Le Soleil et la Lune dans le paganisme scandinave du mésolithique à l'âge du bronze récent (de 8000 à 500 av.J.-C.) 9782296969902, 2296969909

Le Soleil et la Lune jouent un rôle déterminant dans les structures mêmes du paganisme nordique. Les deux luminaires son

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Le Soleil et la Lune dans le paganisme scandinave du mésolithique à l'âge du bronze récent (de 8000 à 500 av.J.-C.)
 9782296969902, 2296969909

Table of contents :
REMERCIEMENTS
PRÉFACE
AVANT-PROPOS
Introduction
Deuxième partie
Troisième partie
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
AKNOWLEDGEMENTS
SUMMARY
AKNOWLEDGEMENTS
ZUSAMMENFASSUNG
SAMMANFATTNING
TABLE DES MATIERES

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Le Soleil et la Lune

dans le paganisme scandinave du mésolithique à l’âge du bronze récent (de 8000 à 500 av. J.-C.)

Reproductions de la couverture : Logo KUBABA : la déesse KUBABA (Vladimir Tchernychev) Illustration de la couverture, J.-M. Lartigaud Illustration de la quatrième de couverture, Celia Ducros Directeur de publication : Michel Mazoyer Directeur scientifique : Jorge Pérez Roy Comité de rédaction Trésorière : Christine Gaulme Colloques : Jesús Martínez Dorronsoro Relations publiques : Annie Tchernychev Directrice du Comité de lecture : Annick Touchard Comité scientifique (Série Antiquité) Sydney H. Aufrère, Nathalie Bosson, Pierre Bordreuil, Dominique Briquel, Gérard Capdeville, René Lebrun, Michel Mazoyer, Dennis Pardee, Nicolas Richer Comité scientifique (Série Monde contemporain) Ingénieur informatique Patrick Habersack ([email protected])

Avec la collaboration artistique de Jean-Michel Lartigaud et de Vladimir Tchernychev.

Ce volume a été imprimé par © Association KUBABA, Paris © L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96990-2 EAN : 9782296969902

Patrick ETTIGHOFFER

Le Soleil et la Lune

dans le paganisme scandinave du mésolithique à l’âge du bronze récent (de 8000 à 500 av. J.-C.)

Bibliothèque Kubaba (sélection) http://kubaba.univ-paris1.fr/ CAHIERS KUBABA Barbares et civilisés dans l’Antiquité. Monstres et Monstruosités. Histoires de monstres à l’époque moderne et contemporaine. COLLECTION KUBABA 1. Série Antiquité Dominique BRIQUEL, Le Forum brûle. Jacques FREU, Histoire politique d’Ugarit. ——, Histoire du Mitanni. ——, Suppiliuliuma et la veuve du pharaon. Éric PIRART, L’Aphrodite iranienne. ——, L’éloge mazdéen de l’ivresse. ——, L’Aphrodite iranienne. ——, Guerriers d’Iran. ——, Georges Dumézil face aux héros iraniens. Michel MAZOYER, Télipinu, le dieu du marécage. Bernard SERGENT, L’Atlantide et la mythologie grecque. Claude STERKX, Les mutilations des ennemis chez les Celtes préchrétiens. Les Hittites et leur histoire en quatre volumes : Vol. 1 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, en collaboration avec Isabelle KLOCKFONTANILLE, Des origines à la _n de l’Ancien Royaume Hittite. Vol. 2 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Les débuts du Nouvel Empire Hittite. Vol. 3 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, L’apogée du Nouvel Empire Hittite. Vol. 4 : Jacques FREU et Michel MAZOYER, Le déclin et la chute du Nouvel Empire Hittite. Sydney H. AUFRÈRE, Thot Hermès l’Égyptien. De l’infiniment grand à l’infiniment petit. Michel MAZOYER (éd.), Homère et l’Anatolie. Michel MAZOYER et Olivier CASABONNE (éd.), Mélanges en l’honneur du Professeur René Lebrun : Vol. 1 : Antiquus Oriens. Vol. 2 : Studia Anatolica et Varia.

A mes parents A la mémoire de Jacques BRIARD

Tu n’auras plus le soleil comme lumière, le jour, la clarté de la lune ne t’illuminera plus : Yahvé sera pour toi une lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur Isaïe LX, 19. Traduction de l’Ecole Biblique de Jérusalem. Editions du Cerf, Paris 1984.

REMERCIEMENTS Cet ouvrage est directement issu de ma thèse de doctorat « Le Soleil et la Lune dans le paganisme scandinave du Mésolithique à l’âge du fer germanique (de 5000 av. JC. à 750 ap. JC.) ». Celle-ci a été soutenue à la Sorbonne le 30 mai 2005. Elle a été dirigée avec patience et très grande compétence par le Professeur Régis Boyer, alors titulaire de la chaire des Langues Littératures et Civilisation scandinaves à l’Université de Paris IV Sorbonne. Qu’il me soit permis de le remercier vivement de son aide et de ses encouragements déterminants. Je voudrais également exprimer toute ma gratitude aux Professeurs Michel Mazoyer (Paris I Sorbonne) et Patrick Guelpa (Université de Lille Charles De Gaulle), qui ont bien voulu lire et relire une version abrégée destinée à la publication. C’est grâce à leur encouragement et à leur appui décisifs que cet ouvrage a pu être édité. Mes remerciements s’adressent également à Christine Gaulme dont la collaboration a été très fructueuse.

PRÉFACE Comme on le sait, nos connaissances sur la religion païenne scandinave sont extrêmement limitées. Cela tient avant tout à l’absence de documents clairement intelligibles ou de témoignages authentiques. Tous les essais systématiques de présentation qui ont été tentés en passent presque inévitablement par les interprétations proposées en comparaison à d’autres domaines : interprétation grecque, latine, celtique, slave, sans parler de comparatisme dumézilien trop totalisant. Et, même s’ils peuvent offrir d’intéressantes solutions, au moins partielles, les inscriptions runiques, les textes des eddas, les figures de la scaldique, les réminiscences dont sont porteuses, d’aventure, les sagas en particulier de la catégorie légendaire ne nous proposent ni élucidation d’ensemble ni « explications » décisives de détails. Cela a quelque chose d’agaçant : après tout, notre « mythe du Nord » est demeuré bien vivace, aujourd’hui encore, et les fadaises que l’on peut lire sur le compte des Vikings (autre mythe tout aussi tenace) incluent force images ou clichés que rien ne permet de vérifier. Pour n’en donner qu’un exemple que contredit fort à propos le présent ouvrage : nous tenons à voir dans « les fiers enfants du Nord » je ne sais quelles hordes militaires acharnées, deux siècles durant, à déferler sur l’Occident épouvanté pour venir le châtier de ses péché. C’est, voyez-vous, qu’ils étaient porteurs de valeurs et de vertus destinées à revitaliser l’Occident avachi… Et ainsi de suite. L’une des convictions, que Patrick Ettighoffer a tout de suite admise, est que l’homme est le fils de l’enfant, comme on dit en langues scandinaves et donc qu’il n’est pas nécessaire de courir à l’on ne sait quels incitateurs, influences ou modèles pour justifier, en première analyse, l’attitude religieuse d’un être humain. Ma seconde certitude, acquise après des lustres de séjours en Scandinavie, est qu’il est vain ou gratuit de vouloir séparer l’être humain de son décor. Le Nord, c’est la distance, le froid, la lumière tantôt absente tantôt profuse, la domination de l’élément aquatique avec toutes se conséquences bachelardiennes. Il faut impérieusement tenir compte de ces deux composantes pour aborder le phénomène religieux sous ces latitudes. Car il se trouve que, contrairement à ce qui vient d’être avancé, l’observateur ne manque pas de symboles ou de signes qui pourraient l’aider à interpréter le sujet. Ce sont des vestiges vraiment anciens, pétroglyphes de l’âge du bronze, autres gravures rupestres encore plus anciennes, divers objets découverts par l’archéologie – que viennent étayer avec pertinence les survivances que l’on peut déceler dans les textes, les coutumes, les pratiques populaires sans feu ni lieu qui sont demeurés tellement vivants dans le Nord. On devrait prêter davantage attention, dans les Hávamál, poème admirable de l’Edda, qui résume toute la Weltanschauung des anciens Scandinaves, à la strophe 68 : 7

C’est le feu qui est le meilleur Pour les fils des hommes, Ainsi que le spectacle du soleil. Et c’est précisément sur cette piste que s’est engagé Patrick Ettighoffer : il a constaté que le soleil (la Soleil, en fait) et la lune (le Lune, semblablement) étaient omniprésents dans l’univers mental, religieux, artistique des anciens habitants du Nord. Il s’est interrogé sur la raison de leur existence, sur leur rôle, sur les glissements fonctionnels qui ont pu s’opérer, en des époques plus récente, à partir d’eux. Avec une compétence indiscutable, une curiosité sans limites (il énumère toutes les disciplines auxquelles il s’est colleté : archéologie, bien entendu, mais aussi histoire, iconographie, ethnographie, littérature, linguistique, notamment toponymie, etc.) et une remarquable maîtrise de l’énorme bibliographie afférente, il a tout inventorié, signes et textes, etc. pour rétablir une probable chronologie, déceler les vertus directrices des deux astres (et aussi bien, s’il faut le dire, des corps célestes dans leur ensemble) et avancer des hypothèses qui, je le gage, n’ont pas fini de déchaîner la sagacité des chercheurs. Évidemment, il eût fallu à un pareil ouvrage un support iconographique encore plus ample. Une chose doit retenir : la périodisation adoptée ici, qui est conforme aux derniers résultats obtenus par la recherche, manifeste une saisissante continuité. Les habitants du Nord seront de bout en bout demeurés fidèles à leurs intuitions initiales. En un sens, le présent ouvrage propose un catalogue exhaustif des représentations successives que le monde scandinave ancien (germanique aussi bien, dans son ensemble) se sera faites du divin, sous les espèces des astres du jour et de la nuit. Ce livre, à cet égard, est un catalogue tout à fait étonnant des croyances, mythes et rites qui sans le moindre doute eurent cours dans le Nord ancien. Je tiens, comme quantité de mes semblables, que toutes nos religions, sans exception, ont commencé par le culte de la Grande déesse, ou Déesse Mère, voire Terre Mère, comme disait déjà Tacite dans sa Germania. Faut-il tenir le règne du mâle, avec toutes ses conséquences négatives, pour un apport indo-européen ? La Déesse Mère, avec sa progéniture, androgynes ou jumeaux, aura été réellement la bonne mère, l’alma mater de l’humanité, certainement pendant des millénaires et d’autant plus que l’on parvient à remonter davantage aux origines. Ce n’est pas le moindre mérite de Patrick Ettighoffer de nous monter à quel point le Nord, non seulement, ancien, le Nord de toujours, aura chéri cette entité vitale, origine du monde et maîtresse du monde… Régis Boyer, La Varenne, le 8 juin 2006

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AVANT-PROPOS Le présent ouvrage vient à la suite de deux études précédemment menées : la première qui portait sur les légendes populaires danoises1 a permis d’entrevoir, entre autre, l’importance des thèmes lunaires et solaires dans les croyances populaires. Après l’examen de ce premier travail de recherches, le Professeur Régis Boyer nous a suggéré d’étendre le champ d’investigation à l’aspect religieux de cette question et de l’appliquer à l’ensemble de la Scandinavie du sud. Il en résulta une deuxième étude (DEA) portant sur le domaine spécifiquement religieux de ce sujet. Le cadre forcément restreint de ce travail n’a pas permis d’aller au delà d’un survol, première et modeste approche de la question abordée sous l’angle historique. Toutefois, même si elles demeurent très partielles et superficielles, les conclusions apportées ont rendu possible un premier « état des lieux ». Celui-ci soulève un ensemble de questions : Qu’il soit permis dès maintenant de les poser de manière globale : - Y a-t-il lieu de distinguer ou de vouloir étudier séparément « soleil et lune » ? Ne faut-il pas plutôt les considérer comme un tout indissociable, même si tel ou tel trait paraît davantage relever d’un luminaire que de l’autre ? - Ce tout indissociable ne s’inscrit-il pas dans un ensemble encore plus vaste réunissant tous les éléments : eau, terre et air, ceux-ci relevant de deux mondes à première vue complémentaires, mais qui en définitive s’interpénètrent au point de ne plus former qu’un seul univers profondément synthétique ? Aussi n’est-ce que pour plus de clarté qu’on les distinguera ici, distinction qui paraîtra à beaucoup comme bien artificielle… - Le monde à la fois aquatique et terrestre. - L’autre céleste. Une fois posées ces questions fondamentales, la précédente étude a de plus suscité une autre interrogation qui relève encore davantage de la diachronie : la religion nordique de l’âge du bronze peut-elle être qualifiée de solaire et de lunaire ? C’est ce que semblerait suggérer un premier examen2, certes très superficiel et limité, non seulement des pétroglyphes mais aussi d’autres artéfacts de cette période. En fait cette question va s’avérer l’objet central de cette étude, sa raison d’être en quelque sorte. La réponse apportée en constituera l’aboutissement.

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Cf. T.E.R. Patrick Ettighoffer : Etude sur les légendes populaires danoises relatant la disparition de personnages en véhicules hippomobiles dans les étangs, marais et autres lieux aquatiques (Université de Caen, octobre 1994). 2 Cf. D.E.A. pp. 41 à 81.

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INTRODUCTION

Ô Toi, Dieu de lumière L’éclat lumineux du soleil Indique où se trouve Ton royaume… D’après RECTORLPOTENSLVERAXLDEVS SAINT AMBROISE (+ 397)

Chapitre I Préliminaires : La démarche proprement dite et les limites géographiques de cette étude La démarche adoptée dans cette étude relève pour l’essentiel d’une perspective diachronique : elle concerne l’un des aspects de l’histoire religieuse scandinave. Ce faisant, on s’est efforcé d’éviter, dans la mesure du possible, une perspective trop évolutionniste. On fera appel à des domaines tels que l’archéologie et l’iconographie, dans une bien moindre mesure l’ethnographie et la sociologie. En ce sens, ce travail doit être tout autant considéré comme une réflexion à la fois civilisationnelle3 et iconographique sur le rôle des deux astres dans les croyances et la pensée, la société et la culture sud scandinaves durant les différentes époques qui ont précédé l’âge du fer. La conséquence première du choix opéré ici est la place relativement moindre occupée par les sources littéraires norroises, gréco-romaines ou médiévales. En ceci, le présent travail risque de surprendre, voire de choquer nombre de spécialistes philologues qui, par vocation, ont tendance à privilégier le domaine littéraire. La raison de ce parti délibérément adopté est essentiellement méthodologique : en effet, les documents iconographiques et archéologiques, si difficiles, si périlleux à interpréter qu’ils soient, constituent, pour la plupart, des témoignages immédiats et contemporains. Quant à l’aspect astronomique qui apparaîtra à beaucoup comme essentiel, on l’a évité, autant que faire se peut, ne serait-ce que par l’insuffisance de connaissances, absolument nécessaires, en matière d’astrophysique4. Toutefois, il sera tenu compte des implications culturelles de ce domaine, malheureusement encore si mal connu de la civilisation scandinave ancienne. Le cadre géographique et ethnique de cette étude est l’Europe du Nord. Que faut-il entendre par ce terme, somme toute assez général ? D’abord et essentiellement le sud et le centre de la Scandinavie jusqu’au 64e parallèle pour la Norvège (Nord Trøndelag) 61e pour la Suède (Nord de l’Uppland, Dalécarlie). Secondairement, le nord de l’Allemagne (Schleswig3

Ce terme, somme toute assez vague, implique à la fois l’histoire et l’archéologie. Ceci dit, ces matières sont à considérer ici comme des moyens d’investigation, en aucun cas comme l’objet principal de cette étude. Celle-ci ne peut donc être considérée comme un travail d’historien et encore moins d’archéologue ! 4 Aussi laissera-t-on cette matière à des spécialistes plus aptes à les traiter ! Et dans le cas d’absolue nécessité, on se contentera de citer les ouvrages adéquats ou de renvoyer le lecteur à ceux-ci.

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Holstein, partie septentrionale de la Basse Saxe, Mecklembourg Poméranie Occidentale et l’extrême nord du Brandebourg).

Chapitre II

Les écueils de cette étude

Le premier écueil de cette étude passablement synthétique consiste à vouloir isoler les deux astres en les extrayant du très vaste contexte dans lequel ils s’inscrivent. Ainsi, et pour ne citer qu’un exemple, on pourrait être souvent tenté, lorsque l’on considère les fameux pétroglyphes, d’isoler systématiquement les figures rappelant de près ou de loin le soleil et la lune, en les soustrayant à leur environnement, non seulement chronologique et géographique mais aussi archéologique et iconographique, faisant croire ainsi que les deux luminaires jouissent d’une totale autonomie. Qui plus est, il résulterait d’une telle démarche une hypertrophie de leur rôle et de leur place. On s’efforcera ici d’éviter ce double piège, d’autant plus redoutable que le but de cette thèse consiste précisément à faire ressortir l’importance des deux astres, tant dans la religion que dans la pensée, les traditions et la culture de la Scandinavie méridionale. Les deux obstacles évoqués pourraient être au moins partiellement surmontés en se référant aussi souvent que possible au cycle vital au sein duquel le soleil et la lune occupent une place, sans doute éminente, mais nullement exclusive : les éléments tels que l’eau, la terre, l’air et le feu y jouent un rôle non moins important. Soleil et Lune ne constituent que deux pièces, parmi tant d’autres, des croyances et de la pensée nordiques : toutes deux sont pour une large part issues de l’observation attentive et très ancienne des phénomènes naturels par une population peut-être beaucoup plus dépendante de son environnement naturel que celle du sud de l’Europe. Face aux problèmes posés, l’on n’est pas non plus totalement démuni : en effet, contrairement à ce que nous pourrions croire de prime abord, nous disposons d’une relative abondance de documents archéologiques et iconographiques. Cependant, à quelques rares exceptions près, ces sources présentent des difficultés réelles, quant à leur chronologie, leur interprétation ou leur attribution (pétroglyphes !). C’est pourquoi les risques d’erreur sont multiples et parfois décourageants. La tentation est alors grande de se contenter d’un simple constat d’impuissance tout en se donnant une contenance hypercritique.

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Chapitre III Les perspectives adoptées A La chronologie Cet ouvrage s’inscrit dans une perspective strictement diachronique : elle tente de faire ressortir la continuité des strates successives que constituent les croyances solaires et lunaires de la Scandinavie du Sud. En fait, la question posée est ici quadruple : 1. Le soleil et la lune ont-ils été présents dans les croyances et la pensée des habitants de cette partie de l’Europe à la l’âge de la pierre (Mésolithique, Néolithique) ? 2. Quelles furent la place et la fonction réelles des deux corps célestes dans la religion nordique du bronze ancien et moyen : Peut-on parler de religion solaire et lunaire (1800 – 1100 av. J.C.) ? 3. Y a-t-il eu un glissement fonctionnel à partir du bronze récent (700 – 500 av. J.C.) ? 4. Dans l’affirmative, cela signifie-t-il la fin des cultes solaires et lunaires ? Il est un facteur essentiel auquel la recherche historique ne consacre pas toujours toute l’attention nécessaire : la continuité joue, aussi bien dans les domaines mental (pensée) et spirituel que matériel un rôle considérable5. Lorsque l’on constate, d’un point de vue archéologique, l’apparition d’un fait mental, spirituel (pensée, croyance) ou matériel (techniques « nouvelles »), l’on a trop souvent tendance à la considérer comme un point de départ dans le temps. En réalité, un fait mental ou spirituel est le résultat d’une longue maturation durant laquelle il se forme lentement puis se transmet de générations en générations quelqu’en soient la réalité ou le contexte social, ethnique ou religieux. Nous sommes là en présence d’un phénomène tout à fait comparable à la stratification archéologique. Par conséquent, il faut toujours en tenir compte et surtout l’utiliser comme méthode chronologique relative. Quand on relève l’apparition d’un motif sur la céramique, à telle ou telle époque précise, il ne faut pas en conclure que la croyance supposée liée au thème iconographique date de cette période précise : il y a de fortes chances que celle-ci ait existé auparavant.

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Celle-ci est d’ailleurs l’objet d’un ouvrage récent (décembre 2001) : mélanges offerts à Anders Hultgård, historien suédois des religions et intitulé : « Kontinuitäten und Brüche in der Religionsgeschichte. Festschrift für Anders Hultgård zu seinem 65. Geburtstag am 23.12. 2001 », herausgegeben von (édité par) Michael Strausberg, Berlin / New York : Walter de Gruyter, 2001.

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Etant donné que le champ d’investigation de ce travail s’étend principalement à la Scandinavie du Sud, il est bien naturel d’adopter ici la chronologie scandinave, d’abord énoncée par l’archéologue suédois Oscar Montelius (1843-1921)6. Il va sans dire qu’il devra être également tenu compte ici des progrès considérables dus à la datation au Carbone 147, adoptée à partir de 1950. Depuis le milieu des années quatre-vingts des corrections notables ont été apportées à cette dernière grâce à un calibrage permettant d’atteindre, dans bien des cas, une précision remarquable. Celui-ci est obtenu grâce à la dendrochronologie qui consiste à fixer l’âge des objets en bois en mesurant les espaces compris entre les différents anneaux formés annuellement par l’écorce des arbres8. B La méthode comparative : l’archéologie l’ethnographie et de l’anthropologie

à

la

lumière

de

Tout en reconnaissant l’originalité de la pensée religieuse et de la culture nordiques dans le domaine étudié ici, la présente thèse fera appel à la démarche comparative aussi souvent que cela s’avérera nécessaire9. Celle-ci consistera à citer certains aspects des religions dites « primitives »10 et de les mettre en parallèle avec des découvertes archéologiques qui touchent les époques les plus anciennes : Mésolithique, Néolithique. Ceci davantage dans le but de « lire ou de comprendre », en d’autres termes, d’éclairer les données de l’archéologie. Il s’agit d’une « aide à la pensée11 », fournissant « des 6

Cf. Paul Bahn : « The Cambridge Illustrated History of Archaeology », chap. 5, The Search of Human Origins 1860-1920, p. 134, Cambridge, 1996. Oscar Montelius propose dans les années quatre-vingts du XIXe siècle, une division de l’âge du bronze nordique en six phases successives. 7 « Produit dans l’atmosphère sous l’influence du rayonnement cosmique, et rapidement oxydé en CO2, le Carbone 14 (14 C) pénètre, par photosynthèse et métabolisme, dans le règne végétal et animal où son activité spécifique reste constante. Dès la mort de la plante ou de l’animal, l’activité du 14 C diminue par désintégration radio-active d’une période de 5730 ans. La mesure précise de l’activité du 14 C permet ainsi la datation d’échantillons d’origine animale ou végétale. », www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/carbone/30774. 8 La différence entre la datation au carbone 14 et son calibrage dû à la dendrochronologie est d’environ 800 ans pour le Mésolithique et le début du Néolithique. Il y sera fait appel ici aussi souvent que possible tout en sachant que cette chronologie n’est applicable que jusque vers ~ 3500 av. J.C. 9 Cela vaudra tout particulièrement pour les périodes les plus reculées étant donné la ressemblance frappante entre les artéfacts de celles-ci et des objets encore utilisés chez les populations qui vivent en marge de la civilisation moderne : Pygmées, Aborigènes, Indiens d’Amazonie, Négritos des îles Andaman. 10 En particulier, celle des Pygmées, des Aborigènes d’Australie, des Amérindiens, des Sibériens et des Eskimos, des Sames et des Guanches. 11 Christopher Tilley dans l’introduction de son ouvrage: « An Ethnography of the Neolithic. Early Prehistoric Societies in Southern Scandinavia », p. 2, Cambridge University Press,

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ensembles de concepts et d’idées12 ». Il n’est donc pas ici question de calquer les résultats des fouilles archéologiques sur un modèle ethnographique contemporain, si solides que puissent être les études menées sur celui-ci : ceci afin de combler les vides créés par l’absence de source13. Dès lors, et à condition d’avoir pris toutes les précautions nécessaires14, la méthode comparative peut apporter de précieux éclaircissements sur des faits archéologiques, par ailleurs inexpliqués. A fortiori, pourra-t-on se référer de temps à autre aux religions plus proches dans l’espace et le temps, essentiellement celles des peuples indoeuropéens, et les comparer avec les croyances du nord de l’Europe : cela concerne non seulement les populations indo-iraniennes dont les textes sont les plus anciens (Rig Veda, Avesta) mais aussi, les Hellènes, les Italiques, les Celtes, les Baltes et les Slaves. Les ressemblances sont souvent frappantes. C La linguistique L’étude du substrat lexical pré-indoeuropéen pourrait apporter certains éclaircissements sur l’univers mental des Nordiques avant leur indoeuropéanisation qui eût lieu entre 2500 et 1700 av. J.C. : principalement quelques toponymes et certains mots liés à l’environnement naturel, tels que haf / Haff, sjór / sjö, sjø / See / sea / zee, la mer qui, même s’ils ont un rapport à première vue lointain avec le sujet, rentre dans l’ensemble cosmogonique, à l’intérieur duquel s’inscrivent les deux luminaires. Il faut néanmoins être conscient du fait que la portée des résultats obtenus ici ne peut être que très limitée.

1996. (Texte anglais : « …to read or understand the archaeological evidence by providing sets of concepts and ideas…, a medium for thought… »). 12 Op. cit., p. 2. 13 Voir aussi le compte rendu critique du livre de Chr. Tilley par Eva M. Walderhaug NAR 31, n°1 fascicule, 1998. pp. 71 à 73 (NAR = Norwegian Archaeologic Review). Les recherches et débats menés depuis une trentaine d’années ont démontré que toute généralisation tentant de faire ressortir des croisements culturels (Christopher Tilley emploie le terme de « cross-cultural generalization » (cf. Chr. Tilley op. cit. Introduction p. 1)) est toujours aussi vaine que les grandes théories évolutionnistes essayant de privilégier tel ou tel stade de l’évolution historique » comme étant l’expression d’un progrès quelconque. 14 Il faut notamment insister sur les origines communes du peuplement de l’Europe et de l’Afrique (Homo sapiens du Paléolithique supérieur) et ne s’appuyer que sur les conclusions de l’ethnologie historique qui a démontré que ces peuplades sont les vestiges des civilisations les plus anciennes.

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Chapitre IV Etat des connaissances A Les sources non écrites Les sources non écrites constituent des documents de première importance car ils sont contemporains des cultes étudiés, expression directe des sentiments et des conceptions religieuses en question : ceci est particulièrement le cas pour les pétroglyphes et les objets cultuels. Compte tenu de l’éloignement dans le temps, on comprendra aisément que seuls les documents iconographiques peuvent jeter quelque lumière sur les aspects mentaux ou religieux liés au soleil et à la lune en Scandinavie méridionale. Même si les artéfacts pouvant entrer en considération, s’avèrent difficiles à interpréter, ils devront requérir toute l’attention qui leur revient. Pour le Mésolithique, l’iconographie figurative se révèle à la fois pauvre et assez peu parlante en elle-même : seul le contexte archéologique peut fournir quelques indices. Il s’agit pour l’essentiel de motifs encore souvent considérés comme uniquement ornementaux et qui devraient s’avérer plus révélateurs. Certains chercheurs (l’Américain Alexander Marshack par exemple) ont en effet proposé des clefs possibles. Celles-ci pourraient contribuer à éclaircir le sujet traité, à condition de ne pas les considérer comme des vérités définitives et de demeurer à la fois circonspect et ouvert à d’autres hypothèses plausibles. Toutefois, ce n’est qu’à partir de l’âge de la pierre polie qu’apparaissent les thèmes iconographiques ayant un rapport immédiat avec l’objet de la présente thèse : spirales et arbres de vie sur les panses de récipients en céramique. Sans compter les allusions directes ou indirectes à l’astre nocturne, ainsi que le fameux motif des « deux yeux », attribués à la Grande Déesse, susceptible de recevoir une autre interprétation. Les conclusions que l’on pourra en tirer seront nettement plus abondantes et permettront de dresser, au seuil de l’âge suivant, un bilan relativement précis. Les pétroglyphes de l’âge du bronze15, notamment ceux du Bohuslän et d’Ostrogothnie, représentent les seules sources vraiment sûres que l’on pos15

On dénombre quelques dizaines de milliers de motifs rien qu’en Scandinavie du sud. Ils se répartissent sur toute la Scandinavie et secondairement sur l’Allemagne du Nord (Région de Brême). Les régions où ils sont les plus nombreux sont: le Bohuslän (sud ouest), l’Ostrogothnie (centre est), la Scanie et le Småland (au sud), l’île d’Öland pour la Suède; l’Østfold (sud est d’Oslo), le Rogaland (sud ouest), le Trøndelag (centre ouest) pour la Norvège; la Seeland et l’île de Bornholm pour le Danemark. En ce qui concerne ce dernier pays, des découvertes récentes et assez nombreuses démontrent qu’il n’est pas aussi dépourvu de pétroglyphes qu’on le croyait il y a encore quelques années.

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sède sur la religion sud-scandinave de cette période : autant dire leur valeur considérable. Cependant le problème majeur demeure, aujourd’hui encore, leur interprétation. Plusieurs phénomènes rendent celle-ci très difficile : ce sont, entre autres : 1. Le manque de référence pour bien des scènes représentées. On doit alors recourir à des descriptions ou des textes mythologiques (les Eddas et les poèmes scaldiques pour l’essentiel) très nettement postérieurs. Il en découle le danger d’une subjectivité accrue car l’on est tenté de faire coïncider les scènes rupestres à certains passages eddiques, scaldiques ou autres. 2. Le chevauchement de plusieurs scènes sur une même face rocheuse, d’où la difficulté d’une délimitation exacte. 3. L’effacement des figures du fait de l’usure ou des intempéries : il en résulte fréquemment une grande imprécision des traits. D’ailleurs, ce n’est pas seulement la signification des pétroglyphes mais aussi leur datation qui s’avère problématique. On en est réduit le plus souvent à des approximations fondées sur la forme des objets représentés : armes, embarcations. C’est souvent, du reste, leur présence qui permet à elle seule la datation de toute une scène. Chronologiquement, on peut dater la plupart des pétroglyphes étudiés ici de l’âge du bronze (1800 à 500 ans av. J.-C.). B Les témoignages littéraires germaniques et scandinaves La production littéraire germanique et scandinave de tradition païenne parvenue jusqu’à nous s’avère être relativement récente : en effet, les œuvres en question ne remontent guère au delà du VIIe siècle. La plupart ont été écrites entre le VIIIe et le XIIe siècles. Toutefois, les poèmes eddiques et scaldiques, ainsi que les Conjurations de Merseburg sont d’authentiques témoignages d’une époque où le monde nordique avait conservé à peu près intactes ses croyances païennes : d’où leur intérêt certain, même si ce qu’ils transmettent correspond à un état déjà tardif de la religion traitée dans la présente étude. Leur prestige littéraire, le foisonnement d’informations qu’elles contiennent les ont longtemps consacrées comme sources exclusives de la religion germanique et scandinave, souvent au détriment d’autres, non moins recevables16. Le recentrage qui s’est opéré à partir du début du XXe siècle en 16 En particulier l’iconographie, au sens le plus large du terme : motifs figurant sur les objets en céramique, en bronze et autres artéfacts, pétroglyphes ; mais aussi témoignages archéologiques les plus divers : mégalithes, tombes…

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révélant d’autres traditions (toponymes, ...) a permis en même temps de considérer les monuments littéraires du paganisme germanique et scandinave sous un angle plus critique. Ceci a eu pour effet de réhausser encore leur importance décisive dans la connaissance de la pensée religieuse et de l’univers mental des Nordiques. En Scandinavie, l’Edda poétique constitue sans aucun doute une des sources essentielles du sujet traité ici : tant par la relative abondance des références solaires ou lunaires que par l’ancienneté de certaines traditions, même si ce qu’il en subsiste demeure malheureusement très fragmentaire. Comme précédemment ne seront retenues ici que les œuvres faisant référence aux deux astres : celles-ci sont nombreuses, livrant ainsi indirectement un indice de la place importante qu’ont dû occuper jadis ces deux luminaires dans la pensée religieuse germanique et scandinave. En Germanie et en Angleterre, les témoignages littéraires sont beaucoup plus rares et très fragmentaires. De plus, ils ont été recueillis à une époque où le paganisme germanique était vigoureusement combattu par l’Eglise et ses missionnaires. Dans un pareil contexte historique, il est même étonnant que ces vestiges littéraires issus d’un lointain passé, soient parvenus jusqu’à nous.

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PREMIERE PARTIE LE MESOLITHIQUE (8500 à 4000 av. J.-C.)

Ô Toi créateur du ciel lumineux C’est sur une trajectoire bien établie Que Tu as placé la lune en tant que lumière de la nuit Et le soleil pour la course du jour D’après FVLGENTISLAVCTORLÆTHERIS Poème latin Ve / VIIe Siècles.

Chapitre I

La chronologie – le milieu naturel

Avec le réchauffement progressif se font jour de nouveaux faciès culturels de plus en plus orientés vers le milieu aquatique. C’est notamment le cas des représentants de la Culture de Fosna en Norvège méridionale et occidentale (du Hordaland au Nordland), de Hensbacka au nord du Bohuslän suédois (Environ 8500 – 7000 av. J.-C.), de Høgnipen en Norvège de l’est.Vers la même époque, la Norvège septentrionale est le domaine de la Culture de Komsa. Les plus anciens sites connus de cette culture remontent à environ 9500 – 8400 av. J.-C., ainsi que ceux de Galta dans l’île de Rennesøy, au large de Stavanger. Mais il est possible que cette culture soit plus ancienne. Vers ± 7600 av. J.-C., se distinguent des populations de chasseurs – forestiers qui pratiquent également la cueillette et la pêche en eaux douces : c’est la culture de Maglemose (près de Mullerup en Seeland) et Ulkestrup. Cette culture s’étend de la Pologne à l’Angleterre et de la Scanie au nord de la France. A partir de 6800 av. J.-C., une nouvelle culture fait son apparition sur les côtes danoises de la Mer du Nord et de la Baltique, ainsi qu’en Scanie et en Allemagne du Nord : c’est celle de Kongemose, du nom d’un marais situé à l’est de la Seeland. On a donné à la dernière phase de cette dernière le nom de civilisation d’Ertebølle ou Ellerbek (Allemagne du nord) ± 5400 av. J.-C. Elle va se maintenir jusque vers ± 4000 / 3900 av. J.-C. : s’étendant alors sur une aire assez vaste qui va du sud de la Norvège (site de Nøstved) aux côtes baltes. Elle est caractérisée par d’énormes amas de détritus domestiques, les fameux Køkkenmøddinger danois, les plus notables étant ceux d’Ertebølle (près du Limfjord, Jutland : environ 5400 – 4500 av. J.-C. pour la phase la plus ancienne et 4500 / 4000 pour la phase récente) et ceux de la grotte de Viste en Norvège (Presqu’île de Jæren, Rogaland). Vers 8000 av. J.-C. apparaît une forêt peu épaisse de bouleaux, trembles, pins et frênes au Danemark et, dans le sud de la Suède, de conifères dans le reste de la Scandinavie. Enfin autour de 7000 av. J.-C., le climat devient boréal avec l’implantation du noisetier et du chêne. D’un point de vue géologique, la Scandinavie est alors très différente de sa configuration actuelle. Entre 8300 et 6700 av. J.-C., la Suède est reliée à ce qui constitue maintenant l’Allemagne (Mecklembourg et Poméranie). La côte septentrionale de l’Europe s’étend en ligne continue depuis la péninsule du Jutland jusqu’aux Iles Britanniques et la Mer du Nord est alors occupée en quasi-totalité par la terre ferme. 23

Entre 7700 à 6700 avant notre ère, l’inlandsis fond, au point de ne couvrir, désormais, que deux petites régions au nord de la Suède actuelle. Libérée du poids des glaces, la terre se soulève encore davantage et referme les rives de la Baltique. Celle-ci devient alors (comme entre 12000 et 8300 av. J.-C.) un grand lac. Ses rivages suivent approximativement le tracé des côtes actuelles, mais les îles danoises de Fionie, Lolland, Langeland et Seeland forment un ensemble compact séparant la Baltique aux eaux douces de la Mer du Nord salée. Le climat boréal (noisetier et chêne) se prolonge jusque vers 6000 av. J.C., époque à laquelle débute le climat dit Atlantique, caractérisé par l’apparition, dans le sud de la Scandinavie, de tous les autres feuillus, du hêtre en particulier. Vers 5300 av. J.-C., la Baltique redevient une étendue salée : en effet l’isthme de terre ferme situé en Suède méridionale est submergé et, à nouveau, les eaux douces de la Baltique et l’eau salée de l’Océan se mêlent. C’est alors que se forment le Sund et le Belt. Par ailleurs entre 6000 et 5000 av. J.-C. la Grande-Bretagne se sépare définitivement de l’inlandsis. Désormais les Iles Britanniques et le Nord du Continent Européen suivront une évolution distincte, alors qu’auparavant ils relevaient d’un même ensemble culturel.

Chapitre II Les rites funéraires et les conceptions religieuses des populations sud-scandinaves au Mésolithique A Les rites funéraires de la Culture d’Ertebølle Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, les fouilles de Bøgebakken dans le fjord de Vedbæk à l’est de la Seeland, ainsi que celles de Skateholm, près de Trelleborg en Scanie ont permis de mettre à jour deux cimetières très étroitement liés à un habitat occupé au moins depuis le début de l’atlantique (vers 5700 av. J.-C.). La nécropole de Skateholm II (vingt-deux tombes) est de loin la plus ancienne et la mieux étudiée : elle remonte à 5500 av. J.-C. et fut utilisée jusque vers 4900 av. J.-C. Skateholm I (soixante-cinq tombes) date des environs de 5300 – 4800 av. J.-C., Skateholm III se situe autour de 4800 av. J.-C. Bøgebakken est beaucoup plus récent : les dix-sept tombes mises à jour datent de 4330, ±90 à ± 3860, ± 105 av. J.-C. Elles sont disposées en rangées parallèles, les morts placés en position couchée sur le dos. A Skateholm II, la disposition des corps s’avère beaucoup plus variée : la plupart des hommes reposent sur le dos (seize) ou sont assis (neuf) ; les femmes plutôt en position fœtale (Skateholm I : quatorze).

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Dans le cas de la tombe quatre à Skateholm II, il semblerait que le défunt ait été inhumé dans un cercueil en forme de canot17. Or, des bateaux-tombes ont été mis à jour ces dernières années18, entre autres à Møllegabet II, habitat Mésolithique remontant à 5400 – 5000 av. J.-C. sur l’île de Dejrø au large de Ærøskøbing, dans l’archipel situé au sud-ouest de la Fionie19. Le site gît à présent sous la mer à une profondeur de cinq mètres. On a pu y exhumer les débris d’une pirogue fortement disloquée : elle avait servi de cercueil abritant les restes d’un jeune homme. Celui-ci reposait sur des bois de cerf placés à l’arrière de l’embarcation (Cf . Fig. 1). Il faut préciser cependant que la bateau-tombe de Møllegabet II était située dans une zone de boue noire où l’on jetait les détritus. Par ailleurs, l’embarcation et le squelette étaient comme enveloppés dans des écorces et tenus en place par des poteaux20. Esben Kannegaard Nielsen et Erik Brink Petersen pensent qu’il devait se trouver d’autres inhumations semblables sur la terre ferme. En effet la décoloration du sol autour de plusieurs tombes de Bøgebakken « peut-être en fait le mieux interprétée comme étant la trace d’une pirogue qui était … [alors] placée au-dessus du défunt21 ». Et les deux archéologues danois de constater que la même observation a été faite à Skateholm. A Bøgebakken, on a retrouvé sous le squelette d’une jeune femme de dixhuit ans, au niveau des reins, les restes d’une ceinture décorée dans sa partie supérieure de deux cents coquilles de bigorneaux enfilées et disposées sur cinq rangées. En bas, soixante dents de sanglier sur une seule ligne. On a exhumé des ceintures semblables à Skateholm II22. Ainsi, l’archéologie a, ces vingt dernières années, dissipé un peu de l’épais brouillard qui enveloppait l’univers spirituel des populations mésolithiques de Scandinavie méridionale. Même si de très nombreux points de17

Cf. Lars Larsson, Ett fångstsamhälle för 7000 år sedan. Boplatser och gravar i Skateholm. Lund: Bokförlaget Signum, 1988, p. 112. 18 Cf. Skaarup og Grøn, 1991. 1) Stone Age Burials. In : Peder O. Crumlen / B. Munch-Thye : « Boats. The Ship as Symbol in Prehistoric and Medieval Scandinavia », København, Nationalmuseet, 1995. (Coll. “Publications from the National Studies Archaeology and History”, 1) 2) Submerged Settlements in : « Digging into the Past. 25 Years of Archaeolgy in Denmark ». Aarhus : Distributed by Aarhus University Press / Århus Universitetsforlag 1993 pp. 70 à 75. 19 Cf. « Digging into the Past », op. cit., l’article de Esben Kannegaard Nielsen et Erik Brink Petersen, p. 72. 20 Cf. « Digging into the Past », op. cit., p. 77. La présence de poteaux censés tenir en place le bateau et le squelette évoque fortement un rite funéraire bien connu en Scandinavie à l’âge du fer et destiné très probablement à empêcher des défunts ayant commis une faute grave d’aller tourmenter les vivants. 21 Idem, p. 77. 22 Cf. Søren H. Andersen: « Oldtiden i Danmark ; Jaegerstenalderen » København, Forlaget Sesam, 2000, p. 128.

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meurent encore obscurs, on peut se risquer à dresser un premier bilan, à tenter une première interprétation. Il va sans dire qu’une telle entreprise doit aussi faire appel à des sources nettement plus récentes. B Les conceptions spirituelles et religieuses des populations étudiées à la lumière de l’archéologie Lorsque les archéologues ont mis à jour les squelettes de Bøgebakken et de Skateholm, ils ont constaté sur les deux sites la présence abondante d’ocre rouge en particulier autour et sur le crâne, surtout chez les hommes et au niveau des hanches, plus spécialement chez les femmes. Ce phénomène est habituel dans les sépultures préhistoriques et ce dès le Paléolithique ancien. La couleur rouge, celle du sang, aurait symbolisé la vie et par conséquent le fait de le répandre sur le cadavre d’un défunt devait avoir pour but d’assurer sa survie dans l’autre monde. Qu’à Bøgebakken comme à Skateholm, deux parties du corps aient été privilégiées n’est pas le fait du hasard. Le crâne des humains comme de certains animaux était l’objet, depuis le Paléolithique ancien d’une vénération très importante23. La tête est, par essence, tournée vers les sphères supérieures du cosmos, vers le ciel. Elle est le siège de la conscience, de la pensée, donc des facultés qui relient l’homme tant à la vie, au sens le plus large du terme, qu’au monde spirituel, à l’au-delà. Quant aux hanches, elles encadrent en quelque sorte la partie du corps (bas-ventre) où se trouvent les organes génitaux et reproducteurs, en particulier chez la femme. Elles symbolisent donc la vie au sens biologique, la reproduction des êtres. En ce qui concerne la situation des deux cimetières à proximité immédiate de l’habitat, on peut parler d’une « cohabitation » entre morts et vivants. Durant toute la préhistoire, on ne connaît pas cette séparation entre les deux mondes, celui d’ici-bas et l’au-delà, pas plus que celle existant de nos jours entre le sacré et le profane. Que le défunt ait emporté avec lui provisions, outils et armes, démontre avec éloquence la croyance en une seconde existence dans l’autre monde. En outre, on remarque la présence de membres ou de parties du corps d’animaux dans un certain nombre de tombes : pattes, ailes, mâchoires, etc. Un être humain se voyait peut-être attribuer un animal précis dès la naissance. Il est vraisemblable que cela ait été le cas pour un nouveau-né de la nécropole de Bøgebakken lequel avait été placé sur une aile de cygne. Peutêtre s’agissait-il de son animal protecteur. Il aurait ainsi été établi un rapport spirituel très étroit entre l’animal et la personne concernée. Celui-ci perdurait jusqu’à la mort et au delà. On peut imaginer le type de relation entre 23

C’était encore le cas chez les peuples d’Asie du Sud-Est, de Polynésie et d’Amérique du sud jusque vers le milieu du XXe siècle.

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l’homme et l’animal : protection, contact avec le surnaturel, contrôle sur son environnement, le tout étant intrinsèquement mêlé. Toutefois dans le cas précis du petit enfant de Bøgebakken inhumé sur une aile de cygne, on pourrait envisager une autre explication : le cygne aurait pu être psychopompe, conducteur de l’âme de ce jeune être. Et on songe immédiatement au rôle joué par cet oiseau dans les croyances nordiques24 à toutes les époques, en particulier à l’âge du bronze récent. Néanmoins, le fait que cet animal ait été psychopompe n’exclut pas forcément son caractère totémique. La découverte des bateaux-tombes, tant à Skateholm et Bøgebakken qu’à Møllegabet II constitue sans doute l’un des faits les plus intéressants de l’archéologie scandinave de ces vingt dernières années. Elle démontre l’ancienneté de ce rite funéraire si typiquement nordique. Quoi d’étonnant à cela d’ailleurs, compte tenu de ce qui vient d’être dit sur le rôle de l’élément aquatique dans l’univers mental des Scandinaves ? Il reste à savoir si le sens de cette inhumation est le même : pour cette époque si lointaine aucun texte ne vient éclairer cette pratique, comme c’est le cas pour l’époque viking. On peut avancer une explication de type fonctionnaliste : comme le chasseur, enterré avec sa hache, son arc et ses flèches, il n’est pas étonnant que le pêcheur le soit avec son bateau : dans un cas comme dans l’autre, la vie dans l’au-delà est conçue comme une prolongation de celle d’ici-bas. Cette explication n’exclut toutefois pas que, dès cette époque lointaine, le bateau ait été considéré, lui aussi, comme psychopompe : il aurait d’abord servi à traverser l’océan des ténèbres qui sépare le monde visible du monde invisible (celui des esprits). Une fois parvenu dans ce dernier, le défunt pêcheur aurait alors pu poursuivre son activité terrestre. Cette possibilité d’une double interprétation se retrouve à propos des ramures de cervidés trouvées en assez grand nombre, aussi bien dans les sépultures de Bøgebakken et Skateholm que dans les sites sous-marins tels que Møllegabet II où le bateau-tombe contenait des bois de cerf. Dans les sépultures où les bois de cervidés sont posés au pied du défunt, comme c’est le cas dans une tombe de Skateholm (tombe XI)25, on peut effectivement envisager une fonction pratique : l’intention était de fournir au mort de la matière première afin qu’il puisse se fabriquer des armes et des outils dans l’autre monde26. Mais en raisonnant ainsi, il faut en même temps garder à l’esprit que le profane avait à cette époque un sens sacré : les armes que l’on fabriquait étaient destinées à tuer des animaux, donc des êtres vivants, cette vie animale, l’homme n’en était pas le détenteur, étant lui-même soumis aux 24 Chez une autre ethnie indo-européenne, les Hellènes, il est l’animal d’Apollon / Phoebus, divinité elle-même psychopompe. 25 Dans cette sépulture, trois bois de cerfs complets étaient posés en travers des jambes, du mort. 26 Cf. Lars Larsson, op. cit., p. 144.

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mêmes lois. Pour disposer de cette vie dont il dépendait entièrement, il devait s’adresser à des forces qui le dépassaient et qui, elles, avaient tout pouvoir sur la vie et la mort. L’arme qu’il aura fabriqué avec les ramures d’un cerf ne pourra être efficace que si ces puissances y consentent, en d’autres termes, le permettent. C’est en cela que la chasse revêt un caractère profondément sacré, ainsi que tout ce qui gravite autour d’elle : les armes utilisées, leur maniement, leur fabrication. En ce sens, le fait de déposer des bois de cerf dans la dernière demeure d’un chasseur ou d’une femme du groupe a donc un sens éminemment religieux, même si l’intention n’est apparemment que de fournir de la matière première nécessaire à la fabrication d’outils ou d’armes. En outre, les ramures de cervidés s’avèrent être chargées d’un riche symbolisme27, sans doute dès le Paléolithique : elles représentent tant la fertilité que la croyance en une renaissance : les mâles, les plus forts possèdent les plus grands bois. Ces derniers jouent également un rôle lors des affrontements avant l’accouplement. Quant à la croyance en une renaissance, elle est symbolisée par leur régénération après leur chute. Les chamanes sames du XVIIe siècle portaient des bois de cerf pendant les cérémonies religieuses : on peut envisager une pareille fonction pour un jeune homme inhumé en position assise. On avait disposé dans sa tombe deux cornes près de la tête et une au pied du défunt. Mais on ne peut exclure une forme de totémisme, pas plus d’ailleurs qu’un aspect psychopompe du cervidé. Celui-ci était peut-être considéré, au même titre que le poteau ou le chamane lui-même, comme médiateur entre le monde visible et le monde invisible.

Chapitre III Le soleil et la lune dans l’univers mental et les croyances A Le rôle de la lune et du soleil dans l’univers mental et la vie quotidienne des Ertebølliens Comme leurs ancêtres du Magdalénien et des périodes précédentes du Mésolithique (Maglemosien 8300 à 6800 av. J.-C., Kongemosien 6800 à 5200 av. J.-C.) les Ertebølliens devaient être en mesure d’établir un rapport entre la périodicité et la constance de différents phénomènes naturels touchant à la fois la flore, la faune dont ils dépendaient pour leur survie, mais aussi l’être humain (menstruation, grossesse, naissance) et le mouvement des

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Cf. Lars Larsson, op. cit., p. 144.

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astres28. Il est dès lors plausible qu’ils aient tenu les mouvements des deux luminaires pour responsables de ce rapport. Ils furent donc amenés à noter, à fixer la corrélation entre la présence ou non de certains animaux ou plantes, leur croissance, le mouvement des marées et des événements astronomiques répétitifs, tels que l’alternance des saisons (soleil) et celle des phases lunaires. Les variations solsticielles dans la position du soleil observées alors étaient vraisemblablement rapprochées des variations et différences saisonnières lesquelles influent sur les mouvements du gibier et la croissance des plantes. De là, l’importance d’une notation, d’une sorte de calendrier. Or les mouvements de la lune sont plus faciles à observer et à noter que ceux du soleil. C’est pourquoi les calendriers de l’époque ertebøllienne étaient très probablement lunaires, au moins en ce qui concerne les événements de la vie quotidienne. Ceci devait être d’autant plus le cas que c’est à cette période, l’atlantique, à la fois chaude et humide, que les marées sont les plus importantes. Les habitants du sud de la Scandinavie n’avaient sûrement pas manqué d’observer ce phénomène, sachant bien qu’il était lié à la course lunaire. Ceci devait être d’autant plus le cas que l’abondance de gastéropodes marins et autres coquillages qui entraient largement dans le menu quotidien, était particulièrement fonction des marées. D’une manière générale, la lune paraît avoir de tous temps joué un rôle prépondérant chez les chasseurs-pêcheurs. Ainsi chez les Esquimaux qui croient que la lune porte bonheur aux hommes durant la chasse. Quant aux femmes, elle les rend fécondes : à tel point que ces dernières ne doivent pas s’exposer au clair de lune, à moins qu’elles ne veuillent être enceintes29. Et 28

Cf. l’article d’Alexander Marshack dans la revue américaine : “ Current Anthropology ”, volume 13 nos 3 – 4 de juin 1972, pp. 445 à 477. Il y souligne d’une part le caractère répétitif, récurrent des divers signes employés par les chasseurs au Paléolithique supérieur et d’autre part, comme corollaire de cette première constatation, la notion de périodicité, de constante qu’implique la répétition de ces signes. Or, périodicité et constance ne sont-ils pas les deux caractères fondamentaux s’appliquant à des corps célestes tels que la lune et le soleil ? 29 Information recueillie oralement auprès d’ethnologues scandinaves lors d’une rencontre informelle à l’occasion d’un séjour en Suède. Voir aussi l’ouvrage de Sophie Lunais « Les auteurs latins de la fin des Guerres Puniques à la fin du règne des Antonins », dans la Collection Etudes Préliminaires aux Religions Orientales dans l’Empire Romain, publiées par M. J. Vermaseren, tome 72ème : Recherches sur la Lune, 1, Leiden, E. J. Brill, 1979 a), p. 37, texte et note 3, citant le livre « La lune, mythes et rites », Collection Sources Orientales, Paris, Le Seuil, 1962, en particulier pp 172 et 173. b), note 18, p. 41 : « L’eau est effectivement l’élément le plus facilement influençable parce que c’est le plus instable », cf Lyall Watson : « Histoire naturelle du surnaturel » Paris, Albin Michel, 1974, pp. 39 et 40, 45 à 47. Dans sa bibliographie, pp. xvii-xviii, Sophie Lunais cite un certain nombre d’ouvrages qui insistent plus ou moins sur l’influence de la lune sur la flore et la faune, l’être humain, voire ses actions : ainsi le livre d’André Coutin « La lune n’est pas morte », Paris, Stock, 1969 ; F. Link « La lune », Paris, Albin Michel, 1970 ; Pierre Rousseau « Notre amie la lune », Paris, Hachette, 1943, p. 232, entre autres ; Lucien Rudeau « La lune et son histoire », Paris, 1947,

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même si cela peut paraître téméraire, on peut attribuer avec quelques vraisemblances de pareilles croyances aux Ertebølliens, dont l’économie était, somme toute, assez comparable à celle des Esquimaux (importance de la pêche, en particulier celle aux mammifères marins). Mais c’est, par dessus tout, le lien très étroit avec l’eau, l’univers aquatique qui devait, chez les Ertebølliens, fonder une certaine prépondérance de la lune dans leur univers mental. D’ailleurs cette relation entre l’eau et la lune doit remonter au début de l’humanité et ce rapport binaire a joué un rôle décisif dans les conceptions religieuses des Ertebølliens. Quant au soleil, son influence décisive sur l’alternance des saisons ne pouvait échapper aux populations sud-scandinaves, ne serait-ce qu’à cause de sa présence très réduite durant l’hiver et, au contraire, très importante pendant l’été. Les deux moments cruciaux de la course solaire, solstice d’hiver et d’été, devaient vraisemblablement exercer une influence déterminante sur leur mental et leurs croyances. On peut même penser qu’ils étaient, dès cette époque, l’objet de rites, voire de fêtes très importantes. Mais en l’absence d’indices archéologiques sûrs, il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de s’avancer davantage à ce sujet. B Les données archéologiques Dès cette époque reculée apparaissent les deux orientations dominantes des tombes sud-scandinaves avant 750 ap. JC. : est-ouest et nord-sud. La première (est-ouest) prévaut à Bøgebakken, elle est également présente à Skateholm : treize inhumations sur soixante-cinq (Skateholm I) et onze sur vingt-deux (Skateholm II). Une majorité, faible certes, se dégage ainsi en faveur de l’orientation est-ouest. Cependant, il importe de souligner qu’à Skateholm les corps ne sont jamais dirigés vers l’est. On ne peut donc considérer ces données comme absolues. Nonob- stant cette réserve importante, les indications fournies par les fouilles de Bøgebakken permettent de dire que certaines populations sud-scandinaves du Mésolithique final ont pu relier l’orientation des défunts à la course solaire, ce qui impliquait peut-être la croyance en une renaissance après le passage obligé de la mort, celle-ci étant rapprochée du lever du soleil à l’est. C’est tout ce que l’on peut avancer pour l’instant à propos de ce sujet. La découverte sous la mer d’un bateau tombe à Møllegabet II, non loin de l’île de Ærøskøbing située au sud de la Fionie (Fig. 1-2) ainsi que les fortes

p . 79 ; P. Saintyves « L’astrologie populaire étudiée spécialement dans la doctrine et les traditions relatives à l’influence de la lune », Paris, E. Noury, 1937.

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présomptions des archéologues danois30 et suédois31, tant à Bøgebakken qu’à Skateholm II ont mis en évidence l’existence, dès cette période reculée, de ce type de sépultures, si caractéristiques des rites funéraires scandinaves. Il existe un lien logique entre ce type d’inhumation et les activités des Ertebølliens très étroitement dépendants de l’élément aquatique, de la mer et de ses ressources. Mais ceci n’exclut aucunement un contenu à la fois symbolique, sacré et profane déjà si fréquemment souligné : à l’instar de la chasse, la pêche constituait très probablement une activité éminemment sacrée, puisqu’elle était dispensatrice de vie pour la communauté. Rien de plus légitime alors que la croyance en une poursuite de celle-ci dans l’au-delà. La signification profonde des bateaux-tombes va cependant bien au-delà d’un simple lien avec les activités maritimes des Ertebølliens, si vitales qu’elles aient pu être. Pour en saisir le sens véritable, il est nécessaire d’anticiper quelque peu en ayant recours à ce que l’on sait déjà des époques suivantes, en particulier à l’âge du bronze et du fer, périodes auxquelles la navigation et les bateaux-tombes jouent un rôle religieux tout à fait essentiel. Tous deux sont associés au culte solaire et à la fertilité-fécondité. Il est fort probable que ces traits essentiels de la religion scandinave entre 1800 av. J.C. et 1000 ap. JC. ne soient pas le fruit d’une influence extérieure, par exemple la venue de populations entre 2800 et 2200 av. J.-C.. Ils remonteraient en fait à une période bien antérieure à la fin du Néolithique, probablement au Mésolithique. Les bateaux-tombes et le bateau lui-même auraient été associés dès cette époque reculée aussi bien à la lune qu’au soleil. A l’astre nocturne tout d’abord en raison de la forme en croissant du bateau, au moins vu de côté, laquelle rappelle fortement celle du luminaire. Ensuite le glissement sur l’eau, la silhouette allongée, effilée de la barque a dû faire que les Ertebølliens, en observateurs attentifs de leur environnement naturel, n’ont pu s’empêcher de l’associer au serpent. Or le symbolisme de celui-ci embrasse à la fois les domaines séléniques, aquatiques et chtoniens, ce qui est également le cas de la barque32. Pour le Mésolithique, on possède également la preuve à la fois archéologique et iconographique de l’existence du serpent dans l’univers mental des chasseurs-pêcheurs scandinaves d’alors. L’animal est gravé en effet sans 30 Cf. Esben Kannegaard-Nielsen et Erik Brink Petersen: Burials, people and dogs in: S. Hvass and B. Storgaard (dir). « Digging into the Past, 25 Years of Archaeology in Denmark », Århus Universitetsforlag, 1993, p. 77. 31 Cf. supra Lars Larsson, op. cit., p. 112. 32 On retrouve cette association à l’âge du bronze où cet animal est représenté avec une tête chevaline qui tire le soleil. La forme de cette dernière se confond alors tellement avec la poupe du bateau que les deux motifs ne font plus qu’un. Cf Rudolf Simek « Lexikon der germanischen Mythologie », Stuttgart, Alfred Kröner Verlag, 1995, p. 355. Traduction française de Patrick Guelpa, « Dictionnaire de la mythologie Germano-Scandinave », tomes 1 et 2, Paris, Les éditions du Porte-Glaive, 1996. Ici tome 2, p. 294.

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ambiguïté sur une hache en bois de cerf trouvée dans la tourbière de Skaltrup près de Roskilde. Malgré la stylisation propre à l’art nordique de cette époque (Maglemose, Kongemose, Ertebølle) on reconnaît bien la ligne en zigzag qui évoque, par ailleurs, l’ondoiement de l’eau, indice supplémentaire d’un lien avec l’élément aquatique. Mais ce qui est le plus troublant dans cette gravure de Skaltrup est le fait que la tête de l’animal aux contours pentagonaux se trouve reliée par un trait à un motif en forme de trame, peut-être un filet. Entre les deux, une ligne continue pourrait matérialiser la surface de l’eau. A-t-on à faire ici à un exemple précoce d’identification du serpent avec la barque de pêcheur ? On ne peut l’affirmer avec certitude mais cette hypothèse n’est pas à exclure, ne serait-ce qu’à cause de l’existence d’une pareille identification à l’âge du bronze. Quels pourraient avoir été, en dehors de l’élément aquatique, les rapports entre la lune et le serpent ? Vraisemblablement le phénomène de la mue que les Ertebølliens ne manquaient sans doute pas de rapprocher de la chute des ramures de cervidés. Autrement dit, c’est la périodicité et l’éternel retour qui, ici, aurait joué un rôle déterminant. En se dépouillant de sa propre peau, le serpent entre dans le cercle vital - naissance, vie, mort, renaissance - dans lequel sont pleinement intégrés lune et soleil : la première en raison de ses phases, le second à cause de ses levers et couchers. En ce qui concerne plus spécifiquement les rapports entre le bateau et les deux corps célestes, on doit envisager, dès cette époque lointaine, le symbolisme de la traversée et du voyage et, plus précisément à propos des bateauxtombes, ceux du défunt dans l’au-delà. Il serait en effet bien étonnant que des hommes habitués à se déplacer constamment sur l’eau, n’aient pas cru à une telle traversée. D’ailleurs, la croyance en une étendue d’eau associée à l’obscurité qu’il faut traverser pour parvenir au royaume des morts relève de l’archétype. La disparition momentanée de la lune et du soleil a-t-elle été alors identifiée à la traversée d’un océan nocturne ? Ceci peut paraître quelque peu spéculatif ; mais il faut ici rappeler l’existence de pareilles croyances aux époques suivantes et notamment à l’âge du bronze. A cette supposition, on peut d’ailleurs objecter que le voyage dans l’au-delà ne peut entrer en considération dans le cas des bateaux-tombes, car ces véhicules y sont en quelque sorte ancrés, ce qui en principe exclut ainsi toute idée de voyage. Rudolf Simek33 envisage pour l’âge du fer la possibilité que le bateau-tombe ait été en quelque sorte la demeure du marin. Même si cette opinion n’est pas à exclure pour le Mésolithique tardif, on peut néanmoins maintenir l’hypothèse d’une croyance en un voyage dans l’au-delà, lequel aurait été le prolongement du séjour terrestre après la mort physique. Dans un cas comme 33

Op. cit., p. 354. Cf. également la traduction de Patrick Guelpa, op. cit., tome 2, p. 293.

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dans l’autre, la Lune et le Soleil ont pu être associés à cette traversée en raison même de leur disparition momentanée attribuée à un voyage dans l’obscurité ou à un avalement par quelque monstre dont ils finissent par ressortir. Ainsi le bateau pourrait exprimer également l’espoir en un retour, ou plutôt symboliser aussi la médiation entre la mort physique et une survie dans l’autre monde. C L’archéologie à la lumière de l’ethnographie Parmi le mobilier trouvé dans les sépultures ertebølliennes fouillées au Danemark ou en Suède34, les ceintures ornées de coquilles de gastéropodes et de dents de mammifères tiennent une place à part : en effet, on ne les trouve que dans les tombes féminines35. On pense qu’elles étaient cousues à une sorte de jupe. Les coquilles de bigorneaux noirs étaient le plus souvent disposées sur cinq ou six rangées, dont trois faisaient presque le tour de la taille, tandis que les autres n’occupaient que le milieu de la ceinture. Quant à l’unique rangée de dents, elle ceignait les reins (Cf. Fig. 3-4). Les archéologues estiment qu’outre l’effet esthétique produit (contraste entre le noir des coquilles et le blanc des dents) ces ceintures ont pu symboliser non seulement une appartenance sociale – clan ou tribu – mais aussi des croyances36. C’est ici que l’ethnographie peut être de quelque secours pour l’archéologue en jetant quelques lumières sur le symbolisme de ces bijoux caractéristiques de la fin du Mésolithique scandinave. En ce qui concerne tout d’abord les gastéropodes, le symbolisme s’avère très riche et présente plusieurs facettes. Dans différentes civilisations, ceuxci, en particulier les escargots à cause de leur coquille, symbolisent les organes génitaux de la femme37. En rapport avec ce symbolisme fondamental, le gastéropode et sa coquille représentent la vie et la renaissance38. Chez les anciens Berbères, on déposait dans les sépultures de l’ocre rouge contenu dans les coquilles d’escargot39. En Europe occidentale, la tradition de dépo34

Cf. L. Larsson, op. cit., p. 125, Skateholm. Søren H. Andersen « Stenalderen », vol. 1 “ Jægerstenalderen ”, København, 1981, p. 78. 36 Cf. Søren H. Andersen op. cit. p. 76. Mais quant à ces dernières, il pense qu’on ne pourra jamais en interpréter la signification exacte. Toutefois, il faut bien reconnaître que cette attitude prudente qui était celle des tenants de « l’archéologie moderne » durant les années soixante-dix et quatre-vingts s’est finalement révélée stérile : de mieux en mieux informée des aspects matériels des civilisations préhistoriques et en particulier de celle d’Ertebølle, on se refusait d’en connaître les croyances et les mythes, et ce alors même que ceux-ci, toujours au nom de ce principe fondamental de la non-séparation du sacré et du profane, constituent sans doute le noyau même, l’âme si l’on peut dire, de ces cultures. 37 Cf. Manfred Lurker (ed.) « Wörterbuch der Symbolik », 5ème édition, Stuttgart: Kröner Verlag, 1991. (collection poche, Kröner, n° 46), pp. 652 et 653. 38 Cf. Manfred Lurker, op. cit., p. 652. 39 « Wörterbuch der Mythologie », édité par H. W. Haussig, tome 2, p. 629, cité par Manfred Lurker, op. cit., p. 652. 35

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ser ce type de mollusques dans les tombes s’est maintenue jusqu’à l’époque carolingienne40. L’origine de ce rite doit être sans doute recherchée dans le fait que, le printemps venu, l’escargot perce sa cloison membraneuse, l’épiphragme, qui protège l’animal du froid hivernal : les hommes préhistoriques, en fins observateurs de la nature, et du monde animal en particulier, n’avaient certainement pas manqué de remarquer ce phénomène qui, dans leur mental, s’est peut-être associé à l’idée de résurrection41. En outre, les antennes du gastéropode, capables de se rétracter, de disparaître totalement, mais aussi de se redéployer, ne pouvait qu’évoquer la disparition momentanée et le retour de l’astre nocturne chez les hommes préhistoriques et les peuples vivant au milieu de la nature. Et ce d’autant plus que l’animal luimême peut se retirer totalement dans sa coquille ou en ressortir, rappelant ainsi l’astre dans sa phase croissante et décroissante. De ce point de vue, le mollusque symbolise aussi le renouvellement constant et l’éternel retour42. En même temps, on a pu rapprocher les cornes de cet animal du symbolisme des ramures de cervidés. La couleur diaphane de l’escargot rappelle beaucoup non seulement celle du luminaire nocturne mais aussi celle de l’élément aquatique dont il est l’un des symboles. Quant à sa coquille ellemême, ses spires ou volutes, on a dû, dès l’origine, les comparer à la croissance et à la décroissance lunaires, au cycle vital et à l’éternel recommencement de ses différentes phases : naissance, vie, mort, renaissance et, pour finir, à la fertilité-fécondité. A ce propos, on sait l’importance considérable de la spirale dans l’iconographie scandinave des époques suivantes (Néolithique, âges du bronze et du fer). On constate ici, combien les symboles lunaires ne peuvent en aucun cas être isolés de leur contexte qui est celui de l’éternel retour ou de la périodicité, du cycle vital, de la fertilité-fécondité et, ne l’oublions pas non plus, de l’élément aquatique, si important dans l’univers mental des Nordiques, tout particulièrement à la fin du Mésolithique. A ce sujet, il faut souligner, ici encore, le rôle déterminant de la femme dans le ramassage des coquillages et des mollusques marins à marée basse. Tout se tient, tous les éléments cosmiques (à la fois célestes, aquatiques, chtoniens) sont comme imbriqués les uns dans les autres, constituant ainsi

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Cf. Manfred Lurker, op. cit., p. 52. Parmi les nombreuses ethnies associant l’escargot et sa coquille à la lune, il faut citer les Amérindiens : en particulier les Aztèques dont l’une des divinités principales était le dieu Tecciz-tecatl (littéralement celui qui vient du pays des coquilles d’escargots marins). Au Pérou, l’escargot se retirant dans sa coquille symbolise la divinité lunaire. Cf. Manfred Lurker, op. cit., p. 52. 42 Cf. Mircea Eliade « Ewige Bilder und Sinnbilder », édition allemande de « Images et Symboles », 1958, pp. 161 à 185 et Mircea Eliade « Traité d’Histoire des Religions », Paris, Payot, 1949, p. 141. 41

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une sorte de totalité. C’est à l’intérieur de celle-ci que l’on doit inscrire les deux luminaires et leur culte en Scandinavie à l’époque Mésolithique. Les dents qui ornent les ceintures de Bøgebakken symbolisent peut-être la force vitale43, comme c’est souvent chez les peuples dits « primitifs ». Mais ceci ne constitue sans doute qu’une partie de leur symbolisme. Comme cela a déjà été mentionné auparavant, un indice pourrait être fourni par la couleur blanche qui contraste avec le noir des coquilles de gastéropodes. Leur éclat évoque davantage la lumière que le monde chtonien dont il vient d’être question. Cet aspect permet de rapprocher ce symbolisme de celui des cheveux44. En effet ceux-ci représentent souvent les rayons du soleil. Il s’avère ici essentiel que les dents qui entrent dans la composition des bijoux en question soient celles de mammifères associés au soleil. Ceci est valable non seulement pour le cerf mais aussi pour le sanglier. C’est tout ce que l’on peut avancer pour l’instant sur ce point précis : il faut retenir ici la notion « d’éclat », de « blancheur ». D Les données de l’iconographie et des marquages L’outil en corne de renne d’Ageröd en Scanie constitue un cas unique au sein de l’ornementation mésolithique. Cet objet triangulaire fut mis à jour en 1973/74, dans les couches inférieures d’un habitat préhistorique. Au centre du triangle, dans la partie supérieure de l’outil, a été incisée une grande spirale. De celle-ci partent des pointillés qui créent plus ou moins l’impression d’un rayonnement. Quelques-uns rejoignent même en lignes parallèles le sommet du triangle, tandis que d’autres partent en direction de motifs en vagues situés un peu en-dessous de la base, à droite (gauche pour l’observateur). Ceux-ci descendent jusque vers la section effilée de l’instrument. La présence d’un trou au milieu de l’objet indique qu’il a pu s’agir du manche d’un outil. La comparaison avec des artefacts semblables encore utilisés par certaines ethnies des régions circumpolaires (Sibérie, Canada…) permet d’en conclure à un ustensile employé par les femmes pour ramasser les racines d’arbres ou certains insectes. L’absence de traces d’usure sur l’exemplaire en question suggère un usage rituel. Dans ce cas, on entrevoit un rapport avec la fertilité-fécondité. Mais ce n’est là qu’une hypothèse. Ce qui demeure certain, c’est que la grande spirale rayonnante qui orne la partie supérieure de cet artéfact représente un astre lumineux : soit la lune, soit le soleil. Incontestablement, on a affaire à la plus ancienne représentation en Scandinavie de l’un des deux corps célestes, voire des deux à la 43

Cf. Manfred Lurker, op. cit., p. 847 et Herder Lexikon, « Symbole », Fribourg / Br., 1991, p. 187. La raison de ce symbolisme réside dans le fait que les dents croissent au même titre que les cheveux et les bois de cervidés. 44 Cf. M. Lurker, pp. 272 et 847.

