Les déserts de l’Occident: Genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la Gaule (fin IVe - milieu VIe siècle) 9782503592725, 2503592724

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Les déserts de l’Occident: Genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la Gaule (fin IVe - milieu VIe siècle)
 9782503592725, 2503592724

Table of contents :
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INTRODUCTION GÉNÉRALE. LE MONASTÈRE COMME SÉPARATION SPATIALE :A UX SOURCES DE LA TRADITION MONASTIQUE RHODANO-PROVENÇALE
PARTIE I. LES ORIGINES ITALIENNES DES DÉSERTS INSULAIRES (FIN IVe-DÉBUT Ve SIÈCLE)
PARTIE II. LES DÉSERTS INSULAIRES PROVENÇAUX ET LEURS PROLONGEMENTS RHODANIENS (Ve SIÈCLE)
PARTIE III. LES NOUVEAUX MODÈLES MONASTIQUES DU DÉBUT DU VIe SIÈCLE
CONCLUSION. LA TRADITION MONASTIQUE DU SUD-EST DE LA GAULE : UNE SOURCE MAJEUR EDE LA CULTURE MONASTIQUE OCCIDENTALE
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LES DÉSERTS DE L’OCCIDENT genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la gaule (fin ive – milieu vie siècle)

COLLECTI O N D ’ ÉTU D ES M É D IÉ VAL E S DE N IC E Collection fondée par Rosa Maria dessì, Michel lauwers et Monique Zerner Direction Michel lauwers Comité éditorial Germain Butaud, Yann Codou, Rosa Maria Dessì, Stéphanie le BriZ-orgeur Comité scientifique Enrico Artifoni (Università di Torino), Jean-Pierre Devroey (Université Libre de Bruxelles), Patrick J. Geary (Institute for Advanced Study, Princeton), Dominique Iogna-Prat (EHESS, Paris), Florian MaZel (Université de Rennes 2), Didier Méhu (Université Laval, Québec), Jean-Claude Schmitt (EHESS, Paris), Élisabeth Zadora-rio (CNRS, Tours)

Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge Umr 7264, Université Nice Sophia Antipolis – CNRS Pôle Universitaire Saint-Jean-d’Angély SJA3 24, avenue des Diables-Bleus F-06300 Nice Cedex * Maquette Antoine Pasqualini

Illustration de couverture Cap des Mèdes, Île de Porquerolles. Photographie Christel Gérardin. Illustration de la quatrième de couverture Site archéologique des Mèdes, Île de Porquerolles : mur de la case 2, proche de la poterne (plan reproduit ci-après, p. 119). Photographie Jean-Christophe Treglia.

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CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge

COLLEC TION D’ÉTUDES MÉ DIÉ VAL E S DE NIC E VOLUME 18

LES DÉSERTS DE L’OCCIDENT

genèse des lieux monastiques dans le sud-est de la gaule

(fin ive – milieu vie siècle)

LAURENT RIPART

H F

© 2021

F H G, Turnhout, Belgium.

All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without the prior permission of the publisher.

ISBN : 978-2-503-59272-5 E-ISBN : 978-2-503-59273-2 Numéro de dépôt légal : D/2021/0095/56 Numéro de DOI : 10.1484/M.CEM-EB.5.121871 ISSN : 2294-852X E-ISSN : 2294-8538 Printed in the E.U. on acid-free paper

INTRODUCTION GÉNÉRALE LE MONASTÈRE COMME SÉPARATION SPATIALE : AUX SOURCES DE LA TRADITION MONASTIQUE RHODANO-PROVENÇALE

L’

historiographie du monachisme occidental a connu ces dernières années un profond renouvellement, dont la récente Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West permet de prendre toute la mesure1. Le vieux récit traditionnel, qui expliquait que le monachisme serait issu de l’expérience anachorétique d’Antoine dans le désert égyptien, qu’il aurait ensuite pris une forme cénobitique avec Pachôme et Basile, avant d’arriver en Occident où il aurait trouvé son équilibre dans la règle bénédictine2, est aujourd’hui devenu obsolète. Comme l’a tout particulièrement souligné Albrecht Diem3, les historiens considèrent désormais que ce récit relève d’une perspective téléologique, pour l’essentiel mise en place par les Carolingiens dans le contexte de la généralisation de la règle bénédictine. La réforme monastique carolingienne s’est en effet accompagnée d’un vaste travail de reconstruction mémorielle, qui amena Benoît d’Aniane à réunir dans sa Concordia regularum toutes les anciennes règles monastiques latines4, afin d’affirmer qu’elles avaient vocation à confluer dans la Règle de saint Benoît, qu’il concevait comme un horizon aussi inévitable qu’indépassable5. À son exemple, les Carolingiens se sont attachés à reconstruire 1.

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A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol. A. de vogüé, Le monachisme en Occident avant saint Benoît, Bégrolles-en-Mauges, 1998 (Vie monastique 35) ; V. desPreZ, Le monachisme primitif. Des origines jusqu’au concile d’Éphèse, Bégrollesen-Mauges, 1998 (Spiritualité orientale 72) ; M. dunn, The Emergence of Monasticism. From the Desert Fathers to the Early Middle Âge, Oxford, 2000 et C.H. lawrence, Le monachisme médiéval. Formes de vie religieuse en Europe occidentale au Moyen Âge, Paris, 2018 (éd. originale : New-York, 1984). A. diem, « Inventing the Holy Rule : some Observations on the History of Monastic Normative Observance in the Early Medieval West », dans H. dey et E. fentress (éd.), Western Monasticism ante litteram. The Spaces of Monastic Observance in Late Antiquity and the Early Middle Âges, Turnhout, 2011 (Disciplina Monastica 7), p. 53-84 ; A.-M. helvétius, « Normes et pratiques de la vie monastique en Gaule avant 1050 : présentation des sources écrites », dans O. delouis et M. mossakowska-gauBert (éd.), La vie quotidienne des moines en Orient et en Occident (IVe‑xe siècle), vol. I, L’état des sources, Le Caire/Athènes, 2015 (Bibliothèque d’étude 163), p. 371-386, ici p. 379-386 ; A. diem et C. raPP, « The Monastic Laboratory. Perspectives of Research in Late Antique and Early Medieval Monasticism West » dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 19-39 et A. diem et P. rousseau, « Monastic Rules (Fourth to Ninth Century) », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 162-194. Benoît d’aniane, Concordia regularum, éd. P. Bonnerue, Turnhout, 1999 (Corpus Christianorum Series Latina 168A). J. semmler, « Benedictus II : una regula – una consuetudo », dans W. lourdaux et D. verhelst (éd.), Benedictine Culture, 750– 1050, Louvain, 1983, p. 1-49 ; M. gaillard, D’une réforme à l’autre (816‑934) : les communautés religieuses en Lorraine à l’époque carolingienne, Paris, 2006 (Histoire

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Les déserts de L’Occident

l’histoire du monachisme occidental, en la pensant comme une longue et inéluctable marche vers la Règle de saint Benoît, imposant dans cette perspective un récit cohérent et linéaire des origines que l’historiographie bénédictine s’est employée à colporter jusqu’à nos jours. Durant ces dernières décennies, alors que la recherche sur le premier monachisme sortait des monastères bénédictins pour entrer dans le monde universitaire, cette perspective a été radicalement remise en cause. Les travaux récents ont cherché une alternative à la perception téléologique héritée des Carolingiens, comme l’a particulièrement mis en évidence l’essai sur l’histoire du premier monachisme occidental que Roberto Alciati a rédigé avec un plan thématique, afin de rompre clairement avec le récit linéaire que la tradition ecclésiastique nous avait légué6. L’historiographie s’est surtout attachée à mettre en évidence la pluralité des expériences monastiques de l’Antiquité tardive, faisant apparaître la richesse et surtout la diversité du premier monachisme. Loin du fil rouge qui permettait de relier Antoine à Benoît, en passant par Pachôme et Cassien, l’histoire des origines du monachisme occidental apparaît aujourd’hui comme un monde foisonnant de projets, un espace de pratiques et de conceptions si hétérogènes que la recherche éprouve de plus en plus de difficultés à définir la nature même de la condition monastique dans la société tardo-antique. Qu’est-ce qu’un moine aux ive, ve et vie siècles ? La question apparaît aujourd’hui comme redoutablement compliquée, tant la diversité des premiers moines peut sembler forte à la lumière de la recherche actuelle. Un moine pouvait évidemment avoir les traits d’un anachorète partant vivre en haillon dans le désert, mais il pouvait tout aussi bien s’agir d’un haut fonctionnaire de l’État romain, qui se retirait dans le confort de ses domaines privés pour y mener une vie d’étude et de prière avec les siens. Un moine pouvait aussi être un diacre qui, après avoir passé la journée auprès de son évêque, allait se retirer le soir dans la maison commune qu’il partageait avec un groupe de prêtres. Il pouvait aussi s’agir d’un serviteur que son maître avait affecté à l’entretien d’une tombe vénérée, ou encore d’un jeune enfant placé par les siens dans un monastère cénobitique, afin d’être consacré à Dieu et mener une vie commune de prière et de mortification. Par ses multiples visages, le moine de l’Antiquité tardive échappe ainsi largement aux catégories des historiens, comme il échappait aussi largement aux pères de l’Église tardo-antique. Ceux-ci étaient en effet incapables de s’accorder sur une définition commune du terme de μοναχός/monachus, une tâche il est vrai difficile puisque les philologues contemporains ne sont pas parvenus à en déterminer le sens premier7. Une partie des pères de l’Église pensait avec Jérôme que le

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ancienne et médiévale 82), p. 123-148 et R. kramer, « Monasticism, Reform and Authority in the Carolingian Era », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 432-449. R. alciati, Monaci d’Occidente. Secoli IV‑IX, Rome, 2018. F.-E. morard, « Monachos, Moine. Histoire du terme grec jusqu’au 4e siècle. Influences bibliques et gnostiques », Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie, 20/3 (1973), p. 332-411 ; E.A. Judge, « The Earliest Use of Monachos for “Monk” (P. Coll. Youtie 77) and the Origins of

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terme de μοναχός/monachus définissait l’homme qui avait vocation à vivre seul. D’autres considéraient avec le Pseudo-Denys qu’il qualifiait celui qui avait réussi à trouver son unité intérieure. Enfin, certains estimaient comme Augustin qu’il désignait celui qui vivait dans une parfaite unité au sein de sa communauté. Si le moine peut ainsi sembler indéfinissable, le mouvement monastique est tout aussi difficile à appréhender, dans la mesure où il s’avère particulièrement complexe à circonscrire. Il est ainsi impossible d’en établir l’acte de naissance et de savoir quand, et encore moins comment, le monachisme s’est constitué. Les historiens se bornent aujourd’hui à considérer qu’il se serait progressivement dégagé, à une date impossible à préciser, de ces groupes de prières et de mortification, présents depuis une haute époque dans le christianisme comme dans le judaïsme, que les spécialistes désignent par le terme « d’ascétisme ». Ils recourent ainsi à un concept commode mais néanmoins problématique, puisque les historiens regroupent dans cet « ascétisme » des pratiques et des conceptions en réalité très différentes8. Les limites sociales du monachisme sont aussi complexes à définir, puisqu’il pouvait attirer des hommes comme des femmes, des riches comme des pauvres, des laïcs comme des clercs, des urbains comme des ruraux. Le statut même du moine reste tout aussi délicat à déterminer, dans la mesure où il est souvent bien difficile de distinguer un pieux laïc d’un moine, une dévote d’une religieuse, ou encore de percevoir la différence entre une communauté de clercs et un monastère. Cette diversité du monachisme s’exprimait d’abord et avant tout au niveau de ses établissements, puisque chaque communauté disposait d’une forte autonomie. Elle se retrouvait aussi dans les puissantes identités régionales qui morcelaient le monde romain et que les forces centrifuges à l’œuvre dans l’empire ne cessaient alors d’exacerber9. Dans un ouvrage récent, Peter Brown s’est attaché à mettre en évidence cette diversité régionale du monachisme, en opposant le mode de vie contemplatif des moines syriens au monachisme égyptien, bien davantage tourné vers la vie pratique et les enseignements pauliniens sur les vertus du travail10. Avec l’esprit de nuance qui le caractérise, Peter Brown a évidemment souligné que ces identités régionales ne constituaient pas des blocs monolithiques, non seulement parce que les monachismes syrien et égyptien avaient une forte diversité interne, mais aussi parce que leurs expériences s’étaient interpénétrées, donnant naissance dès le ve siècle à des formes mixtes. Son travail n’en a pas moins montré qu’il était nécessaire de prendre en compte les traditions régionales pour comprendre la diversité des formes prises par les premières communautés monastiques, ce qui peut sembler particulièrement évident dans le monde oriental, où les oppositions régionales entre Égyptiens, Syriens, Cappadociens ou Constantinopolitains, qui dominèrent toute l’histoire du monde proto-byzantin, s’exprimèrent aussi avec force dans le mouvement monastique. Monasticism », Jahrbuch für Antike und Christentum, 20 (1977), p. 72-89 et F.-E. morard, « Encore quelques réflexions sur monachos », Vigiliae Christianae, 34 (1980), p. 395-401. 8. A. diem, « The Limitations of Asceticism », Medieval Worlds, 9 (2019), p. 112-138. 9. T. gnoli et V. neri (éd.), Le identità regionali nell’impero tardoantico, Milan, 2019 (Antiquitas, Classici della storiografia 2). 10. P. Brown, Treasure in Heaven. The Holy Poor in Early Christianity, Charlottesville, 2016.

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Le monachisme occidental fut probablement tout autant marqué par des oppositions régionales, même si l’historiographie bénédictine les a rendues moins visibles. Robert Markus l’avait par exemple souligné lorsqu’il s’était interrogé sur les approches très divergentes de l’autonomie des monastères, qui lui semblaient caractériser l’espace latin. Dans The End of Ancient Christianity, traduit en français sous le titre d’Au risque du christianisme, il s’était ainsi attaché à opposer les Églises d’Afrique, d’Espagne et d’Italie, où les monastères avaient été étroitement soumis à la férule épiscopale, aux Églises gauloises au sein desquelles le monachisme avait pu trouver un milieu plus favorable à l’autonomie de ses établissements11. Markus proposait d’expliquer cette divergence d’approche par la forte présence de l’arianisme en Afrique, en Espagne et en Italie. Il estimait en effet qu’elle aurait amené les évêques catholiques de ces espaces à faire preuve d’une grande méfiance vis-à-vis des formes les plus clivantes de la vie ascétique, pour privilégier d’abord et avant tout l’unité de leurs Églises dont leur autorité pastorale constituait le garant. Si cette explication peut sembler discutable, les interrogations de Markus ont néanmoins eu le mérite de mettre en évidence l’importance des diversités régionales du premier monachisme latin, à rebours de la tradition bénédictine qui s’était surtout attachée à affirmer l’unité originelle du monachisme latin. À bien y regarder, le vieux récit linéaire du « monachisme pré-bénédictin » n’a toutefois jamais pu totalement gommer les fortes identités régionales qui s’étaient exprimées dans le premier monachisme latin, comme en témoigne le cas des monastères ibériques. Après la crise du priscillianisme, qui semble avoir un temps entravé son développement, le monachisme ibérique avait connu un important développement au vie et surtout au viie siècle, dans le contexte de la conversion de la royauté wisigothique au catholicisme. Malgré leur forte diversité, les nombreux monastères qui furent alors fondés organisèrent la vie de leurs moines en se référant à un même corpus de textes régionaux, principalement constitué par les règles d’Isidore de Séville et de Fructueux de Braga, ainsi que par la Regula communis, le Pactum et la Regula Consensoria Monachorum. Au-delà de ce réseau textuel, les historiens du monachisme ibérique ont aussi mis en évidence les traits particuliers de cette école monastique, marquée non seulement par la forte autorité que les évêques assumèrent dans l’encadrement des monastères, mais aussi par le caractère contractuel qui organisait le pouvoir de l’abbé sur sa communauté monastique12.

11. R. markus, Au risque du christianisme. L’émergence du modèle chrétien (ive‑vie siècle), Paris, 2012 (éd. originale : Cambridge, 1990), p. 288-290. 12. A.M. mundò, « Il monachesimo nella penisola iberica fino al sec. VII », dans Il monachesimo nell’alto medioevo e la formazione della civiltà occidentale, Settimana di studi 8‑14 aprile 1956, Spolète, 1957 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 4), p. 73-117 ; J. Bernaldo, « Pactual Monasticism ? About a much Discussed Feature of Early Spanish Monasticism », dans A. härdelin (éd.), Ten Papers on Medieval Monastic Spirituality, Stockholm, 1991, p. 27-63 ; P.C. díaZ, « Monasticism and Liturgy in Visigothic Spain » dans A. ferreiro (éd.), The Visigoths. Studies in Culture and Society, Leiden 1999, p. 169-199 et idem, « Social Plurality and Monastic Diversity in Late Antique Hispania », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 195-212.

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Bien plus prononcée fut l’identité de la tradition monastique irlandaise, dont le particularisme a été d’autant plus fortement souligné qu’il a souvent été porté par les aspirations nationalistes de ses historiens13. Même si les chercheurs s’attachent désormais en réaction à relativiser la spécificité du monachisme irlandais, il n’en demeure pas moins qu’il a bien développé des éléments de distinction régionale significatifs, dont témoignent en particulier la tonsure atypique de ses moines ou leur adoption du comput pascal du Pseudo-Anatole. Plus fondamentalement encore, les moines irlandais se caractérisèrent par leur activité missionnaire, développant une peregrinatio qui les amena à se répandre dans une grande partie de l’Occident, pour créer, à la fin du vie et au début du viie siècle, de nombreux établissements en Francie, dans l’espace anglo-saxon et même en Italie. Ces fondations missionnaires ont pu amener l’historiographie à concevoir le monachisme irlandais comme une tradition suprarégionale, qui se serait étendue, au travers des fondations d’Aidan, de Colomban et de leurs disciples, de Bobbio jusqu’à Lindisfarne, dans la plus grande partie du monde latin. L’historiographie est toutefois revenue sur cette conception et convient désormais que les établissements fondés par des moines venus d’Irlande n’eurent en réalité pas grand-chose de proprement irlandais, mais se sont pour l’essentiel inscrits dans le contexte de leurs environnements régionaux14. Les chercheurs estiment ainsi aujourd’hui que les monastères fondés par Colomban et ses disciples en Bourgogne, en Austrasie ou en Neustrie se sont pour l’essentiel développés dans le cadre des orientations prises par l’Église franque, tandis que les monastères mis en place par les Irlandais en Northumbrie ou dans le Wessex se situèrent d’abord et avant tout dans le cadre d’un monachisme de tradition anglo-saxonne15. Une telle conclusion montre que 13. T.M. charles-edwards, Early Christian Ireland, Cambridge, 2000 ; C. corning, The Celtic and Roman Traditions. Conflict and Consensus in the Early Medieval Church, New York, 2006 et L.M. Bitel, « Monastic Identity in Early Medieval Ireland », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 297-316. 14. A. dierkens, « Prolégomènes à une histoire des relations culturelles entre les îles britanniques et le continent pendant le haut Moyen Âge. La diffusion du monachisme dit colombanien ou iro-franc dans quelques monastères de la région parisienne au viie siècle et la politique religieuse de la reine Bathilde », dans H. atsma (éd.), La Neustrie. Les pays au Nord de la Loire de 650 à 850, Sigmaringen, 1989, 2 vol., t. II. p. 371-394 ; J. semmler, « Regula mixta », dans Lexikon des Mittelalters, 7, Munich, 1995, p. 606-607 ; A. diem, « The Rule of an “Iro-Egyptian” Monk in Gaul Jonas’Vita Iohannis and the Construction of a Monastic Identity », Revue Mabillon, 19/80 (2008), p. 5-50 ; A.-M. helvétius, « Hagiographie et réformes monastiques dans le monde franc du viie siècle », Médiévales, 62 (2012), p. 33-48 et M. gaillard, « L’influence de Colomban et de Luxeuil sur les fondations monastiques en Gaule : entre légendes et réalités », Bulletin de l’association pour l’Antiquité tardive, 28 (2019), p. 35-46. 15. Y. fox, Power and Religion in Merovingian Gaul. Columbanian Monasticism and the Frankish Élites, Cambridge, 2014 (Cambridge Studies in Medieval Life and Thought, Fourth Series) ; I. wood, « The Irish in England and on the Continent in the Seventh Century : Part I », Peritia, 26 (2015), p.171-198 ; idem, « The Irish in England and on the Continent in the Seventh Century : Part II », Peritia, 27 (2016), p. 189-214 ; R. flechner et S. meeder (éd.), The Irish in Early Medieval Europe. Identity, Culture and Religion, New York, 2016 ; S. Bully, A. duBreucq et A. Bully (éd.), Colomban et son influence. Moines et monastères du haut Moyen Âge en Europe, Rennes, 2018 et E. marron, « The communities of St Columbanus : Irish monasteries on the continent ? », Proceedings of the Royal Irish Academy : Archaeology, Culture, History, Literature, 118 (2018), p. 95-122.

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les cadres spatiaux se sont finalement montrés plus forts que les filiations spirituelles, ce qui témoigne de l’influence décisive des environnements régionaux sur le développement des identités monastiques. Ces débats ont été largement impulsés par l’ouvrage fondamental, bien qu’aujourd’hui dépassé, que Friedrich Prinz avait fait paraître en 1965 sous le titre de Frühes Mönchtum im Frankenreich16. Prenant le contre-pied de l’histoire linéaire mise en place par les Bénédictins, Prinz avait cherché à mettre en exergue la diversité du premier monachisme occidental, en s’attachant en particulier à distinguer ses différentes écoles régionales. Dans cette perspective, il avait proposé de considérer que le monachisme gaulois d’époque tardo-antique se serait organisé autour de deux principaux courants. Le premier, qu’il proposait de qualifier d’« aquitain », aurait été issu de l’enseignement de Martin, tandis que le second, qu’il définissait comme « rhodanien », aurait puisé ses origines dans la tradition lérinienne. Selon Prinz, ces monachismes « aquitain » et « rhodanien » se seraient développés, à partir de Tours et de Lérins, grâce à la circulation des grands textes monastiques que les évêques, formés dans l’un ou l’autre de ces deux pôles ascétiques, auraient contribué à diffuser. Sans jamais avoir été véritablement rejetée, cette interprétation a toutefois été reçue avec une certaine réserve par les historiens qui, à l’exemple de Ian Wood17, ont le plus souvent vu dans le « monachisme rhodanien » un concept flou et peu fonctionnel, eu égard à l’hétérogénéité des établissements qu’il était censé pouvoir englober. Même si le concept de « monachisme rhodanien » n’a guère été repris par l’historiographie, la recherche n’a toutefois cessé de fournir de nouveaux éléments susceptibles de démontrer qu’au-delà de leur bien réelle diversité, les monastères du sud-est de la Gaule ont partagé une même culture monastique, issue pour l’essentiel de textes et de traditions puisés dans un même réseau régional. Adalbert de Vogüé a ainsi mis en évidence que la première règle des moniales de Saint-Jean d’Arles dépendait très largement de sources issues des milieux monastiques de Marseille ou de Lérins18. De même, les travaux de François Masai ont permis de démontrer qu’à l’heure de fonder leur nouvelle abbaye en 515, les moines d’Agaune avaient demandé aux moines de Lérins et du Jura de leur communiquer leurs règles de vie19. Plus récemment encore, Alain Dubreucq a établi que les moines jurassiens avaient pris pour guide essentiel les Institutions de Cassien20. Si les monastères du 16. F. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich. Kultur und Gesellschaft in Gallien, den Rheinlanden und Bayern am Beispiel der monastischen Entwicklung (4. bis 8. Jahrhundert), Munich, 1965. 17. i. wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », dans H.B. clarke et M. Brennan (éd.), Columbanus and Merovingian Monasticism, Oxford, 1981, p. 3-32. 18. césaire d’arles, Règle des vierges, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A. de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 35-273. 19. F. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », dans J. autenrieth et f. BrunhölZl (éd.), Festschrift Bernhard Bischoff zu seinem 65 Geburtstag, Stuttgart, 1971, p. 43-69. 20. A. duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 195-227, en particulier p. 197-202.

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sud-est de la Gaule étaient bien évidemment aussi à l’écoute des textes orientaux et des enseignements de tous les pères de l’Église latine, s’ils ont aussi développé des projets de nature diverse, il peut toutefois sembler indéniable qu’ils ont d’abord et avant tout choisi de se guider selon les textes et les enseignements qui circulaient à l’échelle régionale, empruntant ainsi une démarche qui ne diffère en pratique guère de celle que les moines ibériques avaient adoptée aux vie et viie siècles. C’est à cette tradition monastique régionale que ce livre est consacré. Il s’inscrira ainsi dans la filiation de Prinz, puisqu’il s’attachera, à la lumière des travaux récents, à analyser la nature de cette école monastique, en s’attachant tout d’abord à la définir de manière plus précise que Frühes Mönchtum im Frankenreich ne l’avait fait. L’étude sera chronologiquement limitée aux monastères qui se mirent en place au cours d’un long ve siècle, qui irait des années 410 aux années 520. D’un point de vue géographique, ce travail sera aussi circonscrit aux seuls établissements qui s’implantèrent dans le sud-est de la Gaule, dans un espace qui englobe la Provence, la vallée du Rhône et le massif du Jura. Ainsi définis, ces monastères du Sud-Est de la Gaule présentent des fondations monastiques de nature différente, avec des établissements insulaires à l’exemple de Lérins, un monastère urbain de vierges comme Saint-Jean d’Arles, une confédération monastique comme celle du Jura, ou encore une abbaye royale établie dans une basilique martyriale, à l’exemple d’Agaune. Cet ouvrage s’attachera toutefois à montrer qu’au-delà de leur diversité, ces établissements s’inscrivaient néanmoins tous dans une même tradition régionale, qui s’était pour l’essentiel construite autour de l’enseignement des grands maîtres provençaux de la première moitié du ve siècle. Était-il toutefois pertinent de qualifier avec Prinz cette tradition de « rhodanienne » ? Le terme peut incontestablement interroger, dans la mesure où le cœur de ce courant monastique fut la Provence et plus particulièrement sans doute Marseille et Lérins, qui n’ont géographiquement rien de « rhodanien ». Parler d’un monachisme provençal aurait pu sembler préférable, mais ce dernier terme n’est pas non plus sans défaut, tout d’abord parce que la notion même de Provence a quelque chose d’anachronique, dans la mesure où le terme n’apparaît pas avant le haut Moyen Âge. Même si les historiens de l’Antiquité tardive utilisent fréquemment le terme de Provence, celle-ci n’avait alors pas d’existence institutionnelle et ce n’est que très progressivement, à la fin du ve et surtout dans la première moitié du vie siècle, que son identité s’est lentement forgée21. Surtout, le qualificatif de « provençal » peut sembler assez restrictif, puisque l’étude porte aussi sur les établissements du Jura ou du bassin lémanique, autrement dit sur un espace qui n’est pas provençal. Il a donc semblé plus commode de parler simplement du « Sud-Est de la Gaule », ou encore de « monachisme rhodano-provençal », en ne reprenant pas le concept de « monachisme rhodanien », dans la mesure où son utilisation est restée marginale et pose par ailleurs des problèmes de définition qui obscurcissent plus qu’ils ne clarifient la question. 21. L. stouff, « Identité de la Provence médiévale », dans C. caroZZi et H. caroZZi-taviani (éd.), Peuples du Moyen Âge. Problèmes d’authentification, Aix-en-Provence, 1996, p. 145-168.

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Pour comprendre la manière dont Prinz avait défini le « monachisme rhodanien », il faut souligner que son ouvrage se situait en rupture avec l’historiographie bénédictine, qui ne concevait une tradition monastique qu’en référence à des règles et des pratiques liturgiques. Prinz avait voulu faire œuvre nouvelle, en cherchant à penser les traditions monastiques en recourant aux catégories de la sociologie religieuse wébérienne. C’est dans cette perspective qu’il avait sous-titré son ouvrage Kultur und Gesellschaft in Gallien, den Rheinlanden und Bayern am Beispiel der monastischen Entwicklung, afin d’affirmer qu’il s’attachait à analyser les écoles monastiques en fonction des pratiques culturelles et sociales des élites qui les avaient établies. Dans les années 1960, une telle analyse était profondément novatrice, ce qui explique aussi que les analyses de Prinz se soient parfois heurtées à une certaine réticence. Pour définir le « monachisme rhodanien », Prinz avait donc posé la question non pas en fonction de normes ou de liturgie, mais plutôt dans une perspective de sociologie religieuse. Cela l’avait amené à considérer que le « monachisme rhodanien » se caractérisait tout d’abord sur un plan culturel, par l’importance qu’il aurait accordée aux enseignements des pères orientaux. Ensuite, sur un plan plus sociologique, il lui paraissait aussi se caractériser par son caractère régulier, auquel il accordait d’autant plus d’importance qu’il l’interprétait selon les conceptions wébériennes, comme une approche désormais institutionnalisée des logiques charismatiques qui auraient originellement défini l’état monastique. Comme nous aurons l’occasion de l’expliquer amplement au cours de ce travail, ce dernier point doit être aujourd’hui abandonné, dans la mesure où les historiens du premier monachisme s’accordent désormais largement pour considérer que la « régularité monastique » constitue une problématique fondamentalement anachronique, qui renvoie à un concept pour l’essentiel forgé par la réforme carolingienne. En revanche, le premier point mis en évidence par Prinz peut sembler toujours pertinent, puisqu’il est indéniable, comme nous aurons l’occasion de le constater dans ce travail, que les établissements du Sud-Est de la Gaule se distinguèrent par le goût immodéré qu’ils éprouvaient pour les pères du désert égyptien et par leur volonté de les imiter. Aucun courant monastique du monde latin ne s’est en effet autant inspiré des pères du désert que les moines du Sud-Est de la Gaule. Les textes de Cassien, d’Eucher ou des pères du Jura regorgent de matière égyptienne et tous les établissements que nous étudierons se caractérisent pour leur volonté de se poser en fidèles disciples des pères orientaux. Sur ce point, force est de constater que la tradition développée par les monastères du Sud-Est de la Gaule diffère profondément de la logique de Sulpice Sévère, qui ne s’intéressait aux pères égyptiens que pour affirmer que Martin ne leur était en rien inférieur. Ainsi, la Vita sancti Martini (BHL 5610) ne s’attachait à comparer Marmoutier aux monastères égyptiens que pour affirmer que « ce lieu était si isolé et reculé qu’il n’avait rien à envier à la solitude du désert22 ». De même, si Sulpice avait ouvert ses Dialogues par le long 22. Qui locus tam secretus et remotus erat, ut eremi solitudinem non desideraret : sulPice sévère, Vie de saint Martin, éd. J. fontaine, Paris, 1967-1969 (Sources chrétiennes 133-135), 3 vol., t. I, p. 274.

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témoignage de Postumanius, décrivant les hauts faits de chacun des principaux pères du désert, il n’avait décrit leurs exploits ascétiques que pour conclure que Martin « avait aisément accompli à lui seul toutes les diverses actions respectivement menées à bien par chacun d’entre eux23 ». Le discours développé dans les monastères du Sud-Est de la Gaule était tout autre. Leurs dirigeants ne souhaitaient pas se retirer dans des lieux qui n’avaient rien à envier au désert égyptien, mais voulaient que leurs monastères deviennent des déserts, ce qui n’est pas la même chose. Ils n’auraient surtout jamais osé prétendre qu’il pourrait être possible de surpasser les pères du désert, mais les considéraient comme un modèle indépassable, dont ils souhaitaient simplement se faire les modestes et imparfaits disciples. Comme le disait Cassien, le projet du monachisme provençal visait simplement à « organiser la manière de vivre des Orientaux et surtout des Égyptiens24 », en considérant qu’« aucune fondation récente n’a pu trouver dans les régions occidentales des Gaules quelque chose de plus raisonnable et de plus parfait25 ». Surtout, il lui semblait nécessaire de souligner qu’il serait impossible à des Gaulois d’atteindre la perfection du monachisme égyptien. Aussi, à l’heure de rédiger à l’intention des moines du diocèse d’Apt ses Institutions, il expliquait qu’il lui avait fallu « modérer un peu […] la règle des Égyptiens dans tout ce que je jugerai impossible ou trop dur et austère pour ces régions, en raison soit de la rigueur du climat, soit de leur difficulté et des différences de mœurs26 ». Ces citations de Cassien, qui furent reprises presque textuellement par la Vie des pères du Jura, peuvent parfaitement s’appliquer à tous les projets monastiques qui furent mis en œuvre durant l’Antiquité tardive dans le Sud-Est de la Gaule. C’est dans cette conception que s’inscrivirent les pères de Lérins, ceux du Jura mais aussi, à leur manière, les fondateurs d’Agaune, qui s’attachèrent tous, non pas à rivaliser comme Martin et ses disciples avec les maîtres orientaux, mais à s’inspirer avec humilité de leurs principes de vie, que chaque établissement s’attachait à mettre en œuvre en fonction de son environnement et des conditions de sa fondation. Quelle que soit l’importance qu’il faut, à la suite de Prinz, accorder à ce point, la thèse de cet ouvrage est toutefois autre. Elle se propose de considérer que la tradition mise en place dans les monastères du Sud-Est de la Gaule se caractérisa d’abord et avant tout par la volonté de leurs moines de s’établir non seulement à l’écart du monde, selon le projet anachorétique des pères du désert, mais aussi et surtout de s’inscrire dans une démarche de sacralisation de leurs lieux 23. […] merito perspiciens omni ailla quae singuli diversa fecissent per unum istum facile conpleta : sulPice sévère, Gallus. Dialogues sur les « vertus » de saint Martin, éd. J. fontaine, Paris, 2006 (Sources chrétiennes 510), I, 24, 1, p. 198-199. 24. […] Orientalium maximeque Aegyptorium volens instituta fundari : Jean cassien, Institutions cénobitiques, éd. J.-C. guy, Paris, 20112 (Sources chrétiennes 109), p. 24-25. 25. […] nequaquam enim credens rationabilius quippiam vel perfectius novellam constitutionem in Occiduis Galliarum partibus repperire potuisse : ibid., p. 30-31. 26. […] secundum Aegyptiorum regulam seu pro asperitate aerum seu pro difficultate ac diversitate morum impossibilia in his regionibus vel dura vel ardua comprobavero […] aliquatenus temperem : ibid., p. 30-33.

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monastiques, pour mieux les soustraire à l’espace profane. Ce travail vise donc à soutenir que les monastères du Sud-Est de la Gaule se sont d’abord et avant tout caractérisés par leur volonté d’ajouter une rupture spatiale à la rupture sociale, qui était inhérente à l’état monastique. Cette démarche était d’autant plus originale que le terme de monasterium, qui désignait toute sorte de regroupements monastiques27, renvoyait alors usuellement davantage à une communauté de moines qu’à un lieu. À une époque où le monachisme latin était d’autant plus entremêlé avec la société séculière que les habitats monastiques restaient le plus souvent largement ouverts sur le monde profane, la séparation spatiale que mirent en place les monastères du Sud-Est de la Gaule proposait ainsi un modèle innovant, qui devait largement se diffuser aux vie et viie siècles dans l’ensemble de l’Occident. Comme nous chercherons à le mettre en évidence, la tradition monastique développée dans le Sud-Est de la Gaule constitua en effet une source de la séparation spatiale propre à la tradition monastique occidentale qui, comme Federico Marazzi l’a récemment souligné, s’est attachée à trouver dans l’isolement de ses lieux de vie l’un des fondements les plus essentiels de la radicale altérité de la vie monastique28. Les expériences monastiques menées au ve siècle dans le sud-est de la Gaule peuvent ainsi être considérées comme le laboratoire de cette conception du lieu monastique comme un espace sacré, qui devait profondément imprégner le monachisme occidental29. Plus généralement, elles constituèrent une étape majeure dans la mise en place de la spatialité médiévale, qui fut profondément marquée par les immunités et les exemptions que ses moines parvinrent à obtenir30. Pour se séparer de l’espace profane, les fondateurs des monastères du Sud-Est de la Gaule firent le choix pratique d’établir leurs monastères dans des îles, afin d’être protégés par les flots des souillures du monde. Ils élaborèrent ainsi un paradigme de l’île-monastère, qui devait constituer le fondement de la tradition monastique mise en place dans le Sud-Est de la Gaule, avant de se diffuser là

27. N. deflou-leca, « La polysémie terminologique des communautés monastiques (vie-xe siècle) : quelques cas d’étude », dans S. Bully et C. saPin (éd.), L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. Actes des 4e journées d’études monastiques, Baume‑les‑Messieurs, 4‑5 septembre 2014 [Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 10 (2016)] : http ://cem.revues.org/14472 et M. gaillard, « Monasterium, cella, abbatia… Enquête sur les différents termes désignant les communautés religieuses au haut Moyen Âge (ve-milieu ixe siècle) et leur signification », dans S. Bully et C. saPin (éd.), L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. Actes des 4e journées d’études monastiques, Baume‑les‑Messieurs, 4‑5 septembre 2014 [Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 10 (2016)] : http :// journals.openedition.org/cem/14474, 13. 28. F. maraZZi, Le città dei monaci. Storia degli spazi che avvicinano a Dio, Milan, 2015, en particulier p. 5. 29. M. lauwers, « Constructing Monastic Space in the Early and Central Medieval West (Fifth to Twelfth Century) », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 317-339. 30. B.H. rosenwein, Negociating Space. Power, Restraint and Privileges of Immunity in Early Medieval Europe, Cornell, 1999.

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aussi largement dans l’ensemble de l’Occident31. Comme les travaux de Michel Lauwers l’ont montré, le caractère insulaire de ces premiers établissements monastiques constitua en effet pour les premiers pères des monastères du Sud-Est de la Gaule la source du développement d’une réflexion sur la séparation des espaces monastiques occidentaux, qui aboutit à affirmer leur sacralité32. C’est pourquoi, la question du monachisme insulaire sera au cœur de cet ouvrage, dans la mesure où nous la percevrons comme l’un des marqueurs les plus originaux de la première tradition monastique développée par les établissements du Sud-Est de la Gaule. En bons disciples des maîtres orientaux, les moines de la Provence et de la vallée du Rhône avaient pensé leur isolement insulaire avec les outils conceptuels que leur fournissaient les pères égyptiens, ce qui les amena à définir leurs monastères insulaires comme des « déserts » symboliques. Cette assimilation de leurs îles-monastères aux solitudes dans lesquelles vivaient les anachorètes égyptiens constitua l’un des traits originaux les plus marquants de la tradition mise en place dans les monastères du Sud-Est de la Gaule. Elle prit cependant une nouvelle ampleur, à la fin du ve et au début du vie siècle, lorsque ces moines insulaires commencèrent à établir leurs lieux monastiques sur la terre ferme. Ils élargirent en effet alors le concept de « déserts » qui qualifia désormais l’ensemble de leurs lieux monastiques, qu’ils fussent ou non établis sur une île. Les pères des monastères du Sud-Est de la Gaule léguèrent ainsi à la culture monastique occidentale un outil particulièrement efficient, qui permit aux fondateurs de monastères de puiser dans le vaste lexique latin du désert (eremus, desertum, solitudo, vastitas…) pour situer leurs établissements à l’extérieur de l’œcoumène, affirmant ainsi la sacralité de leurs lieux monastiques33. Bien évidemment, les pères des monastères du Sud-Est de la Gaule n’avaient des déserts orientaux qu’une représentation purement littéraire. Rares étaient alors les ascètes qui, à l’exemple d’Égérie, Jérôme, Rufin, Orose ou des deux Mélanie et de Paula, avaient pu faire le voyage de l’Orient pour voir de leurs yeux les « saints vivants » qui peuplaient les déserts d’Égypte ou de Syrie34. À la seule exception de Cassien, aucun des pères des monastères du Sud-Est de la 31. Les religieux et la mer. Actes du colloque de Lille‑Baie de Somme, 21, 22 et 23 septembre 2001, Amiens, 2004 (Histoire médiévale et archéologie 16) et G. signori (éd.), Inselklöster‑Klosterinseln. Topographie und Toponymie einer monastischen Formation. Berlin, 2019 (Studien zur Germania Sacra Neue Folge 9). 32. Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9) et a. Joly, Y. kinossian et M. lauwers (éd.), Entre ciel, mer et terres. L’île monastique de Lérins (Ve–xxe siècle), Gand, 2017. 33. J. le goff, « Le désert-forêt dans l’Occident médiéval », Traverses, 19 (1980), p. 23-30 [rééd. : J. le goff, L’imaginaire médiéval. Essais, Paris, 1985, p. 59-75] et F. guiZard-duchamP, Les terres du sauvage dans le monde franc (ive‑xie siècle), Rennes, 2009, p. 191-238. 34. P. maraval, Lieux saints et pèlerinages d’Orient. Histoire et géographie, des origines à la conquête arabe, Paris, 1985 ; G. frank, The Memory of the Eyes. Pilgrims to Living Saints in Christian Late Antiquity, Berkeley, 2000 (The Transformation of the Classical Heritage 30) ; M. dietZ, Wandering Monks, Virgins, and Pilgrims. Ascetic Travel in the Mediterranean World, AD 300‑800, University Park (Penn.), 2005 ; P. maraval, Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche‑Orient (ive‑

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Gaule n’avait jamais eu l’occasion de voir un désert, si ce n’est dans les Écritures ou les quelques récits de voyageurs que leur offrait la lecture des Conférences de Cassien ou des Dialogues de Sulpice Sévère. Ils les découvraient surtout dans les Vies des pères du désert35, à l’exemple de la Vie d’Antoine dont les deux traductions latines avaient fait l’objet d’une large diffusion36, de l’Historia monachorum in Ægypto que Rufin avait traduite vers 40037, ou encore des Vies des ermites Paul, Hilarion et Malchus que Jérôme avait rédigées en latin38. Ces récits, qui ne comportaient que des descriptions très vagues des déserts, souvent éloignées de leur réalité géographique39, s’étaient surtout attachés à les présenter sous les traits d’un espace qui, par son extériorité, se trouvait doté d’une vocation surnaturelle. La littérature hagiographique chrétienne avait donné du désert une image très ambivalente, qui s’enracinait pour l’essentiel dans la tradition égyptienne40. Les Vies des grands anachorètes l’avaient ainsi présenté comme un monde peuplé par les forces démoniaques que représentaient en particulier les serpents ou les fauves, mais aussi comme le lieu par excellence de la présence divine, à travers le modèle de la manifestation de Dieu à Moïse dans le Sinaï. Préfigurant tout à la fois l’enfer et le jardin d’Éden, le désert était perçu par les ascètes occidentaux comme un au-delà, dans lequel il pouvait être possible de combattre les démons tout en accédant à Dieu41. En voulant s’établir dans un « désert », les pères des

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36. 37. 38.

39. 40.

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viie siècle), Paris, 2002 et A.-M. helvétius, « Re-Reading Monastic Traditions : Monks and Nuns, East and West, from the Origins to c. 750 », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 40-72. Sur les recueils des Vies des pères, v. P. henriet, « Remarques sur les origines et sur l’importance des recueils de Vitae patrum dans le monde latin », dans P.F. alBerto, P. chiesa et M. goullet (éd.), Understanding Hagiography : Studies in the Textual Transmission of Early Medieval Saints’ Lives, Florence, 2020, p. 191-209. Vitae Antonii versiones latinae. Vita beati Antonii abbatis Evagrio interprete. Versio vetustissima, éd. L. gandt et P.H.E. Bertrand, Turnhout, 2018 (Corpus Christianorum Series Latina 170). Historia monachorum in Aegypto, éd. A.-J. festugière, Bruxelles, 1971 (Subsidia hagiografica 53). Jérôme, Trois vies de moines (Paul, Malchus, Hilarion), éd. P. leclerc, D.M. morales et A. de vogüé, Paris, 2007 (Sources chrétiennes 508) ; cf. A.A.R. Bastiaensen, « Jérôme hagiographe », dans G. PhiliPPart (éd.), Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, volume I, Turnhout, 1994 (Corpus Christianorum, Hagiographies 1), p. 97-123. E wiPsZycka, « Il monachesimo della Tebaide », dans E. menest (éd.), Eremitismo e habitat rupestre. Atti del VI Convegno internazionale sulla civiltà rupestre in ricordo di Giuseppe Giacovazzo, Savelletri di Fasano (BR), 13‑15 novembre 2013, Spolète, 2015, p. 13-28. G. caPriotti vittoZZi, « Il deserto nell’Egitto faraonico. Qualche nota », dans B. astrua (éd.), Itinerari mediterranei fra IV e IX secolo. Città‑capitale e Deserto‑monastico Atti del convegno (Genova, 11‑12‑13 novembre 2010), Turin, 2013, p. 23-38 et D.L. Brooks hedstrom, The Monastic Landscape of Late Antique Egypt, Cambridge, 2017, p. 139-179. J. leclercq, « “Eremus” et “Eremita” : pour l’histoire du vocabulaire de la vie solitaire », Collectanea Cisterciensia, 25 (1963), p. 8-30 ; A. guillaumont, « La conception du désert chez les moines d’Égypte », Revue de l’histoire des religions, 188/1 (1975), p. 3-21 [rééd. : A. guillaumont, Aux origines du monachisme. Pour une phénoménologie du monachisme, Bégrolles-en-Mauges, 1979 (Spiritualité orientale 30), p. 69-87] ; D. fisher, « Liminality : the Vocation of the Church (I). The Desert Image in Early Christian Tradition », Cistercian Studies Quarterly, 24 (1989), p. 181-205 ; J.E. goehring, « The Dark Side of Landscape. Ideology and Power in the Christian Myth of the

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monastères du Sud-Est de la Gaule cherchaient donc moins le contact avec les sables tropicaux qu’à trouver un espace en dehors du monde, afin de se situer au-delà de cette « médiocrité chrétienne » qui aurait caractérisé, selon le mot de Robert Markus, les orientations d’Augustin et des dirigeants de l’Église institutionnelle42. Leur but était d’y trouver un lieu d’ascèse, afin d’emprunter la voie du « martyre non sanglant » que leur proposaient Antoine et les pères du désert. Plus profondément encore, ils y cherchaient un lieu théophanique dégagé du saecu‑ lum43, où ils pourraient pleinement participer à la cité de Dieu, dans la mesure où ils avaient aussi lu dans la Vie d’Antoine que « le désert devint comme une cité de moines qui avaient quitté leurs biens et reproduisaient la vie de la cité céleste44 ». L’histoire des monastères du Sud-Est de la Gaule sera donc ici perçue à travers ses formes pratiques de rupture spatiale, en étudiant particulièrement les modalités d’installation de leurs établissements en milieu insulaire, mais aussi leur définition comme désert symbolique. Pour ce faire, cet ouvrage commencera dans sa première partie par chercher les origines de la tradition monastique mise en place dans le Sud-Est de la Gaule, en s’interrogeant sur la genèse de l’assimilation symbolique des îles occidentales aux déserts orientaux. Pour cela, nous étudierons tout d’abord la littérature patristique de la fin du ive siècle, en voyant comment les lettres de Jérôme et, de manière plus isolée, les sermons d’Ambroise de Milan ont pu considérer que les îles offraient aux ascètes occidentaux l’équivalent de ce que les déserts avaient donné aux moines orientaux. Après le discours patristique, nous passerons ensuite à la pratique, en ouvrant le dossier des îles ligures, qui sont censées avoir abrité la première expérience monastique insulaire, celle que Martin aurait menée sur l’île de Gallinara. Surtout, nous nous attacherons à envisager le dossier de l’archipel toscan, où nous proposerons de situer les premières îles-monastères. Nous envisagerons en particulier les cas de Pinetum, Capraia et Gorgona, où se mirent en place, au tournant des ive et ve siècles, les premiers monastères insulaires, qui ont peut-être constitué une source d’inspiration pour la tradition développée dans le Sud-Est de la Gaule. Dans une deuxième partie, nous passerons de l’Italie à la Provence, où une série de nouveaux monastères se mit en place au début du ve siècle. Nous commencerons par étudier les îles d’Hyères, où se développa une communauté monastique connue depuis longtemps grâce à quelques allusions de Cassien, mais dont l’étude a été profondément renouvelée par la recherche archéologique qui peut aujourd’hui permettre de lui donner une nouvelle consistance. Nous poursuiDesert », Journal of Medieval and Early Modern Studies, 33 (2003), p. 437-451 ; C. raPP, « Desert, City and Countryside in the Early Christian Imagination », Church History and Religious Culture, 86/1-4 (2006), p. 93-112 ; N. roman, « Le désert médiéval, expression du merveilleux », Alif. Journal of Comparative Poetics, 33 (2013), p. 135-155 ; Brooks hedstrom, The Monastic Landscape of Late Antique Egypt, cit. et alciati, Monaci d’Occidente. Secoli IV‑IX, cit., p. 64-68. 42. markus, Au risque du christianisme, cit., p. 79-131. 43. R. markus, Saeculum. History and Society in the Theology of Saint Augustine, Cambridge, 1990. 44. […] καὶ ἡ ἒρημος ἐπολίσθη μοναχῶν, ἐξελθόντων ἀπὸ τῶν ἰδίων καὶ ἀπογραψαμένων τὴν ἐν τοῖς οὐρανοῖς πολιτείαν : athanase d’alexandrie, Vie d’Antoine, éd. G.J.M. Bartelink, Paris, 2011 (Sources chrétiennes 400), 14, 7, p. 174-175.

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vrons en envisageant les moines de l’archipel de Lérins, où se développa tout au long du ve siècle l’école la plus prestigieuse et la mieux connue du premier monachisme occidental. Nous lui accorderons une place d’autant plus importante que l’histoire de ce site monastique est éclairée par une documentation aussi diverse qu’abondante, ainsi que par les fouilles archéologiques récentes de Yann Codou. Enfin, nous terminerons cette partie, en envisageant l’exportation dans la vallée rhodanienne du modèle mis en place dans les îles d’Hyères et de Lérins, ce qui nous amènera à étudier successivement les établissements monastiques qui s’établirent en milieu urbain ou suburbain à Marseille, Lyon, Vienne et Arles. La troisième et dernière partie sera consacrée à la dimension plus large que commença à prendre la tradition monastique mise en place par les pères provençaux, à la fin du ve et au début du vie siècle, lorsque les moines commencèrent à sortir de leurs îles pour s’installer sur des sites de terre ferme. Pour ce faire, nous étudierons dans un premier temps la Vie des pères du Jura, un texte majeur qui permet, pour peu qu’il soit complété par les résultats des travaux archéologiques menés par Jean-Luc Mordefroid, puis Aurélia et Sébastien Bully, d’analyser la manière dont le désert put être transposé depuis les îles provençales et rhodaniennes jusque dans la forêt du Jura, aux confins des diocèses de Lyon et de Besançon. L’étude se portera ensuite sur Agaune, où se mit en place au cours du ve siècle un monastère dédié au culte de saint Maurice et de la légion thébaine, auquel le roi burgonde Sigismond donna une tout autre ampleur, lorsqu’il créa en 515 un établissement d’envergure majeure qui constituait la première fondation royale d’un monastère en Occident. Enfin, nous terminerons ce dossier par une étude du monachisme de Césaire d’Arles, en analysant plus particulièrement la littérature régulière qu’il produisit pour les vierges qu’il avait établies dans le quartier épiscopal de sa cité. Pour aborder ces questions, ce livre se propose d’étudier chacun de ces différents établissements à travers une étude critique de leurs dossiers de sources, aussi bien textuelles qu’archéologiques. Cette démarche d’esprit très positiviste a semblé indispensable, dans la mesure où les données documentaires ont été profondément bouleversées dans les quarante dernières années, ce qui impose de revoir les fondements de nos connaissances. L’essor de l’archéologie a apporté de nouvelles données qui amènent à réinterroger les textes et à reconsidérer l’ensemble des dossiers documentaires. Dans le même temps, la critique philologique a beaucoup renouvelé les textes, qui ont fait pratiquement tous l’objet de nouvelles éditions, en particulier dans les collections du Corpus Christianorum et des Sources chrétiennes, ce qui ne permet toutefois pas de s’abstenir de revenir sur les traductions dont beaucoup méritent d’être revisitées. Nombre de ces textes peuvent ainsi être redatés ou reconsidérés, donnant souvent lieu à des débats complexes dont les enjeux sont toutefois déterminants pour évaluer la solidité des données sur lesquelles peut se fonder une histoire des établissements monastiques. Il convient aussi de souligner que la réouverture de ces dossiers documentaires a été rendue plus aisée grâce à la production de nouveaux instruments de travail. Parmi eux, il faut en particulier souligner l’importance de la monumentale Histoire littéraire du monachisme en 15 volumes, dans laquelle le père Adalbert

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de Vogüé a donné une présentation exhaustive des premiers textes monastiques, qui constitue une base essentielle de cette recherche45. Tout aussi précieuse a été la Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, en particulier grâce à ses deux gros volumes sur la Gaule, dirigés par Luce Pietri et Marc Heijmans, qui ont permis de disposer d’une remarquable base de données prosopographiques sur l’Église gauloise à l’époque tardo-antique46. Bien évidemment, l’analyse de ces données documentaires est largement déterminée par notre interprétation générale de la période, qui a fait l’objet ces dernières décennies de débats importants, au sein desquels il fallait se situer. Dans le dernier quart du xxe siècle, les historiens du premier monachisme ont été amenés à situer leurs analyses dans un contexte non plus dominé par « la décadence du monde romain », mais par la vitalité d’une « Antiquité tardive » à laquelle les travaux de Peter Brown ont donné un large écho47. Cette relecture de la fin de l’Antiquité n’a pas été sans modifier notre appréhension du mouvement ascétique, en le concevant non plus comme le reflet d’un monde en décomposition mais comme l’une des forces nouvelles qui seraient alors mises en action. Cette interprétation sera toutefois prise ici avec prudence, dans la mesure où le concept même « d’Antiquité tardive » a fait ces dernières années l’objet de jugements critiques48, dont la prise en compte amène à avoir une appréciation nuancée du contexte dans lequel se développèrent les monastères du Sud-Est de la Gaule. Il faut enfin préciser que cette étude a fait le choix d’utiliser la terminologie la plus proche possible des sources, ce qui nous amènera à rompre avec le sens courant que le vocabulaire du monachisme peut aujourd’hui prendre dans la littérature scientifique. Tel est tout d’abord le cas du terme « d’ermite » (eremita), que nos sources utilisaient non pas pour désigner un moine solitaire, comme le font aujourd’hui les historiens, mais pour définir un ascète parti vivre dans le désert (eremus), quel que fût le mode de vie qu’il avait adopté. À l’exemple d’Adalbert de Vogüé, nous traduirons donc le terme d’eremita par « homme du désert », ce qui constitue indiscutablement son sens dans nos sources. Par voie de conséquence, nous considérerons que l’érémitisme renvoyait à un mode de vie monastique dans « le désert », en prenant cette notion au sens symbolique que les pères des monas45. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité. Première partie : le monachisme latin, Paris, 1991-2008, 12 vol. et idem, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité. Deuxième partie : le monachisme grec, Rome, 2015 (Studia anselmiana 165-167 ; Analecta monastica 15-17), 3 vol. ; v. P. henriet, « Adalbert de Vogüé et le concept d’histoire littéraire. Avec des lettres inédites d’Adalbert de Vogüé, dom Jean Leclercq, Louis Bouyer et Baudoin de Gaiffier », Revue Mabillon, 28 (2017), p. 91-111. 46. L. Pietri et M. heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), Paris, 2013, 2 vol. 47. R. markus, « Between Marrou and Brown. Transformations of Late Antique Christianity », dans P. rousseau et M. PaPoutsakis (éd.), Transformations of Late Antiquity. Essays for Peter Brown, Farnham, 2009, p. 1-13. 48. A. giardina, « Esplosione di tardoantico », Studi Storici, 40/1 (1999), p. 157-180 ; B. ward-Perkins, La chute de Rome. Fin d’une civilisation, Paris, 2014 [éd. originale : Oxford, 2005] et P. heather, Rome et les barbares. Histoire nouvelle de la chute de l’Empire, Paris, 2017 [éd. originale : Londres, 2005].

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tères du Sud-Est de la Gaule lui avaient donné. Cela implique aussi que nous n’entendrons pas par le terme d’érémitisme une forme de vie solitaire, mais une conception de la vie monastique qui amenait les ascètes à se distinguer du reste des hommes non seulement par leur vie d’abstinence et de macération, mais aussi par leur volonté de se séparer de l’espace profane, en s’exilant dans des lieux qu’ils définissaient comme des « déserts ». Parler d’érémitisme ne préjuge donc en rien du mode de vie des moines, puisque ces habitants de l’eremus pouvaient aussi bien vivre dans une cellule que dans une maison commune, dans la mesure où l’un et l’autre de ces habitats se situaient dans ces déserts symboliques que les monastères purent désormais constituer. Pour distinguer les deux principaux modes de vie monastique qui s’exprimaient dans les monastères du Sud-Est de la Gaule, Cassien et ses disciples recouraient aux termes d’anachorètes (anachoretae) et de cénobites (cenobitae). Dans le contexte des monastères du Sud-Est de la Gaule, le terme d’anachorète ne désignait toutefois pas un solitaire parti vivre dans les solitudes, mais un moine qui menait une vie contemplative au sein d’une communauté monastique. L’anachorétisme se situait ainsi dans la cohérence d’un enseignement où la solitude inhérente à l’état monastique ne pouvait prendre sa pleine dimension qu’au sein de la communion chrétienne49. Pour le peu que nous en savons, ces anachorètes semblent avoir passé l’essentiel de leur journée dans des cellules situées à l’intérieur d’une enceinte monastique. Ils y menaient une vie d’ascèse, de prière et d’étude, tout en participant aussi à la vie communautaire, en particulier à l’occasion de la synaxe eucharistique, ce qui rapprochait en pratique la vie des anachorètes occidentaux de celle que menaient les moines des laures orientales. Les cénobites vivaient quant à eux dans un cénobe (coenobium), un terme que les pères des monastères du Sud-Est de la Gaule abordaient par son étymologie grecque, qui renvoyait à un lieu de « vie commune » par l’association des termes κοινός (commun) et βίος (vie). C’est dans cette logique que Cassien avait précisé dans ses Conférences que le terme de cénobe devait être réservé à un bâtiment où « plusieurs moines vivaient en cohabitation en une communauté unie50 ». Si cette définition restait relativement vague, elle centrait toutefois le cénobitisme sur la cohabitation dans un bâtiment commun, même s’il faut rajouter que les pères de la Gaule méridionale considéraient que la vie des cénobites se caractérisait d’abord et avant tout par l’obéissance et la macération auxquelles ils étaient astreints. Ils estimaient en tout cas que le terme de cénobe avait un sens plus précis que celui de monastère (monasterium), dont Cassien estimait qu’il pouvait renvoyer à toute forme d’habitat monastique, puisqu’il était capable de qualifier tout aussi bien un cénobe que le logis d’un moine solitaire et être même appliqué aux lieux

49. J.-L. molinier, Solitude et communion, ive‑vie siècle, Paris, 2016, 2 vol. 50. […] coenobium nisi ubi plurimorum cohabitantium deget unita communio non potest appellari : Jean cassien, Conférences, t. III, XVIII‑XXIV, éd. E. Pichery, Paris, 1959 (Sources chrétiennes 64),18, 9-10, p. 22.

introduction

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d’habitation des « sarabaïtes », ces moines incontrôlés que les pères des monastères du Sud-Est de la Gaule abhorraient tout particulièrement51. Il me faut pour finir m’acquitter des lourdes dettes que j’ai acquises en réalisant ce travail. Je voudrais tout d’abord remercier Denis Varaschin, président de l’Université Savoie Mont Blanc de 2012 à 2020, qui m’a convaincu de prendre le temps de rédiger le mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), dont est issu cet ouvrage. Je souhaiterais aussi dire ce que je dois à Guiseppe Sergi qui, en m’invitant à donner une leçon sur les monastères du Sud-Est de la Gaule lors de la Settimana de 2016 à Spolète, m’a introduit sur ce champ de recherche, qui était alors nouveau pour moi. Je voudrais enfin témoigner de ma gratitude envers Michel Lauwers qui m’a suggéré, au lendemain de cette intervention à Spolète, de poursuivre cette recherche, afin d’en faire le fondement de mon dossier d’HDR. Il en a été le garant et m’a largement guidé dans mon travail, en relisant avec rigueur mon étude, avant d’accepter de la publier dans la collection d’études médiévales de Nice. J’associe aussi à ces remerciements Geneviève Bührer-Thierry, Gisella Cantino Wataghin, Alain Dubreucq, Stéphane Gioanni et Anne-Marie Helvétius, qui ont accepté de siéger dans mon jury d’HDR, tenu à Nice en décembre 2019. Leur regard critique sur mon travail et leurs observations m’ont offert de précieuses pistes que je me suis employé à suivre pour l’édition de cet ouvrage. Il me faut enfin remercier les collègues et érudits qui ont nourri ma réflexion en m’apportant, de vive voix ou par correspondance, leurs suggestions et leurs conseils sur l’histoire du monachisme, en citant par ordre alphabétique : Guy-Jean Abel, Marie-José Ancel, Bernard Andenmatten, Anne Baud, Remo Becci, Jean Berger, François Bertrandy, Ludovic Bender, Anouk Bystritzsky, Aurélia Bully, Sébastien Bully, Éric Chevalley, Yann Codou, Noëlle Deflou-Leca, Jean-Pierre Derrier, frère Vincent Desprez, Rosa Maria Dessì, Albrecht Diem, Justin Favrod, Charlotte Gaillard, Marie-Paule Guex, Laurent Guichard, Germain Hausmann, Dominique Iogna-Prat, Marie-Céline Isaïa, Bruno Judic, Manke Lenkaytike, Pierre Alain Mariaux, sœur Marie-Liesse, Beat Näf, Nathanaël Nimmegeers, Alain Rauwel, Cédric Roduit, Olivier Roduit, Beate Schilling, Laurent Schneider et Anne Wagner. J’aurais aimé pouvoir leur associer Alessandra Antonini, archéologue du site d’Agaune, décédée en 2016, une année seulement après la parution de l’histoire de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune à laquelle elle avait grandement contribué. Je voudrais simplement rappeler ici ce que je lui dois, puisque c’est en me faisant découvrir les fouilles qu’elle menait à Agaune sur le site du Martolet, qu’elle m’a fait comprendre ce que l’archéologie pouvait apporter à l’histoire du monachisme.

51. […] monasterium potest etiam unius monachi habitatio nominari […] dicuntur sane monasteria etiam in quibus Sarabaitarum collegia commorantur : ibid.

PARTIE I LES ORIGINES ITALIENNES DES DÉSERTS INSULAIRES (FIN IVe-DÉBUT Ve SIÈCLE)

D

ans la seconde moitié du ive siècle, les élites occidentales s’ouvrirent à la culture monastique orientale et développèrent de nouveaux foyers d’ascétisme dont la nature pouvait être d’une grande diversité1. Le plus souvent, ces premiers établissements monastiques s’organisaient dans un cadre privé, à l’exemple de ces veuves ou de ces vierges consacrées qui menaient à Rome une vie religieuse dans leurs demeures2. Il en allait aussi de même pour ces couples mariés, qui vivaient chastement en frères et sœurs après s’être publiquement convertis à la vie monastique3. Parfois aussi, la vie monastique pouvait prendre une forme communautaire comme pour les fraternitates de clercs que les évêques commençaient à établir dans leur cité, sur le modèle de celle que l’évêque Eusèbe de Verceil (c. 344-371) avait fondée près de son église cathédrale4. Dans d’autres cas, ces communautés regroupaient des laïcs, à l’exemple de ces groupes d’hommes et de femmes qui se réunissaient autour des tombes des martyrs, comme ce fut le cas à Nole, auprès de la sépulture de saint Félix5. Soucieux de s’inscrire davantage encore dans les pas des pères orientaux, d’autres moines firent, quant à eux, le choix de quitter le monde, pour s’établir à la périphérie des villes. Ils suivaient ainsi le chemin qu’avait emprunté Martin († 397), lorsqu’il s’était installé à Ligugé, près de l’évêque Hilaire de Poitiers, avant d’aller s’établir à Marmoutier, à proximité de la ville de Tours où il avait été élu évêque6. Les plus radicaux d’entre ces moines s’attachèrent toutefois à s’écarter non seulement des villes, comme l’avaient fait les moines martiniens, mais aussi à s’établir dans le désert pour mieux suivre le modèle d’Antoine. Pour ce faire, ils 1.

2.

3. 4. 5.

6.

J. Biarne, Les origines du monachisme en Occident, Thèse, Université de Paris IV, 1990 et R. alciati, « Il monachesimo. Pratiche ascetiche e vita monastica nel Mediterraneo tardoantico (IV-VI) », dans Costantino I. Enciclopedia costantiniana sulla figura e l’immagine dell’imperatore del cosiddetto Editto di Milano, 313‑2013, vol. 1, Rome, 2013, p. 815-831. C. Pietri, Roma christiana. Recherches sur l’Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie, de Miltiade à Sixte III (311‑440), Rome, 1976 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 224), p. 371-415 et G. Jenal, « Frühe Formen der weiblichen Vita religiosa im lateinischen Westen (4. und Anfang 5.Jahrhundert) », dans G. melville et A. müller (éd.), Female Vita Religiosa between Late Antiquity and High Middle Ages. Structures, Developments and Spatial Contexts, Berlin/Münster, 2011 (Vita regularis. Ordnungen und Deutungen religiosen Lebens im Mittelalter. Abhandlungen 47), p. 43-80. K. cooPer, The Virgin and the Bride. Idealized Womanhood in Late Antiquity, Londres/Cambridge (Mass.), 1999. G. Jenal, Italia ascetica atque monastica. Das Asketen‑ und Mönchtum in Italien von den Anfängen biz zur Zeit der Langobarden (c. 150/250‑604), Stuttgart, 1995, 2 vol. (Monographien zur Geschichte des Mittelalters 39/I-II), p. 12-15. D.E. trout, Paulinus of Nola : Life, Letters and Poems, Berkeley, 1999 (Hypomnemata 134), p. 104-132 ; H. BrandenBurg et L. Pani ermini (éd.), Cimitile e Paolino di Nola. La tomba di s. Felice e il centro di pellegrinaggio. Trent’anni di ricerche. Atti della giornata tematica dei Seminari di archeologia cristiana (École française de Rome, 9 marzo 2000), Vatican, 2003 (Sussidi allo studio delle antichità cristiane 15) et C. eBanista, Et manet in mediis quasi gemma intersita tectis. La basilica di S. Felice a Cimitile storia degli scavi fasi edilizie reperti, Naples, 2003 (Memorie dell’Academia di Archeologia, Lettere e Belle Arte in Napoli 15). sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit. et O. guillot, Saint Martin, apôtre des pauvres (336‑397), Paris, 2008.

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choisirent de quitter la terre pour s’établir au milieu des flots sur des îles qu’ils considérèrent comme des déserts symboliques, autrement dit comme des espaces propices à la vie érémitique à laquelle ils aspiraient. Avant la décennie 410, les îles qui accueillirent ces moines latins restèrent toutefois cantonnées au seul espace italien, tout d’abord sans doute dans la mer Adriatique, puis surtout dans la mer Tyrrhénienne, où le monachisme insulaire connut un essor indéniablement important au tournant des ive et ve siècles7. Une génération avant les pères de Lérins, le monachisme insulaire s’était donc mis en place en Italie, ce qui explique que nous commencerons par cet espace notre étude des monastères du Sud-Est de la Gaule, afin d’y étudier la genèse des principes qui devaient être développés dans nos régions à une plus large échelle. La chronologie et la géographie de la naissance du monachisme insulaire impliquent que l’installation de moines sur les îles ne saurait être interprétée comme une volonté de fuir un monde en crise, dans lequel la vie serait devenue insupportable. À la fin du ive siècle, l’Italie théodosienne constituait en effet un espace globalement sûr et prospère, où la civilisation tardo-antique se trouvait alors à son apogée8. Au sein de la riche péninsule italienne, désormais divisée entre les deux diocèses de l’Italie suburbicaire de Rome et de l’Italie annonaire de Milan9, les îles constituaient par ailleurs un espace dont l’archéologie a mis en évidence toute l’attractivité10. Situées sur les grandes voies d’échanges maritimes, elles disposaient tout d’abord de ports dynamiques, où transitaient de nombreux voyageurs mais aussi les marchandises qui circulaient sur la mare nostrum. Surtout, elles avaient accueilli les résidences des élites romaines qui y avaient édifié en bord de mer de luxueuses villas, autour desquelles s’étaient développées les activités productives indispensables à la vie aristocratique. Cette prospérité des espaces insulaires antique a été d’autant plus sous-estimée par les historiens du monachisme, que jusqu’au développement récent des études archéologiques, leurs travaux étaient dépendants des seules sources hagiogra7.

M.C. somma, « Sviluppo e prime manifestazioni del monachesimo tra terraferma e isole : il contesto italiano », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nouvelle série 8), p. 615-630, ici p. 624. 8. L. cracco ruggini, Economia e società nell’“Italia annonaria”. Rapporti fra agricoltura e commercio dal IV al VI secolo d.C., Bari, 19952 (Munera. Studi storici sulla Tarda Antichità 2) ; Storia della società italiana, t. 4, Restaurazione e destrutturazione nella tarda antichità, Milan, 1998 ; G. otranto, Per una storia dell’Italia tardoantica cristiana. Approcci regionali, Bari, 2010 (Bibliotecà tardoantica 4) et P. delogu et S. gasParri (éd.), Le trasformazioni del V secolo. L’Italia, i barbari e l’Occidente romano : Atti del Seminario di Poggibonsi, 18‑20 ottobre 2007, Turnhout, 2010 (Seminari del Centro interuniversitario per la storia e l’archeologia dell’alto medioevo 2). 9. A. giardina, « Le due Italie nella forma tarda dell’impero », dans A. giardina (éd.), Società romana e impero tardoantico, I, Istituzioni, ceti, economie, Rome/Bari 1986, p. 1-30. 10. M. giaime, C. morhange, N. carayon, C. flaux et N. marriner, « Les ports antiques des petites îles de Méditerranée. Proposition d’une typologie géoarchéologique », dans M. ghilardi (éd.), Géoarchéologie des îles de la Méditerranée. Geoarchaeology of the Mediterranean Islands, Paris, 2016, p. 165-176.

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phiques. Or, s’attachant à s’inscrire dans le canevas tracé par les Vies fondatrices d’Antoine (BHL 609) ou de Paul l’Ermite (BHL 6596), les hagiographes du monachisme insulaire avaient systématiquement dépeint les îles où étaient arrivés les moines comme des espaces de désolation, qui n’auraient guère été peuplées que par des forces diaboliques. Tout en se montrant critique envers les discours hagiographiques, l’historiographie du monachisme insulaire n’en a pas moins été marquée par cette conception et jusqu’aux années 1990, les historiens ont souvent considéré qu’en s’installant sur une île, les anachorètes occidentaux en quête de désert se seraient établis dans des espaces ingrats et peu humanisés11. Ces perspectives doivent être reconsidérées à la lumière des données apportées par les recherches archéologiques qui, depuis les années 1980, se sont développées en milieu insulaire. Celles-ci peuvent toutefois paraître souvent décevantes, dans la mesure où le milieu insulaire a souvent constitué un milieu peu favorable à la recherche archéologique. Les îles font aujourd’hui l’objet de protections souvent importantes, en raison de la fragilité de leurs écosystèmes, qui les a amenées à être aujourd’hui fréquemment insérées dans des parcs naturels à la réglementation contraignante. Qui plus est, poursuivant une vieille tradition antique, l’État italien continue encore souvent à les utiliser comme espaces de réclusion pénitentiaire, ce qui limite drastiquement leur ouverture à la recherche archéologique. Par ailleurs, ces recherches sont parfois restées encore très marquées par la tradition hagiographique, dans la mesure où elles se sont souvent développées dans le cadre des paradigmes propres à « l’archéologie chrétienne », une discipline qui est restée en Italie largement conditionnée par sa vocation première, celle de retrouver dans une perspective apologétique les preuves matérielles de l’authenticité de la tradition ecclésiastique12. Pour autant, bien que la recherche soit restée souvent limitée à de simples prospections et que trop peu d’îles et de monastères insulaires aient encore fait l’objet de véritables fouilles programmées, ces travaux récents permettent de reconsidérer les espaces insulaires de l’Antiquité, en actant en particulier le fait qu’ils constituaient manifestement des espaces attractifs et dynamiques, qui ne ressemblaient en rien aux tableaux que les hagiographes ont pu en dresser. Quelles que soient leurs limites, les résultats des recherches archéologiques menées dans les îles bordant les rivages italiens sont en tout cas largement accessibles aux historiens, grâce à la publication de quatre colloques récents qui leur ont fait une large part. Le premier, édité en 2003 par Michel Pasqualini, Pascal Arnaud et Carlo Varaldo, a été consacré au peuplement antique et alto-médiéval des archipels provençaux, ligures et toscans, offrant ainsi une série d’études alors

11. S.P.P. scalfati, « Per la storia dell’eremitismo nelle isole del Tirreno », Bollettino storico pisano, 60 (1991), p. 283-297 et J. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », Rivista di archeologia cristiana, 76 (2000), p. 351-374. 12. V. fiocchi nicolai, « Archeologia medievale e archeologia cristiana : due discipline a confronto », dans S. gelichi (éd.), Quarant’anni di Archeologia Medievale in Italia. La rivista, i temi, teoria e metodi, Florence, 2014 (Archeologia Medievale numero speciale), p. 21-31.

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pionnières sur le monachisme insulaire13. Le deuxième, publié en 2008 par Yann Codou et Michel Lauwers, s’est donné pour but de reconsidérer le monachisme lérinien dans la perspective de son rapport à l’espace insulaire, en adoptant une démarche comparatiste qui a fait une large place à des perspectives d’ensemble14. Le troisième, consacré au développement du monachisme insulaire entre le ive et le xie siècle, a été édité en 2013 dans la revue croate Hortus Artium Medievalium et offre une belle série de monographies régionales15. Le quatrième, organisé dans le cadre du xie congrès italien d’archéologie chrétienne, qui s’est tenu en septembre 2014 à Cagliari, a été publié en 2015 par Rossana Martorelli, Antonio Piras et Pier Giorgio Spanu. Il réunit un impressionnant ensemble de quatre-vingt-trois études sur les échanges économiques et religieux dans la Méditerranée occidentale à l’époque tardo-antique16. À ces quatre colloques récents, il faut aussi ajouter l’importante étude que Mateu Riera Rullan a consacrée au monastère de Cabrera dans les îles Baléares, dans la mesure où cet ouvrage offre une belle synthèse des actuels travaux historiques et surtout archéologiques sur le monachisme insulaire tardo-antique17. Ces publications récentes offrent donc aux historiens des matériaux importants qui permettent de proposer une nouvelle approche du premier monachisme insulaire dans la Méditerranée occidentale, que nous aborderons ici en présentant successivement trois dossiers documentaires. Le premier sera consacré aux premières attestations littéraires du monachisme insulaire, qui apparaissent dans les sources patristiques avec Ambroise de Milan et surtout Jérôme de Stridon, dont la correspondance comporte de nombreuses références aux moines qui commençaient alors à coloniser les îles qui s’étendaient au large des côtes italiennes. Ces premiers textes sont riches d’enseignements sur un plan discursif, mais ont aussi le défaut de n’offrir que des considérations générales, le plus souvent décontextualisées, ce qui ne permet pas de pouvoir les corréler à des données archéologiques. Le deuxième volet de cette étude nous permettra en revanche de pouvoir associer documentation écrite et sources archéologiques, en présentant un dossier régional, celui du monachisme insulaire qui se développa dans les îles ligures. Il nous amènera en particulier à étudier l’île de Gallinara, où se construisit avec Sulpice Sévère la tradition qui en fit le lieu où Martin aurait mené une expérience anachorétique. Enfin, la troisième partie sera consacrée aux moines des îles de l’archipel 13. M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1). 14. Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, cit. 15. Hortus Artium Medievalium. Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013). 16. r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8). 17. M. riera rullan, El monacat insular de la Mediterrània occidental. El monestir de Cabrera (Balears, segles V‑VIII), Barcelone, 2017 (Studia archaeologiae chritianae 1).

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toscan, en particulier aux communautés installées dans les îles de Capraia et de Gorgona, dont l’histoire est éclairée par les regards croisés d’Augustin d’Hippone, d’Orose, de Rutilius Namatianus et de Grégoire le Grand, mais aussi par les données archéologiques.

i – de Jérôme de stridon à amBroise de milan : naissance littéraire de l’érémitisme insulaire La mise en place du monachisme insulaire en Occident est pour l’essentiel éclairée par la correspondance de Jérôme, qui l’évoqua dans les lettres qu’il rédigeait depuis l’Orient. Ce constat quelque peu paradoxal témoigne des limites pour notre propos de l’apport des lettres de Jérôme, qui semble n’avoir jamais eu une connaissance directe du monachisme insulaire. Il ne l’évoque en effet dans sa correspondance qu’en rapportant des informations que ses correspondants lui avaient fait parvenir, ou qu’il avait recueillies grâce aux récits que lui avaient rapportés les pèlerins et les visiteurs de passage. Ceci explique en grande partie que les évocations par Jérôme du monachisme insulaire sont toujours très floues, ne donnent jamais les noms des îles évoquées et ne comprennent aucune description, autre que rhétorique, de la vie ascétique qui pouvait y être menée. Pour autant, cette distance de Jérôme avec le monachisme insulaire n’est pas sans intérêt, dans la mesure où elle témoigne de l’importance sociale que ce phénomène avait alors acquis dans les milieux ascétiques. En évoquant les moines qui peuplaient les îles, Jérôme n’entendait en effet pas apporter son témoignage sur des événements exceptionnels et peu connus, mais cherchait plutôt à faire connaître le regard qu’il portait sur des faits établis et notoires qui étaient largement connus de ses correspondants. En ce sens, l’évocation récurrente dans les lettres de Jérôme des moines qui vivaient dans les îles montre que le monachisme insulaire était devenu à son époque un fait social et religieux, qui faisait l’objet de débats dans les milieux ascétiques dont Jérôme s’emparait, même s’il avait pour sa part fait le choix de partir en Orient pour trouver les déserts que le monde latin ne possédait pas.

Première mention de Bonose La première mention du monachisme insulaire dans la correspondance de Jérôme se trouve dans sa lettre 3, qu’il rédigea lors de son premier voyage initiatique en Orient18. Adressée à son ami Rufin d’Aquilée, Jérôme l’avait sans doute écrite durant l’été 375, alors qu’il séjournait dans la ville d’Antioche, où il avait 18. Jérôme, Lettres, t. I, éd. J. laBourt, Paris, 1949 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 3, p. 10-16 ; sur ce texte, cf. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1. Première partie : le monachisme latin. De la mort d’Antoine à la fin du séjour de Jérôme à Rome (356-383), Paris, 1991, p. 85-106.

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rejoint son ami Évagre afin de se préparer à mener sa première expérience érémitique dans le désert syrien19. Apprenant que Rufin, qui était parti séjourner dans les monastères égyptiens, devait bientôt revenir à Jérusalem, Jérôme s’était réjoui de renouer avec son vieux compagnon de jeunesse et lui avait adressé cette lettre de retrouvailles, dans laquelle il lui donnait des nouvelles de leurs amis communs. Il lui apprenait en particulier que Bonose, avec qui ils avaient tous deux mené une première expérience de vie commune à Aquilée, avait lui aussi fait le choix de mener une vie érémitique, en partant s’établir sur une île afin de « semer dans les larmes pour récolter dans la joie20 ». En décrivant ensuite la vie méritoire que Bonose menait désormais sur son île, Jérôme avait dressé le plus ancien tableau littéraire du monachisme insulaire qui nous soit parvenu. Il s’y attachait à mettre en évidence la nature érémitique de cette expérience, en soulignant la difficulté de cette épreuve toute particulière que constituait la vie en milieu insulaire : Entouré d’une mer bruyante, dans une île où viennent se briser les bateaux, parmi d’âpres écueils, des rochers dénudés, un isolement effrayant, il (Bonose) s’est installé comme un nouveau colon du paradis. Aucun paysan, aucun moine, pas même ce petit Onésime que tu connais, qui le charmait comme un tout jeune frère, ne l’accompagne dans un tel espace désertique (in tanta vastitate lateri) et ne s’attache à lui […]. Tout autour de l’île rugit une mer démente et résonne l’écho de la houle aux crêtes sinueuses brisée par les récifs ; sur ce sol ni gazon ni verdure, pas de pelouse verdoyante ni d’ombrages profonds ; des falaises abruptes entourent l’île comme une affreuse prison. Pour lui, tranquille, intrépide, tout armé comme le veut l’Apôtre, tantôt il écoute Dieu en lisant les livres divins, tantôt il parle à Dieu en priant le Seigneur. Peut-être, à l’exemple de Jean, a-t-il quelque vision tandis qu’il séjourne dans son île ?21

Ces quelques lignes sont par trop allusives pour nous permettre d’identifier l’île sur laquelle Bonose était parti vivre, ce qui ne permet pas de mettre en rapport ce texte avec d’éventuelles données archéologiques. Les historiens ont toutefois pris l’habitude de considérer qu’il fallait situer cette île dans la mer Adriatique22, en avançant deux arguments principaux. Le premier se fonde sur le fait que Bonose était originaire d’Aquilée, ce qui a pu donner à penser qu’il avait probablement choisi de vivre sur une île proche de sa patrie. Le second provient de l’évocation 19. P. henne, Saint Jérôme, Paris, 2009, p. 27-40. 20. Seminat in lacrimis ut in gaudio metat : Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 3, 4, p. 13. 21. Insulam pelago circumsonante navifragam, cui asperae cautes et nuda saxa et solitudo terrori est, quasi quidam novus paradisi colonus insedit. Nullus ibi agricolorum, nullus monachorum, ne parvulus quidem quem nosti Onesimus quo velut fratre minusculo fruebatur, in tanta vastitate adhaeret lateri comes […]. Totam circa insulam fremit insanum mare et sinuosis montibus inlisum scopulis aequor reclamat ; nullo terra gramine viret ; nullis vernans campus densatur umbraculis ; abruptae rupes quasi quendam horroris carcerem claudunt. Ille securus, intrepidus et totus de apostolo armatus nunc Deum audit cum divina relegit, nunc cum Deo loquitur cum Dominum rogat, et fortasse ad exemplum Iohannis aliquid videt dum in insula commoratur (ibid., 4, p. 13-14) ; traduction retouchée. 22. Jenal, Italia ascetica atque monastica, cit., p. 120-121 et Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », cit., p. 352-353.

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par Jérôme, dans sa lettre de 396 à Héliodore que nous étudierons plus loin, des moines qui vivaient sur les « îles de Dalmatie », ce qui a pu sembler indiquer que la mer Adriatique constituait alors pour lui l’espace de référence du monachisme insulaire. Si ces éléments peuvent sans doute permettre de conclure qu’il est probable que l’île de Bonose se situait bien dans l’espace dalmate, force est toutefois de reconnaître qu’il n’existe en la matière aucune certitude23. Dans ce passage, Jérôme s’attachait à mettre en évidence le caractère méritoire de la vie de Bonose, en expliquant que son séjour sur l’île devait être considéré comme l’équivalent de la vie dans les déserts orientaux. Pour ce faire, Jérôme avait tout d’abord mis en exergue le caractère anachorétique de la vie de Bonose, qui était parti seul sur son île selon une démarche similaire à celle qu’avait suivie Antoine lorsqu’il était parti affronter dans la solitude les forces démoniaques du désert. Surtout, Jérôme s’était attaché à définir le milieu insulaire comme un espace désertique (vastitas latus), avant de le décrire comme un lieu de désolation. De manière rhétorique, il avait cherché à souligner l’âpreté de l’île de Bonose, afin de montrer qu’elle n’avait rien à envier aux déserts orientaux, que Jérôme se représentait en fonction du tableau stéréotypé que la littérature hagiographique en avait dressé24. Empruntant aux auteurs classiques, à l’exemple de son évocation du bris des vagues sur les récifs de l’île de Bonose qu’il avait puisée dans les Géorgiques de Virgile25, Jérôme avait aligné dans ce texte les clichés littéraires, mentionnant en particulier « les âpres écueils », « les rochers dénudés », « l’isolement effrayant », « la mer démente » ou encore « les falaises abruptes ». Alors que la littérature gréco-romaine avait brossé un portrait ambivalent du milieu insulaire, le définissant tantôt comme un espace de délices, tantôt comme un lieu de désolations26, Jérôme avait ainsi choisi de ne retenir dans sa lettre que cette dernière interprétation. Son discours visait en effet à mettre en évidence la nature infernale du milieu insulaire, afin de mieux l’apparenter au désert que les sources hagiographiques décrivaient le plus souvent comme un espace de désolation. Cette comparaison du désert et de l’île imprégnait toute la lettre de Jérôme à Rufin. Revenant un peu plus loin sur Bonose, Jérôme se plaisait ainsi à évoquer le combat qu’il lui faudrait mener sur son île quand « Satan l’attaquera mais le Christ le défendra27 ». En transposant ainsi dans le milieu insulaire les attaques 23. S. gioanni, Gouverner le monde par l’écrit. L’autorité pontificale en Dalmatie de l’Antiquité tardive à la réforme « grégorienne», Rome, 2020 (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 386), p. 153-157. 24. wiPsZycka, « Il monachesimo della Tebaide », cit. 25. […] et scopulis inlisa reclamant aequora : virgile, Géorgiques, éd. E. de saint-denis, Paris, 19633 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), III, 261-262, p. 47. 26. S. vilatte, L’insularité dans la pensée grecque, Paris, 1991 (Centre de recherches d’histoire ancienne 106 ; Annales littéraires de l’Université de Franche‑Comté 446) ; F. Borca, Terra mari cincta. Insularità e cultura romana, Rome, 2000 (Lettere classiche, Ricerche 69) et P. doukellis, « L’image des îles et de la mer Égée dans la littérature du Haut-Empire : quelques réflexions », Revue des Études Anciennes, 103/1 (2001), p. 49-59. 27. […] impugnabit Satanas sed tutabitur Christus : Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 3, 5, p. 14.

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diaboliques qu’Antoine avait subies dans le désert, Jérôme s’attachait à affirmer une nouvelle fois l’équivalence de ces deux espaces. Dans un autre passage de sa lettre à Rufin, Jérôme s’était aussi attaché à associer Bonose à la Transfiguration (Mt 17, 1-13), en assurant qu’il « voit la gloire de Dieu que les apôtres eux-mêmes n’avaient vue que dans le désert28 ». Une telle référence permettait de nouveau d’établir une équivalence entre l’île et la Montagne, elle-même perçue comme une figure typologique du désert, en raison de la polysémie du terme grec d’όρος qui pouvait aussi bien désigner les espaces désertiques que les massifs montagneux29. L’insistance avec laquelle Jérôme s’attachait à assimiler l’île au désert s’explique par le contexte de sa lettre 3, dans laquelle il avait tout d’abord exprimé son admiration pour les monastères égyptiens où Rufin venait de séjourner, avant d’évoquer la perspective de son propre départ pour le désert syrien. Mentionnant Bonose, Jérôme voulait donc expliquer à Rufin que le chemin choisi par leur ami n’était en rien inférieur aux leurs, puisqu’à l’égal du désert, l’île lui semblait relever d’un espace effroyable, coupé de la société des hommes et privé de toute richesse naturelle. Peut-être est-il même possible d’aller plus loin, puisque Jérôme semble avoir considéré que les îles pouvaient offrir à l’athleta Christi un milieu encore plus difficile que le désert. Il avait insisté dans sa lettre sur le fait que le milieu insulaire n’offrait pas un monde ouvert, comme pouvaient l’être les grands espaces désertiques, mais qu’il constituait aussi un lieu d’enfermement qui faisait de l’île de Bonose « une affreuse prison ». Cette conception renvoyait à l’utilisation par la société antique des îles – ou plus exactement de certaines d’entre d’elles – à des fins de relégation et d’isolement des condamnés30. Au temps de Jérôme, la peine de la relegatio insularis était en particulier utilisée contre les hérétiques, parmi lesquels se trouvaient un certain nombre de moines. Ainsi, en 398, l’empereur Honorius devait condamner le moine hérétique Jovinien – l’une des grandes victimes de la vindicte de Jérôme – à recevoir le fouet plombé pour avoir nié le caractère méritoire de la virginité et de l’ascétisme monastique, avant d’être exilé sur l’île dalmate de Bua31, 28. […] videt gloriam Dei quam etiam apostoli nisi in deserto non videant : ibid., 4, p. 13. 29. E. wiPsZycka, Moines et communautés monastiques en Égypte, ive‑viiie siècle, Varsovie, 2009 (The Journal of Juristic Papyrology supplement 11), p. 111. 30. Borca, Terra mari cincta. Insularità e cultura romana, cit., p. 141-175 et M.-F. BasleZ, « La relégation dans les îles : un espace repensé par les intellectuels exilés », dans P. Blaudeau (éd.), Exil et relégation. Les tribulations du sage et du saint durant l’antiquité romaine et chrétienne (Ier‑VIe ap. J.‑C.), Paris, 2008, p. 179-190. 31. Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312‑438), vol. I, Code théodosien, livre XVI, éd. T. mommsen, J. rougé et r. delmaire, Paris, 2005 (Sources chrétiennes 497), 5, 53, p. 310-311 ; sur Jovinien et sa déportation, v. F. valli, « Un eretico del sec. IV : Gioviniano », Didaskaleion nuova serie 2 (1924), p. 1-66 ; A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 2. Première partie : le monachisme latin. De l’itinéraire d’Egérie à l’éloge funéraire de Népotien (384‑396), Paris, 1993, p. 273-349 ; Y.-M. duval, L’affaire Jovinien. D’une crise de la société romaine à une crise de la pensée chrétienne à la fin du ive et au début du ve siècle, Rome, 2003 (Studia ephemeridis Augustinianum 83) et L. guichard, « Des lois oppressives ? La législation des empereurs chrétiens de haeriticis et paganis », dans M.-F. BasleZ (éd.), Chrétiens persécuteurs. Destructions, exclusions, violences religieuses au ive siècle, Paris, 2014, p. 63-89.

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qui semble avoir alors été couramment destinée à accueillir les condamnés à des peines de relégation32. De même, Sulpice Sévère affirme qu’après la condamnation à mort, en 386, de l’ascète Priscillien pour hérésie33, ses disciples furent exilés dans une île située « au-delà de la Bretagne34 ». Pour le pouvoir impérial, la condamnation à la déportation insulaire constituait un châtiment particulièrement adapté aux hérétiques, puisqu’il permettait de combiner les bénéfices du bannissement et de l’isolement pénitentiaire. L’empereur Honorius l’avait explicitement exposé dans sa sentence contre Jovinien, lorsqu’il avait ordonné que ses disciples fussent eux aussi « déportés à perpétuité dans des îles solitaires, séparées l’une de l’autre par un grand espace, afin que la conjuration superstitieuse soit dissoute par la séparation due à l’exil35 ». Comme toutes les peines du droit romain, la relegatio insularis avait aussi acquis une dimension martyrologique, qui se trouvait d’autant plus importante qu’elle avait été traditionnellement associée au livre de l’Apocalypse. Son auteur, qui affirmait porter le nom de Jean, y expliquait avoir écrit son texte sur l’île de Patmos, où il aurait été exilé « à cause de la parole de Dieu et du témoignage de Jésus » (Ap 11, 9)36. Identifié par la tradition chrétienne avec Jean l’Évangéliste, mais aussi avec Jean l’Apôtre, ce qui lui avait donné une stature considérable, ce Jean de Patmos avait ainsi donné à la relegatio insularis ses lettres de noblesse martyrologiques37. Le livre de l’Apocalypse avait dès lors amené les auteurs chrétiens à faire de l’île un symbole du martyre des chrétiens, à l’exemple de Tertullien qui considérait dans son Apologétique que la déportation dans les îles constituait, au même titre que le bûcher, le fer rouge ou l’exposition aux bêtes, l’un des supplices auxquels les chrétiens avaient été confrontés durant les persécutions38. L’île était ainsi devenue dans la littérature chrétienne l’un des symboles de la 32. Bua, aujourd’hui dénommée Čiovo, est une île de l’archipel de Trau qui fait face à l’actuelle ville de Split ; selon Ammien Marcellin, elle avait été utilisée sous Valentinien ier pour y reléguer Hymétius, condamné pour avoir tenté de corrompre la volonté impériale par la magie et la divination : ammien marcellin, Histoire, 5, éd. M.-A. marié, Paris, 1984 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), XXVIII, 1, 23, p. 153. 33. H. chadwick, Priscillian of Avila. The Occult and the Charismatic in the Early Church, Oxford, 1976 et S.J.-G. sancheZ, Priscillien, un chrétien non conformiste. Doctrine et pratique du priscillianisme du ive au vie siècle, Paris, 2009 (Théologie historique 120). 34. sulPice sévère, Vie de saint Martin, éd. J. fontaine, cit., t. II, p. 599-600. 35. […] dummodo superstitiosa coniuratio exilii ipsius discretione solvatur, solitariis et lungo spatio inter se positis insulis in perpetuum deportari : Les lois religieuses des empereurs romains de Constantin à Théodose II (312‑438), vol. I, Code théodosien, livre XVI, cit., 5, 53, p. 310-311. 36. R.M. dessì, « Images médiévales d’une île sainte : Patmos », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 281-300. 37. R.-M. dessì et M. lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 231-279, ici p. 255-256. 38. Ad bestias impellimur […] ignibus urimur […] in metalla damnamur […] in insulas relegamur : tertullien, Apologétique, éd. J.-P. waltZing, Paris, 19612 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), 12, 5, p. 31.

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souffrance des martyrs, comme en témoigne le même Tertullien lorsqu’il évoquait les chrétiens « qui souffrent dans les mines, dans les îles, dans les prisons, uniquement pour la cause de la secte de Dieu39 ». C’est dans cette tradition martyrologique que se situait Jérôme lorsqu’il comparait Bonose à Jean de Patmos, en expliquant dans sa lettre à Rufin d’Aquilée que leur ami commun allait peut-être, comme l’auteur de l’Apocalypse, avoir « quelque vision tandis qu’il séjourne dans son île ». Si l’évêque Athanase d’Alexandrie avait pu trouver dans le départ d’Antoine dans le désert égyptien une actualisation de la Tentation que le Christ avait subie dans le désert de Judée40, Jérôme s’attachait à montrer que Bonose avait trouvé dans son île une actualisation de Patmos, comme lieu du combat eschatologique contre l’Antéchrist. Cette référence avait amené Jérôme à considérer que l’île constituait non seulement comme le désert un espace privilégié pour combattre les forces démoniaques, mais qu’elle pouvait de surcroît être pleinement définie comme un lieu d’élection, en raison de la dimension eschatologique que la référence à l’Apocalypse donnait au milieu insulaire. C’est en tout cas ce qu’il semble avoir eu en tête lorsqu’il écrivait dans cette lettre à Rufin qu’il souhaitait à Bonose « qu’à cause de son martyre quotidien, il suive l’Agneau revêtu de la robe blanche (Ap 7, 9)41 ». En conséquence, Jérôme avait dès lors pu conclure que, par la grâce de son « martyre quotidien », Bonose devait être considéré comme un « colon du Paradis42 », en développant une allégorie dont Adalbert de Vogüé a montré qu’elle renvoyait à Adam et au paradis originel43. La lettre de Jérôme à Rufin témoigne donc de l’intérêt nouveau que le monachisme insulaire suscitait dans les milieux ascétiques latins, qui estimaient avoir trouvé dans l’île un milieu d’élection au moins équivalent à celui des déserts orientaux. Alors que Jérôme avait lui-même accompli le difficile voyage d’Orient et s’apprêtait à rejoindre l’éprouvant désert syrien, il n’hésitait pas à affirmer qu’en allant s’installer sur son île, Bonose avait réussi à le devancer sur le chemin de la vie ascétique, en expliquant que « si j’en ai fait le vœu, c’est lui qui l’a accompli44 ». Par là même, Jérôme donnait à l’érémitisme insulaire ses lettres de noblesse dans le monde latin, en affirmant non seulement qu’il offrait un chemin méritoire, mais aussi qu’il constituait une voie élitiste au sein même de l’élitisme ascétique. En un temps, où les déserts orientaux voyaient confluer des moines venus de tous milieux sociaux, la démarche de Bonose semble avoir d’ailleurs eu quelque chose de profondément aristocratique. Il n’est pas sans importance que Jérôme se soit attaché à souligner dans sa lettre la noblesse de Bonose, en rap39. […] qui in metallis et […] qui in insulis vel in custodiis, dumtaxat ex causa Dei sectae : ibid., 39, 6, p. 82-83. 40. molinier, Solitude et communion, ive‑vie siècle, cit., t. I, p. 58-62. 41. Fruatur ille virtutis coronna et ob cotidiana martyria stolatus agnum sequatur : Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 3, 5, p. 15. 42. […] novus paradisi colonus : ibid., 4, p. 13. 43. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1, cit., p. 93. 44. […] cum ego voverim, ille perfecterit : Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 3, 5, p. 15 ; traduction retouchée.

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pelant à Rufin qu’elle n’était pas seulement d’ordre spirituel, puisque ce « jeune homme, formé avec nous dans le monde aux arts libéraux, disposait d’abondantes richesses et d’un très grand prestige en son milieu45 ». Le chemin que frayait le monachisme insulaire ouvrait ainsi une voie étroite, réservée à une petite élite sociale et spirituelle qui, à l’exemple de Bonose, se voyait reconnaître une vocation privilégiée à endosser la robe blanche des élus.

Seconde mention de Bonose À la fin de l’année 375 ou au cours de l’année 376, Jérôme mentionna de nouveau l’érémitisme insulaire de Bonose dans sa lettre 7 qu’il adressa à Chromace, Jovin et Eusèbe, trois clercs qui menaient alors une vie commune dans le presby‑ terium d’Aquilée. Jérôme était de longue date en relation avec Chromace, Jovin et Eusèbe, qui avaient constitué ses premiers compagnons d’ascétisme lorsque, au lendemain de sa conversion monastique, il avait partagé leur vie commune à Aquilée, en compagnie de ses amis Évagre, Rufin et Bonose46. Alors qu’il avait désormais quitté Antioche pour mener dans le désert syrien de Chalcis sa première expérience érémitique, Jérôme avait reçu une lettre de ses anciens compagnons d’ascèse et leur répondait en leur décrivant sa nouvelle vie, avant de la comparer à celle que leur ami commun Bonose menait sur son île : Bonose, m’écrivez-vous, tel un fils de l’ίχθύος, a gagné un lieu aquatique ; pour nous, souillé de notre ancienne infection, comme des basilics et des scorpions, nous recherchons les endroits desséchés. Lui, il écrase de son talon la tête du serpent (Gn 3, 15) ; pour nous au serpent qui est condamné par Dieu à manger de la terre, nous servons encore de nourriture (Gn 3, 14). Lui, il peut déjà gravir le sommet du psaume des degrés (Ps 133) ; nous n’en sommes encore qu’à la première pente, dans les pleurs (Ps 119) ; je ne sais s’il nous sera donné de dire : « J’ai levé les yeux vers les montagnes, d’où me viendra le secours » (Ps 120, 1). Lui, parmi les flots menaçants du siècle, assis en sécurité dans son île – c’est le nom de l’Église – à l’exemple de Jean, il dévore peut-être déjà un livre (Ap, 10, 10) ; moi, gisant dans le tombeau de mes crimes, j’attends le cri du Seigneur, d’après l’Évangile : « Jérôme, viens, sors » (Jn 11, 43) […]. Bref, pour achever le contraste commencé, moi, j’implore le pardon, lui, il attend la couronne47.

45. […] puer honestis saeculo nobiscum artibus institutus, cui opes adfatim, dignitas adprime inter aequales : ibid., 4, p. 13. 46. G. sPinelli, « Ascetismo, monachesimo e cenobitismo ad Aquilea nel secolo IV », Antichità Altoadriatiche, 22 (1982), p. 273-300 ; Jenal, Italia ascetica atque monastica, cit., p. 25-27 ; C. sotinel, Identité civique et christianisme. Aquilée du iiie au vie siècle, Rome, 2003 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome 324), p. 135-136 et R. mceachnie, Chromatius of Aquileia and the Making of a Christian City, New York, 2017, p. 44-47. 47. Bonosus, ut scribitis, quasi filius ίχθύος aquosa petit, nos pristina contagione sordentes quasi reguli et scorpiones arentia quaeque sectamur. Ille iam calcat super colubri caput, nos serpenti terrram ex devina sententia comedenti adhuc cibo sumus. Ille iam potest summum graduum psalmum scandere, nobis adhuc in primo ascensu flentibus necsio an dicere aliquando contingat : « levavi oculos meos in

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Professant l’esprit d’humilité qui devait convenir à un moine, Jérôme s’attachait dans ce texte à dévaloriser sa propre expérience dans le désert de Chalcis, en soulignant qu’elle avait bien moins de mérite que celle que Bonose menait sur son île. Dans cette perspective, Jérôme expliquait que Bonose avait déjà atteint les sommets de la vie ascétique alors que lui-même n’en connaîtrait pour le moment que « la première pente ». Au-delà du fait que Jérôme venait tout juste de commencer sa retraite au désert, tandis que Bonose vivait sur son île depuis déjà quelque temps, sa lettre 7 revenait sur un point qu’il avait commencé à esquisser dans sa lettre 3, lorsqu’il avait considéré que les îles devaient non seulement être comparées aux déserts, mais qu’elles pouvaient même leur être supérieures sur l’échelle du salut. Pour ce faire, Jérôme avait pu reprendre certains des thèmes qu’il avait développés dans sa lettre à Rufin, en retrouvant par exemple pour l’occasion son évocation rhétorique des « flots menaçants ». Surtout, il s’était attaché à suivre de nouvelles pistes exégétiques, afin de pouvoir dépeindre un tableau du monde insulaire autrement plus favorable que celui qu’il avait brossé quelques mois auparavant dans sa lettre à Rufin. Alors que dans sa lettre 3, Jérôme s’était attaché à démontrer que le milieu insulaire constituait un espace encore plus désolé que les déserts, il n’évoquait désormais plus dans sa lettre 7 la dimension martyrologique que la relegatio insularis des premiers chrétiens avait donnée au milieu insulaire. Il s’attachait en effet maintenant à démontrer que l’île constituait le lieu par excellence de la grâce divine, en opposant dès le début de son texte « les endroits desséchés » du désert de Chalcis, dans lesquels il s’était établi, au « lieu aquatique » où séjournait Bonose qu’il qualifiait pour l’occasion de « fils de l’ίχθύος ». Comme l’a montré Adalbert de Vogüé, Jérôme réutilisait ainsi au profit du milieu insulaire une formulation que Tertullien avait employée dans son Traité du baptême, alors qu’il cherchait à stigmatiser le refus par les hérétiques caïnites du caractère salvateur du baptême, en les opposant aux chrétiens unis dans le Christ-ichthus par le sacrement baptismal48. En faisant de l’île de Bonose un « lieu aquatique », c’est-à-dire placé sous la grâce de l’eau du baptême, Jérôme ouvrait la voie à une exégèse valorisante du milieu insulaire, qui se trouvait dès lors mis sur un tout autre plan que le désert. Sans doute, peut-on penser que la réflexion de Jérôme demeurait encore hésitante, puisque son argumentation, relativement confuse, s’organisait autour d’un véritable patchwork exégétique. Comparant de nouveau l’île de Bonose à celle montes, unde veniat auxilium mihi ». Ille inter minaces saeculi fluctus in tuto insulae, hoc est ecclesiae gremio, sedens ad exemplum Iohannis librum forte iam devorat, ego in scelerum meorum sepulchro iacens et peccatorum vinculis conligatus dominicum de Evangelio expecto clamorem : « Hieronyme, veni foras » […]. Et, ut breviter coeptam dissimilitudinem finiam, ego veniam deprecor, ille expectat coronam : Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 7, 3, p. 22-23 ; cf. l’analyse de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1, cit., p. 111-115. 48. tertullien, traité du baptême, éd. R.P. refoulé et M. drouZy, Paris, 20022 (Sources chrétiennes 35), 1, 1, p. 64-65 ; sur cet emprunt v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1, cit., p. 113.

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de Patmos, Jérôme en profitait pour affirmer que Bonose aurait peut-être déjà commencé à dévorer le livre, autrement dit qu’il aurait reçu le don de prophétie que l’Ange avait accordé à Jean (Ap 10, 10). Évoquant ensuite le verset de la Genèse sur la « répartition des nations dans les îles » (Gn 10, 5), qui avait amené la tradition exégétique à définir les insulae comme une figure typologique de l’ecclesia49, Jérôme en déduisait que l’île de Bonose constituait donc une image de l’Église. Dès lors, en associant ces deux propositions, il concluait qu’étant à la fois une image eschatologique et un symbole de l’ecclesia, l’île de Bonose devait donc être considérée comme une figure de l’Église, au sens eschatologique que pouvait prendre ce terme. En d’autres termes, Jérôme expliquait que l’île de Bonose devait donc être considérée comme une préfiguration du regnum Dei, qui offrait à son colon la perspective d’acquérir la couronne du salut. Cette démonstration pouvait paraître quelque peu forcée, ce qui avait d’ailleurs amené Jérôme à farcir ce passage de citations bibliques, sans doute pour lui donner l’autorité que la faiblesse de sa construction ne suffisait pas à lui assurer. Toutefois, quelles que soient les faiblesses de son raisonnement, Jérôme semble avoir considéré qu’il était parvenu à établir que l’île devait être considérée comme un symbole du royaume céleste, puisqu’il devait, dans le commentaire sur Ézéchiel qu’il écrivit à une date indéterminée50, affirmer sans autre explication que l’insula constituait une figure typologique de Jérusalem51. Malgré le caractère quelque peu forcé de la démonstration de Jérôme, celle-ci n’en témoigne pas moins de la richesse de son exégèse du milieu insulaire, dont il avait fait à quelques mois d’intervalle le symbole des espaces infernaux, puis celui du royaume de Dieu. Si une telle ambivalence reflétait celle de la littérature classique, qui pouvait tout aussi bien voir dans l’île un lieu d’exil qu’un espace de félicité, elle n’est pas non plus sans rappeler la double conception du désert qui caractérise par ailleurs la pensée de Jérôme. Comme pour le milieu insulaire, mais sans doute à un moindre niveau, Jérôme avait tout à la fois pu définir les espaces désertiques comme un lieu diabolique, dans la tradition ouverte par Athanase d’Alexandrie, mais aussi comme un lieu amène, propice à la rencontre de Dieu, comme en témoignent les tableaux du désert aux accents parfois bucoliques qu’il dressa dans sa production hagiographique, en particulier dans sa Vie de Paul l’Ermite (BHL 6596)52. Dans un cas comme dans l’autre, Jérôme s’attachait surtout 49. Borca, Terra mari cincta. Insularità e cultura romana, cit., p. 195-200 ; dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 258-260 ; a. Piras, « concettualizzazione e simbologia di “isola” e “terraferma” nella letteratura biblica e patristica », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 63-72, ici p. 67. 50. Jérôme, Commentariorum in Hiezechielem libri XIV, éd. F. glorie, Turnhout, 1964 (Corpus Christianorum Series Latina 75). 51. Piras, « concettualizzazione e simbologia di “isola” e “terraferma” nella letteratura biblica e patristica », cit., p. 67. 52. guillaumont, « La conception du désert chez les moines d’Égypte », cit., p. 9-11.

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à affirmer la sacralité particulière de ces espaces, qui pouvaient se montrer selon les circonstances démoniaques ou divins. Ainsi, c’est en s’inspirant du modèle interprétatif avec lequel il analysait le milieu désertique que Jérôme en était arrivé à conclure que l’île avait été taillée à la dimension de la vie monastique, dans la mesure où elle constituait tout à la fois un lieu de combat contre les tentations du diable et un espace privilégié de rencontre de la divinité.

La lettre à Héliodore Après cette lettre aux clercs d’Aquilée, Jérôme ne devait toutefois plus jamais évoquer Bonose qu’il n’a donc cité que deux fois dans sa correspondance, dans des lettres sans doute rédigées au cours d’une même année, ce qui pourrait donner à penser que le séjour insulaire de Bonose ne s’était guère prolongé. Pendant une quinzaine d’années, Jérôme ne fit en tout cas plus d’allusion au monachisme insulaire, jusqu’à ce qu’il écrivît vers 390 sa Vie d’Hilarion (BHL 3879)53, alors qu’il vivait désormais dans le monastère qu’il avait fondé à Bethléem. Afin de mettre en exergue la renommée d’Hilarion, Jérôme y expliquait qu’il lui avait fallu fuir sa propre célébrité jusque dans les déserts, mais que « comme il ne pouvait plus se cacher en Orient, où beaucoup le connaissaient de nom et de vue, il songeait à s’embarquer pour des îles désertes, afin que celui que la terre avait rendu célèbre, les mers, du moins, le tinssent caché54 ». Cette remarque est intéressante, puisqu’elle montre de nouveau que Jérôme considérait que l’île pouvait offrir à l’ascète soucieux d’assouvir sa soif de fuga mundi un espace encore plus retranché du monde que ne l’était le désert, ce qui laissait par là même à entendre qu’elle pouvait lui être supérieure sur l’échelle du salut. Quelques années d’années plus tard, alors qu’il était toujours installé dans son monastère de Bethléem, où il était désormais largement reconnu comme l’une des plus grandes voix de la Chrétienté, Jérôme revint sur le monachisme insulaire dans la longue et belle lettre qu’il écrivit en 396 à son vieil ami Héliodore. Alors devenu évêque d’Altino, une cité qui s’étendait sur les rives de l’actuelle lagune vénitienne, Héliodore venait d’être affligé par un deuil cruel puisqu’il avait récemment perdu son neveu Népotien, dans lequel il semble avoir placé beaucoup d’espoirs. En lui présentant ses condoléances, Jérôme s’attachait, dans sa lettre 60, à dresser un éloge des vertus que Népotien avait manifestées durant sa courte vie, en rappelant à Héliodore qu’après avoir abandonné le baudrier du siècle pour se consacrer à la vie monastique, son neveu avait été amené à assumer des tâches sacerdotales dans l’Église d’Altino, qui ne lui avaient pas permis de se séparer aussi pleinement du monde qu’il ne l’avait souhaité. Jérôme ne développa toutefois guère cette question, sans doute parce qu’il souhaitait éviter de s’enga53. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 2, cit., p. 163-236. 54. […] quasi iam in Oriente latere non posset, ubi multi illum et opinione et vultu noverant, ad solas navigare insulas cogitabat, ut quem terra vulgaverat, saltem maria celarent : Jérôme, Trois vies de moines (Paul, Malchus, Hilarion), cit., Vie d’Hilarion, 23, 7, p. 276-277.

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ger dans une question alors très débattue, celle de l’engagement des moines dans la vie ecclésiale, qui ouvrait par voie de conséquence le débat sur la légitimité d’une vie purement contemplative. De manière elliptique, il se limita donc à cette seule phrase55 : Et bien qu’il désirât ardemment tous les jours soit aller jusqu’aux monastères d’Égypte, soit visiter les chœurs de Mésopotamie, soit du moins (certe) coloniser les solitudes des îles de Dalmatie, qu’un simple bras de mer séparait d’Altino, il n’osait pas abandonner l’évêque son oncle56.

Ce texte a le grand intérêt d’offrir une description des trois grands choix qui, selon Jérôme, pouvaient s’offrir à la fin du ive siècle au jeune Occidental aspirant à mener une vie ascétique. Le premier d’entre eux pouvait l’amener à effectuer, à l’exemple de Rufin d’Aquilée ou de Jean Cassien, un voyage en Égypte pour séjourner dans l’un de ses monasteria, comme le faisaient les pèlerins latins les plus aventureux. Le deuxième de ces choix était celui des « chœurs de Mésopotamie », une expression qui désignait ici les communautés monastiques installées dans le désert syrien, dans lequel Jérôme s’était lui-même un temps retiré et où il avait aussi, quelques années auparavant, encouragé ce même Héliodore à se rendre57. La dernière de ces possibilités revenait à s’installer sur l’une des îles de la mer Adriatique, autrement dit à suivre la voie du monachisme insulaire que Bonose avait tracée. L’utilisation dans ce passage de l’adverbe certe (« du moins ») semble montrer que Jérôme avait voulu ici suggérer que le monachisme insulaire aurait constitué pour Népotien un choix par défaut, qui lui aurait permis de trouver à proximité d’Altino une alternative au long voyage de l’Orient. Si l’anachorèse dans une île pouvait certainement constituer pour l’Occidental qui aspirait à la vie ascétique un palliatif commode à l’important investissement que représentait un départ vers les déserts égyptien ou syrien, il serait toutefois aventureux d’utiliser cette formule rhétorique pour considérer que Jérôme aurait attribué au monachisme insulaire une valeur inférieure au séjour en Orient. L’utilisation dans ce passage des conjonctions d’alternative vel et aut, pour évoquer les trois choix qui s’offraient à l’ascète, semble plutôt montrer que Jérôme entendait suggérer que ces trois formes de vie monastique étaient équivalentes sur le plan du mérite ascétique, ce qui semble en cohérence avec sa manière habituelle de concevoir la question. Quoi qu’il en soit, ce texte a aussi l’intérêt de montrer que le monachisme insulaire restait encore, à la toute fin du ive siècle, un phénomène d’une ampleur sociale limitée. Si Jérôme évoquait en effet les monasteria d’Égypte puis les « chœurs » monastiques établis en Mésopotamie, il ne parlait en revanche que 55. Jérôme, Lettres, t. 3, éd. J. laBourt, Paris, 1953 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 60, p. 90-110 ; cf. l’analyse de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 2, cit., p. 380-391. 56. Cumque arderet cotidie aut ad Aegypti monasteria pergere, aut Mesopotamiae invisere choros vel certe insularum Dalmatiae, quae Altino tantum freto distant, solitudinem occupare, avunculum pontificem deserere non audebat : Jérôme, Lettres, t. 3, cit., ep. 60, p. 97-98. 57. Jérôme, Lettres, t. I, cit., ep. 14, p. 33-45.

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des « solitudes » des îles dalmates, ce qui tend à nous montrer que le monachisme insulaire n’avait pas encore connu un développement suffisant, pour que les îles dalmates aient pu être dotées de véritables communautés monastiques. Ce point est d’autant plus remarquable que, peu de temps plus tard, la terminologie de Jérôme devait évoluer, puisqu’il allait être désormais amené à évoquer la présence de « chœurs des moines » dans les îles italiennes. Cette expression est particulièrement significative, puisque Jérôme l’utilisait pour désigner des communautés monastiques, selon une terminologie qu’il avait empruntée à Athanase qui, dans le chapitre 44 de sa Vie d’Antoine, avait qualifié de « chœurs divins » (θείων χορών) les regroupements de moines en μοναστήρια (monasteria)58.

La lettre à Océanus et le monastère de Pinetum La première évocation d’un de ces « chœurs des moines » insulaires se trouve dans la lettre 78 que Jérôme écrivit en 400 à son ami romain, Océanus, qui lui avait apporté son soutien dans la rude controverse qu’il soutenait alors contre les origénistes et tout particulièrement contre Rufin d’Aquilée, avec lequel il s’était très violemment querellé59. Dans cette épître, Jérôme s’attachait à défendre la mémoire de leur amie Fabiola, riche et généreuse veuve romaine, dont le comportement avait été mis en cause par ses ennemis, pour avoir quitté dans sa jeunesse son premier époux adultérin afin de contracter un second mariage60. Avant de répondre à ces accusations en justifiant la conduite de sa défunte amie, Jérôme avait tout d’abord commencé sa lettre à Océanus, en lui rappelant les vertus exceptionnelles dont Fabiola avait fait preuve durant sa vie, en s’attachant en particulier à souligner qu’elle avait fait bénéficier de sa générosité non seulement les pauvres, mais aussi les clercs, les moines et les vierges consacrées : Cependant sa libéralité ne fut pas moindre envers les clercs, les moines et les vierges. Quel est donc le couvent qui n’a pas été soutenu par sa fortune ? Nu ou alité, qui n’a pas été couvert des vêtements de Fabiola ? Sur quel genre d’indigence ne s’est pas répandue sa largesse, prompte et rapide. Pour sa charité, Rome devint trop étroite. Elle parcourut donc les îles et la mer Tyrrhénienne, la province des Volsques et les recoins cachés des rivages sinueux, où se sont fixés les chœurs des moines. Elle y circulait soit en personne, soit en faisant transmettre sa munificence par de fidèles et saints personnages61.

58. […] τά μοναστήρια ώς σκηναί πεπληρωμέναι θείων χορών : athanase d’alexandrie, Vie d’Antoine, cit., 44, 2, p. 254. 59. E.A. clark, The Origenist Controversy. The Cultural Construction of an Early Christian Debate, Princeton, 1992, p. 121-150. 60. H. crouZel, L’Église primitive face au divorce du premier au cinquième siècle, Paris, 1971 (Théologie historique 13), p. 291-294. 61. Quamquam illa simili liberalitate erga clericos, et monachos, ac virgines fuerit. Quod monasterium non illius opibus sustentatum est ? quem nudum et clinicum non Fabiolam vestimenta texerunt ? in quos se indigentium non effudit praeceps et festina largitio ? Augusta misericordiae Roma fuit. Peragrabat ergo insulas, Etruscum mare, Vulscorumque provinciam, et reconditos curvorum litorum

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Pour la première fois, Jérôme évoquait le monachisme insulaire sans le situer dans le contexte de la mer Adriatique et de la Dalmatie, comme cela avait été le cas dans ses lettres précédentes. Les moines qu’il mentionnait dans cette lettre vivaient en effet dans l’Etruscum mare, autrement dit dans la mer Tyrrhénienne, et dans ce qu’il appelait « la province des Volsques », recourant ici à une expression archaïque qui désignait de manière rhétorique le Latium. En passant de la mer Adriatique à la mer Tyrrhénienne, ce monachisme avait aussi changé de nature, puisqu’il ne renvoyait plus à des anachorètes affrontant, tel Bonose, les solitudes des îles dalmates, mais avait désormais pris l’aspect de « chœurs des moines », autrement dit de regroupements monastiques rassemblés dans une même communauté de prière. Ce texte, dont nous verrons qu’il n’est pas isolé, témoigne d’une rupture majeure dans les évocations du monachisme insulaire qui passaient, au tournant des ive et ve siècles, de la description d’un anachorétisme précaire à des mentions d’établissements communautaires, à vocation désormais pérenne. Il convient toutefois de souligner que dans la correspondance de Jérôme cette transformation ne s’inscrivait pas dans une continuité, dans la mesure où il n’a jamais établi le moindre lien entre les anachorètes de la mer Adriatique, qu’il avait évoqués dans ses lettres rédigées dans le dernier quart du ive siècle, et les « chœurs des moines » de la mer Tyrrhénienne, qu’il commença à mentionner dans le premier quart du ve siècle. Où faut-il situer ces « chœurs des moines » qui, selon Jérôme, étaient établis au tournant des ive et ve siècles dans « les îles et la mer Tyrrhénienne, la province des Volsques et les recoins cachés des rivages sinueux » ? L’historiographie a souvent considéré que Jérôme aurait évoqué dans ce passage les moines de l’île toscane de Capraia62, où plusieurs sources contemporaines situaient une communauté monastique que nous aurons l’occasion de présenter un peu plus loin. Cette localisation pose toutefois un problème majeur, puisque l’île toscane de Capraia n’appartenait pas à « la province des Volsques », autrement dit au Latium, où Jérôme avait situé les moines qui avaient bénéficié des largesses de Fabiola. Ayant longtemps vécu à Rome, Jérôme connaissait suffisamment la géographie locale pour qu’il ne soit pas envisageable qu’il ait pu confondre la Toscane avec le Latium et une autre piste doit donc être envisagée. C’est ce que nous nous attacherons à faire ici, en proposant d’envisager l’hypothèse d’une identification avec le monastère de Pinetum que l’historiographie a souvent eu tendance à négliger, alors qu’il constituait pourtant en 400 un établissement d’une importance majeure63. Le monastère de Pinetum est évoqué par deux textes qui proviennent, directement ou indirectement, de Rufin d’Aquilée. Le plus ancien n’est autre que la sinus, in quibus monachorum consistunt chori : Jérôme, Lettres, t. 4, éd. J. laBourt, Paris, 19892 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 78, p. 39-52 ; traduction retourchée d’après A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, Première partie : le monachisme latin. Jérôme, Augustin et Rufin au tournant du siècle (391‑405), Paris, 1996, p. 126. 62. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », cit., p. 356. 63. Jenal, Italia ascetica atque monastica, cit., p. 96-98.

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traduction latine du Petit Ascèticon de Basile de Césarée que Rufin avait effectuée en 397, en lui donnant le titre latin d’Instituta monachorum. Désignés dans la tradition occidentale, à partir du vie siècle, sous le nom de « Règle de Basile » (Regula Basilii), les Instituta monachorum constituaient en réalité moins une règle qu’une compilation d’enseignements ascétiques sous forme de questions et de réponses64. Ils offraient surtout une conception de la vie ascétique bien différente de celle des anachorètes égyptiens, car si Basile considérait que l’appel de Dieu imposait de renoncer au monde, il estimait aussi que la séparation monastique ne pouvait être légitime que si elle empruntait le chemin de la vie commune. Rejetant avec force la vie solitaire, les Instituta monachorum s’attachaient ainsi à promouvoir un monachisme de type cénobitique, fondé sur l’obéissance des frères à leurs supérieurs, dans le cadre de communautés adonnées à une vie de mortification, de travail et de prière. Dans l’introduction à sa traduction du Petit Ascèticon, Rufin affirmait qu’il avait effectué sa traduction dans le monastère de Pinetum, à la demande d’un certain « frère Ursace ». Cette mention montre que le site de Pinetum accueillait un établissement monastique déjà bien structuré, puisqu’il disposait en la personne de ce « frère Ursace » d’un supérieur dont l’autorité semble avoir été clairement reconnue. Le fait que ce « frère Ursace » se soit soucié, pour la première fois dans le monde latin, de disposer de la traduction d’une règle orientale de type cénobitique démontre par ailleurs qu’il dirigeait un établissement à caractère communautaire, qui correspondait donc pleinement à ce que Jérôme qualifiait de « chœur des moines ». Dans le passage où il expliquait qu’il avait rédigé ses Instituta monachorum à Pinetum, Rufin donnait une description assez précise de l’emplacement de ce monastère. Si les informations qu’il nous donne n’ont pas été suffisantes pour que les historiens aient pu à ce jour localiser cet établissement, elles offrent néanmoins une description suffisamment précise du site sur lequel avait été édifié ce monastère, pour attester qu’il avait été bâti en bord de mer : Très cher frère Ursace, revenant d’Orient et souhaitant retrouver la compagnie usuelle des frères, avec quelle joie sommes-nous entrés dans ton monastère qui est situé sur la crête étroite d’un chemin sablonneux et est de part et d’autre entouré par les flots placides et incertains de la mer ; un pin exceptionnel dressé au-dessus en dévoile l’emplacement caché, par lequel lui est échu le nom fameux dans le siècle de Pinetum65.

64. Basile de césarée, Petit recueil ascétique. Inventer une vie en fraternité selon l’Évangile, éd. É. Baudry, Bégrolles-en-Mauges, 2013 (Spiritualité orientale 91) ; The Rule of St. Basil in Latin and English. A Revised Critical Edition, éd. A.M. silvas, Collegeville (Minesota), 2013 ; cf. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 247-294 ; A. de vogüé, « L’influence de saint Basile sur le monachisme d’Occident », Revue bénédictine, 113 (2003), p. 5-17 et A.M. silvas, The Asketikon of St Basil the Great, Oxford, 2005 (Oxford Early Christian Studies). 65. Satis libenter, carissime frater Ursaci, adventantes de partibus orientis et desiderantes iam fratrum consueta consortia monasterium tuum ingressi sumus quod superpositum arenosi tramitis dorso hinc atque hinc passivi et incerti maris unda circumluit : The Rule of St. Basil in Latin and English, cit., p. 44.

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Comme l’avait souligné Jacques Biarne, une telle description implique que le monastère de Pinetum ne pouvait avoir été établi que sur un cordon littoral ou un tombolo66, ce qui revient en fait à constater que son site était de type insulaire. Comme une lettre adressée vers 408 par Paulin de Nole à Rufin, alors que ce dernier résidait de nouveau à Pinetum, démontre par ailleurs que ce monastère était situé à proximité de Rome67, les historiens ont convenu que cet établissement ne pouvait être localisé que sur la côte du Latium, le long du littoral de la mer Tyrrhénienne. Ils ont donc traditionnellement estimé que Pinetum devait se situer dans les environs de la cité côtière de Terracine68, à soixante-dix kilomètres au sud de Rome, mais Jacques Biarne a démontré, avec de solides arguments, qu’il fallait plus probablement le rapprocher encore de Rome en le situant un peu plus au nord, sur l’un des nombreux cordons littéraux qui bordaient alors les marais pontins69. Si cette dernière proposition emporte la conviction, force est toutefois de constater qu’aucun élément ne permet de la prouver, dans la mesure où aucune autre source n’évoque cet établissement monastique. La disparition de ce monastère, qui semblait pourtant solidement installé lorsque Rufin y avait séjourné, donne à penser que Pinetum aurait pu être victime de l’invasion gothique et des troubles qui avaient alors affecté l’Italie, ce qui expliquerait peut-être aussi que Rufin l’ait quitté avant de finir en 410 ses jours en Sicile70. Bien que la documentation ne permette donc pas de localiser avec certitude le monastère de Pinetum, sa probable localisation dans les marais pontins peut donc nous amener à le rapprocher de ces « chœurs des moines » qui, selon Jérôme, auraient bénéficié de la générosité de Fabiola. L’évocation des « recoins cachés des rivages sinueux », où auraient vécu les moines protégés par Fabiola, est en effet parfaitement compatible avec la description du site de Pinetum que Rufin avait pu donner dans l’introduction de ses Instituta monachorum. Surtout, la localisation par Jérôme de ces « chœurs des moines » dans la « province des Volsques », autrement dit dans le Latium, correspondait manifestement à la situation de Pinetum, dont la lettre adressée vers 408 par Paulin de Nole à Rufin d’Aquilée atteste qu’il avait été édifié à proximité de Rome. Comme Pinetum constituait à l’évidence un établissement monastique majeur et qu’il est peu probable, au vu de ce que nous pouvons savoir de la réalité du monachisme en Italie à la fin du ive siècle, qu’il ait pu exister un autre établissement semblable dans le même espace, il semble donc raisonnable de conclure que les « chœurs des moines », que Jérôme avait évoqués dans sa lettre à Océanus, ne peuvent être identifiés avec le monastère toscan de Capraia, mais correspondent plutôt à un établissement situé sur le littoral du Latium, qui a toutes les chances de correspondre à Pinetum. 66. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée occidentale », cit., p. 358-360. 67. rufin d’aquilée, Les bénédictions des patriarches, éd. M. simonetti, Paris, 1968 (Sources chrétiennes 140), Epistola Paulini ad Rufinum, I, 1-3, p. 71-72 et De benedictionibus patriarcharum, II, 2, 10-13, p. 76-77. 68. F.X. murPhy, Rufinus of Aquileia (345-411). His Life and Works, Washington, 1945, p. 90, n. 41. 69. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée occidentale », cit., p. 360. 70. murPhy, Rufinus of Aquileia (345-411). His Life and Works, cit., p. 217-218.

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La lettre à Julien Jérôme évoqua pour la dernière fois le monachisme insulaire dans sa lettre 118 qu’il adressa à un certain Julien, qu’il faut probablement considérer comme l’un de ses compatriotes71. Dans cette lettre datée d’environ 407, Jérôme s’attachait à convaincre Julien, qui venait de perdre sa femme et ses filles, d’abandonner tous ses biens pour se convertir à la vie monastique. Dans ce but, il lui rappelait les bienfaits dont il s’était déjà acquitté envers les moines pour lui exposer qu’il était désormais temps qu’il fasse un pas supplémentaire sur le chemin du salut, en passant de la générosité du riche au renoncement total, qui supposait la vraie pauvreté : Tu as bâti des monastères et un grand nombre de saints sont nourris par toi dans les îles de Dalmatie. Mais tu agirais encore mieux si, saint toi-même, tu vivais au milieu des saints. « Soyez saints parce que je suis saint » dit le Seigneur (Lv 11, 44)72.

Par rapport aux lettres précédentes, ce texte ne nous apporte pas grand-chose de nouveau, si ce n’est qu’il permet d’attester que l’érémitisme insulaire s’était désormais suffisamment développé dans l’Adriatique pour que Jérôme ait pu pour la première fois parler du « grand nombre de saints » qui s’étaient installés sur les îles de Dalmatie. Même s’il faut se garder de prendre à la lettre cette formule rhétorique, qui comportait probablement une part d’exagération, l’expression tend en tout cas à montrer qu’une génération après Bonose, dont le mode de vie était suffisamment exceptionnel pour être largement commenté dans les milieux ascétiques, le monachisme insulaire avait pris une importance sociale suffisante pour que Jérôme ait désormais pu évoquer le « grand nombre de saints » qui colonisaient les îles de Dalmatie. Par ailleurs, l’évocation dans cette lettre, comme d’ailleurs dans celle que Jérôme avait écrite à l’occasion du décès de Fabiola, de donations pour l’entretien des saints des îles semble témoigner de l’existence de véritables communautés insulaires. La vie anachorétique relevant usuellement d’une existence en quasi-autarcie, ces donations des élites chrétiennes aux moines insulaires ne sauraient en effet se comprendre s’il n’avait existé de véritables communautés monastiques.

L’Hexaéméron d’Ambroise Afin de prendre toute la mesure des jugements que les pères de l’Église établirent sur le monachisme insulaire, la correspondance de Jérôme doit enfin être complétée par le texte court, mais néanmoins de portée fondamentale, que l’évêque Ambroise de Milan écrivit dans son Hexaéméron. Cet ouvrage au titre grec se 71. Jérôme, Lettres, t. 6, éd. J. laBourt, Paris, 1958 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 118, p. 87-97 ; cf. l’analyse d’A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 5. Première partie : le monachisme latin. De l’épitaphe de sainte Paule à la consécration de Démétriade (404‑414), Paris, 1998, p. 380-391. 72. Extruis monasteria, et multus a te per insulas Dalmatiae sanctorum numerus sustentatur. Sed melius facere, si et ipse sanctus inter sanctos viveres. « Sancti estote, quia ego sanctus sum, dicit Dominus » : Jérôme, Lettres, t. 6, cit., ep. 118, 5, p. 95 ; traduction retouchée.

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présentait comme un livre des « six jours », dans lequel l’évêque de Milan avait regroupé les homélies qu’il avait prononcées, lors de la semaine sainte, sans doute en 387 ou en 38873. Comme l’indique son titre, cet ouvrage, à la fois exégétique et homilétique, décrivait les six jours de la création du monde, à partir d’un commentaire du premier chapitre de la Genèse, dont Ambroise avait emprunté l’essentiel à l’Hexaéméron que Basile de Césarée avait composé en grec, entre 371 et 37874. Arrivé au troisième jour de la Création, Ambroise exposait que Dieu avait alors donné naissance à la terre et à la mer, en s’attachant à commenter le verset de la Genèse : « Dieu appela terre le continent ; il appela mer l’amas des eaux. Dieu vit que cela était bon » (Gn 1, 10). Suivant de près le commentaire de Basile de Césarée, Ambroise reprit alors l’essentiel de son exégèse, en soulignant que ce verset montrait que « la mer est bonne » aux yeux de Dieu, ce qui l’amenait à dresser un éloge des étendues maritimes nourri de références à la littérature classique. Si en cela Ambroise s’était contenté de suivre Basile de Césarée, il s’en démarqua par la suite, pour compléter son commentaire en glosant sur l’excellence reconnue des espaces insulaires, dans laquelle il voyait une preuve supplémentaire de la bonté propre aux étendues maritimes. À la différence de Basile de Césarée qui, comme tous les pères grecs, ne connaissait d’autres retraites érémitiques que les seuls déserts, Ambroise jetait en effet sur les îles le regard d’un ecclésiastique latin. Il les percevait comme des lieux de retraite monastique et les considérait comme des espaces privilégiés de retraite et de prière, ce qui leur conférait une élection toute particulière : Pourquoi dénombrerais-je les îles qu’elle (la mer) borde le plus souvent comme les perles d’un collier, où ceux qui renoncent aux séductions de l’intempérance du siècle choisissent de se cacher au monde dans leur ferme propos de continence et d’éviter les détours incertains de cette vie ? La mer est donc le havre de la tempérance, la pratique de la continence, la retraite de la gravité, le port de la sécurité, la tranquillité du siècle, la sobriété de ce monde ; enfin, le stimulant de la piété pour les hommes fidèles et pieux, afin que leurs chants de psalmodie rivalisent avec le son des flots légèrement agités, tandis que les îles applaudissent au chœur tranquille des flots saints et qu’elles retentissent des hymnes des saints75.

Dans ce texte, comme dans les lettres de Jérôme, Ambroise n’évoquait le monachisme insulaire qu’en des termes très généraux, sans les corréler à aucune 73. P. Pacaud, Exameron de saint Ambroise, livres I‑II‑III. Introduction, traduction et notes explicatives, Thèse, Université de Strasbourg, 1995, p. 3-5. 74. Basile de césarée, Homélies sur l’Hexaéméron, éd. S. giet, Paris, 1950 (Sources chrétiennes 26 bis). 75. Quid enumerem insulas, quas velut monilia plerumque praetexit, in quibus ii qui se abdicant intemperantiae saecularis illecebris, fido continentiae proposito eligunt mundo latere et vitae huius declinare dubios anfractus ? Mare est ergo secretum temperantiae, exercitium continentiae, gravitatis secessus, portus securitatis, tranquillitas saeculi, mundi hijus sobrietas, tum fidelibus viris atque devotis incentivum devotionis, ut cum undarum pleniter ad luentium sono certent cantus psalentium, plaudant insulae tranquillo fluctum choro, hymnis sanctorum personent. (amBroise de milan, Opera omnia, I/1, Paris, 1845 (Patrologia latina 14), 3, 4, 5, 23, col. 165) ; trad. Pacaud, Exameron de saint Ambroise, livres I-II-III, cit., p. 222.

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expérience concrète. Douze ans seulement après la lettre de Jérôme sur Bonose, ce texte d’Ambroise confirme en tout cas que l’utilisation des îles comme lieu de retraite monastique était considérée comme une pratique courante et reconnue de tous, que les plus hautes autorités ecclésiastiques de l’Occident latin considéraient comme particulièrement méritoire. Alors que le séjour de Bonose sur son île pouvait encore apparaître en 375 à Jérôme comme une expérience exceptionnelle et terrifiante, Ambroise estimait dans ce texte que l’utilisation monastique des espaces insulaires relevait d’un usage généralisé, qui ne prêtait ni à discussion, ni à émerveillement. Soucieux de conforter les affirmations de Basile de Césarée, qui avait estimé que la mer était belle aux yeux de Dieu, Ambroise évoquait le monachisme insulaire comme s’il s’agissait d’un exemple bien connu par son auditoire. Il lui semblait offrir un évident témoignage de l’excellence de ces espaces maritimes, où les fidèles pouvaient effectivement considérer que le chant des moines pouvait trouver un écho harmonieux dans le « bruit des vagues qui déferlent doucement ». En tous points opposée aux « flots menaçants du siècle » que, selon Jérôme, Bonose devait défier sur son inquiétant récif, cette dernière expression est particulièrement emblématique du tableau des espaces insulaires que l’évêque de Milan s’était attaché à dresser. Tout son texte visait en effet à souligner que l’espace insulaire constituait un lieu avenant, soustrait aux « attraits de l’intempérance séculière ». Pour Ambroise, l’île pouvait offrir aux hommes un « lieu tranquille » ou encore un « port de sécurité », ce qui l’amenait à introduire des expressions destinées à un grand avenir, dans la mesure où elles permettaient de définir les espaces insulaires comme des lieux protégés des souillures séculières, que la providence avait voués à une vie de tempérance, de continence et de stabilité. Tout son texte était ainsi destiné à souligner que la providence avait conçu les îles comme des lieux monastiques, comme le montre par exemple son évocation du « chœur tranquille des flots », qui constituait un évident parallèle aux « chœurs des moines » qu’ils avaient donc vocation à accueillir. L’évêque de Milan transposait ainsi sur les îles les vertus cardinales de la vie monastique, ce qui l’amenait à les définir comme des espaces intermédiaires entre le monde céleste et le monde terrestre qui, à la différence des étendues aquatiques, se trouvait irrémédiablement souillé par le péché et la corruption. En ce sens, si le texte d’Ambroise n’apporte pas grand-chose de concret à notre connaissance du monachisme insulaire, il témoigne en revanche du processus de valorisation des espaces insulaires qui se mettait en place dans l’Occident latin à la fin du ive siècle. De manière bien moins ambivalente que la correspondance de Jérôme, qui s’était attaché à penser le désert insulaire comme un lieu à la fois diabolique et divin, le texte d’Ambroise choisissait clairement d’affirmer l’élection particulière du milieu insulaire. Il posait ainsi les fondements d’un discours chrétien de sacralisation de l’île, qui est d’autant plus important pour notre propos qu’il devait être repris, une génération plus tard, par Eucher et les auteurs lériniens, afin d’affirmer le caractère paradisiaque du milieu insulaire76. 76. dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 233.

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* Cette présentation des premières sources patristiques sur l’érémitisme insulaire peut nous autoriser à dégager trois principaux constats. Le premier est que le phénomène du monachisme insulaire apparut dans les sources latines au tournant des troisième et quatrième quarts du ive siècle, à partir de l’expérience novatrice et exceptionnelle de Bonose. Transmise à la tradition monastique occidentale par le seul témoignage de la correspondance de Jérôme, la vie de Bonose y avait été pensée à l’aune de la vie d’Antoine, afin de démontrer que l’île pouvait offrir une expérience anachorétique, dans la mesure où elle constituait un espace infernal dont l’hostilité n’avait rien à envier à celle du désert. Fidèle à sa conception fondamentalement ambivalente du désert, tout à la fois lieu de la tentation diabolique et de la rencontre avec Dieu, Jérôme, en revenant quelques mois après sa lettre à Rufin sur l’expérience insulaire de Bonose, avait été amené à ouvrir d’autres pistes exégétiques, en faisant aussi du milieu insulaire un symbole du royaume de Dieu. Il avait posé un important jalon auquel Ambroise de Milan donna une tout autre ampleur, en établissant, dans le court développement qu’il avait consacré dans son Hexaéméron au milieu insulaire, les fondements de la sacralisation chrétienne de l’île, en proposant de la considérer comme un espace providentiellement soustrait à la souillure du monde terrestre. Pour être court et isolé, le texte d’Ambroise n’en eut pas moins une portée majeure, car en faisant de l’île un lieu que Dieu avait taillé à la mesure des vertus de la vie monastique, il avait posé les fondements de la sacralisation particulière du milieu insulaire, à laquelle les pères de Lérins allaient donner un grand développement. Le second constat que permet cette étude ressort des transformations que prirent, au tournant des ive et ve siècles, les références au monachisme insulaire que la correspondance de Jérôme peut nous fournir. Alors qu’avant cette date Jérôme n’avait guère évoqué le monachisme insulaire que pour décrire des expériences ponctuelles, de type anachorétique, dont la vie de Bonose constituait le modèle fondateur, les « saints des îles », qu’il commença à mentionner à partir de 400, s’organisaient désormais dans ce qu’il définissait comme des « chœurs des moines », autrement dit selon des formes de vie de type communautaire. Si les sources ne permettent guère d’en savoir plus, il ne fait toutefois guère de doute que ces premières communautés insulaires disposaient déjà d’une organisation institutionnalisée. L’exemple du monastère de Pinetum, dont le site était à l’évidence de type insulaire, en témoigne puisqu’il disposait d’un supérieur bien identifié, qui s’était de surcroît attaché à conforter son autorité en faisant traduire en 397 par Rufin le Petit Ascèticon de Basile de Césarée, afin de doter son établissement d’un modèle de vie communautaire. La correspondance de Jérôme montre aussi que ces communautés insulaires avaient atteint un développement suffisamment important pour que leur subsistance dut être assurée par la générosité des élites chrétiennes. Ce faisant, l’essor de ces communautés insulaires contribuait à poser les fondements d’une nouvelle économie du salut77, dont témoigne Jérôme lorsqu’il 77. P. Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme, Paris, 2016 (éd. originale : Princeton, 2012).

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reconnaissait le caractère méritoire des dons que les riches chrétiens concédaient aux « saints des îles », tout en les encourageant à aller encore plus loin, en se dépouillant totalement de leurs biens pour quitter le monde et partir eux aussi vers les déserts insulaires dont l’Occident venait de se doter78. Enfin, un rapide regard vers la diffusion des modèles élaborés par Jérôme et par Ambroise amène à constater que leur tradition fut très différente. Si l’image ambroisienne de l’île comme « lieu tranquille » ou « port de sécurité » devait trouver, comme nous le verrons, un grand écho dans la tradition monastique occidentale du ve siècle, le modèle bonosien de l’anachorétisme insulaire n’eut en revanche aucun succès. Alors que l’épistolier de Jérôme circulait largement dans les milieux ascétiques, comme le montre le grand retentissement qu’eut sa lettre à Eustochium sur la virginité ou encore celle qu’il adressa à Népotien sur le sacerdoce, ses lettres sur Bonose semblent n’avoir eu aucun écho dans l’exégèse latine et n’inspirèrent surtout aucune tradition hagiographique. Bonose ne put ainsi voir s’ouvrir devant lui les portes de la sainteté, ce qui montre que le monachisme occidental n’était manifestement pas disposé à trouver une place pour ce modèle d’anachorétisme radical que les lettres de Jérôme l’avaient désormais amené à incarner. Sur les îles comme sur le continent, la tradition monastique se montrait ainsi plus soucieuse de valoriser les modèles communautaires que les formes de vie anachorétiques.

ii – les saints des îles ligures : gallinara et l’ermitage de saint martin Après avoir présenté, à travers l’étude de la correspondance de Jérôme et de l’Hexaéméron d’Ambroise de Milan, les plus anciennes sources patristiques sur le monachisme insulaire, il est désormais temps d’en arriver à des exemples plus concrets, en ouvrant les dossiers de fondation des premiers établissements monastiques, réels ou supposés, qui se développèrent en milieu insulaire dans l’Italie tardo-antique. Dans un premier temps, nous tournerons notre regard vers la Ligurie, où Martin est censé avoir mené vers 360 une vie érémitique sur l’île de Gallinara, qui est traditionnellement considérée comme l’expérience fondatrice du monachisme insulaire. En partant de l’étude critique de cette tradition martinienne, nous étudierons successivement les îles ligures de Gallinara, Bergeggi et Tino, qui ont pu être considérées comme des lieux monastiques d’époque tardo-antique (fig. 1). Dans chacun de ces trois cas, nous présenterons les dossiers documentaires qui ont pu fonder ces traditions, à la lumière des données que fournissent la critique historique et l’étude archéologique. 78. F. maraZZi, « Le “isole” di Girolamo. Visioni sullo spazio dell’ascesi fra Roma et l’Italia alla fine del IV secolo », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 605-614.

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Bergeggi Gallinara

Tino

1000 500

200

0m

0

100 km

Figure 1 : Les espaces insulaires du monachisme en Ligurie.

Gallinara et l’exil insulaire de Martin L’histoire de l’île de Gallinara est dominée par la haute stature de Sulpice Sévère et de sa Vie de saint Martin (BHL 5610), qui constitue l’un des principaux textes fondateurs du monachisme occidental. Rédigé peu avant le printemps 397, du vivant même de Martin, ce grand texte hagiographique fut écrit par Sulpice Sévère alors qu’il s’était retiré à Primuliacum79, dans une riche villa du sud-ouest de la Gaule dont la localisation reste aujourd’hui débattue80. Il y évoquait en particulier les premières expériences monastiques que Martin avait menées, durant les années 350, en relation constante avec l’évêque Hilaire de Poitiers, qui était alors considéré comme la principale figure occidentale du parti nicéen81. Sulpice affirmait qu’après avoir été victime en Illyrie de la persécution arienne, qui avait caractérisé la fin du règne de l’empereur Constance II († 361), Martin se serait réfugié à Milan où il aurait mené une première expérience de vie monastique. Ayant toutefois été de nouveau inquiété par les ariens, il aurait alors été contraint

79. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. I, p. 17-49. 80. F. riess, Narbonne and its Territory in Late Antiquity. From the Visigoths to the Arabs, Londres/New York, 2013, p. 66-69. 81. J. fontaine, « Hilaire et Martin », dans J. fontaine (éd.), Hilaire de Poitiers, évêque et docteur. Cinq conférences données à Poitiers à l’occasion du xvie centenaire de sa mort, Paris, 1968 (Études augustiniennes, série antiquité 35), p. 59-86.

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à quitter Milan, pour se retirer dans l’île ligure de Gallinara, où il se serait adonné à une vie de type anachorétique avec un prêtre pour unique compagnon : Il (Martin) regagna l’Italie et, apprenant que dans les Gaules aussi, l’éloignement de saint Hilaire, contraint et forcé à l’exil par les hérétiques, avait jeté le trouble dans l’Église, il s’installa un monastère à Milan. Là aussi, Auxence, principal fauteur du parti arien, le persécuta avec un acharnement extrême : il l’accabla d’avanies et le fit expulser de la cité. Aussi, estimant qu’il lui fallait céder aux circonstances, il se retira dans l’île de Gallinaria, en compagnie d’un prêtre qui était un homme de grandes vertus. Il y vécut quelque temps de racines. À ce moment, il prit pour nourriture de l’hellébore, une plante que l’on dit vénéneuse. Mais sentant la violence du poison l’attaquer, il repoussa par la prière la menace de ce péril, et aussitôt tout le mal fut mis en déroute. Peu après, ayant appris que le souverain, pris de repentir, avait accordé à saint Hilaire l’autorisation de revenir d’exil, il tenta de le rencontrer à Rome et partit pour la Ville82.

Ce texte affirme que le séjour de Martin à Gallinara doit être situé entre l’exil de l’évêque Hilaire de Poitiers et son retour en grâce, ce qui permet de situer chronologiquement cette retraite insulaire entre 358 et 36083. Cette datation peut sembler étonnamment basse, puisqu’elle est antérieure de plus de quinze ans à la mention par Jérôme de la retraite insulaire de Bonose et précède de près de trente ans le commentaire d’Ambroise de Milan sur les saints des îles. Elle a donc usuellement amené l’historiographie à considérer ce texte comme la plus ancienne attestation du monachisme insulaire, mais un tel constat ne peut qu’entraîner la suspicion. En effet, la retraite de Martin à Gallinara n’est attestée que par une source écrite près de quarante ans après les faits qu’elle relate, par un auteur qui n’a pu être témoin de ces événements, puisqu’ils se sont déroulés à une époque où Sulpice n’était probablement pas encore né. S’il est évidemment bien peu probable que Sulpice Sévère ait inventé ces faits de toutes pièces, sa distance avec ces événements était en tout cas suffisamment importante pour que le récit qu’il nous en a transmis ait pu être au moins partiellement reconstruit, en particulier à la lumière de l’essor de la vie monastique insulaire, qui caractérisait précisément les années où la Vie de saint Martin fut écrite.

82.

Italiam repetens, cum intra Gallias quoque discessu sancti Hilari, quem ad exilium haereticorum via coegerat, turbatam ecclesiam comperisset, Mediolani sibi monasterium statuit. Ibi quoque eum Auxentius, auctor et princeps Arianorum gravissime insectatus est ; multisque affectum injuriis de civitate exturbavit Cedendum itaque tempori ratus ad insulam, cui Gallinara nomen est, secessit, comite quodam presbytero, magnarum virtutum viro. Hîc aliquamdiu radicibus vixit herbarum. Quo tempore, helleborum venenatum, ut ferunt, gramen in cibum sumpsit. Sed cum vim veneni in se grassantis, vicina iam morte sensisset, imminens periculum oratione repulit, statimque omnis dolor fugatus est. Nec multo post, cum sancto Hilario comperisset regis pænitentia potestatem indultam fuisse redeundi, Romæ ei tentavit occurrere, profectus ad urbem est : sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. I, 6, 4, p. 266-267. 83. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. II, p. 601 et Biarne, Les origines du monachisme en Occident, cit., p. 215.

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Il est de fait notable que pour décrire la vie insulaire de Martin, Sulpice ait utilisé les lieux communs sur l’anachorétisme insulaire, tels qu’ils s’étaient développés dans le dernier quart du ive siècle. Le récit de Sulpice brode ainsi autour de l’idée, introduite par l’Hexaéméron d’Ambroise, que l’île constituait un asile contre la corruption du monde, que symbolisait dans ce cas l’hérésie arienne. Plus remarquable encore est la description du régime alimentaire de Martin qui, selon Sulpice, aurait été contraint à se nourrir des quelques herbes qui poussaient sur l’île de Gallinara jusqu’à mettre en péril sa propre vie, puisqu’après avoir ingurgité de l’hellébore vénéneuse, Martin n’avait pu être sauvé que grâce à l’efficacité de ses prières, dans laquelle Sulpice voyait évidemment un témoignage de la protection que Dieu accordait aux champions du christianisme nicéen. Cette anecdote est toutefois troublante puisqu’elle se retrouve sous une forme très proche dans les Dialogues, où Postumanius racontait qu’un anachorète égyptien s’était empoisonné de manière semblable, en se nourrissant lui aussi de racines vénéneuses84. L’introduction dans la Vita sancti Martini de cette anecdote, probablement puisée dans les récits qui circulaient alors sur les pères du désert, semble avoir permis à Sulpice Sévère de souligner que Martin avait prouvé dans sa retraite à Gallinara ses vertus d’athleta Christi, montrant ainsi que ses exploits ascétiques n’avaient rien à envier à ceux des plus fameux anachorètes égyptiens. Il est toutefois probable qu’une telle comparaison entre la vie insulaire de Martin et celle des anachorètes égyptien n’était pas totalement étrangère aux idées que Jérôme avait développées à partir de 375, lorsqu’il s’était attaché à faire de l’île l’équivalent du désert oriental. En ce sens, si la description du séjour insulaire de Gallinara était bien conforme aux idées qui circulaient lorsque Sulpice avait écrit en 397 sa Vie de saint Martin, elle a manifestement quelque chose d’anachronique, dès lors qu’elle est replacée dans le contexte des années 358-360, où elle constitue un témoignage bien trop isolé pour être crédible. Au début du xxe siècle, Camille Julian s’était déjà interrogé sur cette étrange retraite insulaire de Martin, pour se demander si Sulpice Sévère n’aurait pas repeint aux couleurs du monachisme insulaire une peine d’exil sur une île à laquelle Martin aurait pu être condamné85. Reprenant la chronologie des voyages de Martin dans la deuxième moitié de la décennie 350, Julian avait alors considéré que ses déplacements mettaient en évidence son engagement dans la controverse antiarienne menée par Hilaire de Poitiers et que la présence répétée de Constance II à Milan donnait à penser qu’il avait peut-être été victime de l’une de ces peines d’exil insulaire, auquel l’empereur condamnait usuellement les dissidents religieux. Dans son commentaire de la Vie de saint Martin, Jacques Fontaine s’était montré séduit par cette hypothèse, en soulignant que le récit de Sulpice Sévère pouvait effectivement prêter à une telle interprétation, dans la mesure où il avait non seulement lié l’expulsion de Martin de Milan et son départ pour Gallinara, 84. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. II, p. 601-602 et sulPice sévère, Gallus. Dialogues sur les « vertus » de saint Martin, cit., 16, 1-3, p. 166-169. 85. C. Jullian, « Notes gallo-romaines XLVII. La jeunesse de Saint Martin. À propos d’un livre récent », Revue des études anciennes, 12/3 (1910), p. 260-280, en particulier p. 273-275.

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mais aussi qu’il l’avait situé dans le contexte de la condamnation à l’exil d’Hilaire de Poitiers86. Tous ces éléments convergent et donnent à penser que l’hypothèse, pour la première fois posée par Camille Julian, qui considère que le séjour de Martin à Gallinara aurait pu être la conséquence d’une condamnation à une rele‑ gatio insularis, que Sulpice Sévère aurait présenté dans un second temps sous les traits d’une retraite anachorétique, constitue un postulat des plus crédibles. À la différence de Jérôme, toujours très imprécis dans ses évocations des espaces insulaires, le récit de Sulpice Sévère a l’avantage de permettre l’identification de l’île où aurait vécu Martin, puisqu’il la désigne sous le nom d’insula Gallinaria, autrement dit de « l’île des poules ». L’historiographie a traditionnellement considéré que cette insula Gallinaria n’était autre que l’île actuellement appelée « Gallinara », selon un terme qui provient du dialecte ligure, ou encore « Gallinaria », une forme qui relève d’un italien plus classique87. Située en face de l’ancienne cité d’Album Ingaunum, qui occupait le site de l’actuelle ville d’Albenga, l’île que nous appellerons ici « Gallinara » n’est séparée du continent que par un mille marin (fig. 2). Rocheuse et très pentue, cette petite île n’a qu’une superficie de 11 hectares, mais bénéficie toutefois d’une forte visibilité, puisqu’elle se dresse de manière spectaculaire dans la mer pour culminer à 86 m. d’altitude. Aujourd’hui inhabitée, l’île de Gallinara offre de fait des conditions très peu favorables au peuplement humain, non seulement en raison de son caractère très rocheux, mais aussi parce qu’elle ne dispose d’aucune source d’eau claire. Entourée sur presque toute sa circonférence par des falaises qui se jettent dans la

Centa

Albenga

Gallinara

0

Figure 2 : L’île de Gallinara. 86. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. II, p. 599-601. 87. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », cit., p. 355.

2 km

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mer, elle n’offre de surcroit à ses visiteurs qu’un seul point d’accès, grâce à une modeste anfractuosité rocheuse qui autorise le mouillage de petites embarcations, à l’extrémité nord-ouest de l’île, face au littoral. L’identification traditionnelle de cette insula Gallinaria avec l’actuelle île de Gallinara a toutefois été récemment mise en cause par Jacques Biarne, qui a soutenu qu’un nom comme Gallinaria devait être si courant qu’il aurait très bien pu s’appliquer à une autre île méditerranéenne88. Cette assertion est toutefois difficile à suivre, non seulement parce qu’il n’existe dans la documentation antique aucune trace d’une autre île qui aurait porté un tel nom, mais aussi parce que les agronomes latins se sont intéressés à cette insula Gallinaria et en ont laissé des descriptions très précises, qui démontrent sans ambiguïté qu’elle correspondait bien à l’actuelle île de Gallinara. Ainsi, après avoir mentionné que « l’île Gallinaria est située dans la mer Tyrrhénienne, le long de l’Italie, face aux montagnes ligures, à Vintimille et à Album Ingaunum89 », Varron avait glosé sur l’étymologie de son nom, en soulignant que si certains estimaient que l’île avait été ainsi appelée en raison de la présence de poules sauvages, d’autres soutenaient que son nom provenait « des poules domestiques, transportées là par des matelots, et dont la descendance est devenue sauvage90 ». Columelle confirmait ces éléments, lorsqu’il évoquait à son tour cette poule sauvage qui « abonde dans cette île de la mer Tyrrhénienne que les matelots ont appelée Gallinaria, du nom de ce volatile91 ». Les témoignages des agronomes latins montrent ainsi que l’insula Gallinaria était dans l’Antiquité une île très bien identifiée. Elle avait à l’évidence acquis une grande renommée chez les marins, qui savaient pouvoir y trouver à l’état endémique ces poules sauvages, que les agronomes latins considéraient comme une particularité unique à l’échelle du bassin occidental de la mer Méditerranée. Si l’île de Gallinara constitue aujourd’hui une réserve naturelle fermée à toute activité humaine, il n’en allait pas de même dans l’Antiquité, puisque les prospections archéologiques ont permis de retrouver des dépôts consistants de céramique romaine, datant aussi bien de l’époque républicaine que de l’âge impérial92. Comme en témoigne sa mention sous le nom de Gailiata dans la table de 88. Ibid., p. 355. 89. Ab hiis gallinis dicitur insula Gallinaria appellata, quae est in mari Tusco secundum Italiam contra montes Liguscos, Intimilium, Album Ingaunum : varron, Économie rurale. Livre III, éd. C. guiraud, Paris, 1997 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), III, 9, 17, p. 27. 90. […] ab his villaticis invectis a nautis, ibi feris factis procreatis : ibid., III, 9, 17, p. 27. 91. […] eaque plurima est in insula, quam navitae Ligustico mari sitam producto nomine alitis Gallinariam vocitaverunt : columelle, On Agriculture, t, II Res rustica, V‑IX, éd. E.S. forster et E.H. heffner, Londres/Cambridge (Mass.), 1954 (The Loeb classical library), VIII, 2, 2, p. 322. 92. Sur l’étude archéologique de Gallinara, v. en dernier lieu : G. mennella et S valentini, « L’“insularità” nella Liguria romana », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 191-192 ; P. Pergola, B. maZZei

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Peutinger93, Gallinara constituait un relais important sur la route maritime qui reliait la Gaule à Rome. Les marins devaient être nombreux à y faire relâche pour passer la nuit, peut-être attirés par la présence de ces poules sauvages qui pouvaient leur offrir de la nourriture carnée à bon compte. L’identification par les archéologues de traces d’un ancien réseau de recueil de l’eau de pluie, destiné à pallier l’absence de sources d’eau douce sur l’île, a pu donner à penser que Gallinara avait pu accueillir durant l’Antiquité une petite occupation humaine, mais l’impossibilité de dater les vestiges de ces infrastructures rend cette hypothèse très incertaine. L’évocation dans un texte aussi renommé que la Vita sancti Martini du séjour de Martin à Gallinara eut bien évidemment des conséquences fondamentales sur le destin de cette île, qui devint dès lors l’un des hauts lieux du souvenir martinien. Les hagiographes reprirent l’épisode du séjour de Martin à Gallinara en lui donnant parfois une nouvelle envergure, comme le fit Venance Fortunat dans la Vie d’Hilaire de Poitiers (BHL 3885-3886) qu’il écrivit vers 567-56894, peu après qu’il s’était installé en Gaule, où il avait été originellement attiré par les vertus qu’il attribuait aux reliques de saint Martin95. Soucieux d’affirmer la sainteté d’Hilaire, Venance s’était attaché à l’associer à celle de Martin, en affirmant que le saint évêque de Poitiers serait lui aussi venu à Gallinaria et qu’il aurait alors chassé les serpents qui occupaient l’île : et F. severini, « L’implantation chrétienne dans les îles mineures des archipels toscans et ligure (Antiquité tardive et haut Moyen Âge) », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/ Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 193-203, en particulier p. 201-202 ; B. massaBò, « Scavi nella grotta di San Martino nell’isola Gallinaria, ad Albenga », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 221-226 et F. Bulgarelli, P. dell’amico, s. roascio et E. dellù, « Recenti interventi sull’isola Gallinaria di Albenga (VS). Stratigrafie dal cenobio benedettino all’occupazione “laica” dell’isola », dans F. redi et A. forgione (éd.), VI Congresso Nazionale di Archeologia Medievale (L’Aquila, 12‑15 settembre 2012), Florence, 2012, p. 228-232. 93. massaBò, « Scavi nella grotta di San Martino nell’isola Gallinaria, ad Albenga », cit., p. 222. 94. Y.-M. duval, « La vie d’Hilaire de Fortunat de Poitiers : du docteur au thaumaturge », dans Venanzio Fortunato e il suo tempo : convegno internazionale di studio, Valdobbiadene, Chiesa di S. Gregorio Magno, 29 novembre 2001‑Treviso, Casa dei Carraresi, 30 novembre‑1 dicembre 2001, Trévise, 2003, p. 133-152. 95. L. Pietri, « Autobiographie d’un poète chrétien : Venance Fortunat, un émigré en terre d’exil ou un immigré parfaitement intégré ? », dans S. laBarre (éd.), Présence et visage de Venance Fortunat. xive centenaire. Colloque organisé par Fr. Cassingena à l’abbaye Saint‑Martin de Ligugé (11‑12 décembre 2009), Paris, 2002 (Carmenae [revue en ligne] 11), p. 13-24 : http ://www.paris-sorbonne. fr/article/camenae-11 et B. Judic, « L’itinéraire martinien de Venance Fortunat. Sur les chemins du patrimoine immatériel, saint Martin symbole du partage », dans A. ZaradiJa kis et I. saBotic (éd.), Putovima europske nematerijalne bastine u 21. stoljecu : sv. Martin, simbol dijeljenja ; Sur les chemins européens du patrimoine immatériel au xxie siècle : saint Martin symbole du partage, Zagreb, 2016 (Biblioteka Etnografija), p. 53-65.

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Comme il s’approchait de l’île de Gallinaria, il (Hilaire) apprit par le récit des habitants du voisinage qu’elle était occupée par une masse si énorme de serpents qu’on ne pouvait les compter et qu’à cause de cela, bien que cette île fût proche, elle leur semblait être, en raison de l’inaccessibilité de ce lieu, aussi éloignée que l’Afrique. Ayant entendu cela, l’homme de Dieu, pensant pouvoir sortir victorieux d’un combat contre la bête, se porta dans l’île précédé par le soutien d’une croix. Dès qu’ils le virent, les serpents prirent la fuite, ne pouvant supporter sa présence. Alors, plantant son bâton dans la terre, comme s’il s’agissait d’une borne au-delà de laquelle ils devaient se retirer, il montra la puissance de sa force96.

Reprenant un thème manifestement emprunté à la Vie d’Honorat (BHL 3975), Venance Fortunat s’était ainsi attaché à souligner la nature infernale de l’île de Gallinara, en affirmant qu’elle aurait été vouée aux forces diaboliques, dont les serpents constituaient les instruments. Ce récit se situait ainsi dans la tradition ouverte par la première lettre de Jérôme sur Bonose, qui avait inscrit le séjour ascétique sur une île dans la tradition anachorétique orientale, en faisant des espaces insulaires un lieu de combat contre les forces diaboliques. Une telle perception était incontestablement cohérente avec la géomorphologie de l’île de Gallinara, qui en faisait un îlot naturellement hostile au peuplement humain, mais aussi avec l’interprétation de Sulpice Sévère, pour qui cet espace insulaire constituait d’abord et avant tout un lieu de mise à l’épreuve ascétique. Au-delà de la tradition hagiographique, l’association de Gallinara au souvenir martinien fut aussi localement entretenue par une dévotion à une grotte de l’île, dans laquelle Martin serait censé avoir vécu au temps de sa retraite anachorétique. Cette tradition, qui se situe dans le contexte de l’essor, particulièrement sensible dans l’Italie alto-médiévale, des établissements monastiques en site rupestre97, n’apparaît toutefois pas dans les sources martiniennes les plus anciennes, qui ne mentionnent jamais que Martin aurait vécu à Gallinara dans une grotte. Elle est ainsi absente du texte de Sulpice Sévère, mais aussi de la description de l’ermitage martinien que Sozomène donna dans l’Histoire ecclésiastique qu’il écrivit 96. Cum circa Gallinariam insulam propinquaret, relatione agnovit vicinorum, ibidem ingentia serpentium volumina sine numero pervagari, et ob hoc quamvis illis haec insula videretur vicina, propter inaccessibilem tamen locum longius illis videbatur esse quam Africa. Quo audito, vir Dei sentiens sibi de bestiali pugna venire victoriam, in nomine Domini, praecedente crucis auxilio, descendit in insulam ; eoque viso, serpentes in fugam conversi sunt, non tolerantes eius aspectum. Tunc baculum figens in terram, quasi metam, quo usque deberent excurrere, virtutis potentia designavit : venance fortunat, Vita sancti Hilarii, éd. B. krusch, Berlin, 1885 (MGH, Auctores antiquissimi 4/2), p. 1-7, ici p. 5. 97. R. rotondo, « L’habitat rupestre di età medievale nella Puglia centrale : ricerche e aggiornamento », dans E. menest (éd.), Eremitismo e habitat rupestre. Atti del VI Convegno internazionale sulla civiltà rupestre in ricordo di Giuseppe Giacovazzo, Savelletri di Fasano (BR), 13‑15 novembre 2013, Spolète, 2015, p. 315-350 et F. romana stasola, « Il monachesimo in Italia dalle origini a Gregorio Magno : modalità insediative, architetture, organizzazione topografica e spaziale », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’Alto Medioevo, Settimana di studi 31 marzo‑6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 54), 2 vol., t. I, p. 321-358, en particulier p. 326-330.

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en grec dans les années 44098. La grotte de saint Martin n’est pas davantage présente dans la Vie de saint Martin, écrite en vers par Paulin de Périgueux vers 470 (BHL 5617)99, ni dans la Vie de saint Martin que Venance Fortunat rédigea vers 574-575 (BHL 5624)100. Plus généralement, aucune source médiévale n’évoque cette « grotte de saint Martin », les hagiographes martiniens se limitant à suivre le texte de Sulpice Sévère dans leur description de l’ermitage de Gallinara, sans donner de détails sur les conditions matérielles de la vie du saint. À en juger par le témoignage de l’hagiographie, la « grotte de saint Martin » peut donc sembler totalement étrangère à la tradition proprement médiévale. L’exemple de Marmoutier doit toutefois nous amener à rester prudent. Comme à Gallinara, la tradition monastique y affirme en effet que Martin aurait vécu dans une grotte, aujourd’hui connue sous le nom de « Repos de saint Martin », qui est située dans la falaise du site de Marmoutier101. Comme à Gallinara aussi, cette tradition n’est évoquée par aucun des hagiographes de Martin et se trouve même en contradiction avec la Vie de Sulpice Sévère, lorsqu’elle affirme que Martin aurait vécu à Marmoutier dans une cellule construite en bois102. Pourtant, elle est manifestement très ancienne, puisque cette grotte est explicitement mentionnée dans l’une des épigrammes données par le Martinellus, un manuscrit martinien composite dont les exemplaires les plus anciens sont carolingiens103. Dans sa publication au milieu du xixe siècle des inscriptions chrétiennes de la Gaule, Edmond Le Blant avait estimé que les épigrammes du Martinellus donnaient une copie des inscriptions épigraphiques du monastère de Marmoutier et de la basilique de Saint-Martin de Tours, sans toutefois que ses conclusions aient alors entrainé une adhésion générale. L’identification dans les fouilles de la basilique de Saint-Martin de Tours de fragments d’inscriptions connues par le Martinellus a toutefois permis de confirmer l’intuition de Le Blant. Luce Pietri, qui a repris récemment le dossier, a non seulement pu conclure que l’épigramme du Martinellus renvoyait bien à une inscription mise en place par les moines de Marmoutier pour enraciner dans une grotte de leur falaise le culte de saint 98. soZomène, Histoire ecclésiastique, Livres III‑IV, éd. a.-J. festugière, B. grillet, g. saBBah et J. BideZ, Paris, 1996 (Sources chrétiennes 418), III, 14, p. 136-137. 99. Paulin de Périgueux, Vie de saint Martin, t. I, éd. S. laBarre, Paris, 2016 (Sources chrétiennes 581), I, v. 260-284, p. 167-169. 100. venance fortunat, Œuvres, 4, Vie de saint Martin, éd. S. quesnel, Paris, 1996 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), I, 149-154, p. 13. 101. E. lorans, « Aux origines du monastère de Marmoutier : le témoignage de l’archéologie », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119/3 (2012), p. 178-202, ici p. 184-191 ; E. lorans et G. simon, « Autour de Marmoutier. Les premiers siècles du monachisme en Touraine », dans S. Bully, A. duBreucq et A. Bully (éd.), Colomban et son influence. Moines et monastères du haut Moyen Âge en Europe, Rennes, 2018, p. 87-106, ici p. 93. 102. Ipse ex lignis contextam cellulam habebat : sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. I, 10, 4, p. 274-275 ; sur cette expression, v. L.-J. Bord, « Aux origines du monachisme en Gaule : les communautés martiniennes du ive siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 119/3 (2012), p. 13-26. 103. Hic inhabitauit felix eremita sub antro : éd. E. le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au viiie siècle, t. 1, Provinces gallicanes, Paris, 1856, no 167, v. 7.

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Martin, mais aussi qu’elle était nécessairement très précoce puisqu’il semblait possible de considérer qu’elle avait dû être rédigée à peu de distance de la mort de Martin104. Les faits semblent donc bien établis : même si les hagiographes n’en ont dit mot, les moines de Marmoutier se sont donc attachés, au plus tard sans doute au vie siècle, à ancrer le culte martinien dans un lieu plus pérenne qu’une simple cellule de bois, en faisant de l’une des grottes de leur falaise le lieu de l’ermitage de saint Martin et surtout en l’identifiant solennellement comme tel, grâce à l’apposition d’une inscription commémorative. L’exemple de Marmoutier démontre donc qu’une vénération locale peut tout à fait se développer sans pour autant donner lieu à une attestation textuelle dans la tradition hagiographique, ce qui doit nous amener à prêter une attention toute particulière aux données recueillies par les fouilles archéologiques qui ont été menées sur le site de la « grotte de saint Martin », sur l’île de Gallinara. La grotte se présente sous la forme d’une petite excavation naturelle, située au bas de la falaise rocheuse qui borde le sud-ouest de l’île et fait donc face au grand large (fig. 3). D’accès difficile, cette grotte, qui s’ouvre juste au-dessus du niveau de

Port

Monastère médiéval 75

Grotte de saint Martin

50

25

0

200 m

Figure 3 : Les sites archéologiques de Gallinara. 104. L. Pietri, La ville de Tours du ive au vie siècle. Naissance d’une cité chrétienne, Rome, 1983 (Collection de l’École Française de Rome 69), Appendice 6, p. 798-831.

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Les déserts de L’Occident

la mer, a fait l’objet depuis les années 1930 de plusieurs interventions archéologiques, dont la dernière, effectuée en 1996, a eu un caractère d’urgence après que des fouilles sauvages eurent menacé la préservation même du site105. Ces travaux ont permis de repérer de nombreuses maçonneries, dont l’interprétation a toutefois été rendue difficile par les transformations importantes que le site a connues à l’époque moderne et contemporaine, en raison de l’édification d’une chapelle, puis de son utilisation à des fins militaires par l’armée allemande en 1944. Ces fouilles récentes ont permis d’identifier sur ce site la présence d’une tombe privilégiée, qui a été édifiée dans un dispositif maçonné, bâti le long du mur qui fait face à l’entrée de la salle principale de la grotte. Cette tombe, qui avait une fosse d’une profondeur de 35 cm, avait été entièrement recouverte de cocciopesto, selon une technique très utilisée dans l’Antiquité tardive et le très haut Moyen Age. Elle semble avoir toutefois fait l’objet de réemplois, puisque le squelette qu’elle accueillait lors de son ouverture a pu être daté au radiocarbone du xive siècle106. Les archéologues ont cherché à associer cette tombe à des traces d’occupation tardo-antique et alto-médiévale de la grotte, où ont été découverts des fragments d’une amphore africaine de grande taille et surtout des restes d’une lampe de verre, datée des ive-viie siècles, qui a pu être considérée comme un signaculum destiné à marquer la présence d’une tombe prestigieuse107. Une telle interprétation peut toutefois sembler quelque peu forcée, dans la mesure où il est difficile de considérer que des fragments d’amphore et de lampe puissent attester d’autre chose que d’une simple présence humaine, sans que les datations ne permettent de l’associer à la tombe privilégiée et encore moins à l’organisation d’un culte. Si les données archéologiques doivent donc être reçues avec prudence, il n’en demeure pas moins qu’elles tendent bien à montrer que la grotte de Gallinara a accueilli une tombe privilégiée, sans doute dès le premier Moyen Âge, ce qui dans un tel endroit pourrait bien témoigner d’une vénération particulière. En revanche, aucun élément ne permet de relier la tradition martinienne à cette tombe privilégiée, ni à la vénération dont elle pourrait avoir fait l’objet durant le très haut Moyen Âge. Quand bien même pourrait-on considérer que la grotte dite de saint Martin ait pu être un lieu de vénération alto-médiéval, voire même tardo-antique, il n’en demeure pas moins qu’il n’est pas possible d’en faire un indice de la présence sur l’île d’une communauté monastique. La question a pu être posée, puisque 105. massaBò, « Scavi nella grotta di San Martino nell’isola Gallinaria, ad Albenga », cit., p. 223-225 et F. Bulgarelli, P. dell’amico, s. roascio et E. dellù, « Recenti interventi sull’isola Gallinaria di Albenga (VS). Stratigrafie dal cenobio benedettino all’occupazione “laica” dell’isola », dans VIo Congresso Nazionale di Archeologia Medievale, L’Aquila, 12‑15 settembre 2012, Florence, 2012, p. 228-232. 106. C. cattaneo et C. ravedoni, « Analisi antropologica e patologica dello scheletro rinvenuto nella grotta di San Martino », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 227-228. 107. Bulgarelli, dell’amico, roascio et dellù, « Recenti interventi sull’isola Gallinaria di Albenga (VS). Stratigrafie dal cenobio benedettino all’occupazione “laica” dell’isola », cit., p. 225.

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l’hypothèse d’un très ancien peuplement monastique de Gallinara avait été soutenue dans les années 1930 par Nino Lamboglia. L’archéologue génois avait alors estimé que le monastère dédié à saint Martin, qui occupait le sommet de l’île au Moyen Âge central, aurait trouvé ses origines dans une première fondation d’époque byzantine108. Pour ce faire, Nino Lamboglia avait invoqué les résultats de la campagne de fouilles qu’il avait menée à Gallinara en 1936, sur le site du monastère de l’époque féodale, où il était parvenu à découvrir les vestiges d’une petite église rectangulaire de 5 mètres sur 9, dotée à l’ouest d’une abside semi-circulaire109. Les modalités de la construction de ce bâtiment, en particulier ses murs talutés de pierres grossières, avaient amené Lamboglia à considérer, à vrai dire sans avancer aucun argument crédible, que ce bâtiment daterait du haut Moyen Âge. En conséquence, il avait aussi estimé que les quelques vestiges qu’il avait repérés au sud de cette église correspondaient à des bâtiments monastiques, qu’il s’estimait donc en droit de pouvoir dater de la même époque. Toujours soucieux de donner le plus grand prestige possible au patrimoine italien, dans le contexte du développement du fascisme dont il était alors un militant des plus enthousiastes110, Nino Lamboglia avait pensé qu’il lui était possible de démontrer définitivement les origines byzantines du monastère de Gallinara, en raison de la découverte, sur le site du monastère féodal, d’un petit fragment d’épitaphe, sur lequel apparaissait le texte […]REQUI […]TERI[…]AB111. Estimant que l’écriture de l’épitaphe ressortait paléographiquement du vie siècle, Nino Lamboglia avait considéré que les quelques lettres de ce fragment l’autorisaient à restituer le texte : † HIC REQUIESCIT B.M. EUTERIUS, VENERABILIS VIR ABBAS. En conséquence, Nino Lamboglia avait estimé que cette épitaphe ainsi restituée lui permettait de prouver que Gallinara aurait accueilli un abbé et donc un monastère durant la période byzantine. Une telle conclusion n’est toutefois aujourd’hui plus retenue, d’une part parce que la restitution de l’épigraphe faite par Nino Lamboglia est à l’évidence par trop audacieuse pour être crédible et, d’autre part, parce que les archéologues tendent aujourd’hui à penser que cette épitaphe a été probablement importée tardivement à Gallinara, sans doute en provenance d’Albenga, en raison de son total isolement dans le contexte archéologique où elle a pu être retrouvée112. 108. N. lamBoglia, « Albenga. Vestigia dell’alto medio evo all’abbazia della Gallinaria (Albenga) », Rivista Ingauna e Intemelia, 3 (1937) p. 62-65. 109. N. lamBoglia, Albenga romana et medievale, Bordighera, 1966 (Itinerari liguri, 1), p. 179-181. 110. M. comPan, « Un archéologue de la Ligurie : Nino Lamboglia (1912-1977) », Archéam, 7 (2000), p. 49-52. 111. Inscriptiones Christianae Italiae, t. 9 (Regio IX, Liguria reliqua trans et cis Appenninum), éd. G. mennella et G. coccoluto, Bari, 1995, no 52, p. 111-112. 112. P. Pergola, « Aux origines d’un sanctuaire de martyr et de deux monastères entre réalités archéologiques et échafaudages théoriques. Le cas de saint Calocerus à Albenga (Ligurie) et à Civate (Lombardie) », dans o. Brandt et P. Pergola (éd.), Marmoribus vestita. Miscellanea in onore di Federico Guidobaldi, Cité du Vatican, 2011, 2 vol. (Studi di antichità cristiana del Pontificio istituto di archeologia cristiana 63), t. II, p. 1089-1131, ici p. 1113-1116 ; G. cantino wataghin, « Moines et monastères en Italie à l’arrivée de Colomban : quelques données entre archéologie et histoire », Bulletin du Centre d’études

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Ces conclusions ont parfois eu du mal à s’imposer, car depuis Nino Lamboglia l’érudition locale n’a pas ménagé ses efforts pour tenter d’enraciner l’histoire du monastère Saint-Martin de Gallinara dans le haut Moyen Âge113. Pour autant, le constat s’impose : malgré les efforts de Nino Lamboglia et de ses disciples, force est de conclure qu’il n’existe aucune mention d’un monastère à Gallinara, avant que l’abbaye dédiée à saint Martin ne soit pour la première fois évoquée dans la charte de fondation du monastère de moniales de Caramagna, qui fut rédigée en 1028, à l’initiative du marquis arduinide Oldéric-Manfred et de son épouse obertenguide Berthe114. Les campagnes archéologiques récentes menées sur le site du monastère féodal ont d’ailleurs remis en cause la datation haute que Nino Lamboglia avait attribuée aux vestiges de l’église qu’il avait mise au jour, pour finalement conclure qu’aucune couche d’occupation alto-médiévale ne pouvait en réalité être mise en évidence sur ce site115. Bien qu’il n’existe aucune certitude, Gallinara a peut-être vu se développer, dès le très haut Moyen Âge, un culte associé à la tombe privilégiée construite dans la grotte actuellement dite de « Saint-Martin ». En revanche, force est de conclure qu’il n’existe pas la moindre trace d’une quelconque communauté monastique sur cette île, avant que ne s’installe une abbaye en son sommet à la période féodale.

L’île de Bergeggi et le culte de saint Eugène de Carthage Nino Lamboglia, dont la forte personnalité a dominé en Ligurie « l’archeologia cristiana » des années 1930 aux années 1970116, a largement transposé sur les autres îles ligures la méthode qu’il avait employée à Gallinara. En toute cohérence, il a donc partout obtenu les mêmes résultats, ce qui lui avait permis de conclure que l’île de Bergeggi aurait, elle aussi, accueilli un monastère dès l’Antiquité tardive. Avec enthousiasme, il avait même estimé qu’une première vie monastique se serait établie dès le ive siècle à Bergeggi, avant que le développement rapide d’une vie communautaire ne conduise à l’édification d’une première église paléochrétienne, dont il avait situé la construction dans le contexte de ce

113.

114. 115. 116.

médiévales d’Auxerre, 20/2 (2016), http ://cem.revues.org/14521, 25 et eadem, « Monaci et monasteri in Italia tra tarda antichità e alto medioevo. Problemi generali e casi studio, tra fonti scritte e fonti archeologiche », dans s. Bully, A. duBreucq et A. Bully (éd.), Colomban et son influence. Moines et monastères du haut Moyen Âge en Europe, Rennes, 2018, p. 87-106, ici p. 68-70. G. Penco, « Il monastero dell’isola Gallinara e le sue vicende medioevali », Rivista Ingauna e Intemelia, 18 (1963), p. 10-21 : L.L. calZamiglia, L’isola Gallinaria e il suo monastero, Imperia, 1992 (Collana di Storia e Letteratura 5) et G. Penco, Storia del monachesimo in Italia (dalle origini alla fine del Medioevo), Milan, 19953, p. 43. Le più antiche carte della abbazia di Caramagna, éd. C. Patrucco, Pignerol, 1899 (Biblioteca de la Società storica subalpina 15), no 1, p. 61-68. Bulgarelli, dell’amico, roascio et dellù, « Recenti interventi sull’isola Gallinaria di Albenga (VS). Stratigrafie dal cenobio benedettino all’occupazione “laica” dell’isola », cit., p. 229-262. P. Pergola, « Nino Lamboglia e l’archeologia cristiana », Rivista di Studi Liguri, 63-64 (19971998), p. 65-68.

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qu’il appelait « la prima ondata del monachesimo insulare benedettino fra il V e il VI secolo117 », selon une formule dont l’anachronisme est caractéristique de ces conceptions. Ces dernières années, ses conclusions ont toutefois fait l’objet de reconsidérations, qui amènent à remettre radicalement en cause cette construction. Située entre Noli et Savone, à environ 200 mètres seulement de la côte, l’île de Bergeggi présente des caractéristiques géomorphologiques très proches de celles de Gallinara (fig. 4). Culminant à 53 m. d’altitude pour une superficie d’à peine trois hectares, Bergeggi offre l’exemple d’un îlot rocheux et pentu, très peu propice à une occupation humaine. Malgré ces conditions peu attractives, l’île présente d’importantes traces d’humanisation antique, dont témoigne l’important matériel d’époque romaine qui a pu y être retrouvé, mais aussi la tour ronde d’époque romaine, qui est encore aujourd’hui partiellement conservée en élévation118. Située sur l’un des plus grands itinéraires maritimes de l’Antiquité romaine, Bergeggi constituait ainsi un point de relais important pour les marins, qui devaient y trouver un mouillage commode dont les autorités s’étaient attachées à assurer la surveillance.

Bergeggi

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200 m

Figure 4 : L’île de Bergeggi.

Selon la tradition hagiographique, l’île de Bergeggi aurait accueilli un premier établissement anachorétique au ve siècle, grâce à l’arrivée de l’évêque Eugène de Carthage, qui s’y serait retiré pour mener une vie de solitude, après avoir été chassé 117. N. LamBoglia, I monumenti medioevali della Liguria di Ponente, Turin, 1970, p. 163. 118. F. Bulgarelli, « Ritrovamenti di età romana nell’isola di Bergeggi : alcune riflessioni », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 211-219.

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de son siège par les Vandales ariens. La vie anachorétique d’Eugène de Carthage a été traditionnellement considérée comme le point de départ de la vocation monastique de l’île de Bergeggi, qui se serait prolongée à travers l’abbaye insulaire que les sources du Moyen Âge central permettent d’y attester. Comme à Gallinara, Lamboglia et ses élèves se sont donc attachés à établir par l’archéologie une continuité entre la vie anachorétique de l’évêque Eugène de Carthage, telle que les sources hagiographiques pouvaient permettre de la décrire, et le monastère qui apparaissait dans les actes de l’époque féodale. Pas plus qu’à Gallinara, l’analyse critique des sources ne permet toutefois d’accorder foi à une telle construction. L’évêque Eugène de Carthage apparut dans la tradition hagiographique avec l’Historia persecutionis Africanae provinciae, rédigée vers 489 par Victor de Vita, dont Eugène était à la fois le destinataire et le principal héros119. Victor de Vita y racontait les méfaits du roi vandale Hunéric, qui s’était attaqué à l’Église catholique et avait contraint Eugène à partir en exil chez les Maures, ce qui lui avait permis d’acquérir le prestigieux statut de martyr (BHL 2678). Le Liber in Gloria martyrum de Grégoire de Tours contribua à enrichir la tradition hagiographique d’Eugène (BHL 2679), en affirmant qu’après avoir été contraint à l’exil par Hunéric, le saint évêque de Carthage serait venu se réfugier sur le territoire de la cité d’Albi, où il aurait mené une vie religieuse auprès de la tombe du martyr Amaranthus120. Si le Liber in Gloria martyrum montre donc que, dès la fin du vie siècle, la tradition hagiographique commençait à accorder une nouvelle dimension à saint Eugène de Carthage, en lui attribuant un exil hors d’Afrique, celui-ci restait alors encore limité à la Gaule. Aucun élément n’atteste donc pour cette époque de la moindre tradition permettant de rattacher le culte de saint Eugène de Carthage à l’île de Bergeggi, ni d’une manière générale à l’Italie. La légende de saint Eugène de Carthage prit toutefois une tout autre ampleur avec une Passio (BHL 2680), dont les premiers manuscrits datent des xie-xiie siècles. Selon ce texte, après avoir été persécuté par les rois vandales Hunéric et Gunthamund, Eugène se serait réfugié en Corse, puis sur l’île de Bergeggi, où il aurait vécu jusqu’à sa mort. Cette Passion est difficile à dater, mais elle témoigne d’un état de maturité de la tradition hagiographique qui donne à penser qu’il ne peut être antérieur à la période carolingienne. Les historiens qui l’ont étudiée ont considéré que le culte ligure d’Eugène de Carthage se serait alors implanté à Bergeggi, par une assimilation du martyr africain à un saint local, sans toutefois que la documentation ne permette d’avoir sur ce point la moindre certitude121. 119. victor de vita, Histoire de la persécution vandale en Afrique, suivie de La passion des sept martyrs ; Registre des provinces et des cités d’Afrique, Paris, 2002 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé). 120. grégoire de tours, La gloire des martyrs, éd. L. Pietri, Paris, 2020 (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge 57), 57, p. 172-177. 121. Penco, Storia del monachesimo in Italia, cit., p. 21 et A. frondoni, « Culto et reliquie tra isola e terraferma : l’isola di Bergeggi (Liguria) », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 255-266.

