149. L. MARIN, Sémiotique de la Passion…, p. 179.

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que ce geste serve à la fois de désignation du traître et de permission divine pour laisser entrer Satan en Judas. Judas est un diable, mais il n’est pas encore un diable révélé. Jean traduit cette révélation par une prise de possession de Satan. La bouchée fonctionne comme une métonymie de l’acte de la trahison. En acceptant une bouchée de Jésus tout en ayant le dessein de le livrer, Judas rompt le pacte sacré de la commensalité. En acceptant sans protester la bouchée, Judas accepte les gestes de l’amour sans renoncer à son projet 150. Nul besoin, dès lors, de lui faire embrasser Jésus lors de la livraison : Jean s’en dispense, sûr d’avoir donné dans cette cène tragique, les preuves suffisantes de la noirceur du personnage. Un étonnant contraste, cher à l’auteur du quatrième évangile, s’ensuit : alors que Jésus commande souverainement à Judas d’aller le trahir – hoc facis fac citius –, les disciples s’éternisent dans l’ignorance. Ils sont exclus du drame qui se joue, preuve renouvelée qu’il s’agit d’une histoire écrite bien avant leur venue, dont seuls les protagonistes principaux sont conscients. La scène se clôt par cette très belle asyndète qui constitue une notation éminemment symbolique : « il sortit ; c’était la nuit ». La nuit dont il s’agit doit bien entendu être comprise comme le temps propice à la trahison mais aussi comme la « nuit de l’âme de Judas » ansi que le dit Cajetan 151 ; la nuit du monde dans son refus du Révélateur. L’évangile de Jean est en effet construit sur une opposition très nette entre la ténèbre et la lumière ; que l’on songe au prologue « la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas comprise » ( Jn 1, 5). Les derniers versets révèlent le plan divin : le départ de Judas et, partant, sa trahison, font partie du mystérieux agencement prévu dès le commencement, car Jésus peut dire : « Maintenant le Fils de l’homme a été glorifié ». Par la sortie nocturne de Judas et la trahison qui s’annonce, la dynamique de la mort et de la résurrection du Christ a été enclenchée, le processus salvifique qui manifeste la gloire de Dieu entre maintenant en œuvre. Après ce dernier repas, Jean insère une série de discours qui sont propres à son évangile. Il les achève par une sorte de prière d’adieu, qui se clôt ellemême par cette déclaration sur la communauté des disciples : Jn 17, 12. – Lorsque j’étais avec eux dans le monde, je les gardais en ton nom. J’ai gardé ceux que tu m’as donnés, et aucun d’eux ne s’est perdu (ἀπώλετο), sinon le fils de perdition (ὁ υἵος τῆς ἀπωλείας), afin que l’Écriture fût accomplie. 150. X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile de Jean (Parole de Dieu), vol. 3, Paris, Seuil, 1993, p. 46. 151. CAJETAN, RR. DD Thomæ de Vio…, p. 385. Explicatur tempus nocturnum, tum ad insinuandum aptum tempus proditioni ; tum ad significandum noctem mentis Iudæ : « le temps nocturne s’explique d’une part pour insinuer que c’est le temps propice à la trahison, d’autre part pour signifier la nuit de l’esprit de Judas ».

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On retrouve ici le schéma du lavement des pieds 152 : alors que tous les disciples sont purs ou sont sauvegardés, un seul se perd. Jésus fait un jeu de mot entre le verbe ἀπώλλυμι (se perdre) et le nom ἀπωλεία. Du sens faible « se perdre », qui pourrait être un synonyme de « se tromper », on passe à un terme beaucoup plus fort, la perdition qui nous transporte dans un contexte apocalyptique où elle ne signifie ni plus ni moins que la perte définitive du salut. On retrouve ce terme dans toute une série de traditions différentes témoignant du même climat apocalyptique : Paul parle ainsi des vases de colères formés par Dieu pour la perdition (Rm 9, 22) ou de ceux qui ont pour dieu leur ventre et dont la fin sera la perdition (Ph 3, 19) ; l’Apocalypse mentionne une bête qui va à la perdition. La Seconde Épître aux Thessaloniciens nomme par la même expression « fils de la perdition » l’Antéchrist (2Th 2, 3). Il est hautement improbable que l’on puisse identifier directement Judas à l’Antéchrist et il semble fort possible que Jésus prie de manière générale pour tous les disciples sans vraiment désigner Judas 153. Mais il est également admissible que Jean parle ici d’un point de vue symbolique. On sait que l’Antéchrist viendra de la tribu de Dan, ce qu’avait déjà vu Hippolyte (v. 200-230) 154. Or Dan fait partie du peuple élu, comme Judas fait partie des Douze. Judas, comme Dan est un diable, rappelle Jean, et il faut se garder de l’ennemi intérieur 155. La dernière étape de la livraison prend place au moment de l’arrestation. Or, chez Jean, Judas demeure dans un retrait relatif. On retrouve ici l’un des traits caractéristiques de la narration johannique : la prétérition. Puisque Judas s’assimile au Livreur prévu par le plan divin, entrer dans les détails représente peu d’intérêt. La scène, exposée au chapitre 18, commence par indiquer que Jésus se retire au-delà du Cédron. « Judas, qui le livrait, connaissait ce lieu, parce que Jésus et ses disciples s’y étaient souvent réunis. » ( Jn 18, 2) précise le narrateur, sans doute en reprenant la même tradition que Luc (22, 39) qui affirmait : « Après être sorti, il alla, selon sa coutume, à la montagne des oliviers. » Comme le discernait déjà Calvin au XVIe siècle, cette remarque montre bien que Jésus se livre volontairement à Judas : « Il vient dans un lieu dont il savait qu’il était connu de Judas. Ce qui montre qu’il ne s’offre rien moins que spontanément au traître et aux ennemis 156. » 152. H.-J. KLAUCK, Judas…, p. 95. 153. U. C. VON WAHLDE, « Judas the Son of Perdition and the Fulfillment of Scripture in John 17, 12 », in J. FOTOPOULOS (éd.), The New Testament and Early Christian Literature in Greco-Roman Context (Supplements to Novum Testamentum 122), Leiden/Boston, Brill, 2006, p. 167-181. 154. HIPPOLYTE DE ROME, Fragment sur la Genèse 35. 155. J. DANIÉLOU, « Le Fils de Perdition ( Joh 17, 12) », Mélanges d’histoire des religions offerts à H.-Ch. Puech, Paris, Puf, 1974, p. 187-189. 156. J. CALVIN, Opera XLVII (Corpus Reformatorum 75), Brunswick, Schwetschke, 1891, p. 391.

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« Judas donc, ayant pris la cohorte (σπεῖρας), et des gardes (ὑπηρέτας) détachés par les grands prêtres et les pharisiens, vint là avec des lanternes (φανῶν), des flambeaux (λαμπάδων) et des armes (ὅπλων). » ( Jn 18, 3) Cette troupe bariolée que conduit le livreur représente un défi aux historiens : il est fort peu plausible qu’une cohorte militaire romaine (σπεῖρα) – forte de six cents hommes 157, sans doute davantage que tout ce qui se trouvait de Romains à Jérusalem – et la simple milice du Temple (ὑπηρέται désignent ceux qui sont chargés du maintien de l’ordre 158) se mélangent sous le commandement de Judas. Il faut plutôt y voir une représentation symbolique des forces ennemies liguées contre Jésus, marchant à la rencontre du Christ sous la conduite du Livreur 159. Eux-mêmes viennent des mêmes ténèbres que celles dans lesquelles Judas s’est enfoncé : n’ayant pas accepté la lumière du monde, ils tentent, avec une pauvre lumière artificielle, de vaincre la nuit qui les enveloppe 160. Commence alors un dialogue entre ces forces du mal et Jésus : Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui advenir, sortit et leur dit : « Qui cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : « Jésus le Nazôréen. » Il leur dit : « C’est moi. » Or Judas, qui le livrait, se tenait là, lui aussi, avec eux. Quand Jésus leur eut dit : « C’est moi », ils reculèrent et tombèrent à terre. De nouveau il leur demanda : « Qui cherchez-vous ? » Ils dirent : « Jésus le Nazôréen. » Jésus répondit : « Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez ceux-là s’en aller ». Jn 18, 4-8. Étrange arrestation en vérité : celui qu’on arrête mène le jeu, et ceux qui arrêtent se font repousser et tombent à terre, comme saisis par la puissance de Jésus 161 ; comme le dit Cajetan, « Jésus montre qu’il n’a pas perdu la puissance qu’il exerçait naguère pour faire des miracles 162 ». Les termes mêmes suggèrent une intervention divine. Depuis le début de son évangile, Jean a joué sur le ἐγὼ εἰμι, « je suis », l’une des traductions du nom imprononçable de Dieu : « Avant qu’Abraham fut, je suis » ( Jn 8, 58). Or, tomber à terre constitue la réaction normale face à la révélation divine, à l’instar de Daniel, prosterné à terre devant l’ange Gabriel (Dn 8, 18). Judas, lui, joue les utilités : on se borne à mentionner sa présence, comme pour mieux faire ressentir que le texte a supprimé le baiser, action beaucoup trop humaine et beaucoup trop psychologique pour convenir à

157. R. E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 296. 158. R. E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 297. 159. R. SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium…, p. 251. BROWN, La Mort du Messie…, p. 298. 160. R. E. BROWN, The Gospel…, p. 817. 161. R. E. BROWN, La Mort du Messie…, p. 310. 162. CAJETAN, RR. DD Thomæ de Vio…, p. 413.

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ce combat qui se livre à ce moment précis. Lui aussi tombe à la renverse : le représentant des puissances du mal tombe, sans pouvoir, aux pieds de Jésus.

4. Bilan Dans les textes, Judas apparaît comme une figure plus ou moins évanescente, comme un acteur au service d’une entreprise qui le dépasse. Un terme différent selon les évangélistes saisit cette entreprise. Marc est obsédé par le verbe paradídōmi, « livrer ». Judas ne fait que mettre en mouvement ce processus de « livraison » voulu par Dieu : Dieu se livre aux hommes, et Judas ne constitue que l’instrument de cette livraison. Pour Matthieu, le sang innocent, le αἷμα ἀθῴος, commande la narration de la Passion : vraiment, c’est le juste des Psaumes, l’innocent du livre de Jérémie, le serviteur souffrant du livre d’Isaïe que l’on met à mort. Pour Luc, tout tourne autour de cette question du χωρίον, du domaine : en voulant s’abstraire de la communauté, de l’ecclesia première, en rompant la communion avec Jésus, Judas a gravement et irrémédiablement péché. Pour Jean, le terme qui décrit le mieux l’action de Judas est certainement celui de διάβολος, de « diable ». Judas est tout à la fois le diviseur, l’accusateur et le démon. La figure de l’Iscariote qu’il construit devient beaucoup plus symbolique et spirituelle que celle des autres évangélistes. On pourrait la résumer par trois termes : 1. Exaltation. – Dans le quatrième évangile, Judas n’est pas uniquement le fils de Simon l’Iscariote, il est surtout une des nombreuses incarnations de l’Adversaire du Logos. La livraison ne constitue que l’un des épisodes du grand combat qui se joue depuis longtemps au Ciel et qui s’achève par la victoire définitive de Dieu sur le mal. Jésus est d’ores et déjà ressuscité, il le sait, et consent à cette livraison de manière souveraine. 2. Antipsychologisme. – Judas se voit par conséquent débarrassé de tout trait psychologique. Dire qu’il est « voleur » va simplement de pair avec la narration. Comme le démon, il a tous les défauts. On ne s’embarrasse pas de ses motifs, de ses manigances, ni même de son baiser. Prévu dès le début de l’évangile comme le diable, il se trouve au bon moment à Gethsémani et voilà tout. 3. Noirceur. – Aussi Judas devient-il un personnage extrêmement sombre. En accusant Jean d’avoir « diffamé » Judas par jalousie, on prend la conséquence pour la cause. La noirceur ne vient pas d’un quelconque portrait à charge, elle découle surtout de l’absence d’explication. Agent de l’Adversaire, Judas est un personnage simple, presque une caricature, un personnage sans épaisseur, un simple pion. Bien entendu, ces trois caractéristiques tracent un portrait extrêmement sombre de l’Iscariote. Aussi ne faut-il pas s’étonner si c’est souvent en se fondant sur Jean que les commentateurs écrivant par la suite construisirent la figure de « méchant » qui domina pendant des siècles.

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Ces quelques éléments assurés ont été réinterprétés par les évangélistes selon leur tradition culturelle propre et selon leur compréhension de la nature de Jésus et de sa mission ainsi que des problématiques propres aux communautés pour lesquelles ils écrivaient. 1. Une réinterprétation en fonction de l’Ancien Testament 163. – L’histoire de Judas emprunte largement à la tradition juive. La présence même de Judas au milieu des Douze, représentant le nouveau peuple du nouveau Royaume voulu par Jésus, reprend les déplorations des prophètes et des psaumes qui s’affligent de la présence d’idolâtres ou d’impies parmi le Peuple élu. L’acte de Judas, cette fameuse livraison, est compris en fonction du Psaume 41 : « Celui-là même avec qui j’étais en paix, qui avait ma confiance et qui mangeait mon pain, lève le talon contre moi. » (Ps 41, 9). Le prix de la livraison – trente deniers – ainsi que l’attaque contre le bon pasteur sont entièrement gouvernés par l’oracle de Zacharie (Za 11 – 12). Il n’est pas jusqu’aux actes accomplis par Judas avant la livraison qui ne peuvent être réinterprétés dans la tradition. Ainsi, le récit du dernier repas de Jésus ressemble singulièrement à celui qui est décrit par le Midrash de la Hagadah de Pâque qui indique que les quatre fils du maître de maison doivent poser des questions rituelles à leur père qui leur répond en chantant les louanges d’Adonaï : une question qui manifeste une louange, une question qui manifeste l’étonnement et une question qui manifeste le rejet de Dieu. Pierre, l’apôtre bien-aimé, les disciples naïfs… et Judas. De la même façon, le fait de donner un baiser pour tuer son maître ressemble de manière frappante à la manœuvre de Joab qui tue Amasa en lui saisissant la barbe pour l’embrasser (2S 20, 9). 2. Une réinterprétation propre à chaque évangéliste. – Outre ces échos de la tradition juive, les actions de Judas furent également lues en fonction des conditions propres à chaque Église. L’évangile de Marc, tout d’abord, avance dans une narration sèche, bien conforme à son propos, qui est de mettre en lumière le drame divin qui se joue avec la venue de Jésus : alors que le Messie a fait irruption dans le monde, ses disciples ne l’ont pas reconnu, et il est livré aux mains des pécheurs. Judas s’affirme donc comme l’ultime représentant de cette tragique incompréhension : on ne sait quasiment rien de lui, il n’est ni blâmé ni loué par le narrateur, il se borne à faire ce que tous ont déjà fait au moins de manière symbolique, livrer Jésus. Matthieu adopte quant à lui une position complexe. D’un côté, il accable Judas, car il entend à la fois ménager les chrétiens d’origine païenne qui pourraient 163. Ce paragraphe s’inspire d’un passage rédigé par S. C. MIMOUNI : P. MARAVAL et S. C. MIMOUNI, Le Christianisme des origines à Constantin (Nouvelle Clio), Paris, PUF, 2006, p. 118-122. S. C. MIMOUNI, « La figure de Judas et les origines du christianisme », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 135-143.

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se reconnaître dans les Romains, et les chrétiens d’origine juive – dont il espère qu’ils pourront s’intégrer à des communautés chrétiennes mixtes – qui pourraient se reconnaître dans les Pharisiens : aucun n’est le seul coupable de la mort de Jésus, et Judas porte une grande part de responsabilité. D’un autre côté, étant le plus sensible à l’accomplissement des Écritures, il le dédouane un peu en montrant clairement que toutes ses actions faisaient partie du plan de Dieu tel qu’il avait été annoncé par la Loi et les prophètes. Luc, quant à lui, n’hésite pas à charger Judas. Il entend faire le tableau d’une communauté primitive idéale, une sorte d’état naturel, bien éloignée des tensions des communautés chrétiennes postpascales. Mais en même temps, cette présence du traître (c’est lui qui prononce ce mot) lui permet de mettre en garde sa propre communauté : même au temps de Jésus, Satan travaillait (il est le premier à dresser un portrait démoniaque de Judas), il n’y a aucune raison pour qu’il ait aujourd’hui déposé les armes. Jean enfin manifeste une conception extrêmement élevée de Jésus : celui-ci est bien le Fils de Dieu, et Dieu lui-même. L’exaltation de la figure du Sauveur conditionne celle de son Livreur : Judas ne peut être que le traître par excellence, le fils du diable, sinon Satan lui-même. Les exégètes modernes proposèrent une foule d’autres solutions. On prétendit que Judas ne révéla pas le lieu de retraite de Jésus, mais bien d’autres informations 164. Ainsi, pour Albert Schweitzer, le secret trahi par Judas était le secret messianique. Alors que Jésus (surtout dans l’évangile de Marc) enjoint à ses disciples de ne point révéler qui il est, Judas et Pierre auraient « cassé le morceau », ce qui, immédiatement, faisait de Jésus un individu politiquement et religieusement dangereux. En cela, il partage la responsabilité avec Pierre, petite attaque du protestant envers le Prince des Apôtres dont le Pontife de Rome se réclamait : « Jésus mourut, car deux de ses disciples ont rompu la promesse de silence. Pierre, qui exprima aux Douze le secret messianique à Césarée de Philippe ; Judas Iscariote, qui le fit connaître aux grands prêtres 165. » Maurice Goguel admettait que Judas avait trahi la prétention de Jésus à détruire le sanctuaire 166, pour William Grundmann, c’était la prétention à se faire appeler fils de Dieu 167. Cette explication va aussi dans le sens de celle d’E. P. Sanders, qui affirme que, plus que le secret messianique, c’est le fait que Jésus se considérait comme un roi qui offrait le pardon sans la repentance et le passage par le Temple 164. Une revue de ces hypothèses dans J. BLINZER, Le Procès de Jésus, 1960, Paris, Mâme, 1962. 165. A. SCHWEITZER, Geschichte der Leben-Jesu-Forschung, 1906, Tübingen, Siebeck-Mohr, 21913, p. 448. Voir également A. SCHWEITZER, Le Secret historique de la vie de Jésus, Tübingen, Mohr, 1956, trad. fr., Paris, Albin Michel, 1961, p. 162. 166. M. GOGUEL, Jésus (Bibliothèque historique), Paris, Payot, 21950, p. 416-417. 167. W. GRUNDMANN, « The Decision of the Supreme Court to Put Jesus to Death », in E. BAMMEL et C. F. D. MOULE (ÉDS.), Jesus and the Politics of his Day, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 295-318.

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que Judas trahit 168. Là encore, on peut se demander ce qu’il pouvait bien y avoir à trahir : Jésus avait prêché ouvertement, il avait déjà fait scandale dans le Temple en chassant les vendeurs. Autre solution : la seule chose nouvelle que Judas peut trahir, ce sont les quelques éléments nouveaux que Jésus introduit lors du dernier repas. Cette idée, défendue par Preisker dans les années 1940, est assez séduisante 169. Elle fut prolongée dix ans après par Black, pour qui Judas « trahit » le fait que Jésus avait célébré la Pâque à une date illégale170. Mais on peut se demander en quoi quelques gesticulations au cours d’un repas pouvaient tellement inquiéter les grands prêtres. N’est-ce pas une compréhension rétrospective, celle de deux mille ans de christianisme qui a lu dans ce dernier repas l’institution de l’Eucharistie ? En outre, cette opinion fait fi de ce que semblent affirmer les quatre évangélistes : cela faisait déjà quelque temps que les grands prêtres cherchaient à se débarrasser de Jésus, et Judas leur en fournit simplement l’occasion. Il n’est pas concevable d’imaginer que Judas n’est là que pour reconnaître son maître. La difficulté n’avait déjà pas échappé au perspicace Dom Calmet qui écrivait, voici trois siècles 171 : Quelques anciens ont cru que la précaution de Judas, pour empêcher que les soldats ne se trompassent en arrêtant un autre au lieu de Jésus était fondée sur ce que le Fils de Dieu avait quelque temps auparavant paru aux yeux de ces gens d’une manière si différente de ce qu’il paraissait ordinairement, qu’ils ne le prirent pas pour lui-même. Et Origène dit que l’on tenait par tradition, que le Sauveur paraissait tantôt sous sa forme ordinaire, et tantôt sous celle qu’il avait eue sur le Thabor [à la Transfiguration]. Dans cette rencontre il parut d’abord sous cette dernière forme, qui effraya les soldats, et les empêcha de le reconnaître. Ce que Judas ayant aperçu, leur dit : Saisissez hardiment celui que je vais baiser ; c’est lui-même que vous cherchez.

On entend presque l’infatigable abbé ricaner au milieu de sa bibliothèque en énumérant ces autorités. Ensuite, il propose sa propre explication, beaucoup plus pragmatique, ainsi qu’à son habitude. Elle est des plus vraisemblables :

168. E. P. SANDERS, Jesus and Judaism, London, SCM, 1985, p. 230. 169. H. PREISKER, « Der Verrat des Judas und das Abendmahl », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 41, 1942, p. 151-155 (154) : Judas « verrät » was er beim Abschiedsmahl Jesu mit seinen Jünger erlebet hat. L’idée a été reprise par Chilton (B. CHILTON, The Temple of Jesus, University Park, Pennslyvania Press University, 1992, p. 151). 170. M. BLACK, « The Arrest and the Trial of Jesus and the Date of the Last Supper », in A. J. B. HIGGINS (éd.), New Testament Essays in Memory of T. W. Manson, Manchester, Manchester University Press, 1959, p. 19-33 (32). 171. A. CALMET, Commentaire littéral…, p. 239 (orthographe modernisée).

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Mais il est beaucoup plus probable que la plupart de ceux qui furent envoyés, étaient des païens qui ne connaissaient pas Jésus ; ou des domestiques des Prêtres, qui ne le connaissaient pas assez, pour le distinguer pendant la nuit, quoiqu’ils eussent des flambeaux, et de la lumière. Enfin, dans une circonstance aussi importante, et aussi odieuse que celle-là, le traître ne négligea rien pour ne pas manquer son coup. Car pour les prodiges qu’il avait vu faire si souvent au Fils de Dieu, il les attribuait à la magie : il ne croyait nullement en lui.

Le traître ne négligea rien pour ne pas manquer son coup : l’idée d’un personnage qui veut trop bien faire est sans doute la plus satisfaisante, beaucoup mieux que toutes les autres inventions pour lever la difficulté.

II. J UDA S ,

LE DISCIPLE MAUDIT

Comment expliquer que Dieu meure ? Voici la question fondamentale, angoissante, incontournable de l’histoire du christianisme. La saisir à bras-le-corps plonge dans des abîmes. Serait-ce que Dieu joue avec nous une « théodramatique » un peu féroce en nous forçant à pleurer sa mort pour mieux rire à sa résurrection ? Serait-ce qu’il fut lui-même le jouet des hommes et qu’il ne sut prévenir la chausse-trappe que lui creusaient les grands prêtres ? Pour juguler l’anxiété, pour éloigner le spectre d’un Dieu ou cruel, ou faible, mieux vaut trouver un bouc émissaire, un « méchant » devenu une altérité radicale sur laquelle rejeter tout ce qui est de l’ordre de l’incompréhensible 172 et dédouaner la communauté et l’Église en général : un Judas. Tous les éléments se trouvent dans les évangiles : il suffit de les recombiner dans un discours à charge : l’un des Douze, trente deniers, un rendez-vous avec les grands prêtres, un baiser, deux morts. A. Nouveaux éléments d’un portrait à charge

1. Au II e siècle : Irénée et le Martyre de Polycarpe Une centaine d’années après les événements, tout est déjà en place. La lettre qui relate le martyre de Polycarpe et qui daterait des années 160 raconte ainsi l’arrestation du saint évêque de Smyrne : « l’irénarque qui avait reçu le même nom qu’Hérode était pressé de le conduire au stade […]. Ceux qui l’avaient livré recevraient le châtiment de Judas luimême 173. » L’officier chargé de la tranquillité publique, l’irénarque, et ses 172. C.-G. DUBOIS, « Judas au fil des haines », Imaginaire & Inconscient 11, 2003, p. 31-48 (47). 173. Martyre de Polycarpe 6, 2.

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sbires sont voués par l’auteur du texte au châtiment de Judas : des deux morts, on choisit la pire, et déjà l’idée a fait son chemin que Judas incarne le réprouvé, promis au pire des châtiments. Vers la même époque, l’évêque de Hiérapolis, Papias, dont quelques fragments nous sont conservés chez Irénée de Lyon, nous rapporte une parole de Jésus que les évangiles n’ont pas recueillie : « Comme Judas le traître demeurait incrédule et demandait Comment Dieu pourrait-il créer de tels fruits ? Le Seigneur lui répondit : ceux-là le verront, qui vivront jusqu’alors 174. » Le texte latin (proditor) et le texte grec (fr. gr. 28, Ἰούδα τοῦ προδότου μὴ πιστεύσαντος) sont parfaitement clairs, ils assimilent Judas au traître : il fait partie des incrédules, de ceux qui résistent au message divin. Une vingtaine d’années après, Irénée, qui écrit dans les années 180, va encore plus loin. Critiquant les spéculations arithmétiques du gnostique Ptolémée, il explique que selon ce dernier, « la vaine passion survenue dans le douzième Éon est signifiée par l’apostasie de Judas qui était le douzième apôtre175 ». Le terme est lâché : l’acte de Judas ne constitue pas une trahison, mais une apostasie.

2. La mort ignominieuse de Judas selon le récit de Papias Mort par pendaison ou mort par chute et gonflement ? De manière tout à fait surprenante, les évangiles ne nous donnent pas une fin cohérente de la vie de Judas. Il faut donc postuler que le destin du traître n’intéressa pas la première communauté, et que ce n’est que dans un second temps, alors qu’il devenait urgent de fournir une explication cohérente à tout ce qui s’était passé, que l’on se mit à s’intéresser à la mort de l’Iscariote. Une sorte de légende se constitua, fondée sur des étiologies. Il fallait bien que le traître mourût et l’on avait à disposition une série de lieux aux noms les plus sinistres les uns que les autres qui pouvaient parfaitement faire l’affaire 176. Hélas, cette double tradition se révèle parfaitement contradictoire. Il y a d’abord cette question du champ : a-t-il été acheté par les grands prêtres après la mort de Judas ou bien est-il une acquisition du disciple lui-même ? Il y a ensuite cette agaçante question de la mort : Judas s’est-il pendu ou bien est-il tombé ? La première tentative de concilier les deux est issue d’un fragment de Papias de Hiérapolis ( IIe siècle), citée en renfort par l’évêque Théophylacte d’Achridia, notre seul témoin pour ce texte :

174. IRÉNÉE DE LYON, Contre les Hérésies V, 33, 4, (SC 153), p. 416-417. Voir J.-D. DUBOIS, « Remarques sur le fragment de Papias cité par Irénée », Revue d’Histoire religieuse 71, 1991, p. 3. 10. 175. IRÉNÉE DE LYON, Contre les Hérésies I, 3, 3, (SC 264) p. 52-53. 176. André Benoît ne disait pas davantage dès les années 1950. A. BENOÎT, « La Mort de Judas », Synoptische Studien, FS A. Wikenhauser, München, Zink, 1953, p. 1-19.

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Judas n’est pas mort de la corde, mais il continua à vivre, car il fut dépendu avant qu’il ne suffoque. Les Actes des Apôtres montrent cela clairement : « suspendu, il s’ouvrit par le milieu et ses viscères se répandirent. » (Ac 1, 18 selon la traduction de Jérôme). Mais Papias, le disciple de Jean, le rapporte encore plus clairement quand il dit dans le 4e livre de ses Exégèses des paroles du Seigneur : « Judas manifesta dans ce monde un grand modèle d’impiété. Sa chair était bouffie à un tel point, qu’il ne pouvait pas passer là où un chariot passait aisément, oui, au point que même le haut de tête ne pouvait pas passer. Car on raconte que les paupières de ses yeux étaient tellement bouffies qu’il n’était pas capable du tout de voir la lumière et que même un docteur ne pouvait voir ses yeux à l’aide d’un instrument optique, tellement ils étaient profondément logés loin de la surface extérieure. Ses organes sexuels paraissaient plus dégoûtants et gros que n’importe quelle autre difformité, et d’eux sortaient des flots de pus avec des vers venus de tout le corps, en même temps que les excréments. Après de nombreux tourments et supplices, il mourut, comme ils disent, dans sa propriété, et jusqu’à maintenant, cette propriété a été laissée à l’abandon et se trouve inhabitée à cause de la puanteur. Jusqu’à ce jour, personne ne peut passer à cet endroit sans se boucher le nez de ses mains. Tant était grande la puanteur de sa chair qu’elle pénétra aussi la terre 177. »

Rien n’est plus frappant que cette mort par explosion interne, par éclatement de tout l’être qui répand les viscères sur le champ. Nous sommes bien entendu ici dans une convention littéraire, dans une ekphrasis 178, qui doit être décodée comme telle. En effet, les lecteurs de l’époque ne pouvaient qu’y lire une allusion codée au motif bien connu de la mort indigne comme rétribution des péchés d’un individu 179. La thématique est fort ancienne et l’on connaît de nombreux cas de châtiments d’individus qui « résistent aux dieux » que les Grecs nommaient θεομάχοι 180 : ils étaient foudroyés, transformés en animaux, réduits en pièces, etc. Les tyrans connaissaient souvent une mort indigne, à l’instar du grand prêtre Alkime, 177. PAPIAS DE HIÉRAPOLIS, Fragment 3. Traduction à partir de F. X. FUNK, K. BIHLMEYER, W. SCHNEEMELCHER, Die apostolischen Väter (Sammlung ausgewählter Kirchen- und Domengeschichtlicher Quellenschriften 2.1.1), Tübingen, Mohr Siebeck, 1956, p. 136-137. 178. C. B. ZEICHMANN, « Papias As Rhetorician : Ekphrasis in the Bishop’s Account of Judas’ Death », New Testament Studies 56, 2010, p. 427-429. 179. Le sujet est très travaillé. Voir Lake (K. LAKE, « The Death of Judas », in F. J. FOAKES JACKSON et K. LAKE (éds.), The Beginnings of Christianity. Part I the Acts of the Apostles, vol. 5, London, MacMillan, 1933 p. 22-30). Une bonne synthèse dans A. W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.187), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, p. 63-72. Voir également A. BENOÎT, « La Mort de Judas »…, p. 6. 180. W. NESTLE, « Legenden vom Tod der Gottesverächter », 1936, Griechische Studien. Untersuchungen zur Religion, Dichtung und Philosophie der Griechen, Stuttgart, Hannsmann, 1948, p. 567-596.

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de Cassandre ou d’Alexandre le faux prophète. Le cas le plus connu est celui d’Antiochus IV Épiphane, dont la fin tragique est relatée par Diodore de Sicile (Histoires 29, 15), par Polybe (Histoires 31, 3, 9), par le Premier et le Second Livre des Maccabées (1M 6, 1-13, 2M 9, 1-28) et par Flavius Josèphe (Antiquités Juives 12, 9, 1) : tombé de son char à la guerre, son corps n’était plus qu’une plaie, pourrit et devint la proie des vers, au point que la puanteur empêchait ses officiers de l’approcher. On peut également citer la mort d’Hérode le Grand dont Flavius Josèphe raconte dans les Antiquités juives qu’il souffrait d’une ulcération perpétuelle des intestins, qu’il suppurait des pieds et qu’il était saisi d’une irrépressible envie de se gratter tout le corps. Théophylacte, notre témoin pour le texte de Papias, l’a compris ainsi, qui ajoute, sans doute sous l’impulsion de la lecture de Grégoire de Nazianze : « de même que les intestins de Judas se sont dissolus, de même ceux d’Arius l’hérétique 181 ». Grégoire de Nazianze, en effet, avait fait la comparaison entre la mort de Judas et celle d’Arius. Il « fut puni de ses intempérances de langage par sa mort survenue dans des lieux d’aisance » : « il avait encouru le châtiment de Judas (τὴν ῥῆξιν Ἰούδα) pour la même trahison du Verbe (ἐπ’ ἵσῃ προδοσία τοῦ λόγου) 182. La lettre de Grégoire fait allusion à une information recueillie par Athanase dans sa Lettre à Sérapion et par Sozomène dans son Histoire ecclésiastique (29, 3) qui racontent la mort d’Arius : l’hérésiarque, se trouvant mal en ville, se serait retiré dans des latrines où il serait mort. Quel crédit accorder à cette troisième mort de Judas ? E. Norelli 183 résume bien l’impression qui se dégage du fragment. Il s’agit d’une « légende personnelle », de caractère populaire, élaboré et transmise oralement s’inspirant de textes sur la mort du tyran. Le style simple, souvent paratactique, les détails horribles, militent pour la comparer à une sorte de fable – le chercheur évoque même Cendrillon – grotesque destinée à ridiculiser Judas.

3. Maudit par les apocryphes Si la trahison a remplacé la livraison dans le discours, les premiers chrétiens ont trouvé la cause de tous les maux : l’avarice. On la repère dès le IIIe siècle dans les Actes de Thomas, où Judas figure en bonne place parmi les maudits de l’histoire :

181. THÉOPHYLACTE, Theophylacti Bulgariæ…, p. 23. Ὥσπερ δέδιχύθη τὰ ἔγκατα τοῦ Ἰούδα, ὅυτως καὶ Ἀρείου τοῦ αἱρετικοῦ. 182. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 20-23, trad. J. MOSSAY et G. LAFONTAINE (SC 270), 1980, p. 135-136 (trad. retouchée). 183. E. NORELLI, Papia di Hierapolis, Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti (Letture cristiane del primo millenio 36), Milano, Paoline, 2005, p. 56-57.

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Nous garder de l’adultère, tête de tous les maux, du meurtre, par lequel la malédiction est venue sur Caïn, du vol, qui a conduit Judas Iscariote à la pendaison, de l’intempérance, qui a privé Ésaü de son droit d’aînesse, de l’avarice, qui pousse celui qui s’y soumet à ne plus prêter attention à ce qu’il fait 184.

Dans ces premières années du christianisme, l’avarice de Judas est tellement devenue proverbiale, qu’on peut le compter au rang des Caïn et des Ésaü. Dans les apocryphes plus tardifs, la condamnation est déjà là 185. Par exemple, le Dialogue du Paralytique avec le Christ (CANT 85), dont il ne nous est conservé que des versions arménienne et géorgienne 186, ironise sur l’avidité d’un personnage (en réalité le Christ qui ne s’est pas encore fait connaître) : « Tu es terriblement cupide et tu es un homme avide. Ne serais-tu pas parent de Judas 187 ? ». Tout avare fait désormais partie de la famille de Judas : traîtrise rime avec avarice et consonne avec Judas. Dans le Livre du Coq, une colonne se met tourner autour de sa tête et l’accuse de sa trahison 188. La Vie de Jésus en arabe (CANT 58, VIIe s.) raconte que l’enfant Judas, déjà possédé par le diable, frappait l’enfant Jésus à l’endroit même où il recevra le coup de lance 189. B. L’Évangile de Judas On savait depuis longtemps, par les Pères de l’Église, que certains groupes à la marge s’étaient lancés dans une réhabilitation des figures controversées, dont le premier fratricide, Caïn, les habitants de Sodome, et bien entendu Judas. Cette réhabilitation des maudits de la Bible semble d’ailleurs être la spécialité d’une frange taxée de « gnostiques » qu’Irénée, notre première source sur la question, nomme « Caïnites ». D’autres encore disent que Caïn était issu de la Suprême Puissance, et qu’Ésaü, Coré, les gens de Sodome et tous leurs pareils étaient de la même race qu’elle : pour ce motif, bien qu’ils aient été en butte aux attaques du Démiurge, ils n’en ont subi aucun dommage, car Sagesse s’emparait de ce qui, en eux, lui appartenait en propre. Tout cela, disent-ils, Judas le traître l’a exactement connu, et, parce qu’il a été le seul d’entre les disciples à posséder la connaissance de la vérité, il a accompli le « mystère » de la trahison : c’est ainsi que, par son entremise, ont été détruites toutes les choses 184. Actes de Thomas 84 in ÉAC II, p. 1402. 185. M. STAROWIEYSKI, « La figure de Judas dans la littérature apocryphe », in J. BAUN et al. (éds.), Studia Patristica 45, Leuven/Paris/Walpole (PA), Peeters, 2010, p. 445-451. 186. B. OUTTIER, « Paralytique et Ressuscité » Apocrypha 8, 1997, p. 111-119. 187. B. OUTTIER (trad.), Dialogue du paralytique avec le Christ 13 in ÉAC II, p. 73. 188. ÉAC II, p. 154-185. 189. Vie de Jésus en Arabe 33, ÉAC I, p. 225.

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terrestres et célestes. Ils exhibent, dans ce sens, un écrit de leur fabrication, qu’ils appellent « Évangile selon Judas » 190.

Un nom est lâché : l’Évangile de Judas, œuvre des Caïnites. Ceux-ci pratiquaient le renversement des récits. Ils font des maudits de l’Ancien Testament des enfants de la divinité du bien, la Grande Puissance : Caïn, le meurtrier de son frère Abel (Gn 4) ; Ésaü, le fils d’Isaac qui abandonne son droit d’aînesse, devient l’ennemi de son frère Jacob/Israël et fonde Édom (Gn 25 – 36) ; Coré qui se révolta contre l’autorité de Moïse (Nb 16) ; les gens de Sodome, la ville qui se révolte contre Dieu et se vautre dans le péché (Gn 14, 18 – 19). Ce retournement s’explique assez bien, si l’on se rappelle que le Dieu de l’Ancien Testament est souvent assimilé au démiurge pernicieux dans la conception dualiste : s’opposer à ce Yahvé malfaisant constituait certainement un titre de gloire pour ces communautés marginales. Judas, lui aussi fait partie de ces maudits, et mieux, il semble l’avoir compris : il est de la même race que Caïn et les autres, il fait partie des vrais gnostiques 191. L’auteur du Contre toutes les Hérésies, qu’on a parfois assimilé à Tertullien bien que Saint Jérôme nous prévienne qu’il s’agissait d’un évêque nommé Victorin de Pettau (mort martyr vers 303192), précise ce que l’on sait de ces Caïnites : Il éclata encore une autre hérésie ; c’est celle des Caïniens [Cainæorum]. Ils exaltent Caïn, comme s’il avait été conçu par quelque Vertu puissante qui opéra en lui. Car Abel, selon eux, né d’une Vertu inférieure, avait été procréé ; voilà pourquoi il était inférieur. Ceux qui parlent ainsi revendiquent aussi le traître Judas, qu’ils proclament grand et admirable, à cause du service qu’il rendit au genre humain. Quelques-uns, en effet, croient devoir remercier solennellement Judas de sa trahison. Comme il remarquait, disent-ils, que Jésus-Christ essayait de détruire la vérité, il le livra pour que la vérité ne fût pas détruite. D’autres, au contraire, raisonnent dans ce sens. Les puissances de ce monde ne voulaient pas que Jésus-Christ endurât sa passion, de peur que le genre humain ne recouvrât le salut par sa mort. Judas, pour consommer le salut du genre humain, livra le Christ, afin que le salut, qui était entravé par les Vertus dont la haine s’opposait à l’avènement du Christ, ne fût plus entravé, ni la réhabilitation de l’homme retardée par la passion du Christ 193. 190. IRÉNÉE DE LYON, Contre les Hérésies I, 31, 1. 191. J. VAN OORT, « Irenaeus on the Gospel of Judas : An Analysis of the Evidence in Context », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 43-56. 192. JÉRÔME, Vie des Hommes illustres 53. 193. Nec non etiam erupit alia quoque hæresis, quæ dicitur cainæorum. Et ipsi enim magnificant Cain, quasi ex quadam potenti uirtute conceptum, quæ operata sit in ipso. Nam Abel ex inferiore uirtute conceptum, procreatum et ideo inferiorem repertum. Hi qui hoc adserunt, etiam Iudam proditorem defendunt, admirabilem illum et magnum

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On retrouve des notices semblables chez Épiphane de Salamine (310405), Philastre de Brescia (v. 390), Théodoret de Cyr (386-458) 194. Elles montrent qu’il y avait deux versions du rôle de Judas. La première fait de Jésus un traître : Jésus pervertit le message divin et Judas s’en débarrasse afin que la vérité triomphe. La seconde pourrait correspondre (les avis divergent 195) à un texte livré en pâture au grand public pour Pâques 2006, l’Évangile de Judas. Il n’est pas utile de revenir sur les péripéties de la découverte de ce texte, dans lesquelles plus d’une zone d’ombre subsiste et qui révèle surtout que certaines petites bassesses humaines – qui ressemblent d’ailleurs singulièrement à celles imputées à l’Iscariote : amour de l’argent, trahison – n’épargnent pas le monde feutré des spécialistes des premiers siècles chrétiens. Pour en connaître le détail, on se reportera aux nombreux ouvrages publiés sur le sujet 196. En novembre 2010, de nouveaux fragments ont été portés à la connaissance publique, après une rocambolesque bataille financière et judiciaire, dans laquelle intervint le Conseil Suprême des Antiquités égyptiennes 197. L’Évangile de Judas se présente comme un ensemble de révélations faites par le Sauveur avant la Résurrection, ce qui est rare dans la littérature apocryphe 198, qui ne se déclare pas comme évangile, mais comme « mots esse memorantes propter utilitates, quas humano generi contulisse iactatur. Quidam enim ipsorum gratiarum actionem Iudæ propter hanc causam reddendam putant. Animaduertens enim, inquiunt, Iudas, quod christus uellet ueritatem subuertere, tradidit illum, ne subuerti ueritas posset. Et alii sic contra disputant et dicunt : quia potestates huius mundi nolebant pati Christum, ne humano generi per mortem ipsius salus pararetur, saluti consulens generis humani tradidit Christum, ut salus, quæ impediebatur per uirtutes, quæ obsistebant, ne pateretur Christus, impediri omnino non posset et ideo per passionem Christi non posset salus humani generis retardari. PS-TERTULLIEN, Aduersus omnes hæreses II, éd. E. KROYMAN (CSEL 47), 1906, p. 213. 194. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion XXXVIII, PG 41, 564-659 ; PHILASTRE DE BRESCIA, Liber de Hæresibus XII, 1115 et 1150 ; THÉODORET DE Cyr, Abrégé des fables hérétiques, PG 83, 367. 195. Elle est maintenue par J. VAN OORT, « Irenaeus’s Knowledge of the Gospel of Judas : Real or False ? An Analysis of the Evidence in Context », HTS Teologiese Studies / Theological Studies 69, 2013. 196. On peut lire le livre « officiel » édité par la National Geographic Society (H. KROSNEY, The Lost Gospel. The Quest for the Gospel of Judas Iscariot, Washington DC., National Geographic, 2006, trad. fr. L’Évangile perdu, la véritable histoire de l’évangile de Judas, Paris, Flammarion, 2006,) ou l’ouvrage plus aigre de James Robinson ( J. M. ROBINSON, The Secrets of Judas. The Story of the Misunderstood Disciple and his Lost Gospel, New York, HarperSanFrancisco, 2006, trad. fr. Les Secrets de Judas, L’Histoire du disciple incompris et de son évangile, Paris, Michel Lafon, 2006). 197. H. KROSNEY, M. MEYER et G. WURST, « Preliminary Report on New Fragments of Codex Tchacos », Early Christianity 1, 2010, p. 282-294. 198. M. MEYER, « Interpreting Judas : Ten Passages in the Gospel of Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First Interna-

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secrets de déclaration » (ⲡⲗⲟⲅⲟⲥ ⲉⲧϩⲏⲡ ⲧⲁⲡⲟⲫⲁⲥⲓⲥ). Sa date de composition est malaisée à connaître, même si tous s’accordent à le dater d’après la fin du IIe siècle au vu de la cosmologie mise en avant 199. Le texte commence par condamner les disciples. Il affirme la dualité entre des hommes qui sont composés d’une âme, d’un esprit (sorte d’intelligence terrestre) et d’un corps et seront donc sauvés et des hommes qui ne sont qu’un esprit dans un corps et qui périssent avec ce monde. Parmi ces derniers, qui ne sont en réalité que des sortes de pantins animés, mais sans âme, se trouvent les apôtres. Ce rejet de l’Église des apôtres reprend une polémique avec la « Grande Église » que les sectaires déclarent illégitime. Cette polémique est ici extrêmement violente puisqu’elle affirme qu’au nom de Jésus, l’Église des apôtres soutient les fornicateurs, les infanticides, ceux qui « se complaisent dans l’impureté, l’illégalité et l’égarement » (f°40, 13-14). La fin de la diatribe est d’ailleurs sans appel : « prêtre, c’est-à-dire ministre de l’égarement » (f°40, 22-23). Le propos du texte se laisse deviner. Tenant d’un gnosticisme dont tout le monde s’accorde à penser qu’il est issu du mouvement valentinien, séthien 200 ou peut-être basilidien selon la proposition de lecture de J.-D. Dubois 201, l’auteur entend polémiquer contre l’Église officielle en se choisissant un champion ( Judas), en justifiant la séparation (l’impiété de l’Église) et en promouvant sa propre théologie (le système valentinien). tional Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 41-57. 199. M. MEYER, « When the Sethians were Young : The Gospel of Judas in the Second Century », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 75-94 ; G. SCHENKE ROBINSON, « The Gospel of Judas : Its Protagonist, its Composition, and its Community », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/ Boston, Brill, 2009, p. 75-94. 200. Le principal défenseur de cette thèse est J. D. TURNER, « The Place of the Gospel of Judas in Sethian Tradition », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 187-237. M. MEYER, « When the Sethians were Young : The Gospel of Judas in the Second Century », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/ Boston, Brill, 2009, p. 75-94 ; J. D. TURNER, « The Sethian Myth in the Gospel of Judas : Soteriology or Demonology ? », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 95-135. 201. J.-D. DUBOIS, « L’Évangile de Judas et la tradition basilidienne », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 145-154.

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Comme propose de le lire Gesine Schenke Robinson 202, il s’agit probablement d’un texte de combat, destiné à servir la défense de la communauté, plutôt qu’un outil d’enseignement ou un texte de dévotion. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ne pas y voir toutes les finesses de la gnose valentinienne exposées (et en particulier sa sotériologie) : le texte taille son propos à coup de serpe, sans se préoccuper des subtilités. Le tableau des diverses réactions à l’enseignement de Jésus n’est pas accessoire : il traduit, comme le reconnaît Jean-Pierre Mahé 203, les réactions et les attitudes concrètes des spectateurs, telles qu’on pouvait les rencontrer concrètement au IIe siècle. Judas devient donc une sorte de personnage central. Alors que les autres disciples ne sont pas individués (pas même Pierre souvent présent chez les sectaires, au moins comme repoussoir) mais sont représentés comme un groupe unique, Judas est le seul à avoir une existence bien à lui, le seul à avoir un nom. Lui seul pose les questions, lui seul a des rêves propres, lui seul à la force de se tenir devant Jésus même s’il doit finalement détourner les yeux (f°35, 12), lui seul reçoit l’enseignement de Jésus. C’est un disciple capable d’analyser le message de Jésus : « Judas réfléchissait encore au reste des réalités d’en haut 204 » (f°35, 22). Cette capacité de réflexion suggère d’ailleurs à Jésus de le mettre à part : « Sépare-toi des autres, lui dit-il, et je te dirai les mystères du Royaume ». Cet enseignement constitue l’essentiel de l’évangile et comporte une révélation sur la destinée du héros de cette communauté. Par morceaux épars, une narration assez précise se met en place. 1° Judas doit tout d’abord sacrifier l’homme qui supporte le Christ. Toi, tu les surpasseras tous ! Car tu sacrifieras l’homme qui est mon support ! Déjà ta corne s’est dressée, et ta fureur s’est enflammée, ton étoile a surpassé (ses rivales). (f° 56, 17-23)

« Tu sacrifieras l’homme qui me porte » : voici l’expression clef de l’œuvre de Judas qui sacrifie non pas le Christ mais son support. En conformité avec la conception dualiste de l’humanité pour qui le corps n’est qu’une enveloppe charnelle enfermant l’âme ou l’esprit, la mort est décrite 202. G. SCHENKE ROBINSON, « The Relationship of the Gospel of Judas to the New Testament and to Sethianism », Journal of Coptic Studies 10, 2008, p. 63-98. 203. J.-P. MAHÉ, « Mise en scène et effets dramatiques dans l’Évangile de Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 23-32 (31). 204. Toutes les traductions proviennent de R. KASSER, « L’Évangile de Judas », in R. KASSER et G. WURST (éds.), The Gospel of Judas, Critical edition, Washington, National Geographic, 2007. On peut aussi consulter E. PAGELS et K. L. KING, Reading Judas, New York, Viking, 2007. Peter Nagel a également proposé quelques correction : P. NAGEL, « Das Evangelium des Judas – zwei Jahre später », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 100, 2009, p. 101-138.

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comme le dépouillement du vêtement corporel. Cette mort est éminemment souhaitable puisque le corps reste cette prison qu’il est urgent de fuir une fois que l’on a acquis la connaissance. Il y a donc du docétisme dans cette description de la mort du Christ : ce n’est pas lui qui meurt, c’est une semblance, un homme qui le porte et qui se quitte comme un manteau. La mort de Jésus n’a donc pas de valeur salvifique, elle est une libération, le départ prévu de celui qui a accompli sa mission. La trahison n’est donc trahison de rien, car la mort n’est rien 205. D’ailleurs, un fragment récemment retrouvé montre que le Christ entre lui-même dans la nuée qui le ramène vers le premier principe : il n’a pas été touché par l’action de Judas 206. Ce sacrifice est narré à la fin de l’évangile : Leurs grands prêtres murmurèrent : « [Ils] sont entrés dans la salle commune où il a son lieu de prière ! » Mais certains scribes étaient là qui étaient aux aguets, afin de l’appréhender discrètement (en pleine prière), car ils avaient peur du peuple qui le considérait comme un prophète. Ils s’approchèrent de Judas et lui demandèrent : « Que fais-tu ici ? Es-tu le disciple de Jésus ? » Judas leur donna la réponse qu’ils souhaitaient. Et il reçut de l’argent et le leur livra. (f°58, 9-25)

Reprenant les données canoniques sur l’inquiétude des grands prêtres, l’évangile mêle la scène de l’arrestation et celle de la dernière Cène. Jésus n’est pas arrêté dans le jardin des Oliviers mais dans la salle commune qui devient un lieu de prière : il s’agit bien d’une allusion au Cénacle, car le texte copte emploie le même mot de κατάλυμα qu’utilisent Mc 14, 14 et Lc 22, 11. La mise en scène a à vrai dire peu d’importance, il n’est pas question de distraire le lecteur par des détails anecdotiques alors que le cœur du texte est constitué par les révélations du maître et les réalités spirituelles 207. Le rôle de Judas n’est pas clair : on l’interroge comme si on découvrait sa présence. De même, on peut se demander ce que recouvre le fait de « donner la réponse qu’ils souhaitaient » et de « livrer ». 2° ensuite, il doit être rejeté et souffrir : « Sépare-toi des autres et je te dirai les mystères du Royaume. Il te sera possible d’y parvenir, mais au prix de maintes afflictions. Car un autre prendra ta place, afin que les douze [disciples] puissent se retrouver au complet avec leur Dieu. » (f°35-36) 205. S. EMMEL, « The Presuppositions and the Purpose of the Gospel of Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 33-39. 206. L. PAINCHAUD, « “Judas cessa de voir Jésus” (EvJud 58,5-6). Les nouveaux fragments inédits de l’Évangile de Judas », Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, fasc. 2011-2, 2011, p. 875-895. 207. J.-P. MAHÉ, « Mise en scène et effets dramatiques dans l’Évangile de Judas »…, p. 27.

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Pour parvenir aux mystères du Royaume, c’est-à-dire connaître la gnôsis parfaite, Judas doit passer par une série d’épreuves dont la moindre semble être son remplacement par Matthias. On reconnaît ici l’ironie du texte qui pour nommer le dieu des chrétiens parle de leur dieu. Judas a d’ailleurs une prescience de ces événements dans un rêve : « j’ai vu les douze disciples qui me lapidaient » (f°44, 24-25). Ailleurs, Jésus affirme : « tu deviendras le treizième et tu seras maudit par le reste des générations » (f°46, 19-22). Jésus rit à de nombreuses reprises dans le texte, tandis que Judas souffre : il y a ici tout le retournement gnostique à l’œuvre 208. 3° enfin, il sera exalté : il régnera sur les autres générations (f° 46) et son étoile sera la première des étoiles : Voici, tout t’a été dit. Lève tes yeux, et vois la nuée, et la lumière qui est en elle, et les étoiles qui l’entourent ! L’étoile qui est en tête de leur cortège est ton étoile ! (f°57, 15-19).

L’étoile de Judas, symbolisant sa propre existence, précède les étoiles des autres élus. Il est le premier d’entre tous, ce qui en fait une sorte de figure abrahamique 209. En lisant cette description de la mission de Judas, le lecteur familier du christianisme reçoit une sorte de choc : Judas, c’est Jésus ! En réalité, c’est Jésus, mais aussi Pierre et Judas lui-même : cette littérature que l’on a présentée comme une mémoire alternative des premiers temps du christianisme se révèle plutôt comme des textes écrits en réaction aux évangiles canoniques. Le rédacteur de l’Évangile de Judas connaît parfaitement Matthieu, Marc, Luc et Jean et écrit en multipliant les allusions et les jeux avec cette tradition. Contrairement à ce que prétend Bart Ehrman dans son article de présentation de l’évangile dans l’édition « officielle » et dans son livre Lost Christianities 210, notre évangile ne présente pas une « autre vision » et nous ne sommes pas confrontés à une réécriture de l’histoire par les

208. G. MOST, « The Judas of the Gospel and the Gospel of Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 69-80. 209. M. FRANZMANN, « Judas as an Abraham Figure in the Gospel of Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 113-121. 210. B. D. EHRMAN, « Le christianisme mis sens dessus dessous : l’Évangile de Judas, une autre vision », in R. KASSER, M. MEYER, G. WURST (éds.), L’Évangile de Judas, Paris, Flammarion, 2006, p. 97-143. ID., Lost Christianities : The Battles for Scripture and the Faiths We Never Knew, New York, Oxford University Press, 2003. Wilhelm Pratscher est aussi plus ou moins sur cette ligne : W. PRATSCHER, « Judas Iskariot im Neuen Testament und im Judasevangelium », Novum Testamentum 52, 2010, p. 1-23.

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vainqueurs, ce que les Américains nomment la thèse du lucky winner 211. Le texte de l’évangile ne se comprend pas sans la connaissance des textes devenus canoniques, il est bien une littérature écrite dans un second temps212. Reprenons le texte. Judas est bien Judas, car il joue son rôle de « livreur » : le terme copte est une translittération du paradídōmi des évangiles et, conformément à ce qui est écrit chez Matthieu, il reçoit de l’argent pour son geste. Comment ne pas voir dans cette mention une volonté de coller aux textes ? Rien ne prépare en effet cette histoire d’argent dans le texte. Le Judas de l’évangile joue également le rôle de Pierre dans les évangiles canoniques. Alors que les disciples viennent de confesser que Jésus est « le fils de notre Dieu » comme en Mt 16, 13-20 ou en Lc 9, 18-30, Judas ajoute : « Tu es issu du Royaume immortel de Barbèlô et le nom de qui t’as envoyé je ne suis pas digne de le prononcer » (f°36). Immédiatement, le texte, joignant les deux prophéties sur Pierre (celle après la confession et celle au bord du lac chez Jean), prédit un destin de gouvernement sur le monde et un destin de souffrance. Le texte manifeste à ce propos une connaissance étendue du texte des Actes (Ac 1, 15-26) puisqu’il précise qu’un autre prendra la place de Judas « afin que les Douze puissent se retrouver au complet », ce qui est une allusion à cette omniprésence du nombre qui traverse la péricope de l’élection de Matthias. Mais en même temps, Judas reprend le rôle de Jésus : alors que ce dernier évoque avec légèreté le sacrifice de l’homme qui le porte, tout le vocabulaire de la souffrance est attribué à Judas qui est celui qui souffre pour ensuite gouverner le monde. Comme le Christ des évangiles canoniques, il doit connaître la persécution des hommes – en l’occurrence les disciples – et souffrir sa Passion pour revenir diriger le monde. Tout cela est presque trop beau. Le rédacteur du texte prend-il son héros vraiment au sérieux pour en faire une sorte de « super-apôtre » ou manifeste-t-il au contraire une sorte d’ironie mordante à l’égard de ceux qui prétendent exalter sans précaution certaines figures apostoliques ? Quel rôle exact l’Iscariote jouait-il dans cette communauté ? En effet, quand on reprend une partie des données, on s’aperçoit que Judas n’est pas le héros qu’on croit souvent qu’il est. En effet, comme l’a montré Birger Pearson 213, 211. S. E. PORTER et G. L. HEATH (éds.), The Lost Gospel of Judas…, p. 97sq. 212. Tobias Nicklas parvient à une conclusion semblable : T. NICKLAS, « Das Judasevangelium – Dimensionen der Bedeutung eines Textfunds », Biblische Notizen (Neue Folge) 130, 2006, p. 79-103. L. PAINCHAUD, « Polemical Aspects of the Gospel of Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 171-186. 213. B. A. PEARSON, « Judas Iscariot in the Gospel of Judas », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 137-152.

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il est étonnant de constater que Jésus s’adresse à lui en se moquant de lui et en l’appelant ⲱ ⲡⲙⲉⲙⲛⲧⲓⲅ ⲇⲁⲓⲙⲱⲛ, « ô treizième démon » (44, 20), une interpellation assez peu enviable. En effet, non seulement les démons ne sont pas tenus en meilleure estime dans la gnose que dans les évangiles canoniques, mais en plus appartenir au rang des Douze qui sont si complètement méprisés n’est pas totalement une louange. En outre, le texte annonce brillamment que l’on va dire à Judas ⲙⲩⲥⲧⲏⲣⲓⲟⲛ ⲧⲙⲧⲉⲣⲟ (35, 25), les mystères du Royaume. Or on s’aperçoit par la suite que ce Royaume s’associe à l’erreur des étoiles (45, 25 – 46, 3). Et justement, lorsque l’on parle de l’étoile de Judas, alors qu’on a bien vu que les étoiles s’associaient aux archontes (puissances malveillantes) et aux apôtres, on peut douter du brillant destin qui l’attend. Et de même lorsque le Sauveur affirme que Judas surpassera tout le monde, n’est pas aussi dans l’idolâtrie à Saklas, le dieu des Juifs 214 ? Judas n’est-il pas plutôt l’objet d’une tragique parodie 215 dont l’expression la plus claire est le rire de Jésus, qui, finalement n’a rien d’un rire complice, mais est plutôt un rire moqueur et plein de rejet 216 ? L’Évangile de Judas n’a pas eu une grande importance dans la compréhension globale de la figure de l’apôtre maudit. En effet, l’interprétation que ce texte donne est bien trop dépendante de la communauté marginale qui l’a produit 217. Les quelques éléments biographiques du texte concernant Judas ne sont pas en lien avec l’essentiel, l’explication cosmologique et la polémique avec le Temple. Il n’en reste pas moins qu’une contestation des données évangéliques était possible. Elle fut bien vite oubliée.

214. L. PAINCHAUD, « “Judas cessa de voir Jésus” (EvJud 58,5-6)… », p. 887-888. 215. K. SULLIVAN, « “You Will Become the Thirtheenth”. The Identity of Judas in the Gospel of Judas », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 181-199. 216. F. BERMEJO RUBIO, « Laughing at Judas. Conflicting Interpretations of a New Gnostic Gospel », in A. D. DECONICK (éd.), The Codex Judas Papers. Proceedings of the International Congress on the Tchacos Codex (Nag Hammadi and Manichaean Studies 71), Leiden/Boston, Brill, 2009, p. 153-180 ; ID., « L’ambiguïté du rire dans l’Évangile de Judas : les limites d’une Umwertung gnostique », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 331-360. 217. T. NICKLAS, « Das Judasevangelium… », p. 97-98. B. POUDERON, « Judas l’homme double. Recherches sur les archétypes du disciple qui trahit Jésus dans l’Évangile de Judas », in M. SCOPELLO (éd.), The Gospel of Judas in Context. Proceedings of the First International Conference on the Gospel of Judas (Nag Hammadi and Manichaean Studies 62), Leiden, Brill, 2008, p. 81-95.

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C. Origène ou le diable archer Malgré ces spéculations marginales, Judas ne passionna pas les premiers chrétiens. Sans doute l’apôtre représentait-il une figure trop litigieuse pour un christianisme encore enfant qui résistait contre ses ennemis de l’intérieur et cherchait à se défendre de ses contradicteurs. Il faut attendre le IIIe siècle et les grandes synthèses théologiques de la pensée alexandrine pour que l’on ose affronter le « traître ». Le premier à le faire de manière approfondie se nomme Origène (185-254) 218. Pourquoi Jésus, qui sait tout, se comporte plus médiocrement que le dernier des chefs de troupe, incapable de savoir qu’un de ses hommes va le trahir 219 ? Comment le Fils de Dieu se révélerait incapable de prévoir à l’avance la trahison, pourquoi n’a-t-il pas exercé sa prescience ? La seule solution consiste à admettre que Judas n’était pas mauvais dès l’origine, mais qu’il l’est devenu, et que cela n’a pu se réaliser que par l’usage plénier de sa liberté d’agir 220. Comme toutes les créatures chez Origène, Judas possède l’αὐτεξούσιον, le libre-arbitre. Les âmes ont été créées libres, et seul leur libre arbitre leur permet de se rapprocher de Dieu ou de s’en éloigner. Nul être créé ne peut être foncièrement mauvais : « nul n’est immaculé de façon substantielle ou par nature, et nul n’est souillé de manière substantielle 221. » Les évangiles ne disent d’ailleurs pas autre chose, qui affirment que rien ne permettait de le distinguer des autres disciples. Pourquoi sinon les disciples s’interrogeraient-ils lors du dernier repas sur l’identité du traître si tout le monde connaissait Judas comme un misérable222 ? Pourquoi Jésus, s’il n’avait pas confiance en lui, lui aurait-il révélé, en même temps que les autres disciples qu’il allait souffrir à Jérusalem (Mt 20, 17) 223 ? Et si Judas lui-même n’avait pas été bon à ce moment, pourquoi se serait-il indigné, comme le précise le texte, de la demande de la mère des fils de Zébédée (Mt 20, 20) 224 ? Si Judas avait été voleur dès le début, pourquoi lui aurait-on confié la bourse comme s’il était encore digne de confiance 225 ? Si Judas avait été méchant, pourquoi l’aurait-on envoyé prêcher l’évangile ?

218. L’article fondamental sur la question reste celui de Samuel Laeuchli, dont nous nous inspirons : S. LAEUCHLI « Origen’s Interpretation of Judas Iscariot », Church History 22/4. 1953, p. 253-268. 219. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean XXXII, 18. 220. ORIGÈNE, Commentaire sur le Cantique des Cantiques 4. 221. ORIGÈNE, Traité des Principes (Peri Archôn) 1, 5, 5, trad. M. HARL, G. DORIVAL, A. LE BOULLUEC, Paris, Études Augustiniennes, 1976, p. 66. 222. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean XXXII, 14 et 19. 223. ORIGÈNE, Commentaire sur l’Évangile de Matthieu XVI, 8. 224. Ibid. 225. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean XXXII, 14.

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S’il n’avait jamais été fils de paix [υἱὸν εἰρηνής], Jésus ne l’aurait pas envoyé avec les autres apôtres et ne lui aurait pas dit, à lui aussi – car c’est aux douze qu’il dit, d’après l’Écriture – : « Dites : Paix à cette maison ! Et s’il s’y trouve un fils de paix, votre paix reposera sur lui sinon votre paix reviendra sur vous [Lc 10, 5-6] » 226. Il faut donc expliquer cette soudaine irruption du mal dans l’âme de Judas. L’Alexandrin adopte une vision dynamique de la narration et explique l’émergence du mal par des bouleversements au sein de l’âme de Judas. Il procède en trois étapes. 1. Première étape : Judas est blessé par le diable. – Pour Origène, si Judas a succombé, ce n’est pas qu’il fût foncièrement mauvais, mais parce qu’il a reçu une première blessure du diable. Le texte central se trouve dans le commentaire sur l’évangile de Jean. Le diable, ne l’ayant trouvé ni revêtu de l’armure de Dieu, ni muni du bouclier de la foi, grâce auquel on peut éteindre tous les traits enflammés du malin, avait déjà jeté dans son cœur le désir de livrer le Maître et le Seigneur. En effet, j’entends de la même manière que notre texte – « le diable ayant déjà jeté » – le passage de l’Écriture qui enseigne également, au Psaume 7, que le diable est un archer, artisan de traits enflammés contre ceux qui ne gardent pas leur cœur avec la plus grande vigilance […]. D’un de ces traits, qu’il avait fabriqué pour ceux qui brûlent, le diable avait donc frappé le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, qui avait déjà été blessé au moment du repas 227.

Le principal défaut de Judas s’appelle relâchement. Il se trouvait en lui un peu de peau à découvert, un lieu sans protection. Judas avait négligé de se préparer pour la guerre contre le mal, et le diable, prompt comme un archer, s’empressa de lui décocher une flèche précisément là où il pouvait atteindre. Lors de l’épuisant combat contre le malin, il les découvre par fatigue. Judas a simplement manqué d’attention pour devenir une cible vivante : « si Judas avait résisté à ce qui avait été mis, Satan n’aurait donc pas trouvé une « place » pour entrer en lui 228. » Une fois Judas blessé, la porte est ouverte pour que Satan entre en lui. L’Iscariote commence à se comporter avec orgueil, il fait des « crocs-enjambe » au Fils de Dieu, il le « piétine » 229. Il n’a donc plus la foi, le savoir et les aspirations. Satan n’a plus qu’à attendre le moment favorable. L’occasion se présente avec la bouchée du dernier repas. « Il mangeait le pain de Jésus avec lui, lorsque Jésus prit la bouchée, et après l’avoir trempé, 226. ORIGÈNE, 1992, p. 256-257. 227. ORIGÈNE, p. 195-197. 228. ORIGÈNE, 229. ORIGÈNE,

Commentaire sur S. Jean

XXXII,

14, trad. C. BLANC (SC 385),

Commentaire sur S. Jean

XXXII,

2 § 19-20.23, trad. C. BLANC,

Commentaire sur Éphésiens XX, 15. Commentaire sur S. Jean XXXII, 14 § 165.

122

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la donna à Judas, fils de Simon, l’Iscariote230. » Jouant avec les mots (un jeu de mot qui peut parfaitement se rendre en français), Origène compare la bouchée « trempée » (βάψας) et la « trempe » (βαφή) reçue par le Verbe de Dieu : de même qu’un acier se « trempe » dans l’eau pour en acquérir de la dureté, de même, Jésus a « trempé » l’âme de Judas en la plongeant dans la force de son discours. Mais ici, par un étrange paradoxe, la trempe est négative : la bouchée trempée ôte la trempe du discours, c’est une sorte d’anti-baptême, d’eucharistie négative, qui détruit tout l’enseignement de Dieu : [La bouchée] était trempée au contraire, pour celui qui serait capable d’arracher de son âme la trempe qu’il avait reçue jusqu’à un certain point du Logos, de sorte qu’après la bouchée, Satan entra en lui 231.

Dans son commentaire, Origène s’appesantit sur un trait qui n’est pas toujours mis en avant chez les exégètes de Jean : l’insistance avec laquelle l’évangéliste rappelle l’extrême rapidité de ce qui se passe ensuite. « Ce que tu as à faire, fais-le vite », commande Jésus. Et aussitôt, Judas sortit. Pourquoi cette hâte ? Certainement parce que le diable ne supporte pas la vue de Jésus. Il n’y a aucun accord entre le Christ et Béliar, comme le rappelle l’apôtre Paul (2Co 6, 15). La précipitation se fait tellement grande qu’Origène se demande si Judas a même mangé la bouchée. Le texte ne dit nulle part qu’il l’aurait avalée. Inépuisable théoricien de la grâce de Dieu, l’Alexandrin ne veut pas croire que le Christ n’aurait pas fait une ultime tentative de rattraper Judas. Mais le diable, toujours aux aguets, le prévient : [La bouchée] avait une force bienfaisante pour qui en ferait usage ; cependant, celui qui avait jeté une fois dans le cœur de Judas le dessein de livrer le Maître, craignant qu’à la suite de l’usage de la bouchée, ce dessein ne se détachât de celui en qui il avait été jeté, prit les devants et pénétra en Judas au moment même où il prenait la bouchée 232.

L’auteur des Hexaples jette les bases de ce qui va être la solution traditionnelle pour expliquer l’acte de Judas. En particulier, il considère comme définitivement admis que Judas a trahi Jésus, il accepte sans sourciller l’entrée du diable en Judas et sa parfaite obéissance aux sollicitations diaboliques. Pour autant, la pensée de l’Alexandrin est beaucoup plus originale et beaucoup plus nuancée que celle de la majorité de ses successeurs. La 230. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean 259. 231. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean 311. 232. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean 319.

XXXII,

14 § 166, trad. C. BLANC, p. 258-

XXXII,

22 § 291, trad. C. BLANC, p. 310-

XXXII,

24 § 308, trad. C. BLANC, p. 318-

JUDAS, L’APÔTRE QUI S’EST PERDU

123

lecture origénienne de la figure de Judas est plutôt favorable au douzième disciple. Elle ne fait pas de lui un homme perdu dès l’origine, elle ne fait pas de lui un diable. Judas a trahi son maître, car il n’a pas su résister à la blessure diabolique. Satan a trouvé un « lieu » pour s’emparer de lui. Cette possession est l’occasion pour l’auteur du Peri Archôn de mettre en application ses théories sur le libre arbitre. Judas n’est pas mauvais par essence, il le devient, parce qu’il n’a pas eu la force de résister. Origène bâtit avec une très grande modernité une figure d’homme faillible et engagé dans le temps : Judas n’est ni bon ni mauvais, il est simplement fragile, accessible au péché. Cette fêlure s’explique par la fatigue, le manque d’éclairement de la conscience, et le libre-arbitre. Ses conséquences se développent dans la temporalité : apôtre un jour, Judas peut apostasier le lendemain, il suffit que le diable ait trouvé une faille dans son armure. Le mal survient dans l’instant, un peu de vigilance le chasse, un peu de relâchement l’appelle. L’homme ne se réduit pas à son essence, bonne ou mauvaise, il prend son sens par ses actions, dans le temps. Enfin, Origène mesure à sa juste valeur la difficulté engendrée par la conduite de Jésus face à Judas. En livrant le Christ, le disciple ne fait qu’accélérer le processus du salut, un processus qui lui échappe largement. Au point que l’on peut s’interroger sur les encouragements que Jésus donne à son disciple. Une fois Satan entré en Judas, « Jésus lui dit d’après l’Écriture : ce qui tu fais, fais-le vite ». À qui, lui ? C’est ambigu, puisque le Seigneur peut avoir dit à Judas lui-même ou à Satan : « Ce que tu fais, fais-le vite », qu’il ait provoqué l’adversaire à la lutte ou le traître à servir l’économie qui devait être salutaire au monde, et qui voulait ne plus voir tarder ni traîner, mais accélérer, au contraire, le plus possible 233.

Origène n’ose pas penser qu’il puisse s’agir d’un ordre de Jésus, mais d’une simple incitation à hâter les choses. Il s’interroge quand même pour savoir qui livre qui. La phrase « il sera livré » conservée par Matthieu et Luc ne donne pas de réponse claire à la question « par qui ? ». Ainsi, comme nous l’avons dit, l’un dira « par Jésus », un autre « par le peuple ». Mais puisque Judas et le peuple étaient des êtres humains, réalisons qu’il est peut-être mieux pour nous de suivre Paul qui dit du Père « qu’il n’a pas épargné son propre fils, mais qu’il l’a livré » 234.

Premier commentateur de la figure de Judas, Origène voit immédiatement l’ambiguïté du verbe paradídōmi. Mais la prudence avec laquelle l’au233. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Jean XXXII, 23 § 295, trad. C. BLANC (légèrement retouchée), p. 312-313. 234. ORIGÈNE, Commentaire sur S. Luc, fragment sur Lc 9, 45.

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teur de ce Commentaire sur saint Luc s’exprime est remarquable. Il n’affirme rien, met tout au conditionnel, ne s’avance pas. Il n’en reste pas moins que les choses sont dites : et si c’était Dieu lui-même qui avait armé le bras de Judas ? L’acte de l’Iscariote ne correspond-il pas à un mystérieux plan divin et ne légitime-t-il pas dans tous les bienfaits qui s’ensuivirent ? Cette voie, à peine ébauchée, sera bien vite fermée par les siècles qui suivent. D. L’achèvement de la légende noire : Augustin et Jean Chrysostome En effet, les deux grands évêques du tournant du Ve siècle, Jean Chrysostome (v. 345-407) et Augustin (354-430) s’accordent à penser que la question de savoir si Judas pourrait être excusé par l’action antécédente de Dieu livrant son fils pour le salut des hommes ne se pose pas. Jean Chrysostome, plus pasteur et prédicateur que théoricien, l’exprime avec vivacité : la culpabilité de Judas ne saurait être remise en cause. Quelqu’un nous blâmera peut-être de ce que nous nous élevons contre Judas, puisqu’il n’a fait qu’accomplir ce que Jésus Christ avait dit de lui. Mais je réponds que nous l’accusons très justement de son crime, puisque ce n’est point dans cette disposition qu’il a résolu de livrer son maître, mais par sa méchanceté et par le mouvement de son avarice. Si l’on ne passe ainsi à l’intention de celui qui agit, on pourrait accuser le démon même et l’absoudre de tous les crimes qu’il commet 235 !

Le patriarche de Constantinople ébauche ici la réponse classique à la question soulevée par Origène : on ne juge pas une conduite à ses conséquences mais à ses intentions. Augustin ne dira pas autrement dans son Traité sur saint Jean : Que revient-il à Judas, sinon son péché ? Car, en livrant Jésus-Christ, il ne pensait pas à notre salut, pour lequel Jésus Christ se livrait ; il ne songeait qu’à son profit et à l’argent, et il a trouvé la perte de son âme. Il a reçu la récompense qu’il avait voulue ; mais sans l’avoir voulu, il a reçu ce qu’il méritait 236.

Il reste maintenant à définir cette intention. Car, dans le cas de Judas, on ne saurait appliquer le vieil adage antique « nul n’est méchant volontairement ». Tout en utilisant ses raisonnements, on sort radicalement de la 235. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie 81 in Homélies ou Sermons de S. Jean Chrysostome patriarche de Constantinople, qui contiennent son commentaire sur tout l’évangile de Matthieu, trad. Paul Antoine de MARSILLY [Lemaître de Sacy], vol. 3, Paris, Pierre le Petit, 1765, p. 578. 236. Quid habet Iudas, nisi peccatum ? neque enim in tradendo christo salutem nostram cogitauit, propter quam traditus est christus, sed cogitauit pecuniæ lucrum, et inuenit animæ detrimentum. Accepit mercedem quam uoluit, sed nolenti est data quam meruit. AUGUSTIN, Traité sur Jean 62, 4, 18, 6, éd. R. WILLEMS (CCSL 54), 1954.

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pensée d’Aristote qui interprétait l’existence du mal comme une erreur de jugement des conditions de réalisation d’un acte. En effet, Judas n’avait pas le choix entre deux chemins égaux d’apparence : il vivait avec Jésus, fils de Dieu, qui représentait la plénitude de tous les biens possibles, et il a choisi de nier toute cette bonté pour du néant, trente deniers et une pendaison. C’est cette attirance pour le vide, ce choix incompréhensible du rien, qui doivent recevoir une interprétation. Par rapport à Origène, qui postulait une vision dynamique de l’âme de Judas, engagée dans la temporalité, Augustin et Jean Chrysostome adoptent une perspective fixiste. Si Judas est attiré par le vide, c’est qu’il y a du vide en lui, un manque radical qui l’empêche d’accueillir Dieu, un péché. Tandis que l’Alexandrin se refusait à admettre que Judas soit mauvais par nature, ses deux successeurs s’accordent à le gratifier d’une personnalité vicieuse. Il n’a rien d’un homme faillible qu’un instant peut faire chuter : il a, en luimême, un manque. Pour le découvrir, nul besoin d’aller chercher très loin. Tant Augustin que Jean Chrysostome s’accordent sur la cause de tous les maux : l’avarice. Par malheur pour l’Iscariote, le rapport à l’argent constitue l’une des grandes obsessions du patriarche de Constantinople. Effrayé par les fastes et les luxes de la cour impériale, épouvanté par les intrigues qui s’y déroulent, son zèle de moine ascétique n’a de cesse de condamner cet amour effréné de la richesse. Dans son homélie sur la trahison de Judas, il met en œuvre toutes les lamentations de sa rhétorique : Quelle folie, plutôt quelle avarice ! car tout ce mal, c’est l’avarice qui l’a produit, la racine de tous les maux, qui aveugle nos esprits, qui nous fait fouler aux pieds toutes les lois de la nature et tous ses enseignements, qui nous fait oublier tous les liens, ceux de l’amitié, de la parenté et tous les autres. Et une fois qu’elle a obscurci les lumières de notre intelligence, elle nous fait marcher dans les ténèbres. Et pour que vous compreniez avec sagesse ce que je dis, voyez tout ce qu’elle a chassé de l’âme de Judas. Elle a expulsé les discussions, les instructions, la familiarité, les enseignements admirables ; tout cela l’avarice l’a jeté dans l’oubli. Il le disait avec justesse, Paul : la racine de tous les mots, c’est l’avarice. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Tu livres, Judas, celui qui règle tout par sa parole, tu vends l’Incompréhensible, le Créateur du ciel et de la terre, le créateur de notre nature, celui qui régit tout de sa parole et de sa volonté 237.

L’avarice est la source de tous les maux : le prédicateur à la bouche d’or lance ce qui constitue le leitmotiv de la condamnation de Judas, l’amour de l’argent a perdu l’Iscariote. L’effet déplorable de l’avarice est l’aveuglement. Cette funeste passion obnubile celui qui s’y livre, qui ne s’aperçoit pas qu’il se comporte comme un fou. Dans le cas de Judas, on le distingue aisément : quand on regarde ses actes de manière globale, on se rend compte 237. JEAN CHRYSOSTOME, De proditione Judæ (homilia 1). PG 49, 386.

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qu’il prétend livrer Dieu, le créateur du monde, sans se rendre compte que la créature n’a pas barre sur le créateur ; si on s’intéresse au détail du récit de l’arrestation, on aperçoit que Judas et ses satellites sont comme aveuglés au point que Jésus, que tout le monde connaît, doit demander « qui cherchez-vous ? ». Cet aveuglement est bien entendu symbolique : il marque l’étendue de l’égarement que produit l’avarice. Circonstance aggravante : non seulement Judas est avare, mais il est aussi hypocrite. Non seulement il livre son maître, mais en plus, il l’embrasse. Toute la littérature patristique bruit de ce baiser de traître. À côté des longues déplorations sur la duplicité de Judas, on trouve, comme chez Augustin, des conséquences pastorales très claires. Ainsi, expliquant le sens de l’Eucharistie, il en vient au baiser de paix. Et quand on parle de baiser, la figure de Judas n’est jamais loin On dit ensuite : « Que la paix soit avec vous ». C’est un grand sacrement que le baiser de paix. Embrasse comme tu aimes. Ne sois pas Judas. Le traître Judas baisait le Christ avec la bouche, et lui dressait des embûches avec le cœur. Mais peut-être quelqu’un a-t-il de l’inimitié contre toi, et tu ne peux le convaincre : tu es forcé de le tolérer ! Ne lui rend pas dans ton cœur le mal pour le mal. Il te hait, aime-le 238.

Le but ultime du réquisitoire contre Judas est à chaque fois manifeste : ce sont ses contemporains que Bouche d’Or a en ligne de mire. C’est à eux de se réformer : Écoutez ceci, âmes avares, vous qui êtes frappées de la même maladie que cet apostat […]. Si celui-là même qui avait le bonheur de vivre continuellement dans la compagnie de Jésus Christ, qui écoutait sans cesse ses divines instructions et qui faisait des miracles comme le reste des apôtres, a néanmoins été précipité par cet argent dans un abîme de maux, combien vous autres qui n’écoutez et qui ne lisez jamais l’Écriture et qui êtes plongés dans les affaires du siècle serez-vous en danger d’y tomber vous-mêmes 239 !

Les premiers rangs ont dû frémir sous la pourpre et les brocards : à peine déguisée, la charge vise les premiers personnages de l’Empire, les préfets, les notables, que l’on taxe d’être des quasi-illettrés, de mauvais chrétiens et des Judas en puissance. Saint Augustin, plus philosophe comme à son habitude, y voit une manière d’épreuve que Dieu nous envoie pour nous éprouver et nous réfor238. Post hoc dicitur, pax uobis cum. magnum sacramentum, osculum pacis : sic osculare, ut diligas. ne sis iudas : iudas traditor christum ore osculabatur, corde insidiabatur. sed forte inimicum animum habet contra te aliquis, et non eum potes conuincere, arguere : cogeris tolerare. noli ei malum pro malo in corde tuo reddere : ille odit, tu ama, et securus oscularis. AUGUSTIN, Sermon 229, éd. G. Morin (Miscellanea Agostiniana 1), Rome, 1930, p. 32. 239. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie 80 in Homélies ou Sermons…, p. 560.

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mer. Il le dit de manière très synthétique dans son Traité sur la Grâce et le Libre Arbitre : Et voici comment l’on prouve que Dieu fait usage même des cœurs des méchants comme une louange et une aide pour les bons : il s’est servi de Judas trahissant le Christ, il s’est aussi servi des Juifs crucifiant le Christ. Et combien de bienfaits cela produisit pour les peuples qui croient ! Dieu se sert même du pire démon, au mieux, pour exercer et tester la foi et la piété des bons, non pour lui-même, qui sait toute chose avant qu’elles n’arrivent, mais pour nous, à qui il est nécessaire que cela se passe de cette façon pour nous 240.

Il l’exprime de manière plus simple dans la lettre qu’il adresse à Maxima (Lettre 264 écrite après 395) : Car si Dieu, dans ses desseins, n’avait pas à faire un bon usage des méchants pour l’utilité de ses élus, lui qui a tiré, de la trahison de Judas, tant de bien – notre rédemption par le sang du Christ –, il pourrait ne pas permettre qu’ils naquissent, sachant d’avance qu’ils seront méchants, ou bien les faire mourir dès leurs premiers pas dans la voie de l’iniquité ; mais il les laisse venir au monde dans la mesure qu’il croit utile à l’avertissement et à l’épreuve de sa sainte maison. C’est pourquoi il console notre tristesse, car la tristesse que nous causent les méchants devient pour nous une force, mais elle accable ceux qui persévèrent dans leur perversité. Mais la joie que nous éprouvons lorsque l’un d’eux, sortant de sa voie, entre dans la société des saints, n’est comparable à aucune autre joie en cette vie 241.

La présence des méchants – et de Judas au premier chef – dans le monde est toute pédagogique : elle sert à « avertir » et à « éprouver » les chrétiens. Au lieu d’être une preuve de la faiblesse de Dieu, elle constitue au contraire une preuve de sa toute-puissance. Dieu « permet » le mal pour

240. Ecce quomodo probatur, deum uti cordibus etiam malorum ad laudem atque adiumentum bonorum. Sic usus est iuda tradente christum, sic usus est iudæis crucifigentibus christum. Et quanta inde bona præstitit populis credituris. Qui et ipso diabolo utitur pessimo, sed optime, ad exercendam et probandam fidem et pietatem bonorum, non sibi, qui omnia scit antequam fiant, sed nobis, quibus erat necessarium, ut eo modo ageretur nobis cum. AUGUSTIN, Traité sur la Grâce et le Libre Arbitre, PL 44, 906. 241. nam si nullus etiam malorum bonus usus esset deo ad utilitatem electorum suorum, qui etiam de malo Judæ tantum bonum nobis præstitit, ut christi sanguine redimeremur, poterat eos aut nasci non permittere, quos malos futuros esse præsciebat, aut in ipso eorum initio malignitatis extinguere. sed tantum eos esse permittit, quantum nouit expedire atque sufficere admonendæ atque exercendæ sanctæ domui suæ. ideo nostram de illis tristitiam consolatur, quia et ipsa tristitia, quam pro illis habemus, nos releuat, illos autem in sua peruersitate perseuerantes grauat. gaudium uero, quod percipimus, quando aliqui ex eis correcti in melius commutantur et sanctorum societati copulantur, nulli gaudio in hac uita comparari potest. AUGUSTIN, Epistula 264, éd. A. GOLDBACHER (CSEL 57), 1911, p. 636.

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l’édification des hommes, pour leur fournir des contre-exemples afin qu’ils l’aiment davantage. La bonté divine apparaît en effet dans le contraste avec la noirceur diabolique, il faut des Judas pour que le Christ apparaisse dans toute sa lumière. Pour achever le tableau de la condamnation, il convient de citer le passage essentiel de saint Augustin sur le suicide que l’on trouve dans la Cité de Dieu (livre I, chap. 17) : depuis lors, il constitue le motif aggravant de la condamnation. Augustin, évoquant les événements liés à l’invasion des Goths dans Rome, aborde le sort des vierges qui ont été violées par la soldatesque. Après avoir bien montré toute l’horreur de cette action puisque violer des vierges est un acte hautement condamnable (chap. 16), il se saisit du cas des malheureuses qui se sont suicidées. La réponse de l’évêque d’Hippone sonne sans appel. Ces quelques lignes sont la source d’une réprobation générale du suicide qui demeure jusqu’à nos jours 242, et condamnent définitivement et pour de nombreux siècles l’homme de Carioth. Pourquoi détestons-nous le suicide de Judas ? Pourquoi la Vérité elle-même a-t-elle déclaré qu’en se pendant il a plutôt accru qu’expié le crime de son infâme trahison ? C’est qu’en désespérant de la miséricorde de Dieu, il s’est fermé la voie à un repentir salutaire. À combien plus forte raison faut-il donc rejeter la tentation du suicide quand on n’a aucun crime à expier ! En se tuant, Judas tua un coupable, et cependant il lui sera demandé compte, non seulement de la vie du Christ, mais de sa propre vie, parce qu’en se tuant à cause d’un premier crime, il s’est chargé d’un crime nouveau. Pourquoi donc un homme qui n’a point fait de mal à autrui s’en ferait-il à luimême ? Il tuerait donc un innocent dans sa propre personne, pour empêcher un coupable de consommer son dessein, et il attenterait criminellement à sa vie, de peur qu’elle ne fût l’objet d’un attentat étranger 243 !

Pour comprendre le contexte dans lequel parle Augustin, il importe de renverser deux idées reçues : tout d’abord, le suicide ne fut pas si répandu

242. A. DRODGE et J. TABOR, A Noble Death : Suicide and Martyrdom among Christians and Jews in Antiquity, San Francisco (CA), Harper, 1993, p. 113, 125, 167. Voir également le livre d’A. SAARI, The Many Deaths of Judas Iscariot, London, Routledge, 2006, qui, pour expliquer la mort de son frère, remonte au « cas Judas ». 243. nam si iudæ factum merito detestamur eum que ueritas iudicat, cum se laqueo suspendit, sceleratæ illius traditionis auxisse potius quam expiasse commissum, quoniam dei misericordiam desperando exitiabiliter pænitens nullum sibi salubris pænitentiæ locum reliquit : quanto magis a sua nece se abstinere debet, qui tali supplicio quod in se puniat non habet ! iudas enim cum se occidit, sceleratum hominem occidit, et tamen non solum christi, uerum etiam suæ mortis reus finiuit hanc uitam, qua licet propter suum scelus alio suo scelere occisus est. cur autem homo, qui mali nihil fecit, sibi malefaciat et se ipsum interficiendo hominem interficiat innocentem, ne alium patiatur nocentem, atque in se perpetret peccatum proprium, ne in eo perpetretur alienum ? AUGUSTIN, Cité de Dieu I, 17, éd. B. DOMBART et A. KALB (CCSL 47), 1955.

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que cela dans l’Antiquité, et ensuite les chrétiens ne furent pas les héritiers de la tradition juive dans leur compréhension du suicide. Contrairement à ce qu’on l’a dit parfois, les Anciens ne pratiquèrent pas massivement le suicide. Les Grecs ne le valorisèrent pas, si bien que les cas connus sont plutôt rares. C’est singulièrement la fin de la République et le début de l’Empire romain qui formèrent le « pic » des suicides recensés : si l’on ne connaît qu’une centaine de suicides pour l’ensemble des périodes classiques et hellénistiques, ce nombre est quintuplé pour les années 50 av. J.-C.-70 apr. J.-C 244. Or, depuis l’époque des Flaviens (années 70), le suicide ne fut plus considéré par l’élite romaine comme un exemple positif mais comme une marque de lâcheté. La loi enregistra cette réprobation : certains modes de suicides se virent assimilés à des homicides ou à une lâche échappatoire à une juste punition ou à un recouvrement de dette si bien que l’on défendit aux héritiers de profiter de leur héritage. Le suicide en cas de guerre s’assimila de même à une forme de désertion (Digeste 48,19,38,12 ; 49,16,6,7) 245. Pour Judas, il y a un fait aggravant : « en désespérant de la miséricorde de Dieu, il s’est fermé la voie à un repentir salutaire ». Non seulement Judas s’est homicidé, ce qui n’est guère recommandable, mais il a surtout désespéré de la miséricorde de Dieu. En se suicidant, il considère que Dieu ne lui pardonnera pas. Ce faisant, il nie que Dieu est Dieu et qu’il peut tout pardonner. Cette idée se trouvait déjà Hilaire de Poitiers : « Judas ni ne serait visité chez les morts, ni n’aurait, après la Résurrection, la faculté de se repentir parmi les vivants 246. » À la traîtrise, Judas ajoute la bêtise. Celle-ci révèle une faute morale infiniment plus grave : pour Augustin et ses successeurs, cette ignorance prouve la fermeture définitive de l’Iscariote à la grâce, une sorte de péché contre l’esprit, irrémissible.

B IL AN À la mort d’Augustin, en 430, on peut considérer que la période de construction de la figure de Judas est achevée. Si Origène, plein de l’esprit grec et pénétré du judaïsme hellénistique, était encore sensible au mystère de la trahison, Jean Chrysostome et Augustin se focalisent uniquement sur la responsabilité de l’Iscariote. La pensée juridique romaine est passée par là, y compris à Byzance. Quand il y a mort, il y a responsabilité individuelle. Il faut un reus, un accusé. Il n’est plus temps d’incriminer les 244. A. J. L. VAN HOOFF, From Autothanasia to Suicide : Self-Killing in Classical Antiquity, London, Routledge, 1990, p. 12. 245. Ibid., p. 172. 246. HILAIRE DE POITIERS, In Matthæum XXXII, 5, trad. Jean DOIGNON (SC 258), 1979, vol. 2, p. 245.

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dieux, le destin, la fatalité ou même le plan divin : Judas a des motifs, des mobiles, des intentions. Il est responsable et bientôt, coupable. Judas, le disciple qui s’est perdu, sera désormais le méchant, le traître, comme le prouve la longue histoire de sa réception qui s’ensuivit 247.

247. Nous renvoyons, pour cette histoire à R. BURNET, L’Évangile de la Trahison, Paris, Seuil, 2008. En ce qui concerne la réception iconographie, nous renvoyons à J. RAYNAUD-TEYCHENNÉ et R. BURNET, Judas le disciple tragique, Toulouse, Privat, 2010.

CHAP. 2

PIERRE : LE « PRINCE DES APÔTRES » ? Premier dans les listes apostoliques, faisant parfois figure de « premier des apôtres », Pierre est sans conteste le plus important des Douze. Il est, avec Judas, « l’autre » cas d’école pour la problématique de la réception des figures de légitimation. Arguant de posséder les tombeaux de Pierre et de Paul dans sa ville, l’évêque de Rome se considéra comme son successeur et tenta dès la fin de l’Antiquité de faire prévaloir une forme d’organisation centrée autour de lui 1. Affirmant que Pierre avait reçu du Christ une mission extraordinaire, il voulut s’arroger très vite le droit de commander à l’ensemble des évêques. Cette prétention, battue en brèche par les Églises d’Orient soutenant une vision plus collégiale, éclata lors du Grand Schisme de 1054. Luther, à son tour, condamna cette volonté de puissance, et refusa net cette « primauté de Pierre » dans laquelle il ne voyait que les ambitions d’un système hiérarchique. Définie dogmatiquement par la Constitution Pastor Æternus 2 du concile Vatican I, cette primauté fut l’occasion de batailles théologiques et exégétiques, les uns cherchant à en trouver trace dans les Écritures et dans la tradition, les autres tentant de réfuter âprement ces tentatives. 1. On trouve au XIXe s. des tentatives de justifier de manière historico-critique cette prétention comme le livre du rédemptoriste Livius : T. LIVIUS, S. Peter, Bishop of Rome or the Roman Episcopate of the Prince of the Apostles proved by the Fathers, History and Archæology, London, Burns & Oates, 1888. 2. Dès le milieu du XIXe siècle, on faisait reposer sur la figure de Pierre l’ensemble de l’autorité du pontife romain. Voir G. PHILLIPS, Du droit ecclésiastique dans ses principes généraux, vol. 1, Paris, Lecoffre, 1855, en particulier l’introduction et les p. 50-83 qui définissent le pouvoir de « lieutenance » de Pierre. Sur l’historique de cette primauté, la littérature allemande est la plus importante (sans doute pour des raisons historiques) : B. ALTANER, Der päpstliche Primat bis auf Leo den Großen (Schöninghs Sammlung kirchengeschichtlicher Quellen und Darstellungen 18), Paderborn, Schöningh, 1926 ; K. SCHATZ, Der päpstliche Primat. Seine Geschichte von den Ursprüngen bis zur Gegenwart, 1990, trad. fr : La Primauté du Pape. Son histoire des origines à nos jours, trad. J. Hoffmann, Paris, Cerf, 1992. Sur la question de la primauté par rapport à l’Église orthodoxe : N. AFANASSIEFF, K. KOULOMZINE, J. MEYENDORFF, A. SCHMEMANN, La Primauté de Pierre dans l’Église orthodoxe (Bibliothèque Orthodoxe), Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1960. Sur Pastor Æternus : C. THÉOBALD, « Première constitution dogmatique sur l’Église du Christ : Pastor Æternus du concile de Vatican I », in B. SESBOÜÉ (éd.), Histoire des dogmes, vol. 4, Paris, Cerf, 1996, p. 315-344.

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Si le combat autour de Pierre s’engagea dans une forme particulièrement violente après la Réforme, il avait pris naissance dès le début de l’histoire chrétienne. Très tôt, en effet, on se servit de la figure de Pierre, que l’on présentait en fonction de ses propres visées, pour appuyer, réfuter ou condamner une des tendances du christianisme naissant. Dès la Corinthe du temps de Paul de Tarse, il y a « ceux de Pierre » (1Co 3, 22) : ces croyants des toutes premières heures du christianisme sont le début d’une longue série de communautés qui briguent le patronage pétrinien. S’il y a une légitimité à revendiquer, c’est bien celle de Pierre, celui qui a joui d’un rôle prépondérant au sein du groupe des disciples 3. Tant de passions font que cette « primauté » joue le rôle de l’« obstacle épistémologique » bachelardien dans la prise en compte de la figure de Pierre. Qu’on s’en défie ou qu’on y adhère, elle constitue un paravent, dont il convient de prendre conscience pour tenter de le dépasser. Dans l’histoire de la réception de la figure des Douze, Pierre ne constitue pas le « modèle » de toute la réception des Douze, mais bien le cas particulier.

I. L A

CONSTRUCTION DE L A FIGURE DE

P IERRE

PAR

LE S TE X TE S NÉOTE STAMENTAIRES

Comme pour les autres apôtres, la construction de la figure de Pierre s’opère dès les textes néotestamentaires. Ceux-ci ont un rôle cardinal. D’une part, ils constituent la première réception du personnage historique et ils forment en quelque son horizon indépassable. D’autre part, ce sont ces textes qui constituent les personnages historiques en figures. Toute l’histoire de la réception des Douze se fonde en effet sur le donné néotestamentaire ; celui-ci oriente de manière décisive la manière dont les figures apostoliques seront reçues. C’est d’autant plus vrai pour Pierre, que les passages où l’on parle de lui sont nombreux : c’est un personnage « rond », 3. Dans cette entreprise nous nous inspirons des ouvrages suivants. C. GRAPPE, D’un Temple à l’autre, Pierre et l’Église primitive de Jérusalem (Études d’Histoire et de Philosophie Religieuses 71), Paris, PUF, 1992. R. E. BROWN, K. P. DONFRIED, J. REUMANN, Saint Pierre dans le Nouveau Testament (Lectio Divina 79), Paris, Cerf, 1974. T. WIARDA, Peter in the Gospel (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.127), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000. Un bon résumé dans D. MARGUERAT et E. STEFFEK, « Pierre dans les évangiles : fragile et emblématique », Lumière & Vie 274, 2007, p. 21-31. Bien entendu, malgré son âge, l’ouvrage d’Oscar Cullmann, qui eut un rôle si important pour l’histoire de l’exégèse pétrinienne (en particulier dans le monde protestant), demeure le passage obligé de toute étude sur l’apôtre : O. CULLMANN, Saint Pierre. Disciple, apôtre, martyr (Bibliothèque théologique), Neuchâtel/Paris, Delachaux et Niestlé, 1952. Un point sur la doctrine catholique de la primauté : R. MINNERATH, La Primauté de l’évêque de Rome et l’unité de l’Église du Christ (Point Théologique 63), Paris, Beauchesne, 2010.

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pour adopter la terminologie de l’analyse narrative, c’est-à-dire un personnage dont on sait beaucoup de choses. Pierre dépasse le reste des Douze par sa personnalité. Il apparaît souvent comme le premier à parler, et parfois un peu rapidement. Mais en lisant avec précision, on s’aperçoit que cette figure est bien plus complexe, car elle est aussi pleine de fragilités 4. A. Les éléments communs des synoptiques Comme souvent, il convient de distinguer entre les synoptiques et Jean, tant ce dernier retravaille le matériau qu’il a à sa disposition pour en faire une composition originale. Pour ce qui est des synoptiques, on peut dégager certaines parentés : avant de voir comment chaque texte s’empare du pêcheur de Bethsaïde, tâchons de discerner quelques éléments communs.

1. Pierre avant sa rencontre avec Jésus Les synoptiques sont plus diserts sur Pierre que sur les autres apôtres. Ils nous donnent en effet une série d’informations sur son origine. 1. Le pêcheur de Capharnaüm. – Les synoptiques s’accordent à fixer Pierre à Capharnaüm, un port de pêche situé en Galilée, et à lui assigner le métier de pêcheur. Les poissons de Galilée étaient en effet renommés dans tout le bassin méditerranéen, au point qu’il existait à Magdala des sortes de petites usines de salaison qui exportaient jusqu’à Rome 5. Simon devait faire figure de « patron de pêche », puisque selon l’un des évangélistes, il avait son propre bateau (Lc 5, 3). On reviendra souvent sur la question de la pêche et du statut social qu’elle procure. Abandonnons pour l’instant les idées romantiques sur l’extrême pauvreté des pêcheurs de Galilée. En effet, toute la population était dépendante de cette industrie6, au point que, lorsque certaines fêtes juives nécessitaient que l’on cesse de pêcher, la population païenne pouvait en être irritée 7. Après s’être lamentés sur la misère des pêcheurs galiléens, les historiens ont vanté leur richesse 8. En effet, l’industrie de la pêche leur paraissait florissante en Galilée, car elle avait été constamment encouragée 4. Une partie de ce chapitre reprend certains éléments de notre livre publié avec Catherine Bizot : C. BIZOT et R. BURNET, Pierre l’apôtre fragile, Paris, Desclée de Brouwer, 2001. 5. Pour un tableau de l’économie galiléenne : S. FREYNE, Galilea from Alexandre the Great to Hadrien, Wilmington (DE)/Notre Dame (IN), Michael Glazier/Notre Dame, 1980, p. 155-207. 6. M. I. ROSTOVTZEFF, The Social and Economic History of the Hellenistic World, vol. 1, Oxford, Clarendon, 1941, p. 1177. 7. S. W. BARON, A Social and Religious History of the Jews, vol. 1, New York, Columbia University Pres, 1952, p. 254-255. 8. G. W. BUCHANAN, « Jesus and the Upper Class », Novum Testamentum 7, 1964, p. 195-209 (206).

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par les conquérants grecs (Lagides et Séleucides), par les Hasmonéens et les Romains. À l’époque lagide, cette profession était placée sous le monopole de l’État, comme le laisse penser le papyrus P. Tebtunis 701 (235 av. J.-C.) témoignant que le prix des filets était avancé par l’État sur le montant de la pêche et que les pêcheurs recevaient un salaire 9. Le centre de l’industrie portait d’ailleurs un nom grec, Tarichéia (la Magdala hébraïque)10 et constitua un enjeu lors des révoltes juives de la fin des années 60 11. Seán Freyne a même fait l’hypothèse que la présence de poissons-chats dans le lac, originaires d’Égypte, pourrait provenir d’une importation de l’espèce sous la période lagide afin d’augmenter encore la valeur économique du lac 12. Une remarque de Strabon 13 laisse entendre que le poisson de la région était connu dans tout le bassin méditerranéen et qu’il était fort prisé. On ne sait quelle était, des dix-huit espèces pêchées dans le lac, celle qui avait la faveur du géographe : le tilapia (que les Anglais nomment Saint Peter’s Fish, mais non les Français qui réservent le nom de « saint-pierre » à Zeus Faber, absent du lac de Tibériade) de la famille des Cichlidæ, les carpes de la famille des Cyprinidæ ou les poissons-chats de la famille des Siluridæ 14 ? Pour autant, une certaine mesure s’impose : si les pêcheries du lac de Tibériade exportaient leurs productions jusqu’à Rome, il est douteux, comme l’explique Seán Freyne que les classes moyennes eussent accès aux complexes infrastructures nécessaires au salage, à la conservation puis à l’exportation du poisson 15. En outre, les pêcheurs devaient être fort taxés : on sait qu’en Égypte, les impôts pouvaient prendre jusqu’à 40 % du pro-

9. Ἀντισθένης Νίκανδρος Ἀρχιτίμωι. δὸς τοῖς ἐκ Τέπτυος ἁλιεῦσι Πασῦτι Παῶτος καὶ Πασῦτι Πάιτος εἰς δίκτυα σ. τ. α. τὰ (δραχμὰς) 50. τοῦτο δὲ ἀποδώσουσιν ἐκ τοῦ α. [ὐ]τ. ῶ. ν μέρους θρισσῶν εἰς 200 τῶν 20 (δραχμῶν). « Antisthène et Nicandros à Architimos. Donne aux pêcheurs de Tebtus Pasôs fils de Paôs et Pasos fils de Païs pour réparer les filets 50 dr. Ils le rendront sur leur part de thrissa [un poisson, l’alose] au taux de 200 pour 20 drachmes. » Texte dans A. S. HUNT – J. GILBART SMYLY (éd.), The Tebtunis Papyri (University of Columbia Publications Græco-Roman Archæology 3), London, Humphrey Milford, 1933, p. 46-64. 10. M. HENGEL, « Zum Problem der “Hellenisierung” Judäas », Judaica et Hellenistica. Kleine Schrifte I (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 90), Tübingen, Mohr Siebeck, 1996, p. 1-91 (29). 11. FLAVIUS JOSÈPHE, Autobiographie 32. 12. S. FREYNE, Galilee, from Alexander the Great to Hadrian, 323 B.C.E. to 135 C.E. (Studies in Judaism and Christianity in Antiquity 5), Wilmington (Del.), Michael Glazier, 1980, p. 174. 13. STRABON, Géographie XVI, 2, 45. 14. M. NUN, The Sea of Galilee and Its Fishermen in the New Testament, Kibbutz En Gev, Kinnereth Sailing C°, 1989, p. 6-11. 15. S. FREYNE, Galilee…, p. 174.

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duit de la pêche 16. De même, l’importance économique du règne d’Hérode Antipas, après avoir été longtemps exagérée, doit être un peu minorée : l’opulence du pays sous son règne semble avoir été modérée 17. Pierre possédait une maison qui deviendra le quartier général de Jésus lorsqu’il prêchera en Galilée 18. La tradition de sa localisation est ancienne. Les Franciscains ont mis au jour à Capharnaüm 19 un complexe ecclésial qu’ils ont identifié comme une sorte de basilique. Il s’agit des ruines d’une vaste église octogonale datant du Ve siècle, dont le plan s’inspire de celle que fit construire Zénon en 484 sur le mont Garizim en l’honneur de la Théotokos 20, recouvrant une habitation qui avait été pavée et blanchie à la chaux. De nombreux graffitis portant le nom de « Jésus Seigneur » et du Christ montrent à l’évidence qu’il s’agit d’un lieu de culte chrétien, tandis que des morceaux de poterie ordinaire trouvés au niveau du sol du Ier siècle prouvent que l’édifice inférieur avait servi d’habitation. La transformation de la maison de Pierre en lieu de culte remonte à une période ancienne 21. On semblait y vénérer des reliques en lien avec la guérison du paralytique, comme le dit d’Égérie qui visita un édifice ancien 22. L’Anonyme de Plaisance visite quant à lui la basilique zénonienne en 570 23 2. La famille de Pierre. – Les textes conservent le souvenir d’une famille de Pierre. L’évangile de Marc confirme ce fait indirectement puisqu’il parle 16. M. I. ROSTOVTZEFF, The Social and Economic History, vol. 1, p. 296-297 ; vol. 2, p. 1177-1179. 17. M. H. JENSEN, « Herod Antipas in Galilee : Friend or Foe of the Historical Jesus ? », Journal for the Study of the Historical Jesus 5, 2007 p. 7-32. 18. H. I. MACADAM, « Domus Domini : Where Jesus Lived (Capernaum And Bethany In The Gospels) », Theological Review 25, 2004, p. 46-76. 19. Un résumé dans S. LOFFREDA et V. TZAFERIS, « Capernaum », in E. STERN (éd.), The New Encyclopedia of Archæological Excavations in the Holy Land, Jerusalem/New York, The Israel Exploration Society & Carta/Simon & Schuster, 1993. 20. G. FOERSTER, « Notes on Recent Excavations at Capernaum (Review Article) », Israel Exploration Journal 21, 1971, p. 207-211. 21. Les premiers fouilleurs, les franciscains Corbo et Loffreda, pensaient que la transformation remontait à la fin du premier siècle et était d’origine « judéo-chrétienne » (V. CORBO, « La Casa di S. Pietro a Cafarnao » Liber Annuus 18, 1968, p. 5-54), une interprétation aujourd’hui sérieusement remise en doute par J. Taylor ( J. TAYLOR, « Capernaum and its Jewish-Christians : A Re-examination of the Franciscan Excavations », Bulletin of the Anglo-Israel Archæological Society 9, 1989-1990, p. 7-28). 22. J. E. TAYLOR, Christians and the Holy Places : The Myth of Jewish-Christian Origins, Oxford, Clarendon Press, 1993, p. 272. Cette partie perdue du voyage est citée par le De Locis sanctis de Pierre Diacre. Voir ÉGÉRIE, Journal de Voyage, trad. P. MARAVAL (SC 296), 2002, p. 98. 23. Item uenimus in Capharnaum in domum beati Petri quæ est modo basilica, « De même, nous sommes venus à Capharnaüm dans la maison du bienheureux Pierre, qui est maintenant une basilique ». ANONYME DE PLAISANCE, Itinerarium 7. H. GILDEMEISTER (éd.), Antonini Placentini itinerarium, Berlin, Reuther, 1889, p. 5. Autre édition : CCSL 175 (P. GEYER, 1965).

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de la belle-mère de Simon, guérie par Jésus (Mc 1, 30-31). Paul, quant à lui, indique que Simon se faisait accompagner de sa femme lors de ses missions (1Co 9, 5), ce qui confirme que l’évangélisation était réalisée par des familles et pas seulement par des individus isolés 24. La tradition en fait même une martyre, comme le rapporte Eusèbe de Césarée citant Clément d’Alexandrie : Cependant, Clément, dont nous venons de lire les paroles, énumère à la suite de ce qui vient d’être dit le nom de ceux des apôtres qui ont vécu dans le mariage, à cause de ceux qui condamnent les noces. « Est-ce qu’ils repousseront aussi les apôtres ? Pierre et Philippe ont eu des enfants. Philippe a même donné ses filles (en mariage) à des hommes. Et Paul n’hésite pas, dans une épître, à saluer sa compagne qu’il n’avait pas emmenée avec lui, pour la commodité de son ministère. » Puisque nous rappelons ces choses, il ne nous déplaît pas de rapporter un autre récit, digne d’être raconté, dû au même écrivain : il l’a exposé, dans le septième Stromate, de la manière suivante : « On dit donc que le bienheureux Pierre, voyant sa femme conduite au dernier supplice, éprouva de la joie à cause de son appel et de son retour à la maison, et qu’il l’encourageait et la consolait en l’appelant par son nom et en disant : Une telle [ὧ αὕτη], souviens-toi du Seigneur ! Tel était le mariage des bienheureux et les dispositions parfaites de ceux qui s’aimaient le plus 25. »

Pierre aurait même eu une fille (spirituelle ?), Pétronille, morte elle aussi martyre comme nous l’apprend Clément d’Alexandrie 26.

2. La confession de Pierre et le changement de nom Le premier nom de Pierre est Simon ou Syméon, un nom hébraïque très répandu chez les Juifs 27. Au cours du Nouveau Testament, on donne un autre nom à Simon, translitéré en grec par « Képhas » (kepa est un mot araméen signifiant « pierre », « roc ») en particulier sous la plume de Paul (Ga 1, 18 ; 2, 9 ; 1Co 1, 12, etc.), parfois traduit en grec par Πέτρος qui signifie « rocher isolé ». Alors que le surnom Képhas est attesté auparavant dans les textes araméens, celui de « Pierre » ne se trouve nulle part

24. M. HENGEL, Saint Peter the Underestimated Apostle, trad. T. H. TRAPP, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2010, p. 103-134. 25. Hist. Eccl. III, 30, 2, TRAD. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 140. 26. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates III, 6, 2. 27. J. A. FITZMYER, « The Name Simon », Harvard Theological Review 56, 1963, p. 1-5. Cela est confirmé par Tal Ilan, qui compte 257 Simon différents connus en comptant les occurrences littéraires (Simon Maccabée, Simon Bar Kokhba…), les ossuaires, les ostraka, les papyrus. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 218-235.

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avant le Nouveau Testament 28, et cette nouveauté est confirmée par le fait qu’on emploie ce nom la plupart du temps avec l’article 29. Les évangiles semblent unanimes à déclarer que ce surnom a été donné par Jésus. Pour désigner l’apôtre, les évangiles disent Simon, Petros, Simon-Petros. Les versions syriaques portent Simon-Képhas. Seul Luc emploie « Syméon » en Ac 15, 14, mais il s’agit sans doute d’un effet de style destiné à donner un tour sémitique au discours de Jacques 30. Ce double nom pose une série de questions qu’il faut ici résumer, tant il va jouer un rôle important dans l’identité de Pierre. (α) À quel moment Jésus a-t-il appelé Pierre celui qu’on nommait Simon ? Les évangélistes diffèrent sur ce point, puisque Jean le mentionne dès le début de l’évangile ( Jn 1, 42) tandis que Marc et Luc le donnent au moment de l’institution des Douze (Lc 3, 16 ; Lc 6, 12-16). Matthieu l’emploie au moment de la profession de Pierre (Mt 16). (β) Quel est le sens de ce nom ? À un moment donné du ministère de Jésus, Pierre a fait une déclaration en réponse à une question de Jésus sur son identité à Césarée de Philippe. Les quatre évangélistes ont conservé la trace de cet événement, même si chacun en donne une interprétation différente. En Marc, Pierre se borne à dire « Tu es le Messie », Σὺ εἶ ὁ Χριστός (Mc 8, 29), une déclaration abrupte. Luc précise (Lc 9, 20) : « tu es le Messie de Dieu », qui insiste sur le caractère définitif de ce messianisme, puisque Jésus est l’Oint de Dieu et non des hommes, ce qui excède une mission politique 31. Matthieu, à son habitude, fait dire à Pierre une formule qui reprend les trois titres messianiques (messie, Fils de Dieu et Fils de l’homme) : « tu es le messie, le fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Jésus répond à cette déclaration par une autre déclaration qui change le nom de Pierre et que l’on trouve conservée en Mt 16, 17-19. Il est impossible de savoir si cette dénomination est vraiment l’attribution d’un nouveau nom, ou bien une explication théologique de ce nom. La somme 28. J. A. FITZMYER, « Aramaic Kepha’ and Peter’s Name in the New Testament », To Advance the Gospel, New York, Crossroad, 1981, p. 112-124 (reproduction de J. A. FITZMYER, « Aramaic Kepha’ and Peter’s name in the New Testament », in E. BEST and R. McL. WILSON (éds.), Text and Interpretation : Studies in the New Testament presented to Matthew Black, Cambridge, Cambridge University Press, 1979). Contrairement à ce que prétend C. C. CARAGOUNIS, Peter and the Rock (Beihefte zur ZNW 58), Berlin/New York, De Gruyter, 1990, p. 17-25. Le nom Πέτρος est attesté après 135 par une référence du T. Yerushalmi (MQ III, 6, 82), par le P. Yadin 46 et par un ostrakon de Massada. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 303. 29. J. K. ELLIOTT, « Κηφᾶς, Σίμων Πέτρος, ὁ Πέτρος : An Examination of New Testament Usage », Novum Testamentum 14, 1972, p. 241-256. 30. L. T. JOHNSON, The Acts of the Apostles (Sacra pagina 5), Collegeville (PA), Liturgical Press, 1992, p. 124. 31. J. B. GREEN, The Gospel of Luke (The New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1997, p. 368sq.

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des interprétations de ce verset est phénoménale 32, on se contentera de quelques considérations. Mt 16, 13-20. – Arrivé dans la région de Césarée de Philippe, Jésus interrogeait ses disciples en leur disant : « Au dire des hommes, qui est le Fils de l’homme ? » Ils dirent : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » – « Et vous, leur ditil, qui dites-vous que je suis ? » Simon-Pierre répondit : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » En réponse, Jésus lui dit : « Bienheureux es-tu, Simon fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père, qui est dans les cieux. Et moi je te le dis : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.

Le texte, dans son premier paragraphe, contient deux temps. (α) D’abord, la confession de Pierre. Elle possède un relief tout particulier dans cet évangile, et c’est sur ce passage que l’on a forgé la doctrine de la primauté de Pierre. En effet, si les différences avec les autres synoptiques sont minimes, la seconde partie (la bénédiction) est propre à Matthieu. L’épisode débute par une question de Jésus : que dit-on de moi ? Cette interrogation doit être rapportée au contexte proche : précédemment, en 16, 5-12, Jésus amène ses disciples à comprendre qu’il convient de criti32. Nous n’avons pu consulter qu’une toute petite partie de la bibliographie. En particulier : A. VÖGTLE, « Messiasbekenntniss und Petrusverheißung. Zur Komposition Mt 16, 13-23par. », Biblische Zeitschrift 1, 1957, p. 252-272 ; E. HAENCHEN, « Die Komposition von Mk VII 27 – IX 1 und par. », Novum Testamentum 6, 1963, p. 1-9 ; E. DINCKLER, « Petrusbekenntniss und Satanswort. Das Problem der Messianität Jesu », Zeit und Geschichte, Festschrift R. Bultmann, Tübingen, Mohr Siebeck, 1964, p. 127-153 ; R. BROWN et al., Saint Pierre dans le Nouveau Testament…, p. 105-126 ; M. WILCOX, « Peter and the Rock : A Fresh Look at Matthew xvi, 17-19 », New Testament Studies 22, 1976, p. 73-88 ; G. CLAUDEL, La Confession de Pierre (Études bibliques 2.10), Paris, Gabalda, 1988 ; J. MARCUS, « The Gates of Hades and the Keys of the Kingdom (Matt. 16:18-19) », Catholic Biblical Quarterly 50, 1988, p. 443-455 ; U. LUZ, « Das Primatwort Matthäus 16.17-19 aus wirkungsgeschichtlicher Sicht », New Testament Studies 37, 1991, p. 41-53 ; R. MINNERATH, De Jérusalem à Rome : Pierre et l’unité de l’Église apostolique (Théologie historique 101), Paris, Beauchesne, 1995 ; H. KVALBEIN, « The Authorization of Peter in Matthew 16:17-19 : A Reconsideration of the Power to Bind and Loose », in J. ÅDNA (éd.), The Formation of the Early Church (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.183), Tübingen, Mohr Siebeck, 2005 p. 145-174 ; M. H. CROSBY, « Rethinking a Key Biblical Text and Catholic Church Governance », Biblical Theology Bulletin 38, 2008, p. 37-43 ; J. LUDWIG, Die Primatworte Mt 16, 18. 19 in der altkirchlichen Exegese (Neutestamentliche Abhandlungen 19.4), Münster, Aschendorff, 1952 et J. A. BURGESS, A History of the Exegesis of Matthew 16:17-19 from 1781 to 1965, Ann Arbor (MI), Edwards Brothers, 1976.

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quer l’enseignement des pharisiens et des sadducéens. Il les pousse ainsi à se débarrasser des manières de penser habituelles. Mais la question, qui naît naturellement, sent un peu l’embuscade : pourquoi demander, de manière détachée, ce que pensent « les hommes » et faire un jeu de mot avec le « Fils de l’homme » ? Les disciples comprennent immédiatement l’expression : elle provient d’une citation du Livre de Daniel (Dn 7, 13) « Voici, venant sur les nuées du ciel, comme un Fils d’homme. Il s’avança jusqu’à l’Ancien et fut conduit en sa présence. À lui fut conféré empire, honneur et royaume, et tous peuples, nations et langues le servirent. Son empire est un empire éternel qui ne passera point, et son royaume ne sera point détruit. » Le Fils de l’homme – ou Fils d’homme – est bien l’un des noms du Messie. Les disciples citent les grands personnages du passé, tous des prophètes : ils se font l’écho fidèle de la foule et pas une fois, ils ne citent leur maître. Jésus, alors, interroge directement ses disciples sur leur foi, en focalisant sa demande sur sa propre personne : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » La question réalise un double objectif : 1° séparer de façon très claire les croyances de la foule et celles des disciples. 2° assimiler indirectement Jésus avec le Messie. En réponse, ce n’est pas Pierre qui prend, la parole, c’est Simon-Pierre. Cette dénomination synthétique résume toute la personnalité de l’apôtre et son parcours à la suite de Jésus. Elle n’est utilisée qu’une seule fois chez Matthieu, au moment même où Pierre se présente en véritable porteparole des disciples et où s’énonce, pour la première fois, la divine origine de Jésus. Ce nom est une étrange prolepse : avant même que Simon soit appelé Pierre par Jésus, on le désigne sous son nom : serait-ce qu’on le désignait déjà par ce surnom ? Simon-Pierre, donc, confesse : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». L’expression « Christ » a un sens très clair : tu es le Messie que le peuple juif attend, le successeur du roi David. Mais voici que Pierre continue, et c’est une spécificité de Matthieu : « Tu es […] le Fils du Dieu vivant ». Il ne s’agit pas, comme pendant la marche sur les eaux, du simple titre « Fils de Dieu » qui fonctionnait comme une locution toute faite. L’unique antécédent de l’expression se trouve en effet à Osée 2, 1 et sert à caractériser le peuple d’Israël dans son avenir glorieux. Pierre est allé beaucoup plus loin que de reconnaître Jésus comme Messie : il l’associe directement à Dieu, dans une préférence unique ; Fils du Dieu vivant proclame à la fois la messianité et la filialité, et, pour Matthieu, c’est cette filiation qui fonde l’autorité suréminente de Jésus 33. (β) Cette réponse plaît à Jésus, qui enchaîne par une véritable béatitude, le verset 17, qui n’appartient qu’au texte de Matthieu. « Heureux es-tu, 33. Voir 2, 15 ; 3, 17 ; 4, 3 ; 8, 29 ; 14, 33 ; 24, 37 ; 26, 63 ; 27, 43.54.

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Simon fils de Jonas, car ce ne sont ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Il ratifie l’affirmation de Pierre – qui n’est que la simple énonciation des noms divins de Jésus – en attestant qu’elle est d’origine divine. Ce n’est pas « la chair et le sang », c’està-dire l’être vivant dans sa double dimension corporelle et vitale, qui l’ont informé, mais bien Dieu. L’apôtre devient alors celui à qui Dieu confie une révélation. Il joue un rôle particulier dans le dessein de Dieu et la réponse de Jésus ne fait que reprendre l’engagement de Dieu en faveur de son témoin privilégié. L’expression est ample, solennelle. On donne à Pierre son nom complet de Simon, fils de Jonas : la formule ressemble aux bénédictions de patriarches (tel Isaac). Comme eux, Simon change de nom au moment de la bénédiction (et non, comme dans les autres évangiles, au moment de la rencontre). Jésus ne s’arrête pas là (toujours en Matthieu seulement). À la première révélation, portant sur la personne de Pierre et son discours, succède une seconde, concernant son futur. La première phrase, « tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église… » est une expression de la puissance du Christ, avant d’être la révélation de la mission de Pierre. Le Christ parle bien de son Église, qu’il bâtit lui-même. Cette parole du Christ est moins isolée qu’on a pu le dire, puisque, en définitive, elle correspond à la déclaration sur la construction ou la reconstruction du Temple de Mc 14, 58. (γ) Pour Pierre, Jésus promeut d’ailleurs l’usage chrétien du terme « Église », que l’on trouve dans la Septante, dans son sens commun d’« assemblée », mais qui ne se retrouve que deux fois dans les quatre évangiles, toujours chez Matthieu (Mt 16, 18 ; Mt 18, 17) et toujours dans ce sens précis. L’Église, désormais, sera une assemblée particulière, l’assemblée du Christ. Cette Église est ici comprise comme une maison que le Christ doit bâtir et dont Pierre est la fondation. Bien entendu, cette énonciation a posé beaucoup de questions aux exégètes. Ne traduit-elle pas une ecclésiologie déjà en cours de réalisation 34 ? La majorité considère que ce passage est d’origine post-pascale, même si certains exégètes, dont Cullmann, plaident pour une origine historique à un autre moment (dernier repas) 35. D’autres disent que c’est le message que Pierre reçoit lors de l’apparition du Ressuscité 36. 34. C. W. WOTAW, « Peter and the Keys of the Kingdom », The Biblical World 36, 1910, p. 8-25. R. BULTMANN, « Die Frage nach der Echtheit von Mt 16,17-19 », Exegetica, Tübingen, Mohr Siebeck, 1967, p. 255-277. 35. O. CULLMANN, Saint Pierre…, p. 148-191. 36. C. KÄHLER, « Zur Form und Traditionsgeschichte von Matth. XVI, 17-19 », New Testament Studies 23, 1976, p. 36-58. P. GRELOT, « L’origine de Matthieu 16, 17-19 », À cause de l’Évangile : mélanges offerts à Dom Jacques Dupont (Lectio Divina 123), Paris, Cerf, 1985, p. 91-105.

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La communauté ainsi fondée prévaut contre toutes les oppositions, même celle des portes de l’Hadès, c’est-à-dire celle des puissances des enfers. Le terme employé ici ne se réfère pas seulement à la géhenne, le lieu de la perdition et du châtiment, mais aussi au shéol, le séjour des morts : l’Église arc-boutée sur Pierre doit triompher de la puissance de la Mort. Pierre devient la pierre de fondation, mais aussi l’intendant, celui qui décide qui doit y pénétrer, comme le dit la seconde phrase : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. Pierre remplit le rôle de Élyaqim fils de Hilqiyyahu dans le livre d’Isaïe (22, 21-22), le rôle de l’huissier de Dieu : « Je le revêtirai de ta tunique, je le ceindrai de ton écharpe, je lui remettrai tes pouvoirs, il sera un père pour l’habitant de Jérusalem et pour la maison de Juda. Je mettrai la clef de la maison de David sur son épaule, s’il ouvre, personne ne fermera, s’il ferme, personne n’ouvrira. » Pierre est plus qu’un portier : Lier et délier signifie aussi, dans la Torah, un acte d’autorité qui décide si telle action est conforme à la loi ou ne l’est pas 37. D’ailleurs, l’expression se retrouve dans Jn 5, 18 où, pour exprimer l’idée de violer le sabbat, l’évangéliste emploie ἔλυειν τὸ σάββατον, délier le sabbat. Pierre obtient le pouvoir d’interpréter la loi. Ses pouvoirs ne se réduisent pas à la glose des textes, comme les scribes : rien n’empêche d’y inclure le pouvoir législatif. Le contraste est très net entre le rôle passif de l’apôtre en Mt 16, 18, « sur cette pierre, je bâtirai… », et son rôle actif au côté du Christ bâtisseur : il possède désormais ce que la tradition nomme le pouvoir des clefs 38. Mais même dans l’évangile de Matthieu, l’avertissement demeure : la prééminence est pour ainsi dire subordonnée à une acceptation de la volonté du Christ et du dessein divin. L’évangéliste lie en effet de manière significative l’épisode de la confession avec celui de la malédiction de Pierre. Ce dernier sert sans doute à Matthieu à nuancer toute admiration inappropriée 39. Que dire de cette prééminence, qu’il faut bien se garder de confondre avec la « primauté » qui sera forgée postérieurement comme concept politique ? Compte tenu des témoignages des textes tant de la tendance majoritaire que des tendances à la marge, on s’accordera à penser, avec 37. On la trouve dans le Bavli : Sanhedrin 38a et Shabbat 4a. Pour une discussion J. NOLLAND, The Gospel of Matthew : A Commentary on the Greek Text (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2005, p. 676-681. 38. Saint Thomas note, avec un certain humour, uidetur quod claues in Ecclesia esse non debeant ; non enim claues ad intrandum domum cuius est apertum, « il semble qu’il ne devrait pas y avoir de clef dans l’Église : il n’est pas de clef pour entrer dans une maison qui est ouverte. » (Summa theologica IIIa, suppl., q. 17, 1, 1). 39. A. J. NAU, Peter in Matthew : Discipleship, Diplomacy and Dispraise (Good News Studies 36), Collegeville (PA), Liturgical Press, 1992, p. 141.

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Martin Hengel 40, que Pierre, bien avant l’écriture des évangiles, ne passait pas simplement pour un disciple comme les autres, mais était considéré comme une figure fondatrice. C’est avant tout son rôle de témoin qui est mis en avant 41, et surtout, probablement, ce que Hengel nomme le rôle de « témoin apostolique décisif » de la Résurrection. Si Pierre acquiert cette haute figure, c’est probablement parce qu’il joue un rôle clef dans l’acceptation de cette notion par les autres disciples.

3. Pierre disciple Après son appel, Pierre demeure toujours dans l’entourage de Jésus et assiste au Sermon sur la Montagne, à la guérison d’un membre de la maison du centurion à Capharnaüm, son village. Peu après, Jésus guérit sa propre belle-mère qui était atteinte de fièvre (Mt 8, 14-15 = Mc 1, 29-31 = Lc 4, 38-39). Pierre, lorsque vient le moment du choix des apôtres, est toujours nommé en premier (Mc 3, 13-19 = Mt 10, 1-4 = Lc 6, 12-16). Il occupe vraisemblablement le premier rang parmi les disciples, faisant un peu figure de « chef ». À de nombreuses occasions, il parle au nom des Apôtres (Mt 15, 15 ; 19, 27 ; Lc 12, 41). Une multitude d’épisodes prouvent le rapport particulier qui l’unit à son maître. D’une part, il est le seul à confesser la nature christique de Jésus (Mt 16, 16 ; Mc 8, 29 ; Lc 9, 20). D’autre part, Jésus l’invite à participer à des événements qui ne se produisent qu’en présence d’un petit nombre de disciples. Ainsi Pierre assiste-t-il au relèvement de la fille de Jaïre (Mc 5, 37 = Lc 8, 51), à la transfiguration du Christ (Mt 7, 1 ; Mc 9, 2 ; Lc 9, 28), à l’agonie au Jardin de Gethsémani (Mt 26, 37 = Mc 14, 33). À plusieurs reprises, le Christ lui manifeste sa préférence : c’est dans sa barque qu’il monte pour prêcher à la multitude sur la grève (Lc 5, 3), c’est lui qu’il invite à le suivre dans sa marche sur les eaux (Mt 14, 29), c’est lui qu’il envoie pêcher le poisson réceptacle du didrachme pour le tribut (Mt 17, 24). Mais la suite de sa vie prouve que les évangélistes entendent montrer que Pierre n’a pas saisi l’ensemble du message de Jésus. On trouve toujours le même pattern (qui apparaît d’ailleurs aussi chez Jn) : malgré des intentions positives, Pierre se trompe sur la mission de Jésus (Mc 1, 35-38 ; 8, 31-33 ; Jn 13, 6-8.36 ; cf. Jn 17, 24-27), sur la personne de Jésus (Mc 9, 5-7 ; Mt 17, 24-27), sur ce que Jésus lui demande (Mt 18, 21-22 ; Lc 5, 8-11 ; cf. Jn 13, 9-10) ou sur son propre courage (Mc 14, 29-30 ; 14, 31-38 ; cf. Jn 21, 15-17) 42. Il s’oppose en effet vivement à l’idée d’un Christ souffrant, ce 40. M. HENGEL, Saint Peter the Underestimated Apostle…, p. 28-36. 41. M. HENGEL, Saint Peter the Underestimated Apostle…, p. 36-48. 42. C’est le centre de la thèse de T. WIARDA, Peter in the Gospels (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.127), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000.

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qui lui vaut d’amers reproches de la part de son maître (Mt 16, 21-23 ; Mc 8, 31-33) ainsi que la prédiction qu’il le trahira (Mt 26, 20-35 = Mc 14, 26-31 = Lc 22, 31-34 = Jn 13, 36-38). À la Passion encore, il doit supporter les reproches de Jésus de n’avoir pas su veiller tandis que lui souffrait (Mc 14, 37). Même s’il tente de s’opposer à la troupe qui vient arrêter Jésus, il s’enfuit avec les autres disciples (Mt 26, 56) et finit par renier son maître en affirmant explicitement qu’il ne le connaît pas (Mt 26, 58-75 ; Mc 14, 54-72 ; Lc 22, 54-62 ; cf. Jn 18, 15-27) : lui aussi chute.

4. Pierre figure de voyant ? En dehors de la force de caractère supérieure du pécheur de Bethsaïde, les textes anciens proposent une autre figure : celle d’un voyant, bénéficiaire de nombreuses révélations de la part de Jésus ou de la part de Dieu. Cette figure, essentiellement charismatique, semble avoir fondé, plus que la précédente, l’autorité de Pierre dans les premiers temps du christianisme. Elle sera passée par la suite sous silence. a . La protophanie à Pierre L’épisode qui semble avoir campé Pierre dans la posture du voyant se serait déroulé au lendemain de la Pâque. En effet, il aurait été le premier à bénéficier d’une apparition du Christ ressuscité : il fait ainsi figure de premier des chrétiens 43. 1. La proto-apparition chez Paul. – Le plus ancien témoignage de cette proto-apparition se trouve chez Paul. Ce dernier, pour justifier la justesse de son évangile, rappelle une ancienne formule de foi : 1Co 15, 3-7. – Je vous ai transmis en premier lieu ce que j’avais reçu moi-même : Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures. Il a été enseveli, il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures. Il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de 500 frères à la fois ; la plupart sont encore vivants et quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres. Les premiers mots de cette déclaration, παρέδωκα γὰρ ὑμῖν ἐν πρώτοις ὃ καὶ παρέλαβον, nous orientent vers l’hypothèse qu’à l’époque de Paul déjà, la formule de foi qu’il cite est une tradition. Et la mention des bénéficiaires des apparitions fait partie de cette tradition et donc du kérygme. Même si certains ont prétendu que, à cause de l’usage du nom « Céphas » qui est propre à Paul, l’insertion de Pierre dans ce kérygme ne remonte

43. G. O’COLLINS, « Peter as Witness to Easter », Theological Studies 73, 2012, 263-285.

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qu’à Paul 44, la grande majorité des exégètes admettent que Pierre faisait partie de la formule 45. 2. Une proto-apparition présentée différemment selon les évangiles. – Cette proto-apparition est présentée différemment selon les évangiles. Dans la finale (postérieure) de Marc, ce sont les femmes qui constatent les premières que le tombeau est vide, mais elles reçoivent un message spécifique pour Pierre (Mc 16, 7). Chez Luc, on ne représente pas cette apparition, puisque Pierre se borne à constater l’existence d’un tombeau vide, mais les deux disciples d’Emmaüs la mentionnent (Lc 24, 34 : λέγοντας ὅτι ὄντως ἠγέρθη ὁ κύριος καὶ ὤφθη Σίμωνι). 3. Le rôle fondateur de cette protophanie pour la figure de Pierre. – Même si Pierre n’est pas le tout premier, il est avéré qu’il est l’un des premiers et, en tout cas, celui dont le témoignage fut décisif. Ce Cette position eut une double conséquence : (α) elle accrédita son rôle de fondateur de la communauté et fit sans doute passer celui qui possédait une sorte d’autorité naturelle sur les disciples à celui qui forme la « pierre angulaire » de l’Église46 ; (β) elle accrédita le caractère mystique du pêcheur de Capharnaüm, dont on repérera les traces dans les textes. b. L’épisode de la Transfiguration L’importance du caractère visionnaire de la personnalité de Pierre se révèle aussi par des épisodes conservés dans les évangiles, dont celui de la Transfiguration. Mt 17, 1-8. – Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère, et les emmène, à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut métamorphosé devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. Et voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui parlaient avec lui. Pierre dit à Jésus : « Seigneur, il est bien que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie. » Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les recouvrit, et voici qu’une voix disait de la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, il a toute ma faveur, écoutez-le. » En entendant cela, les disciples tombèrent sur leurs faces, tout effrayés. Mais 44. P. WINTER, « I Corinthians xv 3b-7 », Novum Testamentum 2, 1957, p. 142150 ; E. BAMMEL, « Herkunft und Funktion der Traditionselemente in I Kor. 15:1-11 », Theologische Zeitung 11, 1955, p. 401-419. 45. G. D. FEE, The First Epistle to the Corinthians (New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1987, p. 728 ; L. MORRIS, The First Epistle of Paul to the Corinthians : An Introduction and Commentary (Tyndale New Testament commentaries 7), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1985, p. 203. R. F. COLLINS, First Corinthians (Sacra pagina 7), Collegeville (PA), Liturgical Press, 1999, p. 535. 46. G. O’COLLINS, « Peter as Witness to Easter », Theological Studies 73, 2012, p. 263-285.

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Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit : « Relevez-vous, et n’ayez pas peur. » Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul. »

Le passage est extrêmement complexe et pose de sérieux problèmes d’interprétation : on ne compte plus les contributions critiquant son historicité 47, même si certains la maintiennent 48. Sous l’impulsion de la Formgeschichte et de Bultmann, on a eu tendance à n’y voir qu’une reconstruction post-pascale destinée à exprimer une espérance eschatologique en lien avec la fête de Sukkot 49, voire une manifestation d’hypnose (comme le suggère Morton Smith 50) ou une simple prédication passée à l’état de narration51. En effet, comme le montre l’article fondamental de Chilton 52, le texte est aussi une réécriture du don de la Loi au Sinaï (Ex 24). Jésus figure comme le nouveau Moïse et le nouvel Élie, Pierre, Jacques et Jean représentant Aaron, Nadab et Abihu. Le déroulement de l’événement est surprenant. Alors que Jésus se tient à l’écart avec les trois disciples, voici qu’il change brusquement de figure et qu’Élie et Moïse apparaissent à côté de lui. Pierre, intervient alors pour proposer de construire des tentes, mais il est interrompu par une voix proclamant la filialité de Jésus. Qu’entend-on par « transfiguration » ? Jésus ne change pas de visage, il apparaît différemment à ses disciples. En effet, le terme employé est assez vague : μεταμορφόομαι, il change d’apparence. On reconnaît là l’héritage direct de la littérature juive, en particulier du livre d’Hénoch : « J’ai vu les saints êtres angéliques marcher sur des flammes de feu, tout revêtus de blanc et le visage brillant comme le cristal » (1Hen 71, 1). Il y a certainement, aussi ici, un lien plus lointain avec Moïse et l’éclat de son visage lorsqu’il était en contact avec la Shekhina (Ex 34, 29). La blancheur du vêtement fait peut-être allusion à l’Ancien des jours de Daniel (Dn 7, 9) 47. T. F. BEST, « The Transfiguration : A Select Bibliography », Journal of the Evangelical Theological Society 24, 1981, p. 157-161. 48. A. A. TRITES, « The Transfiguration of Jesus : The Gospel in Microcosm », Evangelical Quarterly 51, 1979, p. 67-79. 49. C. GRAPPE, D’un Temple à l’autre…, p. 164-172. G. H. BOOBYER, « St. Mark and the Transfiguration », Journal of Theological Studies 41, 1940, p. 119-140. C. H. DODD, « The Appearances of the Risen Christ : An Essay in Form-Criticism of the Gospels », in D. E. NINEHAM (éd.), Studies in the Gospels. Essays in Memory of R. H. Lighfoot, Oxford, Basil Blackwell, 1995, p. 9-35 (25). R. H. STEIN, « Is the Transfiguration (Mark 9, 2-8) a Misplaced Resurrection Account ? », Journal of Biblical Literature 95, 1976, p. 76-86. 50. M. SMITH, « The Origin and History of the Transfiguration Story », Union Seminary Quarterly Review 36, 1980, p. 39-44. 51. J. A. MCGUCKIN, The Transfiguration of Christ in Scripture and Tradition (Studies in the Bible and Early Christianity 9), Lewiston (N. Y.), Edwin Mellen, 1986, p. 13. 52. B. D. CHILTON, « The Transfiguration : Dominical Assurance and Apostolic Vision », New Testament Studies 27, 1980, p. 115-124.

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qui a le vêtement blanc comme neige. Cette « transfiguration » se situe à un moment décisif dans les trois évangiles synoptiques : celui où Jésus, reconnu comme Messie par ses disciples, leur révèle comment s’accomplira son œuvre : avant d’être glorifié par résurrection, il passera par la souffrance et la mort. La présence de Moïse et Élie est traditionnellement interprétée comme la mention de la Loi et des Prophètes. On peut toutefois se demander si Moïse ne représente pas non plus un prophète puisqu’on parle souvent d’un « prophète comme Moïse ». Intervient alors Pierre, qui cherche à rationaliser la vision : comme ces voyageurs qui portraiturent leurs amis au pied d’un monument afin de donner l’échelle, Pierre permet de mesurer l’incommensurable distance qui sépare ce monde avec l’apparition. À tout prendre, sa réaction n’est pas inepte : on croyait depuis longtemps que la vie future se passerait sous une tente, à l’instar de la vie des Hébreux au désert (on trouve un écho de cette croyance en Lc 16, 9). Pierre ne propose que d’éterniser cet instant qu’il pressent considérable. Dans sa phrase, l’adverbe ὧδε (« ici ») se répète – il est bien que nous soyons ici ; si tu le veux, je vais faire ici trois tentes – et souligne l’endroit où le personnage a fait l’expérience de la vraie nature de Jésus. Ne lui répondent que la nuée et la voix de Dieu : on retrouve une théophanie qui emprunte les nuages du Sinaï (Ex 19, 16 ; 24, 15). Les disciples tombèrent la face contre terre qui est la marque manifeste du plus grand respect. La Transfiguration confirme la confession de foi de Pierre et consacre la révélation de Jésus puisqu’elle montre Jésus en Fils bien-aimé et transcendant, possesseur de la gloire de Dieu. Cette représentation « en avantpremière » de la gloire du Christ est destinée à Pierre, qui, certes, n’a pas tout saisi : anticipation du Royaume des Cieux, le lieu n’a pas atteint son accomplissement ; sur cet ici, dont il ne cesse de parler, Pierre ne saurait rien construire. Jésus, le reconnaît, le touche et lui intime l’ordre de se relever, terme technique (ἐγείρω) employé à propos de la Résurrection (relèvement d’entre les morts), qui signifie aussi le relèvement résurrectionnel. B. Trois figures de Pierre pour trois évangiles Si l’on a pu discerner quelques éléments que les synoptiques ont en commun à propos de la vie de Pierre, il ne faut pas pour autant niveler les subtiles différences qui existent entre les portraits que dressent les trois synoptiques. Si, comme l’a montré Timothy Wiarda, le caractère de Pierre tel qu’il est dépeint par les textes possède une certaine « consistance 53 » 53. T. WIARDA, Peter in the Gospel…, p. 226-228. C’était la thèse de V. TAYLOR, The Gospel According to Saint Mark, London, Macmillan, 21966, p. 80-82.

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par-delà les intentions narratives de chaque auteur, il n’est pas sûr qu’il faille pour autant nier les effets contextuels et les appropriations propres : les évangélistes ont considérablement composé a posteriori la figure de Pierre 54.

1. Pierre dans l’évangile antiochien de Matthieu : l’apôtre fragile La place éminente que Matthieu réserve à Pierre s’explique amplement par le contexte dans lequel il écrit 55. Face aux divisions, Matthieu prêche l’unité. À plusieurs reprises, il rapporte des paroles de Jésus prônant une attitude exigeante face à l’esprit de la loi (Mt 5, 18 ; 19, 9…), mais il n’hésite pas d’autre part à traiter les pharisiens d’« hypocrites » (Mt 23, 13-29). Un coup sur le bois, un coup sur le fer : Matthieu essaie de ménager l’harmonie et voit en Pierre, mort depuis une vingtaine d’années, une figure du rassemblement. Favori de Jésus, l’apôtre n’avait-il pas adopté une position de « centriste 56 » entre Jacques et Paul comme on le verra par la suite ? Aussi Mathieu fait-il de l’apôtre le porte-drapeau de son idée-force : renforcer l’unité de la communauté. Il le pose en disciple par excellence : le premier serviteur, le premier disciple à avoir perçu la Résurrection. Il devient l’homme à la foi droite : celle-ci ne provient-elle pas directement de la révélation divine et des nombreux enseignements du Christ dont il fut le témoin direct ? Sa place est tellement éminente chez Matthieu, que certains exégètes ont proposé d’identifier en cet évangile la version canonique de l’Évangile de Pierre cité par les Pères 57. Pour autant, Matthieu ne veut pas en faire un modèle absolu : sans doute ne veut-il pas trop l’identifier à toute l’Église. Aussi opère-t-il un retrait diplomatique 58 en n’hésitant pas à montrer ses limites. a . Le disciple exempla ire Matthieu, appelle Pierre aussi bien « Simon » (16, 17 ; 17, 25) que « Simon appelé Pierre » (Mt 4, 18 ; Mt 10, 2) ou « Simon-Pierre » (Mt 16, 16) : dès le début, Simon est nommé Pierre comme s’il portait en lui une autorité et une dignité spéciale. 54. Voir les articles dans W. KELBER (éd.), The Passion in Mark, Philadelphia (PA), Fortress, 1976. 55. Le commentaire le plus développé de Matthieu, dans lequel nous avons largement puisé, est celui d’Ulrich Luz : U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus (Evangelisch-Katolischer Kommentar zum NT 1), 4 vol., Düsseldorf/Zürich/NeukirchenVluyn, Benzinger/Neukirchner, 1985-2002 (plusieurs rééditions). 56. P. PERKINS, Peter, Apostle for the Whole Church (Studies on Personalities in the New Testament), Minneapolis (MN), Fortress, 2000, p. 9-10. 57. W. SCHENK, « Das “Matthäusevangelium” als Petrusevangelium », Biblische Zeitschrift 27, 1983, p. 58-80. 58. A. J. NAU, Peter in Matthew : Discipleship, Diplomacy and Dispraise (Good News Studies 36), Collegeville (PA), Liturgical Press, 1992, p. 37.

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1. La conversion. – Sa première rencontre avec le Christ est aussi sa première conversion. Dans une sorte de coup de foudre, Pierre est à la fois convoqué et converti : Mt 4, 18-20. – Comme il marchait au bord de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l’épervier dans la mer ; car ils étaient pêcheurs. Et il leur dit : « Venez à ma suite, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent.

La scène fait écho à la vocation d’Élisée, qui s’attache au prophète Élie avec fougue, puisqu’il suffit que ce dernier lui jette son manteau sur les épaules pour qu’il le suive (1R 19, 19-21). Le geste de jeter le manteau de poil sur les épaules d’Élisée est à comprendre comme une transmission de flambeau puisque le manteau est le symbole de la charge prophétique (2R 1, 8 ; Za 13, 4 ; Mt 3, 4). Élisée, d’ailleurs, comprend tout de suite de quoi il s’agit : il quitte tout, immédiatement. L’épisode se présente comme une sorte de raccourci de ce qui va se passer par la suite, une mise en abîme. La parole de Jésus, tout d’abord, dans son efficacité, annonce toutes les paroles qui suivent ; paroles qui guérissent, paroles qui chassent les démons. Jésus est bien puissant en actes et en paroles. La réponse des pêcheurs qui quittent tout, ensuite : dans sa radicalité, elle préfigure les autres vocations. La promesse de Jésus, enfin : « je vous ferai pêcheurs d’hommes. » La proposition est au futur ; Pierre ne sera pêcheur d’hommes qu’au terme de la longue aventure décrite par l’Évangile. Comment comprendre cette expression « pêcheurs d’hommes », que l’on va retrouver tout au long de ces vocations au bord du lac ? Il y a peutêtre dans cette expression une trace des mythes cosmologiques anciens (comme celui de la Genèse) dans lesquels l’eau primordiale représente le Chaos : « pêcher des hommes » est donc une manière de dire qu’on les rachète à la puissance de la mort 59. Mais l’expression était surtout utilisée, ainsi que l’a montré de manière convaincante Charles Smith 60, comme une façon métaphorique de décrire le rassemblement de tous en vue du jugement : aussi bien les textes prophétiques (Am 4, 2 ; Ha 1, 14-15 ; Jr 16, 16) que les écrits de Qumran (1QH 5, 7-8) l’emploient pour décrire l’action du Dieu juge qui envoie ses émissaires convoquer les hommes. On n’en tirera pas argument, à l’instar de Bultmann, pour dénier toute historicité à l’appel qui, selon lui aurait été créé de toutes pièces dans le but de

59. J. MANEK, « Fishers of Men », Novum Testamentum 2, 1957, p. 128-141. 60. C. W. SMITH, « Fishers of Men », Harvard Theological Review 52, 1959, p. 187-203.

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correspondre à cette métaphore : elle est tellement reprise dans la tradition qu’elle ne saurait faire difficulté 61. « Eux, aussitôt, laissant les filets, le suivirent. » Oublieux des réflexes de leur métier qui commandent de ne pas laisser pourrir un filet dans l’eau, ils abandonnent tout. Jésus se distingue des autres maîtres juifs, qui ne demandaient pas un engagement aussi radical et laissaient le plus souvent leurs disciples poursuivre leur métier. La précision n’est pas seulement littéraire : elle indique que le temps de la venue du Christ est court et qu’il y a peu de temps pour se décider. Pierre, lui, se résout à suivre le Christ en un éclair. Il remet tout en cause, jusqu’à la sacro-sainte institution de la famille : non seulement il abandonne les filets – qui représentent leurs conditions de vie –, mais aussi l’entreprise familiale tenue avec son frère André. Dans une société pauvre où prendre soin de sa famille constitue un devoir sacré, Pierre accomplit une folie et un acte impie. 2. La belle-mère de Pierre. – Cet abandon n’est que temporaire et souffre d’une petite exception : la guérison de la belle-mère de Pierre. Mt 8, 14-15. – Entrant dans la maison de Pierre, Jésus vit sa belle-mère couchée et fiévreuse. Il lui toucha la main, la fièvre la quitta ; elle se leva et elle le servait.

Le récit, dans sa brièveté, nous renseigne plus sur Jésus que sur Pierre : la seule information concernant notre apôtre est qu’il était suffisamment proche de Jésus pour que ce dernier puisse entrer chez lui familièrement. L’essentiel du texte réside dans le geste de guérison de Jésus, à qui il suffit de toucher la main de la belle-mère de Simon, pour que celle-ci se lève et le serve. Ce dernier détail indique qu’il s’agit davantage d’une rédemption que d’un miracle ; la belle-mère n’est pas ramenée à la santé pour ellemême, mais pour accomplir une liturgie : servir Jésus. 3. L’appel en mission. – À l’exception de cet épisode, donc, Pierre n’est pas dissocié du groupe des disciples jusqu’à leur envoi en mission. Mt 10, 1-5. – Ayant appelé à lui ses douze disciples, Jésus leur donna pouvoir sur les esprits impurs, de façon à les expulser et à guérir toute maladie et toute infirmité. Les noms des douze apôtres sont les suivants : le premier, Simon appelé Pierre, et André son frère ; puis Jacques, le fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu le collecteur d’impôt ; Jacques, le fils d’Alphée, et Thaddée ; Simon le Zélé et Judas l’Iscariote, celui-là même qui le livra.

Preuve d’une prééminence effective au sein du groupe des Apôtres, Pierre apparaît non seulement en tête, mais aussi gratifié du titre « le pre61. Bultmann est cité par Martin Hengel qui balaie son argument. M. HENGEL, The Charismatic Leader and his Followers, trad. J. GREIG, New York, Crossroads, 1981, p. 77.

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mier ». Si l’on regarde attentivement le texte, on s’aperçoit que Matthieu passe des « douze disciples » (Mt 10, 1) aux « douze apôtres » (Mt 10, 2). L’expression est unique dans cet évangile. Il pourrait donc s’agir d’un texte qui n’a pas été rédigé directement par l’auteur de l’évangile, mais qui aurait été conservé dans la mémoire de l’Église antiochienne, et qu’il aurait incorporé tel quel dans son récit. Si cela était vrai, on pourrait conclure que, dans les plus anciennes traditions, s’est conservée la dénomination de « Simon appelé Pierre », preuve de son surnom, ainsi que sa précellence. 4. Pierre chef des disciples. – Pierre occupe souvent une position éminente dans le groupe des disciples. Il joue le rôle de porte-parole, et à plusieurs reprises, on entend sa voix. Ainsi, en Mt 15, 15 : « Explique-nous la parabole », dit-il à Jésus, qui venait de parler des aveugles guidés par des aveugles. « Combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrais-je lui pardonner ? Irais-je jusqu’à sept fois ? » (Mt 18, 21), interroge-t-il, troublé par l’enseignement de Jésus. Enfin, c’est lui qui exprime le sentiment général des disciples lorsque Jésus affirme avec force que seul Dieu sauve : « Voici que nous avons tout laissé, et nous t’avons suivi. Qu’en sera-t-il de nous ? » (Mt 19, 27). Mais Pierre n’en reste pas là, il fournit l’occasion d’une action éclatante de Jésus. Peu après la Transfiguration, un second épisode – qui n’existe que chez Matthieu – voit Pierre en personnage principal : la redevance au Temple. Mt 17, 24-27. – Comme ils étaient arrivés à Capharnaüm, ceux qui perçoivent le didrachme s’approchèrent de Pierre et lui dirent : « Est-ce que votre maître ne paie pas le didrachme ? » – « Mais si », dit-il. Quand il fut arrivé à la maison, Jésus, le devançant, lui dit : « Que t’en semble, Simon ? Les rois de la terre, de qui perçoivent-ils taxes ou impôts ? De leurs fils ou des étrangers ? » Et comme il répondait : « Des étrangers », Jésus lui dit : « Par conséquent, les fils en sont exempts. Cependant, pour ne pas causer leur chute, va à la mer, jette l’hameçon, saisis le premier poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche : tu y trouveras un statère ; prends-le et donnele-leur, pour moi et pour toi ».

L’Exode racontait, en 30, 13, la levée d’un demi-sicle en faveur du sanctuaire sur tous les fils d’Israël âgés de vingt ans. Après l’Exil, s’appuyant sur ce précédent ou le créant pour l’occasion, on établit une taxe annuelle réduite à un tiers de sicle pour les besoins du Temple (Esd 20, 32) ; elle s’éleva bientôt à un demi-sicle. Le sicle valant quatre drachmes antiques, l’impôt se montait donc à un didrachme et on utilisait pour le payer des pièces d’origine tyrienne même si elles arboraient l’effigie de Melkart 62. La 62. J. ÅDNA, Jerusalemer Tempel und Tempelmarkt im 1. Jahrhundert n. Chr. (Abhandlungen des deutschen Palästinavereins 25), Wiesbaden, Harrassowitz, 1999, p. 97-101.

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perception avait lieu avant la Pâque, avant la Pentecôte et avant la fête des Tabernacles et les sommes récoltées servaient à l’entretien du Temple, et payaient une partie du revenu de la famille royale. Savoir qui payait cet impôt est difficile, il est probable qu’il s’agissait d’un impôt volontaire dont s’acquittaient les Juifs pieux 63 : demander si Jésus paie le didrachme revient donc à évaluer sa piété. Pierre est mis en avant : c’est à lui que s’adressent les percepteurs de la redevance, comme au représentant du groupe, c’est lui qui s’entretient avec son maître à ce sujet, et le statère mystérieusement apparu (le statère valait quatre drachmes) sert aussi à payer son propre impôt. Pierre reçoit ainsi un enseignement pratique. Même si payer tribut est le fait des nations serves, et même si Dieu ne considère pas les disciples de Jésus comme des étrangers, mais comme ses propres fils libres qui n’ont pas besoin de lui payer tribut, il est bon de ne pas scandaliser. Le poisson-tirelire exprime bien l’ambiguïté de la réponse : l’argent pour payer le Temple, c’est-à-dire Dieu, provient de Dieu lui-même, afin que ses propres enfants ne déboursent pas un sou. Pourtant, la venue de cet argent semble assez mystérieuse et assez fantastique pour suggérer que cette situation ne durera pas et que cette taxe ne sera pas longtemps payée : l’histoire suggère plus un refus du système du Temple (pour des motifs religieux ou des motifs sociologiques) qu’une incitation à payer ce tribut 64. b. Le disciple ambigu Deux épisodes nuancent ce portrait apparemment parfait : la marche sur les eaux, et la confession-malédiction de Pierre. Au cours de ces deux épisodes, on passe successivement par une sorte de dialectique psychologique révélatrice du personnage : ayant déclaré avec fougue son attachement à Jésus, Pierre est aux prises avec sa propre faiblesse, mais reçoit l’assurance d’avoir finalement la faveur de Dieu. 1. La marche sur les eaux. – Le premier épisode, la marche sur les eaux, est paradigmatique de la vie de Pierre : en lui, il révèle son caractère profond, sa faiblesse, mais aussi sa capacité à être sauvé (Mt 14, 22-34). Jésus, marchant sur les eaux, s’approche de la barque battue par les flots où se trouvent les disciples qu’il a lui-même envoyés : il vient de les mettre terriblement en difficulté, car qui aurait l’idée de naviguer de nuit, à la quatrième veille de la nuit, vers trois heures du matin, quand on se lève habituellement vers six heures et qu’en outre on ne connaît ni les boussoles, ni les engins de positionnement ? Cette précision nous oriente vers 63. S. MANDELL, « Who Paid the Temple Tax When the Jews Were under Roman Rule ? », Harvard Theological Review 77, 1984, p. 223-232. 64. Gertraut Harb y voit même une parole du Jésus historique : G. HARB, « Matthew 17.24-27 And Its Value For Historical Jesus Research », Journal For The Study Of The Historical Jesus 8, 2010, p. 254-274.

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une lecture symbolique de la scène. Les disciples ont peur, mais le Christ les rassure. Pierre, dont on découvre pour la première fois le tempérament fougueux, s’adresse alors à lui par une formule assez étrange : « Seigneur, si c’est toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les eaux. » On a parfois prétendu que l’impétueux Simon-Pierre « tente » Jésus. Il n’en est rien. Si Pierre fait effectivement montre pour la première fois de sa fougue, sa demande est une marque de foi. En effet, il appelle Jésus « Seigneur », qui est le nom réservé à Dieu ou à ses envoyés : pour la première fois dans les évangiles, quelqu’un suggère que Jésus est l’envoyé de Dieu. En outre, voulant précisément éviter la tentation que pourrait comporter sa demande, il l’atténue par la prière « donne-moi l’ordre » ; il montre que lui-même ne peut rien. Enfin, il conditionne l’ordre à la nature de Jésus : « si c’est bien toi », précise-t-il, afin de prouver que seule sa fidélité à Jésus lui impose cette demande. Première étape du portrait de Pierre : la foi un peu irréfléchie en Jésus et l’impétueuse volonté de le suivre partout. Cette foi est opérante : Pierre marche sur les eaux. Mais brusquement, le voici qui prend peur : « voyant le vent, il prit peur et, commença à s’enfoncer. » Pierre n’a pas peur de cette étrange marche sur les eaux, mais bien d’un élément extérieur, le vent. Les disciples ont peur d’un fantôme et leur chef craint le vent ; Pierre ne doute pas de Jésus, mais d’un phénomène météorologique. Son cri, « Seigneur, sauve-moi ! » manifeste d’ailleurs amplement sa foi. Il n’y a plus de « si », seulement une question de vie ou de mort. Face au trépas, suggère l’évangéliste, la foi s’épure, révèle la confiance en Dieu, qui seul sauve. Deuxième trait du portrait : la versatilité de l’apôtre face au danger – le rapprochement avec le reniement est facile à faire. Si Pierre est tellement croyant, pourquoi Jésus le tance-t-il alors ? Non point d’avoir douté de lui, mais d’avoir eu peur de la mort. Pierre n’est qu’à moitié croyant, l’autre moitié est sous l’emprise de la peur qui lui défend de croire que Dieu est plus fort que la mort. Aussi Jésus emploie-t-il l’expression « homme de peu de foi », qu’il utilise pour reprocher la semiconfiance de ces derniers. Les hommes de peu de foi refusent de s’abandonner à la Providence (Mt 6, 40), ils craignent les éléments extérieurs (Mt 8, 26), ils refusent la toute-puissance de Dieu (Mt 17, 20). Parce que Pierre a peur de la mort et que le croyant parfait ne doit pas la redouter, il est morigéné par Jésus. La leçon a-t-elle porté ? Apparemment oui, puisque les disciples nomment Jésus « Fils de Dieu ». Ils indiquent par la formule qu’ils reconnaissent une intimité toute particulière entre Dieu et Jésus. « Fils de Dieu » est en effet le titre conféré aux Israélites (Dt 14, 1 ; Os 2, 1) et à leurs chefs (Ps 82, 6), au Roi Messie (1Ch 17, 13 ; Ps 2, 7 ; Ps 89, 27), voire aux anges ( Jb 1, 6) ou même au Peuple d’Israël lui-même (Ex 4, 22 ; Sg 18, 13). De la sorte, l’épisode prend une valeur exemplaire : Jésus est le Fils de Dieu qui

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arrache le disciple à l’abîme, et donc, d’une certaine façon à la mort. L’eau est en effet rarement considérée de manière positive (Ps 69, 2-3) Entrer dans les eaux revient à subir une grave menace de l’ennemi. À l’inverse, être « tiré des grandes eaux », c’est connaître le salut (2S 22, 17-18). Dans cette scène emblématique, Pierre joue un rôle très particulier : d’une certaine façon, il est le premier à avoir été arraché à la mort. Sa fougue et son envie de suivre son maître sont récompensées. Simultanément, Pierre illustre la vraie nature de la foi selon l’évangéliste : il ne s’agit pas de dépasser les limites de la nature humaine, ni de vouloir saisir Dieu (puisque Pierre ne peut pas se tenir debout aux côtés de Jésus), il s’agit de reconnaître que Jésus-Christ peut révéler la présence de Dieu dans une sorte de médiation. En même temps, ce sont ses frères et non lui qui font la proclamation dogmatique : on retrouve dans cette différence la diplomatie matthéenne qui entend ne pas trop donner d’importance à Pierre 65. 2. La suite de la profession de foi de Pierre. – On ne s’attardera pas à la profession de Pierre, déjà amplement commentée, mais à ce qui suit. Mt 16, 21-23. – Dès lors, Jésus commença à enseigner à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, beaucoup y souffrir de la part des Anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. Pierre, le tirant à lui, se mit à le rabrouer en disant : « Dieu t’en garde, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » Mais lui, se retournant, dit à Pierre : « Retire-toi derrière moi, Satan ! tu es une occasion de chute pour moi, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »

La suite de la confession fonctionne comme la seconde partie de l’enseignement de Jésus : le Fils doit passer par la Passion pour atteindre sa complétude. Il assigne un lieu très symbolique à cet événement : Jérusalem, la cité de David. Pour l’instant, l’anticipation n’est pas vraiment précise ; Jésus ne parle pas de la croix, supplice romain, et ne mentionne que les autorités juives. La réaction de Pierre à cet enseignement montre qu’il n’est pas disposé à lâcher son idée de Messie. Matthieu dramatise sa réplique en faisant entendre le dialogue : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! Non, cela ne t’arrivera point ! » Le refus sonne avec vigueur, définissant la force de caractère de l’apôtre qui n’hésite pas à réprimander son maître. La réaction de Jésus est tout aussi violente : « Retire-toi derrière moi, Satan ! tu es une occasion de chute pour moi, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! » La réprimande est rude : il est associé à Satan et à l’occasion de chute, le σκάνδαλον, le petit caillou qui fait tomber. Alors que Pierre, cinq versets plus haut, recevait une promesse inouïe de son maître, le voilà responsable de sa chute, le voilà porte-parole du diable ! L’apôtre, pour Matthieu, figure l’ambivalence de la volonté humaine, décrite 65. A. J. NAU, Peter in Matthew…, p. 131.

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de manière fulgurante dans ce brusque revirement. Matthieu révèle trois choses. 1) Il entend prouver a posteriori que la « confession » de Pierre est bien une révélation de Dieu, puisque ce dernier n’est pas capable de maintenir le cap de la foi dès lors que l’imprévu le désarçonne. 2) Il veut démontrer que le langage de la foi ne se comprend pas d’un seul coup et que sa vérité se manifeste lentement. 3) Il désigne l’adversaire traditionnel : Satan et son antique et sempiternelle rengaine, vous ne mourrez point et serez comme des dieux (Gn 3, 4-5). Le Second Adam repousse la tentation à laquelle succomba le premier ; toute entreprise humaine de penser les réalités de Dieu avec la sagesse des hommes, suggère Matthieu, est une entreprise diabolique. c. Pierre l’apôtre fra g ile La suite de l’évangile ne fait que développer l’ambivalence pétrinienne : faisant figure de chef des disciples, le pécheur de Bethsaïde renie son maître. Le lecteur, prévenu par les deux scènes précédentes, possède déjà tous les éléments pour interpréter la suite des événements. Il sait que la forte personnalité de l’apôtre n’est qu’un mirage, et que celui-ci viendra tôt ou tard à fléchir. Le reniement, qui était déjà en creux dans ce qui précède, se prépare dans une parole de Jésus l’annonçant à Pierre. Mt 26, 31-35. – Alors Jésus leur dit : « Vous tous, vous allez chuter à cause de moi, cette nuit même. Il a été écrit en effet : Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées. Mais, après ma résurrection, je vous précéderai en Galilée. » Pierre lui répondit : « Si tous chutent à cause de toi, moi je ne chuterai jamais. » Jésus lui répliqua : « Amen je te le déclare : cette nuit même, avant que le coq chante, tu m’auras renié trois fois. » Pierre lui dit : « Même s’il me fallait mourir avec toi, non, je ne te renierai pas. » Et tous les disciples en dirent autant.

Le lecteur sait depuis le début du chapitre 26 que les chefs des Juifs se sont déjà assemblés pour comploter contre Jésus et que Judas les a rencontrés. La trahison est en marche. Pour Pierre, en revanche, la surprise est totale. Pourtant, il n’est pas visé particulièrement : Jésus précise bien que tous les disciples vont chuter. Seul le reniement de Pierre sera raconté, mais on peut se douter que tous les disciples succomberont. Cette petite précision, absente des autres évangiles, fait du reniement l’attitude de tout disciple à la veille de la Croix, et non du seul Pierre. Pierre est en quelque sorte dédouané de son reniement, puisque celui-ci semble inévitable : le recours à l’Écriture, à Za 13, 17 – « Frappe le pasteur, que soient dispersées les brebis » –, montre qu’il est impossible de suivre Jésus jusqu’à la croix sans le renier à un moment ou à un autre. Le reniement de Pierre suit bientôt. Il était déjà préparé par l’épisode de Gethsémani. Alors que Jésus, s’étant retiré à l’écart pour prier sur une

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colline en face de Jérusalem, avait demandé à ses disciples (et Pierre en fait explicitement partie) de veiller, ceux-ci ne peuvent retenir le sommeil. Jésus doit donc livrer en solitaire son combat contre l’angoisse de la mort. Il en fait même le reproche amer à Pierre : Mt 26, 40-41. – Il vient vers les disciples et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. »

Cette absence de combativité face au sommeil est démoniaque : la recommandation de ne pas entrer en tentation fait écho à la « chute » annoncée. Si les disciples ne peuvent s’empêcher de dormir, comment pourraient-ils combattre le démon, comment pourraient-ils ne pas l’abandonner ? Voilà qui arrive à Pierre : à l’intérieur du palais du Grand Prêtre, Pierre s’assied avec les valets, « pour voir la fin de l’histoire » (Mt 26, 58), comme le dit joliment Matthieu, qui s’attache par focalisation interne à décrire la psychologie des personnages. La curiosité semble mouvoir Pierre, mais n’est-ce pas plutôt la preuve de son attachement au Christ ? Hélas, la curiosité des hommes le contraint au reniement (Mt 26, 69-75). Il n’y a pas un reniement de Pierre, mais trois reniements, comme le prévoyait Jésus. Ils s’accompagnent d’un lent mouvement de fuite vers la sortie de la maison, interrompu par les invectives de ceux qui sont présents. Matthieu ne cherche pas à accabler Pierre, il présente simplement ses capitulations, sans chercher à y voir une gradation particulière. La première fois, Pierre ne renie pas expressément Jésus, il prétend ne pas savoir ce que dit la femme – qui l’a reconnu à l’accent galiléen des disciples de Jésus et l’on sait que les Galiléens ne parvenaient pas à distinguer certaines consonnes de l’araméen –, mais il le dit en public. La seconde fois, c’est de connaître cet homme qu’il nie, qui plus est, sous serment. La dernière fois n’est qu’une reprise de la seconde fois. Le chant du coq, qui ponctue le récit, fait sortir Pierre du mensonge : ce son, qui n’est pas une parole et fonctionne habituellement comme le signal de l’aube devient un signifiant, une voix, qui provoque la repentance 66. En pleurant amèrement – n’a-t-il pas manqué à sa parole et n’a-t-il pas violé la règle d’honneur qui demande que l’on ne désavoue pas publiquement ses amis, sa famille et ses maîtres ? – Pierre sort à la fois de la maison du Grand Prêtre et de l’évangile : plus aucune mention de lui dans la suite. Le lecteur reste sur son inquiétude : Pierre sera-t-il pardonné ? Pierre accomplira-t-il son destin ? Au lecteur d’envisager la suite… Il a, il faut l’admettre, tous les éléments ; la promesse de faire de lui un pêcheur d’hommes, celle d’être la pierre de fondation, celle de lier et délier. Il a 66. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc II (Lectio Divina 223), Paris, Cerf, 2008, p. 532.

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surtout l’assurance finale de l’évangile matthéen ; la mission et l’envoi : « Et moi, je suis avec vous jusqu’à la fin des temps ».

2. Pierre chez Marc : le comble de l’incompréhension Des quatre évangélistes, Marc présente la figure de Pierre la moins sympathique et la moins importante. Pas de commission apostolique, pas d’annonce d’un rétablissement possible. Pierre suit Jésus, mais ne le comprend pas. Pourquoi ce pessimisme ? La réponse traditionnelle à ce rabaissement de Pierre était de nature psychologique. On se fondait sur une notice d’Eusèbe qui prétendait que l’évangile de Marc avait été écrit en reprenant les souvenirs de l’apôtre, pour affirmer que ce dernier avait répugné à se donner un rôle important, par une modestie tout évangélique. Le texte d’Eusèbe cite en fait un passage des Hypotyposes de Papias, évêque d’Hiérapolis, qui affirme : Après que Pierre eut prêché publiquement à Rome, annonçant l’évangile selon l’esprit qui l’animait, des assistants, en grand nombre, demandèrent à Marc de rédiger par écrit ce qui était dit de vive voix, lui qui suivait Pierre depuis longtemps et avait conservé le souvenir de ce qui s’était dit. Marc le fit donc, et remit l’évangile à ceux qui l’en avaient prié. Pierre le sut, mais il ne voulut intervenir ni pour l’en dissuader ni pour l’y engager 67.

Le texte pose un certain nombre de difficultés. En effet, ailleurs, Eusèbe cite aussi Irénée de Lyon qui affirme que Marc a composé son évangile après la mort de Pierre 68. E. Norelli, qui a étudié ce passage dans son examen de Papias, estime qu’Eusèbe avait connaissance de deux traditions : une première tradition, venue d’Alexandrie, qui indiquait que Pierre avait donné son aval au texte de Marc, et une seconde, d’Asie Mineure, qui indiquait que Pierre était déjà mort au moment de la rédaction de l’évangile de Marc. Aussi Papias rapporte-t-il une absence totale de réaction de la part de Pierre déjà mort 69. 67. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl., VI, 14, 5-7, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, ad. loc. 68. IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. III, 1, 1. « Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’évangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Église. Après la mort de ces derniers, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. » 69. E. NORELLI, Papia di Hierapolis, Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti (Letture cristiane del primo millenio 36), Milano, Paoline, 2005, p. 218. Sur la date d’écriture de l’évangile, voir l’excellent article de synthèse de Hendrika Roskam : H. N. ROSKAM, « The Date of Mark’s Gospel and Its Place of Origin », The Purpose of the Gospel of Mark in Its Historical and Social Context (Supplements to Novum Testamentum), Leiden, Brill, 2004, p. 75-115. H. Roskam reprend une opinion majoritaire : l’évangile aurait été écrit peu après les années 70 en Galilée.

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Pour expliquer cet abaissement de la figure de Pierre, le plus fructueux est donc de se reposer sur des considérations de critique interne. Comme Matthieu, Marc fait de Pierre la figure de sa théologie, mais, à l’inverse de ce dernier, il présente une vision plutôt pessimiste des disciples 70. Pour Marc, l’accession à la foi s’opère en deux temps : un temps d’incompréhension où l’on reçoit les bases nécessaires de la foi et un temps d’accession à la compréhension, qui permet de remettre en place les éléments. Or, pour les disciples, la première phase se déroule avant la mort de Jésus. Autrement dit, le temps de l’évangile est le temps de l’incompréhension. Le livre a pour but de décrire la difficulté de saisir un enseignement qui porte sur la personne de Jésus ; qui est-il ? quelle est sa puissance ? quel est son rôle dans la suite des temps ? Tous les gestes et toutes les paroles qui nous sont rapportées convergent vers cette unique interrogation : qui est Jésus ? Comme le dit joliment Geert Van Oyen, le lecteur tente d’appréhender « Jésus avec point d’interrogation 71 ». Cette lente pédagogie est difficile à saisir pour les disciples ; on les voit se débattre entre leurs fausses conceptions et ce que leur enseigne Jésus. Ainsi se met en place ce que le même Van Oyen analyse comme un triangle « Jésus, disciples, lecteur » ayant pour but d’inciter le dernier à s’interroger sur sa propre compétence à comprendre Jésus 72. Pierre personnifie ce caractère éminemment tragique de la condition de disciple, d’autant plus qu’il est le seul à se détacher véritablement du groupe des disciples. Humain, trop humain, il est voué à l’incompréhension 73 ; Marc donne de Pierre une vision pessimiste et présente à son lecteur le spectacle de la faiblesse humaine. Contrairement aux autres évangiles, l’appel de Pierre est l’une des premières actions qu’accomplit Jésus. On se souvient en effet que cet évangile commence abruptement par la prédication de Jean-Baptiste et le baptême de Jésus. Une fois sa propre prédication inaugurée, Jésus appelle Pierre. Il y a finalement assez peu de différences avec ce que l’on a appris de Matthieu, et l’on pourrait dire que les choses commencent plutôt bien pour Pierre, qui est appelé comme un prophète, dans la soudaineté et le mystère. La seule petite différence réside dans les termes de l’appel. Alors que Matthieu 70. Sur ces considérations et sur le fameux Messias-Geheimnis mis en lumière par W. WREDE, Das Messiasgeheimnis in den Evangelien, Tübingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1901. Voir la discussion de R. PESCH, Das Markusevangelium II (Herders theologischer Kommentar zum NT 2.2), Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1977, p. 27-37 et l’abondante littérature qu’il cite. Voir également G. VAN OYEN, Lire l’évangile de Marc comme un roman, trad. M. PERQUY, Bruxelles, Lessius, 2011. 71. G. VAN OYEN, Lire…, p. 86-106. 72. G. VAN OYEN, Lire…, p. 136-139. 73. Comme le rappelle T. Wiarda, le portrait de Pierre chez Marc, bien que moins riche que chez Matthieu, n’en est pas moins très humain : T. WIARDA, « Peter as Peter in the Gospel of Mark », New Testament Studies 45, 1999, p. 19–37.

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disait : « Venez à ma suite et je vous ferai pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19), Marc indique : « Venez à ma suite et je vous ferai devenir (γενέσθαι) pêcheur d’hommes » (Mc 1, 17). D’emblée, ce petit verbe suggère la longueur du processus pédagogique et les difficultés de la compréhension qui parcourront tout l’évangile 74. Une séquence d’événements propre à Marc 75 prend la suite de l’appel. Pierre contemple en effet Jésus dans ses œuvres : à la synagogue de Capharnaüm, la synagogue de son village, il le voit prêcher et expulser un démon. Étonné, il l’entraîne chez lui et son frère André (Mc 1, 29), les deux frères habitant ensemble. Or la belle-mère de Pierre est malade. Inspirés sans doute par ce qu’ils viennent de voir, les deux frères « lui parlent à son sujet ». Jésus la guérit. À la tombée de la nuit, le bruit de ces guérisons s’étant répandu, ce sont tous les malades de Capharnaüm qui se rassemblent devant la maison de Pierre pour se faire guérir. Jésus les guérit et chasse leurs esprits impurs. Le matin à l’aube, Jésus se retire pour prier, Simon part à sa recherche avec ses amis (Mc 1, 36-37). Jésus les invite à partir pour prêcher ailleurs. Cette petite narration suivie montre le mécanisme de la conversion : c’est d’abord par les guérisons que Jésus suscite la curiosité de Pierre. En outre, cette composition permet d’éviter le caractère foudroyant de la conversion décrite par Matthieu : l’objectif de devenir pêcheur demeure 76. Dans le récit de la confession, même absence d’exaltation de Pierre. Si la question de Jésus est sensiblement la même, la réponse de Pierre sonne différemment. Tout d’abord, contrairement à Matthieu, c’est la première fois qu’il prend la parole. Ensuite, au lieu de parler de « fils du Dieu vivant », qui orientait vers une nouvelle conception messianique, Pierre se borne à dire « Tu es le Christ » (Mc 8, 29). Jésus ne répond pas à ces mots et ne fait aucune promesse à Pierre. Il se borne à demander le silence. Et si on lie cette demande de silence au verset qui suit, où Jésus annonce la Passion, la phrase de Pierre sonne comme une sottise. Manifestement, le mot « Oint », dans l’acception commune du judaïsme, ne pouvait corres-

74. R. PESCH, Das Markusevangelium I (Herders theologischer Kommentar zum NT 2.1), Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1976, p. 111. 75. Elle fait dire à Lagrange qu’il pourrait s’agir de « souvenirs personnels » : M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 71942, p. 216. Bultmann affirme qu’il s’agit d’une péricope entièrement rédactionnelle (R. BULTMANN, L’Histoire de la tradition synoptique, Paris, Seuil, 1973, p. 198). Cette opinion a été contestée par Lohmeyer qui souligne le grand nombre de mots rares chez Marc (E. LOHMEYER, Das Evangelium des Markus (Kritisch-exegetischer Kommentar zum NT 2), Göttingen, 171967, p. 42-43). 76. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc I (Lectio Divina 219), Paris, Cerf, 2007, p. 138.

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pondre à ce que le maître annonçait 77 ! La réaction de Pierre prouve bien qu’il n’entendait pas de cette oreille le messianisme et qu’il n’est que le porte-parole d’une christologie erronée, puisqu’il le réprimande. Là encore, on n’entend pas la voix de l’apôtre. Jésus, à son tour, le réprimande : Mc 8, 33. – Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et dit : « Passe derrière moi, Satan ! car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! »

La phrase n’est pas essentiellement différente de Matthieu, une petite précision donne toutefois un sens autre à la phrase : le Christ se retourne et voit ses disciples. Alors que Pierre, qui l’a pris à l’écart, veut parler discrètement, Jésus parle ouvertement, et prend le groupe resté derrière lui à témoin de la réprimande qu’il va faire à l’apôtre. Il renvoie ainsi Pierre à sa condition de disciple comme les autres tout en révélant les enjeux de la dispute 78. Avançons encore un peu plus dans l’évangile pour constater que Pierre est encore davantage abaissé lors de la Transfiguration. Si l’épisode ressemble essentiellement à celui décrit par Matthieu, un petit détail vient déprécier Pierre et son attitude : prenant la parole, il propose de faire une tente, comme dans Matthieu. Mais Marc ajoute une précision ravageuse : « Il ne savait que dire, car ils étaient effrayés » (Mc 9, 6). L’intervention de Pierre, qui pouvait passer pour une juste perception de la situation, devient ici une pure ineptie : la peur n’est pas liée à la vision (comme dans d’autres théophanies), mais bien à l’incompréhension 79. Comme le disait Jean Delorme dans une des très heureuses formules dont il était coutumier : « La “crainte” fait qu’il a besoin de s’entendre parler, bien qu’il n’ait pas de contenu sens à mettre dans son dire. Il émet une parole qui ne mord pas sur le réel vécu, comme s’il était transporté dans un monde qui échappe à la saisie langagière 80. » L’annonce du reniement, quant à lui, est strictement identique, au mot près, à Matthieu. En revanche, le premier reniement symbolique, l’assoupissement au Jardin des Oliviers, accable Pierre puisque Jésus lui dit : Mc 14, 37. – Il vient et les trouve en train de dormir ; et il dit à Pierre : « Simon, tu dors ? Tu n’as pas eu la force de veiller une heure ? Veillez et

77. Il échappe à cette étude de définir exactement le sens du messianisme marcien. Une bonne synthèse se trouve chez Adela Yarbro Collins (A. Y. COLLINS, Mark A Commentary (Hermeneia), Minneapolis (MN), Fortress, 2007, p. 53-72). 78. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc II (Lectio Divina 223), Paris, Cerf, 2008, p. 41-42. 79. C. FOCANT, L’Évangile selon Marc (Commentaire Biblique NT 2), Paris, Cerf, 2004, p. 336. 80. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc II…, p. 70.

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priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. »

Si dans la version de Matthieu, Jésus s’adresse bien à Pierre, mais englobe les disciples dans la même condamnation ; chez Marc, il désigne clairement l’apôtre, qui est en outre appelé « Simon » et non « Pierre », comme s’il avait perdu son caractère de rocher 81. Le reproche de faiblesse contrastant avec sa hardiesse passée en est d’autant plus marqué. Ce contraste est encore plus frappant dans la composition du reniement. Contrairement à Matthieu, sa curiosité – savoir la « fin de l’histoire » –, qui est une forme de foi, n’est pas mentionnée ; Marc se borne à dire qu’il « se chauffait devant la flamme » (Mc 14, 54) : Pierre est prêt à abandonner son maître pour un peu de chaleur ! Contrairement à Matthieu, il n’est pas assailli par plusieurs individus, qui pourraient laisser penser qu’il cède à la panique : c’est la même servante, qui l’accuse, dont il aurait pu se débarrasser. En outre, Marc rajoute un détail, absent des autres évangiles : le coq chante une première fois après le premier reniement. Son cri aurait pu impressionner Pierre et le pousser à ne pas renier une seconde fois 82. Lorsque Pierre sort en pleurant, il quitte définitivement l’évangile. L’effet est alors bien différent de Matthieu. Alors que dans ce dernier, la promesse de Jésus valait pour « après », le Jésus de Marc n’a rien dit à Pierre. Si ce dernier l’a confessé, le lecteur reste sur sa comparaison avec Satan. En outre, Pierre s’est borné à parler de « Christ », de Messie, sans parler de Jésus comme « Fils de Dieu ». Cette confession est réservée dans l’évangile de Marc au centurion qui assiste au supplice et s’exclame : « En vérité, cet homme était le Fils de Dieu » (Mc 15, 39). Le Pierre de Marc accédera-t-il un jour à la plénitude de la condition apostolique ? Rien n’est moins sûr. En effet, jusqu’au IIe s., l’évangile s’arrêtait avant le chap. 16 qui décrit les apparitions d’après la Résurrection et ce n’est qu’au XVIe siècle que le concile de Trente déclara canonique cette « finale de Marc 83 ». Ce n’est donc que dans un second temps de la rédaction qu’on imagine concilier les évangiles. Alors que les femmes se pressent au tombeau, le jeune homme en robe blanche leur annonce : Mc 16, 6-7. – « Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus le Nazarénien, le crucifié ; il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici le lieu où on l’avait déposé. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit. » 81. A. Y. COLLINS, Mark…, p. 680. 82. C. FOCANT, L’Évangile selon Marc…, p. 559. 83. Decretum de canonicis scripturis du 8 avr. 1546. Sur cette question K. ALAND, « Der Schluß des Markusevangelium », in M. SABBE (éd.), L’Évangile selon Marc : tradition et rédaction (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensis 34), Louvain, 1974, p. 435-470. Pour une étude de cette finale, J. HUG, La Finale de l’Évangile selon Marc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1978.

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La promesse de rencontre en Galilée vibre comme un pardon… tardif. Et Pierre, le seul disciple que l’on mentionne gagne in extremis l’assurance qu’il a été pardonné. Au lecteur d’imaginer ce pardon : Marc s’arrête à l’homme failli. L’évangile de Marc est le seul à ne pas formaliser ce que l’on a appelé la « primauté de Pierre » et que l’on retrouve, sous trois formes différentes, en Mt 16, 16-18 ; Lc 22, 31-32 ; Jn 21, 1-4. Ainsi le Pierre de Marc est-il très humain, maladroit, faillible, peu enclin à comprendre le sens de l’enseignement de Jésus, en actes ou en paroles. Pierre est tout sauf un croyant de génie. Sans cesse surpris, sans cesse débordé par ce qu’il voit et entend, il « poursuit » Jésus (Mc 1, 36), mais il est toujours empêché de voir et de comprendre, comme par un voile d’opacité. Mc nous décrit, parfois avec complaisance, les « ratages » de Pierre et des disciples, leurs échecs, leur défaut d’intelligence et leurs trahisons : échec de leur confiance lors de la tempête (Mc 4, 35-41), échec à nourrir les foules (Mc 6, 37), confusion entre Jésus et un fantôme (Mc 6, 49), refus de la Passion (Mc 8, 32), fuite loin de la Croix, et, enfin, absence au Tombeau vide. Et toute dramatisation de l’échec des disciples en général rejaillit sur Pierre, qui se détache du groupe.

3. Pierre dans Luc : le difficile accès à la conversion Si, extérieurement, le Pierre de Luc entretient avec celui de Matthieu la même apparence triomphante, la visée poursuivie par le rédacteur est bien différente. Il ne s’agit plus de construire une figure victorieuse destinée à emporter l’adhésion d’une communauté divisée ; il ne s’agit plus, même, de dépeindre la haute stature d’un homme ; il s’agit de préciser les contours d’une théologie. Pierre incarne la puissance de l’action de Dieu et de sa grâce. Dans Luc, Pierre est un homme-théologie. Personnification de l’efficacité de la présence de Dieu en l’homme, Pierre passe par plusieurs phases. Une première phase marque le difficile accès à la conversion : Pierre est témoin des actes et des paroles de Jésus, c’est le Pierre de l’Évangile selon Luc. Une seconde phase est d’action : Pierre, guidé par l’Esprit, agit conformément au plan de Dieu – voilà le Pierre des Actes des Apôtres. Entre les deux, une phase de chute, un reniement ; mais cette disgrâce ne participe-elle pas aussi de la découverte de Jésus-Christ ? a . L’appel d’un témoin La première mention de Pierre dans l’évangile de Luc se fait de manière curieuse, par une anticipation narrative : on parle de Pierre avant même que le personnage soit présenté. Le lecteur fait en effet sa connaissance lors de la guérison de sa belle-mère (Lc 4, 38 et suivants). Alors que rien ne prépare le renseignement, Luc dit qu’après avoir prêché dans la synagogue, Jésus entre dans « la maison de Simon » et qu’il y guérit la « belle-mère

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de Simon ». Jésus avait déjà inauguré sa prédication depuis quelque temps, il était déjà connu des foules. Puisqu’il guérit la belle-mère de Simon, ce dernier l’a vu. Et pourtant, il ne s’est pas converti. La vision du Christ, enseigne Luc, ne suffit pas à la conversion. Le véritable appel vient après. Contrairement aux autres évangiles, Luc le met en scène comme une initiative de Jésus à l’occasion d’un événement fortuit : la trop grande foule qui se presse sur les bords du lac de Tibériade, preuve sans doute que les récits évangéliques ont d’abord circulé « sans cadre » ce qui permet à l’évangéliste d’en combiner deux 84. Il y a tant de monde que Jésus ne peut pas parler : il manquerait d’être poussé à l’eau. Aussi choisit-il, nous dit Luc, de monter dans la barque de Simon et de s’en faire une chaire flottante (Lc 5, 1-11). Alors que la narration aurait pu s’arrêter à cet embarquement, Jésus prend une initiative incongrue, qui oriente le lecteur vers une lecture symbolique : faire pêcher Simon. Ce dernier, qui a pourtant travaillé en vain toute la nuit, se plie aux ordres de Jésus : l’expérience du pêcheur cède devant le respect que l’on doit à un maître que l’on a écouté et à qui l’on a permis de s’asseoir dans sa barque. Pierre se montre ici un personnage déférent – il nomme Jésus du titre d’ἐπιστάτης, la vieille appellation athénienne de celui qui a autorité – qui n’hésite pourtant pas à faire sentir que l’ordre qu’il reçoit est absurde tout en conservant à son interlocuteur son rang 85. Vient alors l’épisode de la pêche miraculeuse. Pierre, à son habitude, déploie ses filets ; il utilise un filet traditionnel galiléen composé en fait de trois filets accrochés à une corde, que l’on remonte en pleine eau. La technique de pêche est simple : après avoir déployé leur filet, les pêcheurs donnaient de bruyants coups de rame sur l’eau pour effrayer le poisson. Celui-ci, paniqué, se jetait dans le filet du milieu, tête la première, et était emprisonné par les deux filets latéraux. On est bien loin du simple épervier de Marc et Matthieu, un simple filet que l’on jette pour prendre le poisson. Cette fois-ci, la pêche est tellement abondante que le filet menace de rompre : il faut les vigoureux bras des camarades de Pierre pour empêcher la catastrophe. Ce signe est déterminant dans la conversion de Simon. Il se rend compte que seul le Créateur du monde peut imposer aux poissons de se jeter en si grand nombre dans ses filets. Il adopte alors la posture qui convient : à genoux, en signe d’infini respect, il supplie le Seigneur (il l’appelle cette fois-ci κύριε, comme Dieu) de s’éloigner de lui ; nul ne peut voir Dieu sans mourir, surtout s’il est pécheur. La facture de ce récit de conversion est bien différente de celle des autres évangélistes. Contrairement à Marc et Matthieu, en effet, la parole de Jésus 84. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 1–9 (Commentaire du Nouveau Testament 3a), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 222. 85. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 1–9…, p. 226.

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ne se fait pas entendre, c’est le signe, la pêche miraculeuse, qui décide de la conversion. Toute l’attention est focalisée sur les pêcheurs que représente Pierre, siège d’un mécanisme psychologique complexe. Le miracle le touche dans son activité quotidienne : aussi est-il capable d’en prendre toute la mesure. En bon professionnel, il sait que l’on ne peut pêcher autant de poisson, en plein midi, alors que la nuit avait été vaine. Jésus reprend l’initiative et rassure Simon. « Sois sans crainte », dit-il, comme l’ange à Marie – il s’agit bien d’une annonciation. « Désormais, ce seront des hommes que tu prendras vivants » ; deux niveaux de compréhension se superposent : le récit de la conversion de Pierre, et, en filigrane, l’image de l’Église et de sa mission. Chez Luc, la conversion de Pierre jette les bases de l’Église telle qu’il la pense, définie non pas comme un bâtiment dont on pose les fondations comme chez Matthieu, mais comme un tableau de chasse. Ou plus exactement comme un vivier : le texte, qui emploie le verbe rare ζωγρεῖν, précise bien qu’il s’agit de prendre vivants les hommes. D’ailleurs, Jésus appelle le pêcheur Simon-Pierre. Comment ce dernier comprendrait-il ce nouveau nom ? En donnant au futur apôtre son surnom « ecclésial », Luc indique que l’épisode concerne beaucoup plus que le simple épisode de la conversion. « Laissant tout, ils le suivirent ». Pour la première fois apparaît ce fameux verbe « suivre » 86 qui marque la volonté d’être disciple de Jésus : suivre le Christ, c’est devenir chrétien, chez Luc. Mais quel étrange appel ! À aucun moment, le Christ n’a intimé à Pierre l’ordre de le suivre. Au contraire, il lui a simplement annoncé son futur, et encore de manière parabolique. Tout l’intérêt de l’épisode se trouve dans le récit, caractéristique de la manière de Luc : plutôt que de se borner à rapporter une parole – je vous ferai pêcheurs d’hommes –, il la met directement en scène 87. Le poisson pris dans les filets n’est-ce pas Pierre, prémices de tous les chrétiens à venir ? Les poissons du miracle, si nombreux, ne sont finalement pourtant pas le centre du récit : ils sont abandonnés sur place, négligés par ces pêcheurs pêchés, qui laissent tout pour suivre Jésus. b. Pierre suit Jésus et de vient témoin de ses actes Comme dans les autres évangiles, Pierre accompagne Jésus et devient témoin des événements de la vie publique du Christ. Les guérisons se succèdent, ainsi que les prédications. Un jour, Jésus prêche les béatitudes, un autre jour, il guérit le serviteur d’un centurion et ressuscite le fils de la veuve de Naïm. Il parle en paraboles et apaise la tempête. Tous ces épisodes, et celui-ci particulièrement, marquent avant tout l’activité de Jésus comme Sauveur que Luc veut mettre en avant. Pierre, comme les autres, y assiste passivement, sans jamais intervenir directement. 86. Voir 5, 11.28 ; 7, 9 ; 9, 11.23.47 ; 18, 22.28.43 ; 22, 10.39.54. 87. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 1–9…, p. 228.

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Cette attente est le propre du processus de conversion. Pierre et les disciples figurent dans l’évangile le lent processus d’accès à la foi. Pour Pierre, la résurrection d’un mort, la fille de Jaïre, met en quelque sorte le point final au processus, sa conversion vient juste après. Lc 9, 18-22. – Et il advint, comme il était en train de prier, seul, n’ayant avec lui que les disciples, qu’il les interrogea en disant : « Qui suis-je, au dire des foules ? » Ils répondirent : « Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, un des anciens prophètes qui est ressuscité. » – « Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? » Pierre répondit : « Le Christ de Dieu. » Mais lui les menaçant, leur ordonna de ne le dire à personne, disant que le Fils de l’homme, devait beaucoup souffrir, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, le troisième jour, ressusciter. »

Le récit diffère des autres évangiles. Dans ces derniers, la question initiale intervient après une prédication particulièrement vive de Jésus qui suscite les réactions de la foule. Elle s’inquiète de l’image qu’il renvoie aux foules et à ses disciples. Chez Luc, la question se pose après une prière. Elle n’est donc pas un écho à un mouvement de foule, mais une décision mûrement réfléchie, comme inspirée par le Père et entrant dans le plan divin. Jésus, donc, pose une première question. Les réponses insistent sur le caractère prophétique. La question se fait plus précise pour les disciples et impose une réponse. Pierre, « se jette à l’eau », en quelque sorte : « [tu es] le Christ de Dieu ». La proclamation n’est pas une surprise pour le lecteur : les anges ne l’ont-elle pas faite à Bethléem, l’Esprit saint ne l’a-t-il pas annoncé à Syméon, les démons eux-mêmes ne l’ont-ils pas crié ? Mais Pierre est le premier homme à parler ainsi : il devient, à son tour, concrètement, le porte-parole de Dieu. Jésus corrige immédiatement la proclamation en commandant le silence. Ce titre de Christ est dangereux ; il pousse au contresens. Jésus annonce d’ailleurs immédiatement les événements douloureux à venir. Narrativement, son intervention permet à Luc de passer à la seconde partie de son évangile : non seulement Jésus est le Messie, mais il est le Messie crucifié. Mais en même temps, l’évangéliste a réussi à montrer que les disciples ont reconnu leur Seigneur dès la Galilée et donc longtemps avant la Passion 88. En ce qui concerne Pierre décrit par Luc, pas de phrases hâtivement prononcées qui pourraient prêter à condamnation, pas de refus du Messie souffrant. Pierre chez Luc n’est pas l’homme du contresens : il est simplement un témoin, et non un acteur, du drame. Dans ce contexte, la Transfiguration, qui suit (Lc 9, 28-36), prend un sens bien différent : elle confirme à la fois le rôle de Pierre comme témoin et l’imminence de la mort de Jésus. Chez Luc, Jésus ne se « métamorphose » pas, il prend un autre visage : Luc indique bien qu’il ne faut pas entendre 88. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 1–9 (Commentaire du Nouveau Testament 3a), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 467.

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sa transformation comme un miracle, ni comme un changement de nature, mais comme une modification d’apparence. Jésus n’est pas devenu différent de ce qu’il était auparavant, il a revêtu, pour un instant, sa véritable physionomie de lumière. En outre, Luc prend soin de placer cet épisode au milieu des prières de Jésus, contrairement aux autres évangélistes. Ajoutés au motif de la montagne, rentré dans les habitudes de Dieu depuis le Sinaï, tous les ingrédients sont réunis pour une théophanie, une apparition divine. Dans ce cadre, Luc fait entendre au lecteur l’entretien avec Moïse et Élie : ils parlent de son départ (ἔξοδος) prochain, autrement dit de sa mort. Mais, fait étrange, ce discours échappe dans son entier aux disciples, qui dorment. Narrativement, il y a comme un clin d’œil au lecteur, qui en sait beaucoup plus que les personnages et profite de la compréhension globale de l’évangéliste. Les disciples, eux, n’auront qu’une compréhension rétrospective des choses. La notation du sommeil permet en outre d’excuser la réaction de Pierre : le phénomène le prend au réveil, au moment où on ne sait pas bien ce qu’il convient de dire et de faire. Dailleurs, Luc atténue sa proposition de construire une tente en expliquant bien : « il ne savait pas ce qu’il disait ». Il semble dire : Pierre est commotionné, il n’est pas dans son assiette, et c’est naturellement son côté impulsif qui prend le dessus. c. Chute et relèvement du témoin 1. Le reniement de Pierre. – Pour être le témoin fidèle dont le livre des Actes recueille les discours, Pierre doit subir une ultime épreuve : le reniement, que Luc a soigneusement éloigné de la confession. Ainsi placée, elle ne sonne plus en écho à l’impétuosité de Pierre ; elle s’affirme comme un élément nécessaire du plan que Dieu conçoit pour Pierre. Lc 22, 31-34. – « Simon, Simon, voici que le Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne cesse pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » Celui-ci lui dit : « Seigneur, je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort. » Mais il dit : « Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera pas aujourd’hui que tu n’aies trois fois nié me connaître. »

Au beau milieu du repas, alors que Jésus mange une dernière fois au milieu de ses disciples sans que ces derniers s’en doutent, il s’adresse à Pierre en l’appelant Simon. Étrange revirement, après que le maître l’a appelé Pierre ! Luc suggère que dans ce qui va suivre, la foi de Pierre va être mise à rude épreuve, comme le suggère le rare verbe σινιάζω, « passer au crible » qui décrit une épreuve décisive dont on n’est pas sûr de sortir vainqueur 89. Les paroles qu’il prononce sont beaucoup plus optimistes 89. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53 (Commentaire du Nouveau Testament 3d), Genève, Labor et Fides, 2009, p. 221.

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que dans les autres Évangiles. Au lieu d’annoncer un reniement, le Christ annonce la venue de la grâce : « j’ai prié pour toi afin que ta foi ne cesse pas ». Même si Satan a réclamé les disciples pour les tester comme il le fit pour Job 90, Jésus a prié pour eux ; ils ne défailliront pas. En outre, Pierre, le prototype de tous les disciples, pourra affermir ses frères, une fois qu’il se sera converti, qu’il aura fait marche arrière, qu’il sera revenu. Luc rassure doublement son lecteur : les manœuvres de Satan seront vaines et la foi de Pierre sera grande. Le procès qui se déroule au beau milieu de la cour divine avec Satan en accusateur et le Christ en défenseur 91 se soldera par la victoire des apôtres : les verbes sont à l’aoriste, en réalité, le jugement a déjà été rendu 92. Comment Pierre pourrait-il ne pas renier alors que Jésus prévoit son reniement ? C’est que le reniement n’est pas compris dans une perspective de faute, mais dans une optique de grâce. Jésus prie pour que Pierre ne défaille pas au sein même de son reniement, pour qu’il puisse supporter le reniement. Dans la conversion, les hésitations sont de règle, mais le pire est de se croire perdu, de croire que cette faillite n’est due qu’à notre indignité, alors que c’est Satan qui nous réclame. Faillir n’est pas tant faillir que désespérer de Dieu, indique Luc. Ce qui est en arrière-plan, comme le remarque François Bovon 93, c’est une vision anthropologique dans laquelle la responsabilité de l’homme est maintenue. Il y a bien une épreuve, il n’y a pas de « déterminisme déculpabilisant ». Mais pour autant, l’homme peut être assuré du soutien de Dieu et de son Messie. Affermis tes frères : cette expression confirme une sorte de « primat » de Pierre 94 qui ne se comprend pas de manière purement autoritaire. Affermir n’est pas commander, et le terme « frère » indique une certaine forme d’égalité : Pierre n’est que le primus inter pares 95. Le reniement advient effectivement, mais quelle différence avec les autres synoptiques ! On est ici confronté à une sorte de « cas d’école » historico-critique puisque Luc semble avoir ici plus qu’ailleurs puisé dans son fonds propre 96. Lc 22, 54-62. – Après avoir saisi Jésus, ils l’emmenèrent et le conduisirent dans la maison du Grand Prêtre. Pierre suivait de loin Ils allumèrent du 90. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 220. 91. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 221. 92. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 221. 93. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 222. 94. B. PRETE, Il Testo del Primato in Luca 22, 31-32, Bolonia, Pontifica Studiorum Universitas S. Thomas in Urbe, 1968. 95. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 222. 96. Analyse et commentaire dans F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 274-279.

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feu au milieu de la cour et ils s’assirent. Pierre s’assit parmi eux. Une petite servante le vit assis à la lumière et, l’ayant dévisagé, elle dit : « Celui-ci aussi était avec lui ! » Mais lui nia en disant : « Femme, je ne le connais pas. » Peu après, un autre, l’ayant vu, déclara : « Toi aussi, tu es des leurs ! » Mais Pierre déclara : « Homme, je n’en suis pas. » Environ une heure plus tard, un autre insistait : « En vérité, celui-là aussi était avec lui, car il est Galiléen ! » Mais Pierre dit : « Homme, je ne sais pas ce que tu dis. » Et à l’instant même, alors qu’il parlait encore, un coq chanta, et le Seigneur, s’étant retourné, fixa son regard sur Pierre. Et Pierre se souvint de la parole du Seigneur, qui lui avait dit : « Avant que le coq ait chanté aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois. » Et, sortant, il pleura amèrement.

Les détails sont particulièrement favorables à Pierre : Pierre ne jure pas et ne prononce pas de serment. Il ne renie pas Jésus explicitement, et prétend seulement ne pas le connaître. Au moment suprême, Jésus fixe son regard sur Pierre. Faut-il nécessairement y lire une condamnation sans appel ? N’est-ce pas au contraire le regard de celui qui signifie que ce qu’il avait annoncé advient ? N’est-ce pas la preuve qu’il continue à regarder Pierre, même si celui-ci le renie ? Et s’il le fixe du regard, il faut aussi imaginer qu’il voit monter les larmes dans les yeux de Pierre, et qu’il accompagne du regard le bouleversement profond qui s’opère. Car Pierre vit une nouvelle conversion : le remords qu’il éprouve en est un signe infaillible. Pierre comprend que son audace l’a fait aller trop loin. En allant trop près du feu, avec les hommes, le voilà qui s’est brûlé. 2. Le relèvement de Pierre. – Conformément aux paroles de Jésus, Pierre a renié, mais, aussi, il se repent : c’est le début du processus de conversion définitive. La seconde étape intervient après la mort de Jésus : Lc 24, 9-12. – À leur retour du tombeau, elles rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres. C’étaient Marie la Magdalénienne, Jeanne et Marie, mère de Jacques, et d’autres femmes avec elles. Elles le dirent aux Apôtres ; mais ces propos leur semblèrent du délire, et ils ne les crurent pas. Pierre cependant se leva et courut au tombeau. Mais, se penchant, il ne voit que les linges. Et il s’en alla chez lui, tout surpris de ce qui était arrivé.

Les femmes, après avoir constaté que le tombeau était vide, rapportent ce qu’elles ont vu. Les Apôtres ne les croient d’abord pas : ils croient à du délire ; le terme employé, λήπος, est d’un usage médical ; il désigne les hallucinations causées par la fièvre. Mais Pierre, fort de son début de conversion, va quand même vérifier 97 – fait unique par rapport aux autres synoptiques, destiné peut-être à contrebalancer l’influence de Marie de 97. Ce verset, absent du codex Bezæ et de certains témoins de la vetus latina, a été parfois considéré comme rajouté. D’accord avec F. Bovon (F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 422), nous maintenons son authenticité en remarquant qu’il fait partie de P75 et de la quasi-totalité des ms. grecs.

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Magdala. Il court, suivant une habitude biblique marquant qu’en cette heure, le Dieu d’Israël s’active et que les hommes doivent se dépêcher de le suivre 98. Il penche la tête pour regarder (πατακύπτω) dans l’attitude que l’on adopte pour contempler les mystères de Dieu 99. Il ne voit que les linges, que les femmes n’ont pas mentionnés. Il s’en retourne étonné, sans pouvoir conclure. Mais le verbe employé par Luc est très significatif. Alors que les femmes revenaient « perplexes », c’est-à-dire ne savaient pas quoi faire, Pierre est « surpris » comme l’exprime le verbe θαύμαζω, employé habituellement pour dire l’étonnement face au signe divin (Lc 9,43 ; Lc 24, 41). Une conscience du divin se fait jour chez Pierre ; mais contrairement aux femmes, il s’en retourne sans avoir de message à partager. Pour que Pierre puisse définitivement devenir croyant, il faut encore une intervention de Jésus. Lc 24, 34 mentionne une apparition première à Pierre : « Le Seigneur est ressuscité ; Simon l’a vu », disent les disciples restés à Jérusalem à ceux qui s’en retournent d’Emmaüs. L’apparition à l’apôtre semble bien être la réalisation de la promesse : l’affermissement du témoin en vue de l’affermissement des frères. Ceux-ci le citent pour étayer leur foi ; l’apparition joue ici comme une preuve dont Simon est la pierre de touche. Pierre devient le témoin de l’état résurrectionnel. Cela lui conférera l’autorité nécessaire à rassembler les frères et à discourir dès le début des Actes. Cette apparition fait pendant à la course au tombeau : Pierre, seul, est témoin de la mort vidée de son sens, et Pierre, seul, est témoin de la résurrection de Jésus. Pierre est le témoin des deux lisières de la mort. C. La « voie » pétrinienne des Actes et de Paul Si les synoptiques construisent une image toute en nuances de Pierre, dont ils ne cachent pas les difficultés à devenir disciple, ils ne disent rien de son attitude après la Résurrection. Pour savoir la suite de la vie de Pierre, il convient de poursuivre la lecture de l’œuvre de Luc en abordant les Actes des Apôtres, mais aussi de recueillir le témoignage de Paul. Une figure bien différente alors : Pierre se pose en chef. Mais de quoi est-il le chef ? Les textes construisent l’image d’un Pierre prônant une « voie moyenne » entre la position de Paul et de Jacques 100.

98. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 423. 99. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc 19, 28–24, 53…, p. 423. 100. Pour la caractérisation de la figure de Pierre dans Lc-Ac, on s’est servi de W. DIETRICH, Das Petrusbild der lukanischen Schriften (Beiträge zur Wissenschaft vom alten und neuen Testament 5.14), Stuttgart/Berlin/Köln/Mainz, Kohlhammer, 1972.

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1. Avant la « voie moyenne » : le chef de la communauté eschatologique Rien ne préparait Pierre à adopter cette voie moyenne. En effet, les Actes des Apôtres nous proposent d’abord un autre modèle, qui correspond d’ailleurs parfaitement à l’image un peu mystique du Pierre visionnaire : celui du chef d’une communauté eschatologique. Dans les premiers temps, nous dit Luc, peu après l’Ascension (Ac 1, 6-9), le groupe des Apôtres s’était retiré dans son lieu de réunion habituel. Et voici que Pierre prend la parole et se pose en chef. Il commence par décider du remplacement de Judas (Ac 1, 15-26) puis, lors de l’événement de la Pentecôte, il interprète le miracle comme un homme peu troublé par le caractère exceptionnel de l’événement, ce qui concorde avec ses talents de visionnaire (Ac 2, 1-41). Par la suite, le livre des Actes le montre guérissant un impotent et haranguant la foule à cette occasion (Ac 3), puis il comparaît une première fois devant le tribunal des Juifs, le Sanhédrin (Ac 4) et une seconde fois avec les autres apôtres (Ac 5, 17-42). Pierre paraît comme un personnage de premier plan vivant selon un fonctionnement charismatique. 1. Pierre semble avoir prôné une communauté eschatologique. – Le passage de la communauté de biens qui se solde par l’épisode d’Ananie et Saphire semble confirmer que Pierre a encouragé une organisation provisoire de la communauté dans « l’attente enthousiaste de la venue prochaine du Fils de l’Homme 101 », comme le disait Martin Hengel. Cette forme d’attente eschatologique, que l’on retrouve par exemple à Qumran qui l’influence peut-être 102, s’en détache par le caractère très provisoire de son organisation : rien n’indique que les apôtres avaient prévu une mise en commun des moyens de production permettant une survie dans la durée103. Cela ferait donc de Pierre un support enthousiaste du retour proche de Jésus. Il est probable que cette attente fut rapidement déçue, ce qui explique peutêtre la mise à l’écart de Pierre. 2. Pierre se pose en chef symbolique de cette communauté eschatologique. – L’épisode central est bien entendu le remplacement de Judas par Matthias qui atteste d’une compréhension eschatologique du groupe des Douze, qui, comme on l’a vu, est saisi comme la réunion symbolique des douze tribus d’Israël autour du Messie. Une réunion dont on trouve la portée symbolique dans une explication d’Is 54, 11-12 retrouvé à Qumran (4QpIs) : 101. M. HENGEL, « Zwischen Jesus und Paulus. Die “Hellenisten”, die “Sieben” und Stephanus (Apg 6, 1-15 ; 7, 54–8, 3) », Zeitschrift für Theologie und Kirche 72, 1975, p. 151-206 (181). 102. B. J. CAPPER, « Community of Goods in the Early Jerusalem Church », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.26.2, Berlin, De Gruyter, 1995, p. 1730-1774. 103. M. HENGEL, Eigentum und Reichtum in der frühen Kirche. Aspekte einer frühchristlichen Sozialgeschichte, Stuttgart, Calwer, 1973, p. 42.

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Je ferai tes fondations avec des saphirs. Ceci s’interprète du fait que les prêtres et le peuple ont fondé le conseil de la communauté […], la congrégation de son Élu, comme une pierre de saphir au milieu des pierres. Je ferai en rubis tous les créneaux. Ceci s’interprète au sujet des douze […] illuminant grâce au jugement par l’urim et le tummim 104.

Le chiffre 12 associé au contexte du jugement (urim et tummim, les pierreries de l’éphod du grand prêtre) a une portée eschatologique. La présence du tirage au sort montre que Dieu, une fois Jésus disparu, continue à faire lui-même le choix des disciples 105, sans intervention humaine. Et Pierre, qui se fait le porte-parole de la volonté divine comme dans tout le début des Actes des Apôtres, apparaît en leader de la communauté « idéale 106 ».

2. La « voie moyenne » pétrinienne Plus le lecteur du Livre des Actes progresse dans sa lecture, et plus il se convainc que Pierre ne règne pas sur l’ensemble des chrétiens, voire que l’autorité qu’il pourrait avoir eue sur eux est en train de s’amenuiser. Aussi une question se pose : Pierre est-il vraiment le chef de l’Église de Jérusalem ? Après le récit des aventures d’Étienne, de Philippe et de Saül-Paul, en effet, le lecteur découvre qu’il a déjà quitté la ville et le retrouve en mission à l’extérieur de Jérusalem : à Lydda (actuellement Lod), où il guérit un paralytique, à Joppé ( Jaffa), où il ressuscite une femme (9, 36-43), à Césarée, enfin, où, sur la foi d’une révélation, il baptise le centurion romain Corneille, ainsi qu’un nombre important de « païens » (Ac 10). En ouvrant la communauté aux « païens » dont il faudrait définir l’identité, serait-il allé trop loin ? Il doit se justifier devant l’assemblée des Apôtres (Ac 11, 1-18) qu’il parvient à convaincre dans le livre des Actes, mais qu’il a dû moins convaincre dans la réalité. Le chapitre 12 des Actes décrit son emprisonnement, lié apparemment à des controverses avec les autorités sur le culte du Temple 107. Pierre décide après sa libération miraculeuse de quitter la contrée. Désormais, Pierre connaît la vie des hommes en fuite : il passe son existence dans une semi-clandestinité. Aussi part-il, disent les Actes, « dans un autre lieu ». a . Quelle position a eu Pierre à Jérusalem ? Quelle est la place de Pierre à Jérusalem ? Une place symbolique, il semble bien. Tout d’abord parce que l’Église semble divisée dès son ori104. Trad. et interprétation par C. GRAPPE, D’un Temple à l’autre…, p. 144-145. 105. C. K. BARRETT, A Critical and Exegetical Commentary on the Acts of the Apostles, vol. 1, Edinburgh, T&T Clark, 1994, p. 104-105. 106. D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres (Commentaire du Nouveau Testament 2.5a), vol. 1, Genève, Labor et Fides, 2007, p. 59. 107. E. REGEV, « Temple Concerns and High-Priestly Prosecutions from Peter to James : Between Narrative and History », New Testament Studies 56, 2010, p. 64-89.

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gine. En effet, l’institution des Sept (Ac 6, 1-6) vient renverser l’idée même d’un gouvernement unifié de l’« Église » de Jérusalem. Dès le début, on constate qu’il y a pluralité de mouvements dans la Ville sainte. La question de l’identification précise de ces hellénistes n’entre pas dans les limites de notre enquête sur Pierre 108. Avec les travaux de Martin Hengel 109, on s’aperçoit que la thèse ancienne de Harnack – les hellénistes étaient les « libéraux » du premier christianisme tandis que les judaïsants faisaient figure de « conservateurs » 110 – ne tient plus 111. Il semble que, comme l’avait déjà vu l’humaniste Joseph Juste Scaliger 112, la distinction soit essentiellement linguistique : ce sont des Juifs hellénophones. Le point de divergence avec la communauté araméophone de Jérusalem pourrait porter sur l’acceptation des païens au sein de la communauté ainsi que sur une pratique plus extatique et plus charismatique 113. De nombreuses propositions ont été faites pour caractériser leur théologie en termes de christologie de préexistence114 et de compréhension sotériologique de la mort de Jésus 115. En outre, on constate que les membres de la communauté de Jérusalem ont plutôt tendance à s’en remettre à des individus jouissant de certains privilèges de naissance. Parmi eux, Jacques, le frère du Seigneur, a de 108. Pour une revue de la question et une bibliographie voir H. RÄISÄNEN, « Die “Hellenisten” der Urgemeinde », W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.26.2, 1995, p. 1468-1514. 109. On citera, entre autres, M. HENGEL, Judentum und Hellenismus : Studien zur ihrer Begegnung unter besonderer Berücksichtigung Palästinas bis zur Mitte des 2 Jahrhunderts v. Chr. (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.10), 2 vol., Tübingen, Mohr Siebeck, 1973. On citera aussi le recueil d’articles traduits en anglais : M. HENGEL, Between Jesus and Paul : Studies in the Earliest History of Christianity, trad. J. BOWDEN, London, SCM, 1983. 110. A. VON HARNACK, Mission et Expansion du christianisme dans les trois premiers siècles (Patrimoines christianisme), 41924, trad. J. HOFFMANN, Paris, Cerf, 2004, p. 79-80. 111. C’est la thèse de l’ouvrage de Craig Hill : C. C. HILL, Hellenists and Hebrews. Reappraising Division within the Earliest Church, Minneapolis (MN), Fortress, 1992. 112. Iudæis græcis bibliis in synagogis utentes, I. I. SCALIGER, Animadversiones in Chronologia Eusebii, Amsterdam, 1606, p. 134a cité par H. D. BETZ, « Hellenismus », Theologische Realenzyklopädie, vol. 15, Berlin/New York, De Gruyter, 1986, p. 19. 113. A. J. M. WEDDERBURN, « Paul and Jesus : Similarity and Continuity », New Testament Studies 34, 1988, p. 161-182. 114. C’est la thèse d’Helmut Merklein : H. MERKLEIN, « Zur Entstehung der urchristlichen Aussage vom präexistenten Sohn Gottes », Studien zu Jesus und Paulus (Wissenchaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 43), Tübingen, Mohr Siebeck, 1987, p. 247-276. 115. C’est la thèse de S. K. WILLIAMS, Jesus’ Death as Saving Event. The Background and Origin of a Concept (Harvard Dissertations in Religion 2), Missoula (MT), Scholars, 1972 cité par H. RÄISÄNEN, « The “Hellenists” – A Bridge Between Jesus and Paul ? », Jesus, Paul and Torah ( Journal for the Study of the New Testament Supplement 43), Sheffield, Academic Press, 1992, p. 149-202.

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bonnes chances de l’emporter : il est de la famille de Jésus (ce qui explique son nom de « frère du Seigneur » que lui donnent Paul et les Actes), il est d’une piété exemplaire. Peut-être même, si l’on en croit Simon Mimouni est-il le successeur de son frère Jésus qui a lui-même fondé la communauté de Jérusalem 116. Quoi qu’il en soit, son ascension est fulgurante puisque dès la conversion de Paul, il fait partie de ceux qu’il faut absolument aller voir ; le nouveau converti ne faillit pas à la règle, comme il le dit lui-même dans l’Épître aux Galates : Ga 1, 18-19. – Ensuite, après trois ans, je suis monté à Jérusalem faire la connaissance de Céphas et je suis demeuré quinze jours auprès de lui. Je n’ai vu aucun autre apôtre, si ce n’est Jacques, le frère du Seigneur.

Manifestement, vers les années 34-35, deux hommes comptent à Jérusalem : Pierre et Jacques, et pas seulement Pierre. Cela est confirmé par la suite de l’épître, dans laquelle l’Apôtre des Gentils cite cette fois-ci un triumvirat : Pierre, Jacques et Jean. Ga 2, 9-10. – Et, reconnaissant la grâce qui m’a été donnée, Jacques, Céphas et Jean, considérés comme des colonnes, nous donnèrent la main, à moi et à Barnabas, en signe de communion, afin que nous allions, nous vers les païens, eux vers les circoncis. Simplement, nous aurions à nous souvenir des pauvres, ce que j’ai eu bien soin de faire.

Le sens à donner à ce texte dépend de l’interprétation que l’on donne au terme de στῦλοι. L’idée que Pierre et Jean ont un rôle à Jérusalem semble assurée 117 : il y a bien trois personnes importantes à l’époque du passage de Paul 118. En revanche, comment comprendre la comparaison avec les colonnes ? Doit-on penser que Pierre gouverne en quelque manière la communauté ? Il est probable que Paul reflète – avec un peu de réticence que traduit l’usage du verbe δοκεῖν – une conception spirituelle : il utilise une image de l’Église comme un nouveau Temple eschatologique dont les trois apôtres seraient les colonnes 119. Ce chiffre trois traduit la volonté

116. S. C. MIMOUNI, « La communauté chrétienne/nazoréenne de Jérusalem aux siècles », in ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES, SECTION DES SCIENCES RELIGIEUSES, Annuaire. Résumés des conférences et travaux 114, 2007, p. 241-256 et, ibid. 115, 2008, p. 199-208. 117. Contra David Hay qui prétend y lire une création de Paul pour dire que ceux qui ont reconnu son évangile sont bien des piliers : cette option n’a guère de fondement. D. M. HAY, « Paul’s Indifference to Authority », Journal of Biblical Studies 88, 1969, p. 36-44. 118. G. KLEIN, « Galater 2, 6-9 und die Geschichte der Jerusalemer Urgemeinde », Zeitschrift für Theologie und Kirche 57, 1960, p. 275-295 (287-290). H. D. BETZ, Galatians, Philadelphia (PA), Fortress, Hermeneia, 1979, p. 94. 119. C. K. BARRETT, « “Paul” and the “Pillar” Apostles », Studia Paulina in honorem Johannis de Zwaan, Haarlem, Erven F. Bohn, 1953, p. 1-19 (12-13). Ier-IIe

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de constituer un nouveau peuple : Pierre, Jacques et Jean figurent les nouveaux patriarches Abraham, Isaac et Jacob 120. Enfin, l’emprisonnement de Pierre fait de lui une personnalité non grata à Jérusalem : voilà qui met définitivement fin à sa position dans la ville, quelle qu’elle ait pu être. À partir du chapitre 12 des Actes des Apôtres, les Apôtres sont supplantés par les Anciens : le changement de nom est plus que significatif. Il indique qu’au moment de la persécution menée par le roi Hérode Agrippa Ier (vers 41-44), la direction de l’Église de Jérusalem est bien assurée par les Anciens, qui sont centrés autour de Jacques, le frère du Seigneur. Il convient de noter que cette disparition de Pierre est moins marquée dans la recension occidentale du texte des Actes, le Codex Bezæ 121. Ainsi, en Ac 1, 23 c’est Pierre seul et non le groupe des Apôtres qui désigne les noms des candidats remplaçant Judas ; Pierre est le premier à parler au peuple (Ac 2, 14) ; la stupeur de la foule est fortement marquée en préparation du discours de Pierre (Ac 3, 11) ; le sanhédrin ne peut rien faire contre Pierre et Jean (Ac 4, 14) ; Simon le Mage fond en larmes devant Pierre (Ac 8, 24) ; la force de la personnalité de Pierre est davantage marquée dans son entretien avec Corneille (Ac 10, 25-33) ; Pierre est l’évangélisateur des villages entre Césarée et Jérusalem (Ac 11, 2)... Serait-ce l’indice que le texte occidental est plus récent et qu’il entend réagir à ce qu’il considère comme un abaissement de la figure de Pierre ? b. Les années d’Antioche Voilà Pierre parti hors de Jérusalem. Où va-t-il ? Probablement à Antioche, comme le rapporte Paul (Ga 2, 11). La tradition d’Antioche plaide pour un long séjour dans cette ville : Jean Chrysostome dit « longtemps 122 » et Grégoire le Grand propose une durée de sept ans123. Il est probable que l’apôtre ait fait de l’ancienne capitale des Séleucides sa base arrière. Il faut imaginer l’apôtre vivant dans la plus brillante cité d’Orient 124, à la réputation plus qu’équivoque. Un Antiochien comme le 120. R. D. AUS, « Three Pillars and Three Patriarchs : A Proposal Concerning Gal 2, 9 », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 70, 1979, p. 252-261. 121. C’est ce qu’avait déjà vu Carlo-Maria Martini : C.-M. MARTINI, « La figura di Pietro secondo le varianti del codice D negli Atti degli Apostoli », in San Pietro (Atti della XIX Settimana Biblica), Brescia, 1967, p. 279-289 et C. M. MARTINI, « Pierre et Paul dans l’Église ancienne. Considérations sur la tradition textuelle des Actes des Apôtres », in L. DE LORENZI (éd.), Paul de Tarse Apôtre du [sic] notre temps (Benedicta 1), Rome, Abbaye Saint-Paul h.l.m., 1979, p. 261-268. 122. JEAN CHRYSOSTOME, Homélies 42. 123. GRÉGOIRE LE GRAND, Epistola ad Eulogium Alexandrinum in Registrum epistularum VII, 37, éd. D. NORBERG (CCSL 140), 1982, l. 18. (PL 77, 899). 124. Pour un résumé de ce qui a été trouvé dans les fouilles d’Antioche : B. M. METZGER, « Antioch-on-the-Orontes », Biblical Archæologist 11, 1948, p. 69-88.

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philosophe Libanios y voit la plus parfaite des cités 125, l’empereur Julien, quant à lui, se fait l’écho de l’accusation d’immoralité qui court dans toute l’Antiquité 126. Par la suite, la cité s’enorgueillira des souvenirs pétriniens. La « vieille église » aurait été fondée par l’apôtre lui-même tandis qu’un sanctuaire situé près du Panthéon commémorait le lieu de la dispute d’Antioche 127. c. Pierre dans l’Assemblée de Jérusalem Il semble aussi que Pierre soit retourné à Jérusalem La division entre les chrétiens hellénistes basés à Antioche et ceux de Jérusalem se révéla très profonde. Chacun campait sur ses positions et tentait de faire fléchir les autres. En provenance de l’Église de Jérusalem, des envoyés descendirent à Antioche, qui semèrent le trouble dans les esprits. « Si vous ne vous faites pas circoncire selon la coutume de Moïse, vous ne serez pas sauvés » (Ac 15, 1), prétendirent-ils. Le conflit s’envenima tellement que l’on décida de se rendre à Jérusalem pour porter l’affaire. Nous avons conservé deux relations très différentes de ces événements : l’une provient des Actes des Apôtres (chap. 15) et l’autre est un passage de l’Épître aux Galates (2, 1-10). Il n’entre pas dans les limites de ce travail de démêler l’écheveau dont l’analyse se complexifie d’année en année, compte tenu d’une bibliographie qui s’accroît de manière exponentielle. En outre, il semble impossible d’exploiter correctement les éléments de ce conflit pour caractériser avec exactitude la figure de Pierre. 1. Malgré toutes les tentatives, les deux récits paraissent totalement inconciliables. – Comme l’avait bien compris Kirsopp Lake dès les années 1930 (et on sent qu’il ne va pas totalement au bout de sa pensée), on ne peut parvenir à une solution historique globale, car il faut traiter d’un côté les Actes et de l’autre Galates 128. En effet, la solution, qui a longtemps triomphé et dont le meilleur représentant est John Barber Lighfoot 129, consistait à tenter de concilier les deux textes en considérant qu’ils parlaient d’une même visite de Pierre à Antioche. Mais en réalité, on voit bien que tel ne peut être le cas. Selon Paul, Barnabé et lui-même – qui se sont adjoint Tite, leur fidèle compagnon, selon le récit de l’Épître aux Galates (chap. 2) – rencontrent 125. LIBANIOS, Antiochikos 249-250, trad. R. MARTIN in A. J. FESTUGIÈRE, Antioche païenne et chrétienne, Paris, E. de Boccard, 1959, p. 33. 126. JULIEN L’APOSTAT, Misopôgôn 362 D, trad. FESTUGIÈRE, ibid., p. 86-87. 127. P. MARAVAL, Lieux saints et pèlerinages d’Orient. Histoire et géographie des origines à la conquête arabe (Histoire), Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 337. 128. K. LAKE, « Note XVI. The Apostolic Council of Jerusalem », in F. J. FOAKES JACKSON et K. LAKE (éds.), The Beginnings of Christianity I, vol. 5, London, Macmillan, 1933, p. 195-212. 129. J. B. LIGHTFOOT, Saint Paul’s Epistle to the Galatians, 1865, London, Macmillan, 141902, p. 123-128.

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une délégation de l’Église qui siège à Jérusalem. Paul dit qu’il s’agit des « notables » ou des « colonnes » (alors que le récit des Actes des Apôtres parle plutôt des « Apôtres » et des « Anciens »). Toujours selon Paul, la réunion commence par la proclamation de « l’évangile paulinien » au milieu de l’agitation de « faux frères », chrétiens issus du judaïsme. Vraisemblablement, les chefs de Jérusalem entendaient réaliser une vérification de l’orthodoxie de sa prédication. N’y trouvant rien à redire (selon lui !), ses interlocuteurs ne lui imposèrent aucune charge et reconnurent un partage des champs d’évangélisation : à Pierre la mission aux circoncis, à Paul la mission aux incirconcis. Les Actes des Apôtres présentent les choses différemment. Si les adversaires de la mission antiochienne sont effectivement nommés – il s’agirait de membres de la « secte des pharisiens » –, le déroulement est raconté de manière radicalement dissemblable. Pierre commence à prendre la parole au nom de la mission aux païens et se pose en chantre de l’ouverture aux Gentils (Ac 15, 7-11). Jacques intervient alors en justifiant par l’Écriture la position de Pierre et en proclamant un décret affermissant la position de Paul et de Barnabé – confirmée par le témoignage de Jude et Silas, qui les accompagnent – et édictant les conditions minimales permettant à chacun de vivre ensemble (Ac 15, 28-29). Les deux récits ne partent pas des mêmes éléments. Pourquoi le récit des Actes passe-t-il abruptement d’une discussion sur la circoncision à une dispute sur l’observance de la Loi ? Pourquoi Paul parle-t-il de répartition des champs d’évangélisation entre lui et Pierre, et les Actes font-ils du pêcheur galiléen un thuriféraire de la mission aux circoncis ? Et surtout, comment concilier les deux textes avec l’incident d’Antioche (Ga 2, 11-14) ? En Ac 15, en effet, l’assemblée se prononce à la fois sur la circoncision et sur les conditions minimales à respecter pour le partage des tables alors que Ga 2 montre que la question de la circoncision a été résolue avant que la question de la commensalité devienne un sujet de controverse. Ou bien Ga 2 précède Ac 15 et le fait que la circoncision soit un problème demeure incompréhensible ; ou bien Ga 2 est le compte rendu du même événement qu’Ac 15 et on ne comprend plus pourquoi il y a eu un incident à Antioche 130. 2. La raison de cette incompatibilité réside dans des vues opposées entre les deux textes. – Les raisons de cette incompatibilité sont assez claires. Comme l’ont montré les analyses rhétoriques de l’épître aux Galates 131, 130. J. D. G. DUNN, « The Incident at Antioch », in M. D. NANOS (éd.), The Galatians Debate, Peabody (MA), Hendrickson, 2002, p. 199-234 (231). 131. Le meilleur représentant de cette analyse est le commentaire de H. D. BETZ, Galatians (Hermeneia), Philadelphia (PA), Fortress, 1979. On retrouve un résumé de sa position dans H. D. BETZ, « The Literary Composition and Function of Paul’s Letter to the Galatians », in M. D. NANOS (éd.), The Galatians Debate, Peabody (MA),

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le but de Paul est avant tout défensif. Attaqué par les intrus qui ont fait irruption dans les communautés de Galatie, il choisit une stratégie de « séparation des fronts », en cherchant à distinguer les différentes forces en présence pour les mettre en contradiction les unes par rapport aux autres afin de justifier sa propre position. Au contraire, la stratégie lucanienne est conciliatrice. Le chapitre 15 est central dans le livre des Actes puisqu’il traite de la thèse de l’œuvre de Luc : la mission aux Gentils est légitime. Il s’arrange donc pour que Jérusalem et Antioche convergent formellement et que le fossé entre Pierre et Paul ne soit qu’apparent, tandis que les divergences entre Pierre et Jacques s’effacent. Il veut impressionner son lecteur en présentant une grande assemblée et un décret solennel132. Face à ces deux intentionnalités antagonistes, il serait vain de chercher des points de contact véritablement solides. 3. La conséquence directe de cette incompatibilité est que la figure de Pierre se révèle totalement contradictoire. – Pheme Perkins, dans son ouvrage sur l’apôtre, le dit clairement et on ne peut qu’approuver ses remarques : le portrait que Luc trace de Paul est l’opposé exact de celui que trace Paul. Le Pierre de Luc a les vertus, que le compte rendu de Paul tente de démontrer qu’il n’a pas. Pierre est fidèle aux traditions alimentaires juives et hésite à s’associer avec les païens jusqu’à ce que Dieu lui donne la preuve irréfutable que les gentils reçoivent également l’Esprit saint. Pierre ne pouvait jamais être dissuadé de prêcher la vérité de l’Évangile, par peur des autorités humaines. Une fois qu’il comprend ce que Dieu demande de lui, Pierre ne s’écarte jamais de sa mission. Luc va aussi dire avec insistance qu’à la fois Pierre et Paul sont fidèles à la tradition juive, même si leurs convertis païens ne sont pas tenus de se judaïser. […Luc] prétend que ce changement majeur doit commencer par les Douze et il a interprété l’épisode Corneille comme le point clef, même si les Actes conservent la preuve de commencements différents à la mission parmi les païens 133.

Hendrickson, 2002, p. 2-28. Les premiers articles du recueil de Mark Nanos présentent un bon panorama des recherches rhétoriques sur l’épître aux Galates. 132. R. I. PERVO, Acts A Commentary (Hermeneia), Minneapolis (MN), Fortress, 2009, p. 368. 133. Luke’s Peter has the virtues, which Paul’s account tries to show he lacks. Peter is loyal to Jewish dietary traditions and reluctant to associate with Gentiles until God gives him irrefutable evidence that Gentiles also receive the Spirit. Peter could never be deterred from preaching the truth of the gospel out of fear of some human authorities. Once he understands what God is asking of him, Peter never deviates from his mission. Luke will also insist that both Peter and Paul remain loyal to Jewish traditions even though their gentile converts are not required to Judaize. [… Luke] assumes that such a major change must begin with the Twelve and has interpreted the Cornelius episode as the key point even though Acts itself preserves evidence of different beginnings to the gentile mission. P. PERKINS, Peter, Apostle for the Whole Church (Studies on Personalities in the New Testament), Minneapolis (MN), Fortress, 2000, p. 119.

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d. Une visite à Corinthe On ne sait ce que fit Pierre après Jérusalem. Peut-être part-il ensuite pour Corinthe ? La Première Épître aux Corinthiens semble aller dans ce sens. Paul déclare qu’un groupe s’était constitué à Corinthe autour de Céphas. On peut croire qu’il s’agit d’une simple désignation du groupe d’origine judéenne, sans qu’il soit nécessaire de croire à la venue de Pierre. Cependant, Paul mentionne une circonstance très particulière dans sa lettre : le fait que Pierre ait été accompagné de sa femme et qu’il vécût aux dépens des communautés. L’argument aurait-il autant d’efficacité si Pierre n’avait été personnellement connu des Corinthiens ? Eusèbe mentionne en outre une lettre de Denys, évêque de Corinthe, affirmant que son Église doit sa fondation aux apôtres Pierre et Paul. Que tous deux ont rendu témoignage dans le même temps, c’est là ce qu’établit par écrit Denys, évêque de Corinthe, qui écrit aux Romains : « Dans un tel avertissement, vous aussi avez uni les plantations faites par Pierre et par Paul, celle des Romains et celle des Corinthiens. Car tous deux ont planté dans notre Corinthe et nous ont semblablement instruits ; et semblablement, après avoir enseigné ensemble en Italie, ils ont rendu témoignage dans le même temps 134. »

3. Les quatre figures pétriniennes des Actes des Apôtres S’il est difficile de reconstruire le déroulé exact de la vie de Pierre, cela n’influe guère sur l’histoire de la réception qui s’attache à déterminer quelles sont les figures de l’apôtre que le texte construit. C’est en effet autour de ces figures que se cristalliseront les différentes manières dont Pierre sera reçu. a . Première figure des Actes : le prédicateur Pierre, on s’en souvient, prononce le premier discours des Actes pour remplacer Judas : c’est qu’il est présenté comme le premier prédicateur. Au long des chapitres qui lui sont consacrés, l’apôtre prononce sept discours : 1°) Ac 1, 16-22, pour remplacer Judas ; 2°) Ac 2, 14-40, après la Pentecôte ; 3°) Ac 3, 12-26, le discours du Temple ; 4°) Ac 4, 8-12, devant le Sanhédrin I ; 5°) Ac 5, 39-42, devant le Sanhédrin II ; 6°) Ac 10, 34-43, devant le Centurion ; 7°) Ac 11, 5-17, devant l’Église de Jérusalem après le baptême du Centurion ; 7°) Ac 15, 7-11, au concile de Jérusalem. Il serait fastidieux de les étudier tous. D’autant que, comme l’avait montré Dietrich 135, les premiers chapitres des Actes des Apôtres ne tracent pas les contours précis de la figure de Pierre : il se contente d’en faire un porte-parole, qui parle au nom de l’Esprit. Il n’est qu’un simple porte-voix. 134. Hist. Eccl. II, 25, 8, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 93. 135. W. DIETRICH, Das Petrusbild…, p. 171 et suiv.

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L’action de l’Esprit chez Pierre ne se manifeste pas seulement dans l’audace à proclamer celui qu’il avait renié, mais dans la pénétration du message qui fait de Pierre le fondateur de la technique chrétienne du prêche et de son thème principal : Jésus, l’inventeur du nouveau baptême « pour la rémission des péchés » et le promoteur de l’universalisme de la nouvelle religion. En effet, chacun des cinq premiers chapitres des Actes contient un discours de Pierre, construit sur le même schéma. L’entrée en matière se centre sur un fait qui suscite l’étonnement (la quantité de langues que parlent les apôtres, Ac 2, 7 ; la guérison d’un infirme, Ac 3, 12). Rapidement, le ministère terrestre de Jésus est évoqué ; puis sa crucifixion, déclarée conforme au dessein de Dieu. La Résurrection est enfin présentée comme l’acte divin suprême et comme l’objet du témoignage des apôtres. La conclusion s’impose : Jésus est le Messie promis par les Écritures. Il convient de se convertir et de se repentir. Autant l’auteur de Luc-Actes montre peu de goût pour les discours rhétoriques dans son évangile, autant il multiplie leur emploi dans les Actes et soigne leur construction. De la bouche de Pierre, ils sont une manière privilégiée de témoigner autant qu’une explicitation théorique des actions narratives auxquelles Pierre prend part. La thématique est toujours la même ; la repentance, le salut, et le Messie ressuscité, Jésus : Pierre s’inscrit dans le contexte de la prédication charismatique juive et dans la tradition des prophètes d’Israël. b. Se conde figure : le continuateur charismatique des œuvres de Jésus La narration des Actes, tout en montrant l’éminente position de prédicateur de Pierre, le pose en continuateur des œuvres de Jésus, qui soigne les paralytiques (Ac 3, 1-4) et, à la suite de son maître, s’élève contre le Sanhédrin. Le chemin de l’imitation de Jésus-Christ commence comme une promenade au Temple : Pierre et Jean, en chemin pour la prière de l’après-midi, s’apprêtent à passer sous la « Belle Porte » du Temple lorsqu’un impotent les interpelle pour leur demander l’aumône. Pierre, pris d’une inspiration soudaine, le fixe du regard et le guérit en un instant (Ac 3, 1-10). Cette guérison entraîne Pierre, qui ne manifeste pas l’intention de devenir missionnaire, dans un engrenage qui l’amène à proclamer sa foi devant le peuple, tout d’abord, puis devant le Sanhédrin, le grand conseil des Juifs (Ac 3, 10 – 4, 23). L’assurance avec laquelle Pierre prêche est particulièrement étonnante, et les membres du conseil ne s’y trompent pas : « Observant le franc-parler de Pierre et de Jean, et ayant compris qu’il s’agissait de gens illettrés et ignorants, ils étaient dans l’étonnement. » (Ac 4, 13) Ils les relâchent donc. Et ce n’est qu’à la fin de l’épisode, lorsque les deux apôtres se retrouvent au milieu des leurs pour prier, qu’il devient clair que cette assurance est

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le propre de l’Esprit de Dieu. Jusqu’à ce moment, Pierre a été l’objet passif de l’action de Dieu : il a fallu que ce soit l’impotent qui lui demande l’aumône, que la foule accoure et que les gardes du Sanhédrin se saisissent de lui pour qu’il agisse. Sa réputation grandit au point que les gens se pressent à sa rencontre pour profiter de ses pouvoirs de guérisseur, comme ils le faisaient pour le Christ. Certains vont même jusqu’à espérer que l’ombre de Pierre suffise à guérir leur malade (Ac 5, 12-16). c. Troisième figure : le missionna ire La prédication des Hellénistes met en contact la communauté avec des peuples nouveaux : hérétiques de Samarie, craignant-Dieu. Que faire face à ces nouveaux venus ? Le groupe qui prend de l’importance, autour de Jacques, décide d’envoyer des émissaires et choisit Pierre… Comme toujours, il est accompagné de Jean et se déplace dans toute la Terre Sainte : il passe d’abord par la Samarie (Ac 8, 14) puis va à Lydda (Ac 9, 32), à Joppé (Ac 9, 38) puis à Césarée (Ac 10, 24). Il revient ensuite à Jérusalem, et s’y fait emprisonner. En Samarie, Pierre et Jean sont chargés de vérifier la foi des chrétiens baptisés par l’helléniste Philippe. Ils leur imposent les mains pour qu’ils reçoivent l’Esprit et font à cette occasion la connaissance de Simon le Mage, qui leur demande d’acheter le pouvoir de commander à l’Esprit. La réponse de Pierre est cinglante : « Périsse ton argent et toi avec lui » (Ac 8, 20). Simon le Magicien disparaît de la scène des Actes des Apôtres, mais la tradition veut qu’il n’arrêtât pas là sa carrière de charlatan et d’escroc : on le retrouvera bien vite. Un passage essentiel explique la « conversion » de Pierre à la prédication des non-juifs : la vision du pur et de l’impur (Ac 10, 9-16). Le premier verset de la péricope nous renseigne sur le caractère inopiné de la vision. Le contexte est banal : une route, une maison amie, une prière au soleil sur la terrasse, des femmes qui s’activent en bas pour préparer un repas, la faim qui tenaille, car il est midi. Et puis, brusquement, dans cet environnement familier, une vision étrange. Dieu « met la table » avec sa nappe, mais les mets servis sont à la fois purs et impurs : parmi les quadrupèdes, il y a tous les animaux au sabot non fendu, il y a aussi tous les serpents, et tous les oiseaux. Le dialogue donne la clef de la vision sous forme de test : la voix venue du ciel propose à Pierre de la nourriture non casher, et lui prétend en remontrer à son Seigneur avec une vivacité qui évoque d’autres déclarations impétueuses du prince des apôtres. La voix se fait alors railleuse et reprend peut-être l’apologétique helléniste inspirée par la pensée de la Diaspora 136 : tout, dans la création, est rendu pur, soit parce que Dieu l’a 136. Voir la Lettre d’Aristée 129 qui pose le débat : si la Création est une, pourquoi le créateur aurait façonné des créatures impures ?

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créé, soit parce que Jésus l’a sauvé. Ce n’est pas à une créature de décider pour le créateur. Bien entendu, l’épisode, s’il dérive certainement de la tradition, semble largement influencé par Rm 14, 14-20 137. Il n’en reste pas moins que l’auteur de Luc-Actes ne trouve pas d’autre moyen qu’une vision pour expliquer la brusque violation des interdits alimentaires que réalise Pierre en pratiquant la commensalité avec les fidèles d’Antioche (présente en Ga 2, 12) 138, seule explication possible de la présence de Pierre à Jérusalem pour exposer sa doctrine (Ac 11). Soit que le souvenir soit conservé d’une vision de Pierre entraînant ce revirement d’attitude 139, soit que Luc se serve d’une tradition d’un Pierre visionnaire pour l’expliquer : quelle que soit l’explication que l’on retient, elle relie Pierre avec un penchant mystique. d. Quatrième figure : l’apatride successeur du Christ Un événement, on l’a dit, vient remettre en cause de manière définitive le rang de Pierre à Jérusalem : son emprisonnement. Les causes de cette incarcération ne sont pas claires. L’auteur des Actes des Apôtres la range dans la vague de persécutions qui aboutirent à la mort de Jacques le Majeur et à la démagogie du roi qui pensait ainsi s’attacher les faveurs des Juifs. Or, Pierre en prison est libéré par un ange (Ac 12, 5-11). L’histoire explicite la parenté de Pierre et du Christ. Pierre, lui aussi souffre sa Passion et connaît sa Résurrection. Comme le Christ en effet, il a des démêlés avec un Hérode, comme le Christ, il est gardé par des soldats, et comme lui, il se laisse faire, pratiquant une divine passivité. Bientôt, la lumière de la Résurrection envahit le cachot qui figure ici le tombeau et comme au matin de Pâques, l’ange paie de sa personne. Deux termes clefs de la Résurrection sont alors employés : le réveil et la levée. À l’instar de Jésus réveillé des morts, qui se lève du milieu des trépassés, l’apôtre est réveillé par l’ange qui lui intime l’ordre de se lever. À ce contexte résurrectionnel se superpose alors une lecture encore plus générale : Pierre est sauvé de la mort par Dieu, comme le peuple d’Israël lors de l’Exode. À l’instar du Pharaon des temps bibliques, un despote enchaîne Pierre. Mais Dieu intervient : l’ange qui agit la nuit et donne ses instructions ne ressemble-t-il pas à l’ange exterminateur qui libère les fils d’Israël ? 137. R. PERVO, Dating Acts : Between the Evangelists and the Apologists, Santa Rosa (CA), Polebridge, 2006, p. 247-249. 138. M. A. PLUNKETT, « Ethnocentricity and Salvation History in the Cornelius Episode », SBL Seminar Papers 1985, Atlanta (GA), Scholars Press, 1985, p. 465-479. 139. Pierre-Yves Brandt parle à ce propos d’une « conversion-rupture », qui a succédé à la « conversion-retour » du discours de Pentecôte : P.-Y. BRANDT, « La conversion, retournement ou changement d’appartenance ? Approche psychologique du parcours de Pierre dans l’œuvre lucanienne », Études Théologiques et Religieuses 84, 2009, p. 1-22.