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fois. La présence d’une spirale d’où partent les rayons rappelle les marquages figurant sur l’os exhumé dans la caverne de la Marche (située dans la commune de Lussac-Les-Châteaux à une quarantaine de kilomètres de Poitiers, Département de la Vienne, Région Poitou-Charenteet incite à interpréter la présente figure comme une sorte de calendrier lunaire. La forme hélicoïdale rendrait alors les cycles successifs de notre planète. Ce ne sont là, il va sans dire, que des supputations, mais elles trouvent un commencement de confirmation dans le contexte millénaire où elles s’inscrivent : la ressemblance avec la figure inscrite sur l’os mis à jour dans la Grotte de la Marche et, dans une certaine mesure aussi, avec celle de la caverne du Taye (dans la Drôme) (Cf. Fig. 2) est trop frappante pour qu’elle soit le simple fait du hasard ! Ceci apparaît encore plus nettement si on confronte ces deux objets que séparent dans le temps environ six mille ans, avec les figures gravées sur les boucliers de Fröslunda en Vestrogothnie et ceux de Hertzsprung au nord du Brandebourg. Tous deux datent de l’âge du bronze récent. Ainsi aurait-on là un bel exemple de ce que l’on a souligné dans l’introduction : à savoir l’importance de la continuité dans le devenir millénaire des croyances héliaques et séléniques au nord de l’Europe ! Quoi qu’il en soit, le problème de l’origine de l’artefact d’Ageröd reste entier : s’agit-il d’un support originaire de l’ouest de la Suède (Culture de Lihult) ou du sud-ouest de la Norvège (Culture de Fosna) que les tenants du groupe d’Ageröd auraient orné d’une figure leur servant de calendrier lunaire, ou bien sont-ce support et figure qui tous deux proviennent de la culture de Fosna ou de Lihult ? Le fait que l’on n’ait pas trouvé de décor semblable dans les sites de ces deux ensembles culturels ne permet pas d’exclure d’emblée cette dernière hypothèse, d’autant plus que de mauvaises conditions de conservation peuvent en être la cause. Mais par ailleurs, la technique du pointillé est si typiquement maglemosienne que l’on hésite à rejeter la première. Ainsi le mystère de l’origine exacte de cet instrument reste entier. Peu importe d’ailleurs, l’essentiel n’est-il pas dans la plausibilité des arguments en faveur d’une fonction cultuelle : - absence de traces de coups, laquelle exclut son emploi comme ustensile aratoire - utilisation comme calendrier sélénique ou lunisolaire Une étude approfondie qui ferait appel au microscope électronique ainsi qu’au laser apporterait des renseignements utiles et permettrait d’infirmer ou de confirmer les hypothèses émises… La multiplication, dans l’iconographie mésolithique, des images de l’eau, suggèrerait une répétition dans la création et l’ordonnance du cosmos45. Mir45 Cf. Le commentaire de Jesper Christensen sur l’article d’Alexander Marshack “ Upper Paleolithic Symbol Systems of the Russian Plain ” dans “Current Anthropology”, vol 20 n° 2, juin 1979 qui cite, pp. 297 / 298 Mircea Eliade (éd. Anglaise « Patterns in Comparative Reli-

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cea Eliade46 a démontré que l’un des points centraux des religions dites « primitives » est précisément le « mythe de l’éternel retour47 ». Tout renouveau des forces vitales est évoqué par la répétition rituelle de l’acte originaire par lequel fut créé le monde. Et la lune, précisément parce qu’elle se renouvelle constamment, à l’image de l’eau et qu’elle influe de façon décisive sur les marées, le cycle de la femme48, le monde végétal et animal, participe éminemment à cet éternel retour. Si donc le symbolisme de l’eau et celui de la lune apparaissent intimement unis, on peut se demander ce qui peut relier l’astre nocturne au filet et à la nasse. Pour comprendre celui-ci, il faut se souvenir d’un autre mythe, non moins présent dans les religions dites primitives. Celui-ci a très longtemps survécu et dans le cas du monde nordique, sa présence demeure très réelle au moins jusqu’à l’époque viking, si ce n’est au-delà : il s’agit du mythe du monstre avaleur de la Lune et du Soleil. Ce mythe récurrent de la mythologie scandinave ne s’avère nullement isolé. On peut avancer qu’il est universel et relève pratiquement de l’archétype. Dès lors, on saisit le rapport qui peut s’instaurer entre cet archétype et le symbolisme du filet et, peut-être encore davantage, de la nasse. Tous deux ont pour objet de capturer le poisson, le filet en l’enserrant dans ses mailles, la nasse en le happant, en l’avalant. Or ce poisson est lui-même symbole de vie : n’est-il pas à la base de la nourriture humaine, au Mésolithique peutêtre encore davantage qu’à d’autres époques ? Et qui dit nourriture, dit vie. Ainsi pour nourrir l’homme et lui permettre sa survie, le poisson doit se laisser capturer dans ses filets ou happer par ses nasses. N’en est-il, au fond, pas de même pour la lune ? Pour se renouveler, elle doit disparaître pendant environ sept jours, comme happé par l’obscurité. Très tôt, l’homme a dû associer ce phénomène à un drame, celui de la mort de l’astre nocturne. Mais ce drame s’avère avoir une issue favorable puisque la lune renaît progressivement, et par là-même son influence sur l’homme, le monde animal et végétal, et tout particulièrement en milieu aquatique, si important pour les pêcheurs mésolithiques. Le soleil, devait dès cette époque être associé très étroitement au luminaire nocturne. Tous deux se lèvent et se couchent, parfois même simultagion », New York, 1972, p. 412 et aussi pp. 402 et 407). D’un point de vue purement rationnel, c’est entre autres par l’observation régulière de l’influence de ses trois phases sur les marées, le monde végétal et animal, sur le cycle menstruel (le cycle ovarien comprend également trois phases) que l’homme a pu constater la réalité de cet éternel retour. 46 Cf. Mircea Eliade « Patterns in Comparative Religions », New York, World, 1972, 8ème édition, p. 412. 47 Cf. le livre de Mircea Eliade intitulé justement « Le mythe de l’éternel retour », Paris, Payot, 1949. 48 Il faut souligner ici, le fait que le cycle de la menstruation féminine et celui de la lune sont tous les deux de vingt-huit jours.

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nément (phase de la nouvelle lune) ; mais, lorsque cette dernière est pleine, elle relaie en quelque sorte l’astre diurne au moment où il se couche. Ensuite, c’est avant le lever du soleil49 que la lune devient visible. Au dernier quartier, elle se lève six heures avant le soleil. Dans ces conditions, comment ne pas penser que les deux corps célestes étaient en Scandinavie, associés, comme frère et sœur ou jumeaux. Ce qu’il faut avant tout retenir dans ce partenariat, c’est la périodicité des levers et des couchers, des apparitions et des disparitions. Dans l’iconographie du Mésolithique scandinave, ceci se traduit par la ligne ascendante et descendante, autrement dit le « zigzag », motif répété à l’infini au même titre que le filet, la nasse, le losange ou le damier. Ce thème est l’image même de cet éternel retour qui régit le cosmos tout entier, la répétition perpétuelle du cycle, vie, mort, renaissance dont les Nordiques étaient non seulement les témoins mais aussi les acteurs. En ce sens, qu’ayant tué l’animal, ils compensaient cette perte, le faisaient renaître en le reproduisant sur l’os, l’ambre, le bois. Mais aussi parce qu’eux-mêmes étaient soumis au cycle vie – mort – renaissance. Dans ce symbolisme de l’ascendance et de la chute, on retrouve le mouvement de l’eau à la surface de la mer, celui des vagues, singulièrement au moment des marées. Au niveau des symboles numériques, le chiffre deux pourrait bien dominer ici. En effet, pour Jesper Christensen, le fait d’associer des signes numériques et des images aquatiques trouve une explication plausible dans les concepts fondamentaux liés à l’eau50. Ceux-ci sont discutés par Mircea Eliade51. Selon ce dernier « L’eau symbolise l’ensemble de la potentialité, c’est la […] source de toutes existence possible. L’eau purifie et régénère car elle annule le passé et restaure l’intégrité durant l’aube des choses. » Retenons ici le concept de la purification, et étendons-le à celui de passage, d’ascèse et on prend immédiatement conscience de ce que soleil et lune sont, par leurs couchers ou disparitions respectifs infiniment répétés, hautement impliqués dans ce processus. Comme la lune, les bois de cervidés sont eux-aussi soumis au cycle naissance, vie – mort, chute – renaissance. Ce fait à lui seul suffit à le mettre en relation avec l’astre nocturne et le soleil. C’est sans doute ce qu’ont fait les chasseurs préhistoriques dès le Paléolithique. Et la forme même, celle de la corne, ne pouvait qu’être rapprochée de la demi-lune, du croissant lunaire.

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Cf. « Encyclopédie Larousse méthodique », tome second Larousse, 1962, Paris, p. 260. Cf. Jesper Christensen dans son commentaire sur l’article d’Alexandre Marshack : “Upper Paleolithic Symbol System of the Russian Plain” in : “Current Anthropology”, volume 20, n° 2 de juin, 1979, p. 298 et suiv. 51 Ici, Jesper Christensen cite l’édition anglaise de l’ouvrage du célèbre historien des Religions « Le Mythe de l’Eternel Retour », p. 188, Paris, 1949. 50

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De même que la lune de par son influence sur la vie terrestre et aquatique établissait vraisemblablement un lien entre le ciel et la terre (c’est l’aspect médiateur de la lune), de même le cervidé et ses bois ont pu représenter la liaison entre le monde chtonien et céleste. Le cerf Eikþyrnir (littéralement: celui dont les bois sont semblables à ceux du chêne) de l’Edda poétique52 pourrait en être un témoignage tardif. Que dit l’Edda à ce propos ? Eikþyrnir se tient sur le toit de la Valhwll et broute les feuilles de l’arbre lærðr53. On se souvient ici que de l’extrémité de ses bois, il tombe des gouttes dans la source Hvergelmir, laquelle alimente tous les cours d’eau du monde. Ce mythe pourrait remonter au Mésolithique sud-scandinave54 : il montrerait le lien étroit établi par le cervidé et ses bois, entre le ciel symbolisé par le toit de la Valhwll, par la cime de l’arbre Lærðr que broute le quadrupède et le monde aquatique et chtonien, représenté par l’eau qui goutte et la source Hvergelmir. En outre, on constate simultanément que l’arbre et les bois de cerf sont reliés étroitement, ne serait-ce déjà qu’à cause de leur renouvellement annuel et de leurs silhouettes respectives très comparables. A cet égard, le nom même du cerf Eikþyrnir évoque pleinement ce rapprochement : « celui qui a des ramures comparables à celles d’un chêne ». On sait le symbolisme extrêmement complexe et fort important de l’arbre chez les Nordiques. Il s’avère être en premier lieu le trait d’union entre le monde aquatique et souterrain55 d’une part, le monde céleste d’autre part. D’après Snorri Sturluson56, la source Hvergelmir se trouve à ses pieds et, près de lui, deux fontaines, Urð et Mimir. Le contexte aquatique apparaît ici comme évident, de même que la relation avec l’élément chtonien. Par ailleurs, on sait que Yggdrasill désignait à l’époque viking le coursier d’Oðinn. Ce dernier appelé encore Sleipnir est confié à Hermóðr, l’un des fils du chef des dieux, pour aller chercher son frère dans Hel. Autrement dit, le cheval représente encore une autre forme de lien entre l’univers souterrain (hel) et le ciel (Valhwll). Or le cheval est venu remplacer le cerf à une époque que l’on devrait situer entre 2300 et 1800 av. J.-C., c’est-à-dire au Chalcolithique (âge du cuivre) qui correspond à la fin du Néolithique. C’est à cette période qu’à dû être introduit l’usage du cheval dans le sud de la Scandinavie.

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« Edda poétique : Grímnismál » (Les dits de « Grímni ») vers 26. Grímnismál 25 et 26. 54 Il aurait été transmis au cours du Néolithique, de l’âge du bronze et du fer par des chasseurs pour qui le cerf demeurait le gibier noble par excellence. De nombreux pétroglyphes du bronze et du fer attestent du prestige dont a joui cet animal durant des millénaires : cf infra : L’âge du bronze. 55 Ses racines s’étendent dans trois directions (Völuspá 19, 47 Grímnismál 35 / 44) qui englobent le monde dans sa totalité. 56 Gylfaginning 15 / 38. 53

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Les archéologues57 et les historiens des religions58 ont souvent évoqué la possibilité d’un rapport entre les bois de cervidés et le chamanisme. Les chamanes de Laponie, Sibérie et d’Asie Centrale portent fréquemment une coiffe ornée de ramures d’un cervidé59. Celle-ci symbolise, entre autres, la médiation qu’instaure le chamane entre la terre et le ciel, entre le monde visible et invisible (c’est-à-dire celui des esprits des animaux). Ici l’aspect chamanique du cervidé et de ses bois n’exclut donc en aucun cas le lien avec la lune et le monde aquatique et ce d’autant moins que ces deux pôles sont dispensateurs de la vie60. Or, le chamanisme a dans les sociétés vivant de la chasse et de la pêche, « pour fonction essentielle d’assurer la perpétuation de la vie en soumettant à des règles l’obtention du gibier, lui imposant un ordre qui à la fois pallie les aléas de son apparition et justifie sa prise par l’homme…61 ». D’un point de vue archéologique, le fait que les bois de cerf soient placés tantôt sous la tête, tantôt au pied du défunt, pourrait symboliser les deux pôles (terre et eau / ciel). Et même si on veut voir dans les bois placés au pied du défunt (par ex : dans la tombe XI de Skateholm II ) ; un simple approvisionnement en matière première pour les armes et outils dans l’au-delà, cette interprétation fonctionnaliste n’interdit pas forcément la signification religieuse évoquée. Précédemment il a été question des rapports très étroits entre la lune et le soleil. Aussi peut-il paraître bien artificiel d’étudier séparément leurs relations symboliques avec les ramures de cervidés et l’arbre. Néanmoins il faut constater ici une spécificité qui repose sur un fait concret dûment vérifié par l’archéologie. En effet, on a vu auparavant que pratiquement toutes les tombes découvertes à terre, à Skateholm, comme à Bøgebakken et ailleurs, comportaient des traces plus ou moins importantes d’ocre rouge. Or, l’ethnologie nous apprend que bien des peuples anciens62 rapprochaient des rayons solaires la couleur rouge sang et la forme des velours du cerf63 : le 57

Et notamment Lars Larsson, op. cit., p. 144 et suiv. Citons parmi beaucoup d’autres, Roberte N. Hamayon dans l’article sur le chamanisme figurant dans l’Encyclopædia Universalis, corpus tome V, Paris, 2008, pp. 490 à 493. 59 Cf. un personnage ainsi représenté sur un couteau en os ertebøllien: il figure sur une illustration, p. 87 b dans l’ouvrage de Johannes Brøndsted, « Nordische Vorzeit », tome 1 « Das Steinalter » (édition allemande) Neumünster, Karl Wachholtz Verlag, 1960 ; ceci prouve que c’était aussi le cas chez les Scandinaves du sud à l’époque du Mésolithique tardif. 60 Dans la mesure où elle influence notablement la croissance des végétaux et des animaux, au même titre que le soleil, et aussi (facteur essentiel à l’époque étudiée ici) les marées dont point n’est besoin de répéter ici leur rôle déterminant dans l’abondance de gastropodes et crustacés. 61 Cf. Roberte N. Hamayon, op. cit., p. 491. 62 Les Chinois en particulier, cf. Manfred Lurker, « Wörterbuch der Symbolik », 5ème édition Stuttgart, 1991, p. 313 et Herder Lexikon « Symbole », Freiburg im Breisgau, Herder Verlag, 1991, p. 75. 63 Ce sont les ramures printanières recouvertes d’un fin duvet. 58

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printemps venu, les quadrupèdes ont l’habitude de frotter contre les arbres leurs jeunes ramures. On appelle cela la frayure. Il en résulte alors cette teinte que l’on peut effectivement comparer au rougeoiement du soleil. On est par conséquent fondé à croire que les chasseurs ertebølliens, eux aussi, mettaient en relation le rouge des velours avec celui du soleil levant ou couchant et par là-même avec le cycle vital (naissance – vie – mort – renouveau) dans lesquels sont impliqués les deux luminaires. Pour ce qui est de l’ocre rouge, on peut avancer l’hypothèse d’un rapport ayant existé entre le soleil, l’ocre rouge répandu sur les défunts et les bois de cerfs déposés dans les tombes : tous trois auraient symbolisé la vie et l’espoir de son retour, au même titre que le soleil lui-même qui par la régularité de ses perpétuels levers et couchers s’avère être le paradigme même de l’éternel retour et de la périodicité. Aussi les ramures de cerf auraient été associées au Mésolithique à la fois à la lune et au soleil car elles devaient être pleinement intégrées comme les deux astres dans ce cycle dont le trait essentiel est la mort et le renouvellement périodique. E La Lune et le Soleil associés à une Puissance Divine Des données archéologiques, ethnographiques et iconographiques précédemment étudiées, il ressort que les Ertebølliens devaient relier très étroitement le cycle vital à la lune, l’eau, son pendant terrestre, et au soleil. Ainsi les deux astres ont dû dès cette époque être intimement associés (frère et sœur ?). Les symboles de ces deux pôles étaient les ramures de cerf, l’arbre et l’ocre rouge, la barque, la nasse et le filet, les coquilles de gastéropodes et les dents de mammifères. Ces symboles relèvent à la fois du milieu aquatique et sylvestre, les deux lieux où se déroulait, pour l’essentiel, l’existence des chasseurs-pêcheurs ertebølliens : aussi peut-on en conclure avec quelque certitude à leur caractère éminemment sacré. La Lune et le Soleil étant totalement intégrés dans le cycle vital, il est par conséquent peu vraisemblable qu’ils aient été eux-mêmes l’objet d’un culte particulier. Aussi doit-on, dès à présent, envisager leur association à une puissance divine qui certes règne sur le monde animal et végétal, mais qui, et cela s’avère de la première importance, a très probablement un aspect ouranien au moins aussi essentiel64. 64

Même s’il faut demeurer très circonspecte à propos des rapprochements des croyances de l’Orient ancien et celles de la préhistoire européenne, la recherche archéologique a récemment démontré qu’au Moyen-Orient et en Asie centrale (Turkmenistan), la Grande Déesse était, preuves à l’appui, tout autant ouranienne que chthonienne : cet aspect remonterait au moins à 10000 av. JC. par exemple, au nord du Croissant Fertile, lors de la phase de transition préagricole, entre le Mésolithique et le Néolithique. Ce trait capital était peut-être déjà présent à

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Longtemps, le point de vue de l’histoire des religions a été de refuser aux peuples préhistoriques toute croyance en des entités divines personnifiées. Ce point de vue évolutionniste était déjà passablement battu en brèche, dès le milieu du XXe siècle65, par un certain nombre d’historiens des religions tels que E. O. James66 qui en concluait à l’existence d’une religion dès la préhistoire. Avant lui, Leo Frobenius67, Ad. E. Jensen68, Carl Hentze69 et surtout Mircea Eliade70 ont amplement démontré le haut niveau de spiritualité atteint par l’homme préhistorique, au moins à partir du magdalénien (35000 – 10000 av. J.-C.). Les chefs -d’œuvre de l’art rupestre produits dans les grottes du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne par les tenants de la Civilisation Franco-Cantabrique en sont la meilleure preuve. Or les chasseurs-pêcheurs du Mésolithique en Scandinavie sont les héritiers de cette culture. Plus récemment, Marija Gimbut- dans son ouvrage « le langage de la déesse71 », insiste également sur l’ancienneté de la croyance en une entité divine personnifiée, maîtresse de la vie, de la mort, de la faune et de la flore. Malheureusement, elle limite son champ d’investigation à l’Europe du Sud (Italie, Crète, Malte, Grèce) et du centre est (Pologne, Ukraine) ce qu’elle appelle l’ancienne Europe (Old Europe72) et ne fait que quelques incursions, assez rares, dans le domaine nord européen. Par ailleurs, elle systématise cette époque dans l’Europe du Paléolithique tardif ou du Mésolithique précoce (azilien en France). Cf les études menées à l’Université Martin Luther de Halle-Wittenberg par Mme Sybilla Winkelmann. En tous les cas, la Grande Déesse a, selon toute probabilité, dès le départ, été à la fois céleste et souterraine. 65 Cf. Des éthnologues comme Marcel Griaule, par exemple dans son ouvrage : « Masques Dogons », Paris, 1938, Travaux et Mémoires de l’Institut D’Ethnologie, Paris 33 ; édition anglaise « The Dogons », London-Oxford University Press, 1954 (Collection « African World », Studies in the Cosmological Ideas and Social Values of Africa). 66 Cf. E. O. James « Prehistoric Religions », London, Thames And Hudson, 1957. 67 Cf. Leo Frobenius: « Kulturgeschichte Afrikas », Zürich, Phaïdon-Verlag, 1ère édition 1933, 2ème édition 1934; Traduction française: « Histoire de la Civilisation Africaine », Paris, Gallimard, 1936. 68 Cf. Adolf E. Jensen, « Das religiöse Weltbild einer frühen Kultur », Stuttgart, A. Schröder, 1948. « Mythos und Kult bei Naturvölkern », Wiesbaden, Steiner, 1951. 69 Cf. Carl Hentze : « Bronzegerät, Kultbauten, Religionen im älteren China der Shang-Zeit », Anvers, De Sikkel, 1951. Traduit en français sous le titre « Mythes et symboles lunaires : (Chine ancienne, Civilisations anciennes de l'Asie, peuples limitrophes du Pacifique) », Charleroi, 2006. Cf aussi « Objets rituels, croyances et dieux de la Chine antique et de l’Amérique. », De Sikkel, 1936. 70 Cf. Mircea Eliade : « Le mythe de l’Eternel Retour », Paris, Gallimard, 1949. 71 Cf. Marija Gimbut-: « The Language of the Goddess », London, Thames and Hudson, 1989. Cf aussi « The Goddess and Gods of Old Europe Myths Cults, Images », London, Thames and Hudson, 1982. Cet ouvrage a été récemment traduit en français sous le titre « Le langage de la déesse », traduction de Camille Chaplain et de Valérie Morlot-Duhoux, préface de Jean Guilaine, Paris, édition Des Femmes, Antoinette Fouque, 2005. 72 Voir à propos des limites de ces conceptions, Hilda Ellis Davidson : « Roles of the Northern Goddess », pp. 3 et 4, London, Routledge, 1998.

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trop le rôle de cette déesse, lui conférant des traits, par trop unitaires et schématiques pour un territoire aussi vaste. En dépit de ces excès, l’idée d’une déité féminine présidant au cycle vital doit être retenu dès maintenant et ce d’autant plus qu’une abondante iconographie offre des points d’appui et des bases de réflexion. En Scandinavie méridionale, on voit apparaître, dès le Maglemosien, des figures anthropomorphiques aux contours féminins marqués. On se contentera de prendre à cet égard trois exemples particulièrement significatifs : il s’agit de gravures sur os. Toutes proviennent des îles danoises : les deux premières de la Seeland : celle de Stensby, et celle de Koge Sonakke ; la troisième a été trouvée en Fionie, mais le lieu exact de sa provenance est aujourd’hui inconnu. La figure de Stensby représente une femme sans tête, manifestement assise les bras et les jambes écartés. Ceux-ci ont les contours en V, caractéristiques de l’iconographie mésolithique. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’une convention graphique pour représenter la puissance divine en question. Cette forme aurait un rapport avec les ailes déployées d’un oiseau en vol. Elle exprime simultanément le don de la vie, en particulier la position des jambes, qui s’avère être celle de l’enfantement. Les bras symbolisent en même temps, surtout lorsqu’ils sont munis de griffes, (mais ce n’est pas le cas ici) la main mise des rapaces sur leur proie, en d’autres termes la capacité de cette divinité à reprendre ce qu’elle a donné. Au-delà, ce graphisme manifeste l’alternance vie / mort qui résume en quelque sorte l’essence même de cette entité divine. La silhouette de Koge Sonakke se présente différemment. Elle s’inscrit en droite ligne dans la tradition iconographique du Paléolithique supérieur (Magdalénien) : en apercevant ces traits incisifs, filiformes, la position de côté de cette figure anthropomorphe, on songe immédiatement aux figurines en os ou en ivoire ainsi qu’aux glyphes sur les plaques rocheuses de Gönnersdorf (Rhénanie / RFA). A une différence près cependant : ici le postérieur n’est point tendu vers l’arrière, comme c’est le cas pour les gravures de Gönnersdorf ; mais le genou est également ployé, si bien qu’ici aussi l’impression de danse rituelle est bel et bien présente. Autre singularité, typiquement maglemosienne : la représentation triangulaire du chef : celui-ci n’apparaît pas à Gönnersdorf où les « Venus » sont toutes représentées sans tête. Dans la tourbière de Jordlose Mose, toujours en Seeland, on a trouvé une ramure de cerf ornée d’une figure anthropomorphique qui s’avère être le complément de celle de Koge Sonakke, à l’exception des membres supérieurs : même position, en particulier le ploiement des genoux et même filiation par rapport aux glyphes de Gönnersdorf.

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Le côté chorégraphique apparaît aussi dès le premier regard posé sur l’exemplaire, sans doute le plus éloquent, provenant de Fionie (Cf. Fig. 3). Mais d’emblée, on constate aussi des différences notables avec les deux précédents. Ici la ligne continue cède la place aux pointillés, très fréquents dans les gravures maglemosiennes. Autre distinction : les membres supérieurs prennent l’attitude de l’orant (tournés vers le haut) tandis que les jambes sont écartées pour mettre au monde un enfant dont on voit sortir les membres inférieurs. Ici on a un mouvement tour à tour ascendant et descendant qui se retrouvera plus tard au Néolithique sur la panse des vases en céramique, puis à l’âge du bronze et même du fer, sous la forme de spirales doubles ou de vagues : c’est l’alternance vie – mort, cet « eternel retour » dont parle Mircea Eliade. Le chef est orné d’une coiffe à cornes (ramures de cerf ?) et un sein apparaît, vu de côté. C’est sans doute cette coiffe qui confirme le plus ce qui a été énoncé précédemment à propos de l’association des bois de cervidés aux deux astres d’une part et de la nature théophanique des deux corps célestes d’autre part. Ainsi ces témoignages iconographiques viennent appuyer l’existence d’une telle déité féminine chez les populations mésolithiques de Scandinavie méridionale. Comme on l’a vu auparavant, ceux-ci étaient largement tributaires de deux éléments omniprésents : l’eau et la forêt. Sans compter l’importance des deux astres, non seulement dans la vie quotidienne (mesure du temps, alternance des saisons et orientation dans l’espace, cycles menstruels fondés sur les lunaisons) mais aussi dans les conceptions cosmologiques. En tenant compte de toutes les données évoquées jusqu’ici, on peut ainsi avancer l’hypothèse qu’ait pu, dès cette époque lointaine, exister un être féminin présidant à la vie végétale et animale ; y étaient étroitement associés, non seulement l’eau et la terre mais aussi la lune et le soleil. Régnant sur le cycle vital, cette divinité devait exercer aussi son pouvoir sur la mort et tout ce qui gravite autour de celle-ci : le monde souterrain que l’on désigne habituellement sous le terme de chtonien. Elle pouvait ainsi vêtir deux aspects l’un positif et l’autre négatif. D’un côté, elle donnait la vie autant dans le monde végétal qu’animal. A ce titre, elle permettait aux chasseurs de tuer les cerfs, élans ou sangliers, considérés comme son troupeau, comme sa propriété. D’où l’existence très probable d’un certain nombre de rites dont on a malheureusement perdu toute trace mais dont on peut se faire une idée grâce à l’ethnographie et à la tradition populaire encore très vivante au XIXe siècle en Scandinavie73. Ces 73 Cf. Hilda Ellis Davidson, op. cit., pp 24 à 30 qui cite à ce propos et entre autre la thèse du Suédois Gunnar Granberg « Skogsrå i yngre nordisk folktradition » dans : “Skrifter Gustav Adolfs Akademi för folklivs forskning”, 3 / 26, Uppsala, 1935 et les travaux du Norvégien R. Grambø “ The Lord of the Forest and Mountain Game in the more recent Folk tradition of Norway ” in : “Fabula”, 7, 1964, pp. 32 à 52.

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rituels consistaient vraisemblablement à implorer cette puissance divine de bien vouloir céder quelques spécimens de son troupeau, à condition que le chasseur remplace la bête abattue par quelque rituel magique : par exemple tracer ou graver l’animal tué sur quelque support : bois de cerf, rocher ou à même la terre. D’un autre côté, elle pouvait donner la mort, non seulement en permettant aux êtres humains de tuer des animaux de son troupeau mais aussi en mettant, d’une façon ou d’une autre, fin aux jours de l’homme lui-même, celuici ayant toujours l’espoir qu’elle le ferait revivre dans l’autre monde. Dans un cas (don de la vie) comme dans l’autre (la mort), la lune et le soleil lui sont très étroitement associés, soumis qu’ils sont, eux aussi, à la périodicité et à l’éternel recommencement qui caractérise le cycle vital. Il faut, en tout cas, retenir ici l’ambiguïté fondamentale de cette entité divine que l’on pourrait aussi désigner sous le terme de Maîtresse de la vie et de la mort.

Chapitre IV

Conclusion

Les hypothèses avancées jusqu’à présent quant aux croyances lunaires et solaires dans le sud et le centre de la Scandinavie au Mésolithique permettent de dégager une conception somme toute assez semblable de la place occupée par les deux luminaires dans la cosmologie et les croyances des cultures de Ertebølle et de Fosna. En effet, au centre comme au sud, la lune et le soleil devaient être vénérés en tant que manifestations célestes de l’entité suprême, maîtresse de la vie et de la mort. Ainsi, comme théophanies de celle-ci, ils devaient revêtir un aspect à la fois positif et négatif. Leur course respective et leur influence déterminante sur les éléments, entre autres l’eau74, sur la croissance des plantes et des êtres vivants, l’alternance du jour et de la nuit, des saisons (soleil), l’écoulement du temps (lune), leur conféraient un rôle tout à fait décisif dans le cycle vital. Mais en même temps, leur disparition temporaire devait, dans le mental comme dans les croyances des populations mésolithiques de la Scandinavie du sud, les relier au drame de la mort. Cette phase, négative en soi, devait être cependant considérée comme absolument nécessaire au bon déroulement du cycle de vie. L’éternel retour du jour, des saisons, des marées, ne pouvait avoir lieu que si le soleil vespéral se couchait et si la lune disparaissait pendant quelques jours. Ainsi la continuité de ce cycle vital, son bon fonctionnement étaient en quelque sorte garantis par celle de la course solaire et des phases lunaires. Mais cet impératif vital allait aussi de paire avec 74

Cf. les marées pour la lune.

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la crainte très profonde que les deux luminaires ne soient définitivement engloutis par quelque monstre des ténèbres. D’où la nécessité d’un culte rendu aux deux corps célestes en tant que théophanies. Malheureusement ni l’archéologie, ni l’ethnographie ne permettent d’en décrire la nature et le fonctionnement exacts à l’époque concernée. Tout au plus peut-on énoncer quelques pistes, des hypothèses de travail, en aucun cas des certitudes. On peut ainsi se demander si les fameux monticules de déchets culinaires, dans lesquels ont parfois été retrouvées des tombes75 ne sont pas en fait les témoignages laissés par un peuple qui célébrait sous forme d’agapes, sans cesse répétées, la vie76 que leur offrait la déité suprême par la médiation de sa théophanie, la lune. Cette dernière ne leur permettait-elle pas, grâce à l’éternel flux et reflux des eaux, une telle moisson de mollusques, de gastéropodes et de crustacés ? Sinon, comment expliquer la présence de tombes au beau milieu de ces monceaux ? Ce que l’on sait à présent des cimetières mésolithiques sud-scandinaves permet au moins d’affirmer l’existence d’un culte voué aux défunts, aux ancêtres, la mort étant considérée comme partie intégrante du cycle vital77. C’est précisément cette attitude face à la mort, déduite à partir des découvertes de ces vingt dernières années qui permet d’en conclure au caractère sacré des monticules de déchets de cuisine. Ceuxci étaient constitués essentiellement par les restes d’animaux marins : coquilles de gastéropodes, d’huîtres, arêtes de poissons, carcasses de phoques et autres mammifères78. Il fallait en les amoncelant ainsi le long des littoraux en garantir la reproduction, autrement dit la continuité de la vie. C’est ce que font les Sames aujourd’hui encore. En effet, ils ont conservé la coutume de pieusement rassembler en tas les ossements des animaux consommés lors de leurs déplacements. Cet usage avait déjà été observé par les missionnaires suédois, norvégiens et danois dès le XVIIe siècle. En même temps, ce pouvait être une forme de culte rendu à la Puissance Divine Maîtresse du cycle vital et par là-même à l’astre nocturne, à son influence bienfaisante sur les marées, exceptionnellement importantes à cette époque. Celles-ci permettaient une cueillette abondante et donc la prospérité des communautés de pêcheurs-chasseurs-cueilleurs. D’après ce qui a été dit jusqu’à présent, il semblerait que la vénération de la Lune en tant que théophanie de la Maîtresse de la vie et de la mort ait été 75

Ainsi à Bloksbjerg, au nord de Copenhague, et à Ertebølle, au bord du Limfjord (nord-ouest du Jutland). 76 Cf. Christopher Tilley, op. cit., p. 109 et p. 111. 77 A l’appui de ce dernier point, peut-être citée la proximité des cimetières et des habitats, tant à Bøgebakken qu’à Skateholm. 78 Le fait que l’on y ait aussi mis à jour les restes d’outils, d’armes, de céramiques et d’objets de la vie courante (notamment des peignes) ne contredit en rien cette hypothèse. Grâce aux fouilles archéologiques menées dans les tombes collectives du Néolithique, on sait que divers objets étaient brisés en l’honneur des défunts, en particulier des récipients en céramique.

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plus importante au sud qu’au centre de la Scandinavie. Dans la partie centrale, c’est le Soleil qui aurait fait l’objet d’une plus grande dévotion, ne serait-ce qu’en raison de sa longue disparition hivernale et de son retour en force, l’été venu. Toutefois, bien des faits naturels pourraient contredire cette hypothèse. Tout d’abord, la force des marées le long des côtes occidentales de la Norvège79, permettant d’en conclure à un rapport établi dès cette époque entre celle-ci et les phases lunaires. De là à ce que les tenants de la culture de Fosna aient également voué un culte particulier à la Lune en tant que manifestation de la Maîtresse de la vie et de la mort doit être considéré comme probable. D’autre part, l’astre nocturne a toujours joué, en Scandinavie centrale, un rôle considérable durant la nuit hivernale. Il suffit à cet égard de citer le célèbre marché de la lune (en suédois månmärknaden) appelé Distingen qui se tenait à Uppsala jusque vers la fin du XIXe siècle. Il avait toujours lieu à la première pleine lune située après la fête des Rois mages (Epiphanie) en janvier. Le fait qu’Olaus Magnus intitule un chapitre de son « Histoire des Peuples Nordiques » (livre 4, chapitre 6)80 « Des marchés tenus sur la glace » indique que le lien entre la glace et la lune était encore ressenti comme allant de soi, à une époque où il n’y avait aucune possibilité de s’éclairer artificiellement81. D’où son importance aussi pour les voyageurs et, à l’époque mésolithique, sans doute pour les chasseurs qui devaient poursuivre leur chasse durant la longue nuit hivernale. Il suffit d’avoir passé une nuit d’hiver et de pleine lune à la campagne en Scandinavie (Suède et Norvège) pour se rendre compte de l’intensité de la lumière lunaire dans un paysage enneigé et verglacé82. Et Olaus Magnus d’insister sur le rôle considérable qu’ont joué les marchés tenus sur la glace pendant la première moitié de l’hiver scandinave, et ce depuis la plus haute antiquité83. Par là-même, la lune a dû, au centre comme au sud de la Scandinavie, être « cet éternel retour à ses formes initiales, cette périodicité sans fin84 » soumise qu’elle est à la loi universelle du devenir, de la naissance et de la mort85. Participant ainsi « à tous les plans cosmiques régis par la loi du devenir cyclique : eaux, pluies, végétation, fertilité86 » menstrues féminines et

79 Il suffit à cet égard de citer celles du célèbre Saltstraumen, long de trois kilomètres et large de 150 m dans le fjord de Bodø au nord de la Norvège. Sans compter le fameux “mælstrøm”. 80 Olaus Magnus Historia de Gentibus Septentrionalis, Anvers, 1558 – 1562. 81 Information fournie par M. Martin Giertz, professeur à la Folkhögskola de Linköping, dans un court article, non publié intitulé “ Månkult hos Germanerna ” et datant de 1996. 82 Cf. Martin Giertz, op. cit. 83 Cf. Martin Giertz, op. cit. 84 Mircea Eliade, Traité d’Historie des religions, Paris, Payot, 1949, p. 139. 85 Ibidem. 86 Ibidem.

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marées, elle ne pouvait qu’être associée en tant que théophanie à la Maîtresse du cycle vital.

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DEUXIEME PARTIE LE NEOLITHIQUE (4000 A 1800 AV. J.-C.)

„Wie die Sonne sich erhebt und den Weg als Held durcheilt, So erschien Er in der Welt, wesenhaft ganz Gott und Mensch“. Markus Jenny, 1971 Theologischer Verlag, Zürich

I

Le Néolithique ancien et moyen A (4000 – 2800 av. J.-C.)

Deines Glanzes Herrlichkeit Übertrifft die Sonne weit ; Du allein, Jesu mein Bist, was tausend Sonnen sein. ANGELUS SILESIUS (JOHANN SCHEFFLER) 1657.

Chapitre I

Introduction

On peut considérer cette période, longue de vingt siècles comme le véritable point de départ, de ce long cheminement à travers l’histoire religieuse de la Scandinavie. Mais l’absence de sources écrites directes rend le terrain encore bien peu sûr et oblige à maintenir une attitude circonspecte à l’égard de toute interprétation abusive des données, somme toute, encore bien faibles de l’archéologie. Ici encore, la philologie pourra par ailleurs être d’un certain secours. Pour ce qui est de la chronologie, on a adopté celle qui figure sur le diagramme suivant87 :

Diagramme de la Chronologie du Néolithique scandinave fondé sur environ 400 datations au Carbone 14. Le calibrage d’après Pearson et al., 1986 and Pearson & Stuiver 1986.

87

D’après : “The Neolithic” by Poul Otto Nielsen dans: « Digging into the Past, 25 Years of Archæology in Denmark », op. cit.

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Chapitre II

Généralités

A Aperçu de l’évolution du milieu naturel et son influence sur les humains L’Atlantique ancien, qui a débuté vers 7000 av. J.-C., atteint son paroxysme vers 4500 av. J.-C. Entre 4500 cal et 4000 cal le climat devient plus continental avec des étés chauds et secs et des hivers plus rigoureux qu’auparavant88 : c’est le subboréal, dernière phase du postglacial qui va durer jusqu’à la fin de l’âge du bronze (500 av. J.-C.). Dans les forêts continuent de dominer le tilleul, le noisetier, le chêne et le frêne. La transgression marine s’achève : nombre de sites mésolithiques sont submergés. Vers 3000 av. J.-C. les côtes ont à peu près atteint le contour qu’elles ont aujourd’hui. Mais surtout l’importance des marées diminue et avec elle la salinité de l’eau. Il s’ensuit une baisse constante des quantités de mammifères marins, de gastéropodes et de mollusques disponibles. Cependant que dans les forêts devenues pratiquement impénétrables, à cause de l’emprise des arbres à fort ombrage, tels que les tilleuls, les chênes, seuls les sangliers peuvent encore vivre en assez grand nombre pour être chassés. Les autres mammifères, tels que le cerf, sont contraints de demeurer à la lisière, près des habitats. Ces nouvelles conditions naturelles constituent un défi pour les chasseurs, pêcheurs, cueilleurs en Scandinavie. Leur survie passe en quelque sorte par une adaptation à un environnement de plus en plus différent de ce qu’ils ont connu jusqu’à présent. La cueillette de plantes et de baies a dû revêtir une importance jusque là inconnue. Parallèlement, il semblerait qu’ils aient parqué en quelque sorte les cervidés contraints de vivre à la lisière des forêts devenues trop épaisses. On aurait donc là un stade intermédiaire entre le mode de subsistance traditionnel en usage jusqu’à présent (c’est à dire chasse, pêche, cueillette) et l’agriculture déjà pratiquée depuis des générations chez les voisins du sud. Ceux-ci occupaient l’actuelle Basse-Saxe, le Brandebourg et la région autour de l’estuaire de l’Oder. Au fur et à mesure des changements qui intervinrent dans l’environnement, les habitants du sud de la Scandinavie eurent de plus en plus recours au nouveau mode de vie. Les contacts avec les populations 88

L’abréviation cal signifie « calibré », c’est-à-dire que la différence entre la datation au carbone 14 et son calibrage dû à la dendrochronologie est d’environ 800 ans pour le Mésolithique et le début du Néolithique. Il y sera fait appel ici aussi souvent que possible, tout en sachant que cette chronologie n’est vraiment applicable que jusque vers 3500 cal av. JC. Après cette date, c’est la datation au carbone 14, notée C14 qui prévaut. Cette chronologie calibrée a été adoptée par les archéologues scandinaves à la suite d’un congrès qui a eu lieu en 1986 à Trondheim.

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d’agriculteurs d’Europe centrale s’accentuèrent d’ailleurs à partir de la fin du Mésolithique. Ils eurent pour effet notamment l’adoption de la céramique et la présence de haches dites « en forme d’alêne de cordonnier » (cf le mot danois « skolæstøkse ») retrouvées dans les tombes de Vedbæk en Seeland (4330 cal – 3860 cal av. J.-C.). Et c’est sans doute grâce à ces échanges que les populations de Scandinavie méridionale acquirent le savoir nécessaire à la pratique de l’agriculture et de l’élevage. Ils purent ainsi se procurer les semences, les animaux nécessaires à l’élevage (moutons, bovins). Autour de 4000 cal apparurent les premiers champs cultivés dans les clairières et à la lisière des forêts. Ils devaient sans doute davantage ressembler à des lopins de terre qu’à de grandes surfaces cultivées. La chasse et la pêche, y compris celle des coquillages et des mollusques devaient constituer encore un apport assez considérable, au moins jusque vers 4000 à 2 3900 cal. Après cette date (entre 4000 cal et 3800 cal av. J.-C.) il semble que le tournant pris devienne plus radical, et ce à la suite d’une altération climatique encore accentuée : le climat devient de plus en plus continental. En même temps, la sédentarisation amorcée depuis au moins un millénaire, si ce n’est plus, progresse, du fait des cultures. Celles-ci empiètent à présent de plus en plus sur la forêt que l’on commence à défricher. C’est surtout le cas à partir de 3500 cal av. J.-C. : on assiste alors à une première emprise importante de l’homme sur le milieu naturel. Les courbes des diagrammes polliniques montrent que la forêt mixte de chênes recule au profit du bouleau et du noisetier. Tout indique un accroissement des pâturages dans les clairières de plus en plus vastes. Les haches de silex permettent désormais d’abattre les grands arbres tels que tilleuls et chênes, ainsi que l’ont démontré des expériences menées par les archéologues danois du Centre Expérimental de Lejre (situé en Seeland à l’ouest de Copenhague). On pratique alors la culture sur brûlis : les arbres une fois abattus, on brûle les broussailles restantes, la cendre servant d’engrais. Pendant une saison au moins, les rendements sont bons mais ensuite, ils baissent fortement, obligeant les nouveaux cultivateurs à défricher de nouvelles portions de forêt. C’est ainsi que sont progressivement mis en culture des superficies de plus en plus vastes, jadis occupées par les forêts de l’atlantique ancien. B Les populations de Scandinavie au Néolithique ancien et moyen A Les tendances, déjà présentes vers la fin du Mésolithique, vont aller en s’accentuant au Néolithique ancien et moyen A : la démographie en accroissement constant, l’étendue des cultures, elle aussi en augmentation, ces deux facteurs vont puissamment contribuer à fixer désormais les anciennes com-

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munautés de chasseurs-pêcheurs, devenues au fil des générations des communautés villageoises. Celles-ci ont pu se fédérer pour former des tribus dont le territoire devait être délimité par des obstacles naturels : forêts, rivières, fjord, lac et, au Danemark, zones marécageuses. Dans les communautés villageoises du Danemark et de Suède méridionale, il n’existait vraisemblablement pas de véritable hiérarchie sociale, au moins jusque vers 3500 cal av. J.-C. Certes, l’érection de longs tumuli, comme à Barkær, à l’est du Jutland (Djursland) ou à Bygholm Nørremark près de Horsens (Est du Jutland) entre 3800 cal et 3500 cal av. J.-C. pourrait faire croire que quelques membres des communautés villageoises ont joué un rôle plus important : Peut-être a-t-on déjà affaire à des sortes de chefferies. Ou bien il s’agit là d’inhumations de personnages qui exercent une fonction particulièrement prestigieuse à la fois dirigeante et sacerdotale. Mais en tout cas, celle-ci ne paraît pas résulter de la possession de biens ou de richesses particulières. Cependant, à partir de 3500 cal av. J.-C., on assiste à l’émergence de groupes qui paraissent occuper une position sociale plus importante que le reste de la population : c’est du moins ce que semble indiquer la construction d’imposants monuments funéraires mégalithiques, tant en Suède89, qu’au Danemark, tombes à passage et dolmens. En effet, beaucoup d’entre elles sont conçues pour abriter la dépouille de plusieurs membres d’une même famille ou d’un même clan. Cela suppose en tout cas une organisation sociale déjà avancée et on peut penser que certains groupes ont eu assez d’ascendant sur l’ensemble d’une communauté pour se faire ériger des monuments aussi considérables. Cette influence reposait-elle sur certaines fonctions sacerdotales ou autres ? En l’état actuel des connaissances, ces questions demeurent sans réponse. Néanmoins on peut retenir comme plausible l’existence d’instances dirigeantes suffisamment puissantes (groupements familiaux ou claniques ?) pour organiser et réaliser la construction de ces mégalithes. Quant à la répartition des tâches entre l’homme et la femme, on peut penser qu’elle est restée à peu près la même qu’au Mésolithique final : les femmes devaient jouer un rôle considérable dans les activités proprement agricoles : gardiennes des graines, ce sont elles qui sèment et récoltent. C’est vraisemblablement à elles qu’incombait aussi, comme à la fin de l’époque précédente, la fabrication de récipients divers en céramique. Le tissage90 ainsi que la préparation des repas, la garde et l’entretien du foyer au centre de l’habitation étaient également du ressort de la femme. Enfin le contexte 89 90

En Scanie, Halland, Blekinge, Bohuslän et Vestrogothnie. On verra par la suite quelle est la conséquence religieuse de ceci.

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mental et religieux entourant l’ambre et son utilisation (bijoux, amulettes) permet de penser que son ramassage était aussi le fait des femmes. Les hommes devaient, quant à eux, se charger du défrichement des forêts, de l’extraction du silex et autres matières premières, de la fabrication des outils et armes en pierre polie, de l’érection des tombes et monuments mégalithiques et, bien sûr, de la chasse et de la pêche hauturière. En tant que garante de la survie biologique des communautés, la femme devait continuer à jouir d’un statut particulier, ceci d’autant plus que les deux catégories, peut-être encore plus essentielles au Néolithique qu’au Mésolithique, à savoir la fertilité et la fécondité, jouaient alors un rôle central, tant dans l’univers mental que dans les croyances. C La culture matérielle : les innovations techniques à l’origine d’un symbolisme et d’un imaginaire totalement nouveaux Dès le début du Néolithique, les techniques et les formes de la céramique sud-scandinave, jusque-là passablement grossière et peu variée, se transforment. A partir de la fin du Néolithique ancien et au Néolithique moyen, elles atteignent des sommets qui ne seront d’ailleurs jamais plus égalés. Les vases ou gobelets « en entonnoir » sont l’élément distinctif des cultures néolithiques issues de l’Europe danubienne et balkanique et adoptées entre 4000 cal et 3800cal par les Nordiques, à la suite de leurs contacts avec les populations d’agriculteurs qui vivent dans la plaine du nord de l’Allemagne. Cette céramique figure parmi les plus belles jamais réalisées en Scandinavie. Les formes sont d’une grande élégance, en particulier les vases caliciformes caractéristiques de cette culture. Des récipients de toutes sortes sont alors produits et leur décoration consiste en motifs géométriques (triangles, losanges, zigzags, chevrons) et surtout en figurations d’yeux. Ceux-ci sont modelés sous forme de disques rayonnant surmontés de sourcils très prononcés qui se prolongent sur les côtés pour rejoindre une barre verticale formant le nez. L’ensemble évoque un végétal à deux branches tombant en volutes. On retrouvera ce motif dans l’iconographie de l’âge du bronze et celle du fer. Le tissage est réservé, lui aussi, comme on vient de le voir, aux femmes. Cela aura une certaine incidence sur le rôle de celles-ci dans la vie spirituelle et religieuse: en effet le tissage, comme l’agriculture, a un lien avec le facteur temps et le destin91. Il relève, comme le cycle végétal et menstruel, de la lune.

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On songe ici aux Nornes qui, comme les Parques gréco-latines, tissent le destin des humains. C’est là probablement un élément remontant au Néolithique.

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Au début des années quatre-vingt-dix on a retrouvé à Flintbek (Canton de Rendsburg-Eckernförde, Schleswig-Holstein, RFA) une trace d’une vingtaine de mètres92 : vraisemblablement s’agissait-il d’une charrette à un seul axe. Etant donné que cette trace s’arrêtait directement devant une tombe mégalithique, on en a conclu qu’elle est à mettre en rapport avec la construction de cette dernière93. Cette trace de roue date de la phase de Satrup, c’est à dire à l’époque de la Civilisation des Gobelets en Forme d’Entonnoir (terme traduit de l’allemand : Trichterbecherkultur, abrégé TRBK), selon la terminologie danoise la phase C du Néolithique ancien entre 3800 cal et 3550 cal av. J.-C. En d’autres termes, la roue est connue en Scandinavie méridionale pratiquement dès le début du Néolithique. Mais jusqu’à présent la plus ancienne roue trouvée dans le sud de la Scandinavie remonte de 2800 C14 à 2700 C14 av. J.-C94, c’est à dire de la phase B du Néolithique moyen (selon la datation danoise), celle où débute la construction des tombes individuelles. Les conséquences technologiques de cette invention sont considérables : transport d’objets pondéreux (rochers…) facilité, d’où érection possible de monuments mégalithiques, création d’une infrastructure routière95. Mais comme on le verra plus loin, des implications au niveau des croyances solaires et lunaires doivent être également envisagées : c’est sans doute dès cette époque que l’on met en parallèle la rotation des deux luminaires, et celle de la roue. D Le rôle des mégalithes Avec le développement et l’extension de l’agriculture à travers la Scandinavie, la sédentarisation déjà amorcée au Mésolithique va s’accentuant. N’étant plus contraints à d’incessants déplacements, les cultivateurs peuvent se permettre d’honorer leurs morts en leur donnant une sépulture durable96. En même temps, ces lieux d’inhumation sont une manière de marquer le territoire de la tribu ou de la communauté villageoise, de signifier 92 Cf. l’article d’Alexander Häusler : “Zum Ursprung” der Indogermanen. Archäologische anthropologische und sprachwissenschaftliche Gesichtspunkte. Dans : EAZ (= “Ethnographisch-Archäologische Zeitschrift” n° 39, 1998. p. 10. qui se réfère à un autre article : celui de B. Zich : “Die Ausgrabungen chronisch gefährdeter Hügelgräber der Stein - und Bronzezeit in Flintbek Kreis Rendsburg-Eckernförde”: Ein Vorbericht. In : “OFFA” 49 / 50 p. 25 et suiv., illustration 8 / 10, 1992 / 93, Neumünster. 93 Cf. Alexander Häusler, op. cit., p. 10. 94 Cf. l’ouvrage collectif précité « Digging into the Past » : Article de Paul Otto Nielsen : “The Neolithic”, p. 87, op. cit. : cette roue provient de la tourbière de Kideris (Kideris Mose). 95 Les premières routes apparaissent vers cette époque (3800 à 3550) : ainsi en Seeland à Elverhøj, (Elverhøj Veje cf. Vagner Hansen et Helge Niels : Oldtidens veje og vadesteder belyst ved nye undersøgelser på Stevns -Vejovergange ved Stevns og Tryggevælde Å-, in : “Årbøger for Nordisk Oldkyndighed og Historie”, 1977, pp. 72 à 117). 96 Mais ce phénomène est déjà largement présent vers la fin du Mésolithique (2 5400 cal à 4000 cal av. JC.).

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l’occupation de la terre ancestrale. Les défunts des générations passées ont donc une fonction tutélaire sur le territoire considéré comme un espace éminemment sacré. De là à ce que les différentes communautés d’agriculteurs du Danemark et de Suède rivalisent entre elles en élevant des monuments funéraires de plus en plus imposants, il n’y a qu’un pas qui sera franchi après 3500 cal av. J.-C. Ce mouvement n’est d’ailleurs pas sans rappeler la construction des cathédrales en Europe aux XIIIe et XIVe siècles. L’érection des mégalithes passa par plusieurs phases qui marquent chaque fois une étape dans l’instauration d’un véritable culte des ancêtres, dont les esprits revêtaient pour les agriculteurs du Néolithique une fonction protectrice, primordiale pour la survie et le bien-être de la communauté. Entre 3900 et 3500 av. J.-C., on éleva, en particulier en Seeland et en Scanie, des tumuli impressionnants par leur longueur (cf les « long barrows » des archéologues anglophones) ; celle-ci pouvait atteindre jusqu’à cent mètres, voire plus, ainsi celui de Mosegården près de Horsens qui dépassait les 102 mètres. Une des extrémités du tumulus, la plupart du temps située à l’est, bénéficiait d’un traitement particulier, puisqu’elle était pourvue d’une façade en bois constituée de poutres imposantes d’une hauteur de quatre à six mètres dont on a retrouvé les ancrages très solides : ainsi à Mellanköping au lieu dit Jättegraven (près de Ystad, S. E. de la Scanie). La façade était précédée d’une terrasse en hémicycle soigneusement pavée, la chambre mortuaire en charpente étant généralement située plus à l’ouest, comme c’est le cas à Mellanköping. Dans bien des cas, les fouilles menées sur des sites danois ont révélé des restes abondants de charbon de bois suggérant que la façade monumentale avait été incendiée au bout d’un certain laps de temps. Mais en l’absence de ceux-ci, ainsi à Jättegraven, on peut estimer probable que cette dernière ait été enterrée. Des tessons de poteries mis à jour le long de cette façade et sur la terrasse en hémicycle témoignent en faveur de dépôts ou d’offrandes rituels. L’existence de ces éléments monumentaux en bois dès le début du Néolithique doit être rapprochée des édicules du Mésolithique tardif dressés au-dessus de certaines tombes à Skateholm : eux aussi étaient incendiés après un certain temps. Il s’agit donc d’une tradition séculaire, expression d’un rituel bien établi. Il faudra cependant attendre le Néolithique moyen A entre 3300 / 3400C14 et 3000C14 av. J.-C. pour voir se dresser des tombes véritablement mégalithiques. Ces grands monuments en pierre97 prouvent que les habitants de la 97

- Le dolmen (en danois et norvégien, « dysse », en suédois « dös ») dont les origines remontent à 3700cal av. JC. Il abrite généralement une seule sépulture individuelle. Il est souvent construit sur un monticule et recouvert d’un tas de pierre, de cailloux (on parle alors d’un cairn) ou de terre (on parle alors d’un tumulus). Cette éminence est entourée d’un enclos de pierres rectangulaires rappelant celui des habitations des cultivateurs. - Le dolmen à couloir, galerie ou passage appelé jættestue en danois (chambre des géants) apparu entre 3500cal et 3200cal av. JC.

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Scandinavie méridionale possédaient alors non seulement un sens religieux mais encore de remarquables techniques de construction ainsi qu’un sentiment croissant de la valeur de l’effort collectif. Comme pour le premier type de dolmens, ces tombes collectives impliquent l’existence d’un culte des ancêtres et montrent l’importance de la famille et du clan, ce qui est une constante de la civilisation scandinave jusqu’à nos jours. Aux alentours de 2800 C14 av. J.-C. s’instaure à nouveau le mode de sépulture individuel, ce qui conduit à l’abandon total de l’architecture mégalithique.

Chapitre III L’univers mental et les conceptions religieuses A L’univers mental L’adoption progressive de l’agriculture entre 4200 et 4000 impliquait une adaptation à de nouveaux impératifs : elle exigeait encore bien plus que la chasse, de prévoir, d’anticiper, d’où l’importance du facteur temps. Ceci aura des conséquences majeures dans les conceptions religieuses : c’est sans doute à cette époque que les populations de Scandinavie méridionale commencèrent à prendre vraiment conscience de l’importance du destin, lequel occupera une si grande place dans leur vision future du monde. La nécessité de prévoir les phénomènes naturels (météorologiques) accentua encore l’observation des astres, en particulier du soleil et de la lune. Il a dû en résulter des connaissances astronomiques accrues, en particulier en ce qui concerne la course solaire. Les concepts de fertilité et de fécondité, déjà si importants au Mésolithique, devinrent centraux et avec eux le rôle de la femme et de la féminité. Les conceptions de l’au-delà en rapport avec la survie prirent au fil des siècles une tournure quelque peu différente de celle des chasseurs-pêcheurs. En effet, la confrontation permanente avec les mécanismes du cycle végétal amena encore davantage l’homme à envisager pour lui, en tant que partie intégrante de l’univers, une incorporation à ce cycle qui était à la fois mort et renaissance. Ce dernier était en rapport avec le facteur temps dont il dépendait étroitement : l’alternance des saisons, dont les chasseurs-pêcheursCe type est bien moins fréquent que le précédent. A la différence de ce dernier, il est destiné à des sépultures plus collectives (celles d’une famille ou d’un clan ?) et ses dimensions sont bien supérieures. Des blocs verticaux de roche glaciaire forment les parois et d’énormes dalles les recouvrent. La totalité du monument, à l’exception des dalles du sommet est recouverte de terre pour former un tumulus. Ces sépultures vont continuer à être utilisées par les tenants de la culture dite de la hache de guerre : au Néolithique récent (2350 C14 à 1700 C14 av. JC.) ils y enterreront leurs propres morts jusqu’au milieu de l’âge du bronze. On entre dans le dolmen par un couloir étroit qui aboutit à une chambre spacieuse de forme circulaire ou rectangulaire.

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cueilleurs mésolithiques avaient sans doute déjà une idée nette, devint alors capitale : à l’été, période de maturité et donc de récolte, succède l’automne période de mort progressive de la végétation, puis l’hiver qui est à la fois mort et gestation, mouvement vers le bas, les entrailles de la terre protectrice, (archétype du sein maternel) et promesse de renouveau ; et enfin le printemps lequel signifie la renaissance et l’élan vers le haut, vers le ciel. B Les conceptions religieuses La connaissance intime du cycle végétal (gestation, naissance, vie, mort, renaissance), la place centrale occupée par la fertilité-fécondité font qu’à la croyance mésolithique en une Puissance Divine, Maîtresse des animaux et des plantes sauvages se substitue peu à peu (peut-être même dès l’extrême fin du Mésolithique) un principe divin qui préside à la fertilité de la terre, c’est à dire à la croissance des plantes domestiques, des troupeaux (la lactation), des humains et, d’une façon plus générale, du cycle vital98. Les éléments liés à cette Puissance Divine sont l’eau et la terre. Il va sans dire que l’élément chtonien joue ici un rôle prépondérant, car il est le passage obligé de la vie : l’archétype en est l'enterrement et la gestation de la graine dans les entrailles de la terre. Les tombes mégalithiques, avec leur passages étroits et sombres, l’aspect rond et spacieux, mais caverneux de la chambre, symbolisent le sein maternel et protecteur99. 98

Toutefois il faut bien se garder de considérer la religion nordique de cette période comme une sorte de monothéisme. C’est ce que l’archéologue américano-lituanienne Marija Gimbuta tenté de démontrer pour l’Europe du S.E. En effet, les Nordiques de cette époque devaient encore vénérer d’autres déités ou puissances divines notamment celles attachées à l’eau et à la terre. Les dísir de l’époque viking ou bien les trolls et les hulder norvégiens, les elf danois, encore très présents dans les croyances populaires scandinaves du XIXe siècle sont vraisemblablement les ultimes témoignages ethnographiques de ces croyances néolithiques. 99 Dans les langues germaniques le mot qui désigne la caverne, la grotte et le verbe recéler, protéger, relèvent du même thème indo-européen : kel – renfermer receler, cacher, protéger, par ex = gotique hulundi, la caverne, féminin, et huljan = renfermer, cacher, recéler, protéger ; suédois håla = la grotte, att hölja = envelopper, recouvrir ; norvégien hule = la caverne et å hylle, envelopper, protéger, recouvrir ; l’allemand die Höhle, la caverne, la grotte, et hehlen ou hüllen = receler, cacher, envelopper. Cf. aussi le mot norrois « hel » désignant le monde souterrain, les enfers. Mais surtout, c’est de cette racine « kel » qu’est issu le nom Holda ou Holle / Hulla ou Huldra qui désigne dans les légendes germaniques et scandinaves un personnage féminin tantôt bienveillant (cf. le substantif féminin allemand « die Huld », signifiant bienveillance, bonnes grâces, faveurs et l’adjectif ou l’adverbe correspondant « huldig / huldreich » ainsi que « hold » favorable, propice, gracieux, aimable, charmant) tantôt méchant : on retrouve là, mais ce n’est pas un hasard, les deux aspects antinomiques de la puissance divine en question. Comme tous les esprits, elle sillonne les airs durant les nuits d’hiver provoquant ainsi la tempête. Elle punit les filles paresseuses, apporte bénédiction et fécondité à la terre. Lors de son passage, on doit interrompre le travail : ce sera aussi le cas pour *NerþuK (l’astérisque qui figure ici signifie que ce nom a été reconstitué, d’après ce que les linguistes spécialistes savent de la plus ancienne langue germanique : le germanique commun, abrévation g.c.) ainsi

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En dernière analyse, on croyait que les morts inhumés reposaient dans ce sein maternel (archétype du retour dans la matrice). Les défunts étaient peut-être censés y attendre leur renaissance après le séjour passé chez les ancêtres dont le culte était alors prépondérant, perpétuant ainsi une tradition probablement millénaire. Cette croyance était souvent associée à la pratique des sépultures collectives. Le fait que l’on ait retrouvé des reliefs de repas et de libations (entre autres lait) devant les tombes, en particulier celles en charpente et sous tumulus du Néolithique ancien (3800 cal à 3500 cal av. J.-C.), laisse à penser que l’on a voulu ainsi célébrer la libération des esprits, leur renouveau. Il ne fait guère de doute que ces pratiques étaient liées à la « renaissance » de la graine : le printemps venu, celle-ci s’ouvre à une nouvelle vie après les ténèbres de l’enfouissement et de l’hibernation. Comme à la période précédente (Mésolithique tardif) cette entité divine a sans doute un parèdre masculin avec lequel elle s’accouple au printemps. Il est lié à la végétation, à sa croissance et par là soumis à son cycle : aussi sa mort doit intervenir à l’automne. La déité féminine qui préside à la vie et à la mort reprend alors son aspect chtonien lié aux profondeurs aquatiques et terrestres. Le principe de l’éternel retour, déjà omniprésent au Mésolithique, continue de pénétrer tous les aspects de la pensée religieuse d’alors : la meilleure preuve en est sans doute la répétition infinie de certains motifs iconographiques tels que le chevron, le triangle ou le losange sur les parois des gobelets en entonnoir du Néolithique moyen100.

que le rapporte Tacite au chapitre XL de la Germanie. Elle apparaît alors tantôt sous les traits d’une vieille femme, Frau Holle ou Holda en Allemagne, Fru Hulla ou Huldra en Scandinavie, tantôt voilée en blanc (cf. les mythes tournant autour de « la Dame Blanche » mais surtout indice de sa dimension solaire et lunaire) ou bien comme une bergère conduisant son troupeau d’Elfes ou de Huldre (Huldrefolk en norvégien), un seau de lait à la main. Ce faisant, elle peut ravir les âmes des enfants non baptisés pour les emmener dans les astres. On le constate, ce personnage mythique réunit tous les traits propres au principe divin évoqué ici : elle préside aux éléments, à la fertilité, à la lactation (cf. le seau de lait !). Mais surtout elle a pouvoir d’enlever (fonction psychopompe) ou de donner la vie. Le fait que cette figure mythique soit commune à tout le domaine scandinave et germanique fait remonter ses origines aux périodes lointaines où tous les peuples de la partie méridionale du nord de l’Europe formait une seule et même communauté, à la fois ethnique et linguistique. D’ailleurs, on possède pour l’âge du fer romain, des inscriptions de Germanie mentionnant une déesse *Hluðana (voir à ce propos l’article d’Eugen Mogk. “Holden, Frau Holda, Holle” dans : Johannes Hoops : « Reallexikon der germanischen Altertumskunde », Bd. 2, f. j. Straßburg, Verlag von Karl Teubner, 1913 / 1915, pp. 556 et 557). 100 Certains archéologues, comme par exemple Marija Gimbut-, voient dans ceux-ci des symboles de la déité présidant à la vie et à la mort. Cf. Marija Gimbut- « The Langage of the Goddess », op. cit.

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Chapitre IV Le soleil et la lune dans les croyances333 Pour ce qui est des époques précédentes, les arguments archéologiques et iconographiques ne pouvaient, pour la plupart, accréditer que de manière indirecte la thèse de croyances solaires et lunaires chez les populations de la Scandinavie méridionale. Il en va tout autrement de l’époque suivante : dès le commencement du Néolithique, les indices deviennent nettement plus parlants. Cela vaut particulièrement pour l’iconographie ; mais l’archéologie s’avère également pleine de ressources, en particulier dans le domaine funéraire. C’est d’ailleurs par là que l’on commencera, tant il est vrai que les très nombreux témoignages livrés par les fouilles de ces trente dernières années, en Suède et en Norvège, comme au Danemark dévoilent des pans entiers de la vie religieuse de cette époque, pourtant encore si lointaine. A Les témoignages archéologiques La majorité des tumuli longs, pourvus ou non d’une chambre mortuaire en charpente, sont orientés ouest-est. Mais surtout la plupart d’entre eux sont plus larges à leur extrémité orientale. Celle-ci bénéficie d’un traitement particulier qui lui confie une dimension véritablement monumentale : ainsi à Jättegraven près de Trelleborg au sud de la Scanie. Ici une plateforme en hémicycle précède cette façade. Elle s’ouvre vers l’est, de même à Linebjerg au nord-ouest de la Seeland. Le cas du site est-jutlandais de Bygholm Nørremark101 s’avère particulièrement révélateur. On y a relevé quatre phases de construction. La première comprenait un enclos en forme de trapèze d’environ 60 mètres de long orienté ouest-est : il était délimité par des pieux. A l’extrémité orientale, plus large, se trouvait une maison mortuaire érigée d’ouest en est. Dans une deuxième phase, on abattit la maison mortuaire et on plaça la dépouille du défunt (âgé de treize à quinze ans) dans un cercueil en bois ceint de pierres. Une autre maison ouverte vers le levant fut construite à extrémité orientale de l’enclos et on y fit un repas rituel ; tandis qu’à l’autre bout de cet espace trapézoïdal, on éleva une autre bâtisse rituelle, plus petite. Quatre adultes y étaient inhumés allongés par deux dans leurs sépultures : deux avaient la tête tournée vers l’est tandis que les deux autres l’avaient tournée vers l’ouest. Cette disposition respectait donc l’axe ouest-est de l’enclos. A la troisième phase, on fit table rase des deux états précédents et on dressa un long tumulus en terre ; la longueur du site fut alors portée à 80 mètres. On construisit une chambre mortuaire avec un passage qui s’ouvrait vers le sud. La chambre mortuaire en question est située à la pointe orientale du monticule et date de 3600cal – 3550cal av. J.-C. environ. 101

Cf. Christopher Tilley, op. cit. pp. 76 et 77 qui cite lui-même J. Jensen. « The Prehistory of Denmark », London, Thames and Hudson, 1982, pp. 112 et 113.

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On notera ici l’orientation du site, des maisons mortuaires et des défunts : il y a là une référence réitérée au soleil levant. La plupart des chambres sépulcrales au sein des tombeaux mégalithiques de cette époque sont orientés en gros soit est-ouest102, soit nord, nord-ouest / sud, sud-est ou sud, sud-ouest / nord, nord-est. Cette règle souffre beaucoup d’exceptions, comme c’était d’ailleurs le cas précédemment (Mésolithique). On trouve ainsi de nombreuses chambres sépulcrales orientés nord-sud ou sud-nord. Un fait remarquable mérite cependant d’être souligné dans le cas des sépultures mégalithiques à passage : le couloir ou passage s’ouvre toujours à l’est ; le symbolisme de l’ouverture sur le soleil levant ne saurait échapper ici. En ce qui concerne les tombes autres que mégalithiques, la tendance générale qui se dégage, penche en faveur d’une orientation est-ouest des sépultures avec présence d’une maison mortuaire à l’ouest de celles-ci. Ceci est observable un peu partout, au moins en Suède méridionale (Scanie) et occidentale (Vestrogothnie), comme au Jutland : ainsi à Tustrup (au centre du Jutland) où l’archéologue Povl Kjærum a dégagé de 1954 à 1957 une telle maison mortuaire, construite elle aussi à l’ouest de l’allée couverte, la plus longue découverte jusqu’à présent à l’est du Jutland. Le bâtiment lui-même, reconstitué dans les années soixante à l’intérieur du parc qui entoure le Musée de Moesgård épouse par son plan la forme d’un fer à cheval. Il est ouvert en direction du nord-est, précisément là où le soleil se levait au milieu de l’été, il y a quelques cinq mille deux cents ans103… Dans les années quatre-vingts, on a exhumé des habitats à Bornholm qui remontent à la Culture des Vases en Entonnoir (= TRB), c’est-à-dire entre 3300 et 2500 av. J.-C., voire 2600 av. J.-C.. Il s’agit de Vasagård à l’est et de Rispebjerg au centre104. Ces sites offrent deux particularités : le fait qu’ils soient entourés d’une clôture leur caractère fortement cultuel Vasagård présente un certain nombre de caractéristiques, entre autres un réseau de tranchées au sud-est de la colline sur laquelle se trouvent les restes 102

Cf. Klaus Ebbesen « Tragtbægerkultur i Nordjylland. Studier over Jættestuetiden », København, “Det Kongelige Nordisk Oldskriftselskalb”, København, 1978, Coll. : Nordiske Fortidsminder, Serie B – in quarto bind (= tome) 5. 103 Cf. Mads Lidegaard « Stendalderen Om betingelser og livsvilkår under Danmarks stenalder ». Udgivet af Dansk Friskoleforening, 1981, p. 51. 104 Cf. Finn Ole Nielsen, Bornholms Museum : “Vasagård og Rispebjerg”, pp. 25 à 28 ; publication séparée extraite de “Fra Nationalmuseets Arbejdsmark”, København, 2002. Nous tenons à remercier, tout particulièrement, M. Finn Ole Nielsen de nous en avoir fait parvenir, un exemplaire, sans lequel nous n’aurions pu écrire les paragraphes qui suivent.

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d’occupation. L’explication la plus plausible de ce trait est l’existence en ce lieu d’un enclos sacré fermé par une palissade devant laquelle couraient des fossés : l’exemple le plus connu de ce type de site est celui de Sarup, à 27 kilomètres au sud sud-est de Odense (Fionie). Ce genre d’enclos existe un peu partout en Europe, y compris dans l’ouest de la France, ainsi à ChampDurand (à 19 kilomètres au nord-ouest de Niort). Les fouilles opérées dans les tranchées du site de Vasagård en ont permis la datation grâce aux tessons de céramique : il remonte à 3500 – 3300 av. J.-C. Les fossés qui entouraient les palissades constituaient peut-être une « zone interdite, tabou » réservée à l’âme du ou des défunts, avant que ceux-ci ne trouvent le sommeil perpétuel dans les entrailles de la terre, en l’occurrence des sépultures mégalithiques. Vers 3300 – 3000 av. J.-C., ces tranchées sont comblées avec des couches d’habitat (déchets divers) : ceci tend à démontrer que les divers habitats des environs avaient été abandonnés par la population qui trouva refuge au sommet de la colline, derrière les palissades. Plus tard, aux alentours de 2800 av. J.-C. de nouvelles palissades s’étendent à 70 m à l’est (sud-est – nord-ouest) et à l’ouest de la première enceinte. L’espace compris à l’intérieur de celle-ci atteignait ainsi le double de ce qu’il était durant la première phase (3500 – 3000 av. J.-C.). On y a exhumé d’importantes couches d’habitat, ainsi que dans les tranchées qui courent devant les palissades de la dernière phase du Néolithique moyen A. Leur quantité démontre amplement un agrandissement du site. Ceci vaut aussi pour tous les autres sites danois contemporains. Dans la partie occidentale on a procédé à des sondages pour retrouver des traces d’habitations. Au lieu de cela, on mit à jour un ensemble totalement différent du reste. Les trous de poteaux s’avéraient former des cercles précis de 5,15 m et 6,5 m de diamètre. C’est ainsi que trois cercles de ce genre se sont succédés au même endroit. Dans les trous, on trouva des matériaux brûlés : grains, ossements, silex, des disques héliaques et séléniques très marqués. En 1988 – 1990, on a mis à jour un autre cercle semblable, à Grødbygård : il comprenait 4 trous de poteaux circulaires et faisait 8 à 9 mètres de diamètre. Les archéologues danois (entre autres Flemming Kaul et Poul Otto Nielsen) ont depuis interprété ces structures circulaires comme étant celles de bâtiments cultuels. Tant dans les tranchées que près des palissades, on a également exhumé des haches en silex, ainsi que des morceaux d’outils portants des traces d’incendie. Le nombre d’outils en silex datant de cette période (2800 av. J.C.) est si important qu’il ne peut s’agir d’un hasard. Seule explication à cela : on a dû constamment allumer des feux lors de cérémonies rituelles qui faisaient largement appel au silex. Celui-ci devait être importé par bateau car on ne le trouve pas dans l’île. C’est dire l’importance et le prix que l’on devait accorder à de tels rites.