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La première attestation du culte de saint Eugène de Carthage à Bergeggi provient en réalité d’une charte donnée le 3 mars 992 par l’évêque Bernard de Savone, par laquelle il établissait solennellement sur cette île un monastère dans une église dédiée au saint martyr africain122. Un diplôme concédé le 27 mai 998 par Otton III à l’Église de Savone confirmait cette fondation épiscopale, en prenant sous sa protection le monastère fondé dans « l’église saint Eugène où repose son corps qui y a été inhumé123 », attestant pour la première fois de la présence des reliques d’Eugène de Carthage sur l’île de Bergeggi. Le dossier hagiographique de saint Eugène de Carthage semble donc clair : le séjour anachorétique du saint martyr à Bergeggi ne relève à l’évidence que d’une tradition tardive, qui n’est probablement arrivée à maturité qu’aux ixe-xe siècles, avant que l’Église de Savone ne l’utilise pour fonder sur cette île un monastère à la fin du xe siècle, sans qu’aucune présence monastique préalable ne puisse être mise en évidence. Les prospections archéologiques faites sur l’île de Bergeggi ont permis d’identifier la présence de vestiges de deux églises différentes. La première n’est autre que l’ancienne église monastique de style roman, aujourd’hui en ruines, qui a été bâtie sous la tour romaine qui occupe le sommet de l’île. Une seconde église, dont il ne subsiste que des vestiges très arasés, a été construite en contrebas, à une centaine de mètres du site monastique, sur un petit replat rocheux qui domine une falaise tombant à pic dans la mer, sur le versant oriental de l’île. Nino Lamboglia, qui y avait mené une première prospection, avait considéré que les vestiges de cette église permettaient de la dater des ve-vie siècles124. Les campagnes de fouilles menées depuis 1983, en particulier par Francesca Bulgarelli, ont permis de mieux appréhender le site et, malgré son état dégradé, de déterminer que le bâtiment se constituait d’une nef unique, avec une abside orientée et quatre tombes insérées dans le mur méridional. Le style de l’église, en particulier son pavement en cocciopesto, a amené les archéologues à prendre aussi l’option d’une datation haute, que la découverte de céramiques d’époque byzantine associées au site pouvait permettre de confirmer. L’identification d’importants matériaux de réemploi tardo-antique dans l’église romane a aussi contribué à conforter cette datation haute, dans la mesure où il peut sembler probable que ce monastère d’époque féodale a été en partie construit avec les pierres de cette première église, qui pourrait sans doute être effectivement considérée comme paléochrétienne125. Enfin, il 122. G. salvi, « L’“Insula Liguriae” e la badia di S. Eugenio », Rivista Benedettina, 5 (1910), p. 12-32 ; F. NoBerasco, « L’isola di Liguria e la Badia di S. Eugenio », Atti della Società Savonese di Storia Patria, 12 (1930), p. 149-164 et C. varaldo, « Il patrimonio terriero dell’abbazia di Sant’Eugenio “De insula Liguriae” », dans G. Pistarino et V. Polonio felloni (éd.) Liguria monastica, Cesena, 1979, p. 301-326. 123. […] eclesiam sancti Eugenii ubi eius corpus humatum requiescit : Die Urkunden Otto des III., éd. T. von sickel, Hanovre, 1893 (MGH, Diplomata regum et imperatorum Germaniae 2/2), no 292, p. 717-718. 124. LamBoglia, I monumenti medioevali della Liguria di Ponente, cit., p. 163-164. 125. A. frondoni, « Isola di Bergeggi », dans P. melli (éd.), Archeologia in Liguria 3/2. Scavi e scoperte 1982‑86. Dall’epoca romana al post‑medioevo, Gênes, 1987, p. 403-406 ; eadem, « Chiese rurali fra V e VI secolo in Liguria », dans G.P. Brogiolo (éd.), Chiese e insediamenti nelle campagne

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est notable que l’une des quatre tombes retrouvées dans l’église présente de fortes traces de monumentalisation, puisqu’elle a été recouverte de plaques de marbre blanc qui devaient lui donner l’aspect d’un sarcophage126, ce qui a pu donner à penser que ce bâtiment devait être associé à la vénération de reliques. Un tel constat a amené « l’archeologia cristiana » à y voir la preuve que le culte de saint Eugène était bien implanté à Bergeggi dès l’Antiquité tardive. Ces analyses ont toutefois été récemment mises en doute par Marco Martignoni, dans un article très critique sur les méthodes de l’« archeologia cristiana » ligure et de sa tendance persistante à interpréter les données archéologiques dans le cadre que fournit la tradition hagiographique127. Revenant de manière critique sur les analyses de Nino Lamboglia et de ses élèves, qui ont toujours peu ou prou considéré que la première église de Bergeggi constituait une preuve matérielle de la vénération de saint Eugène à l’époque tardo-antique, Marco Martignoni a souligné, à juste titre, qu’aucun élément ne pouvait en fait rattacher ce premier bâtiment ecclésial au culte de saint Eugène, ce qui semble une évidence. Marco Martignoni a tenté d’aller encore plus loin, en estimant que la datation haute de la première église devait être prise avec prudence, dans la mesure où le dépôt céramique d’époque byzantine pourrait en réalité être lié à un éventuel peuplement, pérenne ou permanent, lié à la tour romaine et non à l’église en elle-même. Remettant aussi en cause les techniques d’analyse archéologiques utilisées, il s’est aussi attaché à souligner qu’il était nécessaire de prendre avec prudence les typologies utilisées pour la datation des murs, dans la mesure où il était difficile de trouver des points de comparaison dont la chronologie soit clairement établie. Tous ces éléments l’amenaient à mettre non seulement en cause le lien fait jusquelà entre la première église et le culte de saint Eugène, mais aussi à considérer que la datation haute de ces vestiges ne pouvait être considérée comme assurée. Si la datation des vestiges de la première église reste donc discutée, même s’il faut néanmoins reconnaître qu’il existe de solides arguments pour une datation haute, peut-être d’époque byzantine, il n’en demeure pas moins qu’il faut souligner que l’identification d’une église ne saurait être considérée comme l’attestation d’un monastère, ce que l’école d’« archeologia cristiana » a souvent tendance à oublier. Bien que Bergeggi ait disposé, peut-être dès les ve-vie siècles, d’une première église où des reliques devaient très probablement être vénérées, si l’on en juge par la présence d’une tombe monumentalisée, il n’en demeure pas moins qu’aucun élément documentaire ou archéologique ne permet d’identifier tra V e VI secolo. IX Seminario sul tardo antico e l’alto medioevo, Garlate, 26‑28 settembre 2002, Mantoue, 2003, p. 131-171, ici p. 148-149 ; Bulgarelli, « Ritrovamenti di età romana nell’isola di Bergeggi : alcune riflessioni », cit., p. 217-218 ; F. Bulgarelli, f. frondoni et f. geltrudini « Isola di Bergeggi (SV) », dans A. del lucchese et L. gamBaro (éd.), Archeologia in Liguria nuova serie 1 (2005-2006), Gênes, p. 352-353 et frondoni, « Culto et reliquie tra isola e terraferma : l’isola di Bergeggi (Liguria) », cit. 126. frondoni, « Culto et reliquie tra isola e terraferma : l’isola di Bergeggi (Liguria) », cit., p. 256. 127. M. martignoni, « La cristianizzazione della Liguria alla luce dei dati archeologici », Intemelion, 13 (2007), p. 25-59, ici p. 37-39.

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la moindre trace d’une quelconque vie monastique sur l’île de Bergeggi, avant que l’Église de Savone n’y fonde un monastère à la fin du xe siècle128. Enfin, il faut souligner que la documentation ne permet pas de savoir si le culte de saint Eugène est ou non antérieur à la fondation monastique d’époque ottonienne, dans la mesure où aucun élément ne peut permettre de relier la première église édifiée à Bergeggi à saint Eugène de Carthage, dont le culte n’est en réalité pas attesté sur l’île avant la fondation monastique de la fin du xe siècle.

L’île de Tino Une autre tradition monastique est attestée en milieu insulaire, au sein du golfe de La Spezia, dans un petit archipel composé de trois îles alignées, qui répondent aux noms de Palmaria, Tino et Tinetto (fig. 5). Située au centre de l’archipel, entre l’île principale de Palmaria (6,5 km2) et le petit rocher de Tinetto (0,6 ha), l’île de Tino, qui occupe une superficie de 13 hectares, a vu se développer au Moyen Âge un important monastère bénédictin, dont la tradition a considéré qu’il tirait ses origines du séjour anachorétique qui y aurait fait saint Vénère, à la fin du

Palmaria

Tino 0

5000 m

Tinetto

Figure 5 : Les îles de Palmaria, Tino et Tinetto.

128. G. cantino wataghin, « Moines et monastères en Italie à l’arrivée de Colomban : quelques données entre archéologie et histoire », cit., 27-28 et eadem, « Monaci et monasteri in Italia tra tarda antichità e alto medioevo », cit., p. 70-71.

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Les déserts de L’Occident

et au début du viie siècle129. Une nouvelle fois, la documentation ligure nous présente un îlot continental rocheux sur lequel s’est développé à l’époque féodale un monastère, dont la tradition a enraciné les origines dans un ancien ermitage, selon le modèle que nous avons vu se mettre en place à Gallinara et Bergeggi. Une nouvelle fois, l’analyse critique impose aussi de reconsidérer les données fournies par la tradition ecclésiastique. Le dossier hagiographique de saint Vénère est relativement simple, puisqu’il ressort d’une Vita et miracula, dont il existe quatre versions qui ne se distinguent toutefois que par des variantes de détail (BHL 8532-8535)130. Dans son état actuel, ce texte, qui fait de Vénère un contemporain du pape Grégoire le Grand (590604) et de l’empereur Phocas (602-610), n’a toutefois pas été composé avant la seconde moitié du ixe siècle, puisqu’il évoque les raids normands qui frappèrent Luni en 857 puis Arles en 859. Selon cette Vita, saint Vénère, issu d’une famille noble de l’île de Palmaria, se serait rendu sur l’île de Tino pour y mener une vie anachorétique, avant de revenir sur le continent puis en Corse, où ses nombreux miracles auraient assuré sa renommée. À la fin de sa vie, il serait revenu sur l’île de Tino où il aurait trouvé la mort dans la solitude, avant que des anges ne viennent providentiellement l’y inhumer. Selon sa Vie, ses reliques auraient été ensuite miraculeusement révélées à l’évêque Lucius de Luni, que les listes épiscopales de cette Église situent dans le troisième quart du viie siècle. Après avoir inventé les reliques de saint Vénère, l’évêque Lucius aurait ordonné de les déposer dans un oratoire qu’il aurait fait édifier à cet usage sur l’île de Tino. Sous le règne de Louis le Pieux, alors que l’île de Tino se trouvait menacée par les invasions sarrasines, les reliques de saint Vénère auraient fait l’objet d’une nouvelle translation, afin d’être mises en sécurité sur le continent. Si la Vie de saint Vénère affirme donc que ce saint aurait donné lieu, dès la seconde moitié du viie siècle, à un culte sur l’île de Tino, qui se serait prolongé jusqu’à l’époque carolingienne, elle ne fait toutefois aucune allusion à la présence sur l’île d’un quelconque monastère. Aussi, bien qu’il ait existé à l’époque féodale, sur l’île de Tino, une abbaye dédiée à saint Vénère, il est évident que ce monastère n’existait pas à l’époque de la rédaction de la Vita et miracula, qui est nécessairement postérieure au sac d’Arles de 859. Il serait en effet bien improbable que la Vie n’ait pas fait mention d’une communauté monastique dédiée au culte de saint Vénère, si celle-ci avait déjà existé sur cette île. Un tel constat est en cohérence avec les données des actes de la pratique, dans la mesure où le monastère vie

129. Vita religiosa e civile tra isole e terraferma in età medievale. Atti del convegno San Venerio del Tino (Lerici, La Spezia‑Portovenere, 18‑20 settembre 1982), La Spezia/Sarzana, 1986 ; A. frondoni (éd.), Archeologia dell’isola del Tino. Il monastero di santo Venerio, Gênes, 1995, p. 79-100 ; B. maZZei et F. severini, « Il fenomeno monastico nelle isole minori del mar Tirreno dal IV al IX secolo », Rivista di Archeologia Cristiana 76 (2000), p. 621-650, ici p. 630-625 et Pergola, maZZei et severini, « L’implantation chrétienne dans les îles mineures des archipels toscans et ligure (Antiquité tardive et haut Moyen Âge) », cit., p. 198-199. 130. De sancto Venerio presbytero eremita, dans Acta Sanctorum, Septembris, IV, Anvers 1761, p. 112-120.

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Saint-Vénère de Tino n’est attesté pour la première fois dans la documentation qu’en 1050, lorsqu’il bénéficia d’une donation du marquis obertenguide Albert131. Les résultats des campagnes de fouilles effectuées sur le site du monastère Saint-Vénère de Tino par Alessandra Frondoni sont en cohérence avec les conclusions que permet la documentation écrite132. Ces fouilles ont en effet permis d’identifier sous les ruines de l’église monastique médiévale un premier bâtiment alto-médiéval, qui pourrait correspondre à l’oratoire que l’évêque Lucius de Luni aurait fait ériger dans la seconde moitié du viie siècle, selon le récit de la Vie de saint Vénère, même si les données archéologiques ne permettent en réalité aucune certitude. Sur cette première église a ensuite été édifiée une église romane qu’Alessandra Frondoni a pu dater de la seconde moitié du xie siècle, ce qui situe ce bâtiment dans le contexte de l’apparition de l’abbaye dans les actes de la pratique. Les données historiques et archéologiques sont donc convergentes et permettent de conclure que l’île de Tino a sans doute vu se développer dès l’époque lombarde un premier culte, probablement déjà dédié à saint Vénère, si l’on en juge par la tradition hagiographique mais aussi par la première église identifiée par Alessandra Frondoni. Dans un second temps, dans le contexte de l’essor de la piraterie sarrasine, l’Église de Luni aurait fait déplacer les reliques de Vénère sur le continent, avant que l’île de Tino fût repeuplée par une communauté monastique au cours du xie siècle.

* À l’heure d’établir le bilan de cette présentation du monachisme insulaire dans les îles ligures, il semble possible de dresser trois constats. Le premier est d’ordre géomorphologique : le monachisme insulaire ligure s’est développé sur des îlots rocheux dont la taille ne dépasse jamais une dizaine d’hectares. Ce milieu insulaire étant très peu favorable à un véritable peuplement humain, la vie monastique ne pouvait guère y être pensée qu’en référence à l’exil et à la souffrance. Par ces conditions géographiques, la tradition monastique des îles ligures se situait donc naturellement dans la démarche ouverte par le séjour insulaire de Bonose, autrement dit dans une conception érémitique du milieu insulaire. Par ailleurs, ces îlots ont aussi la particularité d’être situés à proximité immédiate du littoral, souvent dans le voisinage d’une ville épiscopale. Ils inscrivaient ainsi le monachisme insulaire dans un espace ambivalent, tout à la fois coupé du monde par la mer et suffisamment proche de lui pour participer à la société et au développement de ses pouvoirs locaux. 131. Le carte del monastero di San Venerio del Tino, I (1050‑1200), éd. G. falco, Turin, 1920 (Biblioteca della Società storica subalpina, 91/1), no 1, p. 1-2. 132. A. frondoni, Archeologia all’isola di Tino. Il monasterio di san Venerio, Gênes, 1995 et eadem (éd.), Archeologia christiana in Liguria. Aree ed edifici di culto tra IV e XI secolo. Atti VIII Congresso nazionale di archeologia christiana, Genova‑Sarzana‑Finale Ligure‑Albenga‑Ventimiglia, 21‑26 settembre 1998, Gênes, 1998.

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Le deuxième constat est d’ordre chronologique ; il nous amène à conclure que le monachisme insulaire ligure est une réalité de l’âge féodal qui s’enracine dans une tradition anachorétique largement reconstruite. De saint Martin de Gallinara à saint Vénère de Tino en passant par saint Eugène de Bergeggi, chacun de ces îlots ligures a vu se développer une tradition hagiographique semblable, qui a permis d’enraciner les monastères que ces îles ont accueillis à l’époque féodale dans un ermitage tardo-antique, dont la réalité est pour le moins douteuse. Ces traditions anachorétiques ont certes pu s’appuyer sur des cultes qui peuvent avoir été anciens, puisque des sanctuaires à reliques semblent s’être mis en place dès la période lombarde et parfois même dès l’âge byzantin, même s’il faut faire attention à ne pas surinterpréter des données archéologiques qui restent ambiguës. Si tant est qu’ils puissent vraiment s’enraciner dans le haut Moyen Âge, ces cultes n’ont en tout cas donné nulle part naissance à un peuplement monastique avant la période féodale, lorsque ces îlots ont été dotés de monastères, dans le nouveau contexte du xie siècle tout à la fois marqué par un essor commercial et l’amorce d’une reconquête chrétienne de la Méditerranée133. Le troisième constat porte plus particulièrement sur l’ermitage martinien de Gallinara, qui semble avoir constitué le paradigme de la tradition monastique ligure, en soulignant qu’il n’est guère connu que par la seule mention de Sulpice Sévère, sur la base de laquelle se sont fondés tous les autres récits hagiographiques. Comme nous l’avons vu, le récit de Sulpice pose un évident problème, dans la mesure où il s’inscrit dans le contexte de valorisation du monachisme insulaire, qui correspond si parfaitement au climat de la fin du ive siècle qu’il est douteux que ces événements, mis par écrit près de quarante ans après leur déroulement, n’aient pas fait l’objet d’une réinterprétation. Si l’on veut bien admettre que Martin ait pu séjourner à Gallinara, rien n’atteste toutefois qu’il ait voulu y mener une expérience de type monastique dans les conditions que décrit Sulpice. D’autres interprétations sont possibles, puisqu’il n’est par exemple pas interdit de penser que Martin aurait pu faire l’objet, dans le contexte de la persécution antinicéenne, d’une condamnation à la relegatio insularis, avant que ce séjour ne soit relu par Sulpice Sévère, à la lumière de la valorisation nouvelle du monachisme insulaire que les écrits de Jérôme et Ambroise avaient pu diffuser dans l’Occident latin. À défaut d’être certaine, cette hypothèse a en tout cas le mérite de souligner que bien des interprétations sont possibles et que le récit de Sulpice Sévère n’est pas en lui-même suffisant pour attester que Martin aurait effectivement pu mener, vers 360, une vie de nature authentiquement monastique sur l’île de Gallinara.

133. scalfati, « Per la storia dell’eremitismo nelle isole del Tirreno », cit., p. 290 et C. Picard, La mer des califes. Une histoire de la méditerranée musulmane, Paris, 2015, en particulier p. 324-332.

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iii – les déserts insulaires de l’archiPel toscan L’archipel toscan offre un exemple d’espace insulaire qui présente des caractéristiques bien différentes de celles des îlots rocheux qui bordent les côtes ligures (fig.  6). Les îles toscanes sont en effet d’une taille relativement importante, peuvent accueillir des établissements humains conséquents et se situent en pleine mer, à plusieurs milles marins des côtes. Par leurs caractéristiques géomorphologiques, ces îles pouvaient donc répondre aux aspirations de fuga mundi des ascètes tardo-antiques, en leur offrant des espaces bien isolés du monde au sein desquels ils pouvaient se retirer. Elles mettaient aussi à la disposition des premières communautés monastiques des sites propices à la fondation d’établissements pérennes. Ces conditions géographiques expliquent que l’archipel toscan put devenir l’espace où se développèrent les premières véritables expériences insulaires du monachisme occidental. C’est ce que nous verrons en étudiant le cas de Capraia, puis celui de Gorgona, avant de prendre en considération les îles méridionales de l’archipel toscan.

Gorgona

Capraia Elbe Pianosa Montecristo

Giglio Giannutri

1000 500

200

0m

0

Figure 6 : L’archipel toscan.

50

100 km

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Le comte Gildon, Mascezel et les moines de l’île de Capraia Les moines de l’île de Capraia apparurent dans la documentation dans le contexte de la révolte du comte Gildon. Ce gouverneur de la province d’Afrique se souleva, en cherchant à profiter de l’affaiblissement du pouvoir impérial qui suivit la mort de l’empereur Théodose Ier, le 17 janvier 395. Alors que l’empire se trouvait divisé entre les deux fils de Théodose, le comte Gildon s’était attaché à renforcer son autonomie, en rejetant à l’automne 397 l’autorité de l’empereur d’Occident, Honorius, pour se placer dans la dépendance de son frère Arcadius, qui régnait à Constantinople. Ne reconnaissant plus la légitimité d’Honorius et de la cour de Milan, Gildon ordonna d’arrêter les transports de blés africains qui permettaient de ravitailler Rome. Stilicon, qui gouvernait l’empire d’Occident pour le compte d’Honorius, ne pouvait rester sans réaction. Il rassembla aussitôt un contingent et eut l’intelligence d’en confier le commandement à Mascezel, le propre frère du comte Gildon, faisant ainsi de cette expédition une faide familiale. Les deux frères se vouaient en effet une haine inextinguible depuis que Gildon avait fait mettre à mort les enfants de Mascezel. Au printemps 398, Mascezel prit la mer et débarqua en Afrique avec une armée suffisamment impressionnante pour que les élites africaines comprennent que la cause de Gildon était sans espoir. Rapidement abandonné de tous, le comte Gildon ne put résister à son frère, qui le fit mettre à mort ou, selon d’autres sources, l’accula au suicide134. Orose, dont les Histoires constituent notre principale source sur ces événements, raconte qu’avant de mener à bien son expédition africaine, Mascezel aurait pris le temps de faire escale dans l’île de Capraria afin d’emmener avec lui des « saints serviteurs de Dieu », dans l’espoir que la providence divine lui donnerait la victoire par l’intercession de leurs prières et de leurs chants. Ce texte, rédigé entre 414 et 417, est d’un intérêt primordial puisqu’il constitue la plus ancienne description d’une communauté monastique installée sur une île de la mer Méditerranée : Mascezel, sachant à partir de l’exemple de Théodose combien, dans les situations les plus désespérées, la prière de l’homme pouvait obtenir de la clémence de Dieu par l’intermédiaire de la foi dans le Christ, alla dans l’île de Capraria d’où il emmena avec lui quelques saints serviteurs de Dieu émus par ses prières : passant avec eux sans interruption les jours et les nuits dans les oraisons, les jeûnes, la récitation des psaumes, il mérita une victoire sans combat et une reconquête sans massacre135.

134. E. stein, Histoire du Bas‑Empire, t. 1. De l’État romain à l’État byzantin (284‑476), Amsterdam, 19682, p. 231-233 ; Y. modéran, « Gildon, les Maures et l’Afrique », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 101/2 (1989), p. 821-872 et idem, « Gildon », dans G. camPs (éd.), Encyclopédie berbère, t. 20, Aix-en-Provence, 1998, p. 3134-3136. 135. Mazcezil iam inde a Theodosio sciens quantum in rebus desperatissimis oratio hominis per fidem Christi a clementia Dei impetraret, Caprariam insulam adiit, unde secum sanctos servos Dei aliquot permotos precibus suis sumpsit : cum his orationibus ieiuniis psalmis dies noctesque continuans sine

i – les origines italiennes des déserts insulaires

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Le premier problème que pose ce texte est d’identifier cette insula Capraria, autrement dit cette « île des chèvres ». La question est controversée, puisque l’historiographie catalane a traditionnellement considéré qu’il devait s’agir de Cabrera, une île de 11 km2 située dans l’archipel des Baléares au sud de l’île de Majorque136, tandis que l’historiographie italienne a tout aussi classiquement identifié l’insula Capraria avec Capraia, l’une des îles de l’archipel toscan qui s’étend entre les côtes de l’Italie et celles de la Corse137. En dépit de l’opinion de Jacques Biarne, qui estimait que la documentation ne permettait pas de trancher définitivement138, il ne fait en réalité guère de doute que l’hypothèse toscane doit être retenue. Il semble tout d’abord bien peu probable qu’en conduisant son expédition d’Italie en Afrique, Mascezel aurait pu prendre le temps de faire un détour par les Baléares pour y chercher ses « saints serviteurs de Dieu ». Surtout, la présence d’une communauté monastique sur l’insula Capraria est explicitement mentionnée par Rutilius Namatianus qui, dans un texte que nous étudierons ci-dessous, en donne une description géographique très précise, permettant sans ambiguïté de l’identifier avec l’île de Capraia. Enfin, s’il a bien existé au vie siècle, et peut-être même dès le ve siècle, un monastère sur l’île de Cabrera, qui est attesté tant par une lettre de Grégoire le Grand que par l’archéologie, les sources latines l’ont toujours désigné comme le monastère de l’insula Capria et jamais comme celui de l’insula Capraria139. Tous ces éléments semblent pouvoir permettre de trancher en faveur de l’île toscane de Capraia, comme l’a désormais admis l’historiographie catalane qui, depuis la publication en 1991 de la monographie de Josep Amengual sur le christianisme tardo-antique dans les Baléares140, semble avoir désormais renoncé à identifier l’insula Capraria avec l’île de Cabrera141. Comme nous l’avons déjà mentionné, les historiens ont souvent rapproché ces « saints serviteurs de Dieu », qui vivaient sur l’insula Capraria, des « chœurs des moines » de la mer Tyrrhénienne que Jérôme avait évoqués dans sa lettre 78, qu’il avait adressée en 400 à Océanus. Si nous avons déjà pu constater que cette identification est en réalité bien peu probable, l’essentiel est de souligner que le texte d’Orose témoigne, au même titre que la lettre de Jérôme à Océanus, de la dimension manifestement communautaire que le monachisme insulaire avait prise au tournant des ive et ve siècles. Orose confirme ce que la lecture de la correspon-

136. 137. 138. 139.

140. 141.

bello victoriam meruit ac sine caede vindictam : orose, Histoires (contre les païens). Livre VII‑Index, éd. M.-P. arnaud-lindet, Paris, 1991 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), VII, 36, 5, p. 104. mundò, « Il monachesimo nella penisola iberica fino al sec. VII », cit., p. 80. F. faBBrini, Paolo Orosio. Uno storico, Rome, 1979, p. 285 et Jenal, Italia ascetica atque monastica, cit., p. 121, n. 666. Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », cit., p. 355-358. M. riera rullan, « El monasterio de la isla de Cabrera (islas Baleares, siglos V-VIII d.c.). Testimonios arqueolîgicos de los monjes reprobados por el papa Gregorio Magno », Hortus Artium Medievalium. Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013), p. 47-62 et riera rullan, El monacat insular de a Mediterrànea occidental, cit. J. amengual, Els orίgens del cristianisme a les Balears, Palma, 1991, p. 382-392 V. en dernier lieu riera rullan, El monacat insular de a Mediterrànea occidental, cit., p. 40, n. 79.

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dance de Jérôme donnait déjà à penser : autour de 400, le monachisme insulaire s’organisait désormais dans le cadre de véritables communautés, dont le mode de vie n’avait rien à voir avec la recherche érémitique d’un Bonose, allant défier héroïquement le diable sur un rocher perdu dans la mer. En affirmant que les moines de l’insula Capraria avaient contribué, grâce à leurs prières et à leurs jeûnes, à la victoire des troupes de Mascezel, Orose leur reconnaissait une fonction ecclésiologique toute particulière, celle d’assurer par la vertu collective de leurs oraisons le salut de l’Église. Cette utilisation militante, pour ne pas dire militaire, des moines de l’insula Capraria ne constitua que l’un des aspects de l’opération de sacralisation de l’expédition de Mascezel, qui accompagna la guerre contre Gildon. Les Histoires d’Orose, ainsi que la Vita Ambrosii (BHL 377), que le diacre Paulin de Milan écrivit à la demande d’Augustin d’Hippone, peut-être dès 412/413, mais plus probablement vers 422142, montrent en effet que les saints furent fortement mobilisés pour apporter leur soutien à Mascezel. Ces deux sources affirment en effet, selon un récit très proche mais indépendant, que l’évêque Ambroise de Milan, qui venait tout juste de mourir le 4 avril 397, aurait fait une glorieuse apparition à Mascezel, afin de lui annoncer sa victoire, à la veille de son affrontement décisif avec Gildon143. Eu égard aux liens qui unissaient Orose et Paulin de Milan à Augustin, leur insistance commune sur la sacralisation de l’expédition de Mascezel ne saurait se comprendre si l’évêque d’Hippone n’y avait pas joué un certain rôle. Sans doute, peut-on penser qu’Augustin avait effectivement dû s’engager en faveur de Mascezel, obtenant en sa faveur le soutien des saints, à commencer par celui de son ancien maître Ambroise de Milan. C’est dans ce contexte de sacralisation de la guerre contre Gildon, qu’Augustin s’était attaché à obtenir la médiation des moines de l’insula Capraria qui, par la force de leurs prières, avaient participé au succès de la guerre contre Gildon144. Il semble en effet possible de soutenir cette hypothèse en utilisant la lettre 48 d’Augustin, dans laquelle l’évêque d’Hippone abordait précisément la question de la fonction ecclésiologique des communautés monastiques insulaires et de la mise au service de l’Église de leur force de prière145. Bien connue des spécialistes de saint Augustin, cette lettre, que l’évêque d’Hippone avait adressée à « son cher 142. Traditionnellement située en 412/413, la datation de la Vita Ambrosii a été remise en cause pour être plutôt placée vers 422, v. S. gioanni, « Hagiographie d’Italie (300-550). II. Les Vies de saints latines composées en Italie de la Paix constantinienne au milieu du vie siècle », dans G. PhiliPPart (éd.), Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, volume V, Turnhout, 2010 (Corpus Christianorum, Hagiographies 5), p. 371-445, ici p. 387, n. 62. 143. orose, Histoires (contre les païens). Livre VII‑Index, cit., VII, 36, 7, p. 104-105 et Paulinus, Vita Ambrosii, dans Vita di Cipriano. Vita di Ambrogio. Vita di Agostino, éd. C. mohrmann et A.A.R. Bastiaensen, Milan/Rome, 1997 (Scrittori Greci e Latini, Vite dei santi 3), p. 51–125, ici 51, 1-2, p. 118-119. 144. S. sodi, « Le origini del monachesimo insulare nell’Arcipelago Toscano », dans A. Benvenuti (éd.), Da Populonia a Massa Marittima : i 1500 anni di una diocesi. Atti del convegno di studio (Massa Marittima, 16‑17 maggio 2003), Florence, 2005, p. 97-109, en particulier p. 99-100. 145. augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), éd. A. goldBacher, Vienne, 1868 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 34/2), ep. 48, p. 137-140.

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et très désiré frère et collègue dans le sacerdoce Eudoxe et aux frères qui sont avec lui146 », était destinée à la communauté monastique de l’insula Capraria. À la fin de sa lettre, Augustin identifiait en effet clairement ses correspondants, ce qui nous permet de savoir que le prêtre Eudoxe était en fait le supérieur de la communauté de l’île de Capraia : Récemment nos frères Eustase et André nous ont rapporté, à leur retour d’auprès de vous, la bonne odeur du Christ qui s’exhale de votre sainte vie. Eustase vient de nous précéder dans l’éternel repos, où l’on n’entend point ces flots du temps pareils à ceux dont votre île est battue ; il ne désire plus retourner à Capraria, parce qu’il n’a plus besoin de cilice147.

L’historiographie a de longue date rapproché cette lettre d’Augustin de la participation des moines de l’insula Capraria à l’expédition africaine de Mascezel, afin de trouver un élément de datation148. Dans cette perspective, elle a usuellement considéré que cette lettre constituait la conséquence de la venue en Afrique des moines de l’île de Capraia. Leur venue, aux côtés de Mascezel, aurait permis à Augustin de tisser avec cette communauté monastique des liens suffisants pour qu’il leur ait écrit, après leur retour dans leur île, afin de leur faire part de ses considérations générales sur la vie contemplative. Nous proposerons ici d’aller plus loin, en estimant que l’expédition de Mascezel ne constituait pas un simple élément de contexte, mais le véritable sujet de la lettre 48 d’Augustin. Pour ce faire, nous considèrerons qu’il faut situer cette lettre non pas au lendemain de l’expédition de Mascezel, mais à sa veille. En effet, l’analyse de son contenu semble permettre de montrer que l’évêque d’Hippone n’y développait pas des considérations générales sur la vie contemplative des moines, mais s’attachait concrètement à exhorter les moines de l’insula Capraria à s’engager dans la guerre contre Gildon. Avant d’en arriver là, nous constaterons tout d’abord que la lettre d’Augustin a l’intérêt de montrer que les moines de l’insula Capraria constituaient une communauté déjà bien structurée, disposant d’une hiérarchisation interne, puisqu’elle était dirigée par le prêtre Eudoxe. Après les textes de Jérôme et de Rufin, la lettre 48 d’Augustin nous confirme donc que le monachisme insulaire avait pris à l’extrême fin du ive siècle une orientation résolument communautaire. Cela ne signifie évidemment pas que les moines de Capraia se fussent organisés de manière cénobitique, puisque la vie dans un cénobe ne constituait, dans le monachisme primitif, que l’une des formes de la vie communautaire et que la documentation ne nous permet pas de connaître le mode de fonctionnement de 146. Domino dilecto et exoptatissimo fratri et conpresbytero Eudoxio et qui tecum sunt fratribus Augustinus et qui mecum sunt fratres in domino salutem : augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), cit., ep. 48, p. 137. 147. Nam et ante iam fama et nunc fratres, qui venerunt a vobis, Eustasius et Andreas bonum Christi odorem de vestra sancta conversatione ad nos adtulerunt, quorum Eustasius in eam requiem processit, quae nullis fluctibus sicut insula tenditur, nec Caprariam desiderat, quia nec cilicio iam querit indui : augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), cit., ep. 48, p. 140. 148. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 219.

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ce monastère149. Sur ce point comme sur d’autres, il convient de se méfier des anachronismes, ce qui doit aussi nous amener à souligner que si l’historiographie donne souvent au prêtre Eudoxe le titre d’abbé, celui-ci n’est en réalité pas employé dans la lettre d’Augustin, conformément d’ailleurs aux usages du temps, puisque le titre abbatial n’est pas attesté dans les sources occidentales avant le milieu du ve siècle. Sans doute peut-on considérer que cette absence dans l’espace latin d’un titre spécifique, pour qualifier l’autorité exercée par le supérieur d’une communauté, témoigne des limites qui caractérisaient alors l’institutionnalisation du monachisme occidental. Si la communauté de l’île de Capraia ne répondait pas au modèle topique de l’anachorétisme insulaire, Augustin n’en reprenait pas moins en partie, à la fin de sa lettre, les vieux clichés littéraires sur l’hostilité du milieu insulaire, ce qui l’amenait par exemple à évoquer « ces flots du temps pareils à ceux dont votre île est battue ». De manière très rhétorique, il terminait aussi son propos en associant l’insula Capraria au cilice, ce qui l’amenait à recourir à une figure métonymique. Dans la mesure où le cilice était usuellement tissé en poils de chèvres, il pouvait en effet être aisément perçu comme le symbole de l’insula Capraria, autrement dit de « l’île des chèvres ». Augustin n’avait toutefois recouru ici qu’à un pur artifice rhétorique, car sa lettre ne portait pas sur la vie ascétique, mais était spécifiquement consacrée à l’otium monastique, c’est-à-dire à la légitimité d’une vie monastique contemplative, dont la communauté de l’insula Capraria lui paraissait constituer un parfait modèle150. Relativement courte, la lettre 48 d’Augustin avait en effet été construite sur l’opposition que l’évêque d’Hippone établissait entre l’otium des moines de l’in‑ sula Capraria et le negotium des prêtres qui, à son image, s’étaient pleinement engagés dans la vie pastorale. Pour Augustin, cet otium monastique trouvait dans le milieu insulaire une expression particulièrement favorable, dans la mesure où la vie sur une île autorisait les moines de l’insula Capraria à bénéficier de ce que l’évêque d’Hippone qualifiait de « repos » (requies). Ce terme, qui doit certainement être compris comme un équivalent latin du concept grec d’ἡσυχία (« hésychia »), renvoyait pour Augustin à un mode de vie de type contemplatif, qui permettait aux ascètes de se consacrer pleinement à la prière. L’évêque d’Hippone admettait que les vertus de ce requies donnaient aux prières des moines de l’insula Capraria une efficacité toute particulière, sans commune mesure avec celles des prêtres qui, à son exemple, étaient accaparés par leurs tâches pastorales et voyaient leurs propres prières « frappées et affaiblies par les ombres et le bruit des occupations séculières151 ». 149. C. raPP, « The Social Organisation of Early Monasticism in the East : Challenging old Paradigms », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’Alto Medioevo, Settimana di studi 31 marzo‑6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 54), 2 vol., t. I, p. 33-51. 150. Ibid., p. 219-223. 151. […] sauciat et debilitat caligo et tumultus saecularium actionum : augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), cit., ep. 48, 1, p. 137.

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Ce point étant posé, Augustin s’attachait toutefois à démontrer que l’efficacité particulière de la prière des contemplatifs ne pouvait avoir de valeur qu’à condition qu’elle fût mise au service de l’Église dans son ensemble. Se référant au mystère de l’unité ecclésiale en citant I Co 12, 26 (« Et si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est honoré, tous les membres se réjouissent avec lui152 »), Augustin soulignait que l’otium monastique ne constituait que l’une des parties du corps mystique de l’Église et devait donc être complémentaire du negotium pastoral. S’attachant à affirmer l’unité mystique de ces deux formes de vie, Augustin précisait aux moines de l’insula Capraria que « vous vivez en nous le negotium, tandis que nous vivons en vous l’otium153 ». Toute sa lettre constituait ainsi une mise en garde des moines de Capraia, qui lui semblaient visiblement tentés d’oublier que moines et pasteurs devaient conserver des relations d’échange. Il s’attachait ainsi à leur démontrer qu’un trop grand enfermement dans leur vie contemplative pourrait leur faire courir le risque d’une séparation avec l’Église, dans la mesure où elle pouvait tendre à les retrancher de la communion de leurs frères restés dans le monde, brisant ainsi l’unité mystique de l’institution ecclésiale : Si votre mère l’Église désire que vous travailliez pour elle, n’assumez pas cette tâche avec orgueil et avidité, ne la rejetez pas non plus par attachement à vos aises et par paresse, mais obéissez à Dieu d’un cœur plein de douceur, portant avec mansuétude celui qui vous conduit, lui qui « dirige les doux dans la justice » et « enseigne ses voies à ceux qui gardent la mansuétude » (Ps 24, 9). Ne préférez pas votre otium aux besoins de l’Église : si personne, parmi les gens de bien, ne voulait se mettre à son service quand elle accouche, vous ne trouveriez pas le moyen de naître154.

Les exhortations d’Augustin, qui expliquait aux moines de l’insula Capraria la nécessité de « régler notre route entre les cimes de l’orgueil et l’abîme de la paresse155 », ont été perçues par l’historiographie comme des préceptes généraux, reflétant la pensée globale d’Augustin sur le monachisme. En particulier, l’évocation dans la lettre 48 de « l’abîme de la paresse » a pu amener les exégètes à replacer ces propos dans le contexte de la polémique qu’Augustin développait alors contre les moines qui refusaient la pratique du travail156. Il me semble toutefois plus pertinent de replacer cette lettre dans son contexte historique, autrement 152. Si patitur unum membrum, compatiuntur omnia membra, et si glorificatur unum membrum, congaudent omnia membra : ibid., ep. 48, 1, p. 137. 153. Vos in nobis negotiosi et nos in nobis otiosi sumus : ibid., ep. 48, 1, p. 137. 154. Si qua opera vestra mater ecclesia desideraverit, nec elatione avida suscipiatis nec blandiente desidia respuatis, sed miti corde obtemperetis Deo cum mansuetudine portantes eum, qui vos regit, qui dirigit mites in iudicio, docebit mansuetos vias suas. Nec vestrum otium necessitatibus ecclesiae praeponatis, cui parturienti si nulli boni ministrare vellent, quo modo nasceremini, non inveniretis : augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), cit., ep. 48, 2, p. 138 ; trad. : vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 220. 155. […] inter apicem superbiae et voraginem desidiae iter nostrum temperare : augustin d’hiPPone, Epistulae (ep. 31‑123), cit., ep. 48, 2, p. 138. 156. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 231-244.

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dit dans le courant de l’expédition contre Gildon, en considérant qu’elle était destinée à solliciter les moines de l’insula Capraria, sans doute réticents à l’idée d’abandonner leur requies pour s’engager dans les affaires du monde, afin qu’ils apportassent leur soutien spirituel à l’armée de Mascezel. Une lecture attentive de la lettre 48 d’Augustin ne semble laisser sur ce point aucun doute, dans la mesure où elle ne pose en réalité jamais la question du travail, puisque les opera qu’elle évoque ne renvoient à l’évidence pas à un labeur, mais plutôt à l’obligation de servir (ministrare) l’Église, à laquelle les moines devaient pour l’évêque d’Hippone être soumis. La lettre 48 est en réalité dominée par une seule et même question, celle de la légitimité pour des moines ayant choisi le « repos » de pouvoir aussi s’engager pour le service de l’Église, lorsque les évêques estimaient que leur apport était devenu nécessaire. Dès lors, eu égard au contexte dans lequel la lettre 48 a été écrite, il semble bien difficile de ne pas conclure que ce service devait concrètement relever, dans l’esprit d’Augustin, de l’engagement de la communauté monastique de l’insula Capraria en faveur de l’expédition de Mascezel. Au-delà de ces textes d’Orose et d’Augustin, les moines de l’insula Capraria sont aussi connus par Rutilius Namatianus qui les évoqua dans son De reditu suo157. Né en Gaule narbonnaise vers 370, Rutilius Namatianus appartenait au premier cercle des élites sénatoriales et avait poursuivi à Rome un beau cursus honorum, qui lui avait en particulier permis d’exercer la charge enviée de préfet de la Ville en 414. Pétri de culture classique, demeuré surtout fidèle aux anciens dieux de la Rome antique, Rutilius Namatianus est resté célèbre grâce au long poème qu’il avait composé pour décrire le voyage maritime qui l’avait mené, aux environs de 417158, de Rome jusque dans les Gaules. Son De reditu suo, dont la fin a malheureusement été perdue, constitue de fait l’un des joyaux de la littérature tardo-antique et offre à son lecteur un mélancolique chant du cygne de la culture païenne. Au-delà de ses exceptionnelles qualités littéraires, ce texte constitue aussi pour les historiens de la civilisation méditerranéenne à l’époque tardo-antique une source de premier plan, dans la mesure où il décrit avec une grande précision la route maritime qui permettait de relier le Latium aux ports de la Gaule. Quel que soit l’intérêt historique de ce texte, il faut néanmoins interpréter avec prudence ce poème rhétorique, dans la mesure où la critique a montré qu’il ne constitue pas un journal de bord offrant un compte-rendu précis du voyage que Rutilius Namatianus avait effectivement fait. Pour l’essentiel, le De reditu suo relevait en effet plutôt d’un récit recomposé, prétexte à une réflexion amère et métaphorique sur ce qui apparaissait aux yeux de son auteur comme le dernier voyage de la culture classique dans un monde en voie de disparition159. 157. rutilius namatianus, Sur son retour, éd. E. wolff, Paris, 2007 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé). 158. Pour la datation controversée du De reditu suo, v. F. corsaro, Studi rutiliani, Bologne, 1981 (Edizioni e saggi universitari di Classica 26), p. 7-53. 159. E. wolff, « Quelques aspects du De reditu suo de Rutilius Namatianus », Vita latina, 173 (2005), p. 66-74 et S. ratti, « Le De Reditu suo de Rutilius Namatianus : élégie ou voyage vers l’au-delà ? », Antiquité tardive. Revue internationale d’histoire et d’archéologie (ive‑viiie s.), 24 (2016), p. 185-192.

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Comme tous les voyageurs de l’Antiquité, Rutilius Namatianus naviguait de jour le long de la côte et faisait escale chaque soir dans l’un des ports du littoral. Il avait donc choisi de diviser son poème selon ses journées de navigation, qui constituaient autant d’étapes de son voyage, puisque chacune lui permettait d’effectuer en moyenne une quarantaine de milles marins. Au sixième jour de son périple, Rutilius Namatianus avait abordé l’étape qui devait l’amener du port de Populonia à celui de Vada Volaterrana. Selon son récit, il aurait alors profité d’un vent favorable pour passer à pleines voiles au large de l’île de Capraia, ce qui lui avait alors donné l’occasion d’une petite digression, afin de dresser un tableau au vitriol des moines qui y étaient installés : Comme nous avançons dans la haute mer, voici que surgit Capraria, île repoussante tout remplie de ces hommes qui fuient la lumière. Eux-mêmes se donnent le nom grec de moines, parce qu’ils veulent vivre seuls, sans témoins. Ils redoutent les faveurs de la fortune, tout en en craignant les atteintes. Est-il concevable de se rendre volontairement malheureux par crainte de le devenir ? Quelle est cette rage stupide de cervelles à l’envers ? À force de craindre les malheurs, ne pouvoir souffrir non plus le bonheur ! Peut-être s’infligent-ils de la réclusion en châtiment mérité de leurs méfaits, ou leur triste cœur est-il gonflé d’un fiel noir ? Ainsi un morbide excès de bile est la cause assignée par Homère aux angoisses de Bellérophon ; car ce jeune homme avait été frappé par les traits d’une douleur cruelle, lorsque, dit-on, il prit en haine le genre humain160.

Le premier intérêt de ce texte est de nous rappeler que l’île de Capraia, comme d’ailleurs l’ensemble des îles méditerranéennes, se trouvait située le long des voies maritimes, qui constituaient « le tissu connectif » sur lequel avait été fondée la civilisation antique161. Si Rutilius Namatianus reprenait, en homme de lettres, les jugements topiques de la littérature classique sur les espaces insulaires, en décrivant Capraia comme l’une de ces « îles repoussantes » que la culture antique situait au-delà de l’œkoumène, son apparition au cours de son voyage nous rappelle qu’elle se trouvait placée au cœur même de l’un des plus importants axes d’échanges de l’Antiquité tardive. De fait, loin de constituer des espaces délaissés, les îles de l’archipel toscan étaient irriguées par un important flux de richesse, dont témoignent l’importance et la qualité du matériel tardo-antique que les recherches archéologiques ont permis d’y mettre au jour162. En liaison les unes 160. Processu pelagi tam se Capraria tollit ; / squalet lucifugis insula plena viris. / Ipsi se monachos Graio cognomine dicunt, / quod soli nullo vivere teste vollunt./Munera fortunae metuunt, dum damna verentur/ Quisquam sponte miser, ne miser esse queat ? Quaenam perversi rabies tam stulta cerebri, / dum mala formides, nec bona posse pati ? / Sive suas repetunt factorum ergastula poenas, / tristia seu nigro viscera felle tument. / Sic nimiae bilis morbum assignavit Homerus/ Bellorophonteis sollicitudinibus ; / nam iuveni offenso saevi post tela doloris / dicitur humanum displicuisse genus : rutilius namatianus, Sur son retour, cit., v. 439-452, p. 22-23. 161. H. Bresc, « Îles et tissu “connectif” de la Méditerranée médiévale », Médiévales, 47 (2004), p. 123-138. 162. Une vision d’ensemble dans R. Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », Hortus Artium Medievalium. Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013), p. 79-97.

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avec les autres, comme le montre par exemple la présence à Capraia et à Gorgona d’une céramique commune, ces îles se trouvaient insérées dans un important réseau commercial maritime, qui conserva tout son dynamisme jusqu’au début du viie siècle163. Elles se situaient ainsi incontestablement dans ce que Peter Brown appelait « les corridors de l’Empire »164, ces nerfs routiers où se concentraient les richesses du monde romain, mais aussi les résidences de leurs détenteurs. La spatialité de ces îles se trouvait ainsi caractérisée par une forte ambivalence, car si leur isolement maritime les mettait en périphérie des centres du monde romain, leur situation sur les grands axes des échanges méditerranéens les plaçait au cœur de la prospérité de la civilisation tardo-antique165. Ce passage du De reditu suo a aussi l’intérêt de nous confirmer que l’île de Capraia accueillait bien une communauté monastique, qui bénéficiait d’une notoriété suffisante pour que la seule apparition à l’horizon de cette île ait amené Rutilius Namatianus à dresser un tableau de ses moines. Reprenant de manière satirique le portrait désormais classique que les auteurs chrétiens s’étaient plu à dresser de l’ermite insulaire menant une vie de renoncement dans un espace de relégation, Rutilius Namatianus se moquait de Bonose et de ses semblables, en ne voyant dans leur recherche ascétique du désert qu’une manifestation de la misanthropie qui, pour les païens, caractérisait le christianisme. Prenant le contrepied de la littérature chrétienne, il brodait ainsi sur une représentation qui n’avait à l’évidence pas grand-chose à voir avec la réalité amène de Capraia, ce qui n’est guère étonnant puisque Rutilius Namatianus n’avait probablement jamais visité cette île, qu’il ne connaissait sans doute que par la vision lointaine qu’il avait pu en avoir, en l’observant depuis le bateau qui lui permettait de relier l’Italie à la Gaule. Capraia n’a en effet rien à voir avec ces îlots rocheux où les ermites pouvaient à la suite de Bonose partir affronter le diable, puisqu’elle constitue une île de belle taille, qui occupe une superficie de 19,3 km2. Située en pleine mer, à 15 milles du Cap Corse et à 35 milles de la côte toscane, cette île volcanique comporte des reliefs importants, puisqu’elle culmine à 445 mètres d’altitude. La 163. A. augenti, Città e porti dall’Antichità al Medioevo, Rome, 2010 ; M. Baldassarri, « Strutture portuali e comunicazioni marittime nella Toscana medievale alla luce della fonte archeologica (VIIIinizi XIII sec. d.C.) », dans G. Petralia (éd.), I sistemi portuali della Toscana mediterranea, Pise, 2010, p. 81-116, en particulier p. 83-99 ; Le voyage dans l’Antiquité tardive. Réalités et images, dans Antiquité tardive. Revue internationale d’histoire et d’archéologie (ive‑viiie s.), 24 (2016) et G. volPe, D. leone, P.G. sPanu et M. turchiano, « Produzioni, merci e scambi tra isole et terraferma nel Mediterraneo occidentale tardoantico », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 417-440. 164. Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme, cit., p. 188-189. 165. A.-M. helvétius, « Les premières îles monastiques de la Gaule », dans G. signori (éd.), Inselklöster‑ Klosterinseln. Topographie und Toponymie einer monastischen Formation. Berlin, 2019 (Studien zur Germania Sacra Neue Folge 9), p. 13-38, ici p. 17.

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présence de ces montagnes lui a offert des ressources hydrographiques relativement importantes, permettant d’y mener une vie autrement plus facile que dans un îlot comme Gallinara, qui ne dispose même pas d’une source d’eau claire. Par ailleurs, à l’exception de sa façade occidentale, rocheuse et escarpée, Capraia constitue une île largement ouverte sur la mer, puisque ses 27 km de côtes comportent plusieurs anses, qui offrent aux voyageurs de passage un havre idéalement situé entre la Corse et la Toscane. Capraia constitue donc une île accueillante pour la vie humaine et offre un milieu naturel qui n’a rien en commun avec l’espace désolé des îlots ligures, que nous avons pu précédemment étudier. La présence jusqu’en 1986 d’un centre pénitentiaire à Capraia a malheureusement compliqué le développement de la recherche archéologique sur l’île. Le travail de prospection n’a toutefois permis d’identifier des vestiges anciens que dans la seule zone de l’actuel port, où les restes d’une villa du Haut-Empire, bâtie dans le contexte de l’actuelle église Santa Maria Assunta, ont été mis au jour lors d’une opération menée en 1983 et 1984166. Le matériel retrouvé montre que cette villa est non seulement restée occupée jusqu’au haut Moyen Âge, mais qu’elle a aussi connu une activité importante dans l’Antiquité tardive, dont témoigne en particulier le développement de ses structures de production, qui semblent avoir eu une certaine importance dans le domaine de la céramique et sans doute aussi du garum. Par ailleurs, un champ funéraire, comportant en particulier la tombe d’un militaire franc ou alaman, a été retrouvé autour de l’église romane de Santa Maria Assunta, ce qui pourrait donner à penser qu’une église tardo-antique avait été édifiée sous le bâtiment actuel, même si les fouilles sont à ce jour restées trop partielles pour pouvoir le prouver167. En l’absence de toute autre trace d’un habitat tardo-antique sur l’île de Capraia, il semble donc très probable que la communauté monastique de l’insula Capraria se soit établie autour de la villa qui est associée à l’actuelle église de Santa Maria Assunta, même si le matériel archéologique retrouvé ne permet pas, en l’état, d’attester de l’utilisation monastique de ce site (fig. 7)168. Il faut donc conclure, en soulignant toutefois le caractère hypothétique des déductions que la documentation permet de dégager, que les moines de l’insula Capraria firent probablement partie de ces nombreuses communautés monastiques de l’Antiquité tardive qui se sont mises en place autour des villas aristocratiques, dont elles ont souvent repris les infrastructures productives169. 166. maZZei et severini, « Il fenomeno monastico nelle isole minori del mar Tirreno dal IV al IX secolo », cit., p. 630-635 et Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », cit., p. 83-84. 167. S. ducci et g. ciamPoltrini, « Capraia (Livorno). Tomba di un militare tardoantico », Bolletino di archeologia, 7 (1991), p. 53-59 et 71-72 et F. Bedini, g. ciamPoltrini et s. ducci, « Una sepultura tardoantica dal porto di Capraia », Archeologia medievale, 19 (1992), p. 369-377. 168. riera rullan, El monacat insular de la Mediterrània occidental, cit., p. 41. 169. J. Percival, « Villas and Monasteries in Late Roman Gaul », The Journal of Ecclesiastical History, 48 (1997), p. 1-21 ; R. alciati, « And the Villa Became a Monastery. Sulpicius Severus’ Community of Primuliacum », dans H. dey et E. fentress (éd.), Western Monasticism ante litteram. The Spaces of Monastic Observance in Late Antiquity and the Early Middle Âges, Turnhout, 2011

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Figure 7 : Site de la villa romaine de l’île de Capraia.

En Italie comme en Gaule, l’installation de communautés monastiques dans les villas constitua en effet l’un des principaux aspects du processus de christianisation des résidences aristocratiques qui se mit en place dans tout l’empire à partir de la fin du ive siècle. Si les moines se sont parfois installés dans des bâtiments abandonnés, il semble que le processus de transformation des villas en monastères se soit le plus souvent effectué à l’initiative des propriétaires. Tel fut par exemple le cas de la villa que les Anicii avaient édifiée aux portes de Rome et que la vierge Démétrias, correspondante de Jérôme et de Pélage, avait transformée en un vaste sanctuaire consacré au culte des reliques de saint Étienne, auprès desquelles une communauté monastique vint s’installer170. La documentation permet d’identifier de nombreux cas semblables, où des aristocrates s’attachèrent à doter leurs villas d’églises et de reliques, avant parfois de s’y retirer pour mener avec leur entourage (Disciplina Monastica 7), p. 85-98 ; S. Bully, « L’origine des sites monastiques. Confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques », dans S. Bully et C. saPin (éd.), L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. Actes des 4e journées d’études monastiques, Baume‑les‑Messieurs, 4‑5 septembre 2014 [Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 10 (2016)] : http :// cem.revues.org/14472 et K. Bowes, « Christianisation of Villas », dans A. marZano et G. métraux (éd.), Roman Villas in the Mediterranean Basin. Late Republique to Late Antiquity, Cambridge, 2018, p. 449-460. 170. D. de francesco, La proprietà fondiaria nel Lazio, secoli IV‑VIII. Storia e topografia, Rome, 2004, p. 90-93.

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une vie d’otium ascétique, posant ainsi les fondements d’une nouvelle communauté monastique171. Bien que le dossier documentaire de Capraia ne permette pas d’avoir de réelles certitudes, les sources archéologiques donnent toutefois à penser que les moines qui s’y installèrent ne relevaient pas d’un groupe de jeunes ermites, partis vivre comme Bonose sur un îlot infernal, mais s’apparentaient plus vraisemblablement à une communauté établie dans l’une de ces riches villas que leurs propriétaires avaient transformées en un monastère. Les sources textuelles peuvent conforter cette approche, dans la mesure où elles montrent que la vie des moines de l’isola Capraria ne devait rien avoir en commun avec la démarche de Bonose. Loin de s’inscrire dans une démarche martyriale, les moines de l’insula Capraria étaient en effet, selon le témoignage d’Augustin, à la recherche du requies et de l’otium, s’inscrivant ainsi dans la continuité du mode de vie des élites romaines, qui utilisaient ces espaces insulaires pour profiter de leur douceur et de leur calme, afin de se retirer, momentanément ou définitivement, des affaires de la cité. Si l’on accepte de situer le monastère sur le site de la villa antique, ce qui semble très vraisemblable, il faut enfin souligner l’importance des structures de production tardo-antiques que comportait la pars rustica de cet établissement, dans la mesure où elle pourrait montrer que la vie contemplative de Capraia n’empêchait pas les moines de mener un mode de vie aristocratique. Il est ainsi bien difficile de penser que cette communauté monastique aurait pu être totalement étrangère à la présence autour de la villa d’un atelier de céramiques, qui fut suffisamment important pour que sa production ait pu être retrouvée sur l’île de Gorgona, où elle avait visiblement été exportée172.

Les monastères de l’île de Gorgona À 22 milles au nord de l’île de Capraia, à la hauteur de Livourne, le voyageur italien qui, à l’exemple de Rutilius Namatianus, naviguait vers la Gaule, arrivait devant Gorgona, l’île la plus septentrionale de l’archipel toscan. Avec ses 2,2 km2 de superficie, Gorgona lui offrait alors l’aspect d’une île de taille moyenne, mais d’aspect majestueux. Constituée par un imposant bloc de calcaire qui culmine à 255 mètres d’altitude, Gorgona a en effet la particularité d’être une île très visible 171. C. sfameni, Ville residenziali nell’Italia tardoantica, Bari, 2010, en particulier p. 278-293 ; idem, « Ville “residenziali” in Italia nel V secolo : considerazioni su dati recenti », dans R. d’andria et K. mannino (éd.), Gli allievi raccontano. Atti dell’incontro di studio per i trent’anni della scuola di specializzazione in Beni archeologici, 10.1, Università del Salento, Cavallino (Le) ‑ Convento dei Domenicani, 29‑30 gennaio 2010, Galatina, 2012, p. 53-64 et F. maraZZi, « In claustro : costruzioni (reali e immaginarie) dello spazio monastic nell’alto medioevo », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’alto medioevo. Settimane di studio della fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, LXIV, Spoleto, 31 marzo ‑ 6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo), 2 vol., t. I, p. 631-666, en particulier p. 639-643. 172. P. gamBogi et M. firmati, « Frequentazione tardoantica e altomedievale nell’isola di Gorgona », dans L. sagui (éd.), Ceramica in Italia, VI‑VII secolo. Atti del Convegno in onore di John W. Hayes, Roma 11‑13 maggio 1995, Florence, 1998, p. 635-638, en particulier p. 636, n. 35.

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par les voyageurs. Rutilius Namatianus n’y fit pas escale, mais put apercevoir sa belle stature lors de la septième étape de son périple, qui le mena de Vada Volaterrana à Portus Pisanus. Le souvenir que lui avait laissé la vision de Gorgona lui offrit l’occasion de s’autoriser une nouvelle digression dans son De reditu suo, afin de pouvoir dénoncer le spectacle à ses yeux indécent de ces moines qui colonisaient les îles de la Méditerranée : Au milieu de la mer, entourée par les flots, Gorgona se dresse entre la côte de Pise et celle de Cyrnos. Il est en face de nous ce rocher qui évoque un scandale récent : là s’était misérablement enseveli, vivant, un de nos concitoyens. Car naguère il était des nôtres, ce jeune homme issu d’ancêtres de haut rang, auxquels sa fortune et son mariage ne le rendaient pas inférieur ; mais les Furies l’ont poussé à abandonner les hommes et la terre et il vit exilé, pauvre naïf, dans une retraite sordide ! Il s’imagine, le malheureux, que le souci du ciel s’entretient dans la saleté, et il se tourmente, plus cruel contre lui-même que ne le seraient les dieux offensés. Le cède-t-elle aux poisons de Circé, je vous le demande, cette secte-là ? Alors c’étaient les corps seulement qui étaient métamorphosés, aujourd’hui ce sont les âmes173.

Comme il l’avait déjà fait dans sa description des moines de Capraia, Rutilius Namatianus abordait de manière rhétorique son tableau du site monastique de Gorgona, en recourant à un ensemble de lieux communs littéraires, dont le moindre n’est pas l’évocation de Circé, la magicienne qui dans l’Odyssée hantait l’île d’Ééa. Cette description de Gorgona comme une « retraite sordide » ou encore un « rocher » renvoyait une nouvelle fois à l’image topique de l’île comme lieu de la relegatio insularis. Elle n’avait toutefois pas grand-chose à voir avec la réalité concrète de cette île, que Rutilius Namatianus ne connaissait d’ailleurs probablement là encore que par la seule vision lointaine qu’il avait pu en avoir au cours de ses voyages entre la Gaule et l’Italie. Une nouvelle fois, son tableau ne relevait en effet pas d’une description concrète, mais d’une satire de la littérature ascétique chrétienne, qui amenait Rutilius Namatianus à se gausser de la figure de l’anachorète insulaire, telle que Jérôme et Sulpice Sévère s’étaient plu à la brosser. Bien que le témoignage de Rutilius Namatianus puisse indéniablement être considéré comme une attestation d’une présence monastique à Gorgona, il ne saurait donc être invoqué pour y puiser la moindre information concrète sur la nature de la vie que pouvait y mener le jeune ascète qui s’y serait « misérablement enseveli ». Contrairement à ce que l’historiographie a pu souvent être tentée de retenir174, ce texte ne saurait d’ailleurs permettre d’attester de la présence d’un site de type anachorétique à Gorgona. Rutilius Namatianus ne précise en effet pas si le jeune 173. Assurgit ponti medio circumflua Gorgon / inter Pisanum Cyrnaicumque latus. / Adversus scopulus, damni monumenta recentis :/ perditus hic vivo funere civis erat. / Noster enim nuper iuvenis maioribus amplis,/ nec censu inferior coniugove minor,/ impulsus Furiis homines terrasque reliquit/ et turpem latebram credulus exul agit./ Infelix putat illuvie caelestia pasci/ seque premit laesis saevior ipse deis./ Num, rogo, deterior Circaeis secta venenis ? Tunc mutabantur corpora, nunc animi : rutilius namatianus, Sur son retour, cit., v. 515-526, p. 25-26. 174. Jenal, Italia ascetica atque monastica, cit., p. 124 et Biarne, « Le monachisme dans les îles de la Méditerranée nord-occidentale », cit., p. 366.

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moine qu’il avait évoqué menait une vie effectivement solitaire ou s’il faisait partie d’une communauté monastique, ce qui peut sembler a priori plus probable, eu égard au contexte du début du ve siècle. Ce texte donne toutefois une information précieuse sur le milieu social dans lequel se recrutaient les moines insulaires, puisque Rutilius Namatianus affirme que l’ascète de Gorgona ne lui était pas inférieur, tant par ses ancêtres de haut rang que par sa richesse et ses alliances, ce qui signifie qu’il était issu du cercle le plus élevé de l’aristocratie romaine. Une nouvelle fois, le monachisme insulaire apparaît dans ce texte comme une démarche très élitiste, ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec l’utilisation des îles par les élites romaines à des fins résidentielles. Aucune autre source documentaire ne nous permet malheureusement d’en savoir plus sur la vie monastique qui pouvait se mener à Gorgona à l’époque tardo-antique. Après Rutilius Namatianus, aucun texte ne mentionna en effet l’île de Gorgona, jusqu’à ce que ses moines soient de nouveau évoqués dans une lettre donnée par le pape Grégoire le Grand. Ce texte fait partie d’un ensemble de quatre épîtres, toutes consacrées aux communautés monastiques insulaires de la mer Tyrrhénienne, que le pape Grégoire le Grand écrivit en juin 591175. Bien que nous ne connaissions pas les circonstances précises qui ont pu amener le pape à faire rédiger cet ensemble épistolaire, l’écriture de ces lettres procédait d’une politique systématique du pape envers les monastères insulaires. Grégoire le Grand leur reprochait en effet leur mode de vie par trop séculier, qui les amenait à prendre un chemin qu’il estimait contradictoire avec les principes de la vie monastique176. La lettre qui évoque les moines de Gorgona avait été adressée par le pape à un certain Symmaque, qui exerçait alors les fonctions de defensor, autrement dit d’administrateur, du patrimoine de l’Église romaine en Corse177. Elle visait princi175. B. Judic, « La production et la diffusion du Registre des lettres de Grégoire le Grand », dans Les échanges culturels au Moyen Âge. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 32e congrès, Dunkerque, 2001, Paris, 2000, p. 71-87 et S. gioanni, « Être véritablement moine. Les représentations de l’identité ascétique dans la pastorale lérinienne (ve-vie siècles) », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 141-165, ici p. 165. 176. scalfati, « Per la storia dell’eremitismo nelle isole del Tirreno », cit., p. 293-297 ; J.-M. martin, « Grégoire le Grand et l’Italie », dans A. JacoB, J.-M. martin et G. noyé (éd.), Histoire et culture dans l’Italie byzantine. Acquis et nouvelles recherches, Rome, 2006 (Collection de l’École française de Rome 363), p. 244-250, en particulier p. 244 et sq. ; D. nuZZo, « L’organizzazione delle chiese nell’Italia tardoantica tra isole e terraferma », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 49-62, ici p. 58-59 et F. romana stasolla, « I monasteri tra isole e terraferma all’età di Gregorio Magno », dans r. martorelli, a. Piras et P.G. sPanu (éd.), Isole e terra ferma nel primo cristianesimo. Identità locali ed interscambi culturali, religiosi e produttivi. Atti del XI congresso nazionale di archeologia cristiana (Cagliari, 23‑27 settembre 2014), Cagliari, 2015 (Studi e ricerche di cultura religiosa nuova serie 8), p. 631-643. 177. Sur les defensores ecclesiae, v. F. martroye, « Les defensores ecclesiae aux ve et vie siècles », Revue historique de droit français et étranger, 4e série 2 (1923), p. 597-622 et C. sotinel. « Le personnel épiscopal : enquête sur la puissance de l’évêque dans la cité », dans E. reBillard et C. sotinel (éd.),

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palement à lui demander de bien vouloir trouver, en collaboration avec un certain abbé Orose, un lieu adéquat pour accueillir le monastère que la pieuse Labinia voulait faire établir en Corse178. Après avoir donné à Symmaque cet ordre principal, Grégoire le Grand lui en donnait un second, en l’enjoignant d’assister l’abbé Orose dans son œuvre de réforme des moines de l’île de Gorgona : À ce susdit Orose, nous avons ordonné qu’il se rende dans l’île de Gorgona ; que ton expertise l’y accompagne, et que vous redressiez tous les méfaits que nous savons s’y être commis, de telle sorte que par votre châtiment la susdite île puisse par la suite demeurer amendée. Que le susdit abbé Orose discipline les monastères (monasteria) de cette île et qu’il se hâte alors de revenir vers nous. Que ton expertise fasse donc ainsi que dans ces deux domaines, à savoir en pourvoyant aux besoins d’un monastère en Corse et en corrigeant les moines de Gorgona, tu te hâtes d’obéir à ce qui est non pas notre propre volonté, mais celle de Dieu Tout-Puissant179.

L’utilisation par le pape Grégoire le Grand du terme de monasterium au pluriel constitue l’un des éléments les plus remarquables de cette lettre, puisqu’elle montre qu’il existait plusieurs monastères à Gorgona. Faut-il penser que la communauté monastique de cette île se trouvait organisée sous la forme d’une congrégation ? Faut-il dans cette hypothèse y voir une influence des modèles orientaux, à l’exemple de la congrégation établie par l’abbé égyptien Shénouté († après 465), qui avait dirigé près de Sohag une congrégation rassemblant deux monastères d’hommes, un de femmes, ainsi que des anachorètes menant à proximité des vies solitaires180 ? La documentation ne permet pas de le savoir, mais si Gorgona accueillait bien une congrégation monastique, celle-ci ne devait certainement pas constituer une innovation récente. Si, comme nous le verrons, ce type d’organisation semble avoir été fréquemment adopté par les communautés monastiques occidentales du ve siècle, par exemple à Grigny ou encore dans les monastères jurassiens, il constituait en effet à l’époque de Grégoire le Grand un mode d’organisation largement obsolète dans le monde latin, ce qui pourrait peutImage et autorité, L’évêque dans la cité du ive au ve siècle. Image et autorité. Actes de la table ronde de Rome (1er et 2 décembre 1995), Rome, 1998 (Publications de l’École française de Rome, 248), p. 105-126, en particulier p. 110-112. 178. gregoire le grand, Registri, libri I‑VII, éd. P. ewald et L.M. hartmann, Berlin, 1891 (MGH, Epistolarum 1), I, 50, p. 76-77 ; trad. française : grégoire le grand, Registre des lettres, I* (Livres I et II), éd. P. minard, Paris, 1991 (Sources chrétiennes 370), I, 50, p. 238-241. 179. Cui praefato Orosio iniunximus ut in Gorgonae insula perexeat, cum quo tua experientia pariter eat. Et mala omnia quae illic cognouimus admissa ita uindicate, ut per ultionem uestram praefata insula etiam in posterum maneat correcta. Huius insulae monasteria saepe fatus abbas Orosius instituat, atque ita ad nos remeare festinet. Ita igitur experiencia tua faciat, ut ex utraque re, id est vel providendo in Corsica monasterio, vel corrigendis monachis in Gorgonia, non nostrae, sed voluntati omni potentis Dei parere festines (trad. française retouchée, d’après grégoire le grand, Registre des lettres, I*, cit., I, 50, p. 241). 180. S. emmel, « Shenoute the Monk : the Early Monastic Career of Shenoute the Archimandrite », dans M. Bielawski et D. homBergen (éd.), Il Monachesimo tra eredità e aperture, Rome, 2004, p. 151-174, en particulier p. 159.

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être aussi expliquer que le pape ait confié à l’abbé Orose le soin de réformer la vie monastique de Gorgona, qui ne correspondait plus aux canons de son temps. Si les monastères de Gorgona étaient bien organisés dans une congrégation, il est ainsi possible que celle-ci ait aussi englobé les moines de l’île de Capraia, ou du moins que les moines de ces deux îles aient entretenu des liens organiques. Les monastères de ces deux îles distantes d’une quarantaine de milles marins étaient en effet suffisamment liés pour que Grégoire ait pu, dans une lettre adressée en 594 à l’évêque de Luni, exposer qu’un certain prêtre Saturnin, qui avait été relevé de son ministère et soumis à une pénitence publique, demeurait toutefois suffisamment qualifié pour « prendre soin des monastères des îles de Gorgona et Capraia181 », autrement dit pour restaurer leur vie monastique. Les Acta sanctae Juliae virgine martyre (BHL 4516)182, que l’érudition date avec des arguments solides du viie siècle183, témoignent aussi des relations étroites qui s’étaient établies entre les moines de ces deux îles. Ce texte semble avoir cherché à justifier des prétentions des moines de Gorgona, qui affirmaient avoir recueilli le corps de sainte Julie, dont le martyrologe hiéronymien, sans doute compilé à la fin du vie siècle, avait seulement mentionné qu’elle avait été martyrisée en Corse184. Après avoir décrit la passion de sainte Julie, que le gouverneur Félix avait fait crucifier en Corse, les Acta sanctae Juliae virgine martyre expliquaient que les moines de Gorgona auraient réussi à récupérer son corps, pour le transporter par bateau jusqu’à leur île, où ils l’auraient inhumé dans un monu‑ mentum. Pour notre propos, il faut surtout souligner que l’auteur de cette Passion s’était attaché à introduire dans ce récit les moines de l’insula Capraria, en affirmant qu’au cours de la traversée du corps de la sainte martyre, les moines de Gorgona auraient rencontré leurs confrères de Capraia et leur auraient concédé des reliques de sainte Julie. Par ce geste, les moines de Gorgona avaient affirmé et concrétisé les liens confraternels qui les liaient aux moines de Capraia, en les associant au culte de la martyre corse185. La rédaction de cette Passion, qui a très probablement été écrite à Gorgona, témoigne par ailleurs de l’importance que la vie monastique avait dû prendre dans cette île à l’époque lombarde. Incontestablement, les moines de Gorgona semblent 181. […] in insula Gorgona atque Capraria sollicitudinem de monasteriis gerere : grégoire le grand, Registri, libri I‑VII, cit., V, 17, p. 298-299 ; sur le prêtre Saturnin, v. sodi, « Le origini del monachesimo insulare nell’Arcipelago Toscano », cit., p. 102-103. 182. De sancta Julia virgine martyre, dans Acta Sanctorum, Maii, V, Anvers, 1685, p. 167-170. 183. M. Bettelli et G. Bergamaschi, « “Felix Gorgona… feliciortamen Brixia” : la traslazione di Santa Giulia », dans C. alZati et G. rossetti (éd.), Profili istituzionali della santità medioevale. Culti importati, culti esportati e culti autoctoni nella Toscana occidentale e nella circolazione mediterranea ed europea, Pise, 2010 (Piccola Biblioteca Gisem 24), p. 143-204, ici p. 145, n. 6. 184. In Corsica insula, passio sanctae Iuliae virginis et martyris : Martyrologium Hieronymianum, éd. H. quentin et H. delehaye, Acta sanctorum, Novembris, II, pars posterior, Bruxelles, 1931, p. 267. 185. Tunc obviaverunt eis monachi cum navi de insula qua dicitur Capraria […] et postulantes ab eis reliquiarum benedictionem impetraverunt et regressi sunt in sua. Illi autem pervenerunt in insulam Gorgonensem et deponentes corpus eius de navi et condientes aromatibus, posuerunt in monumento cum gaudio magno : De sancta Julia virgine martyre, cit., p. 169.

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avoir disposé d’un certain rayonnement, dont témoigne aussi le succès que le culte de sainte Julie a rencontré dans l’Italie lombarde186. Dans le contexte de l’implantation de l’islam en Sardaigne et de l’essor de la piraterie qui affecta le monachisme insulaire dans la mer Tyrrhénienne au viiie siècle187, les moines de Gorgona semblent avoir toutefois été amenés à quitter leur refuge insulaire pour s’établir sur le continent, comme semble l’attester la translation des reliques de sainte Julie à Brescia, qu’il faut sans doute dater de 762/763188. S’il a bien eu lieu, cet abandon du site monastique de Gorgona fut toutefois peu durable, puisque la documentation carolingienne atteste qu’il était de nouveau en activité sous le règne de Charlemagne. L’activité carolingienne des moines de Gorgona est aussi connue par une affaire remarquable, qui commença par une sentence donnée en 803, à la demande du roi Pépin, par l’évêque Jacques de Lucca contre Alpulo, un prêtre de son Église. La sentence explique qu’après avoir été convaincu d’avoir enlevé de nuit une moniale du monastère Saint-Pierre de Pise, puis de l’avoir amenée à Lucca dans sa maison, Alpulo avait été contraint de faire pénitence devant l’évêque Rachinard de Pise et s’était alors engagé sous serment à « se faire moine pour le reste de ses jours dans un monastère de Gorgona189 ». Comme il n’en avait cependant rien fait, l’évêque Jacques de Lucca l’avait condamné, par la sentence de 803, à être excommunié et privé de ses bénéfices. Alpulo semble toutefois n’en avoir guère tenu compte, puisqu’en 813 l’évêque Jacques de Lucca le fit de nouveau déférer devant lui, en lui demandant : « comment as-tu, toi, osé chanter la messe après que tu as été excommunié et que tu as de plus juré que tu devrais être moine dans un monastère de Gorgona ?190 ». Pour notre propos, ces deux sentences de 803 et de 813 ont tout d’abord l’intérêt de témoigner de la persistance à l’époque carolingienne de la peine de la relega‑ tio insularis, qui prenait désormais une forme canonique, puisque l’évêque de Pise avait condamné le prêtre Alpulo à faire pénitence dans un monastère insulaire. Par ailleurs, l’utilisation dans chacun des deux textes de la formule in monasterio in Gorguna – et non comme on aurait pu s’y attendre de in monasterio Gorgune ou, de manière plus classique, de in monasterio Gorgunense – peut sembler d’autant plus 186. G. Bergamaschi, « Una redazione “bresciana” della “Passio sanctae Iuliae” in Toscana », Nuova Rivista Storica, 90/3 (2003), p. 625-668 et idem, « Da Cartagine alla Toscana a Brescia : i percorsi del culto a santa Giulia », dans R. stoPani et F. vanni (éd.), La via Francigena in Valdelsa. Storia, percorsi e cultura di una strada medievale. Atti del Convegno svoltosi nei giorni 23, 24 e 25 ottobre 2009 a Colle Valdelsa, Sant’Appiano (Barberino Valdelsa) e Certaldo, Florence, 2009 (Centro Studi Romei 17/1-2), p. 211-252. 187. P. fois, « Il ruolo della Sardegna nella conquista islamica dell’Occidente (VIII secolo) », Rivista dell’Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea, 7 (2011), p. 5-26 et idem, « Pour une histoire de la Sardaigne islamique (VIIIe-ixe siècles) », dans C. richarté, R.-P. gayraud et J.-M. Poisson (éd.), Héritages arabo‑islamiques dans l’Europe méditerranéenne, Paris, 2015, p. 129-141. 188. Bettelli et Bergamaschi (éd.), « “Felix Gorgona… feliciortamen Brixia” : la traslazione di Santa Giulia », cit., en particulier p. 158-174. 189. […] ut diebus vite sue esset monacus in monasterio in Gurgona : I placiti del “Regnum Italiae“, éd. C. manaresi, Rome, 1955-1960 (Fonti per la storia d’Italia 92, 96, 97), 3 vol., t. I, no 16, p. 44-48, ici p. 47. 190. […] tu quomodo fuisti ausus missas cantare postquam excommunicatus fuisti, insuper iurasti ut in monasterio in Gorgona monacus esse deberis : ibid., no 26, p. 80-84, ici p. 81.

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signifiante que cette expression apparaît dans chacun de ces deux textes, alors même qu’il n’est pas possible d’identifier d’emprunts textuels entre les sentences de 803 et 813. Si l’on prend au mot cette formule atypique, il convient de conclure qu’Alpulo n’aurait pas été condamné à la relégation dans « le » monastère de Gorgona (in monasterio Gorgunense), mais bien dans « un » monastère à Gorgona (in monaste‑ rio in Gorguna), ce qui n’est pas la même chose. Dans cette perspective, l’utilisation de cette formule pourrait donner à penser que Gorgona accueillait peut-être encore à l’époque carolingienne plusieurs monastères. Si cette hypothèse est juste, cette situation n’aurait toutefois pas été durable, puisqu’à l’époque féodale les moines de Gorgona vivaient dans une abbaye bénédictine unique, qui est bien connue par un important chartrier dont l’acte le plus ancien est daté du 16 mai 999191. La recherche archéologique s’est malheureusement heurtée à d’importantes difficultés sur l’île de Gorgona, non seulement parce que ce milieu insulaire bénéficie de protections importantes, en raison du Parc national qui s’étend sur l’ensemble de l’archipel toscan, mais aussi et surtout parce que l’île accueille depuis 1869 une colonie pénitentiaire. Malheureusement pour les archéologues, l’administration pénitentiaire italienne a construit ses bâtiments carcéraux sur le site du monastère médiéval, qui se trouvait depuis 1777 à l’état d’abandon. Ces bâtiments servant toujours aujourd’hui de centre de détention, le site monastique n’a pu faire l’objet d’aucune étude archéologique, d’autant que l’administration pénitentiaire, sous l’autorité de laquelle est placée l’île, s’est montrée très restrictive dans ses autorisations de fouilles192. Ces conditions particulièrement difficiles ne nous permettent donc de disposer que d’un dossier archéologique fragmentaire, qui se limite à quelques prospections et à une unique campagne de fouilles archéologiques, effectuée sous la direction de la Superintendance archéologique de Toscane en 1993. Entourée sur ses façades nord, est et sud par de hautes falaises battues par les vents, cette petite île en forme de massif a l’avantage d’offrir un espace archéologiquement très simple à appréhender. Elle ne présente en effet qu’un seul point d’accès, une petite anse maritime du nom de Scalo, qui offre à l’île une étroite ouverture sur sa façade nord-occidentale. Depuis l’Antiquité, le Scalo a accueilli un petit port, qui est aujourd’hui dominé par quelques rares maisons, construites sur les versants très pentus qui dominent l’anse. Malgré son étroitesse, le Scalo constitue, en dehors du site de l’abbaye médiévale, le seul endroit de cette île très rocheuse, qui puisse avoir été susceptible d’accueillir un peuplement humain et il a concentré jusqu’à présent toutes les études archéologiques. La campagne de fouilles menée en 1993 a pu permettre d’identifier la présence autour du port du Scalo d’une villa, dont les structures les plus avancées sont encore 191. S.P.P. scalfati, « Les propriétés du monastère de Gorgona en Corse (xie et xiie siècles) », Études corses, 8 (1977), p. 31-93 [rééd. dans S.P.P. scalfati, Corsica Monastica. Studi di storia e di diplomatica, Pise, 1992, p. 43-96 et idem, La Corse médiévale, Ajaccio, 1994 (Sources de l’histoire de la Corse, textes et documents 3), p. 113-166], en particulier n. 43. 192. maZZei et severini, « Il fenomeno monastico nelle isole minori del mar Tirreno dal IV al IX secolo », cit., p. 638-639 et Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », cit., p. 82-83.

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visibles sous le niveau de la mer. Si cette villa semble avoir été construite à l’époque tardo-républicaine ou au Haut-Empire, la céramique qui a pu être récoltée dans son contexte permet d’attester d’une occupation continue du site jusqu’au milieu du viie siècle193. Pour l’essentiel, le matériel retrouvé avait été importé depuis l’Orient et l’Afrique, ce qui témoigne de l’insertion de cette île dans les réseaux commerciaux qui organisaient le monde méditerranéen. Comme nous l’avons déjà vu, il est notable qu’une partie de la céramique retrouvée sur le site de cette villa présente des caractéristiques identiques à celle qui a pu être mise au jour dans les fouilles de l’atelier de production céramique de la villa de l’île de Capraia. Cet élément donne donc à penser que les habitants de la villa de Gorgona importaient une partie de leur céramique de Capraia, ce qui constitue une confirmation archéologique des données textuelles, qui montraient que ces deux îles et leurs monastères entretenaient des liens étroits dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Les archéologues se sont demandé si les premiers moines de Gorgona s’étaient établis à l’intérieur des bâtiments de la villa romaine ou s’ils vivaient déjà sur le site du monastère de l’époque féodale, en privilégiant en général cette dernière hypothèse (fig. 8). Sans doute est-il en réalité préférable de ne pas poser ce débat dans le cadre d’une alternative, dans la mesure où les textes attestent de la présence de plusieurs monastères à Gorgona, ce qui pourrait ainsi donner à penser que ces deux sites ont chacun pu accueillir une communauté monastique. Dans cette hypothèse, la proximité des deux sites impliquerait que les deux établissements auraient entretenu des relations de grande proximité. L’abbaye, qui était édifiée à l’époque féodale au lieu actuellement dénommé « villa Margherita », n’est en effet séparée à vol d’oiseau de l’ancienne villa romaine que par environ 200 mètres. Perché au-dessus du port, sur un tout petit plateau établi à 80 mètres d’altitude, au sommet de l’éminence rocheuse qui fermait au sud le Scalo, le site du monastère médiéval surplombe ainsi celui de la villa romaine. Une telle distribution des établissements monastiques serait dans ce cas d’autant plus remarquable, qu’elle ne serait pas sans ressemblance avec l’organisation des monastères provençaux du ve siècle, fondée, comme nous le verrons, sur l’association d’un double site d’anachorètes et de cénobites. Bien que les données archéologiques imposent une évidente prudence, il n’en demeure pas moins qu’à Gorgona, comme à Capraia, le monachisme s’est visiblement développé, au moins partiellement, autour de l’une de ces villas maritimes qui avaient été édifiées en grand nombre à l’époque romaine sur les côtes italiennes par la haute aristocratie romaine, afin de trouver une villégiature dans ces lieux naturellement prédisposés à la quiétude et au repos. Dans le contexte d’insécurité croissante qui affectait l’Italie tardo-antique, ces villas maritimes semblent avoir souvent joué un rôle de refuge pour les élites, mais aussi pour les premières communautés monastiques qui y trouvèrent un lieu d’établissement privilégié. Les cas de Capraia et de Gorgona ne sont en effet pas isolés, comme en atteste 193. gamBogi et firmati, « Frequentazione tardoantica e altomedievale nell’isola di Gorgona », cit. et eidem, « I pavimenti in opera musiva della villa romana di Gorgona insula », dans I. Bragantini et F. guidoBaldi (éd.), Atti del II colloquio dell’Associazione italiana per lo studio e la conservazione del mosaico (Roma, 5‑7 dicembre 1994), Bordighera, 1995, p. 143-148.

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SCALO Villa romaine

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Figure 8 : La villa romaine et le monastère médiéval de Gorgona.

l’exemple emblématique de la villa maritime de Tibère194, située à Sperlonga, sur la côte méridionale du Latium, qui semble avoir été elle aussi investie par une communauté monastique au ve ou au vie siècle195. Dans le cas des communautés monastiques insulaires, ces monastères de villas méritent d’autant plus d’attention, qu’il convient de souligner qu’ils se développèrent autour de bâtiments particulièrement luxueux, édifiés en bord de mer, dans ce cadre résidentiel très privilégié que constituaient les îles. La pauvreté monastique pouvait ainsi se déployer dans l’un de ces lieux d’opulence que les élites chrétiennes s’attachaient désormais à consacrer à la majesté divine, comme Peter Brown l’a récemment mis en évidence196. 194. x. lafon, « À propos des villas de la zone de Sperlonga. Les origines et le développement de la villa maritima sur le littoral tyrrhénien à l’époque républicaine », Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 93/1 (1981), p. 297-353 ; N. cassieri, « La villa “Spelunca” di Tiberio a Sperlonga », dans M. valenti (éd.), Residenze imperiali nel Lazio, Atti della Giornata di studio, Monte Porzio Catone, 3 aprile 2004, Frascati, 2008 (Tusculana, Quaderni del Museo di Monte Porzio Catone 2) et F. slavaZZi, « La villa imperiale di Sperlonga e il mare », Newsletter di Archeologia CISA, 6 (2015), p. 95-105. 195. X. lafon, « Marina di S. Nicola. Il complesso archeologico », Bollettino di archeologia, 4 (1990), p. 5-29, ici p. 20 et B. Borck et D. von der nahmer, « Das Kloster der Honoratus von Fundi und das Praetorium Speluncae », Studi medievali, 36 (1995), p. 617-656. 196. Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme, cit., en particulier p. 222-224.

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L’île d’Elbe Si la documentation permet d’attester clairement la présence, à Capraia comme à Gorgona, d’établissements monastiques à la fin du ive ou au début du ve siècle, il n’en va pas de même pour les autres îles de l’archipel toscan. Tel est par exemple le cas de l’île de Pianosa qui, pour avoir relevé au xiie siècle de l’abbaye de Montecristo, ne présente pour autant aucune trace d’un quelconque établissement monastique. Il en va de même pour les îles de Giannutri et de Giglio, qui ont toutes deux appartenu à l’époque carolingienne à l’abbaye romaine de Tre Fontane, mais pour lesquelles il n’existe aucune trace documentaire ou archéologique d’un peuplement monastique197. Le cas de l’île d’Elbe, de très loin la plus grande de l’archipel toscan, peut en revanche sembler plus compliqué dans la mesure où la tradition hagiographique affirme que l’évêque Cerbonio de Populonia y aurait mené une vie anachorétique, alors qu’il n’existe aucune trace historique ou archéologique d’un peuplement monastique. La Vita sancti Cerbonii (BHL 1728-1729), qui nous donne ces informations, appartient au cycle hagiographique toscan, qui s’est progressivement construit autour de la vénération de saint Regolo. Ce dernier saint a fait l’objet d’un culte important en Tuscia, qui était déjà bien organisé au viiie siècle198, mais sa Passio (BHL 7102) et sa Translatio (BHL 7103-7105a) semblent ne pas être antérieures au ixe siècle199. Selon le récit donné par sa Passion, Regolo serait un archevêque africain qui, après avoir mené une vie anachorétique en Toscane, où il s’était réfugié pour échapper aux persécutions ariennes des Vandales, aurait fini par être martyrisé par les hommes du roi Totila († 552)200. La Vita sancti Cerbonii se situe 197. maZZei et severini, « Il fenomeno monastico nelle isole minori del mar Tirreno dal IV al IX secolo », cit., p. 643-648 ; G. BartoloZZi casti, « La catacomba di Pianosa : scavi e indagini, posizione storica e contesto », dans A. Benvenuti (éd.), Da Populonia a Massa Marittima : i 1500 anni di una diocesi. Atti del convegno di studio (Massa Marittima, 16‑17 maggio 2003), Florence, 2005, p. 67-96 et Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », cit., p. 80-82. 198. S. collavini, « Da società rurale periferica a parte dello spazio politico lucchese : S. Regolo in Gualdo tra VIII e IX secolo », dans G. garZella (éd.), « Un filo rosso ». Studi antichi e nuove ricerche sulle orme di Gabriella Rossetti in occasione dei suoi settanta anni, Pise, 2007 (Piccola biblioteca Gisem 23), p. 231-247. 199. E. susi, « Africani, Celafori e “Saraceni”. I cicli agiografici populoniesi dall’alto Medioevo al XII secolo », dans A. Benvenuti (éd.), Da Populonia a Massa Marittima : i 1500 anni di una diocesi. Atti del convegno di studio (Massa Marittima, 16‑17 maggio 2003), Florence, 2005, p. 32-65, particulièrement p. 36-39 ; P. licciardello, « Agiografica latina dell’Italia centrale, 950-1130 », dans G. PhiliPPart (éd.), Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, volume V, Turnhout, 2010 (Corpus Christianorum, Hagiographies 5), p. 447-729, ici p. 521-524 et G. vocino, « L’agiografia dell’Italia centrale », dans m. goulet (éd.), Hagiographies. Histoire internationale de la littérature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines à 1550, volume VII, Turnhout, 2017 (Corpus Christianorum, Hagiographies 7), p. 95-268, ici p. 110-113. 200. M. simonetti, « Note sulla tradizione agiografica di S. Regolo di Populonia », dans Il paleocristiano nella Tuscia. Atti del I convegno, Viterbo, Palazzo dei papi, 16‑17 giugno 1979, Viterbe, 1981 (Biblioteca di studi viterbesi 5), p. 107-130.

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dans cette tradition hagiographique, en affirmant que Cerbonio aurait été l’un des disciples africains de Regolo qui, après avoir reçu de ses mains l’ordination épiscopale, l’aurait accompagné dans son exil toscan. À la différence de son maître Regolo, Cerbonio aurait échappé providentiellement au martyre que le roi Totila lui avait réservé, puisque les ours affamés auxquels le souverain arien l’avait fait jeter auraient providentiellement refusé de le dévorer. Après avoir été élu contre son gré évêque de Populonia, Cerbonio aurait été finalement contraint par l’arrivée des Lombards de se réfugier avec ses clercs sur l’île d’Elbe. Sur son lit de mort, il aurait ordonné que son corps fût ramené à Populonia, afin de pouvoir être inhumé dans sa cité épiscopale. La Vita sancti Cerbonii, dont les premiers témoins manuscrits ne sont pas antérieurs au début du xiie siècle201, est certainement le fruit de la sédimentation de récits hagiographiques d’origine hétérogène202, ce qui signifie qu’elle s’inspire probablement de textes anciens qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Tel qu’il se présente toutefois aujourd’hui, son texte est néanmoins incontestablement tardif. Bien que l’historiographie ait longtemps estimé que sa version la plus ancienne aurait été mise par écrit durant la deuxième moitié du xe siècle ou encore pendant la première moitié du xie siècle203, Eugenio Susi a ainsi récemment démontré, de manière convaincante, que la Vita sancti Cerbonii développe des thématiques manifestement grégoriennes, ce qui l’a amené à proposer de la dater des années 1059-1080204. Dans ces conditions, force est donc de conclure qu’en l’état, la Vie de Cerbonio est un texte par trop tardif pour pouvoir attester d’un peuplement monastique sur l’île d’Elbe au vie siècle. Ce constat étant posé, il n’existe dès lors plus aucune trace d’un quelconque établissement monastique à Elbe, y compris même à l’époque féodale. Silio Scalfati avait d’ailleurs souligné, non sans pertinence, qu’à l’image de la Corse ou de la Sardaigne, cette île de 223 km2 était sans doute trop vaste et trop humanisée pour avoir pu fournir aux ascètes un milieu susceptible de répondre à leur soif de relegatio insularis205. Sans doute était-elle aussi trop grande et trop peuplée pour constituer un espace propice au requies, qui semble avoir été particulièrement prisé par les communautés monastiques en quête d’un lieu d’otium.

201. susi, « Africani, Celafori e “Saraceni”. I cicli agiografici populoniesi dall’alto Medioevo al XII secolo », cit., n. 221, p. 61-62. 202. P. conte, « Osservazioni sulla legenda di S. Cerbonio, vescovo di Populonia († 575) », Aevum, 52 (1978), p. 235-260 et susi, , « Africani, Celafori e “Saraceni”. I cicli agiografici populoniesi dall’alto Medioevo al XII secolo », cit., p. 26-33. 203. licciardello, « Agiografica latina dell’Italia centrale, 950-1130 », cit., p. 566-568. 204. susi, « Africani, Celafori e “Saraceni”. I cicli agiografici populoniesi dall’alto Medioevo al XII secolo », cit., p. 54-64. 205. S.P.P. scalfati, « Note sul monachesimo insulare tirrenico », Rivista italiana di studi napoleonici e dell’Elba, 15 (1978), p. 39-56, en particulier p. 44 et sodi, « Le origini del monachesimo insulare nell’Arcipelago Toscano », cit., p. 105-106.

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L’île de Montecristo Le cas de l’île de Montecristo est en revanche plus compliqué et mérite une approche un peu plus détaillée. D’une superficie de 10,4 km2, Montecristo est une île très montagneuse, dont les reliefs très pentus culminent à 645 m. d’altitude, tout en offrant un milieu en tous points propice au développement d’un établissement humain et donc d’une vie monastique. Située à plus de 60 km de la côte, elle dispose grâce à son altitude élevée d’une très grande visibilité et se présente au voyageur sous le jour spectaculaire d’une montagne surgie au milieu de la mer. Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait pu accueillir au haut Moyen Âge un établissement monastique, dont la plus ancienne attestation provient de l’une des lettres sur les communautés insulaires que le pape Grégoire le Grand écrivit en juin 591. Adressée à « tous les moines de l’île de Montecristo206 », elle leur annonçait l’arrivée prochaine de l’abbé Orose, que nous avons déjà vu sévir à Capraia. Sur un ton des plus vifs, le pape intimait aux moines de Montecristo l’ordre d’obéir à son envoyé qu’il avait chargé de redresser leur vie monastique dissolue : Il est parvenu à notre connaissance que vous n’observez aucun des préceptes de la règle monastique. Pour cette raison, nous nous voyons obligé de vous envoyer l’abbé Orose, porteur du présent ordre, pour qu’il fasse une enquête diligente sur toutes vos manières d’agir, qu’il décide ce qui lui semblera juste et nous rapporte ce qu’il aura réglé. Nous vous exhortons donc à lui prêter entière obéissance et à observer avec déférence tout ce qu’il aura établi, comme établi par moi-même207.

S’il n’existe aucune autre attestation au haut Moyen Âge de cette communauté monastique de Montecristo, une abbaye bénédictine dédiée à saint Mamilien est en revanche bien attestée pour l’époque féodale. L’important chartrier, aujourd’hui perdu, de cette abbaye a la particularité d’offrir une spectaculaire série de faux208, sur la base desquels les historiens ont été tentés d’attribuer à cet établissement des origines alto-médiévales, qui ne sont en réalité fondées que sur des forgeries. Une fois ces faux actes écartés, force est alors de constater que ce monastère n’apparaît dans la documentation que le 1er octobre 1118, dans un privilège par lequel le pape Gélase II assurait « Henri abbé du monastère Saint-Mamilien à Montecristo » de la protection de l’Église romaine, afin que « nul ne perturbe votre île […] et tout 206. Gregorius universis monachis in Christi Monte insula constitutis : grégoire le grand, Registre des lettres, I*, cit., I, 49, p. 216-217. 207. Pervenit ad nos nulla vos monachicae regulae praecepta custodire. Pro qua re compulsi sumus praesentis praecepti portitorem Orosium abbatem ad vos dirigere, ut omnia acta vestra subtiliter exquirens, quaeque ei recta fuerint visa disponat, et nobis quae ab eo fuerint ordinata renuntiet. Proinde admonemus ut omnem ei oboedientiam praebeatis, et quicquid disposuerit velut a me dispositum cum debita reverentia custodite : ibid., I, 49, p. 216-219. 208. S.P.P. scalfati, « Le notariat corse au Moyen Âge d’après les chartriers monastiques », Cahiers Corsica, 106-111 (1980), p. 21-44, en particulier p. 36 et sq. [rééd. dans S.P.P. scalfati, Corsica Monastica. Studi di storia e di diplomatica, Pise, 1992, p. 221-254, en particulier p. 240 et sq.] et idem, « Latin et langue vernaculaire dans les actes notariés corses xie-xve siècle », dans http ://elec.enc. sorbonne.fr/CID2003/scalfati.

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ce que votre monastère possède en Corse, en Sardaigne, à Pianosa et à Elbe209 ». Malgré un patrimoine relativement important, cette abbaye semble avoir connu d’importantes difficultés dès le début du xiiie siècle, ce qui amena la papauté à intervenir à plusieurs reprises, avant de la concéder en 1231/1232 à l’ordre de Camaldoli210. Montecristo demeura dès lors dans l’obédience des Camaldules jusqu’au milieu du xvie siècle, lorsque l’insécurité croissante amena ses moines à abandonner définitivement cette île par trop exposée aux raids barbaresques211. L’historiographie s’est traditionnellement attachée à établir une continuité entre la communauté mentionnée au vie siècle par Grégoire le Grand et l’abbaye SaintMamilien de Montecristo, en recourant au récit donné par la Vita Senzii (BHL 7581-7582), un texte composite qui nous est parvenu par l’intermédiaire de deux versions principales212. Selon cette Vie, qui appartient au cycle hagiographique toscan, le peuplement monastique de Montecristo trouverait ses origines dans le séjour de saint Mamilien et de son compagnon Senzio, qui auraient été contraints à s’y réfugier après avoir dû quitter leur Afrique natale en raison des persécutions des Vandales213. Après de longues pérégrinations, Mamilien et Senzio se seraient en effet installés à Montecristo, avec les moines Covuldo, Istochio et Infante. Mamilien y aurait chassé un dragon, qui avait trouvé asile dans une grotte, où il se serait alors installé pour mener une vie anachorétique avec ses compagnons. À la mort de Mamilien, son corps aurait été récupéré par les habitants de l’île voisine de Giglio qui seraient allés l’inhumer chez eux, ce qui aurait amené Senzio et les trois autres moines à venir s’établir à Giglio autour de la tombe de Mamilien, près de laquelle Covuldo, Istochio et Infante auraient été à leur tour inhumés. Senzio aurait en revanche poursuivi sa vie aventureuse sur le continent, où il aurait à son tour chassé un dragon d’une grotte de Blera, une petite localité de l’actuelle province de Viterbe, avant de s’y installer pour mener jusqu’à sa mort une vie anachorétique. Bien que l’historiographie ait longtemps daté la Vita Senzii de la période lombarde, Eugenio Susi a non seulement démontré que ce texte dépendait de la Passio sancti Reguli (BHL 7102-7105), dont l’historiographie reconnaît aujourd’hui qu’elle n’est pas antérieure à la période carolingienne, mais aussi et surtout qu’il n’a très vraisemblablement pas pu être rédigé avant la fin du xe siècle, sans doute autour de la cella de Santa Maria del Mignone, une communauté monastique du 209. […] Henrice abbas […] sancti Mamiliani in Monte Cristo monasterium […] ut insulam vestram nullus […] perturbet et universa in Corsica vel Sardinia, in Planusio vel Ilba vel alibi vestrum monasterium possidet : Annales Camaldulenses ordinis sancti Benedicti, éd. G.B. mittarelli et A. costadoni, Venise, 1755-1773, 9 vol., t. III, Appendix, no CLXXXVII, col. 274-275. 210. M.L. ceccarelli lemut, « La presenza monastica nella diocesi di Populania-Massa Maritima dalle prime attestazioni al XIII secolo », dans G. Bianchi et S. gelichi (éd.), Un monastero sul mare. Ricerche archeologiche a San Quirico di Populonia (Piombino, LI), Florence, 2016 (Biblioteca di Archeologia Medievale), p. 23-49, en particulier p. 25-26. 211. Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », cit., p. 85. 212. C. curti, « La “vita” di san Senzio di Blera », dans Atti del Convegno “Il paleocristiano nella Tuscia”. Viterbo, Palazzo dei Papi, 16‑17 giugno 1979, Viterbe, 1981 (Biblioteca di studi viterbosi 5), p. 23-42. 213. Vita sancti Sentii, dans Acta Sanctorum, Maii, VI, Anvers, 1688, p. 71-73.

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Latium située dans l’obédience de l’abbaye de Farfa214. Si la genèse de la Vita Senzii reste obscure, dans la mesure où ce texte est à l’évidence le produit de plusieurs traditions hagiographiques entremêlées, l’analyse critique montre toutefois que la Vie parvenue jusqu’à nous a été très probablement composée à l’époque féodale. En conséquence, elle ne peut donc servir de source crédible pour attester d’une occupation monastique de l’île de Montecristo durant le haut Moyen Âge. D’un point de vue archéologique, l’île de Montecristo a fait l’objet de plusieurs relevés au xixe siècle, ainsi que d’une étude récente de Riccardo Belcari, qui a pu y identifier les vestiges de trois sites ayant accueilli une occupation religieuse215. Le premier est celui de l’ancienne abbaye d’époque féodale, situé au nord-ouest de l’île à une altitude de 346 m. Encore relativement bien conservé, ce site accueille quelques bâtiments contemporains d’une église toujours en élévation, qui a pu être stylistiquement datée du xiie siècle. La prospection archéologique qui a pu être menée n’a permis d’identifier aucune trace sur ce site d’une construction antérieure. Plus bas et plus au sud s’étend le site de l’église Santa Maria alla Cala, dont il ne subsiste plus aucun mur en élévation. Cette église, entourée d’une aire productive où a été retrouvée une meule, semble pouvoir être aussi datée du xiie siècle et son site ne comporte non plus aucun signe d’une quelconque occupation antérieure. Le troisième site étudié par Riccardo Belcari est le plus intéressant. Il s’agit de la « grotte de saint Mamilien », située en contrebas de l’ancien monastère, à 500 mètres au nord. Cette grotte, qui a fait l’objet jusqu’à aujourd’hui d’une forte dévotion populaire liée au culte de saint Mamilien, est entourée par deux sites affectés à des fonctions productives, qui comportent en particulier les traces d’un ancien four et d’un moulin. L’analyse archéologique a permis d’identifier dans la grotte des aménagements liturgiques importants qui semblent pouvoir être, une nouvelle fois, datés stylistiquement du xiie siècle. Toutefois, il est notable que la grotte de saint Mamilien présente aussi les traces d’une phase de construction antérieure, marquée en particulier par l’utilisation de dalles de marbre et de cocciopesto, selon un style qui semble renvoyer à l’époque byzantine. Ces éléments restent cependant par trop impressionnistes pour dégager de réelles certitudes, même si l’hypothèse d’un aménagement liturgique d’époque tardo-antique ou alto-médiévale de cette grotte semble probable. L’ensemble du dossier permet donc d’identifier deux périodes d’occupation monastique de l’île, avec entre les deux une forte solution de continuité. La première est attestée par la lettre de Grégoire le Grand aux moines de Montecristo et pourrait peut-être être corrélée aux traces de constructions, sans doute d’époque byzantine, que Ricardo Belcari a pu identifier dans la grotte dite de saint Mamilien. La seconde n’est documentée qu’au début du xiie siècle, sous la forme d’une abbaye attestée 214. E. susi, « San Mamiliano eremita nelle fonti agiografiche dell’Alto Medioevo », dans A. gianni (éd.), Santità ed eremitismo nella Toscana medievale. Atti delle giornate di studio (11‑12 giugno 1999), Sienne, 2000, p. 11-28, en particulier p. 24 et idem, « Africani, Celafori e “Saraceni”. I cicli agiografici populoniesi dall’alto Medioevo al XII secolo », cit., p. 31-36. 215. Belcari, « Monachesimo insulare tirrenico. Fonti documentarie e attestazioni materiali a Montecristo e nelle altre isole dell’arcipelago toscano », cit., p. 85-93.

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aussi bien par l’archéologie que par le chartrier de cet établissement, qui permet de constater que ce monastère disposait alors d’un patrimoine relativement important en Sardaigne, en Corse, mais aussi dans les îles toscanes d’Elbe et de Pianosa216. Entre ces deux périodes, s’étend en revanche un silence documentaire d’environ cinq siècles, qui est d’autant plus marqué qu’il se retrouve aussi bien dans les sources écrites que dans la documentation archéologique. Sans doute, peut-on donc penser que l’île a fait l’objet d’une première occupation monastique, au plus tard au vie siècle, puis qu’elle a été abandonnée par ses premiers moines, probablement dès la période lombarde, avant de faire l’objet d’une opération de repeuplement à l’âge féodal.

* À l’heure de dresser un bilan du monachisme insulaire dans l’archipel toscan, il convient de souligner que ce milieu présente des caractéristiques géographiques qui le rendent profondément différent des îlots rocheux de la Ligurie. Alors que dans l’espace ligure, la superficie des îles se comptait en hectares, l’unité de mesure des îles toscanes est le kilomètre carré, ce qui change profondément les perspectives. L’espace insulaire toscan n’est pas celui du rocher aride posé dans la mer, où l’anachorète tardo-antique pouvait espérer trouver un désert situé en dehors des limites de l’œkoumène. Il s’inscrit au contraire dans un monde amène, riche en ressources naturelles, où de longue date les élites du monde romain avaient bâti leurs villas résidentielles pour y trouver l’harmonie et la quiétude nécessaires à l’otium. Si Rutilius Namatianus a pu se plaire à rédiger une satire de l’anachorétisme insulaire, en se gaussant de la relegatio insularis des moines de Capraia et de Gorgona, sa description purement littéraire des îles de l’archipel toscan, dont il n’avait probablement d’ailleurs qu’une connaissance lointaine, a peu à voir avec la réalité de ce milieu insulaire, qui était en réalité dominé par les riches villas maritimes que les élites romaines y avaient fait bâtir. C’est dans ce milieu, et non sur les rochers ligures, qu’apparurent les premiers véritables monastères insulaires, qui semblent s’être établis dans les riches villas que les élites romaines avaient fait édifier sur les îles, comme cela fut très probablement le cas à Capraia mais aussi à Gorgona, même s’il faut souligner qu’une vie communautaire n’est véritablement attestée dans cette dernière île qu’avec les lettres de Grégoire le Grand. Dans ce contexte, il est vraisemblable que la naissance de ces monastères ait relevé d’une initiative privée, qui aurait pu amener les propriétaires de ces résidences luxueuses à transformer leurs villas en monastères, s’engageant ainsi sur le chemin qu’Augustin avait tracé lorsqu’il était passé, après sa conversion, de l’otium philosophandi au christianae vitae otium217. C’est probablement dans cette logique qu’il faut interpréter le texte de Rutilius Namatianus sur Gorgona, dans la mesure où le jeune homme de haut rang 216. scalfati, « Le notariat corse au Moyen Âge d’après les chartriers monastiques », cit., p. 240. 217. A. sáncheZ caraZo, « San Augustín : un ejemplo de inculturación », Anuario de Historia de la Iglesia, 3 (1994), p. 123-141.

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et de grande fortune qui y menait une vie monastique ne constituait à l’évidence pas un nouveau Bonose, parti s’établir sur un rocher au milieu de la mer, mais a toutes les chances d’être en réalité l’heureux propriétaire de la villa résidentielle qui avait été bâtie sur cette île. La transformation de ces résidences aristocratiques en monastères s’inscrivait ainsi dans une profonde transformation du « style » de la distinction sociale, pour reprendre la terminologie de Peter Brown218, qui faisait des valeurs ascétiques le cœur du nouvel élitisme chrétien. Cette continuité entre les villas résidentielles des élites romaines et les nouveaux monastères des élites ascétiques chrétiennes explique aussi que ces moines ne se soient pas trouvés soustraits aux devoirs que leur imposait leur rang. Augustin s’était chargé de le rappeler à Eudoxe et aux frères de Capraia, en leur expliquant que le service de l’Église devait passer avant le requies propre à leur vie d’otium. La puissance militante de ces moines-aristocrates était en effet d’autant plus recherchée qu’elle s’inscrivait dans la mise en place des « chœurs des moines », ces établissements communautaires dont les prières collectives avaient une grande force propitiatoire, comme en témoigne le rôle qu’Orose attribuait à l’intercession des moines de Capraia dans le succès de l’expédition de Mascezel. En garantissant un requies propice à l’efficacité des prières monastiques, l’isolement maritime semble avoir assuré à ces monastères une sacralité toute particulière. Là encore, les îles toscanes, séparées de la côte par plusieurs dizaines de milles marins, n’ont pas grand-chose à voir avec les îlots ligures, dont la distance au continent se compte en centaines de mètres. Tout en restant situées sur les grandes routes maritimes, ces îles de l’archipel toscan offraient un cadre privilégié pour cette fuga mundi, dans laquelle un Rutilius Namatianus voyait un signe de misanthropie. L’isolement propre au monachisme insulaire s’exprimait peut-être aussi selon des degrés différents, comme pourrait en témoigner la pluralité des monasteria de l’île de Gorgona, dans la mesure où elle pourrait correspondre à un étagement des implantations monastiques sur les deux sites du Scalo et de la villa Margherita, peut-être révélatrice d’une hiérarchie interne dans la vie ascétique. Ainsi, bien que les sources ne nous permettent pas de saisir l’organisation interne de ces monastères italiens, force est donc de conclure que la documentation témoigne indiscutablement de la dimension très élitiste que portait ce nouveau monachisme insulaire.

conclusion Au terme de cette présentation générale du monachisme insulaire italien, il convient de tirer une première conclusion, d’ordre chronologique, en constatant qu’il n’existe aucune attestation d’une vie monastique insulaire antérieure à la lettre adressée en 375 par Jérôme à Rufin. La diffusion du monachisme insulaire semble avoir été en revanche rapide, comme en témoigne la multiplication de ses 218. P. Brown, Genèse de l’Antiquité tardive, Paris 1983 (éd. originale : Harvard, 1978).

i – les origines italiennes des déserts insulaires

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évocations dans le dernier quart du ive siècle, mais aussi l’attestation, à la fin des années 390, de communautés monastiques sur des îles, aussi bien à Capraia qu’à Pinetum, dont le site est incontestablement de type insulaire. Ces deux monastères accueillaient à la fin du ive siècle des communautés certainement déjà importantes, qui s’étaient aussi largement engagées dans un processus d’institutionnalisation, dont témoignent les rôles de supérieurs qu’y assumaient respectivement Eudoxe et Ursace, même s’ils ne disposaient pas encore d’un titre spécifique pour qualifier leur autorité. Le dossier étudié met ainsi en évidence la chronologie resserrée des premières attestations du monachisme insulaire, qui montre que ce nouveau mode de vie s’est diffusé en Italie en l’espace d’une seule génération. La deuxième conclusion est d’ordre quantitatif. S’il est évident que les limites de nos sources sont telles qu’il serait illusoire de croire que nous puissions être en capacité de recenser tous les monastères insulaires de la fin du ive siècle, il faut en revanche se garder de penser que leur diffusion ait pu être massive. L’analyse critique montre tout d’abord que la grande majorité des traditions construites par l’hagiographie s’avère sans fondement, à tel point qu’il semble possible de conclure que les îles ligures n’ont probablement jamais accueilli de véritable établissement monastique dans l’Antiquité tardive et même au haut Moyen Âge. Qui plus est, pour peu qu’elles apparaissent effectivement fondées, les évocations littéraires du monachisme insulaire renvoient en pratique toujours aux mêmes monastères. Le monastère de Capraia est ainsi mentionné par Orose, Augustin et Rutilius Namatianus, tandis que celui de Pinetum est évoqué par Rufin, Paulin de Nole et sans doute aussi Jérôme. Au-delà des formules rhétoriques, qui évoquent « les saints des îles » comme s’il s’agissait d’un phénomène de masse, la réalité des attestations documentaires plaide donc plutôt pour un phénomène d’ampleur limitée. La troisième conclusion que permet de tirer ce dossier est qu’une approche du monachisme insulaire impose de distinguer clairement le réel de ses représentations. D’un point de vue purement discursif, les pères de l’Église et les hagiographes ont posé la question du monachisme insulaire de manière très stéréotypée, en s’attachant à faire de l’île l’équivalent du désert oriental, afin d’y placer un anachorète qui, à l’exemple de Bonose ou de Martin, s’y serait aventuré dans l’espoir d’y trouver un espace comparable au désert oriental que leur proposait la Vie d’Antoine. Ce discours était d’autant plus efficace qu’il pouvait enraciner le monachisme dans la martyrologie, dans la mesure où, comme l’avait souligné Tertullien, l’île constituait, à l’égal de la mine ou de la prison, le symbole de la persécution des chrétiens. Lieu de martyre, l’île pouvait par conséquence devenir aussi un espace d’élection, comme l’illustre en particulier la correspondance de Jérôme, qui en avait tout à la fois fait l’image du désert le plus aride et celle du jardin d’Éden le plus voluptueux. Cette ambivalence, inhérente à la logique même de l’érémitisme insulaire, se retrouve aussi dans le séjour de Martin à Gallinara, dans la mesure où il est possible que le fondateur de Marmoutier ait été en réalité victime, dans le contexte de la persécution anti-nicéenne, d’une relegatio insu‑ laris que Sulpice Sévère aurait réinterprétée 40 ans plus tard, en lui donnant la forme d’un exil dans un désert insulaire. À la fin du ive siècle, le séjour sur une

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île conservait ainsi une évidente ambiguïté, comme en témoigne la condamnation en 398 du moine hérétique Jovinien à la relegatio insularis sur l’île de Bua, où il dut mener une vie qui pouvait sans doute, elle aussi, être aussi bien perçue comme une condamnation infamante que comme un exil érémitique au désert. L’analyse critique du dossier documentaire montre toutefois que la réalité du monachisme insulaire était bien éloignée du discours des pères de l’Église et des hagiographes. Il est certes possible, bien que nous n’ayons aucune certitude, qu’un certain nombre d’ascètes, attirés par le modèle de Bonose, aient pu se laisser tenter par les attraits d’une vie anachorétique sur les îlots continentaux de la côte ligure ou encore s’exiler sur l’une des nombreuses îles dalmates. Pour autant, force est de constater que chaque fois qu’elle peut se laisser saisir par les sources, qu’elles soient d’ailleurs historiques ou archéologiques, la réalité du monachisme insulaire ne renvoie jamais à une expérience anachorétique, mais à des communautés monastiques installées dans l’une des villas luxueuses que les grands propriétaires du monde romain s’étaient fait construire dans les îles. Un tel processus n’est certainement pas étranger au caractère très élitiste que devait prendre le monachisme insulaire : de la même manière que les villas maritimes édifiées dans les îles constituaient souvent les plus luxueuses des villas résidentielles des élites romaines, les communautés ascétiques qui s’y établirent furent les fondatrices des plus prestigieux des monastères occidentaux. Enfin, il est possible de tirer une quatrième conclusion, en mettant en évidence l’originalité du nouveau modèle de l’île-monastère que l’Occident latin était ainsi en train d’inventer. Le monachisme insulaire offrait en effet un type de vie ascétique qui associait la fuga mundi, propre à l’érémitisme insulaire, et l’otium aristocratique, dont les villas maritimes constituaient une parfaite expression. Il offrait ainsi à l’Occident une version élitiste du monachisme oriental, en lui donnant ce caractère aristocratique qui constitua la marque de fabrique du monde latin. Le maître mot de ce monachisme insulaire était celui de requies, version latine de l’hésychia grecque, qui pouvait s’exprimer dans le double caractère de l’île comme lieu d’exil et de volupté, en associant en un seul espace le désert des démons et le jardin d’Éden. Il engageait ainsi le monachisme occidental dans une logique de sacralisation spatiale, dans la mesure où l’inscription du monastère dans le monde insulaire permettait d’affirmer son élection particulière, comme Ambroise de Milan s’était en particulier attaché à le faire, en expliquant que sur le plan du salut l’île constituait un lieu intermédiaire entre le ciel et la terre. C’est pourquoi, il convient de conclure que les îles italiennes ont non seulement été le foyer de l’invention, dans le dernier quart du ive siècle, de l’île-monastère, mais aussi la source d’une sacralisation de l’espace monastique, qui devait trouver dans le premier quart du ve siècle un milieu propice à son développement, dans les îles qui s’étendaient au large du littoral provençal.

PARTIE II LES DÉSERTS INSULAIRES PROVENÇAUX ET LEURS PROLONGEMENTS RHODANIENS (Ve SIÈCLE)

L’

année 410 est considérée comme la date approximative de la naissance du monastère de Lérins1, une fondation que l’historiographie a pensé comme un événement-charnière dans la genèse du monachisme occidental. Cette césure est d’autant plus notable que l’année 410 correspond aussi à une rupture majeure dans l’histoire politique, celle du sac de Rome, dont l’importance dans le processus de « transformation du monde romain2 » n’est plus à souligner3. Le rapprochement entre la fondation de Lérins et le sac de Rome ne relève en effet pas d’une simple coïncidence, dans la mesure où la naissance du monachisme provençal n’est pas sans rapport avec la crise qui frappa l’Italie, lorsque les armées wisigothiques s’infiltrèrent dans la péninsule. Si nous avons pu voir que jusqu’aux toutes premières années du ve siècle, le monachisme avait connu un développement très rapide en Italie, en particulier sous sa forme insulaire, l’arrivée des Wisigoths semble avoir entrainé un brutal coup d’arrêt de cette dynamique. Après 410, il n’est de fait plus possible de trouver de nouveaux monastères insulaires en Italie, comme si les nouvelles fondations s’étaient désormais tournées vers une autre direction, en se déplaçant vers ce monde de quiétude que constituaient alors les riches littoraux qui bordaient l’espace provençal. Comme le soulignait Richard J. Goodrich, la naissance du monachisme provençal doit en effet être replacée dans le contexte de mutation géopolitique, qui bouleversa l’organisation de la société gauloise autour de l’année 4104. Alors que l’Italie sombrait dans une crise brutale, l’ensemble du monde latin connaissait des transformations majeures, en raison de l’arrivée des barbares dont les conséquences ne sauraient être sous-estimées5. Après que les barbares avaient franchi le Rhin, sans doute le 31 décembre 4056, la Gaule du Nord avait été ravagée par le déferlement des troupes germaniques, tandis que le pronunciamento de Constantin III avait laissé la Bretagne désarmée7. Dès 411, la péninsule 1.

2. 3. 4. 5. 6. 7.

La datation de la fondation de Lérins aux alentours de 410 a été introduite dans l’historiographie par J.-M. Besse, Les moines de l’ancienne France (période gallo‑romaine et mérovingienne, Paris, 1906 (Archives de la France monastique 2), p. 36, d’après L.-S. le nain de tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Tome douzième, Paris, 1712, p. 472-473, qui situait en réalité la fondation de Lérins entre 400 et 410. Pour une présentation de la discussion sur la date de fondation de Lérins, v. S. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, Rome, 1978, p. 30-40 et Y. codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, Mémoire inédit de dossier d’HDR, Université Côte d’Azur, 2019, p. 79-81. I. wood, « Transformation of the Roman World », Reallexikon der Germanischen Altertumskunde, 31 (2006), p. 132–134. J. liPPs, C. machado et P. von rummel (éd.), The Sack of Rome in 410 AD. The Event, its Context and its Impact, Wiesbaden, 2013 (Palilia 28). R.J. goodrich, Contextualizing Cassian. Aristocrats, Asceticism and Reformation in Fifth‑Century Gaul, Oxford, 2007 (Oxford Early Christian Studies). ward-Perkins, La chute de Rome. Fin d’une civilisation, cit. et heather, Rome et les barbares. Histoire nouvelle de la chute de l’Empire, cit. C. delaPlace, La fin de l’empire romain d’Occident. Rome et les Wisigoths de 382 à 531, Rennes, 2015, p. 130-131. M. kulikowski, « Barbarians in Gaul, usurpers in Britain », Britannia, 31 (2000), p. 325-345.

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ibérique était aux mains des Suèves, des Alains et des Vandales, tandis que les Wisigoths obtenaient en 416 un premier foedus, qui leur ouvrait les portes de la Novempopulanie et de l’Aquitaine8. Lorsqu’en 429 l’Afrique sombra à son tour sous les attaques des Vandales9, l’ensemble de l’Occident se trouva dès lors plongé dans un monde chaotique et insécure, à l’exception notable de la Provence, qui pouvait dans ce contexte faire figure d’îlot de sécurité et de prospérité. Divisée depuis la réforme administrative de Dioclétien en trois provinces, la Provence n’avait évidemment pas été totalement épargnée par les troubles, ni par les passages de troupes qui avaient marqué le premier quart du ve siècle. Comme en témoignent en particulier les nouveaux remparts dont ses villes s’entourèrent alors10, l’espace provençal fut aussi affecté par l’insécurité croissante. Devenue à partir de 408, le centre de l’empire gaulois mis en place par Constantin III, la Provence avait ainsi été envahie en 411 par les troupes d’Honorius, qui s’emparèrent d’Arles afin d’y capturer l’usurpateur11. L’année suivante, en 412, elle fut traversée par les Wisigoths, qui se chargèrent de débarrasser Honorius de l’usurpateur gaulois Jovinus, avant d’attaquer Marseille en novembre 41312. Toutefois, la portée de ces événements fut sans commune mesure avec les dévastations que connurent les autres provinces d’Occident et, après 413, la Provence connut une remarquable période de paix et de stabilité. Cette situation privilégiée permit à la Provence d’entrer alors dans une période que ses historiens ont pu considérer comme un véritable « âge d’or ». Celui-ci se concrétisa par le développement d’un brillant foyer culturel, peut-être même le plus important d’Occident, dont le rayonnement pouvait s’appuyer sur une économie dynamique, dont témoigne la prospérité que connaissaient alors ses grands ports de Marseille et d’Arles13. L’essor économique et culturel de la Provence se concrétisait aussi sur un plan administratif, puisque la cité d’Arles était devenue le siège de la préfecture des Gaules, qui y avait été peut-être transféré de Trêves dès la fin du ive siècle14, avec une autorité qui s’étendait théoriquement sur l’ensemble 8. delaPlace, La fin de l’empire romain d’Occident. Rome et les Wisigoths de 382 à 531, cit., p. 155-162. 9. Y. modéran, Les Vandales et l’Empire romain, Paris, 2014, p. 95-130. 10. M. heiJmans, « La mise en défense de la Gaule méridionale aux ive-vie siècles », Gallia, 63 (2006), p. 59-74 et M. heiJmans, « Les fortifications urbaines dans le sud-est de la Gaule », dans D. Bayard et J.-P. fourdrin (éd.), Villes et fortifications de l’Antiquité tardive dans le nord de la Gaule, Lille, 2010 (Revue du Nord, Hors-série 26), p. 57-73. 11. E. demougeot, « Constantin III, l’empereur d’Arles », dans G. Barruol (éd.), Hommage à André Dupont (1897‑1972). Études médiévales languedociennes, Montpellier, 1974, p. 83-125 [rééd : E. demougeot, L’Empire romain et les barbares d’Occident (ive‑viie siècle), Scripta varia, Paris, 1988 (Université Paris I, réimpressions 4), p. 171-214]. 12. delaPlace, La fin de l’empire romain d’Occident. Rome et les Wisigoths de 382 à 531, cit., p. 152-153. 13. P.-A. février, m. Batis, c. camPs, m. fixot, J. guyon et J. riser, La Provence des origines à l’an mil. Histoire et archéologie, Rennes, 1989 ; S.T. loseBy, « Marseille : A Late Antique Sucess Story », Journal of Roman Studies, 82 (1992), p. 45-70 et J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013. 14. M. heiJmans, « Une aubaine ambiguë pour Arles qui devient capitale des Gaules », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 74-76 et delaPlace, La fin de l’empire romain d’Occident, cit., p. 133-135.

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des Gaules, l’Hispanie et la Bretagne. L’attractivité de la cité d’Arles s’exerçait aussi sur un plan ecclésiastique, comme en témoigne la primatie sur les Églises gauloises que les papes reconnurent au cours du ve siècle à ses évêques15, qui parvinrent aussi à faire reconnaître leur autorité métropolitaine sur le sud de la province de la Viennoise. Ce contraste entre l’essor que connaissait l’espace provençal et la crise que traversait alors le reste de l’Occident romain constitue ainsi un élément majeur du contexte dans lequel se mit en place le monachisme provençal. Friedrich Prinz l’avait en particulier souligné, en considérant que le monachisme lérinien s’était développé en proposant un refuge pour des élites venues du nord de la Gaule, qui auraient été particulièrement impactées par les malheurs du temps16. Si cette question reste sujette à débat, il n’en demeure pas moins qu’il nous faut une nouvelle fois constater que le monachisme latin ne s’est pas développé dans les ruines du monde romain, mais dans les foyers les plus flamboyants de la civilisation tardo-antique occidentale. Dans les années 410, les élites ascétiques affluèrent vers la Provence, qui devint la terre d’élection du monachisme latin. Le ton fut donné par le préfet du prétoire des Gaules, Dardanus, qui se retira alors sur ses terres en faisant bâtir, près de Sisteron, une nouvelle « Cité de Dieu » (Théopolis), dans laquelle il mena une vie aussi ascétique qu’ostentatoire, dont témoigne l’inscription toujours conservée in situ qu’il fit graver aux portes de son domaine17. Les idéaux ascétiques se diffusaient ainsi en Provence et permirent l’arrivée sur les sièges épiscopaux provençaux d’une nouvelle génération de moines. En 407/408, le moine Héros, qui selon Prosper d’Aquitaine avait été un disciple de Martin18, fut élu évêque d’Arles, devenant le premier de la longue série des moines-évêques arlésiens19. En matière de vie monastique, Arles semble avoir toutefois peiné à rivaliser avec sa concurrente Marseille, qui bénéficiait alors de la haute stature aristocratique et du grand prestige ascétique de son évêque, le puissant Proculus. Déjà évêque lors du concile d’Aquilée de 381, Proculus ne mourut qu’entre 428 et 431, ce qui lui permit de diriger l’Église de Marseille pendant un demi-siècle, avec une autorité et un rayonnement reconnus de tous. Figure à l’évidence exceptionnelle, Proculus obtint, contre la tradition ecclésiastique, que le concile de Turin 15. L. Pietri, « L’église de Rome et la Provence : la primatie d’Arles », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 77-79. 16. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit., p. 47-58. 17. H.-I. marrou, « Un lieu-dit Cité de Dieu », dans Augustinus Magister, Congrès international augustinien, 21‑24 septembre 1954, Paris, 1954-1955 (Collection des études augustiniennes, Série Antiquité), 3 vol., t. I, p. 101-110 ; S. connolly, « Fortifying the City of God : Dardanus’ Inscription Revisited », Classical Journal, 102 (2007), p. 145-154 et J. guyon, « Un correspondant de Jérôme et d’Augustin créateur d’une “Cité de Dieu” en haute Provence », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 141-142. 18. […] Heros vir sanctus et beati Martini discipulus cum Arelatensi oppido episcopus praesiderat : ProsPer d’aquitaine, Epitoma Chronicon, éd. T. mommsen, Berlin, 1892 (MGH, Auctores antiquissimi 9), p. 341-499, ici 1247, p. 466. 19. E. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, Paris/ Toulouse, 1957, p. 190-191.

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lui concédât, sans doute vers 400, les pouvoirs métropolitains à titre personnel. Il put dès lors se soustraire à l’autorité de l’évêque de Vienne, chef-lieu de la province de Viennoise dont la cité de Marseille était normalement suffragante, mais aussi exercer sa supériorité sur les diocèses que ses disciples dirigeaient dans la Narbonnaise seconde20. Par ses ambitions et son intransigeance, Proculus s’était ainsi attiré de nombreuses et solides inimitiés au sein de l’épiscopat gaulois, mais il disposait en revanche du soutien des milieux ascétiques, dont il encouragea le développement dans sa ville, comme en témoigne la fraternitas marseillaise où, selon Paulin de Nole, l’ascète Martinien aurait trouvé refuge après avoir fait naufrage au large de Marseille21. Proculus jouissait d’ailleurs d’une excellente réputation dans les milieux monastiques, comme en témoigne Jérôme qui, depuis son monastère de Bethléem, avait recommandé en 411 à Rusticus, un jeune aristocrate gaulois qui venait de se convertir à Rome à l’état monastique, de partir suivre les enseignements du « saint et très savant évêque Proculus [qui] par ses conversations quotidiennes dirigera ta route22 ». Rusticus suivit les conseils de Jérôme et, après avoir quitté Rome pour Marseille, il fut ordonné prêtre par Proculus, avant de recevoir dans son école une formation qui lui permit de poursuivre une carrière ecclésiastique des plus prestigieuses, puisqu’il devint évêque de la métropole de Narbonne en 42723. À une date inconnue, mais sans doute comprise entre 415 et 419, le grand ascète Jean Cassien, qui disposait d’une belle expérience du monachisme oriental, puisqu’il avait en particulier vécu dans les monastères égyptiens, emprunta le même chemin que Rusticus. Il quitta lui aussi Rome, peut-être au lendemain du sac de 410, pour s’établir finalement auprès de Proculus à Marseille24. À la suite de Rusticus et Cassien, les élites ascétiques de l’Occident confluaient ainsi en Provence, comme en témoigne Prosper d’Aquitaine, lorsqu’il évoquait dans une lettre à Augustin d’Hippone « les nombreux serviteurs du Christ qui résident dans la ville de Marseille25 ». Fuyant l’Aquitaine passée aux mains des Wisigoths, 20. J.-R. Palanque (éd.), Le diocèse de Marseille, Paris, 1967 (Histoire des diocèses de France 1), p. 16-22 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1541-1544. 21. Martinianum suscipit fraternitas/ Tectoque apricat et cibo : Paulin de nole, Carmina, éd. f. dolveck, Turnhout, 2015 (Corpus Christianorum, Series Latina 21), Ad Cytherium, 310-311, p. 383 ; sur ce texte, v. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 4. Première partie : Sulpice Sévère et Paulin de Nole (393‑409). Jérôme, homéliste et traducteur des “Pachomiana”, Paris, 1997, p. 204-205. 22. […] sanctum doctissimumque pontificem Proculum […] cotidianisque tractatibus iter tuum dirigat : Jérôme, Lettres, t. VII, éd. J. laBourt, Paris, 1961 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 125, p. 114-134, ici p. 133 ; sur ce texte, v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 5, cit., p. 190-222. 23. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 212-214. 24. Jean cassien, Conférences, t. I, I‑VII, éd. E. Pichery, Paris, 20082 (Sources chrétiennes 42 bis), p. 19-23 ; O. chadwick, John Cassian, Cambridge, 19682, p. 32-36 ; C. stewart, Cassian, the Monk, Oxford, 1998, p. 15-16 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 430-437. 25. […] multi servorum Christi qui in Massiliensi urbe consistunt : ProsPer d’aquitaine, Epistola ad Augustinum, Paris, 1851 (Patrologia latina 51), col. 67-74, ici col. 67-68.

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Prosper s’était d’ailleurs lui aussi installé à Marseille. Il y retrouva son compatriote Paulin de Pella, qui était venu s’établir dans la solitude d’une maison qu’il possédait à Marseille, « dans cette ville où de nombreux saints m’étaient chers26 ». Sans doute Prosper et Pella y avaient-ils aussi rencontré le moine Leporius, qui après avoir dû quitter la cité de Trêves était venu s’établir à proximité de Cassien et de Proculus, où il fut contraint de se repentir pour avoir professé des opinions jugées hétérodoxes, avant d’être amené à se réfugier en Afrique27. Comme Peter Brown le constatait récemment, la présence autour de Proculus de ces religieux de renom avait ainsi fait de Marseille une ville de sancti28, qui était reconnue dans tout l’Occident comme l’un des principaux centres de diffusion de la culture ascétique dans le monde latin29. En s’installant en Provence, ces ascètes s’établissaient dans une province qui se considérait encore comme une terre d’apprentissage en matière de vie monastique. Si en ce début du ve siècle, les expériences ascétiques se multipliaient en Provence, ses élites souffraient toutefois de ne pouvoir disposer d’aucun établissement comparable aux grands monastères orientaux que décrivaient les grands textes qui, à l’exemple de l’Historia monachorum in Aegypto que Rufin avait traduite en latin autour de 40430, bénéficiaient d’un très fort écho dans le monde occidental. Pour la nouvelle génération d’ascètes qui se levait en Provence, la construction en Gaule de monastères de type oriental devint dès lors le défi majeur qu’il lui fallait relever. Pour ce faire, elle choisit largement de faire appel aux enseignements de Cassien, qui fit partager son expérience égyptienne à ses disciples et amis provençaux par les Institutions et les Conférences qu’il rédigea à leur intention, afin qu’ils puissent développer leurs projets de fondation monastique à la lumière du modèle que constituaient les monastères orientaux. Bien qu’elles se fussent établies dans les villes, ces élites ascétiques savaient, comme le leur avait appris Jérôme, que pour le vrai moine « la ville est une prison, la solitude un paradis31 ». Leur soif de solitude ne pouvant être étanchée que dans les déserts, les ascètes provençaux s’inspirèrent du chemin que les moines italiens de la génération précédente avaient tracé, en établissant leurs monastères dans les îles qui bordaient les rivages provençaux. C’est à ce processus d’établissement de l’ascétisme provençal en milieu insulaire, qui prit le relais des premières expériences italiennes, que sera consacrée cette deuxième partie qui nous amènera à

26. […] urbe quidem in qua plures sancti essent mihi cari : Paulin de Pella, Poème d’action de grâces et de prière, éd. C. moussy, Paris, 1974 (Sources chrétiennes 209), p. 92, v. 521. 27. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1150-1151. 28. Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme, cit., p. 413-416. 29. P. amargier, Marseille au ve siècle, Marseille, 1998 et B. lorenZato et O. Pety, Aux sources de l’Église de Provence. Île de Lérins, Arles, Marseille et Riez… Introduction aux pères de l’Église provençaux du ive au vie siècle, Aix-en-Provence, 2014. 30. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 317-386. 31. Mihi oppidum carcer est, et solitudo paradisus : Jérôme, Lettres, t. VII, cit., ep. 125, p. 121.

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étudier successivement les trois principales formes que put alors prendre le monachisme dans le sud-est de la Gaule. La première nous conduira à étudier les moines des îles d’Hyères, qui ont été longtemps très méconnus, dans la mesure où leur histoire n’avait pu être dressée qu’à travers les quelques évocations que les Conférences de Cassien en avaient données. Comme nous le verrons, l’archéologie permet aujourd’hui de reconsidérer totalement la question, ce qui nous permettra d’interpréter le monachisme des îles d’Hyères comme un établissement construit autour d’une double communauté, la première de type cénobitique et la deuxième, plus élitiste, de type anachorétique. Dans un deuxième temps, nous envisagerons le cas de Lérins, un monastère dont l’histoire est éclairée par une documentation exceptionnelle, qui a une importance majeure pour notre propos, dans la mesure où le monachisme lérinien a été considéré au haut Moyen Âge comme le modèle paradigmatique du monastère insulaire. Nous ouvrirons le dossier lérinien en commençant par les sources archéologiques, avant d’étudier les textes de Paulin de Nole, Hilaire d’Arles, Eucher, Fauste de Riez et Césaire d’Arles. Ce travail nous amènera à reconsidérer le monachisme lérinien du ve siècle, en y voyant un monastère en mutation, passant au cours du ve siècle d’une organisation en deux communautés à un monastère unique, de type cénobitique. Enfin, nous verrons comment le modèle lérinien a pu se développer dans la vallée du Rhône, en étudiant en particulier les communautés monastiques qui s’établiront à l’Île-Barbe ou dans l’île de la Cappe, sur les îles sédimentaires qui jalonnaient le cours de ce fleuve. En étudiant successivement les exemples de Marseille, Lyon, Vienne et Arles, nous verrons toutefois que, contrairement à ce que les historiens ont longtemps affirmé, les pères du sud-est de la Gaule se montrèrent très réticents à s’implanter en milieu urbain, ce qui témoigne de la force des aspirations érémitiques que nourrissaient les moines provençaux.

i – le douBle monastère des îles d’hyères Bien que le dossier documentaire sur les moines des îles d’Hyères puisse apparaître ténu, son apport est néanmoins fondamental pour la compréhension de la genèse du monachisme occidental. Cet établissement est en effet d’un intérêt majeur, tout d’abord en raison de sa précocité, puisque les sources y sont presque entièrement concentrées sur la première moitié du ve siècle, et d’autre part à cause de l’intérêt que peuvent présenter les données archéologiques, dont l’interprétation est susceptible d’ouvrir de nouvelles clefs de lecture des quelques textes dont nous pouvons disposer. C’est pourquoi, nous commencerons cette étude par une présentation du dossier archéologique des îles d’Hyères, qui a bénéficié d’une couverture importante et récente, grâce à la création d’un Parc national, dont le développement a permis la mise en place depuis les années 1980 d’importantes campagnes de fouilles. Dans un second temps, nous présenterons le petit dossier de textes sur les moines des îles d’Hyères, de Cassien à Ennode de Pavie, en

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passant par la Chronica Gallica de l’année 452. Enfin, nous nous attacherons à localiser les sites des deux établissements monastiques que la documentation permet d’identifier sur les îles d’Hyères, avant de faire porter l’étude sur la Conférence 18 que Cassien avait dédiée aux frères des îles d’Hyères, en proposant d’y voir le modèle théorique de la vie ascétique que les moines pouvaient y mener.

Les données archéologiques L’archipel des îles d’Hyères forme une petite chaîne d’îles et d’îlots continentaux, qui s’étend sur un axe longitudinal au large de la rade d’Hyères, à quelques milles marins seulement du littoral (fig. 9). Si la majorité de ces îles sont de très petite taille, trois d’entre elles ont toutefois une superficie suffisante pour leur permettre de recevoir un peuplement pérenne : Porquerolles (12,5 km2), le Levant (10 km2) et Port-Cros (6,5 km2). Dans l’Antiquité tardive, l’archipel comptait peut-être une île supplémentaire, dans la mesure où il n’est pas certain que le double tombolo, qui rattache aujourd’hui l’ancienne île de Giens au continent, en fermant la rade d’Hyères, ait été totalement achevé à cette époque32.

Toulon

Hyères

Giens

0

10 km

Porquerolles

Le Levant

Port-Cros

Figure 9 : Les îles d’Hyères.

32. L. long et C. vella, « Du nouveau sur le paysage de Giens au Néolithique et sur le port d’Olbia. Recherches sous-marines récentes devant l’Almanarre (Hyères, Var) », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 165-173.

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Les îles d’Hyères apparaissent dans la documentation avec les géographes grecs, qui les considéraient comme « les îles des Massaliotes »33. Dans les descriptions qu’ils ont pu laisser, les géographes grecs les définissaient comme les îles Στοιχάδες, autrement dit les îles « alignées », un nom que les marins phocéens ont sans doute dû leur donner, en raison de leur alignement longitudinal. Les auteurs romains reprirent ce terme, qu’ils transcrivirent en latin sous la forme de Stoechades, avant que Pline l’Ancien ne désigne chacune de ces îles par un nom propre, en les appelant Protée (« la première »), Mésée (« la médiane ») et Hypaea (« l’inférieure »), selon une toponymie qui semble respectivement correspondre aux actuelles îles de Porquerolles, Port-Cros et du Levant34. Cette désignation des îles montre qu’elles étaient alors perçues d’ouest en est, du point de vue des marins massaliotes, ce qui s’explique sans doute par le fait qu’elles ne disposaient originellement pas d’un peuplement permanent. Elles étaient d’abord et avant tout utilisées par les Massaliotes, qui en avaient fait des ports de mouillage et y avaient installé des postes de garde pour surveiller leurs routes maritimes. Les îles d’Hyères avaient été ainsi fortement intégrées dans l’aire de domination des Massaliotes, qui y avaient installé leurs sanctuaires en signe d’appropriation. La conquête romaine n’y changea rien : même si Olbia (Hyères) et son littoral furent rattachés par César à la cité d’Arles et à la province de Narbonnaise, les îles d’Hyères continuèrent à relever de la cité de Marseille, selon les témoignages de Strabon et de Tacite. Cette situation fut probablement durable et il est vraisemblable, même si nous n’en avons pas de preuve formelle, que les îles d’Hyères dépendaient toujours de la cité de Marseille durant l’Antiquité tardive35. Les îles d’Hyères ont fait l’objet d’un important programme archéologique entre 1984 et 1989, à l’initiative du Parc national qui s’était mis en place en 1963 sur la seule île de Port-Cros, avant de s’étendre dans les années 1970 sur l’île de Porquerolles. Les résultats de ces travaux, en particulier menés par Marc Borreani, Jean-Pierre Brun, Jean-Marie Michel et Michel Pasqualini, ont pu être complétés par des sondages menés en 1998. Ils ont ainsi permis de doter l’archipel d’une couverture archéologique conséquente, dont l’ampleur est sans commune mesure avec les quelques opérations que nous avons pu utiliser pour notre étude du monachisme sur les îles toscanes. De plus, les résultats de ces travaux ont été rendus

33. P. arnaud, « Les îles du littoral d’après les auteurs anciens. Géographie, structures descriptives, traditions littéraires », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence /Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 25-38, ici p. 30-31. 34. M. Bats, « Les îles d’Hyères chez les auteurs antiques », Travaux scientifiques du Parc national de Port‑Cros, 11 (1985), p. 83-87 et arnaud, « Les îles du littoral d’après les auteurs anciens. Géographie, structures descriptives, traditions littéraires », cit., p. 31-33. 35. J.-P. Brun et M. Pasqualini , « Au temps où les îles s’appelaient Stoechades », dans J.-P. Brun (éd.), Les îles d’Hyères, fragments d’histoire, Arles, 1997, p. 15-40, ici p. 29.

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aisément accessibles, grâce à la publication de nombreuses études de synthèse, qui offrent un tableau à jour du paysage archéologique des îles d’Hyères36. Si le matériel récolté permet de constater que ces îles ont fait l’objet d’une humanisation très ancienne, les premières attestations de peuplement n’apparaissent qu’à la fin de l’Âge du fer. D’ampleur limitée, elles sont pour l’essentiel concentrées sur l’île de Porquerolles, où un petit village de pêcheurs se mit en place à la fin du iie siècle avant J.C. sur le site de la Galère. Le début de notre ère fut toutefois marqué par une transformation de l’organisation du peuplement sur l’île de Porquerolles, qui se concrétisa par la disparition du petit village du site de la Galère et l’apparition, probablement simultanée, sous le site de l’actuel village de Porquerolles, d’un habitat groupé probablement important. Celui-ci perdura jusque dans l’Antiquité tardive, comme en témoigne la découverte dans le village de Porquerolles d’un important dépôt de céramique sigillée africaine, daté de la première moitié du ve siècle. Ce matériel constitue toutefois l’attestation la plus tardive de l’occupation de ce site, ce qui donne à penser qu’il a probablement dû être abandonné au haut Moyen Âge, avant d’être repeuplé à l’époque moderne37. L’historiographie a souvent proposé d’identifier ce site avec le toponyme de Pomponiana, que l’itinéraire d’Antonin, un texte composite dont l’état définitif est sans doute tardo-antique, définissait comme un portus38, mais cette hypothèse reste fortement discutée39. Durant le Haut-Empire, l’île de Porquerolles vit aussi se développer, à trois km au nord-est du village de Porquerolles, une villa établie

36. M. Borréani, L. chaBal, L. mathieu, J.-M. michel, M. Pasqualini et M. liPPmann-Provansal, « Peuplement et histoire de l’environnement sur les îles d’Hyères (Var) », Documents d’Archéologie Méridionale, 15 (1992), p. 391-416 ; M. Pasqualini, « Moines et monastères des îles d’Hyères », Provence Historique, 50 (1992), p. 162-170 ; M. Borréani, J.-M. michel et M. Pasqualini, « État des recherches archéologiques sur les îles d’Hyères, 1984-1986 », Travaux Scientifiques du Parc National de Port‑Cros, 15 (1993), p. 101-119 ; J.-P. Brun (éd.), Les îles d’Hyères, fragments d’histoire, Arles, 1997 ; idem, Carte archéologique de la Gaule, Le Var, 83/1, Paris, 1999, p. 478-486 ; M. Pasqualini, « Les îles d’Hyères (Var) », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 123-126 et J.-C. tréglia, « L’occupation des îles d’Hyères durant l’Antiquité tardive », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 127-135. 37. E. Pellegrino, « Le mobilier céramique du site de la rue de la Douane à Porquerolles (Hyères, Var), de l’époque augustéenne au ve s. apr. J.-C. », Bulletin archéologique de Provence, 33 (2009), p. 49-90 et idem, « Un dépôt de céramiques du début du ve s. apr. J.-C. sur le site de la rue de la Douane à Porquerolles (Hyères, Var) », dans M.Á. cau, P. reynolds et M. Bonifay (éd.), Late Roman Fine Wares. Solving Problems of Typology and Chronology. A Review of the Evidence, Debate and New Contexts, Oxford, 2011 (Roman and Late Antique Mediterranean Pottery 1), p. 175-182. 38. Itineraria Antonini Augusti et Burdigalense, éd. O. cuntZ, Leipzig, 1929 (Itineraria Romana 1), 505, 7-8, p. 81. 39. arnaud, « Les îles du littoral d’après les auteurs anciens. Géographie, structures descriptives, traditions littéraires », cit., p. 32-33.

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Notre-Dame Porquerolles

100 m 25 m

La Galère

0

2 km

Figure 10 : Les sites archéologiques antiques de l’île de Porquerolles.

sur l’actuel site de la plage de Notre-Dame, qui disposait d’une pars rustica relativement importante et de son propre mausolée40 (fig. 10).

Les données documentaires C’est donc dans un monde insulaire bien humanisé, où il faut toutefois distinguer l’île de Porquerolles, déjà bien peuplée, des îles de Port-Cros et du Levant, restées plus sauvages, que des moines vinrent s’établir au début du ve siècle. L’existence de cet établissement monastique ne nous est cependant connue que par quatre brèves mentions, dont les deux premières proviennent des Conférences que Jean Cassien écrivit dans la décennie 420, afin de faire connaître les enseignements des pères du désert égyptiens aux ascètes provençaux, qui souhaitaient s’inspirer de leurs expériences pour guider leur propre vie ascétique. Ces Conférences, qui venaient compléter les Institutions que Cassien semble avoir rédigées un peu auparavant, étaient organisées en trois groupes, adressés chacun à des dédicataires particuliers, pour lesquels Cassien avait rédigé une préface spécifique. Selon Cassien, le premier groupe de ses Conférences avait été à l’origine destiné à l’évêque Castor d’Apt, à qui il avait déjà dédié ses Institutions, afin qu’elles puissent régler la vie du cénobe qu’il souhaitait fonder dans son diocèse. 40. Brun, Carte archéologique de la Gaule, Le Var, 83/1, cit., p. 482-483.

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Toutefois, Castor étant décédé avant l’achèvement de son travail, Cassien expliquait qu’il avait décidé de dédier ce groupe de conférences au frère charnel et héritier de Castor, l’évêque Léonce de Fréjus, ainsi qu’à un certain Helladius qui souhaitait alors adopter « la sublime vie des anachorètes41 ». Cet Helladius dut n’avoir qu’une courte vie anachorétique, puisque Cassien devait l’évoquer de nouveau, dans la préface de sa troisième partie, en lui donnant le titre d’évêque. Depuis les travaux d’Owen Chadwick, l’historiographie considère que cet anachorète Helladius avait pris la succession de l’évêque Patrocle d’Arles, après que ce dernier avait été assassiné en 426, selon le récit que donne la chronique de Prosper d’Aquitaine42. Cette identification a une conséquence importante pour notre propos, puisqu’elle implique que le premier groupe des Conférences aurait été achevé au plus tard en 426. Par ailleurs, l’évocation dans la préface de ce premier groupe des Conférences du décès de l’évêque Castor implique qu’elle aurait été rédigée après les Institutions, que l’érudition situe de manière assez vague dans la première moitié des années 42043. Tous ces éléments peuvent donc nous amener à dater ce premier groupe des Conférences d’environ 425. Le deuxième groupe des Conférences de Cassien est dédié aux « frères saints » Honorat et Eucher, autrement dit aux moines des îles de Lérins. Dans la préface de ce deuxième groupe, Cassien annonçait qu’il devait aussi écrire un troisième et dernier groupe de conférences, dont il donnait une description, en signalant qu’il se composait de « sept autres conférences à envoyer aux saints frères qui se trouvent sur les îles Stoechades44 ». Cette mention, qui constitue notre plus ancienne attestation d’un peuplement monastique des îles d’Hyères, peut être assez précisément datée. Cette préface a tout d’abord été écrite après le premier groupe des Conférences, dont nous avons vu qu’il avait été achevé au plus tard en 426. Par ailleurs, elle a été nécessairement rédigée avant l’accession sur le siège épiscopal d’Arles d’Honorat, puisqu’elle ne lui donne que le titre de « frère ». Comme Honorat aurait succédé à Helladius d’Arles à la fin de l’année 427 ou au plus tard au tout début de l’année 42845, il peut sembler possible de dater ce second groupe des Conférences d’environ 426/427. La seconde mention des moines de l’île d’Hyères se trouve dans la préface du troisième groupe des Conférences que Cassien a effectivement dédiée, comme il s’y était auparavant engagé, aux « frères qui se trouvent sur les îles Stoechades ». Étant 41. […] anachoretarum instituta sublimia : Jean cassien, Conférences, t. I, cit., Préface, p. 80-83. 42. O. chadwick, « Euladius of Arles », Journal of Theological Studies, 46/2 (1945), p. 200-205 ; griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, cit., p. 191-193 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 969 ; cf. aussi P.-A. JacoB, « Helladius fut-il évêque d’Arles ? Quelques réflexions sur la lettre Ignotus quidem facie de Prosper d’Aquitaine », Provence historique, 51/204 (2001), p. 219-225. 43. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., p. 11. 44. […] septem aliae conlationes ad sanctos qui in Stoechadibus consistunt insulis emittendae sunt fratres : Jean cassien, Conférences, t. II, VIII‑XII, éd. E. Pichery, Paris, 20092 (Sources chrétiennes 54 bis), Préface, p. 186. 45. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, cit., p. 193, n. 16 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 1021.

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donné que Cassien donnait dans sa préface le titre d’évêque à Honorat, ce texte doit donc être postérieur à la fin de l’année 427, date présumée de son intronisation sur le siège épiscopal d’Arles. Comme par ailleurs Cassien y évoquait Honorat en des termes qui semblent montrer qu’il était encore vivant, il est probable que la préface du troisième groupe ait été écrite avant le décès du fondateur de Lérins. Survenue un 15 ou un 16 janvier, la mort d’Honorat doit très vraisemblablement être située en l’année 430, puisque la Vita Hilarii (BHL 3882) affirme qu’il était décédé après avoir exercé les fonctions épiscopales pendant deux années46. Ces considérations amènent donc à dater de 428/429 le troisième groupe des Conférences, dont la préface offre un tableau relativement développé des moines qui résidaient sur les îles d’Hyères, dont nous donnons ici une traduction renouvelée : Après avoir publié, avec l’aide de la grâce du Christ, dix conférences des pères à la demande des bienheureux évêques Helladius et Léonce, j’en ai dédié sept autres à l’évêque Honorat, bienheureux par son titre comme par son mérite, et au saint serviteur du Christ, Eucher. Je crois qu’il me faut maintenant vous en consacrer autant, ô Jovinien, Minervius, Léonce et Théodore, frères saints. Le dernier d’entre vous a fondé dans les provinces gauloises la sainte et excellente discipline des cénobites, avec toute la rigueur des antiques vertus. Quant aux autres, vous avez incité les moines par vos enseignements à non seulement rechercher tout d’abord la profession cénobitique, mais à avoir aussi soif de la sublimité anachorétique. Et parce que la parole des pères éminents constitue la trame de ces conférences et que toutes sortes de choses y sont ainsi définies, elles peuvent convenir à chacune des deux professions que vous avez fait fleurir par de grands bataillons de frères dans les régions d’Occident et jusque dans les îles. Elles pourront instruire ainsi pleinement, en fonction de la nature de leurs lieux de résidence et des exigences de leurs états, non seulement ceux qui endurent une louable obéissance, mais aussi ceux qui se sont retirés, non loin de vos maisons de cénobites, impatients de suivre la discipline anachorétique. Vous n’avez pas ménagé votre peine pour donner à ces derniers un apprentissage, qui les a préparés et exercés à embrasser plus facilement les préceptes et la formation des anciens, afin qu’ils reçoivent dans leurs cellules les auteurs des conférences avec ces livres de leurs conférences et qu’ils discutent en quelque sorte quotidiennement avec eux, en les interrogeant et écoutant leurs réponses. De cette manière, ils ne seront pas guidés par leur seule imagination dans cette voie difficile et presque inconnue en ce pays, mais s’accoutumeront plutôt à suivre la discipline anachorétique en marchant dans celle, tout aussi périlleuse, où ne manquent ni les nombreux chemins ni les exemples sans nombre de ceux qu’une tradition ancienne et le zèle d’une longue expérience ont instruits en toutes choses47.

46. honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, éd. P.-A. JacoB, Paris, 1995 (Sources chrétiennes 404), 9, 1, p. 106-107. 47. Emissis iuvante gratia Christi decem conlationibus patrum, quae exigentibus beatissimis episcopis Helladio ac Leontio utcumque digestae sunt, septem alias beato episcopo et nomine et meritis Honorato, sancto quoque famulo Christi Eucherio dedicavi, totidem et nunc vobis, o sancti fratres Ioviniane, Minervi, Leonti et Theodore credidi consecrandas. Posterior siquidem vestrum illam coenobiorum sanctam atque egregiam disciplinem in provinciis Gallicanis antiquarum virtutum

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Notre troisième source écrite sur les moines des îles d’Hyères provient de la Chronica Gallica de l’année 452. Ce texte constitue vraisemblablement une ébauche d’un texte annalistique, sans doute destiné à prendre la suite de la Chronique de Jérôme pour les années 379-452. Il semble qu’il ait été rédigé en Viennoise, peut-être à Marseille ou à Valence, au milieu du ve siècle48. Pour notre propos, il a l’intérêt de mentionner, à l’année 420, que « Honorat, Minervius, Castor, Jovinien, chacun père d’un monastère, suscitent l’admiration dans les Gaules49 ». Cette phrase nous permet de retrouver Minervius et Jovinien, deux des anachorètes des îles d’Hyères, que Cassien avait déjà mentionnés dans la préface du troisième groupe de ses Conférences. Le fait que la Chronica Gallica de l’année 452 affirme que chacun de ces ascètes était à la tête d’un monastère pourrait donner à penser que l’un d’entre deux a pu être le successeur ou le prédécesseur de Théodore, qui, selon Cassien, était à la tête des cénobites des îles d’Hyères. Quoi qu’il en soit, l’évocation dans ce texte de Minervius et Jovinien, qui se trouvaient associés à Honorat et Castor, autrement dit aux fondateurs de Lérins et du cénobe du diocèse d’Apt, pour lequel Cassien avait écrit ses Institutions, montre que les établissements des moines des îles d’Hyères faisaient partie des grands sites monastiques, dont la Provence pouvait alors s’enorgueillir. Le quatrième et dernier texte qui évoque les moines des îles d’Hyères est bien plus tardif, puisqu’il ressort de la Vita Epiphanii (BHL 2570), autrement dit de la Vie d’Épiphane, évêque de Pavie entre 466 et 496, qui fut écrite entre 501 et 504 par son disciple Ennode († 521)50. Ce texte affirme qu’après avoir rencontré le roi des Wisigoths Euric († 484) dans son palais de Toulouse, l’évêque Épiphane de Pavie aurait pris la route du retour et « visita en rentrant chacun des lieux peuplés districtione fundavit, ceteri vero non solum coenobialem professionem adprime monachos expetere, verum etiam anachotericam sitire sublimitatem vestris institutionibus provocastis. Ea namque conlationes istae summorum patrum disputatione contextae sunt et ita in omnibus temperatae, ut utrique professioni, qua non solum occiduas regiones, verum etiam insulas maximis fratrum catervis fecistis florere, conveniant ; id est ut non solum hi qui adhuc per congregationes laudabili subiectione perdurant, sed etiam illi qui haud longe a vestris coenobiis secedentes anachoretarum sectari gestiunt disciplinam, pro condicione locorum ac status sui mensura plenius instruantur. Quibus hoc praecipuum contulit praecedens vestri laboris industria, ut parati iam atque in isdem exercitiis deprehensi facilius praecepta seniorum atque instituta suscipiant, ipsosque in cellulas suas auctores conlationum cum ipsis conlationum voluminibus recipientes et cotidianis quodammodo cum eis interrogationibus ac responsionibus conloquentes non propriis adinventionibus arduam istam et incognitam ferme in hac regione adpetant viam, sed periculosam etiam illic, ubi iam tritissimi calles et innumera praededentium exempla non desunt, anachoreseos disciplinam illorum potius praeceptis,capere consuescant, quos in omnibus et antiqua traditio et longue experientiae instruxit industria : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8-9 (traduction fortement retouchée). 48. R.W. Burgess, « The Gallic Chronicle of 452 : A New Critical Edition with a Brief Introduction », dans R.W. mathisen et D. schanZer (éd.), Society and Culture in Late Antique Gaul. Revisiting the Source, Aldershot, 2001 (Society and Culture in Late Antique Gaul), p. 52-100. 49. Honoratus Minervius, Castor, Iovanius singulorum monasteriorum patres in Galliis florent : Burgess, « The Gallic Chronicle of 452 : A New Critical Edition with a Brief Introduction », cit., p. 76. 50. C. sotinel, « Les ambitions d’historien d’Ennode de Pavie : la Vita Epiphanii » dans La narrativa cristiana antica : codici narrativi, strutture formali, schemi retorici. XXIII Incontro di studiosi dell’antichità cristiana, Roma, 5‑7 maggio 1994, Rome, 1996, p. 586-605 ; C. Pietri et l. Pietri (éd.),

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de saintes habitations : les îles du milieu – les Stoechades – Lero et la plane Lerina qui nourrit de hautes montagnes51 ». Pour être très court, ce texte a toutefois l’intérêt de nous laisser supposer que le peuplement monastique des îles d’Hyères se serait au moins prolongé jusque dans le dernier tiers du ve siècle, même si les moines des Stoechades n’étaient sans doute plus alors à même de concurrencer les monastères de Lérins, qui jouissaient, comme le signale explicitement Ennode, d’un prestige bien supérieur. Parmi ces quatre textes, le seul qui soit en mesure de nous offrir quelques informations concrètes sur la vie des moines de l’île d’Hyères est la préface du troisième groupe des Conférences de Cassien. Il nous permet tout d’abord de constater que les îles d’Hyères devaient disposer d’une communauté monastique relativement importante, puisque Cassien affirme qu’elles accueillaient de « grands bataillons de frères ». Même si cette expression a une évidente fonction rhétorique, il n’en demeure pas moins qu’elle donne à penser que l’établissement des îles d’Hyères devait avoir une certaine ampleur. Selon le texte de Cassien, ces moines étaient dirigés par quatre frères, soit Jovinien, Minervius, Léonce et Théodore, mais les fonctions de ces supérieurs n’étaient pas identiques. Cassien affirme en effet que Théodore était en charge des cénobites, dont il avait vocation à garantir « la sainte et excellente discipline ». En revanche, Jovinien, Minervius et Léonce menaient une tout autre vie, car après avoir « recherché tout d’abord la profession cénobitique », ils s’attachaient désormais à bénéficier de « la sublimité anachorétique ». En d’autres termes, le texte de Cassien démontre que les îles d’Hyères accueillaient une double communauté, puisque Théodore dirigeait un cénobe, qui réunissait les frères qui « endurent une louable obéissance », tandis que Jovinien, Minervius et Léonce faisaient partie d’une communauté d’anachorètes, qui « se sont retirés non loin de vos maisons de cénobites », afin de pouvoir s’établir « dans leurs cellules ». Si une telle association de cénobites et d’anachorètes avait déjà été décrite dans la littérature latine pour le monde égyptien, par Sulpice Sévère et Jérôme, s’il nous a aussi été possible de supposer qu’une telle organisation aurait pu s’être mise en place dès la fin du ive siècle sur le site de Gorgona, ce texte de Cassien constitue sa véritable première attestation dans le monde occidental, ce qui lui donne une importance manifeste52.

Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 2, Italie (313‑604), Paris, 1999-2000, 2 vol., t. I, p. 639 et S. gioanni, « Hagiographie d’Italie (300-550). II. Les Vies de saints latines composées en Italie de la Paix constantinienne au milieu du vie siècle », cit., p. 398-407. 51. […] regrediens singula sanctorum habitationum loca visitavit : medianas insulas, Stoechadas, Lerum ipsamque nutricem summorum montium planam Lerinum adiit : ennode de Pavie, Vita Epiphanii, éd. F. vogel, Berlin, 1885 (MGH, Auctores antiquissimi 7), p. 84-104, ici 93, p. 95. 52. B. de vregille, « À propos d’un canon du nouveau code. La vie solitaire en symbiose avec une communauté », Collectanea cisterciensia, 50 (1988), p. 279-287, en particulier p. 280.

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La localisation des communautés monastiques des îles d’Hyères Où faut-il situer les communautés monastiques qui s’étaient établies dans les îles d’Hyères ? Jusqu’aux années 1990, les archéologues avaient privilégié la continuité, en estimant que les moines des Stoechades devaient s’être installés sur le site du monastère attesté pour la période féodale dans les îles d’Hyères. Cette conception pose toutefois problème, dans la mesure où elle se heurte à l’importante solution de continuité qui sépare les moines tardo-antique des Stoechades, dont il n’existe plus aucune trace après le vie siècle, du monastère attesté sur les îles d’Hyères au Moyen Âge central. Ce dernier établissement n’apparut en effet dans la documentation qu’avec une lettre d’Innocent III, datée du 15 juin 1198, par laquelle le pape informait l’archevêque d’Arles qu’il avait accepté de transférer aux moines cisterciens le monastère de « l’île d’Hyères » (insula Arearum), alors en possession de chanoines réguliers53. Le pape justifiait ce changement d’obédience en affirmant que « les moines cisterciens qui avaient jadis résidé dans l’île d’Hyères, ayant été emmenés en captivité par les Sarrasins parce que ce lieu est proche de la mer, l’avaient concédé à des chanoines réguliers54 ». Il poursuivait en expliquant qu’après avoir constaté « qu’en raison de la grande pauvreté de ces lieux, ceux-ci ne peuvent y développer ni les édifices, ni les possessions55 », les chanoines avaient souhaité restituer la possession de cet établissement aux moines cisterciens et avaient obtenu sur ce point l’accord de leur ordinaire, l’évêque de Toulon. Si ces éléments ne relevaient pas d’une reconstitution mémorielle, il pourrait donc être possible, en se fondant sur le récit d’Innocent III, de faire remonter l’installation des moines dans les îles d’Hyères au milieu du xiie siècle56, cette date constituant en tout état de cause le terminus ad quem de l’arrivée des moines cisterciens sur cet archipel. Après une première interruption et l’échec de l’installation d’une communauté de chanoines, la tentative de réinstallation d’une communauté cistercienne à la fin du xiie siècle sur l’île semble toutefois être restée à l’état de projet, puisqu’elle n’est connue que par la seule lettre d’Innocent III. Cet établissement semble d’ailleurs correspondre à la domus que possédaient les chanoines de l’Église de Toulon, selon une charte donnée le 8 juin 1268 par leur évêque Gauthier. Par cet acte, l’évêque de Toulon définissait en effet les prébendes des chanoines de son chapitre, en réservant à la mense commune des chanoines quelques revenus, parmi lesquels il mentionnait « tous les biens de la maison 53. Die Register Innocenz’III, I, Pontifikatsjahr, 1198/99, éd. O. hageneder et A. haidacher, Graz/ Cologne, 1964, no 224, p. 379. 54. […] cum olim in insula Aerarum fratres quidam Cistercienses fuerint commorati, eis a Sarracenis in captivitatem deductis, quia locus est mari vicinus, ad eam se quidam regulares canonici transtulere. 55. […] cum ipsi pre nimia paupertate locum ipsum nec edificiis possint nec possessionibus ampliare. 56. P. turc, « Le monastère des îles d’Hyères au xiie et xiiie siècles », Bulletin des amis du vieux Toulon, 113 (1991), p. 97-103 et C. caBy, « Les cisterciens et leurs îles : variations sur deux affaires provençales de la fin du xiie siècle », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 335-350.

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des îles qui sont actuellement en possession du chapitre de Toulon57 ». Comme il semble qu’aucun autre établissement que ce monastère des îles d’Hyères ne puisse correspondre à cette « maison des îles », il est probable que le projet de réintroduction des cisterciens avait ainsi fait long feu et qu’après avoir été définitivement abandonné par ses moines, qui n’ont visiblement pas réussi à s’implanter sur cette île désolée et exposée aux raids sarrasins, ce monastère soit resté en possession du chapitre de Toulon. Pour localiser ce monastère aujourd’hui disparu, les archéologues ont utilisé la carte de Cassini (1778), qui situe au nord de l’île du Levant, au lieu-dit du Castellas, les « ruines du monastère des moines noirs »58. Perché sur une crête rocheuse, à 50 mètres au-dessus de la mer, ce site présente en effet, sur un espace enclos de 850 m2, les ruines d’un ensemble fortifié qui pourrait correspondre à un monastère d’époque féodale. Si l’essentiel du site est constitué de murs très arasés, qui correspondent à des édifices dont la fonction est difficilement identifiable, l’un des bâtiments est toujours en élévation. Construit dans un bel appareil en pierres de taille, d’une surface au sol d’environ 150 m2, il est doté d’une chapelle à l’étage. Les fouilles menées sur ce site, entre 1967 et 1970, ont permis d’y trouver une dizaine de tombes, ainsi qu’un important mobilier des xiie-xiiie siècles. Il a aussi été possible de mettre au jour quelques tessons d’amphores et de lampes, datés de l’Antiquité tardive, mais ces fragments ont toutefois été retrouvés en nombre trop faible pour pouvoir témoigner d’autre chose que d’une simple fréquentation tardo-antique de ce site59. Ces données peuvent donc raisonnablement permettre d’identifier le site du Castellas de l’île du Levant avec le monastère de l’époque féodale. Pour autant, force est en revanche de conclure que la documentation écrite et archéologique n’offre aucun élément susceptible d’attester que cet établissement aurait pu prendre la suite d’un premier monastère d’époque tardo-antique. La mention sur la carte de Cassini d’un « ancien monastère » établi dans le massif des Mèdes, au nord de l’île de Porquerolles, offre en revanche une piste autrement plus intéressante. Ce toponyme correspond en effet à un site archéologique situé sur un replat, légèrement au nord de l’un des deux sommets de ce massif d’aspect très sauvage. Il comporte des ruines, encore partiellement en élévation, qui sont associées à des oliviers, dont la présence témoigne d’une ancienne 57. […] bona omnia domus insularum que nunc habet dictum capitulum Tholonense : Gallia christiana novissima. Histoire des archevêchés, évêchés et abbayes de France, 5, Toulon, éd. J.-H. alBanès et U. chevalier, Valence, 1911, no 230, col. 127-133, ici col. 128. 58. La carte de Cassini pour les îles d’Hyères est reproduite par http ://www.porquerolles-patrimoine.fr/ hdcass.html. 59. R. huBsch, « Recherches archéologiques sur l’île du Levant », Annales de la Société des sciences naturelles et d’archéologie de Toulon et du Var, 25 (1973), p. 43-56, ici p. 50 ; Carte archéologique de la Gaule, Le Var, 83/1, cit., p. 488 ; Pasqualini, « Moines et monastères des îles d’Hyères », cit., p. 183-186 et D. ollivier, « Le site du Castelas (île du Levant, Hyères). État de la recherche », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 143-148.

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occupation humaine. De premières fouilles, menées en 1964 par Albert Hesse, ont montré que ces ruines étaient celles de cases, tandis qu’un premier sondage effectué dans la case 2 a livré un matériel céramique, dont la datation était concentrée sur la première moitié du ve siècle60. En 1998, Jean-Christophe Treglia a mené une nouvelle opération archéologique sur le site, en effectuant un sondage dans la case 6, qui a confirmé la datation proposée par Albert Hesse, en mettant en évidence une période très courte d’occupation du site, centrée sur le premier quart du ve siècle61 (fig. 11).62 Établi sur un petit replat à 130 mètres d’altitude, dans un endroit difficile d’accès, ce site archéologique est fermé à l’est et au sud par des falaises qui tombent sur la mer. Il est entouré au nord par un mur d’1,5 m. de large formant une enceinte, tandis que le côté occidental est protégé par une double et forte muraille, qu’une poterne ouvre sur son seul chemin d’accès. L’espace délimité par les murailles d’enceinte occupe environ 600 m2, dont une partie devait sans doute être mis en culture, si l’on en juge par la présence de murs de soutènement, qui avaient été aménagés afin de délimiter un petit espace cultivable. À l’intérieur de l’enceinte, Jean-Christophe Treglia a pu identifier les restes de sept cases, bâties

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Case 2 Poterne

Case 4 Case 6

Case 5 Case 3

Case 1

Case 7 Sondage 0

10 m

Figure 11 : Le site archéologique des Mèdes62.

60. A. hesse, « Le village gallo-romain de Porquerolles », Cahiers ligures de préhistoire et d’archéologie, 14/1 (1965), p. 90-99. 61. J.-C. treglia, « L’occupation des îles d’Hyères durant l’Antiquité tardive », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 127-132. 62. D’après treglia, « L’occupation des îles d’Hyères durant l’Antiquité tardive », cit. p. 129, fig. 3.

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avec un appareil grossier constitué en moellons de schiste, qui ont chacune une superficie de 30 à 40 m2. Si la majorité de ces cases semble n’avoir comporté qu’une seule pièce, deux ou trois sont manifestement doubles. Si ce site avait tout d’abord été considéré comme un habitat fortifié en hauteur, dans lequel les archéologues avaient pu voir un signe de l’insécurité des temps, Jean-Pierre Brun avait proposé, dans un article remarquable paru en 1993, d’interpréter ces cases comme des cellules monastiques, en les mettant en relation avec le site anachorétique évoqué par Cassien63. Bien que cette interprétation ait pu originellement susciter des réserves, elle s’est progressivement imposée et a été confortée par les nouvelles fouilles que Jean-Christophe Treglia a réalisées en 1998. Reprenant le dossier dans un article paru en 2003, Jean-Christophe Treglia avait conclu que l’hypothèse d’un monastère semblait cohérente et en tout cas bien mieux fondée que celle d’un habitat fortifié, en invoquant le caractère très retiré du site, son occupation limitée à la seule première moitié du ve siècle, l’exiguïté des lieux, la dispersion des cases et leur aspect très fruste64. Dans cette perspective, le site des Mèdes pourrait être apparenté aux habitats anachorétiques égyptiens, à l’exemple de ceux qui ont pu être identifiés à Naqlun, à Esna et aux Kellia, dans lesquelles les cellules monastiques sont regroupées en « ermitages », autrement dit en petites agglomérations, dont la structure témoigne d’une organisation de la vie anachorétique sous la forme de laures65. Même si le dossier ne permet pas de trancher avec une absolue certitude, force est toutefois de conclure que les arguments en faveur d’un site monastique sont importants. Ceux-ci sont tout d’abord chronologiques, puisque les deux sondages menés en 1964 et 1998 n’ont identifié qu’un seul niveau d’occupation, centré sur le premier quart du ve siècle. Or, une telle datation peut sembler par trop précoce pour interpréter le site comme un habitat perché, dans la mesure où si ce type de peuplement est attesté dès le ive siècle dans le nord de la Gaule66, les travaux de Laurent Schneider ont montré qu’il semble ne pas s’être développé dans la Gaule méridionale avant la fin du ve ou le début du vie siècle67. De plus, le caractère très grossier 63. J.-P. Brun, « Les ruines des Mèdes à Porquerolles : village de l’Antiquité tardive ou ermitages paléochrétiens ? » Annales de la Société des sciences naturelles et d’archéologie de Toulon et du Var, 45 (1993), p. 113-122 et idem, Carte archéologique de la Gaule, Le Var, 83/1, cit., p. 485-486. 64. J.-C. treglia, « L’occupation des îles d’Hyères durant l’Antiquité tardive », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 127-132. 65. W. godlewski, « Monastic Architecture and its Adaptation to Local Features (Egypt) », dans O. delouis et M. mossakowska-gauBert (éd.), La vie quotidienne des moines en Orient et en Occident (IVe‑xe siècle), vol. I, L’état des sources, Le Caire/Athènes, 2015 (Bibliothèque d’étude 163), p. 3-21. 66. S. chaBert et D. martineZ, « Les établissements perchés de l’Auvergne (ive-viie s. apr. J.-C.). De nouvelles formes d’habitat groupé », Gallia, 74/1 (2017) [Agglomérations, vici et castra du Nord de la Gaule entre Antiquité tardive et début du haut Moyen Âge], p. 289-306, en particulier p. 295. 67. L. schneider, « Oppida et castra tardo-antiques. À propos des établissements de hauteur de Gaule méditerranéenne », dans Les campagnes de la Gaule à la fin de l’Antiquité, Actes du colloque AGER IV, Montpellier, 11‑14 mars 1998, Antibes, 2001, p. 433-448 et idem, « Cité, castrum et “pays” : espace et

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des murs des cases du site des Mèdes semble davantage s’apparenter à un habitat monastique en cellules qu’aux maisons maçonnées et couvertes de tuiles, qui se retrouvent dans les habitats perchés de la Gaule méridionale, à la fin de l’Antiquité ou du début du Moyen Âge. D’autres arguments peuvent aussi être invoqués, à commencer par la tradition locale, qui avait interprété ce site comme un monastère, si l’on en juge en tout cas par la carte de Cassini. Surtout, il est notable que ce site soit à tout point de vue cohérent avec la description que Cassien avait pu donner de la communauté anachorétique des Stoechades, tant par sa chronologie que par son organisation en cases dispersées, qui ont manifestement l’apparence de cellules, même si d’autres interprétations restent toutefois possibles. Si l’on retient donc l’hypothèse, bien étayée à défaut d’être certaine, qui identifie le site des Mèdes avec le monastère des anachorètes que Cassien avait situé sur les îles d’Hyères, il reste à trouver le monastère des cénobites que dirigeait Théodore. Pour cela, il faut regarder dans les environs du site des Mèdes, puisque Cassien affirme que les anachorètes auraient bâti leurs cellules « non loin de vos maisons de cénobites », ce qui suppose que les deux établissements aient été proches. Vu la géographie de l’île et les données archéologiques, il n’existe en pratique qu’un seul site qui soit susceptible de correspondre à ces données, celui de la villa maritime située sur l’actuelle plage Notre-Dame. Les données archéologiques montrent qu’à l’époque tardo-antique, cette villa du Haut-Empire constituait toujours un centre résidentiel et domanial important, avec des annexes étendues, puisque ses traces d’occupation perdurent jusqu’à la fin du ve siècle68 (fig.  12). L’hypothèse que cette résidence aristocratique aurait pu accueillir un peuplement monastique semble d’autant plus cohérente que les exemples de Capraia et Gorgona nous ont montré que les premières communautés monastiques insulaires étaient usuellement installées autour des villas maritimes, que les élites romaines avaient installées en bord de mer. Dans cette hypothèse, il faudrait donc situer le monastère cénobitique de Théodore sur le site de Notre-Dame, tandis que le monastère des anachorètes, dirigé par Jovinien, Minervius et Léonce, l’aurait surplombé, en étant établi à 1,5 km plus au nord, sur le site des Mèdes. Une telle organisation serait là aussi cohérente avec ce que nous connaissons par ailleurs du monachisme insulaire territoires en Gaule méditerranéenne durant le haut Moyen Âge : L’exemple de la cité de Nîmes et du pagus de Maguelone (ve-xie s.) », dans P. cressier (éd.), Castrum 8, Le château et la ville. Espaces et réseaux (vie‑xiiie siècle), Madrid/Rome 2008 (Casa de Velázquez 108 ; Collection de l’École française de Rome 105/8), p. 29-69, en particulier p. 38-45 et idem, « De la fouille des villages abandonnés à l’archéologie des territoires locaux. L’étude des systèmes d’habitat du haut Moyen Âge en France méridionale (Ve-Xe siècles) : nouveaux matériaux, nouvelles interrogations », dans J. chaPelot (éd.), Trente ans d’archéologie médiévale en France : un bilan pour l’avenir, IXe Congrès international de la Société d’archéologie médiévale, Vincennes, 16‑18 juin 2006, Caen, p. 133-161, en particulier p. 138. 68. J.-C. treglia, « L’occupation des îles d’Hyères durant l’Antiquité tardive », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 127.

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Les Mèdes

Notre-Dame Porquerolles

100 m 25 m

0

2 km

Figure 12 : Les sites archéologiques de Porquerolles durant l’Antiquité tardive.

tardo-antique. Elle paraît en particulier très semblable à celle des monasteria de l’île de Gorgona, qui semblent s’être eux aussi établis dans une logique bipolaire, avec peut-être aussi une villa littorale accueillant une vie communautaire en bord de mer et un site perché surplombant ce premier monastère. Cette proximité des deux communautés supposait d’évidents liens organiques, dont témoigne sans doute aussi l’absence d’une église sur le site des Mèdes. Cette situation pourrait en effet montrer que les anachorètes devaient utiliser pour la synaxe celle des cénobites, sans doute établie sur le site de Notre-Dame.

La troisième série des Conférences de Cassien comme source de la vie monastique des îles d’Hyères Il semble possible de mieux comprendre l’organisation des moines des îles d’Hyères, si l’on accepte d’interroger dans cette perspective les sept conférences que Cassien leur avait dédiées. Comme l’a montré Adalbert de Vogüé, les trois groupes des Conférences s’organisent en effet autour de thématiques bien définies69, dont il semble par ailleurs possible de considérer qu’elles ne sont pas sans 69. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 6. Première partie : le monachisme latin. Les derniers écrits de Jérôme et l’œuvre de Jean Cassien (414‑428), Paris, 2002, p. 109-439.

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rapport avec le mode de vie de leurs destinataires. Le premier groupe, qui traite pour l’essentiel de la vie anachorétique que menaient les pères égyptiens du désert de Scété et des Kellia, était ainsi dédié à deux ascètes. Le premier d’entre eux peut être identifié avec l’évêque Léonce de Fréjus, qui avait été à l’origine de l’installation d’Honorat sur l’archipel de Lérins, tandis que le second, du nom d’Helladius, était un moine sur lequel nous ne disposons que de très peu d’informations70, mais dont Cassien affirmait qu’il pourrait tirer le plus grand profit de la lecture de ces conférences, puisqu’il avait la volonté d’imiter « la sublime vie des anachorètes ». Le deuxième groupe, adressé aux « frères saints » Honorat et Eucher, évoquait plus particulièrement l’expérience des pères égyptiens qui s’étaient installés sur les îles du delta du Nil, sans doute parce que leur mode de vie insulaire devait offrir un miroir évident aux premiers pères de Lérins. Enfin le troisième groupe, dédié « à chacune des deux professions » des moines des îles d’Hyères, illustrait les perspectives que Cassien avait introduites dans la préface qu’il avait rédigée pour cette partie, puisqu’elle était pour l’essentiel consacrée aux relations entre l’anachorétisme et le cénobitisme. Bien que Cassien ait affirmé dans sa préface qu’il adressait cet ensemble de sept conférences aux deux types de moines des îles d’Hyères, il semble les avoir plus particulièrement écrites pour les anachorètes, puisqu’il avait terminé sa préface en souhaitant à ses correspondants de recevoir, par l’intermédiaire de cette lecture, « les auteurs des Conférences dans leurs cellules71 ». En ayant sollicité puis obtenu de Cassien qu’il leur adressât ces conférences, les anachorètes des îles d’Hyères le reconnaissaient en tout cas comme leur maître spirituel, ce qui signifie que ses enseignements devaient guider leur style de vie ou du moins leur offrir un éclairage susceptible de lui donner son plein sens spirituel72. Un tel constat peut donc nous permettre de concevoir légitimement ces sept conférences comme une source majeure du projet monastique mené sur les îles d’Hyères, dans la mesure où, étant spécifiquement consacrées aux relations entre cénobitisme et anachorétisme, elles avaient précisément pour but d’expliquer les fondements théoriques du monachisme bipolaire, qui organisait le mode de vie de ces ascètes. Dans cette perspective, il faut accorder une importance toute particulière à la conférence 18, qui ouvrait la troisième partie des Conférences et en donnait le ton général. Cassien y avait évoqué le voyage qui l’avait amené, accompagné de son ami Germain, à séjourner à Diolcos, dans le delta du Nil. Il avait alors pu bénéficier de l’enseignement de l’abbé Piamun, un fameux anachorète qui lui avait

70. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. I, p. 969. 71. […] in cellulas auctores conlationum : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8-9. 72. G. filoramo, « Aspetti della direzione spirituale in Giovanni Cassiano », dans C. Badilita et A. JakaB (éd.), Jean Cassien, entre l’Orient et l’Occident. Actes du colloque international organisé par le New Europe College en collaboration avec la Ludwig Boltzmann Gesellschaft (Bucarest, 27‑28 septembre 2001), Paris, 2003, p. 133-146.

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expliqué, dans un passage très célèbre, qu’il existait trois différentes espèces de moines en Égypte : Il existe en Égypte trois espèces (genera) de moines. Deux sont excellentes ; la troisième est tiède et doit absolument être évitée. La première est celle des cénobites (coenobiotae), c’est-à-dire de ceux qui vivent ensemble dans une communauté, sous le gouvernement et le pouvoir d’un ancien ; ils sont répandus par toute l’Égypte et le nombre en est fort grand. La deuxième est celle des anachorètes, qui, après avoir été formés dans les cénobes et y avoir mené une vie monastique aboutie, ont préféré le secret de la solitude. C’est à cette catégorie que nous souhaitons d’appartenir. La troisième, qui mérite le blâme, est celle des sarabaïtes73.

Ce texte, qui devait jouer un rôle fondamental dans la tradition monastique occidentale, puisqu’il fut largement repris par la Règle du Maître puis par la Règle de saint Benoît, s’inspirait pour l’essentiel de la description des moines égyptiens que Jérôme avait brossée en 384, alors qu’il séjournait à Rome auprès du pape Damase, dans le cours de sa fameuse lettre 22 sur la virginité qu’il avait alors adressée à Eustochium74. S’attachant à proposer au monde latin un idéal de vie religieuse fondé sur le modèle des moines égyptiens, Jérôme avait dressé un tableau du monachisme égyptien qui ne doit pas faire illusion, dans la mesure où les historiens du monachisme oriental ont montré qu’il avait fortement retouché la réalité égyptienne75. Jérôme n’évoquait en effet le monachisme égyptien que pour affirmer l’autorité d’un modèle, qu’il s’attachait en fait à repeindre pour lui donner les couleurs de la vie monastique qu’il souhaitait voir se développer dans le monde latin : Il y a en Égypte trois espèces de moines. Le cénobe, nommé sauhes dans la langue du pays, et que nous pouvons appeler « ceux qui vivent en commun » (in commune viventes) ; les anachorètes qui habitent seuls, parmi les déserts et qui doivent leur nom à ce qu’ils se sont retirés loin des hommes. La troisième espèce est celle qu’ils dénomment remnuoth ; détestable et négligée, elle n’en est pas moins, dans notre province, seule et prépondérante76.

73. Tria sunt in Aegypto genera monachorum, quorum duo sunt optima, tertium tepidum atque omnimodis evitandum. Primum est coenobiotarum, qui scilicet in congregatione pariter consistentes unius senioris iudicio gubernantur ; cuius generis maximus numerus monachorum per universam Aegyptum commoratur. Secundum anachoretarum, qui prius in coenobiis instituti iamque in actuali conversatione perfecti solitudinis elegere secreta : cuius professionis nos quoque optamus esse participes. Tertium reprehensibile Sarabaitarum est : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 4, p. 14. 74. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1, cit., p. 288-325 et molinier, Soliude et communion, cit., Tome II. Fuite du monde et vie communautaire, p. 128-141. 75. wiPsZycka, « Il monachesimo della Tebaide », cit. 76. Tria sunt in Aegypto genera monachorum : cœnobium quod illi sauhes gentili lingua vocant, nos « in commune uiuentes » possumus appellare ; anachoretae, qui soli habitant per deserta et ab eo quod procul ab hominibus recesserint nuncupantur ; tertium genus est quod dicunt remnuoth ; deterrimum atque neglectum, et quod in nostra provincia aut solum aut primum est : Jerôme, Lettres, cit. t. I, ep. 22, 34, p. 149 ; trad. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique première partie : le monachisme latin, 1, cit., p. 292.

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Sous couvert d’une description des moines d’Égypte, Jérôme s’attachait tout d’abord, dans ce passage de sa lettre à Eustochium, à dénoncer les moines gyrovagues, auxquels il faisait endosser les habits des mauvais remnuoth égyptiens77. Soucieux de condamner ceux qui « habitent ensemble à deux ou trois ou guère davantage, vivant à leur guise et dans l’indépendance78 », il donnait en modèle les cénobes égyptiens, dont il faisait le préalable nécessaire aux autres formes de la vie monastique, puisqu’il affirmait que les anachorètes égyptiens n’étaient partis dans le désert qu’en « sortant des cénobes » (de coenobiis exeuntes79). Ce faisant, Jérôme forçait beaucoup le trait, puisque les spécialistes du premier monachisme oriental estiment aujourd’hui que les moines égyptiens n’avaient en réalité jamais considéré que la vie anachorétique devait avoir été nécessairement précédée par une période probatoire dans un cénobe, comme cela était en revanche le cas en Palestine80. Fort toutefois de l’autorité de Jérôme, ce jugement eut néanmoins une fortune historiographique considérable dans l’Occident. L’autorité dont la lettre à Eustochium devait bénéficier chez les moines du monde latin amena les ascètes occidentaux à se persuader que les pères du désert égyptiens avaient effectivement considéré que l’anachorétisme devait nécessairement constituer le prolongement de la vie en cénobe. Le monachisme latin se construisit dès lors sur l’idée que les moines ne pouvaient s’initier à la vie ascétique qu’en prêtant « un pacte préalable d’obéissance aux supérieurs81 », autrement dit en acceptant le joug de l’obéissance qui caractérisait la vie cénobitique. Tout aspirant à la vie monastique devait ainsi entrer, au moins dans un premier temps, au sein du chœur de « ceux qui vivent en commun » (in commune viventes), selon une expression dérivée des Actes des Apôtres (Ac 2, 44), qui permettait à Jérôme d’assimiler la vie cénobitique à la communauté apostolique de Jérusalem82. Dans sa conférence 18, Cassien se situait donc dans la tradition ouverte par Jérôme, lorsqu’il soulignait que l’obéissance et la vie commune devaient être un préalable obligatoire à toute forme de vie anachorétique. Subordonnant manifestement son expérience concrète du monachisme égyptien au modèle théorique que Jérôme en avait dressé, Cassien n’hésitait pas à tordre la réalité. Il se plaçait ainsi dans la continuité des opinions qu’il avait développées dans le livre 5 de ses Institutions, lorsqu’il avait affirmé que les moines des cénobes égyptiens ne se permettaient de vivre selon « un autre degré, considéré comme plus excellent, celui des anachorètes83 », qu’après avoir pu bénéficier d’une longue expérience de l’obéissance cénobitique. 77. B. caseau, « L’image du mauvais moine : les remnuoths et les sarabaites de Jérôme et de Cassien », Recueil des travaux de l’Institut d’études byzantines, 46 (2009), p. 11-25. 78. Hi bini vel terni nec multo plures simul habitant suo arbitratu ac dicione viventes : Jerôme, Lettres, cit. t. I, ep. 22, 34., p. 149. 79. Ibid., 34, p. 149. 80. wiPsZycka, « Il monachesimo della Tebaide », cit., p. 20. 81. Prima apud eos confœderatio est obœdire maioribus : Jerôme, Lettres, cit. t. I, ep. 22, 35, p. 150. 82. Ac. 2, 44 : omnes etiam qui credebant erant pariter et habebant omnia communia. 83. […] alium quoque ordinem, qui excellentior habetur, id est anachoretarum : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 5, 36, 1, p. 246-247.

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La conférence 18 était largement consacrée à ce point, puisque Cassien s’attachait à y souligner que ce n’était qu’après avoir reçu une longue formation cénobitique, leur permettant « d’acquérir à la fois la vertu d’humilité et celle de nudité et être complètement purgés de leurs vices, que [les moines égyptiens] s’enfoncent dans les profondes retraites du désert, pour y affronter les démons en des combats terribles84 ». Une telle conception était devenue courante en Occident, puisqu’elle avait été déjà développée par Jérôme, mais aussi par Sulpice Sévère, qui avait lui aussi affirmé, dans ses Dialogues, que les anachorètes égyptiens ne partaient dans le désert qu’avec l’accord de leur supérieur, après s’y être soigneusement préparés en menant une vie commune dans un monastère85. Cassien s’attachait toutefois à développer le propos, en apportant de nouveaux matériaux, dont le moindre ne fut pas le néologisme coenobiotae (« cénobites »), qu’il fut le premier auteur latin à utiliser. Il l’introduisit en effet dans le discours sur l’histoire du monachisme que, selon la conférence 18, l’abbé Piamun lui aurait tenu : L’observance des cénobites a pris naissance au temps de la prédication apostolique. C’est elle, en effet, que nous voyons apparaître à Jérusalem dans toute cette multitude de croyants dont les Actes des Apôtres nous tracent ce tableau : « La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme ; nul ne disait sien ce qu’il possédait, mais tout était commun entre eux » (Ac. 4, 32) […] C’était, je le répète, toute l’Église qui présentait alors ce spectacle qu’il n’est plus donné de voir aujourd’hui que dans les cénobes, à grand-peine et chez un bien petit nombre. Mais après la mort des Apôtres, comme la foule des croyants commençait à s’attiédir […], ceux en qui demeurait encore la ferveur apostolique, fidèles au souvenir de l’ancienne perfection, quittèrent les cités […]. Établis au-delà des villes, en des lieux écartés, ils se mirent à pratiquer en privé et pour leur propre compte les règles qu’ils se rappelaient avoir été posées par les Apôtres pour tout le corps de l’Église […]. Avec le cours du temps, ils se séparèrent peu à peu de la foule des croyants et parce qu’ils s’abstenaient du mariage et se tenaient à l’écart de leurs parents et de la vie du siècle, on les appela moines ou μονάζοντες, en raison de l’austérité de cette vie sans famille et solitaire. Puis, les communautés qu’ils formaient leur firent donner le nom de cénobites (coenobiotae) et à leurs cellules et logis celui de cénobes (coenobia). Telle fut l’unique sorte de moines dans les temps les plus anciens, la première non seulement par le temps, mais encore par la grâce. Elle se conserva de longues années, seule et sans atteinte,

84. […] et humilitatis pariter ac nuditatis virtute possessa atque ad purum vitiorum universitate consumpta, dirrissimis daemonum proeliis congressuri penetrant heremi profunda secreta : ibid., 5, 36, 1, p. 246-249. 85. Haut longe ab eremo contigua Nilo multa sunt monasteria. Habitant uno loco plerumque centeni : quibus summum ius est abbatis imperio vivere, nihil suo arbitrio agere, per omnia ad nutum illius potestatemque pendere. Ex his si qui maiorem virtutem mente conceperint, ut acturi solitariam vitam se ad eremum conferant, nonnisi permittente abbate discedunt : sulPice sévère, Gallus. Dialogues sur les « vertus » de saint Martin, cit., I, 10, 1-2, p. 140-141.

