Autorite Et Memoire: La Reception de l'Autorite Epistolaire de Paul de Tarse Du Ier Au IIe Siecle (Judaisme Ancien Et Origines Du Christianisme) (French Edition) 9782503585680, 250358568X

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Autorite Et Memoire: La Reception de l'Autorite Epistolaire de Paul de Tarse Du Ier Au IIe Siecle (Judaisme Ancien Et Origines Du Christianisme) (French Edition)
 9782503585680, 250358568X

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AUTORITÉ ET MÉMOIRE

Judaïsme ancien et origines du christianisme Collection dirigée par Simon Claude Mimouni (EPHE, Paris) Équipe éditoriale: José Costa (Université de Paris-III) David Hamidović (Université de Lausanne) Pierluigi Piovanelli (Université d’Ottawa)

AUTORITÉ ET MÉMOIRE Pragmatique et réception de l’autorité épistolaire de Paul de Tarse

Pierre

de

Salis

F 2019

Photo de couverture : Paul et l’écharde dans la chair, portail Saint Pierre de la Collégiale de Neuchâtel (Suisse), photo P. de Salis.

© 2019, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-58568-0 E-ISBN 978-2-503-58569-7 DOI 10.1484/M.JAOC-EB.5.118106 ISSN 2565-8492 E-ISSN 2565-960X Printed in the EU on acid-free paper. D/2019/0095/259

À Ysabelle À Emmanuel et à Laure-Anne

Il existe deux types de lettres : les lettres pratiques et les lettres familières. Les lettres pratiques possèdent un argumentaire pratique et sérieux. Dans ce genre de lettres, le poids des sentences, la lumière des mots, la distinction des figures sont demandés et on applique, à toute fin pratique, tous les préceptes oratoires, à une exception près : on se gardera d’une abondance trop complète et le ton sera approprié au discours. Si tu insères quelque donnée historique, il convient de ne pas la conter entièrement, pour ne pas ôter de la grâce à la lettre. Julius Victor, L’art rhétorique, traduit et annoté par P. Fleury, Les Belles Lettres, Paris, 2016, p.  145

R EMERCIEMENTS Cette étude est la version légèrement remaniée d’une thèse de doctorat soutenue à la Sorbonne le 4 septembre 2017 sous la direction des professeurs Simon Claude Mimouni (École Pratique des Hautes Études, Paris) et Régis Burnet (Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve). Je remercie vivement Simon Mimouni de l’accueillir dans la collection Judaïsme ancien et origines du Christianisme (JAOC). Je remercie le jury de thèse présidé par Marie-Françoise Baslez et composé de Simon Claude Mimouni, Régis Burnet, Simon Butticaz, JeanDaniel Dubois et Geert van Oyen. Leurs évaluations et leurs corrections ont été très utiles et stimulantes. Je remercie ma famille de son précieux et indéfectible soutien, en particulier mon épouse Ysabelle de Salis et mes enfants, Emmanuel et LaureAnne. Cette recherche a été menée en lien avec mon engagement dans la formation professionnelle des pasteurs et des diacres des Églises réformées de Suisse romande à l’Office Protestant de la Formation (Neuchâtel, Suisse). Mon objectif a été de nourrir le travail de terrain en menant à son terme un projet de recherche académique. Mes collègues et mes amis m’ont beaucoup encouragé. Qu’ils et elles en soient chaleureusement remerciés. Je dédie le présent travail à toutes celles et à tous ceux qui emboîteront le pas de Paul de Tarse, dans son indéfectible prise au sérieux de la dimension dramatique de l’existence humaine : ἀρκεῖ σοι ἡ χάρις μου, ἡ γὰρ δύναμις ἐν ἀσθενείᾳ τελεῖται (2 Corinthiens 12,9).

TABLE DES MATIÈRES R emerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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I ntroduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 1.  Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28   1.1 Délimitation thématique . . . . . . . . . . . . . 28   1.2 Délimitation spatio-temporelle . . . . . . . . . . . 29 2.  Problématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30   2.1 Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30   2.2 Hypothèses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32   2.3 Limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 3.  Le corpus des sources : présentation et justification   3.1 Aires géographiques . . . . . . . . . . . .   3.1.1 Égypte . . . . . . . . . . . . . . .    3.1.2 Grèce et Rome . . . . . . . . . . . .    3.1.3 Proche-Orient ancien . . . . . . . . . .   3.2 Justification du corpus . . . . . . . . . . .

. . . . . .

. . . . . .

. . . . . .

35 35 . 35 . 36 37 38

4.  Plan de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Chapitre  1 : L’analyse 1.1  Introduction

des lettres antiques : un état des lieux

.

45

. . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

1.2  Remarques méthodologiques, terminologiques et historio   graphiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46   1.2.1 Remarques méthodologiques . . . . . . . . . . . . 46    1.2.1.1 Les trois niveaux de lecture d’une lettre . . . . . . 46    1.2.1.2 Les limites de l’approche littéraire du phénomène       épistolaire . . . . . . . . . . . . . . . . 48    1.2.1.3 La pragmatique de la communication épistolaire . . . 53   1.2.2 Remarques terminologiques . . . . . . . . . . . . 60    1.2.2.1 Les concepts de lettre et d’épistolaire . . . . . . . 60    1.2.2.2 Les définitions et les théorisations antiques de l’épis      tolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 64   1.2.3 Remarques historiographiques . . . . . . . . . . . 69    1.2.3.1 L’analyse du genre épistolaire dans le cadre de la       démarche historienne . . . . . . . . . . . . 69

14

TABLE DES MATIÈRES

   1.2.3.2 La vérité épistolaire, à la croisée des chemins entre       histoire et fiction . . . . . . . . . . . . . 76   1.2.4 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 1.3 État de la question . . . . . . . . . . . . . . . . 79   1.3.1 Remarques introductives . . . . . . . . . . . . . 79   1.3.2 Les principales phases de l’histoire de la recherche sur les     pratiques épistolaires pauliniennes . . . . . . . . 85   1.3.2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . 85    1.3.2.2 Première phase : « Rome et Athènes » . . . . . . 86    1.3.2.3 Deuxième phase : « L’Égypte » et les papyrus retirés       des sables . . . . . . . . . . . . . . . . 90    1.3.2.4 Troisième phase : « Athènes (et Rome) et pas Jéru      salem  » ou l’âge d’or du comparatisme . . . . . 96    1.3.2.5 Quatrième phase : « Jérusalem » ou la prise au sérieux       de l’identité judéenne de Paul . . . . . . . . 105    1.3.2.6 Perspectives actuelles . . . . . . . . . . . . 111   1.3.3 Bilan et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . 116 Chapitre 2 : Les pratiques épistolaires d’autorité antérieures   à Paul . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 2.2 La lettre de Jérémie aux exilés à Babylone ( Jérémie 29,1-23) 125   2.2.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125   2.2.2 Quelques remarques sur le prophétisme dans le Proche     Orient d’après les archives de Mari . . . . . . . . 128   2.2.3 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . . . 131 2.3 Les lettres de Diaspora associées aux figures de Jérémie    et/ou de Baruch écrivant aux exilés . . . . . . . . . 139   2.3.1 La Lettre de Jérémie . . . . . . . . . . . . . . . 140   2.3.1.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 140    2.3.1.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 142   2.3.2 L’écrit vraisemblablement tiré de Jérémie et lu à Babylone     selon 4Q389 . . . . . . . . . . . . . . . . . 144   2.3.2.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 144    2.3.2.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 145   2.3.3 La lettre intégrée dans le Targum de Jonathan sur Jéré    mie 10,11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146   2.3.3.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 146    2.3.3.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 147   2.3.4 Le Livre de Baruch (LXX) . . . . . . . . . . . . 148   2.3.4.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 148

TABLE DES MATIÈRES

15

   2.3.4.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 149   2.3.5 La lettre de Baruch (2 Baruch 78-86) . . . . . . . . 149   2.3.5.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 149    2.3.5.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 153   2.3.6 La correspondance entre Baruch et Jérémie dans les Para    lipomènes de Jérémie (4 Baruch) . . . . . . . . . . 160   2.3.6.1 Présentation . . . . . . . . . . . . . . . . 160    2.3.6.2 Analyse des paramètres épistolaires . . . . . . . 162   2.3.7 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 2.4 Les lettres écrites par les communautés judéennes à leurs   autorités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166 2.5 La valeur historique des lettres insérées narrativement :   une évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . .   2.5.1 Inventaire des lettres insérées narrativement dans les récits     bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . .   2.5.2 La question de la fiabilité . . . . . . . . . . . .   2.5.3 La crédibilité des lettres insérées narrativement . . . .

168 170 . 171 . 172

2.6 La question des traités en forme de lettre : une évaluation 173   2.6.1 Quelques remarques à partir de la Lettre d’Aristée . . . . 174 2.7 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179 Chapitre 3 : Les lettres de Paul et la pragmatique de la com  munication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 3.2 La pragmatique épistolaire paulinienne . . . . . . . . 186   3.2.1 Introduction méthodologique . . . . . . . . . . . 186   3.2.2 L’activité de l’épistolier . . . . . . . . . . . . . . 187   3.2.3 Les conditions matérielles . . . . . . . . . . . . . 190   3.2.4 Le formulaire épistolaire . . . . . . . . . . . . . 194   3.2.5 La pragmatique de la communication . . . . . . . . 197   3.2.6 Le témoignage des Actes des Apôtres . . . . . . . . 198   3.2.7 La pratique de la recommandation par lettre . . . . . . 201   3.2.8 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 3.3 La posture prophétique de Paul de Tarse . . . . . . .   3.3.1 L’apôtre Paul et le prophétisme biblique . . . . . . .  3.3.2 Paul et Jérémie : quelques remarques sur l’état de la recherche   3.3.3 La figure du prophète Jérémie dans les lettres de Paul et     dans les Actes des apôtres . . . . . . . . . . . .   3.3.4 De Jérémie à Paul . . . . . . . . . . . . . . .

. 206 206 . 209 213 . 219

3.4 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

16

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 4 : L a lettre paulinienne comme outil d’action à   distance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 4.2 La crise corinthienne . . . . . . . . . . . . . . . 225   4.2.1 État de la question . . . . . . . . . . . . . . . 225   4.2.2 Paul et les Corinthiens . . . . . . . . . . . . . . 228   4.2.3 Remarques sur l’histoire de la recherche . . . . . . . 230   4.2.4 Le contexte historique . . . . . . . . . . . . . . 231    4.2.4.1 La ville de Corinthe . . . . . . . . . . . . . 231    4.2.4.2 Les relations entre Paul et Corinthe . . . . . . . 234    4.2.4.3 La communauté de Corinthe . . . . . . . . . . 237    4.2.4.4 La correspondance entre Paul et la communauté de     Corinthe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238   4.2.5 De la crise de la communication à la communication de     crise  (2 Co 10-13) . . . . . . . . . . . . . . . 244    4.2.5.1 Remarques préliminaires . . . . . . . . . . . 244    4.2.5.2 Παρακαλῶ . . . . . . . . . . . . . . . . 245    4.2.5.3 Καυχάομαι . . . . . . . . . . . . . . . . 248    4.2.5.4 Le jeu entre le « je » et le « nous » dans 2 Corin    thiens 10-13 . . . . . . . . . . . . . . . . . 250   4.2.6 Lecture de 2 Corinthiens 10-13 . . . . . . . . . . 252    4.2.6.1 L’entrée en matière (2 Co 10,1-6) . . . . . . . . 255    4.2.6.2 Le fondement (2 Co 10,7-18) . . . . . . . . . . 261    4.2.6.3 Le discours du fou (2 Co 11,1-12,12) . . . . . . . 268    1er développement : la nature du vrai apostolat (11,1-15) . 268    2e développement : la faiblesse, fondement de la vraie car    rière apostolique (11,16-33) . . . . . . . . . . . 278    3e développement : les rencontres mystiques de Paul avec le     Seigneur (12,1-10) . . . . . . . . . . . . . . . 286    4.2.6.4 Le résultat : les signes distinctifs de l’apôtre (12,11-12) 290    4.2.6.5 La prise de congé et l’au revoir (2 Co 12,13-13,13) . 292    1er développement : annonce et motivation d’une troisième     visite (12,13-21) . . . . . . . . . . . . . . . . 292    2e développement : précision du projet de troisième visite     et exhortation (13,1-10) . . . . . . . . . . . . 295    4.2.6.6 L’au revoir : exhortation finale, salutation et bénédic    tion (13,11-13) . . . . . . . . . . . . . . . . 297 4.3 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298 Chapitre 5 : L a

réception de l’autorité épistolaire paulinienne

301

5.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301 5.2 La Lettre aux Hébreux et sa finale épistolaire paulinienne . 304

TABLE DES MATIÈRES

17

5.3 La 2e Lettre de Pierre et sa mention de l’autorité d’une   collection des lettres de Paul . . . . . . . . . . . . . 316 5.4 La Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome et le   souvenir de la crise corinthienne . . . . . . . . . . . 325 5.5 La Lettre aux Laodicéens et la structuration d’un modèle   d’autorité apostolique . . . . . . . . . . . . . . . . 333 5.6 La réception marcionite de l’autorité épistolaire de Paul :   quelques remarques . . . . . . . . . . . . . . . . . 337 5.7 Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 344 Conclusion : Faire mémoire de la pratique épistolaire de Paul de Tarse , entre autorité de l’apôtre et pouvoir de la lettre . 349 A nnexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 359 Annexe 1 : traduction de 2 Corinthiens 10-13 . . . . . . . 359 Annexe 2 : structure épistolaire de 2 Corinthiens 10-13 . . . 363 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367 1. Textes et sources antiques . . . . . . . . . . . . . . 367   Textes bibliques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367   Sources antiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367   Autres sources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 2. Dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 369 3. Commentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370  Jérémie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370  Jean . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370   Actes des apôtres . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370   1 Corinthiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370   2 Corinthiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371  Galates . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372   2 Thessaloniciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372  Philémon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372  Hébreux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372   2 Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372   1 Clément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 4. Autres instruments de travail . . . . . . . . . . . . 373 5. Monographies et études particulières . . . . . . . . . . 374 I ndex . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 401 Index scripturaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403 Index des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 414

P RÉFACE À l’heure actuelle, pourquoi s’interroger encore une fois au sujet des lettres de Paul de Tarse ? Entre mémoire et autorité, que peut encore nous apporter une étude ciblée, menée dans le contexte des pratiques épistolaires antiques ? La communication virtuelle remplace de plus en plus le courrier postal et l’échange réel de nouvelles. En quelques décennies, l’art de vivre s’est transformé de manière fulgurante et les niveaux d’exigence de performances dans la communication, en particulier en ce qui concerne tant la réactivité que la rapidité, atteignent des sommets. Le besoin d’être connecté en permanence a pris une si grande importance qu’il génère de nouvelles formes d’angoisses, psychiques et sociales, comme la nomophobie 1. Il nous faut prendre acte que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont profondément changé nos habitudes sur plusieurs plans, elles nous poussent à une frénétique marche en avant, à une innovation constante et teintée de nostalgie 2 . Tout y passe : vie quotidienne, gestion des relations tant privées que professionnelles. Plus largement, c’est tout notre rapport au monde qui est impacté. Les normes structurantes de nos perceptions et de nos convictions se recentrent sur l’individu et beaucoup moins sur l’institution ou le social 3. Pouvoir atteindre immédiatement quelqu’un ou accéder instantanément à n’importe quelle information est devenu un besoin indispensable, quasi vital, une nouvelle 1.  Il ne s’agit pas d’une peur de la loi mais plus prosaïquement de l’angoisse de se trouver momentanément privé de téléphonie portable (no-mobile phone phobia) que certains n’hésitent pas à considérer comme la nouvelle peur du XXIe siècle. Les pathologies de cette nouvelle phobie sont des attaques de panique, des nausées, un contrôle frénétique de son téléphone et de sa messagerie « au cas où… », etc. Voir : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1229501-nausees-tremblements-sansmon-smartphone-je-panique-comment-je-suis-devenu-nomophobe.html (8 janvier 2018). 2. « Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors des cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets noyés dans la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d’un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprennent qu’elles sont mortes depuis longtemps déjà », M. Serres, Petite poucette, Paris, 2012, p. 22. 3.  « Les individus se considèrent généralement comme l’“autorité suprême” dans les questions religieuses et ils sont d’avis qu’il n’est pas permis de forcer quiconque, pas même ses propres enfants, à embrasser des idées religieuses. Chaque personne a le droit de choisir pour elle-même et de “consommer” ce qui est selon elle le plus important », J.  Stolz – J. Könemann, « Religion et spiritualité dans la société de l’ego », dans J. Stolz – J. Könemann – M. Schneuwly P urdie – T. E nglberger – M. K rüggeler, Religion et spiritualité à l ’ère de l ’ego, Genève, 2014, p. 16.

20

PRÉFACE

norme sociale dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences. Supporterons-nous d’en être privés, si un jour, pour toutes sortes de raisons, les systèmes permettant à ces nouvelles technologies de fonctionner venaient à défaillir sérieusement ? S’intéresser aux pratiques épistolaires antiques peut sembler à l’heure actuelle un brin désuet ou teinté de nostalgie. Du temps de Paul de Tarse, une lettre pouvait prendre plusieurs mois avant de parvenir à destination. Le succès de sa transmission dépendait de la personne de confiance chargée de l’apporter à leurs destinataires. Cela dépendait aussi des impondérables liés aux voyages. Entre naufrage ou risque de se faire détrousser en route, les dangers étaient nombreux et bien réels. Le fossé entre hier et aujourd’hui, dans le domaine de la communication, a pris une ampleur sans précédent, et ceci en à peine une génération. Pourtant, entre émetteurs et récepteurs des lettres et de toutes autres formes de messages, l’axe de la communication reste le même. Et sans acte de lecture, toute missive reste lettre morte. Certes, les moteurs de recherches et les capacités prodigieuses de stockage des systèmes informatiques permettent de retrouver les messages perdus et les autres données sensibles ou anodines, mais ceux-ci sont souvent vite noyés dans la masse exponentielle générée par les flux de la communication permanente. Que dire et penser alors des réalités et des vérités des pratiques épistolaires d’autrefois, celle de Paul de Tarse en particulier ? Dit autrement, d’un point de vue historiographique, comment évaluer le potentiel documentaire des sources littéraires de type épistolaire ? L’étude de ses lettres est généralement guidée par un intérêt soit littéraire (ou plus spécifiquement théologique), à savoir celui de comprendre la construction et le déploiement d’une pensée (spirituelle dans le cas de la théologie), soit historique, à savoir celui de rechercher des traces exploitables (notices autobiographiques, indications et/ou sous-entendus relatifs aux destinataires, au milieu de production du texte, aux événements, à la vie quotidienne, etc.). Ceci dans le but de comprendre les lettres dans le contexte général des lettres antiques grecques, romaines ou judéennes. Par contre, la recherche ne s’est penchée que récemment sur la spécificité du geste épistolaire en tant que tel comme clé de compréhension de la littérature épistolaire 4 . Pour bien comprendre la pratique de Paul de Tarse, il convient – c’est là notre argument principal – de bien cerner le phénomène épistolaire dans sa double dimension, d’une part littéraire et d’autre part pragmatique. L’une est inséparable de 4. Voir en particulier J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994. En ce qui concerne les pratiques épistolaires gréco-romaines, voir R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003. Pour les pratiques épistolaires judéennes, voir L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012.

PRÉFACE

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l’autre et inversement. En effet, une lettre, c’est non seulement un message, mais aussi un acte de communication porté par un objet réel – la lettre comme objet transitionnel – qui transite d’un émetteur à un ou plusieurs destinataires. Une lettre est ainsi inséparable de l’événement pragmatique qui lui est lié. En effet, comme le précise Geneviève Haroche-Bouzinac, citant la Manie épistolaire de Cioran, chaque lettre est un événement en soi, tantôt puissance, tantôt solitude. D’un côté, « au fond les livres sont des accidents ; les lettres des événements : d’où leur souveraineté », d’un autre, « la lettre, conversation avec un absent, représente un événement majeur de la solitude » 5. La lettre est donc autant message qu’événement. Chercher à comprendre les lettres de Paul de Tarse sans passer par une analyse approfondie des modes de fonctionnement de la communication épistolaire dans le monde antique nous ferait passer à côté tant des réalités que des vérités d’autrefois dont elles contiennent des traces. Pour comprendre la direction empruntée par notre recherche, il convient d’élucider la question de son point de départ, ceci par un bref retour en arrière 6. Le point de vue qui fut le mien au début de ma carrière professionnelle – occupée notamment par la pratique régulière de l’exégèse biblique en vue de la prédication paroissiale dominicale – était d’explorer la doctrine théologique du Tarsiote, telle qu’elle se donnait à connaître au fil de ses lettres. Il s’agissait, d’une part, de mesurer la pertinence de cette pensée théologique en construction, et ceci par rapport aux réalités contradictoires de la vie quotidienne, celles d’ici comme celles d’ailleurs, et, d’autre part, de la rendre accessible au plus grand nombre. Très vite, j’ai été frappé par les nombreux liens qu’on pouvait spontanément tisser entre l’époque de Paul de Tarse, le vécu des individus ou des groupes dont témoignent ses lettres, et vingt siècles plus tard, celui des paroissiens dont j’avais « charge d’âmes ». Salutations, nouvelles personnelles, souci des personnes dont on est séparé, empathie pour les situations de détresse, etc. Il y avait de quoi être régulièrement interpellé par cette surprenante actualité de la rhétorique épistolaire antique. Tout se passait comme si le temps n’avait rien gommé entre les actes de communication des Anciens et nous, lectrices et 5. G. H aroche-Bouzinac, L’épistolaire, Paris, 2002, p. 3. 6.  Il en va ici de la nécessité de l’honnêteté intellectuelle de la démarche historienne, comme le rappelle Antoine P rost, dans le sillage de Charles Seignobos et surtout d’Henri-Irénée M arrou. Les historiens doivent « mettre entre parenthèse leurs propres opinions, […] faire taire leurs propres passions, et pour cela, […] s’efforcer d’élucider et de dépasser leurs propres opinions personnelles ». L’historien doit adopter une posture qui ne soit ni morale, ni politique : « s’il vise l’impartialité, l’historien doit résister à la tentation de faire servir l’histoire à autre chose qu’à elle-même », A.  P rost, Douze leçons sur l ’histoire, Paris, 2010, p.  289. Voir également S. C. M imouni, « Comment faire et écrire l’histoire des origines du christianisme ? », dans S. C. M imouni, Le judaïsme ancien et les origines du christianisme, Paris, 2017, p. 13-53.

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lecteurs d’aujourd’hui de leurs lettres. Celles-ci donnent l’impression de revivre en direct ce que les Anciens faisaient, pensaient ou croyaient. Le « je » de l’épistolier, en particulier ici celui du Tarsiote, offre dans l’acte de lecture une indéniable surface de projection. Et ceci à plus forte raison dans toute lecture motivée par un intérêt existentiel ou spirituel, philosophique ou confessionnel 7. Comme si les paroles et les échos des émotions transparaissant inévitablement dans ces lettres n’avaient cure de la patine du temps. Les hommes ont écrit des lettres sitôt qu’ils ont appris à écrire, dit-on 8, et au fond, le geste épistolaire paraissant toujours le même, les pratiques épistolaires relèveraient d’une continuité dont oserait à peine rêver l’humilité de l’historien. Notre enquête part du questionnement critique de cette apparente continuité pragmatique, ceci dans le cas du geste épistolaire de Paul de Tarse et de la posture d’autorité qui s’y déploie. Notre enquête va méthodologiquement porter sur le potentiel documentaire du médium épistolaire, ceci dans le cadre général de la recherche documentaire. Que permet de faire la pratique épistolaire, tant par la pratique que par les contenus qu’elle cherche à transmettre véritablement et à « faire revivre », en comblant la double distance géographique et temporelle, dans le cercle de ses destinataires ? Telle est la question à laquelle je me propose de soumettre les différents documents rassemblés pour cette enquête. À notre avis, le principe général qui se donne à voir au travers des différents corpus que nous nous proposons d’étudier ici présente quelques analogies avec celui qui a guidé Paul Veyne dans sa traduction, publiée en 2012, de L’Énéide de Virgile. Son souci a été de ne pas réaliser un chefd’œuvre littéraire en français à partir d’un chef-d’œuvre en latin, mais de faire profiter le plus grand nombre de cette traduction. Autrement dit, recourir à un langage accessible au plus grand nombre, selon « une volonté de service public », pour reprendre ses mots 9. Ainsi son but n’était ni esthétique, ni scientifique. À ce sujet une nouvelle édition bilingue largement annotée est sortie peu après dans la collection Budé. Sa traduc7. En ce qui concerne notre milieu confessionnel d’origine (le protestantisme des Églises réformées de Suisse romande), il est nécessaire d’élucider la question des sympathies qu’elle peut naturellement induire au moment de questionner les sources qui font l’objet de notre recherche, fort du caveat de S. C. M imouni :  « il faut lire les sources en fonction du passé et non du présent, au-delà de toute idéologie du présent fondée sur une déformation conceptuelle du passé », S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 3. 8.  Selon R. Deissmann (Bibelstudien, Marbourg, 1895, p. 189) formule citée par R.  Burnet dans Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 22. 9.  « Virgile, l’enchanteur retrouvé », propos recueillis par Philippe Simon, Bédoin (F). Interview de Paul Veyne publiée dans le quotidien Le Temps (Genève), 2 février 2013, p. 28. Toutes les citations proviennent de cette interview.

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tion était guidée par un principe aussi simple qu’évident, à savoir traduire « ce qui est banal dans une langue par ce qui est normal dans l’autre ». L’art épistolaire, tant sa pratique événementielle que les messages qu’elle permet de communiquer entre des personnes séparées, de près ou de loin, permet de goûter à une part de la banalité singulière de personnes qui ont existé à une époque et de nous immerger quelque peu – mais immerger tout de même – dans un monde ou des mondes qui n’ont plus rien de commun avec le nôtre ou presque. Il y a le plaisir, pour l’historien, d’avoir des sources documentaires qui permettent de reconstruire quelque chose, forcément partiellement, de cet autre monde. Pour le dire avec les mots de Paul Veyne, au sujet des personnes d’un autre temps : Il y a le plaisir de savoir ce qu’ils faisaient à cette époque, comment ils le faisaient, quelles sont les réalités et les vérités qui les font différer de nous. Ils ne vivaient pas comme nous, ne se faisaient pas enterrer comme nous, et certainement ne lisaient pas L’Énéide comme nous… C’est ce genre de questions qui me liaient tant à Michel Foucault : il avait un sens tellement aigu de la disparition des vérités d’autrefois.

I NTRODUCTION Autorité et mémoire. L’objet de notre recherche s’enracine dans le questionnement théologique initial suivant : la lettre paulinienne comme outil de résolution de conflits a-t-elle fait école ? Et si oui, comment ? Et en pareil cas, d’où provient l’utilisation du genre épistolaire à de telles fins ? Dans sa carrière de missionnaire itinérant au sein des communautés de la Diaspora judéenne, Paul de Tarse a rencontré différentes situations conflictuelles, comme en témoignent plusieurs de ses lettres, par exemple celle Aux Galates et celles Aux Corinthiens. Ses lettres témoignent des ressources pragmatiques du genre épistolaire non seulement pour rectifier à distance des questions de doctrine, mais aussi pour chercher à résoudre efficacement des conflits. Notre recherche reprend ce questionnement au départ théologique, mais dans une perspective cette fois historique. Ainsi, il y maintenant, du point de vue de la recherche historique, la curiosité et l’envie de savoir si des lettres écrites il y a fort longtemps nous permettent de découvrir quelques traces de l’authenticité de l’époque, des réalités et des vérités de leurs auteurs respectifs. À cette curiosité est liée la question méthodologique de savoir si les lettres ne constituent pas un cas à part de la recherche documentaire, ceci dans le sens où elles nous offrent, en ce qui concerne les lettres authentiques, un souvenir bien réel de l’intention de son ou de ses auteurs. Et encore mieux, lorsque l’historien peut disposer d’un corpus de lettres gardant la trace d’une relation de correspondance, entre divers individus ou groupes sociologiquement constitués, les lettres nous offrent des reliquats bien vivants des événements, des situations et conditions de vie de leurs auteurs et de leurs destinataires. Des reliquats, qui comme les artefacts, ont traversé le temps pour se tenir miraculeusement à notre disposition. L’historien, pour faire son travail, se dote d’outils lui permettant, autant que faire se peut, d’aller le plus loin possible dans la découverte et la reconstitution des événements du passé. Pour le dire avec les mots avec lesquels Lucien Febvre conclut son Manifeste des Annales nouvelles, les méthodes, fussent-elles de performants outils de précision, ne font pas tout. Il convient, avant tout, de chercher, selon ses mots, à « se lancer dans la vie tout entier » : Méthode historique, méthode philologique, méthode critique : beaux outils de précision […]. Mais savoir les manier, aimer les manier – voilà ce qui ne suffit pas à faire l’historien. Celui-là seul est digne de ce beau nom qui se lance dans la vie tout entier, avec le sentiment qu’en s’y plongeant, en s’y baignant, en s’y pénétrant d’humanité présente – il décuple ses forces

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d’investigation, ses puissances de résurrection du passé. D’un passé qui détient et qui, en échange, lui restitue le sens secret des destinées humaines 1.

Dit autrement, l’art épistolaire – tant le médium de communication, les pratiques qu’il génère que son message essentiel – constitue à mon avis une source documentaire de premier plan susceptible de décupler les forces d’investigation des historiens, à savoir précisément leurs « puissances de résurrection du passé ». Comme on le rappelle volontiers, les écrits demeurent, les paroles s’envolent. La signifiance de l’adage prend une couleur particulière dans le cas de l’art épistolaire : les lettres conservent les traces vives d’authentiques échantillons de l’intimité de leurs auteurs, et en miroir, de celles de leurs destinataires. La saveur, couchée dans l’écriture, tant de paroles et de personnalités vivantes que d’événements singuliers, tout aussi réels. On trouve cette intuition dans les conseils prodigués par le traité Du Style, habituellement attribué à Démétrios de Phalère : La lettre doit faire une large place à l’expression des caractères, comme d’ailleurs le dialogue. Car c’est presque l’image de son âme que chacun trace dans une lettre. S’il est possible que toute autre espèce de texte laisse voir le caractère de son auteur, on ne le voit nulle part aussi bien que dans une lettre 2 .

Notre enquête s’inscrit dans le sillage d’un intérêt marqué pour la pragmatique à l’œuvre au fil des lettres du Tarsiote. Notre intérêt a porté en particulier sur la gestion à distance, au moyen de la lettre, de la crise corinthienne, dans laquelle Paul endosse le rôle du fou 3, dans sa 2e Lettre aux Corinthiens, aux chapitres 10 à 13 4 . Notre idée au départ était que c’est 1. L. Febvre, « Face au vent. Manifeste des Annales nouvelles », dans Annales (E.S.C.), 1946, réédité dans Combats pour l ’histoire, Paris, 1992, p.  43. 2. Démétrios, Du style (texte établi et traduit par P. Chiron), Paris, 1993, p. 64. Voir aussi R. Burnet : « Démétrios, le prétendu inventeur de la lettre comme moitié de dialogue », dans Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  69. 3.  « Ah ! Si vous pouviez supporter de moi un peu de folie  (Ὄφελον ἀνείχεσθέ μου μικρόν τι ἀφροσύνης) ; eh bien oui ! Supportez-moi ! » (2  Co  11,1). Les citations des livres bibliques, sans autres précisions particulières, proviennent de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB), La Bible, notes intégrales. Traduction œcuménique, Paris – Villiers-le-Bel, 2010. Les abréviations des références bibliques suivent les conventions usuelles de la TOB, en particulier l’usage des chiffres arabes pour nommer les livres bibliques, ainsi 1 Co, 2 Co, etc. Les citations en grec sont tirées du Novum Testamentum Graece, 28e édition, disponible en ligne (http://www. nestle-aland.com/en/read-na28-online/). Les citations de la Septante (abréviation dans les citations : LXX) proviennent de A. R ahlfs , Septuaginta : id est vetus testamentum graece iuxta LXX interpretes : duo volumina in uno, Stuttgart, 2006. 4. P. de  Salis, « À fleur de peau ». Analyse épistolographique de 2 Corinthiens 10-13 (diplôme de spécialisation en sciences bibliques), sous la direction du professeur Daniel M arguerat, Lausanne, 2008.

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dans la gestion à distance d’une situation de crise que le potentiel pragmatique d’une lettre affleure avec le plus d’intensité. Ces lettres sont elles aussi aux prises – pour répéter les mots avec lesquels Lucien Febvre conclut son Manifeste – avec « le sens secret [de nombreuses] destinées humaines » ? Tout d’abord, elles constituent une source documentaire de premier plan pour l’historien – et aussi pour le théologien – qui cherche à rejoindre, autant que faire se peut, la vie concrète de Paul de Tarse 5. Elles offrent un condensé d’informations pour qui s’intéresse à la vie, à la pensée et à l’œuvre de Paul lui-même. Ensuite, elles nous fournissent des éléments recoupant grosso modo trente ans de sa vie 6. Elles témoignent d’un certain nombre de traits singuliers de sa personnalité, son ancrage dans la réalité et son ascendance judéenne 7. Elles nous renseignent enfin, sur son action de missionnaire itinérant, prêchant au sein des communautés de la Diaspora l’avènement de la fin des temps et le retour du messie, en la personne de Jésus de Nazareth, dernier et définitif médiateur de la Torah entre Dieu et les hommes. Dans ses lettres, c’est bien connu, Paul convoque aussi des éléments de type biographique, ses convictions, ses émotions, le regard qu’il porte sur lui-même et son action, voire parfois le regard des autres, comme l’atteste par exemple une solide rumeur du côté de Corinthe 8. Au travers des différentes élaborations doctrinales transmises par les lettres, il nous documente sur la situation, les sentiments, la pensée de ses destinataires. Ensuite, il 5. Les principales données textuelles pour reconstituer la chronologie de l’activité missionnaire de Paul de Tarse sont au nombre de sept : 1. Le récit autobiographique (Ga 1,13-2,21)  ; 2. Le compte-rendu des étapes successives (Philippes, Thessalonique, Athènes) avant d’arriver à Corinthe (1 Th 2,2 ; 3,1-6) ; 3. L’intention de rester à Éphèse jusqu’à Pentecôte (1 Co 16,8) ; 4. Les plans de voyage d’Éphèse à Corinthe en passant par la Macédoine (1 Co 16,5-7) ; 5. Les récits de voyage (2 Co 2,12-13 et 7,5-7) ; 6. Les annonces de la visite à Corinthe (2  Co  9,4, etc.) ; 7. Les plans de voyage à Jérusalem, à Rome et en Espagne, voir F. Vouga, « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 153160. Pour une synthèse très complète et documentée de tout ce qu’on peut savoir de Paul d’un point de vue historique, voir M.-F. Baslez, Saint Paul : artisan d ’un monde chrétien, Paris, 2008. 6. F. Vouga, « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 153-160. 7.  Le statut individuel de Paul est complexe car il relève de trois entités différentes et inégales : il appartient à un peuple (une ethnie, aux sens géographique et ethnographique du terme : habitants de la Judée), il a une « patrie naturelle », la ville de Tarse et une « patrie civique », en tant que citoyen romain (voir J. M élèzeModrzejewski, « Les tourments de Paul de Tarse », dans J.‑L. H arouel (éd.), Histoire du droit social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, 1989, p.  397-412, en particulier p. 403). 8.  2 Co 10,10.

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mentionne les noms des personnes qui ont été en contact avec lui. L’inventaire des données contenues dans les sept épîtres réputées authentiques de Paul donne une quarantaine de noms en tout, dont plusieurs femmes 9. Il ne faut pas perdre de vue le fait qu’il est précisé que certains voyageaient d’une communauté à l’autre. Les informations, notamment dans les salutations initiales ou finales, renseignent sur les groupes avec lesquels il a été en contact. On voit bien combien les deux moyens utilisés pour rester en lien avec ces groupes se complètent. Il y avait, d’une part, les visites des collaborateurs qu’il envoyait – par exemple Tite à Corinthe, porteur et commentateur de la lettre – et les autres nouvelles des voyageurs et, d’autre part, les lettres elles-mêmes. Les lettres reflètent ainsi, obliquement certes, quelque chose du sens secret de nombreuses destinées humaines, en commençant par les cercles de leurs destinataires. Il ne faudrait pas oublier de mentionner qu’elles fournissent aussi un certain nombre d’informations spécifiques sur les rites et les coutumes de l’époque, la réalité ambiante de nombreuses villes de l’est du bassin méditerranéen dans la seconde moitié du premier siècle de notre ère, comme Éphèse, Thessalonique, Philippes, Corinthe, Rome, sans oublier celles de la Galatie. Les lettres, enfin, mettaient en lien – indépendamment de la double distance, temporelle et géographique – les destinées secrètes de leur auteur et celles de leurs destinataires 10. 1. P r é se n tat ion 1.1 Délimitation thématique D’un point de vue général, la présente recherche est consacrée aux spécificités du geste épistolaire de Paul de Tarse. Elle s’inscrit dans la perspective générale du contexte des lettres et des pratiques épistolaires antiques de son temps, principalement judéennes et gréco-romaines. Son but est de 9.  L’hypothèse de l’existence d’une école paulinienne repose en bonne part sur la stratégie missionnaire déployée par Paul, comme le montre Andreas Dettwiler : « en fait, ce vaste projet ne pouvait être réalisé sans l’aide considérable de tout un groupe de collaborateurs et de collaboratrices. Les épîtres proto-pauliniennes mentionnent une quarantaine de personnages devant être considérés comme tels », A.  Dettwiler , « L’école paulinienne : évaluation d’une hypothèse », dans A.  Dettwiler – J.‑D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p.  419-440 (citation : p.  429). 10.  « La lettre dépasse […] le simple statut informatif pour passer à un statut pragmatique […]. De ce statut pragmatique, on déduira que la lettre fonctionne comme une présence déléguée, un lieutenant, et qu’elle vaut elle-même comme présence […]. La lettre, sans perdre sa qualité de texte écrit, symbolise la présence d’un être vivant », R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 38.

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comprendre de manière diachronique le geste épistolaire paulinien, par une mise en perspective qu’on pourrait qualifier d’histoire d’une autorité épistolaire, des racines de l’autorité de cette dernière aux traces de mémoire de sa postérité. Par geste épistolaire paulinien, nous entendons la question de la spécificité de l’action de Paul en tant qu’épistolier, à savoir ce qui en constitue l’originalité par rapport au contexte des pratiques épistolaires antiques. La diversité des lettres de Paul rend cette question d’autant plus pertinente. Du billet à Philémon au testament théologique de la Lettre aux Romains, le corpus des lettres du Tarsiote témoigne en effet d’une diversité avérée de pratiques. Notre perspective historique est double ; il s’agit d’une part de s’intéresser à ce qui s’est dit et pratiqué en amont (au sujet de ce qui existe en termes de pratiques et de théorisations des techniques épistolaires, les modèles d’autorité, les goûts et les stratégies de l’écriture épistolaire et leurs concrétisations dans la pratique de la correspondance) et d’autre part, à ce qui s’est lu et réalisé en aval (les effets des lettres de Paul, la réception de son autorité d’épistolier, la reconnaissance de son œuvre épistolaire, la construction d’une figure d’autorité en conférant à son œuvre épistolaire un statut normatif de corpus). Dans cette mise en perspective, la place centrale sera réservée à un examen particulier de la pratique épistolaire paulinienne, notamment tout ce qui touche à la construction et au déploiement de sa figure d’autorité en tant qu’épistolier. 1.2 Délimitation spatio-temporelle Notre recherche prend place dans un espace-temps assez large, couvrant la période allant grosso modo du VIe siècle avant notre ère – si on admet que la lettre de Jérémie aux déportés à Babylone conservée au chapitre 29 du Livre de Jérémie pourrait historiquement remonter à l’exil des Judéens après la destruction du Premier temple – jusqu’au IIe siècle de notre ère, si on s’en tient à l’hypothèse d’une rédaction marcionite de la Lettre aux Laodicéens. Dans cette période large, notre focale sera resserrée à une période allant des années 50 à 130. Ceci se justifie d’un côté par la période d’une dizaine d’années dans laquelle on situe généralement la rédaction des lettres de Paul de Tarse, autour de 50-60 11 environ et de l’autre par la datation de la 2e Lettre de Pierre, laquelle fait la mention de la dimension d’autorité de la collection des lettres de l’apôtre. Celle-ci est généralement considérée par la recherche comme vraisemblablement l’écrit le plus récent du Nouveau Testament, rédigé aux alentours des années 120. 11. La recherche est assez unanime à ce sujet : F. Vouga, « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p.  159-160 ; T.  J. Bauer, Paulus und die kaiserzeitliche Epistolographie : Kontextualisierung und Analyse der Briefe an Philemon und an die Galater, Tübingen, 2011, p.  419-420.

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2 . P robl é m at iqu e 2.1 Objectifs Cerner la singularité historique d’une pratique épistolaire aux contours bien identifiables comme celle de Paul de Tarse implique de considérer successivement trois séries d’enjeux, à savoir : 1. La nature et les buts de cette pratique, notamment tout ce qui touche à sa dimension pragmatique. 2. Les modèles desquels cette pratique tire des ressources et à partir desquels elle déploie une parole forte appelée à faire acte d’autorité. 3. La réception et la postérité de cette pratique et des modèles d’autorité qui lui sont liés, entre effets et transformations des héritages dûment identifiés au préalable. La question de la spécificité du geste épistolaire paulinien repose sur un argument de poids, à savoir celui de l’extraordinaire essor, dans son sillage, de la littérature épistolaire. Des lettres conservées dans le Nouveau Testament (lettres deutéro- et trito-pauliniennes, lettres dites catholiques) aux lettres des Pères apostoliques (Clément de Rome, Ignace d’Antioche, Polycarpe de Smyrne), aux lettres des Pères de l’Église (Grégoire de Nazianze, Augustin d’Hippone, Basile, Jérôme, et bien d’autres encore), voire jusqu’aux encycliques d’aujourd’hui dans lesquelles le pape s’adresse aux évêques et aux fidèles pour leur délivrer un enseignement sur une question d’actualité, la littérature épistolaire a connu – et continue de connaître encore aujourd’hui – un développement considérable. Mais on peut se demander si la thèse de l’invention par Paul d’un nouveau genre épistolaire, à savoir celui de la lettre apostolique comme le soutient John White 12 , est vraiment aussi évidente que cela. Au contraire, on peut se poser la question de savoir si Paul n’utilise pas tout naturellement ou presque les ressources usuelles et disponibles – ceci avec toute la liberté et la créativité permises par la souplesse attendue d’utilisation du médium épistolaire – pour entretenir l’amitié et communiquer avec d’autres personnes et/ou groupes constitués, et ceci au service de ses objectifs. Comme le souligne justement Régis Burnet, la finalité de l’art épistolaire de Paul de Tarse est de « faire perdurer sa présence au sein des communautés et poursuivre l’annonce de l’Évangile » 13. Cette finalité articule deux niveaux, d’une part pragmatique et d’autre part kérygmatique. 12.  J. L. White, « New Testament Epistolary Literature in the Framework of Ancient Epistolography », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.2, Berlin – New York, 1984, p.  1730-1755. 13. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 113 (nous soulignons).

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Du point de vue historique, notre enquête va porter en amont sur les traces susceptibles de nous permettre d’identifier des modèles d’autorité épistolaires antérieurs à Paul dans le contexte général des sources et des pratiques épistolaires tant judéennes que gréco-romaines. Méthodologiquement, l’enjeu est de développer une grille d’analyse permettant de documenter les reprises, les transformations ou les innovations apportées par Paul à ces modèles pragmatiques. En aval, elle va s’intéresser aux traces susceptibles de nous permettre de repérer les principaux jalons de l’histoire de la postérité des modèles d’autorité épistolaire développés par Paul. Par conséquent, il s’agira de se demander (1) si Paul a vraiment inventé un nouveau genre épistolaire, à savoir celui de la lettre dite apostolique, ou au contraire s’il n’utilise pas tout naturellement les ressources usuelles et disponibles de la vaste boîte à outils de l’épistolaire antique, avec toute la liberté et la créativité permise par la souplesse requise de son utilisation. Elle offrait ainsi des ressources diverses et variées pour entretenir l’amitié et communiquer avec d’autres personnes et/ou groupes constitués, et pour leurs objectifs missionnaires, Paul et ceux qui se sont réclamés de son autorité ne s’en sont pas privés. Il s’agira ensuite de se demander (2) quelles sont, parmi les pratiques épistolaires antiques, à l’époque de Paul, celles dont il s’est servi ou du moins inspiré. A-t-il privilégié une pratique au profit d’une autre ? A-t-il procédé, au contraire, à des combinaisons originales ? Entre continuités, ruptures ou transformations, la recherche actuelle penche grosso modo pour une reprise des ressources, d’une part, de la lettre privée pour entretenir l’amitié et les liens et, d’autre part, de la lettre officielle pour assurer le leadership communautaire. Nous aurons l’occasion de revenir sur l’hypothèse de la fonction quasi-officielle des lettres de Paul dans notre état de la question sur les pratiques épistolaires pauliniennes 14 . Enfin, il s’agira de se demander (3) si l’origine ethnique (Judéens de Judée, Judéens de la Diaspora, hellénistique ou romaine) des destinataires (individuels et/ou collectifs) n’a pas aussi influencé la pratique épistolaire du Tarsiote et expliquerait, par voie de conséquence, sa grande diversité. En matière d’héritage, la recherche a essentiellement analysé les lettres conservées dans le Nouveau Testament à la lumière des modèles épistolaires hellénistiques et/ou romains et des lettres privées sur papyrus, notamment ceux d’Égypte. Quid des pratiques épistolaires judéennes, dont la reprise en compte par la recherche récente permet une approche renouvelée de l’étude du contexte judéen et non seulement hellénistique dans lequel s’origine la littérature épistolaire chrétienne primitive ? Paul est un Judéen issu de la Diaspora, mais qui se serait formé à Jérusalem ; son identité historique est complexe de par le fait qu’elle est le fruit de l’interaction d’enti14.  Voir notre section 3.2 « La pragmatique épistolaire paulinienne ».

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tés diverses : ethnos judéen, citoyen grec de la ville de Tarse et au bénéfice de la citoyenneté romaine ; elle combine culture judéenne de Diaspora et culture hellénistique, lesquelles sont intrinsèquement liées. 2.2 Hypothèses Paul de Tarse déploie sa pratique épistolaire dans le cadre des pratiques épistolaires usuelles de son temps. Au cours du XXe siècle, la recherche, depuis les travaux d’Adolf Deissmann 15, n’a cessé d’en prendre acte et d’en préciser les contours. Ainsi Otto Roller 16, Francis Exler 17, Heikki Koskenniemi 18 et Klaus Thraede 19. Les travaux de l’Ancient Epistolography Group de la Society of Biblical Literature (SBL) ont permis aussi une grande avancée depuis les années 1980 20. L’analyse papyrologique des lettres du Nouveau Testament, à la suite des travaux de Peter Arzt‑Grabner et de son équipe de recherche, développe depuis les années 2000 une grille de lecture enrichie des plus récentes découvertes papyrologiques 21. En ce qui concerne le contexte des pratiques épistolaires judéennes, Paul de Tarse combinerait ou du moins s’inspirerait en particulier de deux pratiques épistolaires ayant eu cours au sein de la Diaspora. Il y a, d’une part, celle dont témoigne la tradition des lettres liées à la figure du prophète Jérémie, écrites après sa lettre aux exilés 22 et, d’autre part, celle dont témoigne la correspondance de la communauté judéenne avec ses leaders, à savoir les lettres conservées dans les livres d’Esther 23 et de 2 Maccabées 24 , les 15. A. Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1908. 16. O. Roller, Das Formular der paulinischen Briefe : ein Beitrag zur Lehre vom antiken Briefe, Stuttgart, 1933. 17. F. X. J. E xler, The Form of the Ancient Greek Letter : A Study in Greek Epistolography, Washington D.C., 1923. 18. H. Koskenniemi, Studien zur Idee und Phraseologie des griechischen Briefes bis 400 n. Chr., Helsinki, 1956. 19.  K.  Thraede , Grundzüge griechisch-römischer Brieftopik, Munich, 1970. 20.  J. L. White , « The Ancient Epistolography Group in Retrospect », Semeia 22  (1981), p.  1-14. 21. P. A rzt‑Grabner , Philemon, Göttingen, 2003, p. 37-53 ; pour une rétrospective, voir C. M. K reinecker, « International Symposium “Light from the East”. 15 Years “Papyrological Commentaries on the New Testament” (Salzburg, December 3-4, 2009) », Annali di Storia dell ’Esegesi 27/2 (2010), p. 305-310. 22.  Jr 29,1-23. 23.  Voir dans Esther (grec), le postscriptum (F 11) qui pourrait concerner tout le livre (Est gr. 9,11). 24.  2 M 1,1-10a (lettre des « frères les Juifs de Jérusalem et ceux du pays de Judée » à « leurs frères les Juifs d’Égypte ») et 2 M 1,10b-2,18 (lettre de « ceux de Jérusalem et ceux de Judée, le conseil des anciens et Judas à Aristobule, conseiller du roi Ptolémée »).

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lettres de Gamaliel conservées dans la littérature rabbinique 25, voire aussi le Papyrus pascal d’Éléphantine 26. Le geste épistolaire paulinien pourrait bien s’enraciner, en ce qui concerne le contexte des pratiques épistolaires judéennes antiques, dans celles ayant eu cours dans les cercles de Judée et dans la Diaspora. En ce qui concerne le contexte des pratiques épistolaires gréco-romaines, Paul de Tarse s’inspirerait des lettres littéraires et philosophiques, en particulier de ce que la recherche regroupe sous les catégories génériques de lettre-traité ou de lettre philosophique. D’un point de vue historiographique, toute lettre, même fictive, déploie un regard particulier – à partir de l’intention de l’épistolier – sur la réalité, d’abord la sienne, puis celle de son ou de ses destinataires, et enfin, celle de son contexte historique. Pour l’historien, la reformulation épistolaire de ce regard déployé sur la réalité peut prendre une valeur documentaire. Quant aux lettres intégrées narrativement dans un récit, elles sont susceptibles de conserver les traces éventuelles d’un verbatim faisant écho aux réalités et aux vérités humaines d’autrefois. Dit autrement, elles oscillent entre deux pôles, d’un côté celui de la fiction littéraire et, de l’autre, celui de la réalité historique. Leur pôle fictionnel est susceptible de nous renseigner a priori davantage sur le destinateur et ses prétentions à transmettre un message. Leur pôle historique est susceptible de nous renseigner a priori davantage sur l’acte de communication, voire le destinataire, ceci notamment par les échos des realia (à savoir toutes les indications ou allusions à l’exercice et aux conditions matérielles de la pratique épistolaire) fournies par le texte. Les destinataires d’un récit mentionnant expressis verbis des lettres sont ainsi susceptibles de les considérer comme bien réelles et les recevront donc comme des preuves au service d’un processus d’authentification du récit. Ainsi dotées d’une pertinence avérée – du point de vue du lecteur – elles seront d’autant plus pragmatiquement porteuses d’un mes25.  Les lettres de la famille Gamaliel (lettres de Simon ben Gamaliel et Yohanan ben Zakkai) sont très précieuses pour reconstituer l’histoire des Judéens au Ier siècle de notre ère. Elles apporteraient un éclairage sur le leadership pharisien avant la première révolte judéenne contre Rome (66-73 de notre ère), à laquelle a participé Yohanan ben Zakkaï, ce qui expliquerait son rôle prééminent dans les cercles rabbiniques après la révolte. La question de l’authenticité de ces documents est discutée, mais certains détails donnent à penser que ceux-ci seraient authentiques : les indications géographiques ne sont attestées nulle part ailleurs. La pratique épistolaire du célèbre rabbi (« un docteur de la Loi estimé de tout le peuple », Ac 5,34), aux pieds de qui Saül avait reçu sa solide formation (Ac 22,3), avait dû certainement retenir l’attention du jeune Tarsiote. Voir M.-F. Baslez, Saint Paul : artisan d ’un monde chrétien, Paris, 2008, p. 47-50. 26. Voir P. Schäfer, Judéophobie. Attitudes à l ’égard des Juifs dans le monde antique, Paris, 2003, p.  207-229 ; S.  C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 581 et p. 674-676.

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sage destiné à le concerner directement. Toujours en ce qui concerne les lettres insérées narrativement dans des récits, on se demandera si on peut historiquement identifier tout ou partie d’un verbatim épistolaire. D’un point de vue théologique, on s’intéressera notamment, d’une part, au génie littéraire de l’auteur du récit et à la construction de sa pensée et, d’autre part, à la façon dont le recours au procédé de la lettre insérée narrativement fait rhétoriquement office de preuve, ceci au service de la transmission d’un message destiné à faire autorité et à être mis en pratique. Quant à l’intention épistolaire de Paul de Tarse, elle aurait pour but d’asseoir, de conforter ou de rétablir son autorité au sein de son réseau de communautés dans la Diaspora judéenne et ceci à deux niveaux, d’une part celui de son autorité en tant qu’apôtre de Jésus-Christ et d’autre part celui de son autorité en tant que fondateur et dirigeant de communauté. Cela va être l’objet de notre enquête d’ouvrir à nouveaux frais le dossier de l’intention épistolaire dont témoigne le corpus des lettres du Tarsiote, ceci à la lumière de ce qu’on peut reconstituer de la diversité des gestes épistolaires antiques avec lesquels Paul était aux prises. 2.3 Limites Le cadre spatio-temporel dans lequel la présente recherche se déploie impose un certain nombre de limites. La première résulte d’un choix délibéré d’aborder prioritairement le geste épistolaire paulinien et donc de laisser au second plan l’étude de sa doctrine théologique. Cette dernière est abordée lorsqu’est thématisée la question des relations entre Paul et ses communautés. C’est ainsi le cas dans la discussion, dans la 2e Lettre aux Corinthiens, au chapitre 3, lorsque Paul s’explique sur la question de la recommandation à l’aide de l’image de la communauté comme lettre vivante 27. C’est aussi le cas, plus largement, dans la discussion au sujet de la véritable nature de l’autorité de l’apôtre à l’occasion de la gestion à distance de la crise corinthienne (2 Corinthiens 10-13). La deuxième limite résulte de l’ampleur du corpus de sources imposées par la thématique de notre enquête. Les différentes sources consultées ont été largement étudiées et la masse des études scientifiques à leur sujet est considérable. Il tombe ainsi sous le sens que nous ne prétendons pas à l’étude exhaustive de chacune des pièces de ce vaste ensemble de données. Pour chacune d’entre elle, on s’est limité aux principales hypothèses relatives à leur datation, à l’identification de l’auteur, au milieu de production et de réception, au genre littéraire, aux principaux développements théologiques. N’ont été retenus que les résultats apparaissant comme les plus consensuels ou les 27.  « Notre lettre, c’est vous, lettre écrite dans nos cœurs, connue et lue par tous les hommes  (ἡ ἐπιστολὴ ἡμῶν ὑμεῖς ἐστε, ἐγγεγραμμένη ἐν ταῖς καρδίαις ἡμῶν, γινωσκομένη καὶ ἀναγινωσκομένη ὑπὸ πάντων ἀνθρώπων) » (2  Co  3,2).

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plus vraisemblables. L’attention s’est portée en particulier sur tous les éléments susceptibles de conserver des traces de la pragmatique épistolaire, en particulier tous les indicateurs d’une pragmatique de la communication. Un tel projet de recherche implique donc nécessairement de faire des choix, avec le risque certain d’avoir parfois laissé de côté des pans entiers de la recherche concernant tant les sources retenues dans le cadre de cette enquête que celles en lien avec leurs contextes historiques respectifs. 3. L e

cor pus de s sou rce s  : pr é se n tat ion et j us t i f icat ion

3.1 Aires géographiques L’étude des lettres antiques est inséparable de celle de leur contexte général et particulier. Il convient ainsi de réunir tout ce qu’on peut savoir pour situer historiquement ces sources écrites dans le cadre général des différentes pratiques épistolaires connues. Les sources se situent à différents niveaux : il y a d’abord les lettres elles-mêmes, puis les réflexions théoriques au sujet de l’art épistolaire, puis les apports de l’archéologie sur les conditions matérielles des pratiques épistolaires et enfin les allusions directes ou indirectes au sujet de ces pratiques dont témoignent les lettres elles-mêmes. En ce qui concerne les données littéraires proprement dites, on dispose de deux catégories principales de sources, les lettres conservées dans des œuvres littéraires et les lettres conservées individuellement et qui nous sont parvenues notamment grâce aux découvertes archéologiques. Pour la première, on recense trois catégories de documents : (1) les lettres qui nous sont parvenues sous la forme de documents indépendants ou rassemblés dans des collections, (2) les lettres insérées narrativement dans des récits et (3) les autres formes de textes aux caractéristiques peu ou prou épistolaires. On peut ranger dans cette dernière catégorie les traités ou les sermons en forme de lettre. Cette grande diversité documentaire s’explique par la variété des pratiques épistolaires ayant cours dans l’Antiquité. Pour l’évaluer, il convient de commencer par évoquer les principales familles linguistiques de documents disponibles, à savoir les corpus de lettres écrites en hébreu, en araméen, en grec ou en latin. On peut prendre comme point de départ leurs provenances géographiques respectives : l’Égypte, la Grèce et Rome, l’Ouest sémitique.

3.1.1 Égypte De l’Égypte nous sont parvenues des lettres officielles – principalement des lettres diplomatiques et des lettres administratives – et des lettres privées, et ceci de toutes les périodes de la civilisation égyptienne. Beaucoup de lettres originales ont ainsi subsisté, sur divers supports comme les papy-

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rus et les ostraca. On dispose aussi de beaucoup de copies de lettres sur des stèles, des inscriptions ou dans les archives des temples. Des supports tels que les stèles servaient à l’affichage, sur la place publique ; ils étaient destinés à permettre la prise de connaissance, par la cité, des décisions à caractère public. Il est à noter que les conventions épistolaires ont généré des formulaires qui se sont développés et diversifiés en fonction du statut de l’auteur et du destinataire de la lettre. Le support généralement utilisé était le papyrus. Une fois la lettre terminée, celle-ci était roulée, pliée en deux et reliée par une ficelle laquelle était scellée au papyrus par un cachet d’argile. Les scribes disposaient de lettres-type qui leur servaient de modèle pédagogique. On notait ensuite le nom de l’expéditeur et celui du destinataire. Pour les lettres privées, on recourait aux services d’une personne de confiance, comme un ami ou un serviteur loyal. À celui-ci était donnée l’adresse de destination de la lettre et il était donc chargé de la remettre en mains propres à son destinataire. Les lettres officielles étaient acheminées grâce à un système de messagerie. On dispose ainsi de corpus importants, remontant à différentes périodes de l’histoire de l’Égypte ancienne, comme les lettres de la famille de Ramsès II et celles de Ramsès IX, les lettres sur ostraca et papyrus du village des ouvriers de Deir el-Mèdineh, les lettres de la période ramesside tardive et bien d’autres encore. On dispose ainsi de quelques exemples de ces lettres, dont certaines furent intégrées dans des papyrus à titre de lettre littéraire modèle. Il convient de mentionner aussi le cas des lettres aux morts, rédigées par les familles à l’intention de leurs défunts. Celles-ci étaient souvent écrites sur de la vaisselle consacrée aux offrandes destinées aux morts et visaient à demander à l’esprit du défunt de délivrer ses proches vivants des malheurs dont ils pensaient qu’ils provenaient de lui 28.

3.1.2 Grèce et Rome Le plus ancien témoignage de l’envoi d’une lettre est probablement celui de l’Iliade 29. Le plus ancien échange de correspondance historiquement attesté est celui dont témoigne Hérodote entre Amasis d’Égypte et Polycrate 30. Les supports utilisés étaient la tablette de métal, tablette de bois enduite de cire, peau de bête, papyrus. Quant à l’acheminement des lettres, il dépendait des proches en déplacement ou des services de porteurs. Pour la correspondance impériale, l’Empire romain disposait d’un système de poste par porteur à cheval, passant d’un relais à un autre, le cursus publicus. On dispose de nombreux témoins de correspondance privée entre 28. R. Demarée, « Lettres (Égypte) », dans J. L eclant (éd.), Dictionnaire de l ’Antiquité, Paris, 2011, p. 1253-1254. 29.  Chant 6, v. 168s. 30.  Enquête  II,40,3.

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Rome et les provinces de l’empire, notamment ceux que nous ont livrés les sables d’Égypte. Ceux-ci nous fournissent de précieuses informations sur la vie quotidienne et le fonctionnement des institutions, comme l’armée, les tribunaux et l’administration. Au niveau des autres types de lettres, on signalera (1) la « lettre ouverte », à des fins de propagande politique, comme les lettres d’Isocrate à Philippe, les lettres de Platon et de Démosthène, dont certaines pourraient bien être authentiques, (2) la lettre de consolation, comme celles de Cicéron, de Plutarque et de Libanios et (3) la lettre d’exhortation, dans laquelle un philosophe exhorte ses disciples, comme les lettres d’Épicure transmises par Diogène Laërce et les lettres de Sénèque à Lucilius. La lettre peut aussi faire office (4) de lettre doctrinale, destinée à soutenir un enseignement, comme l’Épître aux Pisons d’Horace. Au Ier siècle, on signalera les lettres de Chiron d’Héraclée, lesquelles constituent le seul témoin de roman par lettres de toute l’Antiquité. Le pas de la correspondance privée à la correspondance littéraire fictive est vite franchi, ainsi les lettres d’Ovide (Les Héroïdes), déclamant les souffrances de l’abandon. On doit à l’Antiquité de grands corpus épistolaires comme les lettres de Cicéron à Atticus, les lettres de Pline le Jeune, dont le corpus comprend tant des lettres privées que des lettres administratives, les lettres de Fronton, qui fonctionna comme professeur de rhétorique de l’empereur Marc Aurèle, les lettres de l’empereur Julien et les lettres de Libanios. Il convient aussi de signaler que peuvent être aussi rangées dans ce large ensemble celles de ceux qui ont écrit des lettres dans le sillage de Paul de Tarse, comme Grégoire de Nazianze, dont près de 250 lettres sont conservées 31.

3.1.3 Proche-Orient ancien Un usage de pratiques épistolaires est déjà attesté en Syrie et en Palestine au XIVe siècle avant notre ère, grâce aux découvertes archéologiques de plusieurs lots importants d’archives, comme les 350 lettres découvertes à el-Amarna et les lettres envoyées par les rois des régions de la côte phénicienne, Byblos, Tyr et Sidon, au roi d’Égypte. Ces lettres sont écrites en akkadien, langue proche du cananéen. À Ougarit, on a retrouvé une centaine de lettres en langue locale et environ le double en akkadien. Ces lettres témoignent des rapports de vassalité entre le royaume d’Ougarit et l’empereur hittite. Il convient de signaler aussi les découvertes de petits corpus de lettres en langue hébraïque du VIIe siècle avant notre ère, à Lakish et à Arad, et les lettres en araméen découvertes en Égypte, datant du Ve siècle avant notre ère, comme celles d’Éléphantine. Ces lettres pro31. C.  Auvray-A ssayas – M. Trédé, «  Lettres (Grèce et Rome)  », dans J.  L eclant (éd.), Dictionnaire de l ’Antiquité, Paris, 2011, p. 1254-1255.

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viennent de toutes les couches sociales ou presque, depuis la chancellerie du royaume achéménide jusqu’aux plus simples ouvriers 32 . 3.2 Justification du corpus Pour explorer et pour analyser la dynamique du geste épistolaire paulinien, il convient de constituer un corpus réunissant les principales sources témoignant d’une part à de ce qui s’est dit en amont, au sujet de ce qui existe en termes de pratiques et de théorisations des techniques épistolaires, les goûts et les stratégies de l’écriture épistolaire et leurs concrétisations dans la pratique d’une correspondance. Il s’agit, d’autre part, de considérer ce qui s’est lu en aval, à savoir les effets des lettres de Paul, la réception de son autorité d’épistolier, la reconnaissance de son œuvre épistolaire, la construction d’une figure d’autorité, notamment en conférant à son œuvre épistolaire un statut normatif de corpus. Notre travail va s’appuyer sur trois corpus de sources, recouvrant diachroniquement, en ce qui concerne la pragmatique épistolaire de Paul de Tarse, tout d’abord ses racines présumées, puis son art épistolaire en tant que tel, et enfin, la postérité qu’aurait connue ce dernier. 1. En amont, notre recherche va considérer les modèles de la posture d’autorité épistolaire susceptibles d’avoir joué un rôle dans la construction de la figure d’autorité de Paul comme épistolier. Le cas le plus frappant d’autorité épistolaire susceptible d’avoir fait école dans les cercles de la Diaspora judéenne est celui lié à la lettre du prophète Jérémie aux exilés à Babylone, insérée narrativement dans Jérémie 33. Dans cette lettre, une posture d’autorité en lien avec une situation de communication à distance est en effet déployée. Selon Simon Claude Mimouni, cette lettre documente, d’une part, de manière inédite notre compréhension de la situation de Diaspora de la communauté judéenne peu après la déportation de 597. D’autre part, elle témoignerait de l’orientation programmatique nouvelle donnée à la communauté. Sa mise en forme littéraire sous la forme théologique d’un oracle de YHWH aurait pour but de conférer une haute autorité aux orientations nouvelles qu’elle entend ainsi transmettre aux déportés : Cette lettre, dans son ensemble marque une étape importante : elle représente une véritable charte du peuple judéen en Diaspora qui est ainsi clairement définie avec des orientations majeures. Il s’agit d’un oracle de Yahvé que Jérémie transmet aux déportés ou « exilés », dans lequel il leur est dit que leur déportation ou « exil » sera longue, qu’il 32. D. Pardee, « Lettres (Ouest-sémitique) », dans J. L eclant (éd.), Dictionnaire de l ’Antiquité, Paris, 2011, p. 1255. 33.  Jr 29,1-23.

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leur faudra assumer les nouvelles conditions d’existence et dépasser une conception ethnique et politique de l’avenir : il les invite à s’installer sans arrière‑pensée dans leurs nouveaux lieux de résidence et à prospérer au milieu de leurs voisins  3 4 .

Cette lettre aux exilés a connu une postérité remarquable, puisque, comme le met en évidence Lutz Doering 35, elle a servi de modèle ou du moins de référence dans la correspondance avec les exilés ou la Diaspora, comme l’atteste jusqu’au IIe siècle de notre ère toute une série de textes faisant référence aux figures de Jérémie ou de Baruch, toujours en lien avec une situation d’épistolarité. Il s’agit de la Lettre de Jérémie (LXX), L’apocryphe de Jérémie C de Qumrân (4Q389 ou 4QApocrJer Cd), la lettre mentionnée dans le Targum de Jonathan sur Jérémie 10,11, le Livre de Baruch (LXX) 1,1-4 ; 1,14-15a, la lettre de Baruch conservée dans l’Apocalypse syriaque de Baruch (2 Baruch 77-87) et la correspondance entre Baruch et Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie (4 e Livre de Baruch). Deux autres modèles de lettres susceptibles d’éclairer la pragmatique épistolaire paulinienne – celui de la lettre-traité et celui de la lettre insérée narrativement – seront examinés. 2. Dans le corpus des lettres de Paul, on va s’intéresser à toutes les indications explicites ou implicites témoignant de sa pratique épistolaire. On examinera le formulaire épistolaire paulinien, puis on passera en revue les indicateurs, au fil du texte, de sa pratique épistolaire. Il s’agira de considérer les salutations initiales et les salutations finales, les auto-désignations de l’épistolier, les allusions aux collaborateurs, les mentions des secrétaires, les consignes de lectures et de diffusion des lettres, les allusions aux conditions matérielles de la pratique épistolaire – relatives à l’écriture, à la transmission et à la réception des lettres –, et les mentions d’autres lettres. Pour confronter la posture prophétique déployée par Jérémie dans la lettre aux exilés avec la posture épistolaire du Tarsiote, on examinera les traces relatives à l’autorité prophétique de Jérémie dans le corpus paulinien. Notre attention portera en particulier sur les allusions aux paroles de ce prophète, avec une attention soutenue aux citations, explicites ou implicites, faisant référence à Jérémie. Les deux lettres insérées narrativement dans les Actes des apôtres 36 et autres allusions à des pratiques épisto34.  S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 605. 35. « Jeremiah’s letter in Jer 29:1-23 has become a model for epistolary communication with the exiles and the Diaspora. As such, it (or the version in Jer 36:1-15, 21-23 LXX) has become formative for a number of texts associated with Jeremiah or his companion Baruch », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 104. 36.  La lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche (Ac  15,23b‑29)  et la lettre du tribun Claudius Lysias au gouverneur

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laires, notamment de recommandation, seront évoquées. Enfin, un examen de la crise que Paul endura à Corinthe et dont la 2e Lettre aux Corinthiens conserve le souvenir 37 fera l’objet d’une analyse spécifique, car celle-ci témoigne de manière forte, selon nous, du potentiel pragmatique du genre épistolaire. Paul endura à cette occasion une très sévère remise en question de son autorité apostolique et il ne disposait que des ressources de la lettre pour tenter de la gérer à distance. L’analyse de l’exercice de l’autorité ainsi déployé au fil du texte nous semble un lieu très pertinent de vérification de la spécificité du geste épistolaire de Paul. 3. En aval, notre analyse va porter sur les sources attestant – explicitement ou suffisamment implicitement – de l’autorité des lettres ou de l’autorité de Paul comme épistolier. À ce sujet, on considérera, parmi les sources chronologiquement les plus proches, (1) la finale épistolaire de la Lettre aux Hébreux 38, laquelle réunit de nombreux traits qu’on peut mettre en lien avec l’épistolaire paulinien, (2) la 2e Lettre de Pierre, avec sa mention de l’autorité reconnue à la collection des lettres Paul 39, (3) la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome, avec en particulier ses allusions explicites à Paul et à la situation conflictuelle en cours à Corinthe  4 0, et (4) la Lettre aux Laodicéens et sa structuration implicite d’un modèle d’autorité apostolique 41. Ce parcours se terminera par (5) quelques remarques relatives à la réception marcionite de l’autorité épistolaire de Paul. 4. P l a n

de l a r ech e rch e

S’intéresser tant aux racines qu’à la postérité de l’autorité de Paul de Tarse comme épistolier impose un parcours diachronique, dans lequel on fera, en amont, quelques incursions notamment dans le vaste patrimoine Félix (Ac 23,25-30) ; on mentionnera aussi le cas particulier posé par les sept lettres aux Églises insérées narrativement dans l’Apocalypse (Ap 2-3) et la question de l’habillage épistolaire général de ce livre. 37.  2 Co 10-13. 38.  Hb 13,19.22-25. 39.  2 P 3,15-16. 40.  1 Clément 5,5-7 et 47,1. 41. Il y a encore bien d’autres sources qui sont susceptibles de contenir des traces directes ou indirectes de l’autorité épistolaire de Paul. On mentionnera ici la 3e Lettre aux Corinthiens, les prologues marcionites aux lettres de Paul, voire même les lettres, lesquelles remplissent une fonction de type apostolique, de Mani et de ses compagnons. Ces écrits, auxquels de nombreuses études scientifiques ont été consacrées, méritent aussi, à notre avis, de retenir l’attention de toute recherche consacrée à la réception de la figure d’épistolier de Paul de Tarse.

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scripturaire du prophétisme biblique et, en aval, quelques excursions ciblées dans la littérature épistolaire chrétienne des premiers siècles. Le premier chapitre se compose de deux parties. La première clarifie un certain nombre de questions méthodologiques, terminologiques et historiographiques au sujet de l’épistolaire. Ces considérations fournissent les prolégomènes nécessaires à l’analyse de la pragmatique épistolaire du Tarsiote. Elles précisent la manière dont les corpus de lettres seront envisagés à la fois comme données littéraires et comme événements historiques. La deuxième partie dresse un état de la question relative aux pratiques épistolaires de Paul et de la pragmatique de la communication qui leur sont intrinsèquement liées. La recherche moderne sur la vie et l’œuvre du Tarsiote ne s’est pas systématiquement intéressée à ses lettres en tant que lettres, mais a tout de même mis en lumière un certain nombre d’éléments relatifs au genre et à ses buts. Ces résultats permettent notamment de mieux comprendre les paramètres pragmatiques, lesquels n’ont que marginalement retenu l’attention de la recherche. Cette dernière s’est beaucoup focalisée sur le développement du système de pensée théologique de l’apôtre des Nations et l’enjeu de ses liens avec la rhétorique antique. Le deuxième chapitre analyse quelques cas de pratiques de communication à distance témoignant d’un acte d’autorité épistolaire, antérieures à Paul de Tarse et susceptible d’avoir servi de modèles, proches ou éloignés, pour la pratique de ce dernier. Cela sera l’occasion de s’intéresser particulièrement à la question de l’épistolarité de la lettre de Jérémie aux exilés insérée dans le Livre de Jérémie 42 et aux différentes lettres subséquentes conservant le souvenir de Jérémie et/ou de son compagnon Baruch s’adressant de façon exemplaire aux exilés en Babylonie. L’objectif est de chercher à cerner et à évaluer la posture d’autorité, sous-jacente à ces mises en scène du prophète s’adressant à un cercle dont il est séparé, et dont on doit s’interroger sur leur caractère, réel ou réaliste. En lien avec ce premier dossier est abordée ensuite la question des lettres insérées narrativement dans des textes littéraires. Cette question permet de soulever celle, sous-jacente, de la fiabilité documentaire que l’historien peut ou ne peut pas accorder à ce type de lettres. Enfin, quelques remarques consacrées au genre des traités en forme de lettre, à partir du cas de la Lettre d’Aristée, concluent ce chapitre. Le troisième chapitre évalue les données textuelles, présentes dans les lettres pauliniennes, relatives à sa pratique d’épistolier et à ses conditions matérielles. C’est l’occasion de réexaminer le formulaire épistolaire paulinien et de remettre en évidence les différents ressorts de sa fonction pragmatique. C’est aussi l’occasion de faire quelques remarques sur divers témoignages des Actes des apôtres sur l’épistolaire, en particulier en ce qui 42.  Jr 29,1-23.

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concerne la pratique des lettres de recommandation, celles d’ordre de mission ou celles de nouvelles. Ce chapitre se termine par l’évaluation de la pertinence de la figure du prophète Jérémie comme clé de compréhension de la posture d’autorité de l’épistolier adoptée par Paul de Tarse dans ses lettres. Ces considérations permettent de statuer sur la question de leur degré d’officialité. Le quatrième chapitre explore ce qui, à notre avis, constitue le paramètre-clé de l’autorité sous-jacente à cette pratique épistolaire, à savoir celle de la fonction pragmatique de la lettre paulinienne comme outil d’action à distance. Est démontrée l’hypothèse que le lieu de vérification le plus pertinent de cette fonction est fourni par la crise corinthienne, telle que 2 Corinthiens 10-13 en dévoile obliquement la cristallisation extrême. C’est dans une situation conflictuelle très tendue, lorsque la rupture est proche, que la lettre témoigne le plus du potentiel de ses ressources d’action à distance. Cette perspective se concrétise dans une relecture approfondie de la séquence que la recherche désigne usuellement, à la suite de Hans Windisch, de « Discours du fou » 43. L’analyse pragmatique de 2 Corinthiens 10-13 fournit l’argument principal démontrant que la communication en situation de crise témoigne du haut potentiel pragmatique de la communication épistolaire. Le cinquième chapitre évalue les plus anciennes réceptions de l’autorité d’épistolier de Paul de Tarse, en particulier les premières traces faisant explicitement référence, et ceci directement ou indirectement, à la posture 43.  L’expression de Discours du fou provient du commentaire programmatique de H. Windisch, pour qui Paul prend le masque du fou (« Narr ») pour jouer la comédie : « Die Torheit besteht also darin, dass der Apostel und Prediger, anfängt vor seiner Gemeinde Komödie zu spielen und den Gemeindesaal zur Theaterbühne macht » (Der Zweite Korintherbrief, Göttingen, 1924, p.  316). La désignation proprement dite (« Narrenrede », p.  349) s’est largement imposée par la suite pour qualifier 2 Corinthiens 10-13, ou du moins, la section du texte dans laquelle Paul endosse explicitement la posture du fou, soit de 11,1  (Ὄφελον ἀνείχεσθέ μου μικρόν τι ἀφροσύνης) à 12,12 (Γέγονα ἄφρων). Pour Windisch, le Discours du fou proprement dit occupe la section 11,21b (ἐν ἀφροσύνῃ λέγω) à 12,10, la section 11,121a faisant office de prologue. Tenir compte de ces considérations devrait amener, à l’avenir, à désigner 2 Corinthiens 10-13 non plus comme le Discours du fou, mais comme la Lettre du fou. Loïc Berge suggère de désigner le Discours du fou comme le discours de déraison, estimant que la sémantique de la folie correspond mieux à μορία et à μωρός (Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique (Supplements to Novum Testamentum 161), Leiden – Boston, Brill, 2015, p. 261). Pour notre part, nous préférons l’argument de Windisch, estimant que le substantif de fou correspond mieux à la prestation pragmatiquement voulue et déployée par Paul, endossant théâtralement, à distance, le rôle du fou. Voir également L. L. Welborn, « The Runaway Paul », Harvard Theological Review 99/2 (1999), p. 122-131 et J. M. Horner , « Leading like a Fool : An Evaluation of Paul’s Foolishness in 2 Corinthians 11:16-12:13 », Perichoresis 16/3 (2018), p.  29-43.

INTRODUCTION

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de Paul comme épistolier ou à l’autorité de ses lettres. Est volontairement écartée ici la question de l’apport du corpus deutéropaulinien. Notre objectif est de considérer les premières traces de cette autorité à l’œuvre juste après la génération des héritiers directs de Paul. Sont ainsi successivement abordés les cas (1) de la Lettre aux Hébreux et de son billet épistolaire final de style paulinien  4 4 , (2) de la 2e Lettre de Pierre et sa mention de l’autorité d’une collection des lettres de Paul 45, (3) de la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome et le souvenir de la crise corinthienne  4 6 et (4), de la Lettre aux Laodicéens et de sa structuration d’un modèle d’autorité apostolique de type paulinien. Enfin, (5) la réception marcionite de l’autorité épistolaire de Paul fait l’objet de quelques remarques.

44.  Hb 13,19.22-25. 45.  2 P 3,15-16. 46.  En particulier 1 Clément 5,3-7 et 47,1-7.

Chapitre 1

L’ANALYSE DES LETTRES ANTIQUES : UN ÉTAT DES LIEUX 1.1 I n t roduct ion L’étude des lettres de Paul et de leur pragmatique, dans notre perspective, se situe à cheval entre l’analyse littéraire et l’enquête historienne et cela appelle, au préalable, à opérer un certain nombre de clarifications méthodologiques, terminologiques et historiographiques. Qu’est-ce qu’une lettre ? Comment en évaluer les données, entre confidence ou regard prétendu neutre sur la réalité ? Comment en mesurer les effets parmi les cercles de leurs destinataires, entre intention de l’épistolier, intention des lettres et intention de leur réception ? Intuitivement, on se rend rapidement compte que les manières de lire, ou de relire, une lettre sont diverses et variées, considérant le fait que les destinataires premiers nous sont totalement inconnus et qu’il est donc vain de chercher à les rejoindre ou au contraire, que nous éprouvions une sympathie naturelle pour eux et pour le contenu de leurs belles missives que nous lisons par-dessus leur parfois bien lointaine épaule. Ce premier chapitre nous donne l’occasion, sur le plan méthodologique, de distinguer les différents niveaux possibles de lecture d’une lettre, de repréciser les limites et les possibilités des ressources de l’analyse littéraire des lettres et enfin d’explorer plus en avant la question de l’analyse pragmatique de la communication épistolaire, laquelle se trouve précisément au centre de notre enquête sur les lettres du Tarsiote, entre origine et réception. Sur le plan terminologique, il est question de passer en revue les données étymologiques en lien avec l’épistolaire, notamment la question de la pertinence de la distinction, tant discutée par le passé, entre lettre et épître 1. Ces clarifications donnent l’occasion d’en préciser l’usage retenu dans la présente recherche. Est également passé en revue le dossier des théorisations antiques de l’épistolaire, motivé par le souci de mettre en évidence les considérants, explicites ou implicites, concernant les enjeux pragmatiques. Enfin, sur le plan historiographique, est discutée la question des modalités de la fiabilité, pour l’historien, à accorder aux traces dont les lettres antiques sont les dépositaires. 1.  Les clarifications subséquentes, dans notre section 1.3, permettent d’évaluer les nuances étymologiques entre lettre et épître. Dans la présente étude, on recourt uniformément au terme de lettre, y compris dans la mention des titres des écrits (ainsi Lettre aux Hébreux et non pas Épître aux Hébreux, etc.).

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CHAPITRE 1

1.2 R e m a rqu e s

m ét hodologiqu e s , t e r m i nologiqu e s

et h i s tor iogr a ph iqu e s

1.2.1 Remarques méthodologiques

1.2.1.1 Les trois niveaux de lecture d’une lettre L’étude des lettres antiques et des pratiques qui leur sont liées requiert préalablement de prendre la mesure des deux paramètres fondamentaux liés à toute action de communication épistolaire. Il n’y a pas de lettre sans d’une part un épistolier qui prend la plume ou dicte un texte à un scribe et d’autre part un ou plusieurs destinataires, à qui la lettre est destinée. Toute lettre relève d’une motivation, plus ou moins urgente, à communiquer entre personnes ou groupes séparés, dans l’espace et dans le temps. Toute lettre est conçue en fonction d’un destinataire, réel ou fictif, lequel peut être individuel ou collectif. Ces deux paramètres, la motivation à communiquer et la lecture par un ou plusieurs destinataires, déploient un effet, lequel peut aller du besoin le plus simple, comme transmettre une simple information factuelle, au plus complexe lorsque la lettre est destinée à conforter un état d’esprit, changer un point de vue, transformer une situation, voire débloquer une crise. Si le besoin initial de communiquer relève de l’épistolier, le besoin d’agir sur le destinataire peut être conçu de façon à perdurer à travers les générations ultérieures de lectrices et de lecteurs. Tel est d’ailleurs bien le but de l’édition de collections de lettres. Une fois que le destinataire historique de la missive n’est plus là, les lettres qui connaissent un destin futur et de nouvelles communautés de lecteurs continuent à déployer des effets. Geneviève Haroche-Bouzinac systématise ces différents cas de figure en distinguant trois niveaux de lecture des lettres 2 : 1. Une lecture incluse : il s’agit de la lecture naturelle de la lettre, à savoir celle où le lecteur ou la lectrice adopte spontanément la posture du destinataire réel, tel que l’épistolier le figure au travers de sa missive. Il s’agit ici simplement du cas où est effectué le type de lecture prévu par la lettre elle-même. L’acte de lecture investit l’image du destinataire et des proches de ce dernier : la famille, la communauté, et ceci jusqu’au cercle large éventuellement prévu par l’épistolier, dans le cas d’une lettre destinée à la publication, ou des lettres appelées ouvertement à être diffusées. Il s’agit de la lecture dont on pense spontanément qu’elle reproduit telle quelle ou presque celle qu’aurait faite le destinataire. Notre imaginaire nous fait alors voyager, entre illusion

2. G. H aroche-Bouzinac, L’épistolaire, Paris, 2002, p. 5-7.

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et bon sens, à travers les sentiments de celui ou de celle qui a réellement reçu les bonnes ou mauvaises nouvelles. 2. Une lecture se réalisant dans un espace extérieur à celui du duo épistolaire constitué par l ’épistolier et son destinataire : il s’agit ici de la lecture que nous faisons ici et maintenant des lettres aujourd’hui connues, disponibles et publiées. Le temps de leur rédaction originelle est largement révolu. Cette lecture n’offre qu’une compréhension limitée de la lettre dans le cas d’une lettre isolée, mais s’avère assurément plus profitable quand on dispose de séries de lettres ou de collections de correspondance, permettant de rendre compte des continuités et des discontinuités d’un échange de correspondance. 3. Une lecture de nature méditative ou « moraliste » : il s’agit de la lecture cherchant à dégager des lettres un savoir existentiel ou un enseignement moral, à partir des considérations sur les modèles de vie déployés dans les lettres. C’est ici que prend place par excellence la lecture théologique ou spirituelle des lettres à caractère religieux. Et c’est à ce niveau de lecture, à notre avis, que se situe la question d’un canon normatif des écritures, lequel a précisément pour but de poser le cadre induisant ce type de lecture. Les lettres de Paul de Tarse bénéficient ainsi, de par leur intégration en tant que collection dans le Nouveau Testament, d’un statut sur mesure destiné à guider leur lecture dans un cadre ecclésial donné. L’identification de ces trois axes de lecture permet de clarifier les différents points de vue à l’œuvre dans le cadre de notre recherche. Tout d’abord celui de l’historien : celui-ci privilégiera le deuxième niveau, celui de la lecture se réalisant dans un espace extérieur au monde et au milieu originels de la lettre. À partir de là, il interrogera le rapport se nouant entre écriture épistolaire et écriture de l’histoire. Son effort portera sur l’évaluation de la valeur documentaire du matériau épistolaire dans l’établissement des faits. À quelles conditions la lettre peut-elle faire office d’archive susceptible de contribuer valablement à l’écriture de l’histoire ? Comment questionner et évaluer les témoignages qui continuent de se déployer au travers de la lecture toujours vivante des lettres ? Et que penser et que faire des silences de la lettre ? Brigitte Diaz et Françoise Simonet-Tenant rendent attentifs que la lettre peut être reçue de trois façons différentes : (1) comme document, ayant historiquement valeur d’archive, (2) comme témoignage personnel et singulier sur la réalité et (3) comme un acte destiné à avoir de l’effet sur le cours des événements : « c’est dire combien la lettre est à la fois un texte dont on peut interroger les formes, les enjeux stylistiques et les stratégies

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CHAPITRE 1

argumentatives et une archive féconde pour les historiens » 3. Mais l’historien a aussi bien des raisons valables de considérer aussi le premier niveau de lecture, lequel peut se révéler comme une inépuisable source d’intuitions et d’interrogations, lesquelles vont stimuler sa curiosité et pouvoir piloter une part importante de son travail d’analyse des documents de nature épistolaire. Mais soucieux, tout comme le théologien, de mettre en évidence la construction d’un système de pensée et d’en dégager les corrélats parénétiques, il s’intéressera aussi au troisième niveau. L’analyse va recourir aux outils de l’analyse narrative ou de l’analyse rhétorique, suivant qu’on lit un récit ou un texte argumentatif 4 . Mais le théologien sera, tout comme l’historien, aussi sensible, d’une part, au premier niveau, en ce qui concerne l’acte de communication, et les échos du for intérieur épistolier et, d’autre part au deuxième niveau, en ce qui concerne le caractère irrémédiablement situé des documents écrits, sur le plan de l’histoire, en particulier dans le cadre de l’exégèse historico-critique des textes bibliques. Tant le théologien que l’historien s’intéressent ainsi à la question de la nature de la vérité déployée dans les lettres. Mais la lettre relève nolens volens de la sphère privée de son auteur et s’assume comme telle, contrairement à l’écriture de l’Histoire, laquelle vise la sphère collective et publique. Faire émerger une vérité, quelle qu’elle soit, passe donc nécessairement par la confrontation avec d’autres sources. À ce propos, on fera nôtre le caveat de Geneviève Haroche‑Bouzinac : Dans le meilleur des cas, la lettre isolée peut être considérée comme témoin d’un état de l’âme, expression d’un objectif précis. Elle peut être examinée pour ses qualités esthétiques, la vivacité de son style, les anecdotes qu’elle contient. Jamais elle ne devrait conduire à des conclusions précises concernant l’échange, le destinataire et le scripteur. Si on souhaite l’utiliser comme document, il faut […] qu’elle fasse l’objet de confrontations 5.

On remarquera enfin que l’analyse exégétique historico-critique procède de la même façon au sujet des données contextuelles contenues dans les textes bibliques. Le degré de véracité historique de ces informations ne peut être évalué puis exploité que si on a la possibilité, et les moyens, de les confronter à tout ce qu’on peut savoir par ailleurs à leur sujet.

1.2.1.2 Les limites de l’approche littéraire du phénomène épistolaire L’histoire de la littérature épistolaire ne peut faire abstraction des pratiques d’échanges réels de correspondance entre personnes séparées tant 3. B. Diaz – F. Simonet-Tenant, « La Lettre & l’Histoire », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39 (2013), p.  10-11 (citation p.  11). 4. D. M arguerat – Y.  Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l ’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, 2009, p.  14. 5. G. H aroche-Bouzinac, L’épistolaire, Paris, 2002, p. 6.

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géographiquement que temporellement. Mais il est périlleux d’opérer une distinction stricte entre littérature épistolaire et échange privé de correspondance. Où ranger alors les collections de lettres authentiques publiées après coup, accédant ainsi par voie de conséquence à un statut de littérature, ou les collections de lettres fictives destinées à servir pédagogiquement de modèles à imiter ? Où classer les lettres fictives épousant en tout ou en partie les caractéristiques de l’échange de lettres privées ? La pseudépigraphie néotestamentaire recourt volontiers à ce que Régis Burnet désigne comme le « petit fait vrai » dans les lettres deutéro-pauliniennes, à savoir l’ajout volontaire, par l’auteur pseudépigraphe, d’un petit détail personnel concernant directement Paul 6. Ce détail est précisément destiné à accrocher le lecteur et lui donner l’impression d’avoir à faire à l’apôtre en personne, en conférant à la lettre une dimension personnelle aussi crédible que certaine. Du point de vue de la littérature épistolaire, on peut certainement nuancer les niveaux d’énonciation en distinguant deux plans, celui de l’échange proprement dit de lettres et celui de ce même échange, transmis accidentellement ou volontairement aux générations subséquentes de lecteurs : Que les lettres aient été véritablement expédiées ou non, que le destinateur ou le destinataire soient réels ou fictifs, la littérature épistolaire se caractérise par un espace d’échange et de dialogue supposant une double énonciation : l’épistolier et son destinataire en constituent le premier plan, la totalité de leur échange reçue par un public, le second 7.

S’intéresser, en tant qu’historien, aux pratiques épistolaires implique une focale plus large que le seul intérêt pour le contenu des lettres et leur message. Envisager l’analyse des lettres à partir de la question de son genre littéraire ne peut que mener l’historien dans une impasse fictionnelle. Les lettres sont en premier lieu un acte de communication. Certains exégètes ont pris conscience de cette difficulté, telle Jutta Bickmann qui, pour analyser la première épître de Paul aux Thessaloniciens, se dote d’une grille de lecture pragmatique. Elle commence par remarquer méthodologiquement que : Avec le concept de « lettre », il ne s’agit pas encore d’un genre littéraire, mais d’une forme de communication, laquelle peut concrètement prendre forme à travers différents genres littéraires, et cela autant pareillement que partiellement, car le concept de genre littéraire n’est pas clarifié de manière

6. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 270. 7. M.-A. Bernier – L. Desjardins, « Épistolaire », dans P. A ron – D.  SaintJacques – A. Viala (éd.), Le dictionnaire du littéraire, Paris, 2012, p. 241-243 (citation p. 241).

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CHAPITRE 1

univoque, ni en ce qui concerne le genre de texte, ni plus du point de vue de la linguistique et des sciences de la littérature que de l’exégèse 8.

Ce cas est emblématique. Paul de Tarse cherche à rassurer le cercle de ses destinataires, à savoir l’assemblée (ἐκκλεσία 9) de Thessalonique, lequel s’inquiète du sort des défunts morts avant le retour du Messie, retour considéré et attendu comme imminent. Ainsi, avant d’enseigner théologiquement les destinataires, la lettre poursuit un but pragmatique indéniable, à savoir rassurer les membres de la communauté croyante de Thessalonique. Et c’est là tout l’intérêt de cette étude, à savoir celui de se doter d’une grille d’analyse pragmatique. Jutta Bickmann part de l’hypothèse qu’il s’agit d’une lettre de consolation destinée à aider les destinataires dans leur perception de l’expérience de la mort dans une perspective chrétienne et à faire évoluer leur conception de la mort. Le but est de les amener à reconsidérer leur conception judéenne traditionnelle de la croyance en Dieu à la lumière de la confession de foi en Jésus-Christ ressuscité des morts. Pour Bickmann, on ne peut pas considérer la lettre indépendamment de son contexte pragmatique, dont la fonction est de précisément transformer la compréhension des destinataires sur une question fondamentale de l’existence. Il convient donc de le prendre en compte. Jutta Bickmann part du constat que la lettre, hier comme aujourd’hui, constitue à la fois un certain type de texte et un acte de langage entre « partenaires mutuels spatialement séparés l’un de l’autre » 10. Les lettres peuvent viser toutes sortes de buts, comme l’enseignement, la consolation, la déclaration de sentiments, la transmission de nouvelles personnelles, la transmission de bons vœux. Elles n’en demeurent pas moins chaque fois en lien avec une situation spécifique de communication. Ce constat lui permet de définir la lettre comme une forme écrite de communication (1), laquelle permet de rompre l’éloignement entre deux correspondants (2), se présente comme un substitut de l’oral (3) et se doit donc d’en adopter la spontanéité 11. Jutta Bickmann démontre ainsi que l’étude littéraire d’une lettre ne peut faire abstraction de sa dimension pragmatique. 8.  « Mit dem Begriff “Brief ” noch keine Gattung sondern eine Kommunikationsform angegeben ist, die sich in verschiedenen Gattungen verwirklichen kann, und ebenfalls nur zum Teil daran, dass der Begriff der Gattung ebenso wie der der Textsorte weder in Linguistik und Literaturwissenschaft noch in der Exegese eindeutig geklärt ist » J. Bickmann, Kommunikation gegen den Tod : Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes, Würzburg, 1998, p.  5. 9.  1 Th 1,1. 10. « Räumlich voreinander getrennter Partner », J. Bickmann, Kommunikation gegen den Tod : Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes, Würzburg, 1998, p.  5. 11. J. Bickmann, Kommunikation gegen den Tod : Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes, Würzburg, 1998, p. 67 ;

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Lutz Doering aboutit au même résultat : envisager l’analyse des lettres en la réduisant à la seule question des genres littéraires nous fait passer à côté de la réalité des faits. La lettre n’est pas un genre au sens de forme littéraire ou de type de texte (Gattung), mais une « forme de communication », voire tout simplement une « forme basique de texte ». Lutz Doering, tout en constatant combien il avance ici sur un terrain miné aux yeux des exégètes, n’en prend pas moins résolument le parti de partir sur une autre base et donc de changer de perspective : La « lettre » n’est pas un genre au sens de l’allemand Gattung, « forme littéraire » ou « type de texte » ; au contraire, on a à faire là avec un phénomène bien plus basique. En cela, elle se démarque de la manière habituelle d’envisager les choses, largement partagée au sein des études bibliques et au-delà. Cet enjeu a été largement discuté, en particulier parmi les spécialistes de la linguistique textuelle en Allemagne, mais n’a malheureusement que difficilement retenu l’attention de la corporation des exégètes 12 .

D’une certaine façon, Doering renoue ici avec le présupposé sur lequel Adolf Deissmann fondait sa célèbre distinction entre lettre et épître, à savoir que les êtres humains se sont mis à écrire des lettres sitôt qu’ils ont disposé de l’écriture. Comme le précise Régis Burnet, pour Adolf Deissmann, « l’écriture épistolaire constitue le moyen privilégié de la communication humaine, une sorte de degré zéro de l’écriture qui échappe de ce fait à la convention littéraire et qui appartient presque à la sphère de la communication orale » 13. Il convient donc de prendre acte que la lettre, avant d’être une production littéraire, constitue de facto un épiphénomène de communication de base entre personnes séparées. Ce paramètre pragmatique lui est indissociablement lié. Il convient de conclure, à la suite de Lutz Doering, qu’avec les lettres on a à faire à un phénomène plus terre-àterre que littéraire 14 . En 2003, Régis Burnet faisait un constat analogue, et plaidait de la même façon, au démarrage de sa recherche sur les pratiques épistolaires chrétiennes des origines au IIe siècle : R.  Burnet (Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 31) suit la même définition. 12.  « The present study affirms the view that the “letter” is not a “genre” in the sense of Gattung, “literary form” or “text type”, but a more basic phenomenon. In his, it disagrees with a widely held assumption in Biblical scholarship and beyond. There has been some significant discussion on this matter particularly within German text-linguistics that unfortunately has hardly been noticed by the exegetical guild »,  L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 18. 13. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 22. 14.  « A more basic phenomenon », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 18.

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CHAPITRE 1

Les lettres du premier christianisme sont aussi des lettres […]. En réalité, sur la lancée de presque deux mille ans d’interprétation de ces œuvres on en vient le plus souvent à considérer la lettre comme le genre littéraire « normal » de la génération apostolique, en attendant ses successeurs, l’évangile puis le traité théologique 15.

Le constat de Doering s’inscrit dans le sillage des débats au sein de la linguistique allemande. Pour elle, la problématique de la littérature épistolaire n’est pas simplement réductible à une seule question de genre littéraire 16, précisément en raison du caractère éminemment multifonctionnel des lettres. Deux options sont en discussion : la lettre doit-elle être envisagée en tant que forme de communication ( form of communication) ou tout simplement en termes de genre de texte de base (Grundtextsorten) 17 ? Selon la première, c’est la fonction littéraire du texte qui est déterminante dans le classement en différents genres. La lettre est une forme de communication spécifique, tout comme le livre ou le dialogue. Selon la deuxième, au contraire, c’est la situation de communication qui est déterminante. Celleci se déploie selon trois cas de figures binaires possibles : – Dialogique (p. ex. la lettre). – Face-à-face (p. ex. la conversation). – Oral (p. ex. le monologue, écrit ou oral). Pour Doering, les textes doivent être classifiés en fonction de leur situation communicative respective. Le critère qui permet in fine de rendre compte correctement du phénomène de la lettre est précisément celui de la situation de communication. La lettre relève d’une situation de communication de type dialogique, entre interlocuteurs séparés, et non pas de type oral ou face-à-face, entre interlocuteurs présentiellement réunis. Elle représente donc bien une forme de texte de base à côté du dialogue face-àface, le monologue sous forme orale ou écrite. Si Deissmann a permis à plusieurs générations de chercheurs de relire les lettres conservées dans le Nouveau Testament à la lumière des lettres relevant des échanges ordinaires de correspondance privée du monde grécoromain, on peut dire qu’aujourd’hui, il convient de prendre les lettres à 15. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  9. 16.  « Gattung », « literary form » ou « text type », L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 18. 17.  La première option se réfère aux travaux de K. Brinker, Linguistische Text­ analyse : eine Einführung in Grundbegriffe und Methoden, Berlin, 20056 et de K.  Ermert, Briefsorten. Untersuchungen zu Theorie und Empirie der Textklassifikation, Tübingen, 1979, la deuxième à ceux de G.  M. Diewald, Deixis und Textsorten im Deutsch (Reihe Germanistische Linguistik 118), Niemeyer, Tübingen, 1991. Résumé de la discussion dans L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  18-19.

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partir de ce qu’elles véhiculent de facto, à savoir une forme de communication entre personnes, qu’elles soient partenaires ou non, mais séparées tant spatialement que temporellement. Puis, à un deuxième niveau d’énonciation, une forme de communication indirecte entre le monde des destinataires et des destinateurs, réels ou fictifs et le monde de ceux ultérieurement aux prises avec ces lettres devenues corpus littéraires.

1.2.1.3 La pragmatique de la communication épistolaire Écrire, lire ou recevoir une lettre n’est pas une action aussi anodine que l’évidence semble la laisser paraître. Que faisons-nous lorsque nous lisons une lettre ? Que cherchons-nous exactement à dire lorsque nous écrivons une lettre ? Comment cela se fait-il que nous n’écrivions dans une lettre pas forcément la même chose que ce que nous dirions dans un dialogue face-à-face ? À cause de quoi ou dans quel but conservons-nous une lettre ? Que mettons-nous en place pour être sûrs que nos lettres soient bien lues jusqu’au bout ? De quoi avons-nous spécifiquement besoin pour que nos lettres soient bien comprises ? Quelles sont les conditions à remplir pour qu’une lettre fasse office de correspondance ? Ces questions mettent en évidence deux enjeux. D’une part, l’analyse d’une lettre n’est pas réductible à la question de la détermination de son genre littéraire et de l’analyse de son contenu doctrinal, comme on vient de le montrer. L’analyse du contenu d’une lettre ne peut faire l’économie du fait qu’une lettre est une lettre et qu’on n’écrit pas une lettre de la même façon qu’un discours 18. Une lettre, c’est toujours à la fois un message et un événement entre personnes séparées. D’autre part, ces questions relèvent spécifiquement de l’analyse pragmatique. C’est précisément l’objet de cette dernière de chercher à répondre à ce genre de questions 19. 18.  « Les lettres du premier christianisme sont aussi des lettres » : R. Burnet démontre que cette apparente lapalissade cristallise l’impasse dans laquelle peut mener une analyse des lettres qui privilégierait le contenu aux dépens de la forme (Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  9). L’analyse rhétorique des textes bibliques est spécifiquement concernée par cette difficulté car les lettres ne sont pas automatiquement assimilables à des discours. Son présupposé initial est certes légitime (les lettres déploient une argumentation construite destinée à convaincre leurs destinataires ou du moins à les informer efficacement) mais ce type d’analyse se fourvoie quand il se limite à analyser les lettres uniquement comme des textes ou des discours et non pas comme des lettres. 19.  « La pragmatique est d’abord une tentative pour répondre à des questions comme celles-ci : Que faisons-nous lorsque nous parlons ? Que disons-nous exactement lorsque nous parlons ? Pourquoi demandons-nous à notre voisin de table s’il peut nous passer l’aïoli, alors qu’il est manifeste et flagrant qu’il le peut ? Qui parle et à qui ? Qui parle et avec qui ? Qui parle et pour qui ? Qui crois-tu que je suis pour que tu me parles ainsi ? Qu’avons-nous besoin de savoir pour que telle ou telle phrase cesse d’être ambiguë ? Qu’est-ce qu’une promesse ? Comment peut-on

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CHAPITRE 1

La pragmatique s’emploie à déconstruire l’enchevêtrement entre le message et l’événement. Elle cherche à mettre en évidence comment les deux sont intrinsèquement liés et font donc système. L’intérêt porte sur « tout le rôle joué par le contexte d’échange des propos dans l’élaboration du contenu significatif » 20. Pour analyser la pragmatique de la communication à l’œuvre dans les lettres de Paul et en particulier la question de l’autorité du Tarsiote en tant qu’épistolier, il convient de chercher à retracer les racines et la postérité de cette autorité. L’autorité de Paul en tant qu’épistolier n’a pas fait l’objet d’une enquête historique cherchant spécifiquement à mettre en lien sa genèse (en amont) et sa réception (en aval) en tant que telle. Pourtant, la recherche reconnaît volontiers l’importance, voire le rôle cardinal, de la pragmatique épistolaire paulinienne, comme le constate Marie‑Françoise  Baslez : À ces groupes de chrétiens, dispersés et géographiquement éloignés les uns des autres, qui restèrent dépourvus de toute organisation unitaire et de toute autorité centrale, jusqu’au début du IVe siècle, Paul laissait néanmoins un atout inappréciable : le souci de la communication et l’outil épistolaire. Ce sont les correspondances, plus que les voyages et les rencontres, qui tissèrent des liens forts entre les évêques du IIe siècle et contribuèrent à structurer un véritable réseau épiscopal 21.

Analyser des données épistolaires sous l’angle de la pragmatique s’avère particulièrement pertinent dans la mesure où une telle approche permet de véritablement prendre en compte le double aspect de la lettre, laquelle est à la fois transmission d’un message et événement survenant entre interlocuteurs ou protagonistes séparés : « la pragmatique est une discipline qui s’attache à la communication et à ses acteurs ; à ce titre, et quelle que soit l’orientation qu’elle prend, il est logique qu’elle accorde au langage une place prépondérante » 22 . La pragmatique a enrichi la linguistique et la philosophie du langage de trois notions négligées ou ignorées jusqu’ici, à savoir (1) celle d’acte, car tout langage rend effective une double action, celle d’instaurer un sens et celle d’agir sur autrui et sur le monde, (2) celle de contexte, car l’interprétation du langage est inséparable de la situation concrète dans laquelle

avoir dit autre chose que ce qu’on voulait dire ? Peut-on se fier au sens littéral d’un propos ? Quels sont les usages du langage ? Dans quelle mesure la réalité humaine est-elle déterminée par sa capacité de langage ? », F. A rmengaud, La pragmatique (Que-sais-je ? 2230), Paris, 2007, p. 3. 20. F. A rmengaud, La pragmatique (Que-sais-je ? 2230), Paris, 2007, p. 3. 21. M.-F. Baslez, Comment notre monde est devenu chrétien, Paris, 2008, p. 92. 22. M. Bracops, Introduction à la pragmatique. Les théories fondatrices : actes de langage, pragmatique cognitive, pragmatique intégrée, Bruxelles, 2010, p. 16.

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celui-ci s’effectue : le temps, le lieu et l’identité des personnes engagées dans l’acte de langage et (3) celle de désambiguïsation. Par cette dernière expression, on entend le fait que la compréhension sans équivoque d’une phrase nécessite certaines informations extralinguistiques, par exemple « l’attribution des référents corrects aux pronoms » 23. En tant que branche de la linguistique, la pragmatique de la communication s’est employée à cartographier l’action de communication verbale en tant que telle. On doit au linguiste Roman Jakobson (1896-1982), qui fut un des pionniers du courant du formalisme russe et un des fondateurs de l’École de Prague, d’avoir mis en évidence ce qui se passe concrètement quand on communique quelque chose à quelqu’un. Cette formalisation des forces interagissant dans la communication s’est imposée dans la linguistique et, plus largement, dans les sciences de la littérature sous le nom de Schéma de Jakobson. Elle demeure encore pertinente aujourd’hui. Un destinataire émet un message à l’intention d’un destinataire. Ce message et l’action de communication ainsi déployée sont tributaires d’une part du contexte, à savoir le monde de représentation auquel le message fait référence, d’autre part du code, à savoir le langage utilisé par convention 24 . CONTEXTE                       DESTINATEUR   MESSAGE   DESTINATAIRE                                CODE



Ce schéma peut aussi s’appliquer à l’analyse narrative des textes comme l’établit l’analyse narrative des textes bibliques, développée par Daniel Marguerat et par Yvan Bourquin 25. La transposition du Schéma de Jakobson dans le cas de figure de la lecture d’un texte prend la forme suivante : 23.  Nous suivons ici l’exposé introductif de Martine Bracops, dans Introduction à la pragmatique. Les théories fondatrices : actes de langage, pragmatique cognitive, pragmatique intégrée, Bruxelles, 2010, p. 16. 24. Nicolas Ruwet, dans sa préface aux Essais de linguistique générale, signale que Jakobson se plaisait à souligner le rôle joué par des artistes comme Picasso, Joyce, Stravinski ou Braque. De ce dernier, il citait volontiers une parole qui l’avait marqué : « je ne crois pas aux choses mais aux relations entre les choses », voir R.  Jakobson, Essais de linguistique générale. Les fondations du langage (traduit de l’anglais et préfacé par Nicolas Ruwet), Paris, 1963, p.  8. 25. D. M arguerat – Y.  Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l ’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, 2009.

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            CONTEXTE                      AUTEUR  ŒUVRE  LECTEUR                              CODE



Ce schéma s’applique naturellement aussi à la pratique de la communication épistolaire :            CONTEXTE                    ÉPISTOLIER   LETTRE   DESTINATAIRE(S)                             CODE Selon Jakobson tout acte de communication verbale, pour se constituer et devenir effectif, doit réunir et déployer les six facteurs suivants : un message, un émetteur, un destinataire, un contexte, un code et un contact. Dans le cas de la communication épistolaire, nous retrouvons aussi ces six éléments constitutifs : il y a (1) le message lui-même (la lettre), ensuite (2) le destinateur (l’épistolier) qui envoie un message au destinataire (les lecteurs ou auditeurs à qui et en fonction de qui la lettre est conçue, rédigée et finalement expédiée), puis (3) un ou plusieurs destinataires censés recevoir le message. Pour que l’effet voulu et attendu par l’épistolier puisse se réaliser, il doit y avoir une référence (4) à un contexte, lequel, selon les situations, est automatiquement saisissable par le destinataire (patrimoine ou histoire commune entre l’épistolier et son ou ses destinataires) ou au contraire non saisissable, auquel cas allusions, sous-entendus ou exposés visant à l’exhaustivité sont alors convoqués. Pour que le message puisse devenir effectif, il faut (5) un code commun (ou partiellement commun) au destinateur et au destinataire. Enfin, pour que la communication puisse s’établir, il faut (6) un contact physique (une transmission réussie et une connexion effective) ou un objet transitionnel dans le cas de la lettre (ou de la carte postale). Dans le cas de la communication épistolaire, c’est la lettre reçue qui permet le contact physique à distance 26. Pour évaluer l’art épistolaire sous l’angle de la pragmatique de la communication, il convient de ne pas perdre de vue cette donnée fondamentale que la lettre est non seulement un type particulier de littérature, mais aussi un événement de communication. Ce paradigme permet de voir sous 26.  A ce sujet, l’histoire de la littérature épistolaire signale le recours à des objets médiateurs de présence affective (le parfum, la boucle de cheveux, le baiser au rouge à lèvres, etc.). Voir M.‑C. Grassi, Lire l ’épistolaire, Paris, 2005.

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un autre angle les différents débats relatifs à l’analyse des genres littéraires des textes de nature peu ou prou épistolaires. À ce sujet, dans le champ d’étude qui est le nôtre, force est de constater combien les recherches littéraires sur les lettres de l’Antiquité continuent de butter sur des textes dont l’histoire de la réception en a fait des lettres. À titre d’exemple, on peut mentionner la Lettre d’Aristée, qui déploie une légende de la traduction grecque des livres de la loi des Judéens conforme à la fidélité divine ou la Lettre aux Hébreux, qui fut longtemps classée, dans le canon des Écritures, dans la collection des lettres de Paul. Pour ces deux documents, la recherche est très divisée et il est difficile de trancher avec certitude si on a affaire à des lettres véritables ou des documents d’une autre nature, comme des traités ou des sermons, habillés en forme de lettres. Ces deux exemples relèvent de la problématique plus générale des lettres réputées à première vue fictives, comme les lettres philosophiques ou les lettres insérées narrativement dans des récits. Ces lettres ont elles aussi pour but de susciter l’événement d’une communication réussie. Elles recourent donc peu ou prou elles aussi aux artifices de la pragmatique épistolaire et ceci précisément dans le même but que les lettres réelles, à savoir convaincre leurs destinataires à l’action ou du moins chercher activement à déployer des moyens de les informer efficacement. Dans le cadre de l’analyse narratologique des récits bibliques, c’est dans la partie relative à la construction de la réponse du lecteur que se concentre la question de la pragmatique. La narratologie, comme le font remarquer Daniel Marguerat et Yvan Bourquin, est un « type de lecture [qui] explore avec de nouveaux outils un art vieux comme le monde, l’art de raconter », ceci en partant du constat que cet art vieux comme le monde porte en lui une intuition, elle aussi, vieille comme le monde : « tout récit est composé en vue d’exercer un effet sur le lecteur » 27. Cette affirmation de principe, bien qu’à nuancer, car tout récit est composé en vue d’exercer un tel effet, trouve sa confirmation dans l’émergence de la rhétorique antique, l’ars bene dicendi qui est, avant toute chose, une technique. Ce principe, autant ancestral qu’évident, dicte le programme de l’analyse narrative des récits bibliques : « il s’agit de repérer à même le texte, les signaux qui balisent et orientent le parcours de la lecture » 28. L’analyse narrative déploie un programme interprétatif dont le but est d’identifier tous les éléments déployés dans le récit et qui font que le récit fonctionne en tant que tel. L’intérêt porte sur la manière dont ces éléments s’articulent entre eux et concrétisent ainsi la mise en œuvre de l’histoire racontée.

27. D. M arguerat – Y.  Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l ’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, 2009, p.  9. 28. D. M arguerat – Y.  Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l ’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, 2009, p.  9.

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La critique rhétorique des textes bibliques témoigne elle aussi d’une difficulté intrinsèque. Le bilan actuel relève la légitimité de son questionnement – les lettres déploient une argumentation construite destinée à convaincre leurs destinataires ou du moins à les informer efficacement –, mais constate aussi qu’elle se fourvoie quand elle se limite à analyser les lettres uniquement comme des discours argumentatifs et non pas comme des lettres. Ces considérations confirment que l’analyse des phénomènes épistolaires n’est pas réductible à la seule question de leurs genres littéraires. Elle se doit de tenir compte de l’analyse du contenu des lettres, mais sans perdre de vue le fait que le médium conditionne le contenu. L’étude de textes reçus comme des lettres, mais dont on se demande s’ils en sont vraiment, nous a appris que chercher à résoudre l’épineux problème de leur épistolarité sans en examiner la dimension pragmatique ne peut que mener dans une impasse 29. On mentionnera enfin, toujours en ce qui concerne la narratologie, que les définitions données par Daniel Marguerat et Yvan Bourquin dans leur préambule méthodologique, permettent de clarifier les choses en ce qui concerne l’analyse pragmatique de l’art épistolaire. La narrativité y est définie comme « l’ensemble des caractéristiques qui font d’un texte un récit, à la différence du discours ou de la description », l’analyse narrative  comme « une méthode de lecture du texte qui explore et analyse comment se concrétise, dans ce texte, la narrativité » et enfin la narratologie comme « l’étude scientifique de la narrativité » tout en précisant pour cette dernière que « cette science est récente même si elle reformule et parfois affine des concepts antiques » 30. Par analogie, on peut dire que pour l’épistolaire, l’épistolarité désigne l’ensemble des caractéristiques qui font d’un texte une lettre, à la différence du discours, de la description ou du récit. L’analyse épistolaire désigne une méthode de lecture du texte et de l’événement de la lettre, qui explore comment se concrétise, dans le texte de la lettre, l’épistolarité ; son approche textuelle se déploie à deux niveaux : celui du contenu du message de la lettre et celui de la force pragmatique de la lettre. On pourrait ainsi former un nouveau néologisme traduisant l’analogie, pour l’analyse de l’art épistolaire, avec la narratologie, à savoir l’épistologie et désigner par là l’étude scientifique de l’épistolarité, à 29.  L’analyse de textes peu ou prou épistolaires doit tenir compte du caractère particulier lié à la documentation de type épistolaire, à savoir que « sur le plan esthétique, la lettre se place entre la littérature, avec laquelle elle partage son étymologie, litterae, en prenant ici le mot littérature dans le sens d’œuvres narratives écrites à visée esthétique, et une écriture de communication, à visée purement instrumentale, pragmatique », M.‑C. Grassi, Lire l ’épistolaire, Paris, 2005, p. 4-5. 30. D. M arguerat – Y.  Bourquin, Pour lire les récits bibliques. Initiation à l ’analyse narrative, Paris – Genève – Montréal, 2009 (définitions : cf.  p.  9).

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la suite de la manière récente d’appréhender le phénomène de l’épistolarité, même si, comme dans le cas de la narratologie, elle reformule elle aussi et parfois affine des concepts antiques. On retiendra, à la suite de ces remarques méthodologiques, que le Schéma de Jakobson et son application dans le cadre de l’analyse narratologique des récits ou de l’analyse rhétorique des discours offrent un modèle pertinent pour décrire les processus de communication à l’œuvre dans le cas des pratiques épistolaires. Bien que conçu pour modéliser la communication verbale directe entre un destinateur et un destinataire, celui-ci peut s’appliquer sans autre aussi pour la communication verbale entre interlocuteurs séparés, c’est-à-dire, dans le cas de l’épistolaire, entre l’épistolier et le ou les destinataires de la lettre. Pour préciser les enjeux spécifiques liés à la pragmatique de la communication dans le cas de l’épistolaire, il convient de faire un pas de plus. Lutz Doering 31 – suivant une proposition d’Hannelore Link 32 – modélise les niveaux possibles de lecture des lettres à partir de la pragmatique de la communication. Hannelore Link part de la distinction usuelle des trois niveaux dans le processus de communication tout en en ajoutant un quatrième, à savoir le monde du texte, schéma qu’on peut reformuler et préciser de la manière suivante : 1. Un niveau extra-textuel (N1) : celui-ci relève du fait d’écrire, de transmettre, de recevoir et de lire une lettre. Il s’agit du monde réel, extérieur au texte (« Textexterne Ebene ») ; 2. Un premier niveau intra-textuel (N2) : il s’agit du niveau déployant la conscience auctoriale, à savoir l’auteur implicite, et préfigurant la réponse du lecteur, à savoir le lecteur implicite. On se trouve au niveau de la situation abstraite de communication, lequel sert de norme en renvoyant au niveau interne du texte (« Textinterne Ebene ») ; 3. Un deuxième niveau intra-textuel (N3) : il s’agit du niveau de communication dans lequel l’auteur implicite de la lettre renvoie à un auteur explicite, à savoir le destinataire dûment mentionné dans la formule épistolaire d’ouverture. Celui-ci concrétise la voix narrative qui se fait concrètement entendre, au fil de la lecture de la lettre, à l’adresse du (ou des) lecteur(s) explicite(s) ;

31. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 25-27. Nous rendons en français les abréviations retenues, soit N (au lieu de L) pour le niveau de communication (« level of communication »), A pour l’auteur (« Author ») et L (au lieu de R) pour le lecteur (« Reader »). 32. H. Link, Rezeptionsforschung. Eine Einführung in Methoden und Probleme, Stuttgart, 1980, p.  16-38 (schéma des niveaux de communication : p.  25).

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4. Le niveau du monde du texte (N4) est donné par le contenu de la lettre ; dans la narration, cela correspond au récit raconté par le narrateur 33. Cette distinction des niveaux permet à Lutz Doering de préciser les enjeux et de modéliser les différents cas de figure dans le processus de communication à l’œuvre dans les phénomènes épistolaires. À chacun de ces niveaux correspond une figure de l’auteur, respectivement du lecteur (ou de l’auditeur, individuel ou collectif) : 1. Dans le fait d’écrire, de transmettre, de recevoir et de lire une lettre se noue un rapport entre un auteur réel (A1) et un lecteur réel (L1) ; il s’agit des personnes réelles (« empirical persons ») ayant véritablement vécu l’échange de correspondance (ou supposé comme tel, dans le cas de la mise en scène d’une communication épistolaire fictivement réaliste) ; 2. Le premier niveau intra-textuel du texte (N2) déploie un rapport entre un auteur implicite (A2) et un lecteur implicite (L2) figures abstraites) ; c’est à ce niveau de lecture de la lettre que les effets pragmatiques de l’épistolier se donnent à connaître. 3. Le deuxième niveau intra-textuel du texte (N3) déploie un rapport entre un auteur explicite ou fictif (A3) et un lecteur explicite ou fictif (L3) ; le ou les narrataires, tels qu’il(s) figure(nt) dans le texte, sont explicitement mentionnés dans la lettre ; 4. Le niveau du monde du texte (N4) est constitué par l’objet même de la communication épistolaire. Et en ce qui concerne les lettres relues ultérieurement, il convient de distinguer le cas de figure des premiers lecteurs réels de celui des lecteurs réels subséquents. Dans notre enquête, il s’agira donc de repérer les différents niveaux de l’action de communication pour mettre en évidence les mécanismes pragmatiques à l’œuvre et bien mesurer comment ils fonctionnent dans les processus de construction de l’autorité de l’épistolier. 1.2.2 Remarques terminologiques

1.2.2.1 Les concepts de lettre et d’épistolaire On partira ici des définitions contemporaines de la lettre à partir des définitions usuelles des dictionnaires, lesquelles s’inscrivent assez naturellement dans le sillage étymologique des définitions antiques. Cet exposé 33.  « The story the narrator tells », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 27.

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terminera par un examen des sources antiques comportant des traces des théorisations antiques sur l’épistolaire. Cela sera l’occasion de rappeler de manière synthétique d’une part les considérations des théoriciens antiques au sujet des pratiques épistolaires et d’autre part les informations qu’on peut espérer tirer des manuels épistolaires. Ensuite, il s’agira de préciser ce que les historiens peuvent chercher et espérer trouver au travers de l’étude de documents de type peu ou prou épistolaires. Cette étape permettra de thématiser à nouveaux frais le clivage entre lettres privées et épîtres littéraires. On terminera cet état des lieux par une première évaluation de la question très disputée du rapport entre lettre et vérité, soulevée par l’enjeu du potentiel documentaire que peuvent représenter, aux yeux de l’historien, l’étude des lettres et des pratiques qui leur sont liées. Le Dictionnaire historique de la langue française précise que le mot « lettre » s’origine dans le latin littera, littéralement « lettre de l’alphabet ». Sous l’influence de son équivalent grec (γράμμα), « lettre » a pris le sens de « missive » (au pluriel), « ouvrage écrit » et enfin « littérature ». De ce dernier usage découle l’acceptation plus large de « culture » et d’« instruction »  3 4 . Le Dictionnaire Grec-Français précise que γράμμα est le substantif de γράφω (« creuser, graver, écrire » qui a donné le substantif « caractère gravé » et dont le sens premier est le caractère d’écriture, gravé sur la pierre, le bois, une écorce, de la cire,  etc.). Le pluriel (γράμματα) désigne génériquement toutes sortes de textes écrits, en particulier lettre ou épître, inscription, livre de comptes, registre, liste (p. ex. de noms), papiers ou documents de toutes sortes (pièces de procédure judiciaire, contrats, actes de vente, titres de propriété), livre, traité (ou passage d’un traité, clause, convention), règles écrites (par opposition à la coutume), et au pluriel lettres, au sens de sciences ou d’instruction. Deuxièmement γράμματα peut désigner les sons articulés (pour désigner par exemple les chants d’oiseaux) ou les signes divers (les notes de musique, chiffres, signes de l’accent, figures de mathématique). Enfin γράφω peut aussi signifier dessiner ou peindre et ainsi γράμματα désigne les traits d’un dessin ou d’une peinture, et de là dessin ou peinture. Enfin, en raison d’une confusion avec le latin scripulum, supposé dériver du verbe scribo (écrire), γράμμα désigne aussi le « gramme » comme unité de poids (la 24 e partie d’une once) 35. Quant à l’épistolaire, l’Association Interdisciplinaire de Recherches sur l ’Épistolaire (AIRE) en donne la définition synthétique suivante, à partir du Dictionnaire historique de la langue française : « épistolaire signifie “qui

34.  Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française (A à L), sous la direction d’A. R ey, Paris, 2000, p. 1202. 35. A. Bailly, Dictionnaire grec – français, Paris, 1963, p.  416.

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a rapport à la correspondance par lettres” d’où, dans le domaine littéraire, genre épistolaire (1839) et roman épistolaire » 36. Michael Trapp donne une définition combinant les caractéristiques, d’une part, formelles et, d’autre part, contextuelles : « la lettre est un message écrit d’une personne (ou d’un ensemble de personnes) à une autre, nécessitant d’être fixé sur un support tangible, lequel doit être physiquement relayé de l’(des) émetteur(s) au(x) destinataire(s) » 37. Formellement, il s’agit d’une pièce d’écriture manifestement adressée par son (ou ses) auteur(s) à un ou à plusieurs destinataires. Pour la réaliser, l’épistolier dispose d’un jeu de formules conventionnelles de salutations, lesquelles peuvent prendre des formes variées. Ces dernières ont pour but de déployer et de rendre effective l’interaction recherchée entre les deux parties. La lettre fait ainsi office de moyen de communication entre personnes séparées physiquement l’une de l’autre et donc dans l’impossibilité de communiquer directement par la parole ou les gestes. Enfin, il est attendu que la lettre n’excède pas une certaine longueur. Il ne faut pas oublier que les lettres antiques nous sont parvenues en fonction de trois modes de transmission : (1) celui des lettres individuelles (2) celui des copies de lettres individuelles réalisées au moment de l’expédition des lettres originales et (3), celui des collections de copies de lettres originales (archives publiques ou privées ; lesquelles nous sont parvenues soit intentionnellement, de par une volonté de transmission à la postérité, soit accidentellement). Les lettres sont aussi à différencier en fonction de la provenance sociale de leurs auteurs respectifs et de leur degré d’éducation et de culture. Il y a ainsi une grande différence entre la lettre d’un villageois d’Égypte fixant une transaction commerciale ou déposant plainte auprès du gouverneur local et celles de lettrés comme Cicéron, Pline le Jeune ou Libanius. Esthétique et style connaissent ainsi une variété d’une grande amplitude, des plus simples aux plus raffinés. Notre enquête sur le geste épistolaire du Tarsiote fera bien de ne pas perdre de vue ces différentes catégories de paramètres et de différencier ce qui relève des conditions fonctionnelles et respectivement stylistiques 38. La lettre a pour but de suppléer à l’impossibilité de communiquer dans laquelle se trouvent de fait deux ou plusieurs parties en situation précisé-

36.  Voir le site Internet de l’AIRE : www.epistolaire.org 37.  « A letter is a written message from one person (or set of people) to another, requiring to be set down in a tangible medium, which itself is to be physically conveyed from sender(s) to recipient(s) », M. Trapp, Greek and Latin Letters. An Anthology with Translation, Cambridge, 2003, p. 1. 38. Voir aussi les précisions de P. Ceccarelli, Ancient Greek Letter Writing : A Cultural History (600 BC-150 BC), Oxford University Press, Oxford – New York, 2013, en particulier l’introduction, p.  1-19.

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ment d’impossibilité de communiquer, comme le rappelle John White 39. La lettre est le moyen écrit permettant la poursuite d’une communication orale. La première fonction est de rester en contact (« keeping in touch »), même si l’épistolier prend certainement souvent la plume en raison d’une occasion spécifique, la deuxième est de chercher ou transmettre une information, un message, etc. et la troisième de formuler une demande. Ce sont principalement les formules de salutation (initiale et finale) qui satisfont à la fonction d’entretenir la relation (amicale, familiale, etc.). Quant au corps de la lettre, il sert principalement aux deux autres fonctions. Comment alors évaluer la grande diversité des lettres ? La première chose qui frappe à l’esprit est de voir que nous avons à faire soit à des lettres fictives, soit à des lettres réelles. Cette première observation permet d’identifier les différents types de lettres et de les ranger par catégories, à savoir : 1. Les lettres destinées à être expédiées par des personnes historiquement réelles et n’ayant jamais été subséquemment intégrées à des collections ; ces lettres sont écrites sur du cuir, du bois ou du papyrus. 2. Les lettres destinées à être expédiées et qui ont été subséquemment rassemblées en collections afin d’être destinées à un lectorat plus large. On peut mentionner les lettres de Cicéron, les lettres de « L’Ancien (Ὁ πρεσβύτερος) »  4 0 (1 Jn, 2 Jn, 3 Jn), de Pline le Jeune, de Fronton, de Julien, de Libanius, de Basile, de Grégoire, de Jérôme et d’Augustin. 3. Les lettres écrites par et pour des personnages réels, mais jamais expédiées individuellement par un canal épistolaire, car destinées dès le départ à un lectorat plus large, comme celles de Sénèque, d’Horace et d’Ovide. 4. Les lettres conçues par, et parfois pour, un personnage réel, mais écrites par un auteur pseudépigraphe et exclusivement destinées à un cercle de destinataires, à savoir les lettres de Chion d’Héraclée, d’Eschine, de Diogène, de Crates et de Phalaris. 5. Les lettres totalement fictives ou reprenant des lettres connues par ailleurs, inventées par un auteur réel, anonyme ou pseudépigraphe. On peut ranger dans cette dernière catégorie les lettres insérées narrativement 41.