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Le site de Rispebjerg présente une configuration proche de celle de Vasagård. A l’extrémité nord-ouest du plateau se trouve une levée de terre en arc de cercle de 115 m de long, tandis que la pente au nord offre une défense naturelle contre des attaques venant de cette direction. A 200 m de la levée de terre, se trouvait une autre semblable. Elle est aujourd’hui complètement arasée. Jusque vers 1950, on croyait avoir affaire à une fortification de l’âge du fer. Au lieu de cela, on avait découvert un autre habitat, à proximité d’une carrière de schiste. Les premiers sondages permirent de conclure à la présence d’un vaste périmètre en partie recouvert par la carrière, mais nettement plus important que cette dernière. Le site habité était, à l’instar de Vasagård, délimité par de solides palissades constituées de poteaux d’un diamètre qui pouvait atteindre 30 cm. On n’exhuma ainsi pas moins de quatorze palissades, dont certaines étaient dédoublées. L’ensemble de la surface circonscrite atteignait six hectares. A l’intérieur de l’habitat, on a mis au jour une épaisse couche d’occupation qui couvrait toute la période comprise entre 3300 et 2800 av. J.-C., avec une apogée autour de 3300 – 3000 av. J.-C. Le matériel archéologique trouvé correspond à celui de Vasagård, mais son volume s’avère beaucoup plus important. On a découvert des trous de poteaux qui ont dû correspondre à des habitations rectangulaires, mais aussi à des bâtiments circulaires semblables à ceux de Vasagård. Dans un cas, apparut une double rangée de poteaux disposés en cercles. Les artéfacts mis à jour à l’intérieur de ces cercles comprenaient des tessons, du silex brûlé : ainsi pouvait-il s’agir de bâtiments cultuels. Sinon, le matériel exhumé est tout à fait comparable à celui de Vasagård : haches de silex, céramique, disques en terre cuite, outils de pierre, brûlés ou pas, la plupart du temps déposés au pied de la palissade. Ainsi que le montre le plan de Vasagård et surtout de Rispebjerg, on est en présence d’une orientation est-ouest très nette et on ne peut que conclure à une volonté délibérée de la part des bâtisseurs de ces lieux. Les lieux de culte aquatiques du Néolithique ancien et moyen A constituent les premiers véritables témoignages de ce type de sites si importants dans l’histoire religieuse de la Scandinavie méridionale. La plupart du temps, les offrandes ou dépôts votifs ont été découverts soit au bord d’anciens lacs ou marais, devenus depuis des tourbières, soit en rase campagne, sous les rochers ou dans des anfractuosités du terrain. Aucun sanctuaire ou lieu de culte ne semble à priori avoir été prévu à cet effet. A au moins trois exceptions près cependant : deux se trouvent au Danemark et la troisième en Suède : - A Salpetermose et à Veggerslev I (Danemark), l’on est en présence d’un soubassement constitué de poutres maîtresses montées sur pilo66

tis et supportant des madriers transversaux. Le tout était destiné à permettre l’accès direct aux rives du lac ou de la tourbière. On peut, bien sûr, objecter qu’il a pu s’agir d’une sorte d’embarcadère ou même d’un gué qui facilitait la circulation des chariots ou des piétons. La première proposition pourrait d’ailleurs fort bien résister à un examen superficiel des lieux, en particulier à Salpetermosen105 découvert en 1946. Ce serait toutefois négliger la présence ici de nombreuses céramiques, de haches et d’os d’animaux, soit sur les poutres, soit à proximité immédiate. L’installation de Salpetermosen a une longueur de 22 mètres ; elle est orientée est-ouest. Veggerslev I a été mis à jour en 1893 et remonte au Néolithique moyen A (3300cal à 2800). On n’y a retrouvé que quelques tessons de céramiques et des haches. Ici, la position du lieu, par rapport à ce qui, à l’époque Néolithique, était la terre ferme, s’avère nettement plus difficile à déterminer. Néanmoins, la présence de poteries et de haches associées à cette infrastructure permet de confirmer avec quelque certitude l’existence d’un lieu de culte dont l’orientation était nord, nord-ouest / sud, sud-est. Il en va de même du site de la tourbière de Munkebjergby106 (amt de Sorø près de Copenhague) où l’on a exhumé de nombreux cailloux. Certains d’entre eux étaient disposés en cercles à l’intérieur desquels se trouvaient des tessons de céramiques. En d’autres endroits, les pierres formaient des sortes de passerelles pouvant atteindre jusqu’à 0,5 mètres de large. Ce sont, là encore, autant d’indices en faveur d’une structure destinée à accomplir des rites sacrificiels. - Le site d’Alvastra, non loin de Vadstena (Ostrogothnie, Suède) remonte vraisemblablement au Néolithique moyen A. Il constitue une exception de taille dans l’inventaire des habitats de cette époque. Contrairement aux autres lieux habités par les tenants de la Culture de la Céramique à Fossettes, il n’était pas situé à proximité de la Mer Baltique, comme Säter et Fagervik, également en Ostrogothnie. Il se trouvait non loin du lac de Vättern, au beau milieu d’un marécage, le Dagsmosse, qui lui servait à la fois de protection et de défense. Il a été fouillé entre 1909 et 1917 par l’archéologue Otto Frödin107. Jusque vers le milieu des années soixante-dix, on l’a interprété comme étant un habitat occupé toute l’année. Depuis un réexamen complet du site et des rapports de fouille du début du XXe siècle, ain105

Il remonte au Néolithique ancien (3900cal – 3500cal av. JC.). Cf. C. J. Becker in : “Acta Archeologica”, XVI, pp. 53 à 59. 106 Cf. C. J. Becker “Mosefundne Lerkar fra yngre Stenalder Studier over tragtbægerkulturen i Danmark”, in : “Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie”, København, 1947. 107 Cf. Otto Frödin “En svensk pålbyggnad från stenåldern”, in : “Fornvännen, Meddelanden från kungliga Vitterhets historie och Antikvitets Akademien”, 1910, 5, Stockholm, Wahlström och Widstrand i Kommission, pp. 29 à 77.

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si que des artéfacts, ont amené les spécialistes du Néolithique suédois à réviser l’interprétation de ce lieu108. Parallèlement et durant les années soixante-dix (1976 à 1978) des fouilles complémentaires y ont été menées. Sis exactement entre les populations TRB à l’ouest (Vestrogothnie) et celles de la Céramique à fossettes à l’est (sites de Säter et Fagervik), cet habitat est construit sur une plateforme de madriers de 1200 m2 (dont seulement 850 m2 ont été fouillés). Le tout est posé sur des pilotis au nombre d’environ 1500. Les ossements d’animaux (c’est le plus riche ensemble ostéologique de Suède), qui inclut tant des animaux domestiques que sauvages, des oiseaux et des poissons, incitent à confirmer la thèse de l’habitat permanent. Par ailleurs, ceci semble encore attesté par la présence de rangées compactes de troncs évoquant des palissades pour la défense des lieux. Ce serait toutefois oublier un fait pour le moins insolite dans un site habité : le grand nombre de restes humains trouvés dans les couches d’occupation. Sachant que la population qui vivait ici connaissait probablement les mêmes rites funéraires que ses voisins TRB de Vestrogothnie, il est fortement improbable qu’il s’agisse là d’inhumations. Aussi, une autre interprétation des données archéologiques s’impose-t-elle ici. Les reliefs de repas, les très nombreux ossements d’animaux et restes d’aliments carbonisés, mais surtout les débris humains font penser à des repas rituels à l’occasion de cérémonies et rencontres, au cours desquels avaient lieu des sacrifices humains. Lors de ceux-ci, toute la population des alentours se serait rencontrée et aurait temporairement utilisé les lieux : au printemps ou en été. Un indice en faveur de la fonction cultuelle de ce site est en effet l’absence de tout habitat dans les environs109. En outre, la campagne de fouilles de 1909 – 1917 n’a pas seulement révélé des reliefs de repas à caractère cultuel, mais aussi des objets dont la nature religieuse s’impose d’elle-même : parmi ceux-ci une amulette d’ambre reproduisant une double hache110 miniature ornée de deux disques radiés111. On vient de le voir à propos du site d’Alvastra, les tourbières sudscandinaves n’ont pas seulement révélé des ossements d’animaux qui remontent au Néolithique ancien et moyen A, mais aussi des restes humains. Ils 108

Cf. Hans Browall, « Alvastra pålbyggnad. Social och ekonomi bas », Stockholm, Institute of Archæology University of Stockholm, 1986 (coll. : “Theses and Papers in North European archæology”, 15). Malmer, “Alvastra pålbyggnad”, in : “Kungliga Vitterhets Historie och Antikvitets Akademiens Årsbok”, 1977. 109 Cf. Carin Orrlink, « ABC Sten och Bronsåldern », Stockholm, Historika Museet, 1991, pp. 12 à 14. 110 Celle-là même que les Minoens appelaient « labrys ». 111 Voir infra.

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font, au même titre que les poteries, les haches ou les morceaux d’ambre112 partie du matériel archéologique de cette époque lointaine. Au Danemark, on connaît au moins deux tourbières qui ont livré quatre squelettes humains qui datent tous de la phase dite de Virum, +/- 3500 cal à +/- 3300 – 3200 av J.C. Ces quatre individus représentent non seulement les tous premiers maillons de la longue chaîne de ce que les Scandinaves appellent les « mosefolk », les « hommes des tourbières » ; mais ils constituent aussi les plus anciens témoignages de sacrifices humains, au moins en Europe du Nord. Le plus significatif des deux cas est celui de la tourbière de Sigersdal près de Veksø, non loin de Copenhague, au nord-est de la Seeland113. C’est là que furent exhumés en avril 1949 les squelettes de deux jeunes filles, respectivement âgées de 18 (squelette A) et 16 ans (squelette B). Ce n’est que vers le milieu des années quatre-vingts que l’on a pu tirer de ces deux squelettes tous les enseignements souhaités. Malgré le recours à des méthodes d’investigation qui relèvent souvent de la médecine légale, on n’a pu jusqu’à présent déterminer les causes exactes de la mort des deux jeunes filles : seul indice, mais il est de taille : on a retrouvé un morceau de corde enlacée autour du cou de la plus âgée des deux. Or les inventeurs des cadavres de Borremose ou Tollund (âge du bronze récent, ainsi qu’âge du fer pré-romain) ont fait exactement la même découverte. Il en va de même de l’un des deux squelettes contemporains des deux jeunes filles (3370cal – 3490cal) trouvés dans la tourbière de Boelskilde dans l’île d’Als. Ici, il s’agit de deux personnages masculins : un adolescent âgé de 16 ans environ et l’autre, invalide, de quarante ans. C’est ce dernier qui avait, lui aussi, une corde autour du col. Dans ces quatre cas, on ne peut fournir qu’une seule explication plausible : ces personnes ont été offertes en sacrifice, même si la cause exacte du décès (strangulation ou noyade) demeure encore inconnue. La présence d’une corde dans deux cas se révèle d’une grande importance. De même la période de l’année où ces immolations ont dû avoir lieu : un peu avant le printemps, car seule une eau dont la température n’excède pas 4° peut permettre la conservation des squelettes. Ces données (présence d’une corde autour du cou des victimes, période à laquelle ont eu lieu ces immolations) vont se révéler très précieuses par la suite, lorsque l’on tentera de tracer au moins à grands traits les axes principaux des croyances et des cultes de cette époque. Autre volet essentiel du matériel archéologique datable de la période étudiée : les objets déposés dans les lieux aquatiques114. C’est là encore une 112

Cf. infra. Cf. l’article de Pia Bennike et Klaus Ebbesen, “The Bog Find from Sigersdal. Human Sacrifice in the Early Neolithic”, in : “Journal of Danish Archæology”, 1986, 5, pp. 85 à 115. 114 En dépit d’interruptions plus ou moins longues, ce rite perdurera en fait jusque vers le milieu de l’âge du fer germanique (550 ap. JC.). C’est l’un des traits les plus remarquables du paganisme germanique et scandinave.

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nouveauté de cette époque, au moins en ce qui concerne la céramique et l’ambre. On distingue trois types différents d’objets qui relèvent de cette catégorie : les poteries en céramique, les haches et l’ambre, le plus souvent sous forme de colliers dont il ne reste que les perles. La plupart des récipients en céramique offerts en sacrifice ne se différenciaient guère de ceux déposés devant la façade orientale des tumuli longs ou dans les tombes à passage plus tardives. Il s’agissait fréquemment soit de poteries utilisées dans la vie courante, soit de productions inachevées ou de rebus. Il existe toutefois au moins une exception : les disques en céramique ornés de motifs héliaques et séléniques115 que l’on ne trouve pratiquement pas dans les dépôts. Deux faits essentiels doivent être soulignés ici : contrairement aux haches, les poteries étaient le plus souvent immergées au fond des étendues aquatiques. Par ailleurs, elles étaient toujours remplies d’aliments. Même s’il n’en est rien resté, il ne faut pas oublier que c’est le contenu et non le contenant qui était offert. Les dépôts de haches furent les premiers à avoir été pratiqués : ils commencent à la fin du Mésolithique et ne cesseront pas jusqu’à l’âge du bronze (périodes I et II). Ils sont situés soit au bord des étendues aquatiques, soit dans les anfractuosités du terrain ou sous des rochers. Les manches en bois ayant disparu, on ne retrouve plus que les lames des silex. Souvent, ces derniers sont de petite et moyenne taille, ainsi à Veggerslev où l’on a affaire à des outils qui portent les marques d’une longue utilisation et de fréquentes réparations. Mais il faut soigneusement distinguer ces deux cas, somme toute isolés, des autres dépôts en rase campagne ou dans des zones aquatiques. Ici les haches déposées sont visiblement destinées au culte : aucune trace d’utilisation ou d’usure, facture irréprochable. Il peut, bien sûr, s’agir dans bien des cas de caches ; mais certaines trouvailles s’avèrent d’une facture si particulière que l’on ne peut leur attribuer d’autres fonctions que cultuelles. C’est ce que suggère en tout cas une hache découverte à Føllenslev116, amt de Holbæk (Seeland) : le manche est d’une telle forme que l’on a peine à croire à un outil employé dans la vie quotidienne. On a également mis à jour des haches dans les habitations117 : soit qu’elles étaient fichées dans le sol au milieu d’une pièce, soit qu’elles avaient été enterrées à la base des murs. Dans ce dernier cas, on pense à une fonction magique tutélaire. Le fait de ficher dans la terre une hache est à rapprocher des labours rituels pratiqués avant la construction d’un monument mégalithique. On en a trouvé la trace 115

Pour ce qui est de ce décor, voir infra B : les témoignages iconographiques. Cf. C. J. Becker in : “Acta Archæologica”, XVI, p. 170, in : “Aarbøger...”, 1947, p. 281. 117 Par exemple à Troldebjerg dans l’île de Langeland au Danemark : cf. J. Winther “Troldebjerg. En bymæssig Bebyggelse fra Danmarks yngre Stenalder”, Rudkøbing, 1935, pp. 51 à 66 et “Troldebjerg Tillæg” (= supplément pour Troldebjerg), Rudkøbing, 1938, pp. 15 à 17 et 25.

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sous les dolmens et tombes à passage. Il convient cependant de souligner ici que tous ces labours n’étaient pas forcément rituels : dans de très nombreux cas, les monuments mégalithiques furent en effet érigés sur d’anciens champs cultivés, probablement pour symboliser l’emprise sur la terre ancestrale considérée comme sacrée. C’est vers la fin du Néolithique ancien et au début Néolithique moyen que le dépôt de haches en silex atteint son paroxysme : à cette date, celles-ci avaient une lame fine, mais large. Les plus grands dépôts se trouvent, bien sûr, dans les régions productrices : le Jutland septentrional en particulier. Mais c’est au sud de la péninsule que l’on a jusqu’à présent trouvé la cache la plus importante : 100 haches soigneusement placées en piles dans un petit étang. Enfin on ne doit pas oublier que, durant toute cette période, les haches étaient aussi déposées dans les sépultures masculines, quel qu’en soit le type. Ce rite remonte au Mésolithique où il était déjà couramment pratiqué (cf. Skateholm et Bøggebakken). Ainsi dès cette époque lointaine (6000 ans !) se dessine l’un des traits marquants du paganisme scandinave : le dépôt votif d’objets considérés comme essentiels ou précieux dans les profondeurs terrestres ou aquatiques. Et c’est bien ce qui rend si décisive cette phase de l’histoire religieuse des populations de la Scandinavie du sud.

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PLANCHE 1

Vase TRB de Scanie (lieu non précisé) avec motifs solaires. D’après Oscar Montelius.

B Les témoignages de l’iconographie La remarque qui vient d’être faite à propos des dépôts votifs s’applique également au domaine iconographique : en effet, c’est dès cette époque qu’apparaissent les motifs solaires et lunaires les plus signifiants : -Le disque, avec ou sans cercles concentriques, irradié ou non. -Les deux yeux en forme de soleil ou de lune. Le motif du « disque » apparaît sur quatre types de support : -Les poteries en céramique de la Civilisation des Gobelets en Entonnoir (= TRB118) et, exclusivement au sein de cette caté118

C’est, rappelons-le, l’abréviation allemande de “Trichterbecher” : Gobelet en Entonnoir.

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gorie, les spécimens destinés à être déposés devant la façade des tumuli longs ou, après 3300 av. J.-C., dans les tombes mégalithiques. -Les disques en céramique, le plus souvent munis d’un manche très court (Cf. Fig. 6). -Les couvercles de récipients ovoïdes destinés à être suspendus. -Les amulettes d’ambre miniatures en forme de hache ou de croissant lunaire. -Les disques miniatures en cuivre, probablement aussi des amulettes (Cf. Fig.4-5). -Les perles discoïdales en ambre. Les disques qui figurent sur les poteries en céramique de la civilisation TRB sont incisés sur le col des récipients, essentiellement des coupes, les plus nombreuses (Cf Planche hors texte 1), et des tasses. Il faut préciser que ce genre de vaisselle relève surtout du contexte funéraire. Pratiquement sur tous les exemplaires inventoriés, les disques sont rayonnants et comprennent un, deux voire trois cercles concentriques, ainsi qu’un point en leur centre. Ils ne sont presque jamais isolés, mais sont représentés par paires ou en frises, le premier cas étant de loin le plus fréquent. Parfois, on rencontre deux cercles disposés de part et d’autre d’un grand triangle rayonnant luimême cantonné de deux autres triangles plus petits, ornés de striures. Pour ce qui est des disques en argile, c’est l’objet tout entier qui représente l’astre. Celui-ci est le plus souvent prolongé par un manche très court. Il est couvert de motifs qui varient assez fréquemment, mais se réfèrent toujours aux deux astres : ce peuvent être des rayons très acérés en zigzags avec au centre des radiances concentriques traitées comme des vagues ou bien des étoiles, reproduisant le dessin du rebord, ou encore des cercles concentriques119 qui peuvent être bordés de triangles figurant des rayons120. Il existe également des exemplaires, qui, comme à Herslev (région de Copenhague) sont décorés d’une figure cruciforme121. A la différence des autres céramiques, les disques en argile ont été aussi bien retrouvés dans les habitats (ainsi à Signalbakken, amt d’Ålborg au Jutland) que dans les sépultures mégalithiques… Le fait qu’on les ait exhumés dans des lieux habités ne sauraient étonner puisque l’usage de cet objet s’avère on ne peut plus domestique : il servait probablement de plat à pain122. 119

Cf. Oscar Montelius « Minnen från vår forntid », Stockholm, P.A. Norstedt och Söners Förlag, 1917, n° 757 dans une allée couverte de Fjälkestad en Scanie. Cf. aussi Grønhøj n° 187. 120 Cf. Grønhøj n° 186. 121 Cf. Ebbesen, op. cit., fig. 353, p. 369. 122 Cf. l’article de Karsten Davidsen in : “Neolitiske lerskiver belyst af danske fund”, “Aarbøger ...”, 1973, p. 41 et Eva Koch « Neolithic Bog Pots from Zealand, Møn, Lolland

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Les couvercles de récipients ovoïdes étaient munis de trous destinés à recevoir une corde qui permettait de les suspendre. Ils étaient coniques et presque toujours décorés d’un astre rayonnant. Les motifs héliaques qui figurent sur des amulettes d’ambre sont extrêmement rares. Jusqu’à présent, on n’en connaît que deux exemplaires (Cf. Fig.7-8). Le premier trouvé à Alvastra123 lors des fouilles que mena Otto Frödin entre 1909 et 1917. Cet objet se présentait sous la forme d’une double hache (du type minoen, appelé labrys) dont chaque lame était ornée d’un soleil ou d’une lune, l’un, celui de droite étant plus petit que l’autre. Lors de sa découverte, on constata qu’il avait été brisé à l’époque Néolithique et réparé ensuite : ce détail montre combien ce bijou était précieux aux yeux de son ou sa propriétaire. Le deuxième provient du Schleswig-Holstein (lieu exact d’origine inconnue). Ici les contours des astres n’ont pas été tracés : on s’est contenté d’inciser les rayons de l’astre sur chacune des deux lames (Cf. Fig. 8). Dès 3700 – 3600 av. J.-C. apparaissent dans les tombes sud-scandinaves de petits disques de cuivre. Maints d’entre eux présentent soit des bosselages qui reproduisent plus ou moins les rayons de l’astre, soit des croix en pointillés incisées dans le métal. D’autres ne comportent aucun décor. Presque tous sont munis d’un ou deux trous afin de les fixer à l’aide d’un fil, qui pouvait être, lui aussi en cuivre. C’est le cas de l’exemplaire exhumé dans un tertre vers Rude près de Odder à l’est du Jutland124. Il s’agissait d’une sépulture d’homme. Au poignet du squelette on put constater la présence de cet artéfact attaché à l’aide d’un fil de cuivre. La plaque légèrement convexe ne pesait que 5,1 g et faisait 6 cm de diamètre. Elle était ornée de petites bosses sur le rebord et, du centre de celle-ci, partaient des rayons. Les analyses au carbone 14 ont permis de dater cette tombe de la phase I du Néolithique ancien entre 3700 et 3600 av. J.-C.. Près de Salten, non loin de Ry au centre du Jutland125, on a mis au jour un objet analogue portant un décor similaire : bosselages sur le rebord, rayonnement à partir du centre. Mais à la différence de celui de Rude, il est presque plat et s’avère plus grand : son diamètre and Falster ». “Det kongelige Oldskriftselskab”, København, 1998, Coll. Nordiske Fortidsminder, serie B, volume 16, p. 38. 123 Cf. Günter Buchholtz “Die Doppelaxt, eine Leitform auswärtiger Beziehungen”, in : “Prähistorische Zeitschrift”, 1960, 38, p. 60. Cf. Gustav Schwantes « Geschichte SchleswigHolsteins: Stein-und Bronzezeit », Bd 1 (tome 1), Neumünster: Karl Wachholtz, 1939, fig. 340, p. 263. 124 Cf. Jørgen Jensen « Danmarks Oldtid Stenalder 13000 – 2000 av. JC », København, Gyldendalske Boghandel, 2001, p. 433, qui cite Klavs Randsborg : “Eine Kupferne Schmuckscheibe aus einem Dolmen in Jütland”, in : “Acta Archæologica”, 1970, 41, pp. 181 à 190, ici, p. 182, fig. 1. 125 Cf. Carl Johan Becker “Mosefundne Lerkar”, in : “Aarbøger…” 1947, p. 253, fig. 54.

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s’élève à 7 cm. Un autre spécimen possède un décor plus recherché (provenance non précisée)126 (Cf. Fig.4). De taille encore plus importante que le précédent (8,6 cm de diamètre), il présente sur ses deux faces une croix très régulière constituée d’une double rangée de pointillés en relief ; les bras aboutissent au rebord orné d’une triple ligne, dont la première en partant du centre de l’objet dessine un zigzag continu qui en fait tout le tour. La deuxième et la troisième lignes offrent les mêmes caractéristiques que celles qui forment les rayons (pointillés). Enfin, on connaît également des disques qui ne comportent aucun décor : seul un trou occupe le centre du cercle : ainsi celui qui provient du tertre127 de Konens Høj près d’Egens et non loin de Barkær dans la péninsule du Djursland. Porté de la même manière que celui de Rude, il date d’environ 3650 av. J.-C.. L’exemplaire sans décor le mieux conservé est sans doute celui qui figure dans l’inventaire de P.V. Glob sous le n° 192128. Son diamètre s’élève à 15 cm: c’est donc le plus gros des trois exemplaires dont il est question ici. Il existe une version en ambre de ces disques : leur face est plane, mais vus de côté, ils se révèlent comme étant en fait des perles destinées à être portées en collier ou en bracelet. C’est là la seule différence notable avec leurs homologues de cuivre dont ils reprennent sinon le décor, traité cette fois-ci en creux. On se bornera à ne citer que l’exemplaire trouvé dans un dolmen près de Boel au nord du Jutland. Qu’ils soient en cuivre ou en ambre ces disques font irrésistiblement songer aux artéfacts de même forme, mais en calcaire129, datant eux du Paléolithique récent : c’est notamment le cas de celui de Siedlnica130 (Pologne, province de Lubuskie, Comté de Wchowskim) dont le disque de cuivre de P.V. Glob (N°192) semble être la réplique métallique. Celui de Rude peut être rapproché de son ancêtre trouvé dans la caverne de Kniehöhle en Thuringe (au centre de l’Allemagne) : il présente le même décor rayonnant. Manifestement on est là en présence d’une tradition millénaire qui reproduit les mêmes formes, voire les mêmes décors et ce en dépit de l’éloignement dans le temps et du changement de matière qui servait de support. Ces objets devaient jouir aussi d’une grande popularité à travers toute l’Europe car on les trouve aussi bien en Europe du Nord que dans les régions danubiennes (Hongrie) et en Europe du sud-est (Roumanie orientale, Bessarabie131). C’est d’ailleurs de 126

Cf. Peter Vilhelm Glob « Danske Oldsager », tome II, “Yngre Stendalder”, København, Gyldenalske Boghandel / Nordisk Forlag, 1952, fig. 191. 127 Cf. l’article de Bjørn Sturup “En jordgrav fra tidlig neolitisk tid”, in : “Kuml”, 1965, pp. 13 à 34, ici p. 17, fig. 6 / 7. 128 Cf. Peter Vilhelm Glob, op. cit., fig. 192. 129 On en connaît même certaines pièces en ambre comme celui de Meiendorf, site du Paléolithique récent près de Hambourg, fouillé par l’archéologue autoditacte Alfred Rust (1900 – 1983) entre 1933 et 1943. 130 Autrefois allemande (jusqu’en 1945) sous le nom de Siedelnitz (Basse-Silésie). 131 Cf. Klaus Randsborg, op. cit., p. 185, fig. 2.

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ces dernières contrées que proviennent les disques en cuivre, comme l’indique la composition du métal qui contient un peu d’arsenic. Quelquesuns des artéfacts mis au jour à Rispebjerg (Bornholm) s’avèrent de la première importance pour le sujet de cette recherche : il s’agit de petites pierres plates, la plupart en schiste, quelques-unes en grès, toutes décorées de motifs striés. De cet ensemble se détachent un certain nombre d’exemplaires, dont un de 3,5 de diamètre épouse à peu près la forme d’un disque. Il a été découvert en 1995. Ce qui s’avère le plus remarquable dans son ornementation, c’est bien le centre de la figure concentrique qui occupe presque toute sa surface : il est constitué d’un petit cercle d’où partent des lignes de taille décroissante, le tout produisant l’effet d’un disque tourbillonnant : on possède là l’un des plus anciens spécimens de cette figure héliaque emblématique en Scandinavie (Cf. Fig.9). Elle connaîtra son « heure de gloire » à l’âge du fer germanique lorsqu’elle figurera sur les stèles de Gotland, notamment à Vallstena. La pierre de Rispebjerg et ses semblables contemporaines se trouvent ainsi à l’origine d’une tradition plusieurs fois millénaires. Depuis 1995, une vingtaine de pierres décorées ont été mises à jour, certaines il y a tout juste dix ans (2001). L’une de leurs caractéristiques est l’effacement très avancé de leur décor incisé, ce qui rend difficile leur « lecture ». Deux se détachent assez nettement du reste, tant par leur forme ovale que par leur décor assez similaire : leur circonférence est bordée de demicercles à deux ou trois lignes. Dans un cas, les contours d’un des arcs sont radiés. L’un comme l’autre possèdent en leur centre une figure ovale rayonnante de petite taille. On obtient ainsi le même décor que celui qui orne le disque en terre cuite de Vasagård (Bornholm). D’autres, de plus grand format comportent des points ou stries disposés en cercles concentriques. Dans un cas, une figure rayonnante a été incisée sur les stries. C’est sans doute la figure qui suggère le plus l’astre diurne, les autres du même type étant plus frustes. La plupart de ces pierres ont été exhumées dans une couche de céramiques calcinées, mais elles-mêmes ne portaient aucune trace de feu. Les analyses au C14 ont permis de dater cette couche de 2900 – 2700 av. J.-C., c’est-à-dire à l’extrême fin de l’époque des vases en entonnoir (TRB). Ceci est confirmé par la forme des haches de silex et les tessons retrouvés dans cet ensemble. Par ailleurs, elles ne s’avèrent nullement isolées : en effet, on en connaît de semblables dans le sud de la Suède, notamment en Scanie : par exemple celle exhumée dans la tourbière de Nöbbelöv (à l’ouest de la Scanie) où l’on retrouve le motif en arcs de cercles. Les autres sont pour la plupart antérieures à celles de Rispe- bjerg. La provenance de ces décors doit être cherchée en Europe de l’Ouest, dans les Iles Britanniques, en Bretagne et en Espagne où ils apparaissent sur les mégalithes. Les Nordiques les ont appliqués à des microlithes.

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La seule représentation iconographique claire de l’astre nocturne que l’on possède de cette période consiste en des figurations miniatures du croissant lunaire. On en possède plusieurs exemplaires trouvés en Scanie lors de la fouille des sépultures mégalithiques. Ainsi celle exhumée dans une tombe à passage de Gantofta, paroisse de Kvistofta en Scanie132, (Cf. Fig. 10). La forme même de ces croissants lunaires pourrait aussi bien évoquer les faucilles qui servaient à la moisson. Ceci suggérerait que la lune continuait pour les populations de Scandinavie au Néolithique ancien et moyen A d’influencer la croissance des végétaux. Mais cette association aurait revêtu un caractère différent de celle qui se rapportait au soleil : davantage chtonienne et aquatique elle concernerait plutôt le séjour des plantes dans la terre durant l’hiver, avant leur éclosion au printemps. D’où le contexte funéraire de ces trouvailles, le lien avec la mort et les rites de passage paraissant ici vraisemblables. Le motif de deux yeux en forme de soleil et de lune se rencontre souvent sur les céramiques de l’Europe occidentale (Iles Britanniques, Bretagne) et d’Espagne (Los Millares, Almería) (Cf. Fig. 11). Même s’il n’est pas très répandu en Scandinavie, il occupe toujours une place centrale sur les coupes ou les vases de la culture TRB où il figure. En observant de près les quelques exemplaires qui nous sont parvenus, on constate que tout le décor du récipient sert en fait d’encadrement à ce motif central. On a là une véritable composition qui réunit sinon tout, du moins une bonne partie du registre des dessins alors incisés sur les parois des poteries. C’est dire la place que l’on réservait à ce thème. Il n’est d’ailleurs nullement uniforme. La forme la plus répandue est celle que l’on voit sur l’exemplaire qui provient de Svinø (Seeland) : deux gros sourcils, on serait même tenté de parler d’arcade sourcilière, les deux disques radiés sont disposés de part et d’autre d’une protubérance rectiligne qui figure le nez. De plus, le vase en question comporte une bouche, ce qui est exceptionnel. Il s’agit donc bien d’un visage que les femmes potières de la culture du TRB nordique ont voulu représenter ainsi. Au dessus et en dessous de cette représentation a été tracé un décor très riche fait de bandes en zigzags dont les pointes sont orientées vers cette figure centrale : soit vers le haut, soit vers le bas. Ce peuvent être aussi des cannelures ou des festons. Mais ce schéma, pour répandu qu’il soit, ne constitue nullement la seule manière de représenter ce motif. On en rencontre d’autres : il suffira d’en mentionner deux ici en raison de leur intérêt iconographique. Le premier est bien visible au centre d’une coupe qui provient de 132

Cf. Skånska Historika Museet de Malmø, inv. nr. 13521 et cf. Jacqueline Taffinder: “Stenålders guld” in : “Till Gunborg, Arkeologiska samtal Stockholm Archæological Reports”, 1997, 33, Stockholm, Arkeologiska Institutionen Stockholm Universitet, pp. 39 à 48, illustration 6, p. 45.

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l’allée couverte de Hyldehøj133, paroisse de Rørby, Amt de Holbæk, près de Copenhague en Seeland. En gros, le schéma précité demeure, mais avec une différence notable cependant : le nez a disparu, il est remplacé par une figure évoquant un végétal dont les branches, au nombre de six sont coudées. L’arcade sourcilière est prolongée vers le bas par une sorte de cordon souligné de trais verticaux. Ainsi, c’est tout l’ensemble qui prend un caractère végétal. Les deux disques, quant à eux, n’ont pas de rayons : ils sont formés de deux cercles concentriques avec un point au milieu. Des festons descendent de cette figure tandis que d’autres la surmontent ; un peu plus loin, à gauche et à droite de celle-ci, on aperçoit un décor de zigzags, dont malheureusement la plus grande partie a disparu. La seconde orne une coupe trouvée dans la tombe mégalithique double de Kyndeløse, paroisse de KirkeHyllinge134. Il se présente sous la forme de deux disques à décor de cercles concentriques. Les rayons sont bien visibles, au centre, se trouve le point habituel.

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Les deux chambres funéraires étaient à peu près orientées est-ouest : cf. Märta Strömberg « Die Megalithgräber von Hagestad. Zur Problematik von Grabbauten und Grabriten », Bonn, Rudolf Habelt Verlag / Lund, CWK Gleerup Förlag, 1971, p. 276, fig. 141 / 1 (coll. “Acta Archæologica Lundensia”, series in 8°, n°9). 134 Cf. K. Thorvildsen “Fra Nationalmuseet Arbeijdsmark”, 1939, p. 19, cf. P.V. Glob « Danske Oldsager », bd II (tome 2), 1952, nos 155, 203, 207 et 214 ; T.G.E. Powell « Prehistoric Art », 1966, p. 113, fig. 109 et E. Lomborg « Die Flintdolche. Dänemarks », 1973, p. 85, fig. 57.

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PLANCHE 2 C

A

B

Poteries danoises de la Culture des Vases en Entonnoir (3500 à 2800 avant JésusChrist) ou Trichterbecherkultur (= TRB), selon le terme employé par les archéologues germanophones. Executé à l’ordinateur par J. Ch. Sotty, d’après une photographie se trouvant dans l’ouvrage J. Jensen, op. cit..

L’originalité réside ici dans l’absence « d’arcade sourcilière ». A la jointure des deux disques, censés représenter les yeux, se dresse un arbre dont les branches sont pointées vers le haut. Au-dessus trois lignes en zigzags courent sur toute la longueur du rebord de cette coupe. En dessous, des cannelures à intervalles plus au moins réguliers. Sur les côtés, mais à quelque distance des deux yeux, des arbres aux branches coudés vers le bas ; comme dans le cas précédent, ils se dressent à égale distance. Entre eux, des triangles striés. Ici encore, on a bel et bien affaire à une composition. On le voit, ces décors firent l’objet d’un traitement particulièrement soigné, selon un ordre, des règles préétablis. Rien n’a été laissé au hasard. Tout ceci ne peut être que l’expression d’une idéologie, de croyances sous-jacentes. Cette iconographie laisse ainsi entrevoir un pan de l’univers mental et religieux des habitants de la Scandinavie du sud au Néolithique ancien et moyen A.

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C Conclusion Parmi tous les faits archéologiques qui viennent d’être énoncés, quels sont ceux qui peuvent vraiment fournir des indices susceptibles de nous renseigner sur la place occupée par le soleil et la lune dans l’univers mental, les croyances, les cultes et rites du Néolithique ancien et moyen A chez les populations de Scandinavie méridionale ? -

L’orientation des tombes, bien que très succinctement abordée ici, fournit déjà une première approche : si l’on prend l’exemple de Bygholm Nørremark, elle ne concerne pas seulement les chambres funéraires, mais aussi le site, la maison mortuaire et le défunt lui-même : il y a là une référence appuyée au soleil levant : elle symbolise l’espoir d’un retour à la vie, à la lumière, après le séjour dans l’ombre (nuit). De même l’orientation nord-sud, que l’on peut constater pour bien des dolmens, se réfère à l’apogée de la course solaire.

-

L’existence de lieux de culte destinés à accomplir des rites sacrificiels témoigne de l’importance de ceux-ci dans la société nordique d’alors : la construction de ces installations, celles de monuments funéraires mégalithiques encore davantage, implique une organisation sociale hautement élaborée, l’existence d’une élite dirigeante dont on ignore encore presque tout.

On notera, parallèlement à cela, le rôle éminent joué par l’eau, déjà relevé à l’époque précédente : c’est là encore une constante de la culture scandinave. Les objets, les animaux et même les humains sont confiés à cet élément. Les repas sacrificiels où l’on consomme de la chair humaine135 se déroulent sur des pilotis au bord des lacs ou des marais : comme d’ailleurs ceux des populations d’Ertebølle au bord de la mer qui ont laissé des traces si impressionnantes (« déchets de cuisine »). Mais il y a lieu ici de différencier les objets qui sont immergés de ceux qui ne sont que déposés en milieu humide ou au bord des étendues aquatiques. L’immersion concerne la céramique, l’ambre, les animaux et les humains. Les haches déposées en milieu humide ne sont que rarement jetées à l’eau. Par contre, le fait que les mêmes récipients en céramique (en fait leur contenu, il ne faut pas l’oublier) puissent être plongés dans l’eau ou bien 135

C’est ce qu’ont révélé les fouilles menées à Alvastra par Otto Frödin entre 1909 et 1917 : on y a exhumé des os qui ont été rongés, que l’on a brisés pour en extraire la moelle. Le cannibalisme n’est d’ailleurs pas à cette époque le privilège des seules populations de Scandinavie méridionale : on en a trouvé la trace dans toute l’Europe : entre autre, en France et en Allemagne.

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posés devant la façade d’un tumulus, d’une chambre ou d’une maison mortuaires ne doit pas tromper : c’est bien de deux types de cultes et de croyances dont il s’agit ici, même s’il existe des passerelles entre eux. Le dépôt par immersion ou dans un milieu aquatique traduit un lien avec la fertilité-fécondité. Celui qui a lieu dans ou à proximité des sépultures concerne les défunts : il a un rapport direct avec les croyances en la survie de l’âme des morts, qui continuent ainsi à occuper la terre ancestrale. Et cette survie est précisément symbolisée par l’orientation est-ouest et la présence des figures solaires et lunaires rayonnantes sur les vases déposés. Ceci nous conduit tout naturellement à aborder le domaine de l’iconographie. On a vu à ce propos combien les deux astres sont, dès cette époque, bien présents dans ce domaine. Mais cette seule constatation ne suffit pas, loin s’en faut. En fait, il faut ici considérer l’image comme un véritable langage, autrement dit aborder ce terrain dans une optique sémiologique. Commençons par le disque. Celui-ci est non seulement l’image de l’action bienveillante et fécondante de la lumière, de la chaleur, aspect quasiment magique : c’est là la signification de ces amulettes discoïdales déposées dans les sépultures ou au fond des lacs ; mais aussi du mouvement, de la course perpétuelle, de l’éternel recommencement, de cette alternance des saisons, du jour et de la nuit, du froid (hiver) et du chaud (printemps, été). Dans un contexte aquatique, celui des dépôts sacrificiels, les décors solaires et lunaires symbolisent d’un côté le séjour des astres dans les ténèbres, la nuit ou l’hiver pour le soleil, le drame de la disparition pour l’astre nocturne ; mais en même temps l’espoir d’un retour. C’est ici que le culte de la fertilité-fécondité rejoint celui des morts. Comme la semence que l’on enterre afin qu’elle réapparaisse sous la forme d’une plante (car c’est là le symbolisme profond des dépôts sacrificiels), le défunt est confié au sein de la terre, symbolisée par la chambre sépulcrale ou le caveau, dans l’espoir de sa survie. D’un point de vue sémiologique, cela est exprimé par la présence de ces arbres dont les branches sont tantôt inclinées vers le bas (= la mort, l’hiver, l’enterrement) tantôt dressées vers le haut (= la vie, l’éclosion, le printemps). L’alternance vie – mort est encore représentée par les bandes en zigzags et peut-être aussi par la figuration des deux astres tantôt avec et tantôt sans rayons. Il ne faut cependant pas oublier que tous ces motifs, pour importants qu’ils soient, ne constituent sur les céramiques étudiées que le cadre d’un thème central, ne serait-ce déjà que d’un point de vue optique : l’image des deux yeux surmontés d’une arcade sourcilière et séparés par un nez rectiligne occupe bel et bien le centre du décor, ce qui est vérifiable dans tous les cas. Ceci exprime, bien évidemment, la place prise par le principe dont ce motif est le véritable chiffre. Il s’agit ici de la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort. « L’arcade sourcilière » figure un végétal dont les branches semblent, dans le 81

cas de la coupe de Hyldehøj, plonger vers le sol, mouvement vers le bas repris par les ramures de l’arbre qui remplace ici le nez. Les deux yeux, en fait les deux astres, sont dépourvus de rayons : c’est là l’image de la mort, du côté funeste de cette Puissance Divine. C’est elle qui enlève la vie, la réclame (les sacrifices humains s’adressent en fait à elle). Mais ce n’est là qu’un des deux aspects fondamentaux de cette déité. L’autre, antinomique, celui du don de la vie est exprimé au centre de la coupe trouvée dans la tombe de Kattrup (Amt de Hollbæk Seeland). Ici « l’arcade sourcilière » a disparu : seuls figurent les deux yeux, dont les iris sont les deux astres, rayonnants cette fois-ci. A leur point de rencontre, jaillit un arbre dont les branches se dressent toute droites vers le ciel comme le végétal tout entier. C’est l’image de la vie, l’autre volet de la Puissance Divine dispensatrice de cet élan primordial. Dans un cas comme dans l’autre, les deux yeux, en fait les deux luminaires, occupent une place primordiale. En réalité, le symbolisme oculaire suffit à lui-même pour signifier leur rôle et leur place dans les croyances d’alors : ils sont la théophanie, la manifestation de la Puissance Divine. Beaucoup plus rare est une autre représentation de celle-ci et de sa relation avec les deux astres : au centre de quelques coupes en entonnoir, notamment celle qui provient d’une allée couverte de Tjæreby, Amt de Sorø136, on peut voir un cercle divisé en deux : le haut est cylindrique et doublé sur la face interne de zigzags, le bas se présente comme un fil qui supporte des losanges striés ; au centre cinq ou six autres losanges sont disposés le long d’une ligne qui correspond à la bissectrice. Juste au-dessus, on peut voir deux petits disques sans cercles concentriques, mais rayonnants et munis d’un point médian. Sur les côtés, mais à quelque distance, des végétaux sont regroupés par trois ou quatre. Leurs branches se dressent vers le ciel. De grands losanges prolongent la bissectrice du cercle vers la droite comme vers la gauche. Chez de nombreux peuples, notamment chez les Berbères, le losange représente à la fois la vulve symbole de la fertilité et de l’œil protecteur. Le rebord du récipient est décoré de zigzags pointés vers le bas. L’ensemble s’avère très composé. En observant attentivement le cercle du milieu, on s’aperçoit qu’il s’agit en fait d’une sorte de collier, dont la partie haute aurait l’aspect d’un anneau, genre torque. Il ne fait guère de doute que ce motif constitue une autre représentation de la Puissance Divine et on est tenté de voir là la première figuration de ce que la mythologie norroise nomme « Brísingamen », le fameux collier de Freyja137. Le fait est que l’une des deux victimes de Sigersdal a été retrouvée avec une corde autour du cou, de même pour l’homme de Borremose, plus jeune d’environ 3500 ans. Force est de constater que les deux cas présentent une analogie trou136

Elle a été fouillée en 1891. La coupe se trouve au Musée National de Copenhague (NMA 10887 – 962), cf : Klaus Ebbesen, op. cit., p. 69, fig. 40 - 4. 137 Cf. þrymskviða, 13, 19 ; Gylfaginning, 34 ; Skáldskaparmál, 20, cf. infra.

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blante, malgré les milliers d’années que les séparent. Il vaut cependant mieux laisser ouverte cette question et se contenter de rapprocher pour l’instant les deux découvertes. Tant les dépôts votifs dans les tourbières danoises ou scaniennes et les tombes mégalithiques sud-scandinaves que l’orientation des sépultures et lieux de culte, l’iconographie elle-même telle qu’elle est révélée par la céramique mise à jour : tous ces éléments permettent de penser que les deux luminaires étaient étroitement associés, en tant que théophanies, à une Puissance Divine qui présidait à la vie et à la mort. Ils occupaient ainsi une place de premier plan au Néolithique ancien et moyen A en Scandinavie méridionale. Par ailleurs, on possède quelques indices archéologiques de l’existence d’une Puissance Divine d’essence masculine : la présence de haches, non seulement dans les tombes masculines, et ce dès le Mésolithique final, mais aussi au bord des marais et dans les dépôts au Danemark et en Suède méridionale. Dans ces deux derniers cas, il y a lieu de s’interroger sur la différence dans le mode de dépôt par rapport aux céramiques. Ils ne s’adressent pas au même principe divin. Quant au dépôt de tels objets dans les habitations, ils ont une fonction à la fois tutélaire et magique. Le fait de ficher dans la terre une hache, comme c’est bien des fois le cas, est à rapprocher des labours rituels pratiqués dès cette époque avant la construction d’un monument funéraire mégalithique. Le symbolisme de ce rite est probablement la pénétration de la terre, son ensemencement. Les deux disques radiés qui figurent sur la double hache miniature en ambre découverte à Alvastra (Ostrogothnie) démontrent que les deux luminaires se rattachaient autant à la Puissance Divine masculine Maîtresse du ciel, du tonnerre et de la pluie qu’à son pendant féminin. La croyance en un Soleil et une Lune, théophanies des deux entités divines primordiales s’inscrit dans un vaste ensemble cosmologique centré sur l’alternance vie – mort et l’éternel retour. Ce principe binaire avait pouvoir sur la vie et la mort, la fertilité et la fécondité des êtres vivants. Son aspect chtonien exigeait des sacrifices humains et des offrandes ou dépôts votifs. Cependant, l’engloutissement rituel d’objets (colliers et perles d’ambre, poteries) mais aussi d’êtres humains pouvait revêtir un caractère magique. Ces immolations devaient avoir lieu un peu avant le printemps car seule une eau dont la température n’est pas supérieure à quatre degrés peut permettre la conservation des squelettes. Elles donnaient lieu à des repas rituels au cours desquels on pouvait se livrer au cannibalisme, ainsi que le prouvent les restes d’os humains dont on a retiré soigneusement la moelle, découverts à Alvastra en Ostrogothnie. Ces « agapes » étaient censées activer le retour de la vie et de la fertilité-fécondité. Dans les deux cas, immolation par immersion et 83

cannibalisme, le rôle de la magie s’avère déterminant. Et c’est là encore un aspect essentiel du paganisme scandinave qui se maintiendra jusqu’à sa fin.

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II Le Néolithique moyen B et récent (2800 à 1800 av. J.-C.)

Du wahres Licht der Glaubenden Bist nicht gebunden durchs Gesetz; Du gehst nicht unter in der Nacht Und leuchtest uns mit ew’gem Licht. D’après : DIEILLUCELREDDITA ; VII-VIIIe siècles.

Chapitre I cultures

Chronologie et présentation des différentes

A Le sud de la Scandinavie Les couches analysées dans les tourbières138 du sud de la Scandinavie indiquent pour la période allant de 3000 à 2700 av. J.-C. une dégradation notable du climat : les tendances déjà amorcées vers 4200cal à 4000cal av. J.-C. vont alors s’accentuer : le climat devient encore plus frais et plus humide et ceci entraîne un recul très net du blé au profit de l’orge. Mais ces phénomènes naturels ne suffisent pas à expliquer à eux seuls les changements intervenus autour de 2800 av. J.-C.. D’autres facteurs, d’ordre social, économique et surtout migratoire y concourent non moins activement : - La pression démographique sensible dès la fin du Néolithique moyen A (3000 – 2800 av. JC). - Les contraintes socio-économiques considérables imposées par la construction des mégalithes ont obligé les communautés agricoles du sud de la Scandinavie à modifier notablement leur stratégie économique. Des difficultés ont dû apparaître, d’autant plus que les surfaces cultivées sont encore relativement peu étendues, malgré l’introduction de l’arðr (charrue primitive) vers 3200 av. J.-C., et ne suffisent par conséquent plus à nourrir une population qui ne cesse d’augmenter139. - L’immigration de populations nouvelles venues peut-être du sud de l’Allemagne moyenne. C’est ainsi qu’autour de 2800 av. J.-C., on assiste en Scandinavie méridionale à une crise à la fois économique, sociale et culturelle. Le signe le plus visible de cet état de fait est l’interruption totale des constructions mégalithiques140, tout comme d’ailleurs en Europe de l’ouest (Grande-Bretagne, Irlande, Armorique). Ces nouvelles conditions, qui ont dû être parfois dramatiques, obligent les populations à changer non seulement leurs habitudes alimentaires, mais aussi et surtout leur stratégie en matière agricole : c’est alors que se produit le grand défrichement et la mise en exploitation de terres restées vierges jusque-là141 et on voit apparaître de vastes surfaces cultivées (par ex. en Sca138

La quantité de tourbe augmente dans les zones marécageuses. Cf. Jørgen Jensen « I begyndelsen », tome 1 de « Danmarks historie », København, Gyldendal forlag, 1988, pp. 195 et 196. 140 Elles continueront cependant à être utilisées jusque vers 1800 av. JC. 141 Ainsi en Suède centrale, à l’intérieur du Småland, le Dalsland et d’autres parties du Götaland, cf. Göran Burenhult: « Arkeologi i Sverige », tome 1, 1991, Höganäs, p. 9.

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nie) à la place des clairières plus ou moins importantes d’antan. En même temps, la forêt ne se régénère pas car les troupeaux (bovins, moutons, chèvres) broutent en plus grand nombre qu’auparavant dans les espaces défrichés : ainsi au Jutland occidental, où commence à s’étendre la lande. Et d’après l’étude des pollens, il s’avère que, à partir de 2800 av. J.C. environ, sont utilisées comme pâturage de vastes portions du Danemark et du sud de la Suède, y compris les forêts de plus en plus clairsemées. Aux alentours de 2300 av. J.-C., la Scandinavie méridionale a pris l’aspect qu’elle gardera au moins jusqu’à l’âge du fer romain (d’après l’étude des pollens jusque vers 200 à 500 ap. JC.) : vastes pâturages alternant avec des zones plus ou moins étendues de cultures, ici et là des forêts clairsemées, des landes, notamment au sud-ouest du Jutland et des zones marécageuses et lacustres. Toutefois, ces explications, d’ordre démographique, économique et social, ne suffisent pas à rendre compte du changement radical qui se produit alors, tout particulièrement au Danemark. En effet, aux alentours de 2800 av. J.-C., s’instaure, d’abord au Jutland puis en Seeland et dans le sud de la Suède, une nouvelle culture qui diffère notablement et dans bien des domaines de la précédente : celle dite des « tombes individuelles », encore nommée “ Culture à la Hache de Guerre142” et en Suède méridionale “ Culture de la Hache Naviforme143 ”. Elle se distingue de la “ Culture des Vases en Entonnoir ”, non seulement en terme matériel (céramique, travail du silex) mais aussi idéologique (émergence d’une idéologie patriarcale qui privilégie l’individu et la fonction militaire) et, autant qu’on puisse en juger par les trouvailles archéologiques, social et économique144. Malgré les dénégations de l’archéologie moderne145, il y a bel et bien eu entre 2800 et 2400 av. J.-C. une immigration de populations vraisemblablement parties du sud, peut-être de l’Allemagne moyenne, à la jointure des Cultures de la “Céramique Cordée” et de la “Céramique Linéaire” : Hesse 142

“Stridsyxkultur” en suédois; “stridøkskultur” en norvégien et danois. “Båtyxkulturen” en suédois. Les termes “ Culture à la Hache de Guerre ” et “ Culture à la Hache Naviforme ” sont équivalents, ils complètent celui de “ Culture des Tombes Individuelles”. 144 Cf. l’article de Kristian Kristiansen: “Prehistoric Migrations. The Case of the Single Grave and Corded Ware Cultures”, in : “Journal of Danish Archæology” (JDA), 1989, 8, Odense : Odense University Press, pp. 211 à 225, ici p. 212. 145 Cf. Klaus Ebbesen : “Enkeltgravskulturen – 100 år efter opdagelsen” dans: “Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie”, København, 1980. Kristian Kristiansen: “The Formation of Tribal Systems in Later European Prehistory : Northern Europe 4000 – 5000 B.C. ”, in : Collin Renfrew, C. Rowlands and Segraves B. (Editors), « Theory and Explanation in Archæology. The Southampton Conference », Academic Press, 1982. Mats P. Malmers : “Jungneolithische Studien”, in : “Acta Archæologica Lundensia”, serie in 8°, tome 2, Lund, 1962. Tous ces articles sont cités dans celui de Kristian Kristiansen : “Prehistoric Migrations”, op. cit.

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Orientale, Thuringe, Saxe, Franconie, Basse Bavière, Est du Wurtemberg146. Elles s’installèrent dans des zones jusque-là peu peuplées147 : les terres sablonneuses du sud, du centre et du nord-ouest du Jutland. De ce fait, cette immigration eut lieu la plupart du temps en dehors de l’aire d’expansion de la “Culture des Gobelets en Entonnoir” (= TRB), c’est-à-dire le nord-est, l’est du Jutland et les îles danoises, principalement la Seeland. Les contacts avec les autochtones du Danemark oriental qui avaient encore conservé leur culture, celle des “Gobelets en Entonnoirs”, sont tout d’abord inexistants : ainsi l’ambre contrôlé par les populations de la “Culture des Tombes Individuelles” disparaît des sites archéologiques qui relèvent encore de la “Culture TRB”. Inversement le silex de bonne qualité et les techniques liées à sa taille sont absents des sites propres aux nouveaux venus148. Ainsi durant le Néolithique moyen B (2800 – 2400 av. J.-C.), soit sur une durée d’environ quatre cents ans, il a dû exister une véritable barrière entre les deux populations. Celle-ci affectait l’échange et la distribution des produits (ambre et silex) et vraisemblablement aussi la communication149. Ce dernier point est particulièrement important pour la matière étudiée ici : en effet, cette absence de communication devait être en premier lieu d’ordre linguistique, et par voie de conséquence, spirituelle, religieuse et idéologique. Il est hors de doute que cet état de fait a dû conduire à des conflits armés et à des résistances150. Les phases qui succèdent à l’installation des immigrants (2700 à 2400 av. J.C.) montrent une expansion continue de leur peuplement : on assiste alors, mais à un rythme plus ralenti, à l’établissement des nouveaux venus dans des régions qui ont relevé jadis de la “Culture TRB”. Cela donne lieu à la créa-

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Les raisons qui ont pu pousser à ce mouvement de population sont très difficiles à définir. Parmi les différents scénarios proposés, c’est celui qui privilégie les contraintes écologiques (dégradation du climat vers 3000 av. JC.) et sociales qui apparaît le plus vraisemblable. En effet, la dégradation du climat rendait la céréaliculture très aléatoire, par contre elle favorisait l’extension de l’élevage sur terrains pauvres, ce qui était le cas au Jutland. 147 Cependant là où se produisait la rencontre des nouveaux venus et des autochtones, c’est-àdire à la périphérie des zones d’expansion des immigrants, on enregistre une rupture ou solution de continuité culturelle. La “Culture des Gobelets en Entonnoirs” cesse totalement et se voit remplacée par celle des “Tombes Individuelles” : cf. K. Kristiansen, op. cit., p. 212, ainsi que Rostholm H. : “Kornaftryk fra Enkelgravskulturen”, in : Adamsen C. og Ebbesen Klaus (Ed.) « Stridsøksetid i Sydskandinavien », Arkælogiske Skrifter 1, Københavns Universitet, 1986. 148 Cf. Klaus Ebbesen : “Fred i Enkelgravstid”, in : Adamsen C. Ebbesen Klaus, op. cit., p. 37 et suiv. 149 Cf. Klaus Ebbesen : “Fred i Enkelgravstid”, op. cit., p. 37 et suiv. 150 Ceci est d’autant plus vraisemblable que, d’après l’examen des tombes individuelles, la nouvelle culture était fondée sur une idéologie aristocratique et belliqueuse qui visait à la domination.

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tion d’une civilisation mixte151 : c’est notamment le cas dans les îles au sud de la Fionie. Et dans l’est du Danemark, bien des sites de la “Culture des Gobelets en Entonnoir” sont définitivement abandonnés. L’emprise des immigrants a pu se réaliser à la fois par des guerres et des alliances matrimoniales entre représentants des classes dirigeantes. En dépit des explications du type « continuité et adaptation » fournis dans les années soixante et soixante-dix, ainsi qu’au début des années quatrevingts par les représentants de l’archéologie moderne, on constate sur les sites fouillés ce bouleversement en matière agricole dont il vient d’être question : il a lieu non seulement dans les régions nouvellement repeuplées mais surtout dans celles conquises sur l’ancienne “Culture des Gobelets en Entonnoirs”, essentiellement l’est du Danemark. Il apparaît comme certain que le mode de subsistance des immigrants reposait surtout sur l’élevage et la possession de grands troupeaux nécessitant le défrichement des surfaces forestières encore existantes. Ceci conduit à la création de vastes zones de pâturages ou de landes. Quant à la culture des céréales (pratiquement toujours l’orge), la chasse (cervidés et sangliers, phoques) et la pêche, elles jouaient un moindre rôle. Il en sera de même après 2300 av. J.-C. durant la phase ultime de la pierre polie appelée Néolithique récent (2300 à 1800 av. J.-C.) et même bien au-delà, c’est-à-dire pendant tout l’âge du bronze et une bonne partie de l’âge du fer (période dite pré-romaine de 500 à 70 av. J.-C.). Les contacts avec les autochtones de l’est du Danemark qui avaient encore conservé leur culture finirent par aboutir vers 2400 av. J.-C. à une fusion. Cependant cette intégration demeure incomplète car on continue d’enregistrer une différence sensible entre le matériel et l’horizon archéologiques du nord, de l’ouest ou du sud Jutland et celui de l’est (Jutland oriental et îles danoises) jusqu’aux environs de 1500 av. J.-C., c’est-à-dire au milieu de l’âge du bronze ancien. Cette différence se maintient d’abord dans le culte des morts : au nord et à l’est du Danemark, ainsi qu’en Scanie, on conserve encore longtemps les modes de sépultures et les rites du Néolithique ancien et moyen A. Ailleurs dominent de nouvelles conceptions au centre desquelles se trouve l’individu et ce qu’il possède. Cette différence persistante ne peut s’expliquer autrement que par des différences ethniques et peut-être linguistiques marquées152. 151

Cf. J. Skaarup : “Enkelgravskulturens bopladser på øerne syd for Fyn”, in : C. Adamsen et Klaus Ebbesen (Editeurs), « Stridsøksetid i Sydskandinavien », “Arkæologiske skrifter”, I, Københavns Universitet, 1986. Voir aussi A. Andersen : “Enkelgravstid på de danske øer”, in : Adamsen C et Klaus Ebbesen (Ed.), op. cit. 152 Ceci vient renforcer la théorie, déjà ancienne, du substrat : les nouveaux venus auraient parlé un idiome indo-européen qui venait se superposer à une langue d’origine inconnue que l’on a nommée, faute de mieux, arctique. Elle aurait été parlée par les autochtones du sud de la Scandinavie, les tenants de la “Culture des Gobelets en Entonnoir”. Le processus de fusion

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B Le centre de la Scandinavie Dès les alentours de 3200cal av. J.-C.153, la “Culture TRB” disparaît de l’est de la Suède Centrale (Ostrogothnie, Uppland). Lui succède alors une autre civilisation, celle de la “Céramique” dite “à Fossettes154”. Il s’agit là d’une population principalement côtière pratiquant une économie mixte155 : pêche, chasse au phoque, au sanglier et aux cervidés (élans, cerfs) et élevage (surtout le porc). Les porteurs de cette culture vont essaimer jusqu’en Scanie, au nord du Jutland et de la Seeland et en Norvège méridionale (Fjord d’Oslo) où ils vivent, semble-t-il, en bon voisinage avec les populations à la hache de guerre. Cette coexistence plutôt pacifique va finalement aboutir à une fusion progressive achevée entre 2000 et 1800 av. J.-C.. Durant cette période, les tenants de la “Civilisation de la céramique à fossettes” finissent par adopter le mode de vie des agriculteurs. L’introduction de la métallurgie aux alentours de 2000 av. J.-C. a dû puissamment concourir à cette intégration.

Chapitre II

L’organisation sociale et l’économie

A L’organisation sociale La société sud-scandinave du Néolithique tardif (2300 – 1800 av. J.-C.) s’avère être relativement hiérarchisée avec une classe noble de plus en plus linguistique aurait eu lieu au plus tard entre 1200 et 1000 av. JC. (cf. Claus Jürgen Hatterer : ( Die germanischen Sprachen. Ihre Geschichte in Grundzügen », Wiesbaden, Drei Lilien Verlag GmbH, 1975, pp. 44 et 45 et Ernst Sprockhoff « Zur Entstehung der Germanen », 1936. Peut-être, la première mutation consonantique (b / p / d / t / g / k / k / h) est-elle justement imputable à l’influence phonétique du substrat linguistique autochtone. D’un point de vue lexical un certain nombre de vocables germaniques proviennent d’un idiome inconnu qui n’appartient pas à l’indo-européen : ils ont trait à la mer, à la navigation, aux points cardinaux, à la faune marine, à certains animaux domestiques, à la vie communautaire). 153 On enregistre d’ailleurs, vers cette époque, un certain recul de l’expansion agricole dans tout le sud de la Scandinavie. Cf. Göran Burenhult : « Arkeologi i Sverige », tome 1, op. cit., p. 124. 154 Ce type de céramique, caractérisée par des rangées de fossettes, réparties sur toute la surface ventrue des récipients, est la continuation directe de celle des gobelets à entonnoir. Ceci montre bien que la nouvelle culture ne représente pas une rupture par rapport à la précédente mais l’adaptation d’une population, qui faisait jusqu’alors partie de la “Culture TRB”, à de nouvelles conditions, tant climatiques qu’économiques. 155 Peut-être cette population est-elle venue en partie des régions limitrophes des côtes sud de la Baltique : Prusse Orientale, nord de la Biélorussie et de la Pologne : Lituanie, Lettonie, Estonie, sud-ouest de la Finlande. La cause de cette immigration réside vraisemblablement dans la dégradation du climat aux alentours de 3000 av. JC. Cf. B. Wyszomirska, “Figurplastik och gravskick hos nord och nordösteuropas neolitiska fångstkulturer”, in : “Acta Archæologica”, series in 4o, n° 18, Bonn / Lund, 1984, fig. 5, cité par Kristian Kristiansen, op. cit., p. 217.

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nombreuse156. A sa tête, probablement un chef de tribu dont dépendent ceux des différentes communautés villageoises. On retrouverait donc là le même système de gouvernement qu’à l’époque précédente (chefferies). Au cours de l’ultime phase du Néolithique (2000 – 1800 av. J.-C.), on assiste à un enrichissement successif de certaines couches sociales. La preuve en est fournie par l’archéologie qui met en évidence la richesse croissante du mobilier funéraire, en particulier des tombes masculines. Vers 2000 av. J.C., on voit en effet apparaître les premières armes en bronze et les premiers bijoux en or157 dans les sépultures dont l’opulence, exceptionnelle en cette époque encore relativement austère, permet d’en conclure à l’existence d’une catégorie sociale aisée dont la fortune semble avoir davantage reposé sur la possession de biens mobiliers (armes, bijoux) qu’immobiliers. Il n’est pas interdit de penser que c’est durant le Néolithique récent que va naître la royauté, au sud et au centre de la Scandinavie. Ceci est important pour le sujet traité car la fonction royale sous-entend celle du sacerdoce. Le roi ou chef de tribu devient l’intermédiaire privilégié entre les puissances divines et le reste de la population. Il incarne en même temps la lignée, le devenir génétique et, à ce titre, entretient sans doute des relations privilégiées avec les ancêtres de la communauté. Ce n’est pas un hasard si le mot germanique commun *kuningaK signifiant à la fois roi et grand-prêtre [on retrouve ces deux acceptions dans le substantif finnois « kuningas » probablement emprunté à un idiome germanique au deuxième ou troisième siècles ; il en va de même du vieux slavon « HRKc(A)De », qui signifie « prince ». Quant au lituanien « kunigas », voulant dire « prêtre » et au letton « kùngs », voulant dire « seigneur ou monsieur », ils ont été empruntés beaucoup plus tard au moyen bas allemand « kunig »] est issu d’un thème indo-européen *gn-io- (cf. le latin genius, à l’origine l’esprit protecteur de l’homme) désignant, au départ, la force génitrice158. B Economie Après une longue période d’un peu plus de mille ans environ (3200 à 2000 av. J.-C.) où les populations de Scandinavie se contentent d’importer 156

Cf. l’article de Mats P. Malmer “Stridsyxkulturen” dans l’ouvrage de Göran Burenhult « Arkeologi i Sverige », p. 117, op.cit. 157 C’est notamment le cas dans la tombe découverte à Grevinde Mark (Odsherred, amt de Holbæk, Seeland) contenant une superbe lunule (collier en forme de demi-lune), cf. planche hors texte n°4. 158 On retrouve ce sens dans le mot gotique kuni (venant de l’indo-européen *gniom) le vieux haut allemand chunni, signifiant tous deux lignée, famille (cf. le latin progenies, la descendance, la progéniture). De même qu’en norrois kundr et konr signifient l’un fils et l’autre fils ou homme de noble lignée, tandis que le substantif féminin kind (germanique commun *kindi), gotique kindins signifient lignée descendance (cf. Julius Pokorny « Indogermanisches etymologisches Wörterbuch », volume 1, p. 135, 3e édition, 1969, Stuttgart).

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des produits finis en cuivre qui proviennent des régions balkaniques et danubiennes159, on assiste vers 2000 av. J.-C. à un véritable « transfert de technologie » : grâce aux relations commerciales avec les contrées du littoral sud de la Baltique (Mecklembourg, Poméranie) et surtout l’Europe centrale (civilisation d’Uneti#e) lesquelles reposent surtout sur l’échange de cadeaux (principalement l’ambre contre des objets métalliques) les populations du Danemark, de la Suède méridionale et du sud de la Norvège n’importent plus seulement le bronze : ils en adoptent les procédés de fonte appris auprès de leurs partenaires commerciaux160 venus d’Allemagne (en particulier la région de Saalfeld, Thuringe, à l’extrémité nord de la civilisation d’Uneti#e / d’Aunjetitz) de Bohème et des contrées danubiennes. Cela entraîne aux alentours de 2000, au plus tôt, et de 1800 av. J.-C., au plus tard, un véritable bouleversement à la fois social et économique : on assiste non seulement à un enrichissement considérable des catégories sociales dominantes pour lesquelles il ne suffit plus seulement de se faire inhumer avec des épées en silex imitées de celles d’Europe centrale mais qui désirent emporter dans leur tombe des armes de bronze161 fabriquées sur place dans des ateliers qui leur appartiennent. Ceci entraîne la création d’une nouvelle catégorie de spécialistes, ceux de la fonte du bronze et même de l’extraction des métaux. Mais cela va encore plus loin : il faut, pour organiser et superviser cette activité, pour distribuer les tâches, une instance dirigeante qui veille également à la subsistance des spécialistes en question162 : ceci contribuera à la généralisation des chefferies vers la fin du Néolithique. Outre une hiérarchisation accrue de la société, l’introduction de la métallurgie entraîne une restructuration complète de celle-ci dans le sens d’une spécialisation de plus en plus importante. Parallèlement à cela, l’apparition de cette nouvelle activité de la métallurgie du bronze concourt à l’adoption d’autres mythes et croyances où le feu et la lumière, en particulier celle du soleil et de la lune, devaient jouer un 159

La métallurgie du cuivre y est attestée depuis environ 4000 av. JC. Durant le Néolithique moyen B, on enregistre une baisse très nette du nombre d’objets métalliques importés en Scandinavie. Ceci est dû au fait que les gisements de minerai de cuivre pur s’étaient raréfiés. Ce n’est que vers 2300 av. JC. que les importations augmentent à nouveau : cependant ces importations ne proviennent plus des régions danubiennes ou balkaniques, mais de Bohème, d’Allemagne ou des Iles Britanniques. 160 Parmi les plus anciens témoignages de la production d’objets scandinaves en bronze, on trouve des haches exhumées, entre autre, en 1864, dans le dépôt de Tygelsjön en Scanie (datant de 1800 av. JC.) et dans celui de Gallemosen au Djursland (Jutland oriental), (vers 2000 av. JC.). 161 Il faut cependant souligner ici le nombre très limité d’objets métalliques déposés alors dans les sépultures : cf. Jørgen Jensen, l’article “Metal deposits”, pp. 152 à 154, dans : « Digging into the Past », op. cit. 162 Cf. Göran Burenhult « Arkeologi i Sverige », vol. 2 : « Bönder och bronsgjutare », 1992, Höganäs, p. 28.

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rôle considérable. Cette invention nouvelle n’a-t-elle pas été à l’origine d’un changement radical des motifs gravés jusque-là dans la pierre ? En Italie et en France (Val Camonica, Val d’Aoste, Valtellina, Haute-Adige, Lac de Garde, Mont Bego) on voit apparaître soudain des centaines de milliers d’armes métalliques représentées grandeur nature en alignement très strict. Ceci ne va d’ailleurs pas tarder à être également le cas en Scandinavie, ainsi les pétroglyphes de Simris163 au sud de la Scanie qui datent de l’extrême fin du Néolithique (2000 – 1800 av. J.C.). Ce mouvement traduit bien « ce besoin de symboles dans une société où les pouvoirs sont de plus en plus concentrés, spécialisés et institutionnalisés164 ». La reproduction graphique d’armes de bronze (haches, lances, épées) s’accompagne d’ailleurs d’une augmentation des dépôts votifs qui contiennent ces artefacts. C’est au Néolithique moyen B et récent que l’invention de la roue a des conséquences réelles, non seulement sur la vie matérielle (elle permet entre autres la création d’un réseau routier165) mais aussi et surtout spirituelle et religieuse des populations de Scandinavie du sud. Bien que la datation en ce domaine soit encore très incertaine, on s’accorde généralement à penser que la domestication du cheval en Scandinavie remonte à l’extrême fin du Néolithique, c’est-à-dire aux phases III, IV et V du Néolithique tardif (entre 2000 et 1800 av. J.-C.). Les circonstances en sont encore des plus obscures mais l’introduction du cheval en Scandinavie doit être envisagée dans le cadre des échanges commerciaux avec l’Europe centrale (Allemagne, Bohème, régions danubiennes et carpathiques) et, par là même, de l’adoption de la métallurgie166. Cette hypothèse permet dès lors de mieux expliquer la relation qui s’instaure dès cette époque entre le quadrupède et les classes dirigeantes de la société d’alors. Car ce sont elles qui détiennent et contrôlent toutes les activités tournant autour de la fonte des métaux et de la fabrication d’objets métalliques, d’armes en particulier. L’adoption et la domestication du cheval ont donc toutes les chances d’avoir eu lieu dans ce contexte. Quoi qu’il en soit, l’apparition du cheval en Scandinavie du sud s’est accompagnée, comme pour les autres innovations de cette époque, de l’introduction de toute une série de croyances et de mythes liés au quadrupède et sur lesquelles il faudra revenir. 163

Par exemple ceux du rocher n° 19 : cf. Göran Burenhult: “Skåne” dans : « Hällristningar och hällmålnigar i Sverige », Forum, Stockholm, 1989. 164 Cf. Göran Burenhult : « Arkeologi i Sverige », tome 2, op. cit., p. 28. 165 Les premières routes apparaissent vers cette époque. Ces routes consistaient soit en couches de brindilles et branchages tenus en place par des pieux, soit en gros madriers placés en travers et retenus par des poteaux. 166 C’est pourquoi on ne peut exclure l’hypothèse d’un parallèle établi alors entre la fonte des métaux, leur éclat (or, cuivre, argent, bronze) et le cheval, en particulier sa crinière et sa queue.