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Dès lors, Pierre prend une nouvelle stature. Il n’est plus un homme comme les autres, il jouit de la faveur explicite de Dieu, qui commence par faire mourir son principal adversaire, Hérode, qui périt, « mangé par les vers » (Ac 12, 23). La scène qui suit renforce le nouveau statut de Pierre : comme le Christ ressuscité, il apparaît à une femme qui ne le reconnaît point à l’abord et qui n’est pas crue lorsqu’elle va raconter ce qu’elle a vu. Mis en présence de l’apôtre, les disciples n’en reviennent pas, comme lors de l’apparition du Christ (cf. Lc 24, 37 et Mt 28, 17). Comme le Christ, enfin, Pierre ne s’attarde pas et demande aux disciples d’aller annoncer l’événement « à Jacques et aux frères » (Ac 12, 17). Cette dernière phrase sonne comme l’ouverture d’une nouvelle existence. Aux Apôtres succèdent les « Anciens » (πρεσβύτεροι) et les colonnes. La communauté de Jérusalem change de chefs et de mode de représentation. Alors qu’avec Pierre, le « roc », c’est l’image de la maison établie sur le roc de l’Évangile, la métaphore des colonnes, utilisées par Paul à propos des anciens (Ga 2, 9) oriente vers le Temple. Pierre quant à lui peut se lancer dans d’autres missions. e. Appendice : Pierre dans 1P Cette situation d’apatride est confirmée par la Première Épître de Pierre. Quoi d’étonnant à ce que Pierre, héraut itinérant de la foi, devienne aussi le fondateur de communautés en exil ? La Première Épître de Pierre, qui a sans doute été écrite peu après la mort de Pierre et qui présente quelques parentés avec les épîtres pauliniennes 140, est caractéristique de cette réception de la figure de Pierre. De l’apôtre, on apprend assez peu de choses dans cette lettre. On sait simplement qu’il se donne le titre d’« apôtre de Jésus-Christ » (1P 1, 1). Dans un autre passage, il s’appelle « co-ancien » et « participant à la gloire qui va être révélée » (1P 5, 1). Cette expression un peu contournée donne une place particulière à Pierre : celle d’ancien, celle de témoin et celle de participant de la gloire à venir. Si les deux premières qualités font évidemment allusion au passé du Pierre décrit dans les évangiles et les Actes, le fait de participer à la gloire à venir plaide pour un décalage temporel. C’est bien du Pierre mort dont il s’agit, dont on sait (par le respect et la dévotion qui l’entourent) qu’il est entré dans la gloire.

140. Voir également J. H. ELLIOTT, « Thee Rehabilitation of an Exegetical StepChild : 1 Peter in Recent Research », Journal of Bibiblical Literature 95, 1976, p. 243-54 ; ID., « Peter, Silvanus and Mark in I Peter and Acts : Sociological-Exegetical Perspectives on a Petrine Group in Rome », in W. HAUBECK and M. BACHMANN (éds.), Wort in der Zeit : Neutestamentliche Studien. Festgabe für Karl Heinrich Rengstorff zum 75. Geburtstag, Leiden, Brill, 1980, p. 250-67 ; ID., 1 Peter : A New Translation with Introduction and Commentary (Anchor Bible 37B), New York, Doubleday, 2000, p. 130-134.

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Or, à qui ce Pierre en voie de canonisation s’adresse-t-il ? Non pas à une communauté particulière (ce qui pose un certain nombre de problèmes à ceux qui essaient d’assigner une origine à la lettre141), mais « aux élus qui vivent en étrangers dans la dispersion, dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie et la Bithynie » (1P 1, 1). Pierre désormais se pose en patron non seulement des communautés d’Asie Mineure, mais plus généralement à tous les παρεπιδήμοι διασπορᾶς, les étrangers en Diaspora. D. Pierre chez Jean : une réaction à la construction de la figure pétrinienne Depuis une trentaine d’années, les études bibliques, ont renoncé à harmoniser la figure de Pierre présentée dans l’évangile de Jean avec celle des Synoptiques 142. Profitant des avancées de l’analyse littéraire, les travaux sur Jean ont démontré que cet évangile fonctionnait comme une structure particulière dont les personnages reflétaient les conflits agitant la communauté johannique, mais aussi qu’il possédait une certaine connaissance des évangiles précédents et qu’il écrivait en réaction à eux 143. C’est particulièrement vrai de Pierre, parce qu’il représente une compréhension de l’Église différente de celle du milieu johannique : il n’a qu’une place subalterne vis-à-vis de l’idéal que représente le disciple bien-aimé ; de la position de principal apôtre et de porte-parole du groupe apostolique, il déchoit dans la position de « second » du personnage propre à Jean 144. Diminuée par rapport aux Synoptiques, la figure de Pierre ne se comprend pas seulement par rapport au Disciple. Le rédacteur du quatrième évangile met en œuvre des scènes de « confrontation » entre Judas et Pierre qui soulignent que les personnages se définissent les uns par rapport aux 141. D. G. HORRELL, « The Product of a Petrine Circle ? A Reassessment of the Origin and Character of 1 Peter », Journal for the Study of the New Testament 86, 2002, p. 29-60. 142. Ce chapitre reprend largement C. BIZOT et R. BURNET, « Pierre, apôtre entre Judas et le disciple bien-aimé », Études théologiques religieuses 77, 2002, p. 105-111. 143. F. VOUGA, « Le Quatrième évangile comme interprète de la tradition synoptique », in A. DENAUX (éd.), John and the Synoptics (Bibliotheca ephemeridum theologicarum Lovaniensium 101), Leuven, Peeters, 1992, p. 261-279. 144. Voir par exemple S. AGOURIDES, « The Purpose of John 21 », in B. L. DANIELS et M. J. SUGGS (éds.), Studies in the History and Text of the New Testament in Honor of Kenneth W. Clark, Salt Lake City (Utah), University of Utah Press, 1967, p. 127-132 ; G. F. SNYDER, « John 13:16 and the Anti-Petrinism of the Johannine Tradition », Biblical Research 16, 1971, p. 5-15 ; A. H. MAYNARD, « The Role of Peter in the Fourth Gospel », Novum Testamentum 30, 1984, p. 531-548 ; P. D. DUKE, Irony in the Fourth Gospel, Atlanta (GA), John Knox, 1985, p. 96-99. Raymond Brown aide cependant à nuancer cette position en montrant qu’il n’y a pas rejet : R. E. BROWN, The Gospel According to John XIII-XXI (Anchor Bible 29A), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1970, p. 1006-1007 et 1117-1122.

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autres, non dans l’absolu d’une psychologie humaine, mais par rapport au Christ. Ainsi, si l’on accepte de se laisser guider par ces mises en rapport voulues par Jean, c’est une nouvelle figure de Pierre qui vient au jour.

1. Une figure diminuée Pierre perd de son importance chez Jean et ce dès son entrée en scène : alors que dans les Synoptiques, Pierre est le premier disciple, chez Jean, André le présente à Jésus (1, 40-42) 145. Symboliquement, le « prince des Apôtres » ne fait pas ici figure de premier disciple, il ne devient disciple que par médiation et le lecteur suspecte que ce disciple-là se fait un peu « tirer l’oreille » pour venir. En effet, il n’est pas vierge de tout engagement, il est disciple de Jean le Baptiste 146. À cela s’ajoute l’absence d’une mission « ecclésiastique » au moment où Jésus donne à Simon son nouveau nom. Pas de confession, pas de dignité supplémentaire. Il suffit que Jésus, dont on ne sait rien jusqu’à présent, regarde Simon pour que celui-ci le suive : « Jésus le regarda et dit : “Tu es Simon le fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas”. » Le sens de ce changement de nom est tout autre. Chez Jean, Simon est appelé Bariona, qu’il est plus raisonnable d’interpréter comme « Fils de Jean » que comme biryoni (ainsi que certains l’on proposé), une expression utilisée pour désigner les révoltés des guerres juives que l’on trouve chez Flavius Josèphe et dans le Talmud au traité Gittin 56a 147 (on verra à propos de Simon le Cananéen la difficulté à employer l’interprétation politique du mouvement de Jésus). Jésus le fait donc passer d’une identité qui se fondait sur une généalogie à une identité neuve, sans mention de filiation. Képhas n’est donc plus le nom traduisant le rôle de Pierre dans la communauté, mais le souvenir de sa rencontre décisive avec Jésus qui lui a donné une nouvelle identité. L’évangile fait bien prononcer à Pierre une « confession », mais celleci est une confession collective, qui rejoint les élaborations théologiques propres à Jean 148 : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la 145. R. PESCH, Simon-Petrus : Geschichte und geschichtliche Bedeutung des ersten Jüngers Jesu Christi (Päpste und Papsttum 15), Stuttgart, Hiersemann, 1980, p. 15-20. 146. Elle a le support de J. P. MEIER, A Marginal Jew, vol. 3, trad. fr. : Jésus un certain Juif (Lectio Divina), trad. C. EHLINGER et N. LUCAS, Paris, Cerf, 2005, p. 157. 147. H. HIRSCHEBERG, « Simon Bariona and the Ebionites », Journal of Biblical Literature 61, 1942, p. 171-191. J. NEVADA, « Who Were the “Biryoni” », Jewish Quarterly Review, New Series 63, 1973, p. 317-322 montre que les Biryoni pourraient être les précurseurs des sicaires chargés de garder un birah, un fort, et que ce fort pourrait être l’Antonia. Richard Horsley remet en cause la précocité du mouvement et y voit une faction comme une autre : R. A. HORSLEY, « The Sicarii : Ancient Jewish “Terrorists” », Journal of Religion 59, 1979, p. 435-458 (p. 455, n. 51). 148. C. K. BARRETT, The Gospel According to St. John : An Introduction With Commentary and Notes, Philadelphia (PA), Westminster Press, 21978, p. 307. Cette élaboration a dû poser quelques difficultés aux copistes, puisque si les grands codex

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vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le saint de Dieu. » ( Jn 6, 68-69). Le caractère inouï de cette déclaration est largement tempéré par Jésus, qui s’attribue à lui-même le mérite du choix des disciples et qui tempère tout enthousiasme en annonçant la trahison prochaine d’une des Douze ( Jn 6, 70). En poursuivant la narration, on découvre que si Simon est une pierre, c’est plutôt par son caractère obtus que par sa qualité de fondateur, comme le disait avec malice Raymond Brown 149. Cette bêtise éclate dans l’affaire de l’épée, lorsque Pierre tranche l’oreille de Malchus ( Jn 18, 10-11) 150. En effet, Jean, qui connaît les autres évangiles, comme le prouve l’allusion à la coupe 151, rejette l’acte de Pierre qui n’a pas compris que la mort de Jésus n’est pas une circonstance fortuite, mais l’œuvre que lui a confiée le Père ( Jn 10, 18) 152. Le Disciple, quant à lui, est comparé à Pierre de manière tellement systématique que l’on est fondé de penser que cette figure est là pour contrebalancer l’influence du pêcheur de Béthsaïde au profit du héros de la communauté johannique 153. On se bornera à évoquer les principaux passages. Sa première apparition ( Jn 13, 23-26) marque en elle-même sa supériorité. Son nom, « le disciple que Jésus aimait » marque la relation particulière qui l’attache au Maître ( Jn 13, 23). En outre, il apparaît dans une position qui informe de son importance : penché sur la poitrine de Jésus, il se pose en intermédiaire entre lui et le monde. Au point que Pierre lui-même doit passer par le Disciple pour poser une question, dont la réponse ne semble avoir été entendue que de ce dernier. En 19, 26-27, on le retrouve au pied de la Croix, en la seule compagnie des saintes femmes, preuve exemplaire de sa fidélité. En 20, 2-12, ensuite, le disciple bien-aimé gagne Pierre de comme P75, ‫א‬, B, C*, D, L, W portent cette leçon, les autres essaient de réintroduire le titre messianique traditionnel comme P66 (ὁ Χριστὸς ὁ ἅγιος τοῦ θεοῦ) ; C3, Θ* (ὁ Χριστὸς ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ) et Ψ et de nombreux minuscules (ὁ υἱὸς τοῦ θεοῦ τοῦ ζῶντος). 149. R. E. BROWN, The Gospel According to John I-XII (Anchor Bible 29), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1966, p. 76. 150. A. J. DROGE, « The Status of Peter in the Fourth Gospel… ». 151. Chez Marc, Jésus priait pour ne pas boire la coupe, tandis que chez Jean, il affirme résolument vouloir la boire : c’est une critique implicite du Jésus de Marc que Jean trouve sans doute trop humain. Sur le fait que Jean connaît manifestement un ou plusieurs autre évangiles : H. WINDISCH, Johannes und die Synoptiker : Wollte der vierte Evangelist die älterer Evangelien ergänzen oder ersetzen ? (Untersuchungen zum Neuen Testament 12), Leipzig, Hinrichs, 1926 ; E. C. COLWELL, John Defends the Gospel, Chicago (IL), Willett/Clarck & Co., 1936. 152. A. J. DROGE, « The Status of Peter… ». 153. D. J. HAWKIN, « The Function of the Beloved Disciple Motif in the Johannine Redaction », Laval Théologique et Philosophique 33, 1977, p. 135-150. R. A. CULPEPPER, The Anatomy of the Fourth Gospel : A Study in Literary Design, Philadelphia (PA), Fortress, 1983, p. 43-49 et 121-123.

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vitesse dans la course au tombeau – la distance géographique symbolisant sans doute la distance intellectuelle à saisir la Résurrection – et il est le premier à croire à la Résurrection. En 21, 7 c’est lui, et non Pierre, qui reconnaît le premier le Seigneur ressuscité. En 21, 20-23, enfin, il semble qu’un destin différent lui soit réservé : celui d’être le représentant terrestre du Christ. Des prérogatives pétriniennes des Synoptiques, il reste donc peu de chose puisque Pierre est supplanté dans son rôle de premier disciple et d’unique représentant du groupe apostolique. Pour autant, peut-on dire que sa place est celle d’un disciple parmi d’autres ?

2. Pierre et Judas Si du chapitre 13 au chapitre 21, Pierre est systématiquement comparé au disciple bien-aimé, du chapitre 6 au chapitre 13, c’est avec Judas qu’il est mis en rapport dans une sorte de syncrisis à la Plutarque 154. Un simple tableau permet de résumer les occurrences : André 1, 41 : André présente Pierre

Judas

Pierre

Le disciple bien-aimé

1, 40-44 : vocation de Pierre 6, 64.70 : déclara6, 68 : confession tion sur le traître de Pierre 12, 4 : à Béthanie 13, 2 : Judas, celui 18, 6-8 : lavement qui livre des pieds 13, 26-28 : la bouchée et la question 13, 36-37 : Quo 13, 29 : Judas sort vadis ? 18, 2-11 : Judas livre Jésus et Pierre tire l’épée 18, 16-27 : Pierre 18, 15 : le disciple dehors entre 18, 16-27 : le 19, 26-27 : au pied reniement de la croix 20, 3-10 : au tombeau 21, 7 : Pierre se jette à l’eau et le disciple reconnaît le Christ 21, 15-24 : discours à Pierre et déclaration sur le disciple

154. Dans un récent livre – M. W. MARTIN, Judas and the Rhetoric of Comparison in the Fourth Gospel (New Testament Monographs 25) Sheffield, Sheffield Phoenix, 2010 – identifie lui aussi Pierre, Paul et Judas comme une syncrisis. Nous ne sommes pas sûrs en revanche de le suivre dans l’identification qu’il fait entre Judas et les antichrists des épîtres johanniques.

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La confrontation de Pierre et de Judas induit un effet en retour pour l’image johannique des deux personnages. Si, à la différence des synoptiques, Judas est présenté comme un criminel endurci, Pierre, quant à lui, est systématiquement disculpé des soupçons d’impétuosité et de diabolisme qui pèsent sur lui. La première apparition de Judas intervient explicitement en 6, 71 et implicitement en 6, 64. Jésus vient à peine de prononcer son discours sur le pain de vie, que déjà des disciples murmurent. Jésus les reprend : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas » (6, 63a-64b). Suit alors une sorte de commentaire de l’auteur de ce qui vient d’être dit : « En fait, Jésus savait dès le début ceux qui ne croyaient pas et celui qui allait le livrer ». Judas n’a pas de dernière chance pour se racheter ; sa figure de traître, figée dès le début, ne connaît aucun développement. Immédiatement, le voilà d’ailleurs confronté à Pierre. Jésus, poursuivant, interroge en effet Pierre, qui joue ici le rôle coutumier dans les Synoptiques de porte-parole des Apôtres. Pierre répond alors par une confession qui le pose en disciple véritable partant fidèlement à la suite de son maître : « À qui irions-nous ? Tu as les paroles de vie éternelle » (6, 68). Et, pour mieux encore renforcer le parallélisme avec Judas, Jésus poursuit : « N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et pourtant l’un de vous est un diable » (6, 70). L’auteur, dans une des « interventions en régie » dont il est coutumier, rend les choses explicites : « Il désignait ainsi Judas, fils de Simon l’Iscariote ; car c’était lui qui allait le livrer, lui, l’un des Douze » (6, 71). Contrairement aux Synoptiques qui composaient de Pierre une figure en demi-teinte puisqu’il était qualifié de Satan immédiatement après sa confession (Mc 8, 33), l’apôtre reste pur au détriment de Judas qui assume ici toute la part diabolique : lui seul est qualifié de diable. Cette dualité se confirme lors du lavement des pieds (13, 1-11). On connaît les réticences de Pierre à se faire laver les pieds et son manque de compréhension du sens du geste. Mais s’il est en décalage avec Jésus, lui, au moins, exprime à voix haute sa mésentente. Judas au contraire est posé en présence muette au sein de la description même de la scène : « Au cours d’un repas, alors que déjà le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le livrer… » (12, 2-3). Au désaccord bruyant s’oppose la silencieuse traîtrise ; le caractère impétueux et revendicatif de Pierre – encore un trait présent dans les Synoptiques – est pour ainsi dire dédouané par la mention de la muette félonie. Peu après, une seconde opposition se construit : « vous, vous êtes purs, mais non pas tous » (13, 10), dit Jésus. Le lavement des pieds « résiste », pour ainsi dire, à la trahison, alors qu’il est efficace pour l’opposition. Pierre, contrairement aux Synoptiques (cf. le passage du diable, derechef ), est ici pur.

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L’enchaînement qui suit – le geste de trahison ( Jn 13, 21-26) – ne vient que renforcer le double mouvement d’exacerbation de la culpabilité de Judas et de disculpation de Pierre. Le déroulement est bien connu : Jésus annonce publiquement la présence d’un traître (v. 21) ; troublé, Pierre demande au disciple bien-aimé de savoir de qui il s’agit (v. 25) ; Jésus répond que c’est celui qui va recevoir de ses mains une bouchée (v. 26) ; Judas prend la bouchée et le Diable entre en lui (v. 27) ; Jésus lui commande alors de le livrer ; Judas sort, dans l’incompréhension générale ; Judas sorti, Jésus donne son commandement nouveau et annonce son départ ; Pierre demande à le suivre, mais Jésus annonce son reniement. Les oppositions sont flagrantes : Judas trahit alors qu’il accepte le geste fraternel de la bouchée, Pierre demeure fidèle alors qu’il avait refusé le geste servile du lavement des pieds. Judas s’enfonce dans la nuit (v. 30), alors que Pierre reste auprès de son maître, lumière du monde (comme l’a annoncé le Prologue). Judas est renvoyé au maintenant de sa trahison (« ce que tu as à faire, fais le vite », v. 27), Pierre est renvoyé du maintenant de sa volonté (« tu ne peux me suivre maintenant », v. 36) au « plus tard » (« tu me suivras plus tard », v. 36.). L’opposition culmine enfin dans la scène de l’arrestation. Judas, le texte le dit à deux reprises (18, 2.5), conduit la petite troupe venue arrêter Jésus au Jardin. Son rôle se borne à celui de guide : il reste par ailleurs anonyme et silencieux. À cette immobilité s’oppose l’action de Pierre. Jean est le seul à attribuer à Pierre ce geste, pourtant présent également dans les Synoptiques : sortir l’épée du fourreau pour défendre Jésus (Lc 22, 50 = Mc 14, 47 = Mt 26, 51). Certes, il s’agit d’un acte symbolique du refus de la Passion, mais avant tout, il marque la fidélité de celui qui est prêt à se battre pour son maître. Pierre, confronté à Judas, en sort résolument à son avantage : face à la figure du traître, il apparaît comme le bon disciple fidèle à son maître malgré ses incompréhensions et son impétuosité. Ces remarques permettent de tracer un nouveau portrait de l’apôtre.

3. Une nouvelle figure Faisons un pas supplémentaire en s’intéressant aux scènes « en solo », c’est-à-dire aux scènes où les personnages interviennent en l’absence des autres : le rôle de Pierre se précisera davantage par contraste avec les deux autres. Étrangement, elles sont très rares chez Jean, argument supplémentaire en faveur de la thèse visant à montrer que les personnages se définissent les uns par rapport aux autres. Toutes sont des scènes fondatrices de la personnalité en question ; elles donnent aux personnages leur profondeur. Pour le disciple bien-aimé, le trait dominant est celui de la proximité avec Jésus : la scène en solitaire est celle qui se tient au pied de la Croix.

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Alors que les disciples ont abandonné Jésus, il se tient en compagnie des Saintes Femmes au Calvaire, et recueille les dernières paroles du maître (19, 26-27). Xavier Léon-Dufour a bien montré que ce passage devait être lu non pas seulement comme un moment dramatique ou une preuve de fidélité, mais bien comme le texte de fondation de la communauté johannique 155. Dans cette péricope, en effet, Jésus confie au disciple qu’il juge le plus apte, sa propre mère, c’est-à-dire, confie symboliquement au disciple bien-aimé qui représente la nouvelle communauté, sa mère, qui figure le peuple juif. Ce faisant, il instaure bien une « nouvelle famille », différente de sa famille par le sang : la famille de ses disciples, de la nouvelle foi qu’il fonde. Le passage donne ipso facto au disciple bien-aimé sa stature nouvelle (qui sera renforcée dans le chapitre 21) : celle de représenter Jésus sur la terre ; un rôle qui n’est donc pas dévolu à Pierre. Pour Judas, l’épisode solitaire est celui de l’onction à Béthanie (12, 1-11) qui fonctionne comme une sorte de mise en abîme de la trahison. Tout d’abord, en effet, on peut y lire une nécessité narrative : pour expliquer la passivité des disciples lorsque Judas sort trahir le Christ, il est nécessaire de mettre en place sa fonction d’intendant156. En outre, alors que, chez Jean, l’argent n’intervient pas explicitement dans la narration de la trahison, on apprend que le défaut principal de Judas est l’envie, ce qui peut en retour fournir un mobile à l’action. Enfin, le contexte suscité par la réponse de Jésus à Judas (« moi, vous ne m’avez pas pour toujours », 12, 8) induit une compréhension christologique de l’épisode. En effet, en refusant à Jésus l’onction de Marie, Judas est présenté comme un adversaire. Situé entre Judas, le traître quasi eschatologique, et le disciple bienaimé, exemple improbable d’une union personnelle au Seigneur, Pierre fait plutôt pâle figure. Il semble plutôt ordinaire, c’est-à-dire proche des chrétiens. Aussi se ralliera-t-on volontiers à l’idée de qui prétend que Pierre, loin d’être le représentant des chrétiens apostoliques, représente des chrétiens appartenant à la communauté elle-même et pratiquant une piété plus ordinaire que celle dont le disciple bien-aimé est l’image. Aussi ne fautil pas s’étonner de ce que la scène qui le fonde soit celle du reniement, comme si Pierre ne prenait consistance que dans un groupe, comme s’il n’était qu’un être de relation. Et d’ailleurs, contrairement aux synoptiques, c’est bien son appartenance au groupe qu’il renie trois fois et non pas la personne de Jésus ( Jn 18, 17.25.27). 155. X. LÉON-DUFOUR, « Jésus constitue sa nouvelle famille, Jn 19, 25-27 », in A. MARCHADOUR (éd.), L’Évangile exploré (Lectio Divina 166), Mélanges Légasse, Paris, Cerf, 1996, p. 265-281. 156. Serait-ce forcer le texte que de prétendre que cette fonction, absente des synoptiques, joue en faveur de Pierre ? Faire de Judas l’intendant permet de lui laisser tout entière la question disputée du rapport à l’argent. En effet, chez Mt 17, 24-27, l’épisode du didrachme trouvé dans le poisson fait de Pierre quasiment l’intendant des Douze, puisqu’il paye l’impôt au Temple au nom de tous.

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Pour comprendre la mission que Jean fait confier à Pierre par le Christ, ce n’est donc pas la scène de la course au tombeau qu’il faut retenir, mais celle de la trahison au cours du dernier repas. Pierre n’est pas seulement ce vieux bonhomme un peu essoufflé qui arrive second à la course de la foi, il est aussi cet homme ordinaire spectateur du drame qui se joue. Que l’on se représente les positions indiquées par Jean pour la Cène. Au centre le Christ, à ses côtés, le disciple bien-aimé, penché sur sa poitrine et Judas, suffisamment proche pour que Jésus puisse tendre la bouchée. Voilà les acteurs principaux de la Trahison, les seuls à savoir ce qui se passe réellement. Plus loin, tentant d’approcher le mystère, Pierre, qui, s’il se tient effectivement un peu en retrait, n’en demeure pas moins le premier des disciples, le plus proche du disciple, le plus proche du plus proche de Jésus. Pierre, débarrassé du fardeau d’impureté et de trahison porté par Judas, est le disciple le plus digne de représenter une foi quotidienne aux prises avec ses propres incompréhensions.

4. Le prolongement de l’évangile : Pierre, pasteur d’une communauté majoritaire La construction de la figure de Pierre chez Jn n’est pas des plus favorables. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on éprouva le besoin de la corriger par l’ajout d’un appendice à l’évangile de Jean, l’actuel chapitre 21 157. Le récit commence comme une nouvelle pêche miraculeuse ( Jn 21, 2-11). Le récit comble les lacunes du livre des évangiles et du livre des Actes : qu’a fait Pierre de son reniement à la Pentecôte ? Il reprit son « activité professionnelle ». La rencontre avec le Seigneur ressuscité s’opère donc dans la vie quotidienne de ses disciples, artisans de la pêche. Dans une réplique de la pêche miraculeuse narrée en Matthieu, la nuit fut infructueuse, et ce n’est qu’au matin que Jésus – que les disciples n’ont pas reconnu, contrairement au lecteur, prévenu par le narrateur ( Jn 21, 4) – leur conseille de jeter leur filet à droite. Comme dans la pêche miraculeuse, Jésus donne un conseil surprenant à ces hommes qui connaissent pourtant leur métier, et c’est en se fiant à sa recommandation que le miracle advient. À partir de cette prise considérable, le récit de miracle se métamorphose :

157. L’option d’un ajout est supportée par quasiment tous les exégètes. Voir les arguments dans B. W. BACON, « The Motivation of John 21:15-25 » Journal of Biblical Literature 50, 1931, p. 71-80 (72-73). P. Minear a donné des arguments narratifs qui contredisent cette thèse. En effet, le chapitre pourrait parfaitement entrer dans la composition de Jn car il donne à voir la convergence des deux disciples ayant divergé, annoncée lors du récit de la Cène. On peut toutefois y voir la grande fidélité du rédacteur second au texte qu’il prolonge. P. MINEAR, « The Original Functions of John 21 », Journal of Biblical Literature 102, 1983, p. 85-98.

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CHAPITRE 2

1) Un récit de reconnaissance. Pierre et Jean, nous l’avons vu, y sont opposés. Alors que Jean a la perception immédiate de l’identité de Jésus, marquant par là que l’Église de Jean a une sorte de primauté dans la foi, Pierre se précipite vers le Christ, manifestant à la fois l’impétuosité qu’on lui connaît et sa pleine confiance dans le Christ. Pierre, en effet, ne craint pas de revoir Jésus, même s’il l’a renié : il se sait sans doute pardonné. 2) Une confirmation symbolique de la reconnaissance de Pierre comme chef. Par une sorte de décalage narratif, Pierre disparaît au moment où il se jette dans l’eau et réapparaît sur le rivage. Il se comporte alors comme le véritable patron de la barque : alors que ses collègues avaient du mal à tirer le filet, il le descend sans effort apparent et surtout sans le déchirer. Comment ne pas y voir une allusion à la métaphore de la pêche des hommes ? Pierre a la force nécessaire pour manipuler le filet de l’Église, et l’habileté suffisante à préserver son identité. 3) Un récit eucharistique. Jésus convoque les disciples au repas et du coup réinstaure la communion avec eux. Remarquons que cette communion est pur don : rien ne vient des disciples ; le poisson cuit déjà sur la braise, avec le pain, quand ils s’approchent. Ce repas pris avec le Christ indique la force de la communion ecclésiale : Jésus est présent au milieu de la communauté qui s’assemble. La meilleure preuve en est qu’il ne s’agit pas ici d’un récit de reconnaissance, comme à Emmaüs : les disciples savent parfaitement qu’il est le Seigneur et ne peuvent poser la question « qui es-tu ? ». La suite concerne le seul Pierre : c’est la triple question sur l’amour que porte Pierre à Jésus, la question sur l’avenir du Disciple, et l’injonction finale, « suis-moi » ( Jn 21, 15-22). Le texte est essentiellement une ecclésiologie ; il répond à la question de savoir qui a la légitimité de gouverner l’Église. Pierre se voit non seulement réhabilité, mais par une triple déclaration d’amour à son Seigneur, le voilà investi d’un rôle : « paître les brebis du Seigneur ». L’allusion au discours du bon Pasteur est claire : Pierre devenu le bon pasteur à la place du Christ, garde les brebis d’un autre, alors que le Bon Pasteur avait ses propres brebis. La différence avec Matthieu est grande : l’image des clefs est avant tout une image d’autorité. Au contraire, la métaphore du pasteur inclut surtout une nuance de responsabilité et de devoir. Plus que d’un texte sur la succession, il s’agit d’un texte sur la responsabilité. L’auteur de l’évangile de Jean, ne pouvant dénier à Pierre (et à la communauté qu’il représente à l’époque dont il est impossible de tracer les frontières) son rapport de primauté, fait en sorte de la fonder sur l’amour. Et, en même temps, il ménage une place pour le disciple bien-aimé : celle de rester. La communauté johannique acquiert ainsi son droit de cité ; un droit de témoignage. Pierre ayant accompli son triple acte d’amour peut maintenant accomplir l’acte dont il s’était cru capable prématurément. Il peut enfin « suivre »

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Jésus, c’est-à-dire vivre en vrai disciple, avec le poids de souffrance que le terme implique. Depuis Bultmann, on dit souvent que la déclaration de Jésus à Pierre est un proverbe 158, mais il n’existe aucune attestation de ce proverbe 159. On doit plutôt y lire une allusion au martyre de Pierre 160 qui permet une reconnaissance post-mortem de l’autorité de sa figure par la communauté johannique. II. L ES PREMIER S TÉMOIGNAGE S : L A TR ADITION D ’ UN MART YRE À R OME ET L A SUPPRE SSION DU DIFFÉREND ENTRE P IERRE ET P AUL Après le Nouveau Testament, les premières déclarations concernant Pierre mentionnent son martyre romain, et, de manière plus marginale la suppression du différend entre Pierre et Paul. Plus qu’une véritable réception, il s’agit plutôt de premiers témoignages. A. Les premiers témoignages du martyre Après la réunion de Jérusalem, en effet, le livre des Actes ne parle plus de Pierre. L’apôtre sort de la narration 161, ce qui autorisa certains critiques à prétendre qu’il était mort, sans doute vers les années 44, pendant son emprisonnement 162. D’autres disent que Pierre serait mort de mort naturelle à Jérusalem 163 ou à Antioche164 ou à Rome165 et que les récits de son martyre romain se seraient formés vers les années 100. 158. R. BULTMANN, The Gospel of John, London, Westminster John Knox Press, 1971, p. 713 suivi par B. LINDARS, The Gospel of John (New Century Bible), London, Oliphants, 1972, p. 636 ; E. HAENCHEN, John : A Commentary on the Gospel of John (Hermeneia), vol. 2, trad. R. W. FUNK, Philadelphia (PA), Fortress, 1984, p. 232 et C. K. BARRETT, The Gospel According to St. John, London, Westminster, 21978, p. 585. 159. C. R. BEASLEY-MURRAY, John (Word Biblical Commentary 36), Waco (TX), World Publishing, 1987, p. 408. 160. R. BAUCKHAM, « The Martyrdom of Peter in Early Christian Literature », W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.26.1, Berlin/New York, De Gruyter, 1992, p. 539-595 (546). 161. C. F. NESBITT, « What Did Become of Peter ? », Journal of Bible and Religion 27, 1959, p. 10-16. 162. Il s’agit d’une polémique ancienne, surtout chez les protestants. On peut en trouver une trace en France dans un ouvrage de Louis Taillefer (qui se définit comme « pasteur ») : L. TAILLEFER, Saint Pierre a-t-il jamais été à Rome, Réponse à un défi de M. l’abbé Bisson, Caen/Paris/Genève, Pagny/Delay/Guers, 1845. D. F. ROBINSON, « Where and When Did Peter Die ? », Journal of Biblical Literature 64, 1945, p. 255-276. G. M. DAVIS JR, « Was Peter Buried in Rome ? », Journal of Bible and Religion 20, 1952, p. 167-171. 163. C’est la thèse de l’article provocateur de Michael Goulder : M. D. GOULDER, « Did Peter ever Go to Rome ? », Scottish Journal of Theology 57, 2004, p. 377–396.

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CHAPITRE 2

Pourtant, force est de constater que c’est d’abord par son martyre que l’on parle de Pierre, chez des auteurs anciens qui n’avaient pas d’intérêts particuliers à favoriser l’Église romaine 166. Vu le nombre de témoignages, il semble difficile de contester la force de cette tradition 167, même si le récent livre d’Otto Zwierlein doit nous aider à nuancer certaines prises de position par trop apologétiques 168.

1. Les témoignages anciens (α) Notre source la plus ancienne 169 pourrait être la Première épître de Pierre, datant peut-être des années 80. En 1P 5, 1 on lit que Pierre est μάρτυς τῶν τοῦ Χριστοῦ παθημάτων, dans lequel il faut sans doute lire le terme technique de « témoin dans la souffrance ». 1P 5, 13 porte : Ἀσπάζεται ὑμᾶς ἡ ἐν Βαβυλῶνι συνεκλεκτὴ καὶ Μᾶρκος ὁ υἱός μου, Markus Bockmühl y a répondu : M. BOCKMUEHL, « Peter’s Death in Rome ? Back to Front and Upside Down », Scottish Journal of Theology 60, 2007, p. 1-23. 164. Revue des opinions chez O. CULLMANN, Saint Pierre…, p. 71-77. On retrouve cette opinion chez K. HEUSSI, Die römische Petrustradition in kritischer Sicht, Tübingen, Mohr Siebeck, 1955, et K. ALAND, « Petrus in Rom », Historische Zeitung 183, 1957, p. 497-516. 165. W. M. RAMSAY, The Church in the Roman Empire, London, Houdder and Stoughton, 71893, p. 279-288 ; J. M. MICHAELIS, 1Peter (Word Biblical Commentary 49), Waco (TX), Word Books, 1988, p. lv-lxvii. 166. F. J. FOAKES JACKSON, « Evidence for the Martyrdom of Peter and Paul in Rome », Journal of Biblical Literature 46, 1927, p. 74-78. 167. C’est l’opinion de D. W. O’CONNOR, Peter in Rome. The Literary, Litugical, and Archeological Evidence, New York/London, Columbia University Press, 1969 et de R. BAUCKHAM, « The Martyrdom of Peter in Early Christian Literature », W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.26.1, Berlin/New York, De Gruyter, 1992, p. 539-595. 168. Otto Zwierlein est résolument contre l’hypothèse d’un martyre romain de Pierre : O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom, die literarischen Zeugnisse : mit einer kritischen Edition der Martyrien des Petrus und Paulus auf neuer handschriftlicher Grundlage (Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte 96), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 22010. Il fait suite en cela à Erich Dinkler qu’il cite régulièrement : E. DINKLER, « Die Petrus-Rom-Drage », Theologische Rundschau NF 25, 1959, p. 180-230 et 289-335 et E. DINKLER, « Die Petrus-Rom-Drag. Fortsetzung », Theologische Rundschau NF 27, 1961, p. 38-64. Cependant, comme le remarque James Dunn dans sa revue de l’ouvrage ( James D. G. DUNN, « review of Otto Zwierlein, Petrus in Rom : Die literarischen Zeugnisse », Review of Biblical Literature, 4 oct. 2010 [http ://www.bookreviews.org]), l’auteur veut trop prouver. En particulier, l’une de ses raisons principales pour réfuter la venue de Pierre à Rome est que ce dernier n’y avait rien à y faire. Pêcheur galiléen s’exprimant dans un mauvais grec, il n’avait pas à quitter sa région, selon Zwierlein (p. 42-43). On peut douter de la valeur de tels arguments. Il n’en reste pas moins que ses analyses doivent faire prendre avec plus de prudence les thèses habituellement avancées pour prouver le martyre pétrinien. 169. P. PERKINS, First and Second Peter, James, and Jude (Interpretation Bible Commentaries 1), Westminster, John Knox, 1995, p. 11.

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« Celle [l’Église] qui est élue avec vous à Babylone, vous salue, et Marc, mon fils. » Dans cette salutation, « Pierre », transmet le salut de ce qui semble être sa ville de résidence, Babylone. Sachant qu’une tradition mésopotamienne est fort improbable, beaucoup ont lu en « Babylone », le nom de code pour Rome 170. En effet, Babylone étant, dans la tradition biblique, à la fois le lieu de l’exil (Ps 137 ; Is 43, 14) et le lieu de péché (Is 13 ; Jr 50 – 51, Dn 5, 17-31), elle a souvent été assimilée à Rome dans un judaïsme postérieur, qu’il soit chrétien d’origine juive (Ap 14, 8 ; 17, 5 ; 18, 2) ou rabbinique (Oracles Sibyllins 5, 143.149 ; 2Bar 11, 1 ; 67, 7)171. Si, comme on le dit souvent, l’utilisation de cette désignation cryptique sert à rendre l’authenticité paulinienne plus plausible et l’acceptation de sa parénèse plus certaine 172, c’est bien que la tradition romaine était déjà connue 173. (β) La seconde source est Jn 21, 18-19 que l’on a déjà pris en considération. (γ) Notre source explicite la plus ancienne, qui nous renseigne sur les motifs du martyre de Pierre à Rome, est fournie par Clément de Rome que l’on peut dater d’une période allant de la fin des années 90 à 120-125174. L’auteur opte pour une dénonciation de jalousie : 170. P. H. DAVIDS, The First Epistle of Peter (New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1990, p. 202 ; R. FELDMEIER, The First Letter of Peter : A Commentary on the Greek Text, Waco (TX) Baylor University Press, 2008, p. 41 ; L. GOPPELT, Theologie des Neuen Testaments, vol. 2, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1975, p. 33-35 ; C. H. HUNZINGER, « Babylon als Deckname für Rom und die Datierung des 1. Petrusbriefes », in H. REVENTLOW, Gottes Wort und Gottes Land. Hans-Wilhelm Hertzberg zum 70. Geburtstag am 16. Januar 1965, dargebracht von Kollegen, Freunden und Schülern, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1965, p. 67-77. 171. K. Berger propose une autre interprétation, reliée à l’Exil en notant que Babylone n’est pas toujours évaluée négativement, mais qu’elle représente souvent le milieu de toute la Diaspora (K. BERGER, Formgeschichte des Neuen Testaments, Heidelberg, Quelle & Meyer, 21984, p. 366). Voir également K. ALAND, « Das Verhältnis von Kirche und Staat in der Frühzeit », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.23.1, Berlin/New York, de Gruyter, 1979, p. 60-246 (203). 172. E. RICHARD, Reading 1 Peter, Jude, and 2 Peter : A Literary and Theological Commentary (Reading the New Testament), Macon (GE), Smyth & Helwys, 2000, p. 226. 173. Nous ne sommes pas convaincus par l’argument d’O. Zwierlein qui affirme sans le démontrer que la Babylone en question ne saurait être Rome et que l’appellation est en fait une métaphore de l’exil, ce qui en fait l’équivalent de la Diaspora de Jc 1, 1 (O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom…, p. 7-12). Il faudrait en effet pouvoir démontrer qu’à cette époque Babylone était une métaphore régulière pour l’exil. 174. O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom…, p. 255-330 se fait l’avocat d’une datation tardive en présentant trois séries d’arguments : (α) le fait que cette lettre présente des parentés avec les écrits les plus récents du Nouveau Testament (p. 255-308) ; (β) le fait que les persécutions auxquelles elle fait allusion ne remontent pas avant les années 110-114 (p. 308-315) ; (γ) les allusions qu’elle contient à la prière pour les autorités, l’image du phénix et le thème de l’harmonie du Cosmos présente chez Dion de Pruse nous orientent vers l’époque d’Hadrien.

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CHAPITRE 2

Oui, portons devant nos yeux les saints apôtres : Pierre, victime d’une injuste jalousie, subit non pas une ou deux, mais de nombreuses épreuves, et après avoir ainsi rendu son témoignage, il s’en est allé au séjour de la gloire bien mérité. C’est par suite de la jalousie et de la discorde que Paul a montré quel est le prix de la patience : chargé sept fois de chaînes, exilé, lapidé, il devint héraut au levant et au couchant, et reçut pour prix de sa foi une gloire éclatante. Après avoir enseigné la justice au monde entier, en allant jusqu’aux bornes du couchant, il a rendu son témoignage devant les autorités et c’est ainsi qu’il a quitté ce monde pour gagner le lieu saint, demeurant pour tous un illustre modèle de patience 175.

Le témoignage de Clément est trop elliptique pour que l’on puisse savoir de manière définitive quelles intrigues recouvrent ce terme de « jalousie ». D’autant qu’il s’agit clairement d’une figure rhétorique argumentant à partir de la στάσις 176 (ordre et désordre), dans laquelle on compare l’état idéal de l’Église et l’état de trouble de la communauté de Corinthe. La leçon à tirer est que la jalousie conduit à la mort. Toutefois, on peut remarquer que Pierre n’aurait pas été mentionné s’il n’était pas mort martyr, car il y a un parallèle avec Paul. En outre, comme l’avait rappelé Cullmann, tous les exemples montrent que la jalousie que vise Clément est celle entre frères et sœurs, ce qui laisse penser que le rédacteur vise des jalousies entre chrétiens. (δ) Ignace d’Antioche dans les années 110-120 (ou celui qui écrit sous son nom à une époque plus tardive 177), confirme cette intuition 175. CLÉMENT DE ROME, Épître aux Corinthiens 5. 3, éd. A. JAUBERT (SC 167), 1971, ad loc. Λάβωμεν πρὸ ὀφθαλμῶν ἡμῶν τοὺς ἀγαθοὺς ἀποστόλους· 4. Πέτρον, ὃς διὰ ζῆλον ἄδικον οὐχ ἕνα οὐδὲ δύο, ἀλλὰ πλείονας ὑπήνεγκεν πόνους καὶ οὕτω μαρτυρήσας ἐπορεύθη εἰς τὸν ὀφειλόμενον τόπον τῆς δόξης. 5. Διὰ ζῆλον καὶ ἔριν Παῦλος ὑπομονῆς βραβεῖον ἔδειξεν· 6. ἑπτάκις δεσμὰ φορέσας, φυγαδευθείς, λιθασθείς, κῆρυξ γενόμενος ἔν τε τῇ ἀνατολῇ καὶ ἐν τῇ δύσει τὸ γενναῖον τῆς πίστεως αὐτοῦ κλέος ἔλαβεν· 7. δικαιοσύνην διδάξας ὅλον τὸν κόσμον καὶ ἐπὶ τὸ τέρμα τῆς δύσεως ἐλθὼν καὶ μαρτυρήσας ἐπὶ τῶν ἡγουμένων, οὕτως ἀπηλλάγη τοῦ κόσμου καὶ εἰς τὸν ἅγιον τόπον ἐπορεύθη, ὁπομονῆς γενόμενος μέγιστος ὑπογραμμός. 176. B. E. BOWE, A Church in Crisis : Ecclesiology and Parænesis in Clement of Rome (Harvard Dissertations in Religion 23), Minneapolis (MN), Fortress, 1988, p. 26-31. 177. La contestation de l’authenticité des épîtres ignaciennes a été menée par R. JOLY, Le dossier d’Ignace d’Antioche (Université libre de Bruxelles, Faculté de philosophie et lettres 69), Bruxelles, Université de Bruxelles, 1979. H. Hübner a repris le dossier en maintenant l’authenticité, mais en avançant la date d’écriture (H. HÜBNER, « Thesen zur Echtheit und Datierung der sieben Briefen des Ignatius », Zeitschrift für antikes Christentum 1, 1997, p. 44-72. Les arguments en faveur d’une attribution tardive reposent sur (α) un usage du champ lexical du martyr qui semble tardif ; (β) des allusions au σιγή du valentinisme que l’on peut retrouver en IgnMg 8, 2 ; (γ) la théologie du martyre comme ἀντιψύχος. Voir également W. SCHMITHALS, « Zu Ignatius von Antiochien », Zeitschrift für antikes Christentum 13, 2009, p. 181-203. Pour des arguments en faveur de la datation traditionnelle de 110 : T. D. BARNES, « The Date of Ignatius », Expository Times 120, 2008, p. 119-130.

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lorsqu’il déclare aux Romains, dans un contexte où il envisage son propre martyre : « Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient libres, et moi jusqu’à présent un esclave. Mais si je souffre, je serai un affranchi de Jésus-Christ et je renaîtrai en lui, libre. Maintenant enchaîné, j’apprends à ne rien désirer 178. » Il est également possible de citer un passage de l’Épître aux Smyrniotes 3, 2 : « Et quand il vint à Pierre et à ceux qui étaient avec lui, il leur dit : Prenez, touchez-moi, et voyez que je ne suis pas un démon sans corps. Et aussitôt ils le touchèrent, étroitement unis à sa chair et à son esprit. C’est pour cela qu’ils méprisèrent la mort, et qu’ils furent trouvés supérieurs à la mort. » On peut ici laisser de côté la question de savoir si la citation de Jésus provient plutôt d’une tradition orale que d’une citation du Kerygma Petrou 179 : ce que décrit l’auteur du texte, c’est bien une mort violente dont il fait le modèle pour sa propre mort. (ε) À partir de la fin du IIe siècle, les témoignages sont beaucoup plus concordants et citent régulièrement la ville de Rome : c’est le cas de Denys de Corinthe (même s’il faut être prudent sur ce dernier témoignage que l’on a déjà vu 180), de Tertullien, d’Origène, de Lactance et de Jérôme 181. Tertullien en particulier écrit dans le De Præscriptione 36 : Petrus passioni dominicæ adæquatur, ce qui montre qu’il connaît le mode de martyre de Pierre, la crucifixion 182. Il convient de noter que dès les années 140, le nom de Pierre est connu par le chronographe païen Phlégon de Tralles si on en croit Origène 183, ce qui apporte une confirmation supplémentaire de la tradition romaine.

178. Épître aux Romains 4, 2. 179. E. VON DOBSCHÜTZ, Das Kerygma Petri kritisch untersucht (Texte und Untersuchungen 11.1), Leipzig, Hinrichs, 1893, p. 82-84 est contesté par W. SCHNEEMELCHER, « The Kerygma Petrou », in E. HENNECKE, W. SCHEEMELCHER, R. MCL WILSON (ÉDS.), New Testament Apocrypha, vol. 2, London, Clarck, 1965, p. 97. 180. O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom…, p. 135-139. L’argumentation d’O. Zwierlein doit être relativisée car elle repose sur un argument contestable : le fait que Pierre ne soit jamais venu à Corinthe, ce qui mérite discussion. 181. IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. 3, 3, 2 ; Denys de Corinthe conservé par EUSÈBE, Hist. Eccl. II, 25, 8 ; TERTULLIEN, De Præscr. 1, 32 ; ORIGÈNE, Commentaire sur la Genèse conservé par EUSÈBE, Hist. Eccl. III, 1, 2 ; LACTANCE, De la mort des persécuteurs de l’Église 2 ; JÉRÔME, De Vir. Inl. 1. 182. M. MACCARRONE, « San Pietro in rapporto a Cristo nelle più antiche testimonianze (fine sec. I-metà sec. III) », Studi Romani 15, 1967, p. 397-420 (410-412). 183. ORIGÈNE, Contre Celse II, 14 : « Cependant Phlégon, dans le treizième ou quatorzième livre de ses Chroniques, si je ne me trompe, attribue à Jésus-Christ la connaissance de quelques événements à venir ; et bien que par méprise il mette Pierre au lieu de Jésus, il rend pourtant témoignage à celui qui avait fait la prédiction que les choses étaient arrivées comme il les avait prédites. » M. HENGEL, « Die ersten nichtchristlichen Leser der Evangelien », in M. KRUG et al. (éds.), Beim Wort nehmen – Festschrift für Friedrich Mildenberger zum 75. Geburtstag, Stuttgart, Kohlhammer,

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CHAPITRE 2

2. La première mention d’un lieu de culte Eusèbe de Césarée est le plus disert pour confirmer le décès de Pierre à Rome : Lorsque le pouvoir de Néron était déjà affermi, celui-ci aborda des entreprises impies et s’arma contre la religion même du Dieu de l’univers. […] Ainsi donc, cet homme qui a été proclamé ennemi de Dieu, au premier rang parmi les plus grands, poussa la présomption jusqu’à assassiner les apôtres. On raconte que, sous son règne, Paul eut la tête coupée à Rome même et que semblablement Pierre y fut crucifié et ce récit est confirmé par le nom de Pierre et de Paul qui jusqu’à présent est donné aux cimetières de cette ville. C’est ce qu’a affirmé tout autant un homme ecclésiastique, du nom de Gaïus, qui vivait sous Zéphyrin, évêque des Romains. Discutant par écrit contre Proclus, le chef de la secte cataphrygienne, il dit à propos des lieux où furent déposées les dépouilles sacrées des dits apôtres, ces propres paroles : « Pour moi, je peux montrer les trophées des apôtres. Si tu veux aller au Vatican ou sur la voie d’Ostie, tu trouveras les trophées de ceux qui ont fondé cette Église 184. »

Ces paroles s’inscrivent dans le contexte d’une controverse de légitimité intervenant au IIe siècle entre Proclus, le chef de la secte des Cataphrygiens dont on va parler à propos de Philippe, et Gaïus un Romain qu’Eusèbe nomme ἐκκλησιαστικὸς ἀνήρ, c’est-à-dire « homme appartenant à l’Église » 185. Nos trophées sont meilleurs que vos trophées, affirme Gaïus, qui insiste bien sur le démonstratif : Pierre et Paul sont bien ταύτην ἱδρυσαμένων τὴν ἐκκλησίαν, les fondateurs de cette Église, par opposition à la communauté des Cataphrygiens qu’il ne considère pas comme une Église 186. La différence des localisations et leur précision plaident pour une recevabilité du témoignage 187. Au passage, Gaïus mentionne un premier lieu de culte, un τροπάιον, c’est-à-dire un monument funéraire. On reviendra sur ce témoignage qui pose la question des reliques de l’apôtre. On le voit, pendant les premiers siècles, le martyre de Pierre intéressa des auteurs bien éloignés de l’Église de Rome, qui y lurent un modèle pour le comportement apostolique. Un bon apôtre – et partant un bon chré2004, p. 111–115. Phlégon de Tralles est un affranchi d’Hadrien connu pour ses Olympiades en 6 livres (v. 140). 184. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 25, 1 & 5-8, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 91-92. 185. D. W. O’CONNOR, Peter in Rome. The Literary, Litugical, and Archeological Evidence, New York/London, Columbia University Press, 1969, p. 95-96. 186. W. TABBERNEE, « “Our Trophies are Better than your Trophies” : The Appeal to Tombs and Reliquaries in Montanist-Orthodox Relations », in E. A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica 31, Leuven, Peeters, 1997, p. 206-217. 187. H. LIETZMANN, Petrus und Paulus in Rom, Berlin, De Gruyter, 1915, p. 177.

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tien – est un chrétien qui connaît la souffrance pour le témoignage (sans forcément exiger qu’il verse son sang, car l’attitude face au martyre est des plus complexe 188). Le fait que ce martyre ait eu lieu à Rome ne joue pas de rôle déterminant et ne témoigne pas encore de la volonté de faire de Rome la potentior principalitas de l’Église, un modèle pour l’édification des autres communautés 189. Bien plutôt, c’est la satisfaction de voir le premier des apôtres pénétrer le cœur de l’Empire qui semble jouer un grand rôle. B. La suppression du différend entre Pierre et Paul Il convient de mentionner aussi une lecture marginale de la figure de Pierre qui exprime la répugnance qu’on a eue à voir Pierre et Paul s’opposer 190, d’autant que les adversaires comme Marcion, Porphyre ou l’empereur Julien semblent s’être gaussés de cette rivalité 191. Clément d’Alexandrie, cité par Eusèbe (Hist. Eccl. I, 12, 2) dans un passage qui pourrait être interpolé 192, semble croire que Céphas est différent de Pierre et qu’il fait partie des soixante-dix disciples. L’Épître des Apôtres produit aussi une liste qui contient les noms de Céphas et de Pierre. Cette opinion semble s’être perpétuée en Orient puisque le Chronicon Paschale réalisé sous Héraclius (610-641) distingue entre Pierre et Céphas : Κηφᾶς ὁμώνυμος Πέτρου ᾧ καὶ ἐμαχήσατο Παῦλος κατὰ Ἰουδαϊσμοῦ (PG 92, 521). De même, la liste du Pseudo-Dorothée mentionne Κηφᾶς ὃν ὁ ἀπόστολος Παῦλος ἐν Ἀντιοχείᾳ ἤλεγξεν ὃς καὶ ἐπίσκοπος Κονίας ἐγένετο. Les ménologes byzantins suivent cette tradition. La question fut remise au goût du jour en Occident à la Réforme car l’incident d’Antioche était largement utilisé par Luther pour remettre en cause la primauté de 188. Comme nous en avertit Marie-Françoise Baslez : M.-F. BASLEZ, Les Persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, Fayard, 2007. 189. C’est l’hypothèse d’O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom… (voir en particulier p. 155sqq). 190. K. LAKE, « Simon, Cephas, Peter », Harvard Theological Review 14, 1921, p. 95-97. G. LA PIANA, « Cephas and Peter in the Epistle to the Galatians », Harvard Theological Review 14, 1921, p. 187-193. 191. Tertullien à propos des Marcionites (De Præscri. Hæret. 23, éd. F. REFOULÉ (CCSL 1), 1954) : proponunt ergo ad suggillandum ignorantiam aliquam apostolorum, quod Petrus et qui cum eo reprehensi sunt a Paulo. JÉRÔME, Epistula 112 ad Augustinum, éd. I. HILBERG (CSEL 55), 1918, p. 372 : Porphyrio […] blasphemanti, qui Pauli arguit procacitatem, quod principem Apostolorum Petrum ausus est reprenhendere et arguere in faciem. Cyrille d’Alexandrie, enfin, dit de l’empereur Julien (Contra Julianum 9, PG 76, 1000) : κατασκώπτει δὲ πρὸς τούτοις τῶν ἁγίων ἀποστολόλων ἔκκριτον Πέτρον ὁ γεννάδας καὶ ὑποκριτὴν εἶναί φησι, καὶ ἐληλέγχαι διὰ τοῦ Παύλου, ὥς ποτε μὲν τοῖς Ἑλλήνων ἔθεσι διαζῇν σπουδάζοντα, ποτὲ δὲ τοῖς Ἰουδαίων, ἠννοηκὼς ἐισάπαν τὴν ἔν γε τούτοις εὐτεχνεστάτην οἰκονομίαν. 192. D’autant plus qu’Origène, proche de Clément, identifie clairement Céphas et Pierre (Comm. In Joann. 32, 5).

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Pierre 193 et on vit certains catholiques revenir à l’opinion exprimée par Eusèbe 194. Maurice Goguel, dans les années 1920, reprit cette idée195 ainsi que Donald Riddle 196. La visée était ici différente : il ne s’agissait plus de disculper Pierre de l’accusation de Paul en la reportant sur Céphas, mais de déconstruire la figure de Simon-Pierre. En effet, il y aurait eu un SimonPierre et un Céphas et c’est à Céphas que Jésus serait apparu en premier. Par la suite, les deux furent combinés pour créer une figure héroïque du christianisme et l’assimilation réalisée parfaitement du temps de l’évangile de Jean qui joint Simon, Pierre et Céphas. En 1990, Bart Ehrman reprit à nouveaux frais l’analyse en se focalisant sur l’épître aux Galates197. Paul, dans la même phrase, mentionne Pierre et Képhas, sans dire que l’un est l’autre (Ga 2, 7-8) 198. Contestant l’explication habituelle de Dinkler et Klein – le changement de nom s’expliquerait par le fait que Paul cite un document plus ancien 199 – Ehrman postule l’existence de deux apôtres différents, et seul Céphas ferait partie des στῦλοι de Jérusalem.

193. K. HOLL, « Der Streit zwischen Petrus und Paulus zu Antiochien in seiner Bedeutung für Luthers innere Entwicklung », Zeitschrift für Kirchengeschichte 38, 1919, p. 23-40. 194. A. PIGHE, Hierarchiæ Ecclesiasticæ Assertio, Coloniæ Agrippinæ (Cologne), Bickermann, 1558, p. 129-130 même s’il ne la maintient pas totalement et surtout le jésuite Jean Hardouin : J. HARDOUIN, Commentarius in Novum Testamentum, Amsterdam, Du Sauzet 1741, p. 785-799 (Appendix « Petrus et Joannes vindicati in Cepham a Paulo reprehensum Petrum non esse »). Le texte est analysé par J. M. SCOTT, « A Question of Identity : Is Cephas the Same Person as Peter ? », Journal of Biblical Studies 3, 2003, P. 1-20. A. F. JAMES, Dissertations où il est irréfragablement prouvé que St. Pierre seul décida la question de foi soumise au Concile de Jérusalem, et que Céphas repris par St. Paul à Antioche n’est pas le même que le prince des Apôtres, Paris, Périsse, 21846. 195. M. GOGUEL, La Foi à la résurrection de Jésus dans le christianisme primitif, Paris, 1933, p. 272-275. 196. D. RIDDLE, « The Cephas-Peter Problem, and a Possible Solution », Journal of Biblical Literature 59, 1940, p. 169-180. 197. B. EHRMAN, « Cephas and Peter », Journal of Biblical Literature 109, 1990, p. 463-474. 198. Le fait a gêné les copistes, puisque Céphas a été changé en « Pierre » dans P46, D, F, G, 629, 1175… 199. E. DINKLER, Signum Crucis : Aufsätze zum Neuen Testament und zur christlichen Archäologie, Tübingen, Mohr Siebeck, 1967, p. 279-82 ; G. KLEIN, « Galater 2, 6-9 und die Geschichte der Jerusalemer Urgemeinde », Rekonstruktion und Interpretation : Gesammelte Aufsätze zum Neuen Testament, München, Kaiser, 1969, p. 106-119. Les commentateurs reprennent cette option, en particulier H. D. BETZ, Galatians (Hermeneia), Philadelphia (PA), Fortress, 1979, p. 97 et H. SCHLIER, Der Brief an die Galater (Kritisch-exegetischer Kommentar über das Neue Testament 7), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1965, p. 77 ; U. WILCKENS, « Der Ursprung der Überlieferung der Erscheinungen des Auferstandenen : Zur traditionsgeschichtlichen

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Cette opinion a été critiquée par Dale Allison dans une note très convaincante 200. Il montre en effet que pour des raisons de style, de nombreux auteurs bibliques varient les appellatifs dans la même phrase. Il cite ainsi l’histoire de Joseph et Aseneth (22, 2), Mc 14, 37 ; Lc 22, 31-34, etc. Il montre également que a) l’usage des doubles noms est commun ; b) Jn 1, 42 montre l’assimilation ; c) la proto-apparition à Pierre est confirmée par Lc 24, 34 ; c) la présence d’un Céphas comme « colonne » à Jérusalem ne se trouve nulle part ailleurs ; d) 1Clément parle de Céphas comme de Pierre. Il n’en reste pas moins que les Pères qui n’adhéraient pas à cette dissimilation entre Pierre et Céphas furent très embarrassés. Jean Chrysostome opte pour une explication lénifiante de l’incident d’Antioche. Pierre n’aurait pas été hypocrite, il se serait dissimulé à des fins pédagogiques, pour ne pas heurter la sensibilité des « faibles » 201. Augustin atténue les conséquences de l’événement en expliquant que Pierre accepta avec humilité la correction fraternelle 202.

III. U NE

PREMIÈRE RÉCEP TION SYRIENNE

( I ER - V E SIÈCLE )

Après les évangiles, voici tous les éléments en place pour faire de Pierre un témoin exceptionnel de l’Évangile. Adoptant la technique de leurs prédécesseurs évangéliques, les écrits de la fin du Ier siècle et des II-IIIe siècles se servirent de Pierre pour étayer leurs positions face à l’Église, au monde, et parfois, au christianisme même. Allant plus loin que leurs devanciers, ils ne cherchèrent pas seulement une représentation de l’apôtre conforme à leurs désirs, ils s’autorisèrent de son exemple, de sa prépondérance pour justifier leur théologie et la faire remonter aux temps apostoliques. D’un apôtre qui n’a rien écrit que l’on a conservé, qui n’a pas publié de mémoires, ils produisirent a posteriori lettres, révélations, récits inédits. Deux réceptions se succèdent et se juxtaposent 203 : la première provient de la région d’origine Analyse von 1. Kor. 15, 1-11 », in W. JOEST et W. PANNENBERG (ÉDS.), Dogma und Denkstrukturen, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1963. 200. D. C. ALLISON, « Peter and Cephas : One and the Same », Journal of Biblical Literature 111, 1992, p. 489-495. 201. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie sur l’épître aux Galates II, 4-6. 202. AUGUSTIN, Lettre 82, 22. 203. Pour rédiger cette partie, nous nous sommes fondés sur T. V. SMITH, Petrine Controversies in Early Christianity. Attitudes towards Peter in Christian Writings of the First Two Centuries (Wissenschaftliche Untersuchungen Zum Neuen Testament 2.15), Tübingen, Mohr Siebeck, 1985 ; C. GRAPPE, Images de Pierre aux deux premiers siècles (Études d’histoire et de philosophie religieuses 75), Paris, PUF, 1995 ; F. LAPHAM, Peter : the Myth, the Man and the Writings : A Study of Early Petrine Text and Tradition ( JSNTS 239), London/New York, Sheffield Academic Press, 2003.

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et d’activité historique de Pierre, la région syrienne ; la seconde, un peu plus tardive, provient de la ville qui prétend recueillir et ses restes et son héritage, Rome. La réception syrienne connut deux temps. La première réception insiste plutôt sur la dimension visionnaire de la figure de Pierre construite par la protophanie et la Transfiguration. La seconde réception insiste sur la figure d’« homme du milieu » qui se dégage des Actes : Pierre devient le représentant d’une sorte de « Grande Église » majoritaire. À cette figure réagissent les communautés à la marge en critiquant l’apôtre Pierre. A. Une première réception : un « courant pétrinien » extatique en Syrie (Ier-IIe siècle) Les écrits associés au nom de Pierre parus à une époque ancienne sont plutôt nombreux. On dispose tout d’abord des deux lettres écrites sous son nom et recueillies dans le canon du Nouveau Testament. La première reste assez proche des écrits pauliniens et pourrait remonter aux années 80, la seconde, plus tardive, daterait des années 120. Ensuite, on peut citer la Prédication de Pierre qui date des années 110-120 et qui n’est connue que par fragments issus des Stromates de Clément d’Alexandrie et de quelques allusions d’Origène. L’Apocalypse de Pierre, à distinguer de l’Apocalypse gnostique de Pierre (NHC VII, 3), est rédigée en grec mais conservée en éthiopien et dans quelques fragments grecs ; une allusion laisse penser qu’elle a été composée avant la fin de la révolte de Bar Kochba en 135. Enfin, l’Évangile de Pierre est daté de la deuxième moitié du IIe siècle. Ces écrits forment-ils une tradition homogène ancienne ? Certains affirment qu’il n’existe pas de parenté entre les écrits pétriniens 204. Pourtant, comme la remarque E. Norelli, on peut constater certains traits communs à tous ces textes 205 : 1° la croyance en une mission universelle ; 2° la confrontation parfois polémique avec d’autres tendances du judaïsme ; 3° une activité charismatique très marquée. On reconnaît dans tous ces traits la réception d’un Pierre extatique, premier à voir le Seigneur ressuscité 206. Si une « Église pétrinienne » n’est pas envisageable, ni une « école pétrinienne 207 », on peut envisager l’existence d’une « aire de mission chrétienne dominée par des traditions qu’on rattachait, plus ou moins consciemment, 204. T. V. SMITH, Petrine Controversies…, p. 52sq, 62sq, 208 et R. J. BAUCKHAM, « The Apocalypse of Peter : An Account of Research », ARNW II.25.6, 1988, p. 4712-4750, surtout § IV.9. 205. E. NORELLI, « Situation des apocryphes pétriniens », Apocrypha 2, 1991, p. 31-83. 206. E. NORELLI, « Situation… », p. 80 et, derechef, G. O’COLLINS, « Peter as Witness to Easter », Theological Studies 73, 2012, p. 263-285. 207. J. GNILKA, Petrus und Rom, Freiburg/Basel/Wien, Herder, 2002, p. 198-200.

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à Pierre ». Où la situer ? La réponse la plus probable semble la Syrie occidentale (Antioche) le lieu le plus vivace de mémoire pétrinienne 208 : c’est bien là où les « souvenirs pétriniens » (Ignace d’Antioche, Sérapion d’Antioche, Justin de Néapolis) étaient vivaces 209. Pour autant, avec E. Norelli, une certaine prudence s’impose : il n’est pas nécessaire de rapporter tous les textes considérés à la même aire géographique 210 et parler de la « région syrienne » suffit largement. Ce courant pétrinien semble avoir des racines solides dans la tradition ancienne puisqu’on le retrouve dans la communauté matthéenne, dans laquelle le prophétisme charismatique jouait un rôle fondamental 211 et dans laquelle la figure de Pierre était particulièrement à l’honneur. Comme le propose Eduard Schweizer 212, le mouvement de Matthieu, après 70, a pu migrer vers la Syrie pour former un groupe ascétique et charismatique qui se développa par la suite comme un mouvement monastique. Cette interprétation est supportée par l’existence du 4Esdras qui, tout en manifestant des tendances proches du judaïsme, fait un usage extensif de Matthieu213. Par la suite, on sait que des relations précoces se sont établies entre les Églises égyptiennes et syro-palestiniennes d’origine juive 214. Cette tendance, comme le dit E. Norelli, a pu avoir comme « débouché 215 » le docétisme, en particulier à Antioche. Mais il faut bien se garder de tracer des filiations strictes. Les débats virulents sur l’interprétation à donner à l’Évangile de Pierre pour savoir si ce courant est ou non docète 208. H. KOESTER, « Γνῶμαι διάφοροι. The Origin and Nature of Diversification in the History of Early Christianity », Harvard Theological Review 58, 1965, p. 279-318 (287sq) ; H. KOESTER, Introduction to the New Testament, vol. 2, Philadelphia/ Berlin/New York, De Gruyter, 22000, p. 165. 209. M. BOCKMUEHL, « Syrian Memories of Peter : Ignatius, Justin and Serapion », in P. J. TOMSON et D. LAMBERS-PETRY (éds.), The Image of the Judaeo-Christians in Ancient Jewish and Christian Literature (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 158), Tübingen, Mohr Siebeck, 2003, p. 124-146. Voir également : M. BOCKMUEHL, The Remembered Peter in Ancient Reception and Modern Debate (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 262), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010. 210. E. NORELLI, « Situation… », p. 75. 211. E. SCHWEIZER, Matthäus und seine Gemeinde (Stuttgarter Bibelstudien 71), Stuttgart, KBW, 1974, p. 140-148. E. SCHWEIZER, « Observance of the Law and Charismatic Activity in Matthew », New Testament Studies 16, 1970, p. 213-230. 212. E. SCHWEIZER, « The Matthean Church », New Testament Studies 20, 1974, p. 216. 213. G. N. STANTON, A Gospel for a New People – Studies in Matthew, Endinburg, T&T Clark, 1992, p. 256, référence suggérée par F. LAPHAM, Peter…, p. 223. 214. On trouve une bonne discussion dans G. QUISPEL, « Judaism, Judaic Christianity and Gnosis », in A. H. B. LOGAN et A. J. M. WEDDERBURN (éds.), The New Testament and Gnosis, 1983, FS R. MCL. WILSON, London, T&T Clark, 22004, p. 46-68 et B. A. PEARSON, « Philo, Gnosis and the New Testament », ibid., p. 73-89. 215. Ibid., p. 78.

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doivent nous inciter à la circonspection : c’est un docétisme en cours d’élaboration dans lequel l’intérêt pour la définition de la personne de Jésus conduit à se poser les premières questions sur sa nature céleste qui mèneront aux formulations docètes ultérieures. Ce proto-docétisme pétrinien, qui se lit dans l’Évangile de Pierre est sévèrement condamné par l’auteur qui écrit sous le nom d’Ignace d’Antioche 216 – ce qui explique sa récupération de la figure de Paul, apte, selon lui, à combattre ce mouvement haï 217. On étudiera successivement l’Évangile de Pierre puis l’Apocalypse de Pierre.

1. L’Évangile de Pierre Dans l’Évangile de Pierre (CANT 13) 218, l’apôtre se contente du rôle traditionnel de simple témoin. Ce texte, dont un fragment important fut retrouvé dans une nécropole chrétienne à Akhmîm, l’ancienne Panopolis de la Haute-Égypte, est un manuscrit grec sur parchemin de 34 feuilles réunies sous forme de livre, qui étaient enfermées dans une couverture de cuir noirci. Les critiques l’ont identifié à celui qui était lu, vers l’an 200, dans l’Église de Rhossos en Cilicie, comme l’affirme l’évêque Sérapion d’Antioche, mais peut-être faut-il exercer une certaine prudence face à cette assimilation 219. Le récit est mis dans la bouche de Pierre. Ce choix littéraire permet de répondre avec une plus grande autorité aux deux problèmes traités par le texte : qui avait vu de ses yeux le Christ au moment de sa résurrection et comment comprendre l’attitude des disciples durant la Passion ? La volonté d’exhorter se mêle au plaisir du beau récit : l’Évangile de Pierre est une histoire repensée pour faire un récit édifiant. Après avoir prétendu que cet évangile dépendait des quatre évangiles canoniques 220, on a longtemps voulu voir dans ce texte l’un des tout pre216. J. DENKER, Die theologiegeschichtliche Stellung des Petrusevangeliums. Ein Beitrag zur Fruhgeschichte des Doketismus (Europaische Hochschulschriften 23.36), Bern/Frankfurt am M., P. Lang, 1975, p. 126-130 et 217-220. 217. H. KOESTER, « Γνῶμαι διάφοροι… », p. 287sq. 218. Nous nous servons de la traduction commentée d’E. Junod in ÉAC I, p. 241-254. Autres éditions : L. VAGANAY, L’Évangile de Pierre (Études bibliques 26), Paris, Gabalda, 21930 et plus récemment P. FOSTER, The Gospel of Peter. Introduction, Critical Edition and Commentary (Texts and Editions of New Testament Studies 4), Leiden/Boston, Brill, 2010. L’essentiel de la bibliographie a été traité par S. C. MIMOUNI, Les Fragments évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés ». Recherches et perspectives (Cahiers de la Revue biblique 66), Paris, Gabalda, 2006, p. 63-72. 219. Cette suggestion de prudence nous est donnée par P. FOSTER, « Are there any Early Fragments of the So-Called Gospel of Peter ? », New Testament Studies 52, 2006, p. 1–28. Elle est répétée dans son commentaire : P. FOSTER, The Gospel of Peter…, p. 97-115. 220. T. ZAHN, Das Evangelium des Petrus, Erlangen, Georg Böhme, 1893. Sur la réception de l’évangile, voir P. FOSTER, « The Discovery and Initial Reaction to the So-called Gospel of Peter », in T. J. KRAUS et T. NICKLAS (éds.), Das Evangelium

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miers témoignages chrétiens, peut-être avant les évangiles 221, puisqu’il préserve des traditions sur le motif ancien de la croix qui parle 222. Il semble qu’aujourd’hui il faille faire une synthèse de ces deux opinions. Si le texte ne saurait remonter avant le IIe siècle (Paul Foster 223 propose la fourchette 140-190), il ne peut remonter à une tradition séparée et semble dépendre de la relation occidentale du texte de Luc 224. Il est originaire de Syrie 225. Utilisant un certain nombre d’éléments préexistants comme les titres christologiques 226, il apparaît être une sorte de réécriture destinée à amenuiser certaines difficultés des textes antérieurs 227. Pour autant, la profondeur théologique de ce texte ne doit pas être surévaluée : l’Évangile de Pierre est avant tout un écrit populaire, comme le prouve l’usage de certains hapax comme σταυρίσκειν (au sens de « crucifier ») et σκελοκοπεῖν (« briser les jambes ») 228, assez peu préoccupé de doctrine 229. Quelle figure de Pierre se dégage-t-elle ? nach Petrus : Text, Kontexte, Intertexte (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 158), Berlin, De Gruyter, 2007, p. 9-30. 221. C’est surtout l’hypothèse de Crossan : J. D. CROSSAN, Four Other Gospels, Minneapolis (MN),/Chicago (IL)/New York, Winston Press, 1985, p. 133 qui suit Koester : H. KOESTER, « Apocryphal and Canonical Gospels », Harvard Theological Review 73, 1980, p. 105-130. 222. J. D. CROSSAN, The Cross That Spoke : The Origins of the Passion Narrative, San Francisco (CA), Harper & Row, 1988, p. 248. 223. P. FOSTER, The Gospel of Peter…, p. 172. L’argument en faveur de cette datation est fourni par les déclarations de Sérapion d’Antioche. 224. C’est ce que montre l’édition du P. Oxy. 4009 reconstruit par Dieter Lührman (D. LÜHRMANN, « P. Oxy. 4009 : Ein neues Fragment des Petrusevangeliums ? », Novum Testamentum 35, 1993, p. 390-410) et étudié par Matti Myllykoski : M. MYLLYKOSKI, « The Sinful Woman in the Gospel of Peter : Reconstructing the Enigmatic Other Side of P. Oxy. 4009 », New Testament Studies 55, 2009, p. 104-115 et M. MYLLYKOSKI, « Tears of Repentance or Tears of Gratitude ? P. Oxy. 4009, the Gospel of Peter and the Western Text of Luke 7.45–49 », New Testament Studies 55, 2009, p. 380-389. 225. P. FOSTER, The Gospel of Peter…, p. 173. 226. P. M. HEAD, « On the Christology of the Gospel of Peter », Vigiliæ Christianæ 46, 1992, p. 209-224. Head cite en particulier l’usage extensif de κύριος, qui est tardif, ainsi que celui de σωτήρ. 227. C’est l’hypothèse de T. P. HENDERSON, The Gospel of Peter and Early Christian Apologetics : Rewriting the Story of Jesus’ Death, Burial, and Resurrection (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.301), Tübingen, Mohr Siebeck, 2011. 228. J. KARAVIDOPOULOS, « “Hapax Legomena” et autres mots rares dans l’Évangile apocryphe de Pierre », Apocrypha 8, 1997, p. 225-230. F. WEISSENGRUBER, « Zur Datierung des Petrusevangeliums », in A. FUCHS (éd.), Das Petrusevangelium (Studien zum Neuen Testament und seiner Umwelt 2), Linz, Lit, 1978, p. 119-120. 229. J. VERHEYDEN, « Some Reflections on Determining the Purpose of the “Gospel of Peter” », in T. J. KRAUS et T. NICKLAS (éds.), Das Evangelium nach Petrus…, p. 281-326.

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CHAPITRE 2

1. Une figure de fidélité. – Ses origines ont beau être populaires, sa conception du miracle basique et sa langue pauvre, ce texte affirme de manière forte la conformité du sort du Christ aux prophéties et surtout l’inébranlable foi de Pierre le narrateur, qui avoue être à jamais bouleversé par sa rencontre avec Jésus. Quant à moi, j’étais dans l’affliction avec mes compagnons [après l’ensevelissement de Jésus], et blessés en notre cœur, nous restions cachés, car nous étions recherchés comme des malfaiteurs voulant incendier le Temple. En plus de tout cela, nous jeûnions et nous demeurions assis dans le deuil et les larmes, et ce nuit et jour jusqu’au sabbat 230.

Pierre était bien, pour cette communauté, le premier des témoins. Sa fuite est expliquée : elle n’est pas celle d’un poltron peu soucieux de tomber aux mains des Romains, elle fait figure de retrait dans la prière et les larmes. Cherchant à construire une figure plus héroïque que celle des évangiles, l’apocryphe reprend leurs données pour les adoucir. L’évangile se clôt par une seconde intervention de Pierre : Nous les douze disciples du Seigneur, nous pleurions, nous étions dans le désarroi. Et chacun, consterné par ces événements, rentra chez lui. Moi, Simon Pierre et André mon frère, nous prîmes nos filets et gagnâmes la haute mer… Et Lévi était avec nous, fils d’Alphée, que le Seigneur 231…

Ce passage ne doit pas nous surprendre : il nous indique simplement que les apôtres n’étaient pas encore avertis de la Résurrection et que le texte se poursuivait par une pêche peut-être imitée de celle de la fin de Jn. Il y a donc un décalage entre le narrateur omniscient et Pierre qui s’affirme pourtant comme l’auteur du texte. Ce décalage permet le suspens narratif, tout en affectant l’autorité de Pierre à ce qui est raconté 232. Un petit détail doit être relevé. Pourquoi l’auteur parle-t-il des « Douze » ? Serait-ce parce qu’il ne savait pas quel était le destin de Judas ? Arguant de ce texte, certains commentateurs, suivant W. Cassels au XIXe siècle 233, ont estimé que ce texte provenait d’une tradition différente de celle des évangiles, dans laquelle Judas n’avait pas trahi. Comme le fait remarquer P. Foster 234, cette thèse n’est pas cohérente avec la connaissance que l’auteur montre de l’œuvre de Luc. En outre, on peut faire remarquer que les textes canoniques font de même lorsqu’ils parlent des disciples les 230. Évangile de Pierre, v. 26-27, trad. É. JUNOD, ÉAC I, p. 250-251. 231. Évangile de Pierre, v. 59-60, trad. É. JUNOD, ÉAC I, p. 254. 232. T. NICKLAS, « Erzähler und Charakter zugleich. Zur literarischen Funktion des “Petrus” in dem nach ihm benannten Evangelienfragment », Vigiliæ Christianæ 55, 2001, p. 318-326. 233. W. R. CASSELS, The Gospel according to Peter : A Study by the Author of ‘Supernatural Religion’, London, Longman, 1894, p. 104. 234. P. FOSTER, The Gospel of Peter…, p. 505.

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plus proches de Jésus, même après la résurrection. En Jn 20, 5, Thomas est présenté comme « l’un des Douze », et surtout, plus convaincant, Paul affirme que Jésus est apparu « aux Douze » en 1Co 15, 5. On suivra donc Keener lorsqu’il affirme que les « Douze » demeurent un groupe cohérent, même sans Judas 235. 2. Une figure « judéo-chrétienne ». – La tonalité générale de l’évangile prouve clairement une origine juive qui se remarque à deux indices : (α) le respect de croyances juives comme le jeûne (7, 27), le symbolisme des sept sceaux de la tombe, l’angélologie, les croyances apocalyptiques. (β) En même temps, le texte polémique clairement avec d’autres tendances du judaïsme, comme l’avait déjà remarqué C. H. Turner au début du XXe siècle, qui avait noté que les premiers chapitres ont pour motif dominant l’obsession de faire passer la responsabilité de la Crucifixion des Romains aux Juifs 236. Pilate est lavé de toute faute (11, 46), Jésus est poussé par la foule vers le palais du gouverneur (3, 6) et c’est elle (et non les Romains) qui l’outrage (3, 9). Cette polémique n’est pas du tout incompatible avec l’origine juive du texte : ce que S. Mimouni nomme la « polémique interjuive » se retrouve parfois dans les écrits d’origine juive 237. 3. Une figure qui reconnaît l’altérité radicale 238 du Christ. – À la suite du témoignage Sérapion dans Eusèbe de Césarée, on a souvent prétendu que le texte était utilisé par des docètes. Que peut-on dire de cette thèse ? Trois textes méritent d’être étudiés. (α) EvP 10 « Et ils amenèrent deux malfaiteurs et ils crucifièrent le Seigneur au milieu d’eux. Mais lui se taisait comme s’il n’éprouvait aucune souffrance (αὐτὸς δὲ ἐσιώπα ὡς μηδὲν πόνον ἔχων). » Cette absence de souffrance n’est-elle pas docète ? En réalité, comme l’a montré Head 239, le motif de la constance devant la souffrance se retrouve dans les récits de martyrs comme Polycarpe ou Blandine 240, sans qu’elle implique aucune trace de docétisme. En outre, on peut 235. C. S. KEENER, The Gospel of John. A Commentary, vol. 2, Peabody (MA), Hendrickson, 2003, p. 1208. 236. C. H. TURNER, « The Gospel of Peter », Journal of Theological Studies 14, 1913, p. 161-187 (176). 237. S.-C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien (Patrimoines), Paris, Cerf, 1998, p. 231-255. 238. F. LAPHAM, Peter…, p. 33. 239. P. M. HEAD, « On the Christology of the Gospel of Peter », p. 211-213. 240. Martyre de Polycarpe 7-9. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 1, 56, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, ad loc. : καὶ μετὰ τὰς μάστιγας, μετὰ τὰ θηρία, μετὰ τὸ τήγανον, τοὔσχατον εἰς γυργαθὸν βληθεῖσα ταύρῳ παρεβλήθη, καὶ ἱκανῶς ἀναβληθεῖσα πρὸς τοῦ ζῴου μηδὲ αἴσθησιν ἔτι τῶν συμβαινόντων ἔχουσα διὰ τὴν ἐλπίδα καὶ ἐποχὴν τῶν πεπιστευμένων καὶ ὁμιλίαν πρὸς Χριστόν. « Après les fouets, après les fauves, après le gril, on la mit en dernier lieu dans un filet et on la présenta à un taureau : elle fut assez longtemps projetée par l’animal, mais elle n’éprouvait aucun sentiment de ce qui lui arrivait, grâce à l’espérance, à l’attachement aux biens de la foi et à sa conversation avec le Christ. »

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parfaitement comprendre le αὐτός comme un intensif impliquant une distinction entre les larrons et le Christ : les uns se plaignent et lui non 241. (β) Le cri de la Croix a aussi plaidé pour un certain docétisme : Ἡ δύναμις μου, δύναμις, κατέλειψάς με, « ma puissance, ô puissance, tu m’as abandonné » (EvP 19a), qui fait évidemment allusion à la citation de Mc 15, 34. Pourquoi ce changement de θέος en δύναμις ? Là encore, Head fournit une précieuse réponse : il peut s’agir tout simplement d’une circonlocution pour désigner Dieu lui-même 242. (γ) le dernier passage est plus intéressant, car il décrit la mort en terme d’élévation : « ayant parlé, il fut élevé », καὶ εἰπὼν ἀναλήφθη (EvP 19b). Pour ce dernier passage, Head peine à fournir une interprétation. Certes, on peut faire allusion à l’usage de ce terme chez Philon ou dans le Pasteur d’Hermas (1, 1, 5), mais à chaque fois, le verbe est accompagné d’une expression telle que εἰς τὸν οὐρανόν. On ne peut donc s’empêcher de penser que le texte provient d’un milieu qui insiste largement sur l’altérité de Jésus, sur son exaltation plus que sur son martyre. Cela autorise un certain rapprochement avec la christologie adoptianiste de certains milieux chrétiens d’origine juive, comme les Ébionites. L’Évangile des Ébionites, par exemple, explique comment l’Esprit descend en Jésus, tandis qu’Irénée assure que les Ébionites ont le même enseignement que Cérinthe 243. La remontée en question pourrait être celle de la puissance chère à ce type de gnose 244. On le voit, ce premier texte suggère une première réception de Pierre que l’on place comme modèle de chrétiens d’origine juive aux tendances extatiques très prononcées.

2. L’Apocalypse de Pierre Parmi les autres ouvrages importants pour la compréhension de la figure de Pierre au IIe siècle, il faut mentionner l’Apocalypse de Pierre (CANT 317) conservée en grec et dans une version éthiopienne 245. Le texte se présente 241. J. W. MCCANT, « The Gospel of Peter : Docetism reconsidered », New Testament Studies 30, 1984, p. 258-273 (261). 242. P. M. HEAD, « On the Christology of the Gospel of Peter », p. 214. Head cite en sa faveur l’article de Grundmann dans le Theologisches Worterbuch Zum Neuen Testament et G. H. DALMAN, The Words of Jesus Considered in Light of PostBiblical Jewish Writings and the Aramaic Language, trad. D. M KAY, T&T Clark, Edinburgh, 1902, p. 200sq. 243. ÉPIPHANE, Panarion 30, 13, 7 : « il vit l’Esprit saint, sous la forme d’une colombe, qui descendait et entrait en lui ». IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. I, 26, 2. 244. C’est l’intéressante lecture de Matti Myllykoski : M. MYLLYKOSKI, « Die Kraft des Herrn : Erwägungen zur Christologie des Petrusevangeliums », in T. J. KRAUS et T. NICKLAS (éds.), Das Evangelium nach Petrus…, p. 327-348. 245. Un résumé de la recherche dans R. BAUCKHAM, « The Apocalypse of Peter : An Account of Research », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.6, Berlin/New York, de Gruyter, 1988, p. 4739-4741. Le texte est connu par un fragment grec trouvé à Akhmîm (P. Cair. 10759 = BHG 1487), et deux frag-

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comme une révélation de Jésus à Pierre et aux autres disciples à propos des événements de la fin des temps et du sort final des méchants et des justes. Elle est située dans la période des apparitions de Jésus après sa résurrection et s’achève avec le récit de son ascension au ciel. Le fond et la forme ont beaucoup de points communs avec les apocalypses juives, en particulier celles qui décrivent les peines infligées aux méchants en enfer et la félicité dont jouissent les élus : elle témoigne du passage dans les communautés chrétiennes de ces préoccupations, présentes également dans l’Apocalypse de Paul. Dans les deux premiers chapitres, l’auteur prend soin de distinguer le vrai Messie, Jésus-Christ, dont la venue glorieuse sera précédée sans méprise possible, d’un faux messie, qui livrera à la mort ceux des Juifs qui l’auront suivi. Le texte pourrait viser Bar Kokhba, le « fils de l’étoile » qui mena la révolte des années 132-135, dont on sait qu’il fit exécuter les juifs chrétiens qui ne voulaient pas soutenir sa cause 246. L’un des buts de sa révolte était de reconstruire le Temple ; l’Apocalypse de Pierre s’en fait l’écho. Il est donc probable que ce texte fut écrit en Palestine lors de la révolte pour une communauté chrétienne en situation très difficile : non seulement elle affrontait la persécution et le martyre, mais ses membres se voyaient exclus de la communauté religieuse d’Israël, le peuple de Dieu auquel ils restaient fidèles comme celui de la Promesse de Dieu. Les influences de l’évangile de Matthieu sont claires 247, ce qui évoque un rapport avec l’Église d’Antioche. Les éléments provenant du milieu juif sont nombreux, en particulier l’usage de la loi du talion 248 que l’on voit à l’œuvre dans le chap. 7, ainsi que la présence de traits que l’on retrouve dans la mystique juive ulté-

ments grecs conservés dans des bibliothèques (BHG 1487b), ms Bodleian gr. th. f°4 et P. Rainer. La version la plus complète a été conservée en éthiopien et publiée par S. GRÉBAUT, « Littérature éthiopienne pseudo-Clémentine », Revue de l’Orient Chrétien 15, 1910, p. 198-214.307-323. 246. C’est l’hypothèse de Bauckham : R. BAUCKHAM, « The Apocalypse of Peter. A Jewish Christian Apocalypse from the Time of Bar Kokhba », Apocrypha 5, 1994, p. 7-111. Elle est sérieusement nuancée par Eibert Tigchelaar, qui, sans fondamentalement remettre en cause l’hypothèse des années 140, montre qu’il s’agit d’un thème courant qui pourrait s’appliquer à d’autres mouvements. E. TIGCHELAAR, « Is the Liar Bar Kochba ? Considering the Date and Provenance of the Greek (Ethiopic) Apocalypse of Peter », in J. N. BREMMER et I. CZACHESZ (éds.), The Apocalypse of Peter (Studies on early Christian apocrypha 7), Leuven, Peeters, 2003, p. 63-77. 247. Comme l’avait vu É. MASSAUX, Influence de l’Évangile de saint Matthieu sur la littérature chrétienne avant saint Irenée, Louvain/Gembloux, Publications universitaires de Louvain/Duculot, 1950, p. 248-258. R. BAUCKHAM, « The Two Fig Tree Parables in the Apocalypse of Peter », Journal of Biblical Literature 104, 1985, p. 269-287. 248. D. FIENSY, « Lex Talionis in the “Apocalypse of Peter” », Harvard Theological Review 76, 1983, p. 255-258.

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rieure 249. On a prétendu également que certains aspects de cette apocalypse pourraient avoir trait à l’orphisme et en particulier à la nekyia, ou voyage chez les morts 250, ce qui a pu suggérer que l’eschatologie chrétienne se serait modelée sur des patrons grecs 251. Cette identification pose de nombreux problèmes, qu’avait déjà vus Cumont : non seulement le prétendu « orphisme » est une reconstruction de philologues (voir l’ouvrage de Kern 252) à partir d’extraits de Platon, de Pindare ou d’Empédocle puisque les sources font défaut, mais il est quasiment impossible de savoir de quels modèles l’Apocalypse de Pierre aurait pu s’inspirer 253. En outre, l’étude de Martha Himmelfarb démontre de manière magistrale que le thème de la descente aux Enfers est loin d’être propre à l’hellénisme et se retrouve largement dans le judaïsme. Il s’agit la plupart du temps d’une « visite guidée » (guided tour) sous la conduite d’un ange qui s’opère sous la forme de questions et de réponses ponctuées par des démonstratifs qui ancrent la description de l’Enfer dans un discours (ce que Benveniste aurait appelé « embrayage ») tenu par le guide 254. Ce modèle, bien loin d’être purement hellénistique, doit être recherché dans le Livre des Veilleurs du Premier livre d’Hénoch (1Hén 1 – 36) qui emprunte lui-même à Éz 40 – 48 et peut-être aussi à Za 1 – 8 255. Très populaire, l’Apocalypse de Pierre fut considérée comme canonique jusqu’à la fin du IIe siècle. Elle figure dans la liste des livres en usage dans la ville de Rome (le canon de Muratori) avec toutefois une petite réserve : « Certains des nôtres ne veulent pas qu’elle soit lue dans l’Église. » Clément d’Alexandrie († 215) et Méthode d’Olympe († 311) la citent parmi les Écritures 256. Son attrait provenait sans doute des révélations détaillées qu’elle donnait sur le sort des humains après la mort. Elle fut peu à peu abandonnée en Occident au profit d’un autre écrit apocryphe, l’Apocalypse de Paul et dans l’Orient grec au profit de l’Apocalypse de la Vierge. Ces deux textes décrivent le sort des défunts immédiatement après leur mort, 249. A. MARMORSTEIN, « Jüdische Parallelen zur Petrusapokalypse », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 10, 1909, p. 297-300 ; M. GASTER, « Hebrew Visions of Hell and Paradise », Studies and Texts I, London, Maggs, 1925, p. 124164. 250. A. DIETERICH, Nekyia, Berlin, Teubner, 1893. 251. C’est la thèse de Guthrie : W. K. C. GUTHRIE, Orpheus and Greek Religion, London, Methuen, 1952, p. 216-220. Il compare avec le Phédon 111 de Platon et l’Ode 2 de Pindare. 252. O. KERN, Orphicorum Fragmenta, Berlin, Weidmann, 1922. 253. F. CUMONT, Afterlife in Roman Paganism, New Haven, Yale University, 1922, p. 173-74. 254. M. HIMMELFARB, Tours of Hell. An Apocalyptic Form in Jewish and Christian Literature, Philadelphia (PA), University of Pennsylvania Press, 1983, p. 45-50. 255. M. HIMMELFARB, Tours of Hell…, p. 55-57. 256. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Églogues prophétiques 41 ; MÉTHODE D’OLYMPE, Banquet II, 6.

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alors que l’Apocalypse de Pierre s’intéresse à un thème plus lointain, le Jugement dernier. Sur 13 chapitres, le Christ explique à l’apôtre comment il occupera la position de juge et enverra les damnés en enfer, insistant avec force détails sur la description des châtiments. L’imagerie populaire du Moyen Âge en reprendra une bonne partie dans la sculpture ou l’enluminure. Et la thématique court tout au long de la littérature jusqu’à Dante et au-delà 257. Par-dessus tout, elle influence la liturgie, et en particulier le libera me, qui ressemble à une paraphrase du texte. Pierre, effaré, demande grâce : son recours est accepté car seuls les justes ont le droit de pardonner à ceux dont ils furent victimes et d’obtenir que la sanction qu’exigeait la justice soit levée. De même que le Fils intercède pour son troupeau auprès du Père, Pierre devient intercesseur auprès du Fils pour les hommes. Le Pierre de l’Apocalypse a abandonné une partie des traits biographiques des évangiles, et se pose en interlocuteur unique du Christ (les disciples sont présents, mais en arrière-plan). Deux passages intéressent particulièrement notre enquête. 1. L’avenir de Pierre. – Le premier concerne l’avenir de Pierre : Voilà Pierre, je t’ai révélé et expliqué toutes choses. Va vers la ville qui domine sur l’Occident et bois la coupe que je t’ai promise, des mains du fils de celui qui est dans l’Hadès, afin qu’il commence à disparaître. Quant à toi, tu as été choisi à cause de la promesse que je t’ai faite. Fais donc en paix ma proclamation dans le monde entier 258.

Le passage est corrompu 259 aussi bien en grec qu’en guèze, mais les informations qu’il donne ne laissent pas d’être intéressantes. (α) le martyre romain est corroboré. – Si l’identité de Néron n’est pas claire, la localisation du martyre est évidente. Quelle autre ville que Rome peut dominer sur l’Occident ? Si à l’époque de Bar Kochba, on peut se questionner sur sa domination orientale, la domination occidentale ne fait pas de doute. Ce martyre est expliqué par l’allusion à la coupe de Jn 18, 11. On le retrouve également dans l’Épître des Apôtres 15, ce qui montre qu’il y avait très tôt une tradition du martyre de Pierre lié au motif de la coupe 260. (β) ce martyre a un rôle eschatologique. – Le martyre de Pierre n’est pas seulement avéré : sa compréhension théologique se voit également révélée. En effet, comme le montre l’Apocalypse, la persécution de Néron a été comprise comme la première attaque de l’Antéchrist contre l’Église et le prélude à l’irruption du Jour du Seigneur (Ap 17). L’empereur, qui est 257. 258. 259. 260.

A. LODS, L’Évangile et l’Apocalypse de Pierre, Paris, Leroux, 1893, p. 107. Apocalypse de Pierre 14, 4-6, trad. P. MARASSINI, ÉAC I, p. 771. R. BAUCKHAM, « The Apocalypse of Peter… », p. 97sqq. C. GRAPPE, Images de Pierre…, p. 55.

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décrit comme le fils de « celui qui siège dans l’Hadès 261 » représente parfaitement cet ennemi. Le martyre de Pierre constitue comme le signal de départ de l’œuvre divine qui va faire disparaître sa domination (le texte grec porte ἀφάνεια). Cette remarque traduit bien l’ambiance eschatologique de l’époque : les chrétiens avaient l’impression de vivre les temps derniers et la mort de Pierre justifiait cette impression. (γ) la mission universelle pétrinienne est ratifiée. – Le texte précise également que Pierre doit faire sa « proclamation dans le monde entier ». Puisque Paul n’est pas mentionné, il est peut-être imprudent de voir ici une polémique contre les prétentions des pauliniens. On peut en revanche constater le développement, dans les milieux juifs, spécialement antiochiens, de l’idée d’un évangile universel (cf. Mt 28, 19-20). 2. La reprise de l’épisode de la Transfiguration. – Voici une nouvelle paraphrase de la Transfiguration, qui, comme souvent dans les écrits apocryphes, est beaucoup plus explicative que dans les évangiles canoniques : Mon Seigneur Jésus-Christ, notre roi, me dit : « Allons à la montagne sainte. » Ses disciples vinrent avec lui en priant, et voilà qu’il y eut deux hommes. Nous fûmes incapables de regarder leurs visages, car de chacun d’eux venait une lumière plus resplendissante que le soleil. Leurs vêtements aussi étaient si resplendissants qu’on ne peut les décrire ; rien ne peut les dépasser dans ce monde et il n’est de bouche assez délicate pour raconter leur splendide beauté, tant leur aspect était stupéfiant et merveilleux. Tous deux étaient de grande taille ; leurs visages resplendissaient plus que la neige ; les couleurs de leurs visages et de leurs corps étaient semblables à celle de la rose, leurs chevelures reposaient sur leurs épaules, et ils portaient sur leurs fronts une couronne de nard, entrelacée de belles fleurs, leurs cheveux étaient comme l’arc-en-ciel. Telle était la grâce de leurs visages, parée de toutes sortes d’ornements. Lorsque nous les vîmes, nous restâmes stupéfaits. Je m’approchai du Seigneur Jésus-Christ, et je lui dis : « Qui sont-ils ? » Il me dit : « Ce sont Moïse et Élie. » Je lui dis : « Et Abraham, Isaac, Jacob et les autres justes, nos Pères ? » Il nous montra un grand jardin ouvert, plein d’arbres féconds et de fruits bénis. Il était plein d’arômes parfumés, et son odeur venait jusqu’à nous. À l’intérieur, je vis de nombreux fruits merveilleux. Mon Seigneur et mon Dieu Jésus-Christ me dit : « Tu as vu la foule des Pères : tel est leur repos. » Je me réjouis et je crus. Il dit : « Telle est la gloire et l’honneur de ceux qui ont suivi ma justice. » Je compris ce qui est écrit dans l’Écriture de mon Seigneur Jésus-Christ, et je lui dis : « Mon Seigneur, veux-tu que je fasse ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie ? » II me dit, en colère : « C’est Satan qui combat avec toi 261. Comme le note Bauckham (« The Apocalypse of Peter… », p. 100) cette expression est plutôt « bizarre » (odd). En effet, la localisation du diable dans l’Hadès n’intervient pas avant le IVe siècle ( J. A. MACCULLOCH, The Harrowing of Hell, Edinburgh, T&T Clark, 1930, p. 227-234.345-346, cité par Bauckham). Il s’agit peut-être d’une attestation précoce.

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et qui t’a voilé l’esprit. Les affaires de ce monde l’emportent sur toi. Que tes yeux soient ouverts et que tes oreilles s’ouvrent : il n’y a qu’une tente, non faite de main d’homme, mais qu’a faite mon Père céleste pour moi et pour mes élus. » Nous avons vu et nous nous sommes réjouis. Et voici, une voix vint soudainement du ciel, disant : « Celui-ci est mon fils que j’aime, en qui je me complais. Obéissez-lui 262 ! »

Deux remarques méritent d’être faites ici. (α) même si le passage s’inspire de la transfiguration de Matthieu, il est clair qu’il ne s’agit pas ici de la transfiguration de Jésus, mais seulement de celle de Moïse et Élie, qui possèdent subitement toutes les caractéristiques de la gloire céleste que l’on retrouve dans les écrits intertestamentaires (Apocalypse d’Abraham ou 1Hénoch). Plus que sur la découverte de la divinité de Jésus – qui n’était plus une surprise pour les lecteurs de notre apocalypse –, le texte choisit d’insister sur la destinée des Pères. On peut voir dans cette insistance la volonté de rassurer les Juifs sur leur destin : tous les fils d’Israël (représentés par leurs patriarches) participent à la gloire de Dieu. C’est une sorte de manifeste de christianisme juif. (β) la violence de la réprimande de Jésus envers Pierre peut surprendre. Elle s’explique largement dans le contexte de l’époque. Bar Kokhba, dans ses prétentions messianiques, avait l’intention de reconstruire le Temple. Pierre, en proposant de bâtir une tente (terrestre) s’inscrit dans la même lignée. Seule la tente céleste, le Temple spirituel, a de sens dans la nouvelle économie : le texte porte ici une condamnation implicite des mouvements juifs messianiques. Avec l’Apocalypse de Pierre, la figure de l’apôtre se précise peu à peu. Tandis que sa qualité de visionnaire est largement affirmée, son rôle de martyr se révèle. Sa mort à Rome est relue dans une perspective eschatologique (le début de la venue du Salut). Apôtre universel, il contemple le salut des patriarches d’Israël tout en se défiant de l’agitation messianique des radicaux.

3. Prolongements : le Pierre « héros gnostique » Si nous avons jusqu’à présent soigneusement évité de traiter trop hâtivement de « docète » les écrits précédents afin de tenir compte de la lente transformation de certaines fractions du christianisme d’origine juive vers une certaine forme de gnose, il n’est pas douteux que le terme de cette évolution se trouve dans des écrits clairement dualistes qui, quoique trouvés en Égypte, recueillent les influences syriennes. a . Les Actes de Pierre et des douze apôtres Les Actes de Pierre et des douze apôtres (CANT 207 ; NH VI, 1) sont à mentionner pour mémoire, car ils ne réservent qu’un rôle relativement res262. Apocalypse de Pierre 14, 5 : trad. P. MARRASSINI, ÉAC I, p. 772-773.

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treint à Pierre. Il s’agit d’un écrit sévèrement retouché dont l’origine pourrait être très ancienne : la mention de l’ange Lithargoël, le symbolisme de la perle et différents traits juifs pourraient plaider pour une origine alexandrine d’origine juive vers la fin du Ier siècle. Il pourrait avoir été remanié au IVe siècle dans un milieu ascétique égyptien (il mentionne le fameux λέντιον, le vêtement de corps propres aux apotactites) ou, selon Molinari, au cours de la persécution de Dèce, après une épidémie ; il entretiendrait des parentés avec la gnose valentinienne 263. Ces Actes de Pierre ne permettent guère d’apporter de nouvelles précisions à la figure de Pierre, à l’exception du rôle qu’il joue dans le texte : celui d’être le représentant des disciples. Reprenant le poncif évangélique, il est le leader du groupe, leur représentant 264. En effet, comme l’a montré Mitzi Jane Smith 265, le cœur du texte se trouve dans une parabole sur le modèle du conte de la perle des Actes de Thomas. Le sens de la parabole est clair : c’est par le renoncement aux vêtements du corps (représentation métaphorique d’une pratique ascétique extrême) que l’on peut trouver la perle. Le texte invite donc à une sorte de chasse au trésor dont le prix est le nom de Jésus qui se révèle dans un ⲁⲛⲟⲕ ⲡⲉ, ἐγώ εἰμι sur un modèle matthéen 266. Dans cette quête, les apôtres ne sont que les représentants des lecteurs, un groupe indifférencié. La recherche de l’histoire de la rédaction vient renforcer la présence d’un caractère relativement effacé de Pierre. Si l’hypothèse de Stephen Patterson est correcte 267, la première source du texte pourrait être le récit de la rencontre entre Pierre et Lithargoël (1, 1 – 3, 11 et 5, 5 – 8, 9), qui était à l’origine une discussion sur la légitimité apostolique. Le sens de l’épisode s’est ensuite transformé par l’inclusion dans le récit parabolique : le héros du récit n’est pas Pierre, mais le pauvre à qui il offre la perle. L’importance de Pierre est donc secondaire. Son entrée en scène, dans une rédaction seconde, nous prouve que le milieu à l’origine de ce texte (ou de sa réécriture) considérait l’apôtre comme une figure d’autorité relativement stéréotypée 268. 263. A. L. MOLINARI, The Acts of Peter and the Twelve Apostles (NHC 6.1) : Allegory, Ascent, and Ministry in the Wake of the Decian Persecution, Atlanta (GA), Scholars Press, 2000. 264. J SELL, « Simon Peter’s ‘Confession’ and The Acts of Peter and the Twelve Apostles », Novum Testamentum 21, 1979, p. 344-356 (352). 265. M. J. SMITH, « Understand ye a Parable ! The Acts of Peter and the Twelve Apostles as Parable Narrative », Apocrypha 13, 2002, p. 29-52. 266. J SELL, « Simon Peter’s ‘Confession’ »…, p. 344. 267. S. J. PATTERSON, « Redaction and Tendenz in the “Acts of Peter and the Twelve Apostles” (NH VI, 1) », Vigiliæ Christianæ 45, 1991, p. 1-17. 268. G. ARANDA PÉREZ, « El apóstol Pedro en la literatura gnóstica », Estudios Bíblicos 47, 1989, p. 65-92. Nous nous permettons cependant de nuancer son enthousiasme pour la figure de Pierre, qu’il juge « très importante » dans le texte,

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b. L’Apocalypse gnostique de Pierre Cette apocalypse (CANT 324), à ne pas confondre avec la précédente, retrouvée à Nag Hammadi (NH VII, 3) traduit les préoccupations d’une communauté qui se bat contre un certain laxisme baptismal, contre des adversaires chez qui certains ont reconnu des pauliniens, et contre la mise en place d’une hiérarchie ecclésiastique. Ce dernier détail permet d’ailleurs à Jean-Daniel Dubois 269 de la dater du début du IIIe siècle à Alexandrie. Le texte, d’origine basilidienne, pourrait avoir été écrit en réaction à l’autorité de l’évêque Démétrius (189-231). Si l’hypothèse basilidienne doit être retenue, la mention de Pierre ne peut surprendre : Clément d’Alexandrie (Stromates VII, 106, 4) affirme que Basilide aurait été l’élève d’un certain Glaucias, un disciple de Pierre. Plusieurs indices nous permettent de nous orienter vers l’émergence d’une figure de Pierre qui se modifie peu à peu. 1. Un Pierre plus critique de la Grande Église que véritablement docète. – Dans cette Apocalypse, Pierre est associé à une controverse très forte contre la hiérarchie ecclésiastique : Après qu’il m’eut dit cela, je le vis comme s’ils se saisissaient de lui. Et je dis : « Que vois-je, Seigneur ? T’appartient-il à Toi qu’on te saisisse ? Et Toi qui me retiens ? Et qui est celui qui se réjouit au-dessus du bois (de la croix) et qui sourit ? Quant à l’autre, ils martèlent ses pieds et ses mains ? » Le Sauveur me dit : « Celui que tu vois se réjouir au-dessus du bois et sourire, c’est le vivant Jésus. Mais celui qu’ils percent de clous aux mains et aux pieds, c’est son (corps) charnel, le substitut, alors qu’ils en font un exemple. Celui qui est venu à l’existence, à la ressemblance de celui-là, vois-le avec moi 270 ».

Autant dans l’Évangile de Pierre, l’identification à une doctrine docète pouvait être remise en doute, autant dans cette Apocalypse la formulation paraît plus claire à première vue. Mais l’est-elle vraiment ? On peut se demander s’il faut faire une lecture docète de ce terme de « substitut », en comprenant que l’on a crucifié une apparence, ou bien s’il ne faut pas y voir une critique féroce contre la Grande Église qui reste fixée sur le corps du crucifié (peut-être est-ce une allusion à l’eucharistie ou à l’insistance de certains Pères sur le corps sacrifié du Christ) alors qu’il faut pratiquer une lecture plus spirituelle. allant même à en faire l’une des preuves d’une primacía de Pedro (p. 74) : tel n’est pas le cas, à l’évidence. 269. EG, p. 1146-1147. 270. Apocalypse de Pierre 80, 6-24, EG, p. 1163. Cette origine syrienne est supportée par Henriette Havelaar dans sa présentation de la traduction du texte en allemand : H.-M. SCHENKE et al. (éds.), Nag Hamadi deutsch, vol. 2, Berlin, De Gruyter, 2003, p. 593.

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Ailleurs, il est assez piquant de voir que Pierre, le « premier pape » sert à se battre contre les structures nouvellement mises en place dans certaines communautés. Et il y en aura d’autres parmi eux qui sont en dehors de notre nombre, qui se nomme eux-mêmes « évêques » et aussi « diacres », comme s’ils avaient reçu leur autorité de Dieu. Ils se soumettent au jugement de ceux qui siègent en premier. Ces gens sont des canaux asséchés.

Selon le Pierre revendiqué par ce texte, le Christ lui-même remet en cause la hiérarchie ecclésiastique, ou plutôt remet en cause une certaine forme d’autorité que ne reconnaissent pas les membres de la communauté qui écrit cette Apocalypse 271. 2. Pierre le « vrai gnostique 272 » ? – Si l’on doit être prudent envers le terme de « docétisme », il est certain que le texte fait de Pierre le héros d’une doctrine promouvant une connaissance salvifique, que l’on décrit comme « gnostique » faute de terme plus adéquat (l’ouvrage de Michael Williams nous encourage à une certaine prudence dans l’usage de ce terme 273). En effet, dans l’Apocalypse de Pierre, il fait l’objet d’une glorification très nette qui sert à promouvoir une théologie bien particulière 274. (α) Cette glorification commence par une réinterprétation de l’épisode de la confession : Pierre devient une autorité (ἀρχή) pour toute la communauté. Or toi aussi, Pierre, deviens parfait par ton nom et par moi aussi, celui qui t’ai choisi, car j’ai fait de toi une autorité, – également pour le reste que j’ai appelé à la connaissance 275.

Le texte qui suit est un peu complexe, ce qui rend son interprétation fort difficile. Sois fort donc, jusqu’à ce que l’imitateur de la justice de celui qui t’a appelé auparavant, t’appelle afin que tu le connaisses, selon le mode approprié, relativement à l’écart qui le déchire, à propos des tendons de ses mains et de ses pieds, à propos de la pose de la couronne par les gens de la Médiété, et à propos du corps de son illumination. C’est dans l’espoir d’un service en 271. Apocalypse de Pierre 79, 22-30, trad. J.-D. DUBOIS, EG, p. 1162 272. Some of the Gnostic Peter literature shows that they made considerable efforts to portray Peter as the true Gnostic. P. PERKINS, « Peter in Gnostic Revelation », in G. MCRAE (éd.) Society of Biblical Literature 1974 Seminar Papers, vol. 2, Cambridge (MA), Society of Biblical Literature, 1974, p. 1-13. 273. M. A. WILLIAMS, Rethinking « Gnosticism » : An Argument for Dismantling a Dubious Category, Princeton, Princeton University Press, 1996. 274. K. KOSCHORKE, Die Polemik der Gnostiker gegen das kirchliche Christentum : unter besonderer Berücksichtigung der Nag-Hammadi-Traktate “Apokalypse des Petrus” (NHC VII,3) und “Testimonium Veritatis” (NHC IX,3) (Nag Hammadi and Manichæan Studies 12), Leiden, Brill, 1978, p. 27-36. 275. Apocalypse de Pierre 71, 15-21. EG, p. 1152-1153.

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vue d’un salaire « glorieux » qu’on le prend, au point qu’il en vienne à te réprimander trois fois, cette nuit-là 276.

On peut reconstruire ce que signifie le propos en remarquant que l’« imitateur de la justice » est une expression qui se retrouve ailleurs et qui désigne le Jésus des Évangiles qui meurt sur la croix. Non seulement ce dernier l’a appelé, mais sa Passion (le déchirement, les tendons, la couronne d’épines) va révéler à Pierre la vraie nature de la connaissance. Les récits de Résurrection sont ici bouleversés, le don d’une mission à Pierre par le Ressuscité change de sens : dans la communauté d’origine du texte, c’est en comprenant que le Jésus de chair est une apparence que l’on parvient à la vraie connaissance. Et du coup, le triple reniement change lui aussi radicalement de sens : il est reniement de la nature charnelle, et donc acceptation de la nature spirituelle. (β) Pourtant, Pierre n’est pas totalement prêt, en effet, il a encore charnellement peur devant les apparences : Alors qu’il disait cela, je vis les prêtres et le peuple accourant à nous avec des pierres comme pour nous tuer. Et moi, je fus troublé (à l’idée) que nous allions mourir 277.

La peur que Pierre ressent devant la mort prouve que tout n’est pas acquis. Il lui reste encore des étapes à franchir pour en faire le « gnostique parfait » que prévoit le texte. (γ) Aussi bénéficie-t-il d’un second appel du Sauveur : Puis, il me dit : « Pierre, je t’ai dit maintes fois que ce sont des aveugles qui n’ont pas de guides. Si tu veux connaître leur aveuglement, mets les mains sur les bords de ta tunique et dis ce que tu vois ».

Mais quand je fis cela, je ne vis rien. Je dis : « Il n’y a rien à voir ».

Il me dit à nouveau : « Recommence ». Alors, il se produisit en moi une crainte mêlée de joie, car je vis une lumière nouvelle plus grande que la lumière du jour. Après cela, elle se posa sur le Sauveur, et je lui fis savoir ce que j’avais vu. Puis, il me dit encore : « Lève les mains et écoute ce que disent les prêtres et les gens du peuple ». Et j’écoutai les prêtres se tenant avec les scribes, alors que les gens de la foule s’époumonaient à crier. Quand il entendit cela de ma (bouche), il me dit : « Dresse les oreilles de ta tête et écoute ce qu’ils disent ». Et j’écoutai à nouveau : « Alors que tu es assis, c’est à toi qu’ils rendent gloire ». Et comme je disais cela, le Sauveur dit : « Je t’ai dit : « Ce sont des aveugles et des sourds ». Écoute donc maintenant ce qui t’est dit mystérieusement, et garde-toi de le dire aux enfants de cet éon. Car toi, dans ces éons-ci, on 276. Apocalypse de Pierre 71, 15–72,3. EG, p. 1153-1154. 277. Apocalypse de Pierre 72, 4-9. EG, p. 1154.

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te blasphémera puisqu’ils ne te connaissent pas, alors que par la connaissance, on te rend gloire 278. »

Tout le passage est construit sur une opposition du voir et de l’entendre : ce que l’on voit n’a pas de consistance et lorsque l’on se cache les yeux, on voit la gloire du Seigneur ; les bruits ne se font véritablement entendre que lorsqu’on se bouche les oreilles et qu’on distingue le murmure de louange. Le sectaire, et Pierre son représentant, est invité à voir et à entendre pardelà le réel. Le cheminement de Pierre est donc celui de fidèle. c. La Lettre de Pierre à Philippe Comme l’Apocalypse gnostique de Pierre, la Lettre de Pierre à Philippe (NH VIII, 2 ; CANT 26) semble dater du IIIe siècle et semble provenir de ces milieux très hostiles à la mise en place d’une hiérarchie ecclésiastique. Comme elle, elle donne à Pierre une prééminence autour des autres disciples. Comme elle, enfin, elle fait tenir à Pierre un discours très vif : « Notre luminaire, Jésus [est] de[scendu] et il a été crucifié et il a por[té une] couronne d’épines, et il a re[vêtu] un vêtement de pourpre, et il a été [cloué] sur du bois, et il a été inhumé dans u[ne] tombe, et il s’est ressuscité des m[or]ts. » Mes frères, Jésus est étranger à cette souffrance, mais c’est nous qui avons souffert par la transgression de la Mère. Et ainsi, toute chose, il l’a accomplie semblablement en nous. Car le Seigneur Jésus, le fils de la gloire incommensurable du Père, est l’auteur de notre vie 279.

Il n’est pas besoin de commenter longuement ce passage clairement séthien (comme le prouve la référence à la « Mère »). Il montre l’évolution qu’a connue la figure de Pierre dans le milieu syrien. À l’origine simplement extatique, un peu visionnaire, le courant se réclamant de Pierre – probablement mystique – a lentement évolué vers un docétisme de plus en plus affirmé. B. La « voie moyenne » autour de la figure de Pierre ( IIe-IIIe siècle) Parallèlement à ces courants extatiques, on s’aperçoit que Pierre est sollicité par d’autres mouvements également originaires de Syrie ou d’Alexandrie, qui, eux, se reposent sur des aspects différents de ce que la tradition a conservé de Pierre. Ces mouvements sont concomitants aux précédents et tentent de promouvoir la « voie moyenne » que maintint Pierre en son 278. Apocalypse de Pierre 72, 10–73, 22. 279. Trad. J.-É. MÉNARD, EG, p. 1342.

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temps, celle d’un « ni… ni… » : ni Jacques, ni Paul. Pierre devient le héros des chrétiens du centre.

1. La Prédication de Pierre De la Prédication de Pierre (CANT 208) ou Kerygma Petri, il ne reste que dix fragments conservés chez Clément d’Alexandrie 280 et chez Origène. Elle pourrait remonter aux années 110/120 selon Michel Cambe 281. Son contenu est tellement proche des évangiles qu’on a cru y voir une suite aux Actes des Apôtres ou un complément de l’évangile de Marc 282. On ne sait pas d’où provient le texte et la référence antiochienne semble plutôt improbable puisque les thèmes du logos, de la θεοσέβεια véritable, le recours systématique à l’Écriture, l’intellectualisme rappellent un christianisme alexandrin. Que peuvent nous apprendre les kerygma Petri pour la figure de Pierre ? Le texte, très fragmentaire, ne nous permet pas de reconstituer avec précision quel était l’enseignement que l’on avait placé sous la figure de Pierre, ni comment on le voyait. Trois fragments peuvent cependant nous intéresser : 2 Ne vénérez pas non plus comme les Juifs : car ces gens-là qui s’imaginent être les seuls à connaître Dieu, ne le comprennent pas, 3 rendant un culte aux anges et aux archanges, au mois et à la lune. 4 Et si la lune ne se montre pas, ils ne célèbrent pas le sabbat dit le premier, ils ne célèbrent pas non plus la nouvelle lune, ni l’Azyme, ni la Fête, ni le Grand Jour 283.

On constate que ce texte s’oppose à certaines tendances juives et reprend les accusations traditionnelles – que l’on trouve déjà chez Paul en Ga 4, 8-11 – contre une pratique dominée par des questions calendériques et par l’angélologie 284. Ce caractère polémique se retrouve aussi dans un autre fragment : 280. P. NAUTIN, « Les citations de la “Prédication de Pierre” dans Clément d’Alexandrie, Strom. VI, v, 39-41 », Journal of Theological Studies NS 25, 1974, p. 98-105. Les Kerygma Petri ont été publiés par E. VON DOBSCHÜTZ, Das Kerygma Petri kritisch untersucht (Texte und Untersuchungen 11.1), Leipzig, Hinrichs, 1893. 281. M. CAMBE, « La Prédication de Pierre », Apocrypha 4, 1993, p. 177-195. 282. Options respectivement soutenues par A. HILGENFELD, Novum Testamentum extra canonem receptum IV, Lipsiæ (Lepizig), Weigel, 21884, p. 55. E. VON DOBSCHÜTZ, Das Kerygma Petri kritisch untersucht (Texte und Untersuchungen 11.1), Leipzig, Hinrichs, 1893, p. 68-79. 283. Fragment 4a. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates VI, 5, 41, 1-3, texte dans ÉAC I, p. 16. 284. Voir également Col 2, 6-23 ; Apologie d’Aristide 14, 4 syriaque ; Ép. à Diognète 3, 2-3 ; 4, 5-6 ; ORIGÈNE, Contre Celse 5, 6. Cette question a donné lieu à une littérature extrêmement abondante. L’un des articles fondateurs est celui de Marcel Simon : M. SIMON, « Remarques sur l’angélolâtrie juive au début de l’ère chrétienne », in M. HENGEL (éd.), Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta varia,

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2 Aussi, à votre tour, apprenez avec piété et justice ce que nous vous transmettons et gardez-(le), vénérant Dieu d’une manière nouvelle par le Christ. 3 Nous trouvons en effet dans les Écritures que le Seigneur s’exprime ainsi : 4 « Voici : j’établis pour vous une alliance nouvelle, autre que celle que j’ai établie pour vos pères sur le mont Horeb ». 5 C’est une alliance nouvelle qu’il a établie pour vous, car les (pratiques) des Grecs et des Juifs sont périmées ; 6 c’est vous qui le vénérez d’une manière nouvelle, selon un troisième type, (vous) les chrétiens 285.

Là encore, on s’aperçoit que la polémique contre certaines tendances du judaïsme est assez violente : on utilise la citation de Jr 31, 31-32 pour affirmer l’autorité du culte promu par les Douze. 1 C’est ainsi que dans la Prédication de Pierre, le Seigneur dit à ses disciples après la résurrection : 2 « Je vous ai choisis vous les Douze, vous ayant jugés des disciples dignes de moi 3 – (vous) que le Seigneur a voulus, – et vous ayant regardés comme des apôtres fidèles, 4 je vous envoie dans le monde pour annoncer l’Évangile à tous les hommes qui sont sur la (terre) habitée, afin qu’ils sachent qu’il y a un seul Dieu, par la foi en moi le Christ, et pour leur révéler l’avenir, 5 afin que ceux qui entendront et croiront soient sauvés, et que ceux qui ne croiront pas confessent avoir entendu et n’aient pas l’excuse de dire : « Nous n’avons pas entendu 286. »

Ce dernier fragment reprend l’idée de la mission universelle insérée dans le grand plan de salut voulu par Dieu. Cette mission est centrée sur les Douze (ce qui exclut une influence paulinienne). Ces trois fragments jouent un rôle important pour notre évaluation de la figure de Pierre. Ils nous prouvent que très tôt était attribuée au prince des apôtres une prédication apologétique à la fois non judéenne et non paulinienne 287. Ils nous prouvent également que Pierre était vu comme faisant partie d’une mission universelle confiée aux Douze. Cela permet de renforcer l’idée que la figure de Pierre a très tôt été comprise comme une figure missionnaire qui proposait une pratique originale, troisième voie entre certaines tendances du judaïsme et le paganisme. vol. 2 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 23), Tübingen, Mohr Siebeck 1981, p. 450-464. Voir les remarques de L. T. STÜCKENBRUCK, Angel veneration and Christology : A study in early Judaism and in the Christology of the Apocalypse of John (Quellen Und Forschungen Zur Literatur- Und Kulturgeschichte 70), Tübingen, Mohr Siebeck, 1995, p. 141-146. 285. Fragment 5. CLÉMENT, Stromates VI, 5, 41, 4-6. 286. Fragment 7. CLÉMENT, Stromates VI, 6, 48, 1-2. 287. C’est la conclusion d’Henning Paulsen dans son article fondamental : H. PAULSEN, « Das Kerygma Petri und die urchristliche Apologetik », Zeitschrift zur Kirchengeschichte 88, 1977, p. 1-37 (33-36) réimprimé dans H. PAULSEN, Zur Literatur und Geschichte des frühen Christentums : gesammelte Aufsätze (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 99), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997, p. 173-209 (205-208).

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2. Pierre comme témoin parfait en 2P Pour se faire une idée de la conception que l’on a de Pierre longtemps après sa mort dans les régions hellénisées, il est bon de lire la seconde épître de Pierre. On sait que cette épître, la plus tardive du canon, n’a certainement pas été écrite par le pêcheur de Bethsaïde et daterait du début du IIe siècle apr. J.-C., qu’elle aurait été composée par un chrétien de souche juive sans doute bon helléniste, qui l’aurait produite pour des Églises égyptiennes pour certains, syriennes pour d’autres. Elle nous donne donc un excellent témoignage sur l’image de Pierre que les communautés du IIe siècle conservaient. La Seconde Épître de Pierre reste centrée sur le personnage de l’apôtre et non sur la communauté. Celle-ci, en effet, n’est représentée que par l’appellatif « frères » (2P 1, 10) qui est plutôt banal. On cesse de parler de l’auditoire sitôt qu’on l’a invoqué. Au contraire, la figure de Pierre est présentée avec une grande richesse et amplement mise en scène. La salutation donne le ton : « Syméon Pierre, esclave et apôtre de Jésus Christ ». On remarquera l’archaïsme du nom (« Syméon ») alors que Pierre est censé écrire à des Hellénistes, qu’il se nomme simplement « Pierre » ailleurs et surtout que « Simon », la forme hellénisée, est largement répandue dans les évangiles. La suite, dans une forte tension dramatique, donne l’impression que l’apôtre est au seuil de la mort. Utilisant la métaphore de la tente pour dire la vie terrestre (l’image vient de Paul 1Co 5, 4 et laisse supposer que l’auteur s’inspire des épîtres pauliniennes), il commence : « sachant, comme d’ailleurs notre Seigneur Jésus-Christ me l’a manifesté, que l’abandon de ma tente est proche… » (2P 1, 14). Ce que « Pierre » va dire est une sorte de testament renforcé par une révélation du Seigneur 288. Sa figure pourvue d’un poids historique déjà considérable se charge d’un poids dramatique. Elle en devient d’autant plus pourvoyeuse d’autorité que celui qui parle se dit à l’agonie. Cette autorité se renforce par le rôle de témoin que joue l’apôtre : « Nous avons été faits témoins oculaires de sa grandeur » (2P 1, 16). L’allusion à la Transfiguration est assez transparente, elle vient marquer le témoignage pétrinien du sceau de Dieu. « Pierre » devient ainsi le témoin privilégié, le Témoin par excellence.

288. Richard Bauckham, dans son commentaire (R. J. BAUCKHAM, Jude, 2Peter (Word Biblical Commentary 50), Waco (TX), Word Books, 1983, p. 200-201), essaie de chercher quelle est cette révélation et il propose Jn 13, 36 ; Jn 21, 18 ; Apocalypse de Pierre, Actes de Pierre 35 (le Quo Vadis ?), l’Épître de Clément à Jacques. On pourrait aussi y ajouter 1P 5, 1 qui parle également de martyre (G. H. BOOBYER, « The indebtedness of 2Peter to 1Peter », in A. J. B. HIGGINS (éd.), New Testament Essays : Studies in Memory of T. W. Mason, Manchester, Manchester University Press, 1959, p. 34-53 (44-51). Tout cela montre que la tradition d’une annonce du martyre semble bien établie.

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Cette figure dramatique, ce Pierre aux portes de la mort qui a reçu tant de dons divins, son unique rôle semble de rappeler, de faire souvenir. Le but de l’épître consiste à rafraîchir la mémoire des destinataires. Les termes de réminiscence sont omniprésents : « C’est pourquoi je vous rappellerai toujours ces choses, bien que vous les sachiez et soyez affermis dans la présente vérité. Je crois juste, tant que je suis dans cette tente, de vous tenir en éveil par mes rappels » (2P 1, 12-13), commence-t-il à dire. Il poursuit : « Mais j’emploierai mon zèle à ce qu’en toute occasion, après mon départ, vous puissiez vous remettre ces choses en mémoire. » (2P 1, 15). Un peu plus loin, il recommence : 2P 3, 1-2. – Dans ces deux lettres, je fais appel à vos souvenirs pour stimuler en vous la juste manière de penser ; souvenez-vous des choses prédites par les saints prophètes et du commandement de vos apôtres, celui du Seigneur et Sauveur.

De quoi faut-il se souvenir ? De l’enseignement délivré par le Christ, auquel il faut se consacrer avec la fermeté de la foi. « Ainsi nous tenons plus ferme la parole prophétique » (2P 1, 19), recommande-t-il, avant d’ajouter : « Vous donc, très chers, étant avertis, soyez sur vos gardes, de peur qu’entraînés par l’égarement des criminels, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté. » (2P 3, 17). L’auteur vise des interprétations particulières de l’Écriture, des incompétents qui « torturent » les textes (2P 3, 16). On voit l’intérêt d’impliquer Pierre. Face à l’exégèse des faux docteurs 289, il garantit une herméneutique officielle, d’autant plus prééminente qu’elle a une valeur de legs – et l’on sait que le testament littéraire est un genre qu’affectionnent les périodes incertaines. Voici donc un nouveau rôle pour le Prince des Apôtres : à mi-chemin entre le christianisme palestinien (la tendance de Jacques) et l’ultra-paulinisme, il cautionne une autorité normative médiane. L’apôtre, vivant et contradictoire, se statufie pour couvrir de son autorité un discours officiel.

3. Une première version de la légende romaine : les Actes de Pierre Dans d’autres textes, Pierre gagne encore en prépondérance : l’humble pierre de fondation – sa place n’est-elle pas d’être dissimulée aux regards, enfouie dans la terre ? – devient un « super-apôtre », le grand continuateur du ministère de prédication et de guérison du Maître, avec un penchant certain pour les guérisons miraculeuses. Les rétablissements extraordinaires, déjà présents dans les Actes des Apôtres, se multiplient dans les écrits postérieurs, apocryphes. 289. L’identification de ces faux docteurs est une question complexe qui excède les limites de ce travail. Voir à ce sujet : R. J. BAUCKHAM, Jude, 2Peter…, p. 332sqq et J. H. NEYREY, 2Peter, Jude (Anchor Bible 37C), New York, Doubleday, 1993, p. 122-128.

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Les Actes de Pierre (CANT 190) font partie des grands actes des apôtres en compagnie des Actes de Paul, de Jean, de Thomas et d’André 290. L’origine et la datation restent inconnues (en tout état de cause, vers la fin du IIe siècle, toujours en Syrie ou dans des régions qui en dépendaient comme la Bithynie 291). Il ne s’agit pas d’un simple récit populaire : l’auteur a puisé à des sources multiples qui en font un précieux document pour la connaissance du christianisme du IIe et du IIIe siècle. Prières et exorcismes proviennent de livres liturgiques, les chapitres 7 et 20 contiennent des extraits d’homélies et les spéculations des chapitres 37 à 39 émanent de courants platonisant et « gnostiques » 292. On a longuement déploré le caractère fragmentaire de l’œuvre, mais une étude de Christine Thomas montre la grande proximité de l’œuvre avec plusieurs traditions orales qui fait de ce texte un ouvrage en constant bouleversement, en constante réécriture (ce que Christine Thomas nomme la « fluidité 293 »). La construction se fait par agglutination : de nouveaux caractères apparaissent tandis que les anciens ne disparaissent pas, mais perdent leur consistance narrative. Le passé n’est pas statique, mais doit être redit de nombreuses fois afin de rejoindre l’état actuel des choses 294. Le cas le plus clair est évidemment celui de l’autorité devant laquelle comparaît Pierre : à l’origine, il s’agissait du roi Agrippa, qui devient le consul Agrippa, puis l’empereur Néron, sans aucune considération pour la réalité des personnages historiques 295. La der-

290. Ces Actes ont été préservés en partie par trois sources. De l’original grec subsistent un fragment d’Oxyrhynque, P. Oxy. 6849 (CANT 190.2 = BHG 1482z), un récit du martyre de Pierre (CANT 190.4 = BHG 1483-1485) provenant d’un ménologe (manuscrit 79 du monastère de Vatopédi au mont Athos), un recueil composite (manuscrit 48 du monastère Saint-Jean-le-Théologien de Patmos) et un manuscrit découvert à Ohrid (en Macédoine, bibliothèque municipale 4). Un texte latin datant du VIe-VIIe s. est conservé à la bibliothèque capitulaire de Verceil (Vercelli dans le Piémont) souvent nommé les Actes de Verceil (CANT 190.3 = BHL 6656). On connaît également un fragment copte, La Fille de Pierre et Ptolémée (CANT 190.1). 291. Voir l’introduction de Gérard Poupon dans ÉAC I, p. 1041-1044. 292. G. POUPON, « Les “Actes de Pierre” et leur remaniement », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.6, Berlin, De Gruyter, 1988, p. 4363-4383. 293. C. M. THOMAS, The Acts of Peter, Gospel Literature and the Ancient Novel, Oxford, Oxford University Press, 2003, chap. II et III. Voir également C. M. THOMAS, « Word and Deed : the Actes of Peter and Orality », Apocrypha 3, 1992, p. 125-164 et C. M. THOMAS, « The “Prehistory” of the Acts of Peter », in F. BOVON, A. G. BROCK, C. R. MATTHEWS (ÉDS.), The Apocryphal Acts of the Apostle (Harvard Divinity School Studies), Cambridge (MA), Harvard University Press, 1999, p. 39-62. 294. C. M. THOMAS, The Acts of Peter…, p. 82-86. 295. I. KARASSZON, « Agrippa, King and Prefect », in J. N. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Peter (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 3), Leuven, Peeters, 1998, p. 21-28.

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nière rédaction, les Actes de Verceil tend à rendre le tout plus conforme au christianisme officiel tardif, en particulier en faisant apparaître Paul296. Ces Actes de Pierre sont la première attestation de la légende romaine, que l’on retrouvera ensuite dans la littérature pseudo-clémentine (IIIe-IVe siècle) puis chez les Pères, en particulier Eusèbe de Césarée, Cyrille de Jérusalem, Ambroise de Milan, Philastre de Brescia, Épiphane de Salamine, Sulpice Sévère, Augustin d’Hippone, Théodoret de Cyr 297. 1. Une nouvelle compréhension du miracle et du faiseur de miracles. – Dans ce livre, les miracles prolifèrent : Pierre guérit une aveugle (chap. 20), ressuscite deux jeunes gens, dont le fils d’un sénateur (chap. 27 & 28), expulse les démons (chap. 10-11). Il se livre même à des miracles plus insolites, comme celui de ressusciter un hareng pour fonder sa prédication : Or Pierre, s’étant retourné, aperçu un hareng suspendu à une fenêtre, il le prit et dit au peuple : « Si vous voyez maintenant celui-ci nager comme un poisson, pourrez-vous croire en celui que je prêche ? » Eux répondirent d’une seule voix : « Oui, nous te croirons ». Un bassin de natation se trouvant tout près, il dit alors : « En ton nom, Jésus-Christ, puisque jusqu’à présent on ne te croit pas : devant tous ceux-ci, vis et nage comme un poisson. » Et il jeta le hareng dans la piscine, et il redevint vivant et se mit à nager. […] Voyant cela, un très grand nombre devinrent disciples et crurent en le Seigneur 298.

La principale justification de ces miracles se trouve dans le combat avec le sulfureux Simon le magicien : le bon combat se mène avec les armes de ses adversaires. On a longtemps considéré ce Simon comme un magicien, avec tout le mépris que peut avoir une religion pour la magie. Sa mauvaise réputation provient du passage des Actes où l’on retrouve tous les éléments traditionnels de la dépréciation : voilà un personnage accusé de sorcellerie, mégalomane, qui prétend à la déification, qui est méchant et à qui l’on prédit les foudres divines. Victime de la campagne de diffamation, Simon perd ses contours. Il s’agissait sans doute d’un prophète prêchant la rédemption, d’un visionnaire guérisseur qui rend des oracles et fait des signes, entouré de ses disciples. Une hypothèse récente en fait un prophète samaritain se réclamant de Moïse et entrant en concurrence avec les apôtres qui l’ont accusé de

296. G. POUPON, « Les ‘Actes de Pierre’ et leur remaniement »…, p. 4365. 297. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 13-14 ; CYRILLE DE JÉRUSALEM, Sermons aux Catéchumènes VI, 14, 15 ; AMBROISE DE MILAN, Contre Auxence 13 ; PHILASTRE DE BRESCIA, Livre des diverses hérésies XXI, 1, 5 ; ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion XXI, 1, 5 ; SULPICE SÉVÈRE, Chroniques II, 28, 4–29, 5 ; AUGUSTIN D’HIPPONE, Lettre 36, 9, 21-22 ; THÉODORET DE CYR, Compendium 1. 298. Actes de Pierre, 13, trad. G. POUPON, ÉAC I, p. 1076.

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magie pour le discréditer 299. On sait en effet que, au cours du Ier siècle av. J.-C. s’étaient développées en Judée et en Samarie des doctrines relisant la Genèse et faisant de la création une œuvre imparfaite 300. Ces idées s’étaient sans doute mélangées à d’autres philosophies dans un syncrétisme 301. Peutêtre s’est-il converti, peut-être, excipant des nombreux disciples qu’il avait, a-t-il eu une revendication de pouvoir : le jugeant dangereux, certains chrétiens ont pu se lancer dans une campagne de diffamation – les accusations de gnose que l’on retrouve chez Irénée semblent emprunter à des sources bien postérieures à son existence historique 302 – que l’auteur de Luc-Actes, puis les Pères, puis finalement l’auteur des Actes de Pierre ont recueillie pour faire de Simon un adversaire quasi-démoniaque. Les Pères de l’Église en ont fait le père de toutes les hérésies gnostiques 303. Justin, dans son Apologie, affirme qu’il était originaire de Samarie. Il raconte que, venant à Rome, « il fut considéré comme un dieu et honoré, comme dieu, par les Romains, d’une statue qui se dresse dans une île du Tibre […] Une certaine Hélène, qui l’accompagnait dans toutes ses courses, et qui avait d’abord été une prostituée, est appelée sa Première Pensée [ἐννοία] » ( Justin, Apologie, 26, 2). Ce fameux témoignage de Justin qui pesa si lourd dans la légende noire semble reposer sur une confusion avec Semo Sancus Deus Fidius, un antique dieu sabin des serments 304 dont on a retrouvé les bases des statues dans l’île Tibérine en 1574 et 1879. La première inscription (CIL VI, 567), Semoni Sanco Deo Fidio Sacrum, pouvant être confondue avec Simoni Sancto Deo 305. Irénée de Lyon dans Contre les hérésies (chap. 23) l’appelle « Simon de qui toutes les hérésies ont pris leur existence. » Sur la foi de leurs témoignages, beaucoup de Pères voient en lui l’initiateur de la gnose.

299. C’est l’hypothèse, assez convaincante, de Florent Heintz qui donne toute la bibliographie concernant Simon : F. HEINTZ, Simon « le Magicien » : Actes 8,5-25 et l’accusation de magie contre les prophètes thaumaturges dans l’Antiquité (Cahiers de la Revue biblique 39), Paris, Gabalda, 1997. 300. B. A. PEARSON, « Jewish Haggadic Traditions on the Testimony of Truth from Nag Hammadi (CG IX, 3) », in Ex orbe religionum. Studia Geo Windengren oblata, Leiden, 1972, p. 457-470. 301. B. A. PEARSON, « Jewish Haggadic… », p. 470. J. ROLOFF, Apostelgeschichte…, p. 138. 302. K. BEYSCHLAG, Simon Magus und die christliche Gnosis (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 16), Tübingen, Mohr Siebeck, 1974. 303. JUSTIN DE NÉAPOLIS, Première Apologie 26 ; IRÉNÉE DE Lyon, Adv. Hær. I, 23, 1.4 ; TERTULLIEN, Contre les Païens 13 ; Præscr. 33 ; HIPPOLYTE, Réfutation contre toutes les hérésies VI, 2.15. 304. J. POUCET, « “Semo Sancus Dius Fidius”. Une première mise au point », Recherches de philologie et de linguistique (Université de Louvain. Travaux de la Faculté de Philosophie et Lettres. Section de Philologie Classique 3), Louvain, Bibliothèque de l’Université, 1972, p. 53-68. 305. Sur cette question, voir O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom…, p. 129-132.

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Dans le texte, Simon représente en effet deux choses 306 : 1° la magie ancienne contre laquelle Pierre doit se battre pour montrer que les apôtres n’ont rien de commun avec les accusations de magie qu’on leur faisait ; 2° la figure de l’antichrétien – enrichie par les Pères de l’Église – qui prend à son compte toutes les accusations contre le christianisme que l’on retrouve chez les Pères de l’âge apostolique. La figure de Simon le Magicien connaît une étonnante postérité, car, comme l’avait déjà vu Zahn, Simon influence certainement la figure du Docteur Faust de Marlowe puis de Goethe 307. Un article de Bernard Pouderon prolonge cette histoire de la réception 308. La rencontre se fait à Rome où Simon se fait adorer et prétend voler (chap. 4) ; les chrétiens de la ville, qui avaient versé un temps dans l’apostasie, supplient Pierre de vaincre Simon et, en particulier, de faire entendre raison à Marcellus, un riche et bienfaisant Romain que sa rencontre avec le magicien a rendu odieux. Pour parvenir à Simon, Pierre opère un premier miracle : il libère un chien attaché à la porte de Marcellus et lui donne voix humaine pour appeler les occupants de la maison. Voir son chien métamorphosé en huissier convertit Marcellus qui se jette aux pieds de l’apôtre et se lance dans une palinodie, accusant son erreur (chap. 10). Intervient alors l’épisode d’un jeune homme possédé d’un démon qui se tape la tête contre les murs et que Pierre guérit en lui faisant détruire une statue de l’Empereur ; Marcellus est inquiet : l’Empereur ne va-t-il pas finir par le savoir ? Heureusement, Pierre n’est pas à court de miracles : une aspersion d’eau bénite suffira à recoller les morceaux (chap. 11). Simon, quant à lui, se trouve toujours à l’intérieur et cherche à se débarrasser des indésirables avec une excuse traditionnelle : « Dis à Pierre que je ne suis pas dans la maison », répète-t-il au chien. Mais celui-ci ne veut pas entendre raison et, avec une opiniâtreté toute canine, le menace des ténèbres extérieures et le quitte avec superbe (chap. 12). Marcellus prenant enfin les choses en main se rue dans la maison et fait jeter Simon dehors. Celui-ci fort mal en point se précipite dans la maison où loge Pierre et, fielleux, le défie : « Descends donc, Pierre, et je te prouverai que tu as cru à un simple homme de Judée et au fils d’un artisan. » (chap. 14). Le nourrisson qu’on allaite au pied de la maison n’y tient plus, il se met à parler :

306. T. ADAMIK, « The Image of Simon Magus in the Christian Tradition », in J. N. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Peter (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 3), Leuven, Peeters, 1998, p. 52-64. P. FABIEN, « La conversion de Simon le Magicien (Ac 8, 4-25) », Biblica 91, 2010, p. 210-240. 307. T. ZAHN, Cyprian von Antiochien und die deutsche Faustsage, Erlangen, Deichert, 1882. Voir également B. DAW BROWN, « Marlowe, Faustus, and Simon Magus », Publications of the Modern Language Association of America 54, 1939, p. 82-121. 308. B. POUDERON, « Faust, le Faustbuch et le Faustus pseudo-clémentin, ou la genèse d’un mythe », Revue des études grecques 121, 2008, p. 127-148.

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« Alors qu’un chien t’a démasqué, tu n’as pas eu honte ; moi, qui ne parle pas encore, je suis forcé par Dieu de parler, et même ainsi tu ne rougis pas. Mais, le sabbat qui vient, un autre t’amènera contre ton gré au forum de Jules César pour qu’il soit démontré de quelle espèce tu es. »

Simon s’enfuit… Plusieurs épisodes s’intercalent alors, qu’il serait long de narrer ici : Pierre a une vision du Christ (chap. 16), il raconte comment il dut jadis réparer les escroqueries de Simon (chap. 17), il prêche (ici s’intercalent les homélies et les traditions nouvelles sur la Transfiguration), guérit des aveugles (chap. 21), Marcellus a un songe (chap. 22). La confrontation tellement attendue arrive enfin. Au forum, le débat s’engage : après les arguments théologiques (chap. 23-24), on se bat à coup de miracles. Simon fait mourir un esclave (chap. 25) que Pierre ressuscite (chap. 26), entretemps, il ressuscite le fils d’une veuve (chap. 27). La succession des miracles le prouve à l’évidence : Simon combat avec les armes de la mort, tandis que Pierre possède le ministère de la vie. La vérité éclate d’ailleurs rapidement : Simon ne parvient pas à ressusciter Nicostrate, un sénateur défunt ; par ses artifices, il ne réussit qu’à lui faire bouger la tête. Pierre, au contraire, lui rend la vie. Les Romains, prêts à brûler l’apôtre, le considèrent bientôt comme un dieu. Finalement, Simon et Pierre se rencontrent au Forum où ils s’affrontent dans un duel où l’un fait mourir un esclave que l’autre ressuscite, où l’un rétorque aux discours de l’autre. À court d’arguments, Simon tente de réaliser sa propre ascension et de gagner le lieu divin par la voie des airs, tel un nouvel Icare : Actes de Pierre, 32. – Et voilà qu’il s’éleva dans les airs, tout le monde le voyait de tout Rome, élevé au-dessus de ses temples et de ses collines ; les croyants, eux, détournaient leurs yeux vers Pierre. Et Pierre, à la vue de ce spectacle inouï, cria vers le Seigneur Jésus en disant : « Si tu laisses celui-ci faire ce qu’il a entrepris, alors tous ceux qui ont cru en toi seront scandalisés, et les signes et prodiges que tu leur as accordés par moi ne seront plus dignes de foi. Vite, Seigneur, montre ta grâce : que, tombant des airs, il ressente une extrême faiblesse, qu’il ne meure pas, mais qu’il soit épuisé, et se brise la jambe en trois endroits. » Et, tombant des airs, il se brisa la jambe en trois endroits. Alors on le lapida, puis chacun rentra chez soi, tous désormais ayant foi en Pierre 309.

Comme l’avait remarqué Christian Grappe, la démonstration de la puissance de Pierre s’opère ici à deux niveaux : le premier consiste à se détacher de l’accusation de magie, traditionnelle contre les chrétiens 310, en 309. Trad. G. POUPON, ÉAC I, p. 1104-1105. 310. G. POUPON, « L’Accusation de magie dans les Actes apocryphes », in F. BOVON (éd), Les Actes apocryphes des Apôtres (Publications de la Faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 71-93.

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insistant sur le fait que Pierre opère en public (Actes de Pierre 9) et par la seule invocation de Jésus (Actes de Pierre 27) ; le second est celui de la victoire sur Simon qui se fait « au prix d’une inflation de merveilleux 311. » Cette inflation du merveilleux repose sur une compréhension du miracle qui provoque la foi, guide les lapsi vers la vraie doctrine, conforte les vrais croyants dans leurs certitudes en représentant l’intervention de Dieu sur terre comme sa manifestation 312. Par rapport aux évangiles, on assiste à la dégradation de la compréhension du miracle. Loin d’être un signe théologique permettant de saisir une réalité divine, il devient une monstruosité biologique. En outre, contrairement aux miracles de Jésus, qui ne convertissent pas tous, les miracles pétriniens sont faits pour la conversion. Le miracle, autrefois porte d’accès vers le mystère de Dieu qu’il était toujours possible de ne pas prendre, devient un instrument de propagande, un bouleversement de l’ordre du monde qui s’impose à la foi, quitte à violer les consciences. Il devient l’instrument de diffusion quasi unique de la foi 313. Pierre, recevant les messages de Jésus et devenant en quelque sorte son vicaire sur la terre, est bien vite compris comme le garant des messages du Christ, puis comme l’instance suprême de la doctrine chrétienne. Homme puissant en actes, Pierre se pose en exorciste parfait qui reprend le schéma traditionnel présent dans les papyrus magiques (voir par exemple PGM IV, 13, 242) : le démon commence par parler, puis il doit donner son nom ou décrire ses mauvaises actions pour finalement marquer son départ par un acte de violence physique 314. Il s’identifie de plus en plus au Christ – certains parlent parfois de theios anèr 315 mais le livre de Du Toit 316 doit nous rendre prudent face à cette assimilation (voir nos remarques dans la 311. C. GRAPPE, Images de Pierre aux deux premiers siècles (Études d’Histoire et de Philosophie religieuses 75), Paris, PUF, 1995, p. 40. 312. M. MISSET-VAN DE WEG, « “For the Lord Always takes Care of His own”. The Purpose of the Wondrous Works and Deeds in the Acts of Peter », in J. N. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Peter (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 3), Leuven, Peeters, 1998, p. 97-110. 313. P. J. ACHTMEIER, « Jesus and the Disciples as Miracle Workers in the Apocryphal New Testament », in E. SCHÜSSLER FIORENZA (éd.), Aspects of Religious Propaganda in Judaism and Early Christianism (University of Notre Dame Center of the Study of Judaism and Christianism in Antiquity 2), Notre Dame/London, University of Notre Dame Press, 1976, p. 149-186 (170-171). Même conclusion de M. MISSET-VAN DE WEG, « “For the Lord always takes Care of His own”… 314. C. BONNER, « The Technique of Exorcism », Harvard Theological Review 36, 1943, p. 39-49. 315. P. HERCZEG, « Theios Aner Traits in the Apocryphal Acts of Peter », in J. N. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Peter (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 3), Leuven, Peeters, 1998, p. 29-38. 316. D. S. DU TOIT, Theios Anthropos (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.91), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997.

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conclusion). En tout cas, il s’affirme toujours davantage comme le champion chrétien. 2. Le martyre de Pierre. – Le martyre de Pierre, qui n’est présent que dans les Acta Vercellensis fonctionne comme une histoire dans l’histoire. Il présente toutes les caractéristiques des actes classiques, en particulier dans la mise en place du schéma romanesque triangulaire. Le vieux schéma trin (le mari, la femme, l’amant) se retrouve ici transposé entre Albinus, l’ami de César, le mari, Xanthippe, sa femme, et dans le rôle de celui qu’on prend pour l’amant, Pierre, l’apôtre qui prêche une continence mal interprétée. Une petite modification intervient puisque le mari se fait aider d’un adjuvant, Agrippa, qui lui aussi se plaint d’avoir été séparé de ses concubines par Pierre (AcP 34). Pierre montre ici un goût prononcé pour l’ascétisme : la chasteté et la continence sexuelle paraissent constituer un prérequis pour le salut. 3. L’Imitatio Christi dans la mort. – Pierre n’imite pas seulement Jésus dans ses miracles, il l’imite également dans sa mort. Les Actes de Pierre racontent comment il succombe à un complot. Certes, il ne s’agit pas de la grande machination politique ourdie par le Grand Prêtre des évangiles : Pierre est accusé par Albinus, un ami de l’Empereur, qui lui reproche d’avoir détourné de lui sa femme Xanthippe (Actes de Pierre 34). Il meurt toutefois de la même façon que son maître, sur la croix, en ayant bien soin de se faire supplicier la tête en bas (Actes de Pierre 37-39). L’explication qu’il donne est particulièrement obscure : « Le premier homme dont je représente la race, étant retenu la tête en bas, montra une créature qui n’existait pas autrefois ; en fait celle-ci était morte, n’ayant pas de mouvement. Celui-là donc, attiré vers le bas et ayant projeté son propre chef vers la terre, disposa toute cette figure de l’ordre du monde dans lequel, il indiqua comme étant de gauche ce qui est à droite, et de droite ce qui est à gauche, et il inversa tous les signes de sa nature, de sorte qu’il jugea bien ce qui ne l’était pas, et bon ce qui était en réalité mauvais 317. »

Il faut avouer que le sens de cette explication échappe à la lecture moderne. Sans doute faut-il y lire le reflet de croyances et de catéchèses qui traversaient alors les communautés. L’explication symbolique de János Bolyki est finalement la plus satisfaisante : la croix à l’envers représente un renversement de l’ordre social, une représentation graphique du bouleversement que constitue le christianisme 318. 317. Actes de Pierre 38. ÉAC I, p. 1111, trad. légèrement retouchée. 318. J. BOLYKI, « “Head Downwards” : The Cross of Peter in the Lights of the Apocryphal Acts, of the New Testament, and of the Society-transforming Claim of Early Christianity », in J. N. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Peter (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 3), Leuven, Peeters, 1998, p. 111-122.

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Comme Jésus, Pierre est mis au tombeau par un autre Joseph d’Arimathie, Marcellus, qui, à l’instar des Saintes Femmes, l’embaume de cent livres de substance odorante. S’il ne ressuscite pas le troisième jour, il gratifie toutefois Marcellus d’une apparition pour le blâmer de s’être occupé de son ensevelissement. Pierre apparaissant de nuit à Marcellus, lui dit : « N’as-tu pas entendu le Seigneur dire : ‘laissez les morts ensevelir leurs morts’?» Et Marcellus ayant répondu « si », Pierre lui dit : « Tout ce que tu as consacré au mort, tu l’as donc perdu. Car toi qui es vivant, comme un mort tu t’es occupé d’un mort 319. »

Pierre apparaît ensuite à Néron, pour lui commander de ne pas persécuter les chrétiens (il partage avec Paul, dans les Actes de Paul 14, 6 ce privilège de l’apparition à l’empereur sanguinaire). Si cette tendance à l’apparition nous semble familière, après des siècles de christianisme qui les virent se multiplier, il faut remarquer que dans l’Ancien Testament seul Dieu apparaît, ou bien son ange. L’apparition de Pierre est donc un signe fort, la marque de son appartenance à la divinité : une fois encore se constate le transfert de marque de la divinité du Christ à son apôtre. Il apparaît également à Marcellus. Et le discours qu’il tient à son disciple a une singulière orientation. Glosant sur Mt 8, 22 (Lc 9, 60), il paraît condamner le culte des reliques : cela ne manque pas de piquant, quand on sait l’usage extensif que l’Église de Rome fera de sa possession des augustes restes du Prince des Apôtres. 4. Le Quo Vadis ?, un épisode célèbre 320. – Il convient de faire un arrêt sur une tradition particulière, celle du Quo Vadis ? Cette tradition est connue à cause d’un roman d’Henry Sienkiewicz, Quo Vadis 321, qui connut un succès considérable, mais l’épisode est célèbre dans tout l’Occident à partir de la fin du IVe siècle. En effet, on la retrouve dans de nombreux apocryphes : dans les Actes de Pierre du Pseudo-Linus (CANT 191 = BHL 655), la collection du Pseudo-Abdias (CANT 195 = BHL 6663-6664), dans une collection éthiopienne du XIIIe siècle, dans la Lettre 21 de Saint Ambroise, et dans un remaniement latin de Flavius Josephe attribué à Hégésippe (CANT 192 = BHL 6648) mais qui remonte probablement au 319. Actes de Pierre 40. ÉAC I, p. 1113-1114. 320. Pour une étude, voir M. STAROWIEYSKI, « L’épisode Quo Vadis ? (Acta Petri, Martyrium, 6) », Humanitas 50, 1998, p. 257-262. 321. Le roman parut en feuilleton en 1895 dans la Gazeta Polska et fut publié en France par la Revue blanche en 1900 dans une traduction de B. Kozakiewicz et J.-L. de Janasz. Une seconde édition parut en 1904 chez Flamarion, traduite par Ely Halpérine-Kaminski. Pour une étude du succès de cette œuvre : M. KOSKO, La fortune de « Quo Vadis ? » de Sienkiewicz en France, Paris, Champion, 1935 ; K. JOUCAVIEL, Quo vadis ? : contexte historique, littéraire et artistique de l’œuvre de Henryk Sienkiewicz (Interlangues), Toulouse, Presses Univ. du Mirail, 2005.

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siècle 322. La transmission de cet épisode est complexe, comme le montre Gérard Poupon dans sa présentation des Actes de Pierre et Christine M. Thomas, dans sa thèse 323. L’origine de l’épisode sert peut-être à mettre en scène un logion préexistant que l’on retrouve dans les Actes de Paul, dans le papyrus de Heidelberg 324 : ἄνωθειν μέλλω σταυροῦσθαι, « je vais être de nouveau crucifié », dit le Christ à Paul. IVe

Comme ils y réfléchissaient, Xanthippe, apprenant la discussion de son mari avec Agrippa, envoya en informer Pierre pour qu’il sortît de Rome. Et tous les frères, ainsi que Marcellus, le pressaient de sortir. Mais Pierre leur dit : « Serais-je donc un fuyard mes frères ? » Eux lui disaient : « Non, mais c’est 322. Cet ouvrage, attribué à Hégésippe peut-être au prix d’une confusion avec Josèphe, a longtemps été considéré comme une traduction latine faite par Ambroise du De Bello Iudaico. En réalité, comme le montre Albert Bell Jr (A. A. BELL JR, « Josephus and Pseudo-Hegesippus », in L. H. FELDMAN et G. HATA (ÉDS.), Josephus, Judaism and Christianity, Detroit (MI), Wayne State University Press, 1987, p. 349362) non seulement l’attribution ambrosienne doit être reconsidérée, mais le statut du texte doit être revu. Il s’agit d’une œuvre complexe, qui paraphrase souvent Flavius Josèphe, mais peut aussi le résumer et le commenter, voire ajouter des éléments de son propre fonds. C’est le cas du chapitre 2 du livre III, dans lequel l’auteur insère un résumé du combat de Pierre contre Simon suivi du Quo Vadis. Nous ne résistons pas au plaisir de citer l’ancienne traduction du XVIe siècle ( J. MILLET DE SAINTAMOUR, Les Cinq Livres de l’histoire d’Egesippe, contenans plusieurs guerres des Iuifs & la ruine de Hierusalem mis en François par I. Millet de Saint-Amour, Paris, chez Guillaume Cavellat à l’enseigne de la poulle [sic] grasse, devant le college de Cambrai, 1556, p. 130-131 ; nous modernisons l’orthographe) : « Les larmes de ceux qui le priaient ne les abandonner en ce point et ne les laisser agités comme un navire des ondes au milieu de la mer irritée des vents, de ceux qui tenaient le parti des Gentils, eurent tant de pouvoir, qu’il leur promit s’absenter de Rome, comme il fit la nuit étant venue, après avoir présenté son oraison à Dieu et pris congé de tous les frères. Finalement étant arrivé auprès de la porte, prêt à sortir de la ville, il rencontra Jésus Christ, auquel (après l’avoir adoré) il dit de telles paroles : “Seigneur, où allez vous à cette heure ?”. À quoi il fit réponse qu’il venait à Rome pour derechef être crucifié. Adonc, Pierre entendit bien que son Seigneur parlait de la mort de lui, à raison qu’il semblerait que sa divine majesté y endurerait tourments, ainsi qu’elle fait en celle, et au supplice d’un chacun de nous, étant homme vertueux : non qu’il sente douleur en son corps, mais par une compassion et sympathie indicible qu’il a avec nous comme siens, ou parce que quand nous endurons pour son nom, sa gloire se publie et manifeste de plus en plus. Pierre donc, reprenant la voie qu’il était venu, retourna en la cité, ou incontinent après, il fut pris et livré entre les mains de ses haineux, lesquels le condamnèrent à mourir en une croix, à laquelle il pria la justice lui faire cette grâce et faveur qu’il fut attaché les pieds contre-mont, s’estimant indigne d’être crucifié en la même sorte que son maître, vrai et unique fils de Dieu. » Le texte a été édité par V. USSANI (éd.), Hegesippus Historiæ libri V (CSEL 66), Wien, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1932. 323. C. M. THOMAS, The Acts of Peter, Gospel Literature and the Ancient Novel…, p. 37-39. 324. C. SCHMIDT, Acta Pauli. Aus der Heidelberger koptischen Papyrushandschrift Nr. 1, Leipzig, Hinrichs, 1905.

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que tu peux encore servir le Seigneur ». Obéissant alors aux frères, il sortit seul, en disant : « Qu’aucun de vous ne sorte avec moi, je sortirai seul, après avoir changé ma tenue ». Mais comme il franchissait la porte de la Ville, il vit le Seigneur entrer dans Rome. Et le voyant, il dit : « Seigneur, où vas-tu ainsi ? » Et le Seigneur lui dit : « J’entre dans Rome pour y être crucifié ». Et Pierre lui dit : « Seigneur, seras-tu de nouveau crucifié ? » Il lui dit : « Oui, Pierre, je serai de nouveau crucifié », et Pierre entra en lui-même en voyant le Seigneur remonter au ciel : il retourna à Rome, se réjouissant et glorifiant le Seigneur de ce qu’il avait dit : « Je serai de nouveau crucifié » ; ce qui devait arriver à Pierre 325.

La scène commence par une reprise de son rôle de témoin un peu lâche. Pierre, pressé par ses camarades, quitte la ville. L’épisode du Quo Vadis ? (Κύριε ποῦ ὧδε;) – qu’il faut peut-être lire comme un Quare venis ? selon la leçon d’un manuscrit d’Ohrid 326 publié en 2008 – prend place alors. Quel est son sens ? (α) Manifestement, il s’agit d’une réécriture de la trahison de Pierre et de l’épisode du Fils prodigue puisque Pierre « rentre en lui-même » (ἐλθὼν εἰς ἑαυτόν) comme en Lc 15, 17 le fils l’a fait 327 : il s’agit donc d’une sorte de scène de conversion qui reprend les scènes du relèvement de Pierre. On peut se demander si la scène n’est pas une sorte de réponse théologique à l’Épître aux Hébreux qui exprime un rejet pour les lapsi. Hébreux déclarait en effet que l’on ne saurait recrucifier le Fils de Dieu (« il est impossible qu’ils trouvent une seconde fois le renouveau, en remettant sur la croix le Fils de Dieu pour leur conversion [ἀνασταυροῦντας ἑαυτοῖς τὸν υἱὸν τοῦ θεοῦ] et en l’exposant aux injures », He 6, 6) et le Quo Vadis ? laisse entrevoir cette possibilité. La crucifixion change de sens : Dieu n’est plus recrucifié par ceux qui tombent, il continue à être crucifié quand ceux qui sont relevés sont crucifiés 328. (β) En même temps, on tient là l’une des racines de la théologie du martyre. Le Quo Vadis ? ne dit pas que Jésus sera crucifié si Pierre n’y va pas, mais plutôt que Jésus est crucifié de nouveau dans le crucifiement de Pierre 329 : la passion des martyrs est le prolongement de celle du Christ d’une part, et, d’autre part, le Christ souffre de nouveau, par compassion ou bienveillance, en s’associant 325. Martyre de Pierre 35. Trad. G. POUPON, ÉAC I, p. 1108. 326. Il s’agit de l’Ochridensis bibl. mun. 44 du IXe siècle. Otto Zwierlein (O. ZWIERLEIN, Petrus in Rom…, p. 408-409) retient, au lieu de la leçon ποῦ ὧδε traditionnelle, un τί ὧδε, « pourquoi viens-tu ici ? ». 327. F. BOVON, L’Œuvre de Luc. Études d’exégèse et de théologie, Genève, Labor et Fides, p. 130, n. 27. 328. Ce rapprochement avec Hébreux nous a été suggéré par Resch qui considère ἄνωθειν μέλλω σταυροῦσθαι comme un agrapha inspiré par He : A. RESCH, Agrapha : außerkanonische Evangelienfragmente gesammelt und untersucht (Texte und Untersuchungen 15.3/4), Hinrichs, Leipzig, 21906, p. 27. 329. M. MACCARRONE, « San Pietro in rapporto a Cristo nelle più antiche testimonianze (fine sec. I-metà sec. III) », Studi Romani 15, 1967, p. 397-420 (408-409).

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à la souffrance de ses martyrs. (γ) Enfin, cet épisode est bien à la gloire de Rome, cette ville que le Christ choisit lui-même pour être le lieu du martyre de son apôtre 330.

4. Une seconde version de la légende romaine : le Roman pseudoclémentin Le Roman pseudo-clémentin, composé de deux œuvres, les Reconnaissances en latin (CANT 209.5 = BHL 6644-6655) et les Homélies en grec (CANT 209.4 = BHG 322-341) donne une place toute particulière à Pierre. Cet écrit enchâsse des éléments doctrinaux peut-être d’origine ébionite (les kerygmata Petrou) aux côtés de traditions sur Pierre (l’Itinéraire de Pierre) dans un roman juif hellénisé ou dans un roman païen judaïsé, selon les hypothèses rédactionnelles 331. Les deux formes du texte pourraient remonter à un « écrit commun » rédigé dans la région syrienne après 222. Il est ici impossible de rendre compte de la vaste littérature qui étudie cette œuvre importante 332. On se contentera de quelques remarques sur l’usage des personnages 333. 1. La reconnaissance comme conversion. – Le ressort romanesque du livre est une série de reconnaissances. La reconnaissance est le contraire de la 330. M. STAROWIESKI, « L’épisode Quo Vadis ? », in B. JANSSENS, et al., Philomathestatos. Studies in Greek Patristic and Byzantine Texts Presented to Jacques Noret for his 65th Birthday (Orientalia Lovaniensia Analecta 137), Leuven, Peeters, 2004 p. 591-602. 331. Nous reprenons sans réserve les hypothèses de Bernard Pouderon : B. POUDERON, « Aux origines du Roman clémentin. Prototype païen, refonte judéohellénistique, remaniement chrétien », in S. C. MIMOUNI (éd.), Le Judéo-christianisme dans tous ses états (Lectio Divina hors série), Actes du colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, Paris, Cerf, 2001, p. 231-256. Pour un status quæstionis, P. GEOLTRAIN, « Le Roman pseudo-clémentin depuis les recherches d’Oscar Cullmann », in S. C. MIMOUNI (éd.), Le Judéo-christianisme…, p. 31-38 et de F. MANNS, « Les Pseudoclémentines (Homélies et Reconnaissances), état de la question », Liber Anuus 53, 2003, p. 157-184. Pour les liens avec le roman grec classique : W. HEINTZE, Der Klemensroman und seine griechischen Quellen (Text und Untersuchungen 40, 3.10.2), Leipzig, Hinrich, 1914, p. 130-138. L’étude de Cullmann a connu une grande importance : O. CULLMANN, Le Problème littéraire et historique du roman PseudoClémentin (Études d’Histoire et de Philosophie religieuses 23), Paris, Félix Alcan, 1930, p. 49-57. Pour les liens avec les biographies de l’Antiquité : I. CZACHESZ, « The Clement Romance : Is It A Novel ? », in J. N. BREMMER (éd.), The Pseudo-Clementines (Studies on Early Christian Apocrypha 10), Leuven, Peeters, 2010, p. 24-35. 332. À ce sujet, l’ouvrage de Bernard Pouderon est irremplaçable : B. POUDERON, La Genèse du roman pseudo-clémentin études littéraires et historiques (Collection de la Revue des études juives 53), Leuven, Peeters, 2012. 333. Ces remarques reprennent un article : R. BURNET, « Les Reconnaissances et leur intrigue », in F. AMSLER, A. FREY, C. TOUATI, and R. GIRARDET (éds.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines (Publications de l’Institut romand des sciences bibliques 6), Prahins, Éditions du Zèbre, 2008, p. 177-182.

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conversion au sens commun, le bouleversement soudain et radical de tout ce en quoi on croyait jusqu’à présent. Elle recouvre plutôt la conversion au sens hébraïque, celle dont témoigne encore Paul : un retournement, un changement de polarité, une visée plus profonde des choses qui fait découvrir que ce que l’on croyait être le monde n’en est qu’une apparence. C’est un jeu complexe entre le même et l’autre : l’être reste le même, mais prend un nouveau sens et devient un autre. La reconnaissance est donc la métaphore même de la conversion chrétienne et cette idée a été peut-être fournie à l’auteur par d’illustres exemples comme Les Éthiopiques d’Héliodore ou même L’Âne d’Or d’Apulée dont le dénouement heureux est en réalité une conversion aux cultes du Soleil ou d’Isis. Pour asseoir cette identification, deux éléments narratifs et un argument textuel. Le premier exemple est celui d’un des personnages, Mattidia : la divulgation de son identité produit une conversion tellement immédiate qu’elle conduit à un baptême dans les formes puisqu’il est précédé d’une demande explicite du catéchumène, d’un plaidoyer d’un des parents – en l’occurrence son fils – et d’une catéchèse baptismale sur la pureté (7, 30-38). Le second exemple est celui de Faustinianus, le père de Clément. Les commentateurs se sont souvent interrogés sur l’étrange épisode de la transformation en Simon334. Faustinianus présente le contraire d’une reconnaissance : parce qu’il persiste dans l’erreur, il ne peut conserver son apparence réelle, il s’opacifie en prenant la figure de l’ennemi. Image d’une conversion imparfaite, il doit être de nouveau reconnu pour se jeter aux pieds de Pierre en proclamant sa foi. L’argument textuel porte enfin sur les fréquences d’usage des verbes employés par l’auteur. Dans un récit qui ressemble à une catéchèse à peine interrompue par une intrigue lâche, on pourrait s’attendre à ce que les verbes les plus courants soient « comprendre », « apprendre ». Il n’en est rien, comme nous l’apprend la concordance de Strecker : alors qu’on répertorie 190 occurrences de scio, 95 occurrences d’intellego, le verbe le plus courant est le verbe « voir », sous ses deux formes de video et videor, 525 occurrences 335. L’auteur montre ainsi que l’essentiel pour le chrétien n’est pas d’apprendre ou de connaître, mais bien d’exercer un regard aiguisé sur les choses, de les voir avec un regard spirituel. 2. Pierre comme figure ultime d’autorité. – Dans ce texte, Pierre n’a rien du pécheur galiléen, mais il manifeste une connaissance étendue de la rhétorique et de la théologie. En rhéteur consommé, il sait aussi utiliser le miracle comme un argument. Bref, il représente la figure idéale du chef 334. G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen…, p. 89. W. HEINTZE, Der Klemensroman und seine griechischen Quellen…, p. 23-36. 335. G. STRECKER, die Pseudoklementinen, vol. 3.2 (Konkordanz zu den Pseudoklementinen. Erster Teil : Lateinisches Wortregister), Berlin, Akademieverlag, 1986. – Recensions. scio : 190 ; intellego : 95 ; uideo : 525 (uideo : 251 ; uideor : 274) ; disco : 126 ; agnosco : 76.

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de communauté, à la fois prédicateur, pédagogue et homme charismatique. Pierre possède un double, Barnabé, le « prédicateur de la vérité », un personnage utilitaire qui convoque une figure issue des Actes des Apôtres et fait partie de ces « petits faits vrais » qui accréditent l’historicité de la narration. Pierre est accompagné par d’autres personnages, Nicète, Aquila, Zachée, qui particularisent les membres indistincts d’une communauté construite comme une Église idéale : comme l’avait bien vu Strecker, la preuve que ce groupe fait Église, c’est qu’il produit des évêques, en écho à la situation de la hiérarchie ecclésiastique de l’époque de la rédaction 336. La communauté juive d’origine du texte, peut-être ébionite, comme le rappelle Simon Mimouni 337 après Schoeps 338, fait manifestement du groupe de Pierre le double narratif de sa propre communauté. Pierre est donc construit par ce texte comme le leader parfait. 2. Pierre entre Simon et Clément. – Si Pierre constitue en quelque sorte le pôle de la communauté autour de qui tout tourne, il se trouve dans une position médiane entre deux groupes : un groupe antagoniste et un groupe favorable. (α) Le groupe des ennemis est un condensé de tous les adversaires que rencontre l’Église. Au premier chef, Simon, l’archétype même de l’hérétique voire de l’hérésiarque 339. Mais Simon n’est pas Simon : il est probablement une image de Marcion et, dans certains textes, il parle comme l’apôtre Paul 340. Il n’est donc pas le magos païen ennemi de l’Église, il est bien plutôt le Judas, celui qui trahit l’Église avec d’autant plus d’efficacité qu’il est issu de ses rangs. À ses côtés, les représentants de l’exquise culture alexandrine, haïe par bien des chrétiens, ces foolish Egyptians, comme les appelle Jan Bremmer 341, ces « cinglés d’Égyptiens » : Appion, le type du Juif félon, que sa grande culture pousse à l’apostasie pour devenir 336. Sur les ordinations épiscopales : G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen (Texte und Untersuchungen 70, 5.15), Berlin, Akademie-Verlag, 1958, p. 97-116 qui montre que cela doit provenir d’un rituel datant de 200. 337. S. C. MIMOUNI, Le Judéo-christianisme ancien, Paris, Cerf (Patrimoines), 1998, p. 281. 338. H. J. SCHOEPS, Theologie und Geschichte des Judenchristentums, Tübingen, Mohr Siebeck, 1949. 339. Sur la figure de Simon, comme l’archétype de l’hérétique chez les Pères, mais l’adepte des magoi de l’Antiquité : S. HAAR, Simon Magus : The First Gnostic (Beihefte zur ZNW 119), Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2003. F. HEINTZ, Simon « le Magicien »… 340. G. STRECKER, Das Judenchristentum in den Pseudoklementinen, p. 187-196. 341. J. BREMMER, « Foolish Egyptians : Apion and Anoubion in the PseudoClementines », in A. HILHORST et G. H. VAN KOOTEN (éds.), The Wisdom of Egypt : Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen (Ancient Judaism and Early Christianity 59), Leiden/Boston, Brill, 2005, p. 311329. Voir également : J. N. BREMMER, « Apion and Anoubion in the Homilies », in J. N. BREMMER (éd.), The Pseudo-Clementines (Studies on Early Christian Apocrypha 10), Leuven, Peeters, 2010, p. 72-91.

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romain ; Anoubion qui pratique la fameuse astrologie d’Égypte unanimement condamnée par les chrétiens ; Athénodore, le savant, spécialiste de la vaine science des païens. (β) Le groupe des Romains est au début représenté par le personnage de Clément. C’est le témoin de la bonne culture romaine : un homme riche, considérable, un haut personnage proche des cercles impériaux, qui emprunte, comme l’a montré Bernard Pouderon 342, ses traits à Flavius Clemens, qui n’avait rien d’un homo novus. Il ne connaît pas sa famille. Non seulement cette absence lance une intrigue classique du roman grec, mais il trahit l’image que se fait l’auteur des païens. Sans religion, ils sont désorientés et même la bénédiction de l’appartenance à la communauté de base, la famille, leur est refusée. Bien plus, la trouble figure de l’oncle adultère – la cause de la séparation – illustre les désordres engendrés par l’absence de chasteté. La présence de Romains autour de Pierre surprend. Qui sont ces chrétiens qui accueillent avec autant d’aisance les païens en leur sein ? Où sont les préventions du Céphas de l’Épître aux Galates, qui rechignait à manger avec eux ? Manifestement, la communauté clémentine avait connu une très grande évolution et s’accordait à ne plus considérer le Romain comme l’ennemi. Bien davantage, elle était engagée dans une stratégie d’alliance avec le païen contre des ennemis intérieurs. S’il faut prendre au sérieux l’assimilation de Simon avec Marcion et avec Paul, il convient d’admettre que l’ennemi a changé de camp. Cela explique le grand flou qui atteint les frontières entre les groupes dans le roman : l’ennemi d’hier étant devenu l’allié d’aujourd’hui, il y a des délimitations qu’il convient de ne pas trop mettre en avant. Plus que jamais, Pierre s’affirme comme une figure d’unité qui permet de résoudre les différends.

5. Le triomphe de la légende romaine en Orient Les listes apostoliques et les registres liturgiques ne font que ratifier, avec une belle unanimité, l’apostolat romain de Pierre. Un texte syriaque, la Doctrine de l’apôtre Simon Pierre dans la ville de Rome (BHO 936 = CANT 199) 343 rend explicitement hommage à Lin tout en proposant un discours de Pierre reflétant la théologie de l’Église d’Édesse. Le synaxaire jacobite reprend la légende romaine à la lettre 344 ; Le synaxaire éthiopien est plus disert, car il réalise un résumé des Actes des Apôtres, rajoute une résurrection des morts qui lui permet de ressusciter Clément, son pre342. B. POUDERON, « Flavius Clemens et le proto-Clément juif du roman PseudoClémentin », Apocrypha 7, 1996, p. 63-79. 343. W. CURETON, Ancient Syriac Documents relative to the Earliest Establishment of Christianity in Edessa, London, Williams and Norgate, 1864, p. 35-41. 344. « Il demanda par humilité d’être crucifié la tête en bas. “Car, disait-il, le Seigneur a été crucifié debout et il convient que je le sois la tête en bas.” » 5 abib in R. BASSET (trad.), Le Synaxaire arabe jacobite V (Patrologia Orientalis 17), Paris, Firmin-Didot, 1923, p. 623.

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mier disciple puis reprend exactement la légende romaine 345. Le synaxaire géorgien reprend une version un peu différente des Actes de Pierre 346 mais ne change pas substantiellement le récit. Le synaxaire arménien, enfin, reprend la même légende que le synaxaire géorgien 347. Syméon le Métaphraste confirme les grandes lignes de la légende 348. C. La contestation de cette figure d’unité La preuve a contrario que Pierre était en train de devenir une figure d’unité pour une « Grande Église » (ou du moins ce que les opposants devaient nommer ainsi, si l’on en croit Celse) en train de se constituer entre la Syrie et Alexandrie se trouve dans les différentes polémiques qui agitent les milieux sectaires à son sujet : originaires la plupart du temps de l’ère syriaque ou de l’ère égyptienne, ces textes témoignent dans leur opposition de la montée en puissance de la figure d’autorité pétrinienne. À côté d’écrits faisant de l’apôtre une sorte de « premier des gnostiques », d’autres textes le montraient en opposition avec d’autres apôtres, qui sont plus en accord avec les idées gnostiques. Il joue le rôle du représentant de la « Grande Église », en opposition avec les communautés gnostiques 349.

1. Polémiques dans l’Évangile de Thomas Le logion 13 de l’Évangile de Thomas montre clairement à l’œuvre cette polémique. Jésus dit à ses disciples : « Comparez-moi, dites-moi à qui je ressemble. » Simon Pierre lui dit : « Tu ressembles à un ange juste. Matthieu lui dit : « Tu ressembles à un philosophe sage. » Thomas lui dit : « Maître, ma bouche n’acceptera absolument pas que je te dise à qui tu ressembles. » Jésus dit : Je ne suis pas Ton Maître, car tu as bu, Tu t’es enivré à la source bouillonnante Que Moi, j’ai mesurée. 345. 5 de hamlê, I. GUIDI, Le Synaxaire éthiopien II (Patrologia Orientalis 7), Paris, Firmin-Didot, 1911, p. 232-241. 346. N. MARR, Le Synaxaire géorgien (Patrologia Orientalis 19), Paris, FirminDidot, 1926, p. 715-725. 347. 23 margats, G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter Israël V (Patrologia Orientalis 21), Paris, Firmin-Didot, 1930, p. 629-633. 348. Le Commentarius de Sancte Petro et Paulo (BHG 1493 = CANT 196) est conservé dans G. HENSCHEN, et al., Acta sanctorum junii, vol. 5, Antverpiæ (Anvers), apud viduam Petri Jacobs, 1709, p. 411-424. 349. T. BAUMEISTER, « Die Rolle des Petrus in gnostischen Texten », in T. ORLANDI et F. WISSE (éds.), Acts of the Second International Congress of Coptic Study (1980), Roma, CIM, 1985, p. 3-12. La même idée est développée par D. PARROTT, « Gnostic and Orthodox Disciples in the Second and Third Centuries », in C. HEDRICK et R. HODGSON (éds.), Nag Hammadi, Gnosticism, & Early Christianity, Eugene (Or.) Wipf & Stock, 2005, p. 193-219 (213).

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Et Il le prit, Il se retira, Il lui dit trois mots. Or, quand Thomas revint vers ses compagnons, Ceux-ci l’interrogèrent : Que t’a dit Jésus ? Thomas leur dit : Si je vous disais une des paroles qu’Il m’a dites, Vous prendriez des pierres, Vous les jetteriez contre moi Et le feu sortirait des pierres Et elles vous brûleraient 350.

Dans cette sorte de reprise de la confession sous forme de discussion d’école, on s’aperçoit que, cette fois, Pierre ne donne pas la bonne réponse, mais c’est Thomas, le « héros » de l’évangile, qui s’en charge. Il faut dire que la question n’est pas la même. Alors que les évangiles disaient τίνα με λέγουσιν οἱ ἀνθρώποι εἶναι, le texte copte dit ⲧⲧⲱⲛⲧ, « comparez-moi », qui est le mot technique de la ressemblance 351 : d’emblée, on se trouve dans un discours parabolique. Ensuite, la réponse de Pierre  ⲟⲩⲁⲅⲅⲉⲗⲟⲥ  ⲇⲓⲕⲁⲓⲟⲥ ne recueille pas l’enthousiasme de Jésus : c’est une simple banalité pour dire que Jésus est le Messie (« Le Juste » est un titre messianique) envoyé (« ange »). Même s’il a répondu en premier, ce qui montre la place qu’il occupe encore dans le groupe des disciples, sa christologie est très déficiente 352. La suite du logion montre d’ailleurs que Thomas remplace Pierre dans la réécriture des évangiles. Comme le pêcheur de Bethsaïde, il prend Jésus à part, comme lui, il reçoit une bénédiction et une recommandation qui ressemble fort au secret marcien 353.

2. L’opposition Pierre-Marie de Magdala Adolf von Harnack faisait déjà l’hypothèse que l’opposition Pierre/ Marie de Magdala se retrouve « en lien avec le grand débat pour savoir jusqu’à quel point les femmes devaient participer activement au culte354 ». Dans les écrits gnostiques, où on peut en effet remarquer une très forte tendance à identifier les courants présents au sein des communautés à des 350. Évangile de Thomas 13, trad. C. GIANOTTO, ÉAC I, p. 36. 351. M. LELYVELD, Les Logia de la vie dans l’Évangile selon Thomas (Nag Hammadi Studies 34), Leiden, Brill, 1987, p. 147. 352. Expression empruntée à J. BRANKAER, Je ne suis pas ton maître : Rôle et signification des disciples dans l’Évangile de Thomas, Dissertation de Louvain-la-Neuve, 2004, p. 52 cité par C. FOCANT, « La construction du personnage de Simon-Pierre dans le second évangile », Marc, un évangile étonnant : recueil d’essais (Bibliotheca Ephemeridum theologicarum Lovaniensium 194), Leuven, Peeters, 2006, p. 112. 353. R. URO, « “Who Will Be our Leader ?” Authority and Autonomy in the Gospel of Thomas », in I. DUNDERBERG, C. M. TUCKETT, K. SYREENI (éds.), Fair Play : Diversity and Conflicts in Early Christianity : Essays in Honour of Heikki Räisänen (Novum Testamentum Supplements 103), Leiden, Brill, 2002, p. 457-486 (466). 354. Im Zusammenhang mit der große Streitfrage, in wie weit Frauen sich aktiv am Gottesdienst betheiligen dürfen. A. von HARNACK, Über das gnostische Buch PistisSophia (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 7.2), Leipzig, Hinrich, 1891, p. 17.

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personnages littéraires 355, très souvent Pierre incarne l’ennemi, la tendance majoritaire. Marie, au contraire, est l’héroïne des gnostiques 356. La femme de Magdala arbore l’étendard d’un christianisme plus ouvert aux femmes et peut-être, de manière générale, plus « libéral » 357. (α) Cela est particulièrement vrai dans l’Évangile de Marie (CANT 30 = CPG 1223) 358. Le manuscrit, recopié au Ve siècle, proviendrait d’Akhmîm en Égypte. Dans ce texte, Jésus commence par transmettre ouvertement son enseignement ; il accorde ensuite à Madeleine une vision secrète. La doctrine qu’il développe exprime les préoccupations d’une tendance – pas forcément gnostique, même si le texte fut par la suite utilisé dans les milieux gnostiques 359 – face à l’évolution de la « Grande Église ». Marie de Magdala se pose en seule garante de la révélation. On la voit consoler les disciples égarés et agir en chef de communauté, car elle est celle dont la foi surpasse toutes les autres : [Les disciples] étaient affligés : ils pleurèrent abondamment et dirent : « Comment irons-nous vers les païens et comment proclamerons-nous l’Évangile du Royaume du Fils de l’Homme ? Ils ne l’ont pas épargné, comment nous épargneront-ils ? » Alors, Marie se leva, elle les embrassa tous et dit à ses frères : « Ne pleurez pas et ne soyez pas dans la peine ni le doute, car sa grâce nous accompagnera tous et nous protégera : louons plutôt sa grandeur, car il nous a préparés et faits hommes. » Par ces paroles, Marie retourna leurs cœurs vers le Bien ; ils se mirent à commenter les paroles du Sauveur 360.

Marie a tellement la foi chevillée au corps qu’elle peut exhorter ses compagnons et tenir la place du Christ au sein de la communauté. Elle s’affirme comme le vrai vicaire du Christ. Ce faisant, elle s’oppose à Pierre et fait l’objet d’une de ces violentes altercations qui traduisent un conflit entre communautés : 355. D. PARROT, « Gnostic and Orthodox Disciple in Second and Third Centuries », in R. HODGSON JR (éd.), Nag Hammadi Gnosticism and Early Christianity, Peabody (MA), Hendrickson, 1986, p. 193-219. 356. R. BURNET, Marie Madeleine, Paris, Cerf, 22008. 357. P. PERKINS, « The Gnostic Dialog, the Early Church and the Crisis of Gnostics », Studies in Contemporary Biblical and Theological Problems, New York, Paulist Press, 1980, p. 113-130. R. PRICE, « Mary Magdalene : Gnostic Apostle », Grail 6, 1990, p. 54-76. 358. A. PASQUIER, L’Évangile selon Marie (Bibliothèque copte de Nag Hammadi section textes 10), Laval, Presse de l’Université Laval, 1983. 359. F. MORARD, « L’Évangile de Marie, un message ascétique ? », Apocrypha 12, 2001, p. 155-171. Esther De Boer semble elle aussi être d’avis qu’il ne s’agit pas d’un évangile gnostique : E. DE BOER, Gospel of Mary : Listening to the Beloved Disciple, London, Continuum, 2005, p. 207. Cela contredit les vues de Karen King (voir par exemple Karen L. KING, « Hearing, Seeing and Knowing God », in D. WARREN, A. BROCK, D. PAO (éds.), Early Christian Voices, (Biblical Interpretation Series 66), Boston/Leiden, Brill, 2003, p. 319-332) et d’Anne PASQUIER, L’Évangile selon Marie… 360. Évangile selon Marie, page 9, lignes 6 à 20. Trad. A. PASQUIER, EG, p. 1663.

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Après qu’elle eut dit cela, Marie garda le silence, de sorte que le Sauveur s’entretint avec elle jusqu’à ce moment-là. Mais André prit la parole et dit à ses frères : « Dites, que pensez-vous de ce qu’elle a dit ? Quant à moi, je ne crois pas que le Sauveur ait dit cela. Car, semble-t-il, ces enseignements diffèrent par la pensée. » Pierre prit la parole et discutant sur des questions du même ordre, il les interrogea sur le Sauveur : « Est-il possible qu’il se soit entretenu avec une femme à notre insu, et nous ouvertement, si bien que nous devions nous retourner tous pour l’écouter ? L’a-t-il choisie plutôt que nous ? » Alors Marie pleura et dit à Pierre : « Pierre, mon frère, que pensestu donc ? Crois-tu que c’est moi qui ai imaginé cela toute seule dans mon cœur ou que je mente à propos du Sauveur ? » Lévi répondit et dit à Pierre : « Pierre, depuis toujours tu as un caractère irascible. Je te vois maintenant contre la femme comme le font les adversaires. Pourtant, si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu donc, toi, pour la rejeter ? En tout cas, le Sauveur la connaît très bien. C’est pourquoi il l’a aimée plus que nous 361. »

Le texte se livre à une critique de l’autorité au sein des Églises. Avoir été disciple ne suffit pas, être femme ne constitue pas une raison valable, ce qui compte c’est la relation personnelle avec le Christ 362. Au sein de l’Église majoritaire, les apparitions du Christ ressuscité aux femmes ne confèrent pas à celles-ci le privilège d’exercer une autorité sur la communauté chrétienne ; à l’évidence, la communauté de l’Évangile de Marie leur confie ce rôle parce qu’elles sont proches du Christ 363. À la fin du texte, une intéressante reconfiguration des positions des disciples s’opère. Marie représente l’initiée qui a eu une vision, et peutêtre l’Église elle-même ; André représente le scepticisme naïf, l’inquiétude spontanée face au changement ; Pierre, quant à lui, incarne le scepticisme cynique et irascible (cf. Mt 16, 22 ; Mt 26, 74 ; Jn 18, 11), qui a décidé une bonne fois de ne rien recevoir de la Magdaléenne parce qu’elle est femme. Lévi (cf. Mt 2, 14), enfin, représente la vision du groupe : il affirme l’élection de Marie. Le Maître l’a « rendue digne » et lui a donné toute sa préférence. Les trois positions reflètent les débats sur l’orthodoxie de la théologie propre à la communauté 364 : l’auteur, qui cherche à la défendre, la fait remonter au Christ au nom de l’amitié qu’il porte à la femme de Magdala, tandis qu’il ridiculise la position de la « Grande Église » en la faisant passer pour du machisme et des réticences face au changement (β) on retrouve exactement la même opposition dans la Pistis Sophia que l’on connaît par un unique manuscrit copte, le codex Askew. Après 361. Évangile selon Marie, p. 17, lignes 7 à 20 et p. 18, lignes 1 à 14. 362. K. KING, « Hearing, Seeing and Knowing God »…, p. 328. 363. A. PASQUIER, L’Évangile selon Marie…, p. 24. 364. A. MARJANEN, The woman Jesus loved : Mary Magdalene in the Nag Hammadi Library and related documents (Nag Hammadi and Manichæan studies 41), Leiden, Brill, 1996, p. 120.

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que Marie 365 eut parlé, Pierre se met vigoureusement à lui reprocher de prendre la parole : Et quand Jésus eut achevé ces paroles, il dit à ses disciples : « Comprenezvous ce que je vous dis ? » Et Pierre s’avançant, dit : « Seigneur, ne permets pas à cette femme de prendre notre place et de ne laisser parler aucun de nous, car elle parle bien des fois. » Et Jésus répondant dit à ses disciples : « Que celui en qui s’agite la force de l’esprit lui donnant l’intelligence, s’avance pour parler ; je vois, Pierre, ta force dans la connaissance du mystère des paroles que dit la fidèle Sagesse. Avance donc et donnes-en l’explication au milieu de tes frères 366. »

La suite indique clairement la défiance que les communautés ressentent envers le « Prince des Apôtres » : Marie avança, et dit : « Seigneur, je comprends ce que tu viens de nous dire et je puis expliquer les paroles de la Fidèle Sagesse ; mais je crains Pierre, parce qu’il m’intimide et qu’il a de la haine pour notre sexe. » Et quand Marie eut parlé de la sorte, le premier mystère lui dit : « Personne ne pourra nuire à chacun de ceux, qui, rempli de l’intelligence de la lumière, s’avancera pour expliquer ce que je dis. Et maintenant, Marie, donne l’explication des paroles que prononça la Fidèle Sagesse 367. »

« Je crains Pierre, parce qu’il m’intimide ». Placée dans la bouche de Marie-Madeleine, cette déclaration peut se lire comme une notation psychologique, renforcée par l’attestation de la soi-disant misogynie de Pierre, mais elle traduit aussi l’inquiétude de communautés marginales envers ce qu’on pourrait nommer un certain impérialisme de la figure officielle. On y lit donc en creux la montée en puissance d’une Église majoritaire qui annexa l’apôtre au service de son ascension. Et les sectaires craignaient que Pierre, « prince des apôtres », devînt petit à petit le prince de l’Église. IV. P IERRE

À

R OME :

EN ROU TE VER S L A PRIMAU TÉ

( III E - V E

SIÈCLE )

À partir de la seconde moitié du IIIe siècle, alors que les communautés syriennes et égyptiennes ont fait de l’apôtre le soutien à leur doctrine ascétique et charismatique, ou le parangon d’une position d’équilibre, l’Église 365. Il semble acquis qu’il s’agit bien de la Magdaléenne : A. G. BROCK, « Setting the Record Straight – The Politics of Identification : Mary Magdalene and Mary the Mother in Pistis Sophia », in F. S. JONES (éd.), Which Mary ? : The Marys of Early Christian Tradition (Society of Biblical Literature symposium series 19) Leiden, Brill, 2002, p. 43-52. 366. Pistis Sophia 1, 36, trad. É. AMELINEAU in J. P. MIGNE (éd.), Dictionnaire des Apocryphes, vol. 1, Paris, Migne, 1884. 367. Pistis Sophia 2, 72.

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de Rome se mit à revendiquer l’apôtre Pierre – conjointement avec l’apôtre Paul – comme son fondateur 368 : c’était le début d’un mouvement aboutissant à briguer la « primauté de Pierre ». Profitant du fait que Pierre avait tendance à passer pour une sorte de « chef de l’Église », y compris dans des communautés éloignées du siège romain, l’Église de Rome chercha à confisquer son autorité pour son seul usage. A. Les racines de l’exaltation de Rome à travers Pierre L’association précoce de Pierre avec Rome à travers son martyre avait conduit, dès le IIe siècle, à accorder à cette ville un caractère extraordinaire. On a déjà cité Denys de Corinthe, contemporain de l’évêque Sôter de Rome (166-174), qui parle du double supplice de Pierre à Rome 369 comme d’un titre de gloire pour cette Église. Il convient maintenant de citer Irénée de Lyon, qui, dans le Contre les Hérésies, réalise un premier pas vers l’émergence de la primauté de Rome : Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d’énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons seulement l’une d’entre elles, l’Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome ; en montrant que la Tradition qu’elle tient des apôtres et la foi qu’elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu’à nous par des successions d’évêques, nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes : car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, – elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres. Donc, après avoir fondé et édifié l’Église, les bienheureux apôtres remirent à Lin la charge de l’épiscopat ; c’est de ce Lin que Paul fait mention dans les épîtres à Timothée. Anaclet lui succède. Après lui, en troisième lieu à partir des apôtres, l’épiscopat échoit à Clément 370.

Par ce texte, Irénée poursuit un double but. Non seulement il glorifie Pierre et Paul, mais surtout il met en place une stratégie de légitimation : face aux doctrines qu’il juge hérétiques, il recourt à l’argument de l’origine et de la succession apostolique – il insiste ainsi complaisamment sur la transmission commune de l’apostolat à Lin, Anaclet puis Clément. Peuton pour autant parler de prémices de la primauté ? Ce qui semble le plus 368. Tous les textes sont traduits et présentés dans J. T. SHOTWELL et D. R. LOOMIS, The See of Peter, New York, Columbia, 11927, 31991. 369. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 25, 8. 370. IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. III, 3, 2-3, trad. A. ROUSSEAU (SC 211), 1974, p. 279-280.

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intéresser Irénée, c’est que Rome jouisse d’une liste de succession fiable à partir des apôtres : elle constitue un modèle pour les autres communautés, qui doivent elles aussi se prévaloir d’une succession apostolique. Mais il n’est pas question pour l’instant d’une autorité particulière de la Ville Éternelle. B. L’émergence du lieu de culte à Pierre

1. Le Vatican Le culte à Pierre semble avoir commencé dès le milieu du IIe siècle, comme le prouvent les déclarations de Gaïus dont on a déjà parlé. Il semble en effet que dans la nécropole du Vatican, on vouait un culte particulier à l’apôtre (en parallèle au culte de Paul sur la route d’Ostie) : l’apôtre semble y avoir eu un tropaion, un trophée. Ce monument est peut-être connu par des fouilles entreprises sous la basilique Saint-Pierre de Rome 371 à partir de 1939 : elles exhumèrent un cimetière romain très bien conservé. Dans ce cimetière se trouvait un enclos fermé à l’ouest par un « mur rouge » qui isolait une tombe particulière. L’enclos, datant du pontificat d’Anicet (157168), avait été réalisé pour protéger une tombe qu’un édicule surplombait qu’on peut (avec toute la prudence nécessaire) assimiler à ce fameux trophée. L’examen du mur rouge révéla en effet de nombreux graffitis chrétiens dont l’un semble porter les lettres Πετρο(ς) du nom de Pierre. On a longtemps hésité pour la suite, car le graffito est mutilé et on lit ΠΕΤι ΕΝι, on a donc proposé Πέτρος ἔνι (« Pierre est là » comme contraction de ἔνεστι, « est là ») Πέτρος ἐν (ε)ἰρήνῃ (Carcopino), Πέτρος ἐν δόξᾳ (avec le δ) ou Πέτρος ἐνδεῖ (« Pierre nous manque ») 372. En réalité, il est curieux que le premier mot soit mutilé alors que le second est complet : la lecture de l’inscription n’est certainement pas aussi claire 373. L’étude des couches archéologiques postérieures confirma que l’Empereur Constance (et non Constantin comme on l’a longtemps cru 374) avait enchâssé le petit édifice dans un écrin de marbre et un sarcophage de bronze avant d’y construire la première basilique du Vatican, qui sera détruite à la Renaissance375. 371. Ce qui provoqua ces fouilles fut le désir de Pie XI de reposer le plus près possible des restes de Pie X, ce qui conduisit à la dépose d’une plaque de marbre, qui révéla une voûte ancienne. 372. J. CARCOPINO, Études d’histoire chrétienne II : les reliques de Saint Pierre à Rome, Paris, Albin Michel, 1965. 373. J. RUYSSCHAERT, « Un problème d’identification d’ossements », Revue d’Histoire ecclésiastique 62, 1967, p. 385-411. 374. G. W. BOWERSTOCK, « Peter and Constantine », in W. TRONZO, St. Peter’s in the Vatican, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 5-16. 375. T. C. BANNISTER, « The Constantinian Basilica of Saint Peter at Rome », Journal of the Society of Architectural Historians 27, 1968, p. 3-32. Le Liber pontificalis

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Manifestement, le lieu possédait de l’importance, car les difficultés pour bâtir à cet endroit sont innombrables : la basilique était située hors du mur d’enceinte de Rome, et donc exposée aux attaques, elle était adossée à une colline qui imposa d’énormes travaux de substruction, elle était située dans un terrain tellement humide que d’importants travaux d’assainissement durent être réalisés pour empêcher le ruissellement. Les directeurs des fouilles assimilèrent immédiatement cette construction avec le trophée de Gaius : « on a retrouvé la tombe de Pierre », s’empressèrent-ils de publier. Des fouilles plus complètes révélèrent l’existence d’une petite cavité dans l’un des murs du monument qui avait été dissimulé par un revêtement précieux, dans laquelle on aurait trouvé des fragments d’os provenant d’un seul squelette, un homme âgé 376. Peut-on pour autant en conclure qu’il s’agit de la tombe même de l’apôtre ? Si tous s’accordent à penser que la basilique du Vatican est construite sur un lieu de culte précocement rattaché à Pierre, les positions sont plus nuancées. Les uns font valoir que les corps des martyrs étaient systématiquement brûlés et que le monument retrouvé est probablement un cénotaphe en souvenir de Pierre. Ils ajoutent que les ossements découverts à cet endroit appartenaient à plusieurs individus, dont au moins une femme, et proviennent des nombreux squelettes bouleversés lors de la construction de la basilique constantinienne. En outre, en 846, on sait que les Sarrasins avaient mis à sac l’édifice et les tombes, pensant trouver des objets précieux 377. Enfin, si l’on estime que les ossements sont bien anciens, rien ne prouve qu’ils soient ceux de Pierre : les différentes hésitations sur la localisation de ses ossements, l’absence d’intérêt pour les reliques avant expliquait : Eodem Tempore Augustus Constantinus fecit basilicam beato Petro apostoli in templum Apollinis, cuius loculum cum corpus sancti Petri ita recondit : ipsum loculum undique ex ære cypro conclusit, quod est inmobile ; ad caput pedes V, ad pedes, pedes V, ad latus dextrum pedes V, ad latus sinistrum pedes V, subter pedes V, supra pedes V. Sic inclusit corpus beati Petri apostoli et recondit. Et exornauit supra columnis porphyreticis et alias columnas uitineas quas de Grecias perduxit. « À la même époque [au temps du pape Sylvestre (314-335)], l’Empereur Constantin fit une basilique pour le bienheureux apôtre Pierre à la place du temple d’Apollon, et dans ce lieu il dissimula le corps de saint Pierre ainsi : le lieu avait été fermé par des plaques de bronze qui ne peut être déplacé : 5 pieds à la tête, 5 pieds aux pieds, du côté droit 5 pieds, du côté gauche 5 pieds, en-dessous 5 pieds et au-dessus 5 pieds. Ainsi il enferma le corps du bienheureux apôtre Pierre et le dissimula. Et au-dessus, il l’orna de colonne de porphyre et d’autres colonnes ornées de feuilles de vigne qu’il fit venir de Grèce. » Manifestement, comme le fait remarquer Louis Duchesne, l’auteur n’a pas vu les reliques elles-mêmes : il insiste sur le caractère « caché » du corps et donne au sarcophage d’improbables proportions cubiques. L. DUCHESNE, « I. Notes sur la topographie de Rome au Moyen Âge. — XIII. Vaticana (suite) », Mélanges d’archéologie et d’histoire 35, 1915, p. 3-13. 376. M. GUARDUCCI, Saint Pierre retrouvé, Paris/Fribourg, Saint Paul, 21974. 377. L. E. HUDEC, « Recent Excavations under St. Peter’s Basilica in Rome », Journal of Bible and Religion 20, 1952, p. 13-18 (16).

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le IIIe siècle, le fait que le τρόπαιον de Gaïus semble davantage marquer l’emplacement du lieu du martyre que celui du corps doivent nous inciter à la plus grande circonspection 378.

2. Saint-Sébastien sur la voie Appienne Les sources liturgiques nous fournissent la mention d’un autre lieu de culte : les catacombes. En 354, dans le calendrier le Feriale de Furius Filocalus se trouvent en effet deux dates commémorant la vie de Pierre379. Les deux dates montrent bien que l’on ignorait la date de la mort de Pierre (son dies natalis) et qu’on avait choisi des dates sans rapport pour la célébrer 380 : la première tombait sur une fête romaine des Morts, la seconde commémorait une translation de reliques. (1) VIII cal. Martius : natale Petri de cathedra. « 22 février, jour anniversaire de la chaire [l’entrée en fonction] de Pierre 381 ». Pour faire de Pierre son apôtre exclusif, il faut se souvenir que Rome a dû s’imposer face à une autre communauté qui le revendiquait : Antioche. En effet, Origène et Jérôme ont présenté Pierre comme le premier évêque de la ville sur l’Oronte 382. Or, cet « épiscopat » ne gêna pas outre mesure l’Église de 378. D. W. O’CONNOR, « Peter in Rome. A Review and Position », in J. NEUSNER (éd.), Christianity, Judaism and other Greco-Roman Cults. Studies for Morton Smith at Sixty (Studies in Judaism in Late Antiquity 12.2), vol. 2, Leiden, Brill, 1975, p. 146-160. 379. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien : études sur la liturgie latine avant Charlemagne, Paris, Fontemoing, 1908, p. 293-297. 380. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien..., p. 284. 381. P.-A. FÉVRIER, « Natale Petri de cathedra », Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres 121, 1977, p. 514-531. Toutes les références données dans le débat se retrouvent dans l’article signé IB ( Jean Bolland) pour le 22 février : J. BOLLAND, « De Cathedra S. Petri Antiochena », Acta Sanctorum III Februarius, Antuerpiæ (Anvers), ap. Iacobum Meursium, 1658, p. 282-283. Sur la Cara Cognitio : M. LAUWERS, La mémoire des ancêtres, le souci des morts : morts, rites, et société au Moyen Âge (Théologie historique 103), Paris, Beauchesne, 1997, p. 74-78. Sur les rituels funéraires à Rome : M. MESLIN, L’Homme romain : des origines au 1er siècle de notre ère (Historiques 32), 1978, Bruxelles, Complexe, 32001, p. 182-196. 382. ORIGÈNE, Homila in Lucam 6 ; JÉRÔME, Commentarius in Epistulam ad Galatas I, 2 ; JÉRÔME, De viris inlustribus 1, JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inl., éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 6 : Simon Petrus, filius Ioannis, prouinciæ Galileæ, e uico Bethsaida, frater Andreæ apostoli, et princeps Apostolorum, post episcopatum Antiochensis Ecclesiæ, et prædicationem dispersionis eorum qui de circumcisione crediderant, in Ponto, Galatia, Cappadocia, Asia, et Bithynia, secundo Claudii imperatoris anno, ad expugnandum Simonem magum, Romam pergit, ibique uiginti quinque annis Cathedram Sacerdotalem tenuit, usque ad ultimum annum Neronis, id est, decimum quartum. A quo et affixus cruci, martyrio coronatus est, capite ad terram uerso, et in sublime pedibus eleuatis : asserens se indignum qui sic crucifigeretur ut Dominus suus. Scripsit duas Epistolas, quæ Catholicæ nominantur :

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Rome qui en changea la nature : située le 22 février, cette fête avait certainement pour but de concurrencer un culte des morts, les caristia ou Cara Cognatio ; en outre comme le montre la représentation de plus en plus fréquente de Pierre sur les sarcophages romains, elle pourrait avoir été une fête de fondation de l’épiscopat 383. (2) III cal. Juli : Petri in catacumbas et Pauli Ostense, Tusco et Basco consulibus. « 29 juin, Pierre aux catacombes et Paul sur la route d’Ostie, Tuscus et Bascus étant consuls [en 258 apr. J.-C.] ». Cette translation semble confirmée par d’autres sources 384. Le Liber Pontificalis (édité vers 540 385) narre comment l’évêque Corneille (251-253), sur les prières de Lucina, une pieuse Romaine, replaça le corps de Pierre au Vatican iuxta locum quo crucifixus est, « à côté du lieu où il fut crucifié », tandis que Lucina se chargeait de celui de Paul, iuxta locum quo decollatus est, « à côté du lieu où il fut décapité » 386. Damase, explique le Liber Pontificalis, conserva la quarum secunda a plerisque eius esse negatur, propter styli cum priore dissonantiam. Sed et Euangelium iuxta Marcum, qui auditor eius et interpres fuit, huius dicitur. Libri autem, e quibus unus Actorum eius inscribitur, alius Euangelii, tertius Prædicationis, quartus Apocalypseos, quintus Iudicii, inter apocryphas scripturas repudiantur. Sepultus Romæ in Vaticano, iuxta uiam Triumphalem, totius orbis ueneratione celebratur. ( Jérôme de STRIDON, De Viris Inlustribus, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1a), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 7.) « SIMON PIERRE, fils de Jean, frère d’André apôtre, et prince des apôtres, naquit à Bethsaïde en Galilée. Après avoir fondé l’Église d’Antioche, dont il fut l’évêque, et après avoir prêché l’Évangile aux Juifs convertis qui étaient dispersés dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce, l’Asie-Mineure et la Bithynie, il vint à Rome la deuxième année du règne de l’empereur Claude, pour confondre Simon-le Magicien. Il y occupa pendant vingt-cinq ans la chaire pontificale, jusqu’à la quatorzième et dernière année du règne de Néron, époque à laquelle il reçut la palme du martyre. Il fut mis en croix la tête en bas, se jugeant indigne de mourir de la même manière que son divin maître. Il a écrit deux épîtres appelées catholiques : la plupart des auteurs prétendent que la seconde n’est pas de lui, parce qu’elle fait disparate avec le style de la première ; mais Marc l’évangéliste, qui avait été son disciple et son interprète, la lui attribue. Les ouvrages intitulés Évangile, Prédication, Apocalypse, Jugement, Actes de Pierre sont tous les cinq rejetés comme livres apocryphes. Il fut enterré à Rome dans le Vatican, près de la voie Triomphale. Le monde entier vénère et célèbre sa mémoire. » 383. C’est la thèse de P. BATIFFOL, « Natale Petri de Cathedra », Journal of Theological Studies 104, 1925, p.399-404. 384. La littérature sur ce point est extrêmement abondante. On trouvera une bonne revue des questions dans H. CHADWICK, « St Peter and St Paul in Rome : The Problem of the Memoria Apostolorum ad Catacumbas », Journal of Theological Studies 8, 1957, p. 31-52. 385. R. DAVIS (R.), The Book of Pontiffs (Liber pontificalis) : the Ancient Biographies of the First Ninety Roman Bishops to AD 715, Liverpool, Liverpool University Press, 32010, p. XII-XIV. 386. Hic temporibus suis, rogatus a quadam matrona Lucina, corpora apostolorum beati Petri et Pauli de catacumbas leuauit noctu : primum quidem corpus beati Pauli accepto beata Lucina posuit in prædio suo, via Ostense, iuxta locum ubi decollatus est ; beati Petri accepit corpus beatus Cornelius episcopus et posuit iuxta locum ubi crucifixus

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mémoire du lieu ou reposa l’apôtre par une plaque de marbre 387 : « dedicavit Platomum in Catacumbas ubi corpora Petri et Pauli apostolorum iacuerunt, quam et versibus exornavit. « Damase dédia une platoma 388 dans les catacombes, là où les corps des apôtres Pierre et Paul gisaient, et il l’orna de vers. » Ces vers – qui sont plutôt des vers de mirliton – sont connus : Qu’ici ont habité auparavant des saints, tu dois le savoir, Et leurs noms sont ceux de Pierre avec Paul, si tu le demandes Que l’Orient envoya ces disciples, nous le confessons spontanément Par le mérite de leur sang, ils ont suivi le Christ à travers les astres Et ils ont rejoint le sein céleste et les royaumes des pieux Rome mérite plutôt de défendre ses citoyens Damase rappelle ces louanges qui sont vôtres, ô nouveaux astres 389

Les termes du Pape sont un peu ambigus et pleins de sous-entendus. Il est possible d’y lire une allusion aux différentes crises théologiques qui agitèrent les communautés d’Occident qui étaient interprétées comme est, inter corpora sanctorum episcoporum, in templum Apollinis, in monte Aureum, in Vaticanum palatii Neroniani, III kal. Iul. L. DUCHESNE, Le Liber Pontificalis, texte, introduction et commentaire, vol. 1, 1886, Paris, de Boccard, 21955, p. 150. « Celui-ci, sous son pontificat, sur la demande d’une certaine matrone Lucine, fit retirer nuitamment des catacombes les corps des apôtres Pierre le bienheureux et Paul : d’abord, la bienheureuse Lucine fit déposer, après l’avoir reçu, le corps du bienheureux Paul dans son domaine, sur la via Ostense, près du lieu où il fut décapité ; le bienheureux évêque Corneille reçut le corps du bienheureux Pierre et le fit déposer près du lieu où il fut crucifié, parmi les corps des saints évêques, dans le temple d’Apollon, sur le mont Aureus [= le Janicule : le nom est ici une déformation de la via Aurelia ou une allusion aux sables jaunes du Janicule], sur le Vatican du palais de Néron, le 3e jour avant les calendes de juillet [le 29 juin]. » 387. Hic fecit basilicas duas : una beato Laurentio iuxta theatrum et alia via ardeatina ubi requiescit ; et in Catacumbas, ubi iacuerunt corpora sanctorum apostolorum Petri et Pauli, in quo loco platomam ipsam, ubi iacuerunt corpora sancta, versibus exornauit. Hic multa corpora sanctorum requisiuit et inuenit, quorum etiam uersibus declarauit. L. DUCHESNE, Le Liber Pontificalis, texte, introduction et commentaire, vol. 1, 1886, Paris, de Boccard, 21955, p. 212. « Celui-ci [Damase] fit construire deux basiliques : une au bienheureux Laurent près du théâtre, et l’autre via ardeatine, où il repose ; et dans les catacombes, où reposèrent les corps des saints apôtres Pierre et Paul, lieu dans lequel il orna de vers la platoma elle-même, où reposèrent les corps saints. Il réclama et trouva de nombreux corps de saints, dont il donna les noms également avec des vers. » 388. Le terme platonia ou platoma vient du grec πλατύς et désigne un endroit recouvert d’une dalle de marbre. 389. Hic abitasse prius sanctos cognoscere debes / Nomina quisque Petri pariter Paulique requiris / Discipulos oriens misit quod sponte fatemur, / Sanguinis ob meritum Christumeque per astra secuti / Ætherios petiere sinus regnaque piorum / Roma suos potius meruit defendere ciues / Hæc Damasus uestras refera noua sidera laudes. J. B. De ROSSI, Inscriptiones christianæ urbis Romæ septimo sæculo antiquiores, vol. 2, Romæ, ex officina libraria Philippi Cuggiani, 1888, p. 32.

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venant de l’est 390. Mais il n’est pas sûr que l’on puisse élucider totalement la sourde rivalité que l’on sent envers l’Orient. Que comprendre ? Faut-il penser qu’à une certaine époque, on aurait donc déplacé les corps des apôtres ? Un élément chronologique vient confirmer les affirmations de Prudence et le calendrier de Filocalus : en 258 éclate la persécution antichrétienne de Valérien. Les fidèles ne pouvaient donc plus se rendre dans leurs lieux habituels de repos pour s’y réunir : auraient-ils choisi un lieu plus discret ? La Passio Sanctorum Apostolorum Petri et Pauli, du Ve siècle, raconte comment des Grecs, peu après la mort des apôtres, tentèrent de voler leur corps, mais furent empêchés d’aller plus loin que le site Ad Catacumbas sur la voie Appienne par une série de prodiges (dont un tremblement de terre). Or, alors que les Grecs enlevaient les corps des saints apôtres pour les transporter en Orient, il y eut un assez grand tremblement de terre. Et le peuple romain accourut et les plaça dans un lieu qu’on appelle Catacombe, au troisième mille de la via Appia ; et les corps furent gardés là pendant un an et sept mois, jusqu’à ce que soient préparés les lieux où ils furent déposés. On les ramena avec des hymnes de gloire. Le corps de Pierre fut posé à la Naumachie du Vatican, et celui de Paul au deuxième mille de la via Ostensis. Là, ils accordèrent leurs bienfaits à ceux qui les priaient, dans les siècles des siècles, amen 391.

On retrouve la même légende dans la passion syrienne du martyr Charbel 392. Prudence, au ve siècle, note le transfert de deux tombes « dans le marais du Tibre ». Il convient d’être plus circonspect : ces sources ne sont pas plus anciennes que le Ve siècle. En outre, le viol de sépulture était très durement puni par la législation romaine : il était passible de mort. Comment les chrétiens ont-ils pu enfreindre la loi en période de persécution ? Les réunions dans les cimetières étaient interdites. Enfin, les archéologues affirment que sur 390. G. LA PIANA, « The Tombs of Peter and Paul Ad Catacumbas », Harvard Theological Review 14, 1921, p. 53-94 (63). 391. Passio Sanctorum Apostolorum Petri et Pauli 66, 8-9. Sanctorum autem apostolorum dum a Græcis corpora tollerentur ad Orientem ferenda, extitit terræ motus nimius. Et occurrit populus Romanus et comprehenderunt eos in loco, qui dicitur Catacumba uia Appia miliario tertio ; et ibi custodita sunt corpora anno uno et mensibus septem, quousque fabricarentur loca in quibus fuerunt posita corpora eorum. Et illic reuocata sunt cum gloria hymnorum et posita sancti Petri in Vaticano Naumachiæ et sancti Pauli in uia Ostiensi miliario secundo ; ubi præstantur beneficia orationum in sæcula sæculorum. Amen. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891, p. 175. 392. W. CURETON, Ancient Syriac Documents, London, Williams and Norgate, 1864, p. 61. La passion date du Ve siècle et relate probablement des événements intervenus sous Dèce, mais placés sous Trajan. J. B. SEGAL, Edessa « the Blessed City », Oxford, Oxford University Press, 1970, p. 82-83.

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la Via Appia, où l’on aurait translaté secrètement les reliques, se trouvait un poste de police qui gardait les cimetières 393. Il vaut donc mieux penser (tout en restant prudent comme le rappelait H. Delehaye vu la rareté des sources 394) que le 29 juin 258 marqua le début d’un culte rendu conjointement aux deux apôtres, un culte de fondation de l’Église de Rome 395 peut-être devenu nécessaire par l’interdiction de réunion dans les cimetières. Et peut-être ce culte se faisait à San Sebastiano de la Via Appia. Les fouilles sous la basilique confirment en effet les sources liturgiques. Il y avait là au Ier siècle une villa romaine. Elle abrita une salle de culte, sur les murs de laquelle sont gravées des inscriptions évoquant le culte des deux apôtres 396, avec des formules souvent familières et assez populaires 397. Des bancs de pierre faisaient le tour de la salle. On y tenait des repas commémoratifs, des refrigeria, qui supposaient en principe la présence de reliques. Ils étaient pris en mémoire des apôtres et étaient considérés comme une œuvre méritoire. On peut comprendre ce culte comme une volonté politique de l’Église de Rome d’établir la continuité entre les rassemblements paléochrétiens aux catacombes et de rappeler la présence des reliques à Rome, tout en perpétuant la mémoire des rassemblements eucharistiques des premiers temps autour du patronage des deux apôtres. Quant au rappel de ces épisodes au VIe siècle, il manifeste une polémique avec les Orientaux et montre que la promotion de ce sanctuaire allait de

393. H. DELEHAYE, Les Origines du culte des martyrs, Bruxelles, Société de Bollandistes, 1912, p. 302-308. 394. H. DELEHAYE, « Hagiographie et archéologie romaines », Analecta Bollandiana 45, 1927, p. 297-322 (307). 395. T. KLAUSER, Die römische Petrustradition im Lichte der neuen Ausgrabungen unter der Peterskirche, Köln/Opladen, Westdeutscher Verlag, 1956, p. 75. J. C. O’NEILL, « Who Buried Peter and Paul ? », in J. ZANGENBERG and M. LABAHN (ÉDS.), Christians as a Religious Minority in a Multicultural City : Modes of Interaction and Identity Formation in Early Imperial Rome ( Journal of the Study of the New Testament Supplements Series 243), London/New York, T&T Clark International, 2004, p. 103-107. 396. En particulier paule et petre petite pro victore Paule petre petite pro erate rogate paule et petre in mente habeatis antionius παυλε και πετρε μνημονευαι τιμοκυατηεν και ευτυχειαν. F. GROSSI GONDI, Civiltà Cattolica 3, 1917, p. 521, cité par G. LA PIANA, « The tombs… ». 397. Le dossier de ces inscriptions a été repris par Antonio Enrico Felle : A. E. FELLE, « Alle origini del fenomeno devozionale cristiano in Occidente. Le inscriptiones parietariæ ad memoriam Apostolorum », in A. COSCARELLA et P. DE SANTIS, Martiri, santi, patroni : per una archeologia della devozione (Ricerche 6), Rende, Università della Calabria, 2012, p. 477-502.

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pair avec la volonté de faire de Rome la « véritable maison » de Pierre et de Paul 398. C. La revendication de la primauté de Pierre La revendication de primauté se fait progressivement. Ne nous intéressant qu’à la figure de Pierre pour elle-même, nous laissons de côté l’abondante bibliographie, servant parfois un but polémique, pour n’indiquer que quelques jalons. Il faut attendre le Ve siècle pour qu’apparaissent de véritables revendications, surtout avec le pontificat de Léon le Grand (440-461) 399. Ces revendications interviennent après la lente ascension du patriarcat romain 400, en particulier grâce à des figures pontificales affirmées comme Victor (189-199) qui prend une part prépondérante dans la querelle quartodécimane 401, Étienne (254-257) qui s’oppose au rebaptême des hérétiques en invoquant Mt 16, 18-19, Jules (337-352) qui prétend mettre un terme aux querelles qui divisent les Orientaux au nom de son droit à intervenir dans les décisions d’un concile, Damase (366-384) qui prétend définir la foi universelle avec son Tome. Léon le Grand fait un pas de plus et théorise le primat du successeur de Pierre. Il le fait après un succès fragile, mais incontestable : en 451, le concile oriental de Chalcédoine ratifie les formulations christologiques proposées par Léon dans une lettre au patriarche de Constantinope (Tome à Flavien). Pour lui, Pierre est d’abord le vrai fondateur du christianisme à Rome : Lorsque les douze apôtres se partagèrent le monde pour y prêcher l’Évangile, le bienheureux Pierre, chef du corps apostolique, fut destiné à la capitale de l’Empire romain afin que la lumière de la vérité, qui avait été révélée pour le salut de tous les peuples, se répandît plus efficacement, de la tête même, à travers le corps entier du monde […] Tu ne crains donc pas, bienheureux apôtre Pierre, de venir dans cette ville, et tandis que le compagnon de ta gloire, l’apôtre Paul, était encore occupé à fonder d’autres Églises, tu pénètres dans cette forêt remplie de bêtes féroces, et dans cet océan aussi agité que profond, avec plus de hardiesse que lorsque tu marchais sur la mer. Déjà tu avais instruit ceux qui s’étaient rangés sous la foi parmi les païens ; déjà tu avais fondé l’Église d’Antioche, où brilla tout d’abord la 398. D. L. EASTMAN, Paul the Martyr. The Cult of the Apostle in the Latin West (Society of Biblical Literature – Writings from the Greco-Roman World Supplements 4), Atlanta, Society of Biblical Literature, 2011. 399. P. MATTEI, « Le primat romain vu de Rome ( Ier-Ve siècle). Genèse, contexte et portée de la doctrine formalisée par Léon le Grand (440-461) », Lumière & Vie 274, 2007, p. 59-68. 400. Tous les textes dans J. T. SHOTWELL et D. R. LOOMIS, The See of Peter…, p. 448-689. 401. R. MINNERATH, « Les listes des premiers évêques de Rome », Connaissance des Pères de l’Église 78, 2000, p. 13-20.

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dignité du nom chrétien. Et, sans douter du succès de l’œuvre, tu introduisis le trophée de la croix du Christ dans les remparts romains 402.

Dans le Sermon 95 de 444, il affirme la primauté : De tout l’univers, Pierre seul est choisi pour être préposé à l’appel de tous les peuples, seul il est mis à la tête de tous les Apôtres et de tous les Pères de l’Église ; ainsi, bien que, dans le peuple de Dieu, les prêtres fussent nombreux, et nombreux les pasteurs, Pierre gouvernerait cependant à titre personnel tout ce que, à titre de chef, gouverne aussi le Christ 403.

Dans le Sermon 96, il affirme que cette primauté est passée à son successeur : La fermeté qu’il reçut de la pierre qui est le Christ, lui, devenu également Pierre, il la transmet aussi à ses héritiers ; et là où paraît quelque fermeté, se manifeste indubitablement la force du pasteur 404.

Si la montée en puissance de cette primauté connut bien d’autres étapes qui mériteraient à elles seules un travail, on voit que Léon met en place les arguments théoriques reposant sur la figure d’un Pierre devenu pierre de fondation de l’unique Église de Rome, mais dont les aspirations à un magistère universel s’affirment de plus en plus. D. Pierre dans l’hagiographie romaine Des textes narratifs témoignent de cette « canonisation » de la figure de Pierre. Ils reprennent tous peu ou prou la narration des Actes de Pierre en insistant sur les éléments romains. 1. la Passion de Pierre du Pseudo-Lin (CANT 191 = BHL 6655). – Réinterprétation de la passion de Pierre des Actes de Pierre, la Passion du Pseudo-Lin date du IVe-Ve siècle. Elle montre à l’envi l’appropriation de la figure de Pierre par Rome. Comme le dit Gérard Poupon son éditeur, le texte ressemble plutôt à un panégyrique de Pierre qu’à un martyre 405 et reprend les tendances ascétiques des Actes de Pierre. L’auteur entend situer précisément les lieux du martyre et inscrire Pierre dans une géographie romaine. Ainsi, dans l’épisode du Quo Vadis ?, un détail est rajouté pour faire accroire une dévotion populaire : au cours de sa fuite, l’apôtre perd un bandage qu’il avait sur la jambe à cause de la blessure des chaînes. Comme ironise le bollandiste Delehaye, « voilà bien la naïveté du peuple qui 402. LÉON LE GRAND, Sermon I de sanctis apostolis Petro et Paulo. Cité par P. MATTEI, « Le primat romain vu de Rome… ». 403. LÉON LE GRAND, Sermon 95, 2, trad. R. DOLLE (SC 200), 1973, p. 267. 404. LÉON LE GRAND, Sermon 96, 4, trad. R. DOLLE (SC 200), 1973, p. 283. 405. ÉAC II, p. 711-712.

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s’imagine qu’un grand homme ne saurait perdre son mouchoir sans qu’on marque aussitôt la place et qu’on la retienne pour consacrer le souvenir du fait par un monument 406. » En effet, il existait sur la via Nova une église (titulus fasciolæ, titulus désignant un ensemble de prêtres regroupés autour d’un édifice sacré, ancêtre d’une paroisse 407 et fasciola étant le nom de la bandelette), mentionnée dès 377 408, qui recueillait ce bandage : c’était la maison de la pieuse chrétienne qui le conserva et qui fut dédiée plus tard aux saints Nérée et Achillée. De même, le lieu de l’emprisonnement de Pierre est très clairement fixé : il s’agit de l’antique Tullianum, la Mamertine. La tradition voulait en effet qu’il fût enchaîné dans la prison Mamertine, près du forum, sous l’église actuelle San Pietro in carcere409. Creusée au VIIe siècle av. J.-C. et connue sous le nom de Tullianum, elle prendra au Moyen Âge le nom de Mamertine. Elle constituait une partie de la cloaca maxima, les égouts de Rome : son réservoir était surmonté d’une voûte percée en son milieu d’une ouverture unique. On y descendait les condamnés par des cordes : les assassins des Gracques, Jugurtha ou les complices de Catilina subirent cette douloureuse expérience. Bien souvent les prisonniers y moururent de faim. La tradition veut également qu’Eudoxie, femme de l’empereur Valentinien († 455) et fille de Théodose († 395) rapportât les chaînes de Jérusalem et les mît en présence de celles de la Mamertine : elles se joignirent miraculeusement. On les déposa alors dans l’église de Saint-Pierre-aux-Liens (San Pietro in vincoli) où elles accomplirent de nombreux miracles, comme des guérisons au temps du pape Alexandre 410. Une fête célèbre cet épisode, le 406. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques (Subisdia Hagiographica 18), Bruxelles, Société des Bollandistes/Vromant, 21906, p. 54. 407. L. DUCHESNE, « Notes sur la topographie de Rome au Moyen Âge – II. Les titres presbytéraux et les diaconies », Mélanges d’archéologie et d’histoire 7, 1887, p. 217-243. 408. Il s’agit de l’inscription funéraire d’un lector. J. M. PETERSEN, « The Identification of the Titulus Fasciolæ and Its Connection with Pope Gregory the Great », Vigiliæ Christianæ 30, 1976, p. 151-158. 409. « Un des lieux qui excite à Rome le plus vif intérêt est le souterrain de la petite église de San Pietro in Carcere autrefois prison Mamertine où furent enterrés saint Pierre et saint Paul. On montre encore dans cet humide et froid réduit l’endroit du mur contre lequel s’asseyait saint Pierre enchaîné ayant devant lui l’étroite piscine toujours pleine dont le vieux pèlerin avec un vase de fer qui y est attaché s’empresse de goûter l’eau douce et pour ainsi dire grasse comme si elle s’était repue de cadavres. Là prêchant tous les jours les personnes qui descendaient pour l’écouter, l’apôtre en convertit quarante-sept ; là, il baptisa ses deux geôliers Processus et Martinianus. Cette eau a coulé sur leur tête, cette eau a désaltéré le pécheur de Galilée. » C. ROBERT, « Cours d’histoire monumentale, 6e leçon », L’Université catholique 4, 1838, p. 108-109. 410. J. VAN DER STRAETEN, « Les chaînes de S. Pierre. Une nouvelle version de la légende », Analecta Bollandiana 90, 1972, p. 413-421.

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1er août dans l’Église latine 411 et le 16 janvier dans l’Église grecque sous le nom de « Chaînes de Saint Pierre ». Notons in fine qu’un personnage important entre en scène : Marcellus ou Marcel, qui s’affirme comme le disciple fidèle recueillant pieusement les restes de l’apôtre. C’est lui qu’on retrouve dans le texte suivant. 2. La Passion de Pierre et Paul du Pseudo-Marcel. – Datant du Ve siècle 412, la Passion du Pseudo-Marcel (CANT 193) est une réécriture des Actes de Pierre, qui associent Paul. Dans ce texte, c’est bien entendu Pierre qui décide de tout : Paul passe en seconde position. Ce texte est très caractéristique d’une certaine disparition de Paul. Dans sa revendication de primauté, Rome a en effet graduellement amenuisé la place de Paul, même si on continua, dans la liturgie, de célébrer, depuis le temps de Constantin, la fête des deux apôtres le 29 juin (celle-ci est inscrite dans le calendrier philocalien de 336) 413 et si on les associa dans des passions communes, car ils étaient censés être martyrisés la même année. Alors qu’Irénée parlait encore du rôle l’apôtre des Gentils à Rome, on voit qu’à partir du IVe siècle, on ne parle plus que du « siège de Pierre ». Optat de Milève dit qu’à Rome « c’est Pierre qui siégea en premier 414 », Jérôme dans les Hommes illustres 415 dit que Pierre fut le premier évêque et Augustin dans sa lettre 53 compte la succession apostolique à partir du seul Pierre 416. Le texte illustre bien ce mouvement : Néron dit alors à Agrippa, son préfet : « Ces hommes impies, il faut les faire mourir de manière terrible. Ainsi, après les avoir fait frapper de verges de fer, j’ordonne de les tuer à l’endroit de la Naumachie et de tuer de la même manière tous leurs semblables. Le préfet Agrippa dit : « Empereur très sacré, le châtiment que tu ordonnes ne donne pas un exemple clair. » Néron dit : « Pourquoi ? ». Agrippa dit : « Parce que Paul paraît innocent ; Pierre, par contre, est coupable d’assassinat, et, de surcroît, c’est un impie. » Néron dit : « Quel châtiment exemplaire subiront-ils ? » Agrippa, le préfet, dit : « À mon avis, il est juste de couper la tête à Paul, l’impie ; mais ordonne que Pierre soit mis en croix, parce qu’il a, de surcroît, commis un

411. J. B. SOLLER, « S. Petri ad uincula Romæ », Acta Sanctorum Augusti, vol. 1, Antverpiæ (Anvers), J. A. van Gherwen, 1733, p. 16. 412. Elle est connue sous deux formes édités par R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891 : forme A (p. 118-177) et forme B (p. 178-222). 413. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien…, p. 257 et 266. 414. OPTAT DE MILÈVE VIII, 2, 2-3. Sedit prior Petrus, cui successit Linus. 415. Clemens […] quartus post Petrum Romæ episcopus, siquidem secundus Linus fuit, tertius Anacletus. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inlustribus 15, 16, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1a), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 16. 416. AUGUSTIN, Epist. 53. Si enim ordo episcoporum sibi succedentium considerandus est, quanto certius et uere salubriter ab ipso Petro numeramus.

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meurtre. » Néron dit : « Tu as fort bien jugé. » Et Pierre et Paul furent emmenés loin du regard de Néron 417.

Pierre, qui est accusé du meurtre de Simon le Magicien passe donc pour le seul criminel aux yeux de Néron, tandis que Paul est quasiment innocenté. Le vrai martyr est donc le pêcheur de Bethsaïde : le Tarsiote n’est condamné qu’à une exécution sans douleur, tout en recueillant en quelque sorte le quitus du préfet. On connaît un texte abrégé de cette passion, la Passion des apôtres Pierre et Paul (CANT 194 = BHL 6667), elle aussi éditée par Lipsius 418. Son contenu n’est pas fondamentalement différent. En revanche, ce texte a dû certainement influencer le rédacteur de la Passio Petri de la collection du Pseudo-Abdias (CANT 195 = BHL 6662-6664) 419. Après avoir réalisé une paraphrase des Actes des Apôtres, ce texte reprend la narration expurgée des Actes de Pierre selon la version de Marcel. Le passage de témoin est évident : « Marcellus, l’un de ses disciples, n’attendant aucun ordre, le déposa de ses propres mains, et l’ayant préparé avec les plus précieux aromates, il le plaça dans son sarcophage, dans le lieu appelé Vatican 420. » 3. Les textes liturgiques. – Les textes liturgiques latins qui s’ensuivirent reprennent largement la légende romaine. Au VIe siècle, le Liber Pontificalis formule clairement la doctrine que Pierre est bien le premier pape et le véritable fondateur de l’Église de Rome : c’est lui qui ordonne ses deux successeurs, Lin et Clet et les 10 premiers prêtres ainsi que les 7 premiers diacres de Rome 421. Toutes les listes occidentales et tous les martyrologes 417. Passio Petri et Pauli 58-60. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, p. 169. Tunc Nero dixit ad præfectum suum Agrippam : Homines inreligiosos necesse est male perdere, et ideo cardis ferreis acceptis iubeo eos in Naumachia consumi et omnes huiuscemodi homines male consummari. Agrippa præfectus dixit : « Sacratissime imperator, non congruenti exemplo iubes eos puniri ». Nero dixit : « Quare ? » Agrippe dixit : « Quoniam Paulus innocens uidetur ; Petrus autem homicidii reus est, insuper et inreligiosus ». Nero dixit : « Ergo quo exemplo peribunt ? » Agrippa præfectus dixit : « Vt mihi uidetur, iustum est Paulo inreligioso caput amputari : Petrum autem eo quod insuper homicidium perpetrauerit, iube eum in cruce leuari ». Nero dixit : « Optime iudicasti ». Et deducti sunt Petrus et Paulus a conspectu Neronis. 418. R. A. LIPSIUS, Acta apostolorum apocrypha, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1891, p. 223-234. 419. Le texte n’a pas édité depuis Fabricius : J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Noui Testamentum, vol. 2, Hamburgi, Schiller, 1719, p. 402-441. 420. J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus…, p. 440. Cuius corpus Marcellus, unus ex discipulis eius, nullius expectans sententiam propriis manibus de cruce deposuit, et pretriosissimis aromatibus conditum in suo ipsius sarcophago collocauit, in loco qui dicitur Vaticanus. 421. Beatus Petrus, apostolus et princeps apostolorum, Antiochenus, filius Iohannis, provinciæ Gallileæ, vico Bethsaida, frater Andræ, primum sedit cathedra episcopatus in Antiochia ann. VII. Hic Petrus ingressus in urbe Roma Nerone Cesare ibique sedit cathedra episcopatus ann. XXV mens. II dies III. Fuit temporibus Tiberii Cæsaris et Gaii et Tiberii Claudi et Neronis. Hic scripsit duas epistulas quæ canonicæ nominantur

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reprennent la mort à Rome, et, le cas échéant, la controverse avec Simon le Magicien. Au Moyen Âge, Jacques de Voragine, dans le très copieux article qu’il consacre à Pierre 422 reprend les grandes lignes de la narration évangélique et ratifie les légendes « officielles », en particulier le combat contre Simon. Il rapporte également un certain nombre de légendes sur Néron (comme celle de la grenouille qu’il aurait enfantée servant d’étymologie fantaisiste au nom du Latran), ainsi que plusieurs miracles opérés par le corps de Pierre. Au XIIIe siècle, l’érudit florentin Brunetto Latini (1220-1294) résume dans un beau français tout ce que l’image retiendra de l’apôtre : Pierres ot divers nons, quar il ot non Simon Pierre et Simon Bar-jona. Simon vaut autant à dire comme Obeissant, porce que il obeit a Dieu quant il li dist : Vien après moi. Pierres vaut autant à dire comme Conoissant, porce que il connut Dieu quant il dist : Tu es Criz filz de Dieu vivant. Il nasqui en Galilée en une ville qui a nom Bethsaïdas. Il est li fermements de la pierre de sainte Eglise, si comme Diex dist : Tu es Pierre, et sor ceste pierre fonderai je m’eglise. Il est li princes des apostres ; il fu li premiers confessierres et disciples Jhesu Crist. Il tient les cleis dou ciel. Il preescha l’Evangile en Ponthe, en Capadoce, en Galatas, en Bythinie en Asie, en Ytaille. Il ala par mer partot à sès piez. Il garissoit les malades par son ombre, quant il passoit près d’eulz. Il resuscita une veve morte. Il fist engloutir à la terre Ananiam et Saphiram. Il fist cheir à terre Symon, qui s’en aloit au ciel contremont. Il tient l’office d’apostole. vij. anz en Antioche et. xxv. anz en Rome ; mais à la fin l’empereres Noirons le fist crucefier le chief desouz et les piez contremont ; et ce fu. xxxvj. anz après la passion Jhesu Crist,. ij. jors à l’issue de juignet. Et fu enseveliz en Rome vers soleil levant 423. et euangelium Marci, quia Marcus auditor eius fuit et filius de baptismo ; post omnem quattuor euangeliorum fontem quæ ad interrogationem et testimonio eius, hoc est Petri, firmatæ sunt, dum alius grece alius hebraice alius latine consonent, tamen eius testimonio sunt firmatæ. Hic ordinauit duos episcopos, Linum et Cletum, qui præsentaliter omne ministerium sacerdotalum in urbe Roma populo uel supervenientum exhiberent ; beatus autem Petrus ad ad orationem et prædicationem, populum erudiens, uacabat. Hic cum Simone mago multas disputationes habuit, tam ante Neronem imperatorem quamque ante populum ; ut quos beatus Petrus ad fidem Christi adgregabat, ille per magias et deceptiones segregabat. Et dum diutius altercarent, Simon divino nutu interemptus est. […] Hic martyrio cum Paulo coronatur. Hic fecit ordinationes III, presbiteros X, diaconos VII, episcopos III per mens. Decemb. Qui et sepultus est via Aurelia, in templum Apollonis, iuxta locum ubi crucifixus est, iuxta palatium Neronianum in Vaticanum, in territurium Triumphale, via Aurelia, III k. iul. L. DUCHESNE, Le Liber Pontificalis, texte, introduction et commentaire, vol. 1, 1886, Paris, de Boccard, 21955, p. 118. 422. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 448-462. 423. Brunetto LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. CHABAILLE, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 71-72.

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B IL AN : L ’ ICONOGR APHIE

COMME REL AIS DE L A RÉCEP TION

DE L A FIGURE DE

P IERRE

L’iconographie pétrinienne est bien à l’image de l’évolution que l’on vient de tracer : plus le temps passe et plus Pierre sert les visées d’une Église officielle cherchant à imposer l’idée d’une hiérarchie spirituelle calquée sur la hiérarchie temporelle (et souvent contrôlée par elle). Les visions effrénées et les détours par l’extatisme sont bien vite oubliés : pour promouvoir la figure qui va mettre au pas la chrétienté, il importe de faire le ménage. Pierre sera donc prié d’oublier ces incartades de jeunesse pour devenir le prince des apôtres. 1. Un type iconographique. – La première étape est de pourvoir l’apôtre d’un visage. Et celui-ci, comme celui de Paul, est d’une surprenante stabilité, preuve d’un assez grand contrôle des représentations. Dès le médaillon de bronze de la catacombe de Saint-Calixte ( IIIe siècle), qui présente Pierre et Paul affrontés, il a le même type iconographique : la barbe courte et fournie, les cheveux légèrement bouclés, le nez camus. Le portrait correspond exactement à la description conservée par Nicéphore Calliste, l’historien byzantin écrivant vers 1300 : « Le divin Pierre n’était pas gros, mais assez grand et droit, il avait le visage blanc et un peu pâle. Il avait la barbe et les cheveux, frisés et abondants, mais pas très longs. Il avait les yeux noirs et comme injectés de sang, et de forts sourcils. Il avait le nez assez long, et plutôt aplati au bout que pointu 424. » À une époque où le physique traduit le moral, la description est claire : il s’agit bien d’un homme sanguin, impulsif, pourvu de la chevelure et de la barbe de l’homme autoritaire. Le portrait de Saint-Calixte remonte en effet à l’époque des Antonins où les empereurs cessent d’être glabres comme Auguste, mais portent une barbe courte et les cheveux bouclés comme Marc Aurèle ou Antonin le Pieux. Pierre est bien l’empereur des chrétiens. Ce type ne variera quasiment pas, au point qu’il est quasiment le meilleur moyen de reconnaître l’apôtre, en absence de ses attributs traditionnels (ce qui n’est certes pas le cas des autres membres du groupe des Douze). 2. Des attributs d’autorité. – La qualité de Pierre comme « Prince des Apôtres » se montre également par les costumes qu’il revêt et les attributs qu’il possède 425. Vêtu à l’origine comme un apôtre d’une tunique, il porte à 424. Ὁ μὲν θεῖος Πέτρος τὴν ἠλικίαν μέτριος ἤν, ἐπὶ τὸ ὅρθιον ἔχων αὐτὴν ἀναβαίνουσαν. Ὕπωξρος δὲ τὴν ὅψιν καὶ μάλα λευκός· οὖλος τὰς τρίχας τῆς κεφαλῆς καὶ τοῦ πώγωνος καὶ δασύς· οὑ μὴν καὶ καθειμένας ἔχων αὐτάς· ὑφαίμους ὥσπερ καὶ οἱνωποὺς προβάλλων τοὺς ὀφθαλμούς· ἀνεσπακὼς τὰς ὀφρῦς· καὶ ῥῖνα μακρὰν μὲν, οὐ μὴν δὲ καὶ εἰς ὀξὺ καταλήγουσαν, ἀλλ᾽ ὠσανεὶ σιμὴν κεκτημένος. NICEPHORE CALLISTE, Hist. Eccl. II, 72. PG 145, 853. 425. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. III, Paris, PUF, 1959, p. 1077-1100.

PIERRE : LE « PRINCE DES APÔTRES » ?

255

partir du Moyen Âge le costume pontifical : le pallium puis, à partir du Xe siècle, de la tiare conique ou de la triple couronne. Il arbore le plus souvent la clef qui apparaît pour la première fois sur une mosaïque du Ve siècle. La déclaration de Jésus sur le fait de lier et de délier a été en effet très tôt interprétée comme une déclaration d’autorité et Pierre est devenu dans la croyance populaire janitor cœli, portier du paradis. Les clefs sont le plus souvent liées pour montrer que le pouvoir de lier et le pouvoir de délier sont un. Pierre est parfois accompagné d’un coq qui symbolise son reniement et d’un poisson qui évoque son métier. Les « chaînes » rappellent son triple emprisonnement (à Jérusalem, à Antioche et à Rome), la croix renversée son supplice la tête en bas. Comme le pape, il arbore la croix à triple croisillon (un de plus que les archevêques) qui marque la dignité pontificale. Les épisodes dans lesquels intervient Pierre sont extrêmement nombreux. Outre tous ceux qui se trouvent dans les textes canoniques, il convient de constater que les peintres ont largement puisé aux textes apocryphes, en particulier la passion du Pseudo-Lin. On retrouve ainsi l’Ascension et la Chute de Simon le Magicien dès un sarcophage paléochrétien à Fermo ou bien au XIIe siècle dans l’un des chapiteaux d’Autun et ensuite chez Benozzo Gozzoli (retable de 1462, Metropolitan, New York). Le Quo Vadis ? connaît une certaine faveur à partir du XVe siècle, en particulier à Saint-Pierre de Saumur, chez Michel Ange (Christ en marbre de S. Maria sopra Minerva), Carrache (National Gallery, Londres). Le supplice la tête en bas est très fréquent, on peut citer le tympan d’Aulnay-de-Saintonge (XIIe siècle), le chapiteau du cloître de Saint-Pierre de Moissac (XIIe siècle), la fresque de Nohant-Vic (XIIe siècle), les peintures de Giotto (XIVe s., Pinacothèque vaticane), Bellini (prédelle du Couronnement de la Vierge, XVe s., musée Pesaro), Fouquet (Livre d’Heures d’Étienne Chevalier, 1450, Chantilly, Musée Condé), Bellegambe (XVIe siècle, musée de Douai), Guido Reni (XVIIe s., Pinacothèque vaticane), Caravage (1600, Santa Maria del Popolo, Rome), Rubens (XVIIe s., Sankt-Peter de Cologne).

CHAP. 3

ANDRÉ L’« HÉTÉRODOXE » PATRON DE BYZANCE Après cette longue discussion sur la figure de Pierre, notre propos se fera plus bref sur celle de son frère André. En effet, ce dernier occupe une place beaucoup plus modeste dans les évangiles et n’a certainement pas la même importance. Toutefois, faire l’histoire de ce pécheur de Bethsaïde ne manque pas d’intérêt. Avec lui, on se retrouve confronté à un cas important pour notre enquête sur les jeux de pouvoir dans le christianisme. André, qui ne joue qu’un petit rôle dans les évangiles, devient, au cours du IIe siècle, le patron de communautés dualistes influencées par la philosophie grecque : il verse donc dans ce que le christianisme postérieur définirait comme une certaine « hétérodoxie ». Comment le frère de Pierre aurait-il pu devenir hérétique ? La situation ne saurait perdurer ! On s’activa donc et à partir du Ve siècle, on se lança dans une « récupération » officielle de la figure d’André qui devint le saint patron de Constantinople.