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jusqu’à l’âge des abbés Paul et Antoine. Nous en voyons aujourd’hui les vestiges dans les fervents cénobes86.

S’inspirant des comparaisons établies par Jérôme entre le monachisme et l’Église apostolique primitive, Cassien réécrivait ici toute l’histoire de l’ascétisme chrétien, en situant le cénobe dans la continuité de la communauté apostolique de Jérusalem, dont les adeptes auraient maintenu les principes primitifs que la foule amollie des gentils n’était plus parvenue à conserver87. Cette conception amenait Cassien à affirmer que le monachisme aurait constitué pour les fidèles les plus authentiques une voie d’élite, la seule susceptible de maintenir la tradition originelle de la communauté apostolique de Jérusalem, que la conversion massive des gentils et l’attiédissement de la foi n’avaient pu permettre de conserver au sein de la communauté ecclésiale. Une telle perspective amenait Cassien à penser le monachisme non seulement comme un mode de vie, mais d’abord et avant tout comme une séparation à l’intérieur de « la multitude des croyants », autrement dit comme une rupture au sein même de l’Église88. Pour Cassien, celle-ci s’était historiquement déroulée en deux étapes, puisqu’il considérait que l’avènement du cénobitisme, qu’il définissait comme la première forme historique qu’aurait prise le monachisme, aurait permis à une petite élite de rompre avec les plus tièdes des fidèles, afin de maintenir dans leurs cénobes les fondements premiers de la communauté apostolique. Cette première rupture en aurait préparé une seconde, lorsque Antoine et Paul l’Ermite auraient fondé l’anachorétisme, afin de proposer une voie de séparation plus radicale encore, cette fois-ci au cœur même de la communauté monastique, afin d’ouvrir à une petite élite de moines un chemin d’excellence vers la vie contemplative. 86. Itaque coenobiotarum disciplina a praedicationis apostolicae sumpsit exordium. Nam talis existitit in Hierosolymis omnis illa credentium multitudino, quae in Actibus apostolorum ita describitur : « Multidinis autem credentium erat cor et anima una, nec quisquam eorum quae possidebat aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia » (Ac. 4, 32) […] Talis, inquam, erat tunc omnis ecclesia, quales nunc perpaucos in coenobiis invenire difficile est. Sed cum apostolorum excessu tepescere coepisset credentium multitudo […] hi autem quibus adhuc apostolicus inerat feruor, memores illius pristinae perfectionis, discedentes a civitatibus […] In locis suburbanis ac secretioribus conmanere et ea, quae ab apostolis per universum corpum ecclesie generaliter meminerant instituta, priustim ac peculiariter exercere coeperunt […] Qui paulatim tempore procedente segregati a credentium turbis ab eo, quod a coniugiis abstinerent et a parentum se consortio mundique istius conversatione secernerent, monachi sive μονάζοντες a singularis ac solitariae vitae districtione nominati sunt. Unde consequens fuit ex communione consortii coenobiotae cellaeque ac diversoria eorum coenobia vocarentur. Istud ergo solummodo fuit antiquissimum monachorum genus, quod non solum tempore, sed etiam gratia primum est quodque per annos plurimos inviolabile usque ad abbatis Pauli vel Antoni duravit aetatem : cuius etiam nunc adhuc in districtis coenobiis cernimus residere vestigia (Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 5, p. 15-16 ; traduction de la dernière phrase retouchée). 87. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 6, cit., p. 351-356 et R. alciati, « Verus Israhel, id est monachorum plebs : la genealogia monastica di Cassiano », Adamantius, 17 (2011), p. 67-80. 88. A. de vogüé, « Monachisme et église dans la pensée de Cassien », dans Théologie de la vie monastique. Études sur la tradition patristique, Paris, 1961 (Théologie 48), p. 213-240 et markus, Au risque du christianisme, cit., p. 232-235.

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Pour Cassien, chaque moine devait pouvoir construire sa vie individuelle à l’échelle de son histoire du monachisme, dans une recherche élitiste qui devait l’amener à vivre en lui-même cette double rupture, en partant d’abord se réfugier dans les cénobes qui maintenaient l’esprit de la communauté de Jérusalem, puis en suivant dans un second temps la voie d’excellence que les anachorètes avaient ouverte. C’est cette conception qu’il avait développée dans la préface du troisième groupe de ses Conférences, lorsqu’il avait affirmé aux moines des îles d’Hyères que ceux qui aspiraient à une vie anachorétique devaient « rechercher tout d’abord la profession cénobitique ». Cassien insistait beaucoup sur ce point, en considérant que ce ne pouvait être que dans un second temps, à l’image de l’histoire monastique, que les ascètes pouvaient légitimement imiter Antoine et Paul l’Ermite, en s’engageant sur la voie nouvelle et eschatologique que pouvait leur ouvrir l’anachorétisme. Cassien se plaisait d’ailleurs à souligner qu’il avait lui-même donné l’exemple de cette démarche en deux temps, en rappelant, dans sa conférence 18, qu’il n’était parti pour les déserts d’Égypte qu’après avoir passé de longues années de vie commune et d’obéissance dans un cénobe de Bethléem89. L’enseignement que Cassien diffusait aux moines des îles d’Hyères, par l’intermédiaire de ses Conférences, permet aussi de mieux saisir la nature des liens qui devaient s’y être établis entre les cénobites et les anachorètes. Le cénobe de Théodore était en effet indispensable à « la sublimité de la vie anachorétique », dans la mesure où il en constituait la nécessaire propédeutique. Une telle logique s’inscrivait dans la distinction entre la vie active des cénobites et la vie contemplative des anachorètes, qui constituait le cœur de la doctrine spirituelle de Cassien90. Pour l’essentiel, celle-ci se situait dans la continuité de l’enseignement d’Évagre le Pontique et se fondait sur la relation, faite tout à la fois de subordination et de complémentarité, qui avait vocation à unir le cénobitisme à l’anachorétisme91. Les moines des îles d’Hyères avaient certainement prêté attention à la définition que Cassien avait donnée de la vie cénobitique dans sa conférence 18. Il y avait en effet raconté que son compagnon Germain avait interrogé l’abbé Piamun, pour savoir s’il existait une différence entre un cénobe et un monastère. Le grand ascète égyptien lui avait répondu que si l’usage commun faisait parfois de ces deux termes des synonymes, il fallait néanmoins les distinguer, dans la mesure où « on ne peut parler d’un cénobe que là où plusieurs moines cohabitent dans une communauté unie92 ». Une telle définition, qui ne figure en revanche pas dans les Institutions, où Cassien ne disait mot des bâtiments monastiques, doit être souli89. Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 11, p. 22. 90. J.-C. fredouille, « Vie active et vie contemplative chez Cassien. Les antécédents philosophiques », dans C. Badilita et A. JakaB (éd.), Jean Cassien, entre l’Orient et l’Occident. Actes du colloque international organisé par le New Europe College en collaboration avec la Ludwig Boltzmann Gesellschaft (Bucarest, 27‑28 septembre 2001), Paris, 2003, p. 147-167. 91. S. marsili, Giovanni Cassiano ed Evagrio Pontico. Dottrina sulla carità e contemplazione, Rome, 1936 (Studia Anselmiana 5) et C. leonardi, « Alle origini della cristianità medievale : Giovanni Cassiano e Salviano di Marsiglia », Studi medievali, 18/2 (1977), p. 491-608. 92. […] coenobium nisi ubi plurimorum cohabitantium deget unita communio non potest appellari : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 9-10, p. 22.

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gnée. Il est en effet peu probable que Cassien l’eût donnée si les cénobites des îles d’Hyères, auxquels ce texte était aussi destiné, ne constituaient pas des moines cohabitant (cohabitantium) eux aussi dans une même communauté, ce qui devait les distinguer des anachorètes et de leur habitat en cellules. En concluant la conférence 18, Cassien expliquait qu’après avoir bénéficié de l’enseignement de l’abbé Piamun, « le désir qui déjà nous avait inspiré de quitter l’école primaire du cénobe (de primis coenobii scholis) pour tendre au second degré des anachorètes (ad secundum anachoreseos gradum) s’enflamma davantage93 ». Une telle conception était cohérente avec le discours qu’il avait tenu dans la préface du troisième groupe de ses Conférences, lorsqu’il expliquait qu’après que les moines avaient reçu une formation cénobitique, ils étaient incités à aller plus loin, en ayant « aussi soif de la sublimité anachorétique ». Cette logique, qui amenait Cassien à concevoir « la sublimité anachorétique » comme un état spirituellement supérieur au cénobitisme, était largement issue des enseignements d’Évagre le Pontique, dont l’ecclésiologie constituait une référence majeure pour Cassien. Dans son Praktikos, Évagre le Pontique avait en effet fait du combat des anachorètes une lutte bien supérieure à celle que menaient les moines restés dans les cénobes, dans la mesure où les anachorètes devaient affronter seuls les attaques des démons, qui ne pouvaient en revanche agir dans les cénobes que par le seul intermédiaire des frères les plus faibles94. S’inscrivant dans la tradition développée par l’ascétisme gnosticisant des pères égyptiens95, Cassien reprenait ainsi, sous la forme radicale que lui avait donnée Évagre le Pontique, les enseignements d’Origène sur l’opposition entre la vie pratique (praktikê) et la vie contemplative (theôrêtikê). Dans cette logique, Cassien concevait le monachisme comme une démarche ascensionnelle, qui permettait au moine de pouvoir passer de la pratique cénobitique à la contemplation anachorétique96. S’inspirant par exemple dans la préface de sa première série des Conférences du doublon Jacob et Israël97, qui, depuis Philon, était devenu dans l’exégèse biblique l’image du passage de la vie pratique à la vie contemplative98, 93. […] desiderium nostrum quo de primis coenobii scolis ad secundum anachoreseos gradum tendere coeperamus disputatione ardentius inflammavit : ibid., 18, 16, p. 35-36. 94. évagre le Pontique, Traité pratique ou le moine, éd. A. et C. guillaumont, Paris, 1971 (Sources chrétiennes 170-171), 2 vol., t. II, cap. 5, p. 504-505 et A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité. Deuxième partie : le monachisme grec, vol. 1 : de la Vie de Pachôme aux écrits d’Évagre le Pontique (ive‑ve siècles), Rome, 2015 (Studia anselmiana 165 ; Analecta monastica 15), p. 209. 95. desPreZ, Le monachisme primitif, cit., p. 129-142 ; W. harmless, Desert Christians. An Introduction to the Literature of Early Monasicism, Oxford, 2004, p. 311-413 et M. sheridan, « Early Egyptian Monasticism : Ideals and Reality or the Shaping of the Monastic Ideal », Journal of the Canadian Society for Coptic Studies, 7 (2015), p. 9-24, en particulier p. 9-10. 96. chadwick, John Cassian, cit., p. 86-96 ; p. 40-61 ; stewart, Cassian, the Monk, cit., p. 40-61 et fredouille, « Vie active et vie contemplative selon Jean Cassien : les antécédents philosophiques », cit. 97. M. dulaey, « Les relations entre Lérins et Marseille : Eucher et Cassien », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 63-82, ici p. 72-73. 98. marie-ancilla, Saint Jean Cassien. Sa doctrine spirituelle, Marseille, 2002, p. 53-58.

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Cassien en avait fait le symbole de sa conception du monachisme, en y voyant l’image de l’ascension qui permettait de passer du cénobitisme à « la vie sublime des anachorètes99 ». Il expliquait en effet que « si l’on a mérité par la lecture du précédent ouvrage [les Institutions] le nom de Jacob selon l’esprit en terrassant les vices charnels […] qu’on parvienne par la contemplation de la pureté divine au titre glorieux et, si je puis dire, à la dignité d’Israël100 ». De même, revenant dans sa conférence 23 sur l’opposition entre Marthe et Marie (Lc 10, 38-42), dont Origène avait fait le symbole de la complémentarité de la vie active et de la vie contemplative101, il affirmait qu’en laissant à Marthe le mérite des actions saintes de l’hospitalité, Marie avait pu, à l’image des anachorètes, recevoir « la theoria, c’est-à-dire la contemplation de Dieu, dont le mérite surpasse tous les mérites des actions saintes102 ». Cassien reprenait ainsi la doctrine évagrienne pour enseigner que les couples Jacob et Israël ou Marthe et Marie constituaient, selon une démarche d’inspiration néo-platonicienne, l’image de la logique d’ascension qui devait organiser la vie monastique. Il avait à l’évidence transmis cette conception à ses disciples des îles d’Hyères, si l’on en juge par le choix qui semble avoir été le leur d’établir le monastère des anachorètes en surplomb du cénobe, comme s’il s’agissait de symboliser la « sublimité » de leur état par rapport aux cénobites restés au niveau de la mer. La conférence 19, entièrement consacrée aux relations entre cénobitisme et anachorétisme, constituait une nouvelle illustration de cette problématique majeure, autour de laquelle s’organisait visiblement la vie des moines des îles d’Hyères. Cassien y rapportait qu’après avoir quitté l’abbé Piamun, il était allé séjourner dans le grand cénobe de l’abbé Pierre. Il y aurait alors rencontré l’abbé Jean, qui était considéré comme un saint admirable, car après avoir quitté sa formation cénobitique pour partir au désert, il avait décidé de quitter sa vie anachorétique et « était revenu aux écoles des novices103 », autrement dit au cénobe. Faut-il voir dans ce passage une évolution de la pensée de Cassien, qui se serait progressivement converti à une perception plus cyclique que hiérarchique des relations entre vie active et vie contemplative, comme Robert Markus a pu le considérer104 ? Sans doute est-il plus raisonnable de ne voir dans ce passage qu’une nouvelle illustration des réticences usuelles de Cassien pour un départ trop précoce vers le désert, qui trouvait logiquement sa place dans une conférence destinée à mettre en garde les cénobites devant les dangers inhérents à un passage trop rapide vers la vie 99. […] anachoretarum instituta sublimia : Jean cassien, Conférences, t. I, cit., Préface, 5, p. 81-83. 100. […] ut quisquis iam superioris operis lectione Iacob illius intelligibilis nomen carnalium vitiorum subplanlatione promeruit […] suscipiens divinae iam puritatis intuitu ad meritum et ut ita dixerim dignitatem transiens Israhelis : ibid., Préface, 5, p. 82-83. 101. C. Pérol, « Marthe et Marie, visages de l’hospitalité féminine », dans B. PhaliP, C. Pérol et P. quincy-lefeBvre (éd.), Marthe et Marie‑Madeleine. Deux modèles de dévotion et d’accueil chrétien, Clermont-Ferrand, 2009, p. 4-12, en particulier p. 11. 102. […] theoria, id est contemplatio Dei, cuius merito omnia iustificationum merita : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 19, 3, p. 141. 103. […] ad iunorium scholas revertisse dicebat : ibid., 19, 2 p. 40. 104. markus, Au risque du christianisme, cit., p. 247-256.

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anachorétique. Dans cette perspective, la conférence 19 aurait ainsi, par le biais du discours que Cassien prêtait à l’abbé Jean, permis d’affirmer une nouvelle fois aux frères des îles d’Hyères qu’il leur était nécessaire, avant de pouvoir aspirer à la vie anachorétique, de disposer d’une longue formation par la mortification de la chair, que seules l’obéissance et la vie commune dans un cénobe permettaient d’assurer. Lorsque Cassien et Germain avaient alors prié l’abbé Jean de leur expliquer « les motifs qui l’avaient fait renoncer à la liberté du désert et à cette profession sublime […] pour préférer entrer sous le joug de la vie cénobitique105 », l’ascète leur avait répondu qu’au début de sa vie anachorétique, il avait profité de « la liberté de se perdre dans le désert ». Toutefois, la situation se serait gravement détériorée lorsque le nombre d’anachorètes avait augmenté, car « non seulement le feu de la divine contemplation parut s’éteindre, mais le souci des choses matérielles nous engagea dans des entraves sans nombre106 ». Cassien abordait là une question qui lui semblait constituer l’un des grands périls de la vie anachorétique, autrement dit « l’inéluctable nécessité de faire sa provision annuelle de pain107 ». Il considérait en effet que les lois de la nature pouvaient alors amener le moine, parti dans le désert sans préparation suffisante, à se trouver dominé par les préoccupations matérielles et la nécessité d’assurer sa propre survie. Dans la conférence 24, qui avait une valeur de conclusion puisqu’elle devait clore les Conférences, qu’il avait symboliquement conçues à l’image des vingtquatre vieillards de l’Apocalypse108, Cassien devait revenir sur cette question. Par le biais des propos qu’il y faisait prêter à l’abbé Abraham, il s’attachait en effet à expliquer que le véritable anachorète ne saurait se détourner de la vie contemplative pour pratiquer la culture des champs, mais devait plutôt mener une vie de réclusion dans sa cellule : Celui qu’anime le souci toujours vigilant de la pureté de l’homme intérieur doit rechercher des lieux qui ne le sollicitent pas à une culture absorbante par leur richesse et leur fertilité, ni ne l’empêchent de faire de sa cellule un séjour fixe et immuable, en le poussant à quelque travail en plein air […] Pour soigneux que l’on soit, il est impossible d’éviter cette dissipation, et même de s’en apercevoir, à moins de se tenir constamment cloîtré, corps et âme, entre les parois de sa clôture109.

105. […] ob causam relicta heremi libertate et illa professione sublimi […] sub coenobii iugum maluisset intrare : ibid., 19, 2 p. 40. 106. […] non modo ignem illum divinae contemplationis frigere fecisset, sed etiam multimodis mentem carnalium rerum vinculis conpediret : ibid., 19, 5, p. 42. 107. […] non annui panis inevitabilis cura : ibid., 19, 6, p. 43. 108. Ibid., 24, 1, p. 171. 109. […] qui de interioris hominis puritate pervigillem sollicitudinem gerit, expetenda sunt loca, quae mentem eius nulla ad culturae distentionem ubertatis suae fecunditate sollicitent nec de cellulae fixa atque immobili statione proturbent, atque ad aliquod subdivale opus prodire conpellant […] Quae a nemine prorsus quamvis sollicito ac vigilanti vel caveri poterunt vel videri, nisi qui corpus atque animum suum iugiter intra parietum saepta concluditur : ibid., 24, 3, p. 174 (traduction de la dernière phrase légèrement retouchée).

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Ce passage a pu sembler étrange, mais il n’a en réalité rien de contradictoire avec les exhortations que Cassien adressait par ailleurs aux moines d’Occident, afin qu’ils se consacrassent comme les moines égyptiens au travail manuel. Selon Cassien, le travail devait constituer pour les cénobites un impératif absolu, auquel il avait consacré tout le livre 10 de ses Institutions, car il y voyait une arme décisive pour combattre l’acédie110. Dans cette même conférence 24, il avait d’ailleurs rappelé ce point, en invoquant l’exemple d’Antoine111, mais aussi en se réclamant de l’autorité du précepte paulinien : « Qui ne travaille pas, ne mange pas » (2 Th 3, 10). Toutefois, Cassien considérait que cette astreinte au travail ne concernait que les cénobites, pour lesquels elle devait constituer un moyen privilégié d’assurer la mortification de la chair. Il estimait qu’il fallait en revanche qu’il en aille autrement pour les anachorètes, dans la mesure où le caractère contemplatif de leur vie ne devait pas être entravé par les contraintes de la vie matérielle. Dans cette perspective, Cassien soulignait que le désert était un lieu propice à la spiritualité en raison de son infertilité, car il était nécessaire pour les anachorètes « que la fécondité du sol ne nous sollicite point à quelque culture absorbante, par où l’esprit, distrait de son objet essentiel, se condamnerait au vide et à la stérilité spirituelle112 ». Pour notre propos, il faut souligner que cette volonté d’affirmer qu’à la différence du moine cénobitique, le véritable anachorète ne devait pas aller travailler aux champs, mais avait plutôt vocation à rechercher l’infertilité du sol désertique, était en cohérence avec l’organisation du site archéologique des Mèdes. Force est en effet de constater que l’enclos établi au sommet de ce massif pentu et rocheux, dont les habitants ne pouvaient guère cultiver que quelques ares de jardin et planter des oliviers, correspond parfaitement à l’espace dans lequel les dédicataires du troisième groupe des Conférences de Cassien étaient invités à vivre. De même, la vie de réclusion en cellule, qui selon Cassien devait caractériser les anachorètes, n’est pas non plus sans rappeler l’organisation du site archéologique des Mèdes, avec ses cases entourées d’une double enceinte dont la fonction devait, dans le contexte du début du ve siècle, être plus spirituelle que militaire. Si les moines cénobitiques pouvaient, en utilisant les structures productives de la villa dans laquelle ils étaient probablement installés, se mortifier dans la pratique du travail, la conférence 24 de Cassien montre en effet que les anachorètes devaient s’inscrire en revanche dans une logique de réclusion, comme semble aussi en témoigner la préface du troisième groupe des Conférences, dans laquelle Cassien évoquait les lectures que les anachorètes étaient tenus de faire dans la solitude de leurs cellules.

110. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., p. 382-425. 111. Ibid., 24, 11-12, p. 181-184. 112. […] ut nequaquam nos ad qualiscumque culturae distentionem uberis soli natura sollicitet, per quam mens ab illa principali cordis observatione distracta spiritalibus studiis reddatur effeta : ibid., 12, p. 184.

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* Après avoir ainsi présenté le dossier documentaire des moines des îles d’Hyères, il semble possible de tirer trois conclusions. La première relève de la nature de la vie monastique sur les îles d’Hyères, qui semble s’être organisée selon un modèle bipolaire, probablement semblable à celui que nous avions pu envisager pour les monasteria de l’île de Gorgona, à partir d’un dossier documentaire toutefois trop limité pour pouvoir tirer autre chose que des conclusions très hypothétiques. À Porquerolles, il existait en tout cas clairement deux monastères, l’un de cénobites et l’autre d’anachorètes, que les données archéologiques peuvent sans doute permettre de situer respectivement autour de la villa de l’actuelle plage de Notre-Dame et du site archéologique des Mèdes. L’essentiel est toutefois de souligner que ces deux monasteria s’organisaient à l’intérieur d’un même système que la troisième partie des Conférences de Cassien permet de comprendre, lorsqu’elle faisait du cénobitisme « une école primaire » du monachisme, permettant d’accéder à ce « second degré » de la vie monastique, qui relevait de la sublimité contemplative que constituait dans cette logique la vie anachorétique. Une telle conception affirmait la manifeste supériorité de l’anachorétisme, qui se trouvait perçu, selon les enseignements d’Évagre le Pontique, comme un état spirituellement supérieur à la vie de mortification propre au cénobitisme. On notera toutefois que Cassien a évité de l’affirmer clairement, se contentant de formulations relativement ambigües, probablement pour ne pas nourrir de nouveau les accusations d’origénisme, qui l’avaient contraint à quitter l’Égypte puis à se réfugier en Occident. La deuxième conclusion est d’ordre chronologique. Si la Vita Epiphanii permet de prouver qu’il existait encore une vie monastique sur les îles d’Hyères à la fin du ve siècle, puisque l’évêque Épiphane de Pavie y serait alors passé, après avoir rencontré à Toulouse le roi Euric (466-484), afin de visiter un « lieu peuplé de saintes habitations », cette attestation fut aussi la dernière. La disparition des moines des îles d’Hyères dans la documentation écrite postérieure à la Vita Epiphanii est en cohérence avec les données archéologiques. Le site des Mèdes ne comporte en effet plus aucun signe d’occupation dès le milieu du ve siècle, tandis que la villa maritime de la plage de Notre-Dame ne fournit plus de matériel après la fin du ve siècle. Tout indique donc que les monasteria d’Hyères eurent une vie limitée, avec une disparition sans doute très précoce du monastère anachorétique, suivie assez rapidement par celui des cénobites. La documentation ne nous permet pas de comprendre les causes de l’abandon de ce site monastique, qui avait pourtant un indéniable rayonnement au début du ve siècle, mais il n’est pas impossible qu’il faille le mettre en relation avec les réticences que ce mode bipolaire d’organisation de la vie monastique avait pu rencontrer dans l’Occident latin. Il est sans doute révélateur que Cassien soit resté célèbre dans le monde latin pour les Institutions qu’il avait rédigées à l’usage des seuls cénobites, mais que le modèle d’association entre cénobites et anachorètes, qu’il s’était à l’évidence attaché à promouvoir dans ses Conférences et que ses disciples avaient mis en pratique sur les îles d’Hyères, ait en revanche rapidement sombré dans l’oubli.

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Les déserts de L’Occident

Enfin, il est possible de tirer une troisième conclusion, en soulignant que ce modèle monastique était largement fondé sur une logique de réclusion, qui rajoutait donc à la séparation insulaire les murs de la clôture. Paradoxalement, celle-ci concernait sans doute moins le cénobe, dont Cassien n’évoqua jamais la fermeture, ni dans ses Institutions ni dans ses Conférences, que le site des anachorètes. En effet, la réclusion semble avoir dominé la vie anachorétique des îles d’Hyères, ce qui la distinguait très fortement de la vie que les anachorètes égyptiens pouvaient concrètement mener dans les espaces ouverts du désert. Il est notable que dans une île qui, comme Porquerolles, comprenait un habitat permanent, cette élite monastique que constituaient les anachorètes se soit attachée à affirmer fortement sa séparation, si l’on en juge par la difficulté d’accès qui caractérisait le site des Mèdes et sa double enceinte destinée à l’isoler de l’œkoumène. Ces trois conclusions font système et définissent un modèle monastique de type nouveau, fondé sur l’association d’un cénobe et d’une communauté élitiste d’anachorètes, qui avait éprouvé le besoin de s’isoler du monde profane par la réclusion, sans doute parce que les moines vivaient dans une île trop grande pour assurer par elle-même la séparation avec le monde profane. Vivant dans une île qui disposait par ailleurs d’un habitat séculier, les moines de Porquerolles furent ainsi amenés à s’organiser dans des lieux clos, dont le site des Mèdes semble offrir un exemple si emblématique que les archéologues ont longtemps considéré qu’il s’agissait d’un village fortifié. Cette organisation mérite ainsi d’être comparée à l’autre grand établissement monastique insulaire qui s’était mis en place au large de la côte provençale, au sein de l’archipel de Lérins, dans les années même où apparurent les moines de Porquerolles. Cet établissement insulaire se développa en effet selon des modalités semblables à celles des monasteria des îles d’Hyères, mais néanmoins différentes, ne serait-ce que pour des raisons géographiques. Les îles de Lérins étant en effet de taille bien plus petite que celles de l’archipel d’Hyères, les moines qui s’y installèrent purent y trouver, en particulier dans l’actuelle île Saint-Honorat, un milieu insulaire qui ne disposait pas, à la différence de Porquerolles, d’un habitat séculier permanent.

ii – lérins : de la douBle communauté au monastère unique Étudier le monastère de Lérins amène à ouvrir le dossier documentaire de l’un des grands lieux monastiques de l’Occident, dont l’influence fut considérable sur l’histoire du monachisme. Friedrich Prinz avait fait de Lérins l’archétype de ce qu’il définissait comme un « monastère-modèle » (Musterkloster)113, autrement dit comme l’un de ces établissements paradigmatiques au miroir duquel se seraient édifiés tous les monastères du haut Moyen Âge. Il en voulait pour preuve les diplômes mérovingiens qui, pour accorder aux monastères l’exemption la plus large, affirmaient vouloir leur offrir une liberté comparable à celle dont bénéfi113. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit., p. 85-86.

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens

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ciaient Agaune, Lérins, Luxeuil et Saint-Marcel-lès-Chalon, qui se voyaient ainsi considérés comme les quatre « monastères-modèles » (Musterklöstern) de la Gaule franque. Au-delà de son influence réelle sur le destin du monachisme occidental, le monastère de Lérins a eu d’autant plus d’importance dans l’historiographie que ses origines sont connues par une documentation exceptionnelle, qui offre aux chercheurs des sources d’une richesse sans égale dans le reste de l’Occident. La documentation lérinienne est d’une nature assez atypique, puisqu’elle est relativement pauvre en sources hagiographiques, qui composent habituellement l’essentiel de la documentation monastique. Dans leur grande majorité, les sources sur le monachisme lérinien sont en effet composées d’épistoliers, de sermons et de traités dogmatiques, autrement dit d’une documentation à vocation pastorale, assez inhabituelle en contexte monastique. L’existence de telles sources s’explique par le fait, qu’au-delà de sa fonction de retraite monastique, Lérins a constitué durant le ve siècle une école où les élites de la Chrétienté gauloise recevaient une formation destinée à les préparer à des missions pastorales. Ce riche dossier de sources écrites à Lérins a été le fondement de très nombreuses monographies ou études114, qui se sont toutefois assez peu employées à dresser une histoire de cet établissement remarquable, pour s’attacher surtout à étudier les orientations spirituelles de l’école lérinienne, dans une perspective patristique plus qu’historique. Conformément à la problématique de cette étude, nous n’utiliserons pas ici cette riche documentation pour nous interroger sur les orientations théologiques de l’école lérinienne, mais plutôt afin d’étudier la manière dont les moines lériniens ont pensé leur rapport au désert insulaire dans lequel ils se sont installés. Pour ce faire, nous commencerons tout d’abord par une présentation des données géographiques et archéologiques que fournissent les îles de Lérins. Dans un second temps, nous présenterons les sources écrites lériniennes, en mettant de côté des textes que certains historiens ont pu considérer comme des productions du milieu lérinien, sans pour autant que cette attribution ait pu entraîner l’adhésion. Cela concerne évidemment les pseudo-Monita de Porcaire115, mais aussi les règles dites « des saints pères », même si nous serons amenés à évoquer incidemment ces textes, dans la mesure où l’historiographie lérinienne leur a accordé une telle importance qu’il n’était pas possible de les passer totalement sous silence. Nous avons enfin choisi de ne pas aborder ici, ou de le faire de manière seulement ponctuelle, les grands textes théologiques écrits à Lérins, comme le Commonitorium de Vincent de Lérins ou encore les Formulae et les Instructiones d’Eucher. Quelle que soit l’importance théologique de ces traités, ils s’avèrent en revanche très pauvres en informations sur la vie monastique lérinienne et n’ap114. V. en dernier lieu la bibliographie donnée dans A. Jolly, Y. kinossian et M. lauwers (éd.), Entre ciel, mer et terres. L’île monastique de Lérins (Ve–xxe siècle), Gand, 2017. 115. A. wilmart, « Les Monita de l’abbé Porcaire », Revue bénédictine, 26 (1909), p. 475-480 et A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7. Première partie : le monachisme latin. L’essor de la littérature lérinienne et les écrits contemporains (410‑500), Paris, 2003, p. 390-399.

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portent donc rien à notre sujet d’étude. Enfin, nous n’aborderons pas non plus les textes hagiographiques sur les saints lériniens dont l’historicité peut sembler discutable, à l’exemple de la Vie d’Antoine de Lérins116, dans la mesure où ces textes ne peuvent être considérés comme des sources susceptibles de nous éclairer sur la vie monastique à Lérins durant le ve siècle. Bien que le dossier ait été ainsi drastiquement circonscrit, il nous offre encore une documentation consistante dont nous situerons la production autour de trois grands temps. Dans une première phase, nous commencerons par étudier les nombreux textes écrits aux environs de 430, une période durant laquelle il semble possible de situer la rédaction de la Vita Honorati, de la lettre 51 de Paulin de Nole et des traités d’Eucher. Nous sauterons ensuite une génération pour voir les évolutions de la vie monastique lérinienne au milieu du ve siècle, à travers les actes du troisième concile d’Arles, mais aussi en étudiant l’homélie sur Maxime de Riez, que son successeur Fauste prononça sans doute durant cette période. Enfin nous terminerons par les textes de la fin du ve et du début du vie siècle, une période durant laquelle nous proposerons en particulier de situer les sermons lériniens de la collection dite « pseudo-eusébienne », qui constituent une source majeure pour appréhender la forme que la vie monastique lérinienne avait alors prise.

Les données archéologiques Les îles de Lérins forment un petit archipel, situé au large de l’actuelle ville de Cannes, qui se compose de quelques petits îlots rocheux et surtout de deux véritables îles. La plus grande d’entre elles est l’île Sainte-Marguerite qui, dans sa partie la plus proche du littoral, n’est éloignée que d’un demi-mille marin de la côte. D’une superficie totale de 1,73 km2, cette île se présente sous une forme très allongée, puisqu’elle est longue de 3,2 km tout en ne dépassant pas 1 km dans sa largeur maximale. Elle se compose de deux parties géomorphologiquement bien distinctes, avec un plateau calcaire à l’est, qui culmine en son nord-ouest par une petite éminence de 26 mètres d’altitude au sommet de laquelle a été bâti un fort au xviie siècle, et une plaine alluviale à l’ouest, dans laquelle s’est développé, au lieu-dit Le Batéguier, un étang d’eau saumâtre dont l’origine semble artificielle. Si Sainte-Marguerite offre donc un espace accueillant, cette île ne comporte en revanche aucune source d’eau claire, ce qui imposait de l’alimenter par des citernes. Séparée de l’île Sainte-Marguerite par un bras de mer d’une largeur maximale de 800 mètres, l’île Saint-Honorat se caractérise elle aussi par sa forme allongée, puisqu’elle dispose d’une longueur de 1460 mètres pour une largeur maximale de 400 m. (fig. 13). D’une superficie totale de seulement 0,37 km2, elle est consti116. S. gioanni, « Une figure suspecte de la sainteté lérinienne : saint Antoine d’après la Vita Antoni d’Ennode de Pavie », Recherches augustiniennes et patristiques, 35 (2007), p. 133-187 et idem, « Hagiographie d’Italie (300-550). II. Les Vies de saints latines composées en Italie de la Paix constantinienne au milieu du vie siècle », cit., p. 414-415.

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Etang du Batéguier

Lero

Ile Sainte-Marguerite

N

Lerina

20 m 0m

Ile Saint-Honorat 0

1000 m

Figure 13 : Les îles de Lérins.

tuée par un plateau calcaire d’une grande platitude, puisque la cote d’altitude la plus élevée de cette île est d’à peine 6 mètres. À la différence de l’île SainteMarguerite, l’île Saint-Honorat dispose d’une source naturelle d’eau douce, ce qui en fait un espace accueillant pour un peuplement humain, même si elle semble ne pas avoir accueilli d’habitat permanent avant l’arrivée des moines au ve siècle. Cette description des îles de Lérins, telles qu’elles se présentent aujourd’hui, est-elle aussi valable pour l’Antiquité tardive ? La question mérite d’être posée puisque le tracé des littoraux insulaires est particulièrement instable dans l’archipel de Lérins, non seulement en raison de la platitude de ces îles, qui les rend donc très sensibles à une évolution du niveau de la mer, mais aussi en raison de la faible profondeur des fonds marins, en particulier dans le bras de mer très peu marqué qui sépare l’île Sainte-Marguerite de l’île Saint-Honorat117. Pour autant, si les géomorphologues estiment que le tracé des littéraux a dû connaître en Provence d’importantes évolutions durant la période gallo-romaine, alors que la transgression de l’holocène se poursuivait à un rythme relativement rapide, il semble en revanche que depuis l’Antiquité tardive le niveau de la mer se soit peu ou prou stabilisé à sa hauteur actuelle et n’ait plus guère subi de variation significative jusqu’à nos jours, même s’il est difficile d’avoir de réelles certitudes en l’état 117. M. sechter, « Aspects archéologiques sous-marins et terrestres au nord-ouest de l’île SainteMarguerite », Cahiers d’archéologie subaquatique, 1 (1972), p. 101-106.

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Les déserts de L’Occident

de nos connaissances118. La présence de vestiges antiques immergés à deux ou trois mètres de profondeur près de l’île Sainte-Marguerite a toutefois pu donner à penser que l’archipel aurait pu être affecté par un accident sismique, peut-être au ive siècle, qui aurait entraîné un léger affaissement des îles119. Les îles de Lérins étaient bien connues des auteurs anciens qui les désignaient à la période romaine sous les noms de Lero (Sainte-Marguerite) et de Lerina (Saint-Honorat)120, sans doute en raison de leur association au couple divin de Lérôn et de Lériné. Le culte de ces deux divinités est en effet attesté sur les îles de Lérins par un ex-voto de la fin du premier millénaire avant notre ère, qui présente une dédicace à Lérôn et Lériné. Gravée en caractères grecs sur un couvercle en ivoire découvert à l’été 1981 par Georges Vindry, sur le site du fort de l’île Sainte-Marguerite, cette dédicace avait été inscrite à la demande d’un habitant de Neapolis, un toponyme sans doute par trop courant pour pouvoir être identifié avec certitude121. Cette inscription témoigne en tout cas du rayonnement qu’avait acquis ce culte, comme le confirme par ailleurs Strabon, qui a lui aussi mentionné que l’île de Lero disposait d’un hérôon dédié à Lérôn122. Depuis 1937, l’île Sainte-Marguerite a vu se succéder de nombreuses opérations archéologiques ponctuelles, avant de faire l’objet dans les années 1990 d’un programme global, dirigé par Annie Arnaud, à laquelle on doit les dernières études sur le site123. Ces recherches ont permis d’identifier deux grands sites archéologiques, dont le plus ancien occupe la petite éminence de l’île sur laquelle a été bâti un fort au xviie siècle. Cet espace semble avoir accueilli le premier noyau de peuplement de l’île Sainte-Marguerite, sous la forme d’un petit village plus ou moins hellénisé qui s’y est progressivement développé entre le vie et le iiie siècle

118. C. morhange, La mobilité récente des littoraux provençaux : éléments d’analyse géomorphologique, Thèse, Aix-Marseille I, 1994. 119. codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit., p. 24. 120. arnaud, « Les îles du littoral d’après les auteurs anciens. Géographie, structures descriptives, traditions littéraires », cit., p. 34-36. 121. J. couPry et G. vindry, « Lérôn et Lériné aux îles de Lérins. Un couvercle en ivoire, à dédicace grecque, découvert à l’île Sainte-Marguerite (Cannes) », Revue archéologique de Narbonnaise, 15 (1982), p. 353-358. 122. couPry et vindry, « Lérôn et Lériné aux îles de Lérins. Un couvercle en ivoire, à dédicace grecque, découvert à l’île Sainte-Marguerite (Cannes) », cit., p. 357 et arnaud, « Les îles du littoral d’après les auteurs anciens. Géographie, structures descriptives, traditions littéraires », cit., p. 34, n. 34. 123. A. arnaud, « L’occupation de l’île Sainte-Marguerite dans l’Antiquité (îles de Lérins, Cannes) », dans P. arnaud et M. gaZenBeek (éd.), Habitat rural antique dans les Alpes‑Maritimes, Actes de la table ronde du 22 mars 1999, Valbonne, Antibes, 2001, p. 13-31 et eadem, « Les îles de Lérins, Sainte-Marguerite et Saint-Honorat (Cannes, Alpes-Maritimes) », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-en-Provence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 175-189. On trouvera une synthèse de ces travaux dans codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit., p. 62-68.

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avant notre ère, sans doute en lien avec l’hérôon mentionné par Strabon124. Ce site d’acropole a connu d’importantes transformations à l’extrême fin du premier siècle avant notre ère, lorsque le village fut arasé pour donner naissance à des bâtiments importants, avec des cryptoportiques surmontés de péristyles. Ces bâtiments étaient associés à un ensemble thermal luxueux, ainsi qu’à de nombreuses citernes destinées à recueillir les eaux de pluie. Ils étaient entourés par un beau mur à contrefort, qui servait d’enceinte et assurait la visibilité de la construction. Si l’interprétation de ces vestiges n’est pas clairement établie, il semble probable qu’il s’agit d’une villa maritime particulièrement luxueuse, établie sur un podium au-dessus de la mer. L’importance monumentale de la construction est telle qu’il a pu être avancé qu’elle devait avoir relevé du domaine impérial, sans que cette hypothèse ne puisse être démontrée125. Il est en revanche difficile de connaître la réalité de son activité durant l’Antiquité tardive, puisque le site n’offre que peu de matériel postérieur au ier siècle de notre ère et qu’il n’existe sur l’acropole aucune trace d’un aménagement postérieur au ive siècle. À 500 mètres à l’ouest de l’acropole, autour de l’étang du Batéguier, l’île Sainte-Marguerite comporte un second site, qui offre des traces d’occupation plus tardive que le site de l’acropole, puisqu’elles semblent pouvoir être situées entre le iie et le ve siècle de notre ère. Ce site se compose tout d’abord d’un ensemble de bâtiments à vocation résidentielle, dont les fondations ont pu être identifiées sur le petit cordon littoral qui ferme au nord l’étang du Batéguier. Si l’interprétation de tous les éléments découverts dans son environnement reste sujet à débat, ces bâtiments de qualité, édifiés sur le littoral, semblent relever d’une villa, comme le montre en particulier leur association à un ensemble thermal. Ces structures résidentielles se prolongeaient au sud par des bâtiments à fonction plus économique, qui ont pu être considérés comme la pars rustica de la villa. L’ensemble était associé à l’étang, qui a sans doute été creusé dans le contexte de la construction de ces bâtiments, ainsi qu’à un vivier édifié plus au sud, dont la vocation devait être probablement aussi bien économique que résidentielle. Ce site présente d’importantes traces d’occupation dans l’Antiquité tardive, à l’exemple d’un four à potier, découvert autour de l’actuelle tour Sainte-Anne, à une centaine de mètres à l’est de la villa, qui a été utilisé entre la fin du ive et la fin du ve siècle de notre ère. Surtout, la zone offre une remarquable concentration de tombes, dispersées autour de l’étang du Batéguier, avec une forte densité de sépultures autour des bâtiments résidentiels édifiés sur sa rive nord (fig. 14). Si les datations de ces sépultures sont souvent imprécises, les plus anciennes semblent 124. G. vindry, « L’archéologie de l’île Sainte-Marguerite et les fouilles de l’acropole de Lero », Annales de la Société scientifique et littéraire de Cannes et de l’arrondissement de Grasse, 33 (1987), p. 21-43. 125. M. Pasqualini, « Les îles du littoral provençal », dans M. Pasqualini, P. arnaud et C. varaldo (éd.), Des îles côte à côte. Histoire du peuplement des îles de l’Antiquité au Moyen Âge (Provence, Alpes‑ Maritimes, Ligurie, Toscane). Actes de la table‑ronde de Bordighera, 12‑13 décembre 1997, Aix-enProvence/Bordighera, 2003 (Bulletin archéologique de Provence supplément 1), p. 13-23, p. 19 et codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit., p. 64-65.

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Les déserts de L’Occident

remonter à la fin du iiie ou au début du ive siècle, tandis que les plus récentes paraissent relever du très haut Moyen Âge, à une époque où les bâtiments de la villa avaient été, au moins en partie, abandonnés pour faire place à un espace désormais purement funéraire126.

Site du Batéguier (bâtiments résidentiels de la villa) Four

Site du Fort (village puis villa maritime)

N

0

1000 m.

Figure 14 : Les sites archéologiques de l’île Sainte-Marguerite.

Il est difficile de comprendre les relations entre la villa maritime édifiée sur le site de l’actuel fort et la villa établie autour de l’étang du Batéguier, d’autant que la documentation archéologique ne permet en fait pas de savoir si ces deux ensembles ont été occupés successivement ou de manière contemporaine. Comme le soulignait Xavier Lafon, la présence de deux villas sur une même île ne constituerait toutefois pas un phénomène isolé, comme en témoigne le cas de l’île istrienne de Brioni, qui offre un exemple de cohabitation synchrone d’une villa maritime d’envergure majeure et d’une villa plus modeste, sans doute en raison de fonctions différentes affectées à ces deux sites127. D’autres hypothèses sont toutefois envisageables, puisqu’il est aussi possible de penser que les bâtiments du Batéguier ne constituaient qu’une extension de la vaste villa établie sur le site du Fort ou encore que la villa du Batéguier a succédé à celle du Fort. Quoi qu’il en soit, l’importance et le luxe des vestiges retrouvés sur les deux sites archéologiques de l’île Sainte-Marguerite démontrent clairement que cet espace insulaire était voué dans l’Antiquité à une fonction essentiellement résidentielle, ce qui donne à penser, eu égard à sa taille réduite, qu’elle était aux mains d’un unique propriétaire, dont il semble par ailleurs vraisemblable qu’il devait être en possession de tout l’archipel. 126. E. Pellegrino, « Documents d’archéologie funéraire à Cannes : l’île Sainte-Marguerite », Archéam. Revue du Cercle d’Histoire et d’Archéologie des Alpes‑Maritimes, 17/91 (2011), p. 91-99. 127. X. lafon, « Les villas maritimes construites sur le littoral méditerranéen français : essai de bilan », dans X. delestre et H. marchési (éd.), Archéologie des rivages méditerranéens : 50 ans de recherches, Actes du colloque d’Arles, 28‑30 oct. 2009, Paris/Arles, 2010, p. 163-171, en particulier p. 168-169.

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Alors que l’île Sainte-Marguerite a connu une occupation antique relativement importante, du moins sur sa façade nord, qui est la seule à présenter des traces de peuplement, l’île Saint-Honorat semble en revanche avoir constitué un véritable désert avant que les moines ne s’y installassent. Mis à part quelques matériaux de réemploi importés par les moines médiévaux, l’île Saint-Honorat n’a en effet livré aucun matériel antérieur au ve siècle de notre ère, ce qui montre qu’elle n’a, à l’évidence, jamais fait l’objet d’une occupation significative avant l’arrivée d’un premier établissement monastique128. L’installation de cette communauté monastique sur l’île Saint-Honorat est en revanche archéologiquement attestée, grâce aux fouilles menées depuis 2005 par Yann Codou sur le site de la chapelle du Saint-Sauveur, l’une des sept chapelles aujourd’hui présentes en élévation sur l’île129. La fouille a permis d’identifier sous le sol de la chapelle du Saint-Sauveur les restes d’une construction tardo-antique, dont les premières fondations semblent avoir été construites dans le contexte de l’installation des moines. Dans son premier état, qui peut être approximativement daté du milieu du ve siècle, cette construction s’organisait autour d’un oratoire d’environ 20 m2. Celui-ci était relié à un petit bâtiment d’à peu près 35 m2, organisé en deux parties principales, qui était prolongé au nord par un auvent, sans doute édifié pour abriter une cuisine. La forte densité de dépôts céramiques retrouvés dans ce bâtiment a pu donner à penser que ce petit bâtiment devait être considéré comme un habitat monastique et Yann Codou a proposé de l’interpréter comme une cellule double. Un second état de la construction, qui ne se mit pas en place avant la fin du ve ou le début du vie siècle, se caractérise par un agrandissement de l’oratoire, mais aussi par la disparition du bâtiment d’habitat. Désormais affecté à une fonction funéraire, l’oratoire fut agrandi au sud par une petite extension, dans laquelle fut édifiée une tombe privilégiée, dotée d’un conduit à libation. Cette seconde phase fit place à un troisième état, que l’on peut dater par la présence d’un fals d’Al-Andalus du viiie siècle, qui relevait d’une occupation désormais profane du 128. codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit., p. 68-71. 129. Y. codou, « Îles de Lérins. Île Saint-Honorat, les chapelles du Saint-Sauveur et de la Trinité », dans Monuments de Nice et des Alpes‑Maritimes, Congrès Archéologiques de France, Paris, 2012, p. 77-84 ; idem, « Aux origines du monachisme en Gaule (ve-xie s.) : les fouilles de l’église du SaintSauveur, Lérins, île Saint-Honorat, Alpes-Maritimes », Hortus artium medievalium, Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013), p. 63-71 ; idem, « Aux origines du monachisme : le dossier de Saint-Honorat de Lérins », dans M. gaillard (éd.), L’empreinte chrétienne en Gaule de la fin du ive au début du ixe siècle, Turnhout, 2014, p. 291-310 ; I. gillot et Y. codou, « Un témoin de l’environnement de l’île Saint-Honorat de Lérins (Alpes-Maritimes) : le combustible utilisé dans la chapelle Saint-Sauveur durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge », Bulletin Archéologique de Provence, 38 (2017), p. 95-104 ; Y. codou, « Le cénobitisme lérinien. Un modèle monastique et ses avatars au haut Moyen Âge », dans S. Bully, A duBreucq et A. Bully (éd.), Colomban et son influence. Moines et monastères du haut Moyen Âge en Europe, Rennes, 2018, p. 107-119 ; idem, « Césaire et “l’île sainte” de Lérins », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. II, p. 229-238 et idem, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit.

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site, puisqu’elle était en particulier caractérisée par la présence de foyers et d’une fosse-dépotoir au sein même de l’oratoire. Ce troisième état pourrait attester de l’arrivée, probablement dans les années 720 ou 730, des Arabes sur l’île, qui n’était jusque-là connue que par le très douteux témoignage de la Passio Porcarii (BHL 6901). Sans doute rédigée à Cluny dans la seconde moitié du xe ou la première moitié du xie siècle, alors que l’abbaye de Lérins était entrée dans la mouvance clunisienne130, la Passio Porcarii décrit en effet, en des termes trop convenus pour être crédibles, le martyre que les Sarrasins auraient fait subir au viiie siècle à l’abbé Porcaire II de Lérins et à cinq cents de ses moines.

La Vita Honorati Après avoir présenté les sources archéologiques, il faut désormais aborder le très riche dossier de sources écrites qui fait l’intérêt du monachisme lérinien. Cette documentation, qui constitue une source majeure de l’histoire du monachisme occidental, a été largement étudiée et a fait l’objet de travaux récents et importants131. Si la plupart de ces recherches se sont toutefois polarisées sur des questions d’ordre théologique, nous nous attacherons à n’envisager ici cette matière que pour recueillir les données historiques qu’elle peut nous fournir sur la genèse et l’organisation du premier monachisme lérinien. Dans cette perspective, nous commencerons cette étude des sources littéraires de l’histoire lérinienne par une présentation de la Vita Honorati (BHL 3975), dans la mesure où ce texte donne un récit de la genèse du monachisme lérinien qui, pour avoir été largement reconstruit selon les topiques du discours hagiographique, offre une première interprétation globale du processus de fondation. Son importance est ainsi majeure, tant d’un point historiographique que pour ses données prosopographiques, dont la crédibilité est d’autant plus forte que le texte avait été prononcé peu après la mort d’Honorat, à destination d’un auditoire qui l’avait trop bien connu pour qu’il soit possible de lui présenter une version de sa vie très éloignée de la réalité. 130. D. iogna-Prat, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint Maïeul de Cluny (954‑994), Paris, 1988, p. 109-114. 131. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit. ; R. nouailhat, Saints et patrons. Les premiers moines de Lérins, Paris, 1988 (Centre de recherches d’histoire ancienne 84) ; C.M. kasPer, Theologie und Askese. Die Spiritualität des Inselmönchtums von Lerins im 5. Jahrhundert, Münster, 1991 (Beiträge zur Geschichte des alten Mönchtums und des Benediktinerordens 40) ; C. scherliess, Literatur und conversio. Literarische Formen im monastischen Umkreis des Klosters von Lérins, Frankfurt am Main, 2000 (Europäische Hochschulschriften 15 ; Klassische Sprachen und Literaturen 82) ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 57-436 ; M. laBrousse, « Les origines du monastère (ve-viie siècle) », dans M. laBrousse, E. magnani, Y. codou, J.-M. le gall, R. Bertrand et V. gaudrat, Histoire de l’abbaye de Lérins, Bégrolles-en-Mauges, 2005 (Cahiers cisterciens, Des lieux et des temps 9), p. 23-57 ; M. heiJmans et L. Pietri, « Le “lobby” lérinien : le rayonnement du monastère insulaire du ve siècle au début du viie siècle », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 35-61 et Joly, kinossian et lauwers (éd.), Entre ciel, mer et terres. L’île monastique de Lérins (ve‑xxe siècle), cit.

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La Vita Honorati est un panégyrique qu’Hilaire, un moine lérinien qui avait pris à Arles la succession épiscopale d’Honorat, a prononcé, un 16 ou un 17 janvier, à l’occasion de l’anniversaire du décès de son prédécesseur132. Cette homélie évoquant le trépas et les obsèques d’Honorat comme s’il s’agissait d’un événement très proche, il est probable qu’elle a été en fait prononcée pour le premier anniversaire de sa depositio, ce qui a amené l’historiographie à proposer de la dater du 16 ou du 17 janvier 431, une date que l’on peut considérer comme vraisemblable à défaut d’être absolument certaine133. Pour notre propos, il est important de souligner que la Vita Honorati ne fait pas partie des textes lériniens, dans la mesure où elle relève de la production hagiographique de l’Église d’Arles. Écrite par un homme, qui pour avoir été un ancien moine de Lérins était désormais devenu évêque, elle n’était pas destinée à honorer le monachisme lérinien, mais la cité d’Arles, qu’Hilaire s’attachait à glorifier par l’intermédiaire de son prédécesseur dont son Église possédait le tombeau, ce qui n’était évidemment pas sans conséquences sur les thématiques du discours hagiographique qu’il était amené à développer. Si ses limites sont donc notables, la Vita Honorati constitue toutefois pour notre étude une source majeure, puisqu’elle a été rédigée à peu de distance du décès d’Honorat par un auteur très bien informé. Hilaire avait en effet été non seulement le disciple d’Honorat à Lérins, mais lui était aussi apparenté par les liens du sang, comme il l’affirme lui-même à plusieurs reprises dans sa Vita Honorati134. Après une longue préface qui témoigne du haut niveau de maîtrise de la rhétorique qu’Hilaire avait acquis135, la Vita Honorati évoquait les origines du saint, en soulignant « la noblesse de sa famille élevée jusqu’au consulat136 ». Hilaire n’a malheureusement pas souhaité donner davantage d’informations sur les origines du saint, sans doute parce qu’elles devaient être bien connues de son auditoire. Une cinquantaine d’années plus tard, Honorat de Marseille, auteur d’une Vie d’Hilaire (BHL 3882), devait d’ailleurs revenir sur ce passage, en expliquant que la noblesse d’Honorat était si éclatante que, par esprit de modestie, son parent Hilaire n’avait

132. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, éd. M.-D. valentin, Paris, 2008 (Sources chrétiennes 235) ; sur la Vita Honorati, v. S. Pricoco, « Modelli di santità a Lerino. L’ideale ascetico nel “Sermo de vita S. Honorati” di Ilario di Arles », Siculorum gymnasium, 27 (1974), p. 54-88 [rééd. : S. Pricoco, Monaci, Filosofi e santi. Saggi di storia della cultura tardoantica, Messine, 1992 (Armarium 1), p. 57-83] ; J.-P. weiss, « Honorat, héros antique et saint chrétien : étude du mot “gratia” dans la vie de saint Honorat d’Hilaire d’Arles », Augustinianum, 24 (1984), p. 265-280 ; M. laBrousse, Saint Honorat, fondateur de Lérins et évêque d’Arles, Bégrolles-en-Mauges, 1995 (Vie monastique 31) ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 133-180 et D. natal, « “A Suitable Successor” : Building Legitimacy in Hilary’s Sermon on the Life of Honoratus », Reti Medievali Rivista, 16/1 (2015), p. 147-168. 133. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., p. 21-23 ; pour la datation v. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 1023. 134. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 3, p. 74-75 et 36, p. 168-169 ; v. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 998-1007. 135. S. cavallin, « Les clauses métriques des hagiographes arlésiens », Eranos, 46 (1948), p. 133-157. 136. […] usque ad consulatus provectam familiae suae nobilitatem : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 4, 2, p. 76-78.

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pas souhaité décrire « le très noble arbre généalogique de ses origines137 ». En un temps où la dignité consulaire était souvent revêtue par l’empereur ou ses généraux barbares, Honorat devait effectivement appartenir aux couches les plus élevées des élites aristocratiques gauloises. Aussi, bien qu’Hilaire ait abordé les origines du saint selon les topoï hagiographiques, en expliquant que la noblesse de sa famille n’était pour Honorat qu’un « objet de dédain », sa brillante ascendance n’en constituait très certainement pas moins la clef essentielle de sa grande carrière ecclésiastique. Comme l’a souligné récemment David Woods, un homme de cette dimension ne pouvait avoir que des ancêtres bien connus, ce qui l’a amené à suggérer qu’il pourrait être le petit-fils d’Ausone, le grand rhéteur bordelais du ive siècle138. Si cette hypothèse peut sembler bien audacieuse, il ne fait en tout cas aucun doute qu’Honorat relevait bien du cercle restreint de la très haute noblesse gauloise, ce qui explique très certainement que sa fondation ait pu acquérir dès ses origines un rayonnement aussi remarquable. Reprenant les topoï hagiographiques, la Vita Honorati insistait évidemment sur la rupture du saint avec sa famille139. Après avoir refusé le mariage et la carrière à laquelle il était destiné, Honorat se serait converti à la vie religieuse avec son frère Venance, avant de se placer sous l’autorité du « saint homme » Caprais, dont il aurait fait son « père dans le Christ140 ». Hilaire ajoute qu’Honorat aurait en revanche refusé de répondre à l’appel de l’évêque de Marseille, qu’il faut à l’évidence identifier à Proculus, même si son nom n’est pas indiqué. Ce passage doit sans doute se comprendre dans le contexte de la très forte rivalité qui opposait alors l’Église d’Arles à celle de Marseille141, ce qui explique probablement aussi que ni Cassien, ni aucun des ascètes marseillais, ne soient cités par la Vita Honorati. Le principal événement qu’Hilaire avait retenu de la formation et de la jeunesse d’Honorat était le voyage en Orient qu’il avait décidé d’entreprendre avec son frère Venance et son guide spirituel Caprais. La Vita Honorati donnait une grande importance à cette entreprise, en expliquant que les trois voyageurs n’avaient pas pu atteindre leur but, car après être arrivés sur le littoral de l’Achaïe, Venance et Honorat auraient été atteints par une grave maladie. Venance n’y avait pas survécu et Honorat, épuisé, aurait été contraint à rebrousser chemin avec Caprais. Selon Hilaire, l’échec de ce voyage aurait amené Honorat à rechercher dans sa patrie un palliatif au désert oriental qu’il n’avait pu visiter, ce qui l’aurait alors amené à envisager un départ pour une île142. 137. […] praecelsum stemma natalium […] nobilitate : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 2, p. 90-91. 138. D. woods, « The Origin of Honoratus of Lérins », Mnemosyne, 46/1 (1993), p. 78-86. 139. A. BarBero, Un santo in famiglia. Vocazione religiosa e resistenze sociali nell’agiografia latina medievale, Turin, 1991 et I. réal, Vies de saints, vie de famille. Représentation et système de la parenté dans le Royaume mérovingien (481‑751) d’après les sources hagiographiques, Turnhout, 2001 (Hagiologia 2), p. 454-474. 140. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 12, 1, p. 100-101. 141. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 114-124. 142. […] et quem a patria heremi desideria provocaverant, hunc in heremum huic urbi propinquum Christus invitat : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 15, 1, p. 106-107.

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C’est en effet de retour de ce voyage en Orient qu’Honorat aurait, selon la Vita Honorati, jeté son dévolu sur une île « située au pied de la chaîne des Alpes143 », dont Hilaire ne donne pas le nom, même s’il ne fait aucun doute qu’il s’agit bien de l’actuelle île Saint-Honorat. La Vita Honorati explique le choix d’Honorat par le fait qu’il s’agissait d’une « île inhabitée144 », ce qui semble confirmé par les données archéologiques, puisque aucune trace de peuplement n’a pu être mise en évidence sur cette île avant l’arrivée des moines. Hilaire affirme aussi qu’Honorat avait choisi cette île parce qu’il aurait été « charmé par le voisinage d’un homme saint et bienheureux dans le Christ, l’évêque Léonce, et lié à lui par une profonde affection145 ». Mentionné pour la première fois par une lettre donnée par le pape Boniface ier le 13 juin 419146, puis dans la préface du premier groupe des Conférences de Cassien, dont nous avons vu qu’elle ne pouvait être postérieure à 426, ainsi que par une lettre du pape Célestin datée d’environ 431147, Léonce fut le premier évêque historiquement connu de l’Église de Fréjus. Il dut sans doute mourir vers 433/434, car à cette date, les Fréjusiens voulurent élire Maxime pour prendre sa succession, comme nous aurons l’occasion de le voir. Léonce était un évêque très lié aux milieux ascétiques, puisqu’il était le frère de Castor148, l’évêque d’Apt pour lequel Cassien avait rédigé les Institutions, probablement dans les années 420-424149. Castor avait demandé à Cassien de rédiger ce texte normatif, afin de pouvoir l’utiliser pour instruire les frères du cénobe qu’il désirait fonder dans son diocèse, un projet qu’il a peut-être mené à bien, puisque Yann Codou a récemment suggéré d’identifier le cénobe de Castor avec le site archéologique de Saint-Estève, sur la commune de Ménerbes dans le département du Vaucluse150. Cassien avait aussi l’intention de dédier à Castor la première partie de ses Conférences, mais la préface qu’il rédigea avant 426 nous apprend que cet évêque d’Apt était alors déjà mort, ce qui l’avait finalement amené à dédier cette première série de conférences à l’évêque Léonce ainsi qu’à un certain Helladius, dont Cassien affirmait qu’il avait l’intention de devenir anachorète. Bien que le projet d’Helladius n’ait pas abouti ou soit resté éphémère puisque, comme nous l’avons vu, il semble avoir été élu évêque d’Arles après l’assassinat en 426 de l’évêque Patrocle, les relations de Léonce avec cet apprenti anachorète sont en 143. […] Alpino haud longe iuro subditam : ibid., 15, 2, p. 108-109. 144. Vacantem […] insulam : ibid., 15, 2, p. 108-109. 145. […] sancti ac beatissimi in Christo viri Leontii episcopi oblectatus vicinia et caritate constrictus : ibid., 15, 2, p. 108-109. 146. Boniface, Epistolae et decreta, Paris, 1845 (Patrologia latina 20), ep. 3, col. 756-758. 147. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 139. 148. Selon Jean cassien, Conférences, t. I, cit., Préface, 3, p. 80-81, Léonce aurait été uni à Castor par une germanitatis affectu ; sur Castor d’Apt et son culte, v. en dernier lieu T. Pécout, « Les saints médiévaux d’une cité provençale : Apt, une relecture », Revue d’histoire de l’Église de France, 105/255 (2019), p. 213-233, ici p. 220-225. 149. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., p. 11. 150. Y. codou, « Sur les monastères, des éclairages archéologiques nouveaux », dans guyon et heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle), p. 131-135 ; sur ce site, v. I. cartron, Y. codou et M. fixot, « Saint-Estève de Ménerbes - Archéologie », Provence historique, 42/167-168 (1992), p. 186-206.

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tout cas bien attestées. Tous ces éléments démontrent donc que Léonce était un évêque manifestement très impliqué dans le mouvement monastique et il est donc vraisemblable, comme Hilaire le suggère dans la Vita Honorati, qu’il ait effectivement pu jouer un rôle important dans la fondation du monastère de Lérins, auquel l’Église de Fréjus pourrait alors avoir effectivement apporté une importante contribution financière151. Le récit d’Hilaire, jusque-là très rationnel, introduisit toutefois un élément surnaturel, lorsqu’il expliqua que l’île sur laquelle débarquait Honorat était peuplée par des serpents, qui s’en retirèrent sitôt que le saint y fût arrivé. Bien que la Vita Honorati ait été peu portée sur le merveilleux, l’introduction de ce miracle donnait au récit d’Hilaire une connotation orientale, dans la mesure où il situait Honorat dans la continuité de saint Antoine, qui aurait lui aussi, chassé les serpents du fortin dans lequel il s’était installé au cœur du désert, selon le récit que l’évêque Athanase d’Alexandrie avait rédigé152. Il permettait à Hilaire de jouer sur le double aspect du milieu insulaire, à la fois lieu d’exil, dans la tradition ouverte par Jean de Patmos et Bonose affrontant sur son île les flots déchainés, et image du paradis, selon l’exégèse qu’Ambroise avait dressée de ces espaces intermédiaires entre la terre et le ciel. Hilaire utilisait toutefois cette double connotation dans une logique de passage et d’ascension, puisque la présence charismatique d’Honorat avait permis de faire passer cette île du statut de « redoutable désert153 » à celui de « camp de Dieu154 ». La Vita Honorati est malheureusement très pauvre en éléments susceptibles de situer chronologiquement les événements qui avaient marqué la vie d’Honorat. Les seules données que la prosopographie peut permettre de situer sont, d’une part, son intronisation épiscopale sur le siège d’Arles, que l’on peut très probablement dater de la fin de l’année 427, et, d’autre part, son décès, dont nous avons vu qu’il peut très vraisemblablement être situé au 15 ou au 16 janvier 430155. Eu égard au rayonnement dont disposait de son temps sa fondation monastique de Lérins, il semble évident qu’Honorat avait dû y vivre un certain temps, ce qui a amené l’historiographie à considérer qu’il était peu probable que la mise en place de ce monastère puisse être postérieure à 410. Enfin, comme nous savons que Caprais, père spirituel d’Honorat, n’est pas mort avant 434156, il semble difficile de considérer que son élève aurait pu naître avant les années 370157. Tous ces éléments 151. M. figuinha, « The Economy of the Monastery of Lérins (c. 400-c. 460) », dans G.A. cecconi, R. liZZi testa et A. marcone (éd.), The Past as Present. Essays on Roman History in Honour of Guido Clemente, Turnhout, 2019, p. 365-384 et idem, « Pro qualitate loci et instantia laboris. Monasteries and their Human and Natural Environments in Late Antique Gaul », Medieval Worlds, 9 (2019), p. 82-111, en particulier p. 95. 152. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 144-145. 153. […] terribilem illam vastitatem : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 15, 2, p. 108-109. 154. […] castra […] Dei : ibid., 16, 1, p. 110-111. 155. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. I, p. 1023. 156. honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 12, p. 118-119 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 420-421. 157. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 44, n. 66.

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ont amené l’historiographie à dater la fondation de Lérins des années 400-410, ce qui peut sembler crédible même s’il pourrait être prudent de prendre davantage de marge, eu égard aux grandes incertitudes de nos données chronologiques, en situant la genèse de ce monastère entre 390 et 420158. Hilaire donne aussi quelques informations sur la vie monastique qu’Honorat aurait organisée dans son refuge insulaire. Selon la Vita Honorati, l’île voyait arriver « des hommes de toutes les parties de la terre, différents de mœurs autant que de langue159 », ce qui a pu amener Friedrich Prinz à estimer que le premier Lérins aurait constitué un « monastère de réfugiés » (Flüchtlingskloster)160. Selon cette interprétation, le succès de Lérins aurait été lié à sa capacité à accueillir les élites du nord de la Gaule, expropriées par les invasions barbares, en leur proposant un asile dans un espace protégé. Si cette conception est restée discutée, le premier monachisme lérinien disposait en tout cas d’une attraction très large, puisque la documentation permet d’y attester la présence de nombreux étrangers, à l’exemple de Loup de Troyes, qui selon sa Vie serait né à Toul161, ou encore de Fauste de Riez, qui selon Sidoine Apollinaire et surtout Avit de Vienne serait originaire de la Bretagne162. La Vita Honorati ne permet en tout cas pas d’aller plus loin, car en dehors d’Hilaire, qui s’y est mis lui-même généreusement en scène, elle ne cite que deux des compagnons d’Honorat, tout d’abord « le saint homme Caprais qui mène jusqu’à présent la vie des anges dans les îles163 » et « le remarquable et bienheureux prêtre Salvien164 », sans doute originaire de la vallée du Rhin165, auquel Honorat aurait été particulièrement attaché, selon le témoignage d’Hilaire. Cette quasi-absence des compagnons d’Honorat, qui sont autrement plus présents dans d’autres sources, est une caractéristique majeure de la Vita Honorati. Elle s’explique certainement par le fait que cette Vie est un texte arlésien, dans lequel Hilaire semble avoir été peu enclin à mettre en avant les moines lériniens. Il est ainsi remarquable que le nom de Maxime n’apparaisse jamais dans la Vita Honorati, alors même qu’il avait repris à Lérins la succession d’Honorat. Tout aussi notable est l’absence complète de l’anachorète Helladius, dont il existe de bonnes raisons de supposer qu’il n’avait pas dû être étranger à la genèse de Lérins, 158. 159. 160. 161. 162.

163. 164. 165.

Ibid., p. 31-36. […] ex diversis terrarum partibus collecta, tam moribus quam linguis dissona : ibid., 19, 1, p. 124-125. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit., p. 47-58. […] ex urbe Leucorum : Vita Lupi episcopi Trecensis, éd. B krusch, Hanovre/Leipzig, 1920 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 7), p. 284-302, ici p. 295. […] Britannis tuis : sidoine aPollinaire, III. Correspondance, livres VI‑IX, éd. A. loyen, Paris, 20032 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), IX, 9, 6, p. 149 et […] ortu Britannum habitaculo Regiensem : avit de vienne, Lettres, éd. E. malasPina et M. reydellet, Paris, 2016 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 1, 2, p. 3. […] sanctum Caprasium angelica adhuc in insulis conversatione degentem : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 12, 1, p. 100-101. (..) egregius et in Christo beatissimus vir Salvianus presbyter : ibid., 19, 2, p. 124-125. Sur les éléments qui donnent à penser que Salvien était issu de Cologne ou de Trêves, v. M. Pellegrino, « Salviano di Marsiglia. Studio critico », Lateranum, 6e série 1-2 (1940), p. 7-238, ici p. 7-26 et Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit, p. 54, n. 118.

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dans la mesure où Cassien lui avait dédié avec l’évêque Léonce de Fréjus la première partie de ses Conférences. Son absence de la Vita Honorati est d’autant plus remarquable qu’il avait dû être le prédécesseur immédiat d’Honorat sur le siège épiscopal d’Arles. Dans son cas, il est toutefois probable que le silence d’Hilaire sur ce personnage ne soit pas sans rapport avec la damnatio memoriae qui semble avoir frappé son souvenir, puisque le nom d’Helladius a purement et simplement disparu des listes épiscopales de l’Église arlésienne166. La Vita Honorati offre une brève mais très intéressante description du site monastique lérinien, lorsqu’elle explique qu’Honorat aurait fait construire à Lerina « le temple d’une église susceptible de contenir les élus de Dieu [et] des habitations (habitacula) susceptibles d’abriter les moines167 ». Tel qu’Hilaire d’Arles nous le décrit, le site de Lerina aurait donc associé une église communautaire et des habi‑ tacula monastiques, ce qui implique que les moines auraient vécu en cellules. Dans la documentation monastique tardo-antique et alto-médiévale, le terme d’habita‑ culum était en effet utilisé pour désigner un habitat solitaire, avec une acception plus précise que le terme de cellula, qui était plus large et pouvait aussi désigner un habitat communautaire168. C’est par exemple le terme d’habitaculum que la Vita patrum Jurensium utilisa pour décrire les modestes cellules monastiques que les premiers frères du Jura auraient construites en bois169. C’est ce même terme d’habi‑ taculum que Vincent de Lérins employa pour désigner sa cellule, lorsqu’il expliqua dans l’introduction du Commonitorium, rédigé vers 434, qu’il avait écrit son traité dans « la solitude d’une cellule (habitaculum) d’un monastère170 ». En qualifiant d’habitacula les résidences monastiques de l’île Saint-Honorat, Hilaire recourait donc à un terme précis, qui désignait sans ambiguïté à son auditoire des cellules. Ce point doit être souligné, dans la mesure où l’utilisation de ce terme montre que pour Hilaire le monastère d’Honorat ne constituait pas un cénobe. Il ne fait en effet aucun doute qu’Hilaire ne pouvait ignorer les enseignements de Cassien, dont nous avons vu qu’il avait précisé dans sa conférence 23, rédigée quelques années seulement avant la Vita Honorati, que le terme de coenobium ne pouvait désigner qu’un monastère où les moines cohabitaient en communauté171. 166. chadwick, « Euladius of Arles », cit. 167. […] sufficiens electis Dei ecclesiae templum [et] apta monachorum habitaculis tecta : ibid., 17, 1, p. 112-113. 168. A.-M. helvétius, « Le saint et la sacralisation de l’espace en Gaule du Nord d’après la documentation hagiographique (viie-xie siècle) », dans M. kaPlan (éd.), Le sacré et son inscription dans l’espace, Paris, 2001, p. 154-178, ici p. 155-156 et p. 170, n. 4 ; pour un contre-exemple d’utilisation du terme d’habitaculum selon une acception plus large dans les Dialogues de Grégoire le Grand : dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 275. 169. […] duo quidam iuvenes […] dedolatis levigatisque diligentissime lignis et sibi construexere habitacula : Vie des pères du Jura, éd. F. martine, Paris, 2004 (Sources chrétiennes 142), 13, p. 254-255. 170. […] secretum monasterii incolamus habitaculum : vincent de lérins, The Commonitorium, éd. R.S. moxon, Cambridge, 1915 (Cambridge Patristic Texts), 1, p. 4. 171. […] coenobium nisi ubi plurimorum cohabitantium deget unita communio non potest appellari : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 9-10, p. 22.

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Bien que la Vita Honorati souligne que les moines lériniens étaient bien évidemment astreints à la pauvreté, le monastère semble avoir disposé de richesses importantes, car Hilaire signale qu’Honorat « avait disposé de nombreux milliers de pièces d’or dans son coffre d’où se répandaient ses dons généreux172 ». Selon la Vita Honorati, ces ressources, qui seraient provenues des donations que la réputation du saint lui permettait de recevoir en très grand nombre, étaient d’abord et avant tout utilisées par Honorat pour l’entretien des pauvres et le rachat des prisonniers, ce qui l’aurait amené à être rejoint par « une affluence de prisonniers arrivés en grand nombre de différentes régions173 ». Ce passage est intéressant, dans la mesure où il pourrait confirmer que le monastère de Lérins a pu effectivement servir de lieu de refuge pour des populations victimes des invasions barbares et des guerres civiles. Hilaire précise même que cette fonction de redistribution était si importante qu’Honorat avait dû en partie la déléguer, puisqu’il aurait disposé « en de nombreux lieux d’hommes de toute confiance pour distribuer par leurs mains ce qu’on lui apportait174 », ce qui suppose qu’il aurait bénéficié sur le continent d’un réseau structuré d’amis ou de dépendants. La Vita Honorati insiste sur l’ouverture du monastère aux voyageurs de passage175, mais aussi sur l’importance du temps qu’Honorat consacrait à l’entretien de sa correspondance, sans doute parce qu’elle suppléait les voyages qu’il ne pouvait plus faire. À en juger par le récit de la Vita Honorati, Honorat paraît s’être en effet astreint à la stabilitas loci, ce qui semble être confirmé par la documentation, dans la mesure où avant son élection épiscopale à Arles, il n’existe aucune trace de sa présence hors de son île. Bien que nous n’ayons conservé aucune de ces lettres, Hilaire donnait en tout cas une grande importance à cette correspondance, en précisant que beaucoup de ses contemporains avaient appris par cœur et citaient les lettres d’Honorat176, ce qui donne à penser qu’il existait un épistolier qui n’est malheureusement pas parvenu jusqu’à nous. La Vita Honorati évoque même l’existence de scrinia, autrement dit d’archives, qui, avec la bibliothèque visiblement bien fournie dont disposaient les pères de Lérins, ont pu faire de ce monastère une école majeure et un important centre de production d’écritures177. Selon Hilaire, Honorat aurait en particulier entretenu 172. […] multis milibus aureum nummum proflua ad munificentiam arca retineret : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 21, 1, p. 128-129. 173. Hinc ad eum frequens ille ex diversarum regionum captivitate concursus : ibid., 20, 4, p. 128-129. 174. […] plurimos multis in locis probatissimos viros habuit, quorum semper manibus quod sibi deferebatur expenderet : ibid., 21, 2, p. 130-131. 175. Ibid., 20, 1-2, p. 126-127. 176. […] plurimi ea inscripta sensibus ferunt et libentissime ad testimonium amoris sui proferunt : ibid., 22, 4, p. 132-133. 177. P. courcelle, « Nouveaux aspects de la culture lérinienne », Revue des études latines, 46 (1968), p. 379-409 ; kasPer, Theologie und Askese, cit., p. 14-18 ; P. riché, Les écoles et l’enseignement dans l’Occident chrétien de la fin du ve siècle au milieu du xie siècle. Paris, 19952, p. 87-91; scherliess, Literatur und conversio. Literarische Formen im monastischen Umkreis des Klosters von Lérins, cit. ; M. dulaey, « La bibliothèque du monastère de Lérins dans les premières décennies du ve siècle », Augustinianum, 46 (2006), p. 187-230 ; S. gioanni, « La culture profane et la littérature monastique

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une correspondance avec « un homme brillant aux yeux du monde, plus brillant encore dans le Christ, son émule en vertu, le bienheureux Eucher178 », dont la Vita Honorati, affirme qu’il vivait « dans l’île la plus proche de la sienne179 ». Une telle assertion est des plus importantes, dans la mesure où elle implique qu’Eucher ne vivait pas sur la même île qu’Honorat, mais habitait sur l’île de Lero, autrement dit dans l’actuelle île Sainte-Marguerite. Cette évocation de l’existence, à côté du monastère de Saint-Honorat, d’un autre foyer de vie ascétique, dans lequel résidait Eucher, est confirmée par une autre source, la lettre 51 de l’épistolier de Paulin de Nole, par laquelle nous poursuivrons notre étude180.

La lettre 51 de l’épistolier de Paulin de Nole Paulin évêque à ses saints et très chers fils, Eucher et Galla, que leur mérite rend digne de louange et de vénération.

Béni soit le seigneur notre Dieu qui donne la prière à celui qui le recherche et y répond en dépassant toujours son espérance, lorsqu’il m’a jugé digne de recevoir par une si inattendue occasion, aussi opportune que désirée, les jeunes religieux, Gélase, Augendus et Tigridius, mes fils, avec qui je partage un même assujettissement dans le Seigneur. Ils font partie de la sainte et très chaste communauté de l’homme digne de louange et célèbre dans le Christ, notre frère et coprêtre Honorat, qui me les a envoyés par l’inspiration du Seigneur pour revivifier mon humilité comme le fait votre affection. M’informant en effet avec soin, pour la charité due à vos mérites, de votre situation et de votre état - car sur vos actes pieux et célestes, je ne saurais avoir de doute -, ils m’ont donné une réponse qui a réconforté mon âme, puisque par la grâce de Dieu vous alliez bien, œuvrant pour le bien et vous astreignant à l’étude selon un projet vénérable qui vous a amené d’un même cœur à quitter les choses terrestres pour postuler au ciel. Je me suis rappelé que les fils, envoyés expressément il y a un an pour rendre visite à mon humble personne, nous avaient fait connaître le lieu où vous habitez,

en Occident aux ve et vie siècles : l’exemple des ascètes provençaux », dans É. réBillard et C. sotinel (éd.), Les frontières du profane dans le monde romain, Rome, 2010 (Collection de l’École française de Rome 428), p. 177-195 ; R. alciati, « Eucher, Salvien et Vincent : les “Gallicani doctoresˮ de Lérins », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 105-119 et idem, Monaci, vescovi e scuola nella Gallia tardoantica, Rome, 2009 (Temi e testi. Studi di storia del cristianesimo 72), p. 62-121. 178. […] splendidus mundo, splendidior in Christo, aemulus virtutis suis, beatus Eucherius : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 22, 2, p. 130-131. 179. […] in proxima ab ipso degens insula : ibid., 22, 2, p. 132-133. 180. Sur la correspondance de Paulin de Nole, v. en dernier lieu : J. desmullieZ, C. vanhems, R. delmaire et P.-L. gatier, « Paulin de Nole et ses correspondants. Une même communauté spirituelle ? », dans R. delmaire, J. desmullieZ et P.-L. gatier (éd.). Correspondances. Documents pour l’histoire de l’Antiquité tardive. Actes du colloque international, Université Charles‑de‑Gaulle‑Lille 3, 20‑22 novembre 2003, Lyon, 2009 (Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen ancien 40 ; Série littéraire et philosophique 40), p. 393-417.

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vous et le vénérable seigneur Honorat. Ils disaient que vous demeuriez dans des îles toutes proches l’une de l’autre, même par leurs noms : Lero et Lerina, séparées seulement par un petit bras de mer. Aussi, quand ces fils m’ont dit qu’ils venaient de l’île appelée Lerina, j’ai reconnu et me suis rappelé sans peine l’île au nom voisin où je savais que votre sainteté avait fui le bruit de ce monde. C’est pourquoi, sachant que votre affection me saura gré de l’obligeance de ma plume et parce que je vous dois une reconnaissance permanente, j’ai accueilli avec joie l’opportunité que nous donnaient nos fils spirituels, afin qu’ils soient les porteurs de ma lettre à votre bénite union dans le Christ Seigneur […]181.

Comme l’avait mis en évidence Clemens Kasper, ce texte confirme ce que la Vita Honorati avait rapidement évoqué, autrement dit que l’archipel de Lérins accueillait bien un double foyer de vie ascétique182. Selon le témoignage de Paulin de Nole, le premier de ces foyers se situait à Lerina, autrement dit sur l’actuelle île Saint-Honorat, d’où provenaient Gélase, Augendus et Tigridius, les trois moines qu’Honorat avait envoyés à Paulin de Nole pour la deuxième fois en une année. Bien que nous n’ayons pas conservé les lettres qu’Honorat avait ainsi envoyées à Paulin, ce texte confirme en tout cas ce qu’Hilaire avait affirmé dans sa Vita Honorati, lorsqu’il expliquait que le saint entretenait un important réseau de correspondants. Bien que nous ne les ayons pas conservées, ces lettres ont très certainement dû contribuer au rayonnement spirituel de la communauté (congre‑ gatio) qu’il avait réussi à rassembler autour de lui. La lettre 51 de Paulin de Nole nous informe donc aussi qu’à quelques centaines de mètres de la communauté d’Honorat, Eucher et Galla menaient une vie ascétique dans l’île de Lero, autrement dit dans l’actuelle île Sainte-Marguerite. Eucher et Galla étaient mariés, si l’on en juge par les formulations utilisées par 181. Sanctis et merito praedicandis atque venerandis et dilectissimis filiis Eucherio et Gallae Paulinus episcopus. Benedictus dominus Deus noster, qui dat votum optanti et semper nostra superat vota votisque respondet, qui insperanti mihi tam opportunam quam exoptatam occasionem praebere dignatus est per religiosos iuvenes, filios meos, coaservos vero communes in Domino, Gelasium et Augendum et Tigridium, quos de sancto et castissimo congregationis suae numero vir laudabilis et praeclarus in Christo, frater noster et compresbyter noster Honoratus, ad humilitatem meam vestrae dilectionis exemplo refovendam Domino inspirante direxit. Sollicite enim pro caritate meritis vestris debita sciscitanti actum vel incolumitatem vestram (nam de actu pio atque caelesti dubius esse non poteram) id quod animam meam reficeret responderunt, quia vos Deo propitio incolumes reliquissent venerandi propositi opera curantes ac studia exercentes, et in corde uno, quo terrestria reliquistis, caelum petentes. Memineram enim quia filii mei, quos ante annum ad humilitatem meam, mei gratia visitandam miseratis, locum habitationis vestrae, simul et domni venerabilis Honorati nobis innotuerunt, dicentes scilicet quia in proximis, brevi interiecta maris rupe etiam cognominibus Lero et Lerino insulis degeritis unde, cum se isti filii ex ea, quae Lérinum dicitur, venisse dixissent, recognovi et facile recordatus sum propinqui nominis insulam, in qua sanctitatem vestram ab istius mundi strepitu profugam manere iam noveram, quamobrem sciens dilectioni vestrae gratum fore officium litterarum mearum, quia et a me vobis in perennem gratiam debitum est, libens amplexus sum hanc oportunitatem spiritalium filiorum, ut ad benedictam in Christo Domino unanimitatem vestram, epistolae meae portitores essent : Paulin de nole, Opera, t. I, Epistulae, éd. G. de hartel, Vienne, 1894 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 29), ep. 51, p. 423-424. 182. kasPer, Theologie und Askese, cit., p. 211-213.

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la lettre de Paulin, qui évoque par exemple leur « union bénite dans le Christ seigneur » (benedicta in Christo Domino unanimitas). Ce point est en cohérence avec les données de la Vita Consortiae virginis (BHL 1925), un texte dont le noyau ancien semble avoir été rédigé au viie ou au viiie siècle, avant d’être interpolé à l’époque carolingienne, puis d’avoir été le plus souvent transmis sous le titre de Conversio sancti Eucherii episcopi et Galle uxoris ejus et vita duarum flliarum Tulliae atque Consortiae Virginum183. Cette Vie affirme en effet que « l’homme de l’ordre sénatorial, appelé Eucher, avait une femme de noble naissance, appelée Galla184 ». Cette formulation est d’autant plus crédible qu’Eucher était effectivement issu d’une famille d’illustres, autrement dit de rang sénatorial185. Selon la lettre de Paulin, Eucher et Galla auraient, « dans un même cœur », quitté les choses terrestres pour rechercher le monde céleste, ce qui donne à penser que les deux époux s’étaient convertis à une vie de chasteté, selon un modèle que Paulin de Nole avait d’ailleurs lui-même adopté, puisque depuis sa conversion il vivait avec son épouse Therasia dans une union continente186. Cette chasteté partagée ne constituait sans doute que l’un des aspects de la vie ascétique que menaient Eucher et Galla, dont les modalités nous restent toutefois inconnues puisque la lettre 51, qui est sur ce point notre source unique, se limite malheureusement à l’évoquer de manière très vague, lorsqu’elle affirme que le couple vivait sur l’île de Lero, « en œuvrant pour le bien et en s’astreignant à l’étude ». Les historiens ont été tentés d’aller plus loin, en estimant que l’île SainteMarguerite aurait accueilli, au-delà d’Eucher et Gala, une communauté de couples mariés menant une vie religieuse187. Pour ce faire, ils ont considéré que Salvien et Palladia ou encore Loup et Pimeniola, sœur d’Hilaire d’Arles, auraient partagé à Lero la vie d’Eucher et de Galla, en y menant eux aussi une vie de couple chaste. Cette hypothèse ne repose toutefois que sur des conjectures sans le moindre fondement documentaire, dans la mesure où si les sources permettent d’attester que Salvien et Loup avaient bien été mariés avec Palladia et Pimeniola avant de se convertir et de venir vivre à Lérins, aucun élément documentaire ne permet en

183. M. heinZelmann, « L’hagiographie mérovingienne. Panorama des documents potentiels », dans M. goullet, M. heinZelmann et C. veyrard-cosme (éd.), L’hagiographie mérovingienne à travers ses réécritures, Ostfildern, 2010 (Beihefte der Francia 71), p. 27-82, en particulier p. 59. 184. […] vir ex ordine senatorio, Eucherius nomine, habens uxorem nobilibus ortam natalibus, nomine Gallam : Vita Consortiae virginis, éd. A. gouilloud, Saint Eucher. Lérins et l’église de Lyon au ve siècle, Lyon, 1881, pièce justificative no 1, p. 549-552. 185. J. PePino, St. Eucherius of Lyons. Rhetorical Adaptation of Message to Intended Audience in Fifth Century Provence, Thèse, Washington, 2009 (The Catholic University of America, ProQuest Dissertations Publishing), p. 16-40 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑ Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 653. 186. P. Brown, Le renoncement à la chair. Virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, Paris, 1993 (éd. originale : Columbia, 1988), p. 490. 187. V. en dernier lieu codou, Architectures du monachisme : une histoire monumentale de l’île Saint‑ Honorat de Lérins ve‑xiiie siècle, cit., p. 88-90.

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réalité d’attester que leurs épouses les y auraient accompagnés188. Si la lettre 51 de Paulin de Nole permet de démontrer qu’Eucher et Galla ont bien mené une vie religieuse à Lero, force est donc de conclure que rien ne saurait permettre d’en déduire que cette île aurait accueilli, à côté d’eux, une communauté d’époux convertis à une vie continente. Sur le site de Lero, Eucher et Galla vivaient en tout cas sur une île bien différente de la petite Lerina, qui n’avait visiblement jamais disposé avant l’arrivée d’Honorat d’un habitat permanent. Comme nous l’avons vu, Lero était une île anciennement humanisée, dont les fonctions résidentielles, en particulier marquées par la présence d’une importante villa maritime, correspondaient de fait au mode de vie recherché par les élites sénatoriales189. Sans doute peut-on penser que ce couple devait posséder l’ensemble de l’île sur laquelle ils s’étaient établis, mais aussi celle de Saint-Honorat, qui lui était probablement liée. Cette hypothèse peut en particulier bénéficier du témoignage de la Vita Consortiae virginis, lorsqu’elle affirme qu’Eucher aurait été largement possessionné dans cette région. Selon ce texte d’époque mérovingienne, Eucher aurait en effet transmis à sa fille Consortia un important domaine situé autour de Mandelieu, dans l’actuelle baie de Cannes. Bien que la Vita Consortiae virginis comporte par ailleurs de nombreuses erreurs qui nuisent à sa fiabilité, il se pourrait toutefois que cette évocation du patrimoine d’Eucher corresponde à un souvenir authentique, celui des vastes domaines que ce sénateur aurait possédés dans cette région190. Dans cette perspective, Eucher pourrait être perçu comme le véritable fondateur de la communauté lérinienne, le propriétaire de l’archipel de Lérins qui, après avoir décidé de mener une vie ascétique dans sa villa maritime de Lero, aurait fait venir Honorat et Caprais pour les installer sur l’île voisine. Dans sa lettre 51, Paulin de Nole affirme n’avoir appris que récemment la nouvelle de la conversion d’Eucher et de Galla, ce qui donne à penser qu’ils ne s’étaient alors retirés que depuis peu de temps sur l’île Sainte-Marguerite. La difficulté est toutefois de préciser la date de la rédaction de la lettre 51, qui ne donne que peu d’éléments de contexte permettant d’en préciser la chronologie. Elle offre certes un terminus a quo assez évident, dans la mesure où l’évocation de la vie monastique qu’Honorat menait à Lerina implique qu’elle ait été écrite avant son intronisation sur le siège épiscopal d’Arles que l’érudition situe, avec des arguments assez convaincants, à la fin de l’année 427191. En revanche, la lettre

188. V. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1398-1399, qui concluent qu’un séjour de Palladia à Lérins « n’est pas impossible » et que Pimeniola serait devenu continente après la septième année de son mariage avec Loup, « sans que l’on sache si elle le suit à Lérins » (ibid., t. II, p. 1487). 189. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. I, p. 653-658. 190. Vita Consortiae virginis, cit., 12, p. 552. 191. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, cit., p. 193, n. 16 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 1021.

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n’offre d’autre terminus ad quem que le retrait ascétique d’Eucher à Lero, qui ne peut se dater que par les données prosopographiques réunies sur ce personnage192. Malheureusement, il n’existe sur Eucher aucune source antérieure à sa conversion, dont la date est difficile à déterminer. Elle n’est en effet mentionnée que par la lettre 51 de Paulin et une brève évocation de Claudien Mamert, qui affirme, selon une formule des plus vagues, qu’Eucher se serait converti à « un âge verdoyant, dans la maturité de son esprit193 ». Plus riches en informations sont en revanche les Instructiones, un traité qu’Eucher avait rédigé pour son fils Salonius et que Martine Dulaey a récemment proposé de dater des années 430-434194. Dans la préface de ce texte, Eucher expliquait à son fils les raisons qui l’avaient amené à rédiger les deux livres de ses Instructiones, en expliquant qu’il avait voulu apporter un dernier complément à l’éducation de grande qualité que Salonius avait déjà reçue à Lérins : Venu au désert à l’âge d’à peine dix ans, tu as non seulement été initié mais aussi nourri à satiété par les mains de ces saints, au temps du père Honorat, ce grand homme qui fut, dirais-je, le maître des îles avant d’être aussi celui des Églises ; là, l’enseignement du très bienheureux Hilaire, alors en son apprentissage insulaire mais désormais devenu un très grand évêque, t’a formé en toutes choses par l’enseignement des disciplines spirituelles, avant que les saints hommes Salvien et Vincent, remarquables tant par leur éloquence que par leur science, n’achevassent ta formation195.

Comme l’avait souligné Salvatore Pricoco, cette préface peut permettre de situer l’arrivée, « à l’âge d’à peine 10 ans », de Salonius dans le désert de Lerina, à l’aune de la vie de son maître Hilaire196. La Vita Hilarii (BHL 3882), sans doute 192. M. dulaey, Eucher de Lyon : du monachisme à l’épiscopat, Paris, 2003 (Connaissance des Pères de l’Église 92), p. 19-24 ; F. Prévot, « Recherches prosopographiques autour d’Eucher de Lyon », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.) Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 119-138 ; PePino, St. Eucherius of Lyons, cit., p. 16-40 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 653-658. 193. […] viridis aevi, maturus animi : claudien mamert, De statu animae, éd. A. engelBrecht, Vienne, 1885 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 11), 2, 9, p. 135. 194. M. dulaey, « Eucher exégète : l’interprétation de la Bible en Gaule du Sud dans la première moitié du ve siècle », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.) Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑ Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 67-93, ici p. 70-71 ; Prévot, « Recherches prosopographiques autour d’Eucher de Lyon », cit., p. 136 et alciati, Monaci, vescovi e scuola nella Gallia tardoantica, cit., p. 63-64 195. […] vixdum decem natus annos heremum ingressus inter illas sanctorum manus non solum inbutus verum etiam enutritus es sub Honorato patre, illo, inquam, primo insularum postea etiam ecclesiarum magistro ; cum te illic beatissimi Hilarii, tunc insulani tironis sed iam nunc summi pontificis, doctrina formaret per omnes spiritalium rerum, ad hoc etiam te postea consummantibus sanctis viris Salviano atque Vincentio eloquentia pariter scientiaeque praeeminentibus : eucher, Instructionum libri duo ad Salonium, dans eucher, Opera omnia, éd. C. worke, Vienne, 1894 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 31), p. 63-161, ici p. 65-66. 196. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit. p. 38-39.

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rédigée par l’évêque Honorat de Marseille dans les années 470, indique en effet qu’Hilaire serait décédé peu après son 48e anniversaire197, ce qui permet de situer sa naissance au début du printemps de l’année 401, puisque nous savons avec certitude qu’Hilaire est mort le 5 mai 449198. Puisqu’il serait bien difficile de soutenir que Salonius aurait pu être plus vieux que son maître Hilaire, Salvatore Pricoco en avait déduit qu’il ne pouvait être né avant 402, ce qui peut sembler assez évident. Étant donné, par ailleurs, que les actes du concile tenu à Orange en 441 montrent que Salonius était alors évêque de Genève, sans doute depuis très peu de temps puisqu’il avait souscrit en dernier199, Pricoco avait estimé que ce fils d’Eucher ne pouvait être né après 410, en invoquant l’autorité des règles canoniques qui imposaient qu’un évêque ne puisse être élu avant l’âge de 30 ans. Enfin, comme la préface des Instructiones indique que Salonius était venu s’installer à Lérins « à l’âge d’à peine 10 ans », Pricoco avait estimé qu’il était donc possible de conclure qu’il s’y était installé entre 412 et 420. Cette datation de l’arrivée de Salonius à Lérins constituerait ainsi le terminus a quo de la lettre 51 de Paulin de Nole, dans la mesure où il semble probable que le fils d’Eucher soit arrivé sur les îles de Lérins en compagnie de ses parents. Bien qu’elle soit brillante, la démonstration de Pricoco peut susciter quelques réserves. Le terminus de 412 peut sembler par trop précoce, dans la mesure où il est bien improbable que Salonius aurait pu n’avoir qu’une seule année d’écart avec son maître Hilaire ; sans doute peut-on considérer qu’il est nécessaire de prendre un minimum de cinq années, ce qui reporterait le terminus a quo autour de 416. Par ailleurs, le terminus ad quem de 420 est loin d’être convaincant, dans la mesure où la règle canonique qui imposait qu’un évêque ne puisse être élu avant l’âge de 30 ans semble avoir été assez peu respectée dans la pratique, comme en témoigne l’exemple même d’Hilaire, qui fut très vraisemblablement élu évêque d’Arles à l’âge de seulement 28 ans. Dans ces conditions, il peut sembler préférable de situer la lettre 51 dans une fourchette qui ne s’ouvrirait pas avant 415 et qu’il faut sans doute prolonger jusqu’à la fin de l’année 427, avec l’intronisation épiscopale d’Honorat sur le siège d’Arles, qui constitue notre seul terminus ad quem véritablement fiable. Par voie de conséquence, la date de la conversion d’Eucher doit vraisemblablement être située dans une fourchette chronologique un peu plus tardive que celle qu’avait donnée Pricoco, puisqu’il peut sembler préférable de la décaler de dix ans pour la placer entre environ 415 et environ 425. Tout en proposant de retarder ainsi un peu la date de la conversion d’Eucher et de son retrait à Lero, il convient peut-être surtout de souligner que rien ne permet d’attester qu’elle serait postérieure à l’installation d’Honorat et de sa communauté monastique sur la plus petite des deux îles de Lérins.

197. […] vix quadragesimi octavi anni : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 24, 1, p. 143. 198. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 155 et 200. 199. Concilia Galliae, a. 511‑a. 506, éd. C. munier, Turnhout, 1963 (Corpus Christianorum Series Latina 148), p. 87-89.

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Les déserts de L’Occident

La préface du deuxième groupe des Conférences de Cassien La préface du deuxième groupe des Conférences de Cassien, dont nous avons déjà vu qu’elle était antérieure à l’intronisation d’Honorat sur le siège épiscopal d’Arles à la fin de l’année 427, offre, à côté de la Vita Honorati et de la lettre de Paulin, un troisième témoignage sur l’organisation bipolaire du monachisme lérinien. Cette préface est en effet adressée à la fois à Honorat et à Eucher, autrement dit aux deux grands ascètes qui vivaient respectivement dans les actuelles îles de Saint-Honorat et de Sainte-Marguerite : Ô frères saints, Honorat et Eucher, vous avez été enflammés par une telle admiration pour ces hommes sublimes de qui nous avons reçu les premiers apprentissages de la vie anachorétique, que celui d’entre vous qui dirige dans un très grand cénobe de frères sa communauté, qui est quotidiennement instruite par l’exemple de votre sainte vie, souhaite aussi apprendre les préceptes de ces pères, tandis que l’autre, pour être physiquement édifié par leur exemple, voudrait pénétrer en Égypte et, délaissant cette province comme si elle était engourdie par les rigueurs gauloises du froid, voudrait voler comme une très chaste tourterelle vers ces terres que le soleil de la justice regarde de très près et où débordent les fruits mûrs des vertus. Il m’a été imposé par la vertu de la charité, qu’en me souciant du désir de l’un et de la peine de l’autre, je ne me dérobe pas au redoutable danger de l’écriture, du moment que l’autorité du premier sur ses fils en soit accrue et que soit épargné au second le besoin d’une si dangereuse navigation200.

Dans ce texte, donné ici dans une traduction renouvelée, Cassien dédiait aux « frères saints », Honorat et Eucher, une nouvelle série de conférences sur les enseignements que lui avaient révélés les grands anachorètes égyptiens qui, à l’exemple de Chérémon, Nesteros et Joseph, s’étaient exilés dans les îles bordant les rivages du delta du Nil. Après la lettre 51 de Paulin de Nole, cette évocation d’Honorat et Eucher nous confirme que le monachisme lérinien s’organisait bien de manière bipolaire autour de ces deux grands personnages. On rajoutera que, comme dans la lettre de Paulin de Nole, Honorat se trouvait cité en premier, ce qui peut donner à penser qu’il exerçait une certaine prééminence sur Eucher. Un tel constat est par ailleurs en cohérence avec ce que devait dire Eucher dans la préface de ses Instructiones, lorsqu’il avait estimé qu’Honorat devait être considéré comme « le maître des îles » (insularum magister), utilisant ainsi un pluriel 200. […] o sancti fratres Honorate et Eucheri, tanta illorum sublimium virorum, a quibus prima anachorescos instituta suscepimus, laude flammamini, ut unus quidem vestrum ingenti fratrum coenobio praesidens congregationem suam, quae cotidiano sanctae conversationis vestrae docetur intuitu, illorum quoque patrum praeceptis optet institui, alter vero, ut etiam corporali eorumdem aedificatur aspectu, Aegyptum penetrare voluerit, ut hanc quasi frigoris Gallicani rigore torpentem provinciam derelinquens ad illas quas sol iustitiae proximus respicit terras, maturis virtutum fructibus redundantes, velut turtur castissimus transvolaret. Necessario hoc mihi virtus caritatis extorsit, ut unius desiderio, alterius etiam labori consulens tam abruptum scribendi periculum non vitarem, dummodo et priori apud filios adderetur auctoritas et secundo tam periculosae navigationis necessitas demeretur : Jean cassien, Conférences, t. II, cit., Préface, p. 184-185 (traduction très retouchée).

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qui pourrait montrer que son autorité spirituelle s’étendait sur l’ensemble de l’archipel lérinien. Dans ce passage, Cassien s’attachait à distinguer clairement les fonctions de ces deux ascètes, comme il l’avait fait dans la préface du troisième groupe de ses Conférences dédiée aux frères des îles d’Hyères, lorsqu’il avait soigneusement distingué les anachorètes des cénobites. Il s’attachait surtout à expliquer que les bienfaits de la lecture de ses Conférences pouvaient s’appliquer à la fois à Honorat et Eucher, bien que ces deux saints personnages menassent des vies différentes. Cassien précisait que l’un des deux dirigeait « un très grand cénobe » (ingens coenobium) et avait émis le souhait de mieux connaître les enseignements des pères égyptiens, afin d’instruire les frères placés sous sa direction. Il poursuivait en affirmant que l’autre pourrait trouver dans la lecture de ces conférences un palliatif au voyage d’Égypte qu’il aimerait faire, mais qui s’avérait difficile eu égard aux lourdes épreuves qu’entraînait un tel pèlerinage. Considérant qu’il fallait suivre l’ordre énonciatif de ce texte, l’historiographie a estimé qu’Honorat, le premier des deux personnages cités, devait être le chef du « très grand cénobe » qu’évoquait Cassien, ce qui a amené l’érudition à considérer que la communauté monastique établie à Lerina était donc de nature cénobitique, tandis que le second personnage, autrement dit Eucher, devrait être identifié avec l’ascète qui souhaitait partir en Égypte. Pour être devenue classique, cette interprétation mérite toutefois d’être soigneusement reconsidérée, car elle est d’autant moins évidente qu’aucun autre texte n’atteste de l’existence, à cette période, d’un cénobe sur l’île Saint-Honorat. Dans un premier temps, il convient de revenir sur la traduction de la proposition unus quidem vestrum ingenti fratrum coenobio praesidens congregationem suam, puisque l’érudition a souvent considéré que le terme de vestrum constituait un adjectif possessif du nom fratrum. S’inscrivant dans cette tradition, Eugène Pichéry a par exemple proposé, dans son édition des Sources chrétiennes, de traduire cette phrase par « l’un qui préside, dans une maison commune, à une multitude de vos frères ». Cette interprétation pose un évident problème puisque l’adjectif ingenti n’est pas considéré dans cette traduction comme un qualificatif de coenobio mais de fratrum, ce qui est syntaxiquement impossible. Surtout, faire de vestrum un adjectif épithète de fratrum est un manifeste contresens, dans la mesure où il s’agit à l’évidence d’un pronom personnel utilisé ici comme génitif partitif d’unus. Le doute n’est en réalité pas permis puisque Cassien utilise souvent vestrum dans ce sens, par exemple dans la préface de la première série des Conférences dans laquelle, après avoir évoqué Léonce et Helladius, il désigne, comme dans notre extrait, le premier de ces deux ascètes par l’expression alter siquidem vestrum201. En conséquence, il faut donc traduire unus quidem vestrum ingenti fratrum coenobio praesidens congregationem suam par « celui d’entre vous qui dirige dans un très grand cénobe de frères sa communauté ». 201. […] o beatissime papa Leonti et sancte frater Helladi […]. Alter siquidem vestrum fraternum debitum iure deposcit : Jean cassien, Conférences, t. I, cit., Préface, 2,-3, p. 80-81.

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Si, dans la préface de la première série des Conférences, la formule alter siquidem vestrum respectait clairement l’ordre énonciatif, en renvoyant au premier des deux personnages que Cassien avait précédemment mentionnés, il convient toutefois de constater que cette formulation semble avoir eu plutôt pour lui valeur d’un indéfini. Cassien recourait en effet à des formules bien plus claires, lorsqu’il voulait désigner sans ambiguïté à ses lecteurs l’un des personnages qu’il avait évoqués. Ainsi, quand après avoir mentionné les quatre frères des îles d’Hyères, il avait souhaité évoquer le dernier cité, il l’avait alors désigné par la formulation posterior siquidem vestrum, autrement dit « le dernier d’entre vous », pour que son lecteur puisse identifier sans équivoque l’ascète dont il parlait202. De même, lorsqu’il avait mentionné Basile et Jérôme dans la préface de ses Institutions, un exemple qui est pour nous particulièrement intéressant puisqu’il concerne comme dans notre texte l’évocation de deux personnages, Cassien s’était attaché à préciser à son lecteur qu’il allait tout d’abord parler du premier des deux personnages, en employant l’expression quorum anterior pour désigner clairement le personnage qu’il voulait évoquer203. En d’autres termes, Cassien choisissait d’employer des termes précis, comme anterior ou posterior, dès lors que les propos qu’il tenait sur les personnages mentionnés pouvaient porter à ambiguïté. En revanche, il utilisait des expressions plus vagues, comme unus/alter siquidem vestrum, lorsqu’il considérait que ses propos étaient suffisamment éclairants pour que son lecteur n’ait pas besoin de se voir préciser le personnage qu’il voulait mentionner, comme cela a été le cas dans notre texte mais aussi, comme nous l’avons vu, dans la préface de la première série des Conférences. Un tel constat nous amène à conclure que les contemporains de Cassien n’éprouvaient aucune difficulté à déterminer quel était, d’Honorat ou d’Eucher, l’ascète qui dirigeait un grand cénobe et quel était celui qui nourrissait le projet d’un voyage en Égypte, ce qui n’est en revanche malheureusement plus notre cas. Le plus important est toutefois de rappeler qu’à la différence du français et des principales langues européennes, le latin est une langue anaphorique bien plus qu’énonciative et que l’écriture de Cassien s’inscrivait usuellement dans cette logique, comme en témoigne d’ailleurs la suite de notre texte. Après y avoir évoqué tout d’abord la lourde gestion du cénobe par le premier ascète, puis le désir de voyage vers l’Orient qui animait le second, Cassien y mentionnait en effet de nouveau Honorat et Eucher en utilisant la formule unius desiderio, alterius etiam labori (« le désir de l’un et la peine de l’autre »). L’exemple est remarquable, dans la mesure où unus renvoyait manifestement ici à l’ascète qui désirait partir en Égypte, autrement dit à celui qu’il avait cité en dernier, tandis qu’alter 202. […] o sancti fratres Ioviniane, Minervi, Leonti et Theodore […] Posterior siquidem vestrum illam coenobiorum sanctam atque egregiam disciplinam […] fundavit : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8-9. 203. […] sanctum Basilium et Hieronymum dico aliosque nonnullos. Quorum anterior […] divinarum scripturarum testimoniis copioso sermone respondit : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., Préface, 5, p. 26-27.

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désignait le premier des deux ascètes qu’il avait évoqués. Il nous démontre que Cassien n’utilisait pas le couple unus/alter dans une logique énonciative, mais bien dans la perspective anaphorique usuelle en latin, en utilisant le terme unus pour le dernier des personnages qu’il avait cités et alter pour qualifier le premier des deux. Ce constat est fondamental, dans la mesure où si nous admettons que Cassien utilisait le couple unus/alter dans une logique anaphorique, il nous faut dès lors revoir l’interprétation traditionnelle de notre passage, en considérant que le unus de l’expression unus siquidem vestrum pourrait renvoyer non pas à Honorat mais à Eucher. Cette proposition de traduction nous incite à reconsidérer l’évocation par Cassien de ce voyage en Orient, qui lui semblait constituer la caractéristique majeure du second de ces ascètes. Considérant que le chef du « très grand cénobe » était Honorat, l’érudition a en effet traditionnellement considéré que ce texte démontrait qu’Eucher aurait alors eu le projet de partir en Égypte. Pour être devenue courante, cette interprétation n’est toutefois pas sans poser problème, dans la mesure où il n’existe aucune autre trace d’un tel projet, ni dans les écrits pourtant abondants d’Eucher, ni dans ses mentions dans la littérature du ve siècle, ce qui est d’autant plus surprenant que nous avons vu que ce projet devait être suffisamment notoire pour que le lecteur de Cassien puisse reconnaître le personnage concerné à sa simple évocation. Force est en revanche de constater que si Cassien avait voulu évoquer un projet de voyage d’Honorat en Orient, cette difficulté serait en revanche totalement levée. À en juger par la Vita Honorati, Honorat était en effet connu de ses contemporains pour le voyage inabouti qu’il avait entrepris vers l’Orient, lorsque la mort malheureuse de son frère Venance en Achaïe et la maladie l’avaient contraint à rebrousser chemin en cours de route sans pouvoir atteindre ce but. Il s’agit là d’un argument important : ce que nous savons de la biographie d’Honorat correspond parfaitement à cet ascète qui, après avoir rêvé de pouvoir faire en personne le voyage d’Égypte, aurait désormais pu trouver dans les conférences de Cassien un moyen d’accéder aux enseignements des saints pères du désert oriental, sans avoir à affronter les difficultés inhérentes à un tel trajet. La syntaxe comme le contexte se rejoignent donc et permettent en conséquence de conclure que l’ascète en charge du « très grand cénobe » doit être identifié avec Eucher et non avec Honorat. Une telle interprétation amène à modifier radicalement notre conception du premier monachisme lérinien, puisqu’elle implique aussi que la communauté cénobitique évoquée par Cassien se trouvait située sur l’île de Lero et non sur celle de Lerina. Dans cette hypothèse, il faudrait donc conclure qu’après avoir mené, selon la lettre 51 de Paulin de Nole, une vie ascétique avec son épouse Galla, Eucher aurait créé sur son île de Lero un cénobe, sans doute dans la première moitié des années 420, ce qui pourrait permettre de comprendre que la documentation n’évoque dès lors plus sa femme, dont la présence sur ce site n’était sans doute plus compatible avec la mise en place d’une telle communauté monastique.

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Le De laude eremi Le De laude eremi, l’une des œuvres majeures d’Eucher, est non seulement l’un des grands traités qui ont posé les principes sur lesquels s’est construit le monachisme latin, mais aussi une source majeure pour aborder les origines du monastère de Lérins204. Tout en relevant pour l’essentiel du genre littéraire de l’éloge, le De laude eremi avait une forme épistolaire puisqu’il se présentait sous la forme d’une lettre qu’Eucher avait adressée à Hilaire, l’un des principaux acteurs du premier monachisme lérinien. Converti par son parent Honorat, qui l’avait longuement exhorté à venir à Lerina, comme il le raconte lui-même dans sa Vita Honorati205, Hilaire l’avait suivi à Arles où il avait été élu évêque. Quelque temps plus tard, Hilaire était revenu à Lerina et en avait alors informé Eucher, qui lui avait en réponse adressé ce De laude eremi, dans lequel il louait son retour qu’il percevait comme un symbole de la haute valeur que l’ascète devait attacher à la vie au désert. Dans cette lettre, écrite alors qu’Hilaire était déjà revenu sur l’île de Lerina, Eucher le félicitait de n’avoir pu, malgré l’affection qui l’attachait à la personne d’Honorat, renoncer à l’appel du désert, en lui disant qu’« à l’amour d’un tel homme, tu ne pouvais rien préférer, si ce n’est peut-être l’amour du désert !206 ». Ce passage permet de dater assez précisément ce texte entre deux événements bien connus. Le premier est l’intronisation épiscopale, très vraisemblablement à la fin de l’année 427, d’Honorat, qui fut alors remplacé à Lerina par son disciple Maxime. Le second est le décès d’Honorat, que l’on peut probablement dater du 15 ou du 16 janvier 430, dans la mesure où il amena Hilaire à prendre sa succession épiscopale et à quitter cette fois-ci définitivement l’île de Lerina. Comme Hilaire affirme par ailleurs, dans la Vita Honorati, qu’il était présent à Arles lors de l’agonie d’Honorat, un fait repris et confirmé par la Vita Hilarii, il semble possible de ramener ce terminus a quo à la fin de l’année 429207. Tous ces éléments permettent donc de conclure qu’Eucher n’a pu rédiger son De laude eremi qu’en 428 ou 429, ce qui n’exclut évidemment pas, pour ce texte comme pour bien d’autres, qu’il aurait pu par la suite le retoucher. Soucieux de célébrer la vie érémitique au désert, Eucher commençait par définir le désert comme « le temple incirconscrit de Dieu208 », affirmant ainsi que cet espace ouvert avait été providentiellement voué par Dieu à sa rencontre avec les hommes. Eucher en cherchait l’illustration dans l’histoire sainte, en rappelant 204. eucher, De laude eremi, éd. S. Pricoco, Catane, 1963 et eucher, Elogio dell’eremo, éd. S. Pricoco, Bologne, 2014 (Biblioteca patristica 51). Pour une traduction française v. eucher, Du mépris du monde, éd. L. cristiani, Paris, 1950, p. 67-89 et eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, Paris, 2018 (Les Pères dans la foi 105), p. 21-44. 205. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 23-24, p. 132-141. 206. Ut cuius caritati praeferre nihil possis nisi forte solam eremi caritatem ! : eucher, De laude eremi, cit., 1, p. 47. 207. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 31, p. 154-155 et honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 9, 1, p. 106-107. 208. […] incircumscriptum Dei nostri templum : eucher, De laude eremi, cit., 3, p. 48.

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que Dieu avait conduit les Hébreux au désert pour qu’il puisse s’y montrer à Moïse. Il expliquait ensuite que Dieu avait choisi le désert pour s’adresser à ses prophètes David, Élie et Élisée, puis invoquait les exemples de Jean-Baptiste et de Jésus, partis eux aussi dans le désert, avant de terminer par les pères anachorétiques égyptiens. Enfin, il abordait le point central de son homélie, en s’attachant à expliquer que l’île de Lerina constituait hic et nunc le nouveau désert, pour lequel Hilaire avait choisi de délaisser la ville d’Arles : J’ai certes le respect de tous les lieux du désert que la retraite d’hommes pieux a illuminés, mais je dois un honneur spécial à ma chère Lerina, qui reçoit les naufragés qui lui viennent d’un monde orageux dans ses très pieux bras209.

La traduction de cette phrase, qui est emblématique de la logique de valorisation de l’espace insulaire développée dans le De laude eremi210, mérite d’être commentée, dans la mesure où il convient de souligner que l’expression Lirinum meam ne doit pas être traduite par « ma chère Lérins », comme l’ont fait tous les éditeurs, mais plutôt par « ma chère Lerina », ce qui n’a pas le même sens. La précision est en effet importante, car le nom de « Lérins » désigne aujourd’hui l’archipel dans son ensemble, autrement dit les deux îles Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, en introduisant une acception que le nom de Lerina n’a en revanche jamais prise dans les sources antiques, où il ne désigne que la seule île Saint-Honorat. Ce point est d’autant plus essentiel à la compréhension de ce texte que cette traduction implique qu’en parlant de sa « chère Lerina », Eucher ne désignait pas sa propre communauté, qui se trouvait établie sur l’île de Lero, mais les moines qui s’étaient installés en face de lui, sur l’actuelle île Saint-Honorat. Si Eucher était lié par une forte proximité, tout à la fois géographique et affective, à la communauté monastique de Lerina, il est ainsi essentiel de souligner qu’il n’en était pour autant pas partie prenante. Cette interprétation est conforme à la logique même du De laude eremi, où Eucher répondait depuis Lero à la lettre qu’Hilaire lui avait envoyée depuis Lerina. De fait, tout au long de sa lettre, Eucher se situait clairement en extériorité par rapport à la communauté monastique dans laquelle revenait Hilaire. Ainsi, lorsqu’il expliquait qu’en retournant dans la communauté des saints de Lerina, Hilaire allait pouvoir bénéficier de « leur société » (horum consortio211), Eucher utilisait le démonstratif de la troisième personne horum pour renvoyer à un groupe, dont il ne se considérait visiblement pas comme partie prenante. En d’autres termes, le De laude eremi ne constituait pas un éloge général de la vie 209. Equidem cunctis eremi locis quae piorum illuminantur secessu reverentiam debeo, praecipuo tamen Lirinum meam honore complector, quae procellosi naufragiis mundi effusis piissimis ulnis receptat venientes ab illo : eucher, De laude eremi, cit., 42, p. 75-76. 210. dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 234-237 et M. lenkaityte ostermann, « Magna loci gratia : désert, lieu de salut selon Eucher de Lyon », dans Für uns und für unser Heil. Soteriologie in Ost und West. Forscher aus dem Osten und Westen Europas an den Quellen des gemeinsamen Glaubens. Studientagung, Eszergom, 3.‑5. Oktober 2012, Innsbruck, 2014 (Pro Oriente 37 ; Wiener Patristische Tagungen 6), p. 181-195. 211. eucher, De laude eremi, cit., 44, p. 78.

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menée par les communautés de l’archipel lérinien, comme l’historiographie a pu le percevoir, mais procédait d’un éloge de la vie monastique qui se pratiquait dans le désert de Lerina, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Dans son De laude eremi, Eucher donnait une précieuse description de la communauté qui vivait sur l’île Saint-Honorat. Elle témoigne tout d’abord de l’autorité charismatique qu’avait acquise Honorat, dont Eucher nous confirme qu’il était bien perçu comme le « fondateur » (auctor) de la communauté de Lerina. En évoquant Honorat, Eucher n’hésitait pas à souligner la dimension apostolique que l’évêque d’Arles avait désormais prise, puisqu’il affirmait que Lerina pouvait s’enorgueillir d’avoir été établie par « un tel père, rayonnant la force et le visage de l’esprit des apôtres212 », selon une expression dont la portée était d’autant plus forte qu’Honorat était alors encore en vie. Eucher s’attachait toutefois à souligner que le départ d’Honorat pour Arles n’avait pas privé le désert de Lerina de la sacralité particulière que lui avait donnée son fondateur, en expliquant que l’île « a été digne d’avoir reçu [Honorat] et de l’avoir rendu213 ». Dans ce jugement réside d’ailleurs la clef majeure de la compréhension du De laude eremi, dans lequel Eucher cherchait à transposer, comme Conrad Leyser, Rosa Maria Dessì et Michel Lauwers l’ont montré214, la sainteté charismatique du fondateur désormais parti à Arles sur l’espace insulaire qui accueillait la communauté monastique. Eucher posait ainsi les fondements d’une sacralisation propre à l’espace insulaire de Lerina, en en faisant une image du jardin d’Éden : Ceux que le siècle a brûlés de ses ardeurs, elle [Lerina] les fait affectueusement entrer sous ses ombrages, afin que, haletants, ils y reprennent leur souffle à l’ombre intérieure du Seigneur. Eaux jaillissantes, herbes verdoyantes, fleurs éclatantes, délices de la vue et de l’odorat : elle se présente à ceux qui la possèdent comme le paradis qu’ils possèderont215.

Le De laude eremi offre aussi quelques éléments importants pour comprendre le premier monachisme lérinien, par exemple lorsqu’il affirme que Lerina était peuplée par « de saints vieillards qui, dans leurs cellules séparées (cellulis divisis), ont introduit les pères d’Égypte dans nos Gaules216 ». Ce texte confirme bien l’interprétation que nous avions proposée de la préface de la deuxième série des conférences de Cassien, dans la mesure où il atteste clairement que l’île SaintHonorat n’accueillait pas un cénobe, autrement dit une communauté de frères partageant une même habitation, mais des moines vivant en « cellules sépa212. […] tantum nacta sit patrem, apostolici spiritus vigore et vultus radiantem : ibid., 42, p. 76. 213. […] digna quae illum suscipiens ita emitteret : ibid., 42, p. 76. 214. C. leyser, « “This Sainted Isle” : Panegyric, Nostalgia and the Invention of Lerinian Monasticism », dans W.E. klingshirn et M. vessey (éd.), The Limits of Ancient Christianity. Essays on Late Antique Thought and Culture in Honor of R.A. Markus, Ann Harbor, 1999, p. 188-206 et dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 234-237. 215. Saeculi flagrantes aestu blande introducit sub umbras suas, ut illic spiritum sub illa interiore Domini umbra anheli resumant. Aquis scatens, herbis virens, floribus renitens, visibus odoribusque iocunda, paradisum possidentibus se exhibet quem possidebunt : eucher, De laude eremi, cit., 42, p. 76. 216. […] sanctos senes illos qui divisis cellulis Aegyptios patres Galliis nostris intulerunt. : ibid., 42, p. 77.

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rées », qui devaient donc mener une vie semblable à celle des anachorètes de Porquerolles. Cette attestation de cellules à Lerina est d’autant moins surprenante qu’elle est, comme nous l’avons vu, cohérente avec les données de la Vita Honorati sur les habitacula qu’Honorat y aurait construits, mais aussi avec les résultats des fouilles du site de la chapelle du Saint-Sauveur effectuées par Yann Codou. De nombreuses autres sources confirment d’ailleurs ce fait. Les cellules (cel‑ lulae) de Lerina sont ainsi évoquées par une lettre écrite en 476 par Sidoine Apollinaire à Fauste de Riez. L’évêque de Clermont y rappelait à Fauste qu’il avait été jadis formé dans « l’école de la congrégation du désert et le Sénat de ceux qui vivent dans les cellules de Lerina217 ». Elles apparaissent de nouveau dans une lettre que ce même Sidoine écrivit vers 478/479 à l’évêque Principius, dans laquelle il lui rappelait qu’il avait été « le compagnon de cellule des Loup et des Maxime218 ». Comme nous l’avons vu, cette vie monastique en cellule est aussi attestée par le Commonitorium, rédigé vers 434 par Vincent de Lérins, qui affirmait dans son introduction qu’il avait écrit ce traité alors qu’il vivait sur l’île de Lerina, dans « la solitude d’une cellule (habitaculum) d’un monastère219 », selon une formulation qu’il faut rapprocher de ce que Cassien disait des anachorètes des îles d’Hyères, lorsqu’il souhaitait qu’ils « reçoivent dans leurs cellules (cellulas) les auteurs des conférences avec ces livres de leurs conférences220 ». Toutes les données sur la vie monastique à Lerina sont ainsi convergentes : les moines qui y vivaient ne formaient manifestement pas des cénobites astreints à l’obéissance, au travail et à une vie commune en cohabitation, mais des anachorètes qui s’adonnaient dans leurs cellules à la prière et à la lecture. Sans doute peut-on donc penser que la communauté de l’île de Saint-Honorat devait avoir une structure assez proche de celle d’une laure égyptienne, dans laquelle les moines pouvaient organiser leur vie monastique dans des cellules, où ils disposaient d’un oratoire pour les besoins de leurs prières quotidiennes, tout en se rassemblant dans une église pour célébrer les heures les plus solennelles221. Ce que nous connaissons de la communauté de Lerina semble en effet la rapprocher de ce modèle, puisqu’elle paraît avoir combiné des cellules (habitacula ou cellulae) vraisemblablement dotées d’oratoires, si l’on en juge du moins par l’interprétation donnée par Yann Codou des fouilles de la chapelle du Saint-Sauveur, avec une église capable de réunir l’ensemble de la communauté. Comme nous l’avons déjà vu, la Vita Honorati atteste en effet qu’Honorat aurait non seulement 217. […] de palaestra congregationis heremitidis et de senatu Lirinensium cellulanorum : sidoine aPollinaire, III. Correspondance, cit., IX, 3, 4, p. 136 ; sur le rapprochement entre ce senatu et les sanctos senes d’Eucher, v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 351-353. 218. Luporum concellita Maximorumque : sidoine aPollinaire, III. Correspondance, cit., VIII, 14, 2, p. 123. 219. […] secretum monasterii incolamus habitaculum : vincent de lérins, The Commonitorium, cit., 1, p. 4. 220. […] ipsosque in cellulas suas auctores conlationum cum ipsis conlationum voluminibus recipientes : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8-9. 221. E. wiPsZycka, Moines et communautés monastiques en Égypte, ive‑viiie siècle, cit.

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fait bâtir à Lerina des habitacula, mais aussi un « sanctuaire d’une église susceptible de contenir les élus de Dieu222 ». Adalbert de Vogüé avait toutefois tenté de minimiser l’évocation par le De laude eremi des « cellules séparées » des saints de Lerina, afin de la rendre compatible avec la lecture classique de la préface du second groupe des conférences de Cassien, qui avait amené l’érudition à situer l’ingens coenobium sur l’île SaintHonorat. Pour ce faire, il avait attiré l’attention sur la mention, dans le De laude eremi, de « réunions et d’assemblées » (coetus conventusque) qui auraient été tenues par les saints de Lerina. Il considérait en effet que ce passage pouvait permettre de démontrer que « la vie monastique, à Lérins, est cénobitique avant tout223 ». Pour avoir été souvent reprise224, une telle interprétation ne peut toutefois être retenue : si la communauté des moines de Saint-Honorat se trouvait définie comme un conventus, un terme dont le sens n’est sans doute guère différent de celui de congregatio, que Paulin de Nole avait employé dans sa lettre 51 à Eucher, la nature de la communion monastique était bien évidemment ici de nature spirituelle et ne saurait donc être invoquée pour attester de l’existence d’une communauté d’habitation de nature cénobitique. Adalbert de Vogüé était d’autant plus empressé à affirmer que le monachisme de Lerina était de nature cénobitique qu’il s’agissait là d’une condition nécessaire à la défense de sa grande thèse, celle qu’il n’a cessé de soutenir durant sa vie, autrement dit qu’Honorat et ses premiers compagnons auraient été les auteurs de la Regula IV patrum225. Ce dernier texte, pour l’essentiel diffusé par une tradition manuscrite italienne, se présente sous la forme d’une règle monastique, dont le prologue affirmait qu’elle aurait été établie lors d’un concile réunissant non pas quatre, comme l’historiographie l’a longtemps pensé par erreur, mais trois pères égyptiens : Sérapion, Paphnuce et Macaire. Selon le prologue de la Règle des quatre pères, ces trois ascètes auraient établi cette règle afin d’organiser de manière cénobitique les frères qui ne pouvaient plus rester vivre dans un désert d’autant plus affreux qu’il était peuplé de monstres effrayants. En d’autres termes, ce texte constituait une règle pour des moines soucieux de tourner le dos au désert, ce qui constituait une forme de monachisme totalement antagonique au modèle mis en avant par le De laude eremi, dans lequel Eucher se livrait à un éloge de la vie anachorétique dans le désert, en tous points opposé à la logique cénobitique de la Regula IV patrum. Ce seul constat suffirait d’ailleurs à invalider la thèse d’Adalbert de Vogüé, dans la mesure où le monachisme que décrit la Règle des 222. […] sufficiens electis Dei ecclesiae templum : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 17, 1, p. 112-113. 223. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 99. 224. gioanni, « Être véritablement moine. Les représentations de l’identité ascétique dans la pastorale lérinienne (ve-vie siècles) », cit., p. 155-157. 225. Les règles des saints pères. I. Trois règles de Lérins au ve siècle, éd. A. de vogüé, Paris, 1982 (Sources chrétiennes 297) ; A. de vogüé, « Les débuts de la vie monastique à Lérins. Remarque sur un ouvrage récent », Revue d’histoire ecclésiastique, 88/1 (1993), p. 5-53 et idem, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 5, cit., p. 55-97.

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quatre pères ne peut être compatible avec la description par le De laude eremi de la communauté monastique établie sur l’île Saint-Honorat. Remplie de référence au monde égyptien et à ses fédérations de monastères cénobitiques, la Regula IV patrum a des origines obscures. Il est évidemment possible qu’il s’agisse de la traduction d’un texte oriental, même si cette hypothèse se heurte au fait qu’il n’en existe aucune version connue en grec ou en copte. Il pourrait aussi s’agir de l’une de ces compositions faites par les pèlerins latins, qui s’attachaient à relater les souvenirs plus ou moins reconstruits qu’ils avaient gardés de leur voyage en Orient, ou encore d’un texte rédigé par un cénobite latin qui souhaitait se parer de l’autorité des pères orientaux pour mettre en évidence l’excellence de son genre de vie. S’il n’est pas possible de trancher, force est en revanche de constater que la Règle des quatre pères a pris une place toute particulière dans l’historiographie monastique, dans la mesure où elle a pu apparaître comme la matrice du monachisme régulier occidental. Selon l’analyse philologique d’Adalbert de Vogüé, la Regula IV patrum aurait été la première des règles occidentales, puisqu’elle aurait introduit des formules reprises en particulier par la Seconde règle des pères, la Règle de Macaire et la Règle orientale, avant de se retrouver dans la Règle du Maître et la Règle de saint Benoît226. L’érudition bénédictine a ainsi considéré que la Regula IV patrum constituait la règle primitive des moines occidentaux, ce qui imposait de la situer à une haute époque, puisque les données philologiques établies par Adalbert de Vogüé semblaient montrer qu’il était difficile d’imaginer qu’elle puisse être de beaucoup postérieure au milieu du ve siècle. Tout au long du xxe siècle, l’érudition bénédictine a donc déployé d’importants efforts afin de déterminer les origines de la Règle des quatre pères. Considérant que toute règle était nécessairement issue d’un monastère, elle avait été amenée à considérer, comme l’ont par exemple fait Anscari Mundó, Jean Neufville et François Masai227, que la Regula IV patrum était probablement issue du monachisme provençal, qui était alors perçu comme le foyer de la tradition cénobitique du monde latin. S’inscrivant dans cette historiographie, Adalbert de Vogüé est allé plus loin, en proposant de considérer que la Règle des quatre pères constituerait une « règle lérinienne ». Sans jamais avancer la moindre preuve, il considéra qu’elle aurait été établie par Honorat, Léonce et Caprais, qui se seraient cachés dans ce texte derrière les noms d’emprunt respectifs de Paphnuce, Sérapion et Macaire. Faisant ainsi de Lérins le foyer originel de la régularité monastique occidentale, Adalbert de Vogüé avait aussi estimé que les pères de Lérins auraient été les auteurs de la plupart 226. Les règles des saints pères. I. Trois règles de Lérins au ve siècle, cit. ; Les règles des saints pères. II. Trois règles du vie siècle incorporant des textes lériniens, éd. A. de vogüé, Paris, 1982 (Sources chrétiennes 298) et A. de vogüé, Les règles monastiques anciennes (400‑700), Turnhout, 1985 (Typologie des sources du Moyen Âge occidental 46). 227. A.M. mundó, « Les anciens synodes abbatiaux et les “Regulae SS. Patrum” », dans B. steidle (éd.), Regula Magistri – Regula Benedicti. Studia monastica, Rome, 1959 (Studia Anselmiana 44), p. 107-125 ; J. neufville, « Règle des IV Pères et Seconde Règle des Pères. Texte critique », Revue Bénédictine, 77 (1967), p. 47-106 et masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit.

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de ces règles archaïques que les spécialistes désignent comme « les règles des saints pères ». Il avait ainsi proposé de considérer qu’après la Regula IV patrum, qu’Honorat, Léonce et Caprais auraient donc rédigée lors de la fondation de Lérins, Maxime, qui avait pris à Lerina la succession d’Honorat, aurait fait rédiger par le diacre Vigile la Seconde règle des pères228. Dans un troisième temps, les moines lériniens se seraient dotés de la Règle de Macaire qui, selon Adalbert de Vogüé, aurait été écrite à la fin du ve siècle, sans doute à l’initiative de l’abbé Porcaire ier de Lérins. Enfin, aux alentours de 515, l’abbé Marin de Lérins aurait fait rédiger la Règle orientale à l’usage des moines d’Agaune. Sous la plume d’Adalbert de Vogüé, le monastère de Lérins était ainsi devenu la matrice de toute la première tradition régulière occidentale, celui qui aurait ouvert le chemin cénobitique dont la règle de saint Benoît aurait constitué le point d’aboutissement. La thèse d’Adalbert de Vogüé a toujours donné lieu à un certain scepticisme que Jacques Biarne résumait à merveille, lorsqu’il soulignait que « le système de Vogüé n’est pas impossible mais il est gratuit229 ». Elle a aussi suscité de multiples interprétations concurrentes, faisant de la question de l’origine des premières règles latines l’un des grands sujets de polémique de l’historiographie monastique. Reprenant le dossier, Michel Carrias a ainsi estimé que si les Lériniens avaient bien eu une règle écrite dès le temps d’Honorat, il ne faudrait pas l’identifier avec la Regula IV patrum, mais plutôt avec la traduction latine de l’Ascéticon de Basile de Césarée que Rufin avait réalisée230. Clemens Kasper, Anne-Marie Helvétius et Jean-Pierre Weiss ont fait porter la discussion sur la datation de la Règle des quatre pères, dans laquelle ils acceptaient de voir un texte d’origine lérinienne, mais dont ils situaient la rédaction définitive vers le milieu du ve siècle plutôt qu’au temps d’Honorat231. La question est toutefois restée très controversée et Marylin Dunn a par exemple pu récemment soutenir que la Regula IV patrum et la Seconde règle des pères auraient été rédigées à Bobbio dans les années 620, par l’abbé Attala alors aux prises avec la révolte de ses moines232, selon une analyse il est vrai d’autant moins convaincante que le plus ancien témoin de ces textes, 228. A. de vogüé, « La Règle de Vigile signalée par Gennade. Essai d’identification », Revue bénédictine, 89 (1979), p. 217-229. 229. Biarne, Les origines du monachisme en Occident, cit., p. 836. 230. M. carrias, « Vie monastique et règle à Lérins au temps d’Honorat », Revue d’histoire de l’Église de la France, 74 (1988), p. 191–211 et A. de vogüé, « Aux origines de Lérins : la Règle de Saint Basile ? », Studia monastica, 31 (1989), p. 259-266. 231. kasPer, Theologie und Askese, cit., p. 291-330 ; C.M. kasPer, « Von der exhortatio zur regula. Von mündlicher Regelung zu schriftlicher Regel im Mönchtum von Lérins», dans H. keller et F. neiske (éd.), Vom Kloster zum Klosterverband. Das Werkzeug der Schriftlichkeit. Akten des Internationalen Kolloquiums des Projekts L 2 im SFB 231 (22.‑23. Februar 1996), Munich, 1997 (Münstersche Mittelalter‑Schriften 74), p. 36-55 ; A.-M. helvétius, Le saint et le moine, entre discours et réalité. Essai sur l’hagiographie monastique franque dans le processus de transformation du monde romain, Ve‑IXe siècle, Mémoire inédit de dossier d’HDR, Université de Lille, 2003, p. 170-174 et J.-P. weiss, « Lérins et la “règle des quatre pères” », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 121-140. 232. M. dunn, « Colombanus, Charisma and the Revolt of the Monks of Bobbio », Peritia, 20 (2008), p. 1-27.

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autrement dit le manuscrit latin 12 634 de la Bibliothèque nationale de France, semble ne pouvoir être postérieur à 600233. Au-delà de ces débats compliqués, qui ont beaucoup agité l’érudition bénédictine dans la seconde moitié du xxe siècle, les spécialistes du monachisme lérinien se sont accordés sur au moins un point : les moines de l’île Saint-Honorat vivaient bien, au plus tard au milieu du ve siècle, sous une règle de nature cénobitique, qu’ils ont majoritairement identifiée avec la Règle des quatre pères. Seul Salvatore Pricoco s’est tenu à distance de ces conceptions, en considérant, dans sa magistrale histoire du premier monachisme lérinien parue en 1978, que rien ne pouvait permettre d’établir que le monachisme lérinien aurait pu réellement être de nature régulière, en estimant de surcroît qu’il avait originellement dû s’organiser sous une forme mixte, combinant anachorétisme et cénobitisme234. De fait, les démonstrations avancées par les historiens qui considèrent que le premier monachisme lérinien aurait été marqué par sa régularité monastique tournent toujours autour des deux mêmes arguments. Le premier ressort de l’interprétation de la préface du deuxième groupe des Conférences de Cassien, qui consiste à penser que l’ingens coenobium se situait sur l’île Saint-Honorat, une condition nécessaire pour l’adoption d’une des « règles des saints pères », toutes marquées par une forte dimension cénobitique. Comme nous l’avons déjà vu, cet argument ne peut être retenu, dans la mesure où la lecture traditionnelle de ce texte doit être corrigée et qu’il faut à l’évidence situer l’ingens coenobium sur l’île Sainte-Marguerite. Le second argument procède de l’idée que le monachisme d’Honorat était de nature fondamentalement régulière et par là même nécessairement cénobitique. Une telle conception s’est très fortement développée dans la seconde moitié du xxe siècle, lorsque la polémique sur les origines de la Regula IV patrum a amené l’historiographie à considérer que les Lériniens auraient introduit en Occident le concept même de régularité. Ce thème s’est alors largement imposé dans l’historiographie lérinienne, ce qui avait par exemple amené Christian Courtois, dans la leçon sur les origines du monachisme gaulois qu’il avait donnée en 1956 lors de la Settimana de Spolète, à affirmer qu’« avec St Honorat c’est un monachisme à proprement parler régulier qui s’impose235 ». Cette thèse fut reprise par Friedrich Prinz, qui considérait lui aussi que la régularité constituait l’un des traits les plus caractéristiques du monachisme « rhodanien » et qu’elle le distinguait en particulier du monachisme « aquitain », en affirmant par exemple que « die Organisation und die Regularität waren im Rhonemönchtum ungleich stärker als in Aquitanien236 ». Selon des modalités différentes, cette conception a aussi impré233. A. génestout, « Le plus ancien témoin manuscrit de la Règle du Maître : le Parisinus latin 12634 », Scriptorium, 1/1 (1946), p. 129-142. 234. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 77-127. 235. C. courtois, « L’évolution du monachisme en Gaule de St Martin à St Colomban », dans Il monachesimo nell’alto medioevo e la formazione della civiltà occidentale, Settimana di studi 8‑14 aprile 1956, Spolète, 1957 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 4), p. 47-72, ici p. 59. 236. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit., p. 117.

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gné les travaux de Jacques Biarne, qui considérait qu’au temps d’Augustin, de Cassien et des pères de Lérins se serait mis en place un « nouveau monachisme », dont la régularité aurait constitué le trait principal237. D’une manière ou d’une autre, l’historiographie monastique s’est ainsi bâtie, tout au long du xxe siècle, sur l’idée que les pères de Lérins auraient posé les fondements de la régularité monastique occidentale, dans le cadre d’un monachisme de tradition cénobitique. S’il n’est pas possible de présenter ici l’ensemble des discussions que cette conception a pu susciter, il convient de souligner qu’elle pose un double problème. Le premier ressort de la définition du monachisme d’Honorat comme cénobitique, une conception manifestement incompatible avec la documentation textuelle et archéologique, qui démontre sans ambiguïté, comme nous l’avons déjà souligné, que la communauté de Lerina était bien de nature anachorétique. Le second, qui a été récemment mis en évidence par Albrecht Diem238, est qu’une telle analyse renvoie à une conception carolingienne de la régularité monastique qui ne peut être projetée telle quelle sur les monastères tardo-antiques. Si les premières communautés monastiques ont incontestablement recouru à des règles monastiques pour se guider, elles ne codifiaient en effet pas leurs modes de vie en suivant les prescriptions d’une règle particulière, selon la logique que Benoît d’Aniane devait définitivement imposer lors du concile d’Aix en 816. Pour le dire autrement, les premiers textes lériniens attestent en réalité d’une utilisation non régulière des règles monastiques. Tel est par exemple le cas de l’homélie In depositione sancti Honorati, très certainement prononcée par Fauste de Riez, lorsqu’elle soutient qu’Honorat avait introduit à Lérins « les préceptes de la règle apostolique, pris à l’un et l’autre Testament, qu’il a apportés comme les deux tables de l’institution des pères d’Égypte239 ». Ce texte montre ainsi que les premiers Lériniens recouraient pour s’orienter à une pluralité de textes, issus aussi bien des Écritures que des enseignements des pères égyptiens. Comme l’avait déjà souligné Salvatore Pricoco240, dont les analyses, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, ont largement anticipé l’historiographie récente, les références de la documentation lérinienne à une regula, à des statuta, à des praecepta ou à une disciplina ne paraissent en réalité jamais renvoyer à une règle unique, mais plutôt à un modèle largement informel de vie. Celui-ci était aussi bien fondé sur l’exemple du Christ et des anciens prophètes que sur celui des moines orientaux, 237. Biarne, Les origines du monachisme en Occident, cit., p. 351-840. 238. diem, « Inventing the Holy Rule : some Observations on the History of Monastic Normative Observance in the Early Medieval West », cit. 239. […] apostolicae regulae praecepta ex utroque composita testamento uelut duas tabulas detulit de institutione aegyptiorum partum : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, éd. F. glorie, Turnhout, 1971 (Corpus Christianorum Series Latina 100, 101A, 101B), 3 vol., t. II, homelia 72, p. 774-780, ici 13, 161-163, p. 780. 240. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 77-111 et idem, « Aspetti culturali del primo monachesimo d’Occidente », dans A. giardina (éd.), Societá romana e Impero tardoantico, IV, Tradizione dei classici, trasformazioni della cultura, éd., Rome, 1986, p. 189-204 [rééd. : S. Pricoco, Monaci, Filosofi e santi. Saggi di storia della cultura tardoantica, Messine, 1992 (Armarium 1), p. 9-37].

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dont les ascètes latins prenaient connaissance par l’intermédiaire des différents textes qui pouvaient circuler, sans nécessairement en privilégier l’un plutôt que l’autre. En ce sens, la recherche de « la règle lérinienne », à laquelle Adalbert de Vogüé et ses contemporains ont consacré tant d’énergie, relève pour l’essentiel d’un anachronisme, qui n’a de fait pu déboucher que sur une impasse. C’est aussi dans le cadre général esquissé par Salvatore Pricoco qu’il faut situer la dépendance du De laude eremi aux œuvres de Cassien, autrement dit comme une inspiration et non comme une imitation. Il serait en effet vain de vouloir opposer Eucher à Cassien, voire même de chercher à distinguer l’enseignement de ces deux maîtres241. Il semble en effet impossible de contester le fait qu’Eucher se considérait comme un disciple de Cassien, ne serait-ce qu’en raison du témoignage de Gennade, qui rapporte qu’Eucher « avait rassemblé en un volume, en les résumant dans un style plus concis pour les diffuser, quelques opuscules écrits par saint Cassien et les autres choses nécessaires aux études tant ecclésiastiques que monastiques242 ». De fait, le De laude eremi dépendait manifestement de Cassien, par exemple lorsque Eucher y affirmait que les moines de Lerina avaient « introduit les Pères d’Égypte dans nos Gaules243 », ce qui constitue une évidente référence aux Institutions de Cassien, qui se proposait précisément d’introduire en Gaule « les institutions des Orientaux et surtout des Égyptiens244 ». Surtout, son De laude eremi se situait clairement dans le cadre général des enseignements de Cassien sur l’excellence de la vie anachorétique. Contrairement à ce qu’a pu soutenir l’historiographie, le De laude eremi ne constitue en effet pas un éloge général de la vie monastique, mais bien un éloge de la vie anachorétique, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Quand Eucher évoquait les moines de l’île Saint-Honorat, il ne parlait pas de frères vivant dans un cénobe, mais d’ascètes partis s’établir dans un eremus, ce qui l’amenait à disserter sur la solitude des anachorètes. Ce point constitue une clef majeure de la compréhension du De laude eremi, dont toutes les références bibliques renvoient à l’anachorétisme, de la retraite de David dans le désert de Ziph (1 S 23, 14-15) au séjour érémétique de Jésus dans le désert de Judée (Mt 4, 1-11), en passant par la vie de solitude que Jean-Baptiste aurait lui aussi menée dans le désert de Judée (Mt 3, 3). De même, il est notable qu’Eucher n’ait cité les pères égyptiens qu’à travers les seules figures de Jean de Lycopolis et 241. dulaey, « Les relations entre Lérins et Marseille : Eucher et Cassien », cit. et M. lenkaityte ostermann, « John Cassian read by Eucherius of Lyon : affinities and divergences », dans M. vinZent (éd.), Papers presented at the Seventeenth International Conference on Patristic Studies held in Oxford 2015, Louvain, 2017 (Studia Patristica 97), p. 169-182 ; cf. aussi alciati, Monaci, vescovi e scuola nella Gallia tardoantica, cit., p. 62-85. 242. […] sancti Cassiani quaedam opuscula lato tensa eloquio angusto verbi resolvens tramite, in uno coegit volumine aliaque tam ecclesiasticis quam monasticis studiis necessaria : gennade, Liber de viris inlustribus, éd. E.C. richardson, Leipzig, 1896 (Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 14/1), p. 57-112, 64, p. 83. 243. […] Aegyptios patres Gallis nostri intulerunt : eucher, De laude eremi, cit., 42, p. 77. 244. […] Orientalium maximeque Aegyptorium […] instituta : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., Préface, 3, p. 24-25.

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de Macaire – qu’il faut ici très probablement identifier avec Macaire d’Alexandrie245. Or, ces deux pères égyptiens étaient considérés comme les modèles de la vie anachorétique égyptienne, tant par l’Historia monachorum in Aegypto, que Rufin d’Aquilée avait traduite d’après l’original grec de Pallade246, que par Jean Cassien, qui les avait évoqués à plusieurs reprises, aussi bien dans ses Institutions que dans ses Conférences247. Pour concevoir son De laude eremi, Eucher s’était surtout inspiré des considérations de Cassien sur la vie anachorétique comme forme d’élévation contemplative. C’est dans cette perspective que le De laude eremi avait par exemple pu affirmer que « le désert est vraiment le temple incirconscrit de Dieu248 ». C’est dans cette même logique qu’Eucher proposait aux moines de Lerina de suivre l’exemple de Jean de Lycopolis et Macaire d’Alexandrie, en expliquant que « leur esprit fixé vers les sommets pénétra dans les secrets célestes et, avec l’aide de la grâce, ils furent élevés […] si haut qu’avec l’aide de la solitude, ils parvinrent à ne plus toucher la terre que par le corps, alors que par l’esprit ils possédaient déjà le ciel249 ». C’est aussi dans le cadre de cet éloge de l’anachorétisme qu’Eucher avait pu, le premier dans l’exégèse chrétienne, donner à l’échelle de Jacob (Gn 28, 12), par laquelle les anges passeraient de la terre au ciel, une symbolique explicitement érémitique, en affirmant que « le chœur des anges en liesse visite les beautés du désert et vont et viennent dans le désert par l’échelle de Jacob250 ». Une telle conception doit à l’évidence beaucoup aux digressions sur « la sublimité anachorétique » que Cassien avait développées dans la troisième partie de ses Conférences. Elle montre à quel point l’affirmation de la sacralité particulière de l’île de Lerina, qui constitue l’objet central du De laude eremi, s’inscrivait dans la conception évagrienne de l’anachorétisme que Cassien avait transmise aux ascètes provençaux, en leur enseignant que le désert dans lequel s’enfonçaient les anachorètes constituait une figure d’élévation spirituelle et de contemplation mystique. Particulièrement révélateur est le chapitre 43 du De laude eremi, dans lequel Eucher terminait son homélie en décrivant la vie des ascètes de Lerina : 245. eucher de lyon, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 34, n. 25 ; sur les Macaire : V. desPreZ, « Les “Macaire” dans l’Occident latin (IVe-XVe s.). Contribution à l’étude de la réception du dossier macarien en Occident », https ://nominis.cef.fr/contenus/MacaireOccidentDesprez.pdf. 246. Pour Jean de Lycopolis : rufin d’aquilée, Historia monachorum in Aegypto, Paris, 1849 (Patrologia latina 21) , col. 387-462, ici col. 391-405 ; pour Macaire d’Alexandrie : ibid., col. 452-455. 247. Pour Jean de Lycopolis : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 4, 23-26, p. 152-159 ; Jean cassien, Conférences, t. I, cit., 1, 21, p. 140-143 et Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 24, 26, p. 205 ; pour Macaire d’Alexandrie : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 19, 9, p. 47. 248. […] eremum ergo recte incircumscriptum Dei nostri templum : eucher, De laude eremi, cit., 3, p. 48. 249. Fixam in superna mentem caelestibus inseruerunt secretis ; hinc comitantem gratiam […] protulerunt et suffragante secreto usque in id provecti sunt, ut terram quidem corpore tunc contingerent, caelum vero spiritu iam possiderent ; ibid., 27, p. 64. 250. Invisit sane speciosa deserti laetantium angelorum chorus et per illam Jacob scalam commeantes eremum eucher, De laude eremi, cit., 38, p. 72-73 : v. S. Pricoco, « La scala di Giaccobe », Regulae Benedicti Studia, 14/15 (1985-1986), p. 41-58 [rééd. : S. Pricoco, Monaci, Filosofi e santi. Saggi di storia della cultura tardoantica, Messine, 1992 (Armarium 1), p. 207-237].

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Le visage de l’homme intérieur transparaissait sur leur tenue extérieure, entourés de charité, abaissés par l’humilité, très assouplis par la piété, très fermes en l’espérance, modestes en leur démarche, prompts à l’obéissance, silencieux dans l’abord, sereins par leur aspect : à les voir, on songe aussitôt à une paisible armée d’anges. Ils ne convoitent rien et ne désirent rien, si ce n’est Celui qui est le seul qu’ils désirent convoiter. Alors qu’ils recherchent la vie bienheureuse, ils la possèdent à présent et celle à laquelle ils aspirent, ils la suivent maintenant. Aspirent-ils à être séparés des pécheurs ? Ils en sont déjà séparés. Veulent-ils avoir une vie chaste ? Ils l’ont. Ambitionnent-ils d’occuper tout leur temps à louer Dieu ? Ils le font251.

En commentant ce passage, Adalbert de Vogüé avait remarqué que « le De laude eremi ne fait aucune mention, ici ou ailleurs, de la lecture et du travail des mains » et que « cette vision poétique et mystique ne retient que les activités supérieures des moines », avant de conclure que l’historien « aurait tort de rechercher là une définition du monachisme lérinien […] : il ne faut pas demander à cet hymne plus qu’il ne peut donner252 ». Plus récemment, Martine Dulaey y avait vu la preuve qu’Eucher n’aurait pas été un authentique disciple de Cassien, car « force est de reconnaître qu’Eucher ne fait aucune place au travail manuel, si important aux yeux de Cassien253 ». Une telle analyse oublie toutefois que si Cassien considérait que les cénobites devaient être astreints au travail, il refusait en revanche que les anachorètes puissent l’être, afin qu’ils puissent se consacrer totalement à leur vocation contemplative. Sur ce point comme sur bien d’autres, le De Laude eremi était en réalité pleinement en cohérence avec les enseignements de Cassien, dans la mesure où il était consacré à l’éloge de la vie d’abstinence, d’étude et de prière que les moines de Lerina devaient, à l’exemple des anachorètes de Porquerolles, mener dans la solitude de leurs cellules. On soulignera enfin que le témoignage du De laude eremi est sur ce point loin d’être isolé, puisque l’ensemble des sources sur la vie des premiers moines de Lerina permet de tirer les mêmes conclusions et d’affirmer que la vie monastique menée par Honorat et ses compagnons était bien de nature anachorétique. Tel est par exemple le cas de la Vita Hilarii (BHL 3882), lorsqu’elle décrivait la vie qu’Hilaire aurait menée à Lerina, en la comparant à la vie anachorétique de Jean-Baptiste, telle que le chapitre 11 de l’évangile de Matthieu avait pu la décrire : […] il triompha des veilles, il s’empara de l’abstinence, il dépassa la douceur de l’humilité, il surpassa l’assiduité de la prière, il mérita des fleuves de larmes, il

251. Interioris hominem faciem extorioris habitu praeferebant : constricti caritate, humilitate deiecti, mollissimi pietate, firmissimi in spe, incessu modesti, oboedientia citi, occursus taciti, vultu sereni : prorsus ipsa protinus contemplatione angelicae quietis agmen ostendunt. Nihil concupiscunt, nihil desiderant, nisi eum tantum quem solum desiderantes concupiscunt. Dum beatam quaerunt vitam, beatam agunt, eamque dum adhuc ambiunt, iam consequuntur. Itaque optant a peccatoribus segregari ? Iam segregati sunt. Castam possidere vitam volunt ? Possident. Omne in Dei laudibus tempus habere ambiunt ? Habent : eucher, De laude eremi, cit., 43, p. 77. 252. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 100-101. 253. dulaey, « Les relations entre Lérins et Marseille : Eucher et Cassien », cit., p. 75.

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conquit les faveurs de tous, il s’acquit les vertus de la componction et fit violence au royaume des cieux (Matt. 11, 12)254.

Si le De laude eremi n’a pas offert à Adalbert de Vogüé le tableau de la vie cénobitique qu’il aurait espéré y trouver, c’est donc pour la bonne et simple raison que le propos d’Eucher était d’y décrire la vie contemplative que menaient les anachorètes qui vivaient sur l’île Saint-Honorat. Le De laude eremi ne constitue en effet qu’une illustration de ce mode de vie que Cassien définissait dans sa conférence 18 comme « le degré supérieur des anachorètes255 », selon une expression néo-platonicienne qui faisait de l’eremus la figure annonciatrice du jardin d’Éden. C’est cette conception qui avait amené Eucher à affirmer dans son De laude eremi que les moines de l’île Saint-Honorat constituaient une « paisible armée d’anges », selon une expression que l’on retrouve d’ailleurs dans la Vita Honorati, lorsqu’elle affirme qu’Honorat aurait fait de Lerina une île « illustre des œuvres des anges256 » ou encore que « le saint homme Caprais mène jusqu’à présent la vie des anges sur les îles257 ». Cette identification des moines aux anges n’était pas le fruit rhétorique de la seule imagination d’Hilaire et d’Eucher, mais procédait de l’enseignement de Cassien, qui avait repris aux pères orientaux le concept d’αγγελικοσ βιοσ par lequel les moines se trouvaient mystiquement assimilés aux anges258, non seulement en raison de leur continence, mais d’abord et avant tout parce que les moines étaient par leurs prières semblables aux anges qui louaient perpétuellement Dieu259. C’est ce concept des pères orientaux que Cassien avait repris pour expliquer aux ascètes provençaux que l’anachorétisme constituait « une vie comparable à la béatitude des anges260 », dans la mesure où la solitude du désert pouvait permettre mystiquement à l’ascète de transformer « sa condition terrestre en une forme spirituelle et angélique261 ». Une telle conception procédait directement de la métaphysique d’Évagre, qui avait affirmé que la retraite anachorétique pouvait permettre à l’ascète d’accéder à la vie angélique262. 254. […] vigilias vicerit, abstinentiam rapuerit, humilitatis mansuetudinem transcenderit, orationis instantiam superaverit, lacrimarum flumina meruerit, gratias omnium sibimet vindicaverit compunctionum virtutes attraxerit et vim intulerit regno caelorum : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 7, 3, p. 105. 255. […] ad secundum anachorescos gradum : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, conclusion, p. 36. 256. […] angelicis illustratur officiis : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 16, 1, p. 110-111. 257. […] sanctum Caprasium angelica adhuc in insulis conversatione degentem : ibid., 12, 1, p. 100-101. 258. S. frank, ΑΓΓΕΛΙΚΟΣ ΒΙΟΣ. Begriffsanalytische und begriffsgeschichtliche Untersuchung zum “engelgleichen Leben” im frühen Mönchtum, Münster, 1964 (Beiträge zur Geschichte des alten Mönchtums und des Benediktinertums 26). 259. R. taft, La liturgie des heures en Orient et en Occident. Origine et sens de l’office divin, Turnhout, 1991 (Mysteria 2), p. 28. 260. […] illam conversationem angelicae beatitudini conparandam : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 19, 5, p. 42. 261. […] de terreno situ ad spiritalem atque angelicam similitudinem reformato : Jean cassien, Conférences, t. II, cit., 19, 6, 5, p. 84-87. 262. A. guillaumont, Les “Kephalaia gnostica” d’Évagre le Pontique et l’histoire de l’origénisme chez les Grecs et les Syriens, Paris, 1962 (Patristica Sorbonensia 5) et idem, Un philosophe au désert : Évagre le Pontique, Paris, 2004 (Textes et traditions 8).

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Qui étaient les anachorètes qui menaient une vie angélique dans cette île de Lerina qu’Honorat de Marseille devait lui aussi définir comme « un paradis terrestre263 » ? À défaut de nous offrir une description exhaustive de cette communauté, le De laude eremi nous présente toutefois les plus éminents de ces ascètes : Maintenant elle possède son successeur [d’Honorat], nommé Maxime, célèbre par le seul fait d’avoir mérité de le remplacer. Elle a eu Loup au nom révéré, qui a rapporté parmi nous le loup de la tribu de Benjamin (Gn 49, 27). Elle a eu son frère Vincent, une gemme étincelante par sa lumière intérieure. Maintenant elle possède le vénérable Caprais, qui par sa gravité est l’égal des anciens saints264.

Il est tout d’abord remarquable que la plupart des ascètes ici cités aient appartenu au même groupe de parenté. À l’exception de Maxime, sur lequel les données prosopographiques sont pauvres et surtout peu fiables, ainsi que de Caprais, dont nous ne connaissons pas les origines, tous les saints de l’île de Lerina peuvent en effet tenir sur un même tableau généalogique265 (fig. 15) :

Figure 15 : Tableau généalogique des saints de Lérins.

Les ascètes de l’île de Lerina constituaient ainsi un petit groupe de parenté, qui relevait de la meilleure noblesse gauloise, comme leurs contemporains se plaisaient à le souligner. Les moines de Lerina, ou du moins leur premier cercle, appartenaient de fait aux plus hautes élites sociales et leur rang les destinait à occuper des fonctions dirigeantes de premier plan. En se convertissant à la vie ascétique, ils avaient opté pour le service de l’Église et non pour une carrière profane et leur séjour à Lerina dans laquelle, à la seule exception de Caprais, ils 263. […] terrestrem […] Lirinensis insulae paradisum : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 7, 3, p. 102-115. 264. Haec nunc successorem eius tenet, Maximum nomine, clarum, quia post ipsum meruit asciri ; haec habuit reverendi nominis Lupum qui nobis illum ex tribu Beniamin lupum retulit ; haec habuit germanum eius Vincentium, interno gemmam splendore perspicuam ; haec nunc possidet venerabilem gravitate Caprasium, veteribus sanctis parem : eucher, De laude eremi, cit., 42-43, p. 75-77. 265. Sur la prosopographie des premiers lériniens : Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit. p. 40-59.

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semblent n’avoir passé que leurs seules années de jeunesse, devait constituer une étape essentielle de leur brillant cursus honorum. Si l’on met à part Vincent et Caprais, tous les ascètes mentionnés dans le De laude eremi devinrent en effet évêques ; Honorat et Hilaire furent élus sur le siège d’Arles, tandis que Loup montait sur celui de Troyes et que Maxime obtenait celui de Riez . Alors que les sièges épiscopaux des Gaules tendaient à être de plus en plus souvent occupés par des moines266, la vie angélique des frères de Lerina permettait ainsi aux nouvelles générations des élites gauloises de se préparer à prendre la direction du peuple chrétien, en les dotant d’une forte identité commune267. Le projet lérinien connut sur ce plan une évidente réussite, qui a pu amener Ralph Mathisen à considérer que les évêques formés à Lérins avaient constitué une véritable « faction », qui agissait selon un projet politico-religieux commun268. Sans doute, cette aspiration à la formation par l’ascétisme des futures élites ecclésiastiques avait-elle été constitutive de la fondation des monastères de Lérins, dans la mesure où le De laude eremi affirmait déjà que Lerina constituait un désert « digne de nourrir les moines les plus éminents et de produire des évêques enviés269 », ce qui constitue un jugement d’autant plus remarquable qu’il avait été écrit à une époque où seuls Honorat et Loup - et peut-être aussi Helladius ? - étaient devenus évêques. Le succès de l’entreprise lérinienne fut en tout cas manifeste, si l’on en juge par le fait que les Vitae épiscopales se plurent à mentionner le passage de leurs saints par l’île de Lerina. Telles furent les cas de la Vita Honoratii et de la Vita Hilarii, qui insistèrent toutes deux sur les origines lériniennes de leur saint évêque. Le même constat peut être dressé à propos de la tradition hagiographique de Maxime qui, après avoir succédé à Honorat dans l’île de Lerina, était devenu évêque de Riez, puisque le panégyrique de Maxime écrit dans la deuxième moitié du ve siècle par Fauste de Riez (BHL 5852), puis la Vita rédigée à la fin du vie siècle par le patrice Dynamius (BHL 5853-5854), mirent fortement en avant l’importance de sa formation ascétique à Lérins270. La Vita Lupi (BHL 5087), écrite sans doute peu après 511271, offre un autre exemple de l’intérêt que les Églises attachaient à la formation lérinienne de leurs pasteurs, puisqu’elle se plaisait à souligner que le saint évêque de Troyes avait été formé pendant une année dans l’île de Lerina272. Dans le sud de la Gaule, le passage par 266. NürnBerg, Askese als sozialer Impuls, cit, p. 245-294 et Prévot, « Évêques gaulois d’origine monastique (ive-vie siècles) », cit. 267. R. alciati, « Eucher, Salvien et Vincent : les “Gallicani doctoresˮ de Lérins », cit., p. 105-119. 268. R.W. mathisen, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fifth‑century Gaul, Washington, 1988, p. 69-140. 269. […] digna quae et praestantissimos alat monachos et ambiendos proferat sacerdotes : eucher, De laude eremi, cit., 42-43, p. 75-77. 270. Maxime de Riez entre l’histoire et la légende. Dynamius le Patrice, Vie de saint Maxime, évêque de Riez. Fauste de Riez, Panégyrique de saint Maxime, évêque et abbé, éd. P.-A. JacoB, P. Boulhol P. Borgard, J. guyon et M. heiJmans, Riez, 2014. 271. I. crété-Protin, Église et vie chrétienne dans le diocèse de Troyes du ive au ixe siècle, Villeneuve d’Asq, 2002, p. 235-150. 272. Vita Lupi episcopi Trecensis, cit., 2-3, p. 296.

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l’île de Lerina fut ainsi considéré comme un gage majeur de sainteté et constituait une étape essentielle dans le cursus hagiographique d’un saint évêque, ce qui amena de nombreuses Églises à affirmer, souvent de manière bien douteuse, que leurs anciens pasteurs avaient bénéficié d’une formation lérinienne273. Tel fut par exemple le cas de l’Église de Tarentaise, lorsqu’elle affirma dans la Vita Iacobi episcopi Tarentasiensis (BHL 4112), un texte sans doute rédigé au xiie siècle, à un moment où l’Église de Tarentaise cherchait peut-être à développer ses liens avec Arles pour mieux se protéger de l’influence viennoise274, que son fondateur, Jacques, aurait été formé sous la direction d’Honorat à Lérins275, comme si le passage par les îles de Lérins constituait un garant de l’autorité morale et de la valeur spirituelle d’un évêque276. L’affirmation par les tout premiers Lériniens de leur vocation à former les élites ecclésiastiques ne fut évidemment pas sans rencontrer de vives résistances, comme en témoigne une lettre que le pape Célestin ier (422-432) avait écrite le 25 juillet 428, dans le contexte de la rédaction par Eucher du De laude eremi277. S’adressant aux évêques de Narbonnaise et de Viennoise, le pape s’y livrait à une critique acerbe de certains d’entre eux, annonçant en particulier qu’il allait demander des comptes à « l’évêque de l’Église de Marseille qui a dit, ce qui constitue un propos sacrilège, qu’il se réjouissait de la mort de son frère278 ». Un tel propos visait à l’évidence l’évêque Proculus de Marseille, dont on peut penser qu’il n’avait pas dû être particulièrement affligé par l’assassinat en 426 de l’évêque Patrocle d’Arles, avec lequel il entretenait des relations notoirement conflictuelles279. Après avoir ainsi dénoncé les pratiques de Proculus, un évêque très lié au nouveau monachisme provençal, le pape Célestin ier s’attaquait ensuite aux élections épiscopales, en demandant que les clercs méritants des cités ne soient pas écartés au profit de « ce nouveau collège d’où sortent les évêques280 », ce qui visait manifestement l’élection d’Honorat qui avait été élu à Arles, sans doute à la fin de l’année 427. Dans ce courrier dirigé contre les ambi273. M. laBrousse, E. magnani, Y. codou, J.-M. le gall, R. Bertrand et V. gaudrat, Histoire de l’abbaye de Lérins, Bégrolles-en-Mauges, 2005 (Cahiers cisterciens, Des lieux et des temps 9), p. 51-54. 274. N. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence. La province ecclésiastique de Vienne au haut Moyen Âge (ve‑xie siècle), Rennes, 2014, p. 19. 275. De sancto Iacobo episcopo Tarentasiensi, dans Acta Sanctorum, Ianuarii, II, Anvers, 1643, p. 26-28, ici 1, 3, p. 26-27 ; v. PePino, St. Eucherius of Lyons, cit., p. 202-203. 276. F. Prévot, « Évêques gaulois d’origine monastique (ive-vie siècles) », dans M.-F. BasleZ (éd.), Prosopographie et histoire religieuse. Actes du colloque tenu en l’Université Paris XII‑Val de Marne (27‑28 octobre 2000), Paris, 2005, p. 379-400, ici p. 381-384 et D. Péricard-méa et E. deschamPs, « En Tarentaise, un saint Jacques concurrent de Compostelle ?», dans SaintJacquesInfo, Sanctuaires et reliques, Saint Jacques un et multiple : URL : http ://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php ?id=1237 277. célestin, Epistolae et decreta, Paris, 1865 (Patrologia latina 50), col. 417-566, ici ep. 4, col. 429-436 ; v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 194-198. 278. Massiliensis vero ecclesiae sacerdotem, qui dicitur, quod nefas dictu est, in necem fratris taliter gratulatus : célestin, Epistolae et decreta, cit., ep. 4, IV, 10, col. 435. 279. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, cit., p. 114-120. 280. […] ne novum quoddam de quo episcopi fiant institutum videatur esse collegium : célestin, Epistolae et decreta, cit., ep. 4, IV, 7, p. 434.

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tions épiscopales des moines provençaux, le pape Célestin se livrait à une satire des moines-évêques, en les accusant d’avoir introduit dans leurs Églises un mode de vie monastique, qui s’avérait peu conforme avec la dignité épiscopale et le respect des traditions ecclésiastiques : Nous avons appris que certains évêques du Seigneur s’attachent davantage à une superstitieuse apparence qu’à la pureté de l’esprit et de la foi. Il n’est certes pas surprenant qu’ils aillent à l’encontre des usages ecclésiastiques : n’ayant pas grandi dans l’Église, puisqu’ils sont issus d’un autre rite, ils apportent avec eux dans l’Église celui qu’ils avaient revêtu dans un autre genre de vie ; ils se couvrent d’un manteau et se ceignent les reins (Lc 12, 35) […]

Sans doute, ces manières, plus conformes à l’usage qu’à la raison, sont-elles utilisées par ceux qui habitent dans les lieux retirés, loin des autres hommes. Mais pourquoi s’habiller ainsi dans les Églises des Gaules, en substituant cette autre tenue à celle qui a été portée par tant de pontifes pendant tant d’années ? Nous sommes tenus de nous distinguer du peuple et des autres par la doctrine et non par le vêtement, par la manière de vivre et non par l’habit, par la pureté de l’esprit et non par l’apparence. Car si nous commençons à innover, nous renverserons les traditions reçues de nos pères, pour les remplacer par de vaines superstitions281.

Si, pour le pape Célestin, les moines n’étaient pas partie prenante du monde ecclésiastique, dans la mesure où leur mode de vie et leur isolement les situaient en dehors des traditions propres à la vie ecclésiale, les premiers Lériniens avaient une tout autre manière de voir les choses, puisqu’ils concevaient la conversion monastique comme une entrée dans la militia clericalis, ce qui explique sans doute aussi qu’ils l’aient souvent assimilée à un second baptême282. Partageant sur ce point les conceptions de Cassien, qui leur avait enseigné, comme nous l’avons déjà vu, que le monachisme n’était rien d’autre que le prolongement de la communauté apostolique, les pères de Lérins avaient pensé leur vie monastique comme une préparation initiatique à la dignité sacerdotale. Peu de temps après avoir rédigé son De laude eremi, Eucher devait d’ailleurs avoir l’occasion de développer ce point de vue dans son De contemptu mundi. 281. Didicimus enim quasdam Domini sacerdotes superstitioso potius cultui inservire quam mentis vel fidei puritate. Sed non mirum, si contra ecclesiasticum morem faciunt, qui in ecclesia non creverunt, sed alio venenties e ritu, secum haec in ecclesiam, quae in alia conversatione habuerant, intulerunt ; amicti pallio et lumbos praecincti […] Habeant tamen istum forsitan cultum, morem potius quam rationem sequentes, qui remotioribus habitant locis, et procul a caeteris degunt. Unde hic habitus in ecclesiis gallicanis, ut tot annorum tantorumque pontificum in alterum habitum consuetudo vertatur ? Discernendi a plebe vel caeteris sumus doctrina non veste, conversatione non habitu, mentis puritate non cultu. Nam si studere incipiamus novitati, traditum nobis a patribus ordinem calcabimus, ut locum supervacuis superstitionibus faciamus : célestin, epistolae et decreta, cit., ep. 4, cit., IV, 2, p. 430-431 (trad. d’après vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 195). 282. M. lenkaityte, « Eucher interprète de la bible dans l’Éloge du Désert, dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 83-104, ici p. 103.

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Le De contemptu mundi Le traité sur le De contemptu mundi constitue une lettre qu’Eucher avait rédigée à l’intention de Valérien, pour le convaincre de se convertir à la vie monastique et de venir le rejoindre sur son île de Lero283. Cette lettre est datée, car Eucher affirmait l’avoir écrite « alors que depuis le commencement de ce règne [romain] s’est presque écoulée la 185e année en sus d’un millénaire284 ». Eu égard à l’ambiguïté de la formule employée, les éditeurs de ce texte ont été amenés à le dater de l’an 1184 ou 1185 ab urbe condita, ce qui correspond à l’année 430 ou 431 de l’Incarnation285. La première de ces dates peut sembler la plus probable, puisque l’évocation dans ce texte d’Hilaire, qui est cité sans que soit évoqué son statut épiscopal, peut par ailleurs donner à penser que cette lettre ne peut être postérieure au début de l’année 430, étant donné qu’Honorat, prédécesseur d’Hilaire sur le siège épiscopal d’Arles, est très probablement mort le 15 ou le 16 janvier 430286. Plus compliquée est en revanche l’identification du Valérien auquel le De contemptu mundi est adressé. Selon le titre donné à la lettre par les manuscrits qui nous l’ont transmise, ce Valérien aurait été le parent (propinquus) d’Eucher287, ce qui nous est confirmé dans le corps même du texte, qui précise qu’il lui était uni « par les liens du sang » (vinculo sanguinis)288. L’historiographie a longtemps identifié ce Valérien avec Priscus Valerianus, un préfet des Gaules qui, selon Sidoine Apollinaire, aurait été apparenté à l’empereur Avitus289. Plus récemment, JeanPierre Weiss a proposé de l’identifier avec un autre Valérien, qui devait devenir évêque de Cimiez au plus tard en 441, en avançant une série d’arguments que l’érudition a considérés comme convaincants à défaut d’être définitifs290. S’il est malheureusement probable que cette identification restera hypothétique, eu égard aux limites des données prosopographiques, une chose est en tout cas certaine : quel qu’il fût, ce Valérien appartenait à la plus haute aristocratie gauloise, puisque Eucher s’adresse à lui dans le De contemptu mundi pour lui rappeler qu’il avait été « porté aux plus hauts sommets de ce siècle par [son] père et [son] beau-père 283. L’édition de référence, avec une traduction italienne, est celle de Salvatore Pricoco : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, éd. S. Pricoco, Florence, 1990 (Biblioteca patristica 1). Pour une traduction française, v. eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 45-84. 284. […] cum ab ortu regni huius centesimus et octogesimus quintus fere supra millesimus vertatur annus : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit. p. 94, 569-571. 285. Pour 430 : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 14 ; pour 431 : eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 72, n. 46. 286. eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 14-15 et 173 ; contra : eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 65, n. 32, dont l’argumentation n’emporte toutefois pas la conviction. 287. eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 54. 288. Ibid., p. 54, 1. 289. R.w. mathisen, « Petronius, Hilarius and Valerianus : Prosopographical Notes on the Conversion of Roman Aristocracy », Historia, 30 (1981), p. 106-112, en particulier p. 110-112. 290. J.-P. weiss, « La personnalité de Valérien de Cimiez », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, 11 (1970), p. 141-162 et idem, « Valérien de Cimiez et Valère de Nice », Sacris erudiri, 21 (1972-1973), p. 109-146.

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et honoré par les titres prestigieux qui te viennent de l’un et de l’autre291 ». Ces expressions semblent permettre d’attester que Valérien appartenait, comme son parent Eucher, au cercle très restreint des viri illustres gaulois. Le De contemptu mundi constitue donc un petit traité par lequel Eucher s’attachait à convaincre Valérien de se convertir à la vie monastique et de venir le rejoindre. Le soin apporté à la rédaction de cette lettre, parsemée de nombreuses références à la littérature classique292, donne toutefois à penser qu’Eucher voulait s’adresser, au-delà de Valérien, à un public de jeunes aristocrates qui pourraient être attirés par la vie monastique. À côté des arguments convenus, qui amenaient Eucher à opposer les avantages de la vie éternelle à ceux de la vie présente, ou encore les soins de l’âme à ceux du corps, le De contemptu mundi s’attachait surtout à démontrer à un jeune homme ambitieux qu’il n’aurait rien à perdre à abandonner ses rêves mondains de richesses et d’honneurs pour se convertir à l’état monastique. Eucher cherchait en effet à convaincre Valérien que sa conversion serait susceptible de lui ouvrir un cursus honorum ecclésiastique, qui ne serait en rien inférieur à celui que lui aurait offert une carrière profane. Pour appuyer sa démonstration, Eucher donnait à Valérien l’exemple d’hommes riches, nobles et cultivés qui, après avoir choisi de renoncer au siècle dans lequel ils avaient brillé, avaient pu trouver dans le service de l’Église une voie qui les avait rendus encore plus illustres : Quelle noblesse de ce monde, quels honneurs, quelle dignité, quelle sagesse, quelle éloquence, quelle culture littéraire ne s’est pas encore dévouée à cette milice du royaume céleste ? […] Combien d’hommes illustres dans le siècle ont suivi la discipline et la vie plus austère du culte de Dieu ! Je ne citerai sans m’y attarder que quelques-uns de ces exemples afin de ne pas les passer tous sous silence. Clément, issu d’une vieille famille sénatoriale et de la lignée des Césars, un homme instruit en toutes sciences et d’une extrême aisance dans tous les arts libéraux, s’est engagé sur cette voie des justes ; il y a même si remarquablement brillé qu’il est devenu le successeur du prince des apôtres. Grégoire, évêque du Pont, se distingua tout d’abord dans le monde par sa philosophie et par son éloquence, mais par la suite il se distingua davantage et avec plus de prestige par ses vertus […] Un autre saint lui aussi appelé Grégoire, et tout autant versé dans les lettres et la philosophie, ressentit le désir de pratiquer cette philosophie céleste. À son propos, je crois ne pas devoir taire une affaire qui a trait à notre sujet : après avoir pénétré dans l’école de Basile, qui avait été autrefois son proche camarade durant ses études profanes et qui, jusqu’alors, s’était adonné à la profession de rhéteur, il le prit par la main et le fit sortir de l’école, en lui disant : « Délaisse tout cela et consacre-toi à ton salut ». Par la suite, chacun d’eux, devenu un illustre évêque, laissa dans les ouvrages de notre Église des témoignages admirables de son génie. De même, Paulin, évêque de Nole, un exemple exceptionnel de sainteté

291. […] in maximos saeculi apices patre soceroque elatus illustribus ex utroque titulis ambiaris : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 56, 23-25. 292. PePino, St. Eucherius of Lyons, cit., p. 100-141.

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de notre Gaule, autrefois à la tête d’une immense fortune, une source inépuisable d’éloquence, s’est rallié à notre règle et à notre mode de vie avec tant de ferveur qu’il a abreuvé toutes les parties du monde, sans exception, de ses discours et de ses ouvrages […] Et quand tirerai-je, du volume qui en contient une multitude d’autres, les noms de ces illustres orateurs que sont Firmianus, Minucius, Cyprien, Hilaire, Jean, Ambroise ? Ils s’étaient dit, je crois, les mêmes paroles que l’un des nôtres avait prononcées afin de s’exhorter à quitter le siècle pour cette vie plus heureuse : « Eh quoi ! Les ignorants se lèvent et forcent le ciel et nous, avec notre science, nous voilà vautrés dans la chair et le sang ! »293.

Reprenant un thème qu’il avait déjà introduit dans son De laude eremi, Eucher expliquait dans ce passage que la conversion monastique constituait une porte privilégiée d’entrée dans l’institution ecclésiale. À l’opposé de la conception développée par le pape Célestin dans sa lettre de juillet 428 aux évêques de Narbonnaise et de Viennoise, pour lequel l’entrée dans un monastère constituait un exil vers « des lieux retirés, loin des autres hommes », qui devait donc détourner les moines des chemins de la vie ecclésiastique, Eucher s’attachait à démontrer à Valérien que la conversion monastique constituait une voie d’excellence pour quiconque aurait l’ambition de guider le peuple chrétien. Eucher expliquait ainsi à Valérien que son entrée dans le monastère pourrait lui permettre de connaître un destin semblable à celui qu’avaient eu Clément de Rome, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Paulin de Nole, Firmianus alias Lactance, Minucius Felix, Cyprien de Carthage, Hilaire de Poitiers, Jean Chrysostome et Ambroise de Milan. Si ces hauts dignitaires ecclésiastiques n’avaient en réalité, à l’exception de Basile, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse et Paulin de Nole, jamais 293. Quae mundi nobilitas, qui honores, quae dignitas, quae sapientia, quae facundia, quae litterae non se iam ad hanc caelestis regni militiam contulerunt ? […] Quanti in saeculo illustrium virorum hanc artiorem divini cultus observantiam vitamque sectati sunt ! Quorum tamen exempla, ne cuncta penitus omittam, cursim pauca subnectam. Clemens vetusta prosapia senatorum atque ex stirpe Caesarum, omni scientia refertus omniumque liberalium artium peritissimus, ad hanc iustorum viam transiit ; itaque etiam in ea excellenter effloruit, ut principi quoque apostolorum successor exstiterit. Gregorius e Ponto sacerdos, philosophia primus apud mundum et eloquentia praestans, sed postea maior praestantiorque virtutibus […] Alius item sanctus atque eiusdem nominis Gregorius, aeque litteris ac philosophiae deditus, caelestem hanc philosophiam concupivit. Cuius etiam, quod ad rem pertinent, nequaquam silendum videtur quod Basilium studiis prius saecularibus familiarem sibi et rhetoricae adhuc professioni vacantem, auditorium eius ingressus, manu hunc apprehensum schola abduxit dicens : « Omitte ista et da saluti operam ». Et postea uterque memorabilis sacerdos reliquit, uterque in ecclesiae nostrae libris, ingenii sui praeclara monumenta. Paulinus quoque Nolanus episcopus, peculiare et beatum Galliae nostrae exemplum ingenti quondam divitiarum censu, uberrimo eloquentiae fonte, ita in sententiam nostram propositumque migravit, ut etiam cunctas admodum mundi partes eloquio operibusque resperserit […] Et quando clarissimos facundia Firmianum, Minucium, Cyprianum, Hilarium, Ioannem, Ambrosium ex illo volumine numerositatis evolvam ?Dixerant, credo, et hi sibi, quod quidam nostrorum ait, cum se a saeculo in hanc beatiorem vitam hoc velut stimulo concitaret ; dixerant, credo : « Quid hoc est ? Surgunt indocti et caelum rapiunt et nos cum doctrnis nostris, ecce ubi in carne volutamur et sanguine ! » (eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 80-82, 354-404 ; trad. d’après eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 62-66).

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mené une vie monastique, Eucher prenait leur exemple pour affirmer, dans son De contemptu mundi, qu’il était nécessaire de suivre dans un monastère une propédeutique ascétique pour se préparer à suivre un grand cursus honorum ecclésiastique. Peut-être se préparait d’ailleurs lui-même à devenir évêque, puisque les actes du concile d’Orange démontrent qu’il fut titulaire du siège épiscopal de Lyon au plus tard en 441294, soit une dizaine d’années seulement après la rédaction de ce traité. Sur ce point, le discours d’Eucher ne se situait pas dans la continuité de l’enseignement de Cassien, qui avait critiqué le processus de sacerdotalisation de la vie monastique en expliquant que « le moine doit absolument fuir les femmes et les évêques295 », afin de ne pas sombrer dans l’impureté ou de devoir abandonner sa cellule pour servir l’institution ecclésiale après avoir reçu l’ordination. La conception très aristocratique de la vie monastique que développait ici Eucher semble avoir en tout avoir été pleinement partagée par tous les pères de Lérins, qui ont souvent eu tendance à lier conversion monastique et accès aux fonctions sacerdotales. Tel avait été le cas d’Honorat, qui, selon la Vita Honorati, aurait reçu l’ordination de l’évêque Léonce en s’établissant à Lerina296. De même, selon la Vita Caesarii (BHL 1508), Césaire d’Arles se serait fait couper la chevelure en recevant l’habit297, devenant d’un même mouvement clerc et moine298. Très fréquemment mis en avant par les apologistes de la vie lérinienne, cet élément fut à l’évidence la clef du remarquable succès que connut le monachisme provençal au ve siècle. En offrant à Valérien et aux enfants de l’aristocratie gauloise un lieu de formation susceptible de leur ouvrir les nouvelles carrières épiscopales vers lesquelles s’orientaient désormais les élites du monde romain, le monachisme lérinien offrait aux élites gauloises la sacralisation nécessaire à la cléricalisation de leurs cursus honorum299. Peut-être faut-il aussi y voir, comme l’a suggéré Stéphane Gioanni, l’explication des réticences que les pères de Lérins éprouvèrent devant les formulations les plus antipélagiennes d’Augustin, puisqu’en se refusant à céder la moindre place au libre-arbitre, elles posaient les fondements d’une idéologie sociale qui s’avérait peu compatible avec le volontarisme aristocratique et l’éthique nobiliaire d’engagement, qui avaient fondé le monachisme 294. Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., p. 87-89. 295. […] omnimodis monachum fugere debere mulieres et episcopos : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 11, 18, p. 444-445. 296. hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 16, 2, p. 112-113. 297. […] ablatis sibi capillis mutatoque habitu : Vie de Césaire d’Arles, éd. M.-J. Delage, Paris, 2010 (Sources chrétiennes 536), I, 4, p. 152. 298. Ibid., p. 30-32. 299. M. HeinZelmann, Bischofsherrschaft in Gallien. Zur Kontinuität römischer Führungsschichten vom 4. bis zum 7. Jahrhundert. Soziale, prosopographische und bildungsgeschichtliche Aspekte, Zurich/ Munich, 1976 (Beihefte der Francia 5), p. 73-98 ; idem « Bischof und Herrschaft vom spätantiken Gallien bis zu den karolingischen Hausmeiern. Die institutionellen Grundlagen », dans F. PrinZ (éd.), Herrschaft und Kirche, Stuttgart, 1988 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters 33), p. 23-82 et R. NürnBerg, Askese als sozialer Impuls. Monastisch‑asketische Spiritualität als Wurzel und Triebfeder sozialer Ideen und Aktivitäten der Kirche in Südgallien im 5. Jahrhundert, Bonn, 1988 (Hereditas, Studien zur Alten Kirchengeschichte 2).

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lérinien300. Si l’on accepte, avec Jean-Marie Salamito, d’interpréter la crise pélagienne comme un débat entre le christianisme des « virtuoses », qu’aurait incarné Pélage, et celui de la « multitude » que défendait Augustin301, il ne fait effectivement guère de doute que l’élitisme aristocratique des Lériniens ne pouvait être sans quelques affinités électives avec celui des pélagiens. En quoi consistait cette formation qu’Eucher appelait Valérien à venir suivre à ses côtés ? Tout d’abord, dans ce qu’Eucher définissait comme « l’étude de la doctrine chrétienne302 » ou encore « l’étude et les écrits de nos auteurs303 », autrement dit dans un enseignement fondé sur les Écritures et les grands textes chrétiens. Eucher ne nous en dit guère plus, peut-être parce qu’il ne lui semblait pas nécessaire de décrire à Valérien la qualité d’une formation qui devait déjà être notoire en Gaule. Il ne fait en effet guère de doute qu’au temps d’Eucher, l’archipel lérinien accueillait déjà une véritable école, dont l’importance devait alors être reconnue de tous. La renommée des théologiens qui sortirent dans le second quart du ve siècle des monastères lériniens, à l’exemple d’Eucher lui-même, mais aussi de Fauste de Riez, de Vincent de Lérins ou encore de Salvien de Marseille, en donne un évident témoignage. Ces théologiens avaient reçu sur les îles de Lérins un enseignement déjà bien structuré, comme le montre la cohérence globale de leurs œuvres, qui développaient une théologie profondément catholique, inspirée par l’œuvre d’Augustin, tout en se montrant clairement réservée envers ses formules les plus radicales sur la prédestination des élus304. Plus fondamental pour notre propos est l’insistance avec laquelle Eucher décrivait à Valérien les enseignements qu’il recevrait s’il décidait de le rejoindre. Eucher lui donnait en effet une longue liste des préceptes qui lui seraient inculqués, dont Adalbert de Vogüé a montré qu’elle relevait manifestement d’une formation de nature cénobitique : Ici, pour t’inculquer la foi, on te dira […] : qui ne croit pas en la parole de Dieu ne la comprend pas […] Ici, on t’apprendra cela : si tu t’aimes toi-même, prends soin de ton prochain […] Ici, on te mettra en garde contre ce qui est illicite : résiste au désir comme au plus farouche de tes ennemis […] Ici, pour te préserver de la concupiscence, voici ce qu’on t’enseignera : mieux vaut ne pas vouloir ce que tu ne possèdes pas que de posséder ce que tu veux. Ici, pour te détourner de la colère, on proclamera : celui qui se met en colère à la moindre provocation échappe à la colère uniquement quand on ne le provoque pas […] Ici, on te répètera sans cesse : c’est bien préserver son trésor que de le partager avec les pauvres […] Ici, on te donnera des conseils pour un bonheur encore plus grand, en te disant : le fruit des

300. S. gioanni, « Moines et évêques en Gaule aux ve et vie siècles : la controverse entre Augustin et les moines provençaux », Médiévales, 38 (2000), p. 149-161 et idem, « Être véritablement moine. Les représentations de l’identité ascétique dans la pastorale lérinienne (ve-vie siècles) », cit., p. 157. 301. J.-M. salamito, Les virtuoses et la multitude. Aspects sociaux de la controverse entre Augustin et les pélagiens, Grenoble, 2005. 302. […] christiani dogmatis studia : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 104, 695. 303. […] ad studia nostrorum et scripta : ibid., p. 106, 725-726. 304. alciati, Monaci, vescovi e scuola nella Gallia tardoantica, cit., p. 62-121.

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mariages fidèles, c’est la continence […] Ici, afin de préserver ta pureté, tu t’entendras également recommander : si tu veux être sincère, tu ne seras pas soupçonneux […] Là encore, contre l’orgueil, on te donnera ces recommandations pour la perfection : fuis d’autant plus la vanité que tu deviens meilleur305.