39.  J.  L. White, « New Testament Epistolary Literature in the Framework of Ancient Epistolography », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.2, Berlin – New York, 1984, p.  1730-1755. 40.  2 Jn 1 ; 3 Jn 1. 41.  Voir notre section 2.5 : « la valeur des lettres insérées narrativement : une évaluation ».

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Il est aussi difficile que risqué de chercher à tracer une limite claire entre histoire et littérature dans l’étude des matériaux de nature épistolaire. Ces deux réalités cohabitent avec des degrés d’interaction d’intensité variable. Que penser d’une lettre destinée à un auditorat fictif ? Peut-on faire la part des choses de manière assurée entre fiction et réalité ? Et si oui, comment ? Trancher la question mène à l’impasse. En effet, dans une lettre l’épistolier choisit de dire ce qu’il veut dire et ce qu’il ne veut pas dire. Et dans le choix de ce qu’il ne veut pas dire, on peut entrevoir des intentions épistolières antithétiques à l’œuvre. L’épistolier peut choisir de ne pas mentionner des données connues de part et d’autre, notamment afin d’éviter la redondance. Mais il peut aussi décider de manifestement taire des éléments susceptibles de compliquer la situation ou la relation. On peut aussi imaginer des scénarios plus machiavéliques, dans lesquels l’épistolier profite stratégiquement de l’inertie – spatiale et temporelle – intrinsèque de la communication épistolaire pour ruser : laisser provisoirement prospérer l’idée de l’amélioration d’une situation pour mieux dissimuler une stratégie de manipulation peut s’avérer d’une efficacité redoutable !

1.2.2.2 Les définitions et les théorisations antiques de l’épistolaire Pour s’intéresser aux vérités et aux réalités des pratiques épistolaires antiques, il convient aussi de se tourner vers ce que les Anciens disaient et pensaient à leur sujet. En ce qui concerne les descriptions et les définitions antiques de l’épistolaire, on dispose de diverses sources d’information, lesquelles peuvent être rangées en six catégories selon Carol Poster 42 : 1. Les manuels épistolaires au sein des traditions littéraires. On dispose ainsi de la section consacrée à l’épistolaire dans le traité du Du style attribué à Démétrios, des deux manuels complètement dédiés à l’art épistolaire attribués au Pseudo-Démétrios et à Libanios et de l’appendice épistolaire à l’Ars rhetorica de Julius Victor. Il convient de prendre acte du modeste volume de cette première catégorie de sources, laquelle totalise en tout une petite trentaine de pages pour toute l’Antiquité, ce qui est fort modeste en comparaison des théorisations antiques de l’art rhétorique, des œuvres philosophiques. Au moment de prendre la mesure de ces sources, il convient de ne pas surévaluer le caractère intrinsèquement marginal de ces considérations théoriques. 42. C. Poster, « A Conversation Halved. Epistolary Theory in Greco-Roman Antiquity », dans C.  Poster (éd.), Letter-writing Manuals and Instruction : from Antiquity to the Present : Historical and Bibliographic Studies, Columbia, 2007, p. 21. Voir également J. Bickmann, Kommunikation gegen den Tod : Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes, Würzburg, 1998, p.  68.

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2. Les instructions sur l’art épistolaire dans les manuels de grammaire, à savoir les règles épistolaires élémentaires enseignées par les grammairiens. 3. Les instructions sur l’art épistolaire dans les manuels de rhétorique comprenant développements théoriques et exercices pratiques. 4. Les papyrus épistolaires pédagogiques. 5. Les lettres littéraires préservées par la tradition faisant ponctuellement des références théoriques explicites à l’art épistolaire. 6. Les lettres-documents, à savoir les lettres écrites sur papyrus, lesquelles font parfois ponctuellement référence aux conventions pratiques usuelles sur l’épistolaire. Au sujet des théories épistolaires antiques, il convient de commencer par préciser que nous disposons des témoignages d’une part des auteurs de manuels de pratiques épistolaires et d’autre part des auteurs consacrant à l’art épistolaire soit une petite section d’un traité, comme cela est le cas dans traité Du style, attribué à Démétrios 43, soit des remarques ou des recommandations rédigées occasionnellement dans des lettres. Un exemple célèbre est fourni par la Lettre 51 (« à Nicobule ») de Grégoire de Nazianze  4 4 . Pour prendre en considération les réflexions des Anciens sur l’art épistolaire, on peut partir de l’inventaire réalisé par Abraham Malherbe 45, lequel réunit tous les témoins disponibles et procède à une évaluation synthétique des données ainsi rassemblées, depuis Démétrios de Phalère, le « prétendu inventeur de la lettre comme moitié de dialogue »  4 6 jusqu’aux manuels d’art épistolaire, lesquels remontent vraisemblablement à une période allant du IVe au VIe siècle de notre ère. Le constat qui s’impose est que les développements théoriques antiques sur l’épistolaire relèvent certes du champ de la rhétorique, mais ceci seulement de façon marginale et tardive. Les plus anciens traités ne mentionnent rien à son sujet. On trouve les premières considérations connues au sujet de l’art épistolaire dans le traité Du style, dont on doit l’attribution erronée à Démétrios de Phalère à la tradition manuscrite. Cette œuvre est 43. Démétrios, Du style (texte établi et traduit par P. Chiron), Paris, 1993. La section consacrée à l’art épistolaire se trouve aux § 223-235, p. 63-66. 44.  Saint Grégoire de Nazianze, Lettres. Tome 1 (introduction et traduction par P. Gallaz), Paris, 1964, p.  66-68. 45.  A. J. M alherbe, Ancient Epistolary Theorists, Scholars Press, Atlanta, 1988 ; M.  Trapp, Greek and Latin Letters. An Anthology with Translation, Cambridge, 2003, p. 1-47. 46. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  69.

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difficile à dater avec certitude. Les hypothèses oscillent entre le IIIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère. Son excursus consacré à l’art épistolaire débute par la célèbre recommandation attribuée à Artémon, dont il se distancie quelque peu. Selon l’éditeur des lettres d’Aristote, une lettre doit être apprêtée de la même façon que le dialogue, dans la mesure où la lettre est l’une des deux moitiés d’un dialogue : Puisque le style épistolaire demande de la simplicité, nous allons aussi en parler. Artémon, l’éditeur des lettres d’Aristote, dit qu’il faut rédiger de la même façon les lettres et le dialogue, la lettre étant en quelque sorte l ’une des deux parties du dialogue. Peut-être a-t-il un peu raison, mais pas totalement, car la lettre doit être un peu plus apprêtée que le dialogue : si celui-ci imite une parole improvisée, celle-là est écrite, et on l’envoie comme un présent, en quelque sorte 47.

On trouve ensuite quelques remarques à ce sujet dans l’œuvre de Cicéron, ainsi dans le Pro Flacco 48, les Epistulae ad familiares 49 et les Epistulae ad Atticum 50. À l’époque de Cicéron, la grammaire grecque et la rhétorique sont solidement implantées à Rome. Les lettres privées grecques présentaient visiblement des formes suffisamment abouties pour retenir l’attention des rhéteurs. Ainsi Cicéron note la distinction entre lettres privées et lettres publiques, évoque les différents genres de lettres, compare la lettre à une conversation avec un proche ou l’occasion de méditer en l’absence d’un ami. On peut supposer que Cicéron connaissait le savoirfaire rhétorique en matière de pratique épistolaire et qu’il connaissait les manuels épistolaires. Au Ier siècle de notre ère, Sénèque bénéficie lui aussi d’une solide connaissance des pratiques épistolaires. Quant à Quintilien, à la fin du Ier siècle, dans son important traité sur l’art oratoire, il ne délivre qu’épisodiquement quelques considérations sur le style approprié à l’art épistolaire 51. Ces attestations permettent de documenter quelque peu l’intérêt des rhéteurs pour les pratiques épistolaires, mais ce n’est que tardivement que l’art épistolaire a trouvé sa place dans les systèmes et les traités rhétoriques. Cela s’expliquerait par le fait que c’étaient des sophistes qui étaient préposés aux lettres dans les chancelleries. Les rhéteurs ne les considéraient pas comme véritablement capables d’écrire dans le style propre et les pre47. Démétrios, Du style (texte établi et traduit par P. Chiron), Paris, 1993, p. 63 (§ 223-224). Visiblement, Artémon a développé lui aussi une théorie épistolaire, dont la seule trace connue serait cette remarque initiale, mise ici en exergue (en italiques) dans cette traduction. 48. 16,37. 49.  2,4,1 ; 4,13,1 ; 12,30,1 ; 16,16,2. 50.  8,14,1 ; 9,4,1 ; 9,10,1 ; 12,53. 51.  Institution oratoire IX,4,19-20.

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naient régulièrement à partie à ce sujet. Le sophiste Philostrate de Lemnos a consacré un petit ouvrage à l’art d’écrire une lettre, lequel petit traité a connu une large diffusion comme l’atteste à la fois la Lettre à Nicobule de Grégoire de Nazianze (Lettre 51) et le manuel d’art épistolaire attribué à Libanius ou à Proclus, selon d’autres hypothèses. Julius Victor (IVe siècle) se trouve être le premier rhétoricien connu à avoir cherché à ouvertement connecter l’art épistolaire à celui de la rhétorique, et ceci en joignant à la fin de son manuel de rhétorique deux appendices, l’un consacré à l’art de faire des sermons, l’autre à l’art de rédiger des lettres. Dans ces derniers, il déploie ses conseils à l’aide d’outils puisés dans son arsenal rhétorique 52 . Les pratiques épistolaires ne se trouvent être codifiées en tant que telles que tardivement, comme l’attestent les deux manuels connus qui leur sont entièrement consacrés. Mais ceux-ci n’attestent pas pour autant de l’intégration partielle ou totale de l’art épistolaire à la technique rhétorique. Le premier de ces traités est le Τύποι  Ἐπιστολικοί, lui aussi faussement attribué à Démétrios de Phalère et le deuxième est le traité intitulé Ἐπιστολιμαῖοι Χαρακτῆρες, attribué alternativement à Libanios ou à Proclus, selon l’une ou l’autre des deux traditions manuscrites 53. Les Τύποι  Ἐπιστολικοί sont difficiles à dater avec certitude. Les hypothèses de datation oscillent entre les années 200 avant notre ère et 300 de notre ère, en ce qui concerne le texte dans la forme que nous connaissons. Ce dernier fait état de 21 types de lettres et illustre chacune d’entre elles par un exemple type. Ce manuel a pour but de plaider pour le style approprié à chaque circonstance et de conseiller le ton approprié à adopter en conséquence. Bien que ce manuel témoigne d’un souci pour la rhétorique, sa première ambition est de fournir des recommandations appropriées pour une pratique adéquate de l’art épistolaire. Ce manuel proviendrait d’Égypte. Les nombreux parallèles qu’on peut identifier entre les modèles épistolaires qui y sont avancés et les lettres égyptiennes écrites sur papyrus tendraient à le confirmer. Le papyrus bilingue de Bologne, lequel comprend onze exemples de lettres rédigées en grec et en latin, et ceci sans fournir d’introduction à chaque type de lettre, contrairement aux Τύποι Ἐπιστολικοί, témoigne de la popularité des manuels scolaires d’art épistolaire 54 . Il s’agit visiblement 52. Julius Victor, L’art rhétorique, traduit et annoté par P. Fleury, suivi de Pseudo-Augustin, Sur la rhétorique, traduit et annoté par J. Aubin, Paris, 2016. 53.  Texte grec et traduction anglaise dans A. J. M alherbe, Ancient Epistolary Theorists, Atlanta, 1988, p. 30-41 (Τύποι Ἐπιστολικοί) et p. 66-81 (Ἐπιστολιμαῖοι Χαρακτῆρες) ; traduction française dans Lettres en toutes circonstances. Les traités du Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère (Introduction, traduction et commentaire par P.-L. M alosse), Paris, 2004. 54.  O. Montevecchi (éd.). Papyri Bononienses (Volume 1), Milan, 1953.

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d’un cahier d’exercices d’un étudiant s’exerçant à l’art épistolaire à partir d’exemples de lettres type, et pas vraiment d’un manuel en tant que tel. Quant au traité Ἐπιστολιμαῖοι Χαρακτῆρες, il est lui aussi difficile à dater avec précision. Les hypothèses oscillent entre le IVe et le VIe siècle de notre ère. Les deux traditions manuscrites dont on dispose ne dépendraient pas l’une de l’autre, mais d’un archétype commun, produit par ni l’un ni l’autre de ces deux auteurs. La tradition attribuant le traité à Libanius semble mieux attestée et la plus proche de la version originale. Il déploie lui aussi des considérations théoriques assorties d’exemples de lettres type. Le deuxième de ces traités est bien différent du premier, ce qui semble exclure toute dépendance directe entre les deux. Les Ἐπιστολιμαῖοι Χαρακτῆρες commencent par donner une définition de la lettre (§ 1-3), font ensuite état de 41 types de lettre (§ 4) et définissent chacun d’entre eux (§ 5-45). Ils délivrent ensuite des consignes de style (§ 46-51) et fournit un modèle à chacune des 41 types de lettres (§  52-93). Ils combinent deux types d’apports, les considérants théoriques et une collection des types de lettres. Ainsi, le traité de Libanios donne un écho des pratiques en vigueur depuis une période antérieure. Ces deux traités reflètent bien les types de lettres visiblement dominants à l’époque, le premier reflétant un degré inférieur de scolarité au second. À ce sujet, Abraham Malherbe nous rend attentif combien il est difficile d’identifier avec certitude la place réelle occupée par l’apprentissage de l’art épistolaire dans la formation scolaire, mais ce qui semble assuré, c’est que celle-ci comprenait des exercices d’écriture de lettres à partir de modèles 55. Ainsi, il semble acquis que la formation scolaire comprenait un enseignement sur les formes de lettres, se basant sur des exemples de lettres type. La plupart des lettres sur papyrus reflètent de manière assez homogène ce niveau d’éducation. Le fait que les caractéristiques de la lettre de base sont si bien attestées semble le confirmer largement. La plupart de ces lettres reflètent en effet tant le langage que l’exercice scolaire. En effet, la formation scolaire du niveau secondaire, donnée aux enfants de 11 à 15 ans par le grammaticus, comprenait notamment des exercices d’écriture de lettres 56. Quant aux manuels, il semble qu’ils étaient davantage destinés aux professionnels de l’art épistolaire, qui devaient se former à la pratique de la lettre officielle. Et ceci même si dans les deux traités, il est surtout question de lettres privées, la lettre officielle s’étant développée à partir des modèles issus de la pratique courante de la lettre privée.

55.  A. J. M alherbe, Ancient Epistolary Theorists, Atlanta, 1988, p.  6-7. 56. H.-I. M arrou, Histoire de l ’éducation dans l ’Antiquité. 2 Le monde romain, Paris, 1948, p.  75-86.

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1.2.3 Remarques historiographiques

1.2.3.1 L’analyse du genre épistolaire dans le cadre de la démarche historienne « Le travail de l’historien ne se limite jamais à un tableau ou à un travail d’inventaire, mais se fonde sur une curiosité tous azimuts » 57. Pour l’historien, les lettres représentent une catégorie à part dans la recherche documentaire, suscitant tour à tour fascination ou méfiance. Quelle valeur documentaire peut-on accorder à un récit a priori personnel ? Jusqu’où celui-ci peut-il nourrir l’analyse de manière fiable ? Le rapport entre la narration et l’événement, qui en est la source, est complexe. Comment le désenchevêtrer ? Et de cette opération aussi risquée qu’aléatoire, que vat-il résulter ? Va‑t-elle produire des données informatives exploitables en vue de la production d’une connaissance historique renouvelée ? En toute bonne logique sémantique, on estime spontanément que les lettres relèvent avant tout de la littérature. Jusqu’où la littérature peut-elle alors renseigner et nourrir le travail de l’historien ? Il serait dommage, pour cette raison de principe, que l’historien restreigne sa curiosité en reléguant les lettres au rang de documents peu fiables et donc problématiques à exploiter. Pour légitimer la recherche historique, on convoque volontiers à cette occasion le principe fondateur de Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos (1898), selon lequel l’histoire est une connaissance par traces « que l’on appelle documents » 58. Selon Marc Bloch l’histoire est une « connaissance par traces » susceptible notamment de documenter les faits malgré eux : Pour premier caractère, la connaissance de tous les faits humains dans le passé, de la plupart d’entre eux, dans le présent, a d’être […] une connaissance par traces. Qu’il s’agisse des ossements murés dans les remparts de la Syrie, d’un mot dont la forme ou l’emploi révèle une coutume, du récit par le témoin d’une scène ancienne (ou récente), qu’entendons-nous par documents, sinon une « trace », c’est-à-dire la marque, perceptible aux sens, qu’a laissée un phénomène en lui-même impossible à saisir 59.

La large curiosité guidant la recherche historique ne peut pas se passer du potentiel offert par les traces, relayées volontairement ou involontairement, par la documentation de type épistolaire. D’une part, il y a une 57. P. Schöttler, « Annales », dans Historiographie I. Concepts et débats, sous la direction de C. Delacroix – F. Dosse – P. Garcia – N. Offenstadt, Paris, 2010, p. 34. 58. Comme le rappellent nombres de manuels de méthodologie, par exemple N.  Offenstadt, « Archives, documents, sources » dans Historiographie I. Concepts et débats, sous la direction de C. Delacroix – F. Dosse – P. Garcia – N. Offen­ stadt, Paris, 2010, p. 68. 59.  M.  Bloch, Apologie pour l ’histoire ou Métier d ’historien, Paris, 2012, p. 74.

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raison qu’on pourrait qualifier d’herméneutique : les lettres rapportent sur le mode de la confidence des éléments de conversation, de transmission d’informations, des regards sur la réalité – fussent-ils orientés ou plus ou moins neutres –, des récits, des éléments d’analyse, des données à conserver et/ou à réactualiser, des questions et des émotions, des synthèses… De ce point de vue, le fruit de la plume de l’épistolier ressemble en bien des points à celui de l’historien. D’autre part, il y a le volume et la diversité impressionnante de questions susceptibles d’être posées. Dans l’histoire de la littérature, les exemples ne manquent pas. Ainsi, dans une étude consacrée à l’analyse des lettres de Georges Sand pendant la révolution de 1848, Claudine Grossir interroge les lettres de cette « épistolière régulière et assidue » 60 que fut Georges Sand, en particulier au moment de cette année charnière : Comment l’écrivaine a-t-elle poursuivi la pratique de cet exercice durant cette année si riche en rebondissements ? Qui sont ses correspondants ? Avec quelle fréquence leur écrit-elle ? Quelle place accorde-t-elle au récit des événements, dont elle est témoin, et à son action personnelle, dans cette correspondance ? Quel rôle les lettres jouent-elles dans la constitution et l’enrichissement des réseaux si importants en cette période de conquête politique ? Comment l’écriture épistolaire, au-delà du simple témoignage, favorise-t-elle la constitution d’une réflexion d’ordre historique 61 ?

Cette batterie de questions donne déjà une bonne idée de la manière de faire parler la documentation de type épistolaire. Et ceci sur tous les niveaux qui nous intéressent ici : littéraire, pragmatique et historique. Arrivée au terme de son enquête, Claudine Grossir conclut que, avec pertinence, « au carrefour de la littérature et de l’histoire, la correspondance de Georges Sand crée un espace où s’historicise l’écriture littéraire, tandis que se renouvelle parallèlement l’investigation historique » 62 . Cet exemple, comme bien d’autres 63, confirme combien la distinction entre lettre intime (privée) et lettre publique (littéraire) doit être nuancée et relativisée. De nombreux cas de figure sont possibles, comme le montre le recours au mode de la confidence. Ce dernier peut être précisément utilisé aussi pour toucher et émouvoir personnellement un nombre infini de lecteurs au-delà du cercle précis des destinataires historiques d’une missive. 60. C. Grossir, « La révolution de 1848 au miroir de la correspondance de George Sand », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39  (2013), p.  69. 61. C. Grossir, « La révolution de 1848 au miroir de la correspondance de George Sand », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39  (2013), p.  69. 62. C. Grossir, « La révolution de 1848 au miroir de la correspondance de George Sand », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39  (2013), p.  81. 63.  Voir à ce sujet les études réunies dans le dossier « La lettre et l’histoire », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39  (2013), p.  9-153.

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Mais il peut relever de l’intimité la plus absolue de la lettre d’amour. La lettre privée, qu’elle soit de haute tenue littéraire ou au contraire serve à transmettre simplement une petite information liée à la vie quotidienne (ou relayer une question somme toute anodine) peut connaître un destin éditorial ultérieur à large échelle, assorti d’une postérité historique séculaire. Et des lettres à l’ambition littéraire universelle sont certainement tombées accidentellement (ou volontairement) aux oubliettes de l’histoire. Notre recherche combine deux niveaux, dont chacun articule des logiques qui lui sont propres et obéit à des règles méthodologiques spécifiques. L’étude des corpus épistolaires relève des règles et des méthodes de l’analyse littéraire et n’a pas, à priori, de vocation à contribuer à une meilleure connaissance des vérités et des réalités d’autrefois. Quant à l’histoire, elle peut questionner les matériaux épistolaires dans toutes sortes de directions, allant de l’intérêt au sujet des conditions matérielles permettant la pratique de la correspondance à la curiosité pour les témoignages de première main relatifs à des événements anciens. Dans un colloque récent consacré au thème de la présence de l’histoire dans l’épistolaire  6 4 , ce questionnement est structuré selon trois entrées : – La présence du passé dans l’épistolaire. – L’épistolier témoin de son temps. – L’épistolier et sa propre histoire. La distinction de ces trois niveaux permet de préciser les enjeux liés spécifiquement au traitement des sources épistolaires dans le cadre d’une démarche historienne. La célèbre formule de François Simiand reprise par Marc Bloch 65, l’histoire comme « une connaissance par traces », garde toute son actualité. Ainsi, cette distinction permet d’envisager finement les différents types de traces que les lettres dont nous avons hérité sont susceptibles de conserver. Premièrement, les traces relatives aux vérités et aux réalités d’une époque donnée, deuxièmement, les traces relatives à des événements précis, troisièmement, les traces relatives à l’épistolier, à son entourage et à celles des interlocuteurs de sa correspondance. Cette distinction des niveaux permet de préciser ce que le questionnement des sources épistolaires est susceptible de documenter. Mais on précisera d’emblée que des éléments relatifs à ces trois niveaux ne sont pas nécessairement explicitement présents dans le fil du texte. Ils sont intrinsèquement liés à un fil narratif, commandé par les impératifs de l’exercice pratique de la communication épistolaire. Comment délier les fils de cet 64. F. Guillaumont – P. L aurence (éd.), La présence de l ’histoire dans l ’épistolaire (Actes du VIIe colloque sur « L’épistolaire antique et ses prolongements européens », 24-26 novembre 2010 à l’Université François-Rabelais à Tours), Tours, 2012. 65. M. Bloch, Apologie pour l ’histoire ou Métier d ’historien, Paris, 2012, p. 71.

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écheveau épistolaire ? Et à plus forte raison des fils de plusieurs couleurs ? L’analyse des phénomènes épistolaires souligne combien le sous-entendu joue un rôle important. Le patrimoine de connaissances et d’informations, commun à l’épistolier et à ses destinataires, induit un mode de communication allusif. Ceci est certes évident dans le cas de la correspondance entre proches (famille et/ou amis), mais aussi dans la relation d’affaire ou diplomatique. Que peut faire l’historien de traces allusives ? Le risque de passer à côté d’un indice majeur et celui de sur-interpréter l’allusion à un événement demeure en permanence. Entre allusion ou témoignage involontaire, comment procéder pour nuancer les choses et ainsi se prévaloir de toute méprise ? Peut-on hiérarchiser les niveaux entre (1) une allusion explicite à un événement, comme dans le cas de Paul de Tarse, le récit de la fuite de Damas dans une corbeille 66, (2) une circonstance biographique particulière, comme l’expérience mystique de Paul sur le chemin de Damas 67 et (3) une allusion implicite, comme celles relatives aux thématiques de la lettre reçue de Corinthe 68 ? On peut poursuivre l’inventaire des cas de figure possibles, en mentionnant le sous-entendu, ou l’allusion involontaire. Ces trois exemples concrets tirés des lettres de Paul de Tarse sont-ils assimilables à ce que Marc Bloch entend par témoignages volontaires ? Trancher cette question en se contentant de spéculer sur les intentions de l’épistolier ne peut pas mener très loin. Nuancer les choses entre ce qui relèverait de l’ordre de l’intention réelle de l’épistolier et ce qui relèverait d’une intention accidentelle de l’épistolier témoin malgré lui, pour dire les choses dans le sillage de Marc Bloch 69 est une entreprise dans laquelle on n’est de loin pas sûr d’aboutir de manière non hasardeuse ! Toute la question est, d’une part, de savoir jusqu’où est susceptible de mener le questionnement d’un matériau narratif de type épistolaire et, d’autre part, d’être au clair quant aux méthodes et aux outils à utiliser pour pouvoir y parvenir de manière sûre. En effet, si on part du postulat selon lequel les sources – et en particulier les sources de type épistolaire – n’inventent pas tout, toute la question est de savoir où et comment opère la bascule entre vérité historique et invention. Quelles sont les interactions finement à l’œuvre dans ce champ de tension ? Peut-on les identifier ? Dit autrement, comment faire la part des choses, dans l’analyse d’une source de type littéraire, entre fiction et recherche active d’indications, afin de retrouver, autant que faire se peut, quelque chose de l’ordre de la banalité singulière du vécu de Paul de Tarse et de ses contemporains ? Ce postulat selon lequel les sources n’inventent pas tout prend en effet une dimension 66.  2 Co 11,32-33 et Ac 9,24-25. 67.  Ga 1,15-17 et Ac 9,3-6 ; 22,6-10 ; 26,13-18. 68.  « Περὶ δὲ ὧν ἐγράψατε » (1 Co 7,1). 69.  M.  Bloch, Apologie pour l ’histoire ou Métier d ’historien, Paris, 2012, p. 75.

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toute particulière dans le cas des pratiques épistolaires. La lettre, tant du point de vue rhétorique qu’historique est reçue avec une certaine suspicion. Genre mineur pour la première, document de seconde zone pour la deuxième. Du point de vue des sciences de la littérature, Geneviève Haroche‑Bouzinac constate le même genre de réserve : « genre dans les limbes de l’imperfection », genre « en-dessous de la littérature », « antichambre » de la création, etc. 70. Ce malaise se trouve être confirmé par le fait que parmi les manuels consacrés aux genres littéraires, certains n’abordent tout simplement pas la question épistolaire 71. Mais force est de constater que la lettre, de par le fait de ses déclinaisons en un nombre presque infini de genres, résiste de facto à toute tentative de classement exhaustif. Les manuels épistolaires scolaires antiques précisent que ces genres ne doivent pas être suivis servilement, mais sont à combiner avec finesse et inventivité en fonction de l’objectif de la lettre 72 . La lettre a bien pour but de faire passer quelque chose et est donc éminemment rhétorique dans ce sens. Et pour l’historien, les lettres représentent une source d’un intérêt non négligeable. Elles offrent un effet un regard sur la réalité, un regard orienté par l’intention épistolaire, mais un regard tout de même. Et le travail de l’historien se nourrit de tous les indices susceptibles de permettre d’entrevoir la réalité. Aujourd’hui, pour l’historien, « tout est document » 73, tout matériau, littéraire et/ou matériel peut – et par conséquent doit – retenir son attention. D’un point de vue méthodologique, l’analyse d’une source épistolaire ne peut faire l’économie de la question des critères de sa fiabilité. Pour évaluer cette fiabilité, la question toute simple de Paul Veyne au sujet de la critique historique garde toute sa pertinence : « la critique historique a pour seule fonction de répondre à la question suivante que lui pose l’historien : je considère que ce document m’apprend ceci ; puis-je lui faire confiance là-dessus 74 ? ». Comment puis-je faire confiance à l’épistolier qui fait allusion, explicitement ou implicitement, à un événement, à une donnée biographique ou à une donnée relevant de l’état d’esprit d’une époque, si on ose dire les choses ainsi ? L’établissement de cette confiance passe nécessairement par un travail d’objectivation du potentiel documentaire, dans notre cas, des sources épistolaires. Dit autrement, elle pose de manière particulière la question de la distinction méthodologique entre source et 70. G. H aroche-Bouzinac, L’épistolaire, Paris, 2002, p.  8-9. 71. G. H aroche-Bouzinac , L’épistolaire, Paris, 2002, p.  9. 72. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 183-221 ; A. J. M alherbe, Ancient Epistolary Theorists, Atlanta, 1988. 73. N. Offenstadt, « Archives, documents, sources », dans Historiographie I. Concepts et débats, C. Delacroix – F. Dosse – P. Garcia – N. Offenstadt (éd.), Paris, 2010, p. 72. 74. P. Veyne, Comment on écrit l ’histoire, Paris, 2011, p. 24.

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document dans le cadre de la critique historique. Dans leur célèbre Introduction aux études historiques, laquelle servit – c’était d’ailleurs bien là son intention – de Vulgate méthodologique durant une bonne partie du XXe siècle, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos commencent par poser le socle qui fera ainsi école, à savoir que l’histoire se fait avec des documents : L’histoire se fait avec des documents. Les documents sont les traces qu’ont laissées les pensées et les actes des hommes d’autrefois. Parmi les pensées et les actes des hommes, il en est très peu qui laissent des traces visibles, et ces traces, lorsqu’il s’en produit, sont rarement durables : il suffit d’un accident pour les effacer. Or, toute pensée et tout acte qui n’a pas laissé de traces, directes ou indirectes, ou dont les traces visibles ont disparu, est perdu pour l’histoire : c’est comme s’il n’avait jamais existé. Faute de documents, l’histoire d’immenses périodes du passé de l’humanité est à jamais inconnaissable. Car rien ne supplée aux documents : pas de documents, pas d’histoire 75.

Ici, c’est bien connu, il n’est pas fait de nuance entre sources et documents. Ces derniers sont directement compris comme des traces du passé. Mais les historiens vont nuancer les choses et préciser la méthode. Paul Veyne définit le document comme la trace matérielle d’un événement : « qu’il soit tesson ou biographie de tailleur, ce qu’on appelle une source ou un document est d’abord un événement, grand ou petit : on peut définir le document comme étant tout événement ayant laissé jusqu’à nous une trace matérielle » 76. Antoine Prost précise que c’est la question qui fonde l’objet historique, mais sans forcément faire systématiquement la nuance entre source et document. Ce sont les questions qui font les faits, et les faits qui font l’histoire : C’est la question qui construit l’objet historique, en procédant à un découpage original dans l’univers sans limites des faits et des documents possibles. Du point de vue épistémologique, elle remplit une fonction fondamentale, au sens étymologique du terme, puisque c’est elle qui fonde, qui constitue l’objet historique. En un certain sens, une histoire vaut ce que vaut sa question. D’où l’importance et la nécessité de poser la question de la question […] Avec la question de l’historien – et c’est pourquoi elle permet de construire les faits – il y a une idée des sources et des documents qui permettront de la résoudre, c’est-à-dire aussi une première idée de la façon dont on pourrait s’y prendre pour les traiter 77. 75. C.-V. L anglois et C. Seignobos, Introduction aux études historiques, Paris, 1992 (édition originale : Paris, 1898), p.  30. 76. P. Veyne, Comment on écrit l ’histoire, Paris, 2011, p. 73-74. 77. A. P rost, Douze leçons sur l ’histoire, Paris, 2010, p.  79-80.

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On peut faire l’histoire de tout, y compris donc des pratiques épistolaires. La question générale, à savoir celle qui sous-tend toutes les autres, est de se demander comment identifier et exploiter les traces des réalités et des vérités d’autrefois que les lettres antiques sont susceptibles de conserver. Paul Ricoeur lève toute ambiguïté entre source et document, qu’il n’est plus possible aujourd’hui de confondre. Les sources ne livrent a priori pas de témoignages directs, tels quels transplantables, sans autre forme de médiation, des temps anciens à aujourd’hui : Pris dans le faisceau des questions, le document ne cesse de s’éloigner du témoignage. Rien n’est en tant que tel document, même si tout résidu du passé est potentiellement trace. Pour l’historien, le document n’est pas simplement donné comme l’idée de trace pourrait le laisser suggérer. Il est cherché et trouvé. Bien plus, il est circonscrit, et en ce sens, constitué, institué document par le questionnement. Pour un historien tout peut devenir document […. Devient ainsi document tout ce qui peut être interrogé par un historien dans la pensée d’y trouver une information sur le passé 78.

Ainsi il convient de bien garder à l’esprit, du point de vue méthodologique, que la source est instituée document par le questionnement de l’historien. À ce sujet, une précision s’impose en ce qui concerne les sources en lien, de près ou de loin, avec l’épistolaire. La recherche, dans sa première évaluation des lettres antiques qui nous sont parvenues, part de la distinction entre lettres privées et lettres publiques. Parmi ces dernières, elle distingue les lettres écrites à des fins littéraires ou philosophiques, les lettres officielles (juridiques, administratives ou commerciales). L’importance des lettres privées est montée en puissance de par notamment les découvertes des lettres écrites sur papyrus trouvées en Égypte du XIXe siècle à nos jours. Lutz Doering, et d’autres chercheurs opèrent une distinction sémantique entre « documentary letters » et « literary letters » 79. Traduire en français la première catégorie par « lettres-documents » peut induire une certaine confusion, suite aux précisions apportées ci-dessus. L’intention de cette désignation nous paraît cependant claire : il s’agit des lettres qui nous sont parvenues fortuitement, que ce soit au gré des découvertes de l’archéologie ou à d’autres circonstances. Il peut s’agir de lettres isolées ou de petites collections de lettres, provenant par exemple d’archives familiales ou administratives. Il s’agit donc bien de sources écrites à disposition de la 78. P.  R icoeur, La mémoire, l ’histoire, l ’oubli, Paris, 2000, p. 226 (nous soulignons). 79.  « A distinction between documentary letters and those handed down in literary settings is certainly necessary », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 20.

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critique historique et non des documents résultant de cette dernière. Traduire documentary letters par lettres-sources ou plus finement par sources de nature épistolaire, quoique sémantiquement et méthodologiquement plus approprié, ne nous paraît que rendre imparfaitement compte de la nature spécifique de ces lettres aux yeux de l’historien par rapport aux lettres dites littéraires et/ou publiques. L’argument de la distinction entre documentary letters et literary letters repose sur les spécificités de leurs filières respectives de transmission. Nous avons affaire d’un côté à des lettres ou à des collections de lettres proprement dites – à savoir des actes singuliers de correspondance entre personnes réellement séparées –, lesquelles nous sont parvenues grâce à l’archéologie ou ont été découvertes fortuitement. De l’autre, nous avons affaire à des lettres relevant essentiellement, mais pas exclusivement, de la littérature ou de la philosophie et qui nous sont parvenues par le biais de traditions littéraires. Il s’agit du cas de transmission de corpus épistolaires ayant par exemple dûment fait l’objet d’éditions ou du travail d’un copiste. Il paraît donc plus adéquat d’envisager cette précision des spécificités propres de chacune de ces catégories de sources sous l’angle de la documentation disponible pour la recherche historienne et donc pour cette raison – et forts de ces précisions – l’option prise pour notre recherche est de traduire l’expression documentary letters par lettresdocuments.

1.2.3.2 La vérité épistolaire, à la croisée des chemins entre histoire et fiction Un enjeu à examiner particulièrement est celui de la nature de la vérité véhiculée dans le cadre des pratiques épistolaires. Sur cet enjeu, Raffaelle Morabito rend attentif au fait que la vérité déployée dans l’art épistolaire est avant tout une vérité assortie au registre de la narration et que la prétention à la vérité assortie à la narration obéit à une logique spécifique, car « dans le domaine de la narration, la vérité n’est pas la reproduction fidèle et “objective” des faits (ce que Le Tasse appelle des fantômes, “ fantasmi”), mais la représentation d’une réalité supérieure, la réalité de l’idée […]. C’est-à-dire que la narration a sa propre vérité, qui ne coïncide pas avec les faits de la réalité » 80. La lettre témoigne de près ou de loin du for intérieur de son auteur et de son regard sur la réalité. Et ce regard peut partir dans deux directions, antithétiques l’une de l’autre, à savoir soit prétendre au compte-rendu d’ordre journalistique, soit déployer une forme littéraire 81. Dans ce sens, on gardera présent à l’esprit le fait que la lettre littéraire constitue nolens volens elle aussi un événement et que 80. R. Morabito, « Histoire, fiction et vérité épistolaire », Epistolaire (Revue de l’AIRE) 28 (2002), p. 54. 81. B. Diaz - F. Simonet-Tenant, « La Lettre & l’Histoire », Epistolaire (Revue de l’AIRE) 39 (2013), p.  14.

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l’instruction de l’historien ne constitue pas sa fonction première, comme le rappelle Jean Schneider : Il nous semble qu’il est à la fois moins frustrant et, même historiquement, plus honnête de prendre acte de ce qu’une lettre littéraire n’a pas pour fonction d’instruire les historiens, et d’accepter de jouer le jeu auquel nous convie l’épistolier, de jouir des trésors qu’auteurs et lecteurs ont voulu y mettre et y trouver 82 .

Cette considération nous apparaît comme particulièrement valable dans le cas des lettres de Paul. Celles-ci n’ont pas pour fonction première d’instruire l’histoire mais d’atteindre les objectifs pragmatiques que leur assigne le Tarsiote. Si les hommes ont envoyé des lettres dès qu’ils ont appris à écrire, cela donne à penser que le geste de rédiger et envoyer une lettre est « apparemment toujours le même » à travers les époques et on peut en dire qu’il en va de même en ce qui concerne le fait d’en recevoir une 83. Mais on rappellera combien il convient de se méfier des apparences qui traversent les siècles. Et à plus forte raison quand la question se pose de savoir si le document étudié est une lettre. En effet, quoi de plus banal aujourd’hui que d’écrire un mot, une lettre, un billet ou un courriel ? Le geste reste, dans le fond, toujours le même : communiquer quelque chose à quelqu’un qui n’est pas physiquement avec nous. La prudence méthodologique est de rigueur, comme le rappelle Raffaelle Morabito : En tous les cas ce qui paraît fondamental est de bien garder à l’esprit la délimitation historique. Il faut savoir, quand on parle de lettres, qu’on ne se réfère pas à un complexe indifférencié, mais qu’au cours des siècles qualité et fonction des lettres changent. Et lorsqu’on prononce le mot épistolarité, il faudrait bien se souvenir qu’il s’agit, pour ainsi dire, d’une « épistolarité restreinte » 84 .

Notre enquête sur les pratiques épistolaires antiques vise à contribuer à décloisonner l’étude des lettres conservées dans les recueils bibliques des ornières d’une analyse exclusivement centrée sur la question des genres littéraires. Pour ce faire, notre étude propose de se déplacer en amont (du côté des modèles et des pratiques) et en aval (du côté de la réception et des mises en pratique subséquentes) de la pratique épistolaire de Paul de Tarse. Cet effort, comme cette introduction le montre, ne peut faire l’économie d’une analyse pragmatique des pratiques épistolaires. Articuler la question du genre à celle des contingences et des discontinuités de l’his82. J. Schneider, « Avant-propos », dans J. Schneider (éd.), La lettre grécolatine. Un genre littéraire ? Lyon, 2014, p. 10-11. 83. R. Morabito, « Pratiques épistolaires et épistolarité restreinte », Orbis Litterarum 44 (1989), p.  191-203 (citations : p.  191). 84. R. Morabito, « Pratiques épistolaires et épistolarité restreinte », Orbis Litterarum 44 (1989), p.  200.

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toire passe par là. Ces écrits sont destinés à agir sur la vie de personnes ou de groupes sociologiquement constitués qui ne sont pas là en face de nous et, pour réussir cet acte de communication, un émetteur convoque les ressources de la pratique épistolaire. Et cet effort d’agir sur le destinataire, couplé au regard que l’émetteur pose à la fois sur lui et sur son action, a laissé des traces dans le texte. Avec cette enquête, notre propos est de contribuer à montrer combien il est important de ne pas se limiter à l’idée selon laquelle l’épistolarité – fut-elle « restreinte » – relèverait d’un principe général traversant les siècles. Il s’agit de chercher inlassablement ce que pouvait bien signifier, à l’époque, d’une part le fait d’écrire une lettre et d’autre part, celui de recevoir une lettre. Il s’agit ensuite d’en repérer les discontinuités, justement au-delà de l’illusion de continuité que peut donner précisément une notion comme celle de l’épistolarité restreinte. Ainsi, notre propos est de contribuer à la question de l’exploration du potentiel documentaire des lettres, dans l’esprit des propos des Goncourt rapportés par Brigitte Diaz et Françoise Simonet-Tenant, eux qui nuancent finement ce que l’historien peut trouver au sujet de l’existence privée des épistoliers : Ego-document, mais aussi trace mémorielle de l’histoire en marche, la lettre se voit créditée, en tant qu’archive, d’une vertu quasi heuristique. C’est ainsi que les Goncourt, romanciers-historiens, vont chercher dans les correspondances l’outil d’investigation et d’analyse qui permet de sonder en profondeur les existences privées dans leur rapport à l’Histoire : « Miroir magnifique où se passent l’intention visible, et la pensée nue ! Ce papier taché d’encre, c’est le greffe où est déposée l’âme humaine. […]. Quelle résurrection – la lettre autographe – ce silence qui dit tout ! » 85.

1.2.4 Bilan Ces considérations méthodologiques révèlent combien l’analyse de la lettre va de pair avec celle de l’action de sa lecture. Le lecteur moderne d’une lettre antique doit faire un choix. Va-t-il lire cette lettre naturellement, comme s’il se mettait dans la peau du ou des destinataires historiques ? Va-t-il ainsi essayer de se mettre dans la peau d’un Corinthien des années 50-60 de notre ère ? Ou au contraire va-t-il simplement pratiquer la lecture par-dessus l’épaule ? Dans ce dernier cas de figure, les motivations peuvent être diverses et variées, entre curiosité historienne questionnant des sources ou motivation spirituelle cherchant matière à l’édification, la sienne propre ou celle de son entourage. La lettre offre indéniablement un concentré de l’ordre des vérités et des réalités propres à son auteur. Mais 85. B. Diaz – F. Simonet-Tenant, « La Lettre & l’Histoire », Épistolaire (Revue de l’AIRE) 39 (2013), p.  10. La citation des Goncourt provient de Edmond et de Jules de Goncourt (Préfaces et manifestes, Paris – Genève, 1980, p.  164-165).

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ce concentré fonctionne sur le mode de la communication implicite ou du sous-entendu, car il relève en effet du patrimoine commun entre l’épistolier et son lecteur. Pour l’écriture de l’histoire, ce concentré représente un accès privilégié au monde de l’épistolier, mais cet accès exige une prudence méthodologique. Le sous-entendu ne doit être ni surévalué, ni sous-évalué, sur l’autel de l’argument du silence. Il offre une porte entrouverte dans laquelle il peut mettre le pied et forcer légèrement plus l’entrebâillement. La recherche théologique bénéficie elle aussi d’un accès analogue au monde de l’épistolier, plus précisément au monde de ses vérités. Elle peut elle aussi rêver de forcer cet entrebâillement et découvrir quelques parcelles inédites de regards sur les vérités de jadis. Par ce questionnement, les sources épistolaires peuvent devenir des documents féconds nourrissant la recherche, de part et d’autre. L’épistolaire charge l’action de communication d’une haute valeur ajoutée du point de vue pragmatique. Toute lettre cherche à produire de l’effet sur son destinataire et à mobiliser activement sa collaboration : conseiller, exhorter, blâmer, remercier, entretenir l’amitié, etc. Pragmatiquement, il y a toujours quelque chose qui est visé, entre entretenir le lien et espérer une réponse pour que la flamme de la correspondance ne s’éteigne pas. L’enquête sur les réalités et les vérités du monde de l’épistolier et celui de son ou de ses destinataires a fort à gagner à s’intéresser à la stratégie pragmatique déployée dans le texte et à considérer la posture d’autorité qui lui est intrinsèquement liée. En opérant de la sorte, l’épistolier dévoile un peu plus de lui-même. Il convient maintenant de se tourner vers les postures d’épistolier qui étaient à l’œuvre dans l’univers de Paul de Tarse, en particulier dans le patrimoine scripturaire du peuple d’Israël et dans le monde des communautés judéennes en situation de Diaspora et de lire, par-dessus leur épaule, ce qu’ils nous ont légué. 1.3 É tat

de l a qu e s t ion

1.3.1 Remarques introductives À travers les siècles, la recherche sur les lettres de Paul de Tarse s’est focalisée essentiellement sur sa doctrine théologique 86. Envisageant les lettres comme des traités religieux, l’effort a ainsi naturellement porté prioritairement sur l’analyse des systèmes de pensée ainsi déployés au fil

86. Cette affirmation initiale est évidemment à nuancer. L’intérêt pour une approche rhétorique des lettres de Paul remonte évidemment bien plus loin, à savoir déjà chez certains Pères de l’Église, puis notamment au temps de la Réforme du XVIe siècle.

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du texte 87. Et cela a rétrospectivement valu à Paul, selon le mot célèbre de Rudolf Bultmann, d’acquérir le statut de fondateur de la théologie chrétienne 88. Ainsi, la recherche s’est d’abord employée à reconstituer le système de pensée déployé par Paul. Elle en a analysé les principales facettes théologiques (christologie, anthropologie, sotériologie, ecclésiologie, etc.) et leurs corrélats éthiques pour l’existence croyante, individuelle, et pour la vie communautaire. Puis elle s’est tournée vers la reconstitution de la vie du Tarsiote, et ceci à partir des données factuelles présentes dans les lettres réputées authentiques, tout en tenant plus ou moins compte de ce dont témoignent les sources secondaires, à savoir les Actes des Apôtres, les lettres deutéro-pauliniennes (Colossiens, Éphésiens et 2 Thessaloniciens) les lettres trito-pauliniennes (les Lettres pastorales : 1 et 2 Timothée et Tite) et la littérature apocryphe 89. Aujourd’hui, la recherche s’est diversifiée et de nombreux chantiers sont ouverts. Si par le passé on s’est intéressé au missionnaire itinérant dans l’Empire romain, au Judéen issu des milieux pharisiens, au Judéen de la Diaspora qui est aussi citoyen romain, à l’intellectuel au bénéfice d’une solide formation à la rhétorique antique, à l’épistolier ou à son recours à des secrétaires, aujourd’hui, les chantiers ouverts dans le sillage de la « perspective radicale nouvelle » 90 visent à déconstruire les images classiques de Paul. On notera ainsi une relecture de Paul par des philosophes athées (Giorgio Agamben, Alain Badiou et Slavoj Zizek), une relecture dans une perspective postcoloniale (Neil Elliott), une relecture féministe (Kathy Ehrensperger), une relecture multidisciplinaire (Davina C. Lopez) 91. Pour orienter notre histoire de la recherche, on partira de l’observation de François Vouga selon laquelle « nous sommes assis sur les épaules de

87.  A propos de l’hypothèse de la Lettre aux Romains comme testament spirituel de Paul, voir M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009,  p.  3-4 (note 5). 88.  F. W. Horn, « Vorwort », dans F. W. Horn (éd.), Paulus Handbuch, Tübingen, 2013, p. V. 89.  Nous suivons ici les définitions de J.-N. A letti – M. Gibert – J.-L.  Ska – S.  de Vulpillières, Vocabulaire raisonné de l ’exégèse biblique. Les mots, les approches, les auteurs, Paris, 2008, p. 102-104. Les lettres authentiques sont désignées comme « protopauliniennes ». 90.  S.  Butticaz, «  Vers une anthropologie universelle  ? La crise galate  : fragile gestion de l’ethnicité juive », New Testament Studies 2015 (61/4), p. 507. Cette recherche se caractérise par un recours aux « catégories ethniques propres au judaïsme » avec lesquelles il convient d’évaluer le christianisme naissant et, en particulier, l’effort de Paul de « conférer aux païens un nouveau statut socioreligieux (destiné ainsi à lever) leur altérité face au Dieu d’Israël » (p. 507). 91.  Voir M.  Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  195-224 (chapitre 7 : « Breaking Boundaries »).

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géants et nous voyons plus loin qu’eux » 92 . Les deux géants qui ont marqué l’interprétation de la vie et de l’œuvre de Paul de Tarse auxquels il est fait allusion ici sont Ferdinand Christian Baur (1792-1860) et Rudolf Bultmann (1884-1976). On doit au premier le fait d’avoir initié, dans le sillage de la philosophie historique développée par Georg Friedrich Wilhelm  Hegel (1770-1831), l’école dite de Tübingen, et son œuvre pionnière en faveur d’une approche résolument historico-critique des textes bibliques. Son père fondateur a établi la nécessité de situer le Nouveau Testament dans son contexte historique. Toute sa vie académique a été consacrée à ce programme, cherchant à mettre en évidence la place du christianisme dans le contexte général des religions antiques. Ses travaux ont porté sur les textes et les dogmes, leur histoire et leurs contenus. F. C. Baur doit notamment son intérêt pour une lecture critique des données littéraires néotestamentaires aux radicales remises en question de son ancien élève David Friedrich Strauss (1808-1874), en particulier celles de sa Vie de Jésus, écrite à l’âge de 27 ans et laquelle fit l’effet d’une bombe dans les milieux d’Église et à l’Université. Cette œuvre, dont la visée était de dépouiller les récits des Évangiles de tous les substrats mythologiques, passe à la moulinette de la critique historique toutes les informations considérées jusqu’ici comme historiquement fiables. Ainsi, pour D. F. Strauss, démythifier radicalement les récits des Évangiles lui vaudra de sévères ennuis, et ceci dès la parution de sa Vie de Jésus. Sa carrière universitaire à peine entamée, D. F. Strauss sera écarté de l’enseignement académique, car sa relecture historique critique de la vie de Jésus, séparant complètement le Jésus de l’histoire du Jésus de la foi, sera considérée comme nuisible à la foi chrétienne. Il occupera la suite de sa vie à enseigner dans les lycées et à écrire des ouvrages consacrés à la littérature et à la philosophie. Dans le sillage de D. F. Strauss, F. C. Baur va s’employer dans cette œuvre importante, à dresser un portrait historique de Paul en cherchant à investiguer historiquement sa vie et son œuvre littéraire. Selon lui, l’histoire du christianisme doit être découpée en trois périodes : une première allant des débuts du christianisme jusqu’à l’an 70, puis une deuxième jusqu’aux premières décennies du IIe siècle, et enfin une troisième jusqu’à la fin du IIe siècle. Son analyse historique l’amène à conclure que la première est marquée par l’émergence de deux mouvements antithétiques, témoignant de deux visions opposées du christianisme. Il y a d’une part un mouvement conservateur, autour de la figure de Pierre et d’autre part un mouvement progressiste, autour de la figure de Paul. Celui de Pierre reste centré sur ses origines judéennes et celui de Paul s’est ouvert à la nouveauté et au changement. Dans la deuxième période, judéo-christianisme et christianisme paulinien vont s’employer à chercher à se rapprocher, puis 92.  F.  Vouga, « Le corpus paulinien » dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 161.

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dans la troisième à s’accommoder. Quant à Rudolph Bultmann, dans le sillage de l’existentialisme développé par Søren Kierkegaard (1813-1855) et de la phénoménologie fondée par Edmund  Husserl (1859-1938), on lui doit une réinterprétation d’ensemble de la pensée paulinienne, définie comme une théologie de la compréhension de l’homme placé devant Dieu, et par conséquent appelé à se mouvoir et à se déterminer entre puissance du péché et liberté de choix que confère la puissance divine. Ainsi juchés sur les épaules de ces deux géants, nous retenons que l’investigation historique visant à thématiser le geste épistolaire paulinien dans son contexte antique et la compréhension de sa pensée théologique, avec tout son potentiel existentiel actuel pour tout lecteur des lettres par-dessus l’épaule des Corinthiens, sont des démarches épistémologiques distinctes qu’il convient de ne pas confondre, mais certes non sans interactions l’une avec l’autre. S’il s’agit d’être vigilants quant à ces interactions, il convient aussi de profiter de leur effet dynamique et des éclairages susceptibles de surgir mutuellement. Nous pouvons ainsi cerner avec plus de précision les deux pôles entre lesquels se déploie notre recherche. Il y a, d’une part, celui relatif à l’intérêt pour le contexte historique dont les lettres conservent la trace et, d’autre part, celui relatif au message et au type de relation induite en tant que telle par le médium épistolaire, avec toute la dimension existentielle intrinsèquement véhiculée, et ceci explicitement ou implicitement. Notre état de la recherche sur les pratiques épistolaires de Paul de Tarse va passer en revue les principales étapes de l’histoire de la recherche, du XIXe siècle à nos jours, dans le but de repérer les changements de paradigme concernant la manière d’envisager la pratique épistolaire paulinienne en tant que telle. Ce parcours historique nous amènera notamment à faire une série de remarques par rapport aux deux dossiers majeurs de la recherche actuelle, qui font l’objet d’intenses débats, celui de la relation de Paul avec la rhétorique 93 et celui de la relation de Paul avec le judaïsme 94 . L’analyse de la question des origines du christianisme a connu des développements récents importants, suite en particulier aux travaux sur la « séparation des voies » (Parting of the ways) 95. La manière de com93.  Voir le bilan dressé par Peter L ampe (éd.), « Rhetorical Analysis of Pauline Texts – Quo Vadit ? » dans J. P. Sampley – P. L ampe, Paul and Rhetoric, New York – Londres, 2010, p. 3-21 ; cf. également le bilan dressé par M. Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth/UK, 2013, p. 1-40, dans lequel sont évaluées, d’une part, la question des rapports entre analyse rhétorique et lecture des lettres de Paul et, d’autre part, celle du rapport entre oralité et littéracie. 94.  Voir le bilan dressé par S.  Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 2014 (94/3), p. 253-273. 95.  Pour un état récent et très complet de la situation, voir le bilan de Steeve  Bélanger, « Judéens et chrétiens : “rupture”, “séparation”, “distanciation”.

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prendre la juste nature de la rupture par rapport à son identité d’origine, induite par l’expérience de Paul sur le chemin de Damas, a radicalement changé. On ne peut plus aujourd’hui envisager Paul comme le fondateur du christianisme et, par voie de conséquence, on ne peut plus résoudre la question de la séparation du judaïsme et du christianisme comme le fruit d’une innovation à imputer au génie personnel – divinement inspiré – de l’apôtre des Nations. En ce qui concerne notre enquête, ces acquis de la recherche permettent de situer avec plus de précision le caractère originel du contexte des pratiques épistolaires judéennes. Le geste épistolaire paulinien ne représente pas la pierre angulaire de l’Église chrétienne naissante en train d’entamer une procédure de séparation d’avec le judaïsme. Le genre de la lettre paulinienne, contrairement à ce que l’important essor du genre de la lettre apostolique, dès la génération suivante puis à travers les siècles, aurait tendance à largement induire, n’atteste en aucune façon d’un acte de fondation de la nouvelle religion chrétienne. Le Tarsiote baigne intellectuellement totalement dans un univers judéen parlant le grec. Ses lettres le confirment à l’envi. La recherche consacrée aux relations entre Paul et la rhétorique antique a connu un développement exponentiel depuis les années 1980, suite à l’émergence de la critique rhétorique des textes bibliques. Ce développement ne faiblit pas aujourd’hui. Cette méthode d’analyse des textes a amené à considérer plus finement les liens entre Paul et la culture hellénistique et, plus largement, entre le christianisme et cette dernière. On fera remarquer combien l’analyse de la manière dont Paul s’adonne, au fil de son argumentation, à l’art de convaincre révèle aussi une intention pragmatique. Cela sera l’occasion de clarifier les interactions entre rhétorique et pragmatique dans le cadre de la pratique d’une communication par lettres. Un accent particulier sera porté sur les différentes typologies des genres de lettres, avec une attention particulière sur les éclairages qu’elles sont Évolution d’un paradigme interprétatif de la recherche sur la “croisée des chemins” entre le “judaïsme” et le “christianisme” anciens », Laval théologique et philosophique 70/3 (2014), p. 425-448, lequel met en évidence que nous avons affaire plus à un phénomène progressif de distanciation que de séparation : « les nouvelles orientations et les nombreux acquis de la recherche actuelle sur le “judaïsme” et le “christianisme” anciens de même que sur les processus de construction identitaire dans l’Antiquité ont permis de mettre en lumière une série d’éléments interreliés permettant de mieux saisir le processus de “distanciation” entre les deux entités religieuses issues d’une tradition ethno-religieuse communément partagée » (p. 447). Voir les précisions de S. C. M imouni dans « Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur le judaïsme et le christianisme de l’Antiquité classique et tardive », Laval théologique et philosophique 70/3 (2014), p. 413-423 et dans « Le “judaïsme sacerdotal et synagogal” en Palestine et en Diaspora entre le IIe siècle et le IVe siècle : propositions pour un nouveau concept », Académie des Inscriptions et belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l ’année 2015 (janvier-mars), Paris, 2015, p. 113-147.

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susceptibles d’apporter au dossier des pratiques épistolaires des premiers écrivains chrétiens telles que conservées dans le Nouveau Testament. Une piste particulièrement féconde relève de la question du degré d’officialité déployé par les lettres, en particulier à la suite de l’hypothèse du genre de la lettre dite quasi-officielle développée par Martin Luther Stirewalt 96 et reprise par Lutz Doering, pour analyser l’utilisation pragmatique, spécifiquement faite par Paul du médium épistolaire, pour tisser et renforcer un réseau communautaire 97. Par degré d’officialité, on entend le principe d’une pondération entre lettres totalement privées et lettres officielles, comme les lettres administratives, juridiques ou commerciales. Les lettres de Paul se situent clairement à l’entre deux. Elles ne sont ni des lettres privées, d’individus à individus, ni des lettres qu’on peut qualifier d’officielles, au titre de lettres produites dans le cadre de l’administration publique. Les assemblées fondées par le Tarsiote se réunissaient en privé, dans les maisons des protecteurs de la communauté. Ces lettres étaient destinées à des collectivités constituées, mais ne concernaient que le domaine privé. Elles utilisaient le ressort de la lettre officielle, mais à des fins qu’on peut qualifier de strictement privées. Selon Stirewalt ces données et ces contraintes expliquent bien la spécificité de la lettre apostolique paulinienne : The logistics for the preparation, dispatch and reception of letters define the context and identify the genre of the document. They also influence the writer’s method of composition […]. Beyond logistics, Paul adapted the official epistolary form and function in order to create an apostolic letter for preserving and administering the congregations, for their instruction and liturgical development, and for maintaining personal relationships and corporate consciousness 98.

L’hypothèse du genre de la lettre quasi-officielle a ceci de fécond qu’elle permet de nuancer le clivage induit par la fameuse distinction opérée par Deissmann entre lettre (privée) et épître (littéraire) et de rendre compte de manière plus précise du phénomène épistolaire paulinien 99. Notre passage en revue des théoriques épistolaires antiques a montré combien, pour les Anciens, la lettre était considérée comme un outil souple, requérant avant tout la créativité et le bon sens de la part de l’épistolier. Ainsi, in fine, c’est bien l’objectif pragmatique qui commande dans les pratiques épistolaires. 96.  M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 25-55. 97.  L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 383-406 (en particulier la section 2.1 : « The Use of Letters in the Maintenance of a Network of Communities », p.  383-393). 98.  M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, 2003 p. 24. 99.  Voir notre section 3.2 : « La pragmatique de la communication épistolaire paulinienne ».

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Nous aurons l’occasion d’y revenir, notamment en ce qui concerne la question des lettres de recommandation 100. 1.3.2 Les principales phases de l’histoire de la recherche sur les pratiques épistolaires pauliniennes

1.3.2.1 Introduction Pour baliser notre état de la recherche consacrée à l’art épistolaire antique, nous nous inspirons d’une observation de Lutz Doering lequel, pour nuancer les tendances entre monde gréco-romain et monde judéen, parle de préférence pour « Athènes » au détriment de « Jérusalem » 101. À la suite de ce constat, nous pouvons, pour évoquer les différentes phases de la recherche, parler (1) de Rome et Athènes pour qualifier la recherche depuis l’émergence de l’analyse historico-critique des textes bibliques jusqu’au XIXe siècle, au moment des découvertes de papyrus dans les sables d’Égypte. Durant cette longue période, on analysait généralement les lettres conservées dans le Nouveau Testament à la lumière de celles écrites par les auteurs antiques célèbres, comme Épicure, Sénèque, Horace, Cicéron ou Pline le Jeune ; (2) de l’Égypte pour marquer le tournant opéré par la recherche suite à l’apport documentaire novateur qu’ont constitué les découvertes de centaines de lettres privées en Égypte et l’exploitation pionnière qu’en fit Adolf Deissmann pour réévaluer la réalité des lettres du christianisme primitif, en particulier celles du Nouveau Testament ; (3) d’Athènes et non pas de Jérusalem pour évoquer l’essor majeur de la recherche au XXe siècle, essor qui ne faiblit pas encore aujourd’hui, et enfin (4) de Jérusalem pour évoquer le pan de la recherche qui s’est intéressée à analyser les lettres du christianisme primitif à la lumière des pratiques épistolaires judéennes antiques. Cette phase a connu tout récemment un élan nouveau grâce à l’analyse, tendant à l’exhaustivité, de tout le matériel documentaire disponible réalisé par Lutz Doering 102 . Celle-ci s’appuie en particulier sur l’inventaire des lettres de l’Antiquité réalisé par Hans‑Josef Klauck 103, qu’elle étoffe et complète. Ce sont ces deux contributions majeures à la recherche récente qui vont nous guider en priorité dans notre état de la recherche, lequel détaille essentiellement les deuxième, troisième et quatrième phases. 100.  Voir notre section 3.2.7 : « La pratique de la recommandation par lettre ». 101.  « It is clearly “Athens” and not “Jerusalem” that has been dominant in the study of early Christian epistolography », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 2-3. 102. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012. 103. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006.

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1.3.2.2 Première phase : « Rome et Athènes » Des origines à nos jours, la recherche sur la vie et l’œuvre de Paul de Tarse est essentiellement marquée par la question de son rapport au judaïsme. L’analyse de la dimension épistolaire de ses écrits collectés dans le Nouveau Testament n’a retenu par conséquent que peu d’attention. Cette question traverse les siècles et ce n’est qu’au tournant du XXIe siècle qu’elle a été reprise sous un autre angle, selon lequel Paul serait en fait resté dans le judaïsme 104 . Il n’aurait eu ni la conscience, ni l’ambition de créer une nouvelle religion. Il aurait continué d’observer la Loi jusqu’à la fin de sa vie, mais sans l’imposer aux nouveaux convertis. Le vrai problème de Paul aurait été la question du salut des non-Judéens, dit autrement la question de leur intégration sur le plan du salut universel, conformément à la parole de vocation d’Ésaïe relative à l’endurcissement d’Israël 105, et corollairement celle de la gestion de la résistance des Judéens comme en témoignerait le récit des discussions de Paul rapporté dans les Actes des Apôtres. Ce dernier, en résidence surveillée à Rome, invite les notables judéens locaux (τῶν Ἰουδαίων πρώτους 106) à venir s’expliquer sur son mouvement (τῆς αἱρέσεως ταύτης 107) et le récit en donne le compte-rendu suivant : « dans sa présentation, Paul rendait témoignage au Règne de Dieu (ἐξετίθετο διαμαρτυρόμενος τὴν βασιλείαν τοῦ θεοῦ) et, du matin au soir, il s’efforça de les convaincre (πείθων τε αὐτοὺς), en parlant de Jésus à partir de la loi de Moïse et des Prophètes. Les uns se laissaient convaincre, les autres n’y croyaient pas » 108. Mais cela n’a pas été une affaire de tout repos pour Paul, dont on aurait conservé le souvenir que même au soir de sa vie, il n’aurait pas renié son rapport au judaïsme : « en réalité, c’est à cause de l’espérance d’Israël (τῆς ἐλπίδος τοῦ Ἰσραὴλ) que je porte ces chaînes » 109. 104. Le judaïsme est à comprendre comme un code destiné à régler la vie sociale et les pratiques rituelles qui lui sont liées, découlant des lois ancestrales des judéens, et non pas – anachroniquement – comme un système doctrinal, voire une orthodoxie. Voir à ce sujet les précisions de S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 24-26. Voir également S. Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 2014 (94/3), p. 253-273. 105. Ac 28,25b-27 : « Paul n’ajouta qu’un mot : “comme elle est juste, cette parole de l’Esprit Saint qui a déclaré à vos pères par le prophète Ésaïe : Va trouver ce peuple et dis-lui : vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas ; vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple s’est épaissi, ils sont devenus durs d ’oreille, ils se sont bouché les yeux, pour ne pas voir de leurs yeux, ne pas entendre de leurs oreilles, ne pas comprendre avec leur cœur et pour ne pas se tourner vers Dieu. Et je les guérirais ?” » Es 6,9-10 (LXX). 106.  Ac 28,17. 107.  Ac 28,23. 108.  Ac 28,23-24. 109.  Ac 28,20.

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Le paradigme selon lequel Paul aurait fondé le christianisme et, de ce fait, abandonné le judaïsme, va se cristalliser sous la forme de la doctrine de la justification par la foi, en réaction et en opposition au judaïsme, compris comme restant centré sur la justification par les œuvres. Cette doctrine va connaître un nouvel essor avec Martin Luther (1483-1546), lors de la Réforme protestante du XVIe siècle et rester dominante jusqu’au XIXe siècle 110. Pour résumer comment on en est arrivé là 111, on rappellera qu’on doit à Tertullien, au début du IIIe siècle, une thématisation de la question des relations entre grâce et mérites et de celle de l’interaction des relations entre éléments humains et respectivement divins dans la théologie de la rédemption. On doit à Augustin (354-430), dans le cadre de sa controverse avec le moine Pélage 112 , l’élaboration de la doctrine dite de la double-prédestination. Pélage estimait que l’être humain pouvait librement choisir de mener une vie sans péché. Augustin, au contraire, estimait qu’en raison du péché originel, suite à la chute d’Adam, l’être humain ne pouvait que mener une existence sous l’horizon du péché et que seule une intervention divine extérieure pouvait l’en libérer. Selon cette conception, cette intervention pouvait ou ne pouvait pas avoir lieu, elle dépendait uniquement de la bonne volonté divine et l’homme n’y avait pas prise. De ce conflit va résulter une doctrine entre-deux (le semi-pélagianisme), combinant à la fois la doctrine augustinienne du péché originel et le libre arbitre de l’homme selon Pélage. Cette doctrine va connaître des fortunes diverses par la suite, mais grosso modo, on peut dire qu’elle a traversé tout le Moyen-Âge et a marqué en particulier la théologie du mérite et de la grâce du philosophe Guillaume d’Occam (vers 1285-1349). Martin Luther sera formé à la théologie occamienne. Ordonné prêtre, il va intensément en étudier la dogmatique dans le Couvent des Augustins d’Erfurt et c’est notamment contre celle-ci qu’il va réagir dans le cadre de sa réinterprétation radicale de la figure de Paul 113. 110.  « Traditionally, Christian faith has been constructed over and against Jewish works-righteousness. As a consequence, Paul has, from a Christian perspective, been seen as the main advocate of the “law-free” gospel. In the course of history, Judaism has become the dark background against which Christianity has been able to shine forth so much more brilliantly », M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  2 (c’est l’auteur qui souligne). 111. A partir de l’exposé concis de M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  58-67. 112.  Voir W. L öhr, Pélage et le pélagianisme, Paris, 2015. Voir en particulier le chapitre 4 « Qu’est-ce que le pélagianisme ? », p. 171-214. 113.  « In practice, however, Semipelagianism became the official position of the medieval church, and the Occamist doctrine of grace, which Luther turned against, was largely characterised by Semipelagian ideas. […] (Occam) reasoned in the same manner as Pelagius that a person was capable of loving God above all, as original sin has not destroyed his or her nature ; only sin of Adam was ascribed to the indi-

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Au XIXe siècle, la recherche s’efforce essentiellement d’analyser de manière comparative les lettres conservées dans le Nouveau Testament et les lettres du christianisme naissant à l’aide des collections de lettres issues de l’Antiquité. Cette dernière a légué de nombreux documents et certaines collections très importantes, comme celle de Cicéron, réunissant 931 lettres, réparties en 37 volumes, qui ont été publiées par son secrétaire Tiron et son ami Atticus 114 . Ainsi, à travers les siècles, la recherche sur les lettres de Paul est dominée par une tendance majoritaire, à savoir le renforcement du paradigme selon lequel Paul se serait séparé du judaïsme, plus précisément d’une forme de judaïsme rigoriste, figé sur la stricte obéissance à la Loi. Corollairement à cela, l’analyse de ses lettres a été motivée essentiellement par le souci de faire émerger la doctrine théologique de l’apôtre 115. Les lettres, en tant que telles, n’ont retenu que peu l’attention. Pourtant, il est raisonnable d’envisager que le souci pour une communication efficace n’est jamais très loin. Il suffit, par exemple, de penser aux traités et aux autres écrits consacrés au combat contre les mouvements réputés hérétiques. Mais il ne faut pas oublier que l’intérêt pour la rhétorique déployée par Paul, dans ses lettres, est bien attesté dans l’histoire de sa réception 116. Nous disposons de nombreux témoignages à ce sujet, remontant à l’époque patristique (Jean Chrysostome) et allant jusqu’à la Renaissance (Érasme) et à la Réforme du XVIe siècle (Melanchthon) 117. Le Siècle des Lumières et l’émergence d’une méthode de lecture critique de la Bible ont-ils conduit, en ce qui concerne les lettres, à s’interroger sur leur potentiel pragmatique en tant que lettres, au-delà de l’intention rhétorique générale de déployer des actions de communication dans le but de convaincre ? En ce qui concerne le Siècle des Lumières, on signalera les réflexions de Spinoza (1632-1677), qui attestent d’une sensibilité à la conscience de la dimension pragmatique de la communication épistolaire. vidual », M.  Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  59. 114. Voir C.  Salles, «  L’épistolographie hellénistique et romaine  », dans J.  Schlosser (éd.), Paul de Tarse, Paris, 1996, p.  87. 115.  Pour un survol général de l’histoire de l’exégèse biblique voir P. Guillemette – M. Brisebois, Introduction aux méthodes historico-critiques, Montréal, 1987. 116.  C’est l’objectif de notre chapitre cinq – consacré au repérage et à l’analyse des premiers jalons de l’histoire de la réception de l’autorité de Paul en tant qu’épistolier – de préciser cette question. 117.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p.  238-239. Berge poursuit en mentionnant (p.  239-251) le témoignage de Photios de Constantinople (820-891). Ce dernier, dans une lettre de sa riche correspondance, a réalisé « un exposé d’ensemble sur la présence de la rhétorique antique dans les épîtres pauliniennes » (p.  239), lequel n’a auparavant, selon Berge, jamais retenu l’attention de l’histoire de la recherche liée à la critique rhétorique des textes bibliques.

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Spinoza met en rapport révélation divine et communication par lettre. À ce sujet, Franck Darmour fait remarquer que Spinoza fournirait le premier témoignage permettant de documenter le retour d’un intérêt pour Paul et ses lettres de la part des penseurs juifs 118 après une très longue période de silence. On trouve cette discussion dans le chapitre XI du Traité théologico-politique, paru en 1670 à Amsterdam 119. Spinoza se demande si on peut vraiment parler d’une continuité entre autorité des prophètes et autorité des apôtres. Il s’interroge sur l’autorité de ces derniers : ont-ils écrit leurs lettres en tant que prophètes ou en tant que docteurs ? Et dans cellesci, s’agit-il de révélations ou de commandements reçus de Dieu, comme cela est le cas chez Moïse, Jérémie ou d’autres ? Ou au contraire, s’agit-il d’écritures de simples particuliers ou des docteurs ? Spinoza oppose prophétiser et prêcher. Il range les lettres de Paul dans la deuxième option : J’admets que les longues déductions et argumentations de Paul, comme celles de l’Épître aux Romains, n’ont, d’aucune manière, été écrites en vertu d’une révélation surnaturelle. Ainsi, tant les manières de parler que celles d’argumenter des apôtres dans leurs Épîtres indiquent très clairement qu’elles ne furent pas écrites en vertu d’une révélation et d’un commandement divin, mais de leur jugement naturel ; elles ne contiennent que des avertissements fraternels mêlés de politesses (chose que l’autorité prophétique abhorre totalement), comme cette excuse de Paul dans Rom 15:15 : « Je vous écris ceci, frères, avec un peu trop de liberté » 120  ! 118.  « Dans l’Antiquité, la plupart des polémiques juives avec le christianisme touchent aux Pères de l’Église et non au Nouveau Testament. Même si on ne peut exclure que quelques thèses christologiques discutées soient en lien avec Paul, il n’y a pas de trace explicite pour la période médiévale. En Andalousie, les débats ne manquèrent pas, mais on ne trouve jamais Paul en leur centre, sinon dans l’arsenal argumentaire des chrétiens », F. Darmour , « Le retour du fils prodigue ? Interprétations juives de Paul au XIXe et au XXe siècles : quelques jalons », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 90/1 (2010), p.  25-47 (citation p.  26-27). 119.  Baruch Spinoza, Œuvres. III Traité théologico-politique. Tractatus theologico-politicus, texte établi par Fokke A kkermann, traduction et notes par Jacqueline L agrée et Pierre-François Moreau, Paris, 2005. On rappellera que le Traité théologico-politique  est une œuvre parue, en pleine situation de crise politique, sous couvert d’anonymat et elle a valu de nombreuses complications à son auteur. La lettre de Spinoza à Oldenbourg de septembre ou octobre 1665 (lettre 30, citée dans la préface de cette édition du Traité) fait état des buts de son traité (« Je compose actuellement un traité sur la façon dont j’envisage l’Écriture et mes motifs pour l’entreprendre », p. 5). Ces motifs sont au nombre de trois : (1) mettre à nu les préjugés des théologiens, lesquels empêchent d’user des ressources de la philosophie, (2) se défendre personnellement de tout soupçon ou accusation d’athéisme et (3) plaider la nécessité de la liberté de conscience comme condition de possibilité de la philosophie : la philosophie ne doit obéir à aucune contrainte extérieure à elle-même (contre le principe médiéval de la philosophie comme servante de la théologie). 120. Baruch Spinoza, Œuvres. III Traité théologico-politique. Tractatus theologico-politicus, texte établi par Fokke A kkermann, traduction et notes par Jacqueline

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Ces considérations sur l’auctorialité ne témoignent pas tant de l’intérêt de Spinoza pour l’épistolarité et la pragmatique de la communication qui lui est liée que de l’autorité de l’Écriture en tant que révélation. Il assimile la lettre à une forme de prédication mise par écrit, dans laquelle les apôtres font certes état de révélations reçues. Mais après leur rédaction, force est de constater que le raisonnement et l’hésitation reprennent le dessus. On notera en passant que dans son développement consacré à l’Écriture sainte, au chapitre XII, il compare la Bible à une lettre divine envoyée aux hommes, mais sans pour autant thématiser les enjeux pragmatiques de la communication divine : Ceux qui considèrent la Bible, telle qu’elle est, comme une lettre envoyée par Dieu du ciel aux hommes, crieront sans doute que j’ai commis un péché contre l’Esprit saint pour avoir jugé que la parole de Dieu est fautive, tronquée, déformée et incohérente, que nous n’en avons que des fragments et, pour finir, que le texte original du pacte conclu par Dieu avec les juifs a disparu 121.

L’argumentation du philosophe juif hollandais est d’autant plus remarquable pour notre propos que sa pensée et ses travaux, conjointement avec ceux de Richard Simon (1638-1712), ont eu une influence considérable sur la genèse de l’exégèse historico-critique 122 . Spinoza, dans son œuvre, défend le principe d’une analyse des textes à partir de la raison seule, via une distinction claire entre raison et foi, et ceci en particulier en ce qui concerne l’explication de passages difficiles et contradictoires. Dans cette phase, il se trouve que la question des enjeux pragmatiques de la communication épistolaire n’est pas spécialement thématisée en tant que telle. La nécessité d’une communication efficace n’est pas sous-estimée pour autant, mais sa thématisation s’en tient au niveau du sous-entendu.

1.3.2.3 Deuxième phase : « L’Égypte » et les papyrus retirés des sables La réévaluation de l’analyse des lettres, suite aux importantes découvertes de lettres privées sur papyrus, par les archéologues en Égypte, marque un tournant important pour la recherche. Ce tournant coïncide peu ou prou avec la perte de l’emprise du religieux sur la recherche consacrée aux phénomènes religieux. Cet apport nouveau de matière documentaire a permis à l’analyse des lettres de sortir des carcans d’une approche L agrée et Pierre-François Moreau, Paris, 2005, p. 417. 121. Baruch Spinoza, Œuvres. III Traité théologico-politique. Tractatus theologico-politicus, texte établi par Fokke A kkermann, traduction et notes par Jacqueline L agrée et Pierre-François Moreau, Paris, 2005, p.  429. 122. P. Guillemette – M. Brisebois, Introduction aux méthodes historico-critiques, Montréal, 1987, p.  71-72.

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exclusivement dogmatique. Elle a élargi la perspective en s’émancipant des standards usuels de l’analyse littéraire, ceci en lui permettant de commencer à thématiser la question de l’épistolarité en tant que telle. La figure emblématique de ce célèbre changement de paradigme est incarnée par Gustav  Adolf  Deissmann (1866-1937), professeur dans les universités de Heidelberg puis de Berlin. On peut dire que ce dernier fait véritablement œuvre de précurseur en ce qui concerne une approche des lettres en tant que lettres. À la suite de sa célèbre distinction entre lettre, relevant de la vie privée, et épître, comme production littéraire, on lui est redevable d’une appréciation plus précise de la notion de lettre dans le christianisme ancien. Cette distinction fondamentale a été exposée dans ses deux ouvrages les plus célèbres, Bibelstudien 123, paru en 1895, et Licht vom Osten 124 , paru en 1908. Ses analyses sont reprises et développées dans un ouvrage qu’il consacre à Paul, Paulus (paru en 1911) 125. Cette célèbre distinction, bien que régulièrement considérée comme dépassée, continue de marquer la recherche actuelle. Cela s’explique avant tout par le fait que cette distinction a amené à ne plus considérer les lettres uniquement comme des événements littéraires véhiculant des contenus théologiques. Elle a permis au contraire de prendre la mesure de l’indissociable épaisseur historique qui leur est liée. Dit autrement, on doit à Deissmann de prendre totalement en compte le fait que les lettres de Paul de Tarse sont avant tout des lettres et pas uniquement des traités théologiques. Elles véhiculent des développements doctrinaux et des injonctions parénétiques certes, mais restent avant tout des lettres ; les auteurs et les destinataires originels de ces dernières ne peuvent pas être ignorés ou évacués du point de mire de la recherche. Un bref retour dans le passé s’impose pour comprendre comment Deissmann est arrivé à cette conclusion. Son point de départ vient des travaux de Heinrich Wöllflin qui estimait que les lettres d’Albrecht Dürer devaient être distinguées de son œuvre littéraire 126. La même précaution reste valable en ce qui concerne les lettres écrites par des grands hommes dont on a considéré la production ultérieurement comme littérature. Cela n’altère point leur valeur en tant que telle, mais nous fait perdre de vue qu’à l’origine et surtout aux yeux de leur auteur, elles n’avaient aucune prétention littéraire. La destinée inévitablement littéraire que la postérité leur 123. A. Deissmann, Bibelstudien : Beiträge, zumeist aus den Papyri und Inschriften, zur Geschichte der Sprache, des Schrifttums und der Religion des hellenistischen Judentums und des Urchristentums, Marburg, 1895. 124. A. Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1908. 125. A.  Deissmann, Paulus : eine kultur- und religionsgeschichtliche Skizze, Tübingen, 1911. 126. A. Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926 (en particulier les p.  9-15).

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a réservée conduit à manquer cela, car on s’en tient invariablement à l’impression d’une production élaborée uniquement à des fins théologiques 127. Une lettre a pour but premier de permettre le maintien et la poursuite de la conversation entre deux personnes séparées : « il s’agit d’un “je” qui parle à un “tu” » 128. Ces indications concrètes confirment qu’on a là affaire bel et bien à une conversation absolument privée, en aucune façon destinée à la publication. Et peu importe que le destinataire soit une ou plusieurs personnes, comme une famille ou un autre groupe constitué. Tous les tons sont permis : passionné, aimable, trivial, tragique, etc. Pour l’épître, c’est autre chose : elle revêt une forme artistique ; elle n’a de la lettre que l’enveloppe, au sens de l’habit extérieur, et a pour but de produire un effet public bien au-delà d’un cercle privé de destinataires. Dit autrement, l’épître est écrite intentionnellement dans le but d’être diffusée, lue et discutée dans les grandes métropoles culturelles que sont Alexandrie, Éphèse, Athènes ou Rome et il faut toujours distinguer la lettre de l’épître : « just as the historical drama is distinguished from the pièce of actual history, or a platonic dialogue from confidential conversation […] like art and nature, like the conventionalized and the natural growth, like the premeditated and the naïve » 129. Mais Deissmann réalise bien qu’on est aussi confronté à des cas de figure intermédiaires, à savoir des « lettres-épîtres » et des « lettresépistolaires » 130, mais que cela ne dispense pas de clarifier la question de la situation des écrits de Paul. Ainsi, selon lui, la seule manière possible de trancher cette question est de comparer les lettres de Paul avec la production littéraire antique, à savoir d’une part les lettres non-littéraires de Cicéron et d’Épicure et d’autre part, les centaines de lettres privées, sur papyrus et ostraca, qui nous ont été léguées par l’Antiquité gréco-romaine, en particulier en Égypte. Dans Licht vom Osten, Deissmann analyse un dossier de 26 lettres non-littéraires 131. Ces lettres toutes simples, écrites sur des papyrus ou sur des ostraca, sont des lettres bien réelles. Et c’est sur le fait incontournable qu’elles renvoient à des personnes bien réelles et à des situations concrètes que Deissmann va effectivement s’appuyer pour 127. « The impression of being a manufactured and only literary product », A.  Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  9. 128.  « It is an “I” speaking to a “you” », A. Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  9. 129.  A.  Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  10. 130.  « Letter like epistles […] epistolary letters », A. Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  10. 131.  Il convient de se référer à la 4 e édition augmentée et complétée de 1923 (la première édition de 1908 ne comprend que 21 lettres), à savoir A.  Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923. Il faut souligner la richesse de cette œuvre, comprenant des croquis, des reproductions des documents (dessins ou photos) et la retranscription de toutes les sources documentaires.

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déterminer historiquement la nature véritable de la littérature chrétienne primitive en général et des lettres de Paul en particulier 132 . En ce qui concerne les lettres littéraires (à savoir les épîtres), on trouve chez Lysias et Aristote des épîtres en prose et chez Horace et Ovide, des épîtres poétiques. En ce qui concerne les épîtres de Paul, Deissmann – en se référant à la Lettre d’Aristée et à la Lettre de Jérémie – estime qu’il est certes possible d’estimer que Paul aurait bien pu écrire des épîtres et non des lettres et donc être considéré comme un auteur littéraire. Mais à y regarder de plus près dans le Nouveau Testament, on voit bien, toujours selon lui, que les lettres de Paul sont des lettres privées. Il estime ainsi que l’œuvre de Paul de Tarse doit être assimilée à un recueil de lettres privées. Par contre, il considère Jacques, 1 et 2 Pierre et Jude comme des épîtres. Pour Deissmann, c’est la comparaison des formulaires épistolaires des lettres pauliniennes avec ceux des lettres des sables d’Égypte qui permet d’établir de façon très claire que les lettres du Tarsiote sont bel et bien des lettres et non des épîtres. Il fait le raisonnement suivant : les lettres d’Égypte fournissent autant de cas avérés de communications singulières, non répétables, se référant chaque fois à des situations tout aussi singulières. Paul a écrit ses lettres à des groupes spécifiques, et ces actes uniques d’écriture ont été dictés selon les nécessités de son action missionnaire. Deissmann estime ainsi que la référence aux services d’un secrétaire ou la mention que la fin de la lettre est de la main de Paul sont autant d’indicateurs du caractère singulier des lettres du Tarsiote 133. Cela l’amène à la conclusion que si la postérité va conserver ces « lettres confidentielles » 134 dans les siècles qui vont suivre, cela n’a rien à voir avec l’intention de Paul, laquelle était dictée par l’urgence eschatologique du retour du Christ. Bien au contraire, il voit dans la conscience que Paul avait de cette urgence une confirmation supplémentaire que ses lettres sont bien des lettres et non pas des épîtres. Paul cherche à consoler, à corriger, à exhorter ; il se défend contre des adversaires, il remet en question leurs positions, il interpelle vigoureusement ses destinataires. Deissmann estime que dans les longues lettres se reflètent bien les changements de ton en cours, au moment de dicter la lettre. Il mentionne également à ce sujet le

132.  « Das scheint ein Widerspruch in sich selbst zu sein, und ich gebe zu, es mag beim ersten Hören wohl befremdend klingen, wenn ich sage, dass ich aus armseligen Papyrusfetzen oder Tonscherben mit Brieffragmenten unbekannter Ägypter das Wesen der Paulusbriefe, ja letztlich den literarischen Werdegang des Urchristentums begriffen habe », A. Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p.  116. 133.  Ainsi 2 Th 3,17 ; Ga 6,11 ; Col 4,18 ; 1 Co 16,21 ; Rm 16,22 ; voire même 2 Co 10,1. 134.  « Confidential letters », A.  Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  13.

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cas des lettres perdues, celles de Paul 135 ou celle des Corinthiens à Paul 136. Ce n’est qu’après la mort de l’apôtre qu’on s’est mis à rassembler et à recopier ses lettres. C’est ce processus d’archivage qui a conféré aux lettres un statut de corpus littéraire faisant autorité 137. Pour illustrer son propos, Deissmann évoque l’image d’une pierre précieuse ancienne, qui nous est remise dans un écrin de grand prix. L’écrin est tellement sublime qu’on ne regarde plus la pierre pour elle-même. Retirer la pierre de son écrin nous rendra la lumière de cette dernière à l’état brut. Ainsi, retirer les lettres de Paul de leur écrin littéraire épistolaire nous rendra leur flamme originelle. Il estime que si on prend au sérieux le caractère non-littéraire avéré des lettres de Paul et qu’on le compare à celui des lettres authentiquement confidentielles d’autres grands hommes 138, toutes les objections contre le caractère authentique des lettres de Paul deviennent caduques. Plus profondément, Deissmann part de la question de savoir si le christianisme primitif a été généré par un événement d’abord littéraire 139. Son but est d’arriver à déterminer quand cette transformation en littérature s’est produite et surtout quels ont été les étapes et le processus qui ont permis cela. Les inscriptions sur les ostraca et les papyrus ne peuvent pas être considérées comme de la littérature de par le seul fait que ce sont des documents écrits. Ainsi, selon Deissmann, ce constat rend à la recherche le précieux service de préciser le concept de littérature. Peut être qualifié comme tel ce qui est écrit pour le public – ou au moins pour un public – et relève d’un certain niveau artistique. Les lettres privées ne peuvent donc pas être considérées comme une production à des fins artistiques. Au contraire, elles relèvent de la vie de tous les jours 140. Ce ne sont donc pas du tout des documents littéraires, mais des documents concernant la vie, ses labeurs, ses joies et ses peines 141. Ainsi, l’apport documentaire inédit 135.  Selon 1 Co 5,9 et 2 Co 2,3. 136.  Selon 1 Co 7,1. 137.  « And gradually, although from the first unliterary, this collection began to attain literary standing, they even became a part of the canonical Corpus of the holy scripture of Christendom », A. Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  15. 138. « The undoubtedly genuine confidential letters of other great men », A.  Deissmann, Paul : A Study in Social and Religious History, Londres, 1926, p.  15. 139.  « Ist das Urchristentum von Hause aus literarisch gewesen ? », A.  Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p.  117. 140. « Unliterarische Blätter, geschaffen nicht von der Kunst, sondern vom Leben, bestimmt nicht für die Öffentlichkeit und die Nachwelt, sondern für den Augenblick und den Alltag », A. Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p. 118. 141. « Dokumente des Lebens […], Dokumente der Arbeit, der Freude, der Trauer », A.  Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeck-

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fourni par ces découvertes archéologiques doit permettre à la recherche néotestamentaire, selon Deissmann, de franchir un nouveau pas, à savoir celui de pouvoir replacer dans son juste milieu la littérature chrétienne primitive. Dit autrement, de pouvoir la situer avec une plus grande précision dans son contexte originaire. Ainsi, nous disposons de deux grandes catégories de documents épistolaires : les lettres non-littéraires et les épîtres, ces dernières relevant de la littérature. Pour conclure, on notera que Deissmann définit la lettre comme quelque chose de non-littéraire, un moyen permettant à deux personnes séparées de tout de même communiquer, et ceci de manière aussi intime que personnelle 142 . Il se réfère ici à la célèbre remarque d’Artémon, l’éditeur des lettres d’Aristote, qualifiant la lettre de « moitié de dialogue » 143 et définit l’épître comme une forme artistique ou un genre littéraire. Il donne à titre d’exemple le dialogue, le discours ou le drame, en bref tout le contraire de la lettre 144 . En cherchant à montrer le caractère privé des lettres, Deissmann s’est intéressé aux paramètres mêmes du fait épistolaire et met ainsi le doigt sur la dimension pragmatique déployée par l’action de communiquer par lettres. En pointant sur le caractère unique du message, la situation particulière du destinataire et le contexte d’intimité, Deissmann avait vu juste, comme le note Régis Burnet : Si la distinction entre épître et lettre ne saurait être reprise, force est de constater que Deissmann portait le débat dans son juste domaine en insistant sur la particularité de la communication ; créer, grâce à la lettre, une figure d’encre et de papyrus qui viendra les représenter auprès de leur correspondant et réparera un peu l’irréparable obstacle de la distance, voilà ce qui absorbera les épistoliers antiques 145.

La lettre vise à reconstituer un certain mode de présence chez des destinataires bien réels. Elle cherche à rejoindre efficacement son destinataire en déployant une action de communication ciblée. La découverte des papyrus ten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p.  118. 142.  « Der Brief ist etwas Unliterarisches : er dient dem Verkehr der Getrennten. Seinem innersten Wesen nach intim und persönlich, ist er nun für den Adressaten oder die Adressaten, nicht aber für die Öffentlichkeit oder eine Öffentlichkeit bestimmt », A.  Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p.  194. 143.  Voir les remarques de Régis Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  69. 144.  « Die Epistel ist eine literarische Kunstform, eine Gattung der Literatur, wie zum Beispiel Dialog, Rede, Drama. Sie teilt mit dem Briefe gemein, dass man den paradoxen Satz wagen könnte, die Epistel sei das Gegenteil des wirklichen Briefes », A.  Deissmann, Licht vom Osten : das Neue Testament und die neuentdeckten Texte der hellenistisch-römischen Welt, Tübingen, 1923, p.  195. 145. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 66.

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d’Égypte a permis d’entrevoir la réalité de la vie de tous les jours de leurs auteurs ou destinataires respectifs, ainsi qu’elle a offert un élargissement de la focale de l’analyse du formulaire épistolaire, tant sous l’angle des rapports plus ou moins lâches entretenues avec les théories antiques (rhétoriques pour une toute petite part, puis plus tardivement épistolaires) que par rapport à notre perception des pratiques en tant que telles. Cette distinction tranchée a été nuancée ou rejetée par bien des chercheurs 146, et ceci jusqu’à aujourd’hui 147. Il convient de prendre la mesure de l’écart entre le monde rural égyptien, éloigné des métropoles, et les réalités urbaines dans lesquelles la mission paulinienne s’est déployée. De plus, la distinction entre sphères privée et publique est anachronique à plus d’un titre. Les relations politiques, dans le monde gréco-romain, étaient calquées sur des valeurs familiales profondes comme l’amitié, le courage ou le sens de l’honneur. Enfin, on peut faire un constat analogue à propos du style : il y a de nombreuses lettres privées qui témoignent d’un grand sens artistique et littéraire (Cicéron et Sénèque), ainsi que de nombreuses lettres officielles qui sont chaleureuses et amicales (Pline). Il serait cependant dommage de ne retenir des analyses de Deissmann que les limites tranchées de sa distinction entre lettre privée et épître littéraire. Ses travaux ont eu le mérite d’amener la recherche à s’intéresser aux conditions de production des lettres 148. Dans son sillage, on a examiné de plus près la place et le rôle des lettres au sein de l’activité missionnaire de l’apôtre des Nations 149.

1.3.2.4 Troisième phase : « Athènes (et Rome) et pas Jérusalem » ou l’âge d’or du comparatisme La recherche tout le long du XXe siècle va se tourner davantage du côté des données gréco-romaines (« Athènes toujours plus en profondeur »). Durant cette phase, qui continue encore aujourd’hui, la recherche est partie dans de multiples directions. D’un point de vue général, on peut dire que celle-ci est caractérisée par l’effort de comparer de manière toujours plus approfondie les matériaux épistolaires bibliques avec les modèles 146. S. K. Stowers, Letter Writing in Greco-Roman Antiquity, Philadelphia, 1986. 147.  Voir G. Barbaglio, « Les lettres de Paul : contexte de création et modalités de communication de sa théologie », dans A. Dettwiler – J.-D.  K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 67-103. 148.  Etat général de la question, dressé par J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994 p.  13-69. 149.  Voir l’analyse pragmatique faite par Bärbel Bosenius, Die Abwesenheit des Apostels als theologisches Programm. Der zweite Korintherbrief als Beispiel für die Brieflichkeit der paulinischen Theologie, Tübingen, 1994, de même que celle de François Vouga, « Der Brief als Form der apostolischen Autorität », dans K.  Berger – F. Vouga (éd.), Studien und Texte zur Formgeschichte (TANZ 7), Tübingen, 1992, p.  7-58.

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offerts par l’épistolographie gréco-romaine. Il convient dont de signaler, dans un ordre grosso modo chronologique : (1) les travaux pionniers de Francis  Exler (1923) et d’Otto  Roller (1933)  sur l’étude du genre littéraire de la lettre ; (2) l’étude de la forme littéraire et des fonctions de la lettre  d’Heikki Koskenniemi (1956) et de Klaus Thraede (1970) ; (3) les travaux du groupe d’épistolographie antique de la Society of Biblical Literature, en particulier ceux de John  White (diverses études, 1972-1986), William Doty (1973)  et Martin  Luther  Stirewalt  Jr (diverses études, 1977-2003) ; (4) les travaux sur les différents types de lettres  de Stanley Stowers (1986) et d’Abraham Malherbe (1988) ; (5) l’analyse des lettres à partir des canons de la rhétorique antique, dont le commentaire de Galates d’Hans-Dieter  Betz a donné le coup d’envoi (1979) ; (6) le passage d’une analyse rhétorique des lettres de Paul à une analyse épistolaire (Régis Burnet 2003) et (7) la série de commentaires papyrologiques du Nouveau Testament, édités par Peter Arzt-Grabner (4 volumes édités depuis 2003) 150. Cette dernière a démarré formellement en 1989 avec le projet de recherche intitulé « analyse des lettres de Paul dans le contexte des papyri documentaires » de l’Université de Salzbourg, sous la direction de Peter Arzt‑Grabner et de Michael Ernst 151. Méthodologiquement, on remarquera que ce projet s’inscrit, d’une certaine façon, dans le sillage des travaux d’Adolf Deissmann, s’agissant du fait de reprendre l’analyse des lettres de Paul en prenant en compte toute la masse documentaire papyrologique disponible. Celle-ci est en constante augmentation au fil des découvertes et, à l’heure de l’ère numérique, beaucoup plus accessible. Par conséquent, l’analyse comparative les lettres pauliniennes dispose aujourd’hui d’un apport largement accru, et surtout inégalé, de matériaux 152 . Pour approfondir les grandes étapes de la recherche, on partira du constat que celle-ci s’est beaucoup occupée de la détermination des genres littéraires des documents de nature épistolaire. Jutta  Bickmann (1998) balise l’analyse du genre littéraire (Gattung) des lettres de Paul de Tarse 150. P.  A rzt‑Grabner , Philemon, Göttingen, 2003  ; P. A rzt‑Grabner – R. E. P eter-K ritzer – A. Papathomas – F. Winter, 1. Korinther, Göttingen, 2006 ; C. M. K reinecker , 2. Thessaloniker, Göttingen, 2010 ; P. A rzt‑Grabner , 2. Korinther, Göttingen, 2014. 151. « Analyse der Paulusbriefe auf dem Hintergrund dokumentarischer Papyri », voir C. M. K reinecker, « International Symposium “Light from the East”. 15 Years “Papyrological Commentaries on the New Testament” (Salzburg, December 3-4, 2009) », Annali di Storia dell ’Esegesi 27/2 (2010), p. 305-310. 152.  L oïc Berge (dans Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 157) dispose d’un ensemble de 140 lettres grecques de recommandation sur papyrus, ce qui constitue un dossier documentaire sensiblement plus fourni que ceux à disposition de ceux qui ont étudié cette thématique avant lui.

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en quatre étapes, dont elle en met en évidence le processus dynamique 153. La première étape est marquée par le fait de s’intéresser aux lettres comme des témoignages, essentiellement privés, de la vie quotidienne, ceci dans le sillage des travaux de Deissmann, considéré, comme on vient de le voir, comme celui qui a donné le coup d’envoi de la recherche moderne sur les pratiques épistolaires. La découverte des lettres privées d’Égypte, écrites sur papyrus, a permis à la recherche de percevoir de manière plus large l’ampleur des pratiques épistolaires antiques, en particulier la pratique de l’échange de correspondance privée. Avant ces découvertes, on ne disposait d’une part que de lettres privées d’hommes célèbres, philosophes ou hommes politiques, sous des formes tardives, voire apocryphes. Et d’autre part, de lettres privées de pêcheurs, courtisanes ou de paysans, insérées narrativement dans diverses œuvres littéraires (Philostrate, Alciphron, etc.) 154 . La deuxième étape est marquée par l’étude des formulaires épistolaires hellénistiques, à laquelle ont justement contribué Francis Xavier Exler 155 et Otto Roller 156. Le premier a analysé les formules initiales et conclusives ainsi que les formules précisant les contours du corps de la lettre. Cela lui a permis de développer une typologie des lettres en fonction de leur contenu : lettres d’amitié, lettres d’affaires, lettres officielles, lettres de demandes, etc. Le deuxième a analysé également les éléments du formulaire épistolaire : salutation initiale et salutation finale, ainsi que le contenu des lettres. Il classe les lettres d’après les mêmes genres qu’Exler, mais en faisant des lettres de demandes et des lettres officielles une première catégorie. Reprenant la distinction de Deissmann, il fixe de manière plus précise les contours de la lettre privée. Celle-ci constitue un message sous forme écrite adressé à une personne dont on est séparé ; il obéit à un formulaire épistolaire spécifique. La troisième étape est caractérisée par les travaux sur l’histoire des formes. Il convient de signaler tout d’abord la contribution de Paul Schubert 157. Ce dernier précise les composantes du formulaire épistolaire paulinien, en mettant en évidence dans ce dernier la place et le rôle spécifique des actions de grâce, lesquelles ne remplissent pas uniquement une fonction liturgique ; au contraire, elles contribuent rhétoriquement à la stratégie épistolaire déployée. D’autres chercheurs vont exploiter la pers153. J. Bickmann, Kommunikation gegen den Tod : Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes, Würzburg, 1998. 154. Voir, par exemple, les lettres littéraires d’Alciphron, Lettres de pêcheurs, de paysans, de parasites et d ’hétaïres, introduction, traduction et notes par A.-M.  Ozanam, Paris, 1999. 155.  F. X. J. E xler, The Form of the Ancient Greek Letter : a Study in Greek Epistolography, Washington D.C., 1923. 156. O. Roller, Das Formular der paulinischen Briefe : ein Beitrag zur Lehre vom antiken Briefe, Stuttgart, 1933. 157. P. Schubert, Form and Function of the Pauline Thanksgivings, Berlin, 1939.

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pective nouvelle ouverte par Paul Schubert, comme Carl Bjerkelund, qui considère en profondeur la fonction des parénèses dans les lettres pauliniennes 158, Chan-Hie Kim, qui analyse les formules d’amitié contenues dans les lettres de recommandation 159 et John White à qui on doit la première tentative de décrire le corps d’une épître de Paul. Pour White, le corps se compose d’une ouverture formelle, de formules de liaison et de transition, d’une référence finale à l’eschatologie et à la présence malgré l’absence (παρουσία) ainsi que d’une parénèse 160. La recherche anglaise et américaine des années 1970 s’inscrit dans le sillage des travaux sur les formes et le formulaire épistolaire. Il convient de relever le rôle important joué par le Groupe d’épistolographie antique (Ancient Epistolography Group) de la Society of Biblical Literature (SBL), qui a élargi le champ de recherche sur les lettres grecques aux lettres conservées dans les littératures copte et judéenne 161. La quatrième étape est marquée par un intérêt pour la sémantique et la pragmatique des conventions épistolaires. On doit au chercheur finlandais Heikki Koskenniemi une importante monographie sur l’art épistolaire antique 162 . Son étude témoigne d’un intérêt renouvelé pour les lettres grecques de par l’apport des lettres écrites sur papyrus. Cet apport a transformé la recherche, laquelle est passée de l’analyse littéraire des lettres relevant de la littérature – comprenant ainsi les collections de lettres privées reçues ultérieurement comme littérature, telles les lettres de Cicéron – à leur analyse tant stylistique que linguistique. L’étude de Koskenniemi, en comparant pour la première fois les lettres privées d’Égypte et les lettres grecques connues par ailleurs, part de la question de savoir ce que les Anciens ont pensé de l’art épistolaire en soi, puis de sa fonction. Elle précise enfin comment ceux-ci ont compris les tenants et les aboutissants de la pratique de l’échange de correspondance. Dans la première partie, il analyse les théories épistolaires antiques, en particulier la petite section du traité Du style, attribué à Démétrios de Phalère, consacrée à l’art épistolaire. De cet examen, il met en évidence le fait que la lettre accomplit 158.  C. J. Bjerkelund, PARAKALÔ. Zur Form, Funktion und Sinn der Parakalô-Sätze in den paulinischen Briefen, Oslo, 1967. 159.  C.-H.  K im, Form and Structure of the Familiar Greek Letter of Recommendation, Missoula, 1972. 160. J. L. White, The Form and Function of the Body of the Greek Letter : A Study of the Letter-Body in the Non-Literary Papyri and in Paul the Apostle, Cambridge (MA), 1972. 161.  Les travaux de la SBL ont connu deux phases : de 1970 à 1975  a eu lieu un séminaire sur la forme et la fonction des lettres de Paul et de 1975 à 1979  a été mené le Groupe d ’épistolographie antique, sous la conduite de John L. White. Voir J. L. White , « The Ancient Epistolography Group in Retrospect », Semeia 22  (1981), p.  1-14. 162. H. Koskenniemi, Studien zur Idee und Phraseologie des griechischen Briefes bis 400 n. Chr., Helsinki, 1956.

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trois fonctions. La lettre doit (1) déployer un cadre amical, (2) substituer à l’absence une certaine forme de présence et enfin (3) adopter la forme d’un dialogue amical. La deuxième partie est consacrée à l’analyse des pratiques épistolaires. Il passe en revue les enjeux liés au formulaire, à la phraséologie, à la lettre comme moyen d’entretenir une relation et enfin à des éléments littéraires liés à la pratique épistolaire comme l’intérêt pour les formules destinées à favoriser la bonne réception de la lettre ou le temps des verbes (utilisation de l’imparfait, du parfait et du plus-que-parfait) en fonction du point de vue du destinataire. Cette étude est pionnière dans la mesure où, pour la première fois, l’analyse envisage la dimension pragmatique au-delà de l’analyse uniquement du phénomène littéraire de l’épistolaire antique. À signaler également, l’étude de Klaus Thraede 163, consacrée aux différents types de lettres présents dans les littératures grecque et romaine et aux manières dont les auteurs chrétiens les ont repris ou en sont redevables. Un intérêt particulier porte sur le thème de la présence épistolaire comme substitut de l’absence réelle de l’expéditeur de la lettre, un thème qui sera également développé par Robert Funk 164 . La recherche s’est aussi occupée à thématiser les différences entre les sortes de lettres à l’aide de diverses typologies : l’anthologie réalisée par Abraham J. Malherbe constitue un outil indispensable pour s’orienter 165. Il clarifie les questions (1) de la définition de la lettre, (2) de l’objet de la lettre, (3) des types de lettres et (4) des considérants relatifs au style épistolaire. Cette anthologie s’inscrit dans le sillage du renouveau de l’intérêt pour l’art épistolaire antique depuis les années 1950, suite justement aux contributions de Heikki Koskenniemi, Klaus Thraede et aux travaux de la Society of Biblical Literature (SBL), qui en a repris le flambeau dans les années 1970. L’intérêt lié à ce renouveau portait d’une part sur les théories antiques et d’autre part sur les pratiques épistolaires elles-mêmes. L’anthologie de Malherbe permet de combler un manque, dans la mesure où on ne disposait jusque là d’aucune vue d’ensemble sur la question. Malherbe fournit ainsi dans l’ordre chronologique les principaux témoignages antiques (en langue originale et avec une traduction en anglais) évoquant et théorisant les pratiques épistolaires de leurs époques respectives. Au début des années 1980, la recherche sur les lettres prend un virage spectaculaire en (re)découvrant la question des liens possibles des lettres conservées dans le Nouveau Testament avec la rhétorique antique. Comme 163. K. Thraede , Grundzüge griechisch-römischer Brieftopik, Munich, 1970. 164. R. W. Funk, « The Apostolic Parousia : Form and Significance », dans W. R. Farmer – C.  F. Moule – R. Niebuhr (éd.), History and Interpretation : Studies Presented to John Knox, Cambridge, 1967, p.  249-269. 165. A. J. M alherbe, Ancient Epistolary Theorists, Atlanta, 1988. Voir en particulier l’introduction (p. 1-11) et le résumé de la théorie épistolaire antique (« Summary of Epistolary Theory »), p. 12-14.

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souvent dans l’histoire de l’exégèse biblique, l’émergence de nouveaux outils d’analyse dans les sciences de la littérature a inauguré et stimulé des lectures inédites. L’intérêt pour une analyse rhétorique des écrits bibliques s’explique par le retour en force, depuis les années 1960, de la rhétorique dans les sciences littéraires 166. Ce renouveau est parti dans deux directions. D’une part, on s’est de nouveau intéressé aux mécanismes de l’argumentation (ainsi la Nouvelle rhétorique de Chaïm Perelmann et Lucie OlbrechtsTyteca 167) ; d’autre part, on a considéré la rhétorique avant tout comme l’étude des figures (Gérard  Genette, Jean  Cohen, le « Groupe  μ » 168). Les premiers se sont intéressés à l’art de convaincre, les deuxièmes aux figures qui font d’un texte une œuvre littéraire. Comme le fait remarquer Olivier Reboul, « l’on voit mal ce que les deux positions ont de commun. Et pourtant, c’est cet élément commun qui pourrait être le plus important, à savoir l’articulation des arguments et du style dans une même fonction » 169. On retrouve ce double clivage dans la recherche exégétique. Cet essor des sciences du langage, associé aux développements de la linguistique, a donné une nouvelle orientation à l’exégèse historico-critique des textes biblique. Elle a quitté l’analyse des formes et de l’histoire de la rédaction, pour concentrer son attention sur les textes bibliques en tant qu’œuvres complètes et définitives. C’est ainsi que le structuralisme et la sémiotique ont fait leur entrée dans les facultés universitaires de théologie dans les années 1970 170. On s’est intéressé alors aux structures profondes du texte, à savoir la grammaire du sens. Mais ces travaux se sont aussi matérialisés parfois dans « des schémas d’une effrayante complexité » 171 ! Le structuralisme s’est affiné dans deux démarches complémentaires, qui se différencient en fonction de l’objet considéré, suivant qu’on a affaire à un récit ou à un texte argumentatif. C’est ainsi que, pour l’étude des récits bibliques, une analyse dite narrative s’est développée 172 . Quant à l’analyse 166. O. R eboul, Introduction à la rhétorique. Théorie et pratique, Paris, 1991, p. 2-3. 167.  C.  P erelmann – L. Olbrechts-Tyteca, Traité de l ’argumentation. La nouvelle rhétorique, Bruxelles, 1992. 168. Leurs principales contributions se trouvent réunies dans Groupe  μ, Recherches rhétoriques, Paris, 1994. 169.  O.  R eboul, Introduction à la rhétorique. Théorie et pratique, Paris, 1991, p. 4. 170.  Ainsi R. Barthes – F. Bovon – F. J. L eenhardt – R. M artin-Achard – J.  Starobinski, Analyse structurale et exégèse biblique. Essais d ’interprétation, Neuchâtel, 1971. Voir également la contribution de Daniel et Aline Patte , Pour une exégèse structurale, Paris, 1978. 171.  R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ? Paris, 2000, p. 61. 172.  Nous devons à Daniel M arguerat, Yvan Bourquin et Marcel Dürrer le premier manuel pédagogique d’analyse narrative des textes bibliques en français, paru en 1998 puis réédité et augmenté (Pour lire les récits bibliques, Paris – Genève – Montréal, 2004) et traduit en italien, anglais et espagnol.

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rhétorique, elle s’est occupée des textes argumentatifs, à savoir principalement des lettres pauliniennes et des autres épîtres du Nouveau Testament. Dans le champ des sciences bibliques, l’analyse rhétorique va connaître un essor considérable dans les années 1980 et 1990. Cette nouvelle approche, désignée sous le nom de rhetorical criticism (critique rhétorique) est entrée dans le champ des sciences bibliques grâce aux travaux de George Kennedy 173. Cette nouvelle méthode vise l’analyse exhaustive de l’argumentation d’un texte, via sa déconstruction à l’aide des catégories de la rhétorique antique. Cette dernière avait pour but de fournir scolairement à l’auteur d’un discours des outils oratoires appropriés pour emporter l’adhésion d’un cercle d’auditeurs. Kennedy part du constat suivant : If the Bible is in a sense mythical, it is even more necessary to regard it as rhetorical, again not in the sense of « false » or « deceitful », but in the sense of « purposeful », as a form of communication, perhaps between God and man, certainly between biblical writers and ourselves 174 .

Kennedy va en fait exploiter et décliner méthodologiquement une célèbre intuition de James  Muilenburg, laquelle fit date lors du congrès annuel de la Society of Biblical Literature (SBL) en 1968 : Ce qui m’intéresse par-dessus tout est de comprendre la nature de la composition littéraire hébraïque, de mettre en évidence les modèles structuraux qui sont employés pour façonner une unité littéraire, tant en poésie qu’en prose, et en discernant les systèmes nombreux et variés par lesquels les prédicats sont formulés et ordonnés en un tout unifié. Je décrirais cette entreprise comme rhétorique et la méthodologie comme critique rhétorique 175.

Si on doit à Kennedy l’élaboration d’une théorie de critique rhétorique du Nouveau Testament, c’est Hans-Dieter Betz qui a marqué le coup d’envoi de l’utilisation des ressources de la rhétorique antique avec son commentaire programmatique de l’Épître aux Galates 176. Betz était un très grand connaisseur de la culture et de la littérature grecques, avec un 173.  Voir G. A. K ennedy, The Art of Persuasion in Greece, Princeton – Londres, 1963 et G. A. K ennedy, New Testament Interpretation through Rhetorical Criticism, Chapel Hill, 1984. 174. G. A. K ennedy, New Testament Interpretation through Rhetorical Criticism, Chapel Hill, 1984, p.  158. 175.  Cité par R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  179. 176. H.-D. Betz, « The literary composition and function of Paul’s Letter to the Galatians », New Testament Studies 21 (1975), p.  353-379 et H.-D. Betz, Galatians, Philadelphia, 1979. La présentation faite par Uli Ruegg des travaux de H.-D. Betz (U. Ruegg, « Paul et la rhétorique antique », Bulletin du Centre protestant d ’études 35  (1983), p.  5-35) témoigne de l’intérêt suscité à l’époque par les perspectives ouvertes par cette nouvelle approche.

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intérêt marqué pour le comparatisme littéraire 177. Le caractère pionnier de son intérêt pour la rhétorique antique et du potentiel prometteur de celleci pour l’analyse de l’argumentation théologique des écrits pauliniens a été rapidement reconnu 178 depuis. Il sert encore aujourd’hui de paradigme à de nombreuses études consacrées à l’argumentation des lettres pauliniennes 179. Ainsi, c’est toute une génération de chercheurs qui s’est mise à analyser les textes en cherchant à déterminer d’abord le genre du discours contenu dans les lettres, à partir de la typologie des trois genres rhétoriques antiques – judiciaire (accuser ou défendre), délibératif (conseiller ou déconseiller) et épidictique (louer ou blâmer) – puis les différentes parties de l’argumentation, à l’intérieur de l’unité considérée, à savoir l’exorde (ce par quoi le discours commence), la narration (l’exposé des faits), la confirmation (l’enchaînement des propositions, preuves et réfutations), les éventuelles digressions (visant à distraire, émouvoir et indigner l’auditoire) et enfin la péroraison (qui amplifie, exhorte ou récapitule l’argumentation). Le regard porte essentiellement sur la construction de l’argumentation – la carte rhétorique – à savoir la dispositio, laquelle permet de mettre en évidence l’intrigue argumentative du discours. Enfin, l’analyse rhétorique considère plus finement les arguments (les figures), les styles (noble, simple, agréable) et leurs types correspondants de preuve (pathos, logos, éthos) 180. Les lettres étaient conçues pour être lues, à haute voix, à la communauté réunie pour la circonstance. Comme le dit lui-même Paul, dans sa salutation finale aux Thessaloniciens : « je vous en conjure (ἐνορκρίζω) par le Seigneur : que cette lettre soit lue (τὴν ἐπιστολὴν ἀναγνωσθῆναι) à tous les frères » 181. Les chercheurs ont ainsi repéré des liens entre une communication orale destinée à convaincre une communauté d’auditeurs et l’art rhétorique du discours antique et ils ont alors plaqué les conventions héri177. H.-D. Betz, Der Apostel Paulus und die sokratische Tradition : eine exegetische Untersuchung zu seiner “Apologie” 2 Korinther 10-13, Tübingen, 1972. 178.  L’avis de Benoît Standaert est représentatif de l’intérêt prometteur ouvert par l’analyse rhétorique des textes bibliques à ses débuts : « l’étude de la rhétorique ancienne nous donne accès au code qui régit la communication oratoire dans l’Antiquité. Ce code fut pour une bonne part enseigné, mais pour une part aussi, il opérait à l’insu des orateurs et de leurs interlocuteurs. Il est bon, dans la distance culturelle qui nous sépare des anciens, d’essayer de connaître le code, pour ne pas faire trop d’impairs en lisant leurs œuvres » (B. Standaert, « La rhétorique ancienne dans Saint Paul », dans A. Vanhoye (éd.), L’apôtre Paul : personnalité, style et conception du ministère, Louvain, 1986, p.  92). 179.  On consultera avec profit à ce sujet les « Bulletins pauliniens » de JeanNoël A letti, paraissant environ tous les deux ans (depuis 1979 à ce jour) dans Recherches en science religieuse, lesquels recensent les principales parutions des études et des commentaires consacrés à Paul de Tarse. 180. O. R eboul, Introduction à la rhétorique. Théorie et pratique, Paris, 1991, p. 55-80. 181.  1 Th 5,27.

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tées des manuels antiques aux lettres pauliniennes. Kennedy et Betz, par leurs travaux, ont contribué à la recherche exégétique en lui donnant un nouvel outil. Du premier, on retiendra l’effort de repenser l’exégèse néotestamentaire dans le giron de la rhétorique antique et, du second, celui d’intégrer à la méthode historico-critique une nouvelle discipline destinée à analyser de manière exhaustive l’argumentation des lettres 182 . L’analyse des textes bibliques à l’aide des conventions de la rhétorique antique a connu un essor considérable et s’est matérialisé dans un nombre foisonnant de publications, lequel continue encore aujourd’hui. Au début des années 1990, Jerome  Murphy O’Connor et Jean‑Noël  Aletti signalent les limites d’une démarche analytique visant à scolairement décoder les textes bibliques à l’aide des canons de la rhétorique antique : La diversité manifestée dans ce bref aperçu révèle un des risques majeurs de la critique rhétorique. Le classement d’une lettre se fonde en général sur l’impression donnée par son contenu, impression que peuvent justifier un ou deux traits caractéristiques, mais qui ne s’appuie pas sur l’ensemble de l’exposé. Comme Aletti l’a souligné […], c’est mettre la charrue avant les bœufs […] la complexité d’une lettre donnée n’est pas respectée par l’application naïve de catégories univoques 183.

L’analyse rhétorique n’a pas seulement marqué la génération des chercheurs. On s’y réfère encore aujourd’hui pour analyser l’argumentation déployée dans les lettres de Paul. Mais bien vite, l’efflorescence de résultats souvent contradictoires va révéler les limites de cette méthode. Il est vrai que l’analogie est tentante. L’homme de Tarse cherche à convaincre, il se défend, il règle des problèmes pratiques, il édifie, il exhorte. Et ceci déjà très tôt. Si pour Betz, Galates relève du genre judiciaire, pour Kennedy elle est assortie au genre délibératif. Rapidement, la recherche va aboutir au constat que les épîtres pauliniennes ne se laissent pas enfermer dans les canons de la rhétorique antique. Et ceci tant en ce qui concerne la détermination des genres que celle de la dispositio 184 . Les résultats contradictoires de la recherche ont eu pour effet de diversifier les approches. Les difficultés rencontrées vont amener la recherche à reprendre à nouveaux frais la question des rapports entre épistolographie et rhétorique. C’est le constat que fait Régis Burnet, les lettres sont avant tout des lettres. Elles ne sont pas telles quelles réductibles à des discours. L’analyse doit tenir 182. D. L. Stamps, « Rhetorical Criticism of the New Testament : Ancient and Modern Evaluations of Argumentation » dans S. E. Porter – D. Tombs (éd.), Approaches to New Testament Study, Sheffield, 1995, p.  129-169. 183. J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p.  109. La citation de la remarque de J. N. A letti provient de « La dispositio rhétorique dans les épîtres pauliniennes », New Testament Studies 38 (1992), p.  390. 184.  Voir les tableaux de R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 181 et 183.

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compte des paramètres particuliers de la communication à distance, lesquels sont indissociables de toute pratique épistolaire. Régis Burnet identifie plusieurs tendances parmi les exégètes, qu’il range en trois catégories 185 : (1) le groupe des « annexionnistes », qui cherchent à rattacher coûte que coûte l’épistolographie à la rhétorique. Pour eux, le fait que les anciens manuels de rhétorique n’aient pas théorisé le genre épistolaire n’entraîne pas de facto l’exclusion de ce dernier des préoccupations de la rhétorique. Ensuite, on a affaire, dans l’Antiquité, à des genres très variés de lettres, par exemple celui de la lettre-essai, qui aurait servi de modèle interprétatif, selon Martin Luther Stirewalt, pour analyser Romains 186. Enfin, les différentes parties tant d’une lettre que d’un discours peuvent se superposer : outre les parallèles évidents entre ouverture et clôture, l’action de grâce correspond à l’exordium, le body-opening à la narratio, le body-middle à la probatio et le body-closing à la peroratio ; (2) le groupe des « sceptiques », qui concluent au contraire que les manuels de rhétorique sont inappropriés pour être utilisés. Ils visent à fournir des outils et non des clés de lecture. Un peu comme des manuels de savoirvivre, ils ne cherchent pas à rendre compte de la complexité existentielle du moment, mais à donner des conseils pratiques. Pour les Anciens, l’épistolaire et l’art oratoire sont deux efforts distincts. Ce dernier est avant tout marqué pragmatiquement par les contextes liés à sa pratique (la cour de justice, les funérailles, l’assemblée citoyenne) ; (3) le groupe de ceux visant « changement de paradigme », qui élargissent radicalement la perspective. Le texte ne se réduit pas à sa structure interne. Son sens ne provient pas uniquement de sa construction interne. Il est alimenté au contraire par divers réseaux : intertextuel (interaction entre le texte et les coutumes, les valeurs, les institutions, les systèmes), les fibres sociales, culturelles ou religieuses. L’effort porte ici sur la déconstruction de ces différents niveaux et sur leur rôle dans la construction du sens.

1.3.2.5 Quatrième phase : « Jérusalem » ou la prise au sérieux de l’identité judéenne de Paul Cette phase s’inscrit dans le sillage du changement de paradigme généré par ce qui est désigné aujourd’hui usuellement comme « la nouvelle perspective sur Paul » (« The New perspective on Paul ») 187. Le consensus qui a prévalu jusqu’ici, relatif au principe d’une séparation du judaïsme opérée par Paul, vole en éclat. Le regain, depuis une vingtaine d’années, des 185. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  184-191. Nous suivons son exposé. 186.  M. L. Stirewalt, « The Form and Function of the Greek Letter-Essay », dans K. Donfried (éd.), The  Romans Debate, Minneapolis, 1977, p.  175-206. 187.  P. J. L ong, « A Brief Introduction to the New Perspective on Paul », Journal of Grace Theology 2.1 (2015), p. 3-18.

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études sur Paul et le judaïsme en témoigne abondamment 188. L’idée que Paul a créé une religion nouvelle en rupture avec le judaïsme ne fonctionne plus comme clé d’interprétation tombée du ciel de l’œuvre et de la pensée de l’apôtre. Au contraire, la recherche a pris acte qu’une compréhension plus fine et plus précise de Paul passe par une thématisation à nouveaux frais de son rapport au judaïsme 189. Pour éviter tout anachronisme, il ne doit pas être assimilé ou réduit à un système de croyances, mais bien au contraire à « une forme de culture globale » 190. Pour résumer comment cette nouvelle phase a émergé, on rappellera que celle-ci procède avant tout d’une volonté, selon les propos imagés de Simon Butticaz, de « déconfessionnaliser les études pauliniennes, contaminées qu’elles étaient par la dogmatique protestante, d’expression luthérienne singulièrement » 191. On ne peut tout simplement plus comprendre et évaluer l’événement du chemin de Damas, vécu par le Tarsiote, à la lumière de la crise de conscience de Martin Luther dans le donjon du château de 188.  « Ce regain de vitalité se mesure notamment à ce qui constituait, il y a peu encore, une tache aveugle dans la recherche paulinienne : le rapport de Paul au judaïsme. Pendant près de 2000 ans en effet, cette facette du portrait paulinien et de sa pensée a été totalement oblitérée du champ de l’exégèse on alors dégradée au rang de vestige culturel rendu obsolète par la conversion de l’apôtre au christianisme » S. Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 2014 (94/3), p.  253-254. Voir également J.  Schwartz, « Methodological Remarks on Jewish “Identity”  : Jews, Jewish Christians and Prolegomena on Pauline Judaism », dans R. Bieringer – E. Nathan – D. Pollefeyt – P. J. Tomson (éd.), Second Corinthians in the Perspective of Late Second Temple Judaism, Leiden, 2014, p. 36-58 ; A. F. Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat, Paris, 2003 ; A. F. Segal, « Paul et ses exégètes juifs contemporains », Recherches de science religieuse 94/3 (2006), p.  413-441 ; T. E skola, « Paul et le Judaïsme du Second Temple, la sotériologie de Paul avant et après Sanders », Recherches de science religieuse 90/3 (2002), p.  377-398 ; D.  M. Neuhaus, « À la rencontre de Paul. Connaître Paul aujourd’hui – un changement de paradigme ? », Recherches de science religieuse 90/3 (2002), p.  353-376. 189.  « I firmly believe that trying to understand Paul as connected to Judaism, rather than in conflict with Judaism, is a better perspective when searching for the historical Paul », M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p. 1 (l’auteur souligne). Voir également la contribution de C.  K essler, « Saint Paul. Un point de vue juif », Études, 1997, p.  189-205. 190.  « Le judaïsme, qui est inséparable du peuple juif, est davantage une forme de culture globale qui enveloppe à la fois certaines croyances et pratiques qui s’imposent à tous et d’autres qui s’imposent à certains d’eux. Le judaïsme est fondé sur des formes de savoirs et des modèles intellectuels, éthiques et politiques instruits par des textes écrits (la Bible) alors que le rabbinisme ajoute à ces textes écrits (la Bible) des traditions orales (le Talmud). Le judaïsme est un mode de pensée ou d’existence », selon S. C. M imouni, « Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur le judaïsme et le christianisme de l’Antiquité classique et tardive », Laval théologique et philosophique 70/3 (2014), p. 416). 191.  S.  Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 2014 (94/3), p.  254.

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la Wartburg. On doit l’origine de cette déprogrammation notamment au théologien luthérien Krister  Stendahl (1921-2008) et à son grand engagement en faveur du dialogue judéo-chrétien. Son célèbre plaidoyer, paru en 1963, cristallise ce changement de perspective 192 . Dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’on a véritablement pu mesurer l’ampleur de l’horreur et des atrocités subies par les Juifs, s’est rapidement imposée la nécessité de réviser la théologie chrétienne et sa vision traditionnelle du judaïsme, dont on prenait alors toute la mesure de son funeste rôle mortifère dans la doctrine nazie de la purification ethnique et du génocide du peuple juif. Différentes initiatives ont cherché à contribuer au rapprochement et à l’introspection 193. Dans les années 1970-1980, de nouvelles études vont poursuivre l’émancipation de la pensée paulinienne de ses ornières confessionnelles, notamment luthériennes. Il s’agit en particulier des publications de Heikki Räisänen 194 et surtout d’Ed Parish Sanders 195, à qui on doit, avec son concept de « nomisme d’alliance » 196, le passage à un point de nonretour en arrière en ce qui concerne l’approche théologique existentialiste de Rudolf Bultmann 197. Sanders procède à une réévaluation complète de la compréhension du salut au sein du judaïsme du Second Temple, évaluée jusqu’ici dans une perspective unilatéralement légaliste. Selon cette nouvelle approche, l’élection précède la Loi en ce qui concerne l’admission au salut. Pour Sanders, « le nomisme d’alliance est une clé sociologique

192.  K.  Stendahl, « The Apostle Paul and the Introspective Conscience of the West », Harvard Theological Review 56 (1963), p.  199-215. Dans une contribution récente, S. Butticaz montre que la doctrine de la justification par la foi déployée dans la Lettre aux Galates ne s’explique pas comme le produit d’une crise de conscience. Au contraire, elle est à comprendre à la lumière de la culture antique de l’honneur (« Contexte et enjeux de la justification par la foi dans la Lettre aux Galates », Annali di Storia dell ’Esegesi 33/1 (2016), p. 107-128). 193.  On signalera la fondation de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France en 1947, la constitution du Conseil œcuménique des Églises à Amsterdam en 1948,  etc. ainsi que, dans les années 1950 du côté catholique, les travaux préparatoires au Concile de Vatican  II (1962-1965) visant à un rapprochement avec le judaïsme. À  cela s’ajoutent, du côté de l’archéologie, les découvertes dans le désert de Juda et notamment celle des documents trouvés dans les grottes de Qumran, qui ont ouvert des perspectives inédites pour la recherche et l’étude des divers milieux judéens à l’époque du Second Temple et des origines du christianisme. 194.  H.  R äisänen, Paul and the Law, Tübingen, 1983. 195.  E.  P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism : a Comparison of Patterns of Religion, SCM Press, Londres, 1977 ; E.  P. Sanders, Paul, the Law and the Jewish People, Philadelpia, 1983. 196.  « Covenantal nomism », dans E. P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism. A Comparison of Patterns, Philadelphia, 1976, p.  75. 197.  Voir D. M arguerat, « Introduction », dans A. Dettwiler – J.-D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p.  9-21.