I. U N

APÔTRE A SSEZ EFFACÉ DANS LE

N OU VE AU T ESTAMENT

Contrairement à son remuant frère, André reste quasiment incognito dans le Nouveau Testament, même s’il est frappant de constater la différence de traitement entre les synoptiques et Jean. Manifestement, deux traditions différentes sont ici à l’œuvre. A. André dans les synoptiques Les synoptiques réduisent André au rôle de simple utilité et ne le mentionnent qu’en de rares passages. Ils le nomment toujours Ἀνδρέας, un nom rare chez les Juifs puisqu’il s’agit d’un nom grec, qui n’est connu que par deux occurrences archéologiques datant d’avant les guerres juives 1.

1. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 262. Il s’agit de CIJ 1272 décrit en 1930 par Sukenik et d’un ossuaire décrit en 1983 par Puech : É. PUECH, « Inscriptions funéraires palestiniennes : tombeau de Jason et ossuaires », Revue biblique 90, 1983, p. 421-533 (528).

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CHAPITRE 3

1. Un appel à la manière d’Élie. – André est appelé en compagnie de son frère Pierre et il convient ici de reprendre tout ce qu’on a indiqué concernant le Prince des Apôtres. On se bornera à quelques remarques : Mc 1, 16-18. – Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs. Jésus leur dit : « Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ». Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.

Jésus passe donc le long de la « mer de Galilée » : l’expression, étrange (un Grec ne dirait pas, θάλασσα mais λίμνη comme Lc ou Josèphe 2), dénote un usage local que l’on trouve en Nb 34, 11. Le mot employé par Marc, « passer » (παράγων) suggère qu’il s’agit d’une véritable théophanie : Jésus « passe » comme passe le Seigneur devant la caverne d’Élie en 1R 9, 11. Il trouve Simon et André. D’emblée, on constate la différence entre les deux puisque l’un porte un nom hébreu (Σίμων) et l’autre un nom grec (Ἀνδρέας), ce qui sous-entend une famille ouverte à l’influence hellénistique. L’un semble connu, tandis que, pour l’autre, l’évangéliste éprouve le besoin de préciser qu’il est « le frère de Simon » 3. L’appel, comme on l’a dit pour Pierre, dénote le style prophétique et ne ressemble pas du tout à un appel rabbinique où d’habitude, le maître adopte son disciple. Ce que Jésus dit, « je vous ferai pêcheurs d’hommes » (ἁλιεῖς ἀνθρώπων) consonne avec Jérémie 16, 16. Bien entendu, la pointe du texte se trouve dans le εὐθύς : la prise de décision est foudroyante et implique une renonciation immédiate de tout, ce qui démontre l’extraordinaire ἐξουσία de Jésus. En effet, les filets dont il est question ici fonctionnent pour une métonymie comme l’avait déjà vu avec beaucoup de finesse au XVIIe siècle Cornelius a Lapide (1567-1637) : on quitte en même temps les maisons, les domestiques, les bateaux 4… Cependant, on sait que Pierre conservera l’usage d’une barque, qu’il continue d’aller dans sa famille et qu’il retourne pêcher : peut-être l’appel n’est-il pas si radical que cela pour André non plus. 2. Une question sur le mont des Oliviers. – Après cet épisode où finalement il joue le rôle de double de Pierre, André n’apparaît plus qu’à deux reprises : au moment de la guérison de la belle-mère de son frère et lors d’une question sur le mont des Oliviers. De la guérison de la belle-mère de Pierre, on ne retiendra qu’une phrase :

2. R. T. FRANCE, The Gospel of Mark. A Commentary on the Greek Text (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2002, ad loc. 3. J. PAINTER, Mark’s Gospel : Worlds in Conflict, London, Routledge, 1997, p. 36. 4. CORNELIUS A LAPIDE, Commentarius in Quatuor Euangelia, Venetiis (Venise), Albriccio, 1700, p. 87.

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Mc 1. – 29 Juste en sortant de la synagogue, ils allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André.

La maison, l’οἰκία Σίμωνος καὶ Ἀνδρέου semble avoir été la base arrière de Jésus à Capharnaüm : Mc mentionne par la suite cette même οἶκος (2, 1 ; 3, 20 ; 7, 17 ; 9, 28) où le Maître et ses disciples se retrouvent en Galilée, loin des foules. Le fait que les deux frères semblent en être propriétaires indique une maison abritant une famille étendue. La question sur le mont des Oliviers mérite d’être lue en entier : Mc 3, 3-6.9-12. – 3 Comme il était assis au mont des Oliviers en face du temple, Pierre, Jacques, Jean et André, à l’écart, lui demandaient : « Disnous quand cela arrivera et quel sera le signe que tout cela va finir ». Jésus se mit à leur dire : « Prenez garde que personne ne vous égare. Beaucoup viendront en prenant mon nom ; ils diront : « C’est moi » et ils égareront bien des gens. […] Soyez sur vos gardes. On vous livrera aux tribunaux et aux synagogues, vous serez roués de coups, vous comparaîtrez devant des gouverneurs et des rois à cause de moi : ils auront là un témoignage. Car il faut d’abord que l’Évangile soit proclamé à toutes les nations. Quand on vous conduira pour vous livrer, ne soyez pas inquiets à l’avance de ce que vous direz ; mais ce qui vous sera donné à cette heure-là, dites-le ; car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint. »

Le texte reprend un schéma habituel dans Mc : Jésus fait une étrange déclaration en public et les disciples demandent une explication. Leur question est en deux parties, qui annoncent le discours de Jésus (les disciples paraissent connaître le plan de l’intervention que va faire Jésus). Il s’agit ici de la seule référence où André joint le « cercle restreint ». Et certes, la réponse de Jésus lui est formellement adressée (13, 3), mais Mc a clairement le lecteur à l’esprit et s’adresse même directement à lui (13.14) : ὁ ἀναγινώσκων νοείτω. C’est un signal que ce discours intègre la situation des lecteurs de Marc et pas seulement la situation des quatre disciples nommés 5. Le principal intérêt de la présence d’André à ce discours pour notre étude de la tradition est qu’il entend un programme de vie apostolique dont il va faire les frais dans les Actes apocryphes. En effet, on ne va pas tarder à mettre en scène le pêcheur de Bethsaïde en procès devant les tribunaux. Il y sera roué de coups, mais pourra y prononcer quelques discours bien sentis. Il est donc possible que ce texte ait eu une certaine influence sur la figure que prendra André par la suite.

5. J. PAINTER, Mark’s Gospel : Worlds in Conflict, London, Routledge, 1997, p. 173.

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CHAPITRE 3

B. André chez Jean Au contraire des évangiles synoptiques, André est beaucoup plus présent chez Jean. 1. L’appel. – Comme dans les synoptiques, l’appel d’André et celui de Pierre se trouvent très rapprochés, mais on voit que l’appel est bien différent. Jn 1, 37-44. – Les deux disciples, l’entendant parler ainsi, suivirent Jésus. Jésus se retourna et voyant qu’ils s’étaient mis à le suivre, il leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils répondirent : « Rabbi, ce qui signifie Maître, où demeures-tu ? » Il leur dit : « Venez et vous verrez ». Ils allèrent donc, ils virent où il demeurait et ils demeurèrent auprès de lui, ce jour-là ; c’était environ la dixième heure. André, le frère de Simon-Pierre, était l’un de ces deux qui avaient écouté Jean et suivi Jésus. Il va trouver, avant tout autre, son propre frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ! » Ce qui signifie le Christ. Il l’amena à Jésus. Fixant son regard sur lui, Jésus dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu seras appelé Céphas » ce qui veut dire Pierre. […] Or, Philippe était de Bethsaïde, la ville d’André et de Pierre.

En lisant le prologue, le lecteur de Jn a déjà compris que le Baptiste joue le rôle fondamental de premier révélateur du Logos-lumière aux hommes. Et voici que ce premier intermédiaire en suscite deux autres. Deux disciples suivent Jésus, car ils ont entendu la déclaration du Témoin : l’écoute précède ici le voir. Ce sont des hommes déjà en recherche que Jésus jauge du premier coup d’œil : en leur demandant « que cherchez-vous ? », il les constitue en chercheurs de Dieu. André, qui est l’un d’eux, est donc déjà présenté comme un homme en quête, qui a commencé par se faire disciple de Jean le Baptiste. Il est aussi le premier de l’évangile à se confronter au Logos et à ses questions essentielles. D’ailleurs, le voilà déjà disciple : il suit Jésus et l’on sait bien qu’ἀκολουθεῖν est le terminus technicus chez Jn qui signifie « suivre comme disciple ». Aussi se paie-t-il le luxe des questions théologiques, « Où demeures-tu ? » : le verbe μένειν fait bien évidemment allusion à l’habitation du Logos parmi les hommes décrite par le prologue. « Il trouve son frère » : dans les synoptiques, l’appel se fait de concert, alors que chez Jn, Simon est second par rapport à André. André est celui qui conduit à Jésus 6 et il possède même le privilège de confesser le premier le Messie 7. Ainsi que le dit Maldonat dans une jolie formule : « André n’a pas enfoui en terre le talent qu’il avait reçu, mais le montra immédiate6. X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’évangile de Jean (Parole de Dieu), Paris, Seuil, vol. 1, 1988, p. 191. 7. R. E. BROWN, The Gospel According to John I-XII (Anchor Bible 29), Garden City (NY), Doubleday, 1966, p. 80.

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ment à la lumière ; quoiqu’il fût pêcheur, dès qu’il rencontra le Christ, il commença à le prêcher 8. » Il a de quoi prêcher, car, à bien regarder les titres donnés à Jésus, on s’aperçoit que toute une petite théologie se met déjà au travail, où on appelle Jésus Agneau de Dieu (v. 36), Rabbi (38), Messie (41) celui qui est annoncé par Moïse et les prophètes (45), Fils de Dieu, roi d’Israël (49) 9. Cette exaltation d’André pourrait s’expliquer par la volonté johannique qu’on a déjà vue à l’œuvre de contrebalancer l’influence du « Prince des Apôtres ». En effet, c’est à lui que revient l’honneur d’être le premier des disciples. Aussi l’appelle-t-on souvent le Protoclète, le premier appelé (προτόκλητες) dans l’Église grecque. 2. André, de la multiplication des pains à la question des Grecs. – Pour autant, cette prépondérance du frère de Pierre demande à être nuancée. Force est de constater qu’il se fait par la suite plutôt discret dans l’évangile. On ne le retrouve qu’à deux reprises. La première prend place lors de la multiplication des pains ( Jn 6, 5-10). Ce texte bien connu s’inspire fortement d’un des morceaux de bravoure d’Élie consigné dans le livre des Rois (2R 4, 42-44 10) et pose Jésus en Dieu provident dispensant la manne à son peuple dans le désert. Sachant ce qu’il va faire, Jésus lance un test : comment nourrir une foule quand on n’a rien ? La question est tout autant spirituelle que matérielle ; la mention du pain oriente vers une lecture eucharistique, comme le prouve le discours qui va suivre portant sur le pain de Dieu 11. Face à la question de Jésus, Philippe et André ont deux réponses. Philippe joue les comptables et conclut à l’impossibilité de nourrir les foules : il a la réponse de l’homme raisonnable. André ne peut guère aller plus loin, mais il fait tout de même un pas de plus : en désignant le pain et le poisson apportés par le garçon, il veut souligner l’impossibilité de nourrir une si grande foule. Toutefois, il part dans la direction que va suivre Jésus : finalement, c’est bien l’option d’André qui sera suivie. Dans cet épisode, André se montre donc un disciple lent à comprendre, mais qui est déjà sur le chemin de la foi. André et son compère de Bethsaïde, Philippe, sont également associés dans l’épisode des Grecs qui veulent voir Jésus : 8. Non defodisse in terram Andream talentum quod acceperat sed ad lucrum statim exposuisse, et quamuis piscator esset, statim ut Christum invenit, cœpisse prædicare. J. MALDONAT, Commentarii in quatuor Evangelistas, 1597, Conrad MARTIN (éd.), Franz Kirchemii, Mayence, 1854, p. 447. 9. C. K BARRETT, The Gospel According to Saint John, Philadelphia (PA), Westminster, 21978, ad loc. 10. C. G. CRUSE, The Gospel According to John (Tyndale New Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2004, p. 162. 11. L. MORRIS, The Gospel According to John (New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1995, p. 299-300.

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CHAPITRE 3

Jn 12, 20-22. – Il y avait là quelques Grecs, de ceux qui montaient pour adorer pendant la fête. Ils s’adressèrent à Philippe qui était de Bethsaïde de Galilée et ils lui firent cette demande : « Seigneur, nous voudrions voir Jésus ». Philippe alla le dire à André et ensemble ils le dirent à Jésus.

Quoique fort bref, ce petit épisode a une certaine importance, même si les Grecs en question disparaissent dans la suite du texte. Leur requête marque en effet la fin de l’activité publique de Jésus en direction d’Israël et débouche sur une réflexion concernant les résultats négatifs de ce ministère public (v. 37-50) 12. Il est difficile de savoir de quels Grecs il s’agit. S’agit-il de prosélytes et donc de Grecs de souche ? S’agit-il au contraire de Juifs de la Diaspora ? Les commentateurs se divisent sur le point 13. Toujours est-il qu’ils se tournent non vers Jésus, mais vers ses disciples Philippe et André, sous le prétexte qu’ils venaient de Bethsaïde. Si Thomas d’Aquin prétendait que la médiation des deux disciples prouvait que Jésus devait proclamer l’évangile aux Juifs et les disciples l’évangile aux Grecs 14, l’interprétation la plus simple est que les deux disciples parlaient grec, ce qui ne surprend pas pour un natif de Galilée. Bien entendu, cet épisode peut être lu de manière symbolique. « Nous voulons voir Jésus » est une demande de mystique et on se souvient du cri de Thérèse d’Ávila enfant justifiant une fugue vers le pays des Maures en disant « je veux voir Dieu ! ». Et voilà donc Philippe et André posés en chambellans de Jésus, en portiers du Seigneur. Et dans ce rôle, André semble avoir une dignité plus éminente que Philippe, puisque c’est lui à qui on en réfère, trace peut-être d’une proximité plus grande avec Jésus. Alors que l’apôtre jouait les seconds couteaux dans les synoptiques, on s’aperçoit qu’il est chez Jean le premier appelé, le premier évangélisateur : celui qui donne accès à Dieu.

II. L E S A CTA A NDRÆ

: TR A JETS D ’ UN ( II e - III e SIÈCLES )

GREC S

DUALISTE

APÔTRE

C’est probablement ce dernier aspect qui explique sa fortune dans les Actes apocryphes. L’apôtre André présente un cas tout à fait intéressant pour notre problématique de la quête d’autorité dans le premier christia12. H. H. RIDDERBOS, The Gospel According to John : A Theological Commentary, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1997, p. 427. 13. H. B. KOSSEN, « Who Were the Greeks of John XII 20 ? », in Studies in John Presented to J. N. Sevenster on the Occasion of his Seventieth Birthday, Leiden, Brill, 1970, p. 97-110. J. BEUTLER, « Greeks come to see Jesus, John 12,20f. », Biblica 71, 1990, p. 333-347. 14. J. BLANK, Krisis. Untersuchungen zur johanneischer Christologie und Eschatologie, Freiburg, Lambertus Verlag, 1964, p. 266.

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nisme. En effet, il fait l’objet dès la fin du IIe siècle d’Actes qui racontent ses tribulations apostoliques. Or ces premiers Actes sont issus de milieux encratites et dualistes 15 : voilà qui aurait dû condamner André à ne jouer que les utilités dans le christianisme constantinien. Tel ne fut pas le cas : sans doute parce qu’il était le frère de Pierre, et qu’il ne pouvait sombrer dans l’« hétérodoxie », André fut en quelque sorte « rattrapé » par la tendance officielle. Suivons donc pas à pas les étapes de cette récupération16. A. André avant les Actes : l’apôtre de la Scythie Les Actes d’André réalisent la première synthèse d’importance sur l’apôtre. Ce sont eux qui assignent à André une prédication en Achaïe et une mort à Patras. Tout montre que cette tradition est secondaire. Le nom du principal adversaire d’André, Égéate, semble bien grec pour être celui d’un gouverneur romain. On peut également s’étonner de le trouver dans un palais à Patras : le siège normal du gouverneur d’Achaïe se trouvait à Corinthe et non dans une ville d’importance moyenne. Mais surtout, une tradition bien établie faisait plutôt de Paul, puis de Luc l’apôtre de l’Achaïe. On la retrouve chez Jérôme dans son commentaire de l’évangile de Matthieu 17. Elle est également présente dans le prologue (non canonique) de l’évangile de Luc que Donatien de Bruyne puis Harnack ont pu dater du IIe siècle, mais qui remonte plus probablement au VIe siècle 18. Grégoire de Nazianze dans son Discours 23 aux Ariens 15. G. SFAMENI GASPARRO, « Gli Atti apocrifi degli Apostoli e la tradizione dell’enkrateia », Augustinianum 23, 1983, p. 288-307. U. BIANCHI, « Encratismo, acosmismo, diteismo come criteri di analisi storico-religiosa degli Apocrifi », Augustinianum 23, 1983, p. 309-317. On se souvient que l’encratisme est une doctrine hyper-ascétique refusant les relations sexuelles, les boissons fermentées. Irénée de Lyon fait de Tatien le Syrien (né vers 120), disciple de Justin, le fondateur de cette secte, même s’il faut plutôt y voir un courant. Tatien rejetait le mariage, condamnait l’usage de la viande et du vin, allant même jusqu’à préconiser l’eau pour célébrer l’eucharistie. 16. Pour un résumé (plutôt succinct) des traditions : P. M. PETERSON, Andrew Brother of Simon Peter (Supplements to Novum Testamentum 1), Leiden, Brill, 1963. 17. JÉROME, Commentaire sur Saint Matthieu, Préface, trad. É. BONNARD (SC 242), 1977, p. 62 (PL 26, 18). Lucas medicus natione Syrus Antiochensis, cuius aus in euangelio, qui et ipse discipulus apostoli Pauli in Achaiæ Bœtiæque partibus uolumen condidit. « Luc est un médecin, un Syrien d’Antioche, dont on fit l’éloge pour son évangile. Disciple lui aussi d’un apôtre, Paul, il écrivit son ouvrage en Achaïe et Béotie ». 18. L’article de Dom Donatien de Bruyne (D. DE BRUYNE, « Les plus anciens prologues latins des évangiles », Revue bénédictine 40, 1928, p. 193-214) connut une certaine célébrité grâce à son utilisation par Harnack (A. VON HARNACK, « Die ältesten Evangelien-Prologe und die Bildung des Neuen Testaments », Sitzungsberichte der königlichen preußischen Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Klasse 24,

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CHAPITRE 3

(PG 36, 227) affirme encore que Luc est bien l’apôtre de l’Achaïe, tandis qu’André est celui de l’Épire. Auparavant, donc, comme l’atteste un texte d’Origène, contenu chez Eusèbe de Césarée, la prédication d’André avait lieu chez les Scythes : Quant aux saints apôtres de notre Sauveur et ses disciples, ils étaient dispersés sur toute la terre habitée (l’οἰκουμένη). Thomas, à ce que rapporte la tradition, obtint en partage la Parthie, André la Scythie, Jean l’Asie où il vécut aussi, mourant à Éphèse, Pierre paraît avoir prêché aux Juifs de la Diaspora dans le Pont, la Galatie, la Bithynie, la Cappadoce et l’Asie ; finalement, étant venu à Rome, il fut crucifié la tête en bas, après avoir lui-même demandé de souffrir ainsi. Que faut-il dire de Paul qui, depuis Jérusalem jusqu’à l’Illyrie, a accompli l’Évangile du Christ et rendit enfin témoignage à Rome sous Néron 19 ?

Comment croire qu’Origène, qui avait voyagé en Achaïe, aurait-il pu ignorer qu’André était mort à Patras, si la tradition avait existé à son époque dans la région 20 ? Au milieu du IIIe siècle, on croyait encore à l’apostolat scythe. La Scythie était un empire puissant entre le VIIIe et le IIIe siècle av. J.-C. Elle prenait son nom des Scythes qui disparurent en 179 av. J.-C. sous les coups de boutoir des Sarmates ; on connaissait toutefois encore la région de la mer d’Azov et de la mer Noire sous son nom ancien. Elle était familière des Grecs qui avaient installé des colonies qui se trouvaient au nord de la mer Noire 21 et on sait qu’à partir du 1er s. av. J.-C., des campements juifs s’étaient installés sur les rivages de la mer d’Azov 22. La mention d’un θεός 1928, p. 322-341). Il faut dire qu’il servait les intérêts de l’auteur de l’Évangile du Dieu étranger puisque Dom de Bruyne datait ces prologues des années 180 et affirmait qu’ils avaient été rédigés à Rome dans un but anti-marcionite. Par la suite, on a reculé leur date au IIIe siècle, voire au IVe-VIe siècle : R. M. GRANT, « The Oldest Gospel Prologues », Anglican Theological Review 23, 1941, p. 231-245 ; R. G. HEARD, « The Oldest Gospel Prologues », Journal of Theological Studies 6, 1955, p. 1-16. J. Regul a fait l’analyse la plus complète de ces prologues et a confirmé la datation basse. J. REGUL, Die antimarcionitischen Evangelienprologue (Vetus Latina Die Reste der altlateinischen Bibel – Aus der Geschichte der lateinischen Bibel 6), Freiburg, Herder, 1969. 19. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 1, 1-3, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 97. 20. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium and the Legend of the Apostle Andrew (Dumbarton Oakes Studies 4), Cambridge (MS), Harvard University Press, 1958, p. 212. Voir également ID., « L’idée de l’apostolicité à Byzance et la légende de l’apôtre André », X. Milletlerarası Bizans tetkikleri kongresi tebliğleri. Actes du Xe Congrès international d’études byzantines 1955, Istanbul, Publication du comité d’organisation du X. congrès international d’études byzantines, 1957, p. 322-326. 21. A. WASOWICZ, « À l’époque grecque : le peuplement des côtes de la mer Noire et de la Gaule méridionale », Annales 21, 1966, p. 553-572. 22. E. SCHÜRER, « Die Juden in bosporanischen Reiche und die Genossenschaften der σεβόμενοι θεόν ὕψιστον », Sitzungsberichte der königlichen preußischen Akademie der Wissenschaften, Phil.-hist. Klasse 13, 1897, p. 200-225.

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ὕψιστος découvert dans des inscriptions, en constitue un indice (qu’il ne faudrait pas surévaluer, étant donné que le titre peut aussi s’appliquer aux dieux païens 23). Il est donc possible que la prédication des premiers temps chrétiens se soit concentrée sur ces régions, qui étaient en étroite communication avec l’Asie Mineure et dans lesquelles pouvaient se trouver des maisons amies. Et justement, il semble qu’André ait eu des liens avec l’Asie Mineure et les communautés johanniques, comme l’atteste le fragment de Muratori. Le quatrième des évangiles est celui de Jean, l’un des disciples. Lorsque ses condisciples et des évêques le pressèrent, il dit : « jeûnez avec moi aujourd’hui trois jours et tout ce qui nous sera révélé, nous nous le raconterons les uns aux autres. » La même nuit, il fut révélé à André, l’un des apôtres, que, alors que tous le reliront, ce serait Jean qui l’écrirait sous son nom propre 24.

La présence d’André aux côtés de Jean, l’apôtre de l’Asie Mineure, semble ici irréfutable, puisque c’est à lui que s’adresse le rêve à l’origine de l’évangile. Si l’on suit J. Verheyden 25 et que l’on continue à dater le fragment des années 150, il faut admettre qu’au lieu d’être associé à la Grèce, André semble avoir eu partie liée à une haute époque avec l’Asie Mineure. Ce n’est que dans un second temps, avec les Actes d’André, qu’il prendra une dimension européenne. B. Caractéristiques des Actes d’André Les Actes d’André grecs (CANT 225.1) 26 nous ont été conservés de manière fragmentaire : ils doivent être reconstruits à partir de nombreux 23. Voir les exemples et les longues discussions qui conduisent à retenir certaines inscriptions comme spécifiquement juives dans Y. USTINOVA, The Supreme Gods of the Bosporan Kingdom, Celestial Aphrodite and the Most High God (Religions in the Graeco-Roman world 135), Leiden/Boston/Köln, Brill, 1999. 24. Fragment de Muratori, 10-14. [10] quarti euangeliorum Iohannis ex discipulis. [11] cohortantibus condiscipulis et episcopis suis dixit [12] Conieiunate mihi hodie triduum, [13] et quid cuique fuerit reuelatum alteratrum nobis enarremus. [14] eadem nocte reuelatum Andreæ ex apostolis, ut recognoscentibus cunctis, Iohannes suo nomine cuncta describeret. 25. J. VERHEYDEN, « The Canon Muratori. A Matter of Dispute », in J.-M. AUWERS et H. J. DE JONGE (éd.), The Biblical Canons (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 163), Leuven, University Press/Peeters, 2003, p. 487-556. Contra A. C. SUNDBERG, « Canon Muratori : A Fourth-Century List », Harvard Theological Review 66, 1973, p. 1-41. 26. Les Actes d’André grecs sont représentés par le fragment du Vaticanus græcus 808 (CANT 225b = BHG 95, XIe s., f° 507-512v), le Cod. Sinaiticus gr. 526 (CANT 225a = BHG 94h, XIIe s., f° 155-168v) et le ms. d’Ann Arbor 36 f°60v-66v (CANT 225c = BHG 99c, XIVe s.) ; le Martyrium Andreæ alterum (BHG 97-98) dont on connaît aussi deux autres versions, l’une (A = CANT 225d = BHG 97) que

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textes qui n’adoptent pas toujours le point de vue du rédacteur original, d’où la difficulté à connaître leur forme primitive. J.-M. Prieur en a fait une proposition : après un prologue, on assistait à diverses pérégrinations du Pont à Patras, puis à une activité à Patras et en Achaïe, suivie de l’arrestation d’André, de son procès et de son martyre. Avec L. Roig Lanzillotta, il semble qu’il faille renoncer à une telle entreprise, tant les différentes versions sont hétérogènes 27. Le papyrus copte Utrecht 1 (CANT 225.3.1), qui recueille un fragment des Actes daté du IVe siècle 28, prouve que le texte connaissait déjà une diffusion en Égypte (même si le fragment semble difficilement conciliable avec les Actes grecs et latins 29). Eusèbe de Césarée, entre 303 et 312, affirme que parmi les textes à rejeter se trouvent des Actes d’André 30 ce qui nous donne un terminus ad quem. Ce terminus est confirmé par le fait qu’existait à Patras une basilique remontant au moins au IVe siècle puisqu’on sait qu’en 356 une partie des reliques d’André y fut prélevée et partit pour Constantinople 31. Pour autant, il ne faut pas imaginer une diffusion universelle. Comme on l’a vu 32, les informations d’Origène ne correspondent les ms. Saint-Sabas 30 f°154v-156v (BHG 97, XIe s.) et ms. Parisinius gr. 770 f° 43v-46v reproduisent et l’autre (B = CANT 225e = BHG 98 conservée dans le Parisinus gr. 1539 (XIe s.), f° 304-305v ; la Passion Arménienne (CANT 230 = BHO 52) du ms. de Venise ; le pap. Copt. Utrecht 1 (CANT 225.3.1) ; la Vie d’André par Grégoire de Tours (BHL 430 = CANT 225.2) et les autres textes dont nous allons parler. J.-M. PRIEUR, Acta Andræ – Præfatio & Commentarius (Corpus Christianorum Series Apocryphorum 5), Turnhout, Brepols, 1989 ; ID., Acta Andræ – Textus (Corpus Christianorum Series Apocryphorum 6), Turnhout, Brepols, 1989 ; ID., Actes de l’apôtre André (Apocryphes 7), Turnhout, Brepols, 1995. On se servira également de l’étude de Jean Flamion : J. FLAMION, Les Actes apocryphes de l’Apôtre André (Recueil de travaux publié par les membres des conférences d’histoire et de philologie 33), Louvain/Paris/Bruxelles/Namur, Bureau du Recueil/Picard/Dewit/Godenne, 1911. Pour un résumé des traditions : J.-M. PRIEUR, « Les Actes apocryphes de l’apôtre André : présentation des diverses traditions apocryphes et état de la question », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.6, Berlin/New York, de Gruyter, 1988, p. 4384-4414. 27. L. ROIG LANZILLOTTA, Acta Andreæ Apocrypha. A New Perspective on the Nature, Intention and Significance of the Primitive Text (Cahiers d’orientalisme 26), Genève, P. Cramer, 2007, p. 268. 28. Édité et commenté par Gilles Quispel : G. QUISPEL, « An Unknown Fragment of the Acts of Andrew », Vigiliæ Christianæ 10, 1956, p. 129-148. 29. L. VAN KAMPEN, « Acta Andreæ and Gregory’s “De miraculis Andreæ” », Vigiliæ Christianæ 45, 1991, p. 18-26. 30. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 25, 6. 31. P. MARAVAL, Lieux saints et pèlerinages d’Orient histoire et géographie des origines à la conquête arabe (Histoire), Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 398. 32. É. JUNOD, « Origène, Eusèbe et la tradition sur la répartition des champs de mission des apôtres », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 233-248.

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pas à l’apostolat de Patras. Contrairement à ce que pensaient Lipsius et Harnack 33, il faut donc plutôt faire l’hypothèse que le texte est le produit d’une communauté particulière et n’eut pas de grande diffusion au début. Peut-on être plus précis sur cette communauté ? Autrefois, en particulier sous l’impulsion de Lipius, il était de coutume de montrer du doigt des milieux « gnostiques », parce que l’on avait pu y reconnaître un certain dualisme. On y découvre en effet la doctrine d’une déchéance d’un élément spirituel « tombé » dans la nature charnelle avec Adam et Ève, on y constate l’importance que joue la reconnaissance en soi de l’élément divin par une « révélation », on y lit l’idée que la mort pourrait être une libération, celle que l’ignorance est l’origine de la déficience et que la connaissance résout l’imperfection 34 et enfin la théorie d’une ascension post-mortem de l’individu. Toutefois, outre la prudence qu’il faut observer en manipulant cette dénomination, où sont les thèmes favoris de gnostiques ? Il n’y a pas de combat de la Ténèbre et de la Lumière ; pas de chute de l’âme ; et surtout, il n’y a nulle trace des cosmologies coutumières à la gnose. Aussi, sous l’influence de J. Flamion 35, vaut-il mieux penser que ces actes sont le fruit d’un chrétien cultivé et cosmopolite, qui se trouve aux confluences de plusieurs doctrines qu’il paraît mêler avec bonheur. À la fin du texte, ce rédacteur prend d’ailleurs la parole à la première personne et implique son lecteur dans la communauté d’un nous 36. Du néoplatonisme, il recueille l’idée de l’accouchement spirituel et fait d’André un maître de maïeutique. Il reprend également le thème du miroir spirituel et la libération et envol de l’âme. Enfin, il reprend l’idée que Dieu est beau et bon. Du néo-pythagorisme provient sans conteste l’union personnelle à Dieu et la tentative de considérer André comme un être à part. Le thème de l’âme apparentée à Dieu et prisonnière du corps, certes repris par les textes de Nag Hammadi, pourrait tout aussi bien provenir de cette philosophie, à l’instar de la haine de tout ce qui est du domaine du mul-

33. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, 4 vol., 1883-1890. A. von HARNACK, Die kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeiten des Origenes (Texte und Untersuchungen 42.3), Leipzig, Hinrich, 1918. 34. L. ROIG LANZILLOTTA, « Devolution and Recollection, Deficiency and Perfection : Human Degradation and the Recovery of the Primal Condition According to Some Early Christian Texts », in A. HILHORST et G. H. VAN KOOTEN (éds.), The Wisdom of Egypt : Jewish, Early Christian, and Gnostic Essays in Honour of Gerard P. Luttikhuizen (Ancient Judaism and Early Christianity 59, Leiden/Boston, Brill, 2005, p. 443-459. 35. J. FLAMION, Les Actes apocryphes de l’Apôtre André…, p. 145-177. 36. L. S. NASRALLAH, « She Became What the Words Signified : The Greek Acts of Andrew’s Construction of the Reader-Disciple », in F. BOVON et alii (éds.), The Apocryphal Acts of the Apostles (Harvard University Center for the Study of World Religions), Cambridge (MA), Harvard University Press, 1999, p. 233-258.

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tiple. Vivre pur et saint, un slogan qui revient continuellement, pourrait également ressortir à la même doctrine. Quant à l’immortalité de l’âme qui se délivre de ses liens après la dissolution du corps, c’est également un thème cher à Pythagore. Enfin, comment ne pas remarquer que notre André est un peu stoïcien ? Comme Épictète, il incite ses disciples à ne pas se laisser emporter par leurs sentiments, à unifier leurs comportements et leurs dispositions intérieures et à pratiquer une certaine impassibilité devant la mort. Pour autant, il convient de ne pas faire de ce texte un texte à visée philosophique, mais bien plutôt de parler d’arrière-plan, d’influences 37. Pour se convaincre de l’extrême complexité de la rédaction, il n’est que de lire la déclaration que fait André de la destinée de l’homme : Ayant donc reconnu tout cela en toi-même, ô homme, que tu es immatériel, saint, lumière, congénère de l’inengendré, doué d’intellect, céleste, transparent, pur, au-dessus de la chair, au-dessus du monde, au-dessus des pouvoirs, au-dessus des autorités, que tu domines réellement ; t’étant rassemblé et concentré dans ta condition, prends conscience de ta supériorité. Et ayant contemplé ton visage dans ton essence, ayant rompu tous les liens – je ne dis pas seulement ceux qui tiennent au devenir, mais aussi ceux qui sont au-dessus du devenir et dont nous t’avons donné les noms sublimes –, aspire à voir celui qui s’est montré à toi, qui n’as pas été créé et que toi seul connaîtras bientôt, si tu as confiance 38.

Ce passage semble tout entier inspiré de la vision de Dieu par l’âme chez Plotin 39. On y reconnaît à la fois les qualités de l’âme (luminosité, légèreté, pureté), mais aussi l’idée que Dieu et l’âme se voient comme dans deux miroirs : l’un est le miroir de l’autre. La supériorité de l’âme sur les autres créatures, les pouvoirs, les autorités, sa domination suprême se retrouvent également chez Plotin. Manifestement, les Actes d’André proviennent plus d’un christianisme qui se pense comme une philosophie que d’un milieu attaché à la tradition juive et à la personne de Jésus. Il est très frappant de constater que l’on se meut dans un texte chrétien qui ne fait absolument aucune référence historique à Jésus et qui ne semble rien connaître des écrits tant vétéroque néotestamentaires. Les rites sont totalement absents, y compris celui de l’Eucharistie 40. En revanche, on découvre une exaltation de la Croix qui

37. L. ROIG LANZILLOTTA, Acta Andreæ Apocrypha…, p. 263. 38. Actes d’André grecs 38, trad. J.-M. PRIEUR, ÉAC I, p. 907. 39. PLOTIN, Ennéade VI, 9, 9. 40. J.-M. PRIEUR, « L’Eucharistie dans les Actes apocryphes des apôtres », in C. GRAPPE (éd.), Le Repas de Dieu. Das Mahl Gottes (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 169), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, p. 253-270.

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annonce certaines méditations manichéennes 41. On cite ici un passage qui n’est conservé que dans la version arménienne. Bravo ! ô Croix, appelée parfaite puissance ! Bravo ! forme intelligente, née d’une parole intelligente ! Eux, ils ignoraient, mais nous, nous avons connu et, par là, nous avons trouvé miséricorde. Tu te montres à moi ; cela m’engage à dire : Bravo ! ô Croix qui a enjambé les distractions de ce monde ! Bravo ! vision de violence, qui continuellement, violentes la violence violente ! Bravo ! figure de sagesse, qui as figuré ce qui était sans figure ! Bravo ! lien non liable qui as lié le premier non-lié ! Bravo pour les tourments de l’invisible, auparavant invisible et incompréhensible ! Bravo, donneur de correction, qui corriges celui qui n’a pas besoin de correction 42 !

Dans la lignée de la pensée paulinienne, André s’adresse à la Croix dans une sorte de prosopopée. Cet objet de supplice devient un être vivant qui assure la victoire sur le mal (la « violence violente ») et devient l’instrument du salut. Ces remarques sur un christianisme philosophique permettent de dater ces actes de la fin du IIe siècle, au plus tard 43. La localisation s’impose tant par l’idéologie très philosophique de ces Actes que par la localisation même de la narration : la Grèce ou l’Asie Mineure. C. L’André des Actes d’André Au sein de cette œuvre, André occupe une place importante, qui reprend un certain nombre de poncifs de la culture grecque.

1. Socrate et Ulysse chez les chrétiens La première figure que prend André dans ces Actes est celle d’une sorte de double chrétien d’Ulysse. S’il faut certainement nuancer la thèse de Dennis Ronald MacDonald qui voyait dans les Actes d’André une relecture chrétienne de la littérature grecque en particulier homérique44, force est de constater que les aventures d’André constituent une sorte d’odyssée qui lui fait gagner diverses contrées. Comme dans l’Odyssée, les voyages se font par

41. J.-D. DUBOIS, « La croix de lumière chez les manichéens », in J.-M. PRIEUR (éd.), La Croix, représentations théologiques et symboliques (Actes et recherches), Genève, Labor et Fides, 2004, p. 49-66. 42. Actes d’André 18, ÉAC I, p. 919. 43. C’est la conclusion de J.-M. Prieur mais aussi de L. ROIG LANZILLOTA, « The Acts of Andrew. A New Perspective on the Primitive Text », Estudios griegos e indœuropeos 20, 2010, p. 247-259. L. Roig reprend la thèse d’un texte gnostique. Voir également L. ROIG LANZILLOTTA, Acta Andreæ Apocrypha…, p. 271-272. 44. D. R. MACDONALD, Christianizing Homer. The Odyssey, Plato and the Acts of Andrew, Oxford, Oxford University Press, 1994.

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la mer et chacune des étapes constitue le prétexte de la résolution d’une situation dans laquelle l’apôtre révèle son éclatante supériorité. Ce rapprochement avec la figure d’Ulysse donne à André une stature toute particulière. En effet, de même que le roi d’Ithaque représente l’astuce et l’intelligence grecque, la fameuse μῆτις chère à Vernant et Détienne 45, et que ses voyages sont autant d’actes de civilisation de peuplades désordonnées, le pêcheur de Bethsaïde incarne les vertus héroïques du chrétien et son périple est œuvre d’évangélisation. D’autant qu’à la figure d’Ulysse se superpose celle de Socrate. Un petit extrait nous convainc aisément : Mets donc au monde l’enfant que tu portes, et ne te contente pas de te livrer aux douleurs de l’enfantement. Je ne suis pas inexpert en matière d’accouchement, pas plus qu’en matière de divination. Ce que tu enfantes, moi je l’aime ; ce que tu tais, moi j’en suis épris ; ce qui est à l’intérieur, moi je le ferai grandir 46.

Comme dans le Théétète de Platon, André s’affirme en maître de maïeutique. Il accouche les âmes et donne vie et force à la fois, à l’instar d’un Socrate. Toutefois, une différence notable doit être constatée avec l’art de l’Athénien : Eh bien, le métier de maïeutique que je pratique est en tout point le même que celui des sages-femmes, à cela près que j’aide à la délivrance des hommes, et non pas des femmes, et que je soigne, non les corps, mais les âmes en mal d’enfant. Mais ce qu’il y a de plus admirable dans mon art, c’est qu’il peut discerner si l’âme d’un jeune homme va produire un être chimérique, ou porter un fruit véritable 47.

Socrate discerne, André aime. Il y a dans cette petite nuance tout le décalage entre Platon et le christianisme. S’il convient de rapprocher ces Actes d’André des βιοί, les vies des philosophes antiques comme le propose David Pao 48 et y voir une œuvre de propagande en proposant à l’imitation des lecteurs un héros représentatif, il convient aussi de voir les subtiles nuances sur lesquelles joue l’auteur du texte, décidément bien virtuose. 45. M. DETIENNE et J.-P. VERNANT, Les ruses de l’intelligence : La mètis des Grecs (Champs Essais), 1974, Paris, Flammarion, 2009. 46. Actes d’André 7. ÉAC I, p. 890. Nous suivons la traduction donnée par J.-M. PRIEUR que nous avons pu corriger à une reprise en consultant S. Andreæ Apostoli traditio græca (Bibliotheca Oriens Christiani 3), éd. A. VINOGRADOV, Petropoli/ Moscoviæ, Presses universitaires de Saint-Pétersbourg, 2005, греческие предания о св. апостоле андрее, издание подготовлено а. ю. виноградовым, издательство с.-петеръурксово нииверситета, 2005. 47. PLATON, Théétète 150b-c (trad. V. Cousin). 48. D. PAO, « The Genre of the Acts of Andrew », Apocrypha 6, 1995, p. 179202.

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2. Un faiseur de miracles L’une des principales caractéristiques du héros chrétien est qu’il fait des miracles : la thaumaturgie fait partie de toutes les propagandes religieuses contemporaines, comme on l’a vu dans le cas de Pierre49. Mais il convient de cesser de croire, comme on le faisait autrefois 50, que les miracles dans les Actes apocryphes n’étaient qu’une preuve de naïveté. En effet, les miracles, nombreux dans les Actes d’André, ne sont pas uniquement un outil apologétique, ils servent, comme l’a souligné D. Pao 51 à montrer l’importance du dualisme corps/esprit caractéristique de l’œuvre. En guérissant le corps, André guérit l’âme. Bien vite, le miraculé se convertit et passe d’une préoccupation du corps à celle de l’âme. Il rejoint les rangs des convertis d’André qui se suscite ainsi une communauté. Le miracle de guérison permet ainsi de quitter le domaine corporel pour entrer dans le royaume de l’esprit.

3. André, « patron » de communauté Comme l’a remarqué Jean-Marc Prieur 52, la plus troublante caractéristique d’André est d’être solidaire de ses convertis dans le salut. À plusieurs reprises, l’apôtre affirme à sa disciple favorite, Maximilla, la femme du proconsul Égéate, que son destin est lié à celui de son ouaille : « je n’ai de cesse que je n’aie accompli l’œuvre qui est visible et se réalise à travers toi » (37, 18-19). Il en va même plus loin : « Moi je vis maintenant en toi qui gardes le commandement du Seigneur » (39, 3-4). Cette solidarité s’actualise dans la souffrance : Viens aussi à mon aide, homme que j’exhorte afin que je devienne parfait ; viens aussi à mon secours afin de connaître ta véritable nature ; compatis à ma souffrance afin de connaître ce que je souffre et d’échapper à la souffrance.

Car si tu ne te livres pas à ce qui est contraire à cela, Maximilla, moi aussi je trouverai le repos ; car je suis contraint d’abandonner cette vie pour toi, c’est-à-dire pour moi. Mais si j’étais chassé d’ici-bas, moi qui, grâce à 49. E. SCHÜSSLER-FIORENZA, « Miracles, Mission and Apologetics : An Introduction », in E. SCHÜSSLER FIORENZA (éd.), Aspects of Religious Propaganda in Judaism and Early Christianism (University of Notre Dame Centre of the Study of Judaism and Christianism in Antiquity 2), Notre Dame/London, University of Notre Dame Press, 1976, p. 1-25. 50. M. WILES, « Miracles in the Early Church », in C. F. D. MOULE (éd.), Miracles : Cambridge Studies in Their Philosophy and History, London, Mowbray, 1965, p. 221234. 51. D. PAO, « Physical and Spiritual Restoration : The Role of Healing Miracles in the « Acts of Andrew » », in F. BOVON et alii (éds.), The Apocryphal Acts of the Apostles (Harvard University Center for the Study of World Religions), Cambridge (MA), Harvard University Press, 1999, p. 259-280. 52. J.-M. PRIEUR, Acta Andræ – Præfatio…, p. 293-307.

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toi, puis sans doute être utile à d’autres qui sont mes congénères, alors que toi tu te laisserais persuader par les discours d’Égéate et par les flatteries de son père le serpent, au point de revenir à tes premières œuvres, sache que je serais châtié par ta faute, jusqu’à ce que tu reconnaisses toi-même que j’ai répudié la vie terrestre pour une âme indigne 53. Elle se dévoile après la mort : Je vous lierai à moi, et après m’être libéré, je me déferai de toutes choses, étant uni à celui qui venu pour tous et qui au-dessus de tous 54.

Tout le passage est un jeu sur le lien. Lié au Sauveur, André rompt le lien de l’attachement aux choses et se lie lui-même à ses communautés. Comment comprendre cette importance de la solidarité ? Nous adhérons sans réserve à la précaution de J.-M. Prieur de ne pas reprendre l’idée du « Sauveur Sauvé » 55, car il n’y a pas substitution entre André et le Christ sauveur. En revanche, nous ne le suivrons pas lorsqu’il reconnaît en André un theios anèr en reprenant la thèse de Bieler 56 (voir nos remarques dans la conclusion). C’est plutôt vers la notion de « patron » que nous proposons de nous orienter. Cette solidarité entre le disciple et son maître est à l’image de la solidarité entre le saint patron et sa communauté. Cette solidarité, déjà soulignée par Paul, prend ici une dimension mystique. Le sort du patron est indissolublement lié à celui de sa communauté : elle l’attache à la terre quand elle se comporte selon la chair, et il l’emporte dans les cieux quand elle se lie à lui : Attachez-vous à cette amitié inscrite en moi. Apprenez ce que sont mes peines dont je vous parle en ce moment. Recevez mon intellect en arrhes. Communiez à une communion qui vous est nouvelle. Soumettez-vous à mes rênes. Nettoyez vos oreilles pour écouter ce que je dis. En un mot, vous avez fui tout ce qui est passager : laissez-vous maintenant emporter avec moi 57.

Ces paroles de l’apôtre sont bien testamentaires. Elles révèlent un lien exprimé par l’attachement, les rênes, la communion. Et ce lien est contractuel : en échange de l’apprentissage, de la communion, de l’écoute, de la fuite du monde, André promet un voyage vers le ciel dont il est le garant. L’apôtre et sa communauté ne font qu’un. Jamais on n’aura autant illustré que dans ce texte le fameux terme de religio, dont l’étymologie antique

53. Actes d’André 40. ÉAC I, p. 908. 54. Actes d’André 64, 1, ÉAC I, p. 925. 55. C. L. STURHAHN, Die Christologie der ältesten apokryphen Apostelakten, thèse dactylographiée, Heidelberg, 1951, p. 128-147. 56. L. BIELER, Θεῖος ἀνήρ. Das Bild des « göttlichen Menschen », in Spätantike und Frühchristentum, Wien, Höfels, 2 vol., 1935-1936. 57. Actes d’André 56. ÉAC I, p. 922.

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(mais probablement fantaisiste) voulait qu’on le rattachât à religare, relier, d’où ces liens de patronage. Ce patronage s’explique largement par le fait que l’apôtre est détenteur de ce que François Bovon nomme les « paroles de vie » 58. Ces paroles, qui remontent plus directement au platonisme qu’à la tradition soi-disant « gnostique » ou chrétienne (les « paroles de la vie éternelle » de Jean 6) sont des moyens de fuir le sensible en se raccrochant à des contenus intellectuels libérateurs. La dispensation de ces paroles de vie s’opère comme résolution d’un conflit intérieur d’un personnage ou d’une situation crise 59, comme vade-mecum lors d’un envoi en mission 60 ou simplement comme indication de vérité d’un discours. Ces paroles proclamées (et donc extérieures) permettent le réveil de l’homme intérieur et suscitent à la fois connaissance et amour. Elles légitiment l’autorité d’André et son rapport à la communauté.

4. Un personnage clef dans une configuration triangulaire : le triangle ascétique Le dernier rôle que joue l’apôtre dans les Actes d’André est celui d’amant dans un adultère ascétique. En effet, le ressort narratif de ce texte consiste en une intéressante variation du triangle amoureux, connu déjà dans l’Odyssée (ch. VIII, Héphaïstos surprenant Aphrodite et son amant Arès) et popularisé le roman grec, en particulier chez Daphnis et Chloé 61. Elle met en présence trois personnages : en position de cocu, un puissant non chrétien, ici Égéate, proconsul d’Achaïe à Patras ; en position d’adultère, sa femme (Maximilla) qui devient chrétienne et qui se refuse à lui par ascétisme (plutôt que par encratisme, comme le remarque fort justement Yves Tissot 62), et, en position d’amant, un apôtre prêchant la chasteté qui doit subir la jalousie du gouverneur. André, convertissant Maximilla, lui impose une chasteté stricte qui consonne avec la thématique générale des Actes. Non seulement la conversion de cette femme haut placée sert de modèle de femmes qui ne peuvent pas convenir aux standards de la société, soit parce qu’elles sont stériles, soit parce qu’elles sont veuves – des femmes à la marge qui se reconnaissent dans ce célibat forcé 63 (même s’il faut très lar58. F. BOVON, « Les Paroles de vie dans les Actes de l’Apôtre André », Apocrypha 2 (La Fable apocryphe), 1991, p. 99-117. 59. Actes d’André 42 ou 44. 60. Actes d’André 46. 61. F. LÉTOUBLON, Les Lieux communs du roman : stéréotypes grecs d’aventure et d’amour, Leiden, Brill, 1993, p. 170. 62. Y. TISSOT, « Encratisme et Actes apocryphes », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des Apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’Université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 109-120. 63. R. S. KRAEMER, « The Conversion of Women to Ascetic Forms of Christianity », Signs 6, 1980, p. 298-307.

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gement nuancer cette position qui est contredite par la réalité des faits64) –, mais elle s’accorde avec le dualisme qui parcourt le texte et qui culmine dans cette sorte de haine du corps. Le triangle amoureux est ici compliqué par le fait que Maximilla a recours à un subterfuge pour ne pas céder aux instances de son mari : mettre dans son propre lit Euclia, la servante, qui se fait passer pour elle, avant de dévoiler le pot aux roses et subir un châtiment mérité. Bien entendu, cette narration joue un rôle symbolique dans le projet général des Actes. En nouant et dénouant les liens du mariage et en se proposant comme l’être à aimer d’un amour spirituel, l’apôtre dénonce implicitement les liens de la chair, mais aussi l’ordre social romain qui repose sur la législation maritale et une certaine morale mise en place antérieurement au christianisme 65. Le récit se fait leçon : c’est uniquement en se détachant de ce qui constitue le fondement de la société et en se mettant dans une position marginale que l’on parvient à gagner les biens du ciel 66. Et l’exemple d’Euclia, la servante fidèle devenant infidèle sert ici d’exemple repoussoir. Ceux qui font le jeu du monde finissent dans le stupre (elle avoue prendre son plaisir avec le proconsul), le lucre (elle fait un chantage à Euclia au sujet de bijoux) et la fornication. Le procès qui en découle fait passer, selon la jolie expression de Saundra Schwartz from bedroom to courtroom 67, du lit conjugal au lit de justice, du domaine privé au domaine public qu’on entend subvertir au profit d’un autre ordre social, l’ordre chrétien.

5. Un martyre très spectaculaire Le martyre, morceau de bravoure pour tous les Actes d’Apôtres, prend, dans le cas des Actes d’André un relief tout particulier. Il est temps de mentionner ici quelques considérations que nous avons un temps différé à propos de Pierre pour ne pas alourdir à l’excès l’étude de sa figure et que

64. S. DIXON, « The Sentimental Ideal of the Roman Family », in B. RAWSON (éd.), Marriage, Divorce, and Children in Ancient Rome, Oxford, Oxford University Press, 1991, p. 99-113. P. BROWN, The Body and Society : Men, Women, and Sexual Renunciation in Early Christianity (Lectures on the History of Religions 13), New York, Columbia University Press, 1988, p. 153. 65. K. GALINSKY, « Augustus’ Legislation on Morals and Marriage », Philologus 125, 1981, p. 126-144. P. VEYNE, « La famille et l’amour sous le Haut-Empire romain » Annales 23, 1978, p. 35-63. 66. A. S. JACOBS, « A Family Affair : Marriage, Class, and Ethics in the Apocryphal Acts of the Apostles », Journal of Early Christian Studies 7, 1999, p. 105-138. 67. S. SCHWARTZ, « From Bedroom to Courtroom : the Adultery Type-scene and the Acts of Andrew », in T. PENNER et C. VANDER STICHELE (éds.), Mapping Gender in Ancient Religious Discourses (Biblical Interpretation Series 84), Leiden, Brill, 2007, p. 267-311.

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l’on peut enfin envisager. Comme l’a montré Marie-Françoise Baslez 68, les IIIe-IVe siècle sont le moment où s’invente une littérature du martyre qui repose sur des stéréotypes littéraires hérités aussi bien de la littérature classique – en particulier l’archétype socratique – que de la littérature hellénistique juive – par exemple dans les livres des Maccabées. La réalité historique de la persécution, que l’on a largement surestimée, intervient finalement assez peu (à part à quelques reprises) dans ces récits dont le but est de susciter des modèles à imiter. Dans cette opération, il semble clair que deux écrits jouent un rôle fondamental : le récit du Martyre de Polycarpe et les lettres d’Ignace d’Antioche. Au martyre de Polycarpe est empruntée l’une des caractéristiques que l’on retrouvera tout au long de nos Actes d’apôtre : l’impavidité. Polycarpe est ce calme vieillard qui ne se soucie pas de mourir et se permet même d’ironiser sur les prétentions du procurateur, prend le temps de renouer ses sandales et de prononcer un discours d’adieu empreint de sérénité. Des lettres d’Ignace découlent deux éléments. Le premier est ce que nous avions nommé dans notre ouvrage Épîtres et Lettres le « complexe d’Ulysse » en nous inspirant des travaux de Jon Elster sur la rationalité69. Sachant qu’il veut dans le présent une chose qu’il saura ne pas vouloir dans le futur, Ulysse demande à ses compagnons de l’attacher au mât pour qu’il ne succombe pas au chant des sirènes. De même, Ignace exhorte ses compagnons à ne pas le croire quand il demandera d’éviter le martyre 70. Le second est l’idée que le martyr contient en quelque sorte le sceau de l’apostolat. Alors que Paul voyait dans ses communautés le sceau de son apostolat, l’évêque d’Antioche déplace sa légitimité et la trouve dans son martyre : l’autorité d’Ignace ne deviendra apostolique qu’une fois le martyre achevé : « S’il demeure fidèle, il serait perçu comme une parole de Dieu à entendre dans ce qu’il a dit et écrit. S’il faillit, il s’avérerait avoir été une simple voix 71. » Comme il le fait entendre aux Romains : « Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul. Eux, des apôtres, moi un prisonnier ; eux, 68. M.-F. BASLEZ, Les Persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, Fayard, 2007. 69. J. ELSTER, Ulysses and the Sirens : Studies in Rationality and Irrationality, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 traduit partiellement dans J. ELSTER, Le Laboureur et ses Enfants (Propositions), Paris, Minuit, 2007. 70. « 1 Le prince de cet âge veut me mettre en pièces et corrompre mon intelligence de Dieu. Que personne, donc, de vous qui êtes là, ne lui vienne en aide : soyez plutôt pour moi, c’est-à-dire pour Dieu. Ne parlez pas de Jésus Christ, en désirant le monde ! Que l’envie n’habite pas parmi vous ! 2 Et si, quand je serai présent, je vous y exhorte, ne me croyez pas. Croyez plutôt ce que je vous écris. Car c’est bien vivant que je vous écris, et désirant de mourir. » (IgnRm 7, 1-2) 71. If he remained faithful he would be perceived as a word of God, to be heard in what he had spoken and written. If he faltered, he would be shown to have been a mere voice. Robert F. STOOPS Jr, « “If I Suffer” and Epistolary Authority in Ignatius of Antioch », Harvard Theological Review 80, 1987, p. 161-178 (176).

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des hommes libres, moi, encore à présent un esclave. Mais si je souffre, je deviendrai affranchi de Jésus Christ et je me relèverai en lui, libre72. » Dans les Actes d’André, ces trois éléments se conjuguent dans une configuration tout à fait particulière. 1. Le martyre comme validation du message. – En premier lieu, on s’aperçoit que le martyre est bien le lieu de la validation du message. Non seulement parce qu’il donne l’occasion de prononcer une sorte de discours testamentaire, qui prend la forme d’une série impressionnante de déclarations 73 – mais aussi parce qu’il permet de ratifier les déclarations précédentes de l’apôtre au sujet du mépris de la chair. À la limite, on peut dire que le martyre est une sorte de couronnement du message. Il est également une victoire contre Satan : non seulement André l’exprime clairement 74, mais surtout l’unanimité de la foule à glorifier André et à demander au procurateur la clémence 75 s’oppose à l’endurcissement de cœur de ce dernier qui devient ainsi une sorte de nouveau Pharaon 76. 2. Le martyre comme expression de la fermeté de l’âme de l’apôtre. – Comme Polycarpe, ce qui caractérise le martyr, c’est son calme devant la mort. Alors que tous s’agitent autour de lui, André reste parfaitement placide. Comme Ignace suppliant ses amis de ne pas l’empêcher de mourir, André refuse même que le proconsul, émerveillé de sa constance, mette fin au supplice. Nouveau Socrate refusant de céder aux instances de ses amis, il proclame avec fierté : Vous me demandez de nouveau de céder à ce qui est passager. Si vous saviez que je me suis défait des liens pour me lier à moi-même, vous vous seriez empressés vous aussi de vous défaire des liens multiples pour vous lier de l’unique 77.

Et lorsqu’Égéate s’approche pour le délier, il crie : Jésus ne me livre pas au Diable impudent, moi qui suis attaché à ton mystère ! Père, que ton adversaire ne me délie pas, moi qui suis suspendu à ta grâce 78 !

Encore une fois, la thématique du lien et de l’exemple est à l’œuvre. Et comme Socrate, c’est paradoxalement le supplicié lui-même qui doit insister pour achever son parcours sur terre. On est ici dans un cas limite de ce que Marie-Françoise Baslez nommait « un certain goût pour la mort ». 72. 73. 74. 75. 76. libérer 77. 78.

IGNACE D’ANTIOCHE, Épître aux Romains 4, 3. Actes d’André 51, 1–63, 1. Actes d’André 58, 2-6. Actes d’André 59. Actes d’André 60. Égéate consent avec la même peur qui conduit Pharaon à les Hébreux. Actes d’André 61,3, trad. J.-M. PRIEUR, ÉAC I, p. 925. Actes d’André 63, 1-2, trad. J.-M. PRIEUR, ÉAC I, p. 927.

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III. L A « RECONQUÊTE »

D ’ UN APÔTRE A SCÉTIQUE

( II e - VI e

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Avec un tel message, on comprend bien que les Actes d’André ne pouvaient convenir à l’Église impériale, qui n’avait pas du tout intérêt à renverser l’ordre social, qui développait une théologie plus complexe des rapports entre les personnes de la Trinité, et qui, tout en prônant un certain ascétisme, ne voulait pas verser dans l’encratisme. Aussi furent-ils condamnés dès le début du IVe siècle par Eusèbe, comme on l’a vu. Cette condamnation fut renouvelée par Épiphane de Salamine (entre 374 et 377) qui affirme explicitement que les Actes d’André ont été utilisés par les encratites 79, les apotactites 80 et les origénistes 81. Ils furent par la suite utilisés par les manichéens comme le prouvent les allusions qu’en fait le Psautier manichéen et en particulier les condamnations de Philastre de Brescia et d’Augustin 82. Pourtant, par un surprenant retournement, André ne fut pas mis sur la touche et on s’arrangea pour reconquérir la figure du frère de Pierre. En Égypte, une première opération de blanchiment fut tentée, dans des monastères, vint ensuite l’offensive occidentale puis la récupération orientale. A. Une « opération de récupération » en Égypte Les premières tentatives pour faire d’André un apôtre fréquentable remontent au IVe siècle, dans un milieu monastique « pachômien », selon J. Flamion 83, c’est-à-dire un milieu marqué par l’étude, l’ascétisme, la vie 79. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion 47, 1, 5. 80. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion 61, 1, 5. Le peu que l’on connaît de cette secte obscure se trouve dans ce passage. Leur nom, apotactites, est déjà tout un programme : il signifie « renonciateurs ». Ils renonçaient à toute propriété privée. Ils imitaient sans doute en cela le mode de vie idéalisé de la première communauté de Jérusalem (d’où leur nom d’apostolique). Ils rejetaient également le mariage. Le saint les considère comme une branche des encratites de Tatien, mais comment en être sûr ? Ils lisaient les Actes d’André et de Thomas. La question du vêtement semblait également cardinale pour eux. Ils ont été condamnés par le code de Théodose en compagnie des manichéens, des encratites, des saccophores et des hydroparastates. CODE DE THÉODOSE XVI, 5, 11. Omnes omnino, quoscumque diuersarum hæresum error exagitat, id est eunomiani, arriani, macedoniani, pneumatomachi manichæi, encratitæ, apotactitæ, saccofori, hydroparastatæ nullis circulis cœant, nullam colligant multitudinem, nullum ad se populum trahant nec ad imaginem ecclesiarum parietes priuatos ostendant, nihil uel publice uel priuatim, quod catholicæ sanctitati officere possit, exerceant (T. MOMMSEN et P. KRÜGER (éd.), Theodosiani libri XVI cum Constitutionibus Sirmondianis et Leges novellæ ad Theodosianum pertinentes, vol. 2.1, Berolinensis (Berlin), Weidmann, 1905, p. 859.) 81. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion 63, 2, 1. 82. J.-M. PRIEUR, Acta Andræ – Præfatio…, p. 100-111. 83. J. FLAMION, Les Actes apocryphes de l’apôtre André…, p. 1911.

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retirée et la prière 84 : ce sont les Actes d’André de Matthias, qui préludent à un certain nombre d’autres actes associant André à un autre apôtre et faisant du pécheur de Bethsaïde une sorte de « héros monastique ».

1. Les Actes d’André et Matthias ou comment faire d’André un héros pachômien Les Actes d’André et de Matthias (BHG 109-110d = CANT 236) sont un texte que l’on date habituellement de la fin du IVe siècle (vers 400) et qui sont originaires d’Égypte. Ils ne semblent pas avoir de lien avec les Actes d’André 85 car leur thématique et leur narration sont totalement différentes : aucun long discours, aucun miracle spectaculaire, une différence considérable de pensée théologique nous convainquent de cette absence de parenté. Originellement en grec 86, leur succès fut important, car on leur connaît une version copte en état assez fragmentaire (BHO 735) 87, une version arabe du XIIe siècle éditée par Agnes Smith-Lewis dans le recueil des Acta Mythologica Apostolorum (BHO 736) 88, une version éthiopienne du XIIIe siècle éditée par E. A. Wallis Budge, dans les Contendings of the Apostles (BHO 734, 373 89) ; ces deux dernières connaissent une recension longue et une recension courte), ainsi qu’une version syriaque éditée par Wright (BHO 733) 90. Viennent ensuite un certain nombre de traductions,

84. É. JUNOD, Les Sages du désert : Antoine, Pachôme, Évagre, Syméon, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 39-60. 85. C’était l’hypothèse de Salomon Reinach : S. REINACH, « Les apôtres chez les Anthropophages », Revue d’Histoire et de littérature religieuses 9, 1904, p. 305-320. Elle a été reprise par J. FLAMION, Les Actes apocryphes…, p. 301 ; J. M. PRIEUR, Acta Andræ…, p. 32-35. Certains chercheurs l’ont contestée : D. R. MACDONALD, « The Acts of Andrew and Matthias and The Acts of Andrew », Semeia 38, 1986, p. 9-26 ; J. R. MACDONALD, Christianizing Homer…, p. 3-51 ; A. HILHORST et P. J. LALLEMAN (ÉDS.), « The Acts of Andrew and Matthias : Is it Part of the Original Acts of Andrew ? », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Andrew (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 5), Leuven, Peeters, 2000, p. 1-14. 86. Édition du texte grec dans M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha…, vol. 2, p. 65-116. 87. O. VON L EMM, « Koptische Apocryphe Apostelakten », Bulletin de l’Académie impériale des sciences de Saint-Petersbourg 1, 1890, p. 558-576. E. LUCCHESI et J.-M. PRIEUR, « Fragments coptes des Actes d’André et Matthias et d’André et Barthélemy », Analecta bollandiana 96, 1978, p. 339-350. 88. A. SMITH-LEWIS Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, f° 129a-139b (texte arabe) et ID., Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 4), Londres, Clay and Sons, 1904, p. 126-136 (traduction). 89. E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898, p. 225-242 (texte éthiopien) et E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles II, London, Henry Frowde, 1901, p. 267-288 (traduction). 90. W. WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, Williams and Norgate, 1871, vol. 1, p. 102-126 (texte syriaque) ; vol. 2, p. 93-115 (traduction).

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dont de l’arménien (BHO 741), le géorgien, le slave, le latin et le vieil anglais 91. Ces Actes situent l’action dans la ville des Anthropophages. L’idée de cette ville de mangeurs d’hommes familiers de la littérature antique (que l’on songe aux Lestrygons du chant X de l’Odyssée 92 et aux déclarations d’Aristote 93) peut faire écho à l’activité d’André en Scythie 94. En effet, selon Hérodote, le lieu des mangeurs d’hommes est la région scythe 95. Pour Strabon encore, le Pont-Euxin est une terre de pirates en contact avec les Achæin, les Zygi, les Heniochi, des peuplades très sauvages aux limites de l’humanité 96. Deux remarques doivent être faites à propos de cette localisation. Primo, la tradition d’un apostolat dans les régions du nord de l’Asie mineure semble assez affirmée : malgré l’éloignement géographique – que de chemin entre les rivages de la Chersonèse et le Delta du Nil ! – les données sont consistantes. Cela militerait plutôt pour l’ancienneté des souvenirs liés à la mission scythe. Secundo, ce même éloignement constitue une sorte de marqueur d’exotisme : pour les pachômiens cultivés de la Haute-Égypte, les lointaines contrées de Crimée devaient paraître un effrayant « bout du monde ». Y situer l’apostolat d’André leur permettait de penser l’universalité de la mission chrétienne qui parvenait ainsi aux confins du monde, ainsi que la puissance de l’évangile, capable de réduire les plus effrayants monstres. Les Actes constituent une narration agréable et variée. Matthias, qui a reçu la ville des Anthropophages en partage se trouve dans une bien mau91. Toutes les références dans l’introduction de J.-M. PRIEUR à ces Actes dans ÉAC II, p. 488. 92. R. DION, Les Anthropophages de l’Odyssée : cyclopes et lestrygons (Essais d’art et de philosophie), Paris, Vrin, 1969. 93. ARISTOTE, Politique 1338b. 94. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity…, p. 200-211. 95. HÉRODOTE, Histoires 4, 18, 2-3 : Οὗτοι ὦν οἱ γεωργοὶ Σκύθαι νέμονται τὸ μὲν πρὸς τὴν ἠῶ ἐπὶ τρεῖς ἡμέρας ὁδοῦ, κατήκοντες ἐπὶ ποταμὸν τῷ οὔνομα κεῖται Παντικάπης, τὸ δὲ πρὸς βορέην ἄνεμον πλόον ἀνὰ τὸν Βορυσθένεα ἡμερέων ἕνδεκα. ἤδη δὲ κατύπερθε τούτων ᾗ ἔρημος ἐστὶ ἐπὶ πολλὸν. [3] Μετὰ δὲ τὴν ἔρημον Ἀνδροφάγοι οἰκέουσι, ἔθνος ἐὸν ἴδιον καὶ οὐδαμῶς Σκυθικόν. « Le pays de ces Scythes cultivateurs a, à l’est, trois jours de chemin, et s’étend jusqu’au fleuve Panticapes ; mais celui qu’ils ont au nord est de onze jours de navigation, en remontant le Borysthène [Le Dniepr]. Plus avant, on trouve de vastes déserts au-delà desquels habitent les Androphages, nation particulière, et nullement scythe. » HÉRODOTE, Histoires 4, 106 : Ἀνδροφάγοι δὲ ἀγριώτατα πάντων ἀνθρώπων ἔχουσι ἤθεα, οὔτε δίκην νομίζοντες οὔτε νόμῳ οὐδενὶ χρεώμενοι· νομάδες δὲ εἰσι, ἐσθῆτά τε φορέουσι τῇ Σκυθικῇ ὁμοίην, γλῶσσαν δὲ ἰδίην, ἀνδροφαγέουσι δὲ μοῦνοι τούτων. « Il n’est point d’hommes qui aient des mœurs plus sauvages que les Androphages (anthropophages). Ils ne connaissent ni les lois ni la justice ; ils sont nomades. Leurs habits ressemblent à ceux des Scythes ; mais ils ont une langue particulière. Ce sont les seuls qui mangent de la chair humaine. » (trad. Larcher 1850, révisée). 96. STRABON, Géographie XI, 2, 12.

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vaise position. En effet, fait prisonnier par ces hommes qui ne mangeaient ni pain ni vin, on lui a arraché les yeux et on l’a fait boire une potion qui rend fou (1-2). Heureusement, protégé par le Seigneur, il parvient à garder la tête claire et à recouvrer la vue. Mais il ne parvient pas à se libérer et risque d’être dévoré promptement (3). André est alors envoyé en renfort (4). Il prend un bateau dont le timonier n’est autre que Jésus (5-7) ce qui est l’occasion d’un fructueux dialogue dans lequel ce dernier, toujours aussi pédagogue, se lance dans une leçon de catéchisme sur le pain de vie (8-11) à laquelle André rétorque en narrant une étrange aventure de Jésus contre les grands prêtres de Jérusalem où le rabbi de Nazareth fait parler des sphinx (12-15). Finalement, Jésus fait semblant de dormir, André s’endort, et il est transporté dans la cité des Anthropophages (16-18). Il libère Matthias de prison ainsi que ses compagnons d’infortune (19-21). Cela donne faim aux anthropophages, qui n’ont rien à se mettre sous la dent : les voilà réduits à manger leurs propres vieillards. Au comble de la lâcheté, l’un de ceux-là propose que l’on mange ses enfants : André, heureusement, intervient et empêche le travail des sacrificateurs (22-23). Le diable, qui se révèle le véritable maître de la ville, désigne André à la vindicte populaire (24) : c’est le début d’une sorte de martyre d’André qui se solde par sa victoire sur les anthropophages et sur le diable (25-31). La ville finit par se convertir, et on édifie une église (32-33). La figure d’André qui s’en dégage est parfaitement conforme au christianisme majoritaire. En effet, on peut remarquer qu’il affirme bien haut la divinité de Jésus (6, 2.10), qu’il construit des églises (32) et opère des baptêmes dans la tradition apostolique (32). Il est le rempart contre les idolâtres qui sont représentés par les anthropophages : sous les anthropophages, on reconnaît une description outrée de ceux qui n’ont pas la foi, sont inspirés par le démon, et périssent dans la pire des lâchetés, devenir infanticide. André se pose donc en héros du christianisme contre le paganisme, inspiré par le diable. Parfois ignorée par l’Église latine et byzantine, la tradition des anthropophages perdura dans le christianisme syriaque comme en témoignage l’Évangile apocryphe de Jean que l’on connaît par le codex arabe de Milan daté de 1342 et luxueusement édité par le préfet de la bibliothèque ambrosienne en 1957, par un codex arabe du mont Sinaï décrit par M. van Esbroeck et par une traduction éthiopienne publiée par S. Grébaut. Dans ce texte, que Mgr Galbiati fait remonter au VIIe siècle, se trouve une description des champs apostoliques : André reçoit pour champ de mission les cynocéphales qui sont les Anthropophages 97. On la trouve également chez Bar-Şalîbî98 : 97. I. GALBIATI (éd.), Iohannis Evangelium Apocryphum Arabice (Antiquitatis Christianæ ex Oriente monumenta), Mediolani (Milan), in ædibus Mondadorianis (Mondadori), 1957, p. 260, S. GRÉBAUT, « La Pentecôte et la mission des apôtres »,

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André prêcha dans le pays de Beit-Kalbîn et sur tout le littoral ; plus tard, les Kalbê lui coupèrent les membres en morceaux.

Beit-Kalbîn signifiant la « maison des chiens », l’allusion aux cynocéphales est transparente. Elle prouve le maintien de cette légende au moins jusqu’au XIIe siècle. Elle persiste également dans le christianisme éthiopien puisque le 30 Hamlê (6 août) commémore les hauts faits des deux apôtres chez les anthropophages : la notice du synaxaire reprend l’essentiel du récit 99. Le texte des Actes de Pierre et André (BHG 1489 = CANT 237) prennent la suite des Actes précédents sans en constituer forcément le prolongement. Cette fois-ci, Pierre, Alexandre et Rufus s’adjoignent au duo André et Matthias pour aller voir la ville des Barbares. C’est un récit qui enchaîne trois miracles : un miracle agraire sur un champ de blé qui pousse en abondance, la suspension d’une prostituée en l’air et le miracle du chas de l’aiguille (qui illustre le proverbe de Jésus sur le chameau et le riche). On y reconnaît à la fois le goût du milieu monastique égyptien pour les prodiges, mais aussi ses préoccupations : le travail (puisque les milieux pâchomiens mettaient en pratique l’adage paulinien, qui ne travaille pas ne mange pas non plus 100), la défiance envers les relations sexuelles et la fuite de la richesse.

2. Les Actes d’André et Philémon et les autres actes impliquant André À la suite de ces aventures chez les Anthropophages, André devient le héros d’une série d’Actes qui l’associent à un autre apôtre. On a déjà traité les Actes de Pierre et André et on va traiter les Actes d’André et Barthélemy (BHG 2056 = CANT 238) par la suite. Nous dirons donc quelques mots des Actes d’André et Philémon (CANT 240) conservés en arabe (BHO 48) 101, en éthiopien (BHO 49) 102 et dans quelques fragments coptes 103. Il Revue de l’Orient Chrétien 21, 1918-1919, p. 204-213 (206, texte) et « La Pentecôte et la mission des apôtres », Revue de l’Orient Chrétien 22, 1920-1921, p. 58-61 (58-59, traduction). M. VAN ESBROEK, « À propos de l’évangile apocryphe arabe attribué à saint Jean », Mélanges de l’Université Saint-Joseph 49.2, 1975-1976, p. 597-603 (602-603). 98. J.-B. CHABOT, Chronique de Michel le Syrien I, Paris, Leroux, 1899, p. 148. 99. I. GUIDI, Le Synaxaire éthiopien II, mois de Hamlê (Patrologia Orientalis 7.3), Paris/Friburg in B., Firmin-Didot/Herder, 1911, p. 447-453. 100. Voir R. BURNET, « Que celui qui ne travaille pas ne mange pas. Petit exercice de réception dans 2 Thessaloniciens » à paraître dans un recueil dirigé par Olivier-Thomas VENARD au Cerf en 2014. 101. A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 3-11. 102. E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898, p. 140-156. 103. O. VON LEMM, « Koptische Miscellen. LXVIII–LXXII », Bulletin de l’Académie Impériale des Sciences de St.-Pétersbourg VI série 4, 1910, p. 61–86 (61-69)

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s’agit d’un récit fort banal dans lequel André et Philémon sont envoyés en Lydie (ou à Lydda dans le texte arabe qui parle pourtant d’une mission chez les Kurdes). Philémon, un tout jeune homme à la voix merveilleuse (c’est rappelé plusieurs fois dans le texte), ressuscite un enfant tué par le diable, tandis qu’André s’occupe d’un vieillard. Cela suscite l’émerveillement de la ville et de son gouverneur Rufus (Rokos dans le texte éthiopien), qui leur étaient pourtant hostiles : tout ce petit monde se convertit en louant Dieu et ses hauts faits. Entre-temps, André a réussi à avoir une conversation avec le diable qu’il envoie dans la Géhenne. Dans ces trois récits, André joue un rôle différent, mais qui lui donne une stature importante. Dans sa tournée avec Pierre, il n’est que le second du Prince des Apôtres – et comment pourrait-il occuper la première place ? –, mais il se montre fidèle et obéissant : il obéit à l’autorité du « chef », preuve de son orthodoxie. Dans les Actes qui lui sont propres en compagnie de Barthélemy et de Philémon, il apparaît plutôt en chef de troupe. Comme dans les Actes d’André et Matthias, il vole au secours de Barthélemy, prouvant par là qu’il est supérieur à cet apôtre, moins puissant que lui. Dans les Actes d’André et Philémon, il se révèle être un mentor pour le jeune Philémon, un pédagogue au sens propre. Il le fait partir en avant dans la mission, ce qui lui permet de s’essayer à la résurrection de morts, mais ne le quitte pas des yeux : bien vite, il le rejoint quand la situation devient plus délicate. Partageant un peu des prérogatives de son frère Pierre, il se pose en missionnaire-en-chef s’assurant de la réussite de l’évangélisation des contrées particulièrement hostiles. On connaît enfin une Passion d’André, conservée en arabe et en éthiopien (BHO 53 et 54), dont la trame assez convenue achève de faire correspondre André avec le modèle apostolique. Évangélisant les villes d’Aknis (‫)ﺍﻛﻨﻴﺲ‬, Arjanios (‫ )ﺍﺭﺟﺎﻧﻴﻮﺱ‬et Safras (‫)ﺳﻔﺮﺱ‬, l’apôtre se heurte à l’hostilité des chefs locaux. Après avoir converti la garde chargée de l’appréhender par son discours, il est finalement arrêté et meurt crucifié et lapidé. La substance narrative de ces Actes, propres au domaine copte, se retrouve synthétisée dans la notice d’André du 4 Kihak (30 novembre) dans le synaxaire jacobite 104. Le sort lui désigne Lydda et El Akrâd (‫)ﺍﻻﮐﺮﺍﺩ‬ que le traducteur rend par « les Kurdes ». Il accomplit d’abord sa prédication à Lydda en compagnie de Philémon, va chez les Kurdes, en Scythie, en Achaïe ainsi qu’à « Axis » (‫)ﺍﻛﺴﻴﺲ‬, « Arégnas » (‫ )ﺃﺭﺟﻨﺎﺱ‬et « Assifious » republié dans Peter NAGEL (éd.), Koptische Miscellen I-CXLVIII : unveränderter Nachdruck der 1907-1915 im « Bulletin de l’Académie Impériale des sciences de St. Pétersbourg» [Izvestiia Imperatorsboï akademii naouk] erschienen Stücke von Oscar von Lemm (Subsidia Byzantina lucis ope iterata 11), Leipzig, Zentralantiquariat der Deutschen Demokratischen Republik, 1972, p. 175-183. Merci à Jean-Daniel Dubois pour cette référence. 104. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite II, mois de Hatour et de Kihak (Patrologia Orientalis 3.3), Paris, Firmin Didot, 1909, p. 307-308 (308).

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(‫)ﺃﺳﻴﻔﻴﻮﺱ‬. Il change alors de compagnon : avec Barthélemy, le voilà à « ‘Azerinous » (‫)ﻋﺎﺯﺭﻳﻨﻮﺱ‬, tout aussi inconnue, puis chez les Cynocéphales. Enfin, il gagne Patras. B. L’« opération de récupération » en Occident Après l’Égypte, l’Occident… La légende issue des Actes d’André pénétra vers l’Occident vers la fin du IVe siècle, alors qu’André était déjà en voie d’orthodoxisation comme le prouve sa présence aux côtés de Pierre, Paul et Jean dans la catacombe de Sainte-Thècle. Jérôme explique dans son Épître à Maximilla 105 que si la Parole de Dieu est arrivée jusqu’en Inde grâce à Thomas, elle est arrivée en Achaïe grâce à André. Gaudentius de Brescia affirme dans un sermon prononcé en 402 pour la dédicace d’une basilique consacrée aux saints qu’« on rapporte qu’André et Luc moururent près de la ville de Patras d’Achaïe 106 », mais cette pénétration n’est qu’à son début comme le montre Eucher de Lyon qui rapporte encore l’ancienne tradition vers 450 : Andreas Scythas prædicatione moliuit 107.

1. L’ Épître des presbytres et diacres d’Achaïe (BHL 428 = CANT 226) L’œuvre de remise en ordre de la figure d’André fut assurée grâce à un premier écrit : l’Épître des presbytres et diacres d’Achaïe (BHG 93 ; BHL 428 ; CANT 226). Ce texte, qui existe sous quatre formes (une latine et trois grecques) a longtemps été pris pour un texte grec, mais Max Bonnet a montré que la forme originale est latine et qu’elle date des débuts du VIe siècle 108. Le début de la lettre est particulièrement solennel : La passion du saint apôtre André que nous avons vu de nos yeux, nous presbytres et diacres de l’Église d’Achaïe, nous l’écrivons à toutes les Églises constituées au nom du Christ qui sont à l’orient, à l’occident, au midi et au septentrion : paix à vous et à tous ceux qui croient en un seul Dieu dans la Trinité parfaite, un vrai Père unique [unigenitum], vrai Fils unique, vrai

105. JÉRÔME DE STRIDON, Épître 59 à Maximilla, éd. I. HILBERG (CSEL 54), 1910, p. 546 : cum Thoma in India, cum Petro Romæ, cum Paulo in Illyrico, cum Tito in Creta, cum Andrea in Achaia, cum singulis apostolis et apostolicis uiris in singulis cunctis que regionibus. 106. Andreas et Lucas apud Patras Achaiæ ciuitatem, consumati referuntur. GAUDENTIUS DE BRESCIA, Tractatus XVII, 11, éd. A. GLÜCK (CSEL 68), 1936, p. 143. 107. EUCHER DE LYON, Instructionum ad Salonium, éd. C. MANDOLFO (CCSL 66), 2004, p. 177. 108. M. BONNET, « La passion d’André, en quelle langue a-t-elle été écrite ? », Byzantinische Zeitschrift 3, 1894, p. 458-469.

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CHAPITRE 3

Esprit Saint procédant du Père et demeurant dans le Fils comme l’a montré le seul Esprit 109.

Voilà un beau visa d’orthodoxie ! Pourquoi écrire une adresse aussi développée, sinon pour proclamer que ce qui va suivre est dans la droite ligne des conciles œcuméniques garants de la tradition de l’Église impériale ? On appréciera en particulier les formulations trinitaires, qui écartent tout soupçon de dualisme. Nos fameux « presbytres et prêtres d’Achaïe », dont l’authenticité du témoignage est garantie par le fait qu’ils ont vu de leurs propres yeux, entendent fournir une relation qui soit fidèle à la foi de l’Église impériale qu’ils sont chargés de représenter. La suite du texte décrit la passion d’André. Elle commence par une convocation de l’apôtre devant Égéate dont on tait la jalousie : il force les croyants à sacrifier aux idoles (conpellere credentes Christum ad sacrificia idolorum, chap. 2), ce qui fait passer la passion dans le domaine politique et assimile le proconsul aux Dèce et aux Dioclétien. On est loin des adultères ascétiques des Actes d’André. La suite de leur échange reprend d’ailleurs les termes de la polémique des premiers siècles : Égéas accuse André de faire offense aux dieux tandis que l’apôtre rétorque en parlant du salut apporté par Jésus. Les réponses d’André sont imprégnées de réminiscences néotestamentaires : c’est un véritable prône qu’il inflige au proconsul. Tout y passe : du salut par la Croix (5) à la fin des sacrifices (6). Ce prêche a le don d’exaspérer Égéas, qui met André en prison avec force menaces (7) qu’il réitère le lendemain (8) : ou l’apôtre abjure, ou c’est la mort. Bien entendu, ce dernier n’en fait rien : le proconsul commence à le livrer à des supplices raffinés à commencer par la flagellation (9) puis la crucifixion. Celle-ci est particulièrement terrible : Indigné, Égeas prescrivit qu’on le fixa sur une croix, en demandant aux bourreaux (quæstionarii) que, liant ses mains et ses pieds, il soit tendu comme sur un chevalet (eculeus), afin que fixé par les clous il succombe vite, mais qu’il soit crucifié plus longtemps par la crucifixion 110.

Égéas opte pour un supplice lent, sur un instrument mystérieux, l’eculeus, que tous s’accordent à comparer au chevalet médiéval (car il porte le même nom). Ce passage est extrêmement important pour l’iconographie d’André, car il s’agit du seul indice permettant d’éclairer la tradition de 109. M. BONNET, Acta apostolorum apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 1-2. Passionem sancti Andreæ apostoli quam oculis nostris uidimus omnes presbiteri et diacones ecclesiarum Achaiæ scribimus universis ecclesiis quæ sunt in oriente et occidente et meridiano et septentrione in Christi nomine constitutis : pax uobis et universus qui credunt unum deum in trinitate perfectum, uerum patrem unigenitum, uerum filium unigenitum, uerum spiritum sanctum procedentem ex patre in filio permanentem, ut ostendatur unus spiritus. 110. Ibid., p. 23.

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la crucifixion d’André sur une croix en X (dite croix de saint André ou croix en sautoir) 111. Il fournit à André l’occasion d’adresser un salut à la Croix (10). Comme dans les Actes grecs, Égéas finit par se raviser et veut dépendre l’apôtre. Mais celui-ci refuse. Là encore, les motifs sont plus conformes au christianisme officiel que ceux du texte grec : il ne s’agit plus de quitter le corps, mais d’apercevoir déjà le royaume de Dieu (13). Ses ultima uerba reprennent ce désir : « Seigneur Jésus Christ, bon maître, ordonne que je ne sois pas déposé de cette croix avant que tu ne recueilles mon esprit 112 ». Il est alors enveloppé de lumière et remet l’esprit : une mort édifiante pour un apôtre rentré dans le rang.

2. La Vita Andreæ de Grégoire de Tours (BHL 430 = CANT 225.2) et les Virtutes Andreæ du Pseudo-Abdias (CANT 232 = BHL 430) Si l’Épître marque un premier pas vers la récupération d’André, l’œuvre de Grégoire de Tours (539-594) achève le mouvement. 1° Le récit des voyages d’André. – Le texte est avant tout un récit de voyage et nous renseigne sur la composition probable de la partie perdue des Actes d’André. On donne à André l’Achaïe pour y mourir. Mais auparavant, on décrit longuement son trajet apostolique. D’abord, il va dans une cité nommée Myrmidonia (Mermidonia ou Mirmidonia) pour libérer Matthias. Un petit paragraphe très résumé reprend en effet les Actes d’André et Matthias chez les Anthropophages, preuve de la pénétration de cette légende dans le monde latin. Ce nom de Myrmidonia fait écho à une ville que le Martyre de Matthieu (qui reprendra la narration comme on le verra) nomme Μύρνη et que l’on trouve ailleurs sous la forme Μυρμηνίς ou Μυρμήκη (et Margondia de manière inexplicable chez Jacques de Voragine 113). Quelle est cette ville ? Trois candidates sont possibles. (α) D. R. MacDonald dans son livre Christianizing Homer poursuit son hypothèse d’une filiation homérique et lit dans ce nom une réminiscence de la ville des Myrmidons d’Achille 114. Hélas, comme le font remarquer Hillhorst et Lalleman 115, aucun des manuscrits grecs ne porte

111. C. DENOËL, Saint André, culte et iconographie en France (Ve-XVe siècle) (Mémoires et documents de l’École des Chartes 77), Paris, École nationale des Chartes, 2004, p. 208. 112. M. BONNET, Acta apostolorum…, p. 33. Domine Iesu Christe, magister bone, iube me de ista cruce non deponi nisi ante spiritum meum susceperis. 113. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 18. 114. D. R. MACDONALD, Christianizing Homer. The Odyssey, Plato and the Acts of Andrew, Oxford, Oxford University Press, 1994, p. 35. 115. A. HILHORST et P. J. LALLEMAN, « The Acts of Andrew and Matthias… », p. 12-13.

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CHAPITRE 3

Figure 3 : la localisation de l’apostolat d’André

ce nom : tous parlent plutôt de ἡ πόλις τῶν ἀνθρωποφάγων, la « ville des Anthropophages ». On ne saurait donc expliquer le nom de celle-ci par celui de celle-là. (β) Dans son article fondateur, A. von Gutschmid 116 a identifié cette Myrnè avec Myrmèkion (Μυρμήκιον) de Chersonèse Taurique, l’actuelle Crimée. Colonie grecque sur le Bosphore Cimmérien 117, cette ville, fondée au VIe siècle av. J.-C., devint une des banlieues de Panticapée, la capitale du Royaume du Bosphore (qui fut fouillée dans les années 1950 par le célèbre archéologue polonais Kazimierz Michałowski 118). (γ) Cependant, cette identification résiste au témoignage du pèlerin Théodosius, qui dans son récit de pèlerinage à Jérusalem écrit vers 550, affirme 119 : 116. A. VON GUTSCHMID, « Die Königsnamen in den apokryphen Apostelgeschichten », in F. RÜHL (éd.), Kleine Schriften von Alfred von Gutschmid, vol. 2, Leipzig, Teubner, 1890, p. 332-394 (382-386). 117. E. BELIN DE BALLU, L’Histoire des colonies grecques du littoral nord de la mer Noire, Leiden, Brill, 1965, p. 132-134. 118. M. ZYROMSKI, « L’histoire antique du littoral nord de la mer Noire dans l’historiographie polonaise contemporaine », in P. LÉVÊQUE et O. LORDKIPANIDZÉ (éds.), Sur les traces des Argonautes (Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité), Actes du 6e symposium de Vani (Colchide) 22-29 septembre 1990, Besançon, Presses de l’Université de Franche-Comté, 1996, p. 233-238. 119. THEODOSIUS, De situ Terræ Sanctæ in Itinera Hierosymitana, éd. P. GEYER (CSEL 39), 1898, p. 144. De Cersona usque in Sinope, ubi domnus Andreas liberauit domnum Matheum euangeslistam de carcere. […] Quæ Sinopi illo tempore Myrmidona dicebatur, et omnes, qui ibi manebant, homines pares suos comedebant, nam modo tanta misericordia ibi est, ut ad stratas sedeant per peregrinos suscipiendos. Voir P. MARAVAL,

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De Cersona [Kherson] jusqu’à Sinope où le seigneur André libéra de prison le seigneur Matthieu de prison. Cette Sinope était appelée Myrmidona à cette époque et tous ceux qui y demeuraient y mangeaient les hommes leurs semblables, mais la miséricorde fut ici tellement grande qu’ils s’asseyaient sur le pavé pour accueillir les pèlerins.

Sinope de Paphlagonie (l’actuelle Sinop) fut le plus important comptoir sur la mer Noire. Mithridate IV du Pont (113-62 av. J.-C.) en fit une grande ville et son importance ne dépérit pas après le déclin du Royaume du Bosphore. On sait qu’une croyance populaire voulait qu’une chaire sur laquelle André aurait prêché 120 soit conservée à Sinope. Puis l’apôtre multiplie les séjours en Asie Mineure et sur la mer Noire. Il va à Amasie où il ressuscite le serviteur de Démétrius et où il rencontre Sostratus accusé d’être inceste (3-4), Sinope où il guérit Gratinus tourmenté par un démon lubrique (5), Nicée, où il chasse sept démons (6), Nicomédie, où il ressuscite un mort (7). Il fait une halte à Byzance pour apaiser une tempête (8). En Thrace, il est menacé par une armée d’épées (9). Ensuite, il gagne Périnthe sur la côte thrace (10). Enfin le voilà à Philippes (11), Thessalonique (12-21) et Patras d’Achaïe.

Figure 4: les voyages d’André selon Grégoire de Tours

Lieux saints et pèlerinages d’Orient histoire et géographie des origines à la conquête arabe (Histoire), Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 376. 120. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, 1883, p. 604.

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CHAPITRE 3

2. Rendre André plus « orthodoxe ». – Le travail de Grégoire se constate de manière éclatante dans les parties conservées des Actes d’André en grec. En effet, Grégoire supprime quasi systématiquement les discours de l’apôtre. Il l’avoue d’ailleurs dans sa préface : Or, j’ai trouvé un livre des prodiges de saint André apôtre que certains disaient apocryphes à cause de sa trop grande verbosité [propter nimiam uerbositatem]. Aussi m’a-t-il semblé bon de ne retenir et de ne mettre en lumière que les prodiges, de laisser de côté ce qui provoquait l’ennui [prætermissis his que fastidium generabant] 121.

La parade est élégante : taxer de uerbositas les éléments gênants, invoquer le plaisir du lecteur pour excuser l’emploi des ciseaux d’Anastasie. Et sans les discours, que reste-t-il au texte ? Les miracles. Aussi le livre se nomme-t-il liber de miraculis sancti Andreæ, le livre des miracles… Le sens s’en trouve totalement changé. En effet, ce qui était un moyen de détourner le regard de la terre vers le ciel, ne devient qu’un prodige, un événement extraordinaire qui prouve la gloire de Dieu et la force de l’apôtre. Et se succèdent avec monotonies guérisons d’aveugle, de fiévreux et de paralytiques, démons chassés, résurrections, tempêtes apaisées… L’érotisme devient également une véritable hantise 122. On en retrouve des traces dans l’histoire de la mère qui tombe amoureuse de son fils (chap 4), dans celle du fils de Gratinus dans le bain des femmes (chap. 5), dans l’inceste des frères qui veulent se marier avec leurs cousines (chap. 11), dans l’aventure de Trophime au bordel (chap. 23), dans celle de Calliopée, la maîtresse du tueur (chap. 25), dans l’aveu du vieillard Nicolas (chap. 28). L’obsession de l’ascétisme voire de l’encratisme est devenue, par le jeu des réécritures successives, une véritable phobie de la sexualité comme dérèglement social : on passe de la théologie ascétique à la morale sociale. L’intrigue d’adultère est elle-même réduite à sa plus simple expression : [Le proconsul] avait été saisi d’une grande irritation contre l’apôtre, parce que Maximilla, sa femme, ne voulait plus s’unir à lui depuis qu’elle avait accueilli la parole du salut 123.

L’évêque de Tours n’ose pas supprimer le ressort narratif principal, mais ainsi expédié en une phrase, ce dernier perd tout son sel, d’autant que l’astucieux Grégoire s’était déjà arrangé pour ne faire jouer à Maximilla qu’un rôle très superficiel. Il la présente comme une pieuse convertie un peu trop assidue à la prière, et certainement pas l’alter ego spirituel de l’apôtre. Le récit du martyre est d’ailleurs escamoté « car nous avons trouvé 121. GRÉGOIRE DE TOURS, Vita Andreæ, préface. ÉAC I, p. 935-936. 122. T. ADAMIK, « Eroticism in the Liber de Miraculis », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of Andrew (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 5), Leuven, Peeters, 2000, p. 35-46. 123. GRÉGOIRE DE TOURS, Vita Andreæ 35. ÉAC I, p. 970.

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que quelqu’un l’avait écrit d’une manière très profitable et élégante », prétend l’évêque. À n’en pas douter, il s’agit d’une allusion à l’Épître des presbytres et diacres déjà connue et célébrée. Voilà donc notre André en odeur de sainteté : l’évêque de Tours rapporte que la manne ou l’huile coule en abondance du tombeau d’André à Patras, jusqu’au milieu de la basilique en dégageant une odeur suave, ce qu’il répète, d’ailleurs, dans la Gloire des Martyrs 124. La réécriture des Actes d’André de Grégoire sert de base aux Virtutes Andreæ issues du recueil du Pseudo-Abdias 125 à deux exceptions près. Le début narre immédiatement le départ d’André pour Myrmidonia afin d’y secourir un Matthieu en très mauvaise posture puisqu’il y est couvert de chaînes (chap. 2) : il libère son confrère et opère des conversions. Puis le récit raconte la résurrection d’Ægyptius, le fils d’un des notables d’Émèse (primus ciuitatis Amasæorum) et enchaîne les miracles comme dans l’ouvrage de Grégoire. La fin est également un peu différente. Alors que Grégoire narrait les prodiges opérés par le tombeau du saint apôtre, le texte du Pseudo-Abdias se termine sur la mort d’André et son ensevelissement. Le destin du proconsul est expédié en deux phrases : « Égéas son mari, possédé la même nuit par le démon se jeta du haut d’un lieu élevé et mourut. Son frère Stratocles, quand il l’entendit, ne voulut toucher à aucun des biens du proconsul, en disant Périssent avec toi tes biens ; le Seigneur Jésus me suffit, lui que j’ai connu grâce à son serviteur André 126. »

3. L’achèvement de la canonisation : fête liturgique, martyrologes et listes d’apôtres Comme toujours, ce sont les martyrologes et les listes d’apôtres qui achèvent le mouvement de canonisation. La fête d’André fut fixée au 30 novembre selon une tradition dont le plus ancien témoin remonte au VIe siècle 127. Les premières listes sont très discrètes et se bornent à reprendre

124. GRÉGOIRE DE TOURS, In Gloria Martyrorum 30, Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1.2), Hannoveræ (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 55-56. 125. Texte dans J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Novi Testamenti, collectus, castigatus testimoniisque, censuris & animadversionibus illustratus à Johanne Alberto Fabricio, vol. 2, Hamburgi, sumptib. Benjam. Schiller, 1719, p. 456-515. 126. Ægeas uero maritus illius, arreptus ea nocte a dæmonio, de loco alto se præcipitauit, et mortuus est. Stratocles porro frater eius, cum hæc audiuisset, de bonis proconsulis nihil contingere uoluit dicens : Quæ tua sunt, tecum pereant. Mihi sufficit Dominus Iesus, quem cognoui per famulum eius Andream. J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus…, p. 515. 127. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien : étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, Paris, Fontemoing, 21908, p. 271.

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CHAPITRE 3

la mention de Patras et de la Scythie. Ainsi le De Ortu et Obitu prophetarum 128, le Breviarum 129 ou la liste d’Isidore de Séville : André, qui signifie « honnête 130 », frère de Pierre, apparut en premier selon Jean et en second chez Matthieu. Il reçut par tirage au sort la prédication de la Scythie et de l’Achaïe, et c’est là, dans la cité de Patras, qu’il succomba, suspendu à la croix 131.

Usuard est plus disert, qui reprend le nom d’Égéas ainsi que le mode lent du supplice, héritage de l’Épître des presbytres 132. Mais c’est finalement le Liber de ortu et obitu patriarcharum des années 780 et Bède qui donnent la version la plus complète, en employant les termes même des textes de l’Épître et de Grégoire, preuve de leur influence. Le Liber de ortu et obitu patriarcharum du VIIIe siècle reprend aussi le texte : [Le nom d’]André peut être interprété comme viril ou digne et vraiment, il s’est comporté des plus virilement, car il prêcha le Christ crucifié aux peuples barbares et sa croix, il la loua de façon admirable, et la crut et la demanda de manière encore plus admirable. C’est pourquoi il évangélisa les bords de la mer Caspienne, la Scythie, la Mermedonie, et l’Achaïe, dans lesquels il acquit au Christ des foules nombreuses. Il fut rempli par l’ardeur de l’amour pour le Christ et pour la croix du Christ, et par la justice, la 128. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105) : aput Patras Achaiæ ciuitatem crucifixus. 129. III. Andreas qui interpretatus uirilis uel decorus, frater Petri, hic prædicauit Scythiam et Achaiam, ibique in ciuitate Patras cruce suspensus occubuit pridie Kalendas Decembris. « 3. André qui signifie “viril” ou “honnête”, le frère de Pierre, il prêcha en Scythie et en Achaïe et, à cet endroit, dans la ville de Patras, suspendu à la croix, il succomba, la veille des calendes de décembre. » 130. Toutes les étymologies des noms des apôtres provient d’un opuscule de Jérôme, le Liber interpretationis hebraicorum nominum, éd. P. DE LAGARDE (CCSL 72), 1959, ici p. 60. 131. ISIDORE DE SEVILLE (ISIDORUS HISPALENSIS), De Ortu et obitu patrum (Auteurs Latins du Moyen Âge), trad. C. CHAPARRO-GOMEZ, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 202-204. Andreas qui interpretatur decorus, frater Petri secundum Iohannem primus, iuxta Matheum a primo secundus, hic in sorte prædicationis Scythiam atque Achaiam accepit, in qua etiam ciuitate Patras cruci suspensus occubuit. 132. In ciuitate Patras provinyiæ Achaiæ natalis S. Andreæ apostoli qui etiam apud Scythiam predicauit. Hic beatissimus ab Ægea proconsule comprehensus, primo in carcere est clausus ac deinde grauissime cæsus, ad ultimum uero in cruce appensus, biduo inibi superuixis. « Dans la cité de Patras, province d’Achaïe, naissance de l’apôtre Saint André qui prêcha en Scythie. Ce bienheureux apôtre fut arrêté par le proconsul Égéas, fut d’abord enfermé en prison, puis torturé gravement, et enfin attaché sur la croix, il y survécut deux jours. » J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 351 (voir également PL 120, 751-752).

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sainteté, la piété, il dépassa presque tout le monde. Lorsqu’il vit la croix préparée pour lui, il dit, rempli d’une joie et d’une exultation inénarrables et inestimables : « Ô croix bonne, ô brillante, ô précieuse, ô croix sainte, ô ornée par le sang du Christ comme si c’était des perles, ô tant demandée et désirée, prends-moi, je t’en supplie, et rends-moi comme mon maître, le Christ ! » Il ne craignit pas le ministère de mort de la croix, mais dans un grand amour, il se prit d’affection pour elle et l’embrassa. Alors, avec allégresse, il monta sur la croix, parce qu’il obéit à son maître jusqu’à la mort, bienheureux suspendu aux deux montants et le visage resplendissant d’une clarté angélique, sans cesser de prêcher au peuple. Le peuple vit et entendit cela avec admiration, et voulut le détacher de croix avec grande énergie, mais aucun homme ne put l’atteindre, parce que le Seigneur voulait appeler à lui son soldat. Alors il salua les gens et les frères dans le Christ et avec le Maître et les anges, il entra, heureux, dans le repos du Royaume. Il contempla le Maître dans un ineffable face-à-face, c’est pourquoi il ne craignit point le supplice, même s’il le ressentit. Tout ceci s’est déroulé sous le proconsul Égéas dans la cité de Patras la veille des calendes de septembre. La bienheureuse Maximilla a emporté son cher corps avec révérence et a caché le corps saint avec des aromates. Ses restes, c’est-à-dire son bras, ont été transportés à Rome la vingtième année de l’empereur Constantin et sont recueillis dans l’église de Saint-PierreApôtre, son frère 133.

133. Liber de ortu et obitu patriarcharum 46 (éd. J. CARRACEDO FRAGA, 1996) : Andreas enim uirilis uel decorus interpretatur ; uere uirilis et uiriliter fecit, quia Christum crucifixum barbaris populis prædicauit et crucem eius mirabiliter laudauit et mirabilius credidit et rogauit. Hic itaque euangelizauit iuxta mare Caspium, Scythiam, Mermedoniam et Achaiam, in quibus populos multos Christo adquesiuit. Ardore summæ caritatis in Christum et in Christi crucem repletus fuit, iustitia et sanctitate et pietate pene omnes præcellit. Paratam namque sibi crucem ut uidit, inenarrabili et inæstimabili gaudio et exultatione repletus ait : O bona crux, o præclara, o pretiosa, o crux sancta, o sanguine Christi uelut margaritis ornata, o tamdiu quæsita et desiderata, suscipe me, rogo, et redde me modo magistro meo Christo ! Crucem mortis ministram non timuit, sed nimio amore eam adamauit et amplexit. Tunc alacer crucem ascendit, quia usque ad mortem Magistro obœdiuit, beatus biduo patibulo pendens et uultu angelico clare resplendens, populis prædicando non cessans. Populus hæc mirabiliter et uidit et audiuit, de cruce eum soluere cum magno conatu uoluit, sed nullus hominum natus ipsum adtingere potuit, quia Dominus militem suum se cum ducere uoluit. Tunc populos et in Christo fratres salutauit et cum Magistro et angelis in requiem Regni lætus perrexit. Magistrum namque inconprehensibili claritate conspexit ; ideo patibulum non timuit, etsi sensit. Hæc gesta sunt sub Egea proconsule in ciuitate Patras pridie Kal. Decembris. Cuius corpusculum beata Maximilla inde cum honore adduxit et aromatibus sanctum corpus condidit. Cuius reliquiæ, id est brachium eius, uicisimo Constantini imperatoris anno ad Romam translatæ sunt et in ecclesia sancti Petri apostoli, fratris eius, honorifice collocatæ sunt.

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CHAPITRE 3

Bède à son tour : Dans la cité de Patras, de la province d’Achaïe [naissance au ciel] de l’apôtre André dont le nom signifie « viril » ou « honnête », le frère de Pierre. Il prêcha en Scythie, puis, arrêté par le proconsul Égéas, puisqu’il continua à annoncer avec persévérance la foi au Christ et l’évangile, il fut d’abord enfermé en prison, puis molesté lourdement devant le procurateur, et finalement lié pieds et mains à une croix, attaché par des cordes sur tout le corps, pour qu’il soit crucifié plus longtemps. Il survécut ainsi deux jours, sans cesser d’enseigner le peuple sur les choses de Dieu. Et tous ceux qui croyaient au Seigneur Christ pressèrent pour qu’on le dépose. Ils en appelèrent à Égéas pour y parvenir, sans que l’apôtre ne le veuille. L’apôtre du Seigneur, entouré du peuple et du proconsul Égéas, alors qu’ils allaient réussir, après un discours fut enveloppé près d’une heure d’un éclat céleste venu d’en haut, et lorsque cette lumière s’affaiblit, remettant son esprit, il alla vers le Seigneur. La très puissante matrone Maximilla fit déposer son corps et l’enterra avec révérence 134.

Le martyrologe romain de Baronius, à son habitude, résume, polit le latin, supprime les détails oiseux, mais conserve largement toutes ces données 135. Jacques de Voragine, pour sa part, reprend la Passio ainsi que le Liber miraculis136. 134. PL 94, 1119-1120. In ciuitate Patras prouinviæ Achaiæ Andreæ apostoli qui interpretatur uirilis, uel decorus frater Petri. Hic prædicauit in Scythia, qui ab Egea proconsule comprehensus, cum perseueranter in fide Christe et euangelio durare, carcere clausus primum, unde coram proconsule grauissime cæsus, ad ultimum cruce ligatis manibus et pedibus, funibusque toto corpore reasus, ut lungius cruciaretur, biduo inibi superuixit, non cessans ea quæ Dei sunt, populum docere. Cumque hui qui Christo crediderant Domino satis agerent ut deponeretur. Egeamque ut hoc perficerent, nolentem impellerent. Apostolus Domini circumstante populo, et Egea proconsule, ut soluerunt agente, post uerba orationis fulgore cœlesti fere una desuper circumfulsus hora, cum ipso lumine abscedente emittens spiritum perrexit ad Dominum. Cuius corpus Maximilla potentissima matronarum reuerenter depositum sepeliuit. 135. C. BARONIUS, Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ veritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise), Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 537. Apud Patras, in Achaiæ, natalis sancti Andreæ Apostoli, qui in Thracia et Scythia Christi Euangelium prædicauit. Is, ab Ægea Proconsule comprehensus, primum in carcere clausus est, deinde gravissime cæsus, ad ultimum suspensus in cruce, in ea populum docens biduo superuixit ; et, rogato Domino ne eum sineret de cruce deponi, circumdatus est magno splendore de cœlo, et, abscedente postmodum lumine, emisit spiritum. « À Patras en Achaïe, dies natalis de saint André apôtre, qui prêcha l’Évangile du Christ en Thrace et en Scythie. Là, arrêté par le proconsul Égéas, il fut d’abord détenu en prison, puis gravement torturé et finalement suspendu à la croix. Il y survécut deux jours en enseignant le peuple. Et, demandant au Seigneur qu’il ne permette qu’il soit déposé de la croix, il fut entouré d’une grande clarté venue du ciel, et alors que la lumière finissait par disparaître, il rendit l’esprit. »

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C. L’apôtre de Byzance L’apôtre va être à son tour « récupéré » par l’Orient, car André fut établi garant de la basileia de Constantinople : Rome avait Pierre, Byzance aura son frère. On sait en effet que sous Constance, le fils de Constantin, on édifia une église des Saints-Apôtres 137 pour rivaliser avec l’autorité des basiliques romaines et l’on y transféra à grands frais un certain nombre de reliques, dont celles d’André, de Luc et de Timothée vers 397. Une fête commémorant la translation, fixée au 9 mai et fêtée également en Occident 138, fut alors célébrée. Puisqu’on avait André à demeure et que la tradition déjà fixée lui faisait visiter les régions, pourquoi ne pas en faire le fondateur de l’Église de Byzance ? De manière surprenante, il fallut attendre deux siècles pour que le lien avec la succession apostolique se fasse 139 : un Jean Chrysostome, par exemple, ne se revendique d’aucune succession d’André 140. Les canons syriaques limitent l’influence d’André à Nicée sans préciser qui fournit la légitimité apostolique à Byzance 141. Il faut dire que les relations sont encore apaisées avec l’Occident. Vers 410, Gaudentius de Brescia parle des reliques d’André dans son église, qui semblent lui avoir été confiées par Saint Ambroise, qui les avait reçues de Constantinople 142. Victricius de Rouen († 407) semble aussi en posséder, en même temps que celles de Thomas, de Jean-Baptiste et de Luc 143. On en connaît également à Milan, Aquiliea, Concordia et Ravenne 144. Les Écossais firent pareillement d’André leur saint patron après qu’un ange avait ordonné (selon la légende) que 136. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 17-28. 137. G. DOWNEY, « The Builder of the Original Church of the Apostles in Constantinople », Dumbarton Oakes Papers 6, 1951, p. 51-80. 138. Voici ce qu’en dit le martyrologe d’Usuard : Festiuitas beati Andræ apostoli, quando sacratissimum eius corpus, una cum ossibus sanctorum Lucæ euangelistæ, et Timothei, discipuli sancti Pauli, sub Constantio imperatore Constantinopolim translatum est. « Fête du bienheureux André apôtre, commémorant la translation de son corps en compagnie des ossements du saint évangéliste Luc, sous Constance, empereur, à Constantinople. » J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 226. 139. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium…, p. 140. 140. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium…, p. 140-147. 141. IGNATIUS EPHRÆM II RAHMANI, Studia syriaca seu collectio documentorum hactenus ineditorum ex codicibus syriacis, In seminario Scharfensi in Monte Libano (Charfet), typis patriarchalibus, 1904, p. 6. 142. GAUDENTIUS DE BRESCIA, Tractatus XVII, 11, éd. A. GLÜCK (CSEL 68), 1936, p. 143. 143. VICTRICIUS DE ROUEN, De laude Sanctorum VI, éd. DEMEULENAERE (CCSL 64), 1985, p. 84. 144. F. DELEHAYE, Les Origines du culte des Martyrs, Bruxelles, Société de Bollandistes, 1912, p. 325-338.

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CHAPITRE 3

Regulus de Patras en donne une partie à la nouvelle église d’Andreopolis (Saint-Andrew) fondée par Ungust II roi des Pittes (821-833)145 : des échanges de reliques d’André étaient encore possibles au IXe siècle. D’ailleurs, la liste grecque du Pseudo-Épiphane se borne à rappeler la légende scythe, sans mentionner Byzance : André son frère, comme nous l’ont transmis les nôtres, prêcha aux Scythiens, aux Sogdiens et aux Gorsiniens et à Sébastopolis la Grande, où se trouvent le camp d’Apsaros et la baie de Hyssus et la rivière Phasis, derrière qui vivent les Éthiopiens. Il est enterré à Patras d’Achaïe après avoir été mis en croix par Égée, roi de Patras 146.

On constate une avalanche de termes géographiques, qui traduisent une certaine connaissance de la géographie de la mer Noire. Les Sogdiens sont une tribu d’Allains vivant entre Phoullæ et Sugdæa (Chersonèse et Sudak) en Crimée. Sebastopolis est l’actuelle Soukhoumi en Abkhazie, qui naquit pendant le règne d’Auguste sur les ruines de la colonie grecque de Dioscurias de Colchide. La mention de ces régions prouve que les relations entre le monde grec et le monde scythe restaient relativement privilégiées, comme le prouve le maintien du commerce avec la Crimée 147. En revanche que viennent faire ici les Gorsiniens qui sont les Géorgiens ? Les Géorgiens eux-mêmes ne savaient rien de cet apostolat 148. Apsaros est l’actuelle Gonio à 8 km de Batoumi en Géorgie 149 et la rivière Phasis est l’actuel fleuve Rioni et Hyssos un autre fleuve, le Kara Dere, qui se jette dans la mer Noire à quelques kilomètres de Trébizonde, l’actuelle Trabzon. Les Éthiopiens, quant à eux, forment une sorte de petit mystère. La majorité des commentateurs admettent que leur mention résulte d’une 145. J. VAN HECKE, « Historia Reguli et fundationis ecclesiæ S. Andreæ », Acta Sanctorum Octobris VIII, Bruxeliis, Greuse, 1853, p. 175-178. Le texte porte la référence BHL 437. 146. Ἀνδρέας δὲ ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ, ὡς οἱ πρὸ ἡμῶν παραδεδώκασιν, ἐκήρυξε Σκύθαις καὶ Σογδιανοῖς καὶ Γορσίνοις καὶ ἐν Σεβαστοπόλει τῇ μεγάλῃ, ὅπου ἐστὶν ἡ παρεμβολὴ Ἄψαρος καὶ Ὕσσου λιμὴν καὶ Φᾶσις ποταμός, ἔνθα οἰκοῦσιν Αἰθίοπες, θάπτεται δὲ ἐν Πάτραις τῆς Ἀχαίας σταυρῷ προσδεθεὶς ὑπὸ Αἰγέα τοῦ βασιλέως Πατρῶν. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 108-109. 147. E. DE LA VAISSIÈRE, « Saint André chez les Sogdiens : aux origines de Sogdaia en Crimée », in C. ZUCHERMAN (éd.), La Crimée entre Byzance et le Khaganat khazar (Centre de Recherches d’Histoire et Civilisations de Byzance Monographies 25), Paris, Association des Amis du Centre d’Histoire et Civilisations de Byzance, 2006, p. 171-180. 148. P. PEETERS, « Les débuts du christianisme en Géorgie d’après les sources hagiographiques », Analecta Bollandiana 50, 1932, p. 1-58. 149. G. TSETSKHLADZE, Pichvnari and its environs : 6th c BC-4th c AD (Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité), Besançon, Presses de l’Université de FrancheComté, 1999, p. 87. S. MAMULADZE, M. KHALVASHI, E. KAKHIDZE (éds.), « Apsarus in the First Half of the 1st Millenium B.C. », Pont-Euxin et Polis, Actes du Xe Symposium de Vani, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2005, p. 271-276.

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fusion avec la légende de Matthieu auquel André s’associe. Cela laisserait penser que le Martyr a été composé en Éthiopie vers 524 et était donc connu à Byzance à cette époque. C’est d’ailleurs cette localisation de l’Éthiopie que retient la liste samaritaine tardive 150. Une seconde hypothèse est de voir dans cette Éthiopie, non pas la véritable région africaine, mais bien la Colchide (le nord de la Géorgie), appelée elle aussi Éthiopie. Cette dénomination, qui était très connue des auteurs du XVIIIe et XIXe siècle puisqu’elle est rapportée dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert 151 et chez les ethnographes de la Géorgie comme Alexandre-César Moreau de Jonnès 152, semble quasiment oubliée. Elle repose sur une série de témoignages anciens. Ainsi Hérodote, dans les chapitres 104 et 105 du livre II, décrit-il les ressemblances entre les usages des Égyptiens et ceux des Colchiens. Il admet que les Colchiens sont d’origine égyptienne. Strabon (51,7) dit que, parmi les migrations les plus célèbres, il convient de citer celle des Égyptiens vers l’Éthiopie et la Colchide. Il rappelle les auteurs qui veulent faire croire à l’existence d’un lien de parenté entre les Colchiens et les Égyptiens (42, 35 et suiv.), mais il ne semble pas partager cette opinion. Diodore de Sicile (I, 28) dit aussi que les Colchiens du Pont descendent des colons égyptiens : il explique ainsi l’origine de la circoncision, coutume qui aurait été importée en Colchide par les Égyptiens. Cette tradition d’une colonisation de la Colchide par les Égyptiens, très ancienne et très répandue, est encore rappelée par Ammien Marcellin (XXII, 8, 24). André aurait donc posément continué son trajet vers la Colchide. Cette localisation est clairement supportée par la liste mise sous le nom de Saint-Jérôme qui affirme : André frère [de Pierre], comme nos anciens le rapportent, prêcha l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ aux Scythes, aux Sogdiens et aux Sacces, ainsi que de la ville de Sébastopolis, que l’on nomme la Grande, là où est l’embouchure de l’Apsaros et du fleuve Phasis. Ici habitent les Éthiopiens intérieurs. Il est enterré dans la ville de Patras en Achaïe. Il fut fixé en croix par Égéas, préfet des Édesséniens 153. 150. J. MACDONALD et A. J. B. HIGGINS, « The Beginnings of Christianity according to the Samaritans », New Testament Studies 18, 1971, p. 54-80 (60-61). 151. « Les Grecs s’embarrassant peu de la science géographique, nommèrent Éthiopiens tous les peuples qui avaient la peau noire ou basanée ; c’est pour cela qu’ils appelèrent les Colches Éthiopiens et la Colchide Éthiopie. », D. DIDEROT (éd.), « Éthiopie », Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers, vol. 13, Berne, Sociétés typographiques, 1781, p. 208. 152. A.-C. MOREAU DE JONNÈS, Ethnogénie caucasienne, Paris, Cherbuliez, 1861, p. 194-195. 153. PSEUDO-JÉRÔME, De Vitis apostolorum, PL 23, 721. Andreas frater huius, ut maiores nostri prodiderunt, Scythis, et Sogdianis, et Saccis prædicauit Euangelium Domini nostri Iesu Christi, et in Sebastopoli prædicauit, quæ cognominatur magna,

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CHAPITRE 3

Les Éthiopiens intérieurs habitant près de l’Apsaros ne peuvent être que les Géorgiens. Le dernier argument en faveur de cette localisation se trouve dans la tradition géorgienne elle-même. En effet, dans l’histoire de la Géorgie intitulée Vie du Karthli et remontant au XIIIe siècle, traduite par MarieFélicité Baillet, on peut lire une curieuse narration154 dans laquelle André rentre en Géorgie, dont il trouve les habitants « plus ignorants que les animaux ». Heureusement, l’apôtre conserve par-devers lui une image de la Théotokos, qu’il dépose au milieu d’eux. Incontinent, une source en jail-

Figure 5: André en Éthiopie du Caucase

lit, qui lui permet de baptiser prestement toute la population. Une église est construite, et l’apôtre s’apprête à courir sous d’autres cieux après cette conversion expresse. Les habitants, un peu marris, essaient de l’en dissuader, mais rien n’y fait. « On le retint et on lui fit cette prière : « Si tu t’en vas, laisse-nous au moins l’image de la très sainte Mère de Dieu pour nous servir de recours et de protection. » Alors le saint apôtre André ayant fait faire une planche d’égale dimension, la plaça sur l’image, qui sur-le-champ s’y transporta sans altération et la leur donna155. » André fait bien de ne pas leur confier l’original : cette icône lui sert ensuite à de nombreuses reprises en Géorgie, pour abattre les statues des idoles, ressusciter un jeune ubi est irruptio Apsari, et Phasis fluuius, illic incolunt Æthiopes interiores. Sepultus est autem Patris ciuitate Achaiæ, cruci suffixus ab Ægæa Præfecto Edessenorum. 154. M. BROSSET (éd.), Histoire de la Géorgie depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, vol. 1, Saint-Pétersbourg, Typographie de l’Académie impériale des sciences, 1858, p. 55-60. 155. M. BROSSET (éd.), Histoire de la Géorgie…, p. 56.

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homme, convertir tous les habitants. L’apôtre finit cependant par la déposer à Atskour (actuellement Atskuri en Kakhétie), qui devint un lieu de grande dévotion à la Vierge. Frédéric Dubois de Montpéreux, un voyageur du XIXe siècle, détaille les nombreux aléas de cette icône qui fut volée à de nombreuses reprises et compare le sanctuaire à celui de N.-D. d’Atocha en Espagne 156. Ajoutons enfin que la liste éthiopienne qui dépend d’un original grec 157 ne parle pas d’Éthiopie. André évangélise l’’Asqatiyâ (les Scythes), les gens de Sagadiyân (les Sogdiens) et les gens de Saquis. Mais, comme on l’a vu à propos de Pierre, Rome voulut petit à petit prendre l’ascendant sur le monde chrétien. La question devint plus aiguë au moment du concile de Chalcédoine où Léon le Grand envoie ses délégués en les nommant « délégués du siège apostolique » et lors du schisme acacien. Il fallait absolument qu’André entre en scène.

1. Première étape : la liste du Pseudo-Dorothée Le premier pas fut accompli par le texte placé sous l’autorité de Dorothée évêque de Tyr qui aurait souffert la persécution sous Dioclétien, aurait connu le règne de Julien et qui serait mort en martyr à 107 ans sous le règne de Licinius 158. La notice sur André reprend en partie les données d’Épiphane : André, le frère de Pierre, parcourut toutes les côtes de Bithynie et du Pont, de la Thrace et de la Scythie, en annonçant le Seigneur. Ce faisant, il parvint à Sébastopolis la Grande, où se trouve le camp d’Apsaros et le fleuve Phasis. Au-delà vivent les Éthiopiens. Il mourut à Patras d’Achaïe sur la croix à cause d’Égéate 159.

On reconnaît sans peine une partie des phrases du texte précédent. En revanche, la notice sur l’un des 72 disciples ne manque pas d’intérêt :

156. F. DUBOIS DE MONTPÉREUX, Voyage autour du Caucase, chez les Tcherkesses et les Abkhases, vol. 2, Paris, Gide, 1839, p. 335. 157. A. BAUSI, « Una “lista” etiopica di apostoli e discepoli », in A. BAUSI, A. BRITA et A. MANZO (éds.), Æthiopica et Orientalia. Studi in onore di Yaqob Beyene (Studi Africanisti Serie Etiopica 9), vol. 1, Napoli, Università degli studi, 2012, p. 43-67. 158. T. SCHERMANNN, Propheten und Apostellegenden nebst Jüngerkatalogen des Dorotheus und verwandter (Texte und Untersuchungen 31), Leipzig, Hinrichs, 1907, p. 174-198. 159. βʹ. Ἀνδρέας δὲ ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ, πᾶσαν τὴν παραλίαν τῆς Βιθυνίας τε καὶ Πόντου, Θρᾴκης τε καὶ Σκύθας διῆλθεν εὐαγγελιζόμενος τὸν κύριον. Μετέπειτα δὲ ἐπορεύθη ἐν Σεβαστοπόλει τῇ μεγάλῃ, ὅπου παρεμβολὴ Ἄψαρος καὶ Φᾶσις ποταμός, ἔνθα οἰκοῦσιν Αἰθίοπες. Ἐτάφη ἐν Πάτραις τῆς Ἀχαίας σταυρωθείς Αἰγέατου. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini, Lipsiæ, Teubner, 1907, p. 153-154.

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CHAPITRE 3

Stachys, dont il est fait mémoire dans l’épître aux Romains, et que l’apôtre André, alors qu’il naviguait sur la mer du Pont, institua à Argyropolis de Thrace comme évêque de Byzance 160.

Le texte est attribué à un auteur du VIe siècle, mais la date peut être repoussée au moins jusqu’au VIIIe siècle. En effet, on connaît une légende apocryphe reproduite par Schermann 161 selon laquelle le pape Jean Ier, invité à Constantinople, refusa de célébrer Noël en compagnie du patriarche puisqu’il considérait son siège de Rome comme le plus ancien. On lui montra donc ce texte qui accréditait l’apostolicité du patriarcat de Constantinople, mais le Romain s’obstina. Cette légende est certainement apocryphe puisqu’on sait que le dernier Pape de l’époque à avoir visité Constantinople était Agapet (535-536) et que cet incident n’est nullement mentionné dans les minutes de la visite 162 ; toutefois, elle montre le caractère crucial de la référence à André.

2. Deuxième étape : la Narratio (BHG 99 = CANT 229) Après cette première étape, la clef de cette opération de légitimation du siège byzantin est le Martyrium sancti Apostoli Andreæ, publié en 1894 par Max Bonnet (1842-1917) 163, que l’on connaît habituellement sous le titre de Narratio (BHG 99). Il s’agit d’une reprise d’un récit de passion influencé par les Actes et surtout dans lequel on lit un passage fort intéressant sur Byzance : Après avoir navigué à travers le même Pont-Euxin qui va vers Byzance, il accosta sur la rive droite, et après être arrivé à un endroit nommé Argyropolis, et avoir construit là une église, il ordonna l’un des 70 disciples, appelé Stachys, que Paul l’apôtre, la bouche du Christ, le vase d’élection, mentionne dans l’Épître aux Romains [Rm 16, 9] comme un bien-aimé, évêque de Byzance, et il le laissa pour prêcher la parole du Salut. À cause de l’athéisme païen qui sévissait dans cette région et de la cruauté du tyran Zeuxippos, un adorateur des idoles, qui tenait les rênes du pouvoir, il se tourna vers les parties occidentales, illuminant avec ses enseignements divins les ténèbres de l’Ouest. Après avoir sillonné la Thessalie et l’Hellas et après avoir affirmé dans leurs cités les mystères du salut du Christ, il vint en Achaïe 164. 160. Στάχυς, οὗ καὶ αὐτοῦ ἐν τῇ πρὸς Ῥωμαίους μέμνηται, ὃν καὶ Ἀνδρέας ὁ ἀπόστολος τὴν Ποντιδικὴν θάλασσαν διαπλέων ἐν Ἀργυροπόλει τῆς Θρᾴκης ἐπίσκοπον τοῦ Βυζαντίου κατήστησεν. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ…, p. 137. 161. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini, Lipsiæ, Teubner, 1907, p. 151-152. 162. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium…, p. 140. 163. M. BONNET, « Martyrium Sancti apostoli Andreæ », Analecta Bollandiana 13, 1894, p. 353-372. 164. Ἐκεῖθειν τε αὖθις ἐξελθὼν διὰ τοῦ κατάπλου τοῦ αὐτοῦ Εὐξείνου πόντου τοῦ εἰσρέοντος πρὸς τὸ Βυζάντιον δεξιοῖς μέρεσιν ἐχώρει. Καὶ πρός τινα χώραν

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Voilà donc le début d’une succession épiscopale : le premier évêque de Byzance est Stachys que salue Paul dans l’Épître aux Romains et sa légitimité provient d’André. Le document parle de l’Illyrie comme de l’« Occident » alors que vers 733-752, sous Léon III, les Illyriens sont devenus sujets de Byzance : voilà qui date notre texte du milieu du VIIIe siècle, à l’époque où les relations entre patriarcats sont en train de s’aigrir. Zeuxippos est un nom légendaire des rois de Sicyon. Le Chronicon Pascale165 raconte que l’Empereur Sévère avait voulu donner son propre nom à des thermes, mais que le peuple les avait baptisés Zeuxippe parce qu’à une courte distance des bains se trouvait une statue du dieu soleil nommée Zeuxippos (le nom vient sans doute de Zeus Hippios) 166. Argyropolis est le nom d’un faubourg de Constantinople que le patriarche Atticus (406-425) trouvait particulièrement beau. Selon Socrate, il l’aurait donc rebaptisé Argyropolis (la cité d’argent) par opposition au faubourg qui était situé à son opposé, Chrysopolis (la cité d’or) 167. Manifestement, il s’agissait d’ancrer André dans un terreau byzantin bien connu.

3. Troisième étape : la rédaction des récits de martyres Autour du VIIIe siècle, on constate que la question de l’apostolicité de Byzance devient une question centrale. Elle se traduit par la rédaction de textes qui traduisent la vogue d’André à Constantinople. Le Martyrium Andreæ prius (BHG 96 = CANT 227), un récit de martyre manifestement liturgique, comporte un épisode inconnu ailleurs, la conversion de Lesbios, le prédécesseur d’Égéate. Le Martyrium Andreæ alterum (BHG 97 et 98) est un récit de martyre écrit manifestement pour une fête liturgique, probablement au VIIIe siècle 168. καλουμένην Ἀργυρόπολιν καλαβὼν καὶ ἐκεῖσε ἐκκλησίαν δειμάμενος τὸν ἕνα τῶν ἑβδομήκοντα μαθητῶν Στάχυν ὀνόματὶ οὗ καὶ Παῦλος ὁ ἀπόστολος, τὸ στόμα Χριστοῦ, τὸ σκεῦος τῆς ἐκλογῆς, ἐν τῇ πρὸς Ῥωμαίους μέμνηται ἐπιστολῇ ἀγαπητὸν αὐτὸν ὄντα χειροτονήσας τοῦ Βυζαντίου ἐπίσκοπον καὶ καταλιπὼν διαγγέλειν τὸν σωτήριον λόγον, διὰ τὴν ἐκεῖσε ἐπικρατοῦσαν τότε εἰδωλικὴν ἀθεότητα καὶ τὴν τοῦ τυράννου καὶ εἰδωλομανοῦς Ζευξίππου ὠμότητα τοῦ ἐν αὐτῷ προκαθεζομένου αὐτὸς πρὸς τοῖς δυτικοῖς μέρεσιν ἀπῄει, καταφωτίζων ταῖς ἐνθέοις αὐτοῦ διδαχαῖς καὶ τὴν δυτικὴν ἀμαυρότητα. Διελθών τε τὴν Θεσσαλίαν καὶ Ἑλλάδα καὶ τοὺς ἐν αὐταῖς ταῖς πόλεσιν τὸ τῆς οἰκονομίας Χρισοτοῦ τοῦ θεοῦ μυστήριον ἐκθέμενος αὐτόθεν μέτεισιν πρὸς τὴν Ἀκαΐαν. M. BONNET, « Martyrium… », p. 353-372. 165. Chronicon Pascale, PG 92, col. 649 (p. 494 du t. 1 de l’édition de Bonn). 166. Sur ces bains dont la statuaire entendait être représentative de tout l’art grec : S. G. BASSETT, « Historiæ custos : Sculpture and tradition in the Baths of Zeuxippos », American Journal of Archæology 100, 1996, p. 491-506. A. KALDELLIS, « Christodoros on the Statues of the Zeuxippos Baths : A New Reading of the Ekphrasis », Greek, Roman, and Byzantine Studies 47, 2007, p. 361–383. 167. SOCRATE, Hist. Eccl. VII, 25, 14, trad. dans P. PÉRICHON et P. MARAVAL (SC 506), 2007, p. 99. 168. J. FLAMION, p. 61.

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CHAPITRE 3

4. Quatrième étape : la Vie d’André d’Épiphane (BHG 102 = CANT 233) La Vie d’André composée par Épiphane, moine de Callistrate169, poursuit le mouvement. La date de ce texte pourrait être le début du IXe siècle, car Épiphane affirme qu’il a vu une effigie d’André que des iconoclastes n’ont pas réussi à réduire en pièces sous le règne de Constantin Copronyme (741-775) 170 et surtout qu’il a dû quitter le monastère pour éviter le contact avec les iconoclastes 171 : ces événements ont dû prendre place au début de la seconde phase de la crise iconoclaste, sous Léon V (vers 815). La principale source de cette vie d’André, Épiphane le confesse luimême, est la notice d’Épiphane de Chypre, à laquelle il ajoute Clément de Rome (on se demande à quoi il fait allusion) et Évagre de Sicile, et qu’il a complétée par des voyages dans les lieux mentionnés par le texte172. Le texte commence par une prédication commune de Pierre et d’André à Antioche puis un premier voyage vers la Cappadoce, Sinope. À partir de ce moment, André fait cavalier seul : Pierre va vers l’Occident, tandis qu’André va vers Amasie, Trébizonde, puis revient à Jérusalem 173. En compagnie de Jean, il commence un second voyage 174 à Éphèse, brutalement interrompu par un ordre angélique d’aller en Bithynie pour gagner la Scythie. On passe donc par Laodicée de Phrygie, arrive à Nicée puis à Chalcédoine et enfin Héraclée. Intervient un troisième voyage où André, Simon le Cananéen Mathias et Thaddée vont vers Édesse. Thaddée demeure à Édesse, Matthias s’arrête en Ibérie (le sud de la Géorgie), André et Simon vont jusqu’à Sébastopolis. Le frère de Pierre y laisse Simon pour aller voir les Barbares en Chersonèse 175. Les miracles se succèdent avec une monotone régularité tandis que certaines étapes sont sautées, comme si la géographie était le véritable intérêt de cette narration. Bien entendu, le morceau de bravoure se situe à Patras 176 où l’on retrouve notre fameux triangle amoureux. André commence par guérir Maximilla, puis une série de malades. Stratoclès le frère d’Égéate reçoit lui aussi le baptême. Puis quand arrive le gouverneur, la crise survient : il fait enfermer André dans une prison où ses nouveaux convertis viennent le visiter. 169. PG 120, 218-260. 170. PG 120, 220b. 171. Ταῦτα ἡμεῖς ἐπὶ χεῖρας ἔχοντες τὰ ὑπομνήματα καὶ φεύγοντες τὴν κοινωνίαν τῶν εἰκονομάχων, « nous avons ces documents en main, même si nous avons fui la communauté des iconoclastes », PG 120, 221c. 172. PG 120, 217 et 221. 173. PG 120, 221-227. 174. PG 120, 230-241. 175. PG 120, 241-244. 176. PG 120, 244-259.

ANDRÉ L’« HÉTÉRODOXE » PATRON DE BYZANCE

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Compilation un peu médiocre, cette Vita correspond à merveille aux banalités hagiographiques, à ce qu’Hippolyte Delehaye résume avec son ironie coutumière : Les chrétiens sont partout recherchés ; un grand nombre tombe aux mains des soldats, et parmi eux le héros du récit ; il est arrêté et jeté en prison. Mené devant le juge, il confesse sa foi et endure d’affreux supplices. Il meurt, et son tombeau devient le théâtre d’une foule de prodiges 177.

5. Cinquième étape : la Laudatio (BHG 100 = CANT 228) Cette Vie d’André servit de modèle à un second texte, la Laudatio 178, un texte tardif mis parfois sous la plume de Nicetas le Paphlagonien. Celleci ressemble plutôt à une sorte de réécriture dans une forme plus policée de l’œuvre d’Épiphane le Moine, qui n’avait réussi qu’une compilation un peu pauvre 179. Le grec est en effet meilleur, le style plus brillant, et certains détails oiseux ont été supprimés. Le texte ne rajoute qu’un petit récit : la translation des reliques à l’église des Saints-Apôtres, preuve que ce texte a avant tout pour visée d’assurer le prestige de la cité de Constantinople. Au terme de ce parcours, le lien entre les reliques, l’apôtre et la ville est enfin établi. Constantinople a désormais son saint patron. Cette tradition est si bien établie qu’au XIIIe siècle, Salomon de Bassorah peut, dans le Livre de l’Abeille, écrire que si André est bien passé par l’Achaïe, il a fondé l’Église de Byzance et y est mort 180. La légende d’André est établie, et on la retrouve telle quelle dans le synaxaire athonite actuel qui reprend les grands traits de légende issus des Actes d’André ainsi que la conversion de Byzance et l’épiscopat de Stachys 181.

B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Ainsi que nous l’avons dit en ouverture de cette étude sur la figure de l’apôtre André, le pêcheur de Bethsaïde représente une sorte de cas d’école dans notre problématique sur les processus de légitimation dans le christianisme ancien. Figure secondaire qui n’a d’autre intérêt que d’être le frère du personnage central du cercle des Douze, André devient une figure 177. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques (Subsidia Hagiographica 18), Bruxelles, Société des Bollandistes/Vromant, 21906, p. 104. 178. Éditée par M. BONNET, Analecta Bollandiana 13, 1894, p. 311-352. 179. F. DVORNÍK, The Idea of Apostolicity in Byzantium…, p. 227. 180. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 103. 181. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 624-628.

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CHAPITRE 3

« disponible » pour être investie par des communautés marginales. À l’origine apôtre de la Scythie, il devient un apôtre « grec » en supplantant Paul et Luc dans l’évangélisation de l’Achaïe et représente un modèle pour un christianisme très hellénisé, à mi-chemin entre philosophie et spéculations mystiques. Lors de la phase d’institutionnalisation des IVe-VIe siècles, certains écrivains considérèrent qu’il ne pouvait rester prisonnier de ce qui est en train d’être défini comme « marginal » et « hétérodoxe ». L’offensive vient d’Occident d’abord : l’Épître des presbytres et diacres d’Achaïe puis la Vita Andreæ de Grégoire de Tours procèdent à la réécriture du martyre d’André d’une part, puis de toute sa vie d’autre part. Les éléments les moins conformes à la doctrine sont expurgés tandis que l’apôtre se transforme en un modèle de thaumaturge et de constance devant le supplice de la croix. C’est l’Orient qui s’empare d’André dans un second temps. Il ne s’agit plus ici de le rendre présentable, mais bien de l’arraisonner dans un processus de légitimation de la capitale impériale. Une série de textes s’étalant de la fin du VIe siècle au IXe siècle en font le fondateur du siège patriarcal byzantin puisque c’est lui qui aurait mandaté Stachys comme premier évêque de Constantinople. André joue donc un rôle décisif dans le processus de séparation de l’Église d’Orient et de l’Église d’Occident qui sera consommée par le schisme de 1054. Encore aujourd’hui, il est régulièrement invoqué par les théologiens orthodoxes pour justifier l’apostolicité du trône de Constantinople 182. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce qu’André soit souvent représenté dans les icônes. La scène la plus dépeinte est celle de son martyre, où il est pendu entre les branches d’un arbre. Il ne devint vraiment populaire en Occident qu’à partir du XIIIe siècle lorsque la cathédrale d’Amalfi prétendit posséder ses reliques rapportées de Constantinople en 1210 et lors de l’ascension de la maison de Bourgogne qui avait fait d’André son saint patron puisqu’il avait évangélisé la Scythie dont les Burgondes auraient été originaires. Et c’est l’Occident qui inventa la « croix de saint André ». On en trouve la première attestation dans le tropaire d’Autun du Xe siècle (Paris, Arsenal, Ms. 1169), mais c’est seulement à partir du XVe siècle qu’elle devient fréquente, en lien avec l’insigne de l’Ordre de la Toison-d’Or placé sous la protection d’André 183. C’est ainsi que le représente le Livre d’Heures de Jean sans Peur (ms. BNF), ou le Livre d’Heures d’Étienne Chevalier de Jean Fouquet (1450). À partir du XVIIIe siècle, cette croix devint même son unique attribut comme chez Murillo 182. V. PHIDAS et G. D. DRAGAS, « The Johannine Apostolicity Of The Throne Of Constantinople », Greek Orthodox Theological Review 45, 2000, p. 23-55. 183. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. III, Paris, PUF, 1958, p. 78-79.

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(Prado), Carlo Dolci (Galleria Pitti) ou sur la statue de François Duquesnoy sous la coupole de Saint-Pierre de Rome. La basilique romaine possède un crâne de saint André, reçu d’Orient par Pie II en 1462. L’hospice El Milagro de Valence est l’un des seuls lieux à présenter une série de tableaux consacrés à sa légende 184.

184. É. MÂLE, Les Saints Compagnons du Christ, Paris, Beauchesne, 21988, p. 133-134.

CHAP. 4

JACQUES LE MAJEUR, L’APÔTRE AUX DEUX VIES

Étrange destin que celui de Jacques le Majeur ! Il est en effet mentionné de nombreuses fois dans les évangiles et semble occuper, aux côtés de Pierre et de Jean, une place importante dans la première communauté de Jérusalem. Il est même le seul apôtre dont les textes canoniques rapportent la mort. Et puis, plus rien… Jacques disparaît de tous les témoignages et de tous les textes chrétiens pour ne vraiment réapparaître que dans une tradition tardive, au IXe siècle, à Compostelle. Comment Jacques s’est-il effacé de la mémoire chrétienne ? Portrait d’un apôtre mis sous le boisseau pour ensuite réapparaître 1.

I. L ES

TÉMOIGNAGE S ÉVANGÉLIQUE S

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L A COMMUNAU TÉ HIÉROSOLYMITAINE TÔT DISPARU

Nous traiterons dans ce chapitre non seulement les données sur Jacques mais également celles concernant globalement les fils de Zébédée : le chapitre sur Jean étant considérable, il nous a paru préférable de l’alléger en reportant sur Jacques ce que l’on peut dire des deux frères. A. Un des premiers appelés Contrairement à d’autres apôtres, Jacques est régulièrement présent dans les évangiles aux côtés de son frère Jean. Il fait partie, avec Jean, Pierre et André, des quatre premiers disciples appelés par Jésus dans les synoptiques. Leur appel mérite d’être analysé : Mc 1, 19-20. – Avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, et eux étaient dans leur barque en train d’arranger leurs filets. Aussitôt, il les appela. Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec les salariés, ils partirent à sa suite.

1. Une première synthèse des traditions jacobites dans M. STAROWIEYSKI, « La Légende de saint Jacques le majeur », Apocrypha 7, 1996, p. 193-203.

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CHAPITRE 4

Jésus vient d’appeler les deux frères Pierre et André quand il se tourne vers les fils de Zébédée qui pêchent à quelques encablures. On ne peut guère apprendre de leur nom. Ἰάκωβος est la translittération de Jacob (‫)יעקב‬, l’un des patriarches : en dehors de notre Jacques, on connaît dans les sources antiques 44 personnages ayant porté ce nom 2. Jean, Yohanan, est aussi un nom très commun qui signifie « Dieu a fait grâce » que l’on retrouve souvent dans l’Ancien Testament (1Ch 26, 3 ; Esd 10, 6). Il est le nom du Baptiste, du père de Simon Pierre ( Jn 1, 43), et de Marc (Ac 12, 12). Quant à Zébédée, Ζεβεδαῖος, il signifie « don de Yahvé » et ressemble au nom de Zebadiah signifiant « Yahvé a donné » de 1Ch 8, 17 qui constitue aussi un nom populaire parmi les peuples sémites (en particulier les Nabatéens et jusqu’au Hauran) qu’on rencontre aussi dans les archives de Babatha (P. Yadin 5) et sur une jarre de Massada 3. Une colonne de la synagogue de Capharnaüm4 portant le nom « Zebida bar Yochanan » (IVe s. apr. J.-C.) prouve sa popularité en Galilée 5. Le fait que Jacques soit présenté en premier semble accréditer l’idée qu’il était l’aîné, comme le suggère aussi son nom, mais cette observation n’a rien de décisif. La scène indique que la famille jouissait d’un certain niveau social. Le grand nombre de personnes mentionnées suggère qu’elle faisait usage d’une σαγήνη. C’était un filet long de 350 mètres, traîné par un bateau dans un large demi-cercle actionné à la fois depuis le rivage et depuis le bateau : on le voyait encore au début du XXe siècle 6. Cette technique efficace supposait une infrastructure assez lourde : des pêcheurs sur la grève et sur la barque, un large filet, un bateau. On connaît un exemple de ce type d’embarcation par la découverte faite en janvier 1986 par des archéologues amateurs : c’était loin d’être un frêle esquif, mais un canot à très large fond daté du Ier siècle, composé de plusieurs espèces de bois 7. Seuls des personnages d’un certain niveau social pouvaient faire l’investissement nécessaire à cette opération. Zébédée semblait faire partie de ceux-là, car l’évangile mentionne expressément qu’il ne faisait pas seulement travailler ses deux fils, mais 2. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 171-172. 3. T. ILAN, Lexicon…, p. 89. Voir également H. CAZELLES, « Jean, fils de Zébédée “prêtre” et apôtre », Recherches de Science religieuses 88, 2000, p. 253-258 qui suppose qu’il pourrait être d’origine sacerdotale. 4. Déjà mentionnée dans G. DALMAN, Sacred Sites and Ways. Studies in the Topography of the Gospels, 1919, trad. P. LEVERTOFF, New York, Macmillan, 1935, p. 143. 5. R. A. CULPEPPER, John the Son of Zebedee, the Life of a Legend, Edinburgh, T&T Clark, 22000, p. 8. 6. E. W. GURNEY MASTERMAN, Studies in Galilee, Chicago (IL), University of Chicago Press, 1909, p. 39-42. 7. S. WASCHMANN, The Sea of Galilee Boat : A 2000-Year-Old Discovery from the Sea of Legends, New York, Perseus Publishers, 1995.

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aussi des μισθωτοί, des salariés. Il faut donc le voir comme le patron d’une petite entreprise de pêche, possédant son bateau et son filet, et salariant des employés. C’est d’ailleurs ce qu’avait compris Origène qui réfute Celse ironisant sur la tourbe que constituait à ses yeux le groupe de Jésus qu’il disait composés d’hommes décriés, publicains et mariniers (τελώνας καὶ ναύτας). Ce ne sont pas des mariniers, réplique l’Alexandrin, ils doivent au contraire être comptés parmi les pêcheurs (ἐν αλιεῦσιν ἀριθητέον) 8. Mais, l’écrasante majorité des Pères en avait fait de pauvres hères, pour des motifs pastoraux : Pierre Chrysologue, par exemple, y voyait l’illustration de l’action souveraine de Jésus, ayant transformé de pauvres gens en apôtres conquérants 9. Hilaire les considérait comme des gens ignares (ignotus), sans éducation (indoctus), travaillant de leurs mains (occupatus manibus), les pieds dans la boue (pedibus limo oblitus) 10. Tout ce contexte permet de comprendre le pas supplémentaire accompli par Jacques et Jean par rapport à Pierre et André dans cette conversion à Jésus : ils ne se bornent pas à abandonner une activité, ils mettent en question l’unité familiale et compromettent l’avenir d’une structure économique. Comme le commente Jean Delorme : « Le texte fait passer la séparation d’avec le père avant l’abandon de l’entreprise familiale de pêche. La relation filiale est affectée, avec la situation socio-économique, par l’appel à suivre Jésus 11. » De manière très surprenante pour le lecteur qui découvre l’évangile, la relation père-fils est mise à mal, alors que la relation entre frères reste intacte. De Jésus on ne sait que deux choses : il voit et il parle. Le résultat de son appel tient en deux verbes : abandonner et suivre. Pas de discours persuasif et de conviction chèrement acquise ; pas de délai et de temps de réflexion. Comme le souligne Delorme, derechef : « L’appel n’est pas exprimé sous la forme d’un commandement, mais plutôt sous celle de l’interjection, de l’interpellation. Eh là ! Derrière moi ! En tout cas, il ne revêt pas la solen-

8. ORIGÈNE, Contre Celse II, 62. 9. Petrus et Andreas, Iacobus et Ioannes, germanitas combinata, immo congeminata paupertas, in apostolorum principes eliguntur : pauperes censu, loco humiles, uiles arte, obscuri uita, labore communes, addicti uigiliis, fluctibus mancipati, negati honoribus, iniuriis dati, præsidio retis, solo pisicum captu, uictum, uestitumque conquirentes. Sed in istis quantum uilis mundanus uidebatur aspectus, pretiosas tantum animas Dei intuitus tunc uidebat. Erat censu pauperes sed innocentia locupletes ; loco humiles, sed sanctitate sublimes, uiles arte, sed siplicitate pretiosi ; obscuri uita, sed uitæ merito perlucentes ; labores communes sed propositio singulares, addicti uigiliis, sed ad cœlestes uictorias iam uocati ; negati honoribus : ditati magis honoribus, non negati ; iniuriis dati, sed iniuriis non relicti ; captores piscium, sed piscatores hominum iam decreti. HILAIRE DE POITIERS, Sermon 28, PL 278-279. 10. HILAIRE DE POITIERS, De Trinitate II, 13, éd. P. SMULDERS (CCSL 62), 1979. 11. J. DELORME, L’Heureuse Annonce selon Marc I (Lectio Divina 219), Paris, Cerf, 2008, p. 97.

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nité des scènes de vocation prophétiques (Is 6 ; Jr 1 ; Ez 2-3)12. » C’est que, dans le récit, l’appel est avant tout un événement de parole, un acte performatif. Il ne se passe rien en apparence, rien d’autre qu’une interpellation. Voici donc le pauvre Zébédée laissé en plan avec ses filets, au beau milieu du rivage. La mention dans un autre récit de la mère des deux frères doit nous conduire à nuancer le caractère définitif de cet abandon : les Zébédaïtes n’ont pas coupé tous les ponts familiaux. De Zébédée, en revanche, on n’en saura pas davantage. Dès le IVe siècle, une église est construite sur l’emplacement de sa maison à Tibériade, elle est visitée par de nombreux pèlerins 13. Une tradition médiévale 14 fait de Saffa, un village situé à quelques kilomètres de Nazareth son lieu de naissance (on y avait construit une église de pèlerinage encore connue au XVIIe siècle 15), dans le souci de l’associer à la famille de Jésus. En effet, Origène identifie la mère des fils de Zébédée, sa femme donc, à la Salomé qu’on voit au pied de la Croix. Alors que Matthieu appelle les trois saintes femmes Marie mère de Jacques, Marie Madeleine et la mère des fils de Zébédée, Marc cite une Salomé 16. Jérôme, dans son Épître 96 prétend que Zébédée était d’origine « noble » (veut-il dire sacerdotale ?), puisque dans l’évangile de Jean, le Disciple (identifié au frère de Jacques) peut entrer librement dans la maison du Grand Prêtre : « à cause de son origine noble, il était connu du pontife et ne craignait pas les intrigues des Juifs 17. » On rappellera ces considérations en évoquant les figures de Jean et de Jacques le Mineur. Il convient de noter que Luc donne une version totalement différente de l’appel des deux disciples puisqu’il le lie à celui de Simon Pierre lors d’une pêche miraculeuse (5, 1-11). Il s’agit manifestement d’une tradition distincte que Luc partage avec Jn 21, 1-14, comme l’a montré Raymond Brown, qui énumère dix points de contact entre les deux récits 18. Il est extrêmement difficile de résoudre les deux traditions en une seule, comme le pense Robert Alan Culpepper 19. En effet, faut-il distinguer les 12. J. DELORME, L’Heureuse Annonce…, p. 100. 13. P. MARAVAL, Lieux saints et pèlerinages d’Orient histoire et géographie des origines à la conquête arabe (Histoire), Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 294. 14. D. PRYNGLE, The Churches of the Crusader Kingdom of Jerusalem, vol. 2, Cambridge, Cambridge University Press, 1998, p. 302. 15. ADRICHOMIUS, Theatro Terræ Sancta 83 : Saffa vel Saffra ciuitas in monte sita, a Nazareth tribus distans milliaribus, patria Zebedæi, Alphæi et Jacobi atque Ioannis Apostolorum, in quorum natiuitatis loco pulcra uisitur ecclesia. Voir également QUARESMIUS, Elucidatio Terræ Sanctæ II, 7, pérégrination 4, chap. 1. Cité par Guilielmus CUPERUS, « De Jacobo Majore », Acta Sanctorum Julii VII, Antuerpiæ (Anvers), Jacob du Moulin, 1729, p. 7F. 16. ORIGÈNE, In Matthæum 35. 17. JÉRÔME, Epistula 127 : propter generis nobilitatem erat notus pontifici et Iudæorum insidias non timebat, éd. I. HILBERG, (CSEL 55), 1918, p. 149. 18. R. E. BROWN, The Gospel According to John…, p. 1090. 19. R. A. CULPEPPER, John the Son of Zebedee…, p. 22-23.

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deux récits 20 ou faut-il penser qu’il n’y a qu’une pêche miraculeuse qui suit l’appel des disciples 21 ? Que le récit de la pêche miraculeuse est postpascal 22 ? Ou que rien de ceci n’a pas de consistance 23 ? Compte tenu des nombreuses implications théologiques soulevées par le récit de Luc et de l’absence de véritable exploitation par Marc de sa propre narration (aucune exploitation théologique ou légendaire n’en a été faite par la suite), il est probable que c’est bien le récit de Marc qui pourrait contenir le plus de vraisemblance 24 : Luc associe le récit de la vocation avec celui de la pêche miraculeuse pour des raisons narratives ou théologiques. B. Un bouillant disciple, membre du cercle rapproché La suite des évangiles montre que Jacques faisait partie des intimes de Jésus. Notre apôtre se retrouve aux côtés de Jésus dans les épisodes les plus importants : il est témoin de la résurrection de la fille de Jaïre (Mc 5, 37), de la guérison de la belle-mère de Pierre (Mc 1, 29-31), de la Transfiguration (Mt 17, 1 et par). Il appartient au petit groupe qui veut connaître le temps de la destruction du temple (Mc 13, 1-4). Il se retrouve à Gethsémani (Mt 26, 36 et suiv. ; Mc 14, 32 et suiv.). Il rencontre Jésus après la Résurrection chez Jean ( Jn 21, 1 et suiv.). En compagnie de Pierre, Jacques et son frère Jean semblent donc faire partie d’un « cercle rapproché » de trois disciples, les préférés de Jésus. Comme le dit bellement Bruneto Latini, il fut « secretaires Nostre Seignor », tant il paraît que c’est sur ses souvenirs que se sont composés certains textes des évangiles 25. D’où vient cette préférence ? La réponse à cette question diffère selon l’interprétation que l’on fait de l’existence des Douze. Bultmann, considérant que ce nombre était le résultat d’une réinterprétation postpascale, avait tendance à penser que les Trois reflétaient un fait historique 26. Ceux qui ont mis en cause cette interprétation en estimant que les Trois ont été introduits par un artifice littéraire27 ne parviennent pourtant pas à remettre 20. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1978, p. 200. 21. E. SCHWEIZER, The Good News According to Luke, Atlanta (GA), John Knox, 1984, p. 103. 22. R. E. BROWN, The Gospel According to John…, p. 1091. 23. C’est la conclusion à laquelle arrive Rudolf Pesch après examen de l’épisode : R. PESCH, Der reiche Fischfang, Düsseldorf, Patmos, 1969. 24. J. P. MEIER, Un Certain Juif Jésus…, vol. 3, p. 147. 25. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 71. 26. R. BULTMANN, Histoire de la tradition synoptique, 1921, trad. A. MALET, Paris, Seuil, 1973, p. 416-419. 27. B. L. MACK, A Myth of Innocence : Mark and the Christian Origins, Philadelphia (PA), Fortress, 1988, p. 231.

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tout à fait en cause leur historicité : sans fondement historique, comment l’existence de ce « cercle intime » serait-elle entrée dans la tradition ? Il convient de noter que cette préférence semble être plus marquée chez Marc que chez les autres synoptiques, puisque seul Marc note leur présence à la résurrection de la fille de Jaïre (contrairement à Matthieu) et à la Transfiguration (contrairement à Luc). En outre, dans la liste apostolique que Marc donne, Pierre est séparé de son frère André (qui passe en quatrième place) pour constituer le trio Pierre, Jacques, Jean (Mc 3, 16-17). Une explication spécifique doit donc être apportée. Pour ce faire, on a eu l’habitude de convoquer le fameux « secret messianique » mis en lumière par Wrede 28. Si le Christ impose à ses disciples le secret sur sa nature de Messie, ce serait parce que le messianisme est une construction post-pascale qu’il fallait faire « coller » avec les témoignages prépascals. Comme l’ont noté Conzelmann 29 et d’autres 30, cette reconstruction doit être nuancée – il vaut mieux penser que le secret indique que la révélation de la messianité est l’affaire de la communauté (seule l’Église reconnaît le Messie) et non du monde qui peine à le reconnaître 31. Il vaut mieux constater le goût marcien pour les petits groupes, les révélations privées : d’où son insistance sur le groupe des Trois. Ceux qui font l’hypothèse d’un « proto-Marc » affirment que dans la première rédaction de l’évangile, seuls ces petits groupes étaient évoqués, et qu’ils ne furent remplacés que tardivement par la mention des Douze. Cela pourrait s’expliquer par le fait que cette configuration reprend l’organisation de l’Église primitive de Jérusalem et permettrait de faire le lien entre le proto-Marc et cette première communauté32 (en supposant qu’il existât un premier trio Pierre-Jacques de Zébédée-Jean de Zébédée pour ne pas le confondre avec les « colonnes » de l’épître aux Galates qui sont Pierre-Jacques frère du Seigneur-Jean de Zébédée !). Toutefois, comme le note Robert Alan Culpepper, ceci n’est qu’une supposition : « les raisons de l’intérêt pour Marc envers ces trois disciples 28. W. WREDE, Das Messiasgeheimnis in den Evangelien, Tübingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1901. 29. H. CONZELMANN, Théologie du Nouveau Testament (Nouvelle Série théologique 21), 1967, trad. E. DE PEYER, Paris/Genève, Centurion/Labor et Fides, 1969, p. 151. 30. Voir en particulier G. MINNETTE DE TILLESSE, Le Secret messianique dans l’évangile de Marc (Lectio Divina 47), Paris, Cerf, 1968 ; U. LUZ, « Das Geheimnismotiv und die markinische Theologie », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 56, 1965, p. 9-30 ; G. H. BOOBYER, « The Secrecy Motif in St. Mark’s Gospel », New Testament Studies 6, 1960, p. 225-235. W. SCHMITHALS, « Das Messiasgeheimnis und die Spruchquelle », Harvard Theological Studies 64, 2008, p. 353-375. 31. H. N. ROSKAM, « Jesus’ Command to silence in Mark’s Gospel », The Purpose of the Gospel of Mark in Its Historical and Social Context (Supplements to Novum Testamentum), Leiden, Brill, 2004, p. 171-188. 32. D. R. BURKETT, Rethinking the Gospel Sources : From Proto-Mark to Mark, London/New York, T&T Clark, 2004, p. 161-162.

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sont inconnues et la question de savoir pourquoi Jacques et Jean furent choisis comme membres de ce groupe demeure sans réponse. Marc trouva probablement ce groupe dans la tradition ancienne, mais nous sommes incapables de discerner quelle scène ou quelles scènes illustraient ce groupe dans les traditions pré-marciennes 33 ». En effet, les deux autres synoptiques n’ont pas la même considération pour le groupe restreint à trois, puisque ce dernier n’apparaît que dans des scènes dérivées de Marc. S’ils sont pour ainsi dire « mis dans le même sac » que Pierre, Jacques et Jean ne perdent pour autant pas leur individualité : ils s’illustrent en effet dans quelques épisodes qui révèlent un caractère particulièrement ardent.

1. Boanergès Tout d’abord, une précision dans les listes apostoliques ne laisse pas de nous surprendre. En Mc 3, 17, on peut lire : « Jacques, le fils de Zébédée, et Jean, le frère de Jacques, – et il leur donna le surnom de Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre ». Que signifie donc ce surnom ? On s’en doute, la littérature est considérable sur le sujet et remonte à fort loin, comme le prouve un intéressant petit article anonyme paru en 1719 dans les Mémoires pour l’histoire des sciences et des arts (les « Mémoires de Trévoux ») qui cite Origène, Jérôme, mais aussi Drusius, Grotius, Jansenius 34. Le surnom Βοανηργές ne correspond que fort approximativement à benê ra’am qui serait la traduction de υἱοὶ βροντῆς. On a ainsi pu proposer bene règesh, fils du tumulte, bene rogez, fils de la colère, bene ra’ash, fils du tremblement de terre… Aucune de ces explications n’est véritablement satisfaisante, car elle suppose une connaissance sophistiquée de la culture grecque. En clair, il est impossible de connaître le fin mot du lien entre « fils du tonnerre » et « Boanergès » 35. Quant à la signification du nom, qu’en dire ? Il faut constater, avec Swete, qu’il ratifie la place dirigeante que les trois premiers apôtres reçoivent dans le nouvel ordre apostolique 36. Les deux Zébédaïtes sont en effet les seuls à recevoir un surnom collectif. Cela rappelle d’autres cas 33. The reasons for Mark’s interest in these three disciples are unknown and the question of why James and John were chosen as members of this group remains unanswered. Mark probably found this group in the early tradition, but we are unable to locate which scene or scenes features this group in the pre-Markan traditions. R. A. CULPEPPER, John the Son of Zebedee, the Life of a Legend…, p. 38. 34. « Étymologie du mot boanerges », Mémoire pour l’histoire des sciences et des arts, décembre 1719, Trévoux, Imprimerie de SAS le Prince de Dombes, 1719, p. 110-120. L’auteur propose de lire « un enfant du tonnerre ». 35. C’est l’opinion de Robert Guelich, qui donne la bibliographie afférente : R. A. GUELICH, Mark 1-8 :26 (Word Biblical Commentary 34A), Dallas (TX), Word, 1989, p. 162. 36. H. B. SWETE, The Gospel According to St Mark, London, Macmillan, 21902, p. 60.

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bien connus : A. Collins rappelle que le tonnerre est marque de théophanie dans l’Ancien Testament, et, dans certains cultes orientaux comme celui de Mithra, marque de l’initiation 37 ; R. Brownrigg affirme qu’une allusion à Castor et Pollux n’est pas impossible (ce qui ferait des deux frères des jumeaux) 38 et il suit en cela l’interprétation de J. Rendel Harris dans son étude sur les jumeaux célestes 39 ; O. Betz fait allusion à la tradition des tribus de Syméon et Lévi : comme Syméon et Lévi, ils occupent la seconde et la troisième places d’une liste, comme eux, ils doivent abandonner père et mère (Dt 33, 9) et comme eux, ils sont connus pour leur zèle 40. Mais encore une fois, on reste dans le domaine de la conjecture. La tradition a supposé qu’on pouvait expliquer ce surnom par le caractère impétueux des deux frères : faute de mieux, il convient d’en rester à cette explication et présupposer que ce surnom leur a été donné par Jésus comme une promesse de ce qu’ils allaient devenir.

2. Deux impétueux Le caractère enflammé des deux frères se dévoile surtout dans un épisode qui n’est raconté que par Luc. Lc 9, 51-55. – Or, comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus prit résolument la route de Jérusalem. Il envoya des messagers devant lui. Ceux-ci s’étant mis en route entrèrent dans un village de Samaritains pour préparer sa venue. Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il faisait route vers Jérusalem. Voyant cela, les disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous disions que le feu tombe du ciel et les consume » ? Mais lui, se retournant, les réprimanda.

Le récit s’insère dans une construction qui met en évidence la longue montée de Jésus vers la Passion, que traduit l’ambiguïté du terme ἀνάλημψις qui signifie à la fois l’enlèvement final, mais aussi la montée. Pour « préparer la voie du Seigneur », Jésus envoie ses disciples, tels de nouveaux Jean Baptiste (Lc 3, 4 citant Is 40, 3) : comme lui, ils sont en butte à l’hostilité des foules 41. L’hostilité des Samaritains – traditionnelle mais peut-être pas 37. A. Y. COLLINS, Mark (Hermeneia), Minneapolis (MN), Fortress, 2007, p. 220. Pour le tonnerre dans le culte de Mithra, voir le PGM IV, 571 et 621. 38. R. BROWNRIGG, The Twelve Apostels, New York, Macmillan, 1974, p. 94. 39. J. R. HARRIS, Boarnerges, Cambridge, Cambridge University Press, 1913. J. Rendel Harris passe le premier chapitre à expliquer que « fils du tonnerre » a été appliqué à plusieurs jumeaux célestes aussi bien Castor et Pollux que les dieux du tonnerre de la mythologie danoise ou des croyances péruviennes. Il fait ensuite la revue des mythes des jumaux célestes. 40. O. BETZ, « Donnersöhne, Menschenfischer und der davidsche Messias », Revue de Qumrân 3, 1961, p. 41-70. 41. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc (Commentaire du Nouveau Testament 3b), vol. 2, Genève, Labor et Fides, 22010, p. 33.

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si ancienne que cela 42 – sert de symbole à cette hostilité au projet divin, marqué ici par l’expression « aller à Jérusalem ». La réaction des deux fils de Zébédée traduit alors leur impétuosité 43, mais aussi leur foi 44. Convaincus d’être de nouveaux Élie au service de Dieu, ils reprennent l’expression du prophète confronté aux deux cinquantaines d’hommes envoyés par le roi Ochosias (2R 1, 10 et 12) : ils brûlent du même zèle pour le Seigneur. La citation est tellement claire que certains manuscrits onciaux précisent ὡς καὶ Ἠλίας ἐποίησε, « comme Élie l’avait fait aussi » 45. Jésus répond par une phrase qui montre que le règne de la violence a pris fin et que c’est avec la souffrance et la soumission à la volonté de Dieu que se déroulera sa venue 46. Les deux fils de Zébédée sont ouvertement blâmés, et leur incompréhension de l’action de Jésus clairement dénoncée. À leur décharge, il faut convenir que l’expression qui introduit leur intervention est un peu contournée : la formulation « les disciples, Jacques et Jean » peut laisser supposer que les noms des deux fils de Zébédée ont été rajoutés par après 47.

3. La demande des fils de Zébédée Les deux frères s’illustrent dans un autre épisode qui démontre à la fois leur impétuosité et l’ardeur de leur caractère. Alors que Jésus a fini de parler, les voilà qui s’approchent de Jésus en essayant de le « prendre dans un coin », comme le suggère le verbe grec προσπορεύονται : Mc 10, 35-45. – Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : « Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander ». Il leur dit : « Que voulez-vous que je fasse pour vous » ? Ils lui dirent : « Accorde-nous de siéger dans ta gloire l’un 42. J.-D. MACCHI, Les Samaritains : histoire d’une légende. Israël et la province de Samarie (Le Monde de la Bible 30), Genève, Labor et Fides, 1994. 43. A. PLUMMER, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel According to St Luke (International Critical Commentary), Edinburgh/New York, T&T Clark/ Scribner, 1896, p. 264. J. NOLLAND, Luke 9, 21–18, 34 (Word International Commentary 35B), Dallas (TX), Word, 1993, p. 536. 44. D. L BOCK, Luke 9, 51–24, 54 (Bakers Exegetical Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Baker, 2000, p. 970. 45. A, C, D, Θ, W. Pour une discussion de ces variantes, voir M.-J. LAGRANGE, Évangile selon Saint Luc (Études Bibliques), Paris, Gabalda, 21921, p. 285. 46. J. DOCHHORN, « Die Verschonung des samaritanischen Dorfes (Lk 9.54-55) : Eine kritische Reflexion von Elia-Überlieferung im Lukasevangelium und eine frühjüdische Parallele im Testament Abrahams », New Testament Studies 53, 2007, p. 359-378. D. A. ALLISON, « Rejecting violent Judgment : Luke 9 :52-56 and its relatives », Journal of Biblical Literature 121, 2002, p. 459-478. 47. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1978, p. 406.

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à ta droite et l’autre à ta gauche ». Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé » ? Ils lui dirent : « Nous le pouvons ». Jésus leur dit : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder : ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé ». Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean. Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude».

Cette demande des fils de Zébédée est le prétexte pour Jésus à un enseignement sur le pouvoir et l’autorité. Le texte commence par un dialogue de demande des fils de Zébédée à Jésus : leur présence, comme conclut Simon Légasse après étude de la péricope, pourrait résulter de la reprise d’une catéchèse ancienne sur la gloire future du Christ et de ses disciples48. Pour autant, le dialogue n’est pas une simple cheville : il montre la confiance des deux frères dans la certitude que Jésus, qu’ils nomment maître, pourra leur accorder ce qu’ils demandent. Et leur demande ne se départit pas d’une attitude respectueuse : ils ne réclament ni un privilège, ni un droit, mais un don (δὸς ἡμῖν). En même temps, Marc ne cache pas ce que cette remarque peut avoir d’extravagant 49. En effet, leur requête, θέλομεν ἵνα ὃ ἐὰν αἰτησωμέν σε ποιήσῃς ἡμῖν « nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander » rappelle étrangement la promesse que fait Hérode à Hérodiade : αἴτησόν με ὃ ἐὰν θέλῃς, καὶ δώσω σοι, « demandemoi tout ce que tu veux et je te le donnerai » (Mc 6, 22). Cependant, à l’inverse du souverain, Jésus refuse de signer un « chèque en blanc50 ». La demande de Jacques et de Jean ne porte pas sur le monde à venir, mais bien sur ce monde réel : la « gloire » dont il est question sera manifestée par l’exercice d’un pouvoir qui est exprimé par l’idée du trône. Comme l’exprime Jean Delorme : « associer la figure de la “gloire” à celle de “siéger” c’est dire que le « “règne” se fera par l’exercice d’une autorité ou d’un pouvoir qui sera manifesté 51. » Leur langage reprend de fait un texte 48. S. LÉGASSE, « Approche de l’épisode préévangélique des Fils de Zébédée (Marc X, 35-40 par.) », New Testament Studies 20, 1974, p. 161-177. 49. A. Y. COLLINS, Mark…, p. 495. 50. R. GUNDRY, Mark, A Commentary on His Apology for the Cross, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1993, p. 577. 51. J. DELORME, L’Heureuse Annonce selon Marc II (Lectio Divina 223), rédaction finale de J.-Y. THÉRIAULT, Paris, Cerf, 2008, p. 192.

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classique du messianisme royal juif, 1Hénoch 45, 3, dans lequel l’Élu de Dieu s’assoit sur le trône de gloire. Les deux frères demandent donc d’être assis à la droite (la place la plus honorifique, Ps 110, 1) et à la gauche (la 2e place d’honneur, 1R 20, 25) du Messie. Les deux frères veulent participer au règne concret de Jésus sur la terre. Cette demande peut surprendre, mais il n’est pas nécessaire d’y mettre une connotation moralisatrice : Jésus, dans la suite du texte, ne les blâme pas et ne remet en cause ni la pureté de leur intention, ni la sincérité de leur demande. Après tout, ils ne font que lui offrir leurs services, dans l’espoir qu’ils pourront prendre une part à sa gloire. Leur demande n’a d’intérêt pour l’évangéliste que parce qu’elle trahit l’étendue de leur incompréhension du sens de la montée à Jérusalem 52. Au lieu d’être une prise de pouvoir politique, elle sera montée vers la Croix. C’est bien le sens de ce qui suit. Dans un premier temps, Jésus ne les détrompe pas. Il les interroge sur leur capacité à participer à la coupe et au baptême qu’il va recevoir. Les deux métaphores sont ambiguës. En effet, vu le contexte, on peut interpréter la coupe comme celle, amère, que Jésus entrevoit à Gethsémani (14, 36), celle de la souffrance et de la mort, dont on trouve de nombreux parallèles dans les textes 53. On peut ainsi interpréter le baptême comme une plongée dans la mort. Mais il est aussi possible de comprendre cette coupe comme celle qui est préparée pour ceux qui participent au Royaume et ce baptême comme celui qui ressuscite. En ce sens, comme le dit Best 54, il faut comprendre la réponse de Jésus comme un rappel. Tous les croyants participent de manière sacramentelle à la passion de Jésus : il ne peut y avoir des sièges d’exception. En tous les cas, ces deux métaphores anticipent le martyre des fils de Zébédée, appelés à la mort et à la Résurrection. Une grande partie des exégètes, à la suite de Bultmann 55 (qui reprend à vrai dire Schwartz56), a vu

52. R. GUNDRY, Mark…, p. 577. 53. Relevés dans J. GNILKA, Das Evangelium nach Markus II (Evangelisch-Katholischer Kommentar zum Neuen Testament 2.2), Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/ Neukirchner, 1979, p. 101. Sur cette interprétation A. FEUILLET, « La coupe et le baptême de la Passion (Mc, X, 35-40 ; cf. Mt, XX, 20-23 ; Lc, XII, 50) », Revue biblique 74, 1967, p. 356-391. 54. E. BEST, Following Jesus : Discipleship in the Gospel of Mark ( Journal for the Study of the New Testament, Supplement Series 4), Sheffield, JSOT Press, 1981, p. 124. 55. R. BULTMANN, Histoire de la tradition synoptique…, p. 41. Voir également la bibliographie donnée dans l’Ergänzungsheft de 1971 (traduit dans R. BULTMANN, Histoire de la tradition synoptique…, p. 490). Nous ne sommes pas sûrs de suivre l’hypothèse de Michael Oberweis qui prétend que la mort des deux témoins en Ap 11, 3-13 annonce elle aussi le martyre des fils de Zébédée. M. OBERWEIS, « Das Martyrium der Zebedaiden in Mk 10.35-40 (Mt 20.20-3) und Offb 11.3-13 », New Testament Studies 44, 1998, p. 74-92.

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dans cette précision un uaticinium ex eventu faisant allusion à la mort violente de Jacques. Il convient cependant de noter, avec Lagrange, que cette annonce ne convient pas à Jean, dont la tradition s’accorde à penser qu’il est mort de mort naturelle 57. Il est particulièrement frappant de constater que, contrairement à ce qu’il a fait pour Pierre, Jésus ne raille pas Jacques et Jean pour leur impétuosité à répondre. Il ne prévoit pas une trahison, mais annonce avec assurance le martyre à venir. Il montre également son impuissance à donner quoi que ce soit et sa non-maîtrise du plan, ce qui annonce sa condition de serviteur. Matthieu reprend le même épisode en en changeant un peu le sens, puisque ce ne sont plus les deux frères, mais la mère, qui fait sa demande. Mt 20, 20-22. – Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui, avec ses fils, et elle se prosterna pour lui faire une demande. Il lui dit : « Que veux-tu » ? « Ordonne, lui dit-elle, que dans ton Royaume mes deux fils que voici siègent l’un à ta droite et l’autre à ta gauche ». Jésus répondit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire » ? Ils lui disent : « Nous le pouvons ».

Comme le remarque U. Luz 58, on ne sait pas vraiment pourquoi la mère remplace les fils. Prétendre que Matthieu voulait éviter que ce soit les apôtres Jacques et Jean qui posent une question sans fondement est absurde : on voit bien que ce sont les deux apôtres qui répondent à la place de la mère. Tout ceci ressemble plutôt à une manipulation de la mère par les deux fils ou nous rappelle un des fonctionnements des sociétés patriarcales : l’un de moyens de s’affirmer pour une femme est de mettre ses fils en avant. En tout cas, la mère effectue sa requête dans les formes, en se prosternant, et elle non plus n’est pas blâmée par Jésus. Matthieu, au lieu de parler de « gloire » mentionne le mot « royaume » dans sa demande, ce qui rappelle une autre demande inappropriée : celle que fait Bethsabée à Salomon – qui elle aussi se prosterne et fait une requête à laquelle le roi

56. E. SCHWARTZ, Über den Tod der Söhne Zebedai. Ein Beitrag zur Geschichte des Johannesevangeliums (Abhandlungen der Gesellschaft der Wissenchaften zu Göttingen NF 7.5), Berlin, Wiedmann, 1904 ; E. SCHWARTZ, « Noch einmal der Tod der Söhne Zebedæi », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 11, 1910, p. 89-104. 57. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 6 1942, p. 279. 58. U. LUZ, Das Evangelium nach Matthäus III (Evangelisch-Katholischer Kommentar zum Neuen Testament 1.3), Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchner, 1997, p. 160-161.

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promet de répondre – en faveur de son aîné Adonias (1R 2, 19-24) : cette démarche se solde elle aussi par une mort violente, celle d’Adonias 59. Dans cette péricope, les deux frères conservent une image impétueuse. Que ce soient eux ou leur mère qui fassent demande à Jésus, ils s’affirment prêts à suivre Jésus avec confiance et aplomb. Et, encore une fois, leur maître ne semble pas les en blâmer, qui leur répond avec franchise qu’ils participeront à ses souffrances. D’ailleurs, le texte qui dépeint le choc que ressentent les autres disciples ne précise pas s’ils sont surpris de l’audace de la demande des fils de Zébédée ou inquiets de la menace sous-jacente à la réponse de Jésus. La suite du texte, extrêmement importante pour la compréhension de la mission de Jésus 60, est de moindre intérêt pour notre enquête sur la figure des disciples. Remarquons simplement que Jésus y opère un renversement des valeurs sociales. Tandis que les sociétés s’organisaient – et s’organisent encore malgré l’empreinte chrétienne – sur la question du pouvoir, Jésus renverse les choses et propose un modèle fondé sur le service. Ce modèle est plus spirituel que véritablement hiérarchique. C. Le martyre d’un des dirigeants de la communauté primitive La position particulière qu’occupent Jacques et Jean dans le groupe apostolique semble avoir perduré après la mort de Jésus. En effet, les Actes des Apôtres conservent quelques mentions de sa prééminence qui commence dès les premiers versets, juste après l’Ascension (Ac 1, 13). Désormais, le trio est cité comme Pierre, Jean, Jacques : de nouveau, la fratrie Pierre et André est divisée mais Jean précède son frère, marque possible du surcroît de son ascendant sur la communauté. L’étoile de l’aîné semble en effet avoir pâli, tandis que celle du cadet croissait : c’est désormais lui qui est associé à Pierre lorsqu’il s’agit de prier, de guérir l’infirme de la Belle Porte et de se défendre devant le Sanhédrin (Ac 3 – 4) et c’est lui encore qui remonte les traces de Philippe en Samarie (Ac 8, 15sqq) en compagnie du Prince des Apôtres. Paul confirme le fait lorsqu’il nomme comme colonnes Pierre, Jean et un autre Jacques, le frère du Seigneur (Ga 2, 9) : Jacques de Zébédée a proprement disparu. Une des raisons de cette disparition pourrait être son martyre précoce, le seul martyre des Douze décrit par les écrits canoniques. Ac 12, 1-3. – À cette époque-là, le roi Hérode entreprit de mettre à mal certains membres de l’Église. Il supprima par le glaive Jacques, le frère de 59. D. RUDMAN, « Whose Kingdom Is It Anyway ? », Biblische Notizen 125, 2005, p. 97-104. 60. Bibliographie et éléments d’analyse dans C. FOCANT, L’évangile selon Marc (Commentaire biblique du Nouveau Testament 2), Paris, Cerf, 2004, p. 395-402.

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Jean. Et, quand il eut constaté la satisfaction des Juifs, il fit procéder à une nouvelle arrestation, celle de Pierre – c’était les jours des pains sans levain.

Le texte est extrêmement rapide, au point qu’on a l’impression qu’il ne s’agit que d’une simple cheville pour annoncer la persécution de Pierre 61. Jean Chrysostome, qui n’osait pas en dire tant, explique dans son Homélie 26 que Luc ne semble pas en savoir beaucoup et que Jacques paraît être mort « par hasard » (ἁπλῶς καὶ ἔτυχεν). Cette brièveté soulève un certain nombre de difficultés. 1° de quel Hérode s’agit-il ? – La tradition exégétique 62 identifie cet Hérode au roi Agrippa, le fils d’Aristobule et Bérénice, né en 10 av. J.-C. Celui-ci fut élevé à Rome, à la cour, avec Drusus, fils de Tibère. Il mena ce que les exégètes anciens comme Jacquier nommaient une « vie désordonnée » et que les modernes comme Marguerat caractérisent comme « une vie de play-boy 63 » : elle se solde par un séjour en prison sur l’ordre de Tibère. Caligula, compagnon de débauche, lui donne à gouverner la tétrarchie en 37, puis la Galilée Pérée en 40, auxquelles Claude ajoute la Samarie-Judée. Agrippa est le dernier roi de Judée, celui qui réussit à reconstruire le domaine de son grand-père Hérode le Grand pour quelques années. Or, justement, il semble peu empressé à rappeler son funeste aïeul. Il n’est pas sûr qu’Agrippa s’appelât même Hérode puisque les monnaies ne le présentent jamais sous ce patronyme 64. Le fait qu’il soit présenté ici comme « le roi Hérode » ne peut que faire écho au roi massacreur d’innocents du début de l’évangile de Luc : on joue sur le folklore du tyran impitoyable pour montrer la menace sur l’Église 65. 2° pourquoi Jacques est-il mis à mort ? – L’expression ἐπιβάλλειν τὰς χεῖρας, « mettre la main dessus » suggère une arrestation musclée et non un décès fortuit lors d’une échauffourée 66. La cause de cette arrestation ainsi que la mort de Jacques ont posé de nombreuses questions aux historiens, tant les raisons semblent être multiples 67. Tout d’abord, il faut prendre en 61. R. I. PERVO, Acts (Hermeneia), Minneapolis, Fortress, 2009, p. 303. 62. Voir par exemple E. JACQUIER, Les Actes des Apôtres (Études bibliques), Paris, Gabalda, 21926, p. 358-360. 63. D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres 1-12 (Commentaire du Nouveau Testament 2.5a), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 429. 64. D. R. SCHWARTZ, Agrippa I : the Last King of Judea (Texts and Studies in Ancient Judaism 23), Tübingen, Mohr Siebeck, 1990, p. 120. 65. R. I. PERVO, Acts…, p. 302. 66. C. K. BARRETT, The Acts of the Apostels I (International Critical Commentary), Edinburgh, T&T Clark, 1994, p. 574. 67. G. TEISSEN, « Die Verfolgung unter Agrippa I und die Autoritätsstruktur der Jerusalemer Gemeinde. Eine Untersuchung zu Act. 12.1-4 und Mk. 10.35-45 », in U. MELL et U. MÜLLER (ÉDS.), Das Urchristentum in seiner literarischen Geschichte (Beihefte zur ZNW 100), FS J. Becker, Berlin/New York, De Gruyter, 1999, p. 263-291.

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compte la politique religieuse de Claude envers les Juifs, qu’Agrippa a peutêtre voulu soutenir en faisant quelques exemples. Ensuite, on peut y lire la tentative de supprimer ceux qui débattent de la pertinence de l’institution du Temple pour calmer la situation après Caligula (on sait que Jésus avait une attitude plutôt critique 68) ainsi qu’une manière de se concilier les Sadducéens (favorables au Temple) sur lesquels Agrippa s’appuie. Enfin, il ne faut peut-être pas sous-estimer l’image d’agitateurs que les chrétiens traînent avec eux. Sans vouloir, comme Cullmann, parler de zélotisme69, puisqu’il n’y a pas d’évidence que cette tendance existe avant les années 6070, force est de constater que la décollation était plutôt la sanction d’un crime politique, contrairement à la lapidation qui aurait puni le crime religieux71. Il faut donc supposer que la tête de Jacques dépassait encore suffisamment de l’Église de Jérusalem pour qu’Agrippa soit tenté de la couper, sans doute pour faire un exemple pour tous ceux qui seraient tentés d’agir contre le Temple. 3° Jacques a-t-il été le seul à pâtir de la persécution ? – Un fragment de Papias de Hiérapolis préservé chez Philippe de Sidè (v. 430), dans un texte conservé à Oxford (Codex 142 Baroccianus) affirme que « Papias dans son second volume dit que Jean le théologien et Jacques son frère ont été supprimés par les Juifs 72. » Ce fait semble confirmé par l’existence d’une ancienne fête commune aux deux apôtres – placée le 27 décembre – que l’on retrouve aussi bien dans l’ancien martyrologe syriaque d’Édesse 73, datant de 411, que dans les livres gallicans 74. Curieusement, dans le martyrologe carthaginois, qui daterait du VIe siècle, Jacques est associé avec un autre Jean, le Baptiste 75. Cette tradition ancienne, mais très particulière, semble ne pas avoir fait l’unanimité chez les Pères, qui affirment que Jean 68. Voir FLAVIUS JOSÈPHE, Ant. Jud. 18, 256. 69. O. CULLMANN, « Courants multiples dans la communauté primitive. À propos du martyre de Jacques, fils de Zébédée », Recherches de Sciences religieuses 60, 1972, p. 55–68. 70. Voir la discussion sur Simon le zélé, infra. 71. C’est ce qu’indique le traité du Bavli Sanhedrin 7.3. E. JACQUIER, Les Actes des Apôtres…, p. 359. S. G. F. BRANDON, The Trial of Jesus of Nazareth, London, Batsford, 1968, p. 48 ; J. D. M. DERRETT, Law in the New Testament, London, Darton, Longman & Todd, 1970, p. 340. 72. Πάπιας ἐν τῷ δευτέρῳ λόγῳ λέγει ὅτι Ἰωάννης ὁ θεολόγος καὶ Ἰακώβος ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ ὑπὸ Ἰουδαίων ἀνῃρεθέσαν. C. DE BOOR, Neue Fragmente des Papias, Hegesippus und Pierius in bisher unbekannen Exzerpten aus der Kirchengeschichte des Philipus Sidetes (Texte und Untersuchungen 5.2), Leipzig, 1888, p. 167-184 (170). 73. Ms British Museum Add 12150. Édité pour la première fois par W. WRIGHT, « An Ancient Syrian Martyrology », Journal of Sacred Literature 8, 1865, p. 423-432 et repris dans H. LIETZMANN, Die drei ältesten Martyrologen (Kleine Texte 2), Bonn, Marcus & Weber, 1903, p. 8-16. 74. L. DUCHESNE, Origine du culte chrétien, Paris, Thorin, 1889, p. 257. 75. H. LIETZMANN, Die drei ältesten Martyrologen…, p. 7.

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serait mort de mort naturelle bien après son frère. On en reparlera à propos de Jean. 4° quand et où la mort de Jacques est-elle survenue ? – Flavius Josèphe, dans les Antiquités Juives (XIX, 7), affirme très clairement qu’Agrippa est mort autour de janvier 44. Or, comme les Actes semblent affirmer que sa mort eut lieu peu de temps après l’exécution de Jacques, il est possible de dater celle-ci de l’année 43. Le lieu de sa mort n’est pas connu. Une tradition majoritaire semble la situer à Jérusalem, même si quelques listes d’apôtres, dont nous reparlerons, la situent à Césarée Maritime. D. Bilan On peut retenir les éléments suivants de l’étude que l’on vient de mener. 1° l’étude des figures des fils de Zébédée nous renseigne sur la composition du groupe apostolique prépascal. Alors qu’un certain nombre de doutes ont été élevés contre l’existence d’un groupe de Douze, le fait que Jésus ait eu trois disciples « préférés », Pierre, Jacques et Jean paraît historique. Il faut donc prendre en compte l’existence de ce groupe des Trois, qui constitue une sorte de « cercle intime » autour du Nazaréen. 2° la caractéristique principale de ce groupe des trois semble être l’ardeur. On connaît le bouillant caractère de Pierre. Les Zébédaïtes paraissent ne pas avoir été en reste, comme le prouve peut-être le surnom Boanergès, mais surtout les deux épisodes conservés : leur demande de participer à la gloire de Jésus et leur proposition de faire descendre le feu divin sur les Samaritains. 3° après Pâques, le groupe des Trois semble avoir, dans un premier temps, naturellement pris la tête de la première communauté. Toutefois, les positions ont été modifiées. L’étoile de Jacques a commencé très tôt à pâlir, alors que celle de son frère était à son zénith. Il n’est pas encore possible de connaître les raisons de cet effacement. 4° pour autant, Jacques demeurait un personnage important puisqu’il a été exécuté par Agrippa et que son martyr est le seul décrit par les écritures canoniques. Là encore, il est impossible de connaître les raisons de son arrestation et de sa mise à mort, même si la nature même de son supplice paraît orienter vers des causes politiques. II. L A

DISPARITION D ’ UN APÔTRE

De manière très surprenante, ce même Jacques, dont on vient de voir l’importance, disparaît à peu près totalement des traditions suivantes. On peut faire deux hypothèses explicatives : 1° les motifs de sa condamnation : il est possible que les communautés primitives aient voulu se dissocier d’un apôtre suspecté de faire de l’agita-

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tion politique 76. On ne voit pourtant pas pourquoi cette prévention ne toucherait que Jacques. Que dirait-on de Pierre et de Paul, eux aussi mis à mort de manière très politique ! 2° plus probablement, il faut présupposer que Jacques n’était plus un apôtre « disponible ». On savait clairement comment il était mort et aussi que ses restes reposaient à Jérusalem. Cette dernière considération est d’une grande importance pour la compréhension de l’arraisonnement d’une figure apostolique par une communauté ancienne. Pour qu’une Église se reconnaisse en un apôtre, il faut ou bien qu’il y ait une trace historique (réelle ou supposée) de ce passage, ou bien que ce passage soit rendu vraisemblable. Il convient d’abandonner un certain mépris de bon ton envers les légendes des premiers chrétiens : les appropriations qu’ils font ne sont ni irrationnelles ni absurdes. Puisque tout le monde savait que Jacques était mort à Jérusalem – probablement sans s’être illustré dans aucune tournée missionnaire –, il n’était pas possible de s’en emparer. A. Première attestation : Clément d’Alexandrie La première tradition extra-canonique sur la mort de Jacques remonte à Clément d’Alexandrie, dont Eusèbe de Césarée cite un extrait de ses Hypotyposes : De ce Jacques, Clément rapporte au septième livre des Hypotyposes un récit digne de mémoire, tel qu’il le tenait de la tradition de ses prédécesseurs. Il dit que celui qui l’avait amené au tribunal fut ému en le voyant témoigner et confessa que lui aussi était chrétien. Tous deux, dit-il, furent amenés ensemble (au supplice) et, le long du chemin, celui-ci demanda à Jacques de lui pardonner. Ayant un peu réfléchi : que la paix soit avec toi, dit Jacques ; et il l’embrassa. Et ainsi tous deux furent en même temps décapités 77.

Le passage, qui sera largement repris dans la suite de la réception de la figure de Jacques (on sait que la Souda reprend le même texte 78) est particulièrement bref. Il semble provenir d’une simple tradition rapportée à des aînés (ἐκ παραδόσεως τῶν πρὸ αὐτοῦ). Il pose la question des divisions au sein de la communauté primitive, puisque celui qui le traduit devant le tribunal semble avoir été lui aussi chrétien. Comme chez Pierre ou Paul, le problème de la « jalousie » paraît avoir été capital dans le martyre. Enfin, on remarque que Jacques a bien retenu la leçon de son maître, et pratique le pardon. Ce dernier trait pourrait être apologétique.

76. C’est l’hypothèse de Cullmann : O. CULLMANN, « Courants multiples… ». 77. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 9, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 62. 78. R. A. LIPSIUS, Apostelgeschichten und Apostellegenden II.2, Braunschweig, Schwetschke, 1884, p. 202.

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B. Une unique tradition dans le monde latin : la Passio magna Il faut attendre deux siècles pour que s’élabore une première légende, connue sous le nom de Passio Magna (CANT 272 = BHL 4057) 79. La datation de ce texte est difficile à faire. Lipsius l’évaluait entre la fin du IIe siècle et la fin du IVe siècle 80, mais la découverte d’une citation de Lactance 81 (250-325) oblige de la dater de la fin du IVe siècle, en Gaule ou en Espagne. En effet, elle est reprise dans le recueil du Pseudo-Abdias, qui a été composé dans la deuxième moitié du VIe siècle. Cette Passio magna se présente tout d’abord comme une expansion de la tradition clémentine. En effet, les derniers chapitres (21-24) narrent comment le grand prêtre Abiathar – dont le nom n’est certainement pas historique si l’on date la mort de Jacques des années 44, car le grand prêtre devait être Élionée ben Canthara (Ant. Jud. 19, 5), mais qui évoque le prêtre du temps de David (1S 22, 20) dont parle Jésus en Mc 2, 25-26 –, jaloux de Jacques, provoque une émeute et profite du trouble pour livrer Jacques au roi nommé « Hérode fils du roi Archélaüs » (alors que notre Hérode est le fils d’Aristobule). Mais alors que Jacques est en chemin vers le procès, il guérit un infirme : cela provoque la conversion du pharisien Josias qui l’avait mis dans les liens. Celui-ci demande le pardon, ce qui est une paraphrase du ἠξίωσεν ἀφεθῆναι αὐτῷ ὑπὸ τοῦ Ἰακώβου de Clément. Jacques le lui accorde et les deux sont conduits vers le lieu du martyre. En ultime souhait, Jacques demande au bourreau un peu d’eau pour baptiser Josias qui devient tout ensemble et chrétien et martyr. Il convient de remarquer que la Passio magna assigne à Jacques un champ d’évangélisation palestinien : le texte commence par sa prédication en Judée et en Samarie 82. Quelle figure possède Jacques dans ce texte ? Deux traits sont particulièrement saillants. 1° un apôtre puissant en actes et en paroles. – La puissance de Jacques ne laisse pas de déconcerter dans ce texte. En effet, rien ne semble lui résister dans la première partie. On lui prête tous les pouvoirs, y compris celui de ressusciter les morts (§ 3). Dans la lutte – fort classique depuis celle de Pierre et Simon – avec les magiciens, il parvient à un résultat que même le prince des Apôtres ne pouvait espérer, preuve peut-être d’un jeu intertextuel. En effet, alors que Pierre ne réussit à convertir que Marcellus, le sbire de Simon le Mage, Jacques parvient à la fois à faire rendre raison au fidèle Philète, mais aussi à son maître, le magicien Hermogène. Ce petit miracle 79. Texte dans J. A. FABRICIUS, Codex Apocryphus Noui Testamenti II, Hamburgi, 1719, p. 516-531. Texte dans ÉAC II, p. 777-788. 80. R. A. LIPSIUS, Apostelgeschichten und Apostellegenden II, 2…, p. 208. 81. LACTANCE, Institutions divines V, 19, 11. 82. Passion 1, ÉAC II, p. 777.

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se réalise au prix d’une série de grands prodiges : Jacques parvient à défaire la magie d’Hermogène qui avait paralysé Philète (décalque symbolique de Pierre ressuscitant l’esclave que Simon avait fait mourir), mais il s’arrange surtout pour se rendre maître des démons convoqués par le magicien grâce à l’intervention de l’ange de Dieu qui les lie. Ce sont eux qui ramènent Hermogène, pieds et poings liés, par une sorte de jeu sur l’attachement et le lien : Hermogène lie Philète que Jacques délie, l’ange lie les démons que Jacques délie pour qu’ils puissent lier Hermogène. Plus que jamais l’apôtre reçoit le pouvoir de lier et de délier. Jacques ne se révèle pas uniquement puissant en actes, il l’est également dans le langage. En effet, son discours aux Juifs est une sorte de centon de l’écriture, qui pourrait donner une bonne idée de la prédication de l’époque. Jacques, pour démontrer la supériorité de la religion chrétienne, affirme que la venue de Jésus est le résultat d’une triple annonce. (α) La promesse faite à Abraham reprend l’exégèse paulinienne de Galates et de Romains sur la descendance d’Abraham : Abraham est devenu le père des croyants par sa foi. (β) La promesse faire à Moïse est un centon de déclarations des prophètes. (γ) L’annonce de la passion reprend toutes les citations néotestamentaires de l’Ancien Testament, l’annonce de la résurrection vient des psaumes, celles des différents moments de la vie de Jésus reprennent les citations vétérotestamentaires faites par le Nouveau Testament pour justifier tel ou tel acte de la vie de Jésus. 2° la faute des chefs du peuple juif. – Le second aspect frappant de la Passion de Jacques frère de Jean est qu’elle fait le procès des chefs du peuple juif. Une histoire sainte se bâtit dans un certain manichéisme. D’un côté, il y a la foule de ceux qui l’écoutent dans les synagogues de Judée (§ 1), la foule des convertis par son discours (§ 20-21). De l’autre côté, il y a les juifs qui subornent les deux centurions romains de Jérusalem (§ 12), Abiathar le grand prêtre qui étouffe de jalousie et qui manigance l’arrestation de Jacques (§ 21), le roi Hérode qui ordonne de le décapiter (§ 22). Au terme de cette analyse, on s’accordera à penser que la Passio Magna est plutôt d’origine populaire. Elle repose sur une histoire largement fondée sur le témoignage de Clément et une narration proche de celle des Actes de Pierre. Elle met en scène une prédication reposant sur l’utilisation de l’accomplissement des Écritures. L’explication du décès du héros est banale : les princes et les notables juifs sont la cause d’une mort que le peuple – prêt à la conversion – n’approuvait pas. Pour autant, ce texte connut un très grand succès, puisqu’il fut paraphrasé par Jacques de Voragine dans sa Légende dorée et servit de base aux représentations artistiques du saint 83. 83. É. MÂLE, Les Saints Compagnons du Christ, Paris, Beauchesne, 21988, p. 137. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 528-531.

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C. Les errements de la tradition orientale Dans le monde oriental, au contraire du monde latin, on en reste à la bienheureuse ignorance du destin de Jacques.

1. Le monde grec En dehors des textes que l’on vient de mentionner, les premiers témoignages concernant Jacques le Majeur remontent, dans le monde grec, à la liste du Pseudo-Épiphane. 1. Les catalogues apostoliques. – Le Pseudo-Épiphane, aux alentours du Ve siècle, résume les données évangéliques, mais ajoute une précision étrange : Jacques fils de Zébédée, frère de Jean l’évangéliste a prêché l’évangile du Christ aux Douze tribus de la Diaspora, il fut supprimé avec l’épée par Hérode le tétrarque des Juifs et ensuite, il fut enseveli en Judée 84.

La prédication aux douze tribus d’Israël ne laisse pas de surprendre et ne peut être que le résultat d’une certaine confusion. N’est-ce pas en effet une allusion claire à la salutation de l’épître de Jacques, Ἰάκωβος θεοῦ καὶ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ δοῦλος ταῖς δώδεκα φυλαῖς ταῖς ἐν τῇ διασπορᾷ χαίρειν ? Cette identification, qui contredit l’interprétation traditionnelle qui assimile Jacques le Mineur avec Jacques du frère du Seigneur 85, a connu une certaine influence à la Réforme puisque Luther, sans doute pour discréditer cette épître qui contredisait l’enseignement de Paul, sur lequel il s’appuyait, suivit l’enseignement d’Érasme qui contestait pour des raisons stylistiques le fait que cette épître ait pu être écrite par Jacques de Jérusalem 86. Aussi Luther prétendait-il que c’était bien le fils de Zébédée qui en était l’auteur 87. Ce détail des douze tribus est supprimé par le ménologe du

84. Ἰάκωβος δὲ ὁ τοῦ Ζεβεδαίου, ἀδελφὸς δὲ Ἰωάννου τοῦ εὐαγγελιστοῦ, ταῖς δώδεκα φυλαῖς τῆς διασπορᾶς ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ Χριστοῦ, ὑπὸ δὲ Ἡρώδου τοῦ τετράρχου τῶν Ἰουδαίων ἀνῃρέθη μαχαίρᾳ καὶ ἐκεῖ ἐτάφη ἐν τῇ Ἰουδαίᾳ. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum discipulorumque Domini, Lipsiæ (Leipzig), Teubner, 1907, p. 109. 85. Elle n’a été soutenue, chez les exégètes modernes, que de manière rarissime, même si l’explicit du Codex Corbeiensis porte explicit epistola Jacobi filii Zæbedeii. G. JÄGER, « Der Verfasser des Jakobusbriefes, Zeitschrift für gesamt lutherische Theologie und Kirche 39, 1878, p. 420-426. 86. ERASME, In Novum Testamentum annotationes, Basiliæ (Bâle), Froben, 1519, p. 523 : nec enim referre uidetur usquequaque maiestatem illam et gravitatem apostolicam. Nec hebraismi tantum quantum a Iacobo qui fuerit episcopus Hierosolymitanus expectaretur. 87. Toutes les références dans M. DIBELIUS, Der Brief des Jakobus (Meyers Kritisch-Exegetischer Kommentar über das Neue Testament 15.11), 1921, Göttingen, Vandehoeck & Ruprecht, 41964, p. 78.

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Pseudo-Métaphraste et dans les ménologes et synaxaires suivants, y compris dans celui de l’Église grecque 88. Il convient de signaler une très importante variante du texte d’Épiphane, conservée dans deux témoins, la recension d’Œcumenius et le codex de Madrid 105 : on y lit ἐκοιμήθη ἐν πόλει τῆς Μαρμαρικῆς, « il fut couché dans la ville de Marmarique ». Comment expliquer cette localisation ? Il est assez probable qu’on peut lire dans cette présence en Afrique du Nord, une confusion avec Jacques fils d’Alphée, dont on dit qu’il prêcha en Afrique. La Marmarique, zone désertique située en Cyrénaïque, entre l’Égypte et le Sahel, autour de l’actuelle Tobrouk, pourrait avoir servi de dernier repos non pas à un, mais à deux apôtres 89. On peut aussi noter que la Marmarique n’est pas très loin du lieu d’ensevelissement d’un autre Jacques, Jacques Baradée (v. 500-578), le fondateur des jacobites et rénovateur de l’Église copte. Peut-être y a-t-il eu confusion entre les deux Jacques ? En tout cas, on sait que la Cyrénaïque était le lieu d’une très grande communauté juive 90.

Figure 6 : la tradition de Jacques

88. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 4, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1993, p. 120-121. 89. C’est l’hypothèse de T. SCHERMANN, Propheten- und Apostellegenden nebst Jüngerkatalogen des Dorotheus und verwandter Texte (Texte und Untersuchungen 31.3), Leipzig, Hinrichs, 1907, p. 256. 90. S. APPLEBAUM, Jews and Greeks in Ancient Cyrene (Studies in Judaism in Late Antiquity 28), Leiden, Brill, 1979.

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Le Pseudo-Dorothée reprend les mêmes données qu’Épiphane, mais précise un lieu de martyre un peu différent : il s’agit de Césarée de Palestine (ἐν Καισαρείᾳ τῆς Παλαιστίνης). Cette donnée se retrouve dans le ménologe basilien 91. Ni le Pseudo-Hippolyte, ni l’anonyme II gréco-syrien ne rajoutent d’informations, à part peut-être que l’épée des Actes (μαχαίρα, le sabre) change de nom (elle devient ξίφος). On notera cependant que l’un des principaux codices d’Hippolyte, Vat. 1056, reprend la localisation en Marmarique : ἐκοιμήθη δὲ ἐν Ἀχεὶμ τῆς Μαρμαρικῆς, « il fut couché à Akheim de Marmarique ». Il s’agit peut-être d’une double contamination : avec la tradition d’Épiphane (et donc la confusion avec Jacques d’Alphée) et avec l’Achaïe qui figure dans la notice d’André, située immédiatement avant. Cette localisation grecque n’a pas été comprise par la suite des témoins. En effet, dans la chronique de Michel le Syrien, on lit : « Jacques, fils de Zébédée, de la tribu de Zabulon, fut mis à mort à Jérusalem par Hérode Agrippa ; il fut déposé à Âqar de Marmârîqa 92. » L’auteur que reprend Michel a manifestement lu un mot qu’il n’a pas compris et qu’il a transcrit phonétiquement (ou qu’il a rapporté à quelque chose qu’il connaissait, puisque le toponyme est répandu dans la région ; il existe effectivement une ville nommée ‫ ﺃﻗﺎﺭ‬à 600 km au sud de Tripoli). De même, chez Salomon de Bassorah parle-t-on d’« Âqâr », une « ville de Marmârîqâ » 93. La liste éthiopienne porte quant à elle ‘Aqi de Marmâreqê 94. Visiblement, cette tradition n’est pas consistante dans le monde syriaque : Bar-Şalîbî et Bar-Hebræus n’en parlent pas 95. Sa présence indique cependant que l’attribution de la Marmarique à Jacques provient bien du monde oriental, même si c’est le monde occidental qui en fera la plus grande utilisation. 2. Les traditions des chronographes. – Au VIIe siècle, Hippolyte de Thèbes ajoute quelques informations supplémentaires sur Jacques et sa famille. 91. ὁ δὲ Ἰάκωβος ὑπλειφθεὶς εἰς τὰ Ἱεροσόλυμα καὶ τὰς δώδεκα φυλὰς τοῦ Ἰσραήλ διελθὼν εὐαγγελιζόμενις τὸν κύριον ἡμῶν Ἰησοῦν Χριστόν, ἐκρατήθη παρὰ Ἡρώδου τοῦ τετράρχου ἐν Καισαρείᾳ τῆς Παλαιστίνης καὶ ὑπ᾽ αὐτοῦ σφαγεὶς ἐν μαχαίρᾳ ἀνέδαμε πρὸς οὐρανόν. PG 117, 164. 92. J.-B. CHABOT (éd.), Chronique de Michel le Syrien I, Paris, Leroux, 1899, p. 146. 93. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 105. 94. A. BAUSI, « Una “lista” etiopica di apostoli e discepoli », in A. BAUSI, A. BRITA et A. MANZO (éds.), Æthiopica et Orientalia. Studi in onore di Yaqob Beyene (Studi Africanisti Serie Etiopica 9), vol. 1, Napoli, Università degli studi, 2012, p. 43-67 (57). 95. T. SCHERMANN, Propheten und Apostellegenden nebst Jüngerkatalogen des Dorotheus und verwandter Texte (Texte und Untersuchungen 3, 1), Leipzig, Hinrichs, 1907, p. 254. Bar-Hebræus se borne à rappeler que Jacques est mort à Jérusalem : J. B. ABBELOOS et T. J. LAMY, Gregorii Barhebræi Chronicon ecclesiasticum, Lovanii (Leuven), C. Peeters, 1872, p. 33.

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Sur Zébédée et ses fils. On dit que Zébédée, le père de Jean et de Jacques était patron de pêche et qu’il était l’un des principaux personnages de la Galilée. En mourant, il légua ses possessions à ses fils Jacques et Jean. Jean vendit les possessions qu’il avait en Galilée par héritage à Caïphe le grand prêtre. C’est pourquoi, dans son propre évangile, il dit à son propos : « ce disciple était connu du grand prêtre », car il avait fait affaire avec lui. Avec l’argent de ses possessions de Galilée, il acheta une maison à Jérusalem sur ce que l’on appelle Sainte Sion. Il y reçut la très sainte Mère de Dieu depuis la Passion du Christ jusqu’à sa mort. Les fils de Zébédée ont été nommés boanergès, c’est-à-dire fils du Tonnerre. Après l’endormissement de la très sainte Mère de Dieu, Jean gagna Éphèse d’Asie sur l’ordre du Christ […]. Jacques son frère, abandonnant aussi sa part d’héritage de Galilée monta vers Jérusalem pour enseigner et proclamer aux Douze tribus d’Israël 96.

Le texte nous fournit trois éléments intéressants : (α) la richesse de Zébédée, qui lui permet de donner un confortable héritage à ses deux fils. Cette tradition repose manifestement sur la lecture origénienne de Marc qui fait de ce pêcheur un « patron de pêche », au rebours de la lecture patristique majoritaire que nous avons déjà vue. (β) L’achat de Sion par Jean, qui est une tradition propre à notre texte 97, et la mort de Marie à Jérusalem (qui témoigne d’une tradition ancienne). (γ) La prédication de Jacques aux Douze Tribus d’Israël qui reprend la confusion entre l’apôtre et l’auteur de l’Épître de Jacques. Épiphane le Moine, quant à lui, conserve une tradition assez semblable. Zébédée mourut. L’entendant, Jacques s’avança vers le Seigneur en disant : « permets-moi d’aller ensevelir mon père. » Mais il ne le lui permit pas. Peu de temps après, il envoya les deux frères Jacques et Jean. Ceux-ci allèrent 96. HIPPOLYTE DE THÈBES, fragment 5, 5 : F. DIEKAMP, Hippolytos von Theben. Texte und Untersuchungen, Münster, Aschendorff, 1898, p. 29-30. Περὶ Ζεβεδαίου καὶ τῶν υἱῶν αὐτοῦ. Ζεβεδαῖος δὲ ὁ πατὴρ Ἰωάννου καὶ Ἰακώβου ἰδιοναύκληρος λέγεται τῶν δὲ ἐν τῇ Γαλιλαίᾳ κατοικούντων ἀνδρῶν ἐπισήμων ὑπῆρχεν εἷς. Τελευτῶν δὲ ἐξέδωκε τὴν κτῆσιν αὐτοῦ τοῖς υἱοῖς αὐτοῦ Ἰακώβῳ καὶ Ἰωάννῃ. Ὁ δὲ Ἰωάννης ἀπέδοτο τὴν κατὰ τὴν Γαλιλαίαν κτῆσιν αὐτοῦ τὴν ἐπιλαχοῦσαν Καϊάφᾳ τῷ ἀρχιερεῖ τοῦ ἐνιαυτοῦ ἐκείνου. Διὰ τοῦτο καὶ ἐν τῷ ἰδίῳ εὐαγγελίῳ λέγει περὶ αὑτοῦ, ὅτι « ὁ μαθητὴς ἐκεῖνος ἦν γνωστὸς τῷ ἀρχιερεῖ », διὰ τὸ συναλλάξαι αὐτὸν μετ᾽ αὐτοῦ. Ἀποβαλλομένου αὐτοῦ τὴν ἐν τῇ Γαλιλαίᾳ κτῆσιν, ἐκτήσατο οἶκον ἐν Ἱεροσολύμοις ἐν τῇ λεγομένῃ ἁγίᾳ Σιών. Ἔνθα καὶ ἡ παναγία θεοτόκος ἀπὸ τοῦ πάθους τοῦ Χριστοῦ ἕως τῆς τελευτῆς αὐτῆς διῆγεν. Οἱ οὖν υἱοὶ Ζεβεδαίου βοανεργὲς ἐκαλοῦντο, τουτέστιν υἱοὶ βροντῆς. Μετὰ δὲ τὴν κοίμησιν τῆς παναγίας θεοτόκου ὁ Ἰωάννης ἐν Ἐφεσῳ τῆς Ἀσίας ἐγένετο κηρύττων Χριστόν· ὅτε καὶ τὴν Ἄρτεμιν καταηδάφισεν. Ἐκεὶ οὗν θάπτεται παρὰ τῶν μαθητῶν ἔτι ζῶν, καὶ μετὰ τρεῖς ἡμέρας ἀγανὴς ἐγεντετο, μᾶλλον δὲ εῖς οὐρανοὺς ἐνεκηφθη, καθὼς καὶ οἱ μαθηταὶ ὑποστέψαντες ἐν τῷ μνημείῳ καὶ ἀνοίξαντες οὐχ᾽ εὗρον αὐτόν. Ἰάκωβος δὲ ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ, καταλιπὼν καὶ αὐτὸς τὴν τῆς Γαλιλαίας κληρονομίαν, ἀπῄει εἰς Ἱεροσόλυμα διδάσκων καὶ κηρύσσων ταῖς ιβʹ φυλαῖς τοῦ Ἰσραήλ. 97. F. DIEKAMP, Hippolytos von Theben…, p. 116.

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vers leur père et l’ensevelirent. Ils conduisirent leur mère au Christ : celleci demeura avec la Mère de Dieu tout le restant de ses jours. Ayant vendu toutes leurs possessions, qui étaient nombreuses, ils vinrent à Jérusalem et achetèrent Sion 98.

Les informations sont à peu près les mêmes : on retrouve la richesse de Zébédée et l’achat du mont Sion. On remarque toutefois que le texte, qui est centré sur la Vierge Marie, explique la présence de la mère des fils de Zébédée par son deuil : devenue veuve, elle sert de camérière à la mère de Jésus. L’interdiction faite aux fils de Zébédée d’aller enterrer leur père s’explique apparemment par le fait que l’auteur identifie le disciple anonyme de Mt 8, 21-22 demandant d’aller enterrer son père avec Jacques. 3. Les Actes de Jacques. – Édités au début du XXe siècle par Jean Ebersolt sur le manuscrit grec 1534 de la BnF (f° 155v-158v), les Actes de Jacques (BHG 767) ont pu être datés par l’éditeur des années 750-800 99. En effet, l’auteur du texte a puisé à la chronique d’Hippolyte de Thèbes que l’on fait remonter à la fin du VIIe siècle. Les Actes de Jacques entendent combler le manque de connaissance du monde grec envers le frère de Jean et compilent les traditions disponibles dans un récit complet. On notera les points suivants. (α) L’auteur interprète librement le récit de Jn 1, 35-37 sur les deux disciples du Baptiste : reprenant la tradition ancienne qui fait de Jean l’un d’entre eux, il fait de son frère Jacques le second, ce qui implique que les deux Zébédaïtes seraient les premiers des disciples (§ 1). (β) L’auteur glose sur la richesse de Zébédée, sous l’influence d’Hippolyte de Thèbes (qu’il cite explicitement) et d’Épiphane le Moine (§ 6). (γ) Conformément à la notice d’Hippolyte, il mentionne la prédication de Jacques aux Douze tribus (§ 7). (δ) l’auteur compile les récits des Actes des Apôtres et de Clément et fait le récit de la mort de Jacques en expliquant qu’il commence par convertir le soldat qui l’avait amené devant Hérode, puis comparaît devant ce dernier. Au moment où il ouvre la bouche pour répondre à la diatribe que le roi lui adresse, le soldat répond au tyran. Celui-ci se met dans une violente colère et ordonne leur meurtre, qui intervient sur le champ. (ε) Le texte se sert ensuite des Actes des Apôtres pour mentionner l’emprisonne-

98. ÉPIPHANE LE MOINE, Vita Deiparæ 20, PG 120, 209. Ὁ δὲ Ζεβεδαῖος ἀπέθανεν· καὶ ἀκούσας Ἰάκωβος, προσελθὼν λέγει τῷ Κυρίῳ· Ἐπίτρεψόν μοι ἀμελθεῖν θάψαι τὸν πατέρα μου. Καὶ οὐκ ἐπέτρεψεν αὐτόν. Καὶ μέτ᾽ ὀλίγον ἀπέστειλεν τοὺς δύο ἀδελφοὺς Ἰάκωβον καὶ Ἰωάννην. Οἱ δὲ ἀπελθόντες τὸν μὲν πάτερα ἔθαψαν. Τὴν δὲ μητέρα προσήνεγκαν τῷ Χριστῷ. Καὶ ἦν σὺν τῇ Θεοτόκῳ τὸ λοιπὸν τῆς ζωῆς αὐτοῦ. Τὴν δὲ κτῆσιν αὐτῶν πωλήσαντες πολλῆν οὖσαν, ἐλθόντες εἰς Ἱερουσαλήμ, ἠγόρασαν τὴν Σιών. 99. J. EBERSOLT, Les Actes de saint Jacques et les Actes d’Aquilas, Paris, Leroux, 1902, p. 43. Ces actes ne sont pas recensés par la CANT car ils sont trop tardifs.

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ment de Pierre puis des textes d’Eusèbe (HE II, 10) et de Flavius Josèphe (Ant. Jud. 19, 343-352) pour décrire la mort d’Hérode. Ce texte fait surtout œuvre de compilation, et ne fait que reprendre des données fragmentaires qui trahissent surtout le peu d’intérêt que les Grecs ont porté au sort de Jacques le Majeur. De lui dépend une notice du ménologe impérial offert à l’empereur Michel IV le Paphlagonien (1034-1041), connu par un unique manuscrit, le Patmos 736 (XIVe s.), f°170-173 100.

2. Le monde égyptien Si la tradition grecque ne s’est pas intéressée à l’histoire de Jacques, il n’en va pas de même dans le monde alexandrin où l’on connaît une Prédication et une Passion (CANT 273). L’original de ces deux textes, préservés dans quelques fragments coptes, pourrait être daté des Ve-VIe siècles. La Prædicatio, conservée dans quelques fragments coptes (BHO 415-416 pour la Prædicatio ainsi qu’un texte édité par Von Lemm en 1908 qui y voyait une Apocalypse de Pierre101) est mieux conservée dans les traductions arabe (BHO 417 102) et éthiopienne (BHO 418). Le Martyrium est lui aussi connu par des fragments coptes (BHO 420) et les deux traductions arabe et éthiopienne (BHO 421 et 422) 103. Cette tradition n’entretient rien de commun avec la tradition latine. Si la Prédication suscite la surprise du lecteur, ce n’est pas parce qu’il constate que Pierre accompagne Jacques dans sa tournée missionnaire : c’est là un topos de ces Combats des apôtres, qui accordent toujours à Pierre une place prééminente. Le Prince des Apôtres le dit d’ailleurs avec simplicité en demande à Jacques qui l’appelle « Père Pierre » : « Vous tous je vous accompagnerai dans vos régions respectives, comme notre Seigneur me l’a ordonné 104. » La surprise vient bien plutôt de la zone d’évangélisation dévolue à Jacques : c’est l’Inde, traditionnellement réservée à Thomas. Peut-être ne faut-il pas voir dans cette Inde le véritable pays asiatique mais une localisation géographique imprécise héritée de certains auteurs antiques qui étaient parfois bien en peine pour situer avec exactitude le 100. F. HALKIN, « Une notice byzantine de l’apôtre saint Jacques, frère de saint Jean », Biblica 64, 1983, p. 565-570. 101. O. VON LEMM, « Koptische Miscellen. LI », Bulletin de l’Académie Impériale des Sciences de St.-Pétersbourg 6.2, 1908, p. 1325-1326. 102. Texte dans A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 26-28 et traduction dans A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 4), Londres, Clay and Sons, 1904, p. 30-34. 103. Texte dans E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898, p. 247-253 ; traduction dans E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles II, London, Henry Frowde, 1901, p. 246-252 et dans ÉAC II, trad. R. BEYLOT, p. 943-957. 104. Prédication de Jacques 4. ÉAC II, p. 944.

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pays (même si, on le verra à propos de Thomas, certains autres en ont une connaissance assez précise) 105. Le récit reprend un certain nombre de lieux communs, comme l’apparition du Seigneur sous la forme d’un bel adolescent ou l’accusation de magie, qui est un topos destiné à combattre les accusations des adversaires des chrétiens 106, les guérisons héritées des textes canoniques (l’aveugle, l’infirme…). Le Martyre est plus original. Il reprend la confusion qui semble avoir été faite entre Jacques fils de Zébédée et l’auteur de l’épître de Jacques puisque Jacques, fils de Zébédée, se rend auprès des Douze tribus dispersées pour leur prêcher l’évangile 107. Il nous dit ensuite l’activité missionnaire de Jacques, qui parlait toutes les langues – il a été présent à la Pentecôte – et réussit à renverser les autels des idoles. Il nous apprend également une tradition différente de celle de Clément dans laquelle c’est Hérode lui-même, mis en colère par les propos de Jacques sur le denier de César qui conteste sa royauté, qui le tue : « Hérode se leva donc en hâte, frappa saint Jacques avec une épée, et lui coupa la tête. » Dans cet épisode, Jacques est clairement identifié avec Jean Baptiste : lui aussi provoque la colère d’un Hérode en lui reprochant ses agissements, lui aussi meurt décapité. Le caractère symbolique de la scène est d’ailleurs bien noté par l’exclamation qui provoque l’ire meurtrière : « Quant à toi, Hérode, et à l’empereur Néron, il [Jésus-Christ] a pouvoir sur votre Royaume ». Jacques reprend les paroles de Jésus à Pilate sur la souveraineté de Dieu sur l’Empereur et son suppôt et commet une inexactitude chronologique puisque Néron n’est pas encore empereur : le roitelet Hérode est associé au despote par excellence, Néron, père de toutes les persécutions. Enfin, il convient de remarquer que le Martyre semble reprendre la notice d’Épiphane puisqu’il le fait mourir à « Qot qui est Māmareqē 108 » et qui récupère la localisation de Marmarique. La postérité de ces deux textes s’illustre par le P. Paris Copt. 129 109 et les textes liturgiques. Le P. Paris 129 explique en effet que Jacques « prêcha en Marmarique (ⲁϥⲧⲁϣⲉⲟⲉⲓϣ ϩⲧⲙⲁⲣⲙⲁⲣⲏⲕⲏ) et fut tué par le roi Agrippa ». Le synaxaire arabe jacobite mentionne lors de la fête du 17 Bar105. Les errements des géographes ont été relevés par l’article de Christian Jacob : C. JACOB, « L’Inde imaginaire des géographes alexandrins », in J.-C. CARRIÈRE et alii (éds.), Inde, Grèce ancienne : regards croisés en anthropologie de l’espace (Annales littéraires de l’Université de Besançon 576), actes du colloque international de Besançon 4-5 décembre 1992, Paris, Les Belles Lettres, 1995, p. 61-80. 106. G. POUPON, « L’Accusation de magie dans les Actes apocryphes », in F. BOVON et al. (éds.), Les Actes apocryphes des Apôtres (Publications de la Faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 71-93. 107. Martyre de Jacques 3, ÉAC II, p. 953. 108. Martyre de Jacques 36, ÉAC II, p. 957. 109. E. O. WINSTEDT, « Some Coptic Apocryphal Legends », Journal of Theological Studies 9, 1908, p. 372-386 (380).

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moudah (12/25 avril) que Jacques, après avoir prêché dans la ville d’Andyah (dans laquelle on peut reconnaître l’Inde), meurt après avoir été frappé par le roi Hérode 110. On retrouve cette même localisation dans un Encomium attribué à Sévérien de Gabala 111, mais en réalité rédigé dans l’Église copte au VIIIe siècle 112, dans lequel Jacques prêche aux Indiens et aux Scythes (ce qui est manifestement une confusion avec André 113). De la même manière, le synaxaire éthiopien, au 17 Miyāzyā, fait lui aussi un résumé de ces textes : Jacques, après avoir prêché dans le pays de ‘Adya, convertit de nombreux pays. Une partie de ses discours est une reprise pure et simple du texte de la Prédication. On y lit par la suite comment, irrité par les affirmations de Jacques sur les questions d’impôt, Hérode tue Jacques, comme dans le Martyre 114. III. L A

RÉSURGENCE E SPAGNOLE

L’histoire de Jacques ne s’arrête pourtant pas là. Elle connaît une dernière résurgence dont il convient maintenant de parler, celle de la légende compostellane. A. Une tradition originaire des listes apostoliques La tradition d’un séjour de Jacques en Espagne ne remonte qu’au VIIe siècle, puisqu’elle apparaît dans le Breviarium Apostolorum, qui a pu être composé en Gaule en 600. Alors que le De Ortu et Obitu prophetarum 115 qui lui est antérieur dit clairement « Jacques, frère de Jean l’évangéliste, fut 110. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite IV mois de Barmahat, Barmoudah et Bachons (Patrologia Orientalis 17.2), Paris, Firmin-Didot, 1922, p. 312. Trad. latine : I. FORGET, Synaxarium Alexandrinum II (Corpus Scriptorum Christianorum orientalium 90, Scriptores Arabici 13), Louvain, Dubercq, 1926, p. 77. 111. D. RIGHI, Severiano di Gabala, In apostolos : Clavis Coptica 0331 (CPG 4281) (Letteratura copta. Serie Testi), Roma, CIM, 2004. 112. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala, Encomium in XII apostolos (CPG 4281) : gli spunti apocrifi », Apocrypha 19, 2008, p. 217-266. 113. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala… », p. 229, n. 48. 114. « Quand celui-ci entendit à propos de ce saint Yâ’qob l’apôtre qu’il donnait cet ordre, il s’irrita fort, dépêcha, le fit venir et lui dit : “Est-ce toi qui as ordonné qu’ils ne donnassent pas de tribut à Qesâr et ne donnassent pas de cadeau au roi – mais tu leur as ordonné de donner leur argent en aumône à l’Église et aux pauvres ? » Ensuite, il s’irrita contre lui, le frappa de sa main avec une épée et lui coupa la tête. » trad. G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien – mois de Maggābit (Patrologia Orientalis 46.3–n°207), Turnhout, Brepols, 1994, p. 545. 115. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105). Iacobus frater Iohannis euangelistæ, ab Herode rege aput Iherosolimam capite plexus est atque humatus.

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décapité par le roi Hérode à Jérusalem et y fut inhumé », le Breviarium porte : Jacques, ce qui signifie le supplanteur 116, fils de Zébédée, frère de Jean. Il a prêché en Espagne et dans les régions occidentales. Il a eu la tête tranchée sous Hérode et a été enseveli en Achaïe Marmarique le 8e des calendes de septembre [25 juillet] 117.

Ce texte est remarquable sur trois points. (α) la tradition de la Marmarique s’est visiblement répandue dans tout le domaine occidental : le Laterculus la reprend également en nommant la région « l’arc marmarique 118 » et notre texte pourrait être la déformation de cette expression destinée à caractériser la syrte de Libye. (β) l’étymologie du nom de Jacques – issue de Jérôme – fait allusion à l’épisode vétérotestamentaire de Jacob « supplantant » Isaïe. (γ) Pour la première fois apparaît la mention de l’Espagne. Isidore de Séville dans le De Ortu et obitu patrum affirme à peu près la même chose : Jacques fils de Zébédée et frère de Jean, au quatrième rang [des apôtres] écrivit aux douze tribus qui sont en dispersion parmi les Gentils ; il prêcha aux nations l’Évangile en Espagne et dans les contrées occidentales et versa la lumière de la prédication au couchant du monde. Il eut la tête tranchée sous Hérode le tétrarque par le glaive et fut enseveli en Marmarique 119.

Comme le notait Louis Duchesne, dans un article de 1900 qui n’a rien perdu de son actualité 120, le silence précédant le Breviarium est assourdissant. Du côté de l’Espagne, ni Idace, ni Martin de Braga, ni Hildefonse n’ont évoqué cette histoire qui aurait pourtant pu servir leurs arguments ; en Gaule, Grégoire de Tours, pourtant bien informé des sanctuaires espagnols n’en touche pas un mot, à l’instar de son compatriote Venance Fortunat ; à Rome, Innocent Ier, dans une lettre restée fameuse, indique bien qu’aucune 116. L’interprétation vient de Jérôme : iacob subplantator uel subplantans. JÉRÔME DE STRIDON, Liber interpretationis hebraicorum nominum, éd. P. DE LAGARDE (CCSL 72), 1959, p. 7, 61, 78. 117. Iacobus, qui interpretatus subplantatus, filius Zebedæi, frater Ioannis, hic Spaniæ et occidentalia loca prædicat et sub Herode gladio cæsus occubuit sepultusque est in Achaia Marmarica VIII Kal. Sept. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 208. Le Liber de Ortu suit ce texte. 118. Iacobus Zebedæi in arce Marmarica. 119. Liber de ortu et obitu patrum XLVII, 2, ISIDORE DE SEVILLE (ISIDORUS HISPALENSIS), De Ortu et obitu patrum (Auteurs Latins du Moyen Âge), trad. C. Chaparro-Gomez, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 205. Iacobus, filius Zebedæi, frater Ioannis, quartus in ordine, duodecim tributus quæ sunt in dispersione gentium scripsit atque Hispaniæ et occidentalium locorum gentibus Euangelium prædicauit, et in occasu mundi lucem prædicationis infundit. Hic ab Herode tetrarcha in gladio cæsus occubuit sepultus in Marmarica. 120. L. DUCHESNE, « Saint Jacques en Galice », Annales du Midi 12, 1900, p. 145-179.

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tradition ne devrait être admise en Occident puisque Pierre en est le seul apôtre 121. Il s’agit donc d’une tradition tardive, guère plus ancienne que le VIIe siècle. Elle est relayée par Aldhelm de Malmesbury (639-705) 122, et réapparaît vers la fin du VIIIe siècle en Espagne, dans le Commentaire du Livre de l’Apocalypse de Beatus de Llebana 123. On la retrouve dans le monde arabe vers le VIIIe siècle, puisque l’Évangile apocryphe de Jean 124 affirme que Jacques a eu pour part les lointains de l’Occident et que le calendrier latin trouvé en 1950 dans le monastère Sainte-Catherine du Sinaï (Slav. 5, que l’éditeur date du IXe siècle) affecte à l’apôtre l’Espagne comme lieu de sépulture 125. La version arménienne (BHO 87) de la liste anonyme II gréco-syrienne ajoute la même information 126. B. La découverte du tombeau à Compostelle Cette tradition est amplifiée à partir du VIIIe siècle, dans une hymne mozarabe attribuée à Isidore et rédigée sous le roi asturien Mauregat (783789). Dans ce texte, Jacques et Jean sont mis en parallèle et Jacques est clairement indiqué comme le patron de l’Espagne : 121. INNOCENT Ier, ad Decentium Eugubinum. « Il est manifeste que, dans toute l’Italie, les Gaules, l’Espagne, l’Afrique, la Sicile et les îles interjacentes, personne n’a institué des Églises, si ce n’est ceux que le vénérable apôtre Pierre ou ses successeurs ont constitués évêques. Que l’on cite si dans ces provinces un autre apôtre a enseigné. Si on ne peut citer aucun texte, parce qu’il est impossible d’en trouver, il faut suivre l’usage de l’Église romaine ». Cité par L. DUCHESNE, « Saint Jacques… », p. 149. 122. PL 89, 293. Hic quoque Jacobus, cretus quitore vetusto/ Delebrum sancto defendet tegmine celsum ;/qui clamante pio ponti de margine Christo/ Linquebat propium panda cum pupe parentem/ Primitus Hispanias convertit dogmate gentes, / Barbara divinis convertents agmina dictis/ Quæ priscos duodum ritus et lunda facia,/ Dæmonis horrendi deceptæ fande, colebant ;/ Plurima hic præsul patravit signa stupends/ Quæ nunc in Chartis scribuntur rite quadratis. 123. BÉATUS DE LLEBANA, Commentarius in Apocalypsin II, prol. 3, 17, éd. H. A. SANDERS (Papers and Monographs of the American Academia in Rome 7), 1930, p. 116. Beatus décrit les champs d’évangélisation et affirme : Petrus Roma, Andreas Acaya, Thomas India, Iacobus Spania, Iohannes Asia. 124. I. GALBIATI (éd.), Iohannis Evangelium Apocryphum Arabice (Antiquitatis Christianæ ex Oriente monumenta), Mediolani (Milan), in ædibus Mondadorianis (Mondadori), 1957, p. 260, S. GRÉBAUT, « La Pentecôte et la mission des apôtres », Revue de l’Orient Chrétien 21, 1918-1919, p. 204-213 (206, texte) et « La Pentecôte et la mission des apôtres », Revue de l’Orient Chrétien 22, 1920-1921, p. 58-61 (58-59, traduction). M. VAN ESBROEK, « À propos de l’évangile apocryphe arabe attribué à saint Jean », Mélanges de l’Université Saint-Joseph 49.2, 1975-1976, p. 597-603 (602-603). 125. J. GRIBOMONT, « Le mystérieux calendrier latin du Sinaï », Analecta Bollandiana 75, 1957, p. 105-134. E. A. LOWE, « An Unknown Latin Psalter of the Mount Sinai », Scriptorium 9, 1955, p. 177-199. 126. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. II (Corpus Christianorum, series apocryphorum 4), Turnhout, Brepols, 1992, p. 738.

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Ô apôtre très saint, véritablement digne, Chef éclatant de l’Espagne, Notre protecteur et patron dans la fleur de l’âge, Évitant la peste, sois notre salut du ciel, Éloigne la maladie, les plaies et le crime 127.

Comment expliquer ce changement ? Louis Duchesne fait une hypothèse qui semble reprise par les historiens contemporains : l’Église de Galice, encore affaiblie par le succès du priscillianisme et de l’adoptianisme, et confrontée à la menace des Sarrasins, a pu vouloir se créer un « champion », un patron 128. Or, qui était disponible, sinon saint Jacques ? On ne savait pas grand-chose de lui, à part qu’il était l’un des principaux disciples et qu’il était mort en Achaïe marmarique qui pouvait s’entendre – à une erreur de graphie près – comme arca marmorica, enclos de marbre : il suffisait de trouver un tel enclos ! En effet, comme Jacques était plus ou moins dans « l’air du temps », il ne fut guère difficile d’« inventer » son tombeau, ce qui fut chose faite autour des années 850 : un tombeau romain du Bas Empire129 fit parfaitement l’affaire. Si l’on excepte quelques chartes, dont l’authenticité est discutée, qui expliquent que son corps fut manifesté aux temps d’Alphonse II le Chaste (760-842), le témoignage de Fréculf, évêque de Lisieux de 825 à 852 et le martyrologe d’Adon datant de 860 (qui sera ensuite repris sans variation par Usuard) pourraient être les premiers témoignages de cette découverte. Le témoignage de Fréculf est des plus intéressants : Jacques, le fils de Zébédée frère de Jean, le quatrième dans l’ordre [des apôtres] écrivit aux Douze tribus qui sont dans la dispersion, et prêcha l’évangile en Espagne et dans les lieux les plus occidentaux et il répandit la lumière de la prédication au bord du monde. Là, tué par le glaive par le tétrarche Hérode, il fut couché, il est enterré à l’intérieur de la Marmarique 130. 127. . Texte dans A. LÓPEZ FERREIRO, Historia de la santa Iglesia de Santiago de Compostela I, Santiago de Compostela, 1898, p. 408. Cité par B. GICQUEL, La Légende de Compostelle, Paris, Tallandier, 2003, p. 39-41. 128. L. DUCHESNE, « Saint Jacques… », p. 160-163. Voir B. GICQUEL, La Légende de Compostelle…, p. 41. Voir également H. KRAUSS, Die Entstehung der Legende von Santiago de Compostela, Regensburg, Grin Verlag, 2009. 129. J. SUÁRES OTERO, « Réflexions archéologiques sur l’édicule apostolique », Saint-Jacques : l’Espérance. Catalogue de l’exposition de Saint-Jacques de Compostelle 27 mai-31 octobre 1999, Saint-Jacques de Compostelle, Xunta de Galicia, 1999, p. 45-57. 130. Iacobus filius Zebedæi, frater Iohannis, quartus in ordine, XII tribubus quæ sunt in dispersione gentium scripsit, atque Hispaniæ et Occidentalium locorum euangelium prædicauit, et in occasum mundi lucem prædicationis infudit. Hic ab Herode tetrarcha gladio occisus occubuit ; sepultus intra Marmarica. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 4, CCSM 169A, p. 500.

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Tout dans cette notice trahit l’embarras de l’intellectuel qu’est Fréculf et qui tente de faire la synthèse d’éléments divers. Il confond tout d’abord Jacques frère de Jean et Jacques d’Alphée puisqu’il attribue au premier la lettre de Jacques. Du coup, il est obligé de tenir ensemble la décapitation sur l’ordre d’Hérode et la prédication à l’Espagne, qu’il a nommée. Enfin, il maintient la localisation en Marmarique. Adon, en revanche, opte pour une solution plus simple : le transfert de reliques, qu’il localise « sur les bords de la mer Britannique », puisqu’on se figurait l’Atlantique tenant le bord du monde. Le 8e des calendes d’août, fête de l’apôtre Jacques frère de Jean l’évangéliste qui fut décapité par le roi Hérode de Jérusalem comme l’enseigne le livre des Actes des apôtres. Les saints os de ce bienheureux apôtre ont été transférés en Espagne et conservés à ses confins, c’est-à-dire sur le bord de la mer Britannique. Ils sont entourés par une vénération très populaire parmi ces peuples 131.

Au cours du IXe siècle a donc lieu la découverte du corps de saint Jacques à Compostelle qui devient un très important centre de pèlerinage. Une légende, dont l’authenticité est contestée dès le XVIe siècle 132, accréditait son importance : en 844, Ramire Ier (roi de 842 à 850), qui venait de subir une cuisante défaite face à l’armée de ‘Abd al-Rahmân II (calife de 822 à 852) s’était retiré sur la colline de Clavijo pour y bivouaquer lorsque Jacques lui apparut en songe pour l’encourager à tenter une nouvelle offensive. Au cours de ce combat, monté sur un cheval blanc et la lance en main, l’apôtre prêta main-forte aux Asturiens, qu’il mena à la victoire. Voilà donc Jacques érigé en saint national. Il s’agissait alors d’expliquer comment il était venu. Une tradition de translation des reliques s’invente. (α) La première étape pourrait être une lettre datée de 906 du roi Alphonse III au monastère de Saint-Martin de Tours 133. Le souverain y décrit les nombreux miracles opérés par le corps de l’apôtre et raconte que

131. VIII Kal. aug. Natale Iacobi apostoli fratris Iohannis euangelistæ qui decollatus est ab Herode rege Hierosolymis, ut liber Actuum Apostolorum docet. Huius beatissimi apostoli sacra ossa ad Hispanias translata et in ultimis earum finibus, uidelicet contra mare Britannicum condita, celeberrima illarum gentium veneratione excoluntur. Usuard dit : Natalis beati Iacobi apostoli fratris Iohannis euangelistæ qui ab Herode rege decollatus est. Huius sacratissima ossa ab Ierosolimis ad Hispanias translata et in ultimis earum finibus condita, celeberrima illarum gentium veneratione excoluntur. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 272. 132. Pour les références, voir l’article d’Adeline Rucquoi, qui penche quant à elle pour un certain fond d’historicité. A. RUCQUOI, « Clavijo : Saint Jacques matamore ? », Compostelle. Cahiers d’Études, de Recherche et d’Histoire Compostellanes 10, 2007, p. 48-58. 133. Citée par B. GICQUEL, La Légende de Compostelle, Paris, Tallandier, 2003.

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le corps a été transporté par une barque dont le Seigneur tenait le gouvernail et qu’il a touché terre au milieu de deux fleuves, dans le vieil évêché d’Iria, au lieudit Bisria. (β) On connaît ensuite plusieurs chartes apocryphes, qui mentionnent régulièrement le lieudit Arcis marmoricis, sans doute destiné à faire coller la tradition compostellane avec les mentions d’un tombeau en Marmarique. (γ) Enfin, il faut mentionner la Lettre du Pape Léon, dont on connaît plusieurs versions, mais dont la plus ancienne se trouve dans un manuscrit du Xe siècle provenant de Saint-Martial de Limoges, ce qui permet de la dater des années 906-914. Au nom de Dieu, Léon, évêque aux rois des Francs, des Vandales, des Goths et des Romains. Nous vous faisons savoir la translation du bienheureux Jacques, frère de saint Jean, l’apôtre et l’évangéliste, après que sa tête a été tranchée par le roi Hérode de Jérusalem. Ensuite, son corps a été transporté de là par un navire, la main de Dieu tenant le gouvernail. Le septième jour, le radeau s’est reposé dans un lieu appelé Bisria, entre deux rivières, d’où le nom de Bisria. Et ainsi, son corps fut soulevé au midi dans les airs alors que ses disciples pleuraient et demandaient l’indulgence à Dieu. Et ils parcoururent douze milles pour ensevelir le saint corps sous les arcis marmaricis. Ensuite, trois disciples reçurent pour lot de reposer avec lui dans ce lieu, qui avaient éteint le souffle du dragon, avaient mis en pièce ses arguments sur la montagne qui était appelée depuis le début Hilicinus (la montagne des yeuses) et qui maintenant est appelée la montagne Sagro. Voici leurs noms : Torquatus, Tysefons et Anastase. Les quatre autres disciples qui restaient sont retournés à Jérusalem. Et ce sont eux qui ont rapporté au synode tout ce qui est écrit par nous. Toute votre chrétienté et vous irez là-bas pour offrir vos prières à Dieu, parce qu’il est certain que c’est ici que repose en paix le corps de l’apôtre saint Jacques 134.

134. In Dei nomine Leo episcopus regibus Francorum et Vandalorum, Gothorum et Romanorum. Notescimus uobis de translatione beatissimi Iacobi fratris sancti Iohannis apostoli et euangelistæ, et quo die dessecatum est caput eius ab Herode rege Iherosolima et sic inde leuatum est corpus eius navigio manu Domini gubernante ; septima namque die requieuit ratis in locum que dicitur Bisria inter duos rivos que dicitur Bisria. Et sic inde leuatum est corpus eius centro solis in æra et sui discipuli flendo et indulgentiam Deo petendo. Et elongauerunt xii milia ut sanctum corpus eius tumulatum est sub arcis marmaricis. Unde et tres discipuli cum eo in eodem loco sortem abent requiescendi, qui flatum draconis exstincserunt et argumenta eius dirruberunt in montem qui ab initio uogatus erat hilicinus et ex tunc uocatus est montem Sagro ; nomina hæc sunt : Torquatus, Tysefons et Anastasius. Alii uero iiii remeantes Iherosolima regresi sunt. Qui et omnia conscripta nobis in sinodum retulerunt. Vos omnis christianitas qui iuidem ibitis preces a Deo offere, quia certum est quia ibi reconditum est corpus sancti Iacobi apostoli in pace. Cité par L. DUCHESNE, « Saint Jacques… », p. 168-169.

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On ne résiste pas à l’envie de citer l’ironie mordante de Mgr Duchesne lorsqu’il évoque cette lettre : « Le texte est d’une barbarie effroyable et d’une absurdité qui passe toute expression. Il fait du pape Léon un contemporain de saint Jacques : c’est le pontife romain de l’année 44. Ce vicaire prématuré de saint Pierre adresse sa lettre aux rois, supposés chrétiens, des Francs, des Vandales, des Goths et des Romains. On se demande de quelle plume ont pu tomber de telles bévues. Peut-être y a-t-il erreur de copiste à l’endroit où l’on voit le corps de l’apôtre élevé centra solis in æra ; cependant rien ne doit étonner ici 135. » Ces « bévues » ont été ensuite corrigées par les deux autres versions de la translation, qui s’accordent sur le fond : il n’est pas question d’un apostolat de Jacques en Espagne, le corps est accompagné de sept disciples, qui sont peut-être une sorte de résurgence des Sept Dormants d’Éphèse, dont trois demeurent aux côtés du saint, les quatre autres retournant à Jérusalem 136. (δ) Cette première lettre a été par la suite suivie d’une foule de textes qui constituent la légende de Saint Jacques. On peut citer un certain nombre de translations, dont la translation de Fleury, la Translation de Limoges, la Translation de Marchiennes, la Translation de Jean Beleth. Ces textes reprennent la Passio Magna puis expliquent que sept disciples de Jacques ont porté le corps de leur maître de Jérusalem à Joppé, où il a été miraculeusement conduit à Iria. Les disciples le portèrent ensuite chez la païenne Luparia (la reine Louve). Celle-ci, peu convaincue, les envoie chez le roi qui les chasse : heureusement, un pont s’écroule sur leurs persécuteurs. Revenus chez Luparia, ils pacifient un dragon d’un signe de croix et apprivoisent les taureaux de Luparia, qui finit par se convertir 137. Ce détail des sept compagnons n’est pas neuf : il provient d’un récit d’évangélisation de la Bétique : le nom de saint Jacques s’est simplement substitué à celui de l’un des saints de Grenade. Viennent ensuite des récits d’invention du tombeau et un grand recueil, le Livre des miracles précédé d’une lettre préface apocryphe de Calixte II 138. Ce livre est foisonnant : il reprend des sermons de Calixte, de Bède le Vénérable, de Jérôme, des passions, des pièces liturgiques (livre I), mais aussi des miracles opérés par Jacques (livre II), des récits de translation (livre III), l’histoire de Charlemagne et de son paladin Roland par l’archevêque Turpin ainsi qu’une description des chemins de saint Jacques (livre IV). Il constitue le fond de toutes les légendes ultérieures, et, pourrait-on dire, de tous les livres écrits sur Compostelle dans 135. L. DUCHESNE, « Saint Jacques… », p. 169. 136. B. DE GAIFFIER, « Notes sur quelques documents relatifs à la translation de saint Jacques en Espagne », Analecta Bollandiana 89, 1971, p. 53. 137. Textes et analyses dans B. GICQUEL, La Légende de Compostelle…, p. 59-74. 138. Traduction dans B. GICQUEL, La Légende de Compostelle…, p 213-614. Commentaire dans C. HOLHER, « A Note on Jacobus », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 35, 1972, p. 31-80.