Loin du tableau angélique des saints de Lerina qu’Eucher avait dressé dans son De laude eremi, le De contemptu mundi donnait ici une description de la vie monastique qui relevait manifestement d’un éloge de la vie cénobitique. Comme Adalbert de Vogüé l’avait remarqué, ces préceptes s’inspiraient très largement des Institutions que Cassien avait rédigées pour le coenobium de Castor d’Apt, en reprenant en particulier sa liste des vices contre lesquels les cénobites devraient apprendre à lutter306. Un tel tableau n’a rien d’étonnant, dans la mesure où Eucher proposait à Valérien de venir le rejoindre « ici » (ibi/illic/hic), autrement dit sur l’île de Lero sur laquelle, comme nous l’avons vu, se trouvait situé l’ingens coenobium qui était placé sous son autorité. C’est donc bien l’actuelle île SainteMarguerite, et non l’île Saint-Honorat comme l’érudition l’a souvent pensé à tort, qui est évoquée par Eucher dans la célèbre exhortation finale de son De contemptu mundi, dans laquelle il appelait Valérien à venir le rejoindre « ici, dans un vaste golfe soustrait aux flots où le calme étant partout, on trouve la sérénité dans une apaisante tranquillité307 ». Cette description de la vie monastique insulaire, qui tranche avec l’éloge de la vie des anachorètes dans le désert de Lerina, qu’Eucher avait développé dans son De laude eremi, est celle d’un monde qui conjuguait l’ascétisme aristocratique du monde latin et le modèle fourni par la discipline cénobitique des moines égyptiens. En ce sens, à la différence du De laude eremi, le De contemptu mundi nous introduit à la vie monastique que menait sous la direction d’Eucher la communauté cénobitique qui s’était installée sur l’île de Lero. Elle offrait à Valérien, comme à tout jeune moine débutant, une propédeutique qu’il pourrait poursuivre par la suite, lorsqu’en s’éloignant un peu plus du continent pour aller rejoindre le désert de Lerina, il pourrait achever sa formation en se consacrant pleinement à une vie d’étude et de contemplation.

305. […] ibi ad inculcandam fidem […] dicentur tibi : verbum Dei qui non credit, non intelligit […] ibi tibi istud insinuabitur : si amas te, proximum dilige […] illic adversus illicita moneberis : libidini resiste tamquam hosti acerbissimo […] illic ne concupiscas, istud edoceberis ; melius est nolle quae non habeas quam habere quae vellis ; illic ne irascaris, hoc ingeretur : qui provocatus irascitur, tunc solum non irascitur cum non provocatur […] illic saepius tibi id iterabitur : thesaurum is bene recondit qui indigentibus dividit […] illic etiam feliciora suadeberis, cum dicetur : fidelium coniugiorum fructus est continentia […] illic audies ad custotiendam puritatem et ista praecipi : si vis esse verax, suspicax non eris […] illic et adversus iactantiam consummantia tibi haec praecipientur : vanitatem tanto magis fuge quanto melior efficieris : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 106-110, 727-782. 306. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 121-127. 307. […] hic late recessus exclusus fluctibus silet ; hic blanda tranquillitas, serenum renitet : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 114, 835-837.

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Le troisième concile d’Arles Réunissant onze évêques des provinces de Viennoise, Narbonnaise première et Alpes maritimes, le troisième concile d’Arles fut convoqué par Ravennius, évêque métropolitain de la cité d’Arles, par une lettre qu’il avait rédigée un 30 décembre d’une année inconnue308. Les actes de ce concile ne mentionnant aucune datation, la réunion de cette assemblée synodale ne peut guère être chronologiquement située que par le seul épiscopat de Ravennius. Celui-ci fut élu évêque entre le 5 mai 449, date de la mort de son prédécesseur Hilaire309, et le 22 août 449, date de la lettre de confirmation apostolique que lui avait adressée le pape Léon le Grand310. Sachant toutefois que ce concile avait été convoqué un 30 décembre, sa réunion ne peut donc être antérieure à l’année 450, ce qui nous donne un terminus a quo. Le terminus ad quem le plus solide de la tenue de ce concile est, quant à lui, fourni par une lettre adressée le 25 janvier 462 à Léonce, successeur à Arles de l’évêque Ravennius, par le pape Hilaire, qui lui annonçait qu’il venait d’être élu sur le siège de saint Pierre311, ce qui implique que Ravennius était donc mort au plus tard en 461312. Si les données prosopographiques relatives à l’épiscopat de Ravennius permettent donc de situer le troisième concile d’Arles entre 450 et 461313, il convient toutefois de prêter aussi attention à une lettre du pape Léon le Grand, datée du 11 juin 452 ou, dans certaines copies, du 11 janvier de cette même année, qui met en garde l’évêque Théodore de Fréjus, en lui rappelant en particulier qu’il devait obéir à son métropolitain314. Si l’on admet que Léon le Grand évoquait dans cette missive les décisions prises sous l’autorité de Ravennius par le troisième concile d’Arles, que l’évêque Théodore aurait dans cette hypothèse rechigné à appliquer, il serait alors possible de dater le concile de 451/452. Pour avoir été parfois avancée par l’érudition, cette proposition de datation reste cependant très conjecturale, car rien ne prouve que la lettre de Léon le Grand à l’évêque Théodore faisait bien allusion aux décisions du troisième concile d’Arles. Selon la lettre de convocation de Ravennius, qui a été insérée dans chacun des trois manuscrits par lesquels nous ont été transmis les actes de ce concile, cette assemblée synodale avait été convoquée pour régler « le différend survenu entre le saint évêque Théodore et les évêques saint Valérien et saint Maxime,

308. Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., p. 131-134 ; sur ce texte, v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 315-324. 309. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 200. 310. leon le grand, Epistolas, Paris, 1846 (Patrologia latina 54), col. 582-1574, ici ep. 41, col. 815-816. 311. Epistolae romanorum pontificum genuinae et quae ad eos scriptae sunt a s. Hilaro usque ad Pelagium II., t. 1, A s. Hilaro usque ad s. Hormisdam, ann. 461‑523, éd. A. thiel, Brannsberg 1868, Hilarius, ep. 4, p. 137-138. 312. mathisen, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fifth‑century Gaul, cit., p. 206. 313. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 55, n. 122 et vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 315, n. 1. 314. leon le grand, Epistolas, cit., ep. 108, col. 1011-1014.

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ainsi que l’abbé Fauste et les autres frères de l’île de Lerina315 ». Le conflit que devait trancher le troisième concile d’Arles mettait ainsi aux prises les membres les plus éminents du milieu ascétique provençal. L’évêque Théodore peut en effet être identifié avec l’évêque de Fréjus du même nom, qui avait succédé entre 432 et 434 à Léonce, c’est-à-dire à l’évêque qui, selon la Vita Honorati, avait installé Honorat dans l’île de Lerina316. Les actes du troisième concile d’Arles affirment par ailleurs que cet évêque Théodore aurait été « un ancien abbé317 », ce qui peut sans doute permettre de l’identifier avec le Théodore qui, selon la préface du troisième groupe des Conférences de Cassien, avait dirigé dans les années 420 le cénobe établi sur les îles d’Hyères, ce qui en ferait alors l’une des grandes figures de l’ascétisme provençal318. L’évêque Valérien doit, quant à lui, être identifié avec le Valérien qui, depuis au moins 441, occupait le siège épiscopal de Cimiez. Jean-Pierre Weiss a montré que ce Valérien de Cimiez était très probablement un ancien moine lérinien, si l’on en juge du moins par les orientations des sermons qui lui sont attribués, ce qui donne à penser qu’il pourrait aussi être identifié avec le Valérien auquel Eucher avait adressé son De contempu mundi319. L’évêque Maxime était lui aussi d’origine lérinienne, puisqu’il faut l’identifier avec le moine Maxime qui avait pris la succession d’Honorat à Lerina et y avait dirigé cette communauté, avant d’être élu évêque de Riez sans doute en 434320. Enfin, l’abbé Fauste n’est autre que le successeur à Lerina de Maxime, à qui il devait aussi succéder comme évêque de Riez, comme l’atteste pour la première fois une lettre donnée le 3 décembre 462 par le pape Hilaire321. Le concile avait été saisi en raison de la plainte que l’évêque Théodore de Fréjus avait portée contre l’abbé Fauste qu’il accusait de s’être illégitimement soustrait à son autorité épiscopale. Bien que les actes du concile n’aient pas précisé la nature du différend, le fait que Valérien de Cimiez et Maxime de Riez aient été cités aux côtés de l’abbé Fauste donne à penser que les moines lériniens avaient dû faire appel à ces évêques qui provenaient de leur communauté, au détriment des droits que leur ordinaire Théodore estimait devoir lui revenir322. Les pères du 315. […] causam quae inter sanctum episcopum Theodorum et sanctum Valerianum vel sanctum Maximum item episcopos atque abbatem Faustum necnon et reliquos fratres insulae Lerinensis acciderat : Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., p. 132 ; weiss, « Valérien de Cimiez et Valère de Nice », cit., p. 144-145 a estimé que le conflit opposait les évêques Théodore, Valérien et Maxime à Fauste, mais mathisen, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fifth‑century Gaul, cit., p. 193 a corrigé cette interprétation en montrant en particulier que l’opposition entre episcopum et episcopos implique que Valérien et Maxime étaient partisans de Fauste. 316. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 44, n. 66. 317. […] antiquus abba et episcopus : Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., p. 133. 318. Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8 : contra : Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. II, p. 1872. 319. weiss, « La personnalité de Valérien de Cimiez », cit. et idem, « Valérien de Cimiez et Valère de Nice », cit. 320. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 49 et Maxime de Riez entre l’histoire et la légende, cit., p. 67, n. 137. 321. Epistolae Romanorum pontificum genuinae, cit., Hilarius, ep. 8, p. 141-146, ici p. 143. 322. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 316-317.

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concile décidèrent de restaurer la paix qui devait régner entre l’abbé Fauste et Théodore, en garantissant à l’évêque de Fréjus qu’il pourrait exercer sur le monastère de Lerina les droits dont avait disposé son prédécesseur Léonce, autrement dit l’ordination des clercs, la confirmation des néophytes et la remise du chrême. Par ailleurs, les pères du concile interdisaient que des prêtres étrangers à l’Église de Fréjus puissent être admis dans le monastère de Lérins à la communion ou au ministère sans l’autorisation de l’ordinaire323. En contrepartie, le concile reconnaissait à l’abbé Fauste une totale autorité sur les laïcs de son monastère, affirmant suivre sur ce point la règle qu’Honorat aurait instituée324. Sans contrevenir formellement aux dispositions du concile œcuménique de Chalcédoine, qui avait en 451 placé les monastères sous l’autorité de leur ordinaire, le concile d’Arles reconnaissait donc aux moines de Lérins une certaine exemption du pouvoir de leur ordinaire, faisant ainsi de leur monastère une terre sacrée, qui se trouvait au moins partiellement soustraite au fonctionnement territorial des institutions ecclésiastiques325. Le troisième concile d’Arles posait ainsi les fondements d’un nouveau droit qui devait devenir une référence canonique, comme en témoignèrent les actes d’exemption du haut Moyen Age, lorsqu’ils s’attachèrent à préciser que la liberté qu’ils accordaient aux établissements monastiques leur permettrait de jouir d’une autonomie comparable à celle qu’avaient acquise les moines de Lérins et de quelques autres monastères privilégiés326. Enfin, les actes du troisième concile d’Arles témoignent d’évolutions importantes dans la vie monastique lérinienne. La première, et non la moindre, est l’absence dans ce texte de toute référence à une communauté monastique installée sur l’île de Lero. D’une manière générale, il n’existe en effet plus guère de traces d’une vie monastique sur l’île Sainte-Marguerite, après qu’Eucher avait été élu 323. […] quod decessor suus sanctos memoriae Leontius episcopus vindicauerat, idest ut clerici atque altaris ministry a nullo nisi ab ipso vel cui ipse iniunxerit ordinentur, chrisma nonnisi ab ipso speretur, neophyti si fuerint ab ipso confirmentur, peregrini clerici absque ipsius praecepto in communionem vel ad ministerium non admittantur : Concilia Galliae, a. 314‑506, cit., p. 133. 324. Monasterii uero omnis laica multitudo ad curam abbatis pertineat […] regula quae a fundatore ipsius monasterii dudum constituta est in omnibus custodita : ibid., p. 134. 325. K.R. rennie, Freedom and Protection. Monastic Exemption in France, c. 590‑c. 1100, Manchester, 2018, en particulier p. 45. 326. E. ewig, « Das Formular von Rebais und die Bischofsprivilegien der Merowingerzeit », dans H. fuhrmann (éd.), Aus Reichsgeschichte und Nordischer geschichte. Festschrift Karl Jordan, Stuttgart, 1972 (Kieler historische Studien 16), p. 11-42 [rééd. dans E. ewig, Spätantikes und frankisches Gallien. Gesammelte Schriften (1952‑1973), t. II, éd. H. atsma, Munich, 1979 (Beihefte der Francia 3/2), p. 456-484] ; rosenwein, Negociating Space, cit., p. 68 ; gioanni, « Être véritablement moine. Les représentations de l’identité ascétique dans la pastorale lérinienne (ve-vie siècles) », cit., p. 163-165 ; A. diem, « Who is Allowed to Pray for the King ? Saint-Maurice d’Agaune and the Creation of a Burgundian Identity », dans W. Pohl et G. heydemann (éd.), Post‑ Roman transitions. Christian and Barbarian Identities in the Early Medieval West, Turnhout, 2013 (Cultural Encounters in Late Antiquity and Middle Ages 14), p. 47-88 et L. morelle, « La liberté de Luxeuil et son expression diplomatique. À propos d’une charte épiscopale absente et d’un privilège pontifical encombrant (Jean IV, 640-642) », dans S. Bully, A. duBreucq et A. Bully (éd.), Colomban et son influence. Moines et monastères du haut Moyen Âge en Europe, Rennes, 2018, p. 239-259.

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évêque de Lyon, un événement qu’il faut sans doute situer entre l’intronisation épiscopale de Maxime, vers 434 à Riez, et celle de Nectarius à Avignon en 439, si l’on en juge du moins par le fait que la souscription d’Eucher avait été insérée entre celles de ces deux prélats dans les actes du concile d’Orange327. Après le milieu du ve siècle, il n’est de fait plus possible d’identifier d’autre trace d’une vie religieuse sur l’île Sainte-Marguerite qu’une mention, brève et isolée, d’Ennode de Pavie, qui affirme dans sa Vita Epiphanii que Lero aurait fait partie de ces « lieux de saintes habitations », que l’évêque Épiphane de Pavie aurait visités à la fin du ve siècle328. Si la Vita Epiphanii ne permet pas de déterminer la nature des « saintes habitations » qu’Épiphane aurait alors pu voir à Lero, il serait toutefois bien étonnant que l’île Sainte-Marguerite ait pu conserver jusqu’à cette époque le coenobium dont elle disposait au début du ve siècle, puisque la documentation, pourtant très consistante à Lérins dans la seconde moitié du ve siècle, n’en fournit aucune évocation. Cet état de fait donne à penser qu’au temps où le troisième concile d’Arles s’était réuni, la double communauté d’anachorètes et de cénobites, qui avait caractérisé le premier monachisme lérinien, avait déjà fait long feu. Si l’on en juge par les actes du troisième concile d’Arles, il semble bien que l’archipel n’accueillait en effet plus qu’une communauté monastique unique, située sur la seule île Saint-Honorat, qui regroupait aussi bien des clercs que des laïcs. Faut-il lier cette transformation à l’apparition, pour la première fois dans la documentation lérinienne, du titre d’abbé que ni Eucher, ni Hilaire dans sa Vita Honorati, n’avaient auparavant employé ? Sans doute serait-ce là aventureux, car si ce titre n’avait été auparavant utilisé dans les sources latines, tant par Jérôme que par Sulpice Sévère et Cassien329, que pour qualifier les supérieurs des monastères orientaux, son utilisation, pour la première fois ici dans un contexte occidental, semble correspondre à une évolution générale de la terminologie utilisée dans les sources latines. Un peu partout, en effet, les supérieurs des monastères occidentaux commencèrent dans la seconde moitié du ve siècle à recevoir le titre d’abbas, sans qu’il faille sans doute accorder trop de signification à cette mise à jour du vocabulaire monastique. Faut-il aussi penser que ce texte attesterait que l’abbé Fauste aurait été élu par ses moines, comme l’ont pensé les érudits qui ont interprété dans ce sens une clause des actes du troisième concile d’Arles, par laquelle les évêques provençaux réunis par Ravennius ordonnaient « que toute la communauté laïque demeure sous l’autorité et le gouvernement exclusif et libre de son abbé qu’elle s’est choisi (eligerit)330 » ? Sans doute faut-il faire preuve de 327. Concilia Galliae, a. 314‑506, cit., p. 87 ; pour la datation, v. PePino, St. Eucherius of Lyons, cit., p. 74-80 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 655. 328. […] regrediens singula sanctorum habitationum loca visitavit : medianas insulas, Stoechadas, Lerum ipsamque nutricem summorum montium planam Lerinum adiit : ennode de Pavie, Vita Epiphanii, cit., p. 84-104, ici 93, p. 95. 329. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 4, cit., p. 104. 330. […] laica vero omnis congregatio ad solam ac liberam abbatis proprii quem sibi elegerit ordinationem dispositionemque pertineat : Concilia Galliae, a. 314‑506, cit., p. 134 ; pour cette interpréation, v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 323.

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prudence, dans la mesure où l’utilisation du verbe eligo, qu’Adalbert de Vogüé a proposé à juste titre de traduire par « choisir » et non par « élire »331, renvoie probablement à la liberté du moine de faire profession d’obéissance à l’abbé de son choix et non à une procédure d’élection de l’abbé par la communauté monastique, qui peut sembler anachronique dans la mesure où elle n’est attestée par aucune autre source latine contemporaine.

Le Sermo de Maximo de Fauste de Riez La collection de sermons traditionnellement attribuée au pseudo-Eusèbe Gallican comporte une homélie sur Maxime, le moine lérinien qui était devenu évêque de Riez332, après avoir tout d’abord succédé à Honorat à la tête de la communauté de Lerina. Bien que le sermon ne donne pas explicitement le nom de son auteur, son identité ne fait toutefois guère de doute, puisque cette homélie ayant été prononcée à Riez, à peu de distance de la mort de Maxime, elle ne peut être attribuée qu’à Fauste qui, après avoir pris la succession de Maxime à Lérins, probablement en 434, lui avait aussi succédé comme évêque de Riez, entre 452 et 462333. S’il peut sembler difficile de situer avec certitude ce sermon dans le long épiscopat de Fauste, qui s’est achevé à une date inconnue, mais en tout cas postérieure à 485, il est toutefois notable qu’à l’heure d’évoquer les circonstances de l’élection épiscopale de Maxime, l’homéliste ait précisé qu’il ne s’attarderait pas sur le sujet, au motif que son auditoire en avait conservé le souvenir. Étant donné que Maxime avait été élu évêque de Riez vers 434, il semble évident que cette homélie n’a pu être prononcée qu’au début de l’épiscopat de Fauste, à une date où les fidèles de l’Église de Riez pouvaient être encore en mesure de se souvenir de cet événement. Sans doute peut-on penser que ce sermon aurait pu avoir été rédigé pour l’anniversaire de la mort de Maxime, comme cela avait sans doute été le cas pour l’homélie sur la Vita sancti Honorati, qu’Hilaire avait probablement prononcée un an après la mort de son prédécesseur, mais le texte ne présente toutefois aucun élément qui serait susceptible de confirmer cette hypothèse. Si le sermon passe rapidement sur l’épiscopat, pourtant relativement long, de Maxime, il insiste en revanche très fortement sur les vertus que sa formation à Lérins lui avait permis d’acquérir. Fauste y dresse une intéressante apologie du monachisme lérinien, en insistant d’abord et avant tout sur le caractère insulaire de ce désert, qui lui permettait d’être séparé du monde. S’inspirant du De laude eremi, tout en amplifiant encore davantage l’éloge de l’anachorétisme insulaire qu’y avait développé Eucher, Fauste définissait l’espace lérinien comme une « île 331. Ibid., p. 321. 332. EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 35, p. 397-412, avec désormais une traduction française dans Maxime de Riez. Entre l’histoire et la légende, cit., p. 151-193. 333. Maxime était encore évêque le 27 janvier 452 (leon le grand, Epistolas, cit., ep. 102, col. 984-988) et Fauste l’était devenu le 3 décembre 462 (Epistolae Romanorum pontificum genuinae, cit., Hilarius, ep. 7, p. 141-146).

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bienheureuse334 », un lieu soustrait aux hommes où le saint pouvait vivre « protégé des périls du monde comme de ceux de l’Ennemi335 ». Affirmant que « l’autel de l’île de Lerina336 » constituait « une cachette337 » pour celui qui voulait fuir le monde, Fauste insistait sur la nature particulière de cet espace insulaire, que Dieu aurait providentiellement isolé du monde pour l’offrir à la vie monastique. De manière plus forte et bien plus affirmée que ne l’avait fait le De laude eremi, cette homélie contribuait à définir l’île de Lérins comme un espace sacré, se plaçant ainsi dans la logique des actes du troisième concile d’Arles, qui avaient permis à Fauste de Riez, alors qu’il était abbé de Lérins, de se soustraire largement à l’autorité canonique de son ordinaire. Fauste restait aussi dans la tradition euchérienne lorsqu’il faisait de Lérins un espace de formation des élites épiscopales. Décrivant aux fidèles de l’Église de Riez l’arrivée de Maxime sur l’île de Lerina, il leur expliquait que « cet homme éminent fut instruit là pour instruire ici, enrichi là pour faire du profit ici, éclairé là pour resplendir ici, purifié là pour sanctifier ici338 ». Pour mieux mettre en évidence la qualité d’une formation qui était aussi la sienne, Fauste se lançait dans un long éloge de l’enseignement que Maxime avait reçu d’Honorat, en expliquant que ce « bienheureux maître formait aux disciplines angéliques l’école du Christ en sa communauté339 ». Bien que Fauste ait utilisé un style très rhétorique, il est toutefois notable qu’en recourant à une citation biblique, il ait qualifié le monastère d’Honorat de « creuset de l’humiliation340 » (Si 2, 5). Cette formule avait une évidente connotation cénobitique, qui faisait écho à d’autres expressions analogues que l’on retrouvait dans cette homélie, en particulier dans le portrait que Fauste y dressait de l’abbé Maxime : Que de peuples il a exterminés dans le cœur des convertis ! Que de nations d’adversaires invisibles, qui tentaient de chasser Israël du royaume, il a fait périr, en s’appliquant à tuer en l’homme, comme dans la Terre Sainte, les passions, comme on tue l’ennemi ; à introduire et planter les vertus comme on fit avec le peuple de Dieu ; à retrancher les convoitises et circoncire les voluptés comme avec « des couteaux de pierre » (Jos 5, 2), c’est-à-dire avec des préceptes du Christ341.

334. 335. 336. 337. 338.

[…] beata illa insula : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 35, 5, 79, p. 404. […] a mundi tamquam ab Inimici periculis tutus : ibid., 4, 53-54, p. 403. […] insulae lirinensis aram : ibid., 3, 36, p. 402. Lirinensis sedem immo latebram : ibid., 4, 52-53, p. 403. Vir ille praecipuus illic doctus, ut hic doceret ; illic ditatus, ut hic feneraret ; illic illuminatus, ut hic refulgeret ; illic purificatus, ut hic sanctificaret : ibid., 5, 80-83, p. 404. 339. […] illa sancta congregatione beatus magister angeliciis studiis scholam Christi imbuit : ibid., 7, 142-143, p. 406. 340. […] illo camino humiliationis : ibid., 4, 62-63, p. 403. 341. […] quantas in conversorum cordibus gentes peremit ! quantas nationes invisibilium adversariorum, quae Israelem de regno excludere conabantur, exstinxit, studens in homine, velut in terra sancta : tamquam hostem interficere passiones, ac tamquam Dei populum introducere ac plantare virtutes, et quasi cultris lapideis, id est fortibus Christi praecptis : concupiscentias resecare et circumcidere voluptates : ibid., 6, 110-116, p. 405 ; traduction d’après Maxime de Riez. Entre l’histoire et la légende, cit., p. 173-175.

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Ce type de formulations, qui revenaient très souvent dans le Sermo de Maximo, renvoyait à l’évidence à un monachisme de nature cénobitique, dans lequel l’abbé s’attachait à extirper les passions et les désirs de ses moines, en les soumettant à une discipline rigoureuse. L’homélie de Fauste offre ainsi un éloge d’une vie monastique qui s’avère bien différente du modèle anachorétique qu’Eucher avait pu développer dans son De laude eremi. Avec les actes du troisième concile d’Arles, ce texte témoigne de l’évolution que la vie monastique lérinienne avait visiblement prise au milieu du ve siècle, en passant d’un monachisme bipolaire, associant sur les îles de Lero et Lerina deux communautés de cénobites et d’anachorètes, à un monastère unique, de nature cénobitique, désormais installé sur la seule île de Lerina. Un autre passage du Sermo de Maximo témoigne aussi d’une autre des transformations que connaissait alors le monachisme lérinien. Fauste y racontait comment Maxime avait pu se soustraire aux fidèles de l’Église de Fréjus, qui souhaitaient en faire leur évêque : Diverses localités le convoitaient, mais surtout la cité la plus proche du désert, laquelle revendiquait comme son propre citoyen l’habitant de son territoire et de sa région ; la cité la plus proche du désert le convoitait, celle qui, comme vous le savez, est située entre ce lieu et l’île. Mais Maxime soupçonne la manœuvre et s’en émeut : il se prépare à un triste départ, médite un long exil, mais devancé par l’arrivée soudaine d’évêques prêts à fondre sur lui, il gagne – seule issue permise à cet instant-là – l’épaisseur des forêts, amicale pour lui et sa retraite si active. La foule des fidèles se rue : tout est retourné ; les profondeurs secrètes du désert sont remuées. Sous la voûte nue du ciel, Maxime est battu par la pluie durant trois jours et trois nuits, comme je puis en témoigner en personne. Il m’a semblé que les nuages aussi ont tenté de débusquer sa cachette. Toute l’île s’afflige de la mise en danger de son Père : à présent, elle redoute plus pour lui un accident qu’un enlèvement. Grâces soient rendues en tout cela à la divine Providence ! On le cherche, c’est pour ses mérites ; on ne le trouve pas, c’est pour les vôtres342.

Sans doute peut-on considérer que ce passage constitue un relent du conflit qui avait opposé l’abbé Fauste à l’Église de Fréjus. Bien que le nom même de Fréjus ne soit pas mentionné, son identification ne fait en effet aucun doute, puisque l’homélie la désignait de manière très claire à trois reprises, en expliquant tout d’abord qu’il s’agissait de la cité la plus proche du désert lérinien, en signalant ensuite que l’île 342. Ambiebant illum diversae patriae, sed vel maxime proxima eremo civitas, quae territorii ac finium suorum incolam velut proprium amplectebatur indigenam ; ambiebat illum proxima eremo civitas, quae inter locum hunc et insulam, ut nostis, interiacet. Qua ille suspicione percussus, tristem parat egressum ac longum meditatur exsilium ; sed repentino occupatus adventu insistentium sacerdotum petit, quod licuit ad momentum, amica sibi ac negotiosa otio suo condensa silvarum. Irruentibus fidelium turbis ventilantur universa, profunda eremi secreta versantur. Sub nudo axe caeli, trium dierum ac trium noctium imbribus verberatur, sicut et ipse sum testis, videntur mihi quoque nimbi ipsi inquisisse latentem. Mret cuncta insula periculum patris ; plus iam in eum expavescit iniuriam quam rapinam. Gratias inter haec caelesti dispensationi ; pro suis meritis quaeritur, pro vestris non invenitur : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 35, 8, 157-173, p. 407 ; traduction d’après Maxime de Riez. Entre l’histoire et la légende, cit., p. 179-181.

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se trouvait dépendre de son territoire, avant de préciser enfin qu’elle était située entre Riez et Lérins. Au-delà du thème de l’île-refuge, qui est particulièrement bien illustré par les ressources que la forêt lérinienne aurait offertes à Maxime, en lui permettant de rester caché pendant trois jours et trois nuits, ce récit affirmait de manière rhétorique ce que les actes du troisième concile d’Arles avaient canoniquement défini, autrement dit que le caractère sacré de l’île de Lerina pouvait autoriser ses moines à se soustraire largement à l’autorité de l’Église de Fréjus. Enfin, il convient de souligner que le rapprochement de ce texte avec les actes du troisième concile d’Arles constitue un argument supplémentaire pour situer le Sermo de Maximo dans les toutes premières années de l’épiscopat de Fauste à Riez.

Les sermons ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican Au-delà du Sermo de Maximo, l’homéliaire du pseudo-Eusèbe Gallican comporte une série de sermons monastiques, qui offrent des données majeures pour saisir l’évolution au ve siècle de la communauté lérinienne. Toutefois, leur étude s’avère délicate, dans la mesure où la collection de sermons du pseudo-Eusèbe Gallican pose de redoutables problèmes d’analyse critique, dont il est nécessaire de présenter ici les grandes lignes. Dans un premier temps, il faut tout d’abord signaler que, par leurs thématiques et leur style, les sermons de la collection du pseudo-Eusèbe Gallican ont une évidente unité qui s’enracine dans la riche tradition homilétique du milieu ascétique provençal et plus particulièrement du monachisme lérinien. Les évêques de culture lérinienne se sont en effet illustrés par leur importante production d’homélies, dont témoignent en particulier les sermons d’Eucher de Lyon, d’Hilaire d’Arles, de Valérien de Cimiez, de Fauste de Riez et de Césaire d’Arles343. L’importance de cette production, à laquelle il faut rattacher la collection du pseudo-Eusèbe Gallican, constitue l’une des caractéristiques majeures de l’école lérinienne, qui semble avoir voulu doter ses moines-évêques de la culture homilétique nécessaire à l’exercice de leurs fonctions pastorales. L’attribution de cet homéliaire a donné lieu à des débats complexes qui n’ont jamais été réellement résolus, ce qui en rend l’étude délicate. La tradition médiévale avait considéré que tout ou partie de cette collection était l’œuvre d’auteurs aussi divers qu’Hilaire d’Arles, Eucher de Lyon, Fauste de Riez ou Maxime, avant de la considérer progressivement comme un ensemble homogène et de l’attribuer à un certain évêque Eusèbe, dans des conditions qui restent aujourd’hui encore obscures344. Définitivement retenue au xviie siècle par l’érudition ecclésiastique, cette attribution a amené la collection à être dès lors éditée sous le nom d’Eusebius 343. J.-P. weiss, « Le prédicateur dans la Provence du ve siècle », dans R.-M. dessì et M. lauwers (éd.), La parole du prédicateur, ve‑xve siècle, Nice, 1997 (Collection du Centre d’études médiévales de Nice 1), p. 23-47. 344. Sur la tradition de l’homéliaire du pseudo-Eusèbe Gallican, v. l’introduction de François Glorie à EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. I, p. VII-LXIV et L.K. Bailey, Christianity’s Quiet Success. The Eusebius Gallicanus Sermon Collection and the Power of the Church in Late Antique Gaul, Indiana, 2010, p. 29-38.

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Gallicanus, ce qui n’a pas facilité son étude, puisque l’absence de consistance historique de cet « Eusèbe Gallican » a beaucoup nui à l’autorité de cet homéliaire, comme en témoigne par exemple le fait qu’il n’ait pas été jugé digne d’être édité dans la collection de la Patrologie latine, dirigée par Jean-Baptiste Migne. Au cours du xxe siècle, l’érudition s’est progressivement persuadée que cette collection devait en réalité être attribuée à Fauste de Riez, en avançant une série d’arguments, liés aussi bien à une analyse stylistique qu’au constat que certaines des formules utilisées par les homélies de la collection pseudo-eusébienne se retrouvaient telles quelles dans les lettres de Fauste345. Cette affirmation du rôle de Fauste de Riez pouvait sembler d’autant plus cohérente, que Sidoine Apollinaire et Gennade avaient évoqué les talents d’orateur de Fauste et loué les homélies qu’il avait rédigées. Surtout, l’érudition s’est persuadée qu’étant donné que l’attribution de certains sermons de la collection pseudo-eusébienne à Fauste pouvait sembler indéniable, à l’exemple du Sermo de Maximo que nous avons déjà pu étudier, et que l’homéliaire présentait par ailleurs une indéniable unité stylistique, l’ensemble de l’œuvre devait être attribué à l’évêque de Riez. Au cours du xxe siècle, Fauste a donc été usuellement identifié avec le pseudo-Eusèbe Gallican, l’érudition estimant usuellement que la tradition médiévale avait évité de lui attribuer cette collection de sermons, en raison des positions hétérodoxes que l’évêque de Riez avait été amené à adopter sur la grâce. Cette conception a toutefois été reconsidérée par François Glorie qui, dans l’édition de référence qu’il a donnée en 1971, a estimé que la collection du pseudoEusèbe Gallican serait pour l’essentiel constituée de centons établis par Fauste de Riez, à partir de sermons d’auteurs aussi divers que Novatien, Cyprien, Zénon de Vérone, Eusèbe de Verceil, Ambroise, Augustin, Hilaire d’Arles et du pseudoEusèbe d’Alexandrie. Selon François Glorie, les homélies-centons de Fauste de Riez auraient été dans un second temps rassemblées par Césaire d’Arles, avant de prendre sans doute leur forme définitive au viie siècle346. Si l’interprétation de François Glorie a été adoptée par quelques érudits347, la majorité des spécialistes a continué à attribuer pour l’essentiel la collection pseudo-eusébienne à Fauste de Riez348. Le doute ayant néanmoins été semé, de plus en plus d’auteurs recon345. G. morin, « La collection gallicane dite d’Eusèbe d’Émèse et les problèmes qui s’y rattachent », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 34/1 (1935), p. 92-115 ; J. leroy, L’œuvre oratoire de Fauste de Riez. La Collection gallicane dite d’Eusèbe d’Émèse, Thèse, Université de Strasbourg, 1954 ; E. griffe, « Les sermons de Fauste de Riez. La “Collectio Gallicana” du Pseudo-Eusèbe », Bulletin de littérature ecclésiastique, 6e série 61 (1960), p. 27-38 et idem, « Nouveau plaidoyer pour Fauste de Riez », Bulletin de littérature ecclésiastique, 6e série 74 (1973) p. 187-192. 346. EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. I, p. VIII-XXI. 347. A. BruZZone, « Similitudini, metafore e contesto sociale nella lingua degli evangelizzatori (saggio di ricerca su Eusebio Gallicano) », dans I. maZZini et L. Bacci (éd.) ; Evangelizzazione dell’occidente dal terzo all’ottavo secolo. Lingua e linguaggi. Dibattito teologico, Rome, 2001 (Biblioteca di cultura romanobarbarica 5), p. 125-136. 348. kasPer, Theologie und Askese, cit., p. 10-12 et 231-238 ; NürnBerg, Askese als sozialer Impuls, cit., p. 222-244 ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 227-314 ; R. Barcellona, Fauste di Riez, interprete del suo tempo. Un vescovo tardoantico dentra la crisi

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naissent qu’en l’état de nos connaissances, il est difficile d’attribuer sans autre procès la collection du pseudo-Eusèbe Gallican à l’évêque de Riez, dans la mesure où si Fauste est très certainement l’auteur d’une partie des sermons de l’homéliaire, il est difficile d’être certain qu’il a bien écrit l’ensemble des homélies de cette collection349. En dernier lieu, Lisa Bailey a ainsi proposé de considérer que la collection pseudo-eusébienne avait sans doute dû être rassemblée à Riez dans la première moitié du vie siècle, ce qui expliquerait qu’elle soit majoritairement constituée de sermons de Fauste, tout en estimant qu’elle devait probablement aussi comporter quelques sermons d’autres évêques lériniens du ve siècle, comme Eucher de Lyon ou encore Maxime de Riez350. Quelles que soient leurs divergences sur l’attribution des sermons de l’homéliaire du pseudo-Eusèbe Gallican, tous les spécialistes sont en revanche d’accord pour attribuer à Fauste de Riez un ensemble de dix homélies que la tradition médiévale a transmis, souvent de manière séparée, sous le titre d’ad monachos et qui constituent les sermons 36 à 45 de la collection du pseudo-Eusèbe Gallican. De cet ensemble, il faut toutefois retrancher pour notre propos les sermons 36 et 45, dans la mesure où ils ont visiblement été insérés dans ce corpus par erreur, puisqu’ils n’ont à l’évidence pas été prononcés pour des moines. Le sermon 45, qui pourrait en fait avoir été originellement destiné à une prédication de Carême pour des laïcs, comporte ainsi une exhortation à l’aumône qui ne peut concerner un public monastique. Il en va de même pour le sermon 36, qui présente des références appuyées à la littérature païenne, bien plus adaptées à des élites laïques qu’à un auditoire de moines351. Les huit sermons qui restent, soient les sermons 37 à 44 de l’homéliaire du pseudo-Eusèbe Gallican, constituent en revanche un ensemble stylistiquement et thématiquement homogène, clairement destiné à une communauté monastique. Celle-ci était de type insulaire, si l’on en juge par exemple par le sermon 40 dans lequel le prédicateur s’adresse à ses auditeurs en leur disant qu’« on nous voit vivre dans une île et chanter des psaumes entre moines352 ». Cette phrase montre que ces sermons s’adressaient à des moines insulaires, ce qui nous met évidemment sur la piste de Lérins, d’autant que ces homélies présentent des références importantes aux auteurs et à la tradition lérinienne. On notera aussi que cette dernière citation montre que son auteur s’incluait dans cette communauté monastique, comme le confirme aussi l’utilisation tout au long des homélies ad monachos de la première personne du pluriel par le prédicateur, lorsqu’il évoquait la congrégation

349. 350. 351. 352.

dell’impero, Soveria Mannelli, 2006 (Armarium, Biblioteca di storia et cultura religiosa 12) et R. villegas marín, « Un épisode méconnu de la “préhistoire” du purgatoire chrétien : Fauste de Riez, Césaire d’Arles et les “miséricordieux” gaulois », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 59/2 (2013), p. 299-335. weiss, « Le prédicateur dans la Provence du ve siècle », cit., p. 42-45. Bailey, Christianity’s Quiet Success, cit., p. 29-38. kasPer, Theologie und Askese, cit., p. 11 ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 259 et Bailey, Christianity’s Quiet Success, cit., p. 106-107. […] in insula vivere atque inter monachos psallere videmur : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 40, p. 476, 3, 114.

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du monastère. Tout indique ainsi que ces sermons ont très vraisemblablement été prononcés par un lérinien pour des lériniens, ce qui constitue un argument très fort pour les attribuer à Fauste. Le fait semble poser d’autant moins de problèmes que les spécialistes conviennent que les homélies ad monachos sont stylistiquement très proches du Sermo de Maximo, dont nous avons vu que l’attribution à l’évêque de Riez semble indiscutable. Ainsi donc, malgré l’absence d’une preuve formelle, il existe toutefois un faisceau d’indices suffisamment important pour qu’il soit possible d’attribuer les homélies ad monachos de la collection du pseudo-Eusèbe Gallican à Fauste de Riez. Faut-il dès lors en déduire que ces sermons auraient été prononcés au temps où Fauste était abbé de la communauté lérinienne, comme le fait usuellement l’érudition ? Fauste ayant pris la direction des moines de Lerina au lendemain de l’élection, sans doute en 434, de Maxime à Riez, avant de prendre sa succession épiscopale entre 452 et 462, il faudrait dès lors situer ces sermons dans une fourchette chronologique qui s’ouvrirait vers 434 pour se refermer autour de 460. Pour être fréquemment avancée, cette hypothèse se heurte toutefois à une difficulté majeure dans la mesure où il n’existe aucune attestation dans l’Occident du ve siècle d’une homélie abbatiale, ce qui avait amené Jean-Pierre Weiss à souligner que les communautés monastiques latines d’époque tardo-antique avaient toujours dû faire appel à des évêques pour les besoins de la prédication à leurs moines353. Peut-on dès lors penser que ces sermons auraient été prononcés par Fauste après son élection à l’épiscopat ? Comme les actes du troisième concile d’Arles montrent que les moines lériniens avaient pris l’habitude de faire appel à leurs anciens moines devenus évêques pour exercer des pouvoirs qui auraient dû relever de leur ordinaire, une telle hypothèse est tout à fait plausible. Elle nous amènerait dès lors à dater ces sermons entre l’élection de Fauste à Riez, que l’on peut situer entre 452 et 462, et sa mort qui intervint à une date inconnue, en tout cas postérieure à 485354. Cette hypothèse a toutefois ses limites, dans la mesure où il serait surprenant que Fauste ait pu prononcer un si grand nombre de sermons à Lérins, alors qu’il était occupé par ses tâches pastorales à Riez, et surtout qu’il se soit inclus aussi clairement dans la communauté lérinienne, en utilisant la première personne du pluriel, alors que sa dignité épiscopale aurait normalement dû l’amener à se situer en extériorité. Peut-être est-il possible de proposer une solution, dans la mesure où nous savons, grâce à une lettre que Fauste avait envoyée à l’évêque Rurice de Limoges, qu’après que le roi des Wisigoths Euric l’avait fait exiler de son siège de Riez aux environs de 477, Fauste avait été amené à se retirer « dans une retraite apte à la vie religieuse et le silence très tranquille d’un établissement355 ». Comme 353. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 259 et weiss, « Le prédicateur dans la Provence du ve siècle », cit., p. 24-32. 354. M. neri, Dio, l’anima e l’uomo. L’epistolario di Fausto di Riez, Rome, 2011, p. 14, n. 10. 355. […] in secreto religionis congruo et tranquillissimo in silentio constituti : fauste de rieZ et rurice de limoges, Opera, éd. A. engelBrecht, Prague/Vienne/Leipzig, 1891 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum 21), ep. 8, p. 211.

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il paraît naturel qu’à l’heure de s’exiler dans un établissement religieux, Fauste aurait pu choisir de retourner dans son monastère de Lérins, il ne semble pas incongru de penser qu’il aurait alors pu y développer une prédication régulière pour les moines. Une telle interprétation permettrait de comprendre que l’auteur de ces homélies ad monachos ait été à la fois évêque, ce qui était nécessaire pour qu’il puisse avoir exercé une activité de prédicateur, tout en mentionnant dans ses sermons qu’il faisait partie de la communauté monastique. Dans cette hypothèse, il faudrait donner à ces sermons une date assez basse, en les situant durant les années d’exil de Fauste, qui ne put sans doute pas revenir à Riez avant la mort du roi Euric, à la fin de l’année 484356. Ces éléments pourraient ainsi permettre de situer ces sermons ad monachos aux alentours de 480, dans une fourchette qui s’ouvrirait vers 477 pour se refermer en 484. La première des huit homélies proprement monastiques de la collection pseudo-eusébienne (sermon 37) démarquait en partie la première épître de Fauste à Rurice de Limoges, qui fut rédigée au temps de l’exil de l’évêque de Riez357. Si ce constat a pu apparaître comme l’un des éléments les plus probants pour attribuer à Fauste ces sermons ad monachos, il offre aussi un argument supplémentaire pour les dater des environs de 480, autrement dit dans le contexte de la rédaction de la première épître de Fauste à l’évêque Rurice. Ce sermon commençait par souligner l’importance de la prière qui, selon une référence au Lévitique (Lev, 11), devait situer le moine à l’intérieur du « monde animal qui rumine358 », témoignant ainsi de la nouvelle importance que prenaient les fonctions liturgiques dans le monachisme lérinien. Il se poursuivait ensuite par un éloge de l’utilisation de la violence dans l’enseignement de la vie monastique, qui selon Fauste était absolument nécessaire pour que le moine puisse « écraser ses passions passées et violemment se vaincre lui-même359 ». Fauste y recourait à des images fortes, affirmant par exemple que « ce n’est en effet pas sans violence que l’on peut passer de l’abondance et de la richesse à la faim et à la soif en empruntant la croix de l’abstinence et qu’on accable de mauvais traitements et de veilles une chair qui aimait naguère le sommeil et le repos360 ». Un tel sermon ne pouvait évidemment s’adresser qu’à des moines soumis à l’obéissance et à la macération, à l’image de ceux dont Cassien expliquait qu’avant de pouvoir accéder à la vie évangélique des anachorètes, il leur fallait se préparer dans un cénobe, afin d’« acquérir à la fois la vertu d’humilité et celle de nudité et être complètement purgés de leurs 356. neri, Dio, l’anima e l’uomo, cit., p. 13-14 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 743-744. 357. fauste de rieZ et rurice de limoges, Opera, cit., epistula 8, p. 208-211 : cf. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 371. 358. […] munda animalia esse quae ruminant : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 37, p. 427, 1, 3. 359. […] vim facit pristinis studiis suis et violenter se vincere : ibid., t. II, homilia 37, p. 428, 2, 30. 360. Non enim sine violentia fieri potest : ut de abundantia et de divitiis ad famem et sitim, ad abstinentiae crucem, transeat ; ut somno prius atque otio amicam carnem contritione vigiliisque conficiat : ibid., t. II, homilia 37, p. 428, 2, 32-35.

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vices361 ». Cette homélie témoigne ainsi que la vie monastique à Lerina n’était décidément plus celle qu’Eucher avait décrite, lorsqu’il avait évoqué les « saints vieillards » établis dans « leurs cellules séparées », mais qu’elle s’apparentait désormais manifestement à celle d’un monastère de type cénobitique. La deuxième homélie (sermon 38), la plus longue des sermons ad monachos, confirme cette première impression, dans la mesure où elle constituait pour l’essentiel un éloge des deux grandes valeurs de la vie cénobitique, autrement dit l’obéissance et la stabilité monastique, puisqu’elle se donnait pour but d’expliquer aux moines que « ne pas obéir et vouloir partir, c’est faire deux fois la volonté du diable362 ». Elle insistait aussi sur l’apprentissage de l’humilité, autrement dit sur l’une des grandes vertus que la vie cénobitique était censée apprendre, en expliquant aux moines que « plus nous progressons, plus nous devons nous humilier et plus nous nous serons humiliés, plus nous progresserons363 ». Si cette homélie reprenait des formulations traditionnelles de la littérature lérinienne, en définissant par exemple le monastère comme un portus, selon l’image introduite par Eucher364, elle comportait aussi d’intéressantes innovations. Telle était en particulier le cas de l’expression de corpus congregationis qui, comme Adalbert de Vogüé l’a montré365, introduisait une terminologie à très forte connotation cénobitique, utilisée ici pour la première fois dans une source latine. Elle offrait enfin quelques éléments intéressants sur l’organisation de la communauté, en mentionnant par exemple la présence d’anciens (seniores), auxquels les jeunes moines devaient obéissance, avant d’évoquer l’autorité du praepositus vel abbas366, en signalant qu’il pouvait prononcer une série de sentences dont la plus grave était celle de l’exclusion367. Le sermon 39 mettait aussi en garde les moines contre un respect des apparences extérieures de la vie monastique, qui ne correspondrait pas à une réelle conversion intérieure. Cette homélie s’inspirait largement de l’éloge euchérien de la vie anachorétique qu’offrait le De laude eremi, tout en lui donnant un sens manifestement nouveau, qui confirme que les moines de Lerina ne ressemblaient plus à ceux de l’époque d’Eucher. Si ce sermon renvoyait au De laude eremi, lorsqu’il rappelait par exemple aux moines qu’ils avaient reçu le privilège en s’établissant à Lerina

361. […] et humilitatis pariter ac nuditatis virtute possessa atque ad purum vitiorum universitate consumpta : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 5, 36, 1, p. 246-249. 362. […] non oboedire autem et velle discedere, hoc est dupliciter facere diaboli voluntatem : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 38, p. 438, 2, 68-69. 363. Quanto ergo plus proficiemus, tanto plus humiliemur, quia, quanto plus humiliati fuerimus, tanto plus proficiemus : ibid., t. II, homilia 38, p. 445, 5, 176-178. 364. Ibid., t. II, homilia 38, p. 445, 4, 120. 365. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 269-270. 366. Ibid., p. 268 ; v. A. gianfrancesco, « La figure de l’abbé selon Jean Cassien », Provence historique, 167-168 (1992), p. 171-180. 367. Illis ipsis qui gravius apud nos delinquunt, nullam tristiorem, nullam acerbiorem possumus invenire sententiam, quam ut a corpore congregationis abscisi : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 38, p. 438, 2, 71-73.

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de pouvoir « vivre dans le désert368 », il associait en effet aussitôt ces références érémitiques à des allusions à leur vie communautaire, en évoquant par exemple « cette école dans laquelle [les moines] sont rassemblés369 ». L’homélie recourait même à une figure oxymorique des plus révélatrices, lorsqu’elle affirmait que « ce n’est pas seulement cette solitude qui nous oblige à être parfait, mais aussi la multitude rassemblée dans cette communauté370 ». L’homélie 39 témoignait ainsi de l’évolution qui s’était accomplie entre le temps d’Eucher et celui des sermons de Fauste de Riez, en nous montrant que le désert de Lerina ne constituait désormais plus un espace occupé par une élite d’anachorètes vivant dans leurs cellules, mais le lieu de vie d’une « multitude » qui se trouvait désormais « rassemblée dans cette communauté », selon une formule aux accents augustiniens. Si Fauste considérait dans ce sermon que les moines lériniens méritaient toujours d’être qualifiés « d’hommes du désert » (eremitae)371, dans la mesure où ils vivaient dans le désert de l’île de Lerina, la solitude qu’il mentionnait ne constituait visiblement plus qu’une évocation rhétorique, sans relations concrètes avec la vie fondée sur des valeurs cénobitiques que les moines menaient désormais. Le sermon 40 était consacré à la recherche de la persévérance, qui constituait le fondement de la stabilitas loci monastique. L’homélie commençait par se référer au De contemptu mundi en reprenant la définition euchérienne du monastère comme un portus ou « une baie très tranquille »372, tout en transférant ces qualificatifs, qu’Eucher avait originellement destinés dans son De contemptu mundi au cénobe de Lero, à celui qui se trouvait désormais en place à Lerina. Il s’attachait ensuite à mettre en garde la communauté monastique, en expliquant que les bienfaits que pouvait apporter à chacun le fait de « vivre sur l’île et psalmodier parmi les moines373 » étaient en réalité précaires, puisque le moine qui quitterait le monastère verrait tous ses efforts anéantis, dans la mesure où « une seule année que nous passerions dans le siècle pourrait réduire à rien tout ce que nous avons acquis par nos peines dans le désert374 ». Si Fauste de Riez avait de nouveau largement emprunté dans ce sermon aux lettres d’Eucher, il ne concevait toutefois plus, à sa différence, le monachisme lérinien comme une propédeutique, permettant de former dans l’ascétisme une élite sacerdotale, mais comme un lieu d’exil perpétuel, où les moines devaient désormais s’engager à mener jusqu’à la fin de leurs jours une vie de stabilité et d’obéissance, au service de la litur368. […] in eremo vivere : ibid., t. II, homilia 39, p. 458, 3, 45-46. 369. […] nos in hanc scholam […] congregatos : ibid., t. II, p. 456, homilia 39, 2, 25. 370. […] non solum ista solitudo nos ad perfectionis necessitatem, sed etiam ipsa congregationis multitudo constringit : ibid. t. II, homilia 39, p. 456, 2, 13-14. 371. Ibid. t. II, homilia 39, p. 457, 2, 36. 372. […] in portu […] in hoc tranquillissimo sinu : ibid. t. II, homilia 40, p. 482, 7, 208 et 210 ; cf. unus hic portus est […] hic blanda tranquillitas : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 114, 830 et 836. 373. […] in insula vivere atque inter monachos psallere videmur : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 40, p. 476, 3, 113-114. 374. Cum etiam unus annus saeculi, labores nostros in eremo acquisitos ita possit absumere : ibid. t. II, homilia 40, p. 478, 4, 139-140.

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gie communautaire. Fauste ne concevait ainsi plus la vie monastique comme une école, mais plutôt comme un espace communautaire de prière dans lequel chacun des frères devait se fondre. S’il s’attachait à se placer dans l’héritage euchérien en définissant l’île de Lerina comme un désert, la vie monastique qu’il y décrivait était à l’évidence de nature cénobitique et n’avait donc pas grand-chose de commun avec la solitude des anachorètes de l’île de Lerina qu’Eucher avait pu décrire dans son De laude eremi. Le sermon 41, plus bref, avait de nouveau des accents euchériens, puisqu’il portait sur la joie qui devait animer le moine venu en ce lieu. Préfiguration du bonheur céleste, la vie sur l’île de Lerina devait amener le moine « à cultiver l’humilité, la paix, la charité, en évitant ce qui offense l’Esprit Saint375 », ce qui revenait à lui demander de s’abstenir de tout comportement susceptible de briser l’unité spirituelle de la communauté monastique. Ce thème trouvait un nouveau développement dans le sermon 42, qui exposait que la vie en communauté devait permettre de multiplier les bienfaits de la conversion monastique. Comparant le cénobite au prêteur à gage, Fauste y expliquait ainsi que « si celui qui vit en communauté s’est tenu à l’obéissance, s’il s’est consacré à l’humilité et la patience, il recouvrera les intérêts de ceux dans lesquels il avait investi et bénéficiera pour son profit de tous les bienfaits qu’il aura placés dans les autres376 ». Il insistait ensuite sur l’obéissance, dans laquelle il voyait la vertu cardinale susceptible de permettre aux moines de triompher des attaques du démon, qui s’attachait à insuffler, y compris chez les frères les plus expérimentés, « le mal de l’orgueil et du commérage377 ». Enfin, Fauste terminait par une nouvelle exhortation à l’obéissance aux autorités monastiques, en expliquant que le bon moine doit « avoir obéi au Christ dans ses anciens378 ». Le sermon 43 portait sur les péchés qui guettaient les moines, en expliquant qu’ils ne pourraient être conjurés que par l’obéissance. Cette homélie a l’intérêt de nous donner quelques éléments concrets sur l’organisation du monastère, lorsqu’elle évoquait par exemple ces moments où « nous nous faisons aussi violence par les invectives que nous lançons parfois aux prévôts (praepositos)379 ». Par ailleurs, elle mentionnait aussi le risque pour un moine de se trouver confronté « au retour des vigiles à la passion de la désobéissance380 », ce qui peut sans doute permettre de conclure que les frères devaient être astreints à un office nocturne dans une église communautaire, avant de rentrer vers leurs habitations, dont l’homélie ne nous précise malheureusement pas la nature381. 375. […] devitatis his quibus spiritus sanctus offenditur, humilitati, quieti, caritati operam dantes : ibid. t. II, homilia 41, p. 488, 2, 15-16. 376. […] si in congregatione positus obedientiam tenuit, si humilitem patiemtemque se praebuit : quantos aedificavit, tantis feneravit et quantum bonum ex se proximis commodavit : ibid. t. II, homilia 42, p. 497, 2, 9-12. 377. […] per elationis ac iactantiae malum : ibid. t. II, homilia 42, p. 501, 7, 83-84. 378. […] Christo in senoribus suis obtemperaverit : ibid. t. II, homilia 42, p. 504, 10, 155. 379. […] convitiis interdum etiam in praepositos illatis violamur : ibid. t. II, homilia 43, p. 515, 5, 89-90. 380. […] de vigiliis revertentem, inoboedentiae passio : ibid. t. II, homilia 43, p. 514, 4, 67. 381. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 301.

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Le sermon 44 contenait lui aussi de nombreuses références au De laude eremi d’Eucher, ce qui amenait une nouvelle fois Fauste à définir les moines lériniens comme des « hommes du désert » (eremitae)382. Il y évoquait aussi les pratiques ascétiques du monastère, mentionnant en particulier les jeûnes, les veilles et l’abstinence du vin383, avant d’appeler les moines à une véritable conversion intérieure, puis de menacer les éventuels récalcitrants, en leur annonçant que « nous viendrons non pas avec la verge de la langue et de la parole, mais avec ces coups que réclament les cœurs endurcis384 ». Enfin, il évoquait de nouveau la hiérarchisation de la communauté monastique, en incitant le moine à s’interroger pour savoir si « aujourd’hui je n’ai pas nui à un débutant, je n’ai pas désobéi à un ancien385 », insistant ainsi de nouveau sur le devoir monastique d’obéissance. L’apport des huit sermons ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican, dont l’attribution à Fauste de Riez ne fait guère de doute, confirme donc bien ce que les actes du troisième concile d’Arles et le Sermo de Maximo laissaient déjà apparaître. Entre l’époque d’Eucher et celle où ont été prononcés ces sermons, probablement vers 480, le fonctionnement du monachisme lérinien s’était trouvé très profondément modifié. À une organisation en deux monastères, associant un cénobe à Lero et une communauté anachorétique à Lerina, s’était substituée à l’époque de Fauste une communauté unique, de nature clairement cénobitique, qui était située sur l’île de Lerina. Dans des conditions que la documentation ne permet pas de préciser, l’île de Lero semble avoir perdu dans le même temps son peuplement monastique, peut-être dès le départ d’Eucher pour Lyon au cours des années 430, même si la Vita Epiphanii atteste que l’île pouvait être encore citée au début du vie siècle parmi les sanctorum habitationum loca386. Plus fondamentalement sans doute, le projet lérinien avait connu une manifeste mutation, puisque la communauté très élitiste des saints qui, selon Eucher, était vouée à la formation des futures élites sacerdotales, avait fait place à une communauté au recrutement probablement bien plus large, qui accueillait désormais des moines destinés à y mener une retraite perpétuelle pour exercer des fonctions essentiellement liturgiques.

382. EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 44, p. 521, 1a, 14a. 383. […] de corporalium ieiuniorum ac visibilium vigiliarum assiduate blandiri […] a vino se abstinet : ibid., t. II, homilia 44, p. 523-524, 3, 23-24 et 32-33. 384. […] non cum linguae ac sermonis virga, sed cum his verberibus quae obdurata deposcunt corda veniamus : ibid., t. II, homilia 44, p. 527, 5, 66-67. 385. […] hodie illum incipientem destruxi, hodie seniori meo inoboediens fui : ibid., t. II, homilia 44, p. 529, 7, 83-84. 386. […] regrediens singula sanctorum habitationum loca visitavit : medianas insulas, Stoechadas, Lerum ipsamque nutricem summorum montium planam Lerinum adiit : ennode de Pavie, Vita Epiphanii, cit., p. 84-104, ici 93, p. 95.

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L’homélie In depositione sancti Honorati episcopi Aux sermons ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican, il faut rattacher l’homélie 72 de la collection pseudo-eusébienne, qui est consacrée à la mémoire d’Honorat. L’historiographie a traditionnellement attribué ce sermon à Fauste de Riez, ce qui semble faire d’autant moins de difficulté qu’il a été très clairement prononcé à destination des moines de Lérins387. Les spécialistes l’ont d’ailleurs usuellement étudié avec les autres sermons ad monachos de la collection pseudoeusébienne, en le datant comme eux de l’abbatiat de Fauste (c. 434-c. 460). Sans doute conviendrait-il toutefois de situer plutôt cette homélie aux environs de 480, en reprenant les arguments qui ont déjà pu nous amener à placer les sermons ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican sous l’épiscopat de Fauste, dans le contexte de sa condamnation à l’exil par le roi Euric. Une telle datation est d’ailleurs en cohérence avec le discours de l’homélie, dans la mesure où elle évoque la mémoire et non le souvenir d’Honorat, ce qui montre qu’elle était destinée à des auditeurs par trop éloignés du fondateur de leur monastère pour avoir pu le connaître personnellement. Comme en témoigne le titre d’In depositione sancti Honorati episcopi qui lui a été donnée, cette homélie a été vraisemblablement prononcée à l’occasion de l’anniversaire de la depositio d’Honorat, autrement dit un 16 ou un 17 janvier d’une année inconnue. À la différence du sermon qu’Hilaire avait vraisemblablement prononcé le 16 ou le 17 janvier 431 pour commémorer Honorat, cette courte homélie ne constituait toutefois pas une nouvelle Vita et ne donnait donc que très peu d’éléments biographiques sur le fondateur du monachisme lérinien, se contentant de quelques rapides allusions aux faits qu’avait déjà rapportés la Vita Honorati. Destinée aux moines de Lérins, cette homélie avait d’autant moins de dimension hagiographique que le culte d’Honorat était alors pris en charge par l’Église d’Arles, qui disposait de son tombeau et s’attachait chaque année à célébrer sa mémoire, comme en témoigne d’ailleurs un sermon que Césaire avait prononcé dans sa cité pour l’anniversaire solennel de ce saint évêque d’Arles388. L’homélie In depositione sancti Honorati episcopi évoquait cet état de fait, puisqu’elle s’attachait à consoler les moines en leur expliquant que si les Arlésiens pouvaient effectivement se vanter d’avoir le corps d’Honorat, les frères de Lérins avaient en revanche la capacité de se réclamer pleinement de son âme : Et ne croyons pas qu’il nous manque quelque chose de lui parce que la cité d’Arles s’est adjugé le gage de son saint corps. Qu’ils gardent, réduit en cendres, le tabernacle de cette âme bienheureuse, et nous gardons son âme elle-même avec ses vertus. Qu’ils gardent ses ossements, nous ses mérites. On voit demeurer chez eux ce qui est

387. EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 72, p. 773-780, avec la traduction de M. laBrousse, Saint Honorat, fondateur de Lérins et évêque d’Arles, cit., p. 141-149 ; sur ce sermon, v. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 227-242. 388. césaire d’arles, Opera omnia, éd. G. morin, Turnhout, 1953 (Corpus Christianorum Series Latina 103-104), 2 vol., t. II, no 214, p. 853-854 ; traduction : laBrousse, Saint Honorat, fondateur de Lérins et évêque d’Arles, cit., p. 151-153.

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terre ; pour nous, efforçons-nous d’avoir avec nous ce qui est ciel. Qu’ils embrassent, eux, ce que renferme le tombeau ; nous embrassons ce que contient le paradis389.

Pour l’essentiel, l’homélie s’attachait à revisiter la Vita Honorati, afin de faire d’Honorat un modèle d’abbé cénobitique. Le sermon donnait aux moines l’exemple de la juste direction d’Honorat, en leur expliquant que « la piété régnait alors dans ce père parce que tout dans ses sujets n’était qu’obéissance390 ». Prenant parfois ses distances avec la Vita Honorati, l’homélie expliquait aux moines que si certains avaient pu admirer Honorat pour avoir pu chasser les serpents qui habitaient l’île de Lerina, ils devaient, quant à eux, le louer pour avoir réussi à discipliner les frères placés sous son autorité et avoir ainsi pu réduire à néant les bêtes spirituelles qui les avaient jusque-là habités : Pour certains cette histoire de serpents peut sembler admirable. Mais c’est autre chose que nous devons admirer et louer chez cet homme, en voyant combien de bêtes spirituelles il a tuées ici, combien de caractères sauvages il a transformés, les faisant passer de la méchanceté des ours et des loups à une nouvelle douceur !391

Tout occupé à son éloge du monachisme cénobitique, Fauste avait aussi voulu revenir, dans cette homélie, sur le portrait que la Vita Honorati avait dressé de Caprais, lorsqu’elle avait affirmé qu’il « mène jusqu’à présent la vie des anges dans les îles392 ». Tout en admettant que Caprais avait pu mener un style de vie solitaire, Fauste s’était en effet attaché à en faire l’adjoint d’Honorat, autrement dit à mieux l’intégrer dans le modèle cénobitique dont le fondateur du monachisme lérinien était devenu le porteur. Une telle transformation du personnage de Caprais était conforme à l’évolution de la législation conciliaire, qui se faisait plus menaçante envers les frères solitaires393. Ainsi, le troisième canon du concile de Vannes, tenu entre 461 et 491, avait stipulé que les cellules isolées ne seraient plus tolérées que dans la mesure où elles se situeraient à l’intérieur d’un monastère et qu’elles devraient de surcroît être réservées à des frères émérites ou à des moines malades, qui y résideraient dans le respect de l’obéissance abbatiale394. Dans ce 389. Nec inde aliquid nos minus de eo habere credamus quod sibi Arelatensis civitas pignus sacri corporis vindicavit. Teneant illi tabernaculum beatae animae in cineribus suis, nos ipsam teneamus animam in virtutibus suis. Teneant illi ossa, nos merita ; apud illos videtur remansisse quod terra est, nos studeamus nobiscum habere quod caeli est ; amplectantur illi quod sepulchro includitur, nos quod paradiso continetur : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 72, p. 779, 12, 134-141 ; trad. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 239. 390. Regnabat in patre pietas, quia in subiectis totum oboedientia : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 72, p. 779, 10, 117-119. 391. Mirum forte aliquibus de aliquibus de serpentibus sit. Nobis autem alia in illo vira miranda ac praedicanda sunt : quantas hic spiritales bestias interfecit, in quantorum silvestribus moribus ursorum luporumque feritatem in nova mansuetudine commutavit ! : ibid., p. 778, 8, 92-96. 392. […] sanctum Caprasium angelica adhuc in insulis conversatione degentem : hilaire d’arles, Vie de saint Honorat, cit., 12, 1, p. 100-101. 393. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 7, cit., p. 383-387. 394. Servandum quoque de monachis, ne eis ad solitarias cellulas liceat a congregatione discedere, nisi forte probatis post emeritos labores aut propter infirmitatis necessitatem asperior ab abbatibus regula remittatur. Quod ita demum fiet, ut intra monasterii septa manentes, tamen sub abbatis potestate

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contexte d’affirmation du monachisme communautaire, Fauste s’était ainsi soucié de doter Caprais d’un mode de vie plus compatible avec les temps nouveaux, qui ne pouvaient désormais plus penser l’anachorétisme qu’en l’ancrant dans un monachisme fermement centré sur les valeurs cénobitiques : Il [Honorat] avait pris comme assistant et collègue le bienheureux Caprais et il s’en remettait, pour tout ce qu’il avait à régler et à effectuer, à son avis et à sa décision comme à la plus juste balance du jugement. Introduisant avec lui dans ce désert la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d’Aaron, il a établi un camp pour tous ceux qui vont marcher vers la terre promise […] Ils les dirigeaient, l’un par son autorité, l’autre par ses conseils ; l’un veillait à remplir son devoir de pasteur attentif, l’autre, vivant dans la solitude comme retiré sur la montagne, invoquait Dieu en le priant sans cesse. Et ainsi, ils étaient comme les deux colonnes qui précédaient les fils d’Israël pour leur montrer la route (Ex. 13, 21-22)395.

Le sermon de Césaire d’Arles pour les moines lériniens Telle qu’elle a été éditée par Germain Morin, la collection des sermons de Césaire d’Arles comporte une série de six homélies prononcées pour des moines, qui ont été rassemblées à la fin de cette publication (sermons 234 à 238)396. Bien que ces sermons ne constituassent pas une série homogène, puisqu’ils avaient été rédigés pour des communautés différentes, dom Morin avait choisi de les réunir pour se situer dans la continuité de la tradition manuscrite, qui a souvent transmis ces sermons ad monachos de manière séparée, en les associant parfois aussi à des homélies monastiques de la collection pseudo-eusébienne. En rééditant et traduisant dans un ouvrage particulier ces six sermons ad monachos de Césaire d’Arles, en les associant à sa règle des moines et à l’une des homélies extravagantes de la collection du pseudo-Eusèbe Gallican, qui peut vraisemblablement lui être attribuée, les Sources chrétiennes se sont inscrites dans cette longue tradition, ce qui a permis de donner de la visibilité aux œuvres proprement monastiques de Césaire397. Le sermon 236, l’une de ces six homélies ad monachos, est explicitement adressé aux moines de Lérins, ce qui n’est guère étonnant puisque Césaire d’Arles separatas habere cellulas permittantur : Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., p. 150-158, ici 7, p. 153. 395. Assumpto sibi solatium atque collegium beato Caprasio, quaecumque ei vel ordinanda vel gerenda erat, illius tractatu atque judicio velut aequissimi examinis libra, pensavit. Inducens in hoc desertum cum illo Christi gloriam, et tamquam Moyses cum Aaron ascensuris ad terram repromissionis populis castra constituens […] Gubernantes eos, ille imperio, iste consiliio ; ille vigilabat solliciti pastoris officio, iste, in secreto positus velut in monte remotus, assiduo Deum interpellabat oratu ; et ita, tamquam duae columnae, iter Israeliticum praecedebant : EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 72, p. 776, 5, 45-55. 396. césaire d’arles, Opera omnia, cit., t. II, p. 879-906. 397. césaire d’arles, Sermons aux moines, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. II, Œuvres pour les moines, éd. J. courreau et A. de vogüé, Paris, 1994 (Sources chrétiennes 398), p. 15-161.

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connaissait bien cette communauté, dont il avait été membre dans sa jeunesse398. Selon la Vita Caesarii (BHL 1508), rédigée peu après sa mort par un collectif d’ecclésiastiques dirigé par l’évêque Cyprien de Toulon, Césaire, qui est sans doute né en 469/470399, serait entré à Lerina dans sa jeunesse, sans doute vers 488/489, avant de devenir cellérier du monastère400. La maladie l’aurait toutefois contraint à abandonner la vie monastique, par trop difficile pour sa santé fragile, et il aurait été alors amené à quitter Lérins pour se faire soigner à Arles auprès de son parent, l’évêque Éone, qui lui aurait imposé d’entrer dans le clergé de son Église. Même s’il faut se méfier du récit de la Vita Caesarii, il n’en demeure pas moins que Césaire présente un profil différent des évêques lériniens de la première moitié du ve siècle, dans la mesure où il a toujours effectivement pris soin de préciser qu’il n’était pas sorti du monastère de Lérins pour monter sur un siège épiscopal, mais qu’il avait été contraint à le quitter plusieurs années avant qu’il ne devienne évêque, probablement en décembre 502401. Césaire constitue donc un moine-évêque lérinien un peu particulier, dont le parcours était d’autant plus atypique, qu’à sa génération le temps des Honorat, Hilaire, Maxime et Fauste était désormais révolu402. Le monastère de Lérins ne constituait en effet plus un séjour provisoire destiné à servir de propédeutique à une carrière sacerdotale, comme nous l’a montré l’insistance des homélies ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican sur la stabilité et la perpétuité des vœux monastiques. Dans ce contexte, le destin de Césaire ne ressortait désormais plus que d’un cas très particulier, celui d’un moine à la santé par trop précaire pour pouvoir rester durablement à Lérins. Dans leur édition critique des Sources chrétiennes, Joël Courreau et Adalbert de Vogüé avaient estimé que le style très rhétorique utilisé dans le sermon 236 était caractéristique des premières années de l’épiscopat de Césaire, avant de conclure qu’il était probablement antérieur à la mise à l’écrit de la première partie de la Règle des vierges, rédigée dans le contexte de la fondation en 512 du monastère Saint-Jean403. Revenant sur la question dans son Histoire littéraire du mouve‑ ment monastique dans l’Antiquité, Adalbert de Vogüé avait pu avancer un nouvel argument pour une datation haute, en attirant l’attention sur l’évocation dans le sermon 236 de la question de la grâce, lorsque Césaire expliquait que les efforts du moine ne pouvaient aboutir « sans la grâce de Dieu et une grande application

398. césaire d’arles, Opera omnia, cit., t. II, p. 893-897 et césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. II, cit., p. 106-119. 399. césaire d’arles, Sermons au peuple. Sermons 1‑20, éd. m.-J. delage, Paris, 1971 (Sources chrétiennes 175), p. 37-43 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 386-410. 400. W.E. klingshirn, Caesarius of Arles. The Making of a Christian Community in Late Antique Gaul, Cambridge, 1994 (Cambridge Studies in Medieval Life and Thought), p. 23-32 et Vie de Césaire d’Arles, cit., p. 27-52. 401. W.E. klingshirn, « Church Politics and Chronology : Dating the Episcopy of Caesarius of Arles », Revue des études augustiniennes, 38 (1992), p. 80-88. 402. Prévot, « Évêques gaulois d’origine monastique (ive-vie siècles) », cit., p. 393-394. 403. césaire d’arles, Sermons aux moines, cit., p. 56-57.

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du cœur404 ». Selon lui, ce type de formulation était trop vague pour avoir pu être écrit dans le contexte des vifs débats sur la question du « semi-pélagianisme », qui firent rage dans les années 520405, avant d’être finalement tranchés par le concile d’Orange, réuni en 529 sous la présidence de Césaire406. Bien que ces arguments restent fragiles, ils peuvent cependant nous amener à situer avec précaution ce sermon entre les débuts, en 502, de l’épiscopat de Césaire et les controverses sur la grâce qui marquèrent les années 520. Cette homélie s’inscrivait largement dans la continuité des thèmes développés dans les sermons ad monachos de Fauste, ce qui n’est guère étonnant puisque les homélies monastiques de Césaire lui ont d’une manière générale beaucoup emprunté407. Elle s’attachait ainsi à inciter les moines à cultiver les vertus cénobitiques d’humilité, de charité et surtout d’obéissance, ce qui amenait par exemple Césaire à les exhorter « à avoir toujours une véritable affection pour votre père et que votre sainteté s’exerce sans cesse à manifester l’obéissance d’une parfaite charité408 ». S’inscrivant aussi dans la tradition euchérienne, l’homéliste se livrait à un éloge de la vie monastique sur l’île de Lerina409 :

404. […] sine gratia Dei et grandi intentione cordis : césaire d’arles, Sermons aux moines, cit., p. 116-117. 405. Sur la question du « semi-pélagianisme » : C. tiBiletti, « Giovanni Cassiano. Formazione e dottrina », Augustinianum, 17 (1977), p. 355-380 ; idem, « Libero arbitrio e grazia in Fausto di Riez », Augustinianum, 19 (1979), p. 259-285 ; idem, « La salvezza umana in Fausto di Riez », Orpheus, 1 (1980), p. 371-390 ; idem, « Valeriano di Cimiez e la teologia dei Maestri Provenzali », Augustinianum, 22 (1982), p. 513-532 ; J.-P. weiss, « Le “semi-pélagianisme” se réduit-il à une réaction contre Augustin et l’augustinisme de la première génération ? », dans Congresso internazionale su S. Agostino nel XVI centenario della conversione (Roma, 15‑20 settembre 1986), Rome, 1987 (Studia Ephemeridis Augustianum 24-26), 3 vol., t. I, p. 465-481 ; M. Zananiri, « La controverse sur la prédestination au ve siècle : Augustin, Cassien et la tradition », dans P. ranson (éd.), Saint Augustin, Lausanne, 1988 (Les dossiers H 4), p. 248-261 ; mathisen, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fifth‑century Gaul, cit., en particulier p. 122-145 ; klingshirn, Caesarius of Arles, cit., p. 140-143 ; gioanni, « Moines et évêques en Gaule aux ve et vie siècles : la controverse entre Augustin et les moines provençaux », cit. ; Vie de Césaire d’Arles, cit., p. 88-95 et J. delmulle, « Les controverses sur la grâce en Provence », dans guyon et heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle), cit., p. 145-146. 406. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8. Première partie : le monachisme latin. De la vie des Pères du Jura aux œuvres de Césaire d’Arles (500‑542), Paris, 2003, p. 433-434 et L. Pietri, « Les conciles de Césaire d’Arles », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. II, p. 159-165. 407. villegas marin, « Un épisode méconnu de la “préhistoire” du purgatoire chrétien : Fauste de Riez, Césaire d’Arles et les “miséricordieux” gaulois », cit. 408. […] patri vestro verum amorem semper inpendere et perfectae caritatis oboedientiam sanctitas vestra iugiter studeat exhibere : césaire d’arles, Opera omnia, cit., t. II, sermo 236, 3, p. 895, 33-34 et p. 896, 1. 409. O felix et beata habitatio insulae huius, ubi tam sanctis cotidie et tam spiritalibus lucris gloria Domini salvatoris augetur, et tantis damnis diaboli nequitia minoratur ! Beata, inquam, et felix insula Lyrinensis, quae cum parvula et plana esse videatur, innumerabiles tamen montes ad caelum misisse cognoscitur ! Haec est, quae et eximios nutrit monachos, et praestantissimos per omnes provincias erogat sacerdotes ; ac sic quos accepit filios reddit patres, et quos nutrit parvulos reddit magnos, quos velut tyrones accepit reges reddit : ibid., 1, p. 895, 11-19.

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Ô heureuse et bienheureuse demeure de cette île, où la gloire du Seigneur notre sauveur s’accroît chaque jour par tant de saints et de richesses spirituelles et où la capacité de nuisance du diable a été affaiblie par de si grands dommages. Bienheureuse, dis-je, et heureuse île de Lerina qui, bien qu’elle paraisse très petite et plate, est célèbre pour avoir envoyé vers le ciel des montagnes innombrables ! C’est elle qui nourrit des moines excellents et fournit toutes les provinces en évêques éminents. Ceux qu’elle a reçus comme des fils, elle en a fait des pères ; ceux qu’elle a nourris petits, elle en a fait des grands ; ceux qu’elle a reçus comme apprentis, elle en a fait des rois.

Ce passage comportait d’évidentes références à Eucher, auquel Césaire avait beaucoup emprunté dans son homélie, à commencer par le terme de portus qu’il avait lui aussi repris pour désigner le monastère lérinien410. Son homélie apportait toutefois des nouveautés importantes, qui montrent une nouvelle fois à quel point le monachisme lérinien s’était transformé, tout au long du siècle qui avait séparé Eucher de Césaire. Comme l’ont souligné Rosa Maria Dessì et Michel Lauwers411, on notera en particulier que l’homélie de Césaire définissait le monastère de Lérins comme une insula, un terme déjà utilisé par les actes du troisième concile d’Arles, mais totalement absent du discours euchérien, qui ne s’était attaché à définir le locus de Lerina que comme un eremus. Une telle évolution montre que la sacralité proprement insulaire du monastère de Lérins était désormais suffisamment affirmée pour que ses défenseurs ne soient plus contraints de la justifier en expliquant que l’île constituait un désert symbolique. Dans le texte ci-dessus cité, Césaire avait aussi emprunté aux vers de Sidoine Apollinaire, qui dans l’un de ses Carmina avait évoqué le souvenir de Caprais, Loup, Honorat, Maxime, Eucher et Hilaire, pour les définir comme « ces montagnes que cette île pourtant si plate a envoyées au ciel412 ». Sidoine Apollinaire avait manifestement forgé l’expression d’insula plana à partir de la Géographie de Strabon, qui avait désigné Lerina par le terme de Πλανασία (Planasia)413. L’historiographie a suggéré qu’il devait en réalité s’agir là du nom ancien de cette île, qu’elle avait dû porter avant qu’elle ne soit appelée Lerina, un diminutif forgé sur le théonyme Lero, dont la création témoigne sans doute de l’importance qu’avait alors prise l’hérôon établi sur l’actuelle île Sainte-Marguerite414. L’apparition chez Sidoine puis Césaire de ce qualificatif d’insula plana doit en tout cas être replacée dans le processus de sacralisation de l’espace insulaire lérinien. Les auteurs lériniens de la fin du ve et du début du vie siècle ne mettaient 410. Ibid., 2, p. 895, 8. 411. dessì et lauwers, « Désert, Église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques », cit., p. 242-246. 412. […] illa insula plana miserit in caelum montes : sidoine aPollinaire, t. I, Poèmes, éd. A. loyen, Paris, 20032, Carmen 16, p. 124, 109-110. 413. straBon, Géographie, t. II (livre III et IV), éd. F. lasserre, Paris, 1966 (Collection des universités de France publiée sous l’association Guillaume Budé), IV, 9, p. 136. 414. P. moret, « Planesiai, îles erratiques de l’Occident Grec », Revue des Études Grecques, 110/1 (1997), p. 25-56, en particulier p. 28-30.

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désormais plus en avant la personnalité charismatique d’Honorat qui avait chassé les serpents de Lerina, comme l’avait affirmé Hilaire dans sa Vita Honorati, mais la nature providentielle du locus insulaire de Lerina et des vertus particulières qui lui étaient prêtées. Après Césaire, cette expression fut d’ailleurs reprise par Ennode de Pavie, qui affirma dans sa Vita Epiphanii qu’Épiphane avait visité « Lero et la plate Lerina qui nourrit de hautes montagnes415 ». L’expression devint dès lors classique, puisqu’elle devait aussi se retrouver dans le Laus de Lerine insula, un poème que l’on peut sans doute attribuer au Dynamius qui fut patrice de Provence dans le dernier tiers du vie siècle416. Évoquant la plana Lerina, le Laus de Lerine insula soulignait ainsi le caractère particulier de cet espace insulaire qu’il s’attachait à parer de toutes les vertus417. Ce dernier passage comportait par ailleurs une allusion à l’exceptionnelle floraison spirituelle de cette insula, qui lui avait permis de former de nombreuses élites sacerdotales et de pouvoir ainsi « fournir toutes les provinces en évêques éminents ». Bien qu’elle constituât une évidente référence au De contemptu mundi418, cette expression ne doit toutefois pas nous tromper, dans la mesure où elle ne relevait que d’une évocation du prestigieux passé lérinien que Césaire se refusait en fait à actualiser, puisqu’il ne concevait désormais plus que le monastère puisse constituer un lieu où pourraient se former les nouvelles élites ecclésiastiques. Tout au long de son homélie, Césaire s’attachait en effet à expliquer aux moines que son propre destin ne devait surtout pas devenir un modèle, puisque son départ de Lérins avait été lié à « la dureté de [son] cœur419 », qui aurait fait de lui « un tiède420 ». L’évêque d’Arles poussait l’esprit de contrition jusqu’à douter de sa légitimité à prêcher devant les moines, comme en témoigne l’entrée en matière de son homélie, dans laquelle il s’interrogeait pour savoir « ce que j’allais pouvoir dire moi l’incompétent à des hommes si compétents421 ». Au-delà des professions rhétoriques d’humilité, l’insistance de Césaire à dénigrer son propre cursus avait une réelle cohérence, dans la mesure où il s’attachait d’abord et avant tout à enseigner aux moines, dans la continuité des homélies de la collection pseudo-eusébienne, qu’il leur fallait accorder une grande importance à la stabilité, cette vertu cardinale du cénobitisme. Dans cette perspective, Césaire cherchait à les décourager de quitter leur monastère pour mener dans le siècle une 415. […] Lerum ipsamque nutricem summorum montium planam Lerinum adiit : ennode de Pavie, Vita Epiphanii, cit., 93, p. 95. 416. Ibid., p. 186-188. 417. Nihil simile in mundo est sancte Lerine tibi/Optima quae vivo fundata est insula saxo/Et super ornato tegmine plana viret : éd. et trad. B. duméZil, « Le patrice Dynamius et son réseau : culture aristocratique et transformation des pouvoirs autour de Lérins dans la seconde moitié du vie siècle », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 167-193, ici p. 191-192. 418. […] digna quae et praestantissimos alat monachos et ambiendos proferat sacerdotes : eucher, De laude eremi, cit., 42-43, p. 75-77. 419. […] cordis mei duritia : césaire d’arles, Opera omnia, cit., t. II, sermo 236, 2, p. 894, 28. 420. […] tepidus : ibid., 2, p. 895, 7. 421. Quid ego dicturus sum peritissimis imperitus : ibid., 2, p. 895, 4-5.

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carrière sacerdotale semblable à la sienne, en allant jusqu’à les exhorter « à rejeter et chasser, par amour de l’humilité vraie, l’ambition des honneurs et le désir de la cléricature422 ». Cette conception, radicalement opposée à la logique euchérienne, amenait Césaire à exalter la séparation de l’île-monastère et du monde, dans la mesure où elle constituait le garant de cette sainteté monastique insulaire, qui permettait aux fidèles de voir de leurs yeux « cette perfection si sainte et si remarquable423 ». Césaire cherchait ainsi à persuader les moines que leur apport à la société ecclésiastique devait résider dans leur stabilité, qui leur permettait d’offrir aux hommes une image sur terre de la Jérusalem céleste. Pour ce faire, il évoquait le voyage à Jérusalem de la reine de Saba, en rappelant qu’elle constituait une figure typologique de l’Église, pour estimer qu’elle aurait pu retrouver le visage du Temple vivant dans la communauté monastique de Lérins, que Césaire percevait ici comme une image terrestre de Jérusalem : Tous ceux qui mériteront de vous voir pourront prononcer de leur bouche cette sentence que prononça cette reine qui, en tant que figure typologique de l’Église, désira se rendre près de Salomon. Ainsi celui qui aura mérité de vous contempler comme des temples vivants du Christ, ornés des perles des bonnes œuvres, remplis des holocaustes des prières, répandant l’odeur des parfums des vertus, éclatant en cris d’exultation, s’exclamera et dira aussitôt en clamant à haute voix avec cette reine : « Elle est vraie la parole que dans mon pays j’avais entendue » (III Rois, 10, 6) sur la vie religieuse de cette sainte communauté. Voici maintenant qu’en vérité « j’ai la preuve qu’on m’en avait à peine annoncé la moitié » (III Rois, 10, 7) […] car lorsque chacun aura pu venir vous voir comme des anges vivant sur cette terre et tiendra en se réjouissant à son propos de telles paroles et annoncera cette heureuse nouvelle dans le monde entier, considérez et voyez à quel point votre gloire sera accrue et quelle joie désirable et sainte en résultera dans le monde entier pour toutes les Églises424.

Un siècle après Honorat et Cassien, Césaire pouvait ainsi considérer que les Latins n’avaient désormais plus besoin d’aller dans les déserts de l’Orient pour y trouver des « saints vivants425 », puisque la sainte île de Lérins offrait à portée de leurs yeux le tableau d’une parfaite communauté angélique. En un siècle, le projet 422. […] ambitum honoris vel desiderium clericatus verae humilitatis amore repudiavit ac respuit : ibid., 4, p. 897, 10-12. 423. […] haec tam sancta et tam praeclara perfectio : ibid., 4, p. 897, 4-5. 424. […] quicumque vos videre meruerit, illam sententiam possit ex ore proferre quam protulit regina illa quae in typum ecclesiae Salomonem desideravit expetere ; ut cum vos unusquisque quasi Christi templa viventia, bonorum operum margaritis ornata, orationum holocaustis impleta, virtutum aromatibus odorifera meruerit contemplari : Verus est sermo, quem in terra mea de conversatione sanctae huius congregationis audieram. Ecce nunc in veritate probavi quia mihi vix media pars fuerat nuntiata […] cum ergo vos unusquisque velut angelos in terris positos expetere ac videre meruerit, et talia gaudens ex ore sua verba protulerit ac per totum mundum feliciter nuntiaverit, considerate et videte quantum et vobis gloria augeatur et per universum mundum quam desiderabilis et sancta universis ecclesiis laetitia generetur : ibid., 3, p. 896, 4-5 (traduction légèrement retouchée). 425. franck, The Memory of the Eyes. Pilgrims to Living Saints in Christian Late Antiquity, cit.

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monastique lérinien avait ainsi profondément évolué, puisqu’il n’était désormais plus destiné à former les élites ecclésiastiques au miroir des modèles ascétiques égyptiens, mais trouvait son utilité sociale dans sa propre sacralisation, qui lui permettait d’offrir à tous les fidèles l’image d’une cité céleste intercédant pour le bénéfice de la cité terrestre. Un tel projet ne pouvait évidemment être réalisé que dans le cadre d’une totale stabilité cénobitique, ce qui avait amené Césaire à exhorter les moines lériniens à rester fidèles à leurs vœux et à ne pas quitter leur sainte île. Il impliquait aussi qu’il était plus que jamais nécessaire d’affirmer la particulière sacralité de l’espace insulaire lérinien et sa séparation avec le monde séculier, comme Césaire s’était employé à le faire dans cette homélie.

* Cette présentation de la documentation lérinienne montre à quel point le projet monastique, qui se mit en place sur l’archipel de Lérins, put connaître durant le ve siècle de rapides et de fortes évolutions, que l’organisation chronologique des textes permet d’appréhender en trois temps. La première de ces trois étapes doit être située aux environs de 430, une période marquée par une remarquable profusion de textes, parmi lesquels se trouvent les grands traités monastiques d’Eucher, le De laude eremi (428-429) et le De contemptu mundi (430-431), mais aussi la Vita Honorati (431), la lettre 51 de Paulin de Nole (vers 420 ?), le Commonitorium de Vincent de Lérins (vers 434) ou encore la préface du deuxième groupe des Conférences de Cassien (vers 426). La diversité et l’importance de ces sources écrites témoignent de la mise en place dans l’archipel de Lérins d’un projet monastique de très grande ampleur, qui eut par ailleurs un rayonnement suffisant pour permettre dans ces mêmes années l’élection épiscopale d’Honorat (427), d’Hilaire (430), de Maxime (vers 434), de Loup (426), mais aussi peut-être d’Helladius (426) qui pourrait aussi avoir été un moine lérinien. Cette arrivée massive, en quelques années, de moines formés dans l’archipel de Lérins sur les sièges épiscopaux gaulois eut de grands échos, qui se perçoivent dans la lettre donnée en juillet 428 par le pape Célestin, pour faire part de sa préoccupation devant la nouvelle et forte influence que les moines lériniens étaient en train d’exercer sur la vie ecclésiastique de la Gaule méridionale. Toutes les sources produites durant ce premier temps de la documentation lérinienne convergent pour montrer que la vie monastique sur l’archipel de Lérins s’organisait, comme sur les îles d’Hyères, de manière bipolaire, avec une communauté de type cénobitique autour d’Eucher à Lero et une communauté anachorétique installée à Lerina sous l’autorité d’Honorat, puis de Maxime. Une fois réinterprétée la traduction de la préface du deuxième groupe des Conférences, la documentation est sur ce point cohérente, à l’exemple des deux grands traités sur le monachisme d’Eucher, dont l’un, consacré à l’éloge du désert, traitait en réalité de la vie anachorétique de Lerina, tandis que l’autre, destiné à attirer Valérien sur l’archipel de Lérins, décrivait la formation de type cénobitique que recevaient les moines de

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Lero. Si la documentation ne nous offre aucun élément permettant de décrire le cénobe de Lero, dont la mise en place a peut-être succédé à un premier stade d’occupation religieuse de l’île Sainte-Marguerite, qui, selon la lettre 51 de Paulin de Nole, aurait tout d’abord pu accueillir la vie continente d’Eucher et de Galla, elle fournit en revanche de nombreuses références aux cellules anachorétiques de Lerina. Ses habitacula ou cellulae sont en effet mentionnés explicitement par la Vita Honorati, par deux lettres de Sidoine ou encore par le Commonitorium de Vincent de Lérins. Les sources archéologiques sont aussi convergentes, dans la mesure où l’habitat monastique en forme de double cellule et l’oratoire du ve siècle, identifiés par Yann Codou sur le site de la chapelle du Saint-Sauveur de l’île Saint-Honorat, correspondent parfaitement aux descriptions textuelles des cellules de Lerina. La documentation connaît ensuite un deuxième temps, celui des années 450, qui sont marquées par les actes du troisième concile d’Arles et le Sermo de Maximo, dans la mesure où il semble possible de considérer que cette homélie a été rédigée par Fauste de Riez dans les premiers temps de son épiscopat. Ces deux textes témoignent d’un contexte de réorganisation du monachisme lérinien, caractérisé par la disparition documentaire de la communauté de Lero et la transformation de celle de Lerina, qui s’orientait alors visiblement vers une vie de type communautaire, si l’on en juge en particulier par les thématiques manifestement cénobitiques que développait le Sermo de Maximo. Désormais unifiée, la communauté lérinienne s’attachait aussi à affirmer le caractère sacré de son espace insulaire, en se faisant en particulier reconnaître par les pères du troisième concile d’Arles une exemption relativement large de l’autorité de son ordinaire. Le Sermo de Maximo en donnait un écho rhétorique, lorsqu’il dressait l’éloge de la nature protectrice de l’île de Lerina, dont les forêts seraient parvenues à soustraire Maxime à la tentative de rapt organisée par les fidèles de l’Église de Fréjus. Enfin, le troisième temps de la documentation lérinienne est donné par les sermons ad monachos de la collection pseudo-eusébienne et l’homélie In depo‑ sitione sancti Honorati episcopi, qui constitue un bel ensemble de neuf homélies lériniennes, qu’il faut à l’évidence attribuer à Fauste de Riez. Il semble possible de dater ces sermons des environs de 480, durant l’exil de Fauste, chassé de sa cité de Riez par le roi Euric. À ce groupe de sermons, il peut paraître possible de rajouter l’homélie rédigée par Césaire d’Arles pour les moines lériniens, bien qu’elle soit sans doute postérieure d’une génération aux sermons lériniens de la collection pseudo-eusébienne. Cet ensemble de sources homilétiques permet de dresser un tableau du monachisme lérinien à la fin du ve et au début du vie siècle, alors que la double cellule monastique du site de la chapelle du Saint-Sauveur était arasée et que son oratoire se trouvait désormais voué à des fonctions funéraires. Il confirme tout d’abord que la vie monastique menée à Lerina était manifestement devenue cénobitique, les thématiques développées par les homélies lériniennes de la collection pseudo-eusébienne ne pouvant sur ce point laisser place au doute. Il montre aussi que la communauté lérinienne ne se percevait plus comme une école destinée à former les élites sacerdotales de la Gaule méridionale, mais comme une nouvelle Jérusalem, où priait une communauté monastique désormais

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astreinte à la stabilité. Il met enfin en évidence la construction d’un processus de sacralisation de l’espace insulaire lérinien, dont la sanctification ne passait plus par le charisme de son fondateur, comme Hilaire avait cherché à le développer dans sa Vita Honorati, à travers le mythe des serpents chassés par Honorat, mais dans l’exaltation de l’insula comme espace sacré, qui avait vocation à offrir à la Chrétienté un lieu de médiation liturgique entre la terre et le ciel.

iii – les lieux monastiques de la vallée rhodanienne Dans son Frühes Mönchtum im Frankenreich, Friedrich Prinz avait considéré que le « monachisme rhodanien » était pour l’essentiel le produit de la diffusion, au cours du ve siècle, de la tradition monastique lérinienne vers de nouveaux établissements monastiques, fondés dans les grandes villes gauloises par les évêques qui avaient été formés à Lérins426. Avec plus ou moins de nuances, cette conception a été assez largement partagée par l’historiographie, qui a convenu que le monachisme gaulois était rapidement passé du désert à la ville, plus spécifiquement dans les grandes villes de l’axe rhodanien, où les moines-évêques lériniens auraient établi un important réseau de monastères427. Ces villes auraient en effet vu des communautés monastiques s’établir en nombre dès l’Antiquité tardive, non seulement autour des basiliques martyriales qui avaient été édifiées au-delà des enceintes, dans les espaces consacrés aux nécropoles antiques, mais aussi intra muros, au cœur même du tissu urbain. Ce constat, largement partagé par l’érudition du xxe siècle, explique en grande partie que l’historiographie ait été peu sensible à la volonté des moines provençaux de se construire dans des déserts insulaires en rupture avec le monde, dans la mesure où elle a conçu le « monachisme rhodanien » comme un mouvement tout à la fois rural et urbain, dans lequel la séparation avec la société ne constituait donc pas un élément structurant. Pour avoir été largement diffusée, cette conception doit toutefois être aujourd’hui révisée, puisque les études archéologiques et historiques récentes permettent de conclure que les grands monastères urbains, qui devaient organiser la société urbaine à l’époque carolingienne et féodale, n’ont pas de racine tardo-antique 428. À l’exception des établissements de moniales, qui s’établirent intra muros pour d’évidentes raisons de sécurité tout en restant radicalement séparés par leur clôture 426. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit., p. 62-76. 427. P.-A. février, « La ville et le “désert” (à propos de la vie religieuse aux ive et ve siècles) », dans Les mystiques dans l’Islam, le judaïsme et le christianisme, Gap, 1975, p. 39-61 [reprint dans La Méditerranée de Paul‑Albert Février, Rome, 1996 (Collection de l’École Française de Rome 225), p. 495-509] et J.-M. garrigues et J. legreZ, Moines dans l’assemblée des fidèles à l’époque des Pères, ive‑viiie siècle, Paris, 1990 (Théologie historique 87). 428. L. riPart, « De Lérins à Agaune : le monachisme rhodanien reconsidéré », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’alto medioevo. Settimane di studio della fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, LXIV, Spoleto, 31 marzo ‑ 6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 54), 2 vol., t. I, p. 123-192.

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de la société urbaine, les villes tardo-antiques du sud-est de la Gaule ne disposaient en effet pas de véritables lieux monastiques. La présence dès le ve siècle de communautés de clercs menant une vie commune ne permit en effet pas de donner naissance à des lieux monastiques, puisqu’elles se développèrent dans les domus épiscopales, sans donner naissance à de véritables monastères. C’est ce que nous nous attacherons à montrer dans ce chapitre, en soulignant que les dossiers archéologiques et historiques des établissements monastiques de Marseille, Lyon, Vienne et Arles montrent tous que ces monastères ont des origines bien plus tardives que ce que l’érudition a longtemps pu penser. Cette reconsidération de l’importance du monachisme dans les villes de l’espace rhodanien à l’époque tardo-antique permettra de mettre en évidence la réticence des moines du sud-est de la Gaule à installer leurs établissements en milieu urbain, ce qui montre que leur culture monastique était manifestement marquée par leur volonté d’établir leurs lieux d’installation en extériorité au monde séculier que représentaient les cités.

Les monastères marseillais de Cassien Dans l’historiographie du monachisme, la ville de Marseille occupe une place particulière dans la mesure où elle est censée avoir accueilli des monastères dès l’époque de Cassien, autrement dit dans les années 415-435, ce qui constitue dans le contexte de la Gaule méridionale un exemple d’implantation monastique d’une remarquable précocité. Cette donnée est établie par une source unique, mais d’une autorité néanmoins incontestable, puisqu’il s’agit de la continuation du De viris illustribus de Jérôme de Stridon, que rédigea Gennade, un prêtre de l’Église de Marseille, dont nous ne savons pas grand-chose, si n’est qu’il était contemporain du pape Gélase (492-496), auquel il avait adressé une épître429. Dans la notice bien informée qu’il consacra à Cassien, Gennade affirmait en effet que celui-ci aurait fondé deux monastères à Marseille : De nation scythe, Cassien fut ordonné diacre à Constantinople par l’évêque Jean le Grand, puis prêtre à Marseille, où il fonda deux monastères, l’un d’hommes et l’autre de femmes, qui existent encore aujourd’hui430.

Ce témoignage est important dans la mesure où Gennade, dont les informations sont habituellement très crédibles, affirme qu’il existait de son temps, 429. Sur Gennade, v. S. Pricoco, « Storia letteraria e storia ecclesiastica : dal De viris illustribus di Gerolamo a Gennadio », dans S. calderone (éd.), La storiografia ecclesiastica nella tarda antichità. Atti del Convegno Tenuto in Erice (3‑8.XII.1978), Messine, 1980, p. 241-273 [rééd. : S. Pricoco, Monaci, Filosofi e santi. Saggi di storia della cultura tardoantica, Messine, 1992 (Armarium 1), p. 147-178] ; T.K. seiler, « Gennadius of Marseille’s De Viris Inlustribus and John Cassian », Journal of the Australian Early Medieval Association, 3 (2007), p. 307-326 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 867-869. 430. Cassianus, natione Scytha, Constantinopolim a Iohanne Magno episcopo diaconus ordinatus, apud Massiliam presbyter, condidit duo id est virorum et mulierum monasteria, quae usque hodie extant : gennade, Liber de viris inlustribus, cit., 62, p. 82.

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autrement dit à la fin du ve siècle, un monastère d’hommes et un monastère de femmes dans la ville de Marseille, dont il attribuait la fondation à Cassien. Cet élément a amené l’historiographie à considérer qu’il fallait identifier le premier de ces monastères avec l’abbaye de Saint-Victor et le second avec le monastère de moniales de Sainte-Marie-des-Accoules. Une telle conclusion a pu sembler poser d’autant moins de difficultés que ces deux établissements s’étaient euxmêmes considérés comme des fondations de Cassien. Ce point doit toutefois être désormais reconsidéré, car une série de travaux récents a clairement démontré que, contrairement à ce que l’historiographie a longtemps soutenu, ni l’abbaye de Saint-Victor de Marseille, ni le monastère de moniales de Sainte-Marie-desAccoules, ne peuvent avoir été des fondations de Cassien. Longtemps, les historiens avaient en effet pris pour argent comptant les assertions des moines de Saint-Victor, qui avaient prétendu, à l’époque féodale, que leur abbaye avait été fondée par Cassien. L’absence de toute autre abbaye masculine à Marseille ou dans ses environs leur semblait d’ailleurs clore le débat, puisqu’il leur apparaissait qu’il n’avait existé dans cette ville aucun autre monastère masculin susceptible de correspondre à la fondation dont avait parlé Gennade. Jusqu’à ces dernières années, les historiens du monachisme ont donc usuellement invoqué l’autorité de Gennade pour affirmer que Cassien aurait fondé à Marseille une abbaye dédiée au culte de saint Victor, ce qui semblait par ailleurs correspondre au dossier hagiographique de saint Victor de Marseille, dont la Passion la plus ancienne avait été datée par Jean-Claude Molinier de la deuxième moitié du ve siècle431. L’étude archéologique et monumentale de l’abbaye, conduite par Michel Fixot et Jean-Pierre Pelletier, a toutefois remis ce point en cause, en montrant que la plus ancienne église chrétienne établie sur le site de l’actuelle abbaye de SaintVictor ne peut en réalité être antérieure à la fin du ve siècle432. Cette datation est importante, dans la mesure où l’édification sur le site de l’actuelle abbaye de Saint-Victor d’un premier bâtiment chrétien, sous la forme d’un bel ensemble monumental à deux étages, visiblement destiné à recevoir un culte à pèlerinage, est trop tardive pour pouvoir correspondre au monastère que Cassien aurait fondé, selon l’affirmation de Gennade. Cette première église, qui correspond très probablement à la basilique marseillaise dédiée à saint Victor que Grégoire de Tours a pu voir à la fin du vie siècle433, semble en effet avoir été édifiée au plus tôt à l’époque de Gennade, qui a vécu deux générations environ après Cassien. 431. J.-C. moulinier, Saint Victor de Marseille. Les récits de sa passion, Vatican, 1985 (Studi di antichità cristiana 49 bis). 432. M. fixot et J.-P. Pelletier, Saint‑Victor de Marseille. Étude archéologique et monumentale, Turnhout, 2009 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive 12) et eid., « Les sanctuaires en l’honneur des martyrs : l’exemple de Saint-Victor de Marseille », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 115-119. 433. Episcopus [Massiliensis] tamen urbis accessit ad locum et se infra basilicae sancti Victoris saepta contenuit cum paucis : grégoire de tours, Historia Francorum libri decem, éd. B. krusch et W. levison, Hanovre, 1937-1951 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 1/1), IX, 22, p. 442 ; v. M. viellard-troiekouroff, Les monuments religieux de la Gaule d’après les œuvres de Grégoire de Tours, Paris, 1976, p. 161-165.

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Ce constat archéologique est par ailleurs cohérent avec la reconsidération du dossier hagiographique de saint Victor que Pascal Boulhol a effectuée. Dans une étude très précise, il a pu démontrer que rien ne permettait de prouver que la première version marseillaise de la Passion de saint Victor pourrait être antérieure au vie siècle434. Tous ces éléments convergent et donnent donc à penser qu’au temps de Cassien, le site de l’actuelle abbaye de Saint-Victor n’était encore occupé que par une nécropole, sans aucun édifice de culte chrétien, puisque la première basilique martyriale qui y fut édifiée n’a été au mieux bâtie qu’un demi-siècle après la mort du grand ascète marseillais. Par ailleurs, il faut souligner que Grégoire de Tours n’a pas mentionné la présence de moines dans la basilica dédiée à saint Victor, qu’il a pu décrire à la fin du vie siècle. Plus généralement, aucune communauté monastique n’est attestée dans la basilique Saint-Victor de Marseille avant la fin du viiie siècle, lorsqu’un acte, sans doute donné sous le règne de Charlemagne, évoqua pour la première fois la présence d’une congregatio dans cette église435. Si ce dossier documentaire permet donc de conclure que le monastère de SaintVictor ne peut avoir été fondé par Cassien, il n’en demeure pas moins que cette tradition se mit en place au cours du xie siècle. Les travaux de Michel Lauwers ont permis d’en établir la genèse, en montrant que si les moines de Saint-Victor développèrent le culte de saint Cassien dès les années 1030, ce ne fut que dans les années 1060 qu’ils firent modifier la mémoire de leurs origines, pour affirmer que Cassien aurait été le constructeur et le fondateur de leur établissement436. Le thème apparut pour la première fois dans une charte donnée en 1060 à l’abbaye de Saint-Victor, dans laquelle la communauté monastique affirmait qu’elle disposait du corps de Cassien, avant de préciser que le saint ascète marseillais avait effectivement dirigé cette abbaye, en un temps où cet établissement aurait compté pas moins de 5 000 moines437. Certainement rédigée dans l’abbaye de Saint-Victor au cours des années 1070, la Vita Isarni (BHL 4477) évoqua elle aussi la mémoire de

434. P. Boulhol, « Observations sur les deux plus anciens récits hagiographiques relatifs à saint Victor de Marseille : à propos du livre de J.-Cl. Moulinier », dans M. fixot et J.-P. Pelletier (éd.), Saint‑ Victor de Marseille. Études archéologiques et historiques. Actes du colloque Saint‑Victor de Marseille (18‑20 novembre 2004), Turnhout, 2009 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive 13), p. 163-173. 435. Pour la première fois dans un acte du cartulaire de Saint-Victor donné en faveur de la casam Dei sancti Victoris vel ad ipsam congregationem sanctam : Cartulaire de Saint‑Victor de Marseille, éd. B. guérard, Paris, 1857 (Collection des cartulaires de France 8-9), 2 vol., t. I. no 83, p. 111-112, qui est daté de 786 par J.-P. Poly, « La “Petite Valence”. Les avatars domaniaux de la noblesse romane en Provence », dans Saint Mayeul et son temps. Actes du congrès international de Valensole, 12‑14 mai 1994, Digne-les-Bains, 1997, p. 137-183, ici p. 172, n. 16. 436. M. lauwers, « Cassien, le bienheureux Isarn et l’abbé Bernard. Un moment charnière dans l’édification de l’Église monastique provençale (1060-1080) », dans M. fixot et J.-P. Pelletier (éd.), Saint‑Victor de Marseille. Études archéologiques et historiques. Actes du colloque Saint‑Victor de Marseille (18‑20 novembre 2004), Turnhout, 2009 (Bibliothèque de l’Antiquité tardive 13), p. 213-238, en particulier p. 222-225. 437. […] quinque milia monachorum inibi habitantium abbas beatus Cassianus, doctor preclarissimus, in eo nunc corpore requiescens : Cartulaire de l’abbaye Saint‑Victor de Marseille, cit., t. II, no 832, p. 192-196.

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Cassien, en faisant allusion à ses œuvres monastiques438, mais aussi en affirmant qu’il aurait ramené des reliques des saints Innocents du monastère de Bethléem, pour les déposer dans l’abbaye de Saint-Victor439.440 La reconsidération, dans les années 1060-1070, par les moines de l’abbaye de Saint-Victor, de la figure de Cassien constitue le contexte dans lequel son souvenir apparut aussi dans le monastère de moniales, alors établi dans l’église Sainte-Marie-des-Accoules à Marseille (fig.  16). Cet établissement féminin est mentionné pour la première fois dans la documentation par une charte du cartulaire de Saint-Victor, donnée aux alentours de 1031 par les vicomtes de Marseille, qui affirmaient qu’ils « avaient restauré » (restauraverunt) cet établissement441. Comme un acte donné en 1060 pour les moniales de Sainte-Marie-des-Accoules expose par ailleurs que ce monastère aurait été « autrefois fondé et institué par En

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Figure 16 : Les monastères marseillais de Saint-Victor et de Sainte-Marie-des-Accoules440. 438. Vie d’Isarn, abbé de Saint‑Victor de Marseille (xie siècle), éd. c. caBy, J.-f. cottier, r.m. dessì, m. lauwers, J.-P. weiss et M. Zerner, Paris, 2010 (Les classiques de l’histoire au Moyen Âge 48), p. XXXV-XLIII. 439. Ibid., p. 12-13. 440. D’après Bouiron, « Le lotissement de l’abbaye Saint-Sauveur de Marseille. De la reconquête de l’espace urbain à la création du palais communal (xie-xiiie siècle) », cit., p. 41. 441. […] G[uillelmus] et Fulco, vicecomites Massilie, restauraverunt abadiam puellarum infra Massiliam : Actes concernant les vicomtes de Marseille et leurs descendants, éd. H. de gérin-ricard et É. isnard, Monaco-Paris, 1926 (Collection de textes pour servir à l’histoire de Provence 4), no 81,

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saint Cassien, abbé du monastère de Saint-Victor442 », l’historiographie avait longtemps considéré que cette documentation lui permettait d’affirmer que ce monastère féminin aurait été effectivement créé par Cassien, avant d’être restauré vers 1031 par les vicomtes de Marseille. Les historiens ont aujourd’hui abandonné cette hypothèse, dans la mesure où aucun élément historique ou archéologique ne permet de doter d’une aussi haute origine ce monastère de moniales, comme l’a récemment mis en évidence Marc Bouiron443. Surtout, cette soudaine apparition du souvenir de Cassien semble par trop opportune pour être crédible, dans la mesure où la charte de 1060 était précisément destinée à enregistrer la donation par l’évêque et le vicomte de Marseille du monastère de Sainte-Marie-des-Accoules à l’abbaye de Saint-Victor. Florian Mazel, qui a en dernier lieu repris le dossier, a ainsi pu conclure que l’émergence à Sainte-Marie-des-Accoules du souvenir de Cassien doit être interprétée comme un écho de la reconstruction mémorielle mise en place par l’abbaye Saint-Victor autour de 1060, afin d’accompagner le rattachement du monastère des moniales à la grande abbaye marseillaise444. Si l’abbaye de Saint-Victor et le monastère de Sainte-Marie-des-Accoules ne peuvent donc être identifiés avec les deux fondations de Cassien, dont Gennade avait affirmé qu’elles existaient encore de son temps, il convient de les chercher ailleurs. Le monastère de femmes évoqué par Gennade semble pouvoir être identifié sans difficultés avec l’établissement marseillais dans lequel Césaire d’Arles aurait envoyé sa sœur se former à la vie monastique445, étant donné qu’il est très peu probable qu’une ville comme Marseille ait pu abriter deux monastères féminins à la fin du ve siècle. Il semble qu’il soit tout aussi possible d’identifier cet établissement avec le monastère féminin de Marseille, précisément dédié à saint Cassien, qui reçut en octobre 596 un privilège de Grégoire le Grand, par lequel les moniales se voyaient accorder une large exemption, incluant en particulier la liberté d’élection de leur abbesse et l’assurance que « ni l’évêque, ni aucun de ses clercs, ne puisse prétendre exercer sa potestas sur leur monastère446 ». Accordé à l’abbesse Respecta, à la demande d’un certain convers Dynamius et de son épouse

442. 443. 444. 445. 446.

p. 21 ; sur cette fondation v. E. magnani soarès-christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe‑début xiie siècle, Münster, 1999 (Vita regularis 10), p. 401-403 et F. maZel, La noblesse et l’Église en Provence, fin xe‑début xive siècle. L’exemple des familles d’Agoult‑Simiane, de Baux et de Marseille, Paris, 2002, p. 97-98. […] a beatissimo Cassiano, coenobii sancti Victoris abbate, olim fondatum et institutum : éd. F. maZel, « Les vicomtes de Marseille », dans T. Pécout (éd.), Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée. Les horizons d’une ville portuaire, Méolans-Revel, 2009, p. 145-166, ici p. 148. M. Bouiron, « Le lotissement de l’abbaye Saint-Sauveur de Marseille. De la reconquête de l’espace urbain à la création du palais communal (xie-xiiie siècle) », Mélanges de l’École française de Rome, Moyen Âge, 124/1 (2012), p. 39-68. maZel, « Les vicomtes de Marseille », cit., p. 150. Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 35, p. 194-197. […] eiusdem monasterii neque episcopum neque ecclesiasticorum quemquam : grégoire le grand, Registri, libri I‑VII, cit, VII, 12, p. 454-455.

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Aurelia447, ce privilège du pape Grégoire le Grand confirmait aussi au monastère Saint-Cassien de Marseille la donation d’une maison mitoyenne, afin qu’elle « soit unie aux édifices adjacents448 ». Comme l’a souligné Marc Bouiron, la présence à côté du monastère Saint-Cassien de cette maison mitoyenne semble montrer que cet établissement avait été bâti en zone urbaine, ce qui donne à penser que les moniales avaient été installées à l’intérieur des murs de la ville de Marseille, sans qu’il soit toutefois possible en l’état de la recherche archéologique de préciser davantage le site de leur établissement449. Il reste à identifier le monastère masculin évoqué par Gennade, ce qui semble a priori difficile, dans la mesure où l’historiographie considère usuellement qu’il n’existe aucune attestation d’un monastère d’hommes à Marseille, avant l’apparition d’une congregatio au sein de la basilique martyriale de Saint-Victor, dans un acte donné à la fin du viiie siècle. Une telle perspective néglige toutefois le témoignage d’une lettre de Paulin de Nole, qui atteste de la présence à Marseille d’une fraternitas, dans laquelle l’évêque Proculus accueillait des ascètes450. Comme Adalbert de Vogüé l’avait mis en évidence, cette fraternitas, qui était visiblement destinée à organiser l’entourage de l’évêque Proculus de Marseille, devait constituer l’une de ces communautés ascétiques que les évêques s’attachaient alors souvent à mettre en place au sein de leur groupe épiscopal, dans les grandes cités du monde romain451. Dans son De moribus ecclesiae catholicae, Augustin a par exemple donné pour Rome et Milan une description célèbre de ces maisons « d’hommes saints »452, qui devaient mener une vie religieuse assez proche de celle qu’il avait organisée lui-même à Hippone pour des clercs mais aussi des laïcs453. Bien qu’aucune source n’indique le lieu de résidence de Cassien à Marseille, il peut sembler probable qu’il aurait pu vivre au sein de cette fraterni‑ tas, ce qui aurait pu amener Gennade à la considérer, dans son De viris illustribus, comme le monastère fondé par Cassien.

447. Sur les liens entre le monastère Saint-Cassien de Marseille et Dynamius, v. B. Judic, « L’influence de Grégoire le Grand dans la Provence du viie siècle », dans C. de dreuille (éd.), L’Église et la mission au vie siècle. La mission d’Augustin de Cantorbéry et les Eglises de Gaule sous l’impulsion de Grégoire le Grand. Actes du colloque d’Arles de 1998, Paris, 2000, p. 89-120 et B. duméZil, « Le patrice Dynamius et son réseau : culture aristocratique et transformation des pouvoirs autour de Lérins dans la seconde moitié du vie siècle », cit., p. 183-184. 448. […] domui sui juris junctis uniisse aedificiis comprobantur : ibid. 449. M. Bouiron, « De l’Antiquité tardive au Moyen Âge », dans T. Pécout (éd.), Marseille au Moyen Âge, entre Provence et Méditerranée. Les horizons d’une ville portuaire, Méolans-Revel, 2009, p. 13-43, ici p. 20. 450. Paulin de nole, Carmina, cit., Ad Cytherium, 310-311, p. 383. 451. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 4, cit., p. 204-205. 452. augustin d’hiPPone, De moribus ecclesiae catholicae, Paris, 1936 (Bibliothèque augustinienne 1), éd. B. roland-gosselin, p. 29-123, ici 33, 70, p. 119 ; cf. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 2, cit., p. 136-140. 453. L. verheiJen, Nouvelle approche de la règle de saint Augustin, Bégrolles-en-Mauges, 1980 (Vie monastique 8) ; G. lawless, Augustine of Hippo and his monastic rules, Oxford, 1987 et vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 3, cit., p. 149-218.

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La Vita Eutropii (BHL 2782), rédigée à la fin du ve siècle par l’évêque Verus, successeur d’Eutrope sur le siège d’Orange454, offre un argument supplémentaire pour soutenir cette hypothèse. Évoquant la jeunesse d’Eutrope d’Orange, cette Vie affirme en effet qu’il aurait été formé dans l’Église de Marseille, où il aurait mené en tant que diacre une vie ascétique des plus exigeantes455. Bien que la Vie ne donne jamais le titre de moine à Eutrope, elle lui concédait néanmoins celui de « frère » et évoquait aussi dans son entourage la présence d’un abbé qui l’avait conseillé spirituellement durant son temps de formation456. Ces éléments donnent à penser qu’Eutrope avait vécu à Marseille dans une communauté de type monastique. Il se pourrait donc bien que la fraternitas évoquée par Paulin de Nole, le monasterium de Cassien mentionné par Gennade et la communauté de clercs marseillais où Eutrope avait été formé, n’auraient en réalité constitué qu’un seul et même établissement ascétique, édifié dans l’entourage des évêques de Marseille. Dans cette hypothèse, le monasterium de Cassien serait ainsi à identifier avec la communauté ascétique constituée autour de Proculus de Marseille, autrement dit avec un monastère urbain probablement établi dans le contexte du quartier épiscopal, qui devait être organisé selon un mode de vie bien éloigné de celui que menaient les moines établis dans les déserts monastiques des îles provençales.

Le monastère lyonnais de Sabin et Romain Si des moines apparaissent de manière isolée dans la ville de Lyon au siècle457, la présence à cette époque d’un monastère dans cette ville n’est attestée que par un unique témoignage, celui de la Vita patrum Jurensium, qui a été très fréquemment glosé par l’historiographie lyonnaise. Rédigé au début du vie siècle, ce texte affirmait en effet qu’avant de partir fonder le monastère de Condadisco dans le massif du Jura, Romain aurait reçu auprès d’un établissement lyonnais les enseignements d’un certain abbé Sabin : ve

Avant d’embrasser la vie religieuse, [Romain] avait connu le vénérable homme Sabin, abbé du confluent lyonnais, et la vie de ses moines régie par son institution

454. verus, Vita Eutropii episcopi, dans Acta Sanctorum, Maii, VI, Anvers, 1688, p. 700-701 ; sur cette vie, v. A. reyne et D. Bréhier, Saint Eutrope, évêque d’Orange au ve siècle, Avignon, 1991. 455. […] jejuniis, abstinentia, eleemosynis, orationibus, lacrymis et vigiliis studebat : verus, Vita Eutropii episcopi, 3, p. 701. 456. […] beatus abbas, agens gratias Deo, respondit : « non vides frater Eutropi quod meruisti a praeteritis […] culpis absolvit »: ibid., 4, p. 701. 457. Sidoine Apollinaire évoque ainsi en 469 la présence de moines, attachés avec des clercs au service de la basilique de saint Just (sidoine aPollinaire, II. Correspondance, Livres I‑V, éd. A. loyen, Paris, 2003, V, 17, 3, p. 202), ce que confirme la présence à Lyon d’épitaphes paléochrétiennes de moines, dont certaines peuvent être datées du ve siècle : B. de vregille, « La vie de l’Église de Lyon du ive au viiie siècle », dans J. gadille (éd.), Le diocèse de Lyon, Paris, 1983 (Histoire des diocèses de France 16), p. 30-49, ici p. 45-46.

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens

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rigoureuse et après avoir, telle une abeille butineuse, cueilli en chacun d’eux les fleurs de la perfection, il était revenu chez lui458.

Selon ce passage, Romain aurait donc fréquenté le monastère lyonnais rassemblé autour de l’abbé Sabin, un ascète qui n’est malheureusement connu par aucune autre source, avant « d’embrasser la vie religieuse », autrement dit de fonder Condadisco et la congrégation monastique du Jura. La datation de ce séjour s’avère toutefois délicate, dans la mesure où la vie de Romain n’est guère connue que par la Vita patrum Jurensium, qui n’offre que très peu d’éléments de datation fiables. Ce texte affirme ainsi que Romain aurait fondé Condadisco alors qu’il était « âgé d’environ trente-cinq ans459 », mais cette mention n’a que peu de valeur prosopographique, puisqu’elle n’avait à l’évidence d’autre but que de suggérer que Romain était bien un « imitateur d’Antoine460 », comme l’auteur de la Vita patrum Jurensium s’attachait à le démontrer. Selon Athanase d’Alexandrie, Antoine serait en effet parti au désert à l’âge de trente-cinq ans, après s’être auparavant préparé auprès des ascètes de son village, comme Romain l’aurait lui aussi fait au sein du monastère lyonnais de Sabin461. La Vita patrum Jurensium mentionne toutefois deux événements historiques plus solides, dont la datation est possible. Le premier est la déposition de l’évêque Célidoine de Besançon, un événement bien connu, survenu en 444-445462, dans le contexte de laquelle la Vie des pères du Jura situe l’ordination presbytérale que Romain aurait alors reçue des mains d’Hilaire d’Arles, venu à Besançon pour en chasser l’évêque463. Le second est la trahison du comte Agrippin, qui avait été condamné à mort par un tribunal romain pour avoir livré Narbonne aux Wisigoths. Cet événement, que la Vita patrum Jurensium situe après la mort de Romain, sous l’abbatiat de son frère Lupicin464, a été traditionnellement daté de 461/462, mais l’historiographie tend plutôt aujourd’hui à le situer en 457, une date qui constituerait ainsi le terminus ad quem du décès de Romain465. Sur la base des données chronologiques fournies par la Vita patrum Jurensium, les historiens se sont tradi458. […] priusquam religionis professionem arriperet, quemdam venerabilem uirum Sabinum nomine Lugdunensis interamnis abbatem eiusque strenua instituta monachorum illius vitam,et, quasi quaedam florigera apis, decerptis ab unoquoque perfectionum flosculis, repederat ad pristina : Vie des pères du Jura, éd. F. martine, Paris, 2004 (Sources chrétiennes 142), 11, p. 250 [l’éditeur a fait le choix de considérer que le terme interamnis était un nom propre et l’a restitué avec une majuscule]. 459. […] tricesimo et quinto ferme aetatis anno : Vie des pères du Jura, cit ; 5, p. 244. 460. […] imitator Antonii : ibid., 12, p. 252. 461. A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8. Première partie : le monachisme latin. De la Vie des pères du Jura aux œuvres de Césaire d’Arles, (500‑542), Paris, 2003, p. 47. 462. M. heinZelmann, « The “Affair” of Hilary of Arles (445) and Gallo-Roman Identity in the Fifth Century », dans J.F. drinkwater et H. elton (dir), Fifth‑century Gaul. A crisis of identity ?, Cambridge, 1992, p. 239-251 et J. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), Lausanne, 1997 (Bibliothèque historique vaudoise 113), p. 213-218. 463. Vie des pères du Jura, cit ; 18-20, p. 258-261. 464. Vie des pères du Jura, cit ; 96-110, p. 342-255 ; sur la trahison du comte Agrippin, v. griffe, La Gaule chrétienne à l’époque romaine, t. II, L’Église des Gaules au ve siècle, cit., p. 50-51. 465. R.W. Mathisen, « Resistance and Reconciliation : Majorian and the Gallic Aristocracy after the fall of Avitus », Francia, 7 (1979), p. 597-627, ici p. 614-618.

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tionnellement accordés pour considérer que Romain serait né vers 400, aurait fondé Condadisco autour de 435 et serait décédé vers 460, ce qui les a conduits à situer son séjour à Lyon aux alentours de 430466. Pour s’être répandue dans l’historiographie, cette chronologie reste toutefois très conjecturale, d’autant que la redatation en 457 de la trahison du comte Agrippin donne à penser qu’il faut avancer la date traditionnelle retenue pour dater le décès de Romain467. Vu l’incertitude des données prosopographiques, il convient donc de faire preuve de la plus grande prudence, en datant le séjour lyonnais de Romain dans une fourchette large, qu’il faut sans doute ouvrir dès 410 et qu’il est difficile de refermer complètement avant 440. L’érudition a surtout longuement débattu du terme d’interamnis (« confluent »), qu’elle a traditionnellement interprété comme un toponyme. Cette conception a conduit les éditeurs de la Vita patrum Jurensium à mettre une majuscule au mot d’Interamnis, ce qui a amené l’érudition à considérer qu’il aurait existé à Lyon, au ve siècle, un « monastère du Confluent ». En faisant sienne cette interprétation, l’historiographie lyonnaise a identifié ce « monastère du Confluent » avec Saint-Martin d’Ainay468, une abbaye médiévale dont le site se trouvait sans doute alors effectivement placé à la confluence du Rhône et de la Saône. Bien que la morphologie du site de Lyon à l’époque tardo-antique reste encore mal connue, les archéologues estiment en effet que l’actuel site d’Ainay devait se trouver alors situé au sud de la presqu’île dessinée par la confluence du Rhône et de la Saône, qui n’avait pas encore atteint sa forme actuelle469 (fig.  17). Vraisemblablement laissé à l’extérieur de l’enceinte tardo-antique de la ville de Lyon, qui tendait alors à se replier sur la rive droite de la Saône470, le site d’Ainay n’accueillait sans doute en ce temps qu’un habitat sporadique et des espaces funéraires471. L’érudition lyonnaise a aussi prêté une grande attention à Grégoire de Tours, qui avait affirmé d’une part que le lieu de la passion des martyrs de 177 devait être situé à Athanaco472, autrement dit à Ainay, et d’autre part qu’une basilique avait 466. P. Benoît, Histoire de l’abbaye et de la terre de Saint‑Claude, Montreuil-sur-Mer, 1890-1892, 2 vol., t. I. p. 44-45. 467. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1620-1625. 468. A. de Boissieu, Ainay : son autel, son amphithéâtre, ses martyrs, Lyon, 1864, p. 48-50 ; Cartulaire de l’abbaye de Savigny suivi du petit cartulaire de l’abbaye d’Ainay, éd. A. Bernard, Paris, 1853, 2 vol. (Documents inédits sur l’histoire de France), t. II, p. IV et A. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon du ve au ixe siècle (450‑800), Paris, 1928, p. 513-515. 469. A. desBat et J.-P. lascoux, « Le Rhône et la Saône à Lyon à l’époque romaine. Bilan archéologique », Gallia, 56 (1999), p. 45-69. 470. J.-F. reynaud, « L’enceinte réduite de Lyon », dans f. Bérard et m. Poux (éd.), Lugdunum et ses campagnes. Actualité de la recherche. Actes de la Commission des antiquités régionales du xviie congrès international de l’Association Guillaume Budé, Lyon, 26‑29 août 2013, Drémil-Lafage 2018, (Archéologie et Histoire Romaine 38), p. 309-344. 471. J.-F. reynaud, Lugdunum christianum. Lyon du ive au viiie siècle : topographie, nécropoles et édifices religieux, Paris, 1998 (Documents d’archéologie française 69), p. 199-200. 472. Locus autem ille in quo passi sunt Athanaco vocatur, ideoque et ipsi martyres a quibusdam vocantur Athanacenses : grégoire de tours, La gloire des martyrs, cit., 48, p. 151-152 ; sur la question de l’identification d’Athanaco, v. M. ruBellin, « L’abbaye de Saint-Martin d’Ainay », dans L’abbaye

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Sa

ône

été construite à Lyon afin de célébrer leur mémoire. En conjuIle-Barbe guant le témoignage de Grégoire de Tours et les données de la Vita ône Rh patrum Jurensium, l’érudition ecclésiastique lyonnaise a ainsi pu assimiler ce « monastère du Confluent », qu’elle considérait comme la première évocation de l’abbaye de Saint-Martin d’Ainay, avec la basilique édifiée selon Grégoire de Tours sur le lieu de la passion des premiers martyrs lyonnais473. Si cette association du martyre lyonnais et du site d’Ainay est restée discutée474, l’identification du Lyon « monastère du Confluent » et de l’abbaye de Saint-Martin Ainay d’Ainay est en tout cas devenue courante. Les historiens du monachisme ont donc pu considérer qu’il aurait existé à Lyon Figure 17 : Lyon et son suburbium dans l’Antiquité un « monastère du Confluent », tardive475. peu ou prou associé à Ainay, qu’ils ont parfois relié au culte des martyrs lyonnais, en le percevant comme un exemple de développement tardo-antique d’un monastère suburbain consacré à la vénération des martyrs476.475476

473. 474. 475. 476.

d’Ainay. Légendes et histoire, Lyon, 1997, p. 19-35 [rééd. dans M. ruBellin, Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, 2003 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 10), p. 277-294] ; F. richard, « Les martyrs de Lyon en 177 : psychologie et spiritualité », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 11-22 ; B. BeauJard, F. Prévot et M. ruBellin, « Table ronde sur les premiers monastères de la Presqu’ïle (27 janvier 2007) », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 91-98 et F. richard et A. Pelletier, Lyon et les origines du christianisme en Occident, Lyon, 2011, p. 87-94. F. dumas, Les traditions d’Ainay, Paris/Lyon, 1886. J.-F. reynaud, Lugdunum christianum. Lyon du ive au viiie siècle : topographie, nécropoles et édifices religieux, cit., p. 199-201 ; richard, « Les martyrs de Lyon en 177 : psychologie et spiritualité », cit., p. 24-25 et F. richard et A. Pelletier, Lyon et les origines du Christianisme en Occident, cit., p. 87-89. D’après reynaud, Lugdunum christianum. Lyon du ive au viiie siècle, cit., selon une reconstitution hypothétique, puisque la morphologie du site tardo-antique de Lyon reste très discutée. garrigues et legreZ, Moines dans l’assemblée des fidèles à l’époque des Pères, ive‑viiie siècle, cit., p. 183-185, qui notent après avoir assimilé Athanaco, Interamnis et Ainay : « il ne serait pas invraisemblable que ce monastère du Confluent, comme celui de Cassien à Marseille ou de Grigny à Vienne, qui lui sont sensiblement contemporains, ait été un lieu sanctifié par les martyrs ».

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Cette construction se heurte toutefois à de sérieuses difficultés, qui doivent amener à la considérer avec de très fortes réserves. Le premier problème provient de la lecture toponymique donnée au terme interamnis, autrement dit de l’idée même qu’il aurait existé à Lyon un « monastère du Confluent ». Tout en la retenant, François Martine, l’éditeur de la Vita patrum Jurensium dans les Sources chrétiennes, s’était déjà interrogé sur la pertinence de cette lecture traditionnelle, en se demandant si ce terme ne désignerait pas « plutôt le cadre même du monastère, c’est-à-dire la ville elle-même, ainsi poétiquement évoquée ?477». La désignation de Lyon par cette périphrase n’aurait de fait rien d’étonnant, dans la mesure où elle serait en cohérence avec le style imagé utilisé par l’auteur de la Vita patrum Jurensium, qui a recouru à de nombreuses métaphores tout au long de son ouvrage478. Dans cette perspective, le terme d’interamnis pourrait être ici considéré comme un renvoi élégant au nom de Condate, autrement dit au toponyme ancien de Lugdunum, qui désignait en vieux-celtique le confluent. Une telle acception semble d’autant plus s’imposer que l’auteur de la Vita patrum Jurensium avait un goût manifeste pour les étymologies celtiques, puisqu’il précisa par exemple que le terme de Balma voulait dire « cirque » en langue gauloise479, ou encore que celui d’Izernore signifiait « porte de fer » dans la Gallica lingua480. Dans cette hypothèse, il ne faudrait donc pas lire Lugdunensis Interamnis, comme François Martine l’a fait dans son édition, mais plutôt Lugdunensis interamnis comme nous l’avons proposé dans la traduction donnée ci-dessus, ce qui signifie que Sabin n’aurait pas été abbé d’un monastère lyonnais dénommé « le Confluent », comme l’historiographie l’a souvent considéré, mais tout simplement d’un « monastère du confluent lyonnais », dont l’auteur de la Vita patrum Jurensium ne nous a donc pas donné le nom. Au-delà d’une évocation de l’étymologie celtique de Condate, le terme d’interamnis pourrait aussi renvoyer, selon une hypothèse soutenue par Alain Dubreucq, au premier monastère que Romain avait fondé sur le site jurassien de Condadisco, probablement formé sur les termes vieux-celtiques de *Sco (« brèche ») et *Condate (« confluent)481. Ces jeux d’équivalence entre Lyon/ Condate et Condadisco, mais aussi entre le vieux-celtique et le latin, constituent à l’évidence une clef importante de lecture de ce Lugdunensis interamnis, qui s’avère riche en connotations symboliques. Les travaux de Xavier Delamarre, spécialiste reconnu du vieux-celtique, ont ainsi démontré que le terme d’inte‑ ramnis avait été utilisé par les auteurs gaulois comme une traduction littérale du terme vieux-celtique *Entar-abon- (« entre les eaux »), afin de désigner des îles. Il n’est donc pas impossible que l’évocation par la Vita patrum Jurensium d’un monastère du Lugdunensis interamnis aurait aussi pu constituer une référence 477. Vie des pères du Jura, cit., p. 251, n. 3. 478. Ibid., p. 116-127. 479. […] in cingulo illo vel Balma – Gallico, ut reor, sermone sic vocitant : Vie des pères du Jura, cit., 60, p. 304. 480. […] Gallica lingua Isarnodori, id est ferrei ostii, indidit nomen : ibid., 120, p. 366. 481. duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », cit., p. 203.

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à une « île lyonnaise », selon une allusion au contexte d’essor du monachisme insulaire482. En d’autres termes, ce Lugdunensis interamnis constitue une expression rhétorique, que l’on peut très certainement considérer comme une métaphore à vocation polysémique, ce qui impose de renoncer à n’y voir qu’une simple désignation toponymique désignant un monastère du « Confluent », qui n’a très certainement jamais existé. L’identification du monastère de l’abbé Sabin avec l’abbaye médiévale de Saint-Martin d’Ainay se trouve ainsi privée de son principal argument, à savoir que le site de l’établissement lyonnais mentionné par la Vita patrum Jurensium était situé dans l’Antiquité tardive à la confluence du Rhône et de la Saône. Cette identification mérite donc d’être reconsidérée, d’autant qu’elle se heurte à un problème majeur, puisque la documentation lyonnaise d’époque mérovingienne ne mentionne jamais de monastère à Ainay. Grégoire de Tours, dont les informations sur Lyon sont précises et consistantes, n’y décrit ainsi que deux établissements monastiques, le monastère masculin de l’Île-Barbe, sur lequel nous reviendrons, et un monastère de moniales, dont l’identification est discutée, même s’il semble très probable qu’il faille l’identifier avec l’abbaye de moniales de Saint-Pierre de Lyon483. La documentation pré-carolingienne, qui est loin d’être négligeable à Lyon, ne mentionne en fait sur le site d’Ainay qu’un seul monument religieux, la basilique dédiée à saint Michel que la reine burgonde Carétène avait fait édifier autour de 500, sans jamais que la présence d’une communauté monastique dans cette église ne soit mentionnée484. L’abbaye de Saint-Martin d’Ainay n’apparaît d’ailleurs pas davantage au début de la période carolingienne. Elle n’est par exemple pas mentionnée dans le rapport que Leidrade adressa à Charlemagne vers 810-811485, qui offre pourtant un tableau très détaillé des églises et monastères du diocèse de Lyon, ni dans aucune des nombreuses sources lyonnaises de la première moitié du ixe siècle. Ce monastère n’est en fait évoqué pour la première fois dans la documentation que dans un diplôme donné en 859 par le roi Charles de Provence, à la demande d’« Aurélien, vénérable abbé de notre monastère d’Ainay486 ». Il semble donc bien difficile d’attribuer à l’abbaye Saint-Martin d’Ainay une origine beaucoup 482. X. delamarre, « “La terre entre les eaux” : Antros, Antrum, deus Entarabus, sanskrit antarīpa et le nom de l’île en vieux-celtique et en indo-européen », Historische Sprachforschung, 128 (2015), p. 23-27, ici p. 26. 483. Favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 345-347, B. BeauJard, « Grégoire de Tours et Lyon », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 53-60 et M. ruBellin, « Retour sur les origines du monastère Saint-Pierre de Lyon », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 73-90. 484. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 368-371 et F. Prévot, « SaintMichel d’Ainay d’après les sources antiques », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 61-72. 485. Éd. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon du ve au ixe siècle (450‑800), cit., p. 268-287. 486. […] Aurelianus, venerendus abbas nostri monasterii Athanacensis : Recueil des actes des rois de Provence (855‑928), éd. R. PouPardin, Paris, 1920 (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France publiés par les soins de l’Académie des Inscriptions et Belles‑Lettres), no 4, p. 6-10.

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plus ancienne, d’autant que le dossier archéologique ne fournit pas non plus d’éléments susceptibles d’enraciner ce monastère dans une histoire tardo-antique ou même mérovingienne. Si l’érudition a longtemps vu dans la crypte Sainte-Blandine, édifiée au sud de l’actuelle église abbatiale de Saint-Martin d’Ainay, les vestiges d’une première église d’époque paléochrétienne487, les travaux archéologiques récents d’Isabelle Parron et de Christine Becker ont en effet montré qu’il n’en était rien488. L’analyse archéologique de la crypte Sainte-Blandine, qui semble offrir les vestiges les plus anciens de ce bâtiment, a en effet conclu que le premier état de cet édifice consistait en une petite chapelle de 8,5 m. de long associée à un clocher-porche, dont la construction n’est probablement pas antérieure à l’époque féodale. La chronologie relative des états de la chapelle, qui a subi un premier remaniement au xiie siècle, rend de fait peu plausible une date plus haute, d’autant que les appareils décoratifs semblent pouvoir être rattachés au xie siècle. L’identification, par le biais d’un dessin archéologique du xixe siècle, de sépultures, peut-être d’époque mérovingienne, sous la chapelle Saint-Joseph489, ne suffit pas à modifier ce constat, dans la mesure où le site d’Ainay était alors affecté à des fonctions funéraires490, et qu’il n’est pas en l’état possible de mettre en relation ces tombes avec le bâti du monastère. Ainsi donc, s’il faut se garder d’un jugement définitif, puisque le site de Saint-Martin d’Ainay est connu par des études archéologiques anciennes, qui n’ont été récemment renouvelées que par des opérations ponctuelles, il n’en demeure pas moins que les données actuelles ne permettent pas de conclure qu’il aurait pu exister sur ce site une église susceptible de remonter à l’Antiquité tardive. Si le monastère de Sabin ne peut donc être identifié avec l’abbaye Saint-Martin d’Ainay, où faut-il donc situer la communauté monastique lyonnaise qui assura la formation du jeune Romain ? L’historiographie tend de plus en plus aujourd’hui à la chercher dans le monastère masculin qui s’était développé à l’Île-Barbe491, dans une île de la Saône située à sept kilomètres au nord de la ville de Lyon,

487. A. chagny, La basilique Saint‑Martin d’Ainay et ses annexes : étude historique et archéologique, Lyon, 1935. 488. I. Parron et C. Becker, « L’abbaye d’Ainay à Lyon », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 133-146. 489. J.-F. reynaud, « Conclusions », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 293-296, ici p. 294. 490. J.-F. reynaud, « Lugdunum du ive au viie siècle », dans J.-F. reynaud et F. richard (éd.), L’abbaye d’Ainay des origines au xiie siècle, Lyon, 2008, p. 23-32, ici p. 28. 491. M. ruBellin, « L’histoire de l’Île-Barbe (ve-xe siècle) », dans Mémoire de pierres. Abbaye de l’Île‑ Barbe, Lyon, 1995, p. 17-23 [ rééd. : ruBellin., Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, 2003 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 10), p. 264-275] et C. gaillard, « Le monastère de l’Île-Barbe (Lyon), un rôle dans les fondations jurassiennes ? », dans Itinéraires monastiques des pères du Jura. Sur les pas de Romain, Lupicin et Oyend. Actes du colloque organisé par la Société Nouvelle Gorini, Bourg‑en‑Bresse, 9 et 10 octobre 2014, Bourg-en-Bresse, 2016 (Mémoire religieuse des pays de l’Ain. Travaux et documents, Hors-série 2), p. 211-218.

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dans un espace qui relevait donc encore de son suburbium492. De taille modeste, puisqu’elle est longue de 560 m. et ne dépasse pas dans sa plus grande largeur 130 m., cette île a en effet accueilli un établissement monastique bien attesté par les sources écrites du vie siècle, en particulier par la Vita abbatum Acaunensium (BHL 142). Selon ce dernier texte, dont nous verrons plus loin qu’il peut être daté entre 523 et 526, l’abbé Ambroise d’Agaune aurait été issu du monastère lyonnais de l’Île-Barbe, qu’il aurait quitté pour participer à la fondation en 515 de l’abbaye d’Agaune. Ambroise y aurait par la suite succédé au premier abbé d’Agaune, Hymnémode, mort le 3 janvier 516, et aurait dirigé l’abbaye jusqu’à son décès, le 2 novembre 521. Peu de temps après sa mort, les moines d’Agaune lui avaient consacré une longue notice dans leur Vita abbatum Acaunensium, dans laquelle ils évoquèrent les circonstances de son départ pour Agaune, avant de décrire la formation qu’il avait reçue à l’Île-Barbe : […] on envoya quelqu’un à Lyon auprès du bienheureux Ambroise pour lui dire de satisfaire à la dévotion du roi et à la promesse faite à saint Hymnémode. Lorsque la cité de Lyon eu eut connaissance, elle fut vivement troublée de voir s’en aller un si grand et éminent serviteur. Saint Viventiole, évêque de cette ville, tout comme les frères qui se trouvaient sous sa direction, furent frappés d’une profonde tristesse (..) Alors que dans sa jeunesse [Ambroise] remplissait les fonctions de clerc, celui-ci vivait secrètement à la manière d’un moine avec la maturité d’un homme expérimenté, comme nul ne l’ignore. Puis, quand il eut considéré et rejeté la futilité du siècle, son désir de mener une vie monacale le poussa à se rendre en toute hâte au monastère malgré l’opposition de ses proches. Il adapta avec une telle obéissance son esprit aux préceptes divins que l’abbé, comme le reste de la congrégation, furent étonnés de ce miracle. Ainsi, en raison de sa charité et de son dévouement sans limite, c’est lui que tous, encore du vivant de l’abbé, choisirent comme père. Puis, à sa mort, il lui succéda dans ses fonctions d’abbé de l’ÎleBarbe, selon la volonté de Dieu et l’élection anticipée de la congrégation493.

492. E. dumas et F. BlaiZot, « Le sururbium de Lyon : un état de la question », dans C. Besson, O. Blin et B. triBoulot (éd.), Franges urbaines et confins territoriaux : la Gaule dans l’Empire. Actes du colloque international, Versailles 29 février‑3 mars 2012, Bordeaux, 2016 (Ausonius, Mémoires 41), p. 85-108. 493. […] missum est Ludgduno ad beatum abbatem Ambrosium uti regi devotio et sancti Hymnemodi promissio impleretur. Quod ubi cognovit civitas Lugdunensium valde turbata est eo quod tantus et talis servis de loco illo discederet. Sanctus vero Viventiolus urbis eius episcopus vel fratres quod ipse abba regere videbatur maerore gravi perculsi sunt […] In iuvenali aetate, dum clericatus officio fungeretur, qualiter seniori sensu occulte monachi actos impleverit universitati non habetur incognitum. Denique desiderio vitae monasterialis productus, contemplata vanitate saeculi et dispecta, ad monasterium propinquis nolentibus properavit, tantum animi sui oboedentiam divinis praeceptis coaptans, ut tam abba quam universa congregatio stupore miraculi tenerentur. Nam ita caritate et iugi servitio obtinuerat ut omnes abbate paene superstite ipsum patrem elegerint. Denique, abbate defuncto, ipse abba loco eius in Insula Barbara ex voluntate Dei et praedistinata congregationis electione successit : Vie des abbés d’Agaune, dans E. chevalley et C. roduit, La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond, Lausanne, 2014 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 53), p. 117-181, ici 7-8, p. 158-159 [trad. fce, p. 170-171].

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Ce court récit montre que le monastère de l’Île-Barbe était, au début du siècle, un établissement déjà bien établi dans le paysage religieux lyonnais, puisque le jeune clerc Ambroise y avait pu trouver un refuge, susceptible de répondre à sa soif de rupture avec le monde. Sans doute peut-on aussi penser que la mise en avant dans ce texte de la vertu d’obéissance, comme qualité première de la vie monastique qu’Ambroise avait menée à l’Île-Barbe, montre que ce monastère était de type cénobitique. Il faut toutefois se méfier sur ce point de la Vita abbatum Acaunensium, dans la mesure où ce texte avait été écrit par des moines établis dans un monastère fondé sur des valeurs cénobitiques, qui ont donc pu projeter leur propre mode de vie sur celui de l’Île-Barbe. L’analyse archéologique semble en tout cas permettre de confirmer l’ancienneté de cet établissement, même si la sécularisation au xviiie siècle de l’abbaye de l’Île-Barbe, qui constitue depuis lors une résidence privée, limite les capacités de prospection. Depuis le xixe siècle, des vestiges d’époque gallo-romaine et paléochrétienne ont été identifiés sur l’île et surtout dans ses environs immédiats, en particulier dans le bourg de Saint-Rambert, situé en face de l’Île-Barbe, sur la rive droite de la Saône, où un important matériel d’époque impériale a pu être mis au jour494. Les recherches récemment effectuées sur l’Île-Barbe par Charlotte Gaillard, dans le cadre d’une thèse d’archéologie médiévale, ont toutefois permis d’apporter de nouveaux matériaux, qui attestent que l’histoire religieuse de l’ÎleBarbe s’enracine manifestement dans l’Antiquité tardive495. L’étude de Charlotte Gaillard a tout d’abord montré que les anciens bâtiments monastiques de l’île s’organisaient autour de quatre ensembles ecclésiaux, une structure qui n’est pas sans rappeler celle de l’île Saint-Honorat, avec ses sept chapelles et son église abbatiale. Charlotte Gaillard a engagé une campagne de fouilles sur la pointe nord-orientale de l’Île-Barbe, autour d’une ancienne église dédiée au culte de saint André, autrement dit sur le site le plus ancien de cette île. Elle a en particulier pu y mettre au jour un ensemble de neuf sépultures mérovingiennes, dont deux, non vidées, ont pu faire l’objet d’une datation au radiocarbone. vie

494. J.-F. reynaud, « Le monastère de l’Île-Barbe et le bourg de Saint-Rambert », dans A. Baud, G. cornu, M. martiniani-reBer, J.-m. Poisson, J.-F. reynaud et C. treffort, Saint‑Rambert : un culte régional depuis l’époque mérovingienne. Histoire et archéologie, Paris, 1995 (Monographie du CRA 14), p. 49-60. 495. C. gaillard, « Étude archéologique de l’église Saint-André (monastère de l’Île-Barbe, Lyon) », Hortus artium medievalium, 19 (2013), p. 311-322 ; eadem, « L’ancienne abbaye de l’Île-Barbe (Rhône) à la lumière des nouvelles recherches archéologiques » dans N. reveyron, o. Puel et c. gaillard (éd.), Architecture, décor, organisation de l’espace. Les enjeux de l’archéologie médiévale. Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’art offerts à Jean‑François Reynaud, Lyon, 2013 (Document d’Archéologie en Rhône‑Alpes 38), p. 143-152 ; eadem, L’abbaye de l’Île‑Barbe à Lyon, ve‑ xiiie siècles. Archéologie et topographie d’une fondation monastique insulaire, Thèse, Lyon II, 2016 ; eadem, « La communauté monastique de l’Île-Barbe, exemple d’une fondation insulaire fluviale », dans a. gautier et L. malBos (éd.), Communautés maritimes et insulaires du premier Moyen Âge, Turnhout, 2020 (Haut Moyen Âge 38), p. 157-174 et C. gaillard et M. foucault (éd.), Entre terre et eau. Le monastère de l’Île‑Barbe dans l’espace rhodanien au Moyen Âge et à l’époque moderne (journées d’étude tenues à Lyon les 21 et 22 juin 2018), dans Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série, à paraître.

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Le corps le plus ancien a été daté dans une fourchette qui va de 408 à 542, tandis que le second a pu être situé entre 531 et 636496. L’analyse archéologique a par ailleurs montré que l’organisation de ces sépultures était par trop cohérente et régulière pour que leur installation n’ait pas été contrainte par un bâtiment préexistant, que ces tombes peuvent donc permettre de révéler en négatif. Ce constat a permis à Charlotte Gaillard de restituer avec ingéniosité un petit bâtiment à vocation funéraire, qu’elle estime pouvoir définir comme un oratoire. Celui-ci aurait été édifié au plus tard dans la première moitié du vie siècle, si l’on en juge par le terminus ad quem donné par la fourchette de datation de la sépulture la plus ancienne497. Les travaux de Charlotte Gaillard ont ainsi pu permettre d’attester de la présence d’une église d’époque paléochrétienne sur le site du monastère médiéval de l’Île-Barbe. L’ancienneté du monastère de l’Île-Barbe est aussi attestée par le témoignage de Grégoire de Tours, qui l’a évoqué dans son Liber in gloria confessorum, dans lequel il donne un récit de la Vie de Maxime (BHL 5837)498. Aujourd’hui vénéré sous le nom de saint Mexme, ce saint était connu pour avoir fondé un monastère à Chinon, dans le diocèse de Tours. Selon Grégoire de Tours, Maxime aurait démontré ses vertus, en parvenant à protéger miraculeusement ce monastère des assauts d’Aegidius († 464), magister militum des Gaules499. Cet événement offre un élément de datation de la vie de Maxime, puisqu’il semble possible de placer l’assaut des troupes d’Aegidius sur Chinon dans le contexte de la campagne menée en 463 par les armées romaines du magister militum, afin de chasser les Wisigoths qui étaient entrés dans la vallée de la Loire500. Avant de raconter ce miracle, qui constitue l’essentiel de son récit, Grégoire avait commencé par évoquer la formation du saint abbé Maxime, en affirmant qu’il aurait été initié à la vie monastique dans le monastère de l’Île Barbe : Maxime fut un homme religieux, aussi grand par son nom que par ses vertus, et, comme l’apprend le livre de sa vie rédigé en vers que nous avons lu, il fut un disciple de notre Martin. Afin de garder caché ce qu’il convoitait, il partit s’expatrier dans le monastère lyonnais de l’Île-Barbe où, après avoir révélé son identité, il décida de rentrer dans sa patrie. Comme il désirait dès lors traverser la Saône, son bateau fut totalement submergé, et ce prêtre fut englouti par les eaux, portant au cou avec le livre des Évangiles son ministère quotidien, c’est-à-dire une petite patène et un calice. Mais la piété divine ne supportant pas la mort de ce qui est sien, il fut sur l’ordre de Dieu rejeté de ce péril sur le rivage, afin que ne soit ni

496. C. gaillard, L’abbaye de l’Île‑Barbe à Lyon, ve‑ xiiie siècles. Archéologie et topographie d’une fondation monastique insulaire, cit., p. 226-228. 497. Ibid., p. 255-257. 498. grégoire de tours, Liber in gloria confessorum, éd. B. krusch, Hanovre, 1885 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 1/2), p. 284-370, ici 22, p. 311-312. 499. G. de cougny, Vie de saint Mexme, fondateur du monastère de Saint‑Mexme, à Chinon, Tours, s.d. et E. lorans (éd.), Saint‑Mexme de Chinon, ve‑xxe siècle, Paris, 2006 (CTHS, Archéologie et histoire de l’art 22). 500. P. macgeorge, Late Roman World, Oxford, 2002, p. 100.

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supportée la perte d’une vie, ni déplorée la destruction de ces biens. Et il a été accompli ce que le psalmiste, par l’inspiration du Saint-Esprit, a chanté : « Si le juste trébuche, il ne tombe pas car le Seigneur le soutient de sa main » (Ps 36, 24) » et aussi : « Le Seigneur ne rejettera pas l’âme du juste ». (Pr 10, 3). Venu ensuite dans le bourg de Chinon de la cité de Tours, il y établit un monastère501.

Les historiens de l’Île-Barbe ont accordé d’autant plus d’importance à ce passage de Grégoire de Tours qu’ils l’ont longtemps considéré comme la première attestation de ce monastère, puisqu’ils estimaient que la référence de la Vita patrum Jurensium au monastère de l’abbé Sabin concernait l’abbaye d’Ainay. Même s’il faut sans doute aujourd’hui considérer ce texte comme une deuxième attestation de cet établissement, après celle donnée par la Vita patrum Jurensium, ce passage constitue néanmoins une source importante, d’autant que Grégoire de Tours affirme suivre sur ce point une ancienne Vita en vers aujourd’hui perdue. Il témoigne de l’attrait que le monastère de l’Île-Barbe pouvait alors exercer en Gaule, puisque Grégoire de Tours ne voyait rien d’étonnant à ce que Maxime, un clerc de l’Église de Tours, ait pu venir s’initier à la vie monastique à l’Île-Barbe, alors qu’il aurait pu trouver à Marmoutier dans son propre diocèse un établissement important. Grégoire de Tours, mais aussi avant lui l’auteur de la Vita en vers qu’il avait utilisée, semblent avoir ainsi considéré que l’Île-Barbe constituait un monastère majeur, ce qu’il était en tout cas à l’époque carolingienne, puisque la lettre de Leidrade à Charlemagne affirme que cette abbaye possédait alors 90 moines, tandis que le Liber confraterni‑ tatum de Reichenau en mentionne 101502. Le récit de Grégoire de Tours a souvent été invoqué par l’historiographie afin d’établir un lien entre la tradition monastique martininenne et l’Île-Barbe, ce qui pouvait sembler d’autant plus pertinent que ce monastère avait été dédié à saint Martin. Sans doute convient-il toutefois de faire preuve de prudence en la matière, car cette dédicace pose de sérieux problèmes de datation. Traditionnellement, l’érudition avait en effet estimé que la dédicace martinienne de l’Île-Barbe pouvait être attestée par les deux diplômes que l’empereur Louis le Pieux avait donné à cet établissement et que ses éditeurs avaient datés de 815 ou de 816503. Il 501. Fuit autem quidam religiosus et virtutibus et nomine Maximus et, ut liber vitae eius docet, quam versu conscriptam legimus, nostri fuit Martini discipulus. Qui occullere quod erat cupiens, apud Insulam Barbaram monasterii Lugdunensis peregrinari expetiit. Manifestatus autem et ibi ad patriam redire disposuit. Denique dum Ararem fluvium transire cupiret, nave impleta dimergitur, ac ipse sacerdos pelago operitur, habens ad collum cum euangeliorum libro ministerium cotidianum, id est patenulam parvam cum calice. Sed pietas divina non perferens perire quod suum est, ita de hoc periculo, Domino iubente, restitutus est litori, ut nec vitae damna perferret nec rerum detrimenta lugeret. Impletumque est illud quod psalmographus, Spiritu sancto influente, cantavit : « Cum ceciderit iustus, non conlidetur, quia Dominus firmat manum eius ». Et iterum : « Non negabit Dominus animam iusti ». Deinde ad castrum Cainonensim urbis Turonicae veniens, monasterium collocavit : grégoire de tours, Liber in gloria confessorum, cit., 22, p. 311. 502. ruBellin, « L’histoire de l’Ile-Barbe (ve-xe siècle) », cit., p. 271. 503. […] monasterium quoddam, in loco qui vocatur Insula Barbata situm, ac in veneratione sancti Martini antiquitus constructum, reaedificasset : éd. F. lot et P. lauer, Diplomata Karolinorum. Recueil de reproductions en fac‑similé des actes originaux des souverains carolingiens conservés

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convient désormais de réviser ce point, puisque la récente édition des diplômes de Louis le Pieux, dirigée par Theo Kölzer, a conclu que l’un de ces deux actes était une forgerie, tandis que l’autre présentait des formules atypiques qui donnaient à penser qu’il avait été interpolé504. Comme le diplôme donné en 861 par Charles de Provence à l’Île-Barbe ne mentionne pas que l’abbaye aurait été dédiée au culte saint Martin505, force est donc de conclure que cette dédicace n’est en réalité attestée pour la première fois, de manière sûre, qu’avec un diplôme concédé en 971 par le roi rodolphien Conrad506. Ces éléments sont importants, dans la mesure où ils pourraient donner à penser que la tradition martinienne de ce monastère ne se serait construite qu’à une date tardive, sur la seule base du récit de Grégoire de Tours. Quel que soit son intérêt, le récit de Grégoire de Tours n’est par ailleurs pas sans poser quelques problèmes, dans la mesure où il est difficile de penser qu’un disciple de l’évêque Martin de Tours, qui avait trouvé la mort en 397, aurait pu être encore en vie lors du siège de Chinon par Aegidius, dont nous avons vu qu’il peut être vraisemblablement daté de 463. S’il est évidemment possible que Grégoire de Tours ait utilisé l’expression de discipulus nostri Martini dans un sens élargi, pour signaler que Maxime était un serviteur de l’Église de Tours, ce constat peut toutefois permettre de nourrir un certain scepticisme sur l’apport de cette tradition hagiographique à l’histoire de la genèse du monastère de l’Île-Barbe. Quoi qu’il en soit, le texte de Grégoire est en tout cas bien moins problématique que le second des documents qui évoquent la présence de Maxime à l’Île-Barbe. Il s’agit d’une lettre que l’évêque Eucher de Lyon aurait adressée à un prêtre de son Église, qui répondait au nom de Philon. Eucher lui demandait de bien vouloir annoncer à « l’abbé Maxime » de l’Île-Barbe qu’il fournirait à son monastère le ravitaillement nécessaire à la survie de ses moines, mais aussi qu’il viendrait séjourner lors du Carême à l’Île-Barbe et souhaitait donc qu’il lui fasse préparer de quoi y écrire. La présence de l’évêque Eucher permet seule de dater cette lettre dans une fourchette qui, si du moins l’on accepte l’authenticité de ce document, doit être ouverte vers 435, date estimée de l’élection d’Eucher à Lyon, et refermée avec le décès de cet évêque, que l’érudition situe actuellement au 16 novembre 449 ou 450507. La lettre d’Eucher à Philon fut pour la première fois mentionnée par Claude Le Laboureur, qui avait été prévôt de l’abbaye de l’Île-Barbe entre 1629 et 1656, en

504. 505. 506. 507.

dans les archives et bibliothèques de France, Paris, 1936-1949, 10 vol., t. 2/1, pl. 25 (avec fac-similé) et […] ex monasterio sancti Martini quod dicitur insula Barbara : éd. A. stoclet, Immunes ab omni teloneo. Étude de diplomatique, de philologie et d’histoire sur l’exemption de tonlieux au haut Moyen Âge et spécialement sur la Praeceptio de navibus, Bruxelles/Rome, 1999 (Institut historique belge de Rome, Bibliothèque 45), p. 406-408. Die Urkunden Ludwigs des Frommen, éd. T. kölZer, Wiesbaden, 2016, 3 vol. (MGH, Diplomata Karolinorum 2/1-3), t. I, no 116, p. 282-289 et no 117, p. 289-294. Recueil des actes des rois de Provence (855‑928), cit., no 8, p. 16-18. Die Urkunden der Burgundischen Rudolfinger, éd. T. schieffer, Munich, 1977 (MGH, Regum Burgundie e stirpe rudolfina diplomata et acta), no 45, p. 167-170. Prévot, « Recherches prosopographiques autour d’Eucher de Lyon », cit., p. 137-138.

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un temps où ce monastère avait été transformé en collégiale508. Installé à demeure dans l’établissement, Le Laboureur y avait rédigé une histoire apologétique de son abbaye qu’il avait fait paraître en 1681. Il y publia, pour la première fois, la lettre d’Eucher à Philon, en signalant qu’il en avait eu connaissance par une copie que lui avait remise le jésuite Théophile Raynaud († 1663), prêtre de l’Église de Lyon509. Bien qu’elle ait été écartée par l’historiographie, qui l’a depuis longtemps tenue pour apocryphe510, cette lettre mérite toutefois de faire l’objet d’une nouvelle lecture, dans la mesure où Alain Dubreucq a récemment démontré qu’elle ressortait d’une tradition manuscrite de bonne qualité. Il a en effet pu l’identifier dans deux manuscrits indépendants du début du xiie siècle, déposé pour l’un dans la bibliothèque de la ville de Lyon (ms 618) et, pour l’autre, dans la Bayerische StaatsBibliothek de Munich (Clm 26303). Dans ces deux codices, la lettre d’Eucher à Philon a été transmise aux côtés de la lettre 51 de Paulin de Nole à Eucher, un texte incontestablement authentique511. Ces nouvelles données philologiques, qui relancent le débat sur l’authenticité de la lettre d’Eucher à Philon, imposent donc de reprendre l’étude critique de cette source, ce qui nous amènera à en proposer ici une traduction : Au saint seigneur et à notre vénérable frère et co-prêtre Philon, l’évêque Eucher donne son salut dans le Seigneur.

Je demande à la charité et à l’affection que tu as développées dans le Seigneur qu’elles te donnent le mérite de te déplacer jusqu’au monastère de l’Île-Barbe pour voir et exhorter notre frère, l’abbé Maxime, qui dirige ce monastère, car il nous est parvenu qu’il veut s’en éloigner et abandonner ses frères, puisqu’en raison de la crainte des gentils beaucoup se sont soustraits aux dons qu’ils avaient l’habitude de donner par égard pour Dieu. Mais si nous survivons et retrouvons la sécurité, nous décidons au nom de Dieu de pourvoir tant à ses besoins qu’à ceux de ses moines afin qu’ils ne manquent de rien. Je demande plus spécialement à notre frère qu’il nous prépare l’atelier que nous lui avons ordonné de constituer et des parchemins. Car, si Dieu le veut, nous décidons de tenir avec lui le Carême dans l’île, afin que nous terminions l’œuvre que nous avons entreprise pendant que nous y résiderons. En attendant, nous ordonnons de lui donner 300 muids de blé, 200 muids de vin, 200 livres de fromages et 100 livres d’huile, afin que pendant que lui-même et sa congrégation retrouvent des forces par notre modeste 508. gaillard, L’abbaye de l’Île‑Barbe à Lyon, ve‑ xiiie siècles. Archéologie et topographie d’une fondation monastique insulaire, cit., p. 54-56. 509. C. le laBoureur, Les mazures de l’abbaye de l’Isle‑Barbe‑lez‑Lyon, ou Recueil historique de tout ce qui s’est fait de plus mémorable dans cette église, avec le catalogue de ses abbez. Tome premier, Paris, 1681, p. 20-21. 510. En dernier lieu par ruBellin, « L’histoire de l’Ile-Barbe (ve-xe siècle) », cit., p. 266. 511. A. duBreucq, « Origines et premiers développements de l’Île-Barbe, ve-viiie s. Les sources écrites », dans C. gaillard et M. foucault (éd.), Entre terre et eau. Le monastère de l’Île‑Barbe dans l’espace rhodanien au Moyen Âge et à l’époque moderne (journées d’étude tenues à Lyon les 21 et 22 juin 2018), Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série, à paraître.

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contribution, il nous soit attribué par le Seigneur, grâce à leurs prières, le bénéfice de leur restauration512.

Les critiques que cette lettre a pu recevoir ont pour l’essentiel porté sur son style que les érudits avaient jugé par trop barbare pour être de la main d’un auteur aussi raffiné qu’Eucher513. Cet argument peut toutefois être relativisé, dans la mesure où les spécialistes des écrits d’Eucher ont relevé qu’il était en mesure de recourir à des styles différents en fonction de l’auditoire auquel il souhaitait s’adresser514. Bien que nous ne possédions aucun autre exemple d’un écrit d’Eucher, ou de l’un de ses contemporains, qui aurait été rédigé dans un style aussi dépouillé que cette lettre à Philon, il pourrait ainsi être possible d’envisager que pour rédiger un simple mandement à un clerc de l’Église de Lyon, Eucher aurait pu écrire dans un style courant, à caractère non rhétorique, dont la syntaxe aurait annoncé le latin médiéval. Nonobstant les difficultés que pose une telle considération, puisqu’il faudrait admettre que cette lettre serait l’unique témoin d’un genre qui aurait totalement disparu, la question du style est loin d’être le seul problème que présente ce document, dans la mesure où il offre en particulier une collection de lieux communs que l’on peut sans doute juger par trop topique pour ne pas douter de l’authenticité de cette lettre. Comment par exemple croire qu’Eucher aurait pu, en raison des invasions barbares qui auraient asséché la générosité des donateurs habituels de l’Île-Barbe, adresser un convoi de victuailles aux moines affamés de ce monastère, tout en les priant de lui aménager un scriptorium pour pouvoir y travailler dans la quiétude à l’achèvement de ses œuvres spirituelles ? Par ailleurs, ces éléments ne sont pas cohérents avec ce que nous connaissons du contexte durant lequel cette lettre a été écrite : quels pourraient en effet être les barbares qui auraient pu dévaster le diocèse de Lyon à tel point qu’Eucher aurait imaginé que sa propre survie pourrait s’en trouver menacée, sachant que la documentation donne à penser que les années 435-450 furent pour le diocèse de Lyon et son évêque une période de quiétude, durant laquelle il n’est pas possible d’identifier la trace d’une quelconque incursion germanique ? 512. Domino sancto ac venerabili fratri et compresbytero nostro Philoni, Eucherius episcopus salutem in Domino dicit. Quaero charitatem et dilectionem tuam, quam habes perfectam in Domino, ut digneris te fatigare usque ad monasterium Insulae Barbarae et videas et exhorteris fratrem nostrum Maximum abbatem qui praeest ipsi monasterio, quia pervenit ad nos quod velit ex eo discedere et fratres suos deserere, eo quod multi propter metum gentium oblationes suas subtraxerint, quas pro Dei intuitu dare consuerant. Sed si nos vivimus et sani revertimur, tantum illi vel monachis in Dei nomine disponimus ministrare, ut nihil egere videantur. Hoc tamen specilius peto ab ipso fratre nostro, ut domum pensilem quam jussimus fieri nobis preparet et membranas. Quia, si Deus annuit, Quadragesimam in Insula cum ipso tenere disponimus, ut opus coeptum ibidem pariter residentes expediamus. Interim trecentos modios annonae, et ducentos modios vini, ducentas libras casei et centum libras olei, ordino ipsi dari, ut dum per nostram oblatiunculam ipse una cum congregatione sua reficitur, nobis reditus cum sospitate, ipsis orantibus, a Domino tribuatur : eucher, Epistola ad Philonem presbyterum suum, Paris, 1863 (Patrologia latina 50), col. 1213-1214. 513. D. de colonia, Histoire litteraire de la ville de Lyon, avec une bibliotheque des auteurs lyonnois sacrés et profanes, distribués par siècles, Lyon, 1728-1730, 2 vol., t. I, p. 242-245. 514. PePino, St. Eucherius of Lyons, cit., p. 261.

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Les déserts de L’Occident

Le vocabulaire utilisé n’est pas non plus sans poser problèmes. Certes, comme l’a souligné Alain Dubreucq, certains termes très rares ressortent du vocabulaire chrétien de l’Antiquité tardive, à l’exemple du terme oblatiuncula (« petite offrande »), qui semble avoir été introduit en latin par Cassien dans son traité contre Nestorius sur l’Incarnation515. Si cet argument est important, il convient toutefois de souligner que le terme d’oblatiuncula se retrouve aussi dans des textes du Moyen Âge central, à l’exemple des Miracula d’Héribert de Cologne, écrits au milieu du xie siècle par Lambert de Deutz516, ou encore de la lettre 41 de Pierre Damien, rédigée entre 1055 et 1057517. Pour le reste, force est de constater que la lettre d’Eucher à Philon présente certaines expressions dont l’utilisation peut paraître ici bien précoce, à l’exemple du titre abbatial qu’y porte Maxime. Comme nous l’avons déjà souligné, si les auteurs latins ont utilisé dès la fin du ive siècle le titre d’abbas pour désigner les pères égyptiens, ils ne l’ont en revanche jamais donné aux supérieurs des monastères occidentaux avant le milieu du ve siècle. Si l’on accepte l’authenticité de ce texte, il faudrait alors en déduire que la lettre d’Eucher à Philon constituerait la première attestation de l’emploi du titre abbatial au profit du supérieur d’un établissement latin, puisque nous avons vu qu’il n’apparut par ailleurs pour désigner le dirigeant d’un monastère occidental qu’avec les actes du troisième concile d’Arles, que nous avons proposé de situer entre 450 et 461. Guère plus favorable est la présence dans ce texte de la formule abbatem qui praeest ipsi monasterio. Si la périphrase is qui praeest a bien été introduite dans la littérature régulière par la Règle des quatre pères, qui l’avait utilisée à plusieurs reprises pour désigner le supérieur d’un monastère518, son utilisation dans une formule de titulature abbatiale relève en revanche d’une pratique diplomatique qui n’est pas antérieure à l’époque carolingienne. Une recherche de la leçon abba* *u* pr*est, effectuée dans la base Chartae Galliae, riche d’environ 40 000 actes antérieurs à 1300519, montre ainsi que sa première attestation ne date que de 857 et provient, ce qui n’est peut-être qu’un hasard, d’une charte rédigée dans le diocèse de Lyon520. Cette recherche permet aussi de constater que l’utilisation de cette formule resta fort rare jusqu’aux années 930, durant lesquelles elle connut une rapide et massive diffusion, avant que son emploi ne diminue fortement à la fin du xie siècle, puis ne disparaisse totalement dans la première moitié du xiie siècle. Au-delà de la forme et du vocabulaire de la lettre, le fond du texte n’est guère plus favorable. Il est bien difficile de reconnaître le jeune moine Maxime, qui selon Grégoire de Tours n’aurait fait qu’un court séjour dans sa jeunesse à l’Île515. Jean cassien, De incarnatione Christi, Paris, 1846 (Patrologia latina 50), col. 9-367, ici col. 11. 516. lamBert de deutZ, Vita Heriberti, Miracula Heriberti, éd. B. vogel, Hanovre, 2001 (MGH, Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum 73), 23, p. 249. 517. K. reindel, Die Briefe des Petrus Damiani, Munich, 19831996, 4 vol. (MGH, Briefe der Deutschen Kaizerzeit), t. II, ep. 41, 16. 518. Les règles des saints pères. I. Trois règles de Lérins au ve siècle, cit., p. 55-205. 519. http ://www.cn-telma.fr//chartae-galliae/index/ 520. Cartulaire de l’abbaye de Savigny suivi du petit cartulaire de l’abbaye d’Ainay, cit., t. I, no 19, p. 21-22.

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens

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Barbe avant de partir pour Chinon, dans la lourde figure de l’abbé Maxime, qui selon la lettre d’Eucher à Philon aurait été solidement installé à la tête de ce monastère. Il est tout aussi compliqué de comprendre par quel étrange cheminement un abbé de l’Île-Barbe, qui comptait alors parmi les plus gros établissements monastiques d’Occident, aurait pu abandonner son monastère pour aller fonder un obscur couvent dans le bourg de Chinon. Il est encore plus difficile de saisir pour quelles raisons la tradition hagiographique de Maxime, dont Grégoire de Tours s’était fait le témoin, se serait attachée à passer sous silence le fait qu’il aurait été abbé de l’un des plus importants monastères du monde latin. À l’évidence, la tradition hagiographique du moine Maxime, que Grégoire de Tours avait réussi à diffuser, n’est guère compatible avec la personnalité de cet abbé Maxime, telle qu’elle est évoquée par la lettre d’Eucher à Philon. Dans la lettre attribuée à Eucher, le personnage de Maxime semble avoir pris une ampleur nouvelle, dont il semble possible de trouver la clef dans l’une des quatre versions de la lettre sur l’état de l’Église de Lyon, que l’évêque Leidrade écrivit vers 810 à Charlemagne. Cette version de la lettre de Leidrade se trouve dans le manuscrit 1488 de la bibliothèque de la ville de Lyon, un codex composite dans lequel ont été reliées des pièces allant du xve au xviiie siècle. On y trouve en particulier un vidimus daté du 18 octobre 1447, par lequel les notaires royaux Guillaume Garbot et Grégoire Porgani donnaient une copie de la lettre de Leidrade, établie à partir d’un manuscrit en parchemin des archives de l’abbaye de l’Île-Barbe, qui a aujourd’hui disparu521. Cette copie donnait une version très développée de la lettre de Leidrade, que l’érudition considère encore aujourd’hui comme la plus proche de l’original, puisque cette lettre ne nous est parvenue que une tradition très médiocre, constituée au-delà de ce vidimus par trois copies très altérées. Éditée en 1899 par Félix Desvernay522, la version donnée par le vidimus de 1477 a fait l’objet d’une importante analyse d’Alfred Coville, qui a démontré qu’elle comportait plusieurs interpolations, en particulier dans le passage relatif à l’abbaye de l’Île-Barbe, qui se retrouvent par ailleurs aussi dans deux des trois autres versions de la lettre de Leidrade qui nous sont parvenues. On donnera ici une traduction de l’extrait de la lettre de Leidrade qui concerne l’Île-Barbe, en indiquant en gras les passages dont Alfred Coville a démontré qu’ils constituaient des interpolations523 : J’ai réparé aussi, en renouvelant les toits et une partie des murailles, le monastère royal de l’Île-Barbe, situé au milieu de la rivière de la Saône,  qui  a  été  jadis  dédié en l’honneur de l’apôtre saint André et de tous les apôtres, mais qui a  été maintenant refondé en l’honneur de saint Martin sur l’ordre de l’empereur Charles, qui y mit à sa tête l’abbé dom Benoît, avec lequel il corrigea ici  ses manuscrits. Quatre-vingt-dix moines y vivent maintenant sous une discipline régulière. Nous  avons  donné  à  son  abbé  le  pouvoir  de  lier  et  délier,  comme 

521. Bibliothèque municipale de Lyon, ms 1488, fo 198-202. 522. F. desvernay, « Lettre de Leidrade, évêque de Lyon, à Charlemagne sur la réorganisation du clergé et la restauration des églises », dans J. Pourrat, L’antique école de Leidrade, Lyon, 1899, p. 97-105. 523. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon du ve au ixe siècle (450‑800), cit., p. 268-287.

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Les déserts de L’Occident

l’avaient eu ses prédécesseurs Ambroise, Maxime, Licinius, des hommes très  remarquables  qui  avaient  dirigé  ce  lieu,  et  qu’Eucher,  Loup,  Genès  et  les  autres évêques de Lyon, lorsqu’ils étaient absents ou ne pouvaient le faire,  envoyaient pour s’enquérir si la foi catholique était correctement appliquée  et si la ruse hérétique ne pullulait pas. Ces abbés étaient même chargés, si  l’Église  de  Lyon  était  veuve  de  son  propre  patron,  de  lui  servir  en  toutes  choses  de  guides  et  de  consolateurs  jusqu’à  ce  que  cette  Église  fût,  avec  la  grâce  de  Dieu,  pourvue  d’un  très  digne  pasteur.  Nous  avons  donné  également cette puissance à leurs successeurs. De plus, nous avons ordonné que les  décrets des anciens rois de Francie fussent exécutés, afin que, comme il a été  par eux statué sur les actes d’achats et les agrandissements en toutes choses  de ce lieu, ces moines possèdent sans contestation par les siècles tout ce qu’ils  ont à présent, ainsi que ceux qu’ils pourront acquérir avec la grâce de Dieu524.

Michel Rubellin avait estimé que ces interpolations, à l’évidence destinées à soustraire l’abbaye de l’Île-Barbe à son obédience envers l’Église de Lyon, pourraient dater des années 970525. Cette proposition de datation reposait tout d’abord sur un diplôme de 971, que le roi rodolphien Conrad avait donné à la demande d’Heldebert, abbé de l’Île-Barbe, pour confirmer les libertés de son établissement envers l’Église de Lyon526. Cet acte, qui s’inscrivait dans le cadre d’un conflit entre l’abbaye de l’Île-Barbe et l’archevêque Amblard de Lyon, témoignait du soutien que la royauté rodolphienne avait alors apporté aux moines contre l’archevêque, dont le nom n’était même pas cité par le diplôme de Conrad527. Michel Rubellin avait aussi attiré l’attention sur une autre charte, donnée solennellement en 979, 524. Monasterium regale quoque insule Barbare situm in medio Araris flumine, quod antiquitus est dedicatum in honorem sancti Andree apostoli et omnium apostolorum, nunc autem in honorem sancti Martini recens videtur esse fundatum iussu domini Karoli imperatoris, qui ibidem prefecit dominum Benedictum abbatem, cum quo simul direxit ibi suos codices, ita restauravi, ut tecta de novo fuerint, et aliqua ex maceriis a fundamentis erecta ; ubi nunc monachi secundum regularem disciplinam numero nonaginta habitare videntur. Cui etiam abbati tradidimus potestatem ligandi et solvendi uti habuerunt praedecessores sui, scilicet Ambrosius, Maximinus, Licinius, clarissimi viri, qui ipsum locum rexerunt : quos Eucherius, Lupus, atque Genesius, caeterique episcopi Lugdunenses, ubi ipsi deerant, aut non poterant adesse, mittebant cognituros utrum catholica fides recte crederetur, ne fraus haeretica pullularet. Quibus illis in tantum erat commissa cura, ut si ecclesia Lugdunensis viduaretur proprio patrono, ipsi in cunctis adessent rectores, et consolatores, quousque ecclesia a Domino dignissimo illustraretur pastore. Nos similiter posteris illorum hanc potestatem tradidimus. Insuper jussimus fieri decreta priscorum regum Franciae, ut quemadmodum ipsi statuerunt moniment a emendi et augendi locum in omnibus rebus, quas ad praesens habere videntur, vel in futuro, Deo auxiliante, acquirere poterunt, sine ulla querimonia per saecula possideant : éd. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon du ve au ixe siècle (450‑800), cit., p. 286. 525. ruBellin, « L’histoire de l’Île-Barbe (ve-xe siècle) », cit., p. 275. 526. Die Urkunden der Burgundischen Rudolfinger, cit., no 45, p. 167-170. 527. P. ganivet, « Représentation, répartition et évolution des pouvoirs à Lyon autour de l’an Mil », dans C. guilleré, J.-M. Poisson, L. riPart et C. ducourthial (éd.), Le royaume de Bourgogne autour de l’an Mil, Chambéry, 2008, p. 131-151, ici p. 140-143 et F. demotZ, « Le roi Conrad protège l’abbaye de l’Île-Barbe (971) », dans A. charansonnet, J.-l. gaulin, P. mounier et s. rau (éd.), Lyon, entre Empire et Royaume (843-1601), Paris, 2015 (Bibliothèque d’histoire médiévale 14), p. 81-84.

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au lendemain de son élection, par l’archevêque Burchard II de Lyon, fils illégitime du roi Conrad, afin de reconnaître les privilèges de l’abbaye528. Ces deux documents montraient que les années 970 avaient été manifestement marquées par un conflit entre l’Église de Lyon et l’abbaye de l’Île-Barbe, qui en s’alliant avec les Rodolphiens était parvenue à se libérer de la tutelle de l’Église de Lyon. Les moines de l’Île-Barbe avaient ainsi bénéficié de la prise en main par la royauté rodolphienne du siège épiscopal de Lyon, qui s’était traduite par l’élection à la tête de cette Église de l’un des fils du roi Conrad. Comme l’avait souligné Michel Rubellin, ces éléments constituent indéniablement un contexte favorable à la rédaction de l’interpolation de la lettre de Leidrade, qu’il proposait de situer dans cette période. Sans doute pourrait-on être encore plus précis, en attirant l’attention sur l’étrange clause introduite par l’interpolation, qui conférait aux abbés de l’Île-Barbe la direction de l’Église de Lyon en cas de vacance de son siège archiépiscopal. L’introduction d’une clause aussi surprenante pourrait en effet donner à penser que cette interpolation aurait pu être particulièrement opportune, au lendemain du décès de l’archevêque d’Amblard, sans doute en 978, dans un contexte où l’abbaye de l’Île-Barbe devait très certainement chercher à s’immiscer dans l’élection de son successeur, afin de favoriser l’élection de Burchard II, le fils du souverain rodolphien qui lui avait accordé en 971 sa protection. Si cette argumentation reste conjecturale, Marie-Céline Isaïa a toutefois apporté récemment un nouvel argument pour dater de la fin du xe siècle l’interpolation de la lettre de Leidrade à Charlemagne, en la rapprochant de la rédaction de la Vita Lupi episcopi et confessoris529, un texte qui date à l’évidence de la période rodolphienne, sans doute même de l’archiépiscopat lyonnais de Burchard II (9791030/1031). Cette Vie décrit en effet l’élection épiscopale de Loup à Lyon, en affirmant qu’elle aurait été effectuée grâce à sa présentation devant le peuple et le clergé par le roi des Burgondes Sigismond, selon des modalités que MarieCéline Isaïa a rapprochées de celles qui avaient dû être mises à l’œuvre pour permettre l’élection de l’archevêque Burchard II, qui s’est manifestement produite sur la demande insistante du roi rodolphien de Bourgogne530. À défaut de nous offrir un argument définitif, tous ces textes forment en tout cas un faisceau de présomptions, qui donne à penser que l’interpolation de la lettre de Leidrade à Charlemagne et la Vita Lupi relèvent d’une même opération de recomposition mémorielle, que l’abbaye de l’Île-Barbe semble avoir entreprise, dans le contexte de la succession de l’archevêque Amblard de Lyon et de l’élection en 979, selon des modalités visiblement controversées, de l’archevêque rodolphien Burchard II. 528. Cartulaire lyonnais. Documents inédits pour servir à l’histoire des anciennes provinces de Lyonnais, Forez, Beaujolais, Dombes, Bresse et Bugey comprises jadis dans le Pagus major Lugdunensis, éd. M.-C. guigue, Lyon, 1885-1893, 2 vol., t. I, p. 12-14. 529. Vita Lupi episcopi et confessoris dans Acta Sanctorum, Septembris, VII, Anvers, 1760, p. 81-85. 530. M.-C. isaïa, « L’hagiographie contre la réforme dans l’Église de Lyon au ixe siècle », Médiévales, 62 (2012), p. 83-104, en particulier p. 91 et eadem, « La vie de saint Loup (ixe-xie siècle). Portrait retouché d’un évêque mérovingien », dans A. charansonnet, J.-l. gaulin, P. mounier et s. rau (éd.), Lyon, entre Empire et Royaume (843-1601), Paris, 2015 (Bibliothèque d’histoire médiévale 14), p. 89-94.

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Tout à sa volonté d’affirmer l’autonomie de son établissement, l’auteur de l’interpolation s’était en tout cas attaché à prendre à témoin les saints abbés qui avaient dominé l’histoire de son monastère de l’Île-Barbe. Pour ce faire, il avait tout d’abord mentionné l’abbé Ambroise, qu’il connaissait par la Vita abbatum Acaunensium. Il avait ensuite évoqué Maxime, dont la réputation avait été assurée par Grégoire de Tours, ce qui l’avait amené à lui donner au passage ce titre abbatial que le Liber in gloria confessorum ne lui avait pas conféré, mais qui se retrouve aussi dans la lettre d’Eucher à Philon. Il avait enfin cité l’abbé Licinius, dont le nom lui était parvenu grâce à un pseudo-diplôme de Clovis II531, dont Alfred Coville a démontré qu’il s’agissait d’un faux grossier qu’il avait proposé de dater du xe siècle532. Cette forgerie affirmait que la Règle de saint Benoît aurait été introduite dans ce monastère par cet abbé Licinius, ce qui avait amené les moines de l’Île-Barbe à assurer à cet abbé, par ailleurs inconnu, une réputation de sainteté, en particulier attestée par le catalogue abbatial du xviie siècle que Claude Le Laboureur a édité533. L’interpolateur a donc associé ces trois abbés remarquables, Ambroise, Maxime et Licinius, à trois évêques de Lyon, qui auraient manifesté leur sollicitude particulière pour l’abbaye de l’Île-Barbe. Le premier était Eucher († 450), un évêque qui, en raison de l’importance de ses œuvres monastiques, devait certainement bénéficier d’un a priori favorable à l’Île-Barbe. Le deuxième était Loup, un évêque de Lyon qui n’est attesté que par sa seule participation en 538 au concile d’Orléans534, mais dont la Vie, vraisemblablement rédigée au xe siècle535, affirmait qu’il aurait avant son élection épiscopale mené une vie anachorétique à l’Île-Barbe, ce qui lui donnait une évidente stature de protecteur de l’abbaye. Enfin, le troisième était Genès, évêque de Lyon de 658 à environ 678536, qui devait lui aussi être considéré comme un ardent partisan de la vie monastique dans la vallée de la Saône, dans la mesure où la Vita A sanctae Balthildis (BHL 905), dont la première version est datée de la fin du viie siècle, affirmait qu’il aurait été le principal conseiller de la reine Bathilde, qui s’était convertie à la vie religieuse après la mort de son époux Clovis II. Selon ce texte, Genès aurait été abbé avant de devenir évêque de Lyon et la reine « concéda par lui de nombreuses largesses en or et en argent

531. Éd. Grande pancarte ou cartulaire de l’abbaye de l’Île‑Barbe, suivi de documents inédits et de tables, tome premier, éd. H. de charPin-feugerolles et G. guigue, Montbrison, 1923, Supplément, no 1, p. 217-218. 532. Éd. le laBoureur, Les mazures de l’abbaye de l’Isle‑Barbe‑lez‑Lyon, cit., p. 34-35 ; cf. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon, cit., p. 278 et 510. 533. Licinius vir sanctissimus sub Clodoveo filio Dagoberti a quo ad sanctum Benedictum altum de abbatibus Insulae silentium : éd. le laBoureur, Les mazures de l’abbaye de l’Isle‑Barbe‑lez‑Lyon, cit. ; catalogue publié après la préface et non paginé. 534. Concilia Galliae, a. 511‑a. 695, éd. C. de clercq, Turnhout, 1963 (Corpus Christianorum Series Latina 148A), p. 113-130. 535. isaïa, « La vie de saint Loup (ixe-xie siècle). Portrait retouché d’un évêque mérovingien », cit. 536. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon, cit., p. 416-421.

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à des monastères d’hommes et de vierges537 ». Comme cette Vie précisait aussi que, par l’intermédiaire de Genès, la reine Bathilde aurait « concédé de très nombreux domaines et d’innombrables richesses à Luxeuil et aux autres monastères de Bourgogne538 », les moines de l’île-Barbe pouvaient avoir de bonnes raisons de considérer que cet évêque de Lyon leur avait été favorable. Le rédacteur de la lettre d’Eucher a manifestement utilisé cette version interpolée de la lettre de Leidrade, qui l’a autorisé à considérer que Maxime avait été abbé de l’île-Barbe. Il disposait toutefois d’une sensibilité chronologique suffisante pour comprendre qu’il lui fallait modifier l’ordre de la liste abbatiale donnée par l’interpolateur, dans la mesure où Maxime ayant été défini par Grégoire de Tours comme « un disciple de notre Martin », il fallait nécessairement que son abbatiat ait précédé celui d’Ambroise († 521), ce qui imposait de l’associer à Eucher († 450) et non à Loup († avant 549), comme l’avait fait l’interpolateur de la lettre de Leidrade. Cette correction tend donc à montrer que la lettre d’Eucher est nécessairement postérieure à l’interpolation de la lettre de Leidrade, ce qui amène à la situer autour du xie siècle. Une telle datation serait cohérente avec l’adresse abbatem qui praeest ipsi monasterio, dont nous avons vu qu’elle est caractéristique des formulaires utilisés aux xe et xie siècles, mais aussi avec son identification par Alain Dubreucq dans des manuscrits du début du xiie siècle, qui donnent le terminus ad quem de sa rédaction. Si l’on dresse maintenant le bilan de cette étude du dossier documentaire lyonnais sur le premier monachisme, force est de constater que la critique ne permet de conserver que bien peu de choses. À l’évidence, la ville de Lyon n’a pas connu dans ses murs d’autre monastère à la période tardo-antique et mérovingienne que cette abbaye de femmes citée par Grégoire de Tours, qu’il faut très certainement identifier avec le monastère Saint-Pierre. Pour ce qui est des hommes, il faut en revanche convenir qu’il n’existe aucune autre trace d’un monastère lyonnais que celui qui a été établi à l’Île-Barbe, dans le suburbium de la ville. Le constat archéologique, qui atteste qu’un bâtiment à vocation funéraire était déjà bâti sur le site de l’Île-Barbe au plus tard dans la première moitié du vie siècle, mais aussi le témoignage de la Vita patrum Acaunensium, rédigée dans les années 520, qui évoque ce monastère comme s’il s’agissait d’un établissement depuis longtemps inscrit dans le paysage lyonnais, démontrent que les origines de ce monastère remontent indiscutablement au ve siècle. C’est pourquoi, il ne fait guère de doutes que le monastère lyonnais mentionné par la Vita patrum Jurensium doit être identifié avec l’Île-Barbe, ce qui semble évident dès lors que l’on admet que l’expression de Lugdunensis interamnis ne renvoie pas au toponyme de ce monastère, mais évoque par une périphrase le territoire de Lyon dans lequel il se trouvait situé.