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pour comprendre la sotériologie juive » 198. Il en résume le modèle en huit points : « (1) Dieu a choisi Israël et (2) lui a donné la Loi. La Loi implique (3) la promesse de Dieu pour maintenir l’élection et aussi (4) l’appel à obéir. (5) Dieu récompense l’obéissance et punit la transgression. (6) La Loi fournit les moyens d’absolution, qui consistent à (7) maintenir ou rétablir la relation d’alliance. (8) Quiconque est maintenu dans l’alliance par l’obéissance, l’absolution et la miséricorde divine, appartient au groupe qui sera sauvé » 199. Sanders estime qu’il convient de resituer la pensée et l’œuvre de Paul de Tarse dans le contexte du nomisme d’alliance centré autour du Temple de Jérusalem pour l’évaluer sans a priori confessionnels et l’analyser correctement. Enfin, depuis les années 1980-1990, l’analyse des rapports entre Paul et le judaïsme a été repensée en profondeur. Rétrospectivement, l’objectif a été de franchir un pas de plus et de considérer non plus Paul et le judaïsme, mais Paul dans le judaïsme. La recherche désigne cette nouvelle phase comme la nouvelle perspective radicale (« The radical new perspective » 200). En 1980, Donald Hagner dresse un bilan de la recherche menée par les penseurs juifs modernes sur Paul. Il constate un tournant. L’heure n’est de loin plus au clivage, suite aux travaux de la Religionsgeschichtliche Schule, entre un Jésus resté judéen et un Paul, fondateur d’une nouvelle religion, suite à l’influence de l’hellénisme dans milieux judéens de la Diaspora. Cloisonner de la sorte la question n’est plus possible aujourd’hui : The trend is to locate Paul’s background not primarily in Hellenistic and Diaspora Judaism […], but in Rabbinic and Palestinian Judaism. This trend of course is consonant with the recent realization of some scholars that it is no longer possible to make a facile dichotomy between Hellenism and Judaism and thus between Diaspora and Palestinian Judaism. Even the Judaism of Palestine was subject to a high degree of Hellenistic influence, and thus much that was previously described as Hellenistic and alien may now be designated as Rabbinic 201.

Hagner constate une évolution parmi les penseurs juifs du XXe siècle, à savoir la progressive réévaluation de la position de Paul au sein du judaïsme, 198.  T. E skola, « Paul et le Judaïsme du Second Temple, la sotériologie de Paul avant et après Sanders », Recherches de science religieuse 90/3 (2002), p.  380. 199.  E.  P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism : a Comparison of Patterns of Religion, Londres, 1977, p.  422, cité et traduit par T. E skola, « Paul et le Judaïsme du Second Temple, la sotériologie de Paul avant et après Sanders », Recherches de science religieuse 90/3 (2002), p.  381. 200.  Voir M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009,  p.  127-163 (citation : p.  161). 201.  D. A. H agner, « Paul in Modern Jewish Thought », dans D. A. H agner – M. J. H arris (éd.), Pauline Studies : Essays Presented to Professor F. F. Bruce on his 70th Birthday, Exeter – Grand Rapids (MI), 1980, p.  142-165 (citation : p.  155).

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qu’il qualifie ici de rabbinique. Paul n’est plus à considérer comme celui qui a subi, de manière décisive, des influences gnostiques, apocalyptiques ou philosophiques issues d’un hellénisme totalement autre. Au contraire, la prédication de Paul est à repositionner dans le contexte de l’accord entre Pierre et lui. Au premier, la mission parmi les judéens, au deuxième, la mission parmi les païens. Ces penseurs, parmi lesquels on compte, entre autres, Joseph Klausner, Martin Buber, Samuel Sandmel, Leo Baeck, Joachim Schoeps et Richard Rubenstein, partagent tous un profond souci de comprendre réellement qui était Paul de Tarse et d’analyser sa pensée et son action en fonction de son milieu d’origine et de son contexte. Paul ne souhaitait pas réformer le judaïsme, mais contribuer décisivement à réaliser pleinement l’idéal de réconcilier toutes les nations. Hagner conclut en affirmant que Paul, depuis l’expérience sur le chemin de Damas, accomplit les promesses universalistes de la Bible d’Israël : If Paul on the Damascus road really received a revelation from the resurrected Christ, then we have the dynamic that can explain Paul’s theology with its newness within a fully Jewish framework, viz. as the culmination of the history of Israel and the inaugurated consummation of the Old Testament tradition 202 .

Dans le cadre de la nouvelle perspective radicale, il convient de brièvement mentionner les travaux de Lloyd Gaston 203, qui démontre qu’il n’y a jamais eu d’opposition fondamentale entre Paul et le judaïsme. Si Paul s’est montré critique, c’était uniquement pour interpeller ses coreligionnaires qui n’adhéraient pas au plan de Dieu pour le salut des nations. Peter Tomson poursuit sur la même voie 204 . Il réévalue la place de Paul au sein du judaïsme et situe le Tarsiote comme un pharisien de tendance helléniste. Stanley Stowers évalue la position de Paul par rapport au judaïsme à la lumière de sa Lettre aux Romains 205. Pour lui, Paul est par excellence l’apôtre des nations. Celles-ci sont au centre de ses préoccupations, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il néglige les judéens et leur pratique de la Torah 206. Mark Nanos, comme Lloyd Gaston, examine aussi la posi-

202.  D. A. H agner, « Paul in Modern Jewish Thought », dans D. A. H agner – M. J. H arris (éd.), Pauline Studies : Essays Presented to Professor F. F. Bruce on his 70th Birthday, Exeter – Grand Rapids (MI), 1980, p.  158. 203. L. Gaston, Paul and the Torah, Vancouver, 1990. 204. P. J. Tomson, Paul and the Jewish Law : Halakha in the Letters of the Apostle to the Gentiles, Assen, 1990. 205. S. K. Stowers, A  Rereading of Romans : Justice, Jews and Gentiles, New Haven, 1994. 206. « Paul’s main problem was to take non-Jews realize why they could not become righteous through the Torah », M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009,  p.  147.

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tion de Paul en tant qu’apôtre des nations 207. Pour lui, d’un point de vue historique, Paul n’a jamais quitté le judaïsme, il n’a eu de cesse de mettre en pratique les commandements de la loi, et ceci durant toute sa vie. Son souci a toujours été la restauration d’Israël, dans le sillage de l’appel universel au salut, selon le principe les judéens en premier, mais aussi les grecs. Enfin, Caroline Johnson Hodge va encore plus loin 208. Pour elle, Paul a cherché à transcender le particularisme d’Israël en l’ouvrant à l’universalisme. Ainsi, la nouvelle perspective radicale nous restitue un Paul dans le judaïsme, en tant que tel et donc détaché de toute contingence relevant d’une perspective chrétienne historique. Enfin, on rappellera combien les questions soulevées ici ne sont pas comme telles réductibles à une phase chronologique de l’histoire de la recherche, mais remontent beaucoup plus loin. Elles concernent plus globalement le débat sur les origines d’un judaïsme et d’un christianisme, et plus précisément celui lié à la transformation du paradigme de la séparation entre deux religions en une partition des voies. Ce débat n’est pas près de s’éteindre, loin de là 209. Il convient de bien comprendre en quoi ce changement impacte aujourd’hui les recherches sur Paul, non seulement en ce qui concerne l’analyse de sa pensée, mais aussi celle de sa pratique épistolaire. On ne peut plus ignorer les remises en question du rapport de Paul à la problématique des origines du christianisme, même si la question a traversé tout le XXe siècle 210. Il convient de les prendre pleinement au sérieux pour éviter tout anachronisme.

207.  M. D. Nanos, The Mystery of Romans : The Jewish Context of Paul ’s Letter, Minneapolis, 1996. 208. C. Johnson Hodge, If Sons, then Heirs : A Study of Kinship and Ethnicity in the Letters of Paul, Oxford, 2007. 209.  Voir en particulier S. C. M imouni – B.  Pouderon (éd.), La croisée des chemins revisitée. Quand l ’« Église » et la « Synagogue » se sont-elles distinguées ? Actes du colloque de Tours 18-19 juin 2010, Paris, 2012 et C. Clivaz – S. C. M imouni – B.  Pouderon (éd.), Les judaïsmes dans tous leurs états aux Ier-IIIe siècles (les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins) : Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012, Turnhout, 2015. 210.  « With regard to Pauline scholarship it is probably no exaggeration to suggest that Paul’s relation to Judaism aptly frames the most important discussions of the twentieth century […]. While very few scholars in the beginning of the last century seriously questioned that Paul was the founder of Christianity and that himself had abandoned Judaism, the situation in the beginning of the twenty-first century is remarkably different. In contemporary discussions on Paul, the traditional perspective characterized by an almost absolute contradiction between Paul and Judaism, is challenged by scholars who maintain that Paul, to some extent, remained within Judaism », M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  1.

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1.3.2.6 Perspectives actuelles Aujourd’hui, toute recherche sur Paul de Tarse se doit donc d’évaluer et de garder présent à l’esprit l’impact de ce changement de paradigme sur la compréhension de sa pratique épistolaire. Dans ce sens, la récente thématisation à nouveaux frais de la question des racines judéennes des pratiques épistolaires chrétiennes antiques menée par Lutz  Doering demeure, à notre avis, incontournable 211. Elle s’inscrit pleinement dans les orientations générales de la recherche actuelle. Pour bien la situer, il convient de la passer en revue et d’en mesurer les principaux résultats. Après avoir considéré les premières attestations de pratiques épistolaires avec le corpus des lettres hébraïques anciennes cananéennes du IXe au VIe siècles avant notre ère (inscriptions amphoriques de Kuntillet Agrud, papyrus Murabba’at 17, etc.), Doering analyse les sources documentaires de type épistolaires d’une part araméennes et d’autre part grecques (chapitre 2). Cette première étape permet de tirer au clair les différents usages pragmatiques à l’œuvre dans la communication épistolaire. Il analyse ensuite les lettres conservées dans la Bible hébraïque puis, pour identifier comment ces pratiques anciennes se sont prolongées puis transformées, celles contenues dans les versions grecques de la Bible hébraïque (chapitre 3). Il traite ensuite des lettres littéraires contenues dans les manuscrits de la Mer Morte, de même que les manuscrits araméens et hébreux de la période du Second Temple. Cela lui permet de réévaluer la délicate question du caractère épistolaire de la Lettre halakhique de Qumran (4QMMT). Il examine ensuite les lettres contenues dans la littérature dite pseudépigraphique (chapitre 5), puis les lettres contenues dans les œuvres de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe (chapitre 6), les lettres contenues dans la littérature rabbinique primitive (chapitre 7). Doering consacre ensuite deux chapitres aux interactions entre les lettres chrétiennes primitives et l’épistolographie judéenne. Il évalue tout d’abord la thèse d’Irene Taatz 212 sur l’influence que Paul doit aux lettres judéennes, mais en la replaçant dans un contexte plus large et en suggérant de la modifier quelque peu. Il estime que Taatz a insuffisamment traité certains enjeux des lettres de Paul (chapitre 8). Puis il s’intéresse aux lettres négligées par Taatz : 1 Pierre, Jacques, la lettre contenue dans les Actes des Apôtres en 15,2329 et la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome, qu’il examine à la lumière du contexte de la tradition des lettres judéennes de Diaspora ainsi qu’à d’autres lettres chrétiennes primitives présentant des similitudes avec

211. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012. 212. I. Taatz, Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991.

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l’épistolographie judéenne (chapitre 9). Il termine par une synthèse des résultats de sa recherche (chapitre 10). Doering démontre que le patrimoine épistolaire judéen n’est pas réductible aux autres modèles possibles d’interprétation des lettres conservées en tout ou partie dans les collections des écrits bibliques à côté des grands modèles fournis par la tradition des lettres classiques grecques ou romaines. Il s’inscrit volontairement dans ce sens contre la tendance générale 213. Constatant combien la recherche a été formatée presque exclusivement par le recours massif au matériel gréco-romain, selon ses mots, dans le sillage d’Athènes et non pas de Jérusalem – son enquête approfondie confirme les tendances de la nouvelle perspective radicale, ceci par la nécessaire prise de distances de l’avis général selon lequel « le recours au matériel épistolaire judéen primitif n’est que d’un modeste secours pour notre compréhension des lettre chrétiennes primitives » 214 . Il précise que cette volonté de changer – autant que faire se peut – de paradigme ne doit pas induire que l’art épistolaire judéen est un isolat. Dit autrement, ce dernier n’est pas à considérer comme un phénomène vierge de toute influence extérieure au milieu du monde gréco-romain. Cet art épistolaire a été en contact et en interaction constante avec le monde dans lequel il s’est déployé. Pour bien comprendre ces conclusions, il vaut la peine de mesurer l’ampleur de l’itinéraire suivi par l’analyse, tendant quasiment à l’exhaustivité de l’examen des matériaux disponibles. S’appuyant sur les travaux de Hans-Josef Klauck 215, Lutz Doering met en évidence toutes les relations directes ou indirectes entre les pratiques et 213. Dans son étude, (Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012.), L. Doering affiche d’emblée une claire volonté de changement de paradigme : « in the present volume, I beg to differ » (p. 3). Et il confirme l’atteinte, au terme du parcours, de son objectif initial : « What I hope to have shown in this book, however, is that ancient Jewish letters present themselves as a fascinating and varied objet of study. Despite issues surrounding their historical placement and their transmission, they serve significant literary, cultural, and religious functions. In addition, Jewish epistolary praxis was of a material and pragmatic importance for the beginning of early Christian epistolography and, at least in part, also for its early development » (p. 514). 214.  A partir de la position de Georg Strecker (d’après L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 3). (« recourse to early Jewish letters writing will contribute little to our comprehension of early Christian letters » p. 3 ; voir n. 8). Citation originale : « belegen die zahlreichen Parallelen zur hellenistischen Epistolographie, dass ein Rekurs auf die frühjüdische Briefschreibung wenig für das Verständnis der frühchristlichen Briefe austragen wird » G. Strecker, Literaturgeschichte des Neuen Testament, Göttingen, 1992, p.  75 n.  86. 215. H.-J.  K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006. L. Doering s’appuie en particulier sur le chapitre 6 (« Letters in Early Judaism », p.  229-297) dans lequel sont passées en revue les lettres contenues dans la LXX, les lettres contenues dans certains textes

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les influences croisées en ce qui concerne les variations et transformations du formulaire épistolaire. Il démontre qu’une analyse sur les origines et le contexte de production des lettres des premiers auteurs du christianisme antique ne peut faire l’économie de la prise en compte de son contexte judéen. Vu que les lettres issues du monde judéen n’ont reçu que peu d’attention, il convient d’étoffer l’inventaire très succinct des lettres provenant du monde sémitique. Il distingue les lettres qui nous sont parvenues telles quelles sous la forme d’archives (« documentary letters ») des lettres insérées dans des récits (« embedded letters ») ou d’autres formes de textes aux caractéristiques peu ou prou épistolaires, comme les traités en forme de lettre 216. La première catégorie de sources comprend : 1. Les lettres écrites sur papyrus et ostraca en lien avec la garnison judéenne d’Éléphantine. Ces lettres relèvent du genre de la lettre quasi-officielle. 2. Les ostraca en araméen du IVe siècle, en Idumée, et du IIIe siècle, en Égypte ; ils conservent diverses lettres relatives à des affaires commerciales. 3. Les lettres du désert de Juda au Ier siècle après notre ère ; il s’agit de lettres privées, attestant de la vivacité des pratiques épistolaires au Ier siècle. 4. Les lettres documentaires de la révolte de Bar Kokhba, parmi lesquelles neuf lettres en araméen provenant de Nahal Hever ; il s’agit de lettres administratives, en lien avec la conduite militaire de la Deuxième révolte judéenne contre Rome (132-135). 5. Les lettres documentaires grecques écrites par des Judéens, à savoir des fragments de lettres provenant d’Égypte, respectivement de Massada. Il s’agit essentiellement de lettres de type administratif, d’une lettre privée – la lettre de Johanna à Épagathos, probablement écrite de sa propre main – et de lettres échangées entre personnes occupant des fonctions officielles. La deuxième catégorie de sources comprend : 1. Les lettres conservées dans la Bible hébraïque. Les lettres insérées narrativement ne comportent pas de formules épistolaires introductives et conclusives. La correspondance avec l’administration perse – ainsi Esdras – constitue un précédent important en termes d’inpseudépigraphiques, les lettres sur papyrus trouvées par l’archéologie (Éléphantine, Qumrân, Wadi Murabba’at et Nahal Hever, Corpus Papyrorum Judaicarum), les lettres conservées dans les œuvres respectivement de Philon d’Alexandrie et de Flavius Josèphe et enfin les lettres conservées dans la littérature rabbinique. 216.  Voir L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 5-15.

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sertion de lettres officielles en faveur des Judéens dans la littérature judéenne tardive. 2. Dans la Bible grecque, outre l’attestation des lettres insérées narrativement, on constate également une tendance au macroformat épistolaire, même si ces lettres étaient conçues pour être lues en fonction de leurs cotextes respectifs. 3. Les lettres littéraires conservées dans les manuscrits de la Mer Morte. Parmi les lettres en araméen, la lettre d’Hénoch présente des traits incontestablement épistolaires. Dans le Livre des Géants, une lettre insérée narrativement est mentionnée dans l’annonce du jugement 217. Le texte 4Q550 (fragment 1) mentionne une recherche dans les archives ayant permis la mise à jour d’un rouleau scellé de sept sceaux. Parmi les textes en hébreu, 4Q389 mentionne une lettre de Jérémie ; cette mention permet de documenter d’une part l’évidence de l’existence d’une tradition de Jérémie comme prophète épistolier de l’exil et d’autre part l’existence d’une pratique épistolaire bien vivante en langue hébraïque au IIe siècle de notre ère. Enfin, en ce qui concerne 4QMMT, bien que le nombre important de copies retrouvées attestent de l’utilisation importante de ce texte à des fins d’étude et d’instruction au sein de la communauté, il convient de ne point sous-estimer les caractéristiques épistolaires que comporte ce texte, lesquelles pourraient le rapprocher du genre du traité grec en forme de lettre 218. 4. Au sein de la littérature pseudépigraphique judéenne, il faut considérer également le cas de la Lettre d’Aristée, dont les traits apparemment épistolaires méritent de retenir l’attention, notamment ceux supposant un contact à la deuxième personne, lequel fait penser au genre du traité en forme de lettre. Le texte poursuit vraisemblablement une prétention historiographique. Les traits philosophiques devraient lui offrir un point de comparaison pertinent, notamment ceux dédiés à des pairs, et donc pas à des rois ou à des patrons. Aristée s’adresse à un frère désireux d’apprendre, dont on peut envisager la présence physique. 5. Les extraits grecs tirés d’Eupolème conservent une correspondance, intégrée narrativement dans le récit, entre Salomon et le pharaon Vaphrès et le roi Souron de Tyr. La trace de cet échange nous renseigne au sujet des contenus des formulaires épistolaires. 217.  4Q203, fragment 8. 218.  Voir H. Cousin (éd.), Le monde où vivait Jésus, Paris, 1998, p.  500-503, qui fournit la première édition en langue française de ce célèbre texte trouvé dans la Grotte 4 et dont la si tardive mise à disposition du public fit longtemps polémique dans la communauté scientifique (§ 370 : « Lettre halakhique ou 4QMMT »).

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Ce fragment a été préservé par Eusèbe de Césarée dans ses Préparations évangéliques 219, qui l’a repris du traité Sur les juifs d’Alexandre Polyhistor. 6. En ce qui concerne la Lettre de Baruch, il en va de même avec le formulaire épistolaire. Cette lettre est aussi importante en ce qui concerne le potentiel pragmatique des pratiques épistolaires adressées en particulier à la Diaspora. Les lettres dans les Paralipomènes de Jérémie expriment l’intérêt mutuel pour le peuple de Dieu qui est à Jérusalem et celui qui est à Babylone, appelé à rentrer d’exil avec Jérémie et ceci à deux niveaux, un retour à la fois à la Jérusalem terrestre et à la Jérusalem céleste. 7. Dans l’œuvre de Philon d’Alexandrie, seules sont conservées les lettres en lien avec l’affaire de la statue du Temple dans la Legatio ad Caium. 8. Dans l’œuvre de Flavius Josèphe, on trouve de nombreuses lettres insérées narrativement. Flavius Josèphe constitue une des plus importantes sources documentaires en ce qui concerne les lettres écrites et conservées par les Judéens. Son œuvre fait largement écho à la grande variété des pratiques épistolaires et des fonctions qui leur sont liées. Flavius Josèphe exploite, clarifie et développe l’art de la lettre insérée narrativement. 9. Les lettres conservées dans la littérature tannaïtique, bien que très peu nombreuses, n’en sont pas moins riches d’enseignements : on y trouve des références à des porteurs de lettres, à des lettres privées, à l’usage de lettres dans des situations particulières, comme celles de rendre un divorce effectif, et aux réalités matérielles des pratiques épistolaires comme des informations relatives à des sceaux. La plupart de ces lettres relèvent du genre quasi-officiel ; elles traitent de questions juridiques, halachiques ou calendaires. Leur fonction est normative, en ce qui concerne les pratiques religieuses. L’évidence documentaire en faveur de la lettre quasi-officielle, écrite entre personnes séparées par une longue distance, se trouve être confirmée aussi par les échos des pratiques épistolaires pré-amoraïques conservés dans la littérature amoraïque. En exprimant des postures sociétales, culturelles et politiques, ces derniers attestent de facto de l’existence de pratiques épistolaires. Les lettres conservées dans le Nouveau Testament et celles écrites à leur suite manifestent concrètement ces éléments de différentes façons. Elles attestent de degrés variés d’interaction avec l’épistolographie judéenne. Les lettres attribuées à d’autres apôtres qu’à Paul permettent elles aussi d’éta219.  Praeparatio Evangelica 9,30.1-34.18.

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blir des connexions manifestes avec les traditions épistolaires judéennes. Les spécificités des pratiques épistolaires judéennes ne sont pas pour autant à considérer comme un isolat. L’art épistolaire a été en contact et en interaction constante avec les milieux, notamment perse et hellénistique, dans lesquels il s’est déployé. Il a sillonné ainsi de vastes territoires. Ainsi, les résultats de la recherche récente, celle de Lutz Doering en particulier, permettent de réévaluer les héritages liés au contexte historique judéen de Paul de Tarse. L’apport de ce correctif est double : d’une part on bénéficie aujourd’hui d’une vue d’ensemble des pratiques épistolaires de langues araméenne, hébraïque et grecque, et d’autre part, on peut apprécier plus finement les lettres, à la fois comme art littéraire spécifique et à la fois comme pratique d’échange de communication, véhiculant et entretenant un mode spécifique de présence à distance. L’argument principal de la recherche menée par Doering permet d’établir que les pratiques épistolaires judéennes contribuent à une meilleure compréhension de la pratique épistolaire chrétienne primitive dans au moins trois domaines : (1) celui de la partie la plus standardisée du formulaire de la lettre grecque, à savoir les salutations introductives et les salutations conclusives ; (2) celui de l’utilisation pragmatique de la lettre adressée à des communautés et non pas à des destinataires individuels et (3) en relation avec le précédent, la référence dans les lettres à l’identité et à la cohésion collectives, avec notamment la référence à l’appartenance à une histoire du salut. Les lettres conservées dans le Nouveau Testament, celles de Paul de Tarse en particulier, attestent concrètement de ces éléments de différentes façons. Ces dernières reflètent autant de degrés variés d’interaction avec l’épistolographie judéenne. Et même ultérieurement, les lettres attribuées à d’autres apôtres dans le sillage de Paul attestent de connexions encore plus manifestes avec la tradition épistolaire judéenne. Le grand mérite de l’étude de Doering est de fournir les moyens à la recherche actuelle de resituer les pratiques épistolaires pauliniennes dans son milieu d’origine et non plus en lien avec ce dernier. 1.3.3 Bilan et perspectives Pour dresser un bilan et dégager les perspectives dans lesquelles notre enquête s’inscrit, on peut reprendre à nouveau l’image des deux géants (Baur et Bultmann), sur les épaules desquels tout chercheur se trouve nolens volens assis. François Vouga résume sa vision de la recherche juchée sur leurs épaules respectives en parlant de deux dialogues fondamentalement toujours et encore ouverts : « le dialogue avec Baur se poursuit dans la conviction que la vérité de l’Évangile paulinien s’exprime dans la contingence, et que la prise au sérieux de l’histoire est nécessaire à sa compréhension. Le dialogue avec Bultmann oblige au contraire à lier existentiel-

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lement la question de la vérité comme puissance de libération à l’ensemble des discussions d’ordre littéraire et historique » 220. Il est capital, pour éviter toute confusion susceptible de produire du non-sens de distinguer soigneusement les dynamiques propres à chacun de ces deux dialogues. Inscrire notre recherche exclusivement dans le sillage du premier dialogue nous conduirait à privilégier épistémologiquement le concept de réalité au détriment de celui du concept de vérité. L’inscrire dans le sillage du deuxième générerait l’inverse 221. Thématiser à nouveaux frais une problématique historique ne peut faire l’économie d’une analyse du paramètre des convictions religieuses et, à l’inverse, thématiser un enjeu théologique ne peut faire l’économie de l’analyse de sa contingence historique, de son milieu de production comme de son milieu de réception. Notre enquête sur le geste épistolaire paulinien s’inscrit dans le cadre assigné par ces deux dialogues. D’une part, les pratiques épistolaires du Tarsiote s’inscrivent dans un contexte historique que l’essor considérable connu par sa doctrine, en particulier celle de la justification par la foi, qu’il convient de ne pas perdre de vue et pour lequel il convient d’assumer de façon critique nos a priori, confessionnels, philosophiques et sociologiques. D’autre part, ces pratiques étaient mues par une profonde conscience d’adhérer à une vérité nouvelle et de chercher à la transmettre en conséquence 222 . Paul était visiblement conscient tant du caractère novateur que de l’urgence apocalyptique de sa mission apostolique auprès des prosélytes et des craignants-Dieu et, pour celle-ci, il a incontestablement utilisé les ressources pragmatiques du médium épistolaire pour développer 220. F. Vouga, « Le corpus paulinien » dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 162. 221. S. C. M imouni mentionne le cas du judaïsme rabbinique, lequel « fonctionne sur la mémoire et non sur l’histoire » et pour lequel « les thèses historiques sont généralement considérées comme des spéculations mouvantes à caractère idéologique » ; cet exemple fournit le cas de figure où le concept de vérité prend le pas sur celui de réalité : « il est évident que le travail de l’historien ne saurait reposer sur ces paramètres qui sont de l’ordre des représentations théologiques, fonctionnant sur le concept de vérité, et non sur la reconstitution historique, laquelle propose plutôt le concept de réalité », dans « Quelques remarques épistémologiques et méthodologiques sur le judaïsme et le christianisme de l’Antiquité classique et tardive », Laval théologique et philosophique 70/3 (2014), p. 416. 222.  « En définitive, Jésus est apparu sans aucun doute à Paul, comme le Messie envoyé par Dieu à la fois aux juifs et aux païens, c’est-à-dire comme le Sauveur qui apporte le Salut tant aux juifs qu’aux païens (voir Rm 10, 12-13). En grand esprit, fort de cette vision œcuménique, au sens propre et dernier du terme, il a pensé pouvoir réaliser l’unité des juifs et des païens autour de cette croyance au Messie Jésus, dont la parousie en ce monde lui a semblé fondamentale », S. C. M imouni, « Paul de Tarse. Éléments pour une réévaluation historique et doctrinale », dans S. C. M imouni (éd.), Le judéo-christianisme dans tous ses états. Actes du Colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, Paris, 2001, p. 124-125.

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et entretenir le réseau des communautés fondées au cours de sa carrière missionnaire 223. Le clivage contextuel induit par le binôme paradigmatique Jérusalem versus Athènes et Rome doit ainsi être relativisé. Les lettres de Paul témoignent du déploiement d’éminentes compétences en rhétorique, lesquelles faisaient partie de la trousse à outils de base de tout lettré dans le monde romano-hellénistique, comme le rappelle Catherine Salles : « il ne faut donc pas l’ignorer : tout écrivain, Grec ou Romain, se sert des instruments de base de la rhétorique pour la rédaction de n’importe quel texte en prose ou en vers » 224 . En même temps, les lettres du Tarsiote baignent dans l’univers judéen, puisque Paul ne revendique pas une sortie du judaïsme pour inventer quelque chose de différent. Il ne se désigne d’ailleurs jamais comme chrétien. Comme la recherche dans les sillages de la New Perspective et de la Radical New Perspective l’ont maintenant établi, Paul doit être compris et pensé dans le contexte de la diversité des mouvements judéens au Ier siècle de notre ère. Il convient d’analyser tant sa pensée théologique que son activité d’épistolier en regard de son contexte historique pour éviter tout anachronisme et tout contresens d’ordre théologique. On retiendra aussi que la thématisation de la dimension pragmatique des lettres de Paul ne doit pas se limiter à leur seule approche rhétorique. Celle-ci demeure indispensable, et la conclusion de Jean‑Noël Aletti, formulée dans ce sens à l’occasion d’un bilan de la recherche en 2004, reste pleinement valable : Les réflexions qui viennent d’être énoncées sur la manière dont la rhétorique permet à Paul de construire sa pensée et de la communiquer, ont un caractère délibérément programmatique. À l’aide des nombreuses études publiées ces deux dernières décennies, il faudrait refaire une taxinomie des techniques de l’apôtre, en montrant leur pertinence et leur importance théologique. Car, l’expérience me fait seulement dire que si l’on connaît mal – ou si l’on ignore, ce qui est plus grave – la rhétorique paulinienne, on ne peut que se méprendre sur ses affirmations théologiques concernant la Loi, la justification, et les autres thèmes encore et toujours discutés aujourd’hui 225. 223.  « Paul’s letters thus functioned within a social network, in which he communicated with communities or, as in Philemon, with individuals in the context of communities. This is also clear for the rest of his letters », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 385. 224. C. Salles, « L’épistolographie hellénistique et romaine », dans J. Schlosser (éd.), Paul de Tarse, Paris, 1996, p. 93. Voir également S. E. Porter – S. A. A dams , Paul and the Ancient Letter Form, Leiden – Boston, 2010, p.  58-59. 225. J.-N. A letti, « La rhétorique paulinienne : construction et communication d’une pensée », dans A. Dettwiler – J.-D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 66.

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Par contre, et c’est là que porte notre effort à thématiser à nouveaux frais la pratique épistolaire paulinienne, l’analyse rhétorique, pour être complète, doit également considérer la dimension pragmatique spécifiquement induite par l’action de communication de nature épistolaire. Dit autrement, il ne suffit pas de convoquer la rhétorique antique pour thématiser la question de la pragmatique épistolaire paulinienne. Il convient de se doter d’outils d’analyse prenant complètement en compte la spécificité d’une communication écrite entre interlocuteurs nettement séparés géographiquement et temporellement. Il convient maintenant, après avoir pris la mesure de la recherche sur les pratiques épistolaires du Tarsiote, de questionner historiquement et littérairement les sources en amont et en aval.

Chapitre 2

LES PRATIQUES ÉPISTOLAIRES D’AUTORITÉ ANTÉRIEURES À PAUL 2 .1 I n t roduct ion À la lecture des livres prophétiques de l’Ancien Testament, on remarque tout de suite que les prophètes bibliques ne sont pas des épistoliers, mais qu’ils développent et exercent avant tout une activité de prédicateurs publics, si on ose dire les choses ainsi. Ils s’adressent directement au roi, à sa cour, aux prophètes rattachés aux sanctuaires ou au peuple. Il n’est visiblement pas dans leur habitude d’écrire des lettres 1. On trouve pourtant dans l’Ancien Testament deux mentions d’oracles transmis épistolairement par un prophète, lesquels sont mis narrativement en scène et formulés sous la forme d’une lettre insérée verbatim dans le récit. Dans le 2e Livre des Chroniques, (2 Ch 21,12-15), on lit que le prophète Élie écrit à Yoram, roi de Juda, pour lui annoncer une série de malédictions sur lui, sa famille et tous ses biens : « un écrit (‫ )מכתב‬lui parvient de la part du prophète Élie disant : “Ainsi parle le Seigneur, le Dieu de David ton père…” » (2 Ch 21,12). Dans le Livre de Jérémie, on trouve au chapitre 29, une lettre insérée narrativement dans le récit, qu’on désigne habituellement, dans les principales éditions françaises de la Bible, comme « la lettre du prophète Jérémie aux exilés à Babylone » 2. Celle-ci commence de manière similaire à celle d’Élie à Yoram, par la formule prophétique du messager, au v. 4 (‫ )כה אמר יהוה‬: Voici les termes de la lettre (‫ )דברי הספר‬que le prophète Jérémie envoya de Jérusalem à tous les anciens parmi les exilés, aux prêtres, aux prophètes et au peuple tout entier que Nabuchodonosor avait déporté de Jérusalem à Babylone, après que le roi Yekonya, la reine mère, le personnel de la cour, les hauts fonctionnaires de Juda et de Jérusalem, les techniciens et les officiers du génie eurent quitté Jérusalem, il la confia à Eléaza, fils de Sha1. L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 43. 2.  Jr 29,1-23 ; voir la traduction française, avec notes, dans La Bible, notes intégrales. Traduction œcuménique, Paris – Villiers-le-Bel, 2010, p. 814-815.

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fân, et à Guemarya, fils de Hilkyia, que Sédécias, roi de Juda, envoyait à Nabuchodonosor, roi de Babylone, à Babylone : “ainsi parle le Seigneur, le Dieu de l’univers, le Dieu d’Israël, à tous les exilés que j’ai fait déporter de Jérusalem à Babylone…” 3.

Cette lettre, amenée par une petite introduction narrative, puis citée dans le récit prophétique sous forme de verbatim, est digne d’intérêt pour l’étude des phénomènes de transmission d’une posture d’épistolier au service d’un geste prophétique, dans la mesure où elle a connu une postérité tout à fait particulière 4 . En effet, Lutz Doering 5 montre, à la suite notamment des travaux de Hans-Josef Klauck 6 et d’Irene Taatz 7, qu’une série composée de six témoins permet d’établir le fait que cette lettre a servi, à des degrés variables, de modèle d’une communication d’autorité de type prophétique pour les exilés de la Diaspora, à savoir : 1. la Lettre de Jérémie conservée dans la Septante 8 ; 2. l’Apocryphe de Jérémie C de Qumrân (4QApocrJer Cd) 9 ; 3. la lettre mentionnée dans le Targum de Jonathan sur Jérémie 10,11 10  ;

3.  Jr 29,1-23. 4.  C’était déjà le constat de Reinhard K ratz : « unter dem reichhaltigen jüdischen Schrifttum, das uns unter dem Namen des Propheten Jeremia oder seines Schreibers Baruch überliefert ist, angefangen bei Jer. 29 und 36 […] eine ungewöhnlich große Anzahl von Büchern oder Briefen, die zwischen Mutterland und Diaspora zirkulieren », R. G. K ratz , « Die Rezeption von Jeremia 10 und 29 im Pseudepigraphen Brief des Jeremia », Journal for the Study of Judaism 26/1 (1995),  p.  2. 5.  On signalera qu’il est difficile de déterminer in fine si c’est la lettre conservée dans la Bible hébraïque ou sa version conservée dans la Septante (Jr 36,1-15.21-23) qui a servi de modèle épistolaire dans la communication avec les exilés. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 104-108. 6.  « Very influential in subsequent times is the letter in Jeremiah 29:4-23 that Jeremiah sends from Jerusalem to the exiles in Babylon » : voir H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 243-244 (citation p. 243). 7. I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  46-81. Voir également U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger et U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p. 353-380. 8.  Traduction française, avec brève introduction, dans La Bible, notes intégrales. Traduction œcuménique, Paris – Villiers-le-Bel, 2010, p.  1943-1950. 9.  Traduction française, avec brève introduction et notes, dans D.  Dimant, « L’apocryphe de Jérémie C de Qoumrân », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 85/4  (2005),  p.  497-515. 10.  Traduction anglaise dans R. H ayward, The Targum of Jeremiah. Translated with a Critical Introduction, Apparatus and Notes, Edinburgh, 1987, p.  79.

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4. le Livre de Baruch (LXX) 11  ; 5. la lettre de Baruch conservée dans l’Apocalypse syriaque de Baruch (2 Ba 77-87) 12  ; 6. la correspondance entre Baruch et Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie (ou 4 e Livre de Baruch) 13. Ce phénomène de notoriété et de postérité dont témoignent ces sources faisant référence au prophète Jérémie ou à son secrétaire Baruch – ou aux deux à la fois – est mesurable dans un espace spatio-temporel tout à fait remarquable. Il couvrirait en effet, selon les hypothèses de datation de ces différents témoins, une période allant du VIe siècle avant notre ère jusqu’au IIe siècle de notre ère. Dans son examen des sources épistolaires judéennes, Lutz Doering aborde l’ensemble de ces textes associés de près ou de loin à ces figures prophétiques et montre que la lettre de Jérémie aux exilés a vraisemblablement servi de modèle de communication pour les exilés de la Diaspora 14 . Ainsi, la figure de Jérémie prenant posture d’épistolier pour faire parvenir à bon port un oracle divin aurait fait école ou du moins a fonctionné comme référence ou garantie d’autorité pendant de nombreux siècles, comme l’atteste cette remarquable série de témoins reproduisant ou faisant écho, à des degrés divers, à ce geste épistolaire initial. Ce corpus de sources conservant des traces d’épistolarité, ou faisant écho à des pratiques épistolaires placées sous le patronage des figures de Jérémie ou de Baruch écrivant aux exilés, attesterait, à des degrés divers, de l’existence d’un ensemble documentaire spécifique au sein des lettres judéennes de la Diaspora. Dans ce corpus, nous aborderons en particulier toutes les données textuelles susceptibles de conserver des traces témoignant d’une réalité épistolaire, à savoir : 1. La présence de tout ou partie d’un canevas épistolaire, dont il s’agira d’évaluer le degré de structuration : mention de l’auteur et du (ou des) destinataire(s), éléments constitutifs du formulaire épistolaire de base (formule d’ouverture, corps de la lettre, formule de conclusion), autres indications relatives au formulaire épistolaire (exorde, action

11. Traduction française, avec brève introduction, dans La Bible, notes intégrales. Traduction œcuménique, Paris – Villiers-le-Bel, 2010, p.  1931-1942. 12.  Traduction française et brève introduction dans La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 1473-1477 (notice et bibliographie) et p. 1545-1557 (texte). 13.  Traduction française : La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p.  1733-1737 (notice et bibliographie) et p.  1739-1763 (texte). 14. L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer et A. L ange (éd), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 43-72.

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de grâce, exhortation, nouvelles personnelles, informations relatives aux projets de voyage ou de visite, etc.). 2. La mention d’indications conservant les traces d’une activité épistolaire effective (pratique de l’écriture, recours aux services d’un secrétaire, expédition, réception et lecture publique d’une lettre). 3. Les allusions aux conditions matérielles témoignant de l’existence d’une pratique épistolaire réelle (moyens et supports d’écriture, adresse du destinataire, sceaux, moyens de transmission, copies et archivage, éditions de collections de lettres). 4. La présence d’indicateurs faisant écho à une pragmatique de la communication (posture de l’épistolier, construction et/ou déploiement d’une figure d’autorité, présence avérée d’une relation dialogique entre l’émetteur et les destinataires, mise en place d’un pacte de lecture et d’une stratégie de réception du message, destinés par exemple à provoquer la mise en œuvre d’une action, l’adhésion à un enseignement, la confirmation de la bonne réception et de la validation d’une décision, etc.). L’examen de ces témoignages et de ces traces va être mené de façon à rassembler toutes les données susceptibles de permettre la mesure du degré d’épistolarité de ces textes. Il s’agira aussi de revenir sur la question de la pertinence de leur réalité historique. Il conviendra aussi de s’interroger sur les phénomènes de tradition, ceci dans le but d’évaluer le degré de réalité des liens de dépendance entre Jérémie et Paul, entre rupture et continuité. En ce qui concerne le Livre de Jérémie, Thomas Römer remarque deux particularités, méritant de retenir notre attention, au sujet des jeux entre les différents niveaux de lecture du texte. D’une part, Jérémie réserve une place importante à la personne du prophète : « d’une certaine manière, le livre de Jérémie préfigure, à cet égard, les légendes sur les grands prophètes qui deviendront populaires plus tard dans le judaïsme et dans le christianisme » et d’autre part, il témoigne d’un intérêt particulier au sujet de la nécessité, via un support écrit, de la médiation de la prédication prophétique entre l’émetteur et son cercle de destinataires : L’intérêt pour la personne du prophète s’accompagne curieusement de textes qui insistent au contraire sur la nécessité du livre comme médiation entre la parole prophétique et ses destinataires […] cet effacement du prophète devant le livre reflète déjà l’idée, que l’on trouvera exprimée plus tard dans le judaïsme, selon laquelle l’époque perse a marqué la fin de la prophétie en Israël. Le courant deutéronomiste se donne ici sa véritable légitimation, en encourageant le passage définitif de la prophétie orale à l’enseignement écrit 15. 15. T. Römer, « Jérémie », dans T. Römer – J.-D. M acchi – C. Nihan (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, 2009, p.  426-438 (citations p.  436).

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Pour s’interroger sur les contacts possibles, ou du moins les coïncidences significatives, entre la tradition de Jérémie le prophète épistolier de l ’exil et celle de Paul l ’apôtre épistolier de la Diaspora, il convient de réunir et évaluer tous les indices relatifs à la posture prise par le prophète Jérémie et par son compagnon Baruch, puis tous ceux relatifs aux postures prises par ceux qui leur ont succédé et ont réactualisé leur geste épistolaire initial en convoquant leur autorité. Un examen des autres traditions de lettres liées à la Diaspora complétera notre enquête sur les pratiques épistolaires d’autorité antérieures à celles de Paul de Tarse. On fera remarquer que la recherche ne s’est que peu penchée sur les liens entre Jérémie et Paul au-delà du simple fait de sa pratique de recourir naturellement, en tant que pharisien et Judéen de la Diaspora, au patrimoine de la Loi et les Prophètes, tel que traduit dans la Septante, pour construire son argumentation théologique. Les enquêtes exégétiques se concentrent essentiellement sur les phénomènes d’intertextualité, ceci dans le but d’éclairer les développements théologiques de l’apôtre. Notre recherche va au contraire se consacrer à la posture d’autorité de l’épistolier Paul en regard de ce qu’on peut savoir de la posture épistolaire du prophète Jérémie dans le cas de sa correspondance avec les exilés. Cette posture aurait fait école en quelque sorte, comme ces témoins de l’autorité de Jérémie s’adressant épistolairement aux exilés l’attestent visiblement. Il conviendra aussi de faire quelques remarques sur deux autres types de lettres qui auraient pu également servir de modèles à sa pratique épistolaire, à savoir les traités et les sermons en forme de lettre. Méthodologiquement, il conviendra aussi de revenir sur la question des lettres insérées narrativement dans le but de préciser ce que ces dernières sont susceptibles de revêtir comme valeur historique. Ces éléments seront importants pour statuer sur la question des contacts possibles avec le Tarsiote dans le cadre de sa pratique épistolaire. 2 .2 L a

l et t r e de

Jé r é m i e

au x e x i l é s à

B a by lon e (Jérémie 29,1-23)

2.2.1 Présentation Pour établir le fait que la lettre de Jérémie aux exilés conserve littérairement le souvenir d’un ou de plusieurs oracles envoyés par écrit par Jérémie depuis la Judée à Babylone, il convient d’interroger les indices susceptibles de nous permettre de déduire que tout ou partie de ce texte aurait précisément été à l’origine une lettre et qu’il garderait bel et bien le souvenir d’un échange de communications par écrit. Il s’agit donc d’examiner ce que ceux-ci conservent comme traces d’une authentique correspondance ayant fonctionné entre interlocuteurs séparés. Dans les commentaires consacrés au Livre de Jérémie – et dans les études relatives au chapitre 29 abordant

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la question de l’historicité de la lettre 16 – on commencera par se demander si on se trouve confronté à une lettre fictive ou à une lettre réelle. La question est généralement tranchée à partir d’un examen exégétique des données littéraires présentes, ainsi que de celles liées au contexte littéraire proche de la lettre. Lutz Doering évalue correctement la situation à propos des « lettres citées verbatim » présentes dans la Bible hébraïque 17 quand il se demande, dans le cas de la lettre aux exilés, s’il « est possible de discerner un noyau littéraire autour duquel on aurait rassemblé les autres matériaux, et, si tel était le cas, si oui ou non un tel noyau pourrait être identifié et évalué comme relevant authentiquement de Jérémie » 18. La question de la formation et de la composition de Jérémie est d’une grande complexité, de par son mélange de genres et de données littéraires : discours en prose et oracles rédigés dans le genre oraculaire traditionnel, doublons, difficultés de cohérences chronologiques, variétés stylistiques, etc. Sa lecture est déroutante à plus d’un titre : on y trouve des oracles annonçant le jugement, des récits rapportant la réalisation dudit jugement, avec ses sévères conséquences et aussi des récits évoquant la vie possible en situation d’exil. Les nombreuses doléances de Jérémie sur son ministère prophétique y occupent une grande place. Ces jérémiades, au sens propre, cohabitent avec des récits autobiographiques relatifs à la vie du prophète et d’autres sur les dramatiques événements en cours, en particulier les châtiments de la destruction de Jérusalem et la déportation à Babylone, les oracles de malheurs sur ceux qui sont restés à Jérusalem, etc. Thomas Römer interprète le fruit de ces interactions entre les oracles de jugements, les récits de leur réalisation et la conclusion du livre en prose 19 comme le résultat d’un travail de réinterprétation de l’histoire par les cercles deutéronomistes : « ces renvois indiquent que pour les rédacteurs deutéronomistes de Jérémie, ce livre veut être compris comme le commentaire prophétique de l’histoire deutéronomiste » 20. De plus, la lecture se 16. W. Holladay, « God Writes a Rude Letter (Jeremiah 29,1-23) », Biblical Archaeologist 46 (1983), p. 145-146 ; K. Smelik, « Letters to the Exiles. Jeremiah 29 in Context », Scandinavian Journal of the Old Testament  10/2 (1996), p.  282-295 ; J.  Ferry, « Jérémie 29 : une identité dans l’écriture », dans O.  A rtus – J. Ferry (éd.), L’identité dans l ’Écriture. Hommage au professeur Jacques Briend, Paris, 2009, p. 165-183. 17.  « The Hebrews letters cited verbatim », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  97. 18.  « Much debated are the questions of whether it is possible to discern a literary kernel around which the other material would have been gathered, and if so, whether or not such a kernel could be identified as authentically Jeremianic », L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 105. 19.  Voir Jr  52, où il est question de la destruction de Jérusalem puis de l’exil à Babylone. Cette séquence fait écho à la finale du Livre des Rois (2 R 24-25). 20. T. Römer, « Jérémie », dans T. Römer – J.-D. M acchi – C. Nihan (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, 2009, p.  435.

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trouve également complexifiée par la cohabitation de visions théologiques apparemment contradictoires, entre proclamation du salut pour les déportés à Babylone (Jr  29), malédiction pour ceux d’Égypte (Jr  43-44) et bénédiction sur les Judéens restés en Judée, ceci en opposition, toujours selon Thomas Römer, « à l’idéologie deutéronomiste selon laquelle le “vrai Israël” aurait été déporté à Babylone ». Römer conclut que « ces visions, qui se trouvent en conflit cohabitent, par le travail des rédacteurs, à l’intérieur du même livre et expriment ainsi une tension dans la définition du “vrai Israël”, tension qui accompagne le judaïsme tout au long de son histoire » 21. Nombreuses sont les hypothèses relatives à l’histoire de la formation du livre, depuis la collection des paroles jusqu’à l’assemblage des différents éléments, pour aboutir au livre prophétique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Les tentatives de retrouver le noyau originel du livre – il convient de voir à ce sujet les hypothèses relatives à l’existence d’un rouleau primitif à partir de l’épisode du rouleau brûlé par le roi (Jr 36) – aboutissent à des résultats divers et variés, dont l’évaluation déborderait le cadre de notre étude. Cette situation doit aussi sa complexité au problème posé par les grandes différences entre la version grecque de Jérémie conservée dans la Septante, laquelle est, d’une part, sensiblement plus courte que celle conservée dans le texte massorétique, et d’autre part, présente un ordre différent des péricopes. À cela s’ajoute également la question des fragments de Jérémie trouvés à Qumran, témoignant de l’existence de deux versions – voire trois – du texte, une plus proche du texte massorétique, et l’autre du texte de la Septante. La troisième serait à regrouper dans la famille des témoins proches du texte massorétique. Le texte hébreu revêt une grande importance dans ce débat, car il est très proche de la version courte du livre de Jérémie dont témoigne précisément la Septante 22 . Au niveau de la forme, la version de Jérémie conservée dans la Septante est un septième plus courte que celle conservée dans la Bible hébraïque. Au niveau de l’ordre des péricopes, on constate un certain nombre de différences importantes. Les oracles contre les nations 23 se trouvent au milieu de Jérémie dans la Septante et ne sont pas agencés dans le même ordre. La recherche s’efforce alors d’expliquer cette complexité par divers scénarios d’histoire de la rédaction, en évoquant la possibilité de l’existence de tra-

21. T. Römer, « Jérémie », dans T. Römer – J.-D. M acchi – C. Nihan (éd.), Introduction à l ’Ancien Testament, Genève, 2009, p.  436. 22. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p. 50-54. 23.  Jr 46-51 dans le texte massorétique.

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ditions parallèles, voire de l’existence d’une édition primitive (Vorlage), en langue hébraïque, de la version grecque de Jérémie 24 . 2.2.2 Quelques remarques sur le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari Dans le cas de la lettre de Jérémie aux exilés, celle-ci, en tant que telle, ne serait que le moyen formel de transmission de l’oracle. On peut repérer à ce sujet une analogie de situation de communication indirecte avec les pratiques prophétiques du Proche-Orient ancien, en particulier celles de Mari, où les oracles étaient transmis par lettres au roi. C’est à Mari qu’on a trouvé le corpus le plus ancien de textes prophétiques procheorientaux et le plus abondant, comprenant à la fois des récits de prophètes en activité et certaines de leurs prophéties mises par écrit 25. Ce corpus est digne d’intérêt pour notre problématique. En ce qui concerne cette archive, Dominique Charpin recense 15’000 tablettes, parmi lesquelles on a retrouvé᾽ 2’500 lettres. Il s’agit essentiellement de documents administratifs, mais il y a aussi des textes juridiques et d’autres de nature plus littéraire. C’est dans les lettres qu’on trouve des oracles prophétiques ainsi que d’autres informations sur les prophètes, notamment au sujet de présents qui leur sont faits. Il convient de remarquer particulièrement que la prophétie est un double événement de communication, se jouant à deux niveaux : tout d’abord entre les divinités et les hommes et en particulier le roi, puis ensuite, plus concrètement, entre les temples et le palais : « le plus souvent, les prophéties étaient mises par écrit dans des lettres envoyées au roi de Mari par divers responsables » 26. Enfin, ces sources nous fournissent

24. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p. 54-64. Voir en particulier le tableau synthétisant les différences d’organisation relatives aux oracles contre les nations entre les deux versions du Livre de Jérémie, p. 55. 25.  La moitié des 130 documents proche-orientaux connus témoignant au sujet de la prophétie provient des fouilles de Mari. Voir la présentation de D. Charpin, « Le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari (XVIIIe siècle avant Jésus-Christ) », dans J.-D. M acchi – C. Nihan – T. Römer – J. Rückl (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origine, milieu et contexte proche-oriental, Genève, 2012, p. 31-73. Il convient de préciser, au sujet de la documentation retrouvée à Mari, qu’il ne s’agit exclusivement que des archives du palais. On n’a jamais trouvé, à ce jour, de documentation liée à un temple. 26. D. Charpin, « Le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari (XVIIIe siècle avant Jésus-Christ) », dans J.-D. M acchi – C. Nihan – T. Römer – J. Rückl  (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origine, milieu et contexte proche-oriental, Genève, 2012, p. 34. Voir également B. L afont, « Le fonctionnement de la poste et le métier de facteur d’après les textes de Mari », dans

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également des informations sur des pratiques prophétiques d’autres lieux, comme Babylone, avec lesquels le royaume de Mari était en relation. Pour l’étude des pratiques prophétiques à Mari, on dispose de deux catégories de sources, d’une part de la documentation épistolaire et d’autre part des textes juridiques. Dans les lettres, la prophétie n’est parfois mentionnée que parmi d’autres motifs ou objets destinés à être portés à la connaissance du roi 27. Dominique Charpin fait finement observer que la recherche sur les origines proche-orientales du prophétisme biblique a souvent été tentée de considérer ces documents comme des « lettres prophétiques » ou des « textes prophétiques ». Il est plus approprié, à leur sujet, de parler de « lettres à contenu prophétique » 28, car celles-ci ne se distinguent pas des autres. On ne peut pas déduire de celles-ci l’existence d’un genre littéraire prophétique particulier 29. Ces lettres n’avaient pas d’autre but que d’informer le roi de Mari d’une prophétie soit le concernant directement, soit concernant quelqu’un d’autre. Certaines lettres se limitent à signaler au passage le nom d’un prophète, sans autres informations particulières au sujet de son activité et/ou de ses oracles. Charpin évalue de façon critique les éléments constitutifs de ce fonctionnement épistolaire de la transmission des prophéties, lesquels peuvent être résumés en cinq points 30 : 1. L’émetteur divin : il est toujours mentionné, ainsi que le temple qui lui est consacré. Il s’agissait soit de temples situés à Mari, soit dans différents lieux du royaume, soit d’autres royaumes. 2. Le contenu du message : les prophéties transmises concernent soit le culte – il pouvait s’agir de plaintes ou de demandes rituelles de la divinité, de mises en demeure d’accomplir tel ou tel rituel, de demande de malédictions ou d’expulsions – soit les affaires politiques et militaires du royaume, comme des promesses de victoire et/ou de G.  Young (éd.), Crossing boundaries and linking horizons, Bethesda (MD), 1997, p. 315-334. 27.  Une quarantaine de lettres sont en lien avec la prophétie. 28. D. Charpin, « Le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari (XVIIIe siècle avant Jésus-Christ) », dans J.-D. M acchi – C. Nihan – T. Römer – J. Rückl  (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origine, milieu et contexte proche-oriental, Genève, 2012, p. 35. 29.  Voir les textes édités dans J.-M.  Durand, Archives épistolaires de Mari I/1, Paris, 1988, p.  387-452 (« Deuxième partie. Les textes prophétiques ») et p.  453482 (« Troisième partie. Les rêves ») et du même auteur « Les “déclarations prophétiques” dans les lettres de Mari », dans Prophéties et oracles 1, Paris, 1994, p. 8-74. 30. Nous suivons l’analyse de D.  Charpin dans « Le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari (XVIIIe siècle avant Jésus-Christ) », dans J.-D. M acchi – C. Nihan – T. Römer – J. Rückl (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origine, milieu et contexte proche-oriental, Genève, 2012, p. 37-55.

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prospérité, des promesses de justice et d’aide, ainsi que diverses critiques de la conduite du roi ou autres genres de mises en garde. 3. Le messager : il s’agit la plupart du temps de prophètes – et aussi parfois de prophétesses – institutionnellement rattachés aux temples et qui, en fonction des occasions, voyageaient pour transmettre au roi le message qui avait été prononcé dans le temple. 4. Le ou les destinataires du message : dans la plupart des cas, c’est le roi, mais en fait c’était souvent à tout le peuple que la prophétie était destinée. 5. Les modalités de transmission des messages : ceux-ci étaient remis au roi soit par celui qui avait entendu la prophétie, soit par le prophète lui-même, lequel cherchait, en tant que messager de la divinité, à transmettre directement l’oracle au roi. En général, la prophétie qui avait été entendue était aussitôt mise par écrit et ensuite archivée par le grand-prêtre du temple. Pour la transmission, on gravait l’oracle sur une tablette, laquelle était ensuite envoyée à son destinataire. Toute la question ici est de savoir si ces archives gardent la trace des ipsissima verba des messagers des divinités. Dominique Charpin signale que généralement « les citations, dans les lettres, ne sont jamais verbatim » 31. Explorer plus en profondeur la question de ces lettres à contenu prophétique déborderait du cadre assigné à notre recherche. Il convient pour l’heure de retenir ce que peut nous apprendre cette situation de communication à distance d’oracles prophétiques, recourant à un médium écrit de transmission et donc rendant effective, par voie de conséquence, une pragmatique de la communication permettant de statuer sur l’existence avérée d’une pratique épistolaire. Nous avons bien là affaire à des traces d’une réalité épistolaire indéniable, comprenant des traces matérielles – comme l’attestent les tablettes des archives royales de Mari – témoignant d’une communication écrite entre personnes et groupes distants les uns des autres et déployant pragmatiquement des formes d’autorité à distance, destinées à agir sur le destinataire et à entraîner une action ou un changement de sa part. Il est intéressant de noter, en reprenant le Schéma de Jakobson, qu’apparaît dans ce modèle de communication un 31. D. Charpin, « Le prophétisme dans le Proche-Orient d’après les archives de Mari (XVIIIe siècle avant Jésus-Christ) », dans J.-D. M acchi – C. Nihan – T. Römer – J. Rückl  (éd.), Les recueils prophétiques de la Bible. Origine, milieu et contexte proche-oriental, Genève, 2012, p. 47. D. Charpin signale qu’il a étudié cette question dans La correspondance à l ’époque amorrite. Écriture, acheminement et lecture des lettres d ’après les archives royales de Mari (à paraître). Nous revenons sur le problème de la citation verbatim dans les lettres lorsque nous traiterons de la question de la crédibilité historique des lettres insérées narrativement dans des récits (voir notre section 2.5 « La valeur historique des lettres insérées narrativement, une évaluation »).

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émetteur à double détente. Premièrement un émetteur divin qui transmet, à distance, un oracle au prophète, puis un émetteur humain, le prophète, qui transmet, à distance, un message au roi. C’est le franchissement d’une double distance qui se trouve ici thématisée par l’événement épistolaire, d’abord du divin à l’humain, puis du porte-parole du divin aux humains. On peut retenir de ces données relatives au fonctionnement de la prophétie et de sa transmission, dans le Royaume de Mari, la présence des deux éléments constitutifs dans l’action de communication prophétique, lesquels sont inséparables : le message et le messager. À cela s’ajoutent l’émetteur divin et les destinataires humains, qui sont les deux balises de l’action de communication, laquelle se trouve ainsi complète, comme le montre le Schéma de Jakobson 32 . Il conviendra d’y revenir quand Paul se présente comme celui qui prend la parole à distance au moyen de la lettre, en tant que serviteur du Christ, spécialement choisi pour ce service particulier : « Paul serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu » 33, un serviteur, selon ses mots « mis à part depuis le sein de ma mère et appelé »  3 4 , comme le fut jadis Jérémie, conformément à la parole rapportée au travers du récit de sa vocation 35. 2.2.3 Analyse des paramètres épistolaires La structure d’ensemble de la lettre de Jérémie aux exilés est donnée par la formule introductive (« ainsi parle YHWH », ‫ כה אמר יהוה‬v. 4) et la formule conclusive (« oracle de YHWH », ‫ נאמ יחוח‬v. 23), qui forment une inclusion. L’emploi répétitif de la formule du messager, typique de la littérature oraculaire, donne à penser qu’il s’agirait d’un catalogue d’oracles en forme de lettre. Le caractère épistolaire de la lettre se trouve être confirmé par un certain nombre d’indicateurs et aussi par le contexte proche. En ce qui concerne ce dernier, on rappellera que les chapitres 27-29 constituent une section spécifique de Jérémie. Différentes données textuelles le confirment, d’une part, l’attention particulière réservée à la question des faux-prophètes et, d’autre part, diverses données scripturaires, à savoir la version courte du nom du prophète (‫ )ירמיה‬au lieu de la version longue (‫)ירמיהו‬, la manière particulière d’écrire le nom du roi de Babylone propre à cette 32. Voir notre section 1.2.1.3 «  La pragmatique de la communication épistolaire ». 33.  « Παῦλος δοῦλος Χριστοῦ Ἰησοῦ, κλητὸς ἀπόστολος ἀφωρισμένος εἰς εὐαγγέλιον θεοῦ » (Rm  1,1). 34.  « Ἐκ κοιλίας μητρός μου » (Ga 1,15). 35.  « La parole du Seigneur s’adressa à moi : “Avant de te façonner dans le sein de ta mère (ἐν κοιλία), je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations” » (Jr 1,4-5).

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section, avec un ‫ נ‬au lieu d’un ‫ר‬, soit Nebukadnezar (‫ )נבוכדנאצר‬au lieu de Nebukadrezar (‫ )נבוכדראצר‬et enfin, les diverses manières de nommer les autres prophètes 36. La lettre proprement dite prend place à la fin de cette section spécifique. Cela pourrait être l’indice d’une rédaction particulière, dans laquelle la lettre insérée narrativement sous forme de verbatim joue un rôle spécifique dans la légitimation du message à distance du prophète aux exilés à Babylone. Quant au chapitre 29 proprement dit, il commence par un récit introductif mentionnant l’expéditeur, les deux porteurs et le cercle des destinataires de la lettre aux exilés (v. 1-3). Puis, suite à la lettre aux exilés, il fait état de l’existence d’autres lettres, ce qui fait que nous avons affaire, en fait, à trois lettres en tout dans ce chapitre, à savoir : 1. La lettre de Jérémie aux exilés (v. 4-23). 2. La lettre de Shemayahu aux habitants de Jérusalem et au prêtre Cephanya, prenant position sur la première lettre (v. 25-28). 3. La deuxième lettre de Jérémie aux exilés, menaçant l’auteur de la lettre envoyée à Jérusalem, en faisant état de la colère divine à la fausse prophétie de Shemayahu (v. 30-32). Ces données sont dignes d’intérêt en ce qui concerne les pratiques épistolaires ; la mention de ces trois lettres attesterait de l’existence d’une correspondance, composée d’une première lettre, puis d’une réponse des destinataires en réaction à cette première lettre et, enfin, d’une réponse à la réponse. Les différences entre Jérémie  29 (selon le texte massorétique) et Jérémie 36 (selon la Septante) sont à considérer. Dans la version de la lettre conservée dans la Septante il manque les v. 16-20 et une partie du v. 14, lequel est retravaillé à partir de Dt 4,29. Les v. 16-20 seraient un ajout, car on s’écarte ici de la préoccupation épistolaire centrale, à savoir le message aux exilés, pour adresser un message spécifique à ceux qui sont restés à Jérusalem. Tout effort de reconstituer le texte originel de la lettre aux exilés devrait tenir compte du cas particulier de ces quatre versets et donc les retrancher du texte 37. Une autre donnée – ou ajout ? – propre à Jérémie 36 (LXX) à mentionner est la thématique des faux-prophètes, qui sont déjà nommés dans le cercle des destinataires, dans l’introduction donnant le cadre épistolaire à la communication aux exilés. Il convient de signaler la reconstitution hypothétique de la lettre originale de Jérémie aux exilés par René Dussaud, en 1938, suite à l’examen 36. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p.  78-79. 37. I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  48.

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des rapports entre Jérémie et le corpus des ostraca de Lakish 38. Écrits en caractères hébraïques, il s’agit de messages entre le commandant de la garnison de Lakish et les places fortes environnantes, écrits peu avant la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (587 avant notre ère), soit dans les années 588-587. Pour Dussaud, le prophète dont il serait question dans les 18 lettres retrouvées à Lakish par l’archéologue John Starkey est bien identifiable avec Jérémie. L’analyse du contenu et du style permettrait de reconstituer le texte original de l’oracle envoyé aux exilés, à savoir : Jérémie aux anciens en captivité, aux prêtres, aux prophètes et à tout le reste du peuple [salut]. “Ainsi parle Yahwé, Dieu d’Israël, aux captifs emmenés de Jérusalem : Bâtissez des maisons et habitez-(les) ; plantez des jardins et mangez-en les fruits. Prenez [pour vous] des femmes et engendrez des fils et des filles : choisissez des femmes pour vos fils et des maris pour vos filles. Multipliez-vous et ne diminuez pas. Travaillez à la prospérité du pays où je vous ai relégués et priez Yahwé pour lui, car de sa prospérité dépend la vôtre. Car ainsi parle Yahwé : quand soixante-dix ans seront passés pour Babylone, je vous visiterai et j’accomplirai pour vous ma parole de vous ramener en ce lieu-ci. Certes moi, j’ai formé pour vous un dessein de salut et non de mal. Vous m’adresserez vos prières et me rechercherez de tout votre cœur” 39.

Pour Dussaud, la lettre originale de Jérémie s’arrête là car la version dont témoigne la Septante ne comporte pas les versets 16 à 20. Cette lettre, que Simon Claude Mimouni qualifie de « véritable charte du peuple judéen en Diaspora »  4 0, déploie quatre lignes de force 41 : 1. Un appel à s’établir durablement en exil, avec les injonctions à construire, à planter, à se marier, etc., et à prier pour le bien de Babylone 42 (v. 5-7). 38. R.  Dussaud, « Le prophète Jérémie et les lettres de Lakish », Syria 19 (1938), p.  256-271. 39.  R.  Dussaud, « Le prophète Jérémie et les lettres de Lakish », Syria 19 (1938), p.  269-270. 40.  S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 605. Regina Willi qualifie la lettre de Jérémie de « Carta Magna » ; voir également R. Willi Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005. 41.  Voir I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p. 46 et L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 105. 42.  « Soyez soucieux de la prospérité de la ville », selon le texte massorétique (‫שלומ הציר‬, Jr 29,7), « pour la paix du pays » selon la Septante (εἰς είρήνην τῆς γῆς, Jr 36,7).

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2. Une mise en garde contre des prophètes concurrents, désignés comme « faux prophètes » (v. 8-9, et revenant aux v. 15 et 21-22). 3. Une promesse de fin de l’exil après 70 années (v. 10-14). 4. Une annonce de malheur pour ceux qui sont restés à Jérusalem (v. 16-19 et aussi v.  20). La formule introductive (‫ דברי הספר‬v. 1) donne à penser que les paroles qui suivent reproduisent les propos d’une lettre effectivement envoyée. Les destinataires sont les déportés à Babylone, le reste des anciens, les prêtres, les prophètes – Jérémie 36 (LXX) parle de faux-prophètes – et tout le peuple. La lettre est confiée à deux envoyés officiels que le roi de Jérusalem envoie en mission à Babylone, mais dont ni les intentions, ni le mandat ne sont précisés. Du point de vue littéraire, il est difficile d’établir avec certitude en quoi consiste réellement cette lettre. Plusieurs hypothèses sont possibles selon Regina Willi, à savoir une lettre fictive, une lettre redonnée sous une forme abrégée, un écrit unique ou un écho d’une lointaine communication vivante entre Jérémie et les exilés 43. On remarquera que l’argument permettant de préciser s’il s’agit d’une lettre ou pas dépend de la manière de traduire le substantif sèfèr (‫ )ספר‬: « rouleau », « livre », « petit livre » ou « livret », « lettre », « texte écrit », et ceci indépendamment de la question de son support (parchemin, papyrus, tablette de cire, ostracon). Les nombreuses occurrences de ce substantif donnent à penser que ‫ ספר‬sert à désigner génériquement tout document écrit ou tout support susceptible d’être utilisé à des fins d’écriture ou de communication entre personnes ou groupes, qu’ils soient ou non géographiquement et temporellement séparés. En raison des indicateurs d’épistolarité présents dans le texte, les commentateurs traduisent généralement l’occurrence de ‫( ספר‬Jr 29,2) par « lettre ». Lutz Doering repère une fine distinction dans l’emploi de ce substantif, qui peut désigner, selon les circonstances, soit le rouleau à envoyer, soit le rouleau à lire  4 4. Il montre que ce qui permet de déterminer in fine si on a affaire à une lettre, ou pas, n’est pas la présence de la salutation épistolaire initiale. Celle-ci peut fort bien avoir été laissée de côté au moment de la rédaction de Jérémie 29 et de l’incorporation d’une formule littérairement ad hoc destinée à narrativement faire office d’introduction. Il s’agit donc bel et bien du caractère avéré d’une situation de communication entre personnes ou groupes séparés. En effet, les échos à une telle situation sont bien réels, comme l’attestent cinq indicateurs : 43. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p. 168. 44. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 107.

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1. « Les paroles de la lettre » (‫ ואלה דברי הסּפר‬au v. 1), avec la reprise « (la lettre) disant » (‫ לעמר‬au v. 3). 2. La mention de Jérémie comme expéditeur, et la mention détaillée des différents cercles de destinataires, à savoir les déportés, les prêtres, les prophètes et « tout le peuple que Nabuchodonosor avait déporté de Jérusalem à Babylone » (v. 1). 3. Les indications sur la période de l’envoi de la lettre (v. 2). 4. La mention nominative des deux porteurs de la lettre, avec la précision de leur statut d’envoyés du roi de Jérusalem auprès de Nabuchodonosor (v. 3). 5. La précision sur la manière dont Jérémie prend connaissance du contenu de la lettre, à savoir la lecture publique du rouleau/lettre (v. 29). L’examen de l’emploi de ‫ ספר‬dans le livre de Jérémie atteste de trois occurrences où ‫ ספר‬est employé dans le sens de « document écrit » ou de « document destiné à recevoir un texte écrit », en l’occurrence des oracles prophétiques (Jr 30,2 ; Jr 36 ; Jr 51,59-64). ‫ ספר‬signifie en général « document écrit » ou tout simplement « écrit » 45. Il convient donc de traduire ‫ ספר‬par « lettre » seulement dans le cas d’une situation avérée de communication épistolaire. On notera que les commentateurs de Jérémie admettent en général le caractère épistolaire de Jérémie  29,4-23, toutefois sans toujours chercher à établir précisément en quoi cette lettre est fictive ou réelle. Leurs conclusions reposent sur des arguments littéraires et étymologiques. Selon Walter Brueggmann, il s’agit une lettre pastorale destinée à la communauté des exilés, portée par des messagers du roi, dont un est le fils de Shaphan (v. 3), « suggesting a convergence of the fortunes of Jeremiah, the interests of the king, and the engagement of a powerful family that was pro-Babylonian in its politics (cf. 26,24, where another son of Shaphan protected Jeremiah »  4 6. Selon Jack Lundbom, il s’agit d’une lettre écrite sur papyrus, enroulée en rouleau et scellée : « general letter written on papyrus, rolled into a scroll and sealed » 47. Selon Regina Willi, il s’agit d’une lettre ou tout au moins d’un document écrit. Plus précisément, en Jérémie  29,1, il s’agit à l’évidence d’une « lettre » et en 30,2, d’un « document écrit »,

45. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p. 172. 46. W. Brueggmann, A  Commentary on Jeremiah : Exile and Homecoming, Grand Rapids – Cambridge, 1998, p.  256, note 33. 47. J. Lundbom, Jeremiah 21-36 : A New Translation with Introduction and Commentary, New York – Londres – Toronto, 2004, p. 348.

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désigné par les commentateurs comme le « livre de la consolation » et que l’on trouve aux chapitres 31-32. Le fait que Jérémie choisit délibérément la forme d’une lettre pour délivrer son message prophétique aux exilés – et non pas celle du « traité sur la vie théologale en Exil » – atteste de la perception très concrète de la réalité de la déportation par le peuple d’Israël. Elle contribue à renforcer concrètement la dimension oraculaire et prophétique du message transmis aux exilés : « Jérémie est le messager, le porte-parole de Dieu, il confie le message à des messagers qui transmettent et diffusent ce message prophétique, le portent, le lisent et l’annoncent ». Elle conclut que Jérémie, par cette lettre, instaure un « système de transmission, de tradition […] représentant en même temps un processus d’interprétation » 48. Selon Pamela Scalise, il s’agit d’un « livre » ou d’un « livret », constitué d’un recueil de prophéties, de par le fait notamment que chaque unité est scandée par la formule du messager 49. Selon William Holladay, il s’agit d’une véritable lettre, de par le fait qu’elle conserve les traces de conventions épistolaires telles qu’on a pu les identifier grâce aux découvertes archéologiques. La lettre de Jérémie commence par la mention du destinateur et du destinataire (de X à Y), même si, dans les lettres, le destinateur est souvent omis. Ici, il est précisé que YHWH est le destinateur ; elle se termine par « moi je sais et je suis témoin, oracle de YHWH » (29,23). Selon les usages épistolaires, le témoin désigne un cosignataire de la lettre. Bien qu’écrite par Jérémie, la lettre est présentée comme transmettant un oracle prétendument de provenance divine ; elle est donc dûment contresignée par YHWH. Cependant, elle ne comprend pas de salutation assortie d’une bénédiction, même si la paix (‫ )ׁשולמ‬est tout de même mentionnée (v. 7) 50. Joëlle Ferry fait un certain nombre de précisions fort utiles pour notre propos. Selon elle, Jérémie 29 nous offre un récit mentionnant une lettre, laquelle nous relie à un épisode de la carrière prophétique de Jérémie à l’époque de l’exil. Bien qu’il soit difficile d’établir avec certitude l’histoire rédactionnelle du chapitre 29 et de son environnement contextuel, l’historicité de ce que les exégètes désignent habituellement comme « la lettre aux exilés » est vraisemblable. Jérémie 29 contient trois niveaux d’interprétation contextuelle : (1) L’échange des lettres, (2) les reprises de celles-ci dans les rédactions deutéronomistes subséquentes et (3) les éléments qui ne sont présents que dans le texte massorétique. La datation de ces rédactions 48. R. Willi, Les pensées de bonheur de Dieu pour son peuple selon Jr 29. Un témoignage de l ’espérance au temps de l ’exil. Étude critique, littéraire et théologique, Lugano, 2005, p. 174. 49.  « Booklet », P. J. Scalise, dans G. L. K eown – P. J. Scalise – T. G. Smothers (éd.), Jeremiah 26-52, Nashville (TN), 1995, p.  66. 50.  W. L. Holladay,  Jeremiah : a Commentary on the Book of the Prophet Jeremiah, Philadelphia – Minneapolis, 1983, p.  145-146.

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est difficile à établir avec certitude 51. Le livre (‫ )ספר‬est souvent associé au verbe écrire (‫ )כתב‬dans le Livre de Jérémie. Le substantif ‫ ספר‬a pour fonction de relier le chapitre 29 au chapitre 30 et aux autres « qui soulignent que la prophétie comme parole écrite devient source d’autorité », ainsi, « la lettre représente un passage entre la parole orale et le message écrit. Reprise comme citation, elle est insérée dans un récit qui est une partie d’un livre prophétique ». Le livre de la parole prophétique mise par écrit, et en particulier le récit de l’écriture de la lettre aux exilés, devient le « véritable lieu » du peuple de YHWH 52. Le tableau contrasté résultant de ces conclusions invite à la prudence. On peut en retenir tout de même le fait de la mise par écrit de l’oracle divin et celui de l’action de sa transmission entre personnes séparées comme la manifestation en miroir de la révélation de la volonté divine, transmise de Dieu à l’humain. La lettre se présente, comme on l’a vu, comme un oracle couché dans un rouleau, lequel s’inscrit en cohérence avec la forme usuelle des prises de paroles prophétiques, entre promesse de libération et d’un possible retour et impératifs révélant la volonté divine et les nécessaires mises en œuvre qui en découlent. À l’époque durant laquelle le Livre de Jérémie s’est progressivement constitué, on ne catégorisait certainement pas lettre et livre de la même façon qu’à l’ère de l’imprimerie et, aujourd’hui, qu’à l’ère numérique. Ce qui est évident pour nous actuellement ne correspond pas d’office à quelque chose de normal pour les Anciens. Ces considérations exégétiques témoignent des limites d’une analyse cherchant à tirer au clair la question du caractère épistolaire de la lettre de Jérémie aux exilés par une seule enquête sémantique, narrative ou théologique. Deux difficultés expliquent ces limites. Premièrement, il y a celle relevant d’un examen exégétique, à notre avis insuffisant, des données littéraires liées à l’événement communicationnel proprement dit. Toutes les indications ou allusions textuelles susceptibles de contenir des traces relatives à la pragmatique d’une communication à distance ont-elles été identifiées et par conséquent suffisamment analysées ? Pour trancher cette question – autant que faire se peut en fonction des données textuelles disponibles – on retiendra, d’une part, la forme d’une prise de parole divine à la première personne, délivrée au travers du « je » du prophète et, d’autre part, cette dynamique « je/vous » sous-tendant la mise en œuvre du programme contenu dans cette charte du peuple judéen en exil. La dis51. J. Ferry, « Jérémie 29 : une identité dans l’écriture », dans O.  A rtus – J.  Ferry (éd.), L’identité dans l ’Écriture. Hommage au professeur Jacques Briend, Paris, 2009, p.  181. 52. J. Ferry, « Jérémie 29 : une identité dans l’écriture », dans O.  A rtus – J.  Ferry (éd.), L’identité dans l ’Écriture. Hommage au professeur Jacques Briend, Paris, 2009, p.  183.

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tance intrinsèque à l’événement épistolaire qu’ils sont en train de vivre au moment de la lecture de la lettre incarne, du côté des destinataires, les différentes séparations forcées qu’ils sont en train de vivre. Ils sont en exil loin de Jérusalem. Le Temple, maison de leur dieu est détruit. Le prophète leur écrit depuis la Judée pour leur transmettre un oracle divin. La lettre est ainsi conçue pour combler la distance. Sa lecture publique doit faire comme si c’était le prophète qui remplissait en direct son office de prédicateur public. L’épistolier prend la posture du prophète et cette lettreoracle a pour but de faire comme si la séparation était gommée. Deuxièmement, il y a celle liée au cercle herméneutique, à savoir le fait d’interpréter l’historicité du texte – dans notre cas, la question de la nature et du contenu de la lettre ou du rouleau authentique que Jérémie aurait envoyé aux exilés – à la seule lumière des allusions ou informations historiques du texte. Sans apport d’informations extérieures susceptibles d’être mises en lien avec la lettre aux exilés, il n’est guère possible d’aller plus loin. Il est illusoire d’envisager, sans l’apport de sources extérieures, de remonter de la lettre insérée narrativement au fait même d’une lettre ayant réellement existé, dont l’auteur de Jérémie 29 aurait eu connaissance ou souvenir. La question de la probabilité épistolaire d’une source ne peut faire l’économie d’un examen des facteurs pragmatiques. Pour cela, il convient de se demander si tout ou partie des conditions suffisantes permettant l’efficience d’une pragmatique épistolaire sont effectivement réunies. Il s’agit donc de vérifier la présence dans le texte, ou non, des éléments constitutifs d’une pragmatique de la communication à distance. Concrètement, il convient de s’interroger sur la qualité effective d’émetteur prenant une posture d’épistolier, sur celles du ou des destinataires prévus, sur la mise en place d’une action de communication et, finalement, sur la prévision de succès de cette dernière. La posture du prophète épistolier, et de l’acte d’autorité qui lui est lié, doit aussi véritablement retenir notre attention. La question de l’historicité passe par un travail de recherche contextuelle. Pour cela, il faut interroger les sources disponibles contenant des traces de pratiques épistolaires et se demander lesquelles sont susceptibles de nous renseigner. Comme on l’a évoqué, les pratiques prophétiques proches-orientales dont témoigne le corpus des lettres prophétiques de Mari, confirment l’existence en amont d’une pratique de transmission épistolaire des oracles du temple au roi. On retrouverait ainsi une situation similaire. Tournons-nous maintenant, en aval, du côté du corpus des témoins attestant ultérieurement, certes à des degrés variables, que la lettre de Jérémie aux exilés a été considérée comme une lettre réelle. Cela se justifie par le fait qu’elle a servi de modèle de communication avec la Diaspora. En ce qui concerne notre champ d’investigation, ce corpus de documents relatifs

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à la figure d’autorité de Jérémie ou de son compagnon Baruch, est de toute première importance. En effet, de façon particulièrement remarquable, de par le fait de la transmission d’une posture d’épistolier en lien avec une figure d’autorité prophétique, ces sources attestent de la réception d’une pratique épistolaire. Il convient maintenant de passer en revue ce corpus et de prendre la mesure de ce dont il témoigne effectivement sur le plan de la pragmatique de la communication épistolaire. 2 .3 L e s

l et t r e s de

D i a spor a a ssoci é e s au x f igu r e s B a ruch écr i va n t au x e x i l é s

et/ou de

de

Jé r é m i e

Comme signalé dans l’introduction, les « lettres de Diaspora associées aux figures de Jérémie et/ou de Baruch » 53 constituent un argument de poids pour notre enquête. Cette authentique chaîne de coïncidences significatives confirme le fait que la lettre de Jérémie aux exilés, dont Jérémie 29 a gardé une trace explicite, a bel et bien été comprise et reçue comme une lettre ou, du moins, comme un événement de communication à distance entre personnes ou groupes séparés. Reconstituer la teneur originale de ce rouleau-lettre expédié à Babylone est une entreprise délicate. Elle est en fait aussi délicate que celle de retrouver les ipsissima verba de la prédication publique de n’importe lequel des prophètes au nom duquel un livre a été constitué, puis intégré à la collection des écrits bibliques. Les résultats ne peuvent guère remonter au-delà du vraisemblable. Ce qui par contre est le plus assuré, pour notre propos, relève de la mise en évidence d’un scénario de communication de type épistolaire, comme l’a confirmé dans un premier temps l’examen des données littéraires fournies par Jérémie. Regardons maintenant de plus près l’histoire de l’interprétation (Auslegungsgeschichte) et celle de la réception (Wirkungsgeschichte) de ce scénario de communication d’oracles prophétiques aux exilés à Babylone et examinons les diverses modélisations déclinées par la chaîne des témoins scripturaires s’inscrivant dans le sillage de Jérémie  29. Pour mettre en évidence comment s’est perpétuée la posture d’épistolier du prophète Jérémie, puis comment elle a évolué et s’est transformée, on dispose en particulier de l’étude pionnière d’Irene Taatz 54, de l’inventaire

53.  « Diaspora letters that are associated with the prophet Jeremiah and/or his companion Baruch », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 431. 54. I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  46-81.

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quasi exhaustif de Hans-Josef Klauck 55, d’une étude d’Ulrich Mell 56 et plus récemment, comme déjà mentionné, des travaux de Lutz Doering 57. Ce dernier réexamine les analyses de ses prédécesseurs, qu’il complète suite à une mise à jour du corpus des sources, en y intégrant les documents de Qumrân, en particulier l’Apocryphe de Jérémie C, lequel n’était pas encore édité et donc disponible pour l’étude d’Irene Taatz. Examinons les données épistolaires fournies par cette chaîne de témoins, en suivant, à partir des résultats des principales études à leur sujet, les indications susceptibles de nous renseigner, sur le plan des paramètres relatifs à l’action de la communication à distance, sur ce qui relève du niveau littéraire, respectivement du niveau pragmatique. 2.3.1 La Lettre de Jérémie

2.3.1.1 Présentation Pour étudier la tradition des lettres de Diaspora associées à la figure de Jérémie et/ou de Baruch, la lettre deutérocanonique conservée dans la Septante intitulée Lettre de Jérémie 58 est le premier témoin à prendre en 55. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006. L’édition en langue anglaise de ce « guide dans le contexte historique en vue de l’exégèse » sera privilégiée par rapport à son édition allemande (Die antike Briefliteratur und das Neue Testament : ein Lehr- und Arbeitsbuch, Paderborn, 1998) de par le fait que la traduction anglaise constitue une édition révisée et augmentée de l’édition allemande. Dans l’édition anglaise sont abordées la lettre de Jérémie aux exilés (p. 243-244), la Lettre de Jérémie conservée dans la Septante (p. 244), la lettre de 2 Baruch 77-87 (p. 272-280) et les Paralipomènes de Jérémie (p.  280-289). 56. U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p. 353-380. 57.  Pour passer en revue ce corpus nous suivons l’exposé de Lutz Doering, à savoir, pour la Lettre de Jérémie (LXX), p. 154-158 ; pour 4QApocrJer Cd , p.  190194 ; pour le Targum de Jonathan sur Jr 10,11, p. 157-158 ; pour le Livre de Baruch (LXX), p. 158-160 ; pour la Lettre de Baruch (2 Baruch 78-86), p. 241-253 ; pour la correspondance entre Baruch et Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie (4 Baruch), p. 253-262. Pour l’examen de la question de l’émergence d’un genre littéraire des lettres de la Diaspora, on partira des résultats du premier examen de ces sources effectué par Lutz Doering dans son étude consacrée à « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 43-72. 58.  Pour lever subséquemment toute ambiguïté, il convient de préciser que par lettre de Jérémie (sans italiques), on désigne la lettre insérée narrativement en Jr 29 et, par Lettre de Jérémie (en italiques), la lettre deutérocanonique conservée dans la Septante.

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considération, selon l’ordre chronologique fourni par les principales hypothèses de datation. Elle est constituée d’un court texte, comprenant 72 versets dans les éditions modernes 59. Il se présente comme la copie d’une lettre adressée par Jérémie aux futurs exilés sur le point de devoir partir en captivité à Babylone : « copie de la lettre que Jérémie envoya à ceux qui allaient être emmenés prisonniers à Babylone par le roi des Babyloniens ». Elle déploie une sévère mise en garde, destinée à les prévenir de tout risque de séduction par l’adoration des idoles à Babylone. Cette recommandation énergique fait office de fil rouge tout le long du texte 60. Cette lettre est conservée dans la Septante après le Livre de Baruch. Dans la Vulgate, elle est intégrée comme sixième chapitre du Livre de Baruch. Elle aurait été originellement écrite en hébreu. Quant à sa datation, on peut la situer entre le IVe et le IIe siècle avant notre ère. Son préambule précise le but de la communication aux futurs exilés, à savoir « leur annoncer ce que Dieu lui avait prescrit ». En ce qui concerne les données littéraires, la lettre reprend le thème de la durée de l’exil (Jr 29,10), en référence à Jérémie 16,13 : Dieu va déporter son peuple dans un pays lointain où il sera contraint de servir d’autres dieux et des idoles. On trouve un écho de cela en Jérémie 51, où il est question de Babylone et de ses idoles. Au v. 2 de la Lettre de Jérémie, il est question de la longue durée de l’exil qui attend les captifs du roi de Babylone : « une fois arrivés à Babylone, vous y serez pour de très nombreuses années, pour une longue période, jusqu’à sept générations ». La seconde partie de la phrase évoque la libération du joug babylonien : « mais ensuite, je vous ferai partir de là en paix ». Ce double motif de la persévérance et de la libération s’inscrit bien dans le sillage de Jérémie  29 : d’une part le premier fait écho à la longue période fondant la pertinence des encouragements de Jérémie aux exilés (Jr  29,5-7), d’autre part, le deuxième fait écho à la promesse de restauration, de retour et de rétablissement à Jérusalem (Jr  29,10-14).

59.  Voir La Bible, notes intégrales. Traduction œcuménique (TOB), Paris – Villiers-le-Bel, 2010, p.  1943-1950. 60. Voir L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 154-158 ; H.‑J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 243-244 ; L.  Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 48-54 ; I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p. 287-330. I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  57-58.

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CHAPITRE 2

Quant au motif principal de la mise en garde contre les idoles de Babylone (v. 3-6), il est d’emblée souligné par une injonction sévère : « aussi prenez garde à ne pas devenir, à votre tour, en tous points semblables aux étrangers ; que la crainte de ces dieux n’aille pas s’emparer de vous » (v. 4). Ce motif est déployé dans une répétition inlassable, comme un refrain, rappelant qu’il n’y pas de raison valable de craindre ces idoles, car elles ne sont pas des dieux 61. L’exhortation à ne pas se laisser effrayer par elles, de par le fait que ce ne sont pas de vrais dieux, provient de Jérémie 10,5. Cette parole prophétique est par ailleurs non dénuée d’une certaine forme d’ironie 62 . La Lettre de Jérémie cherche à réagir rétrospectivement aux menaces de malheur et aux polémiques contre les idoles ponctuant le Livre de Jérémie 63. Historiquement, cette lettre témoignerait de la réaction des Judéens contre le renforcement des cultes babyloniens mené par Alexandre le Grand puis, ultérieurement, par les souverains séleucides. Cette lettre aurait aussi été lue en Judée où elle aurait contribué localement à résister à l’idolâtrie.

2.3.1.2 Analyse des paramètres épistolaires Les paramètres épistolaires de la Lettre de Jérémie sont peu nombreux. En ce qui concerne le recours à un formulaire épistolaire, on notera la présence, dans le préambule de la mention d’un émetteur (Jérémie) et des destinataires (les futurs déportés) et du but assigné à la communication à distance (délivrer un message prophétique). Au niveau des traces d’une activité épistolaire, on notera le fait que le texte se présente comme l’archive ou la copie d’une lettre effectivement envoyée, dont le texte est donné sous forme de verbatim, soit un message en style direct. On remarquera les absences de la formule d’ouverture et de celle de clôture, ainsi que de l’exorde. Seul le corps de la lettre apparaît comme ayant été retranscrit. 61. Aux v. 14, 22, 28, 64 et 68. Lutz Doering (« Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer et A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p.  49) suit sur ce point les conclusions d’une étude de Reinhard Gregor K ratz, « Die Rezeption von Jeremia 10 und 29 im pseudepigraphen Brief des Jeremia », Journal for the Study of Judaism 26 (1995), p.  2-31. 62.  « Ces idoles sont comme un épouvantail dans un champ de concombres ; elles ne parlent pas ; il faut bien les porter, car elles ne peuvent marcher. N’en ayez aucune crainte : elles ne sont pas nuisibles, mais elles ne peuvent pas davantage vous être utiles » ! 63.  Ainsi Jr 16,13 (« je vous lance de cette terre sur une autre, inconnue de vous et de vos pères ; là, jour et nuit, vous rendrez un culte à d’autres dieux et vous ne pourrez plus compter sur ma sollicitude ») et Jr 51, qui reprend le thème des idoles de Babylone, assorti d’une série de malédictions et d’annonces de malheur pour Babylone et ses habitants.

LES PR ATIQUES ÉPISTOLAIRES D’AUTORITÉ

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Ce dernier confère ainsi formellement au texte l’apparence d’une lettre à contenu prophétique. Selon Lutz Doering, la question de l’identification de la Lettre de Jérémie avec celle que Jérémie aurait effectivement envoyée aux exilés selon Jérémie  29,1-23 exige quelques nuances  6 4 . Il est évident que la lettre y fait implicitement référence : d’une part, il est question d’une « copie » et d’autre part, de la transmission d’une mise en garde divine relayée par Jérémie (qui ne se trouve pas être ici qualifié de prophète). Pourtant, les traces d’une identification de la Lettre de Jérémie avec la lettre de Jérémie aux exilés (Jr  29,1-23) sont tout sauf explicites et ceci pour trois raisons. Premièrement, selon le texte source, il est question de « la copie d’une lettre que Jérémie envoya… » et non pas de « la copie de la lettre que… » 65. Deuxièmement, il est fait état d’une deuxième lettre de Jérémie aux exilés selon Jérémie 29,30-32. Troisièmement, le préambule parle de « ceux qui allaient être emmenés (comme) prisonniers à Babylone » : la mention de l’imminence de l’exil donne un décalage temporel bien différent par rapport à la situation des destinataires des lettres de Jérémie  29, lesquels sont déjà à Babylone. La lettre a pour destinataires un groupe en partance et non pas un groupe déjà établi en Diaspora. Reinhard Kratz montre que la Lettre de Jérémie est un témoin important s’inscrivant dans le sillage du Livre de Jérémie, car elle se trouve être le fruit d’une double réception. Il y a, d’une part, celle d’un message prophétique polémiquant contre les idoles, à la suite de Jérémie 10, et, d’autre part, celle d’une épistolarité, à la suite de Jérémie  29 66. Ce dernier élément doit retenir notre attention, car il témoigne de l’importance accordée au médium épistolaire, en ce qui concerne, d’une part le fond, à savoir la transmission légitime d’un message à caractère prophétique, et, d’autre part la forme, à savoir une copie destinée à perpétuer la diffusion de ce message. Fond et forme sont tous deux placés sous l’autorité de la figure prestigieuse du prophète adressant une parole divinement autorisée aux déportés, dont il se trouve, spatialement et temporellement, séparé.

64. L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange, Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p.  49. 65.  I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p. 310. 66.  R. G. K ratz, « Die Rezeption von Jeremia 10 und 29 im Pseudepigraphen Brief des Jeremia », Journal for the Study of Judaism 26/1 (1995), p.  2-31.

144

CHAPITRE 2

2.3.2 L’écrit vraisemblablement tiré de Jérémie et lu à Babylone selon 4Q389

2.3.2.1 Présentation On désigne par Apocryphe de Jérémie C un texte 67 dont l’existence se trouve attestée à partir de six fragments de manuscrits retrouvés dans la grotte 4 de Qumrân (4Q389), lesquels présentent des similitudes tant thématiques que stylistiques 68. Un de ces fragments, dont le texte est passablement lacunaire, mentionne la lecture publique faite aux israélites d’un écrit de Jérémie « au bord de la rivière Sour ». Le texte se présente de la façon suivante : 4Q389  1 1. [ ] [

]

2. [ ] dans le pays de J[udée

]

3. [ ]et ils prirent pour t[ous

]

4. [ et ]tous ceux restés au pays d’Ég[ypte

]

5. [ Jé]rémie fils d’Helkiah en provenance du pays d’Ég[ypte

]

6. [la tre]nte-sixième année de l’exil d’Israël ils ont lu [ces choses

[devant ]

7. t[ous les Fils d’I]sraël au bord de la rivière Sour en présence[

]

Le texte dont provient ce fragment pourrait remonter aux alentours du IIe siècle avant notre ère, au moment de la crise maccabéenne. Il proviendrait des milieux à l’origine du groupe qui s’est établi comme communauté dans le site de Qumrân, laquelle l’aurait ensuite conservé 69.

67. Désigné 4Q389 ou 4QApocrJer Cd selon les chercheurs. 68. Voir D.  Dimant, «  L’apocryphe de Jérémie C de Qoumrân  », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 85/4 (2005), p.  497-515 (pour la traduction française, laquelle est citée ci-après). L’établissement de ce texte à partir des fragments a été édité en 2001 par D. Dimant, Qumran cave 4. XXI : Parabiblical Texts, Part 4 : Pseudo-Prophetic Texts (partially based on earlier transcriptions by J. Strugnell ), Oxford, 2001, p. 220 (texte source en hébreu et traduction anglaise). Voir également L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  190-194. 69.  La paléographie permet de dater le fragment entre les années 50 à 20 avant notre ère. Mais sa proximité avec des textes comme les Jubilés, l’Apocalypse des animaux ou l’Apocalypse des semaines permet de situer le texte source au IIe siècle avant notre ère. Ce groupe aurait compris son temps présent comme un temps d’une période de dix jubilés (à savoir 490 ans) d’iniquité (cf.  4Q387 2 ii), période qui aurait commencé avec l’exil à Babylone et dont le groupe pensait qu’elle se poursuivait en raison des épreuves endurées à leur époque : « this suggests a notion of ongoing exile that is also evinced by the terminology of sojourning and exile in other texts from Qumran » L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  191 (voir aussi la note  114).

LES PR ATIQUES ÉPISTOLAIRES D’AUTORITÉ

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Ce fragment attesterait, avec d’autres documents, qu’à l’évidence Jérémie n’est pas devenu une figure importante seulement après les années 70 de notre ère. Sa figure prophétique aurait déjà joué un rôle dans les crises du IIe siècle avant notre ère, vécues par les Judéens. On peut faire un lien entre ce fragment et le Livre de Baruch (Bar 1,1-5), qui relate aussi un événement de lecture publique au bord du fleuve à Babylone : « Baruch donna lecture du contenu de ce livre en présence de Jékhonias, fils de Joakim, roi de Juda, et de tout le peuple qui était venu pour entendre le livre, en présence des autorités […] bref en présence de tout le peuple […] de tous ceux qui habitaient à Babylone au bord du fleuve Soud » 70. Cette attestation d’une répercussion dans plusieurs communautés différentes témoigne du fait que la posture d’autorité du prophète Jérémie était largement connue.

2.3.2.2 Analyse des paramètres épistolaires La lecture publique dont il est fait mention dans ce petit fragment fait vraisemblablement allusion à un document que Jérémie aurait fait parvenir d’Égypte puisque, toujours selon notre fragment, il est question, dans la ligne précédente, de la présence de Jérémie en Égypte. Lutz Doering parle à son sujet de « pièce d’écriture apparemment de Jérémie “lue” au bord de la rivière Sour » 71 et estime en conséquence que ce témoignage est à considérer également à la lumière du contexte des lettres de la Diaspora dans la tradition de Jérémie le prophète écrivain, consolant et instruisant les exilés à Babylone. Du point de vue épistolaire, un élément à retenir est la mention d’une action de lecture publique, dans un lieu dont on précise l’emplacement géographique (« la rivière Sour »), et la date (« la 36e année de l’exil d’Israël »). Le seul élément d’explication susceptible d’être examiné est fourni par la mention de Jérémie ayant fait quelque chose en Égypte. La solution la plus probable serait que Jérémie aurait écrit aux exilés depuis l’Égypte et que le contenu de ce message concernerait des thèmes et exhortations relevant de la Torah. Ce fragment est ainsi de toute première importance, car il offre un point de repère au IIe siècle avant notre ère dans l’histoire et l’évolution de la tradition de Jérémie comme l’épistolier écrivant aux exilés pour les enseigner et les exhorter 72 . 70.  La différence des noms de la rivière, entre « Sour » et « Soud », s’expliquerait par une simple confusion entre les consonnes hébraïques ‫ר‬ et ‫ד‬, L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  193. 71.  « Jeremiah’s apparent piece of writing “read” at the River Sur », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  191. 72. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  194.

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CHAPITRE 2

2.3.3 La lettre intégrée dans le Targum de Jonathan sur Jérémie  10,11

2.3.3.1 Présentation Dans le Targum de Jonathan 73, on trouve un petit passage faisant explicitement référence à Jérémie  29,1 74 , tout comme la Lettre de Jérémie 75. Le texte du Targum sur Jérémie 10,11 76 se présente de la façon suivante : Ceci est la copie de la lettre que Jérémie le Prophète envoya au reste des anciens de l ’Exil, qui étaient à Babylone : Si les nations parmi lesquelles vous vous trouvez vous disent « adorez les idoles, ô maison d’Israël », ainsi vous leur répondrez et ainsi vous leur direz : les idoles que vous adorez sont des idoles sans utilité ; elles ne peuvent apporter la pluie du ciel, elles ne peuvent faire sortir les fruits de la terre ; elles et leurs adorateurs disparaîtront de la terre et seront effacées de dessous les cieux et ainsi vous leur direz : (v. 12) nous adorons celui qui a fait la terre par sa puissance 77.

Cette copie de la lettre du prophète Jérémie a pour but de préparer les destinataires à répondre aux Nations qui les contraindraient à adorer leurs idoles. Elle cherche à réorienter leur croyance envers le Dieu créateur, par opposition à l’idolâtrie. La datation des textes targumiques est très délicate à établir, car ceux-ci combinent des sources anciennes, orales ou écrites, lesquelles peuvent remonter ou s’enraciner dans des traditions orales sensiblement plus anciennes et, par conséquent, quasi impossibles à dater avec précision. Il s’agit d’une période difficile à cerner, car l’autorité rabbinique est en train de se construire et de se structurer et établir une chronologie assurée de ces processus est très délicat. 73.  Voir, pour le texte du Targum de Jonathan, A.  Sperber , The Bible in Aramaic : Based on Old Manuscripts and Printed Texts. III : The Latter Prophets According to Targum Jonathan, Leiden, 1962, p.  160-161. Voir également R. H ayward, The Targum of Jeremiah. Translated with a Critical Introduction, Apparatus and Notes, Edinburgh, 1987, p.  79 ; L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, Mohr Siebeck, 2012, p. 157-158 ; I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p.  293-294. 74.  « Voici les termes de la lettre que le prophète Jérémie envoya de Jérusalem à tous les anciens, parmi les exilés, aux prêtres, aux prophètes et au peuple tout entier que Nabuchodonosor avait déportés de Jérusalem à Babylone ». 75. « Copie d’une lettre que Jérémie envoya à ceux qui allaient être menés captifs à Babylone par le roi des Babyloniens, pour leur annoncer, comme l’ordre lui en avait été donné par Dieu : […] ». 76.  Jr 10,11 : « voici ce que vous leur direz, les dieux qui n’ont pas fait le ciel et la terre doivent disparaître de la terre, de dessous le ciel ». 77.  Traduit de l’anglais (source : R. H ayward, The Targum of Jeremiah. Translated with a Critical Introduction, Apparatus and Notes, Edinburgh, 1987, p.  79-81) par I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p.  293-294 (les développements textuels propres au Targum sont signalés en italiques).

LES PR ATIQUES ÉPISTOLAIRES D’AUTORITÉ

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2.3.3.2 Analyse des paramètres épistolaires La référence à la posture épistolaire du prophète Jérémie écrivant aux exilés est encore plus explicite que celle donnée par la Lettre de Jérémie. Il est fait mention d’une copie envoyée par Jérémie à Babylone. Cela sousentend que Jérémie en conserve l’original. L’émetteur est authentifié par sa fonction prophétique et le cercle des destinataires, dûment qualifiés. Le texte de Jérémie  29,1 présente narrativement la lettre comme un verbatim, rendant compte par écrit d’un oracle divin, à l’instar des prophéties du Proche Orient ancien. Quant à la Lettre de Jérémie, elle amalgame la copie et la transmission de l’oracle. La précision apportée par la mention explicite que le texte cité est une copie de la lettre de Jérémie aux exilés est à remarquer, car elle permet de déployer un effet pragmatique en donnant aux propos un tour beaucoup plus direct. On retrouve ici une trace attestant de la vigueur de l’argument de la pragmatique épistolaire, à savoir le fait d’équiper épistolairement une action de communication à distance. Dans ce sens, Jacqueline Moatti‑Fine peut parler d’un effet de mise en forme épistolaire des propos targumiques, lesquels prennent la forme, via ce subtil procédé, d’une sorte de lettre en miniature : Le verset 11 devient dans le Targum une « Lettre de Jérémie » en miniature : ce développement relève peut-être d’une tradition de lecture qui, si elle était ancienne, pourrait être également à l’origine de notre Lettre [de Jérémie] ; quoi qu’il en soit, cette association de la forme « lettre » et du sujet « mise en garde contre les idoles » montre qu’à des époques différentes, l’adresse directe a paru la forme la plus efficace contre le danger de l’assimilation à l’égard d’une Diaspora qui n’avait que trop bien suivi les conseils de vie et d’adaptation prodigués dans sa lettre par le prophète Jérémie 78.

Dans ce sens, il convient également de signaler le jeu entre le « vous » du texte de Jérémie 10,11, auquel le texte targumique répond par un « nous », à des fins de cohérence de la relation épistolaire entre le prophète et les exilés. Ces indications attestent de la vigueur reconnue à la dimension épistolaire, via le recours à son potentiel pragmatique. S’inscrire dans le sillage de l’autorité de Jérémie le prophète écrivant aux exilés permet non seulement d’asseoir, d’une manière pseudépigraphique en quelque sorte, cette autorité, mais aussi d’en conserver la vigueur pragmatique auprès des destinataires, comme si le prophète Jérémie continuait, toujours et encore, à faire parvenir sa parole à destination dans des temps troublés qui ont changé, mais dont le caractère crucial hélas semble rester d’actualité. 78.  I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p.  294.

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CHAPITRE 2

2.3.4 Le Livre de Baruch (LXX)

2.3.4.1 Présentation La recherche est divisée tant sur la question de l’unité de ce document que celle de sa datation. Le Livre de Baruch 79 se présente comme un texte écrit par Baruch à Babylone et qu’il a lu devant Jéchonias et le peuple assemblé au bord du « fleuve Soud » 80, comme le précise sa préface (Baruch 1,1-5) : Ce sont les paroles du livre qu’écrivit Baroukh, fils de Nèrias, fils de Maasaias, fils de Sédékias, fils d’Asadias, fils de Khelkias, à Babylone, la cinquième année, le sept du mois, à la date où les Khaldéens avaient pris Jérusalem et l’avaient brûlée par le feu. Et Baroukh lut les paroles de ce livre aux oreilles de Jékhonias, fils de Jôakim, roi de Juda, aux oreilles de tout le peuple qui venait pour le livre, aux oreilles des dignitaires et des fils des rois, aux oreilles des anciens et aux oreilles de tout le peuple du plus petit au plus grand, de tous les habitants de Babylone sur le fleuve Soud.

Il est ensuite évoqué l’envoi, avec la vaisselle et les ustensiles du Temple, du livre à Jérusalem. Le fleuve Soud n’est mentionné nulle part ailleurs dans la Septante, mais cette scène n’est pas sans rappeler d’autres textes faisant mention, de manière analogue, de rassemblements des exilés au bord du fleuve : – Ps 137,1-2 : « Là-bas, au bord des fleuves de Babylone, nous restions assis tout éplorés en pensant à Sion. Aux saules du voisinage, nous avions pendu nos lyres ». – Esd 8,1.15.21 : « 1Voici, avec leurs généalogies, les chefs de famille qui montèrent avec moi de Babylone sous le règne du roi Artaxerxès […].15Je les rassemblai près de la rivière qui va vers Ahawa et nous campâmes là trois jours […]. 21Je proclamai là, près de la rivière Ahawa, un jeûne pour nous humilier devant notre Dieu afin de rechercher la faveur de cheminer sans encombre, nous et nos enfants, avec nos bagages ». – Ez 1,1 : « La trentième année, le quatrième mois, le cinq du mois, j’étais au milieu des déportés, près du fleuve Kebar : les cieux s’ouvrirent et j’eus des visions divines ». Ces témoignages attestent de la récurrence du motif de la présence des exilés au bord d’un fleuve en Babylonie. Chercher à se réunir régulière79.  Voir L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 158-160 ; I. A ssan‑Dhôte – J. Moatti‑Fine, Baruch, Lamentations, Lettre de Jérémie, Paris, 2005, p.  293-294 ; A. Wénin, « Y a-t-il un “Livre de Baruch” ? », dans J.‑M. Auwers – A. Wénin (éd.), Lectures et relectures de la Bible. Festschrift P.-M. Bogaert, Louvain, 1999, p.  231-243. 80.  J. A. Bewer, « The River Sud in the Book of Baruch », Journal of Biblical Literature 43  (1942), p.  226-227.

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ment à proximité du cours d’eau pourrait s’expliquer par la nécessité de trouver des lieux de prière permettant, à satisfaction, l’accomplissement des rites purificatoires 81. Le parallèle qu’on peut tirer entre l’introduction et l’Apocryphe de Jérémie C trouvé à Qumran milite en faveur de la vraisemblance d’une datation du Livre de Baruch à hauteur de la période maccabéenne, entre 167 et 142 avant notre ère.

2.3.4.2 Analyse des paramètres épistolaires Le Livre de Baruch témoigne de l’importance acquise par la figure prophétique de Baruch dans le sillage de celle de Jérémie. Comme dans le cas de l’Apocryphe de Jérémie C, ce texte comportant la précision qu’il fut écrit par Baruch à Babylone fait l’objet d’une lecture publique au bord du fleuve. La collecte d’argent pour les Judéens restés à Jérusalem et son envoi, destiné à redonner de l’espoir par le biais de soutien financier permettant une reprise des rites sacrificiels (1 Baruch 1,6-7) et le message subséquent (1 Baruch 1,10-14) commandant la lecture du livre ainsi envoyé à Jérusalem, font office de pendant inversé à la lettre écrite jadis par Jérémie aux exilés et destinée à une lecture publique à Babylone (1 Baruch 1,14) : Vous lirez ce livre que nous vous avons envoyé pour une confession publique dans la maison du Seigneur le jour de la Fête et les jours de temps fixés et vous direz : […]

Cette exhortation invite à la lecture publique de la grande prière de pénitence qui occupe la moitié du livre (1 Baruch 1,15-3,8). Par le statut qui lui est ainsi conféré par cette posture d’auteur s’adressant aux exilés, le scribe du prophète Jérémie, qui a fui avec lui en Égypte (Jr 43,6), acquiert ici un statut plus important, celui de garant des prophéties de Jérémie. On remarquera le procédé épistolaire, à savoir l’envoi d’un livre – en fait un rouleau, comme mentionné précédemment – destiné à la transmission, via la lecture publique, d’une injonction de caractère divin. 2.3.5 La lettre de Baruch (2 Baruch 78-86)

2.3.5.1 Présentation L’Apocalypse syriaque de Baruch se termine par une lettre (2 Baruch 78-86) envoyée par Baruch « aux neuf tribus et demie, qui étaient au-delà 81.  Tout comme la précision, dans les Actes des apôtres, relative au récit de la conversion de Lydie, marchande de pourpre de la ville de Thyatire : « le jour du sabbat, nous en avons franchi la porte, pour gagner, le long d’une rivière, un endroit où, pensions-nous, devait se trouver un lieu de prière ; une fois assis, nous avons parlé aux femmes qui s’y trouvaient réunies » (Ac 16,13) ; voir D. M arguerat, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, 2015, p. 131.

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CHAPITRE 2

du fleuve Euphrate » 82 (78,1). Cette Apocalypse, qu’on désigne aussi comme 2e Livre de Baruch, comprend deux parties, dont la dernière est constituée précisément par la lettre, laquelle a pour fonction de communiquer des instructions aux déportés, conformément aux demandes des Judéens restés à Jérusalem avec Baruch (77,12) 83 : Fais quelque chose pour nous, ton peuple : écris aussi pour nos frères à Babylone une lettre d’instruction et un rouleau de prédiction, afin de les soutenir aussi avant de nous quitter.

Cette injonction dévoile les deux fonctions pragmatiques assignées à cette lettre : elle doit, d’une part, instruire et exhorter et, d’autre part, consoler en délivrant un message d’espoir 84 . Cette lettre est délimitée par un cadre rédactionnel, annonçant en ouverture « les termes de la lettre qu’envoya Baruch, fils de Néria » (78,1) et se terminant en évoquant l’achèvement de la rédaction, sa préparation pour l’envoi et son expédition. Cette lettre poursuit un triple objectif 85 : (1) elle fait office d’écrit de 82.  Traduction citée d’après J. H adot, « Livre de l’Apocalypse de Baruch, fils de Néria (II Baruch) », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1479-1557. 83. Voir P.-M. Bogaert, Apocalypse de Baruch : introduction, traduction du syriaque et commentaire (2  volumes, Sources Chrétiennes 144 et 145), Paris, 1969. Voir également L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 241-253 ; M. H enze, Jewish Apocalypticism in Late First Century Israel. Reading Second Baruch in Context, Tübingen, 2011 ; U.  M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p.  369375 ; H.‑J.  K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 272-280 ; L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 55-62 ; M. F. Whitters, The Epistle of Second Baruch. A Study in Form and Message, Londres – New York, 2003 ; I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  59-76 ; A.  F.  J. K lijn, « Die syrische Baruch-Apokalypse », Studien zu den jüdischen Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit 5/2 (1976), p.  103-191. 84.  « Doch abgesehen von der Frage der Rückübersetzung, die ohnehin immer problematisch ist, bleibt festzuhalten, dass der in 77,12 erbetene Brief zwei Funktionen haben soll : der Brief soll erstens unterweisen und ermahnen, zweitens durch seine Hoffnungsbotschaft trösten » : cette double demande pose un problème de traduction, mais permet de préciser le but de la lettre, I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  62. 85. J. H adot, « Livre de l’Apocalypse de Baruch, fils de Néria (II Baruch) », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1549 (note 5).

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consolation ; en effet, le thème de la consolation traverse toute la lettre : « écoutez aussi une parole de consolation » (81,1), formulation qui peut nous faire penser à la « parole de consolation » dans la finale épistolaire de la Lettre aux Hébreux (Hb 13,22), (2) elle fait participer les exilés aux malheurs dont Jérusalem se trouve présentement frappée et (3) elle invite les exilés à reconnaître la justice divine. Les destinataires explicites de la lettre sont les neuf tribus et demie, exilées au-delà de l’Euphrate. Il s’agit de celles exilées par les Assyriens. Une deuxième lettre est mentionnée. Cette missive-là est destinée « à ceux de Babylone » (77,19), qui concernerait alors le solde des fils d’Israël, à savoir les deux tribus et demie restantes, c’est-à-dire les déportés suite à la destruction de Jérusalem 86. Cette deuxième lettre fait l’objet de la demande à Baruch (« écris aussi pour nos frères de Babylone », 77,12). Il est précisé, au sujet de ces deux lettres, qu’elles ont le même contenu : « mais j’ai écrit aussi à nos frères de Babylone, pour traiter aussi avec eux de ces choses » (86,6). On peut donc déduire du fait que, si la deuxième lettre n’est pas rapportée sous forme de verbatim dans l’Apocalypse de Baruch, c’est que la publication de la première fait office pars pro toto de la communication globale à l’ensemble des déportés 87. L’expédition de la lettre aux neuf tribus et demie est confiée à un aigle et celle aux déportés à Babylone à trois hommes (77,19), ce qui pourrait être un indice de la prééminence et donc de l’autorité de celle-ci. Quant à l’aigle, il reçoit un ordre de mission théologique en bonne et due forme ; c’est dans les sillages prestigieux de la colombe de Noé, des corbeaux d’Élie et de l’aigle de Salomon qu’il se doit d’accomplir sa mission postale (77,21-26). L’histoire de sa transmission manuscrite 88 nous apprend que cette lettre a connu une postérité importante au sein des Églises syriaques. Sa présence en tant que lettre indépendante dans la Bible syriaque est bien attestée, comme le confirment les 36 manuscrits la conservant. Les savants y avaient accès déjà depuis le XVIIe siècle, grâce à la Polyglotte de Paris (1645) et à celle de Londres (1657). Elle connut sa première édition critique, réputée

86. La répartition des tribus d’Israël en neuf et demi et deux et demi proviendrait d’une tradition particulière, dont témoigne le Martyre d ’Isaïe (3,2), qui proviendrait du Livre des Antiquités bibliques (22,3), selon J. H adot, « Livre de l’Apocalypse de Baruch, fils de Néria (II Baruch) », dans La Bible. Écrits inter­ testamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1480, note 2. 87. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 243. 88. J. H adot, « Apocalypse syriaque de Baruch : notice », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1473.

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excellente, sur la base de treize manuscrits, en 1896 89. Quant à l’Apocalypse de Baruch proprement dite, elle ne fut découverte que tardivement, en 1866, par A. M. Ceriani, prêtre au service de la bibliothèque Ambrosienne de Milan, qui la trouva dans le manuscrit d’une Bible syrienne provenant d’un monastère du désert d’Égypte et datant du VIe ou du VIIe siècle. Ce manuscrit comprend une version complète de l’Ancien Testament dans laquelle sont intégrés également le Quatrième Livre d’Esdras et le sixième livre de la Guerre juive de Flavius Josèphe. Il est à remarquer qu’il comprend deux versions de la Lettre de Baruch, une fois comme lettre indépendante, placée entre la Lettre de Jérémie et le Livre de Baruch et une deuxième fois à sa place normale, à la fin de l’Apocalypse de Baruch. Seul un deuxième témoin, un manuscrit arabe, contient également la version complète de l’Apocalypse de Baruch. Les différences entre la lettre indépendante et celle intégrée à l’Apocalypse ne sont que minimes et s’expliquent par la nécessité d’adaptation de la lettre selon qu’elle est intégrée ou retranchée du reste de l’œuvre. La finale relative à l’achèvement de la lettre, à la préparation de son expédition et enfin à son expédition proprement dite (87,1), laquelle se rattache à la séquence de l’envoi de l’aigle en mission (77,18-26), ne figure pas dans les sources témoignant de la version indépendante de la lettre 90. Enfin, on signalera que la lettre aurait visiblement joué un rôle important dans la composition de l’Apocalypse de Baruch de par le fait que, d’une part, son contenu présuppose clairement les chapitres 1 à 77 et, d’autre part, elle prolonge et complète les révélations, tant sous le mode de l’instruction que celui de l’interprétation : « on a l’impression d’un texte exotérique, qui traduit dans un langage dépouillé une révélation d’ordre ésotérique » 91. Irene Taatz constate le consensus de la recherche selon lequel elle a originellement fait partie de l’Apocalypse de Baruch et a été écrite par le même auteur, ceci pour deux raisons : d’une part, la lettre est narrativement bien intégrée à l’Apocalypse de Baruch, comme le confirme le cadre narratif de sa rédaction, au chapitre 77, et d’autre part, les deux s’articulent logiquement 92 . Les deux ensembles forment un binôme logique,

89.  R.  H. Charles, The Apocalypse of Baruch translated from the Syriac, Londres, 1896. 90.  J.  H adot, « Livre de l’Apocalypse de Baruch, fils de Néria (II Baruch) », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1557. 91.  J.  H adot, « Livre de l’Apocalypse de Baruch, fils de Néria (II Baruch) », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1548. 92.  I.  Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  59.

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d’une « forme voilée » (l’Apocalypse) à une « forme claire » (la Lettre) 93. La lettre fait office de résumé clarifiant, en quelque sorte, le message de l’Apocalypse de Baruch et aussi de synthèse théologique. Cela expliquerait aussi la longue tradition de l’existence de cette lettre dans les Églises syriaques. La recherche situe la datation de l’Apocalypse de Baruch dans une période située entre 70 et 130 de notre ère. Le terminus a quo serait la première révolte judéenne contre Rome et le terminus ad quem, la deuxième révolte judéenne contre Rome. L’hypothèse la plus récente à ce sujet suggère que son auteur aurait vécu une ou deux générations après la seconde révolte judéenne contre Rome 94 . La Lettre de Baruch, de par son intention de s’adresser à l’ensemble des déportés de jadis – les Judéens exilés à la suite de la chute du royaume d’Israël au VIIIe siècle et ceux exilés suite chute de celui de Juda au VIe siècle – cherche à s’adresser à l’ensemble des Judéens, tant ceux vivant en Diaspora que ceux de la mère-patrie, suite à la destruction de Jérusalem et de l’occupation romaine 95. La question de la version originale est discutée dans la recherche : la traduction syriaque proviendrait d’une version grecque qui remonterait, selon Lutz Doering, probablement à une version originale en hébreu de la lettre, ce qui est non sans intérêt, car cela comblerait notre manque de documentation épistolaire en langue hébraïque, entre le VIe siècle avant notre ère et le IIe siècle de notre ère 96.

2.3.5.2 Analyse des paramètres épistolaires En ce qui concerne la question épistolaire, la lettre de Baruch fournit un nombre indéniable d’éléments, qu’on peut regrouper sous cinq entrées : (1) le formulaire épistolaire, (2) les traces de l’activité épistolaire, (3) les

93.  P.-M.  Bogaert, Apocalypse de Baruch : introduction, traduction du syriaque et commentaire, Paris, 1969, p.  78. 94.  M.  H enze, Jewish Apocalypticism in Late First Century Israel : Reading Second Baruch in Context (TSAJ 142), Tübingen, 2011, p. 25-34. Selon I. Taatz, il conviendrait de la situer autour des années 100 (Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  60) et selon U.  M ell, à l’époque de la révolte de la Diaspora des années 115-117 (« Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p. 370). 95.  « Dieser Wunsch nach gleicher Verkündigung im Mutterland wie in der Diaspora und das Selbstverständnis des jüdischen Volkes als einer Einheit trotz der Zerstreuung sind damit die Voraussetzungen des Briefs, die Realisierung dieses Wunsches und die daraus resultierende Stärkung der Einheit die Anliegen des Briefs »,  I.  Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  74-75. 96.  L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 241.

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traces relatives aux conditions matérielles, (4) la pragmatique de la communication et (5) la question du genre des lettres de la Diaspora. Premièrement, la présence d’un formulaire épistolaire est indéniable ; on peut schématiquement le résumer ainsi : 1. Ouverture : mention de l’expéditeur et du groupe de destinataires (78,2), pas de salutation, mais une formule déclarative (« ainsi parle »), exorde (78,3-7). 2. Corps de la lettre, comprenant quatre parties : i. un compte-rendu de la catastrophe (79-80) ; ii. des paroles de réconfort (81-83) ; iii. la mission de Baruch, laquelle fait explicitement référence à la situation testamentaire, la typologie de Moïse et le rôle tangible de la lettre (84) ; iv. un chapitre sur le rôle de la loi en regard avec le jugement dernier et la fin des temps (85). 3. Conclusion : avec une exhortation conclusive à lire la lettre dans les assemblées, à la méditer en particulier à l’occasion des jours de jeûne et à se souvenir de Baruch en se rappelant la lettre (86,1-3). Sur le plan narratif, il est bien question d’une lettre, comme le confirment d’un côté les propos qui l’introduisent : « voici les termes de la lettre […] voici ce qui y était écrit » (78,1) et de l’autre ceux qui le concluent : « quand j’eus achevé toutes les paroles de cette lettre et que je l’eus écrite avec soin jusqu’à la fin » (87,1). Cette lettre émane d’un auteur dont l’identité est explicitement nommée, Baruch fils de Néria, lequel écrit depuis la Judée aux déportés. Il en va de même en ce qui concerne les destinataires explicites (les neuf tribus et demie). Le montage narratif au sujet des deux lettres permet aux destinataires explicites de préfigurer implicitement l’entier des déportés, à savoir et ceux du Royaume d’Israël, suite à la prise de Samarie par les Assyriens en 722 et ceux du Royaume de Juda, suite à la destruction de Jérusalem en 587 par les Babyloniens. Deuxièmement, l’activité épistolaire liée à cette lettre est présente de manière appuyée. L’activité d’épistolier de Baruch est mentionnée à quatre reprises : 1. À la demande des Judéens à Baruch d’écrire aux frères à Babylone : « pourtant fais quelque chose pour nous, ton peuple : écris aussi pour nos frères à Babylone une lettre d’instruction et un rouleau de prédiction, afin de les soutenir aussi avant de nous quitter » (77,12). 2. La confirmation, par Baruch, de la bonne réception de la demande et son développement narratif : « cependant, comme vous me l’avez demandé, je vais écrire aussi aux frères qui sont à Babylone et j’enverrai la lettre par des hommes, et j’écrirai de même aux neuf tribus et demie et j’enverrai la lettre par un oiseau […] j’écrivis ces deux lettres ; j’en envoyai une par un aigle aux neuf tribus et demie, j’en-

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voyai l’autre à ceux de Babylone par le ministère de trois hommes » (77,19-21). 3. Le préambule narratif de la lettre et la formule d’ouverture : « voici les termes de la lettre qu’envoya Baruch, fils de Néria… » (78,1). 4. La formule de conclusion : « et il arriva, lorsque j’eus achevé toutes les paroles de cette lettre, et que je l’eus écrite avec soin jusqu’à la fin… » (87,1). Le problème de l’expédition fait l’objet d’un traitement symbolique particulier, par le recours au motif de l’aigle 97. Celui-ci reprend celui de l’aigle porteur du courrier des Paralipomènes de Jérémie, comme une comparaison de leurs ordres respectifs de mission le confirme. Dans l’Antiquité romaine, l’aigle symbolise Jupiter et le pouvoir impérial et, à ce titre, sert d’insigne de la légion. La symbolique chrétienne reprendra ce symbole pour illustrer le motif de la toute-puissance divine 98. L’Ancien Testament témoigne d’une admiration des Israélites pour l’aigle 99, en raison de son vol rapide et majestueux et de la hauteur vertigineuse de son nid 100. Cette hauteur impressionnante lui vaut de symboliser les êtres célestes 101, et par extension, de servir de motif pour illustrer la sollicitude de Dieu pour son peuple 102 ou pour figurer allégoriquement, selon le prophète Ézéchiel, les rois contemporains de l’Exil 103. Sont également mentionnées la réception et la lecture publique de la lettre (86,1). Il convient de constater la récurrence du motif de la lecture publique, lequel traverse tout le corpus relatif au motif de Jérémie ou de Baruch s’adressant aux exilés ou à ceux restés au pays. On retrouve pareilles injonctions pratiques dans le corpus des lettres du Nouveau Testament 104 . Troisièmement, les témoignages au sujet de traces éventuelles des conditions matérielles de la pratique épistolaire, on remarquera la précision de l’écriture soignée, de la lettre qui est roulée et scellée. Le fait de l’attacher 97.  Dans la mythologie grecque, l’aigle symbolise l’envoyé céleste, en particulier le messager de Zeus. Voir U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p. 370 (note 100). 98.  E.  Urech, Dictionnaire des symboles chrétiens, Neuchâtel, 1972, p.  12. 99.  Dictionnaire encyclopédique de la Bible, sous la direction de P.-M. Bogaert – M. Delcor – E. Jacob – E. Lipinski – R. M artin-Achard – J.  Ponthot, Turnhout, 1987, p.  28-29. 100.  2  S  1,23 ; Jr  49,16. 101.  Ez 1,10 ; 10,14. 102. Selon Dt 32,11 : « Il [le Seigneur] est comme l’aigle qui encourage sa nichée : il plane au-dessus de ses petits, il déploie toute son envergure, il les prend et les porte sous ses ailes ». 103.  Ez 17,3-7. 104.  1 Th 5,27 ; Col 4,16.

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au cou de l’aigle est évidemment à comprendre en fonction du développement de la figure métaphorique de cet oiseau prestigieux. Elle fait aussi penser à l’utilisation des pigeons voyageurs pour transmettre des messages, déjà pratiquée à l’époque de l’Antiquité 105. Quatrièmement, les indicateurs d’une pragmatique de la communication épistolaire sont présents ; il y a tout d’abord la posture d’autorité de Baruch comme épistolier, écrivant sous un chêne (77,18), dont on peut se demander si c’est le même chêne depuis lequel il avait contemplé la destruction de Jérusalem 106. L’Ancien Testament souligne combien le chêne constitue un arbre imposant et fort, comme le confirme son étymologie, dont la racine signifie dureté et force 107. Ceci explique pourquoi on rencontre un certain nombre de chênes sacrés dans les récits bibliques, comme celui de Sichem 108 ou celui de Moré 109. Il y a ensuite les jeux entre les pronoms personnels : le « je » de l’épistolier, le « nous » figurant l’entier du peuple d’Israël, à savoir l’ensemble des tribus dispersées (les neuf tribus et demie destinataires de la lettre transmise par l’aigle, les frères de Babylone, les Judéens restés à Jérusalem avec qui Baruch se trouve) et le « vous » désignant les destinataires effectifs (les neuf tribus et demie). On notera également la dynamique dialogique induite par les répétitions de l’adresse « aux frères », lesquelles ponctuent chaque partie de la lettre. À ce sujet, il convient de signaler que l’expression « les frères » est utilisée tant pour désigner les Judéens restés au pays que les déportés, qui sont les destinataires explicites de la lettre. Cette expression souligne leur appartenance à une même famille : 1. Dans la formule d’ouverture : « Ainsi parle Baruch, fils de Néria, aux frères emmenés captifs » (78,1). 2. Dans l’exorde : « Je me souviens mes frères, de l’amour de celui qui nous a créés, qui nous a aimés dès l’origine… » (78,3) ; « Aussi, il me tient surtout à cœur de vous laisser les paroles de cette lettre avant de mourir, afin que vous vous consoliez des maux qui vous sont arrivés et que vous vous attristiez des maux arrivés à vos frères [= ceux de Judée] (78,5) ». 105. Voir A. R einfray, Le pigeon voyageur de l ’Antiquité à la colombophilie moderne, Rennes, 2007, p. 7-31. 106.  « Il arriva, le lendemain, que l’armée des Chaldéens entoura la ville. Au temps de la soirée, je quittai le peuple, moi Baruch, je sortis et je me tins auprès du chêne. Et je me désolais sur Sion et je gémissais sur la captivité qui était arrivée pour le peuple » (6,1-2), suite à une remarque de L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 244. 107. P.-M. Bogaert – M. Delcor – E. Jacob – E. Lipinski – R. M artinAchard – J.  Ponthot (éd.), Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Turnhout, 1987, p.  264. 108.  Gn 35,4. 109.  Dt 11,30.