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les siècles qui suivirent. On y ajoute d’autres reliques, d’autres miracles. Des ordres de chevalerie et de pèlerins sont fondés 139, en particulier les « chevaliers de l’épée rouge » qui avaient pour mission d’assurer la sécurité des routes et dont la devise était sans ambiguïté : rubet sanguine Arabum, « elle est rouge du sang des Arabes ». À partir du XIIe siècle, c’est le puissant ordre de Cluny qui orchestra le pèlerinage en multipliant les prieurés sur la route. L’ordre poussa à la construction de grandes églises qui étaient toutes sur le même plan, celui de la plus célèbre église de pèlerinage de France, Saint-Martin de Tours : en passant par Saint-Martial de Limoges, SainteFoy de Conques ou Saint-Sernin de Toulouse, le pèlerin s’accoutumait à un plan qu’il retrouvait à Saint-Jacques de Compostelle 140. (ε) Cette compilation sert de fondement au martyrologe romain 141, mais aussi à toutes les légendes sur Jacques dont celle de Jacques de Voragine (qui reprend explicitement Jean Beleth et le « Pape Calixte » 142), et enfin toutes les publications populaires sur Jacques jusqu’au XIXe siècle 143. Toutefois, si l’article de L. Duchesne que nous avons cité paraît être un tournant dans la réévaluation de cette légende, il convient de noter que de sérieux doutes sur l’authenticité de la légende s’exprimaient dès la fin du XVIe siècle, y compris en terre de Contre-Réforme. Lenain de Tillemont, malgré sa grande prudence, avance quelques arguments, et Wilhelm Cuper, dans son article des Acta Sanctorum, cite de nombreuses références plutôt critiques 144.

139. Toutes les informations dans G. CUPERUS, « De Jacobo Majore », Acta Sanctorum Julii VII…, passim. 140. É. MÂLE, L’Art religieux du XIIe siècle en France, Paris, Armand Colin, 1922, p. 198-199. 141. Sancti Iacobi Apostoli, fratris beati Ioannis Euangelistæ qui prope festum Paschæ ab Herode Agrippa decollatus est. Eius sacra ossa, ab Hierosolymis ad Hispanias translata, et in ultimis earum finibus apud Gallæciam recondita, celeberrima illarum gentium ueneratione, et frequenti Christianorum concursu, religionis et uoti causa illuc adeuntium, pie coluntur. Cesar BARONIUS, Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ veritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise), Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 328. 142. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 531-537. 143. Voir en particulier l’ancien « classique » sur le pèlerinage de Compostelle : Abbé J.-B. PARDIAC, Histoire de saint Jacques le Majeur et du pèlerinage de Compostelle, Bordeaux, Coderc, 1863. 144. G. CUPERUS, « De Jacobo Majore », Acta Sanctorum Julii VII…, p. 14A15D. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, Paris, Robustel, 1693, p. 627-631.

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C. La légende arménienne La dernière métamorphose de cette légende eut lieu en Arménie. En effet, on connaît deux apocryphes, l’Histoire de l’apôtre Jacques (BHO 419) et l’Histoire de Jacques et Jean les fils du tonnerre 145. L’Histoire de Jacques narre l’échec de l’apostolat de Jacques en Espagne : « ce peuple barbare, impie et inique, ne fit nul accueil au bienheureux Jacques ; il n’écouta pas son enseignement et n’accueillit pas le nom du Christ, mais il expulsa le saint apôtre, et le chassa de sa région 146. » Déçu, l’apôtre rentre en Judée où il commence une tournée (qui reprend la Passio magna) : le texte paraphrase le combat contre Hermogène. Il est décapité. Après sa mort, un ange apporte sa tête à Jacques frère du Seigneur qui siège dans son palais épiscopal : ce motif a probablement une raison théologique, car le texte affirme que la tête est déposée sur le siège même de Jacques « puisqu’elle s’était identifiée à la tête de tous, le Christ 147. » En même temps, une pieuse femme originaire d’Espagne se saisit du corps et le porte jusqu’à Joppé. De là, il est conduit miraculeusement en Espagne où il commence à faire des miracles. Les habitants, encore païens, les attribuent à un « dieu sans tête 148 ». Heureusement, Paul, de passage en Espagne (conformément aux souhaits qu’il exprime dans l’Épître aux Romains) rétablit la vérité et leur prêche l’évangile. L’Histoire de Jacques et Jean reprend cette même tradition et explique comment le corps est emmené tout entier en Espagne, mais comment un ange emporte sa tête pour la déposer à Jérusalem, aux pieds de la Mère de Dieu. Plus tard, un sanctuaire est construit 149. Cette tradition s’explique peut-être par l’existence d’un sanctuaire arménien à Jérusalem à partir de 1141 et de la visite du catholicos Grégoire III Pahlavouni et surtout du firman de 1187 de Saladin 150. Jean de Würtzburg en 1165 et le Prince Radziwill au XVIIe siècle le visitent et le décrivent 151. La survivance de cette légende arménienne, qui incorpore la tradition com-

145. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. I. Pierre, Paul, André, Jacques, Jean (Corpus Christianorum, series apocryphorum 3), Turnhout, Brepols, 1986, p. 268-288 et 408-412. 146. Histoire de Jacques III, 6, trad. L. LELOIR, Écrits apocryphes des apôtres…, p. 273. 147. Histoire de Jacques III, 24, trad. L. LELOIR, Écrits apocryphes des apôtres…, p. 284. 148. Histoire de Jacques III, 29, trad. L. LELOIR, Écrits apocryphes des apôtres…, p. 287. 149. Histoire de Jacques et Jean IV, 4, trad. L. LELOIR, Écrits apocryphes des apôtres…, p. 412. 150. D. PRYNGLE, The Churches of the Crusader Kingdom of Jerusalem III, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 168-172. 151. N. RADZIWILL, Hierosolymitana peregrinatio Nicolai Christophori Radzivili, Antuerpiæ, Plantin, 1614, p. 58 cité par Guilielmus CUPERUS, « De Jacobo Majore », Acta Sanctorum Julii VII…, p. 11F.

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postellane est confirmée par le synaxaire qui en fait le résumé pour le jour de la fête du saint, le 23 Ahékan (30 avril) 152. B IL AN

ICONOGR APHIQUE

S’il est un apôtre qui nous fournit de précieuses informations sur le rapport à l’autorité, c’est bien Jacques le Majeur. En effet, ignoré dans les premiers siècles, il réapparaît à partir du Ve siècle dans les listes d’apôtres et fait un retour triomphal à Compostelle. Ces trois moments correspondent à trois attitudes. 1° la disparition du Zébédaïte dans les premiers temps nous indique que les premières communautés valorisaient tout particulièrement les traditions orales puis écrites. Lorsque les données traditionnelles étaient claires comme dans le cas de Jacques (il est mort en 44 sans vraiment avoir eu de prédication), il n’était pas question d’aller contre elles. Certes, l’étude des autres apôtres montre qu’on pouvait s’insinuer dans les silences des données traditionnelles pour accréditer tel ou tel texte ou événement, mais on ne pouvait sortir du cadre qu’elles définissaient. Contester la mort de Pierre à Rome, par exemple, est une attitude moderne, et non ancienne, faire reposer Jacques ailleurs qu’en Palestine n’avait aucun sens. 2° la réapparition du Majeur dans le recueil du Pseudo-Abdias ou dans les listes apostoliques traduit un nouveau rapport à l’histoire. Désormais, la liturgie s’impose, et avec elle l’homogénéisation des fêtes et des mémoires. Il faut qu’il y ait une fête par apôtre et que l’on sache précisément le lieu de leur mort et leur genre de martyre. Il importe avant tout de « combler les blancs » et de parvenir à une relative cohérence des martyrologes. Aussi, dans le cas de Jacques, n’hésite-t-on pas à emprunter des données à d’autres apôtres. Le combat contre Hermogène décalque les Actes de Pierre, le récit de sa prédication – car il fallait un récit de prédication, pourquoi aurait-il été le seul à ne pas avoir prêché ? – reprend les prédications traditionnelles, et on harmonise avec d’autres apôtres, la Marmarique du fils d’Alphée ou l’Achaïe d’André. 3° enfin, la légende compostellane s’explique par l’importance de plus en plus grande que prennent les reliques dans la foi et dans la politique. La preuve matérielle et tangible prévaut contre l’histoire. C’est autour d’elle que s’organisent les textes, et non le contraire. À partir du moment où il y a relique, il y a vérité. Aussi, lorsque la situation espagnole justifia qu’on inventât un saint patron, celui-ci fut promptement mis au jour. Et dès lors qu’on avait des ossements, l’intendance historiographique suivait : transla152. G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter-Israël – IX mois de Ahekan (Patrologia Orientalis 21.3), Paris, Firmin-Didot, 1930, p. 371.

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tions, inventions, miracles, tout était fait pour que Jacques connaisse son dernier repos en Galice. L’iconographie ne retient souvent que la dernière figure, preuve de son importance renouvelée, même si les vitraux des Chartres, Bourges, Auxerre et Amiens comprennent des épisodes de la lutte contre Hermogène et si la miniature de Fouquet du musée Condé montre la décapitation de Jacques et de Josias. En effet, comme l’indique Louis Réau 153, Jacques est représenté sous trois types iconographiques différents, dont deux ressortissent à la légende compostellane. Le plus fréquent est celui du pèlerin, qui s’épanouit, comme l’avait montré Émile Mâle, à partir du XIIIe siècle 154 : chaussé d’un chapeau parasol à larges bords (Réau parle d’un sombrero) garni de coquilles (car le pèlerinage avait été lancé par l’ordre de Cluny dont les abbés portaient une coquille sur leurs armoiries), Jacques est appuyé sur son bâton de pèlerinage, le bourdon. Il porte le bagage habituel des pèlerins : la panetière et la gourde. Le second est celui de Matamore, en lien avec la déroute des Maures de Clavijo. Il est représenté donc sur un cheval blanc, chargeant les Sarrasins dans les airs. Même le troisième type, celui de l’apôtre arborant l’épée de son martyre 155, subit petit à petit l’influence espagnole : il a comme attribut la croix primatiale à double croisillon parce qu’il aurait été le premier archevêque d’Espagne.

153. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. II, Paris, PUF, 1959, p. 693-697. 154. É. MÂLE, Les Saints Compagnons du Christ, Paris, Beauchesne, 21988, p. 167 ; É. MÂLE, L’Art religieux du XIIe siècle en France…, p. 195-196. 155. J. FERNÁNDEZ ALONSO, « Giacomo il Maggiore – Iconografia », Bibliotheca Sanctorum, vol. 6, Roma, Città Nuova, 1965, p. 382-387.

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JEAN, LE GRAND HOMME ET SES HOMONYMES « N’allez point, surtout, demander au peuple de distinguer entre les homonymes. Les grands hommes sont si rares ! Quelle apparence qu’il s’en soit trouvé deux du même nom 1 ? » Jamais jugement ne fut si justement appliqué qu’à propos de Jean. Ce qu’Hippolyte Delehaye décrivait des légendes hagiographiques, avec un soupçon assez marqué d’ironie, s’illustre parfaitement à propos du fils de Zébédée. Il a eu la chance (ou la malchance) de porter un nom assez fréquent (on en connaît 122 porteurs 2), apparu à l’époque hasmonéenne et popularisé par l’un des frères Maccabées (‫יוחנן‬, Ἰωάννης, Jonathan). Connu par un seul passage dans lequel il intervient seul et quelques passages dans lesquels il est associé à Jacques son frère et à Pierre, Jean est devenu un « grand homme », le second des apôtres dans l’ordre d’importance. Sa popularité fut telle que le prénom « Jean » était, jusqu’aux années 1960, le prénom le plus donné en France et qu’il est encore, sous la forme Jan ou sous la forme Jean le prénom le plus fréquent en Belgique. Et de fait, le patronyme « Saint Jean » recouvre une série impressionnante de personnages historiques et littéraires fort divers – le fils de Zébédée, l’auteur du Quatrième Évangile, l’auteur de l’Apocalypse et des trois épîtres « de Jean », le Disciple bien-aimé – ce qui en fait une sorte de « super-apôtre », à la fois jeune et vieux, voyant et vierge, chef de communauté et favori de Jésus 3. I. « L E S » J E AN

DE S TE X TE S CANONIQUES

À bien regarder les textes canoniques, nous nous apercevons que nous ne connaissons que fort peu de choses spécifiques à Jean. En effet, nous n’entendons jamais sa voix pour elle-même, à part dans un unique épi1. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques (Subisdia Hagiographica 18), Bruxelles, Société des Bollandistes/Vromant, 21906, p. 23. 2. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 134-143. 3. Sur la figure de Jean, on trouve de nombreuses données dans R. A. CULPEPPER, John the Son of Zebedee, the Life of a Legend (Studies on Personalities of the New Testament), Edinburgh, T&T Clark, 22000. Toutefois, nous ne suivons pas systématiquement les conclusions de cet auteur. La majorité des textes étudiés ont été édités et commentés par É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis (Corpus christianorum series apocryphorum 1 et 2), 2 vol., Brepols, Turnhout, 1983.

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sode recueilli dans Marc et Luc. Ailleurs, il est toujours associé à son frère Jacques ou à Pierre. Cela n’empêcha pas qu’on le confonde avec d’autres personnages. A. Jean l’apôtre Jean l’apôtre est le fils de Zébédée et l’un des membres du « groupe des Trois » qui semble dominer le cercle apostolique (au moins dans les traditions marciennes). Pour autant, les textes canoniques ne se sont pas souciés de lui fournir une individualité propre.

1. Un apôtre associé à d’autres Ayant évoqué longuement les épisodes où apparaissent Pierre et Jacques, nous nous bornerons à quelques rappels. 1. Jean le frère cadet de Jacques. – Jean apparaît dans l’évangile comme le frère cadet de Jacques (si du moins on s’accorde, comme la majorité des commentateurs, à interpréter ainsi le fait qu’il soit toujours nommé en second). On le retrouve dans tous les épisodes où son frère apparaît. Les deux frères font partie des premiers appelés. Matthieu et Marc décrivent leur appel pour lui-même en s’inspirant de la vocation d’Élisée par Élie, Luc en fait un cas particulier de la vocation de Pierre qu’il associe à une pêche miraculeuse : nous avons déjà évoqué tout cela. Ils sont ensuite comptés parmi les Douze, où ils interviennent à la deuxième et à la troisième places (cas où André est dissocié de Pierre, qui semble être une tradition plus tardive) ou bien à la troisième et quatrième places (cas où André est cité juste après Pierre). Ensuite, de manière régulière, Jacques et Jean sont associés dans des épisodes où s’illustre leur réputation de pétulance. Marc 3, 17 leur donne le surnom de boanerges tandis que Luc 9, 51sqq. évoque leur proposition élianique de faire descendre le feu sur le village des Samaritains. Mc 10, 35sqq. évoque leur demande (relayée par leur mère en Mt 20) de siéger aux côtés de Jésus dans le royaume messianique. 2. Jean, le membre du « groupe des Trois ». – Par ailleurs, Jean est régulièrement associé à son frère Jacques et à Pierre, pour former un « groupe des Trois ». Jean est donc constitué en témoin direct d’événements concernant la nature messianique de Jésus. Il assiste ainsi à la résurrection de la fille de Jaïre qui annonce le pouvoir résurrectionnel du Christ (Mc 5, Lc 8), à la Transfiguration qui révèle la vraie nature du Christ comme Dieu (Mc 9, Mt 17, Lc 9), à la prédication sur le mont des Oliviers qui parle du Fils de l’Homme (Mc 13). Il est également présent à Gethsémani, où il n’assiste à rien du tout, car il dort. 3. Pierre et Jean. – Dans l’œuvre de Luc, Jean semble fonctionner « en duo » avec le Prince des Apôtres, comme son fidèle second. L’émergence

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de cette hiérarchie se manifeste peu de temps avant la mort de Jésus puisque, selon Luc, c’est au duo que Jésus demande de préparer le repas : « Jésus envoya Pierre et Jean en disant : “Allez nous préparer la Pâque, que nous la mangions”. » (Lc 22, 8). Dans le passage parallèle de Marc (Mc 14, 12-16), il est frappant de constater que le texte conserve l’anonymat des deux disciples : le changement paraît propre à Luc. Par la suite, les Actes semblent montrer que Pierre et Jean font office de « premier duumvirat » de la communauté de Jérusalem puisqu’ils apparaissent de conserve dans trois épisodes : la guérison du paralytique au Temple (3, 1-10), la comparution devant le Sanhédrin (4, 1-22) et la tournée en Samarie (8, 14-25). Concernant spécifiquement Jean, il convient de remarquer qu’il ne joue là qu’un fort petit rôle. L’exégèse allemande, rappelée par Haenchen dans son commentaire des Actes (et dont Lüdemann 4 s’affirme un bon représentant dans son livre sur la première communauté chrétienne), fut critique vis-à-vis de cette relative discrétion. Harnack émit sur Jean un jugement à l’emporte-pièce en le taxant de « passager clandestin » dans la narration, tandis que Morgenthaler rappelait le goût de Luc pour les duos (la fameuse « règle de deux ») et suspectait les premières versions de ces récits de ne concerner que Pierre 5. Il convient peut-être d’être moins critique en invoquant le témoignage de Paul, qui, dans son épître aux Galates (Ga 2, 9-10), confirme que, jusqu’au concile de Jérusalem, la communauté de Jérusalem était gouvernée par un triumvirat dans lequel le fils de Zébédée avait sa place. À propos de l’épisode samaritain, R. A. Culpepper 6 fait, à juste titre, remarquer la belle ironie lucanienne. Alors que dans l’évangile, Jacques et Jean s’apprêtaient à faire « descendre » le feu sur le village samaritain, c’est désormais l’Esprit Saint que Pierre et Jean font descendre sur les Samaritains. Ce changement traduit le nouveau rôle que Luc veut faire jouer aux apôtres : disciples parfois lents à comprendre dans l’évangile, ils sont devenus les héros d’une évangélisation allant jusqu’aux frontières du monde.

2. L’unique intervention de Jean Malgré le rôle important qu’il semble avoir joué dans la première communauté chrétienne, Jean, qui est toujours le second de quelqu’un, n’a jamais d’individualité propre à l’exception d’un seul épisode, rapporté par Marc :

4. G. LÜDEMANN, Early Christianity According to the Tradition in Acts, Minneapolis, Fortress, 1989, p. 55. 5. E. HAENCHEN, Die Apostelgeschichte (Meyers KeK 3.14), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 51965, ad 3, 1. 6. R. A. CULPEPPER, John…, p. 48.

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Mc 9, 36-40. – Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d’eux et, après l’avoir embrassé, il leur dit : « Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m’accueille moi-même ; et qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais celui qui m’a envoyé ». Jean lui dit : « Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas ». Mais Jésus dit : « Ne l’empêchez pas, car il n’y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi. Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. »

La péricope est des plus étranges. Jésus parle de l’accueil des tout-petits et voici que Jean intervient de manière abrupte, sans se préoccuper de la cohérence avec ce qui vient d’être dit. Il manifeste le souci de reprendre en main des exorcismes, et entend jouer les censeurs. Mais Jésus, de manière surprenante, donne un quitus à ceux qui invoquent son nom, qu’ils soient ou non reconnus. En réalité, le lien n’est pas si artificiel qu’il le paraît. Les deux épisodes parlent de la présence de Jésus au milieu des disciples (ἐν μέσῳ αὐτῶν) et entendent modifier le regard que ces derniers portent sur elle. En effet, en plaçant un petit enfant au centre, Jésus définit sa présence symboliquement comme celle d’un être faible, d’un petit. En plaçant son « nom » – quel que soit celui qui le profère – au centre de la communion, il définit également sa présence comme adhésion à sa personne. Si on en vient au cœur de la question du Zébédaïte, on comprend que l’enjeu est la définition d’un « nous » 7. Jean plaide pour une acception restrictive qui arraisonne le nous comme s’il était son bien propre : seuls sont habilités ceux qui « nous suivent » (ἠκολούθει ἡμῖν). Jésus déplace l’enjeu en rappelant qu’il s’agit de « son nom » (ἐπὶ τῷ ὀνόματί μου). Il en profite pour rappeler que ce qui est important, c’est ce qui se dit dans l’action. Si la puissance (δύναμις) engendrée par le nom de Jésus sert à chasser les démons, c’est qu’elle est bienfaisante… Elle ne saurait donc mal parler de Jésus, et ne saurait être contre lui. L’exorciste sauvage n’est pas plus propriétaire que les disciples de la δύναμις bienfaisante qui est à l’œuvre : son action parle d’elle-même de ce qui constitue sa source, c’est-à-dire du nom de Jésus. On se doute bien que le débat pour savoir si ce passage rappelle un événement dans le ministère de Jésus ou bien a été créé par l’Église primitive pour soutenir l’autorité apostolique fut plus que vif. On a souvent maintenu que la péricope était tardive en invoquant qu’il s’agissait d’une critique des prophètes extatiques agissant hors de la communauté en utilisant indûment le nom de Jésus 8. Elle semble en outre ad 7. J. DELORME, L’Heureuse annonce selon Marc II (Lectio Divina 223), Paris, Cerf, p. 122. 8. E. SCHWEIZER, The Good News According to Mark, trad. D. MADVIG, Atlanta (GA), John Knox, 1970, p. 194. F. MOLONEY, The Gospel of Mark. A Commentary,

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hoc puisqu’elle paraphrase la tolérance de Moïse envers les prophètes non autorisés Eldad et Médad en Nb 11, 27-29, Jean faisant ici figure de Josué fils de Nûn. Enfin, elle utilise la formule « au nom de Jésus », utilisée par les Actes, à une époque plus tardive 9. Ceux qui estiment que la péricope est vraiment historique avancent avant tout le critère d’embarras : comment la communauté de Mc auraitelle pu créer une péricope qui autorise un usage non régulé du nom de Jésus 10 ? Le critère de congruence est aussi possible : Jésus était suffisamment connu pour que l’on puisse faire des exorcismes en son nom comme le prouvent les papyrus magiques 11. L’ouverture que manifeste la réponse de Jésus aux exorcistes étrangers contraste enfin largement avec l’attitude restrictive ultérieure contenue dans Ac 19, 13-17 et les déclarations des Pères dont Justin et Augustin 12. Jean faisait-il partie de la péricope à l’origine ? Un doute subsiste. En effet, on peut remarquer que chacun des membres du « groupe des trois » est critiqué après chaque annonce de la passion chez Marc : Pierre (8, 32), Jacques (10, 35-37) et ici, Jean (9, 38). Peut-être la présence du Zébédaïte n’est-elle due qu’à un esprit de système. Le choix de Jean à ce moment précis s’explique sans difficulté par sa réputation d’ardeur que traduit son surnom de « fils du tonnerre » 13. « Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas. » Le seul moment où l’on pouvait entendre la voix de Jean est peut-être le produit d’une rédaction marcienne. Un autre a pu prononcer ces mots ; la figure de Jean s’enfonce donc toujours davantage dans le brouillard. B. Les autres Jean Étrange situation que celle dans laquelle se trouve le fils de Zébédée dans les textes canoniques. Alors que les indices concordent pour montrer qu’il faisait partie des disciples importants, sa place est mal assurée. Frustrée de ne pas en savoir plus sur le grand homme, la tradition manifesta

Peabody (MA), Hendrickson, 2002, p. 188. 9. J. FITZMYER, The Gospel According to Luke I (Anchor Bible 28), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1981, p. 820. 10. E. A. RUSSEL, « A Plea for Tolerance (Mk 9.38-40) », Irish Biblical Studies 8, 1986, p. 154-160. E. WILHELMS, « Der fremde Exorzist », Studia Theologica 3, 19501951, p. 162-171. 11. Voir PGM III, 420 et PGM IV, 1233 et 3020. 12. J. MARCUS, Mark 8-16 (Anchor Yale Bible 27A), New Haven/London, Yale University Press, 2009, p. 686. 13. J. SCHLOSSER, « L’exorciste étranger », Revue des Sciences religieuses 56, 1982, p. 229-239.

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donc la très nette propension de le confondre avec d’autres. Examinons les candidats sélectionnés.

1. Le disciple bien-aimé Le premier impétrant, celui que toute la tradition a assimilé au fils de Zébédée, est un personnage qui n’apparaît que dans le quatrième évangile : ὃν ἠγάπα ὁ Ἱησοῦς, celui que Jésus aimait. Il fait son apparition à la fin de la narration, composée, comme l’a montré L. Devillers, autour des trois témoignages que trois personnages rendent à Jésus : Jean le Baptiste, puis Lazare puis le Disciple 14. Le Disciple préside donc au troisième tiers du texte. a . Le rôle du Disciple dans l’évang ile de Jean Dans la trilogie qu’il compose avec le Prince des Apôtres et Judas, le Disciple joue le rôle d’une sorte de chrétien idéal 15. Réexaminons les occurrences. (α) La première est celle du dernier repas ( Jn 13, 23-28). La position du Disciple, penché sur la poitrine de Jésus, s’explique aisément par les coutumes gréco-romaines. On se trouve dans un repas traditionnel qui se prend couché et dans lequel les personnages les plus importants sont aux côtés de celui qui préside le repas. Le fait d’expliquer que le disciple se penche vers la poitrine de Jésus (ἐπὶ τὸ στῆτος τοῦ Ἱησοῦ) fait peut-être également allusion au Verbe qui vient « depuis le sein du Père » (εἰς τὸν κόλπον τοῦ πατρὸς), les deux mots désignant des réalités proches en grec. Symboliquement, cette position suggère que le Disciple entend des paroles qui sont celles que le Verbe a apprises du Père. On peut également faire allusion à une sorte d’exégèse typologique de Dt 33, 12 : Jésus, se présentant comme un prophète comme Moïse, a auprès de lui un disciple comme Benjamin, qui repose à ses côtés 16. Jésus fait bien une révélation prophétique : celle de l’identité de celui qui va le trahir. Le Disciple est décrit comme celui qui sait à l’avance qui est le traître, même si la phrase qui suit (« aucun de ceux qui se trouvaient là ») montre à l’évidence les limites de cette connaissance : pas plus que les autres, il ne comprend véritablement ce qui va se passer. Il n’en reste pas moins que dans la scène que construit le quatrième évangile, il est visuellement proche de Jésus. 14. L. DEVILLERS, « Les trois témoignages : une structure pour le quatrième évangile », Revue biblique 104, 1997, p. 62-82. 15. Raymond Collins parle de consummate disciple and authentic Witness : R. F. COLLINS, « From John to the Beloved Disciple. An Essay on Johannine Characters », Interpretation 49, 1995, p. 359-370. 16. P. S. MINEAR, « The Beloved Disciple in the Gospel of John », Novum Testamentum 19, 1977, p. 105-123 [Republié dans D. E. ORTON (éd.), The Composition of Saint John’s Gospel (Brill’s Readers in Biblical Studies 2), Leiden/Boston/Köln, Brill, 1999, p. 186-204].

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(β) La seconde occurrence prend place au pied de la croix. Jn 19, 26-27. – Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils ». Il dit ensuite au disciple : « Voici ta mère ». Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Ce passage, très court, mais émouvant, a suscité de nombreuses interprétations. Succédant aux lectures pieuses des siècles précédents, le XXe siècle a procédé à une lecture symbolique, en particulier en identifiant Marie avec la « fille de Sion » que recevrait Jean, symbolisant la nouvelle communauté 17. Il n’est peut-être pas utile d’aller si loin. En effet, l’épisode peut s’expliquer par l’évangile lui-même. Le prologue a posé dès les premiers versets l’enjeu de l’incarnation du Verbe : que ceux qui le reçoivent deviennent τέκνα θεοῦ (1, 12). L’entretien avec Nicodème poursuit, en parlant de γεννητθῇ ἄνωθεν (3, 3). Cela consonne bien entendu avec toute la thématique de la paternité divine dans le texte. En confiant Jean à sa mère, Jésus réalise une sorte d’acte performatif 18 qui a pour but de constituer une nouvelle famille 19 et confère au Disciple une autorité de succession. Très probablement, l’auteur du quatrième évangile affirme ainsi la légitimité de la communauté dont le Disciple est le représentant. (γ) Ce même besoin de légitimité se trouve dans la course au tombeau ( Jn 20, 2-8) 20, épisode dans lequel le tombeau fait l’objet d’une course dont le prix est la foi. Marie-Madeleine, pas encore croyante, en part pour dire sa stupeur. Pierre et le Disciple tentent de l’atteindre le plus vite possible, et c’est le plus jeune qui tient la distance. Il est le premier à voir les preuves matérielles de l’absence du corps et surtout le premier à croire. Si Pierre, déférence gardée au Prince des Apôtres, est le premier à franchir le seuil, le Disciple devient le premier croyant. (δ) Cette position toute particulière se retrouve dans la finale de l’évangile, dont la grande majorité des commentateurs s’accordent à penser qu’elle est tardive 21 et en tout cas postérieure à la rédaction du chapitre précédent :

17. X. LÉON-DUFOUR, « Jésus constitue sa nouvelle famille : Jn 19, 25-27 », in A. MARCHADOUR (éd.), L’Évangile exploré (Lectio Divina 166), FS. S. LÉGASSE, Paris, Cerf, 1996, p. 265-281. 18. R. A. CULPEPPER, « The Quest for the Church in the Gospel of John », Interpretation 63, 2009, p. 341-354. 19. C’était aussi l’idée de X. LÉON-DUFOUR, « Jésus constitue sa nouvelle famille… ». 20. Pour l’analyse de cet épisode et du suivant, nous sommes tributaires des commentaires de X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile de Jean (Parole de Dieu), vol. 4, Paris, Seuil, 1996, ad locos. 21. Une analyse littéraire dans M.-É. BOISMARD, « Le chapitre XXI de saint Jean. Essai de critique littéraire », Revue biblique 54, 1947, p. 473-501.

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Jn 21, 20-22. – Pierre s’étant retourné vit derrière lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, au cours du repas, s’était penché vers sa poitrine et qui avait dit : « Seigneur, qui est celui qui va te livrer » ? Quand il le vit, Pierre dit à Jésus : « Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il » ? Jésus lui répondit : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suismoi ». Le bruit se répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : « Il ne mourra pas », mais : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne. »

Le commentaire classique de ce passage provient de Raymond Brown 22. Ce passage tardif aurait été écrit au moment où la communauté à l’origine de l’évangile se serait ralliée au mouvement pétrinien. La triple question de Jésus exprime l’espoir d’une « primauté » ordonnée à l’amour, tandis que la présence du disciple auprès de lui exprimerait la fidélité de la communauté aux enseignements du Christ. Le Disciple demeure, comme demeure sa communauté. Le dernier verset, qui commente les paroles prononcées, permet de détromper ceux qui pensaient que la venue de Jésus s’opérerait du vivant du Disciple, ce qui permet certainement de conclure qu’il a eu une assez belle longévité. Résumons. Dans tous ces épisodes, on reconnaît le Disciple comme le représentant de la communauté à l’origine de l’évangile. Au plus près de Jésus dans les événements les plus importants de sa vie publique, debout au pied de la Croix, premier au tombeau, premier à avoir la foi, il s’affirme comme le disciple par excellence. Constitué fils de Marie, déclaré comme « celui qui demeure », il est aussi le disciple préféré de Jésus, ce que confirme sa désignation habituelle de « celui que Jésus aimait ». En quelque sorte, il est le héros de l’évangile. Mais pourquoi avoir laissé ce héros dans l’anonymat23 ? En ne divulguant pas son nom, le texte le pose en auteur à l’autorité incontestable. Car le Disciple n’est pas simplement un personnage du récit, il est aussi son rédacteur, comme il l’affirme à deux reprises. Or tout écrivain cherche sa légitimité. Celle de l’auteur du quatrième évangile est construite par la présence à la mort de Jésus – « celui qui a vu rend témoignage » ( Jn 19, 35) – ce qui sera confirmé à la fin du texte ( Jn 21, 24). La formule, solennelle, renvoie aux récits faits par un témoin direct, initiés par Xénophon et Thucydide et imités par Polybe et Jules César, dans lequel, le rédacteur parle de lui-même à la troisième personne du singulier et certifie à plusieurs reprises

22. R. E. BROWN, The Gospel According to John XIII-XXI (Anchor Bible 29A), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1970, ad locum. R. BROWN, La Communauté du disciple bien-aimé (Lectio Divina 115), Paris, Cerf, 1983. 23. G. BERLINGIERI, « A proposito dell’anonimato dell’autore del IV Vangelo : chi è l’anonimo o perché è anonimo », Rivista Biblica 48, 2000, p. 69-72.

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la véracité de son rapport 24. En se déclarant un disciple idéal, mais aussi un témoin idéal, le Disciple se présente dans le même mouvement comme un auteur idéal, digne de foi et parfaitement légitime 25. Il peut ainsi reprendre la convention du discours à la troisième personne et s’inscrire dans la lignée des historiens grecs. (ε) Pour conclure, un cas particulier doit être fait à un passage dans lequel on a cru lire la présence du Disciple : Jn 18, 15-16. – Or Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi qu’un autre disciple. Ce disciple était connu du grand prêtre et entra avec Jésus dans la cour du grand prêtre, tandis que Pierre se tenait près de la porte, dehors. L’autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit donc et dit un mot à la portière et il fit entrer Pierre.

Quel est donc cet ἄλλος μαθητής ? Et pourquoi connaît-il si bien la maison du grand prêtre 26 ? Serait-ce qu’il est lui-même un prêtre 27 ? La réponse la plus simple, quoique la moins vraisemblable narrativement, consiste à croire qu’il s’agit de Judas 28 : puisqu’il avait accès aux grands prêtres pour leur proposer un marché, pourquoi n’aurait-il pas été familier de la maison de leur chef ? Cela suppose une noirceur du personnage au-delà de ce que dit le texte, puisqu’on le verrait ainsi en malfaiteur inquiet que sa trahison soit pleinement achevée. Cela suppose également une incommensurable

24. H. M. JACKSON, « Ancient Self-Referential Conventions and their Implications for the Authorship and Integrity of the Gospel of John », Journal of Theological Studies 50, 1999, p. 1-34. S. BYRSKOG, Story as History – History as Story, Leiden, Brill, 2002, p. 199-223. 25. R. BAUCKHAM, « The Beloved Disciple as Ideal Author », Journal of the Study of New Testament 49, 1993, p. 21-44 [Republié dans S. E. PORTER et C. A. EVANS (éds.), The Johannine Writings (The Biblical Seminar 32), Sheffield, Sheffield Academic Press, 1995, p. 46-68]. A. T. LINCOLN, The Gospel According to John (Black’s New Testament Commentaries), London/New York, Hendrickson, 2005, p. 25. 26. F. NEIRYNCK, « The “Other Disciple” in Jn 18, 15-16 », Ephemerides Theologicæ Lovanienses 51, 1975, p. 113-141. 27. C’est l’hypothèse de Polycrate d’Éphèse, qui a été remise en honneur par J. COLSON, L’Énigme du disciple que Jésus aimait (Théologie historique 10), Paris, Beauchesne, 1969, M.-L. RIGATO, « L’“apostolo ed evangelista Giovanni”, “sacerdote” levitico », Rivista Biblica 38, 1990, p. 451-483 et reprise par J. WINANDY, « Le Disciple que Jésus aimait. Pour une vision élargie du problème », Revue biblique 105, 1998, p. 70-75. Pour M.-É. Boismard, le Disciple aurait été un prêtre de Jérusalem que la dernière rédaction du Quatrième évangile aurait assimilé à un disciple du Baptiste puis à un pêcheur de Galilée : M.-É. BOISMARD, « Le Disciple que Jésus aimait d’après Jn 21, 1ss et 1, 35ss », Revue biblique 105, 1998, p. 76-80. 28. Vision traditionnelle depuis 1730. Voir les sources citées par F. NEIRYNCK, « The “Other Disciple” »…, p. 120 n. 41. Récemment, c’est l’hypothèse de Thomas Brodie : T. L. BRODIE, The Gospel According to John : A Literary and Theological Commentary, New York, Oxford University Press, 1993, ad loc.

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bêtise de la part de Pierre, n’ayant pas réalisé que Judas était le livreur, pour accepter de se laisser guider par lui. Est-il pour autant le Disciple ? Le seul argument en faveur de cette thèse se trouve dans l’épisode de la course au tombeau dans lequel le Disciple est nommé « l’autre disciple » ( Jn 20, 8). Certains commentateurs pensent donc que l’addition « que Jésus aimait » pourrait être une glose et que « l’autre disciple » désignerait naturellement le Disciple29. Cet argument paraît cependant ad hoc : puisque le personnage a déjà été présenté, il est inutile de l’appeler autrement que « l’autre disciple ». Faute de preuves tangibles, la prudence veut que l’on évite les assimilations hâtives. Contentons-nous d’observer que, jusqu’à preuve du contraire, « l’autre disciple » désigne certainement un autre disciple que le Disciple. b. Le Disciple est-il Jean ? L’assimilation du disciple bien-aimé au fils de Zébédée est-elle soutenable ? Les arguments en sa faveur sont multiples. On peut remarquer que le Disciple apparaît uniquement chez Jn et que, réciproquement, toute référence à Jean est absente alors que les synoptiques en avait fait l’un des trois plus importants 30. En comparant les données des quatre évangiles, on a souvent identifié, depuis Origène, la mère des fils de Zébédée avec Salomé. Or comme celle-ci pourrait être une sœur de la Vierge, le fait de donner Marie à Jean s’explique aisément par le fait qu’ils sont cousins. Enfin, que viendrait faire un autre personnage à la Cène, alors que les textes semblent indiquer que seuls les Douze participaient au dernier repas de Jésus ? Ces arguments sont traditionnels, et ils n’ont jamais été remis en cause avant les livres d’Edward Evanson de 1792 et de Carl Gottlieb Bretschneider de 1820 (par ailleurs fondateur du Corpus Reformatorum 31) qui soulèvent le concordisme du raisonnement. Si Marc et Matthieu parlent en effet de la seule présence des Douze au repas, Jean ne dit pas que les convives devraient être douze. On peut remarquer en outre que Lc 22, 14 parle des « apôtres » sans en préciser le nombre. Ensuite, l’absence de Jean 29. F. NEIRYNCK, « The “Other Disciple” »…, p. 139-140. 30. Les arguments traditionnels ont été résumés par B. DE SOLAGES, « Jean fils de Zébédée et l’énigme du “disciple que Jésus aimait” », Bulletin de littérature ecclésiastique 73, 1972, p. 41-50. 31. E. EVANSON, The Dissonance of the Four Generally Received Evangelists and the Evidence of Their Authenticity Examined, Ipswich, Jermyn, 1792 cité par A. J. KÖSTENBERGER, « Early Doubts of the Apostolic Authorship of the Fourth Gospel in the History of Modern Biblical Criticism », Studies on John and Gender : A Decade of Scholarship (Studies in Biblical Literature 38), New York, Peter Lang, 2001, p. 25-29. K. G. BRETSCHNEIDER, Probabilia de evangelii et epistolarum Joannis, apostoli, indole et origine eruditorum judiciis modeste subjecit, Lipsiæ (Leipzig), Barth, 1820. Voir J. MOFFATT, « Ninety Years After : A Survey of Bretschneider’s “Probabilia” in the Light of Subsequent Johannine Criticism », The American Journal of Theology 17, 1913, p. 368-376.

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dans le quatrième évangile n’est pas vraiment un argument puisque ce texte ne fait aucune mention des scènes où Jean est présent dans les synoptiques ( Jaïre, Transfiguration, mont des Oliviers) et que le Disciple ne saurait le « remplacer » puisqu’il n’arrive que fort tardivement dans l’évangile. On peut aussi rappeler l’absence d’appel des deux frères (Pierre & André, Jacques & Jean) ainsi que le fait que les synoptiques affirment qu’aucun des Douze ne se trouve présent à la croix, alors que Jn met en avant la présence du Disciple 32. En outre, la datation de l’écrit ne peut être que tardive. Les chrétiens ont été expulsés de la synagogue (9, 22), des chrétiens ont été tués par des dévots de la synagogue (16, 2) et « les Juifs » sont tellement devenus un groupe hostile, que Jésus parle parfois comme un non-juif (« écrit dans votre Loi », 10, 34 ; « Dans leur Loi », 15, 25 ; « Comme je l’ai dit aux Juifs », 13, 33). Des miracles anciens comme la multiplication des pains et l’ouverture des yeux des aveugles sont devenus le sujet de longues homélies (discours sur le Pain de vie et sur les écritures). Les Samaritains croient en Jésus (4, 28-40). La théologie est elle aussi plus tardive, Jésus est toujours désigné comme le Messie (1, 40-49) ; il n’est pas le fils de l’homme qui doit venir : l’heure est venue ; il a tout vu en Dieu avant que le verbe ne se fasse chair (5, 19 ; 6, 32-35). Ces éléments n’excluent pas que le Disciple soit l’auteur de l’évangile, mais le rendent assez peu vraisemblable, sauf à supposer une longévité vraiment exceptionnelle. Comme le dit Raymond Brown, avec une prudence que l’on conservera : « Le disciple bien-aimé a pu vivre pendant tout le développement historique de la communauté (et aussi peut-être pendant l’expulsion des synagogues), et il peut s’être créé ainsi une certaine symbiose entre lui et l’évangile qui met sur le papier sa tradition, son expérience et la réflexion qu’il partageait 33. » De là à en faire l’auteur de l’évangile, il y a un pas qu’il convient de ne pas franchir. On se contentera donc d’affirmer que le Disciple, qui s’appelait peut-être Jean (ce qui faciliterait l’assimilation postérieure), est à l’origine du quatrième évangile. 32. Deux autres arguments ont été avancés pour contrer l’identification, mais ils ne semblent pas dirimants : le premier, se fondant sur l’identification de « l’autre disciple » avec le Disciple, demande comment un pêcheur galiléen peut être connu du grand prêtre. Or, comme l’équation « l’autre disciple » = le Disciple n’a rien d’incontestable, l’argument ne tient pas. L’autre argument pointe une connaissance étendue de la géographie chez Jn, bien surprenante chez un Galiléen. Que vaut-il, au fond, ce raisonnement ? Un Galiléen ne peut-il pas bien se faire conseiller ? Avec un soupçon de mauvaise foi, ne pourrait-on pas dire que l’argument réalise le contraire de ce qu’il veut prouver, puisque si le Disciple était le fils de Zébédée, comment n’aurait-il pas acquis une connaissance étendue de la Ville sainte et de la Judée par toutes les tournées qu’il a faites avec Pierre ? 33. R. BROWN, The Gospel and Epistles of John : A Concise Commentary, Collegeville (PA), Liturgical Press, 1988, p. 9.

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c. D’autres candidats pour le Disciple Si le fils de Zébédée n’est pas le disciple bien-aimé, qui peut-il bien être ? On se doute que les tentatives de l’identifier ont été légion. On se bornera à en rappeler quelques-unes. 1. Lazare. – Lazare pourrait être un bon candidat34. Ne fait-il pas partie de ceux que Jésus aimait comme le rappellent plusieurs passages ? Jn 11, 3 : « celui qui tu aimais [ὃν φιλεῖς] est mort » et « Jésus aimait [ἠγάπα] Marthe, et sa sœur et Lazare. » (11, 4) et « voyez comme il l’aimait [ἴδε πῶς ἐφίλει αὐτόν] » (11, 36). Cela permet aussi d’expliquer pourquoi il ne mourra pas jusqu’au retour de Jésus (il est déjà mort), et pourquoi quand il arrive à la tombe vide, il voit les linges (il a déjà l’expérience de la résurrection). La principale difficulté est narrative : pourquoi nous donner son nom pendant sa résurrection et ensuite nous le cacher ? Pourquoi faire apparaître un nouveau personnage en Jn 13, 23 alors qu’on le connaissait déjà sous un autre nom ? Et surtout pourquoi aucune communauté ni aucun texte n’identifieront les deux alors que cela serait si facile ? 2. Jean Marc. – Les arguments en la faveur de cette assimilation sont également nombreux 35. Jean-Marc est de Jérusalem où sa mère possède une maison (Ac 12, 12, après la libération de Pierre : « Il se repéra et gagna la maison de Marie, la mère de Jean surnommé Marc : il y avait là une assez nombreuse assistance en prière. »). Il pourrait être le jeune homme nu de Marc et donc un disciple préféré de Jésus. Puisque les chrétiens se réunissaient chez lui, ce pourrait même être le cénacle. Barnabé son cousin est un Lévite (Ac 4, 36). Pourtant, pourquoi personne, avant les années 1960, n’a-t-il songé à faire cette assimilation si elle était si évidente que cela ? 3. Les autres assimilations. – Le même argument nous défend de rejeter dans le domaine des pures suppositions l’assimilation à Matthias 36 (s’il 34. J. HENDRY, « Lazarus = John ? », Expository Times 32, 1921, p. 474-475. B. G. GRIFFITH, « The Disciple whom Jesus Loved », Expository Times 32, 1921, p. 379-381 ; R. EISLER, The Enigma of the Fourth Gospel, London, Methuen, 1938 ; F. V. FILSON, « Who was the Beloved Disciple », Journal of Biblical Literature 68, 1949, p. 83-88. J. N. SANDERS, « Those Whom Jesus Loved ( John XI, 5) », New Testament Studies 1, 1954, p. 29-41. K. A. EKHARDT, Der Tod des Johannes als Schlüssel zum Verständnis der johanneischen Schriften (Studien zur Rechts- und Religionsgeschichte 3), Berlin, De Gruyter, 1961 propose que « Lazare » soit le surnom donné à Jean de Zébédée après sa résurrection. 35. L’avocat de cette thèse est Pierson Parker : P. PARKER, « John and John Mark », Journal of Biblical Literature 79, 1960, p. 97-110. P. PARKER, « John the Son of Zebedee and the Fourth Gospel », Journal of Biblical Literature 81, 1962, p. 35-43. J. N. Sanders prétend que Lazare est le Disciple mais que Jean-Marc est l’auteur du Quatrième évangile : J. N. SANDERS, « Who Was the Disciple Whom Jesus Loved ? », in F. L. CROSS (éd.), Studies in the Fourth Gospel, London, Mowbray, 1957, p. 72-83. 36. E. L. TITUS, « The Identity of the Beloved Disciple », Journal of Biblical Literature 69, 1950, p. 323-328.

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est le disciple bien-aimé, c’est tout naturellement qu’il remplace Judas), ou au jeune homme riche sous le prétexte que le texte dit que Jésus l’aima (Mc 10, 21) 37. Enfin, faire un parallèle entre l’appel des disciples en Jn et dans les synoptiques et en déduire que le Disciple pourrait être André38 méconnaît largement les différences de construction des deux appels.

2. L’auteur des trois épîtres qui portent le nom de Jean Le fils de Zébédée a été aussi assimilé à l’auteur des épîtres qui sont nommées « épîtres de Jean » 39. Il s’agit d’une dénomination traditionnelle depuis Irénée, qui identifie l’auteur au « disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine. » (Adv. Hær. III, 1, 1). Cette assimilation traditionnelle pose trois questions. 1. Les trois épîtres ont-elles le même auteur que le Quatrième évangile ? – Les arguments favorables ont un certain poids : non seulement ces épîtres comportent des thèmes semblables (la prépondérance de l’amour, le thème de l’enfant…), mais encore une réception très précoce et unanime fait de « Jean » leur unique auteur. Hélas, le beau consensus a été remis en cause par le grand article de C. H. Dodd portant sur la langue des épîtres 40 : l’évangile emploie 23 prépositions alors que les épîtres en comptent 14, 36 participes adverbiaux alors qu’il y en a 10 dans les épîtres, 105 verbes composés contre 9 dans les épîtres. Alors que les épîtres sont très courtes, 39 de leurs termes n’apparaissent pas dans l’évangile. La théologie diffère également : on reconnaît une eschatologie réalisée dans l’évangile contre 37. H. B. SWETE, « The Disciple Whom Jesus Loved », Journal of Theological Studies 17, 1916, p. 371-374. 38. A. B. HULEN, « The Call of the Four Disciple in John 1 », Journal of Biblical Literature 67, 1948, p. 153-157. 39. On trouvera une bibliographie complète dans J. BEUTLER, « Die Johannesbriefe in der neuesten Literatur (1978-1985) », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 25.2, Berlin/New York, de Gruyter, 1988, p. 37733790 et dans K. WENGST, « Probleme der Johannesbriefe », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II 25.2, Berlin/New York, de Gruyter, 1988, p. 3751-3762. Pour la première lettre, nous avons consulté G. GIURISATO, Struttura e teologia della prima lettera di Giovanni (Analecta Biblica 138), Roma, Editrice pontificio Istituto Biblico, 1998. L’auteur y fait, dans la première partie, une recension de tous les commentaires d’importance depuis les Pères de l’Église jusqu’à nos jours. Pour un commentaire détaillé des épîtres, reprend les conclusions de R. E. BROWN, The Epistles of John (Anchor Bible 30), New York, Doubleday, 1982. On citera également G. STRECKER, Die Johannesbriefe (Meyers kritisch-exegetischer Kommentar über das neuen Testament 14), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1989 et de R. A. CULPEPPER, 1John 2John 3John (Knox preaching guides), Atlanta (GA), Knox, 1985 et R. BULTMANN, Die Johannesbriefe (Meyers Kritisch-Exegetischer Kommentar über das Neue Testament 14.7), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964 n’a pas perdu de son actualité. 40. C. H. DODD, « The First Epistle to John and the Fourth Gospel », Bulletin of the John Rylands Library 21, 1937, p. 129-156.

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une eschatologie à venir dans les épîtres ; la mort du Christ est interprétée comme une glorification dans l’évangile et comme une expiation dans les épîtres ; l’Esprit Saint n’est pas nommé Paraclet dans les épîtres. Plutôt que de parler d’un même auteur, on ne peut guère aller plus loin que d’évoquer une même tradition d’origine. 2. Peut-on les rattacher au Disciple et au fils de Zébédée ? – Puisqu’on a largement remis en cause la confusion entre le Disciple et le fils de Zébédée, il nous paraît difficile de l’admettre sur la question de l’attribution des trois épîtres « johanniques ». Faire du Disciple l’auteur des épîtres et de l’évangile en l’assimilant à « Jean l’Ancien », mais en le distinguant de « Jean l’apôtre » 41, pose autant difficultés. Il faudrait en effet d’abord démontrer que « l’Ancien » auteur de 2Jn et 3Jn est aussi auteur de 1Jn. Or, la première épître ressemble davantage à un sermon qu’à une lettre : on a pu ainsi la qualifier de « traité religieux 42 », épître circulaire, lettre préface… Elle est en tout cas d’un genre différent des deux autres épîtres. De grandes différences grammaticales et linguistiques existent également43, qui nous placent dans un contexte d’écriture différent 44 où l’autorité de l’Ancien a été contestée pour une raison inconnue (des « schismatiques » semblent développer une christologie haute que l’Ancien ne supporte pas). On se cantonnera donc à la position prudente de distinguer l’auteur de 2Jn et 3Jn, celui de 1Jn, l’auteur de Jn et enfin le Zébédaïte. 3. Quel est le rapport entre ces écrits ? – Cette position prudente ne doit pas pour autant nous conduire à affirmer que tous ces écrits n’ont rien à voir entre eux. Pour expliquer les différences entre les différents écrits, mais aussi leurs similitudes, les chercheurs ont été conduits à proposer la notion d’« école johannique » ou de « communauté johannique ». Cette idée remonte à 1904, lorsque Johannes Weiß affirma qu’un cercle de disciples s’était constitué autour du presbytre Jean, auteur d’une première version de l’Apocalypse et des épîtres johanniques, qui aurait ensuite rédigé l’évangile, puis, sous Domitien, une seconde version de l’Apocalypse 45. Reprise par Barrett, elle fut relancée au cours des années 1970 par deux chercheurs

41. J. COLSON, L’Énigme du disciple que Jésus aimait (Théologie historique 10), Paris, Beauchesne, 1969. 42. H. WINDISCH, Die Katholischen Briefe (Handbuch zum Neuen Testament 15), Tübingen, Mohr Siebeck, 11911, 21930, p. 86-90. 43. G. STRECKER, « Die Anfänge der johanneischen Schule », New Testament Studies 32, 1986, p. 31-47. 44. J. LIEU, The Theology of the Johannine Epistles (New Testament Theology), Cambridge, Cambridge University Press, 1991. 45. J. WEISS, Die Offenbarung des Johannes : Ein Beitrag zur Literatur- und Religionsgeschichte (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments 3), Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht, 1904, p. 146-164.

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qui présentèrent des options radicalement différentes. O. Cullmann46 parla d’un « cercle » peu structuré qui mêlait les Hellénistes et certains courants « juifs hétérodoxes » qui polémiquaient contre le Temple. R. A. Culpepper fut moins affirmatif sur la question des relations entre l’Apocalypse et le reste de la littérature johannique et refusa de parler uniment d’une « école johannique » 47. La proposition de R. Brown 48 a le mérite de la simplicité et semble avoir de bons soutiens 49. Pour lui, on peut distinguer quatre étapes : la phase de constitution de la communauté, celle de rédaction de l’évangile, celle des dissensions communautaires qui expliquent l’écriture de 1Jn et 2Jn, la phase de rapprochement avec la « Grande Église » qui explique 3Jn. La théorie de R. Brown marqua durablement les études ultérieures sur la communauté johannique en réalisant la synthèse entre plusieurs éléments : (α) la parenté et les différences que l’on peut constater entre les différents écrits ; (β) la complexité rédactionnelle que l’on peut observer au sein du quatrième évangile ; (γ) la différence radicale d’approche entre le quatrième évangile et les synoptiques. Elle a été reprise ainsi, nuancée par G. Strecker qui retrace une évolution entre un chiliasme profondément marqué par les idées d’un judaïsme palestinien et un docétisme contre lequel réagit la Prima Johannis 50. Actuellement, cependant, on a tendance à se montrer un peu plus nuancé. Luke Timothy Johnson, par exemple, fait observer qu’un tel raffinement dans les étapes ne repose que sur quatre textes, bien insuffisants pour localiser et dater autant de milieux rédactionnels absolument inconnus par ailleurs : que se passe-t-il si l’on change l’ordre des rédactions ?, s’interroge-t-il 51. En outre, comme le fait observer Burridge, même si la critique de la première moitié du XXe siècle s’est attachée à multiplier les couches rédactionnelles, la remarquable unité théologique et stylistique du 46. O. CULLMANN, Le Milieu johannique (Le Monde de la Bible 4), Paris/Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1976. 47. R. A. CULPEPPER, The Johannine School (SBL Dissertation Series 26), Missoula (MT), Scholars, 1975. 48. R. BROWN, La Communauté du disciple bien-aimé (Lectio Divina 115), Paris, Cerf, 1983. 49. J. ZUMSTEIN, « Visages de la communauté johannique », in A. MARCHADOUR (éd.), Origine et postérité de l’évangile de Jean : XIIIe congrès de l’ACFEB (Lectio Divina 143), Paris, Cerf, 1990, p. 87-106. A. MAGRI, « Notes sur la réception de l’évangile de Jean au IIe siècle », in G. ARAGIONE, É. JUNOD et E. NORELLI (éds.), Le Canon du Nouveau Testament (Le Monde de la Bible 54), Genève, Labor et Fides, 2005, p. 117-140. 50. G. STRECKER, « Die Anfänge der johanneischen Schule », New Testament Studies 32, 1986, p. 31-47. ID., « Chiliasmus und Doketismus in der johanneischen Schule », Kerygma und Dogma 38, 1992, p. 30-46. 51. L. T. JOHNSON, The Real Jesus : The Misguided Quest for the Historical Jesus, San Francisco, Harper Sans Francisco, 1996, p. 100.

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texte (soulignée aussi par Keener 52) rend les entreprises de découpage – et partant de datation – fort aléatoires 53. Hermann Ridderbos conclut en ironisant : il vaut mieux prendre au sérieux la présentation de l’auteur comme un témoin oculaire, que de se lancer dans des spéculations de datation dans lesquelles aucun spécialiste ne s’accorde avec un autre 54. Quelle que soit l’option prise, le résultat est le même pour ce qui concerne notre enquête. Conformément à ce que nous avons déjà mis en lumière, le fils de Zébédée n’intervient absolument pas dans les reconstitutions distinguant très soigneusement le Disciple, qui est présenté comme la figure tutélaire de la communauté, et les auteurs de 1Jn et 2Jn ainsi que celui de 3Jn. Pour conclure, on peut reprendre les mêmes considérations sur l’anonymat des trois épîtres johanniques que celles que nous avons déjà mises en avant à propos de l’évangile. Comme dans l’évangile, un auteur se met en scène, mais tait délibérément son nom. Soit il ne se présente pas, comme dans 1Jn, soit il s’appelle simplement « l’Ancien ». Le choix de l’anonymat n’est pas uniquement négatif : c’est une technique délibérée pour assurer son autorité. La légitimité, ici, ne découle pas, comme chez Paul par exemple, d’un statut individuel ou d’un appel, mais réside dans un témoignage donné et reçu 55. Vouloir rechercher un auteur à ces lettres et vouloir à tout prix faire une connexion avec le Disciple est d’avance de la peine perdue puisque le texte brouille lui-même les pistes, afin de requérir un autre mode de légitimité.

3. Le visionnaire de l’Apocalypse Il faut enfin faire une mention du visionnaire de l’Apocalypse qui se désigne lui-même comme « Jean ». Qui est-il ? L’interprétation traditionnelle l’identifie évidemment à Jean l’apôtre. On l’a ensuite assimilé à un autre Jean (l’Ancien de 2Jn ?) ou à un autre prophète utilisant « Jean » comme un pseudonyme. La théologie et le style de l’Apocalypse sont assez éloignés de ceux de l’école de Jean. Avec un argument d’une rare élégance confirmé depuis, R. H. Charles 56 montre que deux des termes les plus importants des 52. C. KEENER, The Gospel of John A Commentary, vol. 1, Peabody (MA), Hendrickson, 2003, p. 113. 53. R. A. BURRIDGE, What are the Gospels ? (Society of New Testament Studies Monograph Studies 70), Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 228-233. 54. H. RIDDERBOS, The Gospel According to John : A Theological Commentary, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1997, p. 680-682. 55. J. LIEU, I, II, & III John (The New Testament Library), London/Louisville (KY), Westminster, 2008, p. 9. 56. R. H. CHARLES, The Revelation of saint John (International Critical Commentary), vol. 1, New York, Scribner’s Sons, 1920, p. CXVII-CLIX. La majorité des conclusions de Charles ont été confirmées par J. FREY, « Erwägungen zum Verhältnis

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textes se disent différemment : « agneau » se dit ἀρνίον dans l’Apocalypse et ἀμνός chez Jn tandis que « Jérusalem » se dit Ἱεροσόλυμα chez Jn et Ἰερουσαλήμ dans Ap. Mais certaines parentés demeurent : on reconnaît les thèmes du berger, de la manne, de l’eau vive, de l’eau et la lumière, du vaincre, du suivre, de la tente, du signe, du témoignage, de la vérité. Actuellement, un léger consensus 57 se fait sur la personnalité de ce voyant : il s’agit probablement d’un prophète chrétien d’origine juive, qui fait partie des prophètes itinérants (ce qui permet d’expliquer les lettres). Il est probablement en guerre contre les Nicolaïtes et « Jézabel » (une prophétesse concurrente ?). On suivra les conclusions auxquelles parvient Pierre Prigent après une longue étude en affirmant qu’il appartient au même milieu palestinien que celui qui a rédigé le quatrième évangile et qui s’est ensuite transporté vers l’Asie Mineure – ce qui explique la mention de Patmos 58. L’auteur de l’Apocalypse n’a donc rien de commun avec le fils de Zébédée. Il ne cherche d’ailleurs même pas à se faire passer pour lui. Dans un tel cas, on aurait en effet sans doute parlé de « Jean l’apôtre » et on aurait détaillé sa qualité apostolique. L’auteur du texte se contente de dire qu’il est un serviteur, un croyant, un témoin et celui qui a souffert l’exil pour ce témoignage. C. Bilan 1° le fils de Zébédée, l’apôtre, semble avoir joué un rôle important au sein du groupe des disciples. Nos connaissances sur lui s’arrêtent avec la tournée samaritaine et peut-être même (si on opte pour l’idée que sa présence est adventice dans cette tournée) avec l’épisode du Temple, soit au cours des premières années de la troisième décennie de notre ère. En outre, il est impossible de l’identifier avec certitude avec l’un des auteurs des écrits canoniques. 2° plusieurs personnages portant le nom de Jean semblent avoir coexisté : (α) le Voyant de l’Apocalypse ; (β) le presbytre auteur de 2Jn et 3Jn ; (γ) et, selon l’unanimité de la tradition, le Disciple bien-aimé.

der Johannesapokalypse zu den übrigen Schriften des Corpus Johanneum », in M. HENGEL (éd.), Die johanneische Frage (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 67), Tübingen, Mohr Siebeck, 1993, p. 326-429. 57. D. E. AUNE, « The Social Matrix of the Apocalypse of John », Biblical Research 26, 1981, p. 18-29. R. BAUCKHAM, La Théologie de l’Apocalypse (Théologie), Paris, Cerf, 2006. 58. P. PRIGENT, L’Apocalypse de saint Jean (Commentaire du Nouveau Testament 14), Genève, Labor et Fides, 22000, p. 35.

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3° on connaît l’existence d’un « autre disciple », qui était peut-être d’origine sacerdotale et qui était en tout cas familier du grand prêtre. Il est impossible de savoir s’il peut être assimilé avec le Disciple. 4° si l’on considère les parentés entre les différents écrits johanniques, il est difficile de ne pas penser à une influence réciproque. Si cette influence ne saurait s’expliquer par l’existence d’une « école » sur le modèle des écoles de l’Antiquité, peut-on parler d’un « cercle » ? S’agit-il simplement d’une influence littéraire ? Il est difficile d’être affirmatif. Il est en tout cas clair, en considérant le contenu des écrits johanniques et en tenant compte des nombreux témoignages renvoyant à l’Asie Mineure, que ceux qui se réclamaient de la « mouvance johannique » étaient, à l’origine, issus de mouvements palestiniens, émigrés en Asie Mineure dans la région d’Éphèse à la fin du Ier siècle 59. II. L E S

ÉTAPE S DE L A CONSTITU TION D ’ UNE FIGURE COMPOSITE

Si nous avons pu avec tant d’assurance détacher le fils de Zébédée de tous les auteurs canoniques habituellement placés sous son patronyme et son patronage, c’est que les témoignages les plus anciens n’opèrent pas une telle assimilation. La constitution de la figure de Jean en super-apôtre et écrivain est en effet assez tardive. A. Le

IIe

siècle et les premières assimilations

Au IIe siècle, si l’identification entre le Zébédaïte et l’auteur de l’Évangile n’est pas des plus évidentes, la confusion avec l’auteur de l’Apocalypse semble avérée. Plusieurs témoignages doivent être examinés.

1. Le témoignage de Papias de Hiérapolis Le témoignage de Papias, rapporté par Eusèbe de Césarée, a souvent été invoqué comme fournissant une information très importante sur l’identité de Jean. Voilà ce que dit Papias : Si quelque part venait quelqu’un qui avait été dans la compagnie des presbytres, je m’informais des paroles des presbytres : ce qu’ont dit André ou Pierre, ou Philippe, ou Thomas, ou Jacques, ou Jean, ou Matthieu, ou quelque autre des disciples du Seigneur ; et ce que disent Aristion et le presbytre Jean, disciples du Seigneur. Je ne pensais pas que les choses qui

59. O. BÖCHER, « Johanneisches in der Apokalypse des Johannes », New Testament Studies 27, 1980-1981, p. 310-321. E. LOHSE, « Wie christlich ist die Offenbarung des Johannes ? », New Testament Studies 34, 1988, p. 321-338.

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proviennent des livres ne fussent aussi utiles que ce qui vient d’une parole vivante et durable 60.

Dans ce texte, Papias indique clairement qu’il cherche à se renseigner auprès des presbytres. Qui sont-ils ? J. Munck, après une étude serrée du terme, finit par se ranger à l’hypothèse de John Barber Lightfoot, qui, avec son acribie habituelle le considérait comme un synonyme des « Pères de l’Église de la première génération 61 » : dans ce texte, les « anciens » signifient « autorité et antiquité » 62. Quant aux « disciples », Papias n’en fait pas ici un usage consistant : d’un côté, le terme désigne clairement les Douze, d’un autre côté, il recouvre aussi des personnages différents. Sans doute faut-il revenir à notre analyse du terme μαθητής et nous contenter de ranger dans les « disciples » tous ceux qui ont suivi Jésus, ses disciples personnels. Papias distingue clairement entre les membres des Douze – dont manifestement le fils de Zébédée – qui avaient cessé de parler au moment où il se renseignait (comme l’indique l’aoriste εἶπεν) et d’autres qui n’étaient pas morts (il emploie λέγουσιν au présent qui ne peut pas être rendu par la concordance des temps française), dont un certain « Jean l’Ancien ». Papias affirme ne connaître les traditions que de manière indirecte. Il les obtient de voyageurs qui ont été en contact avec Aristion et Jean l’Ancien ( Jean le Presbytre). C. K. Barrett résumait la chaîne en quatre maillons : les apôtres, les anciens (dont Aristion et Jean), ceux qui avaient fréquenté les anciens, et Papias 63. Peut-on en inférer une connaissance quelconque sur les différents Jean ? Eusèbe poursuit : Ici, il est convenable de remarquer que Papias compte deux fois le nom de Jean : il signale le premier des deux avec Pierre et Jacques et Matthieu et les autres apôtres, et il indique clairement l’évangéliste ; pour l’autre Jean, après avoir coupé son énumération, il le place avec d’autres en dehors du nombre des apôtres : il le fait précéder d’Aristion et le désigne clairement comme un presbytre. Ainsi, par ces paroles mêmes est montrée la vérité de l’opinion selon laquelle il y a eu en Asie deux hommes de ce nom, et il y a, à Éphèse, deux tombeaux qui maintenant encore sont dits ceux de Jean. Il est nécessaire de faire attention à cela, car il est vraisemblable que c’est le 60. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 39, 4, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 154. 61. J. B. LIGHTFOOT, Essays on the Work entitled Supernatural Religion, London, Macmillan, 1889, p. 145. 62. J. MUNCK, « Presbyters and Disciples of the Lord in Papias : Exegetic Comments on Eusebius, Ecclesiastical History III, 39 », Harvard Theological Review 52, 1959, p. 223-243 (236). 63. C. K. BARRETT, The Gospel According To St. John : An Introduction with Commentary and Notes on the Greek Text, Philadelphia (PA), Westminster John Knox Press, 21978.

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second Jean, si l’on ne veut pas que ce soit le premier, qui a contemplé la révélation transmise sous le nom de Jean 64.

La dernière phrase éclaire tout le passage : Eusèbe se sert du témoignage de Papias pour soigneusement distinguer deux Jean, le presbytre et l’apôtre, malgré le soupçon qu’il entretient à son égard, car il le taxe de chiliasme 65. Son but est manifestement de dissiper une interrogation engendrée par la présence de deux tombeaux portant le nom de Jean dans la ville d’Éphèse. Nous autres modernes n’en connaissons à vrai dire qu’un seul. On sait en effet que sur l’une des collines dominant Éphèse, à Ayasoluk – dont le nom provient de Ἅγιος Θεολόγος, le « Saint Théologien » le nom que prendra la ville d’Éphèse dans les sources byzantines –, l’empereur Justinien (527-565) fit bâtir une imposante basilique de marbre sur les fondations d’une basilique constantinienne remontant au IVe siècle. Cette dernière était connue en 384 (selon la chronologie établie par P. Devos 66), puisqu’Égérie conclut son voyage en espérant aller jusqu’à Éphèse, propter martyrium sancti et beati apostoli Iohannis, « à cause du martyrium du saint et bienheureux apôtre Jean 67 ». La tradition veut qu’elle ait été construite sur la cabane qu’habitait l’apôtre dont on parlera par la suite 68. La construction de la grande basilique justinienne – dont on peut actuellement visiter les ruines fouillées par les Autrichiens 69 – est décrite par Procope de Césarée (v. 500-560) comme la rivale de celle des Saints-Apôtres à Constantinople 70. Largement visitée au cours de l’Antiquité, elle devint une mosquée en 1330, puis tomba en ruine. Ailleurs, Eusèbe rappelle : Papias, celui dont nous parlons maintenant, reconnaît avoir reçu les paroles des apôtres par (l’intermédiaire de) ceux qui les ont fréquentés ; il dit d’autre part avoir été lui-même l’auditeur d’Aristion et de Jean le presbytre. En effet, il les mentionne souvent par leurs noms dans ses écrits pour rapporter leurs traditions 71. 64. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 39, 5, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 154-155. 65. R. M. GRANT, « Eusebius and His Church History », in J. REUMANN (éd.), Understanding the Sacred Text. Essays in Honor of Morton S. Enslin on the Hebrew Bible and Christian Beginnings, Valley Forge (PA) Judson, 1972, p. 235-247. 66. P. DEVOS, « La date du voyage d’Égérie », Analecta Bollandiana 85, 1967, p. 165-194. 67. ÉGÉRIE, Itinerarium XXIII, 10. 68. J. FINEGAN, The Archaeology of the New Testament : the Mediterranean World of the Early Christian Apostles, Boulder (CO), Westview, 1981, p. 46-49. 69. ÖSTERREICHISCHES ARCHÄOLOGISCHES INSTITUT (éd.), Forschungen in Ephesos IV, 3 : Die Johanneskirche, Wien, Verlag des Österreichischen Archäologischen Institutes, 1951. 70. PROCOPE DE CÉSARÉE, Sur les Monuments V, 1, 6. 71. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 39, 7, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 159.

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Peut-on tirer une quelconque information de cette citation utilisée dans un but mercenaire ? Détachée de son contexte, sans que l’on puisse savoir ce que Papias avait à dire du Quatrième évangile ou du fils de Zébédée, il est impossible d’en tirer autre chose que l’existence de plusieurs personnages portant le nom de Jean, ce qui est peu surprenant du fait de la fréquence de ce nom dans les sources juives.

2. Le témoignage de Justin de Néapolis Justin de Néapolis († 165) fournit, quant à lui, une information un peu déroutante : D’ailleurs, chez nous, un homme, du nom de Jean, l’un des apôtres du Christ, a prophétisé dans l’Apocalypse qui lui fut faite que ceux qui auront cru à notre Seigneur passeront mille ans à Jérusalem 72.

Ce qui suit le passage est manifestement une allusion à Ap 20, 4-5. Justin n’hésite donc pas à identifier le fils de Zébédée avec l’auteur de l’Apocalypse. Justin ne paraît pas connaître le quatrième évangile, à l’exception de quelques échos dont le plus explicite se trouve dans l’Apologie 73. La critique se divise donc pour savoir si l’auteur du Dialogue avec Tryphon a vraiment eu accès au quatrième évangile 74, ou simplement à un épitomé de textes évangéliques 75, voire à une tradition baptismale indépendante 76. Bref, sa connaissance du quatrième évangile est tout sauf évidente. Comment expliquer que quelqu’un qui a voyagé à Éphèse dans les années 140, qui s’y est même converti avant de se fixer à Rome, ne dise mot de l’évangile et propose une association hasardeuse ? Serait-ce que Justin prend ici le terme ἀπόστολος dans son sens vague, sans le restreindre aux Douze ? Serait-ce que la tradition éphésienne d’une écriture de l’Apocalypse par l’apôtre est la plus ancienne ?

72. JUSTIN DE NÉAPOLIS, Dialogue avec Tryphon 81, 4. ἀνήρ τις, ᾧ ὅνομα Ἰωάννης, εἶς τῶν ἀποστολόλων τοῦ Χριστοῦ, ἐν ἀποκαλύψει γενομένῃ αὐτῷ χίλια ἕτη ποιήσειν ἐν Ἱερουσαλὴμ τοὺς τῷ ἡμετέρῳ Χριστῷ πιστεύσαντας προεφήτευσε, traduction dans P. BOBICHON, Justin, Dialogue avec Tryphon (Paradosis 47.1), Fribourg, Academic Press, 2003, p. 408-409. 73. JUSTIN DE NÉAPOLIS, Apologie I, 61, 4. 74. J. N. SANDERS, The Fourth Gospel in the Early Church : Its Origin and Influence on Christian Theology up to Irenæus, Cambridge, Cambridge University Press, 1943, p. 31. M. HENGEL, The Johannine Question, London/Philadelphia (PA), SCM/ Trinity, 1989, p. 13. 75. C’est l’hypothèse de Lippelt, souvent critiquée : E. LIPPELT, Quæ fuerint Justini Martyris Apomnemoneumata quaque ratione com forma euangeliorum syro-latina cohæserint, Halis Saxonum (Halle), Karras, 1901, p. 35. 76. H. KOESTER, Ancient Christian Gospels : Their History and Development, London, SCM, 1990, p. 257-258.

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3. Le témoignage de l’Apocryphon de Jean Cette dernière hypothèse d’un caractère visionnaire attaché à Jean peut se prévaloir d’un autre texte, l’Apocryphon de Jean. Nommé Livre des Secrets de Jean, on le connaît dans deux recensions ; une recension brève conservée dans le codex de Berlin (BG 2) et dans le codex 3 de Nag Hammadi (NH III, 1) et une recension longue connue par deux manuscrits de Nag Hammadi (NH II, 1 et NH IV, 1) 77. L’original semble être grec. Deux éléments permettent une datation relativement précise : la version longue semble connaître le prologue de l’évangile de Jean 78 et le texte est cité par Irénée de Lyon. Selon les propres termes de Bernard Barc, son commentateur, la recension brève est une sorte de manuel d’initiation à la connaissance du monde intelligible, tandis que la seconde version est un commentaire de cette première version. Dans la recension brève, Jean est le dépositaire des révélations qui sont scénarisées : Cela arriva pendant l’un de ces jours où Jean, frère de Jacques – les fils de Zébédée – était monté à Jérusalem. Alors qu’il était monté au Temple, un pharisien du nom d’Arimanias s’approcha de lui et lui dit : « Où est ton maître, celui que tu suivais ? » Jean lui dit : « Il est retourné dans le lieu d’où il était venu. » Le pharisien lui dit : « Ce Nazôréen vous a entraînés dans l’erreur et vous a empli les oreilles de mensonges. Il a fermé vos cœurs et vous a détournés des traditions de vos pères 79. »

Le texte s’engage dès son début dans une polémique contre le judaïsme pharisien. Arimanias, qui peut être un prête-nom pour Joseph d’Arimathie, mais peut tout aussi bien faire allusion à l’esprit du mal zoroastrien Arhiman 80, jette en effet le trouble dans l’esprit du fils de Zébédée, clairement identifié comme tel. Celui-ci, affligé, roule dans son esprit des questions en se dirigeant vers « la Montagne » (probablement de la Transfiguration), lorsque lui apparaît un Seigneur polymorphe : d’abord enfant, il se fait 77. Les deux versions sont traduites et commentées par B. BARC, EG, p. 201-295. 78. Voir l’introduction de Michel Tardieu : M. TARDIEU, Codex de Berlin (Sources gnostiques et manichéennes 1), Paris, Éditions du Cerf, 1984, p. 26-46. Les conclusions de Tardieu sont révoquées en doute, sans plus de précision par Jean-Daniel Kaestli : J.-D. KAESTLI, « Remarques sur le rapport du quatrième évangile avec la gnose et sa réception au IIe siècle », in J.-D. KAESTLI, J.-M. POFFET, J. ZUMSTEIN (éds.), La Communauté johannique et son histoire (Le monde de la Bible 20), Genève, Labor et Fides, 1990, p. 351-356. En revanche, la position de M. Tardieu est confortée par Jean-Daniel Dubois : J.-D. DUBOIS, « La tradition johannique dans l’Apocryphe de Jean », Adamantius 18, 2012, p. 108-117. 79. BG 19, 6–20, 3, trad. B. BARC, EG, p. 217. 80. S. GIVERSEN, Apocryphon Johannis (Acta Theologica Danica 5), København, Munksgaard, 1963, p. 152.

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ensuite vieillard puis lumière. Cette polymorphie s’expliquera dans la suite du texte, qui identifie lumière, Esprit et vieillard avec la Mère. Celle-ci est la plus ancienne de toutes les puissances, tandis que l’enfant est le Fils. La suite du texte développe le discours du Seigneur qui est le porteparole de la pensée de l’Esprit, tandis que Jean, après l’habituel moment d’effroi, se place dans la position de l’auditeur et, à quelques reprises, du questionneur qui permet la relance du discours. L’épilogue confirme cette position : Aussitôt après avoir confié ce mystère à Jean, le Christ devint invisible pour lui. Alors celui-ci vint vers les disciples, ses compagnons, et commença à leur dire les paroles qui lui avaient été dites par le Sauveur. La révélation secrète de Jean 81.

Le fils de Zébédée devient donc le garant de la révélation du Christ : il en est même à son tour le révélateur pour les disciples. Jean conserve ce rôle dans la recension longue, de façon nettement plus réduite. En effet, si le prologue reprend à la lettre celui de la recension brève, Jean disparaît du texte (à l’exception de deux interventions). Une précision est en revanche ajoutée in fine : « J’ai achevé (de faire entendre) toutes ces choses à tes oreilles. Mais je t’ai (aussi) dit tout cela pour que tu le mettes par écrit et le transmettes en secret à ceux qui partagent le même Esprit que toi, car ce mystère est celui de la génération inébranlable. » Et le Sauveur lui a transmis cela pour qu’il le mette par écrit et le conserve en sécurité. Alors il lui dit : « Maudit soit quiconque échangera ces (paroles) contre un présent ou contre de la nourriture ou contre de la boisson ou contre un vêtement ou quelque chose d’autre du même genre 82. »

Jean n’est ici qu’un gardien de tradition, celui qui met par écrit les paroles du Sauveur, destinées à être conservées dans le plus grand secret. Il est là encore le révélateur, voire le rédacteur de ce qu’il a appris. Cette mise par écrit a un caractère secret : sans doute veut-on ici se distinguer par rapport à l’Apocalypse, qui a, elle, un caractère public. En effet, cette finale se démarque nettement de celle de l’Apocalypse, dont elle reprend avec exactitude le plan. Alors que Ap 22, 10 porte « Puis il me dit : Ne garde pas secrètes les paroles prophétiques de ce livre, car le temps est proche. », on parle ici de transmission en secret et de conservation en sécurité. Alors qu’Ap 22, 17 proclame : « Que celui qui a soif vienne, Que celui qui le veut reçoive de l’eau vive, gratuitement », défense est faite, ici, d’échanger le texte contre de la boisson. S’il est ici une concurrence, c’est bien celle de 81. BG 76, 15–77, 7. 82. EG, p. 295.

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CHAPITRE 5

l’Apocalypse et non celle de l’Évangile ; le Zébédaïte est donc bien assimilé au Voyant et non à l’auteur du quatrième évangile.

4. Le témoignage de l’ Epistula apostolorum On ne citera l’Épître des Apôtres que pour mémoire. Il s’agit un texte datant vraisemblablement des années 160-170. Elle pourrait être originaire de milieux syriens ou asiates, peut-être en lien avec la Nouvelle Prophétie 83. Elle se présente comme une exaltation du rôle des apôtres, alors que menacent les enseignements de Simon et de Cérinthe. En ce qui concerne Jean, la seule particularité est qu’il est nommé en premier, preuve importante sans doute de la faveur dont il jouissait dans certains milieux asiates.

5. Le témoignage d’Irénée de Lyon On a souvent fait remonter à Irénée de Lyon l’assimilation entre le fils de Zébédée et le Disciple, l’auteur du quatrième évangile et celui de l’Apocalypse 84. En réalité, l’auteur du Contre les Hérésies ne fait nullement ces assimilations. 1. Irénée n’identifie pas Jean avec le fils de Zébédée. – Si Irénée parle bien du Quatrième évangile comme de « l’évangile de Jean », il ne dit pas que ce Jean est le frère de Jacques. En effet, une revue précise de toutes les occurrences du prénom « Jean » sur les œuvres d’Irénée montre que celui-ci est toujours désigné comme « le disciple du Seigneur85 », Ioannes Domini discipulus dans le texte latin ou Ἰωάννης ὁ τοῦ Κυρίου μαθητής dans le texte grec. Or Irénée fait un usage consistant des termes « apôtre » et « disciple » : lorsqu’il évoque – beaucoup moins fréquemment – Matthieu, il a bien soin de l’appeler « l’apôtre Matthieu 86 », Matthæus apostolus ou Ματθαῖος ὁ ἀπόστολος et lorsqu’il mentionne Paul, il dit toujours « l’Apôtre », apostolus. La distinction que fait Irénée semble donc montrer qu’il ne considère pas l’auteur de Jn comme un apôtre. 2. Irénée appelle Jean l’auteur du quatrième évangile, l’identifie au Disciple, et donne quelques détails sur sa vie. – Qu’Irénée appelle « Jean » le Disciple et l’identifie à l’auteur du quatrième évangile, cela se voit à l’évidence dans le passage suivant : Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Évangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et 83. Revue des hypothèses et nouvelle proposition dans A. STEWART-SYKES, « The Asian Context of the New Prophecy and of Epistula Apostolorum », Vigiliæ Christianæ 51, 1997, p. 416-438. 84. C. K. BARRETT, The Gospel According To St. John…, p. 124. 85. 15 occurrences : IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær I, 8, 5 ; I, 16, 3 ; II, 2, 5 ; II, 22, 3.5 ; III, 1, 1 ; III, 3, 4.11.16 ; III, 4, 20. 86. Voir par exemple IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. III, 9, 1.

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y fondaient l’Église. Après la mort de ces derniers, Marc, le disciple et l’interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l’Évangile que prêchait celui-ci. Puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l’Évangile, tandis qu’il séjournait à Éphèse, en Asie 87.

Ce texte célèbre confirme ce que nous disions à propos de discipulus : Irénée désigne par là quelqu’un qui a suivi un grand homme, à l’instar de Marc. Le fait qu’il précise qui et supra pectus eius recumbebat montre clairement qu’il s’agit bien du Disciple bien-aimé. Notons que l’auteur de l’Adversus Hæreses ébauche une tradition qui apparaît avec lui : le Disciple, après la Résurrection, serait parti pour Éphèse à une époque qu’il est impossible à déterminer 88. Il aurait ensuite vécu longtemps, comme le confirme Irénée à deux reprises. Ainsi, défendant l’idée que le Christ serait mort à trente-trois ans, il explique : C’est précisément cet âge-là qu’avait notre Seigneur lorsqu’il enseigna : l’Évangile l’atteste, et tous les presbytres d’Asie qui ont été en relation avec Jean, le disciple du Seigneur, attestent eux aussi que Jean leur transmit la même tradition, car celui-ci demeura avec eux jusqu’au temps de Trajan89.

Ainsi, non seulement Jean a-t-il vécu jusqu’au principat de Trajan (98117), mais il était reconnu puisque les anciens d’Asie ont entendu son enseignement. Parmi ces anciens, Irénée compte aussi Papias l’auditeur de Jean 90 : Voici ce que Papias, auditeur de Jean (Johannis auditor), familier de Polycarpe, homme vénérable, atteste par écrit dans le quatrième de ses livres.

Or, chez Eusèbe, Papias disait lui-même ne pas avoir été en relation directe avec Jean le Presbytre. Faut-il supposer une erreur de l’évêque de Lyon ? Faut-il au contraire admettre que Papias a bien été l’auditeur de Jean le Disciple, mais qu’il n’avait connu l’enseignement de Jean le Presbytre que par ouï-dire, ce qui confirme la distinction des deux Jean ? Enfin, Irénée fournit la raison de l’écriture du quatrième évangile : il s’agit d’une machine de guerre contre les gnostiques, et en particulier Cérinthe et les Nicolaïtes.

87. IRÉNÉE, Adv. Hær. III, 1, 1, SC 211, p. 25. 88. Rappelons que si nous en avons déjà parlé, c’était à propos d’un commentaire d’Eusèbe et non à propos d’une déclaration de Papias. 89. IRÉNÉE, Adv. Hær. II, 22, 5, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 294), 1982, p. 225. La deuxième occurrence est Adv. Hær III, 3, 4. 90. IRÉNÉE, Adv. Hær. III, 1, 1, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 211), 1974, p. 25. IRÉNÉE, Adv. Hær. V, 33, 4, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 153), 1969, p. 417.

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CHAPITRE 5

C’est cette même foi qu’a annoncée Jean, le disciple du Seigneur. Il voulait, en effet, par l’annonce de l’Évangile, extirper l’erreur semée parmi les hommes par Cérinthe et, bien avant lui, par ceux qu’on appelle les Nicolaïtes – il s’agit d’une ramification de la Gnose au nom menteur –. Il désirait les confondre 91.

L’hostilité que le Disciple entretient avec Cérinthe est d’ailleurs telle qu’Irénée rapporte une anecdote racontée par Polycarpe : Certains l’ont [Polycarpe] entendu raconter que Jean, le disciple du Seigneur, étant allé aux bains à Éphèse, aperçut Cérinthe à l’intérieur ; il bondit alors hors des thermes sans s’être baigné, en s’écriant : « Sauvons-nous, de peur que les termes ne s’écroulent, car à l’intérieur se trouve Cérinthe, l’ennemi de la vérité 92 ! »

Par ailleurs, Irénée semble faire du même Disciple l’auteur de la Première lettre de Jean : Ces gens-là, le Seigneur nous a dit d’avance de nous en garder, et son disciple Jean, dans son épître déjà citée, nous a prescrit de les fuir 93.

En effet, Irénée a déjà cité 1Jn 2, 18-22. Or, comme il a coutume de nommer Jean le « disciple du Seigneur », il semble clair qu’il songe au Disciple. 3. Irénée appelle Jean l’auteur de l’Apocalypse. – Au livre IV, Irénée appelle « Jean » l’auteur de l’Apocalypse : cela ne pose aucune difficulté, puisque c’est bien ainsi que se désigne son auteur. Or, au livre V, il semble confondre ce « Jean » avec le Disciple : Une révélation plus claire encore, au sujet des derniers temps et des dix rois entre lesquels sera alors divisé l’empire qui domine maintenant, a été faite par Jean, le disciple du Seigneur, dans son Apocalypse94.

On conclura donc qu’Irénée, sans assimiler le Disciple au fils de Zébédée, fait de celui qui s’est penché sur la poitrine de Jésus l’auteur du quatrième évangile, de la Prima Johannis et de l’Apocalypse. Il fonde ainsi toute la tradition. Il fait de « Jean » (1) un homme reconnu en Asie Mineure, où il a émigré pour Éphèse (2), où il semble être mort à un âge fort avancé. Il ajoute (3) que son évangile a été écrit contre une théologie dualiste qu’Irénée condense dans la figure de Cérinthe. 91. IRÉNÉE, 1974, p. 139. 92. IRÉNÉE, 1974, p. 43. 93. IRÉNÉE, 1974, p. 319. 94. IRÉNÉE, 1969, p. 325.

Adv. Hær.

III,

11, 1, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 211),

Adv. Hær.

III,

3, 4, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 211),

Adv. Hær.

III,

16, 8, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 211),

Adv. Hær. V, 26, 1, trad. A. ROUSSEAU et L. DOUTRELEAU (SC 153),

JEAN, LE GRAND HOMME ET SES HOMONYMES

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6. Le témoignage de Polycrate d’Éphèse Polycrate, évêque d’Éphèse entre 189 et 198, ajoute un élément supplémentaire sur la présence johannique à Éphèse dans une lettre, conservée dans Eusèbe de Césarée, qu’il adressa au pape Victor de Rome : De grands astres se sont en effet couchés en Asie, qui se relèveront au dernier jour, à la parousie du Seigneur, lorsqu’il viendra du ciel avec gloire et qu’il cherchera tous les saints, Philippe un des douze apôtres qui repose à Hiérapolis, ainsi que deux de ses filles qui ont vieilli dans la virginité ; et son autre fille, après avoir vécu dans le Saint-Esprit, est ensevelie à Éphèse. Jean lui aussi, celui qui a reposé sur la poitrine du Seigneur, qui a été prêtre et a porté le petalon, qui a été martyr et didascale, repose à Éphèse 95.

De quel Jean parle Polycrate ? Et que signifie ὃς ἐγενήθη ἱερεὺς τὸ πέταλον πεφορεκὼς, « qui a été prêtre et a porté le petalon » ? Comment le fils de Zébédée pourrait-il être de race sacerdotale (ἱερεύς) et comment expliquer qu’il aurait porté la lame d’or qui est l’un des éléments distinctifs du vêtement du grand prêtre, le tsits (cf. Ex 28, 36), puisqu’on n’a pas de trace dans les écrits rabbiniques qu’un autre que le grand prêtre ait porté cette lame 96 ? Robert Eisler a tiré de ce passage, l’hypothèse, extrêmement ingénieuse 97, que le Jean en question serait en fait le Jean que mentionne Ac 4, 6 (« Il y avait là Anne le grand prêtre, Caïphe, Jean, Alexandre [Ἅννας ὁ ἀρχιερεὺς καὶ Καιάας καὶ Ἱωάννης καὶ Ἁλέξανδρος] et tous les membres des familles pontificales. »). Avec un certain Hugo Delff 98 qu’il considère comme le « père » de cette idée, Eisler assimile ce presbytre avec le Jean fils d’Anne (Ἀνανίου Ἰωάννης) dont parle Flavius Josèphe 99. Il suppose alors qu’il se serait converti et serait devenu le Disciple et l’Ancien, auteur des lettres de Jean et de l’Apocalypse. Aussi séduisante soit-elle, cette hypothèse est un peu aventurée. En effet, remarquons que Polycrate – qui se garde bien de nommer Jean apôtre, comme il le fait de Philippe qu’il appelle « l’un des Douze » – appelle l’Ancien « martyr » alors que toutes les traditions affirment que le Disciple serait mort dans la paix. En outre, on peut se demander quel crédit apporter à son témoignage alors qu’il confond Philippe le diacre et Philippe l’apôtre.

95. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 31, 3, 1, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 141. 96. M. JASTROW, A Dictionary of the Targums, the Talmuds Babli and Yerushalmi and the Midrashic Literature, New York/Berlin/London, 1926, col. 1279-1290. 97. R. EISLER, The Enigma of the Fourth Gospel, London, Methuen, 1938, p. 39-46. 98. H. DELFF, Das vierte Evangelium ; ein authentischer Bericht über Jesus von Nazareth, wiederhergestellt, übersetzt und erklärt, Husum, Delff, 1890. 99. FLAVIUS JOSÈPHE, Bell. Jud. II, 538.

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Pour rendre compte du témoignage de Polycrate, le plus simple consiste à postuler l’existence d’un autre Jean, qui a été martyr et qui fut peut-être de race sacerdotale. À son propos, l’évêque d’Éphèse pioche alors sans trop de discernement dans le livre de l’Exode une référence qu’il maîtrise mal à propos du tsits.

7. Le témoignage du Canon de Muratori Nous invoquons ensuite le canon de Muratori en supposant qu’il a une origine ancienne. En effet, ce manuscrit latin (du VIIIe siècle) de la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, et publié en 1740 par Muratori pourrait dater, selon J. Verheyden de la fin du IIe siècle ou du début du IIIe siècle. Sa référence au caractère récent du Pasteur d’Hermas plaide pour une élaboration de la liste au IIe siècle, tandis que le renvoi à la liste close des prophètes et des apôtres sous-entend que la crise montaniste a déjà eu lieu 100. Voilà ce qu’il dit de Jean : Le quatrième des Évangiles, de Jean, l’un des disciples. À ses condisciples et aux évêques qui l’exhortaient, il dit : « Jeûnez avec moi aujourd’hui un triduum, et tout ce qui sera révélé, nous nous le raconterons les uns aux autres. » La même nuit, il fut révélé à André, l’un des apôtres, qu’avec l’assentiment de tous, Jean, en son nom, décrirait toutes choses. C’est pourquoi, il est possible que les principes enseignés par chacun des livres des évangiles soient divers, cependant ils ne diffèrent en rien pour la foi des croyants, puisque c’est par un esprit unique et principal que toutes choses sont proclamées : ce qui concerne la nativité, la passion, la résurrection, le discours à ses disciples et sa double venue, la première, méprisée, qui a eu lieu dans l’humilité, la seconde, glorieuse, qui aura lieu avec la puissance royale. Ainsi quoi d’étonnant, si Jean profère avec tant de constance chacune de ces choses dans ses lettres, disant de lui-même : « Ce que nous avons vu de nos yeux, et avons entendu de nos oreilles, et que nos mains ont touché, ces choses nous vous les avons écrites. » Ainsi, en effet, il ne se confesse pas seulement voyant, mais aussi auditeur et aussi écrivain, dans l’ordre, de toutes les choses merveilleuses du Seigneur 101. 100. J. VERHEYDEN, « The Canon Muratori. A Matter of Dispute », in J.-M. AUWERS et H. J. DE JONGE (éds.), The Biblical Canons (Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium 163), Leuven, University Press/Peeters, 2003, p. 487-556. 101. 9quarti euangeliorum iohannis ex decipolis. 10cohortantibus condescipulis et eps suis 11dixit conieiunate mihi odie triduo et quid12cuique fuerit reuelatum alterutrum 13 nobis ennarremus eadem nocte reue14latum andreæ ex apostolis ut recognis15centibus cuntis iohannis suo nomine 16cuncta describeret et ideo licet uaria sin17culis euangeliorum libris principia 18doceantur nihil tamen differt creden19tium fidei cum uno ac principali spu de20clarata sint in omnibus omnia de natiui21tate de passione de resurrectione 22 de conuersatione cum decipulis suis 23ac de gemino eius aduentu 24primo in humilitate dispectus quod fo25it secundum potestate regali… pre26clarum quod foturum est quid ergo 27 mirum si iohannes tam constanter 28sincula etia in epistulis suis proferam 29dicens in

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Nous avons déjà mentionné ce passage à propos d’André en nous interrogeant sur cette proximité avec l’Asie Mineure. Nous pouvons maintenant nous questionner sur le sens de cet épisode également conservé chez Victorin de Pettau († 304) 102. Pourquoi Jean se refuse-t-il à écrire ses souvenirs, pourquoi faut-il qu’il y ait un songe et pourquoi est-ce André qui doit confirmer la mission qui lui est allouée ? N’est-ce pas parce que Jean est décrit comme ex decipolis, « l’un des disciples », donc l’un de ceux qui suivaient Jésus, tandis qu’André est clairement présenté comme ex apostolis, l’un des apôtres 103 ? Non sum dignus clamait le disciple. L’épisode appose un visa d’apostolicité sur le quatrième évangile : même s’il a été rédigé par l’un des disciples, il a été ratifié par l’un des apôtres. À la fin du IIe siècle, l’identité apostolique de l’auteur du quatrième évangile n’est toujours pas établie. En revanche, puisque le texte cite la Prima Johannis, il est clair pour l’auteur du texte que cette dernière est de la même main que l’évangile.

8. Bilan Lorsqu’on passe en revue les témoignages les plus anciens concernant la personnalité de Jean, on s’aperçoit que les assimilations, que l’on considère souvent comme précoces, sont beaucoup plus tardives qu’il n’y paraît. Si l’attribution de l’évangile à un « disciple » nommé Jean, souvent assimilé au Disciple, est toujours prégnante, force est de constater que l’assimilation de ce disciple à l’apôtre n’est pas acquise. Des siècles d’habitudes de lecture ne doivent pas nous faire prendre pour synonymes des termes que les évangiles distinguent soigneusement : μαθήτης n’est pas ἀποστόλος, le Zébédaïte n’est pas confondu avec le disciple bien-aimé. Jusqu’à la fin du IIe siècle, si le Disciple semble toujours déclaré comme l’auteur de l’évangile, il n’est pas assimilé à l’apôtre, même s’il est parfois nommé Jean. Il faut donc postuler que le Disciple se nommait lui aussi Jean, ce qui justifierait l’obsédante précision des évangiles pour nommer semeipsu quæ uidimus oculis 30nostris et auribus audiuimus et manus 31nostræ palpauerunt hæc scripsimus uobis 32sic enim non solum uisurem sed et auditorem 33sed et scriptore omnium mirabiliu dni per ordi34nem profitetur. G. M. HAHNEMAN, The Muratorian Fragment and the Development of the Canon (Oxford Theological Monographs), Oxford, Oxford University, 1992, p. 5-7. 102. VICTORIN DE PETTAU, Commentaire sur l’Apocalypse XI, 1, éd. M. DULAEY (SC 423), 1997, p. 92. Iohannes euangelium postea conscripsit. cum essent Valentinus et Cerinthus et Ebion et cetera scola Satanæ sparsa per orbem, conuenerunt ad illum [sc. Iohannem] de finitimis ciuitatibus episcopi et compulerunt eum, ut ipse testimonium conscriberet in Dominum. « Après cela l’évangéliste Jean consigna par écrit [la vie de Jésus]. Alors que Valentin, Cérinthe, Ébion et les autres écoles de Satan se répandaient à travers le monde, des évêques venus de cités des frontières convergèrent et le pressèrent d’écrire lui-même son témoignage sur le Seigneur. » 103. Le fait est remarqué par G. M. HAHNEMAN, The Muratorian Fragment…, p. 188 mais n’est commenté que comme une interpolation de la présence d’André dans la légende de Jean. Cela n’explique pas la différence de dénomination.

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l’apôtre « le fils de Zébédée ». Le statut des lettres varie, mais il semble qu’un mouvement se dessine pour les attribuer au Disciple. Celui-ci, selon plusieurs témoignages concordants, est rapproché de la ville d’Éphèse. On remémore la longueur de sa vie, qu’il aurait achevée à la fin du IIe siècle. Il se voit parfois assimilé à l’auteur de l’Apocalypse. La même ville d’Éphèse, à en croire Polycrate et la confirmation qu’en donne Eusèbe (mais est-ce simplement une erreur de Polycrate qu’Eusèbe cherche à comprendre ?), possédait deux tombeaux portant le nom de Jean, dont l’un était celui d’un martyr auquel se rattachait une tradition de prêtrise. En revanche, s’il est une assimilation qui doit être faite, c’est celle du Disciple avec un pourfendeur d’hétérodoxie. Nous suivons en cela les conclusions de Charles Hills et de Titus Nagel 104 (reprenant celles de F.-M. Braun 105) : les Pères ne pratiquent pas la « jeannophobie » qu’exigerait un consensus fondé par Bauer 106 et Sanders 107, renforcé par Schnackeburg 108 et Haenchen 109 et consacré par Hengel 110 et Culpepper 111. En effet, bien loin de se méfier d’un évangile qu’ils auraient considéré comme « gnostique » ou « docète 112 », ils le prennent massivement comme une arme contre les docètes et les gnostiques. Aussi son auteur, le Disciple, est-il souvent associé à la lutte contre les ennemis, souvent incarnés par Cérinthe.

104. C. H. HILLS, The Johannine Corpus in the Early Church, Oxford, Oxford University Press, 2004. T. NAGEL, Die Rezeption des Johannesevangeliums im 2. Jahrhundert. Studien zur vorirenäischen Aneignung und Auslegung des viertens Evangeliums in christlicher und christlich-gnostischer Literatur (Arbeiten zur Bibel und ihrer Geschichte 2), Leipzig, Evangelische Verlaganstalt, 2000. 105. F.-M. BRAUN, Jean le Théologien et son évangile dans l’Église ancienne (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1959, p. 290-296. 106. W. BAUER, Rechtgläubigkeit und Ketzerei in ältesten Christentum, 1934, trad. fr. : Orthodoxie et Hérésie aux débuts du christianisme (Patrimoines christianisme), trad. P. VUAGNAT, C. et S. C. MIMOUNI, Paris, Cerf, 2009. 107. J. N. SANDERS, The Fourth Gospel in the Early Church : Its Influence on Christian Theology up to Irenaeus, Cambridge, Cambridge University Press, 1943. 108. R. SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium (Herders Theologischer Kommentar zum NT 4), Freiburg, Herder, 1965. 109. E. HAENCHEN, John : A Commentary on the Gospel of John (Hermeneia), trad. R. W. FUNK, Philadelphia (PA), Fortress, 1984. 110. M. HENGEL, The Johannine Question, London/Philadelphia (PA), SCM/ Trinity, 1989. 111. R. A. CULPEPPER, John the Son of Zebedee, the Life of a Legend…. 112. Le Quatrième évangile a été lavé de tout soupçon de docétisme par J.-M. SEVRIN, « Le quatrième évangile et le gnosticisme : questions de méthode », in J.-D. KAESTLI, J.-M. POFFET, J. ZUMSTEIN (éds.), La Communauté johannique et son histoire (Le Monde de la Bible 20), Genève, Labor et Fides, 1999, p. 251-268.

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B. Le

IIIe

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siècle et la construction du « super-apôtre »

Si la tradition la plus ancienne répugne à assimiler le disciple et l’apôtre, cette assimilation semble acquise au cours du IIIe siècle : Jean devient la figure composite que l’on connaît. Dans ce processus, les Actes de Jean (CANT 215 = BHG 900-909) jouent un rôle essentiel, aux côtés de quelques témoignages patristiques.

1. Les Actes de Jean : un apôtre spirituel Les Actes de Jean (CANT 215 = BHG 900-909), parfois désignés comme Ψευδεπίγραφοι περίοδοι τῶν ἁγίων ἀποστόλων, qui ont été édités par Éric Junod et Jean-Daniel Kaestli 113, nous ont été conservés de manière lacunaire, mais par de nombreux manuscrits 114. On connaît des manuscrits indépendants de toute autre tradition (le ms. de Vienne hist. Gr. 63 et le P. Oxy. 850), ainsi que des réécritures multiples comme les Actes de Jean du Pseudo-Prochore, les Actes de Jean à Rome, les Virtutes Iohannis, le Liber Flavus irlandais. On a conservé quelques citations dans l’Épître latine du Ps.-Tite et dans les Acta du concile de Nicée II. Le livre est mentionné par Eusèbe (Hist. Eccl. III, 25). Il est condamné en 787 à Nicée comme blasphématoire. En effet, lors du concile de Hiéra (754) qu’ils avaient dominé, les iconoclastes l’avaient invoqué à propos de l’épisode du portrait que Jean refuse que l’on fasse de lui (chap. 26-29) : leur défaite sonna le glas du respect qu’on pouvait avoir pour le texte. On sait que le texte fut massivement utilisé par les Manichéens et les encratites (Priscillien, etc.)115. Mais puisque la tradition postérieure a largement repris ses données, il est évident qu’il était connu aussi dans l’Église majoritaire. Didyme l’Aveugle l’utilise sans réserve dans son Commentaire sur Zacharie 116. Ce texte, qui connut manifestement une assez grande ferveur, mais que sa grande taille rendait difficile à conserver dans son entièreté, est un texte dont il est malaisé de décrire l’origine. On peut laisser la parole à ce qu’en disent ses éditeurs :

113. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis… 114. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, « Le dossier des “Actes de Jean” », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.6, Berlin/New York, De Gruyter, 1988, p. 4293-4362. 115. Le dossier de l’usage des Acta Iohanni chez les hérétiques a été étudié par T. ZAHN, Acta Ioannis unter Benutzung von C. v. Tischendorf ’s Nachlaß, Erlangen, Deichert, 1880, p. 195-218. L’histoire de la réception du texte a été décrite par É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, L’Histoire des Actes apocryphes des Apôtres du III e au IX e siècle : le cas des Actes de Jean (Cahiers de la revue de théologie et de philosophie 7), Genève/Lausanne/Neuchâtel, Revue de Théologie et de Philosophie, 1982. 116. DIDYME L’AVEUGLE, Commentaire sur Zacharie IV, 205-210, éd. J. DOUTRELEAU (SC 85), 1962, p. 908-911.

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CHAPITRE 5

Comment, en revanche, commenter un texte, tel que les A [ctes de] J [ean], qui écarte toute référence à des écrivains ou à des textes connus ainsi qu’à des doctrines repérables dans des traités religieux ou philosophiques. De surcroît, l’auteur des AJ ne semble combattre personne. Enfin, il rapporte des faits et il met en scène des personnages dont la réalité est plus littéraire qu’historique. Ce texte simple, dépourvu de tout langage technique le rattachant à un courant de pensée précis, est manifestement conçu pour se suffire à lui-même. Il ne renvoie ni à une Écriture, ni à une règle de foi, ni à une histoire ou à des mythes supposés connus des lecteurs, ni à un quelconque enseignement donné en dehors de lui. Ses références restent strictement internes […]. Il est permis, à propos de notre texte, de parler de littérature populaire, si l’on veut indiquer par là, non pas une origine populaire, mais une destination 117.

Enfin, précisons que les Actes de Jean, selon E. Junod et J.-D. Kaestli 118, occupent une place à part dans les actes apocryphes, car ils semblent à l’origine de toute la tradition qui suit, puisqu’ils influencèrent les Actes de Pierre et d’André, qui influencèrent à leur tour ceux de Thomas. a . Examen des Actes de Jean Le texte raconte les déplacements de Jean en Asie Mineure en de nombreux épisodes. Il commençait probablement par 17 chapitres qui n’existent plus et qui contenaient soit un envoi en mission, soit une conversion à la virginité comme une allusion du chap. 113 le laisse entendre. Les chap. 18-36 décrivent un voyage de Milet à Éphèse donnant lieu à de nombreuses péripéties (histoire de Lycomède et Cléopâtre, anecdote du portrait et guérisons de vieilles femmes au théâtre d’Éphèse). Puis vient une nouvelle lacune, qui terminait probablement l’histoire des vieilles femmes et commençait celle de Drusiane et Andronicus. Les éditeurs proposent d’intercaler un long discours de Jean aux frères, conservé dans les chap. 87 à 105, qui pourrait être placé après le chap. 36. Les chap. 37-55 décrivent la fin du premier séjour éphésien et les miracles qui s’y passent. On se transporte ensuite à Smyrne (chap. 56-57) où l’on assiste à la guérison des fils d’Antipatros. Enfin, les chap. 58-86 puis 106-115 décrivent un second séjour à Éphèse, se terminant par la mort de l’apôtre. Le récit est composite. Les chap. 94-102 et 109 contiennent un passage d’origine gnostique, où on lit un discours de révélation destiné à donner une connaissance particulière. On retrouve les thèmes de la connaissance

117. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 425-426. 118. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, L’Histoire des Actes apocryphes des apôtres des IIIe au IXe siècles : le cas des Actes de Jean (Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie 7), Genève, Labor et Fides, 1982, p. 36.

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et de la souffrance. Il s’agit probablement d’une gnose valentinienne : on y reconnaît l’interprétation mythique de la croix comme limite qui sépare les deux mondes, et la danse des figures divines 119. Le reste ressemble à un ouvrage non ésotérique de facture populaire. Le message religieux est assez simple, sans référence à l’Écriture, ce qui nous oriente vers une religion spiritualisée destinée à convaincre le paganisme grec. Tout naturellement, on fait usage des ressorts classiques de l’apologétique ; par exemple, le miracle n’est vu que comme un moyen de pousser à la conversion 120. Jan Bremmer avait remarqué que la place des femmes, comme souvent dans les actes apocryphes, y est assez importante. Faute de preuves, on ne saurait le suivre pour le voir comme un texte issu d’un milieu féminin 121. En revanche, on s’accordera avec lui pour penser que le rôle qu’il fait jouer aux femmes prouve que les femmes constituent une cible de choix à la prédication des auteurs de ce texte. Mais on peut tout aussi bien admettre, comme on l’a fait à propos des Actes d’André, que c’est la subversion du modèle social qui est visé, et non la volonté de faire une place plus grande aux femmes 122. Tous ces éléments rendent difficile l’identification de l’origine précise du texte 123. Toute communauté d’origine païenne cultivée et récemment convertie peut faire figure de candidate. La date est certainement assez ancienne ( IIe-IIIe siècles), car les attestations d’utilisation peuvent remonter au IVe siècle 124. Il est exclu de la localiser à Éphèse, car manifestement l’auteur ne connaît rien à la ville. Un terme grec rare, δικρόσσιον, « chemise à double frange » semble être propre à l’Égypte et aux régions environnantes et pourrait donner une ébauche de localisation. On peut également citer les traditions sur Jean rapportées par Clément que l’on étudiera par la suite, 119. G. P. LUTTIKHUIZEN, « A Gnostic Reading of the Acts of John », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of John (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 1), Kampen, Kok Pharos, 1995, p. 119-152. Le caractère gnostique avait été remarqué par É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, L’Histoire des Actes apocryphes…, p. 581-677. 120. J. BOLYKI, « Miracles Stories in the Acts of John », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of John (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 1), Kampen, Kok Pharos, 1995, p. 15-32. 121. J. BREMMER, « Women in the Apocryphal Acts of John », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of John (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 1), Kampen, Kok Pharos, 1995, p. 37-53. 122. A. S. JACOBS, « A Family Affair : Marriage, Class, and Ethics in the Apocryphal Acts of the Apostles », Journal of Early Christian Studies 7, 1999, p. 105-138. 123. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 680-702. 124. Voir la copieuse notice de K. SCHÄFERDIECK, « The Acts of John », in W. SCHNEEMELCHER (éd.), New Testament Apocrypha, vol. 2, trad. R. MCL. WILSON, Louisville (KY), Westminster John Knox, 42003, p. 152-167. Voir également ID., « Herkunft und Interesse der alten Johannesakten », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 74, 1983, p. 247-267.

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l’absence d’intérêt pour les miracles propres à Clément et à Origène ainsi que la présence du thème de la polymorphie, souvent originaire d’Égypte. Il convient de prendre également en considération le discours sur la polymorphie divine, qui ne nous indique pas forcément une origine gnostique, comme l’ont montré des études récentes 125, et qui doit être nuancé en ce qu’il semble plutôt s’agir de métamorphoses 126, mais qui peut nous orienter aussi vers l’Égypte connue pour sa prédilection envers ce thème. b. La figure de l’apôtre Jean dans les Acta Iohannis Le texte étant plutôt composite, il est assez difficile de dégager une figure parfaitement cohérente. On peut néanmoins repérer plusieurs constantes. 1. Le rôle de l’apôtre comme catalyseur. – Les Actes de Jean sont conçus comme une sorte de marche forcée dans laquelle l’apôtre est sans cesse sollicité pour rester – par les fidèles – et sans cesse poussé en avant – par des visions divines ou la volonté propre de l’apôtre 127. Cela indique le rôle que doit jouer l’apôtre dans l’histoire selon le (ou les) rédacteur(s). Lorsque l’apôtre part, c’est pour réaliser des conversions : il est donc l’accélérateur de la transmutation vers la foi, celui qui met en route des fidèles qui sont parfois déjà nommés « serviteurs du Christ », et donc qui ont été déjà évangélisés. Lorsque l’apôtre reste, c’est pour affermir dans la foi, ce qu’il réalise par des discours (comme celui sur la polymorphie du Christ, 88) et des liturgies (46), mais aussi par sa simple présence. Un portrait de lui suffit à affermir les frères (28-29), un contact suffit à apaiser (62), il règle en quelques instants les questions que les personnages officiels ne parviennent pas à résoudre (37, 45, 55, 58) 128. Jean dégage une sorte de mana, une 125. Le thème de la polymorphie du Christ a donné lieu à une abondante biographie que l’on trouve résumée et analysée dans F. J. PRIETO FERNÁNDEZ, Las Figuras cambiantes de Jesús en la literatura cristiana antigua (Plenitudo Temporis 10), Salamanca, Publicaciones Universidad Pontificia, 2009. 126. P. J. LALLEMAN, « Women in the Apocryphal Acts of John », in J. BREMMER (éd.), The Apocryphal Acts of John (Studies on the Apocryphal Acts of the Apostles 1), Kampen, Kok Pharos, 1995, p. 97-118. 127. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 429-431. 128. On peut y lire une critique en creux du système de gouvernement impérial ainsi qu’une rivalité entre Smyrne et Éphèse comme l’a montré E. PLÜMACHER, « Apostolische Missionsreise und statthalterliche Assisetour. Eine Interpretation von Acta Johannis c. 37 ; 45 ; 55 und 58, 1-6 », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 85, 1994, p. 259-278 [Republié dans ID., Geschichte und Geschichten (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 170), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, p. 207-228]. On retrouve, selon l’auteur, une partie de la même polémique dans le θεὸς ἄφθονος du chap. 55 : E. PLÜMACHER, « Der θεὸς ἄφθονος von Acta Johannis 55 und sein historischer Kontext », in D. WYRWA (éd.), Die Weltlichkeit des Glaubens in der Altenkirche (Beihefte zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 85), FS E. WICKERT, Berlin, Akademieverlag, 1997, p. 249-301 [Republié dans ID., Geschichte und Geschichten (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 170), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004, p. 229-273]

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puissance bienfaisante, qui agit sans qu’il ait à intervenir : il est bien cette sorte de catalyseur qui fait qu’une opération de transformation s’opère par sa simple présence. 2. Un apôtre subordonné au Seigneur. – Tout au long du texte, on s’aperçoit que Jean n’est maître de rien. Tout se fait à travers lui, comme le prouve l’utilisation extensive de la construction δία + génitif. Les miracles, les conversions, les hauts faits s’opèrent « à travers lui », mais c’est toujours Dieu qui agit. Aussi refuse-t-il systématiquement qu’on lui voue un culte (25). Il l’indique d’ailleurs lui-même avec une clarté remarquable : Si j’ai été envoyé, ce n’est pas pour une mission humaine ni pour un voyage sans objet. Je ne suis pas non plus un marchand occupé de ventes et d’échanges. Mais vous convertir tous, vous qui êtes dominés par l’incrédulité et vendus à des désirs honteux, vous arracher à l’égarement, voilà ce que veut faire par mon intermédiaire celui que j’annonce, Jésus Christ 129.

Celui qui possède la volonté, c’est Jésus Christ, celui qui a un plan, c’est lui. Et il agit δι᾽ ἐμοῦ, « par mon intermédiaire ». L’apôtre n’est qu’un « envoyé », comme l’indique la répétition ἀπέσταλμαι ἀποστλήν, (mot à mot, « j’ai été missionné pour une mission »). Il n’est qu’un médiateur. La marque de cette soumission à Dieu se révèle dans le pouvoir divinatoire dont l’apôtre est gratifié 130. Comme Jésus connaissant à l’avance la maladie de Lazare, Jean est capable de prédire la mort de Cléopâtre (chap. 24) et celle de Fortunatus (chap. 86) ; comme son maître reconnaissant les démons, il est capable de les discerner dans le parricide (chap. 49) ; comme Jésus sondant les reins et les cœurs, il sait les pensées cachées du parent du prêtre (chap. 46-47). Sa soumission à Dieu se révèle également dans son pouvoir de guérison qu’il déclare tenir lui-même du Christ, médecin des âmes et des corps. Le thème du Christus medicus, s’il n’atteint pas les raffinements de la pensée d’un Origène 131, sert ici à une imitatio Christi. Comme souvent cette imitatio Christi en vient à devenir une personnification. L’apôtre n’agit pas seulement in persona Christi, il est le Christ lui-même. Ceci s’explique par la théologie du texte qui réalise l’identification entre Dieu et Jésus. Tout au long du texte, on constate qu’il n’y a pas de distinction entre le Père et le Fils et pas d’Incarnation ou de Résurrec129. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 1, p. 184-185. 130. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 510-511 l’attribuent au θεῖος ἀνήρ alors que nous avons tendance à y voir une imitatio Christi. 131. A. VON HARNACK, Medizinisches aus der ältesten Kirchengeschichte (Texte und Untersuchungen 8.4), Leipzig, Hinrichs, 1892, p. 125-147. G. DUMEIGE, « Les Christ médecin dans la littérature chrétienne des premiers siècles », Rivista di archeologia cristiana 48, 1972, p. 115-141. Un examen du thème chez les Pères et dans l’art a été réalisé par M. DULAEY, Symboles des évangiles (Ier-VIe siècles) : le Christ médecin et thaumaturge (Références), Paris, Le Livre de Poche, 2007.

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tion. Cela laisse donc libre cours à un déplacement d’accent : au Fils sont données les caractéristiques du Père, et à l’apôtre sont données celles du Fils. Par transitivité, les proches de l’apôtre (et du coup tous les lecteurs) doivent donc se considérer comme des apôtres eux-mêmes. 3. Le titre apostolique comme garant de la tradition. – Le discours sur la polymorphie du Christ (chap. 87-93) permet de dégager un autre aspect de la figure de Jean : le fait qu’il soit apôtre. En effet, Jean est le seul garant de ce qu’il a vu des figures changeantes de Jésus. Toutefois, cette autorité n’a de valeur que parce qu’elle est partagée : c’est bien parce qu’il a été choisi que Jean est en mesure de rendre témoignage, d’annoncer, d’expliquer. Son témoignage est fondé sur un collectif qui joue le rôle de tradition. Au chap. 112, il en vient même à dire que le Christ « s’est manifesté par l’intermédiaire de [s]es apôtres » (ὁ δείξας ἑαυτὸν διὰ τῶν ἀποστόλων σου). 4. Le prédicateur ascétique et virginal. – Dans les Actes de Jean apparaît l’un des thèmes les plus populaires concernant l’apôtre : sa virginité et son mépris de la sexualité. Si on peut en trouver de nombreuses preuves tout au long du texte, les indices les plus manifestes se trouvent dans le discours d’adieu dans lequel l’apôtre se déclare καθαρὸν καὶ ἀθιγῆ μίξεως γυναικείας, pur et vierge de toute union avec la femme. Il explique ensuite (chap. 113) comment il a failli se marier trois fois et comment trois fois le Seigneur est intervenu. Il en devient même aveugle et, lorsqu’il est guéri, se rend compte que la vue d’une femme est insupportable. 5. Une mort paisible. – La mort de l’apôtre est parfois considérée comme un texte à part (CANT 215.2 = BHG 910-913d), car elle est aussi connue de manière autonome en syriaque (BHO 475), en copte (BHO 476), en arabe (BHO 477 et 479), en éthiopien (BHO 478), en arménien (BHO 474) et en géorgien. Elle est des plus étranges. Alors que toutes les autres morts d’apôtres se font dans un martyre, Jean meurt tranquillement. L’auteur n’a pas pour autant renoncé à la longue habitude des discours d’adieu. Sans que le lecteur s’y attende, Jean est donc atteint brutalement de logorrhée et enchaîne les prières, les souvenirs, les recommandations. Il prend l’eucharistie, puis court se faire creuser une fosse dans laquelle il s’endort : παρέδωκε τὸ πνεῦμα χαίρων, « il rendit l’esprit dans la joie ». La mort n’est donc pas une épreuve, mais une joie, et on assiste à ce trépas dans une totale indifférence pour la mort du corps, dont on ne sait rien 132. Nulles funérailles, nulle déploration. L’ascétisme qui a touché Jean dans sa vie le rejoint encore dans sa mort.

2. Le début d’un processus de canonisation de l’apôtre Les Actes de Jean le prouvent : le IIIe siècle marque clairement le début du processus d’exaltation de l’apôtre, que l’on a de plus en plus tendance à 132. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 568.

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confondre avec le Disciple et avec les divers auteurs. Dans tous les témoignages, le combat contre l’hérésie est très fortement mis en avant, ce qui contribue à faire de Jean une sorte de champion de la lutte contre les hérétiques. 1. Un nouvel épisode : Tertullien et le miracle de l’huile bouillante. – Tertullien († 225) dans le De Præscriptione Hæreticorum exprime clairement l’assimilation entre le Disciple et l’apôtre : Quelque chose serait resté caché à Jean, à lui, le préféré du Seigneur, lui qui était couché sur sa poitrine, le seul à qui le Seigneur ait désigné à l’avance Judas comme traître, lui qu’il recommanda à Marie pour qu’il devienne son fils à sa place ? Que voulut-il qu’ils ignorent, ceux à qui il fit même connaître sa gloire, et Moïse et Élie et la voix du Père du haut du ciel 133 ?

Pour Tertullien, de manière évidente, le fils de Zébédée qui était présent à la Transfiguration est le même que le Disciple qui était couché sur la poitrine du Seigneur. Un début de biographie apparaît à l’occasion d’un passage où Tertullien glorifie les Églises : Si tu te trouves sur les confins de l’Italie, tu as Rome, dont l’autorité nous apporte aussi son appui. Heureuse Église ! Les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit une passion semblable à celle du Seigneur. Paul y est couronné de la mort de Jean (Baptiste). L’apôtre Jean après y avoir été plongé dans l’huile bouillante en sort indemne et se voit relégué dans une île 134.

Ici, il est clair que Tertullien identifie l’apôtre avec le Voyant de l’Apocalypse, relégué à Patmos. Le Carthaginois est également le premier témoin d’une légende qui va faire florès : le chaudron d’huile bouillante 135. La tradition est peut-être originaire d’Éphèse 136, mais il la rapporte à l’Église de 133. TERTULLIEN, De Præscriptione Hæreticorum XXII, 5-6. – Latuit et Iohannem aliquid, dilectissimum Domino, pectori eius incubantem cui soli Dominus Iudam traditorem præmonstrauit, quem loco suo filium Mariæ demandauit ? Quid eos ignorasse uoluit quibus etiam gloriam suam exhibuit, et Moysen et Heliam et insuper de cælo patris uocem ? Éd. F. REFOULÉ (CCSL 1), 1954. 134. TERTULLIEN, De Præscriptione Hæreticorum XXXVI, 2-3. – si autem Italiæ adiaces, habes Romam unde nobis quoque auctoritas præsto est. Ista quam felix ecclesia cui totam doctrinam apostoli cum sanguine suo profuderunt, ubi Petrus passioni dominicæ adæquatur, ubi Paulus Ioannis exitu coronatur, ubi apostolus Ioannes posteaquam in oleum igneum demersus nihil passus est, in insulam relegatur. Éd., F. REFOULÉ (CCSL 1), 1954. 135. De Præscriptione XXVI, 3 : « Heureuse Église [de Rome] ! les apôtres lui ont versé toute leur doctrine avec leur sang. Pierre y subit un supplice semblable à celui du Seigneur. Paul y est couronné d’une mort pareille à celle de Jean (Baptiste). L’apôtre Jean y est plongé dans l’huile bouillante : il en sort indemne et se voit relégué dans une île. » 136. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 1, p. 157.

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Rome. Elle est fêtée dans l’Église latine sous le nom de « Saint Jean à la Porte latine ». L’histoire est édifiante : enragé contre l’apôtre, Domitien l’aurait déporté à Rome pour le faire bouillir dans une marmite d’huile. Mais, protégé par le Seigneur, Jean en sortit indemne, plus frais qu’auparavant. Le supplice aurait eu lieu près de la porte de Rome menant vers le Latium la porta Latina. L’église San Giovanni a Porta Latina fut érigée près du site supposé du supplice, où l’oratoire San Giovanni in Oleo avait été construite, elle est attestée dans le Liber Pontificalis à l’article du pape Hadrien Ier (772-795). Ce miracle, rapporté par Jérôme, se retrouve ensuite dans tous les martyrologes – alors qu’il ne s’agit pas d’un martyre, ce que certaines listes semblent ignorer, preuve de l’étrangeté de la fête 137 – et est fixé au 6 mai. Son témoin le plus ancien est le sacramentaire d’Hadrien 138. 2. Un second épisode : Clément d’Alexandrie et l’histoire du chef de brigands converti. – Clément d’Alexandrie (v. 140-v. 220) est un second témoin de la diffusion de la légende de l’apôtre : après la Carthage de Tertullien, l’Alexandrie de Clément. Ce dernier assimile lui aussi dans ses écrits l’apôtre, le Disciple et l’auteur des épîtres et de l’Apocalypse139. Il est unanimement cité par les commentateurs pour son heureuse formule du Pédagogue, conservée dans Eusèbe de Césarée : Jean est l’évangile spirituel 140. Sa principale contribution à la figure de l’apôtre se trouve dans une histoire qui était insérée dans Quel riche sera sauvé ? (Quis diues saluetur ? 42), aussi conservée par Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. III, 23, 6-19) qui raconte la conversion d’un chef de brigands. Alors que l’apôtre était de passage dans une ville voisine d’Éphèse, il repère un jeune homme qu’il confie à l’évêque du lieu pour qu’il en fasse un chrétien. Celui-ci le nourrit, le protège et le baptise. Mais voilà que, sous de mauvaises influences, le jeune homme s’éloigne et devient chef d’une troupe de brigands. Quelque temps après, l’apôtre est de retour et demande à l’évêque des nouvelles de son protégé. Celui-ci gémit : « cet homme est mort ». « Comment et de quelle mort ? », interroge l’apôtre. « Il est mort à Dieu » répond l’évêque, qui raconte l’histoire. L’apôtre se met en route incontinent vers la région que tiennent les brigands ; fait prisonnier, il demande à être conduit à leur chef. Celui-ci reconnaît immédiatement l’apôtre et pris de honte, s’enfuit. Mais, par quelques paroles bienveillantes, Jean conduit le chef des brigands 137. On peut ainsi citer le sacramentaire d’Autun (IXe s.) qui dresse la liste des fêtes du mois de mai : Persida Mathei apostoli, alibi Gerorti confessoris, Secundiani, Mediolano Victoris, Felicis, Autisiodoro Valeri, natale Iohannis ante porta Latina, éd. O. HEIMING (CCSL 159B), 1984, rubrique 2031q. On y parle bien d’un natalis, et donc habituellement de la fête-anniversaire de la mort. 138. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien : étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, Paris, Fontemoing, 21908, p. 254-255. 139. Voir par exemple le Pédagogue I, 6, 9. 140. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Hypotyposes VI in EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. VI, 14, 7. πνευματικὸν ποιῆσαι εὐαγγέλιον.

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à la conversion : comme le dit joliment le texte, il est baptisé une seconde fois par ses larmes, καὶ τοῖς δάκρυσι βαπτιζόμενος ἐκ δευτέρου. Cette jolie narration de la conversion du chef des brigands est rapportée par Eusèbe comme une histoire (ἱστορία) et par Clément comme un μῦθος, c’est-à-dire une fable, un mythe dont le seul mérite est d’avoir été conservé dans la mémoire de la tradition (παραδεδομένος καὶ μνήμῃ πεφυλαγμένος). Manifestement, Eusèbe, comme Clément, se défie de cette relation presque trop belle pour être vraie. Il est possible qu’elle soit très largement l’œuvre de Clément, mais on ne peut exclure qu’elle se soit inspirée d’une légende rapportant une conversion opérée par Jean 141. Il n’y a pas grand-chose à dire de cette histoire dans laquelle Jean, finalement, ne joue qu’un fort petit rôle. Elle ressemble à toutes les narrations de conversion, dont la parabole de l’Enfant prodigue est certainement l’un des modèles. Le récit est toujours le même et connaît toujours les quatre mêmes étapes. Après un temps de communion et de familiarité vient le temps de l’éloignement. Celui-ci est décrit comme une vie dissolue, une vie ressemblant à celle du temps de la communion, mais diminuée. Chez l’Enfant prodigue, le bien est dilapidé et la famine gagne ; ici, la vie de communion est dégradée en vie de banditisme, faite de fausses amitiés et de mauvaises actions. Survient alors un événement déclencheur, qui est toujours en lien avec l’état premier. Chez l’Enfant prodigue, c’est le souvenir des ouvriers de son père ; ici, c’est l’apôtre lui-même qui fait le déplacement. Et enfin, vient le temps du retour à l’unité. La fin du texte révèle ses intentions didactiques : il est question de παράδειγμα, d’exemple moral, de μετανοία, de conversion et de παλιγγενεσία, de nouvelle création. De Jean, on ne retiendra que peu d’éléments biographiques : il a autorité sur les évêques (une transposition du IIIe siècle au Ier siècle), il est un vieillard, il parle bien (ποικίλαις σειρῆσι λόγων). Aucun de ces éléments ne peut, à vrai dire, être exploité pour caractériser l’apôtre. 3. Origène. – On ne fera ici qu’une brève citation d’Origène († v. 251), extraite de son livre sur Jean, cité par Eusèbe de Césarée. Que faut-il dire de celui qui a reposé sur la poitrine de Jésus, de Jean qui a laissé un Évangile ? Il confesse pouvoir faire plus de livres que le monde ne serait capable d’en contenir ; il a encore écrit l’Apocalypse, puis il a reçu l’ordre de se taire et de ne pas écrire les voix des sept tonnerres. Il a laissé aussi une épître de fort peu de lignes, peut-être une seconde et une troisième ; tous en effet ne disent pas que celles-ci sont authentiques ; seulement l’une et l’autre n’ont pas cent lignes 142. 141. É. JUNOD, « Un écho d’une controverse autour de la pénitence : l’histoire de l’apôtre Jean et du chef des brigands chez Clément d’Alexandrie (Quis dives salvetur 42, 1-15) », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses 60, 1980, p. 153-160. 142. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. VI, 25, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, ad loc. [9] Τί δεῖ περὶ τοῦ ἀναπεσόντος ἐπὶ τὸ στῆθος λέγειν τοῦ Ἰησοῦ, Ἰωάννου,

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Cette citation est fort intéressante, car elle montre bien qu’à l’époque de l’Alexandrin, soit le milieu du IIIe siècle, l’équation Jean = Disciple = auteur des lettres = Jean le voyant est pleinement vérifiée. 4. Denys d’Alexandrie ou la résistance à l’assimilation. – Ce IIIe siècle d’édification d’une légende dorée de Jean ne se fit pas sans résistance, comme le prouve encore un Denys d’Alexandrie (200-265) 143, cas unique à cette période. Brillant élève d’Origène, successeur d’Héraclas à la tête de l’École, évêque d’Alexandrie, c’est un exégète de premier ordre. Il n’aime visiblement pas l’Apocalypse et, même s’il n’ose pas la blâmer totalement à cause de la considération dont elle jouit, il la critique avec une ironie mordante : Pour moi, je n’oserais pas rejeter ce livre que beaucoup de frères tiennent avec faveur, mais tout en estimant que ses conceptions dépassent ma propre intelligence, je suppose que la signification de chaque passage est d’une certaine façon cachée et merveilleuse. Et en effet, si je ne le comprends pas, je soupçonne du moins qu’il y a dans les mots un sens plus profond. Je ne mesure ni n’apprécie cela par mon propre raisonnement ; mais, accordant la priorité à la foi, je pense que ces choses sont trop élevées pour être saisies par moi, et je ne rejette pas ce que je ne comprends pas, mais je l’admire d’autant plus que je ne l’ai pas vu 144.

Je suis trop bête pour comprendre, affirme l’éblouissant Denys avec détachement. Et moins je comprends le livre, plus je l’admire… La suite du texte donnée par Eusèbe de Césarée pourrait être signée par un bibliste du XXIe siècle. Denys fait en effet de pertinentes remarques concernant les différences entre l’Apocalypse et les épîtres. Il commence par voir des différences de présentation : alors que l’auteur de l’Apocalypse parle volontiers, celui du quatrième évangile ne se met pas en avant, tandis que celui des lettres se nomme l’Ancien. Ensuite, il souligne les différences de présentation : Que ce soit donc Jean qui écrit ces choses, il faut le croire quand il le dit. Mais quel est-il, ce n’est pas clair. Il n’a pas dit en effet, comme à plusieurs reprises dans l’Évangile, qu’il est le disciple aimé par le Seigneur, ni qu’il a ὃς εὐαγγέλιον ἓν καταλέλοιπεν, ὁμολογῶν δύνασθαι τοσαῦτα ποιήσειν ἃ οὐδ’ ὁ κόσμος χωρῆσαι ἐδύνατο, ἔγραψεν δὲ καὶ τὴν Ἀποκάλυψιν, κελευσθεὶς σιωπῆσαι καὶ μὴ γράψαι τὰς τῶν ἑπτὰ βροντῶν φωνάς ; [10] καταλέλοιπεν καὶ ἐπιστολὴν πάνυ ὀλίγων στίχων, ἔστω δὲ καὶ δευτέραν καὶ τρίτην· ἐπεὶ οὐ πάντες φασὶν γνησίους εἶναι ταύτας· πλὴν οὔκ εἰσιν στίχων ἀμφότεραι ἑκατόν. 143. Sur la vie et les œuvres de ce personnage considérable dans l’Église d’Alexandrie, voir les pages d’Attila Jakab : A. JAKAB, Ecclesia alexandrina : évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles) (Christianismes anciens 1), Berne, Peter Lang, 2004, p. 241-256. 144. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. VII, 25, 4-5, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 205.

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reposé sur sa poitrine, ni qu’il est le frère de Jacques, ni qu’il a été le témoin oculaire et auriculaire du Seigneur. Il aurait dit en effet quelque chose de tout ce qui vient d’être indiqué s’il avait voulu se manifester clairement ; mais il n’en dit rien tandis qu’il se dit notre frère, notre compagnon et le témoin de Jésus, et bienheureux pour avoir vu et entendu les Révélations 145.

Si l’on doit assimiler l’auteur du quatrième évangile et le Zébédaïte, ce n’est certainement pas le cas pour celui de l’Apocalypse. Denys se lance alors dans une très intéressante comparaison stylistique entre les deux : En effet, d’une part, ces ouvrages, non seulement ne pèchent pas contre la langue grecque, mais ils sont écrits d’une manière très diserte pour les expressions, les raisonnements, la composition, et il s’en faut de beaucoup qu’on y trouve un terme barbare ou un solécisme ou même un idiotisme ; leur auteur possédait en effet, à ce qu’il semble, l’un et l’autre verbe, dont l’avait gratifié le Seigneur, celui de la connaissance et celui de l’expression. Quant à l’auteur de l’Apocalypse, je ne contredis pas qu’il ait eu des Révélations et qu’il ait reçu la connaissance et la prophétie ; pourtant je vois que son dialecte et sa langue ne sont pas exactement grecs, mais qu’il emploie des idiotismes barbares et que parfois il fait même des solécismes. Il n’est pas nécessaire d’en dresser maintenant la liste : car je n’ai pas dit cela en me moquant (que personne ne le pense), mais seulement pour établir la différence de ces écrits 146.

Il explique donc l’attribution à une homonymie : le prénom de « Jean » est courant, et sa fréquente application explique les confusions : Je pense qu’il y a eu beaucoup d’homonymes de Jean l’apôtre, qui, par amour pour lui, par admiration pour lui, par désir d’être aimés par le Seigneur semblablement à lui, ont recherché le même nom que lui, de même que, parmi les enfants des fidèles, les noms de Paul et de Pierre se rencontrent souvent 147.

« Les grands hommes sont si rares ! Quelle apparence qu’il s’en soit trouvé deux du même nom » disait H. Delehaye cité en début de ce chapitre : Denys d’Alexandrie ne dit pas mieux. C. Le

IVe siècle

et la canonisation et l’exaltation d’un super-apôtre

Malgré les réticences de Denys d’Alexandrie, la figure de Jean commença à monter en puissance, toujours en lien avec le combat que menait celle 145. EUSÈBE p. 207. 146. EUSÈBE p. 209-210. 147. EUSÈBE p. 207.

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CÉSARÉE, Hist. Eccl.

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CÉSARÉE, Hist. Eccl.

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CÉSARÉE, Hist. Eccl.

VII,

VII,

25, 12, trad. G. BARDY (SC 41), 1955,

25, 25-27, trad. G. BARDY (SC 41), 1955,

VII,

25, 14, trad. G. BARDY (SC 41), 1955,

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CHAPITRE 5

que Celse nommait la « Grande Église » contre ce qu’elle nommait « hétérodoxie ». En effet, on l’a vu, Cérinthe, Montan et les autres sectaires, sont souvent cités : Jean s’en fait le pourfendeur. Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’au IVe siècle, au moment où l’Église impériale se cherche des héros, Jean, qui a assimilé toutes les figures homonymes, fasse figure de super-apôtre. Dans ce mouvement, la notice d’Eusèbe de Césarée représente une étape essentielle. Elle ratifie les assimilations et fixe les traditions.

1. Eusèbe de Césarée fixe la légende Toutes les notices d’Eusèbe concernant Jean se trouvent regroupées dans le livre III de l’Histoire ecclésiastique. Dès le chap. 1, Eusèbe affecte à Jean l’Asie mineure comme terre de mission : « à Jean, l’Asie où il vécut ; sa mort eut lieu à Éphèse 148 ». Eusèbe ratifie donc la tradition inaugurée par Papias. Ensuite, il ratifie l’identification entre le voyant, l’évangéliste et l’apôtre, en affirmant que le fils de Zébédée vivait encore à l’époque de Domitien : « on raconte qu’à cette époque l’apôtre et évangéliste Jean vivait encore ; à cause du témoignage qu’il avait rendu au Verbe de Dieu, il avait été condamné, par jugement, à habiter l’île de Patmos 149. » Κατέχει λόγος : lorsqu’Eusèbe emploie cette formule, c’est qu’il est conscient que la tradition n’est pas absolument certaine. Il cite Denys d’Alexandrie qui refuse cette assimilation, preuve qu’il connaît certains doutes. Mais, en ce qui concerne sa propre opinion, on voit qu’il fait ici un choix délibéré, celui d’assumer l’assimilation. Eusèbe ne nous dit que peu de choses des actions de Jean à Éphèse. Il nous rappelle simplement qu’Apollonios, lorsqu’il se prit de réfuter les prétentions des Cataphrygiens, cita un cas de résurrection : « il raconte que le même Jean, par une vertu divine, ressuscita un mort à Éphèse 150 ». L’exil de Jean ne dura pas longtemps, puisque selon l’évêque de Césarée, l’avènement de Nerva et le changement de dynastie lui permirent de revenir à Éphèse : Après Domitien qui gouverna pendant quinze ans, Nerva lui succéda au pouvoir ; les honneurs rendus à Domitien furent abolis ; le Sénat des Romains vota (une loi) pour faire revenir chez eux ceux qui avaient été injustement chassés et leur rendre leurs biens. C’est ce que racontent ceux 148. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 1, 1, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, ad loc. Ἰωάννης τὴν Ἀσίαν, πρὸς οὓς καὶ διατρίψας ἐν Ἐφέσῳ τελευτᾷ. 149. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 18, 1, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, ad loc. Ἐν τούτῳ κατέχει λόγος τὸν ἀπόστολον ἅμα καὶ εὐαγγελιστὴν Ἰωάννην ἔτι τῷ βίῳ ἐνδιατρίβοντα, τῆς εἰς τὸν θεῖον λόγον ἕνεκεν μαρτυρίας Πάτμον οἰκεῖν καταδικασθῆναι τὴν νῆσον. 150. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 18, 13, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, ad loc. καὶ νεκρὸν δὲ δυνάμει θείᾳ πρὸς αὐτοῦ Ἰωάννου ἐν τῇ Ἐφέσῳ ἐγηγέρθαι ἱστορεῖ.

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qui ont transmis par l’écriture les événements de ces temps-là. Alors l’apôtre Jean put donc, lui aussi, reprendre sa vie à Éphèse au sortir de l’exil dans l’île (de Patmos), d’après ce que rapporte la tradition de nos anciens 151.

Ὁ τῶν παρ’ ἡμῖν ἀρχαίων παραδίδωσι λόγος. Là encore, Eusèbe a conscience d’être en train de mettre en avant une affirmation parfois remise en cause. Aussi invoque-t-il le témoignage des « anciens ». Il reprend la formule lorsqu’il parle de l’Apocalypse. « L’autorité de l’Apocalypse est mise en doute par beaucoup encore aujourd’hui. Mais cette question sera résolue également en son lieu à l’aide du témoignage des anciens 152. » Qui sont les anciens ? Chez Eusèbe, le terme est aussi vague qu’utilisé et recouvre toutes les traditions possibles… que l’on ne peut citer avec précision. L’auteur de la Préparation évangélique se repose donc sur un usage, une habitude. Après avoir réalisé ce qui ne peut que s’assimiler à un coup de force, Eusèbe, après avoir rappelé au chapitre 23 l’anecdote de Clément d’Alexandrie, cite les livres écrits par Jean. L’évangile, au premier chef, dont Eusèbe précise bien qu’il a été écrit par l’apôtre à l’instar de Matthieu, alors que les deux disciples étaient ἐπάναγκες « poussés par la nécessité 153 ». Cette nécessité s’explique par le fait que les autres évangélistes avaient omis de narrer ce qui s’était passé avant la mort du Baptiste : On dit donc que ce fut pour cela que l’apôtre Jean fut prié de transmettre dans son Évangile le temps qui avait été passé sous silence par les évangélistes précédents et les actions faites par le Sauveur durant ce temps, c’est-à-dire avant l’emprisonnement du Baptiste. Il indique cela même, soit lorsqu’il dit : « Tel fut le commencement des miracles que fit Jésus », soit lorsqu’il rappelle le Baptiste au milieu de l’histoire de Jésus, comme baptisant encore à ce moment à Ænon, près de Saleim. Il le précise même clairement en disant : « Jean n’avait pas encore été jeté en prison. » Ainsi donc Jean, dans son Évangile écrit, rapporte ce qui a été fait par le Christ lorsque le Baptiste n’avait pas encore été jeté en prison, les trois autres évangélistes au contraire mentionnent ce qui est arrivé après l’arrestation et l’emprisonnement du Baptiste 154.

Cette considération est habile. Non seulement elle permet à Eusèbe d’expliquer l’écriture de l’évangile, mais aussi de justifier la différence des épisodes narrés entre le quatrième évangile et les synoptiques, comme par exemple le miracle à Cana. Il précise juste après avec un évident soulagement que quiconque remarque ces choses, ne peut plus penser que les évangélistes soient en désaccord les uns avec les autres. Le tour est joué :

151. 152. 153. 154.

EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 20, 8-9, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 124. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 24, 18, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 133. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 24, 5, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 130. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 24, 11, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 131.

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l’évangile de Jean ne présente que le début de la vie de Jésus. Eusèbe peut donc traiter rapidement les autres écrits : Des écrits de Jean en dehors de l’Évangile, la première de ses Épîtres est reconnue hors de conteste à la fois par nos contemporains et par les anciens. Les deux autres sont discutées. Quant à l’Apocalypse, son autorité est encore maintenant discutée par le plus grand nombre 155.

Si Eusèbe tient pour assuré que l’apôtre a rédigé l’évangile, la Prima Johannis et l’Apocalypse (malgré les doutes), il ne tranche pas sur la Secunda et la Tertia Johannis : elles peuvent être de l’évangéliste ou d’un homonyme 156. En cela, finalement, il se tient à la position d’Origène. Eusèbe définit ainsi la doxa qui perdurera jusqu’au XIXe siècle La seule petite modification intervient à propos de 2Jn et de 3Jn. Si le Decretum Gelasianum pouvait, au VIe siècle encore, attribuer les deux épîtres à alterius Iohannis presbyteri comme Eusèbe, on finira par les attribuer à l’apôtre. Les listes apostoliques sont unanimes sur le sujet, et précèdent les martyrologes et les synaxaires qui les reprennent ne varietur. On peut ainsi citer la notice d’Usuard pour le 27 décembre : À Éphèse, fête du bienheureux Jean apôtre et évangéliste, qui, après la relégation de l’exil, après la révélation divine de l’Apocalypse, après la description de l’évangile, a continué à vivre jusqu’au temps de l’empereur Trajan. Il a fondé et dirigé les Églises de toute l’Asie et, devenu vieux, soixante-huit ans après la Passion du Seigneur, à 99 ans, il est mort et a été enterré près de la même ville [d’Éphèse] 157.

2. L’Église syriaque construit sa propre légende Parallèlement aux menées d’Eusèbe, l’Église syriaque se sert aussi de Jean comme figure héroïque. Éditée et traduite par W. Wright, l’Histoire syriaque de Jean 158 (CANT 222 = BHO 468) a une origine totalement différente de celle des Acta Iohannis. En effet, aucun des thèmes abordés ne se 155. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 24, 17-18, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 133. 156. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 25, 3. εἴτε τοῦ εὐαγγελιστοῦ τυγχάνουσαι εἴτε καὶ ἑτέρου ὁμωνύμου ἐκείνῳ. 157. Apud Ephesum, natalis beati Iohannis apostoli et euangelistæ qui post exilii relegationem, post Apocalupsis diuinam reuelationem, post Euangelii descriptionem, usque ad Traiani principis tempora perseuerans, totius Asiæ fundauit rexitque ecclesias et confectus senio, sexagesimo octavo post passionem Domini anno, ætatis autem suæ nonagesimo et nono, mortuus est ac iuxta eandem urbem sepultus. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 149. 158. W. WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, Williams and Norgate, 1871 : texte dans le vol. 1, p. 4-65 et traduction dans le vol. 2, p. 3-60.

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retrouve dans les Actes grecs. La narration est assez complexe et se déroule uniquement à Éphèse. L’apôtre arrive dans cette ville, après un dialogue avec le Seigneur sous la forme d’une croix de bois. C’est une ville totalement dévouée à Artémis, et la plus grande partie du texte va rapporter le combat de l’apôtre avec les suppôts de cette déesse. Jean commence à s’employer aux bains où il est mal traité. Il finit par y rencontrer le fils du procurateur qui vit une existence de débauché. L’apôtre provoque sa mort pour mieux le ressusciter, ce qui provoque la conversion de son père, le procurateur Tyrannus. Par deux fois, Jean s’oppose à ce que ce nouveau converti, un peu trop zélé, détruise le temple. Il se contente de convertir les foules : d’abord 36 706 âmes puis 39 205 âmes. Finalement, la foule et les prêtres se convertissent et détruisent l’idole d’Artémis. Deo gratias : Jean bâtit une église pour y célébrer des eucharisties tous les dimanches. Néron, un peu échaudé par toutes ces nouvelles, fait arrêter Jean et l’emprisonne à Rome. Les habitants d’Éphèse se cotisent pour lui envoyer des fonds qui rendent le fils d’Agrippine soudainement bienveillant ; il relâche l’apôtre. Entre-temps, un ange est intervenu. Jean finit par mourir dans une petite cabane sur la montagne, comme Moïse sur le Nébo. Il y est enterré sans qu’on puisse savoir où sa tombe se trouve. Dans toute cette histoire, Jean est toujours présenté comme un ascète qui pratique la virginité : il reste vierge, vit dans une cabane, se nourrit de pain, d’eau et de lentilles, marche pieds nus. Il vit en ermite. Il est donc une sorte de héros monastique, ce qui orienterait vers des milieux monastiques orthodoxes syriaques : ne célèbre-t-il pas l’eucharistie avec du vin ? Ne baptise-t-il pas les enfants comme on le faisait dans l’Église syriaque ? Comme souvent, l’histoire syriaque a connu un développement en arabe, traduit par A. Smith-Lewis (BHO 476, 479)159, et un développement en éthiopien.

3. Une tradition discordante sur la mort de l’apôtre Pour parachever la constitution d’une légende apostolique, il aurait mieux valu que l’apôtre mourût martyr ! Son martyre n’a-t-il pas été annoncé en Mc 10, 39 qui annonce que les fils de Zébédée boiraient la même coupe que Jésus ? Quelle espèce de héros est-ce donc, qui meurt dans son lit ? Aussi, une tradition que l’on peut faire remonter au IVe siècle, tenta-t-elle, sans succès durable, d’accréditer un martyre de l’apôtre Jean. Marie-Émile

159. A. SMITH-LEWIS (A.), Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 133-144.

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Boismard 160 soutint en son temps, après d’autres (dont Schwartz 161), que ce martyre était authentique et qu’il a été mis sous le boisseau pour accréditer la théorie de l’écriture tardive de l’évangile. Ce propos sert manifestement sa propre thèse d’une rédaction précoce du quatrième évangile. 1. Les mentions d’un martyre de Jean. – L’existence d’un martyre de l’apôtre Jean peut être relevée dans le Missale Gothicum 162 en usage dans l’église d’Autun vers 700. En effet, si on consulte l’ordo missarum on s’aperçoit qu’après la saint-Étienne vient une missa in natale apostulorum iacobi et iohannis. L’origine est possiblement cappadocienne, suivant Mgr Duchesne, car l’église de Milan est gouvernée entre 355 et 374 par le Cappadocien Auxence que Constance nomma directement 163. Cette même fête existe dans la liturgie mozarabe dont on trouve trace dans le Calendrier de Sainte-Marie de Carmona (près de Séville, gravé dans une colonne vers 480) où la liste des martyrs porte une fête à saint Étienne puis une saint-Jean (29 décembre). On la découvre également dans l’Église arménienne qui célèbre le martyre des deux fils de Zébédée le 28 décembre et dans l’Église éthiopienne, qui les célèbre le 27 décembre 164, comme dans le calendrier latin du mont Sinaï 165. Grégoire de Nysse confirme indirectement cette tradition cappadocienne à propos d’Étienne : « Mais le bienheureux Jean, ayant lutté toute sa vie dans de combats nombreux et divers, et dans tous ayant brillé par l’heureuse conduite de sa piété, ayant été condamné au supplice de l’eau bouillante, est compté au chœur des martyrs 166 ». 2. Cette tradition remonte-t-elle à Papias ? – Pour accréditer l’antiquité de la tradition du martyre de Jean, on fait souvent référence à Papias, dont 160. M.-É. BOISMARD, Le Martyre de Jean l’Apôtre (Cahiers de la Revue biblique 35), Paris, Gabalda, 1996. 161. E. SCHWARTZ, Über den Tod der Söhne Zebedai. Ein Beitrag zur Geschichte des Johannesevangeliums (Abhandlungen der Gesellschaft der Wissenchaften zu Göttingen NF 7.5), Berlin, Wiedmann, 1904 ; ID. « Noch einmal der Tod der Söhne Zebedaei », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 11, 1910, p. 89-104 ; ID., « Johannes und Kerinthos », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 15, 1914, p. 210-219. Schwartz a été suivi par d’autres cités par F.-M. BRAUN, Jean le théologien…, p. 379. On peut y ajouter E. LIPINSKI, « L’Apocalypse et le martyre de Jean à Jérusalem », Novum Testamentum 11, 1969, p. 225-232. 162. Sanctos dei apostulos et martyres Iacobum et Iohannem præsenti festiuitate uenerantes, éd. E. ROSE (CCSL 159D), 2005, p. 364. 163. L DUCHESNE, Origines du culte chrétien, Paris, De Boccard, 1925, p. 88-89. 164. F. B. BADHAM, « The Martyrdom of John the Apostle », American Journal of Theology 8, 1904, p. 539-554. 165. J. GRIBOMONT, « Le mystérieux calendrier latin du Sinaï », Analecta Bollandiana 75, 1957, p. 105-134. 166. GRÉGOIRE DE NYSSE, Panégyrique pour la fête d’Étienne, PG 46, 729-732. Ὀ δὲ μακάριος Ἰωάννης ἐν πολλαῖς καὶ διαφόροις κατὰ τὸν βίον ἀθλήσας ἀγώσι, καὶ ἐν πᾶσι διαπρέψας τοῖς κατορθώμασι τῆς εὐσεβείας, χενὸν μὲν εἰς ὕδωρ τοῦτο πέρας κεκριμένος τῶ χορῷ τῶν μαρτύρων συνηρίθμηται;

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les déclarations sur le martyr de Jean seraient conservées dans deux extraits d’œuvres par ailleurs perdues de Philippe de Sidé et de Georges Hamartolos. Reprenons les textes que nous avons déjà considérés à propos de son frère Jacques. (α) Philippe de Sidè est l’auteur d’une Histoire ecclésiastique publiée vers 430 dont il ne reste que quelques fragments. L’un d’entre eux est préservé dans le codex Baroccianus gr. 142 (actuellement conservé à la bibliothèque Bodléienne d’Oxford) et contient un épitomé, un abrégé, de plusieurs ouvrages d’historiens antiques 167. Après des extraits de Sozomène, d’Évagre le Scolastique, de Flavius Josèphe, on trouve une collection d’abrégés dont le fameux extrait de Philippe de Sidè au f° 216r, (lui-même probablement issu d’un épitomé byzantin connu par d’autres manuscrits 168). Le texte a été publié par C. de Boor dès 1888 169. Le passage le plus intéressant est le suivant : Papias, dans le deuxième volume [de ses Oracles du Seigneur] dit que Jean le théologien et Jacques son frère ont été assassinés par les Juifs 170.

(β) Georges Hamartolos (« le pécheur ») ou Georges le Moine (actif sous l’empereur Michel III, 842-867) renchérit, en citant également Papias dans un fragment de son Chronicon conservé dans le Coislinanus 305 de la BnF : [Jean] a été considéré digne du martyre. En effet, Papias, évêque de Hiérapolis, qui a été un de ses témoins, dit dans le second livre de ses Oracles du Seigneur qu’il a été tué par les Juifs, en accomplissant de manière manifeste la prédiction du Christ qui les concernait 171.

La controverse a fait rage concernant ces deux extraits172. L’attitude la plus prudente est certainement celle qui est maintenue par J. H. Bernard173 167. Pour une description du manuscrit : C. DE BOOR, « Zur Kenntnis der Handschriften der griechischen Kirchenhistorischer : Codex Baroccianus 142 », Zeitschrift für Kirchengeschichte 6, 1884, p. 478-494. 168. Description et identification dans G. C. HANSEN, Theodoros Anagnostes Kirchengeschichte (Griechischen Christlichen Schriftsteller NF 3), Berlin, AkademieVerlag, 21995, p. XXXI-XXXIX. 169. C. DE BOOR, Neue Fragmente des Papias, Hegesippus und Pierius in bisher unbekannten Excerpten aus der Kirchengeschichte des Philippus Sidetes (Texte und Untersuchungen 5.2), Leipzig, Hinrich, 1888, p. 169-171. 170. Παπίας ἐν τῷ δευτέρω λόγῳ λέγει ὅτι Ἰωάννης ὁ θεολόγος καὶ Ἰάκωβος ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ ὑπὸ Ἰουδαίων ἀνῃρέθησαν. Texte dans C. DE BOOR, Neue Fragmente…, p. 170. 171. Ἰωάννης μαρτυρίου κατηξίωται. Παπίας γὰρ ὁ Ἱεραπόλεως ἐπίσκοπος αὐτόπτης τούτου γενόμενος ἐν τῷ δευτέρω λόγῳ τῶν κυριακῶν λογίων φάσκει ὅτι ὑπὸ Ἰουδαίων ἀνῃρέθη, πληρώσας δηλαδὴ μετὰ τοῦ ἀδελφοῦ τὴν τοῦ Χριστοῦπερὶ αὐτῶν πρόρρησιν. Texte dans C. DE BOOR, Neue Fragmente…, p. 171. 172. Un bon aperçu dans C. CLEMEN, « The Sojourn of the Apostle John at Ephesus », American Journal of Theology 9, 1905, p. 643-676.

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dans ses Studia Sacra qui fait remarquer trois choses. 1° les deux témoignages s’accordent à faire référence au même passage, le deuxième livre des Oracles du Seigneur. Or c’est précisément celui qui est cité ailleurs par Eusèbe, ce qui veut dire que l’évêque de Césarée avait le texte de Papias sous les yeux. Comment expliquer qu’il n’aurait pas mentionné une information aussi importante, s’il avait pu le faire, d’autant qu’il ne répugne pas à mentionner avec une certaine délectation les martyres des chrétiens qui, selon lui, prouvent la valeur de sa religion ? Le plus simple est de croire que les deux passages résultent d’une même erreur de lecture. 2° D’où vient cette erreur de lecture sinon d’une confusion entre deux Jacques ? Comment peut-on comprendre que Jacques ait été tué « par les Juifs » alors que l’on sait que le fils de Zébédée a été tué par Hérode ? N’est-ce pas une confusion avec le frère du Seigneur ? Quant aux martyrologes, n’ont-ils pas tendance à confondre les deux Jacques ? 3° On peut donc admettre que cette théorie du martyre est manifestement un moyen d’harmonisation avec les textes évangéliques, et en particulier avec l’oracle de Jésus sur la coupe que doivent boire les deux fils de Zébédée, et ne résiste pas à l’ancienneté de la tradition éphésienne 174. D. Les

Ve

et

VIe

siècles et l’achèvement du processus de canonisation

Une fois lancé, le processus de canonisation ne pouvait pas s’arrêter. C’est ainsi que les siècles qui suivirent consacrèrent la figure héroïque de l’apôtre Jean. Elle fut mise en scène par trois récits pieux, ratifiés par les Pères, et connut ensuite plusieurs développements.

1. Trois récits pieux construisent une légende dorée Les Ve et VIe siècles constituent un moment essentiel pour tous les apôtres : c’est à cette époque que les patriarcats d’Orient et d’Occident reprennent en main les diverses traditions et produisent des récits « officiels » qui serviront de fondement à la narration transmise jusqu’à aujourd’hui. Jean fait manifestement partie de leurs priorités comme le prouve la liturgie. En effet, à une époque très précoce, on célébrait la fête des apôtres les plus importants entre Noël et le premier janvier. Cette tradition ancienne est attestée dans l’oraison funèbre de Basile de Césarée prononcée par Grégoire de Nysse en 379 et se retrouve dans les anciens calendriers des Églises arméniennes et nestoriennes. Après Noël étaient célébrés Étienne, puis Pierre et Paul puis Jacques et Jean 175. Il était donc urgent d’inventer une 173. J. H. BERNARD, Studia Sacra, London/New York/Toronto, Hodder & Stoughton, 1917, p. 260-283. 174. En compagnie de J.-D. KAESTLI, « Le rôle des textes bibliques dans la genèse et le développement des légendes apocryphes », Augustinianum 33, 1983, p. 319-336. 175. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien…, p. 254-255.

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légende dorée. Pour Jean, trois textes jouent un grand rôle : les Actes de Jean par Prochore, les Virtutes Iohannis et les Actes de Jean à Rome. a . Les Actes de Jean par Prochore Le processus de canonisation se poursuit au Ve siècle par les Actes de Jean, par Prochore (CANT 218 = BHG 916-917z) 176. Ce texte, originaire de Syrie-Palestine, remontant aux années 400-450, est sans doute l’œuvre d’un laïc pratiquant des fonctions administratives (comme nous l’apprennent l’usage d’un vocabulaire très administratif et l’obsession pour tout ce qui concerne les documents, les contrats, les chartes) 177. C’est un récit écrit dans une langue un peu incorrecte, très conventionnelle, qui prouve que le Prochore qui écrit ne vient pas d’un milieu très cultivé. Le récit s’inspire peut-être de l’histoire syriaque et des Actes de Jean, mais emprunte manifestement beaucoup à l’imagination de son auteur comme l’ont montré de manière convaincante É. Junod et J.-D. Kaestli 178. C’est avant tout un récit pieux, qui enchaîne les miracles et ne paraît pas vraiment se préoccuper de doctrine. Il témoigne de la pénétration du culte de l’apôtre dans les milieux populaires. En indiquant que Jean aurait rédigé le quatrième Évangile à Patmos, l’auteur s’éloigne de la tradition éphésienne, et prouve qu’il rédige relativement loin de l’Asie mineure, ce que confirme d’ailleurs sa complète méconnaissance de la région. Un terme administratif, σκρινιάριος le scriniarius latin qui est un fonctionnaire chargé de tenir les registres d’un magistrat, qui n’apparaît qu’après la réorganisation de 395 fournit le terminus a quo et l’usage de la chronologie de ce texte par le Chronicon Pascale de 630 fournit le terminus ad quem. Ce récit, écrit sous le nom de Prochore qui se dit disciple de Jean, comprend un certain nombre d’épisodes. Comme il n’est pas traduit jusqu’à présent, il convient ici d’en donner les épisodes principaux. Il commence par l’habituel partage des champs de mission. Puis on assiste à un long 176. On le trouve édité dans T. ZAHN, Acta Joannis…, p. 1-165. Il existe une traduction arménienne de certains extraits (BHO 458-467) traduite par L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. I. Pierre, Paul, André, Jacques, Jean (Corpus Christianorum, series apocryphorum 3), Turnhout, Brepols, 1986, p. 289-407, une version arabe (BHO 469) traduite par A. Smith-Lewis et une version éthiopienne traduite par W. Budge (BHO 470). Il semble que certains manuscrits arméniens (dont Maténadaran 7489) aient eu aussi connaissance des Acta Iohannis et aient corrigé le texte de Prochore en conséquence, comme l’a montré M. van Esbroeck : M. VAN ESBROECK, « Les Actes de Prochore en arménien : un nouveau témoin », in H. LEHMANN et J. J. S. WEITENBERG (éd.), Armenian Texts Tasks and Tools (Acta Jutlandica 69.1 Humanities Series 68, Århus, Aahrus University Press, 1993, p. 86-91. 177. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 748. 178. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 744. Contra T. ZAHN, Acta Joannis, p. LV ; R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden I, Braunschweig, Schwetschke, 1883, p. 400.

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séjour de Jean à Éphèse, où de nombreuses guérisons et miracles interviennent. Cela commence par une étrange histoire de bains, sans doute en lien avec l’anecdote rapportée par Eusèbe. Prochore et son maître sont en effet embauchés par une certaine Romeca, tenancière de bains, qui, tout en les trouvant de mauvais garçons de bains, finit par tenter de les faire passer pour ses esclaves. La suite raconte l’histoire de ces bains : une jeune fille y a été enterrée vivante, et le diable, trois fois par an, y étouffe un jeune homme. Bientôt, ce fut le tour de Théon, fils de Dioscoridès. Jean ressuscite le fils, chasse le démon, et ressuscite le père, subitement mort en apprenant le trépas de son propre fils. On raconte ensuite comment la foule d’Éphèse, en colère contre Jean, venu dans le temple de Diane sans troquer sa tenue de garçon de bains contre une plus propre, tente de le lapider : toutes les pierres viennent ricocher contre la statue de Diane qui finit en miettes. Cela redouble la fureur des Éphésiens, que Jean s’empresse de convertir. Après une guérison, on voit le diable entrer directement en action : déguisé en soldat, il tente de convaincre les gens de la ville que les deux compères sont des magiciens. Ceux-ci, conduits devant le juge, sont déclarés innocents. Vient alors l’épisode devant Domitien : Jean est mené devant l’Empereur où il subit le supplice de l’huile bouillante. Puis il part en exil à Patmos où intervient l’épisode de Kunôps (Κύνωψ) 179. Celui-ci est un sorcier habitant une grotte, située au milieu d’un repère de démons, en compagnie d’esprits impurs (ἐν κατοικίᾳ πνευμάτων ἀκαθάρτων). Apprenant par les prêtres d’Apollon les hauts faits de Jean, il décide de partir en guerre contre lui en appelant l’un des princes des démons, pour qu’il vienne lui amener l’âme de Jean. Hélas, le pauvre démon a affaire à un redoutable adversaire, qui finit par le chasser de l’île en le condamnant à demeurer un errant (ἔξω τῆς νήσου ταύτης ἐξελθεῖν καὶ μηδαμοῦ ἔχει σε τόπον κελεύω). Le magicien fait une seconde tentative sans succès, finit par convoquer toutes les armées démoniaques puis prend la décision inouïe de quitter sa caverne. Jean et Kunôps se retrouvent face à face, dans une sorte de remake de la confrontation entre Pierre et Simon le Mage dont le modèle premier est la confrontation entre Moïse et les magiciens de Pharaon. Kunôps commence par retirer de la mer le père d’un adolescent mort dans un naufrage. Il ressuscite ensuite un mort. Il jette enfin les foules comme des bêtes sauvages contre Jean. Simon le Mage s’effondrait dans les airs : c’est dans la mer que Kunôps disparaît. Se faisant adorer comme un dieu, il promet de se jeter dans l’eau pour en sortir vivant. Mais c’était compter sans Jean, qui invoque la mémoire de Moïse : « Toi qui as donné à Moïse la victoire au moyen de ce signe pour remporter la victoire sur Amalec, Seigneur Jésus Christ, 179. T. ZAHN, Acta Joannis…, p. 90-117.

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engloutis Kunôps dans la profondeur de la mer et qu’il ne voie plus jamais la lumière du soleil 180 ». Dieu exauce Jean et, Kunôps disparu, les habitants de Patmos découvrent que les soi-disant ressuscités étaient des démons ayant pris forme humaine. Jean, pour montrer le visage du Dieu véritable, ressuscite vraiment les morts. Dans ce récit, Jean porte le masque du faiseur de miracles, qui enchaîne les prodiges. Ce n’est que vers la fin du texte qu’il est présenté comme un écrivain sacré. Amenant son disciple Prochore avec lui, il lui commande d’apporter de l’encre et du papyrus. Un éclair se fait voir, un puissant tonnerre se fait entendre, au point que la montagne tremble et que Prochore croit mourir (καὶ ἐγένετο ἀστραπὴ μεγάλη καὶ βροντή, ὥστε σαλευθῆναι τὸ ὄρος, καὶ ἔπεσα ἐγὼ ἐπὶ πρόσωπον ἐπὶ τὴν γῆν καὶ ἔμεινα νεκρός 181). Jean relève son disciple, et ouvre la bouche : Ἐν ἀρχῆ ἦν ὁ λόγος, commence-t-il à dire, et il poursuit jusqu’à la fin de l’évangile. Le texte s’intéresse enfin au récit de la mort de Jean. L’apôtre commence par sortir de la maison où il se trouve et met au travail plusieurs disciples pour lui creuser une tombe. Il se couche ensuite dans la tombe (non sans avoir prononcé une prière en commandant à ses disciples de se reposer pendant qu’il prie, imitant le Christ à Gethsémani) et remet son esprit (παρέδωκεν τὸ πνεῦμα, comme chez Jn 19, 30). Que retenir de ce récit charmant, varié, mais finalement plus que fantaisiste ? Sa fascination pour le merveilleux, pour les miracles et les combats de démons : l’évangélisation est décrite non comme un combat contre l’ignorance, mais comme une guerre à mort contre les démons et les magiciens. En cela, les Actes de Jean consonnent parfaitement avec cette tendance de l’Église d’Orient à faire du combat spirituel un combat contre le démon. En effet, comme le montre l’étude du cas d’Antoine le Grand, mais aussi celui d’Évagre le Pontique (réalisée par Antoine Guillaumont 182), le retrait des moines au désert, lieu traditionnel d’habitation des démons, s’accompagna de la montée en puissance d’une description de la vie spirituelle comme une bataille à mener contre le diable et ses sbires 183. Jean, que la tradition avait déjà représenté en ascète, pouvait devenir sans difficulté le grand héros monastique de l’Orient. Ceci pourrait expliquer le succès de notre texte. Même sans grande inventivité littéraire, les Actes de Prochore constituent une sorte de modèle pour toutes les vies subséquentes de Jean en Orient. Ils inspirent les prin180. ὁ δώσας τῷ Μωϋσῇ διὰ τοῦ σχήματος τούτου καταβαλεῖν τὸν Ἀμαλήκ, κύριε Ἰησοῦ Χριστέ, κατάγαγε τὸν Κύνωπα ἐν τοῖς κατωτάτοις τῆς θαλάσσης, καὶ μηκέτι ὄψεται τὸν ἥλιον. T. ZAHN, Acta Joannis, p. 104-105. 181. T. ZAHN, Acta Joannis, p. 155. 182. A. GUILLAUMONT, Un Philosophe au désert : Évagre le Pontique (Textes et Traditions 8), Paris, Vrin, 2004. Voir en particulier p. 206-209. 183. D. BRAKKE, Demons and the Making of the Monk : Spiritual Combat in Early Christianity, Harvard, Harvard University Press, 2006.

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cipales notices liturgiques comme celle de l’Église copte pour le 4 Toubeh (30 décembre) 184 et celle de l’Église grecque pour le 26 septembre 185. b. Les Virtutes Iohannis du Pseudo-Abdias Les virtutes Iohannis, qui font partie de la compilation du Pseudo-Abdias (CANT 219 = BHL 4316-4319) 186, proviennent du monde latin. Comme tous les textes appartenant à ce même recueil, on se trouve confronté à une série répétitive de miracles qui fait de Jean le héros d’actions toutes plus prodigieuses les unes que les autres. Le texte commence par un rappel de la mort de Jacques son frère, suivi d’une reprise de l’épisode de la cuve d’huile bouillante. Ensuite, Jean est envoyé à Patmos où il rédige l’Apocalypse. S’intercale alors l’épisode de la conversion du jeune chef de brigands conservé dans Clément puis l’épisode de Callimaque et Drusiane conservé dans les Acta (chap. 62-86). Intervient ensuite une controverse avec le philosophe Craton qui veut convaincre ses disciples de briser leurs bijoux pour démontrer leur mépris des richesses : Jean rétorque qu’il vaut mieux les donner aux pauvres. Voyant cela, deux individus qui se sont dépouillés de leurs biens pour suivre l’apôtre se prennent à regretter leur ancienne richesse : Jean leur rend leurs biens en leur racontant l’histoire du riche et du pauvre Lazare, puis ressuscite un mort qui raconte les tourments de l’enfer. Les deux riches viennent à résipiscence. Ensuite, Jean détruit le temple de Diane, se soumet à l’épreuve de la coupe empoisonnée (cet épisode se situant non pas à Rome, mais à Éphèse) et construit une basilique. Enfin, l’apôtre meurt d’une façon analogue au récit des Acta chap. 106-115. Comme l’ont montré de manière convaincante J.-D. Kaestli et É. Junod, ce texte est une compilation réalisée peut-être au VIe siècle, des données d’Eusèbe de Césarée avec un texte grec qui est lui-même une compilation des Acta Iohannis, et de diverses autres traditions. Il a un parallèle dans la Passion de Jean du Pseudo-Méliton (CANT 220 = BHL 4320) 187.

184. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite III, mois de Toubeh et d’Amchir (Patrologia Orientalis 10.5), Paris/Freiburg in B., Firmin Didot/Herder, 1917, p. 528-532. 185. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 175-181. 186. Texte édité par É. Junod et J.-D. Kaestli dans É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 798-834. 187. Le texte est étudié dans R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 1, 1883, p. 408-431. Elle est reproduite dans J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Novi Testamenti, collectus, castigatus testimoniisque, censuris & animadversionibus illustratus à Johanne Alberto Fabricio, vol. 3, Hamburgi, sumptib. Benjam. Schiller, 21743, p. 604-623.

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c. Les Actes de Jean à Rome Il convient de mentionner un dernier texte, totalement indépendant des deux précédents 188 et même des Acta Iohannis, les Actes de Jean à Rome (CANT 216 = BHG 899). Ce récit raconte l’arrestation de Jean à Éphèse, son transfert à Rome et sa comparution devant l’empereur Domitien qui lui fait subir l’épreuve du poison. Ce texte évoque un moment où la séparation entre juifs et chrétiens est en train de s’opérer. Domitien veut sévir contre les Juifs, mais ceux-ci détournent habilement son intérêt sur les chrétiens présentés comme sans respect pour les mœurs de Rome et les principes religieux du judaïsme (on note un certain antijudaïsme du texte). Jean est appelé à comparaître et dit que l’Empire demeurera et qu’ensuite le Christ régnera. Jean tient en effet le discours officiel de l’Église impériale : Jean lui répondit [à Domitien] : « Toi, tu régneras encore pendant les nombreuses années qui t’ont été accordées par Dieu, et après toi il en y en aura de nombreux autres. Mais une fois que les temps terrestres seront accomplis, il viendra du ciel un roi éternel, véritable, juge des vivants et des morts, à qui tous les peuples et tribus rendront témoignage, par qui toute autorité et tout pouvoir seront détruits, par qui toute bouche parlant avec orgueil sera fermée 189. »

On est ici dans un cas fascinant de réécriture officielle de l’histoire190. En effet, le récit de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée ( III, 18, 1-3) sert de point de départ à un nouveau récit, tout aussi officiel, qui ne tire plus son origine dans le roman, mais dans la littérature ecclésiastique. Les Actes de Jean à Rome s’inspirent des deux notices sur l’exil de Jean (Hist. Eccl. III, 18 et 20) et réécrivent la comparution des petits-fils de Jude devant Domitien (Hist. Eccl. III, 19-20). On y reconnaît en effet la même trame (la comparution devant un Empereur suite à une dénonciation, le discours sur la dichotomie entre la βασιλεία terrestre et la βασιλεία céleste, la libération des accusés). La discussion sur le pouvoir impérial subordonné à Dieu et l’influence d’Eusèbe permet de dater cette réécriture officielle du Ve siècle (le terminus ad quem étant donné par leur utilisation par Éphrem d’Antioche au VIe siècle).

188. J.-D. KAESTLI, « Les deux vies latines de l’apôtre Jean », Apocrypha 3, 1992, p. 111-123. 189. Actes de Jean à Rome 8. Trad. É. Junod et J.-D. Kaestli, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 884. 190. É. JUNOD, « De l’introduction de l’historiographie dans la littérature apocryphe ancienne : les Actes de Jean à Rome », in B. POUDERON et Y.-M. DUVAL (éds.), L’Historiographie de l’Église des premiers siècles (Théologie historique 114), Paris, Beauchesne, 2001, p. 97-104.

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L’apôtre Jean, dans ce récit, possède tous les dehors d’un homme ascétique. Il est présenté comme quelqu’un d’aspect humble et modeste, qui se contente d’un seul repas par semaine, composé de dattes. Il ne mange qu’après s’être lavé rituellement le visage et porte un λέντιον, un vêtement en usage dans les communautés monastiques. Il est donc une sorte de moine apostolique, modèle d’un christianisme officiel qui se cherche des modèles parfaits. L’épisode le plus célèbre de ce texte est sans conteste le miracle de la coupe qui se présente comme un midrash de Mc 10, 39 annonçant que les deux Zébédaïtes boiront la coupe. « C’est en ton nom, Jésus-Christ Fils de Dieu, que je bois cette coupe : toi adoucis-la, mélange le poison qu’elle contient avec ton saint Esprit et fait qu’elle devienne le breuvage de vie et de salut, pour la guérison de l’âme et du corps, pour la maturation, pour la conduite qui ignore le mal, pour la foi inébranlable, pour le témoignage indéfectible face à la mort, de la même manière que la coupe de l’eucharistie 191 ! »

Jean ne s’écroule pas. Bien plus, il fait boire le reste du breuvage à un esclave, qui meurt sur-le-champ. Ne voulant pas paraître comme un meurtrier, il ressuscite l’esclave. Ébranlé, Domitien l’exile à Patmos. Il rentre enfin à Éphèse. L’origine de cette coupe pourrait remonter à une erreur de lecture d’un texte de Papias, conservé dans le fragment de Philippe de Sidè du Codex Baroccianus 142, fol. 216r. Le Hiérapolitain affirme que Joseph Barsabas aurait survécu à une coupe remplie de ἰὼν ἐχίδνης, de poison de vipère. Or, comme Papias parle ensuite de Jean, les deux ont pu être confondus. L’épisode pourrait également servir à ratifier la mission apostolique présentée dans la finale longue de Mc 16, 17-18 : « Et voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, ils prendront dans leurs mains des serpents, et s’ils boivent quelque poison mortel, cela ne leur fera aucun mal ; ils imposeront les mains à des malades, et ceux-ci seront guéris » 192. Enfin, il convient de ne pas oublier que chez les encratites, le « poison du serpent » désigne souvent le désir sexuel 193 et l’on pourrait lire ici une allusion à un refus de perpétrer l’acte sexuel.

191. Actes de Jean à Rome 9. Trad. É. JUNOD et J.-D. KAESTLI, Acta Iohannis…, vol. 2, p. 885. 192. J. A. KELLHOFFER, Miracle and Mission : the Authentication of Missionaries and their Message in the Longer Ending of Mark (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 112), Tübingen, Siebeck-Mohr, 2000, p. 449-464. 193. F. B. BADHAM, « The Martyrdom of John the Apostle », American Journal of Theology 8, 1904, p. 539-554 (542)

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2. L’exaltation de l’écrivain virginal La légende dorée en voie de constitution trouva un écho dans les récits qui reprirent l’ensemble des données de ces textes, tant en Orient qu’en Occident : le De Viris Inlustribus de Jérôme, les textes liturgiques et les déclarations des Pères. a . Le résumé de Jérôme Les Actes de Jean à Rome, assortis des notices d’Eusèbe de Césarée, forment une sorte de vulgate transmise par tous les écrivains de l’Église impériale, dont témoigne Jérôme. L’auteur du De Viris Inlustribus commence par combiner les données de la tradition sur l’écriture militante du quatrième évangile (une machine de guerre contre les hérésies) avec celles d’Eusèbe. Jean, l’apôtre que Jésus-Christ aimait le plus, le fils de Zébédée et le frère de Jacques l’apôtre, qu’Hérode fit décapiter après la Passion du Seigneur. Il écrivit le plus récent des évangiles à la demande des évêques d’Asie, pour combattre Cérinthe, d’autres hérétiques et surtout les dogmes naissants des Ébionites, qui soutenaient que le Christ n’existait pas avant Marie. Voilà ce qui le détermina à proclamer sa naissance divine. Quelques auteurs donnent une autre cause à cet ouvrage : selon eux, Jean, ayant lu les trois évangiles de Mathieu, de Marc et de Luc, approuva le fond de leur récit et confirma qu’ils avaient respecté la vérité ; mais qu’ils n’avaient relaté que les faits accomplis l’année de la Passion de Jésus-Christ, après l’emprisonnement de Jean-Baptiste. C’est pourquoi, omettant l’année dont ses trois prédécesseurs avaient fait l’histoire, il raconta les événements antérieurs à l’emprisonnement de Jean. Le fait est manifeste pour ceux qui lisent attentivement les quatre évangiles. Voilà qui explique la διαφωνία [les discordances] qui se voit entre Jean et les autres évangélistes 194.

Ensuite, le Stridonien adopte la même solution que Papias de Hiérapolis : la Prima Johannis est authentique, les deux autres sont sujettes à caution. 194. Ioannes Apostolus, quem Iesus amauit plurimum, filius Zebedæi, frater Iacobi apostoli, quem Herodes post passionem Domini decollauit, nouissimus omnium scripsit Euangelium, rogatus ab Asiæ episcopis, aduersus Cerinthum, aliosque hæreticos, et maxime tunc Ebionitarum dogma consurgens, qui asserunt Christum ante Mariam non fuisse. Unde et compulsus est diuinam eius natiuitatem edicere. Sed et aliam causam huius scripturæ ferunt, quod cum legisset Matthæi, Marci et Lucæ uolumina, probauerit quidem textum historiæ, et uera eos dixisse firmauerit, sed unius tantum anni, in quo et passus est, post carcerem Ioannis, historiam texuisse. Prætermisso itaque anno, cuius acta a tribus exposita fuerant, superioris temporis antequam Ioannes clauderetur in carcerem, gesta narrauit : sicut manifestum esse poterit his qui diligenter quatuor Euangeliorum uolumina legerint. Quæ res etiam διαφωνίαν, quæ uidetur Ioannis esse cum cæteris, tollit. Nous suivons A. CERESA-GASTALDO, Gli uomini illustri (Biblioteca patristica 12), Firenze, Nardini, 1988, p. 93-95. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 12.

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Jean a aussi écrit une épître qui commence ainsi : « Ce qui fut au commencement, ce que nous avons entendu, ce que nos yeux ont vu, ce que nous avons observé, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ». Cet ouvrage est reconnu par tous les gens d’Église et par tous les gens instruits. Quant aux deux autres épîtres qui commencent, la première par « L’ancien à la femme élue et à ses fils » et la seconde par « L’ancien à son cher et bien-aimé Caïus », on les attribue au prêtre Jean, dont on voit encore le tombeau à Éphèse. Plusieurs ont pourtant prétendu que ce tombeau était un double monument élevé à la mémoire de ce dernier et à celle de Jean l’évangéliste : nous examinerons ce point quand nous en serons arrivés à Papias, son disciple 195.

La discussion reprend celle d’Eusèbe à propos de Papias. Enfin, Jérôme reprend la tradition de Patmos et la mort tardive à Éphèse : La persécution commencée par Néron ayant été renouvelée la quatorzième année du règne de Domitien, Jean fut relégué dans l’île de Patmos, et il y écrivit son Apocalypse, qui fut commentée depuis par Justin Martyr et par Irénée. Lorsque Domitien fut tué, le Sénat annula ses actes, à cause de leur excessive cruauté. Jean revint sous le Princeps Nerva à Éphèse, où il demeura jusqu’au principat de Trajan. Il fonda et dirigea les Églises d’Asie. Accablé de vieillesse, il mourut la soixante-dix-huitième année après la Passion de Jésus-Christ, et fut enterré près d’Éphèse 196.

b. La triple tradition de la sépulture de l’apôtre Autre élément de mise en place d’une hagiographie : la détermination d’un lieu de culte et donc d’une sépulture. Si tous s’accordent sur le trépas éphésien, on s’aperçoit que tous ne sont pas d’accord sur le lieu de sépulture. Les premiers textes sont assez vagues. Ainsi, l’anonyme gréco-syrien du IVe siècle se garde bien de se prononcer sur un quelconque lieu. 195. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inl. 9, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 12. Scripsit autem et unam Epistolam, cuius exordium est : Quod fuit ab initio, quod audiuimus, et uidimus oculis nostris, quod perspeximus, et manus nostræ contrectauerunt de uerbo uitæ, quæ ab uniuersis Ecclesiasticis et eruditis uiris probatur. Reliquæ autem duæ, quarum principium est : Senior Electæ dominæ et natis eius, et sequentis : Senior Caio charissimo, quem ego diligo in ueritate, Ioannis presbyteri asseruntur, cuius et hodie alterum sepulcrum apud Ephesum ostenditur, etsi nonnulli putant duas memorias eiusdem Ioannis Euangelistæ esse, super qua re cum per ordinem ad Papiam auditorem eius uentum fuerit, disseremus. 196. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inl. 9, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 13. Quarto decimo igitur anno, secundum post Neronem persecutionem mouente Domitiano, in Patmos insulam relegatus, scripsit Apocalypsim, quam interpretatur Iustinus Martyr et Irenæus. Interfecto autem Domitiano, et actis eius ob nimiam crudelitatem a senatu rescissis, sub Nerua principe redit Ephesum, ibique usque ad Traianum principem perseuerans, totas Asiæ fundauit rexitque Ecclesias, et confectus senio, sexagesimo octauo post passionem Domini anno mortuus, iuxta eamdem urbem sepultus est.

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Jean l’évangéliste et Jacques son frère fils de Zébédée. Jacques est mort sous Hérode par le glaive ; Jean mourut à Éphèse, soixante-huit ans après l’ascension du Seigneur 197.

Le Pseudo-Épiphane, qui en dépend, fait de même : Jean, son frère, prêcha d’abord l’Évangile du Christ en Asie. Puis sous Trajan, empereur des Romains, fut exilé dans l’île de Patmos à cause de la parole du Seigneur. Là, il écrivit l’Évangile selon Jean et le diffusa par l’intermédiaire de Gaïus qui était son hôte. Après la mort de Trajan, il revint de Patmos à Éphèse, où il s’enterra vivant, à l’âge de cent vingt ans, selon la volonté de Dieu 198.

Ces données miment celles du Pseudo-Prochore, qui paraît être à l’origine à la fois de la confusion avec Trajan, de l’écriture à Patmos de l’évangile, et de la présence de Gaïus. Mais bientôt, trois traditions voient le jour. Démêler les différents fils de ces trois tendances se révèle extrêmement difficile, car elles semblent concomitantes et paraissent avoir coexisté dans les mêmes lieux. 1. La tradition de la disparition du corps. – La tradition de la disparition du corps semble avoir gagné aussi bien l’Orient que l’Occident autour du Ve siècle, comme le montre le De Ortu et Obitu prophetarum 199 qui dit que Jean terræ reconditus iacet, « gît caché par la terre ». Cette idée est reprise par le Pseudo-Hippolyte qui est pourtant dépendant d’Épiphane, et qui ne se contente pas de corriger « Trajan » en « Domitien » : Jean, en Asie, il fut banni par l’empereur Domitien sur l’île de Patmos dans laquelle il écrivit son évangile et vit son apocalypse. Il s’endormit à l’époque de Trajan à Éphèse où l’on chercha ses restes sans pouvoir les trouver 200.

Cette tradition de l’ignorance du tombeau provient de l’Histoire syriaque de Jean 201 et se retrouve dans d’autres notices issues du christianisme syriaque. Ainsi Salomon de Bassorah indique-t-il dans le Livre de l’Abeille que Jean a fait en sorte que personne ne connaisse son tombeau : Quand Jean eut vécu un temps fort long, il mourut et fut enterré à Éphèse. Et Jean, le disciple de l’évangéliste, qui devint évêque d’Éphèse, l’enterra, car il commanda que personne ne connût la place de sa tombe. Leurs tombes 197. Trad. Fr. DOLBEAU, ÉAC II, p. 467. 198. Trad. Fr. DOLBEAU, ÉAC II, p. 474. 199. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105). 200. Ἰωάννης δὲ ἐν Ἀσίᾳ ὑπὸ Δομετιανοῦ τοῦ βασιλέως εξορισθείς ἐν Πάτμῳ τῇ νήσῳ, ἐν ᾗ καὶ τὸ εὐαγγέλιον συνεγράψατο, καὶ τὴν ἀποκάλυψιν ἐθεάσατο, ἐπὶ Τραιανοῦ ἐκοιμήθη ἐν Ἐφέσῳ, οὗ τὸ λείψανον ζητηθὲν οὐχ εὑρέθη. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 164-165. 201. En compagnie de J.-D. KAESTLI, « Le rôle des textes bibliques dans la genèse et le développement des légendes apocryphes », Augustinianum 33, 1983, p. 319-336.

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à tous deux sont à Éphèse : celle qui est cachée est celle de l’évangéliste, et l’autre, celle de son disciple Jean, l’auteur de l’Apocalypse 202.

Le chroniqueur Agapius de Mabboug (Xe siècle) enchaîne : On raconte que Jean l’évangéliste ne mourut pas, mais qu’étant poursuivi par les habitants d’une certaine ville, il monta sur la montagne et se cacha à leurs regards, et personne ne sut ce qu’il était devenu 203.

Au XIe siècle, Jean Mauropous (v. 1000-v. 1070) connu aussi comme Jean d’Euchaita du nom du diocèse où il fut relégué, résume cette croyance très répandue dans le monde grec : καὶ μὴ θανὼν ζῇ, καὶ θανὼν Ἰωάννης 204, « Jean vécut sans être mort, tout en étant mort. » 2. La tradition de la manne sur le tombeau. – En Occident, la croyance dans les vertus extraordinaires de Jean était si forte que certains chrétiens estimaient qu’il n’était pas mort, conformément à ce que dit Jn 21, 22 et qu’il avait été enseveli vivant et dormait sous sa tombe à Éphèse. Augustin (Homélies sur Jean 124) rapporte même qu’on voyait que la terre au-dessus du tombeau semblait croître et décroître comme si l’apôtre respirait encore. Il ne croit manifestement pas à cette tradition qu’il nomme opinio. En revanche, il précise par ailleurs qu’une sorte de poudre en incandescence venait du tombeau. Il la nomme manne et y croit bien davantage, puisqu’il nomme cette tradition fama. Les fidèles l’emportaient et de nouvelles quantités apparaissaient. Grégoire (Gloire des Martyrs 30) raconte que le miracle a encore lieu de son temps 205. Pour lui, cette terre est bien de la manne, elle est comme de la farine, et fait de tous côtés des miracles. Isidore de Séville rapporte le même miracle 206, à l’instar du Liber de ortu qui s’en inspire (§ 48.4). Une fête en commémoration de ce miracle était fixée au 8 mai 207. Elle passa par la suite dans l’Église grecque où elle est encore célébrée 208.

202. E. A. W. BUDGE, The Book of the Bee…, p. 118. 203. A. VASILIEV, Histoire universelle écrite par Agapius (Mahboub) de Menbidj (Patrologia Orientalis 5, 5), Paris, Firmin-Didot, 1907, p. 493. 204. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 205. 205. GRÉGOIRE DE TOURS, In Gloria Martyrorum 29, Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1.2), Hannoveræ (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 55. Cujus nunc sepulcrum manna in moduni farinæ hodieque eructat, ex qua beatæ reliquiæ, per universum delatæ mundum, salutem morbidis præstant. « Encore aujourd’hui, ce tombeau sécrète une manne semblable à de la farine, relique précieuse, qui, transportée dans le monde entier, rend la santé aux malades. » 206. ISIDORE DE SÉVILLE, De Ortu et obitu patrum 72. 207. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien…, p. 270. 208. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 41, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1993, p. 207.

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3. La tradition de l’enlèvement au ciel. – Il faut enfin citer la tradition de l’enlèvement au ciel, que l’on trouve chez Éphrem d’Antioche ou André de Césarée 209 qui ont pensé que Jean, à l’imitation d’Élie et d’Hénoch, aurait disparu au regard de tous pour être emporté dans les cieux. Syméon le Métaphraste rappelle, avec quelques modifications, le récit du PseudoProchore : Jean s’ensevelit lui-même tout vivant. Le lendemain, ces disciples ne retrouvent que ses chaussures. L’hagiographe commente : Καὶ ὃ μὲν τῷ Ἐνὼχ καὶ τῷ Ἠλίᾳ τῷ Τεσβίτῃ συναγελάζεται, il avait rejoint Hénoch et Élie le Tishbite 210. c. Une figure de virg inité che z les Pères Pour être complet sur la réception de la figure johannique, il convient de rappeler que les Pères insistent sur le fait que Jean est par excellence une figure de virginité : Épiphane 211, Ambroise 212, Jean Chrysostome 213, Paulin de Nole 214, Cassien 215 et de nombreux autres en font mention. Cette virginité explique une partie de la mission qu’il a reçue. Jérôme le rappelle et enchaîne en affirmant que c’est sa virginité qui justifie la communication particulière qu’il entretenait avec Jésus (Augustin dit à plusieurs reprises exactement la même chose 216), et aussi sa capacité à résister au martyre et à ressortir de la cuve d’huile bouillante, régénéré comme dans le chaudron de Médée : purior et uegetior exiuerit quam intrauerit217. Cette pureté sert à justifier qu’il accueille la Vierge chez lui. Comme le dit joliment Pierre Chrysologue : ayant à prêcher un Dieu né d’une vierge, il a chez lui la preuve de cette virginité 218. Le Liber de ortu a lui aussi une jolie expression, au VIIIe siècle : Ce Jean voulait prendre femme à Cana de Galilée, quand le Seigneur Jésus transforma l’eau en vin, mais le Seigneur Jésus le prit pour un modèle de virginité, pour que vierge il aide la Vierge et que la mère l’ait pour fils. En

209. Références dans M. JUGIE, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge. Étude historico-doctrinale (Studi e Testi 114), Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1944, p. 716. HIPPOLYTE, De Consumatione mundi 21, PG 10, 921-924 ; ÉPHREM D’ANTIOCHE chez PHOTIUS, Bibl. 229, PG 103, 986-988 ; ANDRÉ DE CÉSARÉE, Commentarius in Apocalypsin 29, PG 100, 309. 210. SYMÉON LE MÉTAPHRASTE, PG 116, 703. 211. Adv. Hær. 58, 4. 212. De Sym. 30, 4. 213. De Virginitate VIII, 2, 6. 214. Ep. 43. 215. Coll. 16, 14. 216. In Ps. 144 ; In Jo. XVIII, 20 ; LXXII, 1 ; Ad. Pr. 9. 217. Adv. Jov. 1, 26. 218. Sermo 49.

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effet, alors que la mère du Maître prit le disciple, il était lui-même resté pour le Christ comme un autre fils 219.

3. Jean dans les textes de piété populaire mariale Le lien qu’entretient l’apôtre avec la Vierge Marie prend de l’ampleur à partir de la montée en puissance du culte marial, après les conciles christologiques des IVe et Ve siècles. Le texte de Jn 19 est en effet invoqué pour expliquer que Jean soit toujours au plus près de la Mère de Dieu. On peut ici faire l’inventaire des textes du cycle marial impliquant l’apôtre. a . La Dormition de Marie du Pseudo-Jean La Dormition de Marie du Pseudo-Jean (CANT 101 = BHG 10551056) est peut-être le plus ancien texte appartenant au Transitus Mariæ. Elle pourrait dater du Ve siècle, car elle veut légitimer le dogme de la Theotokos. Il est assez possible que ce texte fasse mémoire d’une fête de la Mère de Dieu dont on sait que l’origine est Jérusalem, ce qui permettrait de localiser le texte. En outre, il manifeste une bonne connaissance Jérusalem et de ses alentours. Le texte parle de Dormition et non d’Assomption. Il a été utilisé dans l’Église grecque pour le Quinze-Août. Il se présente comme un discours de Jean le Théologien. Marie se trouve à Jérusalem (elle n’est pas à Éphèse, mais habite Bethléem) et, au cours d’une visite au tombeau de son Fils, apprend qu’elle va mourir. Le récit prend alors une touche personnelle : Pendant qu’elle priait, moi, Jean, j’arrivai, le Saint-Esprit m’ayant enlevé d’Éphèse sur une nuée et posé là où demeurait la mère de mon Seigneur. Entrant, je glorifiais celui qui était né d’elle et je dis : « Salut, ô mère de mon Seigneur, toi qui as donné naissance au Christ, notre Dieu ! Réjouistoi, car tu quittes cette vie en grande gloire 220. »

Tout ce texte est un décalque de l’Annonciation avec Jean en ange Gabriel qui proclame la gloire de Dieu. En effet, la Dormition est un texte liturgique dans lequel se rencontre une foule de termes techniques (en particulier θυμιάω, brûler de l’encens, qui se retrouve à de nombreuses reprises). On notera la délicatesse du théologien-ange qui utilise ἐξέρχομαι, « sortir » et évite ainsi soigneusement de parler de mort. b. Jean dans l’Assomption de Marie L’Assomption de Marie, que l’on nomme aussi Transitus grec « R » (CANT 102 = BHG 1056d) est un texte autonome, probablement de 219. Liber de ortu 48.1 Iste enim Iohannis in Chanan Galileæ uxorem ducere uoluit, quando Dominus Iesus aquam in uinum conuertit, sed Dominus Iesus ad uirginitatis exemplum illum traxit, ut uirgo Virginem adiuuaret et mater filium pro filio haberet ; dum enim suscipit mater Magistri discipulum, etiam ipse pro Christo alter quodammodo relictus est filius. 220. Dormition de Marie du Pseudo-Jean 6, trad. S. C. MIMOUNI, ÉAC I, p. 173-174.

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Constantinople, qui daterait du Ve-VIe siècle. Il affirme la croyance en la Résurrection et l’Assomption et en la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie. Dans ce texte, on brode sur le fait que Jean a été confié à Marie, en particulier lors du discours d’adieu. Marie, qui sait qu’elle va mourir, voit Jean en premier : « Maintenant donc, père Jean, n’oublie pas les ordres que tu as reçus à mon sujet. Souviens-toi qu’il t’a aimé plus que les autres, souviens-toi qu’à toi seul il a dit le secret (μυστήριον) quand tu étais couché sur sa poitrine, et personne ne l’a connu sauf toi et moi, toi parce que tu es vierge choisi, moi parce qu’il n’a pas voulu m’affliger, car moi aussi je demeure proche de lui 221. »

Quel est ce mystérion qu’il convient de garder ? Peut-être est-ce celui de l’incorruptibilité du corps. En tout cas, l’exaltation, déjà mentionnée, avec la virginité de l’apôtre, est plus que claire. Aussi la Vierge lui fait-elle la recommandation de prendre soin du corps (16). Et enfin, elle opère avec lui une sorte de transmission de flambeau : Elle apporta un coffret dans lequel il y avait un livret et elle dit : « Père Jean, prends ce livre dans lequel se trouvait le secret. Quand il eut cinq ans, le Maître me fit connaître tout ce qui concerne la création ; et vous aussi, les Douze, il vous a inscrits dans ce livre. » Elle lui fit voir ses vêtements funèbres et tous les préparatifs de sa dernière demeure en disant : « Père Jean, tu sais tout ce que j’ai dans cette grande maison, rien sinon mes vêtements funèbres et deux tuniques. Or il y a ici deux veuves. Quand je serai sortie de mon corps, tu en donneras une à chacune 222. »

Quel peut bien être le texte conservé dans le coffret (γλωσσόκομον) ? L’hypothèse la plus vraisemblable est qu’il s’agit du Prologue du quatrième évangile sur le Logos ( Jn 1), qui contient tout ce qui concerne la création. Les vêtements funèbres (κηδεία), quant à eux, reviennent tout au long du texte, et pourraient s’expliquer par le fait que depuis la fin du Ve siècle, on vénérait à Constantinople une tunique dérobée en Palestine par Galbios et Candidos (culte accrédité par le Récit de Galbios et Candidos, CANT 105a 223). c. Un destin semblable à la Vierge À force d’être associé à la Vierge, Jean a connu, dans l’hagiographie plus tardive, une certaine communion de destin avec la mère de Jésus 224.

221. Assomption de Marie 15, trad. S. C. MIMOUNI, ÉAC II, p. 223. 222. Assomption de Marie 20, trad. S. C. MIMOUNI, ÉAC II, p. 225. 223. Texte dans S. C. MIMOUNI, Dormition et Assomption de Marie (Théologie historique 98), Paris, Beauchesne, 1995, p. 646-652. 224. Toutes nos références viennent de l’ouvrage de l’assomptionniste Martin Jugie : M. JUGIE, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge…, p. 719-726.

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En effet, certains auteurs ont cru bon de lui reconnaître le privilège d’une résurrection glorieuse anticipée. Il ne s’agit pas, comme la Vierge, d’une assomption, mais plus précisément d’une mort et d’une résurrection glorieuse. Ainsi Nicetas le Paphlagonien (mort en 890) affirme-t-il que Jean est au ciel et qu’il tient compagnie à la Vierge 225. Nicéphore Calliste Xanthopoulous (mort vers 1330) brode sur le Pseudo-Prochore : une fois que Jean s’est étendu dans sa tombe, une gloire l’a entouré et changea son corps en corps glorieux, puis il fut enlevé au ciel en compagnie de la Théotokos dont il était devenu par grâce le fils 226. On retrouve ces théories en Occident malgré de nombreuses réticences. Pierre Damien affirme (avec une certaine prudence, probabiliter) au XIe siècle que la résurrection de Marie implique celle de Jean, sicut de beata dei genitrice creditur, ita etiam beatus Ioannes iam resurrexisse probabiliter asseratur 227. En revanche, Abélard, qui rapporte que certains pensaient que Jean serait déjà ressuscité, se contente d’affirmer que le corps de l’apôtre était préservé de la putréfaction à cause de la manne qui était sur son tombeau 228. Il rappelle en cela la croyance exprimée par Grégoire de Tours et Isidore de Séville dans le Liber de Ortu et obitu patrum 229. Thomas d’Aquin, quant à lui, semble avoir formellement cru à cette résurrection anticipée sous prétexte que son tombeau n’aurait pas été découvert 230 : ici encore, le lien est fait dès l’époque carolingienne par le Liber de ortu, qui rappelle que l’on ne retrouva point son tombeau. d. La tradition de Jean et Marie à Éphèse Simon Mimouni, dans son livre sur la Dormition et l’Assomption de Marie 231 montre que le lien – aujourd’hui très apprécié par les touristes – que l’on fait entre la tradition johannique d’Éphèse et la Vierge, remonte à une époque très récente. 1. La tradition du tombeau à Éphèse. – La tradition d’un tombeau de la Vierge à Éphèse ne remonte pas avant le XVIIe siècle, et il semble qu’il 225. NICETAS DAVID, Oratio VI, PG 105, 124-125. 226. Hist. Eccl. II, 42, PG 145, 873. 227. PIERRE DAMIEN, Sermo LXIV de sancto Ioanne, CCSM 57, l. 187. 228. ABÉLARD, De sancto Iohanne, PL 178, 538. 229. ISIDORE DE SEVILLE (ISIDORUS HISPALENSIS), De Ortu et obitu patrum (Auteurs Latins du Moyen Âge), trad. C. Chaparro-Gomez, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 208. Vnde accidit ut quidam uiuere asserunt, ne mortuum eum in sepulchro, sed dormientem iacere contendant, maxime pro eo quod illic terra sensim ab imo scaturiat et ad superficiem sepulchri conscendat et quasi flatum quiescentis deorsum ad superiora puluis ebulliat. 230. THOMAS D’AQUIN, Super Euangelium Iohannis reportatio 21, 5, ed. MARIETTI, 1952, p. 487 : [credendum] quod mortuus fuit et resurrexit etiam in corpore. Et huiusmodi signum est, quia corpus eius non inuenitur, et sic beatus manet cum Christo. 231. S. C. MIMOUNI, Dormition et Assomption de Marie (Théologie Historique 98), Paris, Beauchesne, 1995, p. 585-597.

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faille en attribuer la paternité à Lenain de Tillemont. En effet, quoiqu’il s’appuie souvent sur Baronius, qui situait la mort de la Vierge en 48232, l’auteur des Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique s’en écarte 233 pour se fonder sur un passage de la lettre adressée par le concile d’Éphèse en 431 au peuple et au clergé de Constantinople afin de leur annoncer la condamnation de Nestorius à Éphèse, « où sont Jean le Théologien et la Vierge Théotokos Sainte Marie » (ἔνθα […] ἡ θεοτόκος παρθένος ἡ ἁγία Μαρία). Cette déclaration est bien faible, car elle va contre la tradition constante d’un trépas à Jérusalem et suppose que les tombeaux de Jean et de Marie étaient réunis dans une basilique. En réalité, la basilique d’Éphèse a toujours été dédiée à Jean, tandis que l’église du Concile était dédiée à la Vierge comme l’ont montré les rapports de fouilles des Autrichiens : les rédacteurs ont simplement réuni les deux 234. L’opinion de Lenain de Tillemont semble sui generis et indépendante d’une notice, découverte par Michel van Esbroeck dans un manuscrit de 874 (Londres BL Add. 17103 f° 80r/v) issue de la tradition syrienne jacobite qui mentionne que : La septième année de Domitien (87), la bienheureuse Marie quitta ce monde le 23 Iyyar, le vendredi de la troisième heure. Et elle recommanda à Jean de ne pas révéler où reposerait son corps, et Jean acquiesça et l’enterra dans la terre d’Éphèse 235.

Cette notice, qui cherche à légitimer le siège épiscopal d’Éphèse, a pu être écrite lors des conflits qui opposèrent Julien d’Halicarnasse et Sévère d’Antioche, soit au début du VIe siècle. Elle n’eut manifestement pas une grande postérité. 2. La tradition de la maison de la Vierge. – La tradition selon laquelle la Vierge aurait habité à Éphèse pour suivre Jean n’a pas plus de consistance. Elle remonte en effet aux visions d’Anne-Catherine Emmerich mises par écrit (et largement réécrites) par Clement Brentano. Dans une vision de juillet 1822, on peut lire : Marie ne demeurait pas à Éphèse même, mais dans les environs, où s’étaient établies déjà plusieurs femmes de ses amies. Son habitation était située à 232. C. BARONIUS, Annales ecclesiastici Cæsaris Baronii, vol. 1, Barri-Ducis (Barle-Duc), Guérin, 1864, p. 324-331. 233. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693, p. 491-492. 234. S. KARWIESE, Erster vorläufiger Gesamtbericht über die Wiederaufnahme der archäologischen Untersuchung der Marienkirche in Ephesos (Denkschriften/Österreichische Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-Historische Klasse 200), Wien, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1989, p. 81-85. 235. M. VAN ESBROECK, « Deux listes d’apôtres conservées en syriaque », in R. LAVENANT (éd.), IIIe Symposium syriacum 1980 (Orientalia Christiana Analecta 221), Rome, Pontificio Istituto Orientale, 1983, p. 15-24 (22).

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trois lieues et demie d’Éphèse, sur une montagne qu’on voyait à gauche, en venant de Jérusalem, et qui descendait rapidement vers Éphèse. En venant du sud-est, on aperçoit la ville comme ramassée au pied d’une montagne, mais on la voit s’étendre tout autour à mesure qu’on s’avance. Devant Éphèse se trouvent de grandes allées d’arbres, sous lesquels des fruits jaunes se trouvent par terre. Un peu au midi, d’étroits sentiers conduisent sur une hauteur couverte de plantes sauvages ; puis, on trouve une plaine ondulée et couverte de végétation qui a une demi-lieue de tour : c’était là que s’était fait cet établissement. C’est une contrée très solitaire, avec beaucoup de collines agréables et fertiles, et quelques grottes creusées dans le roc, au milieu de petites places sablonneuses. Le pays est sauvage, sans être stérile ; il y a çà et là beaucoup d’arbres à forme pyramidale, dont le tronc est lisse et dont les branches ombragent un large espace 236.

Sur ces indications, les Lazaristes menés par le P. H. Jung, préparèrent une expédition en 1891, relatée par le livre d’E.-P. Gabrielovich 237 et « découvrirent » sur le Bulbul-Dagh les ruines d’une église du IVe siècle qu’ils prirent pour une construction du Ier siècle. Cette découverte fut authentifiée par l’archevêque de Smyrne, Mgr Timoni, ce qui lança les pèlerinages. Le livre du P. Gouyet, « prêtre libre », montre bien l’ambiance de cette découverte. Fasciné par les révélations d’A.-C. Emmerich, il commence par une visite en Palestine pour confirmer les révélations de la « voyante », puis va à Éphèse constater sur place que ce qui est décrit par la religieuse est bien ce que l’on peut découvrir dans la réalité : « ça pourrait bien remonter à 1800 ans 238 » conclut-il. Ces opinions, vigoureusement combattues dès leur parution 239, reposent sur trop peu de faits assurés pour être prises en considération.

4. Une résurgence de la figure du voyant : l’apocalypse apocryphe de Jean Pour être complet sur la construction de la figure johannique, il convient de mentionner un texte placé sous son autorité qui rappelle qu’il a été assimilé au voyant de l’Apocalypse et que ce caractère de visionnaire perdure et fait partie de l’édification d’une figure d’excellence. L’Apocalypse apocryphe de Jean est un texte qui reprend très clairement le texte canonique. Il commence comme une révélation, mais se poursuit 236. C. BRENTANO, Vie de la Sainte Vierge d’après les méditations d’Anne-Catherine Emmerich, trad. E. de CAZALES, Paris, Bray, 81869, p. 373. 237. E. P. GABRIELOVICH, Panaghia-Capouli ou la maison de la Sainte Vierge près d’Éphèse, Poitiers/Paris, Oudin, 1896. 238. P. GOUYET, Découverte dans la montagne d’Éphèse de la maison où la Très Sainte Vierge est morte et fouilles à faire pour découvrir aussi le tombeau d’où elle s’est élevée au ciel, Paris, Chez l’auteur, 1898, p. 40. 239. A.-M. DE LA BROISE, « Les dernières années de la S. Vierge. Découvertes et publications récentes », Études 34, 1897, p. 289-303.

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par des questions et réponses pour résoudre des difficultés liées à l’interprétation des événements eschatologiques et leur déroulement. C’est un texte assez monotone, en deux parties, qui constitue une sorte de « petit manuel » sur les fins dernières. La première partie parle des événements avant le jugement (5 – 17) : l’Antichrist, le temps de la disette, la disparition de la vie humaine sur la terre, la résurrection générale, la purification générale de tout par le feu (sauf ce qui doit être préservé qui monte temporairement aux cieux), la descente du Christ. La seconde partie traite du jugement (18 – 27) : elle commence par une vision de l’agneau qui ouvre les sceaux et se poursuit par une énumération de tout ce qui va passer en jugement : les ennemis et les esprits impurs (jetés dans les ténèbres extérieures), les païens idolâtres (jetés dans l’Hadès), les Hébreux meurtriers du Christ (jetés dans le Tartare), les baptisés séparés en justes et pécheurs (les pécheurs ont des châtiments, les justes retrouvent les anges). Le terminus ad quem est le IXe siècle (mention dans un commentaire byzantin, la Grammaire de Denys de Thrace). On peut y reconnaître l’influence d’Éphrem le Syrien (sur la venue du Christ) et la légende de la Vraie Croix, ce qui le date d’après le IVe siècle. Pendant tout le livre, Jean est appelé le « Juste Jean », ce qui indique sa dignité. Il est d’abord le support d’une révélation, puis il interroge directement Dieu. Il adopte la position traditionnelle du Voyant de l’Apocalypse. Le texte est très passionnant pour l’histoire des idées, mais n’a pas beaucoup d’intérêt pour l’évolution de la figure de Jean. Pour conclure, notons que nous ne traiterons pas la Deuxième Apocalypse apocryphe de Jean éditée par F. Nau en 1914 à partir du ms. Paris grec 947 puisque le Jean dont il s’agit est manifestement Jean Chrysostome 240. Nous ne traiterons pas non plus de la Troisième Apocalypse apocryphe de Jean (BHG 922k) qui reprend certaines questions de l’Apocalypse apocryphe, ni des Questions de Jacques frère du Seigneur à Jean le Théologien (BHG 765 = CANT 279) ni de l’Interrogatio Iohannis d’origine bogomile et remontant probablement à un original byzantin du XIe siècle, traduit en latin et ramené en occident par Nazaire vers 1190 241, car ils sont nettement postérieurs à la période que nous étudions. B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Le grand homme et ses homonymes : les deux parties du titre résument bien la figure de Jean. Vraiment, « saint Jean » est le grand homme de 240. F. NAU, « Une deuxième Apocalypse apocryphe grecque de saint Jean », Revue Biblique 11, 1914, p. 173-200. 241. E. BOZÓKY, Le Livre secret des Cathares. Interrogatio Johannis. Apocryphe d’origine bogomile (Textes dossiers documents 2), Paris, Beauchesne, 1980, p. 27 et 195.

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l’Église, dont la gloire ne subit pas d’éclipse. Non seulement il est connu aussi bien en Occident qu’en Orient (d’ailleurs, son lieu traditionnel de sépulture, Éphèse, constitue une sorte de barycentre des deux mondes) et pareillement vénéré ici que là, mais il ne connut que fort peu de « récupération », d’exclusion, de reprises en main. Il est une sorte de figure œcuménique, vénérée universellement, et non une de ces figures de discorde comme Pierre ou André. Le nombre de lieux où il est vénéré prouve sa popularité. À Éphèse, on vénère son tombeau, à Patmos on montre la grotte où le saint reçut la révélation de l’Apocalypse, à Rome le lieu où il fut plongé dans l’huile bouillante (San Giovanni in Oleo), au Latran, la basilique où son corps fut déposé. Avec Jean Baptiste et Pierre, il est l’un des seuls personnages que l’on fête deux fois : une fois entre Noël et le Jour de l’An (à des dates variables selon les calendriers et les rites) en même temps que les autres apôtres et une fois le 6 mai, pour commémorer la dédicace de la basilique de la Porte latine (en Occident) ou le miracle de la poudre qui sourd de son tombeau (en Orient) 242. Mais paradoxalement, ce grand homme est une construction fragile qui repose sur une série d’homonymies. Elle ne parviendra vraiment à s’imposer qu’au cours du IVe siècle, même si c’est précisément ce caractère composite qui fera seulement par après toute la force de cette figure. L’iconographie de Jean traduit bien les contradictions de cette figure. En effet, cas unique pour les apôtres 243, son iconographie offre deux types très différents 244. En Occident, il est représenté comme l’apôtre virginal, jeune et imberbe, tandis que dans l’art byzantin il est le vieillard à la barbe blanche qui a longtemps vécu. Ses attributs émanent des les textes apocryphes. La coupe empoisonnée reprend la comparution devant Domitien : son caractère létal est représenté le plus souvent sous la forme d’un petit dragon symbolisant le venin exorcisé par une croix. La chaudière d’huile bouillante rappelle son supplice à la porte latine : Jean y est plongé jusqu’au torse, parfaitement vivant et sans marques de souffrance. La palme est celle qu’il avait tenue devant le lit de la Vierge, lors de son Assomption/Dormition.

242. F. SPADAFORA, « Giovanni Evangelista – Traditizione e culto », Bibliotheca Sanctorum, vol. 6, Roma, Città Nuova, 1966, p. 786-790. 243. C’est ce qui avait surpris un aussi bon connaisseur de l’art qu’était Émile Mâle qui disait que cette règle ne souffrait d’aucune exception à part l’étonnant saint Jean assis de la cathédrale de Florence : É. MÂLE, Les Saints Compagnons du Christ, Paris, Beauchesne, 21988, p. 185. 244. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. II, Paris, PUF, 1959, p. 711-712.

CHAP. 6

PHILIPPE, APÔTRE DE LA PHRYGIE Dans notre enquête sur l’utilisation des apôtres dans les processus de légitimation des communautés, Philippe fournit une preuve éclatante de ce que nous avançons, à savoir que le processus de canonisation attache un apôtre pour le meilleur et aussi pour le pire à une communauté. Que se passe-t-il en effet lorsque la communauté est impitoyablement traquée et finit par disparaître ? L’aura de l’apôtre disparaît elle aussi. C’est ce que nous allons montrer en étudiant la figure de Philippe. Associé dès l’origine à la Phrygie au prix d’une assimilation avec Philippe le Diacre, il est irrévocablement associé à cette région et ne réussit pas véritablement à se relever de la crise montaniste. I. U N

APÔTRE COMPOSITE

Lorsque l’on s’empare des textes canoniques, on s’aperçoit qu’il existe deux Philippe. « Philippe l’apôtre » l’un des Douze, qui est toujours présenté en cinquième position dans les listes, et qui a une petite importance chez Jean et « Philippe le diacre », présent dans les Actes des Apôtres. Φίλιππος est en effet un nom courant en grec, puisqu’il s’agit du nom du père d’Alexandre le Grand. Il est plus rarement donné chez les Juifs, et uniquement par des familles hellénisées comme celle d’Hérode 1. Dans le mouvement de Jésus, il est probable que ce nom devait faire « élégant » et « grec », et il est possible que cela suggère que ces Philippe aient pu faire partie des classes élevées de la société 2. A. Philippe l’apôtre Philippe est simplement mentionné dans les synoptiques, mais fait partie de ceux des Douze auxquels Jean fait jouer un certain rôle. 1. L’exemple de la difficulté d’être disciple. – Jean construit Philippe comme un exemple de la difficulté d’être disciple : il souligne à la fois ses 1. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 310. 2. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist : Configurations of a Tradition (Novum Testamentum Supplements 105), Leiden, Brill, 2002, p. 18.

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forces et ses faiblesses. Au début, le voilà disciple modèle. Il bénéficie d’ailleurs d’un appel particulier que l’on peut citer en entier : Jn 1, 43-46. – Le lendemain, Jésus voulut se rendre en Galilée, et il rencontra Philippe. Il lui dit : « Suis-moi ». Philippe était de Bethsaïde, de la ville d’André et de Pierre. Philippe rencontra Nathanaël, et lui dit : « Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, fils de Joseph ». Nathanaël lui dit : « Peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » Philippe lui répondit : « Viens, et vois ».

On reconnaît dans ce texte la brutalité de l’appel à la Jean ou à la Marc 3. Il n’y a pas de débat intérieur, pas de réticence. Tout se passe comme si Jésus commandait souverainement et que le futur apôtre était déjà préparé à accomplir sa mission. D’emblée, Philippe se trouve dans une position de foi et même d’évangéliste : comme le dit Lenain de Tillemont, « Philippe devint en même temps le disciple et le prédicateur de la vérité 4 ». En nommant Jésus avec toute son identité (son nom, son lieu de provenance et son ascendance), il réalise l’identification de la personne concrète à « celui de qui Moïse a écrit dans la Loi », le Messie. En effet, Philippe fait certainement allusion 5 à Dt 15, 19 : « Yahvé ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères, un prophète comme moi, que vous écouterez ». Pourtant, en persistant à le nommer « fils de Joseph », il montre qu’il n’a pas encore compris que Jésus est surtout le Fils de Dieu, comme ne cessera de le rappeler l’évangile. Le maintien de cette méprise dans le discours de Philippe dévoile peut-être la fameuse ironie johannique 6. Le « Viens et vois » que le nouveau converti dit à Nathanaël rappelle ce que Jésus vient de dire aux premiers disciples : « Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent, et ils virent où il demeurait ; et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » ( Jn 1, 39). La voix de son maître… Un premier portrait de Philippe s’ébauche : celui du disciple parfait qui obéit, évangélise sitôt agrégé au groupe, et se place dans l’imitatio Christi. Ce processus d’appel se fait en deux temps : après le temps où l’on suit et l’on cherche, vient celui où l’on trouve et l’on demeure 7.

3. C. K. BARRETT, The Gospel According To St. John : An Introduction with Commentary and Notes on the Greek Text, Philadelphia (PA), Westminster John Knox Press, 21978, p. 183. 4. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693, p. 377. 5. F. F. BRUCE, The Gospel of John, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1983, p. 59. 6. L. MORRIS, The Gospel according to John (New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1995, p. 144. 7. M.-É. BOISMARD, Du Baptême à Cana (Lectio Divina 18), Paris, Cerf, 1956, p. 82.

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Pourtant, un détail est assez frappant : c’est la confusion géographique8. Pierre et André ainsi que les deux Zébédaïtes viennent d’être convertis sur les bords du lac de Génésareth, dans ce qu’on peut supposer être la Galilée. Et voici, alors qu’aucune indication géographique n’avait été donnée jusqu’à présent, que le texte nous sature d’éléments géographiques étranges. Pourquoi Jésus veut-il aller « en Galilée » ? Et pourquoi nous dire que Philippe était de Bethsaïde en nous apprenant qu’elle était aussi la ville de Pierre ? N’aurait-il pas été plus habile de donner l’information précédemment ? Cette précision propre à Jean a beaucoup intrigué, car il y a plusieurs Bethsaïde. (α) S’agit-il de la prospère cité de Bethsaïde de Gaulanitide où grâce à une pêche abondante (« Bethsaïde » signifie « maison de la pêche »), ses habitants s’assuraient une vie confortable ? Cette Bethsaïde se trouvait à la frontière de la Galilée, et fut élevée au rang de cité par le tétrarque Philippe à une date difficile à cerner. Traditionnellement, on disait entre 4 et 2 av. J.-C., car Philippe aurait donné à la ville le nom de Bethsaida-Julias en honneur de la fille d’Auguste reléguée à Pandateria en 2 av. J.-C. Dans les années 1990, on a proposé d’avancer cette date 9 : le nom aurait pu être donné en l’honneur de Livia la femme d’Auguste qui était de la gens Julia, et qui avait été associée symboliquement au pouvoir de Tibère : la dédicace de la ville remonterait alors à 30 apr. J.-C. 10. Le tétrarque y sera d’ailleurs enterré dans un splendide sépulcre en 34 apr. J.-C. La ville était sans nul doute composée de Juifs, de Syriens et de Grecs 11 et fut le lieu d’une grande bataille lors des guerres juives entre les forces rebelles conduites par Flavius Josèphe et les troupes d’Agrippa II conduites par Sylla (66 apr. J.-C.). Bethsaida-Julias pourrait être situé sur le lieu-dit et-Tell 12 ou celui nommé el-Araj (à quelques centaines de mètres). Avant la campagne de 1992-1993, le site n’avait livré que quelques fragments de poterie romaine découverts par Dalman 13. Les fouilles récentes, menées par 8. R. L. BRODIE, The Gospel According to John : A Literary and Theological Commentary, New York, Oxford University Press, 1997, p. 165. 9. H.-W. KUHN et R. ARAV, « The Bethsaida Excavations : Historical and Archeological Approaches », in B. A. PEARSON (éd.), The Future of Early Christianity, FS H. Koester, Minneapolis (MN), Fortress, 1991, p. 87-90. 10. F. STIECKERT, « The Renaming of Bethsaida in Honor of Livia, a.k.a. Julia, the Daughter of Cæsar, in Josephus’ Jewish Antiquities 18.27-28 », in R. ARAV et R. A. FREUND (ÉDS.), Bethsaida : A City by the North Shore of the Sea of Galilee (Bethsaida Excavations Project Reports & Contextual Studies 3), Kirksville (MO), Truman State Univ. Press, 2004, p. 93-114. 11. A. ALT, « Die Statten des Wirkens Jesu in Galiläa territorialgeschichtlich betrachtet », in M. NOTH (éd.), Kleine Schriften zur Geschichte des Volke Israel, vol. 2, München, Beck, 1953, p. 436-455 (448). 12. B. PIXNER, « Searching for the New Testament Site of Bethsaida », The Biblical Archaeologist 48, 1985, p. 207-216. 13. G. DALMAN, Orte und Wege Jesu (Beitrage zur Forderung Christlicher Theologie 4/1), Gütersloh, Bertelsmann, 31924, p. 173.

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CHAPITRE 6

Figure 7 : la localisation de Bethsaïde

Rami Arav, ont mis au jour un immense bâtiment dans lequel gisaient un hameçon, une aiguille courbe pour fixer les voiles, des plombs destinés à alourdir des filets de pêcheurs et une pierre servant à maintenir un filet de pêche au fond de l’eau : il pourrait s’agir d’une coopérative de pêcheurs14. (β) S’agit-il au contraire d’une Bethsaïde de Galilée, située à quelques kilomètres de la précédente, à Tabgha, et dont certains archéologues pensent qu’elle était le village originel de Bethsaïde, avant la construction de la ville hellénistique 15 ? Elle n’a pour l’instant livré aucune trace archéologique importante de l’époque (on connaît en revanche sa fameuse mosaïque du IVe siècle) et il fut facile à Rami Arav de se gausser de cette identification 16. 14. M. APPOLD, « Peter in Profile : From Bethsaida to Rome », in R. ARAV et R. A. FREUND (éds.), Bethsaida : A City by the North Shore of the Sea of Galilee (Bethsaida Excavations Project Reports & Contextual Studies 3), Kirksville (MO), Truman State Univ. Press, 2004, p. 133-148. 15. C. MÖLLER et G. SCHMITT, Siedlungen Palästinas nach Flavius Josephus (Beiheft zum Tübinger Atlas des Vorderen Orients 14), Wiesbaden, Reichert, 1976, p. 110. C’est aussi l’option de R. S. NOTLEY, « Et-Tell is Not Bethsaida », Near Easter Archaeology 70, 2007, p. 220-230. 16. Voir par exemple la réponse de R. Arav à l’article de S. Notley : R. ARAV, « Bethsaida – A Response to Steven Notley », Near Eastern Archaeology 74, 2011, p. 92-100.

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Et pourtant, on pencherait plutôt pour cette seconde localisation, car ailleurs Jean affirme bien que Philippe est de Bethsaïde de Galilée (12, 20). En outre, l’indication ne peut être que symbolique. Philippe, par son nom, représente une sorte de quintessence de l’hellénisme et on va le voir devenir le porte-parole des Grecs : dans Jn, il est la figure des nations, car son nom est grec comme l’avait déjà vu Brooke Foss Westcott17. La caractérisation de Philippe comme venant « de Bethsaïde » ne sert pas à donner des détails personnels, mais elle place ensemble un nom vraiment grec à côté d’un nom vraiment hébraïque. Elle suggère ainsi l’union de ce qui est grec avec ce qui est juif. Cette union doit être réalisée dans le cadre de l’unité de l’Église, une unité qui, dans la scène précédente a été dépeinte par la fraternité d’André et Pierre. Ainsi, alors que la référence géographique qui précède l’appel de Philippe (la « Galilée » terre des nations) fait allusion au processus de départ vers un nouveau monde païen, la référence géographique qui suit entend affirmer que le départ se fera dans le cadre d’une unité entre Juifs et non-Juifs 18. La suite du texte johannique vient nuancer l’image de disciple achevé. On le voit dès la multiplication des pains. Jean 6, 5-7. – Ayant levé les yeux, et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe : « Où achèterons-nous des pains, pour que ces gens aient à manger ? » Il disait cela pour l’éprouver, car il savait ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit : « Les pains qu’on aurait pour deux cents deniers ne suffiraient pas pour que chacun en reçût un peu. »

« Où achèterons-nous des pains ? » Jésus semble s’adresser à Philippe comme celui qui s’occupe de l’intendance. Et d’ailleurs, sa réponse est précise : c’est celle de celui qui sait compter, qui sait le prix des choses et jauge la foule d’un seul coup d’œil. Mais Philippe est aussi présenté comme le disciple qui n’a pas encore la foi parfaite. On a besoin de l’éprouver. On a déjà commenté ce texte à propos d’André, et on renverra le lecteur à ce que l’on en a dit : rappelons que contrairement à André qui fournit une ébauche de solution sans y croire, Philippe montre par ses doutes qu’il n’a pas compris à qui il avait affaire. Mais ce test n’est pas vain : il montre le disciple conscient de sa propre limite et donc plus réceptif à ce que Jésus offre. Ce processus est commun à l’évangile de Jean : Nicodème et la Samaritaine ont été convertis par un procédé analogue 19. 2. Philippe et les Grecs. – L’autre trait de Philippe est son lien avec les Grecs. Dans une petite scène, le voilà chambellan de Jésus : 17. B. F. WESTCOTT, The Gospel According to Saint John, London, John Murray, 1908, p. 45. Cela est confirmé par Haenchen : E. HAENCHEN, A Commentary on the Gospel of John (Hermenia), Philadelphia (PA), Fortress, 1984, vol. 1, p. 158. 18. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 165. 19. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 261.

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Jean 12, 20-23. – Quelques Grecs, du nombre de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la fête, s’adressèrent à Philippe, de Bethsaïde en Galilée, et lui dirent avec instance : « Seigneur, nous voudrions voir Jésus. » Philippe alla le dire à André, puis André et Philippe le dirent à Jésus. Jésus leur répondit : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. »

Il s’agit manifestement d’une cheville, qui montre non seulement que Philippe a un rôle important auprès de Jésus, mais qu’il est le représentant des Grecs (voir ce qu’on en a dit à propos d’André). Jean nomme « Hellènes » ceux qui veulent voir Jésus, à l’instar de la Syro-Phénicienne nommée ἕλληνις. Il s’agit apparemment de juifs de Diaspora ou de prosélytes de langue grecque. Voilà une première ouverture qui renforcera l’idée que Philippe est l’évangélisateur des Grecs, d’autant que Jean martèle que Philippe est de Bethsaïde en Galilée. Cela sert à la distinguer de Bethsaïda Julias qui est en Gaulanitide 20 et aussi à insister sur la Galilée, terre réputée pour son hellénisme 21. 3. Philippe l’apôtre qui « veut voir le Père ». – Une dernière cheville implique l’apôtre : Jean 14, 7-10. – Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et dès maintenant, vous le connaissez, et vous l’avez vu. Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous suffit. Jésus lui dit : Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père ; comment dis-tu : Montre-nous le Père ? Ne crois-tu pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ?

Philippe est ici particulièrement exaspérant22 ! Alors qu’il a vu les signes irrévocables qui montrent que Jésus est dans le Père et que le Père est en lui pour parler comme Jean, il persiste à refuser de croire en cette unité. Il pose donc la question naïve qu’il ne faut pas poser. Contrairement à Thomas, qui se fera aussi reprendre par Jésus, il ne croit pas sans espoir, il croit sans confiance 23. On retrouve ici la figure ambiguë de l’apôtre propre à Jean : Philippe est ardent, car il veut voir le Père, mais il a du mal à comprendre. Cependant, Philippe n’est pas totalement rejeté. C’est qu’il a une demande légitime : il veut « voir » Dieu, il a une demande mystique, qui ne se satisfait pas de la foi et demande la vue. Voilà une nouvelle pierre d’attente pour la figure ultérieure de Philippe, celle d’un apôtre extatique. 20. B. F. WESTCOTT, The Gospel According to Saint John…, p. 210. 21. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 413. Nous ne suivons pas la suggestion de Dodd, qui en fait un usage imprécis du nom de la région : C. H. DODD, Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambrige, Cambrige University Press, 1963, p. 310. 22. F. MOLONEY, The Gospel of John (Sacra Pagina), Collegeville (MI), Liturgical Press, 1998, p. 396. 23. B. F. WESTCOTT, The Gospel According to Saint John…, p. CXLIX.

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Trois traits distinctifs construisent donc la figure de Philippe l’apôtre : il exemplifie la condition de disciple, il manifeste un lien avec l’hellénisme et un goût pour les phénomènes mystiques. Ces trois traits joueront un très grand rôle dans la réception de sa figure. B. Philippe le diacre Comme beaucoup d’apôtres, Philippe disparaît des textes après la mort de Jésus. Un autre Philippe prend alors le relais : c’est le Philippe helléniste. Là encore, on peut dégager plusieurs traits constitutifs de sa figure. 1. Un disciple distinct de l’apôtre. – Ce deuxième Philippe n’est visiblement pas le même que l’apôtre. Les Actes disent en effet qu’il fait partie du groupe des Sept qui est bien distinct du groupe des Douze : Ac 6, 5. – Cette proposition plut à toute l’assemblée. Ils élurent Étienne, homme plein de foi et d’Esprit saint, Philippe, Prochore, Nicanor, Timon, Parménas, et Nicolas, prosélyte d’Antioche. »

On a beaucoup commenté ce passage en essayant de savoir qui était ce groupe d’Ἑλληνιστής. Avec Daniel Marguerat, on s’accordera à donner raison aux études de Martin Hengel : les Hellénistes étaient bien les membres de la communauté qui parlaient grec, et non des païens ou des prosélytes 24. Leur fonction est relativement claire : ils doivent assurer la « diaconie » des tables, c’est-à-dire probablement venir en aide aux veuves nécessiteuses 25, alors que le service de la parole est réservé aux apôtres. Même si on les nomme régulièrement dans la suite les « diacres » (et nous ferons de même) et si Irénée de Lyon y voit l’origine du diaconat 26, il est évident qu’il ne s’agit pas ici d’un ministère ecclésiastique institué, mais bien d’une fonction destinée à assurer une « œuvre de miséricorde ». 2. Le premier missionnaire vers les Nations. – Bientôt, l’exclusivité de la proclamation réservée aux apôtres est rapidement mise à mal par la prédication d’Étienne. Une « modification des projets27 » intervient, dans laquelle s’illustre tout particulièrement Philippe. En effet, ce dernier commence par réaliser une prédication en Samarie dans laquelle on a souvent vu une tradition prélucanienne 28. Il devient ainsi une sorte de précurseur 24. D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres 1-12 (Commentaire du Nouveau Testament 2.5a), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 208. M. HENGEL, « Zwischen Jesus und Paulus. Die “Hellenisten”, die “Sieben” und Stephanus (Apg 6, 1-15 ; 7, 4–8, 3) », Kleine Schriften III (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 141), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 1-67. 25. D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres…, p. 209. 26. R. CABIÉ, « Quand les “Sept” deviennent des diacres », Bulletin de littérature ecclésiastique 97, 1996, p. 219-226. 27. P. FABIEN, Philippe « l’évangéliste » au tournant de la mission dans les Actes des Apôtres (Lectio Divina 232), Paris, Cerf, 2010, p. 45. 28. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist…, p. 38.

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des « apôtres des nations » à venir : il est premier à pratiquer l’évangélisation dans les marges du judaïsme – même si les travaux récents sur le « schisme » samaritain nous poussent à nuancer l’ampleur de ce pas (Luc pourrait considérer les Samaritains comme une tendance du judaïsme29, ce qu’ils étaient en réalité 30) –, le premier à remplir le programme lucanien 31. Mais cette évangélisation initiale se termine étrangement : Philippe convertit le fameux Simon, thuriféraire d’un culte à la puissance de Dieu. Et Luc met en scène une sorte de compétition entre Philippe et Simon, dont le prix est l’affection du peuple samaritain 32, modelée sur la rencontre entre Moïse et les magiciens de Pharaon 33. Deux adversaires sont ici aux prises : d’un côté un Simon dont le texte se plaît à souligner la force de la personnalité, et de l’autre un Philippe qui se dépouille de tout trait de caractère personnel puisqu’il suit docilement les motions de l’Esprit. Patrick Fabien le compare avec justesse au δοῦλος ἀχρεῖος de Lc 17 : non pas le serviteur « inutile », mais celui à qui on ne doit rien une fois qu’il a fait son travail34. 3. Un disciple contesté malgré sa réhabilitation. – Cette prédication en demi-teinte paraît être condamnée par le rédacteur : notre Philippe se voit supplanté par les apôtres, qui « repassent derrière lui ». Le texte affirme en effet que Pierre et Jean sont envoyés en Samarie. Actes 8, 14-16. – Les apôtres, qui étaient à Jérusalem, ayant appris que la Samarie avait reçu la parole de Dieu, y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci, arrivés chez les Samaritains, prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent le SaintEsprit. Car il n’était encore descendu sur aucun d’eux ; ils avaient seulement été baptisés au nom du Seigneur Jésus.

L’action de Pierre et Jean exprime-t-elle un désaveu ? Serait-ce que les Samaritains sont baptisés, mais pas confirmés ? Philippe serait-il en rivalité avec Pierre et Jean ? L’un accomplit un rite, les deux autres donnent l’orthodoxie ? S’agit-il des rivalités entre Samaritains et Hiérosolymitains 35 ? Faut-il imaginer une première tradition d’évangélisation de la Samarie, 29. J. JERVELL, « The Lost Sheep of the House of Israel : The Understanding of the Samaritans in Luke-Acts », Luke and the People of God : A New Look at LukeActs, Minneapolis (MN), Augsburg, 1972, p. 113-132. 30. A. D. CROWN, « Redating the Schism between the Judaeans and the Samaritans », Jewish Quarterly Review 82, 1991, p. 17-50. 31. J. T. SQUIRES, « The Function of Acts 8, 4–12, 25 », New Testament Studies 44, 1998, p. 608-617. 32. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts : A Study of Roles and Relations ( Journal for the Study of the New Testament 67), London, Sheffield Academic Press, 1992, p. 89. 33. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts…, p. 115. 34. P. FABIEN, Philippe « l’évangéliste » au tournant de la mission dans les Actes des Apôtres (Lectio Divina 232), Paris, Cerf, 2010, p. 95. 35. D.-A. KOCH, « Geistbesitz, Geistverleihung und Wundermacht. Erwägungen zur Tradition und zur lukanischen Redaktion in Act 8 5–25 », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 77, 1986, p. 64–82 (80-82).

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que Luc tente de rapporter aux apôtres 36 ? Faut-il simplement penser, à l’instar de Daniel Marguerat, que l’épisode prouve simplement que l’initiative doit être ratifiée par Jérusalem 37 ? L’étude de Lampe synthétise toutes ces options et donne une clef : l’imposition des mains est avant tout une marque de solidarité chez Luc ; ce n’est que dans un second temps qu’elle est comprise comme don de l’Esprit saint. Et encore, ce don ne se comprend que parce qu’il est le signe de l’incorporation dans l’Église du Christ 38. L’initiative de Philippe, qui agit un peu en free-lance 39 ne saurait être couronnée de succès, car elle n’est pas validée par la communauté. La prédication du diacre n’est qu’imparfaite et Philippe joue ici le rôle du précurseur de Pierre : comme Jean le Baptiste ne baptisait que dans l’eau, Philippe prépare le chemin pour un successeur de Jésus qui baptise dans l’Esprit 40. Philippe relaie tandis que Pierre enracine 41. La rencontre de Simon le Magicien avec Pierre prouve que ce premier baptême n’était pas suffisant. En effet, elle montre à l’évidence que le Samaritain n’a pas été bien converti : l’eau du baptême est à peine séchée sur lui qu’il vient avec sa demande inique ! Plus que par le message, c’est par les miracles qu’il a été impressionné : il s’est mis à suivre Philippe comme un fan suit une rock star 42 et ne demande à Pierre que le pouvoir d’accomplir des prodiges. Au lieu de la foi en Jésus, il n’a gagné que la foi dans les miracles. Il a été baptisé, mais pas évangélisé. Heureusement, un deuxième épisode « réhabilite » Philippe : celui du baptême de l’eunuque (Ac 8, 26-35). Cet épisode résume en quelque sorte le projet de Luc et fait du Diacre une sorte de parangon d’apôtre. Il commence par l’intervention d’un ange qui montre que la prédication aux gentils, inouïe en contexte juif, fait dorénavant partie du plan de Dieu43. La présence de l’Éthiopien eunuque condense tout ce qu’il y a de plus étranger : c’est un Éthiopien et donc un noir qui habite loin – l’Éthiopien est un peu « l’aune » à laquelle on mesure toute noirceur de peau dans l’Anti-

36. E. HAENCHEN, « Simon Magus in der Apostelgeschichte », in K. W. TRÖGER (éd.), Gnosis und Neues Testament. Studien aus Religionswissenschaft und Theologie, Gütersloh, Mohn, 1973, p. 267-279. 37. D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres..., p. 295. 38. G. W. H. LAMPE, The Seal of the Spirit. A Study in the Doctrine of Baptism and Confirmation in the New Testament and the Fathers, London, Longmans, 1951, p. 70-72. 39. F. F. BRUCE, The Book of Acts (New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 21988, p. 170. 40. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts…, chap. V. 41. P. FABIEN, Philippe « l’évangéliste »… p. 118. 42. B. WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles : A Socio-rhetorical Commentary, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1998, p. 287-289. 43. R. F. O’TOOLE, « Philip and Ethiopian Eunuch (Actes 8, 25-40) », Journal for the Study of the New Testament 5, 1983, p. 25-34.

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quité, « le Noir » par excellence 44, non pas un objet de mépris, mais plutôt un marqueur d’exotisme 45 ; c’est un eunuque alors que règne un souverain dédain pour la castration chez les Juifs et chez les Grecs (dans l’Ancien Testament, cinq références dans 1R, 1Ch, Jr, Est et toujours pour désigner un serviteur du roi d’Israël ou d’un potentat oriental 46). En même temps, il a de bien saines lectures : Isaïe 53, 7, l’un des « chants du serviteur », ici très tôt utilisé comme une annonce prophétique du Messie souffrant. Peut-être fait-il partie du judaïsme de l’île Éléphantine 47 qui pouvait avoir accueilli en son sein des Nubiens ou bien est-il un membre du judaïsme éthiopien bien attesté selon E. Ullendorff 48. En le baptisant, Philippe, qui avait commencé par répandre l’Évangile en Samarie, soulève l’espoir de la conversion des peuples étrangers : l’épisode réalise le pont entre la mission samaritaine et la mission aux gentils et efface les flétrissures de la prédication précédente 49. Pour autant, cela ne lui confère pas un statut plus élevé : en bon serviteur de la Parole, il reste dans l’ombre et disparaît 50. 4. Le ministre résident de Césarée. – Un dernier passage, apparemment anecdotique, mentionne notre apôtre. Il est issu des fameux « passages en nous » qui pourraient laisser penser que son origine est la mission paulinienne51. Ac 21, 8-10. – Nous partîmes le lendemain, et nous arrivâmes à Césarée. Étant entrés dans la maison de Philippe l’évangéliste, qui était l’un des sept, nous logeâmes chez lui. Il avait quatre filles vierges qui prophétisaient. Comme nous étions là depuis plusieurs jours, un prophète, nommé Agabus, 44. F. M. SNOWDEN, Blacks in Antiquity : Ethiopians in the Greco-Roman Experience, Cambridge/London, Harvard University Press/Oxford University Press, 1970, p. 5.23. 45. H. J. SCARUPA, « Blacks in the Classical World : Snowden’s 50-year Search », American Vision 2, 1987, p. 20-26. 46. B. WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles…, p. 296. 47. La présence de Juifs sur l’île Éléphantine est accréditée par les papyrus trouvés et édités depuis la fin du XIXe siècle. Pour une introduction B. PORTEN, Archives from Elephantine. The Life of an Ancient Jewish Military Colony, Berkley/Los Angeles (CA), University of California Press, 1968. Sur l’existence d’un temple à Yaho et sa possible localisation : A. LEMAIRE, « Nouveau Temple de Yahô ( IVe s. av. J.-C.) », in M. AUGUSTIN et H. M. NIEMANN (éds.), Basel und Bibel (Beiträge zur Erfoschung des alten Testaments und des antiken Judentums 51), Frankfurt, Peter Lang, 2004, p. 265-273. 48. La présence des Juifs au sud de la péninsule arabique est évoquée par E. Ullendorf qui la fait reposer sur les témoignages bibliques (1R 9, 27-28 ; 2R 14, 22 ; 2Ch 21, 16-17), le témoignage de rabbi Aqiba qui raconte son expédition en Arabie en 130 dans le midrash Bemidbar Rabba IX, 34, les emprunts de l’hébreu dans la langue guèze. E. ULLENDORFF, « Hebraic-Jewish Elements in Abyssinian (Monophysite) Christianity », Journal of Semitic Studies 1, 1956, p. 216-256, republié dans ID., Studia Æthiopica et Semitica (Äthiopische Forschungen 24), Stuttgart, Steiner, 1987, p. 2-42. 49. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts…, p. 185. 50. P. FABIEN, Philippe « l’évangéliste »… p. 269. 51. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts…, p. 270.

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descendit de Judée, et vint nous trouver. Il prit la ceinture de Paul, se lia les pieds et les mains, et dit : « Voici ce que déclare le Saint-Esprit : L’homme à qui appartient cette ceinture, les Juifs le lieront de la même manière à Jérusalem, et le livreront entre les mains des païens. »

Que nous dit le texte ? D’abord que Philippe habite Césarée : il n’a pas bougé beaucoup entre 36 (avant l’exécution d’Étienne) où il se rend après le baptême de l’eunuque et 58 (à peu près quand Paul retourne à Jérusalem). Ensuite, le texte nous apprend que Philippe occupe une fonction qui ressemble à celle d’une sorte de « ministre résident », évangéliste que les commentateurs peinent à caractériser 52. Eugène Jacquier, dans son monumental commentaire 53, tout en rappelant cette solution, propose de lire dans εὐαγγελιστός un titre caractérisant des « apôtres de second rang ». Pour cela, il cite Ep 4, 11 qui mentionne les évangélistes à côté des apôtres et des prophètes. Il cite surtout Eusèbe (Hist. Eccl. III, 27), qui explique que les évangélistes étaient les successeurs des apôtres, des sortes de missionnaires. Visiblement, la visite de Paul renverse l’hostilité première entre ministres résidents et prophètes itinérants, tout en incluant Philippe dans la mission paulinienne 54. Enfin, le texte rappelle que l’évangéliste a quatre filles vierges qui prophétisaient. Le lien entre Philippe, ses filles et la prophétie est ici clairement établi. Bilan : une figure composite Ce rapide survol des données canoniques oppose donc deux figures. L’apôtre, premièrement : un Galiléen (ou Gaulanitide) de Bethsaïde, à qui Jean fait jouer un rôle important dans le groupe des Douze comme intendant. Il est celui qui conduit les Grecs à Jésus, un épisode qu’il faut peutêtre prendre aussi de manière symbolique, mais il se fait rabrouer par ce dernier, car il privilégie la vue à la foi. Le diacre, ensuite : un Helléniste, qui inaugure la mission en Samarie – ce qui déclenche une visite du groupe hiérosolymitain –, baptise un eunuque, et devient apôtre résidant à Césarée où on le lie à la prophétie.

52. La majorité des commentateurs se bornent à dire que le titre exprime son activité d’évangélisateur de la Samarie. F. BRUCE, The Book of Acts…, p. 400 ; B. WITHERINGTON III, The Acts of the Apostles : A Socio-rhetorical Commentary, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1998, p. 632 ; I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1978, p. 339. 53. E. JACQUIER, Les Actes des Apôtres (Études Bibliques), Paris, Gabalda, 21926, p. 626. 54. F. SCOTT SPENCER, The Portrait of Philip in Acts…, p. 275.