537. […] dirigens per ipsum ad coenobia virorum ac virginum auri vel argenti largissima numera : Vita A sanctae Balthildis, éd. B. krusch, Hanovre, 1888 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 2), p. 475-508, ici p. 486. 538. […] quanta enim ad Luxovium vel ad reliqua monasteria in Burgundia et villas multas integras concessit et pecuniam innumerabilem direxit : ibid., p. 492.

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Les déserts de L’Occident

Le récit que Grégoire de Tours donne de la formation de Maxime à l’Île-Barbe a contribué à obscurcir ce dossier, dans la mesure où il a amené les moines de ce monastère à broder sur ce récit, comme en témoigne l’interpolation, sans doute à la fin du xe siècle, de la lettre de Leidrade à Charlemagne, puis la production de la fausse lettre d’Eucher au prêtre Philon, dont la rédaction doit être vraisemblablement située autour du xie siècle. Il n’est pas non plus impossible qu’il faille replacer la dédicace de l’abbaye à saint Martin dans ce travail de reconstruction mémorielle, dans la mesure où elle n’est en réalité pas attestée avant le xe siècle, ce qui pourrait amener à prendre au sérieux la tradition, pour la première fois attestée dans l’interpolation de la lettre de Leidrade à Charlemagne, qui affirme qu’elle s’était substituée à une dédicace originelle de l’abbaye à saint André. Comme Friedrich Prinz, il faut donc situer le monastère de l’Île-Barbe dans la tradition lérinienne bien plus que dans l’héritage martinien. Son cadre insulaire, l’organisation de ses premiers bâtiments monastiques autour de quatre pôles sacrés, ne sont pas sans rappeler les chapelles de l’île Saint-Honorat. Ce constat pose évidemment la question de l’influence que l’évêque Eucher aurait pu avoir dans la fondation de cet établissement, en se demandant, comme l’avaient déjà fait Friedrich Prinz puis Ralph Mathisen, si cet ancien moine lérinien n’aurait pas pu jouer un rôle privilégié dans la mise en place de ce monastère insulaire539. S’il est difficile d’avoir des certitudes en la matière, force est en tout cas de souligner que l’hypothèse ne peut être exclue, d’autant qu’il est envisageable que l’élection vers 435 d’Eucher à Lyon puisse être antérieure au séjour de Romain dans le monastère de Sabin, dont le terminus ad quem doit probablement être situé vers 440.

Le dossier falsifié des monastères viennois Selon la Vita patrum Jurensium, la vie monastique de la cité de Vienne aurait été dominée autour de 500 par la forte stature de l’abbé Léonien, un ascète qui serait venu de Pannonie, à l’exemple de Martin de Tours. Après avoir séjourné à Autun, Léonien se serait installé à Vienne où il aurait vécu « reclus dans la clôture d’une cellule particulière540 », menant pendant quarante années une vie de solitaire. La Vita patrum Jurensium affirme que l’abbé Léonien aurait alors exercé dans la cité une haute autorité spirituelle, puisqu’il aurait « gouverné près de sa cellule quelques moines et, plus loin, à l’intérieur de la ville, il dirigeait plus de soixante moniales cloîtrées avec une admirable sagesse541 ». Ces données ont été longuement commentées par la tradition ecclésiastique viennoise, qui a cherché à localiser les deux communautés, d’hommes et de femmes, que l’abbé Léonien aurait régies, selon le témoignage de la Vita patrum Jurensium. 539. PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankenreich, cit. p. 66-68 ; cf. aussi mathisen, Ecclesiastical Factionalism and Religious Controversy in Fifth‑century Gaul, cit., p. 90. 540. […] claustro peculiaris cellae conclusus : Vie des pères du Jura, cit, 128, p. 376-377. 541. Monachos iuxta cellulam haud plurimos regens, monachas vero procul intra urbem monasterioque consaeptas ultra sexagenario numero admirabili ordinatione rexit : ibid., 128, p. 378-379.

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La tradition ecclésiastique avait pensé qu’il était possible de considérer que l’abbé Léonien aurait vécu à Saint-Pierre de Vienne (fig.  18). Cette église, qui avait occupé dans la cité de Vienne une place de premier plan durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge542, avait été bâtie extra muros à proximité du Rhône, au sud de l’enceinte de la ville, à une époque très ancienne, puisque les études archéologiques ont montré que son premier état remonte au moins au ive siècle543. Comme l’église Saint-Pierre conserve un sarcophage tardo-antique, sur lequel avait été gravée l’épitaphe de l’abbé Léonien, l’érudition avait donc estimé que le reclus y avait été inhumé et, en conséquence, que la communauté monastique qu’il avait dirigée avait dû s’être installée dans cette église. À la fin du xixe siècle, cette identification traditionnelle a toutefois été remise en cause par Alfred de Terrebasse, qui avait pu montrer que cette épitaphe se contentait de reprendre mot à mot le texte donné par la Vita patrum Jurensium et qu’elle avait été apposée tardivement sur le sarcophage, dont les anciens décors avaient été arasés pour qu’elle pût être gravée dans un cartouche544. Sur des critères essentiellement paléographiques, Terrebasse avait proposé de dater l’épitaphe du xe siècle, en suggérant qu’elle aurait pu être confectionnée vers 925, lorsque le comte et marquis Hugues d’Arles avait installé une communauté monastique à Saint-Pierre545. Bien que cette datation soit crédible, ce qui l’a amenée à être depuis lors reprise par tous les spécialistes546, elle reste toutefois conjecturale, puisque rien ne permet d’associer la production de cette épitaphe à la fondation monastique d’Hugues d’Arles. Pour notre propos, l’essentiel est toutefois de constater que l’épitaphe de l’abbé Léonien est manifestement apocryphe et ne peut donc témoigner que d’un culte tardif. Comme il faut aussi rajouter qu’il n’existe aucun document attestant de la présence d’une communauté monastique dans l’église Saint-Pierre avant l’acte donné par Hugues d’Arles vers 925547, il convient donc de constater qu’il 542. Gallia pontificia. Répertoire des documents concernant les relations entre la papauté et les églises et monastères en France avant 1198, III. Province ecclésiastique de Vienne, 1. Diocèse de Vienne, éd. B. schilling, Göttingen, 2006, p. 203-207 et nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 242-243 et 249-250. 543. M. Jannet-vallat, r. lauxerois et J.-F. reynaud (éd.), Vienne (Isère) aux premiers temps chrétiens, Paris, 1986 (Guides archéologiques de la France 11), p. 42-60. 544. A. de terreBasse, Notice historique et critique sur le tombeau et l’épitaphe de saint Léonien, premier abbé du monastère de Saint‑Pierre de Vienne au vie siècle, Vienne, 1858 et A. allmer et a. de terreBasse, Inscriptions antiques et du Moyen Âge de Vienne en Dauphiné, Vienne, 1875, 6 vol., t. 5, p. 53-66. 545. Recueil des historiens des Gaules et de la France, Paris, 1738-1904, 24 vol., t. 9, p. 689-690. 546. Corpus des inscriptions de la France médiévale, éd. R. Favreau (éd.), Paris, 1990, t. 15, no 130, p. 132-134 et G. lucas, Vienne dans les textes grecs et latins, Lyon, 2016 (Travaux de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée 72), no 100, p. 211-212. 547. La seule attestation d’une communauté monastique pré-carolingienne à Saint-Pierre de Vienne provient de la Vita sancti Clari (BHL 1825), qui ne date probablement en fait que de l’époque féodale. En réalité, la documentation atteste que Saint-Pierre accueillait à la période carolingienne une communauté de chanoines, qui apparut pour la première fois dans un diplôme donné en 863 par Lothaire II : Die Urkunden Lothars I. und Lothars II., éd. T. schieffer, Berlin/Zurich, 1966 (MGH, Diplomatum Karolinorum 3), no 18, p. 413-414.

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n’existe aucun argument qui puisse permettre de situer dans cette église la communauté de moines qui aurait vécu dans l’entourage de l’abbé Léonien. Une autre tradition a amené l’historiographie à situer le monastère de l’abbé Léonien dans l’église Saint-Marcel de Vienne548. Aujourd’hui disparue, cette église avait été construite extra muros, le long de la route de Grenoble, au sudouest de l’enceinte de la ville de Vienne et est attestée pour la première fois dans l’acte d’environ 925, par lequel le comte et marquis Hugues d’Arles la donnait

St-Ferréol 2 ?

Enceinte urbaine

St-Ferréol 1 ?

St-André-le-Bas

St-André-le-Haut St-Ferréol 3 Groupe épiscopal St-Pierre 0

St-Marcel

500 m.

Figure 18 : Les monastères viennois. 548. wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », cit., n. 66, p. 23.

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à la communauté monastique qu’il avait installée dans l’église Saint-Pierre de Vienne549. Dans la documentation du haut Moyen Âge viennois, l’église SaintMarcel ne fut toutefois jamais considérée comme un monastère, si ce n’est par la Vita sancti Clari (BHL 1825), un texte dont Nathanaël Nimmegeers a montré, comme nous le verrons, qu’il ne date sans doute que du début du xie siècle et qu’il s’est largement attaché à reconstruire le paysage du monachisme viennois550. Il n’existe qu’un seul texte qui pourrait permettre d’identifier l’église SaintMarcel avec le monastère qu’aurait pu occuper l’abbé Léonien. Il s’agit de la Vita abbatis Leoniani (BHL 4879), une Vie qui affirme que Léonien aurait été originellement moine de l’église Saint-Marcel, puis qu’il en serait devenu abbé, avant d’être enterré dans l’église Saint-Pierre. Cette tradition hagiographique est toutefois problématique, dans la mesure où la Vita abbatis Leoniani est un texte isolé, uniquement transmis par un lectionnaire de la cathédrale d’Arras, qui semble avoir été totalement extérieur au milieu viennois. Selon l’étude détaillée qu’en a dressée Joseph van der Straeten, cette Vie aurait été rédigée au plus tôt au milieu du xiiie siècle, dans le chapitre cathédral d’Arras, alors que le culte de saint Léonien, jusque-là sans doute très limité, prenait un nouvel essor551. Ne disposant toutefois d’autre source que de quelques traditions viennoises, les auteurs de la Vita abbatis Leoniani semblent avoir été contraints de reconstruire artificiellement une Vie de Léonien, ce qui les avait amenés, selon J. van der Straeten, à rédiger un texte mal informé, qui n’offre qu’un « déroulement maladroit de lieux commun, entrecoupés de citations ou d’allusions bibliques552 ». Dans ces conditions, il peut sembler difficile d’accorder un grand crédit à cette Vie arrageoise et de considérer, sur cette seule source, qu’il faudrait situer le monastère de Léonien dans l’église Saint-Marcel de Vienne. Le constat s’impose : la documentation ne peut permettre de situer SaintPierre, Saint-Marcel, ni aucune autre des églises ou abbayes médiévales de la cité de Vienne, dans la continuité de la petite communauté monastique, qui se serait réunie, selon la Vita patrum Jurensium, autour de l’abbé Léonien à la fin du ve siècle. Un tel constat pourrait donner à penser que cette communauté n’aurait tout simplement pas eu la pérennité nécessaire pour donner naissance à un monastère stable, ce qui serait en cohérence avec le témoignage de la Vita patrum Jurensium, qui n’évoque l’existence que de quelques moines rassemblés autour de la cellule dans laquelle aurait vécu Léonien. Il n’en va en revanche pas de même pour la communauté de plus de soixante moniales cloîtrées que l’abbé Léonien aurait dirigée, selon le témoignage de la Vita patrum Jurensium. La genèse de cet établissement est en effet connue par une charte datée de 543, qui eut une riche tradition puisqu’elle nous a en particulier été transmise par les cartulaires perdus de l’abbaye viennoise de Saint-André-le-Bas 549. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 241. 550. Ibid., p. 255-256. 551. J. van der straeten, « Vie arrageoise de s. Léonien, abbé à Vienne en Dauphiné », Analecta Bollandiana, 90 (1972), p. 119-136. 552. Ibid., p. 131.

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et de l’église cathédrale de Saint-Maurice de Vienne, respectivement constitués vers 1135 et vers 1200553. Cet acte enregistrait une donation effectuée par Ansémond et son épouse Ansleubana, en faveur de leur fille Remilia dite Eugenia, qui se trouvait chargée de fonder un monastère dédié à saint André et d’en transmettre la propriété à l’Église de Vienne. Les donateurs précisaient en effet à leur fille Remilia-Eugenia qu’ils lui faisaient cette donation « pour que le monastère de saintes femmes que tu constitues ici puisse par cela vivre, selon ce que saint Léonien a institué pour ce monastère de notre ville que dirige notre sœur, l’abbesse Eubona, et dans lequel tu as été élevée554 ». Si cette clause peut sembler très confuse, il semble que le rédacteur de l’acte ait voulu y évoquer deux monastères distincts : celui qu’Ansémond et Ansleubana établissaient dans cet acte par l’intermédiaire de leur fille Remilia-Eugenia, en le plaçant sous la dédicace de saint André et la protection de l’évêque de Vienne, et celui qui avait été autrefois fondé par l’abbé Léonien et dans lequel Remilia-Eugenia avait été élevée sous l’autorité de sa tante, l’abbesse Eubona. La chronique de l’archevêque Adon de Vienne († 875) revint sur cette charte d’Ansémond, auquel elle donna au passage le titre de dux, en proposant de situer le monastère qu’il avait fondé par le biais de sa fille Remilia-Eugenia dans l’église Saint-André-le-Bas555. Occupée au temps d’Adon par une communauté de clercs, cette église, qui devait accueillir à l’âge féodal le principal monastère viennois, avait été édifiée à l’extérieur des murs de Vienne, au nord de son enceinte urbaine, à une période sans doute haute, puisque le premier état de ce bâtiment semble pouvoir être daté du vie siècle556. La chronique d’Adon poursuivait en précisant que le monastère de moniales dirigé par l’abbé Léonien, où Remilia avait été formée, devait, quant à lui, être identifié avec l’abbaye féminine de Saint-Andréle-Haut, qui avait été édifiée intra muros dans la ville de Vienne557. Cette interprétation a été largement reprise par l’historiographie viennoise, qui a traditionnellement suivi la Chronique d’Adon, en considérant qu’il fallait identifier le monastère de moniales dirigé par l’abbé Léonien avec l’abbaye de Saint-André-le-Haut, tandis que l’abbaye de Saint-André-le-Bas aurait constitué 553. I. vérité (éd.), Répertoires des cartulaires français. Provinces ecclésiastiques d’Aix, Arles, Embrun, Vienne. Diocèse de Tarentaise, p. 303-307 et p. 313-319. 554. […] ut sanctis feminis monasterium ibi constituas, ex hoc ordine vivant quomodo sanctus Leonianus sancto monasterio urbis nostrae instituit, ubi soror nostra Eubona abbatissa cujus institutione nutrita : éd. C. charvet, Mémoires pour servir à l’histoire de l’abbaye royale de St‑André‑le‑ Haut de Vienne, Lyon, 1868, p. 200-201 ; cf. P. amory, « The textual transmission of the Donatio Ansemundi », Francia, 20/1 (1993), p. 163-183, qui donne les différentes versions de cet acte transmis par quatre copies des xviie et xviiie siècles, dont les leçons présentent d’importantes divergences. 555. […] monasterium sancti Andreae subterius Viennae conditum a Remilla Eugenia Ansemundi ducis filia atque sub testamento matri ecclesie traditum : adon de vienne, Chronicon in sex aetatis divisum, Paris, 1852 (Patrologia latina 123), col. 23-138, ici col. 111. 556. Gallia pontificia… III. Province ecclésiastique de Vienne, 1. Diocèse de Vienne, cit., p. 211-216 et nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 242-243. 557. […] monasterium superius S. Andreae in colle civitatis situm iam erat. Fundaverat enim ipsum beatissimus Leonianus temporibus sancti Aviti eiusdem urbis episcopi, ubi eadem ipsa Remilia sub regulari disciplina nutrita erat : adon de vienne, Chronicon, cit., col. 111.

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la fondation monastique que « le duc » Ansémond aurait fait établir par sa fille dans sa charte de 543. Une telle interprétation n’était toutefois pas sans poser quelques difficultés, en particulier parce que la charte de 543 affirmait que le monastère que devait fonder Remilia-Eugenia était destiné à accueillir des moniales, alors que l’église de Saint-André-le-Bas n’avait jamais été peuplée que par des hommes. Malgré quelques doutes, cette interprétation n’en est pas moins restée ancrée dans l’historiographie viennoise, d’autant que l’authenticité de la charte d’Ansémond semblait garantie par un diplôme donné le 3 mars 831 par Louis le Pieux, à la demande de l’archevêque Barnard de Vienne. Selon cet acte, Barnard aurait amené à l’empereur « les chartes par lesquelles Ansémond, sa femme Ansleubana et leur fille Remilia dite Eugenia avaient donné et remis le monastère Saint-André-leBas à [l’Église cathédrale] Saint-Maurice, et ses fondateurs l’avaient placé sous la ferme école de saint Léonien afin que, selon une action utile, elle restât en tout temps sous le pouvoir et la direction de l’évêque de l’Église de Vienne558 ». Après avoir ainsi prouvé la légitimité de ses droits sur le monastère Saint-André-le-Bas, Barnard avait obtenu de l’empereur qu’il soit restitué à son Église. Du point de vue de la critique diplomatique, le diplôme du 3 mars 831 constituait une pièce majeure, dont la mesure où il attestait que la charte donnée en 543 par Ansémond existait déjà au temps de Louis le Pieux et qu’elle ne pouvait donc constituer une forgerie tardive. Sans remettre en cause l’authenticité de ce diplôme du 3 mars 831, la diplomatiste Beate Schilling a néanmoins démontré, dans une belle étude parue en 2000, que la donation d’Ansémond était un faux, probablement rédigé dans l’entourage de l’archevêque Adon († 875)559. Au terme d’une démonstration serrée, Beate Schilling a proposé de considérer que cette forgerie aurait été composée à partir d’une donation authentique d’Ansémond, que l’archevêque Barnard aurait effectivement amenée pour confirmation à la chancellerie impériale, selon le récit donné par le diplôme de 831. Beate Schilling suggérait que l’acte authentique d’Ansémond, que l’archevêque Barnard avait remis à la chancellerie impériale, n’aurait en réalité porté que sur la seule donation du monastère de Saint-André-le-Haut à l’Église de Vienne, mais que l’archevêque de Vienne serait parvenu à persuader la chancellerie impériale qu’il concernait en réalité l’abbaye de Saint-André-le-Bas, afin de pouvoir faire reconnaître les droits de son Église sur cet établissement. Selon la démonstration de Beate Schilling, dans un second temps l’Église de Vienne aurait, pour plus de prudence, remplacé le document authentique présenté par Barnard par une forgerie, afin de détenir une preuve incontestable de ses droits 558. […] instrumenta cartarum per quae Ansemundus et coniux sua Ansleubana et filia eorum Remila vocabulo Eugenia monasterium sancti Andree subterioris sancto Mauricio condonaverunt et tradiderunt atque praedicti conditores ob firmitatis studium sancto Leoniano consignaverunt et sub potestate et ordinatione episcopi ecclesiae Viennensis et successorum illius utili actione omni tempore maneat : Die Urkunden Ludwigs des Frommen, cit., no 295, p. 734-736. 559. B. schilling, « Ansemundus dux, das Ende des Burgunderreichs und der Senat von Vienne. Zur gefälschten Gründungsurkunde des Andreasklosters (Vienne) », Archiv für Diplomatik, 43 (2000), p. 1-47.

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sur Saint-André-le-Bas. Pour renforcer cette hypothèse, qui l’amenait à considérer que la fausse charte de 543 avait été rédigée sur la base d’un acte authentique donné par Ansémond, Beate Schilling proposait, non sans pertinence, d’identifier Ansémond avec l’illuster vir Ansemundus, à qui l’évêque Avit avait adressé trois lettres560. Sans doute peut-on aussi l’identifier avec le Aumemundi comes qui souscrivit le Livre des constitutions, autrement dit la loi des Burgondes, en 502 ou en 517561, ce qui pourrait permettre de considérer qu’Ansémond a bien exercé des fonctions comtales à Vienne, au début du vie siècle. Ces éléments de contexte ont dès lors amené Beate Schilling à conclure que l’acte authentique de fondation de Saint-André-le-Haut ne pouvait avoir été donné en 543, une datation par trop tardive qui aurait été en fait introduite par la forgerie. Elle estimait que l’acte authentique avait plutôt dû être rédigé à la fin du ve ou du début du vie siècle, probablement sous l’épiscopat d’Avit († 518). La démonstration de Beate Schilling mérite toutefois d’être aujourd’hui reconsidérée, dans la mesure où la récente édition critique des actes de Louis le Pieux, publiée en 2016 dans les Monumenta Germaniae Historica sous la direction de Theo Kölzer, a conclu que le diplôme du 3 mars 831, par lequel Louis le Pieux avait restitué l’église de Saint-André-le Bas à l’archevêque Barnard de Vienne, posait tellement de problèmes qu’il était raisonnable de le considérer comme un faux, probablement composé dans l’entourage de l’archevêque Adon562. Cette solution peut sembler plus simple et plus logique, d’autant que loin d’affaiblir la démonstration de Beate Schilling, elle la renforce en lui donnant plus de cohérence. Elle offre en effet une solution globale à ce dossier très complexe, en faisant ressortir ces faux d’un même ensemble, visiblement constitué sous l’archiépiscopat d’Adon (860-875). Celui-ci aurait fait composer d’un même mouvement, probablement à partir d’un document authentique, le faux acte de donation d’Ansémond avec son diplôme impérial de confirmation, afin de lui donner plus d’autorité. Cette hypothèse ici proposée conduit en tout cas à une révision de l’histoire du monachisme viennois, dont il faut prendre toute la mesure. Si la charte d’Ansémond et le diplôme de restitution du 3 mars 831 sont des faux, il faut en effet constater qu’il n’existe plus aucun acte authentique susceptible d’attester de la présence à Saint-André-le-Bas d’une communauté monastique, avant que la réforme bénédictine n’y soit introduite vers 975563. Beate Schilling 560. avit de vienne, Lettres, éd. E. malasPina et M. reydellet, Paris, 2016 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), no 52, p. 127-130, no 76, p. 152 et no 77 p. 153. 561. Leges Burgundionum, éd. L.R. von salis, Hanovre, 1892 (MGH, Leges nationum Germanicarum, 2/1), p. 34 ; sur le Liber constitutionum ou la lex Burgundionum, v. I. wood, « The Legislation of Magistri Militum : the Laws of Gundobad and Sigismund », clio@themis. Revue électronique d’histoire du droit 10 (2016) : https ://www.cliothemis.com/IMG/pdf/5-_Wood-2.pdf. 562. « Danach handelt es sich eine Ganzfälchung aus spätkarolinginscher Zeit (wohl des Ado von Vienne) » : Die Urkunden Ludwigs des Frommen, cit., no 295, p. 734-736, ici p. 734. 563. Cartulaire de l’abbaye de Saint‑André‑le‑Bas‑de‑Vienne, ordre de Saint Benoît ; suivi d’un Appendice de chartes inédites sur le diocèse de Vienne (ixe‑xiie siècles), éd. U. chevalier, Vienne, 1869 (Collection des cartulaires dauphinois 1), p. XXIII.

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a en effet montré, dans un autre article paru en 2011, que l’évocation dans un diplôme de 815 du monasterium de Saint-André-le-Bas ressortait d’une interpolation564. Par conséquent, rien ne permet plus aujourd’hui de donner foi aux propos de la Chronique d’Adon, lorsqu’elle affirmait que la communauté de clercs, qui occupait au milieu du ixe siècle l’église de Saint-André-le-Bas565, aurait été précédée par une communauté monastique. Une telle affirmation ressort manifestement d’une construction effectuée sous l’archiépiscopat d’Adon par l’Église de Vienne, qui s’était alors attachée à assimiler l’église de Saint-André-le-Bas au monastère féminin de Saint-André-le-Haut, afin de s’y faire reconnaître une autorité comparable à celle que l’archevêque de Vienne s’était vu reconnaître de longue date sur le monastère de moniales566. Toutefois, si les travaux de Beate Schilling et de Theo Kölzer incitent à revoir l’histoire de Saint-André-le-Bas, en constatant que rien ne permet de soutenir que cette église aurait accueilli une communauté monastique avant l’introduction de la Règle de saint Benoît dans les années 970, ils ne remettent en revanche pas en cause l’idée que les origines de l’abbaye de Saint-André-le-Haut remonteraient bien à l’Antiquité tardive. Les forgeries rédigées dans l’entourage d’Adon montrent en tout cas qu’il existait, dans la seconde moitié du ixe siècle, une tradition bien enracinée, qui identifiait le monastère de Saint-André-le-Haut avec la communauté de moniales que l’abbé Léonien avait dirigée. Cette tradition carolingienne n’est pas contradictoire avec les données des sources écrites et peut permettre de reconstituer un récit crédible de la genèse de l’abbaye de Saint-André-le-Haut. Celui-ci nous amènerait à penser que cet établissement a effectivement été fondé à la fin du ve ou au début du vie siècle par l’illuster vir Ansémond, qui aurait alors placé ce monastère féminin sous la direction spirituelle de l’abbé Léonien, comme en témoigne la Vita patrum Jurensium, mais aussi probablement sous le patronage de l’évêque Avit de Vienne, dont Ansémond était un correspondant régulier. Une telle hypothèse ne serait pas contradictoire avec les données fournies par les études archéologiques menées par Anne Baud et Anne Flammin, sur le site de l’abbaye de Saint-André-le-Haut567. Leurs fouilles de cette église, encore actuellement en cours, ont permis d’identifier au centre de l’actuelle nef les vestiges d’un ancien bâtiment orienté à abside. De taille très modeste, puisque sa longueur ne semble pas dépasser 2,8 m., ce bâtiment pourrait correspondre à un oratoire ou à un mausolée. Bâti avec des matériaux de réemploi pris sur les sites antiques voisins, il a été édifié sur un terrain remblayé avec du matériel céramique du 564. B. schilling, « Zu einem interpolierten Diplom Ludwigs des Frommen für die Kirche von Vienne (BM² 570) », Archiv für Diplomatik, 57 (2011), p. 63-104, en particulier p. 66-70. 565. Gallia pontificia… III. Province ecclésiastique de Vienne, 1. Diocèse de Vienne, cit., p. 213. 566. adon de vienne, Chronicon, cit., col. 111. 567. A. Baud, n. nimmegeers et A. flammin, « L’abbaye de Saint-André-le-Haut à Vienne. Origine et développement d’un monastère de moniales », dans S. Bully et C. saPin (éd.), L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. Actes des 4e journées d’études monastiques, Baume‑les‑Messieurs, 4‑5 septembre 2014 [Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 10 (2016)] : https ://journals.openedition.org/ cem/14485.

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siècle, ce qui amène à situer par stratigraphie son édification entre la fin de l’Antiquité et les débuts du haut Moyen Âge. Sans permettre aucune conclusion définitive, ces éléments permettent en tout cas de conclure que le site de SaintAndré-le-Haut semble avoir connu sa première affectation religieuse au ve ou au vie siècle. Ils confirment ainsi la crédibilité du scénario que nous avons présenté, en offrant un argument supplémentaire à l’hypothèse d’une identification du monastère de moniales, fondé par l’abbé Léonien et Ansémond, avec l’abbaye viennoise de Saint-André-le-Haut. En apparaissant à l’arrière-plan de ce monastère de moniales, l’ombre de l’évêque Avit de Vienne amène à s’interroger sur les liens qu’il pourrait être possible d’établir entre cet établissement et le De consolatoria castitatis laude (« Éloge consolatoire sur la chasteté »), un poème que l’évêque Avit de Vienne avait rédigé pour sa sœur Fuscine, alors qu’elle prêtait ses vœux solennels dans un monastère. Récemment édité et traduit par Nicole Hecquet-Noti dans les Sources chrétiennes568, ce texte n’offre aucun élément susceptible de nous permettre d’identifier le monastère où Fuscine s’apprêtait à passer le reste de ses jours, ce qui explique que les historiens de Vienne ne lui aient jamais prêté la moindre attention. Pourtant, cet éloge de la virginité se situait si manifestement dans le contexte aristocratique viennois, qu’il serait bien difficile de penser que cet établissement n’ait pas été situé à Vienne. Ce constat interroge : dans la mesure où il serait bien improbable que la cité de Vienne eût pu compter à une telle époque plusieurs monastères féminins, l’établissement fondé par Léonien et Ansémond n’aurait-il pas aussi été celui où l’évêque d’Avit avait envoyé sa jeune sœur vivre le restant de son âge ? La question mérite d’autant plus d’être envisagée que Fuscine ayant été proclamée sainte, sa mémoire fut entretenue par une Vita sanctae Fuscinulae, qui nous donne d’importantes informations complémentaires. Cette Vie n’est malheureusement connue que par un unique manuscrit, daté du xiie siècle, qui ne nous offre qu’un texte inachevé, sans que nous sachions s’il a été mutilé ou s’il n’a tout simplement jamais été terminé569. Bien qu’elle ne nous fournisse aucun élément susceptible de la dater, la Vita sanctae Fuscinulae apparaît toutefois comme un texte bien informé, écrit par un auteur qui disposait d’une bonne connaissance de la ville de Vienne et était en mesure de décrire assez précisément la famille d’Avit et de Fuscine, alors qu’il semble n’avoir pourtant pas eu connaissance du De consolatoria castitatis laude570. Surtout, il faut souligner que cette Vie offre un récit crédible, au sein duquel il n’est pas possible de trouver un anachronisme ou une erreur historique manifeste. La Vita sanctae Fuscinulae précisait tout d’abord que le monastère où vivait Fuscine aurait été fondé par l’évêque Hésychius de Vienne († avant 494), autrement dit par le père d’Avit et de Fuscine, en expliquant qu’il aurait employé à ve

568. avit de vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), éd. N. hecquet-noti, Paris, 2011 (Sources chrétiennes 546). 569. Bibliothèque nationale de France, latin, fo 101r-102r, avec une édition et une traduction récente : Vita sanctae Fuscinulae, dans avit de vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), éd. N. hecquet-noti, Paris, 2011 (Sources chrétiennes 546), p. 209-225. 570. Vita sanctae Fuscinulae, cit., p. 214-215.

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cet effet sa fortune personnelle. Elle affirmait ensuite que l’évêque Hésychius de Vienne aurait confié ce monastère et ses 150 vierges à l’abbesse Aspidia571, une femme que le De consolatoria castitatis laude avait lui aussi mentionnée, sans lui donner toutefois de titre abbatial, pour en faire une parente récemment décédée d’Avit et de Fuscine, qui aurait été elle aussi consacrée au Christ572. Ces éléments donnent à penser que le monastère de Fuscine constituait un outil privilégié des stratégies développées par la famille d’Hésychius et d’Avit, dont Martin Heinzelmann a montré qu’elle relevait de ces groupes de parenté issus de la haute noblesse gauloise, qui s’attachaient alors à maintenir les fondements de leur domination sociale en prenant le contrôle des Églises locales573. La Vita sanctae Fuscinulae nous fournit aussi une information importante, lorsqu’elle affirmait que l’évêque Hésychius aurait dédié cet établissement aux martyrs milanais Gervais et Protais574. Comme elle précisait aussi que le monastère aurait été édifié propter amoena civitatis, Nicole Hecquet-Noti en avait déduit qu’il aurait été construit extra muros, ce qui l’avait amenée à proposer de le situer dans la basilique consacrée à saints Gervais et Protais, dont l’existence serait attestée par la célèbre épitaphe de Foedula575 : Foedula, qui par la miséricorde du Seigneur a quitté ce monde, gît en ce tombeau que lui a donné une foi sainte. Baptisée jadis de la main du Grand Martin, elle a dépouillé ses péchés en renaissant dans la source divine. Mais maintenant que les martyrs lui ont accordé un digne séjour, c’est eux, les Grands Gervais et Protais, qu’elle vénère. Ayant obtenu dans la foi, avec ce tombeau, un repos mérité, elle a porté témoignage, elle qui gît associée aux saints576.

Aujourd’hui conservée dans le musée de l’abbaye de Saint-André-le-Bas de Vienne, cette inscription apparut dans l’historiographie en 1659, lorsque Nicolas Chorier la décrivit dans ses Recherches sur les antiquités de la ville de Vienne, en signalant qu’elle était alors conservée sous le porche de l’église Saint-Pierre de Vienne577. Après être entrée dans les collections du musée de la ville en 1823, elle suscita un nouvel intérêt lorsque des fouilles furent menées en 1853, à l’occa571. […] in quo studio sollicitudinis centum quinquaginta virgines in proposito verae sanctitatis et castitatis, ut solummodo Deo militarent, constituit. E quibus gloriosissimam virginem Aspidiam praefecit provisatricem : ibid., 6, p. 222-223. 572. avit de vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), p 128-128, v. 87-91. 573. HeinZelmann, Bischofsherrschaft in Gallien, cit., p. 221-222. 574. De rebus vero propriis monasterium mirabili coniectura in honore beatissimorum martyrum Gervasii et Protasii propter amoena civitatis construxit : ibid., 6, p. 220-223. 575. Ibid., p. 25-26. 576. Foedula, quae mundum Domino miserante / reliquit, hoc iacet in tumulo, quem dedit alma / fides. Martini quondam proceris sub dextera / tinta crimina deposuit fonte re/nata Dei. Ad nunc marturibus sedem / tribuentibus aptam, Cerbasium / procerem Protasiumq(ue) colit. Emeri/tam requiem titulo sortita fidele, / confessa est sanctis quae sociata iacet : éd. et trad. Recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures à la Renaissance carolingienne, 15, Viennoise du Nord, éd. F. descomBes, Paris, 1985, no 39, p. 268-273. 577. N. chorier, Recherches sur les antiquités de la ville de Vienne, Lyon, 1828 [édition originale : Lyon, 1859], p. 265-266.

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sion des travaux destinés à amener le chemin de fer à Vienne, sur un site situé au sud-est de l’enceinte du Bas-Empire. Un espace funéraire fut alors découvert dans ce quartier, que la tradition avait jusqu’alors désigné sous le nom de « Saint-Gervais », dont aucun érudit n’avait jusque-là pu comprendre l’origine578. Les fouilles, évidemment conduites avec les moyens de l’époque, permirent d’y découvrir une nécropole tardo-antique comprenant 85 tombes, ce qui a amené les érudits à considérer que l’épitaphe de Foedula devait provenir de cet espace funéraire. Ils ont en effet estimé que l’épitaphe avait dû originellement être apposée sur une tombe située dans une ancienne église dédiée à saint Gervais, qui aurait par la suite donné son nom à ce quartier579. L’érudition s’est accordée pour dater l’épitaphe de la première moitié du ve siècle, ce qui peut sembler cohérent, dans la mesure où elle affirmait que Foedula aurait été « jadis » (quondam) baptisée par Martin († 397). L’historiographie a usuellement considéré que ce baptême aurait eu lieu lors du séjour que l’évêque de Tours aurait effectivement fait à Vienne, sans doute avant 390580, sans toutefois que l’hypothèse soit certaine, dans la mesure où Martin a pu séjourner à de nombreuses autres reprises dans cette cité. Le texte de l’inscription, qui atteste de la tumulatio ad sanctos de Foedula, a surtout amené l’érudition viennoise à considérer que l’épitaphe aurait été originellement située dans une basilique dédiée à Gervais et Protais, en invoquant en particulier la fin de l’inscription, qui affirmait que Foedula « gît associée aux saints » (sanctis quae sociata iacet). L’existence de cette église a pu sembler d’autant plus évidente qu’elle semblait pouvoir être confortée par la Vita sancti Clari, un texte sans doute écrit au xie siècle, qui donnait une liste des monastères viennois au viie siècle, en affirmant qu’il y aurait alors eu 50 moines dans « la vénérable memoria des saints Gervais et Protais581 ». Ce dossier documentaire a semblé suffisamment consistant à l’érudition viennoise, pour l’amener à conclure qu’il aurait existé, sur le site de la nécropole de « SaintGervais », une basilique dédiée aux deux martyrs milanais, dans laquelle aurait été installé le monastère attesté par la Vita sancti Clari582. Force est toutefois de constater que cette démonstration est en réalité des plus fragiles. Tout d’abord, il faut souligner que les fouilles du quartier Saint-Gervais n’ont permis d’identifier aucune construction associée aux 85 tombes de la nécropole. Une telle situation peut sembler étonnante pour un espace funéraire censé 578. allmer et terreBasse, Inscriptions antiques et du Moyen Âge de Vienne en Dauphiné, cit., t. 1, p. 16-24. 579. F. descomBe, P.-A. février et N. gauthier, « Vienne », dans N. gauthier et J.-C. Picard (éd.), Topographie chrétienne des cités de la Gaule, III, Province ecclésiastique de Vienne et d’Arles (Viennensis et Alpes Graiae et Poeninae), Paris, 1986, p. 17-35, ici p. 27. 580. J. fontaine, « Vienne, carrefour du christianisme et du paganisme au ive siècle », Bulletin de la société des amis de Vienne, 67 (1971), p. 17-36 ; BeauJard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps, d’Hilaire de Poitiers à la fin du vie siècle, cit., p. 59-61 et lucas, Vienne dans les textes grecs et latins, cit., no 62, p. 142-143. 581. […] sanctorum Gervasii et Protasii venerabilis memoria, quinquaginta [monachos] : Vita santi Clari, dans Acta sanctorum, Ianuarius, I, Anvers, 1643, p. 55-56, ici p. 55. 582. Recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures à la Renaissance carolingienne, 15, Viennoise du Nord, cit., no 39, p. 268-273.

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s’être construit autour d’une basilique martyriale, même s’il faut tenir compte du fait que les fouilles archéologiques du xixe siècle ont été réalisées dans des conditions qui n’avaient alors rien de scientifique. Il convient aussi de constater qu’il n’existe aucune trace documentaire de cet établissement dans les sources du haut Moyen Âge, si ce n’est dans la seule Vita sancti Clari, dont Nathanaël Nimmegeers a démontré qu’il s’agit en fait d’un texte tardif et surtout très peu fiable583. Par-dessus tout, il faut aussi prêter attention à la formulation utilisée par la Vita sancti Clari, qui n’a en réalité jamais parlé d’une église, mais s’est limitée à évoquer un simple mausolée, en mentionnant la sanctorum Gervasii et Protasii venerabilis memoria. Ce point est fondamental, dans la mesure où la Vita sancti Clari donne clairement à penser que l’épitaphe de Foedula ne procédait pas d’une tombe bâtie dans une église, mais relevait plutôt d’un mausolée. Elle amène à conclure que l’épitaphe de Foedula devait, selon un usage très fréquemment attesté dans l’Antiquité tardive, se trouver insérée dans une memoria, au sein de laquelle la défunte avait dû être inhumée, probablement avec des brandea des saints martyrs milanais. Tous ces éléments nous montrent donc qu’il serait bien difficile de situer le monastère de Fuscine dans une basilique qui n’a visiblement jamais existé, d’autant que la Vita sancti Clari, qui est le seul texte à mentionner une vie monastique autour de la memoria de Foedula, affirmait qu’elle aurait accueilli une communauté de moines et non de moniales. Ce point est d’autant plus important qu’il faut aussi renoncer à l’idée que le monastère de Fuscine aurait pu être situé extra muros, une localisation qui peut sembler étonnante pour un établissement féminin. Il semble en effet difficile de considérer que la Vita sanctae Fuscinulae aurait affirmé que le monastère de Fuscine avait été bâti « dans les alentours charmants de la ville », comme le propose la récente traduction de ce texte584. En situant le monastère de Fuscine propter amoena civitatis, l’auteur de la Vita sanctae Fuscinulae a simplement voulu signifier que le monastère était situé « dans les alentours d’un endroit charmant de la cité », ce qui n’est pas la même chose. Cette formulation des plus vagues semble en réalité montrer que l’auteur de la Vita sanctae Fuscinula n’était pas en mesure de localiser le monastère de Fuscine. Plutôt que de tenter de situer le monastère de Fuscine autour d’une basilique martyriale qui n’a aucun fondement documentaire, il serait évidemment plus logique de l’identifier avec le monastère de moniales de Léonien. Si l’on se situe dans cette hypothèse, il serait alors possible de conclure que le monastère de moniales de Léonien aurait été dédié aux saints Gervais et Protais, ce qui signifierait que l’actuelle abbaye Saint-André-le-Haut pourrait avoir été originellement consacrée à ces deux martyrs milanais. Dans cette même perspective, il pourrait aussi être possible de considérer que les témoignages croisés de la Vita patrum Jurensium et de la Vita sanctae Fuscinulae montreraient que le monastère de moniales de Vienne avait constitué une fondation des élites viennoise dans leur ensemble. Sa mise en place aurait en effet associé le comte Ansémond à la famille 583. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 255-256. 584. Vita sanctae Fuscinulae, cit., 6, p. 220-221.

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épiscopale d’Hésychius et de son fils Avit, selon un scénario plausible, à défaut toutefois d’être certain. En mettant en évidence le rôle que les évêques de Vienne ont pu jouer dans cette fondation, cette hypothèse serait en tout cas cohérente avec l’histoire de l’abbaye de Saint-André-le-Haut, dont nous savons qu’il avait constitué au haut Moyen Âge un monastère épiscopal. Enfin, il faut souligner que les données chronologiques ne s’opposent pas à une telle identification. Selon le De consolatoria castitatis laude, Fuscine serait en effet entrée à l’âge de 10 ans dans le monastère que son père aurait fait édifier pour elle, selon le récit que donne la Vita sanctae Fuscinulae585. Si l’on rajoute que les données prosopographiques fournies par le De consolatoria castitatis laude montrent que Fuscine, quatrième et dernier enfant d’Hésychius, avait dû naître avant 474, date à laquelle son père avait succédé à l’évêque Mamert après s’être converti à la vie ascétique, il devient possible de conclure que cet établissement a probablement dû être fondé autour de 480. Une telle datation est tout à fait compatible avec les conclusions de Beate Schilling, qui a pu démontrer que la fondation du monastère de moniales de Léonien et d’Ansémond devait être située à la fin du ve ou au début du vie siècle. À côté de l’abbaye féminine dirigée par l’abbé Léonien, l’érudition a considéré qu’il aurait existé dès le ve siècle un monastère masculin à Vienne, établi à l’extérieur de l’enceinte urbaine, sur le site dit de Grigny. La première mention de cet établissement se trouve dans une lettre datée de 477 que Sidoine Apollinaire écrivit au frère Volusien, un moine de l’Église de Clermont586. En tant qu’évêque de cette cité, Sidoine considérait qu’il était de son devoir de conseiller Volusien, qui venait d’être chargé de prendre la succession d’Abraham, un abbé d’origine perse autour duquel une petite communauté monastique s’était rassemblée, sans doute dans l’église de Saint-Cirgues, au sein du vicus christianorum de Clermont587. S’inquiétant du mode de vie des moines d’Abraham « et de leur règle fluctuante » (fluctuantemque regulam), Sidoine conseillait à Volusien de réformer leur mode de vie secundum statuta Lirinensium patrum vel Grinincensium588. Ce passage a fait l’objet de controverses érudites, en raison de la difficulté de sa traduction, d’une part parce qu’il ne paraît pas possible de déterminer si Sidoine voulait établir par ce vel une adéquation entre les statuta de ces deux établissements ou au contraire les distinguer589, et d’autre part parce qu’il est bien compliqué de 585. avit de vienne, Éloge consolatoire de la chasteté (sur la virginité), v. 55, p. 124-125. 586. sidoine aPollinaire, III. Correspondance, cit., VII, 17, p. 76-78. 587. C. Pietri, « L’espace chrétien dans la cité. Le vicus christianorum et l’espace chrétien de la cité arverne (Clermont) », Revue d’histoire de l’Église de France, 55 /177 (1980), p. 177-209, ici p. 197 et D. martineZ, « Les premiers monastères d’Auvergne à la lumière de la documentation textuelle et archéologique (ve-xe siècle) : état de la question », dans S. Bully et C. saPin (éd.), L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. Actes des 4e journées d’études monastiques, Baume‑les‑Messieurs, 4‑5 septembre 2014 [Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 10 (2016)], ici p. 4. 588. […] secundum statuta Lirinensium patrum vel Grinincensium : sidoine aPollinaire, III. Correspondance, cit., VII, 17, 3, p. 78. 589. V. par ex. Les règles des saints pères. I. Trois règles de Lérins au ve siècle, cit., p. 260, n. 43.

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déterminer le sens que Sidoine pouvait donner à ce terme de statuta, qui a fait l’objet de nombreuses et suggestives interprétations590. Quoi qu’il en soit, ce texte a en tout cas l’intérêt de nous fournir le terminus a quo de la création du monastère de Grigny et nous montre que ses moines jouissaient alors d’un prestige déjà suffisamment établi, pour que Sidoine ait pu les placer sur le même plan que les Lériniens, auxquels il vouait une admiration toute particulière591. La deuxième mention de cet établissement est postérieure de quatre décennies, puisqu’elle se trouve dans une lettre datée de 516/517, par laquelle l’évêque Avit de Vienne répondait à un courrier que lui avait transmis l’évêque Maxime de Genève592. Avit lui expliquait tout d’abord qu’il n’avait pas reçu les dernières nouvelles, car « je n’étais pas à l’endroit où j’aurais pu être au courant : en effet, occupé par les monastères de Grigny, je suis actuellement absent de ma cité pour quelque temps593 ». Il précisait ensuite qu’il avait reçu le courrier que lui avait adressé Maxime, alors qu’il avait pris la route du retour, à un moment où il se trouvait « en chemin et encore assez éloigné de la ville594 ». Ces éléments sont d’une importance majeure pour localiser le site de Grigny, dans la mesure où ils démontrent qu’il était manifestement éloigné de la cité de Vienne, puisque Avit devait effectuer un trajet conséquent pour s’y rendre. Enfin, l’utilisation par Avit du pluriel monasteriis Grinescensibus permet de constater que ce site accueillait plusieurs monastères, selon une organisation qui semble décidément avoir été fréquente dans les établissements de l’Antiquité tardive, puisque nous l’avons déjà rencontrée sur les îles de Gorgona, de Porquerolles et de l’archipel de Lérins. La troisième évocation du site monastique de Grigny provient de la Vita abbatum Acaunensium (BHL 142), un texte rédigé entre 523 et 526, qui le cite en de nombreux passages, en particulier dans la Vie qu’il consacre à Hymnémode, premier abbé d’Agaune entre 515 et 516. Selon ce texte, Hymnémode, qui était « certes barbare par son origine mais humble par sa bonté naturelle595 », aurait commencé une carrière civile avant de quitter le service du roi pour « rejoindre le monastère de Grigny596 ». La Vita abbatum Acaunensium affirme qu’il se serait toutefois heurté à la résistance de l’abbé, qui ne souhaitait pas le recevoir, afin de ne pas encourir la colère du roi des Burgondes : À son arrivée, le vénérable abbé Caelestius, qui était à ce moment à la tête de ce même monastère, partageant l’étonnement de toute la congrégation, n’osait pas encore l’accueillir au sein du cénobe du monastère en raison de la charge que le roi

590. A titre d’exemple : J.-P. weiss, « Une communauté religieuse aux îles de Lérins », Connaissance des Pères de l’Église, 79 (2000), p. 21-32, ici p. 24. 591. F. Prévot, « Sidoine Apollinaire pasteur d’âmes », Antiquité tardive. Revue Internationale d’Histoire et d’Archéologie (ive‑viie siècle), 5 (1997), p. 223-230, ici p. 228. 592. avit de vienne, Lettres, cit., no 70, p. 144-146. 593. […] nec eo loco fuerim ut cognoscere potuissem : nam monasteriis Grinescensibus occupatus, aliquandiu iam habitaculo civitatis absento : ibid., 1, p. 145. 594. […] in itinere me et adhuc ab urbe remotius positum : ibid., 2, p. 145. 595. […] natione quidem barbarus, sed morum benignitate modestus : Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 154. 596. […] monasterium Grenencense expetiit : ibid., p. 154.

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lui avait confiée. Mais du moment qu’il ne put par ses prières vaincre l’obstination de l’abbé, saint Hymnémode se retira dans une grotte et y vécut quelque temps à l’écart. Après s’y être rasé les cheveux, toutes ses pensées tendues vers Dieu, il retourna au monastère où il avait souhaité être admis. Ainsi accueilli et associé à la sainte congrégation, en gravissant les échelons de la vie monastique, il progressait en toute charité et vertu d’humilité. Et plus les pressions du roi se faisaient menaçantes, plus il mettait d’ardeur au service du Christ, si bien que, peu de temps après, comme le saint abbé Caelestius passait de ce monde au Christ, lui-même, avec l’aide de Dieu, de l’avis unanime de toute la congrégation, lui succéda comme abbé, s’étant toutefois difficilement laissé convaincre par les supplications des frères597.

À la différence de la lettre d’Avit, la Vita abbatum Acaunensium ne parlait pas au pluriel des monastères de Grigny, mais utilisait toujours le singulier. Toutefois, elle utilisait l’intéressante expression de « cénobe du monastère » (monasterii coenobium), pour désigner le lieu dont Hymnemode se serait tout d’abord vu refuser l’entrée, en employant ainsi un génitif partitif qui donne à penser que le cénobe ne constituait que l’une des unités de cet établissement monastique. Comme la Vita abbatum Acaunensium précise qu’après avoir été rejeté du cénobe, Hymnemode se serait retiré dans une grotte, il pourrait sembler possible de déduire de ce passage, qu’il existait effectivement, à côté du site cénobitique, un espace voué à la vie anachorétique. Dans cette hypothèse, ce texte montrerait que le site de Grigny devait associer une communauté cénobitique à une communauté anachorétique, selon un mode de fonctionnement que nous avons déjà vu se mettre en place dans la première moitié du ve siècle, tant dans les îles d’Hyères que dans celles de Lérins, ce qui expliquerait que l’évêque Avit ait évoqué au pluriel les monasteria de Grigny. La Vita abbatum Acaunensium a sans doute pu donner une perception déformée de cette organisation traditionnelle, dans la mesure où ce texte a été rédigé à Agaune, dans un monastère cénobitique, à une époque où les établissements associant un cénobe à une communauté d’anachorètes étaient devenus largement obsolètes. Dans cette perspective, il pourrait ainsi être possible de reconnaître, dans le passage qui expose que le cénobe constituait le but et le fondement des « échelons de la vie monastique » (gradus religionis), celui auquel Hymnemode avait fini par accéder après avoir mené une vie anachorétique, un écho reconsidéré des enseignements sur les gradus religionis de Cassien. En se situant dans 597. Quem cum vidisset vir venerabilis abba Caelestius, qui ipsi monasterio eo tempore praeerat, cum omni congregatione adtonitus in monasterii coenobio propter officium ei a rege traditum interim eum suscipere. Ad ubi obstinationem abbatis sanctus Hymnemodus supplicando superare non valuit, ad quamdam speluncam paulisper secessit. Illic detonsis capillis capitis sui omni in Deum cogitatione iactata, ad monasterium quod expetierat rediit ; sicque susceptus et sanctae congregationi adiunctus, gradibus religionis cum omni caritate et humilitatis virtute proficiebat. Quantumque regis minaces insidiae procedebant, tantum ille in Christi servicio acrius excellebat, adeo ut non post multum temporis, sancto Caelestio abbate de hoc saeculo ad Christum megrante, ipse Deo favente ex totius congregationis consensu fratrum supplicationibus vix coactus, abba loco eius succederet : ibid., p. 154-155 (p. 168 pour la traduction ici légèrement retouchée).

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cette hypothèse, la Vita abbatum Acaunensium aurait renversé l’enseignement de Cassien, qui considérait que le moine devait ouvrir son chemin par le cénobe avant de le poursuivre dans les cellules anachorétiques, pour désormais faire du cénobitisme le stade suprême de la vie monastique, témoignant ainsi des transformations que connaissait alors le monachisme gaulois. La Vita abbatum Acaunensium nous donne une autre évocation de Grigny, lorsqu’elle aborde la Vie d’Achivus, qui devait devenir le troisième abbé d’Agaune entre 520 et 523. Selon ce texte, Achivus aurait « dans sa jeunesse servi comme soldat avec son père Héraclius dans le territoire de Grenoble598 », mais « ayant pris en aversion les séductions de ce monde », il aurait décidé de rejoindre « le monastère de Grigny » (monasterium Grenencense). Pour notre propos, ce passage mérite d’être souligné, dans la mesure où il associe le monastère de Grigny au « territoire de Grenoble ». Malgré les pressions de sa famille, qui ne voulait pas le voir abandonner les siens et ses perspectives de carrière, Achivus aurait été reçu à Grigny et serait devenu l’un des proches de l’abbé Hymnémode, qu’il aurait par exemple accompagné lors de l’un de ses séjours à Lyon599. C’est pourquoi, lorsqu’il avait quitté en 515 Grigny pour prendre la direction d’Agaune, l’abbé Hymnémode aurait décidé de confier à Achivus « la celle et la congrégation du monastère de Grigny600 », lui assurant ainsi sa succession abbatiale à Grigny. Cette même Vita abbatum Acaunensium évoquait aussi le monastère de Grigny, lorsqu’elle décrivait, dans sa Vie d’Hymnémode, les réactions qu’aurait provoquées son départ de cet établissement, pour recevoir en 515 l’abbatiat d’Agaune : Plusieurs personnes cependant, en particulier les incomparables abbés Ursole et Just, qui l’avaient toujours traité presque comme leur égal parce qu’ils l’aimaient, tentaient de l’en dissuader pour ne pas être privés de sa vue. De même, saint Victorius, évêque de la cité de Grenoble, qui supportait avec difficulté d’être privé de sa présence, le flattait par de doux propos ; et même plus tard, alors qu’il se rendait à la basilique des saints, il le priait avec insistance en présence de la communauté de se faire un devoir de rendre visite aux frères et à l’Église qui l’avaient éduqué601.

Ce passage est d’une grande importance, dans la mesure où il implique que le site de Grigny se situait manifestement dans le diocèse de Grenoble. L’évocation de la peine que l’évêque Victorius de Grenoble aurait pu éprouver, à l’idée que le départ d’Hymnémode pour Agaune allait le priver de sa vue, est d’autant plus signifiante que la Vita abbatum Acaunensium avait utilisé une formule tout à 598. In adulescentia cum patre Heraclio in Gratianopolitano territorio militiam agitavit : Vie des abbés d’Agaune, cit., 9, p. 159-160. 599. Ibid., 2, p. 155. 600. […] cellam monasterii Grenencensis vel congregationem : ibid., 4, p. 157. 601. Plures tamen, praesertim incomparabiles viri Ursolus et Justus abbates, qui illum semper secum supparem habuerunt, ne de eius aspectu divellerentur amoris causa in veniendo dissimulabant. Idem sanctus Victorius Gratianopolitanae civitatis episcopus ingrate ferens quod corpore ei absentaretur liniebat, quem etiam postea occurens sanctorum basilicae multis precibus coram fratribus precabatur ut deberet fratres vel ecclesiam quae eum educaverat visitare : ibid., p. 157 (p. 170 pour la traduction).

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fait semblable pour évoquer la tristesse que l’évêque Viventiole de Lyon et les frères de l’Île-Barbe auraient ressentie, lorsque l’abbé Ambroise était parti pour Agaune602. Dans un cas comme dans l’autre, la Vita abbatum Acaunensium renvoyait, de manière rhétorique, aux réticences que les ordinaires de ces monastères auraient légitimement éprouvées, lorsque le roi Sigismond avait demandé à leurs abbés de quitter leurs établissements, afin de peupler l’abbaye qu’il avait fondée à Agaune. Cette interprétation fait d’autant moins de doutes que ce passage se terminait en expliquant que l’évêque Victorius de Grenoble aurait prié Hymnémode de rendre visite à ses frères de Grigny et à « l’Église qui l’avait éduqué », ce qui désignait de nouveau ici manifestement l’Église de Grenoble. Ce point a d’ailleurs été de longue date relevé par l’érudition, en particulier par Bruno Krusch, qui avait étudié de près la Vita abbatum Acaunensium, pour l’édition qu’il en avait donnée dans les Monumenta Germaniae Historica603. Selon la perspective hypercriticiste qui le caractérisait, Krusch avait abordé cette œuvre hagiographique pour tenter de démontrer, dans l’introduction de son édition comme dans un article paru en 1895, que la Vita abbatum Acaunensium aurait été rédigée par un faussaire écrivant au ixe siècle. Pour ce faire, il avait relevé que la Vita abbatum Acaunensium situait manifestement Grigny dans le diocèse de Grenoble, ce qui lui avait semblé prouver que ce texte était apocryphe, dans la mesure où il considérait, selon l’interprétation alors dominante, que « les “monasteria Grinincensia” sont notoirement situés près de Vienne et appartenaient au diocèse d’Avit604 ». Comme l’avaient démontré Marius Besson, puis Éric Chevalley et Cédric Roduit dans des travaux récents, la critique que Krusch avait établie de la Vita abbatum Acaunensium n’est toutefois pas soutenable605. Comme nous le verrons plus loin, l’érudition a établi que ce texte ne peut en effet constituer une œuvre carolingienne, mais a bel et bien été rédigé à Agaune par un proche de l’abbé Achivus, au plus tard trois ans après son décès. Dans ces conditions, l’argument de Krusch se retourne, puisqu’il est inconcevable que l’auteur de la Vita abbatum Acaunensium aurait pu se tromper sur la localisation du site de Grigny, dont provenaient deux des quatre premiers abbés de son établissement et une importante partie des frères avec qui il vivait quotidiennement. Ces éléments amènent donc à donner une très forte autorité au témoignage de la Vita abbatum Acaunesium et à conclure qu’il atteste clairement que le monastère de Grigny relevait de l’Église de Grenoble.

602. Sanctus vero Viventiolus urbis eius episcopus vel fratres quos ipse abba regere videbatur maerore gravi persulsi sunt : ibid., 7, p. 158. 603. Vita abbatum Acaunensium, éd. B. krusch, Hanovre, 1896 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 3), p. 171-183. 604. B. krusch, « La falsification des vies de saints burgondes », dans Mélanges Julien Havet. Recueil de travaux d’érudition dédiés à la mémoire de Julien Havet (1853‑1893), Paris, 1895, p. 39-56 ici p. 50. 605. M. Besson, Monasterium Acaunense. Études critiques sur les origine de l’abbaye de St‑Maurice en Valais, Fribourg, 1913, p. 141-159 et Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 117-120.

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Cette interprétation se heurte à une difficulté, dans la mesure où il faudrait convenir qu’Avit était allé visiter les monastères de Grigny, alors qu’ils relevaient du territoire diocésain de l’évêque de Grenoble. Cet argument est toutefois loin d’être décisif, dans la mesure où nous avons déjà pu voir que le troisième concile d’Arles ou encore les homélies du pseudo-Eusèbe Gallican montrent que des évêques extérieurs au diocèse de Fréjus ont pu intervenir à Lérins, ce qui avait, il est vrai, suscité des tensions avec l’ordinaire. Dans le cas d’Avit, il faut souligner que sa présence aurait eu plus de légitimité, dans la mesure où l’Église de Grenoble ressortait de la Viennoise, ce qui lui permettait d’y disposer des pouvoirs d’un métropolitain. Plus fondamentalement, il convient de rappeler qu’Avit était un évêque un peu particulier, qui exerça une autorité exceptionnelle, surtout après 515, dans les trois dernières années de son épiscopat, qui sont précisément celles durant lesquelles il écrivit sa lettre à Maxime de Genève. Comme l’ont souvent constaté les historiens, Avit semble avoir alors disposé, sans doute en raison de ses relations privilégiées avec Sigismond, d’une forme de primatie sur toutes les Églises placées sous le pouvoir des rois burgondes, ce qui l’amenait à intervenir largement en dehors de sa province, y compris par exemple dans les affaires de l’Église de Lyon, où il semble avoir bénéficié d’une autorité indiscutée606. Ces pouvoirs l’amenaient aussi à s’immiscer dans des monastères qui ne relevaient normalement pas de son autorité diocésaine, comme ce fut le cas à Agaune, un établissement pourtant éloigné de sa cité, où, comme nous le verrons, il se chargea de prononcer l’homélie d’inauguration, aux dépens de l’ordinaire. Dans un tel contexte, même si Grigny ne relevait pas du diocèse de Vienne, la présence d’Avit n’aurait à l’évidence rien eu d’atypique. Par ailleurs, ce même passage nous apporte une autre donnée majeure, lorsqu’il affirme que les abbés Ursole et Just auraient tenté de dissuader Hymnémode de rejoindre Agaune. En expliquant que ces deux abbés ne voulaient pas que l’abbé Hymnémode puisse être soustrait à leur vue, ce texte nous amène à conclure que les abbés Ursole et Just vivaient dans le même monastère que l’abbé Hymnémode. Étant donné que la Vita abbatum Acaunensium n’utilisait le terme d’abbas que dans un sens institutionnel, pour désigner le supérieur d’un monastère, ces titres donnent évidemment à penser que les abbés Ursole et Just devaient diriger l’une des communautés qui constituaient ce que l’évêque Avit avait appelé « les monastères de Grigny ». Comme la Vita abbatum Acaunensium affirme par ailleurs que les abbés Ursole et Just avaient une telle affection pour l’abbé Hymnémode qu’ils le considéraient comme leur « presque égal » (supparem), elle témoigne aussi que ces deux abbés jouissaient d’un statut manifestement supérieur à celui d’Hymnémode. Un tel état de fait pourrait donner à penser que ces deux abbés avaient la charge de la direction d’une communauté anachorétique, à l’image des trois ascètes qui, selon Cassien, étaient en charge des anachorètes des îles d’Hyères. La sublimité propre à l’état anachorétique permettrait en effet expliquer qu’ils 606. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., p. 242-263, en particulier p. 255-262.

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auraient pu y disposer d’un statut supérieur à celui de l’abbé Hymnémode, qui était, selon le témoignage de la Vita abbatum Acaunensium, chargé de la direction du « cénobe du monastère » de Grigny. La quatrième et dernière évocation du site de Grigny provient de la Vita sancti Clari (BHL 1825)607, un texte traditionnellement daté de la période carolingienne, que Nathanaël Nimmegeers a récemment proposé de situer au temps de l’archevêque Léger de Vienne (1030-1070)608. Cette redatation peut sans doute emporter l’adhésion, en particulier parce qu’elle est cohérente avec la structure même de cette Vie, qui est à l’évidence postérieure à la chronique de l’archevêque Adon de Vienne († 875), dans la mesure où elle reprend certaines de ses informations, tout en en rajoutant de nouvelles. Surtout, l’évocation de la Vita sancti Clari dans une charte donnée le 3 novembre 1036 par l’archevêque Léger, qui établissait dans l’église Saint-Ferréol une communauté de moines venus de l’abbaye SaintVictor de Marseille609, peut sembler par trop opportune pour ne pas penser que ce texte aurait été rédigé pour l’occasion. Tous ces éléments amènent donc à suivre Nathanaël Nimmegeers et à considérer ce texte, rédigé dans un latin de très médiocre facture, comme une Vie tardive, sans doute composée en 1036, dans le contexte de l’installation d’une communauté monastique dans l’église SaintFerréol de Vienne610. Une telle redatation implique qu’il ne faut donc pas accorder trop d’autorité à la description des monastères de Grigny que donnait ce texte, dans la mesure où il s’attachait à dresser un tableau du monachisme viennois à l’époque où saint Clair était censé avoir vécu, autrement dit au viie siècle, qui avait donc été composé à plus de trois cents ans de distance, selon une perspective largement conditionnée par les ambitions de l’Église de Vienne : Il y avait alors au temps de l’homme diligent et agréable à Dieu, l’évêque Chaoalde de l’Église de Vienne, des monastères aussi bien d’hommes que de moniales, vivant par une pieuse rigueur sous une sainte profession, tant dans la cité que hors des murs de la cité, dont les principaux étaient ceux qu’il dirigeait : les monastères de Grigny, fondés par les saints pontifes de la ville, dans lesquels étaient grandement vénérés les os du saint martyr Ferréol qui y reposait, celui de la sainte vierge Colombe ayant 30 moniales, tandis que les lieux de Grigny nourrissaient 400 moines611.

607. Vita santi Clari, cit. 608. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 255-256. 609. L. riPart, « La charte de donation du monastère viennois de Saint-Ferréol à l’abbaye de Saint-Victor de Marseille (3 novembre 1036) », dans A. niJenhuis-Bescher, É.-A. PéPy et J.-Y. chamPeley (éd.), L’Honnête homme, l’or blanc et le Duc d’Albe. Mélanges offerts à Alain Becchia, Chambéry, 2016 (Sociétés, religions, politiques 35), p. 201-222. 610. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 256. 611. Erat tunc temporis vir strenuus et Deo placitus, Viennensis ecclesiae pontifex Cadoldus, monasteria tam virorum quam sanctimonialum, sub sancta professione viventium pia districtione, tam in civitate quam extra muros civitatis, haec praecipua erant quae regebat : Grinianensium cœnobia, a sanctis pontificibus urbis fundata, in quorum maximo ossa beatissimi Ferreolis martyris condita venerabantur, sanctimonialum beatae virginis Columbae, triginta monachas habens, nam Grinianensium loca quadrigentos monachos alebant : Vita santi Clari, cit., p. 55.

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Ce texte évoque de manière très confuse la basilique saint Ferréol, mais aussi l’église viennoise de Sainte-Colombe612, ce qui a amené l’historiographie à penser que la Vita sancti Clari aurait affirmé que ces deux établissements correspondaient aux monastères de Grigny. Même si le texte est peu clair, il peut sembler plus conforme à la syntaxe hésitante de ce passage de considérer que l’auteur de la Vita sancti Clari n’a voulu identifier les « monastères de Grigny » (Grinianensium cœnobia) qu’avec les seuls moines de la basilique de saint Ferréol, dans la mesure où il oppose clairement les 30 moniales, qui auraient vécu à Sainte-Colombe, aux 400 moines de Saint-Ferréol, qui auraient occupé les Grinianensium loca. Sans doute peut-on penser que ses hésitations témoignent de sa difficulté à traiter de la pluralité de ces « monastères de Grigny », selon une expression qu’il avait manifestement puisée dans la lettre d’Avit à Maxime, dont l’Église de Vienne devait alors disposer d’une copie, mais dont il devait probablement avoir alors du mal à saisir le sens613. Ce témoignage a en tout cas été souvent repris par l’érudition viennoise qui l’a traditionnellement pris au sérieux, en considérant qu’il attesterait de l’existence à l’époque mérovingienne d’une communauté monastique dans l’église de Saint-Ferréol, voire même d’un monastère double d’hommes et de femmes, que l’érudition a souvent eu tendance à situer à Saint-Ferréol et à Sainte-Colombe614. Cette interprétation est toutefois des plus problématiques, dans la mesure où aucun autre texte avant l’an mil n’évoque la présence d’un monastère, ni à SainteColombe, ni à Saint-Ferréol. Une telle hypothèse est même en contradiction avec les sources, qui évoquent à plusieurs reprises la basilique viennoise de SaintFerréol, sans jamais la considérer comme le siège d’un monastère. La première de ces évocations ressort de la longue Passion de Julien, rédigée par Grégoire de Tours (BHL 4541), qui affirme certes que de nombreux abbés et moines auraient accouru pour prêter main-forte sur le chantier de construction de la basilique consacrée à saint Ferréol, mais n’évoque en revanche jamais la présence d’une véritable communauté monastique autour de cette église615. Il en va de même pour chacune des deux Passions de saint Ferréol (BHL 29112912), qui décrivent assez précisément le culte rendu au martyr dans la basilique que les Viennois lui avaient consacrée, sans jamais y mentionner la présence de moines616. Les martyrologes carolingiens de l’anonyme lyonnais et d’Adon vont 612. Sur l’église Saint-Colombe, v. G. granier, « Recherches récentes sur le site de la place de l’égalité (Sainte-Colombe, Rhône) », Socio‑anthropologie, 22 (2008), p. 23-37 et nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 106. 613. Sur la tradition de l’épistolier d’Avit : avit de vienne, Lettres, cit., p. LXXXIII-CLV. 614. Gallia pontificia… III. Province ecclésiastique de Vienne, 1. Diocèse de Vienne, cit., p. 233-136. 615. gregoire de tours, Liber de passione et virtutibus sancti Juliani martyris, éd. B. krusch, Hanovre, 19692 (MGH, Scriptores rerum Merovingarum, 1/2), p. 112-134, avec la mention p. 115 de la présence de nombreux abbés et moines venus pour l’inauguration de la basilique. 616. Éd. et trad. J.-P. reBoul, « Le martyr Ferréol dans les sources écrites », dans J.-L. Prisset (éd.), Saint‑ Romain‑en‑Gal aux temps de Ferréol, Mamert et Adon. L’aire funéraire des thermes des Lutteurs (ive‑xe siècle), Turnhout, 2015 (Bibliothèque de l’Antiquité Tardive 28), 2 vol., t. I, p. 481-554, ici p. 494-499.

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dans le même sens, puisqu’ils affirment que les reliques de Ferréol reposaient dans une basilique, sans évoquer non plus l’existence d’un quelconque monastère617. Le même constat ressort enfin de la chronique d’Adon de Vienne, qui mentionna l’église Saint-Ferréol en la qualifiant de domus et non de monaste‑ rium618. Tous ces textes ne laissent donc pas place au doute : durant le haut Moyen Âge, l’église Saint-Ferréol était manifestement desservie par un collège de clercs. Ce constat n’exclut évidemment pas que quelques moines eussent pu, de manière ponctuelle ou pérenne, partager la vie de cette communauté cléricale, comme cela semble avoir été souvent le cas dans les basiliques martyriales d’époque mérovingienne619. Pour autant, l’éventuelle présence de moines au sein du collège de clercs chargé de desservir le culte de saint Ferréol ne pourrait évidemment suffire pour le transformer en un véritable monastère. En ce sens, l’assimilation par la Vita sancti Clari de l’église Saint-Ferréol aux « monastères de Grigny » ne peut relever que d’une recomposition mémorielle tardive, qui ne s’est à l’évidence mise en place que dans le contexte de la fondation en 1036 d’un monastère dans cette église, qui n’en avait manifestement jamais accueilli auparavant. Prise au piège de la Vita sancti Clari, l’érudition viennoise a toutefois longtemps cherché à situer les monastères de Grigny dans l’église Saint-Ferréol, ce qui n’est pourtant pas compatible avec le témoignage de la lettre d’Avit à Maxime et encore moins sans doute avec celui de la Vita abbatum Acaunensium. Elle s’est ainsi laissée entraîner dans des débats d’autant plus complexes que la localisation de l’église Saint-Ferréol constitue une affaire particulièrement délicate, puisque cette basilique a changé au moins deux fois d’emplacement. Le premier de ces déplacements est attesté par Grégoire de Tours, qui affirme que la basilique originelle avait dû être déplacée sous l’épiscopat de Mamert (vers 449-vers 473), puisque son site aurait été sujet à des inondations lors des crues du Rhône620. Le second déplacement ressort de la Chronique d’Adon, qui explique que cette deuxième église aurait été abandonnée après avoir été incendiée par les Sarrasins. Selon ce récit, l’évêque Willicaire de Vienne (vers 731-vers 732) aurait alors décidé de relever les reliques de saint Ferréol et du martyr Julien, qui avaient été déposées dans cette basilique, pour les recueillir intra muros dans une église viennoise, qui peut être identifiée avec le bâtiment construit légèrement au nord

617. Éd. et trad. reBoul, « Le martyr Ferréol dans les sources écrites », cit., p. 526-527. 618. adon de vienne, Chronicon, cit., col. 122. 619. H. noiZet, « Les basiliques martyriales au vie et au début du viie siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, 87 (2001), p. 329-355. 620. Basilica sancti martyris Ferreoli super ipsum Rhodani litus ab antiquis fuerat collocata. Denique cum, impulsante violentia amnis, porticus, quae ab ea parte erat locata, corrueret, providens sacerdos Mamertus nomine, qui hunc Viennensim regebat ecclesiam, ruinam futuram praeveniens, aliam basilicam eleganti opere et in ipsa mensura sagaci intentione construxit : grégoire de tours, Liber de passione et virtutibus sancti Juliani martyris, éd. B. krusch, Hanovre, 19692 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 1/2), p. 112-134, ici p. 114-115.

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du groupe épiscopal, dans lequel l’archevêque Léger devait installer un monastère en 1036621. Les récentes fouilles du site archéologique de Saint-Romain-en-Gal semblent avoir permis de localiser la première basilique Saint-Ferréol, dans la mesure où il existe de solides arguments pour l’identifier avec l’édifice à vocation funéraire de la fin du ve siècle, qui a été identifié dans les anciens thermes viennois des Lutteurs622. Plus compliquée est en revanche la localisation de la seconde église Saint-Ferréol, que Jean-François Reynaud avait dans un premier temps proposé d’identifier avec le bâtiment paléochrétien découvert en 1977, à environ un kilomètre au nord-ouest des anciens thermes des Lutteurs, légèrement en dessous de l’actuelle église paroissiale de Saint-Romain-en-Gal623. Cette hypothèse a été aujourd’hui largement abandonnée, car ce site se trouvant dans une zone potentiellement inondable par les crues du Rhône, il n’est pas compatible avec le texte de Grégoire de Tours, qui affirmait que Mamert l’aurait fait bâtir pour que les reliques de saint Ferréol pussent être à l’abri d’un nouveau débordement de ce fleuve624. Jean-François Reynaud est donc récemment revenu sur sa première hypothèse pour proposer d’identifier la deuxième basilique Saint-Ferréol avec l’église paroissiale de Saint-Romain-en-Gal, bâtie sur une terrasse alluviale qui domine le lit du Rhône d’une vingtaine de mètres, la mettant ainsi à l’abri d’une inondation625. L’hypothèse est séduisante, mais reste fragile, d’autant que les données archéologiques ne permettent pas en l’état de dater l’édification de l’église paroissiale de Saint-Romain-en-Gal. Quel que soit toutefois l’intérêt des débats que suscite depuis de nombreuses années l’identification des trois églises viennoises successivement dédiées au culte de saint Ferréol, l’essentiel est pour notre propos de souligner que la critique du témoignage de la Vita sancti Clari nous aura montré que cette question ne concerne en rien la localisation du monastère de Grigny, dont le destin n’a croisé celui des basiliques Saint-Ferréol qu’en raison des reconstructions mémorielles auxquelles l’Église de Vienne s’est adonnée, au temps de l’archevêque Léger (1030-1070). Dès lors, où faut-il situer les monastères de Grigny ? La première hypothèse serait de suivre la logique toponymique, puisqu’il existe aujourd’hui sur la rive droite du Rhône, à une petite quinzaine de km au nord-ouest de Vienne, une 621. Qui [Wilicarius] ob cladem Sarracenorum, cum esset domus praeclarissima martyrum citra Rhodanum ab eis iam incensa, ossa beati Ferreoli cum capite Juliani martyris intra urbem transtulit, eisque accelerato opere, non magno pretio ecclesiam construxit, ubi et eorumdem martyrum reliquias reverenter composuit : adon de vienne, Chronicon, cit., col. 122. 622. J.-L. Prisset (éd.), Saint‑Romain‑en‑Gal aux temps de Ferréol, Mamert et Adon. L’aire funéraire des thermes des Lutteurs (ive‑xe siècle), Turnhout, 2015 (Bibliothèque de l’Antiquité Tardive 28), 2 vol. 623. J.-F. reynaud, « L’église funéraire Saint-Ferréol-outre-Rhône », dans M. Jannet-vallat, R. lauxerois et J.-F. reynaud (éd.), Vienne (Isère) aux premiers temps chrétiens, Lyon, 1986 (Guides archéologiques de France), p. 61-64. 624. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 106-107. 625. J.-F. reynaud, « Réexamen de l’identification de la basilique Saint-Ferréol », dans J.-L. Prisset (éd.), Saint‑Romain‑en‑Gal aux temps de Ferréol, Mamert et Adon. L’aire funéraire des thermes des Lutteurs (ive‑xe siècle), Turnhout, 2015 (Bibliothèque de l’Antiquité Tardive 28), 2 vol., p. 315-318.

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commune du département du Rhône qui porte précisément le nom de Grigny. Plus exactement, c’est sur la base de cette identification traditionnelle, que l’historiographie a été amenée à donner à ces monastères le nom de « Grigny », dont nous ne connaissons en fait que le toponyme latin, sous les formes adjectivales de Grinescensis, Grinincensis, Grenencensis et Grianianensis. En réalité, s’il est tout à fait possible que ces formes aient pu donner le toponyme moderne de « Grigny », elles pourraient néanmoins tout aussi bien correspondre à d’autres toponymes français, comme Grinieux, Greny, Grinay et bien d’autres formes encore. Si l’identification de ces monastères avec le lieu actuel de Grigny a toutefois pu sembler tentante626, elle pose toutefois au moins trois difficultés. La première est que la commune de Grigny n’est pas suffisamment éloignée de Vienne pour correspondre aux données fournies par la lettre d’Avit à Maxime, dans la mesure où nous avons vu que l’évêque de Vienne devait effectuer un voyage consistant pour revenir des « monastères de Grigny ». Un tel constat est difficilement compatible avec un lieu distant de seulement 15 km du cœur de la ville de Vienne, qu’Avit aurait donc pu rejoindre en seulement une demi-journée. Le deuxième problème est que la paroisse de Grigny dépendait au Moyen Âge de l’Église de Lyon, ce qui n’est pas en cohérence avec les données fournies par la Vita abbatum Acaunensium, qui situe le monastère sur le territoire de Grenoble. La troisième difficulté provient de l’absence de toute trace archéologique ou historique d’un monastère sur le territoire de l’actuelle commune de Grigny. Tous ces éléments amènent donc à abandonner cette hypothèse et à chercher ailleurs, en particulier sur le territoire de la cité de Grenoble, le site des anciens monastères de Grigny. Dans ce contexte, il faut accueillir avec intérêt l’identification par Marie-José Ancel d’un probable établissement monastique, sur le site des Communaux de la commune d’Aoste (Isère), à environ 65 km à l’est de Vienne et à 55 km au nord de Grenoble627 (fig. 19). Cette découverte s’est faite dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive menée durant l’été 2016, sur une surface d’environ 17 000 m2, dans un espace situé à la confluence du Rhône, de la Bièvre et du Guiers. Destiné à être aménagé en zone industrielle, ce site disposait d’un potentiel archéologique important, dans la mesure où il se situait à seulement 1 km au nord de l’agglomération antique d’Aoste, le long des chenaux qui reliaient durant l’Antiquité ce bourg aux installations portuaires établies sur le Rhône. Aux premiers siècles de l’empire romain, Aoste constituait en effet un vicus dynamique d’une réelle importance, en raison de sa situation sur un carrefour routier, où les routes qu’empruntaient les voyageurs venus de l’Italie se séparaient pour poursuivre en direction de Lyon ou de Vienne628. Si l’évolution d’Aoste durant l’Antiquité tardive est mal connue, il semble que cette agglomération ait toutefois 626. riPart, « De Lérins à Agaune : le monachisme rhodanien reconsidéré », cit., p. 157. 627. M.-J. ancel, Aoste « Les Communaux – ZAC PIDA » (38). Rapport d’opération d’archéologie préventive, SRA Auvergne Rhône-Alpes/Archeodunum, 2017. 628. J. rougier, Aoste la romaine. Approche archéologique d’un vicus gallo‑romain, Saint-Étienne, 1988 et J.-P. JosPin, « Uicus Augusti : Aoste, Isère », Revue archéologique de Narbonnaise, 38-39 (2005), p. 61-72.

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Figure 19 : À la recherche du monastère de Grigny : carte de localisation.

continué à exercer alors un certain rayonnement, dont témoigne en particulier l’épitaphe d’une vierge consacrée (sacra D(e)o puella), insérée dans un mur de l’église Saint-Clair d’Aoste, que son dernier éditeur a proposé de dater des années 485-520629. Cette inscription a en effet été probablement récupérée sur place, à la fin du xixe siècle, par les bâtisseurs de cette église paroissiale de style néo-roman, qui ont réemployé dans leur construction de nombreuses pierres issues des ruines de l’agglomération antique630. Les fouilles archéologiques dirigées par Marie-José Ancel ont permis de dégager sur ce site les fondations d’une église paléochrétienne en pierre, qui occupait un espace d’environ 123 m2. Ce bâtiment ecclésiastique comportait une nef orientée, divisée en deux espaces, qui était sans doute précédée d’un porche et disposait de galeries et d’annexes sur ses latéraux nord et sud. En raison du caractère marécageux de ce terrain, l’église avait été construite sur des fondations sur pieux, dont l’un a pu être daté par radiocarbone dans une fourchette comprise 629. Recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures à la Renaissance carolingienne, 15, Viennoise du Nord, cit., no 280, p. 717-720. 630. S. Bleu et C. delomier, « Aoste », ADLFI. Archéologie de la France – Informations, Rhône-Alpes, 2007 : http ://journals.openedition.org/adlfi/7055

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entre 406 et 544, tandis que deux prélèvements sur des charbons, retrouvés dans les fondations, ont pu être situés dans une fourchette comprise, pour le premier, entre 426 et 588 et, pour le second, entre 505 et 609. Un espace funéraire de 200 m2, s’étendant dans et à côté de l’église, a pu être identifié et 23 sépultures avérées et 7 autres probables ont pu être dégagées. Parmi ces sépultures, 4 ont pu faire l’objet d’une datation au radiocarbone, qui a permis de les situer dans une fourchette allant, pour deux d’entre elles, du ve au milieu du vie siècle et, pour les deux autres, du vie au milieu du viie siècle. La population inhumée était largement composée d’hommes adultes, avec quelques tombes d’enfants et une sépulture féminine, qui occupait une position privilégiée, au centre du porche, à l’entrée de l’église. Bien que le nombre de sépultures identifiées soit faible et que l’état de décomposition de certaines d’entre elles n’a pas permis leur identification sexuelle, la population inhumée semble donc présenter des caractéristiques d’âge et de sexe qui ne sont pas celles d’une nécropole rurale. Même s’il faut faire preuve de prudence, la population inhumée pourrait donc correspondre à celle d’un monastère masculin, tandis que la tombe féminine pourrait être interprétée, eu égard à son emplacement, comme celle d’une éventuelle fondatrice. L’église a été bâtie au sein d’un enclos d’une superficie d’environ 2 700 m2, qui avait été délimité par une double enceinte fossoyée. L’espace ainsi circonscrit présente de très nombreux trous de poteaux, qui témoignent de la présence de bâtiments en bois, destinés à l’habitation ou à la conservation de produits agricoles, qu’il n’est malheureusement pas possible de restituer dans leur totalité. Au moins sept de ces bâtiments semblent avoir eu une fonction d’habitation, sans qu’il soit toutefois possible de savoir s’ils ont fonctionné de manière contemporaine. De taille relativement modeste, ces bâtiments avaient une surface moyenne d’une quinzaine de m2, ce qui a pu amener Marie-José Ancel à les interpréter comme des cellules monastiques et non comme des maisons d’habitation familiales, qui sont usuellement de taille plus importante. Un huitième bâtiment, d’une taille plus importante, pouvant aller jusqu’à 36 m2, pose question, dans la mesure où il est situé dans l’axe de l’église, à seulement 4 m. de sa porte d’entrée. À côté de ces bâtiments d’habitation, l’enclos comportait aussi des greniers sur poteaux, dont au moins 13 ont pu être identifiés, ainsi qu’un puits et un bâtiment carré d’interprétation délicate, qui pourrait constituer une tour ou encore un pigeonnier. La céramique associée au site permet de situer le début de son occupation dans une fourchette allant de la deuxième moitié du ve à la première moitié du vie siècle. L’utilisation de ce site a clairement perduré jusqu’au viie siècle, date ultime des datations au radiocarbone, mais il semble probable qu’il soit resté en activité, sous une forme sans doute plus résiduelle, jusqu’à la période carolingienne, comme en témoigne la présence de céramiques caractéristiques des ixe-xe siècles. Les données générales du site découvert à Aoste, tant dans son espace funéraire que dans la typologie de ses bâtiments d’habitation, ont amené Marie-José Ancel à considérer qu’il ne pouvait correspondre à un village, mais qu’il présentait en revanche de fortes ressemblances avec le monastère de moniales d’Hamage,

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fouillé par Étienne Louis, qui constitue à ce jour le seul monastère d’époque mérovingienne qui ait pu être archéologiquement décrit631. Cette conclusion a donc amené Marie-José Ancel à proposer d’interpréter, avec prudence, ce site comme un ensemble monastique. Même si des travaux complémentaires s’imposent pour confirmer ou infirmer cette interprétation, cette identification semble assez bien étayée et fait actuellement l’objet d’un consensus parmi les spécialistes. Ce site exceptionnel présente un évident intérêt pour notre propos. Sa datation et sa localisation pourraient en effet correspondre aux données que fournissent la lettre d’Avit à Maxime et la Vita abbatum Acaunensium, même s’il faut rester très prudent, puisque la situation administrative d’Aoste dans l’Antiquité tardive ne nous est pas connue. Nous savons que l’agglomération d’Aoste relevait à la période gallo-romaine de la cité de Vienne, puis qu’elle était rattachée au Moyen Âge au diocèse de Belley, qui fut créé dans des conditions méconnues au milieu du vie siècle632. En revanche, sa situation dans l’Antiquité tardive reste obscure, puisque la documentation ne permet pas de savoir si elle relevait alors, comme au Haut-Empire, de la cité de Vienne ou si elle avait été rattachée à Grenoble, qui avait été détachée de Vienne pour être érigée au rang de cité, sans doute à la fin du iiie siècle633. La toponymie fournit néanmoins un argument non négligeable, dans la mesure où si le site découvert par Marie-José Ancel se situe sur la commune d’Aoste, il se trouve surtout à moins de 500 m. du village de Granieu, dont le nom pourrait tout à fait dériver du toponyme latin porté par les « monastères de Grigny », que nous connaissons par ses formes adjectivales de Grinescensis, Grinincensis, Grenencensis et Grianianensis. Enfin, l’identification de ce site avec les « monastères de Grigny » pourrait aussi expliquer pourquoi la fausse charte de fondation de Saint-Maurice d’Agaune avait accordé autant d’importance à Aoste, qu’elle est la seule source à considérer comme un chef-lieu de pagus vel territorium, à l’égal de Lyon, Vienne, Grenoble, Genève, le Valais, Avenches, Lausanne et Besançon. Une telle considération pourrait évidemment s’expliquer si Aoste pouvait être identifié avec les « monastères de Grigny », dans 631. é. louis, « Sorores et fratres in Hamatico degentes. Naissance, évolution et disparition d’une abbaye au haut Moyen Âge : Hamage (France, Nord) », De la Meuse à l’Ardenne, 29 (1999), p. 15-47 ; é. louis et J. Blondiaux, « L’abbaye mérovingienne et carolingienne de Hamage (Nord) : Vie, mort et sépulture dans une communauté monastique féminine », dans A. alduc-le Bagousse (éd.), Inhumations de prestige ou prestige de l’inhumation ? Expressions du pouvoir dans l’au‑delà (ive‑xve siècle), Caen, 2009 (Tables rondes du CRAHM 4), p. 117-149 ; é. louis, « Une église monastique du haut Moyen Âge dans le Nord de la France. Le cas de Hamage », dans m. gaillard (éd.), L’empreinte chrétienne en Gaule, de la fin du ive au début du ixe siècle, Turnhout, 2014 (Culture et société médiévales 26), p. 357-385 ; idem, « Espaces monastiques sacrés et profanes à Hamage (Nord), VIIe-IXe siècles », dans M. lauwers (éd.), Monastères et espace social. Genèse d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014 (Collection d’études médiévales de Nice, 15), p. 323-359 et idem, « Les indices d’artisanat dans et autour du monastère de Hamage (Nord) », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 8 (2015) : https ://journals.openedition.org/cem/13684. 632. nimmegeers, Évêques entre Bourgogne et Provence, cit., p. 58-59. 633. J. dalaison, « Les limites de la cité de Grenoble au Bas-Empire », Bulletin d’Études Préhistoriques et Archéologiques Alpines, 10 (1999), p. 95-103 et B. rémy et J.-P. JosPin, Cularo, Gratianopolis, Grenoble, Lyon, 2006, p. 28-30.

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la mesure où il s’agirait du lieu d’implantation de l’un des établissements, à partir desquels le monastère d’Agaune avait été fondé en 515634. S’il existe donc de sérieux arguments pour supposer que le site découvert par Marie-José Ancel à Aoste puisse correspondre aux anciens monastères de Grigny, ne serait-ce qu’en raison de sa proximité avec le toponyme de Granieu, la documentation ne fournit toutefois aucune preuve formelle et il n’est donc pas possible d’aller au-delà de la simple hypothèse. Elle a en tout cas le mérite de montrer que l’identification des anciens monastères de Grigny passera sans doute par une découverte archéologique, plutôt que par une nouvelle tentative pour l’assimiler à l’une des nombreuses églises martyriales qui se sont développées à Vienne au haut Moyen Âge, dans la mesure où la documentation démontre clairement que cet établissement ne peut avoir été un monastère viennois. Au terme de cette présentation des monastères viennois de la période tardoantique, force est donc de constater que le dossier s’avère aussi mince que compliqué. Si l’on peut penser qu’il a bien existé, sur l’actuel site de SaintAndré-le-Haut, un monastère de moniales, sans doute fondé à la fin du ve siècle par l’illuster vir Ansémond et les évêques Hésychius et Avit, qui l’avaient probablement placé sous la direction spirituelle de l’abbé Léonien, il faut toutefois conclure que la documentation ne permet pas d’identifier de véritables monastères masculins dans la cité de Vienne aux ve et vie siècles. Le constat s’impose : sans même revenir sur l’église Saints-Gervais-et-Protais, qui n’a à l’évidence jamais existé, ni Saint-Ferréol, ni Saint-Marcel, ni Saint-Pierre, ni même Saint-André-leBas n’ont manifestement accueilli de communautés monastiques à cette époque, tandis que la lettre d’Avit à Maxime implique qu’il n’est pas possible de situer les monastères de Grigny à Vienne, ni même dans son environnement immédiat, ce qui est confirmé par la Vita abbatum Acaunensium, puisque son témoignage démontre que cet établissement ressortait du territoire de la cité de Grenoble.

Le monastère insulaire d’Arles La documentation tardo-antique permet d’identifier dans la cité d’Arles un monastère insulaire, dont l’existence n’est toutefois connue que par le seul témoignage de la Vita Caesarii (BHL 1508). Selon ce texte, l’évêque Éone d’Arles aurait confié à son jeune parent Césaire, qui avait quitté quelques années auparavant le monastère de Lérins, la direction d’une communauté monastique établie dans une insula suburbana (« île suburbaine ») de la cité d’Arles : L’abbé du monastère situé dans une île suburbaine de la cité étant mort, saint Éone y envoie le bienheureux Césaire comme père, afin qu’en lui succédant dans la même position d’autorité révérée, il instruise selon la discipline de l’abbé le

634. […] in pagis vel territoriis Lugdenensi et Viennensi et Gratinopolitano et Augusta Cameraria et pago Genevensi seu et pago Valdensi et Aventicensi et Lausonensi et Besuntinensi : theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 80.

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monastère récemment désemparé par la mort de son chef. Dans ce cénobe suburbain, il embrassa alors de grand cœur le genre de vie qu’il s’appliquait à mener chaque jour, même à l’intérieur de la ville, et qu’il appelait constamment de ses vœux. Par son zèle quotidien ainsi que par la célébration des offices divins, il forma si bien ce monastère que, par la miséricorde de Dieu, le résultat y est encore visible aujourd’hui. Il assuma alors pendant un peu plus de trois ans la fonction abbatiale dans cette île635.

Selon la Vita Caesarii, Césaire aurait donc été abbé de ce « cénobe suburbain » (suburbanum coenobium) pendant un peu plus de trois ans, avant qu’il ne prît la succession d’Éone comme évêque d’Arles. Comme l’érudition a fixé au mois de décembre 502 l’élection épiscopale de Césaire636, son arrivée dans ce monastère insulaire devrait donc être située en 498/499. Bien que la documentation ne nous dise rien des origines de cet établissement, les historiens ont évidemment cherché à établir un lien entre la mise en place de ce monastère insulaire et la présence à Arles d’évêques d’origine lérinienne. Fernand Benoît et Friedrich Prinz avaient ainsi voulu rapprocher ce monastère de « la communauté éprise de solitude qui grandissait par la vertu de la continence637 », que l’évêque Hilaire aurait installée à Arles, selon le récit que donne la Vita Hilarii (BHL 3882)638. Une telle interprétation pouvait sembler fondée, dans la mesure où le monastère insulaire de Césaire a pu sembler correspondre à la description de cette « communauté éprise de solitude » qu’Hilaire aurait établie. Elle a toutefois été largement abandonnée, dans la mesure où l’érudition a préféré considérer que la congregatio d’Hilaire aurait relevé de l’une de ces communautés religieuses de type augustinien, qui se mettaient un peu partout en place autour des principaux évêques occidentaux à la fin du ive et au début du ve siècle639, à l’exemple de la fraternitas que nous avons vu s’établir auprès de l’évêque Proculus à Marseille. Un passage de la Vita Hilarii, qui affirme que l’évêque Hilaire « introduisit au cœur de la cité la ferveur des institutions érémitiques640 », pourrait permettre de confirmer cette dernière 635. […] defuncto abbate in suburbana insula civitatis dirigitur a sancto Eonio beatus Caesarius pater, ut monasterium, quod recensius fuerat destitutum abitu rectoris, ipse in eadem reverentiae auctoritate succedens ad disciplinam formaret abbatis. Suscepit ergo vitam in suburbano coenobio libens, quam etiam intra urbem cotidianis semper excolebat actibus, et votis semper optabat ; monasteriumque praedictum taliter cotidiana instantia et divinis informavit officiis, ut inibi hodieque Deo propitiante servetur. Dum ergo in antelata insula parum ultra triennium in abbatis officio conversatur : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 12-13, p. 162-165. 636. klingshirn, « Church Politics and Chronology : Dating the Episcopy of Caesarius of Arles », cit. 637. […] congregationem subito institueret secret cupidam, continentiae virtute crescentem : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 10, 20-21, p. 112-113. 638. F. Benoît, « L’Hilarianum d’Arles et les missions en Bretagne (Ve−VIe siècle) », dans Saint Germain d’Auxerre et son temps. Communications présentées à l’occasion du xixe congrès de l’Association bourguignonne des sociétés savantes réunie à Auxerre (29 juillet‑2 août 1948), Auxerre, 1950, p. 181-190 et PrinZ, Frühes Mönchtum im Frankreich, cit., p. 62. 639. honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., p. 33. 640. […] in media civitate heremetica fecit instituta fervere : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 7, 16, p. 104-105.

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interprétation. En affirmant qu’Hilaire aurait mis en place des « institutions érémitiques » dans le « cœur de la cité », cette phrase pourrait en effet indiquer que cet évêque aurait établi une communauté à l’intérieur de sa ville, plutôt que dans une île située dans le suburbium, mais il est aussi possible de penser qu’Hilaire aurait fondé deux établissements différents. Il semble surtout bien difficile de trancher la question sur la foi de ces expressions rhétorique d’une grande ambiguïté et, en l’état du dossier documentaire, force est de constater que la fondation que la Vita Hilarii attribue à Hilaire pourrait tout aussi bien correspondre à une communauté de type augustinienne installée dans la ville d’Arles, qu’au désert insulaire du suburbium que le jeune Césaire devait être amené à diriger. Malgré les hésitations dont a pu faire preuve l’historiographie au cours du xxe siècle641, le monastère de Césaire semble en tout cas pouvoir être localisé à la Cappe, une ancienne île établie dans le cours du Grand Rhône (fig.  20). Aujourd’hui atterrie, cette petite île se situait à environ 2 km au sud-ouest de la ville d’Arles, avant que l’évolution de la sédimentation et la modification du cours du fleuve ne l’ait rattachée, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, à la rive droite du Grand Rhône. Cette île fut pour la première fois mentionnée dans la documentation diplomatique par un acte du 23 mars 793, qui lui donna le nom « d’île Saint-André642 ». Le 7 novembre 824, une nouvelle charte l’évoquait, en la qualifiant d’insula suburbana civitatis, autrement dit en la désignant par les termes mêmes que la Vita Caesarii avait employés pour évoquer l’île qui abritait le monastère de Césaire, ce qui constitue un argument important pour autoriser son identification643. Connu par trois versions légèrement différentes, issues des cartulaires du chapitre d’Arles et des abbayes de Lérins et d’Aniane, mais aussi par une confirmation de Louis le Pieux644, cet acte enregistrait la donation par le comte Leibulfe à l’évêque Noton d’Arles de l’île de la Cappe avec ses deux églises, qui se trouvaient placées sous la dédicace de saint André et de saint Vincent. Bien que cette charte n’ait pas évoqué la présence de moines sur cette île, la mention d’une double église donne à penser qu’il s’agissait bien d’un lieu monastique, dans la mesure où la présence de ces deux édifices ne saurait se comprendre en un tel lieu en dehors d’un contexte monastique.

641. M. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, Rome, 2004 (Collection de l’École française de Rome 324), p. 290-293, même si la découverte d’une zone funéraire carolingienne sur le site de Trinquetaille, en rive droite du Rhône, a pu par la suite amener Marc Heijmans à estimer qu’une localisation à cet endroit du monastère de Césaire n’était pas tout à fait à exclure : Vie de Césaire d’Arles, cit., p. 314-315. 642. […] in locum quem vocant insula Sancti Andreae : L. Bonnemant, Cartulaire du chapitre de la sainte église d’Arles, ms Arles, 1775 (Bibl. Mun. d’Arles, ms 145), p. 149, cité par heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive, cit., p. 293, n. 290. 643. […] in pago Arelatense, insula suburbana ipsius civitatis que de utrasque partes circumdatur a Rodanum flumen, ecclesias IIas que sunt in honore sancti Andree vel sancti Vincenti : Cartulaire de l’abbaye de Lérins, éd. H. moris et E. Blanc, Paris, 1883-1905, 2 vol., t. I, no 247, p. 255-258. 644. P.-A. février, « La donation faite à Lérins par le comte Leibulfe », Provence historique, 6 (1956), p. 23-33.

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L’existence d’un monastère sur l’île est en tout cas attestée par un acte de 923, dans lequel l’archeArles vêque Manassès d’Arles donnait à Saint-Victor de Marseille « l’abbaye Saint-André, située dans le territoire de la ville d’Arles, dans une île de Camargue, sur le fleuve du Rhône645 ». Île de la L’île fut par la suite désignée sous le Cappe nom de « la Cappe », qui apparut pour 0 500 m la première fois dans un acte donné au milieu du xie siècle, sous la forme latine de Capa646. C’est sous ce topoFigure 20 : Le monastère insulaire d’Arles. nyme que l’île fut aussi évoquée dans les années 1150 par le cartulariste de Lérins, lorsqu’il mentionna « l’église Saint-André de la Cappe » (ecclesia sancti Andree de Cappa), dans la rubrique qu’il inséra au-dessus de sa copie de l’acte de 824647. Au xiie siècle, cette île de la Cappe se trouvait en possession de la famille arlésienne des Porcelet, comme en témoignent le testament de Rostaing Porcelet, qui légua aux hospitaliers le port de « la Cappe » en 1186, mais aussi une charte de 1199, par laquelle Guillaume Porcelet restituait à l’archevêque d’Arles « les églises sainte Marie et saint André de la Cappe », ou encore la donation aux hospitaliers d’un domaine situé près du port de la Cappe, que Sacristane Porcelet effectua en 1200648. Au xiiie siècle, les Porcelet y disposaient d’une forteresse, afin de contrôler le bac de cette île, qui offrait le seul passage possible entre les deux rives du Grand Rhône, au sud de la ville d’Arles649. Malgré l’absence de toute donnée archéologique, le dossier semble donc suffisamment étayé pour autoriser à identifier l’insula suburbana, sur laquelle avait été édifié le monastère de Césaire, avec l’île de la Cappe. Une telle situation n’est évidemment pas sans rappeler le monastère de l’Île-Barbe, avec lequel le monastère de Césaire mérite d’être rapproché, non seulement à cause de leur établissement commun sur une île rhodanienne, située dans le suburbium du chef-lieu de la cité 645. […] abbatiam sancti Andree, sitam in territorio urbis Arelatenis, in insula Camaricas, super flumen Rodani : Cartulaire de l’abbaye de Saint‑Victor de Marseille, éd. M. guérard, Paris, 1857 (Collection des cartulaires de France 8-9) 2 vol. t. I, no 1 p. 3-4. 646. […] terciam partem decime de insula […] in loco qui Capa nuncupatur : Cartulaire de l’abbaye de Lérins, cit., no 255, p. 270-271. 647. Cartulaire de l’abbaye de Lérins, cit., no 247, p. 255 ; pour la datation du cartulaire de Lérins, v. G. Butaud, « Listes abbatiales, chartes et cartulaires de Lérins : problèmes de chronologie et de datation (xie-xiie siècles) », dans Y. codou et M. lauwers (éd.), Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009 (Collection d’études médiévales de Nice 9), p. 365-444. 648. M. aurell, Actes de la famille Porcelet d’Arles (972‑1320), Paris, 2001 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Section d’histoire et philologie, Civilisation médiévale 8e série 27), no 167, p. 92 ; no 213, p. 130 et no 215, p. 131. 649. M. aurell, Une famille de la noblesse provençale au Moyen Âge, les Porcelet, Avignon, 1986, p. 74.

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dont ces deux monastères dépendaient, mais aussi en raison de la dédicace à saint André de leurs églises principales. Malgré l’absence de tout fondement documentaire, ce constat pourrait nourrir l’hypothèse que le monastère de Césaire avait été fondé par l’un des évêques lériniens d’Arles, probablement par Hilaire, qui aurait pu créer ce monastère insulaire dans le suburbium, ce qui ne l’aurait évidemment pas empêché pas d’avoir éventuellement fondé un établissement de type monastique pour le clergé de sa ville. Bien qu’il faille rester prudent, il est en tout cas remarquable que les deux cités rhodaniennes qui se dotèrent au ve siècle de monastères insulaires furent aussi celles qui avaient été le plus marquées, en la personne d’Hilaire et d’Eucher, par les fortes personnalités d’évêques issus des îles de Lérins.

* Cette présentation du monachisme tardo-antique dans la vallée du Rhône nous aura montré que le « monachisme rhodanien » constitue un concept dont l’ombre historiographique a largement dépassé le corps. Les avancées de la recherche archéologique et historique amènent en effet à revenir sur les jugements que les historiens du monachisme ont pu avancer, lorsqu’ils voyaient se diffuser dans les villes de la vallée du Rhône des ve et vie siècles une inexorable vague de monastères, qui aurait bouleversé la topographie urbaine. Les exemples de Saint-Victor-de-Marseille, de Saint-Martin d’Ainay, de Grigny, de Saint-Pierrede-Vienne ou encore de Saint-André-le-Bas en auront témoigné : les historiens se sont souvent laissés prendre par les reconstructions mémorielles des communautés monastiques qui, à l’âge carolingien ou féodal, ont cherché à enraciner fictivement leurs monastères dans les basiliques martyriales de l’Antiquité tardive, au prix d’habiles manipulations documentaires. Les recherches archéologiques, mais aussi et surtout la relecture critique des textes que les historiens ont effectuée ces dernières années, permettent désormais de remettre largement en cause cette perception et de décrire un nouveau paysage religieux des villes rhodaniennes tardo-antiques, où les monastères ont une place bien plus réduite que l’historiographie ne l’avait longtemps pensé. Les dossiers documentaires successivement analysés à Marseille, Lyon, Vienne et Arles, autrement dit dans les quatre principales villes de l’axe rhodanien, ne laissent aucun doute sur la question. Ils permettent en effet de conclure qu’aucune de ces agglomérations ne disposait au début du vie siècle d’un grand monastère masculin à l’intérieur de ses enceintes, ni d’ailleurs dans les basiliques martyriales établies sur le site des nécropoles, qui s’étendaient à la périphérie des villes. Le monachisme proprement urbain de la vallée du Rhône s’est en réalité limité à des communautés de type augustinienne, établies autour des groupes épiscopaux pour offrir un cadre de vie communautaire aux clercs de l’évêque, comme nous l’avons vu dans le cas de Marseille et peut-être aussi dans celui d’Arles. Le monachisme ne prenait ainsi une certaine consistance que dans le suburbium des cités, où des monastères se sont effectivement établis, à l’exemple de ceux

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qui se mirent en place à l’Île-Barbe et sur l’île de la Cappe. Toutefois, bien que ces établissements fussent proches de la ville, ils avaient été édifiés sur des sites insulaires, qui avaient vocation à les isoler clairement du milieu urbain, témoignant ainsi de la manifeste volonté de leurs fondateurs de les séparer de l’espace civique. La délicate question de l’identification du site de Grigny doit aussi se penser dans ce contexte historiographique, dans la mesure où la documentation nous impose là aussi de renoncer à situer ce monastère dans l’une des basiliques martyriales de la cité de Vienne, pour aller plutôt le chercher loin des villes et de leurs prélats, peut-être sur le site monastique d’Aoste récemment découvert par Marie-José Ancel. À l’évidence, les moines du sud-est de la Gaule souhaitaient rester fidèles aux directives de Cassien, qui avait enseigné dans ses Institutions que « le moine doit absolument fuir les femmes et les évêques650 », autrement dit la société urbaine. Peut-être faut-il toutefois apporter une nuance à ce constat, en soulignant qu’il n’est valable que pour les établissements masculins, car les cités rhodaniennes de l’Antiquité tardive ont en revanche vu s’implanter au sein de leurs murs des monastères féminins. En matière de moniales, le dossier est en effet loin d’être maigre, non seulement parce que les villes de Marseille et de Vienne disposaient chacune autour de 500 d’un monastère féminin intra muros, mais aussi parce que la ville de Lyon en possédait un au temps de Grégoire de Tours, auquel il faut aussi rajouter celui que nous verrons l’évêque Césaire édifier à Arles, dans un chapitre ultérieur. Le constat s’impose : au vie siècle, toutes les grandes villes de l’axe rhodanien disposaient donc intra muros d’un monastère féminin. En d’autres termes, s’il a existé un monachisme tardo-antique des villes rhodaniennes, celui-ci fut d’abord et avant tout un monachisme féminin et il s’agit là d’un aspect essentiel de la vie religieuse, que nous serons amenés à aborder plus particulièrement dans notre troisième partie. Ces dernières années, l’historiographie a beaucoup insisté sur l’introduction, dans les cités gauloises du ve siècle, des valeurs du monachisme provençal, par le biais des moines qui y avaient été élus évêques. Pour ce faire, les historiens ont souvent cité la lettre de Sidoine Apollinaire à l’évêque Fauste de Riez, l’ancien abbé de Lérins, dans laquelle l’évêque de Clermont lui rappelait son « expérience des prières des îles que vous avez rapportées des écoles de la communauté du désert […] pour les réintroduire aussi dans la ville, où vous dirigez la vie religieuse de l’Église651 ». Ce type de formulation, que l’on retrouve sous des formes proches dans d’autres sources652, témoigne incontestablement de l’influence ascétique que les évêques-moines de l’Antiquité tardive exercèrent sur la vie religieuse des cités dans lesquelles ils avaient été élus. Particulièrement emblématiques furent sur ce plan les orientations de leurs homélies, qui avaient amené Paul-Albert Février à souligner que l’originalité de ces évêques de culture lérinienne tenait à leur « souci 650. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., XI, 18, p. 445. 651. […] precum peritus insulanarum, quas de palaestra congregationis heremitidis […] in urbem quoque, cuius ecclesiae sacra superinspicis, transtulisti : sidoine aPollinaire, III. Correspondance, cit., IX, 3, p. 135. 652. V. par exemple honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 7, 16, p. 104-105.

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d’imposer des modèles très exigeants à la communauté des simples fidèles653 ». Pour autant, si les moines provençaux souhaitaient certainement convertir l’ensemble de la société chrétienne à la vie ascétique, ils semblent avoir en revanche manifesté une certaine réticence à l’idée d’installer leurs établissements au cœur même des villes. Dans cette Provence tardo-antique, qui nous paraît caractérisée tout à la fois par une forte culture monastique et par le rayonnement de ses villes, la faiblesse du monachisme masculin en milieu proprement urbain est sur ce point très signifiante. Elle témoigne de l’influence que la culture érémitique exerçait sur les milieux monastiques de la Gaule méridionale, qui étaient si fortement marqués par le sceau du désert qu’ils s’attachèrent manifestement à rester extérieur à ce monde pourtant encore très attrayant, que constituaient les grandes villes de la Provence méditerranéenne et rhodanienne.

conclusion Des monastères installés sur les îles d’Hyères et de l’archipel de Lérins jusqu’à ceux qui se mirent en place à l’Île-Barbe ou à Grigny et sur l’île de la Cappe, tous les établissements masculins que nous avons passés en revue, dans cette deuxième partie de notre étude, se sont indiscutablement inscrits dans une conception semblable de la vie monastique. Malgré la diversité de leurs situations concrètes, nous avons pu retrouver, d’un monastère à l’autre, des éléments d’une tradition manifestement commune, qui se caractérisait d’abord et avant tout par le choix de leurs moines de s’installer dans des lieux séparés du monde profane, dont témoigne l’appétence qu’ils manifestèrent pour les sites insulaires sur lesquels ils s’établissaient volontiers. Cette culture monastique était aussi marquée par l’organisation de communautés doubles, associant cénobites et anachorètes, mais aussi par l’affirmation d’une forte autonomie par rapport aux cités et à leurs évêques, y compris même dans le cas des monastères qui constituaient peu ou prou des fondations épiscopales, comme cela fut probablement le cas de Lerina, de l’établissement de l’île de la Cappe et peut-être aussi de celui de l’Île-Barbe. Dans un contexte où le monde romain voyait éclore en son sein des cultures ascétiques d’une très grande diversité, le chemin emprunté par les moines provençaux se caractérisa donc par une réelle unité. Ce constat ne signifie évidemment pas que ce monaschisme était totalement homogène, comme en témoigne l’existence de communautés de type augustinien autour des évêques, et encore moins qu’il se soit construit selon un modèle établi une fois pour toutes, qui aurait échappé à l’histoire. Comment définir les caractéristiques du chemin commun que tracèrent ces moines du sud-est de la Gaule ? Sans doute faut-il d’abord et avant tout souligner 653. P.-A. février, « Césaire et la Gaule méridionale au vie siècle », dans D. Bertrand, m.-J. delage, P.-a. février , J. guyon et A. de vogüé, Césaire d’Arles et la christianisation de la Provence. Actes des journées Césaire (Aix‑en‑Provence, Arles, Lérins, 3‑5 novembre 1988, 22 avril 1989), Lyon/Paris, 1994, p. 45-73, ici p. 71.

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens

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que leur projet spirituel les amenait à vouloir « introduire les pères de l’Égypte dans leurs cellules654 », pour reprendre une expression d’Eucher, qui définissait bien la nature profonde de cette tradition monastique marquée par son appétence pour l’érémitisme oriental. Il convient toutefois de rajouter que le modèle égyptien ne s’est pas diffusé dans le monde rhodanien par l’une de ces « règles des saints pères », dont nous n’avons en réalité pas la moindre preuve qu’elles seraient issues des monastères provençaux aux ve et vie siècles. À moins d’en développer une lecture forcée, les sources que nous avons parcourues montrent clairement que l’organisation religieuse de ces monastères ne relevait pas de l’adhésion à une « règle » particulière, selon une conception qui ne devait en fait s’imposer que durant les périodes suivantes. La direction de la vie monastique y était bien davantage pensée selon des modèles spirituels, par l’adhésion au modèle de vie et à l’enseignement d’un ou de plusieurs anciens, qui se trouvaient reconnus comme des maîtres, à l’exemple des pères Caprais, Sabin ou Léonien, et de tous les autres saints vivants, qui exerçaient sur ces communautés monastiques du ve siècle une autorité de type charismatique, en tous points semblable à celle des pères égyptiens. Parmi les saints vivants qui guidaient les moines, la figure de Cassien l’emportait incontestablement sur toutes les autres, en raison non seulement du prestige que lui avaient conféré ses voyages en Égypte, mais aussi grâce à ses évidentes qualités littéraires, qui lui permirent de diffuser ses enseignements à large échelle par le biais de ses traités. Cassien fut ainsi le maître auquel l’évêque Castor fit appel, afin qu’il rédigeât les Institutions qui devaient organiser le premier cénobe provençal. Il fut aussi le guide que se choisirent les moines des îles d’Hyères et ces grands maîtres de la vie monastique que furent Honorat et Eucher, qui le sollicitèrent pour obtenir qu’il leur adressât ses enseignements, par le biais des Conférences qu’ils pouvaient recevoir et méditer dans leurs cellules. Dans les générations suivantes, Cassien resta le point de référence de toute cette tradition monastique, non seulement par la grande influence que les Institutions et les Conférences purent exercer, mais aussi en raison de la diffusion que sa pensée connut grâce aux œuvres de ses disciples, au premier rang desquels il faut évidemment placer Eucher, dont les traités monastiques sont profondément empreints de son enseignement. Cassien peut ainsi être considéré comme la référence commune de toute la tradition monastique qui se développa dans l’espace provençal et rhodanien, ce qui ne signifie évidemment pas que son influence fût exclusive. L’étude concrète des établissements du monachisme provençal nous aura de fait montré que ces monastères se sont manifestement situés dans le cadre des directives de Cassien, ce qui constituait d’abord et avant tout pour eux une manière de se situer dans l’héritage des pères égyptiens655. L’organisation des moines de Porquerolles en deux sites monastiques, qui n’est par ailleurs pas sans rappeler le double monastère que nous avions déjà entraperçu à Gorgona, ne saurait se com654. […] cellulis Aegyptios patres Galliis nostris intulerunt. : eucher, De laude eremi, cit., 42, p. 77. 655. M. lenkaytite, « Biblical Saints, Eastern Monks and Personal Teachers as Shaping Elements of the Monk’s Model in Early Latin Monastic Literature », Archivum Bobiense. Rivista degli Archivi storici bobiensi, 29 (2007), p. 69-125 et 30 (2008), p. 67-174, en particulier 30 (2008), p. 123-168.

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prendre sans y voir une application concrète des enseignements donnés par les Conférences. Elle témoigne d’une conception très hiérarchisée de la vie monastique, qui amenait les maîtres à briser les désirs séculiers des jeunes moines dans les cénobes, avant d’ouvrir aux meilleurs d’entre eux la voie contemplative que pouvaient offrir les cellules anachorétiques. Ce mode de fonctionnement fut aussi adopté dans l’archipel de Lérins, avec un cénobe, que nous proposons de situer sur l’île de Lero, et des cellules anachorétiques que les données archéologiques et les textes historiques amènent à localiser sur celle de Lerina. Ces doubles communautés furent à la source du monachisme provençal, puisqu’elles s’inscrivaient dans sa conception très élitiste de la vie monastique, placée sous la suprême autorité de groupes anachorétiques de taille manifestement très réduite, bien loin de la dimension de masse que semble avoir par exemple pris le monachisme martinien, avec les « près de deux mille » moines qui, selon la lettre de Sulpice Sévère à Basula, auraient assisté en 397 aux obsèques de Martin à Tours656. Les sept cases du site des Mèdes à Porquerolles ou encore la demi-douzaine d’anachorètes, qui selon le De laude eremi menaient « la vie des anges » dans les cellules de Lerina, témoignent d’un modèle monastique tout à fait différent, qui se trouvait en fait centré sur la vie contemplative d’une élite des plus étroites. Cet élitisme était évidemment spirituel mais aussi et surtout social, dans la mesure où tous les grands anachorètes provençaux étaient issus du cercle le plus élevé des grandes élites gauloises, ce qui constitue l’une des caractéristiques majeures du monachisme provençal, qui fut d’abord et avant tout celui des enfants des élites sénatoriales. Au-delà d’un phénomène de mode générationnel, qui amena une partie notable de la jeunesse dorée du monde romain de l’époque théodosienne à emprunter les voies du monachisme, le goût immodéré que la haute nobilitas se mit alors à éprouver pour la vie monastique doit à l’évidence beaucoup au caractère propédeutique des monastères provençaux, qui constituèrent les écoles où se formaient les jeunes aristocrates, soucieux de faire carrière dans l’institution ecclésiale qui se mettait alors en place. En arrivant au début du ve siècle dans les prestigieux établissements du monachisme insulaire, les enfants des élites romaines acquerraient en effet la formation spirituelle et l’autorité sacrée, qui leur seraient nécessaires pour postuler à la direction épiscopale du peuple chrétien. En ce sens, la mise en place des monastères provençaux fut d’abord et avant tout la conséquence d’une modification du profil des élites romaines, qui passaient de plus en plus souvent du service de l’empereur à celui du Christ, selon un motif qui constituait d’ailleurs l’un des grands topoï de la littérature hagiographique tardo-antique. Comme en témoigne le De contemptu mundi, les monastères jouèrent ainsi un rôle essentiel dans le nouveau cursus honorum que les élites gauloises établirent à l’époque théodosienne, alors que les enfants des gouverneurs de l’empire s’orientaient de plus en plus massivement vers de nouvelles carrières épiscopales. 656. […] lamenta monachorum qui eo die fere ad duo milia convenisse dicuntur : éd. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. I, ep. 3, 18, p. 342-343.

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Par le modèle de société chrétienne qu’il dessinait, un tel monachisme ne pouvait que rencontrer de vives réticences, dont on peut trouver des échos dans la lettre écrite en 428 par le pape Célestin Ier, afin de dénoncer « ce nouveau collège d’où sortent les évêques ». Tout aussi emblématiques de ces résistances furent les débats sur « le semi-pélagianisme » provençal, qui constituèrent la toile de fond d’une querelle ecclésiologique plus générale, dont le sujet fut sans doute d’abord et avant tout la culture élitiste que développaient les monastères du sud-est de la Gaule. Ces oppositions ne restèrent sans doute pas sans conséquences, dans la mesure où le modèle élitiste mis en place par Cassien semble n’avoir pleinement fonctionné que durant la première génération des moines provençaux, celle d’Honorat, d’Hilaire, d’Eucher, de Loup et de Fauste. Dès le milieu du ve siècle, en un temps où les moines devinrent bien moins nombreux à monter sur les sièges épiscopaux du monde rhodano-provençal, les établissements monastiques du sud-est de la Gaule perdirent de leur élitisme originel, ce qui amena leur vie monastique à prendre une dimension de plus en plus cénobitique. Particulièrement significatif fut le processus de disparition des anciennes communautés anachorétiques, qui semble avoir été consommé dès la deuxième moitié du ve siècle, même si des reliquats en sont encore perceptibles au début du vie siècle, comme nous l’aura montré la documentation de Grigny. L’installation de monastères provençaux sur des sites insulaires, qui offre au regard des historiens un aspect visible de la radicalité du projet monastique provençal, constitue bien évidemment une dimension essentielle de cette tradition. À l’exception du cénobe fondé par Castor et du site récemment découvert à Aoste, mais aussi en mettant de côté les communautés de type augustinienne qui pouvaient se développer autour des évêques, tous les monastères masculins que nous avons étudiés dans le sud-est de la Gaule furent établis en milieu insulaire. Certains pouvaient s’être installés dans les îles qui bordaient les rivages de la Méditerranée, comme ce fut le cas à Porquerolles, Lerina et Lero, tandis que les autres se mettaient en place dans les îles qui se trouvaient situées dans le cours même du Rhône, à l’exemple de l’Île-Barbe ou de la Cappe. Le choix de l’isolement insulaire marqua ainsi très profondément cette tradition, dans la mesure où il fondait la vie monastique sur une logique de séparation spatiale, et non pas seulement sociale, du monde séculier, ce qui ne fut pas sans conséquence sur la volonté des moines de soustraire leurs espaces à l’autorité des ordinaires, qui se mit en place dès le milieu du ve siècle, si l’on en juge en tout cas par les actes du troisième concile d’Arles. Cette revendication d’une séparation des lieux monastiques fut aussi la source d’un processus de sacralisation de l’espace utilisé par les moines, dont la construction symbolique de Lérins comme « île sainte » fut particulièrement emblématique. C’est pourquoi, l’apparition dans le bassin rhodanien, à la fin du ve et au début du vie siècle, de nouveaux établissements monastiques, qui avaient choisi d’établir leurs déserts en dehors des milieux insulaires, constitua indéniablement une rupture majeure dans l’histoire de cette tradition monastique, comme s’attachera à le mettre en évidence la troisième partie de cette étude.

PARTIE III LES NOUVEAUX MODÈLES MONASTIQUES DU DÉBUT DU VIe SIÈCLE

L

es conditions historiques qui avaient permis au monde rhodano-provençal de connaître un véritable âge d’or au début du ve siècle disparurent au cours du troisième quart de ce même siècle. Demeurées longtemps hors de portée des invasions barbares, les cités rhodaniennes virent le danger se rapprocher dès 443, lorsque Aetius installa par un foedus les Burgondes sur les rives du lac Léman. Les invasions huniques de 451-453, suivies par l’assassinat en 454 d’Aetius, puis par l’échec en 455-456 de l’empire gaulois d’Avitus, accélérèrent le processus de déliquescence du pouvoir romain en Gaule et permirent aux Burgondes de s’avancer dès 457 en Lyonnaise et en Séquanie. Si la réaction de Majorien put momentanément contraindre les barbares à un repli, les digues finirent par céder à la fin de la décennie 460 et les armées burgondes s’avancèrent dans les vallées du Rhône et de la Saône1. Se posant alors en champion de la défense des institutions impériales, les armées wisigothiques s’employèrent à circonscrire la poussée burgonde, tout en profitant de la situation pour entrer en Auvergne et en Provence, ce qui leur permit ainsi d’étendre leur domination à l’ensemble de la façade gauloise de la Méditerranée. Tandis que les derniers reliquats du pouvoir impérial disparaissaient en Italie avec la déposition en 476 de Romulus Augustule2, les Burgondes et les Wisigoths négocièrent en 475-476 un traité de partage de la Gaule méridionale, de part et d’autre de la frontière de la Durance. Le temps où la Provence et la vallée du Rhône vivaient à l’écart de la Gaule barbare était désormais révolu, ce qui ne fut évidemment pas sans de lourdes conséquences sur la vie des Églises et l’organisation de la société. L’arrivée des barbares modifiait en effet profondément la donne. Les fondements matériels de la domination sociale des élites romaines se trouvaient tout d’abord ébranlés par les dévastations liées aux grands mouvements de troupes, qui s’étaient multipliés dans le troisième quart du ve siècle. Dans le même temps, la mise en place de l’hospitalitas participait d’une reconfiguration de l’ordre social, en redistribuant au profit des barbares la rente foncière qui avait fait la puissance de la nobilitas gauloise. De plus en plus dépendantes des cours barbares, les grandes familles de la Gaule méditerranéenne étaient désormais contraintes à tourner leurs regards vers le nord, d’où arrivaient les armées franques qui entamaient une irrésistible expansion. En 506-507, les Francs chassèrent les Wisigoths de l’Aquitaine, avant de s’emparer en 534 du royaume burgonde. Ils jetèrent ensuite leur dévolu sur la Provence, que les Ostrogoths avaient conquise en 507 aux dépens des Wisigoths et des Burgondes. En 536, les Ostrogoths cédèrent sans combats la Provence aux Francs, afin de s’assurer de leur alliance ou du moins de leur neutralité dans la guerre que Justinien avait déclenchée en Italie3. Ces événements, dont 1. 2. 3.

favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 187-284 ; R. kaiser, Die Burgunder, Stuttgart, 2004, p. 46-57 et K. escher, Les Burgondes, ier‑vie siècle après J.‑C., Paris, 2006, p. 61-102. H. wolfram, Histoire des Goths, Paris, 1990 [éd. originale : Münich, 1979], p. 196-205 et delaPlace, La fin de l’empire romain d’Occident, cit., p. 215-256. C. delaPlace, « La “Guerre de Provence” (507-511), un épisode oublié de la domination ostrogothique en Occident », dans F. Prévot (éd.), Romanité et cité chrétienne. Permanences et mutations, intégration et exclusion du ier au vie siècle. Mélanges en l’honneur d’Yvette Duval, Paris,

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les effets allaient se conjuguer avec ceux de la peste justinienne qui atteignit la Provence en 543, avant de rester endémique jusqu’à la fin de ce siècle4, frappèrent lourdement l’économie de la Gaule méditerranéenne, qui tendait d’autant plus à s’anémier que les évolutions géopolitiques amenaient la Provence et la vallée du Rhône à occuper une position de plus en plus périphérique, dans le cadre d’une Gaule désormais devenue franque5. L’arrivée des barbares modifia aussi le destin des Églises et la vie de leurs pasteurs, comme en témoignent les exemples emblématiques de Sidoine Apollinaire et Fauste de Riez, que le roi des Wisigoths, Euric, condamna à la prison et à l’exil6. En considérant que les évêques devaient désormais constituer les premiers relais de leurs pouvoirs, les rois barbares transformaient en profondeur l’institution épiscopale. Partout, les évêques furent désormais amenés à répondre de leur fidélité aux rois barbares, comme en témoigne la vie de Césaire d’Arles, qui fut contraint à de multiples reprises à faire face aux accusations de trahison que ses ennemis ne cessèrent de lancer devant les rois suspicieux qui se succédèrent en Provence7. La situation était encore plus tendue dans la vallée du Rhône, où le roi Sigismond affrontait ouvertement les évêques, en exigeant qu’ils levassent l’excommunication de son préposé Stéphane8, mais aussi, de manière sans doute plus fondamentale, en leur imposant d’accepter ses interventions dans les élections épiscopales9. Dès le début du vie siècle, les rois barbares avaient en effet commencé à s’immiscer largement dans le choix des évêques et imposaient un peu partout leurs candidats sur les sièges vacants10. Le profil des évêques s’en trouva profondément modifié, dans la mesure où les nouveaux prélats avaient de 2000, p. 77-79 et eadem, « La Provence sous la domination ostrogothique (508-536) », Annales du Midi, 115/244 (2003), p. 479-499. 4. B. BeauJard, « La peste à Marseille et en Provence à la fin du vie siècle », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 205. 5. J. drinkwater et H. elton (éd.), Fifth‑century Gaul : a Crisis of Identity ?, Cambridge, 1992 ; M. heiJmans et J. guyon (éd.), Antiquité tardive, haut Moyen Âge et premiers temps chrétiens en Gaule méridionale. Première partie : réseau des cités, monde urbain et monde des morts, dans Gallia, 63 (2006), p. 1-170 et eidem., Antiquité tardive, haut Moyen Âge et premiers temps chrétiens en Gaule méridionale. Seconde partie : monde rural, échanges et consommation, dans Gallia, 64 (2007), p. 1-189. 6. F. Prévot et V. gauge, « Évêques gaulois à l’épreuve de l’exil », dans P. Blaudeau (éd.), Exil et relégation. Les tribulations du sage et du saint durant l’Antiquité romaine et chrétienne (ier‑vie s. ap. J.‑C.). Actes du colloque organisé par le Centre Jean‑Charles Picard, Université de Paris XII‑Val de Marne (17‑18 juin 2005), p. 309-337. 7. C. delaPlace, « Pour une relecture de la Vita Caesarii : le rôle politique de l’évêque d’Arles face aux représentants des royaumes burgonde, wisigothique et ostrogothique », Annales du Midi, 124/279 (2012), p. 309-324. 8. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 425-427. 9. B. duméZil, « Religion et ethnicité dans le royaume burgonde », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 75-87, en particulier p. 85. 10. J. favrod, « Les rois burgondes et l’Église, pouvoir et contre-pouvoir », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 187-196.

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plus en plus souvent été formés dans les cours royales et non plus dans les monastères, comme cela avait été le cas au ve siècle11. Ce nouveau contexte rendait obsolète le projet qui avait fondé le monachisme provençal à l’âge théodosien, lorsque les monastères insulaires s’étaient construits afin de former les nouvelles élites ecclésiastiques qui devaient diriger le peuple chrétien. Les temps nouveaux amenaient nécessairement à de profondes modifications de la vie monastique, comme nous l’a déjà montré Césaire d’Arles, lorsqu’il expliquait dans ses prêches aux frères lériniens que l’époque où les moines devaient sortir de leurs monastères pour s’engager dans le service de l’Église était désormais révolue, et qu’il leur fallait dorénavant rester sur leur île afin de prier pour le salut du peuple chrétien. Le nouveau contexte remettait ainsi profondément en cause les fondements traditionnels que le monachisme avait jusque-là pris en Provence et dans la vallée du Rhône. Sans doute, ces transformations ne furent-elles pas sans rapport avec le déclin des déserts insulaires, qui semble s’être amorcé dès la fin du ve siècle. Après Lérins, Porquerolles, l’Île-Barbe et La Cappe, plus aucune fondation ne fut en effet établie en milieu insulaire durant tout le haut Moyen Âge dans le sud-est de la Gaule, montrant ainsi que le paradigme de l’île-monastère, qui y avait organisé le monachisme dans la première moitié du ve siècle, avait désormais perdu sa force propulsive. S’adaptant aux temps nouveaux, le monachisme rhodanien était ainsi amené à se transformer, en faisant évoluer son modèle érémitique, sans toutefois pour autant se résoudre véritablement à l’abandonner. C’est à la recherche de ces nouvelles voies, qui amenèrent les moines à sortir de leurs îles pour créer de nouveaux lieux monastiques sur le continent, que sera consacrée cette troisième partie. Pour étudier la mise en place de ces nouveaux modèles monastiques, nous analyserons trois textes majeurs, qui furent rédigés de manière presque synchrone dans le premier quart du vie siècle : la Vita patrum Jurensium, la Vita abbatum Acaunensium et la Regula ad virgines. Cette production littéraire, qui se situait dans la continuité du monachisme provençal et rhodanien, tout en y apportant d’intéressantes nouveautés, nous offrira le point de départ à partir duquel nous étudierons l’évolution des lieux monastiques du sud-est de la Gaule, au tournant des ve et vie siècles . Le premier des dossiers que nous envisagerons ici est celui des monastères jurassiens, dont la Vita patrum Jurensium avait vocation à décrire le fonctionnement. Établissant leurs déserts non plus sur une île mais dans les forêts du Jura, les moines jurassiens donnèrent naissance à un nouveau modèle monastique, en apportant un nouvel état d’esprit qui annonçait assez largement le monachisme bénédictin. Le 11. I. réal, « Les évêques dans les cités du Midi de la Gaule : entre tradition antique et Moyen Âge », dans Les cités épiscopales du Midi. Actes du colloque universitaire tenu à Albi les 31 mars et 1er avril 2005, Albi, 2006, p. 21-43 ; J. guyon, « Quand les évêques étaient élus », dans J. guyon et M. heiJmans (éd.), L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle). Naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 150-151 et A. Becker, « Les évêques et la diplomatie romano-barbare en Gaule au ve siècle », dans m. gaillard (éd.), L’empreinte chrétienne en Gaule, de la fin du ive au début du IXe siècle, Turnhout, 2014 (Culture et société médiévales 26), p. 45-60.

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Les déserts de L’Occident

deuxième dossier ressort de la création en 515 du monastère d’Agaune, qui constitue une césure essentielle dans l’histoire du monachisme, dans la mesure où il constitue la première fondation occidentale d’une abbaye royale. Le troisième ressort de la création par Césaire d’Arles d’un monastère de femmes, pour lequel il devait écrire sa Regula ad virgines, qui devait devenir le modèle normatif de la vie religieuse des moniales, durant tout le haut Moyen Âge occidental.

i – les déserts forestiers des monastères Jurassiens L’histoire des monastères jurassiens a le grand avantage et le défaut majeur d’être éclairée par une source d’une ampleur exceptionnelle, la Vita patrum Jurensium. Long de 179 chapitres, ce texte est consacré aux Vies de Romain (BHL 7309), Lupicin (BHL 5073) et Oyend (BHL 2665), les trois grands abbés qui avaient dominé de leur haute stature l’histoire des monastères jurassiens au ve et au début du vie siècle. Toutefois, au-delà de sa fonction proprement hagiographique, la Vie des pères du Jura se définissait aussi comme une règle, ce qui l’amenait à décrire la vie monastique avec un luxe de détails sans équivalent dans le reste de la littérature hagiographique. Elle nous offre ainsi de très précieuses données sur l’alimentation, le vêtement, l’habitat ou les coutumes qui pouvaient être suivis dans les monastères jurassiens au début du vie siècle, avec un luxe de détails que n’offre aucune source normative. Plus précise que la Vie de saint Martin et plus concrète que la Règle de saint Benoît, la Vie des pères du Jura constitue ainsi un texte essentiel pour l’historien qui chercherait à dresser un tableau de la vie quotidienne dans un monastère, au tournant entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Si riche fût-elle, la Vita patrum Jurensium constitue toutefois une source délicate, dont l’interprétation se heurte à de sérieuses limites. Son auteur étant en effet resté anonyme, les raisons et les modalités de sa rédaction nous échappent largement, ce qui nuit beaucoup à son analyse critique et par là même aussi à son intelligence. Surtout, ses assertions ne peuvent guère être confrontées avec d’autres sources, car si les monastères jurassiens ont été évoqués par Sidoine Apollinaire, Avit et Grégoire de Tours, les passages que ces auteurs leur ont consacrés sont trop partiels pour pouvoir être réellement comparés aux riches données qu’offre la Vie des pères du Jura. Les recherches archéologiques que Jean-Luc Mordefroid, puis Aurélia et Sébastien Bully, ont consacrées aux monastères jurassiens ont certes apporté de nouvelles et importantes données, mais leur apport reste toutefois limité, dans la mesure où elles ne permettent pas de restituer les bâtiments primitifs. L’histoire des monastères jurassiens se trouve ainsi pour l’essentiel fondée sur un texte anonyme unique, ce qui rend évidemment son utilisation délicate et explique sans doute que les moines du Jura n’aient guère attiré les historiens. À la différence du monachisme martinien ou lérinien, les monastères jurassiens n’ont en effet donné lieu qu’à de rares travaux, même si ceux-ci ont été souvent de qualité, comme en témoigne la remarquable édition de la Vita patrum Jurensium, que François Martine a donnée en 1968 dans la collection des Sources chrétiennes.

iii – les nouveaux modèles monastiques du déBut du vie siècle

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Pour aborder ce dossier, nous commencerons tout d’abord par les données géographiques et archéologiques, afin de présenter les sites sur lesquels se sont implantés les monastères jurassiens, en croisant sources textuelles et archéologiques. Dans un second temps, nous aborderons les textes, mineurs mais néanmoins essentiels, que Sidoine Apollinaire, Avit et Grégoire de Tours ont consacrés à ces établissements. Nous passerons alors à une présentation de la Vita patrum Jurensium, en montrant qu’il s’agit d’une source à double fonction, tout à la fois destinée à offrir une histoire hagiographique des monastères jurassiens et à décrire leur fonctionnement. Sur cette base, nous utiliserons ensuite les données de la Vita patrum Jurensium pour analyser la conception de la vie érémitique que la tradition monastique jurassienne s’est attachée à mettre en place. Nous nous intéresserons ensuite à l’organisation des bâtiments monastiques, en utilisant les riches éléments que nous donne la Vie des pères du Jura, avant de dresser un tableau de la vie religieuse, en étudiant les prescriptions normatives que décrit la Vita patrum Jurensium. Enfin, nous terminerons ce chapitre en évoquant la question du monastère de Romainmôtier, qui a été usuellement considéré comme une fondation des pères du Jura, en nous interrogeant sur la crédibilité de cette tradition.

Les données archéologiques Les monastères jurassiens ont été établis dans la vallée de la Bienne, autrement dit dans l’actuelle région française du « haut Jura », qui correspond à la partie la plus élevée du massif jurassien. Ces établissements ont donc été fondés dans une vallée de moyenne montagne, dominée par un massif dont les sommets culminent à un peu plus de 1500 m. L’érudition a longtemps projeté sur cette vallée montagneuse un regard pessimiste, en la percevant comme un espace périphérique qui n’aurait été que tardivement peuplé. Malgré le caractère très fragmentaire de nos connaissances archéologiques sur la vallée de la Bienne12, les recherches récentes ont toutefois été amenées à reconsidérer cette tradition historiographique, en soulignant que cet espace présente d’évidents indices d’une ancienne humanisation, même si son ampleur est difficile à déterminer. De fait, loin d’être un milieu hostile aux activités humaines, cette vallée relativement large offrait aux populations un espace plutôt accueillant, traversé par un axe routier qui pour être secondaire n’était toutefois pas négligeable. À l’époque antique comme de nos jours, la vallée de la Bienne pouvait en effet permettre de relier l’espace lémanique à la vallée de l’Ain, suscitant un trafic qui devait être 12. R. locatelli, « Le peuplement du Haut-Jura jusqu’à l’an mil », dans L’étude d’un pays comtois : le Haut‑Jura, Besançon, 1987, p. 78-89 et A. richard, F. schifferdecker, J.-P. maZimann et C. Béletgonda (éd.), Le peuplement de l’Arc jurassien de la Préhistoire au Moyen Âge. Actes des deuxièmes journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien, Delle (F) – Boncourt (CH), 16‑18 novembre 2007, Besançon, 2013 (Annales Littéraires de l’Université de Franche‑Comté, série Environnement, sociétés et archéologie 17 ; Cahier d’archéologie jurassienne 21).

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Antre

Col de la Givrine Col de la Faucille

e Rhô n 1500 500 0m

0

20 km

Nyon

cL La

an ém

Genève

Monastères jurassiens

Figure 21 : Les monastères jurassiens.

relativement important, si l’on en juge par le port fluvial construit dans l’Antiquité à Condes, à la confluence de la Bienne et de l’Ain (fig. 21). À partir de ce port de Condes, relié par l’Ain au réseau fluvial rhodanien, la vallée de la Bienne offrait une possibilité de traverser le Jura, en donnant accès à deux routes de col aisément praticables13. La première permettait d’accéder rapidement à Genève, en passant par le col de la Faucille, situé à 1 320 m. d’altitude. La seconde offrait un accès très commode à Nyon et au pays des Équestres, en passant par le col de la Givrine, à une altitude de seulement 1 228 m. Dans l’Antiquité tardive, ces routes semblent avoir été relativement fréquentées, comme en témoigne la Vita patrum Jurensium elle-même, lorsqu’elle signale que Romain aurait emprunté ces chemins jurassiens pour se rendre à Genève14, ou encore que l’abbé Oyend, qui se serait assoupi au bord de la route, aurait eu la bonne surprise d’y apercevoir trois de ses moines, qui revenaient d’une mission qu’il leur avait demandé d’effectuer à Rome15. Par ailleurs, la vallée de la Bienne présente des vestiges archéologiques d’époque antique, qui sont loin d’être négligeables. Le principal d’entre eux est le grand 13. Sur les routes jurassiennes, v. Y. Jeannin, « Voies à ornières du Jura », Archéologie médiévale, 2 (1972), p. 133-184 et idem, « Routes et chemins médiévaux dans le Jura », dans Archéologie franc‑ comtoise. Archéologie funéraire. Actes du 99e Congrès national des sociétés savantes, Besançon, 1974, section d’Archéologie et d’histoire de l’art du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, 1977, p. 55-69. 14. Vie des pères du Jura, cit., 45, p. 289-291. 15. Ibid., 153-156, p. 402-409.

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sanctuaire, bâti au Haut-Empire sur les bords du lac d’Antre, dont les restes sont encore aisément perceptibles sur le territoire de l’actuelle commune de Villardsd’Héria, à quelques kilomètres seulement des sites sur lesquels allaient être établis les monastères jurassiens16. Si le temple du lac d’Antre constituait dans l’Antiquité un sanctuaire isolé, qui semble n’avoir jamais attiré de peuplement, la vallée de la Bienne disposait en revanche de centres d’habitat permanents, à l’exemple de celui qui s’était mis en place sur le site de l’actuel village de Molinges, à 10 km en aval de la ville de Saint-Claude, où des vestiges d’un regroupement d’époque galloromaine ont pu être identifiés17. Par ailleurs, la découverte à Saint-Claude et dans ses environs de deux trésors du iiie siècle, dont la présence témoigne probablement de la vocation routière de ce carrefour, mais aussi l’identification dans la vallée de la Bienne de vestiges antiques dispersés, ainsi que l’existence de nombreux toponymes celtiques ou romains, confirment que l’espace dans lequel allaient s’installer les pères du Jura avait dû de longue date être solidement humanisé18. Selon la Vita patrum Jurensium, le premier des monastères jurassiens aurait été fondé à Condadisco, un lieu dont le toponyme celtique signifierait, comme nous l’avons déjà vu, « la brèche du confluent19 ». Ce site, qui est celui de l’actuelle cathédrale de Saint-Claude, correspond à une petite terrasse alluviale, établie à 430 m. d’altitude, qui domine d’une vingtaine de mètres le confluent des rivières de la Bienne et du Tacon. Il s’agit donc d’un site de carrefour routier, où se rejoignent, par les hautes vallées de la Bienne et du Tacon, les deux routes qui permettent d’accéder aux cols de la Faucille et de la Givrine. En 1990, un sondage archéologique, mené sous les fondations de la nef de l’actuelle cathédrale par Jean-Luc Mordefroid, avait permis d’identifier, sous les vestiges des différentes églises qui se sont succédé en ce lieu, une strate de tegulae et d’imbrices du iie siècle de notre ère. Cette découverte a ainsi pu montrer que les moines jurassiens s’étaient installés à l’emplacement d’un ancien bâtiment gallo-romain, sans toutefois qu’il soit possible de déterminer si cet établissement était encore en service à l’arrivée des frères20. Bien que les quelques vestiges retrouvés ne 16. L. lerat, La “Ville d’Antre”, mythes et réalités, recueil méthodique et critique des anciennes relations sur les ruines romaines de Villards‑d’Héria (Jura), Paris, 1965 (Annales littéraires de l’Université de Besançon 74) ; idem, Les Villards d’Héria (Jura). Recherches archéologiques dirigées par l’auteur de 1958 à 1982 sur le site gallo‑romain du “Pont des Arches”, Besançon, 1998 (Annales littéraires de l’Université de Franche‑Comté 677) ; m.-P. rothé (éd.)., Carte archéologique de la Gaule. Le Jura, 39, Paris, 2001, p. 716-755 et W. andringa van, « Un grand sanctuaire de la cité des Séquanes, Villards-d’Héria », dans M. dondin-Payre et M.-T. raePsaet-charlier (éd.), Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans l’Occident romain, Bruxelles, 2006, p. 121-134. 17. rothé (éd.), Carte archéologique de la Gaule. Le Jura, 39, cit., p. 501. 18. M. mangin, m. PetitJean, h. laurent et B. raissouni, « Le Haut-Jura à l’époque romaine », dans Le parc naturel du Haut‑Jura : son milieu naturel, son histoire et ses activités, Besançon, 1990, p. 155-186 et J.-L. mordefroid, « Quel désert pour les pères du Jura ? Résultats du sondage archéologique effectué dans la cathédrale en 1990 », dans Pensée, image & communication en Europe médiévale. À propos des stalles de Saint‑Claude, Besançon, 1993, p. 3-10, ici p. 7-9. 19. duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », cit., p. 203. 20. J.-L. mordefroid, « Quel désert pour les pères du Jura ? Résultats du sondage archéologique effectué dans la cathédrale en 1990 », cit.

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permettent pas de déterminer de manière certaine la nature de cet édifice galloromain, Sébastien Bully a suggéré qu’il pourrait s’agir d’une mansio, autrement dit d’un bâtiment à vocation hospitalière, qu’il faudrait ainsi relier à la vocation routière de ce site21. Ces premières recherches archéologiques se sont poursuivies en 1995, lorsqu’un nouveau sondage, effectué dans le chœur de la cathédrale par Jean-Luc Mordefroid, a permis d’identifier les vestiges d’une double abside superposée d’époque visiblement paléochrétienne, dont la datation ne peut toutefois pas être précisée. Entre 1998 et 2003, Sébastien Bully a mis en place un nouveau programme de recherche, portant cette fois-ci sur le site de l’ancien palais abbatial, situé à une vingtaine de mètres au sud-ouest de l’actuelle entrée de la cathédrale. Les données recueillies ont permis à Sébastien Bully de proposer une reconstitution du site monastique, dans le cadre de la thèse qu’il a soutenue en 200822. Il en ressort que les plus anciennes traces d’une occupation monastique doivent sans doute être identifiées avec deux constructions sur poteaux de bois, qui ont pu être découvertes dans le sous-sol de l’ancien palais abbatial. Bien que leur datation demeure incertaine, il pourrait s’agir des restes des cellules en bois que, selon la Vita patrum Jurensium, les premiers moines jurassiens auraient édifiées à leur arrivée sur ce site. Dans cette hypothèse, le site de l’actuel palais abbatial aurait donc abrité un premier habitat monastique, associé selon la Vie des pères du Jura à un oratoire, que Sébastien Bully propose d’identifier avec les vestiges de l’église paléochrétienne retrouvée sous le chœur de l’actuelle cathédrale. La Vita patrum Jurensium affirme que cette église conventuelle aurait été dédiée, à la fin du ve siècle, aux apôtres Pierre, Paul et André, établissant ainsi une dédicace aux Trois-Apôtres qui est toujours celle de l’actuelle cathédrale de Saint-Claude. Les travaux de Sébastien Bully ont proposé de considérer que, dans un second état, le site de Condadisco se serait organisé, sans doute dès les ve-vie siècles, autour d’une « famille d’églises ». Constatant l’absence de tombes sur le site de l’actuelle cathédrale, Sébastien Bully a en effet estimé qu’il devait exister, à côté de l’église dédiée aux Trois-Apôtres, une autre église à fonction funéraire, qu’il a proposé d’identifier avec l’église Saint-Oyend. Totalement démolie en 1754, cette 21. S. Bully, « L’apport de l’archéologie à la connaissance des monastères de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge de l’ancien diocèse de Besançon », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 115-132, ici p. 118-119. 22. S. Bully, Étude de topographie monastique : l’ancien palais abbatial de Saint‑Claude (Jura), ve‑xviiie siècles, Thèse, Besançon, 2008. Cf. S. Bully, « Étude de topographie monastique : l’ancien palais abbatial de Saint-Claude (Jura), ve-xviiie siècle », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 12 (2008), p. 368-374 ; idem, « Familles d’églises et circulations : le cas de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) du ve au xviiie siècle », dans Espace ecclésial et liturgique au Moyen Âge, Lyon, 2010 (Travaux de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée 53), p. 75-89 et idem, « Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques médiévaux : à propos de la grande galerie de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) », dans M. lauwers (éd.), Monachisme et espace social. Genèse d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014 (Collection d’études médiévales de Nice 15), p. 353-375.

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église, située à un peu plus de 100 m. à l’ouest de l’actuelle cathédrale, accueillait alors le culte de saint Claude, abbé de Condadisco de 648/657 à 703/713, dont le corps aurait été inhumé dans cet édifice. Après avoir bénéficié d’une invention vers 1160, le corps de ce saint abbé mérovingien fit l’objet d’un culte, qui connut un grand développement sous l’abbatiat d’Humbert III de Buenc (1234-1262), avant d’assurer le rayonnement de l’abbaye à la fin du Moyen Âge et sous l’Ancien Régime, faisant ainsi de l’ancien Condadisco l’actuelle ville de Saint-Claude23. Selon le Libellus metricus, une chronique abbatiale du xiiie ou du xive siècle, cette église aurait été originellement bâtie sur l’emplacement de la tombe de l’abbé Oyend († avant 515) par son successeur Antidiole, ce que l’absence de données archéologiques ne peut permettre de vérifier24. Par ailleurs, le Libellus metricus affirme qu’une troisième église, dédiée à saint Étienne, aurait été construite dans la deuxième moitié du vie siècle par l’abbé Sapient pour les besoins paroissiaux des colons. Bien qu’en l’absence de fouilles dans ce secteur, il faille prendre avec précautions les données du Libellus metri‑ cus, la documentation moderne et médiévale permet en tout cas de décrire cette église Saint-Étienne, qui a elle aussi disparu au milieu du xviiie siècle. Accolée à l’église Saint-Oyend, elle lui avait été associée jusqu’à devenir, dès l’époque romane, la chapelle d’une église placée sous la double dédicace de SaintOyend-et-Saint-Etienne. Un plan de 1748 permet de constater que cette église Saint-Étienne n’occupait qu’une superficie de seulement 25 m2 et disposait d’une abside à chevet plat, selon un style préroman, qui pourrait renvoyer à la période carolingienne ou post-carolingienne25. À côté du site de Condadisco qui, selon la Vita patrum Jurensium, aurait été fondé par Romain, le monachisme jurassien avait rapidement disposé d’un deuxième monastère, situé sur le site de Lauconne (Lauconnum). La Vie des pères du Jura affirmait que ce monastère aurait été fondé par Romain et son frère cadet, Lupicin, afin de trouver un emplacement pour accueillir les moines, qui arrivaient en trop grand nombre pour que le site étroit et pentu de Condadisco fût en mesure de leur offrir les terres nécessaires à leur entretien. Pour cette raison, Romain et Lupicin auraient choisi d’édifier un nouveau monastère sur ce site de Lauconne, qui pouvait offrir des terres moins pentues et plus fertiles que celui de Condadisco26. Selon la Vita patrum Jurensium, 150 moines auraient vécu dans ce monastère de Lauconne à la mort de Romain, qu’il faut probablement situer vers 455, et Lupicin y aurait établi sa résidence principale, avant d’être enterré dans l’église de cet établissement27. 23. B. de vregille, « Une histoire très obscure. Les “Vies de saint Claude” et la vie de saint Claude », dans G. duhem, g. gros, s. ligier, a. rodot et B. de vregille, Saint Claude. Vie et présence, Paris, 1960, p. 23-70. 24. Bully, « Familles d’églises et circulations : le cas de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) du ve au xviiie siècle », cit., p. 76. 25. Ibid., p. 78-81. 26. Vie des pères du Jura, cit., 24, p. 264-265. 27. Ibid., 117, p. 360-363.

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Selon la tradition, le site de Lauconne doit être identifié avec l’actuel village de Saint-Lupicin, situé à environ 6 km à l’ouest de l’actuelle ville de Saint-Claude. Cette identification semble ne poser aucun problème, d’autant que ce site correspond parfaitement à la description donnée par la Vita patrum Jurensium, dans la mesure où il occupe, sur le versant nord de la vallée de la Bienne, un replat peu pentu, qui est encore aujourd’hui largement occupé par des espaces agricoles. La question peut sembler désormais tranchée, dans la mesure où Aurélia Bully, Sébastien Bully et Morana Čaušević-Bully ont mis au jour en 2007, lors d’un sondage effectué sous le transept de l’église de Saint-Lupicin, une sépulture privilégiée d’époque paléochrétienne, qui peut être attribuée sans beaucoup d’hésitations à Lupicin. Cette tombe avait en effet fait l’objet d’un important travail de monumentalisation, puisque le corps y avait été déposé dans un triple contenant de pierre, de bois et de plomb, avant que les ossements attribués à saint Lupicin n’en fussent retirés au haut Moyen Âge, pour être déposés dans une fosse reliquaire, située sous l’autel de l’église28. Par ailleurs, les pères du Jura auraient aussi établi sur le site de la Balme un troisième monastère, destiné aux femmes, dont Romain aurait confié la direction à sa propre sœur, dont la Vie des Pères du Jura ne donne toutefois pas le nom29. Selon la Vita patrum Jurensium, ce monastère de la Balme aurait compté à la mort de Romain pas moins de 105 vierges, qui auraient été inhumées sur le site après leur décès. Ce texte affirme aussi qu’elles auraient été soumises à une stricte clôture, en expliquant que les moniales qui entraient à la Balme ne pouvaient plus avoir de contact avec un homme, pas même avec ceux de leur famille qui auraient vécu dans les monastères de Condadisco et de Lauconne. Cette clôture se voulait perpétuelle, puisque la Vie des pères du Jura affirme que « toute vierge entrée là pour le renoncement n’était plus jamais vue au-dehors, sinon lorsqu’on la portait dans sa tombe30 ». Ces données auraient conditionné le choix du site sur lequel cet établissement féminin avait été construit, comme en témoigne la description qu’en donnait la Vie des pères du Jura, lorsqu’elle soulignait que ce monastère avait été établi sur un site peu accessible, qui, à la différence de Condadisco et de Lauconne, ne comportait pas d’ouverture sur des terres cultivables : Comme ce lieu, surmontant des escarpements inaccessibles et taillés par la nature sous un large cirque, ne comportait, de ce côté-là, aucune issue, il n’était acces-

28. S. Bully et M. ČaušEvić-bully, « Saint-Lupicin (Jura), église Notre-Dame de la Nativité. Sondage archéologique à la croisée du transept », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 12 (2008), p. 46-49 et S. Bully, M. ČaušEvić-bully et A. Bully, « Coffrage de bois et coffrage de pierre du ve s. : la tombe présumée de saint Lupicin (Jura) », dans F. carré et F. henrion (éd.), Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ? Actes de la table‑ronde d’Auxerre (15‑17 octobre 2009), Saint-Germain-en-Laye, 2012 (Mémoires publiés par l’Association française d’archéologie mérovingienne 23), p. 117-121. 29. […] germanam quoque suam quam in cingulo illo vel Balma – Gallico, ut reor, sermone sic vocant – monasterio praefecerant puellari : Vie des pères du Jura, cit., 60, p. 304-305. 30. […] quaecumque virginum illic causa abrenuntiationis intrasset, foris non videretur ulterius, nisi extrema transitus causa deportaretur ad cymiterium : ibid., 26, p. 266-269.

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sible que vers l’Orient, où, après un petit défilé, on débouchait soudain sur des terres et sur des sols unis. C’est là, pour ainsi dire dans ce défilé même, que les très saints pères construisirent une basilique, qui non seulement reçut la dépouille mortelle des vierges, mais eut aussi l’honneur d’obtenir la sépulture du héros même du Christ, Romain31.

Selon la tradition, le monastère de la Balme aurait été bâti sur le site de l’actuelle chapelle Saint-Romain-de-Roche, un édifice qui subsiste en élévation à une dizaine de km à l’ouest de Saint-Claude et à un peu plus de 5 km au sud de SaintLupicin. Cette chapelle, stylistiquement datée du xiiie siècle, accueillait à cette même époque un prieuré de moines de Saint-Claude, afin d’entretenir la mémoire de Romain, qui selon la Vie des pères du Jura aurait été inhumé en ce lieu. Le site de cette chapelle correspond ainsi bien à la description que donnait la Vie des pères du Jura. Surplombant une falaise de 200 m. de hauteur, la chapelle Saint-Romainde-Roche avait été édifiée sur une petite plate-forme rocheuse qui surplombait la vallée de la Bienne. Conformément à la description de la Vita patrum Jurensium, ce site ne peut être accessible que par un étroit chemin partant le long de la falaise vers l’Est, qui permet en particulier de rejoindre l’actuel village de Saint-Lupicin. Pour autant, l’absence sur ce lieu de vestiges paléochrétiens ou de toute sépulture ancienne a amené Aurélia Bully à souligner qu’il n’était en l’état pas possible d’identifier matériellement le site de la chapelle Saint-Romain-de-Roche avec l’ancien monastère de la Balme32. Comme cet établissement n’est attesté que par sa seule mention dans la Vie des pères du Jura, dans laquelle il n’est par ailleurs évoqué qu’au passé, il se pourrait que ce monastère n’ait eu qu’une existence éphémère, voire que son évocation relèverait d’une recomposition mémorielle, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas été possible d’en retrouver des vestiges archéologiques. Il convient donc de faire preuve de la plus grande prudence avec ce monastère de la Balme, dont la trace historique se limite à sa seule description dans la Vita patrum Jurensium, qui ne l’évoque de surcroît que dans la seule Vie de Romain, ce qui pourrait a minima permettre de nourrir des doutes sur sa permanence à l’époque de la rédaction de la Vie des pères du Jura. Malgré leur dispersion sur plusieurs sites, les monastères jurassiens avaient voulu conserver une unité institutionnelle. La Vita patrum Jurensium explique 31. Locus ipse, ut, praecisa inaccessibili desuper rupe ac sub cingulo prolixius naturaliter perexcisa, nullum ulterius cinguli praestabat egressum, ita ab Orientis parte, artatis paulisper angustiis, subitum in terrestri atque aequali solo laxabat egressum. Illic, namque in ipsis quodammodo faucibus beatissimi patres basilicam fabricarunt, quae non solum virginum recepit exvias, sed et ipsum heroam Christum Romanum ambire meruit sepultura : ibid., 25, p. 266-267 [traduction légèrement retouchée]. 32. A. Bully, « Le monastère de la Balme, prieuré Saint-Romain de Roche (Jura) », dans S. Bully et C. saPin (éd.), Projet collectif de recherche Monastères en Europe occidentale (ve‑xe siècles). Topographie et structures des premiers établissements en Franche‑Comté et Bourgogne (sixième année), 2015, p. 156-163 et eadem, « Paysages, échanges et mobilité dans la Vie des pères du Jura », dans Itinéraires monastiques des pères du Jura. Sur les pas de Romain, Lupicin et Oyend. Actes du colloque organisé par la Société Nouvelle Gorini, Bourg‑en‑Bresse, 9 et 10 octobre 2014, Bourg-enBresse, 2016 (Mémoire religieuse des pays de l’Ain. Travaux et documents, Hors-série 2), p. 30-47, ici p. 39-40.

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ainsi que si Lupicin résidait usuellement à Lauconne, tandis que son frère Romain habitait à Condadisco, « chacun des deux monastères était soumis à l’autorité de ces deux supérieurs33 ». En d’autres termes, Romain et Lupicin avaient choisi d’exercer ensemble, sur les deux monastères, une même autorité de co-abbés. Les deux frères voulurent d’ailleurs maintenir cette unité après leur décès, puisque la Vita patrum Jurensium affirme que Romain et Lupicin avaient choisi pour leur succéder un abbé unique, dont elle ne nous donne malheureusement pas le nom. Dans un second temps, le successeur de Romain et Lupicin aurait choisi de s’associer Oyend, en ne lui accordant toutefois qu’une autorité subordonnée, avant que ce dernier ne recueillît à son décès une pleine autorité abbatiale sur les deux établissements de Condadisco et de Lauconne qu’il aurait dirigés seul34. Cette volonté de conserver l’unité institutionnelle des monastères jurassiens est d’autant plus remarquable que l’emplacement de ces sites monastiques, de part et d’autre de la Bienne, ne devait pas faciliter les relations entre ces établissements, dans la mesure où cette rivière a constitué une frontière diocésaine, qui a séparé les ressorts des Églises de Lyon et de Besançon, jusqu’à la création en 1742 du diocèse de Saint-Claude. Le martyrologe de Florus expliquait ainsi, dès sa première version rédigée vers 835, que « dans le territoire de Lyon, en des lieux du Jura, saint Romain a d’abord mené ici une vie érémitique […] et son corps est vénéré dans une église fondée dans la campagne de Besançon35 ». Selon ce texte, le monastère de Condadisco se trouvait donc situé dans le diocèse de Lyon, tandis que l’église de la Balme, où Romain avait été inhumé, dépendait de Besançon. Un peu plus loin, le martyrologe de Florus poursuivait, en mentionnant « dans le territoire de Lyon, saint Lupicin, abbé des Jurassiens, […] dont le corps est vénéré dévotement dans le monastère de Lauconne, dans le ressort de Besançon36 », avant d’évoquer la mémoire de « saint Oyend abbé, dans le territoire de Lyon au monastère des Jurassiens37 ». Le martyrologe de Florus confirmait ainsi clairement que le monastère de Condadisco dépendait alors bien de Lyon, tandis que le monastère de Lauconne relevait de Besançon. Le martyrologe de Florus atteste ainsi que, dès le règne de Louis le Pieux, le monastère de Condadisco ressortait du diocèse de Lyon, tandis que les monastères de Lauconne et l’église de la Balme dépendaient de Besançon, selon une logique territoriale qui devait perdurer jusqu’au milieu du xviiie siècle38. Cette situation a fait l’objet de commentaires controversés, puisque certains historiens 33. In utroque tamen monasterio ambo praesules erant : Vie des pères du Jura, cit., 24, p. 264-265. 34. Ibid., 132-137, p. 380-387. 35. […] in territorio Lugdunensi, locis Iurensibus, beati Romani abbatis, qui primus illic vitam heremiticam duxit […] cuius corpus in Vesontionensis ruris ecclesia venerabiliter conditum habitur : éd. H. quentin, Les martyrologes historiques du Moyen Âge. Étude sur la formation du martyrologe romain, Paris, 1908 [réimpr. : Spolète, 2002], p. 348. 36. […] in territorio Lugdunensi, sancti Lupicini abbatis Jurensium […] cuius corpus in monasterio Laoconensi, in partibus Vesontionum, venerabiliter excolitur : ibid., p. 348. 37. […] in territorio Lugdunensi, monasterio Jurensium, sancti Eugendi abbatis : ibid., p. 347. 38. G. moyse, « Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (ve-xe siècles) », Bibliothèque de l’École des chartes, 130/1 (1973), p. 21-104, ici p. 69, n. 2.

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ont considéré que cette limite était sans doute déjà en place lorsque les abbés jurassiens s’étaient installés dans le haut Jura, ce qui signifierait qu’ils se seraient alors établis dans un espace frontalier, séparant la province de Lyonnaise première de la Grande Séquanie39. D’autres érudits ont, en revanche, estimé que cette situation aurait été la conséquence d’une avancée tardive de l’Église de Lyon, dans un espace originellement dépendant de la province de la Grande Séquanie40. La Vita patrum Jurensium, qui évoque tout à la fois les relations de Romain avec l’Église de Lyon et celle de Besançon, ne permet pas de trancher entre ces deux hypothèses, mais donne en tout cas l’impression que l’espace monastique des pères du Jura devait déjà se trouver soumis aux influences, peut-être encore mal définies41, de chacune de ces deux Églises.

Les témoignages de Sidoine Apollinaire, Avit de Vienne et Grégoire de Tours La plus ancienne attestation documentaire du monachisme jurassien provient d’une lettre écrite depuis Lyon par Sidoine Apollinaire à Domnulus, questeur impérial et poète lyonnais d’origine africaine42, qui a été datée par André Loyen de la fin de l’année 469 ou du début de 470. Dans cette épître, Sidoine racontait à son correspondant que les évêques Patiens de Lyon et Euphronius d’Autun avaient réussi à écarter de mauvais candidats à la succession de l’évêque Paul de Chalon, pour y imposer le prêtre Jean43. Il expliquait à Domnulus qu’il souhaitait avoir prochainement l’occasion de se réjouir avec lui de ces heureux événements, « si tu nous reviens bientôt des monastères du Jura, où tu aimes à monter souvent pour préluder dès à présent aux joies célestes des demeures d’en haut44 ». Cette mention, qui constitue la première attestation des monastères jurassiens, a été rédigée une quinzaine d’années après la mort présumée de Romain. Elle montre que les monastères jurassiens disposaient alors d’un rayonnement déjà important, puisque de hauts personnages comme Domnulus pouvaient effectuer des retraites dans ces monastères du Jura, dans lesquels Sidoine Apollinaire se plaisait à voir une image des « demeures du haut », autrement dit du paradis céleste.

39. Bully, « Paysages, échanges et mobilité dans la Vie des pères du Jura », cit., p. 46-47. 40. Gallia pontificia. Répertoire des documents concernant les relations entre la papauté et les églises et monastères en France avant 1198, 1. Diocèse de Besançon, éd. B. de vregille, r. locatelli et G. moyse, Göttingen, 1998, p. 25-27. 41. M. lauwers, « Territorium non facere diocesum… Conflits, limites et représentation territoriale du diocèse (ve-xiiie siècle) », dans F. maZel, L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval, Rennes, 2008, p. 23-65. 42. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. I, p. 591-592. 43. ibid., t. II, p. 1056. 44. […] nunc ergo Iurensia si te remittunt iam monasteria, in quae libenter solitus escendere iam caelestibus supernisque praeludis habitaculis : sidoine aPollinaire, II. Correspondance, Livres I‑V, cit., IV, 25, 5, p. 170.

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Le deuxième de nos textes est une lettre, écrite dans un style aussi alambiqué qu’allusif, que l’évêque Avit de Vienne envoya au prêtre Viventiole, moine dans les monastères jurassiens, pour le remercier de lui avoir envoyé en cadeau un siège (sella), qui avait été réalisé dans son établissement. Nous en donnerons ici un extrait, en reprenant la traduction française que Marc Reydellet a récemment proposée : Et puis, pour vous adresser autrement de dignes remerciements pour le présent que vous m’envoyez, je sens que je trouve plus dans les prières que dans une lettre. Quant au fait aussi que vous dites que de tels objets peuvent provenir d’un désert (eremus), vous attirez avec quelque élégance le désir des hommes vers le lieu où partager votre vie : là où, sans aucun doute, par la sollicitude de votre personne, par son instruction, par sa science, même si en vérité c’était un désert, il deviendrait un paradis. C’est pourquoi, en remerciement du siège (sella), je demande, implorant la rétribution d’une chaire (cathedra), que vous souteniez de votre secours spirituel et de votre enseignement sacerdotal la communauté chancelante de notre cher ami commun Oyend, qui est veuve d’un prélat, et non le moindre pour ce qui concerne son rang. Et il ne faut pas que vous détourne de dispenser votre charité le fait que le souci de votre direction n’est pas accueilli par eux comme il convient, plus, je crois, par naïveté que par négligence d’esprit : de telle sorte que, destiné que vous êtes à des fonctions plus hautes, comme nous le souhaitons avec la grâce de Dieu, et vous élevant jusqu’à doubler les cinq talents (Mt 25, 20) à partir des deux acquis, ayant fait vos preuves dans le second grade, fidèle aussi dans les plus grandes choses, vous apportiez aux peuples le sentiment intime que ce que, avec d’autres, la discorde fraternelle aurait pu transformer en une sorte de désert, avec vous, l’amour paternel a cherché à le maintenir comme monastère45.

Comme le soulignait Adalbert de Vogüé en commentant ce passage selon sa propre traduction, « rien n’est moins assuré que la traduction qu’on vient de lire, tant le texte est incertain et obscur46 ». Pour autant, quelles que soient les difficultés de compréhension qu’offre cette lettre, qui donne un bel exemple de la langue contournée qu’utilisait habituellement Avit de Vienne47, il est en tout cas 45. Iam vero, ut aliter dignas pro transmisso munere gratias agam, votis me magis sentio invenire quam litteris. Illud quoque, ut de eremo talia proferri posse dicatis, elegantia quadam desideria hominum ad locum vestrae cohabitationis adtrahitis : quo, procul dubio, personae vestrae sollicitudine, institutione, doctrina, etiamsi in veritate sit eremus, fieret paradisus. Quapropter pro sella quam transmisistis, cathedrae vicissitudinem imprecans, quaeso ut nutantem scolam cari communis Eugendi et non minimo, quantum ad statum suum attinet, praesule viduatam, spiritali solatio et sacerdotali magisterio foveatis. Neque illud ab impendenda caritate vos retrahat, quod simplicitate magis, uti arbitror, quam abusionis animo minus digne ab eis cura vestrae ordinationis ambitur : ut ad maiora (ut praestante Deo cupimus) gubernacula provehendi et ad duplicanda quinque talenta de duobus additis adsurgentes, probai in secundo gradu, fideles et maximis, hanc secretam conscientiam feratis ad populos ut, quod in aliis fraterna dissensio potuisset ac eremum facere, in vobis studuerit paterna dilectio monasterium continere : avit de vienne, Lettres, cit., ep. 19, 3-5, p. 46-47. 46. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 124. 47. Sur le style souvent très déprécié d’Avit de Vienne, v. la mise au point récente d’Elena Malaspina dans avit de vienne, Lettres, cit, p. LIII-LVI.

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possible d’en retenir trois informations majeures. Tout d’abord, cette lettre montre que les lieux monastiques jurassiens se définissaient comme un désert (eremus), témoignant ainsi que les îles n’avaient plus le monopole d’une telle définition. Ensuite, elle nous informe que la communauté jurassienne de Viventiole portait alors le deuil de son abbé Oyend et que sa succession faisait l’objet de très vives tensions. Enfin, elle témoigne que l’évêque Avit souhaitait que Viventiole puisse recevoir une cathedra. Ce dernier point est particulièrement important, puisqu’il a été considéré par l’érudition comme un élément susceptible de dater cette lettre d’Avit, dans la mesure où les historiens ont considéré que ce passage permettait de situer cette lettre dans le contexte de la candidature que Viventiole aurait posée au siège épiscopal de Lyon. Dès lors, étant donné que Viventiole était devenu évêque de Lyon, au plus tard lors de la fondation d’Agaune en 51548, et que l’érudition considérait que son prédécesseur Étienne aurait été encore vivant au début du mois de février 512, les historiens ont considéré que la lettre d’Avit pouvait être datée de 512/51449. Adoptée par l’érudition, cette date est d’autant plus fondamentale pour l’histoire des monastères jurassiens qu’elle est utilisée pour déterminer le termi‑ nus ad quem du décès de l’abbé d’Oyend, mais aussi, comme nous le verrons, le terminus a quo de la rédaction de la Vita patrum Jurensium50. Pour être devenue traditionnelle, cette datation pose au moins deux problèmes. Le premier ressort de l’affirmation traditionnelle qui voudrait que l’évêque Étienne de Lyon aurait encore été vivant en 512. Cette assertion ne repose en effet que sur une interprétation très discutable que l’historien lyonnais, Alfred Coville, avait faite d’un passage des Decem libri historiarum, dans lequel Grégoire de Tours affirmait que, peu avant la bataille de Vouillé de 507, un évêque de Lyon avait donné des biens de son Église à l’évêque Quintianus de Rodez, que les Wisigoths auraient alors contraint à se réfugier à Clermont51. Alfred Coville avait souligné que Grégoire de Tours avait fait une confusion, puisque cette donation ne pouvait pas avoir été effectuée avant 507, car à cette date la cité de Clermont se trouvait encore placée sous l’autorité des Wisigoths. Il considérait même qu’elle ne pouvait non plus être antérieure au concile tenu à Orléans le 10 juillet 511, puisque Quintianus en avait souscrit les actes comme évêque de Rodez52. Dans ces conditions, Coville proposait de situer l’exil de l’évêque Quintianus au lendemain de la mort en novembre 511 de Clovis, lorsque les Wisigoths s’étaient avancés dans le sud du Massif central et avaient temporairement repris une partie des territoires que les Francs leur avaient enlevés. Comme le martyrologe de Lyon permettait de placer la mort

48. 49. 50. 51.

Vie des abbés d’Agaune, cit., 7-8, p. 158-159 avit de vienne, Lettres, cit, p. 197, n. 204. Vie des pères du Jura, cit., p. 55. […] Lugdunensis episcopus largitus est ei aliqua possessionis ecclesiae suae quam in Arverno : grégoire de tours, Historia Francorum, cit., II, 36, p. 85 ; sur cet évêque, v. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., p. 1565-1567. 52. Concilia Galliae, a. 511‑a. 695, cit., p. 3-19.

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de l’évêque Étienne au 13 février, Coville en avait donc déduit que Viventiole ne pouvait lui avoir succédé avant le mois de février 51253. Au-delà du fait qu’elle ne soit fondée que sur une correction manifestement conjecturale de la chronologie contradictoire que donne Grégoire de Tours54, la démonstration de Coville pose une difficulté fondamentale. Elle repose en effet sur l’idée que l’évêque de Lyon, qui selon Grégoire de Tours aurait effectué cette donation à Quintianus, devrait naturellement être identifié avec Étienne. Or, étant donné que Grégoire de Tours ne donne pas le nom de cet évêque de Lyon, une telle assertion est abusive55. L’épiscopat d’Étienne ne peut en effet être daté que par deux événements : d’une part, par la mort, le 25 avril 501, de l’évêque Rusticus de Lyon, qui donne son terminus a quo, et d’autre part par l’arrivée de Viventiole, qui est pour la première fois attesté comme évêque de Lyon dans le contexte de la fondation d’Agaune en 51556. Dans l’hypothèse où la démonstration de Coville pourrait être retenue et que nous serions donc autorisés à situer la donation à l’évêque Quintianus entre novembre 511 et février 512, ce qui est tout sauf assuré, rien ne permettrait donc de démontrer que l’évêque de Lyon concerné serait Étienne et non Viventiole, puisque aucune source ne s’oppose à ce que ce dernier eût pu être évêque de Lyon en 511/512 et même bien avant. Le second problème, dont les conséquences sont autrement plus importantes, est que l’utilisation de l’épiscopat d’Étienne pour dater cette lettre est fondée sur l’idée qu’Avit aurait évoqué la cathèdre épiscopale de l’Église de Lyon, lorsqu’il avait souhaité à Viventiole de recevoir la cathedra qu’il ambitionnait. Selon cette interprétation, qui a été adoptée de longue date par l’historiographie, cette lettre attesterait que le prêtre Viventiole avait déjà jeté son dévolu sur l’Église de Lyon et aurait même fait à l’évêque de Vienne ce don d’une sella, afin de s’assurer de son appui. En réalité, comme l’a mentionné Marc Reydellet57, la cathedra que l’évêque Avit avait ici évoquée de manière rhétorique, en la mettant en parallèle avec la sella que lui avait offert Viventiole, désignait manifestement le siège abbatial des monastères jurassiens. Contrairement à ce qu’avait estimé Martin Heinzelmann, qui considérait qu’une cathedra ne pouvait qualifier qu’un trône épiscopal58, le terme pouvait en effet avoir une acception plus large dans la documentation tardo-antique. La Vita patrium Jurensium en offre d’ailleurs en exemple, lorsqu’elle se gaussait des moines-prêtres qui, au sein même du monastère de Condadisco, « s’efforcent de trôner du haut de leur chaire (cathedra) et de leur sacerdoce59 ». 53. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon, cit., p. 307-308. 54. Sur ces contradictions, v. B. duméZil, Le baptême de Clovis, 24 décembre 505 ?, Paris, 2019 (Les journées qui ont fait la France), p. 204. 55. Alfred Coville affirme juste, sans autre procès : « l’évêque de Lyon, qui était à ce moment Étienne » : coville, Recherches sur l’histoire de Lyon, cit., p. 307-308. 56. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1830-1832. 57. avit de vienne, Lettres, cit., p. 197, n. 211. 58. HeinZelmann, Bischofsherrschaft in Gallien, cit., p. 115. 59. Vie des pères du Jura, cit., 21, p. 262-263.

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Une lecture attentive du texte ne laisse aucun doute sur la question, puisque la cathedra que l’évêque Avit souhaitait au moine-prêtre Viventiole d’obtenir était censée lui permettre d’apporter son « enseignement sacerdotal à la communauté chancelante de notre cher ami commun Oyend », ce qui désigne ici manifestement la communauté monastique jurassienne et non l’Église de Lyon. Comment par ailleurs estimer qu’Avit, qui ne cessait dans cette lettre d’encourager Viventiole dans ses ambitions abbatiales, aurait pu vouloir évoquer dans ce passage sa future élévation sur le siège épiscopal de Lyon, alors qu’aucune allusion dans cette lettre, tout entière consacrée à la succession disputée de l’abbé Oyend, ne peut donner à penser que la succession de l’évêque Étienne était alors ouverte ? Tout indique en fait qu’à l’époque où Avit écrivit cette lettre, la possibilité d’une élévation de Viventiole au siège épiscopal de Lyon constituait une question qui ne se posait pas, ce qui montre que la datation de cette épître doit être reprise. S’il faut reconnaître que cette lettre est effectivement antérieure à la fondation de l’abbaye d’Agaune en 515, puisque Viventiole était à ce moment-là évêque de Lyon, il est en revanche tout aussi nécessaire de souligner que rien n’interdit de penser qu’elle aurait pu être écrite avant 512. Ce constat a d’importantes conséquences pour l’histoire des monastères jurassiens, dans la mesure où, comme nous l’avons déjà signalé, la lettre d’Avit à Viventiole est usuellement utilisée pour donner le terminus a quo de la rédaction de la Vita patrum Jurensium. Enfin, nous devons à Grégoire de Tours un texte intitulé De sanctis Lupicino atque Romano abbatibus, qui constitue le premier des vingt récits hagiographiques de la Vita patrum, que Grégoire de Tours semble avoir rédigés dans les années 58060. Consacré aux vies et aux miracles de Lupicin et, dans une moindre mesure, de son frère Romain, autrement dit aux deux fondateurs des monastères jurassiens, le texte de Grégoire de Tours offre un récit des origines du monachisme jurassien, qui présente le grand intérêt d’être indépendant de celui que donne la Vita patrum Jurensium61. Ne comportant que six courts chapitres, il ne nous apporte toutefois que peu d’informations, mais témoigne en revanche de l’importance qu’avait pris au cours du vie siècle le culte de saint Lupicin, dont la mémoire avait visiblement éclipsé celle de son frère Romain. Selon Grégoire de Tours, Lupicin aurait en effet été le frère aîné de Romain, alors que la Vita patrum Jurensium, plus crédible car plus proche des faits, affirme exactement le contraire62. Surtout, alors que la Vita patrum Jurensium avait affirmé que les deux frères étaient co-abbés des monastères jurassiens, Grégoire de Tours considérait que seul Lupicin aurait porté le titre abbatial63.

60. grégoire de tours, La Vie des Pères, éd. L. Pietri, Paris, 2016, p. 6-24. 61. V. l’étude fouillée d’Alain Dubreucq, qui conclut à l’indépendance des deux textes, tout en repérant un emprunt textuel qui pourrait témoigner d’une source commune : A. duBreucq, « la Vie des pères du Jura et sa transmission de l’Anonyme à Grégoire de Tours », Bulletin de l’Association pour l’Antiquité tardive, 28 (2019), p. 120-139, en particulier p. 128-129. 62. Ibid., I, 1, p. 10-11 et Vie des pères du Jura, cit., 12, p. 252-253. 63. Vie des pères du Jura, cit., 24, p. 264-265 et grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 2, p. 14-15.

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Dans ce texte, Grégoire de Tours donnait aussi une information majeure, lorsqu’il affirmait qu’à la fin de sa vie Romain aurait voulu être inhumé dans une église située à l’extérieur de son monastère de Condadisco. Prévoyant que de nombreux malades viendraient sur sa tombe rechercher une guérison, il considérait qu’il « est impossible que j’aie mon tombeau dans un monastère dont l’accès est interdit aux femmes64 ». Selon Grégoire de Tours, ces dispositions expliqueraient que Romain « fut enseveli à dix milles du monastère, sur une petite éminence65 », selon une description qui correspond au site de la Balme, tel que l’avait évoqué la Vita patrum Jurensium66. Ce passage est d’un grand intérêt, car si Grégoire de Tours connaissait bien cette église, puisqu’il signale que de nombreux pèlerins y affluaient grâce aux miracles que Dieu accordait à la tombe de Romain67, il ne savait en revanche visiblement pas qu’elle aurait accueilli originellement un monastère de moniales, comme l’avait prétendu la Vie des pères du Jura. Un tel constat ne peut que nourrir un peu plus les doutes que suscite ce monastère féminin, dont l’existence n’est ainsi attestée que par la seule Vita patrum Jurensium. Pour le moins, il confirme que si ce monastère féminin a bien existé, il avait en tout cas disparu au temps de Grégoire de Tours, qui ne mentionnait sur ce site qu’une simple église rurale dans laquelle se trouvait la tombe de saint Romain, selon une description d’autant plus crédible qu’elle est par ailleurs tout à fait identique à celle que donnent les martyrologes carolingiens de Florus68.

La Vita vel regula des pères du Jura L’importance de la Vita patrum Jurensium ne s’est imposée que récemment, en raison des doutes qui ont longtemps pesé sur son authenticité. Comme bien d’autres textes hagiographiques d’époque mérovingienne, la Vita patrum Jurensium a en effet été victime de l’hypercriticisme des érudits. De Quesnel à Krusch, en passant par Papebrock et Jahn, la critique philologique n’a longtemps vu en elle qu’une composition tardive, qu’elle datait au mieux de la période carolingienne69. L’authenticité de la Vita ne s’est définitivement imposée qu’avec l’édition donnée en 1968 par François Martine, qui a soutenu que ce texte n’avait pu être écrit que dans les années qui avaient suivi la mort de l’abbé Oyend. Sa démonstration a 64. Non potest fieri, ut ego in monasterio sepulchrum habeam, a quo mulierum accessus arcetur : grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 6, p. 22-23. 65. […] in decim millibus a monasterio in monte parvulo sepultus est : ibid., I, 6, p. 22-25. 66. Bully, « Le monastère de la Balme, prieuré Saint-Romain de Roche (Jura) », cit., p. 159-160. 67. Super cuius deinceps sepulchrum magnum templum aedificatum est, in quo ingens frequentia populi diebus singulis accurit. Multae enim virtutes ibi in Dei nomine nunc ostenduntur : grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 6, p. 24-25. 68. In territorio Lugdunensi, locis Iurensibus, beati Romani abbatis, qui primus illic vitam heremiticam duxit, et multis miraculis ac virtutibus clarus, plurimorum postea pater exstitit monachorum. Cuius corpus in Vesontionensis ruris ecclesia venerabiliter conditum habitur : éd. quentin, Les martyrologes historiques du Moyen Âge, cit., p. 348. 69. Vie des pères du Jura, cit., p. 14-44.

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largement convaincu l’érudition, qui en a en particulier retenu que la proximité de l’auteur anonyme de la Vita patrum Jurensium avec Oyend, mais aussi le fait que le texte n’attribuait à cet abbé aucun miracle posthume, attestaient que la rédaction de la Vie des abbés du Jura était nécessairement proche du décès d’Oyend. Il convient peut-être aujourd’hui de relativiser un peu ces arguments, puisque Alain Dubreucq a montré que les moines jurassiens semblent n’avoir pas développé le culte d’Oyend avant la période carolingienne, ce qui pourrait aussi expliquer que l’anonyme n’ait pas mentionné la présence de miracles sur sa tombe70. Pour dater le décès d’Oyend, François Martine disposait tout d’abord du jour de la déposition de cet abbé, que les calendriers ont toujours datée du 1er janvier. Pour déterminer l’année, il se référait à la démonstration d’Alfred Coville, qui lui semblait avoir mis en évidence, comme nous l’avons vu, que le décès d’Oyend était très proche de celui de l’évêque Étienne de Lyon, qu’il avait proposé de situer le 13 février 51271. En conséquence, il considérait, selon un avis alors partagé par toute l’érudition, que le décès d’Oyend devait être daté du 1er janvier 512. Martine avait toutefois renoncé à faire de la mort d’Oyend le terminus a quo de la rédaction de la Vita patrum Jurensium. Il avait en effet constaté que l’auteur de la Vita patrum Jurensium avait dédicacé son œuvre à deux moines d’Agaune, qui se trouvaient alors en recherche d’institutions pour leur monastère, et en avait déduit que ce texte n’avait donc pu être rédigé qu’après la fondation en 515 de l’abbaye d’Agaune par Sigismond. Tous ces éléments avaient donc conduit François Martine à conclure qu’il fallait situer la rédaction de la Vita patrum Jurensium aux alentours de 520, après la fondation d’Agaune, une petite dizaine d’années après la mort de l’abbé Oyend72. Dans un important article paru en 1971, François Masai avait repris sur un point le raisonnement de François Martine, en montrant que la fondation en 515 de l’abbaye d’Agaune devait en réalité être considérée comme le terminus ad quem de la rédaction de la Vita patrum Jurensium et non comme son terminus a quo73. François Masai avait en effet souligné que si la Vie des pères du Jura avait, à de fréquentes reprises, mentionné Agaune, elle n’avait en revanche jamais évoqué la fondation de 515. Un tel constat lui semblait démontrer que ce texte avait nécessairement été écrit avant cet événement majeur, puisqu’il aurait été sinon incompréhensible qu’il ne s’en fût trouvé aucun écho dans la Vita patrum Jurensium. Surtout, il estimait que l’hypothèse de Martine ne pouvait être crédible, dans la mesure où il aurait été impensable que deux frères d’Agaune auraient pu, au lendemain de la fondation de 515, se tourner vers les moines jurassiens pour leur demander de leur seule initiative des conseils sur les institutions à introduire dans leur établissement, alors qu’à cette époque leur monastère disposait d’un abbé et d’une règle de vie, qui venait tout juste de lui être imposée. Ces 70. duBreucq, « la Vie des pères du Jura et sa transmission de l’Anonyme à Grégoire de Tours », cit., p. 130-138. 71. Vie des pères du Jura, cit., p. 53-54. 72. Ibid., p. 45-57. 73. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit.

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éléments avaient amené Masai à conclure qu’une telle situation ne pouvait se comprendre que si la Vita patrum Jurensium avait été rédigée avant la fondation de 515, en un temps où les premiers moines d’Agaune devaient effectivement s’interroger sur les institutions qui allaient organiser le monastère, que Sigismond se préparait alors à établir. En conséquence, Masai avait proposé de situer la Vita patrum Jurensium entre le 1er janvier 512, date présumée de la mort d’Oyend, et la fondation en 515 de l’abbaye d’Agaune par Sigismond. La démonstration de François Masai a largement convaincu l’érudition et cette fourchette de datation a été depuis lors largement reprise par les historiens74. Si la démonstration de Masai semble avoir permis d’établir solidement le ter‑ minus ad quem de 515, il convient en revanche de renoncer à utiliser le terminus a quo de 512, qui n’est en réalité fondé, comme nous l’avons déjà vu, que sur la datation par Alfred Coville de l’épiscopat de Viventiole. Or, s’il ressort effectivement de la lettre d’Avit de Vienne à Viventiole que l’abbé Oyend est bien mort avant que Viventiole ne devienne évêque de Lyon, nous avons en revanche vu qu’il n’est pas possible de prouver, comme Alfred Coville l’avait pensé, que Viventiole n’aurait pu devenir évêque qu’après le début du mois de février 512. Comme nous avons déjà pu le souligner, la chronologie des évêques de Lyon permet seulement de déterminer que Viventiole a succédé à Étienne, qui était luimême devenu évêque après la mort de son prédécesseur Rusticus, le 25 avril 501. Étant donné qu’Étienne est un évêque relativement bien connu, qui fut le destinataire de trois lettres d’Avit de Vienne, d’une épître d’Ennode de Pavie, ainsi que de la dédicace de la Vita Eutropii (BHL 2782)75, il semble évident que son épiscopat n’avait pu être éphémère. Il peut paraître ainsi peu probable qu’il aurait pu décéder avant 505, une date qui constitue donc le seul terminus a quo de la Vita patrum Jurensium qu’il semble possible d’établir à partir de la liste épiscopale de Lyon. Il faut enfin souligner que cette datation est très proche d’un autre terminus a quo de la rédaction de la Vita patrum Jurensium, donné par la conversion de Sigismond à l’orthodoxie nicéenne, qui est nécessairement antérieure au projet de fondation du monastère d’Agaune. L’érudition situe en effet la conversion du fils de Gondebaud entre 500 et 507, mais Justin Favrod a montré que la date de 506 semblait la plus probable, ce qui nous amène là encore à placer un terminus a quo 74. G. moyse, « Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (ve-xe siècles) », cit., p. 24 ; wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », cit., p. 20, n. 10 ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8. cit., p. 126-127 et A. duBreucq, « Les relations entre Condat et Agaune », dans N. Brocard, F. vannotti et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 133-145, ici p. 133. Contra : A.-M. helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515814) », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 111-133, qui considère p. 121 que la rédaction de la Vita patrum Jurensium serait postérieure à la fondation d’Agaune. 75. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. II, p. 1830-1832.