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3. Dans le corps de la lettre, au début de chaque développement : « Aussi mes frères, sachez d’abord ce qui est arrivé à Sion » (79,1) ; « Et maintenant mes frères je vous fais savoir » (80,1) ; « C’est pourquoi, mes frères, je vous ai écrit » (82,1). Quant au rappel du motif de la lettre – une parole de consolation, délivrée comme un testament – évoqué dans l’exorde initial, il fait office pragmatiquement de pacte de lecture. Enfin, on notera les consignes liées à la réception, avec cette triple injonction : lire, méditer, se souvenir ou archiver 110. La formule de conclusion de la lettre est explicite en ce qui concerne les injonctions faites aux destinataires. Ils sont invités à lire la lettre dans leurs assemblées et de la considérer particulièrement durant les jours de jeûne : Lors donc que vous aurez reçu cette lettre, lisez-la dans vos assemblées avec soin et méditez-la surtout aux jours de vos jeûnes. Souvenez-vous de moi au moyen de cette lettre, comme je me souviens toujours de vous grâce à elle !  (86,1-2).

Cette formule vise à contribuer à la réception communautaire de la lettre, semblable à ce qu’on retrouve, à un niveau narratif, dans plusieurs lettres de Diaspora relevant de la tradition Jérémie-Baruch. L’injonction à la mémoire et le lien dynamique instauré entre lettre et conservation du souvenir sont particulièrement remarquables. On comprend aussi l’importance de la lettre insérée narrativement sous forme de verbatim. La lecture publique d’un texte comprenant une telle lettre insérée de la sorte devait frapper les auditeurs, qui recevaient la lecture de cette exhortation finale comme si elle leur était directement adressée. Sur le plan théologique, comme sur le plan pragmatique, l’autorité de la posture d’épistolier est tout aussi remarquable : « ainsi parle Baruch, fils de Néria, aux frères emmenés captifs » (78,2a). Il convient de remarquer les similitudes et les différences avec celle de la lettre de Jérémie aux exilés : « ainsi parle le Seigneur de l’univers, le Dieu d’Israël, à tous les exilés que j’ai fait déporter de Jérusalem à Babylone » (Jr 29,4). Baruch est investi de la fonction prophétique, comme l’établit, dès le début de l’Apocalypse de Baruch, l’annonce divine de la ruine de Jérusalem : « la parole du Seigneur vint sur Baruch, fils de Néria, et lui dit… » (1,1), digne d’un récit de vocation prophétique. Cela est renforcé par la suite. Mais, une certaine distance est établie entre lui et Jérémie. Tous deux sont considérés comme prophètes, mais Jérémie, bien que l’Apocalypse de Baruch lui reconnaisse un rôle prééminent 111, joue le rôle de « comparse muet » selon la jolie expres-

110.  Voir 2 P 3,15-16. 111.  En 2,1.2 ; 9,1 ; 10,2.

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sion de Pierre‑Marie Bogaert 112 . Dans sa lettre aux exilés, il est dit que c’est Dieu qui parle. Ici, en ce qui concerne Baruch, ce sont les Judéens qui pressent Baruch d’écrire aux exilés. On remarquera que c’est seulement dans la lettre de Baruch que l’activité d’écrivain de Baruch est explicitement évoquée. Selon Lutz Doering, cela s’expliquerait, d’une part, par la tradition selon laquelle Jérémie accompagne les déportés sur le chemin de l’exil et durant l’exil, en Babylonie et ensuite en Égypte et, d’autre part, par le fait que dans l’Apocalypse de Baruch l’accent porte sur les Judéens qui sont avec Baruch plus que sur les déportés 113. Quant à la figure de Baruch, en amalgamant celles du scribe, du prophète et du nouveau Moïse, elle témoigne d’un choix prioritaire de l’auteur de l’Apocalypse en général et de la Lettre en particulier. Cette lettre témoigne de la poursuite de la tradition des lettres de la Diaspora dans le sillage de la lettre de Jérémie aux exilés (Jr 29). Ainsi, c’est bien d’une lettre à la Diaspora qu’il s’agit, comparable ainsi à d’autres lettres de la Diaspora comme les lettres de Gamaliel ou 1 Pierre, destinée elle à la Diaspora d’Asie. Dans l’Apocalypse syriaque de Baruch, la fonction de scribe de Baruch est attestée uniquement dans la lettre. On fera enfin remarquer combien les marqueurs épistolaires de cette lettre sont très importants et instructifs. Celle-ci s’est construite dans le sillage de la tradition des lettres de la Diaspora, en particulier de celle de la tradition de Jérémie et de Baruch. Cette lettre est par conséquent d’une très grande importance pour comprendre les lettres de la Diaspora, notamment celles du Nouveau Testament et celles de la littérature chrétienne ultérieure 114 . Cette lettre se révèle également très instructive en ce qui concerne les caractéristiques originelles du formulaire épistolaire, en particulier les formules d’ouverture. Enfin, la salutation initiale de la lettre est à remarquer ; celle-ci joue un rôle particulier dans le débat sur l’origine des salutations des lettres de Paul. Paul reprend le formulaire classique de salutation dans les lettres grecques (« de A à B »), mais en lui ajoutant la bénédiction usuelle du formulaire hébreu ou araméen, souhaitant « grâce

112.  Cité par L. Doering, qui, à la suite de P.-M. Bogaert, qualifie le rôle de Jérémie de « silent extra », L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 57). 113. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 244-245. 114.  Voir l’excursus que Matthias H enze consacre à la question des liens entre 2 Baruch et le christianisme primitif (« Second Baruch and Early Christianity ») : M.  H enze, Jewish Apocalypticism in Late First Century Israel. Reading Second Baruch in Context, Tübingen, 2011, p.  321-349.

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et paix » aux destinataires 115. En passant, on remarquera qu’on retrouve l’expression « ainsi parle… » dans les formules d’introduction des lettres aux anges des sept églises d’Apocalypse  2-3 (τάδε  λέγει). On terminera cette analyse des paramètres épistolaires de la Lettre de Baruch en revenant sur la question des divers cercles de destinataires. Celle-ci est très significative aussi sur le plan pragmatique. Les destinataires explicites de la lettre sont « les neuf tribus et demie », à qui Baruch écrit la même lettre qu’aux « frères de Babylone ». Mais à côté de ces deux cercles, il y en a, en fait, un troisième, à savoir les Judéens restés en Judée. Il s’agit du reste du peuple à Jérusalem, qui sont de facto les destinataires explicites de l’Apocalypse de Baruch. Le dispositif narratif de la lettre renvoie certes explicitement aux déportés en Assyrie du VIIIe siècle et à ceux déportés en Babylonie au VIe siècle avant notre ère. Mais comme on l’a vu, il renvoie implicitement aux Judéens déportés du premier siècle de notre ère, suite à la destruction du Temple et très vraisemblablement aux Judéens de la Diaspora victime de violences à l’occasion de la révolte au sein de la Diaspora judéenne de 110-115. Sans se lancer dans des spéculations exégétiques quant à la distinction des demis dans le décompte des douze tribus – une demi tribu serait avec Baruch en Judée et l’autre demi à Babylone ? –, il convient de remarquer la dynamique pragmatique forte induite par le binôme apocalypse-lettre. Les deux lettres ont pour but explicite de faire part à l’ensemble de la Diaspora du message d’espoir que Baruch délivre aux Judéens de Jérusalem. La lettre citée verbatim, celle délivrée par l’aigle, fournit à la fois un résumé instructif clarificateur et un message d’espoir à tout groupe en situation d’exil. L’importance tant canonique que liturgique de la lettre – de même que le fait de son existence indépendante – dans les Églises syriaques tendrait par ailleurs à le confirmer. Il est remarquable, pour notre propos, de mesurer le potentiel de la pragmatique épistolaire en pareil cas. Dans le sillage de la lettre de Jérémie aux exilés, c’est la forme d’une lettre qui a été retenue ici pour rendre opérante la réception du message de l’Apocalypse de Baruch. Une lettre destinée, comme les lettres de Paul, à la lecture publique, à l’édification communautaire et à la mémoire. Il conviendra de revenir sur la question des liens entre la pragmatique épistolaire dont témoignent les lettres de la tradition de Jérémie et de Baruch et la réception de la pragmatique épistolaire paulinienne, en particulier Hébreux, avec le motif de la lettre paulinienne comme parole de consolation (Hb 13,22), et 2 Pierre, avec le souvenir des lettres de Paul et de leur juste compréhension (2 P 3,15-16).

115. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 406.

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2.3.6 La correspondance entre Baruch et Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie (4 Baruch)

2.3.6.1 Présentation Les Paralipomènes de Jérémie constituent une pièce importante au sein de notre chaîne de témoins évoquant la postérité de Jérémie comme épistolier s’adressant aux exilés dans la mesure où il s’agit du seul texte « centré de bout en bout sur le personnage de Jérémie et à porter un titre qui mentionne son nom » 116. Ce texte, dont le titre signifie « “les choses omises” (paraleipomena) qui ont trait au prophète, son personnage principal » 117, et désigné aussi avec le titre de 4e Livre de Baruch, contient deux lettres insérées narrativement dans le récit, à savoir une lettre de Baruch à Jérémie et une lettre de Jérémie à Baruch 118. Cet écrit a été transmis uniquement par des milieux chrétiens. Il contient une formule finale à teneur clairement chrétienne, à savoir le récit de la mort de Jérémie en martyr, par lapidation, laquelle fait référence à la venue du Christ 119. Cet écrit pseudépigraphique est par conséquent difficile à classer comme écrit judéen ou chrétien, pour autant qu’on puisse opérer ce type de distinction sans commettre d’anachronisme. Un certain consensus, comme le précise Jean-Daniel Kaestli, règne cependant en faveur de l’hypothèse d’une origine judéenne. La version primitive de ce texte a probablement été rédigée en Palestine durant le premier tiers du IIe siècle de notre ère. En dépit de ses sémitismes, il a probablement été composé en grec, de par ses liens avérés avec la Septante, et non pas en hébreu ou en araméen ; il relève du

116. J.-D. K aestli, « L’influence du livre de Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie », dans T. Römer – A. W. H. Curtis (éd.), The Book of Jeremiah and Its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Louvain, 1997, p.  217. 117. J. R iaud, « Paralipomènes de Jérémie », dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1739. 118. Voir C. Wolff, Jeremia im Frühjudentum und Urchristentum, Berlin, 1976, p.  150 ; J.  R iaud, « La figure de Jérémie dans les Paralipomena Jeremiae », dans A. Caquot – M. Delcor (éd.), Mélanges bibliques et orientaux en l ’honneur de M. Henri Cazelles,  Kevelaer – Neukirchen-Vluyn, 1981, p.  373-385 ; I.  Taatz , Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  77-81. 119.  Voir le récit de la mort de Jérémie, en conclusion (9,10-32), en particulier le moment où « une voix se fit entendre, disant : “N’ensevelissez pas celui qui est encore vivant, car son âme va revenir à nouveau dans son corps”. Ayant entendu cette voix, ils ne l’ensevelirent pas, mais demeurèrent autour de sa tente trois jours durant, disant, incertains : “A quelle heure ressuscitera-t-il ?” Au bout de trois jours, son âme revint dans son corps et il éleva la voix au milieu de tous et dit : “Glorifiez Dieu tous, glorifiez Dieu et le fils de Dieu qui nous réveille, Jésus-Christ, la lumière de tous les siècles, le flambeau qui ne s’éteint pas, la vie de la foi” » (9,11-13).

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genre littéraire narratif de la Haggadah 120. Ce document doit être ainsi un des rares vestiges des Judéens de langue grecque vivant dans la mère patrie au IIe siècle. Ces deux lettres semblent, de prime abord, relever d’un échange privé de correspondance, cependant leur intégration bien visible dans leur contexte littéraire amène à nuancer cette première impression. Il convient de remarquer combien le scénario épistolaire est richement détaillé sur le plan narratif. Il occupe environ un quart de l’œuvre. On peut le résumer de la façon suivante. Abimélech, guidé par l’ange du Seigneur, va rejoindre Baruch qui se trouve assis dans un tombeau et les deux se demandent comment faire pour envoyer un message à Jérémie à Babylone. Un ange du Seigneur arrive et premièrement annonce qu’un aigle viendra vers lui « demain à l’heure de la lumière » (6,12) 121 et, deuxièmement, lui donne l’ordre d’écrire une lettre avec la teneur suivante : Parle aux fils d’Israël : que l’étranger qui vit au milieu de vous soit séparé, et qu’on laisse passer quinze jours ; et après, je vous conduirai dans votre ville, dit le Seigneur. Celui qui ne s’est pas séparé de Babylone, ô Jérémie, n’entrera pas dans la ville, et je les punirai en les empêchant d’être reçus à nouveau par les Babyloniens, dit le Seigneur (6,13-14).

L’ange s’éloigne et Baruch envoie un commissionnaire au marché pour lui fournir du papyrus et de l’encre et rédige alors la lettre (6,17-23), avec l’entrée en matière suivante : Baruch, le serviteur de Dieu, écrit à Jérémie qui est dans la captivité à Babylone. Réjouis-toi et sois heureux, parce que Dieu ne nous a pas laissé quitter ce corps, affligé par la dévastation et la violence infligée à la ville. C’est pourquoi le Seigneur a eu pitié de nos larmes et s’est souvenu de l’alliance qu’il a établie avec nos pères, Abraham, Isaac et Jacob. Il m’a envoyé son ange qui m’a dit ces paroles que je t’envoie. Voici donc quelles sont les paroles du Seigneur, le Dieu d’Israël, qui nous a fait sortir de la terre d’Égypte, de la grande fournaise (6,17-20).

Suit alors l’oracle, qui est reformulé ainsi : Parce que vous n’avez pas observé mes commandements, et parce que votre cœur s’est enorgueilli et que vous avez relevé la tête devant moi, je me suis irrité et dans ma colère je vous ai livré à la fournaise de Babylone. Si donc vous écoutez ma voix, dit le Seigneur, de la bouche de Jérémie, mon serviteur, celui qui m’écoute, je l’emporterai de Babylone. Mais celui qui ne m’écoute pas deviendra un étranger à Jérusalem et à Babylone. Tu les 120. J.-D. K aestli, « L’influence du livre de Jérémie dans les Paralipomènes de Jérémie », dans T. Römer – A. W. H. Curtis (éd.), The Book of Jeremiah and Its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Louvain, 1997, p.  218-220. 121. Traduction citée d’après J. R iaud, « Paralipomènes de Jérémie » dans La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’A. Dupont-Sommer et de M. Philonenko, Paris, 1987, p.  1739-1763.

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éprouveras aux eaux du Jourdain. Celui qui n’écoute pas sera découvert. Ceci est le signe du grand sceau (6,21-23).

Baruch sort alors du tombeau et rencontre l’aigle, lequel « empruntant une voix humaine » (7,2) salue Baruch. S’ensuivent alors un dialogue et l’envoi en mission : « Je te le dis à toi, roi des oiseaux, va en paix et bonne santé, et porte-moi ce message » (7,9). Suit une longue exhortation évoquant la colombe de Noé, laquelle, contrairement au corbeau, rapporta un message d’espoir, et se termine par un ordre de mission sans équivoque : « Même si tous les oiseaux du ciel t’encerclent et si tous les ennemis de la vérité veulent te faire la guerre, combats. Le Seigneur t’en donnera la force. Et ne te détourne ni à droite ni à gauche, mais comme la flèche qui va droit, pars grâce à la puissance de Dieu » (7,12). L’arrivée de l’aigle à Babylone fait l’objet d’un large développement narratif, dans lequel ce majestueux oiseau donne l’ordre à Jérémie de lire la lettre : « Viens, dénoue cette lettre, et lis-la au peuple » (7,19). Une fois lue, Jérémie conclut par une exhortation forte : « Écoutez tout ce qui est dit dans cette lettre, mettez-le en pratique, et le Seigneur nous conduira dans notre ville » (7,21). S’ensuit alors la rédaction d’une longue lettre personnelle, en réponse à la première (7,23-29), laquelle a véritablement le ton d’une lettre dans les larmes : « car depuis que nous sommes arrivés dans cette ville, il y a soixante-six ans aujourd’hui, le chagrin ne nous a pas quittés […] j’étais accablé de chagrin et je pleurais […] je gémissais et je retournais à la maison, accablé de chagrin et pleurant » (7,24-26). La lettre termine par une demande explicite à Baruch et à Abimélech de prier « pour ce peuple afin qu’il écoute ma voix et les décisions de ma bouche et que nous partions d’ici » (7,28).

2.3.6.2 Analyse des paramètres épistolaires Au sujet de la lettre de Baruch à Jérémie, on signalera que la formule λεγέι κύριος appartient au discours de l’ange, lequel relève directement du discours prophétique, comme l’atteste la formule équivalente en Jérémie 29. Quant à la réponse de Jérémie, elle est envoyée de Babylone à Jérusalem. Bien que formulée avec un ton plus personnel, la lettre n’en est pas moins une lettre destinée à renforcer la cohésion du groupe de ses destinataires. Cette réponse de Babylone à la Judée atteste le fonctionnement dans les deux sens des lettres de la Diaspora, dépendant de fait de l’emplacement du protagoniste principal de cette correspondance, qu’il soit en situation diasporique ou envers des membres de cette Diaspora. Ces deux lettres sont à évaluer et à lire en fonction de l’entier de l’œuvre dont elles contribuent au fil narratif. Cela expliquerait l’absence quasi complète des éléments usuels du formulaire épistolaire. Elles reflètent les échanges entre Judéens présents à deux places différentes, mais se pré-

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occupant l’un de l’autre et priant mutuellement l’un pour l’autre. Elles témoignent enfin – et ceci encore davantage que 2 Baruch et son motif de l’aigle porteur de messages – d’une forte préoccupation pour une livraison des lettres, sûre et dûment authentifiée. Le motif de l’aigle occupe une place très importante et, au-delà du caractère éminemment symbolique de ce dernier, on remarque la présence d’un certain nombre d’indicateurs des pratiques épistolaires usuelles : achat de papyrus et d’encre au marché, rédaction de la lettre, transmission au porteur et ordre de mission clair à ce dernier, fiabilité du porteur, lecture publique et joie liée à l’événement de la réception de la lettre dans la communauté. On remarquera que tant les lettres que les ordres de mission sont formulés narrativement sous forme de verbatim, qui confèrent au scénario épistolaire un ton très vivant et très concret. Cet élément renforce aussi le caractère oraculaire et contribue ainsi à bien authentifier, aux yeux des destinataires, la provenance divine des messages prophétiques. Enfin, il convient de remarquer que toute cette mise en scène épistolaire poursuit un but unique et décisif : délivrer à bon port l’oracle prophétique promettant la délivrance de l’exil ou de la situation d’oppression subséquente, le contexte étant celui de la deuxième révolte judéenne contre Rome et des mesures répressives qui s’en sont suivi pour Jérusalem et la Judée. 2.3.7 Bilan L’examen des données relatives aux postures d’épistolier ou de lecteur de lettre, prises par Jérémie ou Baruch pour s’adresser aux déportés, donne des résultats significatifs. Tout d’abord, le motif de la lettre au service de la transmission de l’oracle prophétique aux cercles judéens en situation de Diaspora ressort nettement. La lettre, et l’événement de sa lecture publique au bord du fleuve, reproduisent in situ la parole prophétique. La lettre a pour but ici non seulement de combler la distance, mais de rendre vivante la parole du prophète parmi les destinataires. À notre avis, cet élément est très important car il permet de comprendre pourquoi les lettres sont insérées narrativement sous forme de verbatim dans ces récits. Quand le récit est publiquement lu, la lecture des séquences constituées par ces lettres, reproduites comme si elles étaient vraies, aplatit la distance tant temporelle – Jérémie et Baruch sont morts depuis longtemps – que géographique. La charte des Judéens en exil devient le paradigme pour actualiser, au gré des nouvelles situations de déportation et/ou d’oppression, l’oracle annonçant, de manière programmatique, la fin de l’exil à Babylone. Les données épistolaires conservées par cette chaîne de témoins renvoient donc toutes, de près ou de loin, au contexte de la vie en situation de Diaspora. Ces résultats permettent d’envisager plus finement la question du genre des lettres dites de la Diaspora. Lutz Doering nuance la chose,

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en parlant « de ressemblance de famille s’approchant d’un genre » 122 . Cette conclusion est particulièrement digne d’intérêt pour notre enquête, car elle permet de faire la part des choses en affinant la nuance entre les niveaux littéraire et pragmatique. On retiendra qu’on a affaire plutôt à une sorte de lettres plutôt qu’à un genre, la notion de genre paraissant, à nos yeux, trop restrictive, car celle-ci limite de facto l’analyse des phénomènes épistolaires à la seule question de leur appartenance littéraire. À ce sujet, Mark Whitters met en évidence que les lettres de la Diaspora partagent quatre caractéristiques, à savoir 123 : 1. Il s’agit de lettres écrites en grec, cela dans le but que les Judéens de la Diaspora puissent les comprendre 124 . 2. Ces lettres sont placées sous le patronage d’un épistolier à l’autorité prestigieuse, et donc reconnue ; cet épistolier est souvent présenté comme bénéficiant ou ayant bénéficié d’une révélation surnaturelle. 3. Elles sont destinées à un cercle géographiquement très large de destinataires. 4. L’objet de ces lettres traite de la question de l’unicité et de la spécificité du peuple de Dieu, en particulier dans une situation d’éloignement de la mère-patrie, mais sans rupture de la communication. Les lettres insérées narrativement dans notre chaîne de témoins, ainsi que les prises de parole commises au nom de Jérémie ou de Baruch réunissent bien ces caractéristiques, mis à part la question d’un usage unilatéral du grec. Entre lettre insérée narrativement (Jr 29,1-23), copie de lettre destinée à déployer une sévère mise en garde contre la séduction des idoles (Lettre de Jérémie), envoi d’une copie de la lettre ou lettre en miniature (Targum de Jonathan sur Jr 10,11), le suivi rigoureux du formulaire épistolaire et le développement d’une stratégie de réception dynamisant appel au souvenir et archive de la lettre (la lettre de Baruch dans 2 Baruch 78-86), le scénario largement développé d’une relation de correspondance (Paralipomènes de Jérémie), ou la mention de la lecture publique au bord du fleuve (Apocryphe de Jérémie Cd et Livre de Baruch), la moisson de ces renseignements relatifs à l’épistolaire au sein de la tradition Jérémie-Baruch est en tout point remarquable. Ces données confirment l’importance accordée à la figure d’autorité du prophète Jérémie et sa posture d’épistolier comme modèle d’une communication prophétique en situation de Diaspora. On 122.  « A “family resemblance” approach to genre », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 431. 123.  M. F. Whitters, The Epistle of Second Baruch. A Study in Form and Message, Londres – New York, 2003, p. 86. 124.  On rappellera que la lettre de Baruch dans l’Apocalypse syriaque de Baruch provient d’un original grec, dont la question de savoir si celui-ci est la traduction d’un texte source en hébreu reste discutée.

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remarquera l’importance du contexte des Ier et début du IIe siècle de notre ère et des situations de crise qu’elles ont générées parmi les cercles judéens de la Diaspora, avec la première révolte judéenne contre Rome (66-74), la révolte judéenne de 115-117 en Orient romain et en Orient iranien et la deuxième révolte judéenne contre Rome (132-135) 125. Signalons aussi que rentrent dans la catégorie des lettres de la Diaspora les lettres festales de 2 Maccabées 126 , la Lettre de Jacques 127 et, dans les Actes des apôtres, la lettre écrite par les apôtres et les anciens aux « frères d’origine païenne qui se trouvent à Antioche, en Syrie et en Cilicie » 128. Il convient de préciser que, parmi ce que la recherche désigne sous le terme générique de « lettres de la Diaspora » 129, émergent en fait deux catégories de documents. Il y a, d’une part, celle des lettres liées aux figures de Jérémie et de Baruch et, d’autre part, celles permettant de regrouper les lettres dites festales, c’est-à-dire celles relatives à la question de la datation des fêtes, comme par exemple la fête de Pâques, comme c’est le cas, avec le Papyrus pascal d’Éléphantine 130. 125. Voir S. C. M imouni, Le judaïsme ancien, du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle après notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 453-473 (la première révolte judéenne contre Rome), p. 507-527 (la deuxième révolte judéenne contre Rome), p.  829-837 (la  révolte judéenne de 115-115 en Orient romain et en Orient iranien). 126.  2 M 1,1-9 ; 2 M 1,10-12,18. Voir I. Taatz, Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  18-45. 127.  Comme précisé dans l’adresse et la salutation initiale : « Jacques, serviteur de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus vivant dans la dispersion, salut  (Ἰάκωβος θεοῦ καὶ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ δοῦλος ταῖς δώδεκα φυλαῖς ταῖς ἐν τῇ διασπορᾷ χαίρειν) » (Ja 1,1). 128.  Ac 15,23b-29. 129.  L.  Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange, Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 43. M. F. Whitters (The Epistle of Second Baruch. A Study in Form and Message, Londres, 2003, p. 86-101) précise la notion de lettres de Diaspora (« Diaspora letter »). Dans cette catégorie la recherche range la Lettre de Jérémie (ou 6 e Livre de Baruch), les lettres du 2e Livre des Maccabées (2 M 1,1-10a ; 2 M 1,10b2,18), la lettre présente dans les Paralipomènes de Jérémie (6,17-23), et la Lettre de Jacques. Sur le concept de « lettre judéenne de Diaspora » (« Jewish Diaspora letter  »), voir F. Schnider – W. Stenger, Studium zum neutestamentlichen Briefformular, Leiden, 1987, p. 34-41. Sur la Lettre de Jacques, voir K.-W. Niebuhr, « Der Jakobusbrief im Licht frühjüdischer Diasporabriefe », New Testament Studies 44 (1988), p.  420-443. 130. Sur Éléphantine et le «  Papyrus pascal  » voir L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 28-44 ; S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 581 et p. 674-676 ;

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Au sujet des postures d’épistolier dans le cas des lettres festales, on précisera que celles-ci ne concernent pas directement notre recherche. En effet, les destinataires des lettres de Paul de Tarse ne sont pas les exilés en tant que tels. Sa prédication est destinée en premier lieu aux communautés issues des synagogues de la Diaspora judéenne. Ses lettres n’abordent jamais la question de la détermination exacte de la datation des fêtes en général, ni de celle de Pâques en particulier. Il ne conçoit pas ses communautés comme des cercles de déportés qui se demandent s’ils doivent rester en exil, comme jadis à Babylone, ou rentrer à Jérusalem. Ses communautés sont des groupes divers et variés, dont certains sont nés de sa prédication messianique itinérante et d’autres pas. C’est sur cette dernière que porte l’effort théologique, à savoir celui d’établir la prééminence du messie Jésus comme nouveau et ultime médiateur de la Loi de Moïse. Le lien et la solidarité des communautés diasporiques avec Jérusalem ne sont pas pour autant absents des préoccupations du Tarsiote, comme en témoigne l’importance qu’il accorde, entre autres, à la réalisation de la collecte pour les pauvres de Jérusalem et à son intention de visite à Jérusalem auprès des Anciens 131. Il convient maintenant de faire un pas de plus en considérant un cas particulier au sein des pratiques épistolaires ayant cours parmi les communautés judéennes en situation de Diaspora, à savoir celui des lettres écrites par leurs leaders à leurs autorités. 2 .4 L e s

l et t r e s écr i t e s pa r l e s com m u nau t é s j u dé e n n e s à l eu r s au tor i t é s

Dans le cadre de la recherche consacrée aux lettres écrites par les Judéens, deux chercheurs se sont notamment penchés sur la question de la lettre comme outil de conduite à distance, Irene Taatz 132 et Ulrich Mell 133. Ils se sont intéressés en particulier aux lettres judéennes ayant servi de H.  Nutkowicz, « D’Éléphantine à Jérusalem : liens religieux et politiques », dans C. A rnould -Béhar – A. L emaire (éd.), Jérusalem antique et médiévale : mélanges en l ’honneur d ’Ernest-Marie Laperrousaz, Walpole – Paris – Louvain, 2011, p.  75-89 ; P. Schäfer, Judéophobie. Attitudes à l ’égard des Juifs dans le monde antique, Paris, 2003, p.  207-229 ; R.  Burnet, L’Égypte ancienne à travers les papyrus, Paris, 2003 ; J. M. Lindenberger, Ancient Aramaic and Hebrew Letters, Atlanta (GA), 1994, p.  61-79 ; I.  Taatz, Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  91-99 ; P. Grelot, Documents araméens d ’Égypte, Paris, 1972. 131.  « L’assistance en faveur des saints (τῆς διακονίας τῆς εἰς τοὺς ἁγίους) » (2 Co 9,1). 132. I. Taatz, Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991. 133. U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006.

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modèle à la lettre comme outil de gouvernance de communautés 134 . Cette approche est à remarquer pour notre propos, car elle thématise historiquement et littérairement à nouveaux frais la question de l’autorité de l’épistolier et permet de mettre en perspective la question des modèles et des pratiques susceptibles d’avoir servi de modèle à Paul de Tarse. Outre les lettres de la tradition de Jérémie et/ou de Baruch 135, Irene Taatz considère quatre autres corpus de lettres, à savoir : 1. Les lettres festales de 2 Maccabées 1. 2. Les lettres conservées dans la littérature rabbinique. 3. Les lettres d’Éléphantine. 4. Les lettres de Bar Kokhba. L’étude d’Ulrich Mell nous permet de faire un pas de plus dans la mesure où son intérêt porte sur les lettres judéennes susceptibles d’avoir servi de modèle à la Lettre aux Galates. Son enquête porte en partie sur le même corpus : 1. La lettre de Jérémie aux exilés (Jr 29,1-23). 2. Le Papyrus pascal d’Éléphantine. 3. Les lettres festales de 2 Maccabées 1-2. 4. La lettre fictive de Rabbi Gamaliel à la Diaspora. 5. La Lettre de Baruch à la golah assyrienne. Il aboutit à la conclusion que la Lettre aux Galates relève elle aussi de ce genre de lettres destinées à la conduite de la communauté, lesquelles placent au centre l’argument de la conduite autorisée d’un leader en ce qui concerne l’autorité théologique sur des questions disputées, ceci dans le but de contribuer décisivement à renforcer l’unité religieuse entre un centre et une périphérie. Cette observation montre que le genre littéraire et l’argument pragmatique se renforcent mutuellement. Ils font système ensemble et par conséquent, il serait dommageable, dans l’analyse, de privilégier l’un au détriment de l’autre : Mit seiner epistolographischen Gestaltung partizipiert der Gal an einer literarischen Gattung, die sich als zentral gesteuerte autoritative Gemein-

134.  « Gemeindeleitungsbrief » selon U.  M ell (« Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief »), « gemeindeleitende Briefe » selon I. Taatz, Frühjüdische Briefe : die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p.  110-111), « community leadership » selon L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 11. 135.  « The letters of the Jeremia-Baruch tradition », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 11.

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deleitung in einer theologischen Sachfrage zur Stärkung der religiösen Einheit von Zentrum und Peripherie beschreiben lässt 136.

En identifiant deux filières dans les lettres de la Diaspora, Lutz Doering permet de faire un pas de plus. Il aboutit à la conclusion qu’on a affaire, d’un côté, aux lettres de la tradition de Jérémie et de Baruch et, de l’autre, à celles attribuées à la communauté judéenne ou à ses leaders. Ces deux corpus partagent en commun les traits suivants 137 : 1. La lettre de Jérémie aux exilés (Jr 29,1-23) : dans ce cas, la lettre est pseudépigraphiquement placée sous le patronage d’un épistolier, dûment autorisé à prendre la parole et à la communiquer. 2. La communication est destinée à des Judéens évoqués comme vivant dans un contexte d’éloignement avec Jérusalem. 3. Les lettres relèvent du genre de la correspondance quasi-officielle. 4. Une attention particulière est portée sur le thème de l’appartenance des membres du peuple de Dieu ; ceci concerne tant ceux de la mère patrie que ceux vivant à l’étranger. 5. L’autorité de l’épistolier est volontairement mise en perspective dans le but de créer ou renforcer une conscience auctoriale légitimée à donner des orientations éthiques, normatives, religieuses, comportementales, en ce qui concerne la situation des destinataires. Ces enjeux, de prime abord, semblent bien proches de ceux qu’on trouve dans les lettres de Paul de Tarse Il conviendra de revenir sur cet apport en ce qui concerne la discussion des spécificités de la communication épistolaire paulinienne. Notre hypothèse est que la pratique paulinienne s’est formellement inspirée de ces pratiques de correspondance relevant du genre quasi-officiel. 2 .5 L a

va l eu r h i s tor iqu e de s l et t r e s i nsé r é e s

na r r at i v e m e n t  : u n e éva luat ion

L’analyse de ce corpus de sources de nature peu ou prou épistolaires nous a amené à plusieurs reprises à nous confronter à la pratique de l’insertion de lettres dans un récit plus large, dans lequel elles occupent une place importante. Les lettres ainsi insérées narrativement sous forme de 136. U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p. 375. 137. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 431.

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verbatim reproduisant tout ou partie de lettre réelles invitent à reconsidérer l’alternative entre lettre réelle et lettre fictive. On se retrouve devant une alternative. Soit on part de l’hypothèse que la lettre est fictive et, à ce moment, on regarde si la déconstruction en vue d’établir l’histoire de la rédaction permet de remonter de manière sûre à une lettre primitive. Soit on part de l’hypothèse que la lettre est réelle – ou reflète de manière fiable les traces d’une lettre authentique – et à ce moment-là, on examine quelle peut bien être la fonction, dans l’architecture narrative du récit, de telles pièces rapportées. On a constaté qu’une lettre totalement fictive peut très bien avoir été rédigée de manière réaliste et déployer une vraisemblance historique la faisant ressembler en bien des points à ce qu’aurait été une vraie lettre envoyée en pareille circonstance aux exilés à Babylone, dans le but d’actualiser la vigueur de la parole du prophète dans une nouvelle situation pénible de Diaspora, bien après l’exil à Babylone. Avec nos catégories et pratiques actuelles, on peut être tenté de se demander si les lettres insérées narrativement au sein d’un récit ne sont pas comme des sortes de copier/coller informatiques d’une lettre existante, dont l’auteur du récit possède une copie ou dont il dispose du moins d’un souvenir assez précis pour en retranscrire l’essentiel. Il serait insuffisant, à notre avis, d’en rester là. Au contraire, il faut se demander dans quel but les auteurs antiques font figurer des lettres dans des récits. Une lettre citée sous forme de verbatim peut, soit reproduire telle quelle une lettre dont l’auteur du récit prophétique disposait, soit être le fruit d’un travail de composition ou de recomposition, à partir d’autres sources d’information, générant sous une forme verbatim une lettre fictive, mais historiquement vraisemblable. On peut aussi se demander si le nombre somme toute restreint de lettres insérées verbatim dans les récits bibliques n’indique pas quelque chose de particulier. Les sources examinées dans le cas de la tradition de Jérémie et de Baruch fournissent à notre avis une réponse à cette interrogation. La lettre insérée dans Jérémie retranscrit un oracle programmatique, lequel occupe une fonction centrale, à savoir proclamer solennellement la charte des Judéens en exil. Et délivrer un oracle de délivrance. Ce dernier résulte certainement des nouvelles perspectives ouvertes par la fin de l’exil, la reconstruction du Temple et la liberté partiellement retrouvée, dans le cadre de l’empire perse, pour la Judée. Ce programme est raconté via la lettre, tout comme sont retranscrits les oracles prêchés en public par les prophètes dans les livres placés sous leur nom et leur autorité. La lettre permet narrativement de faire la passerelle entre le prophète resté au pays et les exilés à Babylone, pour lesquels la lecture publique de l’oracle transmis par l’expédition du rouleau sur les bords de l’Euphrate permettait la présence à distance du prophète, de son oracle et finalement de la parole divine.

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2.5.1 Inventaire des lettres insérées narrativement dans les récits bibliques Quand on examine les textes de la Bible hébraïque, on peut constater que les lettres insérées narrativement sont plutôt rares. On n’en recense qu’une petite vingtaine en tout, à savoir : – 2 Samuel 11,15 : lettre de David à Joab au sujet d’Urie le Hittite. – 1 Rois 21,9-10 : lettres de Jézabel aux anciens d’Izréel au sujet de Naboth d’Izréel. – 2 Rois 5,6 : lettre du roi d’Aram au roi d’Israël par l’intermédiaire de Naaman. – 2 Rois 10,2-3 et 10,6 : lettres de Jéhu aux hauts fonctionnaires de Samarie. – 2 Rois 19,10-13 (= Ésaïe 37,10-13) : lettre de Sennachérib, roi d’Assyrie à Ézéchias, roi de Juda. – Jérémie 29,4-23 : lettre de Jérémie aux Judéens exilés à Babylone. – Jérémie 29,26-28 : lettre de Shemayahou aux habitants de Jérusalem, citée dans la parole du Seigneur rapportée par Jérémie. – Néhémie 6,6-7 : lettre du gouverneur Sanballat à Néhémie. – 2 Chroniques 2,10-15 : lettre de Hiram, roi de Tyr, au roi Salomon. – 2 Chroniques 21,12-15 : lettre du prophète Élie à Yoram, roi de Juda. – 2 Maccabées 1,1-9 : lettre des Judéens de Jérusalem et de Judée à leurs compatriotes d’Égypte. – 2 Maccabées 1,10-2,18 : 2e lettre des Judéens palestiniens à Aristobule, conseiller du roi Ptolémée, ainsi qu’à leurs compatriotes d’Égypte. Aristobule est d’origine judéenne, descendant d’une famille sacerdotale. – 2 Maccabées 9,19-27 : lettre d’Antiochos  IV aux Judéens où il leur annonce la désignation de son fils Antiochos V comme héritier. – 2 Maccabées 11,16-21 : lettre de Lysias aux Judéens. – 2 Maccabées 11,22-26 : lettre d’Antiochos à Lysias. – 2 Maccabées 11,27-33 : lettre d’Antiochos aux Judéens. – 2 Maccabées 11,34-38 : lettre des légats romains Q. Memmius, T. Manlius Torquatus et M. Sergius aux Judéens. En ce qui concerne le Nouveau Testament, on trouve deux lettres insérées narrativement dans les Actes des Apôtres : – La lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche  (Ac 15,23b-29). – La lettre du tribun Claudius Lysias au gouverneur Félix (Ac 23,25-30). Dans l’Apocalypse, demeure ouvert le cas des sept lettres aux Églises (Ap 2-3), dont l’insertion narrative est quelque peu plus difficile à évaluer, de

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par la très grande importance de l’architecture symbolique présente dans toute l’œuvre, sans oublier celle des marqueurs épistolaires présents dans le premier chapitre et l’ordre d’écrire des lettres 138. 2.5.2 La question de la fiabilité Pour cerner la question de la valeur historique des lettres insérées dans les récits littéraires, on partira de la différence entre l’appréciation de la fiabilité du texte du point de vue de la recherche historique et de la fiabilité du récit, opérée du point de vue narratologique. Les lettres insérées narrativement dans les récits bibliques fournissent, à notre avis, un lieu test particulier pour évaluer ces deux niveaux de fiabilité : la fiabilité interne du récit et sa fiabilité documentaire. Et ceci pour deux raisons. D’une part, l’inventaire de ces lettres est quantitativement extrêmement modeste : une vingtaine dans l’Ancien Testament et neuf dans le Nouveau Testament, si on compte les lettres aux sept Églises présentes dans les chapitres 2 et 3 de l’Apocalypse. Du point de vue narratologique, cette rareté nous interpelle quand on s’interroge sur la fiabilité du narrateur. D’autre part, ces lettres sont à priori des documents, comme des lettres administratives, des lettres officielles ou des lettres relatives à des événements et des personnes ayant existé. Pour évaluer leur fiabilité historique, on partira de la question toute simple, évoquée dans l’introduction, de Paul Veyne au sujet de la critique historique : « la critique historique a pour seule fonction de répondre à la question suivante que lui pose l’historien : “je considère que ce document m’apprend ceci ; puis-je lui faire confiance là-dessus ?” » 139. On cherchera donc à objectiver le degré de valeur documentaire dont témoignent ces lettres, et de là, les événements dont elles sont la trace vivante. Il est à noter que deux lettres occupent une place à part dans cet inventaire, à savoir la lettre de Jérémie aux Judéens exilés à Babylone (Jérémie 29,4-23) et la lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche, habituellement désigné par le titre de « Décret apostolique » (Ac 15,23b-29). En effet, comme on l’a montré, la première nous documente sur la compréhension que la communauté judéenne avait de sa situation de Diaspora peu après la déportation de 597 avant notre ère. Elle témoigne de l’orientation programmatique nouvelle donnée à la communauté. Sa mise en forme littéraire sous la forme d’un oracle de YHWH a pour but de conférer une haute autorité aux orientations nouvelles qu’elle 138. Voir A.-M.  de L assus, Les lettres aux Églises de l ’Apocalypse, Paris, 2014 ; M. K arrer , Die Johannesoffenbarung als Brief. Studien zu ihrem literarischen, historischen und theologischen Ort, Göttingen, 1986, p.  41-83; C. J. H emer, The Letters to the Seven Churches of Asia in their Local Setting (Journal for the Study of the New Testamenrt. Supplement Series 11), JSOT Press, Sheffield, 1986. 139.  P.  Veyne, Comment on écrit l ’histoire, Paris, 2011, p. 24.

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entend transmettre aux déportés. Quant à la lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche, elle garde la trace de la décision prise par les dirigeants de la communauté de Jérusalem, concernant notamment l’observation des prescriptions rituelles à signifier aux chrétiens d’origine grecque. Partant d’un désaccord au sujet de la question de l’observation de la circoncision, le décret vise à permettre durablement la coexistence entre chrétiens d’origine judéenne et ceux d’origine grecque. Ainsi, tant les événements, tels qu’on peut les reconstituer à partir des sources disponibles, que la cohérence théologique déployée littérairement dans les récits – au service desquels ces lettres sont insérées narrativement – nous paraissent offrir un lieu test spécifique pour qui veut explorer tant leur fiabilité narratologique que leur fiabilité historique. 2.5.3 La crédibilité des lettres insérées narrativement Comme l’inventaire le montre, les lettres insérées dans la Bible hébraïque sont toutes – à l’exception de celle de Jérémie aux exilés (Jr  29,4-23) et de celle du prophète Élie à Yoram (2 Ch 21,12b-15) – des lettres relevant du genre de la lettre officielle ou de celui de la lettre administrative. Il en va de même en ce qui concerne les deux lettres insérées sous forme de verbatim, dans les Actes des apôtres. Ce constat pose deux questions : quelle crédibilité épistolaire peut-on accorder aux lettres intégrées narrativement dans des récits ? Jusqu’où, et à quelles conditions, l’historien peut-il se fier à ces verbatim, lesquels donnent essentiellement le corps des lettres, pour documenter une enquête sur les pratiques épistolaires antiques ? Elles ne comportent pas, ou peu, de formules d’ouverture et de conclusion ; des petites séquences narratives en prennent le relais, comme on l’a montré en ce qui concerne la lettre de Jérémie aux exilés. Pour évaluer la crédibilité des lettres insérées narrativement, il convient de bien comprendre les procédés mis en œuvre en pareils cas. Les documents analysés jusqu’ici montrent que ces procédés sont destinés à rendre historiquement vraisemblable l’argumentaire défendu par l’auteur du récit. Rien ne peut empêcher, en effet, un auteur d’écrire une lettre fictive réunissant les paramètres épistolaires usuels d’une lettre réelle. Dit autrement, une lettre totalement fictive peut être tournée de manière à passer pour historiquement vraisemblable. À l’instar de l’insertion dans les lettres de données circonstanciées comme des petits faits vrais, des personalia et des realia 140 dans la littérature épistolaire pseudépigraphe, cette intention manifeste la poursuite d’une visée analogue. On aurait ainsi affaire ici tout simplement à un procédé de légitimation de l’authenticité du contenu 140.  « Des petits faits personnels qui attestent l’authenticité » selon R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 270-276 (citation p. 272).

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du récit, via l’insertion dans le récit d’une sorte de petite lettre officielle vraie. De la même façon, les éléments nourrissant le scénario de l’histoire de cette relation de correspondance (achat de papyrus et d’encre au marché, dictée de la lettre par un ange, ordre de mission donnée au porteur, événement de la lecture publique, exhortation à prendre au sérieux l’oracle prophétique, appel à lire la lettre à d’autres) militent narrativement dans le même sens. Idem en ce qui concerne la mise en œuvre des convictions ainsi pragmatiquement programmées. La lettre insérée narrativement se construit, dans cette dynamique historiographique, de la même manière que les discours, lesquels occupent une place très fortement prépondérante dans les Actes des apôtres. Ces discours n’ont pas pour fonction de faire office d’archive, mais de refléter ce qui a vraisemblablement été dit. On n’a évidemment pas affaire aux vrais discours d’Étienne, de Pierre ou de Paul, dont personne ne peut par ailleurs témoigner exhaustivement. La question des lettres insérées narrativement invite à aller au-delà de l’alternative entre lettre fictive et lettre réelle. Il ne suffit pas de se demander si on dispose de traces de lettres réelles, à savoir celui du souvenir précis de lettres réelles, voire des reprises telles quelles de copies de lettres, ou s’il s’agit tout simplement de lettres fictives, insérées narrativement dans le récit au même titre que les discours ou les dialogues. L’analyse montre que le but est simplement destiné à rendre plausible un acte de communication entre personnes ou groupes séparés et à légitimer l’autorité de la posture prophétique prise au travers de ce geste épistolaire. 2 .6 L a

qu e s t ion de s t r a i t é s e n for m e de l et t r e  : u n e éva luat ion

Dans les lettres de Paul de Tarse, l’importante place occupée par les développements doctrinaux 141, en particulier dans la Lettre aux Romains 142 et dans celle aux Galates, pose la question des genres de lettres ayant servi de modèle à Paul, en particulier celui supposé de la lettre-traité. 141.  « Christ ne m’a pas envoyé (ἀπέστειλέν) baptiser mais annoncer l’Évangile (εὐαγγελιζεσθαι) » (1  Co  1,17). 142. F. Vouga (« L’Épitre aux Romains », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 181) précise que « Paul donne ici forme à l’une des réflexions théologiques les plus cohérentes et les plus profilées du christianisme primitif. L’interprétation de la mort et de la résurrection du Christ comme événement de révélation de la justice de Dieu y sert de point de départ et de fondement logique à l’ensemble de sa compréhension du christianisme ». Cette affirmation est à nuancer à la lumière des débats actuels de la recherche sur la séparation des voies (Parting of the ways) entre « le judaïsme » et « le christianisme ». Mais il demeure que dans la Lettre aux Romains, Paul développe les thèmes essentiels de sa compréhension nouvelle de l’« Évangile de Dieu » (Rm 1,1).

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On remarquera d’emblée que dans les théorisations antiques sur l’épistolaire, on ne rencontre pas de lettre dite de type philosophique et encore moins la notion de traité en forme de lettre. Dans la typologie rhétorique des Τύποι ἐπιστολικοί du Pseudo-Démétrius, parmi les 21 sortes de lettres mentionnées, celle qui s’en approche le plus est la lettre de genre apologétique (ἀπολογητικός) :  « le type apologétique, c’est celui qui, en réponse à des accusations, présente une argumentation contraire, avec démonstration » 143. On pourrait aussi trouver des analogies avec la lettre de reproche, la lettre de blâme, la lettre de réconfort ou la lettre d’accusation. Les parénèses, lesquelles sont généralement introduites par la formule « je vous exhorte » (παρακαλῶ) dans les lettres du Tarsiote, présentent des liens évidents avec ces types de lettres. Les parénèses prolongent l’enseignement doctrinal de l’apôtre ; elles en traduisent les effets attendus par Paul chez les destinataires sur les plans de la discipline communautaire et de la fidélité à l’Évangile. Les formules pauliniennes usuelles introduisant le corps de ses lettres le montrent, comme la question rhétorique introduisant le corps de la lettre dans la Lettre aux Galates : « ô Galates stupides, qui vous a envoûtés alors que sous vos yeux a été exposé (προεγράφη) Jésus-Christ crucifié 144 ? ». 2.6.1 Quelques remarques à partir de la Lettre d’Aristée En ce qui concerne la pratique de la lettre apologétique, voire philosophique comme l’un des modèles d’autorité susceptibles d’avoir servi de modèle ou d’arrière-fond à Paul, il convient de mentionner le cas de la Lettre d’Aristée 145. Cela se justifie quand on considère le fait que Paul, quand il se réfère à la Bible d’Israël, cite toujours la Septante, laquelle a connu une diffusion considérable, au départ d’Alexandrie, dans le monde hellénistique 146. La Lettre d’Aristée a pour but de fournir, sous forme nar143.  Cité d’après la traduction de P.-L. M alosse, Lettres en toutes circonstances. Les traités épistolaires du Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère. Introduction, traduction et commentaire, Paris, 2004, p. 63. 144.  Ga 3,1. 145. Nous suivons la traduction d’A. Pelletier, Lettre d ’Aristée à Philocrate. Introduction, texte critique et notes, index complet des mots grecs, Paris, 1962 (réimprimé en 2007). Voir également L. Vianès, Naissance de la Bible grecque, Paris, 2017, en particulier la section consacrée à la Lettre d ’Aristée à Philocrate, p. XIV-XXXIX (Introduction) et p. 3-50 (texte) ; L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 217-232 ; H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 245-246 ; S. Honigman, The Septuagint and Homeric Scholarship in Alexandria : A study in the Narrative of the Letter of Aristeas, Londres, 2003. 146.  « La grande action du prosélytisme judéen est liée pour une bonne part au mouvement – particulièrement productif et dynamique dans la Diaspora – d’hellénisation du peuple judéen, qui se prolonge durant toute la période romaine,

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rative, un cadre légendaire authentifiant durablement la fiabilité d’une Torah en langue grecque 147. Bien qu’habituellement désignée comme une lettre, la question de la nature effective ou non de son épistolarité est très partagée : pour les uns, il s’agit d’une lettre véritable, pour d’autres pas du tout 148. Entre ces deux positions, un certain nombre de chercheurs choisissent la voie médiane en estimant que la Lettre d’Aristée présente des caractéristiques littéraires de type épistolaire, puisqu’on y trouve des éléments relatifs à une lettre, à un rapport en forme de lettre et à un roman épistolaire. L’argument discuté est celui de savoir si le prologue adressé à Philocrate (§ 1-8), ainsi que les vocatifs présents çà et là au fil de l’œuvre, sont suffisant pour établir l’éventualité de son caractère épistolaire. Pour André Pelletier, Aristée n’est pas plus une lettre que l’Évangile selon Luc ou la Lettre aux Pisons d’Horace et relève du genre littéraire du prologue ou de la préface des œuvres historiques de la période hellénistique 149. Pour Abraham et David Wasserstein, Aristée est un assemblage de plusieurs genres littéraires bien connus de l’époque hellénistique, mêlant l’ekphrasis 150, l’épistolaire, les questions-réponses et les discours épidictiques. La forme épistolaire d’ensemble, due au fait que l’auteur qualifie son œuvre de διήγησις (récit, narration, exposition 151) ne témoigne de rien de plus que d’un dispositif littéraire conventionnel utilisé à des fins de propagande, qui peuvent viser un objectif politique, comme celles d’Isocrate, des instructions à caractère religieux, comme celles de Paul de Tarse, techniques

et aussi à la diffusion de la traduction grecque de la Bible comme, par exemple, la Septante qui en a été l’un des instruments principaux dans la propagation des idées », S. C. M imouni, Le judaïsme ancien, du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle après notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 633. 147.  Voir A. Wasserstein – D. J. Wasserstein, The Legend of the Septuagint, Cambridge, 2006. 148. Nous suivons l’exposé des principales positions établi par Lutz Doering (Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 218-220) : leur éventail est balisé, d’une part, par S. Honigman, pour qui il ne s’agit pas du tout d’une lettre (The Septuagint and Homeric Scholarship in Alexandria : A study in the Narrative of the Letter of Aristeas, Londres, 2003, p. 1), et, d’autre part, par T. R ajak qui se déclare tout à fait à l’aise avec la désignation de lettre (Translation aud Survival : The Greek Bible of the Ancient Jewish Diaspora, Oxford, 2009, p.  31). 149.  A.  Pelletier, La lettre d ’Aristée à Philocrate, Paris, 1962 (réimprimé en 2007), p. 47. 150. Figure proche de l’hypotypose, l’ekphrasis désigne le fait d’expliquer de façon vivante un sujet donné (ἐκφράζειν signifie « expliquer jusqu’au bout » ou « exposer en détail »). 151.  Selon A. Pelletier, qui estime (en suivant une proposition de G. Zuntz ) que le terme désigne un récit écrit, que l’auteur d’Aristée a sous les yeux. Voir A. Pelletier , Lettre d ’Aristée à Philocrate. Introduction, texte critique et notes, index complet des mots grecs, Paris, 1962), p.  100.

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et scientifiques, comme celles d’Ératosthène et d’Archimède, ou philosophiques, comme celles d’Épicure : The use of the epistolary form for this text is as purely formal as it is transparent. It is only a fiction conforming to the widespread genre of the literary letter that we find in the classical, Hellenistic and Graeco-Roman periods no less than in more modern times 152 .

Pour Simon Claude Mimouni, il s’agit justement d’un écrit apologétique destiné à légitimer le principe d’une traduction en grec des livres de la Loi des Judéens 153. Les témoignages les plus anciens parlent à son sujet de livre (βιβλὶον) ainsi Flavius Josèphe et Eusèbe de Césarée. Ce dernier y ajoute un titre : Au sujet de l ’interprétation de la Loi des Judéens (Περὶ τῆς ἐρμενίας τοῦ τῶν Ίουδαίων νόμου). Épiphane de Salamine parle de σύνταγμα (traité, livre ou œuvre) 154 . Indépendamment de la question de la détermination in fine de son genre littéraire permettant de statuer sur la question de son épistolarité, la Lettre d’Aristée, présente un intérêt non négligeable sur le plan de la pragmatique épistolaire, de par le fait (1) qu’elle dispose tout de même d’un certain nombre de marqueurs épistolaires, (2) qu’elle fait des allusions à des pratiques épistolaires et (3) contient deux lettres insérées narrativement, lesquelles évoquent la relation de correspondance entre les deux personnages-clé de toute l’œuvre, à savoir le roi lagide Ptolémée II Philadelphe, et Éléazar, le grand-prêtre du Temple de Jérusalem. Sur le plan de la pragmatique épistolaire, la Lettre d’Aristée comprend de nombreuses données, dont l’inventaire et l’examen peuvent être détaillé en fonction de cinq entrées : 1. Le titre de l’œuvre et l’adresse au vocatif : l’adresse comprend un vocatif (« à Philocrate »). Bien que la formule usuelle de salutation manque, cette manière de procéder est analogue à celle des traités en forme de lettre, dont on trouve divers exemplaires dans l’Antiquité, consacrés à des thèmes techniques ou « scientifiques ». Cette adresse au vocatif est typique aussi des traités historiques. 2. Le prologue et l’épilogue : au prologue répond un épilogue, ce qui sous-entend un rapport plus étroit avec un destinataire que par exemple l’Évangile selon Luc ou les Actes des Apôtres, lesquels n’en contiennent point. L’épilogue (§ 322) joue également un rôle clé dans la construction de la réponse du lecteur, et ceci en mettant en oppo152. A. Wasserstein – D. J. Wasserstein, The Legend of the Septuagint, Cambridge, 2006, p. 21. 153.  S. C. M imouni, Le judaïsme ancien, du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle après notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 66-67. 154. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 218.

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sition « le reste des événements qui en valent la peine » (« τὰ λοιπὰ τῶν ἀξιολόγων ») qu’il faudrait encore « écrire » (« ἀναγράφειν ») et « les livres des conteurs » (« τὰ τῶν μυτολόγων βιβλία »). 3. Les adresses au vocatif dans le cœur de la « lettre » : il y a d’autres adresses au vocatif qui contribuent à renforcer un rapport étroit entre émetteur et destinataire : Aristée s’adresse à son frère biologique (§ 7 et 120), comme le souligne Lutz Doering 155 et cela exclut de facto le vocatif lié aux relations de patronage comme celles avec un roi. Ces adresses à Philocrate au vocatif, lesquelles sont présentes (et cela doit retenir particulièrement notre attention) au moment des différentes articulations thématiques présentes dans le cœur de la « lettre », indique un rapport plus étroit entre émetteur et destinataire. 4. La manière de l’auteur de qualifier son écrit à l’intention de son destinataire et l’usage du terme διήγησις : l’usage du terme est significatif : il forme une inclusion dans l’introduction (aux § 1 et 8). L’auteur commence son œuvre en évoquant « le récit digne d’être raconté au sujet de notre ambassade auprès du grand-prêtre Éléazar » 156. Il termine l’introduction par « j’en reviens tout de suite au fil de mon récit » 157. Dans l’épilogue, il conclut par « tu as là toute l’histoire comme je te l’avais promis » 158. Comment traduire διήγησις ? Par « récit », « relation » ou « exposé », voire « histoire » ? Pour Abraham et David Wasserstein, il s’agit tout simplement du terme technique désignant rhétoriquement l’exposé des faits (« narration ») et cela, couplé à la phraséologie générale de l’œuvre militant en faveur d’une cohérence avec le genre épistolaire de la lettre littéraire 159. Quant à Lutz Doering, tout en suivant ces mêmes conclusions, il suggère de faire la distinction, dans Aristée, entre l’usage conventionnel de διήγησις (« compte-rendu en prose ») et celui utilisé par l’auteur pour qualifier son œuvre (ἀναγραφή : « écrit ») : « je pense même qu’à tous ceux entre les mains de qui tombera cet écrit ces faits paraîtront incroyables » (§  296). Le premier désignerait le compte-rendu oral dont disposait l’auteur et dont il tire les informations qu’il sou155. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 221. 156.  « Ἀξιολόγου διηγήσεως … περί τής γενητείσης ἡμἶν ἐντυχιας πρός Ἐλεάζαρον τόν τᾧν Ίουδαίων ἀρχιερέα ». 157.  « Έπι τὸ συνεχὲς τῇς διηγήσεως ἐπανήξομην ». 158.  « Σὺ δέ, καθὼς πηγγειλάμην, ἀπέχεις τὴν διήγησιν ». La deuxième et la troisième citation suivent la traduction d’Antoine Pelletier. On notera, dans cette dernière, la traduction de διήγησις par « histoire ». 159.  A.  Wasserstein – D. J. Wasserstein, The Legend of the Septuagint, Cambridge, 2006, p. 23.

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haite communiquer à Philocrate, le deuxième un terme semi-technique par lequel il opère la distinction entre le corps de l’œuvre et ses annexes (prologue, divers excursus et épilogue). 5. L’insertion narrative de lettres : la Lettre d’Aristée comprend, dans le corps de son texte, des lettres écrites par d’autres, reflétant un intense échange de correspondance. En plus de crédibiliser la narration en lui donnant une forme historiographique, celles‑ci fournissent de précieuses indications sur les pratiques épistolaires de l’époque : – § 11 : le roi (Ptolémée II Philadelphe), ayant entendu parler de l’intention du bibliothécaire Démétrios de Phalère de traduire « les lois des judéens » mentionne qu’une lettre doit être écrite aux grands-prêtres des Judéens. – §  28-33 : cite le rapport au roi rédigé par Démétrius (§  29-32) et mentionne l’ordre donné par le roi d’écrire la lettre au grandprêtre Éléazar. – § 34b-40 : reproduit la lettre du roi, mentionne à la fin André et Aristée apportant des dons ; lettre écrite en des termes amicaux, avec la déférence de la lettre de majesté. La salutation relève du genre de la lettre documentaire et non pas de celui de la lettre royale. – § 41-46 : citation de la réponse d’Éléazar ; cette lettre est l’unique spécimen de lettre judéenne dans la Lettre d’Aristée. On y apprend qu’André et Aristée fonctionnent aussi comme porteurs de la lettre. Lutz Doering estime avec raison que la Lettre d’Aristée, bien que très partiellement dotée d’un cadre épistolaire témoigne tout de même d’une influence de la pratique usuelle de l’art de la correspondance. Les liens entre la préface, l’épilogue et le corps de la lettre sont indéniables. Le fait d’interpeller régulièrement le destinataire, tout le long du corps de la lettre, et qui plus est à chaque passage à un autre thème, témoigne d’une intention pragmatique avérée. Pour appréhender de manière plus fine la question de la nature épistolaire de la Lettre d’Aristée, entre lettre philosophique ou lettre apologétique, Lutz Doering 160 clarifie de manière fort pertinente la question du genre du « traité en forme de lettre » à l’aide de la typologie des traités en forme de lettre élaborée par D. S. Langslow 161, lequel fait la distinction entre : 160. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 230. 161.  D. S. L angslow, « The Epistula in Ancient Scientific and Technical Literature, with Special Reference to Medicine », dans R. Morello – A. D. Morrison

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1. Les traités de type A, lesquels comprennent une formule épistolaire d’ouverture et/ou de clôture. 2. Les traités de type B, lesquels comprennent une adresse (« à X ») dans le titre et/ou une adresse au vocatif dans l’ouverture et/ou dans la clôture. Et ceci avec trois types de degrés de recherche d’impact sur les destinataires : 1. Degré de type 1 : dans la préface. 2. Degré de type 2 : dans la préface et dans l’introduction. 3. Degré de type 3 : dans le corps du texte. La lettre-traité de type 3 est bien attestée dans ceux de Platon et d’Épicure. Dans la Lettre d’Aristée, toujours selon Lutz Doering 162 , l’adresse à la seconde personne poursuit trois objectifs : (1) elle permet à l’auteur réel de se connecter au destinataire explicite ; (2) elle renforce la fiction littéraire selon laquelle la communication se déploie entre deux païens et que les lecteurs judéens, lesquels sont bels et bien les premiers lecteurs réels, reçoivent en second cette communication ; (3) le contact avec le destinataire explicite sensibilise activement le lecteur implicite à la valeur littéraire et à la pertinence historique voulue, et ceci d’une façon qui soit aussi significative pour n’importe lequel des premiers lecteurs judéens. Ainsi, la Lettre d’Aristée, qui serait un traité en forme de lettre de type B selon la typologie de Langslow, représente un cas d’instrumentalisation du mode de communication épistolaire conforme à son orientation pragmatique. Convaincre ses destinataires d’agir commence par un processus de crédibilisation du contenu de sa narration. Les récits à visée historiographique opèrent méthodologiquement de la même façon, ceci en insérant des lettres ou des discours, aux moments charnières de la narration, sous la forme de verbatim. Le cas de la Lettre d’Aristée est particulièrement instructif dans le cas de Paul, qui écrit ses lettres en grec et pour qui la référence, en ce qui concerne la Loi et les Prophètes, est précisément celle de la Septante. Il confirme que la forme du traité en forme de lettre déploie une stratégie pragmatique notoire, puisque, comme on l’a montré, elle prévoit la mise en œuvre d’une réception active des propos de la lettre. 2 .7 B i l a n La tradition de Jérémie et de Baruch communiquant les oracles divins aux Judéens en Diaspora à Babylone ou inversement à ceux restés en Judée et à Jérusalem permet de mettre en perspective le contexte large dans (éd.), Ancient Letters. Classical and Late Antique Epistolography, Oxford – New York, 2007, p. 211-234. 162. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 230.

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lequel s’inscrit la pratique épistolaire paulinienne au service de la construction d’une figure d’autorité capable d’agir à distance. Il est remarquable, pour notre enquête consacrée à la genèse du geste épistolaire paulinien, de constater que cette tradition a perduré pendant plusieurs siècles et qu’elle a continué bien après Paul. Plus globalement, on peut reconnaître que les lettres de la Diaspora et les traités en forme de lettre ou les lettres philosophiques devaient être bien connues et par conséquent ont certainement servi de référence pour modéliser la posture d’épistolier du Tarsiote. Est particulièrement remarquable pour notre enquête la présence d’une notion de communication en situation de crise. L’exil a représenté une crise terrible pour les Judéens, à savoir la perte complète des repères identitaires du peuple 163. Le cas de la lettre de Jérémie (Jr 29,1-23) et la tradition qui s’en est suivi sont particulièrement significatifs pour notre propos. La tradition de Jérémie ou de Baruch s’adressant aux exilés atteste comment cette charte pour les exilés a fait office de modèle alternatif pour les Judéens déportés loin de leur patrie, au fur et à mesure des crises subséquentes auxquelles ils ont été ultérieurement confrontés. Il conviendra d’y revenir dans l’analyse de la lettre comme moyen de gestion à distance d’une situation de crise. On retiendra, suite à l’examen de ce corpus de sources, que celui-ci témoigne bien de la situation épistolaire de base, marquée par l’éloignement, et dont l’effort pragmatique vise à exhorter le cercle des destinataires à un changement ou à la persévérance. On dispose ainsi bel et bien d’une chaîne attestant du souci de déployer de manière analogue une seule et unique conviction : Dieu continue de s’adresser aux nouvelles générations de déportés. Les artifices épistolaires ont pour but de confirmer l’autorité de l’épistolier et servent ainsi de principes destinés à crédibiliser ses propos, fussent-ils philosophiques ou apologétiques. L’argumentaire ainsi déployé est tout entier orienté au service de la communication efficace de directives ou de recommandations. La notion de crédibilité est donc au cœur de l’échange et, dans le cas des lettres placées sous le nom de Jérémie ou de Baruch, la prise de parole dans le sillage de l’autorité prophétique a pour fonction de contribuer à la bonne réception de la communication. L’épistolier se trouve être profilé comme le détenteur d’un savoir privilégié ou d’une connaissance déterminante pour l’avenir du peuple d’Israël. Ce savoir et cette connaissance ont une fonction pragmatique évidente, à savoir celle de garantir à ce dernier un avenir et une forme de sécurité dans un univers a priori hostile ou peu favorable. Cette 163. « La destruction de Jérusalem et de son temple provoque, dans l’ancien royaume de Juda, une crise idéologique sans pareille. Les piliers identitaires d’un peuple du Proche-Orient ancien, c’est-à-dire le roi, le temple du Dieu national et le pays se sont écroulés », T. Römer, « La naissance du Pentateuque et la construction d’une identité en débat », dans O. A rthus – J. Ferry (éd.), L’identité dans l ’Écriture, Hommage au professeur Jacques Briend, Paris, 2009, p.  30-31.

LES PR ATIQUES ÉPISTOLAIRES D’AUTORITÉ

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garantie passe par la communication d’un message d’orientation générale et précisant au passage la vraie doctrine ou la juste conduite. Il est intéressant, dans ce cas, de constater combien l’influence de ce modèle a perduré durant une longue période, ceci en tout cas jusqu’au IIe siècle de notre ère. La diversité de milieux dans lesquels ce modèle a essaimé en confirme la pertinence, pour notre propos, de manière éclatante. Il convient maintenant de se tourner du côté de la pragmatique épistolaire déployée par le Tarsiote et de montrer ce que les données établies jusqu’ici permettent de mettre en lumière, entre parole prophétique et communication constructive à distance.

Chapitre 3

LES LETTRES DE PAUL ET LA PRAGMATIQUE DE LA COMMUNICATION 3.1 I n t roduct ion Dans notre chapitre précédent, l’exploration des modèles d’autorité épistolaires à l’œuvre en amont de celle de Paul de Tarse a permis de mettre en évidence un phénomène particulier de filiation d’autorité épistolaire, celui de Jérémie ou de Baruch s’adressant à distance aux exilés. Toute la question est maintenant de savoir si on peut repérer des analogies, en ce qui concerne la pragmatique de la communication, entre la posture du prophète s’adressant à distance aux exilés et celle de l’épistolier cherchant à déployer, au sein de son réseau de communautés, une parole d’autorité au travers de ses lettres. Pour traiter cette question, il convient de partir de ce qu’on connait aujourd’hui des pratiques épistolaires de Paul de Tarse dans leur contexte antique. Dans ce but seront passées en revue les principales étapes de la recherche consacrée aux lettres du Tarsiote. Au fil de ce parcours, il s’agira en priorité de repérer avec précision les éclairages de la recherche sur la question de la pragmatique épistolaire et de les évaluer. Les études consacrées aux écrits de Paul, à sa vie et à son œuvre, sont considérables 1 et cela déborderait le cadre de ce travail de présenter un état général de la recherche sur l’apôtre chargé d’annoncer l’Évangile « parmi les païens » 2 . Il conviendra donc, dans notre examen de la question, de dégager ce qui concerne spécifiquement notre objectif, à savoir la manière dont Paul déploie de manière effective son autorité en tant qu’épistolier. 1. Pour l’histoire de la recherche voir M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009 ; William Baird, History of New Testament Research, Minneapolis, 1993 (volume  1), 2003 (volume  2), 2013 (volume 3). En guise d’introduction, voir F. W. Horn (éd.), Paulus Handbuch, Tübingen, 2013. Il convient de consulter, outre les manuels d’introduction (ainsi D.  M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008) le bilan de la recherche réalisé par le Colloque de 3e cycle des Facultés universitaires de théologie de Suisse romande (2002-2003) : A.  Dettwiler – J.‑D.  K aestli – D.  M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004. Voir également S. C. M imouni, « Paul de Tarse. Éléments pour une réévaluation historique et doctrinale », dans S. C. M imouni (éd.), Le Judéo-Christianisme dans tous ses états. Actes du colloque de Jérusalem 6-10 juillet 1998, Paris, 2001, p.  97-125. 2.  Ga 1,16 : « ἵνα εὐαγγελίζωμαι αὐτὸν ἐν τοῖς ἔθνεσιν ».

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CHAPITRE 3

À ce sujet, les travaux d’Adolf Deissmann représentent indiscutablement une borne milliaire aussi pour jalonner une histoire de l’analyse des enjeux pragmatiques de la communication épistolaire du Tarsiote. Les enjeux liés à la distinction entre lettres et épîtres comprennent indéniablement une forte composante pragmatique, de par déjà le seul fait qu’elles induisent différents types de réception, entre lecture privée ou lecture pour la postérité, et donc différents types de lecteurs (en fait d’auditeurs, sachant combien la lettre était destinée avant tout à une lecture publique), entre lecteurs réels (les destinataires historiques de la lettre privée arrivée à destination) ou lecteurs fictifs (la postérité pour laquelle l’épître était éditée). Pour dresser l’état de la question sur les pratiques épistolaires de Paul, nous brosserons à grands traits l’histoire de la recherche sur ses lettres et chercherons à mettre en évidence les éléments les plus saillants en ce qui concerne notre objectif de revisiter l’art épistolaire de Paul en tenant précisément compte de la double dimension intrinsèque d’une lettre, à la fois comme traces historiques d’événements du passé et à la fois comme message, ce dernier point par le biais d’une approche littéraire, doublée d’une lecture théologique. Dans un deuxième temps, il s’agira de thématiser à nouveaux frais le dossier de l’art épistolaire paulinien pour en examiner en particulier tous les ressorts relatifs à l’efficacité de la communication, ceci en suivant la grille d’analyse distinguant quatre catégories de paramètres relatifs à la pragmatique de la communication épistolaire. Seront ainsi successivement examinés : 1. Les témoignages conservant la trace d’une activité épistolaire effective (compétence dans la pratique de l’écriture, rédaction personnelle et/ou recours aux services d’un secrétaire, expédition, réception, consignes relatives à la réception, lecture publique d’une lettre, consignes éventuelles de transmission à d’autres destinataires). 2. Les allusions aux conditions matérielles attestant de l’existence d’une pratique épistolaire réelle (matériel et supports d’écriture, sceaux, moyens de transmission, copies et archivage, édition de collections de lettres). 3. Le recours à tout ou partie d’un formulaire épistolaire : mention de l’auteur (ou des auteurs) et du (ou des) destinataire(s), présence avérée des éléments du formulaire épistolaire de base (adresse avec mention de l’expéditeur et du ou des destinataires, salutation inaugurale, action de grâce ou captatio benevolentiae, corps de la lettre, conclusion de la lettre avec bénédiction finale, salutations, souhait de paix et post-scriptum éventuel), autres indications relatives à la distance géographique et/ou temporelle (informations relatives aux projets de voyage ou de visite, nouvelles personnelles, nouvelles au sujet d’autres personnes, etc.).

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4. Les indicateurs spécifiques faisant écho au déploiement d’une pragmatique de la communication : considérations sur la posture d’épistolier, construction et/ou déploiement d’une figure d’autorité, présence avérée d’une relation dialogique entre l’émetteur et les destinataires – « je/nous », « tu/vous », etc. –, mise en place d’un pacte de lecture et d’une stratégie de réception du message, destinée à provoquer la mise en œuvre d’une action, comme la transmission d’une nouvelle personnelle à la personne concernée, l’adhésion d’un groupe constitué à un enseignement, l’effectivité d’une recommandation, la mise en œuvre d’un changement de comportement, la confirmation de la bonne réception et de la validation d’une décision, etc. Ainsi structuré, l’inventaire de ces indicateurs permet déjà d’entrevoir que les lettres de Paul, du point de vue sociologique, obéissent de fait aux principes d’une communication d’un type qu’on peut qualifier de ni totalement privée, ni totalement publique : les lettres visent des collectivités constituées comme « l’Église des Thessaloniciens » (1 Th 1,1) ou « les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome » (Rm 1,7), ou des réseaux régionaux de communautés, comme dans le cas de la Lettre aux Galates, ou de 2 Corinthiens, laquelle est destinée aussi « à tous les saints qui se trouvent dans l’Achaïe entière » (2 Co 1,2). Ces collectivités sont en fait des associations privées se réunissant dans des maisons particulières. Aucune des lettres de Paul, pas même le petit billet à Philémon 3, ne peut être considérée comme une lettre individuelle privée au sens strict. Cet examen des indicateurs tant implicites qu’explicites d’une pragmatique de la communication doit permettre de mettre en évidence la manière dont Paul rend opérante son autorité d’épistolier au travers de sa plume. Si cela relève de l’évidence que la communication paulinienne met en œuvre une stratégie pragmatique destinée à agir sur les communautés de destinataires en fonction des contextes auxquels les lettres répondent, les contours et les variables de cette stratégie restent à préciser. Dans un troisième temps, il s’agira de revenir sur la question de savoir si Paul s’inspire effectivement de la pratique de Jérémie, au-delà des filiations, naturelles pour un Judéen, de la Loi et des Prophètes. Le dossier des racines vétérotestamentaires de la théologie paulinienne est considérable. Notre focale se limitera à chercher à vérifier jusqu’où le geste épistolaire paulinien s’inscrit explicitement dans le sillage de la tradition de Jérémie s’adressant, à distance, aux exilés à Babylone et, plus largement, dans le contexte général des lettres judéennes dites de la Diaspora, dont la tradi3.  On peut identifier trois cercles de destinataires dans la Lettre à Philémon : (1) Philémon (ΠΡΟΣ ΦΙΛΗΜΟΝΑ) ; (2) les trois destinataires explicites du prescrit épistolaire : outre Philémon (« notre bien-aimé collaborateur »), sont mentionnés et qualifiés deux autres destinataires, à savoir Apphia (« notre sœur ») et Archippe (« notre compagnon d’armes ») ; (3) « l’Église qui s’assemble dans ta maison ».

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tion des lettres de Jérémie ou de Baruch en constitue une des pièces maîtresses. Enfin, il s’agira de synthétiser ce que ce parcours et l’analyse des documents ainsi réunis apportent comme éclairages nouveaux sur l’autorité de Paul en tant qu’épistolier, sa manière spécifique d’utiliser les ressources pragmatiques de la lettre en fonction de sa stratégie missionnaire. Cela sera l’occasion, avant d’envisager l’histoire de la réception de la pratique épistolaire paulinienne, d’évaluer en quoi notre enquête effectuée jusqu’ici contribue à une compréhension plus fine de la pratique épistolaire de l’apôtre des nations. 3.2 L a

pr agm at iqu e é pi s tol a i r e pau l i n i e n n e

3.2.1 Introduction méthodologique Pour évaluer le geste épistolaire paulinien sous l’angle de la pragmatique, il convient d’inventorier et d’analyser les renseignements fournis par ses lettres. Méthodologiquement, il s’agit de sonder le corpus des textes du Tarsiote, à l’aide des quatre catégories d’indicateurs des pratiques épistolaires retenus pour notre enquête. Pour mémoire, il s’agit : (1) des témoignages conservant la trace d’une activité épistolaire effective, (2) des allusions aux conditions matérielles attestant de l’existence d’une pratique épistolaire réelle, (3) du recours à tout ou partie d’un formulaire épistolaire et (4) des indicateurs spécifiques faisant écho au déploiement d’une pragmatique de la communication. Les trois premières catégories ayant déjà été largement analysées par la recherche, nous passerons simplement en revue l’inventaire des données littéraires respectives disponibles. Notre attention va se focaliser en particulier sur la dernière catégorie d’indicateurs, laquelle devrait nous permettre de dégager les éléments touchant l’action proprement dite de communication les plus significatifs. Considérons aussi la première source littéraire permettant de documenter la vie et l’œuvre de Paul, à savoir les Actes des Apôtres. D’une part, les deux lettres insérées narrativement qui s’y trouvent interviennent à des moments charnières de la vie de l’apôtre, tels que narrés par l’auteur des Actes : la lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche 4 (le « Décret apostolique ») est rédigée dans le contexte de « l’Assemblée apostolique à Jérusalem » 5), et la lettre du tribun Claudius Lysias au gouverneur Félix est produite au moment du départ 4.  Ac  15,23-29. 5.  Voir D. M arguerat, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, 2015, p. 82-110 ; H.  Ponsot, « Peut-on encore parler de “concile” de Jérusalem ? À propos d’Ac 15 et de la chronologie paulinienne », Revue Biblique  109/4 (2002), p.  556-586.

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en captivité de Paul 6. D’autre part, le récit fait état de deux épisodes dans la carrière apostolique du Tarsiote où il est question de lettres. En Actes 9,1-2, Paul demande au grand‑prêtre de Jérusalem des lettres pour les synagogues de Damas, destinées à patronner son action sur place à l’encontre des adeptes de « la voie ». À la fin du livre, en Actes 28,21, quand Paul est en résidence surveillée à Rome, il est rapporté que les notables judéens de Rome précisent à ce dernier qu’ils n’ont reçu de Judée aucune lettre d’information à son sujet 7. Il convient aussi de s’intéresser à la question de la recommandation, car celle-ci joue un rôle pragmatique important dans la correspondance paulinienne. Ce rôle peut prendre plusieurs formes, par exemple celle de la recommandation de personnes précises. C’est le cas notamment de Phoebé, « ministre (διάκονον) de l’église de Cenchrée » et « protectrice (προστάτις) pour bien des gens et pour moi-même » (Rm  16,1-2) et aussi de l’esclave Onésime, au sujet duquel Paul recommande à Philémon de réserver un juste traitement (Phm 10). La thématique de la recommandation joue un rôle fondamental dans l’argumentation sous-jacente à la légitimité de l’apostolat. Dans 2 Corinthiens, Paul problématise de façon critique le besoin de lettres de recommandation pour justifier l’action missionnaire auprès des communautés (2 Co 3,1-5) ; l’argument de la recommandation joue un rôle important dans le cadre de la crise corinthienne, lorsque Paul répond à une accusation des adversaires lui reprochant le fait que son apostolat n’est pas confirmé par la recommandation d’une communauté tierce (2 Co 10-13) 8. Il convient cependant d’être au clair et préciser s’il s’agit d’une recommandation de Paul ou d’une recommandation par Paul. En ce qui concerne le séjour de Paul à Rome en Actes 28, on remarquera qu’une lettre d’information de Jérusalem aux notables judéens de Rome aurait pu faire office de lettre de recommandation ou, au contraire, de lettre de mise en garde contre la menace qu’aurait pu représenter Paul. On notera en passant que cette donnée confirme l’existence des pratiques épistolaires existant entre la Judée et les communautés judéennes de la Diaspora, en l’occurrence ici, celle de Rome. 3.2.2 L’activité de l’épistolier Que peut-on savoir exactement au sujet de l’activité proprement dite d’épistolier de Paul ? La première source disponible pour en identifier les traces est évidemment constituée par les données littéraires des lettres elles-mêmes, qui fournissent de nombreuses indications concrètes en ce qui 6.  Ac 23,25-30. 7.  Ac 28,21. 8. Voir notre chapitre 4 : « La lettre paulinienne comme outil d’action à distance ».

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concerne la rédaction, la transmission et la réception des lettres du Tarsiote ; elles permettent de reconstituer sa posture d’épistolier et le regard qu’il porte sur celle-ci. L’inventaire des indices présents dans les corpus pauliniens et deutéropauliniens réunit un nombre important de données. On y trouve tour à tour 9 : 1. Les mentions particulières de l’activité d’épistolier rapportées p. ex. sous la forme de la rumeur, comme à Corinthe (« car ses lettres, diton, ont du poids et de la force ; mais, une fois présent, il est faible et sa parole est nulle », 2 Co 10,10). 2. La lecture publique comme acte éditorial (1 Th 5,27 : « je vous en conjure par le Seigneur : que cette lettre soit lue à tous les frères »), de même qu’une consigne de lecture mutuelle des lettres (Col 4,16 : « quand vous aurez lu ma lettre, faites en sorte qu’on la lise aussi dans l’Église de Laodicée. Lisez de votre côté celle qui viendra de Laodicée »). 3. Les lettres perdues de Corinthe, avec le cas de la mention d’une lettre des Corinthiens à Paul (« venons-en à ce que vous m’avez écrit » 1 Co 7,1) ; deux lettres de Paul aux Corinthiens : « je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir de relation avec les débauchés » (1 Co 5,9), ceci sans oublier le cas de la lettre écrite dans les larmes (« aussi est-ce en pleine difficulté et le cœur serré que je vous ai écrit parmi bien des larmes » 2 Co 2,4), qu’un pan important de la recherche identifie avec 2 Corinthiens 10-13. 4. La pratique de l’envoi de lettres circulaires (2 Co 1,1 : « Paul, apôtre du Christ Jésus par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe, ainsi qu’ à tous les saints qui se trouvent dans l ’Achaïe entière » ; Ga 1,1-2 : « Paul apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie »). 5. Les mentions explicites à la première personne dans les salutations autographes : outre celle du secrétaire Tertius (Rm 16,22), on en trouve deux dans le corpus des lettres de Paul, en Galates 6,11 (« voyez ces grosses lettres : je vous écris de ma propre main »), et en 1 Corinthiens 16,21 (« la salutation est de ma main à moi, Paul »), et deux dans le corpus deutéropaulinien, en Col 4,18 (« la salutation de ma main, à moi Paul, la voici : souvenez-vous de mes chaînes ») et en 2 Thessaloniciens 3,17 (« la salutation est de ma main, à moi Paul. Je signe ainsi chaque lettre : c’est mon écriture »). 9.  Voir en particulier M.  L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p.  9-18.

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6. Diverses remarques personnelles sur le geste épistolaire en tant que tel, comme en 1 Corinthiens 4,14 : « je ne vous écris pas cela pour vous faire honte, mais pour vous avertir, comme mes enfants bienaimés » et aussi en 2 Corinthiens  9,1 : « au sujet de l’assistance en faveur des saints, il est inutile que je vous écrive ». 7. Le recours aux services d’un secrétaire, pratique très répandue dans l’Antiquité : celle-ci est attestée par la salutation du secrétaire Tertius, dans la Lettre aux Romains : « je vous salue, moi Tertius, qui ai écrit cette lettre, dans le Seigneur » (Rm 16,22). 8. Une relecture théologique de l ’acte d’écriture : « notre lettre, c’est vous, lettre écrite dans nos cœurs, connue et lue par tous les hommes. De toute évidence, vous êtes une lettre du Christ confiée à notre ministère, écrite non avec de l’encre, mais avec l’esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs » (2 Co 3,2). 9. Les projets de voyage et de nouvelles visites aux communautés. 10. Les précisions relatives aux relations avec les compagnons de mission  (Tite, Timothée, etc.). 11. Les données fournies dans le cadre des salutations personnelles : les différentes manières dont Paul se présente dans les salutations initiales et dans les salutations finales sont riches d’enseignements. Paul se qualifie tour à tour apôtre, serviteur ou prisonnier. Ces manières d’entrer en matière jouent indéniablement un rôle pragmatique. Elles donnent le ton au type de relations que Paul veut induire avec ses destinataires. 12. Les recommandations (Rm 16,1-2 : « Je vous recommande Phœbé, notre sœur, ministre de l’Église de Cenchrée ») : les recommandations en faveur de tierces personnes jouent un rôle pragmatique important, comme nous aurons l’occasion de le montrer au moment de traiter de la question des lettres de recommandation 10. Ces recommandations s’inscrivent dans le contexte des pratiques antiques de la correspondance privée. 13. Les salutations personnelles aux membres de la communauté : de nombreuses personnes sont nommément saluées (ainsi Rm 16,3-16) ou des salutations de membres de la communauté sont transmises (1  Co  16,19b-29 : « Aquilas et Priscille vous envoient bien des salutations dans le Seigneur, ainsi que l’Église qui se réunit chez eux. Tous les frères vous saluent. Saluez-vous les uns les autres d’un saint baiser ») ; des salutations collectives sont également transmises (1 Co 16,19 : « les Églises d’Asie vous saluent »). 10.  Voir notre section 3.2.7 : « La pratique de la recommandation par lettre ».

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14. La qualification des destinataires : les différentes manières dont Paul les qualifie précise en fait le type de relation épistolaire voulu avec les interlocuteurs ; ces relations sont des plus positives (« bien-aimés qui sont à Rome »), s’agissant d’une lettre à une communauté (ou plutôt à un réseau de communautés) que Paul ne connaît pas personnellement, aux plus sévères (« Ô Galates stupides ») s’agissant d’une lettre circulaire destinée à combattre une prédication concurrente en train de contaminer toute une région. 15. Les objectifs de la communication épistolaire et les pactes de lecture : Paul ne se prive pas de fixer clairement les choses au sujet de ces pactes, qu’il serait plus précis de qualifier de pactes de réception de ses lettres. Il cherche à programmer la réception de la lettre et l’effet pragmatique consciemment voulu et dûment précisé dans la lettre, en particulier dans les situations de crise, comme nous aurons largement l’occasion d’y revenir dans le cas de la gestion à distance de la crise corinthienne (2 Co 10-13) 11. 16. Les sections à caractère biographiques : en ce qui concerne l ’éthos de l ’épistolier, les éléments à teneur biographique que Paul donne dans ses lettres, essentiellement en Ga 1-2, sont à considérer en priorité. À leur sujet, il convient de pondérer leur importance eu égard à leur fonction rhétorique. Ces données font office de preuve et elles sont des reprises théologiques : Paul ne raconte pas sa vie pour la raconter, il convoque des éléments biographiques pour illustrer, préciser et étayer son argumentation ; le « je » de Paul (dans le cas du discours du fou : « moi Paul en personne, je vous le demande par la douceur et la bonté du Christ… » 2 Co 10,1-13,13) y renvoie également. Même si les cloisons entre les rubriques de l’inventaire ne sont évidemment pas étanches, on retiendra de ces données qu’elles fournissent des échos divers et variés, attestant largement de l’activité d’épistolier de Paul. L’analyse des données ainsi réunies permet de savoir comment il se représente l’art épistolaire et donc de thématiser à nouveaux frais la conclusion généralement admise selon laquelle Paul serait le créateur d’un nouveau genre de lettres, celui de la lettre apostolique. 3.2.3 Les conditions matérielles Pour situer les lettres du Tarsiote dans le contexte des pratiques épistolaires antiques, il convient de s’arrêter sur la question de leurs conditions matérielles et logistiques 12 . Comme il n’existait de système postal de trans11.  Voir notre section 4.2 : « La crise corinthienne ». 12.  « The term logistics refers to the means by which a letter is composed, delivered and received » M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 1.

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mission du courrier que pour l’administration, mis en place par les souverains perses puis hellénistiques, puis notamment par l’empereur romain Auguste (le cursus publicus), la transmission des lettres privées pouvait se réaliser par un esclave, une personne de confiance ou un porteur voyageant dans la direction requise et démarché pour la circonstance (un commerçant, un soldat, un esclave, un fonctionnaire, un marin ou un capitaine de navire, etc.) 13. Plus le message était crucial, plus la question de la confiance était pressante. Mais la transmission était loin d’être une affaire assurée avec succès, au vu des nombreuses contraintes (économiques, conditions risquées de voyage, etc.) 14 . Il convient de prendre la mesure de l’écart diamétral entre ces différents cas de figure logistiques, lequel témoigne du clivage entre lettres privées et lettres officielles. Les porteurs de lettres jouaient un rôle important, ils renforçaient, selon les circonstances, le lien entre les personnes en correspondance, donnaient des nouvelles complémentaires, commentant la demande présente dans le message, et, last but not least, si le ou les destinataires étaient illettrés, ils leur lisaient le message. Le fait de devoir recourir à un porteur restait une contrainte importante, non seulement en raison du paramètre de la confiance, mais aussi en raison de la méfiance qui avait cours, dans le monde antique, à l’égard de l’écrit 15. Est-ce à dire qu’on considérait la communication orale comme potentiellement plus efficace que la communication épistolaire ? Et que cela expliquerait, entre autres, pourquoi les Anciens considéraient la lettre comme le genre le plus proche de l’oral ? Perhaps there was no postal system because the private sector lacked a precedent for establishing and supporting such a public service, but also it should be ascribed to a distrust of the written word and to the nature of the personal letter as a substitute for oral speech. It was generally thought that one might be better send an oral message to an absent friend through an intermediary who could then continue a conversation. Certainly, complaints at having to resort to letter-writing were made 16.

Pour la rédaction de lettres privées, si on ne pouvait écrire soi-même ou si on ne disposait pas dans son entourage d’une personne ressource 13. Voir E. J. Epp, « New Testament Papyrus Manuscripts and Letter Carrying in Greco-Roman Times », dans E. J. Epp, Perspectives on New Testament Textual Criticism, Collected Essays, 1962-2004, Leiden – Boston,  2005, p.  383-409. 14.  « There was no organised postal system for the common citizen ; the dispatch of personal correspondence was largely a matter of chance and good fortune », M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 2. 15. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  88-90. 16.  M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 3.

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capable de le faire, on s’attachait les services d’un secrétaire public. Les matériaux disponibles étaient le papyrus et l’encre 17. On trouve une allusion métaphorique aux conditions matérielles des pratiques épistolaires dans les lettres en Paul, en 2 Corinthiens 3,1-3. Dans cette péricope, Paul discute de la nécessité ou non de la recommandation pour les prédicateurs itinérants visitant les communautés 18. Il opère une lecture métaphorique à partir des conditions matérielles de l’écriture épistolaire, de ses moyens et de ses supports 19, ceci en opposant les « tables de chair » aux « tables de pierre » et « l’encre » à « l’Esprit du Dieu vivant » : Allons-nous de nouveau nous recommander nous-mêmes  (ἑαυτοὺς συνιστάνειν) ? Ou bien avons-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation (συστατικῶν ἐπιστολῶν) pour vous, ou de notre part ? Notre lettre (ἐπιστολή), c’est vous, lettre écrite (ἐγγεγραμμένη) dans nos cœurs, connue et lue (γινωσκομένη και ἀναγινωσκομένη) par tous les hommes. De toute évidence, vous êtes une lettre (ἐπιστολή) du Christ confiée à notre ministère (διακονηθεῖσα), écrite non avec de l’encre (ἐγγεγραμμένη οὐ μέλανι), mais avec l’esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre (ἐν πλαξὶν λιθίναις), mais sur des tables de chair, sur vos cœurs (ἐν πλαξὶν καρδίαις σαρκίναις) (2  Co  3,1-3).

La comparaison avec les tables de pierre a de quoi surprendre, car le support usuel pour écrire une lettre était le papyrus 20. Le contexte permet d’éluder cette difficulté, laquelle s’explique par l’argument théologique qui suit, à savoir le développement sur le ministère de nouvelle alliance mis en opposition avec la Loi de Moïse : « or si le ministère (διακονία) de mort gravé en lettres sur la pierre (ἐν γράμμασιν ἐντετυπωμένη λίθοις) a été d’une gloire telle que les Israélites ne pouvaient fixer le visage de 17. Sur les conditions matérielles de l’art épistolaire (outils et supports pour l’écriture, secrétaires, transmission du courrier, etc.) voir H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 43-66 ; M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 1-24 (« The logistics of Ancient Greek Letter Writing ») ; R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 43-50 ; J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p. 12-34. Sur la question du recours aux services d’un secrétaire chez Paul, voir en particulier les études de Randolph E. R ichards , The Secretary in the Letters of Paul, Tübingen, 1991 et Paul and First-Century Letter Writing. Secretaries, Composition and Collection, Downers Grove, 2004. 18.  W. R. Baird, « Letters of Recommendation : a Study of 2 Cor 3,1-3 », Journal of Biblical Literature 80  (1961), p.  166-172. 19.  K.  Scholtissek, « “Ihr seid ein Brief Christi” (2 Kor 3,3). Zur einer ekklesiologischen Metapher bei Paulus », Biblische Zeitschrift 44 (2000), p. 183-205. 20.  On peut se demander s’il n’y a pas là une allusion à la pratique de l’affichage des décrets impériaux (les rescrits) sur la place publique pour en notifier la force exécutoire dans la vie de la cité et de la province.

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Moïse… » 21. Paul fait allusion aux Tables de la Loi, d’où le glissement sur l’idée de lettres écrites sur des tables de pierre. L’idée de lettre apparaît en adéquation avec la conception théologique de la mission de Paul, envoyé par Dieu par l’action de l’Esprit saint pour annoncer la parole de Dieu, transmise par Jésus-Christ et reçue par les membres des communautés fondées par la prédication de l’apôtre 22 . Paul est serviteur, qui porte une parole divine à ses destinataires et ces derniers sont la preuve matérielle de l’action de messager de l’apôtre au service du Christ (ἐστὲ ἐπιστολὴ Χριστοῦ διακονηθεῖσα ὑφ’ ἡμῶν) 23. Par contre, il convient de signaler l’originalité de la métaphore paulinienne, car on ne connaît pas spécialement dans la littérature antique d’autres exemples de comparaison d’une lettre avec des êtres vivants. Ce cas illustre tout le potentiel créateur de sens ouvert par les métaphores dans les lettres du Tarsiote 24 . On repérera l’analogie avec la posture du messager à qui l’épistolier confie sa missive pour parvenir à bonne destination 25. Ainsi, on notera que l’argument théologique permet de lever la contradiction de l’écriture épistolaire à l’encre sur la pierre (cela pourrait faire penser aux billets écrits sur des ostraca, mais le parallèle avec les Tables de la Loi ôte toute ambiguïté). Demeure cependant une apparente contradiction entre écriture dans les cœurs et une lettre « connue et lue ». Cette contradiction est emblématique, à notre avis, de la finesse de la communication épistolaire, laquelle oscille toujours entre communication personnelle – d’où sa proximité avec la communication orale, comme

21.  2 Co 3,7. 22.  « Paulus interpretiert die Evangeliumsverkündigung, zu der er sich bestellet weiß, insgesamt als Kommunikationsgeschehen. Die Herausforderung durch die Gegner in Korinth und die paulinische Vertreidigungsstrategie zeigen freilich, dass die Verkündigung des Evangeliums ein komplexer Kommunikationsprozess ist », K.  Scholtissek, « “Ihr seid ein Brief Christi” (2 Kor 3,3). Zur einer ekklesiologischen Metapher bei Paulus », Biblische Zeitschrift 44 (2000), p.  199. 23.  Voir également 1 Th 2,13 : « voici pourquoi, de notre côté, nous rendons sans cesse grâce à Dieu, quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisons entendre, vous l’avez accueillie, non comme une parole d’homme, mais comme ce qu’elle est réellement, la Parole de Dieu qui est aussi à l’œuvre en vous, les croyants ». 24.  « Aber gerade die durchaus “ungewöhnliche” Verbindung zweier Größen zu einem metaphorischen Gespann beschreibt die Genese und Gestalt einer Metapher. Ihre Variabilität, Vitalität und Kreativität eröffnet ein metaphorisches Potential, das Neuland erschließt », K. Scholtissek, « “Ihr seid ein Brief Christi” (2 Kor 3,3). Zur einer ekklesiologischen Metapher bei Paulus », Biblische Zeitschrift 44 (2000), p. 200 (c’est l’auteur qui souligne). 25.  « Comme le scribe qui travaille sous la dictée et qui est responsable de la réalité et de l’exactitude du texte, Paul ministre est responsable de la prédication de l’Évangile, de l’esprit et du Christ », M. Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  83.

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l’a bien mis en évidence la recherche 26 – et action pragmatique, visant à la transmission d’une parole appelant à l’action. 3.2.4 Le formulaire épistolaire Il est apparemment relativement aisé d’identifier les formulaires épistolaires présents dans les lettres de Paul dans la mesure où nous avons affaire à des documents relevant de l’évidence du « macroformat » épistolaire avec ouverture, corps de la lettre et prise de congé 27. Mais comme en témoigne la masse des documents épistolaires disponibles aujourd’hui, les lettres témoignent de la présence d’une grande variété de formulaires à l’œuvre à l’intérieur du formulaire tripartite de base. Pour cerner la spécificité du formulaire épistolaire paulinien, la recherche prend pour point de comparaison le formulaire épistolaire en usage pour la correspondance privée, lequel suit le plan conventionnel en trois parties – ou quatre, si dans la deuxième, on distingue formule de bonne santé et action de grâce –, à savoir 28 : 1. Formule d’ouverture (praescriptum ou adresse) : celle-ci comprend la mention de l’expéditeur (superscriptio, au nominatif), du ou des destinataires (adscriptio, au datif) et la salutation (salutatio), à l’infinitif (χαίρειν). Cette formule a pour but d’orienter l’action de communication en fournissant les éléments nécessaires à la compréhension de la lettre. L’usage de la troisième personne du singulier y contribue également, en matérialisant dans le texte même de la lettre la contrainte de la distance de facto entre émetteur et destinataire, tout en rappelant le rôle providentiel du porteur de la lettre, qui apportera peut-être des nouvelles personnelles supplémentaires, des commentaires, des recommandations, etc. 2. Exorde (proemium) : celui-ci comprend (1) des intentions de prière relatives à la bonne santé et/ou au bien-être du ou des destinataires ; 26. C’est le cas de la critique de la performance (« Performanzkritik ») des lettres de Paul développée par Bernhard Oestreich, laquelle s’emploie à décoder les codes usuels de la communication orale à l’œuvre dans le texte des lettres. Voir B.  Oestreich, Performanzkritik der Paulusbriefe, Tübingen, 2012. 27. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 1. En ce qui concerne l’évaluation du formulaire épistolaire paulinien à la lumière des résultats de la recherche passée et récente, voir p. 408-427 (« Epistolary Formulae »). Voir également J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p.  71-165 (« L’ordonnancement d’une lettre ») ; R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 113-174 (« la configuration épistolaire paulinienne »). 28. Voir le formulaire épistolaire exhaustif de H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 42 ; R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 57-62.

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celles-ci sont parfois suivies (2) d’actions de grâce ; il s’agit ainsi (3) de faire mémoire des bienfaits devant les forces divines, de leur adresser (4) une prière de reconnaissance et d’exprimer en conséquence de la joie. L’exorde a pour fonction de chercher à vérifier que, de part et d’autre de la relation en correspondance, on se porte bien ( formula valetudinis). Il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’espérance de vie était brève et que la bonne santé était un bien très précieux, faisant l’objet de nombreux vœux. Toutes sortes de menaces planaient (maladies, catastrophes naturelles, guerres, sans oublier les dangers propres aux voyages). Cela explique la présence, dans certaines lettres hellénistiques d’actions de grâce, de formules de remerciements par lesquelles l’auteur affirme, de manière particulièrement appuyée, sa reconnaissance aux dieux pour la bonne santé du destinataire. 3. Corps de la lettre : celui-ci constitue la partie centrale de la lettre. Il s’agit de l’espace consacré à l’exposé de l ’objet de la communication. On peut y déceler trois moments : tout d’abord une formule d’ouverture du corps de la lettre (body-opening), laquelle peut commencer de manière très variée, à savoir soit par le rappel d’un souvenir, soit par un vœu de prière, soit par une formule d’entrée en matière ou de demande, soit par une recommandation, de soi-même ou d’un tiers. Ensuite vient la partie centrale du corps de la lettre (body-middle), laquelle accomplit diverses fonctions : transmettre une information, exprimer un motif de joie ou d’étonnement, demander des nouvelles, prier d’accomplir une requête – en rappelant le cas échéant des instructions données auparavant – ou formuler une inquiétude, voire un reproche, demander et/ou des recommandations. Enfin vient une formule de conclusion (body-closing) laquelle donne l’occasion de transmettre une dernière information, instruction ou exhortation, puis des plans éventuels de voyage et/ou de nouvelle visite. 4. Formule de prise de congé : celle-ci comprend un épilogue, qui peut formuler une exhortation synthétique finale, un regard sur l’activité d’écrivain et l’annonce d’une possibilité de visite, et une postface comprenant une brève salutation finale personnelle et éventuellement celle de l’entourage de l’auteur de la lettre, voire une requête de transmission de salutations à d’autres personnes qui sont en lien avec le ou les destinataires. La recherche récente a bien mis en évidence les spécificités du geste épistolaire de Paul de Tarse dans le concert des pratiques antiques. Il convient de commencer par faire remarquer que c’est tant au début qu’à la fin des lettres que « la formulation de Paul est la plus constante » 29. Un examen comparatif des formules de salutation présentes dans l’ensemble des lettres 29.  J.  Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p.  71.

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pauliniennes et deutéro-pauliniennes donne à penser que c’est la formule de salutation de 1 Thessaloniciens 30, qui se présente sous la forme la plus ramassée, qui aurait servi de modèle aux autres 31. En ce qui concerne plus précisément l’adresse (adscriptio) dans les formules d’ouverture, on note la présence de quatre cercles différents de destinataires : (1) une assemblée locale, (2) les membres d’une assemblée locale, (3) des particuliers et (4) un ensemble régional d’assemblées locales. En ce qui concerne la salutation initiale (salutatio), Paul suit la formule grecque conventionnelle : « A à B salut », mais il s’écarte de son usage habituel en adjoignant le motif du vœu de paix au salut. Ce dernier proviendrait des formulaires épistolaires tant araméens qu’hébreux des périodes hellénistique et romaine. Ainsi le formulaire épistolaire hellénistique ramassé en une proposition (« A à B salut ») se dédouble en deux chez Paul (« A à B » ; « à vous grâce et paix »). Régis Burnet a finement mis en évidence la subtilité de la double transformation que Paul opère sur la salutation grecque, qu’il qualifie de « défigement et [de] resémantisation » 32 . Le conventionnel « salut », formulé à l’infinitif devient un substantif qu’il fait suivre d’un second, dont il précise l’origine externe. La mutation ainsi réalisée est tout sauf anodine, car la « grâce » annonce de façon programmatique un motif central de la théologie du Tarsiote du salut par la foi, laquelle s’enracine justement dans les racines profondes de la culture judéenne, comme cela a été mis en évidence dans les travaux de Sanders sur le nomisme d’alliance, puis précisé depuis, notamment par les tenants de la New Perspective. La précision de l’altérité (« ἀπὸ »), particulièrement appuyée (« ἀπὸ θεοῦ πατρὸς ἡμῶν καὶ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ » 1 Co 1,3), de l’origine de la grâce fait comme écho à l’action concrète de la lettre faisant soudainement irruption, à la fois comme message et comme parole agissante, dans le quotidien de la vie d’un groupe constitué. En ce qui concerne les actions de grâce : celles-ci prennent différentes formes, deux lettres n’en contiennent pas (Galates et 2 Corinthiens) ; elles sont généralement placées après la salutation, mais on les rencontre aussi parfois dans le corps de la lettre. Ces dernières ont beaucoup retenu l’attention de la recherche. La première évidence est que celles-ci remplissent la fonction dévolue à la formula valetudinis initialis dans le formulaire épistolaire antique classique. Elles sont structurées de deux façons différentes : tout d’abord l’épistolier rend grâce à Dieu et remercie les desti30.  « Παῦλος καὶ Σιλουανὸς καὶ Τιμόθεος τῇ ἐκκλησίᾳ Θεσσαλονικέων ἐν θεῷ πατρὶ καὶ κυρίῳ Ἰησοῦ Χριστῷ, χάρις ὑμῖν καὶ εἰρήνη » (1 Th 1,1). 31. L.  Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 407 (avec un tableau synoptique des formules de salutations). 32. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 117-118 (citation p. 118).

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nataires ; la motivation de la reconnaissance ainsi adressée est formulée à l’aide d’un ou d’une série de verbes au participe précisant le contenu des motifs de reconnaissance ; elle se conclut par une formule visant à la perpétuation de l’état de bien-être souhaité, ceci pouvant culminer dans une pointe de nature eschatologique. Il existe une variante plus simple, articulant grammaticalement une proposition causale (les motifs de reconnaissance) à une proposition consécutive (le bien-être voulu pour la communauté). La conception paulinienne de l’action de grâce pourrait provenir de l’influence des pratiques épistolaires judéennes, bien qu’on ne dispose que d’un nombre plutôt limité de témoins. En ce qui concerne le corps des lettres pauliniennes, on notera que c’est la partie la plus difficile à structurer. Le corpus des lettres de Paul témoigne, en effet, d’une grande variété de structures possibles de corps de lettres et cela explique certainement la discordance des résultats des analyses de la structure rhétorique de ses lettres. On remarquera simplement que les corps des lettres offrent un échantillon fort représentatif des divers motifs de communication dont témoignent les lettres antiques conservées par ailleurs : informer, exhorter, demander, consoler, instruire, etc. Quant aux prises de congé, lesquelles comprennent une bénédiction finale, une salutation des destinataires, un souhait de paix, voire un postscriptum, il n’est pas chose aisée de toujours identifier de manière assurée l’étape de transition entre le corps de la lettre et la prise de congé. On trouve parfois mêlés des éléments parénétiques, des rappels du message essentiel, des projets de voyage ou de nouvelle visite, comme en 2 Corinthiens 13. Pour Doering, certaines lettres judéennes éclairent les choix pris par Paul 33 et permettent de les situer dans leur contexte. Dans certaines de ces lettres, on trouve en effet des références appuyées à Dieu ou à la pertinence eschatologique de l’action divine. Mais Doering constate aussi des différences : dans les lettres rédigées en hébreu comme dans celles écrites en araméen, le vœu de paix est destiné au destinataire, alors que Paul dirige ces vœux à ceux qu’il exhorte de suivre les règles, qu’il pose ou rappelle. Après ce premier parcours, il convient d’examiner plus en avant les spécificités de la pratique épistolaire paulinienne. 3.2.5 La pragmatique de la communication Pour identifier les données pragmatiques contenues dans les lettres, on suivra la dynamique relationnelle induite par l’action épistolaire, avec son

33. Ainsi 2 Maccabées 1,1-10a et 1,10b-2,18 et, d’une certaine façon aussi, la Lettre du maître de justice de la communauté de Qumrân (4QMMT). Voir L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p.  160-165 et p. 194-214.

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mouvement en trois phases : entrer en matière, transmettre l’objet de la communication, prendre congé. En ce qui concerne l’entrée en matière, les adresses sont pleines de renseignements au sujet de la pragmatique. L’importante transformation que Paul fait subir à la formule usuelle de salutation, notamment en lui conférant une haute teneur théologique, signale l’importance qu’il attache au potentiel pragmatique des salutations. Cet aspect est bien remarqué par Régis Burnet, qui précise les quatre niveaux sur lesquels le processus paulinien de caractérisation opère une transformation : au niveau (1) de l’expéditeur, puis (2) du destinataire, (3) de la salutation et enfin (4) de la communication  3 4 . Ces niveaux comprennent une haute teneur pragmatique, qu’il s’agit d’examiner plus en détail. 3.2.6 Le témoignage des Actes des Apôtres Il convient d’examiner maintenant les échos aux pratiques épistolaires antiques, conservés dans les Actes des Apôtres et de prendre la mesure de ce qu’elles peuvent nous apprendre au sujet du geste épistolaire paulinien. Les deux lettres insérées narrativement dans le récit interviennent chacune à un moment très important tant dans l’intrigue déployée dans le récit que dans la trajectoire de la carrière apostolique de l’apôtre 35. La lettre des apôtres, des anciens et des frères de Jérusalem à la communauté d’Antioche 36 prend place à un moment décisif pour la suite de l’histoire, une sorte de rencontre au sommet, dans tous les sens du terme ou presque 37. Quant à la lettre du tribun Claudius Lysias au gouverneur Félix 38, celleci est produite au moment où Paul, fait prisonnier, doit être transféré de Jérusalem à Césarée, sous escorte militaire. Le tribun écrit au gouverneur de Césarée pour l’informer du cas de Paul, de son statut et de sa situa34. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 115. 35. Voir H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p.  419-434  (« Two letters in Acts ») ; A. Dettwiler, « Auctoritas Pauli selon la littérature deutéro-paulinienne et l’œuvre lucanienne », dans D. M arguerat (éd.), Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  305-323. 36.  Ac  15,23-29. 37.  « La rencontre de Jérusalem est un sommet du livre des Actes. Elle orchestre la convergence des trois grandes figures du christianisme naissant (Pierre, Paul et Jacques) et des deux pôles de l’évangélisation chrétienne (Jérusalem et Antioche). Elle se situe à l’exact milieu du livre, ce qui l’a fait souvent considérer comme le sommet du récit, la charnière où s’articuleraient deux diptyques narratifs (Ac 1-14 et 15-28) », D. M arguerat, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, 2015, p. 85 (l’auteur souligne). 38.  Ac 23,25-30.

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tion 39. La première intervient au moment où formellement commence la mission auprès des païens, la deuxième au moment où démarre le voyage de Paul fait prisonnier pour être déféré, à sa demande, devant l’empereur. L’étude des lettres insérées narrativement dans un récit soulève la question de savoir si elles sont fictives ou non. Leur analyse montre qu’il s’agissait là d’un procédé courant, dans la narration historiographique, d’insérer dans le récit de telles lettres, souvent inventées pour la circonstance, mais dotées de caractéristiques réalistes pour faire vrai et donner l’aspect d’une narration vivante, un peu à l ’échelle 1/1, comme si on y était  4 0. On en trouve des exemples chez Thucydide, Flavius Josèphe, Salluste et Tacite et dans le 2e Livre des Maccabées 41. L’insertion de ces lettres, vraisemblablement fictives, va de pair, dans les Actes des Apôtres, avec l’intégration des discours et des dialogues, lesquels occupent une place prépondérante au fil de la narration. La première relèverait du genre de la lettre officielle et la deuxième de celui de la lettre administrative. Cette dernière, qui fait office de « lettre d’accompagnement confiée à l’escorte de Paul » relève du genre des « lettres dimissoriales (dimissoriae litterae) » destinées à notifier le cas de la personne transférée à l’autorité hiérarchique 42 . En ce qui concerne les autres échos à des possibles pratiques épistolaires, on dispose des données suivantes : – Ac 9,1-2 : Paul demande au grand-prêtre de Jérusalem des lettres pour les synagogues de Damas, destinées à recommander son action sur place à l’encontre des adeptes de la voie. – Ac 18,27 : il est précisé que « les frères » d’Éphèse, approuvant l’intention d’Apollos de se rendre en Achaïe, « écrivirent aux disciples de lui faire bon accueil ». – Ac 22,5 : dans son discours, debout sur les marches du temple, Paul mentionne l’épisode des lettres destinées à légitimer, aux yeux des 39.  « Cet épisode mouvementé marque pour Paul un changement de cadre et d’interlocuteurs. Jérusalem est devenu un lieu dangereux pour lui. Menacé par un complot sur sa vie, Paul est transféré à Césarée dans la prison du procurateur romain. Jusqu’à la fin du livre, il ne quittera ni son statut de prisonnier, ni la protection de l’autorité romaine. Son parcours de témoin-martyr débute ici », D.  M arguerat, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, 2015, p.  295. 40. D. E. Aune, The New Testament and its Literary Environment, Philadelphia, 1987, p.  169. 41.  « It stands to reason that Luke has probably proceeded similarly to his fellow ancient historians. Next to speeches, to which they paid the greatest attention, ancient historians also wove other texts into their presentations such as records, statements of witnesses, foundation charters, and not least letters, and when necessary they composed such documents for their own historical-novelistic purposes », H.‑J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 420. 42. D. M arguerat, Les Actes des apôtres (13-28), Genève, 2015, p.  229.

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« frères » de Damas, son action punitive contre les adeptes de « la voie ». Il pourrait s’agir ici d’une lettre d’ordre de mission, recommandant Paul aux Judéens de Damas et confirmant son ordre de mission. – Ac 28,21 : dans le dernier volet du récit, au moment où Paul se trouve assigné en résidence surveillée à Rome, il est rapporté que les notables judéens de Rome disent à Paul n’avoir reçu de Judée aucune information à son sujet. Cette information, possiblement transmise par voie épistolaire, aurait pu avoir fait office, comme on l’a précisé, soit de recommandation, soit d’avertissement. Les lettres que Paul demande au grand-prêtre relèveraient du genre de la lettre d’introduction ou de la lettre d’ordre de mission. Celles-ci ont pour fonction d’habiliter Paul à ramener enchaînés à Jérusalem les « hommes ou femmes de la voie » 43. La « voie » renvoie à « la voie du salut » (Ac 16,17) ou « la voie du Seigneur » (Ac 18,25) ou « la voie de Dieu » (Ac 18,26). Daniel Marguerat montre qu’il s’agit là d’une très ancienne titulature utilisée pour auto-désigner l’assemble des croyants. On en retrouve la trace dans la littérature trouvée à Qumrân, en particulier dans la formule : « ceux qui ont choisi la voie » (1QS 9, 17-18)  4 4 . L’expression qualifie le cercle des adhérents à la prédication de Jésus de Nazareth, dont la vie et le message ont été interprétés comme la réalisation de la promesse messianique du salut annoncée par le prophète Ésaïe 45. Il est intéressant de remarquer que les données, fournies par cet inventaire, relativisent quelque peu le silence des Actes des apôtres, réputé problématique, relatif à l’activité d’épistolier de l’apôtre. Ce silence n’est peut-être pas aussi énigmatique qu’on est enclin à le penser quand on s’intéresse à la biographie du Tarsiote. Ces données témoignent en effet du caractère usuel des pratiques épistolaires antiques et, par conséquent, il n’apparaissait comme pas particulièrement nécessaire, aux yeux de l’auteur du deuxième livre dédié à Théophile, de revenir sur cette évidence. Enfin, on remarquera que la mention de l’absence de nouvelle reçue à Rome de la Judée fournirait une attestation, non dénuée d’intérêt, de l’existence d’une activité épistolaire entre Jérusalem – mais sans qu’on sache précisément de quel groupe il s’agit – et les communautés de la Diaspora du bassin méditerranéen. Il convient de garder à l’esprit cette donnée au moment de traiter la question de l’origine de la pratique paulinienne, dans le contexte des pratiques épistolaires de la Diaspora judéenne. Les lettres du Tarsiote comportent en effet indéniablement une fonction d’informa-

43.  Selon Ac 9,1-2 ; voir également Ac 22,3-5 et 26,12. 44. D. M arguerat, Les Actes des Apôtres (1-12), Genève, 2007, p. 326. 45.  Voir Mc 1,1-3 ; Mt 3,1-6 ; Lc 3,1-6.

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tion, de par l’importance des nouvelles tant personnelles que de l’attention consacrée à clarifier des questions doctrinales ou parénétiques. Cette fonction d’information va, à notre avis, de pair avec celle de la recommandation. Cette pratique est liée à celle du patronage dans l’Empire romain. En ce qui concerne l’étymologie de la recommandation, on rappellera que le verbe συνίστημι signifie mettre en lien et par extension présenter ou introduire de manière appropriée, du point de vue relationnel, une personne auprès d’une autre. La plupart des lettres de recommandation ont pour but de demander d’accorder l’hospitalité, à des fins de facilitation des voyages et des séjours temporaires  4 6. C’est bien cet usage dont il semble être le cas en ce qui concerne Apollos, partant pour l’Achaïe, et Paul séjournant à Rome. Par contre, le cas des lettres du grand-prêtre et du collège des anciens de Jérusalem à l’intention des frères de Damas semble historiquement plus problématique. En effet, il semble hautement improbable que les autorités romaines aient reconnu au grand-prêtre de Jérusalem pareille compétence coercitive valable géographiquement au-delà de la Judée ; par contre, l’existence même de l’action de persécution ne peut être remise en cause puisque Paul évoque à plusieurs reprises son action persécutrice de « l’Église de Dieu » (1 Co 15,9) 47. 3.2.7 La pratique de la recommandation par lettre L’abondante découverte de lettres privées sur papyrus a amené la vie quotidienne dans le champ des recherches sur l’épistolaire antique, lequel ne disposait avant que des lettres littéraires conservées dans des collections. Dans cette grande masse de lettres-documents on rencontre un nombre important de lettres de recommandation. Celles-ci sont bien conformes à ce que les Types épistolaires du Pseudo-Démétrios ont codifié comme le genre de la lettre de recommandation (τύπος συστατικός) 48. Dans la liste 46. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 74. 47. « Les difficultés historiques sont donc réelles. Le plus vraisemblable est d’identifier ici une emphase lucanienne propre au style des récits de persécution, mais l’historicité de la persécution n’est guère contestable, puisqu’elle bénéficie du témoignage de Paul lui-même (1 Co 15,9 ; Ga 1,13 ; Ph 3,6). Il est réaliste de penser que Saul, de sa propre initiative ou mandaté par une synagogue helléniste de Jérusalem, a décidé de mettre en garde les synagogues de Damas contre le péril de l’hérésie nouvelle et de leur faire adopter les mesures de sauvegarde les plus sévères », D.  M arguerat, Les Actes des apôtres (1-12), Genève, 2007, p. 327. 48.  Sur les lettres de recommandation, il convient de signaler l’étude pionnière de Chan Hie  K im, Form and Structure of the Familiar Greek Letter of Recommendation, Missoula, 1972. Voir aussi L.  P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 145170 ;  H.-J.  K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context

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des 21 types de lettres, celui-ci intervient en deuxième position, juste après celui de la lettre d’amitié (τύπος φιλικός)  et avant ceux de la lettre de reproche (τύπος μεμμπτικός), puis de blâme (τύπος ὀνειδιστικός) : La lettre amicale est celle qui semble écrite par un ami à un ami. Non que l’écrivent les amis au sens propre : souvent on demande à des gens en poste chez de hauts responsables d’écrire sur le mode amical à des inférieurs ainsi que, par ailleurs, à des égaux, gouverneurs militaires, gouverneurs civils. Il arrive même qu’ils s’adressent à ceux-ci sans les connaître, car ils n’adoptent pas ce ton, parce qu’ils ne forment qu’un et partagent les mêmes goûts, mais dans l’idée que personne ne les rebutera s’ils écrivent amicalement et qu’on acceptera et fera ce pour quoi ils écrivent. Ce type de lettre s’appelle néanmoins amical comme s’il s’agissait d’écrire à un ami […]. La lettre de recommandation, c’est celle que nous écrivons à quelqu’un en faveur d’un autre, à la fois en y tressant des louanges et en parlant de gens jusque là inconnus comme s’ils étaient connus […] 49.

Stanley K. Stowers observe que les éléments constitutifs de la lettre amicale et de celle de recommandation, tels que précisés dans le traité des Types épistolaires du Pseudo-Démétrios, sont de fait très souvent communs à toutes les lettres. En ce qui concerne le premier genre, il y a (1) deux personnes séparées de fait l’une de l’autre ; (2) la première se propose d’entrer en contact avec la deuxième ; (3) un lien d’amitié les unit et (4) l’épistolier se donne les moyens, par la missive, de chercher à entretenir le lien. Pour le deuxième, il y a (1) deux personnes séparées ; (2) la première souhaite converser avec la deuxième ; (3) une relation sociale objective leur lien (amical, familial ou relationnel de type patron-client) et (4) l’épistolier intercède auprès du destinataire en faveur d’un tiers dans le but de mettre en œuvre une relation sociale positive entre ce dernier et le destinataire de la lettre 50. Si ce sont surtout les deux premiers éléments que l’on retrouve à travers les lettres, cela paraît assez évident de constater la présence de l’un ou l’autre des troisième et quatrième éléments dans bon nombre de lettres privées. La lettre de recommandation relève de la catégorie des lettres de demande, et c’est vrai que la recherche, qui n’est pas unanime quant aux and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 72-77 ; M. L. Stirewalt, Paul, the Letter Writer, Grand Rapids (MI) – Cambridge, 2003, p. 121-125 ; B. Witherington  III, Conflict and Community in Corinth. A Socio-Rhetorical Commentary on 1 and 2 Corinthians, Grand Rapids, (MI)  – Carlisle, 1995, p.  377-378 ; D.  E. Aune, The New Testament and its Literary Environment, Philadelphia, 1987, p.  166-167. 49.  Lettres pour toutes circonstances : les traités épistolaires du Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère, introduction, traduction et commentaire par P.-L. M alosse, Paris, 2004, p. 55-56. 50. S. K. Stowers, Letter Writing in Greco-Roman Antiquity, Philadelphia, 1986, p.  54.

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résultats des différentes solutions de typologie des lettres, traite la question de la recommandation dans le cas des lettres d’introduction ou de celles de médiation 51. Le très grand nombre de lettres de recommandation présent dans la masse des lettres documentaires privées sur papyrus atteste de la place importante de la fonction recommandative dans les pratiques épistolaires antiques. Comme on vient de le voir, les Actes des Apôtres attestent, à plusieurs reprises, de la pratique de la lettre de recommandation, sans la préciser autrement. Cela confirme, une fois de plus, combien cette pratique était naturelle et familière à l’époque. L’ampleur de la pratique de la recommandation nous aide à cerner la question de la dimension pragmatique de l’art épistolaire de Paul. Dans les lettres à visée recommandative, on note en effet la présence particulière de deux facteurs pragmatiques particulièrement performatifs. Il y premièrement une dynamique communicationnelle triangulaire, impliquant trois protagonistes 52 : (1) la personne qui recommande, qui est l’auteur de la missive, (2) la personne recommandée, faisant l’objet de la communication et (3) la personne à qui est destinée la recommandation, à savoir le destinataire de la lettre. Il s’agit ainsi de donner une orientation positive à la lettre, de façon à bien disposer le destinataire à agir dans le sens voulu en faveur du bénéficiaire de la recommandation : « c’est une démarche de valorisation d’une personne, dans le but de rendre possible une première rencontre, qui prendra la forme d’une présentation et d’une introduction » et cette donnée explique sans doute pourquoi « la personne recommandée est en général porteuse de la lettre de recommandation » 53. Cet élément met en évidence un deuxième facteur pragmatique important, à savoir celui de la fonction phatique de la lettre de recommandation. La mention du porteur de la lettre a pour but d’établir le contact et de mettre en œuvre la force recommandative de la lettre ; en faisant office de point de contact entre émetteur et destinataire, elle enclenche, d’une manière performative, la relation : 51. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 72. 52. H.-J. K lauck, Ancient Letters and the New Testament. A Guide to Context and Exegesis, Waco (TX), 2006, p. 73-74. 53.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 147. L’exemple de lettre de recommandation donné par le traité des Types épistolaires du Pseudo-Démétrios : « Untel, qui t’apporte cette lettre, distingué par moi et apprécié pour la confiance qu’on peut lui faire, tu agiras bien si tu le juges digne d’un bon accueil, par égard pour moi, par égard pour lui […] tu feras son éloge auprès d’autres personnes quand tu auras discerné par toi-même les services qu’il est capable de rendre », dans Lettres pour toutes circonstances : les traités épistolaires du Pseudo-Libanios et du Pseudo-Démétrios de Phalère, introduction, traduction et commentaire par P.-L. M alosse, Paris, 2004, p. 56-57.

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La mention du porteur de la lettre joue donc le rôle d’authentification et de contact dans le processus d’acheminement du courrier. Elle exerce une fonction phatique et indique au destinataire que la lettre qu’il reçoit des mains du porteur (inconnu ou déjà connu de lui) émane bien de l’expéditeur. Elle atteste que le porteur est bien envoyé, mandaté par l’expéditeur lui-même 54 .

La pratique de lettres relevant ainsi du genre de la lettre de recommandation (« τύπος συστατικός ») témoigne d’une indéniable notion pragmatique, de par son processus de demande à visée performative. Ces données montrent comment les lettres de recommandation permettent de rendre compte de la pragmatique de la communication à l’œuvre dans les lettres de Paul, de par le fait, comme le remarque Loïc Berge, de « la grande proximité des lettres de Paul avec le genre de la recommandation », qui met bien en évidence combien « certains passages des lettres pauliniennes sont en effet à coloration recommandative » 55. Dans le corpus des lettres pauliniennes, on rencontre en effet de nombreuses références au thème de la recommandation et à la pratique des lettres de recommandation. L’inventaire donne les résultats suivants : 1. Paul recommande à plusieurs reprises des personnes précises, dûment mentionnées nominativement ; ainsi Phoebé, qui s’occupe de la communauté de Cenchrée (Rm 16,1-2) ; Stéphanas et sa famille, que les Corinthiens connaissent déjà (1 Co 16,15-18) ; Épaphrodite, envoyé auprès de Paul par la communauté de Philippes (Ph 4,18), que Paul recommande pareillement aux Philippiens (Ph 2,25-30). 2. Paul mentionne explicitement le genre de la lettre de recommandation : il affirme une distance de la pratique de la recommandation auprès des Corinthiens, auxquels il précise lui-même, en tant qu’apôtre fondateur de l’église de Corinthe, ne pas avoir besoin de telles lettres pour légitimer son action (2 Co 3,1-2) 56. Paul personnifie, en quelque sorte, la recommandation à l’intention de son cercle de destinataires (« vous êtes des lettres vivantes »). 3. Il affiche pareille défiance dans la crise corinthienne face à ses adversaires, à qui il retourne le reproche de se recommander soi-même

54.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 157 (l’auteur souligne) ; voir également p. 28 (note 36). Sur la pragmatique de la communication épistolaire, voir notre section 1.2.3 : « La pragmatique de la communication épistolaire ». 55.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 145. Nous suivons ici son inventaire relatif au thème de la recommandation chez Paul (voir p. 145). 56.  Voir notre section 3.2.3 : « Les conditions matérielles ».