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CHAPITRE 6

II. P HILIPPE

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P HRYGIE

Les deux personnages se distinguent clairement. Les Pères de l’Église, massivement, ont pourtant confondu les deux. Cette confusion dura longtemps, malgré l’exception notable d’Abélard dans le Sic et non 55. Pourquoi ? On peut se demander si l’association avec les Grecs de l’évangile de Jean n’expliquerait pas cette confusion56, sans doute parce que le nom de Philippe est assez rare 57. Martin Hengel, après Meyer 58, paraît d’ailleurs suivre encore les Pères dans cette assimilation59 en considérant que Philippe l’apôtre avait été compté parmi les Sept, car il avait une accointance avec les hellénistes : il était donc, selon lui, à la fois helléniste et apôtre. Rien n’autorise une telle assimilation puisque, comme le rappelait J. B. Lighfoot 60, l’auteur des Actes fait tout pour distinguer les deux personnages : α) quand les Sept sont appointés au service des tables, il est clairement dit que ce nouvel office est créé pour soulager les Douze de cette tâche (Ac 6, 2-5) ; β) la venue de Pierre et Jean en Samarie ne saurait s’expliquer si Philippe était l’un des Douze ; γ) Ac 21, 8 rappelle que le Philippe de Césarée est bien « l’Évangéliste, l’un des Sept ». A. L’apôtre des Phrygiens

1. Le témoignage des Pères Une série de témoignages concordants semblent lier Philippe avec la Phrygie. Le premier en date provient de Papias de Hiérapolis au milieu du IIe siècle, qui disait tenir de ses filles le récit de la Résurrection d’un mort 61. Papias frgt 11. – Papias dont on a déjà parlé (Παπίας ὁ εἰρημένος ἱστόρησεν) rappelait ce qu’il avait reçu des filles de Philippe (ὡς παραλαβὼν ἀπὸ τῶν θυγατήρων Φιλλίπου) : Barsabbas aussi nommé Justus fut conservé saint 55. ABÉLARD, Sic et Non, quæstio 102. Peter Abailard Sic et Non. A Critical Edition, B. B. BOYER et R. MCKEON (éd.), Chicago/London, University of Chicago Press, 1977, p. 333. 56. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist…, p. 127. 57. Contrairement à ce que dit Martin Hengel : M. HENGEL, Between Jesus and Paul. Studies in the History of Christianity, Philadelphia (PA), Fortress, 1983, p. 145. 58. E. MEYER, Ursprung und Anfänge des Christentums, vol. 1, Stuttgart/Berlin, Cotta, 1923, p. 296. 59. M. HENGEL, Between Jesus and Paul : Studies in the Earliest History of Christianity, trad. J. BOWDEN, London, SCM, 1983, p. 14. 60. J. B. LIGHFOOT, St. Paul’s Epistles to the Colossians and to Philemon, London, Macmillan, 1875, p. 45. 61. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 39, 9. On ne mentionne pas l’extrait préservé dans Irénée que nous avons déjà pris en considération à propos de l’apôtre Jean, car nous avons considéré que Papias n’a pas personnellement rencontré les apôtres et il est inutile de refaire ici la discussion.

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et sauf (ἀπαθὴς διεφυλάχθη) lorsqu’il fut condamné à boire le poison de la vipère par les infidèles au nom du Christ. Il rappelle également d’autres très grands prodiges concernant la vie de Manamaros qui fut ressuscité des morts (ἐκ νεκρῶν ἀναστάτων) 62.

On a cité toute la déclaration de Papias. Bien entendu, le passage qui nous intéresse est celui où il prétend avoir reçu des filles de Philippe le récit du miracle de Barsabbas. On retrouve ici la valeur du témoignage oral qui est renforcé par la dignité de celui qui commente : il s’agit des filles d’un apôtre 63. Ce témoignage a une valeur historique extrêmement forte. Eusèbe a toujours considéré Papias comme une source fiable même s’il se défie de son goût pour l’apocalypse 64 : on peut donc affirmer que l’existence des filles de Philippe que l’évêque de Hiérapolis a pu rencontrer est avérée, comme le rappelle Norelli 65. Cet élément a une double conséquence. D’une part, il nous fournit une datation de la tradition phrygienne : Papias écrit dans les années 120-130, d’où une hypothèse haute de datation dans les années 90-100. D’autre part, il permet de se faire une idée du respect dans lequel Philippe était tenu dans la région, puisque ses filles servent encore d’autorité. Enfin, cela nous donne une indication précieuse : puisque Papias parle des filles de Philippe et que les seules filles d’un personnage qui nous soient connues sont celles de Philippe l’Évangéliste, il semble raisonnable d’estimer que c’est Philippe l’Évangéliste qui gagna la Phrygie et que c’est lui qui est confondu avec l’apôtre, et non l’inverse 66. D’autres témoignages concordent : Polycrate évêque d’Éphèse qui défendit l’usage quartodéciman contre l’évêque de Rome Victor († 198) invoque Philippe, enseveli à Hiérapolis, et ses deux filles. L’usage quartodéciman coïncide avec la coutume juive de célébrer la Pâque le 14 nisan (mars-avril) quel que soit le jour de la semaine, tandis qu’au IIe siècle, c’est le dimanche

62. Codex Baroccianus 142 in K. BIHLMEYER, Die apostolischen Väter (Sammlung ausgewählter Kirchen und Dogmengeschichten Quellenschriften 2.1.1), Tübingen, Mohr Siebeck, 1955, p. 138. 63. B. MACK, The Making of the Christian Myth, San Francisco (CA), HarperSanFrancisco, 1995, p. 199-206 ; 225-228. 64. P. SELLEW, « Eusebius and the Gospels », in H. W. ATTRIDGE et G. HATA (éds.), Eusebius, Christianity, and Judaism, Detroit (MI), Wayne State University Press, 1992, p. 110-139 (124) 65. E. NORELLI, Papia di Hierapolis, Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti (Letture cristiane del primo millenio 36), Milano, Paoline, 2005, p. 288. 66. Cette hypothèse est traditionnelle depuis T. ZAHN, Forschungen zur Geschichte des neutestamentlichen Kanons und der altkirchlichen Literatur VI.1 : Apostel und Apostelschüler in der Provinz Asien, Leipzig, Deichert, 1900, p. 163 et A. VON HARNACK, Beiträge zur Einleitung in das neue Testament 1. Lukas der Artz, Leipzig, Hinrich, 1906, p. 107. Les arguments de l’opinion adverse, excellement présentés par J. B. LIGHFOOT, St. Paul’s Epistles to the Colossians and to Philemon…, p. 46 sont moins convaincants.

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suivant qui est choisi 67. Or, Philippe aurait observé la Pâque le 14 nisan. Voilà ce que dit Victor : De grands astres, dit-il, se sont couchés en Asie, qui se lèveront au dernier jour, lors de la venue du Sauveur, quand il viendra du ciel avec gloire pour chercher tous les saints, Philippe, l’un des douze apôtres, qui repose à Hiérapolis, ainsi que deux de ses filles, qui ont vieilli dans la virginité, et, l’autre qui, après avoir vécu dans le Saint-Esprit, a été ensevelie à Éphèse : Jean lui aussi, l’apôtre qui a dormi sur la poitrine du Sauveur, qui, prêtre, a porté la lame d’or, a été martyr et docteur et a son tombeau à Éphèse 68.

Philippe, qui avait quatre filles dans les Actes, en a perdu une, entretemps. Serait-ce qu’une d’entre elle n’aurait pas émigré vers Éphèse ? Seraitce que l’exemplaire de la lettre de Polycrate que reproduit Eusèbe serait fautif 69 ? Serait-ce, comme le suppose le Bollandiste Henschen dans les Acta Sanctorum 70, que c’est la marque manifeste de la distinction entre Philippe le diacre, qui eut quatre filles et Philippe l’apôtre qui n’en eut que trois ? Cette dernière hypothèse paraît exclue, car un autre témoignage peut être invoqué. Au IIIe siècle, en pleine crise montaniste dont on va parler, le Cataphrygien Proclus, répondant au prêtre romain Gaïus, si fier de posséder les trophées de Pierre et de Paul dans sa ville, confirme que Philippe et ses quatre filles ont leur tombeau à Hiérapolis : « Après celui-ci, il y eut à Hiérapolis en Asie quatre prophétesses, les filles de Philippe ; leur tombeau est là, ainsi que celui de leur père 71. » Ce passage confirme le séjour hiérapolitain, et affirme hautement le lien entre Philippe, ses filles et l’extatisme. Ces témoignages concordants semblent donc faire de Philippe l’apôtre des Phrygiens. Qu’il ait été ou non en concurrence avec les missions pauliniennes, et en particulier avec 67. F. E. BRIGHTMAN, « The Quartodeciman Question », Journal of Theological Studies 25, 1924, p. 254-270. B. LEMOINE, « les controverses pascales du 2e s. : désaccords autour d’une date », Questions liturgiques 73, 1992, p. 223-231. 68. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 31, 3, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, ad loc. καὶ γὰρ κατὰ τὴν Ἀσίαν μεγάλα στοιχεῖα κεκοίμηται· ἅτινα ἀναστήσεται τῇ ἐσχάτῃ ἡμέρᾳ τῆς παρουσίας τοῦ κυρίου, ἐν ᾗ ἔρχεται μετὰ δόξης ἐξ οὐρανοῦ καὶ ἀναζητήσει πάντας τοὺς ἁγίους, Φίλιππον τῶν δώδεκα ἀποστόλων, ὃς κεκοίμηται ἐν Ἱεραπόλει καὶ δύο θυγατέρες αὐτοῦ γεγηρακυῖαι παρθένοι καὶ ἡ ἑτέρα αὐτοῦ θυγάτηρ ἐν ἁγίῳ πνεύματι πολιτευσαμένη ἐν Ἐφέσῳ ἀναπαύεται· ἔτι δὲ καὶ Ἰωάννης, ὁ ἐπὶ τὸ στῆθος τοῦ κυρίου ἀναπεσών, ὃς ἐγενήθη ἱερεὺς τὸ πέταλον πεφορεκὼς καὶ μάρτυς καὶ διδάσκαλος, οὗτος ἐν Ἐφέσῳ κεκοίμηται. 69. E. SCHWARTZ, Über den Tod der Söhne Zebedai. Ein Beitrag zur Geschichte des Johannesevangeliums (Abhandlungen der Gesellschaft der Wissenchaften zu Göttingen NF 7.5), Berlin, Wiedmann, 1904, p. 16-17. 70. G. HENSCHEN, « De Philippo Apostolo Martyre Hierapoli in Phrygia », Acta Sanctorum Maii, vol. 1, Antuerpiæ, apud Michaelem Cnobbaert, 1680, p. 7-18 (10B). 71. EUSÈBE, Hist. Eccl. III, 31, 4. Μετὰ τοῦτον προφήτιδες τέσσαρες αἱ Φιλίππου γεγένηνται ἐν Ἱεραπόλει τῇ κατὰ τὴν Ἀσίαν·ὁ τάφος αὐτῶν ἐστιν ἐκεῖ καὶ ὁ τοῦ πατρὸς αὐτῶν.

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Épaphras, est difficile à évaluer même si la mention des « évangélistes » (au pluriel) en Ép 4, 11 pourrait laisser soupçonner cette coexistence 72.

2. Le témoignage de l’archéologie La présence du tombeau hiérapolitain est confortée par l’archéologie. L’antique nécropole de Hiérapolis (Pamukkale), dont les nombreux tombeaux ont été préservés, conservait au XIXe siècle une inscription remémorant un certain Eugenios le petit, archidiacre et responsable du tombeau du « saint et glorieux apôtre et théologien Philippe » dont on trouve déjà la trace chez Ramsay 73. Ce Martyrium de Philippe, si original, avec sa structure octogonale et son dôme recouvert de plomb existe encore dans les ruines de Hiérapolis : fouillé dans les années 1960 par Paolo Verzone 74 puis, depuis 2003, par l’équipe dirigée par Francesco D’Andria75, il constitue, avec le martyrium de Saint Siméon Stylite à Qal’at Sima’n en Syrie un des beaux exemplaires de l’architecture des premiers martyria chrétiens. C’est à la vérité tout un complexe de pèlerinage qui s’étendait sur les collines de la ville. Une de ses particularités est la présence de vastes bains qui semblent avoir joué un rôle rituel dans le pèlerinage, comme l’a montré la présence, dans les conduits d’eau de l’édifice, de nombreuses eulogiæ, des petits objets de terre cuite portant le portrait de l’apôtre. Ces bains, qui renouent avec la pratique des mikvaot, semblent avoir servi à purifier les pèlerins. Ceux-ci montaient le long d’un grand escalier et arrivaient à l’édifice octogonal pour passer la nuit dans l’une des 28 petites pièces qui l’entouraient. S’agit-il de chambres d’incubation, héritières des rites grecs dans lesquelles on dormait afin que le personnage sacré apparaisse au cours de rêves ? Le matin, les pèlerins s’approchaient du tombeau du saint. Celuici semble s’être trouvé tout d’abord au sein du martyrium, puis, à partir du 72. L. J. KREITZER, « Epaphras and Philip : the Undercover Evangelists of Hierapolis », in G. WOODEN et alii (éds.), You Will Be my Witnesses, Festschrift A. A. Trites, Macon (GA), Mercer, 1996, p. 427-143. 73. Εὐγένιος ὁ ἐλ[ά]χιστος ἀρχιδιάκ(ονος) κ(αὶ) ἐφεστ(ὼς) τοῦ ἁγίου κ(αὶ) ἐνδόξου ἀποστόλου κ(αὶ) θεολόγου Φιλίππου. « Eugenios le petit, archidiacre et responsable du saint et glorieux apôtre et théologien Philippe. » W. TABBERNEE, Montanist Inscriptions and Testimonia : Epigraphic Sources Illustrating the History of Montanism (Patristic Monograph 16), Macon (GA), Mercer University Press, 1997, p. 503. L’inscription se trouve chez W. M. RAMSAY, The Cities and Bishoprics of Phrygia, Oxford, Oxford University Press, 1895, p. 552. Elle a été copiée par Cockerell (1788-1863) : E. A. GARDNER, « Inscriptions copied by Cockerell in Greece », Journal of Hellenic Studies 6, 1885, p. 340-363. 74. P. VERZONE, « Il martyrium ottagono a Hierapolis di Frigia », Palladio 10, 1-20 ; ID., « Ausgrabungen von Hierapolis in Phrygien », Türk Arkeoloji Dergisi 8, 1959, p. 20-22 ID., « Relation de l’activité de la Mission archéologique italienne de Hiérapolis pour la campagne 1960 », Türk Arkeoloji Dergisi 11, 1963, p. 35-38. 75. F. D’ANDRIA, « Conversion, Crucifixion and Celebration », Biblical Archaeology Review 37, 2011, p. 34-46.

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siècle, dans une basilique découverte en juillet 2011 par F. D’Andria 76. Un moule à pain du VIe siècle conservé à Richmond nous en donne la forme 77. On y voit le saint se tenant au milieu d’escaliers monumentaux. À droite figure l’édifice pourvu d’un dôme, et à gauche la basilique contenant la sépulture du saint. On sait que le corps y demeura au moins jusqu’au VIe siècle où il fut exhumé : comme l’explique Henschen dans les Acta sanctorum, les reliques furent d’abord transportées à Constantinople puis arrivèrent à Rome où elles furent solennellement déposées (en compagnie de celles de l’un des Jacques) dans l’Église des Saints-Apôtres par le pape Pélage Ier (556-561). Cela se passa un premier mai qui devint la date de la fête de Saint Philippe dans l’Église latine 78 (alors qu’elle se trouve fêtée le 14 novembre dans l’Église grecque) 79. On connaît également une translation d’un bras de Philippe à Florence, citée par Henschen 80. Ve

B. La Phrygie dans l’Antiquité

Figure 8 : la tradition de Philippe

76. ANONYME, « Philip’s Tomb Discovered – But Not Where Expected », Biblical Archaeology Review 38, 2012, p. 18. 77. Une photographie est publiée dans F. D’ANDRIA, « Conversion, Crucifixion and Celebration »…, p. 45. L’objet a été décrit et publié dans A. GONOSOVÁ et C. KONDOLEON (éds.), Art of late Rome and Byzantium in the Virginia Museum of Fine Arts, Richmond, The Museum, 1994. 78. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien…, p. 271. Duchesne note avec ironie : « Je ne saurais dire quel est, des deux ou trois apôtres Jacques, celui dont le vocable fut adjoint à celui de saint Philippe ». 79. G. HENSCHENIUS, « De S. Philippo Apostoli martyre Hierapoli in Phrygia », Acta Sanctorum Maii I, Antuerpiæ (Anvers), apud Michaelem Cnobbaert, 1680, p. 7-18 (11). En 1956, Pie XII décida de fêter le 1er mai saint Joseph artisan (pour célébrer la fête du Travail) et déplaça la solennité de Philippe au 3 mai. 80. Ibid., p. 15-17.

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Voilà donc Philippe indissolublement lié à la Phrygie. Or, avoir un lien avec la Phrygie, dans l’Antiquité, cela signifiait traîner une solide réputation de balourdise. Ce royaume, qui est difficile à délimiter, car il connut des extensions diverses, mais qui couvrait les régions de Hiérapolis, Euménie, Pépuze, Sébaste, Traianopolis et qui s’arrêtait aux portes de Laodicée 81, avait une lourde réputation de bêtise 82. Quoiqu’on tînt les Phrygiens pour le peuple le plus ancien de l’univers 83, on n’était pas loin de le considérer comme le plus bête. On cite souvent le proverbe « Phrygien battu s’améliore 84 », qui indique que seul le fouet permet d’obtenir d’un Phrygien une petite lueur d’intelligence. Cicéron dans le Pro Flacco n’est pas plus tendre. La région avait également une autre réputation : l’ascétisme. Dans son Histoire ecclésiastique, Socrate de Constantinople explique : « Il apparaît que les peuples de Phrygie sont plus vertueux que les autres nations – en effet, les Phrygiens jurent rarement. Si l’irascibilité domine chez les Scythes et les Thraces et si ceux qui habitent du côté du soleil levant sont esclaves de la concupiscence, les nations des Paphlagoniens et des Phrygiens ne sont portés vers aucun des deux, car aujourd’hui, ils n’ont pas en faveur les courses de chevaux ni les théâtres. […] Chez eux en effet, la fornication est considérée comme un crime abominable, et l’on peut constater que les Phrygiens et les Paphlagoniens vivent de manière plus chaste que n’importe quel autre parti 85. »

Cette réputation d’exaltation se confirma dans le christianisme, car la Phrygie fut le lieu même d’une série de crises qui avaient en commun le goût de l’ascèse. Pour emprunter l’expression à Épiphane de Salamine, πολλαὶ γὰρ αἱρέσεις ἐν τῷ χωρίῳ, « c’est plein d’hérésies, dans la région 86 ». 1. Le montanisme. – La première crise fut celle de Montan et de ses prophétesses. Eusèbe de Césarée et Épiphane de Salamine nous en racontent l’histoire 87. Vers 170, Montan, qui venait du paganisme, connut une série 81. H. LECLERCQ, « Phrygie », Dictionnaire d’Archéologie et de Liturgie, vol. 14, Paris, Letouzey et Ané, 1939, p. 756-806 (759). 82. P. DE LABRIOLLE, La Crise montaniste (Bibliothèque de la Fondation Thiers 31), Paris, Ernest Leroux, 1913, p. 4sq. 83. Αἰγύπτιοι πάντων ἀνθρώπων μετὰ τοὺς Φρύγας ἀρχαιότεροι καθεστῶτες, HIPPOLYTE, Philosophe V, 7, 22, éd. M. MARCOVICH, Hippolytus. Refutatio omnium hæresium (Patristische Texte und Studien 25), Berlin, De Gruyter, 1986. 84. Ὡς ὁ Φρύξ τὰ νῦν ὑμῖν πληγεὶς ἀμείνων ἕσσετ’. HÉRONDAS, Mime II, v. 101. I. C. CUNNINGHAM (éd.), Herodas. Mimiambi, Oxford, Clarendon Press, 1971, p. 36. 85. SOCRATE, Hist. Eccl. IV, 28, trad. P. PÉRICHON et P. MARAVAL (SC 505), 2006, p. 121. 86. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion 42, PL 41, 849. 87. Pour les sources, l’ouvrage de Pierre de Labriolle reste indispensable : P. DE LABRIOLLE, Les Sources de l’histoire du montanisme, textes grecs, latins syriaques, Fribourg/Paris, Ernest Leroux, 1913.

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d’extases qui le conduisirent à formuler une foule de prophéties en compagnie de deux femmes, elles aussi prophétesses. Ce qui dérangeait les évêques des alentours et les hérésiologues, c’étaient avant tout ses extases, dont on se méfiait de plus en plus dans le christianisme du IIe siècle. C’était également, comme l’a montré C. Thomas, son énonciation prophétique, qui laissait croire qu’il se prenait pour l’Esprit lui-même, alors qu’il ne faisait sans doute rien d’autre que de présenter ses prophéties comme des motions de l’Esprit saint 88. C’était enfin son messianisme. Montan prétendait en effet que la Jérusalem céleste descendrait dans deux obscurs villages de Phrygie, Pépuze et Tymion (dont on est peut-être en train de découvrir la localisation 89). À vrai dire, le christianisme que professait Montan n’était pas si éloigné de la ligne qui s’imposa par la suite et pouvait encore fasciner au XIXe siècle un protestant comme Émile Morel, dont la thèse à la faculté protestante de Paris présentait cette doctrine avec une assez grande sympathie 90 ; et on peut se demander si ce n’est pas son succès fulgurant, que ne cherche pas à cacher Eusèbe de Césarée, qui est la cause de l’opposition qu’il rencontra. Manifestement, Montan était un organisateur hors pair, qui réussit à donner à son mouvement une très grande extension91. On sait par certaines inscriptions qu’il eut des évêques montanistes, ce que se gardent bien de dire les écrivains ecclésiastiques. Or Montan prêchait un christianisme ascétique, dont nous connaissons la teneur grâce à Tertullien 92, qui fut sans doute favorable au montanisme, en particulier dans le De Jejunio. On sait ainsi qu’il imposait à ses adeptes des ieiunia propria, des jeûnes nouveaux, qu’il recommandait l’abstinence du mercredi et du vendredi (facultative dans les autres communautés), qu’il instituait des « xérophagies » où l’on s’abstenait de viande, de liquide, 88. C. M. THOMAS, « The Scriptures and the New Prophecy : Montanism as Exegetical Crisis », in D. H. WARREN et alii (éds.), Early Christian Voices in Texts, Traditions, and Symbols (Biblical Interpretation Series 66), FS François Bovon, Boston, Brill, 2003, p. 155-165. 89. P. LAMPE, « La découverte et l’exploration archéologique de Pepouza et Tymion, les deux cités principales du montanisme en Phrygie », in B. BAKHOUCHE et P. LE MOIGNE (éds.), Dieu parle la langue des hommes : études sur la transmission des textes religieux (1er millénaire), Lausanne, Zèbre, 2007, p. 203-217. Voir également W. TABBERNEE et P. LAMPE, Pepouza and Tymion. The Discovery and Archaeological Exploration of a Lost Ancient City and an Imperial Estate, Berlin, Walter de Gruyter, 2008. Après une longue étude archéologique, les deux auteurs situent Pepouza à Karayakuplu et Tymion à Susuzören dans la province d’Uşak. 90. É. MOREL, Essai sur l’esprit du montanisme, Paris, Maréchal et Montorier, 1884. 91. P. de LABRIOLLE, La Crise montaniste…, p. 27. La description de l’organisation de Montan se trouve chez EUSÈBE DE CÉSARÉE : Hist. Eccl. V, 16, 14 et 18, 2.4.7.13. 92. Eusèbe se contente d’écrire : Οὗτός ἐστιν ὁ διδάξας λύσεις γάμων, ὁ νηστείας νομοθετήσας, ὁ Πέπουζαν καὶ Τύμιον Ἰερουσαλήμ ὀνομάσας (πόλεις δ’εἰσὶν αὗται μικραὶ τῆν Φρυγίας). Hist. Eccl. V, 18, 2.

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de fruits, d’aliments juteux et aussi de bains pendant deux semaines chaque année. Épiphane indique que la liaison avec les filles de Philippe avait bien été revendiquée par les montanistes. Il affirme que les Cataphrygiens considéraient Quintilla comme leur fondatrice, en compagnie de Priscilla. Ces prophétesses parlaient de la sœur de Moïse comme d’une preuve en faveur de l’ordination des femmes et disaient que Philippe avait quatre filles qui avaient prophétisé : Ils appellent parmi eux des femmes, des prophétesses. […] Ils invoquent l’autorité de Quintilla qui leur a prêché ainsi qu’aux Cataphrygiens en compagnie de Priscilla. Ils font appel à des autorités nombreuses et futiles. Ils font grand cas d’Ève, parce qu’elle aurait mangé la première du fruit de la connaissance. Ils appellent aussi prophétesse la sœur de Moïse, et se servent de son témoignage pour appeler des femmes au sacerdoce. En outre, disentils, les quatre filles de Philippe ont été prophétesses 93.

Le lien entre Philippe, ses filles et des mouvements manifestement charismatiques est tellement bien connu qu’Eusèbe, citant un auteur anonyme 94 qui sert de base à sa réfutation, éprouve le besoin de préciser que les filles de Philippe ne sont pas extatiques et ne sauraient être suspectes de lien avec le « faux prophète ». Mais le faux prophète dans la fausse extase, qu’accompagnent l’impudence et la témérité, commence par une déraison volontaire, puis il en arrive, comme il a été dit, à un délire involontaire de l’âme. Ils ne pourront montrer aucun prophète, ni dans l’Ancien, ni dans le Nouveau Testament, qui ait été rempli par l’Esprit de cette manière. Ils ne revendiqueront ni Agabus, ni Judas, ni Silas, ni les filles de Philippe, ni Ammia de Philadelphie, ni Quadratus, ni les autres, quels qu’ils soient, parce qu’ils n’ont aucun rapport avec eux 95.

La citation du Cataphrygien Proclus, écrite en pleine controverse de légitimité à une période où la possession d’un tombeau valait droit de succession, réaffirme, comme on l’a vu, la filiation que les montanistes récla-

93. ÉPIPHANE, Panarion 49, 2. Γυναῖκας οὖν παρ᾽αὐτοῖς καλοῦνται προφήτιδες. […] Κυΐτιλλαν δὲ ἔχουσιν ἀρχηγὸν ἅμα Πρισκίλλῃ, τῇ καὶ παρὰ τοῖς κατὰ Φρύγας. Θέρουσι δὲ μαρτυρίας πολλὰς ματαίας, χάριν διδόντες τῇ Ἐὔᾳ, ὅτι πρώτη βέβρωκεν ἀπὸ τοῦ ξύλου τῆς προνήσεως. Καὶ τὴν ἀδελφὴν τοῦ Μωϋσέως, ὡς προφήτιδα λέγουσιν, εἰς μαρτυρίαν τῶν παρ᾽ αὐτοῖς καθισταμένων γυναικῶν ἐν κλήρῳ. Ἀλλὰ, φησὶ, τέσσαρες θυγατέρες ἦσαν τῷ Φιλίππῳ προφητεύουσαι. K. HOLL (éd.), Epiphanius : Panarion hær. 34-64, Berlin (DDR), Akademie-Verlag, 1980, p. 242-243. 94. Sur cet auteur anonyme : W. TABBERNEE, Fake Prophecy and Polluted Sacraments (Supplements to Vigiliæ Christianæ 87), Leiden, Brill, 2007, p. 3-7. 95. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 17, 2-3, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 53-54.

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maient avec Philippe 96. Face aux tombeaux de Rome, Proclus entend mettre en avant les tombeaux de Hiérapolis et peut-être le reliquaire montaniste de Pépuze détruit par Jean d’Éphèse en 550 97. En lien avec la citation précédente, on voit d’ailleurs que les montanistes prenaient en considération deux lignes de succession prophétique : celle des filles de Philippe, centrée autour de Hiérapolis, et celle d’Ammia de Philadelphie et de Quadratus, les successeurs de Maximilla et Prisca 98, plutôt centrée autour de Philadelphie 99. 2. La crise eusthatienne. – L’autre témoignage des liens étroits entre mouvements ascétiques et Phrygie est constitué par la crise eusthatienne 100, nommée à partir de son initiateur, Eusthate de Sébaste qui fut condamné en 340 par le concile de Gangres. Les quelques éléments dont on dispose sur Eusthate se trouvent dans un traité d’un certain Amphiloque d’Iconium (v. 340-400), Contra Hæreticos, connu par un seul manuscrit assez mutilé, le Scorialensis gr. 137 de l’Escurial 101. Le mouvement eusthatien rejetait le mariage, refusait la communion de la main des prêtres mariés, pratiquait un végétarianisme strict, et prêchait une absolue continence. Le mouvement connut de nombreux sous-groupes, dont les apotactites. Alors que les eusthatiens portaient un simple vêtement de laine et se nommaient encratites, les apotactites revêtaient des vêtements en poil de chèvre, ce qui explique le surnom de saccophore dont ils étaient affublés. Certains s’autorisaient la possession d’animaux, d’autres non 102. La présence de ces ascètes est attestée en particulier dans la nécropole de Hiérapolis, dans laquelle une des tombes est celle d’un ὑδροπότης, un buveur d’eau 103. 3. Les encratistes de Phrygie. – Un des traits dominants de la Phrygie est donc l’encratisme 104. Cette doctrine, qui connut une première formula96. W. TABBERNEE, « “Our Trophies are Better than your Trophies” : The Appeal to Tombs and Reliquaries in Montanist-Orthodox Relations », in E. A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica 31, Leuven, Peeters, 1997, p. 206-217. 97. Selon la Chronique de Michel le Syrien : MICHEL LE SYRIEN, Chronique IX, 33 (trad. dans J.-B. Chabot, Chronique de Michel le Syrien I, Paris, Leroux, 1899). 98. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 17, 4. 99. F. W. KLAWITER, The New Prophecy in Early Christianity : The Origin, Nature and Development of Montanism, PhD. dissertation, University of Chicago, 1975, p. 170-171. 100. R. N. SLATER, « An Inquiry into the Relationships between Community and Text : The Apocryphal Acts of Philip 1 and the Encratites of Asia Minor », in F. BOVON, A. G. BROCK, C. MATTHEWS (éds.), The Apocryphal Acts of the Apostles (Harvard Divinity School Studies), Cambridge, Harvard University Press, 1999, p. 281-309. 101. Edition dans G. FICKER, Amphilochiana, vol. 1, Leipzig, Barth, 1906. 102. G. FICKER, Amphilochiana…, p. 44-45. 103. F. D’ANDRIA, « Conversion, Crucifixion and Celebration », p. 42. 104. G. BLOND, « encratisme », Dictionnaire de Spiritualité, vol. 4, Paris, Beauchesne, 1959, p. 628-642. G. BLOND, « L’“hérésie” encratite vers la fin du quatrième siècle », Recherches de Science religieuse 32, 1944, p. 176sq.

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tion chez Tatien (Adv. Hær. 1, 28, 1), à qui Montan et Eustate donnèrent une forte impulsion, et qui fut combattue par Clément d’Alexandrie (Stromates 3, 79-80), est une manifestation d’une certaine haine du monde. À ce monde vu comme un monde mauvais, un monde de péché, s’oppose le monde idéal, le monde divin. Pour y accéder, les disciples de l’encratisme entendent refuser toute collaboration avec le monde pernicieux : se nourrir un strict minimum, refuser tout plaisir sexuel et bien entendu ne pas avoir d’enfant. La Phrygie fut la terre de cet encratisme, comme le prouve une inscription du IVe siècle, recueillie par Ramsay 105 près de Ladik : « Nestor, révéré prêtre, aide des veuves vertueuses, ministre de la continence ». Il faut également citer les inscriptions directement issues des mouvements apotactites, comme celle d’Anicet découverte au nord de Laodicée qui le décrit comme πρεσβύτερος τῶν Ἀποτακτιτῶν et qui a été érigée par Eugraphios et son frère Diophantoce qui se disent les successeurs (διάδοχοι) d’Anicet 106 ; ou celle de Gaïos, érigée par les prêtres d’un monastère apotactite 107. Il faut enfin citer celle du prêtre Zotikos récemment publiée par Thonemann et qui fut trouvée à Iconium 108. Malheureu105. Νεστῶρ σεμνὸς πρεσϐύτερος μετρίων ξηρῶν ἐπαρωγὸς ενκρατιὴς ὁ διάκονος. W. M. RAMSAY, « The Church of Lycaonia in the Fourth Century », Luke the Physician and Other Studies in the History of Religion, London, Hodder & Stoughton, 1908, p. 331-410. W. CALDER, « Leaves from an Anatolian Notebook », Bulletin of the John Rylands Library 13, 1929, p. 254-271. 106. W. M. CALDER, Monumenta Asiæ Minoris antiqua, vol. 1, Manchester, Manchester University Press, 1928, p. 173. 107. Γάϊος πρεσ. [βύτερος καὶ οἱ] συνπρεσβύ[τεροι τοῦ τῶν] Ἀποτακτιτῶ. [ν – μο]ναστηρίου. « Gaïus le prêtre et ses confrères du monastère des apotactites ». W. M. CALDER, Monumenta Asiæ Minoris antiqua, vol. 7, Manchester, Manchester University Press/American Society for Archaeological Research in Asia Minor, 1956, p. 88. 108. ἐνθαῦτα κατάκιτε ἀνὴρ εὐλαβὴς κὲ πίστεος ἄξιος Ζωτικὸς πρεσ(βύτερος) Ἀποτακτίτης υεἱὸς Λουκίου· ἀνέστησεν ἡ ἐξαδέλφη μου Ἀμμία τὴν εἰστήλην ταύτην ζῶσα μνήμης χάριν † « Ci-gît un homme pieux et fidèle, le prêtre Zotikos, apotactite, fils de Loukios. Ma cousine Ammia a érigé cette stèle pendant qu’elle était en vie, in memoriam ». P. THONEMANN, « Amphilochius of Iconium and Lycaonian Asceticism », The Journal of Roman Studies 101, 2011, p. 185-205 (195-197).

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sement, comme une grande partie des appellations héritées des hérésiologues, l’encratisme est une tendance très générale, qui semble avoir recouvert des doctrines assez différentes engendrant des pratiques très diverses. 4. Philippe et Marcion. – Pour clore ce dossier, peut-être faut-il également citer un passage conservé dans Clément d’Alexandrie qui semble dire que Marcion aurait lui aussi embrigadé Philippe dans son ascétisme. Parmi ceux que l’hérésie entraîne, nous rappelons Marcion le Pontique, qui, par suite de la guerre qu’il a déclarée au Créateur, se refuse à user des choses de ce monde. Mais le motif de sa continence (ἐγκρατεία), si toutefois on peut l’appeler continence, c’est sa haine, sa révolte envers le Créateur lui-même. Dans le combat que le géant impie s’imagine livrer à Dieu, il se condamne à une continence involontaire, en insultant la création et les créatures. Il voudrait trouver appui dans les paroles du Seigneur, quand ce dernier dit à Philippe : « Laisse les morts ensevelir leurs morts ; et toi, suis-moi. » Mais, qu’il le sache bien cet individu ! Philippe, tout revêtu qu’il était d’une semblable chair, n’était point un cadavre en décomposition. Comment donc, avec une enveloppe charnelle, ne portait-il pas un cadavre ? C’est qu’il s’était relevé du sépulcre par la mort du vice, et qu’il vivait en Jésus-Christ 109.

Le texte est particulièrement intéressant, car il procède à une assimilation : le jeune homme de Mt 8, 22 que Jésus empêche d’aller enterrer son parent serait Philippe. Et Marcion devait se servir de ce passage pour justifier une haine de la chair et un ascétisme (le texte dit un encratisme) excessif. D’après ce que l’on peut reconstruire de l’argument de Clément, il devait interpréter le texte comme une preuve que la chair mortelle devait être méprisée au profit de la suivance de Jésus. Et Clément de prendre le texte au pied de la lettre et de rappeler que Philippe n’avait rien d’un cadavre. C. Philippe apôtre de l’encratisme dans les Actes de Philippe Philippe étant en quelque sorte le régional de l’Église, il fut promptement annexé par les encratites de Phrygie dans un texte dont les éditeurs pensent, avec une certaine vraisemblance, qu’il est lui-même composite : les 109. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates III, 4, 25, éd. O. STÄHLIN (GCS 52.15), Berlin, Akademie-Verlag, 1960. Τῶν δὲ ἀφ´ αἱρέσεως ἀγομένων Μαρκίωνος μὲν τοῦ Ποντικοῦ ἐπεμνήσθημεν δι´ ἀντίταξιν τὴν πρὸς τὸν δημιουργὸν τὴν χρῆσιν τῶν κοσμικῶν παραιτουμένου. Γίνεται δὲ αὐτῷ τῆς ἐγκρατείας αἴτιος, εἴ γε τοῦτο ἐγκράτειαν ῥητέον, αὐτὸς ὁ δημιουργός, πρὸς ὃν ὁ θεομάχος οὗτος γίγας ἀνθεστάναι οἰόμενος ἄκων ἐστὶν ἐγκρατὴς κατατρέχων καὶ τῆς κτίσεως καὶ τοῦ πλάσματος. Κἂν συγχρήσωνται τῇ τοῦ κυρίου φωνῇ λέγοντος τῷ Φιλίππῳ· Ἄφες τοὺς νεκροὺς θάψαι τοὺς ἑαυτῶν νεκρούς, σὺ δὲ ἀκολούθει μοι, ἀλλ´ ἐκεῖνο σκοπείτωσαν ὡς τὴν ὁμοίαν τῆς σαρκὸς πλάσιν καὶ Φίλιππος φέρει, νεκρὸν οὐκ ἔχων μεμιαμμένον. Πῶς οὖν σαρκίον ἔχων νεκρὸν οὐκ εἶχεν; ὅτι ἐξανέστη τοῦ μνήματος τοῦ κυρίου τὰ πάθη νεκρώσαντος, ἔζησε δὲ Χριστῷ.

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Actes de Philippe 110 composé des Actes mêmes (CANT 250.1 = BHG 15161524) et du Martyre de Philippe (CANT 250.2 = BHG 1525-1526m). On en connaît plusieurs manuscrits 111. Ce caractère composite décourage de chercher une origine précise au texte, et ce n’est pas parce qu’il contient certains termes syriaques qu’il faut lui trouver une origine syriaque 112. Les chercheurs ont, tour à tour, proposé une influence gnostique (Lipsius), ou au contraire « orthodoxe » (Zahn) sur le texte 113. Mais un certain consensus semble s’être dégagé depuis l’article d’E. Peterson 114 qui a rapproché l’idéologie de certains passages du texte de celle des Eusthatiens : le texte pourrait être issu des milieux encratites 115 et plus précisément apotactites 116. En tout cas, l’ancrage phrygien, déjà repéré par Gutschmid117, ne doit pas être négligé. La datation de l’écrit est des plus complexes et diffère selon les parties du texte. Ainsi, l’Acte I, nettement encratite, pourrait remonter à la fin du IVe s. ou à la première moitié du Ve siècle 118, tandis que l’Acte II suppose 110. On trouvera une analyse du texte dans F. BOVON, « Les Actes de Philippe », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.6, Berlin, New York, De Gruyter, 1988, p. 4431-4527. F. AMSLER, « Les Actes de Philippe. Aperçu d’une compétition religieuse en Phrygie », in J.-D. KAESTLI et D. MARGUERAT (éds.), Le Mystère apocryphe (Essais bibliques 26), Genève, Labor et Fides, 1995, p. 125-140. F. AMSLER, Acta Philippi. Commentarius (Corpus Christianorum Series Apocryphorum 12), Turnhout, Brepols, 1999. Le texte : Actes de Philippe, trad. B. BOUVIER et F. BOVON in ÉAC I, p. 1180-1320. 111. Le témoin le plus important est le Xenophontos 32 de l’Athos (XIVe s.) découvert par B. Bouvier et F. Bovon dans les années 1970 dans un monastère athonite qui contient les APh 1, 3-7, 11-15. Vient ensuite le Vaticanus gr. 824 du XIe s. qui abrège le texte pour le rendre davantage conforme à la théologie de l’Église officielle (P. BATIFFOL, « Actus sancti Philippi apostoli », Analecta Bollandiana 9, 1890, p. 204-249). Le manuscrit 346 de la Bibliothèque nationale d’Athènes (XVe s.) fournit le texte long d’APh 8. 112. C’est la thèse de B. VAN OS, « Was the Gospel of Philip written in Syria ? », Apocrypha 17, 2006, p. 87-94 contre E. SEGELBERG, « The Antiochene Background of the Gospel of Philip », Bulletin de la société d’archéologie copte 18, Le Caire, Imprimerie de l’IFAO, 1966, p. 205-223. 113. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, vol. 2.2, Braunschweig, Schwetschke, 1884, p. 2-29. . T. ZAHN, Forschungen zur Geschichte des neutestamentlichen Kanons und der altkirchlichen Literatur VI.1 : Apostel und Apostelschüler in der Provinz Asien, Leipzig, Deichert, 1900, p. 21. 114. E. PETERSON, « Die Häretiker der Philippus-Akten », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 31, 1932, p. 97-111. 115. C’est la conclusion de François BOVON, « Les Actes de Philippe »… 116. C’est l’axe du commentaire de F. Amsler (F. AMSLER, Acta Philippi. Commentarius…). 117. A. von GUTSCHMID, « Die Königsnamen in den apokryphen Apostelgeschichten », in F. RÜHL (éd.), Kleine Schriften von Alfred von Gutschmid, vol. 2, Leipzig, Teubner, 1890, p. 332-394 (389-394). 118. F. AMSLER, Acta Philippi. Commentarius…, p. 82.

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déjà l’écriture du martyre et ne saurait remonter avant la seconde moitié du Ve siècle 119. L’Acte III est une réélaboration de la mission de Philippe en Ac 8 destiné à lui assurer un rang d’apôtre, et pourrait dater du début du Ve siècle. Les Actes III à VII nettement plus encratiques semblent refléter les doctrines de groupes constitués (dans des sortes de monastères ?). Les Actes VIII à XV et le Martyre constituent enfin une partie plus ancienne. Plus qu’un texte, il s’agit donc d’une collection de textes sur Philippe, qu’il n’est pas facile de synthétiser : on découvre en effet trois portraits bien différents de l’Apôtre.

1. Trois portraits bien différents de l’apôtre 1. La construction d’un apôtre légitime (Actes I à III). – Ce qui frappe d’abord dans la première partie du texte, c’est l’hésitation entre l’apôtre et le diacre. En effet, les deux premiers actes parlent manifestement de l’apôtre qui vient de Galilée où il ressuscite un mort qui lui raconte sa descente aux enfers (AcPh 1), puis opte pour « Athènes de l’Hellade » (sic) comme champ d’évangélisation (AcPh 2) : il y rencontre le grand prêtre avec qui il s’affronte. En revanche, AcPh 3 semble plutôt parler du diacre. Partant pour le pays des Parthes, il rencontre en effet Pierre, et, quoiqu’il soit déjà nommé apôtre, il lui fait une requête étonnante : « Je vous en supplie, ô mes compagnons par l’Esprit, je vous en supplie, vous qui avez reçu la couronne du Christ dans l’ordre apostolique, conférez-moi votre force, afin que j’aille prêcher l’Évangile et que je sois mis au nombre de ceux qui partagent la gloire dans les cieux 120. »

Pourquoi demander la force apostolique alors qu’il est déjà compté au rang des Douze ? C’est finalement Jean qui lui donne son quitus : μὴ ῥᾳθυμήσῃς· Ἰησοῦς γὰρ μετὰ σοῦ ἐστιν, « ne te laisse pas abattre, Jésus est avec toi ». La présence conjointe de Pierre et de Jean sonne comme une réécriture de l’épisode samaritain. Cette fois-ci, il n’est pas question d’une validation a posteriori de son travail. Puisqu’il a demandé bien poliment l’autorisation apostolique, les deux la lui accordent de fort bonne grâce. Le brouillage des pistes se confirme par l’étrange voyage que fait Philippe en AcPh 3. L’apôtre part à pied du royaume des Parthes en direction du pays des Candaces où il arrive en bateau, puis, des Candaces, il va à Azot avant de séjourner à Nicatéra. Cet itinéraire un peu étrange explique les errements de la tradition ultérieure. Le pays des Candaces deviendra l’Ifriqya du synaxaire arabe jacobite et désigne l’Éthiopie méridionale, qui est région du nord Soudan. Azot est Ashdod et Nicatéra une ville incon-

119. F. AMSLER, Acta Philippi. Commentarius…, p. 126. 120. F. BOVON, B. BOUVIER, F. AMSLER, Acta Philippi. Textus (Corpus christianorum corpus apocryphorum 11), Turnhout, Brepols, 1999, p. 76.78.

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Figure 9 : les Actes de Philippe

nue dans laquelle on pourrait reconnaître Césarée maritime 121. Comme l’a montré de manière convaincante Frédéric Amsler, ce trajet est symbolique et assimile Philippe à Moïse, l’envoyé incapable de parler (AcPh 3, 3, 13-14), qui lui aussi mange de la manne (AcPh 3, 3, 5-3), part vers le Sinaï, remonte sur la mer Rouge (et donc vers l’Égypte) où il subit l’assaut des sauterelles (AcPh 3, 11) et peut contempler la croix lumineuse, réécriture de la nuée (AcPh 3). Cette géographie symbolique ne fournit pas pour autant un terme au périple de Philippe, d’autant que les différents actes en proposent plusieurs : serait-ce Gaza comme en Ac 8, 26 ? Césarée d’après Ac 21, 8 ? Nicatéra des AcPh 5 – 8 ? Ophiorymé selon AcPh 8 – 11 ? Plus que jamais, Philippe s’affirme comme un apôtre sans champ d’évangélisation et sans installation apostolique 122. 2. Le champion de l’encratisme (Actes I à VIII). – Les Actes de Philippe présentent une narration complexe. Ils enchaînent des miracles et des conversions d’abord en Grèce puis en Phrygie. Il serait trop long de les analyser tous, mais on peut retrouver une série de thèmes proprement acétiques. Ainsi notera-t-on le rejet du mariage et la dissolution des mariages existants (AcPh 5), le thème obsédant de la « maison pure », qui est celle où l’on ne pratique pas les relations sexuelles (AcPh 4), le rejet de la viande et du vin (AcPh 1), le mépris pour les richesses (AcPh 6), le port d’un vêtement distinctif (AcPh 2). D’ailleurs, dès le 5e acte, on connaît la réputation 121. F. AMSLER, Acta Philippi. Commentarius…, p. 156. 122. F. BOVON, « Les Actes de Philippe »…, p. 4480.

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de l’apôtre : « Son enseignement consiste à séparer les maris des femmes, en disant que la pureté, comme on dit, converse avec Dieu 123. » Philippe s’affirme comme un champion de l’ascétisme et de la pureté. 3. Le Nouvel Adam (Actes VIII à XV). – Pour définir la figure de Philippe dans la partie la plus ancienne des Actes, il faut se reporter à un passage très caractéristique qui se trouve dans le 8e acte. Au début de l’Acte, on apprend à Philippe qu’on lui donne la terre des Hellènes en partage pour son évangélisation. Il se met à pleurer. Sa sœur Mariamne que l’on peut identifier à Marie-Madeleine 124 s’en ouvre à Jésus. AcPh 8, 3. – Le Sauveur lui dit : « Je sais que tu es bonne et vaillante en ton âme et bénie parmi les femmes ; voilà qu’une mentalité de femme a gagné Philippe, tandis qu’habite en toi une mentalité virile et vaillante […]. 4. Quant à toi Mariamne, change de costume et d’apparence : dépouille tout ce qui dans ton extérieur rappelle la femme, la robe d’été que tu portes. Ne laisse pas la frange de ton vêtement traîner par terre, ne le drape point, mais coupe cela ; puis mets-toi en route en compagne de ton frère Philippe vers la ville appelée Ophiorymos (la promenade des serpents). Les habitants de cette ville, en effet, rendent un culte à la mère des Serpents, la Vipère. Quand vous entrerez dans la ville, il faut que les serpents de cette ville te voient débarrassée de l’aspect d’Ève et que rien, dans ton apparence, ne trahisse la femme. Car l’apparence d’Ève est la femme, et c’est elle qui incarne la forme féminine. Quand à Adam, il incarne la forme de l’homme, et tu sais que dès l’origine, l’inimitié a surgi entre Ève et Adam. Ce fut le début de la rébellion du serpent contre cet homme et de son amitié pour la femme ; si bien qu’Adam fut abusé par sa femme Ève ; et la mue du serpent, c’est-à-dire son venin, il l’a revêtue par Ève ; et au moyen de cette dépouille, l’ennemi originel a trouvé à se loger en Caïn, le fils d’Ève pour qu’il tue Abel son frère. Toi donc, Mariamne, échappe à la pauvreté d’Ève pour t’enrichir toi-même 125.

Tout, dans ce texte, exprime la Phrygie et ses croyances. Remarquons qu’il commence par une vision du Sauveur. Comme chez Montan, visions et révélations sont monnaie commune et accompagnent tous les actes de Philippe et de ses compagnons. Ensuite, débute un jeu sur la virilité et sur la vaillance. Tandis que Philippe se met à douter – il rejoint ainsi l’un de ses traits de caractère mis en lumière par l’évangile de Jean – et perd ainsi sa virilité, Mariamne peut troquer la féminité avec la virilité. On est bien 123. Ἡ δὲ διδασκαλία αὐτοῦ ἐστι διαχωρίζουσα ἄνδρας καὶ γυναῖκας, λέγων ὅτι ἡ ἁγνεία, φησίν, ὁμιλεῖ τῷ θεῷ. 124. Sur ce personnage dans les Actes de Philippe : F. BOVON, « Marie Magdalene in the Acts of Philip », in New Testament and Christian Apocrypha. Collected Studies II (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.37), Tübingen, Mohr Siebeck, 2009, p. 259-272. 125. Actes de Philippe 8, 3-4, trad. B. BOUVIER et F. BOVON, ÉAC I, p. 1264.

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ainsi dans un refus total de la différence sexuelle. La suite précise d’ailleurs ce point : pour devenir homme, il suffit de ne plus paraître comme une femme. Car plus que le comportement, c’est l’apparence qui est ici visée : dépouiller le costume (στολή), la robe d’été (θέριστρον), la frange. Refuser le drapé et l’apprêt. Refuser en un mot tout ce qui relève de la séduction. La ville dont il s’agit ici est désignée par un nom de code : Ophiorymos, la promenade des serpents. L’allusion est transparente. On retrouve ici la forme que prend la Déesse-mère asiate (identifiée parfois à Cybèle) à Hiérapolis : l’Echidna, la déesse-serpent 126. On peut aussi y trouver l’écho du culte à Apollon, souvent associé au python, dont on sait qu’il avait à Hiérapolis un sanctuaire et une pythie célèbre dans toute l’Antiquité, dont on a trouvé les restes d’une statue colossale en 2009 127. L’auteur décrit sa propre région comme une terre venimeuse, que la venue de Philippe parviendra à rendre saine. Mais plus que cela, il comprend son pays comme sauvé par l’encratisme. En désignant la contrée par ses liens avec le serpent, il peut faire une allusion à la Chute. Puisque le Serpent de la Genèse a séduit Ève parce qu’elle était pourvue de toute sa féminité et donc de tout son attrait sexuel, c’est en renonçant à toute sexualité, en se vêtant de manière austère, qu’on vaincra son substitut, qui siège à Hiérapolis. La Phrygie, terre de la Grande Déesse et terre des serpents, représente le lieu par excellence où se renverse l’antique malédiction. Le lien entre identité géographique – la Phrygie libérée du Serpent –, identité idéologique – l’encratisme – et filiation apostolique est ici total : Mariamne, la nouvelle Ève asexuée et son Philippe de frère, ont trouvé leur terre d’accueil. Philippe, l’apôtre qui abdique un instant sa virilité pour que sa propre sœur, Mariamne devienne un homme et un apôtre afin de devenir la nouvelle Ève qui domine sur le serpent… Même si ses filles ont disparu dans la bataille 128, il y a dans ce stupéfiant renversement toute la condensation du destin de l’apôtre. Apôtre déjà composite, mêlant un pêcheur galiléen et un helléniste établi à Césarée, il fut définitivement capté par une région, la Phrygie. Il n’est ni le porte-drapeau d’un groupe, ni un modèle indéfectible de foi, ni une figure repoussoir ou favorisée. Il incarne simplement une compréhension régionale, celle de l’encratisme phrygien, qui refuse le monde et prêche l’extase. Cette extase se fait dans une sorte d’état adamique, de monde réconcilié, dans la réunion du mâle et de la femme, une idée qui remonte au 126. W. M. RAMSAY, The Cities and Bishoprics of Phrygia, Oxford, Clarendon, 1895, p. 94. Pour une discussion sur le culte de Cybèle : L. J. KREITZER, « ’Crude Language’ and ‘Shameful Things done in Secret’ (Ephesians 5.4, 12) : Allusions to the Cult of Demeter/Cybele in Hierapolis ? » Journal for the Study of the New Testament 71, 1998, p. 51-77. 127. F. D’ANDRIA, « Conversion, Crucifixion and Celebration », Biblical Archaeology Review 37, 2011, p. 34-46. 128. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist…, p. 197.

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mythe de l’androgyne, qui, selon l’admirable article de Wayne Meeks 129, remonte aussi bien aux premiers temps de l’hellénisme que du monde juif. Il y a comme une nostalgie de cet état dans le 12e acte qui voit un animal domestique (un chevreau) s’entendre avec un léopard : transformés par la présence apostolique, les deux animaux sont finalement baptisés et communiés. Comme l’analyse François Bovon, cette violence que l’on dompte exprime les espérances du mouvement phrygien : que la création soit enfin réconciliée sous la conduite de son Sauveur 130. Ainsi réconcilié avec l’ordre des choses, Philippe peut s’affirmer comme celui qui répare les perturbations de cet ordre : il devient le médecin des âmes. Nous l’avons déjà repéré dans la figure de Jean et nous avons déjà souligné l’importance du thème de la guérison dans le christianisme ancien, qu’avait déjà vu Harnack à la fin du XIXe siècle 131. L’arrivée de Philippe et de sa petite troupe dans la ville de Hiérapolis est celle d’une équipe sanitaire. En effet, ils s’établissent dans un ἰατρεῖον, un dispensaire, que l’apôtre nomme immédiatement πνευματικὸν ἰατρεῖον, « dispensaire spirituel », montrant clairement qu’il conçoit la mission chrétienne comme médecine de l’âme dont la manifestation est la guérison du corps. Philippe évoque également un νάρθηξ, une boîte à remède confiée par le Christ dont la fonction est de rappeler que ce pouvoir de guérison est confié par le Christus medicus, médecin suprême. Le discours qui suit fait d’ailleurs le lien entre médecine et spiritualité : « guérissons l’infirmité des aveugles et, sans relâche, exorcisons les démons de l’oubli ». L’aveuglement corporel est bien l’image de l’aveuglement spirituel, qui, comme dans les Actes de Thomas est oubli de sa propre origine. Ce pouvoir de guérison se réalise dans l’acte suivant (AcPh 14) dans lequel est guéri et baptisé Stachys l’aveugle : guérison et conversion vont bien de pair.

2. Un martyre plein d’originalité La mort de Philippe commence de manière beaucoup moins surprenante que ses actes. En effet, on se retrouve confronté à une énième version du triangle ascétique dans lequel l’apôtre convertit Nicanora, la femme du gouverneur Tyranos (ou dans certaines autres versions Τυραννόγνοφος, Tyrannognophos). Philippe est donc supplicié la tête en bas, tandis que Barthélemy est écartelé. Mais, fait très surprenant, au lieu d’imiter son maître et de se complaire dans le pardon, il tente un coup qui avait déjà porté contre ses ennemis lors de sa confrontation avec le grand prêtre 129. W. MEEKS, « The Image of the Androgyne : Some Uses of a Symbol in Earliest Christianity », History of Religions 13, 1974, p. 165-208. 130. F. BOVON, « The Child and the Beast : Fighting Violence in Ancient Christianity », Harvard Theological Review 92, 1999, p. 369-392. 131. A. von HARNACK, Medizinisches aus der ältesten Kirchengeschichte (Texte und Untersuchungen 8.4), Leipzig, Hinrichs, 1892.

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(AcPh 2) : il demande à Dieu d’engloutir ses ennemis. L’imitatio Christi ne fonctionne plus : l’apôtre ne meurt pas dans le pardon, et si Dieu l’exauce promptement en faisant disparaître Hiérapolis dans la terre (ce qui est peut-être une réminiscence du tremblement de terre qui la détruisit effectivement), c’est au prix de la mort des habitants de la ville. L’apôtre tient sa vengeance ! Mais voici que Jésus apparaît, fort mécontent : en demandant la punition des infidèles, Philippe a outrepassé ses droits. Il s’est pris pour le Juge, alors que Jésus a commandé le pardon, comme le prouve l’énumération d’une série de paraboles (parfois non canoniques) qui enseignent un comportement différent de la loi du talion. Philippe sera donc puni : il sera détenu hors du paradis pendant quarante jours, Barthélemy ira en Lycaonie et Marie-Madeleine sera ensevelie dans le Jourdain. Cette conclusion est des plus surprenantes. En effet, l’aspect totalement héroïque de Philippe est ici nié. L’apôtre en proie au doute d’AcPh 8 a accompli un nouveau faux pas. Peut-être sous l’influence de l’épisode samaritain dans lequel Philippe semble avoir été désavoué par Pierre et Jean, l’auteur n’adhère pas totalement à son personnage et s’en dissocie in fine en lui faisant accomplir un temps de purgatoire. Au terme de l’analyse de la figure de Philippe dans les Actes qui portent son nom, on se permettra de confier le malaise qui saisit le lecteur face à ce héros : comme le grand prêtre à Athènes, le sol semble se dérober sous ses pieds. Fait unique dans notre corpus, l’apôtre est montré comme un homme faible, un homme faillible, qui inculque aux femmes de devenir des hommes, mais se fait doubler par sa propre sœur sur le terrain de la masculinité ; un messager de paix qui succombe au désir de vengeance et termine en purgatoire ; un apatride qui passe inlassablement d’un rivage à l’autre avant d’échouer dans une improbable Ophiorymè qu’il finit par détruire au lieu d’y fonder la traditionnelle église ; un apôtre sans autorité qui doit quémander auprès de ses pairs la licence pour exercer son office. Décidément, la suture entre l’apôtre et le diacre n’est pas bien faite et la figure ainsi construite trop fragile pour qu’on puisse l’ériger en figure héroïque ; décidément, l’épisode samaritain se révèle catastrophique pour la réputation de Philippe, qui se trouve toujours en quête de validation par ses pairs. Plus que jamais, Philippe se montre comme un apôtre ambigu. D. Une réputation à tenir : Philippe dans les écrits gnostiques Il est probable que la collusion avec les milieux extatiques phrygiens et ce goût certain pour l’ascétisme expliquent la fortune que connut Philippe dans les milieux gnostiques. Mais ce qui est particulièrement caractéristique, c’est qu’il est dénué de toute biographie, il n’est qu’un nom. Philippe, associé aux marginaux de Phrygie est devenu un vecteur de « gnosticisme », un marqueur d’extatisme, qui pouvait être utilisé sans qu’il soit nécessaire de reprendre un quelconque élément de sa figure (ni même de se

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reconnaître du christianisme phrygien). Il a une réputation de visionnaire, et cela suffit. Les hérésiologues en témoignent à l’envi. Épiphane 132 affirme que les gnostiques d’Égypte utilisaient un Évangile selon Philippe qui n’a aucun rapport avec celui que l’on a trouvé à Nag Hammadi. Timothée de Constantinople, que l’on ne connaît que par son Sur la réception des Hérétiques affirme que les manichéens en faisaient de même 133. Il est suivi par le Pseudo-Léonce de Byzance 134. Plusieurs textes montrent que Philippe n’est qu’un prête-nom. 1. L’Évangile selon Philippe (NH II, 3). – L’Évangile selon Philippe est un bon exemple de l’usage que l’on fait de Philippe. Cette compilation de catéchèses gnostiques à usage sacramentel ressemble à une sorte d’œuvre maladroite d’élève, « des notes destinées à servir d’aide-mémoire, une sorte de réservoir de citations, un florilège d’une facture plutôt brouillonne », comme le dit son traducteur français Louis Painchaud 135, de manière un peu rapide, tant l’ouvrage est utile pour la connaissance des sacrements valentiniens et tant il existe de cohérence dans la composition 136. Même s’il a fait couler beaucoup d’encre, en particulier à propos de sa vision de Marie-Madeleine 137 et aussi de sa conception du « mariage mystique » 138, force est de constater que de Philippe, le texte n’a conservé que le nom dans le titre et dans une intervention sans grande importance qui peut à peine expliquer pourquoi on lui a donné ce nom 139. 2. Philippe dans la Pistis Sophia. – Dans la Pistis Sophia, Philippe est aussi présenté comme le scribe parfait (1, 42) : c’est sa place de gnostique qui est assurée. Aussi peut-il prendre à plusieurs reprises la parole pour interroger Jésus. Un passage reprenant Dt 19, 15, le cite parmi les trois interprètes qui pourront établir l’accomplissement des paroles de Moïse, et ses deux compagnons sont les deux apôtres que l’on retrouve de conserve 132. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion XXVI, 13, 2-3. Il existe une traduction de l’ensemble de la notice faite par Michel Tardieu dans Tel Quel 88, 1981, p. 64-91 (merci à Jean-Daniel Dubois pour cette référence). 133. PG 86, 21. 134. LÉONCE DE BYZANCE, De Sectis III, 2. PG 86, 1213 : Λέγουσι γὰρ Εὐαγγέλιον κατὰ Θωμᾶν καὶ Φίλιππον, ἅπερ ἡμεῖς οὐκ ἴσμεν, « ils lisent en effet un Évangile selon Thomas et Philippe, dont nous ne savons rien ». 135. L. PAINCHAUD, EG, p. 336. 136. M. L. TURNER, The Gospel according to Philip. The Sources and Coherence of Early Christian Collection (Nag Hammadi and Manichæan Studies 38), Leiden, Brill, 1996. 137. On renverra à notre Marie-Madeleine, Paris, Cerf, 22008. 138. Un bon résumé et une vision très particulière dans A. D. DECONICK, « The True Mysteries. Sacramentalism in the Gospel of Philip », Vigiliæ Christianæ 55, 2001, p. 225-261. 139. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist…, p. 137. C’est l’opinion de l’un de ses premiers traducteurs, R. MCL. WILSON, The Gospel of Philip, London, Mowbray, 1962, p. 154.

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avec lui dans la littérature gnostique : Thomas et Matthieu. Philippe est donc posé, avant Thomas et Matthieu, comme le gardien de la mémoire, ce qui explique que l’Évangile de Philippe ait employé son nom pour garantir la conservation de ce qui est écrit 140. 3. La Sagesse de Jésus Christ. – Réécriture d’Eugnoste, un texte non chrétien, la Sagesse de Jésus Christ (BG 3) mentionne la présence des Douze et de sept femmes (90, 16-18), mais n’en cite explicitement que quatre : Philippe (92, 4 et 95, 19), Matthieu (94, 1 et 100, 17), Thomas (96, 14 et 108, 17) et Barthélemy (103, 22). Marie est la seule femme nommée. Là encore, la présence de Philippe aux côtés d’apôtres connus pour leurs liens avec la gnose est une preuve qu’il suffit qu’il soit présent pour accorder au texte un brevet de gnosticisme. 4. La Lettre de Pierre à Philippe (NH VIII, 2 et Codex Tchacos 1 partiellement 141). – Dans cet écrit, Philippe joue un petit rôle. Pierre envoie en effet à Philippe une lettre pour lui dire de revenir à Jérusalem selon les ordres du Sauveur afin que les apôtres soient au complet. G. Luttikhuisen a fait l’hypothèse qu’une telle mise en scène tient compte des matériaux lucaniens et en particulier de la tournée samaritaine de Philippe. Le véritable héros serait Pierre, ainsi posé en prêcheur gnostique142. Le texte, tout en nommant Philippe ⲡⲉⲛϣⲃⲏⲣⲁⲡⲟⲥⲧⲟⲗⲟⲥ, le co-apôtre, montre que le Philippe en question est plutôt le diacre. Comme dans les Actes de Philippe, l’épisode samaritain poursuit Philippe et ternit sa réputation. Pierre lui dit d’ailleurs crûment qu’il a été « séparé » d’eux et qu’il ne veut pas revenir pour apprendre à annoncer la bonne nouvelle avec les autres 143. Plus que jamais, le « cavalier seul » du diacre lui est reproché 144. D’ailleurs, assez curieusement, on n’entend pas la voix de Philippe et on n’observe pas son intégration au groupe apostolique. Le lecteur est frustré, et comme le dit Hans-Gebhardt Bethge, on s’attendrait à ce que le texte continue par le récit de la prédication de Philippe en Phrygie. Tout

140. C. R. MATTHEWS, Philip, Apostle and Evangelist…, p. 134. 141. R. KASSER et G. WURST, The Gospel of Judas, Critical edition, Washington (D. C.), National Geographic, 2007, p. 177-251. 142. G. P. LUTTIKHUIZEN, « The Letter of Peter to Philip and the New Testament », in R. MCL. WILSON (éd.), Nag Hammadi and Gnosis : Papers read at the First International Congress of Coptology (Cairo, December 1976) (Nag Hammadi Studies 14) Leiden, Brill, 1978, p. 98-102 ; ID., « The Evaluation of the Teaching of Jesus in Christian Gnostic Revelation Dialogues », Novum Testamentum 30, 1988, p. 166-168. 143. ⲏⲧⲟⲕ ⲇⲉ [ⲛ]ⲉϣⲁⲕⲡⲱⲣϫ ⲉⲃⲟⲗ ⲙⲙⲟⲛ ⲁⲩⲱ ⲙⲡⲉⲕⲙⲉⲣⲉ ⲡⲓⲧⲣⲉⲛⲉⲓ ⲉⲩⲙⲁ ⲁⲩⲱ ⲛⲧⲛⲉⲓⲙⲉ ϫⲉ ⲉⲛⲁⲧⲟϣⲏ ⲏⲁϣ ⲛⲛϩⲉ ϫⲉ ⲉⲛⲁϩⲓ ϣⲙⲛⲟⲩϥⲉ. 144. M. M. MEYER, The Letter of Peter to Philip (Society of Biblical Literature Dissertation Series 53), Chico (CA), Scholars Press, 1981, p. 95-96.

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se passe comme si l’on avait dans les mains les premiers chapitres d’Actes gnostiques de Philippe malheureusement interrompus 145. Philippe, on le voit, a donc poursuivi sa carrière chez les gnostiques. Existait-il un « cercle de Philippe », comme le présupposent certains chercheurs 146 ? C’est peut-être aller trop loin : vu la petite place qu’il a dans ces textes et le rôle ambigu qu’il tient, on se contentera de penser qu’il se bornait à fournir un « brevet de gnosticité » à des textes en mal de légitimité. III. L A

DIFFICILE

« RÉCUPÉR ATION »

DE

P HILIPPE

Considéré comme un apôtre encratite, Philippe devenait un apôtre gênant pour la tendance majoritaire, d’autant que les Églises phrygiennes manifestaient une sorte de résistance aux penchants hiérarchiques de l’Église impériale. Philippe demeura donc un apôtre marginal, que l’on voulut dissocier au plus vite de l’encombrante Hiérapolis. A. « Récupérer » Philippe Contrairement à d’autres apôtres associés avec des tendances rejetées à la marge qui connurent une sorte de rédemption tardive, on constate une reprise en main bien timide de cette figure apostolique. Si Philippe rentra dans le rang, c’est par la petite porte.

1. Dans le monde latin : une passion banale La récupération de Philippe s’opéra dans le monde latin à travers la Passion de Philippe (CANT 254 = BHL 6814-6817) 147. Cette passion, insérée dans la collection dite du Pseudo-Abdias remontant au VIe siècle franc 148 a peut-être pour origine des recueils orientaux repris dans l’Église d’Occident. C’est une Passion fort banale qui semble n’être qu’une paraphrase un peu romancée de la notice d’Épiphane. Elle commence par le récit d’un 145. H.-G. BETHGE, « Der sogennante „Brief des Petrus an Philippus“ : die zweite „Schrift“ aus Nag-Hammadi Codex VIII, eingeleitet und übersetzt vom Berliner Arbeitskreis für koptisch-gnostische Schriften », Theologische Literaturzeitung 103, 1978, p. 161-170 (162). 146. D. PARROTT, « Gnostic and Orthodox Disciples in the Second and Third Centuries », in C. HEDRICK et R. HODGSON (éds.), Nag Hammadi, Gnosticism, & Early Christianity, Eugene (Or.) Wipf & Stock, 2005, p. 193-219. 147. La passion n’a pas été rééditée depuis J. A. FABRICIUS, Codex apocryphus Noui Testamentum, vol. 2, Hamburgi, Schiller, 1719, p. 736-742. 148. C’est l’opinion, jamais sérieusement remise en cause, de Lipsius (dans R. A. LIPSIUS, Die Apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, vol. 1, Braunschweig, Schwetschke, 1883, p. 170) qui parle d’ein fränkisches Kloster.

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miracle accompli en Scythie : une statue de Mars abrite un dragon qui frappe de maladie tous ceux qui s’en approchent (chap. 1). Le cas est assez fréquent dans les Actes d’apôtre et désigne bien entendu une métaphore du souffle brûlant de l’idolâtrie. Philippe pratique un exorcisme (chap. 2) qui fait fuir le dragon et qu’on retrouve par exemple dans la Passion de Barthélemy (§ 17). Il peut donc entreprendre une prédication (chap. 3) qui reprend quelques éléments du message chrétien, et fonder une église en fournissant – et c’est un indice de la date de rédaction avancée – un évêque, des prêtres des diacres (chap. 4). Tout cela est bien banal et Philippe est ici un personnage « plat », sans aucun relief, qui se borne à exécuter ce qu’on attend d’un apôtre. Tout se passe comme si l’auteur cherchait à combler avec peu de fantaisie le début de la notice d’Épiphane, « il prêcha l’Évangile en Phrygie supérieure » en reprenant certains poncifs dénoncés par H. Delehaye. Ce sont des dissertations sur l’absurdité du paganisme et la beauté de la religion chrétienne, des discours d’une incroyable invraisemblance et qui seraient mieux placés dans la bouche d’un prédicateur que sur les lèvres d’un accusé devant le tribunal au cours d’une rapide instruction. L’éloquence triomphante du martyr reçoit ordinairement comme repoussoir l’ignorance ou la banalité du juge, à moins qu’il n’étale une connaissance des livres saints et de la religion chrétienne assez étendue pour provoquer quelque savante réplique du martyr. L’hagiographe n’a souvent pas pris la peine de composer la harangue qu’il fait prononcer par son héros ; il trouve plus commode de transcrire un chapitre ou des extraits de quelque traité convenablement choisi 149.

Reste la suite : « il est mort à Hiérapolis et y est enterré glorieusement avec les siens ». On ne parle pas de martyre dans la notice, il n’y en aura pas dans la Passion. La mort de Philippe est réglée en une phrase : « il partit rejoindre le Seigneur dans le temps de ses quatre-vingt-sept ans 150 ». Et le texte de décrire la sépulture en précisant que deux filles furent enterrées avec lui. Tout cela est assez convenu et marque l’absence de données sur Philippe. Il fallait qu’il eût un récit de mort : il en aura un, fort improprement nommé « passion », puisque Philippe meurt, pour ainsi dire, dans son lit. Il n’en reste pas moins que ce texte servit de fondement à tous les récits hagiographiques orientaux. Résumé par Barthélemy de Trente et Jean de Mailly 151, il passa ne uarietur à Jacques de Voragine151.

149. H. DELEHAYE, Les Légendes hagiographiques…, p. 106. 150. Passion de Philippe 5, ÉAC II, p. 769. 151. BARTHÉLEMY DE TRENTE, Liber epilogorum in gesta sanctorum, éd. E. PAOLI, Florence, Galluzo, 2001, p. 152. ; JEAN DE MAILLY, Abrégé des gestes et miracles des saints (Bibliothèque d’histoire dominicaine 1), éd. A. DONDAINE, Paris, Cerf, 1947, p. 57.

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2. Dans le monde grec : un encomium conforme à la théologie officielle Si le monde latin fait mine d’ignorer les Actes de Philippe, le monde grec continue à les connaître. Mais il les lit dans un sens parfaitement conforme à la doctrine qui triompha à l’époque. Albert Frey a publié un « éloge de Philippe, saint Apôtre et évangéliste du Christ 153 » (BHG 1530b) qui montre les techniques employées. Il s’agit d’un texte lu le matin de la fête de Philippe, placée le 14 novembre dans l’Église grecque, dont le plus ancien témoin remonte au IXe siècle. Après un exorde en forme de captatio benevolentiæ où il compare le fossé qui sépare sa bouche embarrassée et la grandeur de son propos, l’auteur attaque le vif du sujet en faisant l’éloge de Philippe. Celui-ci est d’abord décrit sous une avalanche d’épithètes louangeuses comme ὁ θέοκλητος τῶν Ἑλλήνων παιδοτρίβης, « l’appelé de Dieu pédotribe des Grecs » ou ὁ υπέρτιμος τῆς ἐκκλησίας στολισμός, « le précieux ornement de l’Église ». Ensuite, après avoir rappelé les prédications à Gaza, le voilà qui reprend la narration des Actes de Philippe. Il ne retient de l’apocryphe que le caractère miraculeux – on avait observé une telle technique à l’œuvre chez Grégoire de Tours à propos d’André. Du coup, le sens symbolique que possédait le serpent dans les Actes de Philippe disparaît pour n’être plus qu’un miracle. « Philippe entra dans la ville et tua par la puissance de la croix les serpents qui avaient leur repère 154. » On est ici dans le registre du prodige. De même, la mort de l’apôtre évacue tous les sous-entendus encratistes. Si Tyrannognophos (devenu pour l’occasion Tyrannographos) existe bien et si la jalousie qu’il manifeste envers Philippe est mentionnée, elle prend une tout autre signification : Ce Tyrannographos […] voyant que le peuple en nombre penchait vers Dieu et qu’en même temps son épouse s’attachait à Philippe après avoir rompu avec son culte impur et sa cohabitation inique, ne pouvant supporter sa défaite, livra à la croix le disciple du Christ 155.

Plus qu’une question portant sur les relations sexuelles, le motif de la condamnation est ici l’idolâtrie. La raison de la rupture avec Nicanora est la pratique d’un culte impur et une sorte de jalousie envers l’apôtre. La fin du texte reprend le thème de la crucifixion la tête en bas et de l’engloutissement des impies. Mais expurgé de tous les discours et de l’apparition du Sauveur, le passage se transforme en simple manifestation de la puissance de Dieu et en châtiment de ses ennemis. Cette nouvelle inter152. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 352. 153. A. FREY, « Éloge de Philippe, saint Apôtre et évangéliste du Christ », Apocrypha 3, 1992, p. 165-210. 154. Ibid., p. 186. 155. Ibid., p. 188.

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prétation est d’ailleurs ratifiée par une réflexion morale concluant sur la justice divine qui « rétribue et distingue l’œuvre de chacun 156. » La fin du discours est un long éloge de Philippe, qui possède toutes les vertus chrétiennes. Il sert de base à la rédaction de la notice lue le 14 novembre 157.

3. Dans le monde oriental : Philippe en Afrique du Nord Comme souvent, le monde oriental présente des traditions qui lui sont propres. Il conserve deux textes qui présentent des parentés, dont la principale est d’assigner le même champ d’évangélisation à Philippe : l’Afrique du Nord. L’Histoire de Philippe, conservée en syriaque (BHO 974 = CANT 253) 158 fait le récit de la prédication de Philippe à Carthage. Cette localisation est d’autant plus curieuse que le texte précise que cette Carthage est la même ville que ‫ ܐܙܘܛܘܣ‬qui désigne habituellement la ville d’Ashdod. Il ne peut pourtant pas s’agir de cette ville, puisque Philippe a des réticences à partir en disant qu’il n’est qu’un Palestinien qui ne connaît que l’araméen et non le latin ou le grec, auxquels les Carthaginois sont accoutumés. Le récit se poursuit en trois épisodes. Le premier se déroule sur le bateau et prend la forme d’une controverse assez classique entre Philippe et le juif Hananya qui tourne à l’avantage de l’apôtre et se solde par la conversion de Hananya. Le second prend place à Carthage et décrit la prédication de Philippe au dirigeant satanique de la ville. Celui-ci finit par reprendre des expressions des psaumes pour décrire sa crainte de Dieu. Le troisième, toujours à Carthage, prend un ton nettement plus antijuif et décrit la prédication d’Hananya à la synagogue : celle-ci provoque la colère des juifs qui le mettent à mort et le jettent à la mer. Philippe le fait alors récupérer par un dauphin. Devant le juge, il accuse les juifs de meurtre qui, pensant que l’on ne retrouvera pas le corps, nient en bloc. Philippe les couvre alors de confusion en produisant le cadavre grâce au dauphin. L’épisode et le texte se closent par la résurrection d’Hananya, l’adjuration de Philippe au pardon de ce meurtre et la conversion finale de tous les juifs. La trame de ce texte est assez originale et le style vivant. L’importance de la confrontation avec les juifs et l’utilisation de citations et d’arguments issus de l’Ancien Testament nous placent dans le monde de la polémique intrajuive. Il semble donc que Philippe soit devenu, dans le monde syriaque et à une époque impossible à définir précisément, le héros de chrétiens d’origine juive entendant se définir au sein des autres juifs. Il est probable que le monde égyptien a eu connaissance de cette légende d’une prédication carthaginoise. Sans doute fut-ce avec un certain nombre 156. Ibid., p. 190. 157. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 509-510. 158. W. WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, Williams and Norgate, 1871 : vol. 1, p. 73-99 (texte) ; vol. 2, p. 69-92 (traduction).

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d’intermédiaires, comme nous le prouvent les confusions qu’on y trouve. En effet, les Actes coptes de Philippe et Pierre (CANT 252) connus par des fragments coptes (BHO 975-976), mais aussi par les versions arabe (BHO 977 et 982) et éthiopienne (BHO 978 et 983) présentent un certain flottement sur la localisation de cette Carthage. En arabe le ‫ ܩܪܛܓܥܐ‬syriaque (Carthage) se transforme en ‫( ﻣﺮﻃﺎﺟﻨﺔ‬marṭājan’) qu’Agnès Smith-Lewis 159 transcrivit en ‫( ﻗﺮﻃﺎﺟﻨﺔ‬Carthagène), en supposant à évidence une confusion entre le qaf et le mim, et non ‫( ﻗﺮﻃﺎﺝ‬Carthage). La version éthiopienne se borne quant à elle à parler d’« Afrique » 160. Ces Actes sont assez convenus et n’épargnent pas les miracles. Ils se soldent évidemment par des conversions et des fondations. Le Martyre qui leur fait suite n’est guère plus original : après une prédication assez banale, les habitants de Carthage s’emparent de l’apôtre et se livrent à toutes sortes de tortures pour finir par le crucifier. Plus que par ses qualités littéraires ou son originalité, ce texte prouve l’importance que le monde copte accordait au retour de l’apôtre dans la catholicité. B. Les hésitations des textes liturgiques Comment dissocier Philippe de la Phrygie, alors qu’Eusèbe donne les éléments de sa présence dans ces contrées infestées d’hérétiques ? Les listes apostoliques passent d’un silence gêné à un apostolat bien éloigné de Hiérapolis. 1. Le silence des listes. – La plus ancienne liste, l’anonyme grec syrien, reprend la tradition du martyre à Hiérapolis dans une notice particulièrement brève 161. Le Pseudo-Hippolyte n’hésite pas à reprendre la tradition d’une crucifixion la tête en bas issue du Martyre de Philippe, qui dépend du même milieu que les Actes, preuve qu’ils étaient connus : En Phrygie, Philippe témoigna à Hiérapolis, il fut crucifié la tête en bas sous Domitien et il est enterré là 162.

Bien entendu, on ne parle nullement de Mariamne ni des éléments importants de la légende, et on en reste aux données les plus simples. Cette tradition de la crucifixion est reprise par Jean d’Euchaita qui affirme : « le même sort que Pierre fut donné à Philippe 163 ». 159. A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 58. 160. E. T. Wallis Budge, dans ses Contendings of the Apostles, ne comprend pas non plus ce que Philippe ferait en Afrique et parle de Phrygie. 161. ÉAC II, p. 467. 162. Φίλιππος ἐν Φρυγίᾳ κηρύξας ἐν Ἱεραπόλει ἐσταυρώθη κατὰ κεφαλῆς ἐπὶ Δομετιανοῦ καὶ θάπτεται ἐκεῖ. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 165. 163. Ἶσον Πέτρῳ δίδωσι Φίλιππος μόρον. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 205.

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Comme souvent, c’est la liste d’Épiphane qui fixe la tradition ultérieure : Philippe l’apôtre, qui était de Bethsaïde, le village de Pierre et André ; il prêcha l’Évangile en Phrygie supérieure. Il est mort à Hiérapolis et y est enterré glorieusement avec les siens 164.

Cette notice comporte plusieurs éléments capitaux : α) on assigne la Phrygie supérieure à l’apostolat de Philippe ; β) il n’est plus fait mention du martyre ; γ) on reprend la tradition eusébienne du martyrium de Hiérapolis. Le Pseudo-Dorothée franchit un pas de plus : il distingue soigneusement l’apôtre de l’évangéliste en assignant à ce dernier une résidence à Tralles, en Achaïe. On est à l’époque d’une allusion éparse conservée dans Théodoret de Cyr qui assure que Philippe et Jean l’évangéliste apparurent à Théodose alors qu’il pensait perdre la bataille contre l’usurpateur Eugène 165 : ce miracle éclatant ne suffit pas à redorer le blason de Philippe, preuve de l’embarras dans lequel on était. Les listes suivent cette passion et ne précisent plus qu’il s’agit d’un martyr, comme le montre le laterculus ou le Breviarium. Les martyrologes, habituellement un peu diserts, sont remarquables de brièveté. Bède se borne à écrire : « Fête des saints apôtres Philippe et Jacques, fils de Marie, qui fut la sœur de la Mère du Seigneur. Philippe comme il venait de convertir la Scythie à la foi du Christ, y établit des diacres, des prêtres et des évêques. Il retourna en Asie, et il s’endormit à Hiérapolis, en paix 166. » Les deux apôtres Philippe et Jacques étant fêtés le même jour, Bède en fait visiblement les deux fils d’Alphée et, selon une hypothèse que l’on verra à propos de Jacques fils d’Alphée fait des deux Marie une mère. Toutefois, cette solution est inédite, puisque cela reviendrait à faire de Philippe un cousin de Jésus, ce qui n’est jamais précisé. La Scythie revient en force et semble être la véritable terre d’évangélisation de Philippe : c’est là qu’il déploie son activité ecclésiastique. Hiérapolis est présentée comme une simple destination de mort. Et, derechef, l’apôtre meurt in pace, sans mention de martyre. Usuard recopie manifestement Bède, mais supprime l’étrange généalogie 167. Une mention spéciale doit être faite au martyrologe de Notker qui précise :

164. ÉAC II, p. 474. 165. THÉODORET DE CYR, Histoire de l’Église V, 24. 166. PL 94, 895-896. Et natale sanctorum apostolorum Philippi et Iacobi, filii Mariæ quæ fuit soror Matris Domini. Ex quibus Philippus, cum pene Scythiam ad fidem Christi convertisset, diaconibus, prebyteris et episcopis ibi constitutis, reuersus est ad Asiam, et apud Hierapolim dormiuit in pace. 167. Philippus, postquam pæne Scytiam ad fidem Christi conuertisset, apud Ierapolim Asiæ ciuitatem glorioso fine quieuit. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965 (voir également PL 124, 10-11).

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Il s’endormit dans la cité de Hiérapolis d’Asie avec ses pères, en ayant éteint l’hérésie des Ébionites qui niaient que le Christ ait existé avant le temps de son incarnation, et il est enseveli dans la paix 168.

Cette notice est des plus déconcertantes. En effet pourquoi est-il précisé que Philippe s’endort avec ses « pères », alors qu’il s’agit partout ailleurs de ses filles ? Et quel rapport entretint-il avec les Ébionites qui ne sont nullement mentionnés dans la tradition de Philippe ? La caractérisation de ces derniers semble sortie des notices d’Irénée et d’Eusèbe qui indiquent en effet que Jésus était considéré comme un simple homme 169, mais la formulation employée paraît davantage viser une forme d’arianisme. Malgré ses invraisemblances, l’information est reprise par le martyrologe de Raban Maur qui affirme que Philippe éteignit l’hérésie ébionite 170. Le domaine moyen oriental connaît quelques hésitations. L’Encomium attribué à Sévérien de Gabala 171 mais rédigé au VIIIe siècle 172 se borne à évoquer la prédication en Samarie, ce qui laisse supposer qu’il n’a pas fait l’assimilation entre le Diacre et l’Apôtre. Le synaxaire arabe jacobite fait de même. En effet, il existe deux notices pour Philippe l’apôtre. La première concerne « l’un des Douze », pour la fête du 18 Hatour (27 novembre). Elle reprend AcPh 3 et affirme que le sort confia à l’apôtre l’Afrique du Nord et ses provinces (peut-être conformément à la tradition carthaginoise). Ayant mené à bien cette mission, le voilà parti pour des contrées étrangères. La notice s’embrouille alors : les « infidèles » conspirent pour le tuer et finissent par le crucifier la tête en bas. Mais « quand ils voulurent brûler son corps, l’ange du Seigneur l’enleva d’entre leurs mains, tandis qu’ils le regardaient, et le cacha dans un endroit hors de Jérusalem 173 ». Les infidèles seraient-ils donc ceux de Jérusalem, et le martyre de Philippe se serait-il passé dans la Ville sainte ? Philippe le Diacre est lui fêté le 14 Babeh (24 octobre) : sa notice reprend les données des Actes des Apôtres (l’appel au nombre des Sept, l’évangélisation de la Samarie, la ren-

168. NOTKER BALBULUS, Martyrologium. Quique apud Hierapolim Asiæ ciuitatem dormiuit cum patribus suis, exstincta hæresi Ebionitarum, qui Christum Iesum ante incarnationis tempus fuisse negabant, et sepultus est in pace. PL 113, 1074. 169. S. C. MIMOUNI, Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité (Présences du judaïsme 29), Paris, Albin Michel, 2004, p. 165. 170. RABAN MAURUS, Martyrologium mensis 5, dies 1, éd. J. MCCULLOH (CCCM 44), 1979 : in Hierapoli Philippi apostoli qui Hebionitarum hæresin exstinxit, et quieuit in pace. 171. D. RIGHI, Severiano di Gabala, In apostolos : Clavis Coptica 0331 (CPG 4281) (Letteratura copta. Serie Testi), Roma, CIM, 2004. 172. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala, Encomium in XII apostolos (CPG 4281) : gli spunti apocrifi », Apocrypha 19, 2008, p. 217-266. 173. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite II, mois de Hatour et de Kihak (Patrologia Orientalis 3.3), Paris, Firmin Didot, 1909, p. 376-378.

PHILIPPE, APÔTRE DE LA PHRYGIE

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contre avec l’Eunuque, la résidence à Césarée) 174. Il est imité par le synaxaire éthiopien au 14 Teqemt 175. L’Évangile apocryphe de Jean (CANT 44) – dont on a déjà parlé à propos d’André – porte une tradition étrange d’ensevelissement 176 : ‫ﻛﺮﺵ‬, Karch, que l’éthiopien traduit en ‘Afrâqyâ et que le second manuscrit arabe écrit Kouch (‫ﻛﻮﺵ‬, une confusion entre le ‫ ﻭ‬et le‫)? ﺭ‬. S’agit-il de la déformation de la Carie, la région au sud de la Phrygie, comme le pensait Mgr Galbiati ? mais alors, comment expliquer la traduction ? Le détour par la tradition carthaginoise permet peutêtre de lever le mystère. Dans le monde syriaque on ne s’embarrasse pas de détails : le Livre de l’Abeille, par exemple, prétend qu’il est mort et enseveli en Pisidie 177, ce qui évite de mentionner et Hiérapolis et la Phrygie. 2. La légende gauloise. – Jusqu’au VIe siècle, le monde latin maintint la tradition de Hiérapolis comme en témoigne le De Ortu et Obitu prophetarum 178 qui dit que Philippe a été martyrisé à Hiérapolis en « Phrygie Pacatienne », prouinciæ Frigiæ Pacatianæ, un terme documenté vers la fin du Ve siècle, car il fait suite aux réformes qui divisèrent la Phrygie en deux provinces rattachées au diocèse d’Orient : la Prygie Pacatienne à l’Ouest ayant pour capitale Laodicée et la Phrygie Salutaire à l’Est, ayant pour capitale Synnada 179. Une nouvelle étape fut franchie par Isidore de Séville 174. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite I, mois de Tout et Babeh (Patrologia Orientalis 1.5), Paris, Firmin Didot, 1907, p. 337-338. 175. G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien – mois de Teqemt (Patrologia Orientalis 44.1 – n°197), Turnhout, Brepols, 1987, p. 70-71. 176. I. GALBIATI (éd.), Iohannis Evangelium Apocryphum Arabice (Antiquitatis Christianæ ex Oriente monumenta), Mediolani (Milan), in ædibus Mondadorianis (Mondadori), 1957, p. 260, S. GRÉBAUT, « La Pentecôte et la mission des apôtres », Revue de l’Orient Chrétien 21, 1918-1919, p. 204-213 (206, texte) et « La Pentecôte et la mission des apôtres », Revue de l’Orient Chrétien 22, 1920-1921, p. 58-61 (58-59, traduction). M. VAN ESBROEK, « À propos de l’évangile apocryphe arabe attribué à saint Jean », Mélanges de l’Université Saint-Joseph 49.2, 1975-1976, p. 597-603 (602603). 177. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 103. 178. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105). 179. La question de cette dénomination est assez complexe, comme le montre Félix Robiou, l’un des derniers à avoir étudié le dossier sous le Second Empire (en pleine Galatomania après la « découverte » d’Alésia) : F. ROBIOU, Histoire des Gaulois d’Orient, Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 296. « Ce fut Théodose, d’après Étienne de Byzance, qui divisa la Galatie en deux provinces : Ancyre fut la métropole de la première, et Pessinonte de la seconde, c’est-à-dire de la Galatie Salutaire ; cette division subsista longtemps. Au milieu du Ve siècle, l’évêque de Tabia (Tavia ou Tavium) figure au concile de Constantinople comme représentant de son métropolitain, celui d’Ancyre, et l’on sait que les circonscriptions ecclésiastiques concordaient avec les circonscriptions civiles. Antioche est désignée là comme appartenant à la Pisidie, Synnada, comme métropole de la Phrygie Salutaire, et Laodicée, de la Phrygie Pacatienne. En 681, les souscriptions d’un autre concile de Constantinople

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qui assigna à Philippe non plus une prédication en Phrygie, mais carrément en Gaule. Philippe, de la cité de Bethsaïde, d’où venait Pierre, prêcha le Christ aux Gaulois et aux nations barbares qui étaient proches et il les conduisit à la lumière de la science et au port de la foi. Ensuite, à Hiérapolis dans la province de Phrygie, il mourut crucifié et lapidé et son cadavre, pieusement enterré avec celui de ces filles, repose dans cette même ville 180.

On reconnaît chez Isidore une confusion entre les Galates et les Gaulois comme l’avait déjà vu César Baronius au XVIe siècle 181. La tradition d’une prédication de Philippe en Gaule n’a aucun fondement textuel : Grégoire de Tours lui-même ne fait pas remonter l’évangélisation du pays avant Pothin de Lyon. Pourtant, elle eut un certain succès. Relayée en Espagne par Beatus de Llebana († 798) 182, transmise par Fréculf de Lisieux (évêque de 825 à 851) dans sa Chronique universelle 183, elle explique le goût des rois de France du Haut Moyen Âge pour le prénom Philippe 184. On la retrouve chez Brunetto Latini, très dépendant d’Isidore de Séville, qui explique : « Phelipes […] prescha en Galle et encoste la mer Oceane 185. » B IL AN

ICONOGR APHIQUE

L’ensevelissement de Philippe à Hiérapolis de Phrygie semble sinon un fait historique, du moins une croyance partagée quasiment par tous, qui lie son destin indissolublement avec cette région, pour le meilleur et pour donnent de nouveau Ancyre comme métropole de la Galatie première, et Pessinonte, de la Galatie deuxième. » 180. ISIDORE DE SEVILLE (ISIDORUS HISPALENSIS), De Ortu et obitu patrum (Auteurs Latins du Moyen Âge), trad. C. Chaparro-Gomez, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 206. Philippus a Bethsaida ciuitate, unde et Petrus, Gallis prædicat Christum barbarasque gentes uicinasque tenebris et tumenti oceano coniunctas ad scientiæ lucem fideque portum deducit. Deinde in Hierapoli Phrygiæ provinciæ urbe crucifixus lapidatusque obiit, rectoque sepultus cadauere simul cum filiabus suis ibidem resquiescit. 181. C. BARONIUS, Annales ecclesiastici Cæsaris Baronii, vol. 1, Barri-Ducis (Barle-Duc), Guérin, 1864, p. 275. 182. BEATUS DE LIEBANA, Commentarius in Apocalypsin II, Prologus, 3, 17. H. A. SANDERS, Beauti in Apocalipsin libri duodecim (Papers and monographs of the American Academy in Rome 7), Rome, American Academy in Rome, 1930, p. 116. 183. Hic Gallis prædicat Christum, barbaras que gentes uicinas que tenebris et tumenti Oceano coniunctas ad scientiæ lucem fidei que portum deducit. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 4, CCSM 169A, p. 503. 184. J. DUNBABIN, « What’s in a Name ? Philip, King of France », Speculum 68, 1993, p. 949-968. 185. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 74.

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le pire. En effet, son nom fut durablement associé à cette contrée, terre d’extatisme et d’ascétisme : les Actes de Philippe, qui narrent son apostolat autour d’Ophiorymé/Hiérapolis sont comme un condensé de toutes les doctrines de Phrygie, qui a connu le montanisme. En retour, lorsque ces tendances furent condamnées par l’Église impériale, Philippe subit le contrecoup de l’hostilité qui se manifesta envers les doctrines dont il était devenu le porte-drapeau. Il fut donc mis sur la touche et ne réussit à sortir de son retrait que par une orthodoxisation tardive et finalement peu efficace. Philippe demeura un apôtre discret. Cette discrétion se retrouve dans son iconographie, fort peu fréquente et, selon le mot de Louis Réau, « flottante 186 ». Tantôt imberbe, tantôt barbu, il porte parfois la crux commissa à double ou triple traverse de son martyre à laquelle s’ajoute une pierre pour la lapidation. Ses représentations sont relativement rares et s’inspirent parfois des cycles apocryphes comme les fresques de la chapelle Strozzi de Santa Maria Novella peintes au XVe siècle par Filipino Lippi 187.

186. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, Paris, PUF, 1959, p. 1068. 187. M. L. CASANOVA, « Filippo, Apostolo. Iconografia », Bibliotheca sanctorum, vol. 5, Roma, Istituto Giovanni XXIII, 1964, p. 711-719.

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BARTHÉLEMY L’APÔTRE ORIENTAL Pour la plupart, saint Barthélemy n’évoque qu’un épisode sanglant de l’histoire de France, le massacre des Protestants organisé la veille de la fête de l’apôtre le 24 août 1572 (sans doute davantage par les Guise et le frère du roi que sur l’instigation de Catherine de Médicis et du jeune Charles IX) qui fit comme principales victimes Gaspard de Coligny, amiral de France, Armand de Clermont de Piles, et Quellenec de Pont. À part cela, rien. C’est que cet apôtre ne connut pas en Occident une grande fortune : à peine le connaît-on pour de spectaculaires représentations – dont celle de Michel Ange dans la fresque du Jugement dernier de la chapelle Sixtine ou celle de Marco d’Agrate au Duomo de Milan – où, écorché vif, il porte sa peau. Cette représentation fut admise en France à partir du XIIIe siècle 1, au moment où le couteau qu’il arbore en fit le patron des tanneurs et des bouchers. En revanche, l’Orient le pourvoit d’une copieuse légende. Non seulement il en fait un double de Thomas dans l’évangélisation des Indes, mais également un apôtre visionnaire, témoin de l’événement le plus mystérieux de la vie de Jésus : sa Descente aux Enfers. Ces différentes légendes se firent au prix d’assimilations et d’associations constantes qui disent l’inconsistance de la figure de Barthélemy : pris pour Nathanaël, il est associé régulièrement à Philippe et à Thomas, dont il finit par adopter les destins. Dans notre enquête sur la légitimité, il représente le premier individu d’une espèce que nous allons rencontrer de plus en plus fréquemment : un « petit » apôtre, c’est-à-dire un des Douze dont on ne sait quasiment rien, ce qui le laisse disponible pour toutes les aventures et tous les arraisonnements. I. U NE « IMPA SSE

TOTALE

»

A. Un simple nom… En commençant le résumé de ce que l’on sait des apôtres, John P. Meier aborde Barthélemy avec un certain pessimisme : « commençons par ce qui est une impasse totale : Barthélemy est mentionné dans chacune des listes 1. É. MÂLE, Les Saints compagnons du Christ…, p. 204.

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des Douze et nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament2. » Trois cents ans auparavant, Louis-Sébastien Lenain de Tillemont n’est guère plus engageant, qui note avec un certain humour : « Saint Barthelemi était Galiléen, aussi bien que tous les autres apôtres au nombre desquels il fut mis par Jésus-Christ : et c’est tout ce que l’Évangile nous en apprend 3. » Qu’il fasse partie du cercle des Douze, il n’y a pas lieu d’en douter puisqu’il est mentionné dans toutes les listes d’apôtres, tantôt en compagnie de Philippe (Mt 10, 3 ; Mc 3, 18 ; Lc 6, 14), tantôt en compagnie de Matthieu (Ac 1, 13). Son patronyme peut provenir de bar-Tolmaï, « fils de Tolmaï ». On sait que ce nom propre de Tolmaï se trouvait déjà en Josué 15, 14 ou en 2S 13, 37, qu’il fut translittéré en Θολμαΐ, Θολμί, Θολομαΐ et qu’on le retrouve chez Flavius Josèphe (Ant. 20, 1, 1). Peut-on tirer davantage de ce nom ? Certains, remarquant que « Ptolémée » fut parfois translittéré Θολομαί 4, prétendirent que Barthélemy descendait d’un des Lagides et qu’il fut même nommé ensuite roi de Syrie 5. Mais cette identification n’a pas de consistance. B. Barthélemy est-il Nathanaël ? Pour tenter de donner plus d’épaisseur au personnage, on a souvent identifié Barthélemy au Nathanaël de Jean. Cette identification n’est attestée qu’au IXe siècle 6 – et se trouve en particulier chez les syriaques comme Audisho de Nisibe 7 et Ishodad de Merv (évêque de Hadatha vers 850) : Ishodad revient plusieurs fois sur cette assimilation. Dans son commentaire sur les Actes des Apôtres, il identifie Bar Tolomaï à celui qui affirme que rien de bon ne peut venir de Nazareth 8. Dans son commentaire sur

2. J. P. MEIER, Un Certain Juif Jésus (Lectio Divina), vol. 3, trad. C. EHLINGER et N. LUCAS, Paris, Cerf, 2005, p. 132. 3. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693, p. 381. 4. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 305. 5. « Baronius se moque avec raison de quelques personnes qui se sont imaginé sur une fausse étymologie du mot de Bartholomæus que S. Barthélemi était fils d’un Ptolémée qu’ils ont ensuite fait roi de Syrie. » L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires…, p. 383. 6. U. HOLZMEISTER, « Nathanael fuitne idem ac S. Bartholomæus ? », Biblica 21, 1940, p. 28-39. 7. AUDISHO DE NISIBE, Traité IX, 1 cité par A. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 43. 8. M. DUNLOP GIBSON (éd. et trad.), The Commentaries of Ishodad of Merv IV (Horæ Semiticæ 10), Cambridge, Cambridge University Press, 1910, p. 5.

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Luc, il affirme clairement que Barthélemy est Nathanaël . Au XI siècle, certains Latins font de même et leur identification repose sur les arguments suivants, donnés par Rupert de Deutz (1075-1129) : 9

e

Nous voyons que Barthélemy est partout associé [dans les autres évangiles] à Philippe par qui ce Nathanaël est appelé, dont nous ne savons pas quand il a été appelé, tandis que nous ignorons ce qu’est devenu Nathanaël une fois qu’il a été appelé. Et de même, cet évangéliste Jean, qui écrit sur Nathanaël, tout en nommant çà et là tous les apôtres, ne mentionne nulle part le nom de Barthélemy. En revanche, les autres évangélistes, qui partout mettent ensemble Barthélemy avec Philippe, ne mentionnent nulle part le nom de Nathanaël 10.

Rupert enchaîne sur l’étymologie issue de Jérôme 11 qui fait de Nathanaël un nom venu de l’hébreu signifiant donum Dei tandis que Barthélemy signifierait (en syriaque) filius suspendentis aquas. Or si l’on sait que Nathanaël était de Cana de Galilée comme le dit Jean par ailleurs, et que Jésus fait un miracle sur de l’eau aux noces de Cana, il est aisé d’assimiler Barthélemy, Nathanaël et le marié des noces de Cana. Cette interprétation se retrouve reprise dans des commentaires de l’époque moderne comme celui de Jansenius qui cite Rupert, le loue et conclue : « Barthélemy ne semble pas avoir été le nom propre de l’apôtre, pas plus que Bar-Iona ait été le nom propre de Pierre 12. » Cette opinion est remise en cause depuis le XVIe siècle et le grand ouvrage de Baronius. Le savant cardinal cite en effet Augustin, qui prétendait que Nathanaël ne pouvait avoir été élevé au rang d’apôtre parce qu’il était docteur de la Loi 13. Malgré l’argument de J. Robert, qui prétendit que saint Augustin parle ici en pasteur et non en historien 14 et de Nahr, qui s’étonna 9. M. DUNLOP GIBSON (éd. et trad.), The Commentaries of Ishodad of Merv I (Horæ Semiticæ 5), Cambridge, Cambridge University Press, 1911 p. 165. 10. Videmus Bartholomæum Philippo, per quem Nathanæl iste uocatus est, ubique cohærentem, quem ignoramus, quando uocatus sit, sicut nescimus Nathanæl, postquam uocatus est quo deuenerit. Et sicut hic euangelista Ioannes qui de Nathanæl scripsit, sparsim cunctos nominans apostolos, de Bartholomæi nomine omnino tacuit ; sic contra cæteri euangelistæ, qui ubique Bartholomæum Philippo coniugunt, de nomine Nathanel omnino tacuerunt. RUPERT DE DEUTZ, Commentarius in Ioannem 2, 118, CCSM 9, p. 94. 11. JÉRÔME DE STRIDON, Liber interpretationis hebraicorum nominum, éd. P. DE LAGARDE (CCSL 72), 1959, p. 67. 12. Bartholomæus non uideatur esse nomen proprium apostoli, non magis quam Bar-Iona proprium fuit Petri nomen. C. JANSENIUS, Commentariorum in suam Concordiam ac totam historiam euangelicam partes IIII, Antuerpiæ (Anvers), sumptibus uiduæ et hæredum Petri Belleri, 1613, p. 142C. 13. AUGUSTIN, Traité sur Jean 17, 1. C. BARONIUS, Annales ecclesiastici Cæsaris Baronii, vol. 1, Barri-Ducis (Bar-le-Duc), Guérin, 1864, p. 67. 14. J. ROBERT, Nathanæl Bartholomæus seu demonstratio qua probatur Nathanælem esse Bartholomæum apostolum, Duaci (Douai), 1620. Les arguments de Robert sont

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qu’une vocation comme celle de Nathanaël soit restée infructueuse 15, Prospero de Lambertini qui allait devenir pape sous le nom de Benoît XIV, lui donna raison et sépara les deux personnages dans son livre sur les fêtes du Christ 16. Faut-il donner raison au Pape ? On prendra d’autres arguments. Avec J. Meier, on remarquera que c’est plutôt avec André que Philippe est associé ( Jn 1, 35-44 ; 6, 5-9 ; 12, 21-22) et que la liste d’Ac 1, 13 n’a pas retenu la connexion entre les deux apôtres 17. En outre, dans les listes apostoliques, Nathanaël est soigneusement distingué de Barthélemy, ce qui laisse penser que l’assimilation est tardive. En tout cas, dans les années 160-170, l’Épître des Apôtres distingue clairement les deux et paraît remplacer Jacques d’Alphée par Nathanaël 18 : « Nous Jean, Pierre, Thomas, André Jacques, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Nathanaël, Judas le Zélé et Céphas 19. »

On prendra également en considération le subtil argument de Bauckham qui note qu’identifier le fils par le nom du père (bar Tolmai) était fréquent lorsque le nom que portait la personne était répandu. Ainsi Pierre est-il nommé Simon bar Iona puisque le nom de « Simon » était extrêmement commun. Or Nathanaël n’est pas un prénom courant : pourquoi n’avoir retenu que bar Tolmaï alors que Nathanaël suffisait à le distinguer 20 ? S’il ne faut donc pas admettre l’identification entre Barthélemy et Nathanaël, il ne faut certainement pas en minorer l’effet dans une histoire de la réception, ni refuser d’admettre qu’elle possède une certaine ancienneté. Avec Jean-Daniel Kaestli 21, en effet, on se gardera bien de reculer jusqu’au IXe siècle le début de cette assimilation. En effet, comment expliquer le caractère visionnaire accordé à Barthélemy, si ce n’est parce largement repris dans I. STILLINGUS, « De S. Bartolomæo Apostolo », Acta Sanctorum Mensis Augustus V, Antverpiæ (Anvers), Van der Plassche, 1741, p. 7-108 (10e-12f ). 15. J. N. NAHRIUS, Nathanælem Apostolum A Bartholomæo Non Diversum Ad Ioh. Cap. I. 45-51. Cap. XXI. 1.2.14. Dissertatione Philologica Inclyti Philosophorum Ordinis Consensu In Academia Lipsiensi Publicæ Eruditorum Disquisitioni Subiicit Præses M. Io. Nicolaus Nahrius Tœpenal-Baruthinus, Respondente Ioan. Gottlob Bürgero Naundorff, Lipsiæ (Leipzig), Langenheim, 1740. 16. BENOÎT XIV, Benedicti XIV Pont. Opt. Max. de Festis Domini Nostri Iesu Christi et Beatæ Mariæ Virginis, Patauii (Padoue), Typis Seminarii, 1758, p. 265. 17. J. P. MEIER, Un Certain Juif Jésus (Lectio Divina), vol. 3…, p. 525. 18. Ce qui ne nous semble pas une raison suffisante, à l’instar de Craig E. Hill, pour assimiler Nathanaël à ce dernier : C. E. HILL, « The Identity of John’s Nathanael », Journal for the Study of the New Testament 20, 1998, p. 45-61. 19. Épître des Apôtres 2, trad. J.-N. Pérès, ÉAC I, p. 365. 20. R. BAUCKHAM, Jesus and the Eye-Witnesses, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2006, p. 103. 21. J.-D. KAESTLI et P. CHERIX, L’Évangile de Barthélemy (Apocryphes 1), Turnhout, Brepols, 1993, p. 15.

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qu’on a cru que c’est à lui que s’adressait la parole dite à Nathanaël en Jn 1, 51 : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » ? Ce texte pose Nathanaël comme le uerus Israël prêt à accueillir Jésus : il est un docteur de la Loi, que Jésus nomme « vrai Israélite »22. Le fait qu’il se se soit trouvé « sous le figuier », fait d’ailleurs clairement allusion à son savoir puisque c’est souvent sous les figuiers que les docteurs de la Loi étudiaient 23. Par cette promesse, Nathanaël devient une sorte de nouveau Jacob. Il est, en prolepse, le représentant de l’accomplissement annoncé dès Jn 1, 31. Comme le disait Lagrange, « ici c’est tout le programme de la manifestation divine qui va s’accomplir 24 ». Ainsi, Nathanaël a-t-il été érigé en une figure de visionnaire dont Barthélemy a pu récupérer certaines des caractéristiques, comme on le verra. C. Le point de départ de la tradition : Eusèbe de Césarée et Rufin d’Aquilée Mais cette exégèse ne suffisait pas à faire de Barthélemy un apôtre de renom : la tradition barthélemienne n’aurait probablement pas pris autant d’ampleur sans les déclarations d’Eusèbe de Césarée, amplifiées par Rufin d’Aquilée.

1. Les deux traditions 1° La tradition eusébienne. – Les informations d’Eusèbe sur Barthélemy se trouvent dans une notice concernant Pantène. La notice mérite d’être lue en entier : Alors, un homme très célèbre par sa culture dirigeait l’école des fidèles de ce pays : il s’appelait Pantène. D’après une ancienne coutume, il y avait chez eux un didascalée des lettres sacrées : ce didascalée se prolonge jusqu’à nous, et nous avons appris qu’il est entre les mains d’hommes puissants en paroles et en zèle pour les choses de Dieu. On raconte que celui dont nous parlons était dans ce temps-là parmi les plus brillants, car il était issu de l’école philosophique de ceux qu’on appelle stoïciens. On dit donc qu’il montra une telle ardeur et des dispositions si courageuses à l’égard de la parole divine 22. X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile de Jean I (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1988, p. 195. 23. Voir Mid. Ct 4, 4 et les exemples fournis par Craig Keener : C. C. KEENER, The Gospel of John A Commentary, Peabody (MA), Hendrickson, 2003, p. 486. 24. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon Saint Jean (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1925, p. 51. L’interprétation est aussi celle de R. E. BROWN, The Gospel According to John (Anchor Bible), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1966, p. 87 et de M. MORGEN, « La promesse de Jésus à Nathanaël ( Jn 1,51) éclairée par la haggadah de Jacob-Israël », Revue des sciences religieuses 67, 1993, p. 3-21.

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qu’il fut également signalé comme héraut de l’Évangile du Christ dans les nations de l’Orient et qu’il alla même jusqu’au pays des Indes. Il y avait en effet, oui, il y avait encore en ce temps-là un grand nombre d’évangélistes de la parole qui avaient à cœur d’apporter un zèle divin dans l’imitation des apôtres pour accroître et édifier la parole divine. De ces hommes, Pantène fut aussi ; et l’on dit qu’il alla dans les Indes ; on dit encore qu’il trouva sa venue devancée par l’Évangile de Matthieu, chez certains indigènes du pays qui connaissaient le Christ : à ces gens-là, Barthélemy, l’un des apôtres, aurait prêché et il leur aurait laissé, en caractères hébreux, l’ouvrage de Matthieu, qu’ils avaient conservé jusqu’au temps dont nous parlons. Cependant, après de nombreuses réformes, Pantène dirigea finalement le didascalée d’Alexandrie, exposant oralement et par des écrits les trésors des dogmes divins 25.

Selon l’évêque de Césarée, Pantène (fin du IIe siècle), après sa formation au stoïcisme, commença par être prédicateur itinérant jusqu’en Inde, puis finit par diriger le διδασκαλέιον d’Alexandrie. Alors qu’aucun des écrits de Pantène ne nous est conservé – il est même probable qu’il n’ait rien écrit 26 –, Clément d’Alexandrie, qui fut son successeur, lui rend hommage en le nommant « l’abeille sicilienne 27 ». Origène, quant à lui, dit sa dette à Pantène28. Les données d’Eusèbe sont imprécises, d’autant qu’elles sont contredites par une notice de Philippe de Sidè 29 qui fait de Clément le maître de Pantène. Pour y voir plus clair, nous suivrons les analyses précises de Bernard Pouderon 30 rappelant les points suivants. 1° le groupe d’Alexandrie ne semble pas avoir été une « école » avant Origène qui est le véritable fondateur de l’école catéchétique vers 215. Il s’agissait auparavant d’un groupe privé de philosophie chrétienne ou d’un cercle de disciples. 2° le premier 25. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 10, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 39-40. 26. M. S. ENSLIN, « A Gentleman amongst the Fathers », Harvard Theological Review 47, 1954, 213-242 (219) et H. FISKÅ HÄGG, Clement of Alexandria and the Beginnings of Christian Apophaticism (Oxford Early Christian Studies), Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 40. 27. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromate I, 1. 28. Citation dans EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. VI, 19, 12-13. 29. La notice de Philippe de Sidè appartient à une chaîne historique anonyme conservée dans un manuscrit d’Oxford, le Baroccianus 142, f°216. Elle dit : « Philippe ajoute que Clément, auteur des Stromates, fut son élève (μαθητής), comme Pantène était celui de Clément. Pantène, lui aussi Athénien, était un philosophe pythagoricien. » cité par B. POUDERON, Athénagore d’Athènes philosophe chrétien (Théologie historique 82), Paris, Beauchesne, 1989, p. 21. 30. B. POUDERON, Athénagore d’Athènes…, p. 19-30. B. POUDERON, « Le Témoignage du Codex Baroccianus 142 sur Athénagore et les origines du Didaskaleion d’Alexandrie », in G. ARGOUD (éd.), Science et vie intellectuelle à Alexandrie : (I er-III e siècle après J.-C.) (Mémoires du Centre Jean Palerne 14), Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, 1994, p. 163-224 repris dans B. POUDERON, D’Athènes à Alexandrie, études sur Athénagore et les origines de la philosophie chrétienne (Bibliothèque copte de Nag Hammadi Études 4), Québec/Louvain, Université Laval/Peeters, 1997, p. 1-64.

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didascale à avoir regroupé autour de lui des disciples semble être Athénagore (mort après 178), qui fut suivi par Pantène (mort vers 200), puis par Clément (mort vers 215). Quoi qu’il en soit de ces précisions chronologiques, la tradition eusébienne fait remonter à la fin du IIe siècle l’idée d’un itinéraire de Barthélemy en Inde. Ses données furent résumées par Jérôme, qui, dans sa notice sur Pantène dans les Hommes illustres, affirme : Pantène, philosophe de l’école stoïcienne, suivant une coutume déjà ancienne à Alexandrie, où depuis l’évangéliste Marc il eut toujours des docteurs ecclésiastiques, posséda une si grande prudence et érudition tant dans les Écritures sacrées que dans la littérature profane qu’il fut mandé par des ambassadeurs indiens et y fut envoyé par Démétrius, évêque d’Alexandrie. Il découvrit là-bas que Barthélemy l’un des Douze apôtres avait déjà annoncé l’arrivée du Messie selon l’évangile selon Mathieu. À son retour à Alexandrie, Pantène prit avec lui ce livre qui était écrit en lettres hébraïques. Plusieurs commentaires sur la Sainte Écriture demeurent ; mais ce fut surtout de vive voix qu’il fut utile à l’Église. Il enseigna sous le principat de Sévère et d’Antonin surnommé Caracalla 31.

On remarquera que, si Eusèbe tenait à se distancer de ce qu’il dit de Pantène (Τοσαύτην δ’ οὖν φασιν αὐτὸν ; λέγεται) 32, Jérôme convertit la biographie de Pantène en réalité historique, comme Rufin. 2° La tradition rufinienne. – Rufin d’Aquilée, dans son Histoire Ecclésiastique donne de l’extension à la tradition eusébienne en narrant la christianisation de l’Arabie à l’époque constantinienne : Dans cette division de la terre, qui fut opérée par tirage au sort par les apôtres afin de prêcher la parole de Dieu, alors que les diverses provinces étaient dévolues aux uns et aux autres, on dit que le sort attribua la Parthie à Thomas, l’Éthiopie à Matthieu, et l’Inde citérieure qui lui est contiguë à Barthélemy. Entre celle-ci et la Parthie, au milieu, mais au cœur d’une vaste région se trouve l’Inde ultérieure, habitée par des peuples variés aux langues multiples. Comme elle était bien trop éloignée, le soc de la prédication 31. Pantænus, Stoicæ sectæ philosophus, iuxta quamdam ueterem in Alexandria consuetudinem, ubi a Marco euangelista semper ecclesiastici fuere doctores, tantæ prudentiæ et eruditionis tam in scripturis diuinis, quam in sæculari litteratura fuit, ut in Indiam quoque rogatus ab illius gentis legatis, a Demetrio Alexandriæ episcopo, mitteretur. Ubi reperit, Bartholomæum de duodecim apostolis, aduentum Domini nostri Iesu Christi iuxta Matthæi Euangelium prædicasse, quod Hebraicis litteris scriptum, reuertens Alexandriam secum detulit. Huius multi quidem in sanctam Scripturam exstant commentarii : sed magis uiua uoce Ecclesiis profuit. Docuitque sub Seuero principe, et Antonino, cognomento Caracalla. JÉRÔME, De Viris Inlustribus 36, éd. A. RICHARDSON (Texte und Untersuchungen 14.1a), Leipzig, Hinrichs, 1896, p. 26. 32. B. M. METZGER, The Canon of the New Testament : Its Origin, Development, and Significance, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 130.

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apostolique ne l’avait jamais labourée, elle reçut cependant les premières semences de la foi à l’époque de Constantin 33.

Rufin poursuit ce texte en narrant l’histoire d’Édésius et Frumentius, qui devinrent échansons du roi, puis régents du royaume d’Inde ultérieure. À la majorité du roi, ils retournèrent dans leur pays. Tandis qu’Édésius devenait prêtre de Tyr, Frumentius, confirmé par Athanase d’Alexandrie, revint dans le royaume pour y être le premier évangélisateur. Cette narration passa ensuite dans le domaine byzantin par l’intermédiaire de Socrate de Constantinople (380-450) qui paraît traduire à la lettre Rufin d’Aquilée 34 puis par Sozomène (375-450), dont on ne sait pas s’il traduit Rufin ou plagie Socrate 35.

2. Évaluation de ces deux traditions 1° de quelles Indes Barthélemy serait-il l’apôtre ? – Les notices des deux historiens posent une question de localisation, liée très largement à l’imprécision qui se trouvait dans l’esprit des Anciens, et qui perdure jusqu’à l’époque byzantine 36. Pour eux, en effet, l’Afrique était reliée au souscontinent indien par une bande de terre 37. Aussi l’Inde fait-elle référence aussi bien aux régions intérieures de l’Afrique (Éthiopie et au-delà, ce qui peut comprendre l’Inde du Sud), à la zone costale de la péninsule arabique (Arabia Felix, au sud de l’actuel Yémen) qu’à l’Inde gangétique. De cette Inde-là, on avait une connaissance avérée, mais imprécise, liée au

33. In ea diuisione orbis terræ, quæ ad prædicandum uerbum dei sorte per apostolos celebrata est, cum aliæ prouinciæ obuenissent, Thomæ Parthia et Matthæo Æthiopia eique adhærens citerior India Bartholomæo dicitur sorte decreta. Inter quam Parthiamque media, sed longo interior tractu India ulterior iacet, multis uariisque linguis et gentibus habitata, quam uelut longe remotam nullus apostolicæ prædicationis uomer inpresserat, quæ tamen temporibus Constantini tali quadam ex causa semina fidei prima suscepit. RUFIN D’AQUILÉE, Hist. Eccl. X, 9, PL 21, 478 ; Corpus Berolinense (éd. Th. MOMMSEN, 1908), vol. 9, 2, p. 971. 34. SOCRATE DE CONSTANTINOPLE, Hist. Eccl. I, 19, éd. P. MARAVAL et P. PÉRICHON (SC 477), 2004, p. 190-194. La proximité avec Rufin est évidente : « Barthélemy reçut en partage l’Inde limitrophe de celle-ci, mais l’Inde intérieure, où habitent plusieurs nations de Barbares qui utilisent diverses langues, la parole du christianisme ne l’illuminait pas encore avant le règne de Constantin ». Βαρτθολομαῖος δὲ ἐκληροῦτο τὴν συνημμένην ταύτῃ Ἰνδίαν. Τὴν μέντοι ἐνδοτέρω Ἰνδίαν, ἧ προσοικεῖ βαρβάρων ἔθνη πολλὰ διαφόροις χρόνων ὁ τοῦ χρισιτανισμοῦ λόγος ἐφώτιζεν. 35. SOZOMÈNE, Hist. Eccl. II, 24, 1, éd. A.-J. FESTUGIÈRE (SC 306), 1983, p. 328329. 36. P. MAYERSON, « A Confusion of Indias : Asian India and African India in the Byzantine Sources », Journal of the American Oriental Society 113, 1993, p. 169-174. 37. P. AMIDON, The Church History of Rufinus of Aquileia Books 10 and 11, Oxford, Oxford University Press, 1997, p. 46, n. 18.

Figure 10 : la terre selon Strabon

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commerce florissant établi entre la Mésopotamie et le nord de l’Inde 38. La reconstitution du monde que voyaient les Anciens à partir des données de Strabon, établie au XIXe siècle par Spruner, nous fournit une certaine vision des proximités que les géographes croyaient percevoir entre des contrées en réalité éloignées 39. Le récit de l’évangélisation de l’Éthiopie réalisée par Frumentius a quelques chances d’être historique comme l’a montré Françoise Thelamon 40. En effet, les contacts entre des chrétiens et le Royaume d’Axoum sont bien documentés par la lettre de l’Empereur Constance aux souverains axoumites Aizanas et Sazanas 41, les monnaies d’or d’Ézana, une inscription parlant du « Seigneur du ciel » 42 et une autre trouvée en 1969 où Ézana proclame sa foi au Dieu Père, Fils et Esprit 43. Rien n’empêche que, en partant de Tyr, l’un des ports les plus importants du commerce vers la mer Rouge, les deux frères aient pu suivre la voie passant par Elath, Clysma et Bérénikè (la via Hadriana noua 44). Rufin a d’ailleurs séjourné à Jérusalem de 380 à 397, à une époque où Édésius était probablement encore en vie : rien ne s’oppose à ce qu’il ait pu recueillir son témoignage. Si l’Inde ultérieure peut donc bien être le royaume d’Axoum, que dire de l’Inde citérieure ? Strabon n’utilise pas les termes d’India ulterior et d’India citerior. Il est donc possible que les termes soient une invention de Rufin 45, même si la coutume de diviser les Indes existait avant lui. En se fondant sur la notice du Ps.-Épiphane qui parle d’une évangélisation dans les « Indes heureuses » 46, beaucoup ont identifié cette Inde avec 38. A. DIHLE, Umstrittene Daten : Untersuchungen zum Auftreten der Griechen am Roten Meer (Wissenschaftliche Abhandlungen der Arbeitsgemeinschaft für Forschung des Landes Nordrhein-Westfalen 32), Köln/Opladen, Westdeutscher Verlag, 1965, p. 36-64. A. DIHLE, « The Conception of India in the Hellenistic and Roman Literature », Proceedings of the Cambridge Philological Society 190, 1964, p. 15-23. 39. K. SPRUNER et T. MENKE, Atlas antiquus, Karoli Spruneri opus, tertium edidit Theodorus Menke, Gothæ, Perthes, 1865. 40. F. THELAMON, Païens et chrétiens au IVe siècle, l’apport de l’Histoire ecclésiastique de Rufin d’Aquilée, Paris, Études augustiniennes, 1981, p. 37-83. 41. Citée par ATHANASE D’ALEXANDRIE, Apologie à l’Empereur Constance 31, éd. J.-M. SZYMUSIAK (SC 56), 1958, p. 125-126. 42. Les monnaies sont étudiées dans A. ANZANI, « Numismatica axumita », Rivista italiana di numismatica III.3.29, 1926, p. 5-110. Les inscriptions : E. LITTMANN, Deutsche Aksum-Expedition IV, Berlin, Reimer, 1913, n°11. 43. F. ANFRAY, A. CAQUOT, p. NAUTIN, « Une nouvelle inscription grecque d’Ézana, roi d’Axoum », Journal des Savants, 1970, p. 260-274. 44. J.-P. BRUN et al., « Les pistes du désert oriental d’Égypte », Dossiers d’archéologie 343, 2011, p. 60-67. 45. A. DIHLE, Umstrittene Daten…, p. 41. 46. Βαρθολομαῖος δὲ ὁ ἀπόστολος Ἰνδοῖς τοῖς καλουμένοις Εὐδαίμοσιν ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ Χριστοῦ καὶ τὸ κατὰ Ματθαῖον ἅγιον εὐαγγέλιον αὐτοῖς τῇ ἰδίᾳ διαλέκτῳ αὐτῶν συγγράψας ἐκοιμήθη δὲ ἐν Ἀλβανίᾳ πόλει τῆς μεγάλης Ἀρμενίας καὶ ἐκεῖ ἐτάφη, éd. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 110.

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l’Arabia felix voire la Nubie de Méroë 47. Ces thèses se fondaient souvent sur l’ignorance supposée que les peuples de la Méditerranée auraient eue des Indiens en se fondant sur des déclarations d’un Strabon plein de mauvaise foi : Quant aux marchands qui naviguent aujourd’hui de l’Égypte à l’Inde par la voie du Nil et du golfe Arabique, ils sont rares ceux qui ont longé les côtes de l’Inde jusqu’au Gange. C’était d’ailleurs tous des gens sans instruction incapables de nous décrire la disposition des lieux. De là-bas, c’est en tout et pour tout, que d’un lieu et d’un roi Porus, que sont venus des présents et hommages pour César Auguste, ainsi qu’un des sophistes de l’Inde, venu mourir sur le bûcher à Athènes, en fournissant le même spectacle que donna Calanus à Alexandre 48.

En réalité, le paragraphe est rempli de sous-entendus. En effet, ce que déplore Strabon, c’est que l’exploration du monde soit le fait de gens incultes et sans savoir, et non d’intellectuels comme lui ; mais il ne prétend pas qu’elle n’existe pas. Dans son argumentation, remplie d’ironie, sur l’apport des Indiens au monde hellénisé, on constate qu’il n’est pas dupe de cette absence de connaissance supposée. Il n’en était rien, en réalité : quelques paragraphes plus loin, Strabon rappelle la réputation de sagesse des brahmanes qu’il semble fort bien connaître. Depuis le Ier siècle, l’Empire romain connaît une sorte d’« indomanie » et les élites n’ignorent rien de l’Inde 49. L’Elenchos d’Hippolyte décrit avec précision les Upanishad 50, Clément d’Alexandrie (Stromates I, 71, 6) parle des Σαρμαναῖοι de Bactriane qui étaient des moines bouddhistes, les samanaija 51, Plotin suit l’expédition de Gordien III pour se renseigner sur les doctrines indiennes 52. Par conséquent, puisque l’Inde gangétique semble une région fort connue des Anciens, rien n’empêche qu’elle puisse être cette fameuse 47. F. ALTHEIM et R. STIEHL, « Die Anfänge der Königreichs Aksum », Klio 43, 1964, p. 181-194. 48. Καὶ οἱ νῦν δὲ ἐξ Αἰγύπτου πλέοντες ἐμπορικοὶ τῷ Νείλῳ καὶ τῷ Ἀραβίῳ κόλπῳ μέχρι τῆς Ἰνδικῆς σπάνιοι μὲν καὶ περιπεπλεύκασι μέχρι τοῦ Γάγγου, καὶ οὗτοι δ´ ἰδιῶται καὶ οὐδὲν πρὸς ἱστορίαν τῶν τόπων χρήσιμοι. Κἀκεῖθεν δὲ ἀφ´ ἑνὸς τόπου καὶ παρ’ ἑνὸς βασιλέως, Πανδίονος κατ’ ἄλλους Πώρου, ἧκεν ὡς Καίσαρα τὸν Σεβαστὸν δῶρα καὶ πρεσβεῖα καὶ ὁ κατακαύσας ἑαυτὸν Ἀθήνησι σοφιστὴς Ἰνδός, καθάπερ καὶ ὁ Κάλανος Ἀλεξάνδρῳ τὴν τοιαύτην θέαν ἐπιδειξάμενος. STRABON, Géographie XV, 1, 4, éd. A. MEINEKE, Leipzig, Teubner, 1877, vol. 3, p. 956. 49. J. FILLIOZAT, Les Relations extérieures de l’Inde I (Publications de l’Institut Français d’Indologie 2), Pondichéry, Institut français, 1956, chap. 2. 50. J. FILLIOZAT, « La doctrine des Brahmanes d’après S. Hippolyte », Revue d’histoire des religions, 1945, p. 59-91. 51. A. DIHLE, « Indische Philosophen bei Clemens Alexandrinus », in A. STUIBER et A. HERMANN (éds.), Mullus, Festschrift Theodor Klausner ( Jahrbuch für Antike und Christentum, Ergänzungsband 1), 1964, Münster, Aschendorff, p. 60-69. 52. PORPHYRE, De Abstinentia IV, 17.

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« Inde citérieure » de Rufin. Cela pose alors la question de la possibilité d’un voyage de Pantène dans ces contrées. 2° Pantène a-t-il pu aller en Inde ? – Pendant longtemps, le consensus a été en faveur des données de Rufin et d’Eusèbe, et les commentateurs soutenaient bravement le trajet indien de Barthélemy, que venait confirmer la rencontre que fit Pantène. Après un examen soigneux de toutes les sources, le bollandiste Jan Stilting conclut dans les Acta Sanctorum : « il a commencé par enseigner les Arabes ; d’Arabie, soit par un itinéraire terrestre à travers la Perse, soit – ce que je crois davantage – par une brève traversée de l’Océan arabe [la mer Rouge], il est arrivé en Inde 53. » Cette opinion s’est conservée au XIXe siècle, puisqu’on la retrouve chez August Neander (1789-1850), qui lui affectait le Malabar comme terre d’évangélisation 54, et chez l’historien « officiel » de l’Empire des Indes, Sir William Hunter (1840-1900) qui reprit cette localisation 55. À partir du XIXe siècle, le doute commença pourtant à poindre. Thomas n’était-il pas aussi l’apôtre de cette région ? La question est sufficiently perplexing pour George Milne Rae, qui rappelle que si ce voyage n’est pas impossible, aucune communauté, en Inde ou ailleurs, ne se réclamera de Pantène 56. Aussi propose-t-il une autre solution, qui reprend les données concernant Pantène : l’Inde dont il s’agit ne peut être que celle que l’on nommait ainsi sous Alexandre le Grand, c’est-à-dire la Bactriane (une région à cheval entre l’Afghanistan, le Pakistan, la Chine, le Tadjikistan, et l’Ouzbékistan), dans laquelle il fonda de nombreuses villes à son nom dont Alexandrie du Caucase (Kaboul) et Alexandrie d’Arachosie (Kandahar). On sait en effet que les Juifs étaient présents dans ces régions, ce qui convient à la description d’Eusèbe 57. Dans le monde germanique, largement sous l’influence de Harnack, on regardait avec une plus grande défiance encore les traditions apostoliques concernant Barthélemy, que l’auteur de Mission und Ausbreitung nommait la « légende missionnaire » 58. On considéra donc que tout était faux, y compris le voyage de Pantène en Inde.

53. I. STILLINGUS, Acta Sanctorum Mensis Augusti…, p. 25E : primum itaque Arabes docuit, ex Arabia aut terrestri itinere per Persidem, aut, quod magis credo, traiectu breui Oceani Arabici, in Indiam profectus est. 54. A. NEANDER, Allgemeine Geschichte der christlichen Religion und Kirche I.1, Gotha, Perthes, 31856, p. 45. 55. W. W. HUNTER, The Indian Empire (Trübner’s Oriental Serie), London, Trübner, 1886, p. 235. 56. G. MILNE RAE, The Syrian Church in India, Edinburgh/London, Blackwood, 1892, p. 77. 57. G. M. RAE, The Syrian Church in India, Edinburgh/London, Blackwood, 1892, p. 62-75. 58. A. VON HARNACK, Mission et expansion du christianisme dans les trois premiers siècles (Patrimoines christianisme), trad. J. HOFFMANN, Paris, Cerf, 2004, chap. VII.

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Aujourd’hui, pourtant, la méfiance a disparu. On peut tout d’abord noter que le voyage de Pantène en Inde, quoique périlleux, n’est absolument pas invraisemblable. Bien des chrétiens étaient des petits commerçants et les routes vers l’Inde n’étaient pas du tout impraticables. Alexandrie, qui servait de plaque tournante du commerce de Méditerranée pouvait facilement accueillir de tels commerçants venus d’Orient 59. Albrecht Dihle, qui étudia avec précision les témoignages antiques sur l’Inde, conclut : « nous devons admettre avec une certaine sûreté, que Pantène, le maître de Clément, a affectivement voyagé dans l’Inde du Sud au milieu du IIe siècle et y a rencontré des chrétiens de Barthélemy 60. » Car, comme on l’a dit, la connaissance que Clément et Origène semblent avoir de l’Inde et de sa géographie rend hautement improbable que la confusion sur sa localisation ait pu être entretenue 61. Bien entendu, il n’est pas certain que ces chrétiens aient été des Indiens, même si une mission d’évangélisation n’est pas à exclure, comme le note Benedict Vadakkekara 62. En effet, l’Inde du Sud regorge de témoignage d’entrepôts commerciaux fréquentés par les commerçants égyptiens et gréco-romains : des chrétiens d’origine juive auraient pu ainsi profiter de ces routes commerciales de la mousson pour y diffuser l’évangile de Matthieu 63. On peut invoquer comme preuve l’existence des Bene-Israël autour de Bombay dont la présence remonterait selon la légende aux années 70 : même s’il semble qu’il faille largement antidater leur venue 64, leur existence montre que des liens n’étaient pas impossibles dans l’Antiquité entre les Juifs et les contrées indiennes. Qu’est-ce qui empêche que certains de ces Juifs, devenus chrétiens aient eu Barthélemy comme patron 65 ? 59. S. NEILL, A History of Christianity in India : the Beginnings to AD 1707, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 40. 60. Wir dürfen also mit ziemlicher Sicherheit annehmen, daß Pantainos, der Lehrer des Clemens, tatsächlich nach Südindien reiste und dort in der Mitte des 2. Jh. Bartholomäus-Christen antraf. A. DIHLE, Antike und Orient : gesammelte Aufsätze, Heidelberg, Winter, 1984, p. 69. 61. S. H. MOFFETT, A History of Christianity in Asia, Harper, San Francisco (CA), 1992, p. 38. 62. B. VADAKKEKARA, Origin of Christianity in India : A Historiographical Critique, Delhi, Media House, 2007, p. 168. 63. A. DIHLE, « Neues zur Thomastradition », Jahrbuch für Antike und Christentum 6, Münster, 1963, p. 54-70. 64. S. NEILL, A History of Christianity in India, p. 24. G. M. MORAES, A History of Christianity in India, Bombay, 1964, p. 38. Les Bene Israël ont été étudiés H. S. KEHIMKAR, The History of the Bene Israel of India, 1907, Tel Aviv, 1937. La question des juifs d’Inde a été étudiée par J. H. LORD, The Jews in India and the Far East, Bombay, 1907. Plus récemment : S. STRIZOWER, The Bene Israel of Bombay (Pavilion Series), New York, Schocken Books, 1971. 65. L’hypothèse est présentée comme plausible par Jan Bremmer : J. BREMMER, The Apocryphal Acts of Thomas…, p. 141, n. 56.

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Le même Vadakkekara explique avec finesse l’éclipse que connaît Barthélemy par la suite. Avec la disparition du commerce égyptien vers l’Inde du Sud, les entreprises missionnaires ont pu cesser et ne reprendre que vers le IVe siècle, sous l’influence des Églises syriaques. On sait en effet que pendant les patriarcats de Shahlupha et Papa (293-300), des contacts ont été réalisés avec l’Inde par David de Bassorah 66. L’Église d’origine avait changé : ce n’était plus Alexandrie, mais la Syrie qui lançait des missions ; aussi l’apôtre changea-t-il : Barthélemy s’effaça au profit du patron de l’Église syriaque, Thomas. Ce remplacement fut peut-être favorisé, comme le proposent C. et F. Jullien, par une confusion onomastique : Bar Tholomai a pu être entendu comme Mar Thomas 67. 3° quel crédit accorder à la notice de Rufin concernant un apostolat de Barthélemy en Inde citérieure ? – Compte tenu de ce qui a été dit dans le paragraphe précédent concernant Pantène, l’hypothèse d’une mission de Barthélemy en Inde n’est pas totalement absurde. Dans les années 1970, alors que les récits concernant Barthélemy étaient depuis longtemps considérés comme légendaires, deux ouvrages venaient accréditer la légende bartholomienne : ceux de Perumalil et de Moraes 68. Selon eux, la région de Mumbai, sur la côte de Konkan, que l’on connaissait dans l’Antiquité sous le nom de Kalyan, aurait pu être le champ missionnaire de Barthélemy. En effet, une traduction grecque du De Viris Inlustribus de Jérôme placée sous le nom de Sophronius dit que Barthélemy Ἰνδοῖς τοῖς καλουμένοις Εὐδαίμοσιν ἐκήρυξε « évangélisa les Indes que l’on nomme heureuses » 69. Cela ne consonne-t-il pas avec les données de Rufin ? L’India Felix dont parle le moine d’Aquilée n’est donc pas l’Arabie Heureuse (le Yémen), mais bien l’Inde heureuse, cette région de Kalyan. L’absence de tradition sur Barthélemy en Inde s’explique par le fait que les chrétiens de Barthélemy se seraient assimilés à ceux de Thomas au Ve siècle (hypothèse de Moraes) ou qu’ils auraient disparu avant l’arrivée des Portugais sans laisser de trace (hypothèse de Perumalil). Bien entendu, ces éléments sont purement spéculatifs, en l’absence de véritable preuve concernant cet apostolat, et ce d’autant plus qu’Eusèbe ne parle pas explicitement d’un apostolat de Barthélemy vers les Indes, mais de la rencontre dans les Indes de chrétiens se réclamant de Barthélemy. La suite de la tradition concernant l’apôtre traduit d’ailleurs un certain malaise devant cette localisation indienne. 66. S. NEILL, A History of Christianity in India, p. 41. 67. C. et F. JULLIEN, Apôtres des Confins…, p. 51. 68. G. M. MORAES, A History of Christianity in India, Bombay, 1964, p. 35-45. A. C. PERUMALIL, The Apostles in India, Patna, Xavier Teachers’ Training Institute, 1971, p. 108-120. 69. O. VON GEBHARDT, Hieronymus De Viris Inlustribus in griechischer Übersetzung (der sogenannte Sophronius) (Texte und Untersuchungen 14.1b), Hinrich, Leipzig, 1896, p. 7.

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Figure 11 : les trajets de Pantène

II. D ES I NDE S

AUX ÎLE S

L IPARI : ( IV E - VI E

LE S ITINÉR AIRES DE

SIÈCLE S )

B ARTHÉLEMY

C’est à partir de la tradition du trajet indien que se développa une série de légendes sur Barthélemy. A. De l’Inde à la Colchide ( IVe-VIe siècles) Le trajet indien, on l’a dit, semble le plus ancien, puisqu’il remonte à la tradition concernant Pantène. Transmis par Eusèbe de Césarée et confirmé par Jérôme, il est repris par une série de sources liturgiques anciennes et par une passion insérée postérieurement dans la série du Pseudo-Abdias. En se fondant sur la notice eusébienne, quelques auteurs placent en Inde l’apostolat de Thomas. Eucher de Lyon (370-449) est le premier à confirmer cette tradition : « Barthélemy […] s’étendit dans les Indes70 ». Venance Fortunat (530-609) écrit : « L’Inde envoie Barthélemy triomphant 71. » La Passion de Barthélemy (CANT 259 = BHL 1002), qui appartient à la collection du Pseudo-Abdias, et qui pourrait donc remonter aux VIe siècle latin – la version grecque (CANT 258 = BHGa 226z) paraît être une tra70. EUCHER DE LYON, Instructionum ad Salonium, éd. C. MANDOLFO (CCSL 66), 2004, p. 177 : Bartholomæus in Indos […] tetendit. 71. Inde triumphantem fert India Bartholomæum. VENANCE FORTUNAT, Poèmes VIII, 3. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 215-216.

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duction faite au XIIIe siècle 72 –, réalise le glissement d’une Inde que l’on ne savait plus véritablement situer, vers la Colchide (le nord de la Géorgie). En effet, son prologue annonce clairement sa vision géographique : Que les Indes soient trois, c’est ce que les historiographes assurent. La première est l’Inde qui va jusqu’à l’Éthiopie, la seconde, celle qui va jusque chez les Mèdes, la troisième celle qui en constitue la frontière. En effet, par un côté elle touche la région des ténèbres, par l’autre côté, l’Océan. C’est donc dans cette Inde qu’est entré l’apôtre Barthélemy73.

Si la « première Inde » renvoie à l’Arabie méridionale (l’actuel Yémen) et que la « deuxième Inde » renvoie plutôt à la Perse, la troisième est totalement fantastique puisqu’elle touche des régions non localisables comme la « région des ténèbres » et « l’Océan ». Pour combler cette méconnaissance, l’auteur fait glisser Barthélemy de l’Inde vers le Pont. En effet, il nomme Polymius le « bon roi » que Barthélemy convertit. Même si Perumalil, identifie ce Polymius avec le roi du Deccan Pulumayi 74 connu grâce à la Géographie de Ptolémée 75 (ce qui conforte son hypothèse de l’authenticité de l’apostolat indien de Barthélemy), il est plus probable que Polymius soit le roi du Pont Caius Julius Polémon II (10/15-apr. 64). Celui-ci, évoqué par Tacite 76, a été élevé à Rome avec Caligula, qui reconstitua pour lui le royaume du Pont annexé par Rome après la victoire de Pompée sur Mithridate VI en 63 ; il le nomme roi du Bosphore et de Colchide. Son royaume fut éphémère puisqu’il dut céder la Colchide aux fils d’Aspourgos du Bosphore en 41 et que Néron supprima le royaume du Pont en 54, ce qui le contraignit à l’exil en Syrie. Le récit de la Passion est assez simple. Dans l’Inde, le démon Astaroth, que Lipsius identifiait avec la belliqueuse Astarté phénicienne 77, tenait le peuple par ses artifices (1-5). Survient alors Barthélemy qui commence à guérir des possédés (6-13). Plaidant sa cause devant le roi, il obtient les aveux du démon, détruit son temple et convertit Polymius (14-21). Cela excite la jalousie du frère du roi, Astrige, qui met à mort l’apôtre (22-25). 72. M. BONNET, « La Passion de Saint Barthélemy : en quelle langue a-t-elle été écrite ? », Analecta Bollandiana 14, 1895, p. 353-366. 73. Indiæ tres esse ab historiographis adseruntur. Prima est India quæ ad Æthiopiam mittit, secunda quæ ad Medos, tertia quæ finem facit : nam ex uno latere tenebrarum regionem gerit, ex alio latere mare oceanum. In hac ergo India ingressus est Bartholomæus apostolus. M. BONNET (éd.), Passio Bartholomæi in R. A. LIPISUS et M. BONNET, Acta Apostolorum Apocrypha 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 127. 74. A. C. PERUMALIL, The Apostles in India…, p. 127. 75. PTOLÉMÉE, Géographie VII, 1, 8. Cette identification pose de sérieux problèmes de datation relevés par S. CHATTOPADHYAYA, Some Early Dynasties of South India, Delhi, Motilal Barsidass, 1974, p. 88-93. 76. TACITE, Annales II, 56 ; XIV, 26. 77. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten…, vol. 2.2, p. 71.

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Sous son apparente naïveté, ce texte est un véritable traité de démonologie et une réflexion profonde sur l’idolâtrie, ce qui fait de Barthélemy le champion de la lutte contre les idoles.

1. Lecture du Credo : l’apôtre destiné au combat du mal La Passion repose sur une lecture ascétique du Credo (dont le chap. 9 montre clairement qu’elle en connaît les termes). En effet, l’Incarnation est lue comme la fin du pouvoir du démon. Jésus Christ, né d’une vierge met fin au péché d’Adam. Le propos insiste lourdement sur la virginité de Marie et sur l’importance de la virginité dans le combat contre le mal : Le premier homme fut donc nommé Adam. Il fut fait de terre ; or la terre dont il fut fait était vierge, parce qu’elle n’avait pas été souillée par le sang de l’homme et n’avait pas été ouverte pour enterrer un mort. Il était donc équitable, comme je l’ai dit, que celui qui avait été le fils d’une vierge fût vaincu par le fils d’une vierge 78.

La création d’Adam est lue comme une création dans la virginité puisque la terre est intacte (allusion à l’impureté liée à l’inhumation dans l’Antiquité) et que le sang n’avait pas été versé (allusion au meurtre d’Abel). Le combat eschatologique est donc bien un combat de virginité contre virginité. Dans ce contexte, la mission de l’apôtre est lue comme une prise de possession des terres qui appartiennent au Dieu souverain et se traduit par la chasse aux démons : C’est pourquoi, de même que celui qui est vainqueur d’un tyran envoie ses nobles pour proclamer en vainqueurs et triomphateurs les droits de leur roi dans tous les lieux où le tyran avait des possessions, de même cet homme Jésus-Christ, vainqueur, nous a envoyés dans toutes les provinces, pour que nous chassions les serviteurs du diable qui dans les temps habitent à l’intérieur des statues, et pour que nous arrachions les hommes qui leur rendent un culte au pouvoir de celui qui a été vaincu 79.

À l’ancien état de fait, dans lequel le péché régnait en compagnie de ses démons, un nouvel état se substitue, dont il faut promouvoir la réalisation non comme une conquête, mais comme une prise de possession.

2. La description du fonctionnement de l’idolâtrie Dans cette conception de la mission apostolique, les anciens dieux ont bien une existence, ce sont des démons habitant les statues. Le texte se livre en effet à une description précise du mécanisme de l’idolâtrie, qui repose sur un certain cynisme démoniaque : 78. Passion de Barthélemy 11, ÉAC II, p. 801. 79. Passion de Barthélemy 12, ÉAC II, p. 801.

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Voici par quel artifice un faux dieu se joue de ceux qui n’ont pas le vrai Dieu : il leur cause des douleurs, des maladies, des maux et des dangers, puis il leur rend des oracles afin qu’ils lui offrent des sacrifices et que tout se passe comme s’il leur rendait la santé. Et les sots ont bien l’impression que les faux dieux leur rendent la santé 80.

L’idolâtrie est une supercherie : le démon envoie à son peuple des calamités qu’il peut guérir, et les fait disparaître en échange de sa dévotion. En réalité, il ne guérit pas : il ne fait que faire disparaître ce qu’il a luimême créé. Il joue ainsi au dieu sauveur, alors qu’il n’est qu’un fauteur de troubles. Cette démonstration de la supercherie idolâtre s’accompagne d’un très grand optimisme envers la puissance de la religion chrétienne, bien compréhensible dans cette littérature apologétique. Par essence, affirme le texte, le démon est faible. Il suffit que paraisse l’apôtre accompagné des anges du Seigneur pour qu’il soit lié, doux comme un agneau, et il suffit d’un geste de l’apôtre pour que son temple soit détruit. C’est d’ailleurs ce que reconnaît à demi-mot Bérith, le confrère d’Astaroth : « je vous demande, quand vous l’aurez trouvé [Barthélemy], demandez-lui de ne pas venir ici et de ne pas laisser les anges qui l’accompagnent me faire ce qu’ils ont fait à mon collègue Astaroth 81. » Le siège de la puissance factice du démon se trouve dans la statue, dans l’idole. Le texte plaide pour un certain aniconisme : il convient de détruire toute représentation figurée, à l’instar du démon qui, vaincu, détruit toutes les marques de son pouvoir. Le démon, sortant aussitôt, réduisit en miettes toutes les espèces d’idoles et pas seulement la plus grande idole : partout où il y avait des statues placées pour décorer le temple, il les mit en pièces, si bien qu’il détruisit toute représentation figurée 82.

Les sous-entendus de ce texte sont clairs : le mal ne réside pas seulement dans les statues du faux dieu, mais bien dans tout ce qui de près ou de loin ressemble à une image.

3. Portrait de l’apôtre en chasseur de démons Le rôle de l’apôtre est donc simple : expulser les démons. Il peut le faire des démons qui habitent les personnes : la Passion recueille deux récits de guérison qui sont en fait des exorcismes. Il peut le faire également des démons habitant les temples : le cœur du texte est constitué par la destruction du grand temple d’Astaroth. Il peut le faire enfin en démontant

80. Passion de Barthélemy 2, ÉAC II, p. 796. 81. Passion de Barthélemy 5, ÉAC II, p. 797. 82. Passion de Barthélemy 16, ÉAC II, p. 804.

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les machinations démoniaques : les discours qu’il prononce sont autant de décryptages du fonctionnement de l’emprise des faux dieux. La Passion de Barthélemy dresse un portrait de l’apôtre mis dans la bouche du démon Bérith : Sur la tête, il a des cheveux noirs et frisés ; il a la peau blanche, de grands yeux, le nez régulier et droit, les oreilles cachées par la chevelure, une longue barbe mêlée de quelques fils blancs, une taille moyenne, que l’on ne pourrait dire ni grande ni petite. Il est vêtu d’une courte tunique blanche, bordée de pourpre, et porte un manteau blanc, orné à chaque coin de pierres précieuses couleur de pourpre. Depuis vingt-six ans, ses vêtements ne se salissent jamais, ils ne s’usent jamais ; et de même ses sandales à larges lanières, en vingt-six ans, jamais ne se sont usées. À genoux cent fois le jour et cent fois la nuit, il prie Dieu. Sa voix est puissante comme une trompette. Les anges de Dieu marchent à ses côtés et ne le laissent ni se fatiguer ni souffrir de la faim. Il garde toujours le même visage, la même humeur ; à toute heure, il reste souriant et joyeux. Il sait tout d’avance, il connaît tout, il parle et compte dans les langues de toutes les nations ; Et voici qu’il connaît déjà ce que vous demandez et la réponse que vous donne mon oracle : les anges de Dieu sont à son service et ce sont eux qui le lui apprennent 83.

La description physique du personnage, l’une des seules dans toute notre littérature avec le portrait de Paul des Actes de Paul, mêle habilement plusieurs lignes. On reconnaît d’abord les canons de la beauté antique : blancheur de peau, régularité du nez et grands yeux. La taille moyenne de l’apôtre renvoie à la nécessité d’être dans la moyenne et d’éviter l’hybris. On comprend ensuite que le texte compare Barthélemy à un évêque : la tunique blanche bordée de pourpre est une dalmatique épiscopale, tandis que le vêtement rehaussé de pierreries de la couleur impériale renvoie à une chape. On perçoit enfin qu’il possède toutes les caractéristiques de l’homme divin : la voix comme une trompette qui fait allusion à l’Apocalypse (Ap 1, 10), la joie permanente recommandée par Paul (Col 3, 15), la prescience, qui est l’un des attributs divins (le Dieu qui sonde les reins et les cœurs de Jr 17, 10 que l’on retrouve en Mt 6, 4 ; Ac 1, 24 ; Rm 2, 6 ; 8, 27 ; Ap 2, 23), le don des langues, hérité de la Pentecôte. Ce portrait révèle comment le texte perçoit l’apôtre idéal : un évêque très beau qui possède de divines qualités. C’est de la Passion de Barthélemy que provient la mort particulière que subit Barthélemy : l’écorchement. On se souvient de l’opiniâtreté du frère idolâtre Astrige qui ne peut pas supporter la conversion de son frère et la destruction du temple du faux dieu. Il fait donc écorcher vif Barthélemy. Au début du XXe siècle, Josef Marquart suggéra que ce genre 83. Passion de Barthélemy 4, ÉAC II, p. 797.

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de mort aurait pu être inspiré par l’une de celles que la tradition fit subir à Mani 84 selon les Acta Archelai d’Hégémon. L’hérésiarque, qui habitait un castellum quoddam Arabionis appartenant au Beth Garmaï (une province métropolitaine de Perse centrée autour de Kirkouk), fut condamné à être écorché par des roseaux 85. En tout cas, mal en prit à Astrige : au bout de trente jours, conduit dans l’ancien temple d’Astaroth devenu église, il mourut dans d’horribles souffrances, tandis que son frère devint évêque de la région. Cette mort particulièrement affreuse de l’apôtre s’imposa lentement. En effet, alors que le Martyrologe hiéronymien écrit « le 9 des calendes de septembre, dies natalis de saint Barthélemy apôtre, qui fut décapité en Inde citérieure pour le Christ, sur l’ordre du roi Astriagis 86 », et que le Breuiarium maintient également la décapitation, Isidore de Séville parle de l’écorchement. Bède le Vénérable reprend la substance des Actes dans l’une de ses homélies 87 et Orderic Vital l’intègre dans son Histoire ecclésiastique 88. Elle ne pénétra pas le monde grec qui en resta à la crucifixion, comme le prouve Jean d’Euchaita : « Barthélemy mourut par la souffrance crucifiante 89 ». Cette Passion eut également une grande influence sur des liturgies eucharistiques, étudiées par Els Rose 90. En effet, dans une inlatio (une sorte de préface) de la liturgie mozarabe, on rappelait le rôle de l’apôtre contre les idolâtres en célébrant ses miracles et son martyre : certaines expressions viennent directement de la Passion de Barthélemy. Dans la liturgie bénéventine, on rappelle son martyre dans les Indes. Dans la liturgie des heures de l’église d’Ivrea, au nord-ouest de l’Italie, l’antiphonaire conserve une série d’antiennes rappelant la libération des démons, l’entrée dans le temple d’Astaroth, la guérison de la fille du roi Polymius, le martyre.

84. H.-C. PUECH, Le Manichéisme : son fondateur, sa doctrine (Publications du Musée Guimet 56), Paris, Civilisations du Sud SAEP, 1949, p. 55-56. 85. J. MARQUART (MARKWART), Untersuchungen zur Geschichte von Eran (Philologus : Zeitschrift für das klassische Altertum, Supplementband 10.1), Leipzig, Dieterich, 1905, p. 232-235. On sait qu’en réalité, Mani mourut emprisonné à Gundishapur. 86. IX Kal. Sept. Natalis S. Bartholomæi apostoli, qui decollatus est in India citeriore pro Christo, iussu regis Astriagis. PL 30, col. 451. 87. PL 94, col. 490-491. 88. PL 188, col. 165-168. 89. Βαρθολομᾶιος σταυρικῷ θνήσκει πάθει. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 205. 90. Els ROSE, Ritual Memory : the Apocryphal Acts and Liturgical Commemoration in the Early Medieval West (c. 500-1215) (Mittellateinische Studien und Texte 40), Leiden, Brill, 2009, p. 89-122.

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B. Barthélemy en Arménie (VIe-VIIIe siècle) Si la Passion parlait explicitement des Indes, elle restait singulièrement évasive sur la localisation précise de ces Indes : on a vu qu’en réalité, elle avait la Colchide en tête. Les Indes bartholoméennes eurent ensuite tendance à se reporter vers l’Arménie. Ce déplacement s’explique peut-être par la montée en puissance d’un culte de Barthélemy dans cette région, comme le suggèrent plusieurs articles de Michel van Esbroeck 91. Plusieurs indices vont dans ce sens. 1° la Narratio de rebus Armeniæ, une chronique arménienne des environs de l’an 700 conservée en grec 92, rappelle qu’après le partage de l’Arménie entre la Perse et Rome vers 390, l’empereur Théodose Ier (379-395) fonda deux villes à son nom. Celle qui se situait le plus au nord, l’actuelle Erzurum, fut bâtie, dit la chronique (§ 5-9), sur le lieu d’une chapelle que Barthélemy avait consacrée à la Théotokos, après avoir baptisé dans l’Euphrate le cousin du roi des Perses et sa suite de 3000 personnes. 2° en 399, l’évêque Marutha, que l’on connaît par deux Vies en grec (BHG 2265 et BHG 2266), obtint du roi sassanide Yazdegert Ier le droit de rassembler les restes des martyrs de la persécution de son prédécesseur Shapur II, et de les déposer dans sa capitale, Maïpherkat (l’actuelle Silvan en Turquie), qui prit rapidement le nom de Martyropolis. Bien entendu, aucune de ces précieuses reliques n’appartenait à Barthélemy, mais l’une des Vies affirme que l’évêque avait obtenu ensuite la permission d’aller chercher dans tout l’empire sassanide d’autres reliques. À une époque plus tardive difficile à dater, ce souvenir est retravaillé dans un texte, la Découverte du saint apôtre Barthélemy (BHO 159) 93. Celuici raconte comment Marutha, après avoir réuni les reliques de Martyropolis, se rendit à Barm (dans laquelle on peut reconnaître Ourbanopolis) et y découvrit les restes de Barthélemy. Ceux-ci sont conservés dans un endroit inaccessible. Heureusement, un événement divin intervint : un tremblement de terre ouvrit fort opportunément la réserve, ce qui permit à l’audacieux Marutha d’en prendre une partie tout en laissant le reste sur place. Grâce à ce récit, voilà donc Barthélemy arrivé en Sophène, l’une des provinces occidentales de la Grande Arménie et le voilà à la fondation de

91. M. VAN ESBROECK, « La Naissance du culte de Saint Barthélemy en Arménie », Revue des Études arméniennes NS 17, 1983, p. 171-195. M. VAN ESBROECK, « The Rise of St Bartholomew’s Cult in Armenia from the Seventh to the Thirteenth Centuries », in T. J. SAMUELIAN et M. STONE (eds.), Medieval Armenian Culture (University of Pennsylvania Armenian Texts and Studies 6), Chico (TX), Scholars Press, 1984, p. 161-178. 92. Narratio de rebus Armeniæ, éd. G. GARITTE (CSCO 132, Subsidia 4), Leuven, Peeters, 1952. 93. Édité et traduit dans V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy aux origines du christianisme arménien (Apocryphes 13), Turnhout, Brepols, 2011.

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l’Église arménienne. 3° en 508-509, selon Théodore le Lecteur 94, l’empereur Anastase fonda lui aussi une ville à son nom qu’il plaça sous la protection de Barthélemy, dans laquelle il fit transporter les reliques de l’apôtre. Ce dernier lui était en effet apparu en rêve pour lui promettre d’accorder sa protection à la ville et à la frontière de l’Empire. Ce déplacement fut entériné par les listes d’apôtres qui identifièrent la ville de mort de Barthélemy avec une ville de Grande Arménie, Albanopolis. Au VIe siècle, le De Ortu et Obitu prophetarum porte Abdiopoli maioris Armeniæ 95. Le Pseudo-Hippolyte fait le pont avec la tradition indienne : « Barthélemy après avoir donné l’évangile selon Matthieu aux Indiens, fut crucifié la tête en bas et mourut à Allanos en Grande Arménie 96 ». L’anonyme II renchérit sur l’Arménie en parlant d’Albanopolis d’Arménie 97 que le Laterculus nomme Albon 98. Le Pseudo-Épiphane est plus précis, qui brode sur la notice du Pseudo-Sophronios : « Barthélemy l’apôtre prêcha l’Évangile du Christ aux habitants des Indes qu’on appelle Heureuses et traduisit dans leur propre dialecte le saint Évangile selon Matthieu. Il s’endormit à Albanopolis en Grande Arménie et y fut enterré 99. » Cette information est reprise par le synaxaire grec qui parle des Indes Heureuses, rappelle sa mort par crucifixion et mentionne Albanoupolis 100, et aussi par la liste éthiopienne qui parle d’Albânâ en terre d’Hermênyâ 101. Il convient de noter que certains copistes ne comprenaient pas le nom de cette ville et proposaient donc de la localiser à Hyrcanopolis (Ὑρκανοπόλει), la « ville des loups » qu’il faut assimiler à l’actuelle Gorgan d’Iran, capitale

94. THÉODORE LE LECTEUR, Histoire ecclésiastique II, 57, PG 86, 212 ; GCS 54, 157. 95. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (106). 96. Βαρθολομαῖος δὲ Ἰνδοῖς, οἷς καὶ τὸ κατὰ Ματθαῖον εὐαγγέλιον ἐκδεδωκὼς ἐσταυρώθη κατὰ κεφαλῆς καὶ θάπτεται ἐν Ἀλλανῷ τῆς μεγάλης Ἀρμενίας. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 165. 97. Βαρθολομαῖος ἐν Ἀλβανοπόλει τῆς Ἀρμενίας σταυροῦται. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 172. 98. Bartholomæus in Albone, ciuitate maioris Armeniæ. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 209. 99. Βαρθολομαῖος δὲ ὁ ἀπόστολος Ἰνδοῖς τοῖς καλουμένοις Εὐδαίμοσιν ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ Χριστοῦ καὶ τὸ κατὰ Ματθαῖον ἅγιον εὐαγγέλιον αὐτοῖς τῇ ἰδίᾳ διαλέκτῳ αὐτῶν συγγράψας ἐκοιμήθη δὲ ἐν Ἀλβανίᾳ πόλει τῆς μεγάλης Ἀρμενίας καὶ ἐκεῖ ἐτάφη. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 110. 100. Βαρθολομαῖος, ὃς Ἰνδοῖς τοῖς καλουμένοις εὐδαίμοσι κηρύξας τὸ Χριστοῦ εὐαγγέλιον σταυρῷ προσηλωθεὶς ἐν Ἀλβανουπόλει τελεοῦται. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 187. 101. A. BAUSI, « Una “lista” etiopica di apostoli e discepoli », in A. BAUSI, A. BRITA et A. MANZO (éds.), Æthiopica et Orientalia. Studi in onore di Yaqob Beyene (Studi Africanisti Serie Etiopica 9), vol. 1, Napoli, Università degli studi, 2012, p. 43-67 (57).

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du Golestan 102. Le synaxaire actuel retourne à la localisation Albanopolis 103 pour la fête du 11 juin. Quelle est cette ville d’Alanos/Albanos/Urban/Urbanopolis ? Gutschmid (suivi par Lipsius 104) y reconnaissait la forme grécisée de l’ancienne capitale de l’Arménie, Ervandachat. Marquart, quant à lui, toujours dans son hypothèse du rapprochement avec Mani propose, après un passage par les sources syriaques, une localisation à Arabion, alias Arewan ou Mahoze dh’Arewan 105 qui était un diocèse suffragant de Kirkouk, la métropole du Beth Garmaï, rendu célèbre par Sahdona qui y fut nommé évêque. Cela lui permet en outre d’expliquer le glissement vers l’Arménie : Γαραμαία aurait été simplement transformé en Ἀρμενία dans des versions ultérieures. En réunissant un faisceau de données, Michel van Esbroeck a fait une troisième hypothèse : il s’agirait de la ville de Nicopolis, une ville fondée par Pompée après sa victoire sur Mithridate Eupator du Pont en 66 av. J.-C. 106. Selon le témoignage de Jean Zosime (Xe siècle) Nicopolis avait pris le nom d’Urbanopolis que l’on trouve dans les listes. Si l’on s’en tient au nom « Albanos », ne peut-on pas plus simplement penser qu’Allanos pourrait être une ville imaginaire dont le nom fait allusion à un territoire au nord de l’Araxe (l’actuel Azerbaïdjan), connu sous le nom « Albanie du Caucase » dans l’Antiquité à cause de sa population, les Albaniens107 ? Ce nom d’Albanie fut d’ailleurs repris au cours des Ve-VIIe siècles (époque de l’écriture du texte) alors que le pays était une terre chrétienne placée sous l’égide d’un catholicos 108. Cette localisation arménienne, même si elle ne semble pas être originaire d’Arménie, fut largement reprise dans le pays lui-même au sein d’un culte qui prit son expansion à partir du VIIIe siècle, toujours selon M. van Esbroeck. On en trouve mention, en liaison avec le culte de Thaddée, chez Étienne de Siounie (mort en 712), Zénob de Glak (VIIIe-IXe s.) 109 et dans l’Évangile apocryphe de Jean (CANT 44), dont on a déjà parlé à propos d’André. Cette tradition eut pourtant du mal à s’implanter puisque Moïse 102. L’assimilation est suggérée par Élisée Reclus : É. RECLUS, Nouvelle Géographie universelle VI, Paris, Hachette, 1886, p. 528. 103. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 5, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1996, p. 506-507. 104. A. von GUTSCHMID, « Die Königsnamen in den apokryphen Apostelgeschichten », in F. RÜHL (éd.), Kleine Schriften von Alfred von Gutschmid, vol. 2, Leipzig, Teubner, 1890, p. 332-394 (360). R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 2.2, 1884, p. 100. 105. J. MARQUART, Untersuchungen…, p. 235. 106. M. VAN ESBROECK, « La Naissance du culte de Saint Barthélemy en Arménie », Revue des Études arméniennes NS 17, 1983, p. 171-195 (176). 107. Voir la notice de Strabon qui les nomme Ἀλβανοί : STRABON, Géographie V, 9. 108. A. CONSTANT, L’Azerbaïdjan (Méridiens), Karthala, Paris, 2002, p. 39-68. 109. M. VAN ESBROECK, « Chronique arménienne », Analecta Bollandiana 80, 1962, p. 426.

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de Khorène se borne à citer Barthélemy incidemment : « Vint ensuite en Arménie l’apôtre Barthélemy qui fut martyrisé chez nous, dans la ville d’Âzevpan 110 ». À partir du Xe siècle, il en va tout autrement : la fondation de l’Église d’Arménie par Barthélemy devient une des revendications du catholicossat des Arméniens soutenu par la famille des Açrouni pour établir son origine apostolique. Au Xe siècle, le catholicos Jean V (Hovhannēs V de Draskhanakert, 898-929) fut le premier à associer Barthélemy à Jude-Thaddée comme « prédicateurs et évangélistes pour la race d’Achkenaz [l’ancêtre des Arméniens] 111 ». Il est ensuite suivi par Jean l’Historien (mort en 931) qui parle du « siège des saints apôtres Bartholomée et Thaddée ». Cette tradition arménienne conduisit à l’écriture d’un récit de martyre (BHO 156) dont on connaît trois versions, traduites par L. Leloir112. Les trois reprennent une même trame : après un tirage au sort à Jérusalem, Barthélemy part pour Édem d’Inde. Il y réalise divers miracles : il assèche une source objet d’un culte aux démons, chasse lesdits démons, opère des guérisons, fait jaillir une source qui lui permet de baptiser les fidèles. Il part ensuite pour la Babylonie et prêche aux Mèdes et aux Élamites, mais il y est mal reçu. Ensuite, il va en Cœlé-Syrie où il ressuscite le fils d’Andronikos et prêche l’évangile de Matthieu. Puis il va voir les Germanicéens (un peuple de Commagène), puis retourne chez les Parthes, les Mèdes et les Élamites pour leur exposer toujours l’évangile de Matthieu. Enfin, il atteint la province arménienne de Golthn où il remplace Thaddée. À Artashu, il rencontre Jude, puis va enfin à Urbianos. Ogohi, nièce d’Abgar et sœur de Sanatrouk se convertit : cela fait entrer son frère en fureur, qui fait mettre à mort l’apôtre, puis sa sœur. Ce texte populaire intervient à la suite d’une longue tradition, qui lui permet de mélanger plusieurs narrations. L’idée de l’Inde s’inspire d’Eusèbe et Rufin, ainsi, sans doute, que l’insistance sur l’évangile de Matthieu. La rencontre avec Jude et Thaddée s’inspire de la tradition sur ces deux apôtres tantôt unis, tantôt séparés : elle permet de faire entrer l’apôtre dans le club fermé des évangélisateurs de l’Arménie, sans les exclure. La rencontre avec Sanatrouk et la mort de l’apôtre découlent d’ailleurs du Martyre arménien de Thaddée. Le synaxaire arménien de Ter Israël (XIIIe siècle) reprend toutes ces données :

110. MOÏSE DE KORÈNE, Histoire d’Arménie 34, trad. V. LANGLOIS (Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie 2), Paris, Firmin-Didot, 1869. 111. HOVHANNĒS V, Histoire d’Arménie (Corpus Scriptorum Christianorum 605), chap. 12, trad. P. Boisson-Chenorhokian, Louvain, Peeters, 2004, p. 103. 112. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres (Corpus christianorum Series Apocryphorum 4), Brepols, Turnhout, 1992, chap. VI.

BARTHÉLEMY L’APÔTRE ORIENTAL

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L’apôtre Barthélemy, après la résurrection du Seigneur, se rendit dans les contrées des Indes, de la Perse, de la Médie et de l’Élam, puis, arrivé en Arménie, il fut tué par le roi Sanatrouk qui avait mis à mort l’apôtre Thaddée ; il fut inhumé à l’endroit appelé Barm, près de la ville de Salmast 113.

Figure 12 : Barthélemy en Arménie

À la même époque, Salomon de Bassorah confirme le trajet arménien 114 puisqu’il affirme que l’apôtre a visité Ardeshīr, Ķetarbōl, Radbīn, and Prūharmān, des villes inconnues qu’il prend bien soin de localiser en Arménie. Reflétant une tradition inconnue elle aussi, il affirme que le roi qui l’a mis à mort n’est pas Sanatruk, mais un certain Hūrsţī. C. Étapes dans le trajet : la Parthie et la Lycaonie ( IIIe-IVe siècles), l’identification avec Philippe puis Matthieu Dans le texte arménien, Barthélemy réalise un arrêt en Lycaonie : c’est sans doute le résultat d’autres traditions, en particulier le souvenir d’un trajet en Parthie. Dans sa route vers les Indes, en effet, Barthélemy fait des pauses, et c’est le cas particulièrement dans les Actes de Philippe (CANT 250), dont on a vu qu’il incluait notre apôtre dans une narration par ailleurs consacrée à l’apôtre de la Phyrgie. Ce texte présente trois particularités. La première est que, dans le tirage au sort qui répartit les champs de mission, on confie à Barthélemy une terre nouvelle, la Lycaonie (8, 1), une région du centre de l’Asie Mineure. La seconde est qu’il accompagne, de manière muette, Philippe et Mariamne dans leur mission à Ophéorymos. Barthélemy est en effet simplement cité (8, 15 ; 9 ; 11, 5 ; 11, 10 ; 12, 1 ; 13, 4 ; 15, 8). La troisième est que Barthélemy, désigné comme l’un des soixante-dix disciples, devient le compagnon de supplice de Philippe 113. G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter Israël (Patrologia Orientalis 21/5), Paris, Firmin Didot, p. 639, 24 margats (30 juin). Salmast est l’actuelle Salmas dans la province iranienne de l’Azerbaïdjan de l’Ouest. 114. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 106.

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dans le Martyre de Philippe. Contrairement à lui, cependant, il échappe à la mort, et devient une sorte d’exécuteur testamentaire tout en étant renvoyé à la Lycaonie. Le Breviarum apostolorum de 600 est le premier témoin liturgique de cette tradition : L’apôtre Barthélemy prit un nom d’origine syriaque qui s’interprète « fils des eaux suspendues », prêcha en Lycaonie jusqu’à ceux qui vivent dans la ville d’Albanus de Grande Arménie. Il fut écorché par les Barbares et décapité sur l’ordre du roi Astargis, puis caché dans la terre le 9 des calendes de septembre 115.

Le Codex Fuldensis manifeste la même tradition, mais tente de rationaliser des données hétérogènes. Il affirme en effet que « l’apôtre Barthélemy repose à Lycaonie de la province d’Arménie 116 » : dans un bel esprit d’œcuménisme, il interprète l’ancienne localisation du martyre de Barthélemy comme une ville qu’il situe en Arménie. Le Liber de ortu fait de même en indiquant Liconia (§ 52.3). Beatus de Llebana ne mentionne quant à lui que la Lycaonie sans parler de l’Arménie 117. D. Un développement : la légende liparienne (VIe s.) Après ces aventures orientales, il était peu surprenant que l’Occident réclame de nouveau sa part et désire honorer Barthélemy. On se souvient que l’évêque Marutha avait transporté ses dépouilles à Martyropolis de Syrie vers 410. En 506, selon Théodore le lecteur, un clerc byzantin du VIe siècle, l’empereur Anastase Ier, avait voulu honorer Barthélemy à Anastasiopolis (la Doura de Mésopotamie), après l’avoir vu en songe 118. Procope de Césarée raconte comment la cité, assiégée par les Perses, fut sauvée par la seule vertu de ces insignes reliques 119. Grégoire de Tours, dans la Gloire des

115. B. de GAIFFIER, « Le Breviarum apostolorum. Tradition manuscrite et œuvres apparentées », Analecta Bollandiana 81, 1963, p. 113. Bartholomæus apostolus nomen e syriaca lingua suscepit et interpretatur filius suspendentis aquas Lycaoniam prædicauit ad ultimum in Albano maioris Armeniæ urbe uiuens a barbaris decoriatus atque per iussum regis Astragis decollatus, sicque terræ conditus nono kalendas septembres. 116. Bartholomeus apostolus resquiscit Lycaonia prouincia Armenia. B. DE GAIFFIER, « Une ancienne liste d’apôtres », in L’Homme devant Dieu. Mélanges offerts au Père Henri de Lubac (Théologie 56), Paris, Aubier, 1963, p. 365-372 (368). 117. BEATUS DE LLEBANA, Commentarius in Apocalypsin II, Prologus, 3, 17. H. A. SANDERS, Beauti in Apocalipsin libri duodecim (Papers and monographs of the American Academy in Rome 7), Rome, American Academy in Rome, 1930, p. 116. 118. THEODORE LE LECTEUR, Hist. Eccl. II, 57. PG 86, 211-212. 119. De Ædificiis II, 2, 1. J. HAURY (éd.), Procopii Cæsariensis opera omnia (Bibliotheca scriptorum græcorum et latinorum teubneriana), vol. 3.2, Lipsiæ, Teubner, 1913, p. 50.

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Martyrs nous enseigne un nouveau rebondissement dans la légende, datable des années 580. L’histoire nous apprend que l’apôtre Barthélemy a souffert le martyre en Asie. Bien des années après sa passion, alors que les chrétiens étaient de nouveau persécutés, les gentils virent tout le peuple accourir à son tombeau, y prier assidûment et y brûler de l’encens. Enflammés de haine, ils enlevèrent son corps et, le plaçant dans un sarcophage de plomb, ils le jetèrent à la mer, en disant : « tu ne séduiras pas davantage nos populations. » Mais, avec la coopération de la providence de Dieu par le secret de ses voies, les eaux, ayant soulevé le sarcophage de plomb du lieu où il avait été jeté, ils le portèrent vers une île du vocable de Lyparis. Il fut révélé aux chrétiens, pour qu’ils le recueillissent ; l’ayant retrouvé, ils l’ensevelirent et construisirent une vaste église sur son tombeau. Il est maintenant invoqué et se manifeste aux peuples par nombre de vertus et de bienfaits 120.

Dans cette notice, on se trouve confronté à un cas classique d’invention de reliques dont on essaie après coup de justifier la provenance. Lenain de Tillemont la critique avec une ironie mordante : « Ce qu’il y a de fâcheux, c’est que la manière dont elle prétend avoir reçu le corps de S. Barthélemy est telle que nous n’oserions la rapporter, de peur d’offenser toutes les personnes qui haïssent les fables, et qui les haïssent encore plus dans les choses de religion que dans les autres 121. » Cette légende est pourtant insérée chez Bède 122, 120. Bartholomeum apostolum apud Asiam passum agonis ipsius narrat historia. Post multorum uero annorum spatia de passione eius, cum iterum christianis persecutio aduenisset, et uiderent gentiles, omnem populum ad eius sepulchrum concurrere eique deprecationes assiduæ, incensa deferre, inuidia inlecti, abstulerunt corpus eius, et ponentes eum in sarcophagum plumbeum, proiecerunt illud in mari, dicentes, quia : « Non seducis amplius populum nostrum ». Sed prouidentia Dei cooperante per secretum operis eius, sarcophagum plumbeum a loco illo aquis subuehentibus subleuatum, delatum est ad insolam uocabulo Lyparis. Reuelatumque est christianis, ut eum collegerent ; collectumque ac sepultum, ædificauerunt super eum templum magnum. In quo nunc inuocatus, prodesse populis multis uirtutibus ac beneficiis manifestat. GRÉGOIRE DE TOURS, In Gloria Martyrorum 34, PL 71, 734 = Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1.2), Hannoveræ (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 60. 121. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693, p. 382. 122. Natale S. Bartholomæi apostoli, qui apud India Christi euangelium prædicans, inde in maiorem Armeniam profectus, cum ibi plurimos ad fidem conuertisset, uiuus a barbaris decoriatus est atque iussu regis Astragis captitis decollatione martyrum compleuit. Eius sacrum corpus primo ad Liparam insulam, quæ Siciliæ uicina est, deinde Beneuentum postremo Romama ad insulam Tyberinam translatum, ibi pia fidelium ueneratione honoratur. Cesar BARONIUS, Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ veritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise),

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Usuard et dans le martyrologe romain123 : à partir du VIIe siècle, on trouve trace d’un culte important à Saint Barthélemy décelable dans les sources liturgiques et les références au saint 124. Jean Stilting, dans les Acta Sanctorum, nous narre la suite de l’aventure de ces reliques lipariennes avec un luxe de détail dont nous ferons grâce ici 125 pour en présenter un résumé. Le corps liparien de Barthélemy a été vénéré dans les îles Lipari jusqu’au IXe siècle, date de l’invasion des Arabes qui ravagèrent l’île et brisèrent le tombeau de l’apôtre. Fort opportunément, un moine ramassa les reliques et les confia à des Lombards qui les mirent sous un autel de la cathédrale de Bénévent le 25 octobre 839. C’est l’occasion d’accréditer une légende sur le saint, s’appuyant sur un beau sermon de Théodore Stoudite traduit à Bénévent vers 871 et 879 (BHL 1004) par Athanase le bibliothécaire 126. Bien entendu, le récit de cette translation est sujet à d’ardentes controverses que le savant bollandiste ne masque pas. La dernière étape se joue autour de l’an mil. Selon la tradition ancienne, l’Empereur Othon II fit une razzia sur la ville en guise de représailles et emporta avec lui les reliques ; mais il mourut le 17 décembre 983 en les laissant à Rome. Baronius montre que cela se fit sous Othon III : venu à Bénévent, il demanda les reliques de Barthélemy pour les placer dans une basilique qu’il construisait sur l’île Tibérine, où elles sont censées s’y trouver encore. Stilting évoque encore la lettre de Léon d’Ostie qui affirme que les Bénéventins, qui n’osaient refuser à l’Empereur de lui céder des reliques, mais souhaitaient conserver celles de l’apôtre, le trompèrent et lui abandonnèrent des reliques de Paulin de Nole. Quoi qu’il en soit, cette translation de reliques est fêtée le 25 août, y compris dans l’Église

Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 382. Voir ce qu’en disait Usuard dans J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 289. 123. Sancti Bartholomæi Apostoli, qui Christi Euangelium in India prædicauit ; inde in maiorem Armeniam profectus, ibi, cum plurimos ad fidem conuertisset, uiuus a barbaris decoriatus est, atque, Astyagis Regis iussu, capitis decollatione martyrium compleuit. Ipsius sacrum corpus, primo ad Liparam insulam, deinde Beneuentum, postremo Romam ad Tiberinam translation insulam, ibi pia fidelium ueneratione honoratur. 124. Els ROSE, Ritual Memory…, p. 80-81. 125. I. STILLINGUS, Acta Sanctorum Mensis Augustus V…. 39-108. 126. I. BONACCORSI, « Il Sermo de Sancto Bartholomeo Apostolo, interprete Anastasio bibliothecario », in K. STRANTCHEV et S. PARENTI (éds.), Liturgia et agiografia tra Roma e Constantinopoli. Atti del I e II Seminario di Studio Roma-Grottaferrata 2000-2001 (ἀναλέκτα κρυπτοφέρρης 5), Grottaferrata, Monastero Esarchico, 2007, p. 11-23. Voir également U. WESTERBERGH, Anastasius Bibliothecarius : Sermo Theodori Studitæ de Sancto Bartholomeo : A Study (Studia Latina Stockholmensia 9), Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1963.

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grecque 127. Elle est d’ailleurs amplement reprise par Jacques de Voragine dans la Légende dorée128. Il convient de noter que ce même Jacques de Voragine se retrouve d’ailleurs fort embarrassé lorsqu’il s’agit de décrire le mode de martyre de Barthélemy. En effet, on a pu le constater, les traditions diffèrent. Le Dominicain cite le Pseudo-Dorothée, qui parle de crucifixion, Théodore Stoudite qui mentionne un écorchement, et d’autres qui évoquent la décapitation. Il finit par conclure : « on peut résoudre cette contradiction en disant qu’on le battit et qu’on le crucifia d’abord, puis qu’avant qu’il ne meure, on le descendit de la croix ; et, pour ajouter à son supplice, on le fit écorcher et enfin décapiter 129. » Brunetto Latini opte pour une solution semblable : « en la fin fu il escorchiez en Inde la Grant par les Barbarins : ce fu en la cité de Albeger, et puis, par le commandement d’un roi estranger, lu fu la teste copée 130 ». E. Le cas particulier des légendes coptes (Ve-VIe siècles) Comme d’habitude, le recueil connu sous le nom de « combat des apôtres » nous apporte une tradition propre au monde alexandrin. Conservée par fragment en copte, elle est mieux préservée en arabe et en éthiopien (traductions au VIe s. et au XIIIe s.) 131. Celle-ci paraît totalement sui generis et n’avoir subi aucune influence. On connaît en effet trois textes qui impliquent Barthélemy : la Prédication de Barthélemy dans la ville de l’Oasis, le Martyre de Barthélemy, et les Actes de Saint André et Barthélemy chez les Parthes.

1. La Prédication de Barthélemy et le Martyre de Barthélemy Comme le note Alessandro Bausi qui traduit les deux textes dans les Écrits apocryphes chrétiens, les deux textes semblent être l’un à la suite de l’autre et forment une unité. Ils racontent comment Barthélemy réussit à rentrer dans la ville de l’Oasis, comment il fait des miracles et enfin comment il y meurt. Les deux textes sont situés à deux endroits différents. En ce qui concerne la Prédication dans l’Oasis (CANT 261, recension copte fragmentaire 127. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 624-628. 128. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 672-681. 129. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 676. 130. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 75. 131. Toutes les références aux textes édités se trouvent dans l’introduction d’Alessandro Bausi dans EAC II, p. 878.

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BHO 154 et 155, version arabe BHO 152 et éthiopienne BHO 153), deux oasis peuvent être candidates pour cette attribution : l’Oasis de Siwa ou celle du Fayoum. On a coutume d’opter pour cette deuxième localisation sur la foi d’une notice de l’Histoire des églises et monastères d’Al-Shaykh alMu’taman Abû al-Makârim Sa’d-Allâh Jirjis ibn Mas’ûd (XIIIe s.) que le premier éditeur du texte a attribuée à l’Arménien Abu Shâlih, manifestement faussement 132. Le texte sur Al-Bahnasâ (‫ﺍﻟﺒﻬﻨﺴﺎ‬, le nom arabe d’Oxyrynchus) indique en effet qu’une église se trouve dans l’oasis parce que Barthélemy y a été martyrisé et que son corps se trouve à Qarbîl (‫ﻗﺮﺑﻴﻞ‬, une ville non identifiée) 133. Pour le Martyre, le texte évoque Nasma’afin et Ni’indos, deux villes sur la côte impossibles à identifier. Ces deux textes manquent un peu d’originalité et semblent emprunter largement leur trame narrative aux romans antiques. On peut repérer deux éléments majeurs. 1° la reprise du triangle ascétique des actes. – Comme dans les Actes de Thomas, on retrouve dans ces textes le triangle ascétique : l’apôtre, qui prêche la continence, est vu comme un rival par le mari dont la femme est devenue chrétienne. Cette situation explique la principale trouvaille narrative du texte : le déguisement de Barthélemy pour entrer dans la ville. Pierre et Barthélemy rencontrent en effet un marchand qui leur explique : Si vous êtes des compagnons de Jésus, nous ne vous laisserons pas entrer dans notre ville. En effet, nous avons entendu dire à votre sujet que vous séparez les femmes de leurs maris et que vous dites : « un homme qui ne vivra pas sans pureté ne pourra pas voir le Seigneur. » […] Je ne vous laisserai pas venir dans ma ville pour y transmettre aux gens les préceptes que votre maître vous a enseignés. Car ma femme vous écoutera, elle aura foi en vous et se séparera de moi 134.

Dans une sorte de remake ascétique de Lysistrata, on voit que la venue des apôtres déclenche une sorte de grève du sexe qui suscite l’hostilité des hommes envers les apôtres. Pour la déjouer, Barthélemy, qui se montre aussi rusé qu’Ulysse aux mille tours rentrant à Ithaque, adopte l’un des topoi les plus répandus du roman : le déguisement. Il joue à Joseph vendu par ses frères, mais un Joseph consentant, vendu par son frère Pierre pour trente statères ( Joseph était vendu pour vingt pièces d’argent, faut-il y voir une allusion aux trente pièces de Judas ?). 132. U. ZANETTI, « Abū l-Makārim et Abū Sālih », Bulletin de la Société d’archéologie copte 34, 1995, p. 85-138. 133. ABŪ ŞĀLIĤ AL-ARMANĪ, The Churches and Monasteries of Egypt and Some Neighbouring Countries, éd. B. T. A. EVETTS, Oxford, Clarendon, 1895, p. 215. « AlBahnasâ. Le sens de ce mot est “lieu de mariage” et il a été construit pour les demoiselles qui étaient les filles vierges des rois, et étaient mariées aux fils des rois de cette ville. Il y a une église nommée Saint-Barthélemy qui a été martyrisé dans l’oasis d’AlBahnasâ, et dont le corps se trouve dans l’église de Qarbîl. » 134. Prédication de Barthélemy 17-18.23, ÉAC II, p. 883.

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Rendu ainsi méconnaissable, Barthélemy peut convertir la ville de l’Oasis, fonder une église et proclamer son message. La question de l’ascétisme n’est plus évoquée, preuve qu’il s’agissait bien d’un ressort romanesque, jusqu’à la comparution devant le roi de la contrée Aqrepos, comparution qui imite à la lettre les Actes de Pierre jusqu’au nom du souverain (Aqrepos évoque Agrippa). Devenu jaloux de l’apôtre, le roi veut le faire mourir. Le genre de mort qu’il ordonne est particulièrement terrible : ordonnant que l’on remplisse un sac de sable, il y fait placer Barthélemy et le jette à la mer. 2° le miracle crée la foi. – Le second trait caractéristique de ces deux textes est le côté particulièrement répétitif des miracles : Barthélemy ressuscite des chameaux dans le désert (48-54), rend la vue à un aveugle (55-61), met des fruits à une vigne (62-83), ressuscite un magistrat (84-107). Lors de sa comparution devant Aqrepos, il guérit de nouveau un aveugle. Ces miracles constituent en quelque sorte la trame narrative du récit, au point qu’il est presque impropre de parler de prédication de Barthélemy. Mieux vaudrait parler de thaumaturgie de Barthélemy. L’usage du miracle est luimême répétitif : invariablement, il sert à provoquer un émerveillement qui conduit à la foi. On retrouve cette narration ne varietur dans le synaxaire arabe jacobite et dans le synaxaire éthiopien, ce qui est la preuve d’un certain engouement pour cette histoire 135.

2. Les Actes d’André et Barthélemy parmi les Parthes : compagnonnage avec André Ces Actes (BHG 2056 = CANT 238) qui ne sont connus en copte que par fragments publiés par E. Lucchesi et J.-M. Prieur 136 sont mieux conservés en arabe (BHO 55) et en éthiopien (BHO 56) 137. Ils semblent reprendre à la lettre les notices sur l’apostolat de Barthélemy parmi les Parthes. Il s’agit manifestement d’un récit populaire, plein de verve, qui emprunte largement à des modèles anciens. 135. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite (Patrologia Orientalis 1/3), Paris, Firmin Didot, 1907, p. 224-226, 1er Tout (29 août). G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien (Patrologia Orientalis 43/3, fasc. 195), Brepols, Turnhout, 1986, p. 329-330, 1er maskaram. 136. E. LUCCHESI et J.-M. PRIEUR, « Fragments coptes des Actes d’André et Matthias et d’André et Barthélemy », Analecta Bollandiana 96, 1978, p. 349-350 et E. LUCCHESI et J.-M. PRIEUR, « Deux nouveaux fragments coptes des Actes d’André et Matthias et d’André et Barthélemy », Analecta Bollandiana 98, 1980, p. 75-82. On connaissait auparavant un texte mutilé publié par Guidi (BHO 57). 137. Éthiopien : E. A. W. BUDGE, « Acts of Andrew and Bartholomew Among the Parthians », Contendings of the Apostles II, London, Frowde, 1901, p. 183-214. Arabe : A. SMITH-LEWIS, Acta mythologica apostolorum (Horæ Semiticæ 3), London, Clay, 1904, p. 58-64 (texte) ; A. SMITH-LEWIS, The Mythological Acts of the Apostles (Horæ Semiticæ 4), London, Clay, 1904, p. 76-80 (traduction).

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Le récit débute par une vision particulièrement édifiante. Barthélemy, qui est à Makatran dans le pays d’Azreyanos, dans lequel il faut reconnaître l’Oasis de Siwa, est appelé à évangéliser les nations barbares. La vision n’a rien de réjouissant : Barthélemy est promis aux pires supplices : le bûcher, la crucifixion, la noyade 138. Pendant ce temps, la convocation d’André reprend les mêmes données. Accompagné de ses deux disciples, André se trouve sur la côte et se demande comment aller retrouver Barthélemy. Dans le texte arabe, un bateau spirituel vient le chercher pendant son sommeil. Le texte éthiopien, lui, ressemble à une reprise de l’épisode de Jonas : alors qu’il part pour les contrées sauvages (que l’on nomme celles des Barbares), il est avalé par un gros poisson. Enfin, les deux apôtres se retrouvent. Ils prennent un bateau conduit par un capitaine qui est en réalité le Christ. Ils commencent par chasser les démons de la femme du gouverneur de Macédoine, puis gagnent le fameux pays des Barbares. La suite du récit raconte l’évangélisation de la ville barbare. André et Barthélemy font une première tentative. Même si le capitaine se fait reconnaître à eux, c’est un échec : les deux apôtres sont chassés de la ville et se réfugient dans le désert. La seconde tentative est plus fructueuse. Il faut dire qu’ils sont secondés par un puissant allié : l’homme à la tête de chien. La présence de cet homme à tête de chien peut évoquer la Lycaonie, qui a été précédemment le lieu de la prédication de Barthélemy. Il peut également consoner avec les terres barbares qu’il est censé évangéliser. En effet, dans l’Antiquité, les Barbares se trouvent aux confins du monde connu, où ils cohabitent avec des créatures fantastiques, dont les cynocéphales, ces créatures à tête de chien qu’Hérodote décrivait déjà dans les Indes (Histoires IV, 191). Le texte peut donc suggérer que Barthélemy remplit le programme fixé aux apôtres d’aller jusqu’aux confins du monde porter la Bonne Nouvelle. Avec ce compagnon, André et Barthélemy gagnent de nouveau la ville, manquent d’y mourir, mais sont sauvés par l’homme à la tête de chien qui impressionne les Barbares. Ceux-ci se convertissent et sont baptisés au cœur de la cité, grâce à une fontaine que les apôtres font jaillir miraculeusement d’un pilier. Ce simple résumé suffit à caractériser le texte. C’est un récit d’origine populaire, qui multiplie les éléments de merveilleux et y enchâsse quelques fragments de prédication assez convenus. Il ne s’agit même pas d’un récit édifiant, mais plutôt d’une belle histoire où l’emporte le plaisir du récit. Ces récits, propres à l’Église copte, ne connurent pas d’extension audelà, mais jouissent dans cette Église d’une belle postérité comme le prouve le synaxaire arabe jacobite, qui au 1er Tout (25 août) réalise une synthèse des narrations. La notice commence en effet par expliquer comment Bar138. BUDGE, p. 154 ; SMITH-LEWIS, p. 11.

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thélemy accompagna Pierre dans les Oasis, puis comment il accompagna André chez les Berbères et se fit seconder par un homme au visage de chien, et enfin comment il périt jeté à la mer dans un sac 139. Le P. Paris Copt. 129, quant à lui 140, opère une intéressante synthèse entre la tradition de la présence de Barthélemy au jardin des Oliviers, puisqu’il est décrit comme le jardinier (κωμαρίτης) qui entend les anges chanter à la Résurrection, et celle de la prédication à la ville de l’Oasis dans laquelle on retient que Pierre le vendit comme esclave. III. L E

VISIONNAIRE

Alors que de nombreuses Églises se sont approprié Barthélemy pour en faire le modèle du missionnaire, d’autres communautés utilisèrent l’apôtre comme modèle du visionnaire. Comme nous l’avons déjà dit, l’assimilation avec Nathanaël a dû ici jouer. Cette tradition de visionnaire, conservée dans les Questions de Barthélemy et dans le Livre de la Résurrection de Jésus-Christ de Barthélemy est malheureusement très malaisée à retracer, car les textes sont difficiles à rattacher à un contexte historique précis. En effet, les deux textes n’ont pas de vraie dépendance littéraire141, même si l’on voit qu’ils appartiennent à une tradition commune. On sait que le Decretum Gelasianum et la liste de Jérôme nomment un apocryphe connu comme l’Évangile de Barthélemy 142. Est-ce lui que le Pseudo-Denys l’Aréopagite cite lorsqu’il affirme : « C’est bien en ce sens que le divin Barthélemy disait que la théologie est à la fois développée et brève, l’évangile spacieux et grand, mais néanmoins concis 143 » ? À vrai dire, il est impossible de dire avec certitude si l’un ou l’autre de ces textes a quelque chose à voir avec cet évangile 144. 139. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite I, mois de Tout et Babeh (Patrologia Orientalis 1.5), Paris, Firmin Didot, 1907, p. 224-226. 140. E. O. WINSTEDT, « Some Coptic Apocryphal Legends », Journal of Theological Studies 9, 1908, p. 372-386 (381). 141. J.-D. KAESTLI, « Où en est l’étude de l’Évangile de Barthélemy ? », Revue biblique 95, 1988, p. 5-33. 142. A. WILMART et E. TISSERANT, « Fragments grecs et latins de l’Évangile de Barthélemy », Revue biblique 10, 1913, p. 161-190 et 321-368. Les auteurs citent JÉRÔME, Commentaire sur l’Évangile de Matthieu, Prologue qui parle d’un évangile iuxta Bartholomeum. Le « Décret de Gélase » nomme un euangelia nomine Bartholomei. E. V. DOBSCHÜTZ, Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis in kritischem Text herausgegeben und untersucht (Texte und Untersuchungen 38), Leipzig, J. C. Hinrichs, 1912. 143. PS. DENIS L’ARÉOPAGITE, De Mystica theologia III, PG 3, 1000b : Oὕτω γοῦν ὁ θεῖος Βαρθολομαῖός φησι καὶ πολλὴν τὴν θεολογίαν εἶναι καὶ ἐλαχίστην καὶ τὸ Eὐαγγέλιον πλατὺ καὶ μέγα καὶ αὖθις συν τετμημένον. 144. J.-D. KAESTLI et P. CHERIX, L’Évangile de Barthélemy…, p. 20.

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CHAPITRE 7

Le Livre de la Résurrection de Jésus remonte, dans sa forme actuelle au ou VIe siècle. Il est fort difficile de dater les Questions de Barthélemy, qui pourraient remonter à une tradition très ancienne (IIe siècle), mais comportent certains traits qui peuvent aussi provenir du VIe siècle. En effet, la version de la Descente aux Enfers qu’elle contient indique qu’elle est plus ancienne que celle de l’Évangile de Nicodème. D’un autre côté, le texte emprunte quelques éléments au Protévangile de Jacques, daté du IIIe siècle, et exhibe une mariologie antérieure au concile d’Éphèse 145. Ve

A. Les Questions de Barthélemy Les Questions de Barthélemy (CANT 63 = BHG 228) comportent plusieurs parties conservées dans deux versions grecques 146, deux versions latines 147 et cinq versions slavonnes, avec de notables différences 148. Elle comprend plusieurs épisodes distincts : 1° une crucifixion et une descente aux Enfers ; 2° une interrogation sur la conception virginale de Jésus par Marie ; 3° une question sur Béliar, l’adversaire ; 3° et enfin une prière de Barthélemy pour les pécheurs. Dans ce livre, Barthélemy occupe un rôle extrêmement important qui en fait un véritable concurrent des autres apôtres, et en particulier de Pierre. 1° l’apôtre qui en sait plus que les autres. – Tout d’abord, Barthélemy apparaît dans ce livre comme un apôtre particulier qui tient le rôle de l’apôtre bien-aimé. Jésus ne cesse de lui donner ce titre, réminiscence de la figure johannique qui joue le rôle de figure modèle dans le christianisme ancien 149. En effet, c’est lui, et non le Disciple bien-aimé qui le suit de loin : « alors que tous les apôtres s’éloignaient, moi je t’ai suivi » (1, 6). C’est lui qui peut entendre la voix dans l’abîme, qui déclenche le récit de la descente aux Enfers. C’est lui, derechef, qui voit le corps de Jésus pendu à la Croix, qui observe « les anges montant devant Adam » (1, 23 voir 1, 6), accomplissement de la promesse faite à Nathanaël. La réponse à toutes ces visions de Barthélemy ne se fait pas attendre, c’est une série de macarismes de la forme « Heureux es-tu, Barthélemy mon bien-aimé » (1, 8 ; 1, 26), qui posent Barthélemy en récipiendaire favorisé des visions divines. 145. Voir l’introduction au texte par J.-D. KAESTLI, ÉAC I, p. 257-263. 146. P. Vindobonensis hist. gr. 67, XIIe s., f° 2-4 et 9-15v ; P. Saint Sabas ( Jérusalem) 13, Xe-XIe s., f° 114v-116v. 147. Vat. Reg. 1050, IXe-Xe s., f° 4 ; Roman. Casat. 1880, XIe s., f° 161v-169. 148. J.-D. KAESTLI et P. CHERIX, L’Évangile de Barthélemy (Apocryphes 1), Turnhout, Brepols, 1993. 149. I. DUNDERBERG, « The Beloved Disciple in John : Ideal Figure in An Early Christian Controversy », in I. DUNDERBERG et alii (éd.), Fair Play : Diversity and Conflicts in Early Christianity : Essays in Honour of Heikki Räisänen (Novum Testamentum Supplements 103), Leiden, Brill, 2003, p. 243-272 (265).

BARTHÉLEMY L’APÔTRE ORIENTAL

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2° Un apôtre supérieur aux autres apôtres. – Dans les Questions de Barthélemy, le rôle de leader, traditionnellement dévolu à Pierre, est confié à notre apôtre. En effet, alors que Marie fait partie de la réunion et que Barthélemy presse ses confrères de lui poser des questions, les apôtres hésitent. Barthélemy doit même presser Pierre : « Père Pierre, puisque tu es le chef, approche-toi et interroge-la » (2, 3). Pierre se défausse sur Jean et c’est finalement Barthélemy qui doit interroger lui-même Marie. Cette dernière réconforte Pierre pour qu’il prenne la direction de la prière (2, 7). Dans tout cet épisode avec Marie, Barthélemy se révèle le vrai roc : « Toi Barthélemy, place solidement tes genoux contre mes épaules et enserre-les bien : il ne faut pas que mes os se désagrègent lorsque je me mettrai à parler. » (2, 14) Pour résister à l’émotion qui l’étreint au récit qu’elle s’apprête à faire, Marie se sert de Barthélemy comme d’un vrai soutien. 3° l’apôtre qui peut tout. – Car tout au long de ces Questions, Barthélemy se révèle comme l’apôtre puissant par excellence, qui peut prendre tous les rôles. On l’a vu, il se pose d’abord en interlocuteur privilégié de Marie et de son fils, mais il sait aussi interroger Béliar. Il a la capacité même de fouler aux pieds Béliar et sa nuque (4, 22) et de repousser son visage « dans la terre jusqu’au niveau des oreilles ». Il est également le Bien-Aimé. À la fin du texte, il adopte deux nouveaux rôles : celui d’intercesseur pour les hommes (4, 61), et celui de scribe pour ce qu’il a entendu (4, 69). Dans les Questions de Barthélemy, l’apôtre s’affirme donc comme le meilleur interlocuteur possible : il possède la connaissance des mystères de l’audelà. À son nom est attachée la révélation de ce qui se passe après la mort. B. Le Livre de la Résurrection de Jésus Le Livre de la Résurrection de Jésus (CANT 80-82) du Ve siècle 150, connu uniquement en copte 151 qui semble être la langue dans laquelle il a été rédigé, a probablement été composé pour un usage liturgique. Il combine des traditions différentes : des éléments de la Passion, un récit de descente 150. I. GARDNER et J. JOHNSTON, « The Liber Bartholomaei On The Ascension : Edition Of Bibliothèque Nationale Copte 132 F. 37 », Vigiliæ Christianæ 64, 2010, p. 74-88. Voir également l’introduction de Jean-Daniel KAESTLI, ÉAC I, p. 299-305. 151. On le connaît par trois codices. Le codex le plus complet a été acquis en 1907 par E. A. Wallis Budge en Égypte, traduit par W. E. Crum en 1909 et édité par Budge en 1913 (E. A. W. BUDGE, Coptic Apocrypha in the Dialect of Upper Egypt, London, British Museum, 1913). Les deux autres doivent être reconstitués à partir de feuillets conservés dans diverses bibliothèques dont certains ont été édités par Lacau (P. LACAU, Fragments d’apocryphes coptes (Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire 9), Le Caire, Impr. de l’Institut français d’archéologie orientale, 1904), d’autres par Wessely et Kropp. L’ensemble a été traduit par Jean-Daniel Kaestli dans ÉAC I qui donne toute la bibliographie à ce sujet (ÉAC I, p. 302-305).

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aux Enfers, un récit d’apparition au matin de Pâques, une Ascension où l’on entend le chant des anges, une bénédiction d’Adam au Paradis, un autre récit d’Ascension sur le mont des Oliviers, une apparition en Galilée, un récit d’évangélisation menéepar Thomas, un dernier récit de l’Ascension. Ce livre confie à Barthélemy un rôle assez important. Alors que pendant les premiers chapitres, il est totalement absent, à partir de 10, 3, il intervient brusquement et mène le récit. Il se trouve quasiment derrière le jardinier Philogène qui assiste à la résurrection. Il devient même lui-même jardinier (17, 3), peut-être parce qu’en tant que Nathanaël il a été vu sous un figuier. Depuis cette position privilégiée, il peut contempler la divine liturgie du septième ciel et en devenir le scribe (14, 2 ; 27, 1) : ainsi retranscrit-il les hymnes célestes que l’on fait entendre dans les chapitres 12-16. Au chapitre 18, il est l’objet d’une bénédiction qui le renforce dans sa position de voyant, puisque le Sauveur lui dit : « ton âme sera la demeure des mystères de mon Fils 152 ». À partir du chapitre 21, pourtant, il perd un peu de son importance, puisque l’action se concentre sur Thomas et sur son disciple Siophanès. Ce dernier narre en effet longuement comment il est revenu des morts (preuve de l’influence des Actes de Thomas sur le texte). Barthélemy quitte alors le devant de la scène et ne reparaît que pour une exhortation, mineure, à Thomas (23, 8). B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Apôtre essentiellement oriental, Barthélemy recueille de nombreuses traditions au gré de confusions successives. Au gré d’actes et de passions, il vogue vers les Indes en faisant quelques crochets du côté de la Lycaonie et la Parthie. Il finit par être récupéré par l’Arménie, dont les prétentions sont validées jusqu’en Occident puisqu’elles paraissent dans les listes latines. Les textes dont il est l’objet ne lui fournissent aucun trait distinctif : avec une grande monotonie, il prêche, convertit, détruit des temples d’idoles et leurs statues, combat les païens. N’ayant pas eu la chance d’être adopté par la famille des communautés extatiques ou gnostiques, il n’a même pas la grâce de leur emprunter des caractéristiques un peu originales. Même lorsqu’on le décrit, c’est de Paul qu’on tire sa description, et de l’image qu’on se fait d’un bon évêque. L’iconographie occidentale de Barthélemy, très riche en Orient, mais moins fréquente en Occident, résume parfaitement la place qu’il occupe : il 152. Livre de la Résurrection de Barthélemy 18, 10, trad. J.-D. KAESTLI, ÉAC I, p. 345.

BARTHÉLEMY L’APÔTRE ORIENTAL

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est résumé à son martyre. Au début simplement présenté avec son couteau, il est souvent par la suite présenté dans son supplice 153. En effet, l’écorchement qu’il a subi a souvent donné prétexte à de saisissantes visions d’écorchés. S’appuyant sur l’iconographie de Marsyas, victime de la jalousie d’Apollon, il est tantôt drapé, tantôt dépouillé de sa peau. Il porte le grand couteau de son écorchement et sa peau. Ce dépouillement provoque une véritable fascination – que l’on songe à l’extraordinaire représentation de Michel Ange dans la chapelle Sixtine – en particulier dans un XVIIe siècle espagnol friand d’épouvante, qui suscite le dégoût de Louis Réau : « c’est un des thèmes favoris de l’École espagnole et particulièrement de Ribera, qui, avec une complaisance excessive, n’a pas peint cette scène répugnante moins de douze fois 154. »

153. M. L. CASANOVA, « Bartolomeo Apostolo – Iconografia », Bibliotheca Sanctorum, vol. 2, Roma, Istituto Giovanni XXIII, 1962, p. 862-877. 154. L. RÉAU (L.), Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. I, Paris, PUF, 1958, p. 183.

CHAP. 8

THOMAS, LE MYSTIQUE D’ÉDESSE Au milieu du cercle des Douze, Thomas fait certainement partie des apôtres importants. D’abord parce que sa figure se détache nettement dans l’évangile de Jean où elle occupe tout un épisode, fondamental puisqu’il prend place après la Résurrection. Ensuite parce que sa postérité littéraire est considérable. On lui attribue un évangile, des actes, un livre gnostique. Avec Jean et Pierre, les chercheurs lui font l’honneur de le considérer comme le héros d’une « école thomasienne », privilège réservé aux « grands » apôtres. Enfin parce que le personnage est censé avoir été un missionnaire de premier plan : il aurait joué un rôle très important dans l’évangélisation de deux régions, la région syriaque et la région de l’Inde. Le Thomas historique était-il aussi central ? Il est impossible de le savoir. Mais, sans conteste, la figure de l’apôtre qui doute a connu un très grand succès dans le christianisme ancien. I. L E

TÉMOIGNAGE ÉVANGÉLIQUE

Si Thomas a une quelconque importance, ce n’est certes pas aux synoptiques qu’il la doit. En effet, les trois textes ne lui accordent aucune place privilégiée. Comme la majorité des Douze, il n’est qu’un nom dans les listes apostoliques (Mt 10, 3 ; Mc 3, 18 ; Lc 6, 15). Il se trouve toujours dans le quart supérieur de la moitié inférieure, à la sixième ou à la septième place et semble avoir été associé avec Matthieu, comme André est associé à Pierre et Philippe à Barthélemy. On ne saurait en tirer des informations vraiment pertinentes puisque jamais, dans la tradition ultérieure, Thomas ne sera associé à Matthieu : le « publicain » fonctionne plutôt en couple avec André ou avec Barthélemy. C’est Jn qui donne à Thomas une certaine ampleur, après la résurrection de Lazare. A. Thomas avant l’épisode du doute La première apparition de Thomas prend place après la maladie de Lazare. On rappelle le texte : Jn 11, 11-16. – Après ces paroles, il leur dit : « Lazare, notre ami, dort ; mais je vais le réveiller. » Les disciples lui dirent : « Seigneur, s’il dort, il

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sera guéri. » Jésus avait parlé de sa mort, mais ils crurent qu’il parlait de l’assoupissement du sommeil. Alors Jésus leur dit ouvertement : « Lazare est mort. Et, à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de ce que je n’étais pas là. Mais allons vers lui. » Sur quoi Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons aussi, afin de mourir avec lui. »

Alors que Lazare est mort, Jésus dit qu’il dort, ce qui provoque l’incompréhension des disciples. C’est que le maître fait un jeu de mots associant κοιμάομαι (dormir) avec la mort et ἐξυπνίζω (se réveiller) avec la résurrection. L’auteur du quatrième évangile, toujours précis, évite le terme technique ἐγείρω (se réveiller) qu’il réserve à la Résurrection : réveillé des morts, Lazare mourra de nouveau, contrairement au Ressuscité qui connaîtra la vie éternelle. Le « réveil » de Lazare n’est qu’un signe, une sorte de mise en abyme de la résurrection, destiné à affermir la foi des disciples, une sorte d’avant-goût de la résurrection. Comme les disciples sont un peu longs à comprendre, Jésus explicite son discours, ce qui provoque l’intervention de Thomas. 1. Le nom. – Il faut s’arrêter un instant sur le nom que l’évangéliste donne à l’apôtre, car, plus que les épisodes dont il est le héros par ailleurs selon Paul-Hubert Poirier 1, il explique sa postérité. Θωμᾶς ὁ λεγόμενος δίδυμος ( Jn 11, 16 ; 20, 24 ; 21, 2). En apparence, rien de plus simple : Θωμᾶς n’est que la transcription de l’araméen tômâ signifiant « jumeau » ; ce qu’un détour par le texte syriaque confirme, comme le souligne A. F. J. Klijn 2. C’est un nom rarissime puisque, en dehors des textes chrétiens, on n’en connaît qu’une occurrence, un Thomas fils de Simon qui joue le rôle de témoin dans les archives de Babatha (P. Yadin 10) 3. La glose ὁ λεγόμενος δίδυμος n’est donc qu’une traduction de ce nom, qui était à l’origine une épithète 4. Pourtant, cette explicitation ne cesse pas de soulever des questions. Quel est le nom propre de ce jumeau ? Et surtout, de qui peut-il bien être le jumeau 5 ? Thomas, anonyme célèbre, commencerait sa carrière comme le double d’un autre tellement connu qu’il est inutile de le nommer. 2. Le sens de la réplique de Thomas. – La réplique de Thomas est pleine de vigueur : Jésus dit « allons vers lui » (ἄγωμεν πρὸς αὐτόν) et Thomas répond ἄγωμεν ! Il se montre comme un disciple prêt à suivre son maître jusqu’à la mort. En effet, on prévient Jésus qu’en Judée tous veulent le lapi1. P.-H. POIRIER, « Évangile de Thomas, Actes de Thomas, Livre de Thomas. Une tradition et ses transformations », Apocrypha 7, 1996, p. 9-26. 2. A. F. J. KLIJN, « John XIV 22 and the Name of Judas Thomas », in J. N. SEVENSTER (éd.), Studies in John (Novum Testamentum Supplements 24), Leiden/Köln, Brill, 1970, p. 88-96. 3. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 416. 4. H. THYEN, Das Johannesevangelium (Handbuch zum Neuen Testament 6), Tübingen, Mohr Siebeck, 2005, p. 519. 5. J. MEIER, Un certain juif Jésus, vol. 3, Paris, Cerf, 2006, p. 138.

THOMAS, LE MYSTIQUE D’ ÉDESSE

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der. Plein de courage, Thomas défie la menace, et se montre comme un disciple qui a confiance et qui suit celui qui lui montre le chemin. Mais en même temps, comme le rappelle Barrett à la suite des Pères, sa réponse constitue une incompréhension complète du sens de la mort du Christ : qui peut s’associer à cette mort 6 ? En arrière-plan, pourtant, règne l’idée de solidarité et d’amour. Lazare n’est pas seulement une « leçon de choses », ni même seulement un ami de Jésus, il est « notre ami ». Le voyage ne se déroule pas simplement « en Judée » (comme au v. 7), mais « vers lui » (v. 15). Entre Jésus et ses disciples s’épanouit une belle communication : on l’appelle le κύριος, et on lui parle avec franchise, il se réjouit à la perspective de leur croyance. Thomas est même prêt à « mourir avec lui ». Lui-même est décrit comme un « jumeau » et est dépeint comme parlant à ses co-disciples (συμμαθηταί, seule occurrence où le mot apparaît dans le Nouveau Testament 7). Dans ce premier texte se dessinent les contours d’une figure. Deux traits la caractérisent : l’impulsivité et le caractère ardent, mais aussi le thème de la gémellité qui sera promis à un grand avenir. Cette figure se précise dans le deuxième texte, où Thomas se borne à poser une unique question : Jn 14, 2-6. – « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place. Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi. Vous savez où je vais, et vous en savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas ; comment pouvons-nous en savoir le chemin ? » Jésus lui dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie… »

Certes, il ne s’agit que d’une cheville dans un passage où les questions des apôtres permettent de faire transition entre de grands ensembles de discours 8 : elle permet à Jésus de faire sa grande déclaration sur le chemin et sur la vie. Il n’en reste pas moins que l’on retrouve ici notre apôtre dans la posture de l’interrogateur par excellence. B. L’« incrédulité » de Thomas L’épisode le plus célèbre mettant en scène Thomas se trouve à la fin de l’évangile. Il convient de le citer en entier :

6. C. K. BARRETT, The Gospel According To St. John : An Introduction with Commentary and Notes on the Greek Text, Philadelphia (PA), Westminster John Knox Press, 21978, p. 394. 7. T. L. BRODIE, The Gospel According to John : A Literary and Theological Commentary, New York, Oxford University Press, 1997, p. 392. 8. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 473.

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CHAPITRE 8

Jn 20, 24-29. – Thomas, appelé Didyme, l’un des douze [Θομᾶς δὲ εἷς ἐκ τῶν δώδεκα ὁ λεγόμενος Δίδυμος], n’était pas avec eux lorsque Jésus vint. Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur [ἑωράκαμεν τὸν κύριον] ». Mais il leur dit : « Si je ne vois [[ὰν μὴ ἴδω] dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets [βάλω] mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point [οὐ μὴ πιστεύσω]. » Huit jours après, les disciples de Jésus étaient de nouveau dans la maison, et Thomas se trouvait avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, se présenta au milieu d’eux, et dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Porte [φέρε] ici ton doigt, et regarde mes mains ; porte aussi ta main, et mets-la dans mon côté ; et ne sois pas incrédule, mais crois [καὶ μὴ γίνου ἄπιστος ἀλλὰ πιστός]. » Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu as cru [ὅτι ἑώρακάς με πεπίστευκας]. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! »

Le texte commence par une simple constatation : alors que la majorité des disciples se trouvait réunie pour voir Jésus, Thomas était absent. Pour une fois, il est nommé, « l’un des Douze », à l’instar de Judas, ce qui laisse supposer qu’il pourrait lui aussi tomber dans la désaffection 9. En effet, se trouver à l’écart du troupeau constitue une faute sérieuse, un péché qui demande miséricorde 10. En même temps, sachant que chez Jean, les Douze représentent souvent la communauté, Thomas est le porte-parole de tous les absents, qui veulent voir Jésus. Le message des disciples, « nous avons vu Jésus » reprend la confession de Marie-Madeleine, « j’ai vu le Seigneur » 11. Et justement, alors que Marie ne pouvait toucher (du moins selon la compréhension latine du μή μου ἅπτου), Thomas, demande à placer sa main. La réaction de Thomas ne se comprend pas sans prendre en considération la discontinuité entre les deux mondes exprimée dans le judaïsme de l’époque (voir en particulier l’Apocalypse de Baruch 40, 2 – 51, 3). La demande de pouvoir toucher ne signifie pas forcément que l’apôtre est totalement incrédule, comme le prétend souvent une lecture moderne. Il ne questionne pas la réalité de l’apparition de Jésus, mais celle de son apparition dans un corps : les fantômes ne manquent pas, tandis que les hommes ressuscités sont beaucoup plus rares 12 ! C’est bien le corps qui est en jeu 13 et la réalité corporelle de la résurrection. 9. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 570. 10. J. H. NEYREY, The Gospel of John (New Cambridge Bible commentary), Cambridge, Cambridge University Press, 2007, p. 328. 11. F. MOLONEY, The Gospel of John (Sacra Pagina), Collegeville (MI), Liturgical Press, 1998, p. 536. 12. X. LÉON-DUFOUR, Résurrection de Jésus et Message pascal (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1971, p. 44-50. 13. F. MOLONEY, The Gospel of John (Sacra Pagina), Collegeville (MI), Liturgical Press, 1998, p. 537.

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L’insistance sur les plaies n’est certes pas indifférente. La blessure passée, qui survit sous la forme de la plaie ou de la cicatrice, permet une confirmation de l’identité et de la singularité d’un corps. Face au corps qui change avec le temps qui passe au point de donner l’impression qu’il s’agit d’un autre corps, quelle autre manière pour s’assurer de son identité que de contempler ses cicatrices ? Aussi ne faut-il pas s’étonner du fort pouvoir identitaire de la cicatrice (qui va parfois jusqu’à la mutilation volontaire pour renforcer son identité comme dans la scarification ou le tatouage14), qui fut largement utilisé par la police moderne, en particulier depuis Bertillon 15. Bien plus, la plaie, résultat d’une blessure douloureuse, atteste qu’il y a eu événement, qu’il s’est passé quelque chose. C’est comme un tribut que la nature prélève sur notre corps en échange d’une certitude pour la mémoire. Pour Thomas, toucher la plaie, ce n’est pas simplement s’assurer de la réalité du corps, c’est également s’assurer de ce que Ricœur nommait la mêmeté 16 – au-delà des changements opérés par la mort et par la Résurrection, la plaie témoigne de l’identité du corps –, tout en recevant la confirmation des événements de la mort et de la Résurrection. Une fois mise en place la demande de Thomas, Jean multiplie les détails pour préparer le moment de la révélation. Huit jours plus tard nous place au dimanche : peut-être faut-il y lire une allusion aux assemblées eucharistiques où l’on peut « toucher » Jésus. Les portes étant fermées construit une opposition entre la réalité de ce qui va suivre (c’est un corps) et la fermeture de la pièce : Jésus passe par les portes closes. Certes, Jésus a bien un corps, mais c’est un corps un peu particulier. Jésus apparaît et prend la parole : « porte (φέρε) ici ton doigt, et regarde mes mains ; porte aussi ta main, et mets-la dans mon côté ». Il répète les paroles de Thomas sans avoir assisté à la scène précédente : comme Dieu, il sonde les reins et les cœurs 17. Et il lui montre les marques, preuve qu’il s’agit bien du même corps. Le texte lance la vénération des stigmates dont témoigne Rupert de Deutz, l’un des promoteurs de cette dévotion, qui les appelle Caritatis et obedientiæ signa, veneranda nostræ causæ patrocinia, nostrique amoris æterna incitamenta, et honoris impiorum perpetua incendia 18. 14. D. LE BRETON, La Peau et la Trace. Sur les blessures de soi (Traversées), Paris, Métailié, 2003, p. 21-81. 15. C’est ce que Bertillon nomme « faire parler les corps ». P. PIAZZA (éd.), Aux origines de la police scientifique. Alphonse Bertillon, précurseur de la science du crime, Paris, Karthala, 2011. 16. Sur cette notion voir la préface de P. RICŒUR, Soi-même comme un autre (L’Ordre philosophique), Paris, Seuil, 1990. 17. X. LÉON-DUFOUR, Lecture de l’Évangile de Jean (Parole de Dieu), vol. 4, Paris, Seuil, 1996, p. 246. 18. « Signes de charité et d’obéissance, soutien vénérable à notre cause, incitation éternelle à notre amour, incendie perpétuel de l’honneur des impies », cité par B. F. WESTCOTT, The Gospel According to Saint John…, p. 349.

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CHAPITRE 8

Et voici que Thomas ne songe plus à avancer la main, il n’a plus besoin du toucher 19, comme le remarque Augustin. Et sans doute même, si l’on en croit le texte, ne touche-t-il pas 20. En effet, son esprit est occupé par une confession qui le fait passer dans le monde spirituel 21 : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Par cette expression, il dit deux fois la même chose : κύριος est le terme technique de la LXX pour traduire Adonaï. Et , Thomas reprend l’invocation du Ps 32, 23 (LXX) adressé à Dieu : « Mon Dieu et mon Seigneur ». Comment comprendre cette proclamation ? Elle comporte certainement des sous-entendus politiques, comme le notait déjà Deißmann 22 qui citait l’inscription de Soknopaiou Nèsos (Dimê) dans le Fayoum (24 av. J.-C.) qui porte τῶι θεῶι καὶ κυρίωι Σοκνοπαίωι en l’honneur du dieu à tête de crocodile Soknopaios, l’un des parèdres d’Isis 23. Dire « mon Seigneur et mon Dieu », c’est faire pièce au paganisme. Et surtout, c’est s’opposer au culte impérial puisque Domitien est le premier à se faire appeler ainsi, comme l’affirme Suétone (Vie de Domitien 13) 24. Mais on peut également le lire comme la pointe de l’évangile, car Jean n’affirme que Jésus est Dieu qu’à trois moments : dans son état préincarné (1, 1), dans son état post-incarné (1, 18) et ici, dans son état post-résurrectionnel 25. Pourtant, la confession de Thomas est incomplète. En effet, on passe de « nous avons vu le Seigneur » à « mon Seigneur » : Thomas demeure limité dans une compréhension subjective. Et il faut la réponse de Jésus pour ouvrir le texte à la communauté : « parce que tu m’as vu, tu as cru (ὅτι ἑώρακάς με πεπίστευκας) ». Contrairement à ce qu’on lit souvent, il s’agit bien d’une félicitation adressée à Thomas. Le verbe conjugué au 19. AUGUSTIN, Sermon 158 ; AUGUSTIN, Homélies sur Jean 121. 20. La question de savoir si Thomas touche ou ne touche pas et les interprétations que l’on donne de ce toucher sont étudiés dans le beau livre de Glenn Most : G. W. MOST, Thomas l’incrédule (L’autre scène), 2005, trad. I. WIENAND, Paris, le Félin-Kiron, 2009. 21. T. L. BRODIE, The Gospel According to John…, p. 572. 22. A. DEISSMANN, Licht vom Osten, Tübingen, Mohr Siebeck, 1908, p. 264. L’inscription est citée p. 249. Elle a été republiée sous le n°73 par Étienne BERNAND, Recueil des inscriptions grecques du Fayoum III : La « Méris » de Polémôn, Leiden/Le Caire, Brill/IFAO, 1975, p. 143. 23. F. DUNAND, Le Culte d’Isis dans le bassin oriental de la Méditerranée (Études préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain), vol. 1, Leiden, Brill, 1973, p. 127-129. 24. B. A. MASTIN, « The Imperial Cult and the Ascription of the Title θεός to Jesus », in E. A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Evangelica VI. Papers Presented to the Fourth International Congress on New Testament Studies held at Oxford 1969 (Texte und Untersuchungen 112), Berlin, Akademie Verlag, 1973, p. 352-365. 25. R. M. BOWMAN, JR. et J. E. KOMOSZEWSKI, Putting Jesus in His Place : The Case for the Deity of Christ, Grand Rapids (MI), Kregel, 2007, p. 144.

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parfait (πεπίστευκας) exprime la complétude de l’action. Thomas est donc un croyant ! En outre, chez Jean, le voir n’est pas opposé au croire, comme le rappelle Jean 14, 19 : « encore un peu de temps et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez… » Pourtant, dans une exclamation héritée de la tradition pharisienne – dans un midrash de 250 sur l’Exode, un rabbin explique que ses disciples n’ont rien à envier à l’Israël sauvé de Dieu26 –, Jésus donne quitus à toutes les communautés postapostoliques : « Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! » On s’adresse ici aux chrétiens à venir, pour les rassurer de ne pas avoir contemplé le Christ ressuscité. Ce texte dresse ainsi une opposition très nette entre l’absence et la présence (Thomas absent / Thomas présent), entre le voir et le non-voir et entre le voir et le croire 27, mais il contient très probablement, un élément anti-docétiste 28 : Jésus est bien un corps et non une apparence. Le contact physique étroit n’est pas oublié, mais plutôt, transformé en contact spirituel, le contact de la foi. Comme dans le cas de Marie-Madeleine, l’élan vers le toucher physique a cédé la place au spirituel. L’épisode constitue le point d’orgue d’une sorte de « mini-tradition » johannique sur Thomas. Outre le nom qui servira à toutes les appropriations, le quatrième évangile présente Thomas comme l’apôtre qui sait interroger, mais aussi comme l’apôtre qui a rapport avec le voir et le croire. Il veut toucher le Ressuscité, c’est une demande mystique, comme nous l’avons vu. Il manifeste une certaine incrédulité, mais cela lui permet d’acquérir une certaine connaissance. Même s’il a exprimé un doute, Jésus lui a pardonné et a répondu à ses questions. Il a accédé à sa demande : Il n’est pas surprenant, dès lors, que Thomas devienne un intercesseur. Son rôle est finalement confirmé par sa présence lors de l’apparition au bord du lac de Tibériade ( Jn 21, 2) : Thomas fait partie du cercle des disciples favorisés d’une apparition privée. II. T HOMA S , L ’ APÔTRE

MYSTIQUE D ’É DESSE

En dehors de l’évangile de Jean, Thomas est à peu près inconnu pendant les deux premiers siècles. À partir du IIIe siècle, on lui assigne l’évangélisation des Parthes. Mais c’est bientôt à Édesse qu’il se retrouve. En compagnie d’Addaï/Thaddée, il est en effet le patron de la capitale de l’Osroène. 26. H. STRACK et P. BILLERBECK, Das Evangelium nach Johannes erläutert aus Talmud und Midrash, München, Beck, 1922, p. 586. 27. R. SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium (Herders Theologischer Kommentar zum NT 4), vol. 3, Freiburg, Herder, 1975, p. 392. 28. G. RICHTER, « Die Fleischwerdung des Logos im Johannesevangelium », Novum Testamentum 13, 1971, p. 81-126.

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En contact avec les milieux du christianisme syriaque, il acquiert la stature d’un mystique que viennent confirmer un évangile et des actes. A. Thomas de la Parthie à Édesse D’abord apôtre des Parthes, Thomas devient à partir du d’Édesse. Il faut suivre pas à pas ses migrations.

IVe

siècle celui

1. Thomas apôtre des Parthes Au cours du IIIe siècle, on pensait que Thomas était l’évangélisateur des Parthes. C’est bien l’opinion d’Origène, conservée au début du troisième livre de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée que nous avons déjà eu l’occasion de citer. Cette attestation de l’évangélisation des Parthes par Thomas se retrouve chez les historiens ecclésiastiques comme Socrate 29 et chez Eucher de Lyon 30. Thomas serait donc l’évangélisateur de cette vaste région iranienne, actuellement située entre l’Iran et l’Afghanistan, sur laquelle règne un empereur de 190 av. J.-C. à 224 apr. J.-C. Elle s’étendait de la Médie (l’actuel Azerbaïdjan), au nord-ouest à l’Hyrcanie (le sud de la mer Caspienne dans l’Iran actuel), au nord-est à la Margiane (le Turkménistan) et au sud-est l’Arie (le Khurasan iranien et la région de Hérat en Afghanistan). Cette contrée, fertile et bien irriguée dans l’Antiquité, comptait de nombreuses forêts et était la capitale d’un empire florissant quoiqu’encore assez méconnu 31. Cette tradition existait aussi en Syrie comme le prouve une citation du roman pseudo-clémentin : Chez les Parthes, comme nous l’a écrit Thomas qui prêche l’Évangile chez eux, peu nombreux désormais sont ceux qui s’adonnent à la polygamie 32.

On connaît les liens qu’entretient le texte avec le philosophe de la cour d’Édesse, Bardesane : manifestement, aux alentours de 220, en Syrie, on croyait encore à l’apostolat parthe de Thomas. La légende édessénienne est donc plus tardive.

2. Thomas à Édesse Tout change vers le milieu du IVe siècle, où l’on voit bien que Thomas prend de l’importance à Édesse. Cette tradition édessénienne ne paraît pas 29. « Thomas reçut la mission des Parthes, Matthieu l’Éthiopie, Barthélemy eut en partage l’Inde limitrophe de celle-ci », SOCRATE, Hist. Eccl. I, 19, trad. P. PÉRICHON et P. MARAVAL (SC 477), 2004, p. 191. 30. Tomas tetendit in Parthos. EUCHER DE LYON, Instructionum ad Salonium, éd. C. MANDOLFO (CCSL 66), 2004, p. 177. 31. Sur les Parthes, on lira les Actes du colloque de 1996 d’Eutin qui fait un bon état des lieux : J. WIESEHÖFER (éd.), Das Partherreich und seine Zeugnisse (Historia Einzelschriften 122), Stuttgart, Steiner, 1998. 32. Reconnaissances IX, 29, 2, ÉAC II, p. 1945.

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imputable à la littérature apocryphe33, mais bien à une vénération ancienne pour Thomas qui pourrait remonter à l’Évangile de Thomas dont on va parler dans un instant. Il est impossible de prouver, comme le prétendait Koester, que Thomas soit l’évangélisateur d’Édesse 34. Aussi a-t-on fait plusieurs hypothèses pour expliquer l’émergence de son culte. 1. L’influence du cycle d’Addaï sur Thomas et la confusion avec Jude. – Nous aurons amplement l’occasion d’expliciter ce cycle dans notre chapitre sur Jude. Disons simplement que la légende de la fondation de l’Église d’Édesse mentionne l’apôtre Addaï, l’un des Soixante-dix. Celui-ci aurait apporté dans la cité d’Osroène une lettre de Jésus au roi Abgar, qui s’en serait trouvé guéri et aurait été converti. Or, Addaï a été ensuite confondu avec Thaddée, l’autre nom de l’apôtre Jude. Le rattachement à Thomas se fit par une seconde confusion. On sait que Jude est également le nom de l’un des frères du Christ (Mt 13, 55). Or Thomas, nous l’avons vu, est aussi nommé le jumeau. Pourquoi Thomas ne serait-il pas Jude, le frère du Christ ? Aussi l’appela-t-on souvent « Judas Thomas ». Le raisonnement est donc le suivant : SI Addaï = Thaddée = Jude, SI Jude est le frère du Seigneur ET SI le nom de Thomas signifie frère jumeau, ALORS Thomas est le Jumeau du Seigneur. La Doctrine de l’apôtre Addaï (CANT 89 = BHO 24) ne fait pas cette confusion, mais associe clairement les deux personnages. Le but de cet écrit, composé sans doute entre le IIIe siècle (origine des légendes) et le Ve siècle, est d’affirmer la légitimité apostolique des évêques monophysites d’Édesse. Il affirme : Après que le Christ fut monté au ciel, Judas Thomas envoya à Abgar l’apôtre Addaï, celui qui avait été l’un des 72 disciples 35.

On constate donc une filiation entre Thomas et son substitut Addaï, auquel se substitue Thaddée. Avec toutes ces confusions, il n’est pas surprenant que Thomas soit devenu l’apôtre d’Édesse 36. L’association de Thomas alias Jude avec la Syrie pourrait avoir été renforcée par le souvenir de la présence de membres de la famille de Jésus dans la région. Eusèbe de Césarée nous apprend en effet que des parents de 33. É. JUNOD, « Origène, Eusèbe et la tradition sur la répartition des champs de mission des apôtres », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 233-248. 34. H. KOESTER, « Γνῶμαι διάφοροι. The Origin and Nature of Diversification in the History of Early Christianity », Harvard Theological Revue 58, 1965, p. 279318 (296-297). 35. Doctrine de l’apôtre Addaï 7. Trad. A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar et de Jésus (Apocryphes 3), Turnhout, Brepols, 1993. 36. J. B. SEGAL, Edessa « the Blessed City », Oxford, Oxford University Press, 1970, p. 65-67.

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Jésus qu’il nomme desposynoi (δεσπόσυνοι, « ceux du Seigneur ») étaient partis de Nazareth et de Kaukab pour défendre leur généalogie dans tout le pays (τῇ λοιπῇ γῇ) 37, et donc peut-être jusqu’en Syrie 38. En effet, des sources médiévales expriment la croyance que certains évêques de SéleucieCtésiphonte descendaient de la famille de Jésus 39. Puisque la contrée était le lieu d’élection des δεσπόσυνοι comment ne pas y associer celui que l’on prenait pour le toma du Seigneur, Jude-Thomas ? 2. L’influence d’un culte des reliques. – La seconde explication d’une liaison entre Thomas et Édesse pourrait s’expliquer par le culte qui lui était rendu dans la capitale de l’Osroène. Selon la tradition byzantine, Thomas était enterré à Édesse, comme le rappelle Jean Chrysostome 40. Ce culte du tombeau de Thomas à Édesse se voit attesté par Égérie vers 384 et par Socrate sous le règne de Valens (365-378) 41. Écoutons Égérie : Repartant de là [Batanis], nous sommes arrivés, au nom du Christ notre Dieu à Édesse. Dès notre arrivée, nous nous sommes rendus aussitôt à l’église et au martyrium de saint Thomas. Selon notre habitude, nous avons fait des prières et tout ce que nous avions coutume de faire dans les lieux saints ; nous avons lu aussi quelques textes de saint Thomas [aliquanta ipsius sancti Thomæ]. L’église qui est là est immense et très belle, agencée de neuf, de sorte qu’elle est vraiment digne d’être la maison de Dieu 42.

Les aliquanta ipsius sancti Thomæ désignent des textes qui circulaient alors, peut-être les Actes de Thomas 43. Il traduit en tout cas la popularité de l’apôtre dans la ville. Égérie nous invite à distinguer deux édifices. L’église, d’une part, nous est connue par la Chronique d’Édesse. Elle fut endommagée par une inondation en 201, mais fut ensuite reconstruite et embellie

37. EUSÈBE DE CÉSARÉE, H. E. I, 7, 14, trad. G. BARDY (SC 31), ad loc. « Des gens avisés en petit nombre gardèrent dans leur mémoire les noms de leur propre généalogie ou en conservèrent des copies : ils étaient très fiers d’avoir sauvé le souvenir de leur noblesse. Parmi eux se trouvaient ceux dont j’ai parlé plus haut, qu’on nomme dominicaux (δεσπόσυνοι) à cause de leur parenté avec le Sauveur : partis des bourgs juifs de Nazareth et de Cochaba, ils s’étaient dispersés dans le reste du pays et avaient recherché avec tout le soin dont ils étaient capables la suite de leur lignée dans le Livre des Jours. » 38. R. BAUCKHAM, « The Relatives of Jesus », Themelios 21, 1996, p. 18-21. 39. F. JULLIEN, « Des ‘Frères du Seigneur’ sur le siège primatial de Perse », Apocrypha 14, 2003, p. 225-236. 40. JEAN CHRYSOSTOME, Hom. 26 in Heb. 2. 41. « Dans cette ville se trouve un martyrium de l’apôtre Thomas, magnifique et renommé », SOCRATE, Hist. Eccl. IV, 18, trad. P. PÉRICHON et P. MARAVAL, (SC 505), 2006, p. 72. 42. ÉGÉRIE, Journal de Voyage, trad. P. MARAVAL (SC 296), 2002, p. 202-205. 43. K. A. D. SMELIK, « Aliquanta ipisius sancti Thomæ », Vigiliæ Christianæ 28, 1974, p. 290-294.

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par l’évêque Qôna et son successeur, comme nous l’apprend la Chronique 44. Le martyrium de saint Thomas, d’autre part, était un édifice distinct, probablement situé hors de la cité 45. Dix ans après le passage d’Égérie, une nouvelle église, consacrée à Thomas fut construite et on y transféra les reliques de l’apôtre. Le souvenir de cette translation est conservé dans la Chronique d’Édesse, qui affirme : « l’an 705 des Grecs, le 22e jour du mois d’âb (août), on porta le sarcophage de Mar Thomas l’apôtre dans sa grande église aux jours de l’évêque Mar Qūrâ [Cyrus] 46. » Jérôme mentionne ce tombeau dans une lettre 47. L’empereur Valens visite le Martyrium comme en témoignent Socrate et Sozomène 48. Rufin d’Aquilée parle de Edessa namque Mesopotamiæ urbs fidelium populorum est, Thomæ apostoli reliquiis decorata 49. La Chronique anonyme, autrefois attribuée à Denis de Tell-Mahré, qui date du IXe siècle, indique que les reliques de Thomas protégèrent la ville contre le vent de folie qui gagna Amida en 560 50. Elles n’eurent manifestement pas le même pouvoir au XIIe siècle. On sait que lors de l’arrivée à Édesse de l’atabek ‘Imâd ad-Dîn Zengi (Zengi II) en 1170, le sanctuaire fut transformé en écuries51. Cette prise d’Édesse est rapportée par Guillaume de Tyr qui raconte comment le roi Sanguinus (Zengi) prit la ville où se trouvent les corps du bienheureux Thomas et du bienheureux Abgar 52. Une urne, signalée par Grabar et Leroy, trouvée vers Antioche prouve la dispersion des reliques : l’inscription qu’elle porte affirme qu’elle contient des reliques de Thomas et de Syméon le Stylite 53. Les reliques de Thomas se sont alors retrouvées à

44. I. GUIDI, « Chronicon Edessenum », in Chronica Minora I (CSCO I-II, Scriptores Syri 1-2), Louvain, Peeters, 1903, p. 3-5, n° 1, 12, 14, 16 et 29. 45. P. DEVOS, « Égérie à Édesse. Saint Thomas l’apôtre. Le roi Abgar », Analecta Bollandiana 85, 1967, p. 381-400. 46. Chronique d’Édesse 38, in Ibid., p. 5. 47. JÉRÔME DE STRIDON, Épître 50 à Maximilla. 48. SOCRATE, Hist. Eccl. IV, 18, éd. P. PERRICHON et P. MARAVAL (SC 505), 2005, p. 73). SOZOMÈNE, Hist. Eccl. VI, 18, éd. A.-J. FESTUGIÈRE (SC 495), 2005, p. 327330). 49. RUFIN D’AQUILÉE, Hist. Eccl. XI, 5, éd Th. MOMMSEN (Corpus Berolinense 9.2), 1908, p. 1008 (PL 21, 513). 50. R. HESPEL, Chronicon anonymum Pseudo-Dionysianum uulgo dictum (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 507 Scriptores Syri 213), Lovanii, Peeters, 1989, p. 87-88. 51. R. DUVAL, Histoire politique, religieuse d’Édesse jusqu’à la première croisade, Paris, Imprimerie Nationale, 1892, p. 278-279. 52. GUILLAUME DE TYR, Historia Rerum in partibus Transmarinis gestarum XVI, 3 (PL 201, 642). 53. J. LEROY, « À Propos de l’inscription syriaque du reliquaire d’Istanbul », Cahiers archéologiques 16, 1966, p. 17-22 ; A. GRABAR, Le Premier Art chrétien (200395) (L’Univers des Formes), Paris, Gallimard, 1960, p. 48-49.

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Chios puis à Ortone depuis 1258 où elles ont été transférées sur l’ordre de Manfred de Tarante 54. De quand date la translation de reliques vers Édesse ? La Passio Sancti Thomæ (CANT 245.2.1, BHL 8136), un texte fort tardif (autour du VIIIe s.) édité par K. Zelzer 55 affirme qu’elle prit place sous le règne d’Alexandre Sévère (empereur de 222 à 235) au retour de sa victoire sur Artaxerxés (Ardachîr Ier), soit en 232, et que le corps fut placé dans une châsse d’argent 56. Cette histoire est rapportée également par Orderic Vital (1075-1143) dans son Histoire de Normandie 57. Vu le caractère tardif de ces attestations, il est impossible de savoir s’il convient ou non de retenir cette légende.

3. Y a-t-il une école thomasienne à Édesse ? Le déplacement de la tradition de Thomas à Édesse est-il à l’origine d’une « école » ? Les débats ont été farouches pour savoir si les écrits placés sous l’autorité de Thomas proviennent d’un unique milieu. L’idée d’une école de pensée de Thomas 58 remonte à H.-C. Puech qui fit remarquer que les Actes de Thomas montrent une connaissance de l’Évangile de Thomas 59. Pour Bentley Layton 60, tout laisse penser qu’il y eut une « école » thomasienne. En effet, dans tous les écrits rapportés à Thomas, le motif du jumeau est important : se connaître soi-même, c’est connaître son double divin. En outre, tous les écrits rapportés à Thomas ont une conception particulière du moi : celle-ci n’a rien de théologique ou de mythologique, elle présuppose simplement un mythe hellénistique simple de l’origine divine du moi.

54. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 112-116. 55. K. ZELZER, Die alten lateinischen Thomasakten (Texte und Untersuchungen, 122), Berlin, Akademie-Verlag, 1977, p. 3-42. 56. Denique supplicantes Syri ab Alexandro imperatore Romano ueniente uictore de Persidis prœlio Xerse rege deuicto impetrarunt hoc ut mitteret ad regulos Indorum ut redderent defunctum ciuibus. Sicque factum est ut translatum esset de India corpus catenis argenteis. K. ZELZER, Die alten lateinischen Thomasakten…, p. 41. 57. ORDERIC VITAL, Histoire de Normandie II (Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France), éd. F. GUIZOT, Caen, Mancel, 1826, p. 305. 58. B. LAYTON, The Gnostic Scriptures, Garden City (N. Y.), Doubleday, 1983, p. 359-364 parle d’une « école de Saint Thomas ». G. RILEY, « Thomas Tradition and the Acts of Thomas », SBL Seminar Papers 30, Atlanta (GA), Scholars, 1991. G. RILEY, Resurrection Reconsidered : Thomas an John in Controversy, Minneapolis, Fortress, 1995. 59. H.-C. PUECH, En quête de la gnose, vol. 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 43-44 ; 210-216 ; 286-288. 60. B. LAYTON, The Gnostic Scripture, Garden City (N. Y.), Doubleday, 1987, p. 358-409.

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J. G. Riley 61 élabore l’idée d’une communauté thomasienne sur le modèle de la communauté johannique. En effet, les deux apôtres fonctionnent comme des garants de la tradition, les deux sont présentés avec une identité complexe. Cependant, les parentés entre les textes censés être « thomasiens » sont beaucoup trop faibles pour établir une communauté. Cependant, comme le note Risto Uro 62, comment parler d’une « école thomasienne », alors que nous ne disposons que de quelques éléments textuels ? En outre, quelle continuité (autre que le personnage de Thomas) observer entre les logia de l’Évangile de Thomas, les récits des Actes et les discours du Livre ? D’accord avec P.-H. Poirier 63, il estime qu’il vaut mieux parler d’une « tradition », cumulative qui part de l’Évangile et influence les Actes puis le Livre. Comment rendre compte des parentés constatées entre les différents textes sinon par l’identité géographique ? Les textes thomasiens entretiennent la proximité que leur donne leur commune origine : la Syrie, dont le christianisme est à chercher dans les milieux juifs 64. En parlant de christianisme syriaque, il convient de ne pas sous-estimer la diversité des traditions de Syrie 65. Quoi de commun en effet entre la sagesse policée, cultivée et finalement optimiste d’un Bardesane (154-222) et les errants de Syrie dont parle Sozomène et que A. Vööbus 66 a étudiés ? Ils furent appelés βοσκοί [brouteurs] et ils avaient récemment pris l’initiative d’une telle philosophie. On leur donne ce nom, car ils n’avaient pas de maisons, ne mangeaient ni pain ni aliment cuit et ne buvaient pas de vin, mais ils habitaient constamment dans les montagnes, priant Dieu continuellement avec les prières et des hymnes selon la prescription de l’Église.

61. J. G. RILEY, Resurrection Reconsidered : Thomas and John in Controversy, Minneapolis (MI), Fortress, 1995. 62. R. URO, Thomas. Seeking the Historical Context of the Gospel of Thomas, London/New York, T&T Clark, 2003, p. 24. 63. P.-H. POIRIER, « Évangile de Thomas, Actes de Thomas, Livre de Thomas. Une tradition et ses transformations », Apocrypha 7, 1996, p. 9-26. 64. L. W. BARNARD, « The Origins and Emergence of the Church in Edessa during the First Two Centuries A. D. », Vigiliæ Christianæ 22, 1968, p. 161-175. 65. H. J. W. DRIJVERS, « Apocryphal Literature in the Cultural Milieu of Osrhoëne », Apocrypha 1, 1991, p. 231-247. 66. A. VÖÖBUS, History of Asceticism in the Syrian Orient. A Contribution to the History of Culture in the Near East, I. The Origin of Asceticism. Early Monasticism in Persia (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 184, Subsidia 14), Louvain, Secretariat du Corpus SCO, 1958, p. 150-157 ; ID., History of Asceticism in the Syrian Orient. A Contribution to the History of Culture in the Near East, II. Early Monasticism in Mesopotamia and Syria (Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 197, Subsidia 17), Louvain, Secrétariat du Corpus SCO, 1960, p. 22-35.