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au milieu de la première décennie du vie siècle76. En conséquence, il peut sembler raisonnable de proposer de dater la Vita patrum Jurensium entre environ 505 et 515, dans une fourchette qui serait donc un peu plus large que celle que François Masai avait proposée. Bien que l’auteur de la Vita patrum Jurensium n’ait malheureusement pas jugé nécessaire de s’identifier, François Martine avait considéré que l’anonyme se serait lui-même mis en scène dans la Vita patrum Jurensium, en la personne d’un frère que l’abbé Oyend avait « très secrètement chargé » de lui apporter l’onction sur son lit de mort77, ce qui semble en réalité bien peu assuré. Considérant que François Martine aurait ainsi établi que l’anonyme était un moine-prêtre, François Masai avait proposé dans son article de 1971 de l’identifier avec Viventiole, en annonçant qu’il allait le démontrer dans une étude, que son décès précoce ne lui a malheureusement pas permis de publier. Son hypothèse a cependant été souvent reprise par les historiens, à l’exemple d’Adalbert de Vogüé, qui a avancé un nouvel argument en sa faveur, en soulignant que l’auteur de la charte de fondation de Saint-Maurice, un faux que les historiens s’accordent à dater du règne de Charlemagne78, affirmait que Viventiole aurait été le fondateur des instituta de l’abbaye d’Agaune. Comme l’auteur de la Vita patrum Jurensium avait dédié son œuvre aux moines d’Agaune, afin qu’ils puissent y trouver un modèle pour conduire leur propre vie monastique, l’attribution par la fausse charte de fondation de l’abbaye Saint-Maurice des instituta de ce monastère à Viventiole aurait pu, selon Adalbert de Vogüé, signifier qu’il existait à la période carolingienne une tradition qui lui attribuait la rédaction de la Vie des pères du Jura79. Une telle hypothèse est toutefois peu convaincante, dans la mesure où l’auteur de la fausse charte de fondation d’Agaune n’a visiblement pas eu connaissance de Viventiole par l’intermédiaire d’une vieille tradition orale, mais tout simplement par le biais de la Vita abbatum Acaunensium, dans laquelle il a puisé le nom de Viventiole et de tous les évêques qu’il avait mentionnés. Si les historiens ont souvent repris à leur compte l’hypothèse de Masai80, l’identification de l’anonyme à Viventiole a toutefois été récemment remise en cause par Alain Dubreucq, qui a constaté avec pertinence qu’il était difficile de penser que ce moine-prêtre aurait pu être l’auteur de ce texte, dans la mesure où la Vie des pères du Jura se caractérise par un discours très critique envers le

76. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 377-380. 77. Vie des pères du Jura, cit., p. 50-51. 78. M. reymond, « La charte de saint Sigismond pour Saint-Maurice (515) », Revue d’histoire suisse, 6 (1926), p. 1-60 ; J.-M. theurillat, « L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », Bibliothèque de l’École des Chartes, 110 (1952), p. 57-88 et J.-M. theurillat, L’abbaye de Saint‑ Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, Sion, 1954 [extrait de Vallesia], ici p. 57-82. 79. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 125. 80. moyse, « Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (ve-xe siècles) », cit., p. 44 et wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », cit., n. 118, p. 27-28.

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sacerdoce monastique81. La Vita patrum Jurensium se montre en effet très peu favorable aux moines-prêtres, dressant en particulier un éloge appuyé du refus d’Oyend de recevoir la prêtrise, avant de dénoncer l’orgueil des moines qui mettaient en avant leur sacerdoce pour affirmer leur supériorité sur leurs frères. Or, si l’on admet que la Vita patrum Jurensium a été rédigée très peu de temps après la mort d’Oyend, dans un contexte où, selon la lettre d’Avit de Vienne, Viventiole tentait de devenir abbé, en arguant précisément de l’autorité que lui avait conféré son ordination sacerdotale, il semble effectivement impossible de lui attribuer un texte, qui s’attachait précisément à dénoncer l’orgueil et les ambitions des moines-prêtres. Sans doute peut-on même aller plus loin, en considérant que l’auteur de la Vie des pères du Jura devait très certainement faire partie de ces moines qui s’opposaient aux ambitions abbatiales de Viventiole et dont Avit avait dénoncé dans sa lettre les erreurs, « plus, je crois, par naïveté que par négligence d’esprit82 ». L’hypothèse que la Vita patrum Jurensium ait été écrite, dans le contexte de la succession d’Oyend, par un opposant à la candidature abbatiale de Viventiole pourrait en effet expliquer la lourde insistance de ce texte sur la critique du sacerdoce monastique, qu’il faut à l’évidence considérer comme l’un des messages majeurs que l’anonyme avait voulu exprimer. Au-delà de ces questions de datation, la Vie des pères du Jura pose un problème plus général d’interprétation. Tout au long de son œuvre, l’anonyme affirmait en effet qu’il se donnait pour but d’écrire la vie des saints pères du Jura, afin de pouvoir ainsi donner une description des institutions qui régissaient la vie des monastères jurassiens, conformément à la demande que les moines d’Agaune lui avait faite. L’anonyme terminait d’ailleurs son récit en revenant sur ce point, pour préciser que son texte était destiné à répondre à la demande de l’abbé Marin de Lérins, qui lui avait demandé de mettre par écrit les institutions des monastères jurassiens, afin de pouvoir édifier les moines d’Agaune, qui étaient alors en recherche d’une règle de vie pour leur établissement : Les institutions que nous avons rédigées pour l’éducation de votre propre monastère, la communauté d’Agaune, sur les instances du saint prêtre Marin, abbé de Lérins, combleront magnifiquement, avec l’aide du Christ, tous vos désirs, autant à cause du caractère insigne de ces institutions qu’en raison de l’autorité de celui qui a ordonné ce travail83.

Cette phrase, par laquelle se termine la Vita patrum Jurensium, a suscité des interprétations controversées. Traditionnellement, l’érudition en a déduit que l’anonyme aurait adressé aux moines d’Agaune des « institutions » en sus de la Vita patrum Jurensium, sous la forme d’une règle écrite qui se serait originelle81. duBreucq, « Les relations entre Condat et Agaune », cit., p. 144-145. 82. […] simplicitate magis, uti arbitror, quam abusionis animo : avit de vienne, Lettres, cit., ep. 19, 5, p. 47. 83. […] instituta quae de informatione monasterii vestri, id est Acaunensis coenobii, sancto Marino presbytero insulae Lirinensis abbate conpellente, digessimus, desideria vestra, tam pro institutionis insignibus quam pro iubentis auctoritate, Christo opitulante, luculenter explebunt : Vie des pères du Jura, cit., 179, p. 432-435 (traduction légèrement retouchée).

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ment ajoutée aux trois Vies des pères du Jura. Cette interprétation, qui se fonde sur l’hypothèse que les actuels manuscrits ne nous auraient transmis qu’une partie de l’œuvre de l’anonyme, a amené les historiens à rivaliser d’ingéniosité pour identifier cette règle, que la tradition manuscrite ne nous aurait pas transmise. Pour François Martine, il s’agirait d’un texte irrémédiablement perdu, qui aurait été originellement inséré au sein même de la Vita patrum Jurensium, entre les chapitres 174 et 17584. En 1971, François Masai avait en revanche proposé d’identifier ces « institutions » avec la Regula IV patrum, dont l’anonyme aurait envoyé une copie aux moines d’Agaune, en plus de sa Vie des pères du Jura85. Adalbert de Vogüé a, quant à lui, repris le raisonnement de Masai, tout en estimant que « les institutions » que l’anonyme aurait envoyées en plus de la Vita patrum Jurensium devaient être identifiées avec la Regula orientalis86, selon une conception qui s’est largement diffusée dans l’historiographie87. Cette position a pu en effet sembler d’autant plus consensuelle que, dans un article, paru en 1977, François Masai s’y était pour l’essentiel rallié, en considérant avec esprit de compromis que la vie des moines du Jura avait dû être définie par un codex de règles, qui aurait non seulement compris la Regula orientalis, mais aussi la Regula IV patrum et plusieurs autres textes normatifs, en particulier d’origine pachomienne88. On proposera toutefois ici une solution plus simple, en considérant que la Vita patrum Jurensium constituait en elle-même ces institutions que l’anonyme se proposait d’offrir aux moines d’Agaune. Comme en témoigne en effet le titre de Vita vel regula sanctorum patrum Romani, Lupicini et Eugendi monasterio‑ rum Jurensium abbatum que lui donnent ses plus anciens manuscrits89, la Vie des pères du Jura se définissait tout à la fois comme un recueil hagiographique des Vies des trois principaux abbés jurassiens et une règle de vie monastique. 84. Ibid., p. 31-33. 85. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 61. 86. Les règles des saints pères. II. cit., p. 435-453 et vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8. cit., p. 127-129. 87. K. ZelZer, « Die Identifizierung der “Instituta de informatione Acaunensis coenobii” » : eine rätselhafte monastische Dreiecksgeschichte », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 439-446 et M.-L. viennet, « De la Règle orientale à Benoît de Nursie et Benoît d’Aniane », dans Itinéraires monastiques des pères du Jura. Sur les pas de Romain, Lupicin et Oyend. Actes du colloque organisé par la Société Nouvelle Gorini, Bourg‑en‑Bresse, 9 et 10 octobre 2014, Bourg-en-Bresse, 2016 (Mémoire religieuse des pays de l’Ain. Travaux et documents, Hors-série 2), p. 95-112. 88. F. masai, « Recherches sur les règles de S. Oyend et de S. Benoît », dans Zweiter Internationaler Regula Benedicti-Kongreβ, Maria Laach, 15-20.9.1975, Hildesheim, 1977, p. 43-73. 89. B. de vregille, « La tradition manuscrite de la “Vie des Pères du Jura” et de la “Vie des Abbés d’Agaune” », dans N. Brocard, F. vannotti, et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 45-53 et duBreucq, « la Vie des pères du Jura et sa transmission de l’Anonyme à Grégoire de Tours », cit., p. 123-124, qui souligne toutefois l’absence de ce titre dans les manuscrits plus récents.

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Ouvrant son récit, l’anonyme expliquait ainsi que ses lecteurs allaient pouvoir y trouver les « actes, la vie et la règle des vénérables pères du Jura, selon ce qu’ici j’ai vu moi-même ou entendu rapporter par les anciens90 ». Il précisait ainsi très explicitement que son œuvre avait vocation à offrir non seulement la Vie et les actes des pères du Jura, mais aussi leur règle. L’anonyme prévenait toutefois ses lecteurs qu’il ne leur donnerait la règle des monastères jurassiens que dans sa troisième partie, lorsqu’il aborderait la Vie de saint Oyend. Pour expliquer ce choix, il soulignait que cet abbé avait dû substantiellement remodeler « les institutions primitives », donnant ainsi naissance à la règle de vie qui se trouvait alors en application dans les monastères jurassiens : Il me reste pourtant à vous prévenir d’une chose : puisque je vous ai promis pareillement un exposé méthodique de la règle de ces pères, sachez que je la réserve pour mon troisième opuscule. Il est plus normal en effet de vous le donner avec la Vie de saint Oyend, puisque c’est lui qui, sous l’inspiration du Seigneur, perfectionna avec un soin particulier les institutions primitives91.

Fidèle au projet qu’il avait ainsi défini, l’anonyme s’était de fait limité, dans les Vies de Romain et de Lupicin, à quelques évocations très générales des « institutions primitives », qui auraient originellement organisé les monastères jurassiens. Ainsi, évoquant l’arrivée de Romain dans le Jura, il avait expliqué, en des termes très généraux, que « le bienheureux commença, en ce lieu, tout en pratiquant assidûment la prière et la lecture, à satisfaire par le travail manuel, selon l’institution monastique, aux besoins d’une modeste existence92 ». De même, arrivé à la fin de la Vie de Lupicin, il s’était contenté de signaler que le saint abbé avait vécu selon « les institutions primitives », en n’en donnant qu’un tableau très général aux accents mythiques, pour préciser par exemple que « chacun se contentait de l’appui d’un bâton et de la galette grossière et substantielle du monastère93 ». L’anonyme n’évoquait en réalité cet âge d’or que pour critiquer la dégénérescence des temps présents, en affirmant par exemple qu’il n’aurait pas été alors possible de voir un frère « se faire porter, lui un être pourvu de sens et un bipède, par un cheval, un quadrupède94 », avant de préciser que « j’ai honte de le relater et de le dire, maintenant que partout sont battues en brèche les premières institutions95 ». De telles critiques étaient fréquentes chez l’anonyme, qui se montrait souvent amer devant les évolutions de la vie monastique, que lui semblaient en particulier 90. […] venerabilium Jurensium patrum actus, vitamque ac regulam quantum inibi proprio intuitu vel seniorum traditione percepi : Vie des pères du Jura, cit., 4, p. 242-243. 91. Illud tamen praemoneo, ut, quia eorumdem regulam digesturum me pariter repromisi, tertio me hoc libello reservasse noscatis, quia rectius hoc in vita beatissimi Eugendi depromitur, a quo constituta ipsa, inspirante Domino, sunt comptius exornata : ibid., 59, p. 304-305. 92. […] vir beatissimus inter orandi legendique frequentiam necessitatem victus exigui institutione monachali labore manuum sustentare : ibid., 10, p. 248-249. 93. […] sed sufficiat cuique cum sustentatione baculi grossior fortiorque monasterii tortula : ibid., 113, p. 358-359. 94. […] sensibilis ac bipes quadrupedi invectus est equo : ibid., 113, p. 358-359. 95. […] quod nunc quoque, refragatis ubique institutionibus, referre pudet ac dicere : ibid., 113, p. 358-359.

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apporter les moines-prêtres, qu’il jugeait prétentieux et peu portés au respect de l’humilité originelle qu’auraient prônée les pères fondateurs. Sensible comme ses contemporains à l’idée de l’inéluctable dégénérescence des temps, l’anonyme considérait que l’abbé Oyend avait été contraint de faire évoluer les « institutions primitives », afin de les adapter à la nature de plus en plus perverse des hommes. Aussi, comme il l’avait annoncé à plusieurs reprises, il ne donna le détail de la règle des monastères jurassiens, qui constituait donc la commande qu’il avait reçue de l’abbé Marin de Lérins, qu’en rédigeant la Vie de saint Oyend. C’est la raison pour laquelle, à la différence des Vies de Romain et Lupicin, la Vie d’Oyend fut pour l’essentiel consacrée à une description très concrète de la vie monastique dans les établissements jurassiens, autrement dit à leur règle de vie (instituta). Soucieux de préciser les choses, l’anonyme s’était aussi attaché à donner, dans le cours de son chapitre 174, les sources de la règle qu’observaient les moines jurassiens : Et puisque notre discours nous a conduit à aborder quelques points de l’institution des pères à travers l’imitation de saint Oyend, nous faisons connaître en premier lieu, conformément à la promesse faite auparavant de les réserver pour ce troisième opuscule, et pour autant que l’inspiration du Christ nous les porte en mémoire, les premières démarches de ceux qui renoncent au monde ; et de fait, nous ne foulons pas du tout aux pieds, en une dédaigneuse présomption, ces institutions-là qui ont été composées par l’éminent saint Basile, évêque de la capitale de la Cappadoce, ni celles des saints pères des Lériniens ou encore de saint Pachôme, antique abbé des Syriens, ou bien celles-là que composa plus récemment le vénérable Cassien, mais tout en lisant et relisant les premières tous les jours, ce sont celles-là [i.e. : de Cassien] qui ont été introduites en fonction de la nature du lieu et de la nécessité du travail que nous visons à accomplir, plutôt que celles des Orientaux, parce que, sans nul doute, le naturel et la faiblesse de constitution des Gaulois les suivent plus efficacement et plus facilement96.

La traduction ici proposée a été établie par Alain Dubreucq, qui a récemment donné une interprétation nouvelle et convaincante de ce texte à la construction obscure97. Pour Alain Dubreucq, l’anonyme aurait tout d’abord voulu expliquer que les moines jurassiens éprouvaient un grand respect pour les règles de Basile et de Pachôme, ainsi que pour « les institutions des pères des Lériniens », une 96. Et quia sermo adtulit ut de institutione patrum per imitationem beati Eugendi aliqua tangeremus, iuxta promissum quod memet praedixi terio opusculo servaturum, prout memoriae, Christo inspirante, suggeritur, abrenuntiantium exordia primitus intimamus : sic namque quod non illa omnino quae quondam sanctus ac praecipuus Basilius Cappadociae urbis antistes, vel ea quae sancti Lirinensium patres, sanctus quoque Pachomius Syrorum priscus abba, sive illa quae recentior uenerabilis edidit Cassianus fastidiosa praesumptione calcamus ; sed ea cotidie lectitantes, ista pro qualitate loci et instantia laboris inuecta potius quam Orientalium perficere adfectamus, quia procul dubio efficacius haec faciliusque natura vel infirmitas exsequitur Gallicana : Vie des pères du Jura, cit., 174, p. 426-129 ; j’ai suivi ici pour l’essentiel la traduction donnée par duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », cit., p. 198. 97. duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », cit., p. 198-202.

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formulation peu précise, dont il est peut-être possible de penser qu’elle pourrait désigner les deux traités monastiques d’Eucher. Selon Alain Dubreucq, l’anonyme se serait ensuite attaché à expliquer dans ce passage que les moines jurassiens avaient choisi de prendre les Institutions de Cassien comme source principale de leur règle de vie. Dans cette interprétation, l’anonyme aurait voulu justifier ce choix, en considérant que les Institutions auraient été plus adaptées que les règles orientales « au naturel et à la faiblesse de constitution des Gaulois ». Ce faisant, il se référait dans ce passage à la préface des Institutions, dans laquelle Cassien avait expliqué qu’il s’était donné pour objet de ne proposer dans sa règle qu’une version adoucie de celle que suivaient les moines orientaux, dans la mesure où le mode de vie des pères du désert aurait été « impossible ou trop rude et austère pour ces régions [des Gaules], soit à cause de la rigueur du climat, soit à cause de la différence des manières de vivre98 ». Le rôle privilégié de Cassien se retrouve d’ailleurs tout au long de la Vita patrum Jurensium, qui comporte pas moins de 21 références aux œuvres de l’ascète marseillais99. L’anonyme faisait surtout appel à l’autorité des écrits de Cassien, dès lors qu’il voulait définir le mode de vie des moines jurassiens100, ce qui témoigne de l’influence de ses écrits sur les institutions monastiques jurassiennes. Il est aussi remarquable que la Vita patrum Jurensium se soit attachée à placer les origines du monachisme jurassien sous le patronage de Cassien, en expliquant qu’en venant s’établir dans le Jura, Romain aurait amené du monastère de l’abbé Sabin des Institutiones abbatum, dans lesquelles il semble pertinent de reconnaître les Institutions que Cassien avait écrites pour le cénobe de l’évêque Castor d’Apt. Au-delà de la véracité, toujours sujette à caution, de cette anecdote, ce récit montre en tout cas que l’anonyme souhaitait manifestement ancrer le monachisme jurassien dans la tradition cénobitique ouverte par les Institutions de Cassien101. Faut-il dès lors penser que l’anonyme aurait joint à sa Vita vel regula des pères du Jura un exemplaire des Institutions de Cassien, comme Alain Dubreucq a pu le suggérer102 ? Cette hypothèse peut sembler fragile, dans la mesure où il serait difficile de croire que l’abbé Marin de Lérins aurait pu solliciter les moines du Jura pour qu’ils adressassent une copie des Institutions de Cassien aux moines d’Agaune, alors qu’il s’agissait d’un texte très courant dont les Lériniens devaient très certainement avoir une copie sur place. Comme le dit la Vita patrum Jurensium, dans son chapitre 174, l’objet de l’anonyme n’était d’ailleurs pas d’envoyer aux moines d’Agaune une copie littérale des Institutions, mais de faire connaître « l’institution des pères à travers l’imitation de saint Oyend », ce qui n’est pas la même chose. Si l’on accepte de suivre à la lettre ce propos de l’anonyme, il faut alors 98. […] pro difficultate ac diversitate morum inpossibilis in his regionibus vel dura vel ardus : Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., Préface, 9, p. 32-33. 99. Vie des pères du Jura, cit., p. 465. 100. moyse, « Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (ve-xe siècles) », cit., p. 57-58. 101. duBreucq, « Lérins et la Burgondie dans le haut Moyen Âge », cit., p. 203. 102. Ibid., p. 201-202.

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considérer que la Vita patrum Jurensium aurait été destinée à offrir aux moines d’Agaune un exemple d’application des Institutions de Cassien, en leur décrivant la vie concrète des moines jurassiens. En ce sens, ce que l’anonyme désignait tout au long de son texte comme les instituta des monastères jurassiens pourrait en fait désigner ce que nous appelons une coutume monastique, autrement dit une description de l’application concrète des grands principes généraux que les Institutions de Cassien avaient posés. On comprend dès lors que l’anonyme ait fait le choix de les décrire en rédigeant une Vita vel regula, puisque son objet était de donner une description concrète de la vie que les moines jurassiens menaient sous l’autorité de leurs pères, qui s’attachaient donc à guider au quotidien leur communauté en s’inspirant des préceptes que leur fournissaient les Institutions de Cassien103. Suivant à la lettre le projet de Cassien, qui se donnait pour but d’introduire en Gaule le mode de vie des grands ascètes orientaux, les moines jurassiens s’attachaient logiquement à suivre l’exemple des pères du désert. La Vita patrum Jurensium affirmait ainsi que Romain aurait non seulement emporté de son monastère lyonnais les Institutiones abbatum, mais aussi un livre consacré aux Vies des saints pères (Vitae sanctorum patrum). Il semble malheureusement impossible d’identifier ces Vitae sanctorum patrum, puisque l’expression pourrait tout aussi bien désigner l’Historia monachorum in Aegypto, traduite en latin par Rufin, qu’un autre des nombreux recueils latins de Vies orientales qui circulaient alors en Occident104. Tout au long de la Vita patrum Jurensium, l’anonyme s’était en tout cas souvent référé au modèle des pères orientaux, signalant par exemple que l’abbé Oyend aurait pratiqué les mêmes exorcismes que Grégoire le Thaumaturge, selon une référence qu’il avait empruntée à la continuation par Rufin de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée105. Par ailleurs, il faut aussi noter que l’anonyme s’est beaucoup inspiré des œuvres de Sulpice Sévère, évoquées à 21 reprises par la Vita patrum Jurensium106. Si l’anonyme a donc autant cité Sulpice que Cassien, la nature de ces emprunts n’était toutefois pas la même, puisque l’influence de Cassien apparaissait surtout dans ses références normatives, tandis que la Vita patrum Jurensium utilisait Sulpice Sévère pour évoquer la figure de saint Martin, qui constituait un patronage majeur pour les moines jurassiens. L’anonyme affirmait par exemple que l’abbé Oyend aurait pris comme modèle Antoine et Martin, qui était ainsi considéré par les moines jurassiens comme un ascète aussi important que les pères du désert égyptiens107. Il s’était aussi attaché à comparer les actes des pères jurassiens 103. Sur la fonction normative de l’hagiographie : M.-C. isaïa, « L’hagiographie, source des normes médiévales. Pistes de recherche », dans M.-C. isaïa et T. granier, Normes et hagiographie dans l’Occident médiéval (ve‑xvie s.). Actes du colloque international de Lyon, 4‑6 octobre 2010, Turnhout, 2014 (Hagiologia 9), p. 17-42. 104. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 50. 105. Vie des pères du Jura, cit., 143, p. 392-393. 106. Ibid., p. 466. 107. Ibid., 168, p. 418-421.

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à ceux que Sulpice Sévère avait prêtés à Martin108, et avait voulu montrer que les monastères du Jura bénéficiaient de la protection de saint Martin, qui serait par exemple apparu en songe à Oyend109. Ces références au culte de saint Martin ne doivent toutefois pas être surinterprétées, dans la mesure où il serait erroné de vouloir les opposer à la tradition provençale. Cassien et Sulpice Sévère offraient aux moines du Jura deux inspirations, qui n’étaient en rien contradictoires, comme en témoigne l’anonyme lorsqu’il affirmait que Romain serait venu s’installer dans le Jura en amenant d’une part les Institutions et d’autre part des Vitae patrum. Il signifiait ainsi que les moines du Jura s’inscrivaient pleinement dans la tradition monastique provençale et vénéraient les pères du désert, au premier rang desquels ils rangeaient Martin, sans vouloir donc opposer un enseignement à l’autre.

Le désert jurassien En affirmant que Romain serait venu dans le Jura avec le livre des Institutiones abbatum et des Vitae sanctorum patrum, l’anonyme avait donc défini les deux principales sources d’inspiration du monachisme jurassien, qui reposait sur le cénobitisme régulier de Cassien, mais aussi sur la tradition hagiographique des pères orientaux. Le monachisme jurassien s’attachait ainsi à se situer pleinement dans la tradition érémitique développée par les moines provençaux, qui voulaient introduire en Gaule le modèle monastique mis en place par les pères du désert. Il n’est donc pas étonnant que les pères du désert aient été très présents dans la Vita patrum Jurensium, qui comporte 14 références à la Vie d’Antoine par Athanase (BHL 609), 4 à l’Historia monachorum, 3 à la Vie de Paul l’Ermite (BHL 6596) et 3 autres à celle d’Hilarion de Gaza (BHL 3879)110. Ces évocations des grands textes orientaux étaient la conséquence du choix littéraire fait par l’auteur de la Vita patrum Jurensium, qui s’était donné pour objet de démontrer la nature érémitique du monachisme jurassien, en établissant un récit de la fondation des monastères jurassiens qui démarquait largement les grands textes hagiographiques sur les pères du désert, en particulier la Vie d’Antoine et la Vie de Paul l’Ermite111. Selon le récit de l’anonyme, Romain aurait grandi à Izernore, une agglomération secondaire située à 10 km au sud du port fluvial de Condes, qui avait été bâti à la confluence de la Bienne et de l’Ain112. Après avoir été initié au monachisme à Lyon, par l’abbé Sabin, Romain serait revenu dans sa patrie, avant de prendre 108. 109. 110. 111. 112.

Ibid., 46, p. 291 et 133, p. 382-383, n. 2. Ibid., 159-160, p. 410-411. Ibid., p. 465-466. A. Bully, « Paysages, échanges et mobilité dans la Vie des pères du Jura », cit. A. Buisson (éd.), Carte archéologique de la Gaule. L’Ain, 01, Paris, 1990, p. 85-90 ; D. fellague et E. ferBer, « Le temple d’Izernore (Ain, France) et ses pièces d’architecture erratiques en calcaire », dans P. PensaBene, m. milella et f. caPrioli, Decor. Decorazione architettonica nel mondo romano. Atti del Convegno Internazionale Roma, 21‑24 maggio 2014, Rome, 2017 (Thiasos Monografie 9), 2 vol. t. I, p. 189-206 et A. Buisson (éd.), Carte archéologique de la Gaule. L’Ain, 01/02, Paris, 2017, p. 236-248.

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la route du désert pour s’établir dans les forêts du Jura. L’anonyme s’attachait à multiplier les parallèles entre Romain et les pères du désert orientaux, expliquant par exemple que le fondateur du monachisme jurassien serait parti s’établir à Condadisco, alors qu’il aurait été âgé d’environ trente-cinq ans, l’âge auquel Antoine serait parti vivre dans le désert113. C’est aussi en recourant aux lieux communs, qui définissaient le désert dans la tradition littéraire monastique, que l’anonyme s’était attaché à décrire l’établissement de Romain à Condadisco, à la confluence de la Bienne et du Tacon : Au moment où le saint y entra, la région située en aval du confluent se trouvait, étant donné la rareté de ceux qui s’y fixaient, séparée des lieux habités par de vastes espaces ; car la richesse de la culture, au loin, dans la plaine, n’avait laissé personne traverser une succession de forêts pour venir s’établir au voisinage de Condadisco. D’autre part, si quelqu’un décidait, avec une téméraire audace, de couper à travers les solitudes sans chemin pour gagner le territoire des Équestres, les crêtes très élevées où vivent les cerfs et les vallées escarpées des daims permettraient à peine à cet homme, même robuste et agile, d’effectuer le trajet en une longue journée de solstice, sans même prendre en compte la densité de la forêt et des amas d’arbres tombés114.

Selon le tableau que dressait la Vita patrum Jurensium, la vallée de la Bienne aurait donc été dominée par une couverture forestière si épaisse, qu’elle ne pouvait permettre à ceux qui vivaient dans les riches espaces de la plaine de venir s’y établir. Afin de décrire cet espace sous les traits d’un véritable désert, l’anonyme expliquait aussi que les chemins, qui reliaient la vallée de la Bienne à Nyon et au pays des Équestres, n’auraient alors pas été tracés ou auraient été du moins encombrés par « la densité de la forêt et des amas d’arbres tombés ». Loin de constituer un carrefour routier vers l’espace lémanique, le site de Condadisco se serait alors trouvé isolé par un massif quasiment infranchissable, qui n’aurait guère été traversé que par des cerfs et des daims. Comme nous l’avons vu, ce tableau de la vallée de la Bienne, livrée à la forêt et aux animaux sauvages, est très éloigné du constat des archéologues, qui ont montré que de nombreux indices donnaient à penser que la région de Condadisco avait constitué durant l’Antiquité un espace bien humanisé, que traversaient des routes relativement importantes115. Bien que la Vita patrum Jurensium donne, dans sa description 113. A de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8. Première partie : le monachisme latin. De la Vie des pères du Jura aux œuvres de Césaire d’Arles, (500‑542), Paris, 2003, p. 47. 114. Locus ipse a decursu uniti fluminis, ut tunc sanctus ille ingressus est, non parvis spatiis ob raritatem consistentium distabat ab incolis, quia abundans procul in campestri cultura minime per successionem silvae illic permiserat quempiam vicinari. Ceterum, si quis solitudinem ipsam inviam contra Aequestris territorii loca ausu temerario secare deliberet, praeter concretionem silvestrem sive congeries arborum caducarum, inter iuga quoque praecelsa cervorum platocerumue praerupta convallia, vix validus expeditusque poterit sub longa solstitii die transcendere : Vie des pères du Jura, cit., 8-9, p. 248-249. 115. mordefroid, « Quel désert pour les pères du Jura ? Résultats du sondage archéologique effectué dans la cathédrale en 1990 », cit.

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du site de Condadisco, quelques détails précis et réalistes116, ce qui n’est guère étonnant puisque l’anonyme vivait en ces lieux, son tableau relevait donc pour l’essentiel d’une construction idéelle, sans grand rapport avec la réalité. Son récit n’avait ainsi d’autre but que de souligner que les monastères jurassiens étaient de même nature que les monastères des Égyptiens et des Syriens, dans la mesure où ils constituaient un espace de « solitude » (solitudo), en tous points semblable aux déserts dans lesquels vivaient les saints pères orientaux117. Tout le récit de fondation allait manifestement dans ce sens. L’anonyme le commençait en expliquant que Romain, « attiré par la retraite du désert (heremus) […] entra dans les forêts du Jura118 », assimilant ainsi les forêts jurassiennes à un désert. Puis, racontant que Romain avait été rejoint par son frère cadet Lupicin, il soulignait que les deux frères auraient alors vécu ensemble « dans un coin retiré du désert (heremus)119 ». Il assurait ensuite que les deux frères auraient été rejoints par deux jeunes clercs de Nyon, puis racontait les difficultés qu’ils auraient eu pour trouver la retraite de Romain et de Lupicin dans cette vaste forêt, en expliquant qu’ils « s’en viennent à travers cette région impraticable, en errant çà et là dans le désert (heremus), ignorants qu’ils étaient du séjour des hommes pieux120 ». Après avoir ainsi persuadé son lecteur que le site de Condadisco devait être assimilé à un désert, l’anonyme pouvait logiquement conclure qu’en s’y installant, Romain était devenu « un homme du désert (heremita)121 », ce qui faisait de lui un disciple des pères orientaux. Si le récit de fondation que donne Grégoire de Tours présente de notables divergences avec celui de la Vita patrum Jurensium, il tenait sur ce point un discours tout à fait semblable, en cherchant lui aussi à affirmer la nature érémitique du massif jurassien. Grégoire de Tours commençait son récit en présentant Lupicin et Romain comme de jeunes chrétiens qui « aspirent au désert122 », avant d’expliquer qu’ils étaient partis ensemble dans « la retraite du désert jurassien123 ». Utilisant tous les topoï de l’hagiographie des pères du désert, il poursuivait en racontant que le diable, se sentant défié sur ses terres, aurait alors envoyé ses démons attaquer les deux frères à coups de pierre, les contraignant à abandonner leur désert pour venir se réfugier dans des « domaines habités » (villae manen‑ tium). Une femme leur ayant alors reproché leur lâcheté, les deux frères auraient toutefois pu retrouver leur courage et « armés de l’étendard de la croix, bâton en

116. Bully, « Paysages, échanges et mobilité dans la Vie des pères du Jura », cit., p. 38-41. 117. R. alciati, « Un sistema agricolo familiare ovvero ciò che è chiamato il monachesimo del Giura », dans V. neri et B. girotti (éd.), La famiglia tardoantica. Società, diritto, religione, Milan, 2016, p. 129-144. 118. […] secretis heremi delectatus […] Jurensium silvas intravit : Vie des pères du Jura, cit., 5, p. 244-245. 119. […] hoc est secreto heremi : ibid., 12, p. 252-253. 120. […] a parte illa inrupta, heremo huc illucque, certa piorum sede, vagantes adveniunt : ibid., 13, p. 254-255. 121. Ibid., 10, p. 250-251. 122. […] heremum concupescunt : grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 1, p. 10-11. 123. […] Iorensis deserti secreta : ibid., I, 1, p. 10-11.

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main, [Lupicin et Romain] retournèrent au désert124 ». Ils seraient cette fois-ci parvenus à s’y maintenir et auraient réussi à implanter un monastère dans lequel s’établirent de nombreux frères, que Grégoire qualifiait de « bienheureux hommes du désert (beati heremitae)125 ». Il est notable que pour l’anonyme, qui vivait dans les lieux, l’aspect désertique de Condadisco reposait non pas sur le caractère montagneux de cette vallée, mais d’abord et avant tout sur la couverture forestière de la région, dont la Vita patrum Jurensium souligna à plusieurs reprises qu’elle était si dense qu’elle aurait rendu cet espace presque impénétrable pour les hommes. La forêt constituait ainsi un horizon essentiel des paysages érémitiques que décrivait l’anonyme, qui utilisa par 8 fois le terme de silva (forêt) ou de ses dérivés, 7 fois arbor ou arbuscula (arbre/ arbuste), 9 fois lignum ou ligneus (bois/boisé) et 2 fois abies (sapin). En revanche, il faut souligner que la Vita patrum Jurensium n’employa qu’à 3 reprises le terme de mons, ce qui montre que pour l’anonyme la montagne ne constituait qu’un élément secondaire de l’aspect désertique de l’espace jurassien, qui lui semblait donc d’abord et avant tout ressortir de sa dense couverture forestière. En bon lecteur de Jérôme de Stridon, l’anonyme s’était attaché à dresser un tableau ambivalent du désert forestier du Jura, en soulignant qu’il pouvait non seulement offrir aux ermites un espace désolé, mais aussi une retraite accueillante. S’inscrivant dans la tradition littéraire du monachisme, qui faisait du désert un espace tout à la fois diabolique et paradisiaque, la Vita patrum Jurensium pouvait d’une phrase à l’autre mettre en exergue l’ingratitude de ce milieu, puis les ressources attrayantes qu’il pouvait fournir. L’anonyme évoquait par exemple les sources abondantes d’eau fraîche, qui permettaient à Romain et Lupicin de s’abreuver abondamment, ou encore la beauté des animaux sauvages qui, à l’exception des serpents démoniaques, ne se montraient jamais hostiles aux frères126. Décrivant la vie érémitique des premiers pères du Jura, l’anonyme prenait parfois même des accents bucoliques, évoquant par exemple l’installation de Romain en ce lieu, en soulignant qu’il y « bénéficiait d’une vie angélique car, en dehors de la contemplation divine, il ne jouissait que de la vue des bêtes sauvages et, rarement, de celle des chasseurs127 ». Qu’il présentât les forêts jurassiennes sous les traits d’un désert désolé ou d’un jardin d’Eden, l’anonyme s’attachait surtout à expliquer que les pères du Jura y auraient mené une vie en tous points semblable à celle des pères orientaux. La Vita patrum Jurensium qualifiait Romain « d’imitateur d’Antoine (imitator Antonii)128 », mais aussi de « disciple de Paul [l’Ermite] ». L’anonyme expliquait en effet qu’en s’établissant à Condadisco, Romain aurait choisi de vivre sous « un sapin très épais, écartant en cercle sa ramure et qui, déployant sa large 124. 125. 126. 127.

[…] armati vixillo crucis, sumptis in manu bacellis, regressi sunt ad heremum : ibid., I, 2, p. 12-13. Ibid., I, 1, 2 p. 13-14. Bully, « Paysages, échanges et mobilité dans la Vie des pères du Jura », cit., p. 37-38. […] vita frueretur angelica ac praeter caelestem intuitum nullo nisi ferarum ac raro venantium frueretur adspectu : Vie des pères du Jura, cit., 12, p. 252-253. 128. Ibid., 12, p. 252-253.

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chevelure, couvrit le disciple de Paul, comme autrefois le palmier avait couvert Paul lui-même129 ». L’anonyme effectuait ainsi un bien audacieux rapprochement entre le palmier syrien, qui selon Jérôme de Stridon avait servi d’abri à Paul l’Ermite dans le désert syrien130, et le sapin jurassien sous lequel se serait abrité Romain. Cette comparaison exprimait sa conviction profonde que les pères du Jura avaient pu trouver dans les forêts du Jura des conditions semblables à celles que les pères orientaux avaient dû endurer dans leurs déserts, même s’il leur avait fallu pour cela s’adapter, selon le projet qu’avait défini Cassien, aux conditions propres au monde gaulois, en troquant ici le palmier du désert syrien pour un solide sapin jurassien. En quittant le monastère insulaire de l’Île-Barbe dans lequel il semble avoir été formé, Romain s’était toutefois établi dans un désert qui se trouvait bien moins séparé de la société que ne l’étaient les sites insulaires des moines provençaux. La Vie des pères du Jura en témoigne, dans la mesure où elle montre que les moines jurassiens avaient une vie sociale développée, qui n’est pas sans rappeler celle que menaient sous l’autorité de Martin les moines de Marmoutier. Si la Vita patrum Jurensium affirme, de manière assez convenue, que Romain craignait «d’être amolli par une conversation humaine et de contracter peut-être, par l’ouïe ou par la vue, quelque souillure131 », elle évoquait néanmoins ses nombreux voyages, comme celui qui l’amena à Genève, avant qu’il ne cheminât le long de la rive méridionale du lac Léman jusqu’à Saint-Gingolph132. À de nombreuses reprises, la Vita patrum Jurensium décrivit Romain comme un abbé voyageur, le dépeignant par exemple en train de programmer un voyage à Agaune avec le moine Pallade133. L’anonyme évoquait aussi le séjour que Romain aurait fait à Poncin, dans la vallée de l’Ain, où il aurait accompli un miracle134. Il évoquait enfin le voyage qu’il aurait effectué vers Besançon, où Romain aurait reçu l’ordination sacerdotale des mains de l’évêque Hilaire d’Arles135. La Vita patrum Jurensium évoquait aussi les déplacements de l’abbé Lupicin, en racontant qu’il s’était rendu à la cour du roi burgonde Hilpéric, pour y prendre la défense de pauvres gens qu’un grand aristocrate aurait réduits en servitude136. L’anonyme rajoutait que Lupicin avait pour l’occasion mis des souliers, en précisant qu’il le faisait toujours lorsqu’il se rendait à la cour royale, ce qui donne à penser qu’il devait s’y déplacer régulièrement137. Au sein de ces pères voyageurs du Jura, seul Oyend avait un profil particulier, puisque la Vita patrum Jurensium 129. […] porrectis in orbitam ramis, densissimam abietem, quae patulis diffusa comis, velut quondam palma Paulum, ita texit ista discipulum : ibid., 7, p. 246-247. 130. Éd. Jérôme, Trois vies de moines (Paul, Malchus, Hilarion), cit., Vie de Paul, 6, p. 154-155. 131. […] humana delinitus confabulatione, auditu forsitan polleretur aut visu : Vie des pères du Jura, cit., 50, p. 294-295. 132. Ibid., 45-50, p. 288-295. 133. Ibid., 44, p. 286-289. 134. Ibid., 43, p. 286-287. 135. Ibid., 18, p. 258-259. 136. Ibid., 92-95, p. 337-343. 137. Ibid., 63, p. 310-311.

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affirmait qu’il n’aurait jamais quitté son monastère. Le cas remarquable, mais aussi totalement isolé, d’Oyend, qui semble avoir fait vœu d’une totale stabilité, était d’autant plus notable que l’anonyme affirmait qu’il serait entré très jeune à Condadisco, en expliquant qu’il aurait été offert à l’abbé Romain par son père, un prêtre de l’église d’Izernore, alors qu’il était seulement dans sa septième année138. Cette large ouverture du monachisme jurassien à la société le distinguait assez fortement du monachisme provençal et du repli que ses sites insulaires lui avaient imposé, comme nous avons par exemple pu le voir en constatant que la Vita Honorati affirmait qu’Honorat et Eucher, pourtant situés sur des îles distantes de quelques centaines de mètres, ne communiquaient entre eux que par courriers. La Vie des pères du Jura offrait sur ce point une toute autre conception de l’espace monastique, comme en témoignent ses très nombreuses références aux déplacements des moines jurassiens. Elle évoquait par exemple le cas de deux moines, qui quittèrent les monastères du Jura pour aller chercher des reliques à Rome139, ou encore de ces frères qui étaient partis de Condadisco vers la Méditerranée, afin d’acheter le sel dont leur communauté avait besoin, après que les invasions des Alamans avaient coupé les routes du Nord140. En sens inverse, l’anonyme évoquait aussi les laïcs qui accouraient en nombre vers les monastères du Jura, afin de chercher dans ce lieu saint un remède contre les maladies qui les torturaient. Elle mentionnait aussi les nobles personnages qui étaient en lien avec le monastère, à l’exemple de Syagria, une femme issue de la prestigieuse famille lyonnaise des Syagrii141, qui entretenait une correspondance avec Oyend142. Elle contenait aussi un long passage, consacré aux relations que les moines jurassiens auraient entretenues avec le puissant comte Agrippin, à qui Lupicin apparaissait dans ses rêves pour lui prodiguer ses conseils143. Elle témoignait enfin des échanges qui liaient les moines jurassiens aux autres ascètes gaulois, à l’exemple de l’abbé Léonien de Vienne, qui aurait offert son scapulaire à Lupicin144. La Vita patrum Jurensium nous confirme ainsi ce que nous avait déjà appris la lettre de Sidoine Apollinaire à Domnulus, lorsqu’il avait évoqué les retraites que ce haut personnage faisait régulièrement dans les monastères du Jura. Ces établissements constituaient à l’évidence des lieux monastiques particulièrement ouverts sur la société. Cette ouverture n’était toutefois pas sans poser quelques difficultés aux pères du Jura, comme en témoignait l’anonyme lorsqu’il évoquait les problèmes que les abbés pouvaient rencontrer pour réfréner les tentatives de départ de leurs moines. Cette question se retrouve en permanence dans la Vita patrum Jurensium, comme dans ce passage où l’anonyme fustigeait les « pseudo-frères », qui « étaient

138. 139. 140. 141. 142. 143. 144.

Ibid., 125-126, p. 372-375. Ibid., 155, p. 404-405. Ibid., 157-158, p. 406-409. coville, Recherches sur l’histoire de Lyon du ve au ixe siècle (450‑800), cit., p. 5-29. Vie des pères du Jura, cit., 145, p. 394-397. Ibid., 96-110, p. 342-355. Ibid., 127, p. 376-377.

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partis » du monastère et avaient abandonné la vie religieuse145. Elle apparaissait aussi dans les préoccupations de ce moine qui aurait apostrophé Romain, afin de lui rappeler à quel point les frères pouvaient faire preuve d’instabilité, en lui expliquant qu’ils quittaient souvent la profession monastique, avant d’y revenir puis parfois de l’abandonner définitivement, souvent après de nombreux allers et retours entre le monastère et le siècle : Que de fois des frères s’éloignèrent-ils du cénobe sous le coup d’une impulsion contraire ! Et parmi ces derniers, que de fois avons-nous vu l’un ou l’autre quitter à nouveau le siècle, revenir à nous, une fois, deux fois, trois fois, et, malgré cela, retrouvant son courage, persévérer jusqu’à la palme de la victoire dans la profession qu’il avait depuis si longtemps abandonnée ! Quelques-uns aussi, sans qu’on puisse leur en faire un reproche, retournèrent, non à leur vice, mais à leur pays d’origine146.

Dans ces monastères, qui n’étaient pas séparés du monde par la mer ou du moins par les eaux d’un fleuve, l’instabilité des moines semble avoir constitué l’un des principaux soucis des abbés. L’anonyme rapportait ainsi que l’abbé Lupicin, qui avait surpris un soir deux frères en train d’échafauder un projet d’évasion, parvint à les convaincre, par la force de ses arguments et non par la puissance de ses coups, de rester dans le cénobe où, après s’être repentis, ils passèrent le reste de leur vie147. Il racontait aussi l’aventure du moine Datif qui, après s’être enfui des monastères jurassiens pour échapper à une vie monastique trop exigeante, aurait été reconnu à Saint-Martin de Tours par un énergumène, qui le menaça de le faire rentrer de force dans cette communauté. Apeuré, Datif repartit aussitôt dans son monastère jurassien, avant d’élaborer deux ans plus tard un nouveau projet d’évasion, qui devait une nouvelle fois faire long feu148. Ne disposant pas comme les moines provençaux et rhodaniens d’un fort enracinement dans un site insulaire, les moines jurassiens avaient ainsi la possibilité de se déplacer facilement, ce qui leur permettait, quand le besoin s’en faisait sentir, de s’implanter sur de nouveaux sites. Constatant que le site de Condadisco devenait trop étroit pour accueillir tous les frères qui souhaitaient s’y retirer, Romain et Lupicin décidèrent par exemple de défricher le site voisin de Lauconne, afin d’y fonder un nouveau monastère149. Les moines jurassiens disposaient ainsi d’une forte vocation à l’essaimage, comme le soulignait Grégoire de Tours lorsqu’il évoquait leurs nombreuses fondations, en mettant en exergue leur capacité à faire naître « un essaim de la bienheureuse ruche150 ». Cette même thématique 145. […] pseudofratres […] discesserant : ibid , 139, p. 388-389. 146. Aut quotiens quidam e coenobio diverso instinctu egressi sunt ? Quotiens namque ex ipsis sunt aliqui ex saeculo bis tertiove reversi et tamen, recuperata virtute, derelictam dudum professionem ad palmam victoriae perduxere ? Nonnulli enim inreprehensibiliter non ad vitia, sed ad loca pristina revertentes : ibid , 32, p. 276-277. 147. Ibid., 79-81, p. 324-329. 148. Ibid., 87-91, p. 332-337. 149. Ibid., 23-24, p. 262-265. 150. […] felicis alvearis examen : grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 2, p. 14-15.

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se retrouve largement dans la Vie des pères du Jura, qui soulignait elle aussi que les moines jurassiens étaient parvenus à essaimer dans toute la Chrétienté, tout en rappelant le rôle irremplaçable que continuaient à jouer les sites monastiques du désert jurassien : Les essaims vénérables des pères se dispersèrent de tous côtés, comme une ruche pleine, projetés au loin par le Saint-Esprit, si bien que non seulement les régions reculées de la province de Séquanie, mais beaucoup de contrées éloignées, un peu partout, se remplissaient, par la sainte propagation de cette race divine, de monastères et d’églises. Mais c’est dans sa source, d’où ces institutions dérivèrent comme autant de ruisseaux, que l’institution des maîtres, pourtant ancienne, montra le plus de fraîcheur151.

Ce rapport particulier du monachisme jurassien à son espace explique aussi que son processus de sacralisation fut profondément différent de celui que le monachisme provençal avait mis en œuvre. Même s’il disposait d’un désert, les moines du Jura n’avaient pas une beata insula, ce qui les amena à devoir compenser l’insuffisante sacralisation de leur site en développant le culte des saints. Ils s’attachèrent en premier lieu à porter leurs abbés sur leurs autels, ce qui les différenciait là aussi des Lériniens qui, bénéficiant de la sacralité de leur île sainte, n’éprouvèrent pas le besoin de promouvoir la sainteté des leurs. Les monastères jurassiens manifestèrent en revanche une activité remarquable en matière d’hagiographie abbatiale, comme en témoigne bien évidemment la Vita patrum Jurensium, mais aussi la Vie de Lupicin et de Romain que Grégoire de Tours avait rédigée dans sa Vita patrum, sur la base des traditions que les monastères jurassiens avaient développées. Les moines du Jura s’attachèrent à prêter à leurs abbés de très nombreux miracles, ce qui amena en particulier la Vita patrum Jurensium à évoquer leurs pouvoirs thaumaturgiques, en mentionnant par exemple que Romain aurait guéri deux lépreux en les embrassant152. L’anonyme se plaisait surtout à décrire les combats que les pères du Jura auraient menés contre les démons, ce qui les aurait amenés à une pratique massive de l’exorcisme153. À peine installé à Condadisco, Romain aurait ainsi vu accourir de très nombreux possédés, fous et paralytiques, venus auprès de lui pour être libérés des démons qui les avaient habités. Selon l’anonyme, l’intervention de Romain leur aurait été salutaire, puisque « la plupart de ces malades rentrèrent chez eux après avoir retrouvé la santé, mais d’autres 151. […] coeperunt exinde venerabilia patrum examina, velut ex referto apum alveario, Spiritu sancto ructante, diffundi, ita ut non solum Sequanorum provinciae loca secretoria, verum etiam territoria multa longe lateque spatiis distincta terrarum, divinae subolis diffusa gratia, monasteriis atque ecclesiis replerentur, sic scilicet quod in illo tamen fonte unde institutionum dirivati sunt rivuli , vetusta quidem, sed purior semper recentiorque exstitit institutio magistrorum : Vie des pères du Jura, cit., 16, p. 256-259. 152. Ibid., 46, p. 290-391. 153. É. ayroulet, « Les exorcismes dans la Vie des Pères du Jura », dans Itinéraires monastiques des pères du Jura. Sur les pas de Romain, Lupicin et Oyend. Actes du colloque organisé par la Société Nouvelle Gorini, Bourg‑en‑Bresse, 9 et 10 octobre 2014, Bourg-en-Bresse, 2016 (Mémoire religieuse des pays de l’Ain. Travaux et documents, Hors-série 2), p. 158-180.

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restèrent au monastère, observant jeûnes et veilles avec tant de componction que, par un admirable retour des choses, ils chassaient désormais des possédés le diable, avec ses satellites et ses ministres, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire154 ». L’anonyme racontait aussi que Romain serait parvenu à libérer, par une simple onction d’huile, le moine Maxence que le diable avait possédé, alors qu’il avait été rendu si furieux par sa possession démoniaque que les frères avaient dû le lier par des courroies et des cordes155. La Vita patrum Jurensium se plaisait ainsi à mettre en scène les combats que les moines devaient mener contre les forces diaboliques, qui pullulaient dans leur désert forestier. À l’exemple de Romain, que la Vita patrum Jurensium qualifiait de « porte-étendard de la guerre du Seigneur » (dominici belli signifer)156, les moines jurassiens devaient, selon l’anonyme, affronter quotidiennement les démons qui hantaient leur désert. Dans un passage inspiré par la Vie d’Antoine, la Vie des pères du Jura évoquait ainsi les attaques que le moine-diacre Sabinien avait dû affronter, lorsqu’il avait été victime d’une agression des démons qui avaient tenté de détruire sa cellule157. Les forces démoniaques s’étaient acharnées sur Sabinien, qui aurait reçu des coups de poing du malin, avant d’être victime d’une tentation diabolique, lorsque deux jeunes femmes vinrent se dénuder dans sa cellule, en se mettant de part et d’autre de sa personne, afin qu’il ne pût échapper à la vue de leur nudité158. Résistant impassiblement à la violence de ces attaques démoniaques, Sabinien serait arrivé à acquérir une telle confiance en ses forces, qu’il n’aurait pas hésité à provoquer les puissances diaboliques, en s’avançant sans peur dans l’eau glacée d’un cours d’eau qui traversait son monastère, au sein duquel s’était cachée une vipère159. Ces récits, qui tranchent avec le reste de la documentation monastique du sud-est de la Gaule, constituaient une caractéristique majeure de la Vie des pères du Jura, qui cherchait à situer la vie des moines jurassiens dans un climat surnaturel de combat contre les démons, aux accents manifestement orientaux. L’anonyme évoquait aussi les guérisons de masse que Romain aurait mises en place, comme ce fut le cas à Genève, où il aurait rendu la santé à de nombreux malades160. Elle affirmait que Romain aurait dû faire face à une telle demande, qu’il lui aurait fallu déléguer ses pouvoirs à ses disciples, qui se seraient mis eux aussi à procéder à des exorcismes et à des guérisons, soignant en particulier tous ceux qui avaient été frappés par le venin démoniaque des serpents161. La Vie des pères du Jura insistait aussi sur les vertus de Lupicin, en expliquant qu’il aurait été capable de multiplier les gerbes de blé comme le Christ avait multiplié les pains162. Elle lui attribuait 154. 155. 156. 157. 158. 159. 160. 161. 162.

La Vie des pères du Jura, cit., 15, p. 256-257. Ibid., 33, p. 276-277. Ibid., 4, p. 242-243. Vie des pères du Jura, cit., 53, p. 296-299. Ibid., 54-56, p. 298-301. Ibid., 57-58, p. 300-303. Ibid., 50, p. 294-295. Ibid., 51, p. 294-295. Ibid., 68-70, p. 314-319.

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plusieurs miracles, expliquant par exemple que l’abbé Lupicin serait apparu au comte Agrippin, alors emprisonné dans une geôle romaine où il attendait d’être exécuté, afin de lui permettre de s’évader163. Elle affirmait enfin que Lupicin avait aussi été amené à déléguer sa puissance thaumaturgique à ses disciples, comme ce fut le cas pour un vieux moine qui, après son intercession, aurait reçu le pouvoir de guérir quiconque aurait été placé dans son lit164. Dans la même logique, la Vita patrum Jurensium attribuait aussi à l’abbé Oyend le don divin de procéder à des miracles165. Selon l’anonyme, sa virtus aurait été telle qu’il aurait été en mesure de pratiquer ses exorcismes à distance, comme cela aurait été le cas pour une jeune fille possédée par le diable, qui aurait été libérée par la seule force d’une lettre qu’il lui aurait écrite de sa main166. Dans la même logique, la noble lyonnaise Syagria aurait été miraculeusement guérie, après avoir embrassé une lettre écrite par l’abbé Oyend167. Selon l’anonyme, la réputation thaumaturgique d’Oyend aurait atteint un tel niveau que de très nombreux malades auraient afflué à Condadisco, où « la foule des séculiers, ou plutôt des affligés, semblait presque dépasser en nombre les troupes de moines168 ». La Vita patrum Jurensium affirmait qu’Oyend aurait guéri tous ces malades en leur donnant de l’huile sainte ou des billets écrits de sa main qu’ils pouvaient appliquer sur leurs plaies169. Là encore, l’abbé Oyend aurait été amené à déléguer ses pouvoirs à ses disciples, plus particulièrement aux prêtres de son monastère, à qui il aurait permis de guérir les malades venus en nombre dans les monastères jurassiens, pour y trouver un soulagement170. La faible sacralisation du désert jurassien explique enfin l’appétence que les pères du Jura manifestèrent pour les reliques, qu’ils s’attachèrent à faire venir dans leurs monastères. Tel semble avoir été le cas de Romain, qui partit à Agaune vénérer les martyrs et tenter probablement d’en obtenir des reliques171. Les pères du Jura réussirent à se doter d’un trésor, au sein duquel figurait une ampoule d’huile attribuée à saint Martin, dont la virtus aurait été publiquement démontrée, lorsqu’elle aurait miraculeusement échappé à l’incendie qui avait détruit le monastère de Condadisco172. Selon la Vita patrum Jurensium, Oyend aurait aussi reçu en rêve la visite des saints apôtres Pierre, Paul et André, qui lui auraient fait part de leur volonté de reposer dans son monastère173. Par ce rêve prémonitoire, Oyend aurait ainsi été informé de l’arrivée prochaine de moines venus de Rome, 163. 164. 165. 166. 167. 168. 169. 170. 171. 172. 173.

Ibid., 102, p. 346-349. Ibid., 78, p. 324-325. Ibid., 139, p. 388-389. Ibid., 144, p. 392-395. Ibid., 145-146, p. 394-397. […] saecularium, immo tribulantium, multitudo paene catervis videretur numerosior monachorum : ibid., 147, p. 396-397. Ibid., 147, p. 396-397. Ibid., 148, p. 398-399. Ibid., 44, p. 286-289. Ibid., 161, p. 412-413. Ibid., 152-156, p. 403-407.

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afin de déposer dans les monastères jurassiens les reliques de ces trois saints majeurs, que l’abbé aurait alors fait sceller dans l’autel de l’église de Condadisco, qui devait dès lors leur être dédiée.

L’architecture monastique Selon le récit de l’anonyme, en s’établissant sur le site de Condadisco, Romain n’aurait pas souhaité procéder à la construction du moindre abri et se serait satisfait du ramage d’un sapin en guise de toit. Cette situation n’aurait toutefois pas duré, car après avoir été rejoint par son frère Lupicin, Romain aurait édifié un tugurium, autrement dit une cabane, posant ainsi les fondements d’un premier habitat monastique174. Bien vite, l’arrivée de nouveaux moines aurait abouti à la création d’un habitat plus consistant, puisque les nouveaux arrivants se seraient établis en face du sapin de Romain, sur une colline en pente douce, où la Vie des pères du Jura affirmait qu’ils auraient construit des habitacula en bois, autrement dit des cellules175. Celles-ci auraient fini par former un ensemble suffisamment cohérent pour que la Vita patrum Jurensium se fût autorisée à le qualifier de coe‑ nobium à partir de son chapitre 22, ce qui pourrait donner à penser que les cellules qui le constituaient avaient dû être accolées. Dans son chapitre 28, la Vita patrum Jurensium offrait une précieuse description du site monastique de Condadisco à la fin de l’abbatiat de Romain, alors qu’il avait pris une certaine ampleur. Selon ce texte, il aurait alors accueilli « nos cellules, le quartier de la prière et celui du xenodochium » (cubilia nostra aut orationis aut xenodochii membrum)176, ce qui atteste que les bâtiments du monastère de Condadisco s’organisaient alors en trois quartiers principaux : les cellules (cubilia), qui servaient à l’habitation des moines, le « quartier de la prière » (ora‑ tionis membrum) et enfin le quartier du xenodochium (xenodochii membrum). Le quartier des habitations monastiques se composait donc de cellules, que l’anonyme désignait ici par le terme de cubilia, une expression relativement rare mais néanmoins signifiante, puisqu’elle avait été employée par Cassien dans ses Institutions177. Un autre passage de la Vita patrum Jurensium donnait une description de ces cubilia, lorsqu’il affirmait que le monastère de Condadisco « avait été construit il y a fort longtemps en bois et comportait non seulement des cellules (cellulae) charpentées et reliées entre elles, mais avait aussi été doublé par un étage bien agencé178 ». Cette description confirme que le monastère des pères du Jura avait bien pris la forme d’un cénobe, au sens en tout cas où Cassien entendait

174. 175. 176. 177. 178.

Ibid., 12, p. 252-253. Ibid., 13, p. 254-255. Ibid., 28, p. 270-271. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 4, 12, p. 134-135. […] monasterium […] erat ex fabrefactum antiquitus, et non solum contignatis indiscretisque cellulis, verum etiam pulchre fuerat cenaculis geminatum : Vie des pères du Jura, cit., 162, p. 412-415.

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ce terme179, dans la mesure où les cellules des moines n’étaient pas dispersées, mais « reliées entre elles », ce qui signifie qu’elles se trouvaient bien organisées sous la forme d’une habitation commune. Cette organisation des logements monastiques jurassiens n’est évidemment pas sans rappeler celle que les fouilles d’Étienne Louis ont permis identifier sur le site monastique d’Hamage, avec un bâtiment d’habitation qui regroupait sous un toit commun une série de pièces ouvertes sur une salle commune180. À côté de ce cénobe, il devait toutefois exister aussi quelques cellules dispersées, à l’exemple du tuguriolum ou cellula, qui servait d’habitation au moine Sabinien. Selon l’anonyme, Sabinien aurait en effet reçu l’autorisation de s’installer à côté des moulins et des pilons dont il avait reçu la responsabilité, en s’établissant dans une cellule construite au bord de la rivière, en dessous du monastère de Condadisco181. Comme semble le montrer le terme de tuguriolum, cette cellule devait avoir été construite en bois, ce qui est en cohérence avec sa description, puisque la Vie des pères du Jura affirme que son toit avait pu être crevé par les jets de pierres des démons, mais aussi qu’elle avait failli être détruite par l’incendie que le diable se serait attaché à provoquer, en posant simplement un tison sur ses murs. À en juger par le récit de l’anonyme, cette cellule séparée semble avoir toutefois eu un caractère exceptionnel, puisque son existence se trouvait justifiée par les missions spécifiques que remplissait Étienne qui, faisant fonction de meunier du monastère, devait nécessairement habiter près de son moulin. Au-delà de quelques cas de frères qui, à l’exemple d’Étienne, pouvaient bénéficier d’une cellule particulière, il semble donc que la grande majorité des moines de Condadisco devait être logée dans le cénobe. La Vita patrum Jurensium affirme que l’abbé Oyend aurait décidé d’une importante transformation de l’habitat conventuel, après qu’un incendie avait détruit le vieux cénobe de bois. À l’heure d’envisager la reconstruction du bâtiment totalement dévasté par le feu, Oyend aurait en effet ordonné de ne pas reconstruire les anciennes cellules, mais d’édifier un dortoir commun pour l’usage des moines. La Vie des pères du Jura soulignait l’importance et l’originalité de cette décision, en affirmant qu’Oyend aurait « refusé sur ce point de suivre l’exemple des archimandrites orientaux, pour faire œuvre plus utile en soumettant tous les moines à la vie commune182 ». De fait, la création de ce dortoir semble avoir constitué une innovation majeure, en rupture avec toutes les traditions connues, puisqu’il n’existe dans la documentation latine aucune attestation antérieure d’un tel bâtiment. L’anonyme ne disposait d’ailleurs pas d’un mot spécifique pour le désigner, puisque le terme de dormitorium ne devait apparaître dans la littérature 179. […] coenobium nisi ubi plurimorum cohabitantium deget unita communio non potest appellari : Jean cassien, Conférences, t. III, cit., 18, 9-10, p. 22. 180. louis, « Sorores et fratres in Hamatico degentes. Naissance, évolution et disparition d’une abbaye au haut Moyen Âge : Hamage (France, Nord) », cit., p. 30-32. 181. Vie des pères du Jura, cit., 53, p. 298-299. 182. […] refutato archimandritarum orientalium instari, utilius omnes univit in medium : Vie des pères du Jura, cit., 170, p. 422-423.

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régulière latine qu’au milieu du viie siècle, pour la première fois dans la Règle de Fructueux183. Pour désigner ce dortoir, l’anonyme avait d’ailleurs été amené à utiliser le terme de xenodochium, auquel il avait conféré ici une acception tout à fait nouvelle, puisque ce mot désignait usuellement dans la documentation latine le bâtiment utilisé pour loger les hôtes extérieurs184. Sans doute, est-ce la raison pour laquelle l’anonyme avait éprouvé le besoin de donner une description assez précise de ce bâtiment, afin que ses lecteurs puissent comprendre la nature de ce xenochium d’un nouveau type, qui devait alors paraître bien inhabituel : Les pièces des habitations ayant été détruites, il ordonna que tous prendraient avec lui son repos dans un xenodochium, afin que ceux qui étaient réunis dans une même salle, pour le repas commun, soient aussi assemblés dans leur logement, les lits seuls étant séparés185.

Si l’on en juge par le récit de l’anonyme, les abbés jurassiens ne disposaient pas d’une maison particulière, puisque la Vita patrum Jurensium avait précisé qu’Oyend avait souhaité dormir avec ses moines dans ce dortoir commun. Par ailleurs, la Vie des pères du Jura donnait une autre information intéressante sur ce dortoir, en précisant qu’il « y avait là, comme à l’oratoire, une lampe à huile, qui donnait toute la nuit sa lumière186 ». Cet usage, que l’on retrouvera plus tard dans la Règle de saint Benoît187, montre que l’abbé Oyend était soucieux de prévenir tout risque d’intimité nocturne entre ses moines. À côté des bâtiments conventuels, la Vita patrum Jurensium avait aussi mentionné la présence d’un « quartier de la prière » (orationis membrum). À l’évidence, il s’agissait d’un espace dominé par l’oratorium, autrement dit par l’église de la communauté que, selon la Vie des pères du Jura, l’abbé Oyend aurait dédiée aux apôtres Pierre, Paul et André, en scellant leurs reliques dans son autel188. La Vita patrum Jurensium donnait quelques précieux éléments de description de cet oratorium communautaire, lorsqu’elle expliquait que l’abbé Lupicin y passait souvent ses nuits, alternant prières en prosternation et temps de repos sur un banc189, ou encore lorsqu’elle affirmait qu’une lampe à huile y brûlait en permanence pendant la nuit190. La Vita patrum Jurensium affirmait aussi que les frères devaient se rendre chaque jour dans l’oratorium pour assister aux synaxes, 183. S. uggé, « Lieux, espaces et topographie des monastères de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : réflexion à propos des règles monastiques », dans M. lauwers (éd.), Monastères et espace social. Genèse d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014 (Collection d’études médiévales de Nice 15), p. 15-42, en particulier p. 37. 184. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 59. 185. Distructis namque mansionum aesiculis, uno cunctos secum xenodochio, quiescere fecit, ut quos causa unitae refectionis una claudebat aedicula, discretis quoque lectulis una ambiret et mansio : Vie des pères du Jura, cit., 170, p. 422-423 [traduction retouchée]. 186. […] lumen olei, sicut in oratorio, indeficiens noctibus praebebatur : ibid., 170, p. 422-423. 187. La Règle de saint Benoît, éd. A. de vogüé et J. neufville, Paris, 1972-1977 (Sources chrétiennes 181-186 bis), 7 vol., t. II, 22, 4, p. 540-541. 188. Vie des pères du Jura, cit., 156, p. 406-407. 189. Ibid., 64, p. 310-311. 190. Ibid., 170, p. 422-423.

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dont l’une se tenait dans la journée et l’autre durant la nuit191. Ces deux synaxes communautaires correspondaient très certainement aux offices des laudes et des matines (nocturnis matutinisque conventiculis)192, que l’anonyme avait évoqués, en précisant que la communauté se réunissait chaque jour dans l’oratorium pour ces deux temps de prière. Ce « quartier de la prière » a aussi pu accueillir d’autres lieux de culte, à l’exemple de ce « lieu de prière privée » (secretae orationis locus) qui, selon l’anonyme, s’élevait de son temps sur les pentes qui dominaient Condadisco, à l’endroit où auraient été édifiées les premières cellules de bois193. Si l’historiographie a été traditionnellement amenée à identifier ce secretae orationis locus avec l’église des Trois-Apôtres, il peut sembler douteux que l’église conventuelle aurait pu être ainsi définie comme un lieu de « prière privée ». Eu égard au fait que l’anonyme l’associait à une ancienne cellule, il pourrait être possible d’y voir un sanctuaire secondaire, à l’exemple de celui que Yann Codou a identifié à Lérins sur le site de la chapelle du Saint-Sauveur, où un ancien oratoire primitivement annexé à une cellule avait fini par donner naissance à une petite église, à la fin du ve ou au début du vie siècle. Il est enfin vraisemblable que l’église funéraire du Moyen Âge, située à une centaine de mètres à l’ouest de l’église des Trois-Apôtres, devait exister dès cette époque, dans la mesure où il semble qu’Oyend y ait été inhumé194. Sans doute, peut-on identifier cette église funéraire avec le « cimetière des frères » (fraternum cymiterium) où, selon la Vita patrum Jurensium, Lupicin se rendait quotidiennement pour prier195. À côté du cénobe et du « quartier de la prière », la Vita patrum Jurensium mentionne aussi un « quartier du xenodochium » (xenodochii membrum). Si François Martine y avait vu une hôtellerie196, Adalbert de Vogüé a considéré, sans doute à juste titre, qu’ici comme dans le passage sur l’introduction du dortoir monastique, l’anonyme avait utilisé le terme de xenodochium dans un sens élargi, pour désigner un bâtiment communautaire à usage des moines197. Peut-être peut-on penser que ce terme de xenodochium désignait ici le réfectoire que la Vie des pères du Jura décrivit à plusieurs reprises, en parlant du lieu où la communauté prenait ses repas198, sans toutefois jamais le désigner par une expression spécifique, ce qui n’est guère étonnant puisque le terme de refectorium n’apparut dans la littérature régulière qu’au milieu du vie siècle, avec la Règle de Ferréol199. La Vita patrum Jurensium affirmait en tout cas que les frères se réunissaient pour y 191. 192. 193. 194. 195. 196. 197. 198. 199.

[…] aut in diurna, aut in nocturna synaxi : ibid., 130, p. 378-379. Ibid., 129, p. 378-379. Ibid., 13, p. 254-255. Bully, « Familles d’églises et circulations : le cas de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) du ve au xviiie siècle », cit., p. 78. Vie des pères du Jura, cit., 129, p. 378-379. Ibid., p. 271. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 59. Vie des pères du Jura, cit., 169-170, p. 420-423. S. uggé, « Lieux, espaces et topographie des monastères de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge : réflexion à propos des règles monastiques », cit., en particulier p. 26.

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manger ensemble une fois par jour, en précisant aussi que certains d’entre eux, sans doute affectés aux travaux les plus durs, avaient droit le soir à un second repas, qui s’ajoutait à celui qu’ils avaient consommé au milieu de la journée, avec le reste de la communauté monastique200. L’anonyme précisait aussi que l’abbé Oyend aurait introduit l’usage de procéder à une lecture pendant le temps du repas201. Sans doute faut-il y voir, là encore, un usage inspiré par la lecture de Cassien, qui avait recommandé, dans ses Institutions, d’introduire cette coutume d’origine cappadocienne, en signalant qu’elle avait le mérite d’éviter les bavardages à table202. La Vita patrum Jurensium assurait aussi que l’abbé Oyend prenait ses repas dans le réfectoire, ce qui confirme qu’il ne disposait pas d’une maison particulière, avant de préciser qu’il mangeait le même repas que les frères203. Enfin, l’évocation d’un « quartier (membrum) du xenodochium » pourrait donner à penser que ce réfectoire n’était pas isolé, mais se trouvait situé au sein d’un ensemble de bâtiments monastiques. Peut-être avait-il été édifié à proximité de l’infirmerie que la Vita patrum Jurensium évoquait, lorsqu’elle expliquait que les frères malades pouvaient disposer d’un lieu particulier pour se reposer et se restaurer204.

La règle de vie des moines jurassiens Au-delà de l’organisation des bâtiments monastiques et des modalités d’utilisation du dortoir, du réfectoire et de l’église, la Vita patrum Jurensium offre de précieux éléments à caractère normatif sur les coutumes suivies par les moines jurassiens. À Condadisco et à Lauconne, la vie monastique s’organisait évidemment autour de la chasteté, ce qui constitue sans doute l’explication première de la création d’un dortoir, mais aussi de la pauvreté. La Vita patrum Jurensium insistait ainsi sur l’importance de la communauté des biens, en soulignant que « personne en ce lieu n’eut jamais de cellier, ni d’armoire ou de cassette205 ». Elle affirmait par ailleurs que, « conformément à la règle des pères », aucun moine ne pouvait recevoir un visiteur sans l’autorisation préalable de l’abbé206, reprenant là encore une disposition des Institutions de Cassien207. Selon la même logique, elle précisait aussi que les moines étaient tenus de remettre les dons qu’ils auraient reçus à l’abbé ou à l’économe208.

200. Vie des pères du Jura, cit., 131, p. 280-381. 201. Ibid., 169, p. 420-421. 202. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 4, 17, p. 142-145 ; cf. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 108-109. 203. Vie des pères du Jura, cit., 170, p. 422-423. 204. Ibid., 171, p. 422-425. 205. Cellam, armarium, arcellamve, nullus illic omnino habuit unquam : ibid., 173, p. 424-425. 206. Ibid., 172, p. 424-425. 207. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 4, 16, p. 142-143. 208. Vie des pères du Jura, cit., 172, p. 424-425.

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La Vita patrum Jurensium donnait quelques détails supplémentaires sur la règle de vie des moines jurassiens. Elle signalait par exemple que les moines devaient s’abstenir de consommer des produits d’origine animale, à la seule exception du lait. Elle précisait aussi qu’ils ne pouvaient en aucun cas se nourrir de ce qui provenait de la basse-cour, à l’exception des œufs dont la consommation pouvait être autorisée aux frères malades209. Elle ne disait en revanche rien sur les poissons, ce qui montre vraisemblablement que leur consommation n’était pas frappée d’interdit. En matière de vêtement, elle expliquait que les frères ne devaient disposer que d’une unique tunique et d’un seul capuchon, auxquels ils semblent aussi avoir ajouté un scapulaire, comme l’aurait en tout cas fait l’abbé Oyend210. La Vita patrum Jurensium stipulait aussi que les moines pouvaient utiliser « des chaussures solides et rustiques211 », qu’ils étaient aussi autorisés à renforcer avec des guêtres, afin de lutter contre le froid. Les plus courageux d’entre eux pouvaient toutefois remplacer ces chaussures par de simples socques de bois, comme le faisait usuellement l’abbé Lupicin, sauf lorsqu’il lui fallait paraître à la cour royale212. Enfin, la Vie des pères du Jura affirmait que les moines dormaient dans des lits de paille, recouverts de peaux d’animaux en guise de couvertures213. Ces éléments montrent que les impératifs de la chasteté et de la pauvreté se combinaient avec la pratique d’un ascétisme au caractère finalement assez modéré. En abordant la vie des saints abbés, la Vita patrum Jurensium pouvait faire entendre une tonalité plus radicale, puisqu’elle se plaisait alors à faire l’éloge de leur ascétisme sans concession, ce qui amenait par exemple l’anonyme à prétendre que Lupicin « montra une énergie si exceptionnelle dans les jeûnes et les veilles que toute la force des Orientaux et des Égyptiens se trouvait surpassée par le tempérament gaulois214 ». Pour illustrer ce propos, l’anonyme affirmait même que Lupicin se serait abstenu de toute boisson durant les huit dernières années de sa vie215, selon une tradition dont on trouve aussi un écho chez Grégoire de Tours, quand il affirmait que Lupicin aurait pu se passer d’eau, en trempant ses mains dans un vase rempli d’eau afin de tromper sa soif 216. Pour autant, après avoir évoqué les exploits des abbés jurassiens, en des termes largement empruntés au modèle de sainteté abbatial que lui avait fourni la Vie de saint Martin, l’anonyme précisait que leurs exemples ne devaient en aucun cas être imités par les frères. De manière il est vrai très rhétorique, il affirmait même qu’il se refusait à poursuivre son éloge des pratiques ascétiques de Lupicin, car « je craindrais que quelqu’un 209. 210. 211. 212. 213. 214.

Ibid., 66, p. 312-313. Ibid., 127, p. 374-377. […] calciamenta fortia rusticaque : ibid.,129, p. 378-379. Ibid., 63, p. 310-311 et 129, p. 378-379. Ibid., 127, p. 376-377. In ieiuniis vero ac vigiliis tam praepotens fuit ut Orientalium Aegyptiorumque virtutem natura vinceret Gallicana : ibid., 65, p. 312-313. 215. Ibid., 66, p. 312-313. 216. grégoire de tours, La Vie des Pères, I, 2, p. 23-14.

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s’attachant inconsidérément à suivre son exemple, n’aspire à imiter des vertus que, dans l’octroi de ses grâces, le divin bienfaiteur accorde non à tous, mais seulement à quelques-uns217 ». L’anonyme insista sur ce point, en affirmant que Lupicin aurait admonesté un moine qui menait une existence d’une telle austérité que sa vie s’en trouvait menacée. Il lui aurait ordonné de prendre soin de son corps avant de lui expliquer que « personne, dans la vie religieuse qu’il a embrassée, ne doit marcher parmi les escarpements de la droite ou parmi les déclivités de la gauche, mais au milieu, suivant la direction donnée par la voie royale218 ». Cette modération se conjuguait aussi avec un refus affiché de tout recrutement élitiste. Selon la Vita patrum Jurensium, Romain, pourtant renommé pour sa très grande mansuétude, se serait violemment emporté contre un ancien qui, après avoir été possédé par le diable, lui aurait reproché d’avoir accepté tous les candidats à la vie monastique, « au lieu de trier et de séparer habilement une élite éprouvée219 ». L’anonyme attachait visiblement une grande importance à la réfutation de cette opinion, si l’on en juge par le long discours très argumenté qu’il avait alors fait tenir à Romain pour condamner de tels propos. Profondément offensé, l’abbé Romain aurait en effet exigé que le moine se repente, avant de lui demander au nom de quelle autorité il s’était cru autorisé à « élire ou condamner sans dommage et péril pour ton propre salut ?220 ». L’anonyme tenait beaucoup à ce point de vue et se prononçait tout au long de son ouvrage contre toute forme d’élitisme interne, donnant en particulier aux moines-prêtres de sa communauté l’exemple de l’abbé Romain, qui « ne laissait apparaître en sa personne aucun signe de l’éminente dignité sacerdotale221 ». Son refus de la distinction était aussi culturel, car s’il avait cru bon de souligner que si Romain était issu d’une « assez bonne famille222 », il s’était employé aussitôt à rajouter qu’il « n’était pas pour autant un homme particulièrement instruit223 ». L’insistance de l’anonyme à condamner l’élitisme peut sembler bien trop forte pour que la question n’ait pas alors eu une certaine actualité, d’autant que la lettre d’Avit à Viventiole nous a déjà montré que la place des moines-prêtres avait visiblement joué un rôle central dans la crise de succession, qui avait agité les monastères jurassiens après la mort d’Oyend. Sans doute, l’organisation réelle du monastère était-elle en effet moins égalitaire que la Vita patrum Jurensium le prétendait, comme en témoignent les nombreuses traces de tensions internes qu’elle laissait paraître. Tel est par exemple le cas d’un passage étonnant, dans lequel l’anonyme expliquait, après avoir souligné qu’Oyend aurait toujours refusé 217. […] ne incongruo quis secutus exemplo, ea fortassis gestiat imitari quae pro dispensatione gratiae non omnibus, sed aliquibus sunt divino beneficio distributa : Vie des pères du Jura, cit., 67, p. 312-315. 218. […] neminem in arrepto proposito ardua dextrae aut proeliuia laeuae, sed mediam viae regiae debere incedere disciplinam : ibid., 77, p. 324-325. 219. […] electos potius ac probatos solerter segregans ac secernens : ibid., 28, p. 268-271. 220. […] sine damno ac periculo tuae salutis eligere vel damnare : ibid., 29, p. 270-271. 221. […] nihil in se eminentiae sacerdotalis praestabat : ibid., 20, p. 200-201. 222. […] non adeo exiguae familiae : ibid., 4, p. 242-243. 223. […] cum esset nn quidem adprime litteris institutus : ibid., 5, p. 242-243.

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de recevoir le sacerdoce224, que le saint abbé aurait aussi ordonné que les moinesprêtres se tinssent à l’écart de la vie monastique, au motif que, ne connaissant pas les péchés des frères, ils pourraient ainsi leur donner l’eucharistie sans éprouver d’états d’âme225. Dans un récent article, Jerzy Szafranowski a mis en relation ce texte avec un autre passage de la Vie des pères du Jura, dans lequel l’anonyme affirmait que certains moines auraient refusé l’élection abbatiale d’Oyend, auquel ils reprochaient d’être « un novice et un débutant226 ». Il estimait que cette opposition était probablement venue des moines-prêtres, indignés à l’idée d’être dirigés par un abbé qu’ils considéraient comme un inférieur, puisqu’il n’avait pas reçu l’ordination sacerdotale227. Selon Jersy Szafranowski, Oyend se serait alors attaché à marginaliser le groupe des moines-prêtres, dont l’influence serait devenue trop forte au sein du monastère, en leur ordonnant de se tenir à l’écart de la vie monastique. Cette interprétation peut sembler d’autant plus crédible qu’elle fait écho à la crise de succession qui suivit le décès d’Oyend, au cours de laquelle Viventiole avait tenté en vain d’imposer sa candidature, en affirmant que le nouvel abbé devait être recruté au sein de ceux qui disposaient du grade supérieur des prêtres, comme en atteste l’analyse que nous avons pu faire de la lettre que lui avait écrite Avit de Vienne. Les monastères du Jura disposaient ainsi d’une élite monastique, visiblement très bien formée, si l’on en juge par le style très soigné de l’auteur de Vita patrum Jurensium, mais aussi par la culture précieuse de Viventiole qui, après avoir été formé à Condadisco, était si sûr de sa supériorité culturelle qu’il avait osé se gausser de l’évêque Avit de Vienne pour avoir violé les règles de la métrique virgilienne, en confondant une syllabe brève avec une longue228. Une telle situation suppose que les monastères jurassiens devaient disposer d’une école monastique de haut niveau, comme en atteste l’anonyme, lorsqu’il affirmait qu’Oyend aurait acquis à Condadisco, où il serait rentré à l’âge de 6 ans, « une solide connaissance non seulement des œuvres latines, mais encore de l’éloquence grecque229 », ce qui montre par ailleurs qu’il n’était sans doute pas aussi ignorant que l’avaient prétendu ceux qui s’étaient opposés à son élection. Comme nous l’avons vu, le témoignage de Sidoine Apollinaire va aussi dans ce sens, dans la mesure où il est peu probable qu’une personnalité comme le poète Domnulus aurait pu effectuer des retraites dans les monastères jurassiens, s’il n’avait été assuré d’y trouver un milieu culturel proche de ses préoccupations. 224. Ibid., 133-134, p. 382-385. 225. Ibid., 151, p. 400-403. 226. Illi vero […] sanctum Eugendum abbatem nunc dispectione animi ; nunc quoque monasterii professionisque desertione tamquam novitium ac rudem monachorum laicorumque patiuntur subiacere contemptui : ibid., 138, p. 386-389. 227. J. sZafranowski, « The Life of the Jura Fathers and the Monastic Clergy », Augustinianum, 59/1 (2019), p. 143-159. 228. avit de vienne, Lettres, cit., ep. 54, p. 131-134. 229. […] praeter Latinis voluminibus etiam Graeca facundia redderetur instructus : Vie des pères du Jura, cit., 126, p 374-375.

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Dans le même temps, la Vita patrum Jurensium évoquait un tout autre profil de frères, lorsqu’elle précisait que certains moines pouvaient se voir servir l’été un second repas230, ce qui donne à penser qu’ils étaient astreints à des tâches éreintantes, leur donnant droit à une prise supplémentaire d’alimentation, durant la saison des travaux agricoles. De fait, la Vie des pères du Jura donnait, dans certains de ses passages, la description de véritables moines-paysans, occupés par de lourds travaux agricoles, ce qui montre de nouveau que les monastères jurassiens s’attachaient à se conformer aux Instructions de Cassien, qui souhaitait que les moines gaulois se consacrassent au moins en partie au travail, sur le modèle des monastères égyptiens231. Sans doute, ces activités laborieuses pouvaient parfois ne relever que d’un simple jardinage, comme ce fut le cas dans un passage où l’anonyme mettait en scène l’abbé Lupicin, expliquant à l’un de ses moines comment utiliser un simple morceau de bois en guise de sarcloir pour cultiver son potager232. En revanche, dans d’autres passages, la Vita patrum Jurensium décrivait des moines en train de participer à de lourds travaux collectifs, qui relevaient d’une grande exploitation agricole233. Tel était par exemple le cas des chapitres 69 et 70, lorsque l’anonyme dressait le tableau de moines en train de battre les gerbes de blé, sous l’autorité de l’économe du monastère qui dirigeait les travaux de la moisson234. De même, la Vita patrum Jurensium donnait une description des importants travaux de construction d’un canal de dérivation auxquels s’étaient adonnés les moines, qui avaient édifié de leurs mains le bief indispensable pour acheminer de l’eau à un moulin du monastère235. Tous ces éléments donnent donc à penser que les monastères jurassiens constituaient, comme Cassien l’avait souhaité, de véritables unités d’exploitation agricoles, capables de nourrir au moins partiellement leur population de moines. La distinction spirituelle et sociale que nous avons pu entrevoir au début du ve siècle dans les monastères provençaux, lorsque nous avons étudié l’opposition entre les cénobites et les anachorètes, semble ainsi s’être transposée dans les monastères jurassiens sur les deux profils de moines que permet de décrire la Vita patrum Jurensium. À lire le récit de l’anonyme, le dortoir de Condadisco devait tout à la fois abriter des moines-prêtres raffinés, dont Viventiole offrait un exemple remarquable, ainsi que des frères astreints à des travaux serviles, qui rentraient le soir, après des journées harassantes où ils avaient dû battre les blés ou planter, les pieds dans l’eau, les claies d’osier nécessaires pour que la berge de la rivière pût être exhaussée. L’égalité formelle qu’assurait le dortoir monastique se conjuguait ainsi avec une visible diversité des formes de vie monastique, que l’anonyme évoquait lorsqu’il expliquait que l’abbé Oyend « mettait tous ses soins 230. 231. 232. 233.

Ibid., 131, p. 380-381. Jean cassien, Institutions cénobitiques, cit., 10, 23, p. 422-423. Vie des pères du Jura, cit., 76, p. 322-323. figuinha, « Pro qualitate loci et instantia laboris. Monasteries and their Human and Natural Environments in Late Antique Gaul », cit., p. 98-102. 234. Vie des pères du Jura, cit., 69-70, p. 314-317. 235. Ibid., 57, p. 300-303.

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à assigner à chaque moine les fonctions ou les tâches pour lesquelles il le devinait plus particulièrement doué par les dons du Saint-Esprit236 ». À l’évidence, le Saint-Esprit avait réparti ses dons sur les moines jurassiens de manière très inégalitaire, ce qui semble avoir été à la source de ces tensions sociales que l’on perçoit aussi bien dans la Vita patrum Jurensium que dans la lettre d’Avit à Viventiole. Il est toutefois probable que cette situation ait été amenée à évoluer, dans la mesure où Grégoire de Tours affirmait que les monastères jurassiens ne pouvaient parvenir à assurer leur auto-suffisance alimentaire. Il assurait en effet que la subsistance des moines jurassiens n’avait pu être réalisée que par la providence divine, qui aurait indiqué à Lupicin l’emplacement d’un trésor d’or et d’argent, dans lequel il aurait régulièrement puisé pour pourvoir aux besoins de la communauté237. Selon Grégoire de Tours, cette manne divine serait toutefois restée insuffisante, puisque l’abbé Lupicin aurait sollicité le roi Hilpéric, en lui demandant d’offrir à son monastère les ressources indispensables à l’entretien des moines. Impressionné par le charisme de Lupicin, le roi burgonde aurait accepté de lui offrir des champs et des vignes mais, soucieux de respecter son vœu de pauvreté, l’abbé en aurait refusé la propriété, en demandant à ne bénéficier que de leur seul revenu. Le roi Hilpéric aurait alors ordonné d’écrire un précepte royal pour accorder aux moines du Jura une rente annuelle de 300 boisseaux de froment, de 300 mesures de vin et de 100 sous d’or, dont Grégoire de Tours affirmait qu’il avait entendu dire qu’elle était encore versée de son temps aux monastères jurassiens238. Le témoignage de Grégoire de Tours donne ainsi à penser que l’économie des monastères se trouvait de son temps fondée sur la rente bien plus que sur le produit du travail des moines239. Un tel constat peut évidemment donner à penser que la place que les monastères jurassiens consacrait au travail des moines aurait pu diminuer, au cours du gros demi-siècle qui sépare l’anonyme de Grégoire de Tours, selon une logique qui semble avoir alors été en cours dans l’ensemble du mouvement monastique occidental240.

236. […] studebat omnimodis, ut unusquisque illi rei vel studio in monasterio deserviret in quo eum dono sancti Spiritus pollere eminentius perspexisset : ibid., 149, p. 398-399. 237. grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 3, p. 16-17. 238. Ibid, I, 5, p. 20-23. 239. figuinha, « Pro qualitate loci et instantia laboris. Monasteries and their Human and Natural Environments in Late Antique Gaul », cit., p. 103-105. 240. M. lauwers, « “Opus manuum” et “labor agrorum”. À propos de l’organisation socio-spatiale de la production et de l’approvisionnement des monastères dans l’Occident médiéval », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’alto medioevo. Settimane di studio della fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, LXIV, Spoleto, 31 marzo ‑ 6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 54), 2 vol., t. II, p. 877-917, en particulier p. 882-884.

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Romainmôtier fut-il un monastère jurassien ? Faut-il penser que le monachisme jurassien aurait connu un développement encore plus large et se serait étendu au-delà de la petite vallée de la Bienne, où Romain et Lupicin avaient installé leur communauté monastique ? La Vita patrum Jurensium a pu donner à le penser lorsqu’elle avait affirmé que l’essor du monachisme serait devenu tel au temps de Romain et Lupicin, « que non seulement les régions reculées de la province de Séquanie, mais beaucoup de contrées éloignées, un peu partout, se remplissaient, par la sainte propagation de cette race divine, de monastères et d’églises241 ». Sans doute, peut-on toutefois considérer que ce passage ne constituait guère qu’une référence générale au développement du mouvement monastique dans sa globalité, d’autant que l’anonyme n’évoqua jamais d’autres fondations jurassiennes que celles que Romain et Lupicin auraient établies à Condadisco, Lauconne et la Balme. En revanche, le De sanctis Lupicino atque Romano abbatibus de Grégoire de Tours a pu permettre d’ouvrir de toutes autres hypothèses, en soutenant que Romain et Lupicin auraient fondé un monastère dans « les confins de l’Alémanie » (intra Alamanniae termi‑ num), sans toutefois donner d’autres précisions sur la nature ou l’emplacement de cet établissement242. Depuis le xviiie siècle, l’érudition a convenu qu’il fallait identifier ce monastère établi dans « les confins de l’Alémanie » avec l’abbaye de Romainmôtier, dans l’actuel pays de Vaud (fig. 22), en avançant au fil du temps trois principaux arguments, dont aucun ne s’est en réalité avéré convaincant. Le premier s’appuie sur la tradition qui avait considéré que l’abbaye de Romainmôtier aurait été fondée par Romain. Cet argument pose toutefois un problème de crédibilité, dans la mesure où cette tradition ne semble trouver son fondement que dans une chronique latine de l’abbaye de Saint-Claude, qui n’est sans doute pas antérieure au xive siècle243. Elle paraît surtout avoir été inconnue des moines de Romainmôtier, où elle n’est attestée pour la première fois qu’en 1519, dans un document rédigé dans le contexte de la mise en place de la réforme protestante et de la sécularisation de ce monastère244. Le deuxième argument est d’ordre archéologique, puisque les fouilles du site de Romainmôtier, que Peter Eggenberger a en particulier conduites entre 1971 et 2006, ont permis d’y identifier les vestiges d’une ancienne villa d’époque galloromaine, probablement à vocation artisanale, qui était au moins partiellement en activité à l’époque tardo-antique, comme en témoigne l’identification des vestiges 241. […] ut non solum Sequanorum provinciae loca secretiora, uerum etiam territoria multa longe lateque spatiis distinct terrarium, diuinae subolis diffusa gratia, monasteriis atque ecclesiis replerentur : Vie des pères du Jura, cit., 16, p. 256-259. 242. grégoire de tours, La Vie des Pères, cit., I, 2, p. 14-15. 243. moyse, « Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (ve-xe siècles) », cit., p. 34. 244. Pièces justificatives faisant suite au cartulaire de Romainmôtier, éd. F. de charrière, Lausanne, 1844 (Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande 1ere série 3), p. 576-892, ici p. 807-810.

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d’un four daté du milieu du ve siècle245. Toutefois, si les bâtiments de cette villa ont été à la source du futur monastère, dans la mesure où ils furent largement repris par les moines qui développèrent leurs propres constructions sur leurs vestiges, les éléments archéologiques ne permettent pas de savoir s’il y a eu ou non solution de continuité entre la villa romaine et le monastère médiéval. Il est en tout cas notable que le premier état de l’église monastique ne peut être daté que du vie ou du viie siècle, ce qui signifie qu’elle est manifestement postérieure à l’époque des premiers pères du Jura. En d’autres termes, si les données archéologiques attestent que le monastère de Romainmôtier a bien été construit sur la base d’un site gallo-romain encore occupé au ve siècle, rien ne prouve qu’une communauté tel hâ

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Figure 22 : Le monastère de Romainmôtier. 245. P. eggenBerger, P. Jaton et J. sarott, « Romainmôtier. Structures monastiques du Haut Moyen Âge. Première synthèse des fouilles archéologiques, de 1971 à 1988 », Jahrbuch der Schweizerischen Gesellschaft für Ur‑ und Frühgeschichte, 72 (1989), p. 295-296 ; H.R. sennhauser, « Quelques remarques concernant les premières églises de Romainmôtier et de Payerne », dans J. thirion (éd.), Saint‑Philibert de Tournus. Histoire, archéologie, art, Tournus, 1995, p. 285-296 ; S. Bully, « Rencontre autour de Romainmôtier. Les apports de l’archéologie, des Pères du Jura aux clunisiens », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, 14/1 (2010), p. 147-148 et P. eggenBerger et J. sarott, « Romainmôtier (Suisse). Un monastère au passé millénaire », Dossiers d’Archéologie. H.S. 19 (2010), p. 48-53.

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monastique s’y serait installée dès cette époque, d’autant que les datations du premier état de l’église monastique amèneraient logiquement à situer l’arrivée des moines à l’époque mérovingienne plutôt que durant l’Antiquité tardive. Le troisième et principal argument est d’ordre toponymique, puisque les érudits ont eu tendance à penser que le nom même de Romainmôtier suffisait à identifier son fondateur. Tel était par exemple l’opinion de Marius Besson, qui avait considéré qu’il « semble bien que Romainmôtier soit le môtier de Romain, comme, par exemple, Faremoutiers est le moutier de Fara246 ». Pour avoir semblé évidente aux historiens et aux archéologues, cette étymologie a toutefois été unanimement rejetée par les toponymistes, qui ont considéré que les règles de l’évolution phonétique ne permettaient pas de penser que le toponyme de Romainmôtier aurait pu découler d’un éventuel *Romani monasterium247. Qui plus est, l’existence même de cette forme *Romani monasterium est des plus douteuses, puisqu’elle n’apparaît jamais dans la documentation, où ce monasterium est qualifié de romanum, romansis, romanensis et romonensi, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Il est par ailleurs notable que selon une lettre apocryphe du pape Clément II (1046-1047), probablement rédigée par les moines de Romainmôtier dans la deuxième moitié du xie siècle, ce toponyme aurait originellement désigné un « monastère romain » (romanum monasterium)248. S’il faut évidemment prendre avec prudence cette étymologie, qui peut sembler d’autant plus suspecte qu’elle apparut à un moment où Romainmôtier s’attachait à se placer sous la protection du pape249, il n’en demeure pas moins qu’elle est tout à fait crédible, non seulement parce qu’elle est cohérente avec les formes les plus anciennes du toponyme, mais aussi parce que Romainmôtier avait été établi sous le col de Jougne, autrement dit le long de la principale route qui reliait le monde franc à l’Italie et à Rome. Comme le soulignait Jean-Daniel Morerod dans le dernier colloque tenu sur l’abbaye de Romainmôtier250, bien que ces éléments ne permettent pas de déterminer avec certitude l’étymologie du toponyme, il n’en demeure pas moins que les données toponymiques ne peuvent certainement pas permettre d’attester que cet établissement aurait bien été fondé par l’abbé Romain, comme le fait encore très souvent l’érudition. 246. M. Besson, « Saint Romain est-il le fondateur de Romainmôtier ? », Revue historique vaudoise, 12 (1904), p. 188-196, ici p. 189. 247. E. muret, « Romanis monasterium », Nuovi studi medievali, 1 (1923/1924), p. 211-227 et W. müller, « Die Ueberlieferung der ältesten Ortsnamen der Suisse romande », dans R. schütZeichel (éd.), Philologie der ältesten Ortsnamenüberlieierung, Kieler Symposion 1. bis 3. Oktober 1991, Heidelberg, 1992 (Beiträge zur Namenforschung neue Folge 40), p. 297-310, ici p. 303-306. 248. A. Pahud, Le cartulaire de Romainmôtier (xiie siècle). Introduction et édition critique, Lausanne, 1998 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 21), p. 25-28. 249. A. Pahud, « Romainmôtier et la mémoire. La question des origines », Zeitschrift für schweizerische Kirchengeschichte, 97 (2003), p. 7-35 [repris dans A. Paravicini Bagliani (éd.), La mémoire du temps au Moyen Âge, Florence, 2005 (Micrologus’ Library 12), p. 59-86] et A. Pahud, Le couvent de Romainmôtier du début de l’époque clunisienne à la fin du xiie siècle. Étude archivistique, diplomatique et historique, suivie de l’édition du chartrier, Lausanne, 2018 (Mémoires et documents de la Société d’histoire de la Suisse romande 4e série 16), p. 213-218. 250. J.-D. morerod, « En guise de conclusion : Romainmôtier, le nom et l’histoire », dans J.-D. morerod (éd.), Romainmôtier. Histoire de l’abbaye, Lausanne, 2001 (Bibliothèque historique vaudoise 120), p. 279-282.

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Au total, force est de constater qu’aucun des arguments avancés pour considérer que Romainmôtier aurait été une fondation des pères du Jura ne peut être véritablement retenu. Surtout, cette hypothèse pose un sérieux problème de crédibilité, dans la mesure où la Vita Columbani date la fondation de ce monastère du début du viie siècle. Selon le récit qu’y donnait Jonas de Bobbio, le duc Chramnelène, qui exerçait au nom du roi Clovis II de Neustrie (639-657) les pouvoirs publics dans l’important pagus Ultraiuranus, aurait alors « construit dans le défilé du Jura, sur la petite rivière du Nozon, un monastère pour l’amour de ce saint homme [Colomban] et le plaça sous sa règle251 ». S’il est évidemment possible de penser à une double fondation, celle de Chramnelène venant alors renouveler celle antérieure de Romain252, il est toutefois bien difficile de comprendre pour quelle raison Jonas de Bobbio aurait, dans cette hypothèse, passé la fondation jurassienne sous silence, alors qu’il se plaisait habituellement à situer les créations de monastères colombaniens dans un passé ancien et prestigieux253. En l’état de nos connaissances, il faut donc conclure qu’il n’existe aucun argument sérieux permettant de considérer que Romainmôtier aurait pu constituer une fondation de l’abbé Romain, d’autant qu’il faut reconnaître avec Gérard Moyse que le site de ce monastère peut paraître bien excentré par rapport au bassin de rayonnement du monachisme jurassien254.

* Au terme de ce chapitre, il convient tout d’abord de souligner le caractère exceptionnel de la Vita patrum Jurensium, qui offre aux historiens une description sans équivalent de la vie religieuse dans un monastère tardo-antique. Comme l’avait souligné Adalbert de Vogüé, dans l’étude qu’il lui avait consacrée au sein de son Histoire littéraire du mouvement monastique, cette œuvre démontre que les monastères jurassiens avaient mis en place un modèle de vie monastique, qui annonçait manifestement celui que devaient développer la Règle du Maître et la Règle de saint Benoît. Que ce soit par le vêtement, par leurs interdits alimentaires 251. Nam et ipse in amore beati viri in saltum Iorensem super Novisona fluvium monasterium ex eius regula construxit : Vita Columbani abbatis et discipulorumque eius, éd. B. krusch, HanovreLeipzig, 1905 (MGH, Scriptores rerum germanicarum 37), p. 1-294, ici 14, p. 176 ; trad. française : Jonas de BoBBio, Vie de saint Colomban et de ses disciples, éd. A. de vogüé, Bégrolles-en-Mauges, 1988 (Vie monastique 19 ; Aux sources du monachisme colombanien 1), 22, p. 126. 252. G. coutaZ, « Romainmôtier ou la succession de deux vagues de l’élan missionnaire (ve-viie siècles) », dans J.-D. morerod (éd.), Romainmôtier. Histoire de l’abbaye, Lausanne, 2001 (Bibliothèque historique vaudoise 120), p. 25-37. 253. wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », cit., p. 3 et diem, « The Rule of an “Iro-Egyptian” Monk in Gaul Jonas’ Vita Iohannis and the Construction of a Monastic Identity », cit. 254. G. moyse, « Les Pères du Jura. Une “préhistoire” monastique pour Romainmôtier », dans J.-D. morerod (éd.), Romainmôtier. Histoire de l’abbaye, Lausanne, 2001 (Bibliothèque historique vaudoise 120), p. 13-24.

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ou encore par la liturgie des heures, les moines jurassiens ne se distinguaient en effet guère de ceux du Mont-Cassin, que Benoît de Nursie devait diriger, une vingtaine d’années seulement après la rédaction de la Vie des pères du Jura. En ce sens, la Vita patrum Jurensium mérite sans doute d’être considérée comme un chaînon majeur, dans le processus de transmission des acquis du monachisme de culture provençale au sein de la tradition bénédictine. Tout en annonçant les prescriptions normatives de la Règle du Maître et de la Règle de saint Benoît, la Vita patrum Jurensium s’inscrivait en effet clairement dans la tradition monastique provençale. Comme l’a mis en évidence Alain Dubreucq, la Vie des pères du Jura soulignait que les monastères jurassiens s’étaient placés sous le patronage des Institutions de Cassien, qui constituèrent de fait la source de l’essentiel de ses prescriptions normatives. Cette influence provençale se retrouve aussi dans la place privilégiée que la Vita patrum Jurensium accordait aux pères du désert, en premier lieu bien sûr à la Vie de saint Antoine et à celle de Paul l’Ermite, auxquelles elle avait beaucoup emprunté. Le rôle privilégié que les moines jurassiens octroyaient ainsi à Cassien et aux pères orientaux ne les empêchait toutefois pas de se référer aussi à d’autres maîtres, en particulier à saint Martin, qui faisait l’objet d’une grande vénération dans les monastères du Jura. En ce sens, la Vita patrum Jurensium montre qu’il serait erroné d’opposer les enseignements de Cassien à la tradition martinienne, qui était devenue au début du vie siècle une référence partagée de l’ensemble de la tradition monastique occidentale. Sur un point toutefois, la Vita patrum Jurensium s’opposait clairement à la culture monastique provençale, celui de sa conception du désert monastique. En rupture avec une pratique qui avait fait du milieu insulaire l’espace érémitique par excellence, le monachisme jurassien s’attachait à développer une autre acception du désert, en le situant cette fois-ci dans un milieu forestier. En renonçant au modèle du monastère insulaire, les pères du Jura furent toutefois amenés à développer un monachisme moins séparé de la société que ne le faisaient les monastères provençaux. Ne disposant pas de la séparation insulaire, ils s’ouvrirent sans doute plus largement aux laïcs, mais surtout permirent à leurs moines de sortir assez usuellement de leurs monastères, comme semblent le montrer les voyages récurrents des frères et de leurs abbés, que la Vita patrum Jurensium décrivait en grand nombre. Une telle situation ne fut pas sans conséquences, dans la mesure où ne pouvant bénéficier comme les Lériniens d’une beata insula, qui se trouvait sacralisée par le seul biais de son retranchement au monde, les pères du Jura furent amenés à se doter d’autres sources de sacralité. Ils donnèrent ainsi un grand développement au culte des reliques et s’attachèrent à porter leurs abbés sur les autels, en élaborant un modèle de sainteté qui faisait une place importante au surnaturel, en particulier par la pratique de la thaumaturgie et de l’exorcisme des possédés. Au sein du tableau de la vie monastique jurassienne que dressait la Vita patrum Jurensium, le point le plus notable est évidemment celui qui concerne les bâtiments conventuels. Dès la fin du ve siècle, le monastère de Condadisco s’organisait en effet selon une topographie monastique très aboutie, avec un réfectoire, au sein duquel la lecture garantissait le maintien du silence, une infirmerie et une église

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conventuelle, où se déroulaient les deux synaxes quotidiennes des mâtines et des laudes. Particulièrement intéressante est la description du cénobe, avec ses cellules accolées sous un même toit, selon un type tout à fait comparable à celui qui a pu être archéologiquement décrit à Hamage. La Vita patrum Jurensium atteste ainsi de l’introduction, au temps de l’abbé Oyend, d’un dortoir monastique, dont elle nous donne la plus ancienne attestation documentaire. Rédigée au début du vie siècle, la Vita patrum Jurensium s’inscrivait ainsi pleinement dans le contexte d’essor des valeurs cénobitiques, qui n’avaient cessé de se renforcer depuis le milieu du ve siècle. À rebours des monastères insulaires du début du ve siècle, qui s’étaient attachés à séparer une élite d’anachorètes de la masse des cénobites, les monastères jurassiens cherchaient désormais à unifier dans le cénobitisme les modes de vie de leurs moines. Une telle orientation, qui revenait à regrouper dans un même dortoir des frères astreints au labeur et une élite vouée au sacerdoce, n’était à l’évidence pas sans engendrer de vives tensions, dont les échos apparaissent manifestement dans la Vita patrum Jurensium. Enfin, il faut souligner que la Vie des pères du Jura est une source dont les clefs de lecture nous sont largement masquées. Si sa datation reste imprécise, d’autant que le terminus a quo de 512 que l’érudition lui avait donné ne repose en réalité que sur du sable, sa rédaction doit en tout cas être située dans le contexte du décès de l’abbé Oyend. La lettre d’Avit de Vienne à Viventiole montre que la disparition d’Oyend avait déclenché une crise de succession dans les monastères jurassiens. D’après la Vita patrum Jurensium, mais aussi selon la lettre d’Avit à Viventiole, le conflit s’était d’abord et avant tout cristallisé sur la place privilégiée que les moines-prêtres revendiquaient au sein de la communauté jurassienne. Si nous ne savons rien du règlement de ce conflit et des modalités qui permirent le règlement de la succession d’Oyend, une chose est toutefois certaine : Viventiole ne put parvenir à obtenir la cathedra abbatiale qu’il ambitionnait, ce qui ne l’empêcha toutefois pas, quelque temps plus tard, de parvenir à être élu évêque de Lyon. Son échec, mais aussi le discours très égalitaire de l’auteur de la Vita patrum Jurensium, nous montrent que les idéaux élitistes, qui avaient tant animé le monachisme lérinien dans la première moitié du ve siècle, étaient alors manifestement en voie de repli.

ii – la fondation d’agaune : une ruPture avec l’érémitisme Par de nombreux aspects, la fondation du monastère d’Agaune, dans l’actuel canton suisse du Valais, doit être située dans la continuité de la tradition monastique provençale et plus particulièrement de l’influence jurassienne255. Il est ainsi révélateur qu’une des deux Passions de saint Maurice ait été écrite par le lérinien Eucher et que le plus ancien manuscrit qui nous l’ait transmise provînt de

255. duBreucq, « Les relations entre Condat et Agaune », cit.

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Condadisco256. Il est tout aussi caractéristique que les premiers textes issus du scriptorium de l’abbaye d’Agaune nous soient parvenus par un manuscrit du viie siècle, qui contient aussi le plus ancien témoin de la Vita patrum Jurensium257. Il est sans doute encore plus notable que le monastère d’Agaune ait été fondé sur le modèle des monastères du Jura, puisque ce fut pour guider ses moines à la recherche d’une règle de vie que la Vita patrum Jurensium avait été écrite. Il est enfin remarquable que cette Vie des pères du Jura ait été rédigée à la demande expresse de l’abbé Marin de Lérins, à qui les moines d’Agaune avaient tout d’abord demandé conseil, ce qui montre qu’ils souhaitaient s’inspirer du modèle provençal. Pour autant, quels que soient les éléments qui situent la fondation d’Agaune dans la continuité des expériences monastiques menées en Provence et dans l’espace jurassien, la mise en place en 515 de cet établissement n’en constitua pas moins une rupture dans l’histoire des monastères du sud-est de la Gaule, dont l’ampleur ne saurait être sous-estimée. Si la fondation d’Agaune peut être considérée comme une innovation majeure, elle le doit tout d’abord au fait que ce monastère fut établi dans une basilique martyriale. L’historiographie n’a généralement pas perçu le caractère innovant d’une telle fondation, dans la mesure où elle a été longtemps persuadée que des communautés monastiques avaient été installées au ve siècle dans les basiliques martyriales de Lyon, Vienne et Marseille. Après avoir pu constater qu’il n’en avait en réalité rien été, il convient désormais de souligner qu’Agaune a constitué le premier monastère gaulois à s’être développé dans une basilique martyriale, ce qui de ce seul point de vue suffit à lui donner un évident caractère pionnier. La fondation d’Agaune était en effet destinée à donner une ampleur sans précédent au culte de saint Maurice et des autres martyrs de la légion thébaine, en installant autour de leurs reliques une communauté de moines de chœur, suffisamment importante pour être en mesure de se relayer en permanence devant les autels des saints. Elle devait ainsi permettre d’assurer aux martyrs de la légion thébaine ce que les liturgistes appellent une laus perennis, autrement dit une prière perpétuelle que le chant des chœurs monastiques devait constamment assurer. La fondation d’Agaune nous permet ainsi de voir apparaître la mise en place d’une nouvelle fonction des communautés monastiques, dont la puissance se trouvait désormais utilisée, pour donner au culte des martyrs une capacité de célébration liturgique bien supérieure à celle qu’une communauté de clercs était alors en mesure d’assurer. À un autre titre, la fondation d’Agaune constitua aussi une innovation majeure, puisque cet établissement fut aussi le tout premier monastère occidental à être fondé par un roi barbare. Elle s’inscrivait ainsi dans une nouvelle dynamique que 256. L. holtZ, « La tradition lyonnaise d’Eucher de Lyon et le manuscrit Paris, BNF, lat. 9550 », Revue d’histoire des textes, nouvelle série 3 (2008), p. 135-200. 257. B. de vregille, « Le sacrarium Jurense de Pierre-François Chifflet », dans L. deloBette et P. delsalle (éd.), Autour des Chifflet : aux origines de l’érudition en Franche-Comté, Besançon, 2007, p. 151-164 et idem, « La tradition manuscrite de la “Vie des pères du Jura” et de la “Vie des abbés d’Agaune” », cit.

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nous avions déjà vue à l’œuvre à Vienne, lorsque les élites viennoises avaient établi à la fin du ve siècle un nouveau monastère féminin, qu’elles avaient placé sous la direction spirituelle de l’abbé Léonien et probablement aussi sous le patronage de l’évêque Avit de Vienne. Si, dès la fin du ve siècle, les dignitaires laïcs avaient donc commencé à jouer un rôle majeur dans les fondations monastiques, l’initiative royale donnait toutefois à cette fondation une dimension supplémentaire. Il convient aussi de souligner qu’elle constituait l’une des conséquences de la conversion au catholicisme du burgonde Sigismond, fils et successeur désigné du roi Gondebaud, qui eut probablement lieu à la veille de la guerre contre les Wisigoths que les Burgondes avaient menée avec les Francs en 506-507. La fondation d’Agaune s’inscrivait ainsi dans la politique de construction d’une Église royale que les nouveaux rois nicéens, tant burgondes que francs, s’attachaient alors à mettre en place, afin de récolter tous les fruits de leur conversion à l’orthodoxie258. En ce sens, la mise en place du monastère d’Agaune permettait de poser une pierre essentielle de la construction du nouvel ordre politique et social qui devait fleurir aux viie et viiie siècles, lorsque les monastères devinrent les outils privilégiés des stratégies de domination, que les chefs de l’aristocratie romanobarbares s’attachaient à mettre en place dans la Gaule devenue mérovingienne259. Sous l’impulsion de la dynastie royale des Burgondes, la fondation d’Agaune ouvrait ainsi la voie à un nouveau type de monastère, qui délaissait les déserts des îles et des forêts pour se situer résolument au cœur de la société, en se plaçant au service des saints et des Églises royales qui se mettaient alors en place. Elle offrait un modèle monastique innovant qui, tout en se situant dans la continuité du monachisme provençal, apportait d’importants points de rupture, auxquels sera consacré ce chapitre. Il nous amènera dans un premier temps à étudier le fondement du monastère d’Agaune, autrement dit le culte de saint Maurice et des martyrs de la légion thébaine, dont nous présenterons le dossier hagiographique. Dans un deuxième temps, nous prendrons en compte les données archéologiques du site d’Agaune, qui ont été récemment renouvelées grâce à l’importante campagne de fouilles qu’Alessandra Antonini y a dirigée pendant près de vingt années. Sur la base de ces données, mais aussi du témoignage de la Vita patrum Jurensium, nous nous interrogerons alors sur la préhistoire de l’abbaye d’Agaune, en nous demandant s’il existait ou non un monastère avant la fondation de Sigismond. Nous étudierons ensuite la fondation de 515 à travers l’étude de la Vita abbatum Acaunensium (BHL 142), qui constitue notre principale source sur la naissance 258. I. wood, « Ethnicity and the Ethnogenesis of the Burgundians », dans H. wolfram et W. Pohl, Typen der Ethnogenese unter besonderer Berücksichtigung der Bayern : Berichte des Symposions der Kommission für Frühmittelalterforschung, 27. bis 30. Oktober 1986, Stift Zwettl, Niederösterreich, Vienne, 1990 (Denkschriften. Österreichische Akademie der Wissenschaften, Philosophisch‑ Historische Klasse 201-204 ; Veröffentlichungen der Kommission für Frühmittelalterforschung 12-13), 2 vol., t. I, p. 53-69 ; B. duméZil, Les racines chrétiennes de l’Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares, ve‑viiie siècle, Paris, 2005, p. 171-216 ; idem, « Religion et ethnicité dans le royaume burgonde », cit. et favrod, « Les rois burgondes et l’Église, pouvoir et contrepouvoir », cit. 259. Y. fox, Power and Religion in Merovingian Gaul. Columbian Monasticism and the Frankish Elites, cit.

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de l’abbaye royale d’Agaune, avant d’envisager l’homélie que l’évêque Avit de Vienne prononça lors des cérémonies qui accompagnèrent son inauguration. Enfin, nous terminerons par les échos de la fondation de ce monastère que l’on peut percevoir tant chez Grégoire de Tours et le pseudo-Frédégaire que dans la Passio sancti Sigismundi (BHL 7717), avant de finir ce chapitre avec la fausse charte de fondation dont se dota le monastère d’Agaune.

Le dossier hagiographique du martyre de saint Maurice et de ses compagnons Le martyre de saint Maurice et de ses compagnons nous est pour l’essentiel connu par l’intermédiaire de deux Passions, dont l’une a été rédigée par l’évêque Eucher de Lyon (BHL 5737-5739) et l’autre par un auteur anonyme (BHL 57415749)260. Ces deux textes s’accordent pour raconter qu’une légion de soldats chrétiens, venue de Thèbes en Égypte, aurait traversé les Alpes sous le commandement du primicier Maurice, avant d’être martyrisée sur le site d’Acaunum, sur l’ordre de l’empereur Maximien. Si les deux Passions reprennent ce même récit, elles comportent toutefois des divergences notables, qui portent en particulier sur la datation du martyre, sur les causes de la venue en Valais des légionnaires thébains ou encore sur les raisons de leur mise à mort. Surtout le texte de ces deux Passions est indépendant, puisqu’elles semblent ne présenter aucun véritable emprunt textuel261, ce qui signifie qu’elles peuvent être considérées comme deux versions autonomes d’une même tradition hagiographique. Sans jamais avancer de véritables preuves, l’érudition a longtemps estimé que la version d’Eucher était la plus ancienne et surtout la plus crédible. La question pouvait sembler d’autant plus évidente que cette Passion avait non seulement un auteur respectable et bien identifié, mais était aussi assurément ancienne, puisqu’elle pouvait être datée dans une fourchette assez précise, que les spécialistes situent aujourd’hui entre 443 et 450. Le terminus ad quem de cette datation ne pose guère de problèmes, puisqu’il est donné par la mort d’Eucher que l’érudition

260. Une présentation détaillée du dossier hagiographique de saint Maurice dans M. Zufferey, « Le dossier hagiographique de saint Maurice », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 77 (1983), p. 3-46. 261. Contra : J.-L. feiertag, « Les sources littéraires du plaidoyer des Thébains adressé à l’Empereur dans la Passio Acaunensium Martyrum (chap. 9) attribuée à Eucher de Lyon (BHL 5737-5739) », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 255-264, qui rapproche, p. 264, le nobis quoque sanguine aspersis que donne Eucher du aspersus sum cruore sanctorum et sacri sanguinis reliquias vestibus meis porto que l’on trouve chez l’anonyme, sans toutefois que cet exemple soit suffisamment probant pour attester incontestablement d’un emprunt d’un texte à l’autre ou encore à une source commune.

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situe en 449/450262. Le terminus a quo est sans doute plus fragile, puisqu’il est fourni par l’installation en 443 des Burgondes en Sapaudia. Il a été introduit par Louis Dupraz, qui avait observé que cette Passion présentait des références trop appuyées au symbole de Nicée pour avoir été écrite avant 443, lorsque l’arrivée des Burgondes dans l’espace lémanique aurait amené Eucher et les évêques nicéens de la vallée du Rhône à mettre en avant des formules anti-ariennes, qui n’auraient pas eu de raison d’être auparavant263. Par ailleurs, dans son plus ancien manuscrit, cette Passion est accompagnée d’une lettre d’Eucher (BHL 5740), dans laquelle l’évêque de Lyon s’adressait à un certain évêque Salvius, totalement inconnu par ailleurs. Il lui envoyait le texte de sa Passion, en lui expliquant qu’il l’avait rédigée à sa demande, à partir du récit que lui avait procuré l’évêque Isaac de Genève, qui l’aurait lui-même tenu de l’évêque Théodore d’Octodure264. Disposant donc d’un auteur renommé, d’une datation qui enracinait clairement la Passion dans l’Antiquité tardive, mais aussi d’une lettre d’Eucher qui établissait son authenticité et attribuait sa source à deux évêques bien connus, cette Passion a polarisé l’attention de l’érudition. Elle a fait l’objet depuis la fin du xixe siècle de deux éditions critiques, l’une par Karl Wotke dans le Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum265, et l’autre par Bruno Krusch dans les Monumenta Germaniae Historica266, ainsi que de traductions françaises267. Elle donne aujourd’hui lieu à un nouveau projet d’édition critique, mené depuis une quinzaine d’années par les patristiciens de l’Université de Fribourg, qui se proposent d’établir un nouveau texte pour une édition dans les Sources chrétiennes, à partir d’une étude de ses 150 témoins manuscrits268. Considérée comme la Passion de référence, la version d’Eucher a donc constitué la source principale, voire même exclusive, des nombreuses études que l’érudition a consacrées au martyre de saint Maurice et de la légion thébaine269. 262. Prévot, « Recherches prosopographiques autour d’Eucher de Lyon », cit., p. 137-138 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 653-658. 263. L. duPraZ, Les Passions de saint Maurice d’Agaune. Essai sur l’historicité de la tradition et contribution à l’étude de l’armée pré‑dioclétienne (260‑286) et des canonisations tardives de la fin du ive siècle, Fribourg, 1961 (Studia Friburgensia nouvelle série 27), p. 62. 264. holtZ, « La tradition lyonnaise d’Eucher de Lyon et le manuscrit Paris, BNF, lat. 9550 », cit. 265. Passio Agaunensium martyrum, dans Sancti Eucherii Lugdunensis opera omnia, t. I, éd. K. wotke, Prague/Vienne/Leipzig, 1894 (Corpus scriptorum ecclesiasticorum Latinorum 31), p. 165-173. 266. Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, éd. B. krusch, Hanovre, 1896 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 3), p. 20-41. 267. La plus répandue est celle d’É. auBert, Trésor de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, Paris, 1872, p. 8-13. 268. B. sudan, « La diffusion de la Passion des martyrs d’Agaune du vie au xvie siècle », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 27-44. 269. E. gegenschatZ, « Der Bericht des Eucherius über das Martyrium des hl. Mauritius und der Thebäischen Legion », Neue Perpektiven, 23 (1989), p. 96-140.

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La Passion anonyme a été en revanche d’autant plus souvent écartée que l’érudition l’avait traditionnellement regardée comme un texte tardif, que les Bollandistes puis Bruno Krusch avaient considéré comme une retractatio – autrement dit une réécriture –, qu’ils dataient de l’époque carolingienne270. Son étude avait donc été traditionnellement délaissée par les érudits, jusqu’à ce que l’historien catholique Louis Dupraz n’ait souligné son intérêt et en ait donné une édition dans une importante étude parue en 1961271. Louis Dupraz avait repris le dossier de la tradition hagiographique mauricienne, afin de répondre à l’universitaire protestant, Denis van Berchem, qui avait relancé le vieux débat confessionnel sur l’historicité du martyre de la légion thébaine272, en mettant en évidence, avec un indéniable brio, les contradictions du récit que donnait la Passion d’Eucher273. Sans remettre en question la démonstration de Denis van Berchem, Louis Dupraz lui avait rétorqué que son étude n’avait porté que sur la seule Passion d’Eucher, avant de lui opposer le témoignage de la Passion anonyme, en montrant qu’elle offrait un récit historiquement bien plus crédible, qui était donc susceptible de répondre aux objections que Denis van Berchem avait formulées sur l’historicité du massacre de la légion thébaine. Au-delà de ce débat aujourd’hui vieilli sur l’authenticité du martyre thébain, l’étude de Louis Dupraz fit date, puisque pour la première fois un historien se refusait à définir ce texte comme une simple réécriture carolingienne de la Passion d’Eucher. Sans remettre en cause l’antériorité de la version d’Eucher, Louis Dupraz avait en effet proposé de situer le texte de l’anonyme à la fin du ve siècle, en considérant qu’il offrait un écho fidèle du martyre de la légion thébaine, qui méritait donc d’être pris avec le plus grand sérieux. Reprenant une quinzaine d’années plus tard le travail de Louis Dupraz, Salvatore Pricoco s’était montré assez convaincu par cette démonstration et avait souligné que la Passion anonyme devait avoir fidèlement rapporté une tradition hagiographique qu’Eucher avait dû, pour sa part, sérieusement retoucher274. L’historiographie commençait à reconnaître que le récit de l’anonyme semblait plus authentique que celui d’Eucher, sans toutefois se résoudre à considérer que le grand évêque lérinien de Lyon aurait pu marcher dans les pas d’un simple auteur anonyme. Cette interrogation commença toutefois à faire jour, lorsque 270. De ss. Mauritio primicerio, Exuperio senatore, Candido campiductore, Victore milite veterano, Innocentio, Vitale, aliisque legionis Thebaeae militibus martyribus, éd. Acta Sanctorum, Septembris, VI, Anvers, 1757, p. 308-341, 349-403 et 895-926, ici p. 345-349 et Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., p. 27. 271. duPraZ, Les Passions de saint Maurice d’Agaune. Essai sur l’historicité de la tradition et contribution à l’étude de l’armée pré‑dioclétienne (260‑286) et des canonisations tardives de la fin du ive siècle, cit. 272. J.-M. roessli, « Le martyre de la Légion Thébaine et la controverse autour de l’historicité du xvie siècle au xviiie siècle », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑ Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 193-210. 273. D. Berchem van, Le martyre de la Légion thébaine, essai sur la formation d‘une légende, Bâle, 1956 (Schweizerische Beiträge zur Altertumswissenschaft 8). 274. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 234-244.

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Éric Chevalley, dans une étude parue en 1991, poursuivit, en démontrant à partir de l’étude philologique de ses 45 témoins manuscrits, que la Passion anonyme relevait nécessairement du contexte tardo-antique et ne pouvait donc constituer une retractatio carolingienne275. Sur cette base, j’ai rédigé en 2005, avec Éric Chevalley et Justin Favrod, un article qui proposait de considérer que la Passion anonyme était en réalité antérieure à celle d’Eucher, en suggérant d’y voir un texte du début du ve siècle276. En 2014, Éric Chevalley a donné une nouvelle édition et une traduction de la Passion anonyme277, qui reprenait et amplifiait son étude de 1991, avant de confirmer, dans une étude publiée en 2015 avec Cédric Roduit, qu’il considérait que ce texte était antérieur à la Passion d’Eucher, en avançant en ce sens de nouveaux éléments278. Les principaux arguments en faveur d’une datation haute de la Passion sont tout d’abord d’ordre philologique. Éric Chevalley a en effet démontré que son plus ancien manuscrit connu ne pouvait être postérieur au début du ixe siècle et qu’il présentait un état de la tradition bien trop avancé, pour autoriser à penser que l’original puisse être carolingien. Or, eu égard au latin très classique utilisé par l’anonyme, ce texte ne peut à l’évidence être mérovingien, comme le confirme par ailleurs aussi son utilisation de la leçon Acaunum pour désigner Agaune. Les travaux du toponymiste Wulf Müller ont en effet démontré qu’Acaunum constituait une forme archaïque, qui avait définitivement disparu dès la fin du vie siècle au profit d’Agaunum279. L’analyse philologique d’Éric Chevalley pouvait ainsi permettre de conclure que la Passion anonyme ne pouvait avoir été rédigée que dans le contexte culturel de l’Antiquité tardive. Adalbert de Vogüé a apporté en ce sens un argument supplémentaire, en démontrant que l’auteur de la Vita patrum Jurensium, qui avait évoqué à deux reprises la Passion de saint Maurice280, avait donné une étymologie gauloise du nom d’Agaune qu’il avait nécessairement puisée dans la version de l’anonyme, puisqu’elle était la seule des deux versions de la Passion à donner cette information281. Cette constatation est évidemment fondamentale, puisqu’elle démontre que la Passion anonyme est nécessairement antérieure à la Vita patrum Jurensium, 275. É. chevalley, « La Passion anonyme de saint Maurice d’Agaune », Vallesia, 45 (1990), p. 37-120. 276. É. chevalley, J. favrod et L. riPart, « Eucher et l’Anonyme : les deux versions de la Passion de saint Maurice », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑ Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 423-438. 277. Passion anonyme de saint Maurice, éd. É. chevalley dans É. chevalley et C. roduit, La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond, Lausanne, 2014 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 53), p. 5-113. 278. É. chevalley et C. roduit, « La naissance du culte des saints d’Agaune et les premiers textes hagiographiques », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 32-57, en particulier p. 33-39. 279. müller, « Die Ueberlieferung der ältesten Ortsnamen der Suisse romande », cit., p. 301-302. 280. Vie des pères du Jura, cit., 2, p. 238-239 et 44, p. 286-289. 281. Ibid., 3, p. 240-241 et vogüé, Les règles des saints pères. I., cit., p. 35, n. 27.

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dont nous avons déjà vu qu’elle avait été rédigée avant la fondation en 515 du monastère d’Agaune. Qui plus est, les travaux d’Éric Chevalley ont démontré que cette étymologie gauloise d’Agaune n’était en réalité présente que dans une seule des familles de manuscrits de la Passion anonyme, dont le socle originel comporte tout un ensemble d’interpolations282. Une telle conclusion implique donc non seulement que l’auteur de la Vita patrum Jurensium a lu la Passion anonyme, comme l’avait déjà souligné Adalbert de Vogüé, mais aussi qu’il en a pris connaissance dans une copie fortement interpolée, ce qui suppose qu’au début du vie siècle le texte de la Passion anonyme avait déjà beaucoup circulé. Ces éléments sont évidemment essentiels, puisqu’ils démontrent non seulement que la Passion anonyme est antérieure à Vita patrum Jurensium, ce qui signifie qu’elle a été rédigée avant la fondation de 515, mais aussi qu’à l’époque où vivait l’auteur de la Vie des pères du Jura, ce texte avait probablement déjà bien circulé, eu égard à la maturité de la tradition manuscrite qu’il avait déjà acquise au début du vie siècle. La deuxième catégorie d’arguments est d’ordre hagiographique, dans la mesure où la Passion anonyme s’inspire de modèles de sainteté, qui sont très caractéristiques de la fin du ive ou du tout début du ve siècle. Salvatore Pricoco l’avait déjà souligné, en constatant que l’anonyme avait une conception de la sainteté militaire qui s’inscrivait manifestement dans le contexte hagiographique de la fin du ive ou du début du ve siècle283. Il avait en particulier souligné l’intérêt d’un passage de la Passion anonyme, dans lequel Maurice exhortait ses soldats à désobéir aux ordres de l’empereur, en leur affirmant qu’il « est vain de s’occuper des ordres de l’empereur (imperator) qui, de par sa condition de mortel, est mon égal284 ». Le grand historien italien avait mis en évidence l’archaïsme d’une telle conception, en montrant qu’elle n’était plus acceptable au temps d’Eucher. Il y voyait une clef majeure de la lecture de la Passion d’Eucher, en considérant que l’évêque de Lyon aurait écrit ce texte pour proposer une nouvelle version du martyre, afin de gommer de la tradition hagiographique cette dévalorisation du pouvoir impérial, que l’épiscopat catholique ne souhaitait plus promouvoir. Il est de fait remarquable que, dans la version d’Eucher, les légionnaires thébains se montraient remarquablement soucieux de multiplier les protestations d’obéissance envers l’empereur. Dans ce texte, Maurice allait en effet jusqu’à accepter sa condamnation à mort en s’avançant désarmé vers les bourreaux, assurant jusqu’au bout l’empereur de sa fidélité, pour lui expliquer que même « le suprême besoin de vivre ne nous a pas poussés à la rébellion285 ». Toute la Passion d’Eucher s’organisait ainsi autour d’une réflexion sur la double fidélité qui devait lier le chrétien à la cité terrestre et à la cité céleste, ce qui avait amené Salvatore Pricoco à y voir le sujet principal de ce texte. Cette thématique augustinienne était 282. Passion anonyme de saint Maurice, cit., p. 26-57. 283. Pricoco, L’isola dei santi. Il cenobio di Lerino e le origini del monachesimo gallico, cit., p. 235-238. 284. […] vacat cogitare quid imperator iubeat qui sorte mihi mortalitatis aequalis est : Passion anonyme de saint Maurice, cit., 6, p. 86 et 93. 285. […] non nos vel haec ultimae vitae necessitas in rebellionem coegit : Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., 9, p. 36.

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en revanche totalement étrangère à la vision développée par la Passion anonyme, qui s’inscrivait dans une conception beaucoup plus traditionnelle, dans laquelle la fidélité du chrétien envers l’empereur devait se trouver subordonnée à celle qui le liait à Dieu. Recourant à une approche comparative, Éric Chevalley a donné une analyse plus précise de cette question, en soulignant que le modèle de sainteté, dans lequel s’inscrivait la Passion anonyme, était en tous points comparable à celui que donnent les textes hagiographiques rédigés à la fin du ive ou au début du ve siècle286. Son étude a en effet montré que les exemples les plus proches du discours de l’anonyme se trouvaient dans la Vie de saint Martin (BHL 5610), écrite en 397 par Sulpice Sévère287, dans la Passion de saint Symphorien d’Autun (BHL 7967-7969), dont la rédaction est aujourd’hui située au temps de l’évêque Amâtre d’Auxerre († 418)288, ou encore dans l’hymne en l’honneur des saints Victor, Nabor et Félix, que l’évêque Ambroise de Milan († 397) avait composé289. Comme dans la Passion anonyme, tous ces textes s’attachaient à souligner que le chrétien devait désobéir à l’empereur, si ses ordres étaient contradictoires avec sa fidélité envers Dieu. Une telle conception disparut en revanche dans la première moitié du ve siècle et était ainsi devenue obsolète au temps d’Eucher, qui s’était attaché dans sa Passion à respecter le cadre d’un nouveau modèle de sainteté, susceptible de concilier les fidélités que le miles Christi devait prêter aux souverains de ses deux cités, sans les opposer entre elles290. La troisième catégorie d’arguments ressort de la cohérence interne de ces deux textes. Si celle-ci est particulièrement forte dans la Passion anonyme, comme Louis Dupraz l’a mis en évidence, la version d’Eucher présente en revanche une série d’incohérences et d’invraisemblances. Ainsi, la Passion anonyme donne un récit crédible, lorsqu’elle commence par affirmer que l’empereur Dioclétien avait confié à son César Maximien le soin de mener une campagne contre les bagaudes gaulois, ce qui l’aurait alors amené à faire appel à la légion thébaine. Ces données sont tout à fait conformes à la réalité historique, puisqu’elles situent le martyre dans le contexte de la campagne contre les bagaudes, effectivement menée en 285 par Maximien. Cette campagne est particulièrement connue par le récit qu’en 286. chevalley, favrod et riPart, « Eucher et l’Anonyme : les deux versions de la Passion de saint Maurice », cit., p. 425-428. 287. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit. 288. É. chevalley, La Passion de saint Symphorien d’Autun. Genèse d’un genre littéraire dans la Gaule de l’Antiquité tardive, Thèse, Université de Lausanne, 2006. 289. amBroise de milan, Hymnes, éd. J. fontaine, Paris, 1992, Hy. 10, Victor, Nabor, Felix pii, p. 443-483. 290. A. BarBero, « Santi laici e guerrieri, le trasformazioni di un modello nell’agiografia altomedievale », dans G. Barone, m. caffiero et F. scorZa Barcellona (éd.), Modelli di santità e modelli di comportamento, contrasti, intersezioni, complementarità, Turin, 1994, p. 125-140 et P. Bruggisser, « Un conflit de conscience dans le métier des armes : le plaidoyer des soldats thébains dans la Passion des martyrs d’Agaune selon Eucher de Lyon », dans L. galli milic et N. hecquet-noti (éd.), Historiae Augustae Colloquium Genevense in honorem F. Paschoud septuagenarii. Les traditions historiographiques de l’Antiquité tardive : idéologie, propagande, fiction, réalité, Bari, 2010 (Munera. Studi storici sulla Tarda Antichità 30 ; Historiae Avgvstae Colloqvia nov. ser. 11), p. 105-116.

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avait donné Orose († c. 418), ce qui avait amené Bruno Krusch à considérer que la Passion anonyme avait utilisé son Histoire contre les païens291. Éric Chevalley a toutefois repris la question, pour conclure que la source historique de l’anonyme n’était sans doute pas Orose, mais bien plus vraisemblablement Aurelius Victor († c. 390)292, qui relate aussi cet événement dans son Liber de Caesaribus293. Ce point n’est pas sans importance, car le fait que la Passion anonyme aurait utilisé un historien de la fin du ive siècle comme Aurelius Victor, et non des auteurs du début du ve siècle comme Orose, constitue évidemment un argument fort pour une datation haute de ce texte. La Passion d’Eucher donne sur ce point un récit bien différent, puisqu’elle situe le martyre de la légion thébaine dans le contexte de la grande persécution de 303, ce qui constitue en lui-même un élément qui donne à penser que ce texte est postérieur à celui de l’anonyme. S’il semble en effet compréhensible qu’un hagiographe du ve siècle aurait pu vouloir déplacer un martyre situé dans le cadre de la lutte contre les bagaudes, pour le resituer dans le contexte bien plus prestigieux de la persécution de Dioclétien, il est en revanche très difficile d’imaginer qu’un auteur chrétien aurait pu souhaiter effectuer le cheminement inverse. Surtout, la retouche est aisément identifiable dans la mesure où Eucher a, pour le reste, utilisé la même structure narrative que l’anonyme, ce qui l’a amené à expliquer lui aussi que Dioclétien aurait envoyé son César Maximien en Gaule, qui aurait alors traversé les Alpes avec la légion thébaine. Ce faisant, son récit s’est trouvé grevé par toute une série d’anachronismes, qui ont été mis en évidence par Denis van Berchem et plus récemment par Jean-Michel Carrié294. Si l’anonyme avait situé avec une certaine précision le martyre au temps de la Dyarchie, en décrivant correctement la situation institutionnelle qui était en place lors de la campagne que Maximien avait menée en 285 contre les bagaudes, le récit d’Eucher avait repris les données de la Dyarchie pour les plaquer dans le contexte de la grande persécution de 303, alors que l’empire était désormais passé sous le régime de la Tétrarchie, introduisant ainsi une série d’erreurs historiques. Pour ne prendre qu’un exemple, s’il était effectivement vrai que Maximien avait bien gouverné la Gaule en 285, comme l’avait affirmé l’anonyme, en revanche le César qui était en charge de l’espace gaulois lors de la grande persécution n’était plus Maximien mais Constance Chlore, ce qui rendait la version d’Eucher anachronique. Par ailleurs, le déplacement du contexte de la guerre des bagaudes à celui de la grande persécution avait aussi fortement affaibli la crédibilité du récit d’Eucher, dans la 291. Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., p. 27. 292. Passion anonyme de saint Maurice, cit., p. 107-108. 293. aurelius victor, Livre des Césars, éd. P. dufraigne, Paris, 1975 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’association Guillaume Budé), 39, 17-19, p. 50-51. 294. Berchem, Le martyre de la Légion thébaine, cit., p. 24-25 et J.-M. carrié, « Des Thébains en Occident ? Histoire militaire et hagiographie », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 9-35, ici p. 10-13.

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mesure où s’il est vrai que l’armée avait été effectivement employée par Maximien pour réprimer l’insurrection des bagaudes gaulois, elle n’avait en revanche jamais été utilisée dans les opérations contre les chrétiens, qui avaient été menées au temps de la grande persécution. En passant de la lutte contre les bagaudes à celle contre les chrétiens de la grande persécution, Eucher avait surtout profondément affaibli la cohérence même de sa structure narrative. L’anonyme avait ainsi expliqué que Maximien aurait ordonné à son armée d’établir son camp à Octodure, autrement dit dans l’actuelle ville de Martigny, afin d’y procéder à des sacrifices. Refusant d’être souillés par ces cérémonies démoniaques, Maurice et les chefs de la légion thébaine auraient alors ordonné à leurs hommes de ne pas s’arrêter à Octodure et de poursuivre jusqu’à Agaune (Acaunum), ce qui les avait amenés à désobéir aux ordres de l’empereur, provoquant ainsi la rébellion qui allait conduire à leur mise à mort. Soucieux de transformer les légionnaires en parfaits milites Christi, Eucher avait modifié la cause du martyre, ce qui l’avait amené à supprimer leur rejet de la souillure sacrificielle pour le remplacer par le refus des légionnaires thébains de s’attaquer à leurs coreligionnaires chrétiens. Toutefois, si Eucher avait supprimé le passage sur le sacrifice d’Octodure, il n’en avait pas moins affirmé, comme l’avait fait l’anonyme, que la légion thébaine aurait évité cette ville pour aller s’établir à Acaunum, sans être toutefois en mesure de proposer une explication à ce cantonnement des légionnaires à Agaune, qui avait perdu sa logique originelle. Ces exemples, qui pourraient être multipliés295, montrent clairement qu’Eucher a procédé à un réaménagement d’une tradition plus ancienne, dont la Passion anonyme est pour le moins plus proche, comme en témoignent sa cohérence et la parfaite crédibilité de ses données historiques. Tous ces arguments convergent et permettent de conclure que la Passion de l’anonyme est manifestement antérieure à la version d’Eucher, ce qui est d’autant moins étonnant que le culte de la légion thébaine semble avoir connu un premier développement dès la première moitié du ve siècle, avant donc qu’Eucher n’écrive sa propre Passion. Ce constat doit toutefois être pris avec prudence, dans la mesure où les attestations du culte mauricien antérieures aux années 440 sont probablement moins nombreuses que l’érudition avait pu le penser. Si les historiens ont en effet souvent invoqué l’autorité du martyrologe hiéronymien, qui mentionnait, à la date du 22 septembre, les saints de la légion thébaine296, la datation de cet anniversaire semble en réalité tardive297. La présence dans cet anniversaire de la forme Agaunus, et non de l’archaïque Acaunus, mais aussi la mention de « la cité

295. chevalley, favrod et riPart, « Eucher et l’Anonyme : les deux versions de la Passion de saint Maurice », cit., p. 431-434. 296. Sidunis civitate, in loco qui dicitur Agaunus, natalis sanctorum Mauricii, Exuperii, Candidi, Victoris, Innocentii, Vitalis cum sociis sex millibus quingentis octoginta quinque : Martyrologium Hieronymianum, cit., p. 521-522. 297. H. delehaye, Les origines du culte des martyrs, Bruxelles, 1912, p. 403.

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de Sion », où l’évêque d’Octodure avait transféré son siège entre 549 et 585298, montrent en effet qu’il ne peut être antérieur au milieu du vie siècle. En conséquence, il semble manifeste que l’anniversaire des saints d’Agaune ne figurait pas dans le noyau romain du martyrologe hiéronymien, probablement réuni dès les années 430-435, mais relève plutôt des addenda apportés à la compilation romaine par le scribe auxerrois, qui a donné la version définitive de ce texte, au plus tard en 592299. De même, si la dévotion que l’évêque Germain d’Auxerre († 448) aurait portée à saint Maurice a pu être considérée comme un témoignage attestant du développement du culte des martyrs thébains dans la première moitié du ve siècle, il convient de prendre ce fait avec la plus grande précaution. Le goût de Germain pour le culte mauricien n’est en réalité attesté que par les seuls Gestes des évêques d’Auxerre, dans une notice qui n’a sans doute été portée que dans la deuxième moitié du ixe siècle, afin d’affirmer que Germain aurait dédié à saint Maurice l’église dans laquelle il devait être par la suite inhumé300. Ce témoignage est non seulement tardif mais aussi douteux, dans la mesure où Alain Rauwel a récemment pu estimer qu’il est en réalité probable que les Gestes des évêques d’Auxerre avaient tout simplement transféré sur l’église Saint-Germain d’Auxerre la tradition mise en place par les moines de la basilique Saint-Bénigne de Dijon, qui avait été originellement consacrée à saint Maurice avant de recevoir sa dédicace définitive301. Enfin, si le témoignage de la Vita patrum Jurensium est souvent mentionné pour attester que Romain († v. 455) aurait fait un pèlerinage à la basilique martyriale d’Agaune302, il convient de ne pas oublier que ce texte a été rédigé au début du vie siècle pour les moines de ce dernier établissement. Dans ces conditions, il est difficile d’être certain que ce pèlerinage attribué à Romain ne relèverait pas d’une recomposition mémorielle, qui aurait pu enraciner à bon compte dans le passé les liens qui se mettaient alors en place entre les monastères jurassiens et Agaune. Dans ces conditions, force est donc de constater que le seul document qui serait incontestablement susceptible de témoigner d’un premier rayonnement, dès la première moitié du ve siècle, du culte des martyrs d’Agaune n’est autre que la Passion d’Eucher et la lettre de l’évêque de Lyon à son confrère Salvius, qui l’accompagne dans la tradition manuscrite. Dans cette épître, Eucher affirmait en effet qu’Agaune avait vu affluer des pèlerins « de différents lieux et de diverses provinces qui 298. F.-O. duBuis et A. longon, « Les premiers siècles d’un diocèse alpin : recherche, acquis et question sur l’évêché de Sion », Vallesia, 47 (1992), p. 5-61, ici p. 13-19. 299. Présentation de la question dans Zufferey, « Le dossier hagiographique de saint Maurice », cit., p. 14-16. 300. Les gestes des évêques d’Auxerre, t. I, éd. M. sot, Paris, 2002 (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Âge 42), p. 38-39. 301. A. rauwel, « Le culte de saint Maurice en Bourgogne ducale », dans N. Brocard, F. vannotti et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 387-404. 302. Vie des pères du Jura, cit., 44, p. 286-289.

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offrent, en l’honneur et au service des saints, des présents d’or, d’argent et d’autres choses303 », ce qui donne à penser qu’il existait alors un culte déjà bien organisé. Dans le texte même de sa Passion, Eucher donnait un autre indice du succès que connaissait déjà le culte des martyrs thébains, en affirmant que l’on racontait qu’Ours et Victor (BHL 8584-8588), deux martyrs qui étaient vénérés à Soleure, auraient originellement fait partie de la légion de saint Maurice304. Un tel témoignage, qui montre que des églises s’attachaient à rattacher leurs propres martyrs à la tradition thébaine atteste que du temps d’Eucher la tradition mauricienne avait déjà atteint une indéniable maturité, ce qui suppose qu’elle avait déjà une certaine ancienneté. La Passion d’Eucher le confirmait d’ailleurs, lorsqu’elle affirmait que les corps de saint Maurice et des autres légionnaires inhumés à Agaune avaient été inventés par l’évêque Théodore, qui les aurait alors déposés dans une basilique, où les saints auraient manifesté leurs vertus en effectuant des miracles : On raconte que les corps des bienheureux martyrs d’Agaune furent révélés, de nombreuses années après la passion, à saint Théodore, évêque de ce lieu, et tandis qu’il faisait construire en leur honneur une basilique qui, adossée à un immense rocher, n’était accessible que par un côté, il apparut un miracle que je ne crois pas devoir passer sous silence. Parmi les ouvriers qui avaient été appelés à concourir à cette œuvre, il y avait un forgeron qui était encore païen. Un dimanche, tandis que les autres artisans s’étaient éloignés pour assister aux fêtes de ce jour, cet ouvrier était seul dans le bâtiment en construction. Tout à coup, dans cette solitude, les saints se manifestèrent au milieu d’une vive lumière : cet ouvrier est saisi, traîné à la mort, étendu pour subir le supplice ; il distingue nettement la foule des martyrs, tandis qu’on l’accable de coups en lui reprochant de manquer seul à l’église un jour de dimanche, et d’oser, lui païen, concourir à l’œuvre sainte de cette construction. Cependant, ce fait fut accueilli par les saints avec une telle miséricorde que l’ouvrier, plein de frayeur et de trouble, demanda pour lui-même le nom sauveur et se fit chrétien sur-le-champ. Je ne passerai pas non plus sous silence cet autre miracle des saints parce qu’il est célèbre et connu de tous. La femme de Quintius, homme distingué et revêtu de fonctions publiques, était atteinte d’une paralysie qui lui avait fait perdre l’usage des pieds. Elle demanda instamment à son mari de la faire transporter à Agaune, malgré la longueur de la route. Lorsqu’elle fut arrivée, on la porta sur les bras dans la basilique des saints martyrs ; elle regagna à pied son hôtellerie, et ses membres déjà morts étant rendus au mouvement, elle promène aujourd’hui le miracle dont elle a été l’objet305.

303. […] ex diversis locis atque provinciis in honorem officiumque sanctorum auri atque argenti, diversarumque rerum munera offerant : Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., p. 40. 304. É. chevalley, « Le culte des martyrs thébains en prélude à la fondation de 515 », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 135-147, ici p. 139-140. 305. At vero beatissimorum Acaunensium martyrum corpora post multos passionis annos sancto Theodoro eiusdem loci episcopo revelata traduntur. In quorum honorem cum exstrueretur basilica, quae vastae nunc adiuncta rupi uno tantum latere acclinis iacet, quid miraculi tunc apparuerit nequaquam tacendum

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Il convient de souligner que la version d’Eucher est la seule de nos deux Passions à évoquer l’invention par l’évêque Théodore des reliques des saints thébains, la construction d’une basilique martyriale à Agaune et enfin les miracles que la présence des corps des martyrs auraient permis d’accomplir. La Passion anonyme ne mentionne aucun de ces faits, du moins dans sa tradition la plus ancienne, puisque Éric Chevalley a démontré que le récit de l’invention des martyrs et de la construction de la basilique médiévale, qui se trouve dans le texte de la Passion anonyme que Louis Dupraz avait édité306, ne constitue en réalité qu’une version interpolée, présente dans une seule branche de la tradition manuscrite de ce texte307. Cette branche est à l’évidence tardive, puisque ses interpolations sont en particulier liées au culte de saint Géréon de Cologne (BHL 3446), qui semble ne s’être développé qu’à partir des xe et xie siècles308. Cette absence, dans le texte originel de la Passion anonyme, de toute référence au culte des reliques des martyrs thébains doit être soulignée, dans la mesure où elle constitue un argument fort pour une datation haute de ce texte. Il serait en effet bien étonnant que l’auteur de la Passion anonyme aurait pu faire le choix de passer sous silence les miracles que les reliques des saints étaient réputées avoir faits dans la basilique construite par l’évêque Théodore, s’il avait été en mesure d’en avoir eu connaissance. Un tel constat amène donc à conclure que la Passion anonyme a nécessairement été écrite à une époque où la basilique de Théodore n’avait pu encore être le cadre de ces faits surnaturels, ce qui autorise à penser que ce texte aurait pu être rédigé lors de l’invention des reliques des saints thébains ou, plus probablement, à l’occasion de l’inauguration de leur église martyriale. Une nouvelle fois, les sources nous incitent à situer la rédaction de la Passion au temps de Théodore, autrement dit à la fin du ive siècle ou au début du ve siècle. Sans doute peut-on proposer putavi. Accidit ut inter reliquos artifices, qui invitati convenisse ad illud opus videbantur, quidam adesset faber, quem adhuc gentilem esse constaret. Hic cum dominico die, quo ceteri ad expectanda diei illius festa discesserant, in fabrica solus substitisset, in illo secreto se subito clara luce manifestantibus sanctis hic idem faber rapitur atque ad poenam vel supplicia distenditur, et visibiliter turbam martyrum cernens, verberatus etiam et increpatus, quod vel die dominico ecclesiae solus deesset, vel illud fabricae opus sanctum suscipere gentilis auderet. Quod adeo misericorditer a sanctis factum constitit, ut faber ille consternatus et territus salutare sibi nomen poposcerit statimque Christianus effectus sit. Neque illud in sanctorum miraculis praetermittam, quod perinde clarum atque omnibus notum est. Materfamilias Quinti, egregii atque honorati viri, cum paralysi fuisset obstricta, ut ei etiam pedum ususnegaretur, a viro suo ut Acaunum per multum itineris spatium deferretur poposcit. Quo cum pervenisset, sanctorum martyrum basilicae famulantium manibus inlata pedibus ad diversorium rediit ac sanitati de praemortuis restituta membris nunc miraculum suum ipsa circumfert : Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., 16-18, p. 28-39. 306. duPraZ, Les Passions de saint Maurice d’Agaune. Essai sur l’historicité de la tradition et contribution à l’étude de l’armée pré‑dioclétienne (260‑286) et des canonisations tardives de la fin du ive siècle, cit., Appendix, p 8*-18*. 307. Passion anonyme de saint Maurice, cit., p. 75-76. 308. J.-F. nieus, « La Passion de saint Géréon de Cologne (BHL 3446). Une composition d’époque ottonienne », Annalecta Bollandiana, 115 (1997), p. 5-38 et K. krönert, L’exaltation de Trèves. Écriture hagiographique et passé historique de la métropole mosellane, viiie‑xie siècle, Paris, 2010 (Beihefte der Francia 70), p. 250-251.

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de faire un pas supplémentaire, en suggérant que dans ces conditions son auteur a de grandes chances de pouvoir être identifié avec l’évêque Théodore d’Octodure en personne. Dans cette hypothèse, la Passion anonyme pourrait tout simplement constituer l’éloge des saints martyrs que Théodore avait nécessairement été amené à prononcer, lors de la consécration de la basilique qu’il avait fait bâtir à Agaune. Il existe en faveur de cette hypothèse un argument de poids, dans la mesure où Eucher affirmait, dans sa lettre à l’évêque Salvius, qu’il tenait son récit de la Passion des martyrs thébains de l’évêque Isaac de Genève, qui l’aurait lui-même reçu de Théodore. Ce témoignage est fondamental, puisqu’il montre qu’au milieu du ve siècle, Eucher considérait que l’évêque Théodore était l’auteur de la tradition hagiographique de la Passion de saint Maurice. Considérant jusqu’à ces dernières années que la Passion anonyme était tardive, l’historiographie a estimé qu’Eucher aurait évoqué dans sa lettre à Salvius une simple tradition orale, que l’évêque Isaac de Genève aurait reçue de l’évêque Théodore d’Octodure. Toutefois, la datation de la Passion anonyme à la fin du ive ou au début du ve siècle ne peut que nous amener à modifier cette interprétation, en considérant que l’évêque de Lyon avait fait allusion dans sa lettre à Salvius non pas à la tradition orale, mais bien à la Passion anonyme, dont il considérait visiblement que Théodore d’Octodure était l’auteur. Tous ces éléments convergent et ne peuvent que nous amener à conclure qu’il existe de sérieux arguments pour identifier l’auteur anonyme de la première Passion de saint Maurice avec l’évêque Théodore d’Octodure. Ce constat ne peut que nous amener à regarder avec attention les données prosopographiques relatives à cet évêque. Théodore fit son apparition dans la documentation historique avec les actes du concile réuni en 381 à Aquilée, à la demande de l’empereur Gratien, pour condamner deux évêques de la province d’Illyrie, Palladius de Ratiaria et Secundianus de Singidinum, qui étaient accusés d’être des partisans de l’hérésie arienne309. Présidé par Ambroise de Milan, ce concile avait réuni une trentaine d’évêques, venus de l’Italie du Nord mais aussi, dans une moindre mesure, du sud-est de la Gaule. Parmi ces évêques, se trouvait notre « Théodore évêque d’Octodure » (Theodorus episcopus Octodorensis), qui se distingua par son engagement nicéen, puisqu’il intervint dans le concile pour affirmer que « Pallade, qui nie que le Christ soit un vrai Dieu coéternel au Père, n’est pour cela en aucune manière chrétien ni évêque310 ». Nous ne savons pas depuis quand Théodore était alors évêque, puisque son évocation par les actes du concile d’Aquilée constitue la première mention de la présence d’un évêque à Octodure311, siège de la cité que les Romains avaient établie autour du site de l’ac309. H. savon, Ambroise de Milan (340‑397), Paris, 1997, p. 109-126 et sotinel, Identité civique et christianisme. Aquilée du iiie au vie siècle, cit., p. 142-169. 310. Theodorus episcopus Octodorensis dixit : Palladium qui Christum Deum verum coaeternum patri negavit, nec Christianum hunc nec sacerdotum ullo modo censemus : amBroise de milan, Epistularum liber decimus, Epistulae extra collectionem, Gesta concili Aquileiensis, éd. M. ZelZer, Vienne, 1982 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 82/3), 62, p. 362. 311. P. Braun, B. degler-sPengler et E. gilomen-schenkel (éd.), Das Bistum Sitten/Le diocèse de Sion. L’archidiocèse de Tarentaise, Bâle, 2001 (Helvetia Sacra I/5). p. 131-133.

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tuelle ville valaisanne de Martigny. Il est toutefois probable qu’en 381, Théodore était déjà en fonction depuis quelque temps, dans la mesure où il avait été mentionné à la dix-huitième place de la liste des évêques qui avaient souscrit les actes du concile et à la treizième place de la liste de ceux qui y avaient été présents312. Par ailleurs, il faut aussi très probablement identifier notre évêque Théodore avec le Theodolus episcopus qui souscrivit, sans que son siège ne soit précisé, la lettre synodale adressée au pape Sirice par le concile de Milan, qui avait été présidé par Ambroise en 392/393, afin de confirmer la sentence d’excommunication prise contre l’hérétique Jovinien313. Il ne fait aussi guère de doute qu’il faille identifier notre Théodore avec le Theodolus que l’évêque Victrice de Rouen avait remercié dans son De laude sanctorum, daté des années 395-397314, pour avoir permis à son église d’accueillir des reliques des saints315. Dans ce texte, Victrice de Rouen avait en effet rendu grâce à Theodulus, juste après avoir remercié Ambroise de Milan, auquel l’évêque d’Octodure semble avoir été particulièrement lié, puisqu’il lui était donc associé dans chacune de ses attestations documentaires. On soulignera que cette dernière mention nous fournit un nouvel exemple de l’intérêt que Théodore manifestait pour le culte des martyrs, ce qui devait effectivement le rapprocher d’Ambroise. Le dossier prosopographique de Théodore n’est malheureusement pas davantage fourni et nous ignorons tout de sa date de décès, puisqu’il n’existe après lui aucune mention d’un évêque en Valais, avant qu’Eucher n’adressât, avec sa Passion, une lettre à un certain évêque Salvius, que l’érudition considère comme un évêque d’Octodure, ce qui est probable à défaut toutefois d’être certain316. La présence récurrente de l’évêque Théodore dans l’entourage d’Ambroise de Milan n’a évidemment pas échappé à l’érudition. De longue date, les historiens ont en effet situé l’invention des reliques d’Agaune dans la continuité des inventions ambroisiennes de saints martyrs, qui avaient été inaugurées par l’évêque de Milan en 386, lorsqu’il avait découvert les corps de Gervais et Protais, avant de poursuivre avec l’invention des reliques de Vital et d’Agricola en 393, puis de celles de Nazaire et Celse en 395317. Le témoignage du De laude sanctorum de 312. amBroise de milan, Epistularum liber decimus, Epistulae extra collectionem, Gesta concili Aquileiensis, cit., ep. 2, p. 325 et ep. 3, p. 327. 313. Ibid., ep. extra collectionem 15, 14, p. 310-311. 314. B. BeauJard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps, d’Hilaire de Poitiers à la fin du vie siècle, Paris, 2000, p. 61-72. 315. Qua tu nunc, benedicte Ambrosi, veneratione complexer ? Qua te, Theodule, deosculer caritate ? : victrice de rouen, De laude sanctorum, éd. R. herval, Origines chrétiennes. De la iie Lyonnaise gallo‑romaine à la Normandie ducale (ive‑xie siècle), avec le texte complet et la traduction intégrale du De laude sanctorum de saint Victrice (396), Rouen/Paris, 1966, p. 108-153, ici 2, p. 112-113. 316. M. Besson, Monasterium Agaunense. Études critiques sur les origines de l’abbaye de Saint‑Maurice en Valais, p. 77-80 ; Braun, degler-sPengler et gilomen-schenkel (éd.), Das Bistum Sitten/Le diocèse de Sion. L’archidiocèse de Tarentaise, cit., p. 133 et Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. II, p. 1697. 317. E. dassmann, « Ambrosius und die Märtyrer », Jahrbuch für Antike und Christentum, 18 (1975), p. 49-68 ; savon, Ambroise de Milan (340‑397), cit., p. 193-234 et E. dassmann, Ambrosius von Mailand. Leben und Werk, Stuttgart, 2004, p. 150-159.

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Victrice de Rouen a traditionnellement amené l’historiographie à considérer que l’évêque Théodore d’Octodure aurait constitué, entre Milan et Rouen, un vecteur majeur de la diffusion du culte des reliques, ce qui n’est évidemment pas sans importance pour notre propos318. Dans un article paru en 2005, Otto Wermelinger s’était interrogé sur la nature du rôle que Théodore d’Octodure avait pu jouer dans l’essor du culte des saints en Occident. Il y expliquait que rien ne permettait de penser que l’invention d’Agaune aurait constitué une imitation de celle de Milan, dans la mesure où la documentation pourrait tout aussi bien permettre de soutenir que l’invention d’Agaune aurait pu précéder celle de Milan319. Dans son étude, Otto Wermelinger revenait sur une vieille hypothèse de Denis van Berchem qui, après avoir souligné que l’anthroponyme de Théodore était grec, avait estimé que cet évêque devait être d’origine orientale. Sur la base de ce constat, Denis van Berchem avait estimé que Théodore aurait pu introduire dans son diocèse un doublon du saint Maurice vénéré dans la cité syrienne d’Apamée, qui aurait été martyrisé, lui aussi sur ordre de l’empereur Maximien320. Otto Wermelinger a proposé dans son article de 2005 de renouveler l’hypothèse de Denis van Berchem, en suggérant que Théodore aurait pu avoir été invité en Occident par l’évêque Eusèbe de Verceil, qui l’aurait fait venir après l’avoir rencontré lors de son exil en Égypte en 362. En procédant à l’invention des martyrs thébains, Théodore aurait ainsi importé un usage oriental en Valais, où il aurait établi un sanctuaire dédié à saint Maurice, sur le modèle du saint vénéré à Apamée, en le rattachant à une légion thébaine afin de le relier à sa propre patrie égyptienne. Selon cette hypothèse, l’évêque Théodore aurait donc introduit en Occident un modèle d’origine orientale, dont Otto Wermelinger proposait de considérer qu’il aurait pu inspirer, dans un second temps, les inventions d’Ambroise. Il est toutefois peu dire que cette construction ne repose que sur une série de conjectures, qui s’avèrent d’autant moins convaincantes que l’hypothèse d’une origine orientale de Théodore est très loin d’être établie. Elle a en particulier été affaiblie, au milieu des années 1990, lors de la découverte par François Wiblé de deux inscriptions du début du ive siècle, dans les fouilles du site archéologique du Mithraeum d’Octodure. L’une d’entre elle affirmait que l’autel de Mithra avait été fondé par un gouverneur romain du nom d’Acilius Theodorus, tandis que l’autre évoquait la générosité d’un adepte du culte solaire, lui aussi dénommé Théodore321. Ces inscriptions ont ainsi pu démontrer que le nom de Théodore ne constituait 318. BeauJard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps, d’Hilaire de Poitiers à la fin du vie siècle, cit., p. 72-73. 319. O. wermelinger, « Die inventio martyrum bei Theodorus und Ambrosius : die Frage der Priorität », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.) Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 163-171. 320. Berchem, Le martyre de la Légion thébaine, cit., p. 41-42. 321. F. wiBlé, « Le mithraeum de Forum Claudii Vallensium/Martigny (Valais) » Archäologie der Schweiz, 18 (1995), p. 2-15, ici p. 10-11 et idem, « Chronique des découvertes archéologiques dans le canton du Valais en 1994 », Vallesia, 50 (1995), p. 343-407, ici p. 369-370.

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pas un anthroponyme exogène en Valais, mais était, à la fin du ive siècle, implanté dans les élites de la cité d’Octodure depuis déjà plusieurs générations. Quelles qu’en soient les limites, l’étude de Wermelinger a toutefois eu le mérite de souligner, après les travaux de Marius Besson et Denis van Berchem, que la légende des martyrs d’Agaune avait une évidente coloration orientale. La proximité des légendes de saint Maurice d’Agaune et de saint Maurice d’Apamée est bien évidemment remarquable et il semble très probable que ces deux saints constituent un doublon hagiographique. Il importe cependant de rajouter qu’il est difficile de déterminer dans quel sens s’est fait l’emprunt, dans la mesure où le culte de saint Maurice d’Apamée n’est pour la première fois attesté qu’avec Théodoret de Cyr († 460), qui avait affirmé, dans sa Thérapeutique, que Maurice faisait partie des martyrs dont la fête était célébrée avec faste en Syrie, ce qui peut donner à penser que sa vénération devait alors être déjà solidement installée322. Quand bien même le saint Maurice d’Agaune serait une importation syrienne, ce constat n’implique pas non plus que cette tradition aurait été nécessairement importée en Valais par un Oriental, pas plus qu’il n’est d’ailleurs besoin d’imaginer qu’un Latin l’aurait découverte lors d’un voyage en Orient. Elle peut tout aussi bien ressortir d’un emprunt littéraire, dans la mesure où l’utilisation de la matière orientale constituait l’une des caractéristiques majeures de la littérature ascétique, qui circulait massivement en Occident, au temps où l’évêque Théodore avait procédé à l’invention des martyrs d’Agaune. Comme l’a récemment souligné Beat Näf, l’invention des martyrs thébains doit en effet être replacée dans le contexte de la fascination que les milieux ascétiques du monde occidental développaient pour la Thébaïde, qui était alors perçue comme la terre d’élection des pères du désert et de la culture érémitique323. D’Eusèbe de Verceil à Jérôme de Stridon, en passant par Rufin ou Honorat, les grands noms de l’ascétisme occidental avaient certes pu prendre la route de l’Égypte, dans l’espoir de voir de leurs yeux les saints vivants qu’elle abritait324. Pour l’essentiel toutefois, les ascètes du monde occidental ne connaissaient les saints d’Orient qu’à travers les témoignages qu’ils lisaient sur les pères de la Thébaïde et des autres déserts égyptiens. À la fin du ive siècle, leur engouement avait d’ailleurs donné naissance à un véritable genre littéraire, dont témoignent entre autres les Vies latines de saint Antoine, l’Itinéraire d’Égérie, l’Historia monachorum, les Conférences de

322. théodoret de cyr, Graecorum affectionum curatio, éd. J. raeder, Stuttgart, 1969 (Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana), p. 219 ; cf. H. delehaye, « Saints et reliquaires d’Apamée », Annalecta Bollandiana, 53 (1935), p. 225-244 et J. Balty, « Maurice, un saint d’Apamée : témoignages littéraires et archéologiques », Topoi. Orient‑Occident. Supplément, 12 (2013) [Villes et campagnes aux rives de la Méditerranée ancienne. Hommages à Georges Tate], p. 223-233. 323. B. näf, Städte und ihre Märtyrer. Der Kult der Thebaïschen Legion, Fribourg, 2011 (Paradosis, Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Théologie 51), en particulier p. 94-101. 324. maraval, Lieux saints et pèlerinages d’Orient. Histoire et géographie, des origines à la conquête arabe, cit. et franck, The Memory of the Eyes. Pilgrims to Living Saints in Christian Late Antiquity, cit.

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Cassien, les Dialogues de Sulpice Sévère ou encore la continuation par Rufin de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée325. C’est dans ce contexte religieux et littéraire que doit être replacé le martyre de la légion thébaine, en n’oubliant évidemment pas que la référence à la Thébaïde constitue un évident renvoi aux pères du désert. Il est aussi essentiel de comprendre la valeur métaphorique de cette légion, en la replaçant dans le contexte de la littérature ascétique, qui se plaisait à voir dans les martyrs militaires un symbole privilégié de la sainteté monastique326. Cette conception imprégnait toute la littérature ascétique latine, surtout après que la Vita sancti Martini avait pensé la conversion monastique de Martin à travers son passage du statut de miles Caesaris à celui de miles Christi, ce qui faisait clairement du légionnaire une figure du moine327. Plus généralement, l’armée était perçue comme une métaphore de la communauté monastique, comme en témoigne par exemple Rufin dans son Histoire ecclésiastique, lorsqu’il expliquait que les pères du désert dirigeaient leurs moines comme s’ils « conduisaient l’armée du Seigneur, non pas avec des armes mortelles mais armés de la foi de la religion, une armée victorieuse dans la mort et qui triomphait par le sang versé pour suivre le Christ au ciel328 ». De même, l’Historia monachorum avait défini les moines d’Égypte comme une « armée céleste » (caelestis exercitus) ou encore comme une « milice céleste et angélique » (caelestis angelicaque milita)329. Ces métaphores militaires, particulièrement courantes dans la littérature ascétique, constituaient manifestement la source des Passions de saint Maurice. L’anonyme avait ainsi qualifié la légion thébaine d’« armée de saints » (sanctorum exercitus)330, tandis qu’Eucher l’avait défini comme une « légion angélique » (angelica legio)331. De telles images ne ressortaient pas d’une volonté de sanctification du miles Christi, selon un modèle qui ne devait en fait se développer qu’à la période médiévale, mais renvoyaient d’abord et avant tout à une symbolique courante dans les milieux ascétiques, qui faisait du soldat l’image du moine et de la légion celle du monastère. La Passion anonyme présentait une autre évocation majeure de la culture monastique, lorsqu’elle définissait les chefs de la légion thébaine comme étant « ceux qui commandent » (hi qui praeerant)332. Une telle expression constituait une manifeste référence au is qui praeest, dont Adalbert de Vogüé a démontré qu’il apparut pour la première fois dans la tradition régulière occidentale avec 325. A.E.J. grote, Anachorese und Zönobium. Der Rekurs des frühen westlichen Mönchtums auf monastische Konzepte des Ostens, Stuttgart, 2001 (Historische Forschungen 23) et harmless, Desert Christians. An Introduction to the Literature of Early Monasticism, cit. 326. J. fontaine, « Sulpice Sévère a-t-il travesti saint Martin de Tours en martyr militaire ? », Analecta Bollandiana, 81/1-2 (1963), p. 31-58. 327. sulPice sévère, Vie de saint Martin, cit., t. I, 4,1, p. 260-261. 328. Hi ducebant exercitum Domini non mortalibus telis, sed fide religionis armatum, exercitum moriendo vincentem et qui sanguinis sui profusione victor Christum : rufin d’aquilée, Historia ecclesiastica, Paris, 1849 (Patrologia latina 21), col. 461-540, ici col. 511. 329. rufin d’aquilée, Historia monachorum in Aegypto, cit., prol., col. 389-390 et 9, col. 422. 330. Passion anonyme de saint Maurice, cit., 8, p. 88. 331. Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., 11, p. 37. 332. Passion anonyme de saint Maurice, cit., 4, p. 84.

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la traduction latine que Rufin avait donnée en 397 du Petit Ascèticon de Basile de Césarée, afin de proposer un équivalent latin du terme grec de προεστώς333. L’expression fut par la suite reprise par Cassien dans ses Institutions, mais aussi et surtout par la Regula IV patrum, pour désigner le supérieur d’une communauté cénobitique, en un temps où le terme d’abbé n’était pas encore utilisé par les sources latines334. Dans ce contexte, l’utilisation dans la Passion anonyme de la formule hi qui praeerant pourrait avoir été empruntée à la littérature régulière, d’autant que Clemens Kasper a montré que les manuscrits de la Règle des quatre pères hésitaient entre is qui praeest et hi qui praesunt, utilisant ainsi un pluriel qui correspond précisément à la forme utilisée par l’anonyme335. Un tel constat semble montrer que l’auteur de la Passion anonyme a voulu introduire, dans sa description de la légion thébaine et de ses chefs, un vocabulaire emprunté à la terminologie monastique. Ce point pourrait donner à penser qu’une communauté monastique aurait pu être présente, dès les origines, au sein de la basilique martyriale d’Agaune, où a été probablement pour la première fois déclamée la Passion anonyme. Il a par ailleurs une autre conséquence, dans la mesure où il nous donne un point d’appui pour la datation de la Passion anonyme. Si l’on admet que le hi qui praeerant constitue un emprunt, direct ou indirect, à la traduction par Rufin du Petit Ascèticon, il en ressort que la Passion anonyme ne peut être antérieure à 397, ce qui nous offre ainsi un précieux terminus a quo de la rédaction de ce texte. Il convient enfin de rajouter que si la Passion anonyme ne peut être antérieure à 397, l’hypothèse qu’elle aurait été rédigée dans le contexte de la fondation de la basilique martyriale règlerait ce qu’Otto Wermelinger appelait « la question de l’antériorité », dans la mesure où ce terminus attesterait que l’invention des saints d’Agaune aurait été manifestement postérieure à celles qu’avait effectuées l’évêque Ambroise de Milan († 397).

Les données archéologiques Au cours du ve siècle, un copiste de la Passion anonyme s’était plu à interpoler son texte pour y préciser que le toponyme d’Agaune (Acaunum) provenait d’un terme gaulois, qui désignerait ce que le latin appelait saxum, autrement dit un rocher336. Si cette étymologie a longtemps fait autorité337, elle a été remise par cause par Linda de Torrenté, qui a récemment proposé de considérer qu’Acaunum constituerait en réalité un hagionyme, forgé sur le nom d’une divinité fluviale

333. Les règles des saints pères, t. I, cit., p. 139-140. 334. Ibid., p. 106-108. 335. kasPer, Théologie und Askese, cit., p. 306-311, avec les apports de vogüé, « Les débuts de la vie monastique à Lérins. Remarque sur un ouvrage récent », cit., p. 29-34. 336. Passion anonyme de saint Maurice, cit., p. 83, n. 15. 337. X. delamarre, Dictionnaire de la langue gauloise. Une approche linguistique du vieux‑celtique continental, Paris, 20032, p. 30.

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d’origine celtique338. L’idée que le nom d’Agaune aurait pu désigner un rocher en vieux celtique a toutefois semblé longtemps crédible, puisque le monastère avait été établi sur un site de verrou, qui rétrécit drastiquement l’ancienne vallée glaciaire du Rhône. Très visible des voyageurs de passage, le site a donc effectivement l’aspect d’un vaste rocher, qui ferme les horizons et le paysage. Alors qu’en amont du lac Léman, la vallée du Rhône a une largeur moyenne de 500 m., celle-ci diminue en effet fortement sur le verrou d’Agaune pour ne plus atteindre qu’une centaine de mètres, ce qui signifie que la vallée se restreint pratiquement alors au seul lit majeur du fleuve. Ce verrou contraint en effet le Rhône à s’engager à Agaune dans une cluse d’autant plus spectaculaire qu’elle est entourée des deux côtés par des falaises de plus de cent mètres de haut. Un tel site a ainsi offert aux hommes un point de contrôle naturel de la vallée du Rhône, qui verrouille l’accès aux routes des grands cols alpins et plus particulièrement à celles du col du Grand-Saint-Bernard, qui constituait de loin, malgré son altitude de 2469 mètres, le plus fréquenté des passages entre la Gaule et l’Italie, durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge. Ainsi situé sur la plus importante des voies transalpines qui reliaient les Gaules à l’Italie, le site d’Acaunum n’avait donc rien à voir avec un désert, mais se trouvait au contraire placé au cœur d’un axe de circulation majeur, qui avait été de très longue date fortement humanisé339 (fig. 23). Vers l’aval, Agaune n’est tout d’abord distant que de 3 km de Tarniae, l’ancien oppidum des Nantuates qui avait été établi sur le site de l’actuelle ville de Massongex, où les Romains avaient implanté un détachement de légionnaires et un temple en l’honneur de Jupiter. En amont, Agaune se trouvait situé à seulement 15 km d’Octodure, le chef-lieu de la cité valaisanne, qui avait été édifié sur le site de l’actuelle ville de Martigny340. Bien qu’elle n’ait sans doute attiré durant l’Antiquité qu’une bourgade mineure, Acaunum constituait toutefois un pôle stratégique important, où les Romains avaient établi le siège d’une station douanière. Une petite administration y levait la Quadragesima Galliarum, une taxe du quarantième sur les marchandises qui entraient et sortaient des Gaules341. Retrouvée sur le site archéologique de l’abbaye, une inscription, consacrée à l’un des esclaves impériaux qui géraient 338. L. de torrenté, « Autour de la signification d’Acaunus (Agaune) », Vallesia, 61 (2006), p. 301-308. 339. P. curdy, f. wiBlé, a. lugon et F.-O. duBuis, Histoire du Valais, tome I, Assises lointaines, époque romaine, Basse Antiquité et féodalité, Sion, 2002. 340. F. wiBlé, Martigny‑la‑Romaine, Lausanne, 2008 ; helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 111-112 et P. leveau et F. wiBlé, « La station routière et le “téménos” de Martigny », dans J. france et J. nelis-clément (éd.), La statio. Archéologie d’un lieu de pouvoir dans l’empire romain, Bordeaux, 2014 (Ausonius Éditions, Scripta Antiqua 66), p. 57-73. 341. J. france, Quadragesima Galliarum. L’organisation douanière des provinces alpestres, gauloises et germaniques de l’Empire romain (ier siècle avant J.‑C. ‑ iiie siècle après J.‑C.), Rome, 2001 (Collection de l’École française de Rome 278) et P. leveau, « Stations routières et stationes viarum. Une contribution à l’archéologie de la station en Gaule Narbonnaise et dans les provinces alpines voisines », dans J. france et J. nelis-clément (éd.), La statio. Archéologie d’un lieu de pouvoir dans l’empire romain, Bordeaux, 2014 (Ausonius Éditions, Scripta Antiqua 66), p. 17-55, ici p. 32-33.

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Les déserts de L’Occident

la perception de la Quadragesima Galliarum, atteste par ailleurs de la présence à Acaunum d’un sanctuaire dédié à Mercure. Cette mention d’un culte destiné au patron des voyageurs a donné à penser qu’Agaune devait probablement disposer d’infrastructures hospitalières, ce qui n’aurait évidemment rien d’étonnant, eu égard à son implantation sur un axe routier majeur342.

Lausanne Lac Léman

Tarniae Acaunum

ôn Rh

e

Octodure

N

Siège épiscopal

2500 1500 500 0m

0

5

10 km

Col du Grand-St-Bernard

Figure 23 : Le site d’Agaune. 342. É. antoine-könig (éd.), Le Trésor de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Catalogue de l’exposition du Louvre, 14 mars‑16 juin 2014, Paris, 2014, no 4, p. 41.

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En raison de sa situation stratégique, le site d’Agaune a aussi pu avoir une évidente fonction militaire, dont témoigne une autre inscription découverte dans les anciens vestiges de l’église abbatiale. Destinée à célébrer la mémoire d’un certain Junius Marinus, vir egregius et ancien ducénaire, qui avait été tué « par les ennemis343 » (ab hostibus), elle a pu être datée de manière convaincante par Justin Favrod de la fin du iiie ou du début du ive siècle. Selon son interprétation, le terminus a quo pourrait en effet être donné par le grade de ducénaire porté par Julius Marinus, puisqu’il n’a guère pu lui avoir été accordé qu’à la suite de la création entre 267 et 269 du corps des protecteurs, tandis que son titre de vir egregius permettrait de fixer le terminus ad quem, puisque cette inscription serait nécessairement antérieure à la suppression de l’égrégiat en 326344. La nature du combat qui a pu entraîner la mort de Junius Marinus reste toutefois un sujet de discussion. Justin Favrod a estimé qu’il renverrait à une invasion des Alamans qu’il suggère de situer en 275-277345, tandis que Jean-Michel Carrié a proposé d’y voir un affrontement contre un usurpateur gaulois, voire même contre des bagaudes, en suggérant que ce combat et la mort de Junius Marinus pourraient être à la source de la Passion anonyme, ce qui est évidemment loin d’être certain346. D’un point de vue archéologique, le site principal d’Acaunum est celui du « Martolet », un nom qui n’est probablement apparu qu’au xviie ou au xviiie siècle, lorsque l’église qu’il accueillait a été arasée. Situé sur la rive gauche du Rhône, le Martolet correspondait aux premières pentes du talus qui descendait doucement de la falaise vers le Rhône. Ce site, qui a été terrassé pour accueillir les constructions monastiques, était alimenté par une source, dont les eaux ont suscité le développement d’un culte aux Nymphes, dont témoigne un autel inséré dans les fondations d’un mur mérovingien, qui a été retrouvé dans les fouilles archéologiques de l’abbaye347. Le Martolet a ainsi accueilli les premières églises d’Agaune, avant d’être abandonné au début du xviie siècle, lorsque les chanoines, qui depuis le ixe siècle avaient remplacé la communauté monastique, ont souhaité réédifier leur église un peu plus loin de la falaise, afin de ne plus avoir à subir les fréquentes chutes de pierres qui venaient régulièrement détruire leurs bâtiments. Après avoir détruit leur ancienne église, les chanoines vouèrent le site à des fonctions récréatives, en autorisant en particulier les élèves du collège qu’ils avaient fondé en 1806 à 343. [D(is) M(anibus)] /Iuni Marini / v(iri) e(gregii), ex ducena/rio. H(i)c ab / hostibus pu/[…] : G. walser, Römische Inschriften in der Schweiz, für den Schulunterricht ausgewält, photographiert und erklärt, III. Teil : Wallis, Tessin, Graubünden, Meilensteine aus der ganzen Schweiz, Berne, 1980, no 261, p. 36 ; cf. F. wiBlé, « Dans le Valais du Bas-Empire : une bataille à Saint-Maurice », dans O. wermelinger, P. Bruggisser, B. näf et J.-M. roessli (éd.), Mauritius und die thebäische Legion, Saint Maurice et la légion thébaine, Actes du colloque de Fribourg, Saint‑Maurice et Martigny, 17‑20 septembre 2003, Fribourg, 2005 (Paradosis. Beiträge zur Geschichte der altchristlichen Literatur und Theologie 49), p. 447-453. 344. J. favrod, « La date de la prise d’Avenches par les Alamans », dans F.-E koenig et S. reBeteZ (éd.), Arculiana. Recueil d’hommages offerts à Hans Bögli, Avenches 1995, p. 171-179. 345. Ibid., p. 176-177. 346. carrié, « Des Thébains en Occident ? Histoire militaire et hagiographie », cit., p. 12-13. 347. antoine-könig (éd.), Le Trésor de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, cit., no 1, p. 38.

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s’y détendre. Depuis la fin du xixe siècle, le Martolet est devenu un site archéologique, qui présente un intérêt remarquable, dans la mesure où aucune construction moderne ne vient y restreindre le champ des investigations. Les premières fouilles du Martolet ont été dirigées, entre 1896 et 1920, par le chanoine Pierre Bourban († 1920), prieur de l’abbaye, qui put ainsi mettre au jour les vestiges des anciennes églises conventuelles. Il avait ainsi démontré l’intérêt du site, en particulier en dégageant la crypte occidentale d’époque carolingienne, avec son spectaculaire tombeau-reliquaire de saint Maurice, qui est depuis lors devenu le monument emblématique d’Agaune348. Ces premiers résultats furent repris et développés lors d’une deuxième campagne de fouilles, menée entre 1944 et 1949 par le grand archéologue genevois Louis Blondel († 1967). Il fit porter ses recherches sur les espaces entourant le site du Martolet, où il découvrit en particulier un baptistère paléochrétien349. La mise au jour de ces vestiges amena toutefois leur dégradation progressive, ce qui contraignit, dans les années 1990, l’abbaye de Saint-Maurice et l’État du Valais à réagir, en mettant en place un important programme de restauration et de protection du site. Dans ce cadre, une nouvelle campagne de fouilles fut programmée à partir de 1998 et l’archéologue valaisanne Alessandra Antonini en prit la direction. Jusqu’en 2013, elle mena des opérations d’envergure, qui lui permirent de reconsidérer l’ensemble des vestiges jusque-là identifiés, mais aussi de mener de nouvelles fouilles, profitant en particulier d’une rénovation de l’avenue d’Agaune, qui borde au sud l’actuelle église abbatiale, pour développer le champ de ses investigations. Le décès prématuré d’Alessandra Antonini, le 14 novembre 2016, ne lui a malheureusement pas permis de publier ses rapports de fouilles, mais elle a toutefois été en mesure d’éditer l’essentiel de ses conclusions dans de grosses contributions, parues dans le volume sur l’histoire et l’archéologie de l’abbaye de Saint-Maurice, qui a été publié en 2015, dans le contexte de la commémoration du 1500e anniversaire de la fondation du monastère et de l’ouverture au public du nouveau site archéologique du Martolet, qui a bénéficié d’une importante mise en valeur muséographique350. Ses travaux sont aujourd’hui poursuivis par Marie-Paule Guex, qui a récemment pu mettre au jour une nécropole tardo-antique et alto-médiévale au printemps 2019, lors d’une opération d’urgence menée autour de l’ancienne église funéraire du site des Condémines, à environ 300 m. à l’est de l’actuelle abbaye. L’important programme de recherche qu’a dirigé Alessandra Antonini pendant une quinzaine d’années nous permet donc de disposer aujourd’hui d’une récente et très solide étude archéologique de la genèse de ce monastère. Ces travaux nous 348. A. antonini, « La découverte du passé archéologique », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 27-31. 349. L. Blondel, « Les anciennes basiliques d’Agaune », Vallesia, 3 (1948), p. 9-57 ; idem, « Le baptistère et les anciens édifices conventuels de l’Abbaye d’Agaune », Vallesia, 4 (1949), p. 15-28 et idem, « Les anciennes basiliques », Les échos de Saint‑Maurice, 49 (1951), p. 15-52. 350. A. antonini, « Archéologie du site abbatial (des origines au xe siècle) », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 59-109.

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ont tout d’abord permis de savoir que la première occupation du site du Martolet fut d’ordre funéraire, puisque cet espace, auparavant délaissé, accueillit, à la fin du iie ou au début du iiie siècle, une petite nécropole. Au sein de la quinzaine de tombes identifiées par Alessandra Antonini, une sépulture avait un évident statut privilégié, tant en raison de sa profondeur exceptionnelle de 2,05 m., que de sa forte visibilité, puisqu’elle avait été établie au sommet du talus et était surmontée par un monument. La fouille a permis d’y retrouver un squelette, probablement masculin, qui y avait été inhumé dans la première moitié du iiie siècle. Cette tombe semble avoir fait l’objet d’une vénération particulière, qui devait surtout se poursuivre durablement, puisqu’un siècle environ après son édification, elle bénéficia d’une nouvelle opération de monumentalisation, qui se concrétisa par l’érection au-dessus de la sépulture d’un petit bâtiment funéraire. De taille rectangulaire, ce mausolée, qui avait une superficie d’environ 65 m2, semble avoir été construit dans le deuxième quart du ive siècle, si l’on en juge par la découverte d’une pièce datée de 335 de notre ère, dans le remblai qui avait nivelé le terrain avant la construction. Ce premier bâtiment funéraire fut remplacé par une église, dont les plus anciennes sépultures ont pu être datées au radiocarbone entre 381 et 411, ce qui permet de l’identifier sans hésitations avec la basilique que, selon la Passion d’Eucher, l’évêque Théodore d’Octodure avait fait construire en l’honneur des martyrs thébains qu’il avait inventés. D’une superficie d’un peu plus de 300 m2, ce bâtiment, qui fut repris et agrandi au cours du ve siècle, se présentait sous la forme d’une église orientée à nef unique, de forme légèrement trapézoïdale, qui disposait d’une abside circulaire. Il est notable que la sépulture privilégiée du iiie siècle avait conservé au sein de la nef une place de premier plan, puisqu’elle s’y trouvait placée juste devant le chancel, ce qui lui assurait une forte visibilité. Un couloir d’accès, sans doute recouvert par un portique en bois, avait été accolé au mur méridional de l’église. Placé sur un étage inférieur à l’église en raison de la pente du talus, ce couloir débouchait sur une rampe qui donnait accès à la porte d’entrée, située à l’ouest de l’église. Si la nef et le couloir d’entrée ont accueilli plusieurs sépultures, les plus privilégiées des inhumations semblent s’être en revanche concentrées dans un petit bâtiment, construit entre l’abside et la falaise. Eu égard à l’importance de ses fonctions funéraires, Alessandra Antonini a suggéré que ce bâtiment pourrait constituer une chapelle à reliques, ce qui peut sembler d’autant plus probable qu’il devait par la suite être relié à la basilique, dont il constitua dès lors une chapelle latérale. Cette basilique édifiée par Théodore fut remplacée par un nouveau bâtiment ecclésial, d’ampleur bien plus conséquente, puisqu’il devait sans doute atteindre une superficie de près de 600 m2. Cette nouvelle église reçut une puissante abside, insérée dans un chevet polygonal. La datation archéologique de cette nouvelle basilique est toutefois délicate, puisqu’elle ne peut reposer que sur les sépultures qui lui ont été associées. Malheureusement, celles-ci ne peuvent être datées que par typologie, ce qui a amené Alessandra Antonini à les situer au vie siècle, avec néanmoins un certain flou. Étant donné toutefois que la stratigraphie montre que cette église

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doit être située entre la basilique de Théodore et une église postérieure, qui peut quant à elle être assez solidement datée de la fin du vie siècle, Alessandra Antonini a toutefois estimé qu’il était possible de l’identifier sans hésitation avec la nouvelle basilique, qui fut construite dans le contexte de la fondation en 515 du monastère de Sigismond. Malgré sa taille remarquable, cette église semble en tout cas avoir été rapidement considérée comme trop petite, puisqu’elle fit l’objet de travaux d’agrandissement et d’embellissement, sans doute dès la première moitié du vie siècle, pour être dotée d’une plus grande abside et d’annexes à vocation funéraire. La basilique de Sigismond s’insérait dans un vaste ensemble de bâtiments, qui témoigne de l’ampleur que le site monastique avait atteinte au vie siècle (fig. 24). Ces bâtiments annexes posent toutefois de sérieux problèmes de datation, puisqu’en l’état de la recherche, il n’est pas possible de déterminer si ces édifices ont été élevés lors de la fondation de 515, ou s’ils lui sont antérieurs ou même postérieurs. Le premier de ces bâtiments est le baptistère paléochrétien

55 0

Eglise du Parvis

Baptistère 0 50

0 45

Eglise du Martolet Palais

Bâtiment d'habitation N

Bâtiment d'habitation

0

40 m

Figure 24 : Le complexe monastique d’Agaune dans la première moitié du vie siècle.