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(2 Co 10,12) et il reproche aux Corinthiens de ne pas l’avoir recommandé lui-même (2 Co 12,11). 4. Paul pratique effectivement la recommandation quand il présente aux Corinthiens les personnes chargées d’effectuer la collecte pour les pauvres de Jérusalem (2 Co 8,22-23). 5. Philémon fait office de lettre de recommandation, car dans la première partie du corps de la lettre, Paul recommande effectivement Onésime auprès de Philémon (v. 10-16) puis dans la deuxième, il lui fait part d’une demande en faveur d’Onésime 57 Ainsi, même si, à part Philémon, les lettres de Paul ne présentent pas autrement les caractéristiques des lettres de recommandation, les motifs y relatifs sont bien présents. Par la mise en œuvre d’une stratégie pragmatique toute orientée sur la mise en lien de Paul avec ses communautés, ils remplissent indéniablement une fonction éminemment phatique. 3.2.8 Bilan Le nombre important de ces données confirme combien le recours aux ressources de l’art épistolaire antique résulte d’un choix positif de la part de l’apôtre. Les lettres ne sont pas des pis-aller destinés à combler autant que faire se peut l’absence du missionnaire itinérant dans les communautés qu’il a fondées. L’impasse à laquelle a abouti l’analyse rhétorique de ses lettres le confirme elle aussi. Les canons de la rhétorique antique permettent certes de mettre en évidence tant la rigueur que la complexité de l’argumentation de Paul et la finesse de son utilisation des figures de style, mais peinent à rendre compte spécifiquement du geste épistolaire paulinien en tant que tel. Les bilans de l’analyse rhétorique des lettres de Paul dans les années 1990 mettaient déjà le doigt sur cette difficulté en s’interrogeant sur les résultats contradictoires donnés par l’utilisation de cette nouvelle méthode, déjà rien qu’au niveau de l’effort de classification des lettres selon les trois genres d’éloquence. La diversité offerte par le corpus des lettres du Tarsiote non seulement offre une illustration du caractère avéré de la souplesse d’utilisation du médium épistolaire, mais aussi témoigne du génie créatif et de l’autorité de Paul. Ce dernier, bien que bénéficiant de nombreuses ressources (secrétaires co-auteurs, porteurs de lettres et/ou de nouvelles personnelles, collaborateurs proches, etc.), reste le patron de la mise en œuvre de son action de missionnaire itinérant dans les villes et les contrées d’Asie Mineure et du bassin méditerranéen. Concernant l’analyse du paramètre rhétorique lié à la mise en œuvre de sa pratique de la correspondance engagée, on se ralliera à la conclusion de Jerome Murphy O’Connor, selon laquelle « Paul écrivait des lettres, pas des discours. Il 57. P. A rzt‑Grabner , Philemon,  Göttingen,  2003, p.  59-61.

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n’avait pas pour préoccupation première de composer des vitrines où exposer ses compétences en rhétorique » 58. La préoccupation première du Tarsiote reste la volonté avérée, comme le montre notre analyse du paramètre rhétorique, d’utiliser les moyens disponibles à l’époque permettant de contribuer efficacement à sa stratégie missionnaire à l’intention de ses communautés. Nous rejoignons ainsi pleinement le constat posé par Régis Burnet, à l’occasion d’un bilan récent de ses recherches : L’affirmation voyant dans la lettre un substitut imparfait de l’évangélisation orale mérite d’être révisée. L’apôtre Paul indique lui-même qu’il envisage la lettre comme un choix positif qui lui permet de transmuter la tristesse d’une entrevue tumultueuse en une joie et en une preuve de l’amour qu’il porte à ses communautés. En outre, l’ampleur des ressources textuelles qu’il met en œuvre pour faire de ses écrits des vecteurs de sa présence – et partant de son autorité – en fait des œuvres profitables, bien éloignées des pis-aller dans lesquels veut les enfermer une vision pessimiste de l’usage épistolaire 59.

Ces données confirment que le geste épistolaire paulinien ne relève pas seulement de l’évidence du besoin de communiquer à distance, mais aussi d’une volonté avérée de déployer des convictions de façon à agir sur ses destinataires et provoquer du changement. Il convient maintenant de considérer un argument théologiquement de poids à l’œuvre dans les lettres de Paul, à savoir l’investissement d’une posture prophétique pour légitimer sa transmission d’une parole d’autorité, à l’instar de Jérémie, par « celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé (καλέσας) par sa grâce (et qui a) jugé bon de révéler (ἀποκαλύψαι) en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens (εὐαγγελίζομαι αὐτὸν ἐν τοῖς ἔθνησιν) » 60. 3.3 L a

pos t u r e proph ét iqu e de

Pau l

de

Ta r se

3.3.1 L’apôtre Paul et le prophétisme biblique Précédemment, il a été question de repérer, parmi ce qu’on connait aujourd’hui au sujet des pratiques à l’origine du geste épistolaire paulinien, les modèles d’autorité pragmatiquement à l’œuvre. Au sein des lettres de la Diaspora, on a identifié et décrit un cas de déploiement effectif de postures d’autorité d’épistolier, celle de Jérémie ou celle de son compagnon Baruch. L’un comme l’autre s’adresse à distance aux exilés. Le facteur déclenchant 58. J. Murphy O’Connor, Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p.  117. 59.  R.  Burnet, Habilitation à diriger des recherches, Tours, 2013, p. 23. 60.  Ga 1,14-15.

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de ce déploiement est donné par le spectaculaire précédent de l’oracle aux exilés, médiatisé par le rouleau expédié par le prophète et lu aux exilés rassemblés pour l’entendre. L’argument principal repose sur le fait qu’une série de témoins atteste de l’existence à son sujet d’une histoire de la réception. Celle-ci a permis de valider en particulier l’hypothèse de la posture d’épistolier prise par le prophète Jérémie, s’adressant à la communauté des Judéens exilés loin de la mère patrie et dont il est géographiquement séparé. Ces résultats amènent à se demander jusqu’où Paul a recours aux éléments traditionnels constituant la posture prophétique. Dans quelle mesure prend-il la parole en convoquant initialement l’autorité divine ? L’argument, au sein des lettres de la Diaspora, du modèle de la posture épistolaire de type prophétique est digne d’intérêt pour notre enquête, dans la mesure où les lettres de Paul et les Actes des Apôtres témoignent d’un intérêt certain pour l’autorité prophétique en général, et pour celle de Jérémie en particulier. Trois constats permettent de l’établir d’emblée. Premièrement, le rôle de l’autorité prophétique est indéniable, comme en témoigne un texte clé comme l’adresse et la salutation de la Lettre aux Romains (Rm 1,1-5), qui a valeur de prologue programmatique pour l’entier de la lettre 61, voire même plus si on considère celle-ci comme le testament théologique de Paul, comme le confirme l’exceptionnelle histoire de la réception de ce texte célèbre, notamment dans la théologie d’Augustin, les œuvres fondatrices des réformateurs Martin Luther 62 et Jean Calvin et, au XXe siècle, dans les années 1919-1922, dans le déploiement qu’en fait Karl Barth pour fonder sa théologie dialectique 63. La recherche reconnaît généralement qu’il s’agit de la seule lettre connue du Tarsiote écrite à une communauté – ou plutôt à un réseau de communautés – qu’il ne connaît pas encore personnellement. Ce dernier s’y présente de manière théologiquement appuyée, à savoir comme « serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre, mis à part pour annoncer l’Évangile de Dieu. Cet Évangile qu’il avait déjà promis par ses prophètes dans les Écritures saintes concerne son Fils, issu selon la chair de la lignée de David » (Rm 1,1-2a). 61.  « The prologue (Rom 1:1-5) constitutes a comprehensive summary of Paul’s understanding of the gospel of Jesus-Christ and his own role in the cosmic drama in which he finds himself deeply involved », M. Zetterholm, Approaches to Paul. A Student Guide to Recent Scholarship, Minneapolis, 2009, p.  3. 62. « Cette épître est la véritable pièce maîtresse du Nouveau Testament et l’Évangile sous sa forme la plus pure. Elle mérite et elle vaut bien la peine qu’un chrétien la connaisse non seulement par cœur mot à mot, mais qu’il s’en serve chaque jour comme du pain quotidien de l’âme », M. Luther , Préfaces à la Bible (Œuvres. Tome XX), Genève, 2018, p. 205. 63.  Voir F. Vouga, « L’Épitre aux Romains » dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 181.

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Deuxièmement, la Lettre aux Galates témoigne du fait que Paul comprend et décrit sa vocation d’apôtre de Jésus-Christ de manière analogue à celle de Jérémie. Paul prend une posture prophétique dans la mesure où il se considère comme un appelé de Dieu, choisi et mis à part pour parler aux siens, à l’instar du prophète. Paul est appelé par Dieu et son Évangile est le fruit d’une révélation divine, comme jadis ce fut le cas pour les prophètes Jérémie (Jr 1,5) et Ésaïe (Es 49,1) : « mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l’annonce parmi les païens » (Ga 1,15). Comme le fait remarquer Régis Burnet, « l’apostolat est le résultat d’une vocation décrite comme le pendant de la vocation prophétique. Apostolat, apôtre et Évangile ont bien même origine »  6 4 . Troisièmement, dans la crise corinthienne, dont la séquence 2 Corinthiens 10-13 témoigne de son paroxysme, Paul légitime son argumentation théologique par un enseignement de Jérémie sur le Seigneur comme seul, juste et exclusif motif de glorification pour l’homme (à partir de Jr  9,2223). Cette affirmation de principe sert de ligne directrice à toute l’argumentation 65. Cet argument est par ailleurs bien connu des Corinthiens puisqu’il a déjà fait l’objet d’un même recours destiné à légitimer théologiquement l’argument de Paul en 1 Corinthiens 1,30-31 sur le thème fondateur des rapports entre sagesse et folie 66. Dans cette première citation, cette parole est convoquée pour fonctionner comme argument scripturaire (καθὼς γέγραπται) et donc peut être considérée comme une citation de Jérémie 67. La reprise de cette citation sous forme d’allusion 68 en 2 Corinthiens 10,17 atteste du fait que cette parole devait être bien connue des Corinthiens. La récurrence de cette citation laisse penser que Paul les appelle à se rappeler des enseignements précédents. Comme telle, la pertinence de l’hypothèse d’une reprise par Paul de la posture d’épistolier de Jérémie est difficile à établir formellement, faute d’indices intertextuels explicites. Dans le corpus des lettres de Paul, on ne trouve pas de citation tirée de Jérémie  29,1-23. On n’y rencontre pas 64. R. Burnet, « La notion d’apostolicité dans les premiers siècles », Recherches de science religieuse 103/2 (2015), p.  194. 65. Voir notre section 4.2.5  : «  De la crise de la communication à la communication de crise (2 Co 10-13) ». 66.  Cette dernière repose (en 1 Co 1,19) sur un autre argument scripturaire prophétique, tiré d’Ésaïe (Es 29,14) : « car il est écrit (γέγραπται γάρ) : “je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents” ». 67. A. R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p. 211. 68.  En 2 Co 10,17 la citation « ὀ δὲ καυχώμενος ἐν κυρίω καυχάστω » n’est pas introduite par la formule « καθὼς γέγραπται ».

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non plus de mention ou d’allusion au prophète ou à son secrétaire Baruch s’adressant aux exilés. Pour évaluer la pertinence de l’hypothèse selon laquelle Paul s’inspirerait de la posture du prophète Jérémie s’adressant épistolairement aux exilés, il convient de procéder à un examen approfondi des indices textuels, des indices théologiques et des indices pragmatiques en lien avec la figure ou des paroles du prophète telles qu’on peut les retrouver, retranscrites et retravaillées, dans le Livre de Jérémie. Dit autrement, il s’agit de revisiter toutes les données susceptibles de fournir des éléments significatifs de réponse à la question, certes un peu basique, d’Éric Morin, auteur d’une étude sur la fonction herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens : « Paul a-t-il vraiment lu Jérémie 69 ? ». 3.3.2 Paul et Jérémie : quelques remarques sur l’état de la recherche Peu de chercheurs se sont penchés sur les liens possibles entre la pragmatique épistolaire paulinienne et la posture d’épistolier du prophète Jérémie à l’origine de la tradition des prophètes Jérémie ou Baruch s’adressant aux exilés 70. Deux types d’approches, complémentaires l’une de l’autre, ont été développées : d’une part, une approche théologique comparative, centrée essentiellement sur les phénomènes d’intertextualité, cherchant à analyser l’emploi et le traitement réservé par Paul aux paroles prophétiques de Jérémie 71 et, d’autre part, une approche plus spécifiquement cen69.  É.  Morin, Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34). Le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens,  Pendé, 2009, p.  27. Cette question est à nuancer, tenant compte du fait que Paul, de par sa formation de pharisien, a étudié et appris les Écritures, en particulier les prophètes : « Les prophètes font alors l’objet d’une très grande vénération de la part des pharisiens […]. Cet intérêt témoigne de l’intense espérance eschatologique qui anime le milieu pharisien entre toutes les sectes juives » (M.-F. Baslez, Saint Paul : artisan d ’un monde chrétien, Paris, 2008, p. 52). La mémoire jouait un rôle important aussi, lié à l’apprentissage de l’écriture, d’où l’usage assez libre de la citation scripturaire. 70.  Pour se faire une idée de la manière dont les prophètes étaient perçus au 1er siècle de notre ère, voir l’étude de K. O. Sandnes , Paul – One of the Prophets ? A Contribution to the Apostle’s Self-Understanding, Tübingen, 1991 (en particulier les p. 21-47*). Il signale l’intérêt de considérer le cas de l’Éloge des Pères, dans le Livre du Siracide (Si 44-50), qui fournit un point de repère dans ce sens. La section consacrée à Jérémie (Si 49,6-7) mentionne trois éléments-clé. Premièrement, la destruction de Jérusalem confirme l’accomplissement de la prophétie de Jérémie. Deuxièmement, Jérémie a été appelé « dès le sein de sa mère » et, troisièmement, sa vocation est de « déraciner, détruire et faire périr, mais aussi (de) bâtir et planter ». Sandnes constate combien, du temps de Paul, ce sont les figures des prophètes Ésaïe et Jérémie qui sont les plus prépondérantes. 71. P. H an, Swimming in the Sea of Scripture. Paul ’s Use of the Old Testament in 2 Corinthians 4:7-13:13, Londres – New Delhi – New York – Sydney, 2014 ;

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trée sur le genre littéraire de la lettre judéenne de Diaspora comme clé de compréhension des lettres de Paul. La deuxième est très utile pour notre enquête, car elle aborde la question des racines prophétiques à la lumière de la question de Jérémie et des lettres de la Diaspora issues du judaïsme ancien, qui sont susceptibles de permettre de mieux comprendre le genre des lettres de Paul 72 . Cette approche s’intéresse particulièrement à la lettre comme moyen pragmatique d’action communautaire à distance, à l’instar des lettres de la Diaspora 73. En ce qui concerne la première approche, on dispose de l’étude d’Éric Morin, qui se livre à une analyse théologique de la relecture par Paul de la figure du prophète Jérémie. Son optique est certes confessionnelle 74 , mais son analyse présente l’avantage de fournir un inventaire exhaustif des citations de Jérémie dans le corpus des lettres pauliniennes réputées authentiques. Morin part du constat que tant Jérémie que Paul sont les seuls auteurs bibliques à déployer une réflexion sur la notion de nouvelle alliance, d’où la perspective de chercher à mettre en évidence la D.  Sänger (éd.), Der Zweite Korintherbrief : literarische Gestalt, historische Situation, theologische Argumentation : Festschrift zum 70. Geburtstag von Dietrich-Alex Koch, Göttingen, 2012 ; É. Morin, Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance, Jr 31,31-34 : le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens, Pendé, 2009 ; A.  R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p. 207-216 ; G. R. O’Day, « Jeremiah 9:2223 and I Corinthians 1:26-31. A Study of Intertextuality », Journal of Biblical Literature 109 (1990), p.  259-267 ; H.  Rusche, « Zum “jeremianischen” Hintergrund der Korintherbriefe », Biblische Zeitschrift 31 (1987), p.  116-119. 72. L. Doering, « Jeremiah and the “Diaspora Letters” in Ancient Judaism : Epistolary Communication with the Golah as medium for Dealing with the Present », dans K. De Troyer – A. L ange (éd.), Reading the Present in the Qumran Library. The Perception of the Contemporary by Means of Scriptural Interpretations, Leiden – Boston, 2005, p. 43-72. 73. U. M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief », dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Mohr Siebeck, Tübingen, 2006, p. 353-380 ; I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums, Fribourg – Göttingen, 1991, p. 46-56. 74. L’étude d’Éric  Morin est motivée par une lecture confessionnelle, sacramentelle et pastorale : « cette lecture est une quête de la nouveauté introduite par Jésus-Christ. Elle est portée par des interrogations personnelles que provoquent les paroles de la consécration sur la coupe eucharistique. Elle est également poussée par des exigences missionnaires : pour proposer la Bonne Nouvelle à nos contemporains, il convient que chaque génération se laisse réinterroger au sujet de cette nouveauté afin de savoir la dire », Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34). Le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens,  Pendé, 2009, p.  5.

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manière dont Paul s’inspire, transforme et actualise cette notion centrale visiblement empruntée à Jérémie. Il examine en particulier l’entier de la correspondance corinthienne, dont la théologie de l’alliance nouvelle est revisitée herméneutiquement à la lumière de l’oracle de Jérémie 75. L’analyse exégétique comparative lui fournit des éléments historiques, théologiques et littéraires probants « permettant d’établir un portrait de Paul lecteur de Jérémie » 76. Son argument historique, à partir des travaux de Jacob Neusner 77, repose sur le fait que les milieux pharisiens affichaient une nette préférence pour le prophète Jérémie. La deuxième approche a été développée notamment par Lutz Doering. Il part de l’intuition de Klaus Berger selon laquelle la recherche sur les modèles à l’origine des lettres des premiers chrétiens ne doit s’intéresser en priorité ni à la lettre privée sur papyrus de la culture hellénistique, ni au modèle de la lettre gréco-romaine d’amitié, mais bien au contraire au discours prophétique de révélation 78. La connexion avec les données 75. « Des jours viennent – oracle du Seigneur – où je conclurai avec la communauté d’Israël – et la communauté de Juda – une nouvelle alliance. Elle sera différente de l’alliance que j’ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d’Égypte… » (voir Jr 31,31-34 ; ici Jr 31,31-32a). 76. É. Morin, Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34). Le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens, Pendé, 2009, p.  399. 77. É. Morin (dans Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34). Le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens,  Pendé, 2009, p.  60-76, citation ci-dessous p.  61) s’appuie sur la biographie de Yohanan ben Zakkai de J. Neusner (A Life of Rabban Yohanan ben Zakkai. Ca 1-80 CE, Leiden, 1962) et prend pour acquis que le judaïsme se reconstitue autour du pharisaïsme à Yavné, suite à la rencontre entre l’empereur Vespasien et Yohanan ben Zakkai, « ce pharisien, dont on peut dire qu’il fonda, avec quelques autres, le rabbinisme, s’était opposé à la révolte contre les Romains ; il avait pressenti qu’elle serait vouée à l’échec. Il parvint à s’échapper de Jérusalem avant la chute de la ville et obtint de l’empereur Vespasien l’autorisation de fonder un centre spirituel à Yavné. Cet épisode fondateur du rabbinisme postérieur à la chute du Temple est narré deux fois dans le Talmud ». Cette position historique n’est plus tenable à l’heure du débat sur la séparation des voies (Parting of the ways) et l’émergence d’un judaïsme de type synagogal majoritaire à côté de deux mouvements minoritaires, le judaïsme pharisien et le judaïsme chrétien. À ce sujet, voir le développement par J.  Costa (« Qu’est-ce que le “judaïsme synagogal” ? », Judaïsme Ancien 3 (2015), p. 63-218) de l’hypothèse des trois judaïsmes – judaïsme rabbinique, judaïsme chrétien et judaïsme synagogal – systématisée par S. C. M imouni dans Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p.  475-505 et p.  592-566. 78. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 378. L. Doering cite ici l’intuition programmatique de K. Berger : « Zur Deutung frühchristlicher Briefe darf man sich weder besonders auf private hellenistische Papyrusbriefe stützen noch einseitig auf den “Freundschaftsbrief ” ; vermeidet man eine einseitige Herleitung, so wird man auch beachten müssen, welsche Rolle literarisch fixierte Rede theologisch verbindlicher Autoritäts-

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épistolaires judéennes, en particulier avec la tradition des lettres de Jérémie écrivant aux exilés comme prototypes de celles de la Diaspora a été mise en évidence par Irene Taatz. Dans son analyse du genre et de la fonction des lettres de la Diaspora, elle aboutit à la conclusion que cellesci fonctionnent toutes comme « moyens de conduite communautaire » (Gemeindeleitung) 79. Les résultats et le dossier des sources sont repris et développés par Ulrich Mell, qui s’emploie à en tirer spécifiquement les conséquences pour préciser le genre et la fonction épistolaires de la Lettre aux Galates 80. Ce dossier est repris et développé par Lutz Doering, qui soutient qu’il faut distinguer deux sous-ensembles parmi les lettres de la Diaspora 81. Il y a, d’une part, celles s’inscrivant dans le sillage de la lettre de Jérémie aux exilés et dont la préoccupation est d’évaluer la pertinence du motif de l’exil comme clé de compréhension de la situation problématique présente. La discussion porte en particulier sur les enjeux relatifs à la vie en exil et aux perspectives de retour et/ou de réunification des exilés. Il y a, d’autre part, celles attribuées aux communautés judéennes (de la Diaspora ou de Judée) et/ou à leurs autorités dirigeantes de Jérusalem. Celles-ci sont consacrées à des questions rituelles ou calendaires et elles relèvent plutôt du genre de la lettre administrative. Elles visent à régler des questions rituelles internes et non pas à analyser le caractère périlleux de la situation présente à la lumière des leçons douloureuses du passé, en particulier celle de la destruction de Jérusalem et de la déportation à Babylone. figuren im Judentum (Prophetenbrief, Testament, Apokalypse) für die Konzeption gerade von Apostelbriefen hat » (K. Berger : « Apostelbrief und apostolische Rede. Zum Formular frühchristlichen Briefe », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 65 (1974), p.  190-231, citation p.  231). 79.  « Die Notwendigkeit der Wahl des Briefes als Mittel der Gemeindeleitung und zur Gewahr der Einheit lag für Paulus in erster Linie in seiner häufigen Abwesenheit von den Gemeinden (vgl. II Kor 13 ; Gal 4,18-20 » I. Taatz, Frühjüdische Briefe. Die paulinischen Briefe im Rahmen der offiziellen religiösen Briefe des Frühjudentums,  Fribourg – Göttingen, 1991, p.  111. 80.  Le caractère éminemment pragmatique de cette manière épistolaire de procéder en fonction de l’absence et de la distance est à remarquer : « Paulus, der Aufgrund der bereits unter der galatischen Christenheit Zustimmung gewinnenden Judaisten seinen Missionserforlg in Galatien insgesamt bedroht sieht, gibt die Form des frühjüdischen Gemeindeleitungsbriefes Gelegenheit, sich als bleibende Leitungsinstanz gegenüber seinen Missionsgemeinden zu institutionalisieren und mittels Briefform seine (erzwungene) personale Abwesenheit von Galatien über eine Alsob-Anwesenheit so zu kompensieren, dass sein thora-unabhängiges Evangelium in rhetorischer Gestalt als christliche Gemeindeleitung via Gal öffentlich zur Geltung kommt », U.  M ell, « Der Galaterbrief als urchristlicher Gemeindeleitungsbrief » dans D. Sänger – U. M ell (éd.), Paulus und Johannes, exegetische Studien zur paulinischen und johanneischen Theologie und Literatur, Tübingen, 2006, p.  379-380. 81. L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 430-434.

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Selon Doering, les lettres de la Diaspora constituent un ensemble se caractérisant davantage par le partage d’un certain nombre de thématiques et de préoccupations communes que par le recours à un formulaire épistolaire spécifique. Ces lettres, sur le plan théologique, visent à profiler trois dimensions importantes : (1) l’unité du peuple de Dieu, résidant en divers lieux, de par son élection divine ; (2) la fidélité du Dieu de l’alliance et ses actions salvifiques ; (3) l’obligation faite au peuple de pratiquer la Loi et d’observer ses commandements. Sur le plan épistolaire, elles partagent un certain nombre de traits communs, à savoir : (1) une attribution à un émetteur faisant dûment autorité ; (2) l’écho d’une communication effective entre Judéens, Israélites ou Judéens décrits comme vivant loin de Jérusalem et constituant une collectivité d’une ampleur certaine (une contrée ou un pays), et donc, relevant du genre et de la forme de la lettre quasi officielle ; (3) un accent sur la cohésion unissant entre eux les membres du peuple de Dieu, tant dans la mère-patrie qu’au loin et enfin, une composante pragmatique non négligeable, à savoir (4) une mise en tension avec l’autorité à l’égard de l’auteur (implicite), générant ainsi une conscience auctoriale (chez le lecteur implicite), laquelle rejoint les destinataires dans leur réalité afin de leur fournir une orientation. Doering souligne enfin qu’il n’est pas adéquat de cloisonner de manière étanche les réalités entre les racines épistolaires judéennes de ces pratiques et les reprises faites par Paul en fonction de ses orientations stratégiques 82 . 3.3.3 La figure du prophète Jérémie dans les lettres de Paul et dans les Actes des apôtres Pour évaluer la pertinence de la figure du prophète Jérémie comme clé de compréhension du geste épistolaire paulinien et, plus précisément, de la manière dont ce dernier a investi sa posture d’épistolier, il convient, d’une part, de confronter la posture du prophète prenant la parole avec le geste épistolaire du Tarsiote et, d’autre part, de passer en revue l’inventaire des allusions explicites ou implicites que Paul fait de Jérémie. Par allusion explicite nous entendons les citations dûment introduites par une des formules usuelles signalant une citation de textes tirés en particulier de la Loi et les prophètes (καθὼς γέγραπται) 83. En ce qui concerne les allusions

82. « Moreover, it should be evident from recent debate that “Jewish” and “Christian” do not denote firm entities and clear-cut oppositions in the 2nd half or the end of the 1st century, with which we are dealing here », L. Doering, Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 434. 83. Pour un inventaire des formules d’introduction aux citations, voir O. M ichel, Paulus und seine Bibel, Darmstadt, 1972, p.  72.

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implicites, on peut faire une nuance entre allusion et écho thématique 84 . L’examen de ces sources permettra de clarifier le rôle joué par la figure de Jérémie dans la pensée et dans la pratique épistolaire de Paul. En ce qui concerne le geste épistolaire, dans la salutation de la Lettre aux Romains, Paul présente son action de prédicateur de l’Évangile en l’inscrivant dans le sillage de la promesse messianique des prophètes, telle que consignée en bonne et due forme dans les livres prophétiques. Dans cette lettre, destinée à une communauté qu’il ne connaît pas encore, « l’Évangile » que Paul annonce fait en effet explicitement référence à la promesse des prophètes : « cet Évangile, qu’il avait déjà promis par ses prophètes dans les Écritures saintes, concerne son Fils. Issu selon la chair de la lignée de David, établi selon l’Esprit saint, Fils de Dieu avec puissance par sa Résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur » (Rm 1,2). Cet Évangile promis par les prophètes trouve son accomplissement « avec puissance » par la « résurrection d’entre les morts » de « Jésus le Christ notre Seigneur » (Rm 1,4) ; c’est « par lui [que] nous avons reçu la grâce d’être apôtre pour conduire à l’obéissance de la foi, à la gloire de son nom, tous les peuples païens » (Rm 1,5). Le caractère particulier de cette salutation, unique en son genre dans sa manière de positionner la proclamation de l’Evangile dans le giron prophétique d’Israël 85 – en comparaison des salutations présentes dans les autres lettres réputées authentiques du Tarsiote – est remarquable car elle permet pleinement à Paul de légitimer prophétiquement son autorité d’épistolier. Paul inscrit sa prise de parole à distance dans le sillage de la promesse messianique des prophètes, à savoir précisément la promesse d’un « Fils issu selon la chair de la lignée de David », (Rm 1,2), consignée telle quelle de son point de vue « dans les Écritures saintes » (Rm 1,2). Il convien84. A. R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p.  209-210 (voir les notes 10 et 11 à la p.  210). Dans cette contribution, il est proposé de distinguer entre citation, allusion et écho à la suite des travaux de R. B. H ays (Echoes of Scripture in the Letters of Paul, New Haven – Londres, 1989, p. 29-31), lequel distingue sept critères permettant de distinguer l’écho de l’allusion (availability, volume, recurrence, thematic coherence, historical plausibility, history of interpretation, satisfaction). Comme le signale A. R akotoharintsifa, R. B. H ays hésite avec raison à trancher franchement entre allusion et écho car la nuance entre les deux est plutôt du genre subjectif. À notre avis, la nuance entre allusion explicite et allusion implicite est plus opérante (A. R akotoharintsifa traite allusion et écho ensemble dans son étude sur Jr dans 1 Co) et la reprise en 2 Co 10,17 de la citation de 1 Co 1,31 permet de nuancer entre écho et allusion. Nous proposons de garder la typologie allusion explicite (citation, ainsi 1 Co 1,31), allusion implicite (ainsi 2 Co 10,17) et écho. 85. Voir K. O. Sandnes , Paul – One of the Prophets ? A Contribution to the Apostle’s Self-Understanding, Tübingen, 1991, p.  146-153.

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dra d’y revenir et d’examiner en particulier cette question à la lumière des recherches récentes relatives au débat actuel sur la place de Paul dans le judaïsme 86. Il convient aussi de remarquer que dans Rm, la thèse initiale (propositio) est légitimée par un argument scripturaire d’autorité prophétique. La thèse sur la justice de Dieu : « je n’ai pas honte de l’Évangile : il est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif d’abord, puis du Grec. C’est en lui en effet que la justice de Dieu est révélée par la foi et pour la foi » (Rm 1,16-17a) se trouve être immédiatement confirmée par une parole du prophète Habaquq : « selon qu’il est écrit : Celui qui est juste par la foi vivra » 87 (Rm 1,17b). Dans 2 Co, on trouve un procédé analogue. La thèse initiale sur le « langage de la croix » est, elle aussi, légitimée par un argument scripturaire prophétique, tiré cette fois d’Ésaïe : « le langage de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu. Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l ’intelligence des intelligents » 88 (1  Co  1,18-19). Ainsi, en Romains et 1 Corinthiens, la posture d’autorité de l’épistolier prenant la parole à distance est légitimée par la parole prophétique dûment consignée dans leurs écrits. Dans les autres lettres réputées authentiques, on ne rencontre pas de cas de figure aussi net. Cela s’explique par le fait, d’une part, que sont les deux grandes lettres dont l’intégrité littéraire est généralement bien admise, contrairement à 2 Corinthiens, et, d’autre part, que les autres lettres plus petites en taille (1 Th, Ga, Ph et Phm), agencent leur argumentation de manière différente. En ce qui concerne les allusions à Jérémie, il convient, d’une part, de traverser le corpus des lettres de Paul et de celles écrites dans son sillage et, d’autre part, de considérer ce dont témoignent les Actes des Apôtres 89. Il s’agit ici de passer en revue les citations, allusions et échos 90. On peut 86. S. Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 2014 (94/3), p.  253-273, en particulier les p.  266-269, dans lesquelles est discutée l’hypothèse selon laquelle la Lettre aux Romains constituerait en fait une « retractatio d’un antijudaïsant » : « à l’aide de Romains, l’apôtre s’interprète lui-même, conscient des effets problématiques, pour ne pas dire désastreux, de sa polémique antijudaïsante développée à l’occasion de la crise galate » (p. 267). 87.  Ha 2,4. 88.  Es 29,14. 89.  Voir, en particulier, sur la question de la réception de la figure de Paul, D.  M arguerat (éd.), Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009. Voir également E.  Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der frühchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster Westphalen, 1979. 90.  Voir le tableau d’ensemble des citations et allusions réalisé par Éric Morin dans Paul et les Corinthiens face à l ’oracle de la Nouvelle Alliance (Jr 31, 31-34). Le rôle herméneutique de la figure de Jérémie dans les lettres de Paul aux Corinthiens,  Pendé, 2009, p.  449.).

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regrouper ces citations selon cinq entrées : (1) dans la correspondance corinthienne ; (2) dans la Lettre aux Galates ; (3) dans la Lettre aux Romains ; (4) dans les Actes des Apôtres et (5) dans le corpus des lettres deutéro-pauliniennes. En 1 Corinthiens 1,31, on trouve la citation de Jérémie  9,22-23, réarrangée de manière synthétique (« que celui qui s’enorgueillit, s’enorgueillisse dans le Seigneur »), mais dûment légitimée comme citation par la formule usuelle d’introduction (καθὼς  γέγραπται). Cette citation occupe une place autant centrale que remarquable dans l’argumentation initiale de la lettre. Elle légitime, en effet, la finalité (ἵνα) que Paul assigne à sa prédication sur la juste manière de comprendre la vraie nature du « langage de la croix (ὁ  λόγος γὰρ ὁ τοῦ σταυροῦ) » (1,18), ceci en faisant notamment éclater les antithèses usuelles (sagesse-folie, salut-perdition, pouvoir-faiblesse) en binômes induisant un changement de perspective (sagesse-faiblesse, salut-faiblesse, puissance-faiblesse). L’argument scripturaire fait ici office de confirmation d’autorité : la justesse de l’orgueil s’évalue en fonction de sa finalité ultime (ἐν  κυρίῳ) 91. Cet argument sert également de socle dans le traitement du problème des divisions au sein des groupes constituant la communauté corinthienne et ses conséquences pour la prédication de l’apôtre (1 Co 1,10-14,13). En 2 Corinthiens 3,1-3 : dans le développement de la question d’être rendus capables, par l’action divine, de devenir « ministres d’une Alliance nouvelle (ὃς καὶ ἱκάνωσεν ἡμᾶς διακόνους καινῆς διαθήκης) » (v.  6), Paul précise que « notre lettre [de recommandation, cf. v.1] c’est vous » (v. 3). Il déploie son argumentation par une opposition entre « lettre écrite avec de l’encre sur des tables [plaques] de pierre  (ἐν πλαξὶν λιθίναις) », en référence aux Tables de la loi, et « lettre écrite avec l’esprit du Dieu vivant, sur des tables [plaques] de cœurs charnels (ἐν πλαξὶν καρδίαις σαρκίναις) », en référence à l’Évangile. Par l’allusion à la loi écrite dans les cœurs, Paul reprend le motif de l’inscription dans les cœurs cher à la thématique théologique de la nouvelle alliance chez Jérémie (Jr 31,31-34) : les commandements de la Loi sont dorénavant inscrits dans l’être intime, intérieur de l’homme. Cet argument scripturaire atteste de l’importance du thème de la nouvelle alliance chez Jérémie, respectivement chez Paul. Ce dernier déclare que la nouvelle alliance telle que Jérémie l’a annoncée est réalisée en Jésus-Christ. Dans 2 Corinthiens 10-13, on trouve notamment les données suivantes : – 10,5b  : «  faire captive toute pensée (hostile) à l’obéissance en Christ ». Le verbe αἰχμαλωτίζω a une signification négative, qu’on 91.  Voir nos sections 4.2.5.3 « Καυχάομαι » et 4.2.6.2 « Le fondement  (2 Co 10,7-18) ».

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trouve aussi en Romains 7,23. Dans la Septante, ensemble avec le verbe ἀποικίζω et les substantifs αἰχμαλωσία et ἀποικεσία, ils renvoient à la déportation à Babylone 92 . 10,8 : « Et même si je suis un peu trop fier du pouvoir que le Seigneur nous a donné pour votre édification (εἰς οἰκοδομὴν), et non pour votre ruine (καὶ οὐκ εἰς καθαίρεσιν), je n’en rougirai pas ». Le couple édification-ruine provient du récit de la vocation de Jérémie (Jr 1,10) et, quant à l’autorité que Paul et ses compagnons ont reçu du Seigneur, il est rappelé que cette dernière provient de Dieu (ἧς ἔδωκεν ὁ κύριος) 93. 10,17 : on retrouve la citation, sous le mode d’une allusion implicite, de Jérémie  9,22-23. On est en droit de supposer que celle-ci est déjà bien connue des Corinthiens, suite à sa fonction argumentative explicite en 1 Corinthiens 1,31, où elle remplit une fonction analogue de légitimation scripturaire en 1 Corinthiens 1-4. Paul complète l’allusion en la faisant immédiatement suivre d’un commentaire (v. 18) ; cette citation fonctionne comme preuve scripturaire légitimant l’argument et la légitimité de son apostolat 94 . 12,2a : la mention des 14 années (πρὸ ἐτῶν δεκατεσσάρων) fait penser à la pratique des prophètes situant historiquement leur vocation en donnant une date (Es 6,1 ; Jr 1,2 ; Ez 1,1) 95. 13,10 : « c’est pourquoi, étant encore loin, je vous écris ceci pour ne pas avoir, une fois présent, à trancher dans le vif selon le pouvoir que le Seigneur m’a donné pour édifier et non pour détruire (εἰς οἰκοδομὴν καὶ οὐκ εἰς καθαίρεσιν) » Avec le couple édifier-détruire, Paul fait écho à la vocation de Jérémie comme en 2 Corinthiens  10,8b (Jr LXX 1,10 ; 24,6 ; 31,28) ; ces deux références à l’autorité

92.  Voir dans la Septante 2 Ch 6,38 ; Ne 7,6 ; Est 2,6 ; Jr 1,3 ; Ez 1,1 ; Dn 2,25, etc., selon L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p.  298. 93.  « Cette autorité, dont la description est inspirée de Jérémie, décrit la mission d’un apôtre » (L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 306. Voir dans la Septante Jr 1,10 ; 24,6 ; 31,28. 94.  Voir notre section 4.2.6.2 « Le fondement  (2 Co 10,7-18) ». 95.  Cette mention des 14 années « fonctionne sans doute comme une indication qui pointe clairement vers le tournant historique de sa vie et qui lui permet de ne pas tout expliciter » L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 401.

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apostolique sont fondées ici prophétiquement de manière analogue à celle de Jérémie 96. Dans la Lettre aux Galates (1,15), Paul déclare : « Mais, lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma mère et m’a appelé par sa grâce  (ὁ ἀφορίσας με ἐκ κοιλίας μητρός μου καὶ καλέσας διὰ τῆς χάριτος αὐτοῦ) ». Cette citation témoigne de la même façon de l’inscription de la posture de l’apôtre dans le sillage de celle du prophète. Le motif de la mise à part depuis la naissance couplé à celui de l’appel, fait explicitement écho, via le procédé de l’allusion implicite, au récit de la vocation de Jérémie (Jr 1,5). L’adresse de la Lettre aux Romains est la seule, dans le corpus des lettres pauliniennes, faisant référence explicitement à l’autorité prophétique pour légitimer l’autorité apostolique. Jerry Sumney rappelle que le motif de la rédaction de la lettre, bien qu’âprement débattu, traduit usuellement trois objectifs 97 : (1) la volonté de Paul d’inclure la communauté de Rome dans le cercle des communautés dont il se pose en représentant pour apporter la collecte à Rome et par là même placer la communauté de Rome sous son patronage apostolique, (2) préparer sa venue et s’assurer ainsi du soutien financier de la communauté locale pour ses projets futurs de mission en Espagne et (3) préparer doctrinalement le terrain au sujet des relations entre Judéens et païens croyant en Christ, en particulier en ce qui concerne la réintégration des Judéens qui avaient été chassés de Rome par l’empereur Claude. Il convient de signaler également la combinaison d’allusions à des citations de textes prophétiques en Romains 14,11 : « car il est écrit : “aussi vrai que je vis, dit le Seigneur, tout genou fléchira devant moi et toute langue rendra gloire à Dieu” » ; cet argument scripturaire (γέγραπται γάρ) combine des éléments de citations, tirées de la Septante 98. Enfin, la prépondérance des références au prophète Ésaïe est en tout point remarquable, comme le souligne par exemple Marie-Françoise Baslez : « Paul est nourri d’Isaïe, dont on ne compte pas moins de treize citations,

96.  « En vertu de celle-ci (à savoir l’ἐξουσία), les apôtres s’apprêtent en effet, dans la perspective jérémienne (cf. Jr 1,10 ; 31,28), à détruire tout ce qui s’oppose à l’οἰκοδομή de la communauté », L.  P.  M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 507. 97.  Voir J. L. Sumney, « Studying Paul’s Opponents : Advances and Challenges », dans S. E. Porter (éd.), Paul and his Opponents, Leiden – Boston, 2005, p. 7-58 (ici p. 12-13), lequel s’appuie sur les contributions publiées dans K. P. Donfried (éd.), The Roman Debate, Minneapolis, 1977 et sur la monographie de L.  A. Jervis, The Purpose of Romans : a Comparative Letter Structure Investigation, Sheffield, 1991. 98.  Jr 22,24 ; Es 49,18 ; Ez 5,11 ; Es 45,23.

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souvent commentées, dans la lettre aux Romains ; c’est aux prophètes qu’il empruntera le terme de “saints” pour désigner les fidèles du Christ » 99. Dans les lettres deutéro-pauliniennes, l’auteur de la Première lettre à Timothée formule l’exhortation suivante à ses destinataires : « Je recommande donc (παρακαλῶ), avant tout, que l’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce, pour tous les hommes, pour les rois et tous ceux qui détiennent l’autorité 100, afin que nous menions une vie calme et paisible en toute piété et dignité » (1 Tm 2,1-2). On peut entendre ici un écho, tout sauf anodin pour notre enquête, sur les racines prophétiques du geste épistolaire paulinien, à la lettre du prophète Jérémie aux exilés, quand il va jusqu’à demander qu’on prie pour une nation païenne (« Soyez soucieux de la prospérité de la ville où je vous ai déportés et intercédez pour elle auprès du Seigneur » Jr 29,7). Dans les Actes des Apôtres, dans le récit relatif à la visite de fondation à Corinthe, il est précisé : « Une nuit, le Seigneur dit à Paul dans une vision : “Sois sans crainte, continue de parler, ne te tais pas (μὴ φοβοῦ, ἀλλὰ λάλει καὶ μὴ σιωπήσῃς). Je suis en effet avec toi et personne ne mettra la main sur toi pour te maltraiter car, dans cette ville, un peuple nombreux m’est destiné” » (18,9-10). Ce récit de révélation d’une parole au cours d’une vision fait écho à la vocation de Jérémie : « partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis ; n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer – oracle du Seigneur » (Jr 1,8). Quant au motif de l’envoi vers les nations (« εἰς τὰ ἔθνη » Ac 13,46) 101, il s’inscrit également dans le même sillage vocationnel : « je fais de toi un prophète pour les nations » (Jr 1,5) et « sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes » (Jr 1,10a). 3.3.4 De Jérémie à Paul Répondre affirmativement à la question, posée par Éric Morin, de savoir si Paul a effectivement lu Jérémie relève de l’évidence. Comme pharisien, Paul était formé à l’étude de la Loi et les Prophètes, comme le confirme son argument autobiographique en Galates 1,13-14 102 . La référence, répétée 99.  M.-F. Baslez, Saint Paul : artisan d ’un monde chrétien, Paris, 2008, p. 52. 100.  Il s’agit du substantif ὐπεροχὴ (supériorité, prestige, avantage, autorité) et non pas de ἐξουσία. 101. On retrouve le motif de l’envoi vers les nations également en Ac 22,21 ; 26,17 ; 28,25-28. 102.  « Je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les tradtions de mes pères (καὶ προέκοπτον ἐν τῷ Ἰουδαϊσμῷ ὑπὲρ πολλοὺς συνηλικιώτας ἐν τῷ γένει μου, περισσοτέρως ζηλωτὴς ὑπάρχων τῶν πατρικῶν μου παραδόσεων) » (Ga 1,14).

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deux fois, au motif de la glorification dans le Seigneur atteste non seulement de la connaissance par Paul, évidente pour un pharisien, des écritures d’Israël, mais aussi de sa capacité de réinterprétation des textes. Le fait de légitimer sa vocation explicitement dans le sillage de celle de Jérémie le confirme indiscutablement. Selon Andrianjatovo Rakotoharintsifa : La présence de l’A.T. et d’autres textes fondamentaux du judaïsme ancien dans la pensée et les écrits de Paul ne se limite pas au niveau de la citation explicite des textes anciens, mais doit être cherchée dans les allusions, dans les métaphores, les jeux de mots évocateurs qui […] résonnent comme échos de l ’Écriture 103.

Sur le plan thématique, on notera – au crédit de notre hypothèse relative à la manière dont Paul s’inscrirait, en ce qui concerne sa posture d’épistolier, dans le sillage de l’autorité de Jérémie s’adressant aux exilés – les éléments suivants : (1) la présence de la sémantique de l’exil (cf. le vocabulaire militaire relatif à la captivité, la destruction et à la déportation) ; (2) la présence du couple sémantique planter-construire, largement présent dans Jérémie, en particulier dans l’injonction initiale de la lettre aux exilés : « construisez des maisons pour vous y installer, plantez des jardins pour vous nourrir de ce qu’ils produiront » (Jr 29,5) 104 . Nous avons affaire ici à une métaphore « faisant partie des métaphores centrales décrivant la mission du prophète » 105, son rapport à son travail de fondateur de communautés nouvelles et de sa légitimité à revendiquer la paternité de cet acte fondateur, à l’instar de la charte fondatrice de Jérémie s’adressant aux exilés. Cette indication est très importante, car elle permet d’établir la vraisemblance de notre hypothèse initiale relative à la légitimation prophétique revendiquée par Paul au travers de la pragmatique de sa communication épistolaire. Convient-il alors de considérer Paul comme « un nouveau Jérémie », à l’instar de Maurice Carrez, lorsqu’il estime que Paul s’est bel et bien com-

103. A. R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p.  209 (l’auteur souligne). 104.  Jr (LXX) 1,10 ; 18,7-9 ; 24,6 ; 38,28.38 ; 39,41 selon A.  R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p.  214-215. Cet inventaire ne mentionne pas la référence à l’injonction initiale de la lettre aux exilés (Jr 29,5). 105. A. R akotoharintsifa, « Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p. 214.

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pris comme tel 106 ? Cette affirmation est à nuancer quand on considère le fait que Paul argumente avec des paroles fortes de Jérémie ou fait simplement écho à son enseignement prophétique, par le biais de la pratique de la citation. Selon Andrianjatovo Rakotoharintsifa : « la citation, comme procédé littéraire apparemment banal, montre que Paul est conscient d’être précédé et interpellé, entre autres, par Jr : héritier des Écritures d’Israël et fondateur de communautés » 107. Paul, dans le sillage de Jérémie, conçoit son action de prédicateur itinérant parmi « les nations » comme une mission divinement inspirée, à l’instar des prophètes d’Israël 108. Appel dès la naissance (« dès le sein de ma mère ») et mission d’autorité (« bâtir et planter ») confirment bien comment et combien le geste épistolaire paulinien et son action de prédicateur itinérant, au sein de la Diaspora, s’enracinent dans la posture des grands prophètes écrivains de l’ancien Israël, en particulier dans celle d’Ésaïe et, en ce qui concerne notre enquête, dans celle de Jérémie, qui jadis a transmis épistolairement un oracle, couché dans un rouleau, à l’intention de ses frères déportés à Babylone. 3.4 B i l a n L’examen de la pragmatique à l’œuvre dans les pratiques épistolaires du Tarsiote permet de mieux comprendre le fonctionnement de sa posture d’épistolier dans le cadre d’une correspondance soutenue. Pour se poser en détenteur d’une connaissance déterminante en ce qui concerne l’orientation et l’avenir du cercle des destinataires de ses lettres, il doit se prévaloir d’une autorité qui lui a été confiée. L’examen des données relatives à la posture d’autorité prophétique de Jérémie permet d’établir que celle-ci a prioritairement servi de modèle à Paul pour fonder sa posture d’autorité apostolique. La référence à l’autorité de la Loi et des Prophètes en géné106. M. Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  23 et p.  202. 107. A.  R akotoharintsifa, «  Jérémie en action à Corinthe. Citations et allusions jérémiennes dans Corinthiens », dans A. H. W. Curtis – T. Römer (éd.), The Book of Jeremiah and its Reception. Le livre de Jérémie et sa réception, Leuven, 1997, p.  215. 108.  On peut rapprocher la conscience prophétique de Paul de celle de Flavius Josèphe, qui, de par sa connaissance des Écritures et les situations extrêmes auxquelles il a été confronté, se sentait prophète d’une certaine façon : voir P. von Gemünden, « Prophétie juive au premier siècle : de Jean Baptiste à Josèphe », dans J.‑M. Durand (éd.), Comment devient-on prophète ? Actes du colloque organisé par le Collège de France, Paris, les 4-5 avril 2011, Fribourg – Göttingen 2014, p. 167186 (en parrticulier les p. 176-186) ; L. Doering, « The Commissioning of Paul : Light from the Prophet Jeremiah on the Self-Understanding of the Apostle ? », dans H. Najman – K. Schmid (éd.), Jeremiah’s Scriptures : Production, Reception, Interaction, and Transformation, Leiden – Boston, 2017, p. 544-565.

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ral, et les citations explicites ou implicites de la Septante en particulier, le confirment à l’envi. Cette connaissance ne peut être reçue que si le cercle des destinataires l’a reconnue préalablement. Du point de vue épistolaire, la fonction d’entretien de l’amitié, à savoir la fonction philophronétique, ne peut continuer à fonctionner que si une relation préalable a été établie. Sans cette base relationnelle commune aux deux protagonistes réunis par l’action de communication, aucun déploiement rhétorique articulant l’éthos de l’épistolier au pathos du cercle des destinataires n’est possible. Il convient maintenant de s’intéresser à ce qui, dans la biographie du Tarsiote, a très probablement constitué la plus sévère remise en question de son autorité, à savoir la crise corinthienne, telle qu’elle affleure dans 2 Corinthiens 10-13.

Chapitre 4

L A LETTRE PAULINIENNE COMME OUTIL D’ACTION À DISTANCE 4.1 I n t roduct ion Après l’exploration des racines prophétiques de la posture d’épistolier de Paul, examinons la crise corinthienne, dont la séquence 2 Corinthiens 10-13 dévoile en miroir le climax. Celle-ci fut sans doute, pour l’homme de Tarse, l’une des plus radicales mises à l’épreuve de son apostolat. Parole prophétique et situation de crise sont en effet allées très souvent de pair à travers l’histoire des Judéens 1. Véritable communication de crise, 2 Corinthiens 10-13 offre un laboratoire inédit pour cerner le potentiel pragmatique dûment envisagé par Paul au travers de son geste épistolaire. On peut s’interroger sur la pertinence de se concentrer uniquement sur ces quatre chapitres et de laisser de côté une autre gestion à distance importante de crise, celle dont témoigne la Lettre aux Galates. Cette dernière vise les communautés de toute une région, en proie à des difficultés, suite à l’action d’une mission concurrente à celle du Tarsiote. Trois raisons motivent ce choix. Premièrement, dans le cas de la crise corinthienne, on dispose de davantage d’éléments pour cerner la dynamique relationnelle entre Paul et la communauté locale de par les traces attestant de l’existence d’une relation de correspondance entre eux. Deuxièmement, Paul prend le masque du fou pour légitimer son action apostolique, ce qui est inédit par rapport à ce que nous savons par ailleurs au sujet de ses lettres 2 . Troisièmement, l’histoire de la réception de l’autorité de Paul en tant qu’épistolier 3 offre des lieux de vérification dont nous ne disposons vraisemblablement pas dans le cas de la crise galate 4 . 1.  Voir Th. Römer, « L’Ancien Testament. Une littérature de crise », Revue de théologie et de philosophie 127/4 (1995), p.  321-338. 2. Cet état de fait a été l’objet d’études qui ont fait date dans l’histoire de la recherche sur 2 Corinthiens 10-13 : H.‑D. Betz , Der Apostel Paulus und die sokratische Tradition, eine exegetische Untersuchung zur seiner “Apologie” 2 Korinther 10-13, Tübingen, 1972 ; Georg Strecker , « Die Legitimität des paulinischen Apostolates nach 2. Korinther 10-13 », New Testament Studies 38 (1992), p. 566-586. 3.  Voir notre chapitre 5 : « La réception de l’autorité épistolaire paulinienne ». 4.  Mises à part peut-être les lettres aux sept églises insérées narrativement dans l’Apocalypse (Ap 2-3), dont les villes dans lesquelles elles sont implantées coïncident géographiquement avec la mission paulinienne.

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Dans une précédente étude consacrée à l’analyse littéraire et pragmatique de 2 Corinthiens 10-13, nous avons mis en évidence le caractère, vraisemblablement décisif, d’un recours explicite aux ressources pragmatiques de la communication par lettre dans la résolution d’un conflit au sein de l’assemblée locale 5. Dans sa carrière de missionnaire judéen de la Diaspora, le Tarsiote a rencontré des groupes et des personnes en butte à de nombreuses difficultés ou problèmes d’ordre communautaire. Ses lettres en témoignent à plusieurs reprises. Il a utilisé les ressources du genre épistolaire non seulement pour transmettre ou rectifier des développements doctrinaux, mais aussi pour agir pragmatiquement à distance, comme ce médium permet effectivement de le faire. Dans l’affaire corinthienne, l’analyse avait permis de mettre en évidence deux niveaux d’action – littéraire et pragmatique – intimement liés pour résoudre les conflits. Une lecture attentive à ces deux niveaux a permis de mettre en évidence comment Paul, en tant qu’énonciateur, déployait littérairement différentes figures de soi appelées à faire acte d’autorité 6. Leurs déclinaisons en catégories théologiques sont au nombre de quatre : 1. L’apôtre dépossédé de son bien, à savoir l’assemblée locale en train de passer sous l’emprise de ses adversaires à Corinthe. 2. Le père fondateur. 3. L’ambassadeur. 4. Le serviteur souffrant. Paul module rhétoriquement ces figures pour agir à distance et mettre efficacement en œuvre une résolution du conflit. En son absence, d’autres prédicateurs – qualifiés deux fois, ironiquement et polémiquement, de « super-apôtres » 7 – ont déployé à Corinthe une activité concurrente. Leur prédication était inacceptable 8, selon les termes – forcément partiaux 5. P. de  Salis, « A fleur de peau ». Analyse épistolographique de 2 Corinthiens 10-13, Lausanne, 2008. Cette étude défend la thèse de la lettre indépendante, écrite au plus fort de la crise, au moment où la communauté de Corinthe, totalement divisée, aurait pu basculer dans un camp comme dans l’autre. Voir en particulier les p. 101-102 (les quatre figures pauliniennes de Soi utilisées par l’apôtre en vue de résoudre la crise corinthienne et la double fonction de l’éthos paulinien, énonciative et discursive) et les conclusions aux p. 137-140. 6.  Voir R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, en particulier les p. 132-176. Régis Burnet met en évidence que nous avons affaire là à une des grandes originalités du formulaire épistolaire paulinien : « formellement, la lettre paulinienne bouleverse en profondeur le formulaire traditionnel de l’Antiquité. Elle modifie adresse et conclusion, ajoute une action de grâce, s’étend bien au-delà des limites communes, et surtout, fait intervenir de manière abondante la figure de l’expéditeur » (p. 176). 7.  2 Co 11,5 et 12,11. 8.  « En effet, si le premier venu vous prêche un autre Jésus que celui que nous avons prêché, ou bien si vous accueillez un esprit différent de celui que vous avez

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– de Paul, car ceux-ci faisaient de la performance spirituelle, dans le sillage de la première aux Corinthiens, la norme de la juste manière de comprendre l’Evangile. Pour Paul, au contraire, c’est l’apôtre souffrant, compris théologiquement comme icône du messie crucifié, qui est la norme de la foi. Toute l’argumentation de la séquence est construite dans le but de prouver cette affirmation générale 9. Est ainsi théologiquement évoquée la nature de la mission apostolique de Paul de Tarse (2 Co 11,1-15), laquelle se fonde sur une conception de la faiblesse comme fondement de l’identité de l’apôtre. Ceci est montré à l’aide d’une série d’échos relatifs aux souffrances vécues au cours de sa mission itinérante (2 Co 11,16-31) et à une double expérience mystique (2 Co 12,1-12), narrée sous la forme d’un voyage céleste et de l’expérience de la souffrance terrestre, cette dernière symbolisée par la célèbre métaphore de l’écharde dans la chair. Méthodologiquement, gardons à l’esprit que l’efficacité de la lettre de Paul dans la résolution du conflit, pour être évaluée pleinement, doit bénéficier d’apports documentaires externes, émanant des interlocuteurs de Paul eux-mêmes. Nous ne disposons pas de tels apports, en dehors de l’histoire de la réception de la crise corinthienne. Un certain nombre de témoins permettent de la documenter, du moins partiellement. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la dernière étape de notre enquête, consacrée aux traces de la réception de l’autorité d’épistolier de l’homme de Tarse. 4.2 L a

cr i se cor i n t h i e n n e

4.2.1 État de la question Autant la recherche exégétique s’accorde pour reconaître au Discours du fou la qualité d’écrit de crise 10, autant elle diverge sur la question de l’intégrité littéraire de 2 Corinthiens. La bibliographie est considérable à ce sujet 11. À notre avis, le critère décisif pour trancher cette épineuse question réside dans le constat que quelque chose a subitement bouleversé les reçu ou un autre évangile que celui que vous avez accueilli – vous le supportez fort bien » (2 Co 11,4). 9.  Voir É.  Fuchs, « La faiblesse, gloire de l’apostolat selon Paul. Étude sur 2 Corinthiens 10-13 », Études théologiques et religieuses 55 (1980), p.  231-253 ; D. M arguerat, « 2 Corinthiens 10-13 : Paul et l’expérience de Dieu », Études théologiques et religieuses 63 (1988), p.  497-519. 10.  On peut aller jusqu’à comparer les souffrances liées à la carrière apostolique de Paul à celles de Job : voir M. Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth (UK), 2013, p. 1. 11. Voir R.  Bieringer  – E. Nathan – D.  Kurek-Chomycz, 2 Corinthians. A Bibliography, Leuven – Paris – Dudley (MA), 2008.

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relations entre Paul et les Corinthiens. Le contexte de communication a changé. La vérification de la pertinence du diagnostic de crise passe par la question de savoir comment la situation initiale s’est compliquée ou si un nouveau conflit a surgi inopinément au sein de la communauté. Pour nuancer cette alternative, on peut aussi se poser la question de savoir si l’émergence d’un facteur inattendu, comme l’arrivée de nouveaux prédicateurs itinérants, n’aurait tout simplement pas complexifié, en cours de route, la situation locale. Force est de constater que deux évidences, fortement imbriquées entre elles, s’imposent globalement à la lecture de 2 Corinthiens 10-13. Il y a, d’une part, le ton très personnel utilisé par Paul et, d’autre part, les mentions explicites des adversaires et de leurs reproches, qui sont ramassées dans ces quatre chapitres. C’est donc bien là que se concentre le problème de la mission concurrente, quand bien même Paul fait allusion par ailleurs, dans 2 Corinthiens 1-7, à d’autres prédicateurs 12 . Dans ces sept chapitres, Paul n’en vient jamais à se défendre personnellement. Pour comprendre les tenants et aboutissants de la crise, il faudrait faire toute la lumière sur l’origine des adversaires et connaître plus spécifiquement leurs systèmes de pensée et leurs rites. Ce dossier est âprement débattu 13. On recense cinq hypothèses 14 , mais force est de constater qu’aucune ne l’emporte véritablement. Les indices textuels décisifs manquent tout simplement. Pour les rappeler, les candidats à l’identification des missionnaires concurrents sont : 1. Les mêmes missionnaires judéens que Paul a affrontés en Galatie. 2. Des judéo-chrétiens gnostiques. 3. Des chrétiens judéo-hellénistiques. 4. Des missionnaires chrétiens envoyés de Jérusalem ou d’Antioche pour inspecter Paul. 5. Des intrus, voire d’autres chrétiens influents, critiquant le côté franctireur de Paul, notamment son refus de soutien financier. S’attaquer à cet épineux dossier déborderait du cadre de notre étude. On remarquera cependant que les points traditionnels du litige, comme celui 12. 2 Co 2,17 ; 3,1 ; 4,1-2 ; 5,12 ; voir M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, p.  8. 13.  Voir, outre l’étude programmatique de D. Georgi, Die Gegner des Paulus im 2. Korintherbrief. Studien zur religiösen Propaganda in der Spätantike, Neukirchen-Vluyn, 1964, celle de M.   Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth (UK), 2013. 14.  Etat détaillé de la question par R. Bieringer : « Die Gegner des Paulus im 2. Korintherbrief », dans R. Bieringer – J. L ambrecht (éd.), Studies on 2 Corinthians, Louvain, 1994, p.  181-221 (tableau synoptique des hypothèses p.  218).

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du degré d’observation de la Loi, ne sont pas franchement présents, et cela tant du côté des hypothèses décodant une polémique de nature judaïsante ou, au contraire, de nature gnosticisante. Dans la séquence 10-13, le débat ne porte ni sur l’observation des prescriptions rituelles de la Torah, ni sur celles relatives au sabbat, à la circoncision ou aux codes de pureté, ni sur des spéculations de type gnostiques 15. La manière dont Paul évoque les reproches des adversaires permettent d’entrevoir la nature du litige entre eux, mais seulement de manière oblique. Cela s’explique notamment par les sous-entendus propres aux usages de l’échange épistolaire. Une grande prudence est de mise. Les propos du Tarsiote ne portent pas prioritairement sur des points de doctrine, mais sur sa légitimité et sa qualité apostolique propres, ses forces et ses faiblesses. Le fond du problème est certes lié à des divergences doctrinales, mais il relève aussi d’une lutte de pouvoir, suite à l’intrusion intempestive de tiers sur le terrain apostolique de Paul, en son absence. On retiendra que la dimension interpersonnelle du conflit permet déjà d’entrevoir certains tenants et aboutissants de la crise. Celle-ci serait donc déclenchée, ou exacerbée, par une remise en question de Paul en tant que chef de la communauté. La divergence sur des points de doctrine ou de discipline en serait le facteur déclenchant, comme cela peut être le cas lors d’enjeux de pouvoir. La discussion sur la juste compréhension des fondements de la mission apostolique n’est pas totalement absente du débat, puisque le raisonnement de Paul aboutit à la conclusion que la vraie rencontre avec son Seigneur se joue dans la souffrance de l’existence croyante (2  Co  12,9-10). Paul raille par ailleurs les Corinthiens qui se laissent infliger des tourments inutiles par ceux qu’il désigne ironiquement deux fois par l’expression de « super-apôtres » (2 Co 11,5 ; 12,11) ; enfin, il ne manque pas, en finale, d’exhorter les Corinthiens à examiner leur conduite avec lucidité (2 Co 13,5). Ce qui est à notre avis décisif c’est que le litige entre Paul et ces autres apôtres devait inévitablement placer les Corinthiens devant une alternative cruciale : devoir choisir à l’avenir entre Paul et eux. Le diagnostic de l’émergence d’une grave crise se jouant entre Paul, des missionnaires concurrents et les Corinthiens est clair. On y revien15.  C’est la conclusion de L. L egrand (L’apôtre des nations ? Paul et la stratégie missionnaire des Églises apostoliques, Paris, 2001, p. 82) suite à l’analyse de l’horizon géographique de la mission paulinienne, dans la perspective d’une libération de son horizon européocentrique. En jetant ainsi un nouveau regard sur la répartition des champs de mission entre Pierre et Paul, il démontre que Pierre s’est occupé en fait de la mission dans les grands centres de la Diaspora judéenne, en particulier à Antioche, et que Paul s’est consacré non pas à la mission mondiale, mais à la mission en terre païenne (Grèce et Asie mineure) qui ne comprenait que de très petites communautés juives. Au vu de sa culture judéo-hellénistique, Paul ne pouvait pas ignorer l’existence d’autres grands pôles de la mission mondiale, comme Antioche et, au-delà, l’Asie ou Alexandrie et, au-delà, l’Egypte puis l’Afrique.

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dra en relisant la séquence 10-13, en examinant en particulier la manière dont Paul parle de lui, de la mission concurrente, de la communauté et de ses factions. Comme on l’entrevoit déjà, l’issue de la crise se joue au sein d’une communauté placée devant des choix visiblement cruciaux pour le maintien de sa cohésion ecclésiale, voire de son identité évangélique et de sa fidélité. Le discours dans lequel Paul endosse la posture du fou constitue indéniablement un des sommets de son art rhétorique 16. Les nombreuses études qui lui sont consacrées, dans le sillage de l’analyse rhétorique des textes bibliques, confirment la richesse de cet art, dont l’infinie diversité de ses facettes ne cesse d’interpeller la recherche exégétique 17. De cette fougueuse prise de parole, l’épisode de l’enlèvement jusqu’au troisième ciel, suivi par celui de l’écharde dans la chair (2 Co 12,1-10), constituent le sommet. Un examen de cette péricope à la lumière des recherches récentes, consacrées d’une part aux rapports de Paul à la rhétorique et aux pratiques épistolaires antiques 18 et d’autre part à la mystique juive et à l’apocalyptique 19, permet d’apporter quelques éclairages sur la question de l’identité de Paul, à la fois Judéen de la Diaspora, citoyen romain et citoyen de la ville de Tarse. Ces considérations permettent aussi de préciser certaines données de ce qu’on peut savoir, d’un point de vue historique, au sujet l’action de Paul en tant que missionnaire judéen de la Diaspora, en particulier au sujet de son activité d’épistolier. 4.2.2 Paul et les Corinthiens Les relations avec Corinthe occupent une place importante dans la correspondance du Tarsiote, comme le confirment les données textuelles, même si – cela relève de l’évidence – on ne dispose de fait que que de la moitié d’une correspondance. Aucune lettre écrite par les interlocuteurs 16.  « A masterpiece of the Pauline rhetoric » selon M. Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth (UK), 2013, p.  1 et 279. 17.  R.  Bieringer  – M a M.S I bita – D. A. Kurek-Chomycz – T. A. Vollmer (éd.), Theologizing in the Corinthian Conflict. Studies in the Exegesis and Theology of 2 Corinthians, Leuven – Paris – Dudley (MA), 2013, p. 1-13. 18.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015. 19.  C.  Morray-Jones, « The Ascent into Paradise (2 Cor 12:1-12) : Paul’s Merkava Vision and Apostolic Call  », dans R. Bieringer – E. Nathan – D.  Pollefeyt – P.J. Tomson (éd.), Second Corinthians in the Perspective of Late Second Temple Judaism, Leiden-Boston, 2014, p. 245-285 ; S. Butticaz, « Paul et le judaïsme : des identités en construction », Revue d ’histoire et de philosophie religieuses 94/3 (2014), p.  253-273.

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de Paul n’a été conservée. Par conséquent, la reconstitution d’un échange épistolaire est un exercice vain, car on ne possède que la collection de ses propres missives. Pour reconstituer le milieu de production des lettres et celui des cercles de leurs destinataires, on ne dispose que du point de vue de l’apôtre. Seul le cas de la correspondance corinthienne résiste quelque peu à cet état de fait. Elle constitue un cas à part dans le corpus néotestamentaire. En effet, on dispose de traces de l’action des interlocuteurs de Paul : une lettre écrite par les Corinthiens à Paul (1 Co 7,1), une première lettre écrite par Paul aux Corinthiens, laquelle est perdue (1 Co 5,9), une lettre écrite dans les larmes (2 Co 2,4), ceci sans compter les références concrètes et personnelles aux factions au sein de la communauté (1 Co 3,4), les mentions de nombreuses personnes citées nominativement 20 et, parmi les échos aux récriminations des adversaires, la référence à une apparente rumeur parcourant la communauté de Corinthe (2 Co 10,10) 21. Il convient de signaler aussi les tenants et les aboutissants du débat sur l’unité de 2 Corinthiens. Le foisonnement des hypothèses relatives à la partition ou à l’intégrité littéraire de 2 Corinthiens – et dans une moindre mesure de 1 Corinthiens, lettre dont l’unité littéraire est visiblement nettement plus assurée que 2 Corinthiens – atteste à coup sûr d’une véritable histoire relationnelle entre Paul et les Corinthiens, dont on peut établir, au-delà des incertitudes, un caractère de vraisemblance. Pour aucune autre des assemblées fondées, puis revisitées par Paul, on ne peut établir, à titre d’hypothèse, un quelconque scénario relationnel et ni l’existence d’une correspondance. 20.  Voir la problématique de la finale de la Lettre aux Romains (Rm 16) et de sa longue liste de salutations et de recommandations faisant office de post-scriptum à la finale de Rm 15,30-33, laquelle constitue « une énigme » (F. Vouga, « L’Épître aux Romains », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 184). Cette liste contient de précieuses indications sur des personnalités corinthiennes, comme Phoebé, « ministre (διάκονον) de l’Église de Cenchrée » (Rm  16,1-2). Il s’agit de la seule femme que Paul désigne comme « notre sœur »  (τὴν ἀδελφὴν ἡμῶν). Sa présence en tête de la liste des salutations s’explique par le fait que Paul veut la recommander à Rome en tant que porteuse de lettre. Sa fonction de « protectrice (προστάτις) pour bien des gens et pour moi-même » devait jouer un grand rôle. Son patronage permettait de recommander Paul et notamment de l’authentifier comme citoyen romain auprès des autorités civiles locales. Voir M.-F. Baslez, Saint Paul : artisan d ’un monde chrétien, Paris, 2008, p. 160 et D. Gerber, « 1 Corinthiens et l’archéologie : douze dossiers-test », Théologiques 21/1 (2013), p. 233-235. 21.  Voir C. Clivaz, « La rumeur, une catégorie pour articuler autoportraits et réceptions de Paul : “car ses lettres, dit-on, ont du poids … et sa parole est nulle” (2 Co 10,10) », dans D. M arguerat (éd.), Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  239-259. Paul est par ailleurs attentif aux rumeurs : « En effet, mes frères, les gens de Chloé m’ont appris qu’il y a des discordes parmi vous » (1 Co 1,11).

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4.2.3 Remarques sur l’histoire de la recherche La recherche consacrée à 2 Corinthiens en général, et à 2 Corinthiens 10-13 en particulier, témoigne d’un nombre considérable de travaux et d’études. On peut les répartir en deux catégories : les études historicocritiques et les études rhétoriques 22 . Pour la première, deux grandes questions ont en particulier intéressé la recherche, d’une part, celle de l’intégrité littéraire de 2 Corinthiens – et corollairement de l’histoire de sa rédaction, véritable nœud gordien de la recherche exégétique – et, d’autre part, celle de l’identité des adversaires de Paul à Corinthe, dont les données susceptibles d’être questionnées sont précisément concentrées dans ces quatre derniers chapitres. Dans le débat sur l’intégrité littéraire, il y a aussi le problème posé par la dite lettre dans les larmes : en effet, en 2 Corinthiens 2,4, on trouve la mention d’une lettre écrite « dans beaucoup de larmes » 23. Il s’agirait d’une missive apparemment perdue, si on comprend cette affirmation comme la trace d’une donnée simplement factuelle relative à la correspondance entretenue avec les Corinthiens. La recherche s’interroge de savoir s’il faut l’identifier à 2 Corinthiens 10-13. Cette question est très difficile à résoudre, car les arguments en faveur de l’une comme de l’autre option reposent sur des présupposés, parfois non remis en question. Paul se défend avec virulence. Il ne peut donc pas pleurer. Ou bien, au contraire, les larmes font office de métaphore de la souffrance et de la sainte colère et profilent ainsi un énergique combat rhétorique. Au sujet de l’identité des adversaires, il convient méthodologiquement de tenir compte du caractère limité de la lecture en miroir comme ressource pour l’écriture de l’histoire. On ne dispose, en effet, que du point de vue de Paul sur les adversaires. Par conséquent, le portrait qu’il en dresse, à défaut d’être polémique, est forcément partial. Il ne faut pas oublier ici le paramètre des sous-entendus, propres à toute communication épistolaire. Paul fait allusion à des informations connues de ses interlocuteurs. Pour ne pas les fatiguer inutilement, il n’entre pas dans les détails. On peut postuler aussi que Paul n’invente pas tout dans son portrait polémique au sujet de l’origine et de la doctrine de ses adversaires, car sinon les effets du sous-entendu n’opèrent plus. Il convient donc de dresser un tableau synthétique des principales solutions. Rappeler ainsi ce qu’on peut 22.  Selon M. Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth, 2013, p. 1-8, qui fournit un état de la recherche synthétique et très complet sur 2 Corinthiens 10-13. 23.  « Aussi est-ce en pleine difficulté et le cœur serré que je vous ai écrit parmi bien des larmes (ἐκ γὰρ πολλῆς θλίψεως καὶ συνοχῆς καρδίας ἔγραψα ὑμῖν διὰ πολλῶν δακρύων) » (2 Co  2,4).

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savoir aujourd’hui sur Corinthe à l’époque des séjours missionnaires de Paul, dans les années 50-60 de notre ère, est utile. La vivante relation de correspondance entre le Tarsiote et les Corinthiens témoigne, en effet, de l’importance revêtue par Corinthe aux yeux de Paul. Les données archéologiques fournissent un certain nombre d’éclairages contextuels qu’il est fécond de confronter aux données exégétiques relatives au geste épistolaire paulinien 24 . Celles-ci permettent de mieux comprendre la crise et la pragmatique épistolaire déployée par Paul pour la gérer. 4.2.4 Le contexte historique Pour situer 2 Corinthiens 10-13 dans son contexte antique, il convient de rappeler (1) ce qu’on sait de la ville de Corinthe à l’époque des séjours qu’y fit Paul de Tarse, (2) ce qu’on peut reconstituer des voyages et des séjours de Paul à Corinthe à partir de l’analyse des données chronologiques fournies par les principales sources disponibles (1 Corinthiens, 2 Corinthiens, les Actes des Apôtres), et (3) ce qu’on connait de la composition de la communauté judéenne locale en situation de Diaspora. Ces données sont importantes car elles nous permettent d’envisager avec un certain degré de vraisemblance (4) le scénario de la correspondance entretenue par Paul avec l’assemblée de Corinthe 25. Ces données vont nous permettre d’étoffer notre perception de la spécificité du geste épistolaire paulinien.

4.2.4.1 La ville de Corinthe Les sources antiques et les données archéologiques permettent de se faire une idée assez précise de ce à quoi ressemblait la ville de Corinthe au premier siècle de notre ère, telle que Paul l’a connue 26. Les données des 24. Voir D. Gerber, « 1 Corinthiens et l’archéologie : douze dossiers-test », Théologiques 21/1 (2013), p. 213-245. 25.  Voir N. Belayche, « En quête de marqueurs des communautés “religieuses” gréco-romaines », dans N. Belayche  – S. C. M imouni (éd.), Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition, Turnhout, 2003, p.  9-20 ; M imouni  S. C., « Comment désigne-t-on une communauté dans le monde juif au Ier siècle de notre ère ? », dans Belayche N.-  M imouni  S. C. (éd.), Les communautés religieuses dans le monde gréco-romain. Essais de définition, Turnhout, 2003, p. 21-28. 26. Voir en particulier l’introduction complète et précise de M. Quesnel , La première épître aux Corinthiens, Paris, 2018, p.  29-45. Le dossier synthétique de J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004 (nouvelle édition revue et augmentée ; 1ère édition : 1983) est utile mais certains résultats sont à nuancer, comme le montre D. Gerber, « 1 Corinthiens et l’archéologie : douze dossiers-test », Théologiques 21/1 (2013), p. 214. En ce qui concerne les relations entre Paul et les Corinthiens et la chronologie de ses voyages et de ses séjours, voir en particulier chez J. Murphy O’Connor les p. 187217 (chapitre 2 : « Paul à Corinthe ») ; voir également R. M. Rothaus, Corinth :

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Actes des apôtres (18,1-18) 27 ainsi que ce que le Tarsiote évoque au sujet de ses voyages dans ses lettres permettent de compléter partiellement le tableau 28. Suite au tremblement de terre de 1859, le site antique fut totalement abandonné et la ville reconstruite trois kilomètres plus loin, près de l’isthme. Les archéologues de l’École américaine d’études classique d’Athènes (ASCSA) ont entrepris, dès 1896, des campagnes approfondies de fouilles du site 29 et, même si leur but n’était pas de faire de l’archéologie biblique, les résultats de leurs travaux permettent de se faire une idée beaucoup plus précise du milieu de vie urbain de la communauté corinthienne et de sa recherche d’identité 30. Rappelons premièrement combien cette ville cosmopolite était un carrefour important, tant routier et maritime qu’économique, culturel et religieux. Corinthe a été détruite en 146 avant notre ère. Elle a été reconstruite environ cent ans plus tard par Jules César, en 44 avant notre ère, qui y installa une colonie de vétérans, militaires arrivés au terme de leur service obligatoire. En l’an 27 de notre ère, Corinthe devient la capitale de la province sénatoriale de l’Achaïe. Sa situation géographique, exceptionnellement stratégique, était célèbre. Située sur l’isthme reliant la Grèce continentale au Péloponnèse, cette ville offrait un lieu de transit important. Ses deux ports, Léchaion, à l’est sur la mer Égée, et Cenchrée, à l’ouest sur le golfe Saronique, facilitaient le passage tant des marchandises que des voyageurs. Il en allait de même pour les pratiques religieuses et des idées, The First City of Greece. An Urban History of Late Antique Cult and Religion (Religions in the Graeco-Roman World  139), Leiden – Boston – Cologne, 2000 ; S. J. Friesen, –  S. A. James , – D. N. Schowalter, (éd.), Corinth in Contrast. Studies in Inequality, Leiden – Boston, 2014. 27.  Voir D. M arguerat (éd.), Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009. Voir également K.  Donfried, « 1 Thessaloniciens et la chronologie paulinienne », dans A. Dettwiler – J.-D. K aestli et D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 107-134. 28.  Parmi les synthèses sur ce que nous pouvons savoir sur Corinthe du temps de Paul, il convient de signaler, en plus des travaux de J. Murphy O’Connor, celle d’A. R akotoharintsifa (Conflits à Corinthe. Église et société selon 1 Corinthiens. Analyse socio-historique, Genève, 1997, p.  31-49). Voir l’évocation très complète, avec illustrations et plans, de B. Witherington  III, Conflict and Community in Corinth. A Socio-Rhetorical Commentary on 1 and 2 Corinthians, Grand Rapids (MI) – Carlisle, 1995, p.  1-67. 29.  Voir E.  L angridge-Noti, A  Corinthian Scrapbook. One Hundred Years of American Excavations in Ancient Corinth, Lycabetus Press, Athènes, 1996 et J.  Wiseman « Rome and Corinth I », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.7.1, Berlin – New York, 1979, p.  438-548. 30. Voir D. Gerber, « 1 Corinthiens et l’archéologie : douze dossiers-test », Théologiques 21/1 (2013), p. 213-245, qui évalue et synthétise les apports de l’archéologie pour la compréhension de 1 Co sous la forme de douze dossiers, répartis en trois catégories : les mésusages possibles, les bénéfices discutés et les apports non-négligeables.

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entre l’Orient et l’Occident, entre l’Asie Mineure, la Grèce et Rome. Une voie de transit avait été spécialement aménagée (δίολκος), par laquelle on faisait passer les bateaux d’un côté à l’autre de l’isthme, en les roulant sur des chariots 31. Cette ressource technique présentait l’immense avantage de raccourcir sensiblement la durée du voyage et permettait aux navires d’éviter de faire le détour, réputé dangereux, par les côtes du Péloponnèse, surtout en saison hivernale. Ces données permettent de mieux comprendre l’importance particulière de Corinthe comme base pour une activité missionnaire à travers l’Achaïe et comme passerelle en direction de Rome. Elles témoignent de l’importance, aux yeux du Tarsiote, de concevoir sa stratégie missionnaire en fonction du potentiel de ses deux piliers logistiques, d’un côté les voyages – les siens et ceux de ses collaborateurs – et, de l’autre, l’envoi et la réception de missives. Par la force des choses, les deux étaient inséparables, surtout quand on pense aux contingences propres à l’expédition des lettres ou à la transmission de nouvelles. Enfin, il convient de nuancer le bien‑fondé d’une donnée apparemment erronée, celle de Corinthe comme capitale de la prostitution 32 . Le prestigieux temple d’Aphrodite, juché sur l’Acrocorinthe, avec ses mille prostituées sacrées, ne serait en fait qu’une légende ancienne mentionnée dans les récits du géographe grec Strabon. Au cours de ses voyages, ce dernier est passé deux fois par Corinthe 33. Son œuvre majeure, la Géographie, fut 31. Voir D.  K. Pettegrew, « The Diolkos and the Emporion. How a Land Bridge Framed the Commercial Economy of Roman Corinth », dans S. J. Friesen  –  S. A. James  – D. N. Schowalter (éd.), Corinth in Contrast, Studies in Inequality, Leiden – Boston, 2014, p. 126-142. 32. Selon M. Quesnel, il s’agirait « d’un fantasme de Strabon influencé par le passé de la ville, et repris par des chercheurs modernes » (La première épître aux Corinthiens, Paris, 2018, p. 34). Cela a été le cas dans la première édition de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB), dans l’introduction aux épîtres corinthiennes : « le culte principal de Corinthe était celui d’Aphrodite à laquelle était consacré un temple dont le personnel se livrait à la prostitution sacrée » (Traduction œcuménique de la Bible, Nouveau Testament, édition intégrale, Paris, 1981, p.  493) ! W.  M arxsen fait le même genre d’observation : « There are temples for every possible deity, some of them thronged with prostitutes. The immorality of the place was proverbial… » dans W. M arxsen, Introduction to the New Testament, Blackwell, Oxford, 1984, p.  75 (édition originale en langue allemande 1964). Voir l’analyse critique de H. D. Saffrey, « Aphrodite à Corinthe, réflexions sur une idée reçue », Revue Biblique 92 (1985), p.  359-374. 33.  En 44 et en 29 avant notre ère. J.  Murphy O’Connor (Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p. 73) précise que lors du premier séjour, les vétérans de Jules César ne devaient pas encore être installés, alors que, lors du deuxième, Strabon a pu contempler la ville majestueusement rebâtie. Selon sa Géographie (8.6.20c) « le sanctuaire d’Aphrodite regorgeait à tel point de richesses qu’il possédait à titre d’hiérodules plus de mille courtisanes, que des donateurs de l’un et de l’autre sexe avaient offertes à la déesse ; elles attiraient, bien

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achevée peu avant le début de notre ère. Une telle pratique paraît difficilement plausible à l’époque romaine et Paul n’aurait pas manqué de la fustiger. De plus, la Grèce antique n’a jamais connu la pratique de la prostitution sacrée. Mais il paraît évident que Corinthe, ville à vocation portuaire et commerciale par excellence, devait connaître la pratique de la prostitution. À l’époque des séjours de Paul, soit autour des années 54-57  3 4 , Corinthe était une ville dotée d’une architecture monumentale prestigieuse, laquelle ne pouvait guère le laisser indifférent. Elle devait son opulence au commerce, aux taxes de passage et à un artisanat florissant, très prisé jusqu’à Rome, en particulier celui des bronzes corinthiens 35. De plus, l’organisation des Jeux isthmiques, tous les deux ans depuis le début de notre ère, constituait une source importante de rentrées financières et de développement des infrastructures urbaines et drainait de grandes foules, comprenant curieux, compétiteurs et touristes 36. La demande importante de tentes, destinées à permettre l’hébergement d’une grande quantité de personnes, devait offrir au Tarsiote une possibilité économique non-négligeable de subvenir à ses besoins 37.

4.2.4.2 Les relations entre Paul et Corinthe L’importance des relations entre Paul et la métropole de l’Achaïe s’explique tout d’abord par la manière dont l’apôtre concevait l’espace géographique de sa mission. Pour les Judéens et les Grecs, il était coutume de désigner les régions par les noms de leurs habitants, ainsi les Judéens, en référence au peuple habitant la Judée. Paul désigne à plusieurs reprises les régions de sa mission à l’aide d’un terme grec particulièrement significatif, le substantif κλίμα (inclinaison, pente, inclinaison de la terre vers le pôle à partir de l’équateur, d’où climat ou région). Comme le précise entendu, une foule de gens à Corinthe et contribuaient à l’enrichir ; les patrons de navires avaient tôt fait de s’y ruiner ; de là vient le proverbe : De Corinthe le voyage Ne peut être le partage Du premier venu », (cité par J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p. 77-78). 34. F. Vouga, « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 131-138. 35. J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p.  249-272. 36. C. W. Concannon, “When You Were Gentiles”. Specters of Ethnicity in Roman Corinth and Paul ’s Corinthian Correspondence, New Haven, 2014, p. 47-51. 37. J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p.  239-247.

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Marie-Françoise Baslez : « La notion de κλίμα, qui comporte l’idée d’“inclinaison” permet de localiser un endroit par des coordonnées astronomiques ou géographiques, indépendamment du peuple qui l’habite » 38. On peut le vérifier au moment où Paul précise que son action missionnaire à Corinthe a été rendue possible grâce au soutien financier d’autres communautés (« Les frères de Macédoine ont pourvu à mes besoins » 2 Co 11,9). Il n’a donc pas été à la charge des Corinthiens. Il ne se prive pas de le communiquer tout azimut : « Par la vérité du Christ en moi, je l’atteste : on ne me fera pas cacher cette fierté dans les pays (κλίμασιν) d’Achaïe » (2 Co 11,10). Après sa conversion et la rencontre, à Jérusalem, avec les apôtres, il précise aux Galates l’horizon géographique de sa mission, toujours de la même façon : « Ensuite, je me suis rendu dans les régions (κλίματα) de Syrie et de Cilicie » (Ga 1,21). Pour les Romains, il en va de même : « Mais maintenant, comme je n’ai plus de champ d’action dans ces contrées (κλίμασιν) et que, depuis bien des années, j’ai un vif désir d’aller chez vous » (Rm 15,23). Il est intéressant de mesurer combien, pour l’homme de Tarse, mission et espace géographique vont de pair. Au cours de sa carrière de missionnaire de la Diaspora, Paul a accordé une importance toute particulière à la communauté de Corinthe. Il aurait été, de près ou de loin, en relation avec les Corinthiens pendant presque une dizaine d’années, soit environ des années 50 à 58 selon l’hypothèse classique en matière de chronologie paulinienne. Ainsi, grâce à l’inscription de Delphes, découverte en 1905, et qui permet de dater le proconsulat de Gallion 39 vers la fin du printemps ou le début de l’été 52  4 0, Paul serait donc arrivé pour la première fois sur place dans les années 50-51. Il serait ensuite revenu vers 55-56 41, et même une troisième fois, selon 2 Corinthiens 12,14 et 13,1. Cela pourrait concorder avec les trois mois passés en Grèce – il pourrait s’agir de l’Achaïe – selon Actes 20,2-3 42 . Au contraire, selon Gerd Lüdemann, suivi par Karl Donfried, Paul serait venu dans 38. Voir M.-F. Baslez, « Paul et l’émergence d’un monde “gréco-romain”. Réflexions sur la romanité de l’apôtre », dans C. Breytenbach (éd.), Paul ’s GraecoRoman Context, Louvain – Paris – Bristol, 2015, p.  29-45 (citation p.  34). 39.  Texte grec et notes dans J.  Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p. 273-276 (voir aussi p. 201211). Il s’agit d’un rescrit impérial de l’empereur Claude ; l’inscription, fortement endommagée, conserve la trace de l’ordre donné à la cité de Delphes de chercher à accueillir de nouveaux habitants pour développer sa prospérité et à leur conférer la citoyenneté romaine. 40. J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p. 204. 41. F. Vouga, « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 131-138. 42. Selon R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 2000, p. 466-467.

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la capitale de l’Achaïe déjà vers l’année 41 43. Dans ce cas, le témoignage d’Actes 18,1-18a amalgamerait en un seul récit les deux premières visites de Paul à Corinthe  4 4 : la première aurait eu lieu vers 41 ou peu après, la deuxième vers 50 45. Ces deux scénarios chronologiques fournissent ainsi deux possibilités de datation pour la rédaction de la séquence de 2 Corinthiens 10-13. Selon la chronologie classique, elle aurait été rédigée à Éphèse et expédiée vers août-septembre 56  4 6. Selon la chronologie révisée, il s’agirait de l’été 52, depuis la Macédoine 47. Les relations de Paul avec Corinthe représentent un cas particulièrement digne d’intérêt pour notre propos. Les deux lettres aux Corinthiens semblent conserver des traces de l’histoire des relations entre Paul et une des communautés fondées par lui et ceci semble être le seul cas où on peut envisager de reconstituer des bribes de la dynamique relationnelle entre Paul et une des communautés fondées par lui. Premièrement, les textes fournissent des informations substantielles sur la communauté de Corinthe, sa composition, ses leaders, les problèmes de la vie quotidienne, que ce soient sur les plans de l’organisation, de la discipline ou de la croyance, les activités cultuelles, les relations avec la société ambiante, comme celles avec les tribunaux avec la question du caractère licite ou illicite de l’achat des viandes sacrifiées, et enfin, le problème des apôtres concurrents. Fidèle à son habitude, Paul traite théologiquement les problèmes qu’il estime prioritaires (« je ne vous écris pas cela pour vous faire honte, mais pour vous

43. G. Lüdemann, Paul, the Founder of Christianity, New York, 2002, p. 24 et p.  59-62. La conclusion de Karl  Donfried découle de l’analyse des sources non-bibliques mentionnant l’édit de Claude chassant les Judéens de Rome, en comparant les récits des historiens latins Suétone, Dion Cassius et Paul Orose, «  1 Thessaloniciens et la chronologie paulinienne  », dans A. Dettwiler – J.‑D.  K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 107-134. Voir également J. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de Saint Paul, l ’archéologie éclaire les textes, Paris, 2004, p.  191-200. 44. K. Donfried localise la rupture entre Ac 18,11, qui semble bien évoquer la conclusion d’un séjour : « Paul y demeura un an et six mois à enseigner la parole de Dieu » et 18,12, qui semble plutôt faire allusion à un nouveau commencement : « sous le proconsulat de Gallion en Achaïe, l’hostilité des juifs devint unanime à l’égard de Paul… », K. Donfried, « 1 Thessaloniciens et la chronologie paulinienne », dans A. Dettwiler – J.-D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 122. 45. D. Patte (Paul ’s Faith and the Power of Gospel, a Structural Introduction to the Pauline Letters, Philadelphia, 1983, p.  356-360) donne cinq tableaux synthétiques pour visualiser l’ensemble des options de la recherche sur la chronologie paulinienne. 46. M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, p.  77. 47. G. Lüdemann, Paul, the Founder of Christianity, New York, 2002, p. 62.

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avertir, comme mes enfants bien aimés » 48). Il gère de même les cas difficiles dont il a entendu parler (« on entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, et d’inconduite telle qu’on ne la trouve même pas chez les païens : l’un de vous vit avec la femme de son père » 49) ou ceux qui lui sont soumis, par lettre, par les Corinthiens eux‑mêmes (« venonsen à ce que vous m’avez écrit » 50). Deuxièmement, la constellation de ces données offre ainsi tout un éventail des liens et des tensions entre une communauté particulière et une ville cosmopolite, connaissant diverses pratiques cultuelles. Ainsi toute la correspondance corinthienne fourmille d’indications et de détails fort instructifs pour l’histoire. Cela se vérifie d’ailleurs par le fait que les lettres corinthiennes ont constitué un champ d’analyse privilégié de l’exégèse historico-critique centrée sur les questions sociologiques, et ceci des deux côtés de l’Atlantique 51.

4.2.4.3 La communauté de Corinthe Pour Paul, Corinthe a incontestablement constitué un objectif missionnaire stratégique 52 . Et ceci en tout cas dans deux buts. D’une part, annoncer l’Évangile en direction de l’Ouest, d’abord à Rome puis vers l’Espagne (Rm 15,24.28). D’autre part, servir de base arrière pour toucher toute l’Achaïe. Ainsi 2 Corinthiens 1,1 et, dans le même sens, la recommandation que Paul fait de Stéphanas et de sa famille, prémices de toute l’Achaïe (1 Co 16,15-16). À propos des données fournies par Rm, il vaut la peine de revenir sur le cas de Phœbé, au service de l’assemblée de Cenchrée (διάκονον τῆς ἐκκλησίας τῆς ἐν Κεγχρεαῖς) 53 et patrone de celle-ci 48.  1 Co 4,14 : « ὀυκ ἐντρέπων ὑμᾶς γράφω ταῦτα ἀλλ’ ὡς τέκνα μου ἀγαπητὰ νουθετῶ ». 49.  1  Co  5,1 :  « ὅλως ἀκούεται ἐν ὑμῖν πορνεία, καὶ τοιαύτη πορνεία ἥτις οὐδὲ ἐν τοῖς ἔθνεσιν, ὥστε γυναῖκά τινα τοῦ πατρὸς ἔχειν ». 50.  1 Co 7,1 : « περὶ δὲ ὧν ἐγράψατε ». 51. Voir G. Theissen «  La stratification sociale de la communauté corinthienne » et « Les forts et les faibles à Corinthe. Analyse sociologique d’un conflit théologique », dans G. Theissen Histoire sociale du christianisme primitif, Genève, 1996, p. 91-138 et 139-160 ; W. A. M eeks, The First Urban Christians. The Social World of the Apostle Paul, New  Haven – Londres, 1983. Dans la même perspective, Andrianjatovo R akotoharintsifa fait une lecture sociologique de 1 Co dans l’optique d’une analyse herméneutique des analogies de situation entre les communautés pauliniennes du Ier siècle et la société traditionnelle malgache actuelle (A.  R akotoharintsifa, Conflits à Corinthe. Église et société selon 1 Corinthiens. Analyse socio-historique, Genève, 1997, p.  287-302). 52.  Sur le judaïsme de la Diaspora, voir S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p.  597-827. 53.  Cette fonction de « diacre » devait consister en une responsabilité précise dans la conduite de la communauté chrétienne primitive, mais il est difficile de déterminer avec précision en quoi consistait cette charge. On pourrait retenir de

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(προστάτις), selon Romains 16,1-2. C’est elle que Paul mentionne en premier, pour la recommander, dans sa longue liste de salutations et recommandations personnelles à ses destinataires à Rome. De plus, cette liste fait état d’anciens Corinthiens connus, comme Prisca et Aquilas. Ceuxci étaient venus s’établir à Corinthe après l’édit de Claude qui chassa les Judéens de Rome 54, selon Actes 18,1-3, et qui seraient retournés, entretemps, à Rome. Ainsi, les efforts répétés de Paul en faveur de la communauté locale confirment l’importance de Corinthe à ses yeux. Preuve en est la place importante dans les lettres pour clarifier des questions de doctrine, répondre aux questions ou aux inquiétudes, résoudre des conflits, régler la question des factions au sein du groupe, organiser la discipline communautaire et enchaîner avec des réflexions d’ordre fondamental pour la foi, comme par exemple la question de la résurrection (1 Co 15) ou le ministère apostolique dans le sillage de la nouvelle alliance (2 Co 3). Preuve en sont aussi l’exhortation finale et les salutations et autres nouvelles personnelles marquant la conclusion de 1 Corinthiens 55. Pourtant, on signalera un élément a priori surprenant : Prisca et Aquilas, de même que les autres Corinthiens nominativement mentionnés en 1 Corinthiens , disparaissent totalement de la scène par la suite. 2 Corinthiens ne cite aucun des interlocuteurs de Paul à Corinthe. De plus, la fin de la lettre ne comprend aucune salutation personnelle spécifique.

4.2.4.4 La correspondance entre Paul et la communauté de Corinthe Combien compte de lettres, en définitive, la correspondance entre Paul et la capitale de l’Achaïe ? En raison de l’absence d’autres sources disponibles, la réponse dépend exclusivement de la manière dont on tranche l’épineuse question de l’histoire de la rédaction de 2 Corinthiens, dont la question de l’intégrité littéraire est la plus problématique parmi les lettres conservées dans le Nouveau Testament. Celle-ci continue d’occuper la recherche. Elle est à l’origine de nombreuses hypothèses, lesquelles peuvent être réparties en six catégories 56, si l’on ajoute aux cinq premières les tenants de l’intégrité littéraire : Phœbé qu’elle officiait comme responsable de la communauté, en lui permettant de se réunir vraisemblablement dans sa maison. 54. «  Claude chassa de Rome les juifs qui s’agitaient continuellement à l’instigation de Chrestos  », Suétone, Vie de Claude, XXV, 11, cité d’après B.  Pouderon – J.-M. Salamito – V. Z arini (éd.), Premiers écrits chrétiens, Paris, 2016, p. 10. 55.  1 Co 16,13-24. 56.  Nous prenons pour point de départ la typologie des solutions proposée par François Vouga (voir « Chronologie paulinienne », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p.  159-160), mais en la modifiant à l’aide des tableaux de M.  Thrall et

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1. L’hypothèse fondatrice de Semler (1776), reprise notamment par Barrett (1973), Furnish (1984) et Murphy O’Connor (1991) et d’une certaine façon Arzt-Grabner (2014) 57 : 2 Corinthiens résulte de l’assemblage de deux lettres, à savoir 2 Corinthiens  1-9, puis 2 Corinthiens 10-13, rédigée suite à la réception de nouvelles faisant état d’une sérieuse dégradation de la situation à Corinthe ; la lettre dans les larmes est perdue. 2. L’hypothèse de Hausrath (1870), Kennedy (1897), puis notamment de Goguel (1926), Héring (1958), G.  A. Kennedy (1984), F.  Watson (1984) et Talbert (1987) : ils partent du constat de la différence de ton entre 2 Corinthiens 1-9 et 2 Corinthiens 10-13. La première séquence atteste d’une relation plutôt heureuse entre Paul et les Corinthiens, alors que la deuxième est remplie de pointes polémiques contre la communauté. 2 Corinthiens 10-13 est la lettre dans les larmes et est suivie d’une deuxième lettre (1 Corinthiens 1-9), laquelle atteste de la réconciliation après la crise. 3. L’hypothèse de Windisch (1924), puis notamment de Martin (1986) et Thrall (1994) : ils suivent l’hypothèse de Semler, mais en détachant 2 Corinthiens  9 de 2 Corinthiens 1-8, ce qui donne trois lettres, toujours dans le même ordre chronologique. La lettre dans les larmes est toujours perdue selon cette hypothèse. 4. L’hypothèse de Weiss (1917) et Bultmann (1947) puis Wilckens (1970), Vielhauer (1975) : ils suivent l’hypothèse de Hausrath, mais en détachant 2 Corinthiens 2,14-7,4 de 2 Corinthiens 1-9 et en l’ajoutant à la séquence 10-13. En outre, Bultmann ajoute en plus 2 Corinthiens  9, ce qui donne selon lui deux lettres : premièrement, la lettre dans les larmes (2 Co 2,14-7,4) suivi de 2 Corinthiens  10-13 et 9 et deuxièmement la lettre de réconciliation composée de l’addition des séquences 1,1-2,13 et 7,5-8,24. R. Bieringer (voir « Plädoyer für die Einheitlichkeit des 2. Korintherbriefes, literarund inhaltliche Argumente », dans R. Bieringer – J. L ambrecht (éd.), Studies on 2 Corinthians, Louvain, 1994), ainsi qu’en y ajoutant quelques unes des publications significatives parues depuis lors. On signalera que la comparaison de ces tableaux donne des résultats parfois contradictoires. Ainsi, selon F. Vouga, Semler serait l’auteur de l’hypothèse 2 Co 1-9  +  2 Co 10-13, alors que selon M.  Thrall, Semler serait à l’origine de l’hypothèse 2 Co 1-8  +  2 Co 9  +  2 Co 10-13. Il convient de suivre M. Thrall (voir The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, 1994, p.  3-4) qui justifie son propos en citant Semler. Les commentaires ne sont signalés ici que par le nom de leur auteur et leur année de parution. Leurs références complètes se trouvent dans la bibliographie (section 3 : « Commentaires »). 57. P. A rzt-Grabner, 2. Korinther, Göttingen, 2014, p. 137-138, lequel estime que les données pappyrologiques militant autant en faveur de la vraisemblance de l’unité de 2 Corinthiens que d’une partition en deux parties (1-9 et 10-13).

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5. L’hypothèse de Schmithals (1956) et de Bornkamm (1961), puis notamment Collange (1972), Betz (1985) et Grässer (2002 et 2005) : 2 Corinthiens résulte de l’amalgame de cinq lettres originelles, soit 2,14-7,4 58, suivi d’un durcissement de la situation (2 Co 10-13), puis d’une réconciliation (2 Co 1,1-2,13 et 7,5-16). Suivent alors les deux billets relatifs à la collecte (2 Co 8 et 9). 6. L’hypothèse de Rückert (1837) et de nombreux autres, dont notamment Carrez (1986), Young et Ford (1987), Lambrecht (1999), Vouga (2000), Hall (2003) 59 et d’une certaine façon Schmeller (2010) 60 : 2 Corinthiens constitue une lettre unique dès l’origine, et ceci pour différentes raisons, notamment les attestations de la traduction manuscrite et le fait qu’aborder des thèmes différents, voire contradictoires dans une même œuvre littéraire était une pratique courante dans l’Antiquité. En ce qui concerne plus précisément 2 Corinthiens 10-13 et le reste de la lettre, la principale difficulté relève du brusque changement de ton et de thématique entre les chapitres 9 et 10. En 9,15 se termine l’exhortation adressée par Paul en faveur de la collecte pour les frères de Jérusalem ; celle-ci est chargée de propos qu’on peut qualifier de paisibles et de constructifs. En 10,1, l’agenda de la discussion change radicalement, sans autre forme de transition et le ton devient passionné. Force est de constater que si la recherche consate quasi unanimement la rupture, les explications à son sujet divergent largement 61. De nombreuses hypothèses ont surgi, combinant une multitude de paramètres. On notera premièrement l’invocation d’une série de critères historiques, comme la réception soudaine et imprévisible de mauvaises nouvelles motivant abruptement Paul soit à ter-

58. Reste ouverte la question du fragment 6,14-7,1 auquel les exégètes reconnaissent volontiers la difficulté d’attribuer une paternité paulinienne. Erich Grässer considère ce dernier comme une « interpolation post-paulinienne » (« eine nachpaulinische Interpolation »), E. Grässer, Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 1,1-7,16, Gütersloh, 2002, p. 35. 59.  D.  R. H all, The Unity of the Corinthian Correspondence, Londres – New York, 2003. 60. T. Schmeller, Der Zweite Brief an die Korinther (2Kor 1,1-7,4), Neukirchen-Vluyn – Ostfildern, 2010, p.  37. Il estime que le problème de la rupture entre 9 et 10 peut se résoudre simplement si on considère que la séquence 6,14-7,1 aurait originellement fait office de charnière entre 9 et 10 (« Diese Probleme lassen sich dann am leichtesten lösen, wenn man sie auf einander bezieht. Der ursprüngliche Ort von 6,14-7,1 – ein Text bei dem Paulus mehr als üblich auf Tradition zurückgriff – war im Anschluss an 9,15. Dieser Text ist an der falschen Stelle geraten »). 61.  Voir M. Kowalski, Transforming Boasting of Self into Boasting in the Lord. The Development of the Pauline Periautologia in 2 Cor 10-13, Lanham – Boulder – New-York – Toronto – Plymouth (UK), 2013, p. 41-82.

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miner autrement sa lettre, soit à reprendre la plume 62 . Deuxièmement, on notera les critères relevant de l’analyse littéraire, par exemple l’habitude de Paul de terminer ses lettres par des exhortations fortes 63, comme s’il voulait quelque part garder le plus percutant pour la fin  6 4 . Troisièmement, des critères pragmatiques comme préparer sa troisième visite à Corinthe, lever des malentendus sur la question du soutien financier de l’apostolat et faire changer d’avis les Corinthiens 65. Quatrièmement des critères rhétoriques et théologiques comme un exposé en trois parties, défendant doctrinalement une théologie de l’obéissance (1-7), puis exhortant les Corinthiens à contribuer en faveur de la collecte (8-9), et terminant par une légitimation forte de l’autorité de sa qualité d’apôtre de Jésus, dans le sillage de la posture du serviteur souffrant (10-13) 66. Le caractère particulièrement épineux de l’intégrité littéraire de 2 Corinthiens réside dans le fait que ces critères peuvent jouer tant en faveur qu’en défaveur de celle-ci. Par exemple, l’hypothèse de la survenue inattendue de mauvaises nouvelles peut à la fois plaider en faveur de l’unité de la lettre, en justifiant le brusque changement de ton entre 9,15 et 10,1 67 ou, au contraire, amener à considérer 2 Corinthiens 10-13 comme une nouvelle lettre – Paul décidant d’envoyer une deuxième lettre après avoir expédié la première – voire même de plaider le renversement du plan de la lettre actuelle. Selon ce dernier scénario, « la lettre 10-13 » aurait entraîné la réconciliation attestée par « la lettre 1-7 » 68. En passant en revue l’argument des différentes hypothèses, Margaret Thrall et Reimund Bieringer aboutissent à des conclusions opposées. Ce débat est emblématique de la difficulté à trancher, comme le conclut Raymond Brown : La certitude est hors d’atteinte. Le débat autour de l’unité de 2 Co importe pour une connaissance historique détaillée des relations de Paul avec 62. M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, p.  74-77. 63. J. L ambrecht, Second Corinthians, Collegeville, 1999, p.  161. 64.  D. E. Garland, 2 Corinthians, Nashville, 1999, p.  422. 65. J. Murphy O’Connor, The Theology of the Second Epistle to the Corinthians, Cambridge, 19962 , p.  96-98. 66.  J. W. Mc Cant, 2 Corinthians, Sheffield, 1999. 67.  Elle offre, de ce fait, une analogie sympathisant avec la rhétorique politique du  changement dans la continuité (ou son contraire). 68. Margaret Thrall (The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, p. 47-49) et Reimund Bieringer (« Plädoyer für die Einheitlichkeit des 2. Korintherbriefes, literar- und inhaltliche Argumente », dans R.  Bieringer – J. L ambrecht (éd.), Studies on 2 Corinthians, Louvain, 1994, p.  96-97) passent en détail les arguments en faveur des différentes hypothèses possibles, mais aboutissent à des conclusions opposées. Leur intérêt réside non seulement dans leur déconstruction systématique des arguments, mais aussi dans les tableaux résumant leurs analyses. Les études et les commentaires parus depuis 1994 permettent de continuer d’alimenter la typologie tant de M. Thrall que celle de R. Bieringer .

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Corinthe ; mais depuis les premiers temps 2 Co se présente sous sa forme actuelle […]. Pour comprendre ce que Paul a voulu communiquer, il suffira à la plupart des lecteurs de reconnaître que 2 Co contient différents sujets exprimés avec des accents rhétoriques divers 69.

On peut déduire de cet état des lieux sur la question de l’intégrité littéraire de 1 et de 2 Corinthiens, ainsi que des allusions faisant écho à la relation de correspondance entre Paul et Corinthe, l’existence probable d’au moins six lettres de Paul, dont deux sont perdues, auxquelles s’ajoute au moins une lettre des Corinthiens à Paul, elle aussi perdue. Ces considérations permettent d’identifier ainsi sept lettres en tout, à savoir : 1. Une première lettre écrite par Paul aux Corinthiens, selon 1 Corinthiens  5,9 (lettre perdue). 2. La lettre des Corinthiens à Paul, mentionnée en 1 Corinthiens 7,1 (lettre perdue). 3. 1 Corinthiens. 4. La lettre « dans les larmes », mentionnée en 2 Corinthiens 2,4 (lettre perdue). 5. 2 Corinthiens 1-8. 6. 2 Corinthiens 9. 7. 2 Corinthiens 10-13. Pour élaborer la chronologie des événements, Margaret Thrall rappelle la nécessité de prendre en compte les contingences concrètes, propres à cette époque, aux voyages et à l’envoi des lettres 70, comme les saisons, les distances ou les itinéraires propices aux traversées maritimes. On ne pouvait pas voyager en hiver, c’est-à-dire de mi-novembre à mi-mars. Les voyages maritimes étaient considérés comme risqués de mi-septembre à fin mai 71. Le cabotage était dangereux en raison des vents violents. Les lettres et leurs messagers pouvaient ne pas toujours arriver à destination, pour toutes sortes de raisons. Il suffit, à ce propos, de se référer aux listes des dangers affrontés par le Tarsiote tout au long de sa carrière de missionnaire itinérant, notamment 2 Corinthiens 6,4-10 et 11,23-27. Ainsi, de la fin de l’automne au début du printemps, aucune lettre ne pouvait être convoyée, ni aucune visite ne pouvait être effectuée. Le séjour de trois mois en Grèce, après avoir traversé la Macédoine et avant de prendre la 69.  R.  E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 2000, p.  598. 70. M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), Edinburgh, 1994, p.  74-77. 71. « The Jewish tradition was that sailing was safe only from Pentecost till the Feast of the Tabernacles », R. Jewett, Dating Paul ’s Life, Londres, 1979, p. 56, cité par M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), T.&T.  Clark, Edinburgh, 1994, p.  75.

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mer pour la Syrie (Ac 20,1-3), pourrait bien correspondre à la pause hivernale planifiée à Corinthe (1 Co 16,6). Quant aux distances, on comptait généralement une semaine pour traverser la mer de Corinthe à Éphèse et un mois pour se rendre de Corinthe en Macédoine. De plus, le calendrier peut aussi fournir des indices. En 1 Corinthiens 16,8, Paul signale son intention de rester à Éphèse jusqu’à la Pentecôte. Margaret Thrall, en suivant Robert Jewett, suggère de retenir la date de Pentecôte de l’année 55, car celle-ci tombait le 25 mai 72 . Ce qui rendrait plausible, en raison des contraintes météorologiques hivernales, un envoi de la lettre (1 Co) vers mi-avril. Celle-ci répondrait en fait aux questions des Corinthiens, reçues sitôt les premières traversées maritimes possibles entre Corinthe et Éphèse, soit début avril. Mais cela aurait pu aussi se passer à la fin de l’automne 54. Ainsi, tout se serait joué autour de l’hiver 54‑55, même si les données textuelles permettant d’élaborer une chronologie plus assurée des événements manquent. En résumé, on peut dresser le tableau suivant 73 : Automne 54 Hiver 54-55 Avril Juin Juillet-août Août-septembre

Rédaction et expédition d’une lettre des Corinthiens à Paul (reçue à Éphèse ?) ; Ni lettre, ni visite ; Paul prépare une réponse à la lettre des Corinthiens ; Visite de Stéphanas et d’autres collaborateurs à Paul ; achèvement et transmission d’une lettre (1 Corinthiens) ; Séjour de Paul à Corinthe (« deuxième visite »), puis retour à Éphèse ; Rédaction, puis expédition, d’une nouvelle lettre (la « lettre écrite dans beaucoup de larmes ») ; Paul va en Macédoine. Tite retourne en Macédoine pour retrouver Paul et il lui apporte de bonnes nouvelles : sa lettre « écrite dans beaucoup de larmes » (2 Co 2,4), bien que critiquée, aurait tout de même reçu un accueil favorable.

72. R. Jewett, Dating Paul ’s Life, Londres, 1979, p.  48, cité par M.  Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 1 (2 Co 1-7), T.&T. Clark, Edinburgh, 1994, p.  75. 73.  Pour un état récent des lieux, on consultera les appendices A et B donnés par K. Donfried (« 1 Thessaloniciens et la chronologie paulinienne », dans A.  Dettwiler – J.-D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p. 130-134).

244 Hiver 55-56

Fin mars Juin-juillet Juillet-août Août-septembre Septembre-octobre

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Ni lettre, ni visite ; Paul, toujours en Macédoine, ne répond pas immédiatement, mais planifie une réponse adaptée à la situation, tout en prévoyant d’appeler les Corinthiens à contribuer à la collecte en faveur de Jérusalem ; Envoi d’une lettre au sujet de la collecte (2 Corinthiens 1-8) avec Tite et « les frères » ; Envoi d’une nouvelle lettre au sujet de la collecte (2 Corinthiens 9) ; Réception de nouvelles inquiétantes relatives à la situation devenue conflictuelle au sein de la communauté de Corinthe ; Expédition d’une nouvelle lettre (2 Corinthiens 10-13) ; Paul se rend finalement à Corinthe et y passe l’hiver (« troisième visite »). Il achève la collecte.

Cette chronologie des événements relatifs à la correspondance entre Paul et les Corinthiens n’intègre pas la lettre que Paul aurait écrite avant 1 Corinthiens, selon la mention qui en est faite en 1 Corinthiens  5,9. Peut‑on la situer avec plus de précision que simplement autour de l’été 54 ? Ici aussi, il est difficile de trancher avec certitude, faute d’indices textuels suffisants. 4.2.5 De la crise de la communication à la communication de crise  (2 Co 10-13)

4.2.5.1 Remarques préliminaires Les premiers mots inaugurant le contenu d’une communication sont d’une importance capitale : ils ont souvent une valeur programmatique. L’art épistolaire ne déroge pas à ce principe, bien au contraire. Comme on a pu le rappeler 74 , le formulaire épistolaire initial (adresse et salutation) dévoile le projet du destinateur, ses intentions, voire même une part de son humeur ; il donne le ton et annonce clairement de quoi il va s’agir maintenant. Il a, en quelque sorte, valeur de pacte de lecture, ou plutôt, dans le contexte de l’échange épistolaire, de pacte de réception de son message. Ainsi, de manière programmatique, adresse et salutations préparent le terrain de la bonne réception de l’objet de la communication (le corps de la lettre), particulièrement si celui-ci est délicat, risqué, voire franchement polémique. Quant à la conclusion, elle reprend le thème initial, en mesurant le chemin parcouru, et en rappelant, dans les grandes lignes, comment 74.  Voir notre section 3.3.4 : « Le formulaire épistolaire ».

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l’objet de la communication a été traité et ce qui est attendu en retour. Ce dernier point fait souvent l’objet d’une exhortation à adopter un comportement adéquat. L’exhortation résume les propos de l’auteur, ainsi que la manière dont il souhaite que sa lettre soit reçue par les destinataires. Les conclusions signalent aussi, comme les formulaires épistolaires hellénistiques et romains le confirment, les projets de l’auteur de la lettre pour la suite des contacts et l’entretien des relations : projet de voyage, promesse de retour ou d’une nouvelle missive, demande pressante de réponse. Au fil de notre lecture de 2 Corinthiens 10-13, nous examinons successivement (1) l’entrée en matière de Paul, placée sur le registre de l’exhortation (παρακαλῶ), (2) le fil rouge de l’argumentation, en réexaminant le dossier lié à la thématique sémantique de la glorification (καυχάομαι), puis (3) nous revenons sur une des particularités propres à 2 Corinthiens 10-13, à savoir le jeu entre le « je » et le « nous », dont une étude récente a mis en évidence le fonctionnement pragmatique particulier au sein de 2 Corinthiens 10-13 75.

4.2.5.2 Παρακαλῶ Pour comprendre comment, par le Discours du fou, Paul entre en matière avec les Corinthiens, examinons tout d’abord sa demande initiale, son contenu et ses modalités (« moi Paul en personne je vous le demande » αὐτὸς δὲ ἐγὼ Παῦλος παρακαλῶ ὑμᾶς, v.  10,1). Dans le Nouveau  Testament, le verbe παρακαλῶ constitue l’un des substantifs les plus utilisés pour exprimer l’idée de parler dans le but d’influencer 76. Sa fonction pragmatique est indéniable. Sur le plan statistique, on note que παρακαλῶ et παράκλησις y apparaissent 109 fois, dont 25 fois dans les Évangiles synoptiques, dans le sens général de demander, et 44 fois dans le corpus paulinien et deutéropaulinien, dans le sens de demander dans le but d’inviter à agir, réagir, exhorter ou consoler. Dans l’Évangile de Jean, on ne rencontre pas le verbe παρακαλῶ, mais on trouve le substantif παράκλητος, qu’on traduit par le paraclet, dans le sens d’avocat, de défenseur et d’intercesseur. Sa fonction théologique dans les discours johanniques d’adieu, et à travers cela, sa fonction pneumatologique pour la communauté johannique ont été toutes deux bien mises en évidence 77. Par contre, on ne rencontre 75.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015. 76.  Voir J. Thomas, « παρακαλέω, παρακλὴσις », dans H. Balz – G. Schneider (éd.), Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament (Band III), Stuttgart – Berlin – Köln – Mainz, 1982, col.  54-64 ; C.  J.  Bjerkelund, Parakalô. Zur Form, Funktion und Sinn der Parakalô-Sätze in den paulinischen Briefen, Oslo, 1967. 77. Voir J.  Zumstein, L’Évangile selon Saint Jean (13-21), Genève, 2007, p. 74-76.

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παρακαλῶ ni dans les lettres johanniques, ni dans l’Apocalypse, ni dans Jacques, ni dans 2 Pierre et enfin, ni dans Galates. Le sens profane du terme est assorti à l’idée d’une demande manifestant un intérêt personnel affirmé à l’égard d’un tiers. C’est ainsi que les auteurs du Nouveau Testament se seraient appropriés assez librement sa sémantique usuelle pour lui conférer une connotation à tendance eschatologique, à savoir celle d’affirmer la consolation divine ou d’exhorter à se comporter dignement en vue de la fin des temps. Il s’agissait d’appeler les communautés et les croyants à se préparer activement en vue du retour du Messie. Dans ses lettres, Paul témoigne d’une utilisation de παρακαλῶ  allant dans le même sens ; l’usage le plus frappant est sa récurrence pour marquer le passage du registre doctrinal au registre parénétique dans le corps de ses lettres, comme dans Romains 78 ou dans 1 Thessaloniciens 79. Paul semble au contraire sciemment éviter tout emploi de παρακαλῶ dans Galates, pour appuyer personnellement la relance de son argumentation sur la circoncision et enchaîner avec une parénèse 80. Paul n’hésite pas à se mettre en avant et à s’appuyer sur son autorité personnelle pour faire part de son message, appeler à l’obéissance ou délivrer ses instructions. En 1 Corinthiens  1,10, Paul utilise παρακαλῶ pour introduire une action de grâce et ainsi d’entrée embrayer sur un registre éthique au début de sa communication 81. La demande porte d’emblée sur la question des divisions régnant au sein de la communauté corinthienne, dont Paul va s’occuper durant les quatre premiers chapitres. Dans Philémon, Paul introduit sa requête concrète à propos d’Onésime, toujours à l’aide de παρακαλῶ 82 . Comme 78.  « Je vous exhorte donc (Παρακαλῶ οὖν ὑμᾶς), frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel. Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence, pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rm 12,1-2). 79.  « Au demeurant, frères, voici nos demandes et nos exhortations (ἐρωτῶμεν ὑμᾶς καὶ παρακαλοῦμεν ἐν κυρίῳ Ἰησοῦ) dans le Seigneur Jésus : vous avez appris de nous comment vous devez vous conduire pour plaire à Dieu, et c’est ainsi que vous vous conduisez ; faites encore de nouveaux progrès. Vous savez, en effet, quelles instructions nous vous avons données de la part du Seigneur Jésus » (1 Th 4,1-2). 80.  « Voici, moi Paul, je vous le dis : si vous vous faites circoncire, Christ ne vous servira plus de rien. Et j’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est tenu de pratiquer la loi intégralement » (Ga 5,2-3). 81.  « Mais je vous exhorte, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ (παρακαλῶ δὲ ὑμᾶς, ἀδελφοί, διὰ τοῦ ὀνόματος τοῦ κυρίου ἡμῶν Ἰησοῦ Χριστοῦ) : soyez tous d’accord, et qu’il n’y ait pas de divisions parmi vous ; soyez bien unis dans un même esprit et dans une même pensée. En effet, mes frères, les gens de Chloé m’ont appris qu’il y a des discordes parmi vous » (1 Co 1,10-11). 82.  « C’est de préférence au nom de l’amour que je t’adresse une requête. Oui, moi Paul, qui suis un vieillard, moi qui suis maintenant prisonnier de Jésus Christ, je te prie  (παρακαλῶ σε) pour mon enfant, celui que j’ai engendré en prison, Oné-

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le signalent Rm 12,1-2 et 1 Th 4,1-2, Paul change de registre ; il passe de l’enseignement de la doctrine à sa mise en œuvre éthique. Il traduit donc dans des préceptes – qui sont autant de consignes pour la vie communautaire ou individuelle – ce qu’il a éclairci et élaboré sur le plan théologique. Plusieurs auteurs s’appuient précisément sur cet état de fait pour conclure à l’intégrité littéraire de 2 Corinthiens en constatant que Paul n’écrit jamais des exhortations toutes seules 83. On retiendra donc que Paul utilise le verbe παρακαλῶ de la même façon, à savoir pour opérer le passage d’un constat ou d’une argumentation théologique à une partie éthique. Notre démonstration selon laquelle 2 Corinthiens 10-13 constitue une lettre indépendante infléchit cette conclusion. Mais la plasticité offerte par le médium épistolaire et surtout la liberté de Paul à l’égard des modèles préétablis, sa créativité, sa subtile perception des enjeux de la vie communautaire, son souci de traiter la crise corinthienne dans les plus brefs délais rendent plausible l’hypothèse de la rédaction d’une lettre indépendante à visée exhortative. L’usage de παρακαλῶ dans 2 Corinthiens 10-13 est à remarquer particulièrement : « moi Paul, en personne je vous le demande… ». La formule a-t-elle valeur de programme pour l’entier de la séquence ? Παρακαλῶ est utilisé à la première personne et se trouve ici renforcé par cette formule particulièrement insistante : « moi Paul en personne ». Paul va formuler ainsi une demande directe et personnelle à l’ensemble de la communauté corinthienne (« vous »). Tout au long de la séquence, Paul ne va cesser de s’adresser à eux, directement et sans détours. Nous avons affaire ici à une demande très homogène quant à sa forme et à ses destinataires, depuis la première demande (παρακαλῶ ὑμᾶς, 2  Co  10,1) jusqu’à la bénédiction finale : « la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous  (μετὰ πάντων ὑμῶν) » (2  Co  13,13). Cette inclusion formée par la répétition du cercle des destinataires donne déjà un indice de la cohérence pragmatique de 2 Corinthiens 10-13. De plus, comme un écho, à la fin de sa communication, Paul recourt au même verbe pour conclure : « au demeurant, frères, soyez dans la joie, travaillez à votre perfectionnement, encouragez-vous (παρακαλεῖσθε), soyez bien d’accord, vivez en paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous » (2 Co 13,11). Paul commence sa lettre par le motif de l’exhortation sur un mode personnel et il la sime, qui jadis t’a été inutile et qui, maintenant, nous est utile, à toi comme à moi » (Phm 9-11). 83.  « Thus, there is no more reason to sever 2 Corinthians 10-13 from 2 Corinthians  1-9 than Romans  12 from Romans  1-11 or 1  Thessalonicians  4-5 from 1 Thessalonicians 1-3 », J. Mc Cant, 2 Corinthians, Sheffield, 1999, p.  102. V. P. Furnish voit dans le caractère abrupt de la transition l’ouverture d’une nouvelle lettre (II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p. 44-48). Seule la mise en évidence d’un changement avéré de contexte de communication permettrait de trancher ce dilemme.

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conclut en exhortant les Corinthiens à s’encourager mutuellement. Ainsi, le premier élément qui confère aux chapitres 10 à 13 leur cohérence est concrètement donnée par la formule « moi Paul, en personne je vous le demande… », qui déploie de manière programmatique le Discours du fou. Ce passage en revue de l’usage paulinien de παρακαλῶ dans 2 Corinthiens 10-13 donne un échantillon précis de ses significations. Il signale l’importance du paramètre relationnel en jeu dans le cadre de l’exercice de sa pratique épistolaire. Dans notre lecture du Discours du fou, on aura l’occasion d’y revenir, notamment au moment où culmine la crise, dans l’épisode de l’écharde dans la chair. À son sujet, Paul priera trois fois le Seigneur : « et parce que ces révélations étaient extraordinaires, pour m’éviter tout orgueil il a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. À ce sujet, par trois fois j’ai prié le Seigneur (τὸν κύριον παρεκάλεσα) de l’écarter de moi » (2  Co  12,7-8). Il s’agit ici d’une demande insistante, d’une prière de délivrance, déployant un appel au secours. On reviendra aussi sur l’insistance auprès de Tite, au moment de l’annonce du projet de troisième visite : « j’ai insisté auprès de Tite (παρεκάλεσα Τίτον) et envoyé avec lui le frère [dont j’ai parlé] » 2 Co 12,18). Ainsi, en 2 Corinthiens 10-13, le verbe παρακαλῶ signifie tour à tour demander, insister, prier, exhorter, admonester. Paul emploie donc le verbe παρακαλῶ dans le sens de demander avec insistance, mais celle-ci revêt différents degrés pragmatiques suivant à qui elle est destinée ou en fonction de quoi elle est motivée. Dans l’entrée en matière, Paul assortit le caractère pressant de sa requête en fonction de deux motifs christologiques importants, la bonté et la douceur du Christ, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir au moment de lire la séquence de 2 Co 10-13.

4.2.5.3 Καυχάομαι En 2 Corinthiens 10,8-11, comme on l’a vu 84 , Paul convoque pour préciser et légitimer l’autorité de sa mission la posture d’autorité prophétique de Jérémie. Celle-ci est reprise et retravaillée à partir du motif de la glorification (καύχησις). Dans sa reformulation au service de l’argumentation, affleure la trace de la manière dont Paul précise sa compréhension de la nature de l’autorité apostolique. Le verbe καυχάομαι ne vise pas tant, dans son sens général, le prestige ou l’orgueil humain en tant que tel, mais désigne, bien au contraire, tout l’effort de l’homme de fonder son existence sur une valeur non aliénante. Comme le montre Éric Fuchs, Paul puise ici dans le champ sémantique de la Septante 85. Dans celle-ci, καυχάομαι peut 84.  Voir notre section 3.4 : « La figure du prophète Jérémie et la posture prophétique de Paul de Tarse ». 85. É. Fuchs, « Gloire de Dieu, gloire de l’homme. Essai sur les termes kauchastai, kauchèma, kauchèsis dans la Septante », Revue de théologie et de philosophie 27  (1977), p.  321-332.

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prendre deux connotations théologiques opposées, l’une positive, l’autre négative, selon que le but de la quête est vertueux ou contestable. Dans le régime de la pratique religieuse, tout effort de tendre vers Dieu, de fonder toute justification et d’adopter un comportement adéquat confère au verbe une connotation positive. Au contraire, tout effort de rechercher le prestige aux yeux des hommes – et, par voie de conséquence, le pouvoir à des fins de gloire personnelle – lui donne théologiquement une dimension négative, à savoir l’éloignement de Dieu. Cela équivaut, pour Paul, à « marcher selon la chair », c’est-à-dire à limiter sa conduite en fonction des seules valeurs humaines. On aura l’occasion de voir comment Paul joue rhétoriquement sur les deux tableaux, suivant qu’il parle de lui ou des apôtres concurrents. Une manière satisfaisante de signifier ces nuances est de rendre en français l’option positive par tirer de la fierté de et l’option négative par s’enorgueillir. Quant à la formulation se glorifier, elle peut se révéler utile quand Paul donne l’impression de laisser volontairement planer l’ambiguïté. Ce qui est visiblement le cas ici : « se glorifier d’un petit quelque chose » renvoie très certainement ironiquement aux grandes choses dont la mission concurrente pensait tirer de la fierté. Mais cela peut aussi annoncer, en l’anticipant, la légitime fierté dont Paul va se prévaloir ultérieurement. Ainsi, on distinguera trois nuances possibles pour καυχάομαι, selon l’usage qu’en fait le Tarsiote au profit de son argumentation : 1. Tirer sa fierté profonde dans le sens de ce sur quoi je fonde mon existence (quand Paul estime que la glorification vise un objectif théologiquement positif, comme Dieu). 2. S’enorgueillir (quand Paul estime que la glorification vise un objectif négatif, comme la renommée auprès des hommes). 3. Se glorifier (quand Paul veut laisser planer l’ambiguïté ou laisser le choix à la libre appréciation de ses auditeurs). Il faut pointer ici le caractère sensible de la traduction française dans le cadre de l’interprétation. Καυχάομαι signifie indiscutablement ce par quoi, pour le dire avec les mots d’aujourd’hui, le croyant comprend et justifie le sens de son existence. S’enorgueillir alourdit la traduction française d’une connotation moralement pénalisante. Ce faux-ami évoque une démesure soupçonnable d’égocentrisme. On ne trouve rien de cela chez Paul, pour qui il s’agit précisément de l’appel à clarifier sans ambiguïté les fondements de l’existence croyante, selon des valeurs purement humaines ou en Dieu seul. On aura l’occasion d’y revenir dans l’analyse pragmatique de la prise, par Paul, de la posture du fou, déployant une folie forte théologiquement de la glorification de ses faiblesses et de sa fierté d’incarner, par ses labeurs apostoliques, les souffrances de son Seigneur. L’analyse épistolaire du geste paulinien doit donc constamment garder présent à l’esprit la force de l’argument de la fierté. Aucune place n’est laissée au sous-entendu et c’est

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bien là la preuve du caractère non-négociable que le Tarsiote assigne à cet argument. La lecture de détail du Discours du fou va permettre d’explorer les mécanismes pragmatiques à l’œuvre au fil de la lettre, en particulier les interactions entre ce qui est sous-entendu, comme la rumeur ou la prédication de la mission concurrente et ce qui est massivement déployé, comme les fondements de l’authentique apostolat.