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Chapitre III et du sud

La culture spirituelle : les pétroglyphes de l’est

Le Néolithique moyen B et récent marque les débuts de l’art rupestre dans le sud de la Scandinavie. C’est un peu avant le milieu du troisième millénaire (entre 2700 et 2600 av. J.-C.) qu’apparaît probablement la double volute, peut-être à la suite de contacts avec les contrées d’Europe de l’ouest (Orcades167 et Ecosse168). Elle figure en effet dans les monuments mégalithiques irlandais (Newgrange169) et écossais (tombe mégalithique d’Eday dans les Orcades). Il en va de même des figures serpentiformes que l’on retrouve dans les tumuli bretons (Gavrinis) et des haches (tertre tumulaire de Manio à Kermario, faisant partie des alignements de Carnac). Parmi les figurations de haches de cette période, on peut citer la crosse également visible à Gavrinis. Au Néolithique récent, trois nouveaux ensembles de motifs font leur apparition, en partie, là encore, sous l’influence des Iles Britanniques (Angleterre, Culture du Wessex, Ecosse, Orcades, Shetland, Bretagne) : Le cercle et la roue munie de rayons cruciformes : l’apparition de cette dernière figure est manifestement en rapport avec l’invention de la roue, l’une des acquisitions technologiques majeures de cette période. Le bateau : celui-ci peut être représenté de trois façons : 9 Avec une proue et une poupe pratiquement verticales : c’est le type dit de Navestad-Domben170. C’est le plus ancien (peut-être date-t-il du Néolithique moyen). On le trouve également dans le nord de la Russie (Mer Blanche, Lac Onega). 9 Sous forme de luge ou de traîneau : peut-être s’agit-il d’un bateau en peau du même type que ceux utilisés par les Esquimaux qui le nomment “oumiak”. 9 Sous la forme d’un peigne renversé dont les deux extrémités sont légèrement recourbées. Les dents du peigne représentent vraisemblablement les rameurs. Ces deux dernières représentations du bateau figureront parmi les motifs les plus fréquents des pétroglyphes de l’âge de bronze. 167

Ainsi le site de Eday (tombe mégalithique détruite) où l’on trouve une semblable volute : cf. Eva Nissen-Fett, op. cit., p. 79. 168 Pétroglyphe du site d’Aschabrek, Comté d’Argyll près de Klimichæl et Kilmartin : cf. Eva Nissen, op. cit., p. 79 et p. 85. 169 Cf. Eva Nissen-Fett : p. 79, op. cit. 170 Cf. Eva Nissen-Fett : op. cit., p. 67 qui cite l’article de Sverre Marstrander : « Østfolds jordbruksristninger », 1 / 2, “Institut for Sammenlignende Kulturforskning Skrifter”, 53, Oslo, 1963.

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Les armes, en particulier les épées et surtout les haches : ainsi sur le rocher n° 19 de Simris en Scanie où les lames incurvées des haches sont identiques à celles gravées sur les piliers du temple de Stonehenge (dernière phase entre 2000 et 1800 av. J.-C.)171 ou surtout le rocher n° 4 de Järrestad (Scanie) où figurent des hallebardes dont on a retrouvé des exemplaires en silex ou en bronze lors de la découverte de dépôts172. Enfin des personnages à la représentation très schématique (Simris, rocher n° 19) viennent compléter cette liste. Dans l’ensemble, l’art rupestre du sud et de l’ouest de la Scandinavie présente un caractère plutôt figuratif, alors même que les pétroglyphes du nord tendent de plus en plus à l’abstraction. Il n’est toutefois pas à exclure que le contact prolongé entre les agriculteurs du sud et les chasseurs-pêcheurs du nord ait constitué l’un des facteurs qui contribuèrent à l’apparition des pétroglyphes en Scandinavie méridionale et occidentale.

Chapitre IV

Les conceptions religieuses

L’existence d’une déité masculine, déjà probable à la période précédente, se confirme : à l’appui de cela, on trouve les très nombreux dépôts de haches (Néolithique moyen B) et d’épées (Néolithique récent). Dès lors, l’existence de deux puissances divines primordiales paraît plus que plausible. En tout état de cause, le culte de la fertilité-fécondité demeure au centre des conceptions religieuses de cette période et ce au même titre qu’à la précédente. L’archéologie a, ces derniers temps, démontré, là aussi, une grande continuité dans les dépôts d’offrandes votives173. Si le rite qui consiste à déposer des récipients en céramique au bord des rivières, des lacs ou des marais est en net recul pendant la période considérée174, les autres formes de sacrifice (notamment dépôts de haches et surtout d’ambre) demeurent une constante durant toute cette période. Ceci dit, on peut se poser la question du rapport ayant pu exister entre le dépôt d’objets, quels qu’ils soient, dans une étendue d’eau (marais, tourbière, lac rivière) et les deux puissances divines primordiales. Tout comme les yeux devaient représenter leur aspect céleste (ils symbolisent en effet leurs théophanies : Soleil et Lune), l’eau aurait été en quelque sorte la fe171

Cf. Göran Burenhult : “Comments on Relation West Norway-Western Europe Documented in Petroglyphs”, p. 94, in : “Norwegian Archælogical Review”, vol. 12, n° 2, Oslo, 1979. 172 Cf. Göran Burenhult, op. cit., p. 94. 173 Cf. Per Karsten « Att kasta yxan i sjön », Lund, 1994, pp. 194 et 195. 174 Ibidem, pp. 194 et 195.

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nêtre de la terre ou des régions chthoniennes. Mais il y a un autre aspect qui relie l’élément aquatique et chthonien au sujet même de cette étude : le soleil ne se couche-t-il pas dans l’eau ou la terre lorsqu’il a achevé sa course diurne ? Et la lune qui le relève durant la nuit ne se reflète-elle pas dans l’eau ou ne darde-t-elle pas ses rayons sur la terre ? On voit ici comment, dans les conceptions religieuses des cultivateurs nordiques du Néolithique, et même bien au-delà (âges du bronze et du fer) des éléments comme l’eau, la terre et des corps célestes tels que le soleil et la lune sont intimement liés au point de ne plus faire qu’un. C’est là l’un des aspects fondamentaux des conceptions religieuses préhistoriques, en Scandinavie comme ailleurs : le cosmos y est perçu comme un tout. Il s’agit donc d’une vision éminemment synthétique de l’univers.

Chapitre V

Le soleil et la lune dans les croyances

Si les transformations économiques et sociales dont il vient d’être question n’ont pas dû affecter en profondeur les croyances religieuses, la fertilité et la fécondité revêtent toutefois encore davantage d’importance qu’auparavant175 : en effet, avec l’extension considérable des terres cultivées et de l’élevage, on est entré de plain-pied dans la civilisation agricole. Il est dès lors bien légitime que les préoccupations de celle-ci se tournent essentiellement vers la fertilité et la croissance des plantes, des animaux et des hommes. Parallèlement, un certain nombre d’innovations sociales (sépultures individuelles) et surtout techniques vont apporter de nouvelles croyances. Celles-ci existent vraisemblablement déjà en d’autres contrées d’Europe (Allemagne, Europe centrale et danubienne) d’où proviennent précisément ces inventions que sont la roue, la charrue, l’élevage laitier et le travail des métaux (cuivre, or). Or ces croyances ont un rapport direct avec les deux luminaires qui font l’objet de la présente étude. Une fois encore ce sera l’archéologie qui permettra de jeter ici quelque lumière. Le recours à l’ethnographie constituera néanmoins un apport parfois précieux. 175

Au Néolithique ancien et moyen A (4000cal à 2800 av. JC) le culte des ancêtres, des morts occupe une place de premier plan : il influence sans doute grandement les croyances sur la fertilité-fécondité en insistant peut-être davantage sur la proximité des deux aspects primordiaux de l’existence (la vie et la mort) car toutes les conceptions religieuses de cette première partie du Néolithique n’étaient en fait que le reflet d’une préoccupation considérée alors comme vitale : le maintien de la communauté sur le territoire ancestral considéré comme sacré.

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A Les faits archéologiques Les sépultures individuelles à tumulus bas sont pratiquement toujours orientées est – ouest176. Le défunt est placé en position fœtale dans un cercueil en bois ou en pierre orienté lui aussi est – ouest. Très souvent, les hommes sont couchés sur le côté droit, la tête orientée à l’ouest et la face tournée vers le sud177 ; les femmes sur le côté gauche, le chef face à l’est et le visage également tourné vers le sud, ce qui signifie en clair que le défunt entrait et survivait dans un univers tout empli de lumière et de chaleur, autrement dit un monde où dominait la présence des deux astres. Au Néolithique récent, les tombes sont orientées le plus souvent est – ouest, en Seeland, avec ouverture au levant, tandis que celles du nord Jutland le sont nord – sud. Dans les autres régions du Danemark, c’est à dire à l’ouest, au centre et au sud du Jutland, là où le mode de sépulture est essentiellement individuel, l’orientation est – ouest, constatée pour la période précédente perdure. Parmi ces tombes, il y a lieu d’en citer une dont l’intérêt ne réside pas seulement dans son orientation mais encore bien davantage dans sa forme. Elle a été fouillée en 1982 / 83178 : il s’agit de la sépulture de Hjordkær près de Åbenrå au Slesvig danois (sud du Jutland), non loin de la frontière avec le SchlesvigHolstein (RFA) : dans un tertre, on y trouve un cairn de pierres plates « dont la forme est semblable à celle d’une roue à cinq rayons179 ». Notons ici que ce motif se retrouve dans la disposition des lames de hache souvent déposées de façon à reproduire une roue180 (Cf Planche hors texte 3). En Scanie, les défunts et le mobilier funéraire sont placés selon un rituel très strict : le corps est pratiquement toujours en position sur le côté, c’est-àdire celle du sommeil. Mais surtout, le visage est toujours tourné vers l’est. Un bref survol de l’orientation181 des tombes du Néolithique moyen B et tardif en Scandinavie méridionale, permet d’en conclure à la remarquable 176

Cf. Jørgen Jensen « I begyndelsen », tome 1 de « Danmarks historie », pp. 184 et 185, København, 1998. Exemples de telles tombes, parmi tant d’autres: celles au nord et nord-est de Rødding (Sud du Jutland) étudiées en 1985 : cf. l’article de Anne Brigitte Sørensen : “Enkeltgrave fra Rødding-egnen” dans : “Kuml, Årbog for jysk arkæologisk selskab”, København, 1991 / 92 / 93, pp. 53 à 70, København, 1993. 177 Cf. à ce propos l’article de Ernst Guthnick : “Über vermessungstechnische Fähigkeiten und Kenntnisse im Neolithikum”, p. 75 dans la revue : “Ethnographisch-Archäologische Zeitschrift”, n° 38, 1997, pp. 65 à 76 ; ici p. 75. 178 Cf. Jørgensen : “To gravhøje ved Hjordkær i Sønderjylland : Om særprægede senneolitiske gravanlæg”, dans : “Kuml”, 1984, København, 1985. 179 Cf. l’article de Mogens Hansen et Hans Rostholm dans : « Digging into the Past », “Single graves and late neolithic graves”, p. 120, op. cit. 180 Cf. l’article de Klaus Ebbesen : “Sacrifices to the powers of nature”, dans : « Digging into the Past », op. cit., p. 123, voir infra. 181 Cf. entre autre les articles de Klaus Randsborg et Claus Nybo : “The Coffin and the Sun, Demography and Ideology in Scandinavian Prehistory”, dans : “Acta Archæologica”, vol 55,

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précision (jusqu’à 1°)182 atteinte dans la détermination des points cardinaux, en particulier l’est et l’ouest, lors de l’orientation des tombes183. Or les connaissances, le savoir-faire que cela implique sont sans doute le résultat d’une observation minutieuse du ciel et des corps célestes, en particulier du soleil et la lune, durant des millénaires. Elles avaient des implications non seulement dans la vie quotidienne et pratique, en particulier l’orientation des maisons et des habitats mais aussi et surtout dans les conceptions d’origine spirituelle et religieuse. Et c’est probablement ceci qui conduisait les habitants de la Scandinavie méridionale d’alors à se livrer à des calculs d’une telle précision et d’une telle complexité184. PLANCHE 3

Les fondations du tumulus de Hjordkær près de Åbenrå. Un cairn d’environ 5 mètres de diamètre était entouré d’un cercle de pierres de 10 mètres de diamètre et relié au cairn par cinq lignes de pierres semblables aux rayons d’une roue. Le tout était circonscrit d’un enclos de poteaux de 15 mètres de diamètre. Dans le tertre, on a exhumé une sépulture double entourée d’une tranchée de fondation ovale avec des traces de poutres provenant d’un petit bâtiment de 3,5 mètres de long. La double tombe renfermait un poignard en silex. Illustration exécutée sur ordinateur par Jean-Charles Sotty, d’après une photographie de Erick Jørgensen dans : Steen Hvass et Birger Storgaard (Editeurs) « Digging into the Past. 25 years of Archælogy in Denmark ». Aarhus : Aarhus Universitetsforlag, 1993, p. 121. Copenhagen, 1984, pp. 161 à 184 et Ernst Guthnick : “Über vermessungstechnische Fähigkeiten und Kenntnisse im Neolithikum”, pp. 65 à 76 dans : “Ethnographisch-Archäologische Zeitschrift”, op. cit. 182 Cf. Ernst Guthnick, op. cit., pp. 65 et 72. 183 Ceci est d’autant plus remarquable qu’en dehors des équinoxes (21 mars, 23 septembre), la direction est-ouest est purement abstraite : cf. E. Guthnick, op. cit., p. 72. 184 En ce qui concerne ceux-ci, cf. l’article précité d’Ernst Guthnick.

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On connaît en Suède quelques bateaux-tombes datant du Néolithique récent185 : par exemple près de Kiaby, arrondissement de Villand au nord-est de la Scanie. On y a découvert à la fin des années quarante, deux pirogues. Elles étaient placées parallèlement et contenaient chacune deux squelettes qui étaient disposés de façon à ce que leurs pieds se touchent186. Ces embarcations reposaient sur quatre rangées de pierres disposées en diagonale et semblaient avoir été munies d’un couvercle car on a trouvé des traces de coloration provenant du bois sur les squelettes. Il existe une autre bateau-tombe à Akälla dans la paroisse de Norrvidinge, région de Lund au sud-ouest de la Scanie187. La présence d’un poignard en silex le date de la fin du Néolithique. Il s’agit d’une embarcation en peau ou en écorce d’environ cinquante mètres de long et deux mètres de large. C’est vers la fin du Néolithique qu’apparaissent les premiers pétroglyphes qui montrent des bateaux188. Le fait que les gravures rupestres qui représentent ce type de véhicule figurent exclusivement sur des cercueils de pierre ou des rochers à proximité des tertres funéraires fournit un argument en faveur du rapport entre l’embarcation et le voyage dans l’au-delà. Mais c’est le principe de continuité qui incite à plaider en faveur du contenu éminemment symbolique des bateaux-tombes dès leur apparition, c’està-dire vers la fin du Mésolithique. Pourquoi réserver ce contenu aux seules bateaux-tombes de l’âge du bronze, du fer et de l’époque viking et pas à celle du Mésolithique et du Néolithique ? N’y a-t-il pas plutôt lieu de voir là une tradition millénaire propre à des populations dont la destinée est indiscutablement liée à la mer et à la navigation ? Dans les sépultures masculines du Néolithique moyen B, on a mis à jour des rangées de grands disques d’ambre disposés par paires au niveau de la taille : il s’agissait très certainement de ceintures en matériaux périssables sur lesquelles étaient cousus ces disques. La parure féminine consiste en une collection de perles d’ambres disposées ou bien près de la tête ou bien au-dessus de la région lombaire. Ces perles ont souvent la forme de petits disques, ainsi dans une sépulture près de Brøndum au sud du Jutland.

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Cf. Göran Burenhult : « Arkeologi i Sverige », tome 2, « Bönder och bronsgjutare », p. 165, Höganäs, 1992. 186 Idem, p. 165. 187 Cf. Märta Strömberg : « Die Bestattungsformen in Schonen während des Spätneolithikums ». “Meddelanden Lund”, 1951 / 52, p. 165. Cf. Märta Strömberg : “Onsjö härads för historia; Stenåldern”, in : “Onsjö härads hembygdeförening. Årsbok”, 1956, p. 56 et suiv. 188 Voir infra.

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En ce qui concerne les habitations, toutes les maisons longues mises à jour jusqu’à présent étaient orientées est-ouest : c’est le cas à Myrhøj189 (trois maisons) au Vesthimmerland, mais aussi à Fosie (70 maisons) dans la banlieue de Malmö et à Hagstad (Scanie). Dans le premier de ces deux sites scaniens, non seulement les soixante-dix habitations sont toutes orientées est-ouest, mais le site tout entier est localisé sur une pente, elle-même située au levant. On constate donc ici une belle récurrence qui permet, comme auparavant dans le cas des sépultures, d’en conclure à l’importance de l’orientation, non seulement dans les rites d’inhumation mais aussi dans la vie quotidienne des populations du Néolithique moyen B et récent en Scandinavie du sud. Ceci vaut également pour les périodes suivantes, en particulier en ce qui concerne l’orientation des habitations ; il en sera ainsi jusque et y compris à l’âge du fer germanique (750 av. J.C.). Les archéologues scandinaves ont, ces dernières décennies, mis à jour un grand nombre de faucilles de silex en forme de croissant lunaire dans les dépôts votifs répartis dans tout le sud et le centre de la Scandinavie : d’abord au Danemark où l’on en a retrouvé plus de mille exemplaires, mais aussi en Suède et tout particulièrement au sud et à l’ouest du Götaland, au Bohuslän (dans cette seule contrée, on en a trouvé plus de cinquante exemplaires) et même en Norvège du sud. Il s’agit dans tous ces cas de dépôts sacrés souvent situés en des lieux humides. Tant leur forme, qui évoque l’astre nocturne, que le contexte rituel (dépôts aquatiques) incite à envisager un rapport avec la lune et son influence sur la croissance des végétaux. Le dépôt rituel de haches dans les lieux aquatiques (marais, lacs, cours d’eau, étangs, tourbières) soit en rase campagne se poursuit jusqu’à la fin du Néolithique. Dans bien des cas, ils sont disposés de façon à reproduire les rayons d’une roue190. Ce fait est à rapprocher de la découverte de roues dans les tourbières danoises et des pétroglyphes qui représentent des roues à 189

Cf. J. A. Jensen : “Myrhøj : 3 hustomter med klokkebægerkeramik” dans : “Kuml”, 1972, Århus, 1973. 190 Cf. Klaus Ebbesen, l’article “Sacrifices to the Powers of Nature” dans : « Digging into the Past », op. cit., p. 123, A Ryssvik, paroisse de Urshult dans le sud de la Suède, on a découvert au début du XXe siècle quinze grandes haches de silex. Elles étaient disposées en demi-cercle, leur tranchant dirigé vers l’est. Cette disposition symbolisait probablement l’astre à son lever. Cf. Johannes Maringer : « Vorgeschichtliche Religion. Religionen im steinzeitlichen Europa », Zürich / Köln, Benziger, 1956, p. 296, cité par Åke V. Ström : « Germanische Religion », Stuttgart / Berlin / Köln / Mainz, Verlag W. Kohlhammer, 1975, p. 59, note 30, voir aussi Oscar Montelius : « Kulturgeschichte Schwedens », E. A. Seemann, Leipzig, 1906, p. 57.

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rayons191. Retenons pour l’instant l’importance que paraît revêtir cette innovation technique dans les croyances et les rites de l’époque. En 1894, on a découvert dans une tourbière de la ferme de Berge, dans l’île de Berg en Norvège (Commune de Herøy, Sunnmøre) six pendentifs d’ambre192 composés chacun d’un disque mince en forme de demi-lune percé d’un trou sur le rebord193. Les disques en question sont brun foncé, mais lorsque la lumière les traverse, ils virent au rouge doré194. Des marques d’usure montrent que ces bijoux ont été portés longtemps avant d’être déposés. Parmi ceux-ci, figurent aussi de grands disques en silex195. On en a trouvé 27 du même type à Osen dans la commune de Gaular (Sunnfjord, Sogn og Fjordane196). Ce sont au total 161 disques de silex qui ont été mis au jour dans l’ouest de la Norvège entre 1879 et 1992. L’association disques et haches est plus rare : elle n’apparaît qu’à la ferme Vanberg, commune de Stryn (Sunnfjord : Sogn og Fjordane) où une seule hache apparaît contre 21 disques. Pour ce qui est des objets métalliques, il convient tout d’abord de souligner qu’ils ne sont pas, dans un premier temps (Néolithique récent I 2350 à 2000 av. J.-C.), déposés dans les tombes mais exclusivement dans les soussols197 (marais ou champs). Ceci incite à penser qu’au départ, la possession d’artéfacts métalliques était d’abord réservée aux puissances divines et ensuite à des communautés198 (familles nobles, clans, tribus) peut-être placées sous leur protection. Au Danemark, on a découvert plusieurs caches votives contenant, entre autres, des lunules, colliers en forme de demi-lune. Citons, parmi d’autres exemplaires, celui de Gallemose (petite tourbière situé près de Harislev à 191

Cf. infra. Cf. G. Gustafson : “Fortegnelse over de i 1894 til Bergens Museum indkomne oldsager ældre end reformationen”, in : “Foreningen til Norske Fortidsmindesmerkers Bevaring. Aarsberetning”, Kristiania, 1894, p. 146, cité dans un article de Gro Mandt : “Gudene til ære. Om miljøret rundt offerfunnene på Bergsøy i Sunnmørs Leia”, dans : “Arkeologiske Skrifter Historik Museum”, n° 4, Bergen, 1988, p. 262, dont l’auteur lui-même nous a fourni un exemplaire. Nous tenons à l’en remercier vivement ici. 193 D’après Gro Mandt, on considère aujourd’hui ces pièces comme faisant partie du même dépôt votif que celui de la tourbière de la ferme Berge, cf. Gro Mandt, article, op. cit., p. 262. 194 Cf. G. Gustafson, op. cit., p. 146. 195 Dans 72 % des cas, les objets trouvés sur l’île de Bergsøy étaient groupés : indice sûr que l’on est en présence de dépôts votifs, cf. Gro Mandt, op. cit., p. 266. 196 Cf. Trine Johnson : “Sein-Neolitisk tid i Sogn og Fjordane : Gjenstandstyper og funndistribusjon. Hovedoppgave i Arkeologi med vekt på Norden”, “Universitet i Bergen”, 1983, pp. 53 à 55. Il est très probable que ce type d’artéfact continue d’être en usage au bronze ancien. 197 Cf. dans « Digging into the Past », op. cit., l’article de Helle Vandkilde : “The Earliest Metal Work”, p. 147. 198 Idem, p. 149.

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proximité de Randers au nord-ouest du Jutland) qui daterait, selon les dernières recherches199, de 1700 environ, c’est-à-dire de la période charnière Néolithique tardif / bronze ancien. Le port de ce bijou devait revêtir un caractère rituel, peut-être en rapport avec l’astre nocturne et ses cycles (c’est du moins ce que suggère sa forme). Ceci est encore renforcé par la découverte dans ce même dépôt (fouillé en 1887) de 3 pièces métalliques qu’on a récemment identifiées200 comme étant les extrémités du timon en bois d’une charrue201 ou d’une charrette, et, pour le troisième objet, une partie reliée au timon d’un char202. En effet, l’un ou l’autre de ces objets est à mettre en rapport avec les deux luminaires et la fertilité-fécondité : le char et surtout la charrette en tant que porteurs du disque lunisolaire lors de processions rituelles, la charrue symbolisant, par le va-et-vient de son soc, plus particulièrement, la course solaire et son action fécondatrice sur la terre. Enfin, il est important de noter qu’à Gallemose, comme ailleurs, la lunule est très souvent associée à la hache symbolisant une Puissance Divine d’essence masculine.

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Cf. Helle Vandkilde : “A late Neolithic hoard with objects of bronze and gold from Skeldal Central Jutland” dans : “Journal of Danish Archeology”, 7, 1988, Copenhagen, 1990, pp. 115 à 135. Cf. aussi « Reallexikon der Germanischen Altertumskunde » (Johannes Hoops), tome 10, article de K. Randsborg, Berlin / New York, Walter de Ruyter - Verlag, 1998. p. 345. 200 Cf. l’article de Klaus Randsborg dans “Acta Archæologica”, n° 62, pp. 109 à 122 et dans « Reallexikon der Germanischen Altertumskunde », op. cit., p. 345. 201 Présentant alors les mêmes caractéristiques que les timons de charrues trouvés dans un habitat de l’âge du bronze à Fiavé-Carera en Italie du Nord : cf. article de R. Perini, “Scavi archeologici nella zona palafiticola di Fiavé-Carera”, 1 / 2, 1984 à 87, cité par Klaus Randsborg dans l’article du « Reallexikon », op. cit., p. 345. 202 Auquel cas elle est remarquablement proche de semblables pièces métalliques trouvées parmi les restes de tels véhicules qui proviennent du Proche-Orient ou du Bassin Oriental de la Méditerranée. cf. Klaus Randsborg « Reallexikon der Germanischen Altertumskunde », op. cit., tome 10, p. 345.

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PLANCHE 4

Lunule d’or trouvée à Grevinde Mark dans le canton de Od (Odsherred) en Seeland (DK). Photo Lennard Larsen, Nationalmuseet, in Jørgen Jensen, « Danmarks Oldtid», tome 1, op.cit, p. 541.

B Les innovations du Néolithique B et leurs conséquences pour les croyances solaires et lunaires Cinq innovations vont marquer durablement non seulement la vie matérielle mais aussi la spiritualité, toujours selon le principe qu’il n’existait pas alors de limite entre la vie quotidienne et les croyances, que ces deux aspects de l’existence s’interpénétraient mutuellement. Ce sont : la roue, la charrue, 104

l’élevage laitier (aussi la confection des fromages et autres produits confiées dès le départ aux femmes)203, la métallurgie et le cheval. Autour de 2800 / 2700 av. J.-C., c’est-à-dire au début de la période considérée, des roues ont été déposées ou abandonnées dans des tourbières et des marais danois204. En attendant d’autres découvertes de ce type ou de nouvelles datations du matériel existant, souvent entreposé dans les réserves des musées danois, on ne peut guère se prononcer sur la signification exacte de cette présence205. Néanmoins, et compte tenu des certitudes que l’on possède déjà à propos d’offrandes de roues et de chars votifs à l’âge du bronze (char solaire de Trundholm !) et surtout à l’âge du fer, pré-romain en particulier (Dejbjerg, au Jutland occidental, Alt Bennebeck au Schleswig-Holstein, Rappendam et Blegholm Mose en Seeland206) on peut envisager la possibilité, dès cette époque, de dépôts cultuels, ceci devant demeurer pour l’instant une hypothèse de travail. A cette seule condition, il convient de rappeler ici le rapport immédiat entre la roue, le soleil et sa course. Celui-ci s’impose de lui-même : la roue rend tangible par son mouvement de rotation celui du soleil tournoyant autour de lui-même. Il est admirablement résumé dans l’expression « fagra hvel », belle roue, qui désigne l’astre diurne à la strophe 16 du poème eddique Alvíssmál (XIIe ou XIIIe siècles). Ce terme a toutes les chances d’être fort ancien : il pourrait remonter à l’époque où précisément la roue s’imposa dans la vie des habitants du sud de la Scandinavie : c’est-à-dire entre 3800 et 3500 av. J.-C. au plus tôt, et 3000 / 2700 av. J.-C. au plus tard. L’introduction de l’araire en Scandinavie du sud entre 3500 et 3200 av. J.-C. va également avoir des conséquences considérables dans le domaine 203

On en possède la preuve archéologique : dans les maisons longues ont été exhumés des ustensiles destinés à la fabrication du lait : notemment à Myrhøj (Jutland), à Limensgård, Bornholm et Fosie (banlieue de Malmö), cf. J. A. Jensen, “Bopladsen Myrhøj”, in : “Kuml”, 1972, København, 1973. 204 Il s’agit de trois roues à disque plein : les deux premières, dont l’une complète, proviennent de la tourbière de Kideris à 7 kilomètres au sud de Herning, paroisse de Rind, au Jutland central. Elles y ont été découvertes en 1940. Quant à la troisième, il n’en reste que la moitié (comme c’est le cas pour la deuxième en provenance de Kideris). Elle a été découverte en 1933 dans la tourbière de Bjerregårde (au centre du Jutland), cf. article correspondant dans la revue “Kuml”, 1977, pp. 185 à 222, 1978, København. 205 Au bord du lac asséché du Klosterlund au Jutland, on a retrouvé en 1961, le timon, avec à son extrémité le châssis d’un char à deux roues datant de 1900 C14 av. JC., donc de la dernière phase du Néolithique récent : cf. Per Ole Schousbo : “A Neolithic Vehicle from Klosterlund, Central Jutland”, pp. 60 à 70 dans : “Journal of Danish Archæology” (JDA), 1982, volume 2, Copenhagen, 1982, pp. 60 à 70. 206 On en trouve la trace dans les légendes et traditions orales danoises, entre autre dans l’un des ouvrages d’Evald Tang Kristensen : « Danske Sagn som de har lydt i Folkemunde », Silkeborg, 1895, entre autre pp. 342 à 345.

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des croyances liées aux deux corps célestes, en particulier le soleil : le fait de tracer des sillons droits et réguliers en se déplaçant à travers un terrain encore vierge amène tôt ou tard le cultivateur à établir un parallèle avec la course solaire : en sillonnant le ciel, l’astre ne féconde-t-il pas la terre, dardant sur elle ses rayons, tout comme la charrue qui perce la glèbe afin qu’on puisse l’ensemencer ? Les mythologies de pratiquement tous les peuples indo-européens associent cet instrument aratoire à un dieu207 et à une déesse qui président au labourage du printemps et à l’ensemencement de la terre. Cependant chez les peuples germaniques, seul a persisté le souvenir d’une divinité féminine attachée à la charrue et au labourage208 : qu’il s’agisse de *NerþuK, de Nehalennia ou de Gabia / Gefjon, elles étaient toutes représentées avec un araire, lors des cortèges printaniers qui leur étaient consacrés. Or ces théonymes sont, au plus tard à l’âge du fer, autant de désignations d’une seule et même entité divine, maîtresse de la vie et de la mort, ou « déesse-mère primordiale209 » qui régit la fertilité-fécondité. Jusqu’au siècle dernier, la tradition populaire germanique rapportait que Perchta210 labourait sous la terre avec une charrue et, qu’ici-bas, elle présidait à des cortèges assise sur une charrue d’or211. Or Perchta est, avec Dame Holle (Frau Holle ou Frau Holda/Hulda) l’une des figures connues de la mythologie populaire germanique qui rappel207

C’est en particulier le cas chez les Baltes : le dieu lituanien Pergubrius (l’autre mot étant Artójas, c’est-à-dire le laboureur) préside au labourage de printemps et s’avère être une hypostase du dieu Perkunas (ce théonyme a un rapport étymologique avec le latin Qvercvs, le chêne, le norrois Fjörgyn « dieu de toute vie » (cf. Slave Perun / Perkun « dieu des cieux, de la foudre notamment et de la guerre », cf. Régis Boyer Mythologie balte, article de l’Encyclopedia Universalis Corpus, tome 16, Paris, 2008, p. 821.) et aussi maître des champs. Les Lituaniens imploraient ce dernier en tant que « Laukpartis » (de laukas, o. m., le champ, la terre) à côté duquel se trouve Zemyna, la déesse maternelle de la terre ; à noter le rapport évident entre ce théonyme et le mot russe désignant la terre DBJI_. Chez les Lettons ou Livoniens, influencés par les Estes, Lautkamaat était la déesse de la Terre Mère. Chez les Indiens, on retrouve ce couple primordial sous les noms de Djaus Piter et Prithui et chez les Latins on connaît aussi un dieu laboureur hypostase de Jupiter : Jupiter Dapalis : cf. E. HoffmannKrayer et Hans Büchthold-Stäubli, « Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens », tome VI, Berlin / Leipzig, Walter de Gruyter, 1934 / 35., Colonne 1720. 208 Cf. E. Hoffmann Krayer / Hans Bächthold-Stäubli, tome VI, colonne 1720, op. cit. 209 Terme employé par Régis Boyer dans l’article qui vient d’être cité (Encyclopædia Univ. T. 3). 210 Cf. Hoffmann Bächthold, op. cit., tome VI, colonne 1721. Autre variante, moins courante, Berchta. Ce théonyme est idendique au gotique bairht-s ou au vieux-haut-allemand beraht « brillant » qui existe aussi en vieux-saxon beraht, cf. Oscar Schade « Altdeutsches Wörterbuch, erster Theil », p. 51, au mot beraht, Carl Niemeyer Verlag, Halle / Saale, 1862. Le sens même de son nom « Brillante » met Perchta / Berchta en rapport direct avec les deux luminaires. 211 Cf. Robert Eisel « Sagenbuch des Voigtlandes » Harald Rockstuhl-Verlag, Gera, 1871 / reprint mars 2009 (distribution internet par: Amazon.de), p. 105., cité par Hoffmann Bächthold, op. cit., tome VI, colonne 1721.

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lent le mieux la déité en question, à la fois chtonienne et céleste. Dans la mythologie indo-européenne, germanique en particulier, la nuée orageuse transpercée par l’éclair est assimilé à une charrue d’or en fusion212. Certains rites qui, dans les pays du nord et nord-ouest de l’Europe, ont perduré jusqu’aux temps modernes, sont à mettre en rapport avec cette image mythique de la charrue d’or en fusion. Ainsi une chronique anglaise rapporte qu’au début de l’année 1493, on tira une charrue autour d’un feu afin de favoriser ainsi le retour du soleil printanier au-dessus du champ à cultiver213. On voit ici nettement la relation établie entre la charrue et le soleil. De tels rituels ont dû également exister en Scandinavie méridionale. Malheureusement on en a perdu la trace, jusqu’à présent du moins. Grâce à la littérature norroise du moyen âge, on possède néanmoins les traces d’un mythe probablement très ancien qui met la déesse Gefjon en relation avec la charrue et le labourage rituel. La source la plus complète à cet égard est sans nul doute celle fournie par Snorri Sturluson et ce dans deux versions différentes : l’une au chapitre un de la « Gylfaginning », l’autre au chapitre cinq de l’“Ynglinga saga” dans la « Heimskringla ». Dans les deux cas, Snorri lui adjoint une légende étiologique sur la formation de la Seeland et de l’Øresund / Öresund entre le Danemark et la Suède. La « Gylfaginning » (chapitre premier) spécifie que Gefjon, déesse ase, parcourt le pays sous l’apparence d’une vagabonde et qu’elle « divertit » Gylfi, roi de Suède. En récompense de ce « divertissement » (« skemtan » en langue norroise214), le souverain lui donne autant de terre dans son royaume que quatre bœufs215 pourraient labourer en l’espace d’un jour et d’une nuit. C’est précisément le dernier fait qui pourrait révéler un lien entre la course solaire et lunaire d’une part et le labourage rituel d’autre part : car un jour et une nuit (ce que les Scandinaves nomment “dygn” en suédois et “døgn” en danois et norvégien) correspondent à la rotation complète de la terre autour de l’astre diurne. Par ailleurs, la « Gylfaginning » donne encore une précision qui n’est pas sans importance dans le contexte présent : Snorri ajoute en effet un peu plus loin que Gefjon prit les quatre bœufs au nord, du « pays des géants ». Hormis que la mention « au nord du pays des géants » est un topos bien connu 212

Cf. E. Hoffmann Bächthold, op. cit., tome VI, colonne 1719, qui cite Elard Hugo Meyer Germanische Mythologie tome 1 de la Collection Germanische Philologie pp. 90, 137 et 290. Berlin, Mayer & Müller Verlag, 1891 (distribution internet par : Amazon.de). 213 Cf. E. Hoffmann-Bächthold, tome VII, Berlin, Leipzig, 1936, colonne 8 / 9, qui cite Wilhelm Mannhardt Wald- und Feldkulte 2e édition revue par W. Henschel, tome 1, p. 553 et suiv., p. 564, Berlin, Gebrüder Borntraeger Verlag, 1904 à 1905 (distribution internet par : Amazon.de). A noter ici l’aspect magique de ce rite, dans les cultes de la fertilité-fécondité. 214 Ce pourrait être une allusion voilée à l’accouplement entre la déesse et son parèdre, en d’autres termes une hiérogamie. 215 Le chiffre quatre est-il ici une allusion aux quatre points cardinaux ?

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de la littérature norroise du Moyen Âge, le bœuf semble avoir été, avec le sanglier ou le porc, l’un des animaux sacrés de la déité en question. Au cours des dernières décennies, on a mis à jour d’étranges fosses ovales au Danemark216 : disposées par d217, elles contenaient les restes de bœufs : les archéologues estiment qu’il pourrait s’agir de bœufs sacrifiés et enterrés par paire. Ceci ferait-il référence à l’attelage destiné aux labours sacrés ? L’enterrement rituel de bœufs au Néolithique moyen B serait alors l’explication ultime de diverses traditions et légendes populaires attribuées entre autre à Perchta (qui ne serait que l’une des nombreuses hypostases tardives de l’entité divine en question) : ainsi qu’on vient de le voir, elles lui attribuaient jusqu’à l’aube du XXe siècle la faculté de labourer sous la terre (allusion évidente à son côté chtonien) et d’en faire autant sur la terre avec une charrue d’or218. Ce dernier trait pourrait être également une allusion à la course solaire diurne, impression renforcée par le fait que l’or symbolisait probablement la couleur du soleil, au même titre que l’ambre. Plusieurs légendes originaires du Jutland219 rapportent qu’un laboureur étant tombé dans un trou avec sa paire de bœufs traverse les entrailles terrestres et retrouve la surface de la terre à plusieurs kilomètres du lieu de sa chute. La troisième grande innovation de la période considérée, l’élevage laitier, va avoir des conséquences non moins considérables sur les croyances solaires et lunaires des populations néolithiques du sud et du centre de la Scandinavie. Il convient de souligner tout d’abord le rôle joué par la vache Auðumla220 dans le mythe nordique de la création. Snorri raconte (« Gylfa216

On en a trouvé un grand nombre au Jutland, en particulier quatre à Norr Onsild : elles comprenaient des ossements et de l’émail qui provenait de dents de bœufs. L’archéologue anglais S. Piggot estime que ces sépultures contenaient des bœufs. Au Danemark, on désigne ces tombes sous le terme de « stendyngegravene » : cf. S. Piggot “The Earliest Wheeled Vehicles and the Caucasian Evidence”, “Proceedings of the Prehistoric Society”, XXXIV 308 (London, 1968), cité par Hans Rostholm dans un article intitulé “Neolitiske Skivehjul” dans “Kuml”, 1977, København, 1978, p. 202. Voir aussi C.J. Becker “Stendyngegrave fra mellemneolitisk tid” dans “Aarbøger for Nordisk Oldkyndighed og Historie”, 1959, pp. 1 à 90. – C. J. Becker “Gådefulde jyske stenaldergrave”, “Nationalmuseets Arbejdsmark”, pp. 19 à 30 et Torsten Madsen “Stendyngegrave ved Fjelsø”, “Kuml”, 1975, pp. 79 à 82. 217 Elles comprenaient en outre ce que l’on a appelé une maison mortuaire : S. Piggot estime qu’elle aurait contenu un char symbolique, ce qui serait, toujours d’après lui, à mettre en parallèle avec de semblables sépultures d’Europe Centrale (Culture dite des « Amphores Globulaires »). S’il devait s’avérer qu’il s’agissait vraiment de chars et non d’araires, ce pourrait alors être des bœufs sacrés tirant un char processionnel en l’honneur de la déité de la fertilité et sacrifiés ensuite. Cf. Tacite Germania (XL). 218 Cf. E. Hoffmann et Bächthold, tome VI, op. cit., colonne 1721. 219 Cf. Evald Tang Kristensen « Danske Folkesagn som de har lydt i Folkemunde », Silkeborg, 1895. 220 Le nom signifie « La vache sans cornes riche en lait » de auðr, richesse, et *humala (substantif vieux norrois reconstitué) sans cornes.

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ginning », 5) que de ses pis sortirent quatre fleuves de lait. Même s’il s’agit peut-être là d’une réminiscence biblique (les quatre fleuves de la Genèse). Par ailleurs, la blancheur immaculée de ce liquide fait penser à celle de l’astre nocturne. Quant à la couleur jaune du beurre, elle évoque davantage celle du soleil : aussi les agriculteurs norvégiens mettaient, encore au début du XXe siècle, le beurre en rapport avec le retour du soleil221. Même si les populations du sud et du centre de la Scandinavie ne connaissent probablement pas encore les techniques de la fonte des métaux avant 2000 av. J.-C., elles importent déjà des objets de cuivre, d’or, d’argent, et, à partir d’environ 2000 av. J.-C., de bronze. Ainsi prennent-ils connaissance de croyances et de mythes liés à la métallurgie. Aussi peut-on avancer l’hypothèse de travail que les Scandinaves d’alors avaient déjà été initiés à des valeurs spirituelles qui se référaient au cuivre, à l’or, à leur couleur et à leur fonte et que ceux-ci pouvaient avoir un rapport avec le soleil. En faveur de cette thèse, il faut avancer le fait que le mot finnois qui désigne l’astre diurne, « aurinko », vraisemblablement emprunté au germanique commun222, est apparenté au latin « aurum, -i, neutre » et au lituanien áuksas désignant tous deux l’or223. Le substantif germanique commun *gulþ est dérivé, quant à lui, d’une racine indo-européenne signifiant 221

Cf. Jan de Vries « Altgermanische Religionsgeschichte », tome 1, p. 356, § 254, Berlin / New York, Walter de Gruyter and Co, 1956. Jan de Vries y cite l’ouvrage de K. Visted « Vor gamle Bondekultur », Oslo, Kristiania forlag, 1923 (nouvelle édition augmentée et illustrée), pp. 258 à 259 et l’article de Bondevik dans : Nilson, Martin P.Son: Årets högtider = tome XXII de l’ouvrage collectif « Nordisk Kultur », Oslo, Aschehoug forlag, p. 89, 1938. Cf. également: H. F. Feilberg: “Der Kobold in nordischer Überlieferung” dans : “Zeitschrift des Vereins für Volkskunde”, édité par Karl Weinhold, tome VIII, 1898, p. 143. L’ethnographe H. F. Feilberg y rapporte qu’en Norvège, là où l’habitat est blotti au fond des vallées, le soleil disparaît derrière les montagnes une bonne partie de l’hiver en raison de sa position très basse dans le ciel. Aussi les maîtresses de maison avaient coutume de couper un morceau de beurre et de le disposer sur le rebord de la fenêtre, à l’endroit précis où apparaissent les premiers rayons de l’astre. 222 On connaît, de plus, un théonyme norrois Aurkonungr qui signifie probablement « le riche roi ». Il s’agit d’un autre nom du dieu Hönir que cite Snorri (Skáldskaparmál, 15). Cette divinité s’avère par ailleurs fort obscure. Cependant le substantif aurr signifie le plus souvent « sable », « boue » et non richesse. Mais n’oublions pas que l’or peut être trouvé dans le sable ou la boue des rivières grâce à l’orpaillage. D’ailleurs l’étymologie de nombreux cours d’eau, ne serait-ce qu’en France, pourrait renvoyer à cette activité : ainsi l’Arroux, affluent de la Loire en Bourgogne, dont le nom serait dérivé du latin arena = le sable lui-même à rapprocher du norrois aurr. De nombreuses sources anciennes mentionnent en effet la présence de métal jaune dans cette rivière, au bord de laquelle, on rencontre parfois, aujourd’hui encore, des orpailleurs. L’on a d’ailleurs de fortes présomptions que la découverte du métal jaune, à la fin du Néolithique, ait eu lieu au bord des cours d’eau dans les alluvions, en particulier en Irlande. 223 Ces trois substantifs ont encore un point commun ; en effet, ils sont accentués sur la première syllabe : ‘aurinko, ‘auksas, ‘aurum.

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briller (*aves) luire, étinceler, verbes qui peuvent tout aussi bien s’appliquer à l’astre diurne. Compte tenu de l’importance des liens qui unissent étroitement le cheval et les deux astres, en particulier le soleil, à l’âge du bronze scandinave, voire plus tard, il faut envisager la possibilité d’un tel rapport dès l’apparition du quadrupède en Scandinavie du sud, à l’extrême fin du Néolithique tardif (entre 2000cal et 1800cal av. J.-C.). Certes, aucune preuve archéologique ou iconographique directe ne permet jusqu’à présent d’étayer cette hypothèse. Néanmoins la découverte d’un tel animal sacrifié qui date de cette période224 permet d’en conclure à l’importance religieuse du cheval autour de 2000cal av. J.-C. Or on sait que l’immolation d’un étalon faisait partie des rites les plus importants de la religion védique. L’açvamedha, c’est-à-dire le sacrifice (medha) d’un cheval (açva) était précédé, un an auparavant de la mise en liberté totale de l’équidé. Celui-ci avait dès lors le droit de s’ébattre sans contrainte. Après sa mise à mort, on procédait à l’ablation de son pénis, source d’élan vital et de fertilitéfécondité. Le membre était ensuite placé dans le sein de l’épouse du souverain, ceci devant garantir la prospérité et la fécondité de la lignée du roi et de son royaume. La littérature norroise médiévale rapporte une pratique courante : dans le « Fláteyjarbók » qui contient la “Olafs saga hins helga”, le passage intitulé : “Vwlsa þáttr” raconte qu’une famille de paysans conserve les parties génitales d’un cheval tué dans leur ferme. Ils les appellent Vwlsi (= pénis) et les font circuler tous les soirs en récitant une strophe qui se termine par ce refrain : þiggi Mwrnir (Maurnir) þetta blwti (Prend Mwrnir [autre mot désignant le pénis] ce sacrifice). Dans tous les cas on constate un lien très net entre le cheval et la fertilitéfécondité. D’autre part, dans la mythologie védique, le Soleil est représenté comme un cheval blanc qui conduit l’Aurore. Le Rigveda nomme le Soleil « étalon ». On pourrait avancer ici l’hypothèse d’un lien entre « la » Soleil, « le » Lune225 et le cheval dès la dernière phase du Néolithique tardif. Viennent à l’appui de celle-ci le très abondant matériel iconographique (entre autre : pétroglyphes et rasoirs en bronze) et archéologique de l’âge du bronze en 224

En 1900 on a exhumé dans le ruisseau Ullstorp (paroisse de Kverrestad en Scanie) le crâne d’un cheval dans lequel était fiché un poignard en silex. Celui-ci datait du Néolithique récent. Et Jan de Vries de conclure dans son ouvrage « Altgermanische Religionsgeschichte » (tome 1, 1956, p. 96) : « Ici on peut penser à un sacrifice » cité par Åke V. Ström, op. cit., p. 62, cf. J. Gunnar Andersson “Ett bidrag tillkännedomen om hästens förekomst i Sverige under stenåldern”, dans la revue “Ymer”, tome 21, 1901, p. 91, ici p. 82. 225 Rappelons ici que dans pratiquement toutes les langues germaniques, en particulier le norrois ou vieil islandais et l’allemand, le substantif “soleil” est féminin et celui de “lune” masculin.

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Scandinavie et d’autre part les témoignages de l’Edda Poétique (Grímnismál V 37 à 40 et Vafþrúðnismál, Vers 23 et suivants). Mais c’est surtout la découverte en Scandinavie du sud des ossements d’un cheval sacrifié datant de la fin du Néolithique qui constitue en soi la confirmation d’une part du caractère sacré de ce quadrupède et aussi de son rapport, dès cette époque, avec les croyances et rites de la fertilité-fécondité. C

L’iconographie

L’iconographie scandinave de la période considérée comporte déjà nombre de motifs en rapport avec les deux luminaires. Les supports en sont des plus variés : os, ambre, pierre (gravures rupestres). Pour ce qui est du premier matériau, on a découvert dans des sépultures du Néolithique B226 des bracelets en os décorés de motifs solaires : l’espace vide destiné à passer le bras représenterait l’astre tandis que l’anneau luimême est orné de triangles qui figurent les rayons. Rappelons que ce motif se rencontre assez fréquemment sur des « cuillers » en céramique découvertes dans les sépultures mégalithiques danoises et suédoises, notamment dans celle de Grønhøj et de Horsens au Jutland oriental (amt de Vejle) et qui datent du Néolithique moyen A (3300cal à 3000 av. JC227.). D’après l’archéologue danois Klaus Ebbesen, on retrouve des perles d’ambre en forme de croissant lunaire durant tout le Néolithique228, aussi bien au début qu’à la fin. C’est un objet en forme de « nouvelle lune » (croissant lunaire) avec en son centre un trou. Le plus souvent, il s’agissait de boutons, surtout au Danemark où ils se rencontrent munis, la plupart du temps, d’un trou en forme de v229. 226

Entre autre un petit bracelet en os décoré de triangles qui représentent les rayons de l’astre diurne trouvé dans une tombe à couloir avec des haches en silex et encore d’autres objets. Numéro d’inventaire du « Statens Historiska Museum » à Stockholm 13421 : cf. Oscar Montelius : « Minnen från vår forntid », n° 671, a, b. p. 41, partie illustrée et p. 25, partie texte. Cf également dans le présent ouvrage planche 22, fig. 36 - 37. Voir aussi dans la revue “Fornvännen”, 1908, Stockholm, 1909, p. 231 : cf. planche 14, fig. 26 et 27. 227 Cf. Le Néolithique ancien et moyen A (4000 à 2800 av. JC.). 228 Cf. Klaus Ebbesen, “Spätneolithische Schmuckmode”, p. 239 dans : “Acta Archæologica”, vol. 66, 1995, København, 1996, pp. 219 à 279. 229 Ainsi ceux découverts dans les tourbières, l’un dans celle de la ferme Enghavegård, paroisse de Gangløse, à l’ouest de Farum (Nord de la Seeland) et l’autre dans une tourbière près de Fåborg : cf. Klaus Ebbesen, op. cit., p. 239, fig. 22. On en a également retrouvé un exemplaire dans une chambre sépulcrale (hällkista) à Hammarlöv en Scanie (commune de Trelleborg). Celui-ci se trouvait dans le tumulus de Bonhög = cf. Oscar Montelius « Minnen från vår forntid », fig. 656, a, b, p. 41 (partie illustration) et p. 25 (texte) et A. Oldeberg, 1974, fig. 246.

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Peut-être ces boutons cousus aux vêtements avaient-ils une fonction à la fois protectrice et magique à l’instar de l’astre nocturne. Si l’on se penche à présent sur l’iconographie lithique, on constate que quelques dalles du Rogaland (Norvège) possèdent un motif probablement originaire de l’ouest et du sud-ouest de l’Europe (Portugal, Espagne, littoral atlantique, Armorique, Grande Bretagne, Irlande), il se compose de lignes parallèles arquées qui s’ouvrent sur une base horizontale : l’exemple le plus caractéristique de cela se trouve à Skjølingstad230. Ici la base est constituée de bandeaux horizontaux striés en chevrons. Il n’est pas à exclure a priori que cette figure arquée symbolise la Déesse Mère, Maîtresse de la vie et de la mort, du monde végétal et animal. D’ailleurs les contours de celle-ci rappellent les statues menhirs de l’Europe occidentale (France : Rouergue, Languedoc) et méditerranéenne (Provence, Corse, Sardaigne, Italie) approximativement contemporaines et dont on peut estimer avec quelques certitudes qu’elles représentent la Grande Déesse. Ce rapprochement s’avère d’autant plus plausible que le thème en question provient lui aussi de ces parties du Vieux Continent. Sur la stèle de Bagnolo dans le Val Camonica (Ligurie, Italie) il est accompagné de la figure en forme de bésicles qui symbolise les yeux de cette divinité. Mais à Skjølingstad, on note l’absence totale de tout détail susceptible d’évoquer l’être divin suprême231. Une autre plaque lithique du Rogaland, celle de Horne, montre un disque percé en son centre qui plane au-dessus d’un arc constitué de trois droites parallèles qui se coupent à angle droit : il s’agit approximativement du même motif qu’à Skjølingstad mais ici disque solaire et figure arquée forment deux entités, certes proches, mais nettement distinctes. L’identification que l’on croit pouvoir discerner à Skjølingstad, de surcroît fort rare en Europe du nord, n’a pas lieu ici. En outre, la première figure (Skjølingstad) possède en son centre une ligne verticale qui délimite l’arc en deux parties égales : s’agit-il en même temps d’une représentation de l’arbre cosmique dans sa version hivernale, les branches étant toutes dirigées vers le bas, vers l’univers souterrain, la mort. Si tel était le cas, il pourrait s’agir entre autres d’une évocation du couchant. Le motif de la double volute s’inscrit dans la lignée de celui qui représente deux yeux en forme de soleil et / ou de lune que l’on trouve sur cer230

Cf. Eva Nissen Fett ; Per Fett. “West Norway Western Europe in Petroglyphes”, in : “N.A.R.” (“Norwegian Archæological Review”), 1979, vol. 12, fasc. 12, p. 70, fig. 8. 231 Tout au plus la forme courbée des lignes qui peut rappeler la chevelure. Il importe de souligner ici le rapport qui devait exister entre cette partie du corps et les rayons solaires ; il persistera jusqu’à l’âge du fer : ainsi le décor héliaque des peignes de l’âge du fer romain et le nom du verrat sacré de Freyja : Gullinborsti (Crin d’or).

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taines céramiques de la Culture des Vases en Entonnoir232. Datant peut-être du Néolithique moyen B, il constitue l’un des principaux thèmes de l’iconographie scandinave durant la préhistoire. Un certain nombre de pétroglyphes de la côte ouest norvégienne233 le reproduisent et on le retrouve également dans les Iles Britanniques234. Cependant ce qui différencie la double volute du motif des yeux, c’est l’élément dynamique, matérialisé par la circonvolution : outre, l’éternel recommencement, il symbolise le mouvement, le déplacement. Ceci est peutêtre à mettre en rapport avec l’introduction de la roue, et les témoignages archéologiques de l’impact qu’a pu exercer ce nouveau mode de locomotion sur les mentalités et les croyances ne manquent pas, on vient de le voir. Le thème iconographique de la roue à rayons cruciformes apparaît dès le Néolithique récent sur les pétroglyphes scandinaves : c’est le cas sur le rocher appelé Helgaberget235 dans la commune de Støle au Hordaland (Ouest de la Norvège). Il y apparaît en association avec des cupules mais surtout avec le motif du cercle à rayons concentriques dont le centre est occupé par un trou (cupule) et par la spirale. Il est fort probable que la roue à rayons représente la roue solaire et son déplacement à travers le ciel durant le jour. Elle serait donc d’abord l’expression de la course elle-même de l’astre et ensuite de son rayonnement. On rencontre le cercle à rayons concentriques sur l’Helgaberg (un exemplaire) et à Ausevik. Il comporte généralement trois cercles concentriques avec, au centre, un trou (habituellement une cupule). Il représenterait lui aussi l’astre diurne, mais plutôt sous son aspect statique : à la fois dispensateur de lumière de chaleur et de vie, et par la succession de cercles concentriques, ce que l’on est convenu d’appeler un perpetuum mobile, éternel recommencement. La spirale, qui remonte au Paléolithique supérieur (35000 à 10000 av. J.C.) apparaît déjà sur les parois des grottes franco-cantabriques. Elle symboliserait le cycle lunaire et le lien avec le monde chtonien (rapport avec le serpent enroulé !)

232

Cf. partie précédente « Le Néolithique ancien et moyen A (4000cal à 2800cal av. JC.) », chap. III B. 233 Ainsi à Etne au Hordaland, Flote (Hordaland) : cf. Eva Nissen-Fett et Per Fett “Relations West-Norway – Western Europe Documented in Petroglyphs” dans : “Norwegian Archælogical Review”, volume 12, fascicule 2, Oslo, 1979, pp. 64 à 107 ; ici p. 79. 234 Cf. Eva Nissen-Fett et Per Fett, op. cit., p. 79, p. 85 (fig. 33 ) et 86 (p. 87, fig. 34). 235 Ce motif se retrouve en Bretagne à Gavrinis : cf. Eva Nissen-Fett et Per Fett, p. 76.

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Absent sur le rocher d’Helgaberg, il s’avère être l’un des thèmes les plus fréquents à Ausevik236 (Norvège occidentale). Peut-être représente-t-il le pendant de la roue solaire. Tout ceci forme un ensemble cohérent, sans doute lié à des mythes dont l’Edda nous transmet quelques souvenirs. Le Soleil et la Lune y occupent une place remarquable, tous deux conçus non plus seulement comme les yeux de la Puissance Divine, Maîtresse de la vie et de la mort, mais comme deux roues qui se relaient dans le ciel et commandent ainsi par leur course le perpétuel renouvellement du cosmos. On peut bien sûr se demander si, dès la fin du Néolithique, il existait la représentation des deux luminaires tractés chacun par un animal. Et dans ce cas celui-ci était-il déjà un cheval ? On sait que ce dernier fut introduit en Scandinavie du sud vers la fin du Néolithique tardif (entre 2000 et 1800 av. J.-C.) probablement à la suite de contacts avec les populations d’Europe centrale (Allemagne, régions danubiennes, Bohème, Carpates). On peut donc estimer comme très probable l’existence, dès cette période, de mythes solaires et lunaires qui décrivaient le déplacement céleste des deux luminaires tirés par des chevaux (ou des cerfs comme le suggère un certain nombre de pétroglyphes suédois237). Serait-on dès la fin du Néolithique en présence de mythes et croyances que l’on considère comme typiques de l’âge du bronze ? Y aurait-il eu dans ces conditions, des processions rituelles avec des chars qui tiraient des disques d’or ou d’argent représentant les deux luminaires ? C’est de l’ordre de la possibilité mais aucune découverte archéologique datant de cette époque ne vient confirmer ou infirmer cette hypothèse qui donc, pour l’instant, doit demeurer comme telle.

Chapitre VI Conclusion Les faits archéologiques précédemment énoncés permettent de confirmer la forte probabilité de croyances solaires et lunaires durant la phase finale du Néolithique238. Les lieux de dépôts d’objets qui peuvent faire référence aux deux luminaires étant soit des sépultures, soit des lieux aquatiques ou souterrains, on est conduit à pencher en faveur d’un lien avec le monde chtonien, et, par là-même, avec la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort. 236

Cf. fig. 12, p. 72, dans l’article précité d’Eva Nissen-Fett et Per Fett. Voir infra : « L’âge du bronze récent », Chap. IV B. 238 Thèse déjà avancée pour la phase précédente (« Néolithique ancien et moyen A, 4000cal à 2300cal av. J.C. »).

237

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En cela, la deuxième partie du Néolithique (Néolithique moyen B et récent 2800 à 1800 av. J.C.) ne diffère pas de la première. Malgré les changements socio-économiques dont il vient d’être question, on peut donc en conclure d’abord à une continuité dans les croyances héliaques et séléniques. Continuité qui s’exprime aussi dans la même précision avec laquelle on détermine l’orientation des sépultures, et même des habitations, que celle qui avait présidé à l’érection des monuments mégalithiques. L’absence d’application concrète constatée précédemment239 permet d’en conclure ici que ce sont des mobiles d’origine spirituelle, religieuse240 qui ont conduit les habitants de la Scandinavie méridionale d’alors à se livrer à des calculs d’une telle précision et d’une telle complexité241. Que lors de ces investigations, les deux luminaires en question n’aient pas seulement été l’objet d’observation mais aussi de vénération en tant que manifestation céleste des puissances divines apparaît dès lors comme fort probable. Cependant si les bouleversements socio-économiques et technologiques242 n’en ont, tout d’abord, pas ébranlé les fondements mêmes, ils vont progressivement contribuer à renforcer la part de l’élément masculin dans le couple primordial. En effet, le rôle accru des armes qui rehaussent le prestige social de leur propriétaire et, par dessus tout, l’arrivée de la métallurgie ont considérablement favorisé le rôle de l’homme. Ceci se produisit dans une société marquée de plus en plus par une idéologie belliciste où domine le dynamisme de l’élan vital symbolisé par les épées243, les lances. Dans ces conditions, le partenaire de la Puissance Divine, Maîtresse de la vie et de la mort, a dû voir sa fonction considérablement grandir. Il est probable que ce ne sont plus seulement la pluie et le tonnerre mais aussi le ciel tout entier qui deviennent son domaine. S’il en était ainsi, le Soleil et la Lune lui auraient été étroitement associés au même titre qu’à sa parèdre. Mais en l’état actuel des connaissances, il n’est guère possible de préciser davantage le rapport entre les deux luminaires et l’élément masculin du couple primordial. Peutêtre est-ce à la fin du Néolithique qu’apparaît le mythe des jumeaux divins dont le lien avec les deux astres et le culte sont bien attestés pour l’âge du bronze et du fer. D’autre part, un certain nombre de faits archéologiques éclairés par la littérature norroise et l’ethnographie, tels que l’orientation généralisée des habitations (et non plus seulement des tombes, quand bien même il faut en 239

Cf. supra. Cf. l’article d’E. Guthnick, op. cit., p. 75. 241 En ce qui concerne ces calculs : cf. l’article précité d’Ernst Guthnick, pp. 65 à 71. 242 Bien que le labourage devienne, avec l’introduction de l’araire, un travail essentiellement masculin, c’est une divinité féminine qui continue de présider à cette tâche, laquelle était confiée auparavant (Néolithique ancien) aux femmes. 243 A l’appui de cela, la quasi-omniprésence des dépôts votifs et sépulcraux d’armes : haches, épées, constatée par l’archéologie. 240

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souligner la remarquable récurrence), le lien étroit avec les activités socioéconomiques (labour, fabrication des produits laitiers, fonte des métaux) permettent d’en conclure à une présence accrue du soleil et de la lune, non seulement dans les conceptions religieuses, mais aussi dans l’univers mental et la vie quotidienne des populations de Scandinavie entre 2800 et 1800 av. J.-C. En outre, on peut estimer comme probable la formation d’un certain nombre de mythes et croyances solaires et lunaires liés à des innovations telles que la roue, la charrue, l’élevage laitier et la fonte des métaux. Certes, les preuves archéologiques et philologiques peuvent parfois s’avérer encore très minces. Toutefois, si l’on garde à l’esprit que nombre de ces croyances sont attestés dès l’âge de bronze, la possibilité d’un hiatus entre l’apparition des innovations en question (entre 2800 et 2300 av. J.-C.) et le début de l’âge des métaux en Scandinavie (aux alentours de 2000 av. J.-C.) paraît pour le moins improbable.

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TROISIEME PARTIE L’AGE DU BRONZE (1800 à 500 av. J.-C.)

Yahvé, le Seigneur est le soleil et bouclier. Il dispense grâce et gloire Psaume 84 (83)

I

L’âge du bronze ancien (1800 à 1100 av. J.-C.)

Gott kommt von Teman her, der Heilige kommt vom Gebirge Paran. Seine Hoheit überstrahlt den Himmel, sein Ruhm erfüllt die Erde. Er leuchtet wie das Licht der Sonne, / Ein Kranz von Strahlen umgibt ihn, in ihnen verbirgt sich seine Macht. (…)

ANCIEN TESTAMENT : HABAKUK (vers 600 Av. J.-C.) 3, 2-4. 13 a. 15-19

Chapitre I

Généralités : le cadre naturel

Les recherches de ces trente dernières années ont permis de modifier notablement l’image quelque peu idyllique forgée par l’archéologie nordique de la première moitié du XXe siècle244 et qui eut cours jusqu’au début des années soixante-dix. Certes, le climat est relativement chaud et sec : en moyenne, les températures estivales sont plus élevées qu’aujourd’hui, favorisant ainsi la culture des céréales (blé, seigle, avoine). Cependant, il est bien moins stable qu’on le croyait encore il y a quelques décennies : les courbes de température connaissent en effet des variations parfois notables : les dernières études menées à partir du pollen qui provient des tourbières ont permis de constater des variations cycliques du climat avec un laps de temps d’environ 260 ans entre chaque changement245. A intervalles réguliers se produit soit une baisse de la température, soit le temps devient nettement plus humide, parfois aussi les deux phénomènes se conjuguent. De telles modifications sont intervenues à plusieurs reprises au cours de l’âge du bronze ancien ou récent. Mais, ainsi que l’indique l’épaisseur des couches polliniques dans les tourbières, on peut admettre que ces périodes ont été relativement courtes. En tout cas, rien n’indique qu’elles aient eu des incidences néfastes ou durables sur l’agriculture d’alors. Au sud de la Scandinavie (Danemark, Scanie), les paysages sont marqués par l’alternance de forêts, tantôt discontinues et clairsemées non loin des littoraux, tantôt épaisses et continues à l’intérieur des terres, de pâturages et de surfaces cultivées plus ou moins importantes246. Par endroits, au sud-ouest du Jutland notamment, les landes occupent une place importante, ainsi que les zones marécageuses et lacustres. Au centre et au nord, c’est-à-dire à partir du 61e parallèle environ, l’eau (lacs, fjords, rivières) et la forêt se disputent la prépondérance dans un paysage encore fort peu humanisé où la chasse, la pêche et la cueillette demeureront encore longtemps le mode de subsistance principal.

244

Ainsi l’auteur danois Martin A. Hansen va jusqu’à employer le terme de “Solens folk” pour désigner les Scandinaves de l’âge du bronze : cf. Jørgen Jensen : « I begyndelsen : fra de aeldste tider til ca. 200 f. Kr », tome 1 de Gyldendals Politikens « Danmarks Historie », p. 225, København, 1988. 245 Cf. Jørgen Jensen, op. cit., p. 226. 246 30 à 40% du territoire danois paraissent avoir été alors exploités à des fins agricoles.

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Chapitre II L’organisation politique et socio-économique au sud et au centre de la Scandinavie A

La période I A (entre 1800 et 1650 av. J.-C.)

Avant d’atteindre, autour de 1600 av. J.-C., le régime politique et socioéconomique qui sera décrit ensuite, la société scandinave a dû passer par une phase transitoire d’environ deux cents ans entre 1800 et 1600 av. J.-C.. En s’appuyant sur les dépôts de métaux, on constate que, durant cette période, les objets métalliques (bronze, or) sont essentiellement déposés dans les champs ou les lieux aquatiques (marais, lacs, rivières). On trouve encore très peu de tombes individuelles pourvues d’un tel mobilier funéraire247. Il semblerait que la société scandinave, alors en pleine transformation, ait été contrôlée par des oligarchies, grandes familles ou clans et non par des individus248. Le fait que les trésors de métaux aient été cachés dans des lieux sacrés souvent aquatiques (marais) et non déposés dans des tombes individuelles permet de penser que les puissances divines tutélaires du groupe (tribu ou clan) étaient en réalité les véritables instances dirigeantes, les oligarchies n’étant que leurs représentants ici-bas249. B

Les périodes I B, II et III (entre 1600 et 1100 av. J.C.)

Tant la richesse que le nombre relativement élevé des sépultures datant des périodes I B et II de l’âge du bronze ancien, non seulement au Danemark, mais aussi en Suède et en Norvège permettent d’entrevoir ce que fut l’ordre social de cette période au sud et au centre de la Scandinavie. Les rites funéraires et le luxe de certaines tombes sont alors incontestablement l’expression d’un type de société qui va dominer une bonne partie du deuxième millénaire av. J.-C.. Il est tout d’abord symptomatique que l’on n’a pas, jusqu’à présent, trouvé de cimetières ou de tombes isolées où sont enterrés des individus des couches inférieures de la société. Autrement dit, seule une part infime de la population a droit à une sépulture durable et une portion encore bien moindre à un riche mobilier funéraire. A l’intérieur de 247

Cf. Helle Vandkilde “The Earliest Metalwork” dans « Digging into the Past », op. cit., p. 149 (article : pp. 145 à 151) et Jørgen Jensen “Metal Deposits”, idem, p. 155 (article pp. 152 à 158). 248 Cf. Helle Vandkilde, op. cit., p. 147, qui parle de « group-oriented hierarchy ». 249 Ce sont ces oligarchies qui, au départ, auraient contrôlé l’importation, la distribution, voire la fabrication des objets de bronze (haches, épées…) destinés, en dernier ressort, aux puissances divines, auxquelles on les offrait en les enterrant dans des caches ou en les immergeant dans des lieux aquatiques.

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cette dernière catégorie, on a pu démontrer que les tombes qui contiennent une grande quantité de bronze présente aussi le plus grand nombre d’objets en or ; tandis qu’un nombre plus élevé de sépultures révèlent un mobilier plus modeste250. De lourdes épées, des lances, des sièges pliants, certains bijoux (bracelets d’or) des coupes à boire et surtout de petits disques bombés, tous ces objets forgés ou façonnés dans le même métal, le bronze, s’avèrent donc bien être les symboles d’un pouvoir politique exercé par un petit nombre issu d’une classe aristocratique qui domine la société d’alors en Scandinavie du sud et du centre. Cette catégorie sociale à vocation guerrière, ainsi que le montrent bien ses attributs, remonte comme on l’a vu précédemment251 au milieu du troisième millénaire, époque où apparaissent les inhumations individuelles. Quels renseignements supplémentaires peut encore apporter le mobilier funéraire autre que celui à caractère militaire ? C’est dans des sépultures qui remontent aux environs de 1400 av. J.-C., particulièrement riches, que l’on peut trouver un commencement de réponse. Ainsi a-t-on découvert dans la ceinture d’un homme inhumé sous un tertre funéraire à Hvidegård près de Lyngby, à quelque distance de Copenhague une bourse de cuir finement ouvragée. Elle contenait, outre un rasoir et des pincettes, ce qui ressemble fortement à l’attirail d’un sorcier : c’est peut-être l’indice d’une fonction sacerdotale qui venait s’ajouter à la fonction militaire. Les traces de coups fréquemment repérés sur les lames des épées prouvent qu’il ne s’agissait pas seulement d’armes d’apparat mais qu’elles avaient été effectivement utilisées au combat. Tous ces faits montrent de façon éloquente que la société scandinave du bronze ancien était dominée par une classe aristocratique et guerrière d’où étaient issus un certain nombre de chefs aux fonctions à la fois militaires, administratives et sacerdotales. Ceux-ci devaient régner sur des territoires aux frontières sans doute bien définies et marquées par des obstacles naturels (sommet d’une hauteur, rivière, lac ou fjord, forêt) peut-être placés sous la protection tutélaire d’une puissance divine. Ce système de gouvernement appelé « chefferie » était alors très répandu en Europe Centrale et Occidentale. Par ailleurs, ces chefs détenaient un pouvoir économique étendu. Ils devaient posséder des terres et des ateliers de fonderie du bronze : ainsi que cela a déjà été mentionné auparavant, la circulation et le travail des métaux, 250

Cf. Jørgen Jensen « I begyndelsen… », op. cit., p. 259. Ce n’est pas seulement le cas au Danemark (Jutland du Nord, Seeland) mais aussi dans l’ouest de la Norvège où, en particulier durant la période II, la concentration d’objets de bronze reflète l’existence de centres de redistribution. Ceux-ci « ventilaient » les armes et autres artéfacts de bronze vers d’autres territoires où les chefs étaient soit des parents, soit des alliées (cf. Flemming Kaul « Ships on Bronze… », op. cit., p. 82).