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découvert par Louis Blondel, qui fut construit légèrement au sud-est de l’église du Martolet. Il se présentait sous la forme d’un bâtiment rectangulaire d’environ 120 m2, au centre duquel avait été édifiée une piscine baptismale de forme circulaire. En l’absence de toute possibilité de datation, Alessandra Antonini a proposé de situer sa construction dans le contexte de l’érection de l’église de Théodore, mais cette hypothèse étant en réalité incertaine, il n’est pas à exclure que le baptistère ait pu faire partie des bâtiments édifiés par Sigismond. À proximité de ce baptistère, dans l’axe de l’église du Martolet, les vestiges d’une deuxième église avaient pu être identifiés par Louis Blondel sous le parvis de l’actuelle abbatiale. L’étude partielle qu’Alessandra Antonini a pu en mener a permis de restituer une belle église d’environ 500 m2, qui a probablement été destinée à des fonctions funéraires. Celles-ci semblent en particulier pouvoir être attestées par la dalle funéraire du moine Rusticus, qui a été découverte en 1974 et que Christoph Jörg a proposé de dater stylistiquement de la première moitié du vie siècle351. N’ayant pu mener sur ce site une véritable fouille, Alessandra Antonini a préféré ne pas proposer de datation pour cette église, dont il n’est donc pas certain qu’il faille la situer dans le contexte de la fondation en 515 du monastère de Sigismond. La campagne de fouilles menée en 2012-2013 sous l’avenue d’Agaune, qui borde à l’est l’actuelle église abbatiale, a aussi permis à Alessandra Antonini d’identifier un bâtiment majeur, d’une taille de plus de 600 m2. Organisé en deux salles, dont la plus importante consistait en une vaste aula avec un podium monumentalisé, ce bâtiment disposait d’un sous-sol permettant un chauffage par hypocauste. Il présente d’importantes traces d’occupation résidentielle, en particulier de type domestique et culinaire, ce qui a amené Alessandra Antonini à proposer de l’identifier avec un palais352. Les éléments de datation étant toutefois limités et contradictoires, il n’est pas possible de situer précisément l’érection de ce bâtiment, qu’Alessandra Antonini a dû situer avec un certain flou au ve ou au vie siècle. Au vu de ces données, il peut toutefois sembler raisonnable de considérer qu’un tel bâtiment, qui s’apparente à tout point de vue à la structure palatiale établie au nord de l’abbatiale de Saint-Denis à l’époque de Charlemagne353, ne peut avoir été construit que par un roi, ce qui constitue un argument fort pour le situer dans le contexte de la fondation de 515. L’identification de cette structure palatiale fait en tout cas du site d’Agaune

351. Corpus inscriptionum medii aevi Helvetiae. Die frühchristlichen und mittelalterlichen Inschriften der Schweiz, I, Die Inschriften des Kantons Wallis bis 1300, éd. C. Jörg, Fribourg, 1977, no 10, p. 55-57. 352. antonini, « Archéologie du site abbatial (des origines au xe siècle) », cit., p. 100-104 et M. guélat, « Saint-Maurice, Avenue d’Agaune : analyse micromorphologique de la séquence d’occupation dans une aula du Haut Moyen Âge », dans C. Brunetti, A. duBois, O. Paccolat et S. Providoli (éd.), Alessandra Antonini. Hommage à une archéologue médiéviste, Sion, 2019 (Cahiers de Vallesia 31), p. 39-53. 353. M. wyss, « Un établissement carolingien mis au jour à proximité de l’abbaye de Saint‑Denis : la question du palais de Charlemagne », dans A. renoux (éd.), “Aux marches du palais”. Qu’est‑ce qu’un palais médiéval ? Actes du viie congrès international d’archéologie médiévale, Le Mans‑ Mayenne, 9‑11 septembre 1999, Le Mans, 2001 (Actes des congrès de la Société d’archéologie médiévale 7), p. 191-200.

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le plus ancien « monastère-palais354 » connu, ce qui donne à penser que les derniers rois burgondes devaient venir y vivre, afin de se trouver dans l’immédiate proximité des saints martyrs et de la communauté monastique. Agaune inaugurait ainsi un mode d’exercice du pouvoir qui devait se généraliser à la période carolingienne, lorsque les rois purent disposer d’un réseau de palais édifiés à proximité de leurs monastères, comme ce fut par exemple le cas à Farfa, Chelles et Hersfeld355. Enfin, Alessandra Antonini a aussi pu identifier, au sud du palais, deux bâtiments de taille conséquente, qui disposaient d’un chauffage par hypocauste, ce qui montre qu’ils avaient été affectés à des fonctions d’habitation. Bien qu’il soit difficile de préciser la datation de ces bâtiments, mais aussi leur superficie exacte, Alessandra Antonini a suggéré qu’il pourrait s’agir d’habitations monastiques, ce qui peut effectivement sembler probable. Si l’on adopte cette perspective, le bâtiment le plus méridional présente une ampleur telle qu’il ne peut guère correspondre qu’à un cénobe. Il faut enfin rajouter, qu’à l’exemple de nombreux autres établissements du haut Moyen Âge356, la vie des moines d’Agaune se déployait sur un espace d’autant plus important, qu’il ne se limitait probablement pas au site du Martolet, comme le montre la découverte au printemps 2019 d’une nécropole sur le site des Condémines, à 300 m. de l’abbaye. Cet espace funéraire était associé à une église que les premières études peuvent sans doute permettre de dater de la seconde moitié du ve siècle357. Les données actuelles ne permettent malheureusement pas de saisir toute l’ampleur de l’occupation de l’espace liée aux cultes d’Agaune, mais il convient de souligner que l’actuelle ville de Saint-Maurice offre de nombreux sites susceptibles d’avoir été utilisés par les premiers moines, mais qui n’ont pas encore fait l’objet d’études archéologiques. Il est ainsi probable que de nouvelles découvertes pourront, dans les années à venir, nous montrer à quel point l’espace monastique pouvait déborder le site du Martolet et ses environs immédiats.

La première communauté monastique d’Agaune Les données archéologiques et le témoignage des Passions de saint Maurice attestent donc de la fondation d’une basilique martyriale à Agaune, à la fin du ive siècle ou au plus tard au tout début du ve siècle. La question que nous avons 354. A. renoux, « Palais et monastères : la question des Klosterpfalzen en France du Nord (ixe -xie siècle) », dans H.R. sennhauser (éd.), Pfalz‑Kloster‑Klosterpfalz St. Johann in Müstair. Historische und archäologische Fragen. Tagung 20‑22 September 2009 in Müstair, Zurich, 2009, p. 81-98. 355. En particulier M.-L. Pain-caZe, L’architecture monastique sous le règne de Charlemagne, Thèse, Université de Paris X, 2017, en particulier p. 262-263. 356. C. treffort, « Des mots aux choses : traces de la vie quotidienne des moines en Gaule avant l’an mil », dans O. delouis et M. mossakowska-gauBert (éd.), La vie quotidienne des moines en Orient et en Occident (IVe‑xe siècle), vol. I, L’état des sources, Le Caire/Athènes, 2015 (Bibliothèque d’étude 163), p. 359-370, ici p. 368-369. 357. Ces études en cours sont menées par Ludovic Bender, Anouk Bystritzsky et Marie-Paule Guex, du bureau d’études TERA, à Sion.

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déjà vu se poser en filigrane, lorsque nous avions mis en évidence la présence dans la Passion anonyme de références appuyées à la vie monastique, concernait le statut de cette basilique martyriale. Était-elle desservie par un collège de clercs ou a-t-elle relevé dès ses origines d’un véritable monastère ? La question est d’autant plus délicate que les travaux de Luce Pietri et Hélène Noizet ont montré que les premières basiliques martyriales pouvaient accueillir des formes de vie complexes, susceptibles d’associer des groupes de clercs à de petites communautés monastiques, non sans que cette cohabitation n’ait entraîné des situations ambivalentes, où les modes de vie et les formes d’organisation des deux groupes pouvaient s’influencer mutuellement358. Les premiers historiens de l’abbaye de Saint-Maurice avaient estimé, à l’exemple d’Édouard Aubert359, qu’il y aurait eu un premier monastère à Agaune avant même la fondation de 515, en invoquant le témoignage de la Vita Severini abbatis Agaunensis (BHL 7643-7645)360. Ce texte est connu par deux versions, dont la plus complète semble avoir été rédigée dans l’entourage de l’évêque Magnus de Sens (801-818)361. Cette Vie s’attachait à dresser l’éloge de saint Séverin, dont la tombe faisait l’objet d’un culte dans un monastère situé à Château-Landon, un bourg de l’actuel département de Seine-et-Marne. La Vita Severini racontait qu’avant de venir mourir à Château-Landon, Séverin aurait été abbé du monastère d’Agaune. Il y aurait manifesté ses vertus exceptionnelles, en parvenant à y guérir le roi Clovis durant la vingt-cinquième année de son règne, une date qui correspondrait à l’année 506, si l’on se réfère du moins à la chronologie du règne de Clovis que donne Grégoire de Tours. Ces éléments avaient donc amené l’érudition à considérer que la Vie de Séverin serait susceptible d’attester qu’un monastère était installé à Agaune avant la fondation de 515, puisque Séverin en aurait été abbé en 506. Cette assertion a été remise en cause en 1913 par Marius Besson, qui a été le premier érudit à démontrer que cet abbé Séverin ne relevait que d’une construction hagiographique réalisée à l’époque carolingienne. Écrite pour développer le culte de ce saint vénéré à Château-Landon, cette Vie aurait fait artificiellement de Séverin un abbé d’Agaune, sans doute par confusion. Marius Besson en voulait pour preuve le fait que l’abbé Séverin n’était pour la première fois attesté dans les archives de l’abbaye de Saint-Maurice que par une lettre du xe siècle, qui ne le

358. L. Pietri, « Les abbés de basilique dans la Gaule du vie siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, 69/182 (1983), p. 5-28 et H. noiZet, « Les basiliques martyriales au vie et au début du viie siècle », cit. 359. auBert, Trésor de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, cit., p. 14-17. 360. Vita Severini abbatis Agaunensis, éd. B. krusch, Hanovre, 1896 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 3), p. 166-170. 361. Besson, Monasterium Acaunense. Études critiques sur les origines de Saint‑Maurice en Valais, cit., p. 108-110, dont l’interprétation a fait l’objet des réserves de J.-M. theurillat, L’abbaye de Saint‑ Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 20-27, qui n’ont toutefois pas convaincu M. heinZelmann, « Clovis dans le discours hagiographique du vie au ixe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 154/1 (1996), p. 87-112, ici p. 106.

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mentionnait de surcroît que pour signaler qu’il était vénéré à Château-Landon362. La conclusion de Marius Besson peut sembler d’autant plus évidente que la lettre qu’il avait citée a été en réalité datée à tort du xe siècle par les archivistes de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune. Ils l’ont en effet comprise comme une lettre adressée par l’abbé-roi Rodolphe II (911-937) au roi Louis IV (936-954), alors qu’il s’agissait en réalité d’une lettre écrite par l’abbé Rodolphe de Saint-Maurice (1153-1168) au roi Louis VII de France (1137-1180), dont l’abbaye possédait une copie363. Celle-ci avait été effectuée sur un épistolier de Louis VII, probablement composé autour de 1175 par le chancelier royal Hugues de Champfleury, qui est conservé par les archives vaticanes364. Ce document dut attirer l’attention des chanoines d’Agaune, qui en firent réaliser une copie à l’époque moderne, très probablement au xviie siècle. En d’autres termes, il n’existe aucune trace de cet abbé Séverin dans les archives de l’abbaye de Saint-Maurice avant le xviie siècle, ce qui suffit sans doute pour n’accorder aucune crédibilité historique au témoignage de la Vita Severini abbatis Agaunensis. Après avoir donc rejeté à juste titre la Vie de Séverin, Marius Besson avait pu conclure qu’il n’avait pas existé de monastère à Agaune avant la fondation de Sigismond. Cette conception s’est imposée dans l’historiographie jusqu’à ce que François Masai ne démontre, en 1971, que le cénobe, que la Vita patrum Jurensium décrivait à Agaune, ne pouvait être identifié avec la fondation de Sigismond, comme les érudits l’avaient jusque-là pensé, mais qu’il lui était nécessairement antérieur. Sa démonstration permettait donc de considérer que le témoignage de la Vita patrum Jurensium attesterait de l’existence d’un premier monastère à Agaune, avant même la fondation faite par Sigismond en 515365. Si ce point est aujourd’hui très largement admis par les historiens366, la nature de ce premier établissement reste toutefois difficile à préciser, d’autant que la description qu’en donne l’auteur anonyme de la Vita patrum Jurensium, dans la préface de son œuvre qu’il avait dédiée à deux moines d’Agaune, est particulièrement allusive : Voilà pourquoi, ô frères très pieux, Jean et Armentaire, forts de votre double affection, vous frappez avec une grande insistance à la porte de votre ami […] Sans doute est-ce une vie et une discipline contemplative (theoretica conversatio vitaque) que la vôtre : le premier suit l’exemple du premier Jean et se penche sur le tombeau de saint Maurice, chef de la Légion des martyrs thébains, comme autrefois se penchait sur le cœur de l’Auteur du salut l’Apôtre préféré, confident des mystères divins, tandis que le second, telle la colombe de l’arche flottante,

362. Besson, Monasterium Acaunense. Études critiques sur les origines de Saint‑Maurice en Valais, cit., p. 106-107. 363. F. duchesne, Historiae Francorum Scriptores, Paris, 1641, 5 vol., t. IV, ep. 500, p. 741. 364. F. gasPari, « Manuscrit monastique ou registre de chancellerie ? À propos d’un recueil épistolaire de l’abbaye de Saint-Victor », Journal des savants, (1976), p. 131-140. 365. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit. 366. Contra : helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 121.

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enfermé dans le cénobe et dans la clôture d’une cellule particulière (peculiaris cella), se rit de l’assaut des tourbillons du monde367.

Si l’on en juge par ce texte, il aurait donc existé à Agaune un cénobe, où les frères Jean et Armentaire auraient mené une vie contemplative (theoretica conversatio vitaque). Dans la pratique, chacun de ces deux frères aurait toutefois vécu selon une règle différente : Jean constituait visiblement un moine de basilique, puisqu’il avait été affecté à des tâches liturgiques autour du tombeau (urna) de saint Maurice ; Armentaire, en revanche, était soumis à une double clôture, puisqu’il vivait retranché du monde, dans l’isolement d’une cellule située à l’intérieur du cénobe. Si, sur bien des points, ce fonctionnement rappelle celui que nous avions pu apercevoir dans les monastères provençaux de la première moitié du ve siècle, par d’autres aspects, en revanche, il relevait d’une organisation tout à fait différente. L’évocation de ces deux frères n’est évidemment pas sans rappeler la préface de la troisième série des Conférences dédiée aux moines des îles d’Hyères, dans laquelle Cassien avait évoqué le frère Théodore qui dirigeait un cénobe, puis les frères Jovinien, Minervius et Léonce qui menaient une vie anachorétique368. La Vita patrum Jurensium s’inspirait peut-être de ce passage, lorsqu’elle s’attachait à distinguer Jean de son frère Armentaire, qui à sa différence vivait dans une cellule séparée. Pour autant, le discours de la préface de la Vie des pères du Jura se distinguait du modèle élaboré par Cassien, dans la mesure où il n’utilisait tout d’abord pas le terme d’anachoreta pour qualifier le mode de vie d’Armentaire, mais aussi et surtout parce qu’il expliquait que la cellule de ce solitaire se trouvait située à l’intérieur du cénobe. Ce texte s’inscrivait ainsi dans le contexte des évolutions de la vie monastique, qui avaient caractérisé la seconde moitié du ve siècle, lorsque les anachorètes furent invités à occuper des cellules situées à l’intérieur même des cénobes. Les autorités ecclésiastiques étaient visiblement à l’initiative de ces nouvelles dispositions, comme en témoigne en particulier le septième canon du concile tenu à Vannes, entre 461 et 491, par lequel les évêques ordonnèrent de placer les cellules isolées, que seuls des moines malades ou émérites pouvaient occuper sur l’autorisation expresse de l’abbé, à l’intérieur des monastères et non plus à leur périphérie369. En ce sens, la dédicace aux moines d’Agaune de la Vita patrum Juensium atteste que le double chemin de vie, qui avait caractérisé le 367. Unde vos, o piissimi fratres Johannes atque Armentari, vehementius amicum gemino pulsantes adfectu […] Siquidem theoretica illa conversatio vitaque vestra, qua prior priscum secutus Johannem, supra urnam sancti Mauricii, id est legionis Thebaeorum martyrum caput, velut ille eximius apostolus atque symmystes supra salutiferi pectus recumbit Auctoris, alter vero, in modum natatilis arcae columbae, dum illic in coenobio etiam claustro peculiaris cellae contentus mundi turbines inpactus inridet : Vie des pères du Jura, cit., 1-2, p. 238-239 [traduction légèrement retouchée]. 368. Jean cassien, Conférences, t. III, cit., Préface, p. 8-9. 369. Servandum quoque de monachis, ne eis ad solitarias cellulas liceat a congregatione discedere, nisi forte probatis post emeritos labores aut propter infirmitatis necessitatem asperior ab abbatibus regula remittatur. Quod ita demum fiet, ut intra monasterii septa manentes, tamen sub abbatis potestate separatas habere cellulas permittantur : Concilia Galliae, a. 314‑a. 506, cit., 7, p. 153.

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monachisme néo-évagrien de Cassien, lorsqu’il se trouvait fondé sur l’opposition entre vie pratique (praktikê) et vie contemplative (theôrêtikê), avait désormais disparu. De fait, Jean et Armentaire étaient censés mener tous deux une même vie contemplative (theoretica conversatio), comme si le second mode de vie avait absorbé le premier, tout en s’organisant désormais dans le cadre d’un cénobe. François Masai avait par ailleurs estimé que ce premier monastère d’Agaune ne devait guère être ancien. Il estimait que si les frères s’étaient adressés au monastère de Lérins et aux moines du Jura pour trouver une règle, il fallait en déduire que Jean et Armentaire n’auraient constitué que des moines débutants, qui se seraient alors trouvés en recherche du conseil des anciens pour guider leur nouveau mode de vie370. L’argument n’est toutefois pas convaincant, puisque tout indique que les moines d’Agaune avaient recherché le conseil des pères de Lérins et des moines jurassiens dans les années voire même les mois, qui avaient immédiatement précédé la fondation de l’abbaye de Sigismond. Dans ce contexte, il semble probable que la règle de vie qu’ils recherchaient n’était pas destinée à guider leurs premiers pas, mais plutôt à leur fournir les instruments nécessaires à l’adaptation de leur mode de vie monastique au projet de fondation royal qui se mettait alors en place. Par ailleurs, François Masai s’était aussi interrogé sur le lieu d’édification de ce monastère, puisqu’il avait estimé qu’en évoquant le cénobe d’Agaune, la Vita abbatum Jurensium en aurait donné une description qui n’était guère compatible avec le site du Martolet : [Romain] avait résolu de se rendre à Agaune, à la basilique des saints, je devrais plutôt dire au camp des martyrs, conformément au témoignage fourni par le récit de leur passion qui, bien loin d’avoir pu faire tenir six mille six cents hommes dans un bâtiment, n’a même pas pu, je suppose, les enclore tous dans cette plaine371.

Selon l’interprétation que François Masai avait donnée de ce passage, ce texte mentionnerait deux lieux différents, puisqu’il avait estimé que l’auteur de la Vie des pères du Jura aurait voulu distinguer « la basilique des saints », autrement dit la basilique martyriale du Martolet, du « camp des martyrs ». Cette conception l’avait amené à proposer de situer ce « camp des martyrs » dans la plaine de Vérolliez, à environ un kilomètre au sud d’Agaune, en un lieu où la tradition avait été amenée à situer le martyre de la légion thébaine. Dans cette logique, François Masai avait alors proposé de considérer que l’opposition entre ces deux lieux devait correspondre à la bipartition entre la basilique martyriale du Martolet, où Jean devait prier devant les reliques des saints, et le cénobe qui aurait en par-

370. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 57-58. 371. Basilicam sanctorum , immo, ut ita dixerim, castra martyrum, in Acaunensium locum, sicut passionis ipsorum relatio digesta testatur, quae sex milia et sescentos viros non dicam ambire corpore in fabricis, sed nec ipso, ut reor, campo illic potuit consaepire, fidei arbore succensus deliberavit expetere : Vie des pères du Jura, cit., 44, p. 238-239 [traduction très légèrement retouchée].

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ticulier abrité la cellule d’Armentaire, qu’il proposait donc de situer sur le site de Vérolliez372. Une telle hypothèse n’est toutefois guère crédible. D’une part, François Masai a manifestement surinterprété ce passage de la Vita patrum Jurensium, dans la mesure où l’auteur anonyme de la Vie des pères du Jura n’oppose pas la « basilique des saints » au « camp des martyrs », mais affirme de manière rhétorique que la basilica sanctorum mériterait d’être qualifiée (immo ut ita dixerim) de castra martyrum. D’autre part, l’idée que le cénobe d’Agaune aurait pu être édifié à un kilomètre de la basilique martyriale peut sembler bien étonnante, dans la mesure il n’existe aucun exemple d’une communauté monastique installée aussi loin de la basilique, où reposaient les corps martyrs dont elle était censée entretenir le culte au quotidien. Enfin, l’hypothèse que Vérolliez aurait pu accueillir un établissement monastique au ve ou au vie siècle peut sembler bien difficile à soutenir, puisque la tradition qui y situe le martyre de la légion thébaine n’apparut qu’avec la fausse charte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice qui, comme nous aurons l’occasion de le voir, ne peut pour le moins être antérieure à l’époque carolingienne373. L’étude archéologique, menée à partir de 1982, de la chapelle édifiée sur le site de Vérolliez a d’ailleurs désormais tranché la question, puisqu’elle n’a pu identifier aucun vestige paléochrétien sur ce site, tandis qu’elle a proposé de dater le premier état de cette église, dans une fourchette qui va de la période carolingienne au xie siècle374. Quelles que soient les nuances qu’il faut donc apporter à la démonstration de François Masai, il n’en demeure pas moins qu’il a, à juste titre, démontré qu’il avait bien existé un monastère antérieur à la fondation de 515 ou du moins une communauté monastique, puisque ses moines ont pu en réalité vivre selon des modalités très diverses, que la faiblesse de nos sources ne nous permet pas de préciser. La mise en place du monastère de Sigismond peut donc être légitimement considérée comme une « refondation » davantage que comme une fondation à proprement parler, comme Anne-Marie Helvétius a pu récemment le souligner375. L’hypothèse que cette première communauté se serait installée à Vérolliez ne saurait toutefois être retenue, tout comme l’idée qu’elle aurait été fondée peu de temps avant l’écriture de la Vita patrum Jurensium, car rien n’autorise à considérer que Jean et Armentaire auraient été des moines débutants, fraîchement arrivés à Agaune. Même s’il faut rester prudent, rien ne s’oppose en tout cas à ce que cette première communauté monastique ait pu être installée à Agaune dès l’érection de 372. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 49-56. 373. reymond, « La charte de saint Sigismond pour Saint-Maurice (515) », cit. ; theurillat, « L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », cit. et theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 57-82. 374. L. auBerson, g. descœudres, g. keck et W. stöckli, « La chapelle des Martyrs à Vérolliez », Vallesia, 52 (1997), p. 355-434, en particulier p. 361. 375. helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 116-119.

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la basilique de Théodore, dans la mesure où ce contexte semble aussi être celui de la rédaction de la Passion anonyme, dont les évidentes références monastiques peuvent légitimement permettre de supposer que cette église martyriale pourrait alors avoir déjà eu vocation à accueillir des moines.

La Vita abbatum Acaunensium, source principale de la « refondation » de Sigismond La Vita abbatum Acaunensium (BHL 142) se présente sous la forme d’une Vie des trois premiers abbés d’Agaune, probablement rédigée sur le modèle de la Vie des pères du Jura, tout en étant d’une ampleur bien moins conséquente. Son témoin le plus ancien provient d’un manuscrit aujourd’hui perdu, que PierreFrançois Chifflet avait trouvé en 1627 dans les archives archiépiscopales de Besançon376. Selon la description que Chifflet a laissée, ce manuscrit comportait tout d’abord les Vies de Césaire d’Arles et d’Hilarion de Gaza, puis se poursuivait par la Vita patrum Jurensium et la Vita abbatum Acaunensium. Il se terminait par plusieurs petits textes issus du scriptorium d’Agaune, qui comprenaient un recueil des épitaphes de ses quatre premiers abbés, un poème dédié au prêtre Probus, l’un des fondateurs de ce monastère, ainsi qu’une liste des douze premiers abbés d’Agaune. Ce manuscrit ayant disparu, il n’est plus aujourd’hui connu que par l’intermédiaire de trois copies de la première moitié du xviie siècle, dont deux sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque royale de Bruxelles et la dernière à la Bibliothèque nationale de France. Pierre-François Chifflet avait souligné que ce manuscrit aurait été d’une exceptionnelle ancienneté, en assurant même qu’il avait été rédigé en « lettres majuscules gothiques » (gothico caractere maiuscolo). Selon Bernard de Vregille, l’utilisation de cette expression montrerait que ce texte avait été probablement écrit en onciales ou en semi-onciales. Sans se prononcer sur la nature de l’écriture, en estimant qu’il était difficile de définir ce que l’expression de gothico caractere pouvait concrètement recouvrir, Alain Dubreucq a souligné que la présence de ces lettres majuscules montrait que l’écriture ne pouvait en tout cas être postérieure au viiie siècle, puisque la rédaction des manuscrits en majuscules avait définitivement disparu après cette époque377. Comme toutes les vies de saints bourguignons, la Vita abbatum Acaunensium n’a bien évidemment pas manqué d’être considérée comme un texte carolingien 376. vregille, « La tradition manuscrite de la “Vie des Pères du Jura” et de la “Vie des Abbés d’Agaune” », cit. ; Vie des abbés d’Agaune, éd. É. chevalley dans É. chevalley et C. roduit, La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond, Lausanne, 2014 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 53), p. 115-181 et duBreucq, « la Vie des pères du Jura et sa transmission de l’Anonyme à Grégoire de Tours », cit., p. 123. 377. vregille, « La tradition manuscrite de la “Vie des Pères du Jura” et de la “Vie des Abbés d’Agaune” », cit., p. 49 et duBreucq, « la Vie des pères du Jura et sa transmission de l’Anonyme à Grégoire de Tours », cit., p. 123.

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par Bruno Krusch, qui l’a éditée à deux reprises dans les Monumenta Germaniae Historica, en reprenant les textes de deux manuscrits qui donnent des leçons légèrement différentes378. La thèse de Krusch n’a toutefois jamais convaincu les historiens de l’abbaye de Saint-Maurice, à l’exemple de Marius Besson, qui s’était attaché à démontrer qu’une telle position ne pouvait être crédible. Il avait en particulier souligné que l’auteur de la Vita abbatum Acaunensium avait affirmé à plusieurs reprises dans son texte qu’il était un proche d’Achivus († 523), le troisième abbé d’Agaune, en expliquant par exemple qu’il portait son deuil et que « mes larmes pieuses m’empêchent presque de rappeler sa très sainte vie379 ». Surtout, il avait constaté qu’aucun élément ne pouvait permettre de penser que l’auteur de la Vita abbatum Acaunensium aurait cherché à procéder à une supercherie, d’autant qu’il constatait que toutes les informations qu’il avait données s’avéraient conformes à nos données historiques. En conséquence, Marius Besson avait considéré qu’il n’y avait aucune raison de douter que l’auteur ait effectivement été un disciple de l’abbé Achivus, ce qui l’avait amené à conclure que la Vita abbatum Acaunensium ne pouvait pas être postérieure au milieu du vie siècle380. Le chanoine Jean-Marie Theurillat, qui avait repris la question pour sa thèse d’École des chartes dont il a publié l’essentiel en 1954, s’était inscrit dans la continuité de Marius Besson, en concluant lui aussi que la Vita abbatum Acaunensium ne pouvait relever de la période carolingienne381. Il avait toutefois rajouté qu’il était possible de resserrer la datation proposée par Marius Besson, en soulignant que la Vita abbatum Acaunensium se terminait par l’évocation de l’élection de Tranquillus, le quatrième abbé d’Agaune, sans toutefois décrire son abbatiat ni mentionner sa mort. Ce constat l’avait amené à conclure que ce texte avait dû être écrit au temps de l’abbé Tranquillus, autrement dit entre 523 et 526, selon une datation qui a été largement acceptée par l’érudition. Anne-Marie Helvétius a toutefois récemment remis en cause cette datation, en proposant de considérer que la Vita abbatum Acaunensium aurait été rédigée après la conquête franque de 534382. Elle estimait en particulier que seule la disparition de la royauté burgonde pouvait permettre d’expliquer que la Vita abbatum Acaunensium n’ait accordé à Sigismond qu’une place relativement mineure dans la fondation, un aspect que Bruno Krusch avait d’ailleurs déjà pu souligner383. Ce point mérite l’attention, dans la mesure où il constitue indéniablement l’un des aspects les plus marquants 378. Vita abbatum Acaunensium, cit. et Vita abbatum Acaunensium absque epitaphiis, éd. B. krusch, Leipzig, 1920 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 7), p. 329-336. 379. Cuius vitam sanctissimam commemorare lacrimis paene piis impedior : Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 159 et 172. 380. Besson, Monasterium Acaunense. Études critiques sur les origines de Saint‑Maurice en Valais, cit., p. 141-149. 381. theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 32-43. 382. A.-M. helvétius, « L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune dans le haut Moyen Âge », dans N. Brocard, F. vannotti et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 113-131. 383. Vita abbatum Acaunensium absque epitaphiis, cit., p. 324.

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de la Vie des abbés d’Agaune, qui s’est non seulement attachée à minimiser l’importance de Sigismond, mais a aussi exprimé d’évidentes réserves sur son règne, comme en témoigne un passage, qui constitue une évidente clef de la compréhension de ce texte : [Sigismond] pensait que, grâce au patronage de ces mêmes [martyrs], il obtiendrait en toute sécurité la royauté et l’intégrité du royaume, à condition que ses desseins ne s’écartent absolument pas du chemin de la piété et de la justice, parce que les saints protègent ceux qu’ils savent ne dévier en aucune façon du bon ordre. Il méritait d’exercer la royauté dans l’abondance et la prospérité la plus grande et il l’aurait certes exercée plus longtemps encore si, à la suite des crimes surabondants, l’hostilité de l’Antique ennemi ne l’avait emporté384.

Cette phrase démontre que l’auteur écrivait en un temps où les déboires de Sigismond posaient de sérieuses difficultés à l’auteur de la Vita abbatum Acaunensium, qui avait dû situer le règne du fondateur de son monastère dans un contexte marqué par des « crimes surabondants », tout en se gardant bien d’en préciser la nature. Si ce constat semble évident, il n’implique toutefois pas que ce texte n’aurait pu être écrit qu’après la conquête, en 534, du royaume burgonde par les Francs, d’autant que les rois mérovingiens se sont attachés à se situer dans la continuité de l’œuvre de Sigismond, dont ils avaient même introduit le culte à Agaune. Comme l’a en effet souligné Éric Chevalley385, ces éléments semblent au contraire montrer que ce texte a dû être écrit après que le roi Sigismond avait été arrêté par les siens, puis livré au roi franc Clodomir qui l’avait fait mettre à mort, en 523 ou 524386. Un tel destin ne pouvait en effet qu’interroger les moines d’Agaune sur les vertus des martyrs thébains, qui avaient été dans l’incapacité d’offrir au roi Sigismond la protection qu’il aurait été en droit d’attendre, en contrepartie de la fondation particulièrement somptueuse qu’il leur avait consacrée. En conséquence, il semble donc logique de dater ce texte dans la fourchette 523-526, comme l’avait fait le chanoine Theurillat. Elle permet non seulement de situer la Vita abbatum Agaunensium dans le contexte de la mort dramatique de Sigismond en 523/524, qui apparaît manifestement en filigrane dans ce texte, mais aussi de le placer durant l’abbatiat de Tranquillus (523-526), dont l’élection est le dernier événement mentionné dans la Vita. Cette conclusion peut aussi amener à considérer que l’abbé Tranquillus fut probablement l’auteur ou du moins le commanditaire de cette œuvre.

384. […] ut hisdem patrocinantibus et regno et regni integritate tutissime potiretur, eo pacto, si cogitatio eius a pietate et iustitiae itinere minime deviaret, quia hos sancti tuentor quos sciunt a bono ordine nullatenus declinare. Quod tamen cum omni abundantia et prosperitate habere promueritet adhuc tempore longiore habuerat si non, exundantibus populorum delictis, antiqui hostis invidia valuisset : Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 156 et 169. 385. Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 130-134. 386. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 430-439 et A.-M. helvétius, « De l’assassinat au martyre : la mort de Sigismond, roi des Burgondes (523) », dans J. cornette et A.-M. helvétius, La mort des rois de Sigismond (523) à Louis XIV (1715), Saint-Denis, 2017, p. 35-63.

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La Vita abbatum Agaunensium constitue un témoignage précieux sur la fondation d’Agaune, dans la mesure où elle semble donc n’avoir été écrite qu’à une dizaine d’années seulement de cet événement. Il importe donc de prêter une attention particulière à ce texte, qui commence par mettre en relation la fondation d’Agaune avec la conversion au catholicisme de Sigismond, que l’auteur de la Vie des abbés d’Agaune louait tout particulièrement pour avoir « rejeté la perfidie haineuse de l’arianisme387 ». Cette volonté de situer la « refondation » d’Agaune dans le contexte de la lutte contre l’hérésie arienne se retrouve tout au long de la Vita abbatum Agaunensium, qui présente de nombreuses références à l’orthodoxie nicéenne388, lorsqu’elle s’attachait par exemple à affirmer la divinité du Christ ou encore quand elle mettait en exergue son importance au sein de la Trinité389. Ces thématiques n’étaient évidemment pas nouvelles à Agaune, dans la mesure où la Passion d’Eucher présentait déjà une profession de foi nicéenne fortement appuyée. Comme nous l’avons déjà vu, ce constat avait alors permis à Louis Dupraz de considérer que le texte d’Eucher n’avait pu être rédigé qu’après 443390, lorsque l’arrivée des Burgondes avait mis en contact les élites ecclésiastiques rhodaniennes avec l’arianisme ou, plus exactement d’ailleurs, avec sa variante homéenne391. Tous ces éléments ne peuvent que nous amener à considérer que le culte des martyrs thébains et la basilique martyriale d’Agaune devaient être profondément associés à la résistance catholique à l’hérésie arienne, ce qui constituait une dimension certainement essentielle de la « refondation » de Sigismond. Selon le récit de fondation que donnait la Vita abbatum Agaunensium, Sigismond aurait, après sa conversion, pris le conseil de l’évêque Maxime de Genève, afin de savoir ce qu’il pouvait faire pour le développement de la foi catholique. L’évêque Maxime aurait alors conseillé à Sigismond de fonder un monastère à Agaune, afin que grâce à la protection des martyrs, il puisse « obtenir en toute sécurité la royauté et la totalité du royaume392 ». Prudent, l’auteur de la Vita abbatum Agaunensium, qui connaissait manifestement bien la fin de l’histoire, avait toutefois pris la précaution de conditionner la protection des saints à la droiture du roi. Il avait en effet fait préciser par l’évêque Maxime de Genève que Sigismond ne pourrait prétendre bénéficier du patronage des martyrs, qu’à 387. […] arrianiae pravitatis abiecisset perfidiam : Vie des abbés d’Agaune, cit., 3, p. 156 et 169. 388. Contra : helvétius, « L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune dans le haut Moyen Âge », cit., p. 118-124, selon laquelle il faudrait situer les références théologique de la Vita abbatum Acaunensium dans le contexte de la lutte anti-nestorienne, qui avait abouti en 533-534 à la condamnation des moines acémètes. 389. […] unigeniti verbi Domini ac Dei nostri Jesu Christi et Dominus Jesus Christus, qui cum Patre et sancto Spiritu facit mirabilia magna : Vie des abbés d’Agaune, cit., Préface, p. 154 et 2, 155. 390. duPraZ, Les Passions de saint Maurice d’Agaune. Essai sur l’historicité de la tradition et contribution à l’étude de l’armée pré‑dioclétienne (260‑286) et des canonisations tardives de la fin du ive siècle, cit., p. 62. 391. K. schäferdiek, « L’arianisme germanique et ses conséquences », dans M. rouche (éd.), Clovis, histoire et mémoire. Actes du Colloque International d’Histoire de Reims, du 19 au 25 septembre 1996, Paris, 1997, 2 vol., t. I, p. 185-197. 392. […] et regno et regni integritate tutissime potiretur : Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 156 et 169.

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« la condition que ses desseins ne s’écartent absolument pas du chemin de la piété et de la justice, parce que les saints ne protègent que ceux qu’ils savent ne dévier en aucune façon du bon ordre393 ». L’auteur de la Vita abbatum Agaunensium n’avait toutefois pas souhaité en dire plus et s’était bien gardé d’expliquer en quoi Sigismond était sorti de ce « bon ordre » (bono ordine), qui lui avait valu d’être abandonné à son sort par les saints. L’historiographie s’est depuis longtemps interrogée sur le rôle éminent que la Vita abbatum Acaunensium avait ainsi accordé à l’évêque Maxime de Genève, alors qu’elle n’avait en revanche jamais évoqué l’évêque ordinaire qui résidait à Octodure, située pourtant à une quinzaine de kilomètres seulement d’Agaune. Comme à son habitude, Bruno Krusch n’avait pas manqué d’y voir la marque d’un faussaire394, mais Jean-Marie Theurillat a pu donner une explication cohérente de cette situation, en soulignant que le rôle privilégié que la Vita abbatum Agaunensium attribuait à l’évêque Maxime pourrait s’expliquer par le fait que Genève constituait la capitale du royaume burgonde, en tout cas la cité où résidait le plus souvent Sigismond395. Eu égard au fait que le monastère d’Agaune constituait d’abord et avant tout une fondation royale, il ne serait pas étonnant que l’évêque Maxime, qui par sa présence à Genève avait une relation privilégiée avec Sigismond, aurait effectivement pu jouer un rôle de premier plan dans la mise en place de ce monastère. Il n’en demeure toutefois pas moins que l’absence de l’ordinaire, qui n’est mentionné dans aucune des sources évoquant la fondation d’Agaune, est d’autant plus remarquable que la basilique martyriale d’Agaune avait originellement été fondée par l’évêque d’Octodure. Cette situation pourrait montrer que le monastère d’Agaune était en relations délicates avec son ordinaire, ce qui ne serait guère surprenant, car selon le témoignage de la chronique que l’évêque Marius d’Avenches avait rédigée vers 581, les moines d’Agaune entretenaient alors de si mauvais rapports avec leur évêque, qu’ils auraient tenté en 565 de l’assassiner, en lançant de nuit un assaut sur sa domus ecclesiae396. L’absence de l’évêque d’Octodure pourrait ainsi témoigner que, dès ses origines, le monastère d’Agaune avait acquis cette exemption très forte du pouvoir épiscopal qui devait faire son originalité et qu’une série de privilèges pontificaux, dont l’authenticité fait aujourd’hui l’objet de débats diplomatiques d’une grande complexité397, devait concrétiser au cours du haut Moyen Âge. 393. […] si cogitatio eius a pietate et iustitiae itinere mimine deviaret, quia hos sancti tuentur quos sciunt a bono ordine nullatenus declinare : Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 156 et 169 [traduction très légèrement retouchée]. 394. Vita abbatum Acaunensium absque epitaphiis, cit., p. 324. 395. theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 40-41. 396. La chronique de Marius d’Avenches (455‑581) : texte, traduction et commentaire, éd. J. favrod, Lausanne, 1991 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 4), p. 80-81. 397. H.H. anton, Studien zu den Klosterprivilegien der Päpste im frühen Mittelalter, Berlin/New-York, 1975 (Beiträge zur Geschichte und Quellenkunde des Mittelalters 4).

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Enfin, la Vita abbatum Agaunensium donnait une information majeure sur la fondation de Sigismond, lorsqu’elle affirmait qu’il aurait ordonné d’expulser les femmes et toute la population séculière, qui aurait alors vécu autour de la basilique martyriale : [Maxime] fit naître au cœur de Sigismond le vœu de débarrasser Agaune de la présence des habitations du peuple profane établi pêle-mêle en ce lieu ; les martyrs thébains, dans leur précieux trépas et lors de l’effusion de leur sang illustre, l’avaient en effet orné de bienheureuses taches et de rouges bigarrures : il voulait que là où l’horreur de la passion avait apporté la splendeur de la vie, les habitants retrouvent leur ancien éclat et qu’une fois dissipé le pouvoir des ténèbres, le jour dure perpétuellement […] Donc, ayant tenu conseil, par l’inspiration de Dieu et avec l’assentiment de tous, il lui sembla judicieux d’écarter de ce même lieu toutes les femmes. Une fois les familles séculières éloignées, il y établirait la famille de Dieu, c’est-à-dire des moines398.

Ce passage, qui évoque de manière très allusive la présence de « familles séculières » et surtout de femmes sur le site d’Agaune, a bien évidemment suscité l’attention des historiens, qui ont cherché à l’expliquer en développant toutes sortes d’hypothèses. François Masai avait estimé que ce texte montrerait que la première communauté monastique d’Agaune avait dû être composée de moines indépendants, au statut plus ou moins régulier399. Barbara Rosenwein avait proposé de considérer que la basilique aurait pu accueillir au ve siècle un monastère double, associant une communauté d’hommes et une autre de femmes400. Anne-Marie Helvétius a situé ce passage dans le contexte de l’interdiction de la consécration des diaconesses, qui avait été établi par le concile d’Épaone, tenu en 517 sous la présidence de Sigismond. Elle estimait qu’il n’était pas à exclure que la basilique d’Agaune aurait pu être desservie, avant la « refondation » de 515, par une communauté réunissant en particulier des clercs et des diaconesses401. Éric Chevalley a considéré que ce passage semblait montrer que la première communauté d’Agaune devait s’apparenter à celle de Saint-Denis402, ce qui revenait à la 398. […] ad hanc devotionem Segismundi praecordia incitavit ut de loco illo quem pretiosa morte Thebaei martyres et effusione sanguinis incliti felicibus maculis rosea varietate ornaverant, promiscui vulgi commixta habitatio tolleretur et illic ubi splendor vitae per passionis atrocitatem fuerat adquisitus nitor habitantium remearet, exclusisque actionibus tenebrarum, dies perpetuus haberetur […] Igitur habito consilio quod universitati Dei instinctu complacacuit visum est ut omnes mulieres de loco eodem tollerentur et remotis familiis secularibus Dei inibi, hoc est monachorum, familia locaretur : Vie des abbés d’Agaune, cit., 3, p. 169. 399. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 47. 400. B.h. rosenwein, « One site, many Meanings : Saint-Maurice d’Agaune as a Place of Power in the Early Middle Âges », dans M. de Jong et F. theuws (éd.), Topographies of Power in the Early Middle Ages, Leiden/Boston/Cologne, 2001 (The Transformation of the Roman World 6), p. 271-290, ici p. 272. 401. helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 113-114. 402. chevalley, « Le culte des martyrs thébains, prélude à la fondation de 515 », cit., p. 142-146.

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classer dans la catégorie des « basiliques à monastère », pour reprendre la typologie établie par Léon Levillain puis Luce Pietri403. Il suggérait ainsi que le culte des martyrs thébains aurait pu être originellement entretenu par une communauté composée tout à la fois de clercs et de moines. Toutefois, ces hypothèses doivent être prises avec d’autant plus de prudence que, dans un article récent, Albrecht Diem a montré que ce passage glosait largement un verset de l’Exode (Ex. 12, 37-38), afin de mettre en exergue la volonté de Sigismond de séparer les moines du monde profane. Un tel constat pourrait donner à penser que ce texte constituait une référence topique sur la nécessaire séparation du monde monastique, plutôt qu’une allusion concrète à la nature de la première communauté qui aurait desservi la basilique martyriale d’Agaune, avant la « refondation » de 515404.

L’homélie d’Avit pour l’inauguration du nouveau monastère La Bibliothèque nationale de France possède un papyrus du vie siècle405, sur lequel a été copiée l’homélie prononcée par l’évêque Avit de Vienne dans la basilique martyriale d’Agaune, à l’occasion de l’inauguration du monastère de Sigismond (in basilica sanctorum Acaunensium in innovatione monastirii)406. Conservé dans un état fragmentaire, en raison de l’usure naturelle du papyrus, ce texte constitue un document exceptionnel, qui a toutes les chances d’avoir été copié dans le contexte de la fondation du monastère d’Agaune ou à peu de distance. Il constitue une source majeure, dont l’authenticité n’a jamais été mise en cause, sur la « refondation » du monastère d’Agaune et sa cérémonie d’inauguration, au cours de laquelle l’évêque Avit († 518) s’était vu conférer l’honneur de prononcer l’homélie. Le rôle éminent que tint ainsi Avit s’explique peut-être par le fait que l’évêque de Vienne exerçait en Valais une autorité métropolitaine, bien que ce point ne soit pas certain, car il est difficile de déterminer avec certitude la province dont dépendait alors l’évêque d’Octodure407. Plus vraisemblablement toutefois, Avit avait d’abord et avant tout présidé cette cérémonie en raison de la primauté que Gondebaud lui avait reconnue sur les Églises catholiques de son royaume, qui, depuis la conversion de Sigismond, étaient en train de 403. L. levillain, « Études sur l’abbaye de Saint-Denis à l’époque mérovingienne. II. Les origines de Saint-Denis », Bibliothèque de l’École des chartes, 86 (1925), p. 5-99 ; Pietri, « Les abbés de basilique dans la Gaule du vie siècle », cit. et C. maître, « De Saint-Maurice d’Agaune à Saint-Denisen-France : la louange ininterrompue, fruit d’une volonté politique ? », Revue Mabillon, 82 [nouvelle série 21] (2010), p. 5-36, en particulier p. 17-22. 404. diem, « Who is Allowed to Pray for the King ? Saint-Maurice d’Agaune and the Creation of a Burgundian Identity », cit., p. 74-76. 405. Bibliothèque nationale de France, latin 8913. 406. avit de vienne, Epistolae, Homiliae, Carmina, éd. R. PeiPer, Berlin, 1883 (MGH, Auctores antiquissimi 6/2), p. 145-146, avec une traduction française dans L. duPont lachenal, « L’homélie de S. Avit à Agaune le 22 septembre 515 », Échos de Saint‑Maurice, 63 (1965), p. 34-38. 407. duBuis et longon, « Les premiers siècles d’un diocèse alpin : recherche, acquis et question sur l’évêché de Sion », cit., p. 23.

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prendre la forme d’une véritable Église royale408. L’évêque de Vienne devait être aussi accompagné de nombreux autres prélats, comme en atteste la Vita abbatum Acaunensium lorsqu’elle affirme que « les évêques s’étaient rassemblés pour la fondation de ce monastère409 ». En ce sens, comme l’a souligné Anne-Marie Helvétius, l’inauguration du monastère d’Agaune a sans doute dû prendre l’aspect d’un premier concile des évêques du royaume burgonde, deux années avant la convocation en 517 du concile d’Épaone, que les historiens considèrent donc peut-être à tort comme le premier des conciles de la nouvelle Église burgonde410. Dans son homélie, Avit avait commencé par expliquer qu’il prêchait à l’occasion de la fête des martyrs, après que la Passion des saints légionnaires thébains avait été lue dans la basilique martyriale, sans malheureusement que son sermon nous fournisse des indices permettant de savoir quelle avait été la version utilisée. Cette mention est en tout cas précieuse, puisqu’elle nous permet de dater l’inauguration du monastère d’Agaune de l’anniversaire de saint Maurice et des martyrs de la légion thébaine, autrement dit du 22 septembre. Avit poursuivait, en dressant un panégyrique de Sigismond, auquel était consacré l’essentiel de son homélie. Il y soulignait en particulier la générosité du roi envers les églises, avant de l’interpeller pour lui rappeler, non sans un certain esprit de flagornerie, l’ampleur des donations pieuses qu’il avait déjà effectuées : « tu as orné tes églises d’abondants trésors et de serviteurs nombreux ; tu as élevé généreusement des sanctuaires et tu les as encore comblés de tes largesses411 ». Après avoir ainsi loué la prodigalité de ce prince très catholique, Avit s’attachait à expliquer que tous les dons que Sigismond avait jusque-là faits ne représentaient désormais que peu de choses en comparaison de l’exceptionnel monastère qu’il établissait en ce jour à Agaune. Avit le soulignait en s’adressant une nouvelle fois directement à Sigismond pour lui affirmer qu’« aujourd’hui, tu surpasses même tes propres œuvres412 ». Au-delà des effets de manche d’Avit de Vienne, cette homélie semble montrer que la « refondation » de 515 avait bien été perçue par ses contemporains comme une œuvre majeure, ce qui n’est guère surprenant. Non seulement aucun prince n’avait encore jamais décidé en Occident d’établir un monastère dans l’une 408. Sur Avit, v. L. Pietri, « Les lettres d’Avit de Vienne. La correspondance d’un évêque politique », dans R. delmaire, J. desmullieZ et P.-L. gatier (éd.), Correspondances. Documents pour l’histoire de l’Antiquité tardive. Actes du colloque international, Université Charles‑de‑Gaulle‑Lille 3, 20‑22 novembre 2003, Lyon, 2009 (Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique 40), p. 311-331 ; Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 242-263 et I. wood, « Saint Avit et le domaine des Gibichungs dans la vallée du Rhône », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 219-228. 409. […] a coetu episcoporum qui illic ad constituendum monasterium venerant : Vie des abbés d’Agaune, cit., 7, p. 158. 410. helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 118. 411. […] ornasti ecclesias tuas gazarum tumulo, numero populorum ; struxisti sumptibus, quae muneribus cumulares alta : avit de vienne, Epistolae, Homiliae, Carmina, cit., p. 146. 412. […] vicisti hodie insuper et opera tua : ibid., p. 146.

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de ses basiliques, mais aussi et surtout aucun établissement monastique du monde latin n’avait jamais fait l’objet d’un projet d’une telle ambition. L’homélie de l’évêque de Vienne s’attachait en effet à mettre en exergue la nouveauté majeure que constituait l’introduction dans la basilique martyriale d’Agaune de cet usage liturgique qu’Avit appelait le psalmisonum solemne et que les érudits désignent depuis le xviie siècle par le néologisme de laus perennis413. Comme le soulignait l’évêque de Vienne, Agaune allait désormais constituer grâce à elle une basilique sans égale dans le monde latin, car « qui pourrait méconnaître, alors que des tabernacles sont parfois désertés entre les offices, ce qui s’inaugure de glorieux ici, où toujours le Chrétien résonnera, où toujours le Christ habitera, où toujours il exaucera414 ». En d’autres termes, Avit soulignait avec fierté que l’introduction à Agaune du psalmisonum solemne allait offrir à la Chrétienté latine un établissement exceptionnel, où une liturgie permanente serait entretenue devant le tombeau des martyrs. Les ambitions d’un tel projet étaient considérables, car sa réalisation supposait que des groupes de moines se succédassent, de jour comme de nuit, dans la basilique martyriale pour que la vénération des saints soit réellement perpétuelle et ne connaisse jamais d’interruption. Traditionnellement, les historiens ont considéré que la laus perennis, qui se trouvait introduite ici pour la première fois dans le monde latin, avait été pensée sur le modèle de la liturgie mise en place à Constantinople par les moines « acémètes » (ακοίμητοι = ceux qui ne dorment pas)415. Issus originellement du monastère établi au début du ve siècle à Gomôn, un établissement bâti face à Constantinople sur la rive asiatique du Bosphore, ces moines acémètes avaient acquis une grande renommée, en parvenant à entretenir un office ininterrompu. Pour ce faire, ils avaient organisé dans leur église un roulement permanent de trois chœurs monastiques, dont chacun comprenait deux groupes, qui se répondaient l’un à l’autre durant l’office. Avant qu’ils ne soient condamnés en raison de leurs sympathies nestoriennes, d’abord en 533 par Justinien, puis par le pape Jean II en 534, les moines acémètes avaient pu acquérir une grande réputation, ce qui leur avait permis de se développer et d’établir en 430, à l’intérieur de Constantinople, 413. P. Bernard, « La laus perennis d’Agaune dans la Gaule de l’Antiquité tardive : état des questions et éléments d’un bilan », dans F. BernaBei et A. Lovato (éd.), Sine musica nulla disciplina… Studi in onore di Giulio Cattin, Padoue, 2006, p. 39-69 ; maître, « De Saint-Maurice d’Agaune à SaintDenis-en-France : la louange ininterrompue, fruit d’une volonté politique ? », cit. et diem, «Who is Allowed to Pray for the King ? Saint-Maurice d’Agaune and the Creation of a Burgundian Identity », cit., p. 69-74. 414. Quis enim negarit interdum tabernaculis officiorum mutatione vacantibus illud gloriosum innovari, quo semper Christianus sonet, semper Christus habitet, semper audiatur cernens, semper videatur exaudiens : avit de vienne, Epistolae, Homiliae, Carmina, cit., p. 146. 415. G. dagron, « Les moines et la Ville, le monachisme à Constantinople jusqu’au concile de Chalcédoine (451) », Travaux et mémoires du Centre de recherche, d’histoire et de civilisation byzantine, 4 (1970), p. 229-276 ; J.-M. Baguenard, Les moines acémètes. Vie des saints Alexandre, Marcel et Jean Calybite, Bégrolles-en-Mauges, 1988 (Spiritualité orientale 47) et A. de vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité. Deuxième partie : le monachisme grec, 2. De l’Histoire lausiaque aux premiers acémètes (ve‑viie siècles), Rome, 2015 (Studia Anselmiana 166 ; Analecta monastica 16), p. 253-270.

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leur monastère principal à l’Irénaion. Dans cette perspective, les historiens d’Agaune ont donc estimé qu’en créant ce nouveau monastère, Sigismond avait souhaité s’inspirer de l’exemple de ces moines constantinopolitains, pour établir en Valais un établissement d’acémètes latins. Ils ont ainsi considéré que « la règle instituée pour la psalmodie et la vie416 » qui, selon le récit que donne la Vita abbatum Acaunensium, aurait été remise à l’abbé Hymnémode par les évêques réunis à Agaune, devait donc être, au moins dans ses grandes lignes, celle que suivaient les moines acémètes de Constantinople. Barbara Rosenwein a toutefois remis en cause cette conception, en soulignant, à juste titre, qu’il n’existait aucune source attestant explicitement que la laus perennis, telle qu’elle s’était mise en place à Agaune, avant de se diffuser au cours des vie et viie siècles dans d’autres monastères gaulois, aurait constitué un emprunt direct à la liturgie constantinopolitaine des acémètes417. Elle proposait une solution alternative, en situant l’adoption du psalmisonum solemne dans le contexte occidental. Elle considérait en effet qu’il pourrait être possible d’y voir une conséquence de la montée en puissance des évêques qui, devant désormais faire face à de nombreuses tâches, auraient souhaité se décharger de leurs obligations liturgiques sur des moines. Comme l’a toutefois souligné Philippe Bernard, dans une étude très bien argumentée, une telle perspective s’avère bien peu convaincante, dans la mesure où il est bien difficile d’imaginer que les évêques auraient souhaité se dégager de leurs obligations spirituelles pour mieux se recentrer sur leurs tâches temporelles418. L’hypothèse de Barbara Rosenwein a donc été abandonnée et l’érudition considère aujourd’hui que Sigismond s’est effectivement inspiré de l’exemple des acémètes pour établir sa « refondation » d’Agaune. La mise en place à Agaune d’une liturgie d’origine constantinopolitaine s’inscrivait aussi parfaitement dans le contexte historique, puisqu’elle participait manifestement de la politique mise en place par Sigismond, qui visait à mettre en exergue la conversion des Burgondes à l’orthodoxie nicéenne, ce qui constituait certainement la fonction majeure de cette fondation419. L’édification à Agaune d’un monastère de type constantinopolitain permettait en effet à Sigismond de se situer symboliquement dans le camp des défenseurs de l’orthodoxie catholique et plus généralement de l’empire romain, ce qui était en cohérence avec sa volonté de s’assurer les faveurs de l’empereur Anastase, dont les Burgondes avaient besoin pour faire face à la menace de la royauté ostrogothique des Amales hérétiques. Depuis qu’en 507-508, les Ostrogoths du roi Théodoric étaient accourus au secours des Wisigoths et avaient chassé de Provence les troupes de Gondebaud, 416. Psallendi interim vel subsistendi regula instituta : ibid., 7, p. 158. 417. B.H. Rosenwein, « Perennial Prayer at Agaune », dans S. farmer et B.H. Rosenwein (éd.), Monks and Nuns, Saints and Outcasts : Religion in Medieval Society. Essays in Honor of Lester K. Little, Ithaca/ NewYork, 2000, p. 37-56. 418. Bernard, « La laus perennis d’Agaune dans la Gaule de l’Antiquité tardive : état des questions et éléments d’un bilan », cit., p. 42-43. 419. helvétius, « L’abbaye d’Agaune, de la fondation de Sigismond au règne de Charlemagne (515-814) », cit., p. 115-117.

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les Amales étaient en effet devenus les principaux ennemis des Burgondes. Pris en tenaille par la redoutable alliance arienne, qui unissait les Wisigoths et les Ostrogoths, Gondebaud et Sigismond avaient absolument besoin du soutien du parti nicéen, ce qui leur imposait plus que jamais de rechercher l’alliance des Francs, mais aussi et surtout de Constantinople420. Anne-Marie Helvétius a donné encore plus de crédibilité à cette hypothèse en soulignant que les modalités de la fondation d’Agaune, pour laquelle Sigismond avait réuni des groupes de moines venus avec leurs abbés des principaux monastères de son royaume, étaient remarquablement semblables à celles du monastère acémète de l’Irénaion, qui avait lui aussi été mis en place par la réunion dans cet établissement de colonies monastiques venues avec leurs higoumènes421. Le parallèle entre ces établissements explique certainement aussi le nom que portait le premier abbé d’Agaune qui, bien qu’il fût d’origine barbare, utilisait l’anthroponyme grec d’Hymnémode. Forgé sur le verbe ὑμνέω (= chanter, louer), son nom peut en effet s’interpréter comme une référence à la liturgie constantinopolitaine des acémètes, dans la mesure où il affirmait sa vocation à diriger les chœurs monastiques sur un modèle oriental422. L’épitaphe d’Hymnémode, transmise par l’épitaphier copié avec la Vita abbatum Acaunensium, dans le manuscrit que Pierre-François Chifflet avait pu voir dans la cathédrale de Besançon423, mais aussi par un fragment de sa plaque tombale trouvé dans les fouilles du Martolet424, interprétait en tout cas son anthroponyme dans ce sens. Il dressait en effet un éloge d’Hymnémode, en affirmant que selon la vocation que lui avait donnée son nom, il « invitait tous les hommes à la louange » (ad laudem omnes invitans) ou encore qu’il « soutenait la dévotion de ceux qui chantent » (canentium vota iuvans). La mise en place de la laus perennis témoigne donc des grandes ambitions de Sigismond, qui avait à l’évidence la volonté d’établir à Agaune un monastère comparable à celui que les moines acémètes avaient établi à Constantinople, sur l’Irénaion. Un tel projet explique l’ampleur des bâtiments qui y furent construits, mais aussi la grandiloquence qu’employait Avit dans son homélie, lorsqu’il affirmait que « grâce à une telle institution […] notre Gaule fleurit425 », ou encore que « l’univers envie ce que ce lieu inaugure426 ». L’inauguration d’Agaune et de ses bâtiments somptueux, avec sa vaste basilique et probablement aussi son palais royal, avait très certainement dû constituer un événement important, puisqu’un projet monastique d’une telle ambition n’avait encore jamais été mené dans l’Occident latin. Il permettait à la royauté burgonde d’affirmer sa vocation à porter 420. 421. 422. 423. 424.

favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 386-410. helvétius, « L’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune dans le haut Moyen Âge », cit., p. 121-122. Ibid., p. 120. Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 162. É. chevalley et C. roduit, « La naissance du culte des saints d’Agaune et les premiers textes hagiographiques », cit., p. 43, fig. 7. 425. […] institutione tali […] Gallia nostra florescat : avit de vienne, Epistolae, Homiliae, Carmina, cit., p. 146. 426. […] orbis desideret, quod locus invexit : ibid., p. 146.

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l’étendard de la Chrétienté catholique dans le monde latin, comme l’affirmait à sa manière Avit lorsqu’il évoquait le bénéfice que cette permanente psalmodie allait apporter à tous les fidèles, avant de se tourner vers les moines pour leur expliquer que « vous fuyez le monde, mais vous priez pour le monde427 », soulignant ainsi que cette fondation monastique avait vocation à se mettre au service de la cité. La réalisation concrète d’un tel projet constituait un défi important qu’Avit évoquait à la fin de son homélie, lorsqu’il annonçait aux moines que « votre application à cette heureuse célébration vous enlèvera le temps de pécher428 ». De fait, la laus perenis impliquait une charge liturgique considérable puisque, selon les calculs de Kassius Hallinger, elle supposait la récitation quotidienne d’environ 450 psaumes, au rythme d’un peu moins de vingt psaumes par heure429. Un tel déploiement liturgique imposait le recrutement de nombreux moines de chœur, même s’il est difficile d’avoir une idée précise des effectifs, puisque la documentation contemporaine ne nous fournit aucune donnée sur l’organisation concrète de la laus perennis à Agaune. Il est toutefois possible que les moines aient été organisés en sept « escadrons » (turmae) de douze moines chacun. Tels étaient en tout cas les modalités du fonctionnement, au début du viie siècle, du monastère d’Habendum, sur l’actuel site de Remiremont, où selon le témoignage de la Vita Amati Habendensis (BHL 358) la laus perennis aurait été introduite par le moine Amé, sur le modèle du monastère d’Agaune dans lequel il avait été formé430. Si tel était bien le cas, le monastère d’Agaune aurait alors eu besoin de disposer d’au moins 92 moines, ce qui expliquerait que Sigismond ait été contraint, pour trouver les ressources nécessaires, à mettre à contribution les monastères de son royaume. La Vita abbatum Acaunensium donne d’ailleurs les noms de six abbés, venus à Agaune en conduisant chacun un détachement monastique, comme les higoumènes des Acémètes l’avaient fait lors de la fondation de l’Irénaion : Hymnemode de Grigny, Ambroise de l’Île-Barbe, le prêtre Probus de Grenoble, le prêtre Achivus et les abbés Arcadius et Drabistion. Ce chiffre de six est d’autant plus remarquable que, si l’on y ajoute le chœur monastique déjà présent à Agaune avant 515, il correspond parfaitement aux sept « escadrons » (turmae) du monastère d’Habendum. Il est par ailleurs notable qu’il soit aussi très proche des huit groupes de moines qui, selon la Vie d’Alexandre l’Acémète, se seraient relayés, deux par deux, dans l’église de leur monastère syrien, afin d’assurer les besoins de la psalmodie perpétuelle431.

427. Mundum quidem fugitis, sed orate pro mundo : ibid., p. 146. 428. […] quibus occupatis actione felici omne peccandi tempus excluditur : ibid., p. 146. 429. K. hallinger, « Überlieferung und Steigerung im Mönchtum des 8. bis 12. Jahrhunderts », dans Eulogia. Miscellanea liturgica Burckhard Neunheuser O.S.B., Rome, 1979 (Studia Anselmania 68 ; Analecta liturgica 1), p. 125-187, ici p. 142-145 et Bernard, « La laus perennis d’Agaune dans la Gaule de l’Antiquité tardive : état des questions et éléments d’un bilan », cit., p. 55-56. 430. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 66, n. 85. 431. Baguenard, Les moines acémètes. Vies de saints Alexandre, Marcel et Jean Calybite, cit., p. 60.

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Les échos historiographiques de la fondation d’Agaune La fondation d’Agaune avait constitué un événement majeur, ce qui explique qu’elle ait été largement mentionnée par les sources historiographiques de la période mérovingienne. Sa première évocation se trouve dans la chronique que l’évêque Marius d’Avenches († 593) écrivit, à partir de sources aujourd’hui perdues, parmi lesquelles se trouvait probablement une œuvre historiographique provenant du monastère d’Agaune432. Dans le style annalistique qui caractérise sa chronique, Marius mentionna que « sous les consuls Florentius et Anthénius, Sigismond fit construire un monastère à Agaune433 ». Pour être brève, cette mention est néanmoins fondamentale, dans la mesure où elle constitue la seule source qui nous donne l’année de la fondation d’Agaune, puisque les fastes consulaires permettent d’identifier l’année de Florentius et Anthénius avec l’année de l’Incarnation 515. Cette date semble poser d’autant moins de problèmes qu’elle est en cohérence avec le récit de la Vita abbatum Acaunensium et le discours tenu par l’homélie d’Avit, qui montrent que le monastère d’Agaune avait été fondé avant que Sigismond n’accédât en 516 à la dignité royale. Dans le troisième de ses Dix livres d’histoire, Grégoire de Tours évoqua rapidement la fondation du monastère d’Agaune, en signalant que « Gondebaud étant donc mort, son fils Sigismond prit possession de son royaume et édifia avec un soin ingénieux le monastère d’Agaune avec ses maisons et ses basiliques434 ». Ce texte, qui situait par erreur la fondation d’Agaune après la mort en 516 de Gondebaud, a toutefois l’intérêt de souligner l’importance des constructions qui y avaient été établies, en évoquant non seulement les basiliques mais aussi les domus que Sigismond aurait fait bâtir. En ce sens, il nous confirme qu’au temps de Grégoire de Tours, Agaune devait déjà avoir l’aspect d’une petite ville sainte, où se concentraient un nombre important de bâtiments liés directement ou indirectement à la vie monastique. En revanche, il est remarquable de constater que Grégoire de Tours n’avait pas mentionné la laus perennis dans les modalités de la fondation, ce qui s’explique par le fait qu’il avait considéré qu’elle n’y aurait été introduite que dans un second temps. Selon le récit donné par Grégoire de Tours, Sigismond l’aurait en effet instituée en repentance de la mort de Ségéric, le fils qu’il avait eu de sa première épouse Ostrogotho, et qu’il aurait fait étrangler en 522, sous l’influence de sa seconde femme435 :

432. La chronique de Marius d’Avenches (455‑581), cit., p. 27-46. 433. Florencio et Antimio, his consulibus monasterium Acauno a Segismundo constructum est : La chronique de Marius d’Avenches (455‑581), cit., p. 70-71. 434. Igitur mortuo Gundobado, regnum eius Sigimundus filius obtenuit, monasteriumque Acaunensim sollerti cura cum domibus basilicisque aedificavit : grégoire de tours, Historia Francorum libri decem, cit., III, 5, p. 100 ; trad. française : grégoire de tours, Histoire des Francs, éd. R. latouche, Paris, 1963-1965, 2 vol., t. I, III, 5, p. 144. 435. favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 428-430.

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Sigismond se rendit aux saints d’Agaune, où il demeura pendant bien des jours dans les larmes et le jeûne pour implorer son pardon. Il y institua la psalmodie perpétuelle, puis repartit pour Lyon, poursuivi à la trace par la vengeance divine436.

La chronique traditionnellement attribuée à Frédégaire, qui fut probablement rédigée en Bourgogne vers 660437, évoquait elle aussi la fondation d’Agaune, dans un passage où elle s’attachait à expliquer que le roi Gontran avait voulu établir sur son modèle un monastère à Chalon, dans la basilique martyriale qui avait été dédiée à saint Marcel : [Gontran] fit construire avec un art somptueux l’église de Saint-Marcel – où repose la précieuse dépouille du saint –, hors de Chalon mais quand même sur le territoire de la Seine. Là, il rassembla des moines, fonda un monastère et enrichit l’Église par de multiples dons. Il commanda que se tienne un synode de quarante évêques et pareillement à ce qui s’était passé lors de la fondation du monastère des saints à Agaune – à l’époque du roi Sigismond, celle-ci avait été confirmée, sur son ordre, par Avit et les autres évêques –, Gontran veilla de même à ce que l’assemblée confirme la fondation du monastère de Saint-Marcel438.

Le pseudo-Frédégaire soulignait dans ce texte que le monastère de SaintMarcel de Chalon avait été fondé par le roi Gontran sur le modèle d’Agaune, ce qui ne fait effectivement aucun doute. Les moines de Saint-Marcel de Chalon avaient non seulement adopté la règle de la laus perennis439, mais s’étaient aussi vu reconnaître une liberté en tous points comparable à celle dont jouissaient les moines d’Agaune440. Même d’un point de vue architectural, Saint-Marcel de Chalon devait ressembler à Agaune, comme le montre le fait que Gontran y avait aussi fait établir une résidence palatiale à proximité de ce monastère441. Pour notre propos toutefois, le texte du pseudo-Frédégaire avait surtout l’intérêt d’affirmer que le monastère d’Agaune aurait été inauguré à l’occasion d’un 436. Nihilominus ille ad sanctus Acaunenses abiens, per multus dies in fletu et ieiuniis durans, veniam praecabatur. Psallentium ibi assiduum instituens, Lugduno regressus est, ultione divina de vestigio prosequente : grégoire de tours, Historia Francorum libri decem, cit., III, 5, p. 101 ; trad. française : grégoire de tours, Histoire des Francs, cit., t. I, III, 5, p. 145. 437. W. goffart, « The Fredegar Problem Reconsidered », Speculum, 38 (1963), p. 206-241. 438. […] eclesiam beati Marcelli, ubi ipsi praeciosus requiescit in corpore, suborbanum Cabilonninsim, sed quidem tamen Sequanum est territurium, merefice et sollerter aedificare iussit, ibique monachis congregatis monasterium condidit ipsamque ecclesiam rebus pluremis ditavit. Senodum XL episcoporum fieri precepit et ad instar institucionis monasterii sanctorum Agauninsium, que temporibus Sigysmundi regis ab Avito et citeris episcopis ipso iobente princepi fuerat firmatum, idemque et huius senodi coniunctionem monasterium, sancti Marcelli Gunthramnus institucionem firmandam curavit : frédégaire, Chronique des temps mérovingiens, éd. O. devillers et J. meyers, Turnhout, 2001, 1, p. 62-63. 439. Bernard, « La laus perennis d’Agaune dans la Gaule de l’Antiquité tardive : état des questions et éléments d’un bilan », cit., p. 45-47. 440. diem, « Who is Allowed to Pray for the King ? Saint-Maurice d’Agaune and the Creation of a Burgundian Identity », cit., p. 48-51. 441. C. Brühl, « Palatium » und « Civitas ». Studien zur Profantopographie spâtantiker « civitates » von 3. bis zum 13. Jahrhundert, t. 1, Gallien, Cologne/Vienne, 1975, p. 130-136.

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important synode épiscopal, ce qui donne un argument supplémentaire à l’hypothèse que la réunion en 515 à Agaune d’une importante assemblée d’évêques autour d’Avit aurait bien constitué le premier concile de l’Église catholique du royaume burgonde. La Passio sancti Sigismundi (BHL 7717), très probablement écrite dans l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune entre 700 et 775442, donne aussi un récit de la fondation d’Agaune, qui était évidemment centré sur la personne de Sigismond. Comme Grégoire de Tours, l’auteur anonyme de la Passion considérait que Sigismond aurait fondé Agaune, après avoir succédé à son père Gondebaud († 516). Il s’attachait surtout à affirmer que Sigismond aurait établi ce monastère grâce à une inspiration angélique, selon une expression peut-être dérivée de la Passion d’Eucher, qui avait affirmé que la légion thébaine aurait constitué une image de la milice céleste des anges443. Enfin, le texte se faisait aussi l’écho d’un concile de fondation, en évoquant la consultation des évêques qui aurait précédé la fondation : Alors qu’il visitait de nombreux lieux saints, il parvint dans le lieu qui s’appelle Agaune, où saint Maurice et ses compagnons méritèrent de recevoir la palme du martyre pour l’amour de notre seigneur Jésus-Christ […] Alors, pas autrement que par la volonté de Dieu, nous croyons qu’un ange lui révéla qu’il devait établir des chœurs pour établir la psalmodie à l’image de la milice céleste. Ayant reçu de Dieu ce conseil, il consulta de saints et apostoliques évêques pour savoir si son projet était sainement pensé ou non. Cette question fut débattue entre les saints évêques et, bien que l’œuvre fût insolite, Dieu le voulant, ils y consentirent à l’unanimité444.

La fausse charte de fondation d’Agaune Le plus intéressant, mais aussi le plus tardif, des échos de la fondation d’Agaune provient d’un texte que l’érudition désigne usuellement sous le nom de « fausse charte de fondation de Saint-Maurice » d’Agaune445, mais qu’il serait 442. Passion de saint Sigismond, éd. C. roduit dans É. chevalley et C. roduit, La mémoire hagiographique de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Passion anonyme de saint Maurice, Vie des abbés d’Agaune, Passion de saint Sigismond, Lausanne, 2014 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale 53), p. 183-279, ici p. 188-190 et 200. 443. Sic interfecta est illa plane angelica legio, quae ut credimus cum illis angelorum legionibus iam conlaudat semper in caelis dominum deum Sabaoth : Passio Acaunensium martyrum auctore Eucherio episcopo Lugdunensi, cit., 11, p. 37. 444. Dum multa loca sanctorum perlustrans, pervenit in eum locum qui Agaunum vocatur, ubi sanctus Mauritius cum suis commilitonibus pro amore Domini nostri Iesu Christi martyrii palmam accipere meruit […] Tunc non aliter nisi ut nutu Dei credimus angelo nuntiante ipsi revelatum fuisse ut ad instar caelestis militiae psallendi choros instituere deberet. Quo consilio divinitus accepto, sanctis atque apostolicis viris episcopis consuluit, utrum salubriter an non cogitaret. Qua interrogatione sancti antistites inter se ventilata, licet inusitatum opus, tamen Domino annuente unanimiter consenserunt : Passion de saint Sigismond, cit., 6, et 261. 445. M. reymond, « La charte de saint Sigismond pour Saint-Maurice (515) », cit. ; J.-M. theurillat, « L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », Bibliothèque de l’École des Chartes, 110 (1952), p. 57-88 ; theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la

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peut-être plus juste de qualifier de « fausses chartes de fondation », en utilisant le pluriel. En effet, ce texte se présente sous la forme de deux actes clairement distincts, même si la tradition nous les a livrés en un seul ensemble. Le témoin le plus fiable de ces deux actes provient d’une copie (B), réalisée au xve siècle446, du cartulaire perdu que l’abbaye de Saint-Maurice avait fait réaliser vers 1200. Ces deux actes avaient été insérés sur les premiers folios de ce cartulaire et semblent avoir participé d’un premier ensemble documentaire, dont Gilbert Coutaz a considéré qu’il avait sans doute dû être réuni dès le milieu du xie siècle447. Il existe par ailleurs deux autres versions (C et D) de ces deux forgeries, dont le chanoine Jean-Marie Theurillat a démontré, au terme d’une étude qui fait toujours autorité448, qu’elles sont plus tardives. La version C provient, par l’intermédiaire d’une transcription du début xviiie siècle, d’une copie alors conservée dans les archives de l’abbaye, mais qui a depuis lors disparu449. Le texte D constitue une copie sur parchemin du xiie siècle, aujourd’hui toujours présente dans le chartrier de Saint-Maurice d’Agaune450, à partir de laquelle ont été réalisées trois autres copies modernes, dans les cartulaires constitués sous l’Ancien Régime par l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune451. Dans chacune de ces trois versions, la « fausse charte de fondation » s’ouvrait par un premier acte, qui relatait les décisions prises par un concile que le « roi Sigismond » aurait réuni à Agaune. La titulature royale donnée à Sigismond montre que le faussaire considérait que l’abbaye avait été fondée après que Sigismond avait succédé à son père Gondebaud († 516), comme l’avaient fait avant lui Grégoire de Tours et surtout l’auteur anonyme de la Passio sancti Sigismundi, qui constituait sans doute sur ce point sa source. L’acte avait été daté de la vigile des calendes de mai, autrement dit du 30 avril, ce qui n’est pas conforme aux données fournies par l’homélie d’Avit, qui nous avait permis de savoir que l’inauguration

446. 447. 448. 449.

450. 451.

réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 57-82 et S. Jaccoud, Acte de fondation et chronique de l’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, Mémoire de maîtrise sous la direction d’É. Chevalley, Université de Lausanne, 2013. Cette unique copie du cartulaire de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune est conservée à Turin : Archivio di Stato di Torino, Bénéfice delà des Monts, mazzo 10, 2 ter, fo 1-3. G. coutaZ, « Historiographie et archives », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 13-25, ici p. 14. J.-M. theurillat, « L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 110 (1952), p. 57-88 et theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 57-82. Cette copie authentique a été insérée à la fin de l’histoire manuscrite de J. delisle, Histoire de l’ancienne et royalle abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, conservée dans les manuscrits Perreciot, t. IV, fo 348-452, à la bibliothèque municipale de Besançon, ms 1112. Elle avait été réalisée selon un acte des archives de l’abbaye de Saint-Maurice, encore mentionné par l’inventaire du xviiie siècle du chanoine Joseph-Hilaire Charles (tiroir 1, paquet 1, 1bis), dont le chanoine Gaspard Bérody avait donné une description et une traduction, dans un ouvrage qu’il avait fait paraître sous le pseudonyme de frère Sigismond de Saint-Maurice, capucin : Histoire du glorieux Sainct Sigismond martyr roi de Bourgogne, Sion, 1666, no 35, p. 143-151. Archives de l’abbaye du Saint-Maurice, 1/1/1. LIB 0/0/15/25 (Charléty, I, p. 17-21) ; LIB 0/0/8/2 (Liber Salvani) et LIB 0/0/6/2 (Liber Agaunensis).

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avait eu lieu un 22 septembre, jour de la fête des martyrs thébains. Sans doute peut-on considérer que le faussaire avait dû choisir la vigile des calendes de mai, parce qu’elle constituait aussi la vigile de l’anniversaire de Sigismond452, ce qui doit donc nous amener à situer ce document dans le contexte de l’essor au haut Moyen Âge du culte de ce saint roi burgonde453. L’acte commençait par une description du pseudo-concile de fondation, qui aurait réuni à Agaune 60 évêques et autant de comtes. S’inspirant du récit de la Vita abbatum Acaunensium, le faussaire faisait commencer le concile par le discours de l’évêque Maxime de Genève, qui se proposait de conseiller le roi Sigismond. Reprenant ensuite les données de la Passion de saint Maurice, selon la version qu’en avait donnée Eucher, le faussaire donnait alors la parole à l’évêque Théodore de Sion, au prix d’un double anachronisme. Théodore, qui avait vécu à la fin du ive siècle, aurait tout d’abord difficilement pu être présent lors de la fondation de 515. Par ailleurs, il lui aurait été tout aussi impossible de porter le titre d’évêque de Sion que lui avait donné le faussaire, puisqu’il résidait à Octodure, comme l’avaient fait tous les évêques du Valais jusque dans la seconde moitié du vie siècle. Pour ne pas avoir conscience de ces anachronismes, le faussaire devait nécessairement être assez éloigné de ces événements du vie siècle. Dans son discours au concile, l’évêque Théodore « de Sion » aurait interrogé le roi et les évêques, afin de savoir ce qu’il devait faire des corps des martyrs thébains qui, selon son discours, gisaient alors à Agaune sans sépulture. Sigismond ayant aussitôt annoncé son intention de pourvoir à la sépulture des martyrs, les évêques lui auraient conseillé de rassembler leurs corps dans une église et d’y instaurer une psalmodie permanente. La parole aurait alors été prise par l’évêque Victorius de Grenoble, un personnage dont le faussaire avait trouvé le nom dans la Vita abbatum Acaunensium et qu’il avait chargé de définir devant le concile les modalités de la règle que devraient suivre les moines d’Agaune. Dans ce discours, qui occupe une place centrale dans les pseudo-actes de ce concile, l’évêque Victorius avait commencé par expliquer qu’en raison de leurs obligations liturgiques, les moines d’Agaune devraient être exonérés des charges du travail, en soulignant que « pour que cette institution soit conservée, elle ne pourra comme les autres monastères être soumise au labeur454 ». Il avait poursuivi en expliquant aussi que l’on ne pourra « trouver rien de plus utile que de leur permettre de ne pas

452. L’anniversaire de Sigismond aux calendes de mai est attesté pour la première fois à l’époque carolingienne : favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 436, n. 94. 453. F. graus, Volk, Herrscher und Heiliger im Reich der Merowinger, Prague, 1965, p. 397-398 ; R. folZ, Les saints rois du Moyen Âge en Occident (VIe-XIIIe s.), Bruxelles, 1984 (Subsidia hagiographica 68), p. 23-25 et R. kaiser, « Der Burgunderkönig Sigismund († 523/524) : erster heiliger König des Mittelalters und erster königlicher Romfahrer, Bußpilger und Mönch », dans A. meyer, C. rendtel et W. wittmer-Butsch (éd.), Päpste, Pilger, Pönitentiarie. Festschrift für Ludwig Schmugge zum 65. Geburtstag, Tübingen, 2004, p. 199-210. 454. […] propter illud institum sit conservatum, non potest ut cetera monasteria exercere opera : theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 77.

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avoir à se taire455 », ce qui revenait à établir que les moines d’Agaune ne devraient pas être soumis à l’obligation de silence. Enfin, l’évêque Victorius avait terminé son discours en décrivant les modalités de l’établissement de la laus perennis : Il me semble juste, concernant les usages de la psalmodie, que selon la très grande dévotion du seigneur roi, il y ait neuf groupes (normae), c’est-à-dire de Granensis, d’Islana, de Jurensis, de Melvensis etc., se succédant dans les offices canoniques, c’est-à-dire les nocturnes, les matines, les primes, les secondes, les terces, les sextes, les nones et les vêpres456.

Cette organisation en neuf normae peut sembler étonnante, dans la mesure où il n’existe aucune autre attestation, dans aucun autre établissement monastique, d’un nombre aussi élevé de turmae pour la pratique de la laus perennis. L’acte ne citait par ailleurs que quatre de ces neuf groupes, en les désignant par des noms qui, selon Marius Besson, devraient être mis en rapport avec les colonies monastiques qui avaient peuplé le monastère d’Agaune lors de sa fondation457. Selon cette interprétation, le groupe de Granensis pourrait ainsi être identifié avec les moines de Grigny, celui d’Islana correspondrait à l’Île-Barbe, tandis que le groupe de Jurensis serait issu des monastères jurassiens. Si l’identification de ces trois premiers groupes peut sembler convaincante, bien plus problématique est en revanche le cas du groupe de Melvensis, dans la mesure où ce nom ne correspond à aucun toponyme connu. Toutefois, la donation par un acte de 765 d’une terre à l’abbaye Saint-Maurice d’Agaune, qui était destinée à une turma que l’acte qualifiait tantôt de Meldensis, tantôt de Waldensis ou de Valdensis, avait amené Marius Besson à considérer que Melvensis ne serait qu’un équivalent de Waldensis, autrement dit du pays de Vaud. Étant donné que le pays de Vaud semble n’avoir guère disposé au haut Moyen Âge d’autre monastère que Romainmôtier, Marius Besson en avait donc finalement déduit que cet établissement aurait participé à la fondation d’Agaune, au même titre que Grigny, l’Île-Barbe et le monastère jurassien de Condadisco. Bien que cette interprétation se soit largement imposée dans l’historiographie, elle peut sembler d’autant moins convaincante que nous avons déjà pu constater qu’il est bien improbable qu’un monastère ait pu être établi à cette date à Romainmôtier. Pour autant, il ne semble pas en l’état possible de proposer une solution alternative, tant cette clause peut paraître obscure. Il est d’ailleurs notable que le chanoine de Saint-Maurice d’Agaune, qui avait rédigé à la fin du xiie siècle la copie D de la fausse charte de fondation, semble avoir trouvé ce passage si peu compréhensible qu’il l’avait interpolé. Afin d’en donner une version plus claire, il lui avait substitué une phrase qui proposait de distinguer « cinq groupes 455. […] quid utilius invenire possimus favere est non silere : ibid., p. 78. 456. Recte mihi videtur ut secundum plenissimam devocionem domini regis de psallendi institucionibus fiant VIIII norme, id est Granensis, Islana, Iurensis et Melvensis et cetere ; et succedentes sibi in officiis canonicis id est nocturnis, matutinis, prima, secunda, tercia, sexta, nona, vespertina : ibid., p. 78. 457. M. Besson, « La donation d’Ayroenus à Saint-Maurice (mardi 8 octobre 765) », Revue d’histoire ecclésiastique suisse, 3 (1909), p. 294-296, ici p. 295, n. 1.

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(normae), c’est-à-dire de Granensis, d’Islana, de Jurensis, de Melvensis et du seigneur Probus458 ». Il avait ainsi limité les escadrons monastiques au nombre de cinq et avait rajouté, à la liste donnée par B et C, un groupe dirigé par le prêtre Probus, qu’il connaissait par la Vita abbatum Acaunensium et peut-être aussi par les Versus de vita sancti Probi, un poème transmis avec le plus ancien manuscrit de la Vie des abbés d’Agaune459. Si l’interpolation du copiste de la version D nous a ainsi offert un texte plus cohérent, il est toutefois bien trop tardif pour qu’il soit possible de lui accorder le moindre crédit. Après Victorius de Grenoble, le faussaire donnait la parole à l’évêque Viventiole de Lyon, un personnage lui aussi cité par la Vita abbatum Acaunensium. L’évêque Viventiole se chargeait de définir la règle de vie que devaient suivre les moines d’Agaune, en expliquant qu’ils seraient soumis à l’obéissance envers leur abbé, qu’ils étaient tenus de dormir dans un même dortoir, de manger dans un même réfectoire et de se réchauffer dans un même chauffoir460. Il affirmait aussi que chacun des groupes (normae) de moines devrait être dirigé par un doyen, empruntant ainsi à la terminologie de la Règle de saint Benoît pour désigner le supérieur des groupes monastiques, que la charte de 765 avait en revanche désigné par le terme de turmarius461. Cette organisation du monastère en « groupes » (normae) ou en « escadrons » (turmae), disposant chacun d’une mense particulière, dut perdurer longtemps à Agaune. Elle semble en effet s’être maintenue au moins jusqu’au xe siècle, comme en témoigne un acte de 942, qui expliquait que les terres que l’abbaye possédait dans le diocèse de Besançon relevaient de « l’escadron du Jura » (turma Iurense)462. Il est tout à fait plausible que cette division du temporel en menses d’escadrons, autour desquels s’organisaient la laus peren‑ nis, puisse remonter à l’organisation originelle du monastère463, dans laquelle chacune des colonies monastiques serait venue à Agaune en apportant une partie du temporel de son monastère. Elle aurait ainsi donné à cette légion monastique l’aspect d’une fédération de cohortes monastiques, qui aurait regroupé des détachements de frères, venus des différents établissements du royaume burgonde avec leurs propres moyens.

458. […] fiant quinque norme, id est Granensis, Insolana, Jurensis, Melvensis seu donni Probi : theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 78, n. z. 459. Éd. dans Vie des abbés d’Agaune, cit., p. 163-165 et 175-177. 460. Unum habeant dormitorium ; unum habeant refectorium ; unum locum ad calefaciendum : theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 79. 461. Propterea dono ad ipso sacrosancto loco vel ad turmam Meldensis ubi Matulphus monachus turmarius preesse videtur : Besson, « La donation d’Ayroenus à Saint-Maurice (mardi 8 octobre 765) », cit., p. 294-295. 462. Die Urkunden der Burgundischen Rudolfinger, cit., no 64, p. 206-208. 463. L. riPart, « Une liste de sainteurs franc-comtois de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune (fin xiie siècle) », dans G. castelnuovo et S. victor (éd.), L’Histoire à la source : acter, compter, enregistrer (Catalogne, Savoie, Italie, xiie‑ xve siècle). Mélanges offerts à Christian Guilleré, volume 1, Chambéry, 2017 (Sociétés, religions, politiques 36), p. 61-82.

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Les actes du pseudo-concile de fondation se trouvaient suivis par une fausse charte de dotation par laquelle le roi Sigismond aurait pourvu aux besoins du nouveau monastère, afin d’assurer l’entretien des moines et des luminaires des saints. Cette charte de dotation constituait un acte à part entière, daté des ides de mai, autrement dit du 15 mai, une datation sans doute choisie parce qu’elle suivait les calendes de mai, qui avaient été utilisées pour dater les actes du pseudo-concile de fondation d’Agaune. Le pseudo-acte de dotation du monastère comportait aussi une date de lieu, puisqu’il affirmait avoir été donné « dans les pleurs des hommes près du monastère d’Agaune » (in virorum fletu propre Agaunum monas‑ terio). Jean-Marie Theurillat a proposé d’identifier, de manière convaincante, cette expression avec le toponyme de Vérolliez (Viroletus ou Viroletum), le champ où la tradition avait localisé le martyre de la légion thébaine464. Étonnamment, l’acte n’avait pas été souscrit par le roi, mais par onze témoins de sa dotation, parmi lesquels se retrouvaient tout d’abord les évêques qui avaient été les acteurs du pseudo-concile de fondation, autrement dit Maxime de Genève, Théodore « de Sion », Viventiole de Lyon et Victor – et non plus Victorius – de Grenoble, ainsi que par sept comtes qui portaient les noms de Frédemar, Gondeulf, Benoît, Agano, Boniface, Teudemond et Frédebold. L’acte donnait, en termes souvent généraux, une description des terres que Sigismond aurait offertes à Agaune lors de la fondation. Selon le faux, les biens fonciers que le roi aurait alors concédés aux moines se seraient répartis sur un très vaste territoire, puisqu’il aurait compris les pagi ou territorii de Lyon, de Vienne, de Grenoble, d’Augusta Cameraria (Aoste dans l’actuel département de l’Isère), de Genève, du pays de Vaud, d’Avenches, de Lausanne, de Besançon et du Val d’Aoste. Bien que l’authenticité de cet acte ne soit aujourd’hui plus défendue par personne, l’érudition continue à prêter une grande attention à cette liste, dans la mesure où elle y voit toujours une très ancienne description du temporel de l’abbaye de Saint-Maurice465. Il est en tout cas notable qu’elle fut comprise comme tel par l’interpolateur qui rédigea au xiie siècle la copie D, dans la mesure où il se soucia de mettre la liste à jour, en y rajoutant les domaines que le roi Rodolphe III avait restitués à l’abbaye en 1017466. Wulf Müller a d’ailleurs montré la crédibilité de cette liste, en soulignant que plusieurs des toponymes donnés par le pseudoacte de dotation relevaient de formes manifestement archaïques, dont certaines

464. theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 82, n. u. 465. G. hausmann, « La constitution du patrimoine de Saint-Maurice, 515-1128 », Vallesia, 54 (1999), p. 205-239. 466. Die Urkunden der Burgundischen Rudolfinger, cit., no 112, p. 272-276 ; v. theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 59-60 et L. riPart, « Saint-Maurice d’Agaune et la réforme canoniale (fin xe – milieu du xiie siècle) », dans N. Brocard, F. vannotti et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 219-234, ici p. 220-223.

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semblent difficilement postérieures au vie siècle, ce qui donne à penser que le faussaire aurait pu utiliser des listes anciennes aujourd’hui perdues467. Le patrimoine décrit par cet acte témoigne en tout cas d’une situation à l’évidence archaïque, puisqu’il comporte une série de curtes bien identifiées, qui n’étaient plus en possession de Saint-Maurice d’Agaune à l’époque féodale. Il donne par exemple les noms de plusieurs domaines situés dans les diocèses de Lyon, Vienne et Grenoble, au sein d’un espace où l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune n’était plus du tout possessionnée au Moyen Âge central, lorsque l’arrivée d’une documentation conséquente permet aux historiens de pouvoir décrire avec précision son temporel468. Une telle situation donne à penser que l’abbaye avait bien été en possession de ces curtes situées en Lyonnais et en Viennois, car il est difficile d’imaginer qu’une telle liste aurait pu être inventée de toutes pièces, d’autant que nous savons que la grande majorité des moines venus en 515 pour fonder l’abbaye de Sigismond provenait effectivement de ces diocèses. Cette liste de curtes a ainsi une réelle crédibilité, comme en témoigne par exemple la présence remarquable du bourg d’Aoste, dans l’actuel département de l’Isère, que le pseudo-acte de dotation définissait comme un chef-lieu de pagus ou de territorium. Ce point a priori étonnant prend tout son sens, si l’on se situe dans l’hypothèse d’une identification de Grigny, sans doute le principal établissement qui a servi à la fondation d’Agaune, avec le site archéologique découvert par Marie-José Ancel aux Communaux, sur le territoire de cette même commune d’Aoste. Tout indique donc que la liste de domaines donnée par la fausse charte de dotation renvoyait bien à un patrimoine originel, dont une partie avait dû être confisquée à l’abbaye, peut-être par les Bosonides, au temps où Saint-Maurice d’Agaune se trouvait placée sous le contrôle de leurs ennemis rodolphiens. Si la liste de possessions donnée par le pseudo-acte de dotation d’Agaune semble donc renvoyer au patrimoine alto-médiéval de l’abbaye, il serait bien évidemment aventureux de penser qu’elle aurait pu décrire fidèlement le temporel que Sigismond avait effectivement remis en 515 aux moines. Germain Hausmann l’a d’ailleurs mis en évidence en soulignant qu’il serait peu probable que le monastère d’Agaune ait pu être au vie siècle en possession de terres en vallée d’Aoste, autrement dit dans un espace qui semble n’avoir été rattaché au royaume bourguignon qu’aux alentours de 575469. Peut-être s’agit-il d’une liste qui donne un état du patrimoine de l’abbaye à l’époque mérovingienne ou encore d’une liste du patrimoine originel, plus ou moins retouchée ultérieurement. Quoi qu’il en 467. W. Müller, « Les toponymes dans les faux du Moyen Âge (Suisse romande) », dans I. túrreZ aguirreZáBal et A. areJita (éd.), Studia philologica in honorem Alfonso Irigoien, Bilbao, 1998 (Euskal Herria 17), p. 484-489, en particulier p. 488-489. 468. M. Zufferey, Die Abtei Saint‑Maurice d’Agaune im Hochmittelalter (830‑1258), Göttingen, 1988, p. 231-315 ; hausmann, « La constitution du patrimoine de Saint-Maurice, 515-1128 », cit. et g. hausmann, « Le temporel de l’abbaye de Saint-Maurice de 1258 à 1476 », dans N. Brocard, F. vannotti et A. wagner (éd.), Autour de saint Maurice. Politique, société et construction identitaire. Actes du colloque de Besançon et Saint‑Maurice, 28 septembre‑2 octobre 2009, Saint-Maurice, 2012 (Fondation des Archives historiques de l’Abbaye de Saint‑Maurice 1), p. 233-247. 469. hausmann, « La constitution du patrimoine de Saint-Maurice, 515-1128 », cit., p. 215.

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soit, il semble que l’on puisse conclure qu’une partie notable du patrimoine décrit par le faussaire devait effectivement renvoyer à la dotation originelle, dont avait pu bénéficier le monastère pour que ses moines puissent pleinement s’adonner à la pratique de la laus perennis. De ce point de vue, son étendue donne à penser que le monastère d’Agaune avait été non seulement peuplé par des moines puisés dans les établissements ecclésiastiques qui se trouvaient placés sous l’autorité des rois burgondes, mais aussi qu’il avait été doté avec des terres prélevées dans une grande partie des territoires soumis à l’autorité de Sigismond et de la famille royale, en sollicitant en particulier le temporel des monastères qui avaient été appelés à peupler Agaune. Un tel constat montre une nouvelle fois que la fondation du monastère d’Agaune avait visiblement prise pour les Burgondes une véritable dimension nationale, à l’image d’un établissement qui était destiné à cristalliser l’Église royale que Sigismond s’attachait alors à mettre en place. Il reste désormais à déterminer la datation de ces faux que Jean-Marie Theurillat avait proposé de situer à la fin du viiie ou du début du ixe siècle, au terme d’une étude qui pose un évident problème de méthode, dans la mesure où il avait analysé comme un tout les deux actes qui constituaient cette « fausse charte de fondation »470. Ce faisant, il avait en effet négligé le fait que cette charte était en réalité constituée de deux actes bien distincts, séparés par une très nette rupture de style, qui donne à penser qu’ils ne sont pas contemporains. Pour ne prendre qu’un exemple, les pseudo-actes du concile de fondation conféraient à Sigismond le titre de pius rex, tandis que l’acte de dotation lui donnait celui de gratia Dei rex Borgondionum, selon une titulature qui était à l’évidence beaucoup moins archaïque. Un tel constat montre que nous sommes bien devant deux actes différents, dont le second était manifestement plus récent que le premier. Commençons donc par le premier acte, en constatant tout d’abord avec le chanoine Theurillat qu’il est manifeste que son style ne peut être mérovingien, comme en témoigne sa langue mais aussi son discours, farci de citations bibliques et de formulations aux évidentes connotations carolingiennes. Faut-il aussi considérer que l’utilisation pour Viventiole de Lyon du titre d’évêque et non d’archevêque pourrait constituer la preuve que ce texte est antérieur aux années 820, comme Jean-Marie Theurillat l’avait estimé ? L’argument ne semble toutefois pas totalement convaincant, dans la mesure où le faussaire a puisé ces noms et ces titres dans la Vita abbatum Acaunensium et les a utilisés comme tels. Dans son article de 1971, François Masai avait mis en évidence une piste de datation intéressante, en montrant que la Règle de saint Benoît apparaît en filigrane de ce texte, qui lui emprunte de nombreuses formulations471. Cette dépendance textuelle ne signifie toutefois pas que le monastère aurait alors adopté la règle bénédictine, dans la mesure où l’auteur des pseudo-actes du concile de fondation s’est au contraire employé à défendre la règle de vie des moines d’Agaune, en soulignant en particu470. theurillat, « L’acte de fondation de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune », cit. et theurillat, L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune. Des origines à la réforme canoniale, 515‑830, cit., p. 57-82. 471. masai, « La “Vita patrum Jurensium” et les débuts du monachisme à Saint-Maurice d’Agaune », cit., p. 52-54.

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lier que leurs obligations liturgiques devaient les exonérer du travail et du silence. En d’autres termes, le faussaire s’est en fait attaché à expliquer tout au long de son acte que, malgré l’intérêt et le respect que les moines portaient à la Règle de saint Benoît, ce qu’il avait montré en se référant explicitement à plusieurs de ses chapitres, le mode de vie que leur avait imposé Sigismond et le concile des évêques d’Agaune ne pouvait leur permettre d’emprunter pleinement la voie bénédictine. C’est pourquoi, il semble possible de situer la rédaction des pseudo-actes du concile de fondation dans le contexte des difficultés que pouvait susciter à Agaune la diffusion carolingienne de la Règle de saint Benoît. Sans doute, peut-on ainsi penser que la rédaction de ce texte n’a pas été totalement étrangère aux débats qui entourèrent les conciles d’Aix-la-Chapelle de 816-817, lorsque les moines d’Agaune furent contraints à abandonner leur statut monastique pour adopter l’état canonial, afin de rester pleinement fidèles à leurs missions liturgiques, que l’adoption de la Règle de saint Benoît ne leur aurait pas permis de poursuivre472. Il reste maintenant à dater le deuxième acte, autrement dit la charte de dotation que le chanoine Theurillat avait aussi proposé de situer sous le règne de Charlemagne, en soulignant que son formulaire renvoyait manifestement à la fin du viiie ou au début du ixe siècle. Si ce constat était indiscutablement pertinent, comme en témoignent les vérifications que nous pouvons aujourd’hui faire dans les actuelles bases de données, l’argument ne semble toutefois pas définitif, dans la mesure où le faussaire a très bien pu utiliser un ancien formulaire pour donner plus de crédibilité à sa forgerie. De fait, cet acte combinait des formulations empruntées à des diplômes de la deuxième moitié du viiie ou de la première moitié du ixe siècle avec des clauses et des pratiques diplomatiques, dont l’esprit semble bien peu carolingien. Ainsi, la présence, au sein de cet acte qui se voulait royal, de souscriptions apposées par des évêques et des comtes relève d’un usage de chancellerie qui n’est à l’évidence pas carolingien, mais semble en revanche bien s’inscrire dans les pratiques diplomatiques post-carolingiennes. Tout aussi remarquable est la titulature de rex Borgondionum, qui a une résonance manifestement rodolphienne et semble difficilement transposable à l’époque carolingienne, dans la mesure où il n’existe aucun exemple d’une telle formulation avant la deuxième moitié du xe siècle473. Il faut aussi rajouter que si l’acte évoque le pagus de Besançon, il ne mentionne aucune des importantes curtes que l’abbaye de SaintMaurice d’Agaune aurait possédées dans cet espace au haut Moyen Âge, ce qui pourrait donner à penser qu’il a dû être rédigé après que l’abbaye avait dû aliéner, en 942-943, ce patrimoine au profit des comtes de Mâcon474. Tous ces éléments plaident donc pour une datation relativement tardive de cet acte de donation, qui 472. L. riPart, « Les temps séculiers (ixe-xe siècle) », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 134-149, ici p. 138-139. 473. L. riPart, « Le royaume rodolphien fut-il un royaume burgonde ? », dans A. wagner et N. Brocard (éd.), Les royaumes de Bourgogne jusqu’en 1032 à travers la culture et la religion, Turnhout, 2018 (Culture et sociétés médiévales 30), p. 345-372. 474. hausmann, « La constitution du patrimoine de Saint-Maurice, 515-1128 », cit., p. 218-219.

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pourrait sans doute être situé dans la seconde moitié du xe siècle voire même au début du xie siècle, sachant qu’il ne devrait en revanche pas être postérieur au diplôme de restitution donné à l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune par le roi Rodolphe III en 1017. Cet important diplôme de restitution rodolphien semble en effet susceptible de donner un terminus ad quem à la rédaction de ce pseudoacte de dotation, puisque l’auteur de la copie D avait été amené à en intégrer les données en interpolant la version donnée par B et C, qui semblent en revanche ne pas l’avoir eu à leur disposition.

* À l’heure de refermer ce dossier, il convient tout d’abord de souligner que la mise en place du monastère d’Agaune relève d’un processus original, qui diffère profondément de celui des autres établissements monastiques du sud-est de la Gaule, que nous avions pu jusque-là étudier. Alors que tous les monastères que nous avions envisagés s’étaient développés dans des sites de désert symbolique, le monastère d’Agaune s’est en effet établi le long de l’axe routier le plus fréquenté de la Gaule, sans jamais se référer à la culture érémitique des pères du désert. De même, si les monastères que nous avons pu voir s’étaient développés à partir d’une villa, d’une mansio ou d’une domus, celui d’Agaune prit son essor sur le fondement d’une basilique martyriale, bâtie dans la nécropole mise en place à la fin du iie siècle sur le site du Martolet. Incontestablement, le monastère d’Agaune fournit un exemple emblématique d’un monastère de basilique, même s’il faut aussi souligner qu’il est le seul que nous puissions mettre en évidence dans le sud-est de la Gaule, aux ve et vie siècles. Comme ce fut souvent le cas, le facteur décisif de la transformation religieuse de l’espace funéraire du Martolet semble avoir consisté dans la dimension mémorielle que la nécropole avait pu prendre au cours de la première moitié du iiie siècle, avec la mise en place d’une sépulture privilégiée, qui donna naissance au milieu du ive siècle à un mausolée. Sur la base de cette première tradition commémorative, dont rien n’indique qu’elle se soit construite dans un contexte chrétien, l’évêque Théodore d’Octodure accomplit le geste décisif en transformant, à la fin du ive ou au tout début du ve siècle, le mausolée en basilique martyriale. Celle-ci était destinée à assurer le culte des reliques des martyrs de la légion thébaine, dont l’évêque Théodore d’Octodure avait procédé à l’invention publique, sur le modèle mis en place avant lui par Ambroise de Milan, dont il était à l’évidence l’un des proches disciples. On soulignera aussi que cette basilique paléochrétienne n’avait pas été construite en rupture avec le mausolée du ive siècle, mais dans sa continuité, comme en témoigne en particulier la place de choix que la sépulture privilégiée du iiie siècle continua à occuper au sein de la basilique, tandis que les reliques des martyrs semblent avoir été déposées dans une chapelle accolée à l’église. Bien avant la « refondation » de 515, une communauté monastique semble avoir été installée dans la basilique martyriale d’Agaune. Si l’on accepte de suivre

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François Masai lorsqu’il considérait que la Vita patrum Jurensium était antérieure à la « refondation » de Sigismond, il devient en effet manifeste que le site d’Agaune accueillait avant 515 un cénobe, dans lequel une partie des moines était vouée à la desserte de la basilique, tandis que d’autres auraient mené en cellule une vie quasi-anachorétique. L’évocation par la Vita abbatum Acaunensium de la présence autour de la basilique martyriale de « familles séculières », selon une expression assez vague qui pourrait tout à fait s’appliquer à des clercs, doit être prise avec prudence, mais pourrait effectivement donner à penser que les moines ne constituaient que l’une composante de la communauté attachée au service de la basilique. Dans cette hypothèse, Agaune aurait donc constitué au ve siècle une « basilique à monastère », desservie par une communauté de clercs et de moines, selon une organisation qui semble avoir été la norme dans les basiliques martyriales gauloises des vie et viie siècles. La Passion anonyme de saint Maurice, qui a probablement été rédigée dans le contexte de l’invention des martyrs, sans doute par l’évêque Théodore d’Octodure en personne, donne à penser que cette première communauté monastique s’était mise en place dès la fondation de la basilique martyriale. La thématique même de la « légion thébaine » relève à l’évidence d’une métaphore monastique, tandis que l’assimilation des chefs de la légion aux hi qui praesunt pourrait ressortir d’un emprunt textuel à la tradition régulière occidentale, dont le fondement se trouverait dans la traduction latine que Rufin avait donnée en 397 du Petit Ascèticon de Basile de Césarée. Si nous avons pu auparavant conclure que, contrairement aux enseignements d’une longue tradition historiographique, les basiliques martyriales de Vienne, de Lyon et de Marseille ne disposaient pas de monastères, l’étude du cas d’Agaune nous amène à une conclusion en tous points contraire. Elle conduit en effet à estimer qu’une communauté monastique a sans doute dû s’établir dans la basilique paléochrétienne dès ses origines, ce qui nous situe à une date remarquablement précoce, que les sources documentaires et archéologiques permettent de situer assez précisément aux alentours de 400. Tout aussi exceptionnel fut le processus de « refondation » mis en place par Sigismond à Agaune, afin d’établir ce monastère qui doit être considéré comme la première abbaye royale d’Occident. Dans la mise en place du monastère d’Agaune, tout ne fut en effet que nouveauté, à commencer par le cérémonial de fondation, qui se déroula devant un concile des évêques du royaume burgonde, sous la forme d’une épiphanie de ce grand prince catholique que constituait Sigismond, comme en témoigne le panégyrique qu’en dressa Avit en guise d’homélie inaugurale. Agaune constituait en effet le symbole privilégié de la nouvelle Église nationale que la monarchie burgonde était en train de constituer, comme le montre le somptueux palais que Sigismond s’était visiblement fait construire, à seulement quelques dizaines de mètres de la basilique martyriale. Particulièrement symbolique du rôle politique que devait jouer le monastère « refondé » d’Agaune fut le processus de constitution de la communauté monastique, dans la mesure où il procéda de la convergence à Agaune de détachements de moines puisés dans les établissements soumis à l’autorité des Burgondes.

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Venus sur l’ordre de Sigismond, en emportant très probablement une part du temporel de leurs établissements d’origine, ces escadrons monastiques avaient ainsi fait d’Agaune un véritable monastère national, où se réunissaient les parties constituantes de l’Église royale que les rois burgondes mettaient alors en place, en la soumettant à l’autorité quasiment primatiale dont jouissait l’évêque Avit de Vienne. La « refondation » d’Agaune témoignait ainsi de l’utilisation que la nouvelle classe dirigeante gauloise faisait désormais des monastères, où elle instaurait une relation d’échanges, puisqu’en contrepartie de son appui matériel, elle escomptait bénéficier du soutien spirituel, mais aussi politique, de la prière monastique. Tout dans la fondation du monastère d’Agaune participait du luxe qui constitue la marque distinctive de la royauté. La somptuosité des bâtiments du monastère, avec ses deux églises majeures, son palais, son baptistère et ses maisons d’habitation, en faisait un ensemble imposant. Sans même prendre en compte les églises bâties dans la périphérie de la basilique martyriale, à l’exemple de l’église associée à la nécropole des Condémines, les seuls bâtiments édifiés sur le site Martolet et dans ses environs immédiats recouvraient un total d’environ 2500 m2 de constructions au sol, ce qui est sans commune mesure avec ce que les données archéologiques peuvent fournir dans les autres sites monastiques de la même époque. Comme en témoigne la description que Grégoire de Tours avait donnée du site du monastère d’Agaune, celui-ci pouvait dès le vie siècle faire déjà figure de ville sainte, bénéficiant ainsi d’une place monumentale majeure au sein du paysage religieux gaulois. Particulièrement emblématique de cette recherche de la somptuosité fut le recours à la laus perennis, autrement dit à une liturgie ostentatoire établie sur le modèle des moines acémètes de Constantinople. L’introduction à Agaune de cette liturgie d’origine orientale, qui constituait alors le rituel le plus somptueux mis en œuvre dans la Chrétienté, montre que la construction de ce monastère avait d’abord et avant tout été pensée comme un outil de communication politique. En établissant ce monastère à Agaune, Sigismond s’était en effet attaché à faire savoir, le plus largement possible, que la royauté catholique des Burgondes constituait, face à Théodoric et à l’alliance de tous les hérétiques, le représentant légitime en Occident de l’orthodoxie religieuse et de l’empire des Romains. Cette fondation mettait ainsi la liturgie monastique au service du projet politique d’un royaume barbare, en développant une dimension symbolique d’autant plus forte que le culte de saint Maurice se trouva dès lors étroitement associé à la royauté burgonde, selon un processus que l’inhumation de Sigismond à Agaune et la rapide diffusion de son culte devaient contribuer à affirmer durant la période mérovingienne475.

475. L. riPart, « Saint Maurice et la tradition régalienne bourguignonne (443-1032) », dans P. Paravy (éd.), Des Burgondes au royaume de Bourgogne (ve‑xe siècle), journées d’étude des 26‑27 octobre 2001, Grenoble, 2002, p. 211-250.

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iii – les recluses de la cité d’arles Alors que la recherche monastique du désert avait imposé aux moines provençaux de se détourner des villes, leurs consœurs avaient toutefois dû prendre un chemin bien différent. Comme nous l’avons constaté dans le chapitre consacré au développement du monachisme dans les cités de la vallée du Rhône, si les villes tardo-antiques n’accueillirent pas de monastères masculins à l’intérieur de leurs murs, elles virent en revanche des établissements de moniales s’y installer. Tel fut tout d’abord le cas de Marseille, où avait été bâti, très probablement intra muros, un important monastère féminin dédié à Jean Cassien, qui en aurait été, selon Gennade, le fondateur. La ville de Vienne eut aussi un monastère féminin, dont tout indique qu’il s’était aussi mis en place à l’intérieur des murs, sur l’actuel site de Saint-André-le-Haut, à la fin du ve siècle. Lyon était sans doute aussi dans ce cas, puisque la ville disposait d’un établissement de religieuses, mentionné à partir de la seconde moitié du vie siècle, qu’il faut probablement identifier avec le monastère féminin dédié à saint Pierre, qui est bien attesté au viiie siècle. Toutefois, si la documentation nous permet d’identifier ces établissements féminins, elle ne nous offre en revanche que des bribes d’informations sur leur fonctionnement, ce qui constitue pour l’essentiel la conséquence du silence que les sociétés anciennes imposaient aux femmes et plus particulièrement à celles qui menaient une vie religieuse. À cette règle générale, il existe toutefois une exception remarquable, à laquelle ce chapitre sera consacré, celle du monastère de moniales qui fut fondé par l’évêque Césaire d’Arles, un acteur majeur du monachisme rhodano-provençal476. Avant d’être évêque, Césaire avait été moine. Entré au monastère de Lérins à l’âge de 19 ans, sans doute en 488/489, il y était resté quelques années et y avait exercé des fonctions d’économe, avant de devoir le quitter après être tombé malade, selon les données fournies par sa Vie. Étant alors venu s’établir auprès de son parent Éone, qui exerçait alors les fonctions d’évêque à Arles, Césaire y suivit quelque temps les enseignements de l’ascète et du rhéteur africain Julien Pomère477. En 498/499, il devint abbé du monastère de la Cappe, un 476. Sur Césaire d’Arles, voir au sein d’une bibliographie foisonnante : D. Bertrand, m.-J. delage, P.-a. février, J. guyon et A. de vogüé, Césaire d’Arles et la christianisation de la Provence. Actes des journées Césaire (Aix‑en‑Provence, Arles, Lérins, 3‑5 novembre 1988, 22 avril 1989), Lyon/Paris, 1994 ; klingshirn, Caesarius of Arles. The Making of a Christian Community in Late Antique Gaul, cit. ; M. heiJmans, « Césaire d’Arles, un évêque et sa ville », Revue d’histoire de l’Église de France, 87/218 (2001), p. 5-25 ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 375-461 ; Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. I, p. 386-410 ; M.-C. delage, « Césaire (470-542) », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 37-45 et Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol. 477. Julien Pomère, La vie contemplative, éd. R. JoBard, L. gagliardi, P. riché et A.-G. hamman, Paris, 1995.

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établissement que nous avons pu situer à l’extérieur des murs de la ville, sur une île du Rhône, légèrement en aval de la ville d’Arles. Lorsque l’évêque Éone mourut à la fin de l’année 502, Césaire fut appelé à lui succéder, ce qui l’amena à diriger l’Église d’Arles pendant près de 40 ans, jusqu’à son décès intervenu le 27 août 542. Un tel parcours inscrivait donc Césaire dans la lignée des grands évêques lériniens et son épiscopat fut de fait empreint d’une très forte dimension monastique. Menant lui-même une vie ascétique, dont témoigne le détachement envers les biens qu’il s’employa à manifester dans son testament478, Césaire fit adopter à son clergé une vie communautaire de type monastique, en lui imposant par exemple de suivre les offices aux heures canoniales. S’inscrivant dans la forte dimension ascétique qui caractérisait la pastorale des évêques lériniens479, Césaire fut d’abord et avant tout un moine-évêque, qui s’attacha à diffuser les valeurs de la vie ascétique, y compris dans les milieux laïcs, auxquels fut consacré l’essentiel de ses 248 sermons qui ont été conservés480. La grande œuvre de cet évêque-moine fut toutefois la fondation au cœur de sa cité d’un monastère, dans lequel il installa des femmes qui purent ainsi vivre dans sa proximité. Tout au long de sa vie, il consacra un intérêt majeur à ces sœurs, auxquelles il portait une évidente affection, dont témoigne par exemple son testament, par lequel il légua aux vierges l’essentiel de ses biens481. Il rédigea surtout pour elles une « Règle des vierges » (Regula virginum), pour reprendre le principal titre sous laquelle elle est connue, qui constitua la première règle latine spécifiquement destinée à des femmes482. Son écho fut considérable, puisqu’elle fut utilisée par de nombreux autres établissements de moniales, à commencer par l’important

478. césaire d’arles, Testament, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A. de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 360-397. 479. L. Bailey, « Monks and Lay Communities in Late Antique Gaul. The Evidence of the Eusebius Gallicanus Sermons », Journal of Medieval History, 32 (2006), p. 315-332. 480. P.-A. février, « Césaire et la Gaule méridionale au vie siècle », cit. ; I. Perée, Césaire d’Arles et l’Église de Provence au vie siècle : ascèse pour les moines, ascèse pour tous ?, Thèse, Strasbourg, 2013 et I.S. filiPPov, « Les ouailles et la société : à qui prêchait Césaire d’Arles ? », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. I, p. 129-137. 481. Sur ce monastère dédié à saint Jean-Baptiste, v. en dernier lieu : L. rudge, « Dedicated Women and Dedicated Spaces : Caesarius of Arles and the Foundation of St. John », dans H. dey et E. fentress (éd.), Western Monasticism ante litteram. The Spaces of Monastic Observance in Late Antiquity and the Early Middle Ages, Turnhout, 2011 (Disciplina Monastica 7), p. 109-116 ; N. deflou-leca, « Césaire et le monachisme féminin », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 57-64 et m.d.f. miola, Spaces of Salvation in Sixth‑Century Arles. The Women’s Monastery as Household and Family, Thèse, Catholic University of America, Washington DC, 2018. 482. césaire d’arles, Règle des vierges, cit.

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monastère que la reine Radegonde établit entre 552 et 557 à Poitiers483, ce qui contribua à en faire la règle de référence du monachisme féminin mérovingien484. La Regula virginum eut d’autant plus de rayonnement qu’elle inspira aussi de nombreuses autres règles féminines. Tel fut par exemple le cas de celle que rédigea l’évêque Aurélien d’Arles (545-551)485, ou encore de la règle que l’évêque Donat de Besançon écrivit, vers 655, en faveur du monastère féminin que sa mère avait établi dans sa cité486. Plus remarquable encore, la Regula virginum devint une source d’inspiration pour les règles masculines, comme Césaire d’Arles en donna lui-même l’exemple, lorsqu’il rédigea à la fin de sa vie une règle à l’usage des moines, qui constituait un résumé adapté pour les hommes de sa Règle des vierges487. La Regula Tarnantensis et la Regula Ferrioli, deux règles masculines écrites dans le sud-est de la Gaule, sans doute dans le troisième quart du vie siècle, s’inscrivirent aussi dans cette tradition, dans la mesure où leurs prescriptions furent en partie empruntées à la Regula virginum488. La Règle des vierges de Césaire d’Arles paraît avoir même inspiré la législation canonique, puisqu’elle semble avoir été à la source des canons conciliaires sur les moniales cloîtrées qui

483. Y. laBande-mailfert, « La fondation », dans E.-R. laBande (éd.), Histoire de l’abbaye Sainte‑ Croix de Poitiers. Quatorze siècles de vie monastique, Poitiers, 1986 (Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest 4e série 19), p. 25-75, qui considère que Radegonde n’aurait peut-être introduit la Regula verginum que vers 570, dans le contexte du voyage qu’elle fit à Arles. 484. Sur les échos de la Regula virginum : C. lamBot, « Le prototype des monastères cloîtrés des femmes : l’abbaye Saint-Jean d’Arles (vie siècle) », Revue Liturgique et Monastique, 23 (1938), p. 169-174 ; L. rudge, Texts and Contexts : Women Dedicated Life from Caesarius to Benedict, Thèse, Université de St Andrews, 2007 ; A.-M. helvétius, « L’organisation des monastères féminins à l’époque mérovingienne », dans G. melville et A. müller (éd.), Female Vita Religiosa between Late Antiquity and High Middle Ages. Structures, Developments and Spatial Contexts, Berlin/Münster, 2011 (Vita regularis. Ordnungen und Deutungen religiosen Lebens im Mittelalter. Abhandlungen 47), p. 151-169 ; E. magnani, « La vie consacrée des femmes et l’ascétisme domestique : normes, liturgies, pratiques (fin IVe-début XIIe siècle) », Revue Mabillon, 29 (2018), p. 5-25 et I. réal, « Nuns and Monks at Work : Equality or Distinction between the Sexes ? A Study of Frankish Monasteries from the Sixth to the Tenth Century », dans A.I. Beach et I. cochelin (éd.), Cambridge History of Medieval Monasticism in the Latin West, Cambridge, 2020, 2 vol., t. I, p. 258-277. 485. A. diem, « …ut si professus fuerit se omnia impleturum, tunc excipiatur. Observations on the Rules for Monks and Nuns of Caesarius and Aurelianus of Arles », dans V. Zimmerl-Panagl, L.J. dorfBauer et C. weidmann (éd.), Edition und Erforschunglateinischer patristischer Texte. 150 Jahre CSEL. Festschrift für Kurt Smolak zum 70. Geburtstag, Berlin/Boston, 2014, p. 191-224. 486. Donati regula, Pseudo‑Columbani Regula monalium, éd. V. Zimmerl-Panagl, Berlin, 2015 (Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 98). 487. A. de vogüé, « La Règle de Césaire d’Arles pour les moines : un résumé de sa règle pour les moniales », Revue d’ascétique et de mystique, 47 (1971), p. 369-406 et césaire d’arles, Règle des moines, dans Œuvres monastiques, t. II, Œuvres pour les moines, éd. J. courreau et A. de vogüé, Paris, 1994 (Sources chrétiennes 398), p. 163-227. 488. F. villegas, « La “Regula monasterii Tarnantensis”. Texte, sources et datation », Revue bénédictine, 84 (1974), p. 7-65 et V. desPreZ, « La Regula Ferrioli, texte critique », Revue Mabillon, 60 (1982), p. 117-148.

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se diffusèrent au vie siècle489. Son influence fut telle, qu’il a été suggéré qu’elle aurait pu influencer la législation de Justinien sur la réclusion monastique des femmes adultères490. La Regula virginum acquit ainsi une reconnaissance si forte, que l’essor de la Règle de saint Benoît et la réforme carolingienne ne purent parvenir à mettre fin à son rayonnement, d’autant que Benoît d’Aniane avait pris soin d’en donner une copie dans son Codex regularum, puis dans sa Concordia regularum. Considérée par les autorités carolingiennes comme un complément utile pour les moniales de la Règle de saint Benoît et de l’Institutio sanctimonia‑ lum, la Regula virginum put ainsi continuer, jusqu’à l’époque féodale, à servir de référence aux fondations monastiques féminines. Au-delà de la Regula virginum, la très grande affection que Césaire a éprouvée durant toute sa vie pour son monastère de moniales a permis à l’histoire de cet établissement d’être éclairée par un dossier de sources exceptionnelles, dont l’utilisation a été grandement facilitée par des travaux philologiques majeurs. Largement dispersée pendant le Moyen Âge, l’œuvre de Césaire, dont des parties entières avaient été attribuées à d’autres auteurs, a fait l’objet au milieu du xxe siècle d’une véritable renaissance. Les travaux du moine bénédictin Germain Morin (1861-1946) ont en effet permis de la redécouvrir, à travers une édition de ses œuvres complètes, qui fait depuis lors autorité491. L’immense travail de dom Morin, qui s’est attaché à réunir non seulement l’ensemble des textes attribués à Césaire, mais aussi ceux qui, à l’exemple de sa Vie, lui avaient été consacrés, a en effet été publié en deux gros volumes, parus en 1937 et en 1942 dans son abbaye de Maredsous492. Après la mort de Germain Morin, sa publication des sermons de Césaire a fait l’objet d’une réédition séparée, qui occupe deux volumes du Corpus christianorum, parus en 1953493. Enrichie par la découverte de dix nouveaux sermons, due pour l’essentiel aux travaux de Raymond Étaix494, l’édition de Germain Morin a fait l’objet d’une traduction intégrale en anglais495. Dans le champ des éditions françaises, les Sources chrétiennes ont mis au point un programme de traduction des œuvres complètes de

489. J. hillner, « L’enfermement monastique au vie siècle », dans J. claustre, I. heullant-donat et E. lusset (éd.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie‑xviiie s.), Paris, 2011 (Publications de la Sorbonne, Hommes et société 38), p. 39-56, ici p. 44-46 . 490. J.-M. carBasse, « Sécularisation et droit pénal », Droits, 60/2 (2014), p. 13-38, ici p. 24-25. 491. G. ghysens et P.-P. verBraken, La carrière scientifique de Dom Germain Morin (1861-1946), Steenbrugge/Sint-Pietersabdij/La Haye, 1986 (Instrumenta Patristica et Mediaevalia 15). 492. césaire d’arles, Opera omnia nunc primum in unum collecta, éd. G. morin, Maredsous, 1937-1942, 2 vol. 493. césaire d’arles, Sermones, éd. G. morin, Turnhout, 1999, 2 vol. (Corpus Christianorum Series Latina 103-104). 494. R. Étaix, « Nouvelle collection de sermons rassemblée par saint Césaire », Revue bénédictine, 87 (1977), p. 7-33. 495. césaire d’arles, Sermons, éd. M.M. mueller, Washington, 1956-2004, 3 vol. (Fathers of the Church 31, 47 et 66) et césaire d’arles, Life, Testament, Letters, éd. W. klingshirn, Liverpool, 1994.

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Césaire, qui n’est pas encore achevé mais a déjà été substantiellement avancé496. Marie-José Delage y a en particulier donné une nouvelle édition critique et une traduction de sa Vie497, tandis que l’ensemble des œuvres monastiques de Césaire ont été rééditées et traduites par Adalbert de Vogüé et Joël Courreau, avec de nombreux appendices et une solide étude critique, qui offre aux chercheurs un corpus particulièrement utile pour travailler sur la production monastique de l’évêque d’Arles. Par ailleurs, 111 des 248 sermons édités de Césaire ont fait l’objet d’une traduction française dans les Sources chrétiennes, que ce soit dans le cadre de l’édition de ses œuvres monastiques498, dans les trois tomes consacrés à ses sermons aux fidèles499, ou encore dans le volume, pour le moment unique, qui a été consacré à ses sermons sur les Écritures500. Très récemment enfin, les œuvres conciliaires de Césaire ont fait l’objet d’une nouvelle traduction française, d’après le texte donné par dom Morin501. À ce consistant dossier de sources écrites, il faut rajouter les données archéologiques. De longue date, la ville d’Arles a bénéficié d’importants programmes de fouilles, qui ont été dirigés par de grands noms de l’archéologie chrétienne, à l’exemple de Fernand Benoît et de Paul-Albert Février. Plus récemment, elle a bénéficié des recherches menées par Marc Heijmans, dont la thèse parue en 2004, sous le titre Arles durant l’Antiquité tardive, a offert une synthèse majeure des données historiques et archéologiques502. Depuis la parution de ce travail, les recherches archéologiques de Marc Heijmans se sont accélérées et ont permis de nouvelles avancées, en particulier par le biais du chantier important qu’il a ouvert en 2003 sur la partie méridionale de l’enclos Saint-Césaire d’Arles, autrement dit sur le site que la communauté de moniales fondée par Césaire avait occupé jusqu’à son expulsion en 1792. Ce programme de recherches archéologiques s’est étendu sur plus de dix ans et a largement renouvelé nos connaissances sur le passé paléochrétien de la ville d’Arles. Si les fouilles n’ont pas permis de retrouver les premiers bâtiments du monastère, elles ont, en revanche, abouti à l’identification des fondations d’une église du vie siècle, dont les dimensions sont telles qu’elle ne peut qu’être identifiée qu’avec la cathédrale de Césaire. Une telle découverte a renouvelé fortement

496. D. Bertrand, « Les œuvres de Césaire d’Arles dans la collection des Sources chrétiennes », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. I, p. 209-215 et idem, « Vers les œuvres complètes de Césaire d’Arles dans la collection des Sources chrétiennes », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. I, p. 217-219. 497. Vie de Césaire d’Arles, cit. 498. césaire d’arles, Sermons aux moines, cit. 499. césaire d’arles, Sermons au peuple, cit. 500. césaire d’arles, Sermons sur l’Écriture, t. I (sermons 81‑105), éd. J. courreau, Paris, 2000 (Sources chrétiennes 447). 501. césaire d’arles, Les cahiers de Césaire d’Arles, t. I, Œuvres conciliaires avec commentaires, éd. Y. lefauconnier, Venelles, 2020. 502. M. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, Rome, 2004 (Collection de l’École française de Rome 324).

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nos connaissances et permet désormais de mieux comprendre l’histoire de ce monastère de vierges et de ses relations avec l’Église d’Arles503. Pour des raisons pédagogiques, nous avons fait le choix de présenter le dossier du monastère de moniales d’Arles à partir des textes plutôt que des données archéologiques, que nous utiliserons donc au fur et à mesure de l’avancée de l’étude, afin de compléter les apports des sources écrites. Nous commencerons dans un premier temps par envisager la Vie de Césaire, dans la mesure où ce texte fournit les principales données sur l’histoire de ce monastère de moniales. Nous aborderons ensuite la lettre Vereor que Césaire envoya aux moniales, probablement dans les toutes premières années de la formation de la communauté, afin de pouvoir y étudier les perspectives qui avaient été celles de l’évêque d’Arles, au moment où il avait établi ses vierges. Nous verrons ensuite de quelle manière le projet de Césaire put mûrir, en présentant sa Regula virginum, qui constitue la source majeure sur le fonctionnement de ce monastère. Enfin, nous terminerons en abordant le temporel des moniales, ce qui nous amènera à étudier le privilège que Césaire obtint du pape Hormisdas pour ses moniales, puis le testament par lequel l’évêque d’Arles avait fait des vierges du monastère Saint-Jean ses héritières universelles.

La Vie de Césaire Puisque, vénérable vierge Césarie, tu nous demandes, avec le chœur des moniales qui t’a été confié, que nous nous fassions un devoir de mettre par écrit, pour s’en souvenir, la vie et la conduite depuis son commencement de votre fondateur d’heureuse mémoire, saint Césaire, qui lui ont valu en récompense de jouir de cette autre vie dont la parole humaine ne peut pleinement exprimer la béatitude, bien que depuis longtemps, de son vivant même, sa vie ait été diffusée avec vénération dans le monde entier, nous croyons néanmoins qu’il serait impie de désobéir à un

503. M. heiJmans, « Couvent Saint-Césaire », dans M.-P. rothé et M. heiJmans (éd.), Carte archéologique de la Gaule, 13/5, Arles, Crau, Camargue, Paris, 2008, p. 321-334 ; idem, « Le monument chrétien hors-norme de l’enclos Saint-Césaire d’Arles », dans J. guyon et M. heiJmans, L’Antiquité tardive en Provence (ive‑vie siècle) : naissance d’une chrétienté, Arles, 2013, p. 173-179 ; idem, « Les installations liturgiques de l’église paléochrétienne de l’enclos Saint-Césaire à Arles (Bouches-du-Rhône) », dans N. reveyron, O. Puel et C. gaillard (éd.), Architecture, décor, organisation de l’espace. Les enjeux de l’archéologie médiévale, Lyon, 2013 (Documents d’archéologie en Rhône‑Alpes et en Auvergne 38), p. 77-85 ; idem, « L’enclos Saint-Césaire d’Arles : une fouille en évolution », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. I, p. 223-229 et idem, « Le groupe épiscopal d’Arles à l’époque de Césaire et la question du monastère Saint-Jean », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 47-56.

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aussi saint désir, d’autant que votre monastère, qui est surtout le sien, pourrait être le substitut de sa présence504.

Dans leur prologue à la Vita Caesarii (BHL 1508-1509), les auteurs de la Vie de Césaire expliquaient qu’ils avaient mis par écrit « la vie et la conduite » de Césaire à la demande de la « vénérable vierge Césarie », autrement dit de Césarie la Jeune, deuxième abbesse du monastère Saint-Jean d’Arles. Les vierges du monastère Saint-Jean, qui se trouvaient dans ce texte désignées par le terme de « moniales » (monachae), selon une expression à l’époque très rarement utilisée, voulaient pouvoir ainsi disposer d’un texte, dont la lecture leur permettrait d’entretenir la mémoire de leur fondateur. Pour le rédiger, l’abbesse Césarie la Jeune avait fait appel à une équipe d’auteurs reconnus et compétents505, puisqu’elle avait confié la rédaction du premier livre de la Vita Caesarii, qui devait raconter la Vie de Césaire depuis sa naissance jusqu’au concile d’Orange de 529, à trois évêques : Cyprien de Toulon, Firmin d’Uzès et un certain Viventius, dont le siège n’a pu être identifié. Ces prélats provençaux avaient été proches de Césaire, puisqu’ils avaient vraisemblablement été formés sous sa direction au sein de son clergé, comme en atteste un passage du premier livre de la Vita Caesarii, dans lequel ils évoquaient le souvenir des enseignements que Césaire leur avait donnés sur les Écritures506. L’abbesse Césarie la Jeune avait confié le second livre de la Vie de Césaire au prêtre Messien et au diacre Étienne, deux clercs de l’Église d’Arles qui semblent avoir vécu dans l’entourage immédiat de Césaire, puisque Messien avait en particulier précisé qu’il aurait été son secrétaire507. Les deux livres de la Vita Caesarii furent donc rédigés par des témoins très proches, sans doute peu de temps après le décès le 27 août 542 de Césaire508, car l’évêque Cyprien de Toulon était déjà mort en octobre 549, lorsque son successeur Palladius souscrivit les actes du cinquième concile d’Orléans509. La Vita Caesarii constitue donc une source particulièrement fiable, rédigée par des témoins bien informés, qui écrivaient à peu de distance des faits. Pour notre propos, elle a un intérêt tout particulier, puisqu’elle s’attachait à mettre en exergue les liens que Césaire avait pu entretenir avec son monastère de moniales, que les auteurs de sa Vie connaissaient aussi très bien. Cyprien de Toulon et Firmin d’Uzès avaient par

504. Quia reverenda nobis virgo Casaria, cum choro sodalium monacharum tibi commisse, petis a nobis, ut vitam et conversationem beatae memoriae sancti Caesarii institutoris vestri ab exordio repetentes comprehendere litteris debeamus, per quam illius vitae praemio fruitur, cuius beatitudo sermone mortalium non potest explicari, quamvis enim olim per totum mundum ipso etiam hic vigente fuerit venerabiliter divulgata, nefas tamen esse credimus si tam sancto desiderio minime pareamus, praesertim cum hoc monasterio vestro ac magis ipsius ad vicem possit eius esse praesentiae : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 1, p. 146-147 [traduction remaniée]. 505. W.E. klingshirn, « Caesarius’s Monastery for Women in Arles and the Composition and Function of the “Vita Caesarii” », Revue bénédictine, 100 (1990), p. 441-481. 506. Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 52, p. 220-221. 507. Ibid., I, 8, p. 252-253. 508. Ibid., p. 21. 509. Concilia Galliae, a. 511‑a. 695, cit., p. 159.

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exemple fait partie des huit évêques, qui avaient approuvé la Regula virginum en la souscrivant, lors de sa promulgation le 22 juin 534510. La Vita Caesarii évoquait pour la première fois le monastère Saint-Jean dans le chapitre 28 de son premier livre, lorsqu’elle racontait que « par inspiration de la divinité, l’homme de Dieu conçut alors dans son esprit, sous le règne éternel du Seigneur, le projet d’orner l’Église d’Arles et de protéger la cité non seulement par d’innombrables cohortes de clercs, mais aussi par des chœurs de vierges511 ». Ce passage, qui faisait de la naissance de la communauté des moniales arlésiennes le fruit d’une « inspiration de la divinité », offre une intéressante définition de la fonction des monastères urbains, en expliquant qu’ils étaient non seulement destinés à orner la cité et à flatter ainsi la fierté civique de ses habitants, mais aussi à leur offrir une protection contre les aléas, en attirant par leurs prières la protection divine. Comme ce fut le cas à Arles, cette fonction amenait d’ailleurs ces établissements à être souvent placés à proximité des enceintes, afin qu’ils puissent les fortifier par la puissance de leurs prières. Une telle situation pouvait d’ailleurs se révéler périlleuse, comme en témoigne la Vita Caesarii lorsqu’elle expliquait que le monastère de Césaire aurait été victime des ravages faits par les troupes burgondes et franques, lors du siège de la ville d’Arles, que l’historiographie situe entre l’automne 507 et le printemps 508512 : En effet, pendant que les Francs et les Burgondes assiégeaient la cité, après la mort du roi Alaric, tué au combat par le très victorieux roi Clovis, le roi d’Italie, Théodoric, ayant envoyé des généraux, avait pénétré dans cette province. Or, pendant ce siège, le monastère, qu’il commençait à construire pour sa sœur et d’autres religieuses, est en grande partie démoli, les barbares ayant sauvagement saccagé et détruit les charpentes (tabulis) et l’étage (cenaculis)513.

Selon ce passage de la Vita Cesarii, Césaire aurait donc fait construire, « pour sa sœur et d’autres religieuses », un monastère, qui aurait été partiellement détruit en 507/508 par les Burgondes. Sans rentrer dans les détails, il est vraisemblable que la partie supérieure ait été détruite par le feu, si l’on en juge par le texte qui précise que les Burgondes et les Francs auraient détruit l’étage (cenaculis) et les charpentes (tabulis). Étant donné que le récit de la Vie de Césaire n’indiquait pas que les Burgondes auraient pénétré dans Arles, l’érudition a traditionnellement estimé que les dommages causés à ce premier monastère démontreraient qu’il 510. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 73, p. 272-273. 511. Concepit igitur mente homo Dei, ut semper regnante Domino, divinatis instinctu, non solum clericorum catervis innumeris, sed etiam virginum choris Arelatensium ornaretur ecclesia et muniretur civitas : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 28, p. 184-185. 512. klingshirn, Caesarius of Arles. The Making of a Christian Community in Late Antique Gaul, cit., p. 104-110 et favrod, Histoire politique du royaume burgonde (443‑534), cit., p. 400-401. 513. Etenim obsidentibus Francis ac Burgundionibus civitatem, iam enim Alarico rege, a victoriosissimo rege Chlodoveco in certamine perempto, Theudericus Italiae rex provinciam istam ducibus missis intraverat. In hac ergo obsidione monasterium, quod sorori seu reliquis virginibus inchoabat fabricari, multa ex parte destruitur, tabulis ac cenaculis barbarorum ferocitate direptis pariter et eversis : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 28, p. 184-185 [traduction légèrement retouchée].

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aurait été construit extra muros514. Dans cette perspective, Fernand Benoît avait proposé de l’identifier avec l’église romane de Saint-Césaire-le-Vieux, située au sud des Alyscamps515, sans toutefois que cette localisation puisse s’appuyer sur d’autres arguments que le fait que cette église avait à l’époque féodale relevé de l’abbaye Saint-Césaire, qui avait pris la suite du monastère Saint-Jean516. D’une manière générale, l’idée que Césaire aurait voulu fonder son monastère à l’extérieur de l’enceinte urbaine peut toutefois sembler bien étrange, dans la mesure où il n’existe aucun exemple d’un monastère de moniales établi dans les faubourgs d’une ville. Une telle localisation ne peut qu’interroger, puisqu’il serait bien difficile de comprendre pour quel motif Césaire aurait pu souhaiter que les vierges aillent vivre en dehors de l’enceinte urbaine, ce qui revenait à les exposer inutilement, dans un contexte qui était alors pour le moins peu sûr. Par ailleurs, l’idée que les dommages subis par le monastère impliqueraient qu’il ait été construit extra muros peut sembler bien rapide. Même en admettant que les Burgondes n’auraient jamais réussi à franchir l’enceinte d’Arles, ce qui n’est par ailleurs en rien assuré, le monastère aurait très bien pu être endommagé lors d’un assaut repoussé par la garnison, ou encore à l’occasion d’un incendie provoqué par l’artillerie des barbares, ce qui est d’ailleurs cohérent avec la description de dégâts centrés sur les toitures et l’étage. Dans ces conditions, il peut paraître raisonnable de considérer que ce passage de la Vita Caesarii ne peut pas permettre d’attester que Césaire aurait fondé extra muros un premier monastère de moniales. Comme l’avait d’ailleurs déjà suggéré Paul-Albert Février517, rien ne peut en réalité autoriser à considérer que Césaire aurait fait bâtir un premier monastère sur un site différent de celui qu’il occupait au moment de la rédaction de la Regula virginum. De fait, lorsque la Vita Caesarii raconte, dans son chapitre 35, comment Césaire avait fait reconstruire le monastère des moniales au lendemain du siège d’Arles, aucun élément ne permet de supposer qu’il aurait alors décidé de changer le site de l’établissement, ce qui donne à penser que Césaire s’est plus probablement limité à reconstruire ce qui avait été partiellement démoli par les Burgondes. Il faut d’ailleurs souligner qu’après avoir évoqué dans ce passage la reconstruction des bâtiments détruits lors du siège d’Arles, la Vita Caesarii avait poursuivi en évoquant les raisons qui avaient amené Césaire à fonder originellement cette communauté monastique. À l’évidence, les auteurs de la Vita Caesarii ne concevaient pas que Césaire aurait fait édifier deux monastères successifs et distincts, mais estimaient qu’il s’agissait bien d’un établissement unique. Césaire y avait installé sa sœur Césarie, première abbesse du monastère Saint-Jean, et quelques 514. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 263-265. 515. F. Benoît, « Le premier baptistère d’Arles et l’abbaye Saint-Césaire. Nouvelles recherches sur la topographie paléochrétienne d’Arles du ive au vie siècle », Cahiers archéologiques. Fin de l’Antiquité et Moyen Âge, 5 (1951), p. 31-59, ici p. 39. 516. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 300-301. 517. P.-A. février, « Aux origines de quelques villes médiévales du sud de la Gaule », Rivista di studi liguri, 49 (1983), p. 316-335 [rééd. : La Méditerranée de Paul‑Albert Février, Rome, 1996 (Collection de l’École française de Rome 225), 2 vol., t. II, p. 1173-1192], ici p. 319.

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moniales, avant de devoir le faire en partie reconstruire, après que le monastère avait été endommagé au cours du siège de 507-508 : Au milieu de ces événements, il s’occupe en priorité du monastère qu’il avait commencé à préparer pour sa sœur, à l’exemple de l’ancien modèle mais avec l’isolement exemplaire de la clôture . Étant donné que rien de ce qui convient au chrétien ne contredit le plan divin, il fait construire en raison des tempêtes et des orages, comme un nouveau Noé de notre temps, l’arche d’un monastère à côté de l’église pour des compagnes et des sœurs (Gn 6, 13). Il appelle sa vénérable sœur germaine Césarie du monastère de Marseille, où il l’avait envoyée pour qu’elle y apprenne ce qu’elle aurait à enseigner et qu’elle fût disciple avant d’être maîtresse, et il l’installe provisoirement avec deux ou trois compagnes dans le logis qu’il leur avait préparé. Là se rassemble par troupes un grand nombre de vierges : renonçant à leurs richesses et à leurs parents, elles rejettent les fleurs à la fois fallacieuses et périssables des mortels. Elles recherchent le giron de leur père Césaire, de leur mère Césarie, afin d’attendre avec lui à la porte du royaume céleste avec leurs lampes allumées et de mériter, une fois entrées dûment, de demeurer attachées à l’étreinte éternelle du Christ (Mt 25, 1-13). Elles sont si recluses, que jusqu’au jour de leur mort, il n’est permis à aucune d’entre elles de franchir la porte du monastère518.

Selon ce texte, la fondation du monastère Saint-Jean aurait d’abord et avant tout relevé d’une entreprise familiale, puisque Césaire, qui avait été élu évêque à l’initiative d’Éone519, son prédécesseur et parent, s’était attaché à en confier la direction à sa propre sœur, Césarie. Comme nous l’avons déjà vu, Césaire se serait soucié de préparer sa sœur à ces fonctions, en l’envoyant tout d’abord séjourner dans le monastère Saint-Cassien, un établissement dont le site n’a pu être encore identifié, mais qui semble bien avoir été édifié à l’intérieur des remparts de la ville de Marseille. En envoyant Césarie se former ainsi dans un monastère qui se réclamait de Cassien, Césaire entendait situer sa fondation dans l’héritage du monachisme provençal. Pour autant, si les auteurs de la Vita Caesarii affirmaient que Césaire aurait conçu son établissement « à l’exemple de l’ancien modèle » (instar prioris normae), autrement dit selon les normes qui avaient jusqu’à présent encadré le monachisme féminin, il aurait toutefois tenu à apporter une touche nouvelle en y rajoutant « l’isolement exemplaire de la clôture » (singularitate 518. Inter ista igitur monasterium praecipue, quod sorori praeparare coeperat, et instar prioris normae et singularitate claustri […]. Ipse vero, siquidem nihil obviat mysterio quod congruit christiano, quasi recentior temporis nostri Noe, propter turbines et procellas sodalibus vel sororibus in latere ecclesiae monasterii fabricat archam. Evocat e Massiliensi monasterio venerabilem germanam suam Caesariam, quam inibi ideo direxerat, ut disceret quod doceret, et prius esset discipula quam magistra, et in praeparatis habitaculis cum duabus aut tribus interim sodalibus intromittit. Conveniunt inibi virginum multitudines catervatim : facultatibus quoque et parentibus renuntiantes, respuunt mortalium flores fallaces pariter et caducas. Caesarii patris, Caesariae matris, expetunt gremium, quatinus cum eodem accensis lampadibus caelestis regni ianuam praestolentur, et competenter ingressae Christi perpetuis mereantur amplexibus inhaerere ; ita retrusae, ut usque diem transitus earum nulla liceat foris ianua egredi de monasterio : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 35, p. 194-197 [traduction remaniée]. 519. Ibid., I, 13, p. 164-165.

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claustri). Comme le soulignaient les auteurs de la Vie de Césaire, le monastère Saint-Jean d’Arles offrait ainsi un nouveau modèle d’enfermement des moniales, qui aurait été si poussé que « jusqu’au jour de leur mort, il n’est permis à aucune d’entre elles de franchir la porte du monastère ». L’enfermement des moniales n’était certes pas une nouveauté dans la culture monastique. En considérant que les femmes étaient inaptes à l’érémitisme, en raison des risques inhérents à leur vie isolée dans le désert, les pères orientaux avaient déjà largement convenu que la vie religieuse féminine ne pouvait s’organiser que dans un cadre conventuel le plus refermé possible520. Le monachisme pachômien avait en particulier développé des formes claustrales de vie religieuse féminine et l’érudition a pu, non sans quelques bonnes raisons, estimer que Césaire aurait pu, directement ou indirectement, subir l’influence de Pachôme, qui avait aussi confié à sa sœur la direction d’un monastère, où les sorties des moniales étaient soumises à toutes sortes de restrictions. Pour autant, l’influence des pères orientaux ne saurait tout expliquer, d’autant que les normes pachômiennes étaient en la matière bien moins rigoureuses que celles de Césaire, dans la mesure où elles pouvaient parfois autoriser les religieuses à sortir de leur monastère, dans des cas certes exceptionnels comme les funérailles de leurs consœurs521. Quel que soit le rôle que les expériences des Pères orientaux auraient ainsi pu tenir dans la maturation du « nouveau modèle » que Césaire avait mis en place, la claustration radicale à laquelle l’évêque d’Arles avait soumis ses moniales, en leur interdisant toute sortie de quelque nature qu’elle fût, ne semble donc pouvoir être pensée comme le fruit d’une importation d’un modèle oriental. La tradition monastique occidentale n’offre guère non plus d’exemples d’un modèle aussi radical de claustration, dont Césaire aurait pu s’inspirer. Lorsque, dans la seconde moitié du ive siècle, apparurent en Occident les premières formes de vita religiosa communautaires de femmes, celles-ci ne semblent en effet pas s’être développées autour d’un processus d’enfermement, interdisant aux moniales toute forme de sortie ou de familiarité avec un homme, même s’il faut toutefois souligner que nous savons en réalité très peu de choses de leur fonctionnement522. Il est toutefois notable que le monastère de femmes qu’Augustin 520. E. wiPsZycka, « L’ascétisme féminin dans l’Égypte de l’Antiquité tardive : topoi littéraires et formes d’ascèses », dans H. melaerts et L. mooren (éd.), Le rôle et le statut de la femme en Égypte hellénistique, romaine et byzantine. Actes du colloque international, Bruxelles‑Leuven, 27‑29 novembre 1997, Paris/Leuven/Sterling, 2002 (Studia hellenistica 37), p. 355-396 et C. raPP, « Early Monasticism in Egypt. Between Hermits and Cenobites », dans g. melville et a. müller (éd.), Female Vita Religiosa between Late Antiquity and the High Middle Ages. Structures, Developments and Spatial Contexts, Berlin/Münster, 2011 (Vita regularis. Ordnungen und Deutungen religiosen Lebens im Mittelalter. Abhandlungen 47), p. 21-42. 521. wiPsZycka, « L’ascétisme féminin dans l’Égypte de l’Antiquité tardive : topoi littéraires et formes d’ascèses », cit., p. 365-361. 522. A. de vogüé, « Sanctimoniales (300-700 après J.-C.) », Claretianum 29 (1989), p. 199-237 [rééd. A. de vogüé, Regards sur le monachisme des premiers siècles, Rome, 2000, p. 41-81] ; G. Jenal, « Frühe Formen der Weiblichen Vita Religiosa im Lateinischen Westen (4. und Anfang 5. Jahrhundert) », cit. et A.-M. helvétius, « Le monachisme féminin en Occident de l’Antiquité tardive

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installa dans sa cité d’Hippone, pour lequel il avait écrit sa Regularis informatio, qui constituait en fait une version féminine de son Praeceptum523, ne prévoyait pas l’enfermement des sœurs. Ce premier texte normatif n’établissait en fait aucune mesure de claustration particulière et se limitait à préciser que les sœurs devaient, lors de leurs sorties, se garder de jeter tout regard ambigu sur les hommes qu’elles pouvaient être amenées à croiser524. Les sources latines ne présentent en réalité qu’un seul exemple de claustration antérieur au monastère Saint-Jean d’Arles, celui du monastère jurassien de la Balme. Cet établissement offre d’évidentes analogies avec celui de Césaire, en particulier parce que son fondateur, Romain, en avait aussi confié l’administration à sa sœur. Surtout, la Vita patrum Jurensium, qui constitue notre source unique sur ce monastère, affirme non seulement que les moniales de la Balme étaient soumises à une clôture très stricte, mais l’exprime en des termes remarquablement semblables à la Vita Caesarii, puisqu’elle affirme que « toute vierge entrée là pour le renoncement n’était plus jamais vue au-dehors, sinon lorsqu’on la portait dans sa tombe525 ». Faut-il dès lors en conclure que le monastère de la Balme aurait été la source du mode de vie des moniales du monastère de Césaire, comme Adalbert de Vogüé a par exemple pu le considérer526 ? Une telle perspective mérite sans doute d’être prise avec prudence, dans la mesure où la Vita patrum Jurensium est une source postérieure à la fondation du monastère de moniales d’Arles. Étant donné qu’il est probable, comme nous l’avons déjà vu, que le monastère de la Balme n’existait plus au moment où la Vie des pères du Jura fut rédigée, il n’est donc pas impossible de penser que son auteur, qui n’avait très probablement jamais connu cet établissement dont l’existence même peut par ailleurs sembler douteuse, aurait pu en donner une description qui se serait inspirée du modèle visiblement innovant que Césaire venait alors de mettre en place. Quoi qu’il en soit, il est en tout cas légitime, comme l’ont souligné les historiens de la clôture monastique, de considérer que la fondation du monastère Saint-Jean d’Arles a constitué une étape majeure, ou du moins une phase de cristallisation fondamentale, dans la genèse du processus d’enfermement qui caractérisa la tradition monastique occidentale, en particulier, mais par ailleurs pas seulement, dans son approche de la vie religieuse des femmes527.

523. 524. 525. 526. 527.

au haut Moyen Âge », dans Monachesimi d’Oriente e d’Occidente nell’alto medioevo. Settimane di studio della fondazione Centro italiano di studi sull’alto medioevo, LXIV, Spoleto, 31 marzo ‑ 6 aprile 2016, Spolète, 2017 (Atti delle settimane di studio del centro italiano di studi sull’alto medioevo 54), 2 vol., t. I, p. 193-233. G. Jenal, « Frühe Formen der Weiblichen Vita Religiosa im Lateinischen Westen (4. und Anfang 5. Jahrhundert) », cit., p. 60-64. deflou-leca, « Césaire et le monachisme féminin », cit., p. 58. […] quaecumque virginum illic causa abrenuntiationis intrasset, foris non videretur ulterius, nisi extrema transitus causa deportaretur ad cymiterium : Vie des pères du Jura, cit., 26, p. 266-269. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., p. 79-81. R. Huyghe, La clôture des moniales des origines à la fin du xiie siècle, Étude historique et juridique, Roubaix, 1944, p. 14-16 ; N. gradowicZ-Pancer, « Enfermement monastique et privation d’autonomie dans les règles monastiques (ve-vie siècle) », Revue historique, 583/3 (1992), p. 3-18, en particulier p. 7 ;

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Ce même chapitre 35 du premier livre de la Vie de Césaire donne une indication topographique importante, lorsqu’il expliquait que le monastère avait été fondé « à côté de l’église ». L’évocation sans autre précision de l’ecclesia ne pouvant guère renvoyer qu’à l’église cathédrale, ce passage a pu donner à penser que le monastère de Césaire aurait été fondé près de l’ancienne basilique épiscopale, dont nous savons par la Vita Hilarii qu’elle avait été dédiée au martyr Étienne528. Dans un article paru en 1947, Jean Hubert avait relié ce texte à l’évocation par la Regula virginum d’un baptistère au sein même de l’enceinte claustrale du monastère Saint-Jean529. Il en avait déduit que cette situation montrait que Césaire avait installé les vierges dans l’ancien groupe épiscopal, sur le site d’un ancien baptistère paléochrétien désormais inutilisé, à proximité de l’ancienne église cathédrale désaffectée530. Jean Hubert avait ainsi pu démontrer que la première église épiscopale d’Arles n’avait pas été édifiée sur le site de l’actuelle église cathédrale Saint-Trophime, bâtie plus bas, face à l’ancien forum de la cité. Le monastère Saint-Jean et la première basilique épiscopale d’Arles auraient ainsi été bâtis sur le site, aujourd’hui qualifié d’« enclos Saint-Césaire ». Celui-ci correspond en fait à l’ancienne clôture de l’abbaye Saint-Césaire, qui avait pris la suite du monastère Saint-Jean. Du vie siècle jusqu’à la dissolution des communautés régulières à la Révolution, cette abbaye de moniales avait en effet dominé le paysage urbain de la ville d’Arles531. Situé à l’intérieur de l’enceinte de la ville, dans l’angle sud-est de l’ancien castrum d’Arles, « l’enclos Saint-Césaire » occupait le sommet du rocher de l’Hauture, qui offrait à la ville d’Arles une acropole naturelle culminant à 25 m. d’altitude (fig. 25). Dès 1951, Fernand Benoît avait repris et développé l’hypothèse de Jean Hubert, en considérant comme lui que Césaire aurait installé ses vierges dans

528. 529. 530. 531.

A. diem, Das monastische Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, Münster, 2005 (Vita Regularis, Abhandlungen 24), p. 173-193 ; J. Prou et D. hayes, Walled about with God. The History and Spirituality of Enclosure for Cloistured Nuns, Leominster, 2005, p. 43-46 ; helvétius, « L’organisation des monastères féminins à l’époque mérovingienne », cit., p. 157-159 ; hillner, « L’enfermement monastique au vie siècle », cit., p. 44-46 et 54 ; S. Joye, « Les monastères féminins du haut Moyen Âge : rempart ou prison ? », dans J. claustre, I. heullant-donat et E. lusset (éd.), Enfermements. Le cloître et la prison (vie‑xviiie s.), Paris, 2011 (Publications de la Sorbonne, Hommes et société 38), p. 233-248, en particulier p. 238 et E.T. dailey, « Confinement and Exclusion in the Monasteries of Sixth-Century Gaul », Early Medieval Europe, 22/3 (2014), p. 304-335, en particulier p. 305-313. […] basilicae beati ac primi martyris Stephani : honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 28, p. 156-157. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 73, p. 272-273. J. huBert, « Recherches sur la topographie religieuse d’Arles au vie siècle », Cahiers archéologiques, 2 (1947), p. 17-27, ici p. 23. L. stouff, « L’abbaye de Saint-Césaire au Moyen Âge », dans L. stouff, L’Église et la vie religieuse à Arles et en Provence, Aix-en-Provence, 2001, p. 69-78 ; magnani soarès-christen, Monastères et aristocratie en Provence, milieu xe‑début xiie siècle, cit., p. 396-398 et J.-M. rouquette, « Le monastère Saint-Césaire au Moyen Âge », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 71-77.

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N

0

200 m Cirque Forum Théâtre

Cirque

Enclos Saint-Césaire

Site des Alyscamps

Figure 25 : L’enclos Saint-Césaire dans la ville d’Arles534.

l’Enclos Saint-Césaire. Il estimait que cet espace était alors vacant, puisqu’il pensait que la cathédrale primitive aurait été déplacée au ve siècle en contrebas, sur le site occupé par l’actuelle église Saint-Trophime532. Dans leurs thèses, Paul-Albert Février, puis Marc Heijmans s’étaient aussi inscrits dans cette interprétation533, qui impliquait que les moniales se seraient installées sur le site du groupe épiscopal paléochrétien, en raison du transfert préalable de la cathédrale. Cette perspective a toutefois été récemment reconsidérée, lors des fouilles de l’enclos Saint-Césaire, menées entre 2004 et 2014 par Marc Heijmans, dans le contexte de la transformation de l’ancienne abbaye Saint-Césaire en un médiapôle municipal534. Ce programme de recherche a en effet profondément modifié la perception de la topographie religieuse de la ville d’Arles à l’époque tardo-antique, en démontrant qu’au temps de l’installation des moniales, le site de l’actuel enclos Saint-Césaire était en fait toujours occupé par le groupe épiscopal.535

532. Benoît, « Le premier baptistère d’Arles et l’abbaye Saint-Césaire. Nouvelles recherches sur la topographie paléochrétienne d’Arles du ive au vie siècle », cit. 533. P.-A. février, Le développement urbain en Provence, de l’époque romaine à la fin du xive siècle (Archéologie et Histoire urbaine), Paris, 1964 (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome 202), p. 52-53 et heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 256-294. 534. M. heiJmans, « L’enclos Saint-Césaire à Arles, un chantier controversé », Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, Hors-série 3 (2010) : http ://journals.openedition.org/cem/11405 ; DOI : 10.4000/cem.11405. 535. D’après heiJmans, « L’enclos Saint-Césaire d’Arles : une fouille en évolution », cit., p. 223.

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Les fouilles menées dans l’enclos Saint-Césaire ont en effet permis d’identifier un bâtiment ecclésial d’une ampleur exceptionnelle536. Le premier état de ce bâtiment, que Marc Heijmans estime pouvoir situer dans la seconde moitié du ive siècle, était celui d’un édifice à trois nefs, de plan basilical. Mesurant environ 60 mètres sur 35, il devait occuper une surface au sol de plus de 2 000 m2. Il semble ne faire guère de doute que cette basilique correspondait bien à la basi‑ lica martyris Stephani, telle qu’elle était évoquée par la Vita Hilarii, lorsqu’elle signalait que le corps de l’évêque Hilaire y avait été veillé, avant d’être inhumé aux Alyscamps dans la basilique funéraire dédiée à saint Genès537. Comme ce bâtiment était orienté sur un axe nord-sud, Marc Heijmans avait estimé que cette basilique avait peut-être été originellement destinée à un usage profane, avant d’être réutilisée dans un second temps comme église cathédrale. Ce bâtiment, qui constitue la plus vaste église paléochrétienne jamais retrouvée en Gaule, a ensuite fait l’objet d’importants travaux d’extension et d’embellissement, que le mobilier retrouvé peut permettre de dater du début du vie siècle, autrement dit de l’épiscopat de Césaire. Cette nouvelle phase de construction a suscité des travaux d’ampleur, puisqu’elle a abouti à une réorientation de l’église, qui s’est concrétisée par l’édification d’une vaste abside orientée. De forme polygonale, avec une ouverture de 22,8 m., cette abside orientale disposait de deux portes permettant de donner accès à des bâtiments annexes, édifiés sur les côtés. Elle était redoublée à l’intérieur de l’église par une deuxième abside, d’une ouverture de seulement 9,6 m., ce qui avait permis la création d’un déambulatoire entre les deux absides emboîtées. Bien que la fouille du bâtiment ecclésiastique soit restée partielle, Marc Heijmans a pu proposer une reconstitution assez précise de l’abside orientée, qu’il a pu étudier en détail. Les éléments mis au jour lui ont permis de considérer que l’abside intérieure avait été doublée par un synthronon, avec en son centre une lacune, sans doute destinée à recevoir la cathedra. Ce banc presbytéral se serait ouvert sur un large presbyterium, délimité par un chancel, qui disposait d’une avancée dans le naos par l’intermédiaire d’une solea terminée par un ambon. Bien évidemment, cette somptueuse église cathédrale, qui témoigne de la puissance que l’église d’Arles avait acquise au temps de Césaire, s’insérait au sein d’un groupe épiscopal conséquent. Les fouilles de Marc Heijmans ont permis de reprendre l’étude du petit bâtiment identifié par Fernand Benoît en 1947, au sud de la grande basilique épiscopale, à côté de l’actuelle tour des Mourgues. Elles ont pu y mettre en évidence la présence d’une petite église d’environ 190 m2, avec une nef unique prolongée par une abside polygonale, qui avait été construite entre la basilique épiscopale et l’enceinte, sans doute à la fin du ive siècle. Les fouilles ont aussi permis de restituer un petit bâtiment rectangulaire, peut-être une 536. Parmi les articles de Marc Heijmans déjà cités, v. en particulier heiJmans, « « Les installations liturgiques de l’église paléochrétienne de l’enclos Saint-Césaire à Arles (Bouches-du-Rhône) », cit. et idem, « Le groupe épiscopal d’Arles à l’époque de Césaire et la question du monastère de Saint-Jean », cit. 537. honorat de marseille, La Vie d’Hilaire d’Arles, cit., 28-29, p. 156-159.

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sacristie, qui s’étendait plus à l’est, entre la basilique et la petite église. Par ailleurs, les sources textuelles Monastère ??? permettent d’identifier d’autres bâtiments, qui n’ont pu être archéologiquement identifiés, puisque seule une petite partie de l’enclos SaintCésaire a pu être fouillée. Le site disposait en particulier d’une domus épiscopale à étage, que l’évêque partageait avec ses clercs qu’il avait soumis à la vie commune538, ainsi que d’un atrium, bâti à l’entrée de la basilique épiscopale539. C’est donc au sein d’un ensemble épiscopal de grande ampleur que fut construit le monastère des moniales, que les données Figure 26 : Le groupe épiscopal d’Arles au documentaires peuvent nous autoriser temps de Césaire. à situer le long du bas-côté nord de l’église cathédrale, même si l’absence de fouilles dans cette zone ne permet aucune certitude (fig. 26).540 Les chapitres 57 et 58 du premier livre de la Vita Caesarii fournissent un autre passage important pour l’étude du monastère de moniales d’Arles, dans la mesure où il évoque les dispositions que Césaire aurait prises pour l’inhumation de ses moniales : Et parce que jamais il ne voulut demeurer oisif quant à l’ouvrage de Dieu, il établit les plans d’une triple basilique en un seul complexe et la fit construire. Il fit édifier la partie centrale en l’honneur de la sainte Vierge Marie avec une splendeur particulière, et il y annexa une partie latérale en l’honneur de monseigneur Jean et une autre en l’honneur de saint Martin. Et pour enlever aux vierges sacrées qu’il avait réunies le souci de leur inévitable sépulture, il fit creuser à cet usage, à partir d’énormes pierres, des coffres d’un seul bloc, convenant parfaitement à l’inhumation des corps. Il les fit poser en rangs serrés sur tout le sol de la basilique, afin que n’importe quel membre de cette communauté ayant quitté la lumière d’ici-bas trouve un lieu de sépulture tout prêt et très saint. À peu de temps de là, la mère du monastère, sa sœur germaine, sainte Césarie, s’en alla vers les récompenses du Christ. Il l’ensevelit là, parmi les sœurs qu’il avait déjà laissé partir, dans une tombe touchant celle qu’il avait préparée pour lui, au

538. Vie de Césaire d’Arles, cit., II, 6, p. 248-249. 539. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 263. 540. Croquis hypothétique effectué d’après les dessins de Marc Heijmans et la proposition de reconstitution d’Adalbert de Vogüé dans césaire d’arles, Règle des vierges, cit., p. 104.

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milieu, devant le trône. Notre mère Césarie, qui préside maintenant, lui succède, elle dont l’œuvre, ainsi que celle de ses compagnes, se développe si admirablement que les vierges du Christ, au milieu des psaumes et des jeûnes, des veilles et des lectures, ne cessent de transcrire à la perfection les livres saints, ayant pour maîtresse leur propre mère541.

Ce passage témoigne une nouvelle fois du caractère manifestement familial du monastère de moniales d’Arles, qui peut de ce point de vue être considéré comme un véritable « monastère privé »542. Son caractère familial apparaît en particulier dans les modalités de la succession de l’abbesse Césarie, « sœur germaine » de Césaire, en faveur d’une autre Césarie. L’historiographie a traditionnellement considéré que cette Césarie, qui par humilité s’était qualifiée de « Césarie la Petite » (Caesaria exigua), dans une lettre qu’elle avait adressée à Richilde et Radegonde543, aurait été la nièce de l’abbesse Césarie. Dans cette hypothèse, le monastère Saint-Jean aurait constitué un établissement placé sous l’étroit contrôle de la famille de Césaire, qui s’en serait transmis l’abbatiat. Le monastère Saint-Jean mériterait ainsi d’être rapproché du monastère viennois de Fuscine, dont nous avons vu qu’il semble avoir été aux mains de la famille d’Hésychius et Avit de Vienne, qui avait réussi à contrôler le siège épiscopal de sa cité, comme l’avait aussi fait à Arles la famille des évêques Éone et Césaire. Dans cette perspective, il convient de souligner que ces monastères de moniales semblent avoir constitué un outil privilégié dans les stratégies de contrôle familial des Églises locales, qui donnèrent naissance dès l’Antiquité tardive à de nouveaux pouvoirs locaux, que Martin Heinzelmann a pu qualifier de « seigneuries épiscopales » (Bischofsherrschaften)544. Luce Pietri a toutefois récemment remis en cause cette considération, en constatant à juste titre que la documentation n’attestait formellement d’aucun lien

541. Et quia numquam otiosus ab opere Dei esse voluit, disposuit fabricavitque triplicem in una conclusione basilicam, cuius membrum medium in honore sanctae Mariae virginis cultu eminientore construxit, et uno latere domni Iohannis, ex alio sancti Martini subiecit. Et ut auferret sacris quas congregaverat virginibus curam necessariae sepulturae, monobiles arcas corporibus humandis aptissimas de saxis ingentibus noviter fecit excidi, quas per omne pavimentum basilicae constipatis sterni fecit ordinibus : ut quaecumque congregationis illius de hac luce migrasset, locum sepulturae paratissimum et sanctissimum reperiret. Non multo igitur post monasterii matrem germanam suam Caesariam sanctam ad praemia Christi migrantem, inter quas praemiserat inibi ad medium troni iuxta eam quam sibi paraverat condidit sepulturam, succedente eidem quae nunc superest Caesaria matre, cuius opus cum sodalibus tam praecipuum viget, ut inter psalmos atque ieiunia,vigilias quoque et lectiones, libros divinos pulchre scriptitent virgines Christi, ipsam matrem magistram habentes : Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 57-58, p. 228-231. 542. DIEM, Das monastische Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, p. 162-167, qui qualifie cet établissement de « bischöflich-privaten Nonnenkloster » (p. 162). 543. Trois écrits de l’abbesse Césarie, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A. de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 470-499, ici p. 476-477. 544. HeinZelmann, Bischofsherrschaft in Gallien, cit.

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de parenté entre les deux Césarie545. Elle a aussi souligné que leur homonymie ne renvoyait pas nécessairement à un apparentement, dans la mesure où elle pourrait ressortir d’un simple lien spirituel, ce qui l’avait amené à considérer que Césarie la Jeune aurait pu être une simple protégée de la sœur de Césaire, qui lui aurait donné son nom avant de lui transmettre sa succession546. Cette explication n’est pas totalement convaincante, en particulier parce que Césaire avait précisément, dans sa Regula virginum, interdit aux vierges du monastère Saint-Jean d’avoir des filleules547. Surtout, il importe assez peu que la parenté entre les deux Césarie ait été charnelle ou spirituelle, l’essentiel étant de constater que le lien entre les deux abbesses s’est trouvé recoupé par une homonymie, qui avait vocation à établir entre elles une relation de type familiale, même s’il est bien évidemment possible qu’elle pourrait avoir été artificielle. Il est par ailleurs probable que Teredius, neveu de Césaire, ait été l’auteur de l’Epistola hortatoria ad virginem Deo dicatam548. Cette lettre, qui constitue un directoire d’abbesse, semble avoir en effet été rédigée pour Césarie la Jeune à l’occasion de son entrée en charge, par un auteur qui était l’un de ses proches parents. Si ces éléments avaient amené l’érudition à l’attribuer à Césaire d’Arles, Germain Morin avait toutefois montré qu’une telle identification ne semblait pas possible, tant en raison du fond que du style de la lettre. Il avait donc proposé de l’attribuer à Teredius, ce qui impliquait que Césaire l’aurait chargé de veiller à la gestion du monastère des moniales549. Dans cette perspective, il avait alors pu estimer que Teredius aurait exercé la charge de proviseur du monastère SaintJean, qui est évoquée par le testament de Césaire550. Cette hypothèse a été assez largement acceptée par l’historiographie, en particulier par Adalbert de Vogüé, qui a rajouté de nouveaux arguments en sa faveur551, tout en soulignant que cette interprétation avait aussi le mérite d’expliquer le rôle privilégié que Teredius semble avoir tenu dans la diffusion de la Regula virginum. L’attribution de l’Epistola hortatoria ad virginem Deo dicatam à Teredius a eu des conséquences majeures pour l’histoire du monastère de moniales d’Arles. Elle a tout d’abord permis de considérer que l’abbesse Césarie la Jeune était bien 545. Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑ 614), cit., t. I, p. 381-383. 546. L. Pietri, « Césarie, Césarie la Petite, Liliola et Rusticula : les premières abbesses du monastère Saint-Jean d’Arles », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 65-70, en particulier p. 66-67. 547. Nulla cuiuslibet filiam in baptismo, neque divitis neque pauperis, praesumat excipere : césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 11, p. 188-189. 548. Lettre de Teridius à Césarie, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A. de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 398-439. 549. G. morin, « Le prêtre arlésien Teridius, propagateur des règles de S. Césaire d’Arles », Recherches de sciences religieuses, 28 (1938), p. 257-263. 550. césaire d’arles, Testament, cit., 19-20, p. 386-387. 551. Lettre de Teridius à Césarie, cit., p. 402-405.

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une proche parente de Teredius, ce qui attestait par la même occasion qu’elle aurait été effectivement apparentée à Césaire et à sa sœur Césarie. Elle confirmait ensuite que le monastère de moniales d’Arles fonctionnait manifestement comme la possession d’un clan familial, dont les femmes se seraient transmises l’abbatiat et les hommes le directoire. Cette hypothèse de Germain Morin doit toutefois être prise avec prudence, puisqu’elle a été récemment remise en cause par Luce Pietri552. Reconsidérant les données prosopographiques sur la parenté de Césaire, Luce Pietri a tout d’abord avancé qu’il était bien difficile de croire que Césaire aurait délégué le directoire de ce monastère, alors que les sources indiquaient que durant toute son existence, il n’avait cessé de s’en occuper avec le plus grand soin. Surtout, Luce Pietri a souligné que, même en acceptant ce point, il pouvait sembler bien étonnant que Césaire aurait pu choisir, pour occuper un poste aussi important, un personnage encore jeune, qui semble n’avoir occupé jusqu’aux années 540 que des fonctions très mineures. Enfin, elle considérait qu’il serait incompréhensible, si Teredius avait effectivement été le proviseur du monastère Saint-Jean, que la Vita Caesarii ne l’ait pas du tout évoqué, alors qu’elle avait pourtant accordé une large place à l’entourage de Césaire. Quoi que l’on puisse penser des liens qui auraient uni Césarie la Jeune à Teredius, le caractère familial de la fondation de Césaire apparaît en tout cas clairement dans la conception même de la basilique funéraire dédiée à la Vierge, telle qu’elle se trouvait évoquée par les chapitres 57 et 58 du premier livre de la Vita Caesarii, que nous avons cités. Césaire y faisait placer sa tombe en position centrale, en l’associant pour l’éternité à celle de sa sœur. En mettant en place ce dispositif funéraire, Césaire et Césarie se définissaient symboliquement comme un couple de géniteurs, exerçant pour l’éternité leurs fonctions de père et de mère spirituels des moniales, qui reposaient autour de leurs sépultures553. Cette mise en scène tenait en tout cas à cœur à Césaire, qui s’attacha à donner à l’érection de cette église un grand écho, puisque son inauguration lui permit de tenir, le 6 juin 524, un concile à l’occasion duquel treize évêques et les représentants de cinq autres églises « étaient venus dans la cité d’Arles pour la dédicace de la basilique sainte Marie554 ». Parmi les évêques qui avaient souscrit les actes de ce concile et étaient donc présents à l’inauguration de la basilique funéraire, se trouvait Cyprien de Toulon, le principal des auteurs de la Vita Caesarii, qui fut donc le témoin oculaire des faits qu’il rapportait. Dans le chapitre 57 du premier livre de la Vie de Césaire, Cyprien et ses coauteurs donnaient donc une description bien informée de cette basilique, au sein de laquelle les moniales devaient être inhumées dans de grands sarcophages de 552. L. Pietri, « Césarie, Césarie la Petite, Liliola et Rusticula : les premières abbesses du monastère SaintJean d’Arles », cit., p. 67 ; v. aussi Pietri et heiJmans (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas‑Empire, 4, La Gaule chrétienne (314‑614), cit., t. II, p. 1859-1860. 553. M.d.F. miola, « Un monastère familial », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 20172020, 3 vol., t. I, p. 187-191. 554. […] ad dedicationem basilicae sanctae Mariae in Arelatensi civitate sacerdotis Domini convenissint : Concilia Galliae, a. 511‑a. 695, cit., p. 43-46.

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pierre insérés dans le sol autour de Césaire et Césarie, afin que les vertus virginales qu’elles avaient acquises dans leur vie puissent être associées jusque dans leur mort à leurs parents spirituels. Selon ce texte, la basilique funéraire disposait de trois nefs, dont la principale avait été dédiée à la Vierge Marie, qui s’était logiquement vu confier le patronage de ces vierges consacrées. Le premier bas-côté avait été dédié à saint Jean, à qui, selon le testament de Césaire, le monastère de moniales avait été consacré555. Sans doute avait-il tout simplement repris la dédicace de l’ancien baptistère sur le site duquel le monastère avait été bâti, selon une hypothèse introduite par Fernand Benoît et largement reprise depuis lors par l’historiographie556. Le second bas-côté avait été consacré à saint Martin, un patronage assez classique pour une communauté monastique. Cette organisation de la basilique funéraire en trois nefs fut par ailleurs confirmée par le Constitutum, un texte par lequel une abbesse de Saint-Jean d’Arles, qui pourrait être Césarie la Jeune († avt 562/563) ou encore la troisième abbesse Liliola († 568/569), définissait les modalités d’inhumation des moniales557. Cette ordonnance évoquait en effet, elle aussi, la dédicace à la Vierge de l’autel principal de la basilique et la présence de deux bas-côtés (latera), dédiés à saint Jean et saint Martin558. L’emplacement de cette basilique funéraire des moniales a fait l’objet d’importantes discussions. Fernand Benoît avait proposé de l’identifier avec la première basilique épiscopale, en considérant que cette église aurait servi de basilique funéraire aux moniales, après que la cathédrale aurait été déplacée au ve siècle pour être rebâtie sur l’actuel site de l’église Saint-Trophime559. Cette hypothèse a alors pu sembler d’autant plus étayée que les reliques de Césaire, ainsi qu’un couvercle sépulcral en marbre, que la tradition avait assimilé à son tombeau560, avaient été conservés dans l’église dédiée à saint Blaise, qui fut construite au xiie siècle sur le site de l’enclos Saint-Césaire, pour servir d’église conventuelle aux sœurs561. En réalité, la présence des reliques de Césaire sur le site du monastère de moniales ne peut permettre d’identifier l’emplacement originel de sa sépulture, dans la mesure où elle est le fruit d’une translation effectuée par l’archevêque Rostaing d’Arles en 883, après la destruction de la tombe originelle de Césaire, sans doute en raison d’un raid normand ou sarrasin562. Surtout, il n’est aujourd’hui plus pos555. […] monasterium Arelatense sancti Iohannis : césaire d’arles, Testament, cit., p. 382-383. 556. Benoît, « Le premier baptistère d’Arles et l’abbaye Saint-Césaire. Nouvelles recherches sur la topographie paléochrétienne d’Arles du ive au vie siècle », cit., p. 45. 557. G. morin, « Problèmes relatifs à la Règle de saint Césaire d’Arles pour les moniales », Revue Bénédictine, 44 (1932), p. 5-20, ici p. 19-20 et Trois écrits de l’abbesse Césarie, cit., p. 461-462. 558. Trois écrits de l’abbesse Césarie, cit., p. 496-497. 559. Benoît, « Le première baptistère d’Arles et l’abbaye Saint-Césaire. Nouvelles recherches sur la topographie paléochrétienne d’Arles du ive au vie siècle », », cit., p. 40-41. 560. F. Benoît, « Les reliques de saint Césaire, archevêque d’Arles », Cahiers archéologiques. Fin de l’Antiquité et Moyen Âge, 1 (1945), p. 51-62. 561. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 290-291. 562. J. durand, « Les reliquaires de saint Césaire » dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque

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sible d’identifier la basilique funéraire Sainte-Marie avec la basilique épiscopale de l’enclos Saint-Césaire, dans la mesure où les fouilles de Marc Heijmans ont désormais apporté la preuve que cette église était toujours au vie siècle la cathédrale de Césaire. Plus généralement, il faut sans doute renoncer à chercher la basilique Sainte-Marie sur le site de l’enclos Saint-Césaire, puisque les travaux d’Adalbert de Vogüé et de Marc Heijmans ont montré que les récits d’inhumation de moniales du monastère Saint-Jean, en particulier celui que fournit la Vita Rusticulae (BHL 7405), un texte daté du milieu du viie siècle563, attestent manifestement que la basilique funéraire ne se situait pas dans les environs immédiats du monastère de moniales564. Où faut-il dès lors situer la basilique funéraire Sainte-Marie ? Jean Hubert avait proposé de la localiser dans la nécropole des Alyscamps, en suggérant de l’identifier avec l’église Notre-Dame-de-Beaulieu565. S’il n’est sans doute pas possible en l’état de déterminer son emplacement précis, Jean Hubert semble avoir en tout cas eu raison de la chercher à l’extérieur des murs de la ville d’Arles. Il est certes vrai que dès le ive siècle des cas de sépultures isolées sont attestés à l’intérieur des villes566, ou encore qu’il a été possible, dans des contextes toutefois très particuliers, d’observer de petites nécropoles intra muros dès le vie siècle567. En revanche, il n’existe aucun exemple, à l’époque de Césaire, comme d’ailleurs dans les siècles suivants, d’une basilique funéraire édifiée à l’intérieur d’une ville, ce qui aurait constitué une violation flagrante de la législation civile. L’exemple du monastère de moniales de Poitiers, que la reine Radegonde mit en place dans le troisième quart du vie siècle, en prenant pour modèle le monastère de Saint-Jean d’Arles, offre dans cette perspective un exemple instructif. Les moniales cloîtrées de Poitiers, qui vivaient dans un monastère situé comme à Arles sous le mur de l’enceinte, étaient elles aussi inhumées dans une basilique originellement dédiée à la Vierge, avant d’être dans un second temps consacrée à sainte Radegonde568. Or, si cette église funéraire avait été bâtie non loin de leur monastère, elle n’en en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 95-108, en particulier p. 96-99. 563. P. riché, « Note d’hagiographie mérovingienne. La Vita S. Rusticulae », dans Analecta Bollandiana, 72 (1954), p. 369-377. 564. heiJmans, Arles durant l’Antiquité tardive. De la duplex Arelas à l’Urbs Genesii, cit., p. 265-268. 565. huBert, « Recherches sur la topographie religieuse d’Arles au vie siècle », cit., p. 25-26. 566. C. treffort, L’Église carolingienne et la mort. Christianisme, rites funéraires et pratiques commémoratives, Lyon, 1996 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 3), p. 134-135. 567. Un rare exemple de nécropole intra muros au début vie siècle, sans doute liée à la présence d’une garnison germanique : F. gerBer, I. Bertrand, V. gallien, C. grancha et D. guitton « Morphogenèse d’un quartier. Les marges du monastère Sainte-Croix de Poitiers (Vienne) : la fouille des Hospitalières », dans L. Bourgeois (éd.), Wisigoths et Francs autour de la bataille de Vouillé (507). Recherches récentes sur le haut Moyen Âge dans le Centre‑Ouest de la France. Actes des Xxviiie Journées internationales d’archéologie mérovingienne, Vouillé et Poitiers (Vienne, France), 28‑30 septembre 2007, Saint-Germain-en-Laye, 2010 (Association française d’archéologie mérovingienne 22), p. 113-130. 568. laBande-mailfert, « La fondation », cit. et C.H. kneePkens, « À propos des débuts de l’histoire de l’église funéraire Sainte-Radegonde de Poitiers », Cahiers de Civilisation Médiévale, 29/116 (1986), p. 331-338, en particulier p. 332-333.

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avait pas moins été édifiée en dehors des murs de l’enceinte. Pour peu que l’on rapproche cette situation de celle des moniales d’Arles, il semble cohérent de penser que la basilique Sainte-Marie devait elle aussi se situer à l’extérieur des murs, tout en se trouvant relativement proche de l’enclos Saint-Césaire. Dès lors, il faut constater que ces conditions correspondaient à celles de la nécropole des Alyscamps, qui s’étendait au-delà de l’enceinte d’Arles, au sud-est du monastère Saint-Jean, sans qu’il soit toutefois possible d’avoir la certitude que la basilique Sainte-Marie ait pu y être édifiée. Le second livre de la Vie de Césaire, rédigé par le prêtre Messien et le diacre Étienne, était consacré aux miracles et à la mort édifiante du saint évêque. Il évoquait tout d’abord le monastère des moniales, pour en faire le cadre de l’un des nombreux miracles qui permettaient d’attester de la sainteté de Césaire. Selon le récit donné par le chapitre 26 du second livre, Césaire serait en effet intervenu lors d’un épisode critique pour les moniales, alors qu’un incendie s’était déclenché au milieu de la nuit dans la maison d’un particulier, voisine du monastère569. Constatant que le feu se propageait sans qu’il soit possible de l’arrêter et que leur établissement allait bientôt être la proie des flammes, les sœurs se seraient trouvées désemparées, puisque leur vœu de clôture leur interdisait de quitter leur monastère. Selon le récit de la Vita Caesarii, Césaire, prévenu par les praepositi du monastère, aurait alors accouru, en contournant le mur du monastère, de manière à se placer à l’endroit où le feu attaquait la muraille. S’étant alors prosterné en prière, il aurait rassuré les vierges, par des paroles empruntées à l’Annonciation (Lc 1, 30) : « n’ayez pas peur, femmes bénites » (non timeatis, benedictae). Selon la Vie de Césaire, « le feu de sa virtus » (flamma virtutis) serait alors miraculeusement parvenu à éteindre l’incendie. Ce récit hagiographique a donné lieu à toutes sortes d’interprétations par les archéologues, qui se sont interrogés sur l’étonnant déplacement de Césaire, « venu par le mur au lieu » de l’incendie (per murum ad locum veniens). PaulAlbert Février avait ainsi considéré que ce récit démontrerait qu’il aurait existé une certaine distance entre le groupe épiscopal et le monastère, ce qui lui semblait constituer un argument décisif pour considérer que la cathédrale aurait alors été déjà déplacée vers le forum. Estimant que le murum évoqué par le texte renvoyait à l’enceinte de la ville, il avait en effet considéré que Césaire aurait pris, pour se rendre chez les moniales, un chemin qui longeait la muraille urbaine570. Cette interprétation est évidemment devenue caduque, depuis que Marc Heijmans a démontré que la cathédrale de Césaire se trouvait dans l’enclos Saint-Césaire. Sa logique même doit aussi être reconsidérée, dans la mesure où il faut probablement identifier le murum, attaqué par les flammes, avec le mur de clôture du monastère et non avec l’enceinte urbaine571. 569. Vie de Césaire d’Arles, cit., II, 26-27, p. 282-283. 570. février, Le développement urbain en Provence, de l’époque romaine à la fin du xive siècle (Archéologie et Histoire urbaine), cit., p. 52-53. 571. […] per murum ad locum veniens ubi flamma inerant : Vie de Césaire d’Arles, cit., II, 26-27, p. 282-283.

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Surtout, il convient de prendre en considération la portée fondamentalement symbolique de ce récit hagiographique, qui était d’abord et avant tout destiné à mettre en exergue la sacralité de la clôture du monastère des moniales. En contournant les murailles du monastère des vierges, le déplacement du saint évêque d’Arles s’apparentait en fait à un rituel de circumambulation, qui semble avoir eu vocation à affirmer la sacralité de la clôture qui protégeait les sœurs. Sans doute, cet incendie avait-il ainsi dans la Vita Caesarii une fonction largement symbolique, puisqu’il semble possible de l’interpréter comme une image du péché et des menaces du monde séculier, auxquels les vierges avaient pu être soustraites par les bienfaits du mur sanctifié par la virtus de Césaire. Enfin, avant d’évoquer l’inhumation de Césaire, « dans la basilique SainteMarie qu’il avait fondée, où les corps sacrés des vierges de son monastère sont enterrés572 », le second livre de la Vita Caesarii se terminait par la fin édifiante du saint évêque d’Arles. Se sentant mourir, Césaire aurait rendu, la veille de son décès, une dernière visite à ses moniales : Il demande donc à ses serviteurs de le transporter sur un siège jusqu’au monastère des vierges qu’il avait fondé pour essayer de consoler les angoisses de celles auxquelles le pressentiment de sa mort avait fait perdre le sommeil et oublier la nourriture. Le chant des psaumes était entrecoupé de larmes, un sanglot tenait la place d’un cantique, un gémissement de l’alléluia. Il n’apporta pas la gaité en consolant et en exhortant ses filles, mais accrut leur affliction. En effet, il était manifeste que le bon père était sur le point de partir vers les récompenses divines. Il s’adresse avec sa douceur coutumière à la vénérable Césarie, mère de plus de deux cents moniales, la console et l’exhorte à tendre vers la palme de sa vocation céleste. Il leur enjoint de garder la règle qu’il avait lui-même instituée quelques années auparavant. Il les recommande aussi dans son testament aux évêques, ses successeurs, ainsi qu’à tout le clergé et, par ses lettres au préfet, aux comtes et aux citoyens, de telle sorte que plus tard, dans l’avenir, elles n’aient à endurer qu’un minimum de difficultés. Il y avait à ce moment-là trente ans accomplis que son monastère avait été fondé. Il prie alors pour elles, les bénit en leur disant un ultime adieu, regagne l’église, les laissant en sanglot.

Le troisième jour après la saint Genès, c’est-à-dire le six avant les calendes de septembre, la veille de l’anniversaire de la mort du saint évêque Augustin et le lendemain de celui de la dédicace de son monastère, alors qu’il avait déjà dit adieu la veille à tous, à l’approche de la première heure, entre les mains des évêques, des prêtres et des diacres présents, il remit joyeusement au Christ son âme bienheureuse573. 572. […] in basilica sanctae Mariae quam ipse condidit, ubi sacra virginum corpora de monastero suo conduntur : Vie de Césaire d’Arles, cit., II, 50, p. 308-309 [traduction remaniée]. 573. Iubet ergo se in monasterio virginum, quem ipse fundaverat, sella famulantium manu gestari, quasi consolaturus anxias, quibus suspicio transitus sui abstulerat somnum et cibum oblivio. Psalmorum quoque sono lacrimis intercluso, mugitum pro cantico et gemitum pro alleluia reddebant. Consolatis

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Au-delà de l’attachement tout particulier de Césaire pour ses moniales, sur laquelle la Vita Caesarii insistait avec d’autant plus d’enthousiasme que l’abbesse Césarie la Jeune était la commanditaire de l’œuvre, ce passage apportait d’importantes précisions sur le monastère Saint-Jean. Il affirmait par exemple que le monastère comprenait à la mort de Césaire plus de 200 moniales, ce qui constitue un nombre considérable qu’il faut rapprocher des chiffres que donnait la Vita patrum Jurensium, lorsqu’elle évoquait la présence de 105 sœurs au monastère de la Balme ou quand elle affirmait que le monastère féminin de Vienne aurait compté plus de 60 moniales574. Par ailleurs, ce texte nous offre des données essentielles pour la chronologie de la fondation du monastère Saint-Jean. Il affirmait en effet que Césaire serait décédé le 6e jour des calendes de septembre, autrement dit le 27 août, le lendemain du trentième anniversaire de la dédicace du monastère de moniales. Sachant que l’érudition a pu établir que Césaire était très probablement mort en 542575, ce passage de la Vita Caesarii implique que la dédicace du monastère Saint-Jean aurait donc eu lieu le dimanche 26 août 512.