4.2.5.4 Le jeu entre le « je » et le « nous » dans 2 Corinthiens 10-13 Il convient d’évoquer enfin la question du jeu entre le « je » et le « nous » propre à 2 Corinthiens 10-13. Celle-ci a été traitée, entre autres, par Maurice Carrez 86, lequel s’interroge sur la place prédominante du « je » de l’apôtre dans cette séquence et son caractère particulier, eu égard aux autres lettres du Tarsiote. Cette question a été reprise par Loïc Berge qui lui consacre une monographie complète, dans laquelle tous les cas de figure possibles de « je » et de « nous » sont détaillés et analysés 87. Dans le cas du « nous », il fait ainsi la distinction entre le « nous » comme pluriel réel, rassemblant une pluralité d’individus (qu’on peut désigner, du point de vue linguistique comme « non-je ») et le « nous » comme pluriel fictif, se substituant au « je » de l’émetteur. Le pluriel réel peut (1) inclure les destinataires (1a. « nous » inclusif) ou pas (1b. « nous » exclusif) ; il peut aussi (2) supposer que le « non-je » est connu des destinataires (2a. « nous » anaphorique), ou au contraire inconnu des destinataires (2b. « nous » proleptique) ou explicitement défini dans l’énoncé (2.c « nous » déictique) ; il peut enfin (3) chercher à les viser (« nous » hortatif ou « nous » d’appartenance). Quant au pluriel fictif, il peut exprimer soit (1) une amplification du « je » (« nous » de majesté ou « nous » de fierté) ou soit au contraire (2) un estompement du « je », visant ainsi soit une collectivité indéterminée (2a. « nous » de type pluralis sociativus 88 ou 2b. 86. M. Carrez , « Le “nous” en 2 Corinthiens », New Testamentum Studies 26 (1980), p.  474-486. 87. Voir la grammaire du « nous » élaborée par L.  P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 13-34. Nous suivons son exposé. 88. A ce sujet, Loïc Berge apporte les précisions suivantes : « par la dilution du ‘ je’ dans un ‘nous’, le locuteur suggère la solidarité d’un groupe plus large, sans toutefois en préciser la réalité. C’est un acte du langage, et non d’abord une description de la réalité. Il ne s’agit pas pour le locuteur de s’exprimer au nom d’un groupe connu et déterminé. Ce groupe en effet n’existe peut-être pas comme tel. Le pluralis sociativus est un pluriel potentiel qui esquisse un certain entourage pour le locuteur. Celui-ci veut suggérer, de manière vague et indéterminée, une communauté ou une solidarité avec d’autres individus », L.  P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 32 (c’est l’auteur qui souligne). Voir également les conclusions d’Ivar Vegge, qui

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« nous » d’auteur), soit la modestie (2c. « nous » de modestie). L’analyse du « je » et du « nous » en 2 Corinthiens 10-13 montre la grande cohérence, entre le « je » singulier de Paul, le « nous » désignant l’équipe apostolique (« nous » anaphorique) et le « vous » désignant la communauté. Cela permet à Loïc Berge de conclure en soulignant la grande cohérence pragmatique entre présidence, collégialité et communauté dont témoigne 2 Corinthiens  10-13 : Le ‘ je’ et le ‘nous’ en 2 Co 10-13 ne sont pas en effet l’un par rapport à l’autre dans une situation d’emmêlement incohérent et confus. Leur alternance est au contraire expressive d’une complémentarité entre présidence et collégialité. Celle-ci se fait jour […] plus particulièrement dans l’ouverture (A) [10,1-6], et dans les ensembles B [10,7-11,15] et B’ [12,14-13,10] qui encadrent le discours de déraison (C) [11,16-12,13], ce dernier traduisant plus particulièrement le ministère de la présidence. À ces deux pôles de l’autorité apostolique, le texte joint le troisième pôle, celui de la communauté, qui apparaît plus nettement dans l’épilogue A’ [13,11-13], où la communauté est renvoyée à sa liberté et à sa responsabilité. L’association de ces trois aspects en 2 Co 10-13 est remarquable 89.

Ce « vous » traverse toute la séquence et il est frappant de remarquer son caractère exclusif. Tous les autres protagonistes sont réduits à la troisième personne, de manière anonyme, comme « ces gens qui prétendent que notre conduite a des motifs humains » (10,2) ou comme « ceux qui ont péché antérieurement » (2 Co 12,21 et 13,2), soit à l’état d’une rumeur (φησίν), selon laquelle la présence personnelle de Paul et son éloquence sont en net décalage avec la force de ses lettres (2 Co 10,10). Paul mentionne ainsi ses collaborateurs (« nous ») dès le début de la séquence (« nous nous comportons » 10,2) et ceci tout le long du chapitre 10 (« notre règle », v. 15). Ceux-ci vont endosser, sous l’égide de Paul, la figure du bon combat. On peut se demander par ailleurs si Paul ne recourt pas, du moins partiellement, à un « nous » de majesté, voire de fierté, quand on considère l’argument de la glorification dans la séquence. Cette option est à écarter pour au moins deux raisons. D’une part, le Discours du fou est dominé unilatéralement par la première personne et les « vous » reflètent rappelle qu’on peut, en définitive, distinguer quatre usages différents du « nous » chez Paul : (1) le pluralis sociativus incluant l’émetteur, en général, (2) le pluralis sociativus désignant un groupe particulier au sein du cercle de l’émetteur, (3) un pluriel désignant littérairement l’émetteur et (4) ceux qui sont à l’œuvre avec Paul (I.  Vegge , 2 Corinthians – a Letter about Reconciliation. A Psychagogical, Epistolographical and Rhetorical Analysis, Tübingen, 2008, p. 376). 89.  L. P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 573-574 (l’auteur souligne).

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bien, en miroir inversé, le « non-je » de l’apôtre en train de se légitimer ; d’autre part, la solitude de Paul au moment le plus dur de la confrontation donne à penser que Paul, comme Jésus, est seul face à toutes les formes d’adversité : les labeurs apostoliques (2  Co  11,23b-29 et 32-33) et la souffrance (2 Co 12,7-10), et aussi seul en ce qui concerne les expériences extatiques (2 Co 12,1-6). C’est toujours seul que Paul se glorifie de sa faiblesse. Dans le sillage de la douceur et de la bonté de Jésus (2 Co 10,1), Paul place son orgueil dans les faiblesses « afin que campe » sur lui « la puissance du Christ » (2  Co  12,9). Ainsi, la deuxième personne du pluriel singularise et différencie la prise subséquente de parole personnelle de l’apôtre, mais tout en sauvegardant la prééminence de Paul lui-même (« je »). On retiendra de ces considérations qu’elles plaident en faveur de l’indépendance littéraire de 2 Corinthiens 10-13. C’est bien le « je » de l’épistolier qui est à l’œuvre ici et c’est bien à un événement spécifique de communication indirecte auquel nous avons affaire, comme nous l’avons modélisé à partir du Schéma de Jakobson. Paul est, en effet, bel et bien seul maître à bord dans le processus de la communication épistolaire. La cohérence donnée à la séquence se trouve être confirmée par l’emploi souverain du « je », qui fonctionne comme un fil rouge et autour duquel gravitent, en amont, du côté de l’épistolier, ses compagnons de route (« nous ») et en particulier Tite, qui se trouve être le seul à être nominativement cité dans la lettre et, en aval, en vue des destinataires, la communauté construite rhétoriquement comme un tout (« vous »), alors que, comme l’analyse de la séquence va le montrer, ce « vous » recouvre différents cercles antagonistes. 4.2.6 Lecture de 2 Corinthiens 10-13 Après avoir clarifié la question de la clôture de 2 Corinthiens 10-13 par la démonstration de la haute vraisemblance de son indépendance littéraire, nous avons montré ensuite comment cette lettre est encadrée et pilotée par le mode de l’exhortation. Paul embraye d’entrée sur le registre de la demande pressante et insistante (διὰ τῆς πραΰτητος καὶ ἐπιεικείας τοῦ Χριστοῦ, 10,1). Trouvant son fondement dans l’abaissement du Christ, l’exhortation est orientée vers un appel à l’obéissance (ὅταν πληρωθῇ ὑμῶν ἡ ὑπακοή, 10,6). Du point de vue pragmatique, il veut, à distance, conduire efficacement les Corinthiens à un choix décisif, à savoir cesser d’adhérer à la prédication de la mission concurrente et renouer avec la seule vérité prônée par le père fondateur de leur assemblée. Il s’agit maintenant de considérer l’objet proprement dit du message que le Tarsiote veut absolument faire passer, en situant d’abord son ordonnancement, puis en considérant son contenu, avec un intérêt particulier pour les indicateurs de la pragmatique de la communication déployés au fil de la lettre. Dans notre première étude, nous avons montré qu’on peut identifier dans

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2 Corinthiens 10-13 une dispositio épistolaire comprenant quatre parties, à savoir 90 : 1. L’entrée en matière, qui fait office de formule d’ouverture : 10,1-6 (« Moi, Paul, en personne je vous exhorte… » v. 1 91). 2. Le fondement, qui inaugure le corps de la lettre et introduit l’objet principal de la communication : 10,7-18 (« que celui qui fonde son existence la fonde dans le Seigneur ! » v. 17) ; la citation implicite de Jérémie (Jr 9,22-23), que Paul cite de manière explicite en 1 Co 1,31, annonce en effet de manière programmatique le Discours du fou : Paul va se glorifier de ses faiblesses à l’image des faiblesses du Christ. La citation fait aussi écho à la douceur et à la bonté de Jésus, au nom desquelles Paul exhorte les Corinthiens (10,1). On peut supposer que Paul a dû visiblement évoquer à plusieurs reprises l’injonction du prophète Jérémie pour qualifier et légitimer l’attitude croyante devant Dieu., Placée sous le signe du service et de la faiblesse, elle signifie par excellence l’abaissement de Jésus. 3. Le Discours du fou, qui constitue le corps de la lettre : 11,1-12,12 (« ah si seulement vous pouviez supporter de moi un tout petit grain de folie », 11,1) avec ses développements sur le vrai apostolat, sa faiblesse, ses souffrances, sa dimension mystique et sa conclusion (« Les signes distinctifs de l’apôtre se sont produits parmi vous : patience à toute épreuve, signes miraculeux, prodiges, actes de puissance »). 4. La conclusion, sous forme de prise de congé, qui fait aboutir le corps de la lettre et fait office de langage de sortie : 12,13-13,13 (« voici que je suis prêt pour la troisième fois à venir chez vous… ») avec ses développements, précisant le projet d’une troisième visite et formulant les appels à la discipline communautaire et, en finale, exhortation, salutation et bénédiction. Au niveau des évidences externes, on peut se demander si la question de l’histoire de la rédaction de 2 Corinthiens, voire de toute la correspondance corinthienne, atteste, d’une façon ou d’une autre, de la montée de la crise corinthienne. Comme déjà signalé, il règne premièrement parmi les spécialistes un large consensus : le fait que Paul prenne la parole dans 2 Corinthiens 10-13 d’une façon particulièrement virulente et énergique

90.  P.  de  Salis, « À fleur de peau ». Analyse épistolographique de 2 Corinthiens 10-13, Lausanne, 2008, p. 77-81. Voir notre annexe 2 « Structure épistolaire de 2 Corinthiens  10-13 ». 91.  Pour les citations de 2 Corinthiens 10-13 dans notre section 4.2.6 nous suivons, sauf exceptions dûment signalées, notre propre traduction (voir annexe 1 : « Traduction de 2 Corinthiens 10-13 »).

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n’est pas remis en question 92 . Ainsi 2 Corinthiens 10-13 représente certainement un des textes les plus passionnés – et passionnants – de Paul en notre possession. Deuxièmement, quelle que soit la manière de trancher l’énigme de l’histoire de la rédaction de la lettre, le Discours du fou est toujours considéré comme reflétant le paroxysme de la crise. Troisièmement, un passage en revue de la correspondance corinthienne montre que c’est dans 2 Corinthiens 10-13 que Paul en découd le plus ouvertement avec ses adversaires. Nulle part ailleurs, il ne les qualifie de « super-apôtres » (τῶν ὑπερλίαν ἀποστόλων, 2  Co  11,5 et 12,11). Dans les autres écrits en notre possession, Paul ne prend pas le masque du fou. Ainsi, on peut clairement considérer 2 Corinthiens 10-13 comme le reflet, certes oblique, du paroxysme de la crise, et ceci tant au niveau des évidences externes, à savoir le contexte et l’histoire des relations entre Paul et les Corinthiens, qu’internes, à savoir l’originalité du Discours du fou. En quoi consiste exactement la crise ? Et quels en sont les facteurs qui l’ont déclenchée ? Pour y répondre, nous ne disposons que du point de vue, forcément partial, de Paul. Toute tentative de la cerner autrement, de même que toute reconstruction de la position doctrinale des adversaires est une entreprise délicate, même si on en repère ça et là des traces. Parmi cellesci, on notera l’agenda de la contestation : d’une part, l’arrière-fond judéen (Ἑβραῖοί εἰσιν ; κἀγώ. Ἰσραηλῖταί εἰσιν ; κἀγώ. σπέρμα Ἀβραάμ εἰσιν ; κἀγώ, 2  Co  11,22) et, d’autre part, les marques d’appartenance au mouvement de Jésus, comme l’atteste le titre, analogue au sien, que Paul leur reconnaît, de « serviteurs du Christ » (διάκονοι Χριστοῦ 2  Co  11,22). Quant aux « signes distinctifs de l’apôtre » (σημεῖα τοῦ ἀποστόλου) listés par Paul, à savoir la patience à toute épreuve, les signes extraordinaires et les prestations charismatiques, miracles et actions puissantes (2 Co 12,12), la mission concurrente devait aussi revendiquer pareil catalogue. Du côté des limites, on rappellera juste que Paul ne donne jamais la parole, dans sa lettre, à ses adversaires, ni aux apôtres concurrents, ni aux ténors de la faction déviante. Sa seule concession dans ce sens est celle de la rumeur (φησίν 2  Co  10,10). Il est donc plus réaliste de chercher à décoder les composantes de la crise plutôt que de tenter d’identifier la doctrine des « super-apôtres ». C’est avant tout sur les effets de la crise que Paul se concentre. Cette stratégie pragmatique est remarquable, car le fait de s’adresser aux Corinthiens tout le long de la lettre unilatéralement en « vous » et celui d’évoquer les autres protagonistes uniquement à la troi92.  Il suffit de faire un bref tour d’horizon parmi les commentateurs pour voir comment ceux-ci intitulent la séquence 10-13 ; ainsi A.  Plummer : « The great invective » (A Critical and Exegetical Commentary on the Second Epistle of St Paul to the Corinthians, Edinburgh, 1995, p.  269) ; R.  P. M artin : « Fresh troubles in Corinth » (2 Corinthians, Waco (TX), 1986, p.  297) ; C.  K. Barrett : « The future threatened » (The Second Epistle to the Corinthians, New York – Londres, 1973, p.  243),  etc.

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sième personne : « ceux qui prétendent que » (2 Co 10,10), « ceux qui ont péché auparavant » (τοῖς προημαρτηκόσιν 12,21 et 13,2) relèguent de facto les éléments déviants de côté ; le dialogue se déploie entre l’apôtre et la communauté tout entière. Cette dernière est bel et bien érigée en destinataire collectif (« vous ») du message du corps de la lettre. Paul craint-il l’émergence de nouvelles divisions ? Pour lui, l’unité de ses communautés et leur rectitude doctrinale sont au centre de ses préoccupations. Comme on l’a vu, Paul a investi et recouru largement aux possibilités du médium épistolaire à cette fin. Ses lettres, et l’usage qui en était attendu des communautés, reflètent l’ébauche d’une sorte de travail en réseau. Corinthe était devenu, depuis plusieurs années, pour le Tarsiote, un souci permanent. Il suffit de considérer les informations contenues dans 1 Corinthiens, à savoir la composition sociologique de la communauté (1  Co  1,29), les différents groupes de maison la constituant (1  Co  1-4, en particulier 1,10-17) et, plus globalement, la question des tensions entre les forts et les faibles. Ces données sont à évaluer en fonction du contexte local. Pour la jeune communauté, la multiculturalité ambiante à Corinthe posait pas mal de problèmes pratiques. Le souvenir de la lettre des Corinthiens à Paul, dont ou retrouve en filigrane l’agenda à partir de 1 Corinthiens 7,1, en conserve des traces. Au niveau des évidences internes, on s’intéressera à la manière dont Paul use des possibilités de son art épistolaire pour déployer, de façon pertinente et crédible aux yeux des Corinthiens, une figure d’autorité. Il s’agira d’examiner comment cette dernière, tant sur le plan personnel que christologique, nous offre un regard en miroir sur la crise corinthienne.

4.2.6.1 L’entrée en matière (2 Co 10,1-6) Les v. 1-2 présentent plusieurs des caractéristiques des principales modifications apportées par Paul à l’incipit du formulaire épistolaire antique. Celles-ci sont au nombre de quatre 93. Premièrement, le Tarsiote transforme la manière de caractériser l’expéditeur, en mentionnant son nom, sous quel chef il prend la parole, avec quel titre christologique (serviteur, prisonnier ou apôtre), puis avec qui il coexpédie sa lettre. Ce dernier élément manifeste d’ailleurs une fois de plus la grande liberté avec laquelle Paul se réapproprie les canons de l’art épistolaire antique. Deuxièmement, il qualifie théologiquement le cercle ecclésial de ses destinataires (son lien avec Dieu et Jésus), en précisant sa localisation géographique, urbaine, comme Thessalonique, Philippes, etc. ou régionale, telle la Galatie ou l’Achaïe. Troisièmement, la salutation paulinienne articule grâce et paix. Quatrièmement, il origine tout son message dans la grâce qui vient de Dieu (par exemple, 1 Co 1,1-9). D’emblée, on fera remarquer que les deuxième et troisième 93.  R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 115-118.

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motifs sont totalement absents, ce qui s’explique par le fait que nous ne sommes pas, en l’état, en situation classique de début de lettre. Paul commence sa lettre en embrayant sur un mode personnel et ceci de manière particulièrement appuyée, avec un effet de redondance  (αὐτὸς δὲ ἐγὼ Παῦλος παρακαλῶ ὑμᾶς, 2  Co  10,1). Son intention est claire, il veut peser de tout son poids dans le but d’influencer décisivement les Corinthiens. Son but est d’édifier la communauté et non pas de l’anéantir, et ceci en vertu de l’autorité conférée par le Seigneur (2 Co  10,8). Il endossera cette posture jusqu’au bout de la lettre (2 Co 13,10). De plus, cadrer son exhortation dans un cadre christologique clair – la douceur et la bonté du Christ – lui permet de préciser d’emblée sous quelle autorité et à quel titre il prend la parole. La douceur fait peut-être référence à la douceur du roi messianique 94 , à celle de David 95 ou à celle de Moïse 96. Quant à la bonté, elle signifierait plutôt la patience 97 : « Les Corinthiens n’ont pas connu Christ. Paul veut que sa vie parmi eux soit significative et figure, reproduise et proclame l’abaissement du Christ » 98. Paul annonce ainsi, de manière programmatique, le thème de l’abaissement du Christ – qui sera investi ultérieurement par celui de la souffrance comme miroir du crucifié – dont il fera le fil rouge du Discours du fou. Ainsi, c’est bien l’entier de son message qui est placé sous le signe de la grâce, celle du Christ, qui s’inscrit dans le sillage de celle de Dieu, préfigurée d’ailleurs par les figures emblématiques de David et de Moïse. Paul précise ensuite sa situation personnelle initiale, d’une manière qui annonce en fait le reproche explicite qui va lui être formulé, qu’il reformule sous forme de rumeur : « ses lettres, dit-on, ont du poids et sont fortes, mais sa présence personnelle a peu d’impact et son éloquence est nulle » (2 Co 10,10). Il vaut la peine de noter comment Paul joue sur les paramètres de ce parallélisme. Paul se présente comme (v. 1b) : Modeste (= faible) de près (au nom du Christ)

versus

intraitable (= fort) de loin (par ma personne)

Alors que le reproche, cité au v. 10 à partir de la rumeur, module l’opposition de la façon suivante : Fort de loin (par ses lettres)

versus

faible de près (par sa personne et son éloquence)

94.  Ps 44,4. 95.  Ps  131,1. 96.  Si 45,4. 97.  V.  P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  455-456. 98.  M.  Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  198.

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Le Tarsiote remet d’emblée en cause la première contestation mentionnée de son autorité : le décalage entre ce qu’il prétend être dans ses lettres, à savoir un prédicateur doué d’une éloquence puissante, et ce que les Corinthiens pensent visiblement de lui, à savoir un personnage faible. La nuance pragmatique est de taille : Paul désamorce cette contestation avant même de la désigner explicitement. S’il agit avec modestie, ce n’est pas à cause de la faiblesse, mais en raison de la douceur et de la bonté du Christ. Au v. 2, Paul pose un jalon de plus, distillé sous la forme d’un avertissement particulièrement menaçant. Il dit qu’il insiste avec audace, en vue d’agir sévèrement. Ainsi, être sévère de loin n’exclut pas la possibilité d’être sévère de près, bien au contraire. De plus, il motive cette action de sévérité en réponse à un deuxième reproche, celui d’agir de manière purement humaine (κατὰ σάρκα). Il signale aussi les émetteurs de cette dernière contestation, à savoir « ceux qui prétendent que… »  (τινας τοὺς λογιζομένους, v.  2). On a affaire ici soit avec la faction déviante de la communauté, ralliée à la prédication concurrente, soit au groupe proprement formé par ses hérauts. Le contexte fait pencher pour ces derniers. Le Tarsiote s’adresse donc à l’entier de la communauté (« vous »), ce sont donc les Corinthiens en tant qu’assemblée unique d’appelés qui sont mis en garde. Mais au-delà de cet avertissement global, il interpelle directement ceux qui sont tentés de rejoindre le cercle de ses détracteurs. La pragmatique épistolaire est mobilisée pour assécher l’hémorragie. Enfin, détail non négligeable, il signale que le reproche est formulé non seulement à son égard, mais aussi à celui de toute son équipe : « nous nous comportons » (v. 2b) et réagit donc en leur nom. Veut-il, sur le plan rhétorique, opposer ainsi un contre-groupe, à savoir l’équipe apostolique, à la faction déviante ? Cela semble bien être le cas, dans la mesure où Paul continue de parler en « nous », jusqu’à ce qu’il ait définitivement réglé la question de la mission concurrente : « leur fin sera conforme à leurs œuvres » (τὸ τέλος ἔσται κατὰ τὰ ἔργα αὐτῶν, 2  Co  11,15). Aux v. 2-6, Paul traite le reproche en opérant une distinction entre agir « selon la chair » (κατὰ σάρκα) et agir « dans la chair » (ἐν σαρκὶ). La première expression désigne un agir en fonction de « motifs purement humains » 99. Il s’agit du recours aux qualités propres à l’homme. La deuxième désigne l’appartenance à la condition humaine, placée sous le signe de la précarité, de la fragilité et de la menace. Le substantif σάρξ désigne l’homme de chair et de sang, à savoir toute la matière habillant le squelette, la nature humaine physique, le corps 100. Il précise qu’il y a ainsi 99.  M.  Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p. 199 ; « according to worldly standarts », V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  457. 100. Voir W.  Bauer  (éd.), Griechisch-Deutsches Wörterbuch zu den Schriften des Neuen Testaments und der übrigen urchristlichen Literatur, Berlin – New York,

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deux manières de concevoir ce combat. D’une part, il y a celle qui fait de l’humain la norme absolue (« selon la chair ») ; d’autre part, il y a celle qui a pour but de tendre vers Dieu, mais qui se joue au cœur de l’humanité des humains (« dans la chair »). Cette dernière reflète le bon combat pour Paul, qui décrit en quoi il consiste, à savoir son origine (Dieu), son contenu (détruire tous les raisonnements, fruits de l’orgueil des humains) et sa finalité (amener l’humain à se tourner entièrement vers Dieu). Cette évocation de l’agir apostolique à l’aide de la métaphore du combat (v. 4-6) est dotée d’une batterie sémantique impressionnante : les armes, désignant autant l’équipement du soldat que les engins de siège, le combat, qualifiant autant la bataille que la guerre, la destruction ou la ruine, les places fortes, les remparts, faire prisonnier, les puissances, la soumission, venger ou faire justice, la sédition ou l’insubordination. La rhétorique est donc un combat militant en faveur d’une contre-vérité. Pour Paul, tous les termes évoquant l’effort, la bataille et la marche vers la victoire tirent dans la même direction. Ainsi, on notera « les bastions de l’argumentation […] l’ordre de bataille, le projet, le dessein opposé » et le fait d’être élevé ou de traiter avec de la hauteur, « le rempart levé » 101. Il lui confère deux dimensions. D’une part, il le présente comme un combat théologique en faveur de la connaissance vraie de Dieu (κατὰ τῆς γνώσεως τοῦ θεοῦ, v.  5). D’autre part, il le déploie pragmatiquement comme une bataille rhétorique contre la faction déviante de la communauté et contre les apôtres concurrents. C’est ainsi tout naturellement que Paul reformule concrètement pour les Corinthiens ce que cela signifie en termes de discipline communautaire, en répétant son avertissement relatif à l’obéissance. Le Tarsiote puise visiblement dans les registres de la sagesse biblique : Un sage peut s’emparer d’une ville fortement défendue et démanteler la citadelle, son espoir 102 . Un homme sage pénétra des villes fortifiées et démolit la fortification dans laquelle les impies avaient placé leur confiance 103.

Un oracle de malheur du prophète Ésaïe contre le péché de Jérusalem et de Juda, dans lequel le prophète fustige l’orgueil des hommes et annonce l’avènement du jour du Seigneur, joue sur un registre proche avec les motifs de l’orgueil humain et de la puissance divine. Cet oracle appelle les humains à une obéissance complète, par un avertissement sévère annonçant la punition totale de toute désobéissance : (1958) 1988, col.  1487-1489. 101. « Bastions of argumentation […] battle-plan, project, device, opposing design […] raised rampart » M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 676-677. 102.  Pr 21,22. 103.  Pr 21,22 selon la Septante (traduction personnelle).

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L’orgueilleux regard des humains sera abaissé, les hommes hautains devront plier, et ce jour-là le Seigneur seul sera exalté, car il y aura un jour pour le Seigneur, le tout-puissant, contre tout ce qui est fier, hautain et altier […]. L’orgueil des humains devra plier, les hommes hautains seront abaissés. Et ce jour-là, le Seigneur seul sera exalté et, toutes ensemble, les idoles disparaîtront (Es 2,11-12 et 17-18).

Au nom de Dieu, Paul signifie donc qu’il se tient prêt à combattre, tant théologiquement que disciplinairement, toute désobéissance. Le v. 6 présente une difficulté de traduction. Cela semble paradoxal de se déclarer prêt à punir toute désobéissance « lorsque votre obéissance sera complète et totale », car il est plus logique de dire qu’on va punir toute désobéissance jusqu’à ce que l’obéissance soit complète. Plusieurs commentateurs résolvent le problème en évoquant la prévention de dérive future, pouvant surgir après la réconciliation. « Quand le moment sera venu de rendre votre soumission effective et parfaite, alors le châtiment interviendra s’il y a lieu » 104 ou bien « nous punirons toute désobéissance d’où qu’elle vienne dès que votre obéissance sera totale » 105. Quand on considère l’intensification de l’avertissement aux Corinthiens, cela semble plausible de retenir cette hypothèse, qui présente l’avantage d’appuyer l’avertissement et de poser un objectif clair à la communication épistolaire. Celle-ci vise, d’une part, l’obéissance totale et d’autre part, à en garantir la durée. Ainsi, la solution la plus plausible consiste à lever cette difficulté par l’opposition entre l’obéissance actuellement exigée des Corinthiens et l’éventuel, voire fort probable, risque de désobéissance future des Corinthiens tentés de rallier le giron des « super-apôtres » 106. Cela cadre d’ailleurs bien avec l’objectif visé par le rappel à l’ordre énergique que Paul annonce maintenant et qui fera l’objet de toute la séquence. Ainsi, il semble approprié de comprendre ici « désobéissance » au sens de dissidence. Paul, avec les siens, avertit clairement les Corinthiens qu’ils se tiennent « prêts à punir sévèrement toute dissidence, lorsque votre obéissance sera complète et totale ». La créativité dont Paul fait preuve ici en se distançant du formulaire épistolaire antique est à remarquer. L’entrée en matière est solidement construite : il mentionne son nom, puis sous quel chef il parle ; il s’adresse ensuite au cercle de ses destinataires, mais reprend à son compte l’enracinement christologique (« la douceur et la bonté ») qu’on s’attendait à leur voir attribué. Ce paramètre théologique initial se trouve ensuite élargi au cercle constitué par l’équipe apostolique, par le biais de la métaphore du 104. J. H éring, cité par M. Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  200. 105. M. Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  200. 106. W. Sze-K ar, Power in Weakness : Conflict and Rhetoric in Paul ’s Second Letter to the Corinthians, Harrisburg (PA), 2000, p. 130-131.

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double combat, divin et ecclésial. La formule de salutation dont Paul se sert habituellement au début de ses lettres est absente. Peut-être s’agit-il là, selon les tenants de l’hypothèse de l’indépendance littéraire, du travail rédactionnel ultérieur qui a donné naissance à 2 Corinthiens, sous sa forme canonique. Par contre, la manière dont Paul s’y prend pour entrer en matière place d’emblée le cercle des destinataires (« vous ») sous le registre de l’abaissement du Christ. Ce déplacement est emblématique de l’éthos déployé tout le long de l’entrée en matière. Paul, dans ses lettres, use de différentes figures de soi, à savoir (1) la figure dépossédée et inspirée, qui s’efface au profit de Dieu ou du Christ, (2) la figure de l’ambassadeur, chargé de négocier, présenter une requête ou d’informer, (3) la figure de la tribulation, qui doit attirer de la sympathie, évoquer les souffrances endurées pour le bien des destinataires, mettre en écho ces souffrances avec celles du Christ et confirmer le soutien divin accordé au labeur de l’apôtre et (4), la figure de la paternité, qui assure les destinataires de la bienveillance du destinateur 107. L’incipit épistolaire donne plusieurs indications à leur sujet. D’abord, Paul parle au nom de la douceur et de la bonté de Jésus-Christ. Cette accroche initiale révèle une figure dépossédée et inspirée, tout en assurant la communauté de la bienveillance de son fondateur et de son défenseur. Cette exhortation initie une forme précise d’entrée en négociation avec les destinataires de la lettre : rétablir la vérité et garantir durablement la discipline. La distribution des rôles est solidement orchestrée par Paul en personne et il ne s’en départira pas tout au long de sa communication. Cette intensification de l’éthos paulinien déployé dans l’entrée en matière confirme l’hypothèse de l’indépendance littéraire de 2 Corinthiens 10-13. La typologie de ces quatre figures de soi permet à Régis Burnet de pointer sur la double fonction de l’éthos paulinien. Celui-ci témoigne, d’une part, d’une fonction énonciative, à savoir attester des marques requises pour assurer la crédibilité du destinateur à l’égard des destinataires et, d’autre part, d’une fonction discursive, à savoir bâtir une image positive de Paul destinée à être imitée 108. En l’occurrence, on remarquera combien la première est déjà opérante dans l’entrée en matière. D’une part, l’exhortation au nom de la douceur et de la bonté du Christ place d’emblée l’apostolat paulinien sous le signe de l’abaissement du Christ aux yeux des Corinthiens. D’autre part, l’appel à l’obéissance, formulé par le biais d’une menace de sévérité et amplifié par la métaphore du combat divin mené par toute l’équipe apostolique, ne laisse plus aucune place à la désobéissance ou à la dissidence. Obéissance et imitation vont de pair : l’abaissement du 107. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  134-159. 108. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 152.

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Christ va être mis au service de la stratégie destinée à ruiner les efforts des opposants à la véritable connaissance de Dieu et appeler les Corinthiens à l’obéissance. L’effet pragmatique est saisissant : par la mobilisation générale d’un vocabulaire guerrier, Paul déclare l’essentiel d’une action qui va incarner la faiblesse. Ceci reflète la haute conscience rhétorique du Tarsiote : il invoque le thème de sa prétendue faiblesse tout en convoquant sans réserve la puissance divine, dont les reflets sont perceptibles pour qui sait capter la douceur et la bonté du Christ. Quant à la deuxième fonction, elle est déjà en germe dans la métaphore du combat apostolique. Paul et ses apôtres mènent un juste combat, à l’instar des prophètes, en particulier Jérémie, dans le double but d’asseoir la vérité et d’édifier (et non de démolir). Dans ce sens, il ne va aucunement renoncer à la vigilance, appelant à punir toute dissidence, présente ou future.

4.2.6.2 Le fondement (2 Co 10,7-18) Aux v. 7-11, Paul remet en question son apostolat, pour ensuite le justifier en invoquant la question de ses fondements (v. 12-18). Il invite les Corinthiens à regarder les choses en face (τὰ κατὰ πρόσωπον βλέπετε). Grammaticalement, βλέπετε est soit un indicatif, soit un impératif, ce qui donne trois traductions possibles 109 : un indicatif sous-entendant une question (« Est-ce que vous ne regardez que ce que vous avez sous les yeux, devant votre visage ? ») ; un indicatif posant un constat (« Vous ne vous en tenez qu’aux apparences ») ou alors un impératif (« Regardez la réalité en face ! »). Paul utilise toujours βλέπετε à l’impératif pour annoncer quelque chose d’important (1  Co  8,9 ; 10,18 ; 16,10 ; Ga 5,15 ; Phi 3,2) 110 relevant de l’évidence : « regardez ce qui est là sous vos yeux, immédiatement devant vous, ce qui est clair comme le jour. C’est un appel à faire preuve de bon sens » 111. La troisième traduction est donc la plus pertinente, vu que Paul cherche indiscutablement à attirer l’attention des Corinthiens sur des questions très concrètes, non sans lien avec son souci pour une cohésion durable de la communauté. Quant aux deux premières, elles restent néanmoins plausibles, dans la mesure où Paul vise à stimuler les Corinthiens à user de distance critique à l’égard de la mission concurrente. La première traduction serait une interpellation ironique (« ne regardez-vous pas plus loin que le bout de votre nez ? »), la deuxième, un constat sévère, invitant au changement (« vous ne considérez pas le fond des choses »). Ce qui par contre est sûr, c’est que l’association βλέπετε à τὰ κατὰ πρόσωπον 109.  M.  J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 686-687. 110.  V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  465. 111. M. Carrez , La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  201.

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– qui peut être comprise comme une allusion soit « aux réalités que vous avez sous le nez », soit « aux apparences qui aveuglent votre bon sens » – fait référence à la modestie déclarée de Paul dans son face-à-face, à distance, avec ses destinataires 112 . L’expression τὰ κατὰ πρόσωπον chez Paul signifie « ce qui est présentement devant vous » 113. On la retrouve en Ga 2,11 lors de la mention de l’opposition de Paul à Céphas lors du conflit d’Antioche. L’allusion au reproche initial (la faiblesse en face, la force à distance) fournit la clé. C’est donc bien de la dialectique force/au loin et faiblesse/au près (ou face-à-face) qu’il est question. L’impératif du v. 7 demeure ambiguë. Dans le but de semer le doute dans la citadelle des certitudes corinthiennes, ceci est peut-être volontaire. Quant à la question de l’authentique appartenance au Christ, elle pourrait refléter un autre reproche à l’encontre de Paul et de son équipe. Paul donne l’impression de vouloir s’adresser ici précisément à la faction déviante qui aurait fait sienne la vision que les « super-apôtres » avaient de Paul. Mais cette apostrophe ne vise ni les Corinthiens en tant que communauté ecclésiale, ni la faction déviante. Par le biais d’un argument a fortiori, Paul appelle les Corinthiens à reconnaître l’évidence. Vu que le combat, le sien et celui de son équipe apostolique, vise à ruiner toute opposition à la connaissance de Dieu, à plus forte raison, ils peuvent revendiquer une appartenance au Christ. Cette appartenance, affirmée d’emblée (v.1), va faire l’objet de tout un processus d’authentification au travers du Discours du fou. Que signifie précisément « être de Christ » (Χριστοῦ εἶναι v. 7) ? On notera quatre hypothèses : tout simplement être chrétien ; être un disciple du Jésus terrestre (être membre du mouvement et le prendre pour maître) ; être apôtre de Jésus-Christ ; être au bénéfice d’une relation mystique avec le Ressuscité 114 . Il est fort possible que les détracteurs de Paul, qui justement lui reprochent son comportement trop faible et donc trop humain, tiennent en haute estime les expériences mystiques (ainsi 2 Co 12,1-10), de même qu’un lien confirmé avec les compagnons du vivant de Jésus (les membres du clan). Du point de vue de Paul, cet enracinement christologique fait très certainement écho à ce qu’il dit au v. 1, puis au nom de ses collaborateurs, aux v. 2b-6. Autrement dit, nous avons affaire ici à un marqueur identitaire dont le contenu varie selon les points de vue des uns et des autres (Paul, Paul et son équipe apostolique, les détracteurs de Paul, les Corinthiens). Paul affirme donc, sans détour, être au bénéfice d’un lien privilégié avec le Christ. Comme on le verra par la suite, son 112.  R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco, 1986, p.  307. 113. Voir W.  Bauer  (éd.), Griechisch-Deutsches Wörterbuch zu den Schriften des Neuen Testaments und der übrigen urchristlichen Literatur, Berlin – New York, (1958) 1988, col.  1443-1445. 114.  « A gnostical-mythical relationship with the heavenly Christ », R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco (TX), 1986, p.  308-309.

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propos va chercher à en démontrer la légitimité. Il poursuit son élan rhétorique en introduisant à nouveau une interpellation volontairement destinée à chaque Corinthien, en feignant d’ignorer le degré d’adhésion des uns et des autres à la prédication des « super-apôtres » et de leurs alliés à Corinthe. Le Tarsiote invite chacun, sans exception – autrement dit toute la communauté – à prendre l’avertissement très au sérieux. Aux v. 8-11, un premier jalon dans ce processus d’authentification est amené par l’introduction du motif de la glorification (καύχησις), qui lui permet de traiter la question de la nature de l’autorité apostolique. Comme on a eu l’occasion de le clarifier, le verbe καυχάομαι offre une signification à géométrie variable, en fonction de son fondement et de son but. Il vient ensuite à l’autorité et à sa mission, avec un nouvel écho à la métaphore du divin combat, par la mention du couple « édifier/ne pas anéantir ». Celui‑ci fait écho, au récit de la vocation du prophète Jérémie 115, dont on a montré la fonction paradigmatique de sa posture prophétique aux yeux de Paul 116 : La parole du SEIGNEUR s’adressa à moi : « Avant de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu ne sortes de son ventre, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations ». Je dis : « Ah ! Seigneur DIEU, je ne saurais parler, je suis trop jeune ». Le SEIGNEUR me dit : « Ne dis pas : Je suis trop jeune. Partout où je t’envoie, tu y vas ; tout ce que je te commande, tu le dis : n’aie peur de personne : je suis avec toi pour te libérer – oracle du SEIGNEUR ». Le SEIGNEUR, avançant la main, toucha ma bouche, et le SEIGNEUR me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter ».

On remarquera combien l’argument scripturaire contribue à renforcer l’éthos paulinien. Après s’être posé en figure dépossédée et inspirée, par le biais de l’abaissement du Christ (v. 1), Paul se pose en figure choisie directement par Dieu, à l’instar du prophète Jérémie. Un peu comme un ambassadeur. L’ambassadeur n’est pas un médiateur, mais un pétitionnaire chargé de négocier, de présenter des requêtes ou d’informer : « Paul n’investit pas la fonction de médiateur entre Dieu et les hommes, il se charge des intérêts du Christ au milieu des hommes » 117. 115.  Jr 1,4-10. 116.  Ga 1,15-16. 117. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 146-147.

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Avec ironie, le Tarsiote insiste à nouveau en explicitant cette fois le reproche des prétendues faiblesses de près (par sa personne) en décalage avec sa force de loin (par ses lettres et son éloquence). Il joue sur l’ironie : « comme si je voulais vous faire peur au travers des (de mes) lettres » (ὡς ἂν ἐκφοβεῖν ὑμᾶς διὰ τῶν ἐπιστολῶν, v. 9). Enfin, toujours au nom de son équipe et avec toute la sévérité requise, Paul en revient à avertir ses destinataires avec un argument a fortiori, comme au v. 7. Il durcit sa position, en transformant l’alternative, laquelle prend la teneur suivante : Pas trop fort de loin (v.  9)

versus

Tout à fait sévère de près (v. 11)

« Celui qui pense cela » peut désigner soit, selon le style de la diatribe, l’accusation portée contre Paul par ses adversaires, soit une rumeur (« les gens pensent que… », « on dit que… ») ou soit un ou plusieurs détracteurs de Paul 118. La posture engagée de Paul fait plutôt penser à la troisième possibilité, voire à la deuxième. Il se défend contre « ceux qui prétendent que… » (v. 2), et interpelle « celui qui est persuadé par lui-même » (v. 7). Il réagit donc contre ses détracteurs, dont les dires à son sujet ont généré la rumeur. On ne peut rien inférer au sujet de la faiblesse de la présence de Paul dans le sens de son portrait physique selon les Actes de Paul et de Thècle 119. On lui impute traditionnellement l’origine de la tradition iconographique relative à l’apôtre des nations, bien que celle-ci soit plus modeste que celle attribuée à Pierre 120 : Un homme, nommé Onésiphore, ayant entendu dire que Paul allait arriver à Iconium […] sortit à la rencontre de Paul afin de le recevoir chez lui. Tite, en effet, lui avait décrit quel était l’aspect extérieur de Paul ; car il ne le connaissait pas physiquement, mais seulement spirituellement. Il marcha jusqu’à la route royale qui mène à Lystra et il resta là dans l’attente de Paul ; il observa les gens qui arrivaient, en se fondant sur la description de Tite. Or il vit venir Paul, un homme de petite taille, à la tête dégarnie, aux jambes arquées, vigoureux, aux sourcils joints, au nez légèrement aqui-

118.  R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco, 1986, p.  311. 119.  D.  E. Garland, 2 Corinthians, Nashville, 1999, p.  447-449. 120.  Paul a connu une destinée iconographique inversement proportionnelle à celle de son rôle dans la diffusion du christianisme, comme le note L. R éau : « Saint Paul n’a jamais été un saint populaire. Contrairement à Saint Pierre, dont la bonne figure paterne de portier du Paradis plaisait davantage au populaire, sa sévérité hautaine tenait les fidèles à distance. La pauvreté relative de son iconographie, surtout dans l’art chrétien primitif, en est la preuve. Il est certain que la place qu’il occupe dans l’art n’est pas proportionnée au rôle capital qu’il a joué dans la diffusion du christianisme »,  L.  R éau, Iconographie de l ’art chrétien. Tome III. Iconographie des saints P-Z, Paris, 1959, p.  1038-1039 (l’auteur souligne).

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lin, plein de grâce, en effet, il apparaissait tel un homme, tantôt, il avait le visage d’un ange (III, 2-3) 121.

Dans 2 Corinthiens 10-13, l’opposition joue entre absence et présence, la force de loin se muant en faiblesse de près. Cette nuance montre une fois de plus comment Paul exploite le reproche initial en le retournant pour le mettre au service de la construction de sa figure d’autorité. Si sa présence physique est faible et si son éloquence est inconsistante, c’est pour mieux refléter par son être et sa parole l’agir mystique de son Seigneur. On retrouve cela dans Galates : Avec le Christ, je suis un crucifié ; je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi 122 .

Aux v. 12-16, Paul continue de parler au nom de son équipe apostolique, en « nous ». Il va le faire jusqu’à la fin de l’exposé du fondement inaugurant le corps de la lettre, dans le but d’introduire l’objet principal de la communication (2 Co 10,17-18). Il en vient, par le biais de la comparaison, à préciser une différence importante entre lui – toujours avec son équipe – et ses détracteurs, à savoir la question de la recommandation. Avec ce nouveau thème, Paul met à l’ordre du jour un élément supplémentaire à l’édification du fondement de son autorité apostolique, à savoir celui de sa finalité. Cet enjeu est posé en termes d’alternative : Dieu ou les hommes ? Prendre soi-même comme propre mesure revient à se refermer sur soimême et donc à évacuer Dieu. Comme on l’a vu à propos des figures dont Paul s’est servi jusqu’ici pour construire l’éthos de son apostolat (la figure dépossédée et inspirée et celle de l’ambassadeur), selon Paul, seul celui qui se dépossède de lui-même peut attester de l’agir de Dieu. Ce qui valait pour la question de la gloire – fierté pour Dieu ou orgueil humain ? – joue également ici. Paul en veut pour preuve le fait que lui et son équipe ont réussi à venir jusqu’à Corinthe. Si Dieu ne l’avait pas voulu, ils n’y seraient pas arrivés. C’est bien comme cela qu’il convient de comprendre et d’évaluer la réussite initiale de leur mission. De plus, ils sont arrivés les premiers à Corinthe « avec l’Évangile du Christ » (2 Co 10,14), ce qui n’est pas rien. Le “canon” peut désigner soit l’instrument de mesure (la règle, le cordeau), soit l’unité ou l’espace mesuré, en l’occurrence le territoire, la circonscription, voire les frontières atteintes par la prédication missionnaire 123. Quoi qu’il en soit, cela confère de fait aux détracteurs l’irréversible statut de viennent ensuite, et ceci tant d’un point de vue géographique que missionnaire : Paul est arrivé le premier à Corinthe, capitale provinciale 121.  Actes de Paul (III, 2-3), dans Écrits apocryphes chrétiens I, sous la direction de F.  Bovon – P. Geoltrain, Paris, 1997, p.  1129-1130. 122.  Ga 2,19b-20. 123.  R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco, 1986, p.  320.

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de l’Achaïe. De plus, cela induit clairement, pour la première fois dans l’argumentation de la lettre, que les détracteurs sont des apôtres itinérants concurrents. La nuance est d’importance : tout cela « suppose en effet non pas seulement une intervention de loin, comme celle que Paul réalisait par ses lettres, mais une action de près, sur le terrain attribué, alors qu’il était encore vierge de toute prédication chrétienne » 124 . Paul reformule ensuite cet agir apostolique à la lumière de la réflexion embrayée sur vrai ou vain motif de gloire. De nouveau, fierté ou orgueil ? Les détracteurs récupéraient-ils à leur compte les efforts des autres, pour, selon les propos ironiques de Paul, tendre « à des choses non-mesurables » ? Paul fait-il allusion, de façon critique, à l’intérêt des Corinthiens pour les manifestations extatiques dépassant l’entendement humain, et donc forcément spectaculaires ? C’est fort possible. En tous les cas, l’intérêt des Corinthiens pour les manifestations charismatiques est certainement encore présent dans leur mémoire (1 Co 14). Paul en revient au fait que sa mission est divinement légitimée (10,14). Enfin, Paul montre que sa venue en Achaïe n’était pas une fin en soi, mais qu’au contraire, elle s’inscrivait dans tout une stratégie missionnaire, dont Corinthe n’était qu’une étape. Cette indication confirme une fois de plus l’importance de Corinthe dans les plans missionnaires du Tarsiote, en particulier en direction de Rome, puis de l’Espagne. Aux v. 17-18, Paul valide son fondement en convoquant l’autorité du prophète Jérémie, mais de manière cette fois explicite. « Que celui qui se glorifie [cherche à fonder son existence], se glorifie [la fonde] dans le Seigneur ». Un bref commentaire suit la citation en rappelant, sous forme de synthèse, le fondement de toute recommandation, à savoir le Seigneur. Cette dernière remarque, en formant une inclusion avec le v. 12, clôt la discussion sur le thème de la vraie nature de la recommandation authentique. La citation de Jérémie résume en fait une parole prophétique emblématique et hautement symbolique. Celle-ci est d’ailleurs encadrée par des solides séries d’oracles de malheur, contre Jérusalem et le royaume de Juda, que Jérémie reformule comme les préludes qui ont généré la crise menant à la destruction de Jérusalem et à l’exil à Babylone. Ainsi parle le SEIGNEUR : « Que le sage ne se vante pas de sa sagesse », « Que le fort ne se vante pas de sa force », « Que le riche ne se vante pas de sa richesse », « Mais que celui qui se vante, se vante de cela », « Comprendre et connaître que moi, je suis le Seigneur », « Réalisant miséricorde, jugement et justice sur la terre » 125 . 124. M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  206. 125.  Jr 9,22-23 selon la Septante (traduction de M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  207).

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Paul attache beaucoup d’importance à ce principe. Preuve en est qu’il le cite déjà, en 1 Corinthiens 1,31, mais là en le mentionnant explicitement comme une citation de la Bible d’Israël 126. Paul craint-il la chute de l’Église de Corinthe, à l’instar de la destruction de Jérusalem, relue théologiquement par les prophètes d’Israël comme une rupture, par les rois de Juda, de la fidélité à Dieu ? L’intertextualité le donne à penser. L’apostolat de Paul repose sur une juste connaissance de la nature du Christ, c’est là sa mesure et son point de comparaison. Là aussi, Paul valide un développement fondamental, à savoir celui relatif au « langage de la croix » (1 Co 1,18), lié à la vraie nature de la puissance et de la faiblesse. Paul fait encore ailleurs allusion à un principe analogue, dans Rm, à propos de ce qui doit faire la vraie fierté du Judéen : En effet, ce n’est pas ce qui se voit qui fait le juif, ni la marque visible dans la chair qui fait la circoncision, mais c’est ce qui est caché qui fait le Juif, et la circoncision est celle du cœur, celle qui relève de l’Esprit et non de la lettre. Voilà l’homme qui reçoit sa louange non des hommes, mais de Dieu (Rm  2,28-29).

Voilà ce qui doit cadrer et guider tout le ministère apostolique : l’effort sans faille de chercher sa fierté absolue non pas en soi-même, mais en Dieu et Dieu seul. On peut noter au passage que pour Paul, l’injonction véhiculée avec l’appui de Jérémie est valable non seulement pour l’équipe apostolique, mais aussi pour tous les Corinthiens. La conséquence concernant le ministère des adversaires en découle naturellement : seule est pertinente et authentique la recommandation qui cherche inlassablement et sans réserve à s’inscrire dans le sillage de l’action divine. Ainsi Paul résume et conclut sa réflexion sur la vraie nature du ministère apostolique, tout en se distançant ouvertement des conceptions, déjà présumées dévastatrices, de ses détracteurs. Pour résumer, on remarquera que dans un premier temps (2 Co 10,16), Paul entre en matière en interpellant les Corinthiens sur la pertinence de la remise en question de son apostolat par ses détracteurs. Il s’adresse à la communauté tout entière (« vous »), d’abord en son nom personnel (« moi Paul en personne »), puis au nom de son équipe (« nous »). Dans 126.  Au sujet de 1 Co 1,26-31, M. Quesnel précise que la récurrence du thème de la glorification dans cette péricope montre qu’il s’agit ici d’un midrash de Paul de Jr 9,22-23 (LXX), reprenant à son compte « la critique que faisait le prophète de la façon dont les puissants tiraient parti de leur sagesse, de leur vaillance et de leur richesse » car celles-ci « empêchent de donner toute sa mesure à l’acte sauveur de Dieu accompli en Jésus-Christ », M.  Quesnel , La première épître aux Corinthiens, Paris, 2018, p.  79. Il signale également (p.  83-84) qu’on retrouve cet adage, formulé à la manière de Paul, dans la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome. Voir notre section 5.4 : « La Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome et le souvenir de la crise corinthienne ».

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un deuxième temps (2 Co 10,7-18), Il traite la nature de la remise en question d’une façon qui révèle déjà sa stratégie tant épistolaire que rhétorique. D’une part, il profite épistolairement de la distance qui le sépare de Corinthe pour incarner une double figure de soi, fortement investie d’autorité, celle de la figure dépossédée et inspirée et celle de l’ambassadeur. D’autre part, il reformule les reproches discréditant son apostolat d’une manière qui prépare son argumentation théologique. La reformulation est programmatique à plus d’un titre. S’il est faible devant les Corinthiens, c’est d’une part que son agir apostolique incarne la vraie nature de l’agir du Christ (l’abaissement) et, d’autre part, que sa justification s’enracine en Dieu seul, conformément à l’indéfectible fidélité découlant de l’alliance entre Dieu et son peuple. Si le premier Temple de Jérusalem a été détruit par les Babyloniens, c’est à cause de la rupture de l’alliance, consommée par les rois de Juda et non en raison de la faiblesse de Dieu, comme le confirment les critiques des prophètes. Paul convoque ainsi implicitement notamment les prophètes Esaïe (2 Co 10,5) et Jérémie (2 Co 10,8 et 17). Ce deuxième motif amène Paul à préciser la mesure authentique de l’agir apostolique, à savoir Dieu et Dieu seul, et non pas des normes humaines. Paul et ses compagnons de mission ne marchent donc pas « selon la chair » ; c’est la puissance de Dieu qui fournit les armes de leur divin combat, le but de celui-ci est clair : abattre l’orgueil humain et édifier la communauté corinthienne tout entière en réduisant à néant toute entrave à la vraie connaissance de Dieu. On remarquera enfin que « cette citation est aussi judicieusement choisie et parfaitement adaptée aux présupposés des adversaires, qui comme Paul, sont juifs (cf. 2 Co 11,22) » 127.

4.2.6.3 Le Discours du fou (2 Co 11,1-12,12) 1er développement : la nature du vrai apostolat (11,1-15) Au v. 1, Paul inaugure le corps de la lettre par une interpellation tant programmatique qu’emblématique de tout son Discours du fou 128. Celle-ci se décline en deux temps, d’abord par la demande pressante aux Corinthiens de supporter « un grain de folie » (μικρόν τι ἀφροσύνης), puis par la demande impérative de le supporter lui-même en personne : « supportez-moi ! ». Ce verbe se rencontre 15 fois dans le Nouveau Testament. Paul l’utilise en tout et pour tout à six reprises, dont cinq fois en 2 Co 11 (v.  1a.1b.4.19.20) ; la sixième occurrence se trouve en 1 Co 4,12 : « on nous insulte, nous bénissons, on nous persécute, nous endurons, on nous 127.  L.  P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 317. 128.  E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005, p. 115.

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calomnie, nous consolons » (v. 12b-13a). Il signifie supporter, endurer, accepter. Paul va jouer ironiquement sur le sens de ce verbe, qui souligne l’effort, la souffrance, voire le sacrifice. Le grain de folie, comme on le verra précisément, relève de l’audace de Paul, une audace tant théologique (la folie paradoxale de l’agir divin, enjeu décisif pour Paul) qu’épistolaire (la fonction de lieutenance de la lettre). Paul, par le biais du paradoxe, joue ironiquement sur les contraires. Par le renversement du « grain de folie », il peut réduire tant le labeur apostolique que la grâce qui le porte au travers de la souffrance, à ce tout petit quelque chose d’où surgira la victoire de la puissance divine. Cette pointe ironique a pour but de démanteler l’argumentation de ses concurrents. Après avoir démontré la pertinence du fondement de son ministère et de celui de son équipe, Paul va s’attaquer au problème généré par l’action des missionnaires concurrents. Pour franchir un pas de plus, il va prendre peu à peu le masque du fou, d’abord modestement (2 Co 11,1), puis de manière nettement plus amplifiée (2 Co 11,16). Son argumentation commence avec une modestie tout feinte, avec ce « tout petit grain de folie ». Sur ce point, il convient de noter que le Tarsiote, en 2 Corinthiens 10-13, s’émancipe totalement de ses compagnons de mission en ce qui concerne le registre de l’endurance, contrairement à 1 Co 4,12b-13a. Tout le long du Discours du fou, il parle en son nom propre (en « je »). C’est dans ce cadre que va se jouer le face-à-face direct entre lui et tous les Corinthiens, et ceci jusqu’à 2 Corinthiens 12,12, quand il terminera par « je suis devenu fou » (2 Co 12,11). Les Corinthiens sont ironiquement invités à supporter la folie de Paul, avec tout le courage et la capacité d’endurance requis. Du son point de vue, la communauté forme un tout (« vous ») tout le long du Discours du fou. Ce face-à-face « je/vous » a deux conséquences. D’une part, il met sur la touche les détracteurs de Paul, à savoir les adversaires, la faction déviante, voire même les compagnons de Paul qui auraient pu avoir quelque sympathie pour la mission concurrente. Il est en effet difficile d’imaginer que les compagnons du Tarsiote soient restés totalement neutres dans le conflit avec les « super-apôtres » 129. En effet, ceux-ci, comme on l’a montré, sont textuellement relégués au rang des protagonistes secondaires. D’autre part, Paul prend les devants dans ce face-à-face avec la communauté ; ses collaborateurs se trouvent de facto confinés à l’arrière-plan et n’ont plus aucun impact épistolaire parmi le cercle des destinataires. Le Discours du fou recadre pragmatiquement la relation avec les Corinthiens. Celle-ci devient à partir d’ici un enjeu exclusivement entre Paul (« je »), le Seigneur (2 Co 12,9) et la communauté (« vous »), dans lequel il s’agira de démasquer la vraie nature des apôtres concurrents (2 Co 11,13). 129.  L.  P. M. Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 205 (note 42).

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Quand il parle de folie, Paul utilise généralement deux termes. Pour parler de la folie de Dieu qui, par la folie du langage de la croix s’oppose à la sagesse de l’homme, Paul emploie μωρία (1 Co 1,18-31). Mais pour désigner sa folie tout humaine – et qui plus est, librement et pleinement consentie – il emploie ἀφροσύνη. Ces deux termes ne sont pas synonymes : μωρία désigne ce qui est stupide et méprisable ; pour Paul cela traduirait le manque de compréhension d’un concept, d’une idée, résultant d’une perception erronée de la réalité, alors que ἀφροσύνη qualifie une action déraisonnable, déréglée ou contraire à la règle. Autrement dit, une folie librement consentie, résultant d’une intention délibérée 130. Il n’est nullement question de stupidité ou d’ignorance. Paul va d’ailleurs recourir, tout du long du Discours du fou, au même registre sémantique, en jouant sur le même registre polysémique que celui de glorification (fierté placée en Dieu ou orgueil humain). Il faut souligner l’originalité de ce choix de Paul, qui a amené les exégètes à faire du Discours du fou, si on ose dire les choses ainsi, une sorte d’appellation d’origine contrôlée. Les commentateurs localisent le début du Discours du fou soit à partir de 11,1 131, soit à partir de 11,16 132 , soit à partir de 11,21 133. Pour notre part, c’est la première option qui s’impose, dans la mesure où Paul inaugure en 11,1 une interpellation qu’il va décliner en plusieurs étapes, jusqu’en 12,12. Qu’est-ce qui a amené Paul à adopter cette forme de prise de parole, unique en son genre et exceptionnelle dans sa densité argumentative 134 ? Plusieurs spécialistes se sont penchés sur cette question. Parmi les principales solutions proposées 135, il convient de mentionner par ordre chronologique, entre autres, celle de Rudolf Bultmann 136, qui analyse le style oratoire de Paul à la lumière de la diatribe des philosophes cyniques et stoïciens, avec un intérêt particulier pour les figures rhétoriques. Puis celle de Hans‑Dieter Betz 137, qui analyse l’attitude de Paul à la lumière 130.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 732-733. 131. Ainsi E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005 ; M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005 ; V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984 ; J.  Mc Cant, 2 Corintians, Sheffield, 1999. 132. Ainsi R. P. M artin, 2 Corinthians, Word Books, Waco, 1986 ; J.  L ambrecht, Second Corinthians, Collegeville, 1999. 133.  Ainsi. D. E. Garland, 2 Corinthians, Nashville, 1999. 134. « Das rhetorische Meisterstück des Apostels » E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005, p. 76. 135.  R. P. M artin en dresse un tableau détaillé, voir 2 Corinthians, Waco (TX), 1986, p.  357-360. 136. R. Bultmann, Der Stil der paulinischen Predigt und die kynisch-stoische Diatribe, Göttingen, 1984 (1ère édition 1910). 137. H.-D. Betz , Der Apostel Paulus und die sokratische Tradition, eine exegetische Untersuchung zur seiner “Apologie” 2 Korinther 10-13, Tübingen, 1972.

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du procès de Socrate, en particulier sa défense contre les sophistes. Pour Betz, 2 Corinthiens 10-13 constitue une apologie en forme de lettre. Paul, comme jadis Socrate, aurait été considéré comme un charlatan ; pour se défendre, il devait recourir au genre de la parodie et de l’ironie. Il faut mentionner l’étude de Josef Zmijewski 138, qui s’intéresse au thème théologique fondamental – tel que le mettent en évidence le style et la construction du Discours du fou – à savoir la glorification dans la faiblesse et son rôle dans la compréhension que Paul avait de sa vie apostolique. Et enfin, il y a l’étude d’Ulrich Heckel, qui étudie le rapport entre force et faiblesse dans les épîtres pauliniennes, à partir de 2 Corinthiens 10-13. Son enquête porte sur les résonnances théologiques entre se glorifier de soi-même (« das Sich-Rühmen ») et le couple force-faiblesse 139. Ces différentes études, au fond, concentrent leur attention sur la nature du renversement paradoxal opéré par le Discours du fou et les différents procédés rhétoriques au service de ce renversement. Notre propos est de concentrer notre attention sur la manière dont Paul s’y prend pour emporter à nouveau l’adhésion des Corinthiens à sa prédication. Aux v. 2-3, Paul va poser un premier argument pour justifier son Discours du fou, en déployant une lecture midrashique de la Genèse. À l’aide de la métaphore des fiançailles et de l’amour conjugal, Paul souligne une autre dimension de son rôle de père fondateur de la communauté. En 2 Corinthiens 10,14, Paul a rappelé le fait qu’il est arrivé le premier à Corinthe. Ici, il s’autorise une sorte de droit de père de famille sur les Corinthiens. On peut comprendre l’image du rôle nuptial de Paul de quatre manières différentes 140  : premièrement, l’ami de l’époux (voir Jn 3,29), qui protège la virginité de sa fiancée, puis la présente à l’époux pour le mariage. Paul se serait approprié la tradition juive selon laquelle Moïse était l’homme de confiance du futur marié qui a présenté Israël comme une fiancée pure à Dieu pour les noces de l’alliance. Deuxièmement, l’ami de la fiancée ; troisièmement, l’agent du père, chargé de programmer la noce ; quatrièmement, le père de la fiancée. Cette dernière solution semble la plus probable, dans la mesure où elle permet à Paul d’endosser une nouvelle figure de soi, celle de la paternité, conformément à sa volonté de réhabiliter encore plus efficacement la légitimité de son autorité apostolique aux yeux des Corinthiens. Paul est en quelque sorte leur père ecclésial et spirituel. C’est à lui que les communautés doivent leur existence 141. Par cette métaphore, 138. J. Zmijewski, Der Stil der paulinischen “Narrenrede”, Cologne – Bonn, 1978. 139.  U.  H eckel, Kraft in Schwachheit. Untersuchungen zu 2. Kor 10-13, Tübingen, 1993. 140.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 736-737. 141. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 150-151.

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Paul s’affuble d’une sorte de statut divin. Il endosse le rôle du Créateur et s’autorise de ses prérogatives : « de vous, je suis jaloux d’une divine jalousie » […] ! Paul « se comporte vis-à-vis des Corinthiens comme Dieu se comporterait à leur égard » 142 . La divine jalousie de Paul à l’égard des Corinthiens renvoie à l’image du Dieu jaloux qui ne tolère aucune idole rivale, conformément à la Loi d’Israël : Tu ne te prosterneras pas devant un autre dieu, car le nom du SEIGNEUR est « Jaloux », il est un Dieu jaloux (Ex 34,14).

La colère divine consume le péché, en particulier celui de l’idolâtrie 143  : Et Dieu prononça toutes ces paroles : « c’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude : tu n’auras pas d’autres dieux face à moi. Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, un Dieu jaloux, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s’ils me haïssent –, mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations – si elles m’aiment et gardent mes commandements » (Ex 20,1-6).

Cette figure de la paternité prend ici un tour particulièrement intense : celui du Père créateur et libérateur, qui a droit de vie ou de mort sur ses créatures, et celui du Seigneur, dont la jalousie ne tolère aucun rival. Paul a créé la communauté de Corinthe par son action apostolique. Sa proclamation initiale de l’Évangile à Corinthe a eu symboliquement valeur de fiançailles spirituelles entre la jeune communauté ainsi engendrée et le Christ. Ce thème des fiançailles entre Dieu (réputé fidèle) et son peuple (trop souvent infidèle) est fréquent dans l’Ancien Testament (Es 54,4-8 ; Os 1-3 ; Es 62,2 ; Jr 2, Ez 16 ; Sg 8) 144 . In the Old Testament, the husband-wife and bridegroom-bride metaphor regularly describe the relation of Yahweh to his people, Israel. The nation is Yahweh’s spouse, so that turning away from him is spiritual adultery 145.

Cette métaphore procède de la dynamique vétérotestamentaire de l’alli­ ance, entre Dieu (qui est fort et peut assurer une protection) et son peuple

142. M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  209-210. 143.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p. 734-735. 144. M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  210. 145.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p. 737.

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(qui sans Dieu est faible et a besoin de protection). La fidélité du peuple est seule garante de la protection divine. Avec l’image du serpent, Paul continue de recourir à l’exégèse midrashique, qui cherche à décrypter l’agir de Dieu au travers de l’Écriture 146. Cette lecture doit déboucher sur une leçon instructive pour la vie de tous les jours. Comme Ève est restée vierge pure jusqu’à l’arrivée du serpent, la communauté est restée dans le droit chemin jusqu’à l’arrivée des apôtres concurrents. Quant à la fourberie (πανουργία) du serpent, il s’agit de l’habileté, de la ruse et de l’astuce. Cela était plutôt considéré comme un concept péjoratif à l’époque hellénistique, relevant de la polémique contre les sophistes 147. Paul évoque le registre de la fourberie à plusieurs reprises (1 Co 3,19 ; 2 Co 4,2 ; 2 Co 12,16). Il entend désigner par là le fait de ne reculer devant aucun procédé, en particulier la ruse et la tromperie, pour parvenir à ses fins 148 : Aussi puisque, par miséricorde, nous détenons ce ministère, nous ne perdons pas courage. Nous avons dit non aux procédés secrets et honteux, nous nous conduisons sans fourberie (μὴ περιπατοῦντες ἐν πανουργίᾳ), et nous ne falsifions pas la parole de Dieu, bien au contraire, c’est en manifestant la vérité que nous cherchons à gagner la confiance de tous les hommes en présence de Dieu (2 Co 4,1-2).

Paul ravale donc ses adversaires au rang de serviteurs d’idoles et sa divine jalousie ne saurait les tolérer dorénavant à Corinthe. Paul apporte encore une dernière précision éclairante à ce sujet en évoquant « la pureté en Christ » (τῆς ἁγνότητος τῆς εἰς τὸν Χριστόν, 11,3). Si l’adjectif ἁγνός est fréquemment utilisé dans le Nouveau Testament, le substantif ἁγνότης

146.  Ève a été trompée par le serpent, séduite sexuellement par Sammael et le diable, selon le Targum du Pseudo-Jonathan sur Gn 4,1 : « Adam sut qu’Ève, sa femme était enceinte de Sammael, l ’ange du Seigneur » ; voir aussi le Protévangile de Jacques, lorsque Joseph découvre la grossesse de Marie : « Qui m’a ravi la vierge et l ’a souillée ? Est-ce que l ’histoire d ’Adam se serait répétée en mon cas ? De même, en effet qu’Adam était à l ’heure de sa prière et que le serpent vint, trouva Eve seule, la séduisit et la souilla, de même en est-il arrivé pour moi » (13,1), selon Albert Frey, « Protévangile de Jacques » dans Écrits apocryphes chrétiens 1, sous la direction de F.  Bovon – P. Geoltrain, Paris, 1997, p.  94. 147. Ainsi V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p. 218 ; H.‑D. Betz , Der Apostel Paulus und die sokratische Tradition, eine exegetische Untersuchung zur seiner “Apologie” 2 Korinther 10-13, Tübingen, 1972, p. 104105 ; M.  Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p. 210. 148. M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  210.

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n’est employé que deux fois, précisément par Paul en 2 Corinthiens 6,6 et 11,3 149 : Nous ne voulons d’aucune façon scandaliser personne, pour que notre ministère soit sans reproche. Au contraire, nous nous recommandons nousmêmes en tout comme ministres de Dieu par une grande persévérance dans les détresses, les contraintes, les angoisses, les coups, les prisons, les émeutes, les fatigues, les veilles, les jeûnes, par la pureté (ἐν ἁγνότητι), la science, la patience, la bonté, par l’Esprit saint, l’amour sans feinte, la parole de vérité, la puissance de Dieu (2 Co 6,2-7a).

Cette pureté évoque les conditions nécessaires pour entrer en contact avec Dieu. Comment des comploteurs prêts à tout peuvent-ils alors incarner la pureté dévolue au Christ ? Au v. 4, ce premier argument permet à Paul de poser le doigt sur le nœud du problème, à savoir le facteur déclenchant de la crise corinthienne. Il s’agit du fait de venir « proclamer un autre Jésus » (ἄλλον Ἰησοῦν κηρύσσει) que celui de Paul. D’une part, Paul vise bien ici ses concurrents, venus à Corinthe pendant son absence. D’autre part, il fustige la communauté qui en les écoutant, ont de fait reçu « un autre esprit » (πνεῦμα ἕτερον) et accueilli « un autre évangile » (εὐαγγέλιον ἕτερον). Par ce tableau récapitulant l’enjeu de la crise corinthienne, Paul signifie l’ampleur du problème. Le triptyque Jésus, esprit, évangile renvoie à l’entier de la proclamation apostolique de Paul. C’est bien d’un conflit de légitimité qu’il s’agit. Une crise au sens propre ; les Corinthiens se trouvent placés devant une alternative radicale à trancher. Plusieurs commentateurs cherchent à identifier les adversaires. Ils veulent procéder à la reconstruction de leur théologie, en tentant de cerner les contenus de cet « autre Jésus », de cet « autre esprit » et de cet « autre évangile ». Ces efforts me semblent vouées d’emblée à l’échec, dans la mesure où Paul insiste ici non pas sur des différences de doctrine théologique, mais sur le principe de la différence. Les deux seuls éléments qu’on peut interférer à ce niveau sont d’une part que « proclamer un autre Jésus » est en tête de la liste, et ceci sous un angle actif. Les concurrents, tout comme Paul, sont les acteurs d’une proclamation christologique ; la communauté ne fait qu’accepter et accueillir. Accepter l’Esprit et l’Évangile découle donc de l’action apostolique dont le centre est la proclamation du Christ. D’autre part, quand Paul mentionne Jésus, il fait toujours allusion au Jésus terrestre, abaissé et crucifié (1 Co 12,3 ; 1 Th 4,14 ; Phi 2,10 ; Ga 6,17 ; Rm 3,26 ; 8,11 ; 10,9) 150. Ce qui lui pose problème, ce sont les conséquences, à l’interne 149.  M.  Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  160. 150.  E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005, p. 122.

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de la communauté, de cet « autre » Jésus, de cet « autre » Esprit et de cet « autre » Évangile. Et c’est ce paramètre de la crise que Paul dénonce. Pour lui, il n’y a pas d’alternative. Seul celui dont l’apostolat est mesurable à partir de la douceur et de la bonté du Christ est authentique. Il convient de noter la répétition de la pointe ironique : « vous le prenez fort bien » (καλῶς ἀνέχεσθε), autrement dit, vous l’endurez « sans arrière-pensée » 151. Aux v. 5-11, Paul procède à une évaluation personnelle rigoureuse entre les deux modèles d’apostolat en concurrence à Corinthe. Cela sera son deuxième argument pour justifier son Discours du fou. Il va s’autoriser la même démarche évaluative contre ceux qui fustigeaient son apostolat en le dévaluant (2 Co 10,2). Il va montrer point par point en quoi il n’est en rien inférieur à ceux qu’il nomme pour la première fois explicitement, en les taxant de « super-apôtres ». L’assemblage de la préposition ὑπέρ (au dessus de) avec l’adverbe λίαν (tout à fait, extrêmement) serait bel et bien une invention sémantique de Paul, car on ne retrouve pas cette expression dans la littérature grecque contemporaine 152 . Cette pointe, au propre comme au figuré, en dit long sur l’ironie paulinienne : Paul considère ses concurrents comme « les apôtres de tous les superlatifs » 153. Il commence par évoquer la seule faiblesse qu’il leur concède : « la fragilité en matière d’éloquence » (εἰ δὲ καὶ ἰδιώτης τῷ λόγῳ), mais qu’il compense de suite par la connaissance, dont il a fait preuve au cours de son ministère. Mais cette faiblesse est comme aseptisée par l’humble abaissement qu’elle a pour mission de signifier, qui rappelle l’exhortation initiale, plaçant sous la douceur et la bonté du Christ l’intention épistolaire générale du Tarsiote (2 Co 10,1). Ensuite, il rappelle qu’il n’a pas été à charge des Corinthiens. Visiblement, les « super-apôtres », contrairement à lui, ont dû se faire entretenir financièrement par les Corinthiens fortunés. Et ceux-ci, de concert avec eux, ont dû reprocher à Paul de ne pas entrer dans un tel rapport de patronage. Il vaut la peine de rappeler combien cette pratique servait, institu151.  « Ohne Bedenken », E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005. p. 120 ; « you are marvellously tolerant », M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 745. 152.  E. Grässer , Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 8,1-13,13, Gütersloh, 2005. p. 129. On ne trouve aucune attestation de l’existence de cet adverbe dans les papyrus, comme le signale P. A rzt‑Grabner , 2. Korinther, Göttingen, 2014, p. 472. Pour une évaluation des principales hypothèses relatives à l’identification de la concurrence à l’œuvre, voir M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 2 (2 Co 8-13), Edinburgh, 2000, p. 671-676. Elle distingue deux possibilités d’identification, les apôtres de Jérusalem ou une mission concurrente, et penche plutôt pour la première. 153. « Those superlative apostles », M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 745.

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tionnellement s’entend, de « colonne vertébrale de l’Église primitive » 154 . Récemment, un certain nombre d’études consacrées à l’analyse politique du christianisme de Paul ont mis en lumière « la résistance de l’apôtre aux pressions exercées par le système du patronat » 155. Ce système réglementait les rapports sociaux dans l’Empire romain. Il était constitué sur le modèle familial. Le patron était calqué sur le modèle du paterfamilias, qui possédait tous les droits sur les membres de son clan et leur assurait subsistance et protection. À l’inverse, le client était loyal envers son patron, il travaillait pour lui et lui procurait des revenus. Ce système codifiait l’organisation socio-économique de la société romaine, en validant des rapports de forces entre forts et faibles, dont on sait combien ils n’ont pas laissé Paul indifférent à Corinthe (1 Co). Ce dernier ne pouvait accepter que la puissance des forts marginalise les faibles. Les chefs des maisons corinthiennes ont peut-être pensé que Paul, en remettant en question les fondements du système social ambiant, ne leur faisait plus confiance, voire déniait leur sens de la loyauté. Paul poursuit son explication en donnant l’information qui manquait pour lever ce qui n’a été peut-être qu’un malentendu : ce sont les « frères de Macédoine » qui ont pourvu à son entretien. De plus, il prolonge l’argument en justifiant théologiquement son attitude. Son comportement est motivé par son attachement indéfectible à cette communauté qu’il a fondée, preuve en est la bonne réputation de l’apôtre dans toute la région. Cette précision signale en outre que Corinthe servait visiblement de base arrière pour porter l’Évangile à travers toute l’Achaïe (v. 10) et son réseau de communautés. Paul conclut ce deuxième argument par une interpellation sous forme de preuve par l’absurde (v. 11). Toute son action apostolique est la preuve de son indéfectible attachement à Jésus. Preuve en est l’abaissement. Cette action est aussi la preuve de son attachement à la communauté de Corinthe. Preuve en est aussi l’affection paternelle qu’il leur porte, comme un père qui veut fiancer sa fille à un bon parti. Aux v. 12-15, Paul va porter ici l’estocade rhétorique décisive, qui va préluder au règlement définitif de la question de la mission concurrente. Cela sera son troisième argument pour justifier son Discours du fou. Paul 154. « The roman patron-client system, through which wealthy patrons contracted with any and all who could prove to be useful to his household, was the social system that stood as backbone to the early church […]. The Corinthian congregation no doubt functioned in much the same way : patriarchs whose houses were used for the worship assembly would be in a position to determine the agenda of the church and would be understood, even expected, to have authority over all clients under their patronage », W. Sze-K ar, Power in Weakness : Conflict and Rhetoric in Paul ’s Second Letter to the Corinthians, Harrisburg (PA), 2000 p. 135 (voir également les p. 25-30). 155. N. Eliott, « Situer Paul à l’ombre de l’empire : pratique apostolique, idéologie impériale et cérémonial impérial », dans A. Dettwiler – J.-D. K aestli – D. M arguerat (éd.), Paul, une théologie en construction, Genève, 2004, p.  159.

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va dénoncer ses détracteurs en les confinant dans l’erreur la plus totale en ce qui concerne le fondement, l’objectif et le contenu de leur prédication. De même en ce qui concerne le financement de leur apostolat. Paul taxe ses concurrents à Corinthe de « faux-apôtres » 156 (οἱ γὰρ τοιοῦτοι ψευδαπόστολοι), en créant un double sens avec cette expression, qui peut signifier à la fois « pseudo-apôtre » et « apôtre-menteur » 157. Comment interpréter cette duplicité ? Paul conclut qu’ils sont fourbes comme le Satan qui est capable de se déguiser en « ange de lumière ». Cette expression peut être interprétée de quatre manières différentes 158. Premièrement, on peut la comprendre comme messager de Dieu, car la lumière fait métaphoriquement référence à Dieu et le génitif est subjectif (c’est Dieu qui est le sujet de la lumière). Deuxièmement, comme un messager du monde de la lumière : le génitif est soit possessif (désignant l’appartenance du messager au monde de la lumière), soit un génitif désignant la provenance. Troisièmement, comme un ange brillant de lumière. Quatrièmement, comme un ange apportant la lumière ou caractérisé par la lumière. Paul désigne certainement la stratégie du Satan qui, pour accomplir son œuvre de division, se déguise en ambassadeur divin. L’image du déguisement en ange de lumière se rencontre dans un écrit judéo-hellénistique, la Vie grecque d’Adam et Ève, un écrit aussi connu sous le titre d’Apocalypse de Moïse. Satan se présente à Ève dans le paradis sous la forme d’un ange pour la tenter de désobéir à Dieu : Aussitôt le serpent se suspendit aux murs du paradis. Lorsque les anges de Dieu montèrent adorer, Satan survint sous l’apparence d’un ange, et chantant Dieu comme les anges 159.

Il est difficile d’établir si Paul exploite métaphoriquement cette référence dans le sens de ces deux occurrences. Ce qui est sûr par contre, c’est que Paul joue sur les couples opposés lumière/ténèbres et satan/Dieu. Satan est régulièrement associé aux ténèbres et à l’aveuglement : Si cependant notre Évangile demeure voilé pour ceux qui se perdent, pour les incrédules, dont le dieu de ce monde […] a aveuglé l’intelligence, afin

156. V. P. Furnish signale que cette expression n’apparaît nulle part ailleurs dans le Nouveau Testament, et qu’elle pourrait bien être une création de Paul luimême, selon W. Kummel. Cette expression pourrait bien trouver son origine dans une formule semblable de Zacharie et surtout de Jérémie, relative aux « pseudo-prophètes » (II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  494). 157. M. Carrez, La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  216. 158.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p. 773-775. 159.  Vie grecque d ’Adam et Ève (XVII.1), cité d’après A. Dupont-Sommer et M.  Philonenko (éd.), La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p.  1779.

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qu’ils ne perçoivent pas l’illumination […] de l’Évangile de la gloire du Christ, lui qui est l’image […] de Dieu (2 Co 4,3-4). Ne formez pas d’attelage disparate avec les incrédules, quelle association peut-il y avoir entre la justice et l’impiété ? Quelle union entre la lumière et les ténèbres […] ? Quel accord entre Christ et Béliar ? (2 Co 6,14-15)

Qu’est-ce que Paul peut faire de plus, sinon attendre que les serviteurs de satan soient jugés par Dieu (cf.  Rm 3,8 et Ph 3,19) ? Et Paul en donnant la ferme impression d’être sûr de l’issue dudit jugement, endosse une nouvelle forme de figure de soi, celle du juge eschatologique, qu’on pourrait considérer comme une variante de celle de l’ambassadeur, chargé de défendre efficacement les intérêts du roi, dont il est l’envoyé. 2e développement : la faiblesse, fondement de la vraie carrière apostolique (11,16-33) Aux v. 16-18, Paul reprend le masque du fou, mais cette fois plus ouvertement. Certains commentateurs considèrent la séquence 11,1-15 comme un prologue au Discours du fou et donc situent le début de ce discours en 11,16 160. Ces scénarios de découpage ne sont pas décisifs pour l’interprétation dans la mesure où il est clair que Paul change de registre (2 Co 11,1) après avoir investi une figure d’autorité (la figure de l’apôtre dépossédé et inspiré et celle de l’ambassadeur) et posé le fondement et la mesure de toute action apostolique (2 Co 10,17). Au v. 1, il s’autorisait un « petit grain de folie ». Au v. 16, il intensifie son rôle du fou par une formule marquant la répétition, puis par une concession ironiquement paradoxale : « de peur qu’on pense que je sois fou » (μή τίς με δόξῃ ἄφρονα εἶναι). Paul embraye ensuite avec ce qui va devenir une preuve par l’absurde. On lui reproche le décalage inacceptable entre la force de ses lettres – de loin – et la faiblesse de sa présence – de près. Ainsi, on reproche à Paul un comportement contradictoire, alors voilà qu’il endosse franchement le paradoxe 161. Il est frappant de voir comment il recourt à la technique du malentendu à des fins ironiques. Pour lever les doutes éventuels, quoi de mieux que de les évoquer en les amplifiant. Il va remplacer le prétendu paradoxe d’une conduite incohérente par celui encore plus paradoxal, d’une conduite folle, sans Dieu. Pour renforcer la tension, il va associer sa démarche de folie à sa recherche du fondement authentique de son existence, c’est-à-dire sa « glorification ». Du petit grain de folie (v. 1), il passe au « tout petit grain de gloire » (μικρόν τι καυχήσωμαι v. 16). Il en déve160. Ainsi E. Grässer, Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 1,1-7,16, Gütersloh, 2002. 161.  Voir D. M arguerat, « 2 Corinthiens 10-13 : Paul et l’expérience de Dieu », Études théologiques et religieuses 63 (1988), p.  497-519.

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loppe alors la conséquence, et pour en souligner le caractère paradoxal, il donne l’impression de vouloir s’excuser auprès de Dieu (v. 17). Sa folie est présentée volontairement comme un choix pleinement humain ; il ne faudrait surtout pas penser que c’est une arme d’origine divine (2 Co 10,3-6). Enfin, il revient sur le terrain des « super-apôtres », qui ont dénigré la légitimité de Paul pour s’imposer à Corinthe. Pour lui, il est clair qu’ils ont tiré leur ultime fierté de leurs capacités humaines (« selon la chair », κατὰ σάρκα v. 18) ; Paul a montré d’emblée que cette attitude apostolique n’était pas recevable pour lui et ses compagnons de mission (2 Co 10,1-6). Mais pour confiner ses interlocuteurs dans leur tort, à savoir la mise en avant de leurs avantages humains, Paul en vient à endosser le rôle de celui qui se glorifie de ses avantages humains, après avoir tiré la conclusion qui s’impose. Paul endosse la position de ses adversaires, pour ensuite la faire voler en éclat. Il convient de se demander enfin quel cercle Paul est en train de viser au v. 18. La mention de ces nombreuses personnes en train de se glorifier désigne assurément un groupe plus nombreux que les seuls « super-apôtres ». Il s’agit là très certainement de la faction déviante, autrement dit du groupe de « ceux qui prétendent que notre action est purement humaine » (10,2). Aux v. 19-21a, Paul s’explique en montrant les conséquences, dévastatrices pour la communauté, de la fierté tout humaine des super-apôtres. Il se tourne alors résolument du côté des Corinthiens, en s’adressant à eux directement à deux reprises (v. 19 et v. 20), sur le même mode qu’au début du Discours du fou (v. 4). Il démonte ironiquement leur certitude. Pour lui, les Corinthiens sont tellement séduits par les « super-apôtres » qu’ils ne se rendent plus compte qu’ils sont en train de supporter tout le contraire de ce qu’endure un apôtre menant le bon combat. Toujours sur le mode ironique, il va chercher à ridiculiser leurs sympathies pour ses concurrents. Exagère-t-il son portrait de l’attitude de ces derniers ? Ils ont dû vraisemblablement traiter les Corinthiens avec arrogance. Ont-ils pratiqué des châtiments corporels contre certains Corinthiens (v. 20) ? C’est possible. En tout les cas, l’apôtre raille nettement la passivité de la communauté, ou sa naïveté, face à ces fourbes serpents et ces anges de Satan, déguisés en anges de lumière. Paul va encore plus loin en considérant que cette attitude provoque chez lui, et son équipe, un déshonorant sentiment de honte. Les Corinthiens ont sombré dans l’infidélité (v. 2-4), alors que Paul leur avait notamment donné auparavant les clés de la vraie sagesse, de la vraie puissance et de la vraie fierté (1 Co 1,18-31). Avec ce portrait ironique de l’attitude des Corinthiens, Paul amplifie le paradoxe annoncé initialement à titre de reproche (2 Co 10,10). Remarquons en passant qu’ici, Paul est sévère avec tous les Corinthiens et plus seulement avec la faction déviante. Visiblement, il n’y a plus d’ambiguïté possible sur la légitimité de prendre le rôle

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du fou (v. 21a). Il est intéressant de repérer comment fonctionne l’ironie paulinienne 162 . Au v. 19, Paul raille l’esprit d’ouverture des Corinthiens en évoquant, comme on l’a vu, les vertus de la persévérance (« vous supportez patiemment, vous faites preuve d’endurance ») et le bon sens ou le discernement. Au v. 20, Paul en montre les résultats, par l’évocation d’un catalogue de cinq conséquences dévastatrices, chacune introduite par le même refrain. Rhétoriquement, les Corinthiens ont été réduits à l’esclavage. Ils sont, du point de vue du Tarsiote, totalement sous la coupe de ses détracteurs à Corinthe. Les conséquences suivantes le confirment : « si quelqu’un vous dévore », « vous prend » (« vous manipule »), « vous prend de haut » ou « vous agresse », les Corinthiens le supportent fort bien. Aux v. 21b-29, Paul procède à la comparaison des deux ministères apostoliques en concurrence. Il va comparer directement leurs « pedigrees » 163. Dans un premier temps, il s’intéresse à leur identité, pour considérer les fondements de leur apostolat (v. 22-23a). Dans un deuxième temps, il va donc rendre compte de la vraie nature de ses propres labeurs apostoliques (v. 23b-28). Comme ses concurrents, Paul est hébreu, israélite et descendant d’Abraham. Ces trois qualifications soulignent une continuité. « Hébreux » (Ἑβραῖοί) désigne, dans le monde hellénistique, qu’on est judéen et non pas grec, et fait probablement référence aux judéens de Jérusalem, parlant araméen 164 . « Israélites » (Ἰσραηλῖταί) qualifie l’appartenance au peuple d’Israël, le peuple élu de l’alliance. Enfin, « la descendance directe d’Abraham » (σπέρμα Ἀβραάμ) désigne classiquement l’héritage spirituel de la promesse d’Abraham. En tous les cas, Paul signifie de manière appuyée, par la triple mention de la formule κἀγώ, son égalité de provenance avec ses concurrents 165. On remarquera que Paul, en revendiquant la filiation spirituelle d’Abraham, reste inscrit dans l’appartenance au peuple judéen. La communauté chrétienne s’inscrit dans le sillage de la promesse jadis faite par Dieu à Abraham et en exprime le plus parfait accomplissement, comme il le précise par ailleurs dans Galates : Eh bien, c’est à Abraham que les promesses ont été faites, et à sa descendance. Il n’est pas dit : « et aux descendances », comme s’il s’agissait de plusieurs, mais c’est d’une seule qu’il s’agit : et à ta descendance, c’est-à-dire Christ. Voici donc ma pensée : un testament en règle a d’abord été établi 162.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p. 783. 163.  L’expression est de D. M arguerat ; on la trouve aussi chez M. J. H arris, (The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p.  789). 164.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p.  794-795. 165.  E. Grässer, Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 1,1-7,16, Gütersloh, 2002. p. 160.

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par Dieu. La loi, venue quatre cent trente ans plus tard, ne l’abroge pas, ce qui rendrait vaine la promesse. Car, si c’est par la loi que s’obtient l’héritage, ce n’est plus par la promesse. Or, c’est au moyen d’une promesse que Dieu a accordé sa grâce à Abraham (Ga 3,16-18).

Ainsi, sur ces trois plans identitaires et fondateurs, Paul estime n’être en rien inférieur aux « super-apôtres » (κἀγώ). Maintenant, il en vient à la comparaison relative au ministère pour Christ ; c’est sur le terrain concret des labeurs de ce ministère que va maintenant porter son regard. L’expression pourrait bien avoir fait partie intégrante du vocabulaire identitaire revendiqué par ses adversaires 166. Elle peut désigner soit des apôtres, soit des envoyés, soit des représentants. Il est certes périlleux de chercher à reconstituer exhaustivement le point de vue des adversaires du Tarsiote. Ce qui est sûr, c’est que c’est sur la juste compréhension de ce service du Christ que Paul va rendre compte de son désaccord avec ses détracteurs et ruiner leur prétention à s’afficher comme d’authentiques « serviteurs du Christ ». Paul va persévérer dans son rôle du fou, en montrant que sa folie consiste en l’acceptation de bien plus de souffrances, et ceci non sans lien avec le Christ. Il faut noter l’insistance avec laquelle Paul force la différence, en recourant à toute une batterie de formules au comparatif : « moi bien plus » (ὑπὲρ ἐγώ) 167, « plus abondamment » (περισσοτέρως), utilisé deux fois, et enfin « beaucoup plus » (ὑπερβαλλόντως). « Moi bien plus » prend à contre-pied le triple « moi aussi ». À cela s’ajoute le fait que Paul souligne de manière appuyée la grande quantité de labeurs endurés, en recourant quatre fois à l’adverbe « souvent ». Enfin, Paul situe bien la progression, dans le registre de la folie, de son argumentation. Cette expression, unique dans tout le Nouveau Testament et donc aussi chez Paul, signifie littéralement parler en pensant et en se comportant à côté (de lui-même). Il convient de noter la densité du clivage sur lequel repose le paradoxe du Discours du fou. Paul, en annonçant qu’il « ne parle pas selon le Seigneur » (v. 17), en vient à parler du Christ. Quels sont ces dangers ? Paul recourt ici à un genre littéraire connu de l’époque, celui du catalogue de péristases. Dans la littérature hellénistique, on désigne ainsi les récits déclamant la vie d’un roi ou d’un héros, visant à mettre en avant son courage, sa grandeur, sa force dans différentes circonstances, en particulier les épisodes dangereux et exposés de sa vie 168. Les exploits, dont ces catalogues dressent la liste, ont précisément pour 166.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p.  796. 167. La préposition est utilisée ici adverbialement : « plus, à un degré plus élevé » ; cf. M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p.  797. 168. K. Berger, Die Formgeschichte des Neuen Testaments, Heidelberg, 1984, p. 225-228.

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fonction de montrer que le héros n’a pas été anéanti par la difficulté. Mais Paul subvertit le genre rhétorique dans la mesure où le sien ne cherche pas à mettre en avant sa force héroïque, mais à rendre visible – le cercle de ses auditeurs peut investir visuellement ces péristases – la puissance de Dieu qui est à l’œuvre, en creux, au cœur des épreuves subies par Paul. Paul recourt volontiers à ce genre de subversion : on en trouve six dans le corpus paulinien, dont quatre dans 2 Corinthiens (4,8-9 ; 6,4b-10 ; 11,23b29 ; 12,10), les deux autres en 1 Corinthiens 4,10-13a et en Ph 4,12. Paul déclame son catalogue par une série de strophes dont l’architecture thématique est aisément repérable 169. Égalité en termes de folle glorification : 21b Ce qu’on ose dire, je l’ose aussi : je parle avec folie Égalité en termes d’origine et d’héritage : 22 Ils sont Hébreux ? Moi aussi ! Ils sont Israélites ? Moi aussi ! Ils sont de la descendance directe d’Abraham ? Moi aussi ! Supériorité en matière de service et de souffrances : 23 Ils sont serviteurs du Christ ? Je vais parler en étant fou : je le suis bien plus ! Dans les labeurs, plus abondamment ! Dans les prisons, plus abondamment ! Dans les épreuves, beaucoup plus ! Dans les dangers mortels, souvent ! 24 Par les Judéens, j’ai ramassé cinq fois les quarante moins un, 25 trois fois, j’ai été flagellé, une fois, j’ai été lapidé, trois fois, j’ai fait naufrage, j’ai passé une nuit et un jour sur l’abîme de la mer, 26 voyages à pied, souvent, danger des fleuves, dangers des brigands, dangers des compatriotes, dangers des païens, dangers en ville, danger dans le désert, dangers en mer, dangers parmi des faux-frères ! 169.  M.  J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, p.  789-792, dont nous suivons le découpage thématique.

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Fatigue et peine, souvent, dans les veilles, dans la faim et la soif, dans les jeûnes, souvent, dans le froid et la nudité ; 28 et ceci sans compter tout le reste : la pression perpétuelle quotidienne pour moi, le souci de toutes les Églises ; 29 qui est faible, que je ne sois faible ? Qui succombe, que cela ne me brûle ? 27

Cette structure traduit indiscutablement une progression. Celle-ci va permettre aux cercles des auditeurs de faire la différence entre Paul et ses concurrents, ceci tant sur l’identité ministérielle que sur celui des marques de l’apostolat. Elle part du double postulat posé ironiquement par Paul : lui et ses détracteurs sont sur un pied d’égalité premièrement sur le plan de l’intention (oser parler avec folie), puis deuxièmement sur celui des marqueurs de l’apôtre (Hébreux, Israélites, descendance d’Abraham, serviteurs du Christ). Il n’y a pas de rupture entre les trois premiers, issus du « judaïsme », et le dernier. Au contraire, ils forment ici un tout. L’effet pragmatique de décrochage est opéré par la batterie des quatre questions rhétoriques relatives à ceux-ci, en particulier lors du passage à la quatrième de ces questions. Celle-ci permet en effet de poser la question qui va faire l’objet des développements ultérieurs, à savoir en quoi consiste la nature « bien plus » authentique du service apostolique et ceci précisément au moment où le Discours du fou prend un tour totalement radical. Ces quatre strophes sont chargées d’asseoir la différence entre Paul et ses détracteurs. La première évoque quatre catégories de souffrances apostoliques dans lesquelles Paul se débat : labeurs, prisons, épreuves, dangers mortels, les trois premières étant renforcées par un adverbe au comparatif ; la quatrième par l’adverbe « souvent » (πολλάκις). Ces comparatifs attestent que Paul les a endurés quantitativement bien plus. L’insistance porte aussi sur l’insertion dans la réalité de ces quatre différents lieux de souffrance, introduits répétitivement chaque fois par la préposition ἐν. Cela n’est sûrement pas un hasard si les dangers mortels sont mentionnés en dernière position. Ce fait souligne peut-être ironiquement la tiédeur des super-apôtres face aux grands dangers. La deuxième strophe mentionne une série de souffrances concrètes, à savoir des châtiments particulièrement douloureux et des dangers où Paul a frôlé la mort (la punition synagogale des 39 coups, la flagellation, la lapidation, le naufrage). Ces évocations sont relatées comme des circonstances précises que Paul a endurées : les verbes sont tous à l’aoriste et Paul précise chaque fois le nombre de confrontations. La troisième strophe mentionne une longue série de dangers liés aux fréquents voyages à pied : fleuves, brigands, païens, désert, villes et mer. La quatrième strophe fait état de fréquentes souffrances physiques et de privations (fatigues, peines, veilles, faim, soif, froid, nudité). Elle récapitule la vie et les labeurs apostoliques de l’apôtre : premièrement, le souci quotidien pour toutes les communautés, puis deuxièmement, par

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le biais de deux questions rhétoriques, le souci viscéral de chaque individu placé dans une situation de détresse absolue. Ces deux questions mettent en lien directement Paul et les Corinthiens. Paul endosse le rôle paternel du confident, qui fait preuve d’une bienveillance et d’une affection sans faille envers chacun des individus composant le cercle de ses destinataires. En définitive, le catalogue de péristases permet à Paul d’endosser l’éthos de la figure de l’homme souffrant (la « figure de la tribulation »), qui a quatre fonctions 170 : (1) s’assurer de la bienveillance de l’auditoire (captatio benevolentiae), (2) décrire la réalité des souffrances endurées, (3) démontrer le lien de ces dernières avec celles du Christ et enfin (4) assurer l’autorité de l’apôtre (s’il est encore vivant, c’est qu’il a visiblement trouvé grâce aux yeux de Dieu). Pour ce qui est de la bienveillance de l’auditoire, les Corinthiens sont invités à prendre la mesure, à travers cet impressionnant catalogue, de l’endurance apostolique de Paul. Pour asseoir toujours plus son autorité aux yeux des Corinthiens, Paul va franchir deux pas supplémentaires, d’une part par le récit d’une fuite providentielle à Damas (2 Co 11,32-33) puis par celui d’une expérience mystique débouchant sur une révélation du Seigneur (2 Co 12,1-10), attestant de manière irréfutable le lien entre les souffrances endurées par Paul et la présence du Christ dans la faiblesse de l’agir apostolique. Aux v. 30-33, Paul précise la manière dont il veut se glorifier, c’est-àdire placer sa fierté ultime. En qualifiant le choix de se glorifier de ses faiblesses comme une nécessité, Paul fait porter à ses détracteurs la responsabilité de la folie à laquelle il a consenti. Pour lui, la seule manière authentique de légitimer son apostolat, c’est par le biais des labeurs endurés. On peut se demander si les « super-apôtres » méprisaient la souffrance au profit d’une sorte de théologie de la gloire. Considéraient-ils la souffrance comme méprisable, à cause de son inhérente faiblesse ? Il n’y a pas d’indice textuel permettant de trancher cette question, mais cela paraît tout à fait probable, vu l’insistance de Paul à faire la différence, via son catalogue de souffrances. Il précise qu’il a particulièrement souffert, pour accomplir son ministère. Remarquons l’insistance avec laquelle il détaille ces épreuves, dont certaines, en plus, ressemblent fortement à celles vécues par le Christ (labeurs, prison, flagellation, jeûne, danger des voyages, dangers des frères de race). Il en vient à affirmer que Dieu sait qu’il ne ment pas. Cette déclaration de sincérité renvoie à la non-sincérité de ses concurrents, qui selon lui, sont des menteurs. Le Tarsiote démontre alors la sincérité de cette confession de foi paradoxale, par l’épisode de la fuite de Damas en corbeille. Cet épisode a intrigué les exégètes 171. Avons-nous à faire à une ultime preuve de la dimension authentique de la faiblesse de l’apôtre ou 170. R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  149. 171. Voir les résumés des différentes interprétations donnés par L. L. Welborn, « The Runaway Paul », Harvard Theological Review 99/2 (1999), p.  115-163,

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au vrai visage de sa folie, dont on peut dire qu’elle a même pris un tour suicidaire ? Paul se serait même trouvé contraint à s’abaisser à fuir, sortie ô combien humiliante ? Parodierait-il, à l’envers, le mérite du premier soldat à gravir la muraille de la ville assiégée ? Ou bien amorcerait-il déjà le thème des montées et des descentes, qui va faire l’objet du développement suivant ? Avons-nous affaire à une initiative personnelle d’un secrétaire, à qui Paul dicterait la lettre ? Celui-ci aurait été tellement frappé par cet épisode, à titre d’illustration exemplaire des dangers dans la ville (2 Co 11,26), qu’il l’aurait rajoutée. En tous les cas, trois éléments devraient en priorité retenir l’attention. Premièrement, ce récit comprend des ancrages précis, tant historiques (Arétas IV Philopatris, roi des Nabatéens, de 8 avant notre ère à 39-40 de notre ère) que géographiques (la ville de Damas). Deuxièmement, les Actes des Apôtres mentionnent également cette péristase, vécue en solitaire (Ac 9,23-25). En fait, nous avons affaire là au seul épisode biographique, hormis l’épisode de la conversion sur le chemin de Damas, qui soit attesté à la fois par le corpus des lettres de l’homme de Tarse et les Actes des Apôtres, même si les deux versions de l’épisode présentent quelques différences 172 . En Actes  9,23-25, Paul fuit à cause du danger venu des Juifs. En 2 Corinthiens 11,32-33, la cause résulte du danger venu des Nabatéens. Cet épisode rappelle plusieurs récits de fuite de l’Ancien Testament : celle des espions fuyant Jéricho à travers une ouverture dans la muraille (Jos 2,15) et celle de David s’enfuyant par une fenêtre pour échapper à Saül (1  S  19,12). Mais comme le précise Daniel Marguerat : Chacune des deux versions a sa visée rhétorique propre : le catalogue de péristases de 2 Co 11,23-33 illustre le paradoxe de la force de Dieu dans la faiblesse apostolique, tandis qu’Ac 9,19b-25 concrétise la présence discrète de la providence divine dans la vie dangereuse du témoin 173.

Troisièmement, Paul convoque cette petite – mais spectaculaire – anecdote personnelle en tant que preuve de sa sincérité. Il a dû la raconter souvent et cette péripétie digne d’un roman d’aventures a dû frapper les esprits. En effet, voilà une fuite de nuit et pas en plein jour, du haut de la muraille et non pas par les portes de la ville, dans une corbeille et non pas à pied ou à cheval 174 . Elle aurait ainsi – grâce aussi aux deux célèbres précédents en matière de fuite providentielle – alimenté les traditions nées dans le sillage des péripéties marquantes du cursus apostolique paulinien en particulier p. 115-122. Voir aussi R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco, 1986 ; J.  L ambrecht, Second Corinthians, Collegeville, 1999, p.  384-385. 172. D. M arguerat, Les Actes des Apôtres (1-12), Genève, 2007, p. 340-341. Nous suivons son analyse comparative des deux versions de l’épisode de la fuite en corbeille. 173. D. M arguerat, Les Actes des Apôtres (1-12), Genève, 2007, p. 341. 174.  M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005, p. 826.

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et dont l’auteur des Actes se serait servi en fonction de sa visée rhétorique propre. Ainsi, Paul veut mettre en évidence le caractère providentiel du ministère apostolique placé sous le signe de la faiblesse. Preuve en est la réussite particulière de sa fuite en corbeille. 3e développement : les rencontres mystiques de Paul avec le Seigneur (12,1-10) Au v. 1, Paul aborde le thème des visions et des révélations du Seigneur (ὀπτασίας καὶ ἀποκαλύψεις κυρίου.). C’est la seule fois où il évoque des visions. Par contre, dans le récit de sa conversion (Ga 1,11-24), il déclare que ce n’est pas par l’intermédiaire des hommes que lui a été transmis l’Évangile qu’il annonce, « mais par une révélation de Jésus-Christ » (δι’ ἀποκαλύψεως Ἰησοῦ Χριστοῦ Ga 1,12). Ainsi mystique et conversion fonctionnent pour Paul sur le même registre, à savoir celui d’une relation privilégiée et authentique avec Dieu ou avec son Fils. Pour Alan Segal, Paul est donc « tout à la fois un mystique et un converti » 175 et le récit, à Corinthe, de son expérience visionnaire « est donc à la fois mystique et eschatologique » 176. Pour le judaïsme du Ier siècle, l’apocalyptique ne relève pas des « vérités issues de méditations sur l’univers, mais (de) l’annonce bien plus dérangeante que le temps du jugement de Dieu était proche » 177. Paul établit une gradation dans la comparaison avec le ministère de ses adversaires : il va quitter le terrain des labeurs humains pour s’élever dans les sphères célestes et plaider l’urgence apocalyptique. Il continue de faire porter à ses détracteurs la responsabilité de la folie à laquelle il a consenti. Cela sera la dernière étape de la comparaison entre lui et les « superapôtres », qui devaient aussi se glorifier d’expériences extatiques. Visiblement, ils n’avaient pas dû se priver d’en faire état pour convaincre les Corinthiens. Ainsi, le Tarsiote estime nécessaire d’enclencher un troisième développement à son Discours du fou après avoir démontré la fausseté de l’apostolat de ses concurrents (2 Co 11,1-15), puis après avoir établi que la faiblesse en Christ, patiemment endurée avec son souci indéfectible pour les Églises et tous leurs membres, est le fondement d’un apostolat authentique (2 Co 11,16-31). Aux v. 2-5, Paul évoque le premier thème annoncé, celui des expériences visionnaires (ὀπτασίας). Il va parler d’un homme qui, il y a 14 ans, a été emmené au paradis. Ce récit présente les caractéristiques d’une expérience mystique : il s’est bel et bien passé quelque chose, mais en rendre compte avec précision n’est pas évident. Différents éléments confèrent une dimen175.  A. F. Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat, Paris, 2003, p. 57. Nous suivons ses conclusions relatives à l’analyse des liens entre la théologie de Paul et la mystique et l’apocalyptique judéo-hellénistique du 1er siècle (en particulier dans son chapitre 2 : « L’extase de Paul », p. 57-111). 176.  A. F. Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat, Paris, 2003, p.  59. 177.  A. F. Segal, Paul le converti. Apôtre ou apostat, Paris, 2003, p. 57.

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sion mystique au récit de ce voyage céleste. Son caractère unique, par l’inscription de l’événement dans le cours de l’histoire (« il y a 14 ans ») 178, le double récit à la troisième personne (« je connais un homme en Christ qui »), l’insistance sur l’omniscience de Dieu (« Dieu le sait ») l’impossibilité de trancher entre les dimensions physique et psychique (« soit corporellement, je ne sais pas, soit hors de (son) corps, je ne sais pas, Dieu le sait ») 179, enfin la destination du voyage (« le troisième ciel », « le paradis »). La littérature mystique judéo-hellénistique détaillait trois niveaux dans le ciel, voire plus 180. L’homme dont Paul parle serait donc allé tout en haut. Que signifie le descriptif à la 3e personne du voyageur céleste ? Le dédoublement de la personnalité est caractéristique de l’expérience mystique, car il traduit une prise de distance face à la condition humaine. Ainsi, aux yeux des interlocuteurs de Paul, si ce dernier peut attester d’une telle expérience de dédoublement de la personnalité, son apostolat n’est en rien inférieur, d’un point de vue extatique, à celui de ses concurrents. Mise en scène de cette façon, l’expérience mystique de Paul vise donc aussi une mise à distance supplémentaire d’avec ses concurrents. La faction corinthienne, dévoyée par la prédication de ces derniers, devait se montrer trop intéressée, au goût de Paul, par les récits d’expériences mystiques personnelles. Quant au paradis, le mot vient de la langue perse, dans laquelle il désigne le jardin ou le parc clôturé. Il renvoie aussi au jardin du deuxième récit de la création 181 : Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Éden (LXX : « pour cultiver le sol et le garder ») (Gn 2,15).

178.  Les prophètes (V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  524) mentionnent presque tous la date de leur prise de parole prophétique ou de leurs visions (Jr 1,1-3 ; 26,1 entre autres). 179.  V.  P. Furnish signale (II Corinthians, New York – Garden City, 1984  p. 525) que dans la littérature juive, on concevait les ascensions célestes comme un voyage corporel. Dans le Testament d ’Abraham (8 B), Abraham monte au ciel « dans son corps ». Dans la littérature hellénistique, au contraire, le voyage dans un royaume céleste était toujours conçu comme un voyage de l’âme hors du corps (p. ex. Philon, Rêves, 1,36). 180. V. P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  525) et M. Carrez (La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p. 228) mentionnent les différents nombres de cieux qu’on trouve dans la littérature juive, puis chrétienne. Ainsi le Testament de Lévi en détaille trois (2,7-10 ; 3,1-4) : c’est dans le troisième que Lévi se trouve lui-même en face de Dieu et de sa gloire. L’Apocalypse de Moïse (35,2), l’Apocalypse de Paul (29) en comptent sept. L’Hénoch slave (Livre des secrets d ’Hénoch ou II Hénoch) en connaît dix. 181.  V. P. Furnish, (II Corinthians, New York – Garden City, 1984, p.  526) détaille les sources hellénistiques et juives. Pour les Juifs, le paradis apparaissait comme un royaume divin où les justes devaient hériter de leur récompense, à leur mort ou à la résurrection finale (2 Esdras 3,5-1 ; Apocalypse d’Abraham 21 ; Testament de Lévi 18,10-11).

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Paul en vient alors au but de l’expérience mystique, à savoir l’accession à un message divin. À ce moment, l’incertitude quant à l’identité du voyageur céleste commence à se lever : il s’agit en fait de Paul. En effet, le voyageur fait état du fait qu’il « a entendu des dires indicibles dont il n’est pas permis à l’homme de parler » (ἤκουσεν ἄρρητα ῥήματα ἃ οὐκ ἐξὸν ἀνθρώπῳ λαλῆσαι). Comment comprendre les ἄρρητα ῥήματα ? Par cette expression, Paul veut sûrement souligner le caractère particulièrement divin de son expérience mystique 182 . Ces paroles étaient-elles donc tellement extraordinaires pour que l’homme dont Paul parle ne puisse tout simplement rien en dire ? Ou n’était-il pas habilité à le faire ? Ou bien, comme dans le cas des révélations apocalyptiques, s’agissait-il de paroles réservées à un cercle d’initiés ? Paul ne tranche pas la question. Au contraire, ce qu’il vise ici, ce sont les expériences mystiques dont les super-apôtres devaient se prévaloir aux yeux des Corinthiens. Vraisemblablement, ceux-ci devaient se vanter d’avoir eu accès à des révélations divines par le biais d’extases. Paul les prend manifestement une fois de plus ironiquement à contre-pied, en montrant la faiblesse apparente d’une expérience extatique, réputée authentique, mais dont on ne peut extrapoler aucun message divin. Aux v. 6-10, Paul évoque le deuxième thème qu’il a annoncé, à savoir « les révélations du Seigneur » (ἀποκαλύψεις κυρίου v. 1). Comme lors de l’épisode de la fuite en corbeille, Paul fait état de ce deuxième élément pour prouver sa sincérité. Mais il le fait de nouveau par le biais de la preuve paradoxale, la plus paradoxale de toutes ; c’est ici que l’argumentation du Discours du fou va atteindre son sommet 183. En effet, à cause du caractère extraordinaire de ces révélations, voilà qu’il a été mis une écharde dans la chair de Paul (ἐδόθη μοι σκόλοψ τῇ σαρκί). Par là, Paul précise aussi que l’homme qui a été entraîné dans cette ascension mystique, c’est bien lui. Il n’y a cette fois plus de doute sur l’identité du voyageur céleste. L’écharde fait ici référence à la cause externe qui a généré une souffrance indésirable pour Paul. Σκόλοψ signifie le piquet de torture, l’écharde, le poteau ou le pieu hérissé dans la palissade pour la défense 184 . Nombreuses sont les tentatives d’identifier la nature de cette souffrance 185. De plus, Paul qualifie 182. On ne trouve aucun texte présentant la même combinaison dans les papyrus, comme le précise P. A rzt‑Grabner , 2. Korinther, Göttingen, 2014, p. 506. 183. Comme le soulignent la plupart des commentateurs et aussi C. Forbes : « Paul moves toward his crownest antithesis » (« Comparison, Self-Praise and Irony : Paul’s Boasting and the Conventions of Hellenistic Rhetoric », New Testament Studies 32 (1986), p.  21). 184.  Σκόλοψ a même reçu le sens de « croix », mais cette signification est plus tardive ; elle daterait ainsi du 3e siècle (D. M. Park, Paul’s σκόλοψ τῇ σαρκί. Thorn or Stake ? (2 Cor 12,7), Novum Testamentum 22 (1980), p.  179-183). 185.  Ainsi M. Carrez mentionne l’existence de 150 explications de l’écharde, qui vont des troubles psychiques (dépression nerveuse) jusqu’aux maux les plus divers (malaria, épilepsie, vue défaillante, etc.), dans La deuxième Épître de Saint

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l’écharde d’« ange de satan » (ἄγγελος σατανᾶ). Il faut noter la subtilité de la nuance : l’ange de satan renvoie aux faux-apôtres camouflés en anges de lumière, à l’instar de satan (2 Co 11,13-14). La référence à l’ange de Satan désigne la fourberie, durant depuis longtemps, de l’écharde et non l’origine de l’écharde. Celle-ci semble bien présentée – encore une subtilité du paradoxe – comme d’origine divine. Grammaticalement, il s’agit d’un « passif divin », lequel signale que Dieu est à l’origine de l’action – au cœur de l’événement –, mais sans le nommer 186. Ainsi, du point de vue du locuteur, la providence est toujours à l’œuvre. Et c’est bien Dieu qui authentifie l’expérience extatique de Paul, vu que c’est lui qui en fournit, en quelque sorte, une garantie d’excellence. Paul ne s’arrête pas là. Pour prouver le caractère insupportable de l’écharde, il évoque ses prières insistantes pour en être délivré 187. « Prier trois fois » (τρὶς τὸν κύριον παρεκάλεσα) pourrait désigner la pratique judéenne de la prière quotidienne, le matin, à midi et le soir (Ps 55,16-17 ; Dn 6,10). Paul fait état alors de la réponse à sa prière, avec cette réplique qui a si profondément marqué la spiritualité chrétienne : « ma grâce te suffit, car la puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (ἀρκεῖ σοι ἡ χάρις μου, ἡ γὰρ δύναμις ἐν ἀσθενείᾳ τελεῖται). Il faut signaler que cette parole du Seigneur a une fonction de validation du ministère apostolique analogue à celle de la parole de Dieu reçue au travers de Jérémie (2 Co 10,17). Cette révélation, Paul en montre le caractère décisif, par son pouvoir authentifiant la présence du Christ Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  230. Philippe M enoud interprète cette souffrance comme une déception théologique, à savoir celle de ne pas avoir réussi à gagner les juifs à l’Évangile : « Paul a donc tout d’abord prié le Seigneur d’ôter l’écharde, c’est-à-dire de lui permettre d’atteindre et de convertir son propre peuple. Puis il a cessé de prier pour cela. Il a compris que son échec auprès des Juifs rentrait dans le plan divin » (cité par M. Carrez ). Pour une évaluation des principales interprétations de la nature de l’écharde, voir M. Thrall, The Second Epistle to the Corinthians, vol. 2 (2 Co 8-13), Edinburgh, 2000, p.  809-818. Elle repère trois catégories d’identification : (1) des problèmes d’ordre psychologiques (tentation sexuelle, accès de mauvaise conscience, reproches endurés, déception suite à des échecs dans sa mission), (2) des adversaires (l’adversité, des personnes précises, des membres de la communauté, etc.) et (3) des maladies physiques ou des handicaps (migraines, problèmes ophtalmologiques, fièvres récurrentes, malaria, dépression nerveuse, etc.). M. Thrall pense plutôt à un problème relavant de la troisième catégorie, connu des Corinthiens et entravant périodiquement son action, comme des migraines ou de la fièvre. 186.  « This “divine passive”, speaking of God as the hidden agent behind events and experiences in human lives, fits well into Paul’s thinking. He sees both the revelation and the thorn as from God » (R. P. M artin, 2 Corinthians, Waco, 1986, p. 412). 187. M. Carrez opère un intéressant parallèle entre Paul et la prière de Jésus à Gethsémané. Dans les deux cas, l’exaucement consiste à supporter l’épreuve : « la coupe n’a pas été éloignée de Jésus comme l’ange de Satan n’a pas été écarté de Paul » (La deuxième Épître de Saint Paul aux Corinthiens, Genève, 1986, p.  231).

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dans la faiblesse de ses labeurs. Ainsi, cette révélation nous ramène dans le champ des réalités terrestres. La mystique céleste trouve son excellence dans l’authentique faiblesse « pour Christ » (ὑπὲρ Χριστοῦ) à savoir la patiente endurance de la dimension dramatique de l’existence humaine 188, avec son cortège de faiblesses et de douleurs (« dans les insultes, dans les contraintes, dans les persécutions et les angoisses »). Paul peut ainsi boucler son parcours paradoxal dans la faiblesse, car toutes les épreuves endurées ainsi « pour Christ » sont autant de preuves de l’agir mystérieux de la force divine. Il est frappant de voir que Paul conforte encore plus son autorité aux yeux des Corinthiens par l’évocation de cette expérience mystique. Non seulement, il endosse à nouveau l’éthos de la figure dépossédée et inspirée 189, mais il lui ajoute encore une densité supplémentaire, celle de la christophanie spirituelle. Assurément, les « super-apôtres » ne pouvaient pas en faire autant.

4.2.6.4 Le résultat : les signes distinctifs de l’apôtre (12,11-12) Aux v. 11-12, après ce parcours, consacré à la vraie nature de l’apostolat, son authentification par la faiblesse, image véritable de la présence du Christ souffrant, et ceci tant sur la terre qu’au ciel, plus rien ne peut empêcher Paul de conclure qu’il est « devenu fou »  (γέγονα ἄφρων). Par cette conclusion, il signe le Discours du fou. Sa supériorité sur les « superapôtres » est définitivement établie, vu qu’il a prouvé qu’il n’a en tout cas rien de moins qu’eux. Paul fait encore une fois porter à ses détracteurs la responsabilité de la folie à laquelle il a consenti.  Γέγονα ἄφρων fait écho aux deux mentions de καυχᾶσθαι δεῖ (2  Co  11,30 et 12,1). Il poursuit sur cette lancée ironique en disant aux Corinthiens que s’ils avaient recommandé Paul, il n’aurait pas eu besoin d’envisager son Discours du fou. La recommandation de Paul, contrairement à celles de ses détracteurs, c’est la communauté tout entière. Paul conclut par la liste des « signes de l’apôtre » (σημεῖα τοῦ ἀποστόλου). Comment comprendre cette expression ? Pour Paul, le « signe » recouvre trois significations différentes 190. Premièrement le signe extérieur qui caractérise quelque chose, comme l’indique la salutation (pseudépigraphe) de 2 Th 3,17 : « la salutation est de ma main, à moi Paul, je signe ainsi chaque lettre : c’est mon écriture ». Ainsi Abraham, à qui « le signe de la circoncision fut donné comme sceau de la justice reçue par la foi » (Rm 4,11). Deuxièmement, le parler en lan188.  Voir É. Fuchs, « La faiblesse, gloire de l’apostolat selon Paul. Étude sur 2 Corinthiens 10-13 », Études théologiques et religieuses 55 (1980), p.  231-253. 189.  R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 135. 190.  Voir O.  Betz, « σημεῖον », dans H.  Balz – G. Schneider (éd.), Exegetisches Wörterbuch zum Neuen Testament (Band III), Stuttgart – Berlin – Köln – Mainz, 1982, col.  569-575.

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gues est qualifié de « signe non pour les incroyants, mais pour ceux qui croient » (1 Co 14,22). Troisièmement, le signe désigne le miracle qui doit rendre patente l’action attendue de Dieu, comme l’atteste l’attente juive de la fin des temps : « les Juifs demandent des signes et les Grecs recherchent la sagesse » (1 Co 1,22) ou les miracles en soi (2 Co 12,12). En effet, seul Paul associe les miracles aux « signes de l’apôtre ». Pour Jacob Jervell, l’originalité paulinienne de cette formule justifie historiquement le portrait thaumaturgique de Paul, brossé par l’auteur des Actes des apôtres 191. Paul était bien conscient d’avoir accompli des miracles, voire même que sa carrière apostolique, en tant que telle, avait été un miracle en soi : Car je n’oserais rien mentionner, sinon ce que Christ a fait par moi pour conduire les païens à l’obéissance, par la parole et par l’action, par la puissance des signes et des prodiges (ἐν δυνάμει σημείων καὶ τεράτων), par la puissance de l’Esprit. Ainsi, depuis Jérusalem, en rayonnant jusqu’à l’Illyrie, j’ai pleinement assuré l’annonce de l’Évangile du Christ (Rm  15,18-19).

Il est significatif – et quelque part tout à fait emblématique du Discours du fou – de placer « la patience à toute épreuve » (ὑπομονῇ) en tête de liste. La triade des signes (σημείοις), des prodiges (τέρασιν) et des miracles (δυνάμεσιν) vient seulement ensuite ; Le Tarsiote résume ce qui le distingue de ses concurrents, qui prisaient les manifestations spectaculaires de la foi pour convaincre les Corinthiens. Mentionner les miracles, les signes extraordinaires et les actes de puissance juste après avoir terminé le Discours du fou par le caractère révélateur et décisif de la vraie nature de la gloire (dans la faiblesse) est hautement polémique. Les « superapôtres », et la faction déviante à leur suite, méprisaient sans doute la faiblesse de Paul (2 Co 10,10). Et voilà que Paul ose leur dire que seul le ministère apostolique qui assume le caractère paradoxal des situations compromises (2 Co 12,10) peut authentifier l’image du crucifié. En effet, c’est la « patience à toute épreuve », placée sous le signe de la douceur et de la bonté du Christ dès le début du Discours du fou (2 Co 10,1), qui a amené Paul à endurer n’importe quelle souffrance ou presque. Cellesci ont été présentées comme autant d’icônes des souffrances endurées par Jésus-Christ. L’expérience des visions et des révélations, assortie au long périple marqué par l’écharde dans la chair, a permis à Paul de légitimer l’authenticité de sa mission apostolique aux yeux des Corinthiens. À l’issue du Discours du fou, la place prise par l’éthos paulinien est frappante. À plusieurs reprises, Paul endosse différentes figures d’autorité. Tour à tour apôtre dépossédé et inspiré, ambassadeur, homme souffrant et père bienveillant, Paul cumule ces figures de soi en les additionnant, dans 191.  J.  Jervell, « The Signs of the Apostle. Paul’s Miracles », dans J. Jervell, The Unknown Paul. Essays on Luke-Acts and Early Christianity, Minneapolis, 1984, p.  90.

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le but de légitimer son ministère selon la seule et unique règle : fonder son existence dans le Seigneur (2 Co 10,17). La combinaison des figures de l’apôtre dépossédé et inspiré et de l’homme souffrant atteint un sommet dans l’évocation de l’écharde dans la chair. Preuve en est qu’au plus profond de sa détresse, Paul reçoit pour réponse à sa prière de libération de la souffrance une parole du Seigneur : « ma grâce te suffit, car la puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (v.  9a), qui fait office de révélateur. Ainsi, pour légitimer son action apostolique, recouvrer son autorité mise à mal au cœur de la crise corinthienne et sauver l’unité de la communauté, Paul en vient à se mettre en scène lui-même, en endossant ces différentes figures d’autorité. Ces dernières, on l’a vu, ont pour fonction de restaurer l’autorité perdue, autrement dit de récupérer le crédit perdu aux yeux des Corinthiens. En effet, « toute énonciation épistolaire construit, au moins en creux, une image de son énonciataire » 192 . Cela explique pourquoi Paul fait pragmatiquement emprunter aux destinataires de sa lettre des sortes de tunnels narratifs, lesquels sont au nombre de trois : 1. Le catalogue de péristases, dans lequel Paul évoque les souffrances et les dangers endurés tout au long de sa carrière apostolique (2 Co 11,21b-28). 2. L’épisode de la fuite de Damas dans une corbeille, du temps d’Arétas (2 Co 11,32-33). 3. La montée au ciel, 14 années auparavant, et l’évocation de l’écharde dans la chair (2 Co 12,1-10). Dans ces récits, les figures de soi endossées par Paul jouent un rôle programmatique. Par l’évocation personnelle d’un catalogue de souffrances apostoliques, puis d’une fuite providentielle et enfin d’une expérience de visions et de révélations, Paul fait advenir aux yeux du cercle de ses destinataires l’authentique présence du Christ. Et cette dernière lui permet de se poser comme figure de la condition croyante, modélisée qu’elle est par les « signes de l’apôtre ».

4.2.6.5 La prise de congé et l’au revoir (2 Co 12,13-13,13) 1er développement : annonce et motivation d’une troisième visite (12,13-21) V. 13-15 : le v. 13, que les commentateurs rattachent volontiers à la conclusion du Discours du fou (2 Co 12,11-12) 193, fait office de transition 192.  R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 131. 193.  Ainsi  E. Grässer, Der Zweite Brief an die Korinther. Kapitel 1,1-7,16, Gütersloh, 2002 ; M. J. H arris, The Second Epistle to the Corinthians, Grand Rapids (MI) – Milton Keynes, 2005 ; D. E. Garland, 2 Corinthians, Nashville, 1999 ; V.  P. Furnish, II Corinthians, New York – Garden City, 1984.

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entre le Discours du fou, qui constitue le corps de la lettre (2 Co 11,1-12,12) et la conclusion du corps de la lettre (2 Co 12,13-13,13). Même s’il a pris ironiquement le masque du fou, Paul n’en a pas moins déployé son action missionnaire avec une solidarité sans faille envers ses communautés et tous leurs membres (2 Co 11,29), fussent-ils divisés. Paul en vient maintenant à son projet de troisième visite, qu’il va habiller d’ironie aux yeux des Corinthiens. Celle-ci fait écho à celle dont Paul a déjà usé pour ridiculiser leurs sympathies pour les « super-apôtres » (2 Co 11,19-21a). Paul, en bon combattant, se tient prêt à débarquer à Corinthe pour la troisième fois. Ceci n’est pas sans rappeler que Paul et son équipe se tiennent toujours prêts à punir toute désobéissance (2 Co 10,6). Paul signale l’égalité de traitement qu’il réserve à tous ses cercles de destinataires. Paternellement, il agit pour le bien des Corinthiens et non pour leurs biens. Il est intéressant de noter que Paul reprend ici ecclésialement à son compte le système ambiant du patronage. En tant que père fondateur de la communauté, il « dépense et se dépensera complètement » (δαπανήσω καὶ ἐκδαπανηθήσομαι) pour elle. Le verbe δαπανάω signifie le fait de dépenser ses biens (Mc 5,26 et Lc 15,14). À l’aide de cette redondance, Paul joue entre le sens propre et le sens figuré – c’est d’ailleurs la seule fois qu’il use du verbe δαπανάω, couplé au verbe ἐκδαπανάω dans ses lettres – comme l’exprime aussi la langue française : dépenser et se dépenser (on dirait aujourd’hui payer de sa personne). Aux v. 16-18, Paul prend ironiquement à son compte la ruse qu’il a reprochée si fortement aux « super-apôtres ». S’il n’a pas été à charge des Corinthiens, cela était pour mieux les manipuler. Paul leur retourne la question, par le biais d’une question fermée (« Est-ce qu’il y a quelqu’un, parmi ceux que je vous ai envoyés, par qui je vous ai exploités ? », v. 17). Le verbe πλεονεκτέω (« être supérieur, avoir l’avantage »), que Paul utilise deux fois par ailleurs à l’aoriste actif (2 Co 7,2 ; 1 Th 4,6) et une fois au passif (« être dupé ou trompé » 2 Co 2,11), renvoie à l’exercice de la discipline communautaire fraternelle : Que nul n’agisse au détriment de son frère et ne lui cause du tort (πλεονεκτεῖν) dans cette affaire, car le Seigneur tire vengeance de tout cela, comme nous l’avons déjà dit et attesté (1 Th 4,6).