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comme le bronze et l’or, requièrent une organisation poussée, seule capable de pourvoir à la subsistance de toute une catégorie de spécialistes. Au cours du deuxième millénaire, émergèrent ainsi des centres éphémères dominés par des clans ou des familles, véritables dynasties, dont les chefs accumulaient des richesses puis les redistribuaient, non seulement à l’intérieur de leur chefferie, mais au-delà, en pratiquant le troc ou l’échange de cadeaux avec les chefs des régions voisines. Mais surtout, ils contrôlaient le va-etvient des marchandises échangées. En somme, la Scandinavie de cette époque aurait connu un système politique et socio-économique rappelant, par bien des côtés, celui qui avait cours à la même époque dans les pays du bassin méditerranéen oriental : Crète et Grèce Mycénienne où les centres palatiaux de Cnossos, Phaïstos, Malia et Zakros, Pylos et Mycènes centralisaient les ressources agricoles et artisanales pour ensuite les redistribuer. L’une des marques les plus visibles de ce système politico-économique est sans nul doute la présence des tertres funéraires, d’ailleurs fréquemment liés aux concentrations de pétroglyphes252 dans toute la Scandinavie méridionale et centrale de cette période (1600 à 1300 av. J.-C.). En effet, l’une des raisons premières qui présidait non seulement à l’érection des tombeaux, mais aussi et surtout à la gravure des pétroglyphes était bien de marquer l’emprise d’un chef et de sa famille sur le territoire qui lui était soumis : il en était ainsi, aussi bien au Trøndelag (autour du Fjord de Trondheim), au Sunnmøre ou à l’extrémité du Romsdal en Norvège, qu’en Scanie, en Seeland ou au Jutland, autrement dit partout où la terre était suffisamment fertile pour favoriser l’installation depuis le Néolithique d’une paysannerie nombreuse et active.

Chapitre III Les échanges entre la Scandinavie et le reste de l’Europe, leurs implications sociologiques et religieuses De la Scandinavie aux Alpes, partout en Europe règne une société tribale fortement inégalitaire et hiérarchisée. Il en résulte une certaine unité sociale à travers tout le continent mais en même temps chaque tribu s’appliquait à souligner ses particularismes non seulement religieux et politiques mais aussi sociaux et culturels (costumes, habitations, céramiques, bijoux). Ainsi s’affirmaient des différences importantes, non seulement entre groupes ethniques distincts, mais aussi à l’intérieur même de ce que l’on est convenu d’appeler le « Cercle Culturel Nordique »253. 252 Cf. l’article d’Ulf Bertilsson in : « Hällristningar och hällmålningar I Sverige », 2ème édition, Stockholm, Bokförlaget Forum, 1989, p. 29. 253 Expression traduite de l’allemand : « Nordischer Kulturkreis ».

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Mais cela n’empêchait nullement les échanges entre tribus ou groupes ethniques différents. Les trouvailles archéologiques permettent, ici encore, de reconstituer la nature de ce type d’échange qui allait bien au-delà du simple troc de marchandises. Ainsi a-t-on exhumé dans une tombe féminine près de Smidstrup en Seeland du sud une fibule surmontée d’une roue à rayons qui évoquait, par sa forme, le soleil. Or ce type de fibule est très courant dans les sépultures féminines de la région de Lunebourg en Allemagne du Nord (Basse-Saxe) où elle était en usage254 : on est ici en présence d’un échange non seulement d’objets mais probablement aussi de personnes entre deux groupes ethniques différents. Cette interprétation, pour hardie qu’elle soit, a le mérite de soulever la question du mode des échanges durant le second millénaire av. J.-C.. Ainsi que cela a déjà été souligné à propos des époques précédentes (Mésolithique, Néolithique255), il ne peut être question de relations commerciales au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Dans un type d’économie autre que le nôtre (économie de marché) un acte tel que le troc de marchandises s’avère toujours être l’expression d’une relation humaine ou sociale sous-jacente : il implique des rapports sociaux tels que l’amitié et la parenté mais aussi d’ordre politique et surtout religieux. Ce genre d’échanges relève donc de la sociologie et de l’ethnologie davantage que de l’économie pure. Pour reprendre l’exemple précédent : l’échange de jeunes filles nubiles créait toute une série de liens, à la fois humains (parenté…) et matériels (troc de matières premières, bronze, or, ambre ou d’objets). Le fait le plus marquant ici est donc cette implication éminemment symbolique, toujours au nom de ce principe qui va régir toute la vie en Scandinavie, au moins jusqu’à l’introduction du christianisme et même bien au-delà, à savoir l’absence de limites entre le sacré et le profane. Dans ces conditions, les échanges entre tribus ou ethnies différentes avaient pratiquement toujours pour origine un phénomène de société tel que des noces, la mort ou la naissance d’un être, la conclusion d’un traité, le paiement d’un tribut ou la conclusion d’une alliance politique. C’est pourquoi l’ethnologie peut apporter ici quelques lumières : on a constaté en effet, entre peuples ignorant l’économie de marché, le troc de marchandises qui ne revêtent pas un caractère utilitaire, tels que les colifichets, les amulettes, les 254

Cf. Jørgen Jensen, « I begyndelsen », op. cit., pp. 263 et 264. La région de Lunebourg formait alors le centre d’un groupe culturel (« Lüneburger Gruppe ») qui faisait partie d’un plus grand ensemble, celui de « La Culture des Tertres Funéraires » (Hügelgräber-Kultur en allemand). Or le soleil occupait une place centrale dans les croyances de cette civilisation : cf. Ernst Probst : « Deutschland in der Bronzezeit. Bauern, Bronzegießer und Burgherren zwischen Nordsee und Alpen. », München, Orbis Verlag, 1999, p. 181. 255 Voir à propos des échanges et circulations du Néolithique à l’âge du bronze, l’ouvrage publié sous la direction de Jean Guilaine « Matériaux, productions, circulations du Néolithique à l’âge du bronze », Editions Errance, Collection Hespérides dans : Séminaires au Collège de France, Paris, 2002.

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bijoux… A l’âge du bronze ancien, c’était également le cas : tant le bronze que l’ambre et l’or entraient dans la confection d’objets de luxe ou de prestige à caractère religieux ou symbolique. Car l’on sait par l’archéologie que les outils et ustensiles de la vie courante continuaient à être confectionnés en silex ou en bois. L’échange de métaux ou d’ambre ne s’avérait donc pas indispensable à l’existence quotidienne et à la subsistance des partenaires commerciaux. Il revêtait ainsi un aspect éminemment symbolique et religieux. Il liait, tel un traité de nos jours, des partenaires parfois séparés par des distances assez considérables, créant ainsi un tissu de relations très étroites qui impliquaient autant les échanges humains et spirituels que matériels. De la sorte, on assiste à l’âge du bronze ancien à une expansion considérable de relations commerciales à travers l’Europe et ce, en dépit des distances et des obstacles à franchir. C’est ainsi que l’ambre nordique se retrouve, dans certains cas, en des contrées fort éloignées, telles que la Grèce mycénienne et inversement, on rencontre dans les tombes scandinaves des objets en provenance des régions danubiennes ou des Carpates. Mais il faut bien se garder de croire qu’il existait alors des commerçants qui assuraient le transport de ces marchandises. C’est là une vision moderne. Ici, il conviendrait plutôt de parler d’un vaste système, d’ailleurs fort complexe, d’engagements réciproques entre chefferies qui, de loin en loin, permettait aux produits métallurgiques ou de luxe, et par là aux idées, aux mythes de franchir de grandes distances. Grâce à cela, les élites entretenaient des relations qui pouvaient être fort étroites et dont le caractère symbolique, religieux et même mythique ne fait guère de doute. Ainsi les fibules à roues solaires du groupe de Lunebourg importées dans le sud du Danemark constituent un exemple révélateur de ce genre de relations : avec ces bijoux, vraisemblablement portés par des femmes originaires de ce groupe ethnique, le thème iconographique de la roue solaire, connu en Scandinavie dès le Néolithique récent (par exemple sur le rocher de Helgaberget, Hordaland, Norvège Occidentale) mais alors limité, semble-t-il, au seul domaine rupestre, fait son entrée dans la vie quotidienne des femmes. Par là même, c’est aussi tout un symbolisme, peut-être quelque peu différent de celui qui prévalait jusque là, qui a pu influencer certaines croyances nordiques en ce domaine précis256. En outre, le rapport entre le soleil257, l’élément féminin et la fertilité-fécondité apparaît clairement dans ce type de fibule réservée aux épouses. 256

Et qui plus est, ce genre de contacts fait apparaître une certaine communauté dans les conceptions religieuses (entre les Nordiques et leurs voisins au moins immédiats) laquelle a d’ailleurs pu précéder les relations en question. 257 Celui-ci paraît avoir été la divinité suprême dans la religion du Groupe de Lunebourg comme d’ailleurs dans celle de la culture des tertres funéraires (Hügelgräberkultur). Cf. à ce propos: Ernst Probst : « Deutschland in der Bronzezeit. Bauern, Bronzegießer und Burgherren zwischen Nordsee und Alpen. », München, Orbis-Verlag, 1999, pp. 181 et 193.

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Chapitre IV La culture matérielle A L’importance du bateau dans la civilisation nordique de l’âge du bronze ancien Durant tout le Néolithique, le bateau n’a cessé de jouer un rôle croissant, non seulement dans les activités, traditionnelles depuis le Mésolithique, telles que la pêche et la chasse aux mammifères marins, mais surtout dans des domaines pratiquement nouveaux tels que le transport des marchandises : par exemple celui du silex et de l’ambre entre le Jutland du nord et la côte ouest de la Suède (Halland, Bohuslän) et surtout de la Norvège (Østfold, Vestfold, Agder et Rogaland, Hordaland). Mais ce n’est qu’à la fin de cette période que les Scandinaves éprouvent le besoin de représenter le bateau sur les rochers, tendance qui va s’accentuer considérablement durant l’âge du bronze ancien. En effet, ce moyen de transport si typiquement nordique semble devenir alors omniprésent : il apparaît aussi bien dans l’art rupestre où il occupe la deuxième place258 que sur les armes (lame d’épée de Rørby, Seeland occidentale259). Et il n’est pas jusqu’à la forme même des objets quotidiens (tels que les rasoirs ou les maisons) qui n’épouse pas celle des bateaux260. Celui-ci devient alors « le » thème iconographique majeur de l’art nordique. Ce phénomène traduit indiscutablement un état de fait, non seulement économique mais aussi et surtout civilisationnel : il ne fait aucun doute que ce véhicule occupe alors dans la vie des populations nordiques une place semblable, toute proportion gardée, à celle de l’automobile dans nos sociétés modernes. Quel est alors le facteur qui a permis un tel essor, perceptible dès 2100 / 2000 av. J.-C., c’est-à-dire à l’extrême fin du Néolithique ? Très certainement le transport non seulement des objets métalliques, mais aussi et 258

La première revient aux cupules, de très loin majoritaires, quelle que soit la région considérée au Danemark, en Suède ou en Norvège. Loin derrière, le bateau qui représente 16,6%, soit 7947 glyphes au Bohuslän, 5,6%, 1653 au Uppland, 8,6%, 1393 en Ostrogothnie : Statistiques provenant de l’article de Ulf Bertilsson “Hällristningar och bygden” dans l’ouvrage collectif : « Hällristningar och hällmålningar i Sverige », Stockholm, Bokförlaget Forum, 1989, p. 39, op.cit. 259 L’épée en question s’avère présenter également la forme d’un bateau ! Cf. Flemming Kaul : « Ships on bronzes. A Study in Bronze Age religion and iconography. », København, Publications from the National Museum of Denmark, 1998, p. 85. 260 A Voldtofte au Danemark, des fragments de murs en torchis ont révélé que les maisons d’alors étaient soigneusement blanchies à la chaux et décorées de boucles à spirales qui ont pu représenter l’étrave de navires ainsi peints sur les murs de ces habitations : cf. Flemming Kaul, « Ships on Bronzes : A Study on Bronze Age Religion and Iconography », Copenhagen, Publication from the National Museum. Studies in Archaeology and History. København, 1998, vol 3, fascicule 1, p. 59. Ceci tendrait à faire croire que les populations de l’âge de bronze considéraient leurs maisons comme des navires.

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surtout des minerais : étain, cuivre261. Lorsque l’on sait le rôle joué par les métaux dans l’apparition de centres locaux de pouvoir, de chefferies, on comprend mieux le degré nouveau d’importance atteint par la navigation à cette époque. En effet, c’est grâce à celle-ci que ces richesses nouvelles, instruments de pouvoir et de prestige, parviennent jusqu’aux potentats locaux qui en monopolisent la circulation, la transformation et la redistribution par le biais d’un système d’échanges fondé sur des engagements réciproques entre chefferies et qui implique l’échange de cadeaux. Il n’est dès lors pas étonnant que le navire soit très vite associé à l’idée de pouvoir. Et, toujours au nom de cette union intime entre le sacré et le profane qui caractérise toutes les civilisations de la préhistoire, il n’est pas non plus surprenant que ce moyen de transport prenne immédiatement une connotation aussi bien religieuse et spirituelle que temporelle262. Les chefs locaux nordiques devaient alors se considérer comme les représentants terrestres des puissances divines. De là à ce que leurs attributs : haches, épées, chevaux, chars, et navires fussent eux aussi, en tant que symboles de leur pouvoir, d’essence divine, il n’y avait qu’un pas. La dimension religieuse du bateau, même si on commence à l’entrevoir dès le Mésolithique263, apparaît alors pleinement et connaîtra son apogée durant l’âge du bronze récent (1100 à 500 av. J.-C.). Aussi est-ce de cette époque (fin du Néolithique, début de l’âge du bronze, 2000 à 1600 av. J.-C.) que l’on peut dater, selon toute vraisemblance, les mythes qui associent le bateau au soleil et à la lune. B

Le char à deux roues tiré par des chevaux

C’est durant les premiers siècles de l’âge du bronze qu’apparaît un autre véhicule, lui aussi symbole de pouvoir, et dont la connotation religieuse et mythique s’avérera également très forte : le char à deux roues tiré par des 261

En effet la plus grande partie de ces minerais qui entrent dans la composition du bronze étaient alors extraite dans les mines situées en Irlande et en Angleterre. 262 Ainsi l’hypothèse émise par l’archéologue danois Flemming Kaul dans un article intitulé « Ships on bronzes. The ship as a symbol in Prehistoric and Medieval Scandinavia » (Crumlin-Pedersen, O and Thye, M. B. Redacteur), Copenhagen. Studies in Archaeology and History. Tome 1, 1995, p. 64 et suiv. Cf. Artelius T. « Långfärd och återkomst skeppet i bronsåldernsgravar », Kungsbacka, Riksantikvarieämbetet, Arkeologiska Undersökningsskrifter 17, 1996) selon laquelle le bateau aurait été d’abord un symbole politique durant l’âge du bronze ancien et ensuite seulement religieux (pendant le bronze récent) est une conception moderne très éloignée de celles qui avaient très probablement cours alors et qui, rappelons-le encore une fois, n’opérait aucune distinction entre le sacré et le profane. Cf. à ce propos l’article du préhistoiren K. Kristiansen “Chiefdoms, States and Systems of Social Evolution” dans l’ouvrage collectif « Chiefdoms, Power, Economy and Ideology » (Earle T., éditeur), Cambridge, Cambridge University Press, 1991, pp. 16 à 43. 263 Les tombes-bateaux de Møllegabet II au large de la Fionie : cf. première partie : « Le Mésolithique ».

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chevaux. Il provient très vraisemblablement du bassin oriental de la Méditerranée ou d’Asie Mineure ; mais les premiers exemplaires (cadeaux ?) qui parvinrent jusqu’au sud de la Scandinavie étaient peut-être originaires d’Europe Danubienne ou plutôt du Centre de notre continent. En tant que thème iconographique, il apparaît vers 1200 au plus tard sur les dalles de la tombe de Kivik, au même titre que le bateau ou le cheval. On l’y voit tiré par deux chevaux, un aurige en tenant fermement les rênes. A cette époque, il est donc déjà un symbole de pouvoir et de prestige réservé à la classe guerrière et, plus précisément, aux chefs, comme celui inhumé dans cette célèbre sépulture. Quelles ont pu être les fonctions du char, en dehors de son rôle représentatif ? Ici encore, on en est réduit à des conjectures qui s’appuient cependant sur les découvertes archéologiques. Objet de prestige, il est en même temps, et tout comme la hache, l’épée, et le bouclier, une arme de guerre, qui permet aux chefs militaires de se déplacer plus rapidement grâce à son attelage de chevaux, à sa légèreté et à sa grande mobilité. En dehors de ces caractéristiques novatrices, il présente une autre nouveauté, essentielle pour le sujet traité ici : ses roues ne sont plus pleines, comme c’était le cas des chariots hérités du Néolithique mais ajourées et munies de quatre rayons. L’aspect symbolique de celles-ci s’impose sans doute dès leur apparition et on ne tarda pas à les mettre en parallèle avec les deux corps célestes, leur forme, leur rayonnement et surtout leur course. Dès lors, le char était non seulement un véhicule de prestige, expression d’un pouvoir politique et militaire, mais en même temps un objet cultuel, ainsi qu’on le voit à Kivik : encore une fois, le sacré et le profane se confondent au point de ne plus faire qu’un. Ainsi, le char de Kivik renvoie d’une part au prestige, au pouvoir du chef défunt inhumé là, mais aussi au rituel qui consistait précisément à organiser des courses de chars lors de cérémonies funèbres, voire de fêtes religieuses. Mais il faut surtout garder à l’esprit la fonction processionnelle264 de ce type de véhicule hippomobile, laquelle perdurera jusqu’à l’âge du fer265.

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Cf. Le char miniature de Trundholm, mais il s’agit là d’un véhicule à six roues. Cette fonction processionnelle ressort pleinement d’un certain nombre de pétroglyphes, entre autre celui de Backa (paroisse de Brastad, Bohuslän) ou ceux de Franärp (Scanie) datant tous du bronze récent. 265 Cf. Le fameux passage de Tacite sur *NerþuK, confirmé par la découverte du char de Dejbjærg, à la fin du XIXe siècle dernier.

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Chapitre V L’univers mental et les conceptions religieuses des populations du sud et du centre de la Scandinavie à l’âge du bronze ancien A

L’univers mental et société

L’univers mental de l’habitant du sud et du centre de la Scandinavie à l’âge du bronze n’est guère différent de celui des agriculteurs de l’époque précédente. Au centre de son existence, se trouvent les préoccupations liées à la croissance du monde végétal, à l’abondance des récoltes. Sa hantise est la stérilité de la terre, comme celle de sa femme. Aussi, homme de la terre, c’est tout naturellement vers celle-ci qu’il se tourne en premier : ses croyances religieuses, comme celles de l’agriculteur néolithique, seront liées au cycle végétal. Mais si le Scandinave demeure à cette époque essentiellement un homme de la terre, pratiquant peut-être davantage l’élevage que la culture, son univers mental est de plus en plus marqué par l’idéologie des classes dirigeantes. On entrevoit cette évolution dès le Néolithique moyen B. Ainsi que cela a déjà été souligné à maintes reprises, cette tendance va s’accentuer considérablement avec l’introduction des métaux. Les préoccupations de la classe dominante revêtent dès lors un double aspect : d’abord le maintien de l’ordre social et le bon fonctionnement de celui-ci assuré par l’équilibre entre les forces d’ordre et de désordre. Pour garantir ce dernier, il est impératif de se ménager la protection des puissances divines au moyen d’un ensemble de pratiques religieuses. Celles-ci se déroulent au rythme des saisons, selon le cycle vital (naissance – vie – mort – renaissance). Ces pratiques se révèlent donc être d’une importance vitale pour la société d’alors : d’où leur place éminente. Et c’est à la classe dirigeante qu’incombe précisément le maintien de tout ce rituel. ensuite, l’acquisition et la possession de richesses et d’objets prestigieux destinés à renforcer un pouvoir très vraisemblablement considéré comme divin, mais surtout à s’assurer par des dépôts votifs d’objets précieux (bronze, or) la bienveillance des puissances de l’audelà. D’où la nécessité de se procurer sans cesse plus de richesses, de les thésauriser afin de pouvoir constamment en offrir aux forces divines. Ce besoin quasiment insatiable a dû sans doute encourager une ouverture vers l’extérieur, permettant l’arrivée d’une iconographie et de croyances nouvelles en provenance d’Europe Centrale et Balkanique.

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Cela a dû aussi engendrer des conflits : d’où le caractère belliqueux encore accru de la société nordique d’alors. Ce phénomène va atteindre son apogée lors de la deuxième phase de cette époque (Périodes IV à VI : âge du bronze récent). Il va contribuer à modifier progressivement les conceptions religieuses des populations de Scandinavie. Ce n’est cependant qu’à la période suivante (âge du fer pré-romain) que tous ces changements socioculturels auront un impact réel sur les conceptions et les croyances religieuses. Ces deux préoccupations se révèlent être les axes véritables de la société scandinave de l’âge du bronze. Les hommes de cette époque, considérant l’univers comme un tout indissociable, les intérêts de la classe dirigeante, compris comme ceux de l’ensemble de la société, se confondaient avec la volonté des puissances divines. Et c’est en tant que représentants, médiateurs de l’ordre divin, qu’agissaient les chefs scandinaves d’alors. B Les conceptions religieuses des populations du sud et du centre de la Scandinavie à l’âge du bronze ancien L’archéologie a fourni un nombre important d’objets266 dont l’usage ne laisse planer aucun doute : dès lors, les conceptions religieuses des populations concernées apparaissaient sous des contours plus nets, davantage perceptibles. A cela contribuent grandement les pétroglyphes, même si, à cette phase précoce de l’âge du bronze, les scènes rituelles sont encore peu nombreuses. Par ailleurs, en considérant la multitude des témoignages (dépôts votifs et funéraires, art rupestre, bâtiments cultuels) on a l’impression que le culte, les cérémonies religieuses occupent alors une place considérable dans la vie communautaire et même privée de ces populations. Certains archéologues267 vont même jusqu’à estimer « qu’aucune autre époque de la préhistoire nordique n’a livré un ensemble aussi vaste de trouvailles, types ayant un rapport avec la religion et les cultes268». Aussi serait-on tenté de croire que l’on dispose d’une connaissance complète des conceptions religieuses d’alors en Scandinavie. Cependant, lorsque l’on aborde le contenu même de celles-ci, force est de constater que l’on ne possède malheureusement aucun indice, aucune trace susceptible de l’éclairer même faiblement. L’ensemble du matériel archéologique, si abondant soit-il, ne reflète pas vraiment les croyances en elles-mêmes, tout au 266

Chars cultuels, dont le plus célèbre est celui de Trundholm (nord-ouest de la Seeland), haches cultuelles, armes, bijoux. 267 Cf. Flemming Kaul, dans son ouvrage « Ships on Bronzes. A Study in Bronze Age Religion and Iconography », chapitre 2, pp. 11 à 57 : “The Religion of the Bronze Age a General approach”, publications from the National Museum, Studies in Archæology and History, volume 3, København, 1998. 268 Ibid, p. 11.

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plus le culte, les rites, et encore avec beaucoup d’incertitudes, de points d’interrogation. Or, ceux-ci n’en sont que la manifestation extérieure : c’est un peu comme si, ne disposant que d’objets et représentations cultuels, on voulait reconstituer le contenu même du christianisme. Ce n’est cependant qu’à partir de ce seul matériel archéologique que l’on peut dresser un tableau de la religion scandinave d’alors. Il s’avère certes très lacunaire mais a au moins le mérite de partir d’une réalité, celle des rites et du culte, dûment constatables, quoique souvent très difficile à interpréter. Un examen, même très superficiel, de l’iconographie en cette première partie de l’âge du bronze permet tout d’abord d’en conclure au caractère fondamentalement cyclique269 des croyances d’alors en Scandinavie. Elle concerne bien sûr en premier lieu les deux astres, leur course et, par làmême, l’alternance des saisons. Ceci implique des concepts tels que naissance, vie, déclin, mort et renaissance270 qui touchent à tous les domaines de l’existence, aussi bien le monde végétal et animal que celui de l’homme. Il est hors de doute que la mort et le culte des morts jouent ici un rôle d’autant plus remarquable qu’ils s’inscrivent dans une idéologie où le maintien de l’équilibre entre les forces d’ordre (vie, croissance, prospérité et continuité de la communauté) et de désordre (déclin, stérilité et mort) s’avère fondamental pour la survie même de la société : en effet, le culte des ancêtres, au même titre que les conceptions sur la fertilité-fécondité, permet d’assurer la continuité du groupe. Comme on vient de le voir c’est à la classe dirigeante qu’incombe très certainement la fonction sacerdotale : ses intérêts se confondant avec la volonté des puissances divines, c’est donc à elle que revient ce rôle de médiateur entre l’univers des hommes et ces dernières. L’archéologie fournit, ici encore, des éléments qui viennent fonder cette affirmation : En 1845, le directeur du Musée National Danois, C. J. Thomsen, mit à jour une tombe de la période III du bronze ancien à Hvidegård dans la paroisse de Lyngby-Tårbæk au nord de Copenhague271. Parmi les objets trouvés dans cette sépulture, figurait un fragment de tissu de laine épousant la forme d’une langue et dont les rebords avaient été ourlés. Or ce morceau d’étoffe ressemble étrangement au pagne porté par les figurines de Grevensvænge et qui, elles, datent du bronze récent. Par ailleurs, la richesse du mobilier de la tombe de Hvidegård permet d’en conclure à l’appartenance du défunt aux catégories sociales privilégiées. Le personnage inhumé fut donc très 269

Il est symbolisé par la roue ou le cercle. Il s’agit là du « cycle vital » dont il sera très souvent question par la suite. 271 Cf. E. Aner et K. Kersten : « Die Funde der älteren Bronzezeit des nordischen Kreises in Dänemark, Schleswig-Holstein und Niedersachsen », tome 1, Frederiksborg und København, Amt København und Neumünster : Karl Wachholtz Verlag, Neumünster, 1973, n° 399, et P. V. Glob, « Fortidens Spor, Dyrehaven og Jægersborg Hegn », København, 1973, p. 86 et suiv.

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probablement un chef de tribu qui exerçait en même temps les fonctions de prêtre. Les intérêts de l’aristocratie se confondant ainsi non seulement avec le destin de la collectivité, sa prospérité, mais aussi et surtout avec la volonté des puissances surnaturelles, toute espèce de barrière entre le profane et le sacré se trouve abolie : la vie en tant que telle, même dans ses aspects les plus banals, les plus concrets, s’avère sacrée en soi. Le monde des humains et celui des puissances divines, bien que séparés par la limite infranchissable qui existe entre le naturel et le surnaturel, se trouvent ainsi en étroite symbiose. Et c’est précisément cet aspect décisif des conceptions religieuses d’alors qui rend la tâche des spécialistes si ardue lorsqu’il s’agit de déterminer si les personnages qui figurent sur les pétroglyphes sont d’essence divine ou simplement des officiants investis d’un tel caractère de par leur fonction ou leur origine sociale : ainsi les silhouettes ithyphalliques de Simris (Période I) qui avancent, hiératiques en brandissant une hache aux dimensions hors du commun et dont on pourrait effectivement croire à première vue qu’elles représentent des êtres surnaturels. C’est aussi dans ce contexte, où profane et sacré finissent par se confondre que la magie joue un si grand rôle : n’est-elle pas, en définitive, une ultime tentative de briser les barrières entre le naturel et le surnaturel et de s’approprier les pouvoirs de l’au-delà. C’est, avec l’absence de distinction entre le sacré et le profane, le point qui relie encore le plus la religion du bronze ancien en Scandinavie à celle de l’âge de la pierre. Dans celle-là, la magie et le chamanisme jouent encore un rôle considérable, souvent oublié du fait que l’on ne considère dans cet ensemble que l’aspect fertilitéfécondité, certes essentiel mais non exclusif. Là encore, c’est l’archéologie qui est la source la plus abondante et la plus sûre. Dans la même tombe de Hvidegård, on a mis à jour une bourse fixée à une ceinture ayant appartenu au défunt. Dans cette poche de cuir, on a trouvé un certain nombre d’objets dont la fonction magique ne fait guère de doute272. Ils démontrent combien la 272

Cf. Flemming Kaul, op. cit., p. 17. Parmi les objets contenus dans cette bourse figurent entre autres : une perle d’ambre, une petite conque provenant de la Méditerranée, diverses racines séchées, un morceau d’écorce, la queue d’un jeune orvet, la griffe d’un oiseau de proie (faucon), la machoire inférieure avec la molaire et les dents de devant d’un jeune écureuil. D’après Flemming Kaul (op. cit.) ces restes d’animaux pourraient symboliser les différents éléments dans lesquels un chamane pouvait se mouvoir : la mer (conque), la terre (écureuil), le ciel (griffe d’oiseau de proie). Quant aux autres pièces elles pourraient représenter les diverses parties de l’univers : monde animal, monde végétal (racines séchées, écorce), monde minéral (la bourse contenait différentes pierres, entre autres de la craie rouge et du silex) et enfin monde des humains (pincette, rasoir, couteau). Cf. Clavs Randsborg dans : “Acta Archæologica”, vol. 64 (1) : « Kivik Archæology and Iconography », København, Munksgaard, 1993, p. 122 et surtout p. 124. Randsborg estime

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magie joue encore un rôle considérable dans les conceptions religieuses de cette première partie de l’âge du bronze. Il en sera d’ailleurs ainsi durant toutes les périodes suivantes : âge du bronze tardif et âge du fer. Quant au chamanisme, il est également fort probable qu’il ait encore occupé une place essentielle à cette époque. Ceci semble d’autant plus plausible qu’on en décèle des traces notables jusqu’à l’époque viking. Il est encore une autre fonction qui a dû incomber aux couches sociales dirigeantes : celle de graver des glyphes dans la pierre, cet acte ayant une signification éminemment religieuse comme cela sera le cas, un millénaire et demi plus tard, pour les runes273. La gravure en était vraisemblablement réservée à certains initiés. Ainsi l’idéologie aristocratique, née probablement à partir du Néolithique moyen B, reprend à son compte la symbiose entre le sacré et le profane qui a dû exister dès les origines du peuplement en Scandinavie. Ce trait fondamental se retrouve dans l’absence d’une partition stricte entre la fonction guerrière et sacerdotale. Certes, tous les nobles ne devaient pas être appelés à exercer cette fonction mais ceux à qui elle incombait menaient très probablement une existence tout à fait comparable à celle des autres membres de cette classe. C’est là un trait qui perdurera jusqu’à la fin de l’âge de fer.

Chapitre VI Le soleil et la lune dans les croyances des populations de l’âge du bronze ancien en Scandinavie du Sud et du Centre La première phase de l’âge du bronze nordique est traditionnellement considérée comme « l’âge d’or » des cultes solaires et lunaires. Cela est en partie dû au fait que le fameux char de Trundholm date du milieu de cette époque (Période II : 1500 – 1300 av. J.C.). Incontestablement, il constitue l’une des pièces maîtresses qui plaident en faveur d’une vénération toute particulière des deux astres à cette époque. Mais il n’en est pas, et de loin, le seul et unique témoignage. D’autres objets, l’iconographie elle-même, viennent encore renforcer cette opinion. Aussi ne s’agit-il plus seulement ici de démontrer l’importance du soleil et de la lune dans la religion nordique d’alors, mais de déterminer les modalités d’un culte qui semble encore bien obscur ; et surtout, de tenter, malgré les obstacles redoutables qui s’y opposent, une reconstitution des croyances et des mythes qui ont pu en constituer le fondement. qu’il a pu s’agir ici des ustensiles d’un chamane. Quoi qu’il en soit, ces objets ont un rapport certain avec la magie (Cf. Flemming Kaul, op. cit., p. 17). 273 Cf. O. Höfler : “Herkunft und Ausbreitung der Runen”, in : “Die Sprache”, n° 17, 1971.

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A

Les faits archéologiques

Plutôt que de s’appuyer sur les sources norroises datant du Haut Moyen Age, c’est-à-dire de presque trois mille ans postérieures à la période considérée ici, ou même sur d’autres religions, certes contemporaines, mais fort éloignées dans l’espace (cf. l’Egypte, le monde égéen) on a préféré ici avoir recours exclusivement aux sources abondantes livrées par l’archéologie et l’iconographie. Celles-ci ont au moins le mérite de la contemporanéité et du témoignage de première main. C’est seulement à partir des résultats ainsi obtenus que l’on pourra tenter une première approche des croyances et des mythes qui sou tendent le culte. En examinant tout d’abord l’orientation des tombes, une première remarque s’impose : c’est durant l’âge du bronze ancien que l’érection de tumuli atteint son apogée, en particulier entre 1500 et 1100 av. J.-C. En effet pour cette seule période on enregistre l’édification de quelques 60.000 tertres, rien qu’au Danemark. Au delà des différences régionales dans l’architecture et l’agencement des tombes, on observe une grande continuité dans l’orientation des sépultures entre la fin du Néolithique et les deux premières périodes de l’âge du bronze ancien. Une étude menée au Danemark dans les années quatre-vingts274 a démontré que la plupart des tombes des périodes I275 et II276 sont orientés en direction du soleil levant (ouest – est277). Pour la période II, on connaît toutefois de nombreuses exceptions à cette règle : en particulier dans l’est de la Seeland et en Scanie où les tombes orientées est – ouest (tête à l’est, regard vers l’ouest278) sont habituelles surtout pour les sépultures masculines, disposition pratiquement inconnue dans le reste du Danemark279. On observe dans ces régions une nette tendance pour les tombes masculines à être plus habituellement alignées est – ouest le long de l’axe des équinoxes (en particulier durant la saison hivernale280).

274

Cf. l’étude des archéologues danois Klavs Randsborg et Claus Nybo : “The Coffin and the Sun. Demography and Ideology in Scandinavian Prehistory”, dans la revue “Acta Archæologica”, 1984, n° 55, København, Munksgaard, 1985, pp. 161 à 184. 275 On n’en connaît qu’une quinzaine qui soit datable avec certitude de cette période. Cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo, op. cit., p. 167. 276 On en connaît 150 : cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo, op. cit., p. 167. 277 Pour être plus précis, elles sont disposées en fonction de l’arc solaire : celui-ci est défini comme l’espace compris entre les directions du soleil levant au milieu de l’hiver ou de l’été et celles du couchant à l’ouest. 278 Cf I. Håkonsson : “Skånes gravfynd från äldre bronsålder som källa till studiet av social struktur”, in : “Acta Archæologica Lundensia”, series in 8, n° 14, Lund, 1985, p. 103. 279 Cf. S.S Hansen : “I øst og i vest, et fællestræk i ældre bronzealders gravskik i Nordøstsjælland og Skåne”, in : “Gilleleje Museum”, 1984, n° 27, p. 62 et suiv. 280 Cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo, op. cit., p. 168.

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De même existe-t-il à la période II des cistes déposés dans le sens nordsud, ce qui était également le cas au Néolithique tardif281. Cette disposition prévalant notamment dans le canton de Tønder (Slesvig danois) tiendrait à la période de l’année à laquelle a eu lieu l’inhumation : si la tête repose au nord-est c’est parce que le mort a été enterré soit au milieu de l’été, dans ce cas elle est alignée sur le levant, soit au milieu de l’hiver : auquel cas, la tête fait alors face au couchant. De toute manière la référence à l’astre diurne demeure la règle. Ces exceptions, même si elles s’avèrent, somme toute nombreuses, ne doivent toutefois pas faire oublier la règle générale (orientation ouest – est) attestant ainsi le maintien de traditions qui remontent au Néolithique et même au Mésolithique282. De plus, les déviations enregistrées ne sont pas liées à des facteurs géographiques, si bien que l’on peut en conclure à une remarquable unité, au moins pour ce qui concerne le Danemark. Tant pour les tombes à inhumation que pour celles à crémation, on observe des pratiques totalement différentes durant la période III, au moins au Danemark. Un nombre substantiel de tombes sont orientées en dehors de l’arc solaire (direction est – ouest : course diurne du soleil) qui prévalait en Scandinavie méridionale depuis le Mésolithique final (Culture d’Ertebølle, notamment à Skateholm). Dès lors l’orientation des tombes est plus équitablement répartie autour des points cardinaux283. L’axe des équinoxes est très souvent abandonné au profit de celui qui relie le nord au sud, lequel, lui aussi, servait, dans bien des cas, à déterminer l’orientation des tombes depuis la fin du Mésolithique (on trouve des tombes orientées nord-sud, tant à Skateholm qu’à Bøgebakken). Au centre du Danemark (Fionie, Jutland) beaucoup de tombes sont orientées nord–sud ou bien avec la tête à l’est (regard vers l’ouest : couchant). Dans l’est de la Seeland, le nombre de tombes avec la tête à l’est a nettement diminué. Au Danemark, on est ainsi confronté à un changement majeur, non seulement dans l’orientation des tombes mais surtout dans les principes qui régissaient jusqu’à présent le calendrier. Néanmoins ce fait n’implique aucunement que le soleil et la lune ne constituaient plus les références astronomiques et religieuses de la société entre 1300 et 1100 av. J.C. au Danemark. En réalité, l’orientation nord – sud de beaucoup de sépultures danoises de la 281

Cf. partie précédente II, « Le Néolithique moyen B et récent ». Compte tenu du peu de tombes attribuables avec certitude à la période I (1800 – 1500 !) on ne connaît aucun cas de sépulture orientée nord – sud pour celle-ci. Il est cependant plus que probable que de telles tombes aient existé aussi à la période I. 282 Culture d’Ertebølle, notamment à Skateholm: cf. Lars Larsson : “The Skateholm Project A Late Mesolitic Settlement and Cemetry Complex at the Southern Swedish Bay”, in : “Meddelanden från Lunds Universitets historika Museum”, new series n° 5, Lund, 1983, 1984, p. 5 et suiv. 283 Cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo, op. cit., p. 169.

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période III se réfère tout aussi bien à l’astre diurne si l’on garde à l’esprit que le nord correspond à sa position la plus basse (celle de l’astre au milieu de la nuit, facile à établir en été, surtout en Scandinavie) et le sud à son zénith (c’est-à-dire au milieu du jour). Mais ceci a pu tout aussi bien valoir pour la lune car le sud s’avère être le point où se lève la pleine lune au milieu de l’hiver et le nord celui où elle va se coucher au milieu de l’été284. Qu’en est-il des autres pays, la Suède et la Norvège ? Pour ceux-ci, on ne dispose malheureusement pas, jusqu’à présent, d’études synthétiques sur l’orientation des tombes. Il faudrait, de ce fait, bien se garder de vouloir étendre les conclusions tirées pour le Jutland et les îles danoises à tout le reste de la Scandinavie méridionale. On peut toutefois noter que les tombes de Kivik (Scanie) et Sagaholm (nord du Småland), étudiées plus loin, sont à peu près positionnées nord – sud285. Traditionnellement, on considère l’âge du bronze ancien comme le véritable point de départ de l’érection des bateaux-tombes au sud de la Scandinavie. Ainsi qu’on l’a vu auparavant286, l’usage d’enterrer les défunts dans des sépultures qui épousent la forme d’un bateau remonte en fait au moins au Mésolithique tardif (environ 5400 av. J.-C.). Aussi, lorsque les habitants de la Scandinavie méridionale érigent, au début de l’âge du bronze, de tels monuments funéraires, ils suivent une tradition déjà vieille de plusieurs millénaires. Cela veut dire que cet usage était alors déjà lié à nombre de croyances, mythes et symboles qui remontaient vraisemblablement à son origine même. Pour l’âge du bronze ancien, on connaît un nombre relativement restreint de telles sépultures : huit au total287 dont cinq en Suède, une au Danemark, deux en Allemagne (Schleswig-Holstein). Elles datent pour la plupart de la 284

Cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo, op. cit., p. 170. Snorri Sturluson cite au chapitre 48 de la Gylfaginning une phrase où le chemin conduisant au séjour des morts menait par le nord et vers le bas (niðr ok norðr liggr helvegr), cf. Rudolf Simek, op.cit., pp. 173 et 197, traduction française de Patrick Guelpa, op. cit., tome I, pp. 161 et 162. En effet à l’âge du fer tardif, c’est au nord qu’était situé le royaume de la mort et de la nuit (“hel” en norrois). 285 Cf. Klavs Randsborg Kivik in “Acta Archæologica”, tome 64 (1), København, Munksgaard, 1993, p. 38, fig. 16 et p. 93, fig. 54. 286 Voir supra, première partie, ch IV B et deuxième partie. Dès 1912, l’archéologue suédois S. Lindquist (“Från Nerikes sten-och bronsåldern”, “Meddelanden från föreningen Örebro Länsmuseum”, tome 5, Örebro, 1912) reconnut dans un ciste au Néolithique tardif la représentation d’un bateau : cf. Tore Artelius “Långfärd och återkomst : skeppet i bronsålderns gravar”, Riksantikvarieämbete, “Arkeologiska Unkersökningar”, skrifter n° 17, Stockholm, Riksantikvarieämbetet och Institutionen för Arkeologi / Göteborg : Göteborgs universitet, 1996, pp. 41 à 59. 287 Cf. Tore Artelius, op. cit., pp. 41 à 59. Pour une étude plus approfondie de cette question, on consultera avec profit deux autres ouvrages : Torsten Capelle, « Schiffssetzungen », in : “Prähistorische Zeitschrift”, n° 61, Heft 1 (= Fascicule 1) et M. Müller-Wille, « Bestattung im Boot. Studien zu einer nordeuropäischen Grabsitte », in : “OFFA”, tomes 25 / 26, 1970.

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période III (1300 à 1100 av. J.-C.), c’est-à-dire de la dernière phase de la période envisagée. Mais l’une d’entre elles, Sperlingsholm au Halland (sudouest de la Suède) paraît plus ancienne et pourrait remonter à la période II voire I. La forme même de ces tombes va demeurer à peu de choses près la même jusqu’à l’époque viking. Seule l’analyse du contexte permet de déterminer l’époque de construction288. On voit ainsi se confirmer le lien entre le bateau et la mort, relation qui, on vient de le voir, doit remonter au Mésolithique. Il faudra par la suite déterminer quel type de rapport le bateau peut entretenir, en tant que véhicule qui transporte le défunt, avec le soleil et la lune. Retenons dès à présent que trois des sépultures (Flintarp, Halland ; Hudene, Vestrogothnie ; Trustorp, Halland) sont en gros orientées ouest – est, plus précisément ouest / nordouest / est / sud-est (Trustorp, Flintarp en Halland) ou ouest / sud-ouest / est / nord-est pour Hudene en Vestrogothnie. Les quatre autres sont orientées nord / nord-ouest / sud / sud-ouest : Oeversee et Thumby au Schleswig, Sperlingsholm, Halland. Une seule est orientée nord-ouest / sud-ouest : Dragby au Uppland. On peut donc en conclure à une orientation approximativement ouest – est pour toutes ces sépultures, donc le contraire de beaucoup d’autres sépultures (orientation est – ouest). Il ne s’agit pas ici du sens diurne de la course solaire (du lever au coucher) mais du sens nocturne (ouest – est), c’est-à-dire du coucher au lever289. Jusqu’à la période II290, les habitations à deux nefs291 sont orientées assez strictement est – ouest, de sorte que les variations sont relativement minimes : ainsi à Egehøj, où l’orientation correspond à un azimut inférieur à 90°292. Au-delà de 1500 environ (période III), on observe des variations nettement plus importantes : cela va de l’orientation stricte est – ouest à nordouest / sud-ouest293. Or ce changement apparaît en même temps que l’introduction des maisons longues à trois nefs, aussi les deux phénomènes paraissent liés. Quoi qu’il en soit, ce ne sont là que des variations qui, même 288

Cf. Tore Artelius, op. cit., p. 41. Cela n’étonne guère lorsque l’on sait que les anciens Nordiques concevaient cette course nocturne comme une traversée effectuée par le Soleil sur une nef à travers l’océan des ténèbres. 290 Durant laquelle apparaissent les maisons à deux rangées de poteaux formant trois nefs (sidsulakonstruktion en suédois). 291 A une rangée de poteaux centraux : mesulahus en suédois. 292 Cf. Nils Björhem et Ulf Säfvestad : « Fosie IV, Bebyggelsen under brons-och järnålder », Dans la série “Malmöfynd”, fascicule 6, édité par Malmö Museer, 1993, pp. 112 à 116, ici p. 113. 293 Seules trois exceptions : la maison 27 à Fosie IV, celle de Hyllerup et encore une autre à Grøntoft au Jutland : cf. Nils Björhem et Ulf Säfvestad, op. cit., p. 113.

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si elles sont relativement importantes, n’affectent pas l’orientation fondamentale des habitations que l’on connaît depuis le Néolithique moyen B et récent, à savoir est – ouest, c’est-à-dire dans le sens de la course solaire diurne. C’est en particulier le cas au Danemark oriental et en Scanie où l’on observe le plus souvent la même disposition pour les tombes294. Mais il y a de fortes chances pour que ce ne soit pas seulement le cycle diurne (voire nocturne) du soleil qui ait présidé à l’orientation des habitations mais aussi le cycle annuel, solstice d’été et d’hiver, ainsi que les équinoxes de printemps et d’automne. On retrouve donc là le même principe que ceux qui président à l’orientation des tombes : celui de l’arc solaire. L’écrasante majorité des maisons qui datent du bronze ancien, au moins à partir de la période II sont orientées ou bien franchement vers l’ouest, nord-ouest, avec un azimut d’environ 313°295, ou bien à l’opposé, carrément vers l’est, sud-est, soit avec un azimut de 133°. Au solstice d’été, le coucher du soleil en Scanie et au Danemark (56° de latitude) se situe aux environs de 318°. Au solstice d’hiver, le lever du soleil, sous cette même latitude, demeure autour de 138°. L’immense majorité des habitations de la période considérée oscille donc dans un intervalle allant de 270° à 313° ou de 90° à 133°. Transposé en terme de course solaire annuelle, cela correspond assez bien aux couchers entre l’équinoxe de printemps et celui de l’automne, soit aux levers depuis l’équinoxe d’automne jusqu’à celui du printemps296. Toute la question est de savoir si c’est le premier cas (coucher) ou le second (lever) qui est déterminant dans l’orientation des maisons. Il est vraisemblable que la construction de celles-ci ait eu lieu, pour la plupart d’entre elles, en été (c’est-à-dire entre l’équinoxe de printemps et le solstice d’été). On peut estimer que leur orientation a été fixée en fonction du ponant 297. Par ailleurs, et d’après des recherches entreprises dans la région de Dartmoor au sud-ouest de l’Angleterre, certains paysages de l’âge du bronze auraient été parcellisés et orientés en fonction d’un système d’enclos coaxiaux298, c’est-à-dire selon une direction dominante. Il y a d’ailleurs fort à parier que celle-ci était fonction du ou des tertres funéraires des familles qui régnaient sur le territoire considéré. Or ceux-ci, on vient de le voir, étaient orientés selon l’arc solaire, au moins jusqu’à la fin de la période II. Si tel avait été le cas en Scandinavie, où de telles investigations n’ont malheureusement pas pu être menées, la différence observée dans l’orientation des habitations à partir de 1550 à 1500 av. J.-C. aurait été due à un phénomène à première vue social et politique. Mais, toujours selon le 294

Ibidem, p. 115. Cf. Nils Björhem et Ulf Säfvestad, op. cit., p. 115. 296 Ibidem, p. 115. 297 Ibidem, p. 115. 298 Ibidem, p. 114.

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principe de la non-partition entre le profane et le sacré, on peut considérer que les raisons qui présidaient à cette conception du paysage s’avéraient être en même temps d’ordre religieux. Ceci inclut à la fois l’aspect mythique et cultuel de la question sur lequel il conviendra de se pencher ultérieurement299. Si l’on se réfère à la disposition des sépultures, on observe, au moins à l’est du Danemark (Seeland) et en Scanie, une belle concordance entre les habitations des morts et celles des vivants : ici comme là, c’est le ponant qui détermine la direction. Si l’on se tourne à présent vers le mobilier funéraire, le nombre d’artéfacts susceptibles de se référer d’une manière ou d’une autre au soleil et à la lune a considérablement augmenté par rapport à la période précédente. C’est déjà en soi l’indice d’une place encore accrue des deux luminaires au sein des sociétés de la Scandinavie méridionale et centrale du bronze ancien. Ces trouvailles se composent presqu’exclusivement d’objets métalliques. Lorsque l’on sait le rapport très étroit qui lie les métaux, tels que l’or ou le bronze, aux deux corps célestes, on ne s’étonnera pas davantage de ce fait. Ne seront examinés ici que les cas les plus significatifs, c’est-à-dire là où les références au soleil et à la lune peuvent être établies de manière relativement sûre. Il a déjà été question des épingles à tête en forme de roues à rayons auparavant300. On les trouve principalement dans les sépultures féminines des régions méridionales du Danemark, ainsi à Smidstrup au sud de la Seeland (Cf. Fig. 12-13). Ce motif de la roue à six rayons apparaît également sur des boutons doubles trouvés aussi bien dans la péninsule scandinave qu’au Danemark. Celui trouvé dans le tertre funéraire « Tingshög » près de Hammarlöv en Scanie301 comporte un thème semblable sur la face postérieure. Sur la face antérieure, figure un motif à spirale ce qui permet de dater cet objet de la deuxième période (1500 – 1300 av. J.-C.). Le côté postérieur du bouton est en principe tourné vers la peau de celui302 qui porte le vêtement, aussi peuton se demander s’il ne s’agit pas en même temps d’une sorte d’amulette. Dans ce cas, l’effet recherché pourrait être le même que pour les disques d’ambres du Mésolithique et du Néolithique : protection, bienfait. La fonction magique ne fait dès lors guère de doute. 299

Voir dans ce même chapitre le paragraphe E. Voir supra chapitre III. 301 Numéroté 9813 à l’inventaire du « Statens Historiska Museum » à Stockholm: cf. Oscar Montelius : « Minnen från vår forntid », tome 1 : “Stenåldern och bronsåladern”, Stockholm, P. A. Norstedt och Söners Förlag 1917, illustration 989 a. b., p. 56, texte 902, pp. 38 et 989, p. 43. 302 Ce type d’objet se trouve uniquement dans les tombes masculines. 300

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Entre 1863 à 1867, on a mis à jour une très riche sépulture sous le tertre de Gård près de Jægersborg, paroisse de Gentofte. Celle-ci contenait quatre plaques de ceintures, une hache de type nordique, un burin à douille, un crochet pour épée et surtout la moitié d’un disque d’or dont le diamètre d’origine atteignait les 23 centimètres. Ce dernier est composé d’une feuille du même métal plaquée sur un support en bronze. Il s’agit de la même technique que celle utilisée pour la confection du fameux disque d’or de Trundholm trouvé en 1902 dans la même région de la Seeland. Au centre de ce superbe témoignage du savoir-faire et de la maîtrise acquis par les métallurgistes de cette période, se trouve la figuration du Soleil lui-même, radié de huit pointes triangulaires représentant les rayons. Par ce dernier trait, il diffère notablement de celui de Trundholm dont le milieu est occupé par un petit disque à noyau central. Il est inscrit dans un cercle circonscrit de lignes en zigzags et entouré de huit disques concentriques (on notera ici la récurrence du chiffre huit), plus petits, mais qui lui sont, à peu de choses près, semblables. La référence à l’astre du jour s’avère donc encore plus explicite à Jægersborg qu’à Trundholm. La tombe renfermant ce joyau contenait les restes d’un personnage masculin qui vécut à la période II de l’âge du bronze ancien. Elle est donc contemporaine du disque monté sur le char de Trundholm. La première question qui vient à l’esprit lorsque l’on aborde l’étude de cet artéfact porte sur les raisons de ce dépôt tombal. En effet, on s’attendrait à ce qu’un tel objet ait été offert aux puissances divines, soit dans un marais ou une tourbière, comme c’est le cas pour le char susnommé, soit dans une cache souterraine. La seule réponse qui s’impose est le statut particulier du défunt inhumé ici. Sans aucun doute occupait-il un rang élevé dans la hiérarchie sociale, mais aussi un statut à part et l’on peut, à juste titre, s’interroger ici sur sa fonction au sein de celle-ci. S’agissait-il d’un prêtre chargé du culte solaire ? La présence de cet objet pourrait le sous-entendre. Retenons, en tous les cas, une relation très forte entretenue avec l’astre de son vivant et que l’on a voulu prolonger par-delà la mort, pour l’éternité en quelque sorte. Dans la majorité des cas étudiés ici, on a visiblement affaire à des artéfacts qui ont été fréquemment portés ou utilisés par le défunt : peut-être même faisaient-ils partie intégrante d’un vêtement ou d’un bijou, ainsi que ce pourrait être le cas du disque de Moordorf (pendentif ?). Pour ceux de Jægersborg et de Glüsung, on peut toutefois penser à un objet de culte faisant peut-être partie du « nécessaire » d’un prêtre. Ce qui importe ici c’est, une fois encore, la continuité établie entre l’existence terrestre, où ces symboles solaires devaient profondément marquer la vie quotidienne du défunt, et l’au-delà. Quant à la fonction que ces disques étaient censés remplir après le décès de leur possesseur, il est bien 141

difficile de décider. S’agissait-il de procurer au mort protection et bienfait, (fonction magique), figuraient-ils la présence de l’astre dans l’au-delà ou bien, plus prosaïquement peut-être, étaient-ils destinés à être utilisés par la personne décédée, une fois celle-ci parvenue à sa dernière demeure ? Si l’on se réfère au principe de la non partition entre la sphère sacrée et la sphère profane, on peut admettre la validité de toutes ces fonctions. Mais si l’on s’en rapporte au domaine purement symbolique, le dépôt d’un tel objet qui reproduit le Soleil dans tout son éclat confère au personnage inhumé une dimension surhumaine et quasiment mythique : il est lui-même identifié à l’astre dont il a peut-être été le représentant durant son existence terrestre. Pour ce qui est des dépôts votifs, il convient tout d’abord de souligner une différence essentielle qui explique aussi la division opérée ici : le fait de déposer des objets dans un lieu aquatique ou dans la terre afin de les offrir aux puissances divines correspond à une toute autre démarche cultuelle que le dépôt d’artéfacts dans une tombe. Cette remarque s’impose tout particulièrement lorsque les objets sont les mêmes dans les deux cas. Ainsi un même symbole solaire peut revêtir un caractère différent suivant qu’il est placé dans un contexte funéraire ou votif. Par ailleurs, il est tout aussi nécessaire de distinguer les dépôts d’objets grandeur nature303 de ceux d’artéfacts miniaturisés. On verra ultérieurement que c’est la seule manière de tenir compte de deux aspects cultuels différents, même si les objets considérés sont fondamentalement de même nature : par exemple les chars processionnels. Le tambour de Balkåkra en Scanie (près d’Ystad) fut découvert en 1847 dans une tourbière. Il est pratiquement identique à un autre exemplaire trouvé en 1914 à Haschendorf (aujourd’hui Hasfalva) près de Ödenburg (Sopron) en Hongrie. Le tambour de Balkåkra provient, très probablement, de Hongrie ou des régions danubiennes, (Cf Planches 5et 6). Le Suédois Birger Nerman304 a démontré que ce tambour était suspendu à six trous. Cet objet devait avoir une fonction cultuelle. Les dix roues suspendues à la partie inférieure sont à interpréter comme des symboles héliaques : en effet, elles présentent en leur centre le même motif que les épingles trouvées à Smidstrup, mais elles ne possèdent que quatre rayons au lieu de six. On peut aussi les rapprocher de glyphes visibles sur divers rochers scandinaves305. Mais c’est surtout le dessus du tambour lui-même qui constitue 303

Ici encore ne seront étudiés que les cas où la référence au Soleil ou à la Lune revêt quelque certitude. 304 Cf. Birger Nerman : “Vartill har Balkåkrapjäsen använts”, dans la revue : “Fornvännen”, tome 32, 1937, p. 193 et suiv. 305 Voir infra « L’âge du bronze récent », chap. IV, B l’iconographie sur pierre : analyse raisonnée.

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l’une des figurations les plus évidentes du soleil rayonnant : en son centre, figure un cercle radié de dix-huit rayons triangulaires ; autour de celui-ci, gravitent cinq cercles concentriques également radiés. Ainsi, peut-on supposer que cet objet ait été utilisé lors de cérémonies cultuelles où le soleil devait jouer un rôle privilégié. A propos du terme « plaque de ceintures à bosses », il faut être conscient de la confusion qu’il crée : en effet, ce type de bijou ne se portait pas seulement à la ceinture mais aussi en dessous du collier et devait être cousu sur le vêtement. Il faisait souvent partie intégrante du costume masculin aussi bien que féminin et pouvait revêtir des formes assez différentes, bien que la référence au cercle soit partout présente. On peut distinguer deux types fondamentaux : L’un (type A) est plat avec, en son centre, une protubérance qui peut épouser la forme d’une pointe. On le trouve la plupart du temps aussi dans les sépultures féminines306. L’autre (type B) ressemble à un chapeau avec une grande bosse en son milieu et des rebords plus ou moins aplatis. On le rencontre souvent dans les tombes masculines. Ce type est appelé « tutulus » par les archéologues. Dans un cas comme dans l’autre, le noyau central représente le corps céleste rayonnant (soleil et lune) surmonté d’une pointe ou d’une bosse plus ou moins importante. La taille des objets qui vont être maintenant étudiés constitue un aspect fondamental, trop souvent négligé par le passé. Dans une étude récente, l’archéologue danois Flemming Kaul307 souligne pourtant l’écart qui a dû exister entre les rites célébrés avec des objets grandeur nature (haches, chars et bateaux processionnels) et ceux accomplis à l’aide de leur « version miniaturisée ». Certes cette distinction ne concerne pas les mythes fondateurs de ces rites, mais elle demeure essentielle pour le culte, ainsi qu’on le verra par la suite.

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Sur les 201 trouvailles de plaques de ceintures à bosses (types A et B confondus), 141 proviennent des sépultures (70,1 %). Seulement 24, soit 12 %, sont issues, très vraisemblablement, de dépôts en milieu humide. Il est très rare que de tels artéfacts (type A ou B) soient déposés isolement : cf. Karl Heinz Willroth, op. cit., p. 130. 307 Flemming Kaul : « Ships on Bronzes. A Study in Bronze Age Religion and Iconography », volume 1, text, Copenhagen, Publications from the National Museum, Studies in Archeology and History, volume 3, partie 1, 1998, p. 20 et suiv. et surtout p. 24.

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Le char de Trundholm308 constitue sans doute le témoignage le plus probant de l’existence d’un culte dédié aux deux astres en Scandinavie méridionale à l’âge du bronze ancien, car il apparaît comme certain que cet objet date de la période II, ainsi que le prouve le décor à spirales autour du noyau central. Le disque lui-même est bombé sur les deux faces, dont l’une est couverte d’une feuille d’or, l’autre pas. La surface de ce disque comprend en PLANCHE 5

Le tambour de Balkåkra, période I (1800-1600 avant JC.). Illustration exécutée par Jean-Charles Sotty d’après une photographie qui figure dans l’ouvrage de Jørgen Jensen, « Danmarks Oldtid », op. cit., p. 63.

fait trois cercles concentriques, séparés chacun soit par des motifs a dents, entre la deuxième et la troisième circonférences, soit par des traits verticaux qui reproduisent les rayons de l’astre. C’est en particulier le cas du plus grand cercle, le dernier, donc celui qui est censé représenter la bordure de l’orbe rayonnant. Au centre, figure un plus petit cercle rempli de disques miniatures qui gravitent autour du noyau central, lui-même constitué de 308

Cf. Sophus Müller : “Solbilledet fra Trundholm”, dans : “Nordiske Forntidsminder”, tome 1, København, 1903, p. 315 et suiv. Voir aussi C. Redlich : “Der Sonnenwagen von Trundholm”, dans : “Berliner Blätter für Vorund Frühgeschichte”, Berlin / ex-RDA, 1967, tome 12, fascicule 3 / 4, p. 72. Ce char fut trouvé en 1902 lors du labourage d’un terrain situé au nord-est de la Seeland. On peut le voir aujourd’hui au Musée National de Copenhague.

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cercles concentriques. Le dernier en est radié de la même manière que le plus grand en bordure du disque (traits verticaux). PLANCHE 6

Le tambour de Hasfalva en Hongrie : pratiquement identique à celui de Balkåkra. Illustration exécutée par Jean-Charles Sotty d’après une photographie de l’ouvrage de Jørgen Jensen, op. cit., p. 64.

Le deuxième cercle est donc occupé sur toute sa surface, si l’on excepte sa bordure, elle aussi radiée, de motifs en spirales caractéristiques de la seconde période. Cependant, en l’observant de plus près, on constate qu’il s’agit d’un type particulier, plus proche en fait du motif de la double volute : cercles concentriques reliés par paires au moyen d’un bandeau en forme de « s », le tout s’inscrivant dans un espace ovale. Il s’agit par conséquent, d’un thème assez voisin du motif connu depuis le Néolithique moyen A (3200 – 2800 av. J.-C.)309. Dans le troisième cercle figurent des cercles concentriques disposés les uns à côté des autres, ainsi que c’était le cas dans celui qui circonscrit le noyau central, comme pour marquer le lien existant entre le centre et la périphérie du disque. 309

Il s’agit du motif des deux yeux que l’on trouve sur les céramiques de la Culture des Vases en Entonnoir : voir supra : « Le Néolithique ancien et moyen A », Chap. IV, B Les témoignages de l’iconographie.

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L’autre face de ce dernier, strictement identique quant aux motifs, est exécutée en bronze non revêtu d’une couche d’or. Le tout repose sur le châssis du chariot. En considérant le rebord de l’orbe, on voit, à hauteur de la queue du cheval, les restes d’un anneau. A celui-ci en correspond un autre au niveau du cou de l’animal : indice qu’à l’origine un fil en bronze devait relier le quadrupède au disque qu’il tracte. Par là-même, l’ensemble représente un coursier qui tire le Soleil, tel que ce thème apparaît sur les pétroglyphes de l’âge du bronze récent310. Il ne s’agit donc pas ici de la représentation d’un char solaire, tel qu’on le connaît dans la mythologie gréco-romaine. Un autre élément vient encore confirmer cette constatation : les yeux du cheval reproduisent eux-mêmes la forme du disque solaire, ils en sont en quelque sorte la réplique en miniature. Et, au centre de celui-ci, l’espace aujourd’hui vide devait être occupé par une bille d’or (ou d’ambre) qui figurait à la fois la pupille et le noyau de l’astre, tandis que l’anneau extérieur était bordé de triangles qui représentaientt les rayons. La queue du quadrupède est creuse, laissant ainsi penser que de véritables crins311 y étaient implantés. A moins que l’on y ait placé des fils de bronze ou d’or, aujourd’hui disparus. Le chariot par lui-même est constitué d’une poutre centrale munie de trois traverses sur lesquelles sont fixées six roues à rayons cruciformes : quatre d’entre elles sont placées sous le cheval, deux sous le disque. Une seule est demeurée intacte312. Il s’agit très probablement de la reproduction en format réduit d’un char processionnel tiré par un cheval. La signification de cet objet est considérable, soulignée en quelque sorte par son très haut niveau artistique. Aussi devra-t-il, par la suite, faire l’objet d’une interprétation qui tentera notamment d’en définir l’usage cultuel et la référence mythique313. La découverte de Trundholm n’est nullement isolée. En effet à Tågaborg314 près de Helsingborg en Scanie, on a mis à jour en 1895 un dépôt qui contenait entre autres deux petits chevaux de bronze semblables à celui de 310

Voir infra. Cf. l’article d’Henrik Thrane sur le char de Trundholm dans l’ouvrage collectif édité par Machteld J. Mellink et Jan Filip « Frühe Stufen der Kunst », tome 13 de « Propyläen Kunstgeschichte », Berlin : Propyläen Verlag, 1974, p. 326, illustration LIV. 312 Lors d’une campagne de fouille menée en 1998, les archéologues du Musée National de Copenhague passèrent 150 m2 de terrain « au peigne fin » et découvrirent 21 morceaux des autres roues du char. Cf. l’article de Jørgen Jensen : “Neues vom Sonnenwagen” dans la revue “Archäologie in Deutschland”, 2000, fasc. 1, pp. 58 et 59. 313 Voir infra au même chapitre. 314 Ce qu’il en reste est conservé au Statens Historiska Museum de Stockholm sous le numéro d’inventaire 11226.

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Trundholm et dont l’un est aujourd’hui dépourvu de tête. Les deux coursiers avaient les yeux incrustés d’ambre. En outre, on découvrit les éléments d’un petit char et surtout un disque en bronze de la taille d’une bêche (Cf Planche 33, Fig. 55). Par rapport au char de Trundholm, celui de Tågaborg comportait donc deux chevaux et non un seul : on sait, grâce à la septième dalle du ciste de Kivik, qu’il existait des attelages à deux chevaux. Il reste à savoir à quoi ce char ressemblait et de quelle manière le disque était placé par rapport à ce dernier. Malheureusement ces questions devront demeurer, au moins pour l’instant, sans réponse, car tous les vestiges de ce véhicule miniature ont disparu soit pendant, soit immédiatement après la fouille. Les disques grandeur nature retrouvés dans les sépultures dont il a été question auparavant ont également leur équivalent miniaturisé. On en connaît un exemplaire, vraisemblablement du bronze ancien mais dont on ignore malheureusement la provenance315. Il représente un exemplaire grandeur nature posé sur un support316, tel qu’on en trouve certains représentés sur les pétroglyphes du Bohuslän317. La version miniature, très proche, n’a pas tout à fait sept centimètres. Elle se compose d’un disque en ambre monté sur un cadre de bronze. Sur la surface de ce disque, on distingue avec plus ou moins de netteté une croix tracée d’un bout à l’autre. Lorsque l’on tient l’objet face à la lumière le disque d’ambre rappelle ainsi fortement une roue à rayons cruciformes318. Le cadre de bronze est prolongé par une sorte de manche de lignes parallèles évoquant le rotin319. C’est précisément ce décor qui permet de dater l’objet de l’âge du bronze ancien. Ce manche se termine par une sorte de pied ou support plat. Ceci suggère à certains320 que l’objet a pu faire partie d’un groupe plastique tel que celui de Stockhult dont il va bientôt être question. On peut imaginer que cet artéfact constituait le centre d’une scène où figuraient des adorants qui se tenaient les bras levés devant ce disque monté sur un support. Cette interprétation paraît davantage s’imposer que celle faisant de cet objet une amulette. En effet, aucune trace d’anneau ne permet de penser qu’il fût suspendu ou porté comme une parure. Ainsi s’agirait-il de la représentation miniature d’une scène de culte solaire et lu315

Aussi ne sait-on pas s’il provient d’une tombe ou d’un dépôt votif. Il se trouve aujourd’hui au Dansk Nationalmuseum à Copenhague sous le numéro d’inventaire B 1482. 316 Cf. Flemming Kaul, op. cit., p. 25. 317 Cf. Peter Gelling et Hilda Ellis Davidson « The Chariot of the Sun », London, JM Dent and Sons LTD, 1969, p. 10, fig. 2, l, m, n, o, p. 318 Cf. Sophus Müller “Billed og Fremstillingskunst i Bronzealderen”, dans : “Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie”, København, 1920, p. 128 et Johannes Brøndsted « Bronzealderens Soldyrkelse », “Fra Nationalmuseets Arbejdsmark”, København, Gyldendal, 1938, p. 91. 319 Ce pourrait être la reproduction en bronze d’un tel cadre en bois et rotin. Cf. Flemming Kaul, op. cit., p. 25. 320 Ibidem, p. 25.

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naire telle qu’on peut en voir sur les pétroglyphes de la région de Tanum. Même si l’on refuse cette interprétation comme étant par trop spéculative, on admettra au moins la similitude indéniable entre cet artéfact et les pétroglyphes qui représentent des disques montés sur un support en forme de trépied (Fig. 14). Le dépôt dans lequel furent trouvées les deux figurines321 de Stockhult, Scanie (environ 1350 av JC.) était particulièrement riche : il contenait plusieurs haches massives d’apparat, des hachettes, une pointe de lance endommagée, plusieurs colliers à plaque, des boucles et plaques de ceinture (Cf. Fig. 15). Ces statuettes représentent deux personnages masculins rigoureusement identiques, coiffés d’un casque en forme de chapeau et vêtus d’une sorte de pagne. Les deux coiffes sont chacunes munies, à hauteur du rebord, de deux trous, peut-être prévus pour y placer des cornes comme cela est le cas sur la coiffe de Bregninge (Seeland)322. Les bras de chacun des deux personnages ont malheureusement disparu si bien que l’on ne peut se prononcer avec certitude sur la fonction exacte de ceux-ci. Le fait qu’ils soient munis sous les pieds de sortes de tétons permet d’envisager un support sur lequel ils étaient fixés. L’étrange coiffure de ces figurines peut être rapprochée de cônes en or contemporains trouvés en Europe de l’ouest et du centre323. Ceux-ci sont ornés de bandes horizontales ou figurent des cercles 321

Cette découverte eut lieu en 1900 lorsque l’on fit sauter un rocher d’une taille respectable : cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 847, p. 35 et n° 981, p. 42 (texte) ; p. 65, n° 981 (illustration) et K. H. Willroth, op. cit., pp. 143 et 144. 322 Voir infra. 323 Trois en Allemagne, notamment à Schifferstadt près de Ludwigshafen (RhénaniePalatinat) ainsi qu’Ezelsdorf en Bavière ; et un en France (à Avanton dans la Vienne): ils figuraient tous à l’exposition sur l’âge du bronze qui a eu lieu au Grand Palais à Paris, en 1999. A propos du cône en or de Schifferstadt, le préhistorien Peter Schauer de Mayence a émis, en 1983, la thèse que ce type d’objet cultuel serait venu d’Asie Mineure (civilisation hittite). Il aurait influencé les conceptions religieuses de l’Europe danubienne et centrale avant d’atteindre la partie occidentale et septentrionale du continent. Toujours selon Peter Schauer le cône n’était, chez les Hittites, pas seulement le symbole ou l’attribut d’une déité mais sa représentation abstraite. Cf. Peter Schauer : “Die Goldblechkegel der Bronzezeit. Ein Beitrag zur Kulturverbindung zwischen dem Orient und Europa”, Bonn, Habelt Verlag, 1986, cité par Ernst Probst : « Deutschland in der Bronzezeit. Bauern, Bronzegießer und Burgherren zwischen Nordsee und Alpen », München : Orbis Verlag, 1999, p. 183. (Cf Planche 36, Fig. 59 60 - 61). Un autre préhistorien, Lothar Sperber du Musée Historique de Spire / Speyer (Palatinat), propose l’interprétation suivante pour le cône de Schifferstadt: il aurait servi de couronnement ou de revêtement pour un menhir ou une statue cultuelle en bois devant laquelle auraient été accomplis des rituels, particulièrement la nuit à la lueur de feux allumés à cette intention. Etant donné qu’il a été trouvé entouré de trois haches, Lothar Sperber suppose que celles-ci auraient également symbolisé la déité. Se serait-il alors agi d’un culte dédié au rayonnement solaire ? On sait que dans la Civilisation des Tumuli (Hügelgräber-Kultur) sur le territoire de laquelle fut exhumé ce cône, le Soleil était probablement adoré comme déité suprême. Rappe-

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et des étoiles radiées. Un seul de ces objets est décoré de motifs en croissants lunaires (Cf. Fig. 16-17-18). Mais surtout on retrouve ce type de coiffure sur la première dalle324 de la tombe de Kivik datant de la fin de la période II ou du début de la période III (entre 1300 et 1200 av. J.-C.). Ici comme à Stockhult, elle côtoie le motif de la hache325. Le lien est également présent à Grevensvænge où les deux statuettes brandissaient chacune une hache326. Pour l’instant, on retiendra essentiellement la similitude des deux figurines ainsi que leurs coiffures et haches dont l’usage cultuel paraît ici plus que probable. Tous les objets dont il vient d’être question ont au moins trois points communs : (1) ils possèdent tous un rapport étroit avec le soleil et la lune, (2) leur fonction cultuelle semble acquise pour la plupart et (3) ils proviennent tous de dépôts votifs. Toutefois leur format les différencie non plus seulement d’un point de vue formel mais aussi fonctionnel. En effet, quel qu’ait pu être leur usage, celui-ci ne pouvait pas être le même suivant qu’ils étaient de taille normale ou réduite. Les objets miniatures étaient selon toute vraisemblance destinés à être offerts aux puissances divines (dépôts aquatiques) : c’est notamment le cas des chars de Trundholm et de Tågaborg, dont on ne peut croire, vu leur relative fragilité et leur taille qu’ils aient été « promenés » à travers champs. Quant aux objets cultuels grandeur nature qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous, force est de déduire leur existence à partir des versions miniatures dont on dispose. Pour les chars processionnels, on connaît au moins deux versions « grand format », l’un au Danemark (Egemose en Fionie), les deux autres en Suède (Eskelhem, Gotland et Fogdarp Scanie) mais elles datent de la période suivante327. Il est cependant plus que probable que ce type de char ait existé dès l’âge du bronze ancien, si ce n’est avant (Gallemose : fin du Néolithique). En ce qui concerne les disques montés sur un support, on peut considérer leur existence comme d’autant plus certaine qu’on en voit un certain nombre sur les pétroglyphes du Bohuslän. Restent les statuettes de Stockhult dont on peut se demander s’il s’agit d’idoles - et dans ce cas auraient-elles un rapport avec les deux astres ? - ou bien de la représentation lons ici que le Groupe de Lunebourg, dont il a été question auparavant, relevait de cette culture qui occupait une grande partie de l’Allemagne actuelle du sud au nord-ouest. Cf. Ernst Probst, op. cit., p. 183. Voir aussi l’un des articles écrits par Flemming Kaul pour Internet à l’occasion de cette exposition qui a également eu lieu à Copenhague, du 19 décembre 1998 au 5 avril 1999. (http://www.natmus.dk/pp/sœr/bronze/html/guldhattene/htm) intitulé “Skugger af bronzealderens religion. Guldhattene”. 324 Cf. Flemming Paul dans l’article d’Internet “Guldhattene”, op. cit. 325 A Stockhult, on a exhumé des haches d’apparat. 326 Voir infra. 327 Voir partie suivante : « L’âge du bronze récent », chap. IV, A Les faits archéologiques.