La lettre Vereor La lettre Vereor, ainsi dénommée en raison de son incipit, est une longue homélie adressée par Césaire à sa sœur, l’abbesse Césarie, et à la communauté qu’elle dirigeait. Ce texte qui, mis à part son adresse, n’évoquait jamais concrètement la communauté des vierges d’Arles, comportait des conseils si généraux qu’il avait pu être très largement diffusé au haut Moyen Âge comme une règle indépendante de la Regula virginum, avant de faire l’objet d’une version masculine sans doute écrite au viie siècle576. Étant donné que la lettre Vereor n’évoquait jamais la Regula virginum et qu’elle ne contenait qu’une exhortation générale, dont l’esprit pouvait sembler igitur compellatisque filiabus non alacritatem contulit, sed maerorem accumulavit : etenim in promptu erat agnoscere, iam migraturum esse ad divina praemia pium patrem. Alloquitur igitur quasi more et dulcedine sua ultra ducentarum puellarum venerabilem Casariam matrem et consolatur, atque ad palmam tendere supernae vocationis hortatur ; et ut teneant regulam, quam ipse ante aliquot annos instituerat, monet ; sequeti etiam taliter easdem testamento suo succedentibus etiam sibi episcopis et reliquo clero, praefecturae vel comitibus seu civibus per epistolas suas commendat, quatinus minime perferrent tempore post futuro laborem. Erat constitutio monasterii ipsius eo tempore annis plenariis triginta. Dat ergo eis orationem et benedictionem, vale ultimum dicens, illis rugientibus ad ecclesiam revertitur. Tertio namque die post sancti Genesi, id est sexto kalendarum septembrium, ante diem depositionis sancti Agustini antistitis, et post diem dedicationis monasterii sui, cum iam vale dixisset pridie cunctis, imminente hora prima, inter manus qui aderant pontificum et presbyterorum ac diaconorum beatam animam laetus emisit ad Christum : Vie de Césaire d’Arles, cit., II, 47-48, p. 304-307. 574. Vie des pères du Jura, cit., 25, p. 266-267 et 128, p. 376-377. 575. Sur la chronologie de l’épiscopat de Césaire, v. W.E. klingshirn, « Church Politic and Chronology : Dating the Episcopacy of Caesarius of Arles », Revue d’études augustiniennes et patristiques, 38 (1992), p. 80-88 et césaire d’arles, Sermons au peuple. Sermons 1‑20, cit., p. 37-43. 576. césaire d’arles, Lettre aux moniales, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 274-337, ici p. 287-289.

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éloigné de la logique de claustration que la Règle des vierges devait mettre en place, Adalbert de Vogüé avait proposé, dans son édition des œuvres monastiques de Césaire, de considérer que la lettre Vereor était antérieure à la Regula virginum577. Comme il avait par ailleurs conclu que le premier état de cette Règle des vierges aurait été rédigé dans le contexte de la dédicace en 512 du monastère Saint-Jean, le père de Vogüé avait considéré qu’il était possible d’en déduire que la lettre Vereor aurait été écrite avant cette date. Revenant une nouvelle fois sur la question dans son Histoire littéraire du mouvement monastique578, Adalbert de Vogüé a même suggéré que la lettre pourrait être antérieure à 508, puisqu’en cette même année Césaire aurait, selon la Vita Caesarii, vendu les vases de son Église pour racheter les captifs emmenés par les Ostrogoths579, ce qui est manifestement contradictoire avec une disposition de la lettre Vereor, qui affirmait que les vases de l’Église constituaient un trésor inaliénable580. Cette datation haute semble avoir convaincu l’historiographie, qui a estimé de manière consensuelle que la lettre Vereor constituait une exhortation destinée à la toute première communauté de moniales d’Arles, qui aurait été rédigée à une époque où ses formes de vie devaient être encore mal définies, en tout cas avant la promulgation du premier état de la Regula virginum, sans doute en 512. S’inscrivant dans la vieille tradition des exhortations aux vierges, la lettre Vereor s’inspirait largement de la lettre de Jérôme à Eustochium et de celles de Jérôme et de Pélage à Démétrias581. L’évêque d’Arles s’y attachait à encourager les vierges à persévérer dans leur voie difficile, en leur rappelant que la virginité leur offrait une voie privilégiée d’accès au salut, du moins pour toutes celles qui parviendraient jusqu’au bout à repousser les assauts du diable. Césaire s’inscrivait ainsi dans la tradition patristique, qui s’était essayée à décliner au féminin les grands thèmes du monachisme, en définissant un modèle ascétique adapté à ce genre. Il cherchait à expliquer aux moniales que leur changement de vêtement devait correspondre à une rupture dans leur mode de vie, en opposant la chasteté des religieuses aux incendies du désir profane, leur abstinence à la gourmandise, leur charité à l’avarice ou encore leur miséricorde au goût séculier de la volupté (luxuria). Il leur donnait des conseils de vie, en leur recommandant l’oraison, puis demandait aux vierges de consacrer les trois premières heures de leur journée aux 577. 578. 579. 580. 581.

césaire d’arles, Règle des vierges, cit., p. 37-43. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 376. Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 32, p. 191. césaire d’arles, Lettre aux moniales, cit., 5, p. 314-315. Jérôme, La lettre 22 à Eustochium, De virginate servanda, éd. y.-m. duval et P. laurence, Bégrollesen-Mauges, 2011 (Vie monastique 47) ; Jérôme, Lettres, t. I, éd. J. laBourt, Paris, 1961 (Collection des Universités de France publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé), ep. 130, p. 166-193 et Pélage, Ad Demetriadem, Paris, 1846 (Patrologia latina 30), col. 15-45 ; cf. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 1, cit., p. 235-325 ; vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 5, cit., p. 297-314 et 320-335 ; A. kurdock, « Demetrias ancilla Dei : Anicia Demetria and the Problem of the Missing Patron », dans K. cooPer et J. hillner, Religion, Dynasty and Patronage in Early Christian Rome, 300‑900, Cambridge, 2007, p. 190-224 et P. laurence, Le monachisme féminin : idéal hiéronymien et réalité historique, Louvain, 2010 (Spicilegium sacrum Lovaniense 52).

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lectures saintes582, selon une exhortation empruntée à Pélage583. Invoquant aussi l’adage paulinien « qui ne travaille pas, ne mange pas » (2 Th 3, 10), Césaire insistait aussi sur l’importance du travail manuel, tout en mettant les vierges en garde contre le risque de produire « des vêtements mondains et luxueux584 », qui pourraient alors les rattacher à la vanité du monde. À ce schéma traditionnel, Césaire ajoutait toutefois des thèmes nouveaux. Le premier était l’insistance avec laquelle il avait exhorté les moniales à éviter toute forme de familiarité avec les hommes, en revenant en permanence sur la question tout au long de sa lettre. Bien évidemment, Césaire s’inquiétait d’abord et avant tout de la virginité des moniales, ce qui l’avait amené à leur imposer particulièrement de s’abstenir de tout contact avec des hommes jeunes, pour « ne voir que ceux que recommandent l’âge et une sainte vie585 ». Plus généralement toutefois, il leur recommandait d’éviter toutes les formes possibles de la familiarité masculine, y compris même avec leurs propres parents, sans pour autant les interdire totalement, puisque Césaire se limitait seulement à proscrire « une familiarité assidue586 » avec les hommes de leur parenté. En effet, si Césaire était visiblement très préoccupé par les risques inhérents à la familiarité des hommes, il n’en avait pas encore conclu qu’il fallait parer la menace en cloîtrant les religieuses. S’il exhortait les moniales à « ne pas se montrer en public », il se montrait ainsi enclin à faire preuve d’une certaine indulgence, en exceptant le cas de « grande et inévitable nécessité »587. En d’autres termes, la lettre Vereor démontre que Césaire se situait encore dans une conception très traditionnelle, qui considérait que les religieuses devaient éviter dans la mesure du possible la proximité des hommes, sans pour autant avoir alors envisagé le modèle d’enfermement qu’il allait mettre au point dans sa Regula virginum. La lettre Vereor apportait toutefois une nouveauté qu’il convient de souligner. Alors que Jérôme ou Pélage s’étaient adressés à une aristocrate menant une vie ascétique dans sa maison, Césaire écrivait, quant à lui, à une communauté institutionnalisée de moniales588. Adaptant donc les exhortations de ses prédécesseurs aux normes du monachisme institutionnalisé qui dominait son époque, un peu comme Avit l’avait fait dans le De consolatoria castitatis laude qu’il avait adressé à sa sœur qui entrait dans un monastère, Césaire avait été aussi amené à louer les vertus de charité qui devaient unir les moniales, en demandant aux vierges de se tenir écartées de l’esprit de jalousie. Il passa toutefois rapidement sur la vie communautaire, peut-être parce qu’il s’attachait d’abord et avant 582. 583. 584. 585.

césaire d’arles, Lettre aux moniales, cit., 7, p. 320-321. vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l’Antiquité, 8, cit., p. 385. […] saecularia et pomposa indumenta : césaire d’arles, Lettre aux moniales, cit., 7, p. 322-323. […] ipsi videantur quos aetas et sancta vita commendat : césaire d’arles, Lettre aux moniales, cit., 3, p. 306-307. 586. […] assiduam familiaritatem : ibid., 5, p. 314-315. 587. […] aut numquam in publicum aut certes non nisi pro grandi et inevitabili necessitate procedat : ibid., 3, p. 304-307. 588. diem, Das monastische Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, cit., p. 168-173.

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tout à suivre les modèles anciens donnés par Jérôme et Pélage. Il n’évoqua par exemple pas les vertus de l’obéissance monastique, pour se limiter à mettre en garde les sœurs contre celles qui « médisent ou murmurent contre les supérieures (praepositas)589 ». Sa lettre ne disait rien non plus du monastère dans lequel vivaient les vierges, si ce n’est au détour d’une phrase où il évoquait le « port tranquille » (portus quietis) dans lequel se trouvaient les sœurs590. Cette expression, par laquelle Eucher puis Fauste de Riez avaient désigné le désert insulaire de Lérins591, témoignait de la culture lérinienne de Césaire, mais aussi des évolutions générales du monachisme, dans la mesure où elle avait été ici sortie du cadre érémitique qui lui avait donné naissance, pour être appliquée à un monastère urbain. Par ailleurs, il est aussi remarquable que Césaire avait été amené à prendre en considération l’hétérogénéité sociale des sœurs auxquelles il s’adressait, dans son exhortation à la pauvreté. Il commença en effet par s’adresser tout d’abord aux sœurs qui étaient « nobles de naissance592 », en leur demandant de distribuer leurs biens non point à leurs parents, mais aux pauvres, avant de leur expliquer que seuls les dons aux nécessiteux pourraient être pris en considération à l’heure du jugement. Puis, évoquant les sœurs qui étaient entrées pauvres dans la communauté monastique, Césaire leur expliqua qu’elles devaient rendre grâce à Dieu de ne pas les avoir entravées par des richesses dans la voie du salut. Ce passage montre que le modèle qu’offraient les lettres à Eustochium ou à Démétrias était devenu, au temps de Césaire, largement obsolète, puisque les femmes qui empruntaient alors la voie de la vie religieuse ne se recrutaient plus seulement dans les cercles aristocratiques les plus élevés, mais avaient désormais un profil beaucoup plus divers. Cette évolution sociale des communautés monastiques, que nous avons déjà rencontrée en étudiant les monastères jurassiens, ne fut pas sans conséquence sur les modalités d’organisation de la vie religieuse que Césaire allait être amené à mettre en place dans sa Règle des vierges.

La Regula virginum Comme par la grâce de Dieu nous vous avions fait une règle au début de l’institution de ce monastère, mais qu’ensuite, à maintes reprises, nous y avons ajouté ou retranché, explorant en effet et expérimentant ce que vous pouviez observer, nous fixons à présent de façon définitive ce qui est conforme à la raison, aux possibilités et à la sainteté593. 589. […] detrahendo vel contra praepositas murmurando : césaire d’arles, Lettre aux moniales, cit., 3, 36, p. 316-317. 590. Ibid., 2, p. 298-299. 591. eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 114, 830 et EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 40, p. 482, 7, 208-210. 592. […] nobiles natae : ibid., 6, p. 316-317. 593. Cum Deo propitio in exordio institutionis monasterii vobis regulam fecerimus, multis tamen postea vicibus ibi aliquid addidimus vel minuimus, pertractanctes enim et probantes quid inplere possitis, hoc nunc definivimus, quod et rationi et possibilitati et sanctitati conveniebat : césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 48, p. 232-235 [traduction retouchée].

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Comme Césaire le soulignait dans son chapitre 48, la Regula virginum constituait, dans son état final, un texte longuement mûri, dont la rédaction s’était étirée sur plus de vingt années. Procédant par rajout ou repentir, Césaire avait ainsi construit sa règle comme un texte vivant, qu’il avait infléchi sous l’influence des textes qu’il avait découverts, mais aussi en fonction de l’expérience concrète que menaient les religieuses de son monastère. Pour ce faire, Césaire semble avoir associé les deux abbesses Césarie à la rédaction de sa règle ou du moins à sa conception, comme l’a récemment suggéré Maria del Fiat Miola, en estimant que la Regula virginum ne doit pas être perçue comme un texte entièrement défini de l’extérieur, mais que son élaboration aurait aussi été le fruit de l’expérience menée de l’intérieur par les moniales594. De fait, il convient de remarquer que, dans le chapitre 72 de la Regula virginum, Césaire considérait les deux Césarie comme les co-autrices de la règle, lorsqu’il demandait aux moniales « de témoigner votre gratitude perpétuelle à mon humble personne et à vos saintes mères, c’est-à-dire à ceux qui ont fondé le monastère et institué la règle595 ». De fait, si la tradition médiévale devait ultérieurement attribuer la règle au seul Césaire, Grégoire de Tours préférait, quant à lui, parler de la « règle de saint Césaire et de sainte Césarie596 ». Cette question est importante, dans la mesure où il n’est pas indifférent de savoir si l’idée de la claustration des femmes a germé dans le seul cerveau d’un évêque ou si elle ressort d’un processus plus complexe, dont les religieuses ou du moins leurs dirigeantes auraient, elles aussi, été partie prenante. La Regula virginum est un texte complexe, au sein duquel Adalbert de Vogüé a proposé, dans son édition des Sources chrétiennes, d’identifier six strates principales. La première d’entre elles, qui aurait été rédigée dans le contexte de la dédicace en 512 du monastère Saint-Jean, va du chapitre 1 au chapitre 16. Elle établissait quelques grands principes de vie monastique, à partir de prescriptions que Césaire avait principalement puisées dans les Institutions de Cassien et dans la Règle de Pachôme, dont Jérôme avait donné une traduction latine. La deuxième section, qui va du chapitre 17 au chapitre 35, était très largement empruntée à l’Ordo monasterii et au Praeceptum d’Augustin d’Hippone, dont Césaire avait recopié des passages entiers597. Adalbert de Vogüé a proposé de situer ce deuxième ensemble dans les années 520, en raison d’une part de la terminologie qui y était employée et, d’autre part, de l’influence croissante des œuvres augustiniennes sur Césaire, qui lui semblait caractériser cette période, marquée par la forte insertion de la Provence dans le royaume ostrogothique d’Italie. La troisième section, 594. miola, Spaces of Salvation in Sixth‑Century Arles. The Women’s Monastery as Household and Family, cit., p. 5-7. 595. […] ut humilitati meae vel sanctarum matrum vestrarum, id est institutoribus monasterii et regulae conditoribus : césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 72, p. 270-271. 596. […] regulam sancti Caesarii atque Caesariae beatae : grégoire de tours, Historia Francorum libri decem, cit., 9, 40, p. 464-465. 597. L. de seilhac, L’utilisation par S. Césaire d’Arles de la Règle de S. Augustin. Étude de terminologie et de doctrine monastiques, Rome, 1974, ainsi que le quatrième volume à paraître de Césaire d’Arles et les cinq continents, cit., qui doit être consacré à l’influence d’Augustin sur Césaire.

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qui couvre les chapitres 36 à 47, contenait des prescriptions sur la clôture qui constituaient une partie originale que, selon Adalbert de Vogüé, Césaire aurait écrite peu après la seconde section. Ces trois premières sections étaient suivies par ce que Césaire appelait une « récapitulation » (recapitulatio), autrement dit un résumé des sections précédentes, qui occupait les chapitres 48 à 65. Cette « récapitulation » était suivie par deux ordines, qui allaient du chapitre 66 au 70, dans lesquels Césaire s’était attaché à définir la psalmodie des religieuses et les règles qui devaient organiser leurs repas, en particulier en matière de jeûne. Selon Adalbert de Vogüé, le vocabulaire utilisé par ces ordines permettrait de les situer chronologiquement entre la deuxième et la troisième section. Enfin, la Regula virginum comportait trois chapitres de conclusion, qui se terminaient avec les souscriptions de Césaire et de sept autres évêques, datées du 22 juin 534. Dans le détail, l’analyse du père de Vogüé est encore plus complexe, puisqu’il avait proposé d’identifier des passages déplacés, à l’exemple du chapitre 43, dont il estimait qu’il aurait été inséré dans la troisième section, alors qu’il proviendrait originellement de la deuxième. L’ensemble de la règle comporte en effet de nombreuses traces de réaménagements, qui montrent bien qu’elle a été conçue comme un texte vivant, dont le contenu n’a cessé d’évoluer, depuis la dédicace du monastère Saint-Jean, le 26 août 512, jusqu’à la validation définitive de la Regula virginum en juin 534. Ces modalités de rédaction ont donc donné un texte composite, qui comporte de nombreuses répétitions et même des contradictions. Tel est le cas des règles d’admission des religieuses qui sont définies à deux reprises, dans les chapitres 4 et 58, selon des modalités différentes, quant au temps de probation ou encore aux épreuves imposées aux postulantes598. Ce ne fut donc pas sans difficultés ni hésitations que Césaire a donné naissance à cette règle, qu’il avait jugée en tout cas plus utile aux religieuses que les simples conseils qu’il leur avait donnés dans la lettre Vereor. Ce faisant, Césaire participait d’une profonde transformation du monachisme, qui caractérisa la première moitié du vie siècle, lorsque le monde latin se mit à produire de nouvelles règles, en s’attachant à définir de manière juridique les modalités d’organisation de la vie religieuse. La Regula virginum s’inscrivait en effet dans un nouveau genre normatif, dont participaient en particulier la Règle du Maître (avant 530 ?), la Règle d’Eugippe (avant 530 ?) ou encore la Règle de saint Benoît (c. 530-c. 555), qui sont toutes contemporaines de la Règle des vierges. Loin des lettres d’exhortations écrites par les pères de l’époque théodosienne, loin aussi des anciennes règles des Pères, qui avaient développé au ve siècle en termes très généraux un ensemble de prescriptions et de conseils, loin encore des règles hagiographiques qui proposaient un simple modèle de vie religieuse, à l’exemple de la Vita vel regula des pères du Jura, cette nouvelle documentation régulière s’attachait à établir une codification rigoureuse de la vie religieuse, dont elle proposait une version désormais étroitement réglementée. Il n’est pas non plus sans importance de replacer la rédaction de ces nouvelles règles dans le vaste mouvement juridique de codifica598. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., p. 93.

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tion des sociétés occidentales, qui affecta particulièrement la Provence à l’époque de Césaire. La Regula virginum doit en effet être inscrite dans le contexte de la promulgation en 506 du bréviaire d’Alaric ou encore de l’essor de la législation canonique, établie par les conciles qui se multiplièrent dans le sud de la Gaule au début du vie siècle, souvent d’ailleurs à l’initiative de Césaire, ce qui ne relève sans doute pas d’une simple coïncidence599. La Regula virginum commençait par une affirmation qui n’allait pas nécessairement de soi dans le monachisme primitif600, lorsqu’elle expliquait qu’il « existe entre les monastères des jeunes filles et des moines de nombreuses différences dans les usages601 ». En conséquence, Césaire posait tout de suite le point qui lui semblait devoir radicalement distinguer la vie des moniales de celle des moines, autour duquel toute sa règle devait s’articuler : Si une personne veut quitter ses parents, renoncer au monde et entrer au saint bercail, pour qu’elle puisse échapper avec l’aide de Dieu à la gueule des loups spirituels, elle ne sortira plus du monastère jusqu’à sa mort, pas même pour aller à la basilique où l’on sait que se trouve la porte602.

Tout l’esprit de la Regula virginum était annoncé dans cette phrase qui tranchait avec la modération de ton de la lettre Vereor. Une fois entrées dans le monastère Saint-Jean, à un âge qui pouvait être précoce, puisque la Règle des vierges autorisait à recruter des sœurs dès lors qu’elles avaient six ou sept ans603, les moniales ne pouvaient plus sortir de leur établissement. Cette interdiction devait durer jusqu’à leur mort, lorsque leurs corps pourraient quitter le monastère pour être confiés à l’évêque, qui les conduirait en psalmodiant jusqu’à la basilique funéraire Sainte-Marie604. La description par Grégoire de Tours des funérailles de la reine Radegonde offre une description de ce rituel, qui est certainement transposable au monastère Saint-Jean d’Arles, puisque le monastère Sainte-Croix de Poitiers avait été créé sur son modèle et vivait sous la Regula virginum. Grégoire avait décrit le transport de la dépouille de Radegonde vers la basilique funéraire, en précisant que les moniales en larmes ne pouvaient voir la cérémonie funéraire que depuis les fenêtres des tours de leur monastère, puisque la Regula virginum ne les autorisait pas à suivre le convoi mortuaire605. La règle de Césaire n’admettait en 599. R. mathisen,« D’Aire-sur-l’Adour à Agde : les relations entre la loi séculière et la loi canonique à la fin du royaume de Toulouse », dans M. rouche et B. duméZil (éd.), Le Bréviaire d’Alaric. Aux origines du Code civil, Paris, 2008 (Cultures et civilisations médiévales 44), p. 41-50. 600. A diem., « The Gender of the Religious : Wo/Men and the Invention of Monasticism », dans J.M. Bennett et R.M. karras (éd.), The Oxford Handbook of Women and Gender in Medieval Europe, Oxford, 2013, p. 432-446. 601. […] multa in monasteriis puellarum ac monachorum instituta distare videntur : césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 2, p. 180-181. 602. Si qua relictis parentibus suis saeculo renuntiare et sanctum ovile voluerit introire, ut spiritalium luporum fauces Deo adiuvante possit evadere, usque ad mortem suam de monasterio non egrediatur, nec in basilicam ubi ostium esse videtur : ibid., 2, p. 180-181. 603. Ibid., 7, p. 186-187. 604. Ibid., 70, p. 268-269. 605. grégoire de tours, Liber in gloria confessorum, cit., 104, p. 365.

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effet qu’une seule exception à la claustration des moniales, en faveur de l’abbesse qui pouvait être autorisée à sortir. Cette liberté était toutefois soigneusement encadrée, puisqu’il lui était interdit de manger à l’extérieur du monastère, afin de ne pas tisser de liens avec le monde séculier606. Pour assurer la réclusion des moniales, Césaire avait ordonné que le monastère n’ait qu’une seule porte, qui communiquait avec ce qu’il appelait dans sa règle la basilica, autrement dit l’église épiscopale. Cette porte, qui devait être fermée à midi, le soir et la nuit607, faisait l’objet d’une surveillance particulière et disposait d’une porterie, dont la gestion était déléguée à une sœur, qui se voyait ainsi confier le contrôle de l’accès au monastère. La portière devait évidemment veiller à ce qu’aucun homme n’entrât dans le monastère, à l’exception de l’évêque et de ses clercs, qui n’étaient toutefois pas autorisés à y rester pour manger608. La règle prévoyait néanmoins une exception pour la main-d’œuvre masculine nécessaire aux travaux d’entretien du monastère, tout en précisant que ces hommes ne pourraient entrer que sous l’autorité du proviseur, qui n’était lui-même pas autorisé en d’autres occasions à pénétrer dans cet espace sacré609. L’objet de ces restrictions n’était pas seulement de limiter radicalement les relations potentiellement dangereuses des vierges avec les hommes, mais aussi et surtout d’éviter que le monastère puisse être souillé par l’incursion du monde séculier. De fait, l’interdit ne pesait pas seulement sur les hommes, mais aussi sur les femmes qui, dès lors qu’elles étaient séculières, se voyaient tout aussi strictement refuser l’accès du monastère610. Dans le même état d’esprit, Césaire s’était aussi attaché à surveiller la circulation des lettres et des objets, qui ne pouvaient ni sortir ni entrer dans le monastère, sans l’autorisation expresse de l’abbesse611. Entre le monde profane et l’espace sacré du monastère, qui devaient être le plus possible séparés, la porterie (posticium) et le parloir (salutatorium) constituaient un espace intermédiaire, où les sœurs pouvaient être autorisées à rencontrer leurs parents, à condition que ce fût sous la surveillance d’une ancienne612. La Règle des vierges exigeait aussi que les postulantes restassent confinées dans cet espace d’entre-deux pendant au moins un an, avant d’être autorisées à prendre l’habit613, afin qu’elles puissent s’y pénétrer des obligations auxquelles la règle allait les soumettre614. À l’intérieur de l’établissement, les moniales étaient soumises à la pauvreté et devaient renoncer à la possession de leurs biens615. Elles devaient manifester la conversion de leurs mœurs, en portant un chignon bas616, en évitant de parler à 606. 607. 608. 609. 610. 611. 612. 613. 614. 615. 616.

césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 41, p. 222-223. Ibid., 59, p. 242-243. Ibid., 39, p. 220-223. Ibid., 36, p. 218-221 et 53, p. 240-241. Ibid., 37, p. 220-221. Ibid., 43, p. 226-229 et 54, p. 240-241. Ibid., 40, p. 222-223. Ibid., 4, p. 182-183. Ibid., 58, p. 242-243. Ibid., 5, p. 182-185 et 6, p. 184-187. Ibid., 56, p. 240-241.

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voix forte617, mais aussi en portant des habits adaptés. Leurs vêtements devaient en effet être de teinte neutre et ne comporter ni colorants ni fourrures618. Leur literie devait faire preuve de la même sobriété, le règlement interdisant les couvrelits colorés ou les couvertures décorées619. La viande était évidemment interdite aux moniales et seules les malades pouvaient avoir accès à la volaille620. Les sœurs étaient bien évidemment soumises à l’obéissance et la Regula virginum prévoyait toute une série de peines pour châtier les rebelles, qui allaient de la réprimande pour les fautes bénignes à l’exclusion dans les cas les plus graves, en passant par la privation de repas, le fouet et l’excommunication temporaire621. Surtout, les sœurs devaient mener une vie commune intégrale, qui leur imposait de prendre leurs repas dans un même réfectoire (mensa), où elles devaient manger en écoutant les lectures, afin de garder le silence à table622. Il leur était aussi interdit de disposer d’une habitation séparée, d’une chambre ou d’une armoire623, puisqu’elles étaient tenues de dormir dans des lits séparés au sein d’un même dortoir, que la règle désignait alternativement par les termes de scola, de cella ou de cellula624. Ces dispositions étaient aussi valables pour les malades et les sœurs les plus âgées, qui n’étaient pas autorisées à disposer d’une habitation séparée, mais qui devaient être rassemblées à part, dans une pièce commune tenant lieu d’infirmerie625. La Regula virginum s’attachait aussi à définir précisément la vie quotidienne des moniales. Alors que dans la lettre Vereor, Césaire avait exhorté les vierges à consacrer les trois premières heures de la journée à la lecture, sa règle la limitait désormais aux seules deux premières heures. Pour Césaire, l’essentiel était en effet ailleurs, en particulier dans la liturgie généreuse que la règle avait définie pour les offices monastiques. Dans l’ordo sur les offices qu’il avait inséré dans la Regula virginum, Césaire avait expliqué aux moniales qu’elles devaient psalmodier « pour l’essentiel selon la règle du monastère de Lérins626 », ce qui montre à quel point il se situait dans la tradition monastique provençale. Son ordo des offices établissait une liturgie impressionnante, bien plus importante que celle que prévoyait la Règle du Maître ou encore la Règle de saint Benoît627. Fondé sur la 617. 618. 619. 620. 621. 622. 623. 624. 625. 626. 627.

Ibid., 9, p. 188-189. Ibid., 44, p. 228-229 et 55, p. 240-241. Ibid., 44, p. 228-229. Ibid., 71, p. 268-269. Ibid., 12, p. 188-189, 26, p. 204-205 et 34, p. 214-217. Ibid., 18, p. 192-193. Ibid., 9, p. 186-189. Ibid., 4, p. 182-183 et 9, p. 188-189. Ibid., 9, p. 188-189. […] ex maxima parte secundum regulam monasterii Lyrinensis : ibid., 66, p. 252-254. Ibid., p. 114-128 ; Taft, La liturgie des heures en Orient et en Occident. Origine et sens de l’office divin, cit., p. 106-119 et A. de vogüé, « Césaire et le monachisme prébénédictin », dans D. Bertrand, m-J. delage, P.-a. février, J. guyon et A. de vogüé, Césaire d’Arles et la christianisation de la Provence. Actes des journées Césaire (Aix‑en‑Provence, Arles, Lérins, 3‑5 novembre 1988, 22 avril 1989), Lyon/Paris, 1994, p. 109-132.

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base déjà lourde de 18 psaumes aux nocturnes et de 6 psaumes aux petites heures, l’ordo liturgique de Césaire se caractérisait surtout par l’allongement des offices, en fonction des fêtes religieuses et des périodes du calendrier liturgique. Les offices doubles étaient ainsi nombreux, ce qui amenait par exemple les moniales à réciter pas moins de 36 psaumes aux nocturnes d’hiver, auxquels il fallait bien évidemment ajouter les répons, hymnes, antiennes, lectures et oraisons, ou encore à devoir dire 12 psaumes aux petites heures du samedi et du dimanche. L’ordo de Césaire se plaisait aussi à redoubler les heures liturgiques, imposant par exemple aux moniales un office de prime entre les matines et les tierces, les samedis, dimanches et jours de fêtes majeures, tout en exigeant qu’à ces occasions la duodecima fût doublée par un office de lucernaire et que les nocturnes s’accompagnassent aussi de matines. Il s’attachait aussi à ce que les moniales puissent parfaire leur connaissance des Écritures, en rajoutant pendant l’été, pour la duode‑ cima et les nocturnes, des vigiles de trois à six missae, un terme qui dans la Regula virginum désignait un ensemble de lectures628. Chacune de ces missae comprenait en effet trois leçons, autrement dit trois longues lectures, suivies chacune d’une oraison. Surtout, la nuit du vendredi au samedi était marquée par la grande vigile, qui imposait aux moniales une nuit entière de lectures et de prières, sans aucun sommeil, ce qui avait amené la Règle des vierges à ordonner que les sœurs qui tendaient à s’endormir fussent contraintes à prier debout, afin qu’elles ne pussent manquer à leurs devoirs en s’assoupissant pendant l’office divin629. Comme l’avait souligné Robert Taft, l’ordo liturgique de la Regula virginum trouvait son originalité dans la place importante qu’il avait faite aux lectures, grâce à l’adjonction de nombreuses missae630. Ce point confirme que Césaire accordait une très grande importance aux Écritures, comme l’avaient d’ailleurs souligné les auteurs de la Vitae Caesarii, lorsqu’ils avaient témoigné du grand plaisir que l’évêque d’Arles aurait éprouvé à commenter les Écritures à ses clercs, en les encourageant sans cesse à s’y intéresser davantage631. De fait, au-delà des deux heures matinales qu’elles devaient spécifiquement réserver à la lecture, les vierges avaient aussi l’obligation, selon les prescriptions de leur règle, d’entendre la parole de Dieu pendant les repas, mais aussi durant leur temps de travail. La Regula virginum précisait en effet qu’une moniale ferait jusqu’à tierce la lecture dans l’atelier à ses consœurs, qui devaient occuper le reste de leur temps de travail à la méditation sur la parole divine et à la prière632. Il faut ainsi constater que la liturgie établie par Césaire, avec ses missae et ses longues récitations de psaumes, devait occuper une part très conséquente de la vie quotidienne des moniales. Même en admettant que la Vita Cesarii aurait exagéré, 628. V. Taft, La liturgie des heures en Orient et en Occident. Origine et sens de l’office divin, cit., p. 122 ; sur ce sens dit « monastique » du terme de missa comme « unité de lecture et de prière », v. C. mohrmann, « Missa », Vigiliae christianae, 12 (1958), p. 67-92, en particulier p. 84-85. 629. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 15, p. 190-191. 630. Taft, La liturgie des heures en Orient et en Occident. Origine et sens de l’office divin, cit., p. 115. 631. Vie de Césaire d’Arles, cit., I, 52, p. 220-221. 632. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 20, p. 190-191.

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en affirmant que le monastère Saint-Jean aurait compté plus de 200 moniales, il ne fait aucun doute que les offices monastiques qui s’y déroulaient devaient avoir un grand écho dans la cité. Si les sœurs n’étaient pas visibles, leurs psalmodies et leurs chants devaient en revanche emplir tout au long des heures canoniques le quartier épiscopal et peut-être même résonner dans l’ensemble de la ville d’Arles. Par son ampleur et son caractère spectaculaire, l’ordo liturgique du monastère Saint-Jean doit ainsi être rapproché de la laus perennis, qui se mettait alors en place à Agaune. Fondés à quelques années seulement d’intervalle, Agaune et Saint-Jean d’Arles témoignaient ainsi tous deux de l’importance croissante des fonctions liturgiques que le monachisme occidental était désormais amené à assumer, ce qui conduisait aussi les autorités ecclésiastiques à placer l’accent sur la pureté virginal de la communauté des priants633. Malgré la lourdeur des offices qu’il avait imposés aux moniales, Césaire tenait aussi, comme il l’avait déjà demandé dans la lettre Vereor, à ce que les sœurs soient astreintes au travail, en particulier par le biais de la transformation de la laine, qui constituait le labeur domestique féminin par excellence. Les moniales étaient tenues d’y consacrer le temps que laissaient leurs deux heures de lecture quotidienne et leurs oraisons aux offices, ce qui avait permis à Césaire de demander à l’abbesse que le monastère assurât sur ce point son autosuffisance et n’ait pas besoin d’acheter de vêtements à l’extérieur. De telles prescriptions n’étaient à l’évidence pas motivées par des considérations purement économiques, mais témoignaient de nouveau de la volonté de Césaire d’éviter que le monde séculier pût s’immiscer dans le monastère, par le biais de textiles produits par des mains profanes634. La Règle des vierges consacrait ainsi d’importants développements aux modalités du travail de la laine, s’attachant surtout à ce qu’il ne prenne pas une tournure mondaine635. Le travail de broderie, la confection de parures ou l’usage des soieries étaient ainsi fermement interdits, afin de ne pas encourager le développement de la sensualité et de la volupté des moniales636. Surtout, Césaire avait voulu expressément interdire aux moniales de laver ou de repriser les vêtements venus de l’extérieur, qu’ils aient été portés par un homme ou par une femme ou encore par un clerc ou un laïc637. Comme toujours, Césaire veillait à ce que le travail ne soit pas pour les moniales une occasion d’être souillées par un contact même indirect avec le monde profane. Comme dans la lettre Vereor, la Regula virginum permet d’apercevoir, en filigrane, la forte hétérogénéité sociale des moniales. La règle précisait, certes, que 633. diem, Das monastische Experiment. Die Rolle der Keuschheit bei der Entstehung des westlichen Klosterwesens, cit. 634. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 28, p. 206-207. 635. M. tilley, « Caesarius’s Rule for unruly nuns. Permitted and prohibited textiles in the monastery of St John », Early Medieval History, 26/1 (2018), p. 83-89 et M.d.F. miola, « Permitted and Prohibited Textiles in the Regula Virginum. Unweaving the Terminology », Early Medieval History, 26/1 (2018), p. 90-102. 636. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 45, p. 230-231. 637. Ibid., 46, p. 232-233.

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toutes les moniales devaient savoir lire638, ce qui suppose sans doute qu’elles ne provenaient pas, ou très marginalement, de milieux populaires. Toutefois, la Regula virginum faisait à de nombreuses reprises la distinction entre les femmes d’origine noble et les autres, sans doute issues de ces couches moyennes qui jouaient un rôle important dans les villes tardo-antiques639. Empruntant abondamment au Praeceptum d’Augustin, Césaire s’attachait évidemment à expliquer aux moniales qu’elles ne devaient former « qu’une seule âme et qu’un seul corps dans le Seigneur » (Ac 4, 32)640, ce qui l’avait amené à inciter les sœurs nobles à l’humilité. Césaire avait ainsi voulu interdire aux moniales, y compris même à l’abbesse, de disposer de servantes dans le monastère641. La Regula virginum avait aussi imposé à toutes les moniales de participer aux tâches du service, à la seule exception de l’abbesse et de la prieure642. Pour autant, elle prévoyait aussi que des aménagements particuliers devaient être mis en place pour les sœurs qui avaient reçu « une éducation raffinée » (delicatius nutritae). Césaire avait aussi demandé à l’abbesse de veiller à modérer la rigueur du jeûne pour ces sœurs plus délicates643, avant de leur préciser qu’elles devaient aussi avoir accès, au même titre que les malades, à un vin d’une qualité adaptée à leur rang644. La lettre Vereor et la Regula virginum témoignent ainsi, comme cela avait aussi été le cas de la Vita patrum Jurensium, des transformations sociales des monastères, qui s’ouvraient visiblement à un recrutement moins aristocratique. Eu égard aux précautions que la Regula virginum était amenée à prendre avec les sœurs delicatius nutritae, il est probable que cette hétérogénéité sociale n’était pas sans entraîner quelques tensions, dont Césaire avait dû tenir compte, en tempérant les idéaux apostoliques qui affirmaient l’égalité des croyants. De fait, la question sociale fut au cœur de la révolte, en 589, des nonnes de Poitiers645, qui avaient été placées elles aussi sous la Regula virginum. Le conflit avait en effet été déclenché par le refus des moniales nobles de se soumettre à un traitement qu’elles jugeaient incompatible avec leur rang, dans la mesure où l’abbesse avait voulu les obliger à endurer « la faim, le dénuement et surtout les mauvais traitements646 ». Le soulèvement était conduit par deux filles de roi, qui affirmèrent à Grégoire de Tours que l’abbesse 638. Ibid., 18, p. 192-193. 639. Brown, À travers un trou d’aiguille. La richesse, la chute de Rome et la formation du christianisme, cit., p. 21-23. 640. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 20, p. 194-195. 641. Ibid., 7, p. 186-187. 642. Ibid., 14, p. 190-191. 643. Ibid., 42, p. 224-225. 644. Ibid., 30, p. 210-211. 645. G. scheiBelreiter, « Königstöchter im Kloster. Radegund († 587) und der Nonnenaufstand von Poitiers (589) », Mitteilungen des Instituts für österreiche Geschichtsforschung, 87 (1979), p. 1-37 ; S. PatZold, Konflikte im Kloster. Studien zu Auseinandersetzungen in monastischen Gemeinschaften des ottonisch‑salischen Reichs, Husum, 2000 (Historische Studien 463) et M. hartmann, « Reginae sumus. Merowingische Königstöchter und die Frauenklöster im 6. Jahrhundert », Mitteilungen des Instituts für Österreiche Geschichtsforschung, 113 (2005), p. 1-19. 646. […] famis, nuditatis insuper et caedis : grégoire de tours, Historia Francorum libri decem, cit., 10, 16, p. 505.

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les avait traitées comme si « nous n’étions pas des princesses, mais nées de viles servantes647 ». Sans doute peut-on penser que la forte conscience de classe que les nonnes nobles de Poitiers exprimaient, en refusant d’être traitées sans égard pour leur rang, témoignait d’une tension sociale qui devait déjà exister à Arles, si l’on en juge par les dispositions que Césaire fut amené à prendre, afin de prendre en compte les aspirations des vierges delicatius nutritae, pour les autoriser à recevoir un traitement plus honorable que celui auquel était soumis le reste de la communauté.

La lettre du pape Hormisdas Si jamais il arrivait, ce que je ne crois pas et que Dieu veuille dans sa miséricorde ne pas permettre, qu’une abbesse essaie de changer ou de relâcher quelque disposition de cette règle, ou que pour cause de parenté ou de tout autre lien, elle veuille s’établir dans la dépendance ou la familiarité de l’évêque de cette cité, que Dieu vous inspire avec notre permission de lui résister sur ce point, respectueusement et gravement, car vous ne devez permettre à aucun prix que cela se fasse et veiller avec l’aide du Seigneur à vous protéger en toutes choses, selon la lettre (sacra) du très saint pape de la ville de Rome648.

Dans le chapitre 64 de sa Règle des vierges, Césaire appelait les moniales à résister à une abbesse, qui chercherait dans le futur à placer leur monastère sous l’autorité d’un évêque d’Arles. Il leur demandait de ne pas hésiter à rompre alors leur vœu d’obéissance, en leur expliquant qu’elles pourraient dans ce cas-là invoquer l’autorité de la lettre du pape, que Césaire désignait ici en utilisant le terme de sacra, usuellement destiné à la correspondance impériale. Il faisait ainsi allusion à une lettre que le pape Hormisdas (514-523) lui avait adressée, pour offrir au monastère Saint-Jean la protection de l’autorité apostolique. Grâce à son évocation dans la Règle des vierges, cette lettre en avait été considérée comme un complément majeur, ce qui avait amené Benoît d’Aniane à la recopier dans son Codex regularum, en dessous du texte de la Regula virginum. Elle ne fut en revanche pas copiée dans la collection, probablement d’origine romaine649, qui fut constituée à la fin du vie siècle pour rassembler la correspondance entre les 647. […] non ut filiae regum sed ut malarum ancillarum genitae : ibid., 9, 39, p. 460. 648. Illud etiam , quod non credo nec Deus pro sua misericordia fieri patiatur, si quocumque tempore quaelibet abbatissa de huius regulae institutione aliquid immutare aut relaxare temptaverit, vel pro parentela seu pro qualibet conditione subiectionem vel familiaritatem pontifici huius civitatis habere voluerit, Deo vobis inspirante ex nostro permisso in hac parte cum reverentia et gravitate resistite, et hoc fieri nulla ratione permittite, sed secundum sacra sanctissimi papae urbis Romae vos auxiliante Domino munire in omnibus studete : césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 64, p. 250-251 [traduction légèrement retouchée]. 649. S. gioanni, « La diplomatie pontificale et la formation du droit canonique dans les collections épistolaires du haut Moyen Âge : l’exemple du Liber auctoritatum de l’Église d’Arles », dans S. gioanni et P. cammarosano (éd.), La corrispondenza epistolare in Italia. II. Forme, stili e funzioni della scrittura epistolare nelle cancellerie italiane (secoli V‑XV), Rome, 2013 (Collection de l’École française de Rome 475 ; Atti 06), p. 105-126.

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Églises de Rome et d’Arles, ce qui s’explique sans doute par le fait que l’Église romaine n’y voyait pas un texte utile à la défense de ses droits650. Selon Adalbert de Vogüé, qui en a donné une traduction dans son édition des œuvres monastiques de Césaire, la lettre d’Hormisdas daterait des tout premiers débuts de son pontificat, ce qui semble très vraisemblable à défaut d’être certain651. Elle apportait à l’évêque d’Arles deux privilèges fondamentaux pour son monastère de moniales. Le premier d’entre eux consistait en un privilège d’exemption, qui soustrayait le monastère Saint-Jean à la tutelle épiscopale, sans toutefois remettre en cause le droit de visite que l’évêque d’Arles devait conserver652. Du point de vue de l’Église romaine, il s’agissait là d’une innovation majeure, puisque cette lettre a pu être considérée comme le tout premier privilège d’exemption que l’autorité apostolique ait jamais donné653. Dans le cadre du monachisme rhodano-provençal, le privilège d’Hormisdas s’inscrivait en revanche dans une tradition déjà bien enracinée, qui s’était déjà manifestée par la large exemption que les moines de Lérins s’étaient vu reconnaître par le troisième concile d’Arles, ou encore par la très grande autonomie dont les moines de l’Île-Barbe ou d’Agaune semblent avoir bénéficié dès leurs origines. Bien qu’il fût lui-même évêque, Césaire partageait cette conception autonomiste du monachisme654, qui constitue l’une des caractéristiques majeures des monastères de tradition rhodano-provençale 655, ce qui l’avait en particulier amené à ordonner dans sa Regula virginum que les futures abbesses ne pourraient pas être désignées par leur ordinaire, comme l’avaient été Césarie l’Ancienne et Césarie la Jeune, mais qu’elles devraient désormais être élues par les sœurs656. Césaire montrait ainsi qu’il était davantage soucieux de défendre ses vierges, qu’il considérait comme sa propre famille spirituelle, que son Église et ses successeurs qui devraient en défendre les droits. Le second privilège, auquel Césaire attachait une importance toute particulière, concernait le temporel du monastère. Comme le travail des moniales leur permettait tout juste d’assurer leurs propres besoins en textiles et que Césaire leur 650. Epistolae Arelatenses Genuinae, éd. W. gundlach, Berlin, 1892 (MGH, Epistolarum 3), p. 5-83. 651. Lettre d’Hormisdas à Césaire, dans césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. I, Œuvres pour les moniales, éd. A. de vogüé et J. courreau, Paris, 1988 (Sources chrétiennes 345), p. 339-359, en particulier p. 341-342. 652. […] ut nullus episcoporum, successorum quandoque tuorum, in ante dicto monasterio audeat sibi potestatem aliquam penitus vindicare, nisi tantum pro Dei intuitu pastoralem sollicitudinem gerens familiam Christi Domini ibidem positam congruis quibusque temporibus, iuxta quod condecet, sincero animo cum suis clericis studeat visitare : ibid., 2, p. 354-357. 653. E. ewig, « Beobachtungen zu den Klosterprivilegien des 7. und frühen 8. Jahrhunderts », dans J. fleckenstein et K. schmid, Adel und Kirche. Gerd Tellenbach zum 65. Geburtstag dargebracht von Freunden und Schülern, Fribourg-en-Brisgau, 1968, p. 52-65, ici p. 55 [rééd. dans E. ewig, Spätantikes und frankisches Gallien. Gesammelte Schriften (1952‑1973), t. II, éd. H. atsma, Munich, 1979 (Beihefte der Francia 3/2), p. 411-426, ici p. 414]. 654. klingshirn, Caesarius of Arles. The Making of a Christian Community in Late Antique Gaul, cit., p. 250-255. 655. riPart, « De Lérins à Agaune : le monachisme rhodanien reconsidéré », cit. 656. césaire d’arles, Règle des vierges, cit., 61, p. 244-245.

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avait interdit d’acquérir des revenus complémentaires en reprisant ou en lavant des vêtements séculiers, le monastère devait nécessairement disposer d’un temporel suffisamment important pour assurer l’entretien de ses religieuses, qui auraient été plus de 200 sœurs, selon la Vita Caesarii. Ne disposant que d’un patrimoine personnel limité, Césaire n’avait pu pourvoir aux besoins de son monastère qu’en lui concédant une part des richesses de l’Église d’Arles. Cette solution posait toutefois une difficulté majeure, dans la mesure où elle se heurtait au principe canonique d’inaliénabilité des biens d’Église, ce qui avait amené Césaire à solliciter en octobre 513 le pape Symmaque (498-514), prédécesseur d’Hormisdas, pour obtenir le soutien de l’autorité apostolique sur ce point controversé. Utilisant les nouvelles relations qu’il était en train de tisser avec l’Église romaine, puisque Symmaque venait de lui concéder le pallium et le vicariat apostolique en Gaule657, Césaire avait utilisé le libellus petitorius qu’il avait adressé au pape en tant que vicaire apostolique, afin de l’informer des mesures de réforme que l’Église gauloise réclamait. Sa pétition l’assurait ainsi que « comme dans la province de Gaule certaines personnes ont aliéné des biens ecclésiastiques […], il faut que l’autorité du siège apostolique l’interdise, sauf peut-être pour ce qui aurait été offert par piété aux monastères658 ». La demande de Césaire était habile, car sous couvert de demander au pape un décret d’interdiction de l’aliénation des biens ecclésiastiques, il s’attachait en pratique à obtenir l’autorisation apostolique d’y procéder pour une communauté monastique, ce qui pourrait donner à penser qu’il nourrissait alors déjà l’intention d’en faire profiter son monastère de vierges. Symmaque avait été d’autant moins dupe de la demande de Césaire, qu’elle le plaçait dans une situation des plus délicates. Après avoir été accusé par les partisans de son adversaire Laurent d’avoir aliéné des biens de l’Église, Symmaque avait en effet dû accepter que le quatrième concile de Rome, réuni en 502, interdise solennellement toute aliénation de terres ecclésiastiques, pour n’autoriser que la seule concession temporaire de leurs revenus, afin de permettre l’entretien des clercs, le rachat des captifs et le secours des pèlerins659. Ne pouvant contrevenir à sa propre législation, ce qui aurait été le cas s’il avait autorisé Césaire à aliéner des terres ecclésiastiques en faveur des monastères, le pape s’était attaché à trouver 657. A. oZoline, « Histoire des reliques de saint Césaire et restauration du pallium à l’enveloppe hispanomauresque », dans C. de dreuille (éd.), L’Église et la mission au vie siècle. La mission d’Augustin de Cantorbéry sous l’impulsion de Grégoire le Grand, Paris, 2000, p. 291-305 et B. Berthod, « Le pallium, insigne épiscopal millénaire », dans M. heiJmans et A. oZoline (éd.), Autour des reliques de saint Césaire d’Arles. Actes du colloque des 11, 12 et 13 octobre 2013, organisé dans le cadre de la célébration du 1500e anniversaire de la remise du pallium à Césaire par le pape Symmaque en 513 (Arles, musée départemental Arles antique), Arles, 2018, p. 81-93, en particulier p. 86. 658. In Gallia siquidem provincia ab aliquibus personis ecclesiastica praedia diversis titulis […] ut fieri prohibeat apostolicae sedis auctoritas, nisi fortitan aliquid pietatis intuitu monasteriis fuerit largiendum : Epistolae Arelatenses Genuinae, cit., 26-27, p. 40. 659. C. Pietri, « Le sénat, le peuple chrétien et les partis du cirque à Rome sous le Pape Symmaque (498-514) », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 78/1 (1966), p. 123-139, en particulier p. 135139, et klingshirn, Caesarius of Arles. The Making of a Christian Community in Late Antique Gaul, cit., p. 127-128.

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une solution de compromis, en répondant à l’évêque d’Arles que s’il était interdit d’aliéner les biens de l’Église, il demeurait toutefois possible de concéder leur usufruit pour l’entretien des clercs, des monastères et des pèlerins660. Symmaque avait ainsi repris le cadre défini par le quatrième concile romain de 502, en substituant simplement les monastères aux captifs, ce qui ne pouvait toutefois satisfaire Césaire. L’évêque d’Arles ne voulait en effet pas se contenter d’une simple concession précaire à son monastère, mais souhaitait assurer la pérennité de sa communauté de vierges, en lui permettant de disposer d’un temporel suffisant à titre perpétuel. La mort de Symmaque et l’élection d’Hormisdas offrirent toutefois à Césaire un nouveau contexte, qui lui permit de renouveler sa demande. Si la pétition de Césaire à Hormisdas ne nous est malheureusement pas parvenue, la demande de l’évêque d’Arles nous est en tout cas connue par la lettre du pape qui, après avoir confirmé l’exemption du monastère Saint-Jean, rappela à Césaire le contenu de sa pétition, avant de lui donner sa propre réponse : Tu demandes que soit ratifiée par notre autorité la vente et la donation auparavant faites par ta dilection au monastère de ces jeunes filles de Dieu. En espérant que l’aliénation des biens ecclésiastiques interdite par nos décrets ne puisse être permise à l’avenir, nous approuvons ton dessein et nous déclarons ton désir louable, dans la mesure où nous nous réjouissons que ces choses-là ne vous seront plus possibles. Mais il ne fallait pas vendre aux serviteurs de l’Église les biens de l’Église qui pouvaient leur être raisonnablement concédés pour leur subsistance. Il convient que le fruit d’une bonne œuvre soit gratuit. La rétribution d’une bonne action doit être attendue plutôt que demandée, afin que la rémunération de la charité ne soit pas diminuée par le profit de la vente. Nous confirmons cependant tant la vente que la donation que vous avez faites au monastère des vierges et, de la même façon, nous interdisons l’aliénation des biens ecclésiastiques par le présent décret661.

Écrit dans un style contourné, ce passage a pu donner lieu à des interprétations divergentes, quant au contenu de ce que le pape définissait comme « une vente et une donation » (venditio donatioque). Émile Lesne avait par exemple pris au mot cette expression pour considérer que Césaire aurait tout d’abord vendu à des 660. […] aut clericis emeritis aut monasteriis religionis intuitu aut certe peregrinis : Epistolae Arelatenses Genuinae, cit., 26-27, p. 38. 661. Quod autem venditionem a dilectione tua donationemque in monasterio earundem puellarum Dei ante factam nostra postulas auctoritate roborari, sperans ut ecclesiasticorum alienatio praediorum non praesumatur in posterum, nostris interdicta decretis probamus propositum tuum et desiderium in tantum fatemur esse laudabile ut gaudeamus vobis quoque eadem non licere. Sed non oportuit distrahi, quod ecclesiae servituris de ecclesiastica substantia ratio suadebat pro sustentatione concedi. Boni operis fructum decet esse gratuitum. Expectanda est recti studii merces potius petenda, ne per utilitatem venditionis inmituatur renumeratio caritatis. Confirmamus tamen circa monasterium virginum a vobis vel venditum vel donatum, et sub eadem via alienationem ecclesiasticorum praediorum decretis praesentibus inhibemus : Lettre d’Hormisdas à Césaire, cit., 3, p. 356-357 [traduction légèrement retouchée].

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particuliers des biens de l’Église d’Arles, avant d’en donner le fruit aux vierges du monastère Saint-Jean662. Soulignant que la lettre d’Hormisdas parlait d’une vente « aux serviteurs de l’Église », Adalbert de Vogüé avait rejeté cette interprétation pour supposer que Césaire aurait masqué une donation de biens de l’Église d’Arles au monastère Saint-Jean, en lui donnant la forme d’une vente, afin qu’en les acquérant, probablement à vil prix, les moniales pussent disposer de titres de propriété authentiques663. Si cette dernière hypothèse peut sembler probable, le testament de Césaire ne permet en tout cas guère de trancher. Il peut en effet donner raison à l’interprétation d’Émile Lesne, lorsqu’il avait affirmé que sa donation aux moniales aurait pris la forme d’une « vente directe de biens ecclésiastiques à des séculiers664 ». Il est dans le même temps conforme aux conceptions d’Adalbert de Vogüé, dans la mesure où il donnait le détail des biens fonciers que l’évêque d’Arles aurait concédés aux moniales, ce qui peut évidemment donner à penser que ces terres leur avaient été directement aliénées. Le père de Vogüé a en tout cas montré que les formules utilisées, tant dans la lettre d’Hormisdas que dans le testament de Césaire, prouvaient que l’évêque d’Arles s’était attaché à affirmer la légalité de ses donations au monastère SaintJean, en situant sa donation-vente dans le cadre défini par les 7e et 45e canons du concile d’Agde sur les aliénations de biens ecclésiastiques, qui avaient été promulgués le 10 septembre 506665. Prenant le contrepied de la législation romaine, le concile d’Agde avait en effet autorisé les aliénations de terres ecclésiastiques, tout en encadrant cette possibilité. Pour être valides, les aliénations devaient en effet avoir été effectuées par un évêque « pour la nécessité ou l’utilité de l’Église666 », ne pouvaient concerner que des terres d’un maigre rapport ou placées en position périphérique et devaient enfin avoir reçu l’accord de trois évêques comprovinciaux. Comme le concile d’Agde avait été présidé par Césaire en personne, la publication des 7e et 45e canons peut sembler si opportune qu’il est bien difficile de croire que l’évêque d’Arles ne les avait pas fait adopter pour légitimer une aliénation de biens ecclésiastiques qu’il avait déjà faite ou qu’il s’apprêtait à effectuer. Dans cette hypothèse, il conviendrait de conclure qu’à la date du concile d’Agde, autrement dit au 10 septembre 506, Césaire avait déjà décidé de recourir à des aliénations de biens fonciers de l’Église d’Arles pour doter ses vierges, ce qui ferait dès lors de ce synode épiscopal le terminus a quo de la fondation du monastère Saint-Jean ou du moins de son projet de fondation. 662. E. lesne, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, Lille, 1919-1943 (Mémoires et travaux publiés par les professeurs des Facultés catholiques de Lille 6, 19, 30, 34, 44, 46, 50, 53), 10 vol., t. I, p. 120-121, n. 1. 663. Lettre d’Hormisdas à Césaire, cit., p. 347-348. 664. […] quibuscumque saecularibus iure directo res ecclesiae vendidimus : Testament de Césaire, cit., p. 388-389. 665. Testament de Césaire, cit., p. 365-368. 666. Quod si necessitas certa compulerit, ut pro ecclesiae aut necessitate aut utilitate, vel in usufructu vel in directa venditione aliquid distrahatur […] et Terras aut vineolas exiguas et ecclesiae minus utiles aut longe positas parvas episcopus, sine consilio fratrum, si necessitas fuerit, distrahendi habeat potestatem : Concilia Galliae, a. 511‑a. 695, cit., 7, p. 195 et 45, p. 211.

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Quelles que soient les modalités que Césaire avait utilisées pour aliéner les biens de l’Église d’Arles en faveur du monastère Saint-Jean, elles suscitèrent en tout cas les réserves d’Hormisdas, puisque le pape fit savoir dans sa réponse à l’évêque d’Arles qu’il n’était pas sain qu’une donation pieuse puisse prendre la forme d’une vente à profit. Toutefois, soucieux de pouvoir donner satisfaction à son vicaire apostolique, Hormisdas confirma « tant la vente que la donation » (vel venditum vel donatum) que Césaire avait effectuées au profit de son monastère de moniales, avant d’affirmer qu’il souhaitait rester fidèle aux principes posés par le concile romain de 502, en renouvelant le décret qui interdisait l’aliénation des biens ecclésiastiques. Césaire avait ainsi obtenu ce qu’il cherchait, puisque les vierges du monastère Saint-Jean avaient non seulement obtenu une large exemption de l’autorité épiscopale qui garantissait leur autonomie, mais pouvaient aussi désormais envisager leur avenir avec sérénité, en raison du temporel qu’elles avaient reçu au détriment du patrimoine de l’Église d’Arles, selon une procédure que l’autorité apostolique avait accepté de garantir. Césaire devait toutefois sentir que ses donations au monastère Saint-Jean restaient juridiquement contestables, puisqu’il sollicita de nouveau l’Église romaine, en s’adressant au pape Agapet (535-536) pour obtenir une nouvelle confirmation de ses aliénations au profit du monastère Saint-Jean. La réponse qu’il reçut en date du 19 juillet 535 dut vivement l’inquiéter, car si le pape le félicitait de se soucier si généreusement de « la nourriture des pauvres » (alimoniis pauperum), il lui rappelait qu’il n’était pour autant pas question qu’il puisse s’estimer dispensé du respect des dispositions des canons du concile romain de 502 sur l’inaliénabilité des biens ecclésiastiques, dont il lui joignait un extrait pour qu’il puisse s’en imprégner667. L’indépendance économique des vierges du monastère Saint-Jean n’était donc pas assurée et cette question demeura un souci majeur pour Césaire, puisqu’elle devait constituer le cœur du testament qu’il rédigea, afin de garantir la pérennité du temporel qu’il avait constitué pour ses moniales.

Le testament de Césaire Moi, Césaire, pécheur, quand j’aurai subi le sort de la chair humaine, je veux et ordonne que tout le monastère de Saint-Jean d’Arles que j’ai fondé soit canoniquement placé sous la juridiction de l’évêque d’Arles et qu’il soit mon héritier. Que tous et toutes les autres soient totalement exhérédés668.

667. […] revocant nos veneranda patrum manifestissima constituta, quibus specialiter prohibemur praedia iuris ecclesiae, cui nos omnipotens Deus praeesse constituit, quolibet titulo ab aliena iura transferre : Epistolae Arelatenses Genuinae, cit., 36, p. 55. 668. Ego Caesarius peccator, dum debitum humanae carnis reddidero, cunctum monasterium Arelatense sancti Iohannis, quod ego condidi, sub potestate Arelatensis pontificis canonice sit heredemque meum esse volo ac iubeo. Ceteri ceteraeve exheredes sint totae : Testament de Césaire, cit., p. 382-383 [traduction retouchée].

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Ce prologue résumait tout le contenu du testament de Césaire, que l’évêque d’Arles avait rédigé afin de garantir l’avenir de son monastère, en le plaçant sous l’autorité canonique de ses successeurs, ce qui ne limitait par ailleurs en rien l’étendue de l’exemption qu’il avait obtenue du pape Hormisdas. Surtout, il faisait des moniales son héritier universel, en en appelant à la protection de son successeur à l’évêché, avant de l’exhorter à ne pas remettre en cause les donations qu’il avait effectuées en faveur de ses vierges. Les moniales de Saint-Jean d’Arles ne s’y trompèrent d’ailleurs pas et conservèrent le testament de Césaire comme un bouclier, ce qui les amena par exemple à en donner une copie dans la charte de restitution que le marquis Guilhem ier de Provence leur avait concédée en 992669. Connu aussi par l’intermédiaire de copies données par les cartulaires de l’archevêché d’Arles, cet acte ne nous a cependant été transmis que par une tradition médiocre, ce qui montre qu’il avait beaucoup circulé. Nous ne disposons d’ailleurs que d’un texte tronqué, puisqu’il ne comporte ni datation, ni formules de validation finales, ce qui donne à penser que Césaire aurait pu rédiger un testament assez éloigné des normes habituelles, à moins qu’il ne s’en soit conservé qu’une version préparatoire. Pour autant, si Bruno Krusch avait estimé qu’il s’agissait d’un faux670, le testament de Césaire a été réhabilité par Germain Morin et son authenticité n’est désormais plus remise en cause671. Sa composition semble néanmoins avoir été complexe et Adalbert de Vogüé, qui en a donné la dernière édition, a pu estimer qu’il aurait été écrit en plusieurs temps, en considérant qu’il était possible de dater certaines de ses clauses du tout début de l’épiscopat de Césaire, tout en estimant que d’autres passages dateraient de ses dernières années672. Sur le fond, le texte donné par Césaire s’apparentait au moins autant à une homélie qu’à un testament proprement dit673. Césaire commençait par y souligner qu’il n’avait que peu de choses à transmettre, dans la mesure où il n’avait rien reçu de ses parents. Comme la Vita Caesarii assurait qu’il serait issu d’une illustre lignée de la cité de Chalon, il faut à l’évidence percevoir dans ce passage un rappel de sa condition monastique, qui avait dû l’amener à renoncer à ses biens patrimoniaux et à l’héritage de ses parents. Césaire poursuivait en rajoutant qu’il disposait toutefois de quelques biens, en raison des dons qui avaient été affectés à son Église, et qu’il voulait les protéger des éventuelles revendications de ses parents, à qui il interdisait de réclamer d’autres bénéfices que ceux qu’il leur aurait accordés de son vivant. Il s’attachait ensuite à partager ses vêtements entre son successeur à l’évêché d’Arles et ses serviteurs et familiers, tant clercs que laïcs. 669. C. devic et J. vaissette, Histoire générale de Languedoc, Paris, 1730-1745, 5 vol., t. II, Preuves, no 80, col. 150. 670. Vitae Caesarii episcopi Arelatensis libri duo, éd. B. krusch, Hanovre, 1896 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 3), p. 433-501, ici p. 450. 671. G. maurin, « Le testament de S. Césaire d’Arles et la critique de M. Bruno Krusch », Revue bénédictine, 16 (1899), p. 97-112. 672. Testament de Césaire, cit., p. 362-364. 673. W.E. klingshirn, « Le Testament de Césaire d’Arles », dans Césaire d’Arles et les cinq continents, Venelles, 2017-2020, 3 vol., t. I, p. 77-82.

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Il en venait ensuite au monastère Saint-Jean, en commençant par demander à son successeur de laisser les moniales désigner librement le proviseur de leur monastère, parmi les prêtres de l’Église d’Arles. Il souhaitait aussi que les proviseurs des moniales puissent dorénavant, « afin de conserver leur réputation674 », être logés dans une cella située au sud de l’atrium de l’église épiscopale, autrement dit sur le côté de la basilique le plus éloigné du monastère de moniales. Il suppliait ensuite à de nombreuses reprises son successeur de ne pas enlever aux moniales ce qu’il leur avait donné, en rappelant que sa concession avait reçu la confirmation apostolique. Il poursuivait en rappelant que les biens qu’il avait concédés aux vierges ne représentaient que bien peu de choses, pour peu qu’ils soient mis en relation avec le remarquable accroissement du patrimoine de l’Église d’Arles qu’il serait parvenu à réaliser. Il souhaitait en particulier expliquer à son successeur qu’il lui laissait une Église bien plus riche que celle qu’il avait trouvée, en soulignant que ses possessions foncières avaient presque doublé durant son épiscopat. Il lui exposait aussi qu’il disposait d’un revenu d’autant plus élevé, qu’il avait réussi à obtenir du roi Alaric II une immunité fiscale. Soucieux enfin de démontrer à quel point sa donation aux moniales était minime et ne porterait donc pas préjudice à l’Église d’Arles, Césaire en décrivait aussi le contenu, ce qui nous permet de savoir qu’elle consistait en sept domaines complets et une partie d’un autre. Par sa forme et son contenu, le testament de Césaire n’a donc pas grandchose à voir avec ceux des grands évêques mérovingiens qui, à l’exemple de Rémi de Reims († 535), de Didier d’Auxerre († 621) ou encore de Bertrand du Mans († 623), avaient laissé un patrimoine autrement plus conséquent675. Mis à part quelques vêtements et une servante, qu’il avait légués à la fin de son testament aux moniales d’Arles, Césaire ne laissait en effet aucun patrimoine, ce qui témoigne de la forte culture monastique que cet évêque d’origine lérinienne avait pu maintenir dans l’exercice de ses charges épiscopales. Enfin et peut-être surtout, son testament démontre une nouvelle fois que, du début jusqu’à la fin de son épiscopat, Césaire avait éprouvé une affection immodérée pour son monastère de vierges, dont la pérennité semble avoir constitué, à l’heure de tester, son principal souci. Un tel attachement témoigne de l’importance sociale que les monastères étaient en train d’acquérir, en raison de la fonction médiatrice que les moines, et peut-être encore plus les moniales, se voyaient conférer, dès lors que la pureté de leur vie religieuse se trouvait garantie par leur établissement dans des lieux soustraits à la souillure profane. 674. […] propter custendiam illorum famam : ibid., p. 388-389. 675. Pour le testament de Rémi de Reims : M. rouche, Clovis, Paris, 1996, p. 498-511 (cf. M.-C. isaïa, Rémi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une Église, Paris 2010, p. 115-129) ; pour celui de Didier d’Auxerre : Les gestes des évêques d’Auxerre, t. I, cit., p. 86-94 ; pour celui de Bertrand du Mans : M. weidemann, Das Testament des Bischofs Berthramn von Le Mans vom 27. März 616. Untersuchungen zu Besitz und Geschichte einer fränkischen Familie im 6. und 7. Jahrhundert, Mayence, 1986 (Römisch‑germanisches Zentralmuseum, Forschungsinstitut für Vor‑ und Frühgeschichte 9).

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* Comme l’atteste ce dossier documentaire, la fondation du monastère des moniales de Saint-Jean fut l’œuvre d’un homme, Césaire d’Arles, qui s’y est consacré sans compter durant les presque quarante années que compta son épiscopat. Tout indique que Césaire a dû développer ce projet de fondation très tôt, sans doute peu de temps après être devenu évêque d’Arles, à la fin de l’année 502. L’introduction dans les actes du concile d’Agde, en septembre 506, alors que Césaire n’était encore que dans la quatrième année de son épiscopat, de deux canons sur les aliénations de terres ecclésiastiques tend à montrer que l’évêque d’Arles pensait déjà à doter ses vierges d’un temporel conséquent, ce qui suppose que son projet de fondation était alors bien avancé. La mise en place de la Règle des vierges n’en releva pas moins d’un long processus, qui témoigne de la démarche expérimentale que Césaire et les deux abbesses Césarie avaient mise en place pour bâtir cet établissement d’un type nouveau. Les étapes de cette longue histoire furent d’ailleurs marquées par une série d’événements que Césaire s’attacha à mettre publiquement en scène, en convoquant à chaque fois un concile provincial. Ce fut bien sûr le cas pour la dédicace de l’église conventuelle le 26 août 512, mais aussi pour la consécration de la basilique funéraire Sainte-Marie le 6 juin 524, ou encore à l’occasion de la proclamation définitive, le 22 juin 534, de la Regula virginum. Si la communauté de moniales semble avoir ainsi pris une ampleur progressive, qui lui aurait permis de compter selon le témoignage de la Vita Caesarii plus de 200 moniales à la mort de Césaire, tout indique en revanche qu’il n’a jamais existé qu’un seul monastère et que celui-ci fut établi dès ses origines sur le site de l’enclos Saint-Césaire, au cœur même du groupe épiscopal. Comme nous l’avons vu, l’hypothèse qui voudrait que Césaire ait originellement bâti un premier monastère hors des murs de la ville d’Arles ne repose que sur une surinterprétation d’un passage de la Vita Caesarii. Une implantation extra muros d’un monastère de moniales n’est en réalité guère crédible, dans la mesure où une telle communauté féminine n’avait pas vocation à accueillir les pèlerins dans une basilique martyriale suburbaine et encore moins à s’isoler dans un site de désert. Plus généralement, la documentation montre que, tout au long de son épiscopat, Césaire avait construit un projet cohérent, dans lequel la construction de son monastère de moniales participait d’un ambitieux dessein de transformation de son quartier épiscopal, dont témoignent les importants travaux qu’il fit effectuer pour rénover et agrandir la basilique épiscopale, récemment découverte par Marc Heijmans, à proximité immédiate du monastère Saint-Jean. Tout le projet de Césaire reposait en effet sur l’étroite association des vierges à sa personne, qui se trouvait en particulier matérialisée par le fait que le monastère n’avait d’autre accès sur l’extérieur que la porte qui ouvrait sur la basilique épiscopale. Les moniales furent les filles que Césaire et sa sœur Césarie n’avaient pu avoir et auxquelles ils souhaitèrent rester associés pour l’éternité, en se faisant inhumer au milieu d’elles, dans la basilique funéraire que l’évêque d’Arles leur

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avait faite construire extra muros, probablement au sein de la nécropole des Alyscamps. Toute sa vie, Césaire ne ménagea pas ses efforts en faveur de ses vierges, pour lesquelles il éprouvait un indéniable attachement paternel, comme en témoigne le soin avec lequel il composa la Regula virginum, en rajoutant ou en supprimant des chapitres, en fonction des expériences concrètes que lui inspirait la vie de ses moniales ou encore des idées que ses lectures lui permettaient de développer. Pour protéger ses vierges, Césaire déploya aussi une activité remarquable, en tentant de modifier la législation canonique pour mieux servir leurs intérêts ou encore en essayant d’obtenir pour elles la protection du pape. Emblématique est de ce point de vue son testament, dans la mesure où il montre qu’à l’heure d’affronter la mort, Césaire n’avait finalement guère d’autre préoccupation que d’assurer la pérennité de sa communauté de vierges. En créant un monastère fondé sur la claustration totale de ses moniales, Césaire avait donné naissance à une œuvre d’autant plus innovante que son projet n’a peut-être pas été influencé par le monastère de la Balme, dans la mesure où la Vita patrum Jurensium, qui constitue la seule source à attester de la claustration des moniales jurassiennes, est postérieure à la fondation du monastère SaintJean d’Arles, dont elle a donc pu subir l’influence. En créant ce monastère, qui devait donner à son groupe épiscopal une forte plus-value symbolique, puisque la ville d’Arles devait retentir des échos des offices des vierges, dont les chants descendaient depuis le quartier épiscopal, Césaire avait introduit un nouveau type de monastère qui allait avoir un grand rayonnement en Gaule. Particulièrement emblématique de l’attractivité du modèle mis en place par Césaire fut la fondation à Poitiers du monastère de la reine Radegonde, une dizaine d’années seulement après la mort de Césaire, qui peut être légitimement considéré comme un monastère jumeau de celui de Saint-Jean d’Arles. La Regula virginum devint ainsi un monument majeur de la culture monastique latine, qui apporta un concept nouveau, celui de l’enfermement religieux, dont les conséquences furent importantes à l’échelle de la civilisation occidentale676. Plutôt que de chercher dans les exemples orientaux le précédent qui aurait pu inspirer la création de Césaire, il convient surtout de replacer l’invention de la claustration dans le contexte de sa propre culture monastique. Comme l’aura montré son testament, Césaire était resté moine en devenant évêque et les orientations qu’il donna à ses moniales procédaient d’abord et avant tout de son expérience de la vie monastique, qu’il avait développée en premier lieu dans le cénobe de Lérins, puis dans le monastère insulaire de la Cappe, dont il ne ressortit que pour accéder au siège épiscopal d’Arles. Par sa formation, Césaire était donc un moine issu des déserts insulaires, qui pensait la vie monastique à travers la tradition provençale, comme en témoigne d’ailleurs sa volonté d’envoyer sa sœur se former dans le monastère établi par Cassien à Marseille, avant de lui confier la direction du monastère Saint-Jean. Tout aussi révélatrice de son insertion dans la 676. J. claustre, I. heullant-donat et É. lusset, « Nouvelles perspectives sur les enfermements », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, 21/2 (2017), p. 287-296.

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tradition monastique provençale fut la très forte influence que les Institutions de Cassien exercèrent sur la première partie de sa Regula virginum, qu’il faut probablement considérer comme l’état le plus ancien de la Règle des vierges. La claustration des moniales ne peut se comprendre en dehors de ce contexte. Conçue par un homme formé à l’aune de l’érémitisme insulaire, elle était d’abord et avant tout destinée à adapter pour des moniales le modèle de séparation du monde séculier, que les moines de la tradition provençale avaient pu trouver dans leurs îles-monastères. Leur condition interdisant aux vierges de vivre dans les déserts insulaires, où leurs confrères avaient trouvé un refuge contre la souillure du monde profane, Césaire leur avait offert les murs d’une clôture perpétuelle, afin de leur donner un désert adapté à leur genre. Elles purent de fait y bénéficier d’une séparation du siècle qui n’avait rien à envier à celle dont jouissaient sur leurs îles les ermites provençaux. L’invention de la claustration ne constitue ainsi que l’un des exemples de la plasticité inhérente aux formes de vie du premier monachisme : de la même manière que les îles avaient offert aux moines latins un palliatif au désert qu’ils ne pouvaient trouver en Occident, les murs de la clôture monastique représentèrent pour les moniales l’équivalent de ce que la relegatio insularis avait pu constituer pour les moines provençaux.

conclusion Avec la dédicace du monastère Saint-Jean d’Arles en 512, la fondation d’Agaune en 515 et la rédaction, peu avant 515, de la Vita patrum Jurensium, la Gaule du Sud-Est se trouva pourvue de trois monuments monastiques majeurs, qui sont à peu de chose près contemporains. Quelles que fussent leurs différences, ces établissements s’enracinaient dans une tradition monastique commune, dans la mesure où ils se réclamaient tous explicitement des expériences provençales. La Vita patrum Jurensium avait ainsi été le fruit d’une commande de l’abbé Marin de Lérins et s’attachait à définir un modèle de vie monastique qui se situait dans le cadre des enseignements de Cassien. De même, le monastère d’Agaune trouva tout d’abord ses origines dans une tradition hagiographique qui portait la marque lérinienne, à travers la Passion de saint Maurice rédigée par Eucher de Lyon. Surtout, il s’était mis en place en recourant aux conseils de l’abbé Marin de Lérins et en s’enquérant des expériences des moines jurassiens, avant d’être peuplé par des colonies de moines issus des établissements rhodaniens. Enfin, le monastère Saint-Jean d’Arles avait été fondé par un évêque lérinien, qui l’avait confié à la direction d’une abbesse formée dans le monastère marseillais de Cassien, avant de recevoir un ordo liturgique inspiré par le monastère de Lérins. Pour autant, si chacun de ces trois établissements se situait ainsi clairement dans la continuité des expériences monastiques menées en Provence et dans la vallée du Rhône au ve siècle, ils donnèrent naissance à des modèles de vie religieuse très différents. Cette diversité des formes concrètes montre à quel point une tradition monastique ne saurait être conçue en termes normatifs, mais ressortait plutôt d’un ensemble

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de principes qui pouvaient, dans la pratique, se trouver déclinés sous des formes très contrastées. Si ces trois monastères mis en place au début du vie siècle n’avaient donc pas grand-chose en commun, il faut aussi souligner que chacun d’entre eux offrait un visage bien éloigné du modèle des îles-monastères, par lequel s’était pourtant définie, au début du ve siècle, la tradition monastique au sein de laquelle ils entendaient se situer. Un tel constat témoigne des profondes évolutions que le monachisme avait connues au cours du ve siècle, dans un contexte marqué par des mutations considérables, tant du point de vue des institutions politiques que des structures économiques ou encore des modalités d’organisation sociale. Si l’auteur anonyme de la Vita patrum Jurensium ou l’évêque Césaire d’Arles considéraient que les enseignements de Cassien ou d’Eucher gardaient toute leur pertinence, les « transformations du monde romain » les amenaient à penser de nouveaux lieux monastiques, dont le fonctionnement différait très profondément de l’organisation qui avait été établie, un siècle auparavant, par les pionniers de la vie monastique gauloise. La première de ces transformations relevait de l’abandon de la forme insulaire, qui avait organisé la vie monastique en Provence et dans la vallée du Rhône, durant la première moitié du ve siècle. Le constat s’impose : après le ve siècle, plus aucun monastère ne fut fondé sur une île, pas plus d’ailleurs au large du littoral méditerranéen que dans les îles qui parsemaient le cours du Rhône. Les formes insulaires anciennes étaient à l’évidence en crise, comme en témoigne aussi le déclin des anciennes îles-monastères du ve siècle. Il est notable que les monastères établis sur les îles de Porquerolles et de la Cappe ne soient plus attestés dans la documentation après le début du vie siècle, tandis que le monastère de Lérins semble avoir alors entamé un certain déclin, avant que son site ne fût abandonné par ses moines, probablement dans la première moitié du viiie siècle. La crise qui touchait ces monastères insulaires provençaux doit évidemment être mise en relation avec les difficultés que les monastères installés dans les îles de l’archipel toscan semblent avoir aussi rencontrées au viie siècle et peut-être même auparavant. Si la forme même de l’île-monastère était loin d’être devenue obsolète, comme en témoigne la fondation aux vie et viie siècles de monastères dans les mers qui bordaient l’Océan Atlantique, à l’exemple d’Iona, Lindisfarne ou Landévennec677, les îles provençales et rhodaniennes semblent avoir, dès le début du vie siècle, été délaissées par les fondateurs des monastères de la Gaule méri677. B. tanguy, « In oceano desertum : l’implantation monastique ancienne dans les îles bretonnes », dans Les religieux et la mer. Actes du colloque de Lille‑Baie de Somme, 21, 22 et 23 septembre 2001, Amiens, 2004 (Histoire médiévale et archéologie 16), p. 95-123 ; A. Bardel et R. Pérennec, « Landévennec : une abbaye de la mer », dans Les religieux et la mer. Actes du colloque de Lille‑ Baie de Somme, 21, 22 et 23 septembre 2001, Amiens, 2004 (Histoire médiévale et archéologie 16), p. 125-148 ; S. leBecq, « L’insularité monastique dans l’Europe du Nord-Ouest (vie-xiie siécles) », Hortus Artium Medievalium. Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013), p. 9-19 et A. duBreucq, « Le monachisme insulaire armoricain d’après les textes hagiographiques », Hortus Artium Medievalium. Journal of the International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages, 19 (2013), p. 35-46.

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dionale. Cette chronologie doit être soulignée, dans la mesure où elle montre que le déclin des îles-monastères méditerranéennes a manifestement précédé l’essor maritime arabe, qui amena les moines à abandonner leurs refuges insulaires dans lesquels ils ne pouvaient plus trouver les « ports tranquilles » auxquels ils aspiraient678. Il est de ce point de vue révélateur que l’Île-Barbe, qui constituait dans le monde rhodano-provençal la seule île-monastère à avoir été édifiée loin de la mer Méditerranée, fut aussi la seule à pouvoir se maintenir, sans solution de continuité, durant tout le haut Moyen Âge. Ne pouvant plus trouver des îles pour épancher leur soif de désert, les moines du sud-est de la Gaule durent chercher un palliatif en développant une conception désormais plus abstraite des espaces désertiques. Dès le début du vie siècle, le désert était ainsi devenu un topos, à tous les sens de ce terme, autrement dit un lieu que la littérature monastique s’attachait à repeindre artificiellement aux couleurs désormais stéréotypées de l’érémitisme. Tel fut le cas des forêts jurassiennes que la Vie des pères du Jura se plut à comparer à un désert oriental, allant jusqu’à assimiler les sapins jurassiens aux palmiers syriens sous lesquels s’abritait Paul l’Ermite. La tradition insulaire put aussi se perpétuer en se transposant dans la claustration des moniales, comme en témoignait le monastère Saint-Jean. Les murs de cette clôture monastique avaient en effet vocation à offrir aux vierges un isolement du monde séculier, en tous points comparable à celui que les moines provençaux avaient pu trouver dans les mers qui entouraient leurs îles. Parce qu’ils restaient fidèles à l’héritage de Cassien et d’Eucher, les moines du vie siècle continuaient ainsi à se situer dans la tradition érémitique, ce qui les amenait à penser leurs établissements comme des déserts symboliques, autrement dit comme des lieux monastiques clairement séparés du monde profane. Le concept de désert était désormais devenu suffisamment symbolique pour qu’il pût être transposé sur toutes sortes de lieux, ce qui permettait aux moines de se passer désormais de la médiation insulaire. C’est dans son rapport au monde séculier qu’il faut chercher la deuxième grande transformation du monachisme rhodano-provençal, qui distingue la période mérovingienne de l’époque théodosienne. Les monastères du vie siècle se situaient certes toujours dans l’héritage du fier isolement des îles-monastères de Provence, que le troisième concile d’Arles avait reconnu en soustrayant, au moins 678. Le concept de monastère comme « port » fut introduit par Paulin de Nole, lorsqu’il affirma dans son Carmen 13, rédigé en 396, que son monastère constituait un placidus portus (R. JakoBi, « Ein Triptychon aus Nola. Zur Interpretation des neugefundenen Paulinus-Titulus », Wiener Studien, 122 (2009), p. 215-222, ici p. 219). Il fut tout d’abord repris par Eucher dans le De contemptu mundi, lorsqu’il expliquait que son monastère était « le seul port où l’on puisse se retirer loin de tous les remous d’un siècle houleux » (unus hic portus est, in quem nos ab omnis fluctuantis saeculi iactatione referamus : eucher, Il rifiuto del mondo. De contemptu mundi, cit., p. 114-115, 830-832 ; trad. d’après eucher de lérins, vincent de lérins, L’île des saints, cit., p. 83-84). Il fut ensuite utilisé par Vincent de Lérins, qui fit de Lerina un portus religionis (vincent de lérins, The Commonitorium, cit., p. 5), puis par Fauste de Riez et enfin par Césaire d’Arles, qui qualifièrent Lérins de portus quietis dans son sermon 234 ad monachos et dans sa règle des moines (EusèbE “Gallicanˮ, Collectio homiliarum, cit., t. II, homilia 40, p. 482, 7, 208-210 et césaire d’arles, Œuvres monastiques, t. II, cit., p. 82-84 et 222-223).

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partiellement, les moines de Lérins à l’autorité de l’évêque de Fréjus. Ils s’attachaient en effet à affirmer et développer leur autonomie, comme en témoigne le privilège d’exemption que Césaire avait obtenu du pape Hormisdas pour le monastère Saint-Jean, ou encore la très forte autonomie dont Agaune et les monastères jurassiens bénéficièrent, très certainement dès leurs origines, vis-à-vis de leurs ordinaires. Pour autant, ces établissements furent contraints d’entrer dans la dépendance des pouvoirs qui se mettaient en place sur les ruines de l’ancien ordre impérial. Le cas de la fondation royale d’Agaune est de ce point de vue emblématique, dans la mesure où il s’inscrivait clairement dans la construction par les rois burgondes, fraichement convertis au catholicisme nicéen, d’une nouvelle Église royale, au sein de laquelle la vie monastique était invitée à prendre toute sa place. La construction des Bischoffsherrschaften, bien impulsée dans les cités de la vallée du Rhône dès la fin du ve siècle, comme nous l’avait déjà montré à Vienne le cas d’Hésychius et Avit, eut aussi de profondes conséquences sur la vie monastique. La mise en place du monastère Saint-Jean d’Arles en témoigne, dans la mesure où il constituait un véritable Eigenkloster (« monastère privé »), organisé autour d’un groupe de parenté que Césaire, qui venait de recevoir son évêché de son parent et prédécesseur Éone, dirigeait avec sa sœur Césarie, son neveu Teredius et Césarie la Jeune, qui lui était probablement apparentée. Avec la mise en place d’Agaune et de Saint-Jean d’Arles, le monachisme était ainsi entré dans le temps des fondations, ce qui constituait le fruit d’une profonde transformation sociale. Le temps où les grands sénateurs se retiraient avec leurs proches dans l’une de leurs villas maritimes pour y mener une vie ascétique, avant de repartir parfois dans le siècle après avoir été élus évêques, était désormais révolu. Une nouvelle aristocratie romano-barbare établissait son hégémonie sociale, en déléguant aux communautés monastiques le soin de prier pour leur salut et pour celui des fidèles qui se plaçaient sous leur protection. Cette transformation amenait le monachisme à prendre une dimension liturgique croissante, dont témoignait aussi bien l’introduction de la laus perennis à Agaune que la mise en place d’une lourde liturgie d’origine lérinienne dans le monastère Saint-Jean d’Arles. Les établissements monastiques se virent aussi confier le culte des saints, comme le montre le cas des monastères jurassiens et surtout la spectaculaire fondation à Agaune d’un monastère dans une basilique martyriale. Associée à une probable massification des effectifs monastiques, dont témoignent les centaines de moines et de moniales qui sont attestés par la Vita patrum Jurensium et la Vita Caesarii, les orientations liturgiques du monachisme, qui ne pouvaient amener les moines qu’à consacrer un temps limité au travail, constituèrent un puissant moteur de développement des temporels. La question de la rente devint dès lors un enjeu majeur, qui se perçoit dans la documentation de tous les établissements monastiques du début du vie siècle que nous avons pu étudier, tant dans le Jura, qu’à Agaune ou à Saint-Jean d’Arles. Ces évolutions de la vie monastique s’inscrivaient dans le contexte d’une profonde modification de la composition et de l’organisation des monastères, dans laquelle il est possible d’identifier la troisième des transformations majeures qui

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caractérisèrent le monachisme du vie siècle. Elle se manifesta tout d’abord par une forte affirmation du cénobitisme au sein des monastères du sud-est de la Gaule, dont témoigne la mise en place d’un dortoir monastique, qui est attestée aussi bien à Condadisco que dans le monastère Saint-Jean d’Arles. Sans doute, cette évolution n’avait-elle pas totalement condamné toute forme d’anachorétisme, puisqu’il est possible d’en trouver encore quelques traces dans la seconde moitié du vie siècle. Tel fut le cas du moine Amé qui aurait, selon la Vita Amati Habendensis (BHL 358), mené vers 600 une vie d’anachorète dans un abri aménagé dans la falaise qui dominait son monastère d’Agaune679. Les moniales fournissent quelques exemples semblables, comme en atteste le cas de la reine Radegonde, qui se serait retirée dans une cella ou cellula, bâtie au sein même du monastère de Poitiers, selon les témoignages de Fortunat, Grégoire de Tours et Baudonivie680. Toutefois, ces cellulae édifiées dans la périphérie des cénobes, voire même parfois insérées à l’intérieur de ces établissements, ne constituaient que des formes résiduelles de la vie anachorétique, qui n’avaient plus grand-chose à voir avec le projet élitiste que « la vie angélique » avait pu concrètement porter, au sein des communautés anachorétiques des îles-monastères de la Provence, au début du ve siècle. Le triomphe du cénobitisme et de la vie commune des moines et des moniales semble toutefois n’avoir pas été sans causer de vives tensions au sein des établissements monastiques. Fondé sur les principes égalitaires qui avaient organisé la communauté apostolique, le cénobitisme intégral relevait d’une approche du monachisme bien différente de la logique élitiste qui avait sous-tendu le monachisme sénatorial d’Honorat, d’Eucher et d’Hilaire, avec sa graduation spirituelle, mais aussi sociale, qui permettait de passer du cénobitisme à l’anachorétisme. Cette évolution semble être allée de pair avec une modification du recrutement des monastères du vie siècle, qui paraissent avoir alors ouvert leurs portes bien plus massivement qu’auparavant, si l’on en juge du moins par les effectifs importants qu’évoquent les sources, à l’exemple de la Vita patrum Jurensium ou de la Vita Caesarii. Ces évolutions impliquaient une transformation des profils monastiques, qui étaient à l’évidence de plus en plus hétérogènes, ce qu’il faut mettre en relation avec les transformations sociales de la période et en particulier avec le déclin de la grande noblesse sénatoriale. Une telle évolution ne pouvait se faire sans de vifs conflits, dont témoignait la Vita patrum Iurensis lorsqu’elle opposait le tout-venant de la communauté monastique aux moines-prêtres, qui disposaient visiblement dans les monastères jurassiens d’un statut privilégié, lié non seulement à leurs fonctions, mais aussi à leur culture et à leurs origines sociales. Elle se retrouve, de manière semblable, au sein de la Regula virginum, dans laquelle Césaire avait pris garde de ménager les sœurs delicatius nutritae, en leur permettant de disposer d’un traitement de faveur. Avec le processus de transformation de l’écrit que l’historiographie a pu percevoir comme une « démocratisation de 679. Vita Amati Habendensis, éd. B. krusch, Hanovre/Leipzig, 1902 (MGH, Scriptores rerum Merovingicarum 4), p. 215-221. 680. gaillard, « Monasterium, cella, abbatia… Enquête sur les différents termes désignant les communautés religieuses au haut Moyen Âge (ve-milieu ixe siècle) et leur signification », cit.

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la culture681 », ces transformations de la vie monastique témoignent à l’évidence d’une évolution générale de la formation sociale du monde romain, qui connaissait alors un reclassement général, dont les conséquences se répercutaient au sein même des établissements monastiques.

681. S. maZZarino, « La democratizzazione della cultura nel Basso impero », dans Rapports du iie congrès international des sciences historiques, 2 (1960), p. 35-54 [rééd. dans S. maZZarino, Antico, tardoantico ed èra costantiniana, Città di Castello, 1974, p. 74-98] ; J.-M. carrié, « Antiquité tardive et “démocratisation de la culture” : un paradigme à géométrie variable », Antiquité tardive. Revue internationale d’histoire et d’archéologie (ive‑viiie s.), 9 (2001), p. 27-46 et M. Banniard, « Action et réaction de la parole latinophone : démocratisation et unification, iiie-ve siècles », Antiquité tardive. Revue internationale d’histoire et d’archéologie (ive‑viiie s.), 9 (2001), p. 115-129.

CONCLUSION LA TRADITION MONASTIQUE DU SUD-EST DE LA GAULE : UNE SOURCE MAJEURE DE LA CULTURE MONASTIQUE OCCIDENTALE

A

près avoir passé en revue les dossiers documentaires des monastères de l’espace provençal et rhodanien du début du ve au milieu du vie siècle, cette étude nous permet de conclure en proposant une cartographie des lieux monastiques tardo-antiques, dans le sud-est de la Gaule (fig. 27). Cette carte témoigne tout d’abord de la faiblesse du monachisme urbain : contrairement aux affirmations d’une longue tradition historiographique, aucun des grands monastères masculins établis à l’époque carolingienne dans les cités ne peut se prévaloir de racines tardo-antiques. Si l’on met pour le moment à part les moniales, sur lesquelles nous reviendrons, le bilan des monastères tardo-antiques en milieu urbain est des plus faibles. Certes, il existait à Marseille comme à Arles des fraternités de clercs menant une vie commune, ce qui leur donnait un indéniable caractère monastique. Toutefois, ces groupes s’organisant dans les domus épiscopales, ils ne constituaient pas de véritables lieux monastiques et leurs établissements ne donnèrent nulle part naissance à des monastères. De même, s’il devait être possible de croiser dans les grandes cités rhodaniennes de l’époque tardo-antique des ascètes qui menaient une vie monastique, de manière isolée ou en relation avec une communauté cléricale, ces frères ne s’engagèrent pas non plus dans une vie commune au sein d’un lieu dédié à la vie monastique. Dans le sud-est de la Gaule, les communautés de moines avaient en fait choisi de placer leurs établissements dans des lieux clairement séparés de l’espace urbain, en s’installant en particulier sur des sites insulaires, ce qui ne les empêchait en revanche pas d’être parfois relativement proches des villes, comme ce fut le cas de l’Île-Barbe à Lyon ou encore de l’île de la Cappe à Arles. Ce désir de séparation spatiale constitua la grande particularité de la tradition monastique qui se développa dans le sud-est de la Gaule, le trait qui la distinguait le plus fortement des courants qui se développèrent en Italie ou en Afrique. Elle trouva son expression la plus emblématique dans les établissements insulaires qui se mirent en place dans la première moitié du ve siècle, tant dans les archipels méditerranéens qui bordaient la côte provençale que dans les îles rhodaniennes. Si la Provence et la vallée du Rhône n’eurent évidemment pas le monopole de l’îlemonastère, il convient toutefois de souligner qu’aucune autre région du monde romain ne s’en empara avec autant d’enthousiasme. Durant la première moitié du ve siècle, la quasi-totalité des lieux monastiques du sud-est de la Gaule fut en effet établie sur des îles et les seuls établissements qui furent édifiés sur le continent ne nous ont laissé que des traces évanescentes, dont la faiblesse témoigne de leur peu de rayonnement. Tel fut le cas du cénobe que l’évêque Castor d’Apt aurait fait édifier au début de la décennie 420, peut-être sur l’actuel site de Saint-Estève à Ménerbes, mais dont le développement semble avoir été des plus limités, dans

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la mesure où au-delà des Institutions, qui ne l’évoquent que sous la forme d’un projet, il n’existe aucune attestation de son existence. Il en allait sans doute de même pour l’embryon de monastère que l’évêque Théodore avait sans doute installé dans la basilique martyriale, qu’il avait fait édifier vers 400 à Agaune, mais si cet établissement a bien existé, il devait en tout cas être d’une faible ampleur, puisque nous ne parvenons à subodorer son existence qu’à travers quelques traces, dont l’interprétation n’est par ailleurs pas assurée. Si le modèle de l’île-monastère a donc pu trouver un espace particulièrement accueillant dans le sud-est de la Gaule, il n’en était toutefois pas originaire. Comme nous l’avons vu dans la première partie de cette étude, la genèse du monachisme insulaire doit d’abord et avant tout être cherchée sur les côtes de l’Italie. Le processus se mit en place dans le dernier quart du ive siècle, lorsque Jérôme mit en exergue les expériences ascétiques qui se développaient alors dans la mer Adriatique, sous la forme de la relegatio insularis, afin de proclamer que le départ pour une île offrait au moine occidental l’équivalent des déserts des pères orientaux. À travers le personnage de Bonose, qu’il évoqua pour la première fois en 375, Jérôme fut en réalité l’inventeur du monachisme insulaire, qu’il présenta tout d’abord comme une forme d’anachorèse solitaire. Le modèle hiéronymien rencontra un grand rayonnement, dont témoignait Sulpice Sévère, lorsqu’il consacra, en 397, un passage important de sa Vita sancti Martini à décrire le séjour érémitique que Martin aurait effectué sur l’île ligure de Gallinara. Sulpice Sévère ayant situé cette expérience martinienne vers 359, cette date peut toutefois sembler bien trop précoce pour pouvoir s’inscrire dans le mouvement d’essor du monachisme insulaire, qui n’est visiblement pas antérieur aux années 370. Un tel constat donne donc à penser que Camille Jullian avait eu probablement raison de considérer que Sulpice avait sans doute transformé une peine de relegatio insularis, dont Martin aurait pu être victime dans le contexte de la politique philo-arienne de Constance II († 361), en un séjour méritoire dans un désert insulaire, ce qui doit donc nous amener à sérieusement relativiser sur ce point le récit que donnait la Vita sancti Martini. Dans le cas de Bonose, comme dans le récit topique du séjour de Martin à Gallinara, le monachisme insulaire ne relevait encore que d’une réflexion sur l’anachorèse. Ces discours de type hagiographique s’attachaient essentiellement à affirmer que le séjour insulaire d’un ascète devait être pleinement considéré comme un martyre non sanglant, dans la mesure où il pouvait s’inscrire dans la continuité de la peine de la relegatio insularis, qui avait été l’un des supplices fondateurs de la martyrologie chrétienne. Ce modèle anachorétique semble avoir été dominant jusque dans les années 390, lorsque apparurent les premières traces de communautés monastiques installées en milieu insulaire dans le bassin occidental de la Méditerranée. Toutes celles que nous avons pu alors voir apparaître se situaient dans la mer Tyrrhénienne, où surgirent, dans les toutes dernières années de la décennie 390, les établissements monastiques de Pinetum, Capraia et Gorgona, qui semblent avoir eu une certaine importance, si l’on en juge par la pluralité et la diversité de leurs attestations.

conclusion

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Capraia accueillait à l’évidence une communauté importante et suffisamment reconnue pour qu’Augustin ait sollicité son concours spirituel en 398, afin d’assurer le succès de l’expédition de Mascezel que Stilicon avait envoyée châtier la révolte du comte Gildon. Tout aussi importante semble avoir été la communauté de Pinetum, où Rufin résidait et pour laquelle il donna, en 397, une traduction du Petit Ascèticon de Basile de Césarée, ce qui montre que ce monastère avait, au moins partiellement, une organisation de type cénobitique. Enfin, il faut souligner l’intérêt du cas de Gorgona, dans la mesure où il est probable que la vie de ses moines se soit organisée autour d’un double pôle, avec sans doute un site perché et un autre en contrebas autour d’une villa maritime, selon des modalités qui méritent d’être rapprochées de celles que les Conférences de Jean Cassien permettent d’identifier à Porquerolles, durant les années 420. Bien que les sources soient trop limitées pour avoir de réelles certitudes, elles fournissent ainsi quelques indices qui donnent à penser que le monachisme provençal a été, au moins en partie, l’héritier des expériences monastiques menées par les moines qui s’étaient installés sur les îles et les rivages de la mer Tyrrhénienne. La chronologie pourrait enfin permettre de supposer que les expériences insulaires mises en place en Italie auraient été incitées à se reporter sur la Provence, dans le contexte des dévastations induites par la guerre contre les Wisigoths. Il est toutefois difficile d’en être totalement sûr, dans la mesure où la mise en place du premier monachisme provençal est difficile à dater avec précision. Les monastères de Porquerolles et des îles de Lérins n’apparurent pas dans la documentation avant les années 420, mais les données prosopographiques relatives à la vie d’Honorat semblent montrer qu’il s’est probablement installé à Lerina autour de 410, même s’il n’est en fait pas possible d’avoir de réelles certitudes. La fondation de l’Île-Barbe ne dut pas être beaucoup plus tardive, puisque le témoignage de la Vita patrum Jurensium donne à penser que la communauté de l’abbé Sabin y était déjà bien installée au début des années 430. Plus difficile est en revanche la datation du monastère arlésien de l’île de la Cappe, qui n’est attesté qu’avec l’abbatiat de Césaire, qu’il faudrait situer en 498, selon les données fournies par la Vita Caesarii. Bien évidemment, il est tout à fait possible que la fondation de cet établissement soit bien antérieure et qu’elle doive en particulier être mise en relation avec l’épiscopat arlésien d’Hilaire (430-449). Si les incertitudes sur les dates de fondation de ces monastères restent donc fortes, le dossier documentaire amène en tout cas à conclure que le monachisme insulaire provençal apparaît comme un phénomène bien daté, qui semble d’abord et avant tout avoir caractérisé les décennies 410-430. Ce constat signifie que le monachisme provençal s’est donc développé dans le contexte du séjour de Jean Cassien à Marseille, mais que son impulsion lui fut vraisemblablement antérieure, puisque Cassien n’est très probablement pas arrivé en Provence avant 415. Bien que le monachisme insulaire provençal ait donc précédé Cassien, son arrivée permit néanmoins aux moines de disposer d’outils conceptuels, afin de penser l’organisation de leurs monastères. Si Cassien n’est sans doute pas à l’origine de la bipolarité des établissements provençaux, il proposa néanmoins, dans

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les Conférences qu’il adressa aux moines provençaux autour de 426-427, une conceptualisation de leur mode de vie, en proposant de le situer dans le cadre de l’opposition évagrienne entre la vie pratique (praktikê) et la vie contemplative (theôrêtikê). Cet enseignement fournissait un fondement théologique à l’organi-

St-Lupicin La Balme ?? Condadisco

Agaune

L'Ile-Barbe Saint-Pierre de Lyon ? Grigny Saint-Gervais-et-Protais de Vienne ?

Saint-Estève ? 2500

Saint-Jean d'Arles

Lero Lerina

La Cappe Saint-Césaire de Marseille

N

0

50

1500

100 km

Notre-Dame de Porquerolles ? Les Mèdes ?

500 100 0m

Légende

Monastère masculin ? ??

Monastère féminin Monastère probable

Monastère douteux

Figure 27 : Les lieux monastiques du sud-est de la Gaule à l’époque tardo-antique.

conclusion

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sation des monastères de Porquerolles en deux sites monastiques, qui donnait un caractère spirituel à la domination orographique que les cellules des anachorètes, perchées sur le site des Mèdes, exerçaient sur le cénobe, édifié sans doute en contrebas autour de la villa de Notre-Dame. Selon le modèle que Cassien avait tenté de proposer aux moines de Porquerolles dans ses Conférences, le rapport entre les cénobites et les anachorètes devait en effet être pensé dans une logique de graduation et pouvait leur permettre de passer de la vie pratique à la vie angélique. Ce fonctionnement bipolaire du monachisme de Porquerolles, que le troisième groupe des Conférences permet de saisir, est d’autant plus intéressant, qu’il relevait d’un modèle plus général, puisqu’il était en tous points semblable à l’organisation que les moines de l’archipel de Lérins avaient mise en place. Comme nous l’avons vu, il faut en effet renoncer à l’idée que ces îles auraient accueilli une communauté d’ascètes mariés et une autre de moines célibataires, pour concevoir la bipolarité lérinienne sur le modèle de Porquerolles. Dans cette perspective, l’archipel lérinien aurait accueilli un cénobe, qu’il faut très probablement situer autour d’Eucher sur l’île de Lero, et des cellules anachorétiques placées sous la direction d’Honorat, qu’il faut situer sur l’île de Lerina. Un tel fonctionnement ressortait d’une conception très élitiste de la vie religieuse, qui constituait le cœur de la tradition monastique provençale. Toute l’organisation de ces îles-monastères tendait en effet à la glorification de la « vie angélique » que menaient des communautés anachorétiques de taille très réduite, à l’exemple de celle qui occupait les sept cases du site des Mèdes sur l’île de Porquerolles, ou encore de la demi-douzaine d’anachorètes de Lerina, tous issus de la plus haute noblesse gauloise, dont Eucher a pu donner une description dans ce grand éloge de l’anachorétisme que constituait son De laude eremi. Fondamentalement nobiliaire, le monachisme provençal s’inscrivait ainsi dans un processus de transformation du profil des élites sénatoriales, qui recevaient dans les cellules anachorétiques la préparation intellectuelle et charismatique nécessaire à l’exercice de la direction du peuple chrétien. Les îles-monastères de Provence jouèrent pleinement ce rôle, comme en témoigne l’arrivée massive d’anachorètes provençaux, provenant tous de la meilleure noblesse, sur les sièges épiscopaux de la Provence et de la vallée du Rhône, dans les deuxième et troisième quarts du ve siècle. Malgré l’impressionnant écho que les moines provençaux rencontrèrent lorsqu’ils prirent le relais des moines italiens, en établissant des communautés sur les îles qui bordaient la côte provençale, le type de vie religieuse qu’ils mettaient en place ne fut pas sans susciter de fortes résistances. La lettre envoyée en 428 par le pape Célestin, afin de mettre en garde la Gaule contre « ce nouveau collège d’où sortent les évêques », témoigne des réticences que les hauts dignitaires ecclésiastiques semblent avoir éprouvées, devant les ambitions épiscopales des jeunes ascètes lériniens. Les résistances que le modèle monastique lérinien put rencontrer dans les milieux traditionnels furent aussi à la source des débats que suscita le « semi-pélagianisme » provençal. Comme Stéphane Gioanni a pu le mettre en évidence, les controverses que les moines lériniens menèrent contre les disciples d’Augustin sur la place du libre arbitre s’expliquent largement par

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leur élitisme aristocratique, qui s’inscrivait dans une orientation ascétique dont Jean-Marie Salamito a montré qu’elle entretenait des « affinités électives » avec les thèses pélagiennes1. Toutefois, bien avant que Césaire d’Arles ne parvienne à trouver un compromis, qui devait régler lors du concile d’Orange de 529 les débats ouverts par « le semi-pélagianisme » provençal, l’évolution politique et sociale du ve siècle avait rendu largement obsolète l’élitisme ascétique des moines provençaux. Si, à l’époque théodosienne, la noblesse gauloise pouvait encore espérer imposer son hégémonie sociale, l’irrésistible montée en puissance des royaumes barbares rendit très vite ce projet caduc. Dès la seconde moitié du ve siècle, les évêques provençaux ne se recrutaient usuellement plus dans les monastères insulaires, mais dans l’entourage des rois. En devenant de nouvelles pépinières d’évêques, les cours royales privèrent de leur ancienne fonction les cellules anachorétiques dans lesquelles les ascètes provençaux s’étaient préparés à diriger la Chrétienté. Ces transformations ne furent en effet pas sans conséquences sociales, si l’on en juge en tout cas par le fait que la documentation du début du vie siècle décrivait des communautés socialement bien plus hétérogènes que ne le faisaient les sources provençales du début du ve siècle. Ces évolutions politiques et sociales constituèrent la toile de fond sur laquelle se déroula la rapide transformation de la vie monastique, qui caractérisa le ve siècle. Dès les années 450, la bipolarité des monastères de l’archipel lérinien avait vécu, puisque la communauté de Lero semble avoir alors disparu, tandis que celle de Lerina avait pris une orientation cénobitique. Les sermons de Fauste de Riez mais aussi, sans doute, l’abandon de la double cellule que Yann Codou a pu identifier sur le site de la chapelle du Saint-Sauveur, témoignent du triomphe du cénobitisme, selon une orientation qui caractérisait alors l’ensemble du monde occidental. S’il peut être encore possible, dans la documentation du début du vie siècle, d’identifier quelques traces d’anachorétisme au sein du monachisme de tradition rhodano-provençale, celles-ci ne constituaient plus que des reliquats marginaux. Tel était par exemple le cas de cet anachorète attesté au début du vie siècle à Agaune, dans la mesure où il ne vivait pas sur un site isolé, mais dans une cellule bâtie au sein même d’un cénobe. La mise en place du dortoir qui, malgré l’absence à cette époque d’un terme spécifique pour le désigner, semble s’être généralisé au début du vie siècle, comme en témoigne son évocation dans la Vita patrum Jurensium et dans la Regula virginum, constitua le symbole de ce cénobitisme triomphant. Ces mutations semblent aussi avoir été porteuses d’un nouvel égalitarisme, qui fut probablement encouragé par un recrutement plus massif et plus populaire des communautés monastiques, suscitant ainsi d’évidentes tensions internes. La dénonciation par l’auteur de la Vita patrum Jurensium de l’arrogance des moines-prêtres semble avoir ainsi constitué un écho des dif1.

gioanni S., « Moines et évêques en Gaule aux ve et vie siècles : la controverse entre Augustin et les moines provençaux », cit. et salamito, Les virtuoses et la multitude. Aspects sociaux de la controverse entre Augustin et les pélagiens, cit.

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ficultés que posait l’hétérogénéité sociale du recrutement monastique, qui avait aussi amené Césaire d’Arles à réfléchir dans sa lettre Vereor sur la spécificité du salut des sœurs nobles, avant de s’attacher dans sa Regula virginum à aménager la vie des sœurs delicatius nutritae. Cette mutation de l’organisation interne des communautés monastiques s’accompagna aussi d’un déclin du paradigme de l’île-monastère, qui semble avoir très vite perdu sa force propulsive, dans la mesure où il n’existe dans la Gaule méridionale aucune attestation de la fondation d’un établissement insulaire après les années 430. La seconde moitié du ve siècle vit se développer de nouveaux lieux monastiques, qui n’avaient plus rien à voir avec des îles. Tel fut évidemment le cas des monastères jurassiens, mais aussi du monastère de Grigny, qu’il faut peut-être situer sur le site d’Aoste récemment découvert par Marie-José Ancel. Tout aussi emblématique des temps nouveaux fut le cas d’Agaune, où Sigismond établit en 515 un monastère dans une basilique martyriale, le long du plus important axe routier qui reliait la Gaule à l’Italie, donnant ainsi un tout nouvel élan à la petite communauté monastique qui s’y était déjà abritée. Pour autant, le modèle de l’île comme désert symbolique continua d’imprégner ces établissements, qui s’attachèrent à penser les lieux qu’ils occupaient sur le modèle de l’eremus, comme le firent les moines jurassiens, lorsqu’ils affirmèrent dans la Vita patrum Jurensium que l’isolement que leur assurait leur forêt leur permettait de vivre dans un milieu comparable à celui qui abritait les ermites des déserts orientaux. Ayant ainsi défini leurs établissements comme des déserts, cette nouvelle génération d’ascètes put reprendre à son compte les aspirations autonomistes que les moines insulaires provençaux avaient mises en place, en soustrayant peu ou prou leurs espaces monastiques à l’autorité diocésaine de leurs ordinaires. Même un monastère aussi ouvert sur la société que pouvait l’être le monastère d’Agaune s’attacha à affirmer, très certainement dès ses origines, son autonomie envers l’évêque d’Octodure. Dans l’étude des lieux monastiques du sud-est de la Gaule, il faut faire une place particulière aux établissements féminins, dans la mesure où la recherche du désert, qui constitue le trait dominant de cette tradition monastique, impliquait que la vie des moniales ne pût s’aligner sur celle des hommes, comme Césaire d’Arles l’avait d’ailleurs souligné dans l’introduction de sa Regula virginum. Les interdits de genre empêchant en effet les femmes de s’établir pleinement au désert, les moniales durent très tôt s’installer à l’intérieur des villes, comme cela fut le cas pour le monastère Saint-Cassien de Marseille, ou encore pour le monastère de moniales de Vienne, sans doute édifié dès le ve siècle sur le site de SaintAndré-le-Haut. Il en allait sans doute de même à Lyon, même si nous n’avons pas de preuve que le monastère féminin attesté par Grégoire de Tours ait été en place dès l’époque tardo-antique, mais aussi pour Arles, où Césaire semble avoir établi ses moniales dans un monastère situé très probablement dès ses origines à l’intérieur de son quartier épiscopal. Seul le monastère de la Balme, que Romain aurait créé pour sa sœur dans le Jura, peut nous offrir un exemple d’établissement féminin situé à l’extérieur d’un espace urbain. Encore faut-il prendre ce cas avec de grandes précautions, dans la mesure où ce lieu monastique ne fonctionnait à

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l’évidence plus lorsque la Vita patrum Jurensium, qui est l’unique source à le mentionner, fut rédigée. La prudence est d’autant plus nécessaire que les recherches archéologiques menées récemment sur le site par Aurélia Bully n’ont permis de retrouver aucune attestation d’un ancien établissement monastique, ce qui permet de nourrir de sérieux doutes quant à la réalité historique de ce monastère. Tout en se trouvant situés à l’intérieur des villes, les monastères de moniales n’en furent pas moins séparés radicalement de la société, par le biais de la claustration perpétuelle, qui semble avoir été mise en place pour la première fois par Césaire d’Arles. À défaut de pouvoir s’établir dans des îles, comme le faisaient les hommes, les vierges furent invitées à vivre sous une clôture perpétuelle, qui faisait de leurs monastères des lieux totalement soustraits à l’espace séculier. De la même manière que les îles avaient constitué pour les moines des espaces de relegatio, permettant de les retrancher de la familiarité des hommes, la clôture des monastères assura la relegatio des moniales, en les séparant radicalement du monde profane. En ce sens, l’île-monastère et la clôture perpétuelle relevaient bien d’une même tradition monastique, qui était destinée à soustraire les communautés monastiques aux souillures propres à l’espace séculier. Elle faisait enfin de ces lieux des espaces de réclusion symbolique, en les enracinant dans la tradition martyrologique, qui constituait l’horizon fondamental de la tradition monastique rhodano-provençale. Au-delà de cette logique de séparation spatiale, qui constitue la marque principale du monachisme rhodano-provençal, il faut aussi souligner, comme l’avait mis en évidence à juste titre Friedrich Prinz, l’importance toute particulière que les moines du sud-est de la Gaule accordaient aux modèles orientaux. Ce goût pour les pères du monde grec se déclina sous des formes multiples, dont l’un des exemples les plus remarquables est celui d’Agaune, puisque cet établissement fut établi sur le modèle des Acémètes byzantins, faisant ainsi de ce bourg valaisan un petit Constantinople gaulois. Toutefois, le modèle oriental s’exprima d’abord et avant tout de manière symbolique, dans la recherche érémitique d’un désert fantasmé, qui constitua la grande caractéristique des monastères provençaux, avant d’être repris par les moines jurassiens, lorsqu’ils s’attachèrent à retrouver dans leurs forêts le désert dans lequel avaient vécu Antoine et Paul l’Ermite. Surtout, au-delà des modèles offerts par les textes hagiographiques, les monastères rhodaniens s’attachèrent à se mettre à l’école des maîtres égyptiens. Ils les découvrirent en premier lieu à travers le filtre déformant des œuvres de Cassien, qui constituèrent la matrice fondamentale de tous les monastères du sud-est de la Gaule. Que ce soit par les Institutions ou les Conférences, les œuvres de Cassien peuvent en effet être considérées comme la référence majeure de tous les établissements que nous avons pu étudier. Leur influence apparaît bien évidemment à Porquerolles et chez les Lériniens, mais aussi dans le monachisme jurassien, qui s’attachait à se situer d’abord et avant tout dans le cadre défini par les Institutions, ainsi que dans la Regula virginum, du moins dans sa première section qui constituait probablement aussi son premier état. Un tel constat ne signifie évidemment pas que les monastères rhodaniens auraient cherché à appliquer à la lettre les enseignements de Cassien. De la même

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manière que Cassien avait expliqué dans ses Institutions qu’il souhaitait adapter les enseignements des pères orientaux aux conditions de vie et à la mentalité des Gaulois, les moines rhodano-provençaux se sont appliqués à adapter ses enseignements à leurs conditions concrètes de vie, autrement dit à leurs lieux d’établissement. Pour le dire autrement, aucun des monastères rhodaniens ne semble avoir vécu selon le strict modèle des Institutions, mais tous semblent s’en être néanmoins inspirés, sans pour autant opposer les enseignements de Cassien aux autres textes orientaux auxquels les moines du sud-est de la Gaule pouvaient avoir accès. Si les Institutions et les Conférences constituèrent en effet leur source d’inspiration principale, les moines rhodano-provençaux utilisèrent aussi pour se guider toute la tradition orientale disponible en latin, recourant aussi bien à des sources hagiographiques, comme la Vie d’Antoine ou celle de Paul l’Ermite, qu’à des textes réguliers, comme la Règle de Pachôme ou le Petit Ascèticon, dont Jérôme et Rufin avaient respectivement donné une traduction. Ils faisaient ainsi un usage souple des œuvres de Cassien, en les adaptant en fonction de leurs conditions concrètes de vie, mais aussi en les enrichissant par l’introduction de prescriptions puisées à d’autres sources. Ce fonctionnement très souple, qui était celui de l’ensemble du monachisme tardo-antique, explique aussi que les modèles monastiques, qui se mirent en place dans la Gaule du sud-est, purent se caractériser par une très forte diversité, bien qu’ils se situassent dans une même tradition spirituelle. S’ils étaient friands de sources orientales, les moines provençaux semblent avoir en revanche relativement délaissé la littérature ascétique latine. Tel fut par exemple le cas des textes monastiques d’Augustin, puisque ni l’Ordo monaste‑ riii ni le Praeceptum ne furent évoqués en Gaule méridionale, avant la seconde section de la Regula virginum, sans doute rédigée dans les années 520. Il faut évidemment faire un sort spécifique à la Vita sancti Martini et aux autres textes martiniens insérés dans les Martinelli, en considérant que ce dossier hagiographique ne saurait toutefois être perçu comme la source d’une véritable tradition monastique à part entière, ce qui doit interroger sur la pertinence du concept de « monachisme aquitain » que Friedrich Prinz avait introduit. Les textes hagiographiques martiniens n’offraient en effet pas aux moines une règle de vie, comme devait par exemple le faire la Vita vel regula des pères du Jura. Ils n’avaient en fait d’autre ambition que d’affirmer la sainteté, longtemps contestée, de Martin, dont les vertus finirent toutefois par être pleinement reconnues par tous les moines gaulois et dont le culte devint une partie constitutive de leur patrimoine commun2. Comme l’avait subtilement expliqué Marie-Céline Isaïa, si Martin fut le saint que 2.

Sur le culte de saint Martin, v. E. ewig, « Le culte de saint Martin à l’époque franque », Revue d’histoire de l’Église de France, 144 (1961), p. 1-18 ; dam R. van, Saints and their Miracles in Late Antiquity Gaul, Princeton, 1993 ; A.S. mckinley, « The First Two centuries of Saint Martin of Tours », Early Medieval Europe, 14 (2006), p. 173-200 et B. Judic, « Les origines du culte de saint Martin de Tours aux ve et vie siècles. La figure de saint Martin de Tours », dans lamBert J. (éd.), La figure de saint Martin de Tours. Patrimoine, Histoire. L’exemple de l’Ain, colloque de Vonnas 14 nov. 2009, Bourg-en-Bresse, 2010, p. 13-24.

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l’on priait, il ne fut toutefois pas celui dont on s’inspirait pour définir les modes de vie et les institutions monastiques, ce qui ne permet pas de situer les textes martiniens sur le même plan que les sources normatives de la tradition monastique rhodano-provençale3. Bien que les historiens aient souvent cherché à opposer le monachisme provençal et la tradition hagiographique martinienne, les moines du sud-est de la Gaule n’en firent d’ailleurs jamais rien, puisqu’ils considérèrent toujours Martin comme un des leurs, un Antoine du monde latin, dont ils s’attachèrent à développer le culte, de l’Île-Barbe à Saint-Jean d’Arles, en passant par le monastère de Condadisco. La présence dans la Gaule méridionale d’un important réseau d’écoles rhétoriques et juridiques permit à ces moines de donner naissance à une véritable école, qui produisit aux ve et vie siècles un remarquable corpus de textes d’une très grande diversité. S’inspirant les uns des autres, les moines du sud-est de la Gaule produisirent des traités sur la vie monastique, comme ceux de Cassien ou d’Eucher, des collections de sermons, à l’exemple de celles de Fauste de Riez ou encore de Césaire, des textes réguliers, comme la Regula virginum, mais aussi bien sûr des Vies de saints, qui renvoyaient aussi bien à des évêques-moines, comme Honorat, Hilaire ou Césaire, qu’à de saints abbés, dont la Vita patrum Jurensium ou la Vita abbatum Acaunensium fournissent un exemple emblématique. Aucun autre espace du monde latin ne produisit alors une littérature monastique aussi abondante, ce qui permit à la tradition rhodano-provençale d’exercer une influence dominante dans les milieux ascétiques de la Chrétienté occidentale jusqu’au tournant des vie et viie siècles, lorsque Grégoire le Grand donna une dimension universelle à la tradition bénédictine et que la Gaule mérovingienne développa sa propre culture monastique, sous couvert de l’influence colombanienne. Comment expliquer le rôle éminent que le sud-est de la Gaule put ainsi jouer dans la genèse du monachisme occidental ? Sans doute faut-il d’abord et avant tout invoquer les conditions politiques et économiques particulièrement favorables que traversèrent la Provence et la vallée du Rhône dans la première moitié du ve siècle. À peu près totalement épargnées par les invasions barbares, qui avaient touché la Bretagne, la Gaule septentrionale et occidentale, l’Espagne, l’Afrique et l’Italie, l’espace provençal vécut en effet un petit âge d’or, dont témoigne la prospérité que connurent alors Marseille et Arles. Cette situation amena de nombreuses familles de la haute noblesse gauloise à venir s’y installer, comme ce fut le cas des premiers Lériniens, que Friedrich Prinz avait pu, non sans de sérieux arguments, considérer comme des réfugiés fuyant les dévastations des barbares. Marseille vit ainsi affluer dans les années 410-420 de nombreux ascètes et de grands aristocrates qui, à l’exemple de Prosper d’Aquitaine ou de Paulin de Pella, vinrent s’y réfugier, en profitant de la présence de cette personnalité exceptionnelle que fut l’évêque Proculus. De Cassien à Hilaire, en passant par Salvien, Eucher ou Vincent, les grands noms du monachisme provençal écrivirent dans ce contexte exceptionnel, dont il faut néanmoins souligner qu’il prit fin lorsque les 3.

isaïa, Remi de Reims. Mémoire d’un saint, histoire d’une Église, cit., p. 127-129.

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Burgondes étendirent dans le troisième quart du ve siècle leur domination sur la vallée du Rhône, avant que les Wisigoths n’arrivassent en Provence en 475-476. De fait, si la génération des enfants de Sidoine Apollinaire était encore en capacité de s’inscrire dans cet héritage, comme en témoignent Avit de Vienne et Césaire d’Arles, mais aussi les auteurs anonymes de la Vita patrum Jurensium et de la Vita abbatum Acaunensium, elle fut toutefois aussi la dernière à pouvoir réellement entretenir cette tradition littéraire, que la disparition des écoles de rhétorique dans la seconde moitié du ve siècle avait condamnée. Le petit âge d’or provençal qui caractérise la première moitié du ve siècle ne suffit sans doute pas à expliquer la durée et l’écho de la tradition monastique rhodano-provençale, qui fit preuve d’une grande vitalité jusque dans la première moitié du vie siècle. Un autre élément historique doit aussi être pris en compte, en soulignant que les monastères de ces régions eurent la particularité de se trouver insérés très tôt au sein des royaumes nicéens qui se mirent en place au début du vie siècle. La fondation du monastère d’Agaune, que Sigismond avait établi afin de lever l’étendard de l’orthodoxie face à la royauté homéenne des Ostrogoths, fut ainsi le produit de la mise en place des Églises royales nicéennes. De même, l’intégration en 536 de la Provence dans la Gaule mérovingienne joua un rôle majeur dans la diffusion du modèle monastique féminin que Césaire d’Arles avait introduit dans sa cité. En permettant la venue vers 570-573 de la reine Radegonde à Saint-Jean d’Arles4, puis l’introduction de la Regula virginum dans le monastère de Poitiers, l’arrivée à Arles des rois francs, qui devenaient alors la puissante dominante de l’Occident latin, assura à l’œuvre monastique de Césaire un grand écho, qui n’aurait probablement pas été possible si la Provence était restée en possession des Ostrogoths. Plus généralement, l’intégration de l’espace rhodano-provençal dans le royaume mérovingien constitua un facteur majeur de l’expansion de l’influence monastique rhodano-provençale dans le nord de la Gaule, qui caractérisa le vie siècle5. Dès l’arrivée des barbares, les moines rhodaniens avaient en effet été amenés à sortir de leur superbe isolement, pour entretenir des relations étroites avec les royautés, comme en témoignent les séjours de l’abbé jurasssien Lupicin à la cour royale ou encore le jeu politique complexe que Césaire fut amené à développer entre Wisigoths, Burgondes, Ostrogoths et Francs. À la différence de leurs confrères d’Afrique, d’Italie ou d’Espagne, qui se trouvaient confrontés à des pouvoirs homéens, les moines du sud-est de la Gaule entretinrent de bonnes relations avec les royautés nicéennes et furent donc amenés à s’intégrer totalement dans leurs nouvelles Églises royales. Tel fut le cas d’Agaune, où la fondation d’un monastère-palais témoigne de la mainmise de la royauté burgonde sur cet établissement monastique. Placé par les rois burgondes sous la direction d’Hymnémode, un abbé d’origine barbare, le monastère d’Agaune constitua d’abord et avant tout 4. 5.

R. aigrain, « Le voyage de sainte Radegonde à Arles », Bulletin philologique et historique jusqu’en 1715 du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1926-1927 (1928), p. 119-127. J. heuclin, Aux origines monastiques de la Gaule du Nord. Ermites et reclus du ve au xie siècle, Lille, 1988, p. 38-40.

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un instrument de communication politique de la royauté burgonde, qui s’attacha à y mettre en scène sa vocation à représenter en Occident l’orthodoxie catholique et l’empire des Romains, face à la menace hérétique qu’incarnaient les rois ostrogoths de la dynastie des Amales. Les rois barbares n’étaient d’ailleurs pas les seuls à instrumentaliser les monastères, comme le montre l’exemple de Vienne et d’Arles, où la fondation d’établissements monastiques féminins s’inscrivait manifestement dans le contexte de la mise en place des Bischofsherrschaften. Dans le cas viennois, la fondation de ce monastère féminin, peut-être dédié originellement à saints Gervais et Protais, était particulièrement révélatrice des temps nouveaux, dans la mesure où sa mise en place pourrait avoir associé la parentèle épiscopale d’Hésychius et d’Avit avec la famille du comte Ansémond, qui pour être burgonde n’en était pas moins un pieux chrétien nicéen. Cette instrumentalisation croissante du monachisme, au profit des nouveaux pouvoirs qui prenaient le relais des institutions impériales, constitua le moteur du développement des fonctions liturgiques des monastères, dont les deux expressions les plus spectaculaires furent le très lourd ordo liturgique de Saint-Jean d’Arles et surtout l’introduction de la laus perennis à Agaune. Comme en témoignent les sermons aux moines lériniens prononcés par Fauste de Riez et Césaire d’Arles, les monastères de la Gaule méridionale ne furent dès lors plus pensés comme des lieux de formation des élites ecclésiastiques. Ces « ports tranquilles », où les moines et les moniales étaient désormais appelés à passer toute leur vie, furent invités à mettre leur force de prière au service de la communauté chrétienne et de ses dirigeants, afin de leur assurer la protection divine et de contribuer à leur salut. Les moines furent aussi invités à prendre en charge le culte des martyrs, pour mettre à leur service toute leur puissance liturgique, dont l’expression la plus remarquable furent les 450 psaumes quotidiens que chantaient les moines d’Agaune dans leur basilique, devant les reliques des martyrs thébains. Ces charges nouvelles, mais aussi le processus de massification des monastères, qui semble avoir caractérisé la période, amenèrent les établissements à se doter de temporels importants, afin de pouvoir assurer l’entretien de communautés monastiques trop occupées par leurs tâches liturgiques pour avoir le loisir de travailler. Il est notable que si les sources ne nous disent rien des possessions foncières dont disposaient les monastères du ve siècle, la question des temporels prit en revanche une tout autre ampleur dans la documentation du vie siècle, comme en témoignent les exemples des monastères jurassiens, d’Agaune et de Saint-Jean d’Arles, où la gestion de la rente monastique se posa désormais avec une forte acuité. En se terminant avec la mort de Césaire, durant le deuxième quart du vie siècle, cette étude a choisi de s’arrêter à un moment charnière pour le monachisme rhodano-provençal, alors qu’il commençait à perdre la force propulsive qui avait été la sienne. Certes, le sud-est de la Gaule resta encore un foyer d’écritures ascétiques dans la seconde moitié du vie siècle, comme en témoignent la rédaction de plusieurs textes importants, à l’exemple des règles féminines et masculines de l’évêque Aurélien d’Arles († 551), de la Regula Tarnantensis ou encore de la Règle de Ferréol, voire même des œuvres hagiographiques et rhétoriques du

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patrice Dynamius. Pour autant, cette production régionale alla en diminuant, avant de s’assécher définitivement au cours du viie siècle. Les établissements de l’espace rhodano-provençal semblent être alors entrés dans une période de fortes difficultés, en raison sans doute de la crise du vie siècle et de la peste justinienne qui affectèrent particulièrement le monde méditerranéen6, mais aussi, de manière sans doute plus fondamentale, sous l’effet du processus de recentrage septentrional de l’Occident latin, qui plaçait les régions méridionales en situation périphérique. Comme l’avait toutefois souligné il y a déjà quelque temps Ian Wood7, cet essoufflement ne signifie pas que la tradition monastique rhodano-provençale aurait alors entamé un processus de déclin. Les monastères du sud-est de la Gaule avaient sans doute perdu dès le milieu du vie siècle une grande partie de leur puissance créatrice, mais ils conservèrent toutefois leurs spécificités, ce qui leur permit aussi de maintenir leur identité. Même après la réforme carolingienne, lorsque les monastères furent contraints à adopter la règle bénédictine ou à passer sous statut canonial, les établissements du sud-est de la Gaule continuèrent en effet à entretenir leurs propres traditions. Tel fut par exemple le cas d’Agaune qui put largement maintenir ses fortes orientations liturgiques, y compris après l’introduction sous Louis le Pieux de la réforme canoniale8. Ils continuèrent surtout à cultiver leurs aspirations à la séparation spatiale, en se faisant reconnaître, sous la forme de privilèges d’exemption, les libertés qu’ils avaient acquises, dans la foulée de l’autonomie que le troisième concile d’Arles avait, au milieu du ve siècle, accordé au monastère de Lérins. Tout au long du Moyen Âge, les vieux monastères du sud-est de la Gaule se caractérisèrent en effet par les libertés particulièrement développées qu’ils étaient parvenus à se faire reconnaître. Tel fut le cas de l’ancien monastère de Condadisco, qui devait désormais être désigné sous le nom de l’abbaye de Saint-Oyend puis de Saint-Claude, ou encore de l’Île-Barbe, deux établissements qui disposaient de libertés d’autant plus remarquables qu’ils se situaient dans le diocèse de Lyon, où l’autorité de l’archevêque sur les monastères fut toujours par ailleurs remarquablement forte9. Il en alla de même pour les monastères de Lérins ou de Saint-Jean d’Arles, qui furent toujours considérés comme des établissements bénéficiant d’une exemption particulièrement développée, et encore davantage sans doute

6. 7. 8.

9.

K. harPer, Comment l’empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome, Paris, 2019, en particulier p. 345-395. i. wood, « A Prelude to Columbanus : the Monastic Achievement in the Burgundian Territories », cit. Pour des échos au bas Moyen Âge de la laus perennis originelle, v. B. andenmatten, « Les abbés et la communauté abbatiale du xiiie au début du xvie siècle », dans B. andenmatten et L. riPart (éd.), L’abbaye de Saint‑Maurice d’Agaune, 515‑2015, 1. Histoire et archéologie, Gollion, 2015, p. 191-206, ici p. 200. M. ruBellin, « Monastères et évêques dans le diocèse de Lyon aux ixe et xe siècles », dans L’Église du ixe au xie siècle, Paris, 1991 (CAHMER, Histoire médiévale et archéologie 3), p. 77-93 [rééd. dans M. ruBellin, Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, 2003 (Collection d’histoire et d’archéologie médiévales 10), p. 245-264].

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pour Agaune, qui resta jusqu’au xxe siècle une abbaye nullius diocesis aux libertés exceptionnelles, formant dans la pratique un quasi-diocèse10. Les acquis des expériences développées dans les monastères du sud-est de la Gaule purent d’autant plus se maintenir, que les autres traditions monastiques leur empruntèrent beaucoup. Tel fut le cas en Italie, où les règles du Maître et de saint Benoît réutilisèrent de nombreuses prescriptions issues de la tradition rhodano-provençale, mais aussi dans l’espace mérovingien, dont les monastères s’inspirèrent tout aussi largement des expériences conduites dans les établissements du sud-est de la Gaule. Le monachisme rhodano-provençal devint ainsi l’une des sources majeures de la culture monastique unifiée, qui se construisit dans l’Occident des viie, viiie et ixe siècles, autour de la Règle de saint Benoît. Dans cette vaste synthèse du cénobitisme latin, que devait représenter le monachisme bénédictin, l’apport de la tradition rhodano-provençale ne fut en effet pas négligeable. Ses monastères laissèrent tout d’abord en héritage à la culture monastique occidentale un nombre important de textes fondamentaux, puisque les écrits de Cassien, Eucher et Césaire devinrent des classiques de la culture ascétique latine. Ils transmirent aussi à l’ensemble des moines occidentaux leurs expériences concrètes, à l’exemple du dortoir ou de la claustration des moniales, qui après être apparus dans le sud-est de la Gaule se diffusèrent dans l’ensemble de l’Occident. Ils léguèrent enfin et sans doute surtout au monachisme occidental le concept même de désert, qui devait imprégner l’ensemble de la culture religieuse, à tel point que le terme de desertum finit par désigner toute forme d’espace monastique, dès lors qu’il avait vocation à être soustrait au monde profane. À l’échelle de l’histoire monastique occidentale, les monastères du sud-est de la Gaule peuvent ainsi apparaître comme le laboratoire où fut mise au point cette conception du monastère comme espace sacré, qui constitua l’une des caractéristiques majeures de la culture monastique latine. Les pères de la Provence et de la vallée du Rhône parvinrent ainsi à imposer l’idée que le vrai moine devait être un eremita, autrement dit un « homme du désert », qui devait emprunter le chemin tracé par Antoine et Paul l’Ermite, en se retirant du monde séculier, pour partir investir le monde du désert, auquel la tradition latine avait désormais donné une dimension symbolique. Ce modèle s’imposa dans l’ensemble du monde occidental, amenant les moines à se détourner d’autres traditions monastiques antiques, qui avaient pensé une vie monastique beaucoup plus ouverte sur le monde, à l’exemple du modèle augustinien, qui finit d’ailleurs par être réservé aux seuls chanoines. À leur différence, les héritiers de Jérôme, de Cassien et d’Eucher voulurent se situer dans cette logique de rupture spatiale avec le monde que les monastères du sud-est de la Gaule avaient initiée, en inventant ces espaces sacrés, soustraits au monde séculier, que constituèrent désormais les lieux monastiques.

10. S. roulin, Une abbaye dans le siècle. Missions et ambitions de Saint‑Maurice (1870‑1970), Neuchâtel, 2019.

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INDEX

A Aaron : 201 Abel, Guy-Jean : 23 Abraham, abbé : 131, 248 Achaïe : 144 Achivus, abbé : 251, 252, 361, 371 Acilius Theodorus : 343 Adam : 36 Adon, archevêque de Vienne : 240, 241, 242, 243, 254, 255, 256 Adriatique, mer : 28, 32, 33, 41, 43, 46, 438 Aegidius, magister militum : 225, 227 Aetius, magister militum : 275 Afrique : 57, 64, 72, 73, 75, 90, 95, 104, 107, 437, 446, 447 Agano, comte : 379 Agapet, pape : 426 Agaune : 12, 13, 15, 20, 23, 135, 166, 223, 249, 251, 252, 253, 261, 262, 278, 289, 290, 291, 293, 294, 295, 296, 297, 300, 306, 311, 327, 328, 329, 330, 333, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 346, 347, 349, 350, 351, 353, 354, 355, 356, 357, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 381, 383, 384, 385, 419, 422, 431, 434, 435, 438, 442, 443, 444, 447, 448, 449, 450 Agde : 425, 429 Agricola, saint : 342 Agrippin, comte : 217, 218, 307, 311 Ainay : 218, 219, 221, 222, 226, 266 Ain, rivière : 280, 302, 306 Aix-la-Chapelle : 168, 382 Al-Andalus : 141 Alaric II, roi : 393, 415, 428 Albenga : 54, 55, 61 Albert, marquis : 69 Albi : 64 Alciati, Roberto : 8 Alémanie : 322

Alexandre l’Acémète, saint : 371 Alpes : 145, 330 Alpes-Maritimes : 183 Alpulo, prêtre : 88, 89 Altino : 40, 41 Alyscamps : 394, 400, 406, 407, 430 Amales : 369, 370, 448 Amaranthus : 64 Amâtre, évêque d’Auxerre : 335 Amblard, archevêque de Lyon : 232, 233 Ambroise, abbé : 223, 224, 232, 234, 235, 252, 371 Ambroise, évêque de Milan : 19, 30, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 70, 74, 100, 146, 179, 191, 335, 341, 342, 343, 346, 383 Amé, moine d’Habendum : 371, 435 Anastase, empereur : 369 Ancel, Marie-José : 23, 258, 259, 260, 261, 262, 267, 380, 443 Andenmatten, Bernard : 23 André, frère : 75 André, saint : 224, 231, 236, 240, 264, 266, 282, 311, 314 Anicii : 82 Ansémond : 240, 241, 242, 243, 244, 247, 248, 262, 448 Ansleubana : 240, 241 Anthénius, consul : 372 Antidiole, abbé : 283 Antioche : 31, 37 Antoine l’Ermite : 7, 8, 18, 19, 27, 29, 33, 34, 36, 49, 99, 127, 128, 132, 146, 217, 301, 302, 303, 305, 310, 326, 344, 444, 445, 446, 450 Antoine, moine de Lérins : 136 Antonini, Alessandra : 23, 329, 350, 351, 352, 353, 354 Antre, lac d’ : 281 Aoste (Isère) : 258, 260, 261, 262, 267, 271, 379, 380, 443 Aoste (Italie) : 379, 380

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Les déserts de L’Occident

Apamée : 343 Apt : 15, 115, 145 Aquilée : 31, 37, 40, 42, 45, 105, 341 Aquitaine : 104, 106, 275 Arcadius, abbé : 371 Arcadius, empereur : 72 Arles : 20, 68, 104, 105, 108, 110, 113, 114, 117, 136, 143, 144, 145, 146, 148, 153, 155, 156, 160, 161, 162, 174, 175, 177, 183, 184, 185, 186, 188, 189, 190, 193, 198, 199, 204, 205, 208, 210, 230, 253, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 271, 386, 387, 388, 390, 391, 392, 393, 394, 396, 398, 399, 401, 402, 403, 404, 406, 407, 408, 409, 410, 418, 419, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 433, 437, 443, 446, 448, 449 Armentaire, moine d’Agaune : 356, 357, 358, 359 Arnaud, Annie : 138 Arnaud, Pascal : 29 Arras : 239 Aspidia, abbesse : 245 Athanase d’Alexandrie : 36, 39, 42, 146, 217, 302 Attala, abbé : 166 Aubert, Édouard : 355 Augendus, moine : 150, 151 Augustin, évêque d’Hippone : 9, 19, 31, 74, 75, 76, 77, 78, 83, 97, 98, 99, 106, 168, 180, 181, 191, 215, 396, 408, 413, 420, 439, 441, 445 Aurelia : 215 Aurélien, abbé d’Ainay : 221 Aurélien, évêque d’’Arles : 388, 448 Aurelius Victor : 336 Ausone : 144 Autun : 236 Auvergne : 275 Auxence : 52

Avenches : 379 Avignon : 186 Avit, évêque de Vienne : 147, 242, 244, 245, 248, 249, 250, 253, 255, 256, 258, 261, 262, 278, 279, 288, 289, 290, 291, 294, 296, 318, 319, 321, 327, 330, 366, 367, 368, 371, 372, 373, 374, 385, 411, 434, 448 Avitus, empereur : 177, 275 B Bailey, Lisa : 192 Baléares : 30, 73 Balme, monastère de la : 220, 284, 285, 286, 292, 322, 397, 409, 430, 443 Barnard, archevêque de Vienne : 241 Basile, évêque de Césarée : 7, 44, 47, 48, 49, 158, 166, 178, 179, 299, 346, 384, 439 Basula : 270 Bathilde, reine : 234, 235 Baud, Anne : 23, 243 Baudonivie : 435 Becci, Remo : 23 Becker, Christine : 222 Belcari, Riccardo : 96 Belley : 261 Bender, Ludovic : 23, 354 Benjamin, fils de Jacob : 173 Benoît, comte : 379 Benoît d’Aniane, abbé : 7, 168, 231, 389, 421 Benoît de Nursie, abbé : 7, 8, 124, 165, 234, 243, 278, 314, 325, 326, 378, 381, 382, 389, 414, 450 Benoît, Fernand : 263, 390, 394, 398, 400, 405 Berchem, Denis van : 332, 336, 343 Bergeggi : 50, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68 Berger, Jean : 23 Bernard, Philippe : 369 Bérody, Gaspard : 375

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Berthe, comtesse : 62 Bertrand, évêque du Mans : 428 Bertrandy, François : 23 Besançon : 20, 217, 286, 287, 306, 360, 370, 375, 378, 379, 382 Besson, Marius : 252, 324, 344, 355, 356, 361, 377 Bethléem : 40, 106, 128, 213 Biarne, Jacques : 45, 55, 73, 166, 168 Bienne, rivière : 279, 280, 281, 284, 285, 286, 302, 303, 322 Bièvre, rivière : 258 Blaise, saint : 405 Blera (Viterbe) : 95 Blondel, Louis : 350, 353 Bobbio : 166 Boniface, comte : 379 Boniface Ier, pape : 145 Bonose : 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 43, 46, 48, 49, 50, 52, 57, 69, 74, 80, 83, 98, 99, 100, 146, 438 Borreani, Marc : 110 Bosphore : 368 Bouiron, Marc : 214, 215 Boulhol, Pascal : 212 Bourban, Pierre : 350 Bourgogne, royaume : 233, 235, 373 Brescia : 88 Bretagne : 35, 103, 105, 147, 446 Brioni : 140 Brown, Peter : 9, 21, 98, 107 Brun, Jean-Pierre : 110, 120 Bruxelles : 360 Bua, île : 34, 35 Bührer-Thierry, Geneviève : 23 Bulgarelli, Francesca : 65 Bully, Aurélia : 20, 23, 278, 285, 444 Bully, Sébastien : 20, 23, 278, 282, 284 Burchard II, archevêque de Lyon : 233 Bystritzsky, Anouk : 23, 354 C Cabrera : 30, 73 Caelestius, abbé : 249, 250

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Camaldoli : 95 Camargue : 265 Cannes : 153 Cantino Wataghin, Gisella : 23 Cappadoce : 299 Cappe, île de la : 108, 264, 265, 267, 268, 271, 277, 386, 430, 432, 437, 439 Capraia : 19, 31, 43, 45, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 83, 84, 87, 90, 92, 94, 97, 98, 99, 121, 438 Caprais : 144, 146, 147, 153, 165, 166, 172, 173, 200, 201, 204, 269 Capraria. Voir Capraia Caramagna : 62 Carétène, reine : 221 Carrias, Michel : 166 Carrié, Jean-Michel : 336, 349 Cassien, Jean : 8, 12, 14, 15, 17, 18, 19, 22, 41, 106, 107, 108, 121, 182, 211, 219, 230, 326, 439 Cassini : 118, 121 Castellas (île du Levant) : 118 Castor, évêque d’Apt : 112, 113, 115, 145, 182, 269, 271, 300, 437 Causevic-Bully, Morana : 284 Célestin Ier, pape : 145, 175, 176, 179, 207, 271, 441 Celse, saint : 342 Cerbonio, saint : 92, 93 Césaire, évêque d’’Arles : 20, 108, 180, 190, 191, 199, 201, 202, 203, 204, 205, 206, 207, 208, 214, 262, 263, 264, 265, 266, 267, 276, 277, 278, 360, 386, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 400, 401, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 433, 434, 435,

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Les déserts de L’Occident

439, 442, 443, 444, 446, 447, 448, 450 Césarie la Jeune, abbesse : 391, 392, 402, 403, 404, 405, 408, 409, 422, 429, 434 Césarie l’Ancienne, abbesse : 394, 395, 401, 402, 403, 404, 405, 422, 429, 434 Chalcédoine : 185 Chalcis : 37, 38 Chalon : 373, 427 Chaoalde, évêque de Vienne : 254 Charlemagne, empereur : 88, 212, 221, 226, 231, 233, 236, 295, 353, 382 Charles de Provence, roi : 221, 227 Charles, Joseph-Hilaire : 375 Château-Landon : 355, 356 Chelles, abbaye : 354 Chérémon, anachorète : 156 Chevalley, Éric : 23, 252, 333, 334, 335, 336, 340, 362, 365 Chifflet, Pierre-François : 360, 370 Chinon : 225, 226, 227, 231 Chorier, Nicolas : 245 Chramnelène, duc : 325 Chromace, clerc d’Aquilée : 37 Cimiez : 177, 184 Circé : 84 Clair, saint : 254 Claudien Mamert : 154 Clément, pape : 178 Clermont : 163, 248, 267, 289 Clodomir, roi : 362 Clovis Ier, roi : 289, 355, 393 Clovis II, roi : 234, 325 Cluny, abbaye : 142 Codou, Yann : 20, 23, 30, 141, 145, 163, 208, 315, 442 Colomban, abbé : 325 Colombe, sainte : 254 Columelle : 55 Condadisco : 216, 217, 218, 220, 281, 282, 283, 284, 286, 290, 292,

303, 304, 305, 307, 308, 309, 311, 312, 313, 315, 316, 319, 320, 322, 326, 328, 377, 435, 446, 449 Condes : 280, 302 Confluent, pseudo-monastère : 218, 219, 220 Conrad, roi : 227, 232, 233 Consortia, fille d’Eucher : 153 Constance Chlore, empereur : 336 Constance II, empereur : 51, 53, 438 Constantin III, empereur : 103, 104 Constantinople : 72, 210, 368, 369, 370, 385, 444 Corse : 64, 68, 73, 80, 81, 85, 86, 87, 93, 95, 97 Courreau, Joël : 202 Courtois, Christian : 167 Coutaz, Gilbert : 375 Coville, Alfred : 231, 234, 289, 290, 293, 294 Covuldo, moine : 95 Cyprien, évêque de Carthage : 179, 191 Cyprien, évêque de Toulon : 202, 392, 404 Cyrnos. Voir Corse D Dalmatie : 33, 41, 43, 46 Damase, pape : 124 Dardanus : 105 Datif, moine : 308 David, roi d’Israël : 161, 169 Deflou-Leca, Noëlle : 23 Delage, Marie-José : 390 Delamarre, Xavier : 220 Démétrias : 82 Denys, Pseudo : 9 Derrier, Jean-Pierre : 23 Desprez, Vincent : 23 Dessì, Rosa Maria : 23, 162, 204 Desvernay, Félix : 231 Didier, évêque d’Auxerre : 428 Diem, Albrecht : 7, 23, 168, 366

index

Dioclétien, empereur : 104, 335, 336 Diolcos : 123 Domnulus : 287, 307, 319 Donat, évêque Besançon : 388 Drabistion, abbé : 371 Dubreucq, Alain : 12, 23, 220, 228, 230, 235, 291, 295, 299, 300, 326, 360 Dulaey, Martine : 154, 171 Dupraz, Louis : 331, 332, 335, 340, 363 Dynamius, convers : 214, 215 Dynamius, patrice : 174, 205, 449 E Ééa, île : 84 Égérie : 17, 344 Eggenberger, Peter : 322 Égypte : 41, 124, 125, 128, 157, 159, 168, 169, 269, 330, 344, 345 Elbe, île : 92, 93, 95, 97 Élie, prophète : 161 Élisée, prophète : 161 Ennode, évêque de Pavie : 108, 115, 116, 205, 294 Éone, évêque d’Arles : 202, 262, 263, 386, 387, 395, 402 Épaone : 365, 367 Épiphane, évêque de Pavie : 115, 133, 186, 205 Équestres, pagus des : 280, 303 Espagne : 446, 447 Étaix, Raymond : 389 Étienne, diacre de l’église d’’Arles : 392 Étienne, évêque de Lyon : 289, 290, 291, 293 Étienne, saint : 82, 283, 398 Eubona, abbesse : 240 Eucher, évêque de Lyon : 196, 198, 207, 208, 307, 331, 336, 431, 433 Eudoxe : 75, 99 Eugène de Carthage, saint : 63, 64, 65, 67, 70

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Eugenia. Voir Remilia Eugippe, abbé : 414 Euphronius, évêque d’Autun : 287 Euric, roi : 115, 193, 194, 199, 208, 276 Eusèbe, clerc d’Aquilée : 37 Eusèbe d’Alexandrie, pseudo : 191 Eusèbe de Césarée : 345 Eusèbe, évêque de Verceil : 27, 191, 343, 344 Eusèbe Gallican, pseudo : 187, 190, 191, 192, 193, 198, 199, 201, 202, 253 Eustase, frère : 75 Eustochium : 50, 124, 125, 410, 412 Eutrope, évêque d’Orange : 216 Évagre, évêque d’Antioche : 32, 37 Évagre le Pontique : 128, 129, 133, 172 Ézéchiel : 39 F Fabiola : 42, 43, 45, 46 Fara : 324 Faremoutiers : 324 Farfa, abbaye : 96, 354 Faucille, col de la : 280, 281 Fauste, évêque de Riez : 108, 136, 147, 163, 168, 174, 181, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 193, 194, 196, 197, 198, 199, 200, 201, 202, 203, 208, 267, 271, 276, 412, 433, 442, 446, 448 Favrod, Justin : 23, 294, 333, 349 Félix de Milan, saint : 335 Félix de Nole, saint : 27 Félix, gouverneur : 87 Ferréol de Vienne, saint : 254, 255, 256, 257 Ferréol, évêque d’Uzès : 315, 448 Février, Paul-Albert : 390, 394, 399, 407 Firmianus. Voir Lactance Firmin, évêque d’Uzès : 392 Fixot, Michel : 211

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Les déserts de L’Occident

Flammin, Anne : 243 Florentius, consul : 372 Florus : 286, 292 Foedula : 245, 246, 247 Fontaine, Jacques : 53 France : 360, 366 Francie : 11, 232 Frédebold, comte : 379 Frédégaire, pseudo : 330, 373 Frédemar, comte : 379 Fréjus : 146, 185, 189, 208, 253 Fribourg : 331 Frondoni, Alessandra : 69 Fructueux, évêque de Braga : 10, 314 Fuscine : 244, 245, 247, 248, 402 G Gaillard, Charlotte : 23, 224, 225 Galère, la (Porquerolles) : 111 Galla, épouse d’Eucher : 150, 151, 152, 153, 159, 208 Gallinara : 19, 30, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 68, 70, 81, 99, 438 Gallinaria. Voir Gallinara Garbot, Guillaume : 231 Gaule : 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 21, 22, 23, 28, 51, 52, 56, 58, 64, 78, 80, 82, 83, 103, 104, 105, 107, 115, 120, 121, 135, 147, 162, 169, 174, 176, 177, 179, 181, 207, 208, 210, 225, 226, 268, 271, 275, 276, 277, 301, 302, 310, 328, 329, 336, 341, 342, 347, 370, 383, 388, 400, 415, 423, 430, 431, 435, 437, 438, 441, 443, 444, 445, 446, 447, 448, 449, 450 Gauthier, évêque de Toulon : 117 Gélase, moine : 150, 151 Gélase, pape : 210 Genès d’Arles, saint : 400, 408 Genès, évêque de Lyon : 234 Genève : 155, 306, 310, 379

Gennade, prêtre de Marseille : 169, 191, 210, 211, 214, 215, 216, 386 Géréon de Cologne, saint : 340 Germain, ami de Cassien : 123, 128, 131 Germain, évêque d’Auxerre : 338 Gervais, saint : 245, 246, 247, 342, 448 Giannutri : 92 Giens : 109 Giglio : 92, 95 Gildon, comte : 72, 74, 75, 78, 439 Gioanni, Stéphane : 23, 180, 441 Givrine, col de la : 280, 281 Glorie, François : 190, 191 Gomôn, monastère : 368 Gondebaud, roi : 294, 329, 369, 372, 374 Gondeulf, comte : 379 Gontran, roi : 373 Goodrich, Richard J. : 103 Gorgona : 19, 31, 71, 80, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 97, 98, 116, 121, 122, 133, 249, 269, 438, 439 Grand-Saint-Bernard, col : 347 Granieu : 261, 262 Grégoire, évêque de Nazianze : 178, 179 Grégoire, évêque de Nysse : 178, 179 Grégoire, évêque de Tours : 64, 211, 212, 218, 221, 225, 226, 227, 230, 231, 234, 235, 236, 255, 256, 257, 267, 278, 279, 289, 290, 291, 292, 304, 305, 308, 309, 317, 321, 322, 330, 355, 372, 374, 375, 413, 415, 420, 435, 443 Grégoire le Grand, pape : 31, 68, 73, 85, 86, 87, 94, 95, 96, 214, 215, 446 Grégoire le Thaumaturge : 301 Grenoble : 238, 251, 252, 253, 258, 261, 262, 371, 379, 380 Grigny, commune : 258

index

Grigny, monastère : 86, 219, 248, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 255, 256, 257, 258, 261, 262, 266, 267, 268, 271, 371, 377, 380, 443 Guex, Marie-Paule : 23, 350, 354 Guichard, Laurent : 23 Guiers, rivière : 258 Gunthamund, roi : 64 H Habendum, monastère : 371 Hallinger, Kassius : 371 Hamage, monastère : 260, 313, 327 Hausmann, Germain : 23, 380 Hauture, acropole d’Arles : 398 Hecquet-Noti, Nicole : 244, 245 Heijmans, Marc : 21, 264, 390, 399, 400, 401, 406, 407, 429 Heinzelmann, Martin : 245, 290, 402 Heldebert, abbé : 232 Héliodore, évêque d’Altino : 33, 40, 41 Helladius, évêque d’Arles ? : 113, 114, 123, 145, 147, 148, 157, 207 Helvétius, Anne-Marie : 23, 166, 359, 361, 365, 367, 370 Héraclius, militaire : 251 Héribert, évêque de Cologne : 230 Héros, moine : 105 Hersfeld, abbaye : 354 Hesse, Albert : 119 Hésychius, évêque de Vienne : 244, 245, 248, 262, 402, 434, 448 Hilaire, évêque d’Arles : 108, 143, 144, 145, 146, 147, 148, 149, 151, 152, 154, 155, 160, 161, 171, 186, 187, 190, 191, 217, 263, 264, 266, 271, 306, 400, 435, 446 Hilaire, évêque de Poitiers : 51, 57 Hilaire, pape : 183, 184 Hilarion de Gaza : 18, 40, 302, 360 Hilpéric, roi : 306, 321 Hippone : 74, 75, 76, 78, 215, 397

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Hispanie. Voir Espagne Honorat, évêque d’Arles : 57, 113, 114, 115, 123, 143, 185, 187, 188, 199, 307 Honorat, évêque de Marseille : 155, 173 Honorius, empereur : 34, 35, 72, 104 Hormisdas, pape : 391, 421, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 434 Hubert, Jean : 398, 406 Hugues d’Arles : 237, 238 Hugues de Champfleury : 356 Hunéric, roi : 64 Hyères, îles d’ : 19, 20, 108, 109, 110, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 121, 122, 123, 128, 129, 130, 131, 133, 134, 157, 158, 163, 184, 207, 250, 253, 268, 269, 357 Hymétius, magicien : 35 Hymnémode, abbé : 223, 249, 250, 251, 252, 253, 254, 369, 370, 447 Hypaea. Voir Levant, île du I Île-Barbe : 108, 222, 223, 224, 225, 226, 227, 228, 229, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 252, 265, 267, 268, 271, 277, 306, 371, 377, 422, 433, 437, 439, 446, 449 Illyrie : 51, 341 Infante, moine : 95 Innocent III, pape : 117 Innocents, saints : 213 Iogna-Prat, Dominique : 23 Iona, monastère : 432 Irénaion, monastère : 369, 370, 371 Isaac, évêque de Genève : 331, 341 Isaïa, Marie-Céline : 23, 233, 445 Isère, département : 379, 380 Isidore, évêque de Séville : 10 Israël, alias Jacob : 129, 130 Istochio, moine : 95

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Les déserts de L’Occident

Italie : 19, 28, 29, 45, 50, 52, 55, 57, 73, 82, 88, 90, 103, 258, 275, 324, 341, 347, 393, 413, 437, 438, 439, 443, 446, 447, 450 Izernore : 220, 302, 307 J Jacob, alias Israël : 129, 130, 170 Jacques, évêque de Lucca : 88 Jacques, évêque de Tarentaise : 175 Jahn, Albert : 292 Jean, abbé : 130, 131 Jean-Baptiste, saint : 161, 169, 171, 387, 405 Jean Chrysostome : 179, 210 Jean de Lycopolis : 169, 170 Jean de Patmos : 35, 36, 37, 39 Jean, évêque de Chalon : 287 Jean II, pape : 368 Jean l’apôtre : 35, 356 Jean l’évangéliste : 35 Jean, moine d’Agaune : 356, 357, 358, 359 Jérôme de Stridon : 8, 17, 18, 19, 30, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 57, 70, 73, 74, 75, 82, 84, 98, 99, 106, 107, 115, 116, 124, 125, 127, 158, 186, 210, 305, 306, 344, 410, 411, 412, 413, 438, 445 Jérusalem : 32, 39, 125, 126, 127, 128, 206, 208 Jésus-Christ : 33, 35, 36, 38, 72, 75, 106, 114, 144, 145, 150, 151, 152, 161, 168, 169, 188, 197, 201, 206, 245, 250, 270, 285, 296, 298, 299, 310, 341, 345, 363, 368, 374, 395, 401, 402, 408 Jonas de Bobbio : 325 Jörg, Christoph : 353 Joseph, anachorète : 156 Jovin, clerc d’Aquilée : 37

Jovinien, hérétique : 34, 35, 100, 342 Jovinien, moine des îles d’Hyères : 114, 115, 116, 121, 357 Jovinus, usurpateur : 104 Judée : 36, 169 Judic, Bruno : 23 Julie, martyre : 87, 88 Julien, ami de Jérôme : 46 Julien de Brioude, saint : 255, 256 Julien Pomère : 386 Jullian, Camille : 53, 54, 438 Junius Marinus : 349 Jupiter : 347 Jura : 12, 13, 14, 15, 20, 148, 216, 217, 277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 284, 285, 286, 287, 292, 293, 295, 296, 297, 298, 300, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 309, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 317, 319, 321, 323, 325, 326, 327, 328, 357, 358, 359, 360, 378, 397, 414, 433, 434, 443, 445 Just, abbé : 253 Justinien, empereur : 275, 368 K Kasper, Clemens : 151, 166, 346 Kellia : 123 Kölzer, Theo : 227, 242, 243 Krusch, Bruno : 252, 292, 331, 332, 336, 361, 364, 427 L Labinia : 86 Lactance : 179 Lafon, Xavier : 140 Lambert de Deutz : 230 Lamboglia, Nino : 61, 62, 65, 66 Landévennec, monastère : 432 La Spezia : 67 Latium : 43, 45, 78, 91, 96 Lauconne : 283, 284, 286, 308, 316, 322

index

Laurent, antipape : 423 Lausanne : 379 Lauwers, Michel : 17, 23, 30, 162, 204, 212 Le Batéguier : 136, 139, 140 Le Blant, Edmond : 58 Léger, archevêque de Vienne : 254, 257 Leibulfe, comte : 264 Leidrade, évêque de Lyon : 221, 226, 231, 233, 236 Le Laboureur, Claude : 227, 228, 234 Léman, lac : 275, 306, 347 Lenkaytike, Manke : 23 Léonce, évêque d’Arles : 183 Léonce, évêque de Fréjus : 113, 114, 123, 145, 146, 148, 157, 165, 166, 180, 184, 185 Léonce, moine des îles d’Hyères : 114, 116, 121, 357 Léonien, abbé : 236, 237, 238, 239, 240, 241, 243, 244, 247, 248, 262, 269, 307, 329 Léon le Grand, pape : 183 Leporius, moine : 107 Lerina. Voir Saint-Honorat, île Lériné : 138 Lérins : 12, 13, 15, 20, 28, 49, 103, 108, 113, 114, 115, 123, 134, 135, 136, 137, 138, 142, 143, 146, 147, 149, 151, 152, 154, 155, 160, 161, 164, 165, 166, 168, 174, 175, 176, 180, 181, 185, 186, 187, 188, 190, 192, 194, 199, 201, 202, 204, 205, 206, 207, 209, 249, 250, 253, 262, 264, 265, 266, 268, 270, 271, 277, 296, 328, 358, 386, 412, 417, 422, 430, 431, 432, 434, 439, 441, 449 Lero. Voir Sainte-Marguerite, île Lérôn : 138 Lesne, Émile : 424, 425 Levant, île du : 109, 110, 112, 118 Levillain, Léon : 366

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Leyser, Conrad : 162 Licinius, abbé : 232, 234 Ligugé : 27 Ligurie : 50, 62, 97 Liliola : 405 Lindisfarne, monastère : 432 Livourne : 83 Lothaire II, roi : 237 Louis, Étienne : 313 Louis Ier le Pieux, empereur : 68, 226, 227, 241, 242, 264, 286, 449 Louis IV, roi : 356 Louis VII, roi : 356 Loup, évêque de Lyon : 232, 233, 234, 235 Loup, évêque de Troyes : 147, 152, 153, 163, 173, 174, 204, 207, 271 Loyen, André : 287 Lucca : 88 Lucius, évêque de Luni : 68, 69 Luni : 68, 69, 87 Lupicin, abbé : 217, 278, 283, 284, 286, 291, 298, 299, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 314, 315, 317, 318, 321, 322 Luxeuil : 135, 235 Lyon : 20, 108, 174, 180, 186, 198, 210, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 236, 251, 253, 258, 266, 267, 286, 287, 289, 290, 291, 294, 327, 328, 330, 331, 334, 373, 378, 379, 380, 384, 386, 437, 443, 449 Lyonnaise : 275, 287 M Macaire : 164, 165, 166, 170 Mâcon : 382 Magnus, évêque de Sens : 355 Maître, abbé : 124, 165, 325, 326, 414, 417, 450

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Les déserts de L’Occident

Majorque : 73 Malaspina, Elena : 288 Malchus le Captif : 18 Mamert, évêque de Vienne : 248, 256 Mamilien, saint : 94, 95, 96 Manassès, archevêque d’Arles : 265 Mandelieu : 153 Marazzi, Federico : 16 Marcel, saint : 373 Maredsous, abbaye : 389 Margherita, villa de Gorgona : 90, 98 Mariaux, Pierre Alain : 23 Marie de Béthanie : 130 Marie-Liesse, sœur sœur :: 23 23 Marie, sainte : 401, 405 Marin, abbé : 166, 296, 299, 300, 431 Marius, évêque d’Avenches : 364, 372 Markus Robert : 19, 130 Marmoutier : 14, 27, 58, 59, 99 Marseille : 13, 20, 104, 105, 106, 108, 110, 115, 144, 175, 210, 211, 213, 214, 215, 216, 219, 263, 266, 267, 328, 384, 386, 395, 430, 437, 439, 446 Marthe de Béthanie : 130 Martignoni, Marco : 66 Martigny : 337, 338, 341, 342, 343, 344, 347, 364, 366 Martine, François : 220, 278, 292, 293, 295, 297, 315 Martin, évêque de Tours : 14, 15, 19, 27, 30, 50, 51, 52, 53, 54, 56, 57, 58, 59, 61, 62, 70, 99, 105, 225, 226, 227, 231, 235, 236, 245, 246, 270, 278, 301, 302, 311, 317, 326, 335, 401, 405, 438, 445, 446 Martinien, moine : 106 Martorelli, Rossana : 30 Masai, François : 12, 165, 293, 294, 295, 297, 358, 359, 365 Mascezel : 72, 73, 74, 75, 78, 98, 439 Massongex : 347 Mathisen, Ralph : 236

Matthieu l’évangéliste : 171 Maurice d’Agaune, saint : 20, 327, 328, 329, 330, 331, 333, 334, 337, 338, 341, 343, 344, 345, 350, 354, 355, 356, 357, 367, 374, 376, 384, 385, 431 Maurice d’Apamée, saint : 344 Maxence, moine : 310 Maxime, abbé de l’île-Barbe. Voir Mexme, saint Maxime, évêque de Genève : 249, 253, 255, 256, 258, 261, 262, 363, 364, 365, 376, 379 Maxime, évêque de Riez : 136, 145, 147, 160, 163, 166, 173, 174, 183, 184, 186, 187, 188, 189, 190, 192, 193, 202, 204, 207, 208 Maximien, empereur : 330, 335, 336, 337, 343 Mazel, Florian : 214 Mèdes, île de Porquerolles : 118, 121, 122, 132, 133, 134, 270, 441 Méditerranée, mer : 30, 55, 70, 72, 84, 271, 275, 307, 433 Mélanie la Jeune : 17 Mélanie l’Ancienne : 17 Ménerbes (Vaucluse) : 145, 437 Mercure : 348 Mésée. Voir Port-Cros, île Mésopotamie : 41 Messien, prêtre de l’église d’Arles : 392 Mexme, saint : 225, 226, 227, 228, 230, 231, 232, 234, 235, 236 Michel, Jean-Marie : 110 Migne, Jean-Baptiste : 191 Milan : 28, 47, 48, 51, 52, 53, 72, 215, 342, 343 Minervius, moine des îles d’Hyères : 114, 115, 116, 121, 357 Minucius Felix : 179 Miola, Maria del Fiat : 413 Mithra : 343 Moïse : 18, 161, 201

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Mont-Cassin : 326 Montecristo : 92, 94, 95, 96 Mordefroid, Jean-Luc : 20, 278, 281, 282 Morerod, Jean-Daniel : 324 Morin, Germain : 201, 389, 403, 404, 427 Mourgues, tour (Arles) : 400 Moyse, Gérard : 325 Müller, Wulf : 333, 379 Mundó, Anscari : 165 Munich : 228 N Nabor de Milan, saint : 335 Näf, Beat : 23 Narbonnaise : 106, 175, 179, 183 Narbonne : 106, 217 Nazaire, saint : 342 Nectarius, évêque d’Avignon : 186 Népotien : 40, 41, 50 Nesteros, anachorète : 156 Nestorius de Constantinople : 230 Neufville, Jean : 165 Neustrie : 325 Nice : 23 Nicée : 331 Nil : 123, 156 Nimmegeers, Nathanaël : 23, 239, 247, 254 Noé : 395 Noizet, Hélène : 355 Nole : 27 Noton, évêque d’Arles : 264 Notre-Dame-de-Beaulieu, Arles : 406 Notre-Dame, île de Porquerolles : 112, 121, 122, 133, 441 Novatien, prêtre de Rome : 191 Novempopulanie : 104 Nozon : 325 Nyon : 280, 303, 304 O Océanus : 42, 45, 73 Octodure : 443. Voir Martigny

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Oldéric-Manfred, marquis : 62 Orange : 155, 203, 216, 442 Origène : 129, 130 Orléans : 289, 392 Orose, abbé : 86, 87, 94 Orose, historien : 17, 31, 72, 73, 74, 78, 98, 99, 336 Ostrogotho, épouse de Sigismond : 372 Oyend, abbé : 278, 283, 286, 288, 289, 291, 292, 293, 294, 298, 299, 301, 302, 306, 307, 311, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 327 P Pachôme : 7, 8, 299, 396, 413, 445 Pallade d’Hélénopolis : 170, 341 Pallade, moine : 306 Palladia : 152, 153 Palladius, évêque d’Arles : 392 Palladius, évêque de Ratiaria : 341 Palmaria : 67, 68 Pannonie : 236 Papebrock, Daniel : 292 Paphnuce : 164, 165 Parron, Isabelle : 222 Pasqualini, Michel : 29, 110 Patiens, évêque de Lyon : 287 Patmos : 35, 36, 39 Patrocle, évêque d’Arles : 113, 145, 175 Paula : 17 Paul, évêque de Chalon : 287 Paulin de Milan : 74 Paulin de Pella : 107, 446 Paulin de Périgueux : 58 Paulin, évêque de Nole : 45, 99, 106, 108, 136, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 159, 164, 178, 179, 207, 208, 215, 216, 228, 433 Paul l’Ermite : 18, 29, 39, 127, 128, 302, 305, 306, 326, 433, 444, 445, 450 Paul, saint : 282, 311, 314

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Les déserts de L’Occident

Pélage, hérétique : 181, 410, 411, 412 Pelletier, Jean-Pierre : 211 Pépin, roi d’Italie : 88 Philon d’Alexandrie : 129 Philon, prêtre de Lyon : 227, 228, 229, 230, 231, 234, 236 Phocas : 68 Piamun, abbé : 123, 126, 128, 129, 130 Pianosa : 92, 95, 97 Pichéry, Eugène : 157 Pierre, abbé : 130 Pierre Damien : 230 Pierre, saint : 183, 282, 311, 314 Pietri, Luce : 21, 58, 355, 366, 402, 404 Pimeniola : 152, 153 Pinetum : 19, 43, 44, 45, 49, 99, 438 Piras, Antonio : 30 Pise : 84, 88 Planasia. Voir Lerina Poitiers : 388, 406, 430, 435, 447 Pomponiana : 111 Poncin (Ain) : 306 Populonia : 79, 93 Porcaire Ier, abbé : 135, 166 Porcaire II, abbé : 142 Porcelet, famille : 265 Porcelet, Guillaume : 265 Porcelet, Sacristane : 265 Porgani, Grégoire : 231 Porquerolles, île : 109, 110, 111, 112, 118, 133, 134, 163, 249, 269, 270, 271, 277, 432, 439, 441, 444 Porquerolles, village : 111 Port-Cros, île : 109, 110, 112 Portus Pisanus : 84 Postumanius : 15, 53 Pricoco, Salvatore : 154, 155, 167, 168, 169, 332, 334 Primuliacum : 51 Principius, évêque : 163 Prinz, Friedrich : 13, 14, 15, 105, 134, 167, 209, 236, 263, 444, 445, 446

Priscillien, évêque d’Avila : 35 Priscus Valerianus. Voir Valérien Probus, prêtre de Grenoble : 360, 371, 378 Proculus, évêque de Marseille : 105, 106, 107, 144, 175, 215, 263, 446 Prosper d’Aquitaine : 105, 106, 107, 113, 446 Protais, saint : 245, 246, 247, 342, 448 Protée. Voir Porquerolles, île Provence : 13, 19, 104, 105, 106, 107, 115, 205, 268, 269, 275, 276, 277, 369, 413, 415, 427, 431, 432, 435, 437, 439, 441, 446, 447, 450 Q Quesnel, Pasquier : 292 Quintianus, évêque de Rodez : 289, 290 Quintius : 339 R Rachinard, évêque de Pise : 88 Radegonde, reine : 388, 402, 406, 415, 430, 435, 447 Rauwel, Alain : 23, 338 Ravennius, évêque d’Arles : 183 Raynaud, Théophile : 228 Regolo, saint : 92, 93 Reichenau : 226 Rémi, évêque de Reims : 428 Remilia : 240, 241 Remiremont : 371 Respecta, abbesse : 214 Reydellet, Marc : 288 Reynaud, Jean-François : 257 Rhin, fleuve : 103, 147 Rhône, département : 258 Rhône, fleuve : 13, 108, 218, 221, 237, 256, 257, 258, 264, 265, 266, 271, 275, 276, 277, 331, 347, 349, 387, 431, 432, 434, 437, 441, 446, 447, 450

index

Richilde, abbesse : 402 Riera Rullan, Mateu : 30 Riez : 174, 184, 186, 187, 190, 191, 192, 193, 194, 208 Rodez : 289 Rodolphe, abbé de Saint-Maurice : 356 Rodolphe II, roi : 356 Rodolphe III, roi : 379, 383 Roduit, Cédric : 23, 252, 333 Roduit, Olivier : 23 Romain, abbé : 216, 217, 218, 220, 222, 236, 257, 278, 280, 283, 284, 285, 286, 287, 291, 292, 298, 299, 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 318, 322, 324, 325, 338, 358, 397 Romain-de-Roche, chapelle : 285 Romainmôtier : 279, 322, 323, 324, 325, 377 Rome : 27, 28, 42, 43, 45, 52, 56, 72, 78, 82, 103, 106, 124, 179, 215, 280, 307, 311, 324, 334, 390, 421, 422, 423 Romulus Augustule, empereur : 275 Rosenwein, Barbara : 365, 369 Rostaing, archevêque d’Arles : 405 Rubellin, Michel : 232, 233 Rufin d’Aquilée : 17, 18, 31, 32, 33, 34, 36, 37, 38, 41, 42, 43, 44, 45, 49, 75, 98, 99, 107, 166, 170, 301, 344, 345, 346, 384, 439, 445 Rurice, évêque de Limoges : 193, 194 Rusticus, évêque de Lyon : 290, 294 Rusticus, évêque de Narbonne : 106 Rusticus, moine d’Agaune : 353 Rutilius Namatianus : 31, 73, 78, 79, 80, 83, 84, 85, 97, 98, 99 S Saba : 206 Sabin, abbé : 216, 217, 220, 221, 222, 226, 236, 269, 300, 302, 439 Sabinien, moine : 310, 313

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Saint-André, île. Voir Cappe, île de la Saint-André-le-Bas de Vienne : 239, 240, 241, 242, 243, 245, 262, 266 Saint-André-le-Haut de Vienne : 240, 241, 242, 243, 244, 247, 248, 262, 386, 443 Saint-Cassien de Marseille : 215, 386 Saint-Césaire d’Arles, abbaye. Voir Saint-Jean d’Arles, monastère Saint-Césaire d’Arles, enclos : 390, 398, 399, 400, 401, 405, 406, 407, 429 Saint-Césaire-le-Vieux, église d’Arles : 394 Saint-Cirgues de Clermont : 248 Saint-Clair, église d’Aoste : 259 Saint-Claude : 281, 283, 284, 285, 322, 449 Saint-Denis, monastère : 365 Sainte-Anne, tour (île Sainte-Marguerite) : 139 Sainte-Blandine, crypte d’Ainay : 222 Sainte-Colombe, église de Vienne : 255 Sainte-Croix de Poitiers, monastère : 415 Sainte-Marguerite, île : 116, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 150, 151, 152, 153, 154, 155, 156, 159, 161, 167, 177, 182, 185, 189, 196, 198, 204, 205, 207, 208, 270, 271, 441, 442 Sainte-Marie d’Arles, basilique : 406, 407, 408, 415, 429 Sainte-Marie-des-Accoules, abbaye : 211, 213, 214 Saint-Estève, monastère : 145, 437 Saint-Étienne, église de Saint-Claude : 283 Saint-Ferréol, église de Vienne : 254, 255, 256, 257, 262 Saint-Gingolph : 306 Saint-Honorat, île : 116, 134, 136, 137, 141, 145, 148, 150, 151, 153,

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Les déserts de L’Occident

154, 156, 157, 159, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 166, 167, 169, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 182, 184, 185, 186, 187, 188, 189, 190, 193, 195, 196, 197, 198, 202, 203, 204, 205, 207, 208, 224, 268, 270, 271, 439, 441, 442 Saint-Jean d’Arles, monastère : 12, 13, 202, 391, 392, 393, 394, 395, 397, 398, 399, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 409, 413, 414, 415, 419, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 433, 434, 435, 446, 447, 448, 449 Saint-Joseph, chapelle d’Ainay : 222 Saint-Lupicin, monastère : 284, 286 Saint-Lupicin, village : 284, 285 Saint-Mamilien, abbaye : 94, 95 Saint-Marcel de Vienne : 238, 239, 262 Saint-Marcel-lès-Chalon, monastère : 135, 373 Saint-Martin de Tours : 58, 308 Saint-Maurice de Vienne : 240, 241 Saint-Michel de Lyon : 221 Saint-Oyend, abbaye. Voir Condadisco Saint-Oyend, église de Saint-Claude : 282, 283 Saint-Pierre de Lyon : 221, 235, 386 Saint-Pierre de Pise, monastère : 88 Saint-Pierre de Vienne : 237, 239, 245, 262, 266 Saint-Romain-en-Gal : 257 Saint-Sauveur, chapelle du (Lérins) : 141, 163, 208, 315, 442 Saints-Gervais-et-Protais de Vienne : 245, 246, 262 Saint-Trophime d’Arles : 398 Saint-Vénère de Tino, abbaye : 69 Saint-Victor de Marseille : 211, 212, 213, 214, 215, 254, 265, 266 Salamito, Jean-Marie : 181 Salomon, roi : 206 Salonius : 154, 155

Salvien, prêtre de Marseille : 152, 154, 181, 446 Salvius, évêque d’Octodure : 331, 338, 341, 342 Santa Maria alla Cala, église : 96 Santa Maria Assunta (Capraia) : 81 Santa Maria del Mignone, prieuré : 95 Saône, rivière : 218, 221, 222, 225, 231, 234, 275 Sapaudia : 331 Sapient, abbé : 283 Sardaigne : 88, 93, 95, 97 Saturnin, prêtre : 87 Scalfati, Silvio : 93 Scalo, port de Gorgona : 89, 90, 98 Scété : 123 Schilling, Beate : 23, 241, 242, 243, 248 Schneider, Laurent : 23, 120 Secundianus, évêque de Singidinum : 341 Ségéric, roi : 372 Seine-et-Marne, département : 355 Seine, fleuve : 373 Senzio, saint : 95 Séquanie : 275, 287, 309, 322 Sérapion : 164, 165 Sergi, Guiseppe : 23 Séverin, saint : 355, 356 Shénouté : 86 Sicile : 45 Sidoine Apollinaire : 147, 163, 177, 191, 204, 208, 248, 249, 267, 276, 278, 279, 287, 307, 319 Sigismond, roi : 20, 223, 233, 252, 253, 276, 293, 294, 295, 329, 347, 352, 353, 356, 358, 359, 360, 361, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 369, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 379, 380, 381, 384, 385, 443, 447 Sinaï : 18 Sion : 338, 376 Sirice, pape : 342

index

Sisteron : 105 Sohag : 86 Sozomène : 57 Spanu, Pier Giorgio : 30 Sperlonga : 91 Split : 35 Spolète : 23, 167 Stéphane, préposé du roi : 276 Stilicon : 72, 439 Strabon : 110, 138, 139, 204 Straeten, Joseph van der : 239 Sulpice Sévère : 14, 18, 30, 35, 51, 52, 53, 54, 57, 58, 70, 84, 99, 116, 126, 186, 270, 301, 302, 335, 345, 438 Susi, Eugenio : 93, 95 Syagria : 307, 311 Syagrii : 307 Symmaque, defensor de l’église romaine : 85, 86 Symmaque, pape : 423, 424 Symphorien d’Autun, saint : 335 Syrie : 344 Szafranowski, Jerzy : 319 T Tacite : 110 Tacon, rivière : 281, 303 Tarentaise : 175 Teredius : 403, 404, 434 Terracine : 45 Terrebasse, Alfred de : 237 Tertullien : 35, 36, 38, 99 Teudemond, comte : 379 Thébaïde : 344 Thèbes : 330 Théodore, adepte de Mithra : 343 Théodore, évêque de Fréjus : 183, 184, 185 Théodore, évêque d’Octodure : 331, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 351, 352, 353, 360, 376, 379, 383, 384, 438 Théodore, moine des îles d’Hyères : 114, 116, 121, 128, 184

535

Théodoret de Cyr : 344 Théodoric, roi : 369, 393 Théodose, empereur : 72 Théopolis : 105 Therasia : 152 Theurillat, Jean-Marie : 361, 362, 364, 375, 379, 381, 382 Tibère : 91 Tigridius, moine : 150, 151 Tinetto : 67 Tino : 50, 67, 68, 69 Torrenté, Linda de : 346 Toscane : 43, 81, 89, 92 Totila, roi : 92, 93 Toul : 147 Toulon : 117, 118 Toulouse : 115 Tours : 27, 58, 225, 226, 227, 246, 270 Tranquillus, abbé : 361, 362 Transjurane : 325 Trau, archipel de : 35 Tre Fontane, abbaye : 92 Treglia, Jean-Christophe : 119, 120 Trêves : 107 Trinquetaille, Arles : 264 Trois-Apôtres, église de Saint-Claude : 281, 282, 315 Troyes : 174 Turin : 105, 375 Tuscia. Voir Toscane Tyrrhénienne, mer : 28, 42, 43, 45, 55, 73, 85, 88, 439 U Ursace : 44, 99 Ursole, abbé : 253 V Vada Volaterrana : 79, 84 Valais : 261, 327, 330, 342, 343, 344, 350, 369, 376 Valentinien Ier, empereur : 35 Valérien : 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 190, 207.

536

Les déserts de L’Occident

Vannes : 200 Varaldo, Carlo : 29 Varaschin, Denis : 23 Varron : 55 Vaucluse, département : 145 Vaud, pays de : 322, 377, 379 Venance Fortunat : 56, 57, 58, 435 Venance, frère d’Honorat : 144, 159 Vénère, saint : 67, 68, 69, 70 Vérolliez : 358, 359, 379 Verus, évêque d’Orange : 216 Victor de Marseille, saint : 211, 212 Victor de Milan, saint : 335 Victor de Vita : 64 Victorius, évêque de Grenoble : 251, 252, 376, 377, 378, 379 Victrice, évêque de Rouen : 342, 343 Vienne : 20, 106, 108, 210, 219, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 244, 246, 247, 248, 249, 252, 253, 254, 255, 257, 258, 261, 262, 266, 267, 290, 328, 329, 366, 367, 368, 379, 380, 384, 386, 409, 434, 443, 448 Viennoise : 105, 106, 115, 175, 179, 183, 253 Villards-d’Héria : 281 Vincent de Lérins : 135, 148, 154, 163, 173, 174, 181, 207, 208, 433, 446 Vincent, saint : 264 Vindry, Georges : 138

Vintimille : 55 Virgile : 33 Vital, saint : 342 Viterbe : 95 Viventiole, évêque de Lyon : 223, 252, 288, 289, 290, 291, 294, 295, 296, 318, 319, 320, 321, 327, 378, 379 Viventius, évêque : 392 Vogüé, Adalbert de : 21, 36, 38, 122, 164, 165, 166, 169, 171, 172, 181, 182, 187, 195, 202, 215, 288, 295, 297, 315, 325, 333, 334, 345, 390, 397, 401, 403, 406, 410, 413, 414, 422, 425, 427 Volsques, province des. Voir Latium Volusien, moine : 248 Vouillé : 289 Vregille, Bernard de : 360 W Wagner, Anne : 23 Weiss, Jean-Pierre : 166, 177, 184, 193 Wermelinger, Otto : 343, 344, 346 Wiblé, François : 343 Willicaire, évêque Vienne : 256 Wood, Ian : 449 Woods, David : 144 Wotke, Karl : 331 Z Ziph : 169

TABLE DES ILLUSTRATIONS i – les origines italiennes des déserts insulaires (fin ive-déBut ve siècle) Figure 1 : Les espaces insulaires du monachisme en Ligurie. ……………… Figure 2 : L’île de Gallinara. ………………………………………………… Figure 3 : Les sites archéologiques de Gallinara. …………………………… Figure 4 : L’île de Bergeggi. ………………………………………………… Figure 5 : Les îles de Palmaria, Tino et Tinetto. ……………………………… Figure 6 : L’archipel toscan. ………………………………………………… Figure 7 : Site de la villa romaine de l’île de Capraia. ……………………… Figure 8 : La villa romaine et le monastère médiéval de Gorgona. …………

51 54 59 63 67 71 82 91

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens (ve siècle) Figure 9 : Les îles d’Hyères. ……………………………………………… Figure 10 : Les sites archéologiques antiques de l’île de Porquerolles. …… Figure 11 : Le site archéologique des Mèdes ……………………………… Figure 12 : Les sites archéologiques de Porquerolles durant l’Antiquité tardive. ………………………………………………… Figure 13 : Les îles de Lérins. ……………………………………………… Figure 14 : Les sites archéologiques de l’île Sainte-Marguerite. ………… Figure 15 : Tableau généalogique des saints de Lérins. …………………… Figure 16 : Les monastères marseillais de Saint-Victor et de Sainte-Marie-des-Accoules. ………………………………………… Figure 17 : Lyon et son suburbium dans l’Antiquité tardive. ……………… Figure 18 : Les monastères viennois. ……………………………………… Figure 19 : À la recherche du monastère de Grigny : carte de localisation. Figure 20 : Le monastère insulaire d’Arles. ………………………………

109 112 119 122 137 140 173 213 219 238 259 265

iii – les nouveaux modèles monastiques du déBut du vie siècle Figure 21 : Les monastères jurassiens. …………………………………… 280 Figure 22 : Le monastère de Romainmôtier. ……………………………… 323 Figure 23 : Le site d’Agaune. ……………………………………………… 348

538

Les déserts de L’Occident

Figure 24 : Le complexe monastique d’Agaune dans la première moitié du vie siècle. ……………………………………… 352 Figure 25 : L’enclos Saint-Césaire dans la ville d’Arles …………………… 399 Figure 26 : Le groupe épiscopal d’Arles au temps de Césaire. …………… 401

conclusion

la tradition monastique du sud-est de la gaule :

une source maJeure de la culture monastique occidentale

Figure 27 : Les lieux monastiques du sud-est de la Gaule à l’époque tardo-antique. ………………………………………………… 440

TABLE DES MATIÈRES introduction

Le monastère comme séparation spatiale : aux sources de la tradition monastique rhodano-provençale ………………… 7

i – les origines italiennes des déserts insulaires (fin ive-déBut ve siècle) I – De Jérôme de Stridon à Ambroise de Milan : naissance littéraire de l’érémitisme insulaire ………………………………… Première mention de Bonose ……………………………………………… Seconde mention de Bonose ……………………………………………… La lettre à Héliodore ……………………………………………………… La lettre à Océanus et le monastère de Pinetum ………………………… La lettre à Julien ………………………………………………………… L’Hexaéméron d’Ambroise ………………………………………………

31 31 37 40 42 46 46

III – Les déserts insulaires de l’archipel toscan ……………………………… Le comte Gildon, Mascezel et les moines de l’île de Capraia …………… Les monastères de l’île de Gorgona ……………………………………… L’île d’Elbe ……………………………………………………………… L’île de Montecristo ………………………………………………………

71 72 83 92 94

II – Les saints des îles ligures : Gallinara et l’ermitage de saint Martin ……… Gallinara et l’exil insulaire de Martin …………………………………… L’île de Bergeggi et le culte de saint Eugène de Carthage ……………… L’île de Tino ………………………………………………………………

50 51 62 67

Conclusion …………………………………………………………………… 98

ii – les déserts insulaires Provençaux et leurs Prolongements rhodaniens (ve siècle) I – Le double monastère des îles d’Hyères ………………………………… Les données archéologiques …………………………………………… Les données documentaires …………………………………………… La localisation des communautés monastiques des îles d’Hyères …… La troisième série des Conférences de Cassien comme source de la vie monastique des îles d’Hyères …………………

108 109 112 117 122

540

Les déserts de L’Occident

II – Lérins : de la double communauté au monastère unique ……………… Les données archéologiques …………………………………………… La Vita Honorati ……………………………………………………… La lettre 51 de l’épistolier de Paulin de Nole ………………………… La préface du deuxième groupe des Conférences de Cassien ………… Le De laude eremi ……………………………………………………… Le De contemptu mundi………………………………………………… Le troisième concile d’Arles …………………………………………… Le Sermo de Maximo de Fauste de Riez ……………………………… Les sermons ad monachos du pseudo-Eusèbe Gallican ……………… L’homélie In depositione sancti Honorati episcopi …………………… Le sermon de Césaire d’Arles pour les moines lériniens ………………

III – Les lieux monastiques de la vallée rhodanienne ……………………… Les monastères marseillais de Cassien ………………………………… Le monastère lyonnais de Sabin et Romain …………………………… Le dossier falsifié des monastères viennois …………………………… Le monastère insulaire d’Arles …………………………………………

134 136 142 150 156 160 177 183 187 190 199 201

209 210 216 236 262

Conclusion ………………………………………………………………… 268

iii – les nouveaux modèles monastiques du déBut du vie siècle I – Les déserts forestiers des monastères jurassiens ……………………… Les données archéologiques …………………………………………… Les témoignages de Sidoine Apollinaire, Avit de Vienne et Grégoire de Tours …………………………………… La Vita vel regula des pères du Jura …………………………………… Le désert jurassien ……………………………………………………… L’architecture monastique ……………………………………………… La règle de vie des moines jurassiens ………………………………… Romainmôtier fut-il un monastère jurassien ? …………………………

II – La fondation d’Agaune : une rupture avec l’érémitisme ……………… Le dossier hagiographique du martyre de saint Maurice et de ses compagnons ………………………………………………… Les données archéologiques …………………………………………… La première communauté monastique d’Agaune ……………………… La Vita abbatum Acaunensium, source principale de la « refondation » de Sigismond …………………………………… L’homélie d’Avit pour l’inauguration du nouveau monastère ………… Les échos historiographiques de la fondation d’Agaune ……………… La fausse charte de fondation d’Agaune ………………………………

278 279 287 292 302 312 316 322 327

330 346 354 360 366 372 374

taBle des matières

III – Les recluses de la cité d’Arles ……………………………………… La Vie de Césaire ……………………………………………………… La lettre Vereor ………………………………………………………… La Regula virginum …………………………………………………… La lettre du pape Hormisdas …………………………………………… Le testament de Césaire …………………………………………………

541

386 391 409 412 421 426

Conclusion ………………………………………………………………… 431

conclusion La tradition monastique du sud-est de la Gaule : une source majeure de la culture monastique occidentale ………………… 437

BiBliograPhie Sources …………………………………………………………………… 453 Littérature ………………………………………………………………… 462 index ……………………………………………………………………… 519 taBle des illustrations …………………………………………………… 537