De la même façon, il prend la peine de défendre particulièrement Tite, qui est par ailleurs le seul de ses collaborateurs cité nominativement dans toute la séquence 10-13. Paul en profite pour rappeler que son équipe est totalement homogène et solidaire, et ceci en référence au ciment de cette homogénéité, à savoir les armes divines du bon combat (2 Co 10,3-6). C’est d’ailleurs ici que l’équipe apostolique revient en scène. Paul n’est plus seul face aux Corinthiens, il y a désormais Tite et toute l’équipe apostolique. Enfin, Paul reprend ironiquement à son compte « la fourberie » de la mission concurrente, ce qui est logique, puisqu’il est prêt à tout pour

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prouver aux Corinthiens qu’il n’est en rien inférieur à ses concurrents (2 Co 12,11). Au v.  19, pour réduire toujours plus l’ambiguïté de ses propos, Paul en vient à préciser encore une fois ses intentions. Les Corinthiens pensaient que lui et son équipe se défendaient, alors que leur but est l’édification de la communauté (ὑπὲρ τῆς ὑμῶν οἰκοδομῆς), en écho à 10,8, et non pas la recherche de gloire, ce qui reviendrait à de l’orgueil. Cette injonction replace les Corinthiens devant la métaphore du combat divin, qui d’ailleurs est l’apanage de toute l’équipe apostolique. Elle rappelle encore une fois aux Corinthiens que leur apôtre a été investi d’une mission divine, à l’instar du prophète Jérémie. C’est « devant Dieu [que] nous parlons en Christ » (κατέναντι θεοῦ ἐν Χριστῷ λαλοῦμεν) : Paul affirme une fois de plus que c’est en se référant à Jésus-Christ qu’il légitime sa prise de parole. L’injonction (« depuis longtemps, vous pensez que nous nous défendons ») – qui a marqué les débuts de l’exégèse rhétorique de 2 Corinthiens 10-13 194 – rappelle aux Corinthiens que seul Dieu est la mesure de toute comparaison et que donc seul celui qui fonde son existence et son ministère dans le Seigneur (2 Co 12,12-18) incarne de manière authentique Jésus-Christ (et donc peut légitimement « se glorifier »). Aux v. 20-21, Paul distribue encore deux avertissements. Le premier en évoquant la peur d’être déçu à l’arrivée par le comportement des Corinthiens. Le deuxième en reformulant cette même déception en humiliation divine. Paul leur rappelle ici l’avertissement relatif à la sévérité (« en arrivant »). Paul annonce ainsi une visite au cours de laquelle il sera aussi efficace que dans ses lettres. Il faut rappeler que Paul traduit ici concrètement pour les Corinthiens les effets pénibles pour eux du reproche initial ( fort de loin / faible de près) tel que Paul se l’est explicitement réapproprié en le transformant ( fort et sévère de loin / de près). Ainsi Paul d’une part avertit l’entier de la communauté avec un solide catalogue de huit vices : « querelle, jalousie, colères, révoltes, médisances, insolences, commérages, agitations » (ἔρις, ζῆλος, θυμοί, ἐριθεῖαι, καταλαλιαί, ψιθυρισμοί, φυσιώσεις, ἀκαταστασίαι). D’autre part, il avertit en particulier les Corinthiens qui ont péché, à l’aide d’un catalogue encore plus sévère que le précédent : « impureté, mauvaise conduite et débauche » (ἀκαθαρσίᾳ καὶ πορνείᾳ καὶ ἀσελγείᾳ). Ainsi, Paul espère que la faction déviante – qui est vraisemblablement encore déviante au moment de la réception et de la lecture de la lettre – aura cessé de pécher lors de son arrivée. Si les Corinthiens écoutent bien, leur désobéissance passée ne sera alors plus qu’un mauvais souvenir.

194.  Ainsi H.‑D.  Betz , (Der Apostel Paulus und die sokratische Tradition, eine exegetische Untersuchung zur seiner “Apologie” 2 Korinther 10-13, Tübingen, 1972), lequel déduit précisément de cette précision (ἀπολογούμεθα) que 2 Corinthiens 10-13 est assorti au genre judiciaire (p. 14).

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2e développement : précision du projet de troisième visite et exhortation (13,1-10) Aux v. 1-2, Paul répète son projet de troisième visite et sa menace de sévérité. Il redit de manière insistante l’avertissement qu’il vient de donner à ceux qui sont en train de pécher, toujours dans le but de les faire changer de comportement d’ici à son arrivée. Paul souligne son intention en profilant en arrière-fond la discipline de la Loi. Cela lui permet, en passant, de rappeler au bon souvenir de la communauté la manière dont il faut régler les conflits susceptibles de menacer sa cohésion. Un témoin ne se présentera pas seul contre un homme qui aura commis un crime, un péché ou une faute, quels qu’ils soient ; c’est sur les déclarations de deux ou de trois témoins qu’on pourra instruire l’affaire  (Dt 19,15).

Par cette insistance – en mentionnant pour la deuxième fois le groupe de « ceux qui ont péché auparavant » (τοῖς προημαρτηκόσιν) – Paul fait allusion une fois encore à la faction déviante, qui s’est ralliée aux « superapôtres ». Quant à l’autre avertissement, il est certes destiné à tout le reste de la communauté (καὶ τοῖς λοιποῖς πᾶσιν), mais il pourrait avoir aussi pour but d’avertir en priorité ceux qui pourraient être encore tentés de suivre la mission concurrente. Ou pour le dire à la manière de Paul, sont clairement visés ici ceux qui seraient encore susceptibles de se laisser piéger par la fourberie de ces pseudo-apôtres. Aux v. 3-4, Paul rappelle le but de son Discours du fou et, en amont, celui de son équipe, laquelle mène le même combat. Il montre aussi que l’affirmation de la nécessaire faiblesse du ministère est pleinement pertinente aussi pour ses compagnons de mission : « car certes nous sommes faibles en lui » (καὶ γὰρ ἡμεῖς ἀσθενοῦμεν ἐν αὐτῷ). À  cette condition seulement, le Christ peut être manifesté à travers leur course apostolique. Il faut remarquer que pour la première fois, Paul mentionne le Christ « crucifié par la faiblesse » (ἐσταυρώθη ἐξ ἀσθενείας). Cette précision n’est pas sans intérêt pour comprendre les liens théologiques que Paul tisse entre la faiblesse du labeur apostolique et la résurrection du Christ. Voilà la preuve, et la fonction, dont le ministère apostolique doit tirer son ultime justification en fondant son existence dans le Seigneur (2 Co 10,17). Paul précise que cette « preuve » (δοκιμὴν) est valable non seulement pour lui, mais aussi pour ses collaborateurs. C’est donc la perspective du Christ acceptant sa destinée à la croix qui cadre l’agir quotidien de toute l’équipe paulinienne (« nous vivrons avec lui ») et lui confère sa légitimité. La puissance du crucifié donne toute sa mesure dans la faiblesse de l’apostolat. C’est d’ailleurs cela, dans le sillage de la révélation reçue à l’issue de son combat avec l’écharde, qui permet à Paul de dire qu’il est en mesure de prouver à toute la communauté que le Christ parle en lui.

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Aux v. 5-7, Paul traduit les conclusions de son discours dans une exhortation, à l’aide de deux impératifs (πειράζετε […] δοκιμάζετε). Les preuves de la pertinence de sa compréhension du ministère doivent conduire les Corinthiens à pratiquer l’introspection. C’est-à-dire que c’est maintenant à leur tour de faire la preuve de l’authenticité de leur pratique de la foi et de la vie communautaire. Il presse encore une fois les Corinthiens, par le biais d’une question rhétorique, les invitant à reconnaître la présence du Christ parmi eux. Cette interpellation a pour but est de rappeler à toute la communauté ce qu’il leur a dit non seulement dès le début de la lettre (2 Co 10,1), mais aussi tout au long du Discours du fou et en particulier à son paroxysme (2  Co  12,8-9). Il faut remarquer qu’il n’est plus question ici de la faction déviante, ni du deuxième cercle des Corinthiens tentés de les rejoindre. L’exhortation s’adresse sans réserve à toute la communauté, à l’ensemble formé par le cercle entier des destinataires, dont Paul espère vivement qu’ils adopteront à l’avenir un comportement centré sur le bien. Aux v. 8-10, Paul évoque, pour terminer, les éléments décisifs du message du corps de la lettre. Premièrement, le fondement théologique : l’établissement des preuves du ministère a pour but premier de légitimer son authenticité. Deuxièmement, la conséquence : être dans le vrai procure certes la joie, mais permet surtout d’atteindre l’objectif, à savoir « votre amélioration » (τὴν ὑμῶν κατάρτισιν), reprise au v. 11 sous forme impérative (καταρτίζεσθε), de tous les Corinthiens. Cet objectif signifie plus encore que  leur « édification » (2  Co  12,19 ; cf.  aussi 10,8) ou l’augmentation de leur foi à eux tous (2 Co 10,15). Elle évoque la remise en place, le rétablissement, la restauration, la reconstruction. Il vise certes l’amélioration de la foi des Corinthiens, mais surtout la restauration d’un état initial. Il aimerait les retrouver unis, comme ils l’étaient avant l’irruption des superapôtres et de leur « autre » prédication (2 Co 11,4). Ainsi, sa prise de parole, dont la lettre du fou a perpétué la mémoire, aurait eu pour but prioritaire de contrecarrer les effets dévastateurs, tant théologiques qu’ecclésiaux, de cette action missionnaire concurrente. Paul le souligne en reformulant le reproche initial véhiculé par la rumeur (2 Co 10,10), encore une fois en le retournant à son avantage. Celui-ci portait sur le décalage entre : Fort de loin (par ses lettres)

versus

faible de près (par sa personne et son éloquence)

Paul le reformule maintenant de la manière suivante : Faible (en Christ) de loin (par ma lettre)

versus

fort de près (sévère) avec l’autorité de Christ (par ma troisième visite)

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Cette transformation de la tension initiale nous éclaire sur la motivation d’écrire la missive et l’effet pragmatique voulu. Cette formule résume à la fois le cadre et le contenu de la prise de parole de Paul. De plus, elle établit clairement aux oreilles des Corinthiens que c’est bien ce reproche initial qui a été le facteur déclenchant de la crise et qui a fait dégénérer une situation déjà bien fragile entre les assemblées se réunissant dans différentes maisons à Corinthe. L’expression renvoie très vraisemblablement à la lettre originale à l’origine de la séquence 10-13 et dont celle-ci a gardé la mémoire. Elle signifie la clôture du pacte de la communication épistolaire. C’est cela qui a motivé cette prise de parole à distance, à savoir le reproche initial des « super-apôtres » et le traitement que le Tarsiote en a fait. On est en droit de se demander si cette donnée accrédite définitivement l’hypothèse de l’indépendance littéraire de la séquence 2 Corinthiens 10-13. Cela est fort possible, car cette déclaration fait office de conclusion au Discours du fou.

4.2.6.6 L’au revoir : exhortation finale, salutation et bénédiction (13,11-13) Cet au revoir fait office de clôture de la lettre, en suivant le formulaire épistolaire classique. Elle commence par une exhortation à la joie et se termine par une promesse de paix en réponse à leur bonne conduite. Cela ne va pas sans rappeler le principe hébraïque de l’alliance. Il convient de remarquer cette dernière touche et son potentiel pragmatique. Le Dieu de l’alliance assure la protection du peuple d’Israël et lui garantit la paix, sous la condition expresse que ce dernier lui reste totalement fidèle. Puis suivent le saint baiser et la communion des saints. Enfin, il termine avec une bénédiction, d’un caractère totalement original au sein du corpus paulinien : « ἡ χάρις τοῦ κυρίου Ἰησοῦ Χριστοῦ καὶ ἡ ἀγάπη τοῦ θεοῦ καὶ ἡ κοινωνία τοῦ ἁγίου πνεύματος μετὰ πάντων ὑμῶν » (2  Co  13,13). La « grâce du Seigneur Jésus-Christ », dûment placée en tête de la formule, fait écho à la révélation ponctuant la délivrance spirituelle de l’écharde dans la chair. C’est la seule fois, dans les écrits en notre possession, que Paul termine de la sorte une lettre à l’intention du cercle de ses destinataires, qui sont appelés encore une fois à former un tout aux yeux de Paul (μετὰ πάντων ὑμῶν). Le « vous » final (ὑμῶν) forme une inclusion avec le vous initial (αὐτὸς δὲ ἐγὼ Παῦλος παρακαλῶ ὑμᾶς). C’est donc bien la restauration durable de l’unité de la communauté et de sa loyauté à l’égard du Tarsiote qui est visée – et qui fonctionne comme pointe du texte – comme le confirme, en point d’orgue, la formule finale de bénédiction terminant la lettre.

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4.3 B i l a n Pour évaluer le geste épistolaire paulinien à l’œuvre dans le Discours du fou, il convient préalablement de faire quelques remarques concernant les apports de la pragmatique de la communication à la linguistique et du Schéma de Jakobson, puis de synthétiser les principaux résultats à l’aide des quatre catégories d’indicateurs des pratiques épistolaires retenus pour notre enquête. La pragmatique de la communication a, en effet, enrichi les sciences de la communication en ce qui concerne les notions d’acte, de contexte et de désambiguïsation. Notre lecture permet de bien voir comment le « je » de Paul fonctionne comme instance de sens. Tout l’argument de la séquence vise à restaurer la légitimité de la qualité d’apôtre du Tarsiote. En ce qui concerne (1) la notion d’acte, le déploiement du « je » au travers du médium épistolaire rend effective une double action, d’un côté, celle de l’instauration du sens (Paul comme apôtre authentique) et, de l’autre, celle d’agir sur autrui, à savoir le cercle des destinataires. En ce qui concerne (2) la notion de contexte, la crise corinthienne est constamment présente en filigrane. Elle dicte, en quelque sorte, l’agenda de la communication : annihiler efficacement les effets dévastateurs, pour l’unité du cercle des destinataires, de la prédication des « super-apôtres » prêchant « un autre Jésus », et viser à remettre durablement en œuvre une réconciliation effective entre toutes les parties. En ce qui concerne (3) la désambiguïsation, le processus de clarification est flagrant. Tous les renversements apportés dans l’argumentation l’attestent, en particulier celui relatif à la véritable nature du motif légitime de se glorifier. Premièrement, en ce qui concerne les témoignages conservant la trace d’une activité épistolaire effective, on peut noter en priorité le souci de combler épistolairement l’absence de l’épistolier. Toute la dynamique visant à falsifier la rumeur initialement introduite dans l’argument (2 Co 10,10) vise à combler la distance et à offrir un substitut, palliant solidement l’absence de l’apôtre. Le souci de déployer un cadre amical est quelque peu mis à mal par l’ironie, déployée de manière dévastatrice. Mais les expressions de joie, offertes par la perspective d’une nouvelle visite, viennent l’atténuer, de même que l’expression des sentiments. Le pathos du geste épistolaire paulinien est remarquablement opérant sur le plan de l’argument, comme le confirment l’expérience mystique des paroles indicibles, les quatorze années (et cela continue) de la souffrance de l’écharde dans la chair et la parole de révélation divine de la force qui donne toute sa puissance dans la faiblesse pour Christ. Deuxièmement, en ce qui concerne les allusions aux conditions matérielles attestant de l’existence d’une pratique épistolaire réelle, on notera que la mention nominative particulière de Tite, figure émergeante du « nous » anonyme du groupe des compagnons de mission du Tarsiote,

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ouvre l’hypothèse de la recommandation personnelle du porteur de la lettre, destinée à réserver un bon accueil. On peut imaginer combien Paul devait bien se demander comment un discours dans lequel il prend le masque du fou allait effectivement être reçu. Troisièmement, en ce qui concerne le recours à tout ou partie d’un formulaire épistolaire, notre étude montre combien la séquence étudiée témoigne d’une cohérence épistolaire avérée, si l’on admet que l’exhortation initiale de Paul (αὐτὸς δὲ ἐγὼ Παῦλος παρακαλῶ ὑμᾶς) a valeur d’ouverture épistolaire, faisant office (ou remplaçant) la salutation personnelle usuelle de Paul aux Corinthiens. L’analyse de l’argument de l’apôtre montre la remarquable cohérence rhétorique de la lettre, qui fascine autant qu’elle ne cesse d’interroger. Preuve en sont par ailleurs le nombre considérable d’études à son sujet. Le Discours du fou fait office indéniablement de corps de la lettre (2 Co 11,1-12,12). La clôture de la lettre, avec diverses exhortations s’inscrivant dans le sillage des clarifications opérées au sujet de la légitimité apostolique du Tarsiote, projet de nouvelle visite, formule de prise de congé et bénédiction finale, est totalement pertinente du point de vue épistolaire. Quatrièmement, en ce qui concerne les indicateurs spécifiques faisant écho au déploiement d’une pragmatique de la communication, on notera en priorité le jeu subtil, et en même temps d’une rigueur implacable, entre d’une part, le « je » et le « nous », et d’autre part les tiers exclus de l’argumentation : « ceux qui prétendent que », les « super-apôtres », « ceux qui ont péché auparavant » et « tous les autres ». Le « vous » désignant les destinataires est un « vous » inclusif, rassemblant tous les cercles de la communauté, y compris la ou les factions déviantes, les sympathisants à la prédication de la mission concurrente. Ce « vous » figure la communauté telle que Paul la veut, c’est-à-dire indéfectiblement loyale, à l’avenir, envers son père fondateur, ambassadeur de la parole divine à l’instar du prophète Jérémie et véritable serviteur souffrant quotidiennement pour elle, comme le confirment, entre autres, les catalogues de péristases. Sur le plan pragmatique, il convient de mesurer la prise de risque d’une telle communication : cela passe ou cela casse ! Visiblement, cela a passé, comme le confirme l’histoire de la réception de la posture et du geste épistolaires paulinien, vers lesquels il convient maintenant de se tourner.

Chapitre 5

L A RÉCEPTION DE L’AUTORITÉ ÉPISTOLAIRE PAULINIENNE 5.1 I n t roduct ion Tournons-nous maintenant du côté de la réception de la figure et de la posture de Paul en tant qu’épistolier. On sait combien le genre de la lettre a fait très tôt école, comme la construction d’une collection reconnue dont témoigne le Nouveau Testament, avec son ensemble de quatorze lettres de Paul (si on y adjoint Hébreux 1) et celui de sept lettres placées sous le nom et l’autorité des autres apôtres (Pierre, Jacques, Jude, Jean). L’essor de la lettre dite apostolique, de par sa pratique massive dans les siècles qui suivent, le confirme à l’envi. L’effort principal de la recherche au sujet de Paul après Paul porte sur le repérage et l’analyse des différentes transformations de la doctrine théologique de l’apôtre, dans le contexte historique général du développement du christianisme dans les trois premiers siècles de notre ère 2 . La recherche se penche aussi sur la réception critique de Paul, dans le sillage des polémiques anti-marcionites. 1. On rappellera qu’un des plus anciens témoins (IIe siècle) du texte grec du Nouveau Testament, le Papyrus Chester Beatty II (P46), conservé à Dublin, témoigne d’un « corpus archaïque » de 11 lettres de Paul, lequel intègre Hb après Rm et avant 1-2 Co (ce qui donne la liste suivante : Rm, Hb, 1 et 2 Co, Ep, Ga, Ph, Col, 1 et 2 Th, Phm), comme le précise C. B. A mphoux (éd.), Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament. Introduction générale, Bruxelles, 2014, p. 30. 2. Un colloque tenu aux Universités de Genève et de Lausanne (6-8 octobre 2016), sur les Réceptions de Paul et le christianisme naissant, des origines jusqu’ à Irénée a cherché à faire le point (J.  Schröter – S.  Butticaz – A. Dettwiler (éd.), Receptions of Paul in Early Christianity. The Person of Paul and His Writings Through the Eyes of His Early Interpreters (Beiheft zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 234), De Gruyter, Berlin, 2018). L’essentiel des contributions a porté sur la réception de la pensée théologique du Tarsiote. Dans le débat conclusif a été évoquée la nécessité de travailler à l’élaboration d’une taxonomie des différentes réceptions de Paul dans les premiers siècles et de reprendre ainsi à nouveaux frais la question des textes pauliniens réputés authentiques. Il est à remarquer que la réception de la figure de Paul comme épistolier n’a reçu que peu d’attention, l’essentiel des analyses ayant porté sur les liens des textes deutéropauliniens avec « la tradition paulinienne ». Deux contributions ont traité du contexte historique, celles de Markus Öhler (« Zwischen Elite und Elend. Paulinische Gemeinden in ökonomischer Perspektive ») et de John  K loppenborg (« Pauline Communities and Associations in the Greco-Roman World »).

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La première étape de ce débat est marquée par la question de la frontière à tracer entre paulinisme et deutéro-paulinisme au sein des lettres portant la facture de Paul. Partant du fait que la lettre n’est pas réductible à un texte littéraire – fut-il un écrit de circonstance dont on a immédiatement ou du moins rapidement estimé qu’il fallait le transmettre à d’autres cercles de destinataires –, mais demeure un événement basique de communication, dont le médium conditionne et module, d’une certaine façon, la forme et le contenu, la discussion ne peut faire l’économie d’une thématisation de l’histoire de la réception de sa figure d’épistolier. Dit autrement, il s’agit de reconstituer les principales étapes de cette réception dans le flux général, mais non uniforme, de l’essor de sa pensée théologique, dont le corpus des lettres deutéro-pauliniennes est la première attestation. On ne peut que souligner le caractère autant incontestable qu’impressionnant de ces lettres. Comment le geste épistolaire spécifique du Tarsiote a-t-il été concrètement reçu ? De quelles traces dispose-t-on pour reconstituer les bribes de son histoire ? Il convient de questionner les traces a priori les plus anciennes de cette histoire ciblée de la réception de la posture de l’épistolier. En ce qui concerne Paul après Paul, la recherche récente montre que la complexité de la question de la réception de Paul s’explique par la disparité d’une pluralité de filières, dont on trouve les prémices déjà dans le Nouveau Testament. Daniel Marguerat conclut à l’existence avérée de trois filières de réception : (1) une filière dite documentaire (le Paul écrivain, dont les « écrits sont recueillis, recopiés, reconfigurés pour certains, rassemblés en une collection qui s’intégrera au canon du Nouveau Testament ») ; (2) une filière dite biographique (« Paul est célébré comme le héraut de l’Évangile, le missionnaire des nations dont on narre les hauts faits », comme en témoignent les Actes des apôtres, puis un siècle plus tard sous la forme d’une reprise hagiographique, les Actes de Paul) et (3) une filière dite doctorale (« Paul est invoqué comme le docteur de l’Église : on imite ses sentences dans des lettres pseudépigraphiques, on étend son enseignement dans le domaine de l’ecclésiologie et de l’éthique », comme en témoignent le corpus des lettres deutéro-pauliniennes et celui des lettres pastorales) 3. L’approche de Marguerat s’inscrit dans le sillage de la récep3. D. M arguerat parle de « trois pôles » autour desquels la réception s’est déployée de diverses manières, dans « Paul après Paul : une histoire de réception », New Testament Studies 50 (2004), p. 317-337, (citations p. 322). Évaluation critique de la position de D. M arguerat par S. D. Butticaz, « “Dieu a-t-il rejeté son peuple ?” (Rm 11,1). Le destin d’Israël de Paul aux Actes des Apôtres. Gestion narrative d’un héritage théologique », dans D. M arguerat (éd.), Reception of Paulinism in Acts. Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  207-225 (en particulier les p.  210-214), lequel plaide pour une clarification méthodologique du concept de réception, qui ne devrait pas faire l’impasse sur le paramètre de l’intertextualité : « toute réception intertextuelle est éminemment

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tion duale développée par François Bovon, qui distinguait une réception de Paul, d’une part, comme « document » et, d’autre part, comme « monument » 4 . On peut considérer, vis-à-vis de cette typologie de la réception de Paul, que l’enjeu de la réception du geste épistolaire paulinien traverse en quelque sorte les trois filières. Les lettres du Tarsiote sont inséparables de sa carrière missionnaire et la constitution très tôt, probablement du vivant de l’apôtre, de collections de lettres atteste aussi de leur valeur doctorale. Précisons que la réception de la figure de Paul en tant qu’épistolier dont témoignent les lettres deutéro-pauliniennes ne fera pas ici l’objet d’un traitement spécifique, dans la mesure où celle-ci a déjà retenu largement l’attention de la recherche 5. On y reviendra tout de même en ce qui concerne la Lettre aux Laodicéens, laquelle fait référence à la consigne de transmission de la lettre qu’on trouve à la fin de la Lettre aux Colossiens : « quand vous aurez lu ma lettre, faites en sorte qu’on la lise aussi dans l’Église de Laodicée. Lisez, de votre côté, celle qui viendra de Laodicée » 6. Cette exhortation pourrait avoir joué un rôle dans la rédaction de la Lettre aux Laodicéens. Les deux traces explicites relatives à la posture d’autorité de l’épistolier Paul conservées dans le Nouveau Testament fourniront le point de départ de notre investigation. Il s’agit d’une part de la finale épistolaire de facture paulinienne qu’on trouve à la fin de la Lettre aux

dialogique, construisant un jeu subtil de reprises et de transformations » (p. 225, c’est l’auteur qui souligne). D. M arguerat n’est pas le seul à identifier trois filières, ainsi J. M. Lieu, « The Battle for Paul in the Second Century », Irish Theological Quarterly 75/1 (2010), p. 3-14, laquelle mentionne « the narrated Paul », « the letter writer », « the thinker or the theologian » (p. 7) et rend attentif combien ces filières modulent ou combinent de manières diverses et variées différentes postures de l’apôtre : « some would emphasize Paul the missionary to the gentiles, some Paul the pastor, some Paul the martyr ; Paul the provoker of dissent ; Paul the visionary » (p. 7). 4. F.  Bovon, « Paul comme document et Paul comme monument », dans J.  A llaz (éd.), Chrétiens en conflit. L’épître de Paul aux Galates, Genève, 1987, p. 54-65. 5.  Voir notre section 3.2 : « La pragmatique épistolaire paulinienne ». L. Doering traite les données épistolaires du corpus deutéropaulinien ensemble avec celles des lettres pauliniennes réputées authentiques, désignation au sujet desquelles il précise : « I use this term (“Pauline letters”) here indiscriminately for 2 Thess, Col, Eph, 1-2 Tim, Tit » (Ancient Jewish Letters and the Beginnings of Christian Epistolography, Tübingen, 2012, p. 383, note 31) ; idem en ce qui concerne J. Murphy O’Connor (Paul et l ’art épistolaire, Paris, 1994, p.  71-165) ; ce n’est pas le cas de R.  Burnet, qui leur réserve un traitement spécifique (Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  193-276). 6.  « Καὶ ὅταν ἀναγνωσθῇ παρ’ ὑμῖν ἡ ἐπιστολή, ποιήσατε ἵνα καὶ ἐν τῇ Λαοδικέων ἐκκλησίᾳ ἀναγνωσθῇ, καὶ τὴν ἐκ Λαοδικείας ἵνα καὶ ὑμεῖς ἀναγνῶτε » (Col  4,16).

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Hébreux 7, laquelle place la lettre sous le patronage de l’épistolier de Tarse, puis, d’autre part, de la remarque au sujet de l’autorité des lettres de Paul dans 2 Pierre 8, laquelle renvoie à l’autorité de la collection, en tant que telle, de ses lettres. Des traces très proches de cette autorité sont conservées dans la Lettre aux Corinthiens, attribuée à Clément de Rome. Cette lettre serait un texte contemporain des écrits les plus récents du Nouveau Testament. Elle constitue aussi la première réception de Paul, connue et disponible en dehors du canon. Par cette lettre, il est précisément question de gérer à distance, par le médium épistolaire, une crise au sein de l’assemblée chrétienne locale. On en trouve un écho environ un siècle plus tard dans les prologues marcionites aux lettres de Paul. Dans celui relatif à la lettre (aux deux lettres ?) aux Corinthiens, il est fait mention des adversaires avec lesquels l’apôtre a croisé rhétoriquement le fer. Enfin, il nous semble pertinent de considérer également le témoin un peu particulier que constitue la Lettre aux Laodicéens. Celle-ci est constituée d’un assemblage d’extraits provenant essentiellement de la Lettre aux Philippiens. Il y est aussi question d’en découdre épistolairement à distance avec des adversaires et d’assurer un certain mode de présence apostolique à distance. L’examen de ces traces relatives à la réception de l’autorité de l’apôtre nous permettra d’évaluer dans quelle mesure elles valident totalement ou partiellement notre hypothèse relative à la lettre comme outil d’action à distance dans une situation conflictuelle. L’attention va ainsi porter en particulier sur les liens pragmatiques susceptibles d’être reconstitués entre autorité de l’épistolier et pouvoir pragmatique de la lettre, une fois celle-ci distribuée saine et sauve à bon port et lue en bonne et due forme à ses destinataires. 5.2 L a L ettr e

aux

H ébr eux

et sa f i na l e é pi s tol a i r e pau l i n i e n n e

S’il est une question réputée impossible à trancher ou presque dans la recherche néotestamentaire, c’est bien celle du genre littéraire de l’écrit dédié « aux Hébreux » (ΠΡΟΣ  ΕΒΡΑΙΟΥΣ). Les options sont les suivantes : il s’agirait soit d’une lettre dont la salutation initiale serait perdue ou volontairement omise, soit d’un discours, d’un traité ou d’un sermon en forme de lettre. Pour les uns, Hébreux est une lettre véritable, destinée à un ou plusieurs cercles bien réels de destinataires. Pour les autres, une œuvre littéraire appelée à une large diffusion. Chacune de ces solutions a les faveurs de son lot de spécialistes 9. 7.  Hb 13,19.22-25. 8.  2 P 3,15-16. 9.  Voir P.  de Salis, « “Aux Hébreux”, lettre ou épître ? », Annali di Storia dell ’Esegesi 33/1  (2016), p.  15-29.

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À la suite de Raymond Brown, on peut affirmer qu’Hébreux constitue à la fois « l’un des plus impressionnants [écrits] du Nouveau Testament » et « une énigme » 10 ! Cette ambivalence est régulièrement constatée, et ceci tant par les exégètes que par l’abondante littérature théologique qui lui est consacrée. Sont soulignées ainsi à l’envi d’une part ses hautes qualités, tant rhétoriques que linguistiques, et d’autre part, la puissance de son développement christologique, qui a profondément marqué la spiritualité chrétienne à travers les siècles. Et ce n’est pas fini 11. La question de savoir si Aux Hébreux constitue in fine un discours, un sermon, un traité ou une lettre réelle est généralement tranchée à partir d’un examen serré soit de la finale épistolaire rédigée à la manière de Paul 12 et de l’histoire de sa rédaction, puis de sa réception 13, soit de l’entier du chapitre 13 14 , soit de la structure générale de l’œuvre 15. Cet état de fait pose un certain nombre de questions par rapport à notre analyse. À notre avis, le point de vue de la pragmatique épistolaire implique un déplacement de l’interrogation, particulièrement pertinent dans le cas d’Hébreux. En effet, elle permet d’envisager la question de la réception de l’autorité de Paul en tant qu’épistolier sous un angle inédit en ce qui concerne Hébreux et la question du billet épistolaire final dont la facture témoigne d’une proximité avérée avec les finales des lettres pauliniennes. Ce petit dossier ne cesse de troubler la recherche exégétique s’interrogeant sur les ressources offertes par cette apparente pièce rapportée pour tenter de clarifier ces questions disputées. Quel genre d’acte de parole 10.  R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 2000, p. 735. 11. Par exemple H. Attridge , A  Commentary on the Epistle to the Hebrews, Philadelphie (PA), 1989, p. 1 : « the most elegant and sophisticated, and perhaps the most enigmatic, text of first-century Christianity » ; W. L ane , Hebrews 1-8, Dallas (TX), 1991, p.  xlvii : « Hebrews is a delight for the person who enjoys puzzles. Its form is unusual, its setting in life is uncertain, and its argument is unfamiliar. It invites engagement in the task of defining the undefined… » ; M. K arrer , Der Brief an die Hebräer. Kapitel 1,1-5,10, Gütersloh, 2002, p. 11 : « Der Hebr bildet eine der faszinierendsten, aber auch schwierigsten Schriften des Neuen Testaments. Hochreflektiert und rhetorisch ausgefeilt entwirft er seine Darlegung » ; etc. 12.  Hb 13,19.22-25. 13. Voir R.  Burnet, «  La finale de l’épître aux Hébreux  : une addition alexandrine de la fin du IIe siècle ? », Revue biblique 120 (2013), p. 423-440. 14.  Voir A. J. M. Wedderburn, « The “Letter” to the Hebrews and Its Thirteen Chapter », New Testament Studies 50 (2004), p.  390-405. 15. Voir B. C. Joslin, « Can Hebrews be Structured ? An Assessment of Eight Approaches », Catholic Biblical Review 61 (2007), p.  99-129. Pour un état de la recherche, voir J.-P. M ichaud, « L’épître aux Hébreux aujourd’hui », dans M.  Gourgues – L. L aberge (éd.), « De bien des manières ». La recherche biblique aux abords du XXIe siècle, Montréal-Paris, 1995, p.  391-431 et G.  G. Guthrie, « Hebrews in Its First-Century Contexts. Recent Research », dans S. McK night – R. G. Osborne (éd.), The Face of New Testament Studies, Grand Rapids (MI), 2004, p. 414-443.

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est déployé ? À quel type de situation de communication à distance avonsnous à faire ? Pourquoi s’adresser aux destinataires à la deuxième personne du pluriel ? Que penser de l’alternance répétée entre développements doctrinaux et reprises parénétiques ? L’argumentation prévoit-elle une réponse de la communauté des lecteurs (en fait des auditeurs) ? Ces indicateurs d’une pragmatique de la communication trouvent-ils un écho dans la finale épistolaire ? Et enfin, que peut bien apporter cette touche épistolaire finale, à haute teneur paulinienne, fut-elle ajoutée ou non, pour clôre cet écrit canoniquement labellisé soit comme lettre, soit comme épître ? On peut partir du consensus relatif de la recherche selon lequel Hébreux n’est pas totalement assimilable à une lettre, mais tout au plus à quelque chose (traité ou sermon) en forme de lettre. Dit autrement, l’alternative tient à l’apparente double nature d’un document devant finalement d’une part son entrée dans le canon à sa conclusion épistolaire de teneur très paulinienne, et recelant d’autre part des enseignements et des exhortations de haute tenue tant littéraire que théologique. La finale épistolaire contient de nombreuses indications personnelles à la manière des lettres du Tarsiote ; ces indications sous-entendent des relations entre communautés réelles (par la mention de Timothée et de « ceux d’Italie ») et donnent l’impression qu’on a affaire à une lettre réelle concrètement destinée à une ou plusieurs communautés existantes. Au crédit de cette dernière hypothèse, on ajoutera les considérations sur les rapports entre les sections doctrinales et les parénèses qui en découlent respectivement, ainsi que la dimension fortement parénétique du chapitre 13, dont la succession des impératifs fait penser aux parénèses présentes dans les lettres de Paul. Quant à l’hypothèse de l’épître littéraire, elle repose sur la conclusion que la finale épistolaire serait en fait un post‑scriptum ajouté plus tardivement, pour des raisons de canonisation d’un écrit réputé a priori discutable. La typologie des solutions recensées par Albert Vanhoye reste toujours d’actualité malgré des conclusions à nuancer. Elle fait état de quatre possibilités. Aux Hébreux est ainsi soit (1) une lettre véritable, soit (2) une homélie épistolaire, laquelle a véritablement été envoyée, soit (3) une fiction littéraire ou soit (4) une homélie, à laquelle un billet d’envoi a été ajouté 16. Selon le premier scénario, aucun auteur ne va jusqu’à considérer purement et simplement qu’Hébreux soit indiscutablement une véritable lettre ; le caractère oratoire du contenu est prioritairement souligné, mais les différents éléments de nature épistolaires présents donnent à penser qu’on peut considérer cet écrit comme une sorte de lettre. Selon le deuxième scénario, Hébreux serait « une homélie qui prend sur la fin une

16. A. Vanhoye, La structure littéraire de l ’épître aux Hébreux, Paris – Bruges, 1976, p.  219.

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allure de lettre » 17, sans possibilité toutefois de démarcation nette entre les deux. Ici, Hébreux serait une homélie destinée à une communauté éloignée et donc qu’on ne pouvait rejoindre que par l’envoi d’un courrier. Selon le troisième scénario, Hébreux relèverait d’une fiction littéraire que l’auteur aurait finalement voulu faire passer pour une lettre. Quant au quatrième scénario, il est de fait très proche du deuxième et du troisième (une homélie réelle ou une fiction littéraire, auxquelles un post-scriptum sous forme de finale épistolaire a été ajouté). La différence de genre que Vanhoye identifie à l’issue de son examen approfondi de la structure et du contenu d’aux Hébreux l’amène à conclure que le sermon pourrait être l’œuvre d’Apollos (ou d’un autre lettré d’Alexandrie) et le billet épistolaire d’envoi de Paul de Tarse lui-même. Cela expliquerait pourquoi « la tradition orientale, dont témoigne l’école d’Alexandrie, tient si fermement à l’origine paulinienne de l’Épître » 18. On constatera, en passant, que cet inventaire avec d’un côté, le cas de figure homélie et/ou lettre réelles et, de l’autre, celui de fiction littéraire n’est au fond pas si éloigné de l’alternative lettre-épître de Deissmann. L’hypothèse d’une rédaction totalement paulinienne (ou presque) est majoritairement abandonnée par l’exégèse (à quelques exceptions près 19), comme le résume le constat lapidaire de Vanhoye : « Aux Hébreux n’est ni une lettre, ni de Paul, ni adressée aux Hébreux » 20 ! C’est l’histoire de la réception qui connaîtra ultérieurement ce débat 21. À l’exception de la finale épistolaire (Hb  13,19.22-25) et de ses éléments personnels assortis au style épistolaire (le « je » de l’émetteur, l’envoi de Timothée, les salutations « de ceux d’Italie »), tout le reste relève de l’anonymat le plus complet, à l’exception de l’adresse (« aux Hébreux »). Les exégètes ne manquent pas de souligner l’écart entre le tour personnel de la finale épistolaire et l’anonymat couvrant tout le reste de l’écrit. Les seuls indices permettant de situer historiquement Aux Hébreux (date, auteur, milieux de 17. A. Vanhoye, La structure littéraire de l ’épître aux Hébreux, Paris – Bruges, 1976, p.  219. 18. A. Vanhoye, La structure littéraire de l ’épître aux Hébreux, Paris – Bruges, 1976, p.  222. 19.  Ainsi par exemple B.  Lindars, The Theology of the Letter to the Hebrews, Cambridge, 1991. Son argument repose sur l’analyse de la structure rhétorique. L’argument théologique est truffé de digressions et d’exhortations et le chapitre 13 le confirme : Hébreux est destiné à agir sur un groupe de destinataires distants, en particulier en jouant sur les émotions (voir en particulier les p. 1-25). 20. Voir A. Vanhoye, « La “lettre” aux “Hébreux” de “Paul” », Biblia 82 (2009), p.  5. 21.  Voir C. Grappe, « Hébreux et la tradition paulinienne », dans J. Schröter – S.  Butticaz – A. Dettwiler (éd.), Receptions of Paul in Early Christianity.The Person of Paul and His Writings Through the Eyes of His Early Interpreters (Beiheft zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 234), De Gruyter, Berlin, 2018, p. 461-485.

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production et de réception) seraient à chercher dans le texte même, ce qui reste très problématique du point de vue méthodologique. On rappellera à nouveau combien il est risqué, autant que vain, de chercher à replacer dans son contexte historique le texte qu’on étudie uniquement à la lumière des indices historiques fournis par ce dernier. Ceux-ci, pour être validés comme des données fiables, doivent pouvoir être confrontés avec ce qu’on peut savoir par ailleurs à leur sujet. S’intéresser, d’un point de vue historique, aux lettres antiques et aux pratiques épistolaires qui leur sont liées implique ainsi une focale plus large que le seul intérêt pour le contenu littéraire des lettres (que ce soient les développements doctrinaux ou les injonctions parénétiques qui leur sont liées). Comme nous l’avons montré précédemment, limiter l’analyse des lettres à partir de la question de leur genre littéraire ne peut que mener l’historien dans une impasse fictionnelle 22 . Quels sont alors les indicateurs d’une pragmatique de la communication présents, explicitement ou implicitement, dans Hébreux ? On peut regrouper ceux-ci en six entrées. Premièrement, l’adresse « aux Hébreux » : celle-ci est attestée à diverses reprises dès le tournant du IIIe siècle. L’identification de ces Hébreux à un groupe connu et attesté par ailleurs est quasi impossible. Simon Claude Mimouni rend attentif aux deux usages du terme hébreu, l’un relevant de la tradition palestinienne sur les origines et désignant les individus de la descendance d’Abraham à partir de Genèse 17,5, et l’autre de la tradition liée à Diaspora et désignant collectivement le peuple ou la nation avec qui Yahvé a fait alliance. Cette désinence serait plus souvent utilisée pour qualifier le regard que les autres portent sur le peuple de Dieu et non le contraire. Mimouni signale une nuance qui mériterait d’être confrontée à l’énigme posée par les Hébreux de la Lettre aux Hébreux : « les emplois du terme hebraios, en grec, peuvent renvoyer aussi à une perspective traditionaliste ou conservatrice : pour Flavius Josèphe, par exemple, les “Hébreux” sont ceux qui ne désacralisent pas le sabbat en faisant la guerre et en ne forçant pas les Grecs à la circoncision » 23. Cette piste mériterait d’être approfondie par une confrontation avec le système théologique déployé par Hébreux (Jésus comme ultime grand-prêtre, etc.). Quant à Elias Bickerman, il estime tout simplement que le titre est factice et que cela s’expliquerait par un souci d’imiter les rubriques permettant, dans les rouleaux, de séparer les lettres de Paul (« Aux Romains », « Aux Corinthiens », etc.), comme le confirme le Papyrus Chester Beatty II (P46), lequel place Hébreux, avec son billet épistolaire final controversé, juste après Rm

22.  Voir notre § 6 « Remarques historiographiques » dans l’introduction. 23.  S. C. M imouni, Le judaïsme ancien du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins, Paris, 2012, p. 31-34 (citation p. 33).

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et avant les autres lettres de Paul 24 . Bickerman rend attentif à un élément relevant des rudiments de la diplomatie grecque, souvent négligés par la recherche : « l’Épître ne porte pas le nom de l’envoyeur, mais donne celui des destinataires : “Aux Hébreux” » 25. Ce fait singulier n’a pas manqué de frapper l’esprit des Anciens, qui ont cherché à expliquer cette anomalie, comme on va le voir, ci-après, dans la recherche d’explications au sujet de l’auteur réel d’Hébreux. Selon Bickerman, la formule initiale de la Lettre aux Hébreux aurait été perdue dans la centaine d’années entre le texte original et les plus anciennes attestations du faux titre et cela s’expliquerait par la pratique ancienne, bien attestée, des envois de copies de lettres. Une lettre d’accompagnement est jointe avec l’envoi de la copie. Mais cette dernière est généralement transmise amputée de son protocole initial, car les éléments de ce dernier sont usuellement repris – certes de manière variable – dans la lettre d’accompagnement. Bickerman documente cette pratique à l’aide de cas analogues de lettres d’accompagnement, attestant de formules abrégeant l’adresse et la salutation de la lettre annexée. Les copistes, soucieux de simplifier leur travail, auraient pris par la suite l’habitude de cesser de copier les lettres d’envoi et donc de se limiter à recopier les copies des lettres ainsi amputées de leur salutation initiale. Deuxièmement, le « nous » et le « vous », lesquels traversent tout l’écrit (relayé, tout à la fin, par le « je » de la finale épistolaire) : cette interaction entre un émetteur et un destinataire tous deux collectifs masque la singularité de l’auteur réel. L’auteur de la lettre est ainsi aussi anonyme qu’est mystérieuse l’ascendance de Melchisédech : « qui n’a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie » (Hb 7,3). Un certain nombre d’indices théologiques permettent de comprendre cet anonymat de l’auteur comme un anonymat de facto volontaire 26 relevant d’un choix théologique. La recherche oscille entre deux options. Soit on s’en tient de facto à l’hypothèse de l’anonymat, soit on recherche des candidats compatibles avec la théologie déployée dans le texte 27. On a ainsi très tôt pensé à Paul, mais non sans hésitation. Selon le témoignage d’Eusèbe de Césarée, Clément d’Alexandrie désignait Hébreux comme une lettre de

24. E. J. Bickerman, « En marge de l’Écriture. III-Le titre de l’Épître aux Hébreux », Revue biblique 88  (1981), p.  28-41. 25. E. J. Bickerman, « En marge de l’Écriture. III-Le titre de l’Épître aux Hébreux », Revue biblique 88  (1981) p.  29, en suivant une indication de C.  Spicq, L’Épitre aux Hébreux, I, 1952, p.  21. 26. Voir R.  Burnet, «  La finale de l’épître aux Hébreux  : une addition alexandrine de la fin du IIe siècle ? », Revue biblique 120 (2013), p. 425-426. 27. Voir le résumé des différentes options au sein de la recherche dans les manuels d’introduction, par exemple F. Vouga, « L’Épître aux Hébreux » dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008 4 , p. 355-357.

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Paul 28 et Origène estimait que le fond de la lettre relevait bien de la pensée de Paul, mais que sa composition était le fruit de la plume d’un élève 29. Ces hésitations résultaient des différences théologiques évidentes telles l’interprétation sacrificielle de la mort de Jésus, la référence à Melchisédech et la figure de Jésus comme nouveau et ultime grand-prêtre. Mais la finale épistolaire a fini par produire son effet pour cautionner, du moins jusqu’à la Renaissance et à la Réforme, l’hypothèse de l’authenticité paulinienne. Par la suite, on a également pensé, comme alternative à Paul, notamment à Barnabé, le premier compagnon de Paul (Tertullien) et à Apollos, lettré d’Alexandrie familier de l’interprétation des Écritures (Martin Luther). Comme le précise l’adresse initiale de l’écrit, c’est Dieu qui in fine parle au travers de son Fils après avoir parlé aux pères par l’intermédiaire des prophètes (« ὁ θεὸς λαλήσας τοῖς πατράσιν ἐν τοῖς προφήταις ἐπ’ ἐσχάτου τῶν ἡμερῶν τούτων ἐλάλησεν ἡμῖν ἐν υἱῷ » 30). L’émetteur de la lettre adopte la posture de l’auditeur dont la mission est de se charger de transmettre « des choses entendues (τοῖς ἀκουσθεῖσιν) » 31. La seule autorité est le Christ apôtre et grand-prêtre : « ainsi donc, frères saints, qui avez en partage une vocation céleste, considérez l’apôtre et le grandprêtre de notre confession de foi, Jésus » 32 . L’émetteur est constamment incarné par ce « nous », à une seule exception près. On trouve en effet, au chapitre 11, une occurrence de la présence d’un discours à la première personne du singulier : « et que dirai-je encore ? Le temps me manquerait pour parler en détail de Gédéon, Baraq, Samson, Jephté, David, Samuel et les prophètes… » 33. La question est certes rhétorique, comme le soulignent nombre de commentateurs  3 4 . Mais on peut aussi se demander si on n’est pas confronté ici à une sorte de lapsus révélateur. Martin Karrer signale – sans pour autant adhérer totalement à cette hypothèse – que 28.  Histoire ecclésiastique VI,14,13 ; VI,25,12 et 25,14. 29.  Voir C.  Grappe, « Hébreux et la tradition paulinienne », dans J.  Schröter – S.  Butticaz – A. Dettwiler (éd.), Receptions of Paul in Early Christianity. The Person of Paul and His Writings Through the Eyes of His Early Interpreters (Beiheft zur Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 234), De Gruyter, Berlin, 2018, p. 461-485. 30.  Hb 1,1-2. 31.  Hb 2,1. 32.  Hb 3,1. 33.  « Καὶ τί ἔτι λέγω ; ἐπιλείψει με γὰρ διηγούμενον ὁ χρόνος περὶ Γεδεών, Βαράκ, Σαμψών, Ἰεφθάε, Δαυίδ τε καὶ Σαμουὴλ καὶ τῶν προφητῶν (Hb 11,32) » (nous soulignons). 34. H. Attridge , A  Commentary on the Epistle to the Hebrews, Philadelphie (MA), 1989, p.  347 ; W.  L ane , Hebrews 1-8, Dallas (TX), 1991, p.  382. Mais force est de constater que cette occurrence à la première personne n’a pas retenu, en tant que telle, l’attention de certains commentateurs importants, comme A. Vanhoye, L’Épître aux Hébreux : un prêtre différent, Pendé, 2010, p. 275 et J. M assonnet, L’épître aux Hébreux, Paris, 2016, p. 343-344.

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cette forme au masculin pourrait non seulement être interprétée comme l’indice évident d’un auteur masculin, mais aussi receler peut-être la trace d’une co-auteure, dont on aurait masculinisé la forme grammaticale, ceci dans le but de ne pas compromettre la réception du texte 35. La question rhétorique sert à souligner que le temps est compté du point de vue homilétique et donc que l’auteur va maintenant terminer son examen des héros de la foi par une rapide énumération des autres héros de la foi qu’il conviendrait encore de considérer si le temps le permettait, ainsi les juges Gédéon, Barack, Samson et Jephté, le roi David, le prophète-juge Samuel. Nous avons affaire effectivement à une dynamique communicationnelle de type relationnel par ce binôme « nous/vous » qui traverse tout l’écrit, mais il y a bel et bien un émetteur (voire une émettrice ?) présent derrière le « nous ». Troisièmement, le caractère particulier de l’exorde : il est déployé comme si c’était Dieu qui parle 36 ; c’est là un trait spécifique d’Hébreux par rapport aux autres écrits du Nouveau Testament. Comme cela a été souligné, cette dynamique spécifique est à mettre en lien avec l’anonymat volontaire de l’émetteur. L’exorde consiste en une longue phrase englobant les principaux thèmes de l’œuvre, à savoir le caractère décisif de l’action de Dieu en ces temps de la fin, caractère décisif qui repose sur deux piliers, le statut du Christ comme Fils élevé de Dieu et l’acte sacrificiel et sacerdotal par lequel les péchés sont abolis. Dieu est donc littérairement introduit comme le premier sujet agissant dans le texte. Après avoir jadis parlé aux pères au travers des prophètes, en ces temps de la fin il a parlé au travers de son fils. Il est aussi le dernier à agir (Hb 13,20-21). Cette dynamique spécifique trouve une confirmation éclatante dans la manière dont les citations de la Septante sont reprises tout au long de l’œuvre. À ce propos, Aux Hébreux est l’écrit du Nouveau Testament qui en comprend le plus grand nombre : 29 textes différents sont ainsi cités. On recense 35 citations, auxquelles on peut ajouter 24 allusions. Considérant à la fois cette richesse scripturaire et cette haute facture tant rhétorique que linguistique, Karrer estime, en conséquence, qu’on a affaire ici à la plus littéraire de toutes les œuvres du Nouveau Testament 37. Aux Hébreux recourt en effet à de nombreuses métaphores (éducation, navigation, sport…) et 35. M. K arrer, Der Brief an die Hebräer. Kapitel 5,11-13,25, Gütersloh, 2008, p.  293 : « Manche meinen sogar, das Maskulinum sei bewusst gewählt, um eine feminine Autorschaft zu verdecken und die Chancen auf Rezeption des Textes zu erhöhen […]. Der Autor will im Maskulinum wahrgenommen werden, wer immer er oder sie war ». 36.  Voir Hb 1,1-4. 37. M. K arrer, « The Epistle to the Hebrews and the Septuagint », dans W.  K raus – R. G. Wooden (éd.), Septuagint Research : Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures, Atlanta (GA), 2006, p. 335-353. Les statistiques des citations sont données p. 336-338.

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comprend, au niveau du vocabulaire, environ 150 hapax legomena par rapport aux autres écrits néotestamentaires. Un élément tout à fait original que Karrer met en évidence est le fait que presque toutes les citations sont arrangées de façon à passer pour des paroles venant directement de Dieu lui-même. Seules deux citations (Hb 9,20 et 13,6) sont présentées comme des paroles émanant des hommes. Cet élément va donc bien de pair avec l’anonymat de l’auteur, dont l’effacement volontaire a pour but de contribuer décisivement à faire passer son message comme venant directement de Dieu lui-même. L’auteur d’Hébreux opère ainsi un déplacement dans la figure de l’émetteur, de part en part. La formule habituelle introduisant les citations « il  est écrit » (γέγραπται) se trouve systématiquement évitée. La citation du cantique de Moïse (Hb 1,6), contrairement au texte source (Dt 32), est référencée comme une parole divine et non de Moïse. Le caractère hautement performatif de ce procédé faisant des citations de la Septante des actes divins de langage est tout sauf anodin 38. Les destinataires sont interpellés comme si c’était soit Dieu, le Saint-Esprit ou JésusChrist qui leur parlait en direct. Ainsi, l’auteur de la Lettre aux Hébreux change volontairement l’émetteur des citations vétérotestamentaires, dans le but de contribuer à les authentifier comme des paroles divines directes. L’émetteur endosse la posture de l’auditeur d’une parole reçue et qu’il faut transmettre. Le texte déploie ainsi un haut niveau de performativité. L’auteur se déploie comme un groupe (« nous ») tout entier orienté, d’un point de vue théologique, vers le groupe des destinataires (« vous »), appelés à écouter ce qu’a à dire le Dieu qui a parlé définitivement au travers de son Fils en ces temps de la fin. Et ces derniers sont appelés, non sans émotion, à profiter attentivement de « la parole de l’écoute  (ὁ  λόγος τῆς ἀκοῆς) » (Hb 4,2). Quatrièmement, la finale épistolaire  : celle-ci frappe d’emblée par son caractère de pièce rapportée, par rapport à l’ensemble de l’œuvre. La recherche ne se prive pas de le souligner. Cet ensemble, composé d’un petit billet personnel auquel est accolé un écrit théologique, fait penser aujourd’hui à un courriel accompagné d’une pièce jointe, d’un poids certain. L’inventaire des données épistolaires de ce billet final fait état des éléments suivants 39 : (1) une différence formelle (d’une part, un passage au « je » alors que toute l’œuvre n’emploie que la première personne du pluriel, et d’autre part la présence d’une courte deuxième bénédiction conclu38. « The performative act of speaking supports the accuracy in citation in Hebrews ; the conviction that God speaks need quoted words as a strong basis » M.  K arrer, « The Epistle to the Hebrews and the Septuagint », dans W. K raus – R. G. Wooden (éd.), Septuagint Research : Issues and Challenges in the Study of the Greek Jewish Scriptures, Atlanta (GA), 2006, p. 341. 39.  Nous suivons celui de R.  Burnet, « La finale de l’épître aux Hébreux : une addition alexandrine de la fin du IIe siècle ? », Revue biblique 120 (2013), p. 424429.

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sive (v. 25), laquelle fait doublon avec la première (v. 20-21), plus longue, (2) une différence de genre littéraire (avec la présence d’indicateurs caractéristiques d’une pratique épistolaire : échange de salutations, transmission de nouvelles, bénédiction conclusive, mention du verbe « envoyer »), et (3) une différence de contenu, surtout théologique : l’auteur de l’écrit Aux Hébreux, s’efface volontairement tout du long pour bien établir que c’est Dieu qui parle. Pourquoi alors exhorter ici les destinataires au nom de sa propre autorité personnelle ? À noter également le caractère surprenant de l’expression « je vous exhorte, frères, à supporter la parole d’exhortation » (παρακαλῶ δὲ ὑμᾶς, ἀδελφοί, ἀνέχεσθε τοῦ λόγου τῆς παρακλήσεως)  4 0, laquelle semble indiquer une prise de distance avec le texte précédent et aussi la surprenante précision d’avoir écrit brièvement (καὶ γὰρ διὰ βραχέων ἐπέστειλα ὑμῖν) alors qu’Hébreux ne peut que difficilement être considéré comme un texte court. Cette finale épistolaire aurait pour fonction de faire de ce texte, en le labellisant comme une lettre de Paul, un texte autorisé dans les milieux alexandrins. Cinquièmement, le binôme exposé doctrinal/exhortation : Hébreux présente, de prime abord, un plan assez classique en deux parties : une première partie doctrinale (Hb 1,1-10,18), suivie d’une deuxième partie parénétique (Hb  10,19-13,21). Un examen plus précis de la structure montre que les différentes étapes de l’argumentation sont ponctuées d’exhortations. Alexander Wedderburn montre que le chapitre 13 – dont certains se demandent s’il est authentique ou s’il est à ranger dans l’escarcelle des ajouts pauliniens destinés à faire passer cette homélie pour une lettre de Paul – non seulement fait partie de l’épître, mais en plus peut servir de clé d’interprétation du reste de l’écrit 41. Ce binôme constitue un des éléments essentiels de la dispositio épistolaire. Sixièmement, la mention d’une « parole d’exhortation » (Hb 13,22) : c’est en considérant l’exhortation personnelle finale à supporter une parole d’exhortation que les exégètes estiment avoir affaire à une homélie et donc pas à une lettre. Vanhoye déduit ainsi qu’Hébreux est « un sermon sacerdotal », à l’instar de la prière sacerdotale de Jésus en Jean 17 42 . D’autres chercheurs aboutissent à la même conclusion 43. Force est de constater que la frontière entre une parole d’exhortation et une lettre à visée doctrinale et parénétique est ténue. Preuve en est que les défenseurs de l’hypothèse de la lettre s’appuient également sur l’auto-désignation de 40.  Nous traduisons (TOB : « Frères, je vous engage à supporter ce sermon ! »). 41.  Ainsi A. J. M. Wedderburn, « The “Letter” to the Hebrews and Its Thirteen Chapter », New Testament Studies 50 (2004), p.  390-405. 42. A. Vanhoye, Le message de l ’épître aux Hébreux, Paris, 1977, p.  9. 43. «  A masterpiece of early Christian rhetorical homiletics  », selon H.  Attridge , A  Commentary on the Epistle to the Hebrews, Philadelphie (MA), 1989, p.  1.

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l’œuvre comme parole d’exhortation pour plaider en faveur du caractère épistolaire de l’œuvre originale. Les résultats de cette analyse des indicateurs d’une pragmatique de la communication témoignent de la dimension communicative d’Hébreux. Mais on fera tout de même remarquer que n’ont été pris en compte ici que les indices littéraires de cette pragmatique. Limiter notre démarche en s’en tenant uniquement à ceux-ci nous ferait courir le risque de n’avoir finalement pas surmonté l’impasse mentionnée initialement. Dit autrement, il est délicat de prétendre dé-confiner le débat de l’épistolarité de la Lettre aux Hébreux de ses ornières exclusivement littéraires en se servant uniquement d’indices littéraires. En effet, une enquête sur la pragmatique de la communication, pour être complète, doit aussi s’intéresser à l’histoire de l’interprétation et à celle de la réception (Auslegungsgeschichte et Wirkungsgeschichte). Cette dernière permet d’évaluer comment un écrit a été reçu, compris et surtout repris. Seule une telle opération peut offrir in fine des lieux de vérification de la pertinence du potentiel pragmatique, tant explicite qu’implicite, d’un écrit dont l’épistolarité fait précisément l’objet de discussions. L’hypothèse de la finale épistolaire d’Hébreux comme addition alexandrine de la fin du IIe siècle, suite à la reconstitution et à l’examen de l’histoire de sa réception, apporte un éclairage substantiel dans ce sens. Hébreux serait « à l’origine une sorte d’homélie » destinée vraisemblablement à une ou plusieurs communautés judéennes romaines autour des années 60  4 4 . On remarquera combien la prudence de l’expression employée ici traduit l’actualité, toujours et encore, de l’embarras de la recherche à trancher entre sermon et traité. Cette « sorte d’homélie » aurait longtemps été utilisée en Occident sans autre attribution d’autorité apostolique paulinienne. Tout en continuant d’être lue et proclamée en Occident, elle serait arrivée à Alexandrie vers la fin du IIe siècle et se serait imposée peu à peu (en moins d’un siècle) comme un écrit relevant de l’autorité du Tarsiote. C’est dans le contexte de ce processus qu’il convient de situer l’origine de l’adjonction d’une finale épistolaire de facture paulinienne, destinée précisément à confirmer tant l’origine romaine que l’autorité apostolique de cet écrit : « c’est à cette époque que la seconde main est intervenue. En quelques versets, elle a réussi à donner un tour paulinien au discours et aussi à le présenter comme un produit d’importation d’Italie : le sermon devient un écrit de Paul venu de Rome » 45. L’histoire de la réception atteste ainsi de l’existence de deux trajectoires, une occidentale et une orientale. Les protagonistes de la première vont rester longtemps très réticents à la dotation d’un patronage paulinien alors 44. R. Burnet, « La de la fin du IIe siècle ? », 45. R. Burnet, « La de la fin du IIe siècle ? »,

finale Revue finale Revue

de l’épître aux Hébreux : une addition alexandrine biblique 120 (2013), p.  439. de l’épître aux Hébreux : une addition alexandrine biblique 120 (2013), p.  439-440.

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que pour ceux de la deuxième, ce patronage va s’imposer. L’invention et l’adjonction d’une finale épistolaire en fournissent la preuve. Ainsi d’un côté, on confère à ce sermon le statut d’une lettre paulinienne. De l’autre, on le reçoit comme un écrit de grande valeur, mais sans autre nécessité d’une attribution à Paul. La question de sa paternité paulinienne revient pourtant régulièrement. Ces données confirment notre propos concernant la nature de cet écrit, dont l’histoire de la réception témoigne de la haute considération qui lui a été accordée très vite. Dit autrement, ces éléments amènent à pondérer le débat autour de la véritable nature d’ Hébreux à son origine. Lettre ou sermon ? Épître ou traité ? Sermon ou traité en forme de lettre ? Envisager de lever l’incertitude de la nature de cet écrit au moyen de telles alternatives nous fait passer, à notre avis, à côté de la réalité. Tant l’analyse des indicateurs d’une pragmatique de la communication, littérairement présents au fil du texte, que la reconstitution d’éléments liés à l’histoire de sa réception, attestent de l’existence d’un écrit destiné à agir sur un public cible bien réel. Il s’agirait en fait ici, d’un ou de plusieurs cercles d’auditeurs, désignés collectivement sous le générique d’« Hébreux ». À ceux-ci est destinée une énergique stratégie de mise en œuvre de l’enseignement délivré, laquelle s’appuie sur les ressources épistolaires de la communication à distance. La théologie très élaborée déployée ici donne plutôt à penser à un traité consacré à défendre apologétiquement une doctrine renouvelée ou novatrice. Mais la nuance entre lettre et en forme de lettre est à relativiser. Ce qui compte ici, c’est, d’une part, l’enseignement théologique et les impulsions parénétiques placées dans son sillage et, d’autre part, la stratégie de communication à l’intention d’un public situé à distance. Nous pouvons donc retenir qu’Hébreux est un document témoignant d’une pleine conscience épistolaire, de par la présence massive d’ingrédients pragmatiques de la communication épistolaire. De cette façon, on pourrait considérer Hébreux comme une lettre au sens large, à savoir un écrit qu’un émetteur destine à un ou plusieurs groupes de destinataires afin qu’il soit lu et entendu en bonne et due forme et donc qu’il induise pragmatiquement l’effet attendu. On précisera enfin que ce type d’enquête permet de sortir le débat de l’épistolarité d’Hébreux des ornières d’une approche exclusivement alignée sur la question des genres littéraires. L’approche pragmatique permet d’articuler à la question du genre celle des contingences et des discontinuités de l’histoire. Cet écrit, comme de nombreux autres, a été destiné à agir sur la vie de personnes (ou de groupes de personnes) distantes, bien réelles. Pour se donner les moyens de réussir cet acte de communication, un émetteur doit convoquer les ressources d’une pratique épistolaire. Cet effort de toucher le destinataire, couplé au regard que l’émetteur pose à la fois sur lui et sur son action, a laissé des traces dans le texte. On peut souligner ici combien il est important de ne pas se limiter à l’idée selon

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laquelle l’épistolarité relèverait d’un principe général traversant les siècles. L’enquête doit chercher à viser inlassablement ce que pouvaient bien signifier, à l’époque, d’une part le fait d’écrire une lettre, et d’autre part celui de recevoir une lettre. On doit ensuite en repérer les discontinuités, justement au-delà de l’illusion de continuité que peut donner précisément un concept comme celui de l’épistolarité restreinte. L’énigme de la nature ou non épistolaire de la Lettre aux Hébreux peut-elle être résolue de façon aussi simple ? À notre avis, cet écrit, tout en déployant un système théologique d’une très haute facture, constitue aussi bel et bien une forme basique de communication entre personnes séparées. L’émetteur vise à faire délivrer un message important à des groupes distants de lui. La très riche histoire de sa réception, avec toute la question de confirmer oui ou non cette autorité à l’aide d’un patronage épistolaire paulinien, le confirme de manière éclatante. 5.3 L a 2e L ettr e de P ier r e   et sa m e n t ion de l’au tor i t é d ’ u n e col l ect ion de s l et t r e s de Pau l La 2e Lettre de Pierre revêt une importance particulière pour notre enquête, car elle constitue le premier témoin connu attestant de l’existence d’un corpus des lettres de Paul et de sa fonction normative pour la croyance et la pratique, dont l’auteur de la 2e Lettre de Pierre convoque l’autorité à l’intention du cercle de ses destinataires  4 6. Cette mention se trouve dans l’exhortation finale de la lettre 47 : Et dites-vous bien que la longue patience du Seigneur, c’est votre salut ! C’est dans ce sens que Paul, notre frère et ami, vous a écrit selon la sagesse qui lui a été donnée. C’est aussi ce qu’il dit dans toutes les lettres où il traite de ces sujets : il s’y trouve des passages difficiles dont les gens ignares

46.  Pour l’état de la recherche, voir R. J. Bauckham, « 2 Peter. An Account of Research », dans W. H aase – H. Temporini, Aufstieg und Niedergang der römischen Welt II.25.5, Berlin – New York, 1988, p.  3714-3752 ; pour une introduction, voir C.  Grappe, Initiation au monde du Nouveau Testament, Genève, 2010, p. 256259 ; J.  Schlosser, « La Deuxième Épître de Pierre », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008 4 , p.  461-469 ; R.  E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 2000, p.  817-829 ; H.  Conzelmann – A. Lindemann, Guide pour l ’étude du Nouveau Testament, Genève, 1999, p.  444-448 ; sur ce qu’on peut savoir historiquement sur Pierre, voir S. C. M imouni – P. M araval, Le Christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, p.  LXXIX-LXXXI (bibliographie) et p.  175-192 (chapitre 2 : « Pierre et la diffusion du message de Jésus parmi les “Hébreux” dans le monde judéen de la Diaspora »). 47.  2 P 3,15-16.

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et sans formation tordent le sens, comme ils le font aussi des autres Écritures pour leur perdition 48.

2 Pierre se présente comme une lettre de l’apôtre Pierre (« Syméon Pierre », Συμεὼν Πέτρος 49) adressée à l’ensemble des chrétiens (« ceux qui ont reçu, par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus Christ, une foi de même prix que la nôtre » 50), peut-être peu avant sa mort (« mais je crois juste, tant que je suis ici-bas » 51). Συμεὼν est la transcription hébraïque du nom de Simon (Σίμων) 52 . Cette translittération grecque du nom hébreu de Pierre ferait écho à l’origine judéenne de Simon-Pierre. L’auteur de la 2e Lettre de Pierre chercherait ainsi à conférer un caractère d’authenticité apostolique à la lettre. Un tel procédé renforce la crédibilité visée par le processus pseudépigraphique, lequel confère une garantie apostolique particulièrement prestigieuse à la lettre. Le patronage pétrinien de la lettre est renforcé par une double référence, premièrement, à celle de l’allusion à la mort proche de Pierre, puis deuxièmement à celle du rappel de son statut de témoin oculaire de la transfiguration. Ce dernier élément se trouve être solidement confirmé par le rappel de l’intervention divine : « celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir », ὁ  υἱός μου ὁ ἀγαπητός μου οὗτός ἐστιν εἰς ὃν ἐγὼ εὐδόκησα 53). Il convient de remarquer la grande proximité de cette formulation avec celle du récit de la transfiguration se trouvant dans l’Évangile de Matthieu (οὗτός ἐστιν ὁ υἱός μου ὁ ἀγαπητός, ἐν ᾧ εὐδόκησα 54). Cet écho est destiné à renforcer encore plus la crédibilité apostolique de la lettre. Le formulaire épistolaire de 2 Pierre est aisément repérable 55 : 1,1-2 constitue la préface épistolaire, l’identité de l’émetteur est dûment précisée et la destination vise un cercle large de croyants. L’identification précise de ces derniers est difficile. Si on admet que la mention d’une première lettre (2 P 3,1-2) fait référence à 1 Pierre, alors tout ou partie du cercle large de ses destinataires – lequel comprend des « appelés » (ἐκλεκτοῖς) résidant 48.  « Καὶ τὴν τοῦ κυρίου ἡμῶν μακροθυμίαν σωτηρίαν ἡγεῖσθε, καθὼς καὶ ὁ ἀγαπητὸς ἡμῶν ἀδελφὸς Παῦλος κατὰ τὴν δοθεῖσαν αὐτῷ σοφίαν ἔγραψεν ὑμῖν, ὡς καὶ ἐν πάσαις ταῖς ἐπιστολαῖς λαλῶν ἐν αὐταῖς περὶ τούτων ἐν αἷς ἐστιν δυσνόητά τινα ἃ οἱ ἀμαθεῖς καὶ ἀστήρικτοι στρεβλώσουσιν ὡς καὶ τὰς λοιπὰς γραφὰς πρὸς τὴν ἰδίαν αὐτῶν ἀπώλειαν ». 49.  2 P 1,1. 50.  « Τοῖς ἰσότιμον ἡμῖν λαχοῦσιν πίστιν ἐν δικαιοσύνῃ τοῦ θεοῦ ἡμῶν καὶ σωτῆρος Ἰησοῦ Χριστοῦ », 2  P  1,1. 51.  « Δίκαιον δὲ ἡγοῦμαι, ἐφ’ ὅσον εἰμὶ ἐν τούτῳ τῷ σκηνώματι », 2  P  1,1314. 52.  Voir Mc 1,16, etc. 53.  2 P 1,17. 54.  La formulation de Mt 17,5 comprend une injonction à l’écoute (ἀκούετε αὐτοῦ), laquelle ne figure pas dans 2 P. 55.  R. E. Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, 2000, p. 818-822.

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en situation de Diaspora (παρεπιδήμοις διασπορᾶς), du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie et de la Bithynie – pourrait alors entrer ici en ligne de compte (1 P 1,1). Le corps de la lettre, comportant développement doctrinaux et parénétiques, constitue logiquement la majeure partie de la communication en 1,3-3,16. Une exhortation et une doxologie finales (2 P 3,17-18) font office de conclusion épistolaire. La datation et le lieu de la composition de 2 Pierre sont difficiles à établir avec certitude. Ce document aurait été rédigée entre 100 et 200 de notre ère, soit à Rome, soit en Égypte. Une comparaison plus précise avec les différents textes datant grosso modo de la même période, auxquels 2 Pierre fait plus ou moins explicitement référence, et avec les hypothèses de datation qui leur sont respectivement liées (notamment 1 P, Jn, Jude, 1 Hénoch, 1 Clément, 2 Clément, le Pasteur d’Hermas, les Actes de Pierre, l’Apocalypse de Pierre 56) permettrait d’envisager les années 125-130 57. En ce qui concerne les genres littéraires, on peut dire que 2 Pierre relève à la fois de celui du discours d’adieu ou du testament, bien présent dans la littérature judéenne de langue grecque et du genre épistolaire 58. Cette lettre est destinée à un ou plusieurs cercles de destinataires bien réels, car on apprend d’une part que 2 Pierre fait suite à une première lettre (« mes amis, c’est déjà la seconde lettre que je vous écris » 59), dont toute la question est de savoir si on peut identifier 1 Pierre derrière cette allusion. On apprend d’autre part que la relation de correspondance est avérée entre l’auteur et les destinataires : « dans ces deux lettres, je fais appel à vos souvenirs pour stimuler en vous la juste manière de penser » 60 ; ces deux lettres constituent donc un petit corpus destiné à faire autorité. Le genre testamentaire vise à placer sous l’égide, bien évidemment pseudépigraphique, d’un grand homme de l’histoire d’Israël (Moïse ou les Patriarches), les enseignements reçus. Il les réactualise dans le but de répondre durablement à des préoc56.  R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  138-151. 57. J. Schlosser, « La Deuxième Épître de Pierre », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008 4 , p. 465. R. J. Bauckham aboutit à une conclusion bien différente en confrontant les hypothèses de datation respectivement (1) des documents connus de 2 P (lettres de Paul, Jude, 1 Pierre et l’apocalypse judéenne utilisée en 2 P 3), puis (2) celles des documents grosso modo contemporains (le Pasteur d ’Hermas, 1 Clément, 2 Clément) et enfin (3) celles des documents dépendant de 2 P (Apocalypse de Pierre, Actes de Pierre) et aboutit à une période de datation entre les années 75-100 (R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  157-158). 58.  R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p. 131. Pour J. Schlosser, il s’agirait d’une « lettre testamentaire » ou d’un « testament en forme de lettre » (J.  Schlosser , « La Deuxième Épître de Pierre », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 461). 59.  « Ταύτην ἤδη, ἀγαπητοί, δευτέραν ὑμῖν γράφω ἐπιστολὴν » (2 P  3,1a). 60.  « ἐν αἷς διεγείρω ὑμῶν ἐν ὑπομνήσει τὴν εἰλικρινῆ διάνοιαν » (2  P  3,1b).

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cupations du temps présent. La sémantique de la mémoire et du souvenir est ainsi très présente tout au long de la lettre. Dans le sillage littéraire de Jude 61, 2 Pierre cherche à contrer, autant théologiquement que pratiquement, la polémique générée par d’autres prédicateurs, au sein des communautés croyantes. Ces « faux-docteurs » (ψευδοδιδάσκαλοι 62) critiquaient vivement la pertinence de la parousie (la conviction du retour imminent du messie), arguant que le déroulement de l’histoire – en n’amenant toujours pas l’issue si fortement attendue du retour du Christ – leur donnait raison. Visiblement, leur prédication et leur action faisaient mouche auprès des membres de la communauté, dont les convictions étaient, du point de vue de l’auteur de 2 Pierre, de plus en plus déstabilisées et appelaient donc à une reprise en main. 2 Pierre appelle les croyants à renouer avec la prédication fondatrice des prophètes et avec celle des apôtres. Cet impératif vise un recentrement total, via une convocation de la mémoire fondatrice : « je fais appel à vos souvenirs pour stimuler en vous la juste manière de penser : souvenez-vous des paroles dites à l’avance par les saints prophètes et du commandement de vos apôtres, celui du Seigneur et Sauveur » 63. 2 Pierre 3,14-18 constitue l’exhortation concluant la lettre. Cette exhortation a pour but de préciser aux destinataires ce qui est attendu de leur part, suite à l’enseignement qui leur a été donné en réponse à l’objection du prétendu « retard » du Seigneur (μακροθυμεῖ  6 4). On remarquera également que du point de vue linguistique, 2 Pierre manie un vocabulaire particulièrement original par rapport à celui du Nouveau Testament. Il témoigne d’un usage soigné et raffiné de la langue grecque, car plus tardif et par conséquent plus proche de l’hellénisme, comme en témoignent les premiers Pères de l’Église 65. La recherche s’est aussi largement penchée sur la nature des relations étroites entre 2 Pierre 61. É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  20-23. 62.  2 P 2,1. 63.  « Διεγείρω ὑμῶν ἐν ὑπομνήσει τὴν εἰλικρινῆ διάνοιαν μνησθῆναι τῶν προειρημένων ῥημάτων ὑπὸ τῶν ἁγίων προφητῶν καὶ τῆς τῶν ἀποστόλων ὑμῶν ἐντολῆς τοῦ κυρίου καὶ σωτῆρος » (2  P  3,1b-2). 64.  2  P  3,9. 65. L’auteur utilise de nombreux verbes composés et on repère de nombreux hapax  legomena (57 en tout) par rapports aux autres écrits du Nouveau Testament. Le style relève de l’asianisme, soit un style qu’on peut rétroactivement qualifier de baroque (« 2 Peter must be related to the “Asiatic” style of Greek rhetoric which was coming into fashion in 2 Peter’s time, and which, with his love of high-sounding expressions, florid and verbose language, and elaborate literary effects, was an artificial style which Reicke aptly compares with European baroque » selon R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  137.). Le vocabulaire témoigne d’une grande richesse sémantique. Tout cela donne l’image d’un épistolier soucieux de plaire à ses auditeurs. Voir É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p. 16-20. Parmi ces 57 hapax legomena qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans les écrits du Nouveau Testament, 32 ne se

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et la Lettre de Jude, en particulier entre d’un côté Jude 4-13 et 16-18 et de l’autre 2 Pierre 2,1-18 et 3,1-3 66. Un examen des données littéraires et pragmatiques ponctuant l’exhortation à la vigilance concluant 2 Pierre donne les résultats suivants 67. « C’est pourquoi » (Διό, v.  14) marque le passage de l’argumentation sur la fin des temps à ses conséquences éthiques et donc à la parénèse. La réfutation des objections des « faux-docteurs » sur le retard de la « venue du jour de Dieu » permet le retournement de l’objection : il convient de comprendre ce retard comme le signe de la « longue patience du Seigneur » et donc comme synonyme de salut. Dieu offre aux croyants l’opportunité de se préparer activement, par la repentance, à ce retour. Ce retour marquera l’avènement du « jour de Dieu », signe de la réalisation définitive de la prophétie d’Ésaïe au travers de « sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite » (v. 13) 68. De plus, un double impératif oriente pragmatiquement la mise en œuvre attendue de la part des destinataires de la lettre. Il y a, d’une part, un appel à l’effort qui traduit le caractère volontariste de l’exhortation, lequel invite à se préparer par retour de courrier, ou presque, au retour du Christ. Cette préparation se joue sur deux plans. Premièrement, Dieu, à son retour, doit trouver les croyants « dans la paix » (ἐν εἰρήνῃ, v. 14), c’est-à-dire dans un rapport trouvent pas dans la Septante (listes complètes dans R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  135). 66.  Voir l’état de la question dressé par Richard Bauckham, lequel fait l’inventaire des seuls quatre cas de figures possibles de relations entre Jude et 2 P : (1) Jude dépend de 2 P ; (2) 2 P dépend de Jude ; (3) 2 P et Jude dépendent d’une source commune ou (4) sont l’œuvre d’un même rédacteur. Les différences de style entre les deux excluent (4), (3) paraît assez plausible, (1) et (2) sont hautement vraisemblables. Bauckham estime que (2) est le plus probable dans la mesure où la reprise en 2 P de Jude 4-18 témoigne d’une simplification de la structure et du style de l’argument : « The most important literary reason for preferring 2 Peter’s dependence on Jude to the opposite hypothesis is that this commentary shows Jude 4-18 to be a piece of writing whose detailed structure and wording has been composed with exquisite care, whereas the corresponding parts of 2 Peter, while by no means carelessly composed, are by comparison more loosely structured. Jude’s careful midrashic structures is entirely absent from 2 Peter, along with most of his many allusions to the OT and to 1 Enoch, and the technique of catchword connections » (voir R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  141-143, citation p. 142). Tableau synoptique de Jude 18 et de 2 P dans J. Schlosser, « La Deuxième Épître de Pierre », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008, p. 463. 67.  Pour l’exégèse de détail, voir P.  de Salis, « 2 Pierre 3,14-18 : à quel saint se vouer ? Pierre ou Paul ? », Lire et Dire 94 (2012), p.  38-48. 68.  En italiques dans la citation, la référence au livre d’Ésaïe (« en effet, voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu’au secret du cœur » Es 65,17).

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équilibré entre paix intérieure et vie communautaire non conflictuelle, et deuxièmement « nets et irréprochables » (ἄσπιλοι καὶ ἀμώμητοι, v.  14). Cette combinaison des deux adjectifs témoigne d’une visée pragmatique astucieuse, car elle permet aux auditeurs de la lettre de prendre concrètement à contre-pied l’autorité des apôtres concurrents, lesquels sont pleins de « défauts et (de) taches » (σπίλοι καὶ μῶμοι 69). D’autre part, elle est régulièrement utilisée dans la littérature chrétienne – dans les textes liturgiques comme dans les textes à visée parénétique – pour qualifier l’état attendu des croyants au moment de la parousie 70. Ces adjectifs apparaissent très fréquemment (les deux ensemble, ou l’un ou l’autre) avec cette connotation dans plusieurs passages. « Sans tache » (ἄσπιλος) renvoie aux sacrifices d’animaux, mais aussi, au second degré, à la pureté morale et « sans reproche » (ἀμώμητος), qui est un hapax legomenon en 2 Pierre par rapport à ἄμωμος 71, lequel est utilisé dans la Septante pour désigner les victimes des sacrifices 72 . 1 P compare le sang de Jésus Christ, par lequel les chrétiens ont été sauvés, à celui de l’agneau sans tache requis pour le sacrifice de la Pâques, en référence au Livre de l ’Exode 73. L’exhortation « dans l’attente de ces choses » – « ces choses » renvoyant à la promesse d’Ésaïe des nouveaux cieux et de la nouvelle terre – permet justement de faire directement le lien avec ce qui a été clarifié sur l’arrivée inopinée du jour du Seigneur et de la nécessaire vigilance qui en découle. Il convient de souligner combien cette exhortation résume tout l’enseignement de la lettre. Il y a aussi l’encouragement à endurer la « longue patience de Dieu ». Celui-ci vise à retourner positivement la déception induite par le retard « du jour de Dieu ». Contrairement à la prédication concurrente des « faux-docteurs », ce retard est à envisager comme une nouvelle opportunité, offerte aux croyants, de garantir par la repentance le salut qu’ils auraient sûrement manqué si la parousie était venue plus tôt. Difficile de ne pas repenser à la patience de Dieu et aux intercessions de Moïse au désert, notamment après l’épisode du veau d’or. 69.  2 P  2,13. Voir É.  Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  122. 70.  Au delà de la préférence de l’auteur de 2 P pour les paires de synonymes, celle-ci se rencontre fréquemment dans la littérature chrétienne primitive pour désigner l’état dans lequel les croyants devront se trouver au moment de la fin des temps (état détaillé des références dans R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  326-327). 71.  Voir Hb 9,14 : « combien plus le sang du Christ, qui par l’esprit éternel, s’est offert lui‑même à Dieu comme une victime sans taches (ἑαυτὸν προσήνεγκεν ἄμωμον τῷ θεῷ) ». 72.  « Si c’est un holocauste de gros bétail qu’on veut présenter, on présente un mâle sans défauts » (Lv 1,3, cf. aussi Lv 3,1). Voir R. J. Bauckham, Jude. 2 Peter, Waco (TX), 1983, p.  327. 73.  Ainsi 1 P 1,19 (« ἀλλὰ τιμίῳ αἵματι ὡς ἀμνοῦ ἀμώμου καὶ ἀσπίλου Χριστοῦ ») ; voir aussi Ex 12,5.

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La 2e Lettre de Pierre en appelle à l’autorité de « notre bien aimé frère Paul » (ὁ  ἀγαπητὸς ἡμῶν ἀδελφὸς Παῦλος, v.  15b). « Frère » désigne le collaborateur au service de la proclamation de l’Évangile. Paul désigne ainsi fréquemment ses collaborateurs, mais cet usage n’était pas l’apanage du seul Paul 74 . « Notre » n’englobe pas l’ensemble des croyants, mais désigne le cercle des apôtres, tout en cherchant, peut-être, à englober aussi les destinataires de la lettre. Cette référence aux lettres de Paul atteste de l’importance de l’autorité des lettres de celui-ci chez les destinataires, qui visiblement en possédaient une collection. Cette référence à l’apôtre se trouve renforcée par la mention de la sagesse. Cette « sagesse qui a été donnée » (τὴν δοθεῖσαν αὐτῷ σοφίαν) par Dieu renvoie au caractère divinement inspiré de ses lettres, dont Paul fait régulièrement état. Elle fait aussi écho à l’inspiration divine qui guida jadis les prophètes d’Israël. La distorsion du sens renvoie sûrement à l’action des prédicateurs concurrents et aux cercles qui les suivent. 2 Pierre considère que « la longue patience de notre Seigneur » (τὴν τοῦ κυρίου ἡμῶν μακροθυμίαν) résume son enseignement sur la parousie. Cette convocation de l’autorité de Paul fait textuellement écho à la Lettre aux Romains. En effet, dans le développement sur la justice du jugement divin 75, il est aussi question de la « longue patience du Seigneur(μακροθυμίας) » 76. Mépriser la patience de Dieu, au lieu de la chérir, revient à amasser « un trésor de colère pour le jour de la colère où se révélera le juste jugement de Dieu » 77. Les croyants sont placés à nouveau devant une alternative cruciale, à savoir suivre le chemin du salut ou celui de la perdition. Aux versets 17-18, l’exhortation aux croyants se termine comme elle a commencé, à savoir par un double impératif. Premièrement, par un appel à se tenir sur ses gardes : 2 Pierre insiste une dernière fois sur la précaution requise face au danger que représente la prédication des « faux-docteurs », dont la prédication, dévastatrice du point de vue de 2 Pierre, a provoqué l’envoi de la lettre. Deuxièmement, l’appel final à la croissance « dans la grâce et la connaissance  (γνώσει) de notre Seigneur et sauveur JésusChrist » permet à l’auteur de 2 Pierre de terminer en rappelant le but de la lettre, tel qu’il a été donné dans l’action de grâce initiale (2 P 1,2) : c’est la juste « connaissance (ἐπιγνώσει) de Dieu et de Jésus » qui permet à la grâce et à la paix de venir en abondance. Dans le cas de 2 Pierre, la distinction entre γνῶσις et ἐπίγνωσις en relation avec le Nouveau Testament est difficile à établir avec certitude 78. 74.  « Διὰ Σιλουανοῦ ὑμῖν τοῦ πιστοῦ ἀδελφοῦ, ὡς λογίζομαι, δι’ ὀλίγων ἔγραψα παρακαλῶν καὶ ἐπιμαρτυρῶν ταύτην εἶναι ἀληθῆ χάριν τοῦ θεοῦ εἰς ἣν στῆτε » (1  P  5,12). 75.  Voir Rm 2,1-16. 76.  Rm 2,3. 77.  Rm 2,5. 78.  Dans le Nouveau Testament, « compte tenu du fait que γνῶσις et ἐπίγνωσις sont dans la plupart des cas employés indifféremment l’un pour l’autre, il demeure

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Enfin, la bénédiction finale comporte une expression unique en son genre dans le Nouveau Testament, le « jour de l’éternité » (ἡμέραν αἰῶνος). On la trouve dans le Siracide, et c’est de là qu’elle pourrait provenir, car ce passage met précisément en lien le « jour de l’éternité » avec la « patience de Dieu » 79. Il convient maintenant de revenir sur les enjeux relatifs à la pragmatique épistolaire déployée dans 2 Pierre pour pouvoir statuer sur la question de leur teneur paulinienne. Au-delà des enjeux pragmatiques propres à l’art épistolaire en soi déjà mentionnés, comme les arguments relatifs au passage du développement doctrinal à la parénèse et les différentes stratégies de retournement thématique destinées à renverser l’argumentation, il convient de mettre en évidence les enjeux les plus significatifs en ce qui concerne la posture d’épistolier proprement dite. Ces enjeux peuvent être regroupés selon deux entrées, à savoir d’une part la dynamique de la sémantique de la connaissance articulée à celle de la mémoire et d’autre part la référence explicite à l’autorité des lettres de Paul. La dynamique connaissance et mémoire : contrairement à Jude, 2 Pierre attache une grande importance au thème de la connaissance ; la sémantique y relative, avec celle inversée de l’ignorance, y occupe une place importante 80 : γνῶσις (trois fois), ἐπίγνωσις (quatre fois) 81, ainsi que ἐπιγινώσκειν, γινώσκειν, δηλοῦν (« faire connaître, révéler »), γνῶριζειν (« faire connaître »), ἀγνοεῖν (« ignorer »), προσγινώσκειν (« savoir d’avance »), εἰδεναι et οἲδα (« savoir »), διάνοια (« juste manière de penser »), οἱ ἀμαθεῖς καὶ ἀστήρικτοι (« les gens ignares et sans formation »), le tout pour plus d’une vingtaine d’occurrences. L’argument de la connaissance comporte une forte dimension pragmatique : Comme chez Paul notamment, la « connaissance » comporte un élément théorique et un élément pratique, une composante doctrinale et une compoque le premier terme possède une signification plus large que le second : γνῶσις p.  ex. peut désigner une vraie ou une fausse connaissance tandis que ἐπίγνωσις s’emploie toujours in bonam partem », exception faite de Rm 3,20 (ἐπίγνωσις ἁμαρτίας), voir É.  Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  127-131 (citation p.  129). 79.  « Une goutte d’eau de la mer, un grain de sable, telles sont ces quelques années face à l’éternité (ἐν  ἡμέρα αἰῶνος). C’est pourquoi le Seigneur est patient (ἐμακροθύμεσεν κύριος) à l’égard des hommes et déverse sur eux sa pitié », Si 18,10-11. L’expression pourrait s’inspirer du Psaume 90, qui évoque de son côté le thème de la maîtrise divine du temps d’une manière très proche de 2 P 3,8 : « Oui, mille ans, sont à tes yeux comme hier, un jour qui s’en va, comme une heure de la nuit » (Ps  90,4). 80. É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  127-128. 81.  On peut estimer (à la suite d’É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  130), que ἐπίγνωσις dans 2 Pierre désignerait l’idée de « notion de base » ou de « christianisme personnel » et que « cela implique à la fois l’expérience décisive de la conversion et la communion présente avec Jésus-Christ ».

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sante éthique (cf. 1,5-6.8). Jointe à la nécessité de « se souvenir » des enseignements transmis par la tradition apostolique et centrée sur la personne du Christ, la « connaissance » constitue en quelque sorte le pivot de 2 P 82 .

L’argument de la connaissance, couplé avec celui de l’appel à la mémoire développe ainsi un ressort pragmatique d’une grande puissance. La sémantique de la mémoire est bien présente en 2 Pierre, comme le confirme, en particulier à l’adresse explicite des destinataires (ὑμᾶς), la dynamique rappeler-savoir-affermir dans la vérité dans l’exorde initial de la lettre : « aussi ai-je l’intention de toujours vous rappeler cela (ὑπομιμνῄσκειν περὶ τούτων), bien que vous le sachiez (εἰδότας) et que vous demeuriez fermes (ἐστηριγμένους) dans la vérité présente (ἐν τῇ παρούσῃ ἀληθείᾳ) » 83. Dans la communication épistolaire, l’exhortation à la mémoire joue un grand rôle chez les destinataires : elle convoque en amont, par le rappel des souvenirs des tenants et aboutissants des relations entretenues par les rapports de correspondance, mémoire des enseignements reçus à des fins régulatrices, et elle projette en aval, par l’appel à mettre concrètement en œuvre les acquis de l’objet de la communication. La référence aux lettres de Paul : celle-ci a pour but de légitimer pragmatiquement les propos de 2 Pierre, et ceci tout comme la référence aux récits évangéliques de la transfiguration (2 P 1,16-18) justifie théologiquement l’autorité apostolique prestigieuse de « Syméon Pierre ». Cette double référence servirait à confirmer la rectitude de l’enseignement de 2 Pierre – tel que résumé en 3,14-15a – aux yeux de cercles revendiquant l’autorité des lettres du Tarsiote. Cette double référence sert d’ultime argument pour contrer les apôtres concurrents (« les faux-docteurs »), dont l’existence de gens « ignares et sans formation » confirme le caractère erroné ou incomplet de leur enseignement. Avec le recours à l’autorité des lettres de Paul, c’est donc chose faite que de montrer la nécessité de rectifier le tir. L’autorité des lettres se déploie de manière pragmatiquement subtile : elle combine à la fois la sagesse ancestrale – qui fut, jadis comme celle des prophètes reçue de Dieu comme le confirme l’usage d’un passif divin (κατὰ τὴν δοθεῖσαν αὐτῷ σοφίαν), qui en signifie l’origine et l’authenticité – et la pragmatique de la communication épistolaire : c’est Paul qui vous a écrit, alors qu’il était séparé de vous, comme Dieu a parlé à travers ses prophètes pour combler la distance entre lui et les hommes. Preuve en est le statut d’écriture conféré au corpus de ses lettres (καὶ τὰς λοιπὰς γραφὰς). Combler la distance, incarner une certaine forme de présence et pousser à l’action par la prise de conscience, via la lettre, du degré d’erreur de l’action et de l’enseignement de ces « faux-docteurs », responsables de laisser « les gens ignares et sans formation » tordre de sens des lettres du Tarsiote comme celui du reste des Écritures. 82. É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  131. 83.  2 P 1,12.

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L’argument plaçant sur un pied d’égalité l’autorité de Paul et respectivement de Pierre fournirait une attestation supplémentaire de la période postapostolique où Pierre et Paul sont considérés comme les deux piliers de l’Église, comme en témoignent notamment les Actes des Apôtres, la Lettre aux Corinthiens de Clément de Rome et la Lettre aux Romains d’Ignace d’Antioche. L’auteur de 2 Pierre, qui a été probablement un compagnon de mission – ou le proche d’un compagnon – de Pierre ou du moins qui s’inscrit dans son sillage, revendique ici le regard bienveillant sur Paul du Pierre historique. Ainsi 2 Pierre montre que l’intelligence de l’Écriture passe par une confrontation des vérités et des regards véhiculés par les principales familles de témoins apostoliques, lesquelles acquièrent le statut d’« écritures » 84 . Finalement, il convient d’évoquer aussi le fait que 2 Pierre répond à une situation ecclésiale devenue plus conflictuelle, comme dans le cas de 2 Corinthiens 10-13 et ceci contrairement à 1 Pierre où la situation semble plus paisible. La lettre développe la thématique de la juste compréhension du motif de la parousie et déploie les ressources habituelles de la pragmatique épistolaire pour contribuer à retourner la situation à distance. Dans cette stratégie, l’autorité paulinienne est convoquée de manière forte, à la fois par le double motif de l’appel à la mémoire et de la réorientation de la connaissance qui en découle et, à la fois, par l’autorité du corpus de ses lettres, comme dépôt normatif de la juste compréhension de la vérité évangélique. La 2e Lettre de Pierre constitue le premier témoin de la réception de l’autorité du geste épistolaire du Tarsiote, à la fois par l’affirmation de l’autorité de la collection de ses lettres et par l’affirmation de la nécessité de l’archivage des lettres comme conservatoire authentique de la mémoire de la vérité, contre les faux-docteurs, des enseignements du bienheureux apôtre. Il est aussi remarquable de noter que les lettres ici revendiquent une autorité en tant qu’Écritures, dans le sillage de la Loi et surtout, en ce qui concerne notre enquête, des prophètes. 5.4 L a L ettr e

au x

C or inthiens

de

Cl é m e n t

de

R om e

et l e sou v e n i r de l a cr i se cor i n t h i e n n e

La Lettre aux Corinthiens attribuée à Clément de Rome (1 Clément) 85 présente un intérêt tout particulier pour qui s’intéresse à l’histoire de la 84.  « On peut conclure que l’auteur de 2 P utilise un “Nouveau Testament” qui devait comprendre au moins une collection de lettres de Paul (3,16), la première épître de Pierre (3,1), celle de Jude (le chapitre 2 s’en inspire largement), des éléments de la tradition synoptique (1,16-18 » (É. Fuchs – P. R eymond, La Deuxième épître de Saint Pierre. L’Épître de Saint Jude, Genève, 1988, p.  125). 85. Voir A. Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 20113 (réédition de la 2e édition avec additions et corrections parue en 2000 ; première édition 1971.) ; A.  G. H amman, Les évêques apostoliques. Clément de Rome, Ignace d ’Antioche, Polycarpe de Smyrne, Paris, 2000 ; voir également les commentaires

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communauté chrétienne de Corinthe après Paul et, plus précisément, à la réception de sa posture d’épistolier 86 et cela même si logiquement son témoignage nous renvoie prioritairement à son milieu de production 87. Ce document 88 se présente en effet comme une véritable lettre, laquelle, bien que ne mentionnant pas le nom de son auteur, a été écrite par un rédacteur dont on peut tout de même reconnaître le style particulier. La nature non fictive de son épistolarité est aisément identifiable 89. 1 Clément suit le formulaire épistolaire classique, comprenant préambule avec adresse et formule de bénédiction, un corps important, comprenant développements doctrinaux et reprises parénétiques, un résumé, une bénédiction, des nou-

d’A. Lindemann, Die Clemensbriefe, Tübingen,  1999 et de H.  L ona, Der erste Clemensbrief, Göttingen, 1997. 86.  Pour l’histoire de la réception, voir en particulier les travaux d’Andreas Lindemann, « Paul’s Influence on “Clement” and Ignatius », dans A.  F. Gregory – C. M. Tuckett (éd.), The New Testament and the Apostolic Fathers. Volume Two : Trajectories through the New Testament and the Apostolic Fathers, Oxford, 2006, p.  9-24 et « Der Apostel Paulus im 2. Jahrhundert », dans A.  Lindemann (éd.), Paulus, Apostel und Lehrer der Kirche. Studien zu Paulus und zum frühen Paulusverständnis, Tübingen,  1999, p.  294-322 ; voir également B.  E. Bowe, « The Rhetoric of Love in Corinth : From Paul to Clement of Rome », dans J. Gardner – R. B. Jewett (éd.), Common Life in the Early Church. Essays Honoring Graydon  F. Snyder, Harrisburg, 1998, p.  244-257 ; E.  Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der frühchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster, 1979. 87.  « Cette épître constitue […] un témoignage de première valeur, moins peutêtre sur la crise corinthienne et les rapports de Rome et Corinthe, que sur l’antique communauté romaine, ses thèmes de prédication, sa liturgie », A. Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 2011, p. 14. Voir également E. Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der frühchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster, 1979, p.  78. 88.  Pour les questions d’introduction, voir S. C. M imouni – P. M araval, Le Christianisme des origines à Constantin, Paris, 2006, p. XCV-XCVII (bibliographie) et p. 231-243 (ch. 6 : Un « chrétien » d’origine judéenne : Clément de Rome) ; R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  294-301 ; D.-A.  M ignot, « Clément, cet inconnu », dans P. Luisier (éd.), Studi su Clemente Romano. Atti degli Incontri di Roma, 29 marzo e 22 novembre 2001, Roma,  2003, p.  163-195 ; C.  Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 133-137 ; H. Conzelmann – A. Lindemann, Guide pour l ’étude du Nouveau Testament, Genève, 1999, p.  449-453. 89.  « Der Text ist keine Abhandlung, die nur als Brief verkleidet als literarisches Produkt für eine weitere Öffentlichkeit verfasst worden ist. Die eine “Briefsituation” bestimmenden Elemente sind in I Clem vorhanden und leicht erkennbar : 1. Die räumliche Trennung, welche die “Sendung” erforderlich macht ; 2. die Schriftlichkeit als Überwindung dieser Trennung ; 3. das φιλία-amicitia-Verhältnis zwischen Sender und Empfänger, das die Entstehung des Briefes veranlasst – in diesem Fall die Sorge der römischen gemeinde für die Gläubigen in Korinth », H.  L ona, Der erste Clemensbrief, Göttingen, 1997, p.  20.

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velles relatives à l’envoi d’émissaires, une conclusion et une bénédiction finale. Elle constitue ainsi bel et bien une lettre réelle 90. À la lecture de son préambule, on se rend compte qu’elle émane d’une communauté concrète (« L’Église de Dieu en séjour à Rome ») et qu’elle est destinée à un cercle précis (« L’Église de Dieu en séjour à Corinthe »). Ces « églises » résultent de la Diaspora judéenne, de par la précision du fait qu’elles « séjournent » ou « résident (temporairement) » (παροικῶ) et non pas qu’elles « habitent » (κατοικῶ). Ainsi le motif de la communication, résultant de circonstances concrètes, vise une transformation ou du moins appelle à une réaction dans le cercle des destinataires. Le découpage thématique de la lettre n’est pas chose simple à établir et la recherche en propose différentes variantes. Mais l’orientation pragmatique de la lettre apparaît comme le fil rouge. Annie Jaubert fait remarquer que « l’unité profonde de la lettre vient de son but essentiel : rétablir la paix à Corinthe. Les divers développements s’ordonnent dans cette même perspective » 91. Le caractère conflictuel, inhérent à l’arrière-fond historique dont témoigne obliquement cet écrit, n’est pas passé inaperçu puisque Eusèbe de Césarée le mentionne, à partir du témoignage d’Irénée de Lyon 92 . Clément, évêque de l’église de Rome depuis la douzième année du règne de Domitien (92) jusqu’au début de celui de Trajan (98) aurait écrit à celle de Corinthe à la suite d’une crise interne pour y rétablir la paix. Il est généralement admis que cette lettre peut être datée à une période coïncidant avec celle de la rédaction des derniers écrits conservés dans le Nouveau Testament, en particulier 1 P et les lettres pastorales. Les hypothèses relatives à sa datation oscillent entre les années 80-90 (terminus a quo) et 140 (terminus ad quem) 93. Une solide tradition, remontant au IIe siècle, place cet écrit sous le patronage de Clément, troisième évêque de Rome ayant succédé à Pierre, après Linus et Anaclet 94 . Selon le témoignage d’Hégésippe, rapporté par Eusèbe de Césarée 95, cette lettre aurait été écrite au cours de la persécution de Domitien (environ 96). Selon le témoignage de l’évêque Denis de Corinthe, également rapporté 90.  C.  Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. 1. De Paul à Constantin, Genève, 2000, p. 135. 91.  A.  Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 2011, p. 28. 92.  « Du temps de ce Clément, une grave révolte se produisit chez les frères de Corinthe. L’Église de Rome envoya aux Corinthiens un écrit très important pour les réconcilier dans la paix, et pour renouveler leur foi et proclamer la tradition qu’elle avait reçue récemment des apôtres » (Histoire ecclésiastique V,6,1-2), cité par R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  294. 93.  R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p.  294-296 ; A.  Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 2011, p. 15-23. 94.  Selon le témoignage d’Irénée de Lyon, Contre les hérésies III,3,3. 95.  Histoire ecclésiastique III,16 ; IV,22,1.

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par Eusèbe de Césarée 96, cette lettre était lue dans le cadre de la liturgie de la communauté chrétienne de Corinthe dans les années 170. Enfin, le prestige de Clément se trouve confirmé par l’existence premièrement d’une deuxième lettre placée pseudépigraphiquement sous son patronage, laquelle se trouve être en réalité une homélie, que la recherche désigne comme 2e Lettre de Clément aux Corinthiens 97. Elle se trouve confirmée deuxièmement par l’existence d’un roman de forme autobiographique, le Roman Pseudo-Clémentin, vraisemblablement d’origine judéo-chrétienne, dont deux versions ont été conservées jusqu’à nos jours 98. Cette lettre se définit elle-même comme une lettre de demande (ἔνθευξις) 99. Cela est précisé dans la conclusion de la lettre 100, au moment où 1 Clément vient de résumer les conseils donnés au travers de la lettre et juste avant qu’il ne se porte pragmatiquement garant des messagers, qui font office non seulement de porteurs de la lettre, mais aussi d’agents de liaison entre Rome et Corinthe 101. Elle comprend certains éléments de l’homélie synagogale, par exemple l’illustration, à des fins parénétiques et à l’aide d’exemples tirés de la Loi et des Prophètes, des conséquences funestes de la jalousie sur l’unité de la communauté croyante. On y trouve de nombreux éléments liés à la liturgie synagogale, en particulier la grande 96.  Histoire ecclésiastique IV,23,1. 97.  H. H emmer, Les Pères apostoliques II : Clément de Rome : Épitre aux Corinthiens ; Homélie du IIe siècle, Paris, 1926 (avec introduction, texte, traduction française et notes) ; voir également C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 166-170 et A. Lindemann, Die Clemensbriefe, Tübingen,  1999. 98.  Voir P.  Geoltrain, « Roman pseudo-clémentin », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, volume 2, Paris, 2005, p. 1173-2003 ; voir également B.  Pouderon, La genèse du Roman pseudo-clémentin : études littéraires et historiques, Louvain, 2012. 99.  « Dabei ist ἔνθευξις nicht einfach die Bitte, sondern im fast technischen Sinn die (offizielle) “Eingabe”  », A. Lindemann, Die Clemensbriefe, Tübingen,  1999, p.  178 ;  H.  L ona, Der erste Clemensbrief, Göttingen, 1997, p.  632 ; voir aussi R. Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003, p. 300-301. 100.  « Vous nous procurerez en effet joie et allégresse si vous obéissez à ce que nous avons écrit par le saint esprit, si vous coupez court aux colères coupables que vous inspire la jalousie, selon l’invitation (ἔνθευξιν) à la paix et à la concorde que nous vous adressons dans cette lettre » (63,2). Dans la conclusion de la lettre, le rapport entre « nous » et « vous » reprend pragmatiquement le devant de la scène épistolaire : « Von hier an bis zum Ende des Kapitels übernimmt die römische Gemeinde ihre eigentliche Rolle, ohne rhetorische Effekte. Dar “wir” und das “ihr” signalisieren jeweils die Rollenzuweisung in der Kommunikationssituation des Briefes », H.  L ona, Der erste Clemensbrief, Göttingen, 1997, p.  631. 101.  « Nous vous avons envoyé (ἐπέμψαμεν) des hommes fidèles et sages qui ont vécu sans reproche parmi nous depuis leur jeunesse jusqu’à la vieillesse ; ils seront témoins (μάρτυρες) entre vous et nous » (63,3).

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prière 102 et une dizaine de doxologies 103. On y trouve aussi des exemples de vertus et de vices. Elle reprendrait aussi des motifs de la diatribe cynique stoïcienne. Dans le cadre des recherches sur la réception de Paul dans les Actes des apôtres, Claire Clivaz met en évidence que le christianisme primitif « n’a pas d’abord voulu se souvenir de Paul le théologien » 104 , mais, à l’instar de la signature dans la salutation finale de la Lettre aux Colossiens (« de ma main, à moi Paul »), du serviteur souffrant pour sa communauté : « souvenez-vous de mes chaînes » 105 ! A la suite d’Andreas Lindemann, Clivaz précise que dans 1 Clément ce n’est pas le souvenir de la théologie paulinienne qui prédomine, mais bel et bien l’importance de la figure de Paul lui-même « comme apôtre et maître de l’Église, même plusieurs décennies après [sa] mort » 106. 1 Clément met bien en évidence un des ingrédientsclé de la figure d’autorité de Paul, telle que déployée dans la crise corinthienne 107 à l’aide du motif du renversement force-faiblesse, à savoir la « patience à toute épreuve » (ὑπομονὴ). On rappellera que celle-ci figure en tête de liste, dans le pedigree des signes distinctifs de l’apôtre, avant les signes miraculeux, les prodiges et les actes de puissance, comme précisé au moment de la conclusion du Discours du fou, au plus fort de la crise 108.  1 Clément 5,3-7 précise en effet : Considérons les valeureux apôtres (τοὺς ἀγαθούς ἀπστόλους). Pierre qui par la suite d’une jalousie injuste a supporté tant de souffrances – non pas une, mais deux ! – et qui après avoir rendu ainsi témoignage (μαρτυρήσας) s’en est allé au séjour de gloire qui lui était dû. Par suite de la jalousie et de 102.  1 Clément 59-61. 103. A. Jaubert, Clément de Rome. Épître aux Corinthiens, Paris, 2011, p. 39-41. 104.  C. Clivaz, « La rumeur, une catégorie pour articuler autoportraits et réceptions de Paul : “car ses lettres, dit-on, ont du poids … et sa parole est nulle” (2 Co 10,10) », dans D. M arguerat (éd.), Reception of Paulinism in Acts. Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  241. 105.  « La salutation de ma main, à moi Paul (Ὁ ἀσπασμὸς τῇ ἐμῇ χειρὶ Παύλου), la voici : Souvenez-vous de mes chaînes (μνημονεύετέ μου τῶν δεσμῶν). La grâce soit avec vous ! » (Col 4,18). 106.  A. Lindemann, « Paul ’s Influence on “Clement” and Ignatius », dans A.  F. Gregory – C. M. Tuckett (éd.), The New Testament and the Apostolic Fathers. Volume Two : Trajectories through the New Testament and the Apostolic Fathers, Oxford, 2006, p. 16, (citation et traduction par C. Clivaz, « La rumeur, une catégorie pour articuler autoportraits et réceptions de Paul : “car ses lettres, dit-on, ont du poids … et sa parole est nulle” (2 Co 10,10) », dans D. M arguerat (éd.), Reception of Paulinism in Acts. Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  242. 107.  2 Co 10-13 ; voir notre section 4.2.6 « Lecture de 2 Corinthiens 10-13 ». 108.  « Les signes distinctifs de l’apôtre se sont passés parmi vous : patience à toute épreuve, signes miraculeux, prodiges, actes de puissance (ὑπομονῇ, σημείοις τε καὶ τέρασιν καὶ δυνάμεσιν) » (2  Co  12,12, nous soulignons).

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la discorde, Paul a montré le prix réservé à la constance (ὑπομονῆς). Chargé sept fois de chaînes, exilé, lapidé, devenu un héraut (κῆρυξ) en Orient et en Occident, il a reçu la renommée éclatante que lui méritait sa foi. Après avoir enseigné la justice (δικαιοσύνεν διδάξας) au monde entier et atteint les bornes de l’Occident, il rendit témoignage (μαρτυρήσας) devant les gouvernants ; c’est ainsi qu’il quitta le monde et s’en alla au séjour de sainteté – illustre modèle de constance (ὑπομονῆς).

Dans ce développement, Pierre figure avant Paul, mais tous deux sont sur un pied d’égalité en matière de référence apostolique (« les valeureux apôtres »). On en apprend en fait plus sur Paul que sur Pierre. Le schéma reste le même dans les deux cas : origine de l’injustice subie, nature de la souffrance, réponse et action de l’apôtre (martyre et témoignage), voyage avec succès pour le « séjour de gloire » (pour Pierre) ou « de sainteté » (pour Paul) 109. En ce qui concerne précisément ce dernier, un petit catalogue de péristases (« chargé sept fois de chaînes, exilé, lapidé ») renforce l’argument d’autorité, qui culmine dans ce double programme apostolique d’enseigner la justice de Dieu au monde entier et devant les maîtres de la cité des hommes (« les gouvernants »). On rappellera que dans l’argumentation du Discours du fou, la « patience à toute épreuve » résume les souffrances de l’apôtre et remplit une fonction d’authentification de la véritable nature de l’apostolat 110. On trouve en 1 Clément 47,1-7 une deuxième allusion explicite à Paul et à son autorité, en particulier celle d’épistolier. Cette allusion semble bel et bien aussi garder le souvenir de la crise corinthienne et du rôle de la lettre dans la résolution de conflit, voire même des traces des missionnaires concurrents de la mission paulinienne et du Discours du fou : Reprenez la lettre du bienheureux Paul l’apôtre. Que vous a-t-il écrit en premier, au début de l’évangélisation ? En vérité, c’est sous l’inspiration de l’esprit qu’il vous a envoyé une lettre à son sujet et au sujet de 109.  « Die Aussagen über Petrus und Paulus sind nach einem Grundschema aufgebaut : 1. Ursache des Leidens […] ; 2. Schilderung des Leidens ; 3. Verhalten des Apostels ; 4. Die Belohnung durch das Hingeben an den Ort der Herrlichkeit » (H.  L ona, Der erste Clemensbrief, Göttingen, 1997, p.  158-159). 110.  En ce qui concerne l’histoire du canon du Nouveau Testament, C. Clivaz formule l’hypothèse que ce serait la figure d’autorité du père fondateur et celle du serviteur souffrant, en prison par loyauté envers le Christ, qui auraient motivé la constitution des premiers recueils des lettres de Paul : « Mon hypothèse est que ce qui a conduit en un premier temps à l’archivage des lettres de Paul, c’est le fait qu’elles étaient de la main de celui dont on voulait garder la mémoire, comme apôtre fondateur d’une communauté, comme celui dont il fallait se “souvenir des chaînes” », C. Clivaz, « La rumeur, une catégorie pour articuler autoportraits et réceptions de Paul : “car ses lettres, dit-on, ont du poids … et sa parole est nulle” (2 Co 10,10) », dans D. M arguerat (éd.), Reception of Paulinism in Acts. Réception du paulinisme dans les Actes des Apôtres, Louvain, 2009, p.  244.

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Céphas et d’Apollos, car dès ce moment-là aussi vous formiez des cabales (προσκλίσεις). Mais cette cabale (πρόσκλισις) 111 était alors pour vous une moindre faute, car vos préférences allaient à des apôtres autorisés et à un homme qui était éprouvé à leurs yeux. Mais maintenant, considérez quels sont les gens qui vous ont détournés et ont fait baisser le prestige et la réputation de votre amour fraternel. Il est honteux, bien-aimés, tout à fait honteux et indigne d’une conduite chrétienne qu’on entende dire que la très ferme et antique Église de Corinthe, à cause d’un ou deux personnages, est en révolte contre ses presbytres. Et le bruit (ἀκοὴ) est venu non seulement jusqu’à nous, mais aussi à ceux qui ne partagent pas vos croyances, si bien que votre folie (ἀφροσύνην) fait blasphémer le nom du Seigneur et qu’elle vous met vous-mêmes en danger.

Cette mention explicite de Paul nous apprend ainsi que la communauté de Rome possédait une copie d’une lettre de Paul, dont il ne fait aucun doute qu’il s’agissait de 1 Corinthiens et que les Corinthiens en possédaient vraisemblablement également une copie. La référence à Céphas et à Apollos renvoie à 1 Corinthiens 1,10-18 qui fait nominativement état de factions au sein des assemblées dans les maisons corinthiennes : « je m’explique ; chacun de vous parle ainsi : Moi j’appartiens à Paul. – Moi à Apollos. – Moi à Céphas. – Moi à Christ » 112 . Un examen comparatif serré des données théologiques permet d’établir que, outre 1 Corinthiens , l’auteur de 1 Clément connaissait aussi Galates et Philippiens, ainsi que Hébreux et probablement aussi 2 Corinthiens, Colossiens, Ephésiens et les lettres pastorales 113. L’analogie avec la communication épistolaire déployée dans le cadre de la crise corinthienne est particulièrement remarquable : la lettre a pour but d’agir ici aussi à distance, les protagonistes du conflit sont désignés à la troisième personne (« un ou deux personnages », « ses presbytres »). Il est ici aussi question de rumeur : « le bruit (ἀκοή)  est venu […] jusqu’à nous » et de factions dans la communauté (« ceux qui ne partagent pas vos croyances »). Enfin, il est difficile de déterminer la nature des jalousies dont Pierre et Paul furent victimes et qui les auraient conduits au martyre, et encore moins d’identifier l’identité et la doctrine défendue par ce groupe d’adversaires. Il convient enfin de signaler un autre élément confirmant le caractère avéré du lien avec les lettres de Paul aux Corinthiens, à savoir la convocation de la parole d’autorité du prophète Jérémie au sujet de la critique de l’orgueil. Ce lien est très important car il confirme, une fois de plus, 111.  Πρόσκλισις signifie inclinaison, penchant ou action de s’incliner contre. On peut imaginer aiséement le caractère conflictuel lié à la division suite à l’action de fauteurs de troubles. 112.  1 Co 1,12. 113. E. Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der frühchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster, 1979, p.  79-83.

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la filiation prophétique revendiquée par Paul, et celle de Jérémie en particulier. En 1 Clément 13,1, on trouve la même citation de Jérémie  9,2223 qu’en 1 Corinthiens 1,31 et 2 Corinthiens 10,17, mais avec cette fois le motif de la critique du riche en plus de celle du sage, mais sans celui de la critique du puissant. L’intertextualité explicite (τὸ γεγραμμένον) est renforcée par la mention que c’est l’Esprit saint qui parle au travers des mots du prophète Jérémie. L’argument scripturaire vient précisément contrer la folie, générée par l’orgueil comme justification de sa conduite devant les sages ou les riches et non pas devant le Seigneur. Cette conduite ne peut que générer des conflits, voire des divisions, au sein de la communauté corinthienne : Eh bien donc, frères, soyons humbles de cœur ; déposons tous les sentiments de jactance, de vanité, de fol orgueil (ἀφροσύνην), de colère, et accomplissons ce qui est écrit ; car l’Esprit saint dit : « Que le sage ne se vante pas (μὴ καυχάσθω) de sa sagesse, ni le fort de sa force, ni le riche de sa richesse, mais que celui qui se vante se vante (ὁ καυχώμενος καυχάσθω) dans le Seigneur, de le chercher et de pratiquer le droit et la justice ».

Comme on vient de le mettre en évidence, 1 Clément offre un lieu de vérification significatif de la réception de la posture de l’épistolier Paul. Cette lettre constitue le premier témoignage de la réception de Paul endehors de la collection des écrits néotestamentaires. Il s’agit d’une véritable missive écrite par le chef d’une communauté croyante à une autre communauté, dans le but de résoudre un problème, tant pratique que doctrinal, de discipline communautaire. 1 Clément atteste à nouveau de l’usage de la lettre pour contribuer à résoudre à distance une crise à l’intérieur d’un cercle de croyants. La situation à laquelle elle se réfère et son but présentent de nombreuses analogies de situation avec la crise corinthienne vécue du temps de Paul, crise dont on retrouve l’expression de son climax en 2 Corinthiens 10-13, comme on l’a montré, bien que la lettre fasse explicitement référence seulement à 1 Corinthiens. La communauté est divisée, suite à l’action d’un tout petit groupe (« à cause d’un ou deux personnages »), qui cherche à destituer les chefs de la communauté. Les effets sont désastreux pour l’unité de l’assemblée locale. La lettre, en convoquant explicitement les autorités de Pierre et de Paul, en particulier celles attestées par leurs souffrances durant leurs courses apostoliques respectives et leur martyre, témoigne du prestige des deux grands apôtres dans les assemblées romaines au IIe siècle de notre ère et de leur fonction légitimatrice dans les situations ecclésiales et doctrinales conflictuelles. Notre analyse montre que l’autorité d’épistolier du Tarsiote est spécifiquement convoquée dans ce sens et cela témoigne de l’existence de traces encore bien vivantes laissées par la crise corinthienne, véritables échardes encore vives dans la chair de la mémoire ecclésiale collective.

RÉCEPTION DE L’AUTORITÉ ÉPISTOLAIRE PAULINIENNE

5.5 L a L ettr e

au x

L aodicé ens et l a s t ruct u r at ion d ’ u n d ’au tor i t é a pos tol iqu e

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modè l e

La Lettre aux Laodicéens est un document d’une nature épistolaire très particulière : il s’agit d’une petite lettre constituée par l’assemblage d’une série de versets de Paul, provenant essentiellement de la Lettre aux Philippiens 114 . Selon la recherche 115, ce serait l’exhortation concluant la Lettre aux Colossiens qui aurait fourni l’occasion de la fabrication de ce petit texte réputé « théologiquement insignifiant » pour la recherche, ce « centon de phrases pauliniennes » 116. L’origine et le motif de cette lettre ne sont pas faciles à établir avec certitude. Selon Adolf von Harnack, cette lettre serait de facture marcionite 117, alors que pour la recherche, il s’agirait en fait « d’un écrit émanant de la grande Église, qui ne serait qu’une compilation pieuse, vide de contenu théologique » 118. Le débat sur l’origine marcionite de ce document a été réactivé par Enrico Norelli, selon qui cet assemblage de versets de facture paulinienne ne résulterait pas simplement d’un collage d’une série de citations pour en faire une pseudo-petite lettre paulinienne. Au contraire, chacun de ces versets aurait fait l’objet d’un travail rédactionnel, dont on peut déceler la patte marcionite 119. L’hypothèse de l’origine marcionite du fragment a également été défendue par Gilles Quispel 120. 114. Texte et introduction par I. Backus, « Lettre de Paul aux Laodicéens », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, volume 2, Paris, 2005, p.  1089-1097. Voir également R.  Bauckham, « Pseudo-Apostolic Letters », Journal of Biblical Literature 107 (1988), p.  469-494 ; R.  Burnet, Épîtres et lettres, Ier-IIe siècle. De Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne, Paris, 2003 (« Le mémorable I : un pur acte de mémoire, l’épître aux Laodicéens », p.  259-265) ;  P.  L. Tite, The Apocryphal Epistle to the Laodiceans. An Epistolary and Rhetorical Analysis, Leiden – Boston, 2012. 115. I.  Backus, « Lettre de Paul aux Laodicéens », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, volume 2, Paris, 2005, p.  1089. 116. C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 54. 117. A. von H arnack, « Der apokryphe Brief des Apostels Paulus an die Laodicener, eine marcionitische Fälschung aus der 2. Hälfte des 2. Jahrhunderts », Berlin, 1923, réimprimé dans A.  von H arnack, Kleine Schriften zur Alten Kirche. 2. Berliner Akademieschriften 1908-1930, Leipzig, 1980, p.  644-654. 118. I.  Backus, « Lettre de Paul aux Laodicéens », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, volume 2, Paris, 2005, p.  1089. 119.  E.  Norelli, « La Lettre aux Laodicéens : essai d’interprétation », dans F. G. Nuovolone (éd.), Il Mosaico della Basilica di S. Colombano in Bobbio e altri studi dal IIo al XXo secolo, dans Archivum Bobiense, Rivista degli Archivi storici Bobiensi 24 (2001), Bobbio, 2002, p.  45-90. 120. G. Quispel, « The Epistle to the Laodiceans : a Marcionite Forgery », dans J.  van Oort (éd), Gnostica, Judaica, Catholica : collected essays of Gilles Quispel,

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Le texte proviendrait d’un original grec, qui serait perdu depuis fort longtemps. On ne dispose aujourd’hui d’aucune trace témoignant de cette version grecque originale. C’est au plus tard au IVe siècle qu’il aurait été traduit en latin. Ce texte figure dans des manuscrits des différentes versions latines de la Bible répandues en Occident avant la Vulgate, désignées usuellement sous l’appellation de Vetus latina. On ne dispose d’aucun témoin grec connu du texte, mais on a de bonnes raisons de supposer l’existence d’un original grec 121. L’établissement de la datation de ce texte repose sur une fourchette plutôt large. Le terminus a quo est fourni par la datation d’Adolf von Harnack : 160-190. L’argument principal repose d’une part sur la mention d’une « lettre aux Laodicéens » par le Fragment de Muratori, aux lignes 63 à 66 122 , et d’autre part, sur l’analyse de certaines tournures et formulations teintées de marcionisme ; pour Harnack, la Lettre aux Laodicéens a été ainsi composée par un disciple de Marcion peu avant 200, date coïncidant avec le terminus ad quem du Fragment de Muratori. Le terminus ad quem nous projette au IVe siècle. Selon le témoignage de Jérôme, dans Les Hommes illustres V, ce dernier la considère comme apocryphe et la rejette ; on trouve la lettre dans les manuscrits de la Vetus Latina ; Victor de Capoue (dès 541) l’intègre dans son harmonie des Évangiles, élaborée à partir de la Vulgate, document que la recherche a désigné sous le nom de Codex Fuldensis. La Lettre aux Laodicéens suit le formulaire épistolaire paulinien classique : (1) salutation initiale, (2) action de grâce, (3) corps de la lettre, avec brève évocation de la situation de la communauté, puis de Paul comme apôtre souffrant en Christ, dans le sillage de la figure du serviteur souffrant (« mes chaînes sont de notoriété publique »), on y trouve aussi une mise en garde contre « certaines gens qui s’insinuent pour vous écarter de la vérité de l’Évangile prêché par moi », (4) parénèse, (5) clôture de la lettre avec salutation finale et bénédiction. La lettre se termine par un appel faisant écho à celui concluant la Lettre aux Colossiens (« quand vous Leiden – Boston, 2008, p.  689-693 (reprise et traduction d’un article paru en néerlandais en 1951). 121. E. Norelli, « La Lettre aux Laodicéens : essai d’interprétation », dans F. G. Nuovolone (éd.), Il Mosaico della Basilica di S. Colombano in Bobbio e altri studi dal IIo al XXo secolo, dans Archivum Bobiense, Rivista degli Archivi storici Bobiensi 24 (2001), Bobbio, 2002, p. 48. 122. « Il existe aussi une (lettre) aux Laodicéens, une autre aux Alexandrins écrite faussement sous le nom de Paul pour (défendre) l’hérésie de Marcion, et beaucoup d’autres (écrits) qui ne peuvent être reçus dans l’Église catholique : il ne convient pas en effet de mélanger le fiel avec le miel », voir J.-D. K aestli, « Histoire du canon du Nouveau Testament », dans D. M arguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament. Son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, 2008 4 , p. 504 (traduction de l’entier du Fragment de Muratori, p. 503-505.).

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aurez lu ma lettre, faites-en sorte qu’on la lise aussi dans l’Eglise de Laodicée. Lisez, de votre côté, celle qui viendra de Laodicée » 123) avec un appel à lire les lettres mutuellement, de part et d’autre : « Faites lire ceci aux Colossiens et faites lire la lettre des Colossiens parmi vous ». La Lettre aux Laodicéens représente un cas particulier dans le champ de la littérature dite apocryphe. Se présentant comme une lettre de Paul, elle donne l’impression d’obéir à une autre logique que celle habituellement identifiée, en ce qui concerne la littérature de type pseudépigraphique. En effet, comme le montre Régis Burnet, la Lettre de Paul aux Laodicéens entre en contradiction avec les principales hypothèses actuelles avec lesquelles on rend compte du phénomène littéraire de la pseudépigraphie, à savoir d’une part les théories de l ’inspiration et d’autre part, les théories des écoles 124 . Selon les premières, la posture de l’auteur est celle d’un être possédé d’une façon ou d’une autre par la ou les divinités et s’exprimant donc sous l’inspiration de cette ou de ces dernières (théorie de Speyer). Cette théorie, dont le raisonnement ne s’appuie en fait que sur des textes tirés de la littérature antique (Hésiode et Platon) va être nuancée d’abord par Morton Smith suite au constat que dans la tradition judéenne on ne trouve aucune mention d’inspiration autre que de Dieu et que les personnes inspirées ne s’effacent pas devant Dieu, mais au contraire donnent sans hésiter leur nom, ainsi les grands prophètes bibliques, Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel. Puis Michael Stone précise que le recours à un auteur fictif, dans le cas des écrits pseudépigraphiques de nature apocalyptique, qui mettent en scène des expériences extatiques comme vecteurs d’inspiration, permet la validation et donc la légitimation de la prise de parole. L’habileté du processus mis ainsi en évidence est à souligner : « la pseudépigraphie, ainsi, aurait pour but de réconcilier deux directions apparemment antagonistes : d’une part une tradition largement ancrée dans le passé, et d’autre part, des idées nouvelles, fondées sur des expériences extatiques » 125. Kurt Aland propose une autre explication, plus théologique, en lien avec la notion de l’Esprit saint. Ainsi l’auteur qui est convaincu qu’il parle sous l’inspiration de l’Esprit saint va prendre la posture de l’auteur directement inspiré par Dieu, sans médiation ni autre revendication d’autorité personnelle propre. La théorie dite théorie des écoles se décline sous deux formes. D’une part, elle se décline sur le modèle des écoles grecques (Conzelmann et Bornkamm), d’autre part sur celui des héritages prophétiques. Régis Burnet met en évi123.  Col 4,16. 124. R. Burnet, « Pourquoi avoir écrit l’insipide épître aux Laodicéens ? », New Testament Studies 48 (2002), p. 132-141 ; R. Burnet, « Pourquoi écrire sous le nom d’un autre ? », Études théologiques et religieuses 4  (2013), p.  475-495. Nous suivons son exposé de la question. 125. R. Burnet, « Pourquoi écrire sous le nom d’un autre ? », Études théologiques et religieuses 4 (2013), p. 485.