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d’officiants telle que cela apparaît dans l’art rupestre scandinave, par exemple sur la composition 454 de Gatemarken paroisse de Tossene près d’Åby au Bohuslän328. Il est encore trop tôt pour se prononcer sur cette question et il est préférable, au point où est parvenue cette étude, de maintenir ouvertes les deux possibilités. B L’iconographie lithique : les pétroglyphes. Motifs solaires et lunaires. Les gravures rupestres des cistes de Sagaholm et de Kivik Si les pétroglyphes ne constituent pas, on vient de le voir, la seule source utilisable, ils n’en demeurent pas moins une clef essentielle pour la compréhension des croyances et cultes solaires et lunaires. En effet, ce ne sont plus seulement des symboles et des signes que nous livre l’art rupestre scandinave, mais, dès l’âge du bronze ancien, des scènes cultuelles, qui semblent se dérouler devant nous, par exemple à Simris (rocher 19), Kivik (dalles 7 et 8) et Sagaholm (dalles 31 et 42). Avec les pétroglyphes, c’est une sorte de langage qui nous est proposé, certes souvent difficile à saisir, à interpréter, mais cependant plus riche en informations « de première main ». L’un des thèmes de ces dessins pariétaux s’avère être en effet le soleil. Quant aux motifs lunaires, ils apparaissent beaucoup plus difficiles à discerner. A moins que la lune soit si étroitement associée à l’astre diurne qu’ensemble ils forment une paire : il faut en effet garder dès maintenant à l’esprit que, dans l’univers mental des anciens Scandinaves, sont très présentes les paires parallèles ou symétriques, ce que Régis Boyer appelle la « gémellité bisexuée329. » La datation se révèle être, aujourd’hui encore, le problème majeur dans l’utilisation des pétroglyphes en tant que source. En effet, les techniques traditionnelles, telles que la stratigraphie, ne sont généralement pas exploitables en ce qui concerne les gravures pariétales330. Dans quelques cas, assez rares, on a pu certes dater avec quelque précision des glyphes en raison de restes de charbon de bois exhumés au pied des roches : ceux-ci représentent probablement les témoignages de rites accomplis à proximité immédiate de 328

Cf. U. Bertilsson « The Rock Carvings of Northern Bohuslän, Spatial Structures and Social Symbols. », Studies in Archæology, n° 7, Department of Archæology, University of Stockholm, Stockholm, 1987. 329 Cf. Regis Boyer « Yggdrasill. La religion des anciens Scandinaves. », Paris, Payot, 1981, p. 65. 330 Exceptions de taille : les glyphes de Bredarör (Kivik) et Sagaholm, du fait qu’ils se trouvent dans des tertres funéraires. De même au Danemark, un certain nombre de dessins rupestres sur des rochers qui ont servi de pierres d’angle à Viborg, paroisse de Øster Velling au Jutland. Autre cas exceptionnel bien connu : les rochers 19 et 27 de Simris en Scanie du fait des armes (épées) et surtout des haches qui y figurent : elles sont identiques à celles que l’on trouve dans les dépôts votifs et s’avèrent donc parfaitement datables.

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ces surfaces pariétales331. Quelques sites ont même pu livrer, fait exceptionnel, des vestiges d’instruments ayant pu servir à graver ces dessins dans la pierre. Mais, il faut le répéter, ces cas sont l’exception qui confirme la règle. De quels moyens dispose-t-on alors lorsque toutes les méthodes classiques de datation se révèlent inefficaces ? Tout d’abord la présence de certains types d’objets susceptibles, eux, d’être datés, au moins approximativement : surtout les bateaux, les armes (haches, épées), fort heureusement représentés de façon réitérée à l’âge du bronze ancien. Pour ce qui est des bateaux, on a exhumé en 1952 et 1957 dans un dépôt à Rørby en Seeland une paire d’épées recourbées dont l’une est ornée sur sa lame d’un bateau qui par sa forme et ses proportions rappellent de façon frappante les vaisseaux minoens sensiblement contemporains (environ 1700 – 1600 av. J.-C. : période I). C’est à partir de ce navire que l’on a pu établir l’évolution des formes jusqu’à la fin de l’âge du bronze et ainsi jeter les bases d’une datation des pétroglyphes. La première proposition, celle de P. V. Glob, remonte à plus de quarante ans332 (1969). Elle a été depuis précisée et corrigée par M. P. Malmer et surtout par Flemming Kaul (1998). C’est de cette dernière qu’il sera tenu compte ici333. Le fait que des armes et surtout des bateaux soient un sujet fréquent à l’âge du bronze ancien permet ainsi de dater bon nombre de figures pariétales, non seulement au Danemark et en Suède, mais aussi en Norvège. Il n’en reste pas moins qu’une grande quantité de glyphes continuent à échapper à toute datation, ce qui dans le cadre de cette étude, peut se révéler parfois très fâcheux : aussi ne se réfèrera-t-on, dans la mesure du possible, qu’aux seuls dessins datables. En Suède et en Norvège, les motifs à proprement solaires et lunaires sont, à vrai dire, loin d’occuper la première place dans la hiérarchie des motifs de l’art rupestre à l’âge du bronze ancien : ils viennent bien après les cupules, les bateaux et d’autres encore (animaux, pieds, mains…)334. 331

C’est notamment le cas au centre de la Suède, dans le parc de Släbro, près de Nyköping au Södermanland (Slöbroparken), au Götaland (cf. S. Wigren “Hällristningarna i Släbroparken”, Länsstyrelsen, 1190, p. 48, fig. 59 à 61 et p. 68) et à Tjörn (cf. J. Pettersson : “Hällristningar på Tjörn”, 1977, första delen et 1982 andra delen) où l’on a trouvé des pierres pointues de la taille du poing. Elles étaient en quartz et ont dû servir d’outils de percussion. Voir aussi l’article de Bertil Almgren “Felsbilder I. Skandinavien § 5 Technik”, in : Johannes Hoops « Reallexikon der germanischen Altertumskunde », Berlin – New York : Walter de Gruyter, 1994, tome 8, p. 343, qui cite les publications de S. Wigren et J. Petterson. 332 Cf. P. V. Glob « Helleristninger i Danmark », København, “Jysk arkælogisk Selskabs Skrifter”, tome VIII, 1969. 333 On ne rentrera pas ici dans les détails de la datation, en se contentant de renvoyer à l’ouvrage cité. 334 Au Bohuslän, on en compte 631, en Ostrogothnie 164, au Uppland 135, soit un total de 930 pour toute la Suède et l’âge du bronze, toutes périodes confondues. En pourcentage cela représente 0,8 % pour le Bohuslän et 0,9 % pour l’Ostrogothnie et l’Uppland. C’est peu com-

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Par contre, ils viennent en deuxième place au Danemark, immédiatement après les cupules : on les rencontre dans 59 localités réparties dans tout le pays, en particulier au nord de la Seeland, où ils sont fortement représentés. Ils figurent fréquemment en compagnie d’autres motifs, en premier lieu les bateaux. On peut les voir sur des rochers souvent à proximité de tertres funéraires. La plupart du temps, ces pierres recouvraient le ciste à l’intérieur des tumuli, le dessin rupestre étant gravé sur la face interne, donc au plafond du tombeau335. Malheureusement, la plupart d’entre eux ne sont plus à leur emplacement d’origine, ce qui nous prive d’une datation même approximative. Dans certains cas, ils sont encore en place, soit comme dalle qui recouvre le ciste, soit comme pierre d’angle : ainsi à Mandbjerghøj au Jutland. Néanmoins, beaucoup étant situés, aujourd’hui encore, à proximité immédiate de tumuli, une datation approximative est possible dans un certain nombre de cas336. Les formes et la taille données aux deux astres varient considérablement : vient tout d’abord le cercle isolé de tout format, dépourvu le plus souvent de rayons : il s’agit donc de simples circonférences. Dans cette première catégorie, le disque est habituellement représenté sans aucun support : il y a donc tout lieu d’y voir l’astre diurne lui-même. Mais dans la majorité des cas, il est associé à d’autres cercles, identiques ou pas. Lorsqu’ils sont semblables, on les trouve le plus fréquemment en nombre paire (quatre ou huit). C’est notamment le cas sur deux des trois rochers datés de la période II à proximité du tertre de Mandbjerghøj au centre du Jutland : sur l’un d’eux figurent quatre cercles placés les uns derrière les autres dans le sens de la hauteur. Sur l’autre, on en dénombre huit ainsi placés, mais parallèlement à cinq cercles ovales qui regroupent chacun deux circonférences géminées. Sur le couvercle du ciste de Gladved, datant de la période III, on peut voir deux cercles géminés ayant de loin la forme d’une paire de lunettes. Retenons, pour l’instant, l’association de deux, quatre voire huit cercles et le principe des paires géminées appliqué à ce genre de motifs (disques et cercles). Les cercles concentriques sont relativement rares dans l’iconographie pariétale de Scandinavie à l’âge du bronze ancien, alors qu’il est partout présent sur les objets métalliques de la période II. Les rochers près du tertre de Mandbjerg constituent sans doute l’exemple le plus probant de ce motif peu répandu. On l’y trouve sous deux formes : en trois exemplaires qui comprennent chacun deux cercles concentriques et en quatre de trois cercles paré aux cupules (71979 pour tout le pays) ou même aux bateaux (10933) soit, en pourcentage 66,3 % pour le Bohuslän, 89,3 % en Ostrogothnie et 79,0 % au Uppland pour les cupules, 16,6 %, 5,6 % et 8,6 % pour les bateaux. Cf. Sverker Janson, Erik B. Lundberg et Ulf Bertilsson « Hällristningar och hällmålningar i Sverige », Stockholm Forum, 1989, p. 39. 335 On étudiera plus loin le symbolisme de cet emplacement. 336 C’est pourquoi on ne se référera ici qu’aux seuls glyphes danois.

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concentriques. Les deux types sont disposés parallèlement. A Klinta (période II ou III) dans l’île d’Öland en Suède, il est placé seul au dessus d’un bateau. Les rouelles à quatre ou huit rayons ainsi que les rouelles géminées constituent le thème le plus fortement représenté au Danemark : il y apparaît dans trente-six localités comprenant plus d’une centaine de signes. Cependant, il faut restreindre la pertinence de ces chiffres car seul un nombre très réduit de tels motifs a pu être daté du bronze ancien. On peut néanmoins avancer que c’est au Danemark qu’il a fait son apparition pour être ensuite diffusé dans le reste de la Scandinavie au bronze récent. Il n’est représenté seul que sur huit rochers et, seulement quatre fois, en compagnie de cupules. Dans tous les cas, il est placé au centre, et sur les pierres les plus plates en forme de menhir (ce que les Scandinaves appellent bautasten/ bautastein) presqu’au sommet. Le luminaire est représenté sous la forme d’une rouelle à quatre ou huit rayons avec ou sans moyeu central337 : le symbolisme rejoint alors celui de la roue et sous-entend un déplacement : la course de l’astre diurne. Les quatre ou huit rayons représentent en même temps les points cardinaux. Mais on ne doit cependant pas exclure à priori la possibilité que les rouelles à quatre rayons figurent aussi la lune et ses différents quartiers, ne serait-ce qu’à cause du principe de la gémellité, si important lorsqu’il est question des deux luminaires. D’ailleurs le motif des rouelles est, au bronze ancien, le plus souvent gravé seul ou en groupes de deux, quatre ou huit : donc là encore des multiples de deux. Mais surtout les rouelles géminées reviennent fréquemment. En Suède, on connaît au moins trois sites datés possédant des glyphes qui représentent des rouelles à rayons cruciformes. Le premier sur la côte ouest de l’île de Ven, autrefois danoise, située sur l’Øresund entre la Seeland et la Scanie : sur la plage, en contrebas des falaises, on peut voir plusieurs dalles qui ont servi de couvercles à des cistes (hällkistor en suédois) ornés de figures datant de l’extrême fin du Néolithique ou du tout début du bronze ancien (période I). Il faut donc souligner ici le rapport établi entre les symboles solaires et la mort. Le deuxième est celui de Gladsax à l’est de la Scanie. Le couvercle de la tombe mégalithique n° 18338, situé à environ six kilomètres au nord-ouest de Simrishamm, est couvert de diffé337

Le fait que les roues à quatre ou huit rayons puissent remonter au bronze ancien repose sur l’existence d’objets montrant précisément ces motifs et pouvant être datés des périodes I à III, par exemple le char de Trundholm, cf. H. C. Broholm : « Danske Oldsager III Ældre Bronzealder », København, Gyldendalske Boghandel og Nordisk Forlag, 1952, figures nos 41, 119, 174, 269 et 271. 338 Elle fut dressée aux alentours de 3700 av. JC., c’est-à-dire au début du Néolithique ancien. C’est de cette époque que pourraient dater les 80 cupules au sommet du bloc qui recouvre la tombe. Lors de fouilles archéologiques, on a pu constater au moins deux réemplois au Néolithique récent (2300 à 1800 av. JC.) : cf. Sverker Janson, Erik B. Lundberg et Ulf Bertilsson « Hällristningar och hällmålingar i Sverige », Stockholm, Bokförlaget Forum, 1989, pp. 66 et 67. Voir aussi Göran Burenhult : “The Rock carvings of Götaland”, II. Lund : “Acta Lundensia”, tome 8, 1973 : troisième volume d’une étude consacrée aux pétroglyphes de Suède.

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rentes couches de glyphes datant de plusieurs époques distinctes qui reflètent les étapes successives de l’utilisation de cette sépulture339. Dans celle qui correspond à l’extrême fin du Néolithique et au tout début de l’âge du bronze (période I) sont reproduites diverses haches à manche de cette période (environ 1900 – 1700 av. J.-C.). Non loin de celles-ci, on voit une rouelle à quatre rayons cruciformes qui date vraisemblablement de la même période340. Il s’agit peut-être de l’un des plus anciens signes solaires et lunaires datant de l’âge du bronze. Appelé parfois « lunette » par les archéologues scandinaves, la double volute341 est adoptée en Europe du nord dès la fin du Néolithique et on le rencontre sur les pétroglyphes de l’ouest de la Norvège342. Mais ce n’est qu’à l’âge du bronze qu’il entre dans l’ornementation du mobilier funéraire métallique. On le trouve notamment sur le fermoir d’un bracelet dans la sépulture de Gyldensgård, paroisse d’Øster Marie dans l’île de Bornholm, qui date de la fin de la période II ou du début de la période III entre 1300 et 1200 av. J.C. Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres très nombreux. La double volute reprend en fait le thème de la spirale déjà évoqué : elle représente le doublement de ce motif, le tout relié par une sorte de « pont » qui évoque effectivement la forme d’une monture de lunette. Hormis le symbole de l’éternel recommencement et du caractère cyclique de toute vie évoqué plus haut (voir chapitre précédent), on peut se demander s’il n’est pas en même temps une figuration de la gémellité soleil / lune, de leur lien étroit. Même si, en soit, le bateau et le cheval ne semblent posséder aucun lien direct avec le soleil et la lune, les thèmes iconographiques étudiés ici possèdent, de par leur contexte, un rapport intrinsèque avec les deux luminaires, c’est pourquoi il importe de les considérer ici, non pas isolément, mais tels qu’ils se présentent sur les rochers. Dès le début de l’âge du bronze (période I) apparaît, sur l’épée recourbée de Rørby, le thème le plus prisé de l’iconographie pariétale sud scandinave après la cupule : le bateau. Etant donnée son association, des plus fréquentes, aux deux astres, attestée depuis le commencement de cette époque, on doit en conclure à un lien entre ce véhicule et les corps célestes. Parallèlement, un fait archéologique permet de les relier au culte des morts, lui-même très étroitement associé à celui des deux luminaires. En effet, les représentations de bateaux apparaissent, au bronze ancien, le plus fréquemment sur les cou339

Cf. Sverker Janson, op. cit., p. 67. Ibidem, p. 67. 341 Autre désignation, également adoptée ici, la double spirale. 342 Voir partie précédente sur le Néolithique tardif, note 233.

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vercles ou les parois des cistes, au centre des tertres funéraires. Citons par exemple celle du tertre long à double ciste de Breddysse (Amt de Sorø en Seeland occidentale) : le plus grand des deux bateaux, très proches du type de Rørby et datables de la période II, est surmonté de deux cupules que se distinguent des nombreuses autres par le fait qu’elles sont reliées entre elles par un trait épais. On doit encore citer la pierre de Klinta (île d’Öland) qui provient d’un tumulus aujourd’hui détruit : celle-ci se compose de trois parties distinctes : en haut, presqu’au sommet, on trouve un cercle concentrique de deux circonférences dont la plus petite contient en son centre une cupule. A gauche de ce cercle sont situées quatre cupules taillées profondément et formant un losange. Le centre de la composition est occupé par un bateau d’un dessin semblable à ceux de Breddysse. A l’intérieur, comme à Breddysse, sont les membres de l’équipage, au nombre de sept. Ici, l’on ne s’est pas contenté de tracer un simple trait, comme cela va devenir la règle durant tout l’âge du bronze, mais on distingue assez nettement des silhouettes humaines. Enfin, sur le registre inférieur, sous le bateau on aperçoit une sorte de frise de trois chevaux dont la silhouette fortement stylisée rappelle immédiatement ceux de Tågaborg, de Kivik et de Sagaholm au Småland. Il faut en outre noter le sens de déplacement identique pour le bateau et les chevaux : de gauche à droite, c’est-à-dire d’ouest en est, du couchant au levant. Dans le contexte funéraire où l’on se trouve ici, cela prend une signification toute symbolique : allusion à la course du soleil durant la nuit, celle-ci renvoyant aux ténèbres de la mort qui seront vaincues, comme l’obscurité nocturne, lorsque l’astre du jour poindra à l’est. Sur les glyphes de Sagaholm (période II ou III entre 1500 et 1100 av. J.C.) le bateau s’avère être l’un des thèmes les plus récurrents avec le cheval. Mais les dessins pariétaux de ce tumulus, situé au nord du Småland devront, tout comme ceux de Kivik, être étudiés à part car ils forment un tout complexe dont on ne peut isoler les motifs, si importants soient-ils. A Hägvide, dans la paroisse de Lärbro sur l’île de Gotland, on n’a pas affaire à un couvercle de ciste mais à une surface rocheuse : ici le contexte n’est donc pas funéraire. Rien d’étonnant dès lors à ce que le motif de l’embarcation soit associé à d’autres thèmes : haches du même type que celles de Simris (Néolithique final ou période I entre 1900 et 1700 av. J.C.) et plantes de pieds. La silhouette des bateaux, une vingtaine environ, rappelle beaucoup celle de Rørby. Eparpillées sur toute la surface du rocher, les cupules sont parfois reliées entre elles par des traits. Les navires figurent soit dans la direction du couchant (droite à gauche) soit de bas en haut ou l’inverse. Il ne semble donc pas ici que le sens de marche des navires réponde à un symbolisme bien précis comme c’était le cas à Klinta. On a plutôt l’impression que les bateaux ont été tracés à différentes occasions et que 155

leur orientation soit liée aux besoins cultuels du moment. La présence des haches et des plantes de pieds est peut-être plus significative dans ce contexte que le sens de marche des bateaux : les marques de pieds expriment peut-être la présence d’une puissance divine et la figuration de haches à manche pourraient en indiquer la nature masculine. Quoi qu’il en soit le rocher de Hägvide démontre que le bateau peut apparaître dans un contexte différent où le rapport avec les deux luminaires semble moins évident que précédemment. L’on serait plutôt tenté de voir ici un lien entre le pouvoir d’essence masculine, symbolisé par la présence des haches à manche et le navire en tant que vecteur de richesse, ainsi qu’on l’a vu à propos du rôle culturel du navire343. Seules les plantes de pieds et les cupules rappellent que rien à cette époque n’échappe au contexte religieux : ils symbolisent peutêtre la présence des deux puissances qui président l’une au monde céleste (hache) l’autre à l’univers chthonien (cupules) ? Par là même on voit combien le bateau est alors un thème central qui va bien au-delà du seul contexte héliaque et sélénique. Fouillé, au début des années soixante-dix, le tertre funéraire de Sagaholm (Fig. 19) a été longuement étudié entre 1971 et 1994 par des archéologues suédois tels que Göran Burenhult344, Anders Wihlborg345 et plus récemment par le Danois Klavs Randsborg346 et le Suédois Joakim Goldhahn347. Il constitue, avec Kivik, l’une des sources iconographiques essentielles pour l’âge du bronze ancien, ne serait-ce que parce qu’il est datable. Selon les dernières études348, il remonte probablement à la période II ou III, c’est-à-dire entre 1500 et 1100 av. J.-C.. Les 22 dalles de grés historiées étaient réparties en arc de cercle et faisaient partie intégrante de l’enclos intérieur semicirculaire qui délimitait le cœur du tertre funéraire. Le motif le plus répandu est celui de l’animal : il est visible sur 31 dalles, (= 67, 5 %349); on peut penser qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de chevaux, sauf pour les dalles 31 et 42. Ceux-ci rappellent stylistiquement ceux de Kivik et de Klinta / Öland, 343

Voir supra. Cf. Göran Burenhult : “The Rock Carvings of Götaland”, part II, illustration in : Lund “Acta Archaeologica Lundensia”, series in 4° tome 8, 1973 et “Götalands hällristningar” / Del II (2ème partie), Stockholm : “These and Papers in North European Archaelogy”, volume 10, 1980. 345 Anders Wihlborg : “Sagaholm. A Bronze Age barrow with rock-carvings”, Lund : “Meddelanden från Lunds Universitets Historika Museum”, 1977 / 78, pp. 111 à 128. 346 Klavs Randsborg : « Kivik Archæology and Iconography », in : “Acta Archaeologica”, tome 64, København, Munksgaard, 1993. 347 Joachim Goldhahn : « Sagaholm hällristningar och gravritual », “Studia Archaeologica Universitatis Umensis”, fascicule 11 / “Jönköpings Läns Museums Arkeologiska Rapportserie”, n° 41, Jönköping, 1999. 348 Ibidem, p. 150. 349 Ibidem, p. 75.

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ainsi que les chevaux des dépôts de Trundholm et de Tågaborg350. Les glyphes 31 et 42 représentent vraisemblablement des cervidés : ils portent des cornes et leur queue est soulignée. Mais même dans ces deux cas, il peut s’agir de chevaux qui ont été revêtus d’ornements lors de rites spéciaux351. On en a la preuve grâce aux chevaux du dépôt de Fårdal (Amt de Viborg, Jutland) daté de la période V (900 – 700 av. J.-C.) donc de l’âge du bronze récent352. Ceux-ci arborent également des cornes semblables à celles de cervidés et tout à fait comparables à celle que l’on voit sur les dalles 31 et 42. Si tel était le cas, l’unité de composition de Sagaholm s’en trouverait renforcée353. Cependant, la dalle 42 parle plutôt en faveur d’un cervidé, motif que l’on retrouve sur les gravures rupestres du Bohuslän354, qui datent pour la plupart de l’âge du bronze récent. Klavs Randsborg355 y voit des étalons en se référant à la dalle n° 7 de Kivik. Des recherches menées à l’automne 1997356 ont permis de constater que, là aussi, les animaux portaient des ornements, ce qui rend la thèse de Klavs Randsborg encore plus plausible. Dans le cas de Sagaholm, comme dans ceux qui viennent d’être cités, les chevaux seraient donc censés représenter des cervidés ou ressembler à ceuxci. Il s’agirait alors d’une interprétation mythologique de la réalité du monde visible357. On la trouverait également chez les Celtes358. On ne peut se ranger à la thèse de Klavs Randsborg que si les scènes représentées ici (dalles 31 et 42) sont d’ordre cultuel, rituel. Sinon, on se demande pourquoi, dans une contrée comme le nord du Småland où le gibier à cornes (élans) abonde, on aurait besoin de grimer des chevaux en cervidés. Or ce qui figure sur ces deux dalles, et ailleurs, relève effectivement du domaine cultuel. On se contentera pour l’instant de rappeler que les fouilles des cimetières mésolithiques tardifs de Bøgebakken en Seeland et de Skateholm en Scanie359 ont démontré les liens qui unissent, depuis la plus haute antiquité, le cervidé et les rites funéraires d’une part, le soleil et la lune d’autre part. A l’époque où fut érigé le tertre de Sagaholm, le cheval n’avait été introduit dans cette contrée que depuis quatre, tout au plus cinq siècles. Alors que le cervidé hantait, depuis des millénaires, l’univers mental des chasseurs-pêcheurs qu’étaient 350

Ibidem, p. 72. Ibidem, p. 74 : Joachim Goldhahn se réfère ici à l’article de Klavs Randsborg, « Kivik…», op. cit., p. 94. 352 Ibidem, p. 72. 353 Ibidem, p. 74. 354 Cf. infra. « L’âge du bronze récent ». 355 Cf. Joakim Goldhahn, p. 72, qui cite Klavs Randsborg, p. 92. 356 Cf. Joakim Goldhahn, op. cit., p. 73. 357 Ibidem, p. 74. 358 Ibidem, p. 74 : ici Joakim Goldhahn cite l’ouvrage de Miranda Green : « Symbol and Image in Celtic Religions Art », London and New York, Routledge, 1989, p. 146 et suiv. 359 Cf. supra.

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restés, au fond d’eux-mêmes, les habitants de la Scandinavie méridionale à l’âge du bronze ancien. Ce qui frappe d’emblée lorsque l’on se place devant l’ensemble des dalles maintenant exposées au musée de Jöngköping (Ostrogothnie): les sujets représentés, animaux et bateaux confondus, se déplacent pour la plupart (exceptées les dalles 22 et 31) dans le sens gauche-droite, c’est-à-dire d’ouest en est, en d’autres termes dans la direction couchant-levant : cela correspond donc à la course nocturne du soleil. Dans ce contexte funéraire, l’association course nocturne de l’astre et voyage du défunt dans l’au-delà s’impose immédiatement, ainsi que la croyance en une renaissance. Le bateau ne représente que 19,5 % des thèmes iconographiques. On le trouve sur neuf dalles, peut-être encore sur deux autres (dalles 1 et 25). Là encore toutes les figures sont orientées ouest-est, sauf une, la dalle n° 22. Les embarcations figurent soit seules, soit avec un équipage, souvent penché dans le sens de la marche. Pour ce qui est du type, les bateaux visibles ici, ressemblent à celui qui orne la lame de l’épée recourbée mise à jour à Rørby en Seeland. En dehors des représentations de chevaux et de bateaux, souvent associés, on trouve encore deux scènes de zoophilie et une de chasse, sans compter le glyphe au bas de la dalle 22 figurant un homme qui brandit une lance dans le sens droite-gauche, c’est-à-dire est-ouest ou levant-couchant : c’est donc la seule fois où l’on se réfère à la course diurne de l’astre. Ce glyphe a été dernièrement découvert par les deux archéologues suédois Joakim Goldhahn et Lasse Bengtsson, lors d’un frottage effectué au musée de Jöngköping360. C’est là une acquisition importante dans la connaissance non seulement des croyances religieuses de l’âge du bronze nordique ancien, mais aussi des comportements sociaux, au moins en ce qui concerne les couches sociales dominantes. Du fait de cette découverte, la position de cette dalle au centre de la composition, prend une signification éminemment symbolique ; de même que la direction dans laquelle le bateau, situé en haut, et la lance, en bas, sont censés se déplacer. En replaçant cette scène dans le contexte du tumulus de Sagaholm, on peut avancer deux hypothèses de travail : Ces deux gravures pariétales se rapportent à la vie du défunt icibas361. Toutes deux symbolisent le pouvoir et la richesse de celui-ci (lance, bateau !) Le fait que la dalle sur laquelle ils ont alors été gravés figure au centre de la couronne qui limite le cœur du tertre sous-entendrait la 360

C’est ce qui explique qu’on ne le voit pas sur la figure 238 (dalle 22, planche 115) exécutée avant cette découverte. 361 D’où le sens droite-gauche, celui de la course diurne du soleil qui symboliserait ici la vie du défunt ici-bas.

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croyance en une continuité de ce statut dans un au-delà où l’astre lumineux (lune ou soleil), d’ailleurs présent en haut à droite de la dalle, ne cesserait d’illuminer l’existence bienheureuse du mort. Par ailleurs, la présence relativement restreinte des cupules sur les dalles de Sagaholm s’avère remarquable : on en trouve certes plusieurs exemplaires sur un certain nombre d’entre elles (entre autres 6, 13, 23, 31, 32, et A) mais elles sont loin de couvrir toute la surface, comme c’est souvent le cas au Danemark (contexte funéraire) ou sur d’autres sites suédois (concurremment aux motifs figuratifs). Leur positionnement n’est sûrement pas le fruit du hasard. On les trouve placées assez fréquemment à l’extrémité droite : par exemple sur la 13ème, la 31ème et la 32ème. A propos de ce thème, il est un trait qu’il faut encore mentionner : le fait que les cupules soient souvent regroupées par deux, ainsi sur la dalle 6, au dessus des membres de l’équipage du navire qui figure en haut du tableau. Sur la dalle 31, elles sont visibles de part et d’autre de la composition : l’une au sommet, l’autre à la base. D’une façon générale, il est nécessaire d’insister, à Sagaholm comme sur beaucoup d’autres sites rupestres sud scandinaves, sur l’importance du chiffre deux, de la dualité et des paires symétriques (la dalle 31 en offre un exemple éloquent). Et cette constatation ne concerne pas seulement les cupules mais affecte l’ensemble de l’iconographie sud-scandinave de cette période. En fait, la dualité s’avère omniprésente : les chevaux sont très souvent regroupés par paire : les dalles 13, 23, 26, 31, 32 ; ainsi que celles trouvées à proximité du tertre et qui en font très certainement partie : elles sont désignées habituellement par des lettres et sont au nombre de cinq, dont deux montrent une paire de chevaux. Les embarcations ne sont pas absentes de cette constatation, exemple la dalle 6. Et ce n’est pas jusqu’aux traits censés représenter les membres de l’équipage qui ne soient pas répartis par paire : cas particulièrement probant, la dalle 34. On y voit un trait de part et d’autre de la proue et de la poupe du navire, tandis qu’au centre de l’embarcation, les traits sont gravés par deux. De même les scènes de zoophilie ou celles de chasse ont, entre autre, pour sujet la dualité entre l’homme et l’animal. Mais l’exemple le plus frappant de paires parallèles ou symétriques est peut-être fourni par le duo cheval-cervidé au centre de la composition qui anime la dalle 31. Les deux animaux sont opposés dos à dos362 au point de constituer une unité iconographique. A n’en pas douter le graveur a voulu souligner tout particulièrement ici l’importance de ce thème.

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On retrouvera ce type d’opposition sur les pétroglyphes du Bohuslän datant pour la plupart de la deuxième moitié de l’âge du bronze : c’est en particulier le cas de deux personnages brandissant un bâton ou un bouclier et ainsi opposés.

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Le tertre de Sagaholm constitue un cas unique en ce qu’il offre un ensemble de glyphes reliés entre eux par un contexte. En cela il est l’égal de Kivik. Son cycle iconographique tourne autour de plusieurs thèmes essentiels pour tout l’âge du bronze : L’orientation des motifs iconographiques dans les sens gauche-droite qui symbolisent la course solaire nocturne c’est à dire le retour de l’astre, gage de renaissance ; cette orientation est également présente dans les deux scènes de zoophilie. Peut-être représentent-elles rituellement l’action bénéfique du soleil et de la lune sur le monde animal et végétal et, au-delà, l’éternel retour de la vie. Le lien iconographique très fort entre le cheval et le bateau, tous deux vecteurs des astres, l’un dans sa course diurne (le cheval), l’autre dans son parcours nocturne (le bateau). Le positionnement marqué des cupules dont le symbolisme va probablement bien au-delà du seul domaine solaire et lunaire. La prépondérance des paires symétriques, de la dualité dont le soleil et la lune, l’alternance jour-nuit, vie-mort sont les ultimes paradigmes. Enfin la forme en arc-de-cercle de la clôture sur laquelle ont été disposés les pétroglyphes peut-être considérée comme une référence directe aux deux corps célestes et à leur course au firmament : Elle est en quelque sorte l’aboutissement d’une tradition qui remonte peut-être au Néolithique récent ainsi à Hjortkær près de Åbenrå au Slesvig danois (sud du Jutland)363. Découverte en 1748 et malheureusement pillée peu après, la sépulture de Kivik (Bredarör à proximité de Kivik) a fait l’objet de fouilles scientifiques et d’une reconstitution entre 1931 et 1933 sous la direction de G. Hällström et J. E. Forssander364. Elle est située à proximité de la côte nord-est de Scanie, non loin de la localité de Kivik. D’un point de vue morphologique, il s’agit d’une tombe du type ciste (hällkista) surmontée d’un cairn365 de galets, sans doute collectés sur le rivage voisin, d’une hauteur de cinq à dix mètres environ ; le diamètre en est, quant à lui considérable : 75 mètres, ce qui en fait l’un des plus vastes monuments funéraires du nord de l’Europe. Ces dimensions permettent d’en conclure à l’importance et au prestige dont jouissait de son vivant le personnage inhumé en ce lieu. La construction de cette tombe a dû constituer une tâche colossale pour la population qui vivait sur place. Il a d’ailleurs été 363

Cf. partie II : « Le Néolithique moyen B et récent ». Cf. J. E. Forssander : “Kring restauringen av Bredarör vid Kivik”, dans : “Skånes hembygdsförbund”, 1935, p. 55 et suiv. 365 C’est-à-dire un monticule ou tumulus fait de pierres : en suédois « röse ».

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élevé sur des habitats plus anciens qui datent du tout début de l’âge du bronze et de la fin du Néolithique366. Mais sa position dominante sur le rivage de la Baltique constitue peut-être la preuve la plus visible du rang exceptionnel qu’occupait le défunt dans la hiérarchie sociale d’alors. Les objets retrouvés lors des fouilles menées en 1931 et 1932 permettent de dater cette sépulture de la fin de la période II ou du tout début de la période III, c’est-àdire aux environs de 1300 av. JC367. Elle est orientée nord-sud : le défunt était disposé de façon à ce que, la tête et la partie supérieure du torse gisant au septentrion, il puisse regarder en direction du sud. On reconnaît ici une disposition héritée du Néolithique récent et particulière aux régions méridionales de la Suède368. Contrairement à Sagaholm où les pétroglyphes tournent en quelque sorte le dos au défunt pour venir se ranger en arc de cercle sur une clôture précédant la chambre sépulcrale, ceux de Kivik font partie intégrante de l’espace consacré à l’inhumation : en effet, ils sont placés à l’intérieur même du caveau, autour du défunt, autrement dit, ils s’inscrivent directement dans le cérémonial funéraire en mettant l’accent sur l’importance du personnage décédé. Et c’est précisément ce que souligne le programme iconographique dont on peut dire qu’il est centré non seulement sur la personnalité, mais plus encore sur la position sociale et religieuse du mort. Si l’on se penche sur l’orientation exacte des glyphes de Bredarör et si on le met en rapport avec leurs thèmes iconographiques on constate que les figures qui représentent des humains ou des objets dus à la main de l’homme se trouvent exclusivement dans la partie sud du ciste. Sur le côté est, celui du levant, mais aussi face à la Mer Baltique, on trouve d’une part (dalle 2) un bateau avec un équipage qui se déplace dans le sens gauche droite ; d’autre part (dalle 1, aujourd’hui disparue), on voit un glyphe au sujet emblématique : une coiffe à usage vraisemblablement cultuel, laquelle rappelle celle des deux figurines de Stockhult, situé non loin de Bredarör, se trouve flanquée de deux haches, non moins cultuelles. Le tout surmontant une troisième embarcation sans équipage qui, elle, se déplace de droite à gauche (est-ouest). L’absence d’équipage n’est peut-être qu’apparente : mais, du fait de la disparition de la dalle une, nous ne sommes pas en mesure de confirmer ou d’infirmer ce trait. A l’ouest, qui fait face à l’intérieur des terres, on constate la présence de quelques gravures (sur la dalle 7, par exemple) mettant en scène des humains et divers animaux, le 366

Cf. l’article de Klavs Randsborg “Kivik Archæology and Iconography” dans la revue danoise : “Acta Archæologica”, tome 64, fascicule 1, København, Munksgaard, 1993, pp. 1 à 147, ici pp. 133 et 134. 367 Ibidem, p. 133 ; voir aussi Klavs Randsborg : “Historical implications. Recent Chronological Studies in European Archæology, c. 2000-500 BC”, in “Acta Archæologica”, tome 62, København, Munksgaard, 1991, p. 89 et suiv. 368 Voir supra.

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tout disposé en registres, les uns au-dessus des autres. Parmi eux, un aurige qui conduit un char à deux roues tiré par deux chevaux précédés d’un groupe de guerriers, des joueurs de lyre, des hommes et des femmes ; ces dernières en forme de « S » renversé, évoquent quelque peu des oiseaux par leur silhouette. De toute évidence elles participent à des processions funèbres dans lesquelles des figures en forme d’oméga (dalle 8) paraissent revêtir une grande importance. Peut-être sont-ce là des représentations schématiques de la tombe elle-même, auquel cas leurs contours évoqueraient fortement le sein maternel369. Au sommet de la dalle huit, une figure arrondie à laquelle est accolée une autre, plus petite, évoque un corps céleste. Malheureusement, un morceau seulement en est visible, le reste ayant disparu. La partie nord (dalles 3, 4, 5, 6) du ciste est ornée de symboles abstraits dont le dénominateur commun est leur caractère binaire : deux paires de roues à rayons en croix (dalles 4 et 6), surmontées, dans un cas, d’une paire de haches (dalle six), deux paires de chevaux dont les uns se déplacent de gauche à droite (partie supérieure de la dalle trois), les autres se faisant face (partie inférieure de la même dalle). On constate, une fois de plus, cette gémellité dont le caractère central ne fait aucun doute. De cette description sommaire, on peut en conclure à l’existence de deux registres principaux : un registre abstrait (dalles 1, 2, 3, 4, 5, 6) et un autre plus proche du défunt (dalles 7 et 8), (Cf. Fig. 20). Le premier rappelle par bien des côtés (bateaux, chevaux) celui de Sagaholm. Mais même dans le second, davantage en contact avec la réalité – il s’agit probablement de la représentation des funérailles du personnage en question –, on s’aperçoit que la figure gravée au sommet de la dernière dalle (8) représente vraisemblablement un, voire deux, corps célestes (le soleil et la lune ?). Ainsi la connotation concrète des scènes représentées s’en trouve quelque peu relativisée par rapport à une partie céleste qui s’avère être en fait la référence ultime (position au faîte de la dalle !). C’est ce qui a conduit l’archéologue danois Klavs Randsborg à proposer une vision tripartite du cosmos dans les deux dernières dalles (7 et 8)370 : le registre du bas représenterait le monde chtonien, les enfers, celui du milieu le monde animal (dalle 7) : baleine et quadrupèdes placés au centre de la composition et celui des humains (dalle huit, premier niveau) : personnages représentés pour la plupart sans bras, se dirigeant vers une figure qui a souvent posé des problèmes d’interprétation. Il pourrait s’agir de la représentation symbolique de la tombe elle-même371.Au dessus, un cortège de femmes éplorées autour d’une 369

Cette figure est assez fréquente dans l’iconographie proche-orientale (civilisations mésopotamiennes) où elle représente communément la matrice. 370 Cf. Klavs Randsborg, op. cit., p 133. 371 Cette manière de représenter une sépulture, de forme vaginale, était courante au MoyenOrient (Mésopotamie) durant le troisième et le deuxième millenaires avant J.C., au point

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sorte de grand vase, contenant peut-être le corps ou les cendres du défunt. Le registre supérieur fait sans doute allusion à la position sociale élevée du personnage : sur la dalle sept, on voit des guerriers et un char, peut-être une référence à la fonction militaire de celui-ci. Sur la dalle huit, on aperçoit un joueur de lyre ; son voisin semble souffler dans un lure ; immédiatement à côté de ce dernier, un autre paraît brandir une hache ; l’ultime personnage de cette rangée pose la destre sur le rebord d’une demi sphère. A l’intérieur de celle-ci, deux personnes tiennent chacune des deux mains une boule reliée à une autre par une poutre arquée, dont le centre prend appui sur une barre verticale : pour certains spécialistes372, il s’agirait d’un cérémonial destiné à produire le feu sacré. Tout ceci serait une allusion à la fonction sacerdotale du défunt. Toujours selon Klavs Randsborg, cette division tripartite correspondrait à la perception « chamanique » du cosmos : la sphère inférieure (chtonienne) et la sphère supérieure (céleste) correspondant aux deux extrêmes ; entre celles-ci se situe le chaman, médiateur par excellence : en tant que tel, il se tient forcément au centre (la terre), allant et venant afin de maintenir l’équilibre entre les différents niveaux cosmiques. Même si l’on ne partage pas totalement la position de Klavs Randsborg, force est de constater, une fois de plus, l’importance de plusieurs thèmes iconographiques solaires et lunaires dans cette tombe : celle-ci est soulignée par la présence symbolique de ces motifs au niveau même de la partie supérieure du corps de la personne inhumée (au nord). Alors que les thèmes plus terrestres se situent au niveau des membres inférieurs, c’est-à-dire au sud. Au niveau du corps de ce personnage, on retrouve donc la même opposition entre un domaine céleste et son pendant terrestre : sphère céleste : dalles 3, 4, 6, montrant des symboles à la fois solaires et lunaires. La dalle 3 : Présente sur son registre supérieur des chevaux qui se déplacent de gauche à droite : ils symbolisent peut-être la course nocturne du soleil et par là même la renaissance du défunt dans l’au-delà. Au registre inférieur, on voit deux chevaux affrontés qui pourraient représenter les deux faces opposées de la course solaire et lunaire, l’une (cheval de gauche) tournée vers le coucher (démême d’être devenu, d’un point de vue sémiologique, une sorte de topos. La distance qui sépare le site de Kivik du Proche-Orient pourrait susciter quelques doutes. Toutefois, le style d’au moins quelques glyphes, en particulier du char avec l’aurige, rappelle fortement celui, contemporain, qui avait cours dans la Grèce mycénienne, voire chez les Minoens. Dès lors que certains spécialistes comme Klavs Randsborg, lui-même, sont allés jusqu’à supposer la présence d’artistes originaires de ces dernières contrées, l’existence, ici, d’un tel motif oriental nous étonne d’autant moins que l’on sait combien les échanges commerciaux, politiques et artistiques étaient alors intenses entre le monde grec et le Moyen-Orient. 372 Parmi ceux-ci, Jan de Vries : « Altgermanische Religionsgeschichte », tome 1, Berlin, Walter de Gruyter, 1956, op. cit., pp. 119 à 121 et Åke V. Ström : « Germanische und Baltische Religion », Stuttgart, Verlag W. Kohlhammer, 1975, p. 72.

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clin, mort), l’autre (cheval de droite) vers le lever (renouveau, vie). La présence d’un double bandeau en zigzags entre les deux registres n’est pas le fruit du hasard : ce motif exprime vraisemblablement l’alternance vie (montée) et mort (descente). La dalle 4 : Les deux roues à quatre rayons pourraient figurer les deux soleils (diurne et nocturne). La dalle 6 : Au registre supérieur, il s’agirait d’attributs ouraniens qui représentent la Puissance Divine masculine ; celle-ci est symbolisée par des haches aux lames en forme de croissant373 dont la partie supérieure se termine en double volute, motif étudié précédemment. Au registre inférieur, les deux roues symboliseraient ici l’astre nocturne associé à son jumeau, l’astre diurne : dans un cas les quatre rayons figureraient les quatre phases lunaires dans l’autre les quatre points cardinaux. sphère terrestre : Les dalles 7 et 8, dont une au moins, la 8, présente aussi une opposition entre le céleste et le terrestre ou chtonien. Le corps du défunt s’avère donc lui-même résumé la bipolarité du cosmos dont il constitue en quelque sorte le point médian374. Ici, le Soleil et la Lune sont reliés directement au défunt.

On est ainsi en présence d’une tout autre conception qu’à Sagaholm. En ce dernier lieu, les deux astres sont conçus comme extérieurs au défunt. La présence de symboles solaires et lunaires sur une clôture qui borde l’espace funéraire laisse entrevoir un rôle tutélaire. Mais surtout la forme même de cette clôture (demi-cercle qui évoque le couchant ou le levant, la lune croissante ou décroissante) et les sujets (scène de zoophilie) met davantage l’accent sur une conception vitaliste de l’univers considéré comme un perpétuel va et vient entre la vie et la mort, entre le renouveau et le déclin. A Sagaholm, le Soleil et la Lune se trouvent donc davantage inclus dans ce vaste cycle vital auquel est lui-même soumis le défunt. A Kivik, le Soleil et la Lune sont la référence ultime par rapport à laquelle est situé le défunt. Celui-ci serait en quelque sorte le médiateur entre les astres et le monde chtonien. Dès lors, on peut raisonnablement estimer qu’il a pu revêtir des fonctions sacerdotales. Peut-être, était-il lui-même considéré comme le représentant sur terre des deux astres : le fait que les sym373

Les références séléniques paraissent s’imposer ici. Est-ce à dire que le registre supérieur de la dalle 6 symboliserait aussi la face céleste de l’astre nocturne, tandis que les deux figures du bas représenteraient à la fois le Soleil et la Lune dans leur phase nocturne, chtonienne ? Auquel cas serait-on en présence d’une union Ciel-Terre ? On sait par ailleurs que la hache symbolise l’éclair qui précéde la venue de la pluie et que la Lune est, dans la plupart des mythologies du nord de l’Europe (scandinave, celtique, balte) censée influencer les précipitations lors de ses différentes phases, tout comme les menstruations féminines, les maladies, la mort et le renouveau des êtres. 374 Cf. le rôle médiateur du chamane.

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boles solaires et lunaires se situent au même niveau que les membres supérieurs (la tête)375 du mort nous le suggère. Un fait demeure néanmoins établi : à Kivik, on assiste à une symbiose entre le pouvoir spirituel et temporel. Plus précisément, on discerne un lien très étroit entre les deux astres et les couches dominantes de la société. Ceci est-il l’expression d’un changement dans les croyances et surtout les cultes solaires et lunaires ? Kivik paraît nous indiquer une piste dans cette direction. C

L’iconographie sur bronze : la corne de Wismar

La connaissance iconographique des cultes et croyances solaires et lunaires de l’âge du bronze ancien ne repose pas seulement sur les gravures pariétales, si importantes soient-elles. Il est en effet au moins un objet en bronze qui vient heureusement confirmer, voire compléter, les informations fournies par les pétroglyphes. Cet artéfact qui a malheureusement disparu en 1945, fut découvert en 1836 profondément enterré dans une tourbière proche de Wismar au nordouest du Mecklembourg. Il s’agissait en fait des trois parties d’une corne. Celle-ci se distingue assez nettement des autres objets en bronze en ce qu’elle présente non pas seulement des motifs géométriques mais aussi et surtout des thèmes figuratifs d’ailleurs tous limités à sa partie supérieure. Son programme iconographique rappelle en bien des points celui des gravures pariétales, mais à la différence notable qu’ici la composition, c’est-àdire la division en registres, s’avère encore beaucoup plus rigoureuse que sur la plupart des pétroglyphes. En s’appuyant sur les spirales du troisième et des cinquièmes registres, on peut dater cette corne de la période II ou du début de la période III. Elle est donc à peu près contemporaine des tombes de Bredarör et Sagaholm. La composition s’étale sur cinq registres limités par deux bandeaux, l’un en forme de pointillés, l’autre en dentelures. Cette œuvre témoigne d’un sens élevé de la composition et, une fois encore, du haut niveau artistique atteint par les métallurgistes nordiques durant la première partie de l’âge du bronze. Une première constatation s’impose d’emblée : l’omniprésence du chiffre deux et de ses multiples : Au sommet, on voit quatre navires,

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A l’appui de cette thèse, l’on peut encore avancer le fait que sur bien des pétroglyphes de l’âge du bronze, ancien comme récent, certains personnages ont une tête épousant la forme de l’astre diurne : c’est notamment le cas sur les dalles 30 et 42 à Sagaholm : cf. Joakim Goldhahn, op. cit., p. 65, qui cite Flemming Kaul : “Skibet og solhesten. Om nye fund af bronzealderens religiøse kunst” dans : “Nationalmuseets Arbeidsmark”, København, 1997, pp. 101 à 114. Sur certains pétroglyphes du bronze récent, l’on croit même avoir affaire à une identification totale entre l’homme et l’astre (cf. infra).

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Au centre, deux fois deux motifs en « S » inversés et quatre fois deux rouelles. En bas, deux cercles concentriques, deux navires, deux guerriers. Un autre fait doit être encore mentionné : presque toutes les figures, géométriques ou autres, sont orientées de gauche à droite. Une seule exception à cette règle : six figures en forme de « S » inversé qui sont toutes dirigées dans le sens contraire (est-ouest). On retrouve ainsi les mêmes caractéristiques qu’à Sagaholm et à Kivik. Une scène d’adoration du disque, vraisemblablement monté sur un char processionnel376, constitue cependant un élément décisif quant au culte héliaque et sélénique au début de l’âge du bronze. Elle nous fournit la preuve que les deux luminaires devaient alors faire l’objet d’une dévotion particulière, qui consistait à adorer un disque les représentant et exhibé lors de processions. En outre, le fait que les cercles concentriques du registre inférieur soient reliés à des boucliers portés par des guerriers armés de lances, confirme les rapports particuliers constatés précédemment (Bredarör) qui unissaient la classe dominante aux luminaires. La corne de Wismar révèlerait donc le même ordre cosmique qu’à Kivik : Au sommet, (registres 1, 2, 3) siègeraient les puissances divines : elles seraient symbolisées par des chevrons pointés vers le haut (= la vie) et vers le bas (= la mort) : ainsi se trouverait matérialisée ici leur pouvoir absolu sur les deux composantes de l’existence qui déterminent la marche de l’univers. Au centre, les deux astres figurés par les rouelles jumelées. Peut-être faudrait-il voir dans la bipartition de ce registre une face nocturne (à gauche) avec les bateaux et les « S » inversés et une face diurne avec le soleil et ses adorateurs ? A la base enfin, l’univers des humains et le lien spécifique établi entre l’astre diurne et les classes dominantes (guerriers). D

Le symbolisme de l’architecture funéraire

La relation que l’on a pu déceler entre le pouvoir temporel et spirituel incarné par le chef (ou le roi) d’une tribu et les deux astres, en particulier le soleil ne se retrouve pas seulement dans l’aménagement intérieur des tombes et la position du défunt mais aussi dans leur architecture extérieure et même le paysage environnant. 376

Celui-ci est figuré par les quatre roues à rayons cruciformes. On peut penser qu’il s’agit d’un char grandeur nature, donc destiné à être utilisé dans le cadre de cérémonies où participent un plus grand nombre de personnes que dans les rites qui font appel à des véhicules miniatures tels que ceux de Trundholm et de Tågaborg.

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Ainsi c’est le principe même du tertre qui s’avère être chargé d’un symbolisme qui en dit long sur le type de rapports établis alors entre les détenteurs du pouvoir et les deux luminaires. En effet, par sa forme, le tumulus s’avère être une éminence qui s’élève au dessus des terres avoisinantes. Or, on retrouve ce même principe appliqué aux plaques rondes qui ornaient la ceinture des puissants d’alors (le tumulus): une pointe en occupe le milieu377. De même les disques d’or comportent-ils tous une protubérance placée exactement en leur centre. Il est dès lors tentant d’établir un parallèle entre les deux principes : comme la bosse au milieu du disque figure le centre de l’astre, autrement dit le siège de sa puissance, de son énergie, le tumulus symbolise le centre du territoire sur lequel règne le personnage inhumé et d’où il continue à assurer l’équilibre cosmique de la communauté. C’est pourquoi le tertre figure en même temps, tel l’arbre cosmique, l’axe du monde. Il assure le lien entre le ciel et la terre, entre les humains et les puissances divines. Et c’est bien là la fonction primordiale du chef inhumé sous le tumulus, laquelle est d’essence chamanique. Dès lors rien d’étonnant à ce que ce dernier porte, lorsqu’il revêt des fonctions sacerdotales, une coiffure qui par sa forme rappelle fortement la pointe sise au milieu des plaques rondes de ceintures. Les deux figurines de Stockholm fournissent à cet égard un exemple éloquent378. Par ailleurs, la couronne de pierres sur le pourtour du tertre symbolise en elle-même le disque héliaque et sélénique. A Sagaholm, l’enclos qui entourait le tertre était, d’après les reconstitutions, formé de deux demi-cercles379, séparés par deux ouvertures380 ; l’une nettement plus large, devait vraisemblablement se situer à l’est et l’autre très étroite à l’ouest. Cette disposition s’avère de toute évidence symbolique : elle est l’expression de l’espoir de renouveau. Quant aux deux demi-cercles, ils rappellent ceux décrits aussi 377

En Suède, les tutuli de la période III et ceux de la transition période III / période IV possèdent une pointe se terminant par un bouton rond orné d’un corps céleste rayonnant. Au fil du temps, ce bouton revêt des proportions de plus en plus importantes, en particulier à l’extrême fin de la période III (autour de 1200 av. JC.). Ainsi le rapport entre le pouvoir et les astres trouve là sa plus parfaite expression. Mais ce qui s’exprime ici encore davantage c’est le symbolisme de l’axe cosmique qui relie la terre considérée à l’époque comme ronde et plate avec le Soleil ou la Lune, alors regardés comme un disque tournant autour de la terre. 378 Cf. aussi le glyphe n° 454 de Gatemarken (Période II ou III) paroisse de Tossene au Bohuslän qui représente deux personnages coiffés de semblables chapeaux et levant les bras tels des orants. L’épée dont ils sont armés permet de penser qu’il s’agit de membres de la classe dirigeante. Leur attitude et leur accoutrement, le fait qu’ils soient deux : voilà peut-être des indices d’une fonction sacerdotale. Cf. Ulf Bertilsson : « The Rock Carvings of Northern Bohuslän. Spacial structures and Social symbols », Stockholm, Studies in Archæology, tome 7, Stockholm Universitet, 1987, p. 80, fig. 52 / 5. 379 Cf. Joakim Goldhahn, op. cit., p. 196 : illustration 10 / 1 de Richard Holmgren, représentant la reconstitution de cet enclos primitif avant l’érection du tertre définitif. 380 Ibidem

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bien par le soleil à son lever ou à son coucher381 que par la lune croissante ou décroissante. Lorsque fut, par la suite, dressé le tertre dans ses proportions définitives, les deux demi-cercles furent ainsi réunis comme pour exprimer que déclin et renouveau ne faisaient plus qu’un. Il est une catégorie de tumuli dont le symbolisme solaire et lunaire s’exprime de manière quelque peu différente : les tertres de l’île de Gotland382. Ce sont presque tous des cairns, donc constitués de galets ou de pierres plates. Leur caractéristique essentielle est la présence d’une cavité en forme d’entonnoir en leur milieu, qui évoque le cratère d’un volcan383. L’origine de ce trou est encore très controversée. On a d’abord voulu l’attribuer à une chambre sépulcrale dont la couverture en matériau putrescible (bois ?) aurait fini par s’effondrer sous l’action des agents atmosphériques. Ces dernières décennies, les archéologues suédois ont cependant réussi à fournir une explication satisfaisante à ce phénomène, à la suite de l’étude approfondie d’un de ces cairns entre 1941 et 1967384. Il s’agit du tertre de Kasparov dans la paroisse de Labro. Après avoir enlevé les pierres du cairn les spécialistes se sont trouvées en présence d’une construction monumentale d’un type tout à fait particulier qui n’a pas son équivalent en Europe septentrionale. Il s’agit d’une tour de plus de 2,5 mètres de haut bâtie en pierres sèches. Elle possède une forme conique385 et occupe le centre de la tombe. Au sommet de celle-ci se trouve une ouverture précisément là où est situé le cratère dont il vient d’être question386. La sépulture elle-même se trouvait à l’intérieur de la tour : elle se composait d’un ciste dans lequel avaient été placés un homme et une femme. Une fibule dont la tête est en forme de spirale a permis de dater cette sépulture de la période II. 381

Il faut toutefois insister sur le fait que cet état correspondait à la phase initiale, immédiatement après l’érection du tombeau, lorsque les dalles ornées de pétroglyphes étaient encore visibles. A ce stade, seul le ciste était surmonté d’un petit tumulus. Cette situation, quelque temps après les funérailles du personnage, ne perdurait pas. Elle était probablement destinée à créer le cadre cultuel nécessaire à l’accomplissement de rites et de cérémonies diverses qui visaient à accompagner le défunt dans son nouveau séjour : courses de chevaux et de chars, danses, drames et combats rituels. L’érection finale du tumulus signifiait que le mort était parvenu à sa demeure définitive dans l’au-delà, en compagnie de l’astre de lumière (d’où la réunion des deux cercles !). Le tertre symbolisait en même temps l’ancrage du défunt dans la terre sacrée des ancêtres et par sa position dominante son pouvoir tutélaire sur celle-ci. 382 On en dénombre actuellement environ 400. 383 Les spécialistes suédois les désignent d’ailleurs du terme de « kraterrösen » (cairns en forme de cratère). On trouva également de pareils cairns dans le sud du Småland. 384 En 1941, par Märta Strömberg qui découvrit la sépulture et en 1966 et 67, par A. Hallström qui mit en évidence l’architecture de ce tertre. 385 On retrouve ainsi le symbolisme de la coiffure sacerdotale du tertre et du tutulus. 386 Peut-être cette ouverture était-elle couverte de poutres en chêne qui, après leur disparition ont permis la formation du « cratère » ?

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La présence de cette tour au milieu de la sépulture renforce l’idée d’axialité. De plus, celle-ci se dressant sur une sorte de plateforme circulaire387 munie d’une bordure (cf. Sagaholm), on ne peut s’empêcher de songer au noyau central d’un disque solaire, tel que celui de Trundholm. Cette disposition fait penser à un œil et il n’est sans doute pas fortuit que le cheval de Trundholm possède des yeux épousant la forme de l’astre. Cette notion d’œil se retrouve à Simunde, paroisse de Bara. Une photo aérienne de ce cairn suffit à le démonter : au centre, bien visible, le ciste rectangulaire entouré d’une succession de cercles concentriques correspond aux différentes phases d’agrandissement de cette tombe qui remonte probablement, dans ses parties les plus anciennes, à la période II ou au début de la période III. On se trouve ici devant le pendant en pierre d’un disque comme celui de Jægersborg. Ainsi il ne fait guère de doute que les architectes de ces tombes ont voulu identifier celles-ci au disque solaire et lunaire, paradigme même de tout déclin et de toute renaissance. E

Le culte

Les faits archéologiques et iconographiques étudiés jusqu’à présent n’ont eu qu’un seul but : mettre en évidence la réalité la plus tangible des croyances solaires et lunaires : celle qui se manifeste par le culte, les rites. En effet, ce n’est qu’à partir de ces derniers que l’on pourra tenter de dissiper le brouillard enveloppant les croyances et les mythes qui fondent ce culte. La scène qui figure à la fin du premier bandeau historié sur la corne de Wismar atteste, quand bien même sous une forme très schématique, l’existence d’une adoration du disque solaire et lunaire durant la première partie de l’âge du bronze nordique (1800 à 1100 av. J.C.). Ceci est confirmé par l’existence du petit disque d’ambre monté un support de bronze visible au Musée National de Copenhague et dont on ignore malheureusement la provenance exacte. Il est la version miniature de disques semblables reproduits sur les rochers du Bohuslän388 et datant du bronze récent. Ceux-ci feront, par la suite, l’objet d’une étude approfondie. Manifestement, l’on est là en présence de deux pratiques cultuelles différentes :

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Celle-ci est à rapprocher de l’entourage circulaire placé à la base des « chapeaux coniques » en or, tel celui exposé au Musée de Charlottenburg à Berlin, dont on ignore la provenance : (Cf Planche 42, Fig 72). 388 Cf. Johannes Brøndsted : « Bronzealderens Soldyrkelse », København, Gyldendalske Boghandel, Nordisk Forlag, 1938, fig. 4, p. 12 et texte pp. 16 et 17. Voir aussi Peter Gelling et H.E. Davidson : « The Chariot of the Sun and other Rites and Symbols of the Northern Bronze Age », op. cit., p. 10, fig. 2.

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L’une consiste à dresser le disque sur un char à quatre ou six roues et, durant une procession ou à l’issue de celle-ci, à l’exposer à l’adoration des fidèles placés le long de son parcours. L’autre, plus statique, consiste à disposer le disque sur un trépied afin qu’il soit vénéré par des fidèles. Il existe de telles scènes pariétales qui représentent ceux-ci en adoration autour de pareils objets de culte : elles datent probablement toutes d’après 1100 av. J.C. mais, à n’en pas douter, il en allait de même aux phases antérieures de l’âge du bronze. Ces deux pratiques correspondent en fait à deux moments essentiels des cultes voués aux deux corps célestes : L’adoration de l’orbe disposé sur un chariot processionnel s’adresse aux astres durant leur course, elle concerne leur fonction dynamique : celle qui promet la croissance et le devenir des êtres vivants grâce à l’alternance des jours et des nuits, des mois, des saisons et des années : elle embrasse donc tous les aspects contradictoires : naissance, vie, déclin et mort, renaissance, levers et couchers pour le soleil, cycles pour la lune. Mais cette fonction a aussi un aspect ordonnateur : elle assure l’équilibre cosmique, justement par la régularité de ces phases ou cycles, par leur éternel recommencement, leur va et vient que l’on souhaite incessant. C’est ainsi seulement que les deux astres s’avèrent être les garants d’un ordre voulu immuable, qui protège toute vie contre les forces du chaos : obscurité, irrégularité, ces fameuses puissances de désordre, si présentes dans la religion nordique ultérieure (cf. Edda). La dévotion portée à un disque dressé sur un support (trépied), donc statique, s’adresse aux astres dans ce qu’ils ont d’éternel, d’immuable mais aussi dans leur fonction bienfaisante : lumière, rayonnement, chaleur, vie. Elle concerne tout aussi bien le Soleil à son zénith (position au sud) que la pleine Lune qui, durant cette phase, relève le Soleil après son coucher. Ce sont là les deux faces complémentaires d’un même culte dédié aux deux luminaires. Ici leur nature divine s’avère probable. Toute la question est de savoir si cette divinité leur est propre ou bien s’ils la tiennent d’un être suprême dont ils ne sont que la manifestation : en tout état de cause, il faudra revenir sur cette question difficile. Ainsi qu’on vient de le voir, une partie essentielle du culte consiste à promener le disque dressé sur un chariot lors de processions : mais il faut tout de suite dissiper une confusion qui a perduré pendant longtemps : le véhicule n’a ici aucune fonction mythique en soi : il est là pour rendre vi170

sible par son déplacement sur des roues389 la course des astres, en particulier du soleil. L’élément mythique ici, c’est le cheval390 : ceci est confirmé par la présence de petites anses sous le cou du quadrupède et sur le rebord du disque de Trundholm : indice qu’originellement, il existait un fil de bronze reliant les deux pôles : l’animal tracteur et l’astre391. D’ailleurs, l’Edda poétique est, deux mille ans plus tard, encore formelle sur ce point392 : en aucun cas, il n’est question de char qui transporte l’astre. Quel sens ont pu revêtir de telles processions ? Mis à part le symbolisme lié à la course de l’astre, elles devaient permettre de se concilier les faveurs de chacun des deux corps célestes et les rendre propices : autrement dit, elles devaient apporter protection, bénédiction et bienfait aux champs, aux pâturages, au bétail, aux lieux habités et autres endroits traversés. Elles rendaient en quelque sorte tangible la marque bienfaisante de l’astre sur tous les êtres vivants touchés par les rayons solaires durant le jour et par ceux de la pleine lune pendant la nuit. Le fondement même de ce rite s’avérait ainsi d’essence magique. Il faut tout de même insister ici sur le fait que, pour être bénéfiques, ces processions devaient se dérouler dans le sens de la course des luminaires, sous peine de quoi les faits étaient inversés et donc néfastes393. Ce que Tacite rapportera quinze ou seize siècles plus tard sur de telles processions consacrées à *NerþuKau Jutland du sud donne une idée de l’importance que devaient revêtir de pareilles cérémonies et des rites qui les accompagnaient : on mettait fin à tout conflit en cachant les armes. Une impression de paix et de bienfait devait se dégager de ces processions destinées à attirer les bienfaits et le maintien de l’ordre cosmique sur les communautés concernées.

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Celles-ci symbolisent, bien sûr, par leur rotation, le déplacement de l’astre sur lui-même. On peut bien sûr se demander ce qui relie le quadrupède au corps céleste : d’abord sa crinière qui, particulièrement lorsqu’elle flotte au vent évoque, en effet, le rayonnement du luminaire. Ensuite la blancheur de l’animal, car on ne peut douter du fait que le cheval solaire ne pouvait être que blanc. Cette couleur était d’ailleurs censée apporter bonheur et prospérité comme l’astre et cette conception a perduré dans bien des pays scandinaves et germaniques. En Alsace, le fait de voir un « Schimmel » (cheval blanc) portait bonheur, encore dans la première partie du XXe siècle. 391 Voir supra. 392 Cf. la strophe 37 du Grímnimál et 23 du Vafþrúðnismál. 393 Cette opposition fondamentale (droite-gauche ; est-ouest) est attestée à l’âge du fer tardif (époque viking) notamment dans deux sagas : la Vatnsdwla Saga (chapitre 36) et la Jóns Saga Helga (chapitre 13). Dans le premier cas, la magicienne Gróa fait le tour d’une demeure dans le sens inverse de la marche du soleil (andsælis ou rangsælis). Il s’en suit un glissement de terrain qui engloutit la maison et tous ses habitants. Dans le second, Saint Jón ugmundarson, ressucite un pendu en « tournant trois fois autour de la potence dans le sens de la marche du soleil » (réttsælis). A ce sujet, voir l’ouvrage de Régis Boyer : « Le monde du double. La magie chez les anciens Scandinaves », Paris, Berg International, 1986 (coll l’Ile Verte), pp. 164 à 167.

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C’est peut-être, entre autre, à cette occasion que certains initiés gravaient sur les rochers qui bordaient les voies empruntées par le cortège des cupules, manifestation du passage de la Puissance Divine, ces intailles dans la pierre étant peut-être comme la marque de sa présence bienfaisante. Il en va de même des signes circulaires : rouelles à quatre, cinq ou six rayons, cercles concentriques, spirales. Les premiers pourraient être l’expression de la gémellité Soleil-Lune : le Soleil symbolisé par les quatre points cardinaux jalons de sa course ; ou bien celui-ci, figuré lors de son rayonnement intense quand il est à son zénith (cinq ou six rayons) ; la pleine Lune en tant que réunion des deux croissants et dans ses différents quartiers, dans le cas des cercles à cinq, six ou huit rayons. Les cercles concentriques représentaient peut-être les aspects successifs que prend l’astre diurne durant sa course (soleil matinal, de midi, au déclin), à moins que ne soient manifestés, ici aussi, son rayonnement au zénith. Quant à la spirale, elle ne concernerait probablement que les cycles ou phases de la lune. Mais peu importe, à la limite, le sens exact de ces symboles qui nous échappera sans doute encore longtemps, peu importe la nature forcément spéculative de toutes ces interprétations : on peut en tout cas avoir la certitude que le fait de graver des pétroglyphes revêtait déjà en soi un caractère cultuel et sacré. Même si pour la période concernée, la gravure pariétale s’inscrit d’abord dans un cadre funéraire, elle finit par dépasser celui-ci pour devenir un véritable langage sacré, expression de la présence du divin, au même titre que les processions dont il vient d’être question. Le symbolisme de la course solaire ou des cycles lunaires ne s’arrêtait pas aux seules processions précédemment décrites. Il devait prendre des formes multiples, prouvant par là même combien cet aspect occupait une place centrale, non seulement dans le culte, mais aussi et surtout dans les croyances et les mythes nordiques d’alors. Ainsi les courses de chars et de chevaux relèvent tous, totalement ou en partie, du même symbolisme. Même si l’on ne possède encore pour cette première phase de l’âge du bronze, qu’un seul témoignage, celui de la septième et avant dernière dalle de Bredarör / Kivik, il est permis de penser que les courses de chars étaient alors pratiquées et sans doute pas seulement à l’occasion de funérailles. Dans ce dernier cas, la signification s’impose d’elle-même : la possession d’un char devait symboliser le statut du défunt dans la société et la course l’assimilation du mort au cycle de l’astre (symbolisme des roues : course de l’astre) gage de renaissance et de bienfait, de continuité pour la communauté dont il avait la charge. Mais certains pétroglyphes du bronze récent (par exemple à Frännarp en Scanie) gravés en dehors de tout contexte funéraire, suggère que ce rite ne concernait pas seulement le culte réservé aux chefs ou

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personnages importants après leur décès. Il devait être pratiqué lors de fêtes (solstices, équinoxes) consacrés aux luminaires. Tout ceci vaut également pour les courses de chevaux qui symbolisaient au plus haut point le voyage diurne de l’astre. C’est particulièrement le cas des chevaux se déplaçant dans le sens gauche droite à Kivik (registre supérieur de la dalle 3) ou à Sagaholm (dalles 4, 6, 8, 13, 21 23, 26, 31 et B / C). Mais ici encore, le contexte funéraire ne doit pas tromper : il y a de fortes chances pour que ce type de rites se soient déroulés à l’occasion de manifestations religieuses (telles que le solstice d’hiver ou d’été394) auquel cas le symbolisme n’aurait pas été tout à fait le même que dans le contexte funéraire. Dans ce dernier, l’accent devait être mis sur le retour du soleil (sens gauche / droite : coucher / lever donc course nocturne) par conséquent sur l’espoir en une renaissance du défunt et en son assimilation au luminaire. Dans l’autre contexte, il s’agissait de la course diurne (sens droite-gauche), à moins que l’on ait fait courir les chevaux dans les deux sens afin de symboliser les deux faces complémentaires (diurnes et nocturnes) du parcours de l’astre. Quoi qu’il en soit, un aspect essentiel ne doit pas échapper : il devait s’agir, dans le cas de la course de chevaux, de mettre en scène, si l’on peut dire, un des mythes essentiels concernant non seulement l’astre diurne mais aussi la lune, à savoir leur voyage à travers le firmament où ils sont précisément tractés par un cheval (cf. le char de Trundholm). L’on retrouve la trace de telles manifestations religieuses dans des lettres pastorales d’évêques anglais395, au VIIe siècle, les interdisant comme étant des vestiges du paganisme.

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Cf. les nombreux toponymes suédois en « -skeið » ou « -leite » (suffixes norrois) du type Hästskede et Lekslätt et dont le philologue suédois Elias Wessén a démontré qu’ils étaient les vestiges de telles courses qui avaient lieu à l’âge du fer tardif et à l’époque viking en l’honneur du dieu Freyr, le frère jumeau de la déesse Freyja, héritier de la Puissance Divine, maîtresse de la vie et de la mort : cf. Elias Wessén : “Hästskede och Lekslätt”, dans la revue : “Namn och bygd”, Uppsala, tome 9, 1921 et tome 10, 1922, cité par Åke V. Ström, op. cit., p. 238. Ces manifestations religieuses païennes furent d’ailleurs, vers le XIIe siècle, christianisées en « chevauchées de Saint-Etienne », les fameuses « Staffansritter » suédoises, notamment à Flistad en Ostrogothnie (cf. Wessén, op. cit., 1921, pp. 118 à 123) ou Staffansritte des contrées germanophones (cf. Georg Buschan : “Altgermanische Überlieferung” in : « Kult und Brauchtum der Deutschen », München, 1936, pp. 79 et 185). Elles avaient lieu à la période de Noël, tout comme les courses de chevaux en l’honneur de Freyr qui, dans l’ancien paganisme nordique, présidait aux fêtes du solstice d’hiver (jól). 395 Cf. Ernest Alfred Philippson : « Germanisches Heidentum bei den Angelsachsen », Leipzig, Verlag von Bernhard Tauchnitz, 1926 (Coll. Kölner Anglistische Arbeiten éditée par Herbert Schöffler T4), p. 203 : Le synode de Cloveshoe, aujourd’hui Abingdon sur la Tamise, décréta en 747 que les trois jours qui précédent l’Ascension se dérouleraient sans distractions telles que « les courses de chevaux ».

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On l’a vu, la distinction opérée précédemment entre objets cultuels grandeur nature et objets rituels miniatures n’est pas purement formelle. Elle correspond effectivement à un clivage très certainement effectué alors entre ceux qui étaient réservés au culte proprement dit et ceux destinés aux rites initiatiques : c’est en premier lieu le cas des chars de Trundholm et de Tågaborg dont on peut penser qu’ils ont pu être utilisés à l’intérieur de sanctuaires lors de célébrations à caractère davantage initiatique que cultuel396. Cela vaut aussi pour le disque d’ambre sur trépied conservé au Musée National de Copenhague. Néanmoins, il ne faut pas exclure à priori que la taille réduite de ces objets ait été due à une fonction qui se rapprocherait davantage des ex-voto actuels. F

La fonction sacerdotale

Les indices archéologiques ne manquent pas ici : la tombe de Hvidegård au nord de Copenhague, les figurines de Stockhult et surtout le pétroglyphe de Gatemarken suggèrent l’existence d’une fonction sacerdotale, très probablement exercée par des chefs de tribus, autrement dit ces prêtres-souverains dont l’existence n’est attestée qu’à l’âge du fer tardif. Si les statuettes de Stockhult s’avèrent représenter vraiment des officiants397, ceux-ci portaient une coiffure dont le symbolisme vient d’être interprété. Un point commun se dégage de ces deux trouvailles archéologiques : les traits chamaniques. Ceux de Hvidegård ont déjà été discutés précédemment. Dans le cas de Stockhult, le chapeau rappelle l’arbre sur lequel le chaman grimpe pour assurer le lien, inhérent à sa fonction primordiale, entre l’ici-bas et l’au-delà, la terre et le ciel. Par ailleurs le tambour de Balkåkra peut constituer un indice supplémentaire en faveur d’un clergé encore marqué par le chamanisme : on sait que cet instrument joue un rôle essentiel dans le culte chamanique. Or sur la plupart des tambours chamaniques, qu’ils datent de l’âge du bronze398 ou de périodes nettement plus récentes, le Soleil et la Lune sont souvent placés au centre ou au sommet de l’instrument, ce qui en dit long sur la place occupée par les deux luminaires dans les conceptions chamaniques. 396

L’archéologue danois Klavs Randsborg de Copenhague estime que le chariot de Trundholm explique le mouvement du Soleil, grâce à un cheval sinon censé être invisible : cf. Klavs Randsborg et Claus Nybo : “The Coffin and the Sun. Demography and Ideology in Scandinavian Prehistory”, dans la revue : “Acta Archæologica”, 1984, volume 55, pp. 160 à 184 ; ici p. 163 : København Munksgaard, 1985. 397 Le fait qu’ils soient rigoureusement semblables serait alors une référence aux divins jumeaux dont ils étaient peut-être censés célébrer le culte. 398 Par exemple celui qui figure sur un pétroglyphe gravé à même une falaise surplombant l’Oka, affluent de l’Angara lequel se jette dans le Ienessei au nord ouest d’Irkousk en Sibérie. Il date d’environ 400 av. JC. : cf. Aleksy Pavlovitch Okladnikov : « Der Hirsch mit dem goldenen Geweih », Wiesbaden, Brockhaus, 1972, p. 57.

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Enfin, l’agencement des tombes étudiées a montré que les Nordiques d’alors ont dû croire que leurs chefs enterrés s’identifiaient, après la mort, à l’astre lumineux : c’est précisément ce que croient aussi les populations chamanistes qui voient dans le décès de leur chamane l’ascension finale et la fusion avec la sphère céleste dans laquelle Soleil et Lune occupent une place de premier plan. G

Les croyances et les mythes ayant trait aux deux luminaires

L’étude précédente du char de Trundholm a révélé que l’astre est tracté par le cheval et non par le véhicule, ce qui est confirmé par les pétroglyphes de la deuxième phase de l’âge du bronze. Il est dès lors possible de reconstituer le mythe sous-jacent à cet objet cultuel : Les Scandinaves de cette époque devaient croire que durant le jour l’astre était tiré par un coursier. Celui-ci parcourait ainsi le firmament d’est en ouest avant de disparaître sous la terre ou dans les flots. Mais que devenait-il ensuite ? Ici plusieurs hypothèses peuvent être proposées : Un autre équidé, frère ou sœur du précédent, prolongeait la course diurne à travers les entrailles de la terre399. Il convient toutefois d’ajouter que sur certains glyphes du bronze ancien, le Soleil apparaît tiré par deux chevaux et non un seul. C’est le cas sur une gravure rupestre à Villfarahögen entre Vallby et Vranarp, au sud-est de la Scanie : elle figure sur une pierre qui a probablement fait partie d’un enclos circulaire comme à Sagaholm : on y voit deux bateaux précédant deux chevaux qui tractent un chariot dont on n’aperçoit que les deux roues. Tous deux sont dirigés vers la gauche (sens est-ouest) donc vers le couchant. Même si l’on ne voit pas le Soleil sur le char on peut penser qu’il s’agit d’un véhicule semblable à celui de Trundholm. A l’époque viking, l’Edda poétique mentionne (à la strophe 37 du Grímnismál) expressément deux chevaux qui tirent l’astre : l’un s’appelle árvakr, c’est-à-dire « tôt levé400 » et l’autre Alsvidr « suprêmement rapide401 ». Une autre variante de ce mythe serait que le soleil après avoir sombré dans l’océan traversait la mer des ténèbres sur un bateau. C’est ce que suggère les nombreuses représentations d’un tel véhicule en particulier dans le contexte funéraire : à Sagaholm (dalles 4 / 6 / 22 / 26 / 32 399

Comme on l’a vu précédemment (voir supra le Néolithique moyen B et récent) il se serait agi au départ non de chevaux mais de cervidés (élans ?) puis de bovins. Le « Soleil nocturne » est symbolisé par l’autre face, non recouverte d’or, du disque de Trundholm. Peut-être les Nordiques du bronze ancien croyaient-ils que l’astre tiré par l’autre équidé était, la nuit venue, la Lune, au moins lorsque celle-ci était pleine. 400 Traduction Régis Boyer : « L’Edda Poétique », Paris Fayard, 1992, p. 643. 401 Traduction Régis Boyer, ibidem.

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/ 34) à Kivik (dalles 1 et 2), à Klinta402 ou, on vient de le voir, à Villfarahögen. Dans ces trois cas, le fait qu’ils se déplacent d’ouest en est paraît confirmer cette hypothèse. Il faut cependant signaler qu’aucun des bateaux rupestres de l’âge du bronze ancien ne transporte de disque solaire ou lunaire, comme c’est si souvent le cas à l’âge du bronze récent. La présence marquée du disque solaire dans des bateaux à l’époque suivante403 conduit à penser que le mythe de l’astre transporté, la nuit venue, dans une embarcation existait déjà auparavant. Et le fait que la nef de Klinta soit surmontée, à quelque distance il est vrai, d’un grand disque à cercles concentriques était peut-être une autre manière de représenter ce mythe. H Le Soleil et la Lune : puissances divines suprêmes ou simples théophanies ? Le Soleil et la Lune sont-ils la manifestation de deux principes divins : L’un masculin, la Puissance Divine qui préside à l’univers céleste (firmament, étoiles, tonnerres) ? L’autre féminin, la Déité Suprême qui domine le monde aquatique et tellurique, Maîtresse de la vie et de la mort, de la croissance et du déclin des humains, des animaux et des végétaux ? Ou bien sont-ils vénérés comme étant eux-mêmes principes divins suprêmes ? C’est la question essentielle que l’on doit se poser à propos de la nature et de la place occupée par les deux luminaires à l’âge du bronze ancien en Scandinavie méridionale. Les raisons qui poussent à ne les considérer que comme des théophanies (c'est-à-dire, des manifestations de la présence d’une déité) tiennent essentiellement aux conclusions tirées précédemment à propos des croyances solaires et lunaires de l’Europe du nord, tant au Mésolithique, qu’au Néolithique ancien, moyen A et surtout moyen B et récent. Elles s’inscrivent dans une perspective de continuité : autour de 2200 av. J.-C., la religion des populations du sud de la Scandinavie devait concevoir le cosmos comme dominé à la fois par un principe féminin, la Puissance Divine, dont il vient d’être question, et par un principe masculin, maître du ciel, du tonnerre et de la pluie. L’apport d’immigrants venus vers 2800 et 2500 av. J.-C. a pu cependant favoriser le principe divin masculin au détriment de son pendant fémi402

Cette dalle faisait probablement partie d’un enclos circulaire, semblable à celui de Sagaholm entourant le tertre. 403 Ne pas oublier cependant qu’il s’agissait là de représentations de scènes cultuelles où des nefs à usage religieux transportaient des disques dorés montés sur support. Ainsi n’était-il très certainement pas question d’une figuration du mythe lui-même, mais de processions navales au cours desquelles était représenté ce mythe.

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nin. Quoi qu’il en soit, les deux luminaires auraient été la manifestation, la théophanie de ces deux principes à la fois. Avec l’introduction de la métallurgie et, par voie de conséquence, le renforcement des liens toujours plus nombreux et étroits avec l’Europe Centrale, danubienne et balkanique, la société nordique est de plus en plus dominée par le principe masculin. Ainsi s’accroît la part de celui-ci dans les conceptions religieuses, lesquelles continuent cependant de plonger leur racine dans le culte de la fertilité-fécondité ; au départ celui-ci était présidé par une déité d’essence féminine, voire androgyne. Ce double caractère se reflète clairement dans la nature même des dépôts votifs de la période I : d’une part, la présence d’armes métalliques à caractère cultuel (haches, lances, épées…) exprimant cette tendance masculine qui se fait jour dès la période B (2800 à 2500 av. J.-C.) ; et d’autre part, le maintien du rite d’immersion ou d’enterrement de ces objets tel qu’il était pratiqué depuis des millénaires. Mais peu à peu, le Soleil et la Lune seraient devenus davantage le domaine du ciel lumineux dominé plutôt par le principe masculin. Toutefois, si l’on s’en tient aux dépôts votifs, la Lune demeure en revanche davantage le domaine du principe féminin qui règne sur l’univers tellurique et aquatique. Est-ce à dire que durant cette première partie de l’âge du bronze, le Soleil serait devenu la théophanie du seul principe divin masculin, celui qui domine le ciel diurne lumineux ? Vraisemblablement pas car l’astre doit, après son coucher, traverser le monde aquatique et tellurique, l’obscurité, qui relèvent eux, du principe féminin. Ainsi le Soleil qui revêt deux aspects, l’un diurne et l’autre nocturne, relève des deux principes à la fois, même lorsqu’en période de pleine lune, son pendant sélénique est en mesure de le remplacer. En conséquence, le Soleil a pu être la théophanie des deux principes ; de même la pleine Lune qui, de par son rayonnement nocturne, le relève en prenant ses fonctions. Ce serait là le sens ultime du groupement par deux des cercles inscrits dans une figure ovale tels qu’ils figurent sur les pétroglyphes de Mandberghøj au centre du Jutland : ils représenteraient le soleil diurne et son pendant nocturne lequel pourrait être aussi la pleine lune dont la forme circulaire l’identifie au disque solaire. L’étude du matériel archéologique et des sources iconographiques a cependant dévoilé plusieurs cas où le disque lui-même fait l’objet d’une dévotion particulière : qu’il soit placé sur un chariot processionnel, comme c’est le cas sur la corne de Wismar ou sur un support, comme le suggère le disque d’ambre miniature monté sur un pied de bronze du Musée National de Copenhague, il s’agit d’un objet de culte que l’on peut voir en plusieurs exemplaires sur les rochers de Backa en Bohuslän datant d’après 1100 av. J.-C.. En toute logique, ces faits impliquent que les deux luminaires auraient été véritablement adorés, faisant ainsi l’objet d’un culte. Les disques d’or exhu-

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més dans les tertres de Jægersborg et de Moordorf tendraient même à attester l’existence d’une fonction sacerdotale liée à cette dévotion. Il paraît donc bien difficile de prouver que ce que l’on vénérait ici n’était en fait pas le disque lui-même mais le principe divin qu’il manifeste par son éclat, sa lumière, ses bienfaits. Pour la période précédente, le Néolithique, on possède des sources iconographiques qui indiquent un tel état de fait : ainsi les céramiques de la Culture TRB qui montrent les yeux de la déité féminine en forme de soleil et de lune. De prime abord, cela ne paraît plus être le cas pour la première partie de l’âge du bronze. A moins que l’on veuille interpréter dans ce sens les innombrables cupules qui se trouvent là où l’on a affaire à des symboles solaires et lunaires404 comme exprimant la présence d’une Puissance Divine suprême que l’on ne pouvait représenter physiquement. Ce serait en particulier le cas lorsqu’elles sont placées au milieu de figures solaires ou lunaires, comme par exemple au centre des cercles concentriques de Nibehøj. Les interprétations proposées pour les cupules sont légion. La moins invraisemblable serait qu’elles représentent soit le négatif de la matrice, origine et aboutissement de toute vie, autrement dit la Maîtresse de la vie et de la mort ; soit elles figureraient l’empreinte des deux luminaires dans la terre, l’action bienfaisante des rayons solaires et lunaires sur la végétation. Ce serait donc, là encore, une manifestation indirecte de la présence du principe divin féminin. De même que les nombreuses empreintes de pieds405 ou de mains datant de cette période et qui figurent souvent en association avec des cupules406, pourraient symboliser la marque bénéfique de cette Puissance Divine sur la terre-nourricière et dans les sépultures (ainsi à Truehøjgård). Malgré la nature forcément spéculative de telles interprétations, on peut admettre leur caractère de vraisemblance, surtout si l’on considère les conclusions, tirées à propos du Néolithique final. Ceci conduit à se demander s’il n’est pas préférable de laisser ouvertes, pour l’instant, les deux possibilités évoquées jusqu’ici. Car, il faut bien le reconnaître, ni l’archéologie, ni l’iconographie, n’apportent à elles seule de réponse vraiment décisive à cette double question.

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Les exemples qui pourraient illustrer cela ne manquent pas : citons, parmi bien d’autres en Scandinavie Nibehøj (Himmerland, Jutland, Danemark) datant du tout début de l’âge du bronze où une cupule occupe le milieu d’une rouelle à cinq rayons : cf. P.V. Glob, op. cit., p. 77, fig. 73 b. 405 Elles représentent environ 6 % au Danemark et en Rogaland (sud-ouest de la Norvège), 30 % en Scanie et en Ostrogothie, 2 à 3 % au Bohuslän et en Østfold : cf. P.V. Glob, op. cit., p. 91. 406 Ainsi les empreintes de pieds sur des pétroglyphes qui proviennent du tertre de Truehøjgård (amt de Ålborg, Jutland) et datent de la période I ou II : cf. P.V. Glob, op. cit., p. 95.

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I Les deux astres et le pouvoir Si l’archéologie et l’iconographie demeurent impuissantes que peuvent révéler d’autres sources, telles que, par exemple, l’étude comparative des religions ? Celle-ci fournit en effet un certain nombre de cas où le Soleil ou son disque divinisé font effectivement l’objet d’une adoration et d’un culte exclusifs. Citons quelques exemples, significatifs, malgré leur éloignement dans l’espace et le temps. Ils ont le mérite d’être abondamment documentés, à la fois par l’iconographie et par les textes contemporains, ce qui n’est malheureusement pas le cas d’autres exemples plus proches du nord de l’Europe (Europe occidentale ou centrale). Ainsi chez les Egyptiens, le Soleil est personnifié et divinisé sous le nom de Rê (Soleil) dès l’Ancien Empire (3000 à 2100 av. J.-C.) époque à laquelle la religion égyptienne devenue à la fois cosmique et solaire est érigée en religion d’Etat. Dès le règne de Khephren, sous la quatrième dynastie (vers 2500 av. J.-C.), les pharaons se désignent eux-mêmes comme « fils de Rê407 » et sous le Nouvel Empire comme « l’image de Rê ». Chez les Gréco-Romains, le Soleil déifié est encore davantage un enjeu idéologique et politique : après la tentative éphémère d’Eliogabale (218 à 222 apr. JC.), Aurélien (270 à 275 apr. JC.) élève en 274 SOL INVICTVS au rang de dieu unique, instituant ainsi une religion monothéiste d’Etat, afin de restaurer l’unité de l’Empire, fortement ébranlée par les querelles intestines, la crise économique, idéologique et les incursions germaniques. Ce culte était en fait destiné à renforcer celui de la divinité de l’empereur battu en brèche par le Christianisme montant et d’autres religions, le Mithraïsme en particulier. Au Moyen Age (XIIIe – XVe siècles), les Incas du Pérou font du culte solaire une religion d’Etat408. Il en va de même chez les Aztèques du Mexique. Enfin, plus proche dans le temps, Louis XIV se fait appeler « Roi Soleil » et adopte la symbolique héliaque, non seulement dans les arts décoratifs,

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Cf. Gerhard J. Billimger « Lexikon der Mythologie. 3100 Stichwörter zu den Mythen aller Völker von den Anfängen bis zur Gegenwart », Augsburg, Bechtermünz Verlarg im Weltbild Verlag, 1997, p. 404. Cf. dans : « Sonne. Brennpunkt der Kulturen der Welt ». Herausgegeben von Andrea Bärnreuther (= Directrice de publication), Staatliche Museen zu Berlin, der “Deutsche Bank Stiftung”, Edition H. Farnung Minerva, München, 2009 : l’article de Jan Assmann “Ein Bild der Sonne, Konstruktion von Göttlichkeit im Alten Ægypten”, pp. 16 à 38. Voir également pp. 34 à 38 Jan Assmann, Dietrich Wildung, Gespräch, discussion menée par Thomas Macho. 408 Le Soleil, divinité suprême du panthéon inca, est appelé Inti. L’or est considéré comme la sueur de ce dernier. Cf. op. cit. « Sonne. Brennpunkt der Kulturen der Welt », article de Manuela Fischer “Die Sonne bei den Inka Symbol imperialer Macht”, pp. 174 à 181.

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mais aussi dans l’architecture et jusque dans l’agencement des parcs, à Marly par exemple. Tous ces cas, certes fort éloignés de l’Europe du Nord s’avèrent avoir un dénominateur commun : ils portent la marque d’une emprise idéologique sur la religion. Elle est dictée par la volonté d’unifier un empire ou un Etat autour de l’autorité suprême de son monarque considérée comme absolue. Le centralisme les soutend : cela vaut tout autant pour les pharaons409 égyptiens que pour les Incas ou les Aztèques, Aurélien ou Louis XIV. Si l’on se replace dans le contexte de cette étude, rien ne s’oppose vraiment à ce que l’on envisage un pareil cas pour les cultes solaires et lunaires en Scandinavie du sud entre 1800 et 1100 av. J.-C.. En effet, beaucoup de traits décelables dans le matériel archéologique et l’agencement des tombes parlent en faveur d’une convergence entre pouvoir profane et sacré à cette époque. Il a même été question, à propos de la sépulture de Bredarör, sinon d’une identification du défunt aux deux astres, du moins d’une union à eux. Mais il s’agit là d’un contexte funéraire : aussi ne peut-on affirmer avec certitude que cela a pu être le cas du vivant de la personne inhumée. Certes, en se référant à des exemples, contemporains mais très éloignés dans l’espace (Egypte), on peut supposer que cette personne était en quelque sorte l’intermédiaire entre ses sujets et l’être divin. Cela serait même assez compatible avec les renseignements fournis par l’architecture des tombes, leur orientation, mais surtout celle du mort et les pétroglyphes disposés autour de celui-ci (Bredarör, Sagaholm). Mais c’est avant tout la fonction sacerdotale, très probable dans au moins deux cas (Kivik, dalles 1 et 7 ; Sagaholm, dalles 23, 30 et 42) qui prêche en faveur de cette hypothèse. Ainsi se verrait renforcée la thèse émise auparavant quant à une convergence des préoccupations d’une classe dominante de plus en plus influente (préoccupations qui se seraient confondues avec celles de la communauté) et des conceptions religieuses d’une période très marquée par la fonte, l’éclat des métaux et par les contacts avec le reste de l’Europe (Allemagne, régions danubiennes). Ces derniers s’avèrent reposer sur un réseau de relations tissées entre potentats d’ethnies ou de tribus qui peuvent être très éloignées dans l’espace et fort différentes les unes des autres. Grâce à l’échange de cadeaux, de marchandises au contenu à la fois religieux et profane (armes, bijoux, objets cultuels ; exemple : le tambour de Balkåkra) mais aussi de personnes (liens matrimoniaux par l’échange de jeunes filles ou de jeunes hommes nubiles) pénètrent 409

Bien que chez ceux-ci, en particulier Akhenaton, la sincérité des convictions religieuses eût été beaucoup plus forte que chez les autres souverains. Cela tient, en Egypte comme en Europe du nord à l’absence totale de séparation entre le sacré et le profane. Cela n’empêche cependant pas que des considérations d’ordre idéologique (impérialisme) et politique aient joué, ici comme ailleurs, un rôle déterminant.

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en Scandinavie méridionale non seulement des technologies nouvelles (métallurgie) mais aussi des conceptions religieuses et idéologiques pratiquement inconnues jusqu’alors410. Il est dès lors légitime de penser que les anciennes croyances du Néolithique, à propos du Soleil et de la Lune, conçus plutôt comme la théophanie de principes divins suprêmes finissent par céder le pas à d’autres, peut-être venues, au moins en partie, d’Europe centrale et danubienne. Celles-ci devaient établir un lien indissociable entre les deux astres, surtout le Soleil, et le pouvoir temporel en la personne du chef de tribu ou de la communauté. La raison de cette association résiderait dans le fait que les deux corps célestes, de par la régularité de leur course ou de leur cycle, se seraient avérés être le paradigme même de l’équilibre cosmique dont avait besoin le groupe pour sa survie. Ceci implique que le chef devait exercer des fonctions à la fois religieuses et temporelles, les deux étant intimement complémentaires. Ainsi, c’est au plus tard au début de l’âge de bronze que naît le concept désigné plus tard sous le terme germanique commun de *kuningaK qui embrasse à la fois la fonction royale et sacerdotale. Il est plausible que ces fonctions aient dépendu étroitement des cycles saisonniers et annuels dictés par la course des deux corps célestes411. Dans ce cas, leur « règne » devait être rythmé par l’alternance de ces cycles qui pouvaient donner lieu à des célébrations dont au moins deux peuvent être déduites de ce que l’on sait des périodes ultérieures en Scandinavie méridionale : fêtes du solstice d’été (entre le 15 et le 20 juin) et du solstice d’hiver (entre le 15 et le 25 décembre). Peut-être existait-il d’autres célébrations aux équinoxes de printemps et d’automne, davantage consacrées à la Lune (?).

410

Sans oublier la langue : c’est au plus tard vers 2000 – 1800 av. JC. que s’impose un parler indo-européen en Scandinavie du sud. Celui-ci absorbera progressivement les anciens idiomes autochtones et deviendra, au plus tard vers 600 – 500 av. JC., c’est-à-dire à l’aube de l’âge du fer, le germanique commun, forme la plus archaïque des langues germaniques. 411 Rappelons à cet égard qu’à l’âge du fer, le roi germanique et scandinave était tenu pour responsable, de par sa position, sa fonction sacrée, des conditions météorologiques et des récoltes, ainsi que de la paix intérieure et extérieure : on pense ici aux pierres runiques de Stentoften (VIIe siècle) et de Sparlösa (vers 800) : il y est dit que les rois de Suède « ont donné les récoltes ». A l’époque chrétienne encore, on parle de Saint-Olaf comme le dispensateur de « ár ok fríðr » c’est à dire de la récolte annuelle et de la Paix. Cf. aussi ce que dit Ammien Marcellin des Burgondes qui déposèrent un roi à cause de mauvaises récoltes (cf. Ammien Marcellin XXVIII, 5) et surtout Snorri Sturluson qui rapporte dans la Ynglinga Saga (15) que des rois de Suède furent sacrifiés afin de libérer le peuple d’un danger : ainsi les rois Sveigðir, Jwrundr, cf. Walter Baetke : « Das Heilige im Germanischen », Tübingen, Mohr, 1942 et Rudolf Simek : « Lexikon der Germanischen Mythologie », Alfred Kröner Verlag, Stuttgart, 1995, l’article intitulé Sakralkönigtum, pp. 348 à 350, traduction française de Patrick Guelpa, op. cit. tome II, pp. 281 et 282.

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J

Conclusion

A partir de tous les éléments qui viennent d’être exposés, on peut en conclure à la probabilité d’une religion « officielle » dont le principal pilier aurait été la classe dirigeante guerrière représentée par ses chefs412. Cette religion aurait reposé sur la croyance en la divinité des deux luminaires. Leur culte, favorisé plus ou moins par cette classe aurait côtoyé celui dédié aux anciens principes divins masculin et féminin. Théophanies, les deux astres auraient aussi été adorés en tant que divinité à part entière, protectrices du nouvel ordre social censé refléter l’équilibre cosmique. Toutes ces hypothèses doivent cependant être fortement nuancées par l’existence probable d’une certaine résistance des anciennes croyances, des rites antiques au sein des groupes sociaux autres que la noblesse. Ceci se reflèterait dans l’iconographie « officielle », au sein même de laquelle on observe le maintien de motifs néolithiques : par exemple celui dit en lunettes qui serait en fait la schématisation des deux yeux (Soleil et Lune) de la Déité Suprême féminine413. Et c’est précisément à cette dernière qu’étaient encore très certainement dédiés les dépôts votifs, si ce n’est en totalité, du moins en partie. Il faut également tenir compte des différences régionales qui ont pu être très importantes : ainsi entre le Trøndelag du Nord encore très marqué par la religion des chasseurs-pêcheurs autochtones et l’actuel SchleswigHolstein en contact permanent avec l’Europe centrale et ses puissantes chefferies. Enfin, on a plus d’une fois constaté la forte persistance de nombreux éléments chamanistes, justement chez les membres de l’aristocratie qui devaient exercer des fonctions sacerdotales : c’est le cas notamment du personnage inhumé à Hvidegård près de Copenhague.

412

Ceci est conforté par la rareté en témoignages archéologiques (tombes, objets) qui émanent des couches inférieures de la société nordique d’alors. 413 C’est le cas entre autre sur le couvercle de la tombe de Gladved datant de la période III. Cf. P.V. Glob, op. cit., p. 70, fig. 65, pp. 240 et surtout 241, n° 83 (texte).

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II L’âge du bronze récent (1100 à 500 av. J.-C.)

Ich lag in tiefster Todesnacht Du warest meine Sonne, Die Sonne, die mir zugebracht Licht, Leben, Freud und Wonne O Sonne, die das werte Licht Des Glaubens in mir zugericht Wie schön sind deine Strahlen. Paul GERHARDT, 1653

Chapitre I

Généralités : Le milieu naturel

Si pour la période IV (1100 – 900 av. J.-C.) le climat demeure à peu de choses près le même qu’aux périodes précédentes, la situation se complique quelque peu à partir de 900 av. J.-C. En effet, l’étude des pollens permet de constater une dégradation progressive du climat. La moyenne des températures annuelles baisse par vagues successives : le climat devient de plus en plus frais et humide. Cette situation culmine autour de 600 av. J.-C. On entre alors dans la période sub-atlantique. Avec ces altérations climatiques, la couverture végétale se modifie progressivement entre 900 et 600 av. J.-C. : le chêne cède peu à peu le pas au hêtre dans les contrées méridionales (Jutland, îles danoises, Scanie, sud du Halland et Gotland) tandis que dans les régions du centre (Götaland, Svealand en Suède, sud et ouest de la Norvège) les feuillus disparaissent au profit des épineux (sapins et pins). On assiste ainsi en l’espace de trois cents ans à une modification radicale de la végétation et des paysages. A l’issue de cette transformation, ceux-ci présentent à peu près l’aspect qu’ils ont aujourd’hui : prédominance des feuillus entre le 55ème et le 57ème parallèles, des conifères à partir du 58ème parallèle. Grâce aux découvertes archéologiques de ces dernières décennies, on est en mesure de reconstituer les paysages sud-scandinaves à l’âge du bronze. Les habitats sont, tradition nordique, le plus souvent situés au bord de l’eau. Au Danemark et en Scanie, les forêts ont été pour la plupart défrichées. Les champs, plutôt de petite taille414 sont entourés de haies constituées de branches tressées. Dans les forêts encore existantes et peu denses du Danemark et de la Scanie, les bêtes à cornes évoluent librement tandis que sur les hauteurs avoisinantes, le long des chemins ou des voies d’eau se dressaient les tertres funéraires des périodes précédentes (I à III) maintenant complétés par les champs d’urnes originaires du centre de l’Europe.

Chapitre II

La situation politique et socio-économique

A Les périodes IV et V Jusque vers la fin des années soixante, on a cru que la société nordique de l’âge du bronze récent était beaucoup plus égalitaire que celles des périodes 414

Leur dimension s’échelonne entre 300 et 1000 m2.

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précédentes415. Ces conclusions s’appuyaient essentiellement sur le fait que les tombes à incinération des périodes IV, V et VI contenaient, et pour cause416, beaucoup moins d’objets de valeur (armes, bijoux…) que les tumuli de l’époque précédente. De cette « pauvreté » relative, on avait déduit un certain nivellement de la société sud-scandinave durant la deuxième phase de l’âge du bronze. C’était oublier la richesse, souvent exceptionnelle, des dépôts votifs, en particulier au Danemark. Ceux-ci n’auraient pu avoir lieu sans l’existence d’une couche sociale très aisée. De même que l’existence d’un certain nombre de sépultures à caractère princier, réparties sur tout le territoire où fleurissait alors le Groupe Culturel Nordique (traduction française de la terminologie allemande Nordischer Kulturkreis), permet d’en conclure au maintien, au moins jusque vers 700 av. J.-C., d’une société fortement hiérarchisée, dominée par une classe aristocratique. Sa double fonction aurait été à la fois militaire et sacerdotale ce qui en aurait constitué l’un des traits les plus originaux. A l’appui de cela, la présence marquée sur les pétroglyphes du Bohuslän, de personnages masculins portant des épées du type Hallstatt, et leur implication dans l’accomplissement de rites essentiels du culte de la fertilité-fécondité, notamment la bénédiction avec la hache. Les découvertes archéologiques des vingt-cinq dernières années permettent même d’affirmer que les classes dominantes d’alors connaissent une richesse encore accrue par rapport aux périodes précédentes. Durant les périodes IV et V, on assiste en effet à l’éclosion de centres autour desquels paraissent s’amasser les richesses. La répartition inégale de ceux-ci révèle une différence importante entre les régions. Cette situation atteint son point culminant autour de 800 av. J.C.. On constate alors l’existence de plusieurs « centres de richesse417 » où se concentre le pouvoir politique et économique entre les mains de puissantes dynasties de chefs, très probablement des rois-prêtres. De tels centres ont été constatés par exemple au sud-ouest de la Seeland, dans la région de Skælskør. Le cœur de cette chefferie paraît s’être situé à proximité des dunes de Borbjerg où l’on a trouvé au XIXe siècle six coupes en or d’une richesse exceptionnelle qui pesaient plus d’un kilo. Au début des années quatre-vingts, furent découverts, tout près de ces dunes, trois lourds anneaux d’or d’un poids total de presque deux kilos. Les circonstances de cette trouvaille exceptionnelle permettent d’en conclure à un dépôt votif dans l’une des nombreuses tourbières 415

Cf. entre autres : H.C. Broholm : « Danmarks Bronzealder », tomes I à IV, København. Les cendres du défunt étaient déposées dans des urnes aux dimensions souvent assez réduites, si bien que l’on ne pouvait y placer des objets de taille importante (armes …). D’ailleurs, il arrivait fréquemment que les effets du défunt fussent incinérés avec lui. 417 Expression employée par les archéologues scandinaves et notamment danois (cf. rigdomscenter, pluriel rigdomscentre : cf. Jørgen Jensen : « Fra de ældste tider til ca 200 f. Kr. », tome 1 de Gyldendals Politikens, Danmarks Historie, pp. 307 et 308).

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de la région. Ces objets remontent aux alentours de 800 av. J.-C. Si l’on ajoute à cela la mise à jour d’un harnachement de chevaux ayant vraisemblablement fait partie d’un attelage (char processionnel ?) l’on peut en déduire l’existence très probable d’un « centre de richesse » autour des Borbjerg Banke entre 1000 et 700 av. JC418. On assiste ainsi au maintien durant la deuxième phase du bronze de l’économie dite « palatiale » de concentration et de redistribution des biens. Ceci au moins au Danemark. Jusqu’à présent aucun centre de richesse n’a pu être repéré en Suède ou en Norvège, du moins de façon certaine. B La période VI L’altération du climat (baisse des moyennes saisonnières, humidité croissante) jusque là très progressive s’accentua peu à peu à partir de 750 av. J.C.. A partir de 1100 av. J.-C., la production agricole se mit à baisser. On a voulu l’expliquer par la pratique de l’élevage extensif et la croissance démographique : ces phénomènes auraient entraîné une surexploitation des terres419. En tout cas, on constate grâce à l’étude du pollen, une extension de la lande au Jutland. A la longue, on fut contraint de pratiquer l’enclosure, le foinage et la stabulation, le fumage des champs. Ces transformations s’opérèrent au cours du demi-millénaire qui précéda l’âge du fer, c’est-à-dire entre 1000 et 500 av. J.-C. De plus, la densité de population, la pression démographique étaient devenues telles que les sociétés nordiques de la fin de l’âge du bronze durent modifier profondément un mode de subsistance qui remontait au Néolithique moyen B420. Dans le centre de la Scandinavie et dans les régions côtières on put compenser les carences de la production agricole par la pêche et la chasse. Celles-ci étaient de toute manière restées des appoints importants dans bien des contrées de Suède et du sud de la Norvège. A ces phénomènes internes s’ajoutent les bouleversements technologiques (l’apparition de la métallurgie du fer dans les pays danubiens et en Europe Centrale) qui vont passablement modifier la nature des échanges, en 418

On connaît encore d’autres centres comparables, notamment au sud-ouest de la Fionie, par exemple autour de la Baie d’Helnaes, à Kirkebjerg près de Voldtofte. De même dans la tourbière de Egemose (paroisse de Jørdlose) où l’on a exhumé des pièces qui ont appartenu au harnachement d’un attelage ; si bien que l’on peut penser, là comme à Borbjerg Banke, à un char processionnel. Mais c’est surtout le tumulus de Voldtofte qui porte le nom de Lusehøje, sur lequel il faudra revenir, qui prouve l’existence d’une chefferie exceptionnellement prospère, en particulier à cause de sa situation sur le littoral. Celle-ci permettait l’accostage de navires commerciaux à faible tirant d’eau. 419 Cf. Göran Burenhult, op. cit., p. 122. 420 Cf. Kristian Kristiansen : “Bebyggelse, erhvervsstrategie og arealudnyttelse i Danmarks bronzealderen”, dans la revue : “Fortid og nutid”, København, 1978, n° 27.

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particulier l’approvisionnement en bronze. Au cours des huitième et septième siècles, l’importation de bronze venu du centre de notre continent baissa au point de disparaître totalement aux alentours de 600 av. J.-C. ; ceci alors même que l’Europe Centrale n’avait pas cessé de servir de modèle, tant pour la forme des objets (armes, situles et autres récipients) que pour leur ornementation (motifs). Le tarissement de ces sources d’approvisionnement amena inévitablement l’extinction des « centres de richesse » et de ce système de redistribution et d’échange qui avait en grande partie contribué jusque là au maintien des fondements sociaux et économiques dans les chefferies du sud et du centre de la Scandinavie à l’âge du bronze.

Chapitre III L’univers mental et les conceptions religieuses A Univers mental et société Malgré les innovations et les changements dont il vient d’être question, l’univers mental des habitants de la Scandinavie du sud et du centre n’est guère différent à l’âge du bronze récent de ce qu’il était durant l’époque précédente. Cela vaut surtout pour les périodes IV et V (1100 – 700 av. JC). Toutefois, l’altération progressive du climat a dû renforcer encore les préoccupations liées à la croissance du monde végétal et à l’abondance des récoltes. C’est ainsi que, replacé dans le contexte de dégradation climatique, la multiplication des scènes cultuelles sur les pétroglyphes du Bohuslän, jusque-là relativement abstraits, pourrait prendre une signification nouvelle : le fait de les graver dans la pierre, de manière plus ou moins répétitive constituerait une sorte d’adjuration aux puissances divines, lesquelles étaient parfois représentées sous forme humaine. Car on peut penser que cette modification graduelle du climat a fini par avoir des conséquences durables sur l’agriculture, déjà menacée par la pression démographique. L’humidité a dû souvent entraîner de mauvaises récoltes avec, pour corollaire, la famine et la désintégration des communautés. Dès lors, il était plus que jamais nécessaire de renforcer le culte, véritable ciment des sociétés nordiques d’alors. Réitérer la gravure de processions et de scènes cultuelles a pu aussi être un moyen quasiment magique de conjurer les méfaits d’un climat de plus en plus inhospitalier. Il faudrait cependant se garder de vouloir généraliser cette hypothèse de travail à toute la Scandinavie. En effet les différences climatiques entre le sud et le centre imposent de nuancer ceci, sous peine de schématiser par trop une situation qui était certainement beaucoup plus complexe que cela.

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B Les conceptions religieuses Le nombre assez impressionnant d’objets à usage très probablement cultuel, de pétroglyphes, sans compter les autres témoignages iconographiques (rasoirs, pincettes) et surtout la statuaire, tout cela jette une lumière encore plus vive qu’auparavant sur les conceptions religieuses, les croyances et le culte de la société scandinave durant la deuxième phase de l’âge du bronze. Néanmoins, cette richesse en artéfacts de tout genre ne compense que très partiellement l’absence totale de documents écrits. Ceci d’autant plus que, à l’instar des périodes précédentes, leur interprétation pose fréquemment des problèmes quasi insolubles, et c’est en particulier le cas des gravures rupestres. Elles n’en demeurent pas moins notre source essentielle, même si, ici ou là, on peut tenter de faire appel à l’ethnographie ou à l’histoire comparative des religions. Dans le domaine religieux, l’âge du bronze récent est marqué par deux faits capitaux : l’incinération des défunts et une personnification grandissante des puissances divines. La crémation des morts, n’est pas, loin s’en faut, un phénomène nouveau en Europe du Nord. Elle existait déjà au Mésolithique421 et on la constate de manière sporadique au Néolithique tardif et durant la première phase de l’époque étudiée ici. Toutefois, c’est à partir de la période IV (1100 – 900 av. J.-C.) qu’elle devient la règle absolue. Au delà des hypothèses que l’on devra émettre à propos des rapports qui unissaient peut-être les croyances solaires, lunaires et les rites d’incinération, on peut, dès maintenant, insister sur les aspects symboliques de ceux-ci. Comme le rappelle Gilbert Durand dans une étude récente422, le feu est lié à la notion de transcendance. Celle-ci s’oppose au caractère chthonien qui caractérise encore durant la première tranche de l’âge du bronze une partie au moins des croyances religieuses nordiques fortement ancrées dans le domaine de la fertilité-fécondité. On verra d’ailleurs que ce dernier aspect perdure amplement pendant la deuxième phase. Toutefois, avec la crémation, c’est la première fois que l’on est confronté de manière tangible à cette connotation nettement spirituelle qu’elle exprime : en effet, l’incinération des corps implique « mort à la vie ordinaire impure et renaissance à la vie spirituelle423 ». Le corps incinéré, en se volatilisant dans l’éther, libère totalement l’âme considérée comme emprisonnée dans cette enveloppe charnelle. Cette vision devait répondre à des aspirations déjà très présentes dans le chamanisme qui 421

Cf. première partie, le Mésolithique. Cf. Gilbert Durand : “Le symbolisme du feu”, article paru dans le corpus de « l’Encyclopedia Universalis », tome 9, Paris, éditions Encyclopedia Universalis, 2008, pp. 731 à 735, ici p. 733 où Gilbert Durand site André Piganiol : « Essai sur les origines de Rome », Paris, 1917. 423 Ibidem, p. 431.

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est toujours une composante de la religion nordique à l’époque qui nous intéresse. L’élévation de l’âme libérée par le feu purificateur ne correspondelle pas à celle du chamane qui gravit le tronc d’un arbre symbolisant l’axe du monde, afin d’accéder à la transcendance, aux puissances divines ouraniennes ? C’est cette correspondance qui a peut-être joué, entre autre, un rôle déterminant dans l’adoption généralisée de la crémation des défunts en Scandinavie du sud et du centre. Parallèlement à ce renforcement, si l’on puit dire, de la composante spirituelle, chamanique de la religion nordique d’alors, on assiste à une personnification des puissances divines. Ce phénomène qui apparaît au moins à partir de la période V (900 – 700 av. J.-C.) s’exprime soit par la figuration sur les pétroglyphes de personnages à la taille gigantesque, soit par la confection d’idoles en bronze ou même en or. C’est là un phénomène entièrement nouveau et il suffit de se remémorer les innombrables pieds, mains, cercles, roues ou spirales qui, bien souvent encore aux périodes IV et V, devaient symboliser la présence, sinon invisible, des puissances divines, pour mesurer l’ampleur de cette mutation. Sans doute ceci résulte-t-il, au moins en partie, d’un courant venu de l’extérieur, plus précisément d’Europe Centrale, à la faveur des échanges commerciaux. En effet, les exemples de telles idoles qui proviennent des régions centrales du vieux continent sont nombreux. Il est plus que probable qu’il ne s’agissait pas là seulement d’une nouvelle mode venue de l’étranger et servilement adoptée. Ceci correspondait certainement à une aspiration croissante à vouloir donner aux puissances divines un aspect humain tout en soulignant, au moins dans le cas des pétroglyphes, leur dimension surhumaine. Cette aspiration peut paraître quelque peu contredire celle qui s’exprime dans l’incinération des morts. Ne s’agit-il pas en fait ici d’emprisonner une puissance divine, de nature transcendante et immortelle dans une enveloppe humaine immanente et périssable ? Certes, mais il est intéressant de noter que c’est essentiellement la déité de la fertilité-fécondité, donc celle liée au monde tellurique qui est représentée de la sorte. Les puissances divines uniquement ouraniennes n’apparaissent que sur les pétroglyphes dont la gravure revêt constamment un caractère rituel et magique. Toujours est-il que le côté exceptionnel et étranger de cette pratique qui consiste à représenter les puissances divines sous un aspect humain apparaît pleinement lorsque l’on considère les périodes antérieures. Il est dès lors plausible d’y voir le résultat d’un courant extérieur, centre-européen. Mais il ne fait guère de doute non plus qu’il répondait à des tendances, manifestes dès la plus haute antiquité en Scandinavie du sud, celles-ci touchant à l’univers tellurique où règne la Puissance de la fertilité-fécondité. Ainsi, on le voit, les conceptions religieuses de la deuxième phase de l’âge du bronze demeurent dominées par l’opposition entre une composante céleste, puisant au moins en partie, ses racines dans le chamanisme des chas190

seurs-pêcheurs du Paléolithique et du Mésolithique et une composante chthonienne, tellurique, au moins aussi ancienne. En dernière analyse, on constate, une fois de plus, l’importance de la continuité et ce, en dépit des changements dont il vient précisément d’être question.

Chapitre IV Le culte et les croyances solaires et lunaires A Les faits archéologiques Comme on a pu le constater, la première partie de la période considérée paraît, dans les faits archéologiques, correspondre en quelque sorte à un sommet de la vénération du Soleil et de la Lune. Or, qui dit apogée dit aussi déclin : en adoptant cette conception quelque peu mécaniste on doit s’attendre à une régression des cultes solaires et lunaires dans la deuxième phase de l’âge du bronze. Ceci apparaît d’autant plus plausible que la personnification croissante des puissances divines a le plus souvent comme corollaire un déclin des cultes et croyances dédiées aux forces cosmiques. Les dieux et déesses résultant de cette mutation se voient désormais attribuer des domaines et des fonctions qui relevaient auparavant des deux seules puissances divines. Une nouvelle fois, l’absence totale de sources écrites datant de cette époque conduit à ne prendre en considération que les éléments fournis par le matériel exhumé. L’étude de ce dernier se révélera ainsi être encore le moyen privilégié d’investigation. Et il en sera ainsi jusqu’aux alentours de 500 av. J.-C., période à partir de laquelle on dispose de quelques sources écrites, même si celles-ci demeurent extrêmement fragmentaires et sujettes à caution. Ce n’est qu’à la fin des années soixante que l’on a pu identifier des rangées de foyers424 grâce aux acquisitions des nouvelles méthodes de datation (carbone 14). On les trouve principalement au Mecklembourg, en Poméranie Occidentale, au Brandebourg, et en Basse-Saxe, au Schleswig-Holstein425, au Jutland et dans les îles danoises, notamment en Fionie Centrale à Rønninge 424

Toutefois, on en exhuma une dès les années trente à Perleberg au Brandebourg : elle comprenait une centaine de fosses : cf. Sigrid Heidelk Schacht : “Jungbronzezeitliche und früheisenzeitliche Kultfeuerstätte”, in : « Religion und Kult in ur- und frühgeschichtlicher Zeit », dans la collection Historikergesellschaft der DDR, Berlin, Akademie-Verlag, 1989, pp. 226 et 227. 425 Cf. Jens Peter Schmidt : « Studien zur jüngeren Bronzezeit in Schleswig-Holstein und dem nordelbischen Hamburg », 1. Teil (partie 1), Text und Karten, Bonn, In Kommission bei R. Habelt, 1993, pp. 25 et 26.

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Søgård où l’on a dégagé 302 foyers sur les 500 probablement existants426. A Fjälkestad au nord de Kristianstad en Scanie, une vingtaine de fosses ont été mises à jour en 1992427. Elles datent selon les analyses au radiocarbone de 850, ± 80 av. J.-C.. Il s’agit chaque fois d’une ou plusieurs rangées qui peuvent atteindre jusqu’à 200 mètres de long et constituées de foyers identiques, plus ou moins régulièrement disposés. Dans le sud de la Scandinavie, elles se rencontrent fréquemment à proximité des sites de l'âge du bronze récent, comme c’est souvent le cas aussi dans les contrées septentrionales de l’Europe Centrale, par exemple en Basse-Saxe (Cf Planche hors texte 9), dans le nord du Brandebourg428, en Mecklembourg-Poméranie Occidentale. L’un de leurs dénominateurs communs est l’absence totale de matériel archéologique datable trouvé à l’intérieur de ces foyers. La seule façon de pouvoir les dater est le recours au carbone 14. Les résultats obtenus se situent tous entre le Xe et le VIe siècles av. J.-C.429. Des sites fouillés jusqu’ici au Schleswig-Holstein, il ressort que la plupart sont orientés soit, nord / nord-ouest, sud / sud-ouest, soit, sud-est / nord-ouest. C’est donc l’axe nordsud ou sud-nord qui domine ici aussi comme on peut souvent l’observer en Europe du Nord à partir de la période III ou IV. Les foyers eux-mêmes présentent une forme ronde ou ovale qui rappelle parfois celle d’une baignoire430. Jusqu’ici aucune explication n’a pu être fournie quant à la signification exacte et la raison d’être de ces rangées. Une chose demeure cependant certaine : il ne s’agit manifestement pas de foyers domestiques imputables à un quelconque habitat, même si la proximité d’un lieu habité a très souvent pu être constatée. On ne peut pas davantage parler de vestiges de bûchers pour la crémation des cadavres431. La seule interprétation plausible relève donc du domaine cultuel. Il est encore trop tôt pour élucider les conceptions religieuses qui conduisirent au creusement de ces rangées de foyers. La proximité de sites habités permet néanmoins d’avancer qu’il a pu s’agir de lieux destinés à des sacrifices où le feu et la lumière ont dû jouer un rôle prépondérant. C’est à ce titre qu’il faudra y revenir ultérieurement. 426

Cf. Henrik Thrane : “ Hundredvis af energikilder fra yngre broncealder ”, dans : “ Fynske Minder ”, 1974, pp. 96 à 114. 427 Cf. Tony Björk : “ Härdar på rad. Om spåren efter en kultplats från bronsåldern ”, dans : “Fornvännen”, 1998, n° 93, pp. 73 à 79. 428 Cf. F. Horst Zedau : « Eine jungbronze-eisenzeitliche Siedlung in der Altmark » (= Marche de Brandebourg), Akademie der Wissenschaften der DDR. Zentralinstitut für Alte Geschichte und Archäologie. Schriften über Ur- und Frühgeschichte, Nr. 36, Berlin : Akademie Verlag, 1985, fig. 70 et liste 13. 429 Cf. le tableau récapitulatif dans l’ouvrage de F. Horst, op. cit., p. 123. 430 Ainsi à Schwissel au Holstein dans le canton de Segeberg. Cf. Jens Peter Schmidt, op. cit., partie I, p. 26 et partie II, « Catalogue des trouvailles et des sites », n° 310. 431 En effet, les archéologues n’y ont jamais trouvé aucune trace d’éléments organiques (ossement ou autres) provenant de la combustion de corps d’humains ou d’animaux.

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En dépit de la crémation qui s’impose peu à peu en Scandinavie, à partir de la période III, la tradition de déposer dans la tombe les effets personnels du mort va perdurer pratiquement jusqu’à la fin de l’âge du bronze. Et lorsque, entre 600 et 400 av. J.-C., les objets du défunt seront incinérés avec le cadavre, les restes de ceux-ci, assez souvent identifiables par l’archéologie moderne, seront disposés dans l’urne funéraire qui contient les cendres. La différence essentielle avec les périodes précédentes (I à III) réside dans la réduction à l’essentiel et la modestie relative du mobilier. D’une façon générale, on assiste en effet à un appauvrissement progressif du matériel funéraire ; toutefois les exceptions sont assez nombreuses pour interdire toute généralisation abusive. On se contentera de citer ici un cas bien connu des archéologues : le tertre de Lusehøj432 situé au sud-ouest de la Fionie. L’une des découvertes les plus intéressantes effectuées à Lusehøj dans les années 1973 – 75 par Henrik Thrane s’avère être celle de vestiges de harnais et de clous décorés. Ils ressemblent à ceux trouvés en 1874 dans un dépôt situé également en Fionie, celui d’Egemose et dont il sera question plus loin433. Or, les archéologues ont estimé dès le XIXe siècle434 qu’il a pu s’agir là, d’objets ayant fait partie d’un attelage. Fort heureusement, on a trouvé dans la chambre sépulcrale de Lusehøj les vestiges d’une sorte de corbeille d’osier (dimensions 3 mètres sur 1,80 mètre) le tout disposé sur une natte en paille. Sous celle-ci se trouvait une fosse d’incinération avec du charbon de bois, des ossements calcinés et des morceaux de bronze et d’or également consumés. Tout ceci conduit à penser que l’on a affaire à une caisse de chariot qui a servi de catafalque. L’ensemble aurait reposé sur un bûcher. Si tel était le cas, ce serait le premier exemple connu en Scandinavie d’un type d’inhumation pratiqué depuis déjà plusieurs siècles en Europe Centrale (Civilisation de la Lusace et d’Hallstatt) et réservé aux personnages importants (chefs). 432

Ce tumulus avait à l’origine une hauteur de 7 mètres et un diamètre de 40 mètres. Il a été fouillé à plusieurs reprises, essentiellement en 1861 et, surtout, en 1973 – 75 sous la direction de l’archéologue Henrik Thrane. Lusehøj a été élevé sur un habitat de la période III avec des marques de labourages (rituels ?) à l’araire. La première inhumation a dû avoir lieu durant la période IV. En d’autres termes, ce tertre a été érigé en plusieurs phases qui s’étendent sur les périodes IV et V (1200 à 700 av. JC.). On a calculé que lors de la dernière phase de construction (période V : vers 800 av. JC.) on a utilisé environ 650 000 mottes de tourbe prélevées dans les environs sur une surface de 7 hectares. Le tertre contenait entre autre un ciste en pierre avec une sépulture masculine. Dans celle-ci, on a découvert une fibule en bronze d’un type peu répandu en Europe du Nord et n’ayant son équivalent qu’en Europe Centrale et Méridionale. On a par exemple exhumé un exemplaire tout à fait semblable dans une tombe près de Bologne en Italie. Ceci montre l’étendue des relations que les chefs nordiques pouvaient entretenir avec le reste du continent européen. A l’intérieur de la chambre mortuaire, on a trouvé des traces de peinture rouge sur les murs. 433 Cf. infra. 434 Cf. l’article d’Oscar Montelius dans la revue “ Månadsbladet ”, année 1887, p. 174.

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A la pauvreté toute relative du mobilier funéraire s’opposent la richesse et la diversité435 exceptionnelles des dépôts votifs en Scandinavie méridionale et centrale. Sur les 350 cas qui remontent à l’âge du bronze au Danemark, environ les trois quarts se situent dans la deuxième partie (périodes IV à VI)436. Fort heureusement d’ailleurs, car si l’on ne disposait que du matériel funéraire pour la connaissance des croyances, des cultes et de la société nordique d’alors, celle-ci serait des plus succincte. Cette disposition s’avère en outre être exactement l’inverse de celle de la phase précédente (périodes I à III). Est-ce à dire que l’on assiste à un renversement, non seulement des valeurs, mais aussi et surtout des croyances ? Il est, bien entendu, encore trop tôt pour se prononcer à ce sujet, mais il faudra, après l’étude du matériel archéologique, se reposer la question, tout en sachant que le phénomène « dépôt votif » ne constitue pas un fait nouveau, qu’il repose sur une tradition millénaire et s’avérera être, au moins jusque vers la fin de l’âge du fer romain (vers 450 ap. JC.) une constante dans la religion nordique437. Parmi ces objets438, s’imposent tout d’abord ceux qui par leurs contours mêmes évoquent les deux corps célestes : en premier lieu le bouclier dont l’apparition en Scandinavie du sud et centrale date de la deuxième moitié de l’âge du bronze, plus précisément de la période IV. La plupart des boucliers exhumés en Scandinavie proviennent des régions d’Europe centrale, là où fleurissait la Culture d’Hallstatt. Depuis le milieu du XIXe siècle, on en a mis à jour de nombreux exemplaires déposés dans des étendues d’eau : au Danemark, quatre exemplaires ont été, entre autre, trouvés dans l’île de Falster (Tårup Mose), un au Himmerland (nord-ouest du Jutland), un fragment en Fionie. Trois sont de provenance inconnue. En Suède, dominent essentiellement le dépôt de Nackhälle au Halland439 trouvé en 1865 (période IV) et surtout celui de Fröslunda (période VI 700 – 600 av. J.-C.) en Vestrogothnie, découvert à l’automne 1985 et fouillé au printemps suivant par leur taille, leur forme et leur décor, ces boucliers varient passablement : d’un diamètre allant de 60 à 70 centimètres environ, les uns présentent des contours parfaitement arrondis, d’autres ovales440. Quant à leur ornementation, elle s’avère 435

Cf. « Danmarks historia », tome 1, op. cit., p. 323. Il faut néanmoins souligner que les trouvailles funéraires demeurent encore supérieures en nombre, au moins au Danemark : cf. Johannes Brøndsted : « Danmarks Oldtid », op. cit., p. 163. 437 Ceci dit, il n’est pas l’apanage de la seule Scandinavie : bon nombre de contrées d’Europe Centrale le connaissent également dans des proportions comparables, ainsi en Gaule, en Allemagne, en Suisse, Bohème, Autriche et même en Italie du Nord. 438 On se contentera d’examiner ici les artéfacts non encore représentés dans les dépôts votifs de l’âge du bronze ancien. 439 Cf. Oscar Montelius : « Minnen från vår forntid », op. cit., n° 1164, p. 76 (illustrations) et p. 51 (texte). Voir aussi : Oscar Montelius : « Svenska Fornsaker », p. 179 et “ Hallands Fornminnen ”, dans la revue : “ Förenings årsskrift ”, pp. 60 à 69, 1866. 440 Cf. H. C. Broholm, op. cit., nos 108 et 109.

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assez différente selon les exemplaires : excepté celui de Nackhälle, tous ont toutefois en commun une bosse centrale généralement arrondie. Celle-ci est entourée plus ou moins de bourrelets circulaires, parfois constitués de perles : ainsi ceux de Fröslunda et de Svenstrup Mose près de Ålborg au Jutland. Peuvent graviter autour de ceux-ci d’autres bosses de moindre taille, elles-mêmes circonscrites de plusieurs cercles : c’est le cas d’un des boucliers de provenance inconnue441. Très fréquemment on les a trouvés groupés par deux, ainsi à Fröslunda, ils gisaient au nombre de seize, soit huit paires au décor semblable mais non identique442. Compte tenu de la finesse de la tôle de bronze (entre 0,3 et 0,5 mm) utilisée dans la fabrication de ces boucliers, du luxe et du soin apportés tant à leur exécution qu’à leur ornementation, on ne peut en aucun cas croire qu’ils n’aient jamais pu fournir une protection quelconque à des combattants. Tout porte, au contraire, à penser que leur destination était uniquement cultuelle. Compte tenu de leur forme, de leur décor et de leur éclat, ceux-ci devaient posséder un caractère héliaque et sélénique. En 1942, des agriculteurs en train d’extraire de la tourbe, alors très utilisée comme combustible, tombèrent sur une paire de casques en bronze. Après un premier examen, ces deux objets s’avérèrent d’un luxe et d’une qualité exceptionnels (Cf Planche 7). Le lieu de la découverte est une petite tourbière située dans la paroisse de Viksø, au nord de la Seeland. Les deux casques reposaient alors l’un sur une planche, l’autre sur une coupe en terre cuite. Ceci prouve que l’on a, sans conteste, affaire à un dépôt votif à même la surface d’une tourbière443, comme cela est le cas de tant d’autres objets de cette époque. Il est certes encore trop prématuré de vouloir s’avancer à présent davantage dans la signification de ces deux casques : retenons pour l’instant non seulement l’omniprésence des paires dans leur agencement, mais aussi l’existence de deux bosses et croissants, ainsi que ce bec crochu placé entre eux. Cet ensemble rappelle étrangement le motif des deux yeux

441

Cf. H. C. Broholm n° 109. Comme l’exemplaire de Närke, celui-ci présente en outre des figures d’oiseaux qui cantonnent trois cercles complétant les trois bosses précédemment évoquées. Ces animaux font partie intégrante de l’iconographie nordique dès la période IV et leur symbolisme révèle, à n’en point douter, un rapport avec les deux astres. Il faudra y revenir lorsqu’il sera question de l’iconographie : cf. Johannes Brøndsted, op. cit., illustration p. 200 (planche hors-texte 8). Cf. aussi Mårten Stenberger : « Det forntida Sverige », Uppsala, Almqvist & Wiksell, 1964, fig. 97, p. 220, texte p. 222 : traduction en allemand parue chez Karl Wachholtz, Neumünster, 1979. 442 Cf. l’article de Ulf Erik Hagberg, pp. 146 à 149, ici p. 149 dans l’ouvrage de Göran Burenhult, op. cit. 443 Cf. Johannes Brøndsted, op. cit., p. 186 (texte) et p. 186 (planche V).

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et sourcils qui figurent sur les poteries de la civilisation des vases en entonnoir au Néolithique moyen444. Les chars processionnels et leur équipement constituent un élément relativement445 nouveau, présent tant en Suède qu’au Danemark ; ils annoncent une série de trouvailles archéologiques de première importance à l’époque suivante, l’âge du fer préromain. Pour la période concernée, on connaît principalement trois dépôts sacrificiels contenant cette catégorie d’objets, dont un au Danemark et deux en Suède : il s’agit respectivement de Egemose, Eskelhem et Fogdarp. Celui d’Egemose est situé en Fionie et fut exhumé en 1874, dans une tourbière. Il comprenait des ferrures en bronze dont certaines se terminaient par des têtes d’animaux à cornes (probablement des bovins). En outre, on mit à jour un grand nombre de clous et boutons arrondis, au total environ sept kilogrammes de bronze446. Le tout était placé dans un récipient en terre cuite. Certaines de ces pièces portaient des marques d’incendie, au point même qu’elles étaient en partie fondues. Plusieurs explications ont été fournies à propos de cette trouvaille : il se serait agi entre autre d’un dépôt de pièces en bronze destinées à être refondues, ce qui ne contredirait nullement la présence de parties (ferrures) d’un véhicule. Néanmoins, le lieu de cette découverte, une tourbière, permet d’émettre des doutes à l’égard d’une telle hypothèse : on sait en effet que ce genre d’endroit, considéré comme sacré par les anciens Nordiques, était le théâtre de célébrations cultuelles, de sacrifices notamment.

444

Cf. supra deuxième partie : Le Néolithique, I le Néolithique ancien et moyen A, chap. III B Les témoignages de l’iconographie. 445 En effet on connait déjà un précédent : le dépôt de Gallemose, qui date de la fin du Néolithique : cf deuxième partie, II, Le Néolithique B et récent. 446 Cf. Johannes Brøndsted, op. cit., p. 238.

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PLANCHE 7

Viksø (Seeland du nord). L’un des deux casques : environ 900 avant JC. D’après une photo de Lennart Larsen du Nationalmuseet København. Reproduit dans : Johannes Brøndsted : « Danmarks Oldtid » Bd II (tome II) planche hors texte.

Aussi s’impose l’idée qu’il puisse s’agir là des vestiges d’un char processionnel ou cultuel qui aurait été incendié rituellement après une cérémonie en l’honneur d’une puissance divine. Dans ce contexte, il est important de souligner l’existence de ferrures qui évoquent des têtes d’animaux cornus. 197

On a, en effet, déjà observé que de tels animaux avaient, dès le Néolithique un lien avec les deux astres447. Mais, par dessus tout, il est nécessaire d’insister ici sur le rôle du feu dans le culte à cette époque : on l’a déjà vu à propos de la crémation des corps, mais aussi de ces rangées de foyers dont la fonction n’est pas encore élucidée. Le deuxième site, Eskelhem, situé dans l’île de Gotland, date de l’extrême fin de l’âge du bronze (période VI entre 600 et 500 av. J.-C.) période de transition entre deux âges. Cette importante trouvaille, effectuée en 1886448, comportait un certain nombre de pièces importées qui faisaient partie de l’harnachement d’un cheval et peut-être d’un char cultuel : entre autre quatre disques en bronze à décor de cercles concentriques449 et rayons ajourés. Ils étaient munis chacun de deux pièces de tôle de bronze de forme triangulaire reliées à la pièce maîtresse (disque) par deux anneaux fixés à deux anses. Celles-ci sont soudées au sommet du disque, plus précisément au niveau du quatrième cercle concentrique ; leur disposition symétrique complète un motif placé sur le rebord supérieur du disque. Cet élément décoratif est en style des cinquième et sixième périodes : vagues qui épousent la forme d’anneaux au nombre de trois, complétées par deux cercles ajourés, disposés dans les interstices : sont-ils une figuration des deux astres ? L’ensemble est accosté de deux figures serpentines qui se terminent par un motif en forme d’éperon de navire ou de soc de charrue : il s’agit d’une variation du thème des oiseaux aquatiques (cygnes) marquant la poupe et la proue d’un bateau. Mais ici le caractère serpentin de cet animal s’avère très accentué de sorte qu’on a peine à différencier l’oiseau du reptile. Manifestement on a affaire ici à une représentation extrêmement stylisée d’une embarcation telle qu’on peut en voir sur les pétroglyphes ou les objets de bronze gravés à cette époque (rasoirs…). Fort heureusement, deux ornements ajourés quelque peu analogues faisant partie du même inventaire viennent confirmer cette hypothèse : dans leur cas, aucun doute n’est possible : l’un représente deux bateaux accolés l’un au dessus de l’autre, poupe et proue en col de cygne. L’embarcation du bas légèrement arquée repose sur cinq anneaux ajourés, tandis que celle du haut en contient quatre. L’autre ornement figure une barque qui vogue sur cinq anneaux ajourés. Les deux cols de cygnes des extrémités sont répétés symétriquement à l’intérieur du navire par un motif serpentin qui ressemble fort à celui disposé au dessus de chacun des quatre disques. Mais ici, il s’achève par deux volutes qui viennent s’accoler aux cols de cygnes de la poupe et de la proue. Il s’agit d’une variation sur le thème de la nef, du cygne et du serpent. Mais la découverte d’Eskelhem 447

Voir deuxième partie : Le Néolithique. Cf. Oscar Montelius, op. cit., nos 1450 à 1456, p. 97 (illustration), p. 63 (texte). 449 Le noyau central est occupé par une croix qui figure peut-être les quatre rayons d’une roue.

448

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contient encore d’autres éléments qui appartiennent très certainement à l’harnachement d’un cheval qui tirait un char cultuel : en dehors des mors dont l’un est en fer (vraisemblablement importés de l’aire culturelle d’Hallstatt), on trouve encore quatre plaques circulaires disposées par paires reliées par des anneaux destinés à produire un son rappelant celui d’une crécelle450. Enfin douze cercles de bronze dont les contours rappellent les ornements de ceinture de la période II : ils sont surmontés d’un bouton conique : leur fonction était d’ailleurs probablement la même : ils devaient parer les lanières de cuir placés autour et sur le chef des chevaux. Quant aux quatre disques, ils ont pu être disposés de part et d’autre de la caisse du char. Leur présence aux côtés des pièces d’harnachement de chevaux renforce en tout cas l’hypothèse d’un char cultuel ou processionnel. Mais surtout le symbolisme de leur décor (cercles concentriques, noyaux cruciformes, rayons ajourés, ornements naviformes) permet de relier ces divers objets au domaine lunisolaire. La dernière découverte en date de cette catégorie a été effectuée en 1972 dans le domaine de Jönstorp à Fogdarp, village situé au sud du lac de Ringsjö dans la paroisse de Bosjökloster, commune de Höör en Scanie. Sur une pente, on exhuma, lors de travaux agricoles, un dépôt qui remonte à la phase finale du bronze. On sortit alors de terre deux lures en bronze, quatre ferrures de mors, quatre disques munis de triangles comparables à ceux d’Eskelhem, et trois bracelets. Cependant l’élément nouveau de ce site est constitué par une paire de tubes de bronze qui épousent les contours d’un demi-cercle. L’un d’eux est orné de deux têtes d’hommes coiffés d’un casque. Celui-ci possède deux cornes à mettre en parallèle avec celles de Viksø ou des pétroglyphes du Bohuslän. Cette comparaison s’impose d’autant plus que, à l’instar des coiffures retrouvées dans la tourbière seelandaise, les deux figurines de Fogdarp présentent également une sorte d’excroissance entre les deux yeux, laquelle rappelle beaucoup le bec d’un oiseau de proie. Ce genre de masque est aussi porté par nombre de personnages gravés sur les rochers du Bohuslän, par exemple à Fossum, le personnage en bas à droite de la composition : il est armé d’un bouclier en forme de roue à rayons cruciformes et, tout à fait semblables, les quatre « guerriers » de Vitlycke qui brandissent chacun une hache. On pourrait encore citer les deux paires de personnages qui saisissent la même arme en bas à droite du tableau d’Aspeberget. On va d’ailleurs bientôt retrouver cette sorte de masque451 qui décidément paraît avoir fait partie intégrante du culte à l’époque étudiée présentement. L’autre tube en demi-cercle est très fortement endommagé, mais paraît avoir été décoré de deux têtes de femme : on 450

C’est d’ailleurs probablement aussi la fonction des triangles suspendus à chacun des quatre disques. 451 Voir infra I Les objets miniatures : la figurine de Glasbacka.

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aurait ainsi un bon exemple de « gémellité bisexuée ». D’après les archéologues suédois, en particulier Lars Larsson452, ces deux artéfacts auraient pu être fixés au cou des chevaux qui tractaient un char processionnel à l’aide de lanières en cuir retenues à hauteur du poitrail par l’une des quatre plaquesbouches semblables à celles d’Eskelhem. A l’instar de ce dernier site, les deux autres auraient été placées à hauteur du front. On peut ainsi estimer que cet équipage était tiré par deux chevaux, ce qui n’est pas étonnant, compte tenu de l’importance du chiffre deux et de la gémellité dans les croyances des Scandinaves d’alors. Le dépôt sacrificiel d’éléments de chars processionnels et de harnachements de chevaux est apparemment un facteur nouveau dans le culte nordique. On notera l’aspect tellurique d’un tel rite (immersion !), alors que le cheval est censé tracté l’astre durant le jour. Cette apparente contradiction peut être résolue si l’on garde à l’esprit qu’en se couchant l’astre diurne tiré par un ou deux coursiers jumeaux s’abîme dans les flots de l’océan ou les entrailles de la terre. La richesse et la variété exceptionnelles des dépôts votifs ou sacrificiels par rapport à la « pauvreté » relative des sépultures est-elle la seule conséquence de l’incinération de plus en plus généralisée et de plus en plus radicale des corps ? Ainsi qu’on l’a déjà vu au début de cette partie réservée à l’étude de cette catégorie de sites archéologiques, c’est là, sans doute, l’une des raisons majeurs de ce transfert achevé vers la sixième période, mais non la seule : on doit en effet se poser la question de savoir si le déplacement d’accent ainsi opéré dans les usages cultuels n’est pas le résultat d’un renouvellement dans les croyances ou, plutôt, d’un retour à des pratiques ancestrales qui avaient eu cours depuis la fin du Mésolithique (dépôts votifs dans les marais et tourbières). Auquel cas, il s’agirait non d’une nouveauté mais d’une constante que les six ou sept siècles correspondant à la première phase de l’âge du bronze auraient quelque peu atténuée, mais nullement interrompue, comme l’ont montré, entre autres, les offrandes de chars votifs à Trundholm et à Tågaborg, ainsi que les figurines de Stockhult. Une catégorie d’artéfacts déjà bien connue à la première phase va atteindre en quelque sorte un sommet durant l’âge du bronze récent : il s’agit des objets miniatures. Certes le nombre de ces trouvailles est plutôt limité par rapport aux autres types d’objets grandeur nature. Cependant la qualité artistique de la plupart de ceux-ci atteste de l’importance qu’ils ont dû revêtir dans l’accomplissement des cultes. Mais, par dessus tout, leur iconographie fournit, au même titre que les pétroglyphes, des renseignements des plus précieux sur les croyances et les rites de l’âge du bronze nordique. Inutile de 452

Cf. Lars Larsson “The Fogdarp find. A hoard from the Late Bronze Age”, dans la revue : “Meddelanden från Lunds Universitets Historika Museum”, 1973 / 74, Lund, 1974.

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dire qu’à ce titre, ils occupent une place de choix dans la hiérarchie des sources archéologiques dont on dispose pour avancer dans la connaissance du sujet traité. Pour les artéfactes de Grevensvænge près de Næstved (Seeland), il convient d’employer ici le terme de « groupe », plutôt que de parler de « figurines » ou de « statuettes » car ici on affaire, comme dans le cas suivant, (Fårdal) à une véritable composition et non à des objets isolés. Certes, ce qui nous est parvenu est bien fragmentaire par rapport à l’état originel ou même celui dans lequel furent retrouvés ces objets. En effet, lorsque ceux-ci furent mis à jour vers 1776 / 1778 près de Næstved en Seeland, à Grevensvænge plus précisément, ils étaient au nombre de quatre. C’est ce que nous apprennent deux dessins qui se révèlent extrêmement précieux et ont été exécutés quelques années après cette découverte exceptionnelle. L’un est dû à la main d’un pasteur norvégien du nom de Marcus Schnabel, l’autre à un bibliothécaire danois, Christian Brandt. Tous deux datent de l’année 1779. Sans eux, on ne disposerait que de deux figurines de bronze, quelque peu disparates, reposant l’une sur une tige, ou support, muni l’une de deux tétons, l’autre d’un seul. Il s’agit dans le premier cas d’un personnage masculin vêtu d’une sorte de pagne et portant un casque comparable à ceux de Viksø. Il est agenouillé et porte la main gauche sur la poitrine. L’autre main a disparu. Grâce aux deux dessins, on sait que le personnage masculin en question brandissait de cette main une hache dont la lame, très caractéristique, épousait les contours d’un champignon. Un autre personnage, rigoureusement semblable, se tenait dans la même posture sur sa gauche. Il saisissait, de la main droite cette fois-ci, une hache exactement analogue à celle de son homologue de droite. La deuxième figurine, parvenue, elle, jusqu’à nous, représente une jeune femme torse nu, comme l’autre statuette, mais vêtue d’une jupe très courte qui évoque celle que l’on a retrouvée dans la tombe d’Egved. Mais le plus troublant est ici l’attitude de cette femme : elle s’arc-boute, la tête rejetée en arrière à l’instar des acrobates. Les mains sont en appui, près de la tête. Elle porte un collier au cou et est coiffée d’une sorte de bonnet de forme cylindrique. Si l’on ne possédait pas les deux dessins de 1779, on serait fort au dépourvu de savoir ce que représentait l’ensemble de la composition. Or, tant l’esquisse de Christian Brandt que celle du pasteur norvégien montrent un quatrième personnage qui se tient sur un support où se trouve un autre téton453. Ceci indique la pré453

Johannes Brøndsted, op. cit., p. 186, prétend qu’il était resté une partie d’un pied et que celui-ci étant tellement analogue à ceux de la figurine encore existante, l’on pouvait en conclure à une réplique parfaitement symétrique de l’autre comme c’était le cas pour les deux personnages casqués. H.C. Broholm : « Danske Oldsager », III, København, 1952, p. 50, affirme la même chose. P.V. Glob le contredit en affirmant qu’il s’agissait, en fait, d’un serpent. Cette hypothèse, séduisante, s’appuie elle sur un fait : la présence à Fårdal (voir plus bas) du reptile aux côtés

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sence d’une cinquième figurine dont on ignore évidemment tout. La statuette encore existante montrait un personnage féminin vêtu d’une longue tunique et portant une sorte de fichu qui se termine par une touffe dont on ne peut savoir s’il s’agit des cheveux ou de la pointe de la coiffe. Sur les deux dessins on peut également voir, au niveau de la poitrine, une fibule en forme de lunettes que l’on retrouve si souvent dans les dépôts votifs, ainsi que sur les pétroglyphes. Le personnage en question porte un collier au cou et une ceinture à la taille. Mais, ce qui est peut-être le plus troublant, il exécute un geste qui ressemble fort à celui des hommes casqués : la main gauche est posée sur la poitrine, tandis que celle de droite est levée et pointée vers la dextre, comme si elle présentait ou montrait quelque chose dont on ne sait, bien sûr, rien. En se servant de ces dessins, les archéologues danois R. Djupedal, H. C. Broholm454 et P. V. Glob455 ont tenté de reconstituer l’ensemble de la composition. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les scènes représentées par les pétroglyphes de la région de Tanum au Bohuslän. Selon eux, ce groupe de personnage fait partie d’une scène qui se déroule sur un bateau. Au centre de celui-ci, se serait dressée la statuette de la femme vêtue d’une longue tunique. A ses côtés un serpent. Devant elle, à droite, les deux personnages masculins. Sur chacune des pointes de la proue, deux acrobates féminins et un troisième sur la proue. Ce sont évidemment les figurines qui représentent les deux hommes et la femme qui ont retenu le plus l’attention des chercheurs. Jusqu’à ces dernières décennies, l’opinion générale penchait en faveur de la représentation de divinités456. Depuis quelques années, on pense qu’il s’agirait plutôt de la version miniaturisée d’un bateau processionnel tel qu’on peut en voir sur les pétroglyphes du Bohuslän457. Les figurines placées sur cette embarcation miniature reproduiraient un rituel ou une scène mythique qui devait avoir lieu sur des bateaux grandeur nature458.

d’un personnage féminin : cf. P.V. Glob, op. cit., p. 193. Cette supposition est encore davantage étayée par la gravure sur le couteau de Vestrup qui représente le même sujet (voir infra). 454 Cf. R. Djupedal, H.C. Broholm : “Marcus Schnabel og Bronzealderfundet fra Grevensvænge”, dans la revue : “Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie”, København, 1952. 455 Cf. P.V. Glob : “Kultbåde fra Danmarks Bronzealder”, dans la revue : “Kuml”, 1961, Århus, 1962. 456 C’est le cas dans l’ouvrage de Johannes Brøndsted, op. cit., p. 188. La plupart des archéologues estimaient qu’il s’agissait d’une représentation des *AlhiK ou Dioscures germaniques. 457 Par exemple sur le rocher de Sottorp près de Tanum. Cf. Flemming Kaul : « Ships on Bronze », op. cit., p. 22, fig. 9 ; d’après Bertil Almgren : “Die Datierung bronzezeitlicher Felszeichnungen in Westschweden”, in : “ACTA MVSEI ANTIQVIATVM SEPTENTRIONALVM REGIÆ VNIVERSITATIS VPSALIENSIS”, VI, VPPSALA, 1987. 458 Cf. Flemming Kaul : « Ships on Bronze », op. cit., p. 23.

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Alors que l’ensemble de Grevensvænge date probablement de la période IV, celui de Fårdal, près de Viborg, remonte à la période V459. Ici encore, on a affaire à un dépôt votif. Contrairement à Grevensvænge, les statuettes de bronze sont toutes parvenues jusqu’à nous, si bien qu’une reconstitution de l’ensemble s’avère plus sûre que dans le cas précédent. Ce groupe comprenait tout d’abord la statuette d’un personnage féminin en position accroupie. Elle est vêtue de la même jupe cordée que l’acrobate de l’ensemble précédent et porte également un collier au cou. Ses yeux sont surdimensionnés par rapport à la taille de la figurine : ils se présentent sous la forme de deux globes et sont dorés. Elle lève le bras gauche, la main est serrée autour d’un objet qui a disparu, si bien qu’on ne voit plus qu’un espace libre et rond entre les doigts. De la dextre, elle presse sur son sein gauche. A Fangel, en Fionie, on a trouvé dans un dépôt votif une figurine de bronze comparable. Elle est creuse, ce qui permet de penser qu’il s’agit de l’ornementation d’un manche d’outil ou d’arme. Ici le personnage se tient les deux seins. Il porte également un collier et, en outre, une boucle d’oreille. Il est probable qu’à l’origine, il pendait une boucle à chaque oreille, comme c’est le cas du petit buste de Javngyde dans la région de Århus. Il orne le manche d’un couteau comme cela a pu être le cas à Fangel (Cf. Fig.22). P. V. Glob460 a proposé pour cet ensemble une reconstitution (Cf. Fig. 21). La statuette féminine aurait été placée au centre de l’embarcation devant le serpent. Les deux têtes de chevaux auraient orné la proue et la poupe du navire, tandis que le motif en forme de lyre aurait surmonté l’éperon courbé placé à la poupe. Ainsi s’agirait-il, ici encore, d’un bateau processionnel miniature qui reproduisait ceux que l’on voit sur les parois des rochers de l’ouest de la Suède. Mais, plus encore peut-être qu’à Grevensvænge, certains détails de cette composition livrent des éléments susceptibles de nous renseigner sur la nature du personnage placé au centre du navire : ainsi les yeux en forme de globes dorés, la main placée sur le sein, le collier. L’oiseau, le serpent, les têtes chevalines munies de cornes en forme de lyres constituent par ailleurs des éléments nouveaux sur lesquels il faudra se pencher par la suite461. Le manche de bâton processionnel de Glasbacka (Halland462) provient de la paroisse de Ljungby, härad de Fauris au Halland : il date de la période VI, donc de l’extrême fin de l’âge du bronze (Cf. Planche 8). De face, il se présente comme un visage humain surmonté d’une coiffure en forme de bec 459

Cf. H. Kjær : “To Votivfund fra yngre bronzealder”, dans la revue : “Aarbøger for nordisk Oldkyndighed og Historie”, 1927, København. 460 Cf. P.V. Glob, op. cit., 1962. 461 Voir infra : L’iconographie. 462 Cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 1476, texte p. 62, illustration p. 100. Voir aussi l’article de T.J. Arne dans la revue : “Fornvännen” de 1909, p. 195 et Flemming Kaul : « Ships on Bronze », op. cit., pp. 25 et 26, ainsi que Mårten Stenberger, op. cit., p. 300 et suiv.

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d’oiseau, à l’instar des casques de Viksø ou des figurines de Fogdarp. Lorsqu’on le regarde de côté, ce buste révèle un profil des plus intéressants : du côté gauche (côté droit pour l’observateur) il évoque la lune décroissante et l’œil correspondant prend un tout autre aspect : un cercle entouré de triangles, tel qu’il apparaît sur certains bracelets d’os du Néolithique tardif463. On retrouve cette alternance anneaux concentriques, cercles entourés de triangles au niveau des yeux du cheval de Trundholm. Mais ici les deux motifs sont distincts : le cercle muni de triangles (l’œil droit) étant du côté décroissant, les anneaux concentriques (l’œil gauche) du côté croissant. On pourrait avancer à cela une explication : les anneaux concentriques représenteraient l’astre diurne dans sa phase ascendante, qui correspond ainsi à la lune croissante. Tandis que les cercles couronnés de triangles figureraient l’éclat du soleil à son zénith, précédant son déclin, ou bien celui de son pendant héliaque lors de sa phase de plénitude qui annonce aussi son décours. Mais par delà l’image du rayonnement, on peut voir dans ces triangles la figuration de l’éternelle alternance montée / descente qui caractérise non seulement la course solaire ou lunaire, mais aussi toute existence (Cf. le motif mésolithique du zigzag). Quoi qu’il en soit, on a là un témoignage exceptionnel à plus d’un titre : d’abord parce qu’il s’agit du premier objet rencontré depuis le début de cette étude qui se réfère directement et sans conteste à la Lune. ensuite parce qu’il montre à quel point Soleil et Lune étaient alors considérés comme un tout dans le contexte des paires jumelées si souvent présentées durant cette époque et même plus tard. En Scandinavie méridionale, on a jusqu’à présent exhumé de dépôts votifs une dizaine de statuettes en bronze qui datent des périodes V et surtout VI. Elles présentaient toutes plus ou moins les mêmes caractéristiques : nudité, port d’un ou plusieurs colliers, et surtout attitude semblable : toutes ou presque ont les mains posées sur les seins, comme pour les presser, les bras sont arrondis de façon à former le même motif que les fibules en lunettes : deux cercles séparés par le torse. On pense même à une sorte de huit. Une seule figurine464, celle de Ferreslev (Fionie orientale) semble faire exception à cette règle d’un double point de vue : elle ne porte pas de collier et le bras gauche est tronqué. Celui de droite n’atteint pas la poitrine et se présente sous l’aspect d’une pointe. On peut toutefois envisager, dans ce cas égale463

Cf. supra, le Néolithique tardif. Qu’on n’a pu dater jusqu’à présent : cf. Johannes Brøndsted, op. cit., p. 238. C’est le cas aussi de la statuette de Kalleberg en Vestrogothnie, également sans collier. Cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 1479.

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PLANCHE 8

Le manche du bâton processionnel ou de lance trouvé à Glasbacka (Halland). Reconstitution de face et de profil. D’après Oscar Montelius : « Minnen Från vår Forntid », Stockholm, Nordstedt och Söner, 1917.

ment, une position des bras analogue à celle des autres statuettes, l’état actuel (bras tronqué, etc…) provenant de l’usure du temps. Une autre figurine, celle de Katslösa en Scanie, se distingue par la forme étrange de la tête. Au niveau des oreilles, on voit nettement deux protubérances munies chacune de trous : sans doute, était-elle destinée à être suspendue à quelque support. Plusieurs sont dépourvues de traits de visage : celle de Farø près de Vordingborg en Seeland, celle de Valje en Scanie. Cependant la majorité d’entre elles présentent un nez, une bouche et deux yeux. Ces derniers sont d’ailleurs fréquemment figurés par deux globes : ainsi celle de Sankt Olof en Scanie465. L’exécution plus ou moins grossière suggère une production en masse de ces statuettes destinées peut-être avant tout au culte domestique466. Inutile de dire l’importance que revêtent ces figurines : elles constituent peut-être la première preuve concrète de l’existence de puissances divines personnifiées à l’âge du bronze récent. Par là même, elles montreraient que, dès cette époque, la religion nordique serait rentrée dans une nouvelle phase où les 465 466

Cf. Oscar Montelius, n° 1478. Cf. Mårten Stenberger, op. cit., p. 300.

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puissances divines, pas encore personnifiées jusque là, auraient été désormais représentées sous des traits humains. Cette constatation ne s’arrête d’ailleurs pas aux déités féminines : près de Viborg au Jutland, on a exhumé une statuette figurant un être humain dont les proportions (longueur exceptionnelle du tronc et des jambes) font penser qu’il ne s’agit pas d’un humain mais d’une déité. Ceci est d’ailleurs confirmé par les personnages gigantesques qui apparaissent alors sur les pétroglyphes tant à Fossum467 qu’à Litsleby468. Aussi importera-t-il de revenir ultérieurement sur ces représentations et de déterminer leur rapport éventuel avec les deux astres en question. Avec les figurines de chevaux d’Alvena (Gotland) et de Svartarp (Vestrogothnie), on a un bel exemple d’une certaine continuité dans la statuaire scandinave depuis l’âge de pierre : en effet bien qu’elles soient censées représenter des chevaux, ces trois figurines, surtout celle de Alvena (Gotland) rappellent par bien des côtés la fameuse tête d’élan d’Alunda (Uppland) qui remonte au Mésolithique. Il en va d’ailleurs de même des têtes de chevaux trouvées à Fårdal dont le profil très élégant s’avère très proche de celui des chevaux de Svartarp (Commune d’Åsle) en Vestrogothnie469. Il semble que l’une de ces deux dernières œuvres aient également possédé des cornes si l’on en juge d’après le fragment qui pointe au-dessus du front, à côté d’une oreille, elle-même incomplète. Un point commun peut être constaté sur ces trois sculptures, tant celle d’Alvena que la paire trouvée dans un dépôt sacrificiel en Vestrogothnie : la forme des yeux qui se composent de deux cercles, celui du centre possédant les caractéristiques d’un bouton. On retrouve ces traits sur les statuettes féminines, celle de Sankt Olof en particulier, et, dans une bien moindre mesure, sur celle de Glasbacka. Un trait mérite encore d’être souligné à propos de l’un des deux chevaux de Svartarp : au niveau de la mâchoire inférieure, il possède un anneau qui retient deux disques munis d’un assez grand trou. Sur l’autre exemplaire, dont l’oreille est intacte, on ne trouve qu’un fragment de l’anneau. Cette caractéristique rappelle quelque peu les disques et autres ornements qui paraient les mors de chevaux, par exemple à Eskelhem470. Par ailleurs, on peut supposer qu’au départ, les deux figurines de Svartarp en Vestrogothnie ont pu faire partie d’un ensemble comparable à celui de Fårdal (bateau cultuel ?) voire d’un char processionnel miniature, tels que ceux de Trundholm ou de Tågaborg. Cela a pu également être le cas de la figurine gotlandaise d’Alvena. Dans le dépôt sacrificiel féminin de Vestby i Lunne (Hadeland = Opland), le plus important de l’âge du bronze en Norvège, on a trouvé trois colliers, une aiguille à tatouer, une chaîne de 350 perles de bronze recou467

Le personnage qui, du centre de la composition, brandit une hache. Le fameux « géant à la lance ». 469 Ou de la tête également ornée de cornes lyriformes provenant de Fallköping (Halland). 470 Cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 1450 a.

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vertes d’étain et un anneau. Mais ce qui retient avant tout ici l’attention c’est la présence d’une paire d’animaux à cornes, vraisemblablement des boucs. La tête de l’un d’eux s’avère très proche des chevaux de Fårdal, par la finesse de ses contours, la courbe élégante de l’unique corne. Selon toute vraisemblance, on a affaire à l’œuvre d’un atelier sud-scandinave. On retiendra ici la présence d’une paire jumelée associée à des objets typiquement féminins, tels que colliers ou aiguille à tatouer. L’inventaire des différents artéfacts qui entrent dans la catégorie des objets miniatures provenant des dépôts votifs ou sacrificiels s’avère exceptionnel quant à la somme d’informations très précieuses qu’ils fournissent. Celles-ci touchent non seulement au culte dont ils devaient faire partie intégrante, mais aussi aux croyances et peut-être même aux mythes. On dispose donc là d’une des deux sources essentielles à laquelle on pourra puiser chaque fois que le besoin s’en fera sentir. B L’iconographie sur pierre : analyse résonnée L’autre source essentielle s’avère être l’iconographie sur pierre. A l’âge du bronze récent, celle-ci atteint en Scandinavie du sud et du centre un sommet encore inégalé jusqu’alors. Ceci tient principalement au caractère figuratif de l’iconographie durant les périodes IV à VI. Alors que précédemment (périodes I à III) on observait une certaine limitation des sujets et des motifs471, une tendance à la réduction des éléments472, voire une certaine abstraction, on assiste maintenant à une préférence marquée pour les scènes cultuelles, pas seulement au Bohuslän (région de Tanum) mais aussi en Ostrogothnie (Ekenberg) au Uppland, en Norvège du sud (Østfold : Bjørnstad, Skjeberg) et de l’ouest473 (Hegra, Nordtrøndelag). C’est en ce sens que l’iconographie lithique scandinave d’alors se révèle être une source exceptionnelle pour le sujet de cette étude. Encore faut-il maintenir constamment le contact avec le contexte dans lequel s’inscrivent ces documents ; en d’autres termes et comme cela a déjà été souligné au début, il convient de ne pas isoler les sujets et surtout les motifs sous le prétexte qu’ils contiennent des thèmes solaires ou lunaires ou supposés tels. Seule l’analyse raisonnée474 de l’ensemble des compositions peut permettre de tirer des conclusions et d’avancer un peu plus dans ce difficile sujet.

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Par exemple, la présence marquée de bateaux et de chevaux, souvent représentés seuls. On atteint ainsi une dimension symbolique par exemple avec les figurations de mains et pieds qui représentent peut-être la présence d’une puissance divine. 473 Et même au Danemark si l’on songe à la scène figurant sur la pierre d’Engelstrup. 474 Par ce terme, il ne faut pas seulement entendre un simple passage en revue des principaux motifs et thèmes, mais aussi une tentative de déchiffrage de ce que l’on peut considérer comme une forme de langage (cf. sémiotique).

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Même si, dès l’âge du bronze ancien, l’art rupestre sud scandinave ne se limite pas uniquement à des signes ou des symboles comme le démontrent fort éloquemment les dalles 7 et 8 de Kivik, le registre demeure réduit à certains motifs (bateaux, chevaux et surtout cupules) qui tournent autour du cycle vital (Sagaholm) et s’inscrivent d’abord dans un contexte funéraire (Kivik-Sagaholm). Il en va tout autrement de la deuxième phase de l’époque considérée. En effet, on assiste alors à une véritable floraison de tendances plus ou moins latentes durant les périodes II et III. C’est alors que l’art pariétal sud-scandinave atteint sa pleine maturité devenant ainsi un langage, une sémiotique au sens plein du terme. Quand bien même demeure le problème de la datation, primordial dans l’étude des pétroglyphes, il s’avère plus facile à surmonter en raison de la présence encore davantage marquée d’armes ou de bateaux susceptibles d’être datés. En effet, les épées de type hallstattien, omniprésentes, sont parfaitement reconnaissables au large arrondi des embouts de leurs gaines475. Pour ce qui est des bateaux, la datation a été rendue possible grâce aux nombreuses représentations de ce véhicule sur des lames de rasoirs. Or ces derniers ont été fréquemment trouvés dans des tombes datables grâce à la stratigraphie et surtout aux objets qu’elles contiennent : elles remontent dans la majorité des cas à la période IV (1100 à 900 av. J.-C.). D’une manière générale, il ressort de la classification des épées et des bateaux que la plupart des grands tableaux rupestres scandinaves, en particulier ceux de la région de Tanum, ne remontent guère au delà de 1200-1100 av. J.C. et ont dû, par conséquent, être exécutés entre le tout début de la période IV et le commencement de l’âge du fer (900 à 400 av. J.-C.). En Scandinavie méridionale et centrale, les motifs à proprement solaires qui datent de la phase récente de l’âge du bronze demeurent statistiquement loin derrière les cupules, les bateaux et les animaux (chevaux en particulier). Ils restent toutefois assez répandus à travers toute l’aire considérée. Il est plutôt rare de rencontrer des disques ou cercles pleins lorsqu’ils sont représentés seuls. Il en existe cependant quelques uns : à Kville476, on peut

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Dans certains cas, d’autres objets peuvent permettre de déterminer l’époque à laquelle fut gravée un pétroglyphe : ainsi à Tegneby, Bohuslän, ce sont les boucliers de forme rectangulaire qui ont permis de situer cette composition au début de l’âge du fer préromain (500 – 400 av. JC.) : cf. Sverker Janson, Erik Bertil Lundgren et Ulf Bertilsson : « Hällristningar och hällmålningar i Sverige », 3ème édition, Stockholm, Bokförlaget Forum, 1989, p. 193. 476 Cf. la documentation réunie par Åke Fredsjö, texte rédigé par Jarl Nordbladh et Jan Rosvall : « Hällristningar Kville härad i Bohuslän, Bottna socken », publié par Fornminnes föreningen i Göteborg i samarbete med Göteborgs arkeologiska museum, Göteborg, 1975, dans la collection Studier i nordisk arkeologi, p. 66, tableau 67.

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voir deux disques disposés à quelque distance l’un de l’autre et entourés de cupules placées en couronne tout autour477. Mais la plupart du temps, ils sont accompagnés de bateaux, de quadrupèdes et des personnages en armes : ainsi sur un autre tableau à Kville478, ils y figurent par paires (deux visibles) et, dans un cas, ils sont jumelés à l’aide d’un trait les réunissant. De même, dans la composition qui est gravée sur une pierre trouvée à Engelstrup au Danemark : cet ensemble, sur lequel on devra revenir479, comprend deux bateaux et quatre personnages. Le cercle est gravé très profondément, ce qui souligne l’importance qu’il devait revêtir. On trouve aussi ce motif seul au milieu d’autres sujets solaires, comme à Vrångstad dans la paroisse de Bottna (Bohuslän) où il se présente en trois exemplaires, parmi d’autres emblèmes solaires, semblables mais dressés sur des supports480. Assez fréquemment, on voit au Bohuslän et, même ailleurs, des disques à rayons cruciformes481. Les exemples ne manquent pas : tel celui de Krokebräcke dans la paroisse de Kville482 au sud de Tanum où l’on constate la présence de pareilles figures disposées par paires et accompagnées de plantes de pieds. Il faudrait encore mentionner Hamn où l’on observe, isolés en haut à gauche (orientation nord), deux figures analogues. A Solbräcke, un très grand disque483 de ce genre s’étale sur toute la surface disponible : il est orienté nord-est. Sur une autre paroi484, ce sont quatre pareilles figures qui ont été taillées par paire l’une au dessus de l’autre. L’orientation est identique (nord-est). A Vidingen485, situé à l’est de Solbräcke, toujours dans la paroisse de Kville, il existe un glyphe qui représente deux disques à rayons cruciformes géminés : deux traits les réunissent. Il est possible que ce motif soit en fait une sorte d’abréviation du char cultuel. C’est en particulier le cas à Vrångstad, paroisse de Bottna486. Ils sont également orientés nord-est, sud477

Quinze pour le disque du bas, dix pour celui du haut. Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 69, tableau 60, planche II, en haut à droite. 479 Voir infra. 480 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., Göteborg, 1975, pp. 72 et 73, tableau 334, planches VI / VII. 481 On peut également désigner ce motif sous le terme de rouelle, ne serait-ce qu’en raison de l’association roue-soleil ou disque solaire établie depuis le Néolithique ancien : voir supra.. 482 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 21, tableau 12, planche II. 483 Kville socken, op. cit., p. 48, tableau 43. Le toponyme de Solbräcke est par ailleurs intéressant : il provient de « sol », soleil, et « bräcke » qui signifie cassure, rupture, faille. Ainsi un terme géologique est mis en rapport avec l’astre diurne, phénomène somme toute courant lorsque l’on songe aux très nombreux toponymes du type Solberg ou Solbakke. Ils montrent à quel point le soleil a joué un rôle déterminant, rien qu’en tant que point de repère, que référence dans les paysages nordiques. 484 Ibidem, tableau 44. 485 Ibidem, p. 96, tableau 39. 486 Cf. Bottna socken, op. cit., p. 76, tableau 334, planche X.

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ouest. A Södra Ödsmål487, situé au sud-ouest de Kville, on retrouve deux disques jumelés semblables. Mais une différence les distingue des deux précédents : le trait qui les unit est disposé de biais. Cet exemple est probablement unique, au moins au Bohuslän. Enfin, le disque à quatre rayons cruciformes se trouve également associé soit au bateau : ainsi à Bottna488 où un tel motif se dresse sur un support au milieu d’un navire, soit à divers quadrupèdes : mis à part les équidés, sur lesquels il faudra revenir, mentionnons ici les cervidés, par exemple le tableau 158 de Södra Ödsmål où deux cerfs superposés, l’un mâle, l’autre femelle sont reliés l’un par les pattes, l’autre par le dos à deux disques à rayons cruciformes. Ceux-ci sont eux-mêmes unis entre eux par un trait, image accomplie de la gémellité bisexuée. Mais on pourrait aussi y voir une représentation très stylisée d’un char solaire titrée par deux cervidés489. Les cercles concentriques, sans être très fréquents, se retrouvent un peu partout en Scandinavie méridionale et centrale. Ils sont rarement représentés seuls, comme c’est le cas à Hjulatorp au Småland490 : deux très beaux exemplaires y avoisinent des rouelles cruciformes et des empreintes de chaussures groupées par. Il faut encore citer un exemple fort intéressant, celui de Nyborg491, paroisse de Kville où un tel cercle est dressé sur un pied. Il avoisine un bateau placé au dessus à droite. Mais les cercles concentriques juchés sur un support quelconque se voient plutôt sur les embarcations, comme c’est le cas à Hamn, paroisse de Kville492. D’une manière générale, la majorité des disques concentriques avoisinent des embarcations, comme par exemple sur l’une des parois de Södra Ödsmål493. Ici, l’unique figure de ce genre est placée devant l’éperon qui double la proue d’un bateau du début de la période V (vers 800 av. J.C.), de telle façon qu’elle le touche presque. Il en va presque de même du cercle concentrique situé en haut à droite de la composition, au sud-est du rocher d’Ekenberg en Ostrogothnie494. Il est inscrit contre la poupe d’un grand navire juste au dessous de l’éperon et au dessus d’un cortège d’hommes ithyphalliques parmi lesquels se trouve un géant495. Toujours en 487

Cf. Kville socken, op. cit., p. 180, tableau 157, en haut à gauche. Sinon ce panneau ne montre que des bateaux des périodes II, III ou IV (?). Orientation sud-ouest, nord-ouest. Les deux disques sont fortement intaillés dans la pierre. 488 Cf. Bottna socken, op. cit., p. 102, tableau 349, planche II. 489 C’est là un cas parmi de nombreux autres. 490 Cf. Oscar Almgren : « Hällristningar och kultbruk », Kungliga antikvitets akademiens handlingar, 35, Stockholm, 1926 / 27, pp. 63 à 98. 491 Cf. Kville socken, op. cit., p. 148, tableau 118, planche II. 492 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 278, tableau 211, planche I. 493 Ibidem, p. 185, panneau 159 a, planche I. 494 Cf. Arthur Nordén : « Östergötlands bronsålder », Linköping, Henric Carlssons bokhandel, 1925, tome I, p. 333, planche LXXXVIII. 495 Voir infra.

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Ostrogothnie, à Herrebro (paroisse de Borg), on peut voir sur la partie nordest d’une pierre qui se dresse derrière les bâtiments agricoles d’un domaine, un grand ensemble rupestre. Celui-ci comprend entre autres 45 bateaux, quatre empreintes de pieds (deux fois deux) et surtout quatre cercles concentriques au noyau très marqué, ainsi que deux haches et de nombreuses cupules496. A Ydstines, commune de Stjørdal (Nordtrøndelag en Norvège), le cercle concentrique est même littéralement collé à la proue497. A Geite près de Levanger (Nordtrøndelag)498, on ne voit sur un rocher que des embarcations dont un certain nombre sont précédées de cercles ou disques concentriques. Souvent, ils sont placés au dessus des nefs : ainsi sur l’une des pierres de Selbusstrand (Nordtrøndelag), plus précisément au lieu dit Grøtte, sont gravés deux navires de la période IV surmontés, chacun, d’un disque à un seul cercle concentrique499. Mais le cercle concentrique peut tout aussi bien figurer comme ornement de la proue ou de la poupe, ainsi à Torsbo (paroisse de Kville)500. Comme on vient justement de le mentionner, les symboles solaires peuvent figurer sur un socle, en général muni de pieds501. Ils sont alors souvent placés au centre de scènes d’adoration502. Mais il peut arriver aussi qu’ils se trouvent seuls au milieu d’autres motifs, tels que des bateaux : par exemple à Vrångstad, paroisse de Bottna où il est présent sous forme de cercle plein en trois exemplaires, dont deux en position tête-bêche. Ils possèdent des béquilles rectangulaires dont une, située en bas, est munie de barres transversales. Le troisième spécimen, dressé dans le bon sens, comporte un simple pied qui rappelle un bâton503. La taille de tels glyphes peut être assez considérable : sur l’ensemble 334 du rocher de Vrångstad (paroisse de Bottna), il domine tout un panneau avec seulement un bateau nettement plus réduit placé en dessous de lui (période IV)504. Il existe aussi des disques à rayons cruciformes montés sur de tels supports, ainsi sur le tableau 146 de Södra Ödsmål. Il est placé au dessus d’un navire sur lequel se tient un orant, dans 496

Cf. Sverker Janson, Erik Bertil Lundberg et Ulf Bertilsson, op. cit., p. 159. L’un de ces cercles concentriques est reproduit dans l’ouvrage de Mats P Malmer : « A Chorological Study of North European Rock Art », Stockholm, Almquist och Wiksell International, 1981, p. 67, figure 22 / 10. 497 Cf. l’ouvrage de Kalle Sognnes : « Det levende berget », Trondheim, Tapir Forlag, 1999, p. 59. 498 Ibidem, p. 93. 499 Ibidem, p. 79. Elle se trouve aujourd’hui au Vitenskapsmuseet de Trondheim. 500 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p 243, panneau 183, planche II. 501 Dans un cas, on a un support à deux pieds : cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, Vrångstad, p. 71, tableau 334, planche V, (Cf Planche 50, Fig. 86). 502 Voir infra. 503 Cf. documentation Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 72, tableau 334, planche VI. 504 Cf. Documentation réunie par Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 74, tableau 334, planche VIII.

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la position typique, les bras levés, les doigts écartés. Mais il est possible que ces deux glyphes ne soient pas en rapport l’un avec l’autre. Les thèmes qui peuvent être considérés comme plutôt lunaires sont en fait très rares et difficiles à déterminer de façon sûre. C’est peut-être là un indice supplémentaire en faveur d’une gémellité des deux corps célestes qui exclut de ce fait toute vénération séparée de ceux-ci. Toutefois cette absence peut être aussi due à notre incapacité à reconnaître les signes authentiquement et uniquement séléniques. Dans un cas, il est cependant possible d’identifier un signe qui a des chances d’être effectivement attribuable à l’astre nocturne et à ses différentes phases. Il se présente sous la forme d’un cercle ou disque divisé en deux par un sillon ou un trait plus ou moins profond. Citons à ce propos deux exemples : Le premier figure sur le tableau 364 de Bottna505 (Bohuslän), il montre un cercle séparé en deux par un sillon peu profond. La circonférence est par contre très distincte. A gauche de cette figure, on voit un autre cercle plein qui a sensiblement la même taille. Les deux motifs sont manifestement en rapport. Ils sont en tout cas relativement isolés sur cette face du rocher, un espace assez conséquent les séparant d’un grand bateau de la période IV avec, en surimpression un char processionnel gravé en travers de la proue et, au dessus de celle-ci un autre char tiré par deux chevaux. Le second est visible sur le tableau 334506, planche V du même lieu : il s’agit d’un cercle, sur support rectangulaire parfaitement comparable à celui qui est reproduit sur le panneau voisin (planche VI) ; le sillon central est une rainure profonde507. Ce genre de représentation pourrait figurer la lune croissante et décroissante. Le fait que le glyphe 334 de Vrångstad, paroisse de Bottna soit doté d’un sillon bien marqué témoigne peut-être de la volonté de faire ressortir le caractère exclusivement sélénique de ce disque monté sur support. D’ailleurs, on peut voir plus loin sur le même panneau, en dessous de l’objet en question, un demi-cercle qui évoque bien le croissant lunaire. On peut certes objecter qu’il pourrait s’agir d’une figure non achevée, ceci d’autant 505

Ibidem, p. 120, tableau 364, planche III. Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 71, tableau 334, planche V. 507 A l’appui de ceci vient la remarque inscrite en suédois à côté d’une flèche montrant la très nette séparation entre les deux parties : « troligen ristad » ce qui signifie « gravé, selon toute vraisemblance ».

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plus qu’un peu en contrebas on a représenté un disque plein monté sur deux jambes : indubitablement un autre exemplaire de l’objet cultuel dont il a été question plus haut. Il est dès lors tentant de voir dans le demi-cercle une ébauche de cercle dressé sur un support quelconque. Mais si tel était le cas, les extrémités du croissant ne seraient pas aussi arrondies qu’elles s’avèrent l’être ici. Aucune indication sur le dessin publié par Åke Fredsjö ne laisse entendre qu’il s’agisse d’un glyphe « incomplet »508. On est donc fondé à considérer cette figure comme l’un des rares cas de représentation du croissant lunaire. Une troisième gravure rupestre de ce tableau vient en outre renforcer encore cette opinion : en effet, à droite du demi-cercle, on distingue très nettement une étrange figure, à vrai dire unique en son genre : une sorte de huit entrelacé : en fait, il s’agit plutôt de trois disques imparfaitement ronds montés les uns sur les autres et donnant l’impression d’une double volute. Le tout se termine en haut par une tête qui évoque assez celle d’un serpent, tandis qu’en bas l’ensemble s’achève par une sorte de queue. Cette étrange représentation qui tient à la fois du serpent et du « 8 » ou plutôt de la double volute est, à notre connaissance, pratiquement unique dans l’iconographie lithique de l’âge du bronze récent en Scandinavie méridionale. Il pourrait s’agir d’une représentation des phases lunaires sous forme d’un serpent, tradition qui, répétons-le, remonte au moins au Mésolithique. Les svastikas sont extrêmement rares en Scandinavie avant l’âge du fer, on n’en connaît jusqu’à présent que quelques exemplaires de l’âge du bronze récent, dont deux au Bohuslän509. En 1992, l’archéologue suédois Tommy Andersson en découvrit deux autres à Högsbyn au Dalsland510 : la première svastika correspond bien au type habituel, l’autre à sa gauche se présente sous une forme différente : en effet les deux traits qui prolongent les bras sont pointés vers le bas, alors que normalement l’un est orienté vers le haut et l’autre vers le bas. Il est en tout cas fort probable que ces deux figures datent bien de l’âge du bronze récent et non de l’époque suivante. La trisquelle reprend, sous une forme quelque peu altérée, le principe de la svastika connue en Crête dès la période pré-palatiale (2300 à 2000 av. J.C.)511 et en Asie Mineure (Anatolie) à Hissarlik-Troie à l’âge du bronze ancien (2000 – 1900 av. J.-C.)512, mais pratiquement inconnu en Scandinavie, 508

Auquel cas les ajouts « ofullständig » (incomplet) ou « ej avsluttad » (inachevé) figureraient à côté de la reproduction du glyphe en question. 509 Cf. L. Baltzer : « Glyphes des rochers du Bohuslän », pp. 16 et 17, n° 4 b, 1881 / 1890. 510 Cf. la revue “Adoranten”, 1994, Tommy Andersson : “Ovanliga figurer på en hällristningshäll i Högbyn”, pp. 39 à 42, ici p. 42. 511 Cf. I. D. S. Pendelbury : « The Archæology of Crete : an Introduction », London, Methuen, 1939, fig. 12, cité par Miranda Green : « The Sun Gods of Ancient Europe », London, B.T. Batsford Ltd., 1991, p. 46. 512 Témoins celles qui figurent sur des fusaïoles exhumées par l’archéologue allemand Schliemann : « Ilios », Orchomenos Leipzig, 1881, cité par Joseph Déchelette : « Manuel

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comme en Europe occidentale, avant l’âge du fer513. En fait, les deux figures s’avèrent être le dédoublement de la volute ou de la spirale géminées. Cependant, il faut bien reconnaître que la trisquelle apparaît rarement dans l’iconographie du bronze récent, aussi ne citera-t-on ici que deux exemples : celui de Lilla Jore, paroisse de Kville514 où ce signe est isolé à extrémité est du panneau orienté nord, nord-est. Les deux volutes inférieures sont tournées l’une vers l’ouest, l’autre vers l’est (celle de gauche) tandis que celle du haut l’est vers l’orient. Mise à part cette figure, on ne voit sur ce panneau que des navires qui se dirigent tous vers l’ouest. On rencontre encore une autre figure de ce type à Evjestien, Rolvsøy au Østfold515. Ici, les deux volutes inférieures sont orientées vers la droite (= est) tandis que celle du haut l’est vers la gauche (= ouest). Peut-être encore davantage que la croix gammée, la trisquelle fait apparaître non seulement le mouvement rotatif mais surtout la direction prise par celui-ci516. A l’instar de la svastika, elle reflète le tournoiement de l’orbe à travers le ciel, alors que la roue, avec ses rayons et son moyeu représente l’astre à la fois circulaire et rayonnant517. Mais au-delà de cette imagerie héliaque, la trisquelle symbolise l’éternel recommencement, de la course solaire journalière ou saisonnière d’abord, puis du cycle vital tout entier. En cela, elle rejoint les figures précédentes telles que la volute dont elle décuple en quelque sorte la force suggestive. A l’âge du bronze récent, les autres motifs, en particulier les bateaux, les animaux et surtout les cupules demeurent beaucoup plus fréquents que les thèmes à proprement solaires et lunaires. Mais à l’instar de l’époque précédente, ils restent liés aux deux corps célestes. C’est pourquoi leur étude s’avère indispensable, non seulement pour tout ce qui touche aux rites et au culte mais aussi aux mythes. Un fait s’impose à la seule vue de la plupart des gravures pariétales scandinaves de l’âge du bronze récent : le bateau est de loin le motif figuratif le plus répandu. Ceci pourrait être considéré comme allant de soi dans une région du globe où l’élément aquatique, partout présent (mers, fjords, lacs, cours d’eau) a de tout temps profondément, durablement marqué et influencé l’homme. Ainsi qu’on l’a constaté jusqu’à présent, ce type de véhicule n’a pas attendu l’âge du bronze pour faire partie de l’univers mental et spirituel de l’ « homo nordicus ». En effet, lorsque les hommes du bronze récent couvrent littéralement les rochers sud-scandinaves de scènes navales, cela fait au d’archéologie préhistorique celtique et gallo-romaine », tome II. « Archéologie Celtique et Protohistorique Première Partie. Age du bronze », Paris, Librairie Alphonse Picard et fils, 1910, pp. 462 et 463 et fig. 193, 194. 513 A deux exceptions près dont il va maintenant être question. 514 Cf. Åke Fredsjö, Kville socken, op. cit., p. 153, tableau 121. 515 Cf. “Adoranten”, op. cit., 1986, p. 21. 516 Cf. Joseph Déchelette, op. cit., p. 454. 517 Cf. Miranda Green, op. cit., p. 46.

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moins quatre mille ans518 qu’ils se déplacent sur des barques ou des pirogues. A la vue des innombrables gravures pariétales de cette catégorie, une première constatation s’impose : toutes les représentations du genre en question ne sont pas à mettre sur le même plan : Sur les uns, les bateaux apparaissent seuls, avec ou sans équipage, sur d’autres, ils sont soit associés à différents symboles, notamment solaires et lunaires, à des personnages divers, ou bien les deux à la fois ; enfin, ils peuvent être aussi intégrés dans des scènes plus ou moins dramatiques519. Une catégorie à part est constituée par des gravures qui montrent une nef portée par un homme : visiblement, il s’agit dans ce cas d’une maquette et non d’une véritable embarcation. La tradition héritée de l’extrême fin du Néolithique perdure à l’âge du bronze récent : on continue alors et jusqu’à la fin de cette époque de graver des embarcations seules, avec ou sans traits marquant l’équipage, sur les parois rocheuses. Les témoignages de ce genre ne manquent pas dans toute la partie sud et centrale de la Scandinavie. A commencer par le Danemark où cet usage, lié originellement aux rites funéraires, semble encore très vivace : citons la pierre de Billeshave, au nord-ouest de la Fionie, qui remonte à la période IV : y figurent trois nefs munies de traits afin de matérialiser les membres de l’équipage. Elles sont superposées et se déplacent toutes les trois de droite à gauche, c’est-à-dire d’est en ouest (sens diurne) ; mais en réalité, si l’on se place dans le « sens de la marche », c’est exactement le contraire qui se produit : les trois embarcations voguent de gauche à droite, autrement dit d’ouest en est (sens nocturne). On retrouve ainsi un thème cher à l’iconographie funéraire de l’époque précédente, aussi est-il possible que cette pierre ait fait partie d’un ciste datant de la période IV. On sait que, malgré l’adoption généralisée de l’incinération, l’usage de déposer les cendres du défunt dans un ciste avec ses effets personnels (entre autre le rasoir) se maintint encore durant la période IV. On aurait donc ici une poursuite de la tradition iconographique telle qu’elle existait depuis la période I et même avant. Cependant dans le cas du Danemark, la grande majorité des bateaux gravés seuls sur la pierre se trouve dans l’île de Bornholm où affleurent, nombreuses, les surfaces rocheuses. Ainsi à Storløkkebakke où l’on peut contempler quatre embarcations de taille et de forme différentes. Deux d’entre elles sont probablement restées inachevées : l’une est totalement 518

La plus ancienne embarcation découverte jusque-là en Scandinavie date de 5250 cal. av. JC. : elle a été trouvée en 1987 dans les eaux peu profondes de la Baltique près de l’île de Mejlø Nord, Fynhoved (Fionie, Danemark). Elle était en tilleul et mesurait 4,2 mètres de long. Un autre bateau fort bien conservé, a été exhumé en 1983 au large du site de Tybrind à l’ouest de la Fionie : la datation au 14C le fait remonter à 3360cal av. JC., donc au Néolithique ancien. Il fait 10 mètres de long. Voir deuxième partie Le Néolithique. I. Le Néolithique ancien et moyen A. Cf. aussi Carin Orrling (édit.) : « Sten och bronsåldern Abc », op. cit., p. 45. 519 Pour des raisons qui tiennent à la nature même du sujet, cet aspect ne sera pas traité ici, mais plus loin lorsqu’il sera question des scènes cultuelles.

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dépourvue de traits figurant l’équipage et le bastingage, sur l’autre, seuls cinq traits ont été tracés, le reste de la surface demeurant vide. Le troisième bateau s’avère (de même le quatrième, de petite taille) le seul à être complet avec son équipage matérialisé par des traits (onze au total) qui émergent du bastingage. Le tout date de la période V (900 à 700 av. J.-C.). En remontant plus au nord, en Suède, on trouve de nombreux exemples de ce motif : rien que sur la paroisse de Kville au Bohuslän on en dénombre trente-six520. Dans la paroisse de Bottna, seulement neuf521 et celle de Svenneby douze522. Mais l’ensemble le plus impressionnant en ce domaine est indiscutablement celui de la région de Lövåsen également au Bohuslän523. En 1995, on y découvrit quelques figures et, deux ans plus tard, la surface rocheuse fut étudiée avec tous les moyens techniques à la disposition des spécialistes : sur une étendue d’environ 60 m2, malheureusement très usée par les intempéries, une centaine de bateaux des périodes IV et V couvrent une grande partie de l’espace disponible : une véritable flotte dont certaines embarcations portent des symboles solaires ou lunaires, mais, mis à part un navire avec deux personnages identiques et un autre au-dessus duquel se dresse une sorte de géant au corps hélioforme et à la tête coiffée d’un casque à cornes, aucun autre thème n’apparaît sur ce site rupestre, exceptionnel par son ampleur et le nombre d’embarcations représentées. Ainsi qu’à l’époque précédente, le bateau continue d’être représenté en compagnie de symboles solaires et lunaires : cercles ou disques, rouelles à rayons cruciformes ou spirales. C’est le cas, on vient de le voir, à Lövåsen, où tout en haut du rocher, on aperçoit un disque concentrique et des demicercles524 placés devant la proue d’un navire ; d’autres fois, un cercle se trouve soit devant ou sous la partie antérieure de la nef, soit au dessus. Dans un cas, un grand rond séparé en deux par un trait vertical, probablement une figuration de la lune, ainsi qu’on l’a vu auparavant, se trouve au milieu de plusieurs bateaux. On l’a déjà constaté plus haut, la majorité des signes lunaires ou solaires placés au voisinage d’un bateau le sont soit au-dessus, soit devant525, plutôt que derrière celui-ci, cette dernière position s’avérant peu fréquente. Parfois une des ces figures solaires ou lunaires est reliée directement à une partie du bâtiment : soit l’éperon, au niveau de la proue, par 520

Cf. Documentation de Åke Fredsjö, redaction Jarl Nordbladh, Jan Rosvall : Kville socken, op. cit., pp. 10, 19, 31, 32, 36, 39, 40, 41, 42, 50, 53, 62, 67, 69, 71, 75, 76, 86, 88, 108, 118, 124, 126, 154, 178, 194, 197, 298, 299, 300, 301. 521 Cf. Bottna socken, op. cit., pp. 26, 29, 39, 48, 84, 86, 87, 132, 143. 522 Cf. Svenneby socken, op. cit., pp. 24, 33, 34, 39, 42, 54, 60, 61, 62, 66, 69, 97. 523 Cf. La revue “Adoranten”, op. cit., 1997, p. 72. 524 Il vient d’en être question plus haut. 525 Par exemple à Nes paroisse d’Aune au sud Trøndelag : cf. Just Bing : « Fra Trolldom til gudetro. Studier over nordiske helleristninger fra bronzealderen. », Det Norske VidenskapsAkademie i Oslo, I kommisjon hos Jacob Dybwad, Oslo, 1937, p. 15, fig. 9.

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exemple à Håltane, paroisse de Kville526. A Södra Ödsmål, un cercle figure attaché à la poupe d’un vaisseau qui vogue de droite à gauche, dans le sens de la course solaire diurne. Parfois aussi le disque solaire est fixé à l’éperon de la proue527, comme à Södra Ödsmål. D’autres cas montrent qu’il peut être également placé au sommet de la poupe ou de la proue, comme sur le glyphe probablement inachevé de Torsbo528 ; à Södra Torp, ce sont les figures de poupe et de proue qui ont la forme de volutes529. Mais dans bien des cas, ce sont de simples anneaux ou disques, par exemple à Hamn sur la célèbre paroi où deux chasseurs accompagnés de deux chiens se font face avec leurs arcs et flèches530 (Cf. Fig.23). Un peu plus loin, sur la même surface, on voit un motif en 8 qui comprend deux cercles reliés par un trait vertical dont l’un, celui du haut, est plus petit que l’autre. Ce motif qui symbolise peut-être la gémellité des deux astres, est attaché à la poupe531 (Cf. Fig. 24). Jusque là ne furent examinées que les figures héliaques ou séléniques qui avoisinent les bateaux ou en font partie intégrante. Mais d’autres sont disposées à bord des embarcations, la plupart du temps montées sur des supports. Le caractère cultuel ne fait alors guère de doute. Les exemples qui peuvent illustrer ceci sont assez nombreux. Le plus célèbre peut-être est celui de Bottna532 : au milieu d’une nef s’élève, plantée sur un poteau, une roue à rayons cruciformes (Cf. Fig. 25). Au centre de la fameuse composition du Lökeberget533, on peut voir un grand vaisseau à l’équipage nombreux (une trentaine de traits !) qui emporte à son bord deux disques avec un point central plus petit, peut-être la matérialisation de la gémellité soleil / lune. Ce glyphe a son pendant en face, à gauche d’un personnage. Celui-ci, placé au centre du tableau, semble bénir le navire qui vient d’être décrit. Comme son vis à vis, l’autre bâtiment, gravé à une échelle plus réduite, est servi par un équipage nombreux (aussi une trentaine de traits) et deux disques, rigoureusement identiques à ceux du premier navire. Enfin, sous la grande nef vogue un plus petit bateau pourvu, lui également, d’un disque tout semblable aux quatre précédents. Il est important de souligner ici que la plupart des navires de ce tableau se déplacent en direction du personnage placé au centre, lequel bénit les bâtiments venant de droite alors qu’il tourne le dos à ceux qui sont à 526

Cf. Documentation réunie par Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 151, tableau 118, planche V. 527 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 198, tableau 167, planche I. 528 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 243, tableau 183, planche II. 529 Ibidem, p. 273, tableau 206. On trouve aussi des figures de proue à volute ou spirale : ainsi à Gisslegärde, tableau 306 a, planche I et 308, mais surtout à Rörane, p. 51. 530 Ibidem, p. 279, tableau 211, planche II. 531 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 31, tableau 306 a, planche I et p. 33, tableau 308, planche IV. 532 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 102, tableau 349, planche II. 533 Cf. Oscar Almgrén, p. 12, fig. 5.

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gauche. On constate ainsi une certaine symétrie dans la composition dont, là encore, le motif conducteur paraît bien être le chiffre deux, la dualité : deux disques, deux navires principaux. Il va sans dire que ce caractère binaire répond à une volonté de souligner, une fois de plus, la gémellité omniprésente dans l’univers, à commencer par les deux corps célestes représentés par les deux disques marqués d’un point médian. Les chars sont beaucoup plus rarement représentés que les bateaux dans l’art rupestre scandinave : on en connaît environ 70 exemplaires répartis principalement en Scanie, au Østfold et surtout au Bohuslän534. On le rencontre sous deux formes : soit comme chars à deux roues avec ou sans chevaux, soit comme chariots à quatre roues. La différence de nature et de fonctions entre les véhicules hippomobiles à deux et quatre roues impose de les considérer à part. La catégorie des chars à deux roues peut être divisée en trois groupes : les chars sans aurige et sans attelage ; ceux avec aurige et attelage ; enfin ceux qui tractent le disque solaire. 1. Le site le plus connu des chars sans aurige et sans attelage est Fränarp, paroisse de Gryts en Scanie. Sur un rocher pentu, se trouvent gravés une vingtaine de chars accompagnés de disques à rayons cruciformes et de cupules. Fait exceptionnel : on ne trouve aucun bateau gravé sur ce site rupestre. Seuls six chars sont attelés de deux chevaux si bien que la majorité d’entre eux (quatorze) ne figurent qu’avec le timon. Sur ce site scanien, la totalité des véhicules représentés possèdent deux roues à rayons cruciformes. Ce n’est pas toujours le cas sur les autres sites, loin s’en faut : ainsi au Østfold, on rencontre à plusieurs reprises des chars à roues pleines .Un spécimen fort intéressant est visible sur un panneau à Askum (Bohuslän) : il s’agit là d’une figuration très inhabituelle du motif en question : un char535 placé horizontalement possède des roues séparées en deux par un trait bien marqué. A l’endroit où se trouvent normalement les deux animaux de trait on peut voir une figure en forme de croissant536 coupée par le timon en deux parts pas tout à fait égales. C’est jusqu’à présent le seul char à deux roues qui figure de la sorte. Il a été “revisité” durant l’été 1996. Immédiatement derrière lui se trouve une charrue seule. Retenons ici les deux roues sur lesquelles on a gravé ce trait vertical identique à celui qui se trouve sur des 534

Par contre, ce motif est totalement absent au Danemark. Cf. Sverker Hanson, Erik B. Lundberg (rédacteurs) : « Hällristningar och hällmålningar i Sverige », Forum Förlag, Stockholm, 1989, p. 69. 535 Cf. l’article de Sven Gunnar Broström et Kenneth Ihrestam : “Hällristningar dokumenterade 1996 från Skåne och Bohuslän”, pp. 72 à 75, dans la revue “Adoranten”, op. cit., 1998, p. 74. 536 Il peut s’agir d’une stylisation des deux animaux de trait. Mais alors celle-ci pourrait revêtir un caractère symbolique.

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disques de Bottna tableau 364, planche I et III537 ou encore sur un support à Vrångstad tableau 334 planche V538 et enfin, comme on le verra un peu plus loin, sur un char à Nasseröd, paroisse de Svenneby. La probabilité existe que l’on ait affaire ici à un symbole lunaire. 2. Sans atteindre les sommets artistiques du glyphe de Kivik, les gravures rupestres qui relèvent de la catégorie des chars avec aurige et attelage s’avèrent assez nombreuses à l’âge du bronze récent. La plupart d’entre elles sont situées au Bohuslän539. A Hemsta, paroisse de Boglösa540 se trouve une composition où sans conteste le char est conduit par un aurige: celui-ci se tient sur une roue à moyeu central (cf. cercle plus petit). Les rênes ressemblent assez à celles du char de Kivik (dalle 8). Immédiatement sous cet attelage vogue un bateau dans la même direction, de droite à gauche. Dix traits y symbolisent l’équipage. Le style du char rappelle, en plus fruste, celui de Kivik et le navire est assez analogue à ceux de la corne de Wismar. Aussi cet ensemble peut dater de la fin de la période III ou du tout début de la période IV. Notons dès maintenant l’association char-bateau tout à fait récurrente dans l’art rupestre scandinave de cette époque. Jusqu’à présent on a eu la certitude d’avoir affaire à des chars conduits par un humain.Mais qu’en est-il de deux autres compositions, l’une à Håltane, paroisse de Kville541 et l’autre à Vrångstad, paroisse de Bottna542 ? Dans le premier cas, le char à deux roues avec moyeu central est tracté par deux quadrupèdes dont l’un est ithyphallique (celui de gauche). Au-dessus de la roue se dresse une étrange figure qui frappe par sa posture hiératique ; les bras sont en croix, le tout ressemble d’ailleurs davantage à cette figure géométrique qu’à un être humain. Et bien que la position de cette silhouette corresponde à celle d’un aurige, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’attitude pour le moins inadéquate de celui-ci. Voilà une bien singulière conduite pour un cocher censé tenir les rênes543 de son véhicule. Aussi est-il légitime de croire que l’on a plutôt à faire ici à une figure en bois, ce qui expliquerait la position raidie des bras tendus de manière à évoquer les rayons cruciformes d’une roue solaire. La même conclusion s’impose pour le char de Vrångstad paroisse de Bottna544 : ici la figure, tout aussi raide dans son attitude, est même dépourvue de membres supérieurs. Néanmoins son aspect est moins schématique 537

Voir infra. Ibidem. 539 Où l’on trouve une trentaine de glyphes qui représentent des chars. 540 Cf. l’article d’Erik Bendixen : “Vogne som helleristningsmotiv (Hverdagsvogn, kultkøretøj)”, p. 16, fig. 12, dans la revue “Adoranten”, op. cit., 1982. 541 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 151, tableau 118, planche V. 542 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, p. 69, tableau 334, planche III. 543 Il suffit pour cela de le comparer à l’aurige de Kivik (dalle 8). 544 Cf. Åke Fredsjö, op. cit., paroisse de Bottna, p. 69, tableau 334, planche II. 538

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qu’auparavant : la tête est même bien marquée545 et son profil bien arrondi ne passe guère inaperçu. Elle se dresse telle une statue ou une figurine sur le timon nettement visible du char dont une roue, celle de droite, possède quatre rayons cruciformes seulement suggérés par quatre traits naissants. Par contre, l’autre n’en possède que deux qui, si on les prolongeait, donneraient une ligne médiane séparant le cercle de la roue en deux parties distinctes. On a déjà vu cette séparation appliquée à un disque lors de l’étude précédente de la partie V de ce même tableau546. Il s’agit d’ailleurs du glyphe le plus proche avec une autre figure constituée de deux 8 dont il vient également d’être question plus haut. Soulignons encore que les deux animaux de traits ressemblent ici davantage à des équidés à cause de leur queue bien reconnaissable. Juste en-dessous de ce char, on peut voir un curieux véhicule qui rappelle en fait plutôt un bateau ; la figure de poupe se confond en quelque sorte avec le cou d’un quadrupède dont on distingue bien le corps. Le char évolue dans un milieu plutôt naval (six bateaux). Les navires, il faut le noter, tournent le dos au char en se déplaçant tous de droite à gauche. Le char, lui, se dirige de gauche à droite (ouest-est). Ainsi sont représentées ici la course solaire nocturne pour le char et la course héliaque diurne pour les bateaux. Mais ce qui importe, c’est la direction prise par le véhicule à roues car il n’est pas certain que les bateaux fassent partie de la même composition : en effet une fissure les sépare du reste de ce tableau. Qu’en est-il du char de Håltane ? Là encore, même remarque : le char se déplace de gauche à droite (ouest-est). Dans un style graphique différent, les deux motifs expriment le même contenu. Quant aux véhicules hippomobiles, ils prennent tous deux la direction du levant. Par ailleurs, ils viennent, dans les deux cas, clore un tableau dont ils constituent en quelque sorte l’aboutissement. 3. Assez nombreux sont les glyphes qui montrent un attelage en train de tracter un disque solaire. Là encore, ils sont tous localisés au Bohuslän. A Kalleby, paroisse de Tanum547, un char tiré par deux chevaux est figuré à plat. Entre les deux roues, on voit un cercle dans lequel est inscrite une croix : malgrè les apparences (disque solaire à rayons cruciformes) ce pourrait être la présentation, à caractère symbolique de la caisse du véhicule ; auquel cas les deux empreintes à gauche et à droite de l’axe principal figureraient les pieds du cocher. Le fait de ne pas représenter ce dernier renverrait à sa nature divine : ces marques indiquent en effet souvent la présence d’un être divin que l’on ne peut figurer sous des traits humains (Cf. Fig. 26). A Rished, paroisse d’Askum548, on retrouve le même sujet, à la différence 545

Cf. l’inscription suédoise « tydlig » (c’est-à-dire : distinct, marqué) juste au-dessus de la tête, sur la reproduction de ce glyphe, p. 69 : cf. Åke Fredsjö, op. cit., p. 69. 546 Cf. Bottna socken, op. cit., p. 71, 334, planche V. 547 Cf. Sverre Marstrander, op. cit., p. 169, fig. 451. 548 Ibidem, p. 169, fig. 454.

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qu’entre les deux roues il y a un espace vide. En revanche, au-dessus de celles-ci, on trouve un cercle plus petit au milieu duquel figure un trait vertical. Il est accolé au timon : c’est l’indice qu’il est placé sur la nacelle du char à laquelle aboutit le timon. Dans ce cas, on aurait de même un orbe placé sur le char; mais, compte tenu du trait vertical, il est vraisemblable qu’il s’agisse ici du disque lunaire (Cf. Fig. 27). A Sannesund, paroisse de Sarpsborg au Østfold549, se trouve un glyphe tout à fait comparable, si ce n’est que les deux chevaux accostent le timon au lieu d’être placés de part et d’autre comme dans la plupart des cas. Entre les deux roues pleines figure leur axe auquel aboutit le timon. Au-dessus de cet axe, vient se placer le disque qui est traversé par le timon de sorte que l’on obtient le même dessin géométrique que précédemment (cf. Rished) : un cercle séparé en deux parties pratiquement égales. On peut ainsi estimer possible un lien avec l’astre nocturne. Jusqu’à présent, les chars de ce groupe étaient figurés à plat. Ce n’est cependant pas toujours le cas et l’on connaît au moins deux exemples où l’on a affaire à une représentation de côté. Le plus connu est sans conteste celui de Kalleby souvent représenté dans la littérature spécialisée550. Mais contrairement à ce que l’on voit sur la plupart des reproductions de ce glyphe, notamment celle de Lauritz Baltzer551, l’animal tracteur ne possède pas de rayons sur la tête552. Ce que l’on croyait être une tête de cervidé rayonnante s’avère, en fait, représenter les traits symbolisant l’équipage d’une petite embarcation dont l’avant a été effacé. Ainsi représenté, l’animal ne ressemble plus à un cervidé mais bien à un cheval, reconnaissable au museau et à la queue. Il tire une roue à rayons cruciformes. Mais ce qui est peut-être encore le plus important ici, est que ce char sans aurige se dirige vers la gauche, l’ouest alors que les deux navires, l’un de petite taille au-dessus et l’autre de grande taille en-dessous de l’attelage, se dirigent dans le sens opposé, c’est-à-dire vers la droite (Cf. Fig. 28-29). Même si les directions prises, plus conformes aux mythes solaires et lunaires, sont autres qu’à Vrångstad et Håltane, l’opposition char / bateau apparaît pleinement ici, comme là553. A Askum (n° inventaire RAÄ 2 = Riksantikvarieämbetet , 549

Ibidem, p. 168, fig. 442. Il existe un glyphe qui représente la même scène sur le tableau 370 de la surface rocheuse de Bottna : l’exécution est simplement plus fruste. Autour de ce glyphe ne figurent que des quadrupèdes dont la longue queue fait penser qu’il pourrait s’agir de chevaux. Au-dessus, un personnage brandit une hache, peut-être pour bénir les animaux. Il a la tête levée au ciel (sans doute un orant. Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 136, tableau 370). 551 Et celle-ci avait encore cours dans les années soixante-dix. 552 C’est ce qu’a démontré le spécialiste danois Gerhard Milstreu, grâce à la technique du frottage qu’il a élaborée et pratiquée depuis la fin des années soixante-dix : cf. son article dans la revue “Adoranten”, dont il est l’un des initiateurs : “En Dokumentationsteknik”, p. 24, op. cit., 1989. 553 Ce qui n’est pas le cas à Vitlycke et à Hemsta.

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c'est-à-dire les Monuments Historiques de Suède)554 ce sont deux chars rigoureusement identiques du type de Kalleby qui se font face, les chevaux étant placés presque bouche contre bouche. Au-dessus d’eux, on peut voir une paire de serpents à la gueule ouverte. D’ailleurs, la plupart des figures de cette composition, remarquable par sa belle ordonnance et extrêmement intéressante, sont disposées par paire. Juste au-dessus des serpents, deux hommes ithyphalliques armés d’épées dont l’un brandit une hache, à côté d’eux, un guerrier lève son épée contre un autre. A droite des serpents et des chars, sont représentés deux paires d’acrobates et un seul au milieu. Le chiffre deux est quasi omniprésent ici. Mais à notre connaissance, le jumelage de deux chevaux tirant une roue à rayons cruciformes est unique dans l’inventaire des glyphes de ce type. Il en va de même d’un char tout à fait ressemblant et non moins connu, celui de Lilla Arendal au Bohuslän : aucun aurige ne le conduit. L’animal qui le tracte est ici aisément reconnaissable ; il s’agit sans conteste d’un étalon (sexe bien marqué). Par contre, autour du disque plein, on voit quatre figures dont l’interprétation s’avère difficile. Dernièrement, on a voulu en faire des oiseaux555, thèse d’autant plus plausible que les personnages de grande taille, se tenant sur le bateau qui vogue immédiatement en-dessous, ont effectivement des profils d’oiseaux. Mais c’est oublier ici la fameuse scène d’adoration du disque placée au sommet du tableau non moins célèbre d’Aspeberget : les figures disposées tout autour du disque plein à droite duquel se trouvent deux femmes, reconnaissables à leurs longs cheveux sont bien des humains qui lèvent les bras, comme c’est également le cas sur la corne de Wismar qui montre exactement la même scène. Ainsi le glyphe d’Arendal apparaît être en définitive un thème bien établi de l’iconographie scandinave d’alors. Ceci se voit encore confirmer par un pétroglyphe placé presqu’à l’extrémité d’un panneau à Gisslegärde, paroisse de Bottna556. Sur ce même tableau, en contrebas de cette figure, se trouve déjà un char à roues pleines tiré par deux chevaux. Derrière lui, deux personnes dont l’une est penchée en direction de la proue en spirale d’un bateau par ailleurs vide. L’autre suit le char en question ; tous deux sont dépourvus de bras et celui qui se tient derrière le véhicule est dans une position figée qui rappelle celle observée sur 554

Cf. l’article de Sven Gunnar Broström et Kenneth Ihrestam, op. cit., p. 75, dans “Adoranten”, 1998, 19. 555 Cf. l’article de l’Allemand Dietrich Evers : “Fugl og fuglemenneske på helleristninger”, dans la revue “Adoranten”, 1990, pp. 9 à 19. Pour deux figures, gravées côte à côte (paire gémellaire !) et reliées au disque par un trait bien marqué, on peut toutefois donner raison à Dietrich Evers : il s’agit indubitablement d’oiseaux ! Mais le fait qu’ils soient mis en liaison avec le disque par le truchement d’un trait permet d’envisager ici des maquettes d’oiseaux en bois ou en argile maintenues en l’air par une béquille ou même une corde. 556 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 34, tableau 308, planche I.

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les glyphes de Vrångstad et Håltane. Un peu plus haut, vers la droite, deux quadrupèdes (chevaux) tirent un disque au-dessus duquel plane un autre cercle muni d’une cupule en son centre. Derrière un personnage ithyphallique, les deux bras levés, les mains aux doigts écartés dont l’une est reliée à l’attelage. Attaché à son dos, une sorte de timon aboutit à un autre disque à cercles concentriques avec une cupule en son centre. Il est bien difficile d’interpréter cette figure : s’agit-il d’un orant tirant lui-même une roue alors qu’il tient les rênes d’un char ? Mais l’intérêt de ce glyphe est grand. De toute manière, il combine le thème du char solaire et celui de l’orant en train de vénérer le disque (Cf. Fig. 30). Le motif central est donc semblable à celui de Lilla Arendal. Dans ce dernier tableau (Lilla Arendal), le char prend, à l’instar de ceux de Vrångstad et Håltane, mais à l’inverse de Vitlycke et Hemsta, une direction opposée au navire à proximité immédiate : il se déplace de gauche à droite (ouest-est) alors que le bateau vogue de droite à gauche (est-ouest). Toutefois, les trois personnages à tête d’oiseau et corps hélioformes557 regardent tous dans le même sens que le char solaire. En les observant de plus près, on constate alors que deux d’entre eux exécutent un pas : le pied gauche est plié, alors que celui de droite est posé à plat. Le troisième personnage à l’extrême gauche paraît immobile. De part et d’autre du navire, on aperçoit deux croix qui figurent peut être des orants ; mais elles sont de taille réduite par rapport aux trois personnages précités558. En fait, cette composition à l’intérieur du grand tableau d’Arendal reprend les mêmes ingrédients que la précédente (Gisslegärde) avec toutefois une différence notable : la direction des trois personnages est opposée à celle de l’embarcation sur laquelle ils se trouvent. Il va sans dire que les différentes classes de chars qui viennent d’être étudiées ne correspondent pas aux mêmes destinations ou usages, même si le caractère cultuel ne fait guère de doute. Ce sera donc une tâche ultérieure que de tenter de déterminer quelles ont pu être les différentes utilisations du char à deux roues dans les cultes et croyances scandinaves. Les gravures rupestres qui représentent des chars à quatre roues sont bien moins répandues que les précédentes. Néanmoins dans toutes les contrées où l’on rencontre des glyphes de char à deux roues il existe parallèlement des figurations de chariots559. Ceux-ci sont le plus souvent sans cocher et tirés par une paire de bœufs symbolisés par des cornes. Mais on rencontre aussi des exemplaires qui sont dépourvus d’attelage ; tel que celui de Vrångstad560. 557

Portent-ils des boucliers discoïdaux ? Ce qui suggère soit qu’il s’agirait de géants (êtres divins ?), soit d’officiants dont la taille rend tangible leur position sociale, plus élevée que celle des orants. 559 L’existence des deux types de véhicules dans les mêmes contrées impliquent une complémentarité, pas seulement dans l’usage quotidien, mais aussi dans les cultes et les croyances. 560 On peut voir un autre char à quatre roues très analogue, mais plus petit à Bottna. Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, p. 148, tableau 384.

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Celui-ci a été gravé à plat sur la pierre avec un châssis très régulier et bien proportionné. Les quatre roues possèdent chacune un moyeu profondément taillé dans le rocher, en fait, il s’agit de cupules. Ce glyphe figure accompagné d’un grand bateau bien dessiné à quelque distance. Aucune autre gravure rupestre ne vient s’ajouter à ces deux véhicules qui occupent ainsi tout un panneau561. Il en va de même à Nasseröd562, paroisse de Svenneby : comme précédemment le châssis est très visible mais davantage détaillé563. Néanmoins l’élément le plus important ici, c’est que l’une des roues564 ne possède qu’un trait vertical d’ailleurs bien marqué : ainsi est-on fondé d’y voir un symbole lunaire. Il ne fait pas de doute que les cornes jouent ici un rôle cultuel qui devra être déterminé ultérieurement. Il n’est cependant pas exclu que des chariots aient été aussi tirés par des chevaux comme c’est le cas à Bottna : ceci est d’ailleurs confirmé par une gravure se trouvant sur une urne à visage exhumé à Grabau en Pomérélie (ex-Prusse occidentale, région de Danzig / Gdansk, aujourd’hui en Pologne) : on y voit un char à quatre roues tiré par deux chevaux et conduit par un cocher565. Enfin, il faut retenir encore la présence de bateaux à proximité de ces véhicules : cela est particulièrement le cas, on l’a vu, à Bottna. En cela, le chariot est parfaitement comparable à son homologue à deux roues. Les pétroglyphes qui représentent des animaux sont les plus nombreux après les cupules et les bateaux. Dans la partie sud et centrale de la Scandinavie, ils représentent environ un quart du nombre total des embarcations566. A l’intérieur de cette catégorie, les quadrupèdes l’emportent de très loin, tandis que les oiseaux et les serpents n’atteignent pas 10 % du total des quadrupèdes567. C’est incontestablement le cheval qui arrive en tête des représentations d’animaux. Mais surtout, c’est le plus ancien motif rupestre avec la cupule et le bateau. Au Danemark et en Scanie, il demeurera longtemps le seul animal représenté. A Løberg, au Telemark568, un cheval est placé sur la même ligne qu’un disque à cercles concentriques, placé à sa droite. A Nes, paroisse d’Aune, au Trøndelag du sud, une cupule marque le centre de la figure so561

Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 65, tableau 332, planches III et IV. Cf. Åke Fredsjö : Svenneby socken, op. cit., p. 18, tableau 323. 563 On y voit, par exemple, les poutres cruciformes destinées à renforcer la rigidité de l’ensemble. 564 Les trois autres sont à rayons cruciformes. 565 Cf. Sverre Marstrander, op. cit., p. 193, fig. 47 / 1. Ce type d'urnes est particulièrement fréquent dans cette région, c’est pourquoi on les a nommées « urnes à visages » de l’ex-Prusse occidentale. Cf. Sverre Marstrander, op. cit., p. 193, note qui cite l’archéologue allemand La Baume. 566 Cf. Sverker Janson : « Hällristningar och Hällmålningar i Sverige », op. cit., p. 21. 567 Ibidem, p. 21. 568 Cf. Just Bing, op. cit., figure 8, p. 15.

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laire placée à gauche du cheval, lequel est surmonté d’un bateau (de la période V ?). Lors d’une campagne de prospection au printemps 1992, une équipe de spécialistes suédois a découvert un site rupestre exceptionnel à la fois par les motifs et la qualité d’exécution569 : il est localisé à côté de Döltorp dans la paroisse de Skee au Bohuslän. La première composition à avoir été inventée comprend précisément le même motif qu'à Nes i Aune, mais avec une disposition différente : de gauche à droite figure un cercle qui touche la queue d’un cheval remarquablement proportionné et d’une grande élégance. Celui-ci se cabre la tête levée, les pattes de devant pliées, celles de derrière en tension. L’ensemble est d’un naturalisme saisissant. C’est probablement l’un des plus beaux pétroglyphes de cheval en Scandinavie. Suivent deux bateaux, l’un