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Au moment des repas, ils prenaient chacun une faucille et erraient dans les montagnes et se nourrissaient de plantes sauvages comme s’ils broutaient 67.

Plus que Bardesane, ces moines itinérants constituent d’excellents candidats pour expliquer l’émergence d’une tradition thomasienne. Venus des milieux chrétiens d’origine juive, on les retrouve jusqu’au VIe siècle, où ils continuent à pratiquer l’ascétisme 68 et la prière. Ils manifestent une certaine propension à s’extrémiser avec le temps 69. Leur ascétisme est vécu comme imitation du Christ, comme la forme la plus haute d’une vie chrétienne, ainsi que nous le prouve la Lettre aux Vierges de Clément dont Harnack a bien vu le lien avec l’émergence de la vie monastique 70. Tous ces éléments se retrouvent dans la tradition thomasienne. Avant de la parcourir, notons que nous laissons volontairement de côté le récit d’enfance mis sous le patronage de cet apôtre, tant il pose de questions sur sa provenance et sur le « Thomas » dont il est question. S’agit-il de l’apôtre ou bien du disciple de Mani ? Faut-il le rattacher à l’ère syriaque, comme nous l’autoriseraient les nombreux traits d’un christianisme juif ? L’absence de l’attribution à Thomas dans les manuscrits anciens renforce encore l’hésitation et conduit à penser qu’elle est tardive et finalement, assez peu significative 71. B. La première phase – l’Évangile de Thomas : légitimer l’apôtre La première phase 72 de la tradition thomasienne est constituée par l’Évangile de Thomas (CANT 20), découvert à la fin du XIXe siècle, qui fut promu à une célébrité parfois un peu hors de propos, certains n’hési67. SOZOMÈNE, Hist. Eccl. VI, 33, 2 éd. J. BIDEZ et A.-J. FESTUGIÈRE (SC 495), 2005, p. 424-425. τούτους δὲ καὶ βοσκοὺς ἀπεκάλουν, ἔναγχος τῆς τοιαύτης ἂιλοσοἂίας ἄρξαντας. ὁνομάξουσι δὲ αὐτοὺς ὧδε, καθότι οὔτε οἰκήματα ἔχουσιν οὔτε ἄρτον ἢ ὄψον ἔσθίουσιν οὔτε οἶνον πίνουσιν, ἐν δὲ τοῖς ὄρεσι διατρίβοντες, ἀεὶ τὸν θεὸν εὐλογοῦσιν ἐν εὐχαῖς καὶ ὕμνοις κατὰ θεσμὸν τῆς ἐκκλησίας. τροἂῆς δὲ ἡνίκα γένηται καιρός, καθάπερ νεμόμενοι, ἅρπην ἔχων ἕκαστος, ἀνὰ τὸ ὄρος περιιόντες τὰς βοτάνας σιτίζονται. 68. D. CANER, Wandering, Begging Monks : Spiritual Authority and the Promotion of Monasticism in Late Antiquity, Berkeley (CA), University of California Press, 2002, p. 50-57. S. P. BROCK, « Early Syrian Asceticism », Numen 20, 1973, p. 1-19. 69. H. J. W. DRIJVERS, « Edessa und das jüdische Christentum », Vigiliæ Christianæ 24, 1970, p. 4-33. 70. A. VON HARNACK, « Die pseudoclementinischen Briefe De virginitate und die Entstehung des Mönchtums », Sitzungsberichte der königlich-preußischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin 21, 1891, p. 381–382. 71. Revue des hypothèses de datation et d’attribution dans T. BURKE, De infantia Jesu Evangelium Thomæ (Corpus christianorum Series Apocryphorum 17), Turnhout, Brepols, 2010, p. 200-212. 72. L’idée des phases vient de P.-H. POIRIER, « La figure de Thomas dans la littérature antique », Dossiers d’Archéologie 236, 1998, p. 82-85. Pour une énumération

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tant pas à le qualifier de « quatrième évangile synoptique 73 ». En ce qui concerne notre enquête, il ne nous apportera pas de grandes avancées : la figure de l’apôtre s’y fait relativement discrète.

1. Un évangile qui fait du bruit En 1897, Grenfell & Hunt, qui fouillent le Fayoum pour le compte de l’Egypt Exploration Fund, découvrent une feuille de papyrus (P. Oxy. 1) qu’ils nomment Sayings of Our Lord 74. Ils l’attribuent à l’Évangile des Égyptiens ou à l’Évangile des Hébreux, sans autre forme de procès. En 1903, trois autres feuilles sont découvertes (P. Oxy. 654), nommés New Sayings of Jesus 75. Ces textes ne firent pas grand bruit jusqu’à la découverte en 1945 de l’évangile complet à Nag Hammadi. 114 logia furent traduits en 1959. Immédiatement, Grant et Freedman 76 ainsi que McArthur 77 posèrent la question de la dépendance de ces textes avec le matériau présynoptique et les datèrent du IIe siècle. En revanche, Wright 78 et Jeremias 79 y virent une origine gnostique et proposèrent une datation tardive. Depuis la découverte des logia en 1897, l’intérêt connut plusieurs pics 80 : une grande ferveur autour de 1960 puis de 1965, une décrue jusqu’en 1975 et une lente remontée jusqu’en 2005. Le pic important (300 livres parus entre 1959 et 1962) s’explique par la traduction complète du sahidique de 1959. Le renouveau d’intérêt s’explique à partir de 1977 et 1996 par la traduction de la Nag Hammadi Library. Actuellement, on vit sur une appropriation idéologique des textes : beaucoup de voix aimeraient faire de ce texte la tradition authentique, une sorte de recueil d’ipsissima verba de Jésus, plus fidèle que les évangiles canoniques. Il convient cependant d’être assez ferme dans notre jugement : les logia de l’Évangile de Thomas ne sont pas plus authentiques que ceux des évangiles. Ils résultent eux aussi d’un long processus d’écriture. Comme des textes : Simon MIMOUNI, art. « Thomas », Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, 1991, col. 708-718. 73. S. DAVIES, « The Fourth Synoptic Gospel », Biblical Archæologist 46, 1983, p. 6-9.12-14. 74. B. P. GRENFELL et A. S. HUNT, Λογία Ἰησοῦ. Sayings of our Lord, London, Frowde, 1897. 75. B. P. GRENFELL et A. S. HUNT, New Sayings of Jesus and a Fragment of a Unknown Gospel from Oxyrhynchos, London, Oxford University Press, 1904. 76. R. M. GRANT et D. N. FREEDMAN, The Secret Sayings of Jesus, London, 1960. 77. H. K. MACARTHUR, « The Dependence of the Gospel of Thomas on the Synoptics », Expository Times 71, 1960, p. 286-287. 78. L. E. WRIGHT, Alteration of the Words of Jesus as Quoted in the Literature of the Second Century, Cambridge, Harvard University Press, 1952. 79. J. JEREMIAS, Unbekannte Jesusworte (Abhandlungen zur Theologie des Alten und Neuen Testaments 16), Zürich, Zwingli-Verlag, 1948. 80. D. W. KIM, « The Wind-Blowing Desert : Thomasine Scholarship », Journal of Coptic Studies 8, 2006, p. 87-101.

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ceux-ci, ils reflètent une doctrine, en l’occurrence d’origine syriaque et peut-être édessénienne 81 : selon S. Patterson, ils pourraient se rattacher à ces itinérants prophètes 82 dont nous avons déjà parlé.

2. Une faible présence de Thomas On ne va pas entrer dans les détails de cet évangile, pour ne pas perdre Thomas de vue. Et lorsqu’on se fixe uniquement sur l’apôtre, on ne peut s’empêcher d’éprouver une bien grosse déception : sa présence est très faible. On le retrouve bien entendu au début du texte : Voici les paroles cachées que Jésus le vivant a dites et qu’a écrites Jude appelé aussi Thomas 83

Les paroles cachées, οἱ λόγοι οἱ ἀπόκρυφοι, recouvrent bien entendu des révélations privées. Ce sont des logia conservés pour les initiés 84. Et la dénomination Jude-Thomas dénote l’origine syrienne de l’évangile 85. Cet appellatif se retrouve dans une leçon de la vieille-syriaque. En outre, nommer Jésus « le vivant » est propre aux traditions syriennes 86. On peut en déduire que Thomas était certainement un prête-nom facile pour les révélations, sa figure servant à accréditer un discours issu du christianisme syriaque 87. Thomas n’apparaît plus dans l’évangile à l’exception du logion 13. Celuici commence comme une reprise de Mc 8, 29 ou de Lc 9, 20 Jésus disait à ses disciples : Comparez-moi et dites-moi à qui je ressemble ? Simon-Pierre lui dit : Tu ressembles à un ange juste. Matthieu lui dit : Tu ressembles à un sage philosophe. Thomas lui dit : Maître, ma bouche n’acceptera pas de dire à qui tu ressembles. Jésus lui dit : Je ne suis plus ton

81. A. F. J. KLIJN, « Das Thomasevangelium und das altsyrische Christentum », Vigiliæ Christianæ 15, 1961, p. 146-159. A. D. DECONICK, « The Gospel of Thomas », The Expository Times 118, 2007, p. 469-479. 82. S. J. PATTERSON, The Gospel of Thomas and Jesus, Sonoma (CA), Polebridge, 1993. 83. P. Oxy. 654, 1-5. – οἷτοι οἱ λόγοι οἱ ἀπόκρυφοι οὓς ἐλάλησεν Ἰη(σοῦ)ς ὁ ζῶν καὶ ἔγραψεν Ἰούδα ὁ καὶ Θωμᾶ. B. P. GRENFELL et A. S. HUNT, New Sayings of Jesus…, p. 11. 84. A. D. DECONICK, The Original Gospel of Thomas in Translation (Library of New Testament Studies 287), Sheffield, T&T Clark, 2006, p. 44. 85. W. EISELE, Welcher Thomas ? Studien zur Text- und Überlieferungsgeschichte des Thomasevangeliums (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 259), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 52-56. 86. J. D. CROSSAN, Four Other Gospel : Shadows on the Contour of Canon, Minneapolis (MN), Winston, 1985, p. 23-24. 87. B. MACK, The Making of the Christian Myth, San Francisco (CA), HarperSanFrancisco, 1995, p. 199-206 ; 225-228. Voir également W. EISELE, Welcher Thomas ?…, p. 62-66.

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Maître puisque tu as bu et que tu t’es enivré à la source bouillonnante d’où moi-même je jaillis… Il le prit, se retira et lui dit trois paroles… 88

Par rapport aux évangiles canoniques, la différence est très évidente : ce n’est plus Pierre qui a la bonne réponse, mais Thomas. Comme le dit Jean-Daniel Dubois, le logion « construit une trajectoire apostolique de référence, qui part de Jérusalem avec Jacques, pour aller vers le nord de la Galilée ou la région d’Antioche avec Matthieu, la ville d’Antioche avec Pierre, et la Syrie de la région d’Édesse avec la figure de Thomas 89. » C’est que la question a changé : on n’est plus sur une interrogation à propos de ce que les gens disent, mais sur la perception ; on n’est plus dans une pensée du témoignage, mais dans une pensée de l’être. Les réponses données sont intéressantes. L’« ange juste » de Pierre correspond à un judaïsme un peu plat. Le « sage philosophe » de Matthieu reprend la réponse du paganisme. Thomas lui se lance sur le thème de l’ineffable : « ma bouche n’acceptera pas de dire », qui est véritablement un motif mystique dans toutes les religions, qu’elles soient occidentales ou orientales 90. « Phrases que tout cela, accessibles à ceux-là seuls pour qui tout ce bas monde ne vaut pas plus qu’un sou, et voix de derrière la porte ; mais l’on sait que les conversations des hommes, dès que l’on se rapproche, s’assourdissent en un murmure » disait Hallâj 91. La réponse de Jésus qui reprend la thématique de la source se construit à partir de Jean et d’un contexte baptismal : on verra le thème refleurir dans la gnose (« source d’eau vive » Secrets de Jean 4, 20 ; Ogdoade et Ennéade 52, 15-20 : « c’est en moi [dit le Père] que la Puissance est conçue. En effet, lorsque j’eus conçu par la source qui coule en moi, je l’engendrai. » Apocryphon de Jean) Le fait que Thomas soit alors pris à part justifie sans doute le titre de l’ouvrage : une révélation particulière lui a été apportée. Quand Thomas revint vers ses compagnons, ils l’interrogèrent : Que t’a dit Jésus ? Thomas leur répond : Si je vous disais une seule des paroles qu’il m’a dites, vous prendriez des pierres, vous les jetteriez contre moi ! Un feu sortirait de ces pierres et vous seriez consumés 92…

Ce dernier passage devrait être placé en épigraphe à tout écrit apocryphe, tant il est caractéristique ! Le caractère secret et privé des révélations se jus88. Évangile de Thomas 13, trad. C. GIANOTTO, ÉAC I, p. 35. 89. J.-D. DUBOIS, « La figure de Thomas dans quelques textes apocryphes », in F.-M. HUMANN et J.-N. PÉRÈS (éds.), Les Apocryphes chrétiens des premiers siècles, mémoire et traditions (Théologie à l’Université), Paris, DDB, 2009, p. 149-170 (159). 90. B. BARZEL, Mystique de l’ineffable : dans l’hindouisme et le christianisme : Çankara et Eckhart (Essais), Paris, Cerf, 1982. 91. L. MASSIGNON, « Le Dîwân d’Al-Hallâj, essai de reconstitution, édition et traduction », Journal Asiatique 218, 1931, p. 1-158 (31). 92. Évangile selon Thomas 13, trad. C. GIANOTTO, ÉAC I, p. 35.

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tifie par un argument double. Non seulement les révélations sont tellement surprenantes qu’elles sont de l’ordre du scandale, mais surtout elles sont dangereuses : parole de feu, elles sont salut pour ceux qui les comprennent et malédiction pour ceux qui les rejettent. Ce passage,qui constitue un démarquage de la confession de Pierre, pose Thomas dans une position particulièrement élevée. Simon Pierre avait pu répondre « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16, 16). Thomas est présenté comme le double de Pierre, mais un double qui se tient dans le silence, ce qui est précisément le propre de celui qui sait que Dieu échappe à jamais aux mots. En arrière-plan se dessine une mise en concurrence des apôtres : alors que Pierre prend une option juive, Matthieu une option helléniste, Thomas remporte l’épreuve en choisissant la voie mystique. Il adopte ainsi la posture classique de l’initié. C. La deuxième phase, d’Édesse à l’Inde Ce rôle d’initié et de mystique, Thomas va le retrouver dans les Actes de Thomas qui décrivent son apostolat jusqu’en Inde. La tradition indienne est un peu plus tardive que l’Évangile ( IIIe-IVe siècle), mais extrêmement vive, car elle est liée à l’histoire du christianisme syro-malabar. Elle ne nous fait pas sortir des milieux édesséniens, car l’Église de Thomas est fondée à partir d’Édesse et Édesse elle-même la valide.

1. Les traditions d’Édesse et d’Inde a . D’Édesse à l’Inde Dès le IVe siècle, l’Église d’Édesse a cru en une translation de reliques pour expliquer la présence de l’apôtre Thomas dans la ville : Thomas serait mort en Inde et ses reliques auraient ensuite été rapatriées dans la capitale de l’Osroène. La première attestation se trouve chez Éphrem 93 (vers 363) dans son Hymne 42 : Le Malin se lamente : « en quel lieu puis-je fuir désormais les justes ? J’ai incité la mort à tuer les apôtres afin d’échapper à leurs verges. Mais maintenant, je suis plus durement corrigé. L’apôtre que j’ai tué dans l’Inde m’a précédé à Édesse. Ici, il est tout entier, et là aussi. Je suis allé là, il y était. Ici et là, je l’ai trouvé à mon désespoir. Refrain : bénie soit la puissance qui habite les ossements triomphants.

93. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 22. R. DUVAL, La Littérature syriaque (Bibliothèque de l’enseignement de l’histoire ecclésiastique. Anciennes littératures chrétiennes 2), Paris, Gabalda, 31907, p. 331333.

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« Sont-ce les ossements que le marchand a portés ou sont-ce eux qui l’ont porté ? Car voilà : ils se sont mutuellement apporté un gain. Mais quel bienfait me font-ils alors qu’ils reçoivent un bienfait l’un de l’autre ? Car pour moi, c’est une perte dans les deux cas. Qui me montrera le cercueil de l’Iscariote, pour que j’en obtienne du pouvoir ? Le cercueil de Thomas m’a tué, car le pouvoir caché en lui me tourmente 94. »

Le démon avoue avoir tué Thomas dans l’Inde et s’étonne de le retrouver à Édesse. Il affirme qu’un marchand a opéré le transfert des reliques. Voici donc Thomas fondateur de l’Église de l’Inde, comme l’entérinent les canons syriaques 95. Grégoire de Tours (Gloria Martyrorum 32) rapporte lui aussi la translation de relique. Il affirme que la lampe qui brûlait devant l’ancien tombeau de Thomas (en Inde) le faisait sans huile. Lors de la fête de saint Thomas, il y avait une « foire franche » qui durait un mois, pendant lequel il y avait de nombreux miracles : alors que la ville était habituellement infestée de mouches, l’apôtre avait coutume de chasser les mouches. Puis, le dernier jour de la foire, il envoyait une pluie qui nettoyait la ville de toutes les immondices de la foire 96. Une pluie déferlante après une chaude journée 94. ÉPHREM LE SYRIEN, Carmina Nisibena 42, 1-2. Texte dans G. BICKEL (éd.), S. Ephræmi Syri Carmina Nisibena, vol. 1, Lipsiæ (Leipzig), Brockhaus, 1866, p. 104105 et dans E. BECK (éd.), Des heiligen Ephraem des Syrers Carmina Nisibena II (CSCO 241, Scriptores Syri 103), Lovanii, Peeters, 1963, p. 145. Traduction latine dans G. BICKEL (éd.), S. Ephræmi Syri Carmina Nisibena, vol. 2, Lipsiæ (Leipzig), Brockhaus, 1866, p. 163-164 et traduction anglaise dans A. S. RODRIGUES PEREIRA, Studies in Aramaic Poetry (c. 100 B.C.E.-c. 600 C.E.). Selected Jewish, Christian and Samaritan Poems (Studia Semitica Neerlandica 34), Assen, Van Gorcum, 1997, p. 432. Traduction anglaise et commentaire chez K. E. MCVEY, Ephrem the Syrian : Hymns (Classic of Western Sprituality), Mahwah (NJ), Paulist Press, 1989, p. 23-25. 95. IGNATIUS EPHRÆM II RAHMANI, Studia syriaca seu collectio documentorum hactenus ineditorum ex codicibus syriacis, In seminario Scharfensi in Monte Libano (Charfet), typis patriarchalibus, 1904, p. 5. 96. GRÉGOIRE DE TOURS, In Gloria Martyrorum 32, Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1.2), Hannoveræ (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 57-58. In supradicta igitur urbe, in qua beatos artus diximus tumulatos, adueniente festiuitate, magnus aggregatur populorum cœtus, ac de diuersis regionibus uenientibus, uendendi comparandique per triginta dies sine ulla telonei exactione licentia datur. In his uero diebus, qui in mense habentur quinto, magna et inusitata populis præbentur beneficia. Non scandalum surgit in plebe, non musca insidet mortificatæ carni, non latex deest sitienti. Nam cum ibi reliquis diebus plusquam centenum pedum altitudine aqua hauriatur a puteis, tunc paululum si fodias, affatim lymphas exuberantes inuenies, quod non ambigitur hæc uirtute beati apostoli impertiri. Decursis igitur festiuitatis diebus, teloneum publicum redditur, musca qua defuiit adest, propinquitas aquæ debiscit. Dehinc emissa diuinitus pluuia ita omne atrium templi a sordibus et diuersis squaloribus qui per ipsa solemnia facti sunt mundat ut putes locum nec fuisse calcatum. « Dans la ville dont nous venons de parler, dans laquelle nous avons dit que les membres bienheureux furent ensevelis, une fête a lieu avec un grand concours de

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qui lave tout et rafraîchit l’atmosphère : voilà un beau tableau de la mousson en juillet (fête de saint Thomas) 97. Au XIIIe siècle, Salomon de Bassorah explique dans le Livre de l’Abeille que l’apôtre est allé en Inde où il est mort et que ses reliques ont été ramenées par le marchand Ĥâbban 98, tout en maintenant, fort honnêtement, que certains prétendent qu’il est enterré à Maĥlūph (dans laquelle il faut certainement reconnaître Maylapore) en Inde. Cette tradition est aussi conservée chez Élie de Damas (v. 893), ainsi que dans la Chronique ecclésiastique de Barhebræus (1226-1286) ou dans les canons de l’Église syriaque traduits par Mgr Rahmani 99. Selon eux, l’Orient a été évangélisé par Thomas et ses trois disciples Addaï, Māri et Aggaï. Édesse, Nisibe, Mossoul, Arbélès, et la Babylonie sont évangélisés par Addaï et ses disciples. Aggaï continue à Gibal et à Ahvaz (au Kuzestan dans l’actuel Iran, la région de l’antique Suse), atteint à la frontière de l’Inde, ainsi que les régions voisines de Gog et Magog (Chine). Māri, l’élève d’Addaï devient le missionnaire de la Perse, ainsi que le fondateur et le liturgiste de l’Église syriaque. Il aurait établi le siège patriarcal à Séleucie-Ctésiphon (à 30 km au sud de l’actuelle Bagdad), servant ainsi de premier catholicos. L’Inde et la Chine, enfin, appartiennent au territoire de Thomas 100. Cette tradition d’un trépas indien quitte bientôt le domaine syriaque. Grégoire de Nazianze, dans son discours 23, alloue à Thomas l’Inde pour son martyre 101. Cette tradition est confirmée par toutes les listes aposto-

peuple, venus de diverses régions. On y a licence de vendre et d’acheter sans payer aucun impôt pendant trente jours. Durant ces jours-là, qui tombent dans le cinquième mois, les peuples jouissent de bienfaits rares et précieux : nulle querelle ne s’élève dans le peuple ; nulle mouche ne vient se mettre sur les animaux tués ; le liquide ne manque jamais à ceux qui ont soif. Et, en effet, tandis que le reste du temps il faut la puiser dans les puits à plus de cent pieds de profondeur, si tu creuses à peine à ce moment-là, tu trouves des flots qui jaillissent : il n’y a pas de doute que cela ne se fasse par la vertu du bienheureux apôtre. Mais, les fêtes passées, la perception des impôts recommence, les mouches qui avaient disparu reparaissent et les eaux redescendent à leur profondeur accoutumée. En même temps, une pluie divine nettoie si bien toute l’enceinte du temple des ordures et des souillures occasionnées par ces solennités, que tu ne penserais pas seulement qu’on y ait posé le pied. » 97. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 77. 98. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 105. 99. IGNATIUS EPHRÆM II RAHMANI, Studia syriaca seu collectio documentorum hactenus ineditorum ex codicibus syriacis, In seminario Scharfensi in Monte Libano (Charfet), typis patriarchalibus, 1904, p. 6. 100. W. BAUM et D. W. WINKLER, The Church of the East : A Concise History, New York, Routledge Curzon, 2003, p. 12. 101. GRÉGOIRE DE NAZIANZE, Discours 33 aux Ariens et sur lui-même, éd. P. GALLAY (SC 318), 1985, p. 181.

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liques dès le De Ortu et Obitu prophetarum 102. La liste gréco-syrienne des apôtres (sans doute du Ve siècle) porte : Thomas, surnommé Jude, de Nazareth, est mort en Inde Calamitide, écorché vif 103.

Quelle est cette Inde Calamitide ? Calamine ne peut être que Kalliena, la moderne Kalyân au nord-est de Bombay. La carte de Peutinger la mentionne en la nommant Clymaina 104. C’est une place d’importance, car l’une des plaques tournantes du royaume des Andhra au début du IIe siècle. Elle est connue par Cosmas Indicopleustès au VIe siècle et par le Periplus Maris Erythræi 105 (remontant au Ier siècle). Le Pseudo-Dorothée détaille et reprend : Thomas l’apôtre annonça l’Évangile du Christ aux Parthes, aux Mèdes, aux Perses, aux Germains, aux Bactriens, aux Mages, il est mort dans la ville des Indes nommée Calamée 106.

Cette liste mentionne un certain nombre de peuples de l’Asie Centrale et pose quelques problèmes : que viennent faire les Germains dans cette liste ? Certains copistes remplacent Γερμανοῖς par Ὑρκανοῖς, les Hyrcaniens, les habitants du Sud de la mer Caspienne. On retrouve la même liste dans des manuscrits plus récents comme ms Metz 1160 f°3 du XIIe siècle 107 ainsi que dans le Chronicon Pascale 108 et dans des manuscrits géorgiens 109, éthiopiens 110 ou chez Fréculf111. Le Pseudo102. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (106). 103. Trad. F. DOLBEAU, ÉAC II, p. 468. 104. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 153. 105. COSMAS INDICOPLEUSTÈS, Topographie chrétienne XI, 15, 7, éd. W. WOLSKACONUS (SC 197), 1973, p. 346-347. H. SCHNEIDER, Kosmas Indikopleustes : christliche Topographie - textkritische Analysen, Übersetzung, Kommentar (Indicopleustoi 7), Turnhout, Brepols, 2010, p. 247. Periplus Maris Erythræi 30, J. B. FABRICIUS (éd.), Arriani Alexandrini Periplus Maris Erythræi, Dresdæ, Gottschalck, 1849, p. 25. 106. Θωμᾶς δὲ ὁ ἀπόστολος Πάρθοις καὶ Μήδοις, καὶ Πέρσαις καὶ Γερμανοῖς [Ὑρκανοῖς] καὶ Βάκτροις καὶ Μάγοις κηρύξας τὸ εὐαγγέλιον τοῦ Χριστοῦ, τελειοῦται ἐν πόλει τῆς Ἰνδίας Καλάμῃ τῇ λεγομένῃ. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 155. 107. F. DOLBEAU, « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée », Analecta Bollandiana 108, 1990, p. 51-70 (69). 108. PG 92, col. 1071. 109. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales », Augustinianum 34, 1994, p. 109-199 (131). 110. A. BAUSI, « Una “lista” etiopica di apostoli e discepoli », in A. BAUSI, A. BRITA et A. MANZO (éds.), Æthiopica et Orientalia. Studi in onore di Yaqob Beyene (Studi Africanisti Serie Etiopica 9), vol. 1, Napoli, Università degli studi, 2012, p. 43-67.

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Épiphane va dans le même sens 112. La liste ancienne de C. H. Turner 113 permet d’associer davantage de peuples : Parthes, Mèdes, Carmaniens, Hyrcaniens, Bactriens, Margiens. On retrouve la même attribution chez Moïse de Bergame qui présente un modèle plus ancien et complet que le texte actuellement conservé d’Épiphane 114. b. Les traditions de Thomas en Inde Le trajet indien, quant à lui, tel qu’il est présenté dans les listes, ne correspond pas aux traditions que l’on peut recueillir en Inde. En effet, il existe encore à l’heure actuelle une Église qui se reconnaît en Thomas et qui est d’origine syriaque : l’Église de Travancore (Kerala). Mais elle se trouve sur la côte opposée du sous-continent. Cette Église conserve le souvenir d’une arrivée de l’apôtre à Muziris via Socotra. Selon cette tradition, Thomas meurt à Maylapur (Mylapore), où il est lapidé par le peuple, excité par les brahmanes, et finit transpercé d’une lance 115. Cette Église conserve également la venue d’un marchand araméen, Thomas Qinayi, qui fonda une église vers 345 avec 400 chrétiens, peut-être pour fuir la persécution de Shapur II (309-379), comme le rappelle l’évêque jacobite Gavril 116. Ce 111. Hic euangelium prædicauit Parthis, Medis, et Persis, Hyrcanis que, Bactrianis, et Indis, tenens orientalem plagam et terram gentium penetrans, ibi que prædicationem suam usque ad titulum suæ passionis perducens : lanceis enim transfixus occubuit in Calamina Indiæ ciuitate, ubi et sepultus est in honore. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 4, CCSM 169A, p. 501. 112. Θωμᾶς δὲ ὁ ἀπόστολος, καθὼς ἡ παράδοσις περιέχει, ἦν μὲν ἀπὸ τῆς Πανιάδος πόλεως τῆς Γαλιλαίας, Πάρθοις δὲ καὶ Μήδοις ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ κυρίου, καὶ Πέρσαις δὲ καὶ Γερμανοῖς καὶ Ὑρκανοῖς καὶ Ἰνδοῖς καὶ Βάκτροις καὶ Μάγοις, ἐκοιμήθη ἐν πόλει Καλαμηνῇ τῆς Ἰνδικῆς. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 110. 113. C. H. TURNER, « A Primitive Edition of the Apostolic Constitutions and Canons : an Early List of Apostle and Disciples », Journal of Theological Studies 15, 1913, p. 53-65 (63). 114. F. DOLBEAU, « Une ancienne liste d’apôtres et de disciples, traduite du grec par Moïse de Bergame », Analecta Bollandiana 104, 1986, p. 299-314 (308). Thomas uero apostolus, sicut traditio continet, fuit quidem a Spanide ciuitate Galatie ; Parthis autem et Medis predicauit euangelium Domini, sed et Persis et Carmanis et Hyrcanis et Indis, Bactris et Magis ; dormiuit autem in ciuitate Calamene, ab Indis martirium consequutus et ibi sepultus est gloriose. « L’apôtre Thomas, comme le contient la tradition, était de la ville de Spanide en Galatie, il prêcha aux Parthes et aux Mèdes l’Évangile du Seigneur. Mais aussi aux Perses et aux Carmaniens, aux Hyrcaniens, aux Indiens, aux Bactriens et aux Magiens. Il s’endormit dans la ville de Calamène, à la suite de son martyre par les Indiens, et il y est glorieusement enseveli. » 115. G. MILNE RAE, The Syrian Church in India, Edinburgh/London, Blackwood, 1892, p. 15-25. J. N. FARQUHAR, « The Apostle Thomas in North India », Bulletin of the John Rylands Library 11, 1927, P. 20-32. 116. F. NAU, « Deux notices relatives au Malabar et trois petits calendriers d’après les manuscrits Bodl. Or. 667, Paris syr. 25, 195 et Suppl. gr. 292 », Revue de l’Orient chrétien 17, 1912, p. 74-99.

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nom de Qinayi ne signifie sans doute pas « cananéen », comme on l’a longtemps cru, mais décrit plutôt une profession d’orfèvre ou une origine de Cana d’Arabie méridionale 117. Les traces de cette évangélisation sont surtout repérables à partir du VIe siècle, en particulier grâce à des croix chaldéennes rédigées en pehlevi et des inscriptions chrétiennes retrouvées à Madras, à Kottayam du Kérala, ou à Travancore 118. La vénération des reliques à Mylapore, aujourd’hui un quartier de Madras (Chennai), est confirmée par les sources de la région. Dans les sources occidentales, elle est attestée par le récit d’une ambassade envoyée en 883 par le roi Alfred d’Angleterre pour voir les tombes de Saint Barthélemy et Saint Thomas en Inde 119. Le tombeau fut également visité par le franciscain Jean de Monte-Corvino en 1292-1293 120 ainsi que par un autre franciscain, le bienheureux Oderic en 1324-1325 121. Marco Polo (1254-1324) la visite au cours de son périple de 1292 à 1294 relaté dans le Divisament dou Monde : il parle avec assurance de son séjour en Inde lorsque, revenant de la Chine, il fait escale sur la côte du Coromandel qu’il nomme la grant provence de Maabar, que est apellé l’Inde greignor, e ce est la meillor Indie que soit 122. Le Vénitien voit Maylapore et l’église de Saint Thomas. Il raconte même un miracle. Alors que Thomas était en train de faire son oraison hors de son ermitage dans les bois, il est blessé par un chasseur au paon. Ce chasseur est de la caste des Gavi. Tout cest legnajes, que Gavi sunt appelés, nulz ne poroit entrer en leu, la ou le cors de mesier Saint Tomas est. Car sachés que X homes ne poroient tenir un de cesti Gavi la ou le saint cors est. Ne encore vos di que XX homes ou plus ne porent metre un de cest Gavi en leu, la ou le cors mesier Saint Tomés est : por ce que le leu ne les recoie, por la vertu du saint cors 123.

Le culte de l’apôtre Thomas a été largement amplifié par les Portugais à partir d’une invention de reliques en 1517 124. Ils nommèrent d’ailleurs 117. E. R. HAMBYE, « Une nouvelle hypothèse sur l’origine des chrétiens orientaux de l’Inde appelés “knanaya” et “gens du sud” », Mélanges offerts à Jean Dauvillier, Toulouse, Centre d’histoire juridique méridionale, 1979, p. 395-401. 118. J. DAUVILLIER, « L’expansion de l’Église syrienne en Asie centrale et en Extrême-Orient », L’Orient Chrétien 1, 1956, p. 76-87. 119. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 81. 120. J. YULE, Cathay and the Way thither, vol. 1, London, Hakluyt Society, 1866, p. 166-197. 121. J. YULE, Cathay and the Way thither…, p. 80. 122. MARCO POLO, Divisament dou Monde, 1292 in Recueils de voyages et de mémoires publiés par la Société de Géographie, vol. 1, Paris, Everat, 1824, p. 198. 123. Ibid., p. 202-204. 124. R. DELIÈGE, « Inde », Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques 25, Paris, Letouzey & Ané, 1995, p. 994.

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la ville de Chennai São Tomé. Comme le rappelle Lenain de Tillemont, ils prétendaient que l’apôtre avait été percé aux pieds par la lance sur la foi d’une ancienne inscription 125. La communauté connut encore plus d’ampleur quand les Portugais furent vaincus par les Hollandais qui permirent des contacts avec les Églises syriennes au XVIIe siècle et surtout à partir du XIXe siècle, grâce au soutien des Anglais qui voulaient en faire les missionnaires du christianisme dans le sous-continent indien 126. La cathédrale Saint-Thomas de Mylapore, de style néogothique, prétend toujours conserver les reliques de Thomas 127. La tradition de Calamine et celle de Mylapore sont-elles conciliables ? Il semble bien que non. Les Indiens de Travancore ne font pas allusion à Calamine, pas plus qu’ils n’évoquent les Actes de Thomas 128. Ils distinguent d’ailleurs soigneusement Thomas de Cana et Mār Thomā Slīha (l’apôtre) 129, preuve qu’ils n’ont pas opéré de confusion entre l’apôtre et l’évangélisateur. Quoique toutes deux situées en Inde, les deux traditions doivent être distinguées et les certitudes historiques abandonnées.

Figure 13 : Thomas en Inde

125. L.-S. LENAIN DE TILLEMON, Mémoires…, p. 396. 126. B. VARGHESE, « Renewal in the Malankara Orthodox Church, India », Studies in World Christianity 16, 2010, p. 226-244. 127. http ://www.santhomebasilica.com 128. B. VADAKKEKARA, Origin of Christianity in India : A Historiographical Critique, Delhi, Media House, 2007, p. 233-237. 129. B. VADAKKEKARA, Origin of Christianity in India…, p. 239. Confirmé par R. COLLINS, Missionary Enterprise in the East, with Especial [sic] Reference to the Syrian Christians of Malabar, Charleston (SC), Nabu Press, 2010, p. 65.

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c. Une étape du voya ge : Thomas che z les Ma ges Dans les listes précédentes, l’une des étapes du voyage de Thomas le conduisait chez les Margiens, les Μάργοι du Pseudo-Hippolyte, qui peuplent la Margiane, l’actuel Turkménistan. Toutefois, on l’a vu, le Pseudo-Dorothée n’évoque pas les Μάργοι, mais bien les Μάγοι, les Mages. Cette localisation est peut-être une étourderie de copiste, comme l’ont cru les premiers éditeurs du texte, mais il faut aussi invoquer l’influence d’une tradition représentée par deux textes. Le premier est l’Opus Imperfectum du Pseudo-Chrysostome 130, un texte d’origine arienne datant probablement du Ve siècle et originaire du sud du Danube 131, qui affirme que Thomas se rendit dans le pays des mages qui étaient venus adorer le Christ : il les baptisa et se fit aider par eux dans l’évangélisation de leur pays. Ce récit, dit l’auteur du commentaire, se trouve dans un texte apocryphe qu’il attribue à un certain Seth. Après un récit de l’aventure des Mages, le texte se conclut ainsi : Alors, quand ils furent revenus, ils demeurèrent à louer et à glorifier Dieu de manière plus studieuse qu’auparavant et ils prêchèrent à tous ceux de leur race, et ils enseignèrent un grand nombre. Ensuite, après la résurrection du Seigneur, Thomas l’apôtre arriva dans cette province et, les ayant rejoints, il les baptisa et ils se firent les auxiliaires de sa prédication 132.

Le texte du Ve siècle se fait donc l’écho d’un texte plus ancien placé sous l’autorité d’un Seth. Or ce texte aujourd’hui perdu semble être à l’origine d’un des éléments conservés dans un texte syriaque du VIIIe siècle, la Chronique de Zuqnin, contenu dans un unique manuscrit, le Vaticanus Syriacus 162. Ce texte, découvert par Assemani qui l’attribuait faussement à Denys de Tell-Mahré, patriarche jacobite d’Antioche (d’où son nom ancien de Chronique du Ps.-Denys de Tell-Mahré), et récemment édité par Brent Landau 133, est beaucoup plus descriptif. Il raconte comment Thomas arrive au pays des Mages, nommé Shîr, dans lequel il faut reconnaître la Chine 134. 130. Opus Imperfectum in Matthæum II, 2, 2 édition dans J. VAN BANNING, Opus imperfectum in Matthæum (Corpus christianorum Series Latina 87.2), Turnholti (Turnhout), Brepols, 1988. 131. J. VAN BANNING, Opus imperfectum, p. V. 132. Opus Imperfectum in Matthæum II, 2, 2, PG 56, 637 : Tamen cum reuersi fuissent, manserunt colentes et glorificantes Deum studiosius magis, quam primum, et prædicarunt omnibus in genere suo, et multos erudierunt. Denique cum post resurrectionem Domini Thomas apostolus isset in provinciam illam, adjuncti sunt ei, et baptizati ab eo, facti sunt adjutores prædicationis illius. 133. B. LANDAU, Revelation of the Magi : the Lost Tale of the Three Wise Men’s Journey to Bethlehem, New York, HarperOne, 2010. Voir également : B. LANDAU, « The Revelation of the Magi in the Chronicle of Zuqnin », Apocrypha 19, 2008, p. 181-200. 134. Le terme apparaît en effet chez Josèphe, Ant. J. I, 68-71 ; STRABON, Geogr. XI, 11, 1 ; Pline, Hist. Nat., VI, 20, 54. En grec, le terme Σείρις, qui a donné « soie »,

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Après s’être mutuellement reconnus et congratulés, après avoir raconté les uns leur voyage et l’autre les événements arrivés à l’enfant qu’ils étaient venus saluer, tous se réjouissent dans le Seigneur. Les mages demandent le baptême, ce que Thomas réalise promptement, non sans avoir prononcé une hymne. Les Mages reçoivent alors l’eucharistie et la mission de continuer leur prédication. Le texte se termine sur le récit de cette prédication des Mages. De quand date cette tradition ? Brent Landau, en comparant certaines de ses proximités avec un évangile de l’Enfance, opte pour la fin du IIe siècle et le début du IIIe siècle. Puisque les Sères (les Chinois) représentent les peuples les plus éloignés vers l’Orient, situer la rencontre avec les Mages à Shîr plaide pour une universalité de la mission de Thomas, qui confirme sa vocation d’apôtre des confins. Et associer cette figure apostolique avec celles qui, dans l’évangile de Matthieu, représentent l’universalité de la reconnaissance du Messie, confirme la vocation à l’universalité de la mission chrétienne. d. Thomas en Chine : une légende très tardive Cette Chronique de Zuqnin explique peut-être l’émergence d’une légende très tardive, mais aujourd’hui très populaire : l’apostolat de Thomas en Chine 135. Cette tradition médiévale de l’Église syriaque (après la Chronique de Zuqnin, on la trouve chez le moine nestorien du XIe siècle Ibn at-Taiyyib 136) fut accréditée par les missionnaires occidentaux au XVIe siècle. Saint François-Xavier écrivait ainsi qu’il était possible que le christianisme chinois ait pour origine l’apôtre Thomas ; le dominicain Gaspard de la Croix, arrivé en Chine en 1556, rapporte la légende comme enregistrée dans la tradition « arménienne », c’est-à-dire syro-orientale ; quant à Matteo Ricci, il atteste toujours de cette tradition à la fin du XVIe siècle 137. Tout laisse à penser en réalité que les premiers contacts avec la Chine ne remontent qu’au IIIe siècle, sans doute par des chrétiens venus de l’Église syriaque empruntant les routes de la soie. vient peut-être du nom que les Chinois donnaient à leur pays, qín : G. J. REININK, « Das Land ‘Seiris’ (Sir) und das Volk der Serer in jüdischen und christlichen Traditionen », Journal for the Study of Judaism 6, 1975, p. 72-85. 135. J. TUBACH, « Der Apostel Thomas in China : Die Herkunft einer Tradition », Zeitschrift für Kirchengeschichte 108, 1997, p. 58-74 (74). 136. J. TUBACH, « The Mission Field of the Apostle Thomas », in D. W. WINKLER (éd.), Hidden Treasures and Intercultural Encounters : Studies on East Syriac Christianity in China and Central Asia (Orientalia-Patristica-Œcumenica 1), Wirn, Lit, 2009, p. 291-304 (294). 137. Références et analyses dans J. TUBACH, « Der Apostel Thomas in China : die Herkunft einer Tradition », in R. LAVENANT (éd.), VI Symposium Syriacum 1992 (Orientalia Christiana Analecta 247), Roma, Pontificio Istituto Orientale, 1994, p. 299-310.

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2. Les Actes de Thomas : le thème de la gémellité, retour vers l’unité perdue Le trajet indien de Thomas est conservé par un second texte, les Actes de Thomas, qui possède une origine syriaque et qui précise la figure apostolique qui était en train de s’ébaucher petit à petit. a . L’œuvre Les Actes de Thomas (CANT 245) sont connus par deux recensions. Une recension en syriaque (CANT 245.1 = BHO 1186-1204) publié par Wright 138, une recension copte 139 et une version grecque (CANT 245.2 = BHG 1800-1831) dont on connaît une version latine (BHL 8136-8146) et des versions arabes (BHO 1213 et 1217) ainsi qu’éthiopiennes 140 (BHO 1215 et 1218), arméniennes et géorgiennes. Une version abrégée existe, dite Acta abbreuiata (CANT 246 = BHG 1833-1834). On affirmait traditionnellement que les Actes de Thomas avaient été composés en syriaque à Édesse par un seul auteur dans la première moitié du IIIe siècle, puis avaient connu une traduction grecque (quelques syriacismes laissent penser que l’original est syriaque 141). Récemment, Susan Meyers a remis en cause ce scénario 142. (α) Il est impossible d’être sûr que les Actes ont été composés par un seul auteur, car on reconnaît au moins deux parties 143. (β) Il est fort probable que le lieu d’écriture ne soit pas Édesse, mais la Syrie orientale. En effet, les Actes sont très éloignés du christianisme de Bardesane (contrairement à ce que pensaient Lipsius et Burkitt 144) qui a une vue positive du monde et de la sexualité alors que 138. W. WRIGHT, Apocryphal Acts of the Apostles, London, 1871. 139. E. LUCCHESI et P.-H. POIRIER, La Version copte de la prédication et du martyre de Thomas (Subsidia hagiographica 67), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1984. E. LUCCHESI, « Additamentum ad Martyrium S. Thomæ apostoli coptice », Analecta Bollandiana 106, 1988, p. 319-322 (merci à J.-D. Dubois pour ces références). 140. E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles…, p. 335-386. 141. A. F. J. KLIJN, The Acts of Thomas (Novum Testament Supplement Series 5), Leiden, Brill, 1962, p. 5-7. Le fait a été confirmé par H. W. ATTRIDGE, « The Original Language of the Acts of Thomas », in H. W. ATTRIDGE et alii (éds.), Of Scribes and Scrolls : Studies on the Hebrew Bible, Intertestamental Judaism and Christian Origins presented to John Strugnell (College Theology Society Resources in Religion 5), Lanham (MD), University Press of America, 1990, p. 241-250. 142. S. E. MYERS, « Revisiting Preliminary Issues in the Acts of Thomas », Apocrypha 17, 2006, p. 95-112. 143. Y. TISSOT, « Les Actes de Thomas, exemple de recueil composite », in F. BOVON et alii (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres (Publications de la faculté de théologie de l’université de Genève 4), Genève, Labor et Fides, 1981, p. 223. 144. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden 2.1, Braunschweig, Schwetschke, 1884, p. 423-425. F. C. BURKITT, « The Original Language of the Acts of Judas Thomas », Journal of Theological Studies 2, 1900, p. 280290.

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le texte sur Thomas en a une vision très négative. Nisibe serait un bon candidat, car le roi auquel s’oppose l’apôtre se nomme Mizdai qui est peutêtre une allusion à un mazdéisme qui est encore actif à Nisibe et non à Édesse depuis longtemps 145, comme l’avait montré Han Drijvers 146. Le nom de l’héroïne du livre, Magdonia, irait d’ailleurs dans le même sens147 car Mygdonias est le nom de la rivière qui passe à Nisibe. La région est d’ailleurs connue comme la région des Mygdoniens et Nisibe a été appelée Antioche de Mygdonie chez Strabon 148. (γ) la date traditionnelle du IIIe siècle doit être du coup précisée. Le texte semble avoir été écrit dans un contexte politique dans lequel on revivifie le mazdéisme à Nisibe à partir du couronnement d’Ardachîr Ier (224-241) inaugurant la dynastie sassanide : peut-être même faut-il y lire une allusion aux persécutions de Shapur Ier (roi des rois de l’Empire sassanide de 241 à 272 apr. J.-C.). Le fait que l’on opte pour cette solution ne remet pas en cause toute association de Thomas avec le christianisme édessénien. Comme le rappelle S. Myers, les deux villes ont été de tout temps en étroite liaison, le christianisme d’Édesse provenant probablement de Nisibe 149. Quel groupe est à l’origine de ce texte ? La place des femmes a pu laisser penser que le recueil avait été composé par un groupe de femmes, des veuves en mal de reconnaissance 150, mais on ne trouve pas de trace d’un tel groupe dans les sources et surtout, comme on a pu le dire à propos d’André, les jeux sur le triangle ascétique ont surtout une visée théologique. Certaines lectures hâtives ont associé le texte avec le manichéisme, mais P.-H. Poirier 151 a démontré avec justesse que les faits n’étaient pas probants. Il nous semble avisé de reprendre l’hypothèse des moines itinérants 152. En 145. S. E. MYERS, « Revisiting Preliminary Issues in the Acts of Thomas »…, p. 102. 146. H. J. W. DRIJVERS, Cults and Beliefs at Edessa, Leiden, Brill, 1980, p. 177. 147. G. HUXLEY, « Geography in the Acts of Thomas », Greek Roman and Byzantine Studies 24, 1983, p. 71-80. 148. STRABON, Géographie XVI, 1, 1-3. 149. S. E. MYERS, Spirit Epicleses in the Acts of Thomas (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.281), Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, p. 38. 150. S. L. DAVIES, The Revolt of the Widows : The Social World of the Apocryphal Acts, Carbondale (IL), Southern Illinois University Press, 1980. V. BURRUS, « Chastity as Autonomy : Women in the Stories of the Apocryphal Acts », in D. R. MACDONNALD (éd.), The Apocryphal Acts of the Apostle (Semeia 38), Decatur (GA), Scholars, 1986, p. 101-117. 151. P.-H. POIRIER, « Les Actes de Thomas et le manichéisme », Apocrypha 9, 1998, p. 263-290. 152. H. J. W. DRIJVERS, « East of Antioch : Forces and Structures in the Development of Early Syriac Theology », in East of Antioch : Studies in Early Syriac Christianity, London, Variorum, 1984, p. 1–27 ; A. HAMMAN, « Sitz im Leben des actes apocryphes du Nouveau Testament », Studia Patristica 8, 1966, p. 62–69 et Id., « Le Sitz im Leben des Actes de Thomas », Studia Evangelica 3, 1964, p. 383–389.

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effet, ce récit traduit, avec une touche d’exotisme, les idéaux ascétiques et les attentes des chrétiens syriens qui l’ont produit. Pour eux, le salut doit être non seulement une ferme croyance en Christ, mais aussi une stricte imitation de sa vie. Cela ne signifie pas simplement le célibat. Bien que l’intrigue tourne autour de la question des relations sexuelles (et pour cette raison a souvent été traitée comme un manifeste pour un encratisme radical), ce qui distingue les Actes de Thomas des autres Actes est l’accent mis sur la pauvreté que l’on doit adopter à l’imitation de Jésus. Ainsi Thomas est appelé à plusieurs reprises un « étranger », et il s’identifie surtout par les sacrifices qu’il a faits au service du Christ. Il est possible que ses divers rédacteurs aient emprunté beaucoup d’éléments à la Vie d’Apollonios de Thyane de Philostrate 153. On se trouve en effet confronté à une littérature romanesque à laquelle on ajoute des prières, des épiclèses, des invocations baptismales. On trouve dans les deux textes des éléments narratifs communs. Ainsi joue-t-on du ressort narratif de la présence du Grec (ou du Juif ) au milieu des Barbares, des voyages rendus possibles par l’association avec des marchands, du discours au milieu de banquets et de réunions publiques, de la fréquentation de milieux sociaux divers grâce à des réseaux de croyants ou de philosophes (qui justifient la présence du héros au milieu des rois) 154. Le texte a été uniformément lu, mais aussi uniformément condamné pour son ascétisme. Philastre de Brescia 155, Photius, Augustin 156 soulignent son emploi par les manichéens, ce que confirme Épiphane 157. Il se déroule comme une pièce en trois actes. Acte I. – le voyage et le banquet. L’histoire commence mal : Thomas, désigné par le sort pour partir en Inde, ne veut pas quitter la Judée, mais est vendu par Jésus au marchand Habban. Les deux prennent la mer. C. et F. Jullien, qui ont longuement étudié l’itinéraire 158, concluent qu’ils suivent très largement les routes de la soie. C’est une route traditionnelle, le trajet semi-maritime 159, qui est fort bien rôdé comme le soulignait avec malice George Milne Rae à la fin du XIXe siècle. Depuis Jérusalem, Habban et Saint Thomas descendent à Césarée pour prendre le bateau au port d’Alexandrie, à partir duquel la route des Indes de 153. C. et F. JULLIEN, Apôtres de Confins…, p. 98-100. 154. G. REGER, « On The Road to India with Apollonios of Tyana and Thomas the Apostle », Mediterranean Historical Review 22, 2007, p. 257-271. 155. Hær. 88, 6. 156. Ipsi autem legunt scripturas apocryphas, quas etiam incorruptissimas esse dicunt, ubi scriptum est apostolum thomam maledixisse homini. Contra Adimantum I, 17, 2, 5, éd. J. ZYCHA (CSEL 25), 1892, p. 17. 157. Panarion 47, 1. 158. C. et F. JULLIEN, Apôtres des Confins, p. 92-104. 159. J. SCHWARTZ, « L’Empire romain, l’Égypte et le commerce oriental », Annales 15, 1960, p. 18-44 (22).

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l’époque était aussi bien définie que l’overland route de la P. & O. Company de Londres à Bombay, en cette année de grâce 1892 160.

Les deux compères se retrouvent à Sandarouk. Cette Sandarouk est un petit mystère : le texte syriaque porte Sandarouk, tandis que les versions grecques et latines parlent d’Andrapolis. Alfred von Gutschmid, jamais en défaut d’inventivité, a proposé de lire dans cette ville la capitale du royaume d’Āndhra (l’actuel Andhra Pradesh) sur la côte ouest du Deccan et il est suivi par Dihle 161 qui observe que l’on peut passer d’Ἐναδρωχ à Σαναδρωχ puis à Ἀναδρωχ et enfin à Ἀνδρα. Mais cette dénomination peut aussi faire allusion au nord de l’Inde. En effet, le nom rappelle celui du roi du Magadha Çandragupta qui était déjà connu par Arrien 162 sous le nom de Σανδράκοττος. Il faut donc comprendre que les voyageurs n’abordent pas la ville de Sandarouk, mais dans la ville appartenant à Sandarouk 163 qui serait alors Pataliputa, l’actuelle Patna, connue dès le voyage de Megasthène (on conserve un passage des Indica parlant de la ville dans Strabon, XV, 1, 35). Thomas, invité dans un banquet, fait un miracle, et, sous la forme de Jésus, prêche aux époux. Acte II. – Le palais du roi. Ensuite, il arrive chez Goudnaphar. Goudnaphar vient sans doute de Gondophar un nom connu au sein de la dynastie Indo-parthe qui s’impose sur tout le nord-est de l’Inde vers l’an 15 apr. J.-C 164. Ce souverain avait établi sa capitale à Taxila (Takshashîlâ dans l’actuel Penjâb). Il est connu depuis les premières découvertes de monnaies en Afghanistan en 1824 par les Anglais 165. 160. G. MILNE RAE, The Syrian Church in India…, p. 56. From Jerusalem Abbanes and St Thomas would go down to Cæsarea and take ship at that port for Alexandria, form which the route to India in those days was as well defined as the overland route of the P. & O. Company from London to Bombay in this year of grace 1892. 161. A. VON GUTSCHMID, « Die Königsnamen in den apokryphen Apostelgeschichten », in F. Rühl (éd.), Kleine Schriften von Alfred von Gutschmid, vol. 2, Leipzig, Teubner, 1890, p. 332-394 (363). A. DIHLE, « Neues zur Thomastradition », Jahrbuch für Antike und Christentum 6, Münster, 1963, p. 54-71 (59). 162. ARRIEN, Anabase V, 6, 2. 163. J. A. DELAUNAY, « Rite et symbolique en Acta Thomæ », in P. GIGNOUX et A. TAFFAYOLI (éds.), Mémorial Jean de Menasce (Fondation culturelle iranienne 185), Louvain, Imprimerie orientaliste, 1974, p. 11-34 (12-13). 164. Cela avait été repéré par A. VON GUTSCHMID, « Die Königsnamen… », p. 332-335. La chronologie du règne de Godopharès est complexe. Voir l’article de O. BOPEARACHCHI, « Some Observations on the Chronology of Early Kushans », in R. GYSELEN (éd.), Des Indo-Grecs aux Sassanides : données pour l’histoire et la géographie historique (Res Orientales 17), Bures-sur-Yvette, Groupe pour l’Étude de la Civilisation du Moyen-Orient, 2007, p. 41-54 (47). 165. A. CUNNINGHAM, « Coins bearing Greek and Indian Legends », Journal of the Asiatic Society of Bengal 23, 1854, p. 679-712. A. E. MEDLYCOTT, India and the Apostle Thomas, London, David Nutt, 1905, p. 6 indique qu’elles portent ΒΑΣΙΛΕΩΣ ΒΑΣΙΛΕΩΝ ΓΟΝΔΑΦΑΡΟΥ.

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L’apôtre promet un palais. Avec l’argent du roi, il donne aux pauvres, il jeûne… Le roi est furieux : à quoi sert son argent ? La même nuit, le frère du roi, Gad, meurt. Il voit alors un palais dans les cieux, construit par les bonnes œuvres de Thomas. Il revient sur terre pour en apprendre l’existence à Goudnaphar, qui finit par comprendre : mieux vaut un palais dans les cieux qu’une demeure sur terre. Ils se convertissent et se font baptiser. Acte III. – Série de miracles contre le démon (le serpent noir). L’apôtre, qui ne s’appelle plus que Judas, commence par ressusciter un jeune homme. Celui-ci a été mordu par un serpent qui se révèle être le Serpent d’Éden, le Malin. Judas-Thomas lui ordonne de le ramener à la vie. Le Serpent éclate. Le jeune homme qui revient des morts explique ce qu’il a vu. Ensuite, l’apôtre arrive dans une ville où se trouve une femme malmenée par un démon ; il la guérit. Survient un général, Siphûr, qui lui demande de guérir sa femme et sa fille qui ont été violées par des hommes noirs. Survient également Magdonia une parente du roi Mazdaï, qui se voit promptement convertie par une prédication sur la pureté. Cela provoque un incident avec son mari Karish car elle ne veut plus avoir de relations sexuelles avec lui. Ce dernier finit par se plaindre au roi. Le souverain fait arrêter Siphûr puis Thomas. Tout se complique. Des initiations, des emprisonnements. La narration devient plus confuse. Thomas finit par mourir tué par Mazdaï.

Figure 14 : l’Inde des Actes de Thomas

L’épilogue ne manque pas d’intérêt (AcTh 170). Le fils du roi Mazdaï est tourmenté par un démon. Celui-ci se met à penser : « J’irai ouvrir le tombeau de Judas et je prendrai un des os de l’apôtre de Dieu, et je l’appliquerai sur mon fils et il sera guéri. » Il a une vision : « Tu n’as pas cru en

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celui qui était vivant, et voici que tu veux croire en celui qui est mort ? Cependant, ne crains pas : mon Seigneur le Christ aura pitié de toi à cause de sa bonté 166. » Le roi manifeste alors une sorte de retournement des sentiments à l’égard de Thomas. Alors que Thomas a cru parce qu’il a touché, ici le roi qui a vu et n’a pas cru, se met à croire alors qu’il ne voit pas. Mazdaï ne trouva pas les os de Judas-Thomas, car l’un des frères les avait volés et les avait fait remonter en Occident : il existait déjà à cette époque une tradition bien établie du passage en Inde, le rédacteur ne pouvait pas aller contre, mais il explique pourquoi le corps est à Édesse. Finalement, le roi prend de la poussière du tombeau et cela suffit à guérir son fils. Il se convertit donc. b. Thomas comme figure de l’apôtre idéal Les Actes de Thomas méritent une analyse un peu poussée, car contrairement à bien des actes apocryphes d’apôtre, ils accordent une grande importance à leur héros. Celui-ci n’est pas une figure interchangeable, mais possède une véritable individualité. Il est en quelque sorte un « apôtre idéal » selon l’expression de Patrick Hartin 167. 1. Une vocation d’apôtre. – Pour être ἀπόστολος, c’est-à-dire appelé, il faut un appel, une vocation. Les Actes commencent donc par le récit de cet appel. Ils se partagèrent les contrées pour que chacun d’entre eux prêche dans la région qui lui était échue et dans la contrée où son Seigneur l’avait envoyé. Par le sort et la répartition, l’Inde revint à l’apôtre Judas Thomas, et il ne voulait pas s’y rendre disant : « Je n’en suis pas capable parce que je suis faible et que je suis un Hébreu. Comment puis-je enseigner aux Indiens 168 ? »

D’emblée, Thomas est rangé parmi les grands appelés. En effet, comme tout pécheur sur laquelle se pose la main de Dieu, il commence par refuser l’honneur qui lui est fait. Moïse (Ex 3) fit ainsi, mais manifestement, l’auteur songe ici à Jonas ( Jon 1, 1-17) : même refus, et même expression, « je suis un Hébreu ». 2. Un apôtre esclave. – Comme pour Jonas, Dieu emploie les grands moyens. S’il ne lui fait pas rencontrer le gros poisson, il le vend comme esclave. Jésus ressuscité rencontre en effet le marchand Habban, envoyé du roi Goudnaphar d’Inde qui cherche un charpentier. Et le voilà qui signe un contrat : 166. Actes de Thomas 170, trad. P.-H. POIRIER et Y. TISSOT, ÉAC I, p. 1470. 167. P. J. HARTIN, « The Role and Significance of the Character of Thomas in the Acts of Thomas », in J. M. ASGEIRSSON, A. DECONICK, R. URO (ÉDS.), Thomasine Traditions in Antiquity (Nag Hammadi and Manichaean Studies 59), Leiden/Boston, Brill, 2006, p. 239-253. 168. Actes de Thomas 1, trad. P.-H. POIRIER et Y. TISSOT, ÉAC I, p. 1331. Nous renverrons désormais systématiquement à cette traduction.

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Moi Jésus, fils de Joseph le charpentier, de la ville de Bethléem en Judée, je reconnais que j’ai vendu Judas Thomas mon esclave, à Habban, le marchand du roi Goudnaphar 169.

Comment ne pas voir dans cet accord une allusion directe à la thématique de l’apostolat comme esclavage présente chez Paul : δοῦλος Χριστοῦ (Ph 1, 1) ? Tout au long du texte, les exemples abondent pour montrer que la vie de l’apôtre se conduit sous le contrôle de Dieu qui accomplit tout. C’est toi qui connais tout ce qui doit arriver, et tu l’accomplis par nous ! C’est toi qui manifestes les mystères cachés et qui révèles les paroles secrètes 170.

Cette confession d’un Dieu omniscient, qui détient la clef de tous les secrets, se double de l’affirmation que l’apôtre n’est qu’un simple agent. Tout s’accomplit par lui. L’apôtre n’a donc pas besoin des plaisirs du monde puisqu’il possède en lui toute la puissance divine. Voilà une explication pour le très grand ascétisme du texte, qui se dévoile par exemple lors du repas de noces qui se tient à Sandarouk : Tandis que tous mangeaient et buvaient, Judas ne goûtait à rien du tout. Ceux qui étaient près de lui lui demandèrent : « Pourquoi es-tu venu ici, puisque tu ne peux ni manger ni boire ? » Judas rétorqua : « c’est pour quelque chose de meilleur que le manger et le boire que je suis venu ici » 171.

La réponse de Thomas aux convives nous oriente vers une compréhension bien différente de la représentation habituelle que l’on se fait de l’œuvre communément taxée d’« encratiste ». Alors que l’on prétend souvent que l’encratisme est une façon de préserver une certaine forme de pureté, voire de refuser de collaborer à un monde pervers, on aperçoit ici qu’il s’agit de ne pas se laisser distraire. L’ascétisme est un moyen et non une fin. Être l’esclave du Christ suppose de rester attaché à sa mission sans s’en laisser détourner. Voilà qui consone avec l’hypothèse du milieu syrien. Si les groupes ascétiques de Syrie entretiennent un mode de vie semblable à celui des solitaires d’Égypte, leurs modèles sont bien distincts 172. Comme les ascètes du désert égyptien, ces vagabonds syriens ont embrassé le célibat, la pauvreté, et les errances. Toutefois, leur mode de vie ascétique se fonde sur des précédents apostoliques et non sur l’exemple d’Antoine le Grand. Pour eux, la sequela Christi se traduit par une participation active, en tant que représentants du Christ, au « monde ». Plutôt qu’un retrait social permanent, ils pratiquent le renoncement tout en continuant de participer aux activi169. AcTh 1, 1-2. ÉAC I, p. 1332. 170. AcTh 2, 2. ÉAC I, p. 1339. 171. AcTh 5, 1. ÉAC I, p. 1334. 172. P. ESCOLAN, Monachisme et Église : le monachisme syrien du IVe au VIIe siècle : un ministère charismatique (Théologie Historique 109), Paris, Bauchesne, 1999.

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tés communes des humains. Pour ces errants, afficher un comportement ascétique rigoureux a été un impératif apostolique, qui a non seulement authentifié leurs efforts et leurs revendications de légitimité chrétienne, mais aussi leurs revendications économiques. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’ils eurent tendance à très fortement personnaliser leur apôtre de référence : Thomas. Le texte se poursuit : Cette joueuse de flûte était juive. Comme elle s’était arrêtée au-dessus de lui un long moment, Judas ne releva pas le visage, mais il fixait constamment le sol 173.

La joueuse de flûte est juive : coucher avec elle n’entraînerait aucune souillure, prétend le texte, qui semble au fait de certains usages du judaïsme. Et pourtant, Thomas ne cherche même pas à la regarder : on constate toujours cette obsession de rester fixé sur Jésus. 3. L’imitatio Christi comme programme apostolique. – L’ascétisme a souvent été l’arbre qui cachait la forêt aux chercheurs. Elle n’est qu’un aspect de ce qui constitue le cœur du propos des Actes : imiter le Christ. Tout dans la vie de l’apôtre doit reprendre les actions de Jésus. On se souvient que dans le passage chez Goudnaphar, celui-ci lui demande de bâtir un palais, ce que Thomas promet. Évidemment, il ne le réalise pas, puisque le vrai palais est dans les cieux. Avec l’argent du roi, voilà ce qu’il fait : Il n’a construit ni palais ni rien fait d’autre que circuler par villes et villages, donner aux pauvres et leur enseigner un dieu nouveau, guérir les malades et chasser les démons, et accomplir beaucoup de choses. Nous pensons qu’il est un sorcier, mais sa miséricorde et son art de guérisseur sont gratuits. Son abnégation et sa piété font penser qu’il est soit un mage, soit l’apôtre d’un dieu nouveau ; en effet, il jeûne beaucoup et prie beaucoup, mange du pain et du sel, et boit de l’eau ; il se vêt d’une seule tunique ; il n’accepte rien de personne et, ce qu’il a, il le donne aux autres 174.

Construire un palais selon Dieu, c’est imiter Jésus. Imiter son itinérance, avoir le même souci que lui des pauvres, enseigner, guérir les malades et opérer des exorcismes : tout ce qui a été accompli par le rabbi de Nazareth doit être reproduit par le chrétien (et l’apôtre son modèle). Comme Jésus, jeûnant au désert, Thomas pratique le jeûne ; comme Jésus priant son Père, Thomas prie. Comme Jésus n’ayant qu’une seule tunique lors de sa crucifixion, Thomas possède un seul vêtement. Toute la vie de l’apôtre est imitatio Christi : prêcher, enseigner, mourir. L’apôtre est donc l’instrument de Dieu. Il laisse passer Dieu en lui. De nombreux éléments du récit des actes sont calqués sur la narration évan173. AcTh 6, 1. ÉAC I, p. 1335. 174. AcTh 20, 1-2. ÉAC I, p. 1346-1347.

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gélique. Thomas est charpentier, il reçoit une gifle lors du repas de noces, ce qui rappelle le thème du Christ aux outrages, il reprend les miracles du Christ de manière répétitive (résurrection d’un mort, expulsion d’un démon, don à un pauvre). Sa mort reprend également celle de Jésus : le général Siphûr, qui a la foi, figure le centurion de Marc ; Thomas prie avant sa mort ; il meurt hors de la ville, après avoir gravi une montagne ; et surtout, il apparaît à ses disciples. Je ne suis pas ici, pourquoi êtes-vous assis et veillez-vous ? Je suis monté vers mon Seigneur et j’ai reçu ce que j’attendais et espérais. Mais levez-vous et descendez d’ici, car encore un peu de temps et vous aussi vous serez unis à moi 175.

Tout est allusions dans ce passage : « Je ne suis pas ici » rappelle Mc 16, 6 et la parole des anges aux saintes femmes. « Je suis monté vers mon Seigneur » reprend la déclaration de Jn 20, 17 à Marie-Madeleine. « Levezvous et descendez » : voilà un bel envoi en mission comme ceux que pratiquait le Christ ressuscité. « Encore un peu de temps » fait évidemment allusion à Jn 16, 15 : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et encore un peu de temps, et vous me verrez, parce que je vais à mon Père. » L’assimilation à Jésus est tellement parfaite que l’apôtre ose dire « vous aussi vous serez unis à moi », alors que c’est habituellement à Jésus que l’on est uni. Le transfert de valeur que l’on a déjà noté entre l’apôtre et le Christ fonctionne ici parfaitement. 4. La mise en scène de la gémellité et son rôle. – Cette imitatio Christi s’accomplit dans le thème de la gémellité qui court à travers tout le texte. En assimilant Thomas à Jude, frère du Seigneur (celui de l’épître), on fait de Thomas le frère jumeau du Christ. Cette thématique de la gémellité rejoint l’une des composantes principales du christianisme d’Édesse. J. Rendel Harris proposait déjà de rapporter l’appétence pour la gémellité des syriaques aux croyances païennes sur les Dioscures 176, ce qui avait été confirmé par L. Bailey 177 qui rappelait l’importance du culte des jumeaux astraux dans la région du Hauran (Sîn dieu de la lune et Nergal dieu des enfers ainsi que les enfants de Sîn, Ishtar et Nusku, associés respectivement à Vénus et Mercure). Dans son livre sur les cultes et les croyances à Édesse, Han Drijvers a longuement commenté le culte aux jumeaux Azizos et Monimos (l’étoile du matin et l’étoile du soir) 178, tandis que Raymond Kuntzmann179 en a déployé toutes les significations spirituelles. 175. AcTh 169, 1. ÉAC I, p. 1468-1469. 176. J. R. HARRIS, The Dioscuri in the Christian Legends, London, Clay and Sons, 1903, p. 29-41 ; ID., The Cult of the Heavenly Twin, Cambridge, University Press, 1906, p. 101-118. 177. L. R. BAILEY, « The Cult of the Twins at Edessa », Journal of the American Oriental Society 88, 1968, p. 342-344. 178. H. J. W. DRIJVERS, Cults and beliefs at Edessa (Études préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain 82), Leiden, Brill, 1980, chap. VI.

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À de nombreuses reprises, on peut constater l’identification entre Thomas et le Christ. Ainsi, le jeune homme mordu par le serpent voit-il le Christ dans sa vision. Lorsqu’il en parle à Thomas, il le décrit comme « celui qui te ressemble » (AcTh 57). La scène nuptiale est elle aussi caractéristique. On ne s’étendra pas sur la question de ce rite, souvent étudié 180, mais on remarquera l’assimilation : Le roi demanda aux garçons d’honneur de sortir de la chambre nuptiale. Quand tous furent sortis et que les portes eurent été fermées, le fiancé souleva le voile de la chambre nuptiale pour amener à lui la jeune épouse. Et il vit le Seigneur Jésus conversant avec la jeune épouse, ayant la ressemblance de Judas Thomas qui peu auparavant les avait bénis et les avait quittés, l’apôtre. Il lui dit : « N’es-tu pas sorti avant tous ? Comment maintenant te trouves-tu ici ? » Le Seigneur lui répondit : « Je ne suis pas Judas, dit aussi Thomas, je suis son frère. » Alors Jésus s’assit sur le lit, il les invita à s’asseoir sur des chaises et il commença de leur parler 181…

Ici, ce n’est pas Thomas qui ressemble à Jésus, c’est Jésus qui ressemble à Thomas. Et les rôles sont renversés : ce n’est pas Thomas le frère de Jésus, mais Jésus le frère de Thomas. Bien entendu, la prédication est d’une redoutable efficacité puisque le lendemain, les époux sont en pleine crise mystique. La femme fait une déclaration en apparence encratique, mais qui est en réalité une belle preuve de foi puisqu’elle déclare, comme chez Mt 9, 15, que Jésus est l’Époux. Si cette œuvre de corruption et les embarras de ce mariage de vanité ont été méprisés par moi, c’est parce que j’ai été invitée au mariage véritable ; si je ne me suis pas unie avec un homme par une union dont la fin est un amer repentir, c’est parce que j’ai été donnée à l’homme véritable 182.

Parfois, l’apôtre prend bien soin de faire la différence entre lui et son jumeau divin. Ainsi répond-il à Siphûr qui lui demande de guérir ses filles : « Je ne suis pas Jésus, mais son serviteur et son apôtre ; confie-lui ton âme, et lui les guérira et se fera leur secours 183 » (AcTh 65, 1). Thomas n’est pas le Christ. Thomas ressemble au Christ uniquement en ce qu’ils prêchent le même évangile, mais la victoire sur le mal ne peut être que le fait du Christ 184. Mais, le plus souvent, la confusion est extrême et conduit 179. R. KUNTZMANN, Le Symbolisme des jumeaux au Proche-Orient ancien (Beauchesne Religion 12), Paris, Beauchesne, 1983. 180. J. A. DELAUNAY, « Rite et symbolique en Acta Thomæ », in P. GIGNOUX et A. TAFFAYOLI (ÉDS.), Mémorial Jean de Menasce, Louvain, Imprimerie orientaliste, Fondation culturelle iranienne 185, 1974, p. 11-34. 181. AcTh 14, 2. ÉAC I, p. 1340. 182. AcTh 11. ÉAC I, p. 1342. 183. ÉAC I, p. 1388. 184. A. F. J. KLIJN, The Acts of Thomas…, p. 37.

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à une sorte de Doppelsinnigkeit (selon l’expression de Bornkamm 185). Ainsi, lorsque Magdonia vient en prison : Tandis qu’elle allait, Judas la rencontra qui venait vers elle. Elle le vit et eut peur, car elle pensait que c’était l’un des grands, à cause de l’abondante lumière qui le précédait. Elle dit : « Malheur à toi, ma malheureuse âme, parce que tu es perdue. Je ne verrai plus Judas, l’apôtre de Jésus, le Dieu vivant, parce que je n’ai pas encore reçu de lui le signe 186. »

Qui voit Magdonia ? Est-ce Jésus transfiguré comme le laisse penser la lumière ? Est-ce Thomas qu’elle prend pour Jésus lui-même ? Elle se croit manifestement en train de mourir (« malheur à toi ma malheureuse âme ») alors qu’elle n’est pas baptisée, comme si elle contemplait déjà la redoutable lumière divine. c. Thomas comme apôtre mystique Cette analyse de la figure de Thomas nous confronte à une nouvelle identité de l’apôtre. Celui-ci s’affirme petit à petit comme un disciple parfait, entièrement soumis au Christ, qui se pose finalement comme son double. L’apôtre, en dévoilant progressivement la figure du Christ, finit par s’identifier totalement à lui : Thomas = Jésus, telle est l’équation posée par les Actes de Thomas. La gémellité, qui reçut autrefois une interprétation géographique 187, anthropologique 188 ou astrologique189 exprime ici une 185. G. BORNKAMM, Mythos und Legende in den apokryphen Thomasakten. Beiträge zur Geschichte der Gnosis und Vorgeschichte des Manichäismus (Forschungen zur Religion und Literatur des AT und NT 31), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1933, p. 17-18. 186. AcTh 118, 1-2. ÉAC I, p. 1434. 187. C’est clairement le cas de Jacob et Ésaü, les deux enfants d’Isaac. Le récit a pour fonction d’expliquer l’élection d’un peuple plutôt que l’autre. Jacob est le malin, qui dérobe à Ésaü à la fois son droit d’aînesse et sa bénédiction. La haine d’Ésaü explique le destin de Jacob-Israël : il doit fuir. Il est celui qui sort de la terre de Canaan pour fuir la haine d’Ésaü. Par cet épisode Israël est constitué comme un peuple errant. La gémellité a ici une fonction géographique. Les jumeaux représentent un même individu doué de bilocation. Le mythe veut montrer que Jacob et Ésaü, autrement dit Israël et Édom ne forment qu’un seul peuple mais à deux endroits différents. 188. L’épopée sumérienne de Gilgamesh datant de l’époque d’Hammurabi (17921750) et récrite par les Akkadiens, relate la vie du roi Gilgamesh, un roi cruel et qui veut avoir raison de tous. Lassés de ses excès, les dieux lui suscitent un jumeau. Le dieu Anu dit à la déesse créatrice Aruru : « c’est toi Aruru qui a créé Gilgamesh, crée maintenant, de lui, une réplique, qui lui soit pour la fougue du cœur incomparable ; qu’ils rivalisent l’un l’autre, et qu’Uruk soit en paix ». C’est Enkidu, l’homme de la steppe, son double sauvage. Ils se combattent, mais le plan divin est déjoué : ils tombent dans les bras l’un de l’autre. Après la mort d’Enkidu, Gilgamesh part vers Uta-napishtim pour rechercher l’immortalité. Lorsqu’ils deviennent amis, l’épopée dit : « Oui, maintenant, Gilgamesh est ton ibru-talimu ». Les talimê de l’art mésopotamien sont des êtres qui ont acquis un grand rapport de symétrie : l’unité des

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sorte de modèle de salut où il faut se faire semblable au Christ pour laisser passer en soi le Christ et ses mystères 190. On retrouve cette idée de transmission du mystère – et donc, d’une certaine façon, une expression du primat de la gnôsis dans le salut – à de nombreuses reprises, en particulier dans AcTh 39, 2 : « Toi qui as reçu les mystères cachés du Fils de Dieu, homme libre qui es devenu esclave pour en mener beaucoup à la liberté par ton obéissance 191. » Les mystères cachés permettent de retrouver notre Thomas initié tandis qu’on voit le lien entre l’esclave (le renoncement à soi) et la liberté. AcTh 47, 2 semble reprendre l’Évangile de Thomas et ses paroles brûlantes : « Jésus, mystère caché qui me fus révélé, c’est toi qui m’as fait connaître tes mystères plus qu’à tous mes compagnons et tu m’as dit ces paroles par lesquelles me voici brûlant, et je ne peux les dire 192. » AcTh 78, 2, enfin, fait le lien entre l’apôtre et la révélation du mystère : « Pourquoi restes-tu à ne rien faire, apôtre du Très-Haut ? […] Pourquoi restes-tu là, héraut de ce qui est caché ? Car voici que ton maître veut exposer par toi son mystère à ceux qui sont dignes d’entendre ces choses 193. » La révélation est finalement possible, mais elle ne saurait s’opérer que par le truchement de l’apôtre. L’équivalence entre l’apôtre et le Christ métonymise une sorte d’union ou de fusion entre la divinité et le fidèle, de retour vers une sorte d’unité perdue. Thomas est à la fois celui qui laisse passer le Christ et sa manifestation tangible dans ce domaine étranger que représente l’Inde et qui est évidemment une métaphore de notre monde sublunaire. Le retour vers l’unité est exprimé par le fameux Chant de la Perle (108-112) 194 dont le jumeaux révèle l’unité de la force, qui est brutale, mais domestiquée, la désunion des jumeaux conduit à la quête de l’immortalité qui se conclue vers une quête de soimême. L’histoire de Jacob n’est-elle pas identique : l’ange avec qui il lutte, n’est-ce pas celui qui lui fait connaître qui il est ? Cf. J. BOTTÉRO, L’Épopée de Gilgameš le grand homme qui ne voulait pas mourir (L’aube des peuples), Paris, Gallimard, 1992. 189. Dans la cosmologie, les astres fonctionnent souvent en couple de jumeaux. On peut citer la Lune et Vénus (Ishtar et Attar ou Ishtar et Shamash des Babyloniens), les Dioscures (Castor et Pollux), Azizos et Monimos (l’étoile du matin et l’étoile du soir chez les Syriens). Tous ont le rôle d’assesseur auprès du Dieu. Vénus précède le soleil le matin et suit son coucher le soir. Elle se couche au moment où la Lune se lève. L’idée est certainement que les puissances faillées symbolisent le monde. 190. B. LAYTON, The Gnostic Scripture, Garden City (N. Y.), Doubleday, 1987, p. 360. 191. ÉAC I, p. 1366. 192. ÉAC I, p. 1372. 193. ÉAC I, p. 1397. 194. P.-H. POIRIER, L’Hymne de la Perle des Actes de Thomas (Homo religiosus 8), Louvain-La-Neuve, Centre d’Histoire des Religions, 1981. Le texte est connu aussi par une version remaniée par Nicétas de Thessalonique (CANT 247 = BHG 1832). M. BONNET, « Actes de saint Thomas, apôtre. Le poème de l’âme. Version grecque remaniée par Nicétas de Thessalonique », Analecta Bollandiana 20, 1901, p. 159-164.

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centre n’est pas la perle, mais la robe, retour vers l’unité perdue. Il nous permet d’apercevoir le sens de l’Inde : l’Inde reprend certainement une tradition sur Thomas, mais elle symbolise aussi ce monde, vu comme un pays éloigné de la divinité, plongé dans l’exotisme (au sens propre), c’est-à-dire l’éloignement de Dieu. La robe constitue la contrepartie divine du soi : elle est une image de Thomas, figure terrestre, qui a sa contrepartie divine en Jésus ; elle est une image du soi divin de chacun de nous. Le Chant de la Perle constitue une sorte de mise en abyme de tous les Actes. Il rappelle que seule importe la relation au Christ. Il présente la vie comme un voyage eschatologique en pays étranger accompagné du Christ et il redit que tout a une contrepartie : le mal apparaît sous la forme de personnages noirs, Jésus apparaît sous sa forme de Thomas. Et surtout, il rappelle que le Christ et l’homme sont des vagabonds, des Wanderer : homo viator. Les Actes de Thomas reflètent en effet une christologie qui insiste sur l’identité de Jésus comme un vagabond sans-abri « qui n’a pas où reposer sa tête » (Mt 8, 20). Il s’agit d’un Dieu dont la majesté a pris les dimensions de l’homme en adoptant la forme la plus ignoble de l’existence humaine, « qui, tout en étant sous la forme de Dieu s’est dépouillé en prenant la forme d’un esclave » (Ph 2, 6). Dans cette vision des choses, c’est seulement cet abaissement qui réalise la promesse du salut accessible à toute l’humanité. On a souvent parlé de gnose à propos de cette théologie : Hans Jonas ne prend-il pas le Chant de la Perle comme la narration idéale de toute la pensée gnostique 195 ? On peut se demander si on ne se trouve pas plutôt confronté à une série de traits distinctifs du christianisme syriaque 196, un christianisme dans lequel la mort vicaire du Christ n’est pas essentielle, dans lequel le péché n’est pas central ; un christianisme où le salut n’est pas décrit par la métaphore judiciaire, mais comme un retour à l’état paradisiaque ; un christianisme où il n’y a pas de rupture entre Dieu et l’humanité et où l’identification au Christ est possible par le thème du jumeau. Pour le croyant, Thomas est une figure centrale car elle permet de s’unir par imitation au Christ lui-même. Elle permet de se « christifier », comme dirait Teilhard de Chardin. L’ouvrage est destiné à inspirer aux lecteurs le désir d’effectuer leur assimilation au Christ, guidés par le modèle apostolique. Ainsi, Jésus a-t-il donné à Thomas l’exemple de la pauvreté volontaire et des errances, afin que son double promeuve un mode de vie apostolique à l’imitation de ses lecteurs. De cette façon, les Actes de Tho195. H. JONAS, La Religion gnostique. Le message du dieu étranger et les débuts du christianisme (Idées et Recherches), 1958, Paris, Flammarion, 1978. 196. A. F. J. KLIJN, Edessa, die Stadt des Apostels Thomas : Das älteste Christentum in Syrien (Neukirchener Studienbücher 4), Neukirchen-Vluyn, Neukirchner Verlag, 1965, p. 139-147.

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mas encouragent les lecteurs à répondre à un idéal résumé dans l’Évangile de Thomas en un commandement simple : ϣⲱⲡⲉ ⲉⲧⲉⲧⲡⲁⲣⲁⲅⲉ, « Soyez des passants ! » (logion 42). Cette dernière injonction, comme l’a montré Jean-Daniel Dubois, est certainement à rattacher à la figure de l’errance des Hébreux, des hommes du passage 197. Le mécanisme d’identification est parfaitement décrit vers la fin du texte. Vizan et Manashar sont frère et sœur. Vizan est emprisonné de conserve avec Judas-Thomas. Manashar, malade, est guérie. Alors que les portes s’ouvrent miraculeusement, Manashar rencontre Vizan : [Vizan] dit : « Où vas-tu à cet instant, toute seule ? Comment as-tu pu te lever de ta couche ? ». Elle lui dit : « Ce jeune homme-ci a posé sa main sur moi, et j’ai recouvré la santé. J’ai vu en songe que je devais aller vers cet étranger, là où il était enfermé, afin d’être parfaitement guérie. » Vizan lui dit : « Qui est ce jeune homme qui était avec toi ? ». Elle lui dit : « Ne le vois-tu pas ? Il me tient la main droite et me supporte 198. »

Comme souvent dans les Actes, les créatures non humaines sont présentées comme des personnages qui ne sont vus que par des destinataires précis : ce peut-être ce jeune homme, qui est manifestement Jésus, ce peut-être un homme noir, qui est le démon. Toute une thématique de l’apparence se met en œuvre dans laquelle voir et ne pas voir permettent de construire des cercles différents de personnages et autorisent l’intervention des êtres célestes ou maléfiques de manière directe sous forme de personnages. Dans ces apparitions, on peut lire une extériorisation des sentiments sous forme de personnes (ce qui est une des caractéristiques de la mystique). Le texte se poursuit : Tandis qu’ils parlaient, Judas vint avec Siphûr, sa femme et sa fille et avec Tertia, Magdonia et Narquia ; ils s’approchèrent et entrèrent dans la maison de Vizan. Quand Manashar, la femme de Vizan, vit Judas, elle s’inclina et l’adora, et lui dit : « Tu es venu, toi qui m’as guérie d’une dure maladie ? Tu es celui que j’ai vu cette nuit me confiant à ce jeune homme pour qu’il me conduise à la prison. Mais ta mansuétude n’a pas permis de me laisser souffrir, tu es venu toi-même vers moi ». Ayant dit ces mots, elle se retourna et ne vit plus le jeune homme. Et, ne l’ayant pas trouvé, elle dit à l’apôtre : « Je ne puis marcher seule, le jeune homme n’est plus là, que tu m’avais confié ». Judas dit : « C’est Jésus désormais qui te guidera » 199.

197. J.-D. DUBOIS, « Soyez passants », ou l’interprétation du logion 42 de l’Évangile de Thomas », in L. PAINCHAUD et P.-H. POIRIER, Colloque international « L’Évangile selon Thomas et les textes de Nag Hammadi » (Bibliothèque copte de Nag Hammadi – Études 8), Québec, Presses de l’Université Laval, 2007, p. 93-106. 198. AcTh 154, 3. ÉAC I, p. 1460. 199. AcTh 155. ÉAC I, p. 1460-1461 (nous corrigeons légèrement la traduction).

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Les rôles sont encore une fois inversés, mais cela illustre parfaitement ce que nous avons dit jusqu’à présent. C’est bien Thomas qui confie Jésus à ses ouailles, car sa gémellité est l’artifice qui a permis la foi. Il peut alors s’effacer, car il est parvenu au bout de sa mission de guide des nouveaux convertis et peut les confier à leur vrai guide : Jésus. Le jeune homme peut lui aussi s’effacer : il n’était qu’un intermédiaire, un miroir de la divinité, qui devient inutile quand c’est Dieu lui-même qui prend Manashar par la main.

III. L A

TROISIÈME PHA SE

( III E - VI E

SIÈCLE )

: T HOMA S ,

ENTRE ORTHODOXIE ET HÉTÉRODOXIE

Cette figure de Thomas héritée d’Édesse, celle d’un Thomas jumeau du Christ dont la gémellité sert d’intermédiaire pour rencontrer Dieu, marque durablement la réception de l’apôtre à travers les siècles. Elle est reprise en effet par des communautés marginales qui seront taxées d’hétérodoxie. Celle que Celse nomme la « Grande Église », quant à elle, tente d’orthodoxiser le Jumeau, en reprenant les données déjà présentes dans la tradition d’Édesse. A. La perpétuation de la figure du Thomas visionnaire Certaines tendances, dont des tendances sectaires, reprennent la figure de Thomas là où les Actes l’avaient laissée et la poussent un peu plus loin.

1. Le Livre de Thomas l’Athlète : la gémellité autorise toutes les révélations Parmi ces textes qui font évoluer la figure de Thomas on peut citer le traité 7 du codex II de Nag Hammadi 200, le Livre de Thomas l’Athlète, qui date de la fin du IIIe siècle. Le texte est envahi par l’encratisme et se compose de plusieurs parties : un prologue qui met en scène le discours (138, 1-4), un discours introductif (138, 4-21), sept échanges entre Thomas et le Sauveur (138, 22 – 143, 7), un monologue prodiguant malédiction et bénédiction (143, 8 – 145, 7), des promesses eschatologiques (145, 8-16). Suivant l’analyse de John Turner 201, il est possible que le texte soit composite et mêle un livre de Thomas qui est un appel à l’ascétisme qui nous 200. R. KUNTZMANN, Le Livre de Thomas (Bibliothèque Copte de Nag Hammadi section textes 16), Québec, Presse de l’Université Laval, 1986. Nous reprenons cette traduction. 201. J. D. TURNER, The Book of Thomas the Contender from Codex II of the Cairo Gnostic Library from Nag Hammadi (SBL Dissertation Series 23), Missoula (MT),

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rapproche des années 250 en Syrie avec une collection de dits (peut-être provenant de la source Q et l’Évangile de Thomas) qui nous replace vers 275 en Haute-Égypte. La suture entre les deux étant fort bien faite, le livre manifeste une grande unité littéraire 202. Le but de l’ouvrage semble être de prononcer une condamnation contre des membres de la communauté qui ne peuvent vivre un ascétisme sans faille. Ce qui frappe dans ce texte, c’est que l’identification entre Thomas et le Sauveur est totalement réalisée, il est devenu ce « disciple intime » dont parle J.-D. Dubois 203. Le Sauveur dit : « Frère Thomas, tant que tu as du temps dans le monde, écoute-moi, que je te révèle ce sur quoi tu as réfléchi dans ton cœur. Puisqu’on dit que tu es mon jumeau et mon véritable compagnon, examine-toi et comprends qui tu es et comment tu es ou ce que tu deviendras. Puisqu’on te nomme mon frère, il ne faut pas que tu sois sans te connaître toi-même ; et je reconnais que tu as compris, car tu as déjà compris que je suis la connaissance de la Vérité. Pendant que tu marches encore avec moi, même si tu es ignorant, tu as déjà connu, et on t’appellera “celui-qui-seconnaît lui-même”, parce que qui ne s’est pas connu n’a rien connu, mais celui qui s’est connu lui-même est arrivé également à obtenir la connaissance au sujet de la profondeur du tout. C’est pourquoi donc, toi, mon frère Thomas, tu as vu ce qui est caché aux hommes, ce à quoi ils échappent par manque de connaissance 204. »

En appelant Thomas « frère », le Sauveur joue sur les deux sens du mot : Thomas est bien un frère chrétien et frère jumeau. Cette gémellité entre le double terrestre et le double céleste est la clef de l’identification. En invoquant « ce que tu as réfléchi dans ton cœur », le texte montre que Thomas réfléchit dans son cœur et Jésus est l’exégète. Le Sauveur poursuit et appelle Thomas « compagnon véritable » en grec dans le copte συναληθής qui explique peut-être le jeu de mot de la fin « Thomas l’athlète », συναθλητής. « Examine-toi » traduit la complémentarité des deux. Comme dans le γνῶθι σεαυτόν du temple de Delphes, se connaître soimême, c’est connaître Dieu. On peut bien ici parler d’identification gnostique, car c’est l’examen de soi qui provoque la connaissance. Pour les communautés à l’origine de ces textes, Thomas, jumeau du Christ, est la Scholars, 1975. Les données sont présentées dans J. D. TURNER, « A New Link in the Syrian Judas Thomas Tradition », in M. KRAUSE (éd.), Essays on the Nag Hammadi texts in honour of Alexander Böhlig, (Nag Hammadi and Manichaean Studies 3), Leiden, Brill, 1972, p. 109-119. 202. R. KUNTZMANN, Le livre de Thomas…, p. 10-20. 203. J.-D. DUBOIS, « La figure de Thomas dans quelques textes apocryphes »…, p. 167. 204. Livre de Thomas, NH II, 7, f°138, 4-20, trad. R. KUNTZMANN, EG, p. 495496.

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vivante image du processus de connaissance. Puisqu’il est le double du Sauveur, lorsqu’il se connaît lui-même, il connaît son frère. Il ne fait que réaliser de manière parfaite, ce que tout chrétien est censé faire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, à la fin du texte, le Sauveur déclare « qui ne s’est pas connu n’a rien connu, mais qui s’est connu lui-même déjà acquis la connaissance de la profondeur du Tout. Voilà pourquoi, toi, mon frère Thomas, tu as vu ce qui est caché aux hommes, ce sur quoi ils butent par manque de connaissance ». Par la figure de Thomas, le texte réalise en réalité une petite catéchèse gnostique. Le disciple doit trouver en soi son jumeau, un jumeau astral, un jumeau spirituel, le Christ en soi. Cela débute sur une connaissance, sur une compréhension de soi, puis de la Vérité. Thomas jumeau du sauveur devient Thomas le prototype du parfait, preuve que tout parfait doit devenir le jumeau du Sauveur 205. Cette idée de gémellité est prolongée dans le psautier manichéen que nous ne citons ici que pour mémoire. En effet, comme l’a montré PaulHubert Poirier, le Thomas dont il s’agit n’est pas l’apôtre – ni même le disciple de Mani du même nom : il est la figure du double du prophète Mani, son jumeau céleste 206. Dans certaines franges du christianisme, « Thomas » était tellement associé à la gémellité qu’il pouvait prêter son nom à tous les autres jumeaux.

2. La Sagesse de Jésus-Christ La Sagesse de Jésus-Christ (Nag Hammadi codex III), qui est une réécriture d’Eugnoste, un traité valentinien sur le christianisme empreint de judaïsme hellénisé et de paganisme spiritualisé, forme un vaste traité sur l’origine de l’homme. Dans ce traité, Thomas intervient plusieurs fois. Il se distingue par l’intensité de sa foi car il s’adresse toujours au révélateur en le nommant « Seigneur ». Il pose des questions comme « Christ Sauveur, combien y a-t-il d’éons au-dessus des cieux ? » (106, 10). Simple utilité, il prouve cependant la postérité de la figure d’initiée attribuée à Thomas.

3. Une petite résurgence occidentale : l’Apocalypse de Thomas (CANT 326) Dans ce dossier de Thomas comme visionnaire, il convient également de citer l’Apocalypse de Thomas qui nous a été transmise en latin et vieil

205. Nous avons suivi dans ce paragraphe l’analyse de R. KUNTZMANN, « L’identification dans le Livre de Thomas l’Athlète », in B. BARC (éd.), Colloque international sur les textes de Nag Hammadi : Québec, 22-25 août 1978 (Bibliothèque Copte de Nag Hammadi section études 1), Québec, Presse de l’Université Laval, 1981, p. 279-287. 206. P.-H. POIRIER, « Une nouvelle hypothèse sur le titre des Psaumes manichéens dits de Thomas », Apocrypha 12, 2001, p. 9-27.

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anglais 207, sous deux formes : une recension longue 208 et une recension brève 209. On ne la mentionnera ici que pour mémoire, car elle ne fait manifestement pas partie de l’ensemble édessénien. La recension brève prophétise une époque d’événements catastrophiques, puis la description des sept jours précédant le jugement, marqués par des signes cosmiques de la fin des temps (4 – 11). On y retrouve les ingrédients habituels : le tonnerre (1er jour), les voix fortes, la fumée qui sort des portes du ciel (2e jour), l’odeur de soufre et les colonnes de fumée (3e jour), le déchirement du firmament (6e jour). On retrouve les mêmes grands événements que dans l’Apocalypse de Jean. Le texte se termine par la venue du Christ, le huitième jour, pour enlever et emmener au Ciel ceux qui ont cru en lui. La recension longue est plus complexe, car les signes cosmiques sont précédés par une longue prophétie sur les signes que l’on pouvait déjà lire dans l’histoire : l’invasion des Goths, les Huns, etc. Ceci permet de dater assez facilement l’écrit de la fin du Ve siècle : le terminus ad quem est de toute façon donné par le plus ancien fragment conservé dans le Codex Vindob. Palatinus 16 daté du Ve siècle. Ces deux recensions sont sûrement largement influencées par les thématiques du cycle de Thomas ainsi que par le priscillianisme : le motif de la lumière, obsédant dans le texte, a été bien identifié par le premier éditeur de l’Apocalypse comme l’un des motifs préférés des priscillianistes 210. Le lieu de composition pourrait donc être l’Espagne. On voit donc que Thomas fait, à travers ces mouvements, une sorte d’apparition en Occident. Toujours avec les mêmes caractéristiques : il est le voyant par excellence. B. L’apôtre de l’Église officielle Face à cette utilisation de la figure de Thomas dans des textes qu’elle jugea « hétérodoxes », l’Église impériale eut tendance à présenter l’apôtre de manière un peu différente. Abandonnant toute gémellité, elle se centra sur les textes canoniques et développa l’épisode du doute. Preuve que la gémellité n’était propre qu’à l’Église d’Édesse, on ne la retrouve que dans la Vie de Jésus en Arabe (CANT 58), conservée dans un manuscrit du VIIIe siècle reprenant un original syriaque du IVe siècle et qui égrène une série de miracles faciles. Au chap. 28, une femme a deux jumeaux dont l’un est 207. Dans le manuscrit anglo-saxon de Verceil. 208. Représentée par le Codex Clm 485 f° 66v-67v de Benediktbeuren du IXe s. ; un manuscrit du chapitre de Vérone du VIIIe s. ; le cod. Vatic. Palat. 220. 209. Cod. Vindob. Palatinus 16 (Bobbiensis) f° 60rv du Ve s. ; Cod. Clm 4563 de Benediktbeuren, f° 40rv (XIe s.). 210. K. BIHLMEYER, « Un texte non interpolé de l’Apocalypse de Thomas », Revue Bénédictine 28, 1911, p. 270-282 (281).

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mort et l’autre mourant. Marie dit de poser le mourant sur le lit de Jésus : il revient à la santé, c’est Thomas. On retrouve donc, même affaiblie, l’idée du jumeau, puisque Thomas et Jésus partagent le même lit. Mais c’est un jumeau imparfait puisque le frère naturel est mort et que Jésus est le sauveur de Thomas plus que son frère. Dans l’Encomium attribué à Sévérien de Gabala 211 mais rédigé au VIIIe siècle 212, on règle le problème différemment : Thomas a pour parents Safainos et pour mère Dahras et son jumeau est en réalité une jumelle nommée Lisa. Il est dompteur de chevaux, selon une tradition présente également dans l’Homélie sur la Résurrection attribuée à Jean Chrysostome (il est ⲕⲩⲕⲗⲉⲩⲏⲥ, c’est-à-dire cocher de chevaux tournant pour actionner une vis sans fin) dans laquelle sa sœur est nommée ⲗⲏⲧⲓⲁ, Lydia 213. Par ailleurs, on lui attribue la terre des serpents comme champ d’évangélisation.

1. L’apôtre qui a la foi, mais qui doute : position de l’Église copte C’est donc sur le doute que se recentre la figure de Thomas. Pour l’Église officielle égyptienne, c’était un efficace moyen de combattre la figure gnostique d’un apôtre qui en savait sans doute un peu trop à son goût. a . Le Livre de la Résurrection de Barthélemy L’ambiguïté de la figure de Thomas, héritée de l’évangile de Jean, est bien soulignée par le Livre de la Résurrection de Barthélemy (CANT 80-82, nous en avons déjà parlé à propos de Barthélemy), texte liturgique de l’Église copte narrant la Résurrection, datant du Ve siècle (comme le prouvent des allusions à Marie postérieures au concile d’Éphèse de 431) mais présentant des éléments plus anciens. Thomas apparaît dans le chap. 21, qui constitue une sorte de paraphrase légèrement transposée de l’épisode de Jean. Selon sa coutume, il est absent lorsque se passent des événements intéressants. Cette fois-ci, c’est son fils Siôphanès qui est malade, et bientôt le voilà mort. Heureusement, Siôphanès est ressuscité par Thomas : c’est un rappel du lien que ce dernier entretient avec Lazare, sauf que cette fois-ci, c’est Thomas qui est posé en successeur de Jésus. Siôphanès raconte ce qu’il voit : Michel vient le chercher au moment de la séparation de l’âme et du corps. Ils traversent un fleuve. Il voit le trône 211. D. RIGHI, Severiano di Gabala, In apostolos : Clavis Coptica 0331 (CPG 4281) (Letteratura copta. Serie Testi), Roma, CIM, 2004. 212. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala, Encomium in XII apostolos (CPG 4281) : gli spunti apocrifi », Apocrypha 19, 2008, p. 217-266. 213. Z. PLEŠE, « Homily on the Resurrection and the Apostles, attributed to John Chrysostom », in D. BRAKKE (éd.) Homiletica from the Pierpont Morgan Library : seven Coptic homilies attributed to Basil the Great, John Chrysostom and Euodius of Rome I-II (Corpus scriptorum Christianorum Orientalium 524-525 / Copt. 43-44), Lovanii, Peeters 1991, I. [Texte], p. 56-76 ; II. [Traduction], p. 57-80.

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des douze apôtres dans une vision de l’apocalypse ( Jérusalem céleste). Il peut contempler le trône de son père. Ce récit est une belle défense et illustration du rôle des apôtres, qui sonne aussi comme une opération de réhabilitation de Thomas, qui trône au milieu de ses pairs. D’ailleurs, cette faveur qui touche Thomas se manifeste en acte : l’apôtre, sans doute revigoré par ces bonnes nouvelles, en profite pour baptiser la ville, démontrant ainsi toute sa puissance apostolique. Celle-ci est confirmée par une bénédiction du Christ : Toi aussi, mon élu Thomas, ta foi sera comme un aigle qui s’envole dans toutes les contrées jusqu’à ce qu’ils croient en moi pour toujours 214.

Il s’agit d’une bénédiction de tous les apôtres : André, colonne de Jérusalem ; Jacques, prédicateur de village ; Philippe, prédicateur efficace ; Barthélemy, demeure des mystères du Fils. Thomas, lui, est l’apôtre qui voyage et visite toutes les contrées. Sans doute est-ce une allusion à son apostolat indien. Finalement, on assiste à une longue apparition de notre apôtre : En vérité je te le dis, ô Thomas, le petit homme, partout où tu annonceras mon nom, je serai avec toi, moi et mon Père bon. […] Thomas étendit son doigt, prit du sang qui s’écoulait du flanc du Fils de Dieu et s’en signa. Le Sauveur prit la parole et dit à tous les apôtres : « Voici, mon sang divin s’est uni à votre corps, et vous êtes devenus divins » 215.

Ce texte est intéressant, car il réhabilite derechef l’apôtre. Même si Thomas est nommé « petit homme », ce qui n’a pas d’équivalent ailleurs, on voit qu’il est placé en position de force puisqu’il est celui que le Sauveur accompagne. Cette bénédiction est ratifiée par le geste de Thomas qui est une sorte de réalisation de celui qu’il avait à peine ébauché dans l’évangile de Jean. Cette fois-ci, il touche à pleine main le corps du Christ et se signe du sang qui coule. On peut lire dans cette scène frappante une figuration naïve du rôle de l’Eucharistie et du baptême, mais aussi une sorte de pacte d’accomplissement. Désormais, Thomas, guéri de son doute, devient l’un des plus efficaces prédicateurs de l’évangile. b. L’Homélie sur la vie de Jésus Comme le Livre de la Résurrection de Barthélemy, l’Homélie sur la vie de Jésus est une homélie propre à l’Église copte. Elle est un peu plus tardive (VIe-VIIIe s.) et se donne pour mission d’éclairer le peuple sur Jésus et ses miracles. On y assiste à une longue paraphrase de la résurrection de Lazare qui pose Thomas comme le disciple qui s’intéresse à la Résurrection. 214. Livre de la Résurrection de Barthélemy 18, 9. Trad. J.-D. KAESTLI et P. CHÉRIX, ÉAC I, p. 343. 215. Livre de la Résurrection de Barthélemy 24, 5. Trad. J.-D. KAESTLI et P. CHÉRIX, ÉAC I, p. 355.

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Cette paraphrase commence au chap. 4, où Thomas dit à Jésus : « […] nous voudrions, ô mon Seigneur, te voir faire se relever des morts gisant dans les tombeaux, comme signe de ta résurrection 216. » Jésus donne raison à son disciple et lui annonce qu’il va lui montrer le signe. On voit ici une union du Thomas qui pose des questions et du Thomas qui a confiance en Jésus. Didyme, viens avec moi ; allons à Béthanie. Je te montrerai, dans son tombeau, l’image de la résurrection au dernier jour, afin que votre cœur s’affermisse, car c’est moi qui suis la résurrection et la vie. Viens avec moi, ô Didyme, et je te montrerai les ossements disjoints dans la tombe se rassembler à nouveau. Viens avec moi, ô Didyme, je te montrerai les yeux creux de Lazare, privés de lumière. Viens avec moi, ô Didyme, jusqu’à la montagne de Béthanie ; je te montrerai la langue de Lazare décomposée par la corruption et qui se remettra à parler avec toi. Viens avec moi ô Didyme, jusqu’à la tombe de Lazare, vois la destruction de ses os et de son cadavre anéantis par les vers, et vois ce qui lui arrive à l’appel de ma voix 217.

Thomas et Jésus arrivent au tombeau. Jésus a alors des paroles tout à fait surprenantes : Thomas, ne t’afflige pas. Ce que je fais, tu ne le sais pas. Est-ce une peine que d’ôter la pierre qui est là pour un ami enfermé dans un tombeau, afin qu’il se relève et sorte ? Ne t’afflige pas, ô Thomas, car je t’ai dit d’ôter la pierre qui est là et qu’une preuve de la résurrection se manifestera au tombeau du mort. Ne t’afflige pas ô Thomas, car je t’ai dit d’ôter la pierre pour que le mort se relève. Ouvre la porte du tombeau et je ferai sortir celui qui est mort […]. Je ne t’ai pas obligé, ô Thomas, à ôter la pierre qui est là parce qu’il ne m’est pas possible de faire sortir Lazare tant que la pierre ferme le tombeau, car j’ai pouvoir sur toute chose. Mais si tu ôtes la pierre de là, ô Thomas, le tombeau apparaîtra et tout homme le verra et tous verront de quelle manière gît celui qui est mort. Quand tu auras ôté la pierre de là, ô Thomas, la mauvaise odeur va-t-elle sortir avec la corruption et les vers, comme pour tous les autres morts ? Non, cela ne se produira pas 218.

Ces deux extraits montrent que le texte est concret, cru. On peut y voir un effet littéraire assez familier au style de l’homélie. Mais on peut aussi y déceler une allusion aux demandes de Thomas. L’apôtre a demandé de « voir », de « toucher » ? Cela va se réaliser : il va appréhender la réalité de la mort jusque dans ses moindres détails !

216. Homélie sur la vie de Jésus 4, 1. Trad. F. MORARD, ÉAC II, p. 116. 217. Homélie sur la vie de Jésus 5, 2. Trad. F. MORARD, ÉAC II, p. 117. 218. Homélie sur la vie de Jésus 6, 3-5. Trad. F. MORARD, ÉAC II, p. 119.

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c. La tradition de l’écorchement de Thomas Le P. Paris Copt. 129 présente une assez curieuse tradition, celle de l’écorchement de Thomas 219. La notice sur Thomas est malheureusement très incomplète. Elle commence par l’expression du doute de Thomas. Puis le texte enchaîne en décrivant le martyre de l’apôtre : Mais écoutez la rétribution. Sa peau et son corps furent frottés avec des morceaux de toile. Il fut élevé trois jours là-dessus, marchant et prêchant à la vue de tous. Puis, à la fin, ils le 220…

On comprend que l’apôtre est frotté avec une sorte de toile émeri (ϭⲟⲟⲩⲛⲉ) jusqu’à l’écorchement. En revanche, comment comprendre le verbe ⲉϥⲧⲁⲗⲏⲩ ? Sur quoi Thomas est-il élevé, pour pouvoir marcher librement et prêcher avec constance ? Il n’en reste pas moins que l’on voit le sort de Barthélemy et de Thomas se confondent, et que le supplice réservé à Thomas est le salaire de son incrédulité. Assez curieusement, ces textes n’ont pas d’influence sur le synaxaire qui reprend la légende des Actes de Thomas. En effet, il n’est nullement mention du doute de Thomas dans la notice du 26 Bâchons (3 juin). On annonce simplement qu’il est parti pour l’Inde où l’on reprend l’épisode du châ), une ville difficile à localiser, teau. Ensuite le voilà à Qantouryah ( où il réalise quelques prodiges. Enfin, il part pour Barkyas et Maqâdounya ) et c’est finalement là qu’il est martyrisé. Comme souvent, ( la tradition copte manifeste une tendance à créer des notices sui generis à partir de bribes d’autres traditions 221.

2. L’apôtre de l’Inde des Églises grecque et latine À part cette place particulière dans l’Église copte, Thomas se fait plutôt discret ailleurs, où l’on ne retient de lui qu’une chose : qu’il est l’apôtre des Parthes, des Mèdes et des Indes. Les Pères de l’Église grecque sont unanimes sur le trajet indien 222. La tradition latine la reprend, comme le Breviarium apostolorum (BHL 652) ou le De Obitu. On le retrouve dans les martyrologes, comme celui d’Usuard 223. À Jérusalem, on connaît la même 219. Édition du texte dans E. O. WINSTEDT, « Some Coptic Apocryphal Legends », Journal of Theological Studies 9, 1908, p. 372-386 (381). 220. ⲁⲗⲗⲁ ⲥⲱⲧ ϩⲱⲱϥ ⲉⲡⲧⲟⲩⲉⲓⲟ. ⲁⲩϩⲓⲧⲉ ⲡⲉϥϣⲁⲁⲣ, ⲁⲩϩⲓⲧⲉ ⲡⲉⲩⲥⲱⲙⲁ ϩⲉⲛⲡⲟϭⲉ ϭⲟⲟⲩⲛⲉ. ⲁϥ ϣⲟⲙⲧ ϩⲟⲟⲩ ⲉϥⲧⲁⲗⲏⲩ ⲉⲣⲟϥ ⲉϥⲙⲟⲟϣⲉ, ⲉϥⲧⲁϣⲉⲟⲉⲓϣ, ⲉⲣⲉⲟⲩⲟⲛ ⲛⲓⲙ ⲑⲉⲱⲣⲉⲓ ⲙⲟϥ. ⲉⲡϩⲁⲉ ϫⲉ ⲟⲛ ⲁⲩϩⲓⲧⲛ ⲉⲣⲟϥ. 221. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite V, mois d’Abib et mésoré et jours complémentaires (Patrologia Orientalis 17.3), Paris, Firmin-Didot, 1923, p. 413-416. 222. C. et F. JULLIEN, Apôtres des Confins…, p. 86. 223. Qui Parthis et Medis euangelium prædicans, passus est in India ac non multo post inde translatus est ad Edessam urbem. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte

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tradition comme le prouve la Dormition de Marie du Ps.-Jean (CANT 101) issue de Jérusalem vers Ve-VIe siècle (on peut le déduire de la mention de la fête de la Théotokos au § 42 qui était propre à l’Église de Jérusalem). Et Thomas, à son tour, répondit : « Et moi, alors que je parcourais la terre de l’Inde et que par la grâce du Christ, la prédication s’affermissait, le fils de la sœur du roi nommé Labdanès était sur le point de se faire marquer du sceau par moi au palais. Tout à coup, le Saint-Esprit me dit : “Et toi, Thomas, rends-toi à Bethléem pour saluer la mère de ton Seigneur, parce qu’elle va être transférée aux cieux 224”. »

L’Inde paraît donc une tradition bien établie au VIe siècle à Jérusalem. Le fait qu’elle se fonde sur les Actes de Thomas peut peut-être se constater à ce nom de Labdanès qui évoque le Habban des AcTh 1, 2. Elle est reprise aussi bien dans l’Église grecque et ses synaxaires 225, que dans l’Église latine. On enregistre cependant quelques variations dans la latinité, dues sans doute à des méconnaissances géographiques. Dans le Codex Fuldensis on dit que Thomas apostolus requiescit Æmina, in India Saracinorum 226. L’auteur ne comprend pas Calamina et la transforme en Æmina, une ville inconnue située en Inde des Saracènes, ces tribus arabes organisées en fœdus du nord de la Péninsule du Sinaï dont parle Ptolémée (Géographie V, 17, 3). On confond donc Inde et Arabie. Le codex de Fulda porte Thomas in India ciuitate Iothabis. Iotabe fait partie des provinces de l’Arabie dans le golfe d’Aqaba et le Sinaï. Iothabis (l’actuelle île de Tirân) est l’extension maximale de l’Empire 227. Ce choix n’est pas absurde car Iothabis fait partie des routes de la soie 228. Il résulte malgré tout d’une incompréhension de certains termes géographiques. Jacques de Voragine parle de « Rhagès de Médie 229 ». Est-ce la ville de Ray en Médie ? Mais que vient donc faire la Médie dans cette histoire et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 363. 224. Dormition de Marie du Pseudo-Jean 20. Trad. S. C. MIMOUNI, ÉAC I, p. 177-178. 225. C’est encore le cas : MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 242-245. 226. B. DE GAIFFIER, « Une ancienne liste d’apôtres », in L’Homme devant Dieu. Mélanges offerts au Père Henri de Lubac (Théologie 56), Paris, Aubier, 1963, p. 365372 (368). 227. C. et F. JULLIEN, Apôtres des Confins…, p. 90. F. M. ABEL, Géographie de la Palestine, Paris, Gabalda, 1938, p. 201. 228. S. E. SIDEBOTHAM, « Ports of the Red Sea and the Arabia-India Trade », in T. FAHD (éd.), L’Arabie préislamique et son environnement historique et culturel (Université des Sciences Humaines de Strasbourg 10), Leiden, Brill, 1989, p. 195233 (205-213). 229. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée (Pléiade 504), éd. A. BOUREAU, Paris, Gallimard, 2004, p. 48.

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CHAPITRE 8

Figure 15 : Thomas dans la tradition latine

déjà complexe ? Peut-être l’auteur de la Légende dorée se contente-t-il de confondre cette Rhagès avec Édesse que l’on nomme parfois Callirhoé au Moyen Âge.

3. Une réécriture dans les Actes d’Abdias : De rebus beati Thomæ apostoli per Indiam gestis Comme souvent, c’est dans la recension du « Pseudo-Abdias » que l’on peut trouver une réécriture des Actes apocryphes conforme aux vues de l’Église officielle 230. De manière assez surprenante, cette dernière suit au plus près les Actes de Thomas. En effet, alors que d’habitude les textes contenus dans la recension du Pseudo-Abdias s’éloignent considérablement des textes jugés hérétiques, les Actes que nous avons étudiés devaient être tellement prégnants qu’il fut impossible de s’en démarquer totalement. En effet, on retrouve la même vente de Thomas par le marchand, qui cette fois se nomme Abban. Thomas est décrit comme un architecte qui va construire le palais du roi Gundaferus. La première halte reprend ce que nous avons nommé l’Acte I du récit apocryphe : même joueuse de flûte, même mariage en train de se faire, même intervention de Jésus sous forme de l’apôtre pour prêcher la virginité :

230. Elle est connue par la recension de Fabricius. Nous donnons l’édition de R. GILES, Codex Apocryphus novi Testamenti. The Noncanonical Gospels and other Writings in the original language, vol. 1, London, Nutt, 1852, p. 421-453.

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Je ne suis pas Thomas, moi, mais son frère. C’est lui-même qui m’a recommandé de vous garder de tout mal. Et voici, écoutez mon conseil. Abandonnez tout souci du monde et croyez dans le Dieu vivant que prêche mon frère Thomas. Soyez chastes dans cette vie et rejetez loin de vous tout souci de cette vie mortelle afin que, devenus le Temple de Dieu par la sainteté de l’esprit et du corps, vous acquériez cette vie éternelle que nulle fin ne vient clore 231.

Tout est semblable et pourtant tout est différent, car le vocabulaire est maintenant atténué. On ne parle plus de l’abandon radical de toute sexualité, mais de chasteté. On ne dit plus de tout quitter, mais d’abandonner tout souci pour la vie mortelle. De l’exigence radicale des Actes de Thomas, on est passé à une modération de bon aloi, parfaitement présentable. De même, si la gémellité entre Thomas et Jésus demeure présente, elle n’est pas commentée et l’on prend soin de distinguer entre ce que dit l’apôtre et le message du Sauveur. La suite du récit colle aux Actes de Thomas. Comme dans l’apocryphe, l’apôtre prend pour mission de construire un palais pour le roi. Bien entendu, il ne fait rien et donne l’argent aux pauvres. Il faut, là encore, la résurrection de son propre frère pour que le roi ouvre les yeux. Le discours que prononce alors Thomas est des plus conformes à la théologie majoritaire. L’apôtre poursuit ensuite ses pérégrinations et arrive au royaume du roi Mesdeus. Après la mise en place du triangle habituel, l’apôtre, le roi et sa femme, notre Thomas est mis en prison et opère de nombreux miracles. Il finit par mourir, percé de lance par quatre soudards, non sans avoir prononcé un grand discours de fidélité à Dieu.

4. Une petite tradition héritée du Transitus Mariæ : Thomas et la ceinture de la Vierge Il convient ici de faire place à une petite tradition qui eut une grande importance dans l’iconographie, en lien avec les textes sur le destin final de Marie : l’épisode de Thomas et de la ceinture de la Vierge. On en trouve deux versions. La première vient de la finale du texte long, attribué à Jean de Thessalonique, conservé dans un manuscrit de l’Athos, et traduit par S. Mimouni et S. Voicu (CANT 103 = BHG 1144a-c). Dans ce texte, la Vierge ressuscitée rencontre Thomas qui se trouve fort opportunément « sur une nuée » :

231. Non sum ego Thomas sed frater eius. Ipse enim uos mihi commendauit, ut custodiam uos ab omni malo. Et ideo audite consilium meum. Relinquite omnem solicitudinem seculi, et credite in Deum uiuum, quem prædicat frater meus Thomas : estote caste uiuentes et proiicite uobis omnem curam huius uitæ mortalis, ut effecti per sanctitatem mentis et corporis templum Dei, illam uitam perpetuam quæ nullo fine clauditur, adquiratis. Ibid, p. 425.

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CHAPITRE 8

« D’où arrives-tu, ma maîtresse ? » Elle lui dit : « Je vais là où le Seigneur le veut. » Alors elle lui donna sa ceinture très honorable. Celui-ci, arrivant chez les apôtres, leur raconta l’ascension avec son corps de la Mère de Dieu en leur montrant aussi la sainte ceinture 232.

La seconde vient d’un recueil latin nommé le Transitus Mariæ A (CANT 112 = BHL 5352b) qui reprend la même histoire 233 : l’apôtre, retardé, voit de loin le corps de Marie monter aux cieux, tandis que les apôtres sont déjà repartis. Il s’adresse à la Vierge qui laisse tomber sa ceinture. De retour parmi ses compagnons, il affirme que le tombeau est vide : il reçoit les reproches de Pierre qui le taxe encore une fois d’incrédulité. Exhibant la ceinture, il reçoit ensuite les excuses de tous : l’incrédulité a changé de camp. Ces récits sont manifestement créés pour accréditer la dévotion à la ceinture de la Vierge conservée dans l’église de Calchopratia à Constantinople (et dont on connaît un autre exemplaire dans l’église de Prato, ce qui explique la fortune du thème dans l’iconographie toscane)234. Thomas reprend son rôle habituel : il est impliqué dans un processus dans lequel le voir, le croire et le toucher sont mêlés. Mais désormais dédouané de tout doute, il est celui qui met fin au doute de ses co-apôtres.

5. Une part du rêve du Moyen Âge Pour conclure cette revue de l’histoire de la réception de Thomas, il convient de mentionner le rôle essentiel que l’apôtre joua dans l’histoire de l’Occident 235. Le lundi 15 mai 1122, la cour pontificale de Rome fut mise en émoi par l’arrivée inopinée d’un voyageur qui se donnait pour un prélat indien et dont les discours étranges allaient préparer les esprits à la fameuse aventure du prêtre Jean. Le personnage reste mystérieux. On sait qu’il rencontra le pape Calixte II (1119-1124), puisqu’Odon, abbé de Saint-Rémy de Reims en témoigne. Il raconte que cet émissaire était un archevêque indien venu consulter l’empereur byzantin ( Jean Comnène) puis le Pape. Son nom est Iohannes patriarcha Indorum scilicet Indiæ quæ ultima finem facit (« Jean patriarche des Indes à savoir la partie qui forme la frontière extrême de l’Inde »). Il s’agit donc du Pakistan et d’une ville nommée Hulna. Le soi-disant prélat raconte qu’élu malgré lui patriarche 232. S. C. MIMOUNI et S. VOICU, La Tradition grecque de la Dormition et de l’Assomption de Marie (Sagesses chrétiennes), Paris, Cerf, 2003, p. 177. 233. M. JUGIE, La Mort et l’Assomption de la Sainte Vierge. Étude historico-doctrinale (Studi e Testi 114), Città del Vaticano, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1944, p. 157. 234. A. WENGER, « Foi et piété mariales à Byzance », in H. DU MANOIR (éd.), Maria, vol. 5, Paris, Beauchesne, 1958, p. 972-974. 235. P. DEVOS, « Le Miracle posthume de saint Thomas l’Apôtre », Analecta Bollandiana 46, 1948, p. 231-274.

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de Hulna, il vient à Rome sicut ratio exigebat pour y recevoir le pallium. Il avait rencontré à Byzance des émissaires de Calixte II (qui tentaient une union des deux Églises) et s’était joint à eux. Le voyageur raconte alors le miracle de saint Thomas. Cela se passe à Hulna, dont la circonférence fait quatre journées de marche et dont le rempart permet à deux chars de courir de front. L’eau du Physon (l’un des quatre fleuves du Paradis que Cosmas Indicopleustès assimile déjà au Gange 236), qui roule or et pierreries, la traverse et entoure une montagne sur laquelle se dresse l’église de Thomas. Chaque année, les huit jours précédant la fête de Thomas et les huit jours suivants, le fleuve profond qui entoure le tombeau de saint Thomas s’entrouvre (discurrentibus aquis). L’archevêque en retire le corps du saint et le met sur le trône pontifical. Celui-ci est talis qualis fuerat dum vivens per mundum. On présente au saint la patène lors de l’Eucharistie, et il communie tout le monde sauf les infidèles, les hérétiqueset les pécheurs. Et ceux-ci ont intérêt à se convertir immédiatement, sinon, ils meurent sur le champ. On trouve d’autres mentions de cette légende, en particulier dans un manuscrit de Carinthie (Heiligenkreuz, XIIIe siècle) qui raconte le récit que fait Élisée in India natus et nutritus, cui pater erat Samuel à un moine de Friesach. Lui aussi raconte la communion du saint. Cette légende passe dans le monde arabe puisque la Chronique arabe des monastères d’Égypte placée sous le nom d’Abu Shâlih l’Arménien, déjà rencontrée à propos de Barthélemy, la raconte 237. Elle ajoute même un détail. Selon elle, la main de Thomas qui a touché le flanc du Christ est restée vivante en témoignage de la Résurrection. Tous les ans, la main distribue la communion, jusqu’à ce qu’elle agrippe quelqu’un parmi les assistants (les prêtres continuent la

236. Ὁ μὲν Φεισὼν ἐν τῇ Ἰνδικῇ χώρᾳ ὃν καλοῦσί τινες Ἰνδὸν ἢ Γάγγην, « dans la contrée de l’Inde, le Physon, que l’on nomme aussi l’Indus ou le Gange ». COSMAS INDICOPLEUSTÈS, Topographie chrétienne II, 81, éd. W. WOLSKA-CONUS (SC 141), 1969, p. 398-401. 237. ABÛ ṢÂLIḤ AL-ARMANÎ, The Churches and Monasteries of Egypt and Some Neighbouring Countries, éd. B. T. A. EVETTS, Oxford, Clarendon, 1895, p. 298-299 : « Then all the people receive the holy mysteries out of the palm of that pure hand, and they continue to communicate in this manner one after the other until the hand grasps one of the congregation ; then they all glorify God, and the priests communicate the rest of the people. Afterwards the priests carry that chest [Thomas’] in their hands with chanting and with great rejoicing, and set it again in its place, after the people have kissed it and been blessed by it. When this religious service is over, and as the people are about to disperse, they are blessed by that man, whom God has chosen out of the people to remain for a year in the service of that pure body, to keep the candles lighted before it night and day. The people also leave with him all that he can need, and all depart to their own homes. And when they reach the shore and not one of them is left behind, then the sea returns as it was before, and covers the road to the church. »

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communion). Celui qui est retenu passe l’année au service du sanctuaire dans le soin des luminaires. Toutes ces légendes vont attiser l’intérêt de l’Occident pour l’Orient. En 1145, au lendemain de la chute d’Édesse, l’évêque de Gabula (Djibal en Syrie) apporte officiellement en Europe la mention du Presbyter Iohannes 238. Otton de Freising, beau-frère de l’Empereur Conrad III le rencontre à Viterbe où se trouvait le Pape Eugène III. Cet évêque parle des armées du Prêtre Jean et de ses fabuleuses richesses. Cet émissaire va lancer une série de découvertes géographiques. Les Grandes Découvertes du XVe siècle se firent parce que l’Occident rêvait de découvrir l’Inde de Thomas. B IL AN

ET ICONOGR APHIE

Ce qui caractérise le plus la figure de Thomas, c’est l’absolue distinction entre la tradition canonique et la tradition apocryphe. Dans l’Évangile de Jean en effet, il possède une certaine individualité, contrairement à bien d’autres apôtres : c’est un apôtre ardent, parfois lent à saisir Jésus, mais qui veut comprendre avec honnêteté. Sa volonté de « toucher », très pragmatique, en fait un authentique disciple : si elle est corrigée par Jésus, elle n’est ni réprouvée, ni ignorée. Une telle figure aurait pu prêter à de beaux développements. Or tel ne fut pas le cas : la seule donnée qui fut véritablement exploitée par la tradition, c’est la petite glose sur le nom de Thomas. Thomas est nommé Didyme, c’est-à-dire jumeau. C’est l’Église d’Édesse qui exploita ce surnom et en tira toutes les conséquences théologiques. La première étape déduisit de la fraternité entre Thomas et le Christ une certaine proximité d’initiation : comment Jésus pourrait-il cacher à son jumeau les paroles les plus secrètes, questionna l’Évangile de Thomas ? Et de faire de l’apôtre le dépositaire de paroles de feu inaudibles à ses confrères dans l’apostolat. Les Actes de Thomas, seconde étape, opérèrent un pas supplémentaire en exploitant la gémellité comme la véritable métaphore de l’évangélisation. S’identifiant à l’apôtre, double de Jésus, c’est à Jésus lui-même que l’on s’identifie. Et cette imitatio Christi dont Thomas est la vivante métaphore, lui qui est le portrait craché de son Seigneur, constitue la voie d’accès au salut. Enfin, le livre de Thomas l’athlète fit de cette gémellité l’image même de l’initiation gnostique. En s’examinant lui-même, c’est au Sauveur dont il est le double que Thomas a accès. Ce faisant, il indique la voie que doit emprunter tout initié : c’est en faisant retour en soi-même que l’on parviendra à la vraie connaissance, car c’est en soi que se trouve le Christ, et non dans les apparences du monde. 238. Pour une première approche de la légende : R. SILVERBERG, The Realm of Prester John, Athens (OH) Ohio University Press, 1972.

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La tradition ultérieure ne chercha pas à modifier radicalement la figure thomasienne, sans doute parce que le monde syriaque avait marqué durablement l’apôtre de son empreinte. Aussi entérina-t-elle sans broncher le trajet indien que les Actes de Thomas proposaient. La réécriture latine de ces Actes ne modifia pas non plus radicalement les aventures qui arrivaient à Thomas, se bornant simplement à corriger ce qui lui semblait en dehors de sa propre conception des choses. Seule l’Église copte chercha à revivifier la tradition d’un Thomas incrédule pardonné, mais elle fait figure de cas isolé. L’iconographie de Thomas se centre autour de deux épisodes toujours identiques 239. Le premier est celui de la ceinture de la Vierge (qui est aussi son attribut) qui commence à partir du XIIIe siècle dans l’école florentine, puisqu’on prétendait que ladite ceinture était conservée dans la cathédrale de Prato en Toscane : on le trouve chez Agnolo Gaddi, Orcagna, della Robbia, etc. Le deuxième épisode, l’incrédulité de Thomas, naît dès l’an mil, mais connaît une très grande extension au XVIIe siècle où tous les grands peintres la représentèrent : Caravage, Guerchin, Rubens, Rembrandt, Poussin… Il est curieux de constater que la légende de la promesse de construire un palais au roi Goudnaphar a fait de saint Thomas le patron des architectes.

239. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III…, 1959, p. 1268-1270.

CHAP. 9

MATTHIEU-LÉVI, L’ÉVANGÉLISTE UBIQUISTE Parmi les Douze, Matthieu occupe une place à part. Selon une tradition qui remonte aux années 120, il est à la fois un apôtre et un évangéliste : on pourrait donc s’attendre à ce que l’on possède de nombreuses traditions à son sujet. Or, de manière surprenante, on dispose de fort peu d’informations sur lui. Les données évangéliques sont maigres et les récits de son martyre ne sont pas concordants : si tous s’entendent à lui conférer le titre d’évangéliste, personne ne s’accorde sur le destin de ce disciple qui semble doué du don d’ubiquité. Pourquoi tant de précision alliée à tant d’imprécision ?

I. L E S

DONNÉE S ÉVANGÉLIQUES

Quand on parcourt les évangiles, on s’aperçoit que les renseignements concernant Matthieu ou Lévi sont plutôt exceptionnels : apparemment, l’apôtre n’a pas passionné particulièrement les foules. Il faut noter cependant que les trois synoptiques conservent le récit de sa vocation. Ainsi, par rapport aux « petits apôtres » comme Simon, Barthélemy ou Jude, Matthieu occupe-t-il une place intermédiaire. 1. Matthieu ou Lévi ? – Matthieu se trouve cité uniment sous la forme de Μαθθαῖος dans les listes apostoliques, alors que ce nom relativement fréquent – on en connaît 63 porteurs –, hérité de la période hasmonéenne puisque c’est celui de l’un des fils Maccabées –, peut être orthographié Ματταθίας, Ματθίας, Μαθθίας, Ματθίας, Μαθίας 1. Il occupe la 7e place en Mc 3, 18 ; la 8e place, chez Mt 10, 3, qui le nomme Μαθθαῖος ὁ τελώνης (« Matthieu le collecteur de taxes ») ; la 7e place en Lc 6, 15, mais la 8e en Ac 1, 13. Cependant, lorsque les évangiles synoptiques font le récit de sa vocation, ils utilisent deux noms : Matthieu ou Lévi. Mc 2, 14-17 et Lc 5, 27-32 l’appellent Λευίν (« Lévi »), Mc précisant Λευὶν τὸν τοῦ Ἁλφαίου, « Lévi fils d’Alphée ». Mt 9, 9-13 emploie « Matthieu ». Lévi est un prénom également fréquent (29 porteurs connus) qui remonte au patriarche

1. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 190-191.

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CHAPITRE 9

‫לוי‬, l’un des fils de Jacob et l’éponyme de l’une des Douze tribus. Il peut être orthographié Λευίς, Λευί, Λευίς, Λεουί, Ληουίς 2… Cette double désignation a introduit un certain malaise parmi les scribes puisque plusieurs versions portent un Λεββαῖος à la place de Thaddée : on s’accordera, avec Lindars et Meier, à considérer qu’il s’agit là d’une harmonisation pour introduire notre Lévi à la place de Thaddée, là où il manquait 3. Il est curieux de constater que c’est Mt qui réalise l’identification entre Lévi et Matthieu, ce qui a pu pousser certains chercheurs à y voir une confirmation de l’identité entre l’apôtre et l’auteur de l’évangile, et d’autres à y trouver un argument contre la même identification : 1° si l’on se défie de Mt, on dira que l’auteur de l’évangile a voulu annexer une figure de publicain au groupe des Douze, peut-être pour des raisons idéologiques. Ce coup de force demande une explication, qu’il est difficile d’apporter, puisqu’on trouve dans tous les évangiles une attitude favorable aux « pécheurs et publicains », qui n’est donc pas une spécificité matthéenne. 2° on préférera donc la seconde hypothèse et on se fiera à Mt en supputant que, pour une raison ou pour une autre, l’auteur estimait que le nom de Lévi n’avait pas d’intérêt à être mentionné 4. On se retrouve de nouveau confronté à la question récurrente des désignations doubles des apôtres. Comme toujours, et en l’absence d’éléments nouveaux, il convient d’apporter une même réponse : celle du double nom. L’homme connu sous le nom de Lévi au-dehors paraît s’être nommé aussi Matthieu à l’intérieur du cercle apostolique 5. L’Évangile de Pierre, que nous avons déjà rencontré, semble ratifier cette hypothèse puisqu’il affirme, à la fin du texte, qu’un Λευείς ὁ τοῦ Ἀλφαίου ὅν κς..., « Lévi fils d’Alphée que le Seigneur… », membre des Douze, accompagnait Pierre et André. Mais le texte s’interrompt au mauvais moment : qu’a donc fait le Seigneur à Lévi ? Le fait que Luc le nomme fils d’Alphée a conduit certains pères comme Jean Chrysostome et Théodoret de Cyr à en faire le frère de Jacques le Mineur 6, ce qui est possible. Cette identification ne sera plus réalisable chez les commentateurs latins qui suivront Jérôme, puisque Matthieu ne fait pas partie de la fratrie de Jacques de Jérusalem. 2. T. ILAN, Lexicon…, p. 182-185. 3. B. LINDARS, « Matthew, Levi, Lebbaeus and the Value of the Western Text », New Testament Studies 4, 1957-1958, p. 220-222. J. P. MEIER, « The Circle of the Twelve ; Did it Exist during Jesus’ Public Ministery ? », Journal of Biblical Literature 116, 1997, p. 635-672. 4. W. D. DAVIES et D. ALLISON, Matthew 8-18 (The International Critical Commentary 1b) London, T&T Clark, 1991, p. 98-99. 5. R. H. GUNDRY, Matthew : A Commentary on his Handbook for a Mixed Church under Persecution, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 21994, p. 166. 6. JEAN CHRYSOSTOME, Homilia in Mattheum 33 ; THÉODORET DE CYR, Commentaire sur les psaumes 67, 28.

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2. Un publicain parmi les Douze. – Les trois synoptiques conservent le souvenir de l’appel de Matthieu, qu’ils présentent d’une manière uniforme. On citera Marc : Mc 2, 16-17. – Il sortit de nouveau au bord de la mer, et toute la foule venait à lui et il les enseignait. Et en passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis à la douane, et il lui dit : « Suis-moi. » Et, se levant, il le suivit. Et il arriva, alors qu’il était couché [pour le banquet] dans sa maison, que beaucoup de publicains et de pécheurs se trouvaient couchés avec Jésus et ses disciples : car il y en avait beaucoup qui le suivaient. Les scribes des Pharisiens, le voyant manger avec les pécheurs et les publicains, disaient à ses disciples : « Quoi ! Il mange avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus, qui avait entendu, leur dit : « Ce ne sont pas les forts qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »

La scène se déroule en deux temps. Elle commence par le récit de l’appel et se poursuit par le récit du banquet chez Lévi. La scène de l’appel est très proche de celle des pêcheurs du lac de Génésareth 7 : même invitation à le suivre – et l’on sait ce que signifie ce terme technique dans le groupe de Jésus – et même soudaineté de la réponse. Cette fois-ci, cependant, on semble être monté d’un cran dans la hiérarchie sociale. En effet, le métier de Matthieu fait de lui un homme important : il collecte les taxes, son τελώνιον remplissait un certain nombre de fonctions liées à la perception de droits divers 8. La question des impôts est cruciale pour toute l’histoire juive depuis l’Exil. En effet, sous les Achéménides puis dans les monarchies hellénistiques et enfin sous la domination romaine, les contributions directes à la puissance occupante – impôt, tribut – sont à la fois une marque d’allégeance du vaincu à son vainqueur et une contrainte économique forte. Iraniens, Lagides, Séleucides, Romains, tous entendent faire fructifier leurs conquêtes en ponctionnant leurs territoires. Les contributions sont nombreuses et parfaitement impopulaires. On estime en effet que le poids des taxes pouvait atteindre de 30 à 40 % de tous les revenus, qu’elles étaient parfois injustement alourdies et qu’elles servaient plus ou moins à financer certaines élites aristocratiques qui en étaient exemptées 9. Le système généralement adopté ressemble mutatis mutandis à celui de la ferme générale d’Ancien Régime : la perception des impôts est « sous7. J. NOLLAND, The Gospel of Matthew : A Commentary on the Greek text (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2005, p. 385. 8. C. S. KEENER, The Gospel of Matthew : A Socio-Rhetorical Commentary, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2009, p. 291-293. 9. N. LEWIS, Life in Egypt under Roman Rule, Oxford, Oxford University Press, 1983.

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traitée » à un certain nombre d’intermédiaires, responsables sur leurs propres deniers. Les collecteurs de taxes étaient haïs. Il y avait deux raisons à cela, outre le fait que les percepteurs d’impôts n’ont jamais été populaires, depuis l’Égypte ancienne jusqu’au XXIe siècle : la première est que les échelons inférieurs de la perception étaient choisis parmi les élites locales qui faisaient ainsi figure de « collabos 10 », de renégats travaillant avec la puissance ennemie ; la seconde est que la plupart des collecteurs semblaient se comporter avec violence, ainsi que le montrent certains papyrus, comme le BGU 515 11. Même si Flavius Josèphe nous apprend que certains douaniers étaient connus pour leurs libéralités envers la population 12, tous ces collecteurs semblent avoir été poursuivis par une universelle détestation. Pendant longtemps, sous l’impulsion de la Vulgate qui traduit τελώνης par publicanus, on a identifié Matthieu avec un publicain. En réalité, les publicains étaient des fonctionnaires élevés dans la hiérarchie romaine, qui devaient appartenir à l’ordo equitum. Plus qu’au système romain, c’est donc au système hellénistique – maintenu en place par les Romains – qu’il

10. La comparaison est de Craig Keener : C. S. KEENER, The Gospel of Matthew…, p. 292. 11. BGU II, 515 = WChrest 268 – 193 apr. J.-C. – Arsinoïte. Ἀμμωνί[ῳ] Πατέρνῳ (ἑκατοντάρ) παρὰ Σύρου Σ[υ]ρίωνος ἐπικαλουμένου Πετε. κ. ᾶ. ἀπὸ τῆς μητροπόλεως. ἐγὼ καὶ ὁ ἀδελφός μου, ὅσα ὠφείλαμεν σιτικὰ δημόσια, μεμετρήκαμεν τῷ Παῦνι [μη]νὶ, ὡσαύτως καὶ τὰ ὑπὲρ λογίας [ἐ]πιβληθέντα ἡμῖν ἐν κώμῃ Καρανίδι πυ[ροῦ] ἀρτάβας ἐννέα ἀπὸ ἀρταβῶν δέκα. ἕνεκα οὖν τῆς λοιπῆς ἀρτάβης μιᾶς, ἐμοῦ ἐ[ν] ἀγρῷ ὄντος, ἐπε[ι]σῆλθον τῇ ο[ἰ]κίᾳ μου οἱ πράκτορες τῶ[ν σ]ιτικῶν Πετεισ. [ο]ς Τκελὼ καὶ Σαραπίων Μάρωνος καὶ ὁ τούτων γραμματεὺς Πτολεμαῖος σὺν καὶ ὑπη[ρ]έ[τ]ῃ Ἀμμων[ί]ῳ [κ]αὶ ἀφήρπασα[ν] ἀπὸ τῆς [μη]τρός μου ἱμά[τιο]ν καὶ λ. α. κ. [τί]σμασιν αὐτὴν [ἐξ]έβαλον. [διὸ ἐκ τ]ούτου τε κλι[νήρου]ς α[ὐτῆς γ] ενομένης [τε καὶ μ]ὴ δυν[αμέ]ν ης τω[….]ν, ἀξιῶ [ἀχθῆναι] αὐ[το]ὺς ἐπὶ σέ, ὅπως τῶν ἀπὸ [σ]οῦ δικαίων τύχω. διευτύχει. Εἰκ· ἐτῶν· 47 οὐλὴ γόνατιδεξιῷ φάμενος μὴ εἰδέναι γράμματα. ἔτους 33 Αὐρηλίου Κομμόδου Καίσαρος τοῦ κυρίου μηνὸς Παῦνι 8. « À Ammoni[us] Paternus, centurion, de la part de Syros, fils de S[y]rion, aussi nommé Peteka, issu de la métropole [Alexandrie]. Moi et mon frère, nous avons mesuré ce que nous devions au titre de l’impôt sur le blé à l’État au mois de Paÿni aussi bien que ce qui nous est imposé comme contribution dans le village de Karanis : neuf artabes sur les dix artabes. À cause de l’artabe restante, alors que j’étais dans mon champ, ont fait irruption dans ma maison les collecteurs de l’impôt sur le blé, Petesis, fils de Tkelo, and Sarapion, fils de Maron, et leur scribe, Ptolemaïos. Ils ont arraché l’himation de ma mère et l’ont roué de coups. Aussi, à cause de cela, elle est devenue grabataire et ne peut pas [?]. Je demande qu’ils soient conduits devant toi, afin que je puisse recevoir justice de toi. Porte-toi bien ! Des[cription physique] : 47 ans, une cicatrice sur le genou, déclarant qu’il ne connaît pas les lettres. L’an 33 d’Aurelius Commodus Cæsar, le seigneur, le 8e du mois de Paÿni. » 12. Bell. Jud. II, 287-288.

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convient de se référer 13. Le τελώνης Matthieu était un petit percepteur qui percevait plutôt les taxes indirectes (portorium) que les impôts directs (vectigal). Il prélevait les taxes connues en Palestine comme la taxe sur les marchés (τέλος ἀγορανομίας), le droit de passage (halakh/ἀποστόλιον) ou le droit d’amarrage (ἐνόρμιον) 14. Il est ainsi probable qu’il devait percevoir les droits de douane entre la tétrarchie de Philippe et celle d’Hérode Antipas 15. Même s’il ne faisait pas partie des riches publicani, Matthieu pouvait se permettre d’offrir un banquet à Jésus. Il pourrait donc être le chef du bureau de perception, l’ἀρχιτελώνης, et non un simple τελώνης 16. Ce détail montre sans doute qu’il a gros à perdre en abandonnant tout : non seulement il gagne beaucoup d’argent dans sa fonction, mais son poste risque d’être très vite tenu par un autre, et lui-même risque de ne plus être employable 17. 3. Le « banquet chez Lévi ». – Le texte se poursuit avec le récit du banquet qui a pu être donné par le principal intéressé pour fêter son entrée dans le groupe de Jésus. Il semble en effet que la « maison » dont il s’agit soit celle de Matthieu, même si certains exégètes 18 estiment qu’il peut s’agir de la maison de Jésus, ce qui ne fait que renforcer le scandale. Pour l’évangéliste, c’est en effet l’occasion de décrire un beau tapage. L’esclandre est préparé par un verbe κατακεῖσθαι, « il était couché » : la réception de Lévi n’est pas un simple repas, mais bien un banquet à la mode gréco-romaine, puisque les Juifs sont traditionnellement assis sur des chaises, et non couchés comme les Romains 19. D’emblée, on voit que Jésus accepte de frayer avec des gens de mœurs hellénistiques et d’adopter des coutumes étrangères à la Palestine. En outre, il admet de manger avec « les pécheurs et les collecteurs de taxes » (τελῶναι καὶ ἁμαρτωλοὶ). Ce couple « collecteur de taxes et pécheur » semble être une expression toute faite qui traduit la 13. F. HERRENBRÜCK, Jesus und die Zöllner (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.41), Tübingen, Mohr Siebeck, 1990, p. 125 qui se fonde sur H. C. YOUTIE, « Publicans and Sinners », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 1, 1967, p. 1-20. Contra la référence « classique » : J. JEREMIAS, « Zöllner und Sünder », Zeitschrift für die Neutestamentliche Wissenschaft 30, 1931, 293-300. 14. F. HERRENBRÜCK, Jesus und die Zöllner…, p. 189. 15. Sur les douanes, voir l’ouvrage de S. J. DE LAET, Portorium, Étude sur l’organisation douanière chez les Romains, surtout à l’époque du Haut-Empire (Rijksuniversiteit te Gent, Werken uitgegeven door de Faculteit van de Wijsbegeerte en letteren, 105e Aflevering), Brugge, De Tempel, 1949. Recension : R. ÉTIENNE, « Rome eut-elle une politique douanière ? », Annales 7, 1952, p. 371-377. 16. L. GOLDSCHMID, « Impôts et droits de douane en Judée sous les Romains », Revue des études juives 34, 1897, 207-215. 17. L. MORRIS, The Gospel according to Matthew (Pillar New Testament Commentary Series), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1992, p. 219. 18. S. LÉGASSE, L’Évangile de Marc I (Lectio Divina Commentaires 5), Paris, Cerf, 1997, p. 180. 19. C. S. KEENER, The Gospel of Matthew…, p. 296.

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réprobation touchant tous ceux qui percevaient les impôts et les taxes 20. Dans la littérature rabbinique, la composition « collecteurs de taxes et pécheurs » est d’ailleurs parallèle à « collecteurs de taxes et voleurs ». Les pécheurs sont ici ceux qui négligent les règles de la piété rituelle 21. La communion de table lie les convives entre eux : Jésus pourrait être souillé par cette commensalité. Cette possible souillure est fortement soulignée par ces représentants de l’idéologie judaïsante que constituent les « scribes des pharisiens ». Preuve de duplicité, ils s’adressent d’abord aux disciples pour ne pas affronter le maître. « Quoi ! Il mange avec les publicains et les pécheurs ? » Jésus les entend et répond par une affirmation qui énonce clairement son projet : « ce ne sont pas les forts qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs ». Cette réponse renverse l’interprétation des scribes. Alors que pour eux l’impureté entraîne une souillure, pour Jésus, c’est la sainteté qui est contagieuse et non l’impureté. On le voit souvent lorsqu’il se préoccupe des malades : c’est en touchant l’impureté qu’il la sanctifie 22. Par contrecoup, évidemment, la définition des justes est bouleversée. Jean Delorme commente : « Jésus n’a pas besoin de dire à ses adversaires qu’ils sont des “justes” et qu’il ne les appelle pas. Il ne les condamne pas plus que l’existence des médecins n’est une offense pour les bien portants. Simplement, il les met en face de ce qu’ils disent d’eux-mêmes à travers ce

20. J. JEREMIAS, Jérusalem au temps de Jésus, Paris, Cerf, 1967, p. 408-410. Lenain de Tillemont exprime cette réprobation avec élégance : « Ce n’est pas que le métier des publicains ne soit légitime en soi. Les Princes ayant un droit nécessaire et incontestable de lever des impôts, il faut bien qu’ils trouvent des personnes qui leur rendent ce service. Mais ceux qui ont beaucoup d’honneur et de conscience s’empressent peu de le faire. Ce sont presque toujours ceux qui ont le plus d’avarice, de cupidité et souvent de dureté et d’indolence. Le moyen donc que des personnes si mal disposes n’abusent pas du pouvoir que l’autorité des lois leur donne, pour opprimer les faibles par des injustices et des violences contraires à toutes les lois ? Ceux mêmes qui peuvent entrer dans cet emploi avec dessein de ne rien faire que selon les règles de la conscience et de la justice sont donc exposés à un extrême danger, s’ils ne sont entièrement au-dessus de la tentation si commune et si subtile de l’intérêt. Ce n’est donc pas sans sujet que les Juifs regardent les publicains dans l’Évangile comme les personnes les plus criminelles et les plus odieuses, et les autres nations n’en ont pas jugé de manière plus favorable. » L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, vol. 1, Paris, Ch. Robustel, 1693, p. 385. 21. S. T. LACHS, A Rabbinic Commentary on the New Testament, Hoboken (NJ)/ New York, Ktav Publishing/Anti-Defamation League of B’nai B’rith, 1987, p. 168 cite la Mischna : Qiddush 4, 14. 22. D. E. GARLAND, Reading Matthew : A Literary and Theological Commentary (Reading the New Testament series), Smyth & Helwys, 2001, p. 103.

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qu’ils disent de lui 23. » Le discernement de l’appel s’opère à sa réception : ceux qui écoutent et ceux qui n’écoutent pas se distinguent eux-mêmes. En retour, l’appel de Matthieu-Lévi prend tout son sens : quel que soit son passé, il a été guéri par le fait qu’il a suivi Jésus, le médecin de l’impureté. De malade, il devient bien portant. Il s’affirme donc comme une figure de l’« homme sauvé » par l’activité « thérapeutique » de Jésus. Pourtant, même si cette double appartenance à une catégorie détestée et au cercle des Douze aurait pu faire de Matthieu-Lévi un candidat idéal à un grand destin littéraire, on s’aperçoit que sa présence est quasiment inexistante dans les évangiles. Comme l’écrivait Louis-Sébastien Lenain de Tillemont au XVIIe siècle avec une pointe d’ironie : « C’est tout ce que nous trouvons de lui dans l’Évangile et tout ce que nous pouvons dire être assurés pour l’histoire de sa vie si l’on n’y veut joindre ce que dit S. Clément d’Alexandrie, qu’il ne mangeait point de viande, se contentant pour sa nourriture de légumes, de fruits et d’herbes 24. » II. M AT THIEU

EST - IL L ’ AU TEUR DE L ’ ÉVANGILE

?

Malgré cette relative discrétion dans les évangiles, notre apôtre a été fortement mis à l’honneur parmi les Pères qui l’ont cité comme l’un des auteurs des évangiles. S’il est une tradition solidement établie, c’est bien que l’auteur du Premier évangile est Matthieu. Le collecteur de taxes devient ainsi un évangéliste. Comment cette tradition s’est-elle formée ? A. Une tradition solidement établie La tradition d’un Matthieu évangéliste naît à une période ancienne, puisqu’elle remonte à Papias de Hiérapolis, et elle possède le soutien, non seulement de la majorité des Pères, mais aussi d’une grande partie des textes apocryphes.

1. Ier-IVe siècle : le consensus des Pères Lancée par Papias, cette tradition remporte l’adhésion des Pères. Énumérons les différents éléments qui la composent. 1. Papias de Hiérapolis. – L’attribution du premier évangile à Matthieu remonte aux premières décennies du IIe siècle et à ce qu’en dit Papias de 23. J. DELORME, L’Heureuse Annonce selon Marc (Lectio Divina 219), Paris, Cerf, 2007, p. 184. 24. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires…, p. 385. Lenain de Tillemont cite le Pédagogue II, 1, 16, 1 : Ματθαῖος μὲν οὖν ὁ ἀπόστολος σπερμάτων καὶ ἀκροδρύων καὶ λαχάνων ἄνευ κρεῶν μετελάμβανεν : « Matthieu l’apôtre ne prenait que des graines, des noix et des légumes, et pas de viande. »

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Hiérapolis (vers 110) dans un fragment de ses Exégèses des Paroles du Seigneur (Λογίων κυριακῶν ἐξηγήσεις), conservé dans Eusèbe de Césarée 25. [Papias] dit d’autre part ceci de Matthieu : « Matthieu réunit les sentences (de Jésus) en langue hébraïque et chacun les traduisit comme il put 26. »

Cette première déclaration indique clairement (1) le fait que Matthieu est l’auteur d’une compilation des paroles de Jésus ; (2) que son texte a été composé en langue hébraïque ; (3) qu’il a été ensuite traduit – on ne peut guère traduire ἑρμηνεύω autrement – dans les autres langues. 2. Irénée de Lyon. – Irénée (vers 180) poursuit cette tradition. Son information peut remonter à Papias 27. Lui aussi affirme qu’il s’agit bien d’une traduction de l’hébreu. Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d’Évangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Église 28.

Il convient de noter qu’Origène suit Irénée 29. 3. Pantène. – Selon Eusèbe de Césarée, Pantène, qui était un Stoïcien converti natif de Sicile et qui enseigna à Alexandrie (il fut le maître de Clément d’Alexandrie 30), va plus loin : On dit donc qu’il montra une telle ardeur et des dispositions si courageuses à l’égard de la parole divine qu’il fut également signalé comme héraut de l’Évangile du Christ dans les nations de l’Orient et qu’il alla même jusqu’au pays des Indes. Il y avait en effet, oui, il y avait encore en ce temps-là un grand nombre d’évangélistes de la parole qui avaient à cœur d’apporter un zèle divin dans l’imitation des apôtres pour accroître et édifier la parole divine. De ces hommes, Pantène fut aussi ; et l’on dit qu’il alla dans les Indes ; on dit encore qu’il trouva sa venue devancée par l’Évangile de Matthieu, chez certains indigènes du pays qui connaissaient le Christ : à ces gens-là, Barthélemy, l’un des apôtres, aurait prêché et il leur aurait laissé, en

25. Un bon résumé des analyses du fragment dans W. R. SCHOEDEL, « Papias », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt 2.27.1, Berlin/De Gruyter, 1993, p. 235-270 (258-259). 26. περὶ δὲ τοῦ Ματθαίου ταῦτ’ εἴρηται· Ματθαῖος μὲν οὖν Ἑβραΐδι διαλέκτῳ τὰ λόγια συνετάξατο, ἡρμήνευσεν δ’ αὐτὰ ὡς ἦν δυνατὸς ἕκαστος. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist Eccl. III, 39, 16. 27. J. KÜRZINGER, « Irenaeus und sein Zeugnis zur Sprache des Matthäusevangeliums », New Testament Studies 10, 1963, p. 109-115. 28. IRÉNÉE, Adv. Hær. III, 1, 1 : Ὁ μὲν δὴ Ματθαῖος ἐν τοῖς Ἑβραίοις τῇ ἰδίᾳ αὐτῶν διαλέκτῳ καὶ γραφὴν ἐξήνεγκεν εὐαγγελίου, τοῦ Πέτρου καὶ τοῦ Παύλου ἐν Ῥώμῃ εὐαγγελιζομένων καὶ θεμελιούντων τὴν ἐκκλησίαν. 29. Citation préservée dans Hist. Eccl. VI, 25, 4. 30. Voir JÉRÔME, Vir. Inl. 36.

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caractères hébreux, l’ouvrage de Matthieu, qu’ils avaient conservé jusqu’au temps dont nous parlons 31.

Pantène rapporte donc que les missionnaires de l’Inde avaient emporté le texte hébreu de Matthieu dans leurs bagages et que, dans les années 200, il rencontrait encore des exemplaires de ce texte. Cela nous rajoute une information supplémentaire : (4) le lien avec Barthélemy. Bien entendu, ce témoignage doit être traité avec une très grande prudence comme nous l’avons vu à propos de Barthélemy 32. 4. Eusèbe de Césarée. – Eusèbe de Césarée, dans sa Préparation évangélique mentionne de nouveaux éléments sur Matthieu. Matthieu, l’apôtre, n’avait pas d’abord suivi un genre de vie grave et honnête : car il était un de ceux qui perçoivent les impôts et cherchent à amasser de l’argent. Nul des autres évangélistes ne nous l’a fait connaître, ni Jean, son frère d’apostolat, ni Luc, ni Marc ; Matthieu seul signala sa première vie et fut ainsi son propre accusateur. Voici en quels termes il parle sans déguisement de loi et de son genre de vie, dans l’Évangile qu’il a écrit : « Jésus, en s’éloignant, vit assis au bureau des impôts un homme qui se nommait Matthieu, et il lui dit : Suivez-moi. Le receveur se leva et le suivit. Comme Jésus était assis dans la maison, voici que plusieurs publicains et des pécheurs s’assirent auprès de lui et de ses disciples » [Mt 9, 9]. Plus loin, Matthieu énumère les disciples, et ajoute à son nom le titre de publicain. « Le premier, dit-il, fut Simon, surnommé Pierre, et André son frère ; Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère ; Philippe et Barthélemy ; Thomas, et Matthieu le publicain » [Mt 10, 2]. Ainsi, par un trait de modestie, il révèle l’ignominie de sa première profession ; il se nomme le publicain, sans vouloir cacher ce qu’il fut, et ne se place qu’après son compagnon. Tandis, en effet, que Matthieu et Thomas sont joints l’un à l’autre, comme le sont Pierre et André, Jacques et Jean, Philippe et Barthélemy, l’humble écrivain met avant lui son frère d’apostolat, qu’il vénère comme bien supérieur, quoique les autres évangélistes fassent le contraire ; car Luc, en parlant de Matthieu, ne le nomme pas publicain et ne le place pas après Thomas ; mais comme il le sait supérieur, il le nomme le premier et Thomas le second. C’est encore ce que fait Marc. Voici comme Luc s’exprime : « Lorsque le jour parut, Jésus appela ses disciples. Il en choisit parmi eux douze qu’il nomma apôtres, savoir : Simon qu’il surnomma Pierre, et André son frère ; Jacques et Jean, Philippe et Barthélemy, Matthieu et Thomas. » Luc parle

31. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. V, 10, 3, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 40. 32. C’était déjà l’opinion de M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Matthieu (Études bibliques), Paris, Lecoffre-Gabalda, 41927, p. XV-XVI. Voir P. SELLEW, « Eusebius and the Gospels », in H. ATTRIDGE et G. HATA (éds.), Eusebius, Christianity, and Judaism, Detroit (MI), Wayne State University Press, 1992, p. 110-138.

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ainsi de Matthieu, suivant le témoignage que lui ont rendu les témoins et les ministres de la parole sainte 33.

Eusèbe de Césarée entend expliquer à la fois la différence de présentation de notre apôtre dans les évangiles et les différences dans l’ordre des listes apostoliques. Il se réfère donc à une explication psychologique. Pour lui, Matthieu manifeste une extrême modestie. Celle-ci le pousse à rappeler son indigne métier et lui fait préférer une place secondaire par rapport à Barthélemy. Nous trouvons ici le début d’une tradition qui va faire florès : (5) la discrétion de Matthieu, qui n’entend pas se mettre en avant dans son propre texte. Ailleurs, Eusèbe reprend la tradition d’un original hébreu en montrant bien la visée du texte : c’était un expédient écrit sous la pression des circonstances pour substituer une présence littéraire à une présence vivante :

33. Préparation évangélique III, 5, éd. É. DES PLACES (SC 228), 1976, ad loc. Ματθαῖος ὁ ἀπόστολος τὸν πρότερον βίον οὐκ ἀπὸ σεμνῆς διατριβῆς ὡρμᾶτο, ἐκ δὲ τῶν ἀμφὶ τὰς τελωνείας καὶ πλεονεξίας σχολαζόντων. τοῦτο οὐδεὶς τῶν λοιπῶν εὐαγγελιστῶν ἐδήλωσεν, οὐχ ὁ συναπόστολος αὐτοῦ Ἰωάννης, οὐδέ γε Λουκᾶς, οὐδὲ Μάρκος, αὐτὸς δὲ Ματθαῖος τὸν ἑαυτοῦ στηλιτεύων βίον, καὶ κατήγορος αὐτὸς ἑαυτοῦ γιγνόμενος. Ἐπάκουσον γοῦν ὅπως διαρρήδην ἐπ´ ὀνόματος αὐτοῦ μέμνηται ἐν τῷ πρὸς αὐτοῦ γραφέντι εὐαγγελίῳ… τὸν τρόπον· « Καὶ παράγων ἐκεῖθεν ὁ Ἰησοῦς εἶδεν ἄνθρωπον καθήμενον ἐπὶ τὸ τελώνιον, Ματθαῖον ὀνόματι, καὶ εἶπεν αὐτῷ, ἀκολούθει μοι· καὶ ἀναστὰς ἠκολούθησεν αὐτῷ. Καὶ ἐγένετο ἀνακειμένου αὐτοῦ ἐν τῇ οἰκίᾳ, καὶ ἰδοὺ πολλοὶ τελῶναι καὶ ἁμαρτωλοὶ συνανέκειντο τῷ Ἰησοῦ καὶ τοῖς μαθηταῖς αὐτοῦ ». Καὶ πάλιν προϊὼν ἑξῆς τόν τε κατάλογον τῶν μαθητῶν ἐξαριθμούμενος, αὐτὸς ἑαυτῷ τὸ τοῦ τελώνου ὄνομα προστίθησιν. Λέγει δ´ οὖν· « Τῶν δὲ δώδεκα ἀποστόλων τὰ ὀνόματά ἐστιν ταῦτα· πρῶτος Σίμων ὁ λεγόμενος Πέτρος, καὶ Ἀνδρέας ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ, Ἰάκωβος ὁ τοῦ Ζεβεδαίου, καὶ Ἰωάννης ὁ ἀδελφὸς αὐτοῦ, Φίλιππος καὶ Βαρθολομαῖος, Θωμᾶς καὶ Ματθαῖος ὁ τελώνης ». Οὕτως μὲν ὁ Ματθαῖος δι´ ὑπερβολὴν ἐπιεικείας τὸ φιλάληθες ὑποφαίνων τοῦ ἰδίου τρόπου καὶ τελώνην ἑαυτὸν ἀπεκάλει, μὴ ἐπικρύπτων τὸν πρότερον ἑαυτοῦ βίον καὶ τοῦ συζύγου δεύτερον ἑαυτὸν κατέλεγεν. Συνεζευγμένος γοῦν τῷ Θωμᾷ, ὡς Πέτρος Ἀνδρέᾳ, καὶ Ἰάκωβος τῷ Ἰωάννῃ, καὶ Φίλιππος Βαρθολομαίῳ, προτάττει ἑαυτοῦ τὸν Θωμᾶν, προτιμῶν ὡς κρείττονα τὸν συναπόστολον, τῶν λοιπῶν εὐαγγελιστῶν τοὐναντίον πεποιηκότων. Ἄκουε γοῦν Λουκᾶ, πῶς τοῦ Ματθαίου μνημονεύσας οὐ τελώνην ὀνομάζει, οὐδ´ ὑποτάττει τῷ Θωμᾷ, κρείττονα δὲ αὐτὸν εἰδὼς πρῶτον αὐτὸν κατέλεξεν, δεύτερον τὸν Θωμᾶν ἐπαγαγών, ὥσπερ καὶ ὁ Μάρκος πεποίηκεν. Ἔχουσιν δὲ αὐτοῦ αἱ λέξεις οὕτως· « Καὶ ὅτε ἡμέρα ἐγένετο, ἐφώνησεν τοὺς μαθητὰς αὐτοῦ, καὶ ἐκλεξάμενος ἐξ αὐτῶν δώδεκα, οὓς καὶ ἀποστόλους ὠνόμασεν, Σίμωνα, ὃν καὶ ἐκάλεσεν Πέτρον, καὶ Ἀνδρέαν τὸν ἀδελφὸν αὐτοῦ, Ἰάκωβον καὶ Ἰωάννην καὶ Φίλιππον καὶ Βαρθολομαῖον καὶ Ματθαῖον καὶ Θωμᾶν ». Οὕτως μὲν τὸν Ματθαῖον ὁ Λουκᾶς ἐτίμησεν, καθ´ ἃ παρέδωκαν αὐτῷ « οἱ ἀπ´ ἀρχῆς αὐτόπται καὶ ὑπηρέται γενόμενοι τοῦ λόγου ». Nous reprenons la très fidèle traduction de N.-M.-S. SÉGUIER DE SAINT-BRISSON, La Préparation évangélique, Paris, Gaume frères, 1846.

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Matthieu prêcha d’abord aux Hébreux. Comme il dut ensuite aller chez d’autres peuples, il leur donna son évangile dans la langue de ses pères ; il suppléait à sa présence, auprès de ceux qu’il quittait, par un écrit 34.

Il convient de noter que l’évêque de Césarée, chaque fois qu’il cite Matthieu montre qu’il savait que l’original était hébraïque 35. 5. Jean Chrysostome. – Jean Chrysostome a longuement commenté l’évangile de Matthieu. Dans sa première homélie sur le texte, il réalise une présentation de l’auteur. Il commence par reprendre le fait que Matthieu ait été publicain et en tire un argument théologique sur le pouvoir de la grâce qui convertit le pécheur. C’est ce Matthieu qui avait été publicain. Car je ne rougis point d’avouer son métier, ni celui des autres apôtres. C’est cela même qui montre d’autant plus la grâce du Saint-Esprit en eux, et la vertu de ces derniers 36.

Ensuite, il reprend les données de Papias – notre (1) concernant l’original hébraïque du texte. Toutefois, il ajoute un élément nouveau : (6) le milieu d’où est issu l’évangile serait une communauté d’origine juive, des « Juifs qui s’étaient convertis à la foi ». Cela lui permet d’expliquer les différences entre l’évangile de Luc, qu’il juge pagano-chrétien et l’évangile de Matthieu : le premier exhibe une généalogie que le second n’a pas besoin d’écrire puisqu’elle est déjà connue culturellement par les destinataires du texte. Cet argument sera constamment repris jusqu’au XIXe siècle, et on le retrouve, sous une forme à peine modifiée, actuellement. Lisons le passage : On dit aussi de Matthieu qu’il écrivit Juifs pour des croyants qui étaient venus le prier de leur laisser par écrit les paroles qu’il leur avait données de vive voix, et d’écrire en langue hébraïque son évangile. Marc écrivit aussi le sien en Égypte pour satisfaire aux vœux de ses disciples. Voilà pourquoi Matthieu, écrivant en hébreu, ne s’est mis en peine que de faire voir que Jésus descendait d’Abraham et de David. Mais Luc, rédigeant pour tous dans la langue commune, va plus loin, jusqu’à Adam 37. 34. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 24, 5. Ματθαῖός τε γὰρ πρότερον Ἑβραίοις κηρύξας, ὡς ἤμελλεν καὶ ἐφ’ ἑτέρους ἰέναι, πατρίῳ γλώττῃ γραφῇ παραδοὺς τὸ κατ’ αὐτὸν εὐαγγέλιον, τὸ λεῖπον τῇ αὐτοῦ παρουσίᾳ τούτοις ἀφ’ ὧν ἐστέλλετο, διὰ τῆς γραφῆς ἀπεπλήρου. 35. C’est le cas dans les Quæstiones ad Marinum 2 : EUSÈBE DE CÉSARÉE, Questions évangéliques, éd. C. ZAMAGNI (SC 523), 2008, p. 202-203. Ou dans son Commentaire sur les Psaumes 77, 2 (PG 23, 904). 36. JEAN CHRYSOSTOME, Hom. In Matth. 1. PL 57, 15. Ἀφ’ οὗ καὶ ὁ Ματθαῖος τοῦ Πνεύματος ἐμπλησθεὶς ἔγραψεν ἅπερ ἔγραψε· Ματθαῖος ὁ τελώνης·οὐ γὰρ αἰσχύνομαι καλῶν αὐτὸν ἀπὸ τῆς τέχνης, οὔτε τοῦτον, οὔτε τοὺς ἄλλους. Τοῦτο γὰρ μάλιστα δείκνυσι καὶ τὴν τοῦ Πνεύματος χάριν, καὶ τὴν ἐκείνων ἀρετήν. 37. . JEAN CHRYSOSTOME, Hom. In Matth. 1. PL 57, 17. Λέγεται δὲ καὶ Ματθαῖος, τῶν ἐξ Ἰουδαίων πιστευσάντων προσελθόντων αὐτῷ καὶ παρακαλεσάντων, ἅπερ εἶπε διὰ ῥημάτων, ταῦτα ἀφεῖναι διὰ γραμμάτων αὐτοῖς, καὶ τῇ τῶν Ἑβραίων

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6. Jérôme de Stridon. – Il convient enfin de citer la notice de Jérôme de Stridon dans les Hommes illustres, car elle reprend tous les éléments que l’on vient de voir en argumentant l’origine hébraïque. Matthieu, aussi nommé Lévi, publicain devenu apôtre. Il fut le premier en Judée qui composa avec les lettres et les mots hébreux l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ à cause de ceux de la circoncision qui avaient la foi. On ne connaît pas au juste celui qui l’a ensuite traduit en grec. On en a conservé jusqu’à nos jours, dans la bibliothèque de Césarée, un exemplaire hébreu que Pamphile le martyr avait écrit avec le plus grand soin. J’ai eu l’occasion de me le faire copier par des Nazaréens qui utilisent ce volume dans la ville syrienne de Bérée. Dans celui-ci, on peut remarquer que toutes les fois que l’évangéliste invoque, soit en son nom, soit au nom du Seigneur, le témoignage de l’Ancien Testament, il ne suit pas l’autorité des Septante traducteurs, mais celle du texte hébreu. Voici deux exemples : « J’ai appelé mon fils de l’Égypte » et « il sera appelé le Nazaréen » 38.

Pour justifier une première édition hébraïque du texte, Jérôme fournit des preuves matérielles : un exemplaire hébreu conservé dans la bibliothèque de Césarée copié de la main même de Pamphile, l’ami d’Eusèbe de Césarée 39 φωνῇ συνθεῖναι τὸ Εὐαγγέλιον· καὶ Μάρκος δὲ ἐν Αἰγύπτῳ, τῶν μαθητῶν παρακαλεσάντων, αὐτὸ τοῦτο ποιῆσαι. Διὰ δὴ τοῦτο ὁ μὲν Ματθαῖος, ἅτε Ἑβραίοις γράφων, οὐδὲν πλέον ἐζήτησε δεῖξαι, ἢ ὅτι ἀπὸ Ἀβραὰμ καὶ Δαυῒδ ἦν. Ὁ δὲ Λουκᾶς, ἅτε κοινῇ πᾶσι διαλεγόμενος, καὶ ἀνωτέρω τὸν λόγον ἀνάγει, μέχρι τοῦ Ἀδὰμ προϊών. 38. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inl., éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 8. Matthæus, qui et Loui, ex publicano apostolus, primus in Iudæa propter eos qui ex circumcisione crediderant, Euangelium Christi Hebraicis litteris uerbisque composuit : quod quis postea in Græcum transtulerit, non satis certum est. Porro ipsum Hebraicum habetur usque hodie in Cæsariensi bibliotheca, quam Pamphilus martyr studiosissime confecit. Mihi quoque a Nazaræis, qui in Berœa urbe Syriæ hoc uolumine utuntur, describendi facultas fuit. In quo animaduertendum, quod ubicumque Euangelista, siue ex persona sua, siue ex persona Domini Saluatoris, ueteris Scripturæ testimoniis abutitur, non sequatur Septuaginta translatorum auctoritatem, sed Hebraicam, e quibus illa duo sunt : Ex Ægypto uocaui filium meum ; et : Quoniam Nazaræus uocabitur. 39. Ailleurs, Jérôme parle de ce Pamphile : Pamphilus presbyter, Eusebii Cæsariensis episcopi necessarius, tanto Bibliothecæ diuinæ amore flagrauit, ut maximam partem Origenis uoluminum sua manu descripserit, quæ usque hodie in Cæsariensi bibliotheca habentur. Sed et in duodecim Prophetas uiginti quinque ἐξηγήσεων Origenis uolumina, manu eius exarata reperi, quæ tanto amplector et seruo gaudio, ut Crœsi opes habere me credam. Si enim lætitia est, unam epistolam habere Martyris, quanto magis tot millia uersuum, quæ mihi uidetur sui sanguinis signasse uestigiis ! Scripsit, antequam Eusebius Cæsariensis scriberet, Apologeticum pro Origene, et passus est Cæsareæ Palæstinæ sub persecutione Maximini. De Viris Inl. 75, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 41 : « Pamphile, prêtre, et familier d’Eusèbe, évêque de Césarée, brûlait d’un si grand amour divin pour la bibliothèque sacrée qu’il copia de sa main la plus grande partie des volumes d’Origène ; on possède encore aujourd’hui cette copie dans la bibliothèque de Césarée. Je suis devenu possesseur de vingt-cinq ἐξηγήσεων

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et une copie qu’il possède dans sa propre bibliothèque, qu’il s’est fait faire par les Nazaréens de Bérée de Syrie, la moderne Alep. Jérôme atteste l’existence d’un texte hébreu paru sous le nom de Matthieu qui circulait jusqu’à la fin du Ve siècle (7). Apparemment, il s’agit bien pour lui d’un véritable évangile, qu’il considère comme une fidèle traduction. Pour résumer nos sept points, les Pères ont admis que Matthieu est bien l’auteur de l’évangile qui porte aujourd’hui son nom et qu’il l’a écrit, en Palestine ou en Syrie, pour une communauté d’origine juive. Sa première rédaction était en hébreu et Matthieu ne se mettait pas en scène par modestie : il s’est plutôt noirci en se présentant comme un pécheur. Qu’estil advenu de cette première rédaction de l’évangile ? Le dernier texte, celui de Jérôme, laisse entendre qu’il continua à être utilisé dans sa version originale dans certaines communautés d’origine juive. Cette dernière déclaration pose la question des évangiles « judéo-chrétiens ». Certes, il n’est pas ici possible de reprendre l’ensemble de la question, qui a éveillé l’intérêt des savants depuis le XIXe siècle 40 et a fait l’objet d’une bibliographie considérable 41 : on se bornera à quelques remarques concernant Matthieu. (α) Jérôme, dans ses Hommes illustres, avait déjà mentionné un évangile en langue hébraïque. Il apporte une nouvelle précision dans son Contre les Pélagiens, en attribuant un texte aux Nazaréens : Dans l’Évangile selon les Hébreux, qui a été écrit en langue araméenne et syriaque, mais avec des lettres hébraïques et dont les Nazaréens se servent encore aujourd’hui – cet Évangile selon les Apôtres, ou bien comme beaucoup le prétendent, selon Matthieu, qui se trouve aussi à la bibliothèque de Césarée 42...

d’Origène sur les douze prophètes, écrits de la main de Pamphile. Je conserve avec une joie extrême ce trésor, que je crois m’être plus utile que toutes les richesses de Crésus. En effet, si on est heureux de posséder une épître d’un martyr, quel prix dois-je attacher à tant de milliers de signes qui me semblent tracés avec le sang de ce saint homme ! Il écrivit avant Eusèbe de Césarée une apologie d’Origène. Il souffrit le martyre à Césarée en Palestine, sous la persécution de Maximin. » 40. En France, cela commence sous le Second Empire : A.-C. RACINE-BRAUD, Du Rapport de l’Évangile des Hébreux à l’Évangile canonique de Matthieu, Thèse publiquement soutenue à la faculté de théologie protestante de Montauban en juillet 1861, Montauban, Forestié Neveu, 1861. 41. Pour se frayer un chemin dans le maquis, on consultera avec profit S. C. MIMOUNI, Les Fragments évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés » : recherches et perspectives (Cahiers de la Revue biblique 66), Paris, Gabalda, 2006. Un résumé de la recherche dans C. MORESCHINI et E. NORELLI, Histoire de la littérature chrétienne antique grecque et latine, vol. 1, Genève, Labor et Fides, 2000, p. 83-90. 42. JÉRÔME DE STRIDON, Contre les Pélagiens III, 2 trad. D. A. BERTRAND, ÉAC I, p. 438.

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Ce texte conservé dans la bibliothèque de Césarée est-il le même que le Matthieu en hébreu ? Malheureusement, l’éditeur de la Vulgate n’en dit pas plus. Il faut chercher ailleurs une information : Dans l’Évangile dont se servent les Nazoréens et les Ébionites, que nous avons récemment traduit de l’hébreu en grec et que beaucoup désignent comme l’original de Matthieu 43…

Encore une fois, il n’entre pas dans les dimensions de cette recherche de savoir quels sont les fragments exacts qu’il convient de faire entrer dans cet Évangile des Nazoréens et il paraît impossible, vu les données fragmentaires dont on dispose, de savoir si Jérôme ne confond pas Nazoréens et Ébionites. Il nous suffit de constater que certains – et peut-être pas le Stridonien lui-même – estimaient que le texte recueilli dans l’exemplaire de la bibliothèque de Césarée était un texte hébreu, écrit par Matthieu, qui constituait l’original de son évangile, et qui était en usage dans les communautés d’origine juive (qu’elles soient ébionites ou nazoréennes). Il serait très imprudent de s’avancer davantage et d’en faire, par exemple, l’original de Matthieu en araméen : nous suivons en cela les conclusions de Simon C. Mimouni 44. (β) Dans le livre 30 du Panarion, Épiphane traite des Ébionites. À plusieurs reprises, il mentionne un texte, qu’il nomme « l’Évangile hébraïque » et qu’il rapporte de manière explicite à Matthieu : Dans l’évangile qu’ils reçoivent, selon Matthieu à ce qu’on dit, en réalité très loin d’être complet, et au contraire extrêmement corrompu et mutilé – ils l’appellent l’évangile hébraïque –, il est rapporté ceci : Il y eut un homme du nom de Jésus – il avait environ trente ans – qui nous choisit. Il vint à Capharnaüm, entra dans la maison de Simon surnommé Pierre, ouvrit la bouche et dit : « En passant le long du lac de Tibériade, j’ai choisi Jean et Jacques fils de Zébédée, Simon, André , Thaddée, Simon le Zélé, Judas Iscariote ; et toi Matthieu, je t’ai appelé alors que tu étais assis au bureau des taxes, et tu m’as suivi. Je veux ainsi que vous soyez douze apôtres pour témoigner auprès d’Israël 45.

Ce texte montre clairement qu’une des tendances d’origine juive, celle des Ébionites, se référait à un Matthieu hébraïque. À partir de l’extrait cité par Épiphane, on peut considérer que cet évangile ne correspondait pas aux évangiles canoniques. Ce qui ressemble ici à un prologue montre qu’il pouvait s’agir d’un texte à la première personne – on constate un « nous » 43. JÉRÔME DE STRIDON, Commentaire sur Matthieu 2, trad. D. A. BERTRAND, ÉAC I, p. 441. 44. S. C. MIMOUNI, Les Fragments évangéliques judéo-chrétiens « apocryphisés »…, p. 21-45. 45. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion XXX, 13, 2-3, trad. par D. A. BERTRAND, ÉAC I, p. 450.

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– recueillant les souvenirs personnels d’un apôtre. L’adresse personnelle que le Christ fait à Matthieu (« Toi Matthieu, je t’ai appelé ») tendrait à prouver que c’est Matthieu qui jouait le rôle de porte-parole des Douze et que c’est lui qui consigne ici ses souvenirs au nom des autres. Les deux témoignages précédents sont contradictoires. D’une part, Jérôme affirme que l’exemplaire original de Matthieu était utilisé par des communautés d’origine juive, et d’autre part, Épiphane, affirme qu’il ne s’agissait pas d’une version identique (ce que tendrait à confirmer le passage qu’il cite). On ne peut donc qu’être modéré dans nos conclusions. 1° la tradition d’une première rédaction de l’évangile par Matthieu en hébreu semble forte ; 2° cette tradition semble avoir fait des émules : plusieurs textes sont parus sous le nom de l’apôtre, dont l’un (celui des Nazoréens) ressemblait à l’évangile, et l’autre (celui des Ébionites) était d’une forme différente.

2. IVe-VIe siècle : le consensus canonique Si l’on s’intéresse maintenant aux manuscrits, on s’aperçoit que le consensus est parfait : le premier évangile est systématiquement mis sous le nom de Matthieu. 1. Le consensus des versions de la Bible. – Lorsque l’on fait le tour des versions de la Bible, on s’aperçoit qu’elles attribuent toutes le premier évangile à Matthieu 46. Le Vaticanus (B02) datant du IVe siècle porte κατὰ Μαθθαῖον à la fois sur la deuxième page de l’évangile et au-dessus des six colonnes du livre, preuve que le nom était déjà entré dans les mœurs. Les autres codex majuscules, ainsi que les minuscules, portent τὸ κατὰ Ματθαῖον εὐαγγέλιον ou τὸ ἅγιον εὐαγγέλιον κατὰ Ματθαῖον. Tous les latins portent secundum Mattæum et les versions coptes, syriaques et slavonnes évoquent également l’apôtre. 2. Le consensus des listes canoniques. – De même, toutes les listes canoniques – à l’exception du canon de Muratori, qui ne débute qu’à l’évangile de Luc, mais qui laisse supposer qu’il citait d’autres évangiles – attribuent le premier évangile à Matthieu. C’est le cas du concile de Laodicée de 364, de la 39e lettre d’Athanase d’Alexandrie (367), du décret de Damase (382), du canon du 3e concile de Carthage (397), du décret de Gélase (VIe siècle) 47. 46. T. ZAHN, Das Evangelium des Matthäus (Kommentar zum Neuen Testament 1), Leipzig/Erlangen, Deichert, 41922, p. 5-6. 47. La bibliographique sur la canon du Nouveau Testament est considérable. On citera le « classique » de Metzger : B. M. METZGER, The Canon of the New Testament : its Origin, Development, and Significance, Oxford, Clarendon, 1987. On citera également : H. Y. GAMBLE, The New Testament Canon : its Making and Meaning (Guides to Biblical Scholarship), Eugene (OR), Wipf & Stock, 22002 ; G. ARAGIONE, É. JUNOD, E. NORELLI (éds.), Le Canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation (Le Monde de la Bible 54), Genève, Labor et Fides, 2005.

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3. L’Évangile du Pseudo-Matthieu ou la preuve par l’apocryphe. – Que Matthieu ait été très tôt considéré comme canonique est prouvé a contrario par l’existence d’un texte apocryphe, l’Évangile du Pseudo-Matthieu ou Liber de ortu beatæ Mariæ et infantia Saluatoris (CANT 51 = BHL 53345442b). On sait que le Protévangile de Jacques était en grand renom au cours du Ve siècle, mais qu’il présentait des traits qui le faisaient mal recevoir en Occident. Un remaniement latin fut donc opéré au VIe-VIIe siècle, qui abandonna un certain nombre de références à Israël ainsi que certaines données concrètes du judaïsme et renforça l’importance du miraculeux 48. Comment le rattacha-t-on à une tradition canonique ? Un prologue fut écrit, qui simulait une lettre des évêques Chromace et Héliodore, les correspondants habituels de Jérôme, au traducteur de la Vulgate. Cette lettre condamnait implicitement le Protévangile et demandait une nouvelle version. « Jérôme » répond à cette demande par un nouveau texte qu’il prétend remonter à Matthieu : C’est une lourde tâche qui m’a été imposée par votre béatitude que de révéler ce que pas même le saint apôtre et évangéliste Matthieu n’a voulu qu’on publiât. Car, si ce n’était une chose assez secrète, il l’eût sans doute ajouté à l’Évangile même qu’il fit paraître. Mais il a écrit ce petit livre sous le voile de lettres hébraïques, et il ne le fit pas paraître49.

La fiction littéraire retrouve ici les déclarations hiéronymiennes d’un original hébreu de l’évangile de Matthieu. Elle permet d’expliquer la nouveauté du texte par le secret dont l’apôtre a voulu l’entourer, même s’il y a une certaine naïveté à croire que le fait d’écrire en hébreu le rendait obscur. L’argument sous-jacent est celui de l’absolue canonicité de Matthieu : il suffit de mentionner son nom pour accréditer un texte qui non seulement est parfaitement nouveau, mais en outre ressemble assez fortement à un autre texte, bien connu, que l’on suspectait d’hérésie. B. Critique de cette tradition Malgré le consensus dont on vient de parler, très peu d’exégètes seraient prêts, aujourd’hui, à soutenir l’auctorialité de Matthieu. Et ce doute remonte à fort loin puisque Fauste le Manichéen (390) exprimait déjà quelques réticences à faire de Matthieu l’auteur du premier évangile, cité par Augustin d’Hippone : Nous pouvons d’abord supposer que Matthieu se moque de nous, en attendant que nous prouvions que ce n’est pas même lui qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom : c’est la leçon que donne le récit en style indirect 48. Voir la notice de Jan GIJSEL dans ÉAC I, p. 107-115. 49. Trad. de Jan GIJSEL dans ÉAC I, p. 119.

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de ce même Matthieu. Que dit-il en effet ? « Et comme Jésus passait, il vit un homme nommé Matthieu assis au bureau des impôts, et il l’appela ; et se levant aussitôt, il le suivit ». Quel est l’homme qui écrira, en parlant de lui-même : « Il vit un homme, et il l’appela, et il le suivit ? » Qui ne dira pas plutôt : « Il me vit, il m’appela et je le suivis » ? Il est donc clair que ce n’est point Matthieu qui a écrit cela, mais je ne sais qui sous son nom 50.

L’argument de Fauste est certes un peu faible, car il ne porte que sur une question littéraire mineure, celle de l’obliqua narratio, du style indirect, qu’Augustin n’a aucun mal à réfuter 51. Toutefois, il montre qu’au IVe siècle, la paternité littéraire de Matthieu était remise en cause et cette contestation prit davantage d’ampleur à partir du XIXe siècle.

1. Critique des témoignages anciens 1. Critique du témoignage de Papias. – Le témoignage de Papias pose de nombreuses questions, au point que chacun de ses mots doit être analysé 52. 1° Ματθαῖος μὲν οὖν. Que signifie ce μὲν οὖν dans le texte d’Eusèbe, qui vient de parler de Marc ? Est-ce une simple cheville argumentative pour introduire une nouvelle idée ou bien s’agit-il d’une marque temporelle qui indique que Matthieu a été précédé par Marc ? 2° que signifie 50. AUGUSTIN D’HIPPONE, Contra Faustum XVII, 1, éd. J. ZYCHA (CSEL 25), 1891, p. 483. Ut interim permiserimus nobis iniuriam fecisse Matthæum, donec et ipsum probemus hæc non scripsisse, sed alium nescio quem sub nomine eius : quod docet et ipsa lectionis eiusdem Matthæi obliqua narratio. Quid enim dicit ? Et cum transiret Iesus, uidit hominem sedentem ad telonium, nomine Matthæum, et uocauit eum : at ille confestim surgens, secutus est eum. Et quis ergo de se ipsoscribens, dicat : Vidit hominem, et uocauit eum, et secutus est eum ; ac non potius dicat : Vidit me, et uocauit me, et secutus sum eum : nisi quia constat hæc Matthæum non scripsisse, sed alium nescio quem sub eius nomine ? 51. AUGUSTIN, Contra Faustum XVII, 4, éd. J. ZYCHA (CSEL 25), 1891, p. 486 : « Cependant je ne puis supposer que Fauste soit ignorant au point de n’avoir jamais lu ou entendu dire que quand les historiens ont à mettre leur propre personne en scène, ils ont l’habitude de ne parler d’eux que comme s’ils parlaient d’un autre. J’aime mieux croire que ce n’est pas ignorance chez lui, mais qu’il a voulu jeter de la poussière aux yeux des ignorants dans l’espoir d’en séduire un plus grand nombre qui ne seraient pas au courant de ça. » Sed non usque adeo imperitum putauerim, ut nec legerit, nec audierit, solere scriptores rerum gestarum, cum in suam personam uenerint, ita se contexere, tamquam de alio narrent, quod de se narrant. Magis ergo hunc arbitror non ut imperitum, sed ut imperitis nebulam obtendere uoluisse, sperantem se plures esse capturum, qui ista non nossent. 52. La bibliographie sur ce point est immense. On se sert particulièrement de D. HILL, The Gospel of Matthew (New Century Bible), Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1972, p. 22-29 ; G. KENNEDY, « Classical and Christian Source Criticism », in W. WALKER (éd.), The Relationships Among the Gospels : An Interdisciplinary Approach, San Antonio, Trinity University Press, 1978, p. 125-151 ; R. GUNDRY, Matthew : A Commentary on His Literary and Theological Art, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 1982, p. 609-622.

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συνετάξατο ? Est-ce que Papias suggère que Matthieu a réorganisé l’évangile de Marc pour le mettre dans la τάξις qui lui convenait ? Est-ce qu’il travaille avec des matériaux originaux pour être aussi complet que possible 53 ? Est-ce qu’il entend résoudre des questions de chronologie entre Mc et Jn 54 ? 3° comment comprendre τὰ λόγια ? L’opinion traditionnelle consiste à penser qu’il s’agit de l’évangile lui-même 55. Mais pourquoi Papias utilise-t-il le terme logia qui désigne avant tout des paroles ? Certains exégètes ont suggéré qu’il s’agit de prophéties ou de testimonia de l’Ancien Testament qui s’appliquaient à Jésus ; d’autres se sont orientés vers un simple recueil de paroles à l’image de la fameuse « source Q ». 4° la précision Ἑβραΐδι διαλέκτῳ pose un certain nombre de questions, car rien, dans l’évangile de Matthieu, ne tendrait à prouver qu’il s’agit d’une œuvre traduite de l’hébreu. On peut donc imaginer que Papias utilise le topos de l’original « hébraïque » pour assurer une certaine authenticité de la tradition, comme l’a montré Johannes Munck 56 ; Papias pouvait donc chercher simplement à rassurer ses auditeurs sur la vénérabilité du texte. On peut aussi traduire Ἑβραΐδι διαλέκτῳ différemment, en donnant un autre sens à διαλέκτος, celui de « style », « manière d’écrire ». Papias voudrait alors dire que le texte était en grec, mais qu’il était écrit à la manière hébraïque, ce qui s’explique par ses influences juives 57. 5° enfin, comme le remarquait

53. E. NORELLI, Papia di Hierapolis, Esposizione degli oracoli del Signore. I frammenti (Letture cristiane del primo millenio 36), Milano, Paoline, 2005, p. 301-308. Voir également E. NORELLI, « Le statut des textes chrétiens de l’oralité à l’écriture et leur rapport avec l’institution au IIe siècle », in E. NORELLI (éd.), Recueils normatifs et canons dans l’Antiquité. Perspectives nouvelles sur la formation des canons juifs et chrétiens dans leur contexte culture. Actes du colloque La Bible à la croisée des savoirs, Genève, 11-12 avr. 2002 (Publications de l’Institut romand des sciences bibliques 3), Lausanne, Éditions du Zèbre, 2004, p. 147-194 (159-168). E. NORELLI, « Papias de Hiérapolis a-t-il utilisé un recueil “canonique” des quatre évangiles », in G. ARAGIONE, É. JUNOD, E. NORELLI (éds.), Le Canon du Nouveau Testament. Regards nouveaux sur l’histoire de sa formation (Le Monde de la Bible 54), Genève, Labor et Fides, 2005, p. 35-86. 54. R. BAUCKHAM, « Papias and Polycrates on the Origin of the Fourth Gospel », Journal of Theological Studies 44, 1993, p. 24-69. 55. C’est encore l’opinion de C. S. PETRIE, « The Authorship of ‘The Gospel According to Matthew’ : A Reconsideration of the External Evidence”, New Testament Studies 14, 1967-1968, p. 15-33 et de R. GUNDRY, Matthew…, p. 616-618. 56. J. MUNCK, « Die Tradition über das Matthäusevangelium bei Papias », Neotestamentica et patristica (Supplements to Novum Testamentum 6), Mélanges Cullmann, Leiden, Brill, 1962, p. 249-261. 57. R. GUNDRY, Matthew…, p. 619-620 ; J. KÜRZINGER, « Das Papiaszeugnis und die Erstgestalt des Matthäusevangeliums », Biblische Zeitschrift 4, 1960, p. 19-38 ; J. KÜRZINGER, « Irenäus und sein Zeugnis zur Sprache des Matthäusevangeliums », New Testament Studies 10, 1963-1964, p. 108-115.

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déjà en 1866 Albert Réville 58, l’expression ἡρμήνευσεν δ’ αὐτὰ ὡς ἦν δυνατὸς ἕκαστος doit nous faire accepter les jugements de Papias « sous bénéfice d’inventaire », car l’expression signifie qu’à son avis, personne ne fut bien capable de traduire ce que Matthieu écrivait. En outre, Papias semble préférer la tradition orale et son témoignage semble cacher « de la mauvaise humeur mal dissimulée » contre ceux qui recherchent des écrits. En bref, rien ne permet d’affirmer que Papias croyait à un original hébraïque, ni qu’il pensait Matthieu l’auteur d’autre chose que d’un recueil de logia. 2. Critique du témoignage d’Irénée. – Si l’on reprend le témoignage d’Irénée, il convient de remarquer l’insistance de l’évêque de Lyon sur Pierre et Paul. Il paraît extrêmement important pour lui de lier l’autorité de l’évangéliste à celle des deux apôtres, et ce fait est confirmé par la suite du passage, où il parle de Marc, dont il fait l’interprète de Pierre, et de Luc, qu’il décrit comme un compagnon de Paul. Cette origine paulinopétrinienne importe particulièrement à Irénée qui va décrire la succession ininterrompue des évêques depuis Pierre et Paul jusqu’à son époque. Ne disposant vraisemblablement pas d’informations aussi précises sur Mt, il a pu être tenté de revenir à Matthieu, qui était apôtre, pour garantir l’autorité du premier évangile par le recours à un témoin oculaire. Faute de visa paulino-pétrinien, Irénée aurait pu avoir intérêt à accréditer une rumeur faisant remonter l’évangile à l’âge apostolique.

2. Critique interne Là où la critique interne se révèle le plus efficace, c’est dans la recherche sur la langue d’origine. Tous les exégètes, à de rares exceptions près59, voient dans Mt un texte original grec. D’autres éléments semblent plaider pour une origine tardive 60. 1. Des détails qui prouvent une datation tardive. – La clef de voûte de l’argumentation contemporaine réside dans l’idée que l’auteur écrivant Mt sait que le Temple a été détruit en 70, comme le montrent deux passages 61. En Mt 22, 1-14, dans la parabole du festin, la réponse violente du roi à ceux qui refusent son invitation est de brûler leur cité, un détail absent de Lc (Lc 14, 15-24). De même, les événements décrits en Mt 24 sur les bouleversements en Judée semblent faire écho à la guerre de 66-70. 58. A. RÉVILLE, « Les Évangiles devant la critique moderne II », La Revue des Deux Mondes 63, 1866, p. 610-641 (627). 59. On peut citer P. GAECHTER, Das Matthäus-Evangelium : Ein Kommentar, Innsbruck, Tyrolia, 1963, p. 19 et W. F. ALBRIGHT et C. S. MANN, Matthew (Anchor Bible), Garden City (N. Y.), Doubleday, 1971, p. XXXVI-XLVIII. 60. Pour un résumé des positions : W. D. DAVIES et D. ALLISON, Matthew 1-7 (The International Critical Commentary 1a) London, T&T Clark, 1988, p. 1-12. 61. L’argument est classique, on le trouve bien traité dans : D. J. HARRINGTON, The Gospel of Matthew (Sacra Pagina 1), Collegeville (PA), Liturgical Press, 1991, p. 8.

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2. Une théologie d’origine juive tardive. – On peut aussi remarquer en Mt, des éléments un peu tardifs, qui ne cadrent pas avec une origine très précoce. On peut citer, entre autres, une ouverture finale aux Gentils peu probable chez un des Douze (Mt 28, 19-20), la présentation de la naissance virginale (Mt 1, 18-25), elle aussi tardive. De manière générale, on constate une très forte opposition aux pharisiens qui s’explique, selon la majorité des exégètes depuis Hummel 62, par une opposition entre Juifs chrétiens et pharisiens au sein des synagogues. Pierre Bonnard, dans son commentaire, résume la doxa : le but de Matthieu est de « montrer comment on peut et comment on doit être disciple de Jésus, en ces années 80-90, malgré l’opposition croissante de la synagogue juive et dans la perspective de la conversion des nations païennes 63. » 3. L’hypothèse rédactionnelle. – L’hypothèse rédactionnelle (Source Q) favorise une rédaction tardive. Par bien des aspects, Mt semble reposer sur Mc, tout en possédant un fond propre. Il est par ailleurs proche de Q comme par exemple dans sa mention des itinérants (Mt 10, 40-42), des scribes et des docteurs (Mt 13, 52). Par rapport à Mc, Jésus n’est pas missionnaire chez les Gentils (Mc 5, 1-20) et ne traverse même pas leurs contrées (Mc 7, 24 – 8, 13) : sa mission, ainsi que celle de ses disciples est restreinte au peuple juif (4, 23 ; 9, 35 ; 10, 5-6) 64. Si l’on date, comme de nombreux critiques, Mc de la fin des années 60, Mt doit lui être postérieur, sans doute dans les années 80. 4. Une localisation hors de Judée. – Enfin, dernier élément qui contredit les précisions fournies par les Pères : le texte n’a pas été rédigé à Jérusalem, mais ailleurs. On a proposé de nombreuses localisations comme Alexandrie, Césarée Maritime, Pella, Tyr et Sidon, Tibériade. Le plus probable est que l’origine soit syrienne, possiblement à Antioche 65. En effet, les premières citations connues de l’évangile se retrouvent chez Ignace d’Antioche et dans la Didachè qui ont un lien clair avec la Syrie 66. En outre, Mt 4, 24 semble donner un indice lorsqu’il dit que la connaissance du Christ s’étend jusqu’en Syrie. De plus, on l’a vu à propos de Pierre, la prééminence que l’évangile donne au Prince des Apôtres pourrait refléter l’importance 62. R. HUMMEL, Auseinandersetzung Zwischen Kirche und Judentum im Matthäusevangelium (Beiträge zur evangelischen Theologie 33), München, Kaiser, 1963. 63. P. BONNARD, L’Évangile selon Saint Matthieu (Commentaire du Nouveau Testament), 1963, Genève, Labor et Fides, 42002, p. 10. 64. U. LUZ, Studies in Matthew, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2005, p. 3-17. 65. Il semble que le consensus sur l’importance de la zone syrienne se soit fait depuis L. GOPPELT, Les Origines de l’Église, 1954, trad. fr. : Paris, Payot, 1961, p. 168173. Revue complète des positions dans W. D. DAVIES et D. ALLISON, Matthew 1-7…, p. 138-147. 66. Pour une histoire de la réception syrienne de Matthieu : W.-D. KÖHLER, Die Rezeption des Matthäusevangeliums in der Zeit vor Irenäus (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.24), Mohr Siebeck, 1987.

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que ce dernier jouait dans l’Église de Syrie 67. Enfin, on peut citer l’étude élégante de Kingsbury qui évoque un contexte urbain et relativement aisé. Kingsbury note ainsi la préférence matthéenne pour le mot « cité » (26 fois) et la quasi-absence de village (4 fois) alors que Marc n’utilise « cité » que 8 fois. Il remarque également que Matthieu est très au courant des unités monétaires « supérieures » (up-market), c’est-à-dire les pièces en or, en argent, les talents, tandis que Marc parle davantage en unités inférieures 68. C. Critique de la critique et bilan Même si la critique semble marquer des points, elle peine à renverser définitivement l’opinion traditionnelle de l’auctorialité matthéenne. Que montre-t-elle en effet de manière certaine ? 1° que les témoignages de Papias et d’Irénée ne peuvent être utilisés sans quelques précautions, car ils paraissent difficiles d’interprétation ; 2° que l’idée d’un original hébreu à l’évangile est fausse ; 3° qu’il y a de bons indices pour que la rédaction finale de l’évangile se soit faite en Syrie. En revanche, à part des considérations chronologiques qui peuvent être remises en cause sur la date d’écriture de l’évangile, elle ne parvient pas à démontrer de manière consistante qu’il est impossible que Matthieu ait pu participer à la rédaction du texte qui porte son nom. 1° quand bien même le texte aurait été écrit dans les années 80, qu’estce qui interdit de croire que l’apôtre aurait pu avoir entre 20 et 25 ans lors de son appel par Jésus dans les années 30 et serait ainsi âgé de 70 à 75 ans, un âge avancé pour l’Antiquité, mais que l’on rencontre bien souvent dans les textes ? 2° Cette datation tardive (années 80-90) repose sur l’idée d’une rupture définitive entre pharisiens et chrétiens après la chute du Temple de 70. Or, s’il ne faut pas sous-estimer l’importance de la concurrence entre Juifs pharisiens et Juifs chrétiens dans ces années, il convient aussi de remarquer que, comme nous l’enseigne Flavius Josèphe dans ses ouvrages, les rivalités entre les diverses tendances du judaïsme n’étaient pas moins fortes avant la Guerre juive. Les occasions d’écrire des textes polémiques ne manquaient pas, bien avant les années 60. En outre, traiter 70 comme une rupture dans le judaïsme semble absolument contredit par les études actuelles 69. 3° si l’on applique en toute rigueur cette méthode de lecture qui 67. R. SCHNACKENBURG, The Gospel of Matthew, 1984, trad. ang. : Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2002, p. 5. 68. J. D. KINGSBURY, Matthew (Proclamation), Philadelphia (PA), Fortress, 1986, p. 99-100. 69. D. R. SCHWARTZ et Z. WEISS (éds.), Was 70 CE a Watershed in Jewish History ? On Jews and Judaism before and after the Destruction of the Second Temple (Ancient Judaism and early Christianity, 78), Leiden, Brill, 2012. R. BURNET, « La chute du Temple en 70 constitue-t-elle un tournant de l’histoire du judaïsme et du

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voudrait que tous les éléments du texte répondent aux préoccupations de la communauté d’origine, comment expliquer le passage où Jésus se préoccupe de l’impôt du didrachme qu’il faut verser au Temple alors que celuici aurait disparu (Mt 17, 24-27) ? Comment expliquer que Matthieu soit quasiment le seul évangéliste à mentionner que les Sadducéens étaient aussi en opposition avec Jésus 70 ? Serait-ce qu’ils existaient encore après la chute du Temple ? 4° l’allusion à la destruction du Temple est particulièrement difficile à manipuler, car elle est sous-tendue par une citation d’Isaïe (Is 5, 25) et cette annonce de la destruction de l’édifice est traditionnelle71. 5° on affirme souvent que l’évangile a été mis sous le nom de Matthieu pour lui donner une autorité. Pourquoi, alors, avoir choisi justement un apôtre dont nous venons de voir qu’il s’agit d’un personnage plutôt obscur ? S’il est bien sûr impossible de prouver que Matthieu est l’auteur de l’évangile qui porte son nom, il convient de rendre justice à l’unanimité de la tradition. Il est certain que, d’une manière ou d’une autre, Matthieu a été lié avec la communauté palestino-syrienne qui est à l’origine du premier évangile. Peut-être faut-il donner une interprétation plus simple au témoignage de Papias et rendre compte de manière plus concrète de celui de Jérôme. Rien n’empêche de penser que Matthieu, l’un des Douze, ait été à l’origine d’un travail de compilation des paroles de Jésus (dans lequel il paraît très imprudent de déceler la source Q), rédigé en hébreu. Cette hypothèse est la seule qui permette de rendre compte du fait qu’Eusèbe, Origène et Clément d’Alexandrie, qui n’étaient pas particulièrement liés au christianisme d’origine juive et qui parlaient certainement beaucoup mieux le grec de la koinè que nous 72, aient jugé bon de parler d’un original sémitique, alors qu’ils avaient sous les yeux un texte qu’ils savaient parfaitement être en grec. Rien n’empêche en outre de penser que ce travail a été réalisé de manière assez précoce, et ensuite repris, sous une forme grecque, peutêtre sous l’influence de la parution de l’évangile de Marc. III. L A

QUADRUPLE TR ADITION MAT THÉENNE

Lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de la tradition concernant l’évangéliste, on s’aperçoit que l’on se trouve confronté à une quadruple tradition. Matthieu est bien l’apôtre ubiquiste ! Cette hésitation sur le lieu de son christianisme ? Quelques réflexions à partir d’un livre récent », Revue théologique de Louvain 44, 2013, p. 256-271. 70. Les références aux Sadducéens sont essentiellement matthéennes : Mt 3, 7 ; Mt 16, 1.6.11-12 ; Mt 22, 23.34 ; Mc 12, 18 ; Lc 20, 27 ; Ac 4, 1 ; Ac 5, 17 ; Ac 23, 6-8. 71. R. H. GUNDRY, A Survey of the New Testament, Grand Rapids (MI), Zondervan, 4 2003, p. 161. 72. W. D. DAVIES et D. ALLISON, Matthew 1-7…, p. 19.

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martyre ne laisse pas de surprendre : alors que tout le prédisposait à être un « grand » apôtre, l’incertitude sur son destin le rapproche plus des « petits » comme Simon ou Jude. A. La tradition gréco-syrienne ancienne : de Judée en Parthie La tradition la plus ancienne est représentée par les déclarations de Papias, d’Irénée et d’Eusèbe qui laissent penser que Matthieu a d’abord dirigé ses pas vers la Judée puis peut-être la Syrie. À quel autre endroit aurait-il pu écrire un évangile en hébreu ? Ensuite, la première tradition, d’origine gréco-syrienne, lui fait décrire un trajet en Parthie. Elle se divise en réalité en deux. 1. La tradition épiphanienne. – La tradition épiphanienne, qui pourrait remonter au Ve siècle, propose un résumé des données évangéliques puis localise le lieu de son martyre en Parthie, autour de Hiérapolis des Parthes. On cite le ms de Paris 1115 daté de 1276 : Matthieu l’évangéliste était de Jérusalem et, là, il composa l’évangile du Seigneur en dialecte hébraïque. Il le donna aux saints apôtres et c’est Jacques le frère du Seigneur qui le traduisit. Il s’endormit à Hiérapolis des Parthes et il fut enterré là 73.

La mention précise du « dialecte hébreu » est comme une citation qui permet de voir une filiation avec les déclarations de Papias. Le choix de Hiérapolis peut s’expliquer par le fait que Matthieu s’appelle également Lévi, ce qui le rattache à Hiérapolis, la « ville sacrée » ou la « ville des prêtres ». Manifestement, personne ne savait exactement où situer cette Hiérapolis des Parthes, aussi les autres représentants de cette tradition proposent-ils des localisations différentes. Ainsi le Pseudo-Dorothée parle-til plutôt de Hiérapolis de Syrie 74, appelée aussi Hiérapolis Bambyce (pour la distinguer de celle de Phrygie). Nommée Mabboug à l’époque syriaque, et siège d’un important évêché, elle se nomme actuellement Manbij. Elle était connue dans l’Antiquité pour son culte d’une déesse, la Dea Syria

73. ηʹ. Ματθαῖος δὲ ὁ εὐαγγελιστὴς ἦν ἀπὸ Ἱερουσαλὴμ καὶ ἐκεῖ συνέγραψε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ κυρίου τῇ ἑβραίδι διαλέκτῳ, καὶ ἐξέδωκεν αὐτὸ τοῖς ἁγίοις ἀποστόλοις καὶ ἑρμηνεύων αὐτὸ Ἰάκωβος ὁ ἀδελφὸς τοῦ κυρίου, ἐκοιμήθη δὲ ἐν Ἱεραπόλει τῆς Παρθίας καὶ θάπτεται ἐκεῖ. Texte donné par T. SCHERMANN, Prophetarum vitæ fabulosæ, Lipsiæ (Leipzig), Teubner, 1907, p. 172. Traduction dans ÉAC II, p. 475. 74. Ματθαῖος δὲ ὁ εὐαγγελιστὴς τῇ ἑβραΐδι διαλέκτῳ τὸ εὐαγγέλιον παραδοὺς τῇ ἐν Ἱεροσολύμοις ἐκκλησίᾳ κηρύξας τὸν Χριστὸν τελειοῦται ἐν Ἱεραπόλει τῆς Συρίας. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 156.

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Atargatis 75 d’origine cananéenne 76 et l’on sait qu’un sanctuaire y fut dédié à Matthieu à partir du Ve siècle (et non avant, car Égérie n’en parle pas) 77. Le Pseudo-Hippolyte parle, quant à lui, de Hiréié des Parthes 78. L’anonyme grec (représenté par le manuscrit du Vatican grec 2001 du XIIe siècle) propose une mort à Hérê. L’étrange formulation d’Épiphane a pu laisser penser que Matthieu ne connut pas le martyre, ce que confirme Jean d’Euchaita au XIe siècle : « Matthieu dormit du sommeil du maître de la vie 79 ». La mort en Parthie se retrouve dans toute la tradition orientale. En effet, le Pseudo-Syméon le Métaphrase la reprend, en donnant un sens symbolique à cette ville de Hérê, qu’il ne comprenait probablement pas. Il nomme la ville Εἰρήνη τῆς Παρθίας 80, Eirênê des Parthes, la Paix des Parthes. Le motif de la mort est précisé : il s’agit d’une lapidation. Cette donnée se retrouve aussi dans les anciens ménologes, dont celui du Saint Sépulcre, datant du Xe siècle 81. On la trouve également dans l’Égypte copte : le P. Paris Copt. 129 82 évoque lui aussi ⲉⲓⲁⲣⲉⲓ ⲧⲉⲧⲡⲁⲣⲑⲓⲁ, « Eiarei de Parthie ». Le texte enchaîne avec un récit de destruction de temple d’idoles qui semble une allusion au texte copte des Actes de Matthieu pourtant localisé à Khanat. Pour l’expliquer, il faut faire l’hypothèse que cette tradition épiphanienne se retrouve sous forme d’allusion littéraire dans l’un des textes coptes issus du « Combat des Apôtres » : les Actes de Matthieu dans la ville de Kahnat. Dans Kâhnât, on entend en effet l’arabe ‫ﻛﺎﻫﻨﺎﺓ‬, « prêtresse », ce qui pourrait être une traduction arabe de Hiérapolis, ville des 75. PLINE, Histoire naturelle 1, 19, 23. Bambycen, quæ alio nomine Hierapolis vocatur, Syris vero Magog. Ibi prodigiosa Atargatis, Græcis autem Decreto dicta, colitur. « Bambyce, qui est appelé Hiérapolis par un autre nom et Magog par les Syriens. On y rend un culte à la monstrueuse Atargatis, nommée Derceto par les Grecs. » 76. R. A. ODEN JR, « The Persistence of Canaanite Religion », Biblical Archæologist 39, 1976, p. 31-36. 77. P. MARAVAL, Lieux saints et pèlerinages d’Orient histoire et géographie des origines à la conquête arabe (Histoire), Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 348. 78. Ματθαῖος δὲ τὸ εὐαγγέλιον ἑβραϊστὶ γράψας δέδωκεν ἐν Ἱερουσαλὴμ καὶ ἐκοιμηθη ἐν Ἱερείει τῆς Παρθίας. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 165. 79. ζωῆς ὕπνον πρύτανιν ὑπνοῖ Ματθαῖος. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 205. 80. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 178. Ματθαῖος ὁ εὐανγελιστὴς καὶ τελώνης ἐν Εἰρήνῃ τῆς Παρθίας τελειοῦται λίθοις. 81. B. LATYŠEV, Menologii anonymii byzantini sæculi x quæ supersunt e codice Hierosolymitano S. Sepulcri 17, Petropoli (Saint-Petersbourg), Cæsaræ Academiæ Scientarum, 1912, p. 123. Ὁ εὐαγγελιστὴς Ματθαῖος ὁ καὶ Λευὴς καὶ ἀδελφὸς Ἰακώβου τοῦ Ἀλφαίου, ὁ τελώνης καὶ εὐαγγελιστής, ὁ καὶ ποιήσας δοχὴν μεγάλην τῷ Ἰησοῦ, μετὰ τὸ κήρυγμα λίθοις ὑπὸ τῶν Ἰουδαίων βληθεὶς ἐν Ἱεραπόλει τῆς Συρίας πρὸς κύριον ἐξεδημησε, τὰς τῶν πόνων ἀποληψόμενος ἀποιβάς. 82. E. O. WINSTEDT, « Some Coptic Apocryphal Legends », Journal of Theological Studies 9, 1908, p. 372-386 (382).

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prêtres. En effet, dans le monde syriaque puis arabe, Mabboug était souvent perçue comme la « ville des prêtres » 83. Elle est aussi conservée de manière très surprenante chez Brunetto Latini, qui écrit, contrairement à ses contemporains latins qui maintiennent une tradition éthiopienne: Matheus fu apostres et evangelistes, et ot en sornon Levi. Il fist ses evangiles en Judée, puis preescha en Macedoine, et sofri martire en Perse, et fu enterrez ès mons des Pastors 84.

L’éditeur du texte note que d’autres manuscrits (en particulier le ms. 7930 de l’ancien fonds de la BNF) portent « mons des Prestres». 2. La tradition hiéronymienne. – Une autre tradition est conservée dans l’Église latine : elle propose des localisations différentes pour le martyre de Matthieu, tout en restant dans la région. La première mention se trouve chez Ambroise de Milan (mort en 397) : il affirme dans ses Commentaires des Psaumes 45, 21 que si l’Inde a été donnée à Thomas, la Perse est pour Matthieu. Paulin de Nole (mort en 431), reprend la tradition dans son Poème 19 (Parthia Matthæum complectitur 85). Le martyrologe hiéronymien porte une curieuse mention, in Persida Mathei apostoli et primi ou et primi iniciorum martyrum, que Baudouin de Gaiffier propose de lire comme une corruption de In Persida natale sancti Mathei apostoli et euangeliste et primi initiatoris mysteriorum, « en Perse, fête de saint Matthieu, apôtre et évangéliste, et premier initiateur des mystères » (puisqu’il est, selon une certaine tradition, le premier à avoir écrit un évangile) 86. Le De Ortu et Obitu prophetarum 87 du Ve siècle la confirme. Le texte le plus représentatif est le Breviarium apostololorum 88 qui était en usage avant 600 : Matthieu l’apôtre et l’évangéliste dont le nom s’interprète comme « donné89 ». Il a reçu son surnom « Lévi » de sa tribu. Il fut choisi par le Christ en étant

83. C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 58. C. et F. Jullien citent Jacques de Saroug, Ibn al-῾Adîm, Agapius de Menbidj. 84. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 75. 85. PAULIN DE NOLE, Sancti Pontii Meropii Paulini Nolani Carmina (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 30), éd. W. A. von Hartel, Pragæ/Vindobonæ (Vienne)/Lipsiæ, Tempsky/Freytag, 1894, p. 121. PL 61, 514. 86. B. DE GAIFFIER, « La Commémoraison de S. Matthieu au 6 mai dans le martyrologe hiéronymien », Analecta Bollandiana 80, 1962, p. 111-115. 87. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105). 88. B. DE GAIFFIER, « Le Breviarum apostolorum (BHL 652). Tradition manuscrite et œuvres apparentées », Analecta Bollandiana 81, 1963, p. 89-116. 89. Selon l’étymologie de Jérôme : JÉRÔME DE STRIDON, Liber interpretationis hebraicorum nominum, éd. P. DE LAGARDE (CCSL 72), 1959, p. 62.

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pharisien. Il évangélisa d’abord en Judée, puis en Macédoine et il mourut en Perse : il repose dans les montagnes parthes. Le 9 des calendes d’octobre 90.

Le début dépend clairement du texte de Jérôme, en particulier l’expression ex publicano a Christo electus ainsi que le rappel d’une première évangélisation en Judée. Ces montagnes parthes désignent probablement les montagnes qui séparent la Médie de la Parthie, les monts Parachoathras 91, l’actuelle chaîne d’Elbourz en Iran (au pied de laquelle se trouve Téhéran). Isidore de Séville est directement dépendant de cette tradition, qui recopie quasi exactement le Breviarum 92. Le Laterculus (Paris lat. 9562) reprend la tradition (Matthæus in montibus Parthorum) qui est reprise par l’historien carolingien Fréculf 93 et par Sedulius Scotus 94. Cette tradition influença directement l’Église arménienne au prix d’une confusion entre Matthieu et Matthias, le remplaçant de Judas. En effet, le synaxaire de Ter-Israël évoque une mort de Matthias chez les « Rispartes » 95, dont le nom est une simple corruption du « mont des Parthes », ἐν ὄρεσι Παρθῶν 96.

90. Matthæus apostolus et envangelista, qui interpretatur donatus. Hic etiam e tribu sua Levi sumpsit cognomen, ex publicano a Christo electus primum quidem in Iudæa evangelizauit, postmodum in Macedonia, et passus in Persida : resquiescit in montibus Partorum XI Kalendas Octobris. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 210. 91. « Puis une autre chaîne recommence qui, se portant vers l’Est, passe audessus de la mer Caspienne et atteint aux derniers confins de la Médie, je ne dis pas seulement de la Médie Atropatène, mais bien de la Grande Médie. C’est là ce qu’on a appelé proprement la chaîne du Parachoathras. Toutefois cette dénomination s’étend encore plus loin : on l’applique et aux montagnes qui s’étendent depuis l’extrémité de la Médie jusqu’aux Pyles Caspiennes et à celles qui se prolongent à l’Est des Pyles Caspiennes jusqu’au seuil de l’Arie. » Εἶτ’ ἄλλ’ ἐπανίσταται πρὸς ἕω, τὰ ὑπερκείμενα τῆς Κασπίας θαλάττης μέχρι Μηδίας τῆς τε Ἀτροπατίου καὶ τῆς μεγάλης· καλοῦσι δὲ καὶ ταῦτα τὰ μέρη πάντα τῶν ὀρῶν Παραχοάθραν καὶ τὰ μέχρι τῶν Κασπίων πυλῶν καὶ ἐπέκειναἔτι πρὸς ταῖς ἀνατολαῖς τὰ συνάπτοντα τῇ Ἀρίᾳ. STRABON, Geographica XI, 12, 4. 92. ISIDORE DE SÉVILLE, De ortu et obitu patrum 78 PL 83, col. 153. Matthæus apostolus et euangelista, qui etiam ex tribu sua Leui sumpsit cognomen, ex publicano a Christo electus, ex peccante translatus. Hic primum quidem un Iudæ euangelizat, postmodum in Macedonia prædicat, requiescit in montibus Parthorum. 93. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 3, CCSM 169A, p. 500. 94. SEDULIUS SCOTUS, In Prologum quattuor Euangeliorum, PL 103, 349. 95. G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter Israël V, (Patrologia Orientalis 21), Paris, Firmin Didot, 1930, p. 639-641. Mathias (Matathia), le remplaçant de Judas l’Iscariote, de la tribu de Ruben, se rendit, après la résurrection du Seigneur, au pays des barbares et leur prêcha l’Évangile du Christ ; il en convertit beaucoup de l’erreur et accomplit de nombreux prodiges et miracles. Il quitta cette terre par la mort du martyre, lapidé par les Rispartes, jeté à la mer, et transporté à Beyrouth. D’autres disent de lui, que c’est lui qui s’est rendu au pays des Anthropophages et y fut brûlé par le feu. 96. R. A. LIPSIUS, Apostelgeschichten und Apostellegenden II, 2..., p. 124.

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Elle influença également certains historiens syriaques comme Denis BarŞalibi qui cite la ville de Qabira, qui est difficile à identifier (c’est actuellement le nom d’une ville iranienne). Il convient de noter que la tradition syriaque tardive – que mentionnent Bar-Şalibi et Michel le Syrien 97 – renonce à cette localité au profit d’une mort à Gabala ( Jablah en Syrie) et d’un ensevelissement à Antioche de Syrie (Antakya). Il est possible que cette tradition se retrouve dans certaines listes qui précisent le lieu de martyre de Matthieu : Tarricus dans le codex Bernensis, Tarthius dans les Festa apostolorum. Ne pourrait-il pas s’agir de la ville d’Antarados (Tartous), sur la côte syrienne ? B. La tradition des Anthropophages Dans certains textes, Matthieu est lié aux Anthropophages. Il est assez probable que la tradition du martyre dans la « ville des Anthropophages » soit liée à la tradition hiéronymienne au prix d’une série de confusions. Démêlons un écheveau touffu. 1. À l’origine existe un texte, les Actes d’André et Matthias que Grégoire de Tours place à la suite des Actes d’André, mais qui provient sans doute d’une autre tradition 98 : un texte issu d’un milieu monastique d’Égypte, peut-être pachômien, écrit aux alentours de l’an 400 99. Ce texte comporte un récit des actes des deux apôtres dans la ville des Anthropophages. On se souvient que cette ville, qui est difficile à situer, porte le nom de Myrné (Μύρνη) et en latin de Mirmidonia. Cette localisation se retrouve dans le codex Fuldensis qui porte Merminea 100. On ne sait quelle est la localisation précise que l’auteur entendait donner à son texte (entre Égypte et Scythie). 2. La confusion que l’on a déjà repérée entre Matthias et Matthieu s’est ensuite opérée, ce qui a permis à Matthieu de devenir le compagnon d’André. Cette confusion est certainement aidée par la précédente localisation du martyre de Matthieu en Parthie : Parthes et Scythes sont parfois confondus, les Parthes étant les descendants des Scythes. Elle culmine dans l’écriture d’un Martyre de Matthieu autour du tournant du Ve et du VIe siècle.

97. MICHEL LE SYRIEN, Chronique V, trad. J.-B. CHABOT, vol. 1, Paris, 1899, p. 147. « Matthieu, de la tribu d’Issachar, de Nazareth, mourut à Gabala et fut enseveli à Antioche. » 98. Toutes les informations de ce paragraphe sont empruntées à la notice des Actes d’André et Matthias composée par J.-M. PRIEUR dans ÉAC II, p. 485-490. 99. C’est l’hypothèse de J. FLAMION, Les Actes apocryphes de l’apôtre André (Recueil de travaux d’histoire et de philologie 33), Louvain, Bureau du recueil, 1911, p. 317. 100. B. DE GAIFFIER, « Une ancienne liste d’apôtres », in L’Homme devant Dieu. Mélanges offerts au Père Henri de Lubac (Théologie 56), Paris, Aubier, 1963, p. 365372 (368).

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3. Quelques témoignages, en particulier une notice du synaxaire arménien, attribuent à Matthieu des aventures chez les Anthropophages en reprenant la Vie d’André : L’évangéliste Matthieu était de la tribu d’Issachar, il fut appelé des fonctions de publicain et fut le témoin oculaire de tous les actes du Seigneur. Après sa Résurrection, il prêcha aux Juifs et écrivit son évangile en langue hébraïque. Il alla ensuite au pays des Anthropophages et fut saisi par eux ; ils lui crevèrent les yeux et le mirent en prison pour l’immoler et le manger. Mais le Seigneur envoya André qui lui rendit la vue et le fit sortir de prison ; puis, tous deux convertirent le pays des anthropophages à la science de Dieu. Leur roi, Phulbanus, fit brûler Matthieu par le feu 101.

C. La tradition du Pont La tradition du Pont pourrait dériver de cette tradition des Anthropophages. En effet, si on localise la ville des Anthropophages en Chersonèse, on est de l’autre côté du Pont-Euxin. On retrouve cette tradition en Arménie en particulier dans le manuscrit 871 du Maténadaran qui porte : « Matthieu fut lapidé dans l’Hellespont, jeté à la mer et recueilli ; et on l’ensevelit à Biriton 102 » (l’Hellespont est le détroit des Dardanelles, Biriton est probablement Béryte, la moderne Beyrouth). On retrouve également cette tradition dans le Codex Fuldensis, dans la liste des lieux où reposent les apôtres : Matthæus in Pontum. Ces témoignages nous permettent de conforter la datation tardive de certains passages des Actes de Philippe, un texte qui est, comme on l’a vu, extrêmement composite 103. En effet, les Actes de Philippe 3, 2 disent que Matthieu a été envoyé « chez les impitoyables habitants des cavernes dont la nature est sauvage 104 », ce qui évoque irrésistiblement les Anthropophages. Alors que les Actes de Philippe 8, 2 disent que Matthieu se trouve « dans les régions les plus reculées du Pont 105. » L’hypothèse d’une confusion entre le Pont et le lieu des Anthropophages, confusion plutôt tardive, se voit ratifiée.

101. G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter Israël V (Patrologia Orientalis 21) Paris, Firmin Didot, 1930, p. 639-640. 102. M. VAN ESBROECK, « Neuf listes d’apôtres orientales », Augustinianum 34, 1994, p. 109-161 (113). 103. Voir la notice du texte, rédigé par F. AMSLER dans ÉAC I, p. 1181-1184. 104. Trad. F. AMSLER dans ÉAC I, p. 1217. 105. Trad. F. AMSLER dans ÉAC I, p. 1263.

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D. La tradition latine : l’Éthiopie Une tradition latine concomitante de la tradition hiéronymienne, quant à elle, fournit une localisation assez différente au martyre de Matthieu : l’Éthiopie. Ce sera elle qui finira par s’imposer. Pour expliquer cette situation plutôt exotique, C. et F. Jullien invoquent une série de confusions 106. 1° une confusion entre Matthieu et Barthélemy qui se retrouve par exemple dans les Questions de Barthélemy, un texte que Jean-Daniel Kaestli fait remonter à une origine ancienne ( IIe siècle) même si certains éléments de rédaction évoquent une reprise plus récente (avant le Ve siècle) 107. En effet, dans le texte, Matthieu se déclare « élu à partir du bureau du péager » (Questions de Barthélemy 4, 49). 2° or, Barthélemy est connu pour une mission en Inde. Et on retrouve la liaison entre Matthieu, Barthélemy et l’Inde dans le passage déjà traité d’Eusèbe de Césarée où il déclare que Barthélemy avait apporté l’évangile en Inde. 3° or, dans certains textes, il semble y avoir une contiguïté entre la mer Rouge et le Golfe, qui pourrait s’expliquer par la présence de populations à la peau sombre : Inde et Érythrée sont souvent confondues dans l’esprit des Anciens 108. Une autre explication, beaucoup plus simple, pourrait se trouver dans l’hypothèse que nous avons déjà mentionnée à propos d’André : l’Éthiopie dont il s’agit pourrait être la Colchide. La confusion se ferait alors avec André, qui est associé à Matthieu ou Matthias dans le voyage chez les Anthropophages. Ensuite, on a pu aisément confondre Éthiopie du Caucase et Éthiopie d’Afrique. Quoi qu’il en soit, cette localisation éthiopienne est accréditée en Occident en même temps que les traditions précédentes. On la trouve vers la

106. C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 55. 107. Introduction au texte dans ÉAC I, p. 263. Voir également J.-D. KAESTLI et P. CHERIX, L’Évangile de Barthélemy (Apocryphes 1), Turnhout, Brepols, 1993. 108. J.-F. SALLES, « The Periplus of the Erythraean Sea and the Arab Persian Gulf », ΤΟΠΟΙ Orient-Occident 3, 1993, p. 493-523 et J.-F. SALLES, « Fines Indiæ, Ardh el-Hind. Recherches sur le devenir de la mer Érythrée », in E. DĄBROWA (éd.), The Roman and Byzantine Army in the East, Kraków, Drukarnia Uniwersytetu Jagiellońskiego, 1994, p. 165-185. Cité par C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 55. Comme preuve de cette confusion, on peut citer STRABON, Géographie XVII, 21 ; AMMIEN MARCELLIN, Res Gestarum 14, 4, 3 (voir L. DILLEMANN, « Ammien Marcellin et les pays de l’Euphrate et du Tigre », Syria 38, 1961, p. 87-159) ; POMPONIUS MELA, Chorographie 3, 72. Sur les hésitations de la géographie ancienne concernant cette région : J. DESANGES, « Arabes et Arabie en Terre d’Afrique », in T. FAHD (éd.), L’Arabie préislamique et son contexte culturel (Université des sciences humaines de Strasbourg, Centre de recherche sur le Proche-Orient et la Grèce antiques Travaux 10), Leiden, Brill, 1989, p. 413-430.

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fin du IVe siècle dans la traduction de Rufin d’Aquilée de l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe déjà citée : On dit que le sort attribua la Parthie à Thomas, l’Éthiopie à Matthieu, et l’Inde citérieure qui lui est contiguë à Barthélemy. Entre celle-ci et la Parthie, au milieu, mais au cœur d’une vaste région se trouve l’Inde ultérieure, habitée par des peuples variés aux langues multiples. Comme elle était bien trop éloignée, le soc de la prédication apostolique ne l’avait jamais labourée, elle reçut cependant les premières semences de la foi à l’époque de Constantin 109.

On voit que la Parthie est conférée à Thomas, que Matthieu et Barthélemy sont associés, et que l’Inde et l’Éthiopie ne sont pas exactement distinguées, ce qui rend vraisemblable notre hypothèse portant sur la localisation de la Colchide et qui expliquerait la concomitance des deux traditions : la Perse et la Colchide sont finalement moins éloignées l’une de l’autre que la Nubie et la Perse. Venance Fortunat assigne à Matthieu la ville de Naddaver comme lieu de martyre, une ville qu’il situe clairement en Éthiopie. Grégoire de Tours fait de même 110. Cette localisation se retrouve également chez Eucher de Lyon 111 dans ses Instructions à Salonius, et surtout dans la Passion de Matthieu du Pseudo-Abdias (que l’on étudiera ci-après), qui date peut-être de la même époque et qui cherche à valoriser la conversion au christianisme du royaume d’Axoum en Abyssinie 112. À Matthieu est alors systématiquement associé Candace, eunuque de la reine d’Éthiopie : le nom du souverain (le candace est l’équivalent d’un pharaon selon les auteurs anciens) devient le nom propre de l’affranchi. Où est cette ville de Naddaver ? Sans jeu de mots, il s’agit d’un locus desperatus. Le dernier à s’être risqué à une localisation est le bollandiste J. Stilting, qui propose mollement plusieurs villes 113 en rappelant que nulla 109. In ea diuisione orbis terræ, quæ ad prædicandum uerbum dei sorte per apostolos celebrata est, cum aliæ prouinciæ obuenissent, Thomæ Parthia et Matthæo Æthiopia eique adhærens citerior India Bartholomæo dicitur sorte decreta. Inter quam Parthiamque media, sed longo interior tractu India ulterior iacet, multis uariisque linguis et gentibus habitata, quam uelut longe remotam nullus apostolicæ prædicationis uomer inpresserat, quæ tamen temporibus Constantini tali quadam ex causa semina fidei prima suscepit. RUFIN D’AQUILÉE, Hist. Eccl. XI, 5, éd Th. MOMMSEN (Corpus Berolinense 9.2), 1908, p. 1008. 110. Grégoire dans son commentaire sur le Premier livre des Rois IV, 4, 13 nomme l’apôtre S. Matthæum Æthiopiæ prædicatorem. Venance Fortunat dans son poème 2 du livre 5 : Mattheus Æthiopes attemperat ore vapores/Vivaque in exusto flumina fudit agro. Dans le poème 4 du livre 8 : Inde triumphantem fert India Bartholomæum/Matthæum eximium Naddaver alta uirum. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 215-216. 111. EUCHER DE LYON, Instructionum ad Salonium, éd. C. MANDOLFO (CCSL 66), 2004, p. 177. 112. C’est l’hypothèse des auteurs de la notice introductive au texte dans ÉAC II, p. 813. 113. J. STILTING, « De Matthæo apostolo et evangelisto », Acta Sanctorum Septembris, vol. 6, Antverpiæ (Anvers), Van der Plassche, 1757, p. 194-226 (209).

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illius plane nominis nota est in Æthiopia. Il évoque ainsi la ville de Napata (située après la 3e cataracte du Nil), capitale de la reine Candace chez Strabon, qui fut ravagée par Pétrone 114, mais indique qu’il est difficile de voir comment on passe de Napata à Naddaver. En renvoyant aux interrogations de la Géographie de Christophe Kellner (1638-1707), il mentionne qu’elle peut s’appeler Naggata. En allant consulter Kellner, on s’aperçoit que lui aussi est des plus dubitatifs. Il écrit : « les plus communs des livres de Ptolémée lisent Νάπατα, Napata, sans mention, cependant, de son rang royal ou de métropole. Le codex palatin [sans doute Vat. Pal. gr. 388] porte Νάγγατα, Naggata, dont nous pouvons également douter de la dénomination et de la localisation 115 ». Gutschmid, faute de mieux, se range à cette option 116. Une tradition médiévale – reproduite dans le Guide du Pèlerin117 de SaintJacques-de-Compostelle du XIIe siècle et dans l’Histoire de Charlemagne du Pseudo-Turpin 118 – a voulu faire de cette Naddaver la ville d’origine des Navarrais. Là encore, cette opinion est absolument sans fondement. Cette localisation est finalement celle qui est retenue par les martyrologes occidentaux, et celui de Bède le Vénérable, au premier chef 119, qui 114 STRABON, Géographie XVII, 1, 54.. 115. C. KELLNER, Notitiæ Orbis antiqui siue geographiæ plenioris. Tomus alter asiam et africam antiquam exponens Christophorus Cellarius, Lipsiæ, Impensis Gleditschi Senioris, 1706, p. 240. Nam ulgati quidem Ptolemæi libri Νάπατα, Napata legunt, sine tamen mentione dignitatis regiæ aut metropoleos : Pal. autem codex habet Νάγγατα, Naggata, ut de nomine æque ac situ dubitare nobis liceat. 116. A. VON GUTSCHMID, « Die Königsnamen in den apokryphen Apostelgeschichten », in F. RÜHL (éd.), Kleine Schriften von Alfred von Gutschmid, vol. 2, Leipzig, Teubner, 1890, p. 332-394 (374). 117. Nauarri etiam a quadam urbe que Naddauer dicitur, prius nomen sumpserunt ; que est in illis horis e quibus primitus aduenerunt, quam scilicet urbem in primis temporibus beatus Matheus apostolus et euangelista, sua predicacione ad Dominum conuertit. « Les Navarrais en outre prirent leur nom d’abord d’une ville appellée Naddaver, qui est dans le pays d’où ils sortirent à l’origine ; cette ville fut, dès les premiers temps, convertie au Seigneur par la prédication du bienheureux Matthieu, apôtre et évangéliste. » J. VIELLIARD, Le Guide du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, Paris, Vrin, 52004, p. 32. Ce guide datant du XIIe siècle (dont l’auteur est, selon l’éditrice, Aimery Picaud) décrit les chemins de Saint-Jacques, les reliques à vénérer, les populations que l’on traverse. 118. F. CASTETS (éd.), Turpini Historia Karoli Magni et Rotholandi (Publications spéciales de la société pour l’étude des langues romanes 7), Montpellier, Bureau des Publications de la Société pour l’étude des langues romanes, 1880, p. 71. 119. BÈDE LE VÉNÉRABLE, Martyrologium Vernerabilis Bedæ presbyteri, C. Plantin, 1564, p. 117. XI CAL. OCT. Natale sancti Matthæi apostoli et euangelistæ, qui primus in Iudæ euangelium Christi Hebræo sermone conscripsit. Post vero apud Æthiopiam prædicauit et multos ad fidem convertit missusque est spiculator, ab Hirtaco rege, qui eum gladio feriebat efficiens martyrem Christi cuius euangelium stylo scriptum, Hebræo ipso reuelante, tempore imperatoris cuiusdam inuentum est. Le martyrologe romain : Natalis sancti Matthæi Apostoli et Euangelistæ qui in Æthiopia prædicans, martyrium passus est. Huius Euangelium Hebræo sermone conscriptum, ipso reuelante inuentum est una

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évoque l’histoire. Jacques de Voragine 120 résume les grandes lignes de la Passion du pseudo-Abdias, en suivant en cela l’abrégé de Jean de Mailly 121. La ville entre même dans les géographies comme celles d’Hugues de SaintVictor, qui la cite parmi les villes de la côte sud de la Méditerranée aux côtés de Ptolémaïs, Tagapi, Tatus, Ceutria 122, et aussi dans l’Histoire des Arabes de l’archevêque de Tolède Rodrigo Jiménez de Rada (1170-1247), qui en fait la capitale de l’Éthiopie passée sous domination musulmane 123. Le martyrologe romain depuis celui d’Usuard 124 associe à la figure de Matthieu, celle de Barnabé, saint patron de l’île de Chypre. Depuis le Ve siècle en effet, on connaît une tradition conservée dans les Actes de Barnabé d’une découverte du corps de Barnabé sous l’empereur Zénon : le corps, intact, aurait été retrouvé à Chypre, ayant sous le bras un exemplaire de Matthieu. Selon l’hypothèse d’E. Norelli 125, cette légende aurait été créée pour accréditer l’autocéphalie de Chypre demandée dès 416 par l’évêque Alexandre, qui entendait se soustraire à l’autorité patriarcale d’Antioche. Celle-ci sera reconnue le 21 juillet 431 au concile d’Éphèse. Cette légende, reprise dans l’Éloge de Barnabé écrit entre 530 et 566 par le moine Alexandre, fut ensuite conservée dans l’Église de Milan, qui prétendait avoir été fondée par le second de Paul. Elle est finalement accréditée par le martyrologe romain 126. cum corpore beati Barnabæ Apostoli tempore Zenonis Imperatoris. CÆSAR BARONIUS, Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ veritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise), Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 427. 120. JACQUES DE VORAGINE, La Légende dorée, éd. A. BOUREAU et M. GOULLET, Paris, Gallimard, p. 774-781. 121. JEAN DE MAILLY, Abrégé des gestes et miracles des saints (Mémoire dominicaine 1), éd. A. DONDAINE, Paris, Cerf, 1947. 122. HUGUES DE SAINT-VICTOR, Descriptio Mappæ Mundi XVII, in P. G. DALCHÉ, La « Descriptio mappe mundi » de Hugues de Saint-Victor (Collection des études augustiniennes. Série Moyen âge et temps modernes 20), Paris, Études augustiniennes, 1988, p. 149. Ciuitates Africane Libie, uel Marmaredorum, uel Garamantorum aut Trogoditarum he sunt : Tagapi, Ptolomais, Tatus, Ceutria, Nadauer. 123. RODERICUS XIMENIUS DE RADA, Historia Arabum XII, éd. J. FERNÁNDEZ VALVERDE (CCCM 72C), 1999, p. 105 : Prouincie autem eius dominio subdite et secta Machometica inquinate dignum est ut propriis nominibus exprimantur, uidelicet, […] Ethiopia, cuius metropolis Nadauer, Affrica, cuius metropolis Carthago, Hispania, cuius metropolis Toletum. 124. Natalis beati Matthęi apostoli et euangelistæ qui apud Æthiopiam prædicans, martyrium passus est. Huius Euangelium Hebræo sermone conscriptum, ipso reuelante, tempore Zenonis imperatoris inventum est. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 306. 125. Dans la notice introductive au texte dans ÉAC II, p. 624. 126. Die 21 septembris. Undecimo Kalendas Octobris. In Æthiopia natalis sancti Matthæi, Apostoli et Evangelistæ ; qui, in ea regione prædicans, martyrium passus est.

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Il convient de remarquer que la tradition occidentale connaît deux fêtes de Matthieu, celle du 21 septembre, qui commémore son martyre en Éthiopie et celle du 7 mai, qui commémore la translation de ses reliques à Salerne. Cette translation, ainsi que les miracles effectués par les reliques de Matthieu sont narrés dans les Acta Sanctorum 127 à partir des récits de translation édités par Marcantonio Colonna, évêque de Salerne en 1574. Ce récit explique comment le corps de Matthieu a été transporté d’Éthiopie en Armorique (à Saint-Pol de Léon), par des marchands bretons, au temps d’un certain roi Salomon, puis d’Armorique en Lucanie et enfin à Salerne128. La localisation bretonne est accréditée par un sermon de Paulin de Léon (BHL 5694) qui relate le transfert du corps de l’évangéliste d’Éthiopie en Bretagne, puis en Lucanie 129. Ce sermon raconte comment Matthieu, mort à Tarrium d’Éthiopie (la ville est inconnue, est-ce Tarrum en Maurétanie ?) peut-être sous l’influence du martyrologe hiéronymien dont certains témoins portent ciuitate Tarrium, est rapporté par des marins qui accostaient à Tarrium pour des raisons commerciales 130. Ils s’emparent du corps et le transportent dans une ville de Bretagne, qui était un siège épiscopal construit en l’honneur de l’apôtre Paul 131 : il s’agit bien évidemment de Saint-Pol-de-Léon. L’épisode se passe sous le roi Salomon de Bretagne, un soi-disant contemporain de Valentinien III (419-455), dont le destin ressemble au duc Salomon de Bretagne assassiné le 25 juin 874 (ce qui fournit probablement une datation au texte). En effet, après le meurtre de Salomon, son beau-père, le Patricius Romanorum Flavius, avertit Valentinien qui réunit une flotte, fait le blocus de la ville, et finit par la détruire. Gabinius, qui pręerat nauibus (il était amiral de la flotte ?), récupère les reliques pour enrichir la ville de Rome, mais son navire essuie une tempête et s’échoue en Lucanie. Cette histoire ne repose sur aucune donnée historique et sert visiblement à accréditer la ferveur qui entourait les reliques bretonnes de Matthieu. Comme le propose Baudoin de Gaiffier, elle a pu être écrite par un clerc salernitain, désireux d’expliquer comment les

Hujus Evangelium, Hebræo sermone conscriptum, ipso Matthæo revelante, inventum est, una cum corpore beati Barnabæ Apostoli, tempore Zenonis Imperatoris. 127. J. STILTING, « De Matthæo apostolo et evangelisto », Acta Sanctorum Septembris, vol. 6, Antverpiæ (Anvers), Van der Plassche, 1757, p. 194-226. 128. LÉON D’OSTIE, Chronica Casinensis II, 5. 129. Texte dans G. TALAMO ATENOLFI, « I testi della leggenda di san Matteo », Archivi 2.24, 1957, p. 85-97. 130. G. TALAMO ATENOLFI, « I testi… », p. 86. Apud pręfatam ciuitatem Tarrium quidam uiri nautici, mercimonię causa, ut solita fuerant, applicuerunt. 131. G. TALAMO ATENOLFI, « I testi… », p. 90. Ad urbem regiam quę Legio dicitur honorabiliter deportatur. Episcopalis uero sedes eiusdem urbis in honore beati apostoli constructa fuerat Pauli, quę prę nimia uetustate iam suorum minabatur ruinam parietum.

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Figure 16 : les missions de Matthieu

reliques sont arrivées dans sa ville et pourquoi certaines villes de Bretagne croyaient les avoir encore 132. Avec le déclin de la puissance napolitaine, les petites cités de la région (Bénévent, Salerne, Capoue) s’étaient en effet lancées dans une sorte de guerre des reliques 133. En 954, Gisolphe, prince de Salerne, « inventa » des reliques qui avaient été déposées en Lucanie près de Pæstum sur la suggestion d’une certaine Pélagie et de son fils le moine Athanase à qui était apparu Matthieu. Lui et Bernard, évêque de Salerne, les présentèrent au peuple le 7 mai. Ensuite, elles tombèrent un peu dans l’oubli et furent « redécouvertes » au milieu du XIIe siècle 134. On a conservé une lettre de Grégoire VII de 1080 attestant de l’authenticité de ces reliques. Le prince de Bénévent, Landolphe II en demanda d’ailleurs une partie du corps à son rival Gisolphe, qui lui céda un bras pour la cathédrale de Bénévent135. Par ailleurs, on conserve des reliques de Matthieu à Rome, à Bologne, à Naples, en Allemagne, en Belgique et, bien entendu, dans le Finistère.

132. B. DE GAIFFIER, « Hagiographie salernitaine. La translation de S. Matthieu », Analecta Bollandiana 80, 1962, p. 82-110 (102). 133. E. BOZÓKY, La Politique des reliques de Constantin à Saint Louis (Bibliothèque historique et littéraire 3), Paris, Beauchesne, 2006, p. 125-135. 134. F. SPADAFORA, « Matteo, evangelista, apostolo, santo », Bibliotheca Sanctorum, vol. 9, Roma, Instituto Giovanni XXIII, 1967, p. 118-122 (120). 135. Tout le récit dans B. DE GAIFFIER, « Hagiographie salernitaine. La translation de S. Matthieu », Analecta Bollandiana 80, 1962, p. 82-110.

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IV. L A

RÉCEP TION DE L ’ APÔTRE

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M AT THIEU

La recherche que l’on vient d’effectuer sur les traditions matthéennes peut se résumer à deux conclusions. D’une part, Matthieu a été très tôt considéré comme un évangéliste ; d’autre part, il n’y a pas eu de tradition universellement reconnue concernant son ministère post-pascal. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les actes le concernant soient tardifs et le présentent comme un apôtre « dans la ligne ». L’évangile de Matthieu étant utilisé par ce que Celse nomme la « Grande Église » depuis une époque précoce, l’apôtre ne pouvait intéresser que des communautés conformes à l’orthodoxie en voie de constitution. On s’intéressera au Martyre de Matthieu pour son originalité, au texte recueilli dans le Pseudo-Abdias pour son importance dans la tradition latine (et non pour sa qualité littéraire), et on ne fera que quelques considérations sur le texte éthiopien, qui témoigne d’une tradition très particulière. Mais auparavant, on fera quelques remarques sur la présence de Matthieu dans les textes sectaires. A. La conservation d’une origine juive Il n’est pas nécessaire de procéder à une étude complète des occurrences de Matthieu-Lévi dans les textes sectaires, car sa présence se résume la plupart du temps à celle d’une simple utilité. Matthieu fait partie des apôtres, et à ce titre, apparaît à l’occasion pour poser une question. Ainsi, dans le Dialogue du Sauveur, il est associé à Jude pour poser des questions au Christ, ou dans l’Évangile de Thomas, il fait partie de ceux qui répondent à la question de savoir qui est Jésus. En revanche, on sait que les milieux sectaires connaissaient Matthieu et interprétaient de manière symbolique son état de collecteur de taxes. En effet, comme nous l’apprend Hippolyte 136, les naassènes considéraient que les collecteurs de taxes étaient appelés τελῶναι parce qu’ils reçoivent la taxe (τέλη) et que les spirituels devaient également être nommés τελῶναι parce qu’ils recevaient les perfections (τελέται) du Père. Il convient donc de se demander si le Lévi que l’on retrouve dans la Première Apocalypse de Jacques et dans l’Évangile de Marie est bien notre Matthieu. Dans l’Évangile de Marie (BG 1), Marie, après l’énoncé des révélations qu’elle a reçues du Seigneur, est violemment prise à partie par André et Pierre (16, 10-20). Ce dernier lui reproche avant tout d’être une femme et de ne pas faire partie des Douze. Or, c’est Lévi qui prend la parole pour la défendre :

136. HIPPOLYTE, Réfutation 5, 8, 28-29.

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« Pierre, depuis toujours tu es un tempérament bouillant, je te vois maintenant argumenter contre la femme comme un adversaire. Pourtant, si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu, toi, pour la rejeter ? Sans aucun doute, c’est de manière indéfectible que le Sauveur la connaît. C’est pourquoi il l’a aimée plus que nous. Ayons plutôt honte et revêtons-nous de l’Homme parfait, engendrons-le en nous comme il l’a ordonné et proclamons l’Évangile en n’imposant d’autre règle ni d’autre loi que celle qu’a prescrite le Sauveur 137. »

Le discours de Lévi est évidemment symbolique. Il commence à accuser Pierre d’être « bouillant », c’est-à-dire de se livrer à la Colère, qui est l’une des puissances du monde matériel (Marie vient d’en parler dans son discours). Il l’accuse ensuite de ne pas reconnaître « la » femme, c’est-à-dire de refuser de voir que la divinité est avant tout féminine (comme Barbélo). Enfin, il défend le libre choix de Jésus : militant pour l’habitude sectaire de l’enseignement du disciple par le maître, il fait de Marie la disciple préférée du Sauveur. Lévi se pose donc en « gnostique » véritable, qui tend à réaliser en lui l’« Homme parfait ». D’ailleurs, dans le P. Rylands 463, c’est lui, et lui seul qui se met en route pour prêcher l’évangile. Notre Matthieu aurait-il été arraisonné par les « gnostiques » ? Un autre texte nous permet d’en douter. Dans la Première apocalypse de Jacques (NH V, 37, 6), en effet, Lévi fait partie de la succession des porteurs de gnose. Ce qui a été révélé à Jacques est ensuite confié à Addaï, puis, dix ans plus tard à Manaël, et enfin à Lévi : Lorsqu’il [Manaël] héritera de cela […] son petit enfant qu’on nomme Lévi, alors il le transmettra sans mot dire au sujet de ces choses que j’ai dites avant. Il épousera une femme de celles de Jérusalem, dans sa tribu et il engendrera deux fils d’elle. Ils hériteront ces (choses) (mais) comme la pensée de l’aîné s’élèvera, elles lui seront ôtées de l’intellect, et c’est le cadet qui grandira en elles. Et que ces choses demeurent cachées en lui jusqu’à ce qu’il parvienne à l’âge de dix-sept ans : alors le pays sera en guerre 138.

Le texte est très fragmentaire, mais il montre assez clairement que Lévi est le fils de Manaël, un fils encore jeune. Il est donc assez improbable qu’il soit le contemporain de Jacques, qui est le premier à recevoir la gnose. Les sectaires ont par conséquent conservé la tradition d’un Lévi, proche de Jacques, qui lui aurait succédé et qui était ainsi proche des milieux gnostiques. En revanche, il paraît douteux que ce Lévi soit notre Matthieu139.

137. Évangile de Marie 18, 1-20 trad. A. PASQUIER, EG, p. 1667-1668. 138. Première Apocalypse de Jacques 37, 1-25, traduction A. VEILLEUX, EG, p. 755-756. 139. Nous rejoignons les questions de C. TUCKETT, The Gospel of Mary (Oxford Early Christian Gospel Texts), Oxford, Oxford University Press, 2007, p. 24.

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B. Le Martyre de Matthieu : une relecture monastique des actes d’apôtres Le Martyre de Matthieu 140 (CANT 267) est conçu comme une suite des Actes d’André et Matthias, ou, si l’on suit l’hypothèse d’A. Vinogradov 141 se reposant sur le Codex Froehner, comme la suite d’un récit qui reprend la narration des Actes d’André et Matthieu. Il commence sur une montagne, là où avait été porté Matthias (21, 5). Mais son but est tout différent : il se présente en effet comme un correctif des Actes précédents. Correctif narratif tout d’abord. Comme le remarquent F. Amsler et B. Bouvier dans leur introduction au texte paru dans le vol. 2 des Écrits apocryphes chrétiens 142, le Martyre de Matthieu commence par une seconde mission dans la ville des Anthropophages, ce qui laisse supposer que la première, relatée dans les Actes d’André et Matthias, n’a pas été un franc succès. Et de fait, si l’on suit l’hypothèse d’A. Vinogradov, on s’aperçoit que le Codex Froehner met au futur l’humanisation des anthropophages. La véritable évangélisation n’est pas encore réalisée et est conditionnée au martyre de Matthieu : « s’étant mis à marcher debout, ils déambuleront comme les autres hommes, et ils se réjouiront à ton sujet, parce qu’ils verront ton corps consumé par le feu et je t’accueillerai en sacrifice pur 143. » Correctif littéraire ensuite : à la lecture, on s’aperçoit que le Martyre de Matthieu quitte le simple récit d’un martyre pour s’engager dans un sens symbolique. Le Martyre de Matthieu est avant tout un écrit spirituel relatant les combats que doit livrer le moine.

1. Un texte profondément symbolique 1. Une origine monastique. – Que le Martyre de Matthieu soit un récit essentiellement monastique, cela se perçoit dès le début du texte. En effet, l’apôtre est décrit sur sa montagne comme le moine dans sa cellule. Il porte une tunique (ἐν χιτῶνι 144) qui est la « tenue des apôtres », il n’a pas de chaussure, il n’a ni pain, ni huile dans la jarre. Jésus, qui le rencontre, ne s’y trompe pas, et loue grandement les rigueurs du régime monastique en prétendant : « une bonne parole est supérieure à du veau 145 ». Dans la suite du récit, on remarque également l’importance donnée à la hiérarchie 140. Il est conservé en grec par deux codices (BHG 1224-1225) le Parisinus gr. 881 (Xe s.) et le Wimar. Q 729 (XIe s.), en latin (BHL 5689), en arménien (BHO 725-728). 141. A. VINOGRADOV, « Le début authentique du Martyre de Matthieu ? », Apocrypha 19, 2008, p. 202-216. 142. F. AMSLER et B. BOUVIER dans ÉAC II, p. 541-545. 143. Traduction F. AMSLER dans Apocrypha 19, p. 216. 144. Nous citons le texte établi par M. Bonnet in M. BONNET et R. A. LIPSIUS, Acta apostolorvm apocrypha, vol. 2.1, Lipsiæ (Leipzig), Mendelssohn, 1898, p. 217262 utilisé par F. Amsler et B. Bouvier. 145. λόγος ἀγαθὸς ὑπὲρ μόσχον.

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ecclésiastique : c’est bien l’évêque Platon qui vient à la rencontre de l’apôtre et c’est lui qui réalise le baisement de pied, marque de dévotion réservée à l’évêque ou au patriarche dans l’Église ancienne, et qui se perpétuera dans l’Église romaine pour le seul Pape 146 (§ 6). Platon est d’ailleurs souvent accompagné de son presbyterium : ses prêtres et ses diacres, toujours cités dans cet ordre (voir § 11). On constate également l’importance des préoccupations liturgiques. Après un miracle, Matthieu et Platon réalisent des vigiles : « ils restèrent toute la nuit à veiller dans l’église » (§ 8). Le terme utilisé, διανυκτερεύω, est un terme technique, de même que la description de l’office liturgique qu’ils chantent : « ils passèrent la nuit dans l’église à chanter et glorifier Dieu ». Ils « communièrent à l’eucharistie » (ἐκοινώνησας τῆς εύχαριστίας). La désignation précise de l’office qui vient de se dérouler est d’ailleurs clairement énoncée : il s’agit de l’ὄρθρος (§ 9), l’orthros, l’office des vigiles (et non celui des « matines », comme traduisent improprement Amsler et Bouvier 147). Celui qui écrit ce texte connaît parfaitement la liturgie des heures. Quelques paragraphes plus tard, Matthieu réalise une autre série d’actes liturgiques : « S’étant réveillé et signé sur tout le corps (κατασφραγίσας ἑαυτὸν καθ᾽ὅλου τοῦ σώματος), Matthieu se leva pour l’orthros et se rendit à l’église, persévérant dans le jeûne, la prière, la confession et les génuflexions. » (§ 11) 2. Une lecture symbolique de la conversion de la cité. – Dans ce contexte monastique, la conversion de la cité est décrite par une relecture qui reprend les livres de l’Exode et de la Genèse. Jésus confie à Matthieu un bâton comme le bâton de Moïse et d’Aaron 148, qui symbolise l’irruption de la puissance divine dans le monde. Bientôt, ce bâton se transforme en l’arbre de la Genèse : Voici, je vais planter ce bâton dans ce lieu, et il en naîtra une plante pour vos descendants, il en naîtra un arbre grand, haut et florissant dont le fruit sera beau à voir et bon à manger ; il s’en dégagera des parfums délicieux ; une vigne s’y enroulera chargée de grappes et de sa cime s’écoulera du miel ; toute la gent ailée nichera dans ses branches et une source d’eau jaillira de sa racine, pleine de poissons et irriguant toute la région alentour 149.

On reconnaît dans cette description une série d’allusions bibliques christianisées. L’arbre « beau à voir » évoque celui qui se trouve au centre du Paradis, le miel et la vigne rappellent à la fois le lait et le miel de la Terre 146. C.-F. CHEVÉ, Dictionnaire des Papes (Encyclopédie théologique 32), Paris, Migne, 1857, col. 139-143. 147. Sur la distinction, P. TIROT, « Vigiles et Matines. Liturgie monastique et liturgie cathédrale », Études grégoriennes 22, 1988, p. 24-30. 148. Le bâton de Moïse exerça une véritable fascination sur tous, comme le prouvent les nombreuses légendes haggadiques rapportées par L. GINZBERG, Legends of the Jews, vol. 2, p. 291-293. 149. Trad. F. AMSLER et B. BOUVIER, ÉAC II, p. 551.

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promise et le fruit de la vigne de l’Eucharistie. L’eau vive remémore à la fois les « fleuves d’eau vive » d’Ex 17, 6 et sa reprise dans l’Évangile de Jean lors du dialogue avec la Samaritaine comme image de l’Esprit Saint ( Jn 7, 37-39). Les trois symboles sont réunis dans l’oracle de Joël 3, 18 : « Ce jour-là, les montagnes dégoutteront de vin nouveau, les collines ruisselleront de lait ; dans tous les ruisseaux de Juda, les eaux couleront. Une source jaillira de la Maison du Seigneur et elle arrosera la Vallée des Acacias ». Tous ces symboles sont d’ailleurs des symboles baptismaux largement repris dans l’Église ancienne comme en témoignent fresques et mosaïques 150. Cette symbolique baptismale explique le retournement de l’image. Contrairement au fruit de l’arbre de la Genèse qu’il s’agit de ne pas manger, ce fruit du bâton doit être consommé, car il est connaissance et provoque la conversion. Celle-ci est évoquée dans les termes de Gn 3, 7 : « ils firent ainsi et se virent transformés à la ressemblance de Matthieu ; étant entrés dans l’église, ils se prosternèrent et glorifièrent Dieu. Après leur transformation, ils reconnurent qu’ils étaient nus et coururent chacun dans sa maison pour couvrir leur nudité, parce qu’ils avaient honte 151. » La manducation des fruits de l’arbre, image du baptême, fait sortir les Anthropophages de l’état de sauvagerie, marqué par la nudité. L’apôtre est ainsi vu à la fois comme un nouveau Moïse et comme le modèle du croyant : le moine convertisseur. 3. Le retour du Serpent. – Cette symbolique, puisant largement au texte de la Genèse, ne peut se dispenser d’un Serpent. La suite du texte le montre à l’œuvre, sous la forme d’un diable qui prend possession de personnes variées. Comme dans la Genèse, il prend les traits du mauvais conseiller, de l’insinuateur, qui parvient à convaincre le roi Fulvanus et le pousse à livrer Matthieu au martyre. Contrairement à d’autres récits apostoliques, il n’y a pas de personnes foncièrement mauvaises, il n’y a que des mauvais conseillers. Matthieu, en retour, ne tombe pas sous une conspiration humaine, il est victime d’un combat bien plus important, eschatologique.

2. Le rôle du martyre : provoquer la conversion Le second aspect qui tranche avec les autres actes des apôtres est le rôle du martyre. Bien souvent, le martyre n’est qu’une simple mort qui ne provoque pas d’autres événements que la tristesse du lecteur touché de voir son héros disparaître. Dans le Martyre de Matthieu, l’effet est tout autre, car le martyre crée la foi. En effet, le martyre lui-même, le supplice du feu, prépare la conversion de tous. Il commence par provoquer la confusion des bourreaux, incapables de venir à bout de l’apôtre (§ 19). Il fait ensuite 150. G.-H. BAUDRY, Le Baptême et ses symboles (Point théologique 59), Paris, Beauchesne, 2001, p. 128-135. 151. Trad. F. AMSLER et B. BOUVIER, ÉAC II, p. 551.

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fondre les « douze dieux en or et en argent » du roi, image bien entendu symbolique de la nullité des idoles et de la défaite des idolâtres (§ 21). Il poursuit ensuite le roi dans son palais, preuve de la toute-puissance divine qui ne connaît pas de murs ni de frontières (§ 22). Cette effectivité du supplice ne peut être que le résultat d’une réflexion théologique sur le martyre, certainement tardive. Il ne s’agit plus de s’émouvoir du courage d’un homme, de louer la constance d’une foi, il faut aller plus loin. Le martyre sert à quelque chose, qui est la conversion de ses spectateurs.

3. Un saint bien vivant après la mort La dernière caractéristique surprenante du martyre de Matthieu est que le saint ne semble pas être touché par la mort. Dès qu’il est emporté, mort, dans sa civière, le voilà qui se met à apparaître comme vivant : Le corps de l’apôtre semblait comme assoupi dans le sommeil, son vêtement et sa tunique étaient restés intacts au milieu des flammes. Tantôt, on le voyait couché dans sa litière, tantôt marchant derrière, tantôt précédant la litière, la main droite posée sur la tête de Platon, et chantant avec la foule (§ 23) 152.

Quoique mort, l’apôtre continue à vivre dans son église en réitérant le miracle des vêtements intacts de Dn 3, 27. En effet, tantôt il ferme le cortège pour bien marquer qu’il est bien le personnage le plus important 153, tantôt il se mêle à la foule avec un geste symbolique : la main droite posée sur la tête évoque le geste de bénédiction des patriarches (voir la bénédiction de Joseph en Gn 48) et la participation au chant, la communion dans la prière. Le sens de l’épisode est clair : les reliques de l’apôtre le rendent présent dans la communauté. Et d’ailleurs, cette litière est bien une châsse comme le note le texte : c’est un « objet d’apparat richement plaqué d’or » (§ 23). La suite du récit montre que les saints sont encore vivants par le culte. En effet, alors que le roi a fait charger le corps de l’apôtre sur un bateau pour le jeter dans la mer, l’évêque, divinement averti, réalise un culte des saints : saisissant l’évangéliaire et le psautier (le texte parle de livres, preuve que l’on se trouve dans un contexte liturgique), il fait chanter une sorte d’office des matines à la gloire du saint, qui provoque sa réapparition miraculeuse sur la mer, dans une réécriture de la marche sur les eaux, de la transfiguration et de la résurrection (§ 26). Enfin, pour que le lecteur comprenne bien l’importance fondamentale du culte, Matthieu apparaît pour instituer la célébration de sa mémoire : « au neuvième jour, au quarantième et à chaque anniversaire, vous ne manquerez 152. Trad. F. AMSLER et B. BOUVIER, ÉAC II, p. 559. 153. Puisque la litière vient en dernier, il s’agit bien d’un cortège et non d’une procession.

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pas de m’apporter vos offrandes, pour que mon âme exulte et que soit glorifié notre Seigneur qui est dans les cieux » (§ 30). La célébration, le culte liturgique, sont une manière de garder vivants les apôtres au sein de leur communauté. Et d’ailleurs, Matthieu continue à être présent par l’évêque. Il annonce en effet à Platon qu’il va mourir et que le roi va lui succéder, puis son propre fils. Or, quelques lignes auparavant, lors du récit du baptême du roi Fulvanus, on apprend que son nom est changé en celui de Matthieu, ainsi que celui de son fils, aussi nommé Matthieu (§ 28). La présence de Matthieu est ainsi durablement perpétuée au sein de sa communauté. C. Matthieu, l’apôtre-modèle de la tradition latine Dans la tradition latine, on l’a dit, c’est un martyre en Éthiopie qui est privilégié, recueilli chez le Pseudo-Abdias (CANT 270 = BHL 5690). On se retrouve alors dans une tout autre ambiance, puisque l’on constate que Matthieu est ici présenté non pas comme un modèle monastique, mais comme un apôtre qui reprend toutes les qualités apostoliques que l’on attend de lui, en combinant des modèles de vertu.

1. L’apôtre prédicateur L’une des caractéristiques les plus frappantes de ce texte est la grande quantité de ses discours. Matthieu parle abondamment comme s’il enchaînait les sermons. La narration semble assez souvent servir de prétexte à l’énonciation de prédications : le lien entre les deux est parfois assez lâche. La manière de construire les sermons est toujours identique. En effet, comme un bon prédicateur, l’apôtre se montre assez habile dans le choix de ses compositions, mais ses argumentations sont toujours identiques : il procède à des lectures typologiques. Le premier discours répond à une question de Candace l’eunuque sur sa maîtrise des langues. L’apôtre se sert de l’épisode la Tour de Babel relaté en Gn 11, 1-9 pour réaliser une prédication sur la pluralité et le don des langues. Il peut ainsi donner la pleine compréhension de l’épisode de la Pentecôte qui gratifie les apôtres de la faculté de parler toutes les langues. Le second discours explique pourquoi Matthieu chasse les serpents. L’apôtre se livre alors à une relecture de la Genèse. Il décrit le paradis, explique le rôle du serpent, et interprète la venue du Christ comme une victoire sur le Serpent et un retour sûr au Paradis. Le troisième discours porte sur le mariage. Cette fois-ci, Matthieu part de la bénédiction du mariage de Nb 1, 28 pour expliquer qu’il s’agit de pratiquer un sain usage des corps. Le quatrième discours parle des deux glaives : il évoque les épisodes de Goliath, Sisera et Amman pour montrer que la puissance de Dieu surpasse les puissances humaines.

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2. L’apôtre successeur de Moïse et du Christ Outre l’épisode proprement dit de la passion, la Passion de Matthieu fait réaliser à l’apôtre deux actions : il combat des serpents et ressuscite un enfant. Ce faisant, le texte pointe vers les deux modèles de la conduite apostolique : Moïse et le Christ. 1. Le successeur de Moïse. – Le combat contre les serpents reprend l’épisode de Moïse devant le Pharaon (Ex 7). Comme dans la narration biblique, il y a combat de l’envoyé de Dieu avec des magiciens – on trouve ici Zaroès et Arfexar qui combattent Simon et Jude. Comme dans la narration biblique, le serpent est l’enjeu du combat. La seule différence réside en apparence dans la manière avec laquelle les serpents disparaissent. Dans le livre de l’Exode, Dieu s’adresse à Moïse et lui commande de jeter son bâton. Dans la Passion de Matthieu, l’apôtre se borne à réciter ce qui ressemble à un Credo, sans avoir aucune consigne de la part de Dieu. En réalité, le sens est le même : le symbole apostolique que prononce Matthieu équivaut à la parole de Yahvé et s’y substitue. On est simplement passé d’un temps où la parole de Dieu a encore besoin d’une médiation à une parole immédiate, et efficace. Matthieu, nouveau Moïse, n’a plus besoin d’entendre la parole de Dieu : il se borne à reprendre celles de Jésus, Parole de Dieu, pour retourner les artifices des magiciens. 2. Le successeur du Christ. – En ressuscitant l’enfant de la reine, Matthieu met ses pas dans ceux de Jésus ressuscitant Lazare selon une construction qui rappelle la guérison/résurrection de la belle-mère de Pierre. En effet, l’apôtre prend l’enfant par la main et lui donne l’ordre de se relever. Comme dans l’épisode précédent, c’est la parole qui est mise à l’honneur. En effet, Matthieu prononce une invocation, presque un charme en reprenant des formules quasi-magiques. Il commence par l’antique formule biblique « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » d’Ex 3 ou de Mt 22. Il cite ensuite Jn 16, 23 : « tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le donnera ». Il invoque ensuite le nom de Dieu : « Au nom de mon Seigneur Jésus-Christ qui a été crucifié ». L’apôtre, successeur du Christ, n’est que le dépositaire de la Parole efficace de Dieu. D. Matthieu dans la tradition copte Pour conclure ce chapitre sur Matthieu, on se bornera à quelques considérations sur deux textes qui représentent une tradition très particulière, celle du christianisme copte. Il s’agit des Actes de Matthieu dans la ville de Khanat (CANT 268) et du Martyre de Matthieu (CANT 269) conservés en copte (pour le martyre, BHO 722) en arabe (BHO 738 et 723) 154 et en 154. A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 83-91.

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éthiopien (BHO 739 et 724) 155. Ces textes, qui manifestent une tradition locale, eurent une grande influence sur les Églises coptes et éthiopiennes, comme en témoignent les synaxaires jacobites et éthiopiens 156. J.-N. Pérès, qui édite le texte dans les Écrits apocryphes chrétiens, se montre bien en peine pour leur assigner une origine. Le seul indice qu’il relève se trouve dans le v. 6 du Martyre qui pourrait contenir une allusion au concile de Chalcédoine (451) et évoquerait une rédaction monophysite. Les Actes de Matthieu commencent comme une utopie. Rencontrant Pierre et André de retour de Grèce, il leur raconte son séjour à Ferakomnos le séjour des bienheureux. Ces bienheureux, comme s’empresse de nous l’apprendre le texte, sont les anciens habitants du Royaume du Nord, les neuf tribus et demie déportées par Salmanasar. Il n’y a, à n’en pas douter, une allusion très claire au 4Esdras, lu dans l’Église syriaque et copte (les versions syriaques portent 9 ½ tandis que les versions grecques portent 9 tribus) : Ferakomnos est cet Arzar dont parle 4Esd 13, 45, ce lieu de séjour ou les habitants du Royaume du Nord « décidèrent de laisser la multitude des nations et de partir pour une région plus éloignée où jamais n’avait habité le genre humain afin d’observer là les décrets qu’ils n’avaient pas gardés dans leur propre pays 157. » L’auteur du texte se le représente avec des images bibliques : pas de viande ni de vin, mais du miel et de la rosée, pas de fornication, les premiers nés sont consacrés à Dieu pour devenir prêtres, pas de vêtements fabriqués de main d’homme, mais seulement des feuillages, pas de mensonges, pas de bigames, pas de sécheresse ni de froidure et surtout « lorsque soufflent les vents, nous respirons la fragrance du paradis 158 ». Ferakomnos est un retour à l’état adamique dans lequel siège Jésus comme un évêque sur sa cathèdre dans l’abside : « il a fait placer son siège dans leur église, à l’Orient, et il leur enseignait son commandement 159 ». Cet agréable voyage n’a qu’un temps : voici que Jésus commande à Matthieu de partir pour Kahnat. Comme tous ses collègues, il n’a pas envie d’y aller, mais il est emporté par une nuée, c’est toujours mieux que le gros poisson de Jonas. Et le voilà qui rencontre Jésus sous forme de berger qui l’habille promptement dans l’accoutrement de la ville de Khanat et le conduit à la ville : c’est bien Jésus qui conduit les pas de ses missionnaires. L’évangélisation de la ville est des plus classiques. On reconnaît les ingrédients habituels : un temple aux idoles (ici c’est Apollon), un trans155. Trad. J.-N. PÉRÈS dans ÉAC II, p. 905-932. 156. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite (Patrologia Orientalis 1.3), Paris, Firmin-Didot, p. 330-332. 157. 4Esd 13, 41-43, Traduction œcuménique de la Bible, Paris, Cerf/Bibli’o, 11 2010, p. 2050. 158. Actes de Matthieu 26. ÉAC II, p. 912. 159. Actes de Matthieu 7-9. ÉAC II, p. 910.

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fuge du culte idolâtre (le prêtre Armis), une destruction de la statue. La prédication de l’apôtre est assez originale : il compare la foi avec la vraie patrie, et revivifie la fameuse déclaration de l’Épître à Diognète (5), « toute région étrangère est une patrie, et toute patrie ici-bas est une région étrangère ». Elle débouche sur une comparution devant le roi qui menace de tuer l’apôtre. Heureusement, il prend au fils du souverain la bonne idée de décéder : le voilà promptement ramené à la vie, baptisé, communié. Ce que voyant, son païen de père s’enrage à renoncer à ses superstitions : il brûle son temple sur le même bûcher que celui qui était préparé pour l’apôtre et bâtit incontinent une église dont Armis devient le premier évêque. Le Martyre de Matthieu paraît prendre la suite de ses Actes, car il commence par « lorsque Matthieu regagna Jérusalem ». Mais la dépendance entre les deux textes n’est pas assurée. La prochaine terre de mission est Apāyengē, une localisation bien mystérieuse que le texte arabe se charge d’éclaircir : « en Parthie ». Commence un récit de martyre à vrai dire bien curieux. En effet, l’essentiel du texte nous raconte une jolie parabole, celle de l’armateur torturé. Matthieu rencontre en effet dans une prison où il joue les âmes dévouées (il guérit les malades en leur disant « au nom de notre Seigneur Jésus-Christ qu’il soit pour vous délivrance ») un homme lourdement torturé pour avoir perdu le trésor du roi qu’il transportait dans un naufrage. Matthieu lui vient en aide : il lui conseille d’obtenir du gouverneur Aquştos, que J.-N. Pérès propose d’assimiler à Festus, la permission d’aller à un endroit précis et il retrouvera son trésor, ce qui arrive promptement. Point de martyre jusqu’à présent : il est expédié en quelques paragraphes, comme s’il avait été rajouté postérieurement à un aimable apologue dont il change totalement le sens. En effet, faisant mentir l’adage qu’un bienfait n’est jamais perdu, Matthieu est traîné devant le roi dont dépend Aquştos/Festus et vivement envoyé ad patres ou plutôt, dans le cas présent ad Patrem. Le simulacre de procès doit beaucoup à celui de Paul 160, mais on peine à donner un sens à la narration, en dépit des louables tentatives de son éditeur d’y voir un modèle proposé à des chrétiens antichalcédoniens 161. En effet, le récit se clôt sur une victoire totale des forces mauvaises. Même l’homme que Matthieu avait sauvé de la prison finit par mourir : « il demeura trois jours à se lamenter à son sujet ; et quinze jours après la mort de saint Matthieu, l’homme mourut162. » Un bienfait est toujours perdu, décidément. Quoique fort peu morale, cette histoire est 160. J.-N. PÉRÈS, « Procès au tribunal de Festus ou comment le Martyre de Matthieu en Parthie réécrit l’histoire », in M. ROSE (éd.), Histoire et herméneutique, mélanges offerts à G. Hammann (Histoire et Société), Genève, Labor et Fides, 2002, p. 301-310 (304). 161. J.-N. PÉRÈS, « Procès au tribunal de Festus… », p. 309-310. 162. Martyre de Matthieu 45. ÉAC II, p. 932.

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narrée par le synaxaire arabe jacobite, pour la fête de l’apôtre, le 12 Babeh (le 9/22 octobre) 163. B IL AN

ICONOGR APHIQUE

L’apôtre Matthieu, collecteur de taxes en Galilée (et non publicain) a donc connu un destin paradoxal. D’un côté, il semble bien établi qu’il ait été à l’origine du premier évangile, proche des milieux d’origine juive, et probablement rédigé dans l’Église antiochienne. Une première version de ce texte ou une version modifiée continua d’ailleurs de circuler au moins jusqu’au Ve siècle dans les milieux ébionites et nazoréens. D’un autre côté, à part ce « fait d’arme » plutôt glorieux, il semble que son souvenir se soit perdu assez tôt. Dès le IIIe siècle, nul ne sut plus quel avait été son destin, ce qui autorisa toutes les localisations. La tradition orientale avait une préférence pour la Parthie, et bientôt, sous l’influence d’une assimilation à Matthias et d’une association aux actes d’André, on passa de Parthie en Scythie, dans le domaine des Anthropophages. Cette domestication de peuplades sauvages devait parler suffisamment aux moines d’Égypte pour qu’ils en fassent une lecture symbolique dans le Martyre de Matthieu. En revanche, elle n’inspira guère les Occidentaux, qui lui préférèrent un martyre en Éthiopie, à cause d’une assimilation avec l’Inde de Barthélemy, que l’on situait avec une certaine imprécision. Le Martyre de Matthieu, issu de la collection du Pseudo-Abdias, fait du collecteur de taxes un apôtre plutôt banal, perdu dans des modèles classiques : Matthieu le collecteur de taxes est devenu un apôtre fade, sans consistance, qui explique le peu de connaissances que l’on a sur lui. Aussi l’art hésite-t-il souvent sur ses attributs. Faut-il le faire mourir par la hache ou la lance ? Faut-il lui donner une bourse, parce qu’il fut Lévi 164 ? Certains le représentent même devant un autel, car il célébrait la messe quand il fut martyrisé. Son iconographie est triple, à l’instar de sa personnalité 165 : en tant que collecteur de taxes, il porte une bourse ou des balances de changeur ; en tant qu’apôtre, il porte la lance ou la hallebarde de son supplice ; en tant qu’évangéliste, il s’associe à l’ange (puisque son évangile commence par la généalogie selon la chair) et peut tenir un livre à la main. Les XVIe et XVIIe siècles ont beaucoup aimé représenter la conversion de Matthieu. Louis Réau désapprouve cette mode au nom du bon goût : « ce n’est plus qu’un 163. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite I, mois de Tout et Babeh (Patrologia Orientalis 1.5), Paris, Firmin Didot, 1907, p. 330-332. 164. C. CAHIER, Caractéristiques des saints dans l’art populaire, vol. 1, Paris, Poussièlgue, 1867, p. 52 et p. 100. 165. L. REAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, vol. 2, Paris, PUF, p. 928-931.

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CHAPITRE 9

prétexte pour peindre une boutique de changeur ». Et il est vrai que cela ressemble bien souvent à une scène de genre, comme chez Caravage, chez Mabuse. Véronèse peint en 1572 un superbe Repas chez Lévi qui lui valut les foudres de la censure : malicieux, il avait peint dans cette scène religieuse destinée à un couvent des hallebardiers, des bouffons, des nains, et mêmes des petits chiens.

CHAP. 10

JACQUES FILS D’ALPHÉE, L’APÔTRE EXPROPRIÉ

De toutes les figures d’apôtres, la plus évanescente est certainement celle de Jacques fils d’Alphée. On se trouve ici face à une sorte de cas limite de dépossession. Non seulement Jacques fils d’Alphée n’a laissé aucun souvenir dans les mémoires historiques, mais, dans le monde latin, il a été purement et simplement remplacé par un autre. Jacques fils d’Alphée a été en effet dessaisi de sa personnalité au profit de Jacques frère de Jésus qui a été confondu avec Jacques le Petit. On suivra ici l’histoire de cette expropriation. I. C INQ J ACQUE S

POUR UNE SEULE PL ACE

Outre Jacques frère de Jean ( Jacques « le Majeur »), qui n’a jamais été sérieusement menacé dans sa fonction apostolique, il existe cinq Jacques dans le Nouveau Testament. Tous n’ont pas le même poids, et le fils d’Alphée n’est certainement pas le plus important. A. Les Jacques du Nouveau Testament 1. Jacques fils d’Alphée, l’un des Douze. – Ce Jacques fils d’Alphée est connu par les trois listes synoptiques : Mc 3, 18 ; Mt 10, 3, Lc 6, 13, Ac 1, 13. Hors de ces désignations, on ne sait rien de lui et les informations que l’on peut tirer de son nom sont plutôt maigres. À Ἰάκωβος, Jacob, le nom du grand patriarche Jacob-Israël, un nom d’une extrême fréquence jusque dans le judaïsme actuel, est associé Ἁλφαίος, qui était un nom plus rare, provenant sans doute de Halphai (‫)חלפי‬, dont on connaît quatre porteurs en dehors du père de Jacques 1. Dans le Nouveau Testament, ce nom ne nous est connu que par une autre occurrence : Λευὶν τὸν τοῦ Ἁλφαίου, Lévi fils d’Alphée (Mc 2, 14). La seule inférence que l’on peut peut-être faire (puisque cet Alphée n’est pas présenté par ailleurs) est de supposer que Jacques et Lévi étaient frères et avaient un même père, Alphée.

1. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 382.

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2. Jacques le Petit. – Ἰάκωβος ὁ μικρός ne nous est connu que par sa mère Marie, qui était présente à la crucifixion selon Mc 15, 40 : « Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie de Magdala, Marie mère de Jacques le Petit et de José, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée. » Ce surnom de μικρός ne peut s’appliquer qu’à une petite taille, ce qui ne donne pas d’informations très précises sur ce Jacques, inconnu par ailleurs. 3. Jacques frère du Seigneur. – On le rencontre dès les évangiles lorsque les habitants de Galilée s’inquiètent de Jésus et s’exclament « n’estil pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, José, Jude et Simon 2 ? » ou, chez Matthieu, « sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie et ses frères Jacques, Joseph, Simon et Jude 3 ? » (Mt 13, 55). Puisque José est le diminutif de Joseph, les frères de Jésus semblent bien s’appeler Jacques, Joseph, Simon et Jude. On le retrouve ensuite dans les Actes des Apôtres, où il semble diriger la communauté de Jérusalem. Aussi Pierre demande-til à ceux à qui il raconte comment il s’est miraculeusement tiré de prison : « Allez l’annoncer à Jacques et aux frères » (Ac 12, 17). C’est d’ailleurs lui qui préside la réunion de Jérusalem et prononce ce qui ressemble bien à un discours de clôture (Ac 15, 13) et c’est à lui que Paul, sitôt arrivé à Jérusalem, vient rendre compte de ses missions (Ac 21, 18). L’apôtre ratifie d’ailleurs dans ses lettres cette autorité, en le nommant parmi les « colonnes » qui avaient la direction de l’Église (Ga 1, 19 ; 2, 9). Le même Paul semble se heurter à lui à propos des questions de commensalité à Antioche (Ga 2). Son frère Jude pourrait être l’auteur de la lettre du même nom, et certains exégètes estiment que l’épître de Jacques pourrait sinon être de lui, du moins se réclamer de son autorité. 4. Jacques, fils de Marie. – Un autre Jacques n’est nommé que par sa mère, Marie, qui fait partie des saintes femmes. Mc 16, 1 et Lc 24, 10 nomment en effet une « Marie, mère de Jacques », dont ne sait si c’est l’un des trois précédents ou un personnage nouveau. 5. Jacques père ou frère de l’apôtre Jude. – Il faut enfin mentionner le Jacques associé à l’apôtre Jude, l’un des Douze. Lc 6, 16 et Ac 1, 13 mentionnent en effet un Ἰούδας Ἰακώβου que l’on peut traduire comme « Jude fils de Jacques » ou « Jude frère de Jacques », sans qu’il soit possible d’en savoir davantage. On verra bien vite que cette confusion va permettre certaines assimilations qui orientent jusqu’à l’époque contemporaine la traduction du texte. Par exemple chez Lagrange : tout en reconnaissant que le plus naturel est de désigner une personne par le nom de son père, il affirme que si Jacques fils d’Alphée était le même que Jacques frère du Sei2. Mc 6, 3 : οὐχ οὗτός ἐστιν ὁ τέκτων, ὁ υἱὸς τῆς Μαρίας καὶ ἀδελφὸς Ἰακώβου καὶ Ἰωσῆτος καὶ Ἰούδα καὶ Σίμωνος ; 3. οὐχ ἡ μήτηρ αὐτοῦ λέγεται Μαριὰμ καὶ οἱ ἀδελφοὶ αὐτοῦ Ἰάκωβος καὶ Ἰωσὴφ καὶ Σίμων καὶ Ἰούδας ;

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gneur « comme il est plus probable », il était naturel que Jude, qui était son frère, soit désigné en référence à celui qui venait d’être nommé 4. B. Le frère du Seigneur : un personnage capital de l’histoire de la communauté chrétienne de Jérusalem Sur les cinq Jacques, c’est le frère du Seigneur qui est le plus considérable. Ce personnage est célèbre et la littérature qui le concerne est considérable. Deux facteurs expliquent cet engouement : d’une part la question des « frères de Jésus », d’autre part la question du christianisme d’origine juive et de la première communauté de Jérusalem, dont Jacques semble avoir été le leader. Puisque nous défendons l’option selon laquelle Jacques de Jérusalem ne fait point partie des Douze, nous nous contentons ici de fournir quelques éléments de résumé.

1. Jacques avant la communauté de Jérusalem Les témoignages néotestamentaires sur la figure de Jacques avant la fondation de la communauté chrétienne de Jérusalem posent deux questions qui ont suscité d’âpres controverses. 1° quel lien de parenté entretient Jacques avec Jésus ? – Comme le rappelle Matty Myllykosky dans les deux articles qu’il a consacrés à l’historiographie contemporaine sur la figure de Jacques 5, cette question fait l’objet des plus âpres débats, car elle ne concerne pas simplement des problèmes historiques, mais véritablement des articles de foi, puisque c’est la question de la 4. M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Luc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 1927, p. 182. 5. L’histoire de la recherche a été réalisée de manière extrêmement complète par Matty Myllykoski : M. MYLLYKOSKI, « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part I) », Currents in Biblical Research 5, 2006, p. 73-122 ; ID., « James the Just in History and Tradition : Perspectives of Past and Present Scholarship (Part II) », Currents in Biblical Research 6, 2007, p. 11-98. Voir également J. PAINTER, Just James. The Brother of Jesus in History and Tradition, Columbia (South Carolina), University of South Carolina Press, 22004 ; J. PAINTER, « Who Was James ? Footprints as a Mean of Identification », in B. CHILTON et J. NEUSNER (éds.), The Brother of Jesus. James the Just and His Mission, Louisville/ London, Westminster John Knox Press, 2001, p. 9-65. On retiendra également deux articles de Simon Mimouni : S. C. MIMOUNI, « Les traditions sur la famille de Jésus », in M. LOUBET et D. PRALON, Εὔκαρπα. Études sur la Bible et ses exégètes en hommage à Gilles Dorival, Paris, Cerf, 2011, p. 235-250. C. GIANOTTO, « Giacomo e il giudeocristianesimo antico » in G. FILORAMO et C. GIANOTTO (éds.), Verus Israel (Biblioteca di cultura religiosa 65), Torino, Paideia, 2001, p. 108-119 ; S. C. MIMOUNI, « Les traditions patristiques sur la famille de Jésus : retour sur un problème doctrinal du IVe siècle », in M. VINZENT (éd.), Studia Patristica XLIII, Leuven, Peeters, 2013, p. 209-219. 4

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virginité post-partum de Marie qui est ici en jeu. La prochaine partie de ce chapitre va revenir largement sur cette question, et il n’y a pas lieu d’anticiper. Mentionnons simplement les conclusions du Finlandais sur cette question : si quelques exégètes catholiques parmi les plus conservateurs maintiennent encore la solution hiéronymienne des cousins de Jésus, la majorité des chercheurs reconnaissent qu’ἀδελφός ne saurait désigner autre chose qu’un frère de sang. Les opinions majoritaires se partagent donc entre ceux qui admettent que ces frères sont des demi-frères, c’est-à-dire les enfants d’un premier mariage de Joseph, et ceux qui disent que ce sont les autres enfants de Joseph et Marie. 2° Jacques a-t-il été le disciple de Jésus de son vivant ? – Jacques fait partie de la famille de Jésus ; or Mc 3, 31-35 exprime le rejet par Jésus de sa propre famille. Depuis Holtzmann et Bultmann 6, on considère que cette notation aurait un fond ancien. La plupart des chercheurs en concluent donc que Jacques aurait été lui aussi sceptique sur le ministère de Jésus et qu’il se serait converti après la Résurrection 7. 3° Jacques fut-il le premier à voir le Ressuscité ? – On a déjà étudié le texte de Paul (1Co 15, 3b-7) listant les premiers bénéficiaires de l’apparition du Ressuscité. Si personne jusqu’à l’époque moderne ne songeait contester la protophanie à Pierre, Harnack 8 remarqua que deux listes étaient combinées dans les déclarations de Paul : celle qui mentionne Pierre et les Douze (3b-5) et celle qui mentionne Jacques, les 500, puis les apôtres (6-7). Il s’empressa donc de conclure qu’il y avait rivalité entre deux groupes pour la protophanie : celui de Pierre et des Douze, et celui de Jacques et des 500. La jonction des deux traduisait selon lui le changement de leadership au sein de la communauté de Jérusalem de Pierre à Jacques, une vue qui est reprise par des chercheurs contemporains 9. Il est ainsi loisible de se poser la question de l’antécédence de l’une par rapport à l’autre et certains admettent que c’est bien Jacques qui fut le premier à voir son frère ressuscité 10.

6. O. HOLTZMANN, Leben Jesu, Tübingen, Mohr-Siebeck, 1901, p. 193-194. R. BULTMANN, Die Geschichte der synoptischen Tradition (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments 29), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 21931, p. 28-29. 7. C’est l’opinion de Pratscher : W. PRATSCHER, Der Herrenbruder Jakobus und die Jakobustradition (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments 139), Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1987, p. 261-263. Et aussi de Bernheim : P.-A. BERNHEIM, Jacques, frère de Jésus, Paris, Noêsis, 1996, p. 84-86. 8. A. VON HARNACK, « Die Verklarungsgeschichte Jesu, der Bericht des Paulus (1 Kor, 15,3ff.), und die beiden Christusvisionen des Petrus », Sitzungsberichte der Preußischen Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse 5, 1922, p. 62-80. 9. W. PRATSCHER, Der Herrenbruder Jakobus…, p. 45-46. 10. P. WINTER, « I Corinthians XV 3b-7 », Novum Testamentum 2, 1958, p. 142150 ; R. M. PRICE, « Apocryphal Apparitions : 1 Corinthians 15:3-11 as a Post-Pau-

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2. Le leader de la communauté de Jérusalem Après la Résurrection, il semble que Jacques ait pris la direction de la communauté de Jérusalem. Si tous s’accordent sur ce point, certains estiment que cela se passa à une période relativement précoce, puisqu’à Jérusalem coexistaient plusieurs communautés (c’est notre option, en suivant S. Mimouni 11) ; d’autres estiment qu’il y eut une alternance dans le gouvernement de la communauté hiérosolymitaine, intervenu après que Pierre eut quitté la ville. Toujours est-il que lors de l’Assemblée de Jérusalem, c’est manifestement Jacques qui a un rôle prééminent. Ce rôle de direction est confirmé par Clément d’Alexandrie, conservé par Eusèbe de Césarée : « Clément, dans le sixième livre de ses Hypotyposes, l’indique ainsi : il dit en effet que Pierre et Jacques et Jean, après l’Ascension du Sauveur, quoiqu’ayant été honorés plus que les autres par lui, ne revendiquèrent pas cette gloire, mais que Jacques le juste fut choisi comme évêque de Jérusalem 12. » On sent dans cette déclaration tout le trouble de l’Alexandrin (ou du Césaréen) face aux règles de la succession dynastique 13 faisant choisir le successeur de Jésus dans sa famille même : deux modèles de leadership semblent avoir coexisté dans la première communauté, celui lié aux relations personnelles (le groupe des Douze) et celui lié aux liens du sang (le groupe de Jacques de Jérusalem). L’importance du frère du Seigneur dans la première communauté de Jérusalem est indiscutable et pose la question de la réception de Jésus dans un milieu juif, puisqu’il semble clair que Jacques était le leader de la tendance que l’on peut décrire comme l’Église nazoréenne de Jérusalem 14. Celle-ci finit par s’opposer à la mission paulinienne 15. line Interpolation », Journal of Higher Criticism 2, 1995, p. 69-99 ; R. H. EISENMANN, James, the brother of Jesus, London, Faber and Faber, 1997, p. 697-702. 11. S. C. MIMOUNI, « La communauté nazoréenne/chrétienne de Jérusalem aux 1er-2e siècles », Annuaire de l’École Pratique des Hautes Études 109, Paris, 2002, p. 345-357. 12. Κλήμης ἐν ἕκτῳ τῶν Ὑποτυπώσεων γράφων ὧδε παρίστησιν· Πέτρον γάρ φησιν καὶ Ἰάκωβον καὶ Ἰωάννην μετὰ τὴν ἀνάληψιν τοῦ σωτῆρος, ὡς ἂν καὶ ὑπὸ τοῦ σωτῆρος προτετιμη μένους, μὴ ἐπιδικάζεσθαι δόξης, ἀλλὰ Ἰάκωβον τὸν δίκαιον ἐπίσκοπον τῶν Ἱεροσολύμων ἑλέσθαι, EUSÈBE DE CÉSARÉE, Histoire ecclésiastique II, 1, trad. G. BARDY (SC 41), 1955, p. 49. 13. S. C. MIMOUNI, « La tradition de la succession “dynastique” de Jésus », in B. CASEAU, J.-C. CHEYNET et V. DÉROCHE (éds.), Pèlerinages et lieux saints dans l’Antiquité et le Moyen Âge : mélanges offerts à Pierre Maraval (Monographies du Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance 23), Paris, Association des Amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance, 2006, p. 291-304. 14. Sur cette question, voir les travaux de S. C. Mimouni : S. C. MIMOUNI, Les Chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité (Présences du judaïsme 29), Paris, Albin Michel, 2004. 15. J. PAINTER, Just James…, p. 83-98.

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On connaît, grâce à Clément d’Alexandrie, conservé par Eusèbe de Césarée, le récit du martyr de Jacques : Le même, dans le septième livre du même ouvrage [les Hypotyposes], dit encore à son sujet : « À Jacques le juste, à Jean et à Pierre, le Seigneur après sa résurrection donna la gnose, ceux-ci la donnèrent aux autres apôtres ; les autres apôtres la donnèrent aux soixante-dix, dont l’un était Barnabé. Et il y eut deux Jacques : l’un, le juste qui, ayant été jeté du pinacle du temple, fut frappé jusqu’à la mort d’un bâton de foulon, et l’autre qui fut décapité 16. »

La même histoire est racontée par Eusèbe 17 avec plus de détails : Jacques est convoqué devant « les Juifs » qui le jettent du haut du pinacle du temple en profitant de la mort de Festus. Ce récit est confirmé par Flavius Josèphe (Antiquités Juives XX) 18. Ces textes posent bien entendu de grandes difficultés, et pourraient présenter de nombreuses interpolations. Stanley Jones a pu y reconnaître des parallèles avec la Didascalie syriaque, l’Évangile des Ébionites, le livre d’Elkasaï et les Pseudo-Clémentines. Il en a conclu qu’on se trouvait confronté à des réécritures du IIe siècle. Cela est parfaitement possible 19. Mais pour notre histoire de la réception, que Jacques soit à l’origine de ses pratiques, ou que des communautés se réclamant de lui aient rétroprojeté leurs propres pratiques sur les notices qui parlaient de lui importe peu. En effet, nous retiendrons que l’apôtre a servi de modèle à nombreuses communautés chrétiennes d’origine juive.

3. Une riche réception Pendant les premiers siècles de notre ère, Jacques connaît une riche réception, surtout dans le monde des chrétiens d’origine juive. Ici encore, nous nous contentons de résumer 20 en constatant que Jacques fut reçu par deux types de communauté. 1. Le parangon des chrétiens d’origine juive. – On a déjà commencé à comprendre que dans la présentation qu’Eusèbe de Césarée fait de la figure de Jacques en suivant Hégésippe, Jacques représente par ses actes le 16. EUSÈBE, Hist. Eccl. II, 1, 5-6, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 49-50. 17. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 23, 1. 18. D. LAMBERS-PETRY, « How to Become a Christian Martyr : Reflections on the Death of James as Described by Josephus and in Early Christian Literature », in F. SIEGERT et J. U. KALMS (éds.), Internationales Josephus-Kolloquium Paris 2001 : Studies on the Antiquities of Josephus (Münsteraner judaistische Studien 12), Münster/Hamburg/London, Lit, 2002, p. 101-124. 19. F. S. JONES, « Hegesippus as a Source for the History of the Jewish Christianity », in S. C. MIMOUNI et F. S. JONES (éds.), Le Judéo-Christianisme dans tous ses états (Lectio Divina hors série), Paris, Cerf, 2001, p. 201-212. 20. On peut de nouveau renvoyer à l’article de M. MYLLYKOSKI et au livre de J. PAINTER, Just James…, p. 105-276.

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modèle des chrétiens d’origine juive. Dans l’Évangile des Hébreux, cité par Jérôme 21, il est dépeint comme le vrai croyant puisqu’il n’accepte plus de se nourrir et de boire jusqu’à ce qu’il voie son frère ressuscité ; c’est Jésus lui-même qui doit donc lui fournir sa nourriture. Il est dépeint comme un disciple qui a assisté au dernier repas, il est celui qui jouit de la première apparition de son frère. Bien plus, cette insistance sur le jeûne de Jacques consonne avec les pratiques des nazoréens et pourrait contraster vivement avec l’attitude de Pierre : tandis que ce dernier renie son maître, Jacques demeure dans la confiance. Dans le corpus pseudo-clémentin, si Pierre est le héros, Jacques apparaît comme une sorte d’éminence grise, de puissance tutélaire. La lettre de Pierre (Epistula Petri) qui ouvre le corpus est adressée à Jacques : c’est à lui que Pierre demande de conserver ses sermons, comme pour insister sur son rôle de garant. De même, à la mort de Pierre, c’est à Jacques que Clément éprouve le besoin de confier (Epistula Clementi) qu’il a pris la succession de l’apôtre, comme pour chercher une sorte de bénédiction. Jacques est ici en arrière-fond, comme une sorte d’autorité silencieuse, mais à laquelle on rend hommage. 2. La fraternité comme justification des révélations dans les écrits gnostiques 22. – Dans les écrits gnostiques comme l’Apocryphon de Jacques (NH I, 2), la Première et la Seconde Apocalypse de Jacques (NH V, 3 et 4, Codex Tchacos 2), la fraternité entre Jacques et son Jésus explique tout naturellement que Jacques soit choisi pour recevoir des révélations privées. La Première Apocalypse, d’origine syrienne, semble assez éloignée des milieux chrétiens d’origine juive. Sans doute cherche-t-elle à annexer l’autorité d’un disciple dont l’aura était encore intacte dans la région, mais qui avait l’avantage de ne pas faire partie du cercle des Douze 23. Au contraire, la Seconde Apocalypse fait du frère de Jésus le véritable héros de la communauté, puisque rien n’est dit des autres disciples. Sa fraternité avec Jésus en fait le révélateur et rédempteur, un intermédiaire que son lien de parenté autorise à s’assimiler à Jésus 24. II. 3 = 1

OU LE COUP DE FORCE DE

J ÉRÔME

DE

S TRIDON

Jusqu’au ve siècle, nul n’avait eu l’idée d’identifier les cinq Jacques dont on vient de parler. Les choses vinrent à changer lorsque le dogme de la 21. De Vir. Inl. 2, trad. D. A. BERTRAND, ÉAC I, p. 461-462. 22. C. GIANOTTO, « Jacques, frère du Seigneur dans les écrits gnostiques », Apocrypha 19, 2008, p. 43-55. 23. W. R. SCHOEDEL, « The First Apocalypse of James », in J. M. ROBINSON (éd.), Nag Hammadi Library, Leiden, Brill, 1988, p. 261-268. 24. J. PAINTER, Just James…, p. 170-175.

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Théotokos fut formulé dans le IIIe concile œcuménique d’Éphèse de 431. Un culte marial de plus en plus important se développa 25. Petit à petit se fit jour l’idée que Marie, dont la tradition a toujours proclamé à la suite de Mt et Lc qu’elle aurait engendré Jésus en étant vierge (virginitas ante partum), serait demeurée vierge dans l’accouchement ainsi qu’après la naissance de Jésus (in partu et post partum). Zénon de Vérone (v. 300-380) proclame dans son Tractatus : Maria uirgo incorrupta concepit, post conceptum uirgo peperit, post partum uirgo permansit 26. Ces spéculations qui conduisirent à l’idée d’une virginité perpétuelle de Marie reçurent leur première formulation dogmatique en 553 dans le Ve Concile œcuménique de Constantinople II 27. A. La première solution, dite « épiphanienne » Comment concilier ces formulations avec le fait que Jacques soit unanimement appelé « le frère du Seigneur » ? La solution la plus ancienne est celle que l’on nomme « épiphanienne » depuis la note fondatrice de John Barber Lighfoot sur les frères du Seigneur 28 : elle consiste à dire que Jacques est le fils de Joseph par un premier mariage. Jacques « frère du Seigneur » serait en fait son demi-frère. Dans une lettre que l’évêque de Salamine avait écrite contre les Antidicomarianites, plus tard insérée dans le Panarion, il écrivait en effet :

25. Pour une première approche de cette histoire, le premier volume de l’encyclopédie Maria reste irremplaçable : H. DU MANOIR (dir.), Maria I, Paris, Beauchesne, 1949. 26. ZÉNON DE VÉRONE, Tractatus I, 54, 41, éd. B. LÖSTEDT (CCSL 22), 1971, l. 41. La formule uirgo permansit est ensuite reprise par Augustin (Sermons 51, 191, 196, 213, 247), Fulgence de Ruspe (De Veritate prædestinationis I, 5), Cassiodore (Expositio Psalmorum 109), Grégoire le Grand (Homilia in Hiezechihelem prophetam II, 8) et devient d’usage liturgique, comme le prouve le Missale Gothicum (ordo 30, oratio 225). 27. « Si quelqu’un ne confesse pas qu’il y a deux générations du Dieu Verbe, l’une avant les siècles, du Père, intemporelle et incorporelle, l’autre aux derniers jours, du même Verbe qui est descendu des cieux et s’est incarné de la sainte et glorieuse Mère de Dieu toujours vierge et qui a été engendré d’elle, qu’un tel homme soit anathème. » (Canon 2, DENZINGER n°422). La formule « toujours vierge » est reprise dans le VIe concile de Tolède de 648, le Concile du Latran de 649 (qui précise même que sa virginité est demeurée inaltérable). Latran IV (1215) reprend la formule. On remarque que Vatican II, sans remettre en cause cette doctrine préfère parler dans Lumen Gentium d’une consécration de Marie par l’enfantement et d’une virginité spirituelle. 28. Le dossier a été longuement étudié par J. B. LIGHTFOOT, « The Brethren of the Lord », Saint Paul’s Epistle to the Galatians, London, Macmillan, 71881, p. 252-291.

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Ainsi Joseph est-il le frère de Clopas et le fils de Jacob que l’on appela du surnom de Panthère. L’un et l’autre naquirent de celui qu’on surnommait Panthère. En outre, Joseph eut une première femme de la tribu de Juda, et elle eut six enfants de lui, quatre garçons et deux filles. C’est exactement ce que Marc et Jean déclarent. L’aîné est donc Jacob que l’on appela « Oblias 29 », ce qui peut être interprété comme « muraille », qu’on appela aussi le juste. Il était Nazoréen, ce qu’on peut interpréter comme « saint » 30.

Dans cette notice, Épiphane résout deux problèmes à la fois. Non seulement il démonte la rumeur dont Celse se faisait déjà l’écho qui voudrait que Jésus soit le fruit des amours d’un certain Panthère avec Marie en expliquant que ce Panthère est en fait le père de Joseph ; mais encore il fait de Jacques et de ses frères les fruits d’un premier mariage de Joseph, son union avec Marie n’étant qu’un remariage. Cette position a le mérite de l’antiquité puisqu’on la trouve dans l’Évangile de Pierre selon une allusion d’Origène à un passage hélas non conservé 31, chez Clément d’Alexandrie, Grégoire de Nysse, Épiphane, Ambroise, dans le Protévangile de Jacques qui semble avoir été écrit pour mettre en avant cette théorie 32. Origène est assez précis puisque pour lui les frères de Jésus sont les fruits d’un premier mariage de Joseph 33, tandis qu’Hilaire de Poitiers dans son Commentaire sur Matthieu avance : « si ces fils avaient été les fils de Marie et non les fils de Joseph, fruits d’un premier mariage, elle n’aurait jamais été confiée à Jean lors de la Passion comme sa mère, alors que le Seigneur a dit a l’un et à l’autre Femme, voici ton fils 34. »

29. Ce surnom se trouve déjà dans les Mémoires d’Hégésippe conservés par Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. IV, 22, 8). Il pourrait faire référence au thème du héros « soutien » de la ville de Jérusalem lorsqu’elle est assiégée. Voir J. BOURGEL, « Jacques le Juste, un Oblias parmi d’autres », New Testament Studies 59, 2013, p. 222-246. 30. Οὕτος μὲν γὰρ ὁ ᾽Ιωσὲφ ὰδελφὸς γίνεται τοῦ Κλωπᾶ, ἥν δὲ υἱὸς τοῦ Ἰακὼβ, ἐπίκλην δὲ Πάνθηρ καλουμένου. Ἀμφότεροι οὕτοι ἀπὸ τοῦ Πάνθερος ἐπίκλην γεννῶνται. Ἔσχε δὲ οὗτος ὁ Ἰωσὴφ τὴν μὲν πρώτην αὐτοῦ γυναῖκα ἐκ τῆς φυλῆς Ἰούδα, καὶ κυῖσκει αὐτῷ αὔτη παϊδας τὸν ὰριθμὸν ἓξ, τέσσαρας μὲν ἄῤῤενας, θηλειας δὲ δύο· καθάπερ τὸ κατὰ Μάρκον καὶ κατὰ Ἰωάννην ἐσαφήνισαν. Ἔσχε μὲν οὖν πρωτότοκον τὸν Ἰακωβον τὸν ἐπικληθέντα ᾽Ωβλιαν, ἑρμηνευόμενον τεῖχος, καὶ δίκαιον ἐπικληθεντα, Ναζωραῖον δὲ ὄντα, ὅπερ ἑρμηνεύεται ἅγιος. ÉPIPHANE DE SALAMINE, Panarion 78, 7, éd. K. HOLL, Leipzig, Hinrichs, 1933, p. 457. 31. Voir la citation à la fin du chapitre. 32. Toutes les références dans J. B. LIGHTFOOT, « The Brethren of the Lord ».... 33. in Ioann. 2, 12 ; Hom. in Luc. 7 ; in Matt. 13, 55, 3. 34. Qui sit Mariæ filii fuissent, et non potius Ioseph ex piore coniugio suscepti, numquam in tempore passionis Ioanni apostolo transcripta esset in matrem, Domine ad utrumque dicente : Mulier ecce filius tuus. HILAIRE DE POITIERS, Commentaire sur Matthieu 1, 1, éd. J. DOIGNON (SC 254), 1978, p. 96.

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CHAPITRE 10

Figure 17: la famille de Joseph selon Hippolyte de Thèbes

On trouve également cette théorie dans un passage d’Hippolyte de Thèbes peut-être interpolé de l’Hypomnestikon que l’on a pu attribuer à Joseph de Tibériade, un auteur du IVe siècle, qu’un article de Simon Mimouni propose de dater d’avant 380 (sans forcément l’attribuer à Joseph) 35. Le chroniqueur Hippolyte de Thèbes le rapporte au VIIe ou au VIIIe siècle. Selon ce texte, Jacques est le fruit d’un premier mariage avec Salomé, fille d’Aggaios, le frère du prêtre Zacharie. Outre Joseph et ses trois frères, le passage prétend que Joseph a eu aussi pour enfants Marthe et Marie (Lazare étant oublié dans le propos). On peut résumer son propos dans le schéma suivant :

Figure 18 : la famille de Marie selon Hippolyte de Thèbes

35. Sur Hippolyte, voir l’article de S. C. MIMOUNI, « L’Hypomnesticon de Joseph de Tibériade : une œuvre du IVe siècle ? », in E. A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Patristica XXXII (12th International Conference on Patristic Studies Oxford 1995), Leuven, Peeters, 1997, p. 346-357. Voir également S. GORANSON, « Joseph of Tiberias Revisited. Orthodoxies and Heresies in Fourth-Century Galilee », in E. M. MEYERS (éd.), Galilee through the Centuries : Confluence of Cultures (Duke Judaic Studies Series 1), Winona Lake (IN), Eisenbrauns, 1999, p. 335-345.

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Quant à Marie, elle aussi provient d’une grande famille de Bethléem : son grand-père Matthan, marié à une première Marie, eut trois enfants, deux filles (Mariam et Anne) et un frère, Soubé. Une telle virtuosité dans les liens de parenté donne le tournis. D’ailleurs, Hippolyte, conscient de perdre son lecteur, répète deux fois ses explications. Il conclut deux fois avec une visible satisfaction. La première fois, il affirme : « ainsi Salomé, la première femme [de Joseph], et Élisabeth qui engendra le Précurseur et la sainte Anne qui engendra la très sainte Mère de Dieu étaient les filles de trois sœurs. Ainsi Jean le Baptiste et notre Seigneur Jésus Christ sont dits être cousins 36 ». Ailleurs, il dit : « Anne engendra la sainte Mère de Dieu à Bethléem, et la nomma Marie d’après sa grand-mère et sa tante, si bien qu’Élisabeth fut la cousine d’Anne et la cousine germaine de la Mère de Dieu 37. » B. La solution de Jérôme La solution de Jérôme, qui va mêler trois des cinq Jacques ( Jacques le Petit, Jacques d’Alphée et Jacques frère de Jésus), intervient dans un contexte particulier : la montée en puissance de formes d’ascétisme venues de l’Orient, où la virginité de Marie était le modèle du choix de vie que devaient faire les chrétiens les plus zélés. Cette opinion avait le support d’Ambroise, d’Augustin et du pape Damase, qui était le protecteur de Jérôme. Elle était en revanche contestée par un certain Helvidius, dans un ouvrage qui provoqua la réaction de Jérôme.

1. La proposition d’Helvidius Helvidius, d’après Gennade de Marseille 38 († 496), était une personne sincère et pieuse et probablement un laïc39. Il soutint dans un ouvrage 36. F. DIEKAMP, Hippolytos von Theben. Texte und Untersuchungen, Münster, Aschendorff, 1898, p. 9-10. Ὡς εἶναι Σαλώμην τὴν μαίαν, καὶ τὴν Ἐλισάβετ και τὴν ἁγίαν Ἄνναν, τὴν γεννήσσαν Μαρίαν τὴν Παναγίαν Θεοτόκον, καὶ τὴν ἁγίαν Ἐλλισάβετ, τὴν γεννήσσαν τὸν Πρόδρομον, θυγατέρας ἀδελφῶν τριῶν θηλειῶν. Ἐντεῦθεν οὖν ὁ Βαπτιστὴς Ἰωάννης, καὶ ὁ Κύριος ἡμῶν Ἰησοῦς Χριστὸς, ἀνεψιοὶ λέγονται εἶναι. 37. F. DIEKAMP, Hippolytos von Theben. Texte und Untersuchungen, Münster, Aschendorff, 1898, p. 42. Ἡ δὲ Ἄννα γεννᾷ τὴν ἁγίαν Θεοτόκον ἐν Βηθλεὲμ, τὴν κατὰ τὸ ὄνομα τῆς μάμμης καὶ θείας, ἐπυκληθεῖσαν Μαρίαν. Ὡς εἶναι τὴν Ἐλισάβετ, ἀνεψιὰν μὲν τῆς Ἄννῆς, ἐξάδελφον δὲ τῆς Θεοτόκου. 38. De Vir. Inl. (De Scriptoribus eccl.) 33 : Heluidius Auxentii discipulus, Symmachi imitator, scripsit quidem religionis studio, sed non secundum scientiam, librum, neque sermone, neque uera ratione nitidum, in cuius opere ita sanctarum Scripturatum sensum ad suam peruersitatem flectere conatus est. « Helvidius, disciple d’Auxence et imitateur de Symmaque écrivit, avec zèle pour la religion, mais avec ignorance, un livre qui n’était soigné ni par le langage ni par le raisonnement, une œuvre dans laquelle il tenta de tordre le sens des Saintes Écritures selon sa propre perversité. »

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perdu que Jacques était bien le fils de Joseph et Marie : après la naissance de Jésus, ses deux parents se seraient comportés comme un couple et auraient eu des enfants 40. D’après ce qu’on peut reconstruire à partir de Jérôme, son argumentation se faisait en cinq points. Argument 1. – Le Nouveau Testament parle de Jésus comme « Premier né » (Lc 2,7 — récit de la Nativité, τὸν υἱὸν αὐτῆς τὸν πρωτότοκον) : cela veut-il dire qu’il y a eu un deuxième et un troisième enfants nés de Marie ? Argument 2. – « Joseph ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils » (Mt 1,25). Comme l’expression biblique « connaître » désigne aussi les relations sexuelles, cela ne signifie-t-il pas que Joseph a connu Marie après la Nativité de Jésus ? Argument 3. – Dans le Nouveau Testament, 7 citations évoquent des « frères et sœurs » de Jésus. En Mc 6,3 et Mt 13,55 : « Celui-ci n’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? ». Ac 1,14 parle des « frères de Jésus ». Ga 1,19 parle de « Jacques, le frère du Seigneur ». Jude 1 parle de « Jude frère de Jacques » (qui peut être le frère du Seigneur). Jn 2,12 évoque : « sa mère, ses frères et ses disciples ». Et Mt 12,46 et ses parallèles parlent de « sa mère et ses frères ». Marie aurait-elle donc eu d’autres enfants ? Argument 4. – Helvidius faisait appel à la tradition ancienne et en particulier à Tertullien et Victorien de Petau (apparemment à son commentaire sur Mathieu perdu dont parle Origène dans ses Homélies sur Saint Luc et Jérôme dans le Commentaire sur Saint Matthieu). Argument 5. – Helvidius devait certainement conclure en argumentant qu’il n’y a pas de déshonneur pour Marie à être une vraie femme : c’était là le cœur de son projet en faveur du mariage.

2. La riposte de Jérôme Dans son Contra Helvidium, Jérôme riposte en prenant immédiatement une position polémique et méprisante : Des frères m’ayant demandé naguère de répondre contre un libelle d’un certain Helvidius, j’ai différé de le faire, non parce que ce serait difficile de réfuter par l’affirmation de la vérité un homme peu éduqué, qui à peine a

E. C. RICHARDSON, Hieronymus “Liber de Viris inlustribus” Gennadius “Liber de Viris inlustribus” (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 14.1), Leipzig, J. C. Hinrichs, 1896, p. 73 (PL 58, 177). 39. G. JOUASSARD, « La personnalité d’Helvidius », Mélanges J. Saunier, Lyon, Facultés catholiques, 1944, p. 139-156. 40. Cette option, quasiment abandonnée par les exégètes d’aujourd’hui est cependant soutenue par J. MAYOR, The Epistle of saint James, London, MacMillan, 21898, p. 320-326.

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reçu les rudiments du savoir, mais de peur qu’en répondant cela le rende digne d’être vaincu 41.

Il développe ensuite une argumentation en plusieurs points. 1° l’indication que Marie est une « femme mariée » (mulier coniunx) de Mt 1,20.24 est utilisée dans l’Écriture pour désigner une mariée vierge, par exemple en Dt 22, 23-24 : on ne peut donc pas en inférer que Marie n’ait pas été Vierge. 2° si les évangélistes parlent des « parents » de Jésus (Lc 2, 27) ou si Joseph fut désigné par Marie comme « le père » (Lc 2, 48), cela n’est pas parce que Joseph fut réellement le géniteur de Jésus, mais parce que Joseph le laissa croire pour défendre la bonne réputation de Marie. 3° à propos de « avant (antequam) qu’ils aient mené vie commune » (Mt 1,18), Jérôme fait apparaître que cette préposition, même si elle indique souvent ce qui suit effectivement, peut aussi désigner ce qui en fait n’est pas arrivé. « Tu as [dans le texte], dit-il, fiancée et non épouse, c’est-à-dire qu’elle n’est pas encore une épouse, pas encore unie par le lien du mariage ». Mais lorsqu’il continue « l’Évangéliste n’aurait pas parlé de personnes qui n’ont pas mené la vie commune lorsqu’il dit avant qu’ils n’aient mené la vie commune, parce que personne ne dit “avant qu’il n’ait dîné” de quelqu’un qui n’est pas destiné à dîner », je ne sais si je m’afflige ou si je ris. Le convaincrai-je d’incompétence, ou l’accuserai-je de témérité ? C’est comme si quelqu’un qui dirait « avant de manger dans le port, j’ai navigué vers l’Afrique » ne pouvait former sa phrase à moins d’avoir absolument mangé dans le port. Si je veux dire « l’apôtre Paul avant d’atteindre l’Espagne a été jeté dans les chaînes à Rome », ou plus certainement, « Helvidius avant de faire pénitence a été surpris par la mort », est-ce que Paul doit immédiatement partir pour l’Espagne après avoir été libéré ? Au contraire, l’Écriture dit : dans l’Enfer qui te louerait ? Ne devons-nous pas plutôt comprendre que la préposition ante, quoiqu’elle indique souvent la conséquence, peut parfois faire référence à ce qui a été pensé un instant auparavant 42 ? 41. Nuper rogatus a fratribus ut aduersus libellum cuiusdam Heluidii responderem, facere distuli : non quod difficile fuerit, hominem rusticanum, et uix primis quoque imbutum litteris, super ueri assertione conuicere : sed ne respondendo dignus fieret, qui uinceretur, § 1, PL 23, 193. 42. Habes inquit, desponsatam et non commendatam, id est, necdum uxorem, necdum maritali uinculo copulatam. In eo uero quod ait, Neque enim de non conuenturis Euangelista dixisset : Priusquam conuenirent : quia nemo et non pransuro dicit, antequam pranderet, doleamne an rideam nescio. Imperitiæ arguam an temeritatis accusem ? Quasi si quis dixerit : antequam in portu pranderem, ad Africam nauigaui, non possit stare sententia nisi ei in portu prandendum quandoque sit. Aut si uelimus dicere : Paulus apostolus antequam ad Hispanias pergeret, Romæ in uincula coniectus est. Aut certe illud : Heluidius antequam pœnitentiam ageret, morte præuentus est : statim aut Paulo post uincula ad Hispanias sit eundum ; cum Scriptura dicat : In inferno autem

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4° au sujet de « jusqu’à ce [donec] qu’elle mette au monde son fils », Jérôme, en rappelant d’autres passages bibliques comme Jr 7,11 (cité selon les LXX), Mt 28,20, 1Co 15,25 (oportet autem illum regnare donec ponat omnes inimicos sub pedibus eius), Dt 34, tâche de montrer que ce mot dans l’Écriture sainte a une double signification et peut indiquer un temps déterminé ou indéterminé. Ainsi en citant la loi de Nb 18, 15 (« Tout premier-né qu’on apporte à Yahvé te reviendra, issu de tout être de chair, homme ou animal ; mais tu devras faire racheter le premier-né de l’homme, et tu feras racheter le premier-né d’un animal impur »), il argumente : Si cette loi ne s’applique qu’aux premiers-nés et que ce sont ceux qui suivent qui définissent les premiers-nés, la loi sur les premiers-nés ne pourrait pas lier celui qui ne sait rien à ceux qui suivent. Mais est lié par la loi sur les premiers-nés celui-là même qui n’a pas d’autres frères plus jeunes : nous en déduisons qu’est nommé premier-né celui qui ouvre l’utérus et n’a été précédé par personne et non celui dont la naissance a été suivie par celle d’un frère 43.

Il remarque ensuite que si dans le récit de l’ange exterminateur d’Égypte (Ex 12,29), les aînés avaient seulement indiqué ceux qui avaient des frères, « alors les fils uniques auraient été épargnés par la mort. » 5° quant à la mention par Helvidius des « frères » de Jésus, saint Jérôme explique que cette indication dans l’Écriture signifie souvent une relation basée sur la « sympathie », par exemple dans le psaume 132,1, les hommes et dans le Nouveau Testament parfois tous les chrétiens, sont appelés « frères » ( Jn 20,17 ; 1 Co 5,11) ou encore, cela indique ceux qui ont un autre degré de parenté comme en Gn 27,46 ; 29,1-12 ; 31,17. 6° Jérôme conteste la solution épiphanienne. Les frères du Seigneur étaient selon lui des cousins. Sa thèse repose sur le fait que l’hébreu et l’araméen n’ont pas un mot particulier pour « cousins » et ils utilisent pour cette désignation « frères » (ainsi en Gn 13,8 ; 14,14 ; Lv 10,4 ; 1 Ch 23,22). La seule alternative est de comprendre, selon l’explication précédente, que ceux que l’on appelle frères le sont par le lien du sang [cognatio] et non par l’affection, par la prérogative de la race, ou même par la nature. Ainsi Lot est-il appelé frère d’Abram, et Jacob de Laban, ainsi aussi les filles de Çelophehad reçurent-elles leur mari parmi ses frères, ainsi également Abraquis confitebitur tibi ? Ac non potius sit intelligendum quod ante præpositio, licet sæpe consequentiam indicet tamen nonunquam ea tantum quæ prius cogitabantur ostendebat. § 4, PL 23, 195. 43. Si hæc lex tantum ad primogenitos pertinet, primogenitum autem sequentes faciunt, non debuit lege promogeniti teneri, qui de sequentibus ignorabat. Sed qui tenetur lege primogeniti, etiam ille quem fratres cæteri non sequntur : colligitur eum primogenitum uocari, qui uluam aperiat et ante quem nullus sit non eum quem frater post genitus subsequatur. § 10, PL 23, col. 202-203.

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ham eut-il pour femme sa sœur puisqu’il dit « véritablement, elle est ma sœur par son père, mais non par sa mère », c’est-à-dire qu’elle était la fille de son frère et non de sa sœur 44.

7° enfin Jérôme conclut son argumentation en s’adressant à Helvidius pour affirmer l’absolue continence de Joseph : « Tu dis que Marie n’est pas restée vierge. Je prétends au contraire encore au-delà : Joseph, par Marie, a vécu vierge lui aussi, pour que le fils virginal fût engendré par un mariage virginal. Autrement dit, si un homme saint ne peut être suspect de fornication, et s’il n’est pas écrit qu’il ait eu une autre femme, si finalement il fut pour Marie, qui était considérée son épouse, plus un protecteur qu’un mari, il ne reste plus qu’à conclure qu’il demeura vierge avec Marie, celui qui mérita être appelé père du Seigneur 45 ! » Le point qui nous intéresse dans la solution de Jérôme est qu’elle revient en pratique à identifier nos trois Jacques. Le Stridonien pose en effet une série d’équations : 1° les frères de Jésus (Mc 6, 3) = fils de Marie (Mc 15, 40) ; 2° Marie de Clopas = la sœur de Marie mère de Jésus ; 3° Jacques le Mineur = Jacques frère du Seigneur ; 4° Alphée = Clopas.

Figure 19 : la famille de Jésus selon Jérôme

44. Restat igitur, ut iuxta superiorem expositionem fratres eos intelligas appellatos, cognatione, non affectu, non gentis priuilegio, non natura. Quomodo Lot Abrahæ, quomodo Iacob Laban est appellatus frater, quuomodo et filiæ Salphaad accipiunt Clerum inter fratres suos, quomodo et Abraham ipse Saram sororem suam habuit uxorem. Etenim ait, uere soror mea est de patre sed non de matre [Gn 20, 11], id est fratris est filia, non sororis. PL 23, col. 208. 45. Tu dicis Mariam uirginem non permansisse : ego mihi plus uindico etiam ipsum Ioseph uirginem fuisse per Mariam, ut ex uirginali coniugiuo uirgo filius nasceretur. Si enim in uirum sanctum fornicatio non cadit, et aliam eum uxorem habuisse non scribitur : Mariæ autem quam putatus est habuisse, custos potius fuit, quam maritus : relinquitur, uirginem eum mansisse cum Maria, qui pater Domini meruit appellari. § 19, PL 23, col. 212.

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3. Une riposte plus théologique et politique que fidèle aux textes Si la solution de Jérôme eut un tel succès dans le monde latin, c’est certainement parce qu’elle convenait à son environnement théologique et politique. En effet, plusieurs indices montrent que Jérôme était plus ici en « service commandé » qu’en lecteur fidèle des textes bibliques. 1° Les difficultés de la solution de Jérôme. – La solution fournie par Jérôme présente un certain nombre de difficultés qu’on peut ici résumer. (α) Jacques de Jérusalem ne peut être Jacques le Petit, car partout ailleurs, on le nomme « le frère du Seigneur 46 » ou Jacques le Juste 47. Chez Marc, la désignation sert justement à distinguer Jacques le Petit des autres Jacques dont il parle 48. (β) Jacques de Jérusalem n’est pas le fils d’Alphée. En effet, pourquoi l’appeler ainsi à une seule reprise ? Et surtout pourquoi désigner un fils très connu par un père inconnu ? De même, désigner l’autre Marie par la mère de José (Mc 15, 47) est aussi une étrange désignation 49. (γ) Les identifications des femmes ne sont pas consistantes. Reprenons dans un tableau les différentes identifications proposées par Jérôme : Mc 15, 40 (croix)

Marie de Madgala

Marie, mère de Jacques le Petit et de José

Mc 15, 47 (mise au tombeau)

Marie de José

Mt 27, 56 (croix)

Marie mère de Jacques et Joseph

Mt 27, 61 (mise au tombeau) et Mt 28, 1 (tombeau vide)

L’autre Marie

Lc 24, 10 (tombeau vide)

Marie de Jacques

Jn 19, 25

La sœur de Marie sa mère

Salomé

La mère des fils de Zébédée

Joanna Marie de Clopas

Plusieurs remarques méritent d’être faites. 1° on tient pour acquis que le génitif signifie « mère de », mais on peut aussi bien penser « femme de ». 46. Ga 1, 19 ; Hégésippe chez EUSÈBE, Hist. Eccl. II, 23, 4. 47. Clément chez EUSÈBE, Hist. Eccl. II, 1, 6, Hégésippe chez EUSÈBE, Hist. Eccl. II, 23, 4 ; Évangile des Hébreux 7, Évangile de Thomas 12 ; Apocalypse de Jacques 32, 2-3 ; Seconde Apocalypse de Jacques 44, 14. 48. L. OBERLINNER, Historische Überlieferung und christologische Aussage. Zur Frage der “Brüder Jesu” in der Synopse (Forschung zur Bibel 19), Stuttgart, Echter, 1975, p. 112. 49. R. BAUCKHAM, Jude and the Relatives of Jesus..., p. 15.

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Ainsi, Marc aurait-il mis ensemble une Marie femme de Joseph (15, 47) et une Marie femme de Jacques (Mc 16, 1) pour en fait une Marie mère de Jacques et de Joseph 50. 2° il semble difficile de faire une équation entre Salomé et la mère des fils de Zébédée, car Matthieu substitue la Salomé de Marc à « la mère des fils de Zébédée ». Il semble donc impossible qu’il ait passé des noms sous silence s’il avait eu le moindre doute sur son identité. 3° il semble difficile de faire une identification entre les synoptiques et Jean et d’identifier ainsi Marie de Clopas avec Salomé ou la Mère des Zébédaïtes, car les deux noms ne concordent pas51. En outre, Clopas ou Cléopas a l’air d’être un personnage connu de la communauté de Jérusalem, car Hégésippe en parle. Ils tinrent conseil tous ensemble pour examiner qui serait jugé digne de la succession de Jacques, et ils décidèrent à l’unanimité que Siméon, fils de ce Clopas dont parle l’Évangile, était capable d’occuper le siège de cette église : il était, dit-on, cousin du Sauveur : Hégésippe raconte en effet que Clopas était le frère de Joseph 52.

Le Clopas dont il s’agit pourrait donc être de la même famille que Jésus, et même son oncle. On a prétendu résoudre la difficulté en assimilant Clopas à Alphée en prétendant que Ἀλφαῖος et Κλωπᾶς seraient deux façons de transcrire le même nom Halphai. Cependant, il semble que cette identification repose sur de très faibles bases philologiques 53 et surtout, un papyrus de Muraba’at a montré que l’original du nom de Klopas est ‫קלופו‬ et non ‫חלפי‬. Or Luc connaît le nom d’Alphée : pourquoi le nommerait-t-il une fois Alphée et une fois Clopas ? 5° Prétendre qu’ἀδελφός pourrait être synonyme d’ἀνεψιός est peu vraisemblable. Le Nouveau Testament utilise ἀνεψιός pour parler d’un cousin germain (Col 4, 10). Eusèbe de Césarée 50. E. L. BODE, The First Easter Morning : The Gospel Accounts of the Women’s Visit to the Tomb of Jesus (Analecta Biblica 45), Rome, Biblical Institute Press, 1970, p. 21 pour les références. L’idée est contredite par L. OBERLINNER, Historische Überlieferung und christologische Aussage. Zur Frage der “Brüder Jesu” in der Synopse (Forschungen zur Bibel 19), Stuttgart, KBW, 1975, p. 97-117. En outre, on peut, avec Bauckham, penser qu’il s’agit aussi de vraies personnes que Marc connaît parfaitement : R. BAUCKHAM, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church, London, T&T Clark, 1990, p. 11. 51. J. BLINZER, Die Brüder und Schwestern Jesu (Stuttgarter Bibelstudien 21), Stuttgart, Verlag Katholisches Bibelwerk, 1967, p. 111-117 et par L. OBERLINNER, Historische Überlieferung…, p. 121-125. 52. βουλήν τε ὁμοῦ τοὺς πάντας περὶ τοῦ τίνα χρὴ τῆς Ἰακώβου διαδοχῆς ἐπικρῖναι ἄξιον, ποιήσασθαι, καὶ δὴ ἀπὸ μιᾶς γνώμης τοὺς πάντας Συμεῶνα τὸν τοῦ Κλωπᾶ, οὗ καὶ ἡ τοῦ εὐαγγελίου μνημονεύει γραφή, τοῦ τῆς αὐτόθι παροικίας θρόνου ἄξιον εἶναι δοκιμάσαι, ἀνεψιόν, ὥς γέ φασι, γεγονότα τοῦ σωτῆρος τὸν γὰρ οὖν Κλωπᾶν ἀδελφὸν τοῦ Ἰωσὴφ ὑπάρχειν Ἡγήσιππος ἱστορεῖ. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 11, TRAD. G. BARDY (SC 31), 1952, ad loc. 53. J. BLINZER, Die Brüder und Schwestern Jesu…, p. 120-121.

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sait parfaitement distinguer les frères et les cousins 54 en particulier lorsqu’il explique que Syméon, le successeur de Jacques était son cousin, mais aussi celui de Jésus 55. 2° Jérôme lui-même n’est pas convaincu de sa solution. – Comme l’avait fait remarquer déjà J. B. Lightfoot, Jérôme lui-même doutait un peu de sa propre solution. Le premier indice se voit dans le fait qu’il ne se recommande pas de la tradition. Il est obligé de citer les deux sources d’Helvidius, Tertullien et Victorin de Petau, et les expédie en quelques mots en affirmant que Tertullien n’appartient pas à l’Église et que Victorin ne dit pas exactement ce qu’Helvidius prétendait. Si lui, de son côté, avait pu produire une quelconque source en sa faveur, il est très probable qu’il l’aurait fait. Le second indice est que Jérôme ne maintient pas sa théorie de manière consistante 56. En effet, dans son Commentaire sur l’épître aux Galates (1, 19), il maintient vaguement l’hypothèse en disant qu’on l’appelle « frère du Seigneur » parce qu’il avait une grande vertu. Dans ses Hommes illustres, il n’est guère plus affirmatif : Jacques, surnommé le juste et appelé aussi le frère du Seigneur, était selon les uns issu de Joseph par un premier mariage, ou bien, ce qui me semble plus probable, était fils de Marie, cette sœur de la mère de Jésus-Christ dont Jean parle dans son évangile. Après la Passion du Sauveur, les apôtres l’instituèrent évêque de Jérusalem. Il a écrit une seule épître qui fait partie des sept Épîtres catholiques ; on prétend même qu’elle fut publiée sous son nom par un autre auteur, quoiqu’il se soit écoulé peu de temps avant qu’elle commençât à faire autorité 57.

Dans les années 406, il va même plus loin. Dans l’Épître à Hedibia, il distingue Marie de Clopas et Marie la mère de Jacques et José alors que cette identification constituait le pivot de sa théorie. Enfin, l’écrit qui se réclame de Jérôme, le Martyrologe hiéronymien, place au 22 juin (Xe calendes de juillet) une fête de Jacques d’Alphée, martyr en Perse (PL 30, 478).

54. EUSÈBE, Hist. Eccl. I, 12, 4-5 ; II 1, 2 ; II, 23, 1, etc. 55. EUSÈBE, Hist. Eccl. III, 11, 1 ; III, 22, 1 ; III, 32, 1–IV, 6. 56. J. N. D. KELLY, Jerome : His Life, Writings and Controversies, New York, Harper & Row, 1975, p. 106. 57. Iacobus, qui appellatur frater Domini, cognomento Iustus, ut nonnulli existimant, Ioseph ex alia uxore, ut autem mihi uidetur, Mariæ sororis matris Domini, cuius Ioannes in libro suo meminit, filius, post passionem Domini statim ab Apostolis Hierosolymorum episcopus ordinatus, unam tantum scripsit Epistolam, quæ de septem Catholicis est, quæ et ipsa ab alio quodam sub nomine eius edita asseritur, licet paulatim tempore procedente obtinuerit auctoritatem. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inlustribus, éd. E. RICHARDSON (TU 14.1a), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 7.

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III. D EUX J ACQUE S CHEZ LE S O RIENTAUX , UN J ACQUE S CHEZ LE S L ATINS La solution de Jérôme divisa Orientaux et Latins. En effet, si elle fut largement acceptée dans le monde latin, elle ne trouva pas d’écho ailleurs, où l’on s’en tint à la solution épiphanienne. A. Dans le monde oriental : le maintien de la solution épiphanienne Chez les Orientaux, la solution hiéronymienne ne s’imposa pas : les mondes grecs et syriaques eurent en effet toujours tendance à distinguer les deux personnages, comme le prouve l’existence de deux fêtes, l’une, fixée au 9 octobre pour Jacques fils d’Alphée et l’autre, fixée au 23 octobre pour le frère du Seigneur. Grégoire de Nysse dans la Seconde oraison sur la Résurrection et Jean Chrysostome dans sa cinquième Homélie sur Matthieu disent que le frère du Seigneur s’est converti après la Résurrection (ce qui exclut qu’il fasse partie des Douze) 58. Jean Chrysostome dans sa 35e Homélie sur Matthieu affirme que Jacques d’Alphée était publicain, ce que ne pouvait pas être le frère du Seigneur. D’accord avec les Constitutions apostoliques 59, le même Jean Chrysostome range Jacques le frère du Seigneur parmi les 72. L’Éloge de Jacques le frère du Seigneur par le Pseudo-André de Crète, qui aurait été écrit en Palestine entre 610 et 64060, adopte quant à lui une position parfaitement épiphanienne. Alors qu’il nomme Marie ἀειπάρθενος καὶ θεοτόκος, « la Mère de Dieu toujours vierge », il affirme hautement que Jacques est bien le frère du Seigneur, ce qui suppose que ce n’est pas de la même mère. Après cela, il fait un résumé du contenu de l’épître de Jacques qu’il attribue à Jacques de Jérusalem, paraphrase les Actes des Apôtres concernant l’assemblée de Jérusalem et finit par reprendre les données du Martyre reprises d’Eusèbe de Césarée. Parmi les listes d’apôtres, l’anonyme gréco-syrien appelle notre Jacques « fils d’Alphée » et lui donne une terre de mission en Inde Marmarique, sans doute par assimilation avec Jacques fils de Zébédée 61. La liste, parue sous le nom Syméon le Logothète, reprend la route des Indes et le fait

58. AMBROSIASTER, in Gal. 1, V 19 le met aussi au rang de ceux qui ne croient pas en Jésus Christ. 59. Constitutions apostoliques II, 55. 60. J. NORET, Un Éloge de Jacques le frère du Seigneur par un Pseudo-André de Crète (Studies and Texts 44), Toronto, Institut Pontifical d’Études médiévales, 1977, p. 100. 61. Ἰάκωβος ὁ Ἀλφαίου υἱὸς ἐν Ινδίᾳ τῆς Μαρμαρικῆς σκελόκλατος. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ…, p. 172.

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mourir lapidé 62. Le synaxaire, plus prudent, l’associe à Matthieu qu’il nomme aussi fils d’Alphée et ne fixe pas de terre précise pour son martyre 63, comme à l’heure actuelle le synaxaire athonite, qui parle du « monde entier 64 ». La liste syriaque le fait mourir à Batnân de Saroug, à l’instar du Livre de l’Abeille 65, ou de Bar-Hebræus 66 mais sans doute est-ce par contamination avec un autre Jacques, Jacques de Saroug (v. 450-521) qui fut évêque de Batnân de Saroug, la moderne Suruç de Turquie. On connaît un Martyre de Jacques fils d’Alphée (CANT 276) dans les manuscrits du Sinaï traduits par Margaret Dunlop Gibson 67 (BHO 390) et un résumé de cette passion en éthiopien (BHO 391) 68. L’histoire est brève, peu originale. Jacques entre à Jérusalem et tient un discours qui ressemble à une sorte de paraphrase du Credo, qui se conclut par une exhortation à ne pas obéir à l’Empereur. Cela n’eut pas l’heur de plaire au césar Claude (qui se trouvait à Jérusalem ?) : il ordonne qu’on le lapide, ce qui est promptement fait. On voit alors que, même si le texte prend bien soin de préciser que son héros est « le disciple Jacques fils d’Alphée et frère de Matthieu69 », il emprunte une partie de ses éléments au martyr de l’autre Jacques. Ce récit constitue la substance de la notice du synaxaire jacobite qui le fait mourir devant le roi Claude le 10 Amchir (4 février) 70. Les Éthiopiens distinguent également les Jacques et prévoient une fête pour le frère du Seigneur le 18 Hamlê (25 juillet) 71 et une pour le fils d’Alphée (qui reprend la comparution devant Claude) le 10 Yakkâtit (18 février) 72. 62. Ἰάκωβος Ἀλφαίου ἐν Ινδίᾳ τῆς Ἀφρικῆς λίθοις παρὰ ἱουδαίων ἀνῃρέθη. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ…, p. 178. 63. Ἰάκωβος Ἀλφαίου ὁ καὶ ἀδελφὸς Ματθαίου ἐμφότεροι γὰρ τὸν Ἀλφαῖον ἔσχον πατέρα. Οὖτος τοῖς ἔθνεσι τὸν Χριστὸν κηρύξας σπέρμα θεῖον ἐπωνυμίαν ἐπλούτησε· τομθῶς δὲ πρὸς τὸ κήρυγμα χωρήσας καὶ τοὺς ἀπαιδεύτους δημους διακατελέγχων σταυτῷ ἀναρτᾶται καὶ τῷ θεῷ τὸ πνεῦμα παρατίθεται. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ…, p. 188. 64. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 1, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1987, p. 256. 65. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 106-107. 66. J. B. ABBELOOS et T. J. LAMY, Gregorii Barhebræi Chronicon ecclesiasticum, Lovanii (Leuven), C. Peeters, 1872, p. 33. 67. M. DUNLOP-GIBSON, Apocrypha Sinaitica (Studia Sinaitica 5), London, Clay and Sons, 1896, p. ٢٦-٣٦ 60-61 (traduction). 68. E. A. Wallis BUDGE, The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898, p. 223-224. 69. ‫ﺍﻟﺘﻠﻤﻴﺪ ﻳﻌﻘﻮﺏ ﺑﻦ ﺣﻠﻔﻲ ﺍﺧﻮ ﻣﭭﻲ‬ 70. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite III, mois de Toubeh et d’Amchir (Patrologia Orientalis 10.5), Paris/Freiburg in B., Firmin Didot/Herder, 1917, p. 812-813. 71. I. GUIDI, Le Synaxaire éthiopien II, mois de Hamlê (Patrologia Orientalis 7.3), Paris/Friburg in B., Firmin-Didot/Herder, 1911, p. 347-349. 72. G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien – mois de Yakkātit (Patrologia Orientalis 45.3 – n°203), Turnhout, Brepols, 1992, p. 517-519.

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Nicétas David 73, quant à lui, après un long éloge dont le caractère de généralité montre que son auteur n’a que très peu d’éléments à sa disposition, propose une série de lieux d’évangélisations : Éleuthéropolis, Gaza, Tyr, et finalement Ostrakinè. On reconnaît dans ces localisations une contamination avec un autre apôtre, dont on va parler, Simon, preuve de l’imprécision des connaissances sur ces deux apôtres. Concernant Simon, Nicetas se contente d’indiquer qu’il a prêché en Lybie et Maurétanie 74. Enfin, il convient de citer la notice mise sous le nom d’Anastase le Sinaïte dans ses Questions et réponses, et qui, selon M. Richard, est à peu près contemporaine de la rédaction du texte d’Anastase (début VIIIe s.) 75. Pour résoudre les différences constatables entre les listes des saintes femmes à la Croix, l’auteur explique que les synoptiques désignent Marie sous son nom de mère de Jacques et José, tandis que Jean la nomme mère du Christ : En ce qui concerne les souvenirs des Maries dans les évangiles, nous devons faire savoir qu’il y a trois noms, que Jean compte brièvement en disant : « auprès de la Croix du Christ se tenaient sa mère, et la sœur de sa mère, Marie de Clopas, et Marie la Magdaléenne. » La Marie mère de Jacques et de José, nous apprenons par les autres évangiles qu’elle est celle qu’on nomme la Théotokos. En effet, pour que le mystère de l’Incarnation et la nativité divine demeure cachée et que les Juifs perfides ne la découvrent pas, Joseph a pris l’habitude de passer pour le mari de la Vierge et pour le père du Christ. Ainsi la Théotokos fut-elle appelée mère de José et Jacques, qui étaient les fils que Joseph le charpentier eut de sa défunte épouse. Aussi lorsque les Juifs blasphémèrent contre le Seigneur, ils dirent : « N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? » C’est pourquoi Jean, qui se tenait auprès de la Croix, affirme avec la liberté du théologien qu’elle s’appelle mère du Seigneur. Mais les autres évangélistes, qui sont plus soucieux du secret, l’appellent de manière secrète mère de Jacques et José : c’étaient en effet les premiers enfants connus de Joseph 76. 73. NICETAS DAVID, Oratio X, PG 105, 146-164. 74. NICETAS DAVID, Oratio XII, PG 105, 244. 75. M. RICHARD, « Les véritables Questions et réponses d’Anastase le Sinaïte », Bulletin de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes 15, 1968, p. 39-56. 76. Ἐπειδἠ δὲ πολλῶν Μαριῶν ἐν τοῖς Εὐαγγελίοις φέρεται μνήμη, τρεῖς εἶναι τὰς πάσας γινώσκειν ὀφείλομεν, ἂς Ἰωάννης συλλήβοην ἠριθμήσεν, εἰπών· « Εἰστήκεισαν δὲ παρὰ τῷ σταυρῷ τοῦ Χριστοῦ ἡ μήτηρ αὐτοῦ, καὶ ἡ ἀδελφὴ τῇς μητρὸς αὐτοῦ, Μαρία ἡ τοῦ Κλωπᾶ, καὶ Μαρία ἡ Μαγδαληνή. » Μαρίαν γὰρ τὴν Ἰακώβου καὶ Ἰωσὴ μητέρα, παρὰ τοῖς ἄλλοις εὐαγγελισταῖς ὠνομασμένην τὴν Θεοτόκον εἶναι μεμαθήκαμεν. ῎Ωσπερ γὰρ τὴν οἰκονομίαν, καὶ τὸ ἐπισκιασθῆναι τὸν θεῖον τόκον, καὶ μὴ φανερωθῆναι τοῖς μιαιφόνοις Ἰουδαίοις, ὡς ἄνδρα τῆς Παρθένου χρηματίσαι τὸν Ἰωσήφ· ἀναγέγραπται καὶ πατερὰ τοῦ Ἰησοῦ· οὔτως καὶ Ἰωσὴ καὶ Ἰακώβου παίδων ὄντων τοῦ τέκτονος Ἰωσὲφ ἐκ προτετελευτηκυίας γυναικὸς, μητήρ ἡ Θεοτόκος προσηγορεύετό τε καὶ ὠνομάζετο· ταύτῃ τοι καὶ βλασφημοῦν-

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Anastase reprend donc sans difficulté la solution d’Épiphane, preuve qu’elle était parfaitement admise à son époque. B. Dans le monde latin : le triomphe de la solution hiéronymienne Dans le monde latin, en revanche, la solution hiéronymienne s’impose autour du Ve siècle, après l’écriture du De Ortu et Obitu prophetarum 77 qui porte encore in Aci Marmaricæ par confusion avec Jacques le Majeur. Le Pseudo-Hippolyte nomme en effet un Jacques fils d’Alphée et le fait mourir à Jérusalem près du Temple, comme le frère du Seigneur 78. Le Breviarium apostolorum reprend largement les données de la notice d’Eusèbe sur Jacques de Jérusalem 79, tandis que le Laterculus note sobrement : Iacobus Alphæi iuxta templum. Grégoire de Tours, dans la Gloire des Martyrs, consacre une notice à Jacques qui trahit la confusion qu’il fait : L’apôtre Jacques, qui fut aussi appelé le frère du Seigneur, fut dit-on consacré évêque par notre Seigneur Jésus-Christ lui-même. Lorsqu’après la glorieuse Ascension de celui-ci, l’apôtre cherchait à ramener les Juifs égarés dans les voies de la justice, il fut précipité du pinacle du Temple ; un foulon l’acheva en lui brisant la tête avec un bâton et il rendit l’esprit. Il est enterré au Mont des Oliviers, dans un tombeau qu’il s’était préparé lui-même, et dans lequel il avait enseveli Zacharie et Siméon. C’est là ce que l’on rapporte de l’apôtre Jacques 80.

τες οἱ Ἰουδαῖοι κατὰ τοῦ Κυρίου, ἔλεγον· « Οὒχ οὗτος ἐστιν ὁ τοῦ τέκτονος υἱός ; οὒχ ἡ μήτηρ αὐτοῦ λέγεται Μαρία, καὶ οἱ ἀδελφοὶ αὐτοῦ Ἰάκωβος, καὶ Ἰωσὴ, καὶ Σίμων καὶ Ἰούδας ; » Καὶ διὰ τοῦτο ὁ μὲν Ἰωάννης τὴν παρὰ τὸν σταυρὸν ἑστῶσαν, οἷα δὴ μετὰ παῤῥησίας θεολογῶν, μητέρα τοῦ Κυριου προσηγόρευσεν· οἱ δὲ λοιποὶ τῶν εὐαγγελιστῶν, τὰ πολλὰ περὶ τὴν οἰκονομίαν ἀσχολήθεντες, οἰκονομικῶς αὐτὴν Ἰακώβου καὶ Ἰωσὴ ἐπωνόμασαν· αὐτοὶ γὰρ ἧσαν οἱ πρῶτοι καὶ ἐπίσημοι παῖδες τοῦ Ἰωσέφ. PS.-ANASTASE LE SINAÏTE, Questions 153, PG 89, 811. 77. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (106). 78. Ἰάκωβος δὲ Ἀλφαίου κηρρύσσων ἐν Ἱερουσαλήμ ὑπὸ Ἰουδαίων καταλευσθείς ἀναιρεῖται καὶ θάπτεραι ἐκεῖ παρὰ τῷ ναῷ. 79. Iacobus frater Domini, Hierosolimorum primus episcopus, hic dum Hierusalem Christum Dei filium prædicaret et de templo a Iudæis præcipitatus lapidibusque opprimitur, ibique iuxta templum humatur. Eius natalicium et ordinatio VI Kalendas Ianuarias creditur. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 208. 80. GRÉGOIRE DE TOURS, In Gloria Martyrorum 27, Gregorii Turonensis Opera (Monumenta Germaniæ historica. Scriptores rerum Merovingicarum 1.2), Hannoveræ (Hannovre), impensis bibliopolii Hahniani, 1885, p. 70. Iacobus apostolus, qui et frater Domini uocitatus est, ab ipso domino nostro Iesu Christo episcopus dicitur ordinatus. Post cuius gloriosam ascensionem, dum uiam iustitiæ Iudæis errantibus aperire conatur, de pinna templi præcipitatus alliditur, effusumque fullonis fuste cerebrum, spiritum reddidit, sepultusque est in monte Oliueti, in memoriam, quam sibi ipse prius fabricauerat, et in qua Zacchariam ac Symeonem sepelierat. Hæc de apostolo Iacobo.

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Cette localisation d’un tombeau au pied du Mont des Oliviers est documentée dès Hégésippe 81, qui situe la tombe de Jacques à l’aplomb de l’Ophel, qui est décrit comme le « pinacle du Temple ». C’est une tombe ancienne, de forme pyramidale, qui a frappé la curiosité des pèlerins et qui fut dévolue au rôle de « tombe de Jacques ». Le corps fut « retrouvé » dans les années 350 par un moine qui bénéficia d’une vision, Épiphane, qui le transféra le 1er décembre 351 à Jérusalem, avant que Cyrille de Jérusalem ne le redépose dans une basilique édifiée sur le lieu de la découverte. Il fut ensuite de nouveau transporté à Jérusalem sous Justin II, tandis qu’une partie des reliques furent envoyées à Rome au pape Pélage Ier où elles furent placées dans une basilique dédiée aux Saints-Apôtres 82. À partir de cette époque, son culte fut lié irrémédiablement dans le monde latin à celui de Philippe 83 et les deux apôtres furent fêtés ensemble. On opta pour la légende du martyre de Philippe, et les deux furent associés comme deux frères martyrs : mentes uestras adore gemine dilectionis inflammet, « que votre esprit soit enflammé de l’ardeur jumelle de leur amour » dit le Canterbury Benedictional 84 du XIe siècle. Toutes ces données ont été ratifiées par le Martyrologe Romain de César Baronius 85 qui fixe en quelque sorte la position de l’Église catholique. La position de Jérôme devint tellement la position occidentale 86 qu’elle fut même acceptée par les Réformés en Europe, comme on peut le voir dans le Book of Common Prayer qui ne prévoit pas de célébration pour Jacques frère du Seigneur mais place une « saints-Philippe-et-Jacques » au 1er mai où on lit l’épître de Jacques. Si l’on fait exception du Sic et Non d’Abélard, qui avait bien vu la difficulté 87, ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’on cessa ces assimilations, en 81. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, XXIII, 19. 82. R. PLOTINO, « Giacomo Il Minore », Bibliotheca Sanctorum, vol. 6, Roma, Città Nuova, 1966, p. 402-410. 83. Els ROSE, Ritual Memory : the Apocryphal Acts and Liturgical Commemoration in the Early Medieval West (c. 500-1215) (Mittellateinische Studien und Texte 40), Leiden, Brill, 2009, p. 125-129. 84. Cité par Els ROSE, Ritual Memory…, p. 149. 85. Natalis beatorum Apostolorum Philippi et Iacobi : […] Iacobi uero, qui et frater Domini legitur, et primus Hierosolymorum episcopus, e pina templi præcipitatus, confractis cruribus, ac fullonis fuste in cerebro percussus interiit, ibique non longe a templo sepultus est. CESAR BARONIUS, Martyrologium romanum ad nouam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ ueritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise), Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 191. 86. J. PAINTER, Just James…, p. 295-297. 87. Abélard consacre plusieurs questions au cas de Jacques. Q. XCIX : Quod Iacobus Iustus, Frater Domini, filius fuerit Ioseph sponsi Mariæ et contra. Q. C. Quod Iacobus iustus, frater domini, primus fuerit episcopus Hierosolymæ et contra. CI. Quod Iacobus

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particulier avec le travail de Herder 88, Briefe Zweener Brüder Jesu in unserem Kanon (1775) qui reprend l’hypothèse d’Épiphane, puis ceux de Blom, De τοῖς ἀδελφοῖς et ταῖς ἀδελφαῖς τοῦ Κυρίου 89 (1839) et de Philipp Schaff, Das Verhältniß des Jakobus Bruders des Herrn zu Jakobus Alphäi 90 (1842). Il semble qu’actuellement le consensus soit de considérer que les frères et sœurs de Jésus étaient les enfants de Joseph et Marie 91, même si on ne voit pas bien quel est l’argument qui permettrait de trancher entre cette option et l’option épiphanienne qui a le mérite de l’ancienneté 92. Bien plus, la référence de Jésus comme « le fils de Marie » et non de Joseph de Mc 6, 3 plaiderait plutôt en faveur de cette dernière, puisque l’expression semble distinguer entre le fils que Joseph a eu de Marie, d’avec les enfants qu’il a eu avec une autre femme 93. B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Comme on le constate souvent dans cet ouvrage, le recours par l’iconographie permet souvent de résumer toute une histoire de la réception. Dans le cas de Jacques d’Alphée, celle-ci est éloquente. Jacques le Mineur est représenté parfois en costume épiscopal, car il passait pour le premier évêque de Jérusalem ou pourvu d’un bâton de foulon, une sorte de massue recourbée. Ultime confusion, il est souvent confondu avec Jacques le Majeur, beaucoup plus populaire que lui : le bâton du foulon devient souvent le bourdon du pèlerin 94. En bref, assimilé au frère du Seigneur, il est iustus, frater domini, primam de VII canonicis epistolam scripserit et contra. ABÉLARD, Sic et Non, quæstiones 99-101. Peter Abailard Sic et Non. A Critical Edition, B. B. BOYER et R. MCKEON (éd.), Chicago/London, University of Chicago Press, 1977, p. 330-333. 88. J. HERDER, Briefe Zweener Brüder Jesu in unserem Kanon, Lemgo, Meyer, 1775. 89. A. BLOM, Disputatio Theologica Inauguralis de τοῖς ἀδελφοῖς et ταῖς ἀδελφαῖς τοῦ Κυρίου, quam - pro gradu Doctoratus - publico ac solemni examini submittit Abraham Hermanus Blom, Roterodamensis, S.S. Ministerii Gandidatus, Lugduni Batauauorum (Leyde), S. et I. Luchtmans, 1839. 90. P. SCHAFF, Das Verhältniß des Jakobus Bruders des Herrn zu Jakobus Alphäi, Berlin, Wohlgemuth, 1842. La conclusion de Schaff est très claire : Nach dem Verlaufe dieser dreifachen Untersuchung gehört es wenigstens nach meiner Ansicht zu den ausgemachten Dingen, daß Jakobus ein leiblicher Bruder des Herrn und keiner der zwölf Apostel war (ibid., p. 90). 91. J. PAINTER, Just James…, p. 208-220. 92. R. BAUCKHAM, Jude and the Relatives of Jesus in the Early Church, London/ New York, T & T Clark International, 1990, p. 19-36. 93. R. BAUCKHAM, « The Brothers and Sisters of Jesus : An Epiphanian Response to John P. Meier », Catholic Biblical Quarterly 56 1994, p. 686-700. 94. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, t. II, Paris, PUF, 1959, p. 703.

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assimilé avec Jacques le Majeur : ainsi s’achève toute une histoire d’expropriations. Pour autant, l’étude de sa figure n’est pas sans intérêt, car elle est révélatrice de la force des opinions théologiques, et plus exactement disciplinaires, dans la réception des figures apostoliques. C’est en effet le regard porté sur la chasteté et le mariage qui expliquent la différence entre l’Orient, qui admet un remariage de Joseph et la dualité des figures, et l’Occident, qui unit les trois figures en une seule. Origène l’avait déjà vu : en ces matières, c’est plus les raisons doctrinales que les traditions historiques qui ont de l’influence. Quant aux frères de Jésus, certains prétendent, en s’appuyant sur l’évangile intitulé « selon Pierre », ou sur le livre de Jacques, qu’ils seraient les fils de Joseph, nés d’une première femme qu’il aurait eue avant Marie. Les tenants de cette théorie veulent sauvegarder la croyance en la virginité perpétuelle de Marie, n’acceptant pas que ce corps, jugé digne d’être au service de la parole disant « l’Esprit de sainteté viendra sur toi et la puissance du TrèsHaut te couvrira de son ombre », connût la couche d’un homme après avoir reçu « l’Esprit de sainteté et la puissance descendue des hauteurs qui la couvrit de son ombre ». Pour moi, je pense qu’il est raisonnable de voir en Jésus les prémices de la chasteté virile dans le célibat, et en Marie celles de la chasteté féminine ; il serait en effet sacrilège d’attribuer à une autre qu’elle ces prémices de la virginité 95.

95. Τοὺς δὲ ἀδελφοὺς ᾿Ιησοῦ φασί τινες εἶναι, ἐκ παραδόσεως ὁρμώμενοι τοῦ ἐπιγεγραμμένου κατὰ Πέτρον εὐαγγελίου ἢ τῆς βίβλου ᾿Ιακώβου, υἱοὺς ᾿Ιωσὴφ ἐκ προτέρας γυναικὸς συνῳκηκυίας αὐτῷ πρὸ τῆς Μαρίας. Οἱ δὲ ταῦτα λέγοντες τὸ ἀξίωμα τῆς Μαρίας ἐν παρθενίᾳ τηρεῖν μέχρι τέλους βούλονται, ἵνα μὴ τὸ κριθὲν ἐκεῖνο σῶμα διακονήσασθαι τῷ εἰπόντι λόγῳ· «Πνεῦμα ἅγιον ἐπελεύσεται ἐπί σε καὶ δύναμις ὑψίστου ἐπισκιάσει σοι», γνῷ κοίτην ἀνδρὸς μετὰ τὸ ἐπελθεῖν ἐν αὐτῇ πνεῦμα ἅγιον καὶ τὴν ἐπεσκιακυῖαν αὐτῇ δύναμιν ἐξ ὕψους. Καὶ οἶμαι λόγον ἔχειν ἀνδρῶν μὲν καθαρότητος τῆς ἐν ἁγνείᾳ ἀπαρχὴν γεγονέναι τὸν ᾿Ιησοῦν, γυναικῶν δὲ τὴν Μαρίαν· οὐ γὰρ εὔφημον ἄλλῃ παρ’ ἐκείνην τὴν ἀπαρχὴν τῆς παρθενίας ἐπιγράψασθαι. ORIGÈNE, Commentaire sur Matthieu X, 17, trad. R. GIROD (SC 162), 1970, p. 216.

CHAP. 11

JUDE LE VECTEUR D’APOSTOLICITÉ Pourquoi écrire sur un apôtre inconnu 1 ? Lorsque, dans les années 630 à Édesse, ou autour du VIe siècle en Arménie, des auteurs voulurent écrire des actes qui mettaient en scène Jude-Thaddée, on pourrait penser qu’ils allaient se trouver bien en peine. Quelle figure donner à un apôtre dont on ne sait à peu près rien ? En effet, de tous les apôtres, Jude est certainement le plus mystérieux, celui qui échappe le plus à l’investigation. On ne peut même pas dire qu’il n’est qu’un nom, ce serait déjà trop précis : entre Jude, Thaddée, Lebbée, personne ne sait même comment se nommait cet apôtre. Tout au long de son histoire, on n’a cessé de le confondre avec d’autres : Simon, Thomas, Addaï. Pourtant, les Actes de Thaddée existent et le Martyre de Thaddée arménien se trouve dans les manuscrits : non seulement écrire sur un inconnu a été possible, mais encore, cela a pu faire sens à un certain moment de l’histoire de la tradition des apôtres. I. L E

FAU TEUIL HANTÉ DU DIXIÈME APÔTRE

Les Actes de Thaddée et le Martyre de Thaddée arménien sont des écrits tardifs puisqu’on les date du VIIe siècle pour les uns, des Ve-VIIe siècles pour l’autre. Ces deux ouvrages viennent après une longue histoire littéraire où les interrogations sont plus nombreuses que les réponses. C’est à bon droit que, depuis Brigitte de Suède (1302-1373), Jude est devenu le patron des causes désespérées 2, au point que même John P. Meier s’en désole 3 : dès les 1. Ce chapitre reprend une version modifiée de « Jude l’obscur ou comment écrire les Actes d’un apôtre inconnu », Apocrypha 20, 2010, p. 192-215. 2. Le culte de Jude semble avoir été important à partir du XIVe siècle, à la suite d’une révélation de Brigitte de Suède. L. RÉAU, Iconographie de l’art chrétien, vol. 3.2, Paris, PUF, 1955, p. 765. Cette dévotion est actuellement très représentée aux ÉtatsUnis, après que les Clarétins eurent déposé une relique (l’avant-bras) provenant d’Arménie dans le Saint Jude Thaddeus National Shrine de South Ashland Avenue à Chicago en 1929. Des neuvaines recueillent depuis lors une constante ferveur. R. A. ORSI, Thank You, St. Jude : Women’s Devotion to the Patron Saint of Hopeless Causes, New Haven, Yale University Press, 1998. 3. « Dans la piété plus tardive, “Judas Thaddée” était invoqué comme le saint de l’impossible. Il continue à remplir ce rôle en réalisant l’impossible puisqu’il oblige les critiques du Nouveau Testament à admettre : “Nous ne savons pas.” » J. P. MEIER,

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années 60 et le début de l’écriture du Nouveau Testament, personne ne savait plus qui il était. A. Trois noms pour une place, cinq candidats pour un nom Dès les années 60-80 une question se pose : qui est exactement le titulaire du dixième fauteuil des Douze ? En effet, les candidats se pressent. Pour Marc (Mc 3, 18), il s’agit de Thaddée (Θαδδαῖος) ; Luc lui donne la onzième place (il l’intervertit avec Simon le Zélé) et le nomme « Judas de Jacques » (Lc 6, 16 et Ac 1, 13 : Ἰούδας Ἰακώβου) ; Jean, qui n’a pas de liste d’apôtres, mentionne sa présence au Dernier Repas en précisant bien qu’il s’appelait Judas, mais qu’il ne fallait pas le confondre avec l’Iscariote ( Jn 14, 22 : Ἰούδας, οὐχ ὁ Ἰσκαριώτης). Le texte de Matthieu (10, 3) est difficile à fixer. La majorité des manuscrits désignent l’apôtre sous le nom de Thaddée, comme chez Marc. Toutefois, les recensions byzantines l’appellent Lebbée (Λεββαῖος) et certains témoins portent même Λεββαῖος ὁ ἐπικληθεὶς Θαδδαῖος 4. La Vetus Latina a encore plus d’hésitations. Certains copistes, sans doute troublés par le texte de Luc qui mettait Simon à la dixième place, intervertissent leurs surnoms et précisent Iudas Zelotes et Simon Cananeus : c’est Jude qui devient le Zélé et Simon qui est le Cananéen 5 ; d’autres portent Thaddeus 6 ; d’autres enfin portent Lebbeus 7 ou Iebdæus 8, voire la version harmonisante Lebbeus qui nominatur Thaddeus 9. La Vulgate porte uniformément Thaddæus, parce que Jérôme s’est rendu compte de la difficulté, qu’il résout, comme le fera Augustin, en concluant au trinominisme et en adoptant le nom de Thaddée 10. Un Certain Juif Jésus (Lectio Divina), trad. Ch. Ehlinger et N. Lucas, Paris, Cerf, 2005, p. 134. 4. C*2, L, W, Θ, f1, 13, 33, 346, 543, 1006, 1342, 1506. D, K et μ ne portent que Λεββαῖος. Comme le remarque Zahn, il s’agit probablement d’une version harmonisante, car Mt utilise communément ὁ λεγόμενος : T. ZAHN, Das Evangelium des Matthäus (Kommentar zum neuen Testament 1), Leipzig, Deichert, 1922, p. 393. Il est à noter que cette leçon est celle du textus receptus d’Estienne (et de Scrivener) repris par le texte byzantin. 5. Il s’agit de a (Vercellensis), b (Veronensis), g1 (Sangermanensis 15), h (Claromontanus), et q (Monacensis, CLM 6224) selon A. JULICHER, Itala. Das neue Testament in altlateinischer Überlieferung, vol.1, Berlin/New York, 1972, ad. loc. 6. aur (Aureus holmiensis), c (Colbertinus), ff1 (Corbeiensis), l (Rehdigeranus). 7. d (Bezæ Cantabrigensis), μ (fragment de Monacenses). 8. Il s’agit de l’afra k (Bobbiensis), qui porte Iebbacus corrigé en Iebdæus. 9. f (Brixianus). 10. JÉRÔME DE STRIDON, In Matth. I, 1520, éd. D. HURST et M. ADRIAEN (CCSL 77), 1969. Thaddæum apostolum ab euangelista Luca dicitur Iudam Iacobi […] alibi appellatur Lebæus quod interpretatur corculum ; credendum est eum fuisse trinomium, « L’apôtre Thaddée est nommé Jude de Jacques par l’évangéliste Luc […], il est appelé ailleurs Lebbé, ce qui se traduit par “petit cœur” : il faut croire qu’il avait trois noms. » AUGUSTIN, De Cons. Evang. II, 30, éd. F. WEIHRICH (CSEL 43), 1904,

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Les questions se compliquent encore lorsqu’on prend en compte les autres Jude dans les textes bibliques. 1° le Jude de la famille de Jésus, décrit comme « fils de Marie, et frère de Jacques, Joset, Jude et Simon 11 » ; 2° l’auteur de l’épître de Jude se présentant comme « Jude, serviteur de Jésus Christ, frère de Jacques 12 » ; 3° le Jude dit Barsabbas envoyé à Antioche par l’Église de Jérusalem en compagnie de Silas pour apporter, de concert avec Barnabé et à Paul, la lettre de conclusion de l’« Assemblée de Jérusalem » (Ac 15, 22.27.32). Si l’identification avec le troisième personnage n’a jamais été faite – le surnom « Barsabbas » permet clairement de distinguer ce Jude des autres 13 –, les Pères – et après eux tous les exégètes jusqu’au XIXe siècle 14 – ont procédé à l’identification entre les deux premiers et l’apôtre. En effet, il était tentant d’assimiler Ἰούδας Ἰακώβου, qui signifie « Jude fils de Jacques » et Ἰούδας ἀδελφὸς Ἰακώβου. Hégésippe, rapporté par Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. III, 19-20), procède déjà clairement à cette identification. Jean Chrysostome l’appelle « Jude frère de Jacques15 » et Jérôme dans la Vie des Hommes illustres également 16. La majorité des Pères qui ont traité de l’épître de saint Jude le nomment « apôtre »,

p. 175 : Lucas a Matthæo non discrepat, nisi in nomine Iudæ Iacobi, quem Matthæus Thaddæum appellat. Nonnulli autem codices habent Lebbæum. Quis autem unquam prohibuerit duobus uel tribus nominibus hominem unum uocari ? « Luc ne s’éloigne pas de Matthieu, si ce n’est sur le nom de Jude de Jacques que Matthieu appelle Thaddée. Certains codex ont Lebbée. Mais qui a jamais interdit qu’un seul homme soit appelé de deux ou trois noms ? » 11. Mc 6, 3 : ὁ υἱὸς τῆς Μαρίας καὶ ἀδελφὸς Ἰακώβου καὶ Ἰωσῆτος καὶ Ἰούδα καὶ Σίμωνος. 12. Jud 1, 1 : Ἰούδας Ἰησοῦ Χριστοῦ δοῦλος, ἀδελφὸς δὲ Ἰακώβου. 13. C’est la conclusion de la majorité des exégètes. Voir E. HAENCHEN, Die Apostelgeschichte (Meyers KeK 3.14), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 51965, p. 393, n.2. Le nom Βαρσαββᾶς est assez fréquent dans le judaïsme hellénistique pour désigner ceux qui sont nés un jour de sabbat. Voir L. FUCHS, Die Juden Ägyptens in ptolemäischer und römischer Zeit, Wien, Rath, 1924, p. 140-153. 14. Comme à l’accoutumée, le meilleur résumé de la position « classique » se trouve chez L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, Paris, Robustel, vol. 1, 1693, p. 426-431 et p. 682-684. L’ensemble des documents se retrouve dans J. VAN HECKE, « De Sancto Thadæo Apostolo qui et Judas », Acta Sanctorum Octobris 12, Bruxelliis, Vromant, 1867, p. 437-467. 15. JEAN CHRYSOSTOME, Homélie III sur les Actes des Apôtres 1 et 2. 16. JÉRÔME DE STRIDON, De Viris Inl., éd. E. RICHARDSON (TU 14.1), Leipzig, Hinrich, 1896, p. 9. Iudas, frater Iacobi parvam, quæ de Septem Catholicis est, epistolam reliquit. Et quia de libro Enoch, qui apocryphus est, in ea assumit testimonium a plerisque reicitur ; tamen auctoritatem a uetustate iam et usu meruit, et inter Sanctas Scripturas computatur. « Judas, frère de Jacques, laissa une petite épître qui fait partie des sept [épîtres] catholiques. Parce qu’elle assume le témoignage du livre d’Énoch qui est apocryphe elle fut rejetée par plusieurs. Cependant elle a déjà mérité son autorité par son ancienneté et son usage, et a été comptée parmi les Saintes Écritures. »

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ratifiant indirectement l’assimilation qu’ils font 17. Il en va de même pour les conciles dont celui de Rome (en 382 : Decretum Damasi) et celui de Carthage (en 397 : Canon 24) 18. Après eux, tous les exégètes jusqu’au XIXe siècle adoptent cette vision 19. Depuis les années 1820, et en particulier depuis l’ouvrage d’Adam Jessien 20, le doute s’est installé. Jessien en effet, après une longue enquête, tant en hébreu qu’en grec, soutient que Ἰούδας Ἰακώβου n’a jamais pu signifier Ἰούδας ἀδελφὸς Ἰακώβου mais uniquement Ἰούδας ὑιὸς Ἰακώβου. Il remarque par ailleurs que, dans le Nouveau Testament, l’omission du lien de famille signifie toujours la paternité, et que la fraternité est toujours indiquée par l’emploi du terme ἀδελφός. Il remarque : « Que dire du fait que l’apôtre Jude, alors que les occasions ne manquaient pas, n’a jamais été appelé expressis verbis « frère de Jacques » dans le Nouveau Testament 21 ? » Et il conclut : « Je ne peux m’empêcher de traduire […] les mots Ἰούδας Ἰακώβου par « Jude fils de Jacques. 22 » » L’apôtre Jude n’est donc pas le Jude frère de Jacques et donc « frère du Seigneur » de Mc 6, 3, il est simplement fils d’un autre Jacques. La parenté des noms ne doit pas nous étonner. Après tout, Jacob et Judas étaient des noms de patriarches, fort courants à l’époque dans les milieux juifs puisqu’on connaît au moins 179 personnes portant ce nom dans nos sources 23. B. Combien y a-t-il de Jude (s) ? Si l’apôtre n’est pas le frère de Jacques, les questions se multiplient. 1° le dixième apôtre s’appelle-t-il Thaddée, Lebbée ou Jude ? – La première partie de la question est assez facile à trancher. Comme l’explique Bruce Metzger, la leçon « Thaddée » semble plus probablement être fidèle

17. AUGUSTIN, Traité 76 sur Jean, 1 ; ORIGÈNE, De Principiis III, 2 ; In Matth. X, 17. 18. Le Decretum Damasi fixe la liste des livres bibliques et distingue entre Paul, qu’il ne nomme pas apôtre, et Jude nommé « apôtre » : manifestement, « apôtre » a le sens de « membre des Douze » (Denzinger, § 179) ; le Concile de Carthage nomme Jude et Paul « apôtres » (Denzinger, § 186). 19. Voir R. J. BAUCKHAM, « The Letter of Jude. An Account of Research », in W. HAASE (éd.), Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.5, Berlin/New York, De Gruyter, 1988, p. 3791-3826 (ici 3815) qui fait la revue de la bibliographie. 20. H. JESSIEN, De Αὐθεντίᾳ Epistulæ Judæ, Lipsiæ (Leipzig), Barth, 1821. Jessien présente tous les arguments qui vont devenir classiques. 21. Quid uero dicam de eo, quod apostolus Iudas, quamquam occasio non deerat, nusquam tamen in N. T. frater Jacobi expressis verbis vocatur. H. JESSIEN, De Αὐθεντίᾳ…, p. 30. 22. « equidem non possum quin […] verba Ἰούδας Ἰακώβου vertam “Judas filius Jacobi” ». H. JESSIEN, De Αὐθεντίᾳ…, p. 31. 23. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002.

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au texte originel que la leçon « Lebbée », pour des raisons statistiques 24. Le nom de Lebbée est probablement une leçon harmonisante pour inclure Lévi au nombre des apôtres. Selon Barnabas Lindars 25, cette variation a dû être introduite fort tôt, peut-être dans un milieu parlant latin : la graphie Lebbæus est plus vraisemblable en latin qu’en grec. Elle était connue d’Origène, qui semble la remettre en doute dans un passage du Contre Celse dans lequel il entend réfuter l’idée que de nombreux publicains suivaient Jésus 26. Thaddée s’appelait donc bien Thaddée et non Lebbée. Pour la seconde partie de la question, la tradition des Pères a été longtemps suivie par les commentateurs modernes. Jusqu’aux années 1960, tous les exégètes, dont Lagrange et Jeremias 27, s’inspirent de Dalman 28 et affirment que l’apôtre avait deux noms. Judas est le nom d’origine araméenne, tandis que Thaddée vient de Θευδᾶς, le diminutif bien connu 29 de Θεοδόσιος ou de Θεόδωρος, qui consone avec l’hébreu ‫אדדת‬, « mamelle ». Puis vint le doute : Schürmann prétendit que si tel était le cas, on n’aurait pas utilisé l’expression « fils de Jacques » pour le distinguer du traître puisqu’il avait deux noms 30. L. T. Johnson se borne à ironiser et à dire qu’il est unlikely that the same person had all three names et que cela prouve que les noms des apôtres étaient déjà oubliés du temps de Luc 31. Ces arguments ne semblent pas très décisifs, face à l’abondance des personnages dont on connaît deux noms. L’habitude d’un double patronyme, extrêmement fréquente pour marquer l’importance des personnages de l’Ancien Testa-

24. B. METZGER, A Textual Commentary on the Greek New Testament, London/ New York, United Bible Society, 1971, p. 26. Le principal exégète à maintenir Lebbée sur la foi des recensions byzantines est Zahn (T. ZAHN, Das Evangelium…, p. 393) qui indique que ce nom pourrait provenir de la ville de Lobba en Galilée dont Pline parle dans son Histoire naturelle (5, 19). 25. B. LINDARS, « Matthew, Levi, Lebbaeus and the Value of the Western Text », New Testament Studies 4, 1957-1958, p. 220-222. 26. Contre Celse I, 62 : « Admettons que Lévi le Publicain ait aussi suivi Jésus, mais il n’était pas du nombre des apôtres, sauf d’après certains manuscrits de l’Évangile selon Marc », ἔστω δὲ καὶ ὁ Λευὴς τελώνης ἀκολουθήσας τῷ Ἰησου· ἀλλ᾽ οὔτι γε τοῦ ἀριθμοῦ τῶν ἀποστόλων αὐτοῦ ἧν εἰ μὴ κατά τινα τῶν ἀντιγράφων τοῦ κατὰ Μάρκον εὐαγγελίου. 27. J. JEREMIAS, Jesus als Weltvollender, Gütersloh, Bertelsmann, 1930, p. 71, n.4 ; M.-J. LAGRANGE, Évangile selon saint Marc (Études bibliques), Paris, Gabalda, 41942, p. 67. 28. G. DALMAN, Die Worte Jesu, Leipzig, Hinrich, 1930, p. 40. 29. On le trouve en particulier dans les archives de Babatha (P. Yadin 14, 20). 30. H. SCHÜRMANN, Das Lukasevangelium I (Herders Theologischer Kommentar zum Neuen Testament 3), Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1969, p. 317 note 49. Il est suivi par F. BOVON, L’Évangile selon Luc (Commentaire du Nouveau Testament 2.3a), vol. 1, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 277. 31. L. T. JOHNSON, The Gospel According to Luke I-IX (Anchor Bible 28), New York, Doubleday, 1981, p. 620.

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ment 32, semble s’être conservée dans l’hellénisme et avoir été répandue dans le milieu de Jésus 33 : Jude Barsabbas, Saül Paul, Simon Pierre, Jean Marc. Il semble que l’on avait un nom hébreu, et un « alias pour les Gentils 34 ». L’étude des ossuaires va parfaitement dans ce sens, comme le montre L. Y. Rahmani 35 : on a pu découvrir un Jude appelé Jason (n°477), un Nathanaël-Théodote (n°789), une Sara-Aristobula (n°95). Pourquoi pas Jude Thaddée ? 2° l’apôtre Jude est-il le même que le frère de Jacques ? – Les arguments de Jessien, très repris depuis, semblent définitifs. Jude ne pouvait pas être à la fois le frère et le fils de Jacques. Il convient donc de séparer nettement les deux personnages. Cette option rend encore plus obscur le destin du dixième apôtre. En effet, alors qu’on connaît quelques éléments de la vie de Jude frère de Jacques, on ne sait absolument rien de l’apôtre. On sait en effet deux choses sur le frère de Jacques. (α) Jude pourrait être l’auteur de l’épître de Jude. Les arguments traditionnels pour la pseudonymie sont finalement assez peu convaincants36. On a prétendu que le nom de Jude n’était pas assez important et qu’il avait donc besoin du patronage de Jacques ; outre que cette obscurité reste à démontrer, l’argument tendrait plutôt à prouver le contraire : qui aurait intérêt à se faire passer pour quelqu’un sans intérêt ? On a également invoqué le « trop bon grec » de l’épître de Jude. Là encore, il faudrait s’entendre sur ce qu’est le « bon grec » : les mêmes exégètes qui tiennent ce discours insistent souvent sur les « aramaïsmes » de la langue de Jude. En outre, qu’est-ce qui exclut l’usage d’un secrétaire, dont il semble démontré que Paul lui-même, censé écrire un « bon grec », faisait usage 37 ? On a enfin invoqué l’existence d’opposants « gnostiques » qui contraindraient à une datation tardive. Il semble au contraire qu’il ne s’agit pas de gnose, mais de spéculations fondées sur la littérature intertestamentaire assez fréquentes dans le judaïsme du Second Temple et cadrant parfaitement avec le milieu de la communauté juive chrétienne de Jérusalem. (β) Jude aurait compté au nombre des leaders de la communauté de Jérusalem. En effet, si Jude, comme les autres frères de Jésus, ne semble pas avoir fait partie de ceux qui le sui32. D. GLATT-GILAD, « The Personal Names in Jeremiah as a Source for the History of the Period », Hebrew Studies 41, 2000, p. 33. 33. R. BAUCKHAM, Jesus and the Eyewitnesses : The Gospels as Eyewitness Testimony, Grand Rapids (MI), Eerdmans, 2006, p. 100-101. 34. W. RAMSAY, Saint Paul the Traveler, London/New York, Hodder & Stoughton/Putnam, 81908, p. 81. 35. L. Y. RAHMANI, A Catalogue of Jewish Ossuaries in the Collections of the State of Israel, Jerusalem, Israel Antiquity Authority/Israel Academy of Science and Humanities, 1994. 36. On en trouve la revue dans R. BAUCKHAM, « The Letter of Jude… ». 37. E. R. RICHARDS, The Secretary in the Letters of Paul (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 41), Tübingen, Mohr Siebeck, 1991.

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vaient durant sa vie (Mt 13, 55), ils ont joué un rôle après la Résurrection (Ac 1, 14) et devinrent même des missionnaires itinérants si l’on en croit Paul (1Co 9, 5, cette référence concerne même sans doute davantage Jude que Jacques). Cette remarque est confirmée par Julius Africanus, un historien du IIIe siècle, qui prétendait, selon Eusèbe de Césarée (Hist. Eccl. I, 7, 14) que les frères de Jésus ont répandu l’Évangile tout autour de la Palestine, de Nazareth à Kokaba 38. Jude frère du Seigneur devait avoir assez de renom pour que ses petits-enfants aient encore suffisamment d’importance pour être convoqués devant l’Empereur Domitien (selon Hégésippe, rapporté par Eusèbe Hist. Eccl. III, 19-20). Pour autant, l’opinion selon laquelle ce Jude pourrait avoir été le second successeur de Jude à la tête de la communauté de Jérusalem 39 cadre mal avec les listes épiscopales, dont Simon C. Mimouni a accrédité la véracité historique 40. En effet, là encore, il faudrait expliquer pourquoi le Jude fils de Jacques qui a dirigé la communauté chrétienne de 107-108 à 111-112 aurait besoin de se nommer frère de Jacques dans l’adresse de son épître. Rien ne s’oppose donc à ce que l’auteur de l’épître de Jude soit le frère même de Jacques 41, qui faisait sans doute partie des dirigeants de la communauté judéenne de Jérusalem par la vertu de ce que le même Simon Mimouni nomme la « succession dynastique » de Jésus 42. II. L’ ILLUSTRE

INCONNU DE S PREMIER S SIÈCLES

Si l’on a rappelé les résultats de la recherche contemporaine, il faut bien se souvenir que les Anciens n’étaient pas aussi précis et confondaient habi38. Il est plus vraisemblable de voir dans ce Kokaba la Kaukab de Galilée (Kaukab Abu al-Hija, NO de Tzippori) que la Kaukab de Transjordanie, mais cela n’est pas certain. 39. Voir en particulier B. H. STREETER, The Primitive Church, London, Macmillan, 1929, p. 178-180 ; A. ADAM, « Erwägungen zur Herkunft der Didache », Zeitschrift für Kirchengeschichte 68, 1957, p. 1-47 (46) ; G. KLEIN, Die Zwölf Apostel : Ursprung und Gehalt einer Idee (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament 77), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1961, p. 100. 40. S. C. MIMOUNI, « La tradition des évêques chrétiens d’origine juive de Jérusalem », in F. YOUNG, M. EWARDS, p. PARVIS (éds.), Studia Patristica XL, Leuven/Paris/ Dudley (MA), Peeters, 2006, p. 447-466. 41. C’est la these de R. BAUCKHAM, Jude 2Peter, Word Biblical Commentary 50, Waco (TX), Word Books, 1983, p. 16. Plus récemment : W. F. BROSEND II, James & Jude, Cambridge, Cambridge University Press, New Cambridge Bible Commentary, 2004, p. 5-6. 42. S. C. MIMOUNI, « La tradition de la succession “dynastique” de Jésus », in B. CASEAU, J.-Cl. CHEYNET et V. DÉROCHE (éds.), Pèlerinages et lieux saints dans l’Antiquité et le Moyen Âge (Monographies 23, FS P. Maraval), Paris, Centre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance, 2006, p. 291-303.

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tuellement Jude l’apôtre et Jude le frère de Jacques, tout en s’interrogeant sur Thaddée. Lorsqu’on essaie de comparer ce que disent de Jude les écrivains ecclésiastiques, on s’aperçoit en effet que l’on se trouve confronté à une tradition composite, parfois contradictoire, et qu’il est bien difficile de démêler l’écheveau : Jude a en effet été l’objet d’un certain nombre de confusions. Voici une proposition partielle de reconstruction de la tradition 43. L’apôtre Jude ne semble pas avoir laissé beaucoup de traces dans les mémoires collectives. Il est cité dans l’Épître des Apôtres qui date probablement du IIe siècle 44 et déjà commence une certaine confusion puisqu’on le nomme « Jude le Zélé », en l’assimilant à Simon, qui disparaît de la liste. 1. Jude Thomas. – Dans la tradition syriaque, il semble s’être confondu avec Thomas. En effet, puisque tomas signifie « jumeau » (à l’instar de Didyme), Jude frère de Jacques frère du Christ a souvent été assimilé à Thomas pour en faire le frère jumeau du Christ 45, une confusion souvent faite dans les milieux encratistes comme nous l’avons vu 46. L’Évangile de Thomas se borne à le nommer « Judas fils de Jacques », mais la dénomination « Judas Thomas » se retrouve dans tout le cycle thomasien, aussi bien les Actes de Thomas (1, 11) que le Livre de Thomas (NH II, 7). Il semble également que le ⲓⲟⲩⲇⲁⲥ du Dialogue du Sauveur (125, 4b) soit également Thomas 47. Le relatif anonymat de Jude semble s’être perpétué dans la tradition alexandrine et dans le christianisme éthiopien qui l’a recueillie puisque le Livre de la Résurrection de Barthélemy 18, 4 se borne à citer un « Jude fils de Jacques » qu’il compare à un Thaddée. 2. La tradition d’Eusèbe. – Au IVe siècle, Eusèbe de Césarée (v. 325) rapporte une légende qui va se révéler décisive dans la construction de la figure de Jude : la correspondance entre Abgar et le Christ 48 et le rôle de Thaddée dans l’évangélisation d’Édesse (CANT 88 = BHG 1704.1). 43. On trouve un bon résumé de la tradition dans C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, 2002, p. 61-71. 44. 160-170 selon C. SCHMIDT, Gespräche Jesu mit seinen Jüngern nach der Auferstehung (Texte und Untersuchungen 43), Leipzig, Hinrich, 1919. C’est l’option de Jacques-Noël PÉRÈS, L’Épître des Apôtres (Apocryphes 5), Turnhout, Brepols, 1994. 45. H. KOESTER, « ΓΝΟΜΑΙ ΔΙΑΦΟΡΟΙ, The Origin and Nature of Diversification in the History of Early Christianism », in J.-M. ROBINSON et H. KOESTER (éds.), Trajectories through Early Christianity, Philadelphia (PA), Fortress, 1971, p. 133-134. A. F. J. KLIJN, « John xiv 22 and the Name of Judas Thomas », in J. N. SEVENSTER (éd.), Studies in John (Novum Testamentum Supplements 24), Leiden/Köln, Brill, 1970, p. 88-96. 46. J. J. GUNTHER, « The Meaning and Origin of the Name “Judas Thomas” », Le Museon 93, 1980, p. 113-148. 47. P. LÉTOURNEAU, Le Dialogue du Sauveur (NH III, 5) (Bibliothèque copte de Nag Hammadi 29), Québec, Presses Université Laval, 2003, p. 152. 48. BHG 1704.1.

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Addaï, missionné par Jude Thomas, aurait été le porteur de lettres d’une correspondance entre le Christ et le roi d’alors, Abgar V le Noir, qui fut guéri de sa maladie par cette correspondance49. De manière inexplicable, Eusèbe, qui rapporte l’histoire, nomme Addaï Thaddée et le range au nombre des soixante-dix disciples (Hist. Eccl. I, 12, 2 et I, 13, 4) qui furent envoyés en mission deux par deux (Lc 10, 1). On ne sait si ce changement de nom provient directement d’Eusèbe ou s’il était déjà fait dans le document qu’il avait sous les yeux. Il écrit en effet : On a de cela le témoignage écrit, emprunté aux archives d’Édesse qui était alors une ville royale : c’est en effet dans les documents publics du pays, qui contiennent les actes anciens et ceux du temps d’Abgar, que l’on trouve cette histoire conservée depuis lors jusqu’à présent. Il n’y a rien de tel que de prendre connaissance des lettres elles-mêmes empruntées par nous aux archives et traduites littéralement du syriaque en ces termes50.

Cette notice est assez curieuse par son insistance à vouloir prouver la crédibilité de ce qui va être dit. La fiabilité de la conservation est évoquée plusieurs fois : on parle d’archives (γραμματοφυλακεῖον) d’une ville dont on nous dit au passage qu’elle est βασιλευομένη, « royale » comme pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’archives provinciales ; on parle de « documents publics » (δημοσίοις χάρταις) c’est-à-dire contrôlés directement par le δῆμος, d’« actes » (πραχθέντα, on souligne le caractère administratif ), conservés « depuis lors jusqu’à présent » (εἰς ἔτι νῦν) pour bien en souligner la permanence et l’ancienneté ; et enfin on insiste particulièrement sur le caractère littéral de la traduction (τὸνδε αὐτοῖς ῥήμασιν ἐκ τῆς Σύρων φωνῆς μεταβληθεισῶν τὸν τρόπον). Eusèbe n’invente pas cette tradition, qui a dû naître avant lui et entend bien le faire savoir. De quand date-t-elle ? Deux opinions s’affrontent 51. (α) La première, que l’on retrouve chez Lipsius, Tixeront et Burkitt, rapporte qu’elle naît au cours du IIIe siècle dans la capitale de l’Osroène avant la disparition de la monarchie en 244 52. Au cours du règne d’Abgar VIII le Grand (177-212) – 49. Édesse semble avoir été l’un des grands centres thérapeutiques de la région, comme le prouvent de nombreux temples puis de nombreuses écoles médicales. J. B. SEGAL, Edessa « the Blessed City », Oxford, Oxford University Press, 1970, p. 72. 50. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. I, 13, 5, trad. G. BARDY (SC 31), 1952, p. 41. 51. Résumé et arguments dans S. BROCK, « Eusebius and Syriac Christianity », in H. W. ATTRIDGE et G. HATA (éds.), Eusebius, Christianity, and Judaism, Detroit (MI), Wayne State University Press, 1992, p. 212-234. 52. R. A. LIPSIUS, Die edessenische Abgar-Sage kritisch untersucht, Braunschweig, Schwetschke, 1880, p. 24 ; L.-J. TIXERONT, Les Origines de l’Église d’Édesse et la légende d’Abgar, Paris, Maisonneuve et Leclerc, 1888, p. 14 et F. C. BURKITT, Early Eastern Christianity, Saint Margaret’s Lecture 1904 on the Syriac-speaking Church, London, Murray, 1904. On la retrouve, récemment, chez S. K. ROSS, Roman Edessa. Politics and Culture on the Eastern Fringes of the Roman Empire, 114-242 CE., London/New York, Routledge, 2001, p. 131.

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certains parlent de celui d’Abgar IX –, qui s’était converti au christianisme selon le Pseudo-Bardesane ou a permis une plus grande tolérance pour des raisons politiques selon d’autres 53, ce qui faisait de son royaume le premier royaume chrétien dans l’esprit des Anciens54, serait apparue une tradition de l’évangélisation de la ville. Celle-ci joignait la figure d’Addaï, qui pourrait être historique, et celle de l’apôtre Jude Thomas dont des reliques sont produites ainsi que des Actes. (β) La seconde opinion se trouve chez W. Bauer et H. J. W. Drijvers 55. Elle prétend que jusqu’aux Démonstrations d’Aphraate (v. 337-345), aux écrits d’Éphrem (mort en 373) et aux actes des martyrs chrétiens sous Shapour II (339-379), peu de documents sont vraiment fiables 56. Elle remarque en outre le grand silence qui entoure Addaï : si l’apôtre avait autant d’importance dans la ville, pourquoi la chronique d’Édesse ne le mentionne-t-elle pas ? Pourquoi Éphrem, qui a passé les dix dernières années de sa vie dans la ville n’en parle-t-il pas ? Pourquoi Égérie – qui connaît l’histoire d’Abgar et fournit même une version de la lettre – ne parle-t-elle que de Thomas lors de son passage à Édesse en 384 57 ? Face à ces arguments plutôt forts, il semble probable que la légende rapportée par Eusèbe provienne de groupes minoritaires qui entendaient se donner une origine apostolique et peut-être combattre la prédication 53. J. B. SEGAL, Edessa « the Blessed City »…, p. 72. 54. W. BALL, Rome in the East. The Transformation of an Empire, London, Routledge, 2000, p. 95. 55. W. BAUER, Rechtglaübigkeit und Ketzerei in ältesten Christentum, 1934, trad. fr. : Orthodoxie et Hérésie aux débuts du christianisme (Patrimoines christianisme), trad. P. VUAGNAT, C. et S. C. MIMOUNI, Paris, Cerf, 2009, p. 38-44. 56. Les arguments que l’on cite sont les suivants. (1) La Chronique d’Édesse mentionne l’existence d’une église chrétienne avant la grande inondation de 201, mais elle pourrait être interpolée ou plus probablement parler d’une autre inondation ; (2) Eusèbe de Césarée parle d’une réunion en Osroène (Hist. Eccl. V, 23, 4) mais pourrait être une interpolation, car elle n’est pas présente chez Rufin ; (3) dans une inscription funéraire, un certain Abercius prétend être allé jusqu’à Nisibe en rencontrant des chrétiens en chemin qui est fort vague (sur cette inscription : I. RAMELLI, « L’epitafio di Abercio, uno status quæstionis ed alcune osservazioni », Ævum 74, 2000, p. 191-205) ; (4) la mention de Julius Africanus conservée dans les Ecloga Chronographica de Georges Syncellus qui parle d’Abgar comme d’un ἱερὸν ἄνδρα (un homme saint) mais ne dit rien de son éventuelle conversion au christianisme ; (5) le Livre des Lois des pays d’un élève de Bardesane (§ 45) affirme la conversion d’Abgar mais a de fortes chances d’être interpolé ; (6) la Chronique d’Arbèles narre une histoire de la christianisation de l’Adiabène ressemblant fort à celle d’Édesse mais elle pourrait être fort bien une compilation médiévale (C. et F. JULLIEN, « La Chronique d’Arbèles. Propositions pour la fin d’une controverse », Oriens Christianus 85, 2001, p. 41-83.) ; (7) le fait qu’Addaï soit remplacé par Māri dans les écrits perses, mais l’ouvrage est tardif : C. et F. JULLIEN, Aux origines de l’Église de Perse : les Actes de Mār Māri (Corpus Scriptorum Orientalium 604), Leuven, Peeters, 2003, p. 60. On retrouve d’ailleurs une version de l’histoire d’Abgar dans les actes de Māri : ID., Les Actes de Mār Māri (Corpus Scriptorum Orientalium 602), Leuven, Peeters, 2003. 57. ÉGÉRIE, Journal de voyage, trad. P. MARAVAL (SC 296), 2002, p. 202-213.

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d’un autre Addaï, Adda, l’un des missionnaires de Mani 58 qui avait fait une grande percée à Édesse 59. Cette dernière remarque permet peut-être de reculer la date de composition de la légende proposée par Teixidor60 et Bauer (au temps de Qune, évêque d’Édesse vers 312 selon la Chronique d’Édesse) pour une date plus précoce 61. Pourquoi Eusèbe fond-il en un seul personnage Addaï et Thaddée ? La confusion ne semble pas avoir été faite en syriaque, puisque la Doctrine d’Addaï (CANT 89 = BHO 24, Ve siècle 62) maintient que l’apôtre en question est bien Addaï. Vient-elle d’Eusèbe lui-même ? Si l’explication par la maladresse onomastique (Addaï/Thaddée) est toujours possible, elle paraît un peu faible. Une explication idéologique paraît plus vraisemblable. À coup sûr, Eusèbe sent bien qu’il est en train d’importer dans le monde grec une tradition venue de l’Orient dont il éprouve le besoin de garantir l’authenticité. Mais en même temps, l’occasion est trop belle : il n’a pas beaucoup d’autres documents pour affirmer que l’activité de Jésus s’est étendue au-delà de la Palestine 63. Abgar, le roi chrétien qui croit sans avoir vu, Abgar qui est prêt à partager son pouvoir avec le Christ dans sa petite ville 64, est le prototype du monarque constantinien qui lui aussi, est appelé à partager son pouvoir avec l’Église. Or, Eusèbe entend montrer l’expansion rapide du christianisme hors de la Palestine grâce à l’œuvre des missionnaires. Le cas édessénien n’était-il pas une sorte de « divine surprise » qui le confortait dans son idée ? Abgar va plus loin que Tibère (dont il parle juste après), qui est simplement ému par les témoignages que Pilate lui rend de l’Ascension de Jésus (Hist. Eccl. II, 2), car il n’est pas « évan58. H. J. W. DRIJVERS, « Facts and Problems in Early Syriac-Speaking Christianity », The Second Century 2, 1982, 157-75 (160-166). Cela est repris par W. BAUM et D. WINCKLER, Die Apostolische Kirche des Ostens, Klagenfurt, Kitab, 2000, p. 13. A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar et de Jésus (Apocryphes 3), Turnhout, Brepols, 1993, p. 32. 59. H. J. W. DRIJVERS, « Addai and Mani, Christentum and Manichaismus im dritten Jahrhundert in Syrien », in R. LAVENANT (éd.), III Symposium Syriacum 1980 (Orientalia Christiana Analecta 221), Roma, Pontificium Institutum Studiorum Orientalium, 1983, p. 171-185. 60. J. TEIXIDOR, Bardesane d’Édesse : la première philosophie syriaque (Patrimoines christianisme), Paris, Cerf, 1992. 61. H. J. W. DRIJVERS, « Early Syriac Christianity : Some Recent Publications », Vigiliæ Christianæ 50, 1996, p. 159-177. 62. Voir A. DESREUMAUX, Histoire du roi Abgar… Voir également A. DESREUMAUX, « La Doctrine d’Addaï. Essai de classement des témoins syriaques et grecs », Augustinianum 23, 1983, p. 180-186. 63. A. VON HARNACK, Die Mission und Ausbreitung des Christentums in den ersten drei Jahrhunderten, 1904-1924, trad. fr. : Mission et Expansion du christianisme dans les trois premiers siècles (Patrimoines christianisme), trad. J. Hoffmann, Paris, Cerf, 2004, p. 641. 64. Hist. Eccl. I, 13, 6-10, « ma ville est très petite, mais honorable (σημνή) et elle nous suffira à tous deux ».

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gélisé » par un procurateur, mais bien par un des membres du cercle des Soixante-dix. 3. La tradition bérytienne. – L’influence de la construction d’Eusèbe – et de la légende sous-jacente – semble avoir été importante dans le monde grec comme dans le monde syriaque. Dans le Pseudo-Épiphane de Salamine, on retrouve la même confusion que chez Eusèbe. Le texte reprend la mission de Thaddée en mentionnant qu’il a apporté la lettre à Abgar, mais il annexe l’apôtre Jude à Édesse, en ajoutant – Eusèbe n’allait pas si loin – une mission édessenienne de Jude, avant de le faire mourir à Béryte de Phénicie (Beyrouth) 65. Cette tradition se retrouve dans de nombreuses listes comme celle du Pseudo-Dorothée ou du Pseudo-Hippolyte qui parlent d’une mission en Mésopotamie 66. Jérôme (In Matth. 10, 4) reprend la légende 67. Dans le monde syriaque, on parle également de Béryte, mais on propose aussi la ville de Laodicée (s’agit-il de Laodicée de Syrie, la moderne Lattaquié, ou Laodicée ad Libanum, le site de l’ancienne Qadesh ?) et l’île d’Arados (l’actuelle Arwad en Syrie) comme lieu du martyre. C’est la tradition que reprend par exemple Bar-Hebræus (1226-1286) 68 ou Salomon de Bassorah (également au XIIIe siècle) 69 et elle est toujours en usage dans les synaxaires grecs actuels pour la fête du 21 août 70. Elle envisage manifestement un trajet de l’apôtre sur la route de la côte, allant d’Antioche à Gaza 71. C’est la première étape d’une confusion entre le Thaddée des Soixante-dix et Thaddée l’apôtre. 4. La première tradition édessénienne. – Pourtant, cette annexion du missionnaire d’Édesse au cercle apostolique ne semble pas avoir fait l’unanimité à ses débuts. Au Ve siècle, la Doctrine d’Addaï, reformulation des documents 65. Liste traduite par Fr. DOLBEAU, ÉAC II, p. 475. 66. Le résumé de la tradition se retrouve dans R. A. LIPSIUS, Die Apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, vol. 2.2, Braunschweig, Schwetschke, 1883, p. 154-169. Le Ps.-Dorothée (cod. Vindobonensis th. gr. 40) dit : Ἰούδας Ἰακώβου ὁ καὶ Θαδδαῖος ὁ καὶ Λεβαῖος Ἐδεσσηνοῖς καὶ πάσῃ τῇ Μεσοποταμίᾳ ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ κυρίου, ἐπὶ δὲ Αὐγάρου βασιλέως Ἐδεσσηνῶν ἐτελεύτησεν ἐν Βηρύτῳ καὶ ἐκεῖ θάπτεται ἐνδόξως : « Jude de Jacques alias Thaddée et Leb(b)ée annonça l’Évangile du Seigneur chez les Édesséniens et dans toute la Mésopotamie, il mourut du temps d’Abgar des Édesséniens à Béryte et il est enterré glorieusement là ». 67. Thaddæum […] missum Edessam ad Abegarum regem Chosidenæ (Osrhœnæ). 68. R. A. LIPSIUS, Die Apokryphen…, p. 156. J. B. ABBELOOS et T. J. LAMY, Gregorii Barhebræi Chronicon ecclesiasticum, Lovanii [Leuven], C. Peeters, 1872, p. 33. 69. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 106. 70. Ainsi le synaxaire athonite : HIÉROMOINE MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire V – Juillet, août, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1996, p. 474. 71. J.-B. YON, « Voies romaines de l’Orient, de la Méditerranée à la mer Rouge », Dossiers d’Archéologie 343, 2011, p. 52-58.

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d’Eusèbe parus sous le nom de Laboubna afin (selon A. Desreumaux 72) de récupérer la légende d’Abgar dans un sens monophysite, ne parle pas de Jude : c’est Addaï le héros de l’histoire. En revanche, en 384, Égérie nous renseigne sur l’importance que prend la lettre 73, puisqu’elle affirme qu’Abgar, alors que les Perses assiégeaient la ville, se fit apporter la lettre de Jésus et dit : « Seigneur Jésus, tu nous avais promis qu’aucun ennemi n’entrerait dans cette ville, et voici que les Perses nous attaquent. » Cette prière fut exaucée, car des miracles empêchèrent que la ville soit prise (Journal 19, 9-13). La lettre de Jésus était donc considérée comme le palladium de la ville d’Édesse. Elle vit d’ailleurs rapidement son rayon d’action étendu à d’autres villes ou à des maisons particulières : Égérie s’en fit remettre une copie et on a trouvé des papyrus qui servaient sans doute d’amulettes 74 ainsi que des inscriptions aux portes de certaines villes (dont celle de Philippes de Macédoine 75) pour les protéger. 5. La tradition libyenne. – La liste anonyme d’apôtres 76 abandonne la mission mésopotamienne au profit d’une mission libyenne et fait mourir l’apôtre à Rébek des Blemmyes (Ῥεβὲκ τῇ Βλεμμοίῳ), chez ces tribus qui auraient habité entre la vallée du Nil et Assouan et connurent une importance politique entre 250 et 550 77. Cette localisation se voit confirmée par une liste attribuée à Siméon Métaphraste, qui rajoute que l’apôtre aurait été percé de flèches 78, une tradition que le synaxaire athonite reprend encore à 72. A. DESREUMAUX, « La Doctrina Abgar : le chroniqueur et ses documents », Apocrypha 1, 1990, p. 249-267 (255-256) ; ID., « La Doctrine d’Addaï, l’image du Christ et les monophysites » in Fr. BŒSPFLUG et N. LOSSKY (éd.), Nicée II. 787-1987. Douze siècles d’images religieuses, Paris, Cerf, 1987, p. 73-79. 73. P. DEVOS, « Égérie à Édesse. Saint Thomas l’apôtre. Le roi Abgar », Analecta Bollandiana 85, 1967, p. 381-400. 74. Par exemple le P. Got. 12 interprété dans ce sens par H. C. YOUTIE, « A Gothenburg Papyrus and the Letter to Abgar », Harvard Theological Review 23, 1930, p. 299-302. 75. C. PICARD, « Un texte nouveau de la correspondance entre Abgar d’Osroène et Jésus-Christ, gravé sur une porte de ville, à Philippes (Macédoine) », Bulletin de correspondance hellénique 44, 1920, p. 41-69. On connaît aussi des inscriptions à Éphèse, Édesse, Ancyre… Le texte est conservé dans toutes les langues du bassin méditerranéen (grec, latin, syriaque, copte, arabe, éthiopien, mais aussi en arménien, géorgien, slavon, irlandais) : voir CANT 88. 76. Liste traduite par Fr. DOLBEAU, ÉAC II, p. 468. 77. Sur les Blemmyes : R. T. UPDEGRAFF, « The Blemmyes I : The Rise of the Blemmyes and the Roman Withdrawal from Nubia under Diocletian », in W. HAASE, Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II.10.1, Berlin/New York, De Gruyter, 1988, 44-106. 78. Ἰούδας ὁ καὶ Θαδδαῖος καὶ Λεββαῖος καλούμενος υἱὸς μὲν Ἰωσὴφ ἀδελφὸς δὲ Ἰακώβου· ἐν Ῥεβεκτη [vel Ῥεβέκ vel Ῥαφέκ] τῇ πόλει παρὰ τῶν Βλεμμύων ἀναρτηθεὶς καὶ τοξευτεὶς τελειοῦται : « Jude appelé aussi Thaddée ou Lebbée, fils de Joseph, frère de Jacques : il meurt dans la ville de Rébek chez les Blemmyes, suspendu et percé de flèches ». Texte dans T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 178.

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l’heure actuelle 79. Le synaxaire éthiopien y ajoute une course avec les pieds percés de pointe de fer 80. La ville du martyre, Rébek, pourrait être rapprochée de Βερενίκη en Cyrénaïque (l’actuelle Benghazi) que l’on retrouve dans une liste latine du VIe siècle, le De ortu et obitu prophetarum 81 et chez Paulin de Nole 82, peut-ête par confusion avec une autre ville de Bérénice, située à peu près dans la région que hantait le souvenir des Blemmyes, un port sur la mer Rouge. On peut toutefois s’interroger sur la réalité géographique de cette localisation. Les Blemmyes – dont on doute aujourd’hui encore de la réalité historique comme le montre un article de Hans Barnard 83 – sont aussi assimilées à des créatures fantastiques habitant les les terræ incognitæ s’étendant au-delà de l’Égypte et qui selon les mots de Pline n’ont pas de tête et ont les yeux et les oreilles fixés à la poitrine 84. Cette tradition a peut-être pour seul but, comme dans le cas de Barthélemy et les cynocéphales, d’indiquer que les apôtres ont porté l’évangile jusqu’aux confins du monde. 6. La tradition persane (tradition latine). – Au siècle suivant, une Passion de Simon et Jude (BHL 7749-7751 = CANT 284) préfère revenir à l’ancienne proximité entre Simon le Zélé et Jude et relate les aventures des deux apôtres en Perse. Il s’agit là d’une belle annexion de la figure de Jude à la tradition simonienne. En effet, l’apostolat de Simon en Perse était depuis longtemps présent dans les traditions et une étude du texte montre bien que Jude n’est ici qu’un pâle double de Simon. Cette Passion, insé79. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 4, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 1993, p. 225-226. 80. « Il fut pris par le gouverneur de cette ville, qui lui infligea beaucoup de tourments ; il lui enfonça dans les pieds des pointes de fer disposées comme des chaussures et le fit courir l’espace d’un stade. Ensuite, il le suspendit et lui décocha des flèches ; et le saint rendit l’âme », 25 de Sanê (19 juin). I. GUIDI (trad.), Le Synaxaire éthiopien des mois de Sanê, Hamlê et Nahasî (Patrologia orientalis 1), Paris, Didot, 1907, p. 670. 81. Lebbeus, qui et Thadeus, aput Bernincen Libiæ ciuitatem de hac uita decessit et terræ humatus reconditus iacet : « Lebbée appelé aussi Thaddée, qui a quitté cette vie près de la ville de Bernice de Lybie et qui gît caché inhumé dans la terre ». Édition dans Fr. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De ortu et obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianium 34, 1994, p. 91-107. 82. PAULIN DE NOLE, Pœmate 19, 6 : Parthia Matthæum complectitur, India Thomam, Lebbæum Libyes, Phryges accepere Philippum. PAULIN DE NOLE, Sancti Pontii Meropii Paulini Nolani Carmina (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 30), éd. W. A. von HARTEL, Pragæ/Vindobonæ (Vienne)/Lipsiæ, Tempsky/Freytag, 1894, p. 121. PL 61, 514. 83. H. BARNARD, « Sire, il n’y a pas de Blemmyes : A Re-Evaluation of Historical and Archaeological Data » in J. C. M. STARKEY (éd.), People of the Red Sea. Red Sea Project II, British Museum (BAR International Series 1395), London, Archaeopress, 2005, p. 23-49. 84. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle V, 47. Teubner (L. IAN/C. MAYHOFF, 18921909), vol. 1, p. 379. Blemmyis traduntur capita abesse, ore et oculis pectori adfixis.

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rée dans la collection du Pseudo-Abdias (remontant au VIe siècle franc) est reprise dans l’Église d’Occident : Venance Fortunat puis Adon de Vienne, Honorius d’Autun, Orderic Vital et enfin Jacques de Voragine reprennent les données de l’apostolat de Perse 85 ; le Passionnaire français reprend cette tradition 86. Les martyrologes font de même : celui de Bède le Vénérable puis celui d’Usuard (et donc le martyrologe romain 87). En 881, l’abbé Folckard, du monastère Saint Maximin de Trèves, écrivait sur la cuve d’une fontaine située près du réfectoire d’été : « Vaincu par Simon, Arfaxar [l’un des mages combattus par les deux apôtres] s’effondra, maudit 88. » 7. La tradition arménienne. – À partir du VIe siècle, les lettres ont fait long feu pour jouer le rôle de palladium à Édesse. Une nouvelle tradition apparaît, celle du portrait dont on évoque l’existence lors du siège de la ville par les Perses en 540 ou 544 89. Selon elle, ce n’est plus une correspondance qu’a apportée Addaï, mais bien un portrait acheiropoïète, une empreinte du visage du Christ sur un linge. En outre, l’Arménie, devenue 85. VENANCE FORTUNAT, PL 88, 270 (T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 215-216) : Hinc Simonem ac Iudam lumen Persida gemellum/læta relaxato mittit ad astra sinu ; « Ensuite, la Perse, ouvrant son sein, envoie vers les astres joyeux, Simon et Jude, la lumière jumelle » ; ADON DE VIENNE, Libellus de festivitatibus sanctorum apostolorum, PL 123, 185-186 ; HONORIUS D’AUTUN, Speculum Ecclesiæ, PL 172, 1013-1014 ; ORDERIC VITAL, Histoire Ecclésiastique, PL 188, 172-177 ; JACQUES DE VORAGINE, Légende dorée (Pléiade), A. BOUREAU et M. GOULLET (éds.), Paris, Gallimard, p. 873-879. 86. J.-P. PERROT, Le Passionnaire français au Moyen-Âge, Genève, Droz, Publications romanes et françaises 200, 1992, p. 37-38. On en trouve une version « régionale » en dialecte franco-italien dans Livre della vie des sainz apostres (Corpus du Laboratoire Langages, Littératures et Sociétés 3), présenté et édité par J.-P. PERROT, Chambéry, Université de Savoie, 2006. 87. PL 94, 1083-1084 et PL 124, 629-630. Le martyrologe romain dit : Natalis beatorum Apostolorum Simonis Chananæi, et Thaddæi, qui et Iudas dicitur. Quorum Simon in Ægypto, Thaddæus in Mesopotamia Euangelium prædicauit ; deinde, in Persidem simul ingressi, ibi, cum innumeram gentis illius multitudinem Christo subdidissent, martyrium consummarunt. « Fête des bienheureux apôtres Simon le Chananéen et Thaddée appelé aussi Judas. Des deux, Simon prêcha l’Évangile en Égypte et Thaddée en Mésopotamie ; ensuite, ayant gagné ensemble la Perse, et là, alors qu’ils avaient soumis au Christ la multitude innombrable de ce peuple, ils subirent le martyre. » CÉSAR BARONIUS, Martyrologium romanum ad novam kalendarii rationem et Ecclesiasticæ Historiæ veritatem restitutum Gregorii XIII Pont. Max. iussu editum accesserunt notations atque Tractatio de Martyrologio Romano auctore Cæsare Baronio Sorano congregationis oratorii presbytero, Venetiis (Venise), Apud Marcum Antonium Zalterium, 1597, p. 486. 88. Per Simonem uictus ruit Arfaxar maledictus, N. NOVILLANIUS, Chronicon Imperialis Monasterii S. Maximini O.S.B prope Treuiros in J. N. VON HONTHEIM (éd.), Prodromus Historiæ Treuirensis diplomaticæ & pragmaticæ, vol. 2, Augustæ Vindelicorum (Augsburg), Veith, 1756, p. 1003. 89. ÉVAGRE, Hist. Eccl. IV, 27 ; PROCOPE, De Bello Persico II, 26-27. Pour la datation de cette tradition : I. KARAULASHVILI, « The Date of the Epistula Abgari », Apocrypha 14, 2002, p. 85-111.

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récemment chrétienne (en 301 ou 314 sous Tiridate III, qui espérait ainsi se mettre sous une autorité qui transcendait la tutelle romaine90), a elle aussi des ambitions et entend bien prendre toute sa place dans le concert des peuples chrétiens pourvus d’une origine apostolique. Bien plus, comme l’a montré un article de Jean-Pierre Mahé, l’inscription du pays dans une histoire apostolique valait histoire sainte : la reconstruction du passé permettait aux Arméniens de prouver qu’ils étaient eux aussi les récipiendaires de la grâce divine. Ils se comparaient ainsi aux Juifs en s’établissant comme peuple élu 91. Au Ve siècle, l’Arménie fait de Thaddée son fondateur 92, avant de l’associer à Barthélemy 93. Au Xe siècle, le catholicos Jean V (Hovhannēs V de Drasxanakert, 898-929) fait des deux apôtres les « prédicateurs et évangélistes pour la race d’Achkenaz [l’ancêtre des Arméniens] 94 ». Un nouveau texte est écrit, le Martyre de Thaddée arménien (BHO 1145) 95, qui mêle la tradition syriaque avec une tradition ancienne d’indépendance de la Sophène (une des provinces occidentales de l’Arménie, ayant pour capitale Amida, la moderne Diyarbakır, annexée en 90 apr. J.-C.) 96. Le lien avec le monde syriaque ne doit pas nous étonner puisqu’avant même la consécration de 314 les liens entre Artachat et Édesse sont bien établis 97. Le Martyre de Thaddée a une très grande importance pour la légende ultérieure puisqu’il opère une double assimilation : 1° l’apôtre d’Édesse puis de l’Arménie n’est pas Addaï, mais bien Jude Thaddée ; la tradition épiphanienne est bien ratifiée ; 2° l’apôtre ne meurt plus à Beyrouth, mais bien en Arménie elle-même. Cette nouvelle tradition se retrouve chez les écrivains arméniens comme Moïse de Khorène 98. Elle se fonde sur une nouvelle 90. La date de la consécration de l’Arménie est sujette à caution selon MarieLouise Chaumont : M.-L. CHAUMONT, Recherches sur l’histoire d’Arménie, de l’avènement des Sassanides à la conversion du royaume, Paris, P. Geuthner, 1969, p. 147-164. 91. J.-P. MAHÉ, « Entre Moïse et Mahomet : l’historiographie arménienne », Revue des Études arméniennes 23, 1992, p. 121-153. 92. M. VAN ESBROECK, « Le roi Sanatrouk et l’apôtre Thaddée », Revue des Études arméniennes 9, 1972, p. 241-283. 93. M. VAN ESBROECK, « La naissance du culte de saint Barthélemy en Arménie », Revue des Études arméniennes 17, 1983, p. 171-195. 94. HOVHANNĒS V, Histoire d’Arménie (Corpus Scriptorum Christianorum 605), chap. 12, trad. P. Boisson-Chenorhokian, Louvain, Peeters, 2004, p. 103. 95. Texte et présentation dans V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy aux origines du christianisme arménien (Apocryphes 13), Turnhout, Brepols, 2011. 96. M. VAN ESBROECK, « Le roi Sanatrouk… », p. 267. 97. C’est déjà ce qu’avait montré au début du XXe siècle Erwand Ter-Minassiantz : E. TER-MINASSIANTZ, Die armenische Kirche in ihren Beziehungen zu den syrischen Kirchen bis zum Ende des 13. Jahrhunderts (Texte und Untersuchungen 26.4), Leipzig, J. C. Hinrichs, 1904. 98. MOÏSE DE KHORÈNE, Histoire de l’Arménie 2, 34. « Ce qui se passa de leur temps a été écrit antérieurement par d’autres : l’arrivée de l’apôtre, en Arménie et la conversion de Sanadroug, son apostasie par crainte des satrapes arméniens, le martyre de l’apôtre et de ses compagnons dans le canton de Schavarschan, appelé aujourd’hui

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confusion : Arados, lieu du précédent martyre, devient Artaz d’Arménie (une ancienne province arménienne autour de Maku dans l’Azerbaïdjan iranien), voire l’Ararat dans le ménologe byzantin, qui se trouve dans cette province 99. Dans la foulée, deux textes sont rédigés pour inventer des reliques. L’Histoire de l’apôtre Thaddée et de la vierge Sandoukht (BHO 1147) 100 résume la rencontre entre Thaddée et la fille du roi Sanatrouk, Sandoukht, ainsi que la confrontation avec ce dernier. Il précise bien que le corps martyrisé de l’apôtre a disparu, car il a été englouti par la terre. La Découverte des reliques de Thaddée (BHO 1146) 101 permet de le retrouver : elle raconte comment un certain Kirakos eut la vision du lieu où se trouvaient cachées les reliques de Thadée, de Sandoukht et de quelques autres martyrs. Voilà l’apparition de reliques nouvelles pleinement justifiée. En Occident, la version arménienne s’est aussi répandue : comment la concilier avec la tradition bérytienne ? Isidore de Séville écrit : « Judas frère de Jacques, en évangélisant la Mésopotamie et les régions intérieures du Pont, adoucit par son dogme des nations sauvages et insoumises, à la nature pareille à celle des bêtes sauvages, et les soumit sous la foi du Seigneur. Il est enterré à Béryte, une ville d’Arménie 102. » Le Laterculus parle de « Nérite 103 », et il sera suivi par le Sacramentaire de Gellone et Fréculf Ardaz, la pierre s’entrouvrant pour recevoir le corps de l’apôtre, l’enlèvement de ce corps par ses disciples, son inhumation dans la plaine, le martyre de Santoukhd, fille du roi, près de la route, l’invention des reliques des deux saints, et leur humiliation dans les grottes. » (trad. V. LANGLOIS, Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie, Vol. 1, Paris, Firmin Didot, 1867, p. 166). Il faut remarquer que cette tradition mit du temps à s’imposer comme le prouve l’hésitation du synaxaire arménien (24 margats, 30 juin) qui n’hésite pas à se contredire : « il se rendit auprès de Sanatrouk, son neveu, et fut martyrisé par lui, suspendu et criblé de flèches par les Blemmyes à Raphek, province d’Artaz, d’autres disent dans la ville d’Ourmiah en Arménie », G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter Israël V (Patrologia Orientalis 21), Paris, Firmin Didot, 1930, p. 634-635. 99. ἐν Ἀραρὰτ τῇ πόλει porte le Codex du Saint Sépulcre 17 : B. LATYŠEV, Menologii anonymii byzantini sæculi x quæ supersunt e codice Hierosolymitano S. Sepulcri 17, Petropoli (Saint-Petersbourg), Cæsaræ Academiæ Scientarum, 1912, p. 123. 100. Éditée par les pères Mékhitaristes à Venise, elle a été traduite par le prêtre polyglotte Johann Michael Schmid et publiée dans l’éphémère Zeitschrift für armenische Philologie. J. M. SCHMID, « Geschichte des Apostels Thaddaeus und der Jungfrau Sanducht », Zeitschrift für armenische Philologie 1, 1903, p. 67-73. 101. Traduction dans V. CALZOLARI, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy…, p. 89-101. 102. Iudas Iacobi frater in Mesopotamia atque interioribus Ponti euangelizans, feras et indomitas gentes quasi belluarum naturas, suo dogmate mitigat, et fidei dominicæ subiugat ; sepultus est autem Berytho Armeniæ urbe. ISIDORE DE SÉVILLE, De ortu et obitu patrum 78 PL 83, col. 155. 103. Iudas qui interpretatur confessor Iacobi frater in Mesopotamia atque interioribus Ponti prædicauit : sepultus in Nerito Armeniæ urbe, cuius festivitas celebratur v. kal. Novembris. T. SCHERMANN, Prophetarum uitæ fabulosæ, indices apostolorum dis-

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de Lisieux 104, tandis que Bruneto Latini parle d’« une cité de Armenie qui a nom Eriton 105 ». 8. La seconde tradition édessénienne. – Il est fort probable que ce nouveau coup de force n’a pas dû faire plaisir aux habitants d’Édesse : voici que désormais les deux villes étaient en concurrence apostolique. En outre, la situation avait changé à Édesse. La ville était devenue un enjeu dans les luttes pour le pouvoir au sein de l’Empire byzantin. L’Empereur Héraclius s’était opposé à son frère Théodore qui avait commencé un pogrom à Édesse : il s’était même rendu dans la ville en 630-631 pour organiser la protection des marches persanes de l’Empire et résoudre les problèmes christologiques qui agitaient l’Église 106. Il fallait glorifier la politique impériale. Cela était d’autant plus facile qu’à partir du VIIe siècle, c’est un autre apôtre qui prit de l’importance en Arménie, Barthélemy. Des Actes de Thaddée (CANT 299 = BHG 1702-1703) sont écrits, qui exaltent la politique impériale envers les Juifs, font d’Héraclius un nouvel Abgar, et reprennent la tradition épiphanienne de la mort à Beyrouth. 9. La tradition copte. – La tradition copte intervient à la fin de ces différentes appropriations qui ne la concernent pas et elle construit sa propre figure. Elle maintient la séparation entre Jude et Thaddée, comme le prouve la variante copte du codex Scheide de l’évangile de Mathieu qui identifie sous le nom de Thaddée le disciple anonyme de Matthieu 26, 18 chargé de préparer la Pâque 107. Pour cette Église, en effet, c’est Jude qui fait partie des soixante-dix disciples, et c’est bien lui qui alla à Édesse pour guérir le roi Abgar. Mais en même temps, il est aussi l’auteur de l’épître qui porte son nom. On cite la notice du 25 Baounah (19 juin) en entier : En ce jour mourut martyr l’apôtre Jude, fils de Joseph, l’un des soixante-dix disciples. Il prêcha l’évangile dans beaucoup de villes, pénétra dans la Mésopotamie, y annonça la Bonne Nouvelle et y bâtit une église. Il alla à Édesse, guérit Abgar de sa maladie et le baptisa. Il entra dans la ville d’Anasah [le cipulorumque Domini, Lipsiæ, Teubner, 1907, p. 211. F. DOLBEAU, « Listes latines d’apôtres et de disciples, traduites du grec », Apocrypha 3, 1992, p. 259-278. 104. Sepultus est in Nerito Armeniæ urbe. Liber sacramentorum Gellonensis, rubique 3035, éd. O. HEIMING (CCSL 159), 1984, p. 490. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 2, éd. M. ALLEN (CCCM 169A), 2010, p. 501. 105. B. LATINI, Li Livres dou Tresor (Collection de documents inédits sur l’Histoire de France – première série), éd. P. Chabaille, Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. 69. 106. W. E. KAEGI, Heraclius : Emperor of Byzantium, New York, Cambridge University Press, 2003, p. 213. La suggestion vient d’A. Palmer, ÉAC II, p. 646. Voir également ID., « Les Actes de Thaddée », Apocrypha 13, 2002, p. 63-84. 107. H. M. SCHENKE, Das Matthäus-Evangelium im mittelägyptischen Dialekt des Koptischen Codex Scheide (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 127), Berlin [DDR], Akademie-Verl., 1981. Merci à Jean-Daniel Dubois pour cette précieuse référence.

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texte arabe porte Arat (‫ )ﺃﺭﺍﻁ‬108], y prêcha l’Évangile et baptisa beaucoup de ses habitants. Le gouverneur le saisit, le tourmenta beaucoup, lui fit clouer aux pieds des sandales et le fit courir pendant un mille, puis il le fit pendre et percer de flèches. Le saint rendit son âme entre les mains du Seigneur. Il avait envoyé aux fidèles une épître qui est la septième des épîtres catholiques, pleine de sagesse et de toute grâce : elle convertit beaucoup de gens pendant sa vie et après sa mort. Que sa prière soit avec nous 109 !

Celui qui fait partie des Douze, c’est Thaddée. Fêté le 2 Abib (26 juin), il possède quant à lui une notice plus brève puisque tous les éléments les plus intéressants ont été reportés sur Jude. La notice mérite, elle aussi, d’être citée en entier : Mort du disciple saint Thaddée, un des douze grands apôtres. Le Seigneur le choisit et il fut compté parmi les Douze. Quand il fut revêtu de la grâce du Paraclet, il parcourut le milieu du monde en annonçant l’Évangile, amena beaucoup de Juifs et de gentils à la connaissance de leur Créateur et les baptisa. Puis il entra dans le pays de Syrie et y annonça l’Évangile. Il éprouva, de la part des Juifs et des gentils, du mépris et de nombreux châtiments, puis mourut en paix. Que ses prières soient avec nous 110 !

Ces deux notices sont reprises par l’Église éthiopienne pour le 25 Sané (19 juin) en ce qui concerne Jude 111 et le 2 Hamlê en ce qui concerne Thaddée. Dans cette dernière notice, différents épisodes sont rajoutés, difficiles à identifier. L’un parle d’une moisson miraculeuse faite en faveur d’un pauvre homme, l’autre est une reprise de l’épisode du jeune homme riche de l’Évangile 112. III. J UDE

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Jude-Thaddée ne devient donc que fort tardivement (après le Ve siècle), le héros d’Actes, après une série d’assimilations et d’arraisonnements qui font de sa figure une sorte de melting-pot de plusieurs personnages. Com-

108. Malgré nos recherches, nous ne savons pas pourquoi le traducteur, René Basset, a identifié Arat avec Anasah. Arat est-elle une mauvaise lecture de l’Ararat (pourtant écrit ‫ ﺍﺭﺍﺭﺍﺕ‬avec un ‫ ﺕ‬et non un ‫? )ﻁ‬ 109. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite V, mois d’Abib et Mésoré et jours complémentaires (Patrologia Orientalis 17.3), Paris, Firmin-Didot, 1923, p. 595. 110. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite V, mois d’Abib et Mésoré et jours complémentaires (Patrologia Orientalis 17.3), Paris, Firmin-Didot, 1923, p. 616-617. 111. I. GUIDI, Le Synaxaire éthiopien I, mois de Sanê (Patrologia Orientalis 1.5), Paris, Firmin Didot, 1907, p. 670-671. 112. I. GUIDI, Le Synaxaire éthiopien II, mois de Hamlê (Patrologia Orientalis 7.3), Paris/Friburg in B., Firmin-Didot/Herder, 1911, p. 216-221.

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Figure 20 : l’apostolat de Jude

ment peut-on alors le présenter ? L’étude des différents Actes montre que chaque auteur a choisi une stratégie littéraire différente. A. L’apôtre absent de la Passion de Simon & Jude La Passion de Simon et Jude (CANT 284 = BHL 7749-7751) 113, qui fait partie de la collection du Pseudo-Abdias, remonte probablement au IVe siècle perse, puisque les principaux ennemis de Simon et Jude, Zaroès et Arfaxar, professent ce qui pourrait ressembler à du manichéisme (rejet du Dieu de l’Ancien Testament de Moïse et des prophètes, dualisme et docétisme). Cette Passion présente les divers combats que doivent mener les apôtres contre deux magiciens, Zaroès et Arfaxar. Si Simon n’a déjà pas beaucoup de personnalité dans cette Passion – bien des épisodes sont tirés de récits qui mettaient en scène Simon Pierre –, Jude n’est présent que comme un nom. Il n’a quasiment pas d’individualité puisqu’il ne se distingue de son compère qu’à une seule reprise, lorsqu’il prend la parole devant le général Varardach (§ 6). Cette unique émancipation est d’ailleurs une cheville textuelle puisqu’elle intervient dans un contexte de dialogue entre les apôtres et Varardach et qu’elle sert probablement à varier les interlocuteurs. Ailleurs, c’est Simon qui agit. C’est lui qui répond à l’ironie des prêtres (§ 9), c’est lui qui guérit le genou de l’ami 113. La Passion de Simon et Jude, texte traduit, annoté et présenté par D. ALIBERT, G. BESSON, M. BROSSARD-DANDRÉ, S. C. MIMOUNI dans ÉAC II, p. 839-864.

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du roi Nicaron, blessé par une flèche (§ 25), c’est lui qui enfin s’adresse à la statue du soleil pour en faire sortir les démons (§ 33). Au § 32, Jude prend subitement la parole : « Simon, mon frère, je vois notre Seigneur Jésus Christ qui nous appelle ». Cette apparition serait-elle la marque de son importance ? Las ! Simon lui répond : « Il y a longtemps que j’ai la vision du Seigneur au milieu des anges ». Le pauvre apôtre est donc à la traîne en matière d’expérience mystique. Sa condition subalterne se confirme d’ailleurs dans le morceau de bravoure des deux apôtres, la destruction des deux statues : alors que l’on fait entendre les paroles mêmes de Simon contre la statue du soleil, Jude n’a pas l’honneur de prendre la parole, le texte se bornant à préciser « Quand Jude eut dit la même chose de la statue de la lune, le peuple tout entier vit deux Éthiopiens noirs, tout nus, avec des visages effrayants, s’en aller en hurlant » (§ 33). Dans la Passion de Simon et Jude, Jude n’est donc qu’un apôtre absent, un simple nom qui tient compagnie à l’apôtre Simon, davantage mis en avant. Il semble n’être présent qu’au titre de sa proximité avec le Cananéen dans les listes apostoliques, mais n’a pas plus de raison d’exister. Cette absence se retrouve largement dans les sources liturgiques latines qui s’inspirent d’elles. Comme on peut le déduire des sources produites par Els Rose 114, les deux apôtres sont associés dans un même martyre et sont célébrés comme des figures de martyrs, sans avoir de coloration particulière, ni de véritable biographie. Tandis que le sacramentaire gélasien parle de la gloriam perpetuam de Simon et Jude, un livre de prières espagnol daté des IXe-XIe siècles se borne à dire qu’ils sont savants dans leurs prédications et remarquables et parfaits par les vertus de leurs souffrances 115. On ne saurait être plus vague. B. Jude dans le Martyre de Thaddée arménien Le Martyre de Thaddée arménien 116 (BHO 1145) adopte une tout autre stratégie. Écrit autour du VIe siècle 117, il entend donner une origine apostolique à l’Église d’Arménie. Il fait donc de Jude un « super-apôtre », l’apôtre par excellence. Ce statut éminent est préparé dès le prologue qui est un éblouissant éloge des apôtres : ceux-ci, comparés à des veilleurs, finissent 114. E. ROSE, Ritual Memories…, p. 213-249. 115. Et doctrinis ueraciter sunt edocti, et patientiæ uirtutibus mirabiles inuenti sunt et perfecti. E. ROSE, Ritual Memories…, p. 233. 116. Le Martyre de Thaddée arménien, texte traduit, présenté et annoté par V. CALZOLARI, ÉAC II, p. 661-696. Voir aussi, du même auteur, Les Apôtres Thaddée et Barthélemy aux origines du christianisme arménien (Apocryphes 13), Turnhout, Brepols, 2011. Le texte n’est connu que par un unique manuscrit Venise 1014 (XIIeXIIIe siècle). 117. V. CALZOLARI, « Réécriture des textes apocryphes en arménien : l’exemple de la légende de l’apostolat de Thaddée en Arménie », Apocrypha 8, 1997, p. 97-110.

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par être enrôlés dans les troupes angéliques. Il est sans cesse appelé par la désignation « saint apôtre Thaddée » qui court tout au long de l’histoire. L’excellence de cette vie apostolique se découvre (α) tout d’abord dans sa conformité à la séquence qui marque toute vie d’apôtre : la désignation de son champ de mission, préalable à tout envoi 118 (§ 2), l’évangélisation de son territoire (§ 4), la confrontation avec un potentat ennemi (ici le roi Sanatrouk) voire avec le démon (§ 10-11), la désignation d’un successeur qui garantit la pérennité de son œuvre (§ 19), la mort glorieuse (§ 20). (β) On y retrouve également le topos de la guidance par l’Esprit Saint, hérité des Actes lucaniens, qui court tout au long du récit. Mais l’auteur du Martyre arménien va plus loin et se montre un excellent lecteur des Actes apocryphes, et en particulier des Actes de Jean et des Actes de Thomas. En effet, il rajoute deux morceaux de bravoure propres à cette littérature hagiographique. (γ) Le premier est la transposition du schéma triangulaire romanesque à la situation d’évangélisation. L’apôtre, dans cette intrigue, intervient comme un élément perturbateur dans un couple père-fille ou mari-femme : c’est le triangle Drusiane, Callimaque et Jean dans les Actes de Jean, Égéate, Maximilla et André de la Vie d’André, Karish, Magdonia et Thomas dans les Actes de Thomas. Ici, il s’agit du couple Sanatrouk, roi d’Arménie, et Sandoukht, sa fille. En convertissant Sandoukht, Thaddée remet en cause une relation d’amour décrite comme très profonde (§ 11). Le dialogue entre le père et la fille est d’ailleurs sans ambiguïté : « M’astu renié pour aimer cet imposteur ? », demande le père attristé. (δ) Le second est un poncif topologique : celui de la prison. Héritée sans doute des Actes des Apôtres (Pierre en prison, Ac 12 ; Paul et Barnabé en prison à Philippes, Ac 16), mais aussi de la situation de Paul, prisonnier, continuant son ouvrage d’apôtre, l’évangélisation dans la prison est un moment privilégié dans les Actes apocryphes, car il révèle la toute-puissance de Dieu au milieu de la toute-impuissance humaine (la prison est le lieu de la privation de la liberté). Il permet également une glorification des apôtres : la prison est le lieu de l’injustice du païen, celui de la cruauté. Il permet enfin de renouer avec le modèle socratique du juste condamné : comme dans l’Apologie de Socrate, les portes de la prison sont ouvertes et il serait facile de s’enfuir, mais l’apôtre, à l’instar de Socrate, demeure pour prouver jusqu’au bout la conformité de sa vie. Dans le Martyre arménien, l’auteur joue de ce topos. En effet, la prison dont il s’agit n’est pas à proprement parler celle de l’apôtre, mais celle de Sandoukht et des autres croyants (§ 7). (ε) L’excellence de la vie apostolique se lit enfin dans la mort de Thaddée, qui est une mort hyperbolique puisqu’elle condense plusieurs morts : avant d’être tué par l’épée, comme Paul, Thaddée est comparé à un second Daniel qui 118. J.-D. KAESTLI, « Les scènes d’attribution des champs de mission et de départ de l’apôtre dans les Actes apocryphes », in Fr. BOVON et al. (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres, Genève, Labor et Fides, 1981, p. 249-264.

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échappe aux lions et à la mort dans la fournaise (§ 28). Le rocher se fend pour accueillir sa dépouille, comme il l’avait fait pour Thècle. Être un apôtre superlatif serait déjà beaucoup. Le Martyre de Thaddée arménien va plus loin : il fait de Thaddée une sorte de manifestation du Christ sur terre. On le voit dès la notice du § 4 sur l’évangélisation de l’Arménie. Thaddée reprend l’ensemble des comportements de Jésus sur terre : il prêche, il fait des miracles, opère des guérisons. Mais l’assimilation va plus loin. Comme le Jésus terrestre, Thaddée multiplie les théophanies : Jésus lui apparaît plusieurs fois (§ 6) et l’apôtre dialogue avec lui de la manière la plus naturelle qui soit. Comme le Jésus terrestre, Thaddée connaît sa Transfiguration devant le roi qui voit son visage plus resplendissant (§ 26). L’arrestation de l’apôtre se modèle d’ailleurs sur celle de son maître puisqu’elle s’inspire très fortement de la scène de l’évangile de Jean 18 : Thaddée se laisse arrêter et proclame « Voici c’est moi que vous cherchez ». La seule différence est que tout est inversé : alors que Jésus affirmait être le Nazaréen à la garde venue l’arrêter et laissait Pilate le nommer « roi des Juifs », Thaddée ne dit pas qui il est aux princes accompagnés de la foule, mais reconnaît s’appeler Thaddée devant Sanatrouk. Le § 30, celui de la résurrection de Zementos, décalque celui de la résurrection de Lazare : même tristesse, même prière à Dieu, même geste de relèvement. Bien entendu, le texte reste prudent et il répète à deux reprises que c’est le Christ qui donne la vie : alors que le Christ est la manifestation du Père, l’apôtre est la manifestation du Christ. C’est d’ailleurs bien le sens de ce qui rattache le Martyre de Thaddée arménien à la narration édessénienne : l’histoire d’Abgar. Elle est expédiée en un paragraphe (§ 3). Il n’y a ni portrait du Christ, ni lettre : le nouvel intermédiaire est l’apôtre qui porte le « signe de la lumière céleste sur son visage ». Il guérit lui-même le roi en lui imposant la main et, en même temps, le convertit, de concert avec toute sa ville. L’apôtre, Christ manifesté, réalise de manière supérieure son œuvre d’évangélisation. Il disparaît ainsi en tant qu’individualité – et quelle individualité pourrait avoir Jude le polymorphe ? –, pour ne revêtir que celle du Christ. C. Les Actes de Thaddée ou l’apôtre intertextuel Les Actes de Thaddée 119 (CANT 299 = BHG 1702-1703) adoptent la même stratégie, sans utiliser exactement les mêmes moyens. Alors que le Martyre imitait les modes de récit un peu copieux des actes apocryphes et multipliait les éléments narratifs, les Actes de Thaddée se présentent comme une notice sèche imitée des historiens ecclésiastiques. Mais elle aussi est tis119. Les Actes de Thaddée, texte traduit, présenté et annoté par A. PALMER in ÉAC II, p. 645-668.

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sée de références, comme si l’on se servait du texte du Nouveau Testament pour combler les blancs et donner une stature véritablement évangélique à l’apôtre Thaddée. Les Actes de Thaddée sont comme un centon d’allusions néotestamentaires. Cela commence dès le récit de vocation : Thaddée est dit Ἑβραῖος τῷ γένει comme Paul disait Ἑβραῖος ἐξ Ἑβραίων (Ph 3, 5), il est versé dans les Saintes Écritures, comme Paul était « selon la Loi un pharisien ». Sa vocation ressemble à celle de Pierre et André : baptisé par Jean le Baptiste, il suit Jésus. La demande d’Abgar, elle, semble démarquer Eusèbe. Comme chez l’évêque de Césarée, le roi est appelé τοπάρχης, et comme les Grecs de Jn 12, 20, il désire « voir Jésus ». La différence est que Jésus envoie un linge et non des lettres, mais la promesse d’envoyer Thaddée reste la même. La mission de Thaddée est elle aussi toute tissée d’intertextualité. Thaddée, comme les apôtres des Actes, instruit et baptise. La scène, qui se passe à Amida (sans doute la moderne Diyarbakır turque, qui était arménienne à l’époque et qui symbolise dans le texte toute l’Arménie), est le décalque de la prédication de Jésus à Capharnaüm. Elle commence d’ailleurs par la même phrase : « il entra dans la synagogue le jour du sabbat 120 ». Comme Jésus, il est invité à parler après la lecture de la Loi et il tient un discours qui cite abondamment les récits de la passion-résurrection. Les actes qui s’ensuivent ne sont guère plus originaux : ils reprennent, à la lettre, les récits de guérison de Jésus (Mc 1, 32-34 ; Mt 8, 16 ; Lc 4, 40-41). Le texte se termine par une mort paisible de Thaddée à Beyrouth. Hélas, même ces ultima verba manquent d’originalité. L’adresse est une combinaison de Mt 11, 15 et 13, 9 et de Ph 2, 16, l’éloge de Dieu est un centon de Rm 8, 27, du Ps 139 et d’Hébreux 4, 12, la recommandation d’offrir un sacrifice de louange vient des Psaumes et d’Hébreux 13, 15. Tout le morceau est une paraphrase d’Ap 2, 23 : les derniers mots de l’apôtre « καὶ ἀποδώσει ὑμεῖς ἑκάστῳ κατὰ τὰ ἔργα αὐτοῦ (8, 9) » reprennent la déclaration faite à l’Église de Thyatire : καὶ δώσω ὑμῖν ἑκάστῳ κατὰ τὰ ἔργα ὑμῶν (« je vous rendrai à chacun selon vos œuvres »). Jusque sur son lit de mort, Thaddée aura été un apôtre sans autre personnalité que celle que les textes lui confèrent. B IL AN :

UN PUR VECTEUR D ’ APOSTOLICITÉ

Le cas de Jude est particulièrement exemplaire dans notre quête sur les racines de la légitimité apostolique. Dès la fin du Ier siècle, plus personne 120. Luc 4, 16 : καὶ εἰσῆλθεν κατὰ τὸ εἰωθὸς αὐτῷ ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων εἰς τὴν συναγωγήν, « et il entra, selon son habitude, le jour du sabbat dans la synagogue » ; Actes de Thaddée 4, 5 : καὶ εἰσῆλθεν εἰς τὴν συναγωγήν τῶν Ἰουδαίων σὺν τοῖς μαθηταῖς τῇ ἡμέρᾳ τῶν σαββάτων, « et il entra dans la synagogue des Juifs avec ses disciples le jour du sabbat ».

JUDE LE VECTEUR D’APOSTOLICITÉ

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ne savait rien de la personnalité du dixième apôtre. Cela aurait dû nettement jouer en sa défaveur : en réalité, cela le rendait disponible pour toutes les expéditions vers les terres lointaines manquant cruellement de « saints patrons ». Jude l’obscur ne l’est pas tant que ça. Les rédacteurs des Actes apocryphes des apôtres n’avaient pas fait leur la célèbre maxime qui conclut le Tractatus theologico-philosophicus de Wittgenstein : Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen. C’est qu’ils obéissaient à une logique absolument différente qui déconcerte souvent l’historien : alors que nous sommes accoutumés à travailler sur des textes censés décrire un état de la réalité, les Anciens entendaient faire exister la réalité par le langage. L’existence d’un apôtre « fantôme » comme l’était Jude était pour eux une bénédiction. C’était un nom propre flottant, disponible pour tous les arraisonnements. Son fonctionnement littéraire – et donc pragmatique – est redoutablement précis. Si une partie de son signifié est vide, il ne l’est pas totalement : on sait que Jude était apôtre. Sa présence dans une narration confère donc une légitimité apostolique à ce qui est décrit. Jude, coquille vide que l’on peut remplir à souhait, n’est donc pas disqualifié, il est un visa d’apostolicité. Son iconographie est à l’image de cette absence de contenu 121 : on ne sait pas quel attribut lui assigner (une épée ? une hache ? une hallebarde ?), certains lui donnent une équerre comme Thomas le patron des architectes, et on l’associe si souvent à Simon, que plus personne n’arrive à savoir qui est qui.

121. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, vol. 2, Paris, PUF, 1958, p. 765.

CHAP. 12

SIMON LE ZÉLÉ L’APÔTRE INCONNU La figure du onzième apôtre, Simon, va nous permettre de vérifier une loi que nous avions déjà observée chez Jude : plus un apôtre a été inconnu des premières communautés, et plus grande est la facilité de le confondre avec d’autres personnages. Un apôtre inconnu devient un apôtre composite, indéfini, flou. Ces caractéristiques conviennent parfaitement à Simon, dont Augustin Calmet disait déjà en 1728 : « on ignore les particularités de sa vie, et on ne sait pas même distinctement où il a prêché et où il est mort 1. » I. L E

DÉBAT E XÉGÉTIQUE

:

UN APÔTRE RÉVOLU TIONNAIRE

?

Si Simon a retenu l’attention des exégètes, c’est uniquement à cause de la manière dont les évangiles l’ont présenté. Matthieu et Marc le nomment Σίμων ὁ Καναναῖος (Mt 10, 4 ; Mc 3, 18) tandis que Luc l’appelle Σίμων ὁ καλούμενος Ζηλωτής (Lc 6, 15) ou, plus simplement Σίμων ὁ Ζηλωτής (Ac 1, 13). L’existence de ces dénominations destinées sans doute à le distinguer des autres Simon (et en particulier Pierre) a posé de nombreuses questions. A. Que signifie ὁ Καναναῖος ? La traduction de ce terme n’est pas évidente. Il ne saurait être traduit par « Cananéen » au sens d’habitant de Canaan puisque le terme habituel est Χαναναῖος et que Matthieu l’emploie avec la bonne orthographe (Mt 15, 22). Du coup, deux interprétations ont été proposées successivement. 1° un habitant de Cana. – Pendant longtemps, Simon a été identifié avec les habitants de Cana, au point que certains manuscrits portent Κανανίτης 2 sans doute parce que cela semblait plus clair que Καναναῖος3.

1. A. CALMET, Dictionnaire historique, archéologique, philologique, chronologique, géographique et littéral de la Bible (Encyclopédie théologique 4), Paris, Migne, 1859, col. 549. 2. R. T. FRANCE, The Gospel of Mark : A Commentary on the Greek Text (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans Publishing, 2002, p. 163.

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2. Une transcription de l’araméen. – Pourtant, dès le Ve siècle, Jérôme avait repéré que le terme devait plutôt provenir de l’hébreu qana, le « zèle » (in Matth. 10, 4) et que Luc n’avait fait que traduire un surnom qui avait été translittéré par Marc et Matthieu. Cette seconde hypothèse est aujourd’hui retenue par la majorité des exégètes 4 : en hébreu, zélote se dit qana, mais en araméen l’adjectif formé à partir du verbe (être plein de zèle) devait se dire qanani ou qanania, qui se prononce presque de la même façon que kenani, « Cananéen, Phénicien » 5. Cette hypothèse est renforcée par l’opinion lexicologique de Wellhausen qui remarque, avec justesse, que les finales grecques en –αιος expriment souvent une finale araméenne – aî comme Σαδδουκαῖος qui translittère Sadduqaî 6. Cette interprétation nous permet de poser la question suivante : que signifie ce qualificatif de zélote ? B. Comment comprendre ὁ Ζηλωτής ? Le terme de ζηλωτής fait immanquablement penser aux ζηλωταί qu’évoque très largement Flavius Josèphe dans la Guerre des Juifs : un mouvement nationaliste, violent, que Josèphe accuse régulièrement d’avoir conduit à la guerre de 66-70. La mention de ce parti au sein des Douze a fasciné les commentateurs et a servi de base à toutes les opinions qui voient dans le mouvement de Jésus un groupe révolutionnaire. L’existence de Simon a justifié en effet une théorie qui ressurgit périodiquement depuis le XVIIIe siècle : la théorie révolutionnaire 7. Cette dernière débute par un essai de Hermann Samuel Reimarus (1694-1768), rendu célèbre par Lessing en 1774-1778 (qui avait eu une correspondance intense avec la fille de Reimarus, Elise, une des femmes qui marquèrent l’Aufklärung 8). Lessing publie des extraits du grand-œuvre de Reimarus, nommé Apologie oder Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes 9, 3. A. Y. COLLINS, Mark : A Commentary (Hermeneia), Minneapolis (MN), Augsburg Fortress, 2007, p. 222. 4. J. P. MEIER, Un Certain Juif, Jésus (Lectio Divina), vol. 3, Paris, Cerf, 2005, p. 138. 5. C. DANIEL, « Esséniens, zélotes et sicaires et leur mention par paronymie dans le N.T. », Numen 13, 1966, p. 88-115. 6. J. WELLHAUSEN, Das Evangelium Marci, Berlin, Reimer, 21909, p. 23. 7. E. BAMMEL, « The revolution theory from Reimarus to Brandon », in E. BAMMEL, C. F. D. MOULE (éds.), Jesus and the Politics of His Day, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 11-68. 8. A. M. GRÜTZNER SPALDING, Elise Reimarus (1735-1805) : the Muse of Hamburg ; a Woman of the German Enlightenment, Würzburg, Königshausen & Neumann, 2005. 9. Le texte est resté inédit jusqu’en 1972. H. S. REIMARUS, Apologie oder Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes, G. ALEXANDER (éd.), Frankfurt a. M., Insel Verlag, 1972. Il était néanmoins connu par l’analyse qu’en a donnée le célèbre auteur

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sous le nom de « Fragments de l’anonyme de Wolfenbüttel ». L’attention des critiques est retenue par Von dem Zwecke Jesu und seiner Jünger, le fragment V, qui lance les recherches sur la Leben-Jesu Forschung 11. Reimarus prétend que Jésus n’était pas seulement un maître de sagesse, mais aussi le héraut d’un Royaume de Dieu qui avait des résonances bien politiques. Il présente tous les arguments qui seront repris par la suite : pour lui, l’entrée à Jérusalem, les troubles que Jésus suscite au Temple, ainsi que les discours séditieux contre le Sanhédrin laissent penser que le rabbi de Nazareth se présentait comme un Messie politique. Reimarus mentionne même le passage sur les deux épées (Lc 22, 38), qui laisserait suspecter que son groupe n’excluait pas le recours à la violence. Selon lui, ce n’est qu’après coup que les disciples, choqués par la mort du Maître, auraient inventé un Jésus pacifique, un Messie brisé, modelé sur l’oracle du Serviteur souffrant d’Isaïe. La présence d’un zélote parmi ses apôtres accréditait cette orientation très politique des premiers disciples. Heinrich Eberhard Gottlob Paulus, dans sa Leben Jesu, allait franchir un pas de plus : ce n’est pas Simon qui sauta le pas mais Judas, dont le surnom d’Iscariote ferait allusion aux sicaires, qui a trahi Jésus afin que, acculé, il révèle enfin sa stature messianique 12. Les successeurs de Paulus et Reimarus (Weitling, Weiß…) continuèrent dans cette voie qui prit un relief particulier chez Karl Kautsky, l’un des théoriciens du marxisme orthodoxe 13. Au cours du XXe siècle, cette opinion a été constamment renouvelée en s’adjoignant des arguments extrabibliques, en particulier une analyse plus fine des données de Flavius Josèphe, comme chez Eisler 14 ou chez Brandon 15 et surtout, depuis les années soixante-dix et la « Troisième Quête » du Jésus de l’Histoire 16, une prise en compte du milieu proprement palestinien dans lequel évoluait Jésus, comme chez Horsley17. 10

d’une vie de Jésus : D. F. STRAUSS, Hermann Samuel Reimarus und seine Schutzschrift für die vernünftigen Verehrer Gottes, Leipzig, Brockhaus, 1862. 10. G. E. LESSING (éd.), Fragmente des Wolfenbüttelschen Ungenannten, Berlin, Gandersch, 41835. 11. A. SCHWEITZER, Von Reimarus zu Wrede : Eine Geschichte der Leben JesuForschung, Tübingen, Mohr Siebeck, 11906, 21913. 12. H. E. G. PAULUS, Das Leben Jesu, als Grundlage einer reinen Geschichte des Uhrchristentums, Heidelberg, Winter, 1828, p. 143-149. 13. W. WEITLING, Das Evangelium eines armen Sünders, Bern, Jenni, 1845 ; J. WEISS, Die Predigt Jesu vom Reiche Gottes, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1900, p. 197 ; K. KAUTSKY, Der Ursprung des Christentums, Stuttgart, Dietz, 1908. 14. R. EISLER, Ἰησοῦς βασιλεὺς οὐ βασιλεύσας, Heidelberg, Winter, 2 vol., 192930. 15. S. C. F. BRANDON, Jesus and the Zealots : A Study of the Political Factor in Primitive Christianity, New York, Charles Scribner’s Sons, 1967. 16. D. MARGUERAT, « La “troisième quête” du Jésus de l’histoire », Recherches de Sciences religieuses 87, 1999, p. 397-421. G. THEISSEN, Soziologie der Jesusbewegung, 1977,

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Il n’entre pas dans ce travail de décider qui était le Jésus historique. En revanche, il convient de trancher la question de savoir si Simon appartenait à un parti politique violent. Pour ce faire, il convient préalablement de définir ce que l’on entend par zélote. L’option ancienne, qui reprend plus ou moins l’idée d’une participation du mouvement de Jésus à de l’agitation politique, est encore celle de Martin Hengel 18, affirmant que le terme « zélote » décrit un mouvement qui trouve son origine dans la révolte de Judas le Galiléen en 6 apr. J.-C. et qui atteint son pic avec la Guerre Juive. Le but de ce parti est la libération de la terre de Palestine de toute présence étrangère. Ses références bibliques se trouvent dans le zèle de Pinhas (Nb 25, 6-13) qui transperce de sa lance l’Israélite s’apprêtant à avoir commerce avec une Madiânite. C’est un parti durable, largement associé avec cette Galilée dont les disciples étaient majoritairement originaires 19, et dont Simon était, pour Hengel, certainement membre : sa présence au sein du groupe des apôtres sert d’ailleurs à Hengel de « chaînon manquant » entre les agissements de Judas le Galiléen et la réapparition du parti sur la scène publique dans les années 60. Toutefois, cette opinion a été battue en brèche par trois théories successives. (α) Morton Smith et J. A. Morin 20 prirent le contrepied de Hengel en remarquant que les attestations de Flavius Josèphe ne permettaient pas de penser que les Zélotes étaient unifiés 21. Ce que décrit l’historien juif, c’est avant tout une série d’individus, qui se distinguaient par la violence de leur « zèle » (toujours modelé sur celui de Pinhas, voire celui d’Élie devant les prophètes). Ce n’est que pendant la guerre civile, au cours de l’hiver 67-68, que se forma un parti aux contours définis. Par conséquent, Simon ne pouvait pas appartenir à un quelconque parti zélote : il n’en existait pas encore. Morin conclut d’une expression, qui nous rappelle que le Che était mort cinq ans avant la rédaction de son article : « ce n’était pas un guérillero 22 ». (β) R. A. Horsley23 poursuit

trad. fr : Le Christianisme de Jésus. Ses origines sociales en Palestine (Relais Desclée 6), Paris, Desclée, 1978. 17. R. A. HORSLEY, Jesus and Spiral of Violence, Minneapolis (MN), Augsburg Fortress, 1972. 18. M. HENGEL, Die Zeloten. Untersuchungen zur jüdischen Freiheitsbewegung in der Zeit von Herodes I. bis 70 n. Chr, Leiden, Brill, 21976. 19. L’association entre les deux dans les textes est rappelée par S. C. MIMOUNI, « Qui sont les Galiléens dans la littérature chrétienne ancienne ? », Proche-Orient chrétien 49, 1999, 53-67. 20. M. SMITH, « Zealots and Sicarii : Their Origins and Relations », Harvard Theological Review 64, 1971, p. 1-19 ; J.-A. MORIN, « Les deux derniers des Douze : Simon le Zélote et Judas Iskariôth », Revue biblique 80, 1973, p. 332-349. 21. C’est l’opinion de M. BORG, « The Currency of the Term ‘Zealot’ », Journal of Theological Studies 22, 1971, p. 504-512. 22. J.-A. MORIN, « Les deux derniers… », p. 349.

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cette identification avec ces individus, mais leur dénie tout zèle pour la Loi. Pour lui, il faut prendre au sérieux les déclarations de Flavius Josèphe les rangeant au nombre des λῃσταί, des brigands. En effet, être zélé pour la Loi ne conduisait pas à la violence politique dans le judaïsme du Second Temple. Les Zélotes participaient de ce « banditisme social 24 » né avec la guerre de 70, en particulier parce que les Romains chassaient de nombreux paysans de leurs terres. Le fait que les Zélotes s’attaquent aux Hérodiens, leurs anciens maîtres, et qu’ils procèdent à une élection « démocratique » du grand prêtre, révèle assez leur origine sociale et leurs revendications. (γ) Christophe Mézange 25, enfin, se fondant sur J. J. Price qui remarquait que la formation du parti zélote était un peu antérieure à l’hiver 66 et qu’elle devait sans doute être le fait de prêtres de faible rang26, voit plutôt dans les zélotes un groupe de prêtres auquel se joignirent des paysans expulsés de leurs terres. Mézange identifie leur idéologie à celle des partisans de Shammaï, telle qu’elle se dégage dans les Dix-huit mesures : rendre la coexistence avec les païens impossible dans les moindres détails de la vie quotidienne et faire cesser les sacrifices au Temple pour l’Empereur. Ces trois théories confirment une seule et même chose en ce qui concerne Simon : il ne pouvait pas appartenir au parti zélote du temps de Jésus. Comment faut-il comprendre alors la désignation ζηλωτής ? Kirsopp Lake, ayant remarqué dès 1917 27 que les zélotes sont un parti tardif ne pouvant avoir d’existence avant la guerre juive, présente les trois hypothèses possibles concernant Simon. 1. Il convient de traduire non pas « Simon le zélote » mais « Simon le zélé » : la désignation des évangiles concerne surtout le caractère de Simon et non sa participation à des événements politiques. Il existe un point de comparaison sérieux à cette attitude : Paul de Tarse, qui se nomme luimême un zélé des traditions de ses pères (περισσοτέρως ζηλωτὴς ὑπάρχων τῶν πατρικῶν μου παραδόσεων, Ga 1, 14). Paul n’a pas pu, lui non plus, appartenir au parti zélote, et son zèle s’attache aux « traditions de ses 23. R. A. HORSLEY, « The Sicarii : Ancient Jewish ‘Terrorists’ », Journal of Religion 59, 1979, p. 435-458 ; R. A. HORSLEY, « ’Like One of the Prophets of Old’ : Two Types of Popular Prophets at the Time of Jesus », Catholic Biblical Quarterly 47, 1985, p. 435-463 ; R. A. HORSLEY et J. S. HANSON, Bandits, Prophets and Messiahs. Popular Movements at the Time of Jesus, Minneapolis (MN), Winston, 1985. 24. R. A. HORLSEY, « Bandits, Messiahs, and Longshoremen : Popular Unrest in Galilee around the Time of Jesus », in D. J. LULL (éd.), Society of Biblical Literature 1988 Seminar Papers (SBL Seminars 27), Atlanta (GA), Scholars Press, 1988, p. 183199 (184). 25. C. MÉZANGE, Les Sicaires et les zélotes. La révolte juive au tournant de notre ère (Orients sémitiques 2), Paris, Geuthner, 2003. 26. J. J. PRICE, Jerusalem under Siege : The Collapse of the Jewish State, 66-70 C.E. (Series in Jewish Studies 3), Leiden, Brill, 1997, p. 18. 27. K. LAKE, « Simon Zelotes », Harvard Theological Review 10, 1917, p. 57-63.

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pères ». Toujours sur le modèle de Pinhas, Paul devait comprendre le comportement des premiers chrétiens comme une apostasie. Cela peut faire écho à ce qu’explique Philon de ses compatriotes « zélés des lois », dont la vigilance s’exerce surtout aux dépens de leurs coreligionnaires aux mœurs relâchées (De Specialibus legibus 2, 46 § 253) 28. Ce terme ne connote d’ailleurs pas toujours la violence, comme le prouvent les Juifs chrétiens dont les Actes des Apôtres (21, 20) indiquent qu’ils étaient « tous des zélés de la Loi » (πάντες ζηλωταὶ τοῦ νόμου). Cette dénomination nous renseigne sur le caractère hétéroclite du mouvement de Jésus29 qui faisait voisiner un Simon zélé et un collecteur de taxes à la solde de l’occupant romain 30. 2. Le nom provient d’une compréhension a posteriori des rédacteurs. À partir du nom qu’ils trouvaient dans leurs sources, ils ont cru que Simon avait appartenu à un parti dont ils connaissaient l’existence par ailleurs. C’est aussi l’opinion de certains exégètes comme F. Bovon, ou Marshall 31. 3. Simon aurait pu appartenir au parti zélote, mais après coup, lors des émeutes des années 60. C’est toujours l’opinion défendue par É. Trocmé 32. Il n’est pas possible de trancher : ici s’arrête ce que nous savons de l’apôtre Simon. On peut toutefois remarquer que si l’hypothèse (3) ne repose que sur une supposition, les hypothèses (1) et (2) ne sont pas inconciliables. Il est donc permis de penser que le personnage de Simon, qui appartenait au groupe décrit comme les « zélés » (sans qu’il soit avéré que ce groupe soit organisé en « parti ») fut ensuite tiré vers le zélotisme, dans les années 80, par des communautés écrivant après les guerres juives et interprétant les données dont elles disposaient avec le prisme des événements survenus une dizaine d’années plus tôt. II. L’ INVENTION

D ’ UNE BIOGR APHIE

:

A SSIMIL ATIONS , MÉPRISES

CONFUSIONS ,

Les très maigres renseignements qui concernent Simon ne permettaient pas aux premiers chrétiens de savoir exactement qui était le onzième 28. T. SELAND, » Saul of Tarsus and Early Zealotism Reading Gal 1,13-14 in Light of Philo’s Writings », Biblica 83, 2002, p. 449-471. 29. J. P. MEIER, Un Certain Juif…, p. 140-141. C. S. KEENER, A Commentary on the Gospel of Matthew, Grand Rapids (MI), Eerdmans Publishing, 1999, p. 311. 30. Wm. O. WALKER, Jr., « Jesus and the Tax Collectors », Journal of Biblical Literature 97, 1978, p. 221-238. 31. F. BOVON, L’Évangile selon Saint Luc (Commentaire du Nouveau Testament 2, 3a), Genève, Labor et Fides, 1991, p. 277 n. 38 ; I. H. MARSHALL, Luke Historian and Theologian, Exeter, Paternoster, 1970, p. 210. I. H. MARSHALL, The Gospel of Luke : A Commentary on the Greek Text (New International Greek Testament Commentary), Grand Rapids (MI), Eerdmans Publishing, 1978, p. 240. 32. É. TROCMÉ, L’Évangile selon Saint Marc (Commentaire du Nouveau Testament 2, 2), Genève, Labor et Fides, 2000, p. 100.

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apôtre. De manière surprenante, ce qui constituait finalement son trait distinctif – son association possible avec les zélotes – ne fut pas exploité. Au contraire, de nombreuses confusions virent le jour, ainsi qu’un certain nombre de légendes. A. Simon, l’apôtre qu’on confond avec d’autres La biographie de Simon ne permettait pas de le distinguer des autres apôtres avec certitude, ce qui explique qu’il ait connu de nombreuses confusions 33. 1. Thaddée. – Simon a été souvent associé – et parfois confondu – avec Jude Thaddée, le dixième apôtre. Cette confusion semble ancienne puisqu’elle remonte aux années 160, à l’Epistula apostolorum déjà évoquée. Comme nous l’avons vu à propos de ce dernier, la tradition latine les a joints dans un martyre collectif en Perse qu’on trouve, par exemple, dans le martyrologe de Bède 34. L’Église de Rome les célèbre d’ailleurs dans une fête commune, le 28 octobre. L’Église grecque les distingue puisqu’elle célèbre Jude le 19 juin et Simon le 10 mai. De nombreuses notices semblent montrer que certains Pères faisaient plus que les associer ; ils les confondaient totalement. Ainsi Ambroise dans son commentaire des Psaumes l’appellet-il Iudas Zelotes 35. Ainsi Jérôme écrit-il dans son commentaire de l’Épître aux Galates : « nous lisons le bon zèle […] de l’apôtre Judas – qui n’est pas 33. On trouve une partie des références dans J. VAN HECKE, « De Simone apostolo et martyro in Perside », Acta Sanctorum Octobris, vol. 12, Bruxellis, Vromant, 1867, p. 421-436. 34. In Perside natalis Sanctorum Symonis Cananæi et Thaddei qui eciam Iudas Iacobi legitur. E quibus Thaddeus apud Mesopotamiam Symon uero apud Egiptum traditur prædicasse. Qui etiam Iacobo fratre Domini a Iudeis lapidato, Ierosolymorum episcopus ab Apostolis constituitur, persecutione Traiani, multo tempore supliciis affectus martirio coronatus est, omnibus qui aderant et ipso iudice mirantibus, ut centum uiginiti annorum senex crucis supplicium pertulisset. Hoc totum de successione Symonis in loco fratris Domini et de passione eius ecclesiastica historia magis de alio Symone, quem et filium Clophæ nominauit, narrare uidetur. PL 94, 1081. « En Perse, dies natalis des saints Simon le Cananéen et Thaddée qu’on trouve écrit aussi « Jude [frère] de Jacques ». Des deux, on rapporte que Thaddée a prêché dans la région de Mésopotamie et Simon dans celle d’Égypte. Et, quand Jacques, le frère du Seigneur, eut été lapidé par les Juifs, ce dernier est établi par les apôtres comme évêque de Jérusalem ; durant la persécution de Trajan, il a subi pendant un long temps des supplices et a reçu la couronne du martyre, tandis que tous ceux qui étaient présents – et le juge lui-même – s’étonnaient qu’un vieillard âgé de cent vingt ans eût supporté le supplice de la croix. C’est plutôt à propos d’un autre Simon qu’elle a appelé aussi « fils de Clopas » que l’histoire ecclésiastique semble narrer toute la succession de Simon à la place du frère du Seigneur ainsi que sa passion. » 35. AMBROISE DE MILAN, Expositio psalmi CXVIII 12, éd. M. PETSCHENIG (CSEL 62), 1913, p. 403. Apostolus quoque domini hoc declaratus est nomine, ut Iudas Zelotes diceretur, sicut legimus in euangelio.

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le traître –, qui, en vertu de son zèle insigne, a pris le nom de Zelotes 36 ». Ailleurs, il affirme : « Jude Zelotes qui est dit Thaddée dans un autre évangile 37 ». Le Decretum Gelasianum au VIe siècle déclare canonique une épître Iudæ Zelotis apostoli, « de l’apôtre Jude Zelotes » 38. 2. Simon frère du Seigneur. – Une autre question est celle de l’association entre Simon l’apôtre et le Simon frère du Seigneur mentionné en Mc 6, 3 qui succéda, selon Hégésippe repris dans Eusèbe de Césarée, à Jacques pour diriger la communauté de Jérusalem, car il était le fils de Clopas, l’« oncle du Christ 39 ». Cette notice témoigne de la tradition « dynastique » dans la première Église de Jérusalem 40. Toujours selon Hégésippe, ce Simon subit, fort âgé, de nombreuses tortures et mourut crucifié. « Ils vont donc et servent de guides à chaque Église en qualité de martyrs et de parents du Seigneur. Puisque c’était le temps d’une paix profonde dans toute l’Église, ils vivent jusqu’à l’Empereur Trajan. Sous le règne de ce prince, Simon, dont il a été question plus haut, fils de Clopas, l’oncle (θεῖος) du Seigneur, dénoncé par des hérétiques, fut lui aussi jugé comme eux sous le consulaire (ὑπατικός) Atticus, pour le même motif. Torturé pendant de longs jours, il rendit témoignage de façon à étonner tout le monde et le consulaire lui-même, qui était surpris de voir comment quelqu’un qui avait atteint cent vingt ans pouvait supporter cela. Il fut condamné à être crucifié 41. » 36. JÉRÔME DE STRIDON, in Epist. ad. Gal. 2, 4, PL 26, 411. Bonum zelum legimus […] apostoli Iudæ, sed non proditoris, qui ob insignem zeli in se uirtutem etiam Zelotis nomen accepit. 37. JÉRÔME, Adv. Helvidium 13, PL 23, 206. Iudas Zelotes in alio Euangelio Thaddæus dicitur. 38. E. VON DOBSCHÜTZ, Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis in kritischem Text herausgegeben und untersucht (Texte und Untersuchungen 38), Leipzig, J. C. Hinrichs, 1912. 39. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. IV, 22, 4 : Καὶ μετὰ τὸ μαρτυρῆσαι Ἰάκωβον τὸν δίκαιον, ὡς καὶ ὁ κύριος, ἐπὶ τῷ αὐτῷ λόγῳ, πάλιν ὁ ἐκ θείου αὐτοῦ Συμεὼν ὁ τοῦ Κλωπᾶ καθίσταται ἐπίσκοπος, ὃν προέθεντο πάντες, ὄντα ἀνεψιὸν τοῦ κυρίου δεύτερον. διὰ τοῦτο ἐκάλουν τὴν ἐκκλησίαν παρθένον, οὔπω γὰρ ἔφθαρτο ἀκοαῖς ματαίαις. « Après Jacques le Juste, qui subit le martyre comme le Seigneur, pour la même doctrine, Siméon, fils de Clopas, oncle du Christ, fut établi second évêque de Jérusalem ; tous le préférèrent parce qu’il était cousin germain de Jésus. L’Église alors était appelée vierge, parce qu’elle n’avait encore été souillée par aucun enseignement erroné. » 40. S. C. MIMOUNI, « La tradition de la succession “dynastique” de Jésus », in B. CASEAU, J.-Cl. CHEYNE et V. DÉROCHE (éds.), Pèlerinages et lieux saints dans l’Antiquité et le Moyen Âge (Monographies 23, FS P. Maraval), Paris, Centre de recherche d’Histoire et Civilisation de Byzance, 2006, p. 291-303. 41. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 32, 6 : ἔρχονται οὖν καὶ προηγοῦνται πάσης ἐκκλησίας ὡς μάρτυρες καὶ ἀπὸ γένους τοῦ κυρίου, καὶ γενομένης εἰρήνης βαθείας ἐν πάσῃ ἐκκλησίᾳ, μένουσι μέχρι Τραϊανοῦ Καίσαρος, μέχρις οὗ ὁ ἐκ θείου τοῦ κυρίου, ὁ προειρημένος Σίμων υἱὸς Κλωπᾶ, συκοφαντηθεὶς ὑπὸ τῶν αἱρέσεων ὡσαύτως κατηγορήθη καὶ αὐτὸς ἐπὶ τῷ αὐτῷ λόγῳ ἐπὶ Ἀττικοῦ τοῦ ὑπατικοῦ.

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Cette confusion semble très ancienne puisque la liste du Pseudo-Hippolyte écrit : « Simon le Cananite, fils de Clopas, dit aussi Jude, devint après Jacques le Juste évêque des Jérusalémites, il s’y endormit [ἐκοιμήθη] et y fut enseveli, ayant vécu 120 ans 42. » L’association de Simon avec Jude est préparée par le fait que le Pseudo-Hippolyte parle de Thaddée dans la notice précédente. Il faut remarquer qu’on parle ici de l’endormissement de Simon, ce qui semble exclure un martyre, contrairement à ce que rapportait Eusèbe de Césarée 43. Cette confusion entre les deux Simon a été reprise du Pseudo-Épiphane, et de là, par tous les manuscrits qui en dérivent, jusqu’à Moïse de Bergame (XIIe s.) 44. Elle est reprise par les synaxaires arméniens. On la trouve également dans les Actes de Simon fils de Clopas (CANT 282), qui les attribue à Simon le Cananéen alors qu’il s’agit à l’évidence du fils de Clopas 45, dans lesquels Simon est confondu avec Jude frère du Seigneur qui succède à son frère Jacques et est ensuite martyrisé pour être crucifié. De manière insistante, on nomme ce Simon « fils de Clopas », ce qui suppose une tradition qui évite d’en faire le fils de Joseph. Cette confusion explique également pourquoi certains manuscrits allouent à Simon un apostolat auprès des Hébreux (ainsi British Museum Add.14601, IXe s.). Elle peut aussi expliquer deux étranges notices apparemment sans rapport : l’Encomium attribué à Sévérien de Gabala 46, mais en réalité rédigé dans l’Église copte au VIIIe siècle, ainsi que le Codex Fuldensis 47 mentionnent un martyre à Césarée de Cappadoce. Cette localisation pourrait résulter d’une confusion entre Césarée de Palestine (où Jacques meurt selon le Pseudo-Dorothée) et Césarée de Cappadoce.

Καὶ ἐπὶ πολλαῖς ἡμέραις αἰκιζόμενος ἐμαρτύρησεν, ὡς πάντας ὑπερθαυμάζειν καὶ τὸν ὑπατικὸν πῶς ρκʹ τυγχάνων ἐτῶν ὑπέμεινεν, καὶ ἐκελεύσθη σταυρωθῆναι. 42. T. SCHERMANN, Prophetarum Vitæ…, p. 166 : Σιμῶν ὁ Κανανίτης ὁ τοῦ Κλωπᾶ ὁ καὶ Ἰούδας, μετὰ Ἰάκωβον τὸν δίκαιον ἐπίσκοπος γενόμενος τῶν Ἱεροσολύμων, ἐκοιμήθη καὶ θάπτεται ἐκεῖ, ζήσας ἔτη ρκ´. 43. Le même Eusèbe persiste aussi dans sa Chronique, puisqu’il indique que Simon de Clopas a été crucifié. 44. F. DOLBEAU, « Une liste ancienne d’apôtres et de disciples, traduite du grec par Moïse de Bergame », Analecta Bollandiana 104, 1986, p. 299-314. C’est en particulier à cause de cette notice que Dolbeau établit sa chronologie des listes apostoliques. 45. On en trouve quelques fragments coptes (BHO 116), une version arabe (BHO 1110 et 1114) et une version éthiopienne (BHO 1111 et 1115). 46. D. RIGHI, Severiano di Gabala, In apostolos : Clavis Coptica 0331 (CPG 4281) (Letteratura copta. Serie Testi), Roma, CIM, 2004. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala, Encomium in XII apostolos (CPG 4281) : gli spunti apocrifi », Apocrypha 19, 2008, p. 217-266. 47. T. SCHERMANN, Prophetarum Vitæ…, p. 216.

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3. Simon et Nathanaël. – C’est la confusion entre Κανανίτης et la ville de Cana qui explique une nouvelle assimilation : celle entre Simon et Nathanaël. En effet, Jean 21, 2 affirme que ce dernier était de Cana de Galilée. La confusion semble s’être répandue aussi bien dans l’Église latine que dans l’Église grecque. Isidore de Séville dans ses Étymologies affirme : Simon le Cananéen, à distinguer de Simon Pierre, du village de Cana en Galilée où le Seigneur changea l’eau en vin. C’est lui qu’un autre évangéliste appelle Zélote. Cana signifie aussi comme zèle 48.

Pour le 22 avril, on peut lire dans le ménologe basilien 49 : « le même jour, mémoire du saint apôtre Nathanaël, qui est Simon le Zélé : il faut faire anamnèse de sa confession dans le Christ 50. » Le synaxaire (forme longue) du 10 mai porte : οὗτός ἐστι Σιμῶν ὁ καὶ Ναθαναὴλ ὀνομαζόμενος, « il est lui-même Simon, que l’on appelle aussi Nathanaël 51 ». Le même synaxaire confond d’ailleurs les deux avec le marié des noces de Cana : « Il est le fiancé des noces auxquelles le Christ fut invité avec ses disciples à Cana, et où il changea l’eau en vin 52. » Cette confusion est reprise par l’historien ecclésiastique Nicéphore Calliste († vers 1350), cité par Baronius 53. B. Les missions de Simon 1. La première tradition latine : l’Égypte. – La première localisation des missions de Simon, que l’on retrouve surtout dans la première tradition latine, lui associe l’Égypte. C’est surtout la tradition du Breviarum. D’ailleurs, cette tradition se retrouve dans une liste d’apôtres conservée dans un codex géorgien tardif, dans lequel il est dit que Simon accepta comme

48. ISIDORE DE SÉVILLE, Étymologies VII, 9, 18. Simon Cananeus ad distinctionem Simonis Petri, de uico Galileæ Cana, ubi aquas Dominus mutauit in uinum. Ipse est qui in alio euangelista scribitur Zelotes. Cana quippe zelum interpretatur. Éd. W. M. LINDSAY, Isidori Hispalensis episcopi Etymologiarum sive Originum libri XX (Scriptorum classicorum bibliotheca Oxoniensis), Oxonii (Oxford), E typographeo Clarendoniano, vol. 1, 1911 [non paginé]. 49. On se souvient que le ménologe basilien a été compilé sous le règne de Basile II (Βασίλειος Β΄ Βουλγαροκτόνος), empereur de 960 à 1025. 50. Τῇ αὐτῇ ἡμέρᾳ, Μνήμη τοῦ Ἁγίου Ἀποστόλου Ναθαναήλ, ὅς ἐστι Σίμων ὁ Ζηλωτής, ἤτοι ἡ ἀνάμνησις τῆς πρὸς τὸν Χριστὸν αὐτοῦ γνωρίσεως. 51. T. SCHERMANN, Prophetarum Vitæ…, p. 188. 52. Νύμφιος ἐν τῷ γάμῳ ἐν ᾧ Χρίστος ἐκλήθη σὺν τοῖς αὑτοῦ μαθηταῖς ἐν Κανᾶ, καὶ τὸ ὕδωρ εἰς οἶνον μετέλαβεν. 53. NICÉPHORE CALLISTE, Hist. Eccl. VIII, 34. Cité dans les événements de l’année 31 : CÆSAR S.R.E. CARD. BARONIUS, Annales ecclesiastici, vol. 1, Barri-Ducis (Bar-le-Duc), Ludovic Guérin, 1868, p. 68.

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champ de mission l’Égypte et Alexandrie (habituellement réservées à Marc) 54. Orderic Vital confirme : Simon le Cananéen ou le Zélé, pour le distinguer de Simon Pierre, ainsi que du traître Judas qui s’appelait Simon Iscariote, était originaire de Cana, village de Galilée, où le Seigneur changea l’eau en vin. Il reçut la mission de l’Égypte 55.

2. La tradition copte. – Cette tradition d’un martyre en Égypte ne se retrouve pas unanimement dans le monde copte. L’Encomium attribué à Sévérien de Gabala 56 mais rédigé au VIIIe siècle 57 attribue à Simon les nations arabes et la Cappadoce, ce qui ne se trouve nulle part ailleurs. En revanche, la Légende de Simon et Théonoé 58 propose un écrit qui semble limité à une aire géographique particulière et paraît ne pas avoir eu de postérité. Le texte, que l’on connaît en mettant bout à bout deux recueils provenant du monastère Blanc d’Akhmîm, est celui d’un bios, un récit écrit pour célébrer le souvenir d’un personnage lors d’une fête particulièrement importante. L’histoire, qui prend la forme d’une homélie, est l’histoire de la martyre Théonoé, arrachée des griffes de Trajan (ou Hadrien dans l’autre manuscrit) par l’intervention de Simon, de la mort de l’Empereur « projeté des remparts » et de la translation miraculeuse du corps de Simon sur la montagne de Sinbeldje qui évoque une « montagne de tessons » (ⲥⲓⲛ et ⲃⲉⲗϫⲉ), à l’instar du mont Testaccio à Rome. Ce Sinbeldge est un village fortifié qui correspond au site de Siflâq (à 4 km d’Akhmîm) et fut rendu célèbre parce que le patriarche Nestorius y mourut 59. L’éditrice du texte, Françoise Morard, fait l’hypothèse que l’absence de postérité du texte s’explique par le fait qu’il était très lié au sanctuaire de Simon situé à Sinbeldje : sa seule survivance se retrouve dans le synaxaire jacobite copte, à la date du 15 Bâchons (10 mai) où l’on apprend que « Simon le Zélé, appelé Nathanaël, de l’illustre Cana […],se rendit dans le pays des Zindj et des

54. M. VAN ESBROECK, « Une liste d’apôtre dans le codex 42 d’Iviron », Analecta Bollandiana 86, 1968, p. 139-150. 55. Simon Chananæus, id est Zelotes, ad distinctionem Simonis Petri et Judæ traditoris, qui et ipse Simon Iscariotis dictus est, de Cana uico Galilææ fuit, ubi Dominus aquam in uinum mutauit. Hic principatum in Ægypto accepit. ORDERIC VITAL, Histoire de Normandie II (Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France), éd. F. GUIZOT, Caen, Mancel, 1826. 56. D. RIGHI, Severiano di Gabala, In apostolos : Clavis Coptica 0331 (CPG 4281) (Letteratura copta. Serie Testi), Roma, CIM, 2004. 57. S. VOICU, « Pseudo Severiano di Gabala, Encomium in XII apostolos (CPG 4281) : gli spunti apocrifi », Apocrypha 19, 2008, p. 217-266. 58. ÉAC I, p. 1539-1551. 59. Gérard ROQUET, « Nestorius et Simon apôtre à Siflâq, près d’Akhmim, Le toponyme en grec, en copte, en arabe », Langues orientales anciennes, Philologie et Linguistique 4, 1993, p. 185-189. Merci à Jean-Daniel Dubois pour la référence.

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Bedja 60. » Le synaxaire éthiopien – qui l’assimile à Nathanaël et raconte qu’il aurait tué un homme puis l’aurait caché sous un figuier, d’où l’apostrophe de Jésus – évoque lui aussi les Bezah et Bertanya 61. 3. La deuxième tradition latine : l’Ibérie du Caucase. – Une autre tradition fait accomplir un peu plus de chemin à Simon, puisqu’elle le fait mourir dans le Bosphore des Ibères (qui fait sans doute allusion au royaume du Bosphore situé en Crimée et en Ibérie du Caucase, le sud de la Géorgie). Le calendrier latin du Sinaï confirme cette localisation62 qui ne peut s’expliquer que par des contacts fréquents entre la Géorgie et le monde romain, 60. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite IV, mois de Barmahat, Barmoudah et Bachons (Patrologia Orientalis 16.2), Paris, Firmin-Didot, 1922, p. 384. En ce jour mourut martyr le Saint apôtre Simon (Sim’ân) le zélote ; il était appelé Nathanaël de l’illustre Cana (Qânâ) ; il avait vieilli dans la Loi et dans les livres des prophètes et avait un zèle singulier, d’où lui vint son surnom. Il était vertueux, impartial, juste. Aussi lorsque Philippe (Filibos) lui dit : « Nous avons trouvé le Messie, sur lequel a écrit Moïse (Mousa) et qu’ont mentionné les prophètes, c’est Jésus (Yasou) fils de Joseph (Yousof ) de Nazareth », il ne l’admit pas, mais il lui dit : « Est-ce que quelque chose de bon peut sortir de Nazareth ! » Lorsque Philippe lui dit : « Viens et regarde », le Seigneur lui dit : « Il n’y a pas de fraude en celui-ci. » Il demanda une preuve pour sa louange. « D’où me connais-tu ? » lui dit-il. « Avant qu’on ne t’appelle Philippe ; tu étais sous un figuier, je t’ai vu. » Il fut convaincu que Jésus connaissait les choses cachées et lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu », et ne lui résista plus, au contraire des vieillards juifs qui avaient vu des miracles plus considérables et plus nombreux et qui ne se rendirent pas à la vérité. On dit que, dans sa jeunesse, il eut une dispute avec un homme des gentils dans le désert ; il le frappa d’un coup mortel et l’enterra sous un figuier : personne ne le sut que le Sauveur. On dit aussi que lors du massacre des Innocents, sa mère le cacha dans un panier et le suspendit à un figuier qui était dans son habitation. Elle le descendait pour l’allaiter, puis le suspendait ; elle continua jusqu’à ce que la persécution s’apaisât ; mais, par crainte pour lui, elle ne l’en informa pas jusqu’à ce qu’il eût grandi et qu’il fût devenu un homme. Lorsque le Sauveur le lui révéla, il fut certain qu’il connaissait les choses cachées. Alors il se soumit à lui, le suivit et fut un de la troupe des douze disciples. Lorsqu’il reçut la grâce du Consolateur, qu’il parla tous les langages du monde et qu’il connut les mystères divins, il entra au milieu des erreurs de ce monde ; il illumina la partie à laquelle il était appelé et ramena beaucoup de sages et d’ignorants, les éclaira et, de loups ravisseurs, les fit devenir un troupeau soumis. Il alla dans le pays des Zindj et des Bedjas, entra dans l’île de Bartânah. Partout les infidèles le saisirent, le traitèrent avec mépris et lui firent subir de nombreux supplices, niais il redoubla de force et de courage. Dieu fit arriver par ses mains de grands miracles : ainsi il ressuscita des morts qui n’étaient plus que des os cariés ; ils lui demandèrent le baptême ; il les baptisa et ils vécurent un certain nombre d’années. Il guérit un lépreux au moment de son baptême. À la fin, les infidèles le crucifièrent en le suspendant à une croix ; il reçut la couronne du martyre. Que son intercession vous protège contre l’ennemi méchant jusqu’au dernier souffle ! Amen. Gloire à Notre-Seigneur ! Amen. 61. G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien – mois de Genbot (Patrologia Orientalis 47.3 – n°211), Turnhout, Brepols, 1997, p. 265-267. 62. J. GRIBOMONT, « Le mystérieux calendrier latin du Sinaï », Analecta Bollandiana 75, 1957, p. 105-134.

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comme le prouve la vita de Saint Hilarion d’Hibérie (mort en 875) 63. Cette localisation le rapproche de Jude. Elle est aussi conservée dans le De Ortu et Obitu prophetarum 64 qui indique que Simon est mort in Bosphoron a barbaris capite truncatus et par Fréculf de Lisieux, qui non seulement fait la confusion avec le Simon frère de Jacques, mais affirme : Post annos autem uitæ CXX meruit sub Traiano per crucem sustinere martyrii passionem. Iacet in Bosforo 65. Comme à son habitude, le rationnel évêque carolingien essaie de mettre de l’ordre dans des légendes hétérogènes. Il est probable que c’est la même tradition que reprend le Liber de ortu et obitu qui porte : Iacet in Portoforo 66. En effet, les nombreuses variantes de ce terme, relevées par Baudoin de Gaiffier 67 montrent une hésitation tournant autour du mot Bosporon : porforo, in porro foro, porlopholo, porlico foro. La leçon Portoforo semble avoir triomphé, car on la retrouve dans deux sacramentaires qui s’inspirent de la même source que le Liber de ortu : le Sacramentaire de Gellone (copié à Cambrai dans les dernières années du VIIIe siècle et apporté à Gellone, actuellement Saint-Guilhem-le-Désert vers 804) et le Sacramentaire « Philipps » (d’Autun) du IXe siècle 68. À cette tradition ressortit peut-être le lieu de mort de Simon à Suanir, une ville inconnue que l’on retrouvera dans la tradition faisant mourir l’apôtre en Perse. En effet, selon Lenain de Tillemont 69, il faut lire dans ce nom la dénomination des Suanes, des tribus connues par Pline et par le chroniqueur Jean de Biclar 70, qui se trouvaient en Colchide ou en Sarmatie. Cette tradition semble avoir connu une certaine vivacité en Géorgie 63. P. PEETERS, Orient et Byzance. Le Tréfonds oriental de l’hagiographie byzantine (Subsidia hagiographica 26), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1950, p. 149. M. VAN ESBROECK, « Une liste… », p. 148-150. 64. F. DOLBEAU, « Nouvelles recherches sur le De Ortu et Obitu prophetarum et apostolorum », Augustinianum 34, 1994, p. 91-107 (105). 65. FRÉCULF DE LISIEUX, Historiæ II, 2, 2, éd. M. ALLEN (CCCM 169A), 2010, p. 501. 66. Éd. J. CARRACEDO FRAGA, 1996, § 54.2. 67. B. DE GAIFFIER, « Le Breviarum apostolorum. Tradition manuscrite et œuvres apparentées », Analecta Bollandiana 81, 1963, p. 89-116 (103). 68. Iacit in Portoforo : Liber sacramentorum Augustodunensis, éd. O. HEIMING (CCSL 159B), 1984, rubrique 2031n. Iacit in Porto Foro. Liber sacramentorum Gellonensis, éd. O. HEIMING (CCSL 159), 1984, rubrique 3035. 69. L.-S. LENAIN DE TILLEMONT, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Paris, Robustel, 1693, p. 425. 70. PLINE L’ANCIEN, Histoire naturelle III, 33, 15 : A Portis Caucasis per montes Gurdinios Valli, Suani, indomitæ gentes, auri tamen metalla fodiunt. Le chroniqueur Jean de Biclar, qui fut évêque de Gérone de 591 à 631, explique qu’en la dixième année du règne de Justin (475), les Suanes furent soumis à Byzance : Romanus filius Anagasti patricii magister milicie gentis Suanorum regem uiuum cepit, quem cum suo thesauro, uxore et filiis Constantinopolim adducit et prouinciam eius in Romanorum dominio redigit. JEAN DE BICLAR, Cronicon 38, éd. C. CARDELLE DE HARTMANN (CCSL 173A), 2001, p. 61.

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elle-même puisque la Vie de Georges l’Hagiorite rédigée au XIe siècle affirme que Simon le Cananéen est enterré à Nicopsis 71. Nicophsia ou Nicopsis (Νίκοψις) était un simple fort grec situé en Abkhazie sur l’emplacement actuel de la ville de Novy Afon (le « Nouvel Athos ») à 22 km de Soukhoumi, dont le principal monastère, bâti en 1880, est dédié à notre Simon. Plus tard, Vakhoucht Bagration, le « tsarévitch historien » (16961757), fils illégitime du roi de Géorgie Vakhtang VI (roi de 1719 à 1734), rapporte que « c’est à Nicophsia que fut enterré l’apôtre Simon le Cananéen 72 ». L’histoire de la Géorgie intitulée Vie du Karthli du XIIIe siècle, traduite par Marie-Félicité Baillet, raconte quant à elle une évangélisation conjointe de Simon et d’André en Géorgie et affirme que les reliques du Cananéen se trouvent bien à Nicophsia 73. Van Hecke, dans son article des Acta Sanctorum, note qu’il existe un Wadi Suan en Mésopotamie qui se jette dans l’Euphrate, ce qui a pu faciliter le glissement vers la Perse74. 4. La tradition grecque. – Les textes de la tradition grecque (PseudoÉpiphane) ont tendance à dédoubler Simon et à lui associer Jude. Ils évoquent en effet deux Simon 75. (α) Simon-Jude. – Simon-Jude va d’abord à Éleuthéropolis, qui fut la patrie d’Épiphane. La confusion entre Simon et Jude s’explique peut-être parce que, parmi les soixante-douze disciples, on connaissait un certain Juste, qui est présenté comme l’évêque d’Éleuthéropolis. L’auteur qui écrit sous le nom d’Épiphane préférait peut-être voir un membre des Douze plutôt qu’un membre des septante-deux être évêque de la ville natale de celui à qui il emprunte son nom 76. Ensuite, Simon va à Gaza et meurt par crucifixion à Ostrakinè en Égypte. Cette ville pourrait être al-Filusiyat (actuellement al-Zaraniq) dans la péninsule sinaïtique près du lac Badawil77, qui

71. P. PEETERS, « Histoires monastiques géorgiennes », Analecta Bollandiana 36-37, 1917-1919, p. 5-209 (116 et 132). 72. VAKHOUCHT BAGRATION, Description historique de la Géorgie, trad. M. BROSSET, Saint-Pétersbourg, Typographie de l’Académie impériale des Sciences, 1842, p. 407. 73. M. BROSSET (éd.), Histoire de la Géorgie depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, vol. 1, Saint-Pétersbourg, Typographie de l’Académie impériale des sciences, 1858, p. 61. 74. J. VAN HECKE, « De Simone… », p. 427. 75. Σίμων ὁ ἐπικληθεὶς Ἰούδας, ὁ καὶ ἐπίσκοπος γενόμενος μετὰ τελευτὴν Ἰακώβου ἐν Ἱερουσαλὴμ ἐπὶ Τραιανοῦ τοῦ βασιλέως σταυρῷ προσδεθεὶς ἐτελειώθη ἐν Ὀστρακίνῃ τῆς Αἰγύπτου ζήσας ἔτη ρκ´. Σίμων ὁ Καναναῖος ὁ τοῦ Κλωπᾶ, ὁ καὶ Ἰούδας μετὰ Ἰάκωβον τὸν δίκαιον ἐπίσκοπος γέγονεν ἐν Ἰεροσολύμοις καὶ ζήσας ρκ´ ἔτη σταυρῷ παραοθεὶς ἐμαρτύρησεν ἐπὶ Τραιανοῦ βασιλέως. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 113. 76. C. et F. JULLIEN, Apôtres des confins, processus missionnaires chrétiens dans l’empire iranien (Res Orientales 15), Leuven, Peeters, p. 65. 77. H. VERRETH, Northern Sinai from the 7th Century BC to the 7th Century CE. A Guide to the Sources, Leuven, Trismegistos [en-ligne : www.trismegistos.org/sinai], 2006, p. 350-412.

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est bien connue par la carte de Madaba 78 : elle est parfaitement sur la route. Elle pourrait aussi jouer sur l’étymologie du Sinbeldje dont on a déjà parlé puisque Ὀστρακίνῃ évoque ὄστρακον comme Sinbeldje évoque ⲃⲉⲗϫⲉ, le tesson. Cela conforterait alors une tradition locale : le livre placé sous le nom d’Abu Şâlîh fait une allusion à des reliques de « Simon le Cananite » qui sont localisées dans le Monastère blanc d’Akhmîm79, à quelques kilomètres de là. Cette localisation d’Ostrakinè est totalement étrangère au monde latin, au point qu’un traducteur de la liste de Dorothée supplée Egypto Obtarquini à Ὀστρακίνῃ 80. (β) Simon le Zélé. – Simon le Zélé part quant à lui vers la Maurétanie (les côtes algériennes et tunisiennes du Maghreb) puis meurt en GrandeBretagne. L’origine de cette tradition se trouve dans le Pseudo-Dorothée : Simon le zélé, parcourut toute la Maurétanie et la région des Afres et il y annonça le Christ. Puis il fut crucifié en Bretagne [Βρετρανία] par ses habitants et il mourut et fut enterré là-bas 81.

Le ménologe basilien va dans ce sens : « Simon le Zélé qui venait de Cana de Galilée et qui est appelé Nathanaël par l’Évangile selon Jean. Ayant traversé toute la Maurétanie et la région des Afres, il débarqua ensuite dans la Bretagne et annonçant le Christ, il fut mis à mort par crucifixion chez eux 82. » Les Afres désignent des tribus berbères. On repère une tradition supplémentaire, celle de la Bretagne, l’actuelle Grande-Bretagne. Inutile de dire que cela ne repose sur aucune tradition puisqu’on date l’évangélisation de la Grande-Bretagne de la fin du IIe siècle, comme nous le prouvent des données chez Tertullien et Origène 83. L’hagiographie anglaise ellemême ne conserve aucun souvenir de Simon puisque selon elle, c’est un 78. Elle est inscrite comme ΟCΤΡΑΚΙΝΗ. C’est une basilique flanquée de deux tours. H. DONNER, The Mosaic Map of Madaba : An Introductory Guide (Palæstina Antiqua 7), Kampen, Kok Pharos, 1995, p. 78. 79. ABU ŞĀLĪĤ AL-ARMANÎ, The Churches and Monasteries of Egypt and Some Neighbouring Countries, éd. B. T. A. EVETTS, Oxford, Clarendon, 1895, p. 237. Le texte parle du « corps » de Simon et de Barthélemy, ce qui est contradictoire avec la localisation du tombeau de Barthélemy à Al-Bahnasa, et laisse supposer qu’il ne s’agit ici que de reliques. 80. F. DOLBEAU, « Une liste latine de disciples et d’apôtres traduite sur la recension grecque du Pseudo-Dorothée », Analecta Bollandiana 108, 1990, p. 51-70 (70). 81. Σίμων δὲ ὁ ζηλωτὴς πᾶσαν τὴν Μαυριτανίαν καὶ τὴν Ἀφρῶν χώραν διελθὼν καὶ κηρύξας τὸν Χριστόν ὓστερον δὲ καὶ Βρετρανίᾳ σταυρωθεὶς ὑπ’ αὐτῶν καὶ τελειωθεὶς θάπτεται ἐκεῖ. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 157. 82. Σίμων ὁ ζηλωτής, ὁ ἀπὸ Κανᾶ τῆς Γαλιλαίας ὁ καὶ ἐν τῷ κατὰ Ἰωάννην εὐαγγελίῳ Ναθαναὴλ ὀνομαζόμενος. Οὗτος πᾶσαν τὴν Μαυριτανίαν καὶ τὴν τῶν Ἄφρων χώραν διελθών, ἔπειτα ἐν Βρεττανίᾳ ἀπελθὼν καὶ κηρύξας τὸν Χριστὸν σταυρωθεὶς ὑπ’ αὐτῶν τελειοῦται. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 188. 83. ORIGÈNE, In Luc. homil. 6.

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roi légendaire, Lucius, qui aurait introduit le christianisme en Angleterre au IIe siècle 84. 5. La tradition syriaque. – Salomon de Bassorah et Denis Bar-Şalibi en sont les représentants. Simon va d’abord à Samosate puis à Claudia (Apamée), Zeugma, Mabboug (l’actuelle Manbij, Hiérapolis de Syrie) et Qinnasrîn (un monastère autrefois nommé Chalcis, l’actuelle Al-Hâdhir près d’Alep). Son tombeau est à Cyr, au nord d’Alep selon le Livre de l’Abeille 85. En effet, cette ville, selon M. van Esbroeck 86 prétendait conserver les reliques du saint, sans doute en réaction aux anti-chalcédoniens (vers le premier quart du VIe siècle). Un livre arabe de 1206, le Kitâb az-Ziyârât d’Abû al-Hasân Ali ben abî Bakr al-Harâwî confirme qu’à Qûrûs se trouve la tombe de Simon 87. Bar-Hebræus avance quant à lui la localisation d’Hamath, la ville syrienne de Hama 88. On y trouve d’ailleurs une tombe antique transformée en cénotaphe à l’époque mamelouke 89. Une liste arménienne le fait mourir à Bałtat, c’est-à-dire Bagdad 90. Certains documents de cette même tradition font de Simon le Cananéen le premier disciple de Jésus. En effet, la Vie de Jésus en arabe (CANT 58) raconte comment Jésus encore adolescent guérit un jeune garçon de quinze ans qui venait de se faire mordre par une vipère alors qu’il voulait saisir un oiseau dans un nid. Jésus prophétise (Vie de Jésus en arabe 41, 4) « ce Simon sera mon disciple ». Simon est donc ici comme le disciple avant tous les disciples. 6. La troisième tradition latine et la tradition arménienne. – La seconde tradition latine emprunte ses données aux divers Actes tardifs qui associent Simon et Jude, en particulier la Passio Simonis et Iudæ du Pseudo-Abdias, que l’on a déjà traitée en ce qui concerne Jude. Les deux apôtres étaient ensemble dans un apostolat en Perse et dans une fête, ce qui conduit à les 84. La première mention est tardive puisqu’elle remonte à un manuscrit du VIe siècle du Liber Pontificalis et qu’elle n’est reprise qu’au VIIIe siècle dans l’Historia ecclesiastica gentis Anglorum (chap. 3) de Bède. A. SMITH, « Lucius of Britain : Alleged King and Church Founder », Folklore 90, 1979, p. 29-36. 85. E. A. W. BUDGE (éd.), The Book of the Bee (Anecdota Oxoniensia Semitic Series 2), Oxford, Clarendon Press, 1886, p. 106. 86. M. VAN ESBROECK, « La naissance du culte de saint Barthélemy en Arménie », Revue des Études arméniennes 17, 1983, p. 17. 87. M. VAN ESBROECK, « Deux listes d’apôtres conservées en syriaque », in R. LAVENANT (éd.), IIIe Symposium syriacum 1980 (Orientalia Christiana Analecta 221), Rome, Pontificio Istituto Orientale, 1983, p. 15-24. 88. J. B. ABBELOOS et T. J. LAMY, Gregorii Barhebræi Chronicon ecclesiasticum, Lovanii (Leuven), C. Peeters, 1872, p. 33. 89. J. SOURDEL-THOMINE, « Note sur le cénotaphe de Qûrûs », Annales archéologiques de Syrie 2, 1952, p. 134-136. 90. L. LELOIR, Écrits apocryphes sur les Apôtres. Traduction de l’édition arménienne de Venise. II (Corpus Christianorum, series apocryphorum 4), Turnhout, Brepols, 1992, p. 740.

SIMON LE ZÉLÉ L’APÔTRE INCONNU

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associer. Ce sont ces données que reprennent les martyrologes latins, en particulier celui d’Usuard, qui écrit pour la fête commune des deux apôtres le 28 octobre : Naissance [au ciel] des bienheureux apôtres Simon le Cananéen et Thaddée appelé aussi Jude. On rapporte que Thaddée a prêché en Mésopotamie et Simon en Égypte. Ensuite, étant ensemble entrés en Perse, ils soumirent une multitude innombrable de nations au Christ puis subirent le martyre 91.

Cette tradition combine la première localisation égyptienne avec la seconde localisation, celle de l’apostolat en Perse. La tradition arménienne, qui a suivi les évolutions de la figure de Jude-Thaddée et donc de Simon, fait elle aussi de la Perse le champ de mission de Simon, en particulier Moïse de Khorène 92. Le synaxaire de Ter Israël au 10 de Méhéki (16 février) porte : « Après l’ascension du Christ, Siméon se rendit en Perse et à Babylone et y prêcha ; de là, il se rendit au pays d’Arménie et mourut martyr à l’endroit appelé Roustava 93. » B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Que retiendra-t-on de l’apôtre Simon ? Qu’il a davantage passionné les auteurs modernes que les auteurs anciens. En effet, son surnom de Ζηλωτής a brutalement jeté sur lui une lumière que les siècles passés lui 91. Natalis beatorum apostolorum Simonis Cananei et Thaddei qui et Iudas dicitur ; e quibus Thaddeus apud Mesopotamiam, Simon uero apud Ægyptum traditur prædicasse. Inde simul Persidam ingressi, cum innumeram gentis ipsius multitudinem Christo subdidissent, martyrium consummauerunt. J. DUBOIS, Le Martyrologe d’Usuard. Texte et Commentaire (Subsidia Hagiographica 40), Bruxelles, Société des Bollandistes, 1965, p. 330. 92. MOÏSE DE KHORÈNE, Histoire de l’Arménie II, 23. « Abgar, ayant écrit cette lettre, en déposa la copie avec celle des autres dans les archives, il écrivit ensuite au jeune Nersès (Nersèh), roi d’Assyrie, à Babylone (sic). LETTRE D’ABGAR À NERSÈS « Abgar, roi des Arméniens, à mon fils Nersès, salut. J’ai reçu ta lettre ; j’ai brisé les fers de Bérose et je lui ai remis ses offenses. Si cela te convient, nomme-le gouverneur de Ninive. Quant à ce que tu m’écris de t’envoyer ce médecin qui fait des miracles et prêche un autre Dieu supérieur au Feu et à l’Eau, afin que tu puisses le voir et l’entendre, [sache que] ce n’est point un médecin selon l’art des hommes, mais qu’il est un disciple du fils de Dieu, Créateur du feu et de l’eau, et destiné à venir [évangéliser] les contrées de l’Arménie. Toutefois, un de ses principaux compagnons, appelé Simon, est envoyé dans les contrées de la Perse. Cherche-le et tu l’entendras, toi, ainsi que ton père Ardaschès. Il périra tous vos maux, et vous conduira dans le chemin de la vie. » (trad. V. LANGLOIS, Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie, Vol. 1, Paris, Firmin Didot, 1867). 93. G. BAYAN, Le Synaxaire arménien de Ter-Israël (Patrologia Orientalis 21), Paris, Firmin-Didot, 1930, p. 55.

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avaient depuis longtemps refusée. Contrairement à son collègue Jude dont l’anonymat a permis de fructueux arraisonnements par des communautés en mal de légitimité, Simon reste et demeure un apôtre inconnu, tellement incognito qu’on le prend souvent pour un autre. Il joue les utilités dans les Actes d’apôtres et son culte semble tellement peu répandu que tous hésitent sur le lieu de sa sépulture. Émile Mâle, lorsqu’il tente de répertorier les œuvres d’art consacrées à l’apôtre, est à la peine et ne parvient qu’à citer un vitrail de Chartres et une petite rose de Reims 94. Antonietta Cardinali en cite quelques autres, dont un Rembrand, conservé à Zurich. Elle note qu’il est reconnaissable à la scie, attribut qu’il prend parfois 95. Ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle que son surnom en fit un révolutionnaire et la preuve de la coloration politique du mouvement de Jésus. Pourtant, cette célébrité n’est-elle pas elle aussi en train de s’émousser ? Signe des temps, on renonce de plus en plus à faire du Nazaréen un agitateur social, et Simon, que l’on assimilait aux Zélotes de la guerre civile juive, redevient un simple zélé : Simon reste et demeure un inconnu, peut-être un inconnu pieux, mais un inconnu quand même.

Figure 21 : les trajets de Simon

94. É. MÂLE, Les Saints Compagnons du Christ…, p. 210. 95. A. CARDINALI et F. SPADAFORA, « Simone Apostolo », Bibliotheca Sanctorum, vol. 11, Roma, Istituto Giovanni XXIII, 1968, p. 1169-1174.

CHAP. 13

MATTHIAS, L’APÔTRE DE SECOURS Après la mort de Judas, la place est vide. Qui la remplira ? Les Actes des Apôtres nous apprennent qu’un beau jour Pierre prit l’initiative de reconstituer l’intégrité du groupe apostolique : le sort tomba sur Matthias. Apôtre de secours, remplaçant pour ainsi dire au pied levé de l’apôtre qui s’est perdu, Matthias ne connut pas un brillant destin par la suite. Par rapport à Judas qui était une figure suffisamment pleine pour provoquer inquiétude, questionnement ou haine, Matthias représente l’opposé exact sur le spectre des personnages apostoliques : c’est un personnage vide, qui n’est là que pour remplir une place. I. L E

CHOIX DE

M AT THIA S

Quelques jours après l’Ascension de Jésus et peu de temps avant la Pentecôte, Pierre prononce un discours 1. Ac 1, 15-26. – En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères, – ils étaient réunis au nombre d’environ cent vingt personnes, – et il dit : « Hommes mes frères, il fallait que s’accomplît l’Écriture où, par la bouche de David, l’Esprit Saint avait parlé d’avance de Judas, qui s’est fait le guide de ceux qui ont arrêté Jésus. […] Or il est écrit au Livre des Psaumes : Que son enclos devienne désert et qu’il ne se trouve personne pour y habiter. Et encore : Qu’un autre reçoive sa charge [ἐπισκοπή]. Il faut donc que, de ces hommes qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, en commençant au baptême de Jean jusqu’au jour où il nous fut enlevé, il y en ait un qui devienne avec nous témoin de sa résurrection. Et ils en présentèrent deux : Joseph appelé Barsabbas, qui était nommé Joustos, et Matthias. Ayant prié, ils dirent : toi Seigneur, qui connais les cœurs de tous, montre celui des deux que tu as choisi pour prendre la place de ce ministère, l’apostolat, dont Judas s’est retiré pour aller en son lieu. Et ils leur attribuèrent des sorts et le sort tomba sur Matthias qui fut compté parmi les onze apôtres. 1. Pour l’analyse, nous suivons A. W. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias (Wissenschaftlichen Untersuchungen zum Neuen Testament 2.187), Tübingen, Mohr Siebeck, 2004.

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Le propos de Pierre a un but assez clair : remplacer Judas afin que le groupe des Douze se maintienne au chiffre de douze. Et de fait, après un tirage au sort entre Joseph Barsabbas et Matthias – inconnus par ailleurs 2 –, c’est finalement Matthias que le groupe élit comme apôtre. Ce remplacement a évidemment un rôle symbolique, car l’opération ne sera plus jamais renouvelée : après la mort de Jacques, plus personne ne prend la peine d’élire qui que ce soit. L’auteur de Luc et des Actes des Apôtres entend montrer ici que l’on se trouve dans un temps parfait, juste avant la Pentecôte, le temps de la constitution d’un nouveau peuple : les douze tribus d’Israël sont réunies sous la figure des Douze ; les auditeurs sont au nombre de 120, qui représentent à la fois le peuple dans son entier (10 fois les douze tribus) et le quorum requis pour qu’un sanhédrin soit nommé 3 ; les Douze forment donc une sorte de « petit reste », les témoins privilégiés qui représentent les douze tribus du peuple d’Israël en vue de la Pentecôte 4, leur complétude étant une sorte de condition préalable à l’envoi de l’Esprit saint 5. En quelque sorte, la communauté entend demeurer un nouveau Temple 6. Lorsque cette communauté idéale s’engagera dans l’histoire, elle n’aura plus cette idéalité du nombre. Et d’ailleurs, le modus operandi de la désignation exprime parfaitement le caractère divin de ce « petit reste ». Cornelius a Lapide le notait déjà au XVIe siècle, Matthias n’obtient pas cette dignité par sa nature, par sa prosapia (sa longue suite d’ancêtres), par un quelconque droit ou par ses mérites, mais bien par l’élection divine, image de cet acte antécédent du choix des disciples qui « par la pure estime et grâce de Dieu, qui, sans qu’ils n’aient aucun mérite, sélectionna ces douze de tant de millions d’hommes, les appela et les coopta 7 ». La méthode choisie se retrouve dans la Bible, par exemple en Lv 16, 8, Jos 14, 1-2 ou 1R 10, 20, ce qui fait de ce passage un exemple classique de récit de suc-

2. É. JACQUIER, Les Actes des Apôtres (Études bibliques), Paris, Lecoffre/Gabalda, 1926, p. 39. 3. H. CONZELMANN, Die Apostelgeschichte (Handbuch zum Neuen Testament 7), Tübingen, Mohr Siebeck, 1963, p. 23. Conzelmann cite le traité Sanhédrin I, 6. É. JACQUIER, Les Actes des Apôtres…, p. 31. Voir également H. STRACK et P. BILLERBECK, Das Evangelium nach Matthäus…, p. 595. 4. G. SCHNEIDER, Die Apostelgeschichte (Herders Theologischer Kommentar zum Neuen Testament 5.1), vol. 1, Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1980, p. 216. 5. R. PESCH, Die Apostelgeschichte (Evangelisch-katolischer Kommentar zum Neuen Testament 5.1), vol. 1, Düsseldorf/Zürich/Neukirchen-Vluyn, Benziger/Neukirchner, 1986, p. 91. 6. C. GRAPPE, D’un Temple à l’autre, Pierre et l’Église primitive de Jérusalem (Études d’histoire et de philosophie religieuses 71), Paris, PUF, 1992, p. 148s. 7. CORNELIUS A LAPIDE, Commentaria in Acta Apostolorum, Lugduni (Lyon), Jacques et Matthieu Prost, 1627, p. 54. 2

MATTHIAS, L’APÔTRE DE SECOURS

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cession . On peut également faire référence à l’élection des magistrats dans l’antique Athènes sous la constitution de Solon 9 ou bien aux pratiques de Qumran 10. On n’explique pas comment Matthias se retrouve sur la short list avant le tirage au sort. Faut-il imaginer que lui et Justus étaient les seuls candidats possibles ? L’absence de Jacques frère du Seigneur, qui jouera un rôle prépondérant par la suite, est particulièrement frappante11. Matthias est simplement mis en concurrence avec Joseph Barsabbas, que l’on a vu réapparaître chez Papias lors de la résurrection d’un mort dont parle l’une des filles de Philippe. Clément d’Alexandrie dans ses Hypotyposes racontait qu’aux dires d’Eusèbe, Matthias était au nombre des Soixante-dix : 8

Il raconte encore que Mathias qui fut élu par les Apôtres à la place de Judas, et celui qui, dans cette élection, fut honoré d’un pareil suffrage, avaient été tous deux jugés dignes de la vocation des Soixante-dix 12.

Cette donnée n’est pas vérifiable, même s’il est vraisemblable que le candidat devait faire partie des foules qui suivaient Jésus. Certains commentateurs modernes, pour expliquer ce choix, affirmèrent que Matthias était beaucoup plus important qu’on pouvait le penser, puisqu’il était le Disciple bien-aimé de l’Évangile de Jean : bien entendu, cela repose sur des suppositions, comme on l’a vu 13. II. U N

APÔTRE QUA SIMENT INE XISTANT

Les données sur Matthias sont particulièrement peu nombreuses. Quelques Pères font en effet référence à un Évangile de Matthias (CANT 17) qui paraît avoir quelques parentés avec un groupe qu’ils taxent de

8. C. TALBERT, « Succession in Luke-Acts and in the Lukan Milieu », Reading Luke-Acts in its Mediterranean Milieu (Novum Testamentum Supplement 107), Leiden, Brill, 2003, p. 19-55. 9. Le texte est analysé avec précision A. ZWIEP, Judas and the Choice of Matthias…, p. 159-172. 10. A. JAUBERT, « L’élection de Matthias et le tirage au sort », in E. A. LIVINGSTONE (éd.), Studia Evangelica 6 (Texte und Untersuchungen 112), Berlin, Akademie, 1973, p. 274-280 (279). 11. C. K. BARRETT, The Acts of the Apostels I (International Critical Commentary), Edinburgh, T&T Clark, 1994, p. 103. 12. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. I, 12, 3 : Καὶ Ματθίαν δὲ τὸν ἀντὶ Ἰούδα τοῖς ἀποστόλοις συγκαταλεγέντα τόν τε σὺν αὐτῷ τῇ ὁμοίᾳ ψήφῳ τιμηθέντα τῆς αὐτῆς τῶν ἑβδομήκοντα κλήσεως ἠξιῶσθαι κατέχει λόγος. 13. E. L. TITUS, « The Identity of the Beloved Disciple », Journal of Biblical Literature 69, 1950, p. 323-328.

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gnostique ou gnosticisant. Origène et Eusèbe le mentionnent 14. Clément d’Alexandrie parle de Traditions de Matthias dont on ne sait pas s’il les cite dans ses Stromates 15. À l’instar d’Hippolyte de Rome 16, il affirme que les Basilidiens tiennent une partie de leurs enseignements du Discours de Matthias. Le livre de Thomas l’Athlète paraît faire allusion à l’apôtre lorsqu’il affirme que les mots qui ont été dits à Thomas par le Sauveur ont été retranscrits par un certain Mathaias qui est peut-être l’apôtre Matthias (quand il ne s’agirait pas tout simplement de l’évangéliste Matthieu17 puisque les deux noms sont identiques en hébreu 18). Eusèbe de Césarée cite un texte attribué à Matthias dans ses livres à condamner, comme le fait Innocent Ier dans son rescrit à Exupère 19. Le Décret de Gélase et celui d’Hormisdas listent un euangelium nomine Matthiæ qu’Anastase le Sinaïte nomme εὐαγγέλιον κατὰ Ματθίαν. Ces quelques citations et allusions, déjà repérées par Hilgenfeld 20 (à l’exception du texte de Nag Hammadi, évidemment), sont difficiles à manier, car il est malaisé de savoir dans les textes s’il s’agit de vraies citations. Quant à leur contenu, il est fort vague, même si le terme γνῶσις revient souvent. A. La tradition orientale : le martyre éthiopien et damascénien La tradition est au début absolument silencieuse. Héracléon prétendait même que l’apôtre serait mort de mort naturelle 21. Les listes apostoliques ne sont au début guère disertes. L’Anonyme II gréco-syrien ne le classe pas parmi les disciples, mais le mentionne parmi les Soixante-dix en disant qu’il a été appelé 22. Tout change à partir d’Épiphane qui fixe la légende orientale et parle d’un trajet en Éthiopie : Matthias, l’un des soixante-dix disciples, auquel se montra notre Seigneur après sa résurrection d’entre les morts, fut compté avec les onze apôtres en remplacement de Judas Iscariote. Il prêcha l’Évangile de notre Seigneur

14. ORIGÈNE, Homélie sur Luc II, 1, 2, éd. H. CROUZEL et P. PERRICHON (SC 87), 1962, p. 100-101 et EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 29, 4. 15. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates II, 9, 45 ; VII, 13, 82. Recueil dans E. KLOSTERMANN, Apocrypha II (Kleine Texte für Vorlesung und Übungen 8), Bonn, Marcus & Weber, 31929, p. 16-18. Traduction dans ÉAC I, p. 470-471. 16. HIPPOLYTE DE ROME, Réfutation VII, 20. 17. Livre de Thomas l’Athlète (NH II, 7) 138, EG, p. 495. 18. T. ILAN, Lexicon of Jewish Names in Late Antiquity (Texts and Studies in Ancient Judaism 91), Tübingen, Mohr Siebeck, 2002, p. 191-196. 19. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. III, 25, 6 ; INNOCENT Ier, Épître 6 à Exupère. 20. A. HILGENFELD, Euangeliorum secundum Hebræos, secundum Petrum, secundum Ægyptios, Mattiæ traditionum, Lipsiæ (Leipzig), Weigel, 1884, p. 49-50. 21. CLÉMENT D’ALEXANDRIE, Stromates IV, 9. 22. ÉAC II, p. 468.

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en Éthiopie extérieure et y fut martyrisé par les Éthiopiens sur le port d’Hyssos 23.

À l’évidence, l’auteur de la notice – qui sera reprise dans l’Histoire ecclésiastique de Nicéphore Xantopoulos 24 – ne sait rien d’autre de Matthias que ce qu’en disent les Actes des Apôtres. Aussi fait-il la confusion avec la légende éthiopienne de Matthieu (qui s’assimile au trajet d’André) en allouant à Matthias l’Éthiopie extérieure, c’est-à-dire la Colchide : c’est le début d’une méprise qui ne cessera pas dans les listes apostoliques. Cette tradition se fonde largement sur un texte que nous avons étudié à propos d’André, les Actes de Matthias et André chez les Anthropophages ainsi que sur un certain nombre de confusions avec d’autres apôtres, en particulier Simon et Jude. Le port d’Hyssos (Ὕσσος, actuellement Sürmene), situé à l’embouchure du fleuve éponyme (l’actuel Kara Dere), comme le dit Arrien 25, est situé à 180 stades de Trébizonde. Ce fait est d’ailleurs confirmé par la notice du Pseudo-Jérôme : Matthias, alors qu’il était l’un des Soixante-dix fut rajouté aux Onze à la place de Judas Iscariote qui fut un traître. Il prêcha l’évangile dans l’autre Éthiopie, là où se trouvent l’embouchure de l’Apsaros et le port d’Hyssos, et où il y a des hommes sauvages (agrestes). Il s’endormit [dans la mort] à cet endroit et il y est enseveli jusqu’aujourd’hui 26.

Apsaros est en effet une ville à l’embouchure du Rioni (le Phase des Anciens) qui se situe dans l’actuelle Géorgie ; et le port d’Hyssos en est éloigné de 230 km, sur la côte sud de la mer Noire. La tradition locale conserve la présence d’un tombeau de Matthias sur le site de la vieille citadelle romaine (aujourd’hui Gonio) 27. Les Éthiopiens habitant près d’Apsa23. Ματθίας δὲ εἷς ὢν τῶν οʹ μαθητῶν ὃν ἀνέδειξεν ὁ κύριος ἡμῶν μετὰ τὴν ἀνάδειξιν τὴν ἐκ νεκρῶν, ὃς καὶ συγκατεριτμήθη μετὰ τῶν ἕνδεκα ἀποστόλων ἀντὶ Ἰούδα τοῦ Ἰσκαριότου, ἐκήρυξε τὸ εὐαγγέλιον τοῦ κυρίου ἡμῶν ἐν τῇ ἔξω Αἰθιοπίᾳ καὶ ἐκεῖ ἐμαρτύρησεν ὑπὸ τῶν Αἰθιόπων ἐπὶ Ὕσσου λιμένα. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 113-114. 24. Histoire ecclésiastique II, 40. Cité par A. SISTI, « Mattia apostolo », Bibliotheca Sanctorum, vol. 9, Roma, Istituto Giovanni XXIII, 1967, p. 150-154 (151). 25. ARRIEN, Le Périple de la mer Noire VIII : Ποταμοὺς δὲ παρημείψαμεν ἐν τῷ παράπλῳ τῷ ἀπὸ Τραπεζοῦντος τόν τε Ὕσσον, ὅτου ἐπώνυμος Ὕσσου λιμήν, ὃς ἀπέχει Τραπεζοῦντος σταδίους ὀγδοήκοντα καὶ ἑκατόν. « Les fleuves devant lesquels nous avons passé dans notre navigation depuis Trébizonde sont : l’Hyssus, qui a donné son nom au port d’Hyssus, à cent quatre-vingts stades de Trébizonde » 26. PSEUDO-JÉRÔME, De Vitis apostolorum, PL 23, 721 Matthias, cum unus esset e numero Septuaginta, allectus est in ordinem undecim apostolorum, in locum Iudæ Iscariotæ, qui fuit proditor. In altera Æthiopia, ubi est irruptio Apsari, et Hyssi portus, prædicauit Euangelium, cum essent homines agrestes. Et illic dormiuit, et illic sepultus est, usque ad hodiernum diem. 27. E. KAKHIDZE, « Apsaros : A Roman Fort in Southwestern Georgia », Black Sea Studies 8, 2008, p. 303-332.

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ros ne peuvent être que les habitants de la Colchide que le Pseudo-Jérôme prend bien soin de distinguer de l’Éthiopie africaine en l’appelant « l’autre Éthiopie ». Cette notice rappelle d’ailleurs étrangement celle d’André, ce qui prouve qu’à une époque ancienne, Matthias et André entretenaient certains liens, sans doute à cause de leur trajet commun chez les Anthropophages qu’il convient de situer dans les régions caucasiennes. Il suffit de mentionner la notice d’André du Pseudo-Jérôme pour s’en convaincre :

Figure 22 : l’évangélisation de Matthias sur la mer Noire

André frère [de Pierre], comme les meilleurs des nôtres le rapportent, prêcha l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ aux Scythes, aux Sogdiens et aux Sacces, ainsi qu’à la ville de Sébastopolis, que l’on nomme la Grande, là où est l’embouchure de l’Apsaros et du fleuve Phase. Ici habitent les Éthiopiens intérieurs. Il est enterré dans la ville de Patras en Achaïe. Il fut fixé en croix par Égéas, préfet des Édesséniens 28.

La légende éthiopienne se retrouve chez le Logothète mais aussi chez Sophronios et dans la plupart des ménologes 29. Cette identification ne laisse pourtant pas de susciter quelques interrogations parmi les rédac28. PSEUDO-JÉRÔME, De Vitis apostolorum, PL 23, 721. Andreas frater huius, ut maiores nostri prodiderunt, Scythis, et Sogdianis, et Saccis prædicauit Euangelium Domini nostri Iesu Christi, et in Sebastopoli prædicauit, quæ cognominatur magna, ubi est irruptio Apsari, et Phasis fluuius, illic incolunt Æthiopes interiores. Sepultus est autem Patris ciuitate Achaiæ, cruci suffixus ab Ægæa Præfecto Edessenorum. 29. T. LIPISUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden, Braunschweig, Schwetschke, vol. 2.2, 1884, p. 259.

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teurs de listes apostoliques. Le Pseudo-Dorothée perpétue la confusion avec Matthieu. En effet, il lui alloue un trajet dans la Première Éthiopie (ἐν τῇ πρώτῃ Αἰθιοπίᾳ). Puis il rajoute une étrange précision qu’il emprunte manifestement à sa notice sur Simon le zélé : Matthias serait mort en croix en Bretagne (ἐν Βρεττανίᾳ σταυρωθεὶς). À l’évidence, les scribes hésitent sur cette identification fantaisiste, et certains manuscrits repérés par Schermann affirment au contraire qu’il serait mort en Éthiopie : « Il fut tué par Bouphnamos roi d’Éthiopie et fut enseveli là par l’évêque Platon 30. »

Le texte complète la notice avec des données issues du martyre de Matthieu, comme le nom de l’évêque Platon. Les synaxaires ultérieurs, plus prudents, se contentèrent de rappeler l’épisode de l’élection de Matthias et de mentionner son apostolat en Éthiopie 31. L’Église copte est également à l’origine d’actes et d’un martyre (CANT 280), connus par quelques fragments 32. Ils sont traduits en arabe (BHO 731) et en éthiopien (BHO 732) 33. Le cycle est relativement bref. Étant arrivé à Damas, Matthias tient un discours destiné à convertir les Damascènes : abandonner les idoles, reconnaître la mauvaiseté des actions passées, renoncer à Satan et se tourner vers Jésus, Parole du Dieu vivant. L’apôtre prononce ensuite une véritable confession de foi qui pourrait être antichalcédonienne, car elle attribue au Fils des attributs du Père (le fait d’être invisible dans sa gloire et dans sa grandeur) et insiste sur le fait que le Fils est dans le Père, sans séparation, alors que la formule chalcédonienne portait ἐν δύο φύσεσιν ἀσυγχύτως, ἀτρέπτως, ἀδιαιρέτως, ἀχωρίστως – in duabus naturis inconfuse, immutabiliter, indivise, inseparabiliter : il manque 30. τελειοῦται παρὰ Βουφνάμου βασιλέως Αἰθιόπων καὶ θάπτεται ἐκεῖ παρὰ Πλάτωνος ἐπισκόπου. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 156. 31. MACAIRE DE SIMONOS-PETRA (trad.), Le Synaxaire, vies des Saints de l’Église orthodoxe, vol. 5, Thessalonique (Grèce), To Perivoli tis Panaghias, 71996, p. 365. 32. Ils sont conservés dans le Cod. Vat. Borg. copt. 109. Présentés et traduits par A. A. GEORGIUS, De Miraculis sancti Coluthi, Romæ, Fulgonium, 1793, p. 102-106, nous n’avons pas pu les consulter. I. Guidi a proposé quelques corrections mais elles ne contiennent aucun élément susceptible d’avoir une idée du texte : I. GUIDI, « Frammenti Copti », Atti della Reale Accademi dei Lincei – Rendiconti, Anno CCLXXXIV, Serie Quarta, volume III, 1, 1887, p. 50-63 (52). L’article donné en référence par M. Geerarts dans CANT 280 E. W. CRUM, « Hagiographica from Leipzig Manuscript », Proceedings of the Society of Biblical Archæology 29, 1907, p. 301-307 (303-304) ne concerne que le miracle opéré par la Vierge à Bartos. 33. Texte et traductions pour l’arabe : A. SMITH-LEWIS, Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 3), Londres, Clay and Sons, 1903, p. 118-120 (texte) et ID., Acta Mythologica Apostolorum (Horæ Semiticæ 4), Londres, Clay and Sons, 1904, p. 137-139 (trad.). Pour l’éthiopien : E. A. W. BUDGE, The Contendings of the Apostles I, London, Henry Frowde, 1898, p. 243-246 (texte) et ID., The Contendings of the Apostles II, London, Henry Frowde, 1901, p. 241-245 (trad.).

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CHAPITRE 13

singulièrement l’inconfuse-ἀσυγχύτως. On le condamne à brûler sur un lit de fer. Mais au bout de plusieurs jours, tous constatent qu’il n’est pas mort : la conversion des Damascènes est immédiate, et donne lieu à des baptêmes en masse et à la construction d’une église. Matthias quitte alors Damas et meurt à Mâlâwan « dans la cité des Juifs » (‫ﻣﻦ ﻣﺪﺍﺋﻦ ﺍﻟﻴﻬﻮﺩ ﺗﺴﻤﻰ‬ ‫ ﻣﺎﻻﻭﺍﻥ‬dans le texte arabe) ou à Pelwôn (dans le texte éthiopien que E. A. Wallis Budge propose de lire Phalæon), dont personne ne sait où elles se trouvent. Ces textes sont à l’origine de la notice du synaxaire jacobite (8 Barmahat, 17 mars) qui reprend leur contenu in extenso à l’exception du nom de la ville qu’il nomme cette fois-ci « Ghâfalaoun des Juifs » (‫ﻣﻦ ﻣﺪﺍﺋﻦ‬ ‫)ﺍﻟﻴﻬﻮﺩ ﺗﺴﻤﻰ ﻏﺎﻓﺎﻻﻭﻥ‬, un nom tout aussi peu clair 34. Pour clore cette brève partie consacrée à Matthias dans les Églises d’Orient, il convient de mentionner la mémoire que fait l’Église d’Éthiopie le 21 Teqemt (31 octobre) d’un miracle opéré par Marie pour délivrer de prison l’apôtre Matthias 35. Cette mémoire s’appuie sur un apocryphe éthiopien traduit de l’arabe avec un original copte36 (CANT 281) qui relate les circonstances merveilleuses de cette délivrance. L’apôtre, prisonnier des Parthes anthropophages (il est donc confondu avec Matthieu), aurait été libéré grâce à une prière que le Christ avait enseignée à Marie du haut de la croix 37 : l’acier fond dans les mains des geôliers, et Matthias se retrouve libre. André est ici remplacé par la Vierge dans le rôle du libérateur, preuve qu’il ne peut décidément pas se sortir tout seul des situations dans lesquelles il s’est fourré. B. La tradition occidentale : le martyre judéen En dehors de cet apostolat en Colchide éthiopienne, une autre tradition a vu le jour, dont est témoin le Pseudo-Hippolyte : Matthias se serait contenté de prêcher à Jérusalem et y serait mort 38. C’est cette tradition que reprend l’Occident. Le Breviarium rapporte donc une prédication en Judée (cui datur euangelii prædicationem in Iudæa). Cette légende est 34. R. BASSET, Le Synaxaire arabe jacobite IV, mois de Barmahat, Barmoudah et Bachons (Patrologia Orientalis 16.2), Paris, Firmin Didot, 1922, p. 211-213. En arabe, ‫ ﻏﺎﻓﺎﻻﻭﻥ‬signifie « insouciant ». 35. G. COLIN, Le Synaxaire éthiopien – mois de Teqemt (Patrologia Orientalis 44.1 – n°197), Turnhout, Brepols, 1987, p. 124-125. 36. La parenté avec un fragment sahidique a été établie par F. Robinson. Dans un fragment qu’il publie (P. Borg. 119), Marie adresse un discours vigoureux à des hommes dont la ville mange des hommes (ⲛⲧⲉⲓⲡⲟⲗⲓⲥ ⲉⲩⲟⲩⲉⲙ ⲥⲁⲝ ⲣⲱⲉ) : F. ROBINSON, Coptic Apocryphal Gospels (Texts and Studies 4.2), Cambridge, Cambridge University Press, 1896, p. 22. 37. Le texte arabe est publié par R. BASSET, Les Prières de la Vierge à Bartos et au Golgotha (Apocryphes éthiopiens 5), Paris, Bibliothèque de la Haute Science, 1895. 38. T. SCHERMANN, Prophetarum…, p. 166.

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ensuite massivement suivie par les listes apostoliques et les martyrologes, que ce soit Isidore de Séville, Adon, Fréculf, Usuard, Orderic Vital et le martyrologe romain. La fête de Matthias fut placée le 24 février. Certaines notices, relevées par le bollandiste Henschen, veulent rajouter quelques détails. Ainsi, le bréviaire du cardinal Francisco de Quiñones (1480-1540), datant de 1535, ajoute-t-il qu’il alla en Macédoine, puis fut lapidé 39. Henschen évoque le martyrologe de Cologne de 1480 qui va dans ce sens 40. Il rapporte également une notice de Petrus de Natalibus (alias Equilinus, † 1406), qui raconte comment Matthias, avant d’aller en Judée, a évangélisé la Macédoine. Là, il boit du poison sans mal. Mais le diable, apparaissant aux habitants sous la forme d’un jeune chien, recommande de le tuer : pendant trois jours, l’apôtre passe au milieu d’eux sans être tué. Lorsqu’il apparaît enfin, il est mis en prison puis libéré par le Seigneur lui-même 41. À part ces données, les informations sur Matthias se font aussi rares en Occident qu’en Orient. On peut citer trois textes. 1. Le sermon Matthias hebraice, latine dicitur donatus. – Ce texte est attribué à l’abbé Authpert du Mont-Cassin (834-837) ou à l’abbé Berthaire du Mont-Cassin (856-884) 42. Lipsius, qui le décrit, parle d’une schlechte Compilation aus dem Breviarium apostolorum 43 et on ne peut qu’être d’accord avec lui. Après avoir décrit l’élection de Matthias en résumant les Actes (chap. I), l’auteur explique comment il a participé à la Pentecôte, ce qui lui donne l’occasion de faire l’éloge des apôtres (chap. II). Dans un troisième chapitre, il décrit ce que fit Matthias par la suite. C’est un travail fort décevant puisqu’il se borne à expliquer qu’il fut le coapôtre de Pierre et de Paul et qu’il fut un apôtre à la foi extraordinaire et aux actes éclatants, tout en prenant soin de n’en rien dire. La fin est à l’avenant, ennuyeuse : Après cela, il laissa en prêchant la Judée sa patrie, qu’il avait acceptée par le sort pour la prédication et dont il avait converti de nombreux habitants à la foi catholique : le bienheureux Matthias apôtre migra vers notre Seigneur Jésus Christ 44. 39. F. DE QUIÑONES, Breviarium Romanum a Francisco Cardinali Quignonio, 1535, J. W. LEGG (éd.), Cantabrigiæ (Cambridge), typis et impensis academiæ, 1888, p. 117. 40. G. HENSCHEN, « De S. Mathia apostolo in Palæstina », Acta Sanctorum februarii, vol. 3, Antverpiæ, Meursius, 1658, p. 431-454 (433). 41. PETRUS DE NATALIBUS, Catalogus Sanctorum et gestorum eorum, Lugduni (Lyon), Stéphane Bueynard, 1514, f°66v. 42. Il est conservé dans G. HENSCHEN, « De S. Mathia apostolo in Palæstina »…, p. 437-439 et dans PL 129, col 1023-1029. 43. LIPSIUS, apokryphen Apostelgeschichten 2.2, p. 263. 44. Postquam vero reliquit Iudæam patriam prædicando, quam in sorte predicationis acceperat et plurimos ethnicos ad fidem Catholicam conuertit B. Mathias Apostolus migravit ad Dominum nostrum Iesum Christum. PL 129, 1029.

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2. Le Sermo in natale S. Matthie apostoli. – Mis sous l’autorité de Bède ou d’Augustin, il commence par les mots præclara beati Mathie apostoli festivitas. Comme le précédent, il se borne à énumérer d’imaginaires vertus apostoliques. 3. La légende de Trèves. – La légende de Trèves remonte au XIe-XIIe siècle. Elle a été reprise par Wolfgang Lazius au XVIe siècle pour compléter sa collection des passions du Pseudo-Abdias mais n’a pas été incluse dans la recension de Fabricius au XVIIIe siècle. Le texte a manifestement été écrit pour justifier une translation de reliques occupant toute la seconde partie qui se déroula en 1127. Auparavant, le lieu était dédié à Saint Eucher, le premier évêque de Trêves, dont l’abbaye conservait les reliques, et n’avait pas particulièrement de vénération pour Matthias 45. Il se donne comme une traduction d’un original hébraïque réalisé par un moine du monastère, mais les nombreuses fautes qu’il comporte excluent toute idée d’un original hébraïque. Le texte fait le récit du combat que mène Matthias contre Anne le Jeune, le grand prêtre, qui avait fait mettre à mort de nombreux disciples de Jésus, dont Jacques frère du Seigneur. Matthias prêche et fait des miracles, en commençant par la ville de Galim (en latin Giscala sic). Ananie s’en émeut et le fait arrêter. Commence alors une passion semblable à celle du Christ. En effet, Matthias est présenté comme natus de Bethleem Iudæ (7). Il est ensuite conduit devant Anne qui se lance dans une diatribe contre les chrétiens, tandis que Matthias fonde sa répartie sur l’Ancien Testament. Toute la question porte sur l’abolition ou la conservation de la Loi. Le texte est particulièrement intéressant pour l’étude des rapports entre Juifs et Chrétiens au Moyen Âge, mais n’apporte guère d’éléments à la figure de Matthias, qui se trouve placé dans la position habituelle du defensor fidei. Le grand prêtre, lassé, finit par le condamner à mort et à l’envoyer à Bethlaskila, hoc est domus lapidatorum en citant le Lévitique. Matthias est alors lapidé et meurt en étendant les mains. B IL AN

ICONOGR APHIQUE

Moisson extrêmement décevante que celle qui concerne Matthias. Le personnage n’a manifestement laissé aucune trace et disparaît aussi vite qu’il était apparu. Partout, il n’est qu’un nom. Cette évanescence a presque quelque chose de suspect : a-t-il même jamais existé ? En effet, tout repose sur quelques versets de Luc qui ne sont guère repris par la suite (pas

45. P. BECKER, Die Benediktinerabtei St. Eucharius-St. Matthias vor Trier (Germania Sacra 38.4), Berlin/New York, De Gruyter, 1996, voir en particulier p. 398 et suiv.

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d’attestation multiple). Si l’on peut s’accorder avec J.-P. Meier 46 et Béda Rigaux 47, pour refuser de balayer d’un geste le récit de l’élection (comme le font Schmithals 48 ou Klein 49), car la volonté de reconstituer le cercle parfait des Douze convient bien à l’atmosphère eschatologique des premières proclamations de la résurrection, force est de constater que le caractère historique de cette élection est bien faible. Pourquoi ne pas penser que c’est un apôtre plus important au destin plus brillant que celui du pâle Matthias, qui fut finalement choisi, par exemple Barnabé50 ? Même l’art occidental doute de son existence, puisque, comme le note Louis Réau, « il est assez rarement représenté, parce que les artistes complètent volontiers le collège des Douze, après la trahison de Judas, en y introduisant Saint Paul, l’apôtre des Gentils 51. » Inexistant… Jusqu’au bout.

46. J.-P. MEIER, Un Certain Juif Jésus (Lectio divina), vol. 3, Paris, Cerf, 2005, p. 505. 47. B. RIGAUX, « Die Zwölf in Geschichte und Kerygma », in H. RISTOW et K. MATTHIAE (éds.), Der historische Jesus und der kerygmatische Christus : Beiträge zum Christusverständnis in Forschung und Verkündigung, Berlin, Evangelische Verlag, 1960, p. 468-486. 48. W. SCHMITHALS, The Office of Apostle in the Early Church, Nashville/New York, Abingdon, 1969, p. 70. 49. G. KLEIN, Die Zwölf Apostel : Ursprung und Gehalt einer Idee (Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testament 77), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1961, p. 36. 50. E. HAENCHEN, Die Apostelgeschichte (Meyers KeK 3.14), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 51965, p. 128. 51. L. RÉAU, Iconographie de l’Art chrétien III. Iconographie des saints, vol. 2, Paris, PUF, 1958, p. 925. Réau note qu’on ne sait pas quel attribut lui donner : la hache ou l’épée comme Jacques le Mineur, décapité à Jérusalem ? la lance de Thomas ? la hallebarde de Matthieu ?

OUVERTURE C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même religion et un même Dieu : quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques, comme le marchand ou le laboureur ? Évitons de n’avoir rien de commun avec la multitude ; affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent. Qu’elle s’approprie les douze apôtres, leurs disciples, les premiers martyrs (telles gens, tels patrons) ; qu’elle voie avec plaisir revenir, toutes les années, ce jour particulier que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres grands, ayons recours aux noms profanes ; faisons-nous baptiser sous ceux d’Annibal, de César et de Pompée : c’étaient de grands hommes ; sous celui de Lucrèce : c’était une illustre Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d’Olivier et de Tancrède : c’étaient des paladins, et le roman n’a point de héros plus merveilleux ; sous ceux d’Hector, d’Achille, d’Hercule, tous demi-dieux ; sous ceux mêmes de Phébus et de Diane ; et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis ? Jean DE LA BRUYÈRE, Les Caractères, chap. V « Des grands », § 23

Dans une intervention qu’il fit sur les traditions apostoliques en 1894, Louis Duchesne concluait sur les recueils d’actes et les listes apostoliques par un jugement lapidaire : Une critique sage et prudente a ainsi pour premier devoir de ne tenir aucun compte de ces catalogues et de leurs diverses recensions. Tout ce qu’ils représentent de tradition est connu par des documents antérieurs, de valeurs inégales, mais plus autorisés par leur âge ; tout ce qu’ils ont de particulier peut et doit même être considéré comme le produit de l’imagination de personnes inconnues, incapables de témoigner, même en fait de tradition populaire. Ils sont à l’histoire apostolique ce que sont les Fausses Décrétales à l’histoire des papes, c’est-à-dire l’équivalent de rien. Mais, comme les Fausses Décrétales et les autres apocryphes, si l’on n’en peut tirer parti pour l’étude de la tradition qu’ils prétendent exprimer, ils ont une grande utilité pour l’étude de la tradition subséquente, sur laquelle ils ont plus ou moins influé 1. 1. L. DUCHESNE, « Les anciens recueils de légendes apostoliques », in Compte rendu du troisième Congrès scientifique international des catholiques tenu à Bruxelles

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Nous nous sommes empressés de suivre la préconisation finale de l’illustre auteur des Origines du culte chrétien : pour l’étude de la « tradition subséquente », c’est-à-dire l’étude de la réception, son conseil est effectivement d’une grande utilité. Mais faut-il adhérer au début de la déclaration, et considérer effectivement ces recueils et ces listes pour « l’équivalent de rien » ? Au terme de cette étude sur l’histoire de la figure des apôtres, tracera-t-on un bilan aussi négatif ? Trois leçons méritent, nous semble-t-il, d’être tirées de ce parcours : (1) le terme « apôtre » recouvre des réalités très différentes ; (2) la légitimité qui leur est afférente est donc elle aussi très différente ; (3) la réduction de leurs actes à une pure fiction destinée à supporter les aspirations à l’universalisme du christianisme ne tient pas. I.

UNE DIVER SITÉ D ’ APÔTRES

Si des siècles de formules toutes faites nous ont accoutumés à considérer les Douze comme un tout, force est de constater que le terme recouvre des personnages très différents. Et cette diversité se constate dès le Nouveau Testament : hormis au moment de les choisir, et peut-être au dernier repas, ce groupe de Douze ne joue pas de rôle. Il est souvent dépassé par des disciples bien plus nombreux, ou bien il est restreint à des groupes plus petits, comme le trio Pierre-Jacques-Jean ou le quatuor Pierre-AndréJacques-Jean dans les évangiles, le duo Pierre-Jean dans les Actes et le trio Pierre-Jacques frère du Seigneur-Jean chez saint Paul. Dans leur réception, aussi, on a affaire à des groupes, composés de figures aux fonctionnements très différents. A. Les 6 « grands apôtres » Six personnages se distinguent des autres et constituent ce qu’on pourrait nommer des figures pleines, c’est-à-dire possédant un certain nombre de traits distinctifs qui se conservent tout au long de la réception. (1) Judas, bien évidemment, joue un rôle considérable dans l’histoire de la réception des Douze. Son principal trait distinctif est d’avoir accompli un acte en lien avec la mort de Jésus, compris par la suite comme une trahison. Cela a conduit à l’addition d’autres traits à ce trait principal, comme son avarice, sa dissimulation, etc. Alors que son éviction aurait dû conduire à la dénonciation du cercle des Douze, l’épisode du choix de Matthias permet fort opportunément de l’écarter (il n’est d’ailleurs jamais représenté du 3 au 8 septembre 1894, vol. 5 : sciences historiques, Bruxelles, Société belge de librairie, 1895, p. 67-79 (78).

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lorsqu’on figure le groupe de Douze pour eux-mêmes dans l’art). Il constitue pourtant une interrogation sur la légitimité des Douze, comme le prouvent certains textes gnostiques (comme l’évangile qui porte son nom) et la réception contemporaine. (2) Pierre est lui aussi un apôtre prépondérant. Cette importance s’explique non seulement par le fameux jeu de mots sur son nom, mais aussi par son caractère visionnaire lié à la Transfiguration et à la protophanie dont il aurait joui, ainsi que par le souvenir d’une « position médiane » qu’il aurait occupée, à mi-chemin entre les tendances de Paul et de Jacques frère du Seigneur. La complexité du caractère qui se dégage des évangiles, fait d’enthousiasme et de lâcheté, a pu contribuer à le rendre plus proche et plus « humain ». Ces traits devaient convenir aux communautés syriennes qui forgèrent l’essentiel de sa réception jusqu’au IVe siècle. Ce n’est que dans un second temps que la figure romaine émergea, liée aux revendications du patriarcat romain, mais aussi à un culte local. (3) Jean, contrairement à Pierre l’apôtre faillible, joue le rôle du disciple infaillible. Cette image s’appuie sur la confusion entre l’apôtre, le Disciple bien-aimé, l’auteur du quatrième évangile et des lettres, le voyant de l’Apocalypse. C’est bien un « super apôtre » qui combine tout ce qui passait pour des qualités dans le groupe chrétien : il est choisi par Jésus, il est une figure de fidélité (disciple), de théologien (l’évangile) et de voyant (l’Apocalypse). L’épisode au pied de la Croix le fait entrer dans la famille de Jésus, ce qui aura une grande importance lors du développement du culte de la Vierge. Fort de tous ces titres, il se comporte en véritable héros chrétien, promouvant la virginité et passant au milieu des hommes sans être touché par aucune de leurs machinations. (4) Contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, la réception de Thomas ne repose pas sur le fameux épisode du « doute », mais sur deux traits qui nous paraissent assez secondaires : sa parenté supposée avec Jésus exprimée par son nom araméen, toma ou en grec Didyme, signifiant « jumeau » et son apostolat traditionnel vers l’Inde. Thomas est le double de Jésus parti au loin : il accomplit ainsi la condition de disciple appelé à s’assimiler au Christ tout en proposant une part d’exotisme permettant toutes les fantaisies littéraires. (5) Philippe, contre toute attente, fait lui aussi partie des grands apôtres, non pas tant parce que les textes néotestamentaires bâtissent un personnage particulier, mais bien parce qu’il fut considéré comme l’apôtre de la Phrygie : ce sont les communautés locales, avec leurs particularités théologiques et surtout pratiques, qui assurèrent son succès. Ses traits distinctifs proviennent en effet de son association avec la région : encratisme, combat contre les divinités locales, miracles. (6) Il faut enfin faire une place à André, même s’il pourrait aussi figurer parmi les apôtres moyens dont on va parler. En effet, ses traits distinctifs se

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résument à deux : être le frère de Pierre, et être associé aux Grecs par son nom et par un épisode chez Jean. Ces deux traits favorisèrent sa réception par le milieu cultivé à l’origine des Actes d’André et aussi son utilisation par Byzance comme apôtre « concurrent de Pierre ». Ces six apôtres ont en commun d’être assez tôt les personnages principaux de discours ou d’écrits qui développent ces traits distinctifs, soit par des considérations théoriques (dans le cas de Judas et dans une certaine mesure de Pierre), soit par des épisodes qui les mettent en scène. Ainsi la confrontation avec Simon le Magicien des Actes de Pierre conforte-t-elle la figure de chef de communauté de Pierre, puisqu’on peut y lire le combat entre le christianisme et le paganisme ; ainsi la confusion entre Thomas et Jésus des Actes de Thomas s’explique-t-elles par sa gémellité. Leur prépondérance dans la tradition s’explique par leur importance dans les textes néotestamentaires, mais pas uniquement. Des facteurs locaux ont pu jouer, comme dans le cas de Philippe et d’André qui, personnages insignifiants dans les textes, ont pu gagner de l’importance grâce à leur association à des communautés locales. Au rebours, une certaine place dans la compagnie des Douze ne parvient pas à assurer une postérité immédiate, comme on le voit pour Jacques le Majeur. L’appartenance à cette compagnie n’est par ailleurs pas forcément requise, ainsi que le démontrent les cas de MarieMadeleine, de Paul et de Barnabé, qui connaissent une riche réception. B. Les 4 apôtres « moyens » Les quatre apôtres « moyens » se résument à un seul trait. On peut les nommer des figures simples : ils se distinguent aisément par ce trait et sont souvent choisis pour lui, mais ils ne présentent pas de biographie. (1) Jacques le Majeur, le frère de Jean et l’un des membres du « groupe des 4 » aurait dû, comme André, faire partie des « grands apôtres », mais il ne connut pas de postérité immédiate pour une raison évidente : les Actes des Apôtres nous apprennent un martyre précoce à Jérusalem. Ce n’était donc plus une figure disponible. Il fallut une confusion dans des lieux de morts, la circonstance favorable de la Reconquista et surtout la caisse de résonance du pèlerinage à Compostelle pour qu’il rejoigne tardivement les grands apôtres. Dans sa réception, ses principaux traits sont adventices : on le représente en matamore à cause de la légende de Calvijo ou en pèlerin à cause du pèlerinage compostellan. (2) Jacques le Mineur ne doit quant à lui sa postérité qu’à l’assimilation réalisée par le monde latin depuis Jérôme avec Jacques frère du Seigneur, haute figure du christianisme primitif et acteur important des Actes. Paradoxalement, celle-ci lui causa aussi du tort : pour éviter d’aborder l’épineuse question de la famille de Jésus, personne ne s’avisa vraiment d’écrire une importante tradition à son sujet.

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(3) Barthélemy dont on ne sait absolument rien dans les textes néotestamentaires doit sa belle postérité à l’assimilation qu’on a faite avec Nathanaël et au souvenir d’un apostolat en Inde. À l’instar de Thomas, il combine donc les traits de visionnaire et d’apôtre exotique. (4) Matthieu-Lévi, auquel on attribue le Premier Évangile, est à la frontière entre ces apôtres moyens et les petits apôtres. À part cette caractéristique d’écrivain sacré, aucun trait ne domine, ce qui a permis un grand nombre d’appropriations. C. Les 3 « petits apôtres » Les « petits apôtres » qui ne possèdent d’autre caractéristique connue que celle d’être apôtre sont des personnages creux : plutôt que d’imposer leurs traits définitoires à la réception qu’en font les communautés, ils se laissent remplir par elles. Leurs appropriations sont donc nombreuses et les hésitations quant à leurs destins sont innombrables. (1) Simon le zélé, dont le lieu de martyre hésite entre le Bosphore et la mer Rouge, entre la côte phénicienne et la Perse, est ballotté au gré des appropriations successives. (2) Jude ou Thaddée (Lebbée) connaît lui aussi une longue histoire d’appropriations successives, d’autant qu’il s’associe d’abord au cycle d’Édesse, puis à celui d’Arménie. (3) Matthias, choisi en remplacement de Judas, hésite entre un apostolat en mer Noire, une mort à Jérusalem et un tombeau à Beyrouth. La présence de ces personnages creux permet de mettre en lumière une règle générale de l’histoire de la réception des figures : plus le personnage est creux, plus les histoires qui le mettent en scène sont stéréotypées. La raison en est bien simple : faute d’éléments particuliers à sa disposition, le narrateur fait intervenir des traits généraux. Ainsi, dans les Actes écrits en leur honneur, ce ne sont pas Jude, Simon ou Matthias qui sont les héros, mais « l’apôtre », une image abstraite qui révèle la définition que les rédacteurs ont de la fonction apostolique. II. U NE

DIVER SITÉ D ’ USAGE DE L ’ AU TORITÉ APOSTOLIQUE

Vu cette diversité de figures apostoliques, on comprend que la question de l’usage de l’autorité apostolique ait été traitée différemment selon les apôtres et les époques. Pour mieux l’apercevoir, il convient de renoncer à une comparaison qui fonctionna comme un véritable obstacle épistémologique : celle avec le Theios anèr (θεῖος ἀνήρ) de la Vie d’Apollonios de Thyane de Philostrate. En effet, celle-ci laissa penser que tous les apôtres étaient construits sur un modèle unique.

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A. Une trompeuse comparaison : le theios anèr

1. Apôtre et theios anèr Le fait a déjà été relevé par H. Delehaye, qu’on a amplement cité : une expérience de lecture suivie de la littérature hagiographique ne se fait jamais sans un certain ennui. Les schémas sont tous plus ou moins les mêmes, les intrigues ne varient guère, et les personnages présentent toujours les mêmes caractéristiques. Grande a été la tentation, surtout après les travaux de Reitzenstein et Bieler2 de voir l’apôtre comme le renouvellement du theios anèr antique. Dans le résumé de sa thèse, Philippe Hanus présente avec clarté les traits distinctifs de ce personnage mythique : Élection : naissance extraordinaire (épiphanie) ; grâce physique ; précocité intellectuelle. Ascèse : adoption de la loi d’une école philosophique ; stricte hygiène de vie ; Emploi du temps sanctifiant : prier, jeûner, veiller ; refus des contraintes de la vie sociale. Aspect physique : longue chevelure peu soignée et barbe ; pauvreté vestimentaire : tunique de lin (refus de la laine animale) ; pieds nus ou sandales. Errance, voyages : long périple de type initiatique (quête de l’Orient originel) en Inde ou en Égypte ; voyage souterrain ou catabase ; bi-localisation ; enseignement prodigué de ville en ville, dans le monde méditerranéen. Vision de l’univers : connaissance des secrets de l’univers ; cosmologie ; expérience de la survie de l’âme. Dons, charisme : thaumaturgie ; exorcisme ; divination ; don d’ubiquité ; pratique de la théurgie ; don des langues. Vertus morales : humanisme ; compassion ; bonté parfaite ; sens de l’écoute. Piété : participation aux rituels et fêtes de la religion officielle ; critique des dérives de ces mêmes rituels (refus des sacrifices sanglants) ; pratique d’exercices spirituels ; fuite dans l’expérience intérieure (voie du mystique) ; voyage de type extatique. Maître de la dialectique : orateur brillant ; habile rhéteur qui séduit la foule (langue imagée : paraboles, métaphores). Formation d’une école de sagesse, d’une secte : leader d’un courant de pensée, d’une nouvelle école, d’une règle de vie ; s’attache de nombreux disciples. Participation à une forme d’agir en politique : conseiller des princes ; successeur des grands législateurs ; purificateur de l’espace public. Adulation par les hommes : fascination du grand public ; divinisation de son vivant 3. 2. R. REITZENSTEIN, Die hellenistischen Mysterienreligionen : Ihren Grundgedanken und Wirkungen, Leipzig, Teubner, 1910. L. BIELER, Θεῖος ἀνήρ. Das Bild des « göttlichen Menschen », in Spätantike und Frühchristentum, Wien, Höfels, 2 vol., 1935-1936. 3. P. HANUS, « Apollonios de Tyane et la tradition du “theios aner” », Dialogues d’histoire ancienne 24, 1998, p. 200-231. La thèse, à notre connaissance non publiée,

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Cette comparaison permettrait d’expliquer à la fois le caractère relativement répétitif des actions réalisées par les apôtres, et le fait qu’ils soient tellement puissants en paroles et en thaumaturgie. Le combat de Pierre et de Simon ne serait-il pas l’illustration du combat entre deux theoi andrès, celui du christianisme et celui du paganisme, se soldant par la victoire complète du paganisme ? Les Actes d’André ne construiraient-ils pas un modèle de theos anèr pour chrétiens d’origine païenne en jouant sur les vieilles conceptions philosophiques de l’homme d’exception ? Et les miracles à répétition de Simon et de Jude ne ressortissent-ils pas à la thaumaturgie, l’exorcisme, la théurgie ?

2. Contestation de la comparaison ou l’apôtre comme héros Ainsi que l’a montré le travail de David Du Toit 4, cette comparaison n’a pas vraiment lieu d’être. En effet, l’expression « θεῖος ἀνήρ » provient de la vie d’Apollonios de Thyane (16-97) par Philostrate (170-249) qui, comme l’avait déjà montré Reitzenstein en son temps, ressortit plus à la fantaisie de Philostrate qu’à des données historiques ou à une tradition. Non seulement les qualificatifs θεῖος (divin), δαιμόνιος (démonique), θεσπέσιος (miraculeux) appliqués à ἄνθρωπος ou à ἀνήρ (homme) sont rares dans l’Antiquité, mais ils ne servent jamais à caractériser des « hommes divins » ou des faiseurs de miracles charismatiques : ils sont plutôt accolés à des archégètes (des fondateurs) ou des garants de la tradition. En outre, l’expression ne joue aucun rôle dans la tradition chrétienne 5. Ce fait est d’ailleurs confirmé par le Finlandais Erkki Koskenniemi qui conclut que la Vie d’Apollonios n’est en rien représentative de l’hellénisme et qu’elle n’a joué aucun rôle sur le christianisme primitif 6. En outre n’est-ce pas là un arbre qui cache la forêt ? Ne pourrait-on pas appliquer exactement les mêmes caractéristiques (à quelques ajustements s’intitulait : La Vie d’Apollonios de Tyane. Recherches sur la tradition du « theios aner ». (Thèse de doctorat, Université Pierre Mendès-France, Grenoble II, sous la direction de Colette Jourdain-Annequin, soutenue le 29 avril 1998). 4. D. S. DU TOIT, Theios Anthropos (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.91), Tübingen, Mohr Siebeck, 1997. 5. D. S. DU TOIT, Theios Anthropos…, p. 402-403. Le fait avait été souligné par M. SMITH, « Prolegomona to a discussion of aretologies, divine men, the Gospels and Jesus », Journal of Biblical Literature 90, 1971, p. 174-199. 6. E. KOSKENNIEMI, Der philostratische Apollonios (Commentationes Jumanarum Litterarum 94), Helsinki, Societas Scientarum Fennica, 1991 ; ID., « Apollonius of Thyana : A Typical Θεῖος ἀνήρ ? », Journal of Biblical Literature 117, 1998, p. 455467. Le Finlandais est aussi l’auteur d’une revue de l’influence de l’écrit de Philostrate sur l’exégèse du Nouveau Testament : ID., Apollonios von Thyana in der neutestamentliche Exegese : Forschungsbericht und Weiterführung der Diskussion (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 2.61), Tübingen, Mohr Siebeck, 1994. Pour une revue des hypotheses, voir J.-J. FLINTERMAN, « The Ubiquitous “Divine Man” » Numen 43, 1996, p. 82-98.

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culturels près) aux Sâdhus indiens, aux fakirs ou aux derviches soufis, aux Naga Baba ou aux Gorakhnathi shivaïtes, aux sannyāsin brahmanistes, aux arhats bouddhistes, aux jaïns, aux esséniens, aux nazirs, voire à ce qu’on peut reconstruire des druides celtes ? Ce sont les mêmes idéaux qui habiteront tous ces nouveaux héros ascètes du christianisme que sont les moines 7. Tous représentent cet « appel du héros » dont parlait Bergson dans les Deux Sources de la morale et de la religion 8 et qu’il décrivait comme un refus de la pesanteur, une rébellion, une manifestation de l’élan vital. L’apôtre, comme un héros, refuse le monde tel qu’il va, sort du commun des mortels, surpasse les autres hommes. B. Les appropriations du héros Davantage donc que dans ses qualités, qui seront forcément héroïques, c’est dans ses appropriations que l’apôtre présente un quelconque intérêt, et dans le rôle qu’on lui fait jouer. Ces rôles diffèrent en fonction des époques. Suivant notre étude, on peut se risquer à une chronologie.

1. Le

siècle : les apôtres comme représentants des lecteurs et des communautés Ier

La première fonction qu’occupèrent les apôtres est de jouer le rôle de représentants des lecteurs, mais aussi des communautés. Comme l’ont montré les travaux de l’analyse narrative9, les personnages fonctionnent souvent comme les relais des questions ou des attitudes des destinataires de l’œuvre, tout en leur renvoyant une représentation idéalisée de leur communauté. C’est particulièrement le cas pour Pierre, qui se fait souvent le porte-parole, mais aussi le « porte-émotion » des hommes face à Jésus. C’est également le cas de Judas, dont la trahison représente l’une des solutions possibles face à la question que pose le message de Jésus à l’humanité. Il convient de remarquer que si les synoptiques se contentaient de ces deux apôtres, Jn multiplia les relais en faisant une place à Philippe, Thomas ou Jean. Les Actes des apôtres, quant à eux, construisent déjà les apôtres comme les relais de la communauté, ce qui amorce leur processus d’héroïsation : Pierre et Jean que nous avons étudiés, mais surtout Paul et Barnabé, qui mériteraient une étude à eux seuls.

7. P. BROWN, « The Rise and Function of the Holy Man in Late Antiquity », Journal of Roman Studies 61, 1971, p. 82-101. 8. H. BERGSON, Les Deux Sources de la morale et de la religion, Paris, Alcan, 1932, chap. IV. 9. Pour une première approche, on citera D. MARGUERAT et Y. BOURQUIN, Pour Lire les récits bibliques, Paris, Cerf, 42009.

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2. Les II e et III e siècles : les apôtres, représentants des communautés Les deux siècles qui suivent marquent l’âge d’or de l’appropriation des apôtres par les communautés. Alors qu’autrefois, on pensait à travers le prisme de « l’orthodoxie » et de « l’hétérodoxie », et qu’on décrivait le mouvement comme une razzia des hétérodoxes sur les apôtres, il convient désormais de voir que toutes les communautés opèrent le même mouvement : faire des apôtres leurs représentants. Il ne s’agit pas toujours d’un enjeu de pouvoir, quoique la question du pouvoir ne soit pas totalement exclue. L’utilisation des apôtres se fait plutôt pour fournir une incarnation à une théologie. Pour avoir une effectivité, la réflexion théorique doit pouvoir être transmise. Et quel meilleur moyen d’y parvenir que d’utiliser un personnage à qui l’on fait pratiquer les vertus que l’on souhaite promouvoir et à qui l’on fait prononcer les discours auxquels on tient ? 1. Divers représentants pour diverses communautés. – Les communautés antiochiennes s’emparent donc de Pierre pour en faire un visionnaire prêchant une pratique équilibrée de la Loi. André devient le héros de communautés fortement hellénisées et cultivées qui en font le prédicateur d’un message syncrétique. Au contraire, les Syriens adoptent Thomas et insistent sur sa gémellité dans laquelle ils voient un modèle d’accès mystique à Dieu. Les Égyptiens favorisent plutôt Jean, qu’ils voient comme un modèle de virginité, de refus du monde, et d’union à Dieu. Philippe convient bien aux extatiques de Phrygie, qui recueillent sans doute de nombreuses traditions exogènes : c’est un apôtre protéiforme, qui prêche la virilité spirituelle et la réconciliation de ce qui a été divisé par le péché. Barthélemy, nettement plus mystérieux, a paru passionner des communautés avides de connaître la destinée de l’homme après la mort. L’ascétisme qu’ils paraissent tous partager joue en réalité une fonction différente dans ces diverses communautés. Pour Thomas, il est la marque d’un refus du monde permettant de garder les yeux fixés sur Jésus dans l’imitatio Christi, alors que pour Philippe, il ressemble à l’espoir d’un retour à l’état adamique. Chez André, il est analogue au retrait du monde propre aux sages grecs, alors que pour Pierre, il a une fonction nettement plus messianique. 2. Le cas particulier du christianisme asiate. – Un cas particulier doit être fait ici à certaines franges du christianisme asiate qui comptèrent dans leurs rangs un Ignace d’Antioche ou un Irénée de Lyon. Ces communautés paraissent constituer les embryons de la « Grande Église » qui deviendra officielle. Sans qu’il soit possible de savoir ce qu’elles représentent exactement, ni quelles furent leurs motivations, on les sent animées par le souci de la légitimité. Ignace d’Antioche est un bon représentant de la volonté d’établir ce que l’on a parfois nommé l’« épiscopat monarchique ». Il est aussi l’un des premiers à faire de Pierre et de Paul des témoins d’une parole autorisée. De même, on constate qu’Irénée de Lyon, mais aussi Papias de Hiérapolis, cherchèrent à recourir aux apôtres en tant que figures d’auto-

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rité. Ils manifestent le désir de se rapprocher de la « mémoire » des apôtres et de couvrir de leur prestige les textes en usage. En sus de Paul (dont le porte-parole est Luc), trois apôtres sont sollicités chez eux : Pierre, par le truchement de Marc, Matthieu, et Jean le Disciple. 3. Du porte-parole au porte-drapeau. – Face à ces prétentions, et encore une fois sans qu’il soit possible de savoir exactement ni à quelle époque, ni dans quelles conditions concrètes tout cela se déroula, on s’aperçoit que les communautés qui s’étaient précédemment emparées des apôtres, se mirent à les utiliser comme figures d’autorité. Ils prirent souvent pour cible Pierre, et exaltèrent d’autres figures comme Thomas, Philippe, Marie-Madeleine.

3. Les IV e, V e et VI e siècles et les réécritures Ce processus d’utilisation des apôtres non plus comme relais, mais comme figures d’autorité se prolonge dans les trois siècles qui suivent. Désormais, les apôtres sont les nouveaux héros d’un christianisme officiel qui entend réduire la diversité au sein des disciples de Jésus. Ils font intégralement partie du processus de mise en ordre. 1. L’écriture des recueils par le christianisme officiel. – On connaît deux recueils qui s’écrivent à cette période-là : celui placé sous le nom du Pseudo-Abdias et celui appelé habituellement Combat des apôtres. Une étude exhaustive de ces deux recueils pour eux-mêmes reste encore à faire pour renouveler Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden de Lipsius. Tout porte à croire qu’ils provenaient à l’origine de milieux et de communautés différents et qu’ils ne furent compilés et peut-être expurgés qu’à une période tardive (VIe siècle). On connaît également les ouvrages de Jérôme de Stridon et de Grégoire de Tours. La visée de ces recueils est double. D’une part, ceux-ci entendaient rendre les aventures des grands apôtres conformes à l’orthodoxie en voie d’élaboration. Pour certains – Pierre, Thomas, Jean ou André –, on se borna à expurger les récits en conservant les trames narratives. Pour les autres, on inventa carrément ab novo une nouvelle biographie. D’autre part, il fallut donner aux petits apôtres de nouveaux territoires. Aussi s’obligea-t-on à embaucher les « petits » apôtres pour « couvrir » des zones laissées vacantes. Jude parcourut le sud du bassin méditerranéen tandis que son compère Simon alla vers l’Est, afin d’évangéliser l’Ibérie, l’Égypte, la Maurétanie ; l’un et l’autre finirent leur carrière en Perse, car il ne fallait pas laisser la Babylonie en déréliction. Aussi se permit-on d’« élargir » la terre de mission des « grands » apôtres. Barthélemy reçut la polysémique Éthiopie, ce qui permettait de faire d’une pierre deux coups (la Colchide et la Nubie), Thomas retrouva la Parthie en compagnie de Matthieu. Pour faire bonne mesure, on prévit des missions chez les « Anthropophages » dans lesquels il ne convient pas de voir de simples localisations fantaisistes : par cette mission s’exprime l’espoir d’une christianisation de ce que le monde compte de plus

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étranger, une domestication de ce qui est le plus sauvage. Ces extensions ne se firent pas sans quelques hésitations et l’on vit plus d’un apôtre empiéter sur le territoire de l’autre, comme Thomas, Barthélemy, Matthieu, Matthias. 2. L’écriture des textes liturgiques. – La même prétention à l’exhaustivité se lit dans les textes liturgiques qui tentèrent, tant bien que mal, à faire une synthèse acceptable dans le maquis des localisations et des narrations. 3. La montée en puissance de l’assimilation avec les martyrs. – Au cours de cette période on assiste aussi à une importante assimilation 10 : d’abord considérée comme une catégorie à part, les apôtres eurent tendance à se ranger dans la catégorie des martyrs (à l’exception de Jean), qui prit toujours plus d’importance à une époque, où, justement, il y avait moins de martyrs et où leur culte connaissait une plus grande extension. C’est ainsi que le recueil des Virtutes apostolorum eut tendance à insister sur leur mort héroïque qui était une manière de les faire « rentrer dans le rang » en les classant dans un typus hagiographique bien repérable.

4. Les VII e et VIII e siècles et les appropriations politiques Les deux derniers siècles opérant des modifications significatives dans la figure des apôtres furent les VIIe et VIIIe siècles. Avec l’effondrement de l’Empire romain d’Occident et la montée en puissance du patriarcat romain, le terrain de la légitimité se déplaça. Il ne s’agissait plus vraiment (ou pas encore) de trouver des champions pour l’« orthodoxie », il s’agissait d’asseoir la légitimité politique d’un territoire pour résister à Rome et à ses deux « super-apôtres », Pierre et Paul. 1. En Occident, la résurrection de Jacques le Majeur. – L’occident de l’Occident n’avait pas son apôtre. Il l’inventa (dans les deux sens que ce terme prend à propos des reliques) en ressuscitant la figure de Jacques le Majeur, que personne n’avait osé utiliser car il avait eu le mauvais goût de mourir prématurément en martyr. Cette « bonne opération » qui fut tout d’abord le fait d’une Église espagnole, tentant de résister à la fois à l’emprise musulmane et au schisme priscillianiste, fut promptement amplifiée par le Royaume de France et certains territoires allemands grâce au soutien de Cluny. Désormais la partie occidentale de l’Europe avait aussi son saint patron, dont la dévotion s’exprimait par un pèlerinage. 2. À Byzance, l’appropriation d’André. – Pour résister à l’omnipotence de la figure pétrinienne, Byzance lui opposa son propre frère, André. Ainsi qu’on a pu le constater, ses tournées apostoliques furent un peu prolongées vers le nord afin de lui faire visiter Byzance et d’en faire le fondateur du patriarcat d’Orient. 10. Els ROSE, Ritual Memories…, p. 280 P. HARNONCOURT et H. AUF DER MAUR, Feiern im Rhythmus der Zeit (Gottesdienst der Kirche. Handbuch der Liturgiewissenschaft 6.1), Regensburg, Pustet, 1994, p. 111.

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3. En Arménie, Barthélemy et Jude reprennent du service. – Avec les Mamikonian et les Bagratides, l’Arménie échappait petit à petit à l’orbe de Byzance en se repliant sur son Église nationale qui se sépara du patriarcat byzantin en définissant sa propre identité. Barthélemy et Jude furent alors réquisitionnés pour servir d’apôtres fondateurs. On modifia donc quelque peu leurs itinéraires et on déplaça leurs tombeaux, afin de les « inventer » en Arménie. C. Des fonctionnements littéraires différents Pour correspondre à ces différentes appropriations du héros, le genre littéraire des textes servant à en effectuer la réception a beaucoup évolué. En appelant, de manière générique, ces textes des « Actes », on a tendance à simplifier considérablement ce qui est une mosaïque. Comme l’avait déjà vu Louis Duchesne à la toute fin du XIXe siècle, le recueil de Leucius Charinus entretient de grandes proximités avec la littérature romanesque : Des aventures imaginaires et merveilleuses furent attribuées aux apôtres par des romanciers intrépides à qui le populaire chrétien fit aussitôt accueil. Les évêques pouvaient considérer d’un œil distrait, ou même inquiet, les petits livres qui couraient sur ce sujet ; on ne les lisait pas moins. La légende est l’histoire des petites gens ; on laissait le clergé faire le dédaigneux et l’on dévorait les romans apostoliques 11.

Il y a bien sûr beaucoup d’anachronisme dans ce paragraphe, en partie sans doute par goût de la formule, mais l’essentiel est là. Même s’ils ne sont pas dénués d’arrière-pensées idéologiques, les auteurs de ces textes sont aussi des romanciers, et le recueil de Leucius Charinus est aussi une collection de textes destinés à plaire et émouvoir. Si les apôtres sont des héros du peuple chrétien, alors celui-ci prend plaisir à les voir se sortir des difficultés sans nombres, et triompher de tous les périls, un peu comme les Grecs prenaient plaisir à voir leurs dieux se débattre dans des intrigues humaines, sans pour autant supprimer la croyance qu’ils avaient pour eux12. Les traiter uniquement comme des témoignages de traditions historiques ou comme des ouvrages de théologie serait passer à côté d’une partie de leur visée.

11. L. DUCHESNE, « Les anciens recueils de légendes apostoliques », in Compte rendu du troisième Congrès scientifique international des catholiques tenu à Bruxelles du 3 au 8 septembre 1894, vol. 5 : sciences historiques, Bruxelles, Société belge de librairie, 1895, p. 67-79 (69-70). 12. P. VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Essai sur l’imagination constituante (Points essais 246), Paris, Seuil, 11983, 1992.

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Il en va certainement de même pour les recueils du VIe siècle. Certes, le fonctionnement narratif est totalement différent, puisque c’est désormais le miracle et le prodige qui sert de ressort à l’action. Mais Grégoire de Tours, qui lance en quelque sorte le genre par sa Vie d’André, dit bien toute l’ambiguïté de son projet : Aussi m’a-t-il semblé bon de ne retenir et de ne mettre en lumière que les prodiges, de laisser de côté ce qui provoquait l’ennui, afin que ces miracles admirables soient consignés en un petit ouvrage qui procure la grâce à ses lecteurs et ôte la malveillance à ses détracteurs. Car une foi pure n’est pas suscitée par une surabondance de verbosité, mais par l’intégrité de la raison et la pureté de l’esprit 13.

Certes, le but de l’ouvrage est de provoquer la foi, mais celle-ci naît du charme qu’on trouve à sa lecture et non de copieux discours : delectare et prodesse. Tout autre est le but de récits provenant des siècles suivants, comme ceux du cycle d’Édesse, du cycle arménien ou du cycle byzantin. Il s’agit ici de légitimer une communauté ou de confirmer la présence de reliques. Le récit se fait plus stéréotypé afin d’aller droit au but : déplacer un lieu de sépulture, transformer par la présence et les actes d’un apôtre un pays en terre sainte. Plus que les intrigues, ce qui compte désormais, ce sont les toponymes pour ancrer sur un territoire et les anthroponymes pour ancrer dans une histoire. III. L A

MISSION UNIVER SELLE DES APÔTRES

:

UNE LÉGENDE APPROXIMATIVE

A. La diuisio apostolorum comme « légende » La diversité des apôtres et des appropriations doit nous faire renoncer à un préjugé que l’on retrouve fréquemment dans la littérature scientifique et qui est hérité du XIXe siècle : l’idée que les communautés ont inventé les actes apostoliques afin de satisfaire l’aspiration à l’universalité de l’Église. Elle suit le raisonnement suivant. Puisque la fin du monde est proche, il est nécessaire que l’Évangile soit annoncé aux nations. Or, puisque Jésus l’a commandé à ses apôtres en Mt 28, 19 ou Mc 16, 15, ceux-ci ont dû amorcer la mission universelle. Donc, il était indispensable que l’on assigne une mission universelle aux apôtres. C’est exactement ce que prétend Adolf von Harnack dans le chapitre VII de son grand livre Mission und Ausbreitung. Après avoir reconnu « que l’évangéliste Philippe, l’apôtre André, peut-être également l’apôtre Jean se sont rendus en Asie (et André éga13. ÉAC I, p. 935-936.

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lement en Scythie), Thomas dans le pays des Parthes ou en « Inde », et Marc à Alexandrie, est pour partie certain et pour partie vraisemblable14 », il affirme que les textes apocryphes ont, à partir du IIe siècle, construit une « légende missionnaire » de l’évangélisation universelle. Richard Adelbert Lipsius ne pensait pas différemment et fonde son opinion sur ce qu’il appelle la Legende von der Aposteltheilung, la « légende de la division apostolique » 15. Pour lui, cette légende prend corps dès le IIe siècle. Elle s’appuie sur plusieurs textes anciens. La Didascalie des Apôtres conservée en syriaque, mais dont l’original est probablement grec, comporte en effet la phrase suivante : « Quand nous eûmes divisé le monde en douze parties, et que nous fûmes sortis chez les gentils par tout le monde pour prêcher le Verbe, alors Satan excita le peuple (juif ) à envoyer après nous de faux apôtres pour la destruction du Verbe 16. » Le début des Actes de Thomas, qui remontent, on l’a vu, à la même époque, conserve lui aussi une diuisio apostolorum puisque les Douze se partagent les contrées par tirage au sort. Cette tradition se retrouve également chez Rufin d’Aquilée, dans le passage de l’Histoire ecclésiastique dont nous avons traité à plusieurs reprises ( I, 9) : les apôtres font un tirage au sort (sorte) afin d’opérer un partage de la terre (diuisione orbis terræ). Cette tradition pénètre aussi le monde alexandrin, puisque le recueil des « Combats des apôtres » reprend plusieurs fois le thème : dans la Prédication de Barthélemy (chap. 2), dans la Prédication de Jacques fils de Zébédée (chap. 2). B. Une légende qui ne fonctionne pas En réalité, à bien y regarder, cette légende ne fonctionne pas. C’est ce qu’avait déjà remarqué Jean-Daniel Kaestli 17 dans un article de 1981. La diuisio se développe selon une construction impérative de sept parties : a) description de la situation de l’apôtre au moment de son envoi ; b) initiative provoquant la mise en œuvre de l’ordre missionnaire ; c) répartition des régions entre tous les apôtres et tirage au sort ; d) indication du pays dévolu ; e) réticence ; f ) encouragements ; g) événements providentiels. C’est donc avant tout un motif littéraire comme le remarquait déjà 14. A. von HARNACK, Mission et Expansion du christianisme dans les trois premiers siècles (Patrimoines christianisme), 41924, trad. J. HOFFMANN, Paris, Cerf, 2004, p. 139. 15. R. A. LIPSIUS, Die apokryphen Apostelgeschichten und Apostellegenden I, Braunschweig, Schwetschke, 1883, p. 11-34. 16. Didascalie des Apôtres XXIII, 101. F. NAU, La Didascalie, c’est-à-dire l’enseignement catholique des douze apôtres et des saints disciples de Notre Sauveur, Paris, Lethielleux, 1902, p. 132. 17. J.-D. KAESTLI, « Les scènes d’attribution des champs de mission et de départ de l’apôtre dans les Actes apocryphes », in F. BOVON et al. (éds.), Les Actes apocryphes des apôtres, Genève, Labor et Fides, 1981, p. 249-264.

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Martin Blumenthal en 1933 : le Wanderungsmotiv était un topos littéraire extrêmement fréquent dans la littérature gréco-romaine 18 ; et de renvoyer à l’ouvrage de 1876 d’Erwin Rohde 19 retraçant son origine dans les mythes archaïques comme ceux d’Isis. On peut donc conclure avec Kaestli : « L’existence d’une tradition ancienne et cohérente sur la répartition des champs de mission ne trouve en tout cas aucun appui dans les Actes apocryphes. L’élément central des scènes de départ que nous avons citées n’est pas l’idée du partage de la mission universelle, mais bien l’attribution d’un lieu d’activité déterminé au protagoniste du récit 20. » Notre étude permet de faire un pas de plus. En effet, non seulement les textes apocryphes n’ont pas été écrits pour accréditer l’idée de la diuisio apostolorum, mais au contraire, ils forment tout sauf une division du monde. Résumons ces résultats dans un tableau : PIERRE

ANDRÉ

JACQUES JEAN

PHILIPPE

BARTHÉLEMY

Ier

Jérusalem

Grèce, Antioche, Rome

IIe

Parthie

IIIe

Pont, Achaïe (Patras)

IVe

Ve

Myrmidonia chez les Anthropophages (Scythie)

VIe

Mer Noire (dont Byzance)

Marmarique

Samarie, Césarée (pour l’évangéliste) Phrygie Inde Asie Mineure, (Hiérapo- (Éthiopie et Éphèse lis) Hedjaz ou Inde gangétique) Phrygie Pays des Rome (devant Candaces (avec l’Empe- (Nubie ?), Philippe) Azot, reur) Nicatera Jérusalem (Cés(en com- arée ?), pagnie de OphiJacques) orymè (Hiérapo- Pont et lis) Colchide

Occident Asie Mineure Gaule

Lycaonie Arménie (Albanopolis)

THOMAS MATTHIEU JACQUES JUDE D’ALPHÉE

VIIIe

OCCIDENT

JÉRUSA-

ASIE MINEURE

MATTHIAS

Parthie Judée et Syrie (tradition de l’évangile)

Édesse et Inde (Patna, Calamine)

Perse Éthiopie (Colchide ?) Hiérapolis de Parthie, Anthropophages

Parthie, Pont Médie, Perse, Margiane

Espagne

VIIe

SIMON

ORIENT

Gabala, Antioche,

Édesse

Dans l’Église latine : confondu avec le frère du Seigneur : Jérusalem.

Lybie (Rébek des Blemmyes ou Berenikè) ; Perse en Occident Dans les Côte Églises syrienne orien(Béryte, tales : Arados) localisa- en Oritions ent variées Arménie RÉGION

Égypte

Ibérie (Géorgie), Perse en Occident

Éthiopie (Colchide) Syrie (Pelwôn) Judée

Éleuthéoropolis, Ostrakinè, Maurétanie et Bretagne (Simon le Zélé), Syrie SYRIENNE

LEM

« Grands Apôtres »

« Petits Apôtres »

18. M. BLUMENTHAL, Formen und Motive in den apokryphen Apostelgeschichten (Texte und Untersuchungen 48.1), Leipzig, Hinrich, 1933, p. 153. 19. E. ROHDE, Die griechische Roman und seine Vorläufer, Leipzig, Breitkopf & Hartel, 1876, p. 167-170. 20. J.-D. KAESTLI, « Les scènes d’attribution… », p. 264.

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Vraiment, ces traditions brillent par leur absence d’une réflexion sur la géographie symbolique. On s’aperçoit en effet que certains lieux de très haute importance sont absents des premières localisations, à l’instar de lieux bien connus pour avoir eu des communautés juives très actives. En effet, comment expliquer qu’aucun apôtre ne dirige résolument ses pas vers la Babylonie ? Il y a quelques liens avec Édesse, mais on ne va guère plus loin avant le Ve siècle et l’apostolat de Simon et Jude. Comment expliquer, de même, qu’il faut également attendre le Ve siècle avant de parler d’un improbable apostolat des mêmes Simon et Jude en Cyrénaïque alors qu’on connaît la région pour être le lieu de nombreuses Églises locales ? Et surtout, comment a-t-il échappé aux apôtres qu’ils pourraient aller en Égypte ? On connaît l’extraordinaire vitalité de la communauté juive d’Alexandrie et l’on sait que la ville est également devenue un centre intellectuel prépondérant pour le christianisme du IIIe siècle. Or, aucun souvenir assuré n’est conservé de son évangélisation. Le seul évêque réellement connu est Démétrios (189-231) et la tradition d’une fondation par l’évangéliste Marc ne remonte vraiment qu’au IIIe siècle 21. Eusèbe de Césarée la rapporte du bout des lèvres : φασίν, dit-il, « on raconte ». Il ne trouve d’ailleurs pas grand-chose à en dire, à part que ce disciple de Pierre s’est établi à Alexandrie 22. Si les traditions apostoliques avaient été inventées de toutes pièces, comment aurait-on pu oublier Alexandrie ? En revanche, on constate une surreprésentation de certaines zones géographiques et tout particulièrement la Syrie et la côte phénicienne ainsi que l’Asie Mineure et le Pont. Pourquoi cet engouement apostolique pour la mer Noire et le Caucase au point que six apôtres (André, Barthélemy, Matthieu, Simon, Matthias et Jude) y fassent un tour ? Pourquoi ce goût pour la route côtière, la via Maris, dont les listes et les Actes ne cessent de redire les noms : Ostrakinè, Éleuthéropolis, Gaza, Azot-Ashdod, Beyrouth, Arados-Arwad, Gabala, Antioche ? La croyance en la prédication universelle des apôtres est prégnante dès les premiers siècles puisqu’on la trouve dès l’Epistula Apostolorum. On la trouve ensuite chez les Pères à partir d’Irénée 23, même si, derechef, il convient, dans les déclarations des Pères, de ne pas confondre ce qui est dit des « apôtres » ou des « disciples » et ce qui est dit des Douze. Toutefois, 21. A. JAKAB, Ecclesia Alexandrina : évolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (christianismes anciens 1), Berne, Peter Lang, 2004, p. 45-49. C. W. GRIGGS, Early Egyptian Christianity from its Origins to 451 (Brill’s Scholars List 3), Leiden, Brill, 2000, p. 19-25. 22. EUSÈBE DE CÉSARÉE, Hist. Eccl. II, 16, 1. 23. Epistula apostolorum 2. Voir également IRÉNÉE DE LYON, Adv. Hær. III, 1, 1 ; ORIGÈNE, Contra Celsum II, 30 ; EUSÈBE DE CÉSARÉE, Démonstration évangélique, VIII, 30-32 ;

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Figure 23 : les évêchés de quelques-uns des 70

elle peine à s’imposer, car ce n’est que par après que se forge l’idée d’une évangélisation par les Douze. Le caractère relativement tardif de cette volonté de faire des apôtres les supports de la mission universelle se lit dans les listes d’apôtres. Entre la liste anonyme II du Ve siècle et la liste attribuée au Pseudo-Épiphane du VIIe siècle, on peut constater un certain nombre de changements. Non seulement les territoires alloués aux apôtres sont plus importants, comme pour leur donner plus de territoires géographiques à parcourir, mais, surtout, c’est aux Soixante-dix qu’est dévolu le rôle de « boucher les trous ». Alors que la liste anonyme parlait des pérégrinations des Douze mais pas de celles des Soixante-dix, le Pseudo-Épiphane est plus bavard. On remarque en particulier qu’il s’arrange pour faire aller Timon, l’un des Sept, jusqu’en Arabie, à Bostra (Bosra dans le Hauran), Marc est bien entendu évêque d’Alexandrie, l’Andronicus mentionné dans Ga devient évêque de Pannonie (le territoire de l’actuelle Hongrie), Aristobule mentionné dans Rm devient évêque de Bretagne (l’Angleterre), Asyncrite également mentionné en Rm devient évêque en Hyrcanie (la Caspienne), Hermès, toujours mentionné en Rm, évêque de Dalmatie (le littoral de l’Adriatique) et César, mentionné par l’apôtre, fut évêque de Dyrrachium (Durrës en Albanie), tandis que Narcisse, enfin, devint évêque d’Athènes. Ainsi les territoires de l’Europe centrale (qui joua un si grand rôle dans les premiers temps de l’empire romano-byzantin), la Grèce, la Grande-Bretagne, bref l’Europe de l’Ouest, sont-ils « couverts » par la prédication apostolique.

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Le passage se fait donc entre la liste anonyme II et la liste d’Épiphane. Or, c’est bien entre le VIe et le VIIe siècle que naît un collegium apostoli destiné à mettre en scène la profonde unité de l’Église et dont l’illustration est l’introduction d’une fête collective des apôtres que le seul Orient a conservée le 30 juin 24. Elle exprime le fait que l’appartenance au groupe des douze assises sur lesquelles repose le rempart de la Jérusalem nouvelle (Ap 21, 14) compte davantage que l’activité ou la sainteté individuelle de chacun de ses membres. Ce culte, qui naît au tout début de la période médiévale 25 a tendance à confondre les individus sous un générique, à les ranger sous un type hagiographique mêlant prédication et martyre, et finalement à les comprendre comme les fondateurs d’un christianisme rayonnant à partir de Jérusalem. On comprend l’intérêt de cette conception : ce groupe a un chef, c’est Pierre, or Rome est l’héritière de Pierre, Rome est donc la première dans la succession apostolique. Cette conviction demeure jusqu’à l’époque contemporaine 26. Cette conception trouve son expression dans l’iconographie des apôtres réunis autour du Ressuscité, qui, du baptistère des Ariens à Ravenne ou de la Croix de San-Clemente jusqu’aux tympans des cathédrales en passant par l’icône orthodoxe de la Pentecôte exprime l’universalité de l’Église réunie autour de sa tête, le Christ. Elle s’exprime également dans une tradition ancienne – remontant à Ambroise de Milan au moins 27 –, rappelée par C. Cahier 28, qui voulait que les apôtres prononcent une des propositions du Symbole des Apôtres (dont le texte actuel, rappelons-le, a été rédigé vers le VIe siècle, mais reprend un symbole baptismal remontant aux années 150200) : solidaires dans l’apostolat, ils étaient solidaires dans une foi dont le Credo est l’expression la plus synthétique. Saint François Xavier tenait beaucoup à cette tradition et s’en servit pour ponctuer sa catéchèse aux 24. P. JOUNEL, « Le culte des apôtres à Rome et dans la liturgie romaine », in A. M. TRIACCA et A. PISTOIA, Saints et sainteté dans la liturgie (Bibliotheca Ephemerides Liturgicæ Subsidia 40), Roma, C.L.V., 1987, p. 167-187 (178). 25. A. THACKER, « In Search of Saints : the English Church and the Cult of Roman Apostles and Martyrs in the Seventh and Eighth Centuries », in J. M. SMITH (éd.), Early Medieval Rome and the Christian West. Essays in Honour of David Bullough (The medieval Mediterranean 28), Leiden, Brill, 2000, p. 265-275. 26. Voir, récemment, A. TODHUNTER, « In the Footsteps of the Apostles », National Geographic 221, 2012, p. 38-65. 27. AMBROISE DE MILAN, Explication du Symbole ; RUFIN D’AQUILÉE, Commentaire du Symbole des Apôtres. Il faut peut-être faire remonter cette légende à Origène qui déclare dans son Traité des Principes que les apôtres ont écrit en termes manifestes les points de doctrine qu’ils estimaient nécessaires. La répartition des phrases date d’un symbole pseudo-augustininien : AUGUSTIN, Sermo de Symbolo, PL 40, 1189-1190. C. F. BÜHLER, « The Apostles and the Creed », Speculum 28, 1953, p. 335-339. 28. C. CAHIER, Caractéristiques des saints dans l’art populaire, vol. 1, Paris, Poussièlgue, 1867, p. 50-51.

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Moluquois 29. Elle fut reprise dans l’abside de Saint-Paul-hors-les-Murs ou dans la peinture murale d’Amiens ou bien dans un magnifique ensemble en albâtre peint du XVe siècle conservé au Victoria & Albert Museum 30. Il s’agit d’un résumé des attributs iconographiques des apôtres et de la foi « catholique », c’est-à-dire universelle. Pierre portant deux clefs tient un phylactère sur lequel est écrit credo in unum Deum Patrem omnipotentem creator cœli et terræ ; André et la croix en sautoir dit et in Iesum Christum filium eius unicum Dominum nostrum ; Jacques le Majeur avec le chapeau, la bourse en bandoulière et le bâton de pèlerin affirme qui conceptus est de Spiritu Sancto natus ex Maria Virgine ; Jean avec une palme proclame passus sub Pontio Pilatio crucifixus, mortuus et sepultus ; Thomas avec une épée reprend descendit ad infernos, tertia die resurrexit a mortuis ; Jacques le Mineur exhibant le bâton du foulon rappelle ascendit ad cœlos sedet ad dexteram Dei Patris omnipotentis ; Philippe portant une coupe affirme inde uenturus est iudicare uiuos et mortuos ; Barthélemy arborant le couteau de son écorchement porte credo in Spiritum sanctum ; Matthieu pourvu d’une hallebarde précise sanctam ecclesiam catholicam, sanctorum communionem ; Simon maintenant un navire récite remissionem peccatorum ; Jude tenant une rame 31 dit carnis resurrectionem ; et Matthias, sans emblème, conclut et uitam æternam Amen. C. Les champs de tradition : un souvenir historique ? Pourquoi une conquête aussi tardive de cette universalité de la mission apostolique ? Serait-ce qu’une autre tradition empêchait qu’on prît toutes les libertés ? Pour conclure cette enquête, nous souhaiterions revenir sur le pessimisme énoncé par Lipsius et par Duchesne : n’y aurait-il vraiment rien à tirer d’historique des traditions apostoliques ? Bien sûr il n’est pas question d’affirmer l’historicité absolue des Actes des apôtres, mais peut-être celle de leur champ de tradition. Il est en effet plus prudent de renoncer à la notion de « champ d’évangélisation », pour privilégier celle de « champ de tradition ». En effet, le « champ d’évangélisation » laisse penser qu’un unique personnage vient convertir des villes entières. Or l’étude d’une pratique ancienne comme l’évangélisation paulinienne montre bien que ce processus était collectif, qu’il passait par 29. SAINT FRANÇOIS XAVIER, Lettres de Saint François-Xavier de la Compagnie de Jésus apôtre de la Chine et du Japon, vol. 1, trad. L. PAGÈS, Paris, Poussièlgue, 1855, p. 279-304. 30. R. P. BEDFORD, « An English Set of the Twelve Apostles, in Alabaster », Burlington Magazine 42, 1923, p. 130-134. 31. Une tradition spécifiquement anglaise voulait qu’ils fussent l’un et l’autre pêcheur.

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des relations familiales, amicales, commerciales, bref qu’il faut penser le champ d’évangélisation plutôt en termes de réseau 32. Plus qu’un individu, c’est une équipe se référant à une autorité qui réalise la propagation du message chrétien. Dès lors, comment être sûr que l’apôtre se soit déplacé en personne ? Et de même, comment être sûr que la présence d’un culte aux reliques garantisse un champ d’évangélisation ? Même si Pierre et Paul reposent assez probablement à Rome, ils n’en sont certainement pas les évangélisateurs, alors que l’un des Jean, vénéré avec certitude à Éphèse, a pu être décrit comme l’évangélisateur de toute la région, sans que le nom de Paul ne soit mentionné. Dès lors, ne peut-on pas poser l’historicité des champs de traditions ? Comme nous venons de le faire, il est commode de distinguer entre les « grands apôtres », dont on peut établir avec un peu d’assurance les champs de traditions, et les « petits apôtres », dont on ne sait quasiment rien. Il semble ainsi assez vraisemblable que Pierre ait eu une influence à Antioche, André en Parthie et en Achaïe, Jean en Asie Mineure, Philippe en Phrygie, Barthélemy et Thomas en Inde (quelle que cette Inde puisse être), Matthieu en Syrie. Quant à Jacques le Majeur, il semble être resté à Jérusalem. En revanche, rien d’avéré ne saurait être avancé concernant Jacques d’Alphée, Jude-Thaddée, Simon et Matthias. Bien plus, lorsque l’on observe les champs de tradition apostolique, on s’aperçoit qu’ils suivent la plupart du temps les voies commerciales où s’étaient installées des communautés juives de Diaspora. Cela est évident des apôtres d’Occident et d’Asie Mineure (on connaît bien les synagogues de Grèce, de Rome et d’Asie Mineure), mais également des apôtres orientaux puisque les communautés de Syrie sont bien documentées, et que l’existence de communautés le long de la route vers les Indes, décrite par le Périple de la mer d’Érythrée, est elle aussi avérée. Les inscriptions juives de Panticapée, Phanagoria et Gorgippia 33 ne rendent pas non plus totalement absurdes les souvenirs apostoliques sur la mer Noire. De même, la prépondérance de l’itinérance sur la côte phénicienne et vers Édesse ne s’explique-t-elle pas par le fait que les évangélisateurs suivirent tout naturellement les routes de l’Empire romain ? Près de Jérusalem se trouvaient deux voies : la Via Maris dont nous avons déjà parlé et l’antique route du roi connue déjà de Nb 21, 22 qui remontait vers Damas pour donner accès à Édesse. 32. R. BURNET, « Les apôtres : une propagation en réseau », in R. DEBRAY (éd.), Les Cahiers de Médiologie. Une Anthologie, Paris, CNRS éditions, 2009, p. 511-515. 33. Il s’agit d’inscription de manumission. À Panticapée : CIRB 71 (= CIJ 1.683a) du Ier s. apr. J.-C. et CIRB 70 (= CIJ 1.683) de 81 apr. J.-C. ; à Phanagoria : CIRB 985 (= CIJ 1.691) de 16 apr. J.-C. ; à Gorgippia : CIRB 1123 (= CIJ 1.690) de 41 apr. J.-C. et peut-être CIRB 1124 (= CIJ 1.690b). E. L. GIBSON, The Jewish manumission inscriptions of the Bosporus Kingdom (Texte und Studien zum antiken Judentum 75), Tübingen, Mohr-Siebeck, 1999.

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Un dernier argument permet au moins de poser une question. Jusqu’à présent, nous n’avons pas dit un mot de la question cruciale de l’ordre des listes apostoliques présentes dans les évangiles 34. On savait que les listes « classent » les disciples par ordre d’importance. Cela explique l’ordre de la liste de Mc 3 qui veut, comme on l’a vu, constituer un « groupe des trois » et rejette André à la fin du premier quaternaire, et celle d’Ac 1, 13 voulant regrouper Pierre et Jean qui vont jouer un rôle central dans la suite du texte. Mais on s’aperçoit que pour le reste des disciples, c’est un classement géographique qui semble expliquer l’ordre des noms. Viennent d’abord les apôtres de l’Occident (Pierre et André), puis Jacques, mort à Jérusalem, puis les apôtres de l’Asie Mineure ( Jean et Philippe). Ensuite, on trouve les apôtres de l’Orient (Barthélemy, Thomas et Matthieu) dont les places semblent interchangeables puisque Mc 3 et Lc 6 prennent l’ordre Barthélemy-Matthieu-Thomas et qu’Ac 1 cite Thomas-Barthélemy-Matthieu tandis que Mt 10 cite Barthélemy-Thomas-Matthieu. Enfin viennent les « petits apôtres », avec Jacques d’Alphée toujours en tête, qui n’ont pas véritablement de lieux fixes. Ces listes ne conservent-elles pas un souvenir géographique ancien ? En épigraphe de l’introduction et de la conclusion, nous avons cité deux textes qui constituent les deux extrêmes de la réception des apôtres. Chez Joseph Delteil – comme d’une certaine façon dans les évangiles – les apôtres sont des êtres de boue embrasés par la lumière divine. Saisis, ou plutôt arraisonnés par Jésus (et par sa réincarnation, Jésus II, chez le poète de l’Aude), ils sont conduits, malgré eux, là où ils ne pensaient jamais aller. Au contraire, pour les snobs de La Bruyère, ils ont tellement été utilisés, on s’est tellement servi de leur autorité, qu’ils sont usés jusqu’à la corde, banals, plus assez distingués pour répondre aux prétentions élitistes de l’aristocratie. Tout leur destin post-mortem est résumé par ces deux textes. Découverts par les évangiles, empoignés par des communautés qui tentèrent de faire entendre leurs revendications, ils furent ensuite « routinisés », occupés à combattre inlassablement les mêmes dragons et les mêmes magiciens, à mourir devant les mêmes tyrans. Ils finirent par ne plus être que des prénoms, donnés de génération en génération, alors que s’efface graduellement leur individualité. Cependant, cette banalisation est en même temps leur grandeur. À chaque fois qu’on baptise un Pierre, un Simon ou un Philippe, c’est un peu de la mémoire du Prince des Apôtres, de celle du zélé devenu disciple de Jésus ou de celle de l’apôtre de la Phrygie qui perdure. 34. La bibliographie à ce sujet est très abondante et on la trouve résumée dans R. A. GUELICH, Mark 1-8:26 (Word Biblical Commentary 34A), Dallas (TX), Word, 1989, p. 153-166 ou R. PESCH, Das Markusevangelium I (Herders theologischer Kommentar zum NT 2.1), Freiburg/Basel/Wien, Herder, 1976, p. 202-209.

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INDEX DES TEXTES ANCIENS T E X TES Genèse (Gn) 3, 4-5 : 154 3, 7 : 583 4 : 112 10, 2-31 : 25 11, 1-9 : 585 13, 8 : 604 14, 14 : 604 14, 18-19 : 112 25–36 : 112 27, 46 : 604 29, 1-12 : 604 31, 17 : 604 33, 4 : 81 37, 26-28 : 84 46, 8-15 : 25 48 : 584 50, 3 : 25 Exode (Ex) 3 : 520, 586 4, 22 : 152 7 : 586 10, 4 : 604 12, 29 : 604 17, 6 : 583 19, 16 : 146 21, 32 : 83 24 : 145 24, 15 : 146 28, 36 : 369 30, 13 : 150 34, 29 : 145 Lévitique (Lv) 16, 8 : 662 Nombres (Nb) 1, 28 : 585 11, 27-29 : 347 16 : 112 18, 15 : 604 21, 22 : 692

BIBLIQUE S

25, 6-13 : 646 29, 12-32 : 25 34, 11 : 258 Deutéronome (Dt) 10, 22 : 25 14, 1 : 152 15, 19 : 410 19, 15 : 438 22, 23-24 : 603 23, 19 : 90 27, 25 : 89 33, 9 : 312 33, 12 : 348 34 : 604 Josué (Jos) 14 : 452 14, 1-2 : 662 15 : 452 15, 25 : 71 1Samuel (1S) 5, 4 : 26 22, 20 : 322 13, 37 : 452 2Samuel (2S) 17, 23 : 89 20, 9 : 104 22, 17-18 : 153 1Rois (1R) 2, 19-24 : 317 9, 11 : 258 9, 27-28 : 418 10, 20 : 662 19, 19-21 : 21, 148 20, 25 : 315 2Rois (2R) 1, 8 : 148 1, 10 : 313 1, 12 : 313 4, 42-44 : 261

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INDEX DES TEXTES ANCIENS

14, 22 : 418 1Chroniques (1Ch) 8, 17 : 306 17, 13 : 152 23, 22 : 604 26, 3 : 306 29, 29 : 26 2Chroniques (2Ch) 4, 7 : 25 21, 16-17 : 418 Esdras (Esd) 10, 6 : 306 20, 32 : 150 Esther 418 1Maccabbées (1M) 6, 1-13 : 110 1, 24-29 : 30 2Maccabées (2M) 9, 1-28 : 110 Job (Jb) 1, 6 : 152 Psaumes (Ps) 2, 7 : 152 7, 9 : 96 32, 23 (LXX) : 494 41, 9 : 104 41, 10 : 76, 99 69, 2-3 : 153 82, 6 : 152 89, 27 : 152 110, 1 : 315 132, 1 : 604 137 : 193 139 : 641 Cantique des Cantiques (Ct) 4, 4 : 455 Sagesse (Sg) 18, 13 : 152 Isaïe (Is) 1, 4 : 77 1, 14 : 77 3, 9 : 77 3, 11 : 77 5, 8 : 77 5, 11 : 77 5, 18 : 77

5, 20 : 77 5, 21-22 : 77 5, 25 : 566 6 : 308 10, 1 : 77 10, 5 : 77 13 : 193 17, 12 : 77 18, 1 : 77 20, 1-6 : 31 22, 21-22 : 141 23, 15 : 26 24, 16 : 77 28, 1 : 77 29, 1 : 77 29, 15 : 77 30, 1 : 77 40, 3 : 312 43, 14 : 193 53, 7 : 418 54, 11-12 : 169 Jérémie (Jr) 1 : 308 4, 13 : 77 6, 4 : 77 10, 19 : 77 13, 12-14 : 31 13, 27 : 77 16, 16 : 148, 258 17, 10 : 469 22, 18 : 77 25, 11 : 26 31, 31-32 : 218 46, 19 : 77 48, 1 : 77 48, 41 : 71 50, 27 : 77 50–51 : 193 51, 2 : 77 Ézéchiel (Ez) 2–3 : 308 2, 10 : 77 7, 26 : 77 13, 3 : 77 13, 18 : 77 40–48 : 208 Daniel (Dn) 3, 27 : 584 5, 17-31 : 193 7, 9 : 145

TEXTES BIBLIQUES

7, 13 : 139 8, 18 : 102 Osée (Os) 2, 1 : 139, 152 Joël (Jo) 3, 18 : 583 Amos (Am) 2, 2 : 71 4, 2 : 148 Jonas (Jon) 1, 1-17 : 520 Habacuc (Ha) 1, 14-15 : 148 Zacharie (Za) 1–8 : 208 11–12 : 104 11, 12 : 83 13, 4 : 148 13, 17 : 154 Matthieu (Mt) 1, 18 : 603 1, 18-25 : 564 1, 20 : 603 1, 25 : 602 2, 14 : 238 2, 15 : 139 3, 4 : 148 3, 7 : 566 3, 17 : 139 4, 3 : 139 4, 18 : 147 4, 18-20 : 148 4, 19 : 158 4, 23 : 564 4, 24 : 564 5, 18 : 147 5, 25 : 72 6, 4 : 469 6, 25-34 : 33 6, 40 : 152 7, 1 : 142 8, 5-13 : 19 8, 14-15 : 142, 149 8, 16 : 641 8, 19-22 : 22 8, 20 : 527 8, 21-22 : 328 8, 22 : 228, 430

8, 26 : 152 8, 29 : 137, 139 9, 9-13 : 545 9, 35 : 564 10 : 693 10, 1 : 150 10, 1-4 : 142 10, 1-5 : 149 10, 2 : 28, 147, 150 10, 2-4 : 32 10, 3 : 452, 489, 545, 591, 618 10, 4 : 643 10, 5-6 : 564 10, 10-20 : 33 Mt : 10, 28-30 : 23 10, 40-42 : 564 11, 15 : 641 12, 46 : 602 13, 9 : 641 13, 52 : 564 13, 55 : 68, 497, 592, 602, 623 14, 1-2 : 73 14, 12-16 : 345 14, 21 : 18 14, 22-34 : 151 14, 29 : 142 14, 33 : 139 15, 15 : 142, 150 15, 22 : 643 16 : 137 16, 1 : 566 16, 5-12 : 138 16, 6 : 566 16, 11-12 : 566 16, 13-20 : 118, 138 16, 16 : 137, 142, 147, 506 16, 16-18 : 161 16, 17 : 139, 147 16, 17-19 : 137 16, 18 : 140, 141 16, 18-19 : 248 16, 19-20 : 33 16, 21-23 : 143, 153 16, 22 : 238 16, 25 : 23 17 : 344 17, 1 : 309 17, 1-8 : 144 17, 20 : 152 17, 24 : 142 17, 24-27 : 142, 150, 188, 566 17, 25 : 147

793

794 18, 17 : 140 18, 21 : 150 18, 21-22 : 142 19, 9 : 147 19, 27 : 142, 150 20 : 344 20, 13 : 87 20, 17 : 120 20, 20 : 120 20, 20-22 : 316 21, 28 : 28 22 : 586 22, 1-14 : 563 22, 12 : 87 22, 23 : 566 22, 34 : 566 23, 7 : 86 23, 13-29 : 147 23, 25 : 89 24 : 563 24, 37 : 139 26, 14-16 : 82 26, 20-35 : 143 26, 25 : 86 26, 31-35 : 154 26, 36 : 309 26, 37 : 142 26, 40-41 : 155 26, 51 : 187 26, 56 : 143 26, 58 : 155 26, 58-75 : 143 26, 63 : 139 26, 69-75 : 155 26, 74 : 238 27, 3-10 : 88 27, 24 : 89 27, 43 : 139 27, 54 : 139 27, 56 : 606 27, 61 : 606 28, 17 : 181 28, 19 : 685 28, 19-20 : 210, 564 Marc (Mc) 1, 14-20 : 23 1, 16-18 : 258 1, 17 : 158 1, 19-20 : 305 1, 29 : 158, 259 1, 29-31 : 142, 309

INDEX DES TEXTES ANCIENS

1, 30-31 : 136 1, 32-34 : 641 1, 35-38 : 142 1, 36 : 161 1, 36-37 : 158 2, 1 : 259 2, 1-12 : 18 2, 13-15 : 19 2, 14 : 591 2, 14-17 : 545 2, 16-17 : 545 2, 25-26 : 322 3 : 693 3, 13-19 : 142 3, 16-17 : 310 3, 16-19 : 32 3, 17 : 311, 344 3, 18 : 452, 489, 545, 591, 618, 643 3, 19 : 68, 69 3, 20 : 259 3, 31-35 : 594 4, 35-41 : 161 5 : 344 5, 1-20 : 564 5, 21-43 : 19 5, 25-34 : 19 5, 37 : 142, 309 6, 3 : 68, 592, 602, 614, 619, 620, 650 6, 22 : 314 6, 30 : 27 6, 37 : 161 6, 49 : 161 7 : 72 7, 17 : 259 7, 24–8, 13 : 564 8, 29 : 142, 158, 504 8, 31 : 73 8, 31-33 : 142, 143 8, 32 : 161, 347 8, 33 : 159, 186 8, 34 : 23 8, 35 : 23 9 : 344 9, 2 : 142 9, 5 : 81 9, 5-7 : 142 9, 6 : 159 9, 28 : 259 9, 31 : 72 9, 36-40 : 345 9, 38 : 347 10, 17-22 : 22

TEXTES BIBLIQUES

10, 21 : 355 10, 33 : 73 10, 35 : 344 10, 35-37 : 347 10, 35-45 : 313 10, 39 : 387, 396 11, 18 : 73 11, 21 : 81 12, 18 : 566 13, 1-4 : 309 13, 3 : 259 13, 14 : 259 14, 3-9 : 19, 74 14, 10-11 : 75 14, 14 : 116 14, 18-19 : 75 14, 20-21 : 76 14, 26-31 : 143 14, 29-30 : 142 14, 31-38 : 142 14, 32 : 309 14, 33 : 142 14, 36 : 315 14, 37 : 143, 160, 199 14, 41-43 : 78 14, 44-45 : 80 14, 47 : 187 14, 54 : 160 14, 54-72 : 143 14, 58 : 140 15, 34 : 206 15, 39 : 160 15, 40 : 592, 606 15, 47 : 606, 607 16, 1 : 592, 607 16, 6 : 523 16, 6-7 : 160 16, 7 : 144 16, 15 : 685 16, 17-18 : 396 13 : 344 Luc (Lc) 2, 7 : 602 2, 27 : 603 2, 48 : 603 3, 4 : 312 3, 16 : 137 3, 30 : 68 4, 13 : 91 4, 16 : 640 4, 38 : 161 4, 38-39 : 142

4, 40-41 : 641 5, 1-11 : 162 5, 3 : 133, 142 5, 8-11 : 142 5, 11 : 162, 308 5, 27-32 : 545 5, 28 : 162 6 : 693 6, 12-16 : 137, 142 6, 13 : 28, 591 6, 14 : 452 6, 14-16 : 32 6, 15 : 489, 545, 643 6, 16 : 68, 69, 592, 618 7, 9 : 162 8 : 344 8, 1-3 : 24 8, 3 : 19 8, 51 : 142 9 : 344 9, 11 : 162 9, 18-22 : 164 9, 18-30 : 118 9, 20 : 137, 142, 504 9, 23 : 162 9, 24 : 23 9, 28 : 142 9, 28-36 : 164 9, 43 : 168 9, 47 : 162 9, 51 : 344 9, 51-55 : 312 9, 60 : 228 9, 62 : 22 10, 1 : 24, 625 10, 5-6 : 121 10, 17 : 24 12, 41 : 142 14, 15-24 : 563 15, 17 : 230 16, 9 : 146 17 : 416 18, 22 : 162 18, 28 : 162 18, 43 : 162 19, 1-10 : 19 20, 27 : 566 21, 14-18 : 33 22, 1-3 : 91 22, 8 : 345 22, 10 : 162 22, 11 : 116

795

796 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 22, 24, 24, 24, 24, 24, 24,

14 : 352 31-32 : 161 31-34 : 143, 165, 199 38 : 645 39 : 101, 162 47-48 : 91 50 : 187 54 : 162 54-62 : 143, 166 9-12 : 167 10 : 592, 606 34 : 144, 168 37 : 181 41 : 168 49 : 33

Jean (Jn) 1 : 403 1, 1 : 494 1, 5 : 100 1, 51 : 455 1, 12 : 349 1, 18 : 494 1, 31 : 455 1, 35-44 : 454 1, 36 : 261 1, 37-44 : 260 1, 38 : 261 1, 39 : 410 1, 40-42 : 183 1, 40-44 : 185 1, 40-49 : 353 1, 41 : 185, 261 1, 42 : 137 1, 43 : 306 1, 43-46 : 410 1, 45 : 261 1, 49 : 261 2, 12 : 602 3, 3 : 349 4, 28-40 : 353 5, 18 : 141 5, 19 : 353 6, 32-35 : 353 6, 5-7 : 413 6, 5-9 : 454 6, 5-10 : 261 6, 61-68 : 18 6, 63-64 : 186 6, 64 : 185, 186 6, 64-71 : 96 6, 67 : 32 6, 68 : 185, 186

INDEX DES TEXTES ANCIENS

6, 68-69 : 184 6, 70 : 98, 184, 185, 186 6, 71 : 71, 186 7, 37-39 : 583 8, 44 : 97 8, 58 : 102 9, 22 : 353 10, 18 : 184 10, 34 : 353 11, 3 : 354 11, 4 : 354 11, 7 : 491 11, 11-16 : 489 11, 15 : 491 11, 16 : 490 11, 33 : 99 11, 36 : 354 12, 1-11 : 188 12, 1-7 : 97 12, 2-3 : 186 12, 4 : 185 12, 20 : 413, 640 12, 20-22 : 262 12, 20-23 : 414 12, 21-22 : 454 12, 25 : 23 12, 27 : 99 12, 37-50 : 262 13–21 : 185 13, 1-11 : 186 13, 2 : 98, 185 13, 6-8 : 142 13, 9-10 : 142 13, 10-11 : 98 13, 10 : 186 13, 18 : 98 13, 21 : 99, 187 13, 21-26 : 187 13, 23 : 184, 354 13, 23-28 : 348 13, 23-36 : 184 13, 25 : 187 13, 26 : 187 13, 26-28 : 185 13, 27 : 187 13, 29 : 185 13, 30 : 187 13, 33 : 353 13, 36 : 142, 187, 219 13, 36-37 : 185 13, 36-38 : 143 13, 23-32 : 99

TEXTES BIBLIQUES

14, 2-6 : 491 14, 7-10 : 414 14, 19 : 495 14, 22 : 68, 618 15, 25 : 353 16, 2 : 353 16, 13 : 33 16, 15 : 523 16, 23 : 586 17, 12 : 100 17, 24-27 : 142 18, 2 : 101, 187 18, 2-11 : 185 18, 4-8 : 102 18, 5 : 187 18, 6-8 : 185 18, 10-11 : 184 18, 11 : 238 18, 15 : 185 18, 15-16 : 351 18, 15-27 : 143 18, 16-27 : 185 18, 17 : 188 18, 25 : 188 18, 27 : 188 19 : 402 19, 25 : 606 19, 26-27 : 184, 185, 188, 349 19, 35 : 350 20, 2-8 : 349 20, 2-12 : 184 20, 3-10 : 185 20, 5 : 205 20, 8 : 352 20, 17 : 523, 604 20, 24 : 490 20, 24-29 : 492 21 : 188, 189 21, 1 : 309 21, 1-4 : 161 21, 1-14 : 308 21, 2 : 490, 495, 652 21, 4 : 189 21, 7 : 185 21, 15-17 : 142 21, 15-22 : 190 21, 15-24 : 185 21, 18 : 219 21, 18-19 : 193 21, 20-22 : 349 21, 20-23 : 185 21, 2-11 : 189

797

21, 22 : 400 21, 24 : 350 Actes des Apôtres (Ac) 1 : 693 1, 6-9 : 169 1, 8 : 33 1, 13 : 32, 68, 317, 452, 454, 545, 591, 592, 618, 643, 693 1, 14 : 602, 623 1, 15-26 : 118, 169, 661 1, 16-22 : 177 1, 18 : 109 1, 21-22 : 29 1, 23 : 173 1, 24 : 469 2, 1-11 : 33 2, 1-41 : 169 2, 7 : 178 2, 14 : 173 2, 14-40 : 177 3–4 : 317 3 : 169 3, 1-4 : 178 3, 1-10 : 178, 345 3, 10–4, 23 : 178 3, 11 : 173 3, 12 : 178 3, 12-26 : 177 4 : 169 4, 1 : 566 4, 1-22 : 345 4, 6 : 369 4, 8-12 : 177 4, 13 : 178 4, 14 : 173 4, 36 : 354 5, 12-16 : 179 5, 17 : 566 5, 17-42 : 169 5, 37 : 68 5, 39-42 : 177 6, 1-6 : 171 6, 2-5 : 420 6, 5 : 415 8 : 432 8, 3 : 72 8, 14 : 179 8, 14-16 : 416 8, 15 : 317 8, 15-25 : 345 8, 20 : 179

798 8, 24 : 173 8, 26 : 433 8, 26-35 : 417 9, 11 : 68 9, 32 : 179 9, 36-43 : 170 9, 38 : 179 10 : 170 10, 9-16 : 179 10, 24 : 179 10, 25-33 : 173 10, 34-43 : 177 11 : 180 11, 1-8 : 170 11, 2 : 173 11, 5-17 : 177 12 : 170, 173, 639 12, 1-3 : 317 12, 5-11 : 180 12, 12 : 306, 354 12, 17 : 181, 592 12, 23 : 181 14, 4 : 29 15 : 174, 175, 176 15, 1 : 174 15, 7-11 : 175, 177 15, 13 : 592 15, 14 : 137 15, 22 : 619 15, 22-32 : 68 15, 27 : 619 15, 28-29 : 175 15, 32 : 619 16 : 639 19, 13-17 : 347 21, 8 : 420, 433 21, 8-10 : 418 21, 18 : 592 21, 20 : 648 23, 6-8 : 566 Romains (Rm) 2, 6 : 469 4, 25 : 72 8, 27 : 469, 641 8, 32 : 72 9, 22 : 101 14, 14-20 : 180 16, 16 : 81 1Corinthiens (1Co) 1, 12 : 136 3, 22 : 132

INDEX DES TEXTES ANCIENS

5, 4 : 219 5, 11 : 604 9, 5 : 136, 623 11, 29 : 77 15, 3-7 : 143, 594 15, 5 : 205 15, 5-9 : 28 16, 20 : 81 2Corinthiens (2Co) 6, 15 : 122 9, 13 : 28 13, 12 : 81 Galates (Ga) Ga : 1, 14 : 647 Ga : 1, 18 : 136 Ga : 1, 18-19 : 172 Ga : 1, 19 : 592, 602, 606 Ga : 2 : 174, 175, 592 Ga : 2, 1-10 : 174 Ga : 2, 7-8 : 198 Ga : 2, 9 : 136, 181, 317, 592 Ga : 2, 9-10 : 174, 345 Ga : 2, 11 : 173 Ga : 2, 11-14 : 175 Ga : 2, 12 : 180 Ga : 2, 20 : 72 4, 8-11 : 217 Éphésiens (Ep) 4, 11 : 419, 423 Philippiens (Ph) 1, 1 : 521 2, 6 : 527 2, 16 : 641 3, 2 : 28 3, 5 : 640 3, 19 : 101 Colossiens (Col) 2, 6-23 : 217 3, 15 : 469 4, 10 : 607 1Thessaloniciens (1Th) 5, 26 : 81 2Thessaloniciens (2Th) 2, 3 : 101 Hébreux (He) 4, 12 : 641 6, 6 : 230 13, 15 : 641

799

APOCRYPHES

Jacques (Jc) 1, 1 : 193

2Jean (2Jn) 356, 357, 358, 359, 386

1Pierre (1P) 1, 1 : 181, 182 5, 1 : 181, 219 5, 14 : 81

3Jn (3Jean) 356, 357, 358, 359, 386 Jude (Jud) 1 : 68, 602 1, 1 : 619

2Pierre (2P) 1, 10 : 219 1, 12-13 : 220 1, 14 : 219 1, 15 : 220 1, 16 : 219 1, 19 : 220 3, 1-2 : 220 3, 16 : 220 3, 17 : 220

Apocalypse (Ap) 1, 10 : 469 2, 23 : 469, 641 11, 3-13 : 315 14, 8 : 193 17 : 209 17, 5 : 193 18, 2 : 193 20, 4-5 : 363 21, 14 : 28, 690 22, 10 : 365 22, 17 : 365

1Jean (1Jn) 356, 357, 358 2, 18-22 : 368

A POCRYPHES

DE L ’A NCIEN

T E STAMENT

1Hénoch : 208, 315 2Baruch : 193, 395, 492 Joseph et Aseneth : 199

A POCRYPHES

DU

N OU VE AU T E STAMENT

Actes coptes de Philippe et Pierre : 444 Actes d’André et Barthélémy : 281-282 Actes d’André et de Matthias : 49, 278, 280, 571, 581 Actes d’André et Philémon : 281-282 Actes d’André : 48, 263, 265, 268-273, 276, 571, 676, 679 Actes de Barnabé : 576 Actes de Jacques : 328 Actes de Jean à Rome : 47, 52, 373-375, 391-396, 638 Actes de Jean par Prochore : 391, 393 Actes de Jean (Pseudo-Abdias) : 391, 394 Actes de Matthias et André chez les Anthropophages : 665 Actes de Matthieu dans la ville de Khanat : 586 Actes de Matthieu : 587 Actes de Paul : 48, 228 Actes de Philippe : 49, 431-434, 442,

449, 475, 572 Actes de Pierre (Actes de Verceil) : 221 Actes de Pierre et André : 49, 281 Actes de Pierre et des Douze Apôtres : 211 Actes de Pierre : 47, 212, 219, 222-228, 235, 676 Actes de Pierre du Pseudo-Lin : 52, 228 Actes de Thaddée : 53, 634, 640 Actes de Thomas : 48, 110-111, 212, 486, 512, 515, 519-528, 537, 624, 638, 676 Actes du Pseudo-Abdias : 50 Apocalypse apocryphe de Jean : 406-407 Apocalypse de Jacques (première et seconde) : 579-580, 597, 606 Apocalypse de Jacques : 606 Apocalypse de Jean : 532 Apocalypse de la Vierge : 208 Apocalypse de Paul : 207, 208

800

INDEX DES TEXTES ANCIENS

Apocalypse de Pierre : 200, 202, 206209, 211-219 Apocalypse de Thomas : 531 Apocalypse gnostique de Pierre : 200, 213 Apocryphon de Jacques : 597 Apocryphon de Jean (Livre des Secrets de Jean) : 364 Assomption de Marie (Transitus grec « R ») : 403 Assomption de Marie (Transitus A) : 540 Dialogue du paralytique avec le Christ : 111 Dialogue du Sauveur : 579, 624 Doctrine de l’apôtre Addaï : 52, 53, 497, 627, 628 Doctrine de l’apôtre Simon Pierre dans la ville de Rome : 234 Épître de Clément à Jacques : 219 Épître des Apôtres : 197, 209, 366, 454, 624, 688 Épître des presbytres et diacres d’Achaïe : 283, 284, 289 Évangile apocryphe de Jean : 447, 472 Évangile de Barthélémy : 483 Évangile de Judas : 112-117 Évangile de Marie : 237, 579-580 Évangile de Matthias : 663 Évangile de Nicodème : 484 Évangile de Pierre : 203-206, 546 Évangile de Thomas : 235 (log. 13) 497, 502 (log. 20) 579, 606 (log. 12), 624 Évangile des Ébionites : 206 Évangile des Hébreux : 597, 606 Évangile du Pseudo-Matthieu : 560 Évangile selon Marie : 237-238 Évangile selon Philippe : 438, 439 Évangile selon Thomas : 505 Fille de Pierre et de Ptolémée : 221 Histoire de Jacques et Jean : 339 Histoire de l’apôtre Thaddée et de la vierge Sandoukht : 53, 633 Histoire de Philippe : 443 Histoire syriaque de Jean : 386-387, 399 Homélie sur la vie de Jésus : 535 Homélies pseudoclémentines : 231 Itinéraire de Pierre : 231 Légende de Simon et Théonoé : 653 Lettre de Pierre à Philippe : 216 Livre de la Résurrection de Barthélémy : 533-534, 483, 486, 624

Livre de la Résurrection de Jésus : 485 Livre de Thomas l’Athlète : 529, 530, 624, 664 Livre du Coq : 111 Martyre abrégé de Barthélémy et Jude : 53-54 Martyre arménien de Thaddée : 474 Martyre d’André (prius et alterum) : 54, 298, 299 Martyre de Barthélémy : 53 Martyre de Jacques fils d’Alphée : 610 Martyre de Jacques : 330 Martyre de Mathieu : 50, 571, 579, 581, 583, 586, 588 Martyre de Philippe : 431, 476 Martyre de Pierre : 230 Martyre de Thaddée arménien : 53, 632, 638, 639-640 Ogdoade et Ennéade : 505 Oracles sibyllins : 193 Passion d’André : 282 Passion de Barthélémy (Pseudo-Abdias) : 449, 465, 467-468 Passion de Jacques le Majeur (Passio magna) : 322-323, 337 Passion de Philippe (Pseudo-Abdias) : 441 Passion de Pierre (Pseudo-Abdias) : 252 Passion de Pierre du Pseudo-Marcel : 52 Passion de Thomas : 500 Passion de Simon et Jude (PseudoAbdias) : 630, 636, 658 Passion des Saints Pierre et Paul : 246, 252 Pistis Sophia : 238-239, 438 Prédication dans l’Oasis : 479 Prédication de Barthélémy : 480, 686 Prédication de Jacques fils de Zébédée : 686 Prédication de Pierre : 195, 200, 217, 231 Protévangile de Jacques : 484, 599 Questions de Barthélémy : 483, 484, 485, 573 Reconnaissances pseudoclémentines : 231 Sagesse de Jésus-Christ : 439 Sagesse de Jésus-Christ :531 Secrets de Jean : 505 Vie de Jésus en arabe : 111, 658 Virtutes apostolorum : 50, 683

801

TEXTES ANCIENS

T E X TES

ANCIENS

Apologie d’Aristide : 217 Breviarum apostolorum (Codex Fuldensis) : 61, 476 Breviarum apostolorum : 58, 60, 61, 331-332, 476, 536, 596, 612, 652, 668 Chronicon Pascale : 197, 299 Chronique d’Edesse : 499 Chronique de Zuqnin : 513-514 Code de Théodose : 277 De Ortu et Obitu prophetarum : 60, 331, 399, 401-402, 447, 472, 509, 533, 612, 630, 596, 653 Didachè : 564 Digeste : 129 Éloge de Barnabé : 576 Épître à Diognète : 217, 588 Index anonymus graecus-syrus : 58 Index apostolorum cum appendiculis : 57 Laterculus apostolorum : 60, 633 Lettre d’Aristée : 179 Liber de ortu et obitu patriarcharum 61, 290-291 Martyre de Polycarpe : 107, 205 Missale Gothicum : 598 Narratio de rebus Armeniae : 471 Périple de la mer d’Érythrée : 692 Récit de Galbios et Candidos : 403 Relation de la découverte des reliques de Thaddée : 53, 471, 633 Relation de la découverte du saint apôtre Barthélémy : 471 Vie de Georges l’Hagiorite : 656 Vie du Khartli : 656

A IMERY P ICAUD Guide du Pèlerin : 575

A BÉLARD De sancto Iohanne : 404 Sic et Non : 613

A RISTOTE Politique 1338 : 279 Arrien Anabase V, 6, 2 : 518 Le Périple du Pont-Euxin

A BU AL-H ASÂN Kitâb az-Ziyârât : 658

A MBROISE DE M ILAN Commentaires sur les Psaumes 45, 21 : 569 118, 12 : 648 Contre Auxence 13 : 222 Explication du Symbole : 401, 690 Lettre 21 : 228 A MBROSIASTER Sur les Galates 1, V, 19 : 609 A MMIEN M ARCELLIN Res gestarum : 14, 4, 3 : 573 A MPHILOQUE D’ICONIUM Contra Haereticos : 428 (PSEUDO -)A NASTASE LE SINAÏTE Questions et Réponses 153 : 611-612 A NDRÉ DE CÉSARÉE Commentaire sur l’Apocalypse 29 : 401 (Pseudo-)André de Crète Éloge de Jacques le frère du Seigneur : 609 A NONYME Itinéraire 7 : 135 L’Âne d’or : 232

DE

PLAISANCE

A PULÉE

VIII :

665

A BU SALIH A L-A RMANI Chronique arabe des monastères d’Égypte : 541

ATHANASE D’A LEXANDRIE Apologie à l’Empereur Constance 31 : 460 Lettres à Sérapion : 110

A DON DE VIENNE Libellus de festivitatibus sanctorum apostolorum : 631

AUGUSTIN D’HIPPONE Accord des Évangiles II, 30 : 618 Cité de Dieu I, 17 : 128

802

INDEX DES TEXTES ANCIENS

Contre Adimante I, 17, 2, 5 : 517 Contre Fauste le Manichéen XVII, 1 : 560-561 Contre Félix le Manichéen II, 6 : 46 Homélies sur Jean 121 : 494 124 : 400 18 : 401 Homélies sur les Psaumes 144 : 401 Lettres 264 : 127 36 : 222 53 : 251 82 : 199 Sermons 158 : 494 229 : 126 Sermon sur le Symbole des apôtres : 690 Sur la prédestination 9 : 401 Traité sur la Grâce et le libre Arbitre : 127 Traités sur Jean 17, 1 : 453 62, 4 : 124 76, 1 : 620 Traité

IX ,

AWDISHO 1 : 452

DE

NISIBE

BARHEBRAEUS Chronique ecclésiastique : 508 BARTHÉLÉMY DE TRENTE Liber epilogorum in gesta sanctorum : 441 BEATUS DE L LEBANA Commentaire de l’Apocalypse II, 3, 17 : 333, 448, 476 BÈDE LE VÉNÉRABLE Histoire ecclésiastique des Anglais 3 : 658 Homélies : 470 Martyrologe : 64, 290, 292, 337, 445, 477, 575, 631, 649 BRUNETTO L ATINI Li Livres dou Tresor : 55, 253-254, 309, 448, 479, 569, 634

CASSIEN Conférences 16, 14 : 401 CASSIODORE Commentaire des Psaumes 109 : 598 CICÉRON Pro Flacco : 425 CLÉMENT D’A LEXANDRIE Églogues prophétiques 41 : 208 Hypotyposes : 321, 380, 663 Stromates I, 1 : 456 I, 71, 6 : 461 II, 9, 45 : 664 III, 4, 25 : 430 III, 6, 2 : 136 IV, 9 : 664 VI, 5, 41 : 217, 218 VII, 106, 4 : 213 CLÉMENT DE ROME Épître aux Corinthiens : 5.3 : 194 CUMMIANUS L ONGUS La figure des apôtres : 65 COSMAS I NDICOPLEUSTÈS Topographie chrétienne II, 81 : 541 XI, 15, 7 : 509 CYRILLE D’A LEXANDRIE Contre Julien 9 : 197 CYRILLE DE JÉRUSALEM Sermons aux catéchumènes VI, 14, 15 : 222 PSEUDO -DENIS L’A RÉOPAGITE De Mystica theologia : 483 DENYS DE CORINTHE Épître aux Romains : 195, 240 DIDYME L’AVEUGLE Commentaire sur Zacharie IV, 205-210 : 373 DIODORE DE SICILE Histoires 29, 15 : 110

TEXTES ANCIENS

(PSEUDO -)DOROTHÉE DE TYR Liste d’apôtres : 59, 197, 297, 326, 445, 479, 509, 513, 567, 628, 651, 657, 667 É GÉRIE Journal de voyage : 362, 498, 626 ÉPHREM LE SYRIEN Carmina Nisibena, Hymne 42 : 506507 ÉPIPHANE DE SALAMINE Panarion 21, 1, 5 : 222 27, 13, 2-3 : 438 30, 13, 2-3 : 558 30, 13, 7 : 206 38 : 113 42 : 425 47, 1 : 427, 517 51, 6 : 46 78, 7 : 598-599 Contre les Hérésies 58, 4 : 401 (PSEUDO -)ÉPIPHANE DE SALAMINE Liste d’apôtres : 58, 294, 324, 330, 399, 445, 460, 472, 510, 568, 628, 651, 656, 664, 689, 690 ÉPIPHANE LE MOINE Vie de la Vierge 20 : 328 EUCHER DE LYON Instruction à Salonius : 283, 465, 496, 574 EUSÈBE DE CÉSARÉE Commentaire sur les Psaumes 77, 2 : 555 Démonstration évangélique VIII, 30-32 : 688 Histoire ecclésiastique I, 12, 1 : 56 I, 12, 2 : 197 I, 12, 2 : 625 I, 12, 3 : 663 I, 12, 4-5 : 608 I, 13, 4-5 : 625 I, 13, 6-10 : 627 I, 7, 14 : 498 I, 7, 14 : 623 II, 25, 1 : 196

II,

25, 5-8 : 196 25, 8 : 177 II, 1 : 595 II, 1, 2 : 608 II, 1, 5-6 : 596 II, 1, 6 : 606 II, 10 : 329 II, 13-14 : 222 II, 16, 1 : 688 II, 2 : 627 II, 23, 1 : 596 II, 23, 1 : 608 II, 23, 4 : 606 II, 25, 6 : 664 II, 25, 8 : 195 II, 25, 8 : 240 II, 9 : 321 II, 19 : 613 III, 30, 2 : 136 III, 1, 1 : 384 III, 1, 1-3 : 264 III, 1, 2 : 195 III, 11 : 607 III, 11, 1 : 608 III, 19-20 : 619 III, 19-20 : 623 III, 20, 8-9 : 385 III, 22, 1 : 608 III, 24, 17-18 : 386 III, 24, 5 : 555 III, 25 : 373 III, 25, 6 : 266 III, 27 : 419 III, 31, 3, 1 : 369 III, 31, 3.4 : 422 III, 32 : 650 III, 32, 1–IV, 6 : 608 III, 39, 16 : 552 III, 39, 4 : 360-361 III, 39, 5-7 : 362 III, 39, 9 : 420 IV, 22, 4 : 650 IV, 22, 8 : 599 V, 1, 56 : 205 V, 10 : 456 V, 10, 3 : 553 V, 16, 14 : 426 V, 17, 2-3 : 427 V, 17, 4 : 428 V, 23, 4 : 626 VI, 12, 2.6 : 34 VI, 14, 5-7 : 156 II,

803

804

INDEX DES TEXTES ANCIENS

VI,

14, 7 : 380 25 : 381 VI, 25, 4 : 552 VII, 25, 25-27 : 383 VII, 25, 4-5 : 382 Préparation évangélique III, 5 : 553-554 Questions évangéliques : 555 VI,

ÉVAGRE LE SCHOLASTIQUE Histoire ecclésiastique IV, 27 : 631 ÉVODE D’UZALA Sur la Foi contre les Manichéens 38 : 47 FLAVIUS JOSÈPHE La Guerre des Juifs : 644-647 II, 538 : 369 II, 287-288 : 548 Antiquités juives 1, 68-71 : 513 7, 13, 17 : 20 12, 9, 1 : 110 15, 10, 4 : 21 18, 256 : 319 19, 343-352 : 329 19, 5 : 322 19, 7 : 320 20 : 596 20, 1, 1 : 452 Autobiographie 2, 10-12 : 22 32 : 134 FRÉCULF

DE

LISIEUX

Histoires II, 2, 2 : 634, 655 II, 2, 3 : 570 II, 2, 4 : 334, 448, 510

FULGENCE DE RUSPE De la vérité de la prédestination I, 5 : 598 GAUDENTIUS Traité XVII, 11 : 293

DE

BRESCIA

GEORGES H AMARTOLOS (Georges le Moine) Chronique : 59, 389 GRÉGOIRE DE NAZIANZE Discours 33 aux Ariens et sur lui-même : 508

Discours aux Ariens 23 : 263 Discours 20-23 : 110 Panégyrique pour la fête d’Etienne : 388 Seconde oraison sur la Résurrection : 609 GRÉGOIRE DE TOURS Commentaire sur le Premier livre des Rois IV, 4, 13 : 574 La Gloire des Martyrs : 50, 477 27 : 612 29-30 : 400 30 : 289 32 : 507 35 : 288 GRÉGOIRE LE GRAND Épître à Euloge VII, 37 : 173 Homélie sur Ézéchiel II, 8 : 598 GUILLAUME DE TYR Histoire des régions d’Outremer 499

XVI,

3:

H ÉGÉMON Actes d’Archélaos : 470 H ÉGÉSIPPE Mémoires (Hypomnestikon) : 228-229, 599, 606, 613, 623, 650 (PSEUDO -)H ÉGÉSIPPE Passion de Pierre et Paul : 52 H ÉLIODORE Éthiopiques : 232 H ERMAS Pasteur : 206, 370 H ÉRODOTE Histoires IV, 18 : 279 IV, 191 : 482 HILAIRE DE POITIERS Commentaire sur Matthieu 1, 1 : 599 32, 1 : 81 32, 5 : 129 De Trinitate II, 13 : 307

TEXTES ANCIENS

(PSEUDO -)HIPPOLYTE Elenchos : 461 De Consumatione mundi 21 : 401 Fragment sur la Genèse 35 : 100, 102 Réfutation V, 8 : 579 VI, 2 : 223 VII, 20 : 664 Liste d’apôtres : 59, 326, 399, 444, 472, 513, 568, 612, 628, 651, 668 HIPPOLYTE DE THÈBES Fragment 5, 5 : 327, 600 HOMÈRE Odyssée 19, 343-507 : 98 10 : 279 HONORIUS D’AUTUN Miroir de l’Église : 631 IGNACE D’A NTIOCHE Épître aux Romains 4, 2 : 195 4, 3 : 276 Épître aux Smyrniotes 3, 2 : 195 I NNOCENT I ER Ad Decentium Eugubinum : 333 I RÉNÉE DE LYON Contre les hérésies I, 3, 3 : 108 I, 26, 2 : 206 I, 31, 1 : 112 I, 23, 1-4 : 223 III, 1, 1 : 156, 355, 552, 688 III, 3, 3 : 35, 195, 240 III, 3, 2-3 : 240 III, 3, 4 : 368 V, 33, 4 : 108 I SIDORE DE SÉVILLE De Ortu et Obitu patrum : 60, 61, 290, 332, 404, 448 72 : 400 78 : 570, 633 Étymologies VII, 9, 18 : 652 JACQUES DE VORAGINE La Légende dorée : 55, 253, 285, 292293, 323, 338, 442, 478, 479, 537, 576, 631

805

JEAN CHRYSOSTOME Constitutions apostoliques II, 55 : 609 Homélies 26 : 318 42 : 173 80 : 126 81 : 124 Homélie sur l’ épître aux Hébreux 9, 26 : 36 26, 2 : 498 Homélie sur la Résurrection : 533 Homélie sur la trahison de Judas : 125 Homélie sur Matthieu 1 : 555 33 : 546 35 : 609 Homélies sur l’ épître aux Galates 2, 4-6 : 199 Homélies sur les Actes des Apôtres 3, 1-2 : 619 Sur la virginité VIII, 2, 6 : 401 (PSEUDO -) JEAN CHRYSOSTOME Opus Imperfectum in Matthaeum II, 2, 2 : 513 JEAN DE BICLAR Chronique 38 : 655 JEAN DE M AILLY Abrégé des gestes et miracles des saints : 576 JÉRÔME DE STRIDON Contre Helvidius I : 602 III, 2 : 557 IV : 604 XIII : 650 X : 604 XIX : 605 Commentaire sur la lettre aux Galates I, 2 : 243 I, 19 : 608 II, 4 : 650 Commentaire sur Matthieu II : 558 I, 15 : 618 I, 20 : 263 IV : 82 X , 4 : 628, 644 Contre les Pélagiens III, 2 : 557

806

INDEX DES TEXTES ANCIENS

Les hommes illustres 60, 243-244, 608, 619 1 : 195 1 : 243 2 : 597 9 : 398 15 : 36, 251 33 : 601 36 : 552 53 : 112 75 : 556 Épîtres 50 à Maximilla : 499 59 à Maximilia : 283 96 : 308 120 à Hedibia : 608 127 : 308 Liber interpretationis hebraicorum nominum : 290, 332, 453, 569 (PSEUDO)-JÉRÔME De Vitis apostolorum : 295, 665, 666 JULIEN L’A POSTAT Misopôgôn 362D : 174 JUSTIN DE NÉAPOLIS Apologie I : 223, 363 Dialogue avec Tryphon 81, 4 : 363 L ACTANCE De la mort des persécuteurs de l’Église II : 195 Institutions divines V, 19, 11 : 322 L ÉON D’OSTIE Chronique du Mont-Cassin II, 5 : 577 L ÉON DE GRAND Lettres : 336 Sermon 95 : 249 Tome à Flavien : 248 L ÉONCE DE BYZANCE Sur les sectes III, 2 : 438 LIBANIOS Éloge d’Antioche 249-250 : 174 M ARCO POLO Divisament dou Monde : 511

M ÉTHODE D’OLYMPE Banquet II, 6 : 208 M ICHEL LE SYRIEN Chronique : 62, 281, 326, 428, 571 MOÏSE DE K HORÈNE Histoire de l’Arménie 2, 23 : 659 2, 34 : 632 34 : 474 NICÉPHORE CALLISTE Histoire ecclésiastique II, 40 : 665 II, 42 : 404 II, 72 : 254 VIII, 34 : 652 NICETAS DAVID Laudatio : 54 VI : 404 X : 611 XII : 611 OPTAT DE M ILÈVE Traité contre les Donatistes VIII , 2, 2-3 : 251 ORDERIC VITAL Histoire de Normandie II : 500, 653 Histoire ecclésiastique : 470, 631 ORIGÈNE Commentaire sur Éphésiens XX, 15 : 121 Commentaire sur Jean 2, 12 : 599 32, 5 : 197 32 : 122 Commentaire sur la Genèse : 195 Commentaire sur Jean 32, 14 : 121 32, 23 : 123 Commentaire sur S. Luc 2, 2 : 664 6 : 243 6 : 657 7 : 599 9, 45 : 123-124 Commentaire sur Matthieu 10, 17 : 615, 620 13, 55, 3 : 599

807

TEXTES ANCIENS

35 : 308 35 : 70 Conte Celse 1, 62 : 621 2, 14 : 195 2, 62 : 307 2, 30 : 688 5, 6 : 217 Traité des Principes : 690 3, 2 : 620

PLINE L’A NCIEN Histoire naturelle I, 19, 23 : 568 III, 33, 15 : 655 V, 19 : 621 V, 47 : 630 VI, 20, 54 : 513

PAPIAS DE HIÉRAPOLIS Hypotyposes : 156, 319, 396 Exégèse des Paroles du Seigneur : 552 Fragment : 109, 421

PLUTARQUE Vie de Pompée 73 : 98

PAULIN DE NOLE Épître 43 : 401 Poème 19 : 57, 569, 630 P ETRUS DE NATALIBUS Catalogus Sanctorum et gestorum eorum : 55, 669 PHILASTRE DE BRESCIA Livre des Hérésies 12, 1115.1150 : 113 21, 1 : 222 88, 6 : 517 PHILIPPE DE SIDÈ Histoire Ecclésiastique : 319, 389, 396, 456 PHILON D’A LEXANDRIE De Specialibus legibus 2, 46 : 648 PHILOSTRATE Vie d’Apollonios de Thyane : 517, 679 PHOTIUS Bibliothèque 114, 90-91 : 46 P IERRE CHRYSOLOGUE Sermon 49 : 401 P IERRE DAMIEN Sermon 64 : 404 PLATON Théétète 150 : 270

Ennéade

VI,

PLOTIN 9, 9 : 268

POLYBE Histoires 321, 3, 9 : 110 POMPONIUS M ELA Chorographie 3, 72 : 573 PORPHYRE De Abstinentia IV, 17 : 461 P ROCOPE DE CÉSARÉE Sur les Monuments II, 2, 1 : 476 V, 1, 6 : 362 P ROCOPE De Bello persico II, 26-27 : 631 P TOLÉMÉE Géographie V, 17, 3 : 537 VII, 1, 8 : 466 RODRIGO JIMENÈZ DE R ADA Histoire des Arabes 12 : 576 RUFIN D’AQUILÉE Commentaire du Symbole des Apôtres : 690 Histoire ecclésiastique I, 9 : 686 X , 9 : 457-458 XI, 5 : 499, 574 RUPERT DE DEUTZ Commentaire de Jean 2, 118 : 453 SALOMON DE BASSORAH Livre de l’Abeille : 62, 399, 447, 508, 610, 658

808

INDEX DES TEXTES ANCIENS

SEDULIUS SCOTTUS In Prologum quattuor Euangelium : 570 (PSEUDO -)SÉVÉRIEN DE GABALA Encomium : 446, 533, 653 SOCRATE DE CONSTANTINOPLE Histoire ecclésiastique I, 19 : 458, 496 IV, 18 : 498-499 IV, 28 : 425 VII, 25, 14 : 299 SOZOMÈNE Histoire ecclésiastique : II, 24, 1 : 458 VI, 18 : 499 VII, 33, 2 : 502 XXIX , 3 : 110 STRABON Géographie V, 9 : 473 VI, 11, 1 : 513 XI, 2, 12 : 279 XV, 1, 4 : 461 XVI, 2, 45 : 134 XVI, 1, 1-3 : 516 XVII, 21 : 573, 575 SUÉTONE Vie des Douze Césars Caligula 26 : 98 Domitien 13 : 494 SULPICE SÉVÈRE Chroniques II, 28, 4–29, 5 : 222 (PSEUDO -)SYMÉON LE M ÉTAPHRASTE Ménologe : 54, 64, 235, 401, 568, 609 Annales 2, 56 : 466 14, 26 : 466 15, 44 : 18

TACITE

TALMUD DE BABYLONE Ketouvoth 96a : 98 Sanhedrin 1, 6 : 26 7, 3 : 183

38 : 141 Shabbat 4a : 141 Gittin 56a : 183 TERTULLIEN Contre les Païens 13 : 223 Sur le Jeûne : 426 La prescription des Hérétiques 1, 32 : 195 22, 5-6 : 379 23 : 197 33 : 223 36 : 195 THÉODORE LE L ECTEUR Histoire ecclésiastique II, 57 : 472, 476 THÉODORET DE CYR Abrégé des fables hérétiques : 113, 222 Commentaire sur les psaumes 67, 28 : 546 Histoire ecclésiastique V, 24 : 445 THEODOSIUS De Situ Terrae Sanctae… : 286 THÉOPHANE Chronographie : 59 THOMAS D’AQUIN Somme de Théologie IIIa, suppl q. 17, 1, 1 : 141 Sur Jean 21, 5 : 404 (PSEUDO -)TURPIN Histoire de Charlemagne : 575 VENANCE FORTUNAT Poème 2 : 574, 631 VICTORIN DE P ETAU Commentaire sur l’Apocalypse XI, 1 : 371 Contre toutes les hérésies : 112 VICTRICIUS DE ROUEN La louange des Saints 6 : 293 VINCENT DE BEAUVAIS Speculum Historiale : 55 ZÉNON DE VÉRONE Traité I, 54, 41 : 598

INDEX DES AUTEURS MODERNES A BBELOOS (J. B.) : 62, 326, 610, 628, 658 A BÉCASSIS (A.) : 92 A BEL (F. M.) : 537 A BIRACHED (R.) : 39 ACHTMEIER (P. J.) : 226 A DAM (A.) : 623 A DAMIK (T.) : 224, 288 Å DNA (J.) : 150 A FANASSIEFF (A.) : 131 AGNEW (F. H.) : 27 AGOURIDES (S.) : 182 A IGRAIN (R.) : 45 A LAND (K.) : 160, 192, 193 A LBRIGHT (W. F.) : 563 A LETTI (J.-N.) : 28 A LLISON (D. C.) : 86, 199, 313, 546, 563, 564, 566 A LLISON JR . (D. C.) : 86, 546, 563, 564, 566 A LT (A.) : 411 A LTANER (B.) :131 A LTHEIM (F.) : 461 A MIDON (P.) : 458 A MSLER (F.) : 431, 432, 433, 572, 581, 582, 583, 584 A NFRAY (F.) : 460 A NZANI (A.) : 460 A PPLEBAUM (S.) : 325 A PPOLD (M.) : 412 A RAGIONE (G.) : 559 A RANDA P ÉREZ (G.) : 212 A RAV (R.) : 411, 412 A RBEITMAN (Y.) : 69 AUF DER M AUR (H.) : 683 AUNE (D. E.) : 359 AUS (R. D.) : 173 BABUT (J.-M.) : 10 BACHELARD (G.) : 42 BACON (B. W.) : 189 BADHAM (F. B.) : 388, 396 BAILEY (L. R.) : 523 BALL (W.) : 626 BAMMEL (E.) : 144, 644 BANNISTER (T. C.) : 241

BARCLAY (J. M. G.) : 15 BARNARD (H.) : 630 BARNARD (L. W.) : 501 BARNES (T. D.) : 194 BARON (S. W.) : 133 BARONIUS (C.) : 36, 292, 338, 405, 448, 453, 477, 478, 613, 631, 652 BARRETT (C. K.) : 98, 170, 172, 183, 191, 261, 318, 356, 361, 366, 410, 491, 663 BARZEL (B.) : 505 BASLEZ (M.-F.) : 197, 275, 276 BASSET (R.) : 234, 282, 331, 394, 446, 447, 481, 483, 536, 587, 589, 610, 635, 654, 668 BASSETT (S. G.) : 299 BATIFFOL (P.) : 431, 244 BAUCKHAM (R.) : 191, 192, 200, 206, 207, 209, 210, 219, 220, 351, 359, 454, 498, 562, 606, 607, 614, 620, 622, 623 BAUDRY (G.-H.) : 583 BAUER (W.) : 372, 626, 627 BAUM (W.) : 627 BAUMEISTER (T.) : 235 BAYAN (G.) : 235, 340, 475, 570, 572, 633, 659 BEASLEY-MURRAY (C. R.) : 191 BEAUJARD (B.) : 37 BECKER (P.) : 670 BEDFORD (R. P.) : 691 BEDJAN (P.) : 49 BELIN DE BALLU (E.) : 286 BELL JR . (A. A.) : 229 BENNEMA (C.) : 19 BENOÎT (A.) : 33, 90, 108, 109 BENOÎT XIV : 454 BENVENISTE (É.) : 15, 208 BERGER (K.) : 193 BERGSON (H.) : 680 BERLINGIERI (G.) : 350 BERMEJO RUBIO (F.) : 119 BERNAND (É.) : 494 BERNARD (J. H.) : 389, 390

810

INDEX DES AUTEURS MODERNES

BERNHEIM (P.-A.) : 594 BEST (E.) : 315 BEST (T. F.) : 145 BETHGE (H.-G.) : 439, 440 BETZ (H. D.) : 27, 171, 172, 175, 198 BETZ (O.) : 312 BEUTLER (J.) : 355 BEYSCHLAG (K.) : 223 BIANCHI (U.) : 263 BICKEL (G.) : 507 BICKERMANN (E.) : 80 BIELER (L.) : 272, 678 BIENERT (W. A.) : 27 BIHLMEYER (K.) : 109, 421, 532 BISCHOFF (B.) : 65, 66 BISCONTI (F.) : 35 BIZOT (C.) : 133, 182 BLACK (M.) : 106 BLANK (J.) : 262 BLINZER (J.) : 105, 607 BLOM (A.) : 614 BLOND (G.) : 428 BLUMENTHAL (M.) : 45, 687 BOBICHON (P.) : 363 BÖCHER (O.) : 360 BOCK (D. L.) : 313 BOCKMUEHL (M.) : 192, 201 BODE (E. L.) : 607 BOISMARD (M.-É.) : 349, 351, 388, 410 BOLLANDUS (J.) : 243 BOLYKI (J.) : 227, 375 BONACCORSI (I.) : 478 BONNARD (P.) : 564 BONNER (C.) : 226 BONNET (M.) : 49, 50, 52, 54, 278, 283, 284, 285, 298, 299, 301, 466, 526, 581 BOOBYER (G. H.) : 79, 145, 219, 310 BOPEARACHCHI (O.) : 518 BORG (M.) : 646 BORNKAMM (G.) : 525 BOTTÉRO (J.) : 526 BOURGEL (J.) : 599 BOURQUIN (Y.) : 680 BOVON (F.) : 24, 49, 92, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 168, 230, 273, 312, 431, 432, 433, 434, 436, 621, 648 BOWE (B. E.) : 194 BOWERSTOCK (G. W.) : 241 BOWMAN JR . (R. M.) : 494 BOYARIN (D.) : 19 BOZÓKY (E.) : 407, 578

BRAKKE (D.) : 393 BRANDON (S. C. F.) : 319, 645 BRANDT (P.-Y.) : 180 BRANKAER (K.) : 236 BRAUN (F.-M.) : 372, 388 BREMMER (J. N.) : 207, 233, 375, 463 BRENTANO (C.) : 405, 406 BRETSCHNEIDER (K. G.) : 352 BRIGHTMAN (F. E.) : 422 BRISKIN (L.) : 33 BROCK (A. G.) : 239 BROCK (S.) : 502, 625 BRODIE (T. L.) : 351, 411, 413, 414, 491, 492, 494 BROSEND (W. F.) : 623 BROSSET (M.) : 296, 656 BROWN (P.) : 33, 37, 274, 680 BROWN (R. E.) : 18, 75, 79, 81, 87, 88, 89, 98, 102, 132, 138, 182, 184, 260, 308, 309, 350, 353, 355, 357, 455 BROWNRIGG (R.) : 312 BRUCE (F. F.) : 410, 417, 419 BUCHANAN (G. W.) : 133 BÜCHSEL (F.) : 72 BUDGE (E. A. W.) : 51, 62, 63, 71, 278, 281, 301, 326, 329, 391, 400, 444, 447, 475, 481, 482, 485, 508, 515, 610, 628, 658, 667, 668 BÜHLER (C. F.) : 690 BULTMANN (R.) : 21, 99, 140, 145, 146, 149, 158, 191, 309, 315, 355, 594 BURGESS (J. A.) : 138 BURKE (T.) : 502 BURKETT (D. R.) : 310 BURKITT (F. C.) : 515, 625 BURNET (R.) : 29, 34, 95, 130, 133, 182, 231, 237, 281, 565, 692 BURRIDGE (R. A.) : 357, 358 BYRSKOG (S.) : 351 CABIÉ (R.) : 415 CAHIER (C.) : 589, 690 CAJETAN (T.) : 97, 100, 102 CALDER (W.) : 429 CALMET (A.) : 85, 106, 643 CALZOLARI (V.) : 53, 54, 471, 632, 633, 638 CAMBE (M.) : 217 CAMPENHAUSEN (H. VON) : 27, 35 CANER (D.) : 502 CAPPER (B. J.) : 169 CARAGOUNIS (C. C.) : 137

INDEX DES AUTEURS MODERNES

CARCOPINO (J.) : 241 CARDINALI (A.) : 660 CARRACEDO FRAGA (J.) : 61, 291, 655 CASANOVA (M. L.) : 449, 487 CASSELS (W. R.) : 204 CASTETS (F.) : 575 CAZELLES (H.) : 306 CERESA-GASTALDO (A.) : 397 CHABOT (J.-B.) : 62, 281, 326, 428, 571 CHADWICK (H.) : 244 CHARLES (R. H.) : 358 CHASE (R. H.) : 94 CHATTOPADHYAYA (S.) : 466 CHAUMONT (M.-L.) : 632 CHERIX (P.) : 48, 454, 482, 484, 573 CHEVÉ (C.-F.) : 582 CHILTON (B. D.) : 106, 145 CLAUDEL (G.) : 138 CLEMEN (C.) : 389 CLIVAZ (C.) : 76 COHEN (S. J. D.) : 11 COLELLA (P.) : 84 COLIN (G.) : 447, 481, 610, 654, 668 COLLIN DE PLANCY (J. A. S.) : 85 COLLINS (A. Y) : 159, 160, 312, 314, 644 COLLINS (R. F.) : 144, 348 COLLINS (R.) : 512 COLSON (J.) : 351, 356 COLWELL (E. C.) : 184 CONSTANT (A.) : 473 CONZELMANN (H.) : 94, 310, 662 CORBO (V.) : 135 CORNELIUS A L APIDE : 258, 662 CRÓINÍN (D. Ó.) : 65 CROSBY (M. H.) : 138 CROSSAN (J. D.) : 21, 31, 203, 504 CROWN (A. D.) : 416 CRUM (E. W.) : 485, 667 CRUSE (C. G.) : 261 CULLMANN (O.) : 69, 132, 140, 192, 194, 231, 319, 321, 357 CULPEPPER (R. A.) : 20, 184, 306, 308, 310, 311, 343, 345, 349, 355, 357, 372 CUMONT (F.) : 208 CUNNINGHAM (A.) : 518 CUPERUS (G.) : 308, 338, 339 CURETON (W.) : 53, 234, 246 CZACHESZ (I.) : 231 D’A NDRIA (F.) : 423, 424, 428, 435 DALCHÉ (P. G.) : 576

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DALMAN (G. H.) : 71, 206, 306, 411, 621 DANIEL (C.) : 644 DANIÉLOU (J.) : 101 DANKER (F. W.) : 10 DAUBE (D.) : 89 DAUVILLIER (J.) : 511 DAVIDS (P. H.) : 193 DAVIES (S.) : 503, 516 DAVIES (W. D.) : 86, 546, 563, 564, 566 DAVIS (R.) : 244 DAVIS JR . (G. M.) : 191 DAW BROWN (B.) : 224 DE BOER (E.) : 237 DE BOOR (C.) : 319, 389 DE BRUYNE (D.) : 263, 264 DE L AET (S. J.) : 549 DE ROSSI (J. B.) : 245 DE ZWAAN (J.) : 79 DECONICK (A. D.) : 438, 504 DEISSMANN (A.) : 87, 494 DELAUNAY (J.-A.) : 518, 524 DELEHAYE (H.) : 36, 38, 45, 247, 250, 293, 301, 343, 383, 441, 678 DELEUZE (G.) : 37 DELFF (H.) : 369 DELIÈGE (R.) : 511 DELORME (J.) : 73, 74, 76, 78, 155, 158, 159, 307, 308, 314, 346, 550, 551 DELTEIL (J.) : 13 DENKER (J.) : 202 DENNIS (J. A.) : 30 DENOËL (C.) : 65, 285 DERRETT (J. D. M.) : 68, 89, 92, 319 DESANGES (J.) : 573 DESREUMAUX (A.) : 53, 497, 627, 629 DÉTIENNE (M.) : 270 DEVILLERS (L.) : 348 DEVOS (P.) : 362, 499, 540, 629 DIBELIUS (M.) : 75, 76, 80, 81, 324 DIDEROT (D.) : 295 DIEKAMP (F.) : 327, 601 DIETERICH (A.) : 208 DIHLE (A.) : 460, 461, 463, 518 DILLEMANN (L.) : DINKLER (E.) : 192, 198 DION (R.) : 279 DIXON (S.) : 274 DOBSCHÜTZ (E. VON) : 195, 217, 483, 650 DOCHHORN (J.) : 313 DODD (C. H.) : 145, 355, 414

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INDEX DES AUTEURS MODERNES

DOLBEAU (F.) : 56, 57, 58, 59, 60, 61, 63, 290, 331, 399, 447, 472, 509, 510, 569, 612, 628, 629, 630, 634, 651, 655, 657 DONNER (H.) : 657 DOWNEY (G.) : 293 DOWNING (F. G.) : 21 DRAGAS (G. D.) : 302 DRIJVERS (H. J. W.) : 501, 502, 516, 523, 626, 627 DRODGE (A.) : 128 DROGE (A. J.) : 184 DU SAUSSAY (A.) : 55 DU TOIT (D. S.) : 226, 679 DUBOIS (C.-G.) : 107 DUBOIS (J.) : 64, 290, 293, 335, 386, 445, 478, 536, 576, 659 DUBOIS (J.-D.) : 63, 108, 114, 213, 269, 282, 364, 438, 505, 515, 528, 530, 634, 653 DUBOIS DE MONTPÉREUX (F.) : 297 DUCHESNE (L.) : 64, 242, 243, 245, 250, 251, 253, 289, 319, 332, 333, 334, 336, 337, 338, 380, 388, 390, 400, 424, 673, 684 DUKE (P. D.) : 182 DULAEY (M.) : 377 DUMEIGE (G.) : 377 DUNAND (F.) : 494 DUNBABIN (J.) : 448 DUNDERBERG (I.) : 484 DUNLOP GIBSON (M.) : 452, 453, 610 DUNN (J. D. G.) : 175, 192 DUPONT (J.) : 93 DUVAL (R.) : 499, 506 D VORNÍK (F.) : 59, 264, 279, 293, 298, 301 E ASTMAN (D. L.) : 248 E BERSOLT (J.) : 328 E BERTS (H. W.) : 13 EHRMAN (A.) : 69 EHRMAN (B. D.) : 117, 198 EISELE (W.) : 504 EISENMAN (R. H.) : 595 EISLER (R.) : 354, 369, 645 EKHARDT (K. A.) : 354 ELLIOTT (J. H.) : 181 ELLIOTT (J. K.) : 137 ELSTER (J.) : 275 ELTESTER (W.) : 87 E MMEL (S.) : 116 E MMET (P. B.) : 80

E NSLIN (M. S.) : 456 ERASME : 324 E SCOLAN (P.) : 521 E STIUS (G.) : 84, 86, 87, 95 ÉTIENNE (R.) : 549 EVANSON (E.) : 352 FABIEN (P.) : 224, 415, 416, 417, 418 FABRICIUS (B.) : 509 FABRICIUS (J. A.) : 50, 252, 289, 322, 394, 440, 509, 538, 670 FARQUHAR (J. N.) : 510 FAVRY (N.) : 26 FEE (G. D.) : 144 FELDMEIER (R.) : 193 FELLE (A. E.) : 247 FERNÁNDEZ A LONSO (J.) : FESTUGIÈRE (A. J.) : 174 FEUILLET (A.) : 315 FÉVRIER (P.-A.) : 243 FICKER (G.) : 428 FIENSY (D.) : 207 FILLION (L.-C.) : 70, 71 FILLIOZAT (J.) : 461 FILSON (F. V.) : 354 FINEGAN (J.) : 362 FISKÅ H ÄGG (H.) : 456 FITZMYER (J. A.) : 136, 137, 347 FLAMION (F.) : 266, 267, 277, 278, 299, 571 FLINTERMAN (J.-J.) : 679 FOAKES JACKSON (F. J.) : 192 FOCANT (C.) : 159, 160, 236, 317 FOERSTER (G.) : 135 FORGET (I.) : 331 FOSTER (P.) : 83, 90, 202, 203, 204 FOUCAULT (M.) : 55, 56 FRANCE (R. T.) : 78, 258, 643 FRANÇOIS X AVIER (SAINT) : 514, 691 FRANZMANN (M.) : 117 FREEDMAN (D. N.) : 503 FREY (A.) : 442 FREY (J.) : 358 FREYNE (S.) : 133, 134 FUCHS (L.) : 619 FULLER (M. E.) : 30 GABRIELOVICH (E. P.) : 406 GADAMER (H.-G.) : 40, 41, 42 GAECHTER (P.) : 563 GAIFFIER (B. DE) : 60, 61, 337, 476, 537, 569, 571, 577, 578, 655 GALBIATI (I.) : 280, 333, 447 GALINSKY (K.) : 274

INDEX DES AUTEURS MODERNES

GAMBLE (H. Y.) : 559 GARDNER (E. G.) : 423 GARDNER (I.) : 485 GARLAND (D. E.) : 550 GÄRTNER (B.) : 82 GASTER (M.) : 208 GAVIN (F.) : 28 GEBHARDT (O. von) : 464 GEERARD (M.) : 9, 55, 667 GEOLTRAIN (P.) : 231 GEORGI (D.) : 28 GEORGIUS (A. A.) : 667 GIANOTTO (C.) : 505, 593, 597 GIBSON (E. L.) : 692 GICQUEL (B.) : 334 GILBART SMYLY (J.) : 134 GILES (R.) : 538 GIURISATO (G.) : 355 GIVERSEN (S.) : 364 GLATT-GILAD (D.) : 622 GNILKA (J.) : 73, 75, 200, 315 GODDING (R.) : 65 GOGUEL (M.) : 33, 105, 198 GOLDBLATT (D.) : 11 GOLDSCHMID (L.) : 549 GOODMAN (M.) : 15 GOPPELT (L.) : 193, 564 GORANSON (S.) : 600 GOULDER (M. D.) : 191 GOULET (R.) : 44 GOUYET (P.) : 406 GRABAR (A.) : 499 GRANT (R. M.) : 28, 264, 362, 503 GRAPPE (C.) : 132, 145, 170, 199, 209, 225, 226, 662 GRÉBAUT (S.) : 207, 280, 333, 447 GREEN (J. B.) : 137 GRELOT (P.) : 140 GRENFELL (B. P.) : 503, 504 GRIBOMONT (J.) : 333, 388, 654 GRIFFITH (B. G.) : 354 GRIGGS (C. W.) : 688 GRUNDMANN (W.) :105, 206 GRÜTZNER SPALDING (A. M.) : 644 GUARDINI (R.) : 95 GUARDUCCI (M.) : 242 GUELICH (R. A.) : 311, 693 GUIDI (I.) : 51, 235, 281, 481, 499, 610, 630, 635, 667 GUILLAUMONT (A.) : 393 GUNDRY (R. H.) : 314, 315, 546, 561, 562, 566

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GUNTHER (J. J.) : 624 GURNEY M ASTERMAN (E. W.) : 306 GUTHRIE (W. K. C.) : 208 GUTSCHMID (A. VON) : 286, 431, 473, 518, 575 H AACKER (K.) : 29 H AAR (S.) : 233 H AENCHEN (E.) : 138, 191, 345, 372, 413, 417, 619, 671 H AHNEMAN (G. M.) : 371 H AKOLA (R.) : 19 H ALKIN (F.) : 9, 329 H AMBYE (E. R.) : 511 H AMMAN (A.) : 516 H AMON (P.) : 39 H ANSEN (G. C.) : 389 H ANSON (J. S.) : 647 H ANUS (P.) : 678 H ARB (G.) : 151 H ARDOUIN (J.) : 198 H ARNACK (A. VON) : 40, 94, 171, 236, 263, 267, 345, 377, 421, 436, 462, 502, 594, 627, 685, 686 H ARNONCOURT (P.) : 683 H ARRINGTON (D. J.) : 563 H ARRIS (J. R.) : 312, 523 H ARTIN (P. J.) : 520 H AURY (J.) : 476 H AWKIN (D. J.) : 184 H AY (D. M.) : 172 H EAD (P. M.) : 203, 205, 206 H EARD (R. G.) : 264 H EINTZ (F.) : 223, 233 H EINTZE (W.) : 231, 232 H ENDERSON (T. P.) : 203 H ENDRY (J.) : 354 H ENGEL (M.) : 23, 134, 136, 142, 149, 169, 171, 195, 363, 372, 415, 420, 646 H ENSCHEN (G.) : 54, 235, 422, 424, 669 H ERCZEG (P.) : 226 H ERDER (J.) : 614 H ERRENBRÜCK (F.) : 549 H ESPEL (R.) : 499 H EUSSI (K.) : 192 HIGGINS (A. J. B.) : 64 HILGENFELD (A.) : 217, 664 HILHORST (A.) : 278, 285 HILL (C.) : 171, 454 HILL (D.) : 561 HILL (G. F.) : 85

814

INDEX DES AUTEURS MODERNES

HILLS (C. H.) : 372 HILLYER (N.) : 77 HIMMELFARB (M.) : 208 HIRSCHEBERG (H.) : 183 HØGEL (C.) : 54 HOLHER (C.) : 337 HOLL (K.) : 198 HOLMBERG (B.) : 28 HOLTZMANN (O.) : 594 HOLZMEISTER (U.) : 452 HORRELL (D. G.) : HORSLEY (R. A.) : 183, 645, 646, 647 HÜBNER (H.) : 194 HUDEC (L. E.) : 242 HUG (J.) : 160 HULEN (A. B.) : 355 HUMMEL (R.) : 564 HUNT (A. S.) : 134, 503, 504 HUNTER (W. W.) : 462 HUNZINGER (C. H.) : 193 HURTADO (L.) : 16 HUXLEY (G.) : 516 HYLDAHL (N.) : 27 IGNATIUS EPHRÆM II R AHMANI : 62, 293, 507, 508 I LAN (T.) : 68, 136, 137, 257, 306, 343, 409, 452, 490, 545, 546, 591, 620, 664 I NGHOLT (H.) : 69 JACKSON (H. M.) : 351 JACOB (C.) : 330 JACOBS (A. S.) : 274, 375 JACQUIER (E.) : 318, 319, 419, 662 JAKAB (A.) : 382, 688 JAMES (A. F.) : 198 JANSENIUS (C.) : 311, 453 JANZEN (W.) : 77 JASTROW (M.) : 369 JAUBERT (A.) : 663 JAUSS (H. R.) : 42, 43 JELLICOE (S.) : 26 JENSEN (M. H.) : 135 JEREMIAS (J.) : 503, 549, 550, 621 JERVELL (J.) : 29, 416 JESSIEN (H.) : 620 JOHNSON (L. T.) : 137, 357, 621 JOHNSON (S. F.) : 55 JOHNSTON (J.) : 485 JOLY (R.) : 194 JONAS (H.) : 527 JONES (F. S.) : 596 JOUASSARD (G.) : 602

JOUCAVIEL (K.) : 228 JOUNEL (P.) : 690 JUGIE (M.) : 401, 403, 540 JULICHER (A.) : 618 JULLIEN (C. et F.) : 33, 452, 464, 517, 536, 537, 569, 573, 624, 626, 656 JULLIEN (F.) : 498 JUNOD (É.) : 33, 40, 44, 47, 202, 204, 266, 278, 343, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 381, 391, 394, 395, 396, 497 K AEGI (W. E.) : 634 K AESTLI (J.-D.) : 9, 33, 47, 48, 52, 343, 364, 534, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 390, 391, 394, 395, 396, 399, 454, 483, 484, 485, 486, 573, 638, 686, 687 K ÄHLER (C.) : 140 K AKHIDZE (E.) : 294, 665 K ALDELLIS (A.) : 299 K ARASSZON (I.) : 221 K ARAULASHVILI (I.) : 631 K ARAVIDOPOULOS (J.) : 203 K ARWIESE (S.) : 405 K ASSER (R.) : 115, 117, 439 K AUTSKY (K.) : 645 K EENER (C. C.) : 83, 205, 358, 455, 547, 548, 549, 648 K EHIMKAR (H. S.) : 463 K ELBER (W.) : 147 K ELLHOFFER (J. A.) : 396 K ELLNER (C.) : 575 KELLY (J. N. D.) : 608 K ENNEDY (G.) : 561 K ERN (O.) : 208 K IM (D. W.) : 503 K ING (K.) : 115, 237, 238 K INGSBURY (J. D.) : 565 K IRK (J. A.) : 27 K LASSEN (W.) : 72, 77, 81, 88, 92 K LAUCK (H.-J.) : 77, 96, 97, 99, 101 K LAUSER (T.) : 247 K LAWITER (F. W.) : 428 K LEIN (G.) : 27, 31, 172, 198, 623, 671 K LIJN (A. F. J.) : 490, 504, 515, 524, 527, 624 K LOSTERMANN (E.) : 664 K NIGHT (M.) : 44 KOCH (D. G.) : 416 KOESTER (H.) : 201, 202, 203, 363, 497, 624 KÖHLER (W.-D.) : 564

INDEX DES AUTEURS MODERNES

KOMOSZEWSKI (J. E.) : 494 KOSCHORKE (K.) : 214 KOSKENNIEMI (E.) : 679 KOSKO (M.) : 228 KOSSEN (H. B.) : 262 KÖSTENBERGER (A. J.) : 352 K RAEMER (R. S.) : 273 K RAUSS (H.) : 334 K REITZER (L. J.) : 423, 435 K ROSNEY (H.) : 113 K RÜGER (P.) : 277 KUHN (H.-W.) : 411 KUNTZMANN (R.) : 523, 524, 529, 530, 531 KÜRZINGER (J.) : 552, 562 KVALBEIN (H.) : 138 L A BROISE (A.-M. DE) : 406 L A P IANA (G.) : 197, 246, 247 L ABRIOLLE (P. DE) : 425, 426 L ACAU (P.) : 485 L ACHS (S. T.) : 550 L AEUCHLI (S.) : 120 L AGRANGE (M.-J.) : 71, 79, 80, 84, 90, 92, 158, 313, 316, 455, 553, 592, 593, 621 L AKE (K.) : 109, 174, 197, 647 L ALLEMAN (P. J.) : 278, 285, 376 L AMBERS-P ETRY (D.) : 596 L AMPE (P.) : 417, 426 L AMY (T. J.) : 62, 326, 610, 628, 658 L ANDAU (B.) : 513, 514 L APHAM (F.) : 199, 201, 205 L ATINI (B.) : 55, 253, 254, 309, 448, 479, 569, 634 L ATTEY (C.) : 71 L ATYŠEV (B.) : 568, 633 L AUWERS (L.) : 243 L AYTON (B.) : 500, 526 L AZIUS (W.) : 51, 670 L E BRETON (D.) : 493 L ECLERCQ (H.) : 425 L ÉGASSE (S.) : 314, 549 L ELOIR (L.) : 53, 54, 58, 333, 339, 391, 474, 658 L ELYVELD (M.) : 236 L EMAIRE (A.) : 418 L EMM (O. VON) : 278, 281, 282 329 L EMOINE (B.) : 422 L ENAIN DE TILLEMONT (L.-S.) : 36, 338, 405, 410, 452, 477, 512, 550, 551, 619, 655 L ÉON-DUFOUR (X.) : 100, 188, 260,

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349, 455, 492, 493 L EROY (J.) : 499 L ESSING (G. E.) : 645 L ÉTOUBLON (F.) : 273 L ÉTOURNEAU (P.) : 624 LIETZMANN (H.) : 196, 319 LIEU (J.) : 356, 358 LIGHTFOOT (J. B.) : 174, 361, 598, 608 LIGHTFOOT (J.) : 70 LIMBERIS (V.) : 15 LINCOLN (A. T.) : 351 LINDARS (B.) : 191, 546, 621 LIPPELT (E.) : 363 LIPSIUS (R. A.) : 40, 45, 48, 50, 52, 53, 246, 251, 252, 267, 287, 321, 322, 391, 394, 431, 440, 466, 473, 515, 570, 581, 625, 628, 669, 682, 686, 691 LITTMANN (E.) : 460 LIVIUS (T.) : 131 L ODS (A.) : 209 L OFFREDA (S.) : 135 L OHMEYER (E.) : 27, 35, 71 L OHMEYER (M.) : 158 L OHSE (E.) : 360 L OISY (A.) : 86, 94 L OOMIS (D. R.) : 240, 248 L ÓPEZ FERREIRO (A.) : 334 L ORD (J. H.) : 463 L OWE (E. A.) : 333 LUCCHESI (E.) : 278, 481, 515 LÜDEMANN (G.) : 345 LUDWIG (J.) : 138 LÜHRMANN (D.) : 203 LUKE (K.) : 84 LÜTHI (K.) : 95 LUTTIKHUIZEN (G. P.) : 375, 439 LUZ (U.) : 84, 87, 138, 147, 310, 316, 564 M AC A DAM (H. I.) : 135 M ACAIRE DE SIMONOS-P ETRA : 301, 325, 394, 400, 443, 473, 478, 537, 610, 628, 630, 667 M AC A RTHUR (H. K.) : 503 M ACCARRONE (M.) : 195, 230 M ACCHI (J.-D.) : 313 M ACCOBY (H.) : 32 M ACDONALD (D. R.) : 269, 278, 285, 295 M ACDONALD (J.) : 64 M ACK (B. L.) : 309, 421, 504 M AGRI (A.) : 357

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INDEX DES AUTEURS MODERNES

M AHÉ (J.-P.) : 9, 115, 116, 632 M ALDONADO (M ALDONAT) : 76, 84, 96, 260 M ÂLE (É.) : 303, 323, 338, 341, 408, 451, 660 M ALINA (B. J.) : 89 M AMULADZE (S.) : 294 M ANDELL (S.) : 151 M ANEK (J.) : 148 M ANGENOT (E.) : M ANN (C. S.) : 563 M ANNS (F.) : 231 M ARAVAL (P.) : 104, 174, 266, 308, 568 M ARCUS (J.) : 138, 347 M ARGUERAT (D.) : 132, 170, 318, 415, 417, 645, 680 M ARIN (L.) : 74, 88, 99 M ARJANEN (A.) : 238 M ARMORSTEIN (A.) : 208 M ARQUART (J.) : 469, 470, 473 M ARR (N.) : 235 M ARSHALL (I. H.) : 309, 313, 419, 648 M ARTIN (F.) : 93 M ARTIN (M. W.) : 185 M ARTINI (C. M.) : 173 M ASON (S.) : 10 M ASSAUX (É.) : 207 M ASSIGNON (L.) : 505 M ASTIN (B. A.) : 494 M ATTEI (P.) : 248, 249 M ATTHEWS (C. R.) : 409, 415, 420, 435, 438, 439 M AYERSON (P.) : 458 M AYNARD (A. H.) : 182 M AYOR (J.) : 602 M AZZEI (B.) : 35 M AZZEI (B.) : 35 MCCANT (J. W.) : 206 MCGUCKIN (J. A.) : 145 MCVEY (K. E.) : 507 M EDLYCOTT (A. E.) : 500, 506, 508, 511, 518 M EEKS (W.) : 436 M EIER (J. P.) : 17, 24, 183, 193, 226, 309, 451, 452, 454, 490, 546, 614, 617, 644, 648, 671 M EINHOLD (P.) : 29 M ÉLY (F. DE) : 85 M ERKLEIN (H.) : 171 M ESLIN (M.) : 243 M ETZGER (B. M.) : 25, 56, 173, 457, 559, 620, 621

M EYER (E.) : 420 M EYER (M.) : 113, 114, 117, 439 M ÉZANGE (C.) : 69, 647 M ICHAELIS (J. M.) : 192 M ILLER (D.) : 11 M ILLET DE SAINT-A MOUR (J.) : 229 M ILNE R AE (G.) : 462, 510, 517, 518 M IMOUNI (S. C.) : 14, 16, 51, 104, 172, 202, 205, 231, 233, 372, 402, 403, 404, 446, 503, 537, 539, 540, 557, 558, 593, 595, 596, 600, 623, 626, 636, 646, 650 M INEAR (P.) : 189, 348 M INNERATH (R.) : 132, 138, 248 M INNETTE DE TILLESSE (G.) : 310 M ISSET-VAN DE WEG (M.) : 226 MOFFATT (J.) : 352 MOFFETT (S. H.) : 463 MOLINARI (A. L.) : 212 MÖLLER (C.) : 412 MOLONEY (F.) : 346, 414, 492 MOMMSEN (T.) : 277 MORAES (G. M.) : 463, 464 MORARD (F.) : 237, 535, 653 MOREAU DE JONNÈS (A.-C.) : 295 MOREL (É.) : 426 MORELLI (A.) : 38 MORESCHINI (C.) : 557 MORGEN (M.) : 455 MORIN (J.-A.) : 68, 69, 646 MORRIS (L.) : 144, 261, 410, 549 MOST (G.) : 117, 494 MÜLLER (K.) : 79 MUNCK (J.) : 361, 562 MYERS (S. E.) : 515, 516 MYLLYKOSKI (M.) : 203, 206, 593, 596 NAGEL (P.) : 115 NAGEL (T.) : 372 NAHRIUS (J.) : 454 NASRALLAH (L. S.) : 267 NAU (A. J.) : 141, 147, 153 NAU (F.) : 407, 510, 686 NAUSEA (F.) : 51 NAUTIN (P.) : 217, 460 NEANDER (A.) : 462 NEILL (S.) : 463, 464 NEIRYNCK (F.) : 351, 352 NESBITT (C. F.) : 191 NESTLE (W.) : 109 NEVADA (J.) : 183 NEYREY (J. H.) : 220, 492 NICKLAS (T.) : 118, 119, 204

INDEX DES AUTEURS MODERNES

NODET (É.) : 75 NOLLAND (J.) : 92, 141, 313, 547 NORELLI (E.) : 110, 156, 200, 201, 421, 557, 559, 562, 576 NORET (J.) : 609 NORTJÉ (L.) : 89 NOTLEY (R. S.) : 412 NOVICK (T.) : 93 NOVILLANIUS (N.) : 631 NUN (M.) : 134 O’COLLINS (G.) : 143, 144, 200 O’CONNOR (D. W.) : 192, 196, 243 O’NEILL (J. C.) : 247 O’TOOLE (R. F.) : 417 OBERLINNER (L.) : 606, 607 OBERWEIS (M.) : 315 ODEN JR . (R. A.) : 568 ŒCOLAMPADE (J.) : 33 ORSI (R. A.) : 617 PAGELS (E.) : 115 PAINCHAUD (L.) : 116, 118, 119, 438, 528 PAINTER (J.) : 258, 259, 593, 595, 596, 597, 613, 613 PAO (D.) : 270, 271 PARDIAC (J.-B.) : 338 PARKER (P.) : 354 PARROTT (D.) : 235, 440 PASQUIER (A.) : 237, 238, 580 PATRICK (M. W.) : 29 PATTERSON (S. J.) : 212, 504 PAULSEN (H.) : 218 PAULUS (H. E. G.) : 645 PEARSON (B. A.) : 118, 201, 223 P ECCHILI (B.) : 35 PEETERS (P.) : 9, 294, 655, 656 PÉRÈS (J.-N.) : 35, 454, 587, 588 P ERKINS (J.) : 29 PERKINS (P.) : 147, 176, 192, 214, 237 PERROT (J.-P.) : 631 P ERUMALIL (A. C.) : 464, 466 PERVO (R. I.) : 176, 180, 318 PESCH (R.) : 77, 94, 157, 158, 183, 309, 662, 693 PETERSEN (J. M.) : 250 P ETERSON (E.) : 431 PETERSON (P. M.) : 263 PETRIE (C. S.) : 562 PHIDAS (V.) : 302 PHILLIPS (G.) : 52 P IAZZA (P.) : 493 P ICARD (C.) : 629

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P IGHE (A.) : 198 P IXNER (B.) : 411 PLATH (M.) : 77 PLEŠE (Z.) : 533 PLOTINO (R.) : 613 PLÜMACHER (E.) : 376 PLUMMER (A.) : 313 PLUNKETT (M. A.) : 180 POIRIER (P.-H.) : 9, 49, 490, 501, 502, 515, 516, 520, 526, 528, 531 PORTEN (B.) : 418 PORTER (D. S.) : 74 POUCET (J.) : 223 POUDERON (B.) : 119, 224, 231, 234, 456 POUPELIER (C.-A.-N.) : 85 POUPON (G.) : 48, 52, 221, 222, 225, 220, 230, 249 P RATSCHER (W.) : 117, 594 P REISKER (H.) : 106 P REISS (T.) : 29 P RETE (B.) : 166 P RICE (J. J.) : 647 P RICE (R. M.) : 594 P RICE (R.) : 237 P RIETO FERNÁNDEZ (F. J.) : 376 PRIEUR (J.-M.) : 48, 49, 50, 266, 268, 269, 270, 271, 276, 277, 278, 279, 481, 571 P RIGENT (P.) : 359 PRYNGLE (D.) : 308, 339 P UECH (É.) : 257 P UECH (H.-C.) : 470, 500 QUIÑONES (F. DE) : 669 QUISPEL (G.) : 201, 266 R ACINE-BRAUD (A.-C.) : 557 R AHMANI (L. Y.) : 622 R AHMANI (MGR) : voir Ignatius Ephræm II R ÄISÄNEN (H.) : 171 R AMELLI (I.) : 626 R AMSAY (W. M.) : 192, 423, 429, 435, 622 R AWLINSON (A. E. J.) : 78 R AYNAUD -TEYCHENNÉ (J.) : 130 R ÉAU (L.) : 255, 302, 341, 408, 449, 487, 543, 589, 614, 617, 641, 671 R ECLUS (É) : 473 R EGER (G.) : 517 R EGEV (E.) : 170 R EGUL (J.) : 264 R EHKOPF (F.) : 88

818

INDEX DES AUTEURS MODERNES

R EHM (B.) : 45 R EIMARUS (H. S.) : 644, 645 R EINACH (S.) : 278 R EINBOLD (W.) : 27 R EINER (E.) : 84 R EININK (G. J) : 514 R EITZENSTEIN (R.) : 678, 679 R ENSBERGER (D.) : 19 R ESCH (A.) : 230 R ÉVILLE (A.) : 563 R IBÉMONT (B.) : 55 R ICHARD (E.) : 193 R ICHARD (M.) : 611 R ICHARDS (E. R.) : 622 R ICHTER (G.) : 495 R ICŒUR (P.) : 43, 493 R IDDERBOS (H. H.) : 262, 358 R IDDLE (D.) : 198 R IGATO (M.-L.) : 351 R IGAUX (B.) : 671 R IGHI (D.) : 331, 446, 533, 651, 653 R ILEY (J. G.) : 500, 501 ROBBINS (V. K.) : 23 ROBERT (C.) : 250 ROBERTI (J.) : 453 ROBINSON (D. F.) : 191 ROBINSON (F.) : 668 ROBINSON (J. M.) : 113 ROBIOU (F.) : 447 RODRIGUES P EREIRA (A. S.) : 507 ROHDE (E.) : 687 ROHRBAUGH (R. L.) : 89 ROIG L ANZILLOTA (L.) : 266, 267, 268, 269 ROLOFF (J.) : 27, 223 ROQUET (G.) : 653 ROSE (E.) : 56, 637, 638 ROSKAM (H. N.) : 156 ROSS (S. K.) : 625 ROSTOVTZEFF (M. I.) : 133, 135 RUCQUOI (A.) : 335 RUDMAN (D.) : 317 RUSSEL (E. A.) : 347 RUYSSCHAERT (J.) : 241 SAARI (A.) : 128 SABBE (C.) : 74 SAINTYVES (P.) : 25, 47 SALLES (J.-F.) : 573 SALONIUS (A. H.) : 52 SANDERS (E. P.) : 106 SANDERS (J. N.) : 354, 363, 372 SCARUPA (H. J.) : 418

SCHÄFERDIEK (K.) : 47, 375 SCHAFF (P.) : 614 SCHATZ (G.) : 131 SCHENK (W.) : 147 SCHENKE (H. M.) : 634 SCHENKE (L.) : 73 SCHENKE ROBINSON (G.) : 114, 115 SCHERMANN (T.) : 56, 57, 58, 60, 61, 64, 294, 297, 298, 324, 325, 326, 332, 399, 400, 444, 460, 465, 470, 472, 509, 510, 567, 568, 570, 574, 609, 610, 612, 629, 631, 633, 651, 652, 656, 657, 665, 667, 668 SCHLÄGER (G.) : 32, 72 SCHLATTER (A.) : 84, 87, 89 SCHLIER (H.) : 198 SCHLOSSER (J.) : 347 SCHMID (J. M.) : 53, 633 SCHMIDT (C.) : 48, 229, 624 SCHMITHALS (W.) : 27, 31, 194, 310, 671 SCHMITT (G.) : 412 SCHNACKENBURG (R.) : 27, 77, 102, 372, 495, 565 SCHNEEMELCHER (W.) : 195 SCHNEIDER (G.) : 662 SCHNEIDER (H.) : 509 SCHOEDEL (W. R.) : 552, 597 SCHOEPS (H. J.) : 233 SCHULTHESS (J.) : 69 SCHULZ (A.) : 17 SCHÜRER (E.) : 264 SCHÜRMANN (H.) : 621 SCHÜSSLER-FIORENZA (E.) : 271 SCHÜTZ (J. H.) : 28 SCHWARTZ (D. R.) : 11, 318, 565 SCHWARTZ (E.) : 315, 316, 388, 422 SCHWARTZ (J.) : 517 SCHWARTZ (S.) : 274 SCHWARZ (W.) : 90 SCHWEITZER (A.) : 105, 645 SCHWEIZER (E.) : 78, 201, 309, 346 SCHWEMER (A. M.) : 56 SCOTT (J. M.) : 198 SCOTT SPENCER (F.) : 416, 417, 418, 419 SEGAL (J. B.) : 246, 497, 625, 626 SEGELBERG (E.) : 431 SELAND (T.) : 648 SELLEW (P.) : 421, 553 SENIOR (D. P.) : 83 SEVRIN (J.-M.) : 372 SFAMENI GASPARRO (G.) : 263

INDEX DES AUTEURS MODERNES

SHOTWELL (J. T.) : 240, 248 SIDEBOTHAM (S. E.) : 537 SILVERBERG (R.) : 542 SIMON (M.) : 217 SIMS-WILLIAMS (N.) : 63 SISTI (A.) : 665 SLATER (R. N.) : 428 SMELIK (K. A. D.) : 498 SMITH (A.) : 658 SMITH (C. W.) : 148 SMITH (M. J.) : 212 SMITH (M.) : 145, 646, 679 SMITH (T. V.) : 199, 200 SMITH-L EWIS (A.) : 49, 51, 278, 281, 329, 387, 391, 444, 481, 482, 586, 667 SNOWDEN (F. M.) : 418 SNYDER (G. F.) : 182 SOLAGES (B. DE) : 352 SOLLER (J. B.) : 251 SOURDEL-THOMINE (J.) : 658 SPADAFORA (F.) : 408, 578, 660 SPIEGELBERG (W.) : 88 SPONG (J. S.) : 31 SPRUNER (K.) et M ENKE (T.) : SQUIRES (J. T.) : 416 STÄHLIN (G.) : 88 STANTON (G. N.) : 201 STAROWIEYSKI (M.) : 111, 228, 231, 305 STEFFEK (E.) : 132 STEIN (R. H.) : 145 STEWART-SYKES (A.) : 366 STIECKERT (F.) : 411 STIEHL (R.) : 461 STILTING (J.) : 462, 478, 574, 577 STOOPS JR . (R.) : 29, 34, 275 STRACK (H.) et BILLERBECK (P.) : 78, 81, 86, 94, 495, 662 STRAUSS (D. F.) : 645 STRECKER (G.) : 232, 233, 355, 356, 357 STREETER (B. H.) : 623 STRIZOWER (S.) : 463 STÜCKENBRUCK (L. T.) : 218 STURHAHN (C. L.) : 272 SUÁRES OTERO (J.) : 334 SUDA (M. J.) : 40 SUHL (A.) : 79 SULLIVAN (K.) : 119 SUNDBERG (A. C.) : 265 SWETE (H. B.) : 311, 355 TABBERNEE (W.) : 196, 423, 426, 427, 428

819

TABOR (J.) : 128 TAILLEFER (L.) : 191 TALAMO ATENOLFI (G.) : 577 TALBERT (C.) : 663 TANNEHILL (R. C.) : 93 TARDIEU (M.) : 364, 438 TAYLOR (J. E.) : 69, 70 TAYLOR (J.) : 135 TAYLOR (V.) : 146 TEISSEN (G.) : 318 TEIXIDOR (J.) : 627 TER-M INASSIANTZ (E.) : 632 TESTINI (P.) : 35 THACKER (A.) : 690 THEISSEN (G.) : 645 THÉLAMON (F.) : 460 THÉOBALD (C.) : 131 THOMAS (C. M.) : 221, 229, 426 THONEMANN (P.) : 429 THORNTON (L. S.) : 94 THYEN (H.) : 490 TIDIMAN (B.) : 83 TIGCHELAAR (E.) : 207 TIROT (P.) : 582 TISSERANT (E.) : 483 TISSOT (Y.) : 49, 273, 515, 520 TITUS (E. L.) : 354, 663 TIXERONT (L.-J.) : 625 TODHUNTER (A.) : 690 TORREY (C. C.) : 68 TRITES (A. A.) : 145 TROCMÉ (É.) : 81, 648 TSETSKHLADZE (G.) : 294 TUBACH (J) : 514 TURNER (C. H.) : 58, 205, 510 TURNER (J. D.) : 114, 529, 530 TURNER (M. L.) : 438 TZAFERIS (V.) : 135 ULLENDORFF (E.) : 418 UPDEGRAFF (R. T.) : 629 URO (R.) : 236, 501 USSANI (V.) : 52 USTINOVA (Y.) : 265 VADAKKEKARA (B.) : 463, 464, 512 VAGANAY (L.) : 202 VAISSIÈRE (E. DE LA) : 294 VAKHOUCHT BAGRATION : 656 VAN DER STRAETEN (J.) : 251 VAN E SBROECK (M.) : 58, 61, 62, 280, 281, 333, 391, 405, 447, 471, 473, 509, 572, 632, 653, 655, 658 VAN H ECKE (J.) : 294, 619, 649, 656

820

INDEX DES AUTEURS MODERNES

VAN HOOFF (A. J. L.) : 129 VAN K AMPEN (L.) : 266 VAN OORT (J.) : 112, 113 VAN OS (B.) : 431 VAN O YEN (G.) : 157 VAN UNNIK (W. C.) : 87, 89 VARGHESE (B.) : 512 VASILIEV (A.) : 400 VERHEYDEN (J.) : 203, 265, 370 VERNANT (J.-P.) : 270 VERRETH (H.) : 656 VERZONE (P.) : 423 VEYNE (P.) : 274, 684 VIELHAUER (P.) : 31 VIELLIARD (J.) : 575 VINOGRADOV (A.) : 270, 581 VODIČKA (F.) : 42, 43 VÖGTLE (A.) : 138 VOICU (S.) : 331, 446, 533, 539, 540, 651, 653 VÖÖBUS (A.) : 501 VOSTÉ (J.-M.) : 32, 90 VOUGA (F.) : 182 WAHLDE (U. C. VON) : 19, 101 WALKER JR . (W. O.) : 648 WASCHMANN (S.) : 306 WASOWICZ (A.) : 264 WEDDERBURN (A. J. M.) : 171 WEISS (J.) : 356, 645 WEISSENGRUBER (F.) : 203 WEITLING (W.) : 645 WELLHAUSEN (J.) : 69, 644 WENGER (A.) : 540 WENGST (K.) : 355 WESTCOTT (B. F.) : 96, 413, 414, 493 WESTERBERGH (U.) : 478 WHELAN (C. F.) : 89 WIARDA (T.) : 132, 142, 156, 157

WIESEHÖFER (J.) : 496 WILCKENS (U.) : 198 WILCOX (M.) : 93, 138 WILES (M.) : 271 WILHELMS (E.) : 347 WILKINS (M. J.) : 20 WILLIAMS (M. A.) : 214 WILLIAMS (M. H.) : 11 WILLIAMS (S. K.) : 171 WILMART (A.) : 63, 483 WILSON (R. MCL.) : 438 WINANDY (J.) : 351 WINCKLER (D.) : 627 WINDISCH (H.) : 184, 356 WINSTEDT (E. O.) : 483, 536, 568 WINTER (P.) : 144, 594 WITHERINGTON III (B.) : 76, 417, 419 WOTAW (C. W.) : 140 WREDE (W.) : 99, 157, 310 WRIGHT (L. E.) : 503 WRIGHT (W.) : 49, 278, 319, 386, 515 WRIGHT IV (W. M.) : 95 YON (J.-B.) : 628 YOUTIE (H. C.) : 549, 629 YULE (J.) : 511 Z AHN (T.) : 202, 224, 373, 391, 393, 421, 431, 559, 618, 621 Z ANETTI (U.) : 480 ZEICHMANN (C. B.) : 109 ZELZER (K.) : 500 ZUMSTEIN (J.) : 357 ZWIEP (A.) : 109, 661, 663 ZWIERLEIN (O.) : 192, 193, 195, 223, 230 ZYROMSKI (M.) : 286

418,

443,

392,

197,

INDEX GÉOGRAPHIQUE ACHAÏE : 263-264, 273, 282, 283-285, 287, 290, 292, 294, 295, 297, 298, 301, 326, 332, 445, 666 A KHMÎM : 653-654, 657 A LBANOPOLIS (ville inconnue peut-être en Arménie) : 472-473 A LEXANDRIE : 51, 156, 213, 216, 456457, 463, 517, 548, 564, 653, 686, 688 A MASIE : 287, 300 A NTARADOS (Tartous) : 571 A NTHROPOPHAGES (ville des) : 49-50, 278-281, 286, 570, 571-572, 581, 583, 666, 668 A NTIOCHE : 173-174, 505, 564, 571, 576 A PSAROS : 294-297, 665-666 A RABIE : 457, 462, 464, 466, 511, 537, 689 A RADOS (Arwad) : 628, 633 A RARAT (Mont) : 633, 635 A RMÉNIE : 53-54, 339-340, 471-475, 476, 631-634, 638-640, 658-659 A SKAR : 71 A XOUM : 460, 574 A ZOT (Ashdod) : 432, 688 BABYLONE : 50, 193, 474, 508, 659, 682 BATRIANE : 461, 462, 509, 510 BÉNÉVENT : 478, 578 BERENIKÈ (Bérénice de Cyrénaïque ou Bérénice troglodytique) : 460, 630 BETHSAÏDE : 411-413 BEYROUTH (Béryte) : 570, 572, 628, 632, 634, 641, 677, 688 BITHYNIE : 182, 221, 244, 264, 297, 300 BLEMMYES (PAYS DES) : 629-630, 633 BRETAGNE : 577-578, 657, 667 BYZANCE : voir Constantinople CALAMINE (Kalyân) : 509-510, 537 CAPHARNAÜM : 133, 135, 150, 158, 259, 306 CÉSARÉE DE PALESTINE : 326, 418-419, 433, 435, 447, 517, 556-558, 651

CHALCÉDOINE : 300 CHALCIS (Qinnasrîn) : 658 Chersonèse : 286, 287, 300, 572 Chine : 508, 513-514 CLAUDIA (Alep) : 557, 658 COLCHIDE : 294-295, 465-466, 573574, 655, 665-666 COMMAGÈNE : 474 COMPOSTELLE : 333-338 CONSTANTINOPLE (Byzance) : 71, 287, 293-301, 541, 683, 684 CYNOCÉPHALES (pays des) : 280-281, 283, 482, 630 CYRÉNAÏQUE : 325, 630, 688 DAMAS : 667-668 ÉDESSE : 48, 52, 234, 295, 300, 319, 495-500, 504-508, 515, 516, 520, 523, 532, 538, 542, 624-630, 634, 666, 677, 688, 692 É GYPTE : 277-283, 375-376, 433, 555, 571, 631, 649, 652-653, 656, 659 ÉLAM : 474 ELATH : 460 ÉLEUTHÉROPOLIS : 611, 656 ÉPHÈSE : 264, 300, 327, 337, 361-372, 374, 375, 379, 380, 384-387, 392, 394-400, 402, 404-406, 422 ÉTHIOPIE : 294-297, 417-418, 432, 457, 458-460, 466, 573-577, 637, 664667 FAYOUM : 480 GABALA (Jablah) : 571 GAZA : 433, 442, 611, 628, 656 GERMANICÉENS (pays des) : 474 H AZOR : 71 H ÉRACLÉE : 300 HIÉRAPOLIS DE PHRYGIE (Pamukkale) : 369, 389, 421, 422, 423, 428, 436, 435, 438, 440, 441, 444-449 HIÉRAPOLIS DE SYRIE : voir Mabboug HIÉRAPOLIS DES PARTHES : 567 HYRCANIE : 496, 509, 510, 689 HYSSOS : 294, 665 I BÉRIE DU CAUCASE (Géorgie) : 300, 654

822

INDEX GÉOGRAPHIQUE

I NDE : 329-331, 457-467, 506-512, 518520, 526-527, 536-542, 553 IOTHABIS (île de Tirân) : 537 JÉRUSALEM : 14, 71, 170-173, 174-176, 198-199, 310, 319-321, 326-328, 332, 336-337, 339, 345, 359, 364, 402, 405, 426, 439, 446, 536-537, 567, 592-595, 608, 612, 613, 614, 622-623, 649-651, 662 KURDES (pays des) : 282 L AODICÉE AD LIBANUM (Qadesh) : 628 Laodicée de Phrygie : 300, 429, 447 L AODICÉE DE SYRIE (Lattaquié) : 628 LIPARI : 476-478 LYBIE : 611, 629-630 LYCAONIE : 475-476, 482 M ABBOUG : 567-569 M AGES (pays des) : 513-514 M ARGIANE : 510, 513 M ARMARIQUE : 324-326, 330, 332, 335336, 609 M ARTYROPOLIS (Silvan) : 471, 476 M AURÉTANIE : 577, 611, 657, 682 M AYLAPUR (Mylapore) : 508, 510, 511 M ÉDIE : 466, 474, 509, 510, 536 MUZIRIS : 510 MYRMÉKION : 286 MYRMIDONIA (ville inconnue) : 285287, 289 MYRNÈ (ville inconnue) : 286, 571 NADDAVER (ville inconnue) : 574-575 NAPATA : 575 NICATÉRA (ville inconnue) : 432-433 NICÉE : 287, 293, 300 NICOMÉDIE : 287 NICOPOLIS DU PONT : 473 NICOPSIS (ville de Géorgie) : 656 NISIBE : 508, 516, 626 OASIS (ville de l’, ville inconnue) : 479480, 483 OSROÈNE : 495, 497, 498, 506, 625, 626, 629 OSTRAKINÈ : 611, 656-657 PARTHIE : 432, 457, 475, 481-482, 496, 518, 567-571, 574, 588, 668

PATALIPUTA (Patna) : 518 PATMOS : 359, 379, 384-385, 391-393, 394, 396, 398-399, 408 PATRAS : 263, 264, 266, 273, 283, 287291, 294, 295, 300, 666 PÉPUZE : 425, 426, 428 P ÉRINTHE (ville de Thrace) : 287 PERSE : 569-570, 608, 630-631, 649, 655, 658-659 PHILADELPHIE DE PHRYGIE : 427, 428 PHRYGIE : 420-430, 434-436, 444-448 PHULLÆ (Chersonèse) : 294 PONT-EUXIN : 182, 244, 264, 466, 572, 688 QABRIA : 571 QUARIYYOT DE MOAB : 71 R HAGÈS DE M ÉDIE : 537-538 ROME : 52, 191-199, 220-235, 239-254, 291, 379-380, 387, 395-396, 540541, 577-578 SAMARIE : 179, 312-313, 345, 415-418, 446 SCYTHIE : 263-264, 279, 282, 283, 290, 291, 292, 294, 295, 297, 300, 302, 331, 425, 441, 445, 571, 666 SCYTHIE : 263-264, 279, 282-283, 290295, 297, 300, 302, 331, 425, 441, 445, 571, 666, 686 SÉBASTOPOLIS (Soukhoumi) : 294, 295, 297, 300, 666 SÉLEUCIE-CTÉSIPHON : 498, 508 SINOPE : 286, 287, 300 SIWA : 479, 482 SMYRNE (İzmir) : 376 SOGDIANE : 63, 294, 295, 297, 666 SOPHÈNE : 471, 632 SUGDÆA (Sudak) : 294 SYRIE : 199-235, 452, 464, 497-505, 512, 517-521, 557, 564-565, 567568, 628, 635, 658 TAXILA : 518 THESSALONIQUE : 287 TRÉBIZONDE (Trabzon) : 294, 300, 665 TYR (Sour) : 460, 564, 611 ZEUGMA : 658

INDEX DES FÊTES LITURGIQUES Note : les calendriers ne se correspondant pas, nous donnons ici un équivalent approximatif de certaines dates. Janvier 16 janvier – chaînes de Pierre, Église grecque : 251 18 janvier – chaire de Pierre à Rome, Églises syriaques Février 18 février – Jacques d’Alphée, Église copte (10 amchir/yakkâdit) : 610 22 février – chaire de Pierre, Églises latines : 243-244 24 février – Matthias, Églises grecques et latines : 669 16 février – Simon, Église arménienne (10 méhéki) : 659 Mars 17 mars – Matthias, Église copte (8 baramhat/maggabit) : 668 Avril 25 avril – Jacques de Zébédée, Église copte (17 barmoudah) : 331 27 avril – Simon, frère du Seigneur, Églises grecques : 652 30 avril – Jacques de Zébédée, Église aménienne (23 ahékan) : 340 Mai 1er mai – Philippe et Jacques d’Alphée, Église romaine : 424, 613 3 mai – Philippe et Jacques d’Alphée, Église romaine (depuis Pie XII) 7 mai – translation des reliques de Matthieu à Salerne, Église latine : 577 10 mai – Simon, Église grecque : 649, 653 11 mai – Philippe et Jacques d’Alphée, Église malabar 14 mai – Matthias, Église catholique (depuis le xxe siècle)

Juin 3 juin – Thomas, Église copte et éthiopienne (26 bâchons/genbot) : 536 11 juin – Barthélemy, Églises orientales : 473, 475 19 juin – Jude, Églises grecques et orientales : 630, 633, 634, 635, 649 29 juin – Pierre et Paul, Églises grecques et latines : 244 Juillet 3 juillet – Thomas, Églises latines : 508, 536 9 juillet – Thaddée, Église coptes et éthiopiennes (2 abib/hamlê) : 635 12 juillet – Pierre et Paul, Églises coptes et éthiopiennes (5 abib/hamlê) : 234 25 juillet – Jacques de Zébédée, Églises grecques et latines : 332, 335 25 juillet – Jacques frère du Seigneur, Église copte (18 abib/hamlê) : 610 Août 1er août – chaînes de Pierre, Église latine : 251 9 août – Matthias, Églises syriaques 6 août – translation des reliques d’André, Églises coptes et éthiopiennes (30 abib/hamlê) : 281 24 août – Barthélemy, Églises latines : 470, 478, 481, 482 25 août – translation des reliques de Barthélemy : 476, 478 21 août – Thaddée, Églises grecques : 628 Septembre 21 septembre – Matthieu, Églises grecques et latines : 569, 570, 577 26 septembre – mort de Jean le Théologien, Églises orientales : 394 Octobre 6 octobre – Thomas, Églises orientales : 499 9 octobre – Jacques d’Alphée, Église

824

INDEX DES FÊTES LITURGIQUE

syriaque : 609 10 octobre – Jacques et Jean, Églises coptes et éthiopiennes (30 tout/maskaram) 22 octobre – Matthieu, Églises coptes et éthiopiennes (12 babeh/teqemt) : 589 24 octobre – Philippe le diacre, Églises coptes et éthiopiennes (14 babeh/ teqemt) : 446 23 octobre – Jacques frère du Seigneur, Église syriaque et grecque : 609 28 octobre – Simon et Jude, Église latine : 649, 659 31 octobre – miracle de la Vierge pour délivrer Matthieu, Église éthio-

pienne (21 babeh/teqemt) : 668 Novembre 14 novembre – Philippe, Église grecque et syriaque : 424, 442 27 novembre – Philippe, Églises coptes et éthiopiennes (18 hatour/hédar) : 446 30 novembre – André : 282, 289, 290 Décembre 18 décembre – miracle de Thomas, Église malabar : 510 27/30 décembre – Jean de Zébédée, ancien calendrier latin et Églises coptes et éthiopiennes : 319, 386, 388, 394

TABLE DES ILLUSTRATIONS FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE FIGURE

1 : LES CERCLES CONCENTRIQUES DE CEUX QUI SUIVAIENT JÉSUS 2 : LOCALISATIONS POSSIBLES DU LIEU DE NAISSANCE DE JUDAS . 3 : LA LOCALISATION DE L’APOSTOLAT D’ANDRÉ . . . . . . . . 4 : LES VOYAGES D’ANDRÉ SELON GRÉGOIRE DE TOURS . . . . 5 : ANDRÉ EN ÉTHIOPIE DU CAUCASE . . . . . . . . . . . . 6 : LA TRADITION DE JACQUES . . . . . . . . . . . . . . . 7 : LA LOCALISATION DE BETHSAÏDE . . . . . . . . . . . . . 8 : LA TRADITION DE PHILIPPE . . . . . . . . . . . . . . . 9 : LES ACTES DE PHILIPPE . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 : LA TERRE SELON STRABON . . . . . . . . . . . . . . . 11 : LES TRAJETS DE PANTÈNE . . . . . . . . . . . . . . . 12 : BARTHÉLEMY EN ARMÉNIE . . . . . . . . . . . . . . . 13 : THOMAS EN INDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 : L’INDE DES ACTES DE THOMAS . . . . . . . . . . . . 15 : THOMAS DANS LA TRADITION LATINE . . . . . . . . . . 16 : LES MISSIONS DE MATTHIEU . . . . . . . . . . . . . . 17 : LA FAMILLE DE JOSEPH SELON HIPPOLYTE DE THÈBES . . . 18 : LA FAMILLE DE MARIE SELON HIPPOLYTE DE THÈBES . . . 19 : LA FAMILLE DE JÉSUS SELON JÉRÔME . . . . . . . . . . . 20 : L’APOSTOLAT DE JUDE . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 : LES TRAJETS DE SIMON . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 : L’ÉVANGÉLISATION DE MATTHIAS SUR LA MER NOIRE . . . 23 : LES ÉVÊCHÉS DE QUELQUES-UNS DES 70 . . . . . . . . .

17 70 286 287 296 325 412 424 433 459 465 475 512 519 538 578 600 600 605 636 660 666 689

TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENT

7

REMARQUES LIMINAIRES I. ABRÉVIATIONS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. SUR L’USAGE DE « JUDÉEN » ET « JUIF ». . . . . . . . . . .

9 9 10

INTRODUCTION I. LA QUESTION DE LA LÉGITIMITÉ AU CŒUR D’UN CHRISTIANISME EN ARCHIPEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Position du problème : légitimité et autorité . . . . . . . . B. « Ceux qui suivent Jésus » : qui est vecteur de légitimité ? . . . 1. Les foules (ὅχλοι) . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les disciples (μαθητής). . . . . . . . . . . . . . . 3. Les Douze (οἱ δώδεκα) . . . . . . . . . . . . . . . C. Les Douze et la légitimation des Églises : une histoire de la réception 1. Les Douze comme figure de légitimité . . . . . . . . . 2. La notion de figure d’autorité . . . . . . . . . . . . 3. Pour une histoire de la réception des figures d’autorité . . . II. LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE LA RÉCEPTION DES DOUZE . . . . . A. Les Actes (apocryphes) des Apôtres . . . . . . . . . . . . 1. Le roman pseudo-clémentin . . . . . . . . . . . . . 2. Le « Pentateuque » de Leucius Charinus et les Actes de Philippe ( IIe-Ve siècles) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Le cycle monastique d’Égypte ( IVe-VIe siècle) . . . . . . . 4. Les reprises latines « orthodoxes » (VIe siècle) . . . . . . 5. Le recueil alexandrin des « Combats des Apôtres » (VIe siècle et XIIIe siècle). . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Textes liés à des Églises particulières (à partir du IVe siècle) . 7. Recueils hagiographiques tardifs . . . . . . . . . . . B. Les listes d’apôtres et les textes liturgiques . . . . . . . . . 1. Les premières listes apostoliques . . . . . . . . . . . 2. Les recueils liturgiques . . . . . . . . . . . . . . . 3. En marge des listes apostoliques : les listes iconographiques .

13

CHAP. 1 – JUDAS L’APÔTRE QUI S’EST PERDU I. JUDAS DANS LES ÉVANGILES . . . . . . . . . . . . . . . . A. Positionnement des problèmes : Judas chez Marc . . . . . . . 1. Un membre des Douze . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’Onction à Béthanie : y a-t-il des motifs à l’acte de Judas ? 3. L’annonce de la livraison : que sait Jésus de la trahison de Judas ? 4. La livraison à Gethsémani : que fait Judas ? . . . . . . . B. Les étapes du portrait à charge : Judas chez Matthieu, Luc et Jean

15 15 17 18 19 27 33 33 37 40 44 44 45 45 49 50 51 51 54 55 57 64 65 67 67 67 67 73 75 78 81

828

TABLE DES MATIÈRES

1. 2. 3. 4.

Le Judas avare de l’évangile de Matthieu . . . . . . . . Le Judas possédé par le diable de l’évangile de Luc . . . . Judas dans l’évangile de Jean : le début d’une légende noire . Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. JUDAS, LE DISCIPLE MAUDIT . . . . . . . . . . . . . . . A. Nouveaux éléments d’un portrait à charge . . . . . . . . . 1. Au IIe siècle : Irénée et le Martyre de Polycarpe . . . . . . 2. La mort ignomineuse de Judas selon le récit de Papias . . . 3. Maudit par les apocryphes. . . . . . . . . . . . . . B. L’Évangile de Judas . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Origène ou le diable archer . . . . . . . . . . . . . . D. L’achèvement de la légende noire : Augustin et Jean Chrysostome BILAN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

82 91 95 103 107 107 107 108 110 111 120 124 129

CHAP. 2 – PIERRE : LE « PRINCE DES APÔTRES» ? I. LA CONSTRUCTION DE LA FIGURE DE PIERRE PAR LES TEXTES NÉOTESTAMENTAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Les éléments communs des synoptiques . . . . . . . . . . 1. Pierre avant sa rencontre avec Jésus . . . . . . . . . . 2. La confession de Pierre et le changement de nom . . . . . 3. Pierre disciple . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Pierre figure de voyant ? . . . . . . . . . . . . . . B. Trois figures de Pierre pour trois évangiles . . . . . . . . . 1. Pierre dans l’évangile antiochien de Matthieu : l’apôtre fragilea. 2. Pierre chez Marc : le comble de l’incompréhension . . . . 3. Pierre dans Luc : le difficile accès à la conversion . . . . . C. La « voie » pétrinienne des Actes et de Paul . . . . . . . . 1. Avant la « voie moyenne » : le chef de la communauté eschatologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La « voie moyenne » pétrinienne . . . . . . . . . . . 3. Les quatre figures pétriniennes des Actes des Apôtres . . . D. Pierre chez Jean : une réaction à la construction de la figure pétrinienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Une figure diminuée . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Pierre et Judas . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Une nouvelle figure . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Le prolongement de l’évangile : Pierre, pasteur d’une communauté majoritaire . . . . . . . . . . . . . . . . II. LES PREMIERS TÉMOIGNAGES : LA TRADITION D’UN MARTYRE À ROME ET LA SUPPRESSION DU DIFFÉREND ENTRE PIERRE ET PAUL . . . . A. Les premiers témoignages du martyre . . . . . . . . . . . 1. Les témoignages anciens . . . . . . . . . . . . . . 2. La première mention d’un lieu de culte . . . . . . . . . B. La suppression du différend entre Pierre et Paul . . . . . . . III. UNE PREMIÈRE RÉCEPTION SYRIENNE (IER-VE SIÈCLE) . . . . . . .

131 132 133 133 136 142 143 146 147 156 161 168 169 170 177 182 183 185 187 189 191 191 192 196 197 199

TABLE DES MATIÈRES

829

A. Une première réception : un « courant pétrinien » extatique en Syrie (I er-II e siècle) . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 1. L’Évangile de Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . 202 2. L’Apocalypse de Pierre . . . . . . . . . . . . . . . 206 3. Prolongements : le Pierre « héros gnostique » . . . . . . 211 B. La « voie moyenne » autour de la figure de Pierre (II e-III e siècle) 216 1. La Prédication de Pierre . . . . . . . . . . . . . . 217 2. Pierre comme témoin parfait en 2P . . . . . . . . . . 219 3. Une première version de la légende romaine : les Actes de Pierre 220 4. Une seconde version de la légende romaine : le Roman pseudoclémentin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 5. Le triomphe de la légende romaine en Orient . . . . . . 234 C. La contestation de cette figure d’unité. . . . . . . . . . . 235 1. Polémiques dans l’Évangile de Thomas . . . . . . . . . 235 2. L’opposition Pierre-Marie de Magdala . . . . . . . . . 236 IV. PIERRE À ROME : EN ROUTE VERS LA PRIMAUTÉ (IIIe-Ve SIÈCLE) . . . 239 A. Les racines de l’exaltation de Rome à travers Pierre. . . . . . 240 B. L’émergence du lieu de culte à Pierre . . . . . . . . . . . 241 1. Le Vatican . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 2. Saint-Sébastien sur la voie Appienne . . . . . . . . . . 243 C. La revendication de la primauté de Pierre . . . . . . . . . 248 D. Pierre dans l’hagiographie romaine . . . . . . . . . . . 249 BILAN : L’ICONOGRAPHIE COMME RELAIS DE LA RÉCEPTION DE LA FIGURE DE PIERRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254 CHAP. 3 – ANDRÉ L’« HÉTÉRODOXE » PATRON DE BYZANCE I. UN APÔTRE ASSEZ EFFACÉ DANS LE NOUVEAU TESTAMENT . . . . . A. André dans les synoptiques. . . . . . . . . . . . . . . B. André chez Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. LES ACTA ANDRÆ GRECS : TRAJETS D’UN APÔTRE DUALISTE (IIe-IIIe SIÈCLES) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. André avant les Actes : l’apôtre de la Scythie . . . . . . . . B. Caractéristiques des Actes d’André . . . . . . . . . . . . C. L’André des Actes d’André . . . . . . . . . . . . . . . 1. Socrate et Ulysse chez les chrétiens . . . . . . . . . . 2. Un faiseur de miracles . . . . . . . . . . . . . . . 3. André, « patron » de communauté . . . . . . . . . . 4. Un personnage clef dans une configuration triangulaire : le triangle ascétique . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Un martyre très spectaculaire . . . . . . . . . . . . III. LA « RECONQUÊTE » D’UN APÔTRE ASCÉTIQUE (IIe-VIe SIÈCLE) . . . A. Une « opération de récupération » en Égypte . . . . . . . . 1. Les Actes d’André et Matthias ou comment faire d’André un héros pachômien . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les Actes d’André et Philémon et les autres actes impliquant

André . . . . . . . . . . . . . . . . . .

B. L’« opération de récupération » en Occident . . . . . . . . 1. L’Épître des presbytres et diacres d’Achaïe (BHL 428 = CANT 226) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

257 257 257 260 262 263 265 269 269 271 271 273 274 277 277 278

281 283 283

830

TABLE DES MATIÈRES

2. La Vita Andreæ de Grégoire de Tours (BHL 430 = CANT 225.2) et les Virtutes Andreæ du Pseudo-Abdias (CANT 232 = BHL 430) . . . . . . . . . . . . . . . . 3. L’achèvement de la canonisation : fête liturgique, martyrologes et listes d’apôtres . . . . . . . . . . . . . . . . C. L’apôtre de Byzance . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Première étape : la liste du Pseudo-Dorothée . . . . . . . 2. Deuxième étape : la Narratio (BHG 99 = CANT 229) . . . 3. Troisième étape : la rédaction des récits de martyres . . . . 4. Quatrième étape : la Vie d’André d’Épiphane (BHG 102 = CANT 233) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Cinquième étape : la Laudatio (BHG 100 = CANT 228) . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

285 289 293 297 298 299 300 301 301 305

CHAP. 4 – JACQUES LE MAJEUR, L’APÔTRE AUX DEUX VIES I. LES TÉMOIGNAGES ÉVANGÉLIQUES : UN NOTABLE DE LA COMMUNAUTÉ HIÉROSOLYMITAINE TÔT DISPARU . . . . . . . . . . . . . A. Un des premiers appelés . . . . . . . . . . . . . . . . B. Un bouillant disciple membre du cercle rapproché . . . . . . 1. Boanergès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Deux impétueux . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La demande des fils de Zébédée . . . . . . . . . . . C. Le martyre d’un des dirigeants de la communauté primitive . . D. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. LA DISPARITION D’UN APÔTRE . . . . . . . . . . . . . . . A. Première attestation : Clément d’Alexandrie . . . . . . . . B. Une unique tradition dans le monde latin : la Passio magna . . C. Les errements de la tradition orientale . . . . . . . . . . 1. Le monde grec . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le monde égyptien . . . . . . . . . . . . . . . . III. LA RÉSURGENCE ESPAGNOLE . . . . . . . . . . . . . . . A. Une tradition originaire des listes apostoliques. . . . . . . . B. La découverte du tombeau à Compostelle . . . . . . . . . C. La légende arménienne . . . . . . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

305 305 309 311 312 313 317 320 320 321 322 324 324 329 331 331 333 339 340

CHAP. 5 – JEAN, LE GRAND HOMME ET SES HOMONYMES I. « LES » JEAN DES TEXTES CANONIQUES . . . . . . . . . . . A. Jean l’apôtre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Un apôtre associé à d’autres . . . . . . . . . . . . . 2. L’unique intervention de Jean . . . . . . . . . . . . B. Les autres Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Le disciple bien-aimé . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’auteur des trois épîtres qui portent le nom de Jean . . . 3. Le visionnaire de l’Apocalypse . . . . . . . . . . . . C. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . II. LES ÉTAPES DE LA CONSTITUTION D’UNE FIGURE COMPOSITE . . . . A. Le II e siècle et les premières assimilations. . . . . . . . . .

343 343 344 344 345 347 348 355 358 359 360 360

TABLE DES MATIÈRES

831

1. Le témoignage de Papias de Hiérapolis . . . . . . . . . 2. Le témoignage de Justin de Néapolis . . . . . . . . . . 3. Le témoignage de l’Apocryphon de Jean . . . . . . . . . 4. Le témoignage de l’Epistula apostolorum . . . . . . . . 5. Le témoignage d’Irénée de Lyon . . . . . . . . . . . 6. Le témoignage de Polycrate d’Éphèse. . . . . . . . . . 7. Le témoignage du Canon de Muratori . . . . . . . . . 8. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Le III e siècle et la construction du « super-apôtre » . . . . . . 1. Les Actes de Jean : un apôtre spirituel . . . . . . . . . 2. Le début d’un processus de canonisation de l’apôtre . . . . C. Le IV e siècle et la canonisation et l’exaltation d’un super-apôtre 1. Eusèbe de Césarée fixe la légende . . . . . . . . . . . 2. L’Église syriaque construit sa propre légende . . . . . . . 3. Une tradition discordante sur la mort de l’apôtre . . . . . D. Les V e et VI e siècles et l’achèvement du processus de canonisation 1. Trois récits pieux construisent une légende dorée . . . . . 2. L’exaltation de l’écrivain virginal . . . . . . . . . . . 3. Jean dans les textes de piété populaire mariale . . . . . . 4. Une résurgence de la figure du voyant : l’apocalypse apocryphe de Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

360 363 364 366 366 369 370 371 373 373 378 383 384 386 387 390 390 397 402

CHAP. 6 – PHILIPPE, APÔTRE DE LA PHRYGIE I. UN APÔTRE COMPOSITE . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Philippe l’apôtre . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Philippe le diacre . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bilan : une figure composite . . . . . . . . . . . . . . . II. PHILIPPE APÔTRE DE LA PHRYGIE . . . . . . . . . . . . . . A. L’apôtre des Phrygiens . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Le témoignage des Pères . . . . . . . . . . . . . . 2. Le témoignage de l’archéologie . . . . . . . . . . . . B. La Phrygie dans l’Antiquité . . . . . . . . . . . . . . C. Philippe apôtre de l’encratisme dans les Actes de Philippe. . . . 1. Trois portraits bien différents de l’apôtre . . . . . . . . 2. Un martyre plein d’originalité . . . . . . . . . . . . D. Une réputation à tenir : Philippe dans les écrits gnostiques . . . III. LA DIFFICILE « RÉCUPÉRATION » DE PHILIPPE . . . . . . . . . A. « Récupérer » Philippe . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Dans le monde latin : une passion banale . . . . . . . . 2. Dans le monde grec : un encomium conforme à la théologie officielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Dans le monde oriental : Philippe en Afrique du Nord . . . B. Les hésitations des textes liturgiques . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

409 409 409 415 419 420 420 420 423 424 430 432 436 437 440 440 440

CHAP. 7 – BARTHÉLEMY L’APÔTRE ORIENTAL I. UNE « IMPASSE TOTALE » . . . . . . . . . . . . . . . .

451 451

406 407

442 443 444 448

832

TABLE DES MATIÈRES

A. Un simple nom… . . . . . . . . . . . . . . . . . . B. Barthélemy est-il Nathanaël ?. . . . . . . . . . . . . . C. Le point de départ de la tradition : Eusèbe de Césarée et Rufin d’Aquilée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les deux traditions . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Évaluation de ces deux traditions . . . . . . . . . . . II. DES INDES AUX ÎLES LIPARI : LES ITINÉRAIRES DE BARTHÉLEMY (IVe-VIe SIÈCLES) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. De l’Inde à la Colchide (V e-VI e siècles). . . . . . . . . . . 1. Lecture du Credo : l’apôtre destiné au combat du mal . . . 2. La description du fonctionnement de l’idolâtrie . . . . . 3. Portrait de l’apôtre en chasseur de démons . . . . . . . B. Barthélemy en Arménie (VI e-VIII e siècle) . . . . . . . . . . C. Étapes dans le trajet : la Parthie et la Lycaonie (III e-IV e siècles), identification avec Philippe puis Matthieu . . . . . . . . . . D. Un développement : la légende liparienne (VI e s.) . . . . . . E. Le cas particulier des légendes coptes (V e-VI e siècles) . . . . . . 1. La Prédication de Barthélemy et le Martyre de Barthélemy . 2. Les Actes d’André et Barthélemy parmi les Parthes : compagnonnage avec André . . . . . . . . . . . . . . III. LE VISIONNAIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. Les Questions de Barthélemy . . . . . . . . . . . . . . B. Le Livre de la Résurrection de Jésus . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . . CHAP. 8 – THOMAS, LE MYSTIQUE D’ÉDESSE I. LE TÉMOIGNAGE ÉVANGÉLIQUE . . . . . . . . . . . . . . . A. Thomas avant l’épisode du doute . . . . . . . . . . . . B. L’« incrédulité » de Thomas . . . . . . . . . . . . . . II. THOMAS, L’APÔTRE MYSTIQUE D’ÉDESSE . . . . . . . . . . . A. Thomas de la Parthie à Édesse . . . . . . . . . . . . . 1. Thomas apôtre des Parthes . . . . . . . . . . . . . 2. Thomas à Édesse . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Y a-t-il une école thomasienne à Édesse ? . . . . . . . . B. La première phase – l’Évangile de Thomas : légitimer l’apôtre . . 1. Un évangile qui fait du bruit . . . . . . . . . . . . 2. Une faible présence de Thomas. . . . . . . . . . . . C. La deuxième phase, d’Édesse à l’Inde . . . . . . . . . . . 1. Les traditions d’Édesse et d’Inde . . . . . . . . . . . 2. Les Actes de Thomas : le thème de la gémellité, retour vers l’unité perdue . . . . . . . . . . . . . . . . . III. LA TROISIÈME PHASE (IIIe-VIe SIÈCLE) : THOMAS, ENTRE ORTHODOXIE ET HÉTÉRODOXIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . A. La perpétuation de la figure du Thomas visionnaire . . . . . 1. Le Livre de Thomas l’Athlète : la gémellité autorise toutes les révélations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La Sagesse de Jésus-Christ . . . . . . . . . . . . . .

451 452 455 455 458 465 465 467 467 468 471 475 476 479 479 481 483 484 485 486 489 489 489 491 495 496 496 496 500 502 503 504 506 506 515 529 529 529 531

TABLE DES MATIÈRES

3. Une petite résurgence occidentale : l’Apocalypse de Thomas (CANT 326) . . . . . . . . . . . . . . . . . B. L’apôtre de l’Église officielle . . . . . . . . . . . . . . 1. L’apôtre qui a la foi mais qui doute de l’Église copte . . . . 2. L’apôtre de l’Inde des Églises grecque et latine . . . . . . 3. Une réécriture dans les Actes d’Abdias : De rebus beati Thomæ apostoli per Indiam gestis . . . . . . . . . . . . . 4. Une petite tradition héritée du Transitus Mariæ, Thomas et la ceinture de la Vierge . . . . . . . . . . . . . . 5. Une part du rêve du Moyen Âge . . . . . . . . . . . BILAN ET ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . CHAP. 9 – MATTHIEU-LÉVI, L’ÉVANGÉLISTE UBIQUISTE I. LES DONNÉES ÉVANGÉLIQUES . . . . . . . . . . . . . . . II. MATTHIEU EST-IL L’AUTEUR DE L’ÉVANGILE ?. . . . . . . . . . A. Une tradition solidement établie . . . . . . . . . . . . 1. Ier-IVe siècle : le consensus des Pères . . . . . . . . . . 2. IVe-VIe siècle : le consensus canonique . . . . . . . . . . B. Critique de cette tradition . . . . . . . . . . . . . . . 1. Critique des témoignages anciens . . . . . . . . . . . 2. Critique interne . . . . . . . . . . . . . . . . . C. Critique de la critique et bilan . . . . . . . . . . . . . III. LA QUADRUPLE TRADITION MATTHÉENNE . . . . . . . . . . A. La tradition gréco-syrienne ancienne : de Judée en Parthie . . . B. La tradition des Anthropophages . . . . . . . . . . . . C. La tradition du Pont . . . . . . . . . . . . . . . . D. La tradition latine : l’Éthiopie . . . . . . . . . . . . . IV. LA RÉCEPTION DE L’APÔTRE MATTHIEU . . . . . . . . . . . A. La conservation d’une origine juive . . . . . . . . . . . B. Le Martyre de Matthieu : une relecture monastique des actes d’apôtres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Un texte profondément symbolique . . . . . . . . . . 2. Le rôle du martyre : provoquer la conversion. . . . . . . 3. Un saint bien vivant après la mort . . . . . . . . . . C. Matthieu, l’apôtre-modèle de la tradition latine . . . . . . . 1. L’apôtre prédicateur . . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’apôtre successeur de Moïse et du Christ . . . . . . . . D. Matthieu dans la tradition copte . . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . . CHAP. 10 – JACQUES FILS D’ALPHÉE, L’APÔTRE EXPROPRIÉ I. CINQ JACQUES POUR UNE SEULE PLACE . . . . . . . . . . . . A. Les Jacques du Nouveau Testament . . . . . . . . . . . B. Le frère du Seigneur : un personnage capital de l’histoire de la communauté chrétienne de Jérusalem . . . . . . . . . . . 1. Jacques avant la communauté de Jérusalem . . . . . . . 2. Le leader de la communauté de Jérusalem . . . . . . . . 3. Une riche réception . . . . . . . . . . . . . . . .

833 531 532 533 536 538 539 540 542 545 545 551 551 551 559 560 561 563 565 566 567 571 572 573 579 579 581 581 583 584 585 585 586 586 589 591 591 591 593 593 595 596

834

TABLE DES MATIÈRES

II. 3 = 1 OU LE COUP DE FORCE DE JÉRÔME DE STRIDON . . . . . . A. La première solution, dite « épiphanienne » . . . . . . . . B. La solution de Jérôme . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La proposition d’Helvidius . . . . . . . . . . . . . 2. La riposte de Jérôme . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Une riposte plus théologique et politique que fidèle aux textes III. DEUX JACQUES CHEZ LES ORIENTAUX, UN JACQUES CHEZ LES LATINS A. Dans le monde oriental : le maintien de la solution épiphanienne B. Dans le monde latin : le triomphe de la solution hiéronymienne BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

597 598 601 601 602 606 609 609 612 614

. . . . . . . . .

617 617 618 620 623 635 636 637 639 640

CHAP. 12 – SIMON LE ZÉLÉ L’APÔTRE INCONNU I. LE DÉBAT EXÉGÉTIQUE : UN APÔTRE RÉVOLUTIONNAIRE ? . . . . . . A. Que signifie ὁ Καναναῖος ? . . . . . . . . . . . . . . B. Comment comprendre ὁ Ζηλωτής ? . . . . . . . . . . . II. L’INVENTION D’UNE BIOGRAPHIE : CONFUSIONS, ASSIMILATIONS, MÉPRISES A. Simon, l’apôtre qu’on confond avec d’autres . . . . . . . . . B. Les missions de Simon . . . . . . . . . . . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . . . .

643 643 643 644 648 649 652 659

CHAP. 13 – MATTHIAS, L’APÔTRE DE SECOURS I. LE CHOIX DE MATTHIAS . . . . . . . . . . . . . . . II. UN APOTRE QUASIMENT INEXISTANT . . . . . . . . . . A. La tradition orientale : le martyre éthiopien et damascénien B. La tradition occidentale : le martyre judéen. . . . . . . BILAN ICONOGRAPHIQUE . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . .

. . . . .

661 661 663 664 668 670

OUVERTURE I. UNE DIVERSITÉ D’APÔTRES . . . . . . . . . . . . A. Les 6 « grands apôtres » . . . . . . . . . . . B. Les 4 apôtres « moyens » . . . . . . . . . . . C. Les 3 « petits apôtres » . . . . . . . . . . . . II. UNE DIVERSITÉ D’USAGE DE L’AUTORITÉ APOSTOLIQUE . . A. Une trompeuse comparaison : le theios anèr . . . . . 1. Apôtre et theios anèr . . . . . . . . . . . 2. Contestation de la comparaison ou l’apôtre comme B. Les appropriations du héros . . . . . . . . . .

. . . . . . . . .

. . . . . . . . .

673 674 674 676 677 677 678 678 679 680

CHAP. 11 – JUDE LE VECTEUR D’APOSTOLICITÉ I. LE FAUTEUIL HANTÉ DE DIXIÈME APÔTRE . . . . . . . . A. Trois noms pour une place, cinq candidats pour un nom . B. Combien y a-t-il de Jude (s) ?. . . . . . . . . . . II. L’ILLUSTRE INCONNU DES PREMIERS SIÈCLES . . . . . . . III. JUDE COMME SIMPLE VECTEUR D’APOSTOLICITÉ . . . . . A. L’apôtre absent de la Passion de Simon & Jude . . . . B. Jude dans le Martyre de Thaddée arménien . . . . . C. Les Actes de Thaddée ou l’apôtre intertextuel . . . . . BILAN : UN PUR VECTEUR D’APOSTOLICITÉ . . . . . . . .

. . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . héros . .

. . . . . . . . .

835

TABLE DES MATIÈRES

1. Le Ier siècle : les apôtres comme représentants des lecteurs et des communautés . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les IIe et IIIe siècles : les apôtres, représentants des communautés 3. Les IVe, Ve et VIe siècles et les réécritures . . . . . . . . . 4. Les VIIe et VIIIe siècles et les appropriations politiques . . . . C. Des fonctionnements littéraires différents. . . . . . . . . . III. LA MISSION UNIVERSELLE DES APÔTRES : UNE LÉGENDE APPROXIMATIVE A. La diuisio apostolorum comme « légende » . . . . . . . . . B. Une légende qui ne fonctionne pas . . . . . . . . . . . . C. Les champs de tradition : un souvenir historique ? . . . . . .

695

BIBLIOGRAPHIE INDEX DES TEXTES ANCIENS TEXTES BIBLIQUES . . . . . . . . . . APOCRYPHES DE L’ANCIEN TESTAMENT . . . A POCRYPHE S DU N OU VE AU T E STAMENT . TEXTES ANCIENS . . . . . . . . . .

680 681 682 683 684 685 685 686 691

. . . .

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. . . .

. . . .

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. . . .

. . . .

. . . .

. . . .

791 791 799 799 801

INDEX DES AUTEURS MODERNES

809

INDEX GÉOGRAPHIQUE

821

INDEX DES FÊTES LITURGIQUES

823

TABLE DES ILLUSTRATIONS

825

TABLE DES MATIÈRES

827