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dence que le cas de la Lettre aux Laodicéens contredit complètement les explications traditionnelles du procédé de la pseudépigraphie. On aurait ainsi à faire ici à un cas particulier dans le contexte des processus connus de pseudépigraphie. En effet, la Lettre aux Laodicéens ne reflète pas l’un ou l’autre des processus habituellement liés à la pseudépigraphie. Deux explications dominantes émergent au sein de la recherche : (1). Il ne s’agit pas de l’invention d’un nouvel enseignement ou d’une nouvelle doctrine, mais d’une actualisation de celle-ci, suite à un changement de génération, de front polémique, etc. ; (2). Il convient de reproduire la pensée de l’auteur, telle quelle, à titre de confirmation que cette dernière est bel et bien transmise par l’Esprit saint. On ne trouve dans la Lettre aux Laodicéens aucune trace d’un effort d’actualisation de la pensée de l’apôtre, ni de celle d’un silence justifiant le fait que c’est le même esprit qui conduit, inspire et parle. Cet écrit ne cherche pas particulièrement ni à maintenir vivants le souvenir et l’enseignement de Paul en cherchant à en établir des nouvelles pertinences pour des temps qui changent, ni à montrer l’effort de disciples montrant qu’ils sont transportés par le même esprit de sorte que la nécessité de signer de leur propre nom ne se pose pas, mais reflète tout simplement une forme de paulinisme politiquement correct (!). Ces constats permettent donc de conclure, au sujet de la Lettre aux Laodicéens que « plutôt que d’inclure de nouveaux détails, l’épître a tendance à retenir du paulinisme son aspect constitué » 126. Dans ce sens ressortent particulièrement : (1) une mise en garde contre les faux discours (contre une prédication concurrente : « les vaines insinuations de certains ») par rapport à « la vérité de l’Évangile que je prêche », rien n’est précisé au sujet de ces personnes proférant ces vaines insinuations ; (2) une mise en garde contre ceux qui « cherchent de sordides gains » dont les pratiques financières douteuses font l’objet d’une sévère condamnation ; (3) le motif de l’absence et de la présence apostoliques, comme le confirme le verset 10 « Donc, mes très chers, ce que vous avez entendu moi présent, souvenezvous-en et faites-le dans la crainte de Dieu : vous aurez la vie éternelle » ; (4) le motif de l’apôtre prisonnier, faisant écho à l’appel, toujours dans Col, de se souvenir de ses chaînes : « et maintenant mes chaînes sont de notoriété publique, elles que j’endure en Christ, elles dont je suis heureux et me réjouis » (v. 6). On retiendra de ce passage en revue que La Lettre aux Laodicéens ratifie la posture de Paul comme épistolier autorisé et légitime, ceci par une double indication. D’une part, le formulaire épistolaire classique et d’autre part, l’injonction à la lecture mutuelle, laquelle appelle à transmettre les lettres. Cette indication témoigne, par ailleurs, de l’existence d’une collection de lettres. Elle fait aussi écho à l’exhortation finale de la Lettre 126. R. Burnet, « Pourquoi avoir écrit l’insipide épître aux Laodicéens ? », New Testament Studies 48 (2002), p. 137.

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aux Colossiens de faire lire la lettre à Laodicée et de lire celle qui proviendra en retour de Laodicée. Ces motifs, relatifs à une sorte de concentré de paulinisme clé en main, rappellent les topos centraux de la polémique opposant Paul et les missionnaires, dont la prédication dans les maisons de Corinthe, en son absence, ont généré des conflits intra-communautaires. En effet, Paul reproche aux Corinthiens de suivre un autre Évangile que le sien. Il se défend contre le reproche d’être indépendant financièrement et il réagit avec une ironie redoutable, comme on l’a montré, contre le reproche du décalage entre la faiblesse de sa présence et la force de ses lettres. Enfin, la conclusion selon laquelle « en somme, la Lettre aux Laodicéens pourrait être tout aussi bien un faux marcionite qu’un centon orthodoxe pieux, dont le but est de valoriser l’apôtre Paul, ses souffrances et son autorité » 127 confirme combien la posture d’autorité de Paul comme épistolier était encore présente dans les mémoires vers la fin du IIe siècle, voire du début du IIIe siècle. 5.6 L a

r éce p t ion m a rcion i t e de l’au tor i t é é pi s tol a i r e de

Pau l  :

qu e lqu e s r e m a rqu e s

Marcion (environ 85-160) et les marcionites occupent une place très importante dans la recherche tant littéraire qu’historique et les études qui leur sont consacrées sont très nombreuses 128. Les combats ultérieurs contre le mouvement marcionite représentent un pan important de l’histoire de la grande Église et de sa lutte contre les tendances réputées hétérodoxes. Les écrits de Marcion sont certes perdus, mais on dispose de sources indirectes permettant de se faire une certaine idée du contenu d’une partie de ses écrits, en particulier grâce à ceux de ses adversaires qui citent des passages de ses écrits au moment de les réfuter, notamment Justin de Neapolis – qui fut presque son contemporain – dans son Apologie, Tertullien, dans son traité Contre Marcion, et Irénée de Lyon, dans son traité Contre les héré-

127. I.  Backus, « Lettre de Paul aux Laodicéens », dans P. Geoltrain – J.-D. K aestli (éd.), Écrits apocryphes chrétiens, volume 2, Paris, 2005, p.  1091. 128. Pour une brève introduction, voir E. Norelli dans C. Moreschini – E.  Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p.  204-209. Une étude très importante est celle de harnack, partiellement rééditée dans une édition française assez récente (A.  von H arnack, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Contribution à l ’histoire de la fondation de l ’Église catholique, Paris, 2003) ; voir également M. Tardieu, « Marcion depuis Harnack », dans Adolf von H arnack, Marcion. L’Évangile du Dieu étranger. Contribution à l ’histoire de la fondation de l ’Église catholique, Paris, 2003, p.  419-561 ; S.  C. M imouni, « Jacob Taubes et Paul de Tarse. Notes de lecture », Revue des Études juives 158/3-4 (1999), p.  455-464.

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sies 129. Se pencher sur la question de l’antipaulinisme généré par la pensée marcionite et chercher à l’évaluer déborderait largement le cadre de notre recherche 130. Par contre, il est pertinent de faire quelques remarques sur les brefs prologues marcionites en latin aux lettres de Paul 131, lesquels constitueraient, selon Enrico Norelli, « très probablement un document marcionite original (mais non de Marcion lui-même) » 132 . Ce document est d’une grande importance pour l’histoire de la littérature chrétienne ancienne dans la mesure où il constitue peut-être la seule source primaire disponible de l’œuvre de Marcion. Il s’agit de sept brefs prologues en latin aux lettres de Paul conservés dans le même ordre que celui du recueil de Marcion des lettres de Paul, à savoir Galates, Corinthiens, Romains, Thessaloniciens, Laodicéens (il s’agirait en fait d’Éphésiens, car c’est ainsi que Marcion la désignait), Colossiens et Philippiens 133. À ceux-ci s’ajoutent des prologues, de nature un peu différente, à 1 et 2 Timothée, Tite et Ephésiens. Les prologues à Galates, à 1 Corinthiens, à Romains et à 1 Thessaloniciens évoquent chacun le front polémique de Paul contre les faux-apôtres et le but qui découle de l’envoi de la lettre pour remettre les destinataires dans le bon chemin 134 : 129.  Voir M. Vinzent, Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels, Leuven – Paris – Walpole (MA), 2014 (passage en revue exhaustif des sources permettant de reconstituer ce qu’on peut savoir de l’œuvre de Marcion, p. 1-158) ; M. Vinzent, « Marcion’s Gospel and the Beginnings of Early Christianity », Annali di Storia dell ’Esegesi 32/1 (2015), p. 55-87. Ce dernier soutient l’hypothèse d’une datation des Évangiles contemporaine de Marcion, entre 138 et 144 de notre ère, due en particulier à l’action de Marcion et à son élaboration d’un Évangile authentique, expurgé de toute référence au Dieu créateur et à l’Ancien Testament. 130.  Voir E. Dassmann, Der Stachel im Fleisch. Paulus in der frühchristlichen Literatur bis Irenäus, Münster, 1979, p.  176-192 ; J.  R. Hoffmann, Marcion : on the restitution of Christianity. An Essay on the Development of Radical Paulinist Theology in the Second Century, Oxford, 1982 ; J.  M. Lieu, « The Battle for Paul in the Second Century », Irish Theological Quarterly 75/1 (2010), p. 3-14. 131. Voir D. de  Bruyne, « Prologues bibliques d’origine marcionite », Revue bénédictine 1/24 (1907), p.  3-16, étude dans laquelle est remise en question pour la première fois l’origine des Prologues traditionnellement attribuée à Jérôme et est évoquée leur possible paternité marcionite ; voir également D. de Bruyne, « Les plus anciens prologues latins des Évangiles », Revue bénédictine 40 (1928), p.  193-121 ; J.  R egul, Die antimarcionitischen Evangelienprologe, Fribourg, 1969 (en  particulier les p.  85-94). 132. E. Norelli dans C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 207. 133. Texte des prologues avec apparat-critique et analyse dans M. Vinzent, Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels, Leuven – Paris – Walpole (MA), 2014, p. 111-131. Voir également D. de  Bruyne, « Les plus anciens prologues latins des Évangiles », Revue bénédictine 40  (1928), p.  193-214. 134.  Texte latin cité d’après M. Vinzent, Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels, Leuven – Paris – Walpole (MA), 2014, p. 118-122.

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Prologue à la Lettre aux Galates « Galatae sunt Graeci. Hi verbum veritatis primum ab apstolo accepterunt, sed post discessum eius temptati sont a flasis apostolis, ut in legem et circumsisionem verterentur. Hos apostolus revocat ad fidem veritatis scribens eis ab Epheso » 135. Prologue à la 1ère Lettre aux Corinthiens « Corinthi sunt Achaici. Et hi similiter ab apostolo audierunt verbum veritatis et subversi multifarie a falsis apostolis, quidam a philosophiae verbosa eloquentia, alii a secta legis Iudaicae inducti sunt. Hos revocat apostolus ad veram et evangelicam sapientiam scribens eis ab Epheso per Timotheum » 136. Prologue à la Lettre aux Romains « Romani sunt in partibus Italiae. Hi praeventi sunt a falsis apostolis et sub nomine domini nostri Iesu Christi in legem et prophetas erant inducti. Hos revocat apostolus ad veram evangelicam fidem scribens eis ab Corintho » 137. Prologue à la 1ère Lettre aux Thessaloniciens « Thessalonicenses sunt Macedones in Christo Iesu. Hi accepto verbo veritatis persisterunt in fide etiam in persecutione civium suorum ; praetera nec receperunt ea quae a falsis apostolis dicebantur. Hos conlaudat apostolus scribens eis ab Athenis » 138.

135. « Les Galates sont des Grecs. Ils ont accepté en premier lieu de la part de l’apôtre la parole de vérité, mais après le départ de celui-ci, ils sont induits en tentation par des faux apôtres, de sorte qu’ils se convertirent à la Loi et à la circoncision. L’apôtre les rappelle en vue de la foi de la vérité, en leur écrivant depuis Éphèse » (Traduction personnelle, de même pour les suivantes). 136.  « Les Corinthiens sont des Achéens. De façon analogue, ils entendirent de la part de l’apôtre la parole de la vérité, mais ils furent détournés de différentes façons par des faux apôtres, certains par l’éloquence verbale de la philosophie, d’autres par le mouvement issu de la Loi des Judéens. L’apôtre les rappelle à la sagesse vraie et évangélique en leur écrivant depuis Éphèse, à travers Timothée ». 137.  « Les Romains se trouvent dans différentes régions de l’Italie. Ils ont été rejoints par de faux apôtres et sous le nom de notre maître Jésus-Christ ils ont été détournés vers la Loi et les Prophètes. L’apôtre les rappelle à la vraie foi évangélique, en leur écrivant depuis Corinthe ». 138.  « Les Thessaloniciens sont des Macédoniens dans le Christ Jésus. Ceux-ci, après avoir accepté la parole de la vérité, persévérèrent dans la foi, alors même qu’ils se trouvaient être persécutés par leurs propres citoyens ; par la suite, ils n’acceptèrent pas ce qui avait été prêché par les faux apôtres. L’apôtre leur adresse des louanges en leur écrivant depuis Athènes ».

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Le prologue à la Lettre aux Philippiens précise l’absence de front polémique dû aux faux apôtres, car la communauté n’a pas reçu de tels missionnaires itinérants : Prologue à la Lettre aux Philippiens « Philippenses ipsi sunt Macedones. Hi accepto verbo veritatis persisterunt in fide nec receperunt falsos apostolos dicebantur. Hos apostolus conlaudat scribens eis a Roma et carcere per Epaphroditum » 139. Le prologue à la Lettre aux Colossiens évoque non pas des faux apôtres mais des pseudo-apôtres : Prologue à la Lettre aux Colossiens « Colossenses et hi sicut Laodicenses sunt Asiani. Et ipsi praeventi erant a pseudoapostolis, nec ad hos accessit ipse apostolus, sed in hos per epistulam recorigit audierant enim verbum ab archippo qui et ministerium in eos accepit. Ergo apostolus iam ligatus scribit eis ab Epheso » 140. Le prologue à la 2e Lettre aux Thessaloniciens évoque la nécessité de se prémunir des adversaires : « Ad Thessalonicenses scribit et notum facit eis de temporibus novissimis et de adversarii detectione scribit ab Athenis » 141. Le prologue à la 2e Lettre aux Corinthiens, sensiblement plus court, évoque l’envoi d’une lettre de consolation et d’exhortation à l’amélioration, sans aucune mention d’un quelconque front polémique : « Post actam paenitentiam consolatorias scribit eis a Troade et conlaudans eos exhortatur ad meliora » 142 . Les prologues à la Lettre à Philémon, aux deux Lettres à Timothée et à la Lettre à Tite n’évoquent rien au sujet d’un quelconque front polémique. Il n’est pas question d’origine géographique ici : Prologue à la Lettre à Philémon 139.  « Les Philippiens eux-même sont des Macédoniens. Ceux-ci, après avoir accepté la parole de la vérité, persévérèrent dans la foi et ils n’ont pas accueilli de faux apôtres. L’apôtre leur adresse des louanges en leur écrivant depuis Rome, depuis la prison, à travers Épaphrodite ». 140.  « Les Colossiens, et tout comme eux les Laodicéens, sont des Asiates. Et bien qu’ils aient été eux-mêmes rejoints par des pseudo-apôtres, alors même que l’apôtre ne les avait lui-même pas rejoint, il les corrige par une lettre. Ils avaient entendu la parole par Archippe, lequel avait accepté d’accomplir ce service. Par conséquent, l’apôtre, bien que déjà enchaîné, leur écrit depuis Éphèse ». 141. « Il écrit aux Thessaloniciens et les rend attentifs au sujet des temps nouveaux, de même qu’à se prémunir des adversaires. Il écrit depuis Athènes ». 142. « Après que pénitence eut été faite, il leur écrit des paroles consolantes depuis Troas et, en leur adressant des louanges, il les exhorte à des choses meilleures ».

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« Philemoni familiares litteras facit pro Onesimo servo eius. Scribit autem ei a Roma de carcere » 143. Prologue à la 1ère Lettre à Timothée « Timotheus instruit et docet de ordinatione episcopatus et diaconii et omnis ecclesiasticae disciplinae » 144 . Prologue à la 2e Lettre à Timothée « Item Timotheo scribit de exhortatione martyrii et omnis regulae veritatis et quid futurum sit temporibus novissimis et de sua passione » 145. Prologue à la Lettre à Tite « Titum commonefacit et instruit de constitutione presbyterii et de spiritali conversatione et hereticis vitandis qui in scripturis Iuadicis credunt » 146.

Les prologues aux lettres aux Galates, 1 Corinthiens, Romains, 1 Thessaloniciens, Laodicéens, Colossiens et Philippiens obéissent tous à la même structure et suivent la même terminologie, mentionnant de manière homogène : (1) la région d’origine du cercle des destinataires, (2) la situation dans laquelle ils se trouvent au moment de recevoir la lettre, (3) le but de la lettre et (4), le lieu depuis lequel la lettre est écrite. Sont également mentionné, dans certains cas l’intermédiaire par lequel la lettre est apportée (Épaphrodite et Timothée) et la situation dramatique de l’épistolier (enchaîné ou en prison). Ces prologues sont très instructifs pour notre enquête, dans la mesure où ils nous offrent des concentrés de la posture apostolique de l’épistolier, spatialement et temporellement séparé des siens, écrivant inlassablement pour mener le bon combat contre les faux apôtres ou les pseudo-apôtres, instruire ses destinataires à « la vraie foi évangélique » et pragmatiquement les exhorter « à des choses meilleures ». Les prologues marcionites ont connu un destin tout sauf anodin, bien au contraire, puisqu’ils servent d’introduction aux lettres de Paul dans la plupart des manuscrits de la Vulgate et qu’ils figuraient dans les anciennes traductions latines. La concordance entre le contenu des prologues marcionites aux lettres de Paul et les traits fondamentaux de la doctrine de Marcion lui-même permettrait de les dater entre la fin du IIe siècle et le 143.  « Il a composé des lettres familières à Philémon, en faveur de son esclave Onésime. Cependant, il lui écrit depuis Rome, étant en prison ». 144. « Il instruit Timothée et lui transmet un enseignement au sujet de l’ordination à l’épiscopat et de celle au diaconat, de même qu’au sujet de tout ce qui concerne la discipline ecclésiastique ». 145.  « Il écrit de la même façon à Timothée au sujet de l’exhortation au martyre et de tout ce qui touche à la règle de la vérité et de tout ce qui va advenir dans le futur aux temps nouveaux et de sa passion ». 146.  « Il avertit et instruit Tite au sujet du presbytérat et de l’entretien spirituel et de la nécessité d’éviter les hérétiques qui croient en les Écritures des Judéens ».

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début du IIIe siècle de notre ère. Pour Marcion, les disciples de Jésus, en tant que Judéens, ne pouvaient pas comprendre que le Dieu créateur ne pouvait pas être le même que le Dieu d’Israël. En tant que Judéens, ces derniers étaient, pour ainsi dire, nés avec le Dieu d’Israël et donc s’étaient totalement habitués à lui. C’est donc tout naturellement qu’ils avaient donc reçu, compris et transmis l’enseignement de Jésus en l’articulant à la Loi du Dieu créateur. Pour Marcion, au contraire, l’Évangile échappe totalement à cette logique légaliste, qu’il transcende totalement : « il introduit dans le monde une logique radicalement étrangère et bouleversante, celle qui fait primer l’amour de l’ennemi et de l’étranger sur la protection de sa propre personne » 147. Les disciples ont donc produit une distorsion, autant fondamentale que radicale, où le principe de la Loi prend la place de l’Évangile. Pour Marcion, d’autres ont continué de mélanger ainsi les choses et ont donc poursuivi cette erreur fondamentale, à savoir les « faux-apôtres » de Corinthe (2 Co 11,33), qui « prêchent un autre évangile » (2 Co 11,4) ou les « faux-frères » de Galatie (Ga 2,4), « qui veulent renverser l’Évangile du Christ » (Ga 1,7). Ainsi pour Marcion, Loi et Évangile se trouvaient être mélangés et confondus un peu partout dans l’Église. En lisant la collection des lettres de Paul, dont l’existence à Rome est visiblement avérée grâce au témoignage de la 2e Lettre de Pierre 148, Marcion pensait que le Dieu créateur, constatant son erreur, aurait pris l’initiative de se manifester de nouveau après s’être manifesté à Jésus, à Paul de Tarse cette fois, et que Paul l’aurait bien compris et donc retransmis ainsi, tant dans sa prédication – en fait l’Évangile de Luc 149 – que dans ses lettres. Paul a consacré une bonne partie de sa vie à combattre, mais après sa mort, ses adversaires avaient modifié le texte de ses lettres et le texte de Luc 150. Pour Marcion, Paul jouissait d’une image très forte, tant en ce qui concerne sa vie et sa personne que la pratique épistolaire et l’autorité qui s’en dégageait. Preuve en étaient les Actes des Apôtres et les références à Paul, comme on l’a montré, dans la Lettre aux Corinthiens de 147. E. Norelli dans C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 211. 148.  Selon 2 Pi 3,15-16 ; voir notre section 5.3 : « La Deuxième lettre de Pierre et sa mention de l’autorité d’une collection des lettres de Paul ». 149.  Il s’agissait de « L’évangile écrit contenant la prédication de Paul sur Jésus, que Marcion identifiait avec l’Évangile de Luc », E. Norelli, « Marcion et les disciples de Jésus », Apocrypha 19 (2008), p.  9-42 (citation p.  12)  et E.  Norelli, « La funzione di Paolo nel pensiero di Marcione », Rivista Biblica 34 (1986), p. 543-597. 150.  On dispose d’un essai de reconstitution en français de l’Évangile de Marcion, réalisé par Paul‑Louis  Couchoud (1879-1959), un médecin féru de culture antique (P.-L. Couchoud, L’Evangelion de Marcion reconstitué en version française et annoté (avec une introduction et un commentaire de Georges Ory), polycopié (sans date, mais édité visiblement peu après la mort de l’auteur par Georges Ory, membre du Cercle Ernest Renan de Paris, lequel fut un de ses amis).

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Clément de Rome. Il convient de mentionner également, dans les lettres d’Ignace d’Antioche, la Lettre aux Éphésiens, laquelle fait référence à l’autorité des lettres du Tarsiote comme dépôt de la mémoire de la communauté croyante 151, la Lettre aux Romains 152 , de même que, dans le corpus des lettres de Polycarpe de Smyrne, la Lettre aux Philippiens 153. Les prologues aux lettres de Paul sont ainsi d’un grand intérêt pour préciser l’importance que Marcion reconnaissait à la figure de l’épistolier de Tarse et le rôle central de son combat pour l’Évangile. Dans ces prologues sont résumés de manière très synthétique les combats de Paul pour la vérité de l’évangile contre les faux-apôtres qui militent, au contraire, pour la Loi et la circoncision 154 . La concordance entre leur contenu et les fondamentaux de la doctrine de Marcion atteste indéniablement du caractère très certainement marcionite de ces prologues 155. Comme le résume Markus Vinzent, c’est non seu151.  Aux Éphésiens 12,2 : « Vous êtes le chemin par où passent ceux qui sont conduits par la mort pour aller à Dieu, initiés aux mystères avec Paul le saint, qui a reçu témoignage, et est digne d’être appelé bienheureux. Puissé-je être trouvé sur ses traces quand j’obtiendrai Dieu ; dans toutes ses lettres il se souvient de vous dans le Christ Jésus » (12,2), P. T. Camelot, Ignace d ’Antioche. Polycarpe de Smyrne, Lettres. Martyre de Polycarpe, Paris, 2007, p.  69. 152.  Aux Romains 4,3 : « Je ne vous donne pas des ordres comme Pierre et Paul : eux, ils étaient des apôtres, moi, un condamné ; eux, ils étaient libres, et moi jusqu’à présent un esclave » (12,2), P. T. Camelot, Ignace d ’Antioche. Polycarpe de Smyrne, Lettres. Martyre de Polycarpe, Paris, 2007, p. 113. 153.  Aux Philippiens 3,2-3a « Car ni moi, ni un autre tel que moi ne pouvons approcher de la sagesse du bienheureux et glorieux Paul, qui, étant parmi vous, parlant face-à-face aux hommes d’alors, enseigna avec exactitude et avec force la parole de vérité, et après son départ vous écrivit une lettre ; si vous l’étudiez attentivement vous pourrez vous élever dans la foi qui vous a été donnée : elle est notre mère à tous, suivie de l’espérance et précédée de l’amour pour Dieu et le Christ et pour le prochain » et dans l’exhortation finale, en 9,1, Paul figure en tête des apôtres « je vous exhorte donc tous à obéir à la parole de justice, et à persévérer dans la patience que vous avez vue de vos yeux, non seulement dans les bienheureux Ignace, Zosime et Rufus, mais aussi en d’autres qui étaient de chez vous, et en Paul lui-même et les autres apôtres », P. T. Camelot, Ignace d ’Antioche. Polycarpe de Smyrne, Lettres. Martyre de Polycarpe, Paris, 2007, p.  181 (citation 3,2.3a) et p.  189 (citation 9,1). 154. « Ces prologues voient dans les lettres autant de témoignages des luttes de Paul pour défendre la foi, la vérité et l’évangile contre de faux-apôtres qui faisaient de la propagande pour la Loi et la circoncision. Le caractère marcionite des prologues fut mis en lumière au cours des premières années de ce siècle et, malgré d’énergiques tentatives récentes pour le nier, il faut le confirmer, en considérant la concordance entre leur contenu et des traits tout à fait caractéristiques de la doctrine marcionite : on peut les dater entre la fin du IIe et le début du IIIe siècle », E.  Norelli dans C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 207. 155.  Ainsi E. Norelli dans C. Moreschini – E. Norelli, Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine. I. de Paul à l ’ère de Constantin, Genève, 2000, p. 207.

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lement la concordance entre les contenus des prologues et ce qu’on peut savoir du style de la rédaction marcionite, mais aussi et surtout le combat du Tarsiote contre les faux-apôtres et les faux-prophètes et son effort de légitimer son apostolat comme le seul authentique, qui rendent la coïncidence opérante : The Marcionite character of theses Prologues is to be established not only through « exclusively » Marcionite elements ; that features are typical of Marcion would be indicative. Even if the polemic against false apostles cannot be claimed to be exclusively Marcionite, we know of Marcion’s strong view that Paul was the sole true Apostle, and that all others Apostles Marcion regarded either as doubtful or as false, sometimes also calling them « protectors of Judaism ». That not all false apostle are seen by the Prologues as belonging to « the sect of Jewish Law », and that some are characterised « by wordy eloquence of philosophy » is, therefore, not a non-Marcionite, but rather a Marcionite distinction between Judaizers and doubtful preachers or teachers 156.

Les communautés chrétiennes des Ier et IIe siècles ont été confrontées à de nombreux conflits, non seulement en matière de doctrines, mais aussi de rites, et nombreux étaient les missionnaires itinérants à circuler de communauté en communauté 157. L’analyse de la crise corinthienne donne un aperçu haut en couleur du juste combat du Tarsiote pour permettre à ses destinataires d’établir durablement la distinction entre la légitimité de son apostolat et l’illégitimité de celles des imposteurs. Les prologues, en conservant la trace de ces luttes contre l’imposture, constituent des témoins privilégiés de l’histoire de la réception de l’autorité de Paul comme épistolier. 5.7 B i l a n L’examen des traces relatives aux réceptions initiales du geste épistolaire paulinien permet de nuancer la typologie des trois filières de réception de la figure du grand apôtre. La confrontation des données montre en effet que les cloisons entre les trois filières sont loin d’être étanches. En ce qui concerne la première, à savoir la filière documentaire, on remarquera que la 2e Lettre de Pierre, par son recours à l’autorité de l’apôtre, convoque l’autorité de la collection des lettres de Paul, à l’instar de celle des Évangiles. 156. M. Vinzent, Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels, Leuven – Paris – Walpole (MA), 2014, p. 113-114. 157. S. C. M imouni, « Les imposteurs dans les communautés chrétiennes des Ier-IIe siècles », Annali di Storia dell ’Esegesi 27/1 (2010), p. 255-264 ; T. Römer, « Comment distinguer le vrai du faux prophète », dans J.‑M. Durand (éd.), Comment devient-on prophète ? Actes du colloque organisé par le Collège de France, Paris, les 4-5 avril 2011, Fribourg – Göttingen, 2014, p.  109-120.

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Mais ce même argument plaide pour l’autorité doctorale du Tarsiote, précisément face aux ignorants qui tordent le sens du contenu de ses lettres. Quant au billet épistolaire attaché en finale à la Lettre aux Hébreux, il a pour fonction de lui permettre d’être reçu dans le corpus des lettres pauliniennes, comme le confirment plusieurs traditions manuscrites. Mais il a aussi pour but d’habiller doctoralement ce sermon ou ce traité, en le drapant de l’autorité d’épistolier du Tarsiote. En ce qui concerne la filière biographique, on peut remarquer la constance du motif de l’apôtre souffrant et du pouvoir de la lettre comme moyen d’agir à distance au sein d’une situation de crise. La Lettre aux Corinthiens attribuée à Clément de Rome connaît la 1ère Lettre aux Corinthiens et la patience à toute épreuve de Paul, de même que sa posture de serviteur souffrant et son combat contre les adversaires ou les divisons au sein des communautés. Idem en ce qui concerne la Lettre aux Laodicéens, qui conserve aussi la trace du souvenir des souffrances de l’apôtre et de ses luttes contre les adversaires. Il en va de même pour les prologues marcionites aux lettres de Paul, qui font unanimement référence aux combats de Paul contre eux, à l’instar de Marcion et de sa volonté d’expurger des écrits retenus toute référence à la Loi et au Dieu créateur. Ces combats contre les faux prophètes ou les faux-apôtres sont aussi à imputer au crédit de la filière doctorale. Au sujet de celle-ci, on remarquera aussi toute la question de la mémoire, dont la collection des lettres du Tarsiote constitue le dépôt, et de celle de la juste connaissance du sens de ces dernières (ainsi la 2e Lettre de Pierre). Enfin, la Lettre aux Laodicéens, véritable lettre apostolique de poche, réitère l’injonction à la lecture publique, au sein de la communauté. La réception de la figure de l’épistolier apparaît en filigrane des trois filières. Elles se situent plus précisément à la croisée des chemins de ces différentes filières, comme l’atteste notre examen des premiers témoins étudiés jusqu’ici. La réception de Paul est un phénomène éminemment pluriel, marqué par les continuités et les réactualisations, les ruptures (l’antipaulinisme du IIe siècle) et voire même les reprises radicales, dont témoigne notamment celle de Marcion et peut-être celles d’autres avant lui, puisque ce dernier a, semble-t-il, hérité d’une collection déjà constituée des lettres de Paul. Notre enquête sur la réception de la posture d’épistolier de Paul a permis de mettre plus largement en lumière cet aspect qui n’avait que peu retenu l’attention de la recherche jusqu’ici, car allant de soi ou relevant de l’évidence : Paul a écrit – et aussi reçu – des lettres pour transmettre son enseignement et exhorter concrètement à mettre en œuvre les implications éthiques qui en découlent. Notre questionnement spécifique des traces attestant de la réception de l’autorité de la posture d’épistolier du Tarsiote en tant que tel a permis de mettre en évidence des facettes inattendues de son geste épistolaire, lesquelles ouvrent des perspec-

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tives intéressantes pour qui veut thématiser à nouveaux frais la question du rapport entre contenu de la communication (la théologie paulinienne) et son support (les lettres). Le premier peut faire autorité, par son argument théologique, le deuxième dispose du pouvoir qu’octroie de fait la pragmatique épistolaire, laquelle est renforcée, d’une part, par l’action du porteur de la lettre – à qui on doit l’arrivée à bon port de la missive – et, d’autre part, par la force recommandative émanant de ce dernier, en tant que compagnon missionnaire du Tarsiote (ἡμεῖς), assurant sa présence à distance et entretenant le lien d’amitié, et donc comme lecteur et commentateur dûment autorisé de la lettre. L’argument de l’autorité des lettres de l’apôtre nous fait remonter jusqu’au temps du vivant de Paul, comme l’atteste la célèbre rumeur corinthienne : « ses lettres, dit-on,  ont du poids et de la force (αἱ ἐπιστολαὶ μέν, φησίν, βαρεῖαι καὶ ἰσχυραί) » 158. C’est donc bien ce poids et cette force que le billet épistolaire destiné à conclure la Lettre aux Hébreux veut lui conférer, et donc d’une certaine façon, à emballer l’entier de l’enseignement « aux Hébreux » (ΠΡΟΣ  ΕΒΡΑΙΟΥΣ) sous le giron de la plume de l’une des deux colonnes de l’Église. La mention de la collection des lettres « de notre bienheureux frère Paul » en 2 Pierre y fait également référence. Elle fait ainsi office d’ultime argument pour infirmer l’enseignement des faux docteurs sur l’interprétation à donner au retard du « jour du Seigneur (ἡμέρα κυρίου) » 159, dont l’action missionnaire itinérante à travers la Galatie, voire même à travers toute l’Asie Mineure, continue de diviser l’assurance des assemblées locales. Elle atteste aussi que les lettres de Paul font bel et bien partie du patrimoine des écritures ayant autorité dans les cercles chrétiens. Dans la Lettre aux Corinthiens attribuée à Clément de Rome, le renvoi quasi explicite à 1 Corinthiens et, plus largement, celui à une nouvelle crise à Corinthe font également référence à l’autorité de l’épistolier. 1 Clément témoigne certes, en miroir, de la situation des communautés liées à son milieu de production à Rome, mais cherche pragmatiquement à gérer à distance un nouveau conflit communautaire avec les moyens de la communication épistolaire. Les traces relatives à l’art épistolaire du Tarsiote fournissent une attestation de sa double dynamique, l’autorité de l’apôtre par la mention de son martyre – conjointe à celle de Pierre – et le pouvoir de la lettre comme ressource décisive pour agir à distance sur une situation conflictuelle et ramener une fois de plus les Corinthiens sur le droit chemin. Le centon paulinien que constitue la Lettre aux Laodicéens renvoie aussi à l’autorité de l’épistolier Paul. Véritable petit catéchisme clé en main, cette lettre offre un concentré de la théologie paulinienne, de par le fait 158.  2 Co 10,10. 159.  2 P  3,10.

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qu’elle est constituée d’un assemblage cohérent d’extraits de ses lettres. Le fait de donner à ce petit catéchisme la forme d’une lettre apostolique de poche témoigne, de manière oblique certes, de l’autorité de la posture de l’épistolier et donc elle mérite pleinement aussi d’entrer dans le dossier de la documentation de la réception du geste épistolaire paulinien. La réception de la posture d’épistolier a connu des formes diverses, comme le montre la grande diversité des témoignages jalonnant la réception éminemment plurielle de la vie et de l’œuvre du Tarsiote. La réception marcionite constitue un des passages obligés en ce qui concerne les racines de l’antipaulinisme chrétien généré par le combat contre le marcionisme, réputé déviant. Les prologues marcionites aux lettres de Paul témoignent de l’importance du souvenir des démêlées de Paul avec les adversaires de sa mission, en particulier à Corinthe et en Galatie. S’il n’est pas possible d’établir avec certitude leur facture authentiquement marcionite, ceux-ci renvoient assurément à la compréhension que ce dernier avait des lettres et de l’autorité de l’apôtre et qu’il voulait promouvoir en constituant un canon des Écritures au service, de son point de vue, de la vérité évangélique. En résumé, on peut retenir qu’on s’est souvenu de Paul de trois manières différentes ; celles-ci constituent les piliers de la mémoire de l’autorité de son geste épistolaire : (1) l’autorité de ses lettres, comme dépôt légitime de la juste connaissance de son enseignement et des exhortations qui en découlent, (2) l’autorité de sa patience à toute épreuve, comme preuve de l’authenticité de son apostolat et (3) l’autorité de son combat contre les adversaires, comme témoignage authentique de sa vocation dans le sillage prophétique d’Israël.

Conclusion

FAIRE MÉMOIRE DE LA PRATIQUE ÉPISTOLAIRE DE PAUL DE TARSE, ENTRE AUTORITÉ DE L’APÔTRE ET POUVOIR DE LA LETTRE

Au départ de notre recherche, nous nous sommes premièrement demandé si Paul a vraiment inventé un nouveau genre épistolaire, à savoir celui de la lettre dite apostolique, ou au contraire s’il n’utilise pas tout naturellement les ressources usuelles et disponibles de la vaste boîte à outils de l’épistolaire antique, avec toute la liberté et la créativité permises par la souplesse requise de son utilisation. Deuxièmement, nous nous sommes demandé, parmi les pratiques épistolaires antiques à l’époque de Paul, quelles sont celles dont il s’est servi ou du moins inspiré. Troisièmement, on s’est demandé si l’origine ethnique (Judéens de Judée, Judéens de la Diaspora, hellénistique ou romaine) des destinataires (individuels et/ou collectifs) n’a pas aussi influencé la pratique épistolaire du Tarsiote et expliquerait, par voie de conséquence, sa grande diversité. Les traces documentaires considérées – d’abord en amont, du côté de la posture prophétique de Jérémie s’adressant à distance aux exilés à Babylone, puis du vivant de Paul, en particulier à l’occasion de la crise corinthienne et enfin, en aval, du côté de l’histoire de la réception de sa posture d’épistolier en tant que telle – nous ont permis de brosser les grandes étapes d’une histoire de la pragmatique épistolaire dans le cas de Paul de Tarse. Cela nous a permis de nous émanciper, d’une certaine façon, de la tendance générale portant essentiellement, d’une part, sur les origines, les ruptures et les continuités, les effets et l’interprétation du système de pensée théologique déployé par Paul au travers de ses lettres et aussi, d’autre part, sur la réception de ses développements et de ses autres prises de position liées aux événements marquants de sa vie et dont le souvenir a été ainsi préservé. Pour évaluer la spécificité des pratiques épistolaires de Paul de Tarse, nous avons ouvert à nouveau frais la question de la classification des matériaux épistolaires antiques et de ses critères sous-jacents. L’abondance des matériaux épistolaires antiques témoigne d’une grande diversité de formes. On rappellera ici combien l’épistolaire représente une énigme tant pour l’analyse littéraire que pour l’analyse historique. La première s’interroge sur la valeur littéraire et se demande si la lettre est digne d’être reçue, en

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CONCLUSION

tant que telle, comme genre littéraire, entre lettres de philosophes et billets de la vie ordinaire, La deuxième se demande jusqu’où peut être exploitée, en tant qu’archive du passé, une parole écrite qui ne vise pas tant à consigner des vérités et des réalités du passé qu’à transmettre à un ou à plusieurs destinataires des nouvelles, un avertissement, une exhortation, un enseignement ou simplement répondre à une question. Dans ce sens, MarieClaire Grassi a raison de situer l’épistolaire comme un « espace de l’entredeux […] entre le littéraire et l’ordinaire » 1. La tension entre ces deux pôles a révélé la difficulté méthodologique à l’entame de notre enquête. D’un côté, comment écrire l’histoire à partir de sources réputées exclusivement littéraires ? Et de l’autre, quelle valeur littéraire accorder à des données textuelles relevant de l’ordinaire de la vie quotidienne et donc a priori sans ambitions poétique, philosophique ou littéraire particulières et donc sans visée éditoriale ou autre prétention à la postérité ? Notre recherche confirme une fois de plus le fait que toute source écrite peut devenir document et que la culture dite populaire, en particulier celle dont les lettres privées conservent des traces, constitue également un corpus documentaire de sources littéraires digne d’intérêt. Ces considérations confirment la clarification fondamentale, opérée dans notre introduction à la suite des contributions de Jutta Bickmann et de Lutz Doering, à savoir que la lettre n’est pas réductible comme telle à la seule question de son genre littéraire, mais renvoie d’abord à un événement basique de communication. Pour le dire avec Marie-Claire Grassi : Sur le plan esthétique, la lettre se place entre la littérature, avec laquelle elle partage son étymologie, litterae, en prenant ici le mot littérature dans le sens d’œuvres narratives écrites à visée esthétique, et une écriture de communication, à visée purement instrumentale, pragmatique 2 .

Ce constat souligne par ailleurs combien le classement des matériaux de type épistolaire requiert une appréciation fine des données propres à l’épistolaire, lesquelles combinent, comme on l’a montré, deux niveaux d’efficacité : un niveau textuel et un niveau pragmatique. La question des lettres de recommandation constitue une porte d’entrée stimulante en ce qui concerne la pragmatique de la communication, dans la mesure où ces dernières profilent réellement une intention pragmatique à l’intention du cercle de leurs destinataires, dont on sollicite la mise en œuvre d’une action positive en faveur de la personne qui fait l’objet de la recommandation. La pragmatique de la communication se profile donc comme un outil permettant de sortir de l’impasse – définitivement nous l’espérons – de l’analyse rhétorique des lettres de Paul. La lettre n’est pas, comme telle, réductible à la seule question de la nature de son genre littéraire, car elle 1. M.-C. Grassi, Lire l ’épistolaire, Paris, 2005, p. 3-4. 2. M.-C. Grassi, Lire l ’épistolaire, Paris, 2005, p. 4-5.

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constitue aussi un événement de communication. On fera remarquer que cela est aussi valable en ce qui concerne toute la panoplie des lettres fictives, comme dans le cas des lettres littéraires ou philosophiques, des sermons ou des traités en forme de lettre, des lettres insérées narrativement dans des récits et des lettres citées verbatim. Dans la grande variété de l’épistolaire, une pragmatique de la communication est toujours à l’œuvre. Celle-ci reste opérationnelle dans le cas de chacun des trois niveaux de lecture d’une lettre : (1) la lecture incluse, destinée à agir sur le destinataire réel, (2) la lecture se réalisant dans un espace extérieur à celui du duo épistolaire constitué par l ’épistolier et son destinataire, susceptible de transformer, consciemment ou à son insu, tout lecteur subséquent et (3) la lecture de nature méditative ou « moraliste », dont l’objectif est de lire dans un but théologique ou spirituel, personnel ou communautaire. Notre recherche avait pour but d’identifier l’origine, le développement et la réception de l’utilisation, par le Tarsiote, du dispositif épistolaire dans le but d’influencer ses destinataires. Les résultats montrent comment Paul utilise les ressources de ce dispositif. Ils permettent de retracer les grandes lignes de son histoire, entre origine et postérité. L’analyse de la crise corinthienne a permis de vérifier la manière dont Paul investit sa posture d’épistolier et envisage très concrètement les ressources pragmatiques de la communication épistolaire. Nous nous sommes ainsi intéressés à quelques pratiques épistolaires déployant un acte d’autorité, susceptibles d’expliquer la posture d’autorité prise par Paul dans ses lettres. La lettre de Jérémie aux exilés (Jr 29) nous a servi de porte d’entrée dans cette enquête, dans la mesure où elle déploie un acte d’autorité à distance et a fait école en faisant office de référence fondatrice en matière de transmission à distance des oracles divins. Il convient cependant de ne pas surinterpréter ce paradigme épistolaire comme clé d’interprétation de la pratique paulinienne, dans la mesure où Paul ne cite jamais la lettre de Jérémie aux exilés en tant que telle. S’il a connaissance de celle-ci, c’est par la connaissance approfondie des grands prophètes bibliques dont il dispose, en tant que pharisien familier de la Loi et des Prophètes. Le motif de l’exil des Israélites en Babylonie n’est pas franchement présent dans les lettres de Paul. Par contre, on a montré comment Jérémie représente pour Paul l’archétype du prophète appelé par Dieu et parlant en son nom, et comment il modélise sa vocation dans le sillage de la sienne, en en reprenant les paramètres essentiels : l’appel contre sa volonté, la confirmation de l’origine divine de l’appel, l’ordre de mission dans le contexte exilique (démolir et bâtir, détruire et planter). L’enseignement prophétique de Jérémie représente pour Paul un lieu de confirmation de son action apostolique : « Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur ! ». Paul convoque cet argument décisif en 1 Corinthiens et le présuppose connu de ses destinataires en 2 Corinthiens puisqu’il ne reprécise pas expli-

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CONCLUSION

citement l’origine scripturaire de cette parole (ou la sous-entend volontairement). L’analyse de 2 Corinthiens 10-13 confirme le caractère central joué par l’argument scripturaire de Jérémie puisque celui-ci fait office de propositio dans le dispositif rhétorique déployé dans la dispositio de son Discours du fou. Aux yeux de Paul, les « super-apôtres » se glorifiaient d’euxmêmes en authentifiant leur action et leur prédication à l’aide d’exploits spirituels. Historiquement, il est délicat de penser pouvoir reconstituer leur enseignement à partir du portrait forcément partial que Paul donne d’eux. Cet enseignement reste et restera pour nous énigmatique. La partialité de ce portrait s’explique par deux paramètres inhérents aux données dont nous disposons pour chercher à résoudre l’énigme. D’une part, Paul polémique contre eux, comme le confirme notamment l’ironie mordante déployée dans le Discours du fou et, d’autre part, comme dans toute action de correspondance, il manie l’art du sous-entendu. Quand Paul précise qu’ils parlent d’un autre évangile, d’un autre Christ et d’un autre esprit, on peut raisonnablement estimer que leur prédication n’était peut-être pas si radicalement différente de celle du Tarsiote, voire même qu’elle n’a pas laissé totalement indifférents ses compagnons de mission. Ces derniers étaient peut-être eux-mêmes divisés à ce sujet, et parmi eux, la prédication concurrente pouvait générer des sympathies ou semer quelque trouble. Le « nous » inclusif de l’équipe paulinienne est peut-être rhétorique, en rappelant le caractère non-négociable de la fidélité au patron de la mission. Si Paul vise pragmatiquement à rétablir une primauté de loyauté due à son égard parmi l’église corinthienne, il vise peut-être aussi, à l’interne de son équipe apostolique, à maintenir ses compagnons de mission sur la même longueur d’onde et surtout s’assurer durablement de l’unanimité de leur loyauté. Notre enquête sur la pragmatique épistolaire paulinienne a permis de jeter un regard neuf sur la crise corinthienne et de repréciser les considérations méthodologiques sur la question de ses traces historiques susceptibles d’être exploitées. La lecture en miroir de la déconstruction de la figure d’autorité déployée par la mission concurrente est forcément partielle, de par son inévitable caractère partial. Mais celle-ci reste tout de même possible et autorise la vraisemblance. Le Discours du fou donne à penser que le différent entre d’un côté Paul et de l’autre les « super-apôtres » portait plus prioritairement sur les fondements légitimant l’authentique apostolat que sur des désaccords relatifs à des éléments doctrinaux. On s’est demandé si l’uniformité avec laquelle Paul brosse leur portrait poursuit un objectif secondaire, à savoir celui de consolider ou réparer une unanimité quelque peu mise à mal au sein de l’équipe apostolique. Ces considérations permettent précisément d’envisager la lecture en miroir sous un autre angle. Traditionnellement, l’argument repose sur la question de savoir jusqu’où on peut suivre le portrait polémique que l’apôtre

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brosse de ses détracteurs et ainsi estimer que la critique que Paul fait de la déviance opérée par leur prédication permet de reconstituer tout ou partie de leur doctrine sous-jacente. À partir de quand la lecture en miroir devient-elle périlleuse ? La recherche n’est évidemment pas unanime, décrétant, pour une part, que la lecture en miroir est illusoire tant qu’on ne dispose pas de sources externes permettant de l’infirmer ou de la confirmer et, pour une autre part, qu’on dispose de suffisamment d’information permettant de préciser définitivement ou presque tant l’identité que la doctrine des adversaires de Paul à Corinthe. Ces questions concernent autant l’historien que le théologien. Le premier mettra en garde contre la naïveté de la lecture en miroir pour espérer restituer quelque chose de l’ordre des vérités et des réalités d’un conflit entre missions concurrentes au sein de l’assemblée chrétienne issue de la Diaspora judéenne dans la capitale provinciale de l’Achaïe. Le second mettra en garde contre les risques d’un excès de confiance ou de crédibilité accordé à une rhétorique éminemment polémique, d’autant plus qu’on dispose seulement de la moitié de l’échange puisque le texte ne cite pas expressis verbis la production rhétorique de l’autre partie. En définitive, nous pensons qu’il est plus indiqué de retenir l’hypothèse d’un front polémique à géométrie variable, car cela éclaire une facette inattendue des ressources de l’art épistolaire et de la manière dont Paul en a usé en situation de crise. Il y aurait, d’une part, un front explicite, à savoir la communauté destinataire de la lettre, laquelle a été sévèrement perturbée par l’action d’une mission concurrente et, d’autre part, un front implicite, à savoir une équipe apostolique dont certains éléments auraient pu tout de même avoir été séduits par la prédication – laquelle devait être tout de même assez flamboyante – de la mission concurrente. On précisera néanmoins que la confirmation d’une telle hypothèse, toute séduisante qu’elle puisse être, passe par un examen des données scripturaires et du fait que c’était une personne de confiance de Paul – et donc dûment sur la même longueur d’ondes que l’apôtre des nations – qui devait faire office de porteur et de commentateur de la lettre. Mais si les Corinthiens – selon l’hypothèse de l’issue heureuse de la crise, à savoir que 2 Corinthiens 10-13 a atteint son objectif pragmatique avéré de pacifier la situation à Corinthe – sont ressortis spirituellement ragaillardis, et donc attachés plus que jamais au père fondateur de leur communauté, on est en droit d’imaginer que le leadership personnel du Tarsiote sur ses collaborateurs s’est renforcé d’autant plus. Notre lecture de 2 Corinthiens 10-13 a montré combien une situation, dans laquelle les conditions pour l’échange de correspondance ne sont plus réunies, ont représenté pour Paul un risque inacceptable. Il a mobilisé toute l’énergie rhétorique disponible à combattre ce péril. Le cas de la crise corinthienne est à ce titre emblématique et révèle le maximum du

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CONCLUSION

potentiel pragmatique de la posture d’épistolier du Tarsiote. Il convient de remarquer combien tant le motif de l’exhortation initiale que celui de la glorification forment un couple particulièrement efficace, en ce qui concerne la pragmatique de la communication. Les jeux entre pouvoir (Paul) et contre-pouvoir (la mission concurrente) signalent, en miroir, la virulence du conflit. La communication est sur le point de rompre. Le Discours du fou représente un cas unique de communication de crise, destinée pragmatiquement à sauvegarder la loyauté de la communauté de Corinthe à l’égard de son fondateur. L’archéologie nous renseigne sur le contexte de la communauté, qui se réunissait de manière fragmentée dans les diverses maisons des protecteurs de la communauté, acquis à la cause de Paul et qui l’hébergeaient. Demeure cependant ouverte la question de savoir où pouvait se réunir « l’église toute entière » 3, puisque les réunions n’étaient que privées et que les cercles pauliniens se réunissaient dans les maisons et non plus dans les synagogues, comme le confirment tant le témoignage des Actes des apôtres que ceux des lettres, évoquant les maisons comme lieux de réunion. Ainsi 2 Corinthiens 10-13 constitue un lieu de vérification indispensable pour qui s’intéresse au fonctionnement, au travers de ses lettres, de la posture d’autorité de l’apôtre des nations. La réponse du Tarsiote à la crise corinthienne représente le lieu test par excellence tant des limites du potentiel pragmatique de la communication épistolaire que de celle de l’autorité de Paul, père fondateur de la communauté. Notre analyse a montré combien toutes les ressources pragmatiques de la communication épistolaire y sont mobilisées. Paul, en prenant le masque du fou, pose à ses destinataires un ultimatum : lui ou rien. On peut déceler une pointe à double détente : une à usage externe, à l’égard des Corinthiens, dont il veut réunir tous les cercles, celui de « ceux qui ont péché auparavant » (τοῖς προημαρτηκόσιν) et celui constitué par tout le reste de la communauté (καὶ τοῖς λοιποῖς πᾶσιν) et l’autre à usage interne, à l’égard de son équipe missionnaire, dont on ne peut exclure le fait que l’un ou l’autre de ses membres ait pu avoir quelque sympathie pour la prédication des « super-apôtres ». Paul cherche, comme toute l’argumentation le montre, à tuer dans l’œuf toute velléité sécessionniste subséquente. En guise d’ouverture, on peut signaler trois pistes d’investigation permettant de poursuivre l’enquête. Premièrement, il vaudrait la peine de tourner nos regards du côté de la réception de la posture d’épistolier du Tarsiote par les Pères de l’Église et d’examiner en détail la réception des traces scripturaires de celle-ci, en particulier dans leurs commentaires bibliques, leurs homélies ou leurs traités polémiques. Il serait ainsi très intéressant d’analyser, dans les écrits en notre possession, les références aux 3.  1 Co 14,23 :  « ἡ ἐκκλησία ὅλη ».

ENTRE AUTORITÉ DE L’APÔTRE ET MÉMOIRE DE LA LETTRE

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sections des lettres de Paul faisant référence à son autorité d’épistolier en tant que telle 4 . Une porte d’entrée pourrait être de suivre la trajectoire de la réception de l’allusion à la rumeur circulant à Corinthe sur le contraste entre la force des lettres et la faiblesse de l’apôtre « une fois présent  (ἡ δὲ παρουσία τοῦ σώματος ἀσθενὴς) » 5, de même que les consignes relatives à la lecture des lettres à d’autres communautés, les mentions d’autres lettres, comme celle des Corinthiens à Paul expédiée avant 1 Corinthiens ou la lettre dite « dans les larmes ». Deuxièmement, l’étude de la réception de la question des combats de Paul contre les adversaires, faux-apôtres ou faux-prophètes, représente un enjeu de taille car elle renvoie à toute la question de l’émergence d’une orthodoxie chrétienne et la lutte contre les hérésies qui va en découler ; on en retrouve de nombreuses traces dans le cas de la réception marcionite de Paul et l’histoire de ses suites avec le combat de la grande Église contre les Églises marcionites et le silence relatif à Paul qui s’en suivit jusqu’au IVe siècle. Ce champ de recherche relève assurément d’une grande complexité, de par le fait qu’il appelle un travail minutieux de déconstruction dans la mesure où les différentes réceptions de ces combats apostoliques ont été ultérieurement prises dans le maelstrom des luttes, diverses et variées, mais toujours affûtées, contre les mouvements considérés comme « faux » ou « dans l’erreur » 6. Troisièmement, il vaudrait la peine, pour élargir notre perception, de s’intéresser aux pratiques épistolaires au sein des autres cultures anciennes (Asie, Océanie, Afrique ou Amérique latine), et de considérer comment celles-ci pratiquaient et désignaient la communication entre personnes séparées. Cela nous donnerait l’occasion d’examiner plus précisément les cas où on peut observer des pratiques d’échange de communication écrites de type épistolaires, comment ces dernières sont désignées et, le cas échéant, littérairement et/ou pragmatiquement conceptualisées. À titre 4. Voir en particulier la collection des Ancient Christian Commentary on Scripture, 2 e édition, éditée par T. C. Oden, Downers Grove (IL). Voir en particulier les volumes 5 (Actes, 2006), 6 (Romains, 2005), 7 (1-2 Corinthiens, 2006) 8 (Galates, Éphésiens, Philippiens, 2006), 9 (1-2  Colossiens, 1-2 Thessaloniciens, 1-2 Tite, Philémon, 2006 et 10 (Hébreux, 2005). En ce qui concerne 2 Co, on peut signaler les homélies de Jean Chrysostome, de même que ses Panégyriques de Saint Paul (voir L.  P. M.  Berge, Faiblesse et force, présidence et collégialité chez Paul de Tarse. Recherche littéraire et théologique sur 2 Co 10-13 dans le contexte du genre épistolaire antique, Leiden – Boston, 2015, p. 625). 5.  2 Co 10,10. 6.  « Le mouvement chrétien naissant a tenté de se démarquer de certains courants mystiques judéens ou grecs qu’il a considérés comme “faux” et décrétés comme étant dans l’“erreur” – on est déjà sur le chemin de ce qui deviendra à partir du milieu du IIe siècle l’hérésie », S. C. M imouni, « Les imposteurs dans les communautés chrétiennes des Ier-IIe siècles », Annali di Storia dell ’Esegesi 27/1 (2010), p. 257.

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CONCLUSION

d’exemple, les Lettres d’une Péruvienne, roman épistolaire de Françoise de Grafigny mentionne les supports de communication utilisés par les Incas. Ce roman, paru en 1747, met en scène une situation de communication à distance entre personnes séparées, dans laquelle est utilisé un médium non scriptural (les faisceaux de cordelettes) combiné à un code non-linguistique de signes (les couleurs, les nœuds et les combinaisons des cordelettes) 7. Terminons, pour conclure, par un écho à un entretien avec Geneviève Haroche-Bouzinac, mené à l’occasion de la parution du quarantième numéro de la revue Épistolaire. Il lui était demandé de préciser quels seraient les quatre termes qu’elle associerait spontanément à la lettre. Elle a répondu en citant « le lien », « la mémoire », « l’amitié » et « la poésie » 8. Le lien, en référence à Boris Cyrulnik, car « toute correspondance est placée “sous le signe du lien” ». Tout échange de lettres tisse du lien. Il peut le soigner, le renforcer, l’enrichir. Il peut aussi le rompre. C’est précisément le lien qui « donne à la lettre son caractère vital et sa pérennité ». La mémoire, qui sous-tend tout échange de lettres. La mémoire est liée au temps, la durée qui fait intrinsèquement partie de toute correspondance. Celle-ci « fabrique du souvenir tantôt sur le mode nostalgique, tantôt sur celui du soulagement ». La mémoire, c’est aussi les réserves, au propre et au figuré, dans lesquelles puise l’épistolier : « des citations recopiées, des extraits, des anecdotes créent des effets de résonance avec le présent ». L’amitié, à laquelle on peut ajouter la constance « car l’amitié ne saurait se conserver sans ces signes qui jettent un pont sur l’absence ». Un lien particulier unit amitié et courage, notamment dans les cas d’échange de lettres dans les situations dangereuses, voire mortifères, comme dans le cas des lettres de soldats du front.

7.  « Dans Lettres d ’une Péruvienne (1747) de Madame de Grafigny, Zilia, la jeune héroïne, noue des Quipos (qu’elle traduira ensuite elle-même en français) pour envoyer des messages à Aza, le bien aimé dont elle a été séparée. Cet insolite mode de correspondance matérialise à merveille la fonction de la lettre : un lien, un nœud, qui doit compenser, voire conjurer, l’éloignement et la séparation des personnages. Le roman épistolaire est donc une mise en scène – et en mots – du texte comme lien entre les êtres ». D’après L. Souquet : http://www.crimic.paris-sorbonne.fr/ actes/tl2/souquet.pdf (7 mai 2015) ; ce dernier précise, à partir du dictionnaire Le Petit Robert, que les quipos désignaient chez les Incas (qui ignoraient l’écriture) un faisceau de cordelettes dont les couleurs, les combinaisons et les nœuds étaient dotés de significations conventionnelles précises. 8. Entretien publié à l’occasion de la parution du 40 e numéro de la Revue de l ’A IRE dans  : http://www.fondationlaposte.org/florilettre/entretiens/entretien-avec-genevieve-haroche-bouzinacpropos-recueillis-par-nathalie-jungerman/ (1er mai 2017). Toutes les citations subséquentes relatives à l’explicitation des quatre mots-clés (lien, mémoire, amitié, poésie) proviennent de cette référence en ligne.

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La poésie, car dans toute lettre, de la plus simple à la plus raffinée, « des effets poétiques se dégagent ». Poésie, sentiments, échos de la vie quotidienne, tout cela peut prendre place dans une lettre. En effet, « la distance et la liberté que les épistoliers peuvent prendre grâce à l’absence du destinataire permettent sans doute cette poétisation du réel ». Au terme de cette recherche, ces quatre mots-clés donnent un écho significatif de ce que notre enquête a permis de thématiser, à nouveaux frais, au sujet de l’autorité épistolaire déployée par Paul dans ses lettres. Et ceci en parcourant le fil narratif épistolaire de cette autorité, depuis l’amont, à savoir les postures d’autorité prophétique dont on a repéré les analogies avec la pratique épistolaire paulinienne, jusqu’à l’aval, à savoir la postérité reconnue à la posture d’autorité épistolaire de Paul. Le lien renvoie à l’indéfectible soin avec lequel l’apôtre des nations déploie une stratégie de communication par lettres pour rester en lien avec les communautés fondées au cours de sa carrière missionnaire. Paul est prêt à tout et pousse à l’extrême les ressources offertes par le médium épistolaire dans une situation conflictuelle. Pragmatiquement, le caractère entier de cette communication donne une impression du genre, si on ose ainsi formuler les choses, que cela passe ou cela casse ! Les racines de ce lien s’enracinent certainement dans la pratique généralisée que la lettre était, avec l’échange de nouvelles personnelles que pouvaient rapporter des voyageurs, le seul moyen de rester en lien entre personnes ou groupes séparés temporellement et spatialement. Ce type de correspondance était ainsi naturellement pratiqué entre les communautés judéennes dispersées, et avec le grandprêtre exerçant sa fonction d’ethnarque, depuis Jérusalem, tant en Judée qu’au sein de la Diaspora, comme dans le cas des échos aux pratiques épistolaires dans les Actes des Apôtres et, plus largement, dans le cas des lettres entre communautés de Diaspora et leurs leaders. Le lien est également thématisé de manière forte dans le cas du prophète Jérémie s’adressant aux exilés, puis de la reprise de ce motif dans différentes communications en situation de crise, en s’inscrivant subséquemment dans le sillage de la charte pour les exilés à Babylone. La mémoire joue à plusieurs niveaux. Mémoire de la prédication fondatrice. Mémoire serpentant entre développements doctrinaux et parénèses. Le souci de mémoire en donne juste assez, mais pas trop, car le sous-entendu contribue intrinsèquement à la dynamique du geste épistolaire. Le patrimoine commun d’une histoire relationnelle, entretenue au fil d’une correspondance aussi soutenue que les moyens disponibles le permettent, autorise un art consommé du sousentendu. Le sous-entendu fait le bonheur de l’épistolier, mais au grand dam des lecteurs par-dessus l’épaule, et ceci à plus forte raison quand on ne dispose que de la moitié d’une correspondance. Les théoriciens de l’art épistolaire antique évoquent régulièrement la fonction dite philophronétique de la pratique épistolaire. Entretenir l’ami-

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CONCLUSION

tié et presser son destinataire de répondre, qui est son corollaire, le confirment à l’envi. Sans réponse, l’avenir de la correspondance demeure lettre morte. Obtenir une réponse était tout sauf évident, entre contraintes liées à l’expédition du courrier privé et celles du succès de sa distribution. Amitié rime donc bel et bien avec courage. Les lettres de Paul font à plusieurs reprises écho aux labeurs endurés au cours de sa carrière missionnaire. Parmi ceux-ci, comme on l’a vu, les dangers liés aux voyages occupent une part importante. Sur terre comme sur mer, les risques étaient nombreux et à cela s’ajoutent les contraintes saisonnières comme celles liées par exemple à l’hiver. Ces dangers paraissent bien anachroniques à l’heure des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Enfin, en ce qui concerne la poésie, notre enquête a permis de mettre en lumière différentes facettes de la manière dont Paul puise dans l’arsenal pragmatique des ressources diverses et variées de l’art épistolaire antique. L’art épistolaire du Tarsiote témoigne à l’envi de cette poétisation des réalités et des vérités des communautés dans sa proclamation de l’Évangile, entre pertinence prophétique et postérité apostolique.

A NNEXES A n n e x e 1 :

t r a duct ion de

2 C or i n t h i e ns 10-13

10,1 Moi Paul en personne, je vous exhorte par la douceur et la bonté de Christ, moi qui suis d’une part si modeste en face de vous, mais d’autre part si intraitable à votre encontre quand je suis loin, 2 je vous en prie, que je ne doive pas, une fois présent, recourir, avec audace, à cette sévérité à laquelle je prévois de recourir contre ceux qui estiment que nous nous comportons selon la chair. 3 En effet, nous nous comportons (nous agissons) dans la chair, mais nous ne nous battons pas selon la chair, 4 en effet, les armes de notre combat ne sont pas purement humaines, mais puissances, par Dieu, pour la destruction des fortifications, réduisant à néant les raisonnements humains 5 et toute pensée hautaine s’élevant contre la connaissance de Dieu, et capturant toute pensée en vue de l’obéissance de Christ 6 et ceci en étant prêts à punir sévèrement toute désobéissance, lorsque votre obéissance sera complète et totale. 7 Regardez les réalités en face ! Si quelqu’un est persuadé par lui-même d’appartenir au Christ, qu’il examine cela de nouveau en lui-même : s’il pense appartenir au Christ, alors nous aussi nous lui appartenons ; 8 en effet, même si je me glorifiais un petit peu trop au sujet de notre autorité qu’a donnée le Seigneur en vue de votre édification et non pas de votre anéantissement, je ne rougirais pas, 9 afin que je n’en aie pas l’air, comme si je voulais vous faire peur au travers des (de mes) lettres, 10 et ceci parce que ses lettres, dit-on, ont du poids et sont fortes, mais sa présence personnelle a peu d’impact et son éloquence est nulle ; 11 que celui qui pense cela réfléchisse bien parce que nous sommes en parole tels que nous sommes, étant absents, à travers nos lettres, et tels nous agirons quand nous serons présents. 12 Car nous n’osons pas nous égaler ou nous mesurer nous-mêmes à ceux qui se recommandent eux-mêmes, mais eux en se mesurant eux-mêmes en eux-mêmes, et en se comparant eux-mêmes à eux-mêmes, ils ne peuvent pas comprendre ! 13 Quant à nous, nous n’allons pas nous glorifier avec des éléments nonmesurables mais selon la mesure de la règle dont nous a mesurés le Dieu de la mesure : parvenir jusqu’à vous. 14 Non pas en effet comme si n’étant pas parvenu vers vous, nous dépassions la limite de nous-mêmes ; en effet, nous vous avons atteints les premiers dans l’Évangile du Christ, 15 non pas en nous glorifiant des efforts des autres en vue des choses non-mesurables, mais gardant l’espoir de l’augmentation de votre foi pour qu’elle soit, parmi vous, abondamment magnifiée selon notre règle 16 en vue d’évangéliser les régions au-delà de chez vous et ceci non pas en nous glorifiant de

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la règle d’autrui, reçue clé en main. 17 Que celui qui fonde son existence la fonde dans le Seigneur : 18 en effet, ce n’est pas celui qui se recommande lui-même, mais celui que le Seigneur recommande qui est reconnu. 11,1 Ah si seulement vous pouviez supporter de moi un tout petit grain de folie, alors oui, supportez-moi ! 2 De vous, je suis jaloux d’une divine jalousie : je vous ai fiancés à un homme unique pour vous présenter, comme vierge pure, au Christ, 3 mais je crains que comme lorsque le serpent séduisit Ève par sa fourberie, vos pensées se corrompent en se détournant de la sincérité et de la pureté en Christ. 4 En effet, si quelqu’un vient proclamer un autre Jésus que celui que nous avons proclamé, si vous acceptez un autre esprit que celui que vous avez reçu ou un autre Évangile que celui que vous avez accueilli, vous le prenez fort bien. 5 Je pense bien en effet n’être en rien moins important que les super-apôtres, 6 inexpérimenté en matière d’éloquence, mais non de connaissance, et ceci tout en le manifestant en toutes occasions parmi vous. 7 Est-ce que j’ai commis un péché en m’abaissant humblement, afin que vous soyez élevés, lorsque je vous ai annoncé gratuitement l’Évangile de Dieu ? 8 En prenant un salaire, j’ai dépouillé d’autres Églises pour me mettre à votre service 9 et présent parmi vous, tout en étant dans le besoin, je n’ai été à charge de personne : les frères venus de Macédoine ont pourvu à ma pauvreté et j’ai moi-même fait attention de ne pas être une charge parmi vous et je continuerai de le faire. 10 C’est une vérité du Christ en moi que cette gloire à mon égard ne sera pas réduite au silence à travers les contrées de l’Achaïe ; 11 alors pourquoi cela ? Parce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait. 12 Ce que je fais, je le ferai encore, afin d’ôter le prétexte à ceux qui veulent un prétexte afin d’être trouvés en train de se glorifier comme nous ; 13 de telles personnes sont de faux-apôtres, des acteurs fourbes, déguisés en apôtres du Christ 14 et cela n’est pas étonnant, car le Satan se déguise lui-même en ange de lumière. 15 Par conséquent, ce n’est pas une grande affaire si ses sbires se déguisent en serviteurs de la justice, la fin sera conforme aux œuvres. 16 Je vous le dis de nouveau, de peur qu’on pense que je suis fou ! Et si cela était bien le cas, alors recevez-moi comme un fou, de sorte que moi aussi je puisse me glorifier d’un tout petit grain de gloire ! 17 Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais comme en folie, avec cette assurance de la glorification ; 18 puisque beaucoup se glorifient de leurs qualités humaines, moi aussi je vais me glorifier ; 19 en effet, volontiers vous qui êtes sensés, vous supportez les insensés ; 20 en effet vous supportez si quelqu’un vous asservit, si quelqu’un vous avale, si quelqu’un vous dépouille, si quelqu’un vous prend de haut, si quelqu’un vous frappe au visage ; 21 je le dis avec honte, comme si nous avions été faibles. Ce qu’on ose dire, je l’ose aussi : je parle avec folie. 22 Ils sont Hébreux ? Moi aussi ! Ils sont Israélites ? Moi aussi ! Ils sont de la descendance directe d’Abraham ? Moi aussi ! 23 Ils sont

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serviteurs du Christ ? Je vais parler en étant fou : je le suis bien plus ! Dans les labeurs, plus abondamment ! Dans les prisons, plus abondamment ! Dans les épreuves, beaucoup plus ! Dans les dangers mortels, souvent ! 24 Par les Judéens, j’ai reçu cinq fois les quarante moins un, 25 trois fois, j’ai été flagellé, une fois, j’ai été lapidé, trois fois, j’ai fait naufrage, j’ai passé une nuit et un jour sur l’abîme de la mer, 26 voyages à pied, souvent, danger des fleuves, dangers des brigands, dangers des compatriotes, dangers des païens, dangers en ville, dangers dans le désert, dangers en mer, dangers parmi des faux-frères ! 27 Fatigue et peine, souvent, dans les veilles, dans la faim et la soif, dans les jeûnes, souvent, dans le froid et la nudité ; 28 et ceci sans compter tout le reste : la pression perpétuelle quotidienne pour moi, le souci de toutes les églises ; 29 qui est faible, que je ne sois faible ? Qui succombe, que cela ne me brûle ? 30 S’il faut se glorifier, je me glorifierai de mes faiblesses ; 31 Dieu, le père du Seigneur Jésus – qu’il soit béni pour les siècles des siècles – sait que je ne mens pas : 32 à Damas, le gouverneur du roi Arétas gardait la ville pour m’arrêter, 33 mais par une fenêtre, on me fit descendre dans une corbeille le long du mur et j’échappai à ses mains. 12,1 Il faut se glorifier, ce n’est pas profitable : j’en viendrai aux visions et révélations du Seigneur ; 2 je connais un homme en Christ, qui, il y a 14 ans, soit corporellement, je ne sais pas, soit hors de (son) corps, je ne sais pas, Dieu le sait, celui-ci a été emporté jusqu’au troisième ciel 3 et je sais qu’un tel homme soit corporellement, je ne sais pas, soit sans celui-ci, je ne sais pas, Dieu le sait, 4 il a été emmené au paradis et il a entendu des dires indicibles dont il n’est pas permis à l’homme de parler ; 5 pour un tel homme, je me glorifierai, mais pour moi-même, je ne me glorifierai pas, si ce n’est dans les faiblesses. 6 Ah, si je voulais m’enorgueillir, je ne serai pas fou, car je dirai la vérité ; or je m’abstiens, pour qu’on n’estime pas à mon sujet des choses au-delà de ce qu’on voit ou écoute de moi 7 et ceci à cause du caractère extraordinaire des révélations ; c’est pourquoi afin que je n’en tire pas un profit excessif, il m’a été donné une écharde dans la chair, un ange de Satan afin que je sois frappé, afin que je n’en tire pas un profit excessif ; 8 à son sujet, trois fois j’ai prié le Seigneur pour qu’il l’éloigne de moi 9 et il m’a dit : ma grâce te suffit, car la puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. Par conséquent je préfère me glorifier dans mes faiblesses, afin que campe sur moi la puissance du Christ ; 10 c’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les insultes, dans les contraintes, dans les persécutions et les angoisses pour Christ, car lorsque je suis faible, alors je suis fort. 11 Je suis devenu fou, vous-mêmes vous m’avez contraint ; en effet, à moi il m’aurait été plus utile d’être recommandé par vous ; je n’ai rien en effet de moins que les super-apôtres, même si je ne suis rien ; 12 car les signes de l’apôtre ont été accomplis parmi vous dans la patience à toute épreuve, les signes, les prodiges et les miracles. 13 En effet, qu’est‑ce

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qu’il y eu de moins pour vous par rapport aux autres églises, si ce n’est que moi‑même je ne vous ai pas écrasés ? Veuillez m’excuser cette injustice ! 14 Voici que je suis prêt pour la troisième fois à venir vers vous et je ne vous écraserai pas, en effet, je ne cherche pas vos biens, mais vous ; en effet, il n’est pas utile que les enfants amassent des réserves pour les parents, mais les parents pour les enfants. 15 Moi en effet, plus volontiers, je dépenserai et je me dépenserai moi-même complètement pour vos vies. Si je vous aime plus abondamment, en serais-je moins aimé ? 16 Soit alors, je ne vous ai pas été à charge, mais étant fourbe, par ruse je vous ai pris. 17 Est-ce qu’il y a quelqu’un, parmi ceux que je vous ai envoyés, par qui je vous ai exploités ? 18 J’ai insisté auprès de Tite et je vous ai envoyé le frère : est-ce que Tite vous a exploité ? Est-ce que nous n’avons pas marché avec le même Esprit ? Dans les mêmes traces ? 19 Depuis longtemps, vous pensez que nous nous défendons ; devant Dieu, nous parlons en Christ, en effet, de tout cela, bien-aimés, pour votre édification. 20 Je crains, en effet, que je ne vous trouve pas comme je veux vous trouver en arrivant et que moi je sois trouvé par vous tel que vous ne voulez pas : (je crains) qu’il y ait querelle, jalousie, colères, révoltes, médisances, insolences, commérages, agitations, 21 de peur que, une fois arrivé (chez vous), mon Dieu ne me rabaisse devant vous et que j’afflige beaucoup de ceux qui ont péché auparavant et de ceux qui ne se sont pas repentis de l’impureté, de la mauvaise conduite et de la débauche avec lesquelles ils ont agi. 13,1 Pour la troisième fois, je viens devant vous : toute affaire sera tranchée sur la parole de deux ou trois témoins. 2 Je vous ai parlé et je vous parle comme quand j’étais chez vous pour la deuxième fois et je suis maintenant absent, à ceux qui ont péché auparavant et à tous les autres, quand je viendrai de nouveau, je n’épargnerai pas (ni rien ni personne). 3 Puisque vous cherchez une preuve du Christ parlant à travers moi, lui qui n’est pas faible à votre égard, mais puissant parmi vous : 4 car, certes il a été crucifié par la faiblesse, mais il vit par la puissance de Dieu : car certes nous sommes faibles en lui, mais nous vivrons avec lui par la puissance de Dieu envers vous. 5 Éprouvez-vous vous-mêmes si vous êtes dans la foi, évaluez-vous vous-mêmes. Est-ce que vous-mêmes, vous ne reconnaissez pas que Jésus-Christ est en vous ? Si tel n’est pas le cas, vous êtes des gens qui n’ont pas fait leurs preuves. 6 J’espère que vous reconnaîtrez que nous, nous avons fait nos preuves. 7 Nous prions devant Dieu pour que vous ne fassiez rien de mal, non pas afin de nous montrer comme des gens sensés, mais pour que vous fassiez le bien, comme si c’était nous les insensés. 8 En effet, nous ne pouvons pas agir contre la vérité, mais pour la vérité. 9 Nous nous réjouissons lorsque nous sommes faibles et que vous, vous êtes forts ; voilà ce pour quoi nous prions : votre amélioration ! 10 C’est pourquoi, étant absent, je vous écris cela, pour que, une fois présent je ne doive pas sévère-

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ment abuser de l’autorité que m’a conférée le Seigneur pour l’édification et non pour l’anéantissement. 11 Du reste, frères, réjouissez-vous, améliorezvous sérieusement, encouragez-vous, comportez-vous en conséquence, vivez en paix et le Dieu de l’amour et de la paix sera avec vous. 12 Embrassezvous les uns les autres d’un saint baiser. Tous les saints vous embrassent. 13 Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soit avec vous tous.

A n n e x e 2 :

s t ruct u r e é pi s tol a i r e de

2 C or i n t h i e ns 10-13

Entrée en matière : 10,1-6 « Moi, Paul, en personne je vous exhorte… » (Formule d’ouverture – exordium) Paul annonce d’emblée de quoi il s’agit maintenant : d’une exhortation personnelle directement adressée à la communauté prise dans son ensemble (« vous »). Ce « vous » va figurer le cercle des destinataires (auditeurs) tout au long de la lettre, en face duquel la figure du destinateur va se poser (« je »). Paul va saisir l’attention de l’auditoire, en prenant d’abord la parole au nom du Christ, pour annoncer l’enjeu de la communication, et ceci en deux temps. D’une part, par le biais d’une menace de sévérité, tout d’abord destinée aux adversaires (v. 1b-2). D’autre part en rappelant le fondement de l’autorité de l’équipe apostolique de Paul (le divin combat) et de son objectif (l’obéissance complète des Corinthiens) aux v. 3-6. Le fondement : 10,7-18 « Que celui qui fonde son existence la fonde dans le Seigneur ! » (Ouverture du corps de la lettre et objet principal de la communication – narratio) 10,7-18 : le fondement de l ’autorité apostolique de Paul et de son équipe  apostolique Paul invite les Corinthiens à commencer par voir les choses en face (v. 7), à savoir l’authenticité du fondement de son ministère, comme unique appartenance au Christ (v. 8), et l’autorité de l’agir apostolique qui en découle (v. 9-11) ; une fois cette authenticité établie, Paul peut montrer en quoi son ministère et celui de son équipe (« nous ») se distingue de celui de leurs concurrents (v. 12-16) ; Paul valide son argumentation par une citation implicite de l’Écriture (v.  17) s’inspirant du prophète Jérémie (Jr  9,22-23) et peut poser comme thèse (propositio) que la seule recommandation dont quiconque peut se prévaloir est celle du Seigneur (v. 18).

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ANNEXES

Le Discours du fou : 11,1-12,12 « Ah si vous pouviez supporter de moi un tout petit grain de folie… » (Corps de la lettre – probatio) 1er développement : 11,1-15 Le vrai apostolat de Paul par opposition au faux apostolat des super-apôtres Paul prend le masque du fou (v. 1) pour faire état de la primauté de sa relation avec les Corinthiens, et ceci à l’aide d’une métaphore, celle de l’amour conjugal (la jalousie, les fiançailles uniques, la tentation d’Ève par le serpent, v. 2-4) ; ensuite, il détaille, par le biais de la comparaison, la véracité de son apostolat et par voie de conséquence, l’inauthenticité de celui des « super-apôtres » (v. 5-11), qu’il voue à la malédiction (v. 12-15). 2e développement : 11,16-31 La faiblesse, fondement de la vraie carrière apostolique Paul reprend le masque du fou pour se vanter, a contrario, des faiblesses (v. 16-18), puis il ironise la prétendue attitude raisonnable des Corinthiens (v.  19-21a) ; Paul donne alors une liste de souffrances qu’il a endurées, dans le but de montrer que son agir s’enracine dans les souffrances du Christ (prison, flagellation, danger de mort) et bien d’autres dangers liés à sa carrière d’apôtre itinérant (v. 21b-28) ; Paul peut alors faire état de sa solidarité pour les faibles, signe de l’authentique fondement (v.  29-31) ; Paul est bel et bien prêt à tout, et pour prouver sa sincérité, il évoque la réussite de sa providentielle fuite en corbeille à Damas (v. 32-33). 3e développement : 12,1-10 La rencontre mystique de Paul avec le Seigneur Paul en vient aux visions et révélations du Seigneur (v. 1) en faisant état alors de deux expériences mystiques ; il y a d’abord une montée au ciel, dont il ne peut rien révéler et donc tirer aucun orgueil (v. 2-5), Paul fait ensuite état de son expérience de l’écharde dans la chair, qui est devenue pour lui l’occasion d’une révélation décisive authentifiant la présence du Christ dans la faiblesse du ministère apostolique du Tarsiote (v. 6-10). Résultat : 12,11-12 « Les signes de l’apôtre ont été accomplis parmi vous dans la patience à toute épreuve, les signes extraordinaires, les miracles, les actions puissantes » (Conclusio) Paul conclut qu’il est donc devenu fou. Cela lui permet ainsi d’asseoir définitivement sa supériorité sur les « super-apôtres » (v. 11). Il résume le chemin parcouru en donnant le catalogue authentique des marques de l’apôtre, avec la patience à toute épreuve en tête de liste (v. 12).

ANNEXES

365

Pour conclure : 12,13-13,13 « Pour la troisième fois, je viens devant vous… » (Conclusion du corps de la lettre – peroratio) 1er développement : 12,13-21 Paul annonce et motive un projet de troisième visite Paul rappelle ses intentions. Il ne veut pas exploiter les Corinthiens, mais au contraire se dépenser pour eux (v. 13-15), et ceci avec une touche d’ironie (la ruse, v. 16), et en faisant état de l’état d’esprit de son équipe apostolique, totalement solidaire (v. 17-18). Paul résume alors le discours tenu jusqu’ici : Christ est le seul fondement et l’apostolat de Paul vise l’édification des Corinthiens (v.  19). Ensuite, Paul distribue deux avertissements relevant tant de la discipline communautaire que personnelle (v. 20-21). 2e développement : 13,1-10 Paul précise son projet de troisième visite et exhorte les Corinthiens Paul fait état de l’imminence de sa troisième visite (v. 1a), tout en faisant part de ses intentions disciplinaires (v. 1b-2) et en montrant les effets bénéfiques pour la communauté de son Discours du fou (v. 3-4). Paul exhorte alors les Corinthiens à la lucidité, au nom de la lucidité dont il a fait preuve à leur égard (v. 5-7). Puis il résume les motifs authentifiant son ministère (la vérité dans la faiblesse, v. 8-9a), tout en rappelant l’objectif de l’entier de ses propos, à savoir l’édification et le perfectionnement, et non la destruction (v.  9b-10). Prise de congé : 13,11-13 : exhortation finale, salutation et bénédiction Paul exhorte une dernière fois les Corinthiens à une vie communautaire harmonieuse (v. 11), les salue (v. 12) et les bénit (v. 13).

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I NDEX

I n de x

scr i p t u r a i r e

I n de x

de s au t eu r s

I n de x

scr i p t u r a i r e

Littérature Ancien Testament Pentateuque Livre de la Genèse 2,15 : 287 17,5 : 308 35,4 : 156 Livre de l ’Exode 12,15 : 321 20,1-6 : 272 34,14 : 272 Livre du Lévitique 1,3 : 321 3,1 : 321 Livre du Deutéronome 4,29 : 132 11,30 : 156 19,15 : 295 32: 312 32,11 : 155

Livres prophétiques Livre de Josué 2,15 : 285 Livre I de Samuel 19,12 : 285 Livre II de Samuel 1,23 : 155 11,15 : 170 Livre I des Rois 21,9-10 : 170 Livre II des Rois 5,6 : 170 10,2-3.6 : 170 19,10-13 : 170 24-25 : 126 Livre d ’Esaïe 2,11-12 : 259

biblique

2,17-18 : 259 6,1 : 217 6,9-10 : 86 29,14 : 208, 215 37,10-13 : 170 45,23 : 218 49,1 : 208 49,18 : 218 54,4-8 : 272 62,2 : 272 65,17 : 320 Livre de Jérémie : 29, 38-39, 41, 89, 124-128, 143, 209 1,1-3 : 287 1,2 : 217 1,3 : 217 1,4-5 : 131 1,4-10 : 263 1,5 : 208, 219 1,8 : 219 1,10 : 217-220 2 : 272 9,22-23 : 208, 253, 266-267, 332 10 : 143 10,5 : 142 10,11 : 146-147 16,13 : 141-142 18,7-9 (LXX) : 220 22,24 : 218 24,6 (LXX) : 217, 220 26,1 : 287 27-29 : 131 29 : 29, 122, 127, 143, 351 29,1 : 135, 146-147 29,1-3 : 132 29,1-23 : 38, 41, 121-122, 125-139, 143, 158, 164, 168, 180, 208 29,4 : 157 29, 4-23 : 132, 170-172 29,4 : 157 29,5 : 220 29,7 : 133, 136 29,5-7 : 141 29,7 : 219

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INDEX SCRIPTUR AIRE

29,10 : 141 29,10-14 : 141 29,23 : 136 29,25-28 : 132 29,26-28 : 170 29,30-32 : 143 30,2 : 135 31,28 (LXX) : 217-218 31,31-34 : 211, 216 31-32 : 136 36 : 135 36 (LXX) : 122, 127, 132 36,1-15 (LXX) : 122 36,21-23 (LXX) : 122 36,6 (LXX) : 133 38,28.38 (LXX) : 220 39,41 (LXX) : 220 43-44 : 127 43,6 : 149 49,16 : 155 51 : 141-142 51,59-64 : 135 52 : 126 Livre d ’Ézéchiel 1,1 : 148, 217 1,10 : 155 5,11 : 218 10,14 : 155 16 : 272 17,3-7 : 155 Livre d ’Osée 1-3 : 272 Livre d ’Habaquq 2,4 : 215 Livre de Zacharie : 277

Autres écrits Les Psaumes 44,4 : 256 55,16-17 : 289 90,4 : 323 131,1 : 256 137,1-2 : 148 Livre de Job : 225 Livre des Proverbes 21,22 : 258

Livre d ’Esther : 32 2,6 : 217 Livre de Daniel 2,25 : 217 6,10 : 289 Livre d ’Esdras 8,1.15.21 : 148 Livre de Néhémie 6,6-7 : 170 7,6 : 217 Livre II des Chroniques 2,10-15 : 170 6,38 : 217 21,12 : 121 21,12-15 : 121, 170, 172

Livres deutérocanoniques Livre II des Maccabées : 199 1,1-10a : 32, 165, 167, 170, 197 1,10b-2,18 : 32, 165, 167, 170, 197 9,19-27 : 170 11,16-21 : 170 11,22-26 : 170 11,27-33 : 170 11,34-38 : 170 Livre de la Sagesse 8 : 272 Livre du Siracide 18,10-11 : 323 44-50 : 209 45,4 : 256 49,6-7 : 209 Livre de Baruch : 39, 123, 145, 148-149 1,1-5 : 145, 148 1,6-7 : 149 1,10-14 : 149 1,14 : 149 1,15-3,8 : 149 Lettre de Jérémie  : 39, 93, 140-143, 146-147, 164 2 : 141 3-6 : 142 4 : 142

INDEX SCRIPTUR AIRE

14 : 142 22 : 142 28 : 142 64 : 142 68 : 142

Nouveau Testament

Évangile selon Matthieu 3,1-6 : 200 17,5 : 317 Évangile selon Marc 1,1-3 : 200 1,16 : 317 5,26 : 293 Évangile selon Luc : 342 3,1-6 : 200 15,14 : 293 Évangile selon Jean : 245 3,29 : 271 17 : 313 Actes des Apôtres : 39, 41, 80, 186, 198201, 207, 215-216, 231, 285-286, 302, 325, 342 1-14 : 198 9,1-2 : 187, 199-200 9,3-6 : 72 9,19b-25 : 285 9,23-25 : 285-286 9,24-25 : 72 13,46 : 219 15-28 : 198 15,23b-29 : 39, 111, 170-171, 186, 198 16,13 : 149 16,17 : 200 18,1-3 : 238 18,1-18 : 231-234, 236 18,9-10 : 219 18,11 : 236 18,12 : 236 18,25 : 200 18,26 : 200 18,27 : 199 20,1-3 : 243 20,2-3 : 235 22,3-5 : 200 22,5 : 199

405

22,6-10 : 72 22,21 : 219 23,25-30 : 40, 170, 198 26,12 : 200 26,13-18 : 72 26,17 : 219 28 : 187 28,17 : 86 28,20 : 86 28,21 : 187, 200 28,23 : 86 28,23-24 : 86 28,25-28 : 219 28,25b-27 : 86 Lettre aux Romains : 29, 105, 109, 173, 207, 215-216, 301, 338 1-11 : 247 1,1 : 131, 173, 218 1,1-2a : 207 1,1-5 : 207, 214 1,7 : 185 1,16-17a : 215 1,17b : 215 2,1-16 : 322 2,3 : 322 2,5 : 322 2,28-29 : 267 3,8 : 278 3,26 : 274 4,11 : 290 7,23 : 217 8,11 : 274 10,9 : 274 10,12-13 : 117 12 : 247 12,1-2 : 246-247 14,11 : 218 15,18-19 : 291 15,23 : 235 15,24 : 237 15,28 : 237 15,30-33 : 229 16 : 229 16,1-2 : 187, 189, 204, 229, 237-238 16,3-16 : 189 16,22 : 93, 188-189 Première Lettre aux Corinthiens : 25, 215, 231-244, 276, 301, 331-332, 338, 345-346, 351

406

INDEX SCRIPTUR AIRE

1-4 : 255 1,3 : 196 1,1-9 : 255 1,10-11 : 246 1,10-14,13 : 216 1,11 : 229 1,12 : 331 1,18 : 216, 267 1,18-19: 215 1,18-31 : 270, 279 1,19 : 208 1,22 : 291 1,26-31 : 267 1,29 : 255 1,30-31 : 208, 214 1,31 : 216, 253, 267, 332 3,4 : 229 3,19 : 273 4,10-13a : 282 4,12 : 268 4,12-13 : 269 4,14 : 189, 237 5,1 : 237 5,9 : 94, 188, 229, 242, 244 7,1 : 72, 94, 188, 229, 237, 242, 255 8,9 : 261 10,18 : 261 12,3 : 274 14 : 266 14,22 : 291 14,23 : 354 15 : 238 15,9 : 201 16,5-7 : 27 16,6 : 243 16,8 : 27, 243 16,10 : 261 16,13-24 : 238 16,15-16 : 237 16,15-18 : 204 16,19 : 189 16,19b-29 : 189 16,21 : 93, 188 Deuxième Lettre aux Corinthiens : 25, 34, 185, 187, 196, 215, 223-299, 301, 331, 338, 351-352 1-7 : 226, 241 1-8 : 239, 242, 244 1-9 : 239, 247 1,1 : 188, 237 1,1-2,13 : 239-240

1,2 : 185 2,3 : 94 2,4 : 188, 229-230, 242-243 2,11 : 293 2,12-13 : 27 2,14-7,4 : 239-240 2,17 : 226 3 : 238 3,1 : 226 3,1-2 : 204 3,1-3 : 192-193, 216 3,1-5 : 187 3,2 : 34, 189 3,7 : 193 4,1-2 : 226, 273 4,3-4 : 278 4,8-9 : 282 5,12 : 226 6,2-7a : 274 6,4-10 : 242, 282 6,6 : 274 6,14-15 : 278 6,14-7,1 : 240 7,2 : 293 7,5-7 : 27 7,5-16 : 240 7,5-8,24 : 239 8 : 249 8,22-23 : 205 8-9 : 241 9 : 239-240, 242, 244 9,1 : 189 9,4 : 27 9,15 : 240-241 10 : 240 10-13 : 26, 34, 40, 42, 187-188, 190, 208, 216, 222-299, 332, 352-354 10,1 : 93, 241, 245, 247, 252-253, 262-263, 275, 291, 297 10,1-2 : 255-257 10,1-6 : 251, 253, 255-261, 267, 279 10,2 : 251, 257, 275, 279 10,2-6 : 257-261, 262 10,3-6 : 279, 293 10,5 : 216, 268 10,6 : 252, 293 10,7-11 : 261-265 10,7-18 : 253, 261-268 10,7-11,15 : 251 10,8 : 217, 256, 268, 294, 296

INDEX SCRIPTUR AIRE

10,10 : 27, 188, 229, 254-256, 279, 291, 296, 298, 346 10,12 : 205 10,12-16 : 265-266 10,14 : 271 10,15 : 251, 296 10,17 : 208, 214, 217, 253, 278, 289, 292, 295, 332 10,17-18 : 265-268 11,1 : 26, 42, 253, 268-271, 278 11,1-15 : 225, 268-278, 286 11,1-21a : 42 11,1-12,12 : 253, 268-290, 293, 299 11,2-3 : 271-274 11,2-4 : 279 11,3 : 273 11,4 : 274-275, 279, 296, 342 11,5 : 224, 227, 254 11,5-11 : 275-276 11,9 : 235 11,10 : 235 11,12-15 : 276 11,13-14 : 289 11,15 : 257 11,16 : 269-270, 278 11,16-18 : 278-279 11,16-31 : 225, 286 11,16-33 : 278-386 11,16-12,13 : 251 11,17 : 281 11,19 : 268 11,19-21a : 279-280, 293 11,20 : 268 11,21 : 270 11,21b-28 : 292 11,21b-29 : 280-284 11,22 : 254, 268 11,23-27 : 242 11,23b-29 : 252, 282 11,23-33 : 285 11,26 : 285 11,29 : 293 11,30 : 290 11,30-33 : 284-286 11,32-33 : 72, 252, 284, 292 11,33 : 342 12,1 : 286, 290 12,1-6 : 252 12,1-10 : 228, 284, 286-290, 292 12,1-12 : 225 12,2-5 : 286-288 12,6-10 : 288-290 12,7-8 : 248

407

12,7-10 : 252 12,9 : 252, 292 12,9-10 : 227 12,2a : 217 12,8-9 : 296 12,9 : 269 12,10 : 42, 282 12,11 : 205, 224, 227, 254, 269, 294 12,11-12 : 290, 292 12,12 : 42, 254, 269-270, 291, 329 12,12-18 : 294 12,13-15 : 292-293 12,13-21 : 292-294 12,13-13,13 : 253, 292-297 12,14 : 235 12,14-13,10 : 251 12,16 : 273 12,18 : 248 12,19 : 294, 296 12,20-21 : 294 12,21 : 255 13 : 197, 212 13,1 : 235 13,1-2 : 295 13,1-10 : 295-297 13,2 : 255 13,3-4 : 295 13,5 : 227 13,5-7 : 296 13,8-10 : 296 13,10 : 217, 256 13,11 : 247 13,11-13 : 251, 297 13,13 : 247, 297 Lettre aux Galates : 25, 97, 102, 104, 107, 167, 173-174, 185, 196, 212, 215-216, 246, 301, 331, 338 1-2 : 190 1,1-2 : 188 1,7 : 342 1,11-24 : 286 1,12 : 286 1,13 : 201 1,13-14 : 219 1,13-2,21 : 27 1,14 : 219 1,14-15 : 206 1,15 : 131, 208, 218 1,15-16 : 263 1,15-17 : 72 1,16 : 183 1,21 : 235

408

INDEX SCRIPTUR AIRE

2,4 : 342 2,11 : 262 2,19b-20 : 265 3,1 : 173 3,16-18 : 280-281 4,18-20 : 212 5,2-3 : 246 5,15 : 261 6,11 : 93 6,17 : 274 Lettre aux Éphésiens : 80, 301, 303, 331, 338 Lettre aux Philippiens : 215, 301, 304, 333, 338 2,10 : 274 2,25-30 : 204 3,2 : 261 3,6 : 201 3,19 : 278 4,12 : 282 4,18 : 204 Lettre aux Colossiens : 80, 301, 303, 331, 333, 338 4,16 : 155, 188, 303, 329, 333-335 4,18 : 93, 188 Première Lettre aux Thessaloniciens  : 49, 103, 215, 301, 338 1,1 : 50, 185, 196 2,2 : 27 2,13 : 193 3,1-6 : 27 4,1-2 : 246-247 4,6 : 293 4,14 : 274 5,27 : 155, 188 Deuxième Lettre aux Thessaloniciens : 80, 301, 303 3,17 : 93, 188, 290 Première Lettre à Timothée : 80, 303, 338 2,1-2 : 219 Deuxième Lettre à Timothée : 80, 303, 338

Lettre à Tite : 80, 303, 338 Lettre à Philémon : 29, 185, 205, 215, 301 9-11 : 246-247 10-16 : 205 Lettre aux Hébreux : 43, 45, 57, 301, 303-316, 331, 345-346 1,1-2 : 310 1,1-4 : 311 1,1-10,18 : 313 1,6 : 312 2,1 : 310 3,1 : 310 4,2 : 312 7,3 : 309 9,14 : 321 9,20 : 312 10,19-13,21 : 313 11 : 310 11,32 : 310 13 : 305, 313 13,6 : 312 13,19.22-25 : 40, 304-316 13,20-21 : 311 13,22 : 151 Lettre de Jacques : 93, 111, 165, 246 Première Lettre de Pierre : 93, 111, 317318, 325 1,1 : 318 1,19 : 321 5,12 : 322 Deuxième Lettre de Pierre : 29, 43, 93, 246, 304, 316-325, 344-346 1,1 : 317 1,1-2 : 317 1,3-3,16 : 318 1,12 : 324 1,13-14 : 317 1,16-18 : 324 1,17 : 317 2,1-18 : 320 2,13 : 321 3,1a : 318 3,1b : 318 3,1b-2 : 319 3,1-2 : 317

INDEX SCRIPTUR AIRE

3,1-3 : 320 3,8 : 323 3,9 : 319 3,10 : 346 3,13 : 320 3,14 : 320 3,14-15a : 324 3,14-18 : 319-325 3,15-16 : 40, 157, 159, 304, 316-325, 342 3,17-18 : 318, 322-323

Littérature Actes de Paul et de Thècle : 264-265, 302 Actes de Pierre : 318 Apocalypse syriaque de Baruch (Deu­xième Livre de Baruch) : 39, 123, 149-159, 163 1,1 : 157 1-77 : 152 77 : 152 77,12 : 150-151, 154 77,18 : 156 77,18-26 : 152 77,19 : 151 77,19-21 : 155 77,21-26 : 151 78,1 : 150, 154-156 78,2 : 154, 157 78,3 : 156 78,3-7 : 154 78,5 : 156 78-86 (Lettre de Baruch) : 115, 123, 140, 149-159 79-80 : 154 79,1 : 157 80,1 : 157 81-83 : 154 82,1 : 157 84 : 154 85 : 154 86,1 : 155 86,1-2 : 157 86,1-3 : 154 86,6 : 151 87,1 : 152, 154 Apocalypse de Paul : 287

409

Première Lettre de Jean : 63, 246 Deuxième Lettre de Jean : 63, 246 Troisième Lettre de Jean : 63, 246 Lettre de Jude : 93, 318-320 4-13 : 320 16-18 : 320 Apocalypse de Jean : 40, 246 2-3 : 40, 159, 170-171, 223 apocryphe

Apocalypse de Pierre : 318 Apocalypse des animaux  (Premier Livre d ’Hénoch 85-90) : 144 Apocalypse des semaines (Premier Livre d ’Hénoch 91,12-17 et 93) : 144 Deuxième lettre de Clément : 318, 328 Troisième lettre aux Corinthiens : 40 Lettre aux Laodicéens : 29, 43, 303-304, 333-337, 345-347 Livre des antiquités bibliques 22,3 : 151 Deuxième Livre d ’Esdras : 287 Quatrième Livre d ’Esdras : 152 Livre des secrets d ’Hénoch (II Hénoch) : 287 Martyre d ’Ésaïe 3,2 : 151 Pasteur d ’Hermas : 318 Paralipomènes de Jérémie (Quatrième livre de Baruch) : 39, 115, 123, 140, 160-163, 166 6,12 : 161 6,13-14 : 161 6,17-20 : 161 6,17-23 : 161, 165 6,21-23 : 162

410

INDEX SCRIPTUR AIRE

Roman pseudo-clémentin (Reconnaissan­ ces clémentines) : 328

7,9 : 162 6,12 : 162 7,19 : 162 7,21 : 162 7,24-26 : 162 7,28 : 162 9, 10-32 : 160 9,11-13 : 160

Testament d ’Abraham 8 B : 287 Testament de Lévi 2,7-10 : 287 3,1-4 : 287 18,10-11 : 287

Protévangile de Jacques : 273

Documentation Papyrus bilingue de Bologne : 67-68

Littérature

Papyrus Chester Beatty II (P46) : 301, 308 mésopotamienne

Lettres de Mari : 128-131, 138

Littérature Augustin d’Hippone : 30, 63, 87, 207 Basile

de

Césarée : 30, 63

Clément d’A lexandrie : 309-310 Clément de Rome : 30 Lettre aux Corinthiens : 40, 43, 111, 267, 304, 318, 325-332, 342-343, 345-346 5,3-7 : 329-330 5,5-7 : 40 13,1 : 332 47,1 : 40 47,1-7 : 330-331 59-61 : 328-329 Eusèbe de Césarée : 176, 309-310, 327328 Histoire ecclésiastique  III,16 : 327 IV,22,1 : 327 IV,23,1 : 328 VI,14,13 : 310 VI,25,12 : 310 VI,25,14 : 310 Praeparatio Evangelica 9,30.1-34.18 : 115 Épiphane

de

Salamine : 176

papyrologique

Lettres de Lakish : 37, 133 patristique

Grégoire de Nazianze : 30, 37, 63 Lettre 51 (à Nicobule) : 65, 67 Ignace d’A ntioche : 30 Lettre aux Éphésiens 12,2 : 343 Lettre aux Romains : 325 4,3 : 343 I rénée de Lyon Contre les hérésies  III,3,3 : 327 Jean Chrysostome : 88 Homélies : 355 Panégyriques de Saint-Paul : 355 Jérôme : 30, 63 Justin de Neapolis Apologie : 337 M arcion : 43, 337-344 Évangile de Marcion : 342 Prologues latins aux lettres de Paul : 40, 337-344 Photios 1er

de

Constantinople : 88

411

INDEX SCRIPTUR AIRE

Polycarpe de Smyrne : 30 Lettre aux Philippiens 3,2-3a : 343

Tertullien de Carthage : 310 Contre Marcion : 337

Littérature

qumrânienne

Règle de la communauté (1QS) 1QS 9,17-18 : 200

Apocryphe de Jérémie C (4Q389 ou 4QApocrJer Cd) : 39, 114, 122, 140, 144-145, 149, 164

Lettre halakhique (4QMMT) : 111, 114, 197

4Q387,2ii : 144 4Q550 : 114

4Q203, fragment 8 : 114

Littérature cananéenne ancienne Inscriptions amphoriques de Kuntillet Agrud : 111

Littérature

Papyrus Murabba’at 17 : 111 targumique

Targum de Jonathan sur Jr 10,11 : 39, 140, 146-147, 164

Littérature A lciphron : 98 A rchimède : 176 A ristote : 93, 95

Targum du Pseudo-Jonathan sur Gn 4,1 : 273 grecque

L’Iliade Chant 6, v. 168s : 36 Libanius : 62-63 Lysias : 93

Chion d’H éraclée : 37, 63 Cratès de Thèbes : 63 Démétrios Du style : 26, 64-66, 99-100 Diogène : 63 Épicure : 37, 85, 176, 179 Ératosthène : 176 E schine : 63 H érodote Enquête II,40,3 : 36 H ésiode : 335 Homère

Phalaris : 63 Philostrate de L emnos : 67, 98 Platon : 37, 179, 335 Pseudo -Démétrios Traité épistolaire (Τύποι Ἐπιστο­λ­ ικοί) : 64, 67-68, 201-205 Pseudo -Libanios Traité épistolaire (Ἐπιστολιμαῖοι Χαρακτῆρες) : 64, 67-68 Strabon Géographie 8.6.20c : 233-234 Thucydide : 199

Littérature

judéenne

Lettres d ’Éléphantine : 37, 113 Papyrus pascal : 33, 165, 167

Bar Kokhba Lettres : 113, 167

Livre des Jubilés : 144

Simon

ben

Gamaliel : 33

412

INDEX SCRIPTUR AIRE

Lettre à la Diaspora (lettre fictive) : 158, 167 Lettre à Yohanan ben Zakkai : 33, 167

Littérature Apocalypse d ’Abraham 21 : 287 Lettre d ’Aristée : 41, 57, 93, 114, 173179 1-8 : 175 7 : 177 8 : 177 11 : 178 28-33 : 178 34b-40 : 178 41-46 : 178 120 : 177 296 : 177 322 : 176 Lettre de Johanna à Épagathos : 113

Yohanan ben Z akkai : 33 Lettre à Simon ben Gamaliel : 33 judéo - grecque

Vie grecque d ’Adam et Ève (Apocalypse de Moïse) 17, 1 : 277 35,2 : 287 Eupolème : 114 Flavius Josèphe : 111, 113, 115, 176, 199, 221, 308 Guerre juive  Sixième livre : 152 Philon d’A lexandrie : 111, 113, 115 Legatio ad Caium : 115 Rêves 1,36 : 287

Littérature Fragment de Muratori : 334 Cicéron : 37, 62, 66, 85, 88, 96, 99 Pro Flacco : 66 Epistulae ad familiares : 66 Epistulae ad Atticum : 66 Fronton : 63 Lettres : 37

latine

O vide : 93 Les Héroïdes : 37 Pline

le Jeune :

Pseudo -Augustin Sur la rhétorique : 6 Quintilien L’art rhétorique : 66

Horace : 85, 93 Lettres aux Pisons : 37

Sénèque : 66, 85, 96 Lettres à Lucilius : 37

I socrate Lettres à Philippe : 37

Salluste : 199

Julien : 63

Tacite : 199

Julius Victor L’art rhétorique : 64, 67

Virgile L’Énéide : 22-23

Littérature Lettres de Mani : 40

37, 62-63, 85, 96

manichéenne

INDEX SCRIPTUR AIRE

Littérature Érasme : 88 Guillaume d’Occam : 87 Jean Calvin : 207

Littérature Grafigny F. Lettres d ’une péruvienne : 356 de

Simon R ichard : 88-90

413

médiévale

M artin Luther : 87, 106, 207, 310 Préfaces à la Bible : 207 M élanchthon : 88

du xviii e siècle

Spinoza : 88-90 Œuvres. III Traité théologico-politique. actatus theologico-politicus : 89

I n de x

de s au t eu r s

Achtemeier  P. J. 374 A dams  S. A. 118, 392 A ejmelaeus L. 373 A ernie J. W. 374 Agamben G. 80 A kkermann F. 89-90, 369 A land K. 335, 367 A letti  J.-N. 80, 103-104, 118, 373-375 A mphoux  C. B. 301, 373 A rmengaud  F. 54, 375 A ron  P. 49, 369, 376 A rthus O. 180, 383, 394 A rzt‑Grabner P. 32, 97, 205, 239, 275, 288, 370-372 A ssan‑Dhôte I. 141, 143, 146 148, 367 Attridge  H. 305, 310, 313, 372 Aubin J. 67, 368 Aune  D. E. 199, 202, 375 Auwers J.-M. 148, 399 Backhaus K. 372 Backus  I. 333, 337, 375 Badiou A. 80, 375 Bailly  A. 61, 369 Baird W. R. 183, 192, 373, 375 Balz  H. 245, 290, 369 Barbaglio G. 96, 375 Barrett  C. K. 239, 254, 371 Barth K. 207 Barthes  R. 101, 375 Baslez  M.-F. 27, 33, 54, 209, 218-219, 229, 235, 375 Bauckham  R. J. 316, 318-321, 333, 372, 375 Bauer  T. J. 29, 375 Bauer W. 257, 262, 359 Baur F. C. 81, 116 Becker E.-M. 375 Becker J. 376 Bélanger S. 82, 376

Belayche N. 231, 376, 390 Berge L.  P. M. 42, 88, 97, 201, 203-204, 217 218, 228, 245, 250-251, 268 269, 355, 376 Berger  K. 96, 211-212, 281, 373, 376 Bernier  M.-A.  49, 376 Betz H.-D. 97, 102-104, 223, 240, 270 271, 273, 290, 294, 372, 376 Bewer  J. A. 148, 376 Bickerman  E. J. 308-309, 376 Bickmann  J. 49-50, 64, 97 98, 350, 376 Bieringer  R. 106, 225-226, 228, 239, 241, 373, 376-377 Bingham Kolenkow A. 377 Bird M.  F. 377 Bjerkelund  C. J. 99, 245, 377 Bloch M. 69, 71-72, 377 Bogaert  P.-M. 148, 150, 153, 155-156, 158, 367, 369, 399 Boismard M.-É. 377 Bolton D. 377 Bornkamm G. 240, 335, 377 Bosenius  B. 96, 377 Botha P. J. J. 377 Bouffartigue J. 378 Bourquin Y. 48, 55, 57-58, 101, 374 Bovon  F. 101, 265, 273, 303, 375, 378 Bowe  B. E. 326, 378 Boyarin D. 378 Bracops  M. 54-55, 378 Breytenbach C. 235, 375 Briend J. 126, 137, 180, 383, 394 Brinker  K. 52, 378 Brisebois  M. 88, 90, 373

INDEX DES AUTEURS

Brown  R. E. 101, 235, 241 242, 305, 316 317, 373 Brueggmann  W. 135, 370 Buchwald W.  369 80-82, 107, Bultmann R. 116, 239, 270 Burnet  R. 20, 22, 26, 28, 30, 49, 51-53, 65, 95, 102, 104-105, 166, 172, 191 192, 194, 196, 198, 206, 208, 224, 255, 260, 263, 271, 284, 290, 292, 303, 305, 309, 312, 314, 326-328, 333, 335-336, 378-379 80, 82, 86, Butticaz  S. 106-107, 215, 228, 301-302, 307, 310, 384 Camelot  P. T. 343, 367 Caquot A. 160, 393 Carleton  Paget  J. 379 Carrez M. 193, 220-221, 240, 250, 256 257, 259, 261, 266, 272-274, 277, 287‑289, 371, 379 Ceccarelli P. 62, 379 Chantraine  P. 369 Charles  R. H. 152, 367 Charpin  D. 128-130, 379 Chevallier M.-A. 379 26, 37, 65-66, Chiron  P. 367 Cioran É. 21 Clivaz C. 110, 229, 329 330, 380, 386 Cohen J. 101 240, 380 Collange J.-F. 369 Collins J. J. 234, 380 Concannon  C. W. Conzelmann H. 316, 326, 335, 373

415

Costa  J. 211, 380 Costa T. 380 Couchoud  P.-L. 342, 367 Cousin H. 114, 373 Crafton J. A. 380 Cyrulnik B. 356 Danker F. W. 380 89, 380 Darmour  F. Dassmann  E. 215, 326, 331, 338, 380 Davies W.  B. 369 de  Bruyne  D. 338, 380 de G oncourt E. et J. 78, 381 de L assus A.-M. 171, 381 de Robert  P. 374 de Salis  P. 26, 224, 253, 304, 320, 381 Deissmann  A. 22, 32, 51-52, 84-85, 91-98, 184, 307, 381 Delcor M. 155-156, 160, 369, 393 Desjardins L. 49, 376 Delacroix  C.  69, 73, 373, 391, 395 Delorme J. 381 36, 382 Demarée R. Dettwiler  A. 28, 96, 107, 118, 183, 198, 232, 236, 243, 276, 301, 307, 310, 374-375, 382, 384, 388 Diaz  B.  47-48, 76, 78, 382 Dimant  D. 122, 144, 367, 382 Doering L. 20, 39, 51-52, 59-60, 75, 84 85, 111-116, 118, 121-126, 133-134, 139 146, 148, 150 151, 153, 156, 158-159, 163 165, 167-168, 174-179, 194, 196, 197, 210 213, 221, 350, 379, 382

416

INDEX DES AUTEURS

Donfried K. 105, 218, 232, 235-236, 243, 382, 396 Dosse F.  69, 73, 373, 391, 395 Dupont-Sommer  A. 150-152, 160 161, 277, 367 Durand  J.-M. 129, 221, 344, 367, 382, 393, 398 Dürrer M. 101 132-133, 382, Dussaud R. 389 Elliott  N. 80 E nglberger T. 19, 396 191, 383 Epp E. J. 80 Ehrensperger K. 52, 383 Ermert  K. Ernst M. 97 106, 108, 383 E skola T. 32, 97-98, 383 E xler F. X. J. Farmer W. R. Febvre L. Fernández M arcos N. Ferry  J. Fitzgerald J. T. Fleury  P. Forbes  C. Ford D.  F. Foucault M. Francis F. O. Freedman D. N. Friedrich G. Friesen  S. J. Fuchs  É. Funk  R. W. Furnish  V. P.

100, 383 25-27, 383 383 126, 136-137, 180, 383, 394 383 67, 368 288, 383 240, 400 23 373 369 369 232-233, 383, 392, 395 225, 248, 290, 319, 321, 323325, 372, 383 100, 383 239, 247, 256257, 261, 270, 273, 277, 287, 292, 371

Gallaz  P. Garcia  P.  Gaston L.

65, 367 69, 73, 373, 391, 395 109, 384

Gamble H. Y. 384 Garland D. E. 241, 264, 270, 292, 371 Geoltrain  P. 265, 273, 328, 333, 337, 368, 375, 384 Georges A.  373 Georgi  D. 226, 377, 384 Genette G. 101 229, 231-232, Gerber D. 384 Gibert M. 80, 373 384 Gillett A. 384 Gooder  P. R. 307, 310, 316, Grappe C. 373, 384 Grässer E. 240, 268, 274 275, 278, 280, 292, 371 Grassi  M.‑C. 56, 58, 350, 384 Grelot  P. 166, 373, 384 Grossir C. 70, 384 Groupe  μ 101, 384 Guillaumont  F. 71, 384 Guillemette  N. 90, 373 Guthrie G. G. 305, 384 H afemann S. 384 108-109, 385 H agner D. A. H all D. R. 240, 385 H amman  A. G. 325, 368 H an  P. 209, 385 369 H arlow D. C. H aroche-Bouzinac G. 21, 46, 48, 73, 356, 385 H arouel J.-L. 27, 389 108-109, 258, H arris  M. J. 261, 270-272, 275, 277, 280 282, 285, 292, 371, 385 H auser A.  J. 374 H awthorne G.  F. 369 214, 385 H ays  R. B. H ayward R. 122, 146, 368 271, 385 H eckel  U. H emer C. J. 171, 385 328, 368 H emmer H. 150, 153, 158, H enze  M. 385

INDEX DES AUTEURS

Hoffmann  J. R. 338, 385 Holladay  W. L. 126, 136, 370, 385 Holland G. 385 369 Holweg A. 174-175, 385 Honigman  S. Horbury W. 369 80, 183, 373 Horn  F. W. Horner J. M. 42, 385 385 Hurd  J. L. Jacob E. 155-156, 369 Jakobson R. 55-56, 59, 130 131, 252, 298, 386 James  S. A.  232-233, 383, 392 Jaubert  A. 325-327, 329, 368 Jervell  J. 291, 386 Jervis  L. A. 218, 386 Jewett  R. 242-243, 326, 378, 386 Johnson  S.  F. 369, 384 Johnson Hodge C.  110, 386 Joslin B. C. 305, 386 Junod É. 386 K aesemann E. K aestli J.-D. K arrer  M. K ennedy  G. A. K eown  G. L.  K essler C. K im  C.-H. K ittel G. K lauck H.-J. K lijn  A. F. J.

386 28, 96, 107, 118, 160-161, 183, 232, 236, 243, 276, 328, 333-334, 337, 368, 374-375, 382-384, 386, 388 171, 305, 310312, 372, 386 102, 104, 239, 380, 386, 399 136, 370 106, 387 99, 201, 387 369 73, 85, 112, 122, 140-141, 150, 174, 192, 194, 198-199, 201, 203, 387 150, 387

417

Koester C. R. 372 Könemann J. 19, 396 Koskenniemi H. 32, 97, 99-100, 387 Kowalski  M. 82, 225-226, 228, 230, 240, 387 K ratz  R. G. 122, 142-143, 387 K reinecker  C. M.  32, 97, 372, 387 K rüggeler M. 19, 396 L acocque  A. 374 L afont  B. 128-129, 387 L agrée J. 89-90, 369 226, 239-241, L ambrecht J. 270, 285, 371, 377 L ampe P. 82, 387 L ane  W. 305, 310, 372 L anglois C.-V. 69, 74 L angridge-Noti E.  232, 387 178-179, 387 L angslow  D. S. L aurence  P. 71, 384 L eclant  J. 36-38, 370, 382, 392 L eclerc  G. 387 L egrand L. 227, 387 L éon-Dufour X. 370, 374 303, 338, 388 Lieu  J. M. Lindars B. 307, 388 Lindemann A. 316, 326, 328 329, 372-373, 388 Lindenberger J. M. 166, 368 Link  H. 59, 388 Lipinski E. 155-156, 369 87, 388 L öhr  W. L ohse E. 388 326, 328, 330, L ona  H. 372 L ong  P. J. 187, 388 L ong F. J. 374 L ongenecker W.  B.  388 235-236, 388 Lüdemann G. Lundbom J. 135, 370 Mc Cant  J. W. Mc Clelland S. E.

241, 247, 270, 371 389

418

INDEX DES AUTEURS

M acchi J.-D. 124, 126-130 65, 67-68, 73, M alherbe  A. J. 97, 100, 368, 383 M alosse  P.-L. 67, 174, 202 203, 368 M arguerat  D. 27-29, 48, 55, 57-58, 81, 96, 101, 107, 117 118, 149, 173, 183, 186, 198‑ 201, 207, 215, 225, 229, 232, 234-236, 238, 243, 276, 278, 280, 285, 302 303, 309, 316, 318, 320, 329 330, 334, 370, 374-375, 379 383, 388, 395, 398 M arrou  H.-I. 21, 68, 389 M artin  R. P. 239, 254, 262, 264-265, 270, 285, 289, 371 M artin-Achard R. 101, 155-156, 369, 375 M arty J. 389 M arxsen W. 233, 374 M assonnet  J. 310, 372 M eeks W. A. 237, 389 Mélèze-Modrzejewski J. 27, 389 M ell  U. 122, 140, 150, 153, 155, 166 168, 210, 212, 389 M enoud P. 289, 389 305, 389 M ichaud J.  P. 326, 389 M ignot  D.-A. M illet O. 374 11, 21-22, 33, M imouni S. C. 38-39, 83, 86, 106, 110, 117, 133, 165, 174 176, 183, 211, 231, 237, 308, 316, 326, 337, 344, 355, 376, 380, 389-390

Moatti‑Fine J. 141, 143, 146 148, 367 Montevecchi O. 67, 368 Morabito R. 76-77, 390 Moreau P.-F. 89-90, 369 Moreschini  C. 326-328, 334, 337-338, 342 343, 374 Morin  É. 209-211, 215, 219, 390 Morray-Jones  C. 228, 390 Moule C. F. 100, 383 Muilenburg J. 102 Murariu C. C. 390 Murphy O’Connor J. 20, 96, 104, 192, 194-195, 205-206, 231 236, 239, 241, 303, 391 Nanos M. D. 109-110, 391 Neuhaus  D. M. 106, 391 Neusner  J. 211, 391, 394 Niebuhr  K.-W. 100, 165, 383, 391 Nihan C. 124, 126-130, 379, 394 Norelli  E. 326-328, 333 334, 337-338, 342-343, 374, 391 Nutkowicz  H. 166, 391 O’Day  G. R. Oden T. C. Oestreich  B. Offenstadt  N. Olbrechts-Tyteca L. Olbricht  Τ. Η. Olson  S. N. Ory G. Ozanam  A.-M.

210, 391 355 194, 391 69, 73, 373, 391, 395 101, 392 377, 385, 392393, 400 391 342, 367 98, 368

Padovese L. Pani G. Panier L. Papathomas  A.  Pardee D. Park D. M. Patte  A.

391 391 381, 392 97, 370 38, 392 288, 392 101, 392

INDEX DES AUTEURS

Patte  D. 101, 236, 392 Pauly A. F. 370 174-175, 177, Pelletier  A. 368 Perelmann C.  101, 392 233, 392 P ettegrew D.  K. P eter-K ritzer R. E.  97, 370 150-152, 160Philonenko  M. 161, 277, 367 Plummer  A. 254, 371 Ponsot H. 186, 392 155-156, 369 Ponthot J. 104, 118, 218, Porter  S. E.  370, 377, 385, 392-393, 396 397, 400 Poster  C. 64, 392 Pouderon  B. 110, 238, 328, 368, 374, 380, 390, 392 P rinz  O. 369 P rost A. 21, 74, 392 Puigdollers Noblom R. 392 Quesnel  M. 231, 233, 267, 370 Quispel  G. 333-334, 392 393 R äisänen  H. 107, 393 R ajak T. 175, 393 R akotoharintsifa  A. 208, 210, 214, 220-221, 232, 237, 393 R ahlfs A. 26, 367 101, 103, 393 R eboul  O. R eed J. T. 393 R eid  D. G. 369 R egul  J. 338, 393 R einfray  A. 156, 393 R eymond  P. 319-325, 372 R iaud J. 160-161, 393 192, 393 R ichards  R. E. R icoeur  P. 75, 393 32, 97-98, 393 Roller O. Römer T. 124, 126-130, 160-161, 180, 208, 210, 214, 220-221, 223, 344, 379, 386, 393-394

Rothaus R. M. Rückl J. Ruegg  U. Rusche  H. Ruwet N.

419 231, 394 128-130, 379 102, 394 210, 394 55, 386

Saffrey H. D. 233, 394 Saint-Jacques D. 49, 369, 376 238, 368 Salamito J. M. 88, 118, 394 Salles  C. Sampley J.  P. 82, 373, 387, 394 Sand G. 70, 384 106-108, 196, Sanders E.  P. 383, 394 Sandnes , K. O. 394 Sänger  D. 122, 140, 150, 153, 155, 166, 168, 210, 212, 389, 394 Savage T.  B. 394 136, 370 Scalise  P. J.  Schäfer P. 33, 166, 395 Schlosser  J. 88, 118, 316, 318, 320, 375, 394-395 Schmeller T. 240 Schmoller  A. 374 Schneider  G. 245, 290, 369 Schneider J. 77, 395 Schneuwly P urdie M. 19, 396 165, 395 Schnider  F. Scholtissek  K. 192-193, 395 Schöttler  P. 69, 395 Schowalter D. N. 232-233, 383, 392, 395 Schröter J. 301, 307, 310, 384 Schubert  P. 98-99, 395 Schwartz J. 106, 395 395 Schweitzer A. 374 Schwertner  S. D. Schwiderski D. 395 Segal  A. F. 106, 286, 395 Seignobos C. 21, 69, 74 19, 395 Serres M. Siegert F. 396 71 Simiand F. 22, 396 Simon P. 47-48, 76, 78, Simonet-Tenant  F. 382

420 Ska J.-L. Smelik  K. Smith M. Smothers T. G. Souquet L. Sperber A. Spinoza  B. Stamps  D. L. Standaert B. Stanley C. D. Stanton G. Stendahl  K. Stenger  W. Stirewalt  M. L. Stolz J.  Stone M. Stowers  S. K. Strauss D. F. Strecker G. Strugnell J. Sturdy J. Sumney  J. L. Sze-K ar  W.

INDEX DES AUTEURS

80, 373 126, 396 335 370 356 146, 368 88-90, 369 104, 396 103, 396 396 396 107, 396 165, 395 84, 97, 105, 188, 190-192, 202, 396 19, 396 335 96-97, 109, 202, 396 80 112, 223, 396 367 369 218, 396 259, 276, 397

Tardieu  M. 337, 397 Taylor  N. H. 397 Theissen G. 237, 397 Thraede K. 32, 97, 100, 397 Thrall M. 226, 236, 238 239, 241-243, 275, 289, 371, 397 Tite  P. L. 333, 397  Tomson P. J. 106, 109, 228, 390, 395, 397 Trapp  M. 62, 65, 368 Trobisch D. 397 397 Trocmé E. Urech  E.

155, 370

Vanhoye  A. Vegge I. Veyne P.

103, 306-307, 310, 313, 372, 376, 397 250-251, 398 22-23, 73-74,

171, 396, 398 Viala  A. 49, 369, 376 Vianès L. 174, 368 Vinzent M. 338, 343-344, 398 von Gemünden P. 221, 398 von H arnack  A. 333-334, 337, 397-398 Vouga F. 27, 29, 80-81, 96, 116-117, 173, 207, 229, 234-235, 238 240, 309, 398 399 Vulpillières S. de 80, 373 Walker D. D. 399 Wallace J.  B. 399 399 Ward  R. F. Wasserstein A.  175-177, 399 Wasserstein D. J. 175-177, 399 Watson D.  F. 239, 374, 380, 399 Wedderburn J. M. 305, 313, 399 Welborn L. L. 42, 399 148, 399 Wénin A. 30, 32, 63, 97, White J. L. 99, 399 Whitters  M. F. 150, 164-165, 399 Willi  R. 127-128, 132 136, 399 Windisch H. 42, 239 97, 370 Winter  F. Wiseman J. 232, 400 Wissowa G. 370 Witherington III B. 202, 232, 371 Wolff C. 160, 400 Wuellner W. 400 Young  F. Young G.

240, 400 129, 387

238, 368 Z arini V. 80, 87-88, 106Zetterholm  M. 110, 183, 207, 400 Zizek S. 80 271, 400 Zmijewski  J. Zumstein  J. 245, 370

Judaïsme ancien et origines du christianisme 1. Régis Burnet, Les douze apôtres. Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien (2014) 2. Thierry Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne (2014) 3. Christian Julien Robin (éd.), Le judaïsme de l ’Arabie antique. Actes du Colloque de Jérusalem (février 2006) (2015) 4. Bernard Barc, Siméon le Juste: l ’auteur oublié de la Bible hébraïque (2015) 5. Claire Clivaz, Simon Claude Mimouni & Bernard Pouderon (éds), Les judaïsmes dans tous leurs états aux Ier-IIIe siècles (les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins). Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012 (2015) 6. Simon Claude Mimouni & Madeleine Scopello (éds), La mystique théorétique et théurgique dans l ’Antiquité gréco-romaine (2016) 7. Pierluigi Piovanelli, Apocryphités. Études sur les textes et les traditions scripturaires du judaïsme et du christianisme anciens (2016) 8. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme chez les Pères (2015) 9. Simon Claude Mimouni & Louis Painchaud (éds), La question de la « sacerdotalisation » dans le judaïsme synagogal, le christianisme et le rabbinisme (2018) 10. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), Texts, Practices, and Groups. Multi­ disciplinary approaches to the history of Jesus’ followers in the first two centuries. First Annual Meeting of Bertinoro (2-5 October 2014) (2017) 11. Eric Crégheur, Julio Cesar Dias Chaves & Steve Johnston (éds), Christianisme des origines. Mélanges en l ’honneur du Professeur Paul-Hubert Poirier (2018) 12. Alessandro Capone (éd.), Cristiani, ebrei e pagani: il dibattito sulla Sacra Scrittura tra III e VI secolo – Christians, Jews and Heathens: the debate on the Holy Scripture between the third and the sixth century (2017) 13. Francisco del Río Sánchez (éd.), Jewish Christianity and the Origins of Islam. Papers presented at the Colloquium held in Washington DC, October 29-31, 2015 (8th ASMEA Conference) (2018) 14. Simon Claude Mimouni, Origines du christianisme. Recherche et enseignement à la Section des sciences religieuses de l ’École Pratique des Hautes Études, 1991-2017 (2018) 15. Steve Johnston, Du créateur biblique au démiurge gnostique. Trajectoire et réception du motif du blasphème de l ’Archonte (2019) 16. Adriana Destro & Mauro Pesce (éds), From Jesus to Christian Origins. Second Annual Meeting of Bertinoro (1-4 October, 2015) (2019) 17. Marie-Anne Vannier (éd.), Judaïsme et christianisme au Moyen Âge (2019) 18. Pierre de Salis, Autorité et mémoire. La réception de l ’autorité épistolaire de Paul de Tarse du Ier au IIe siècle (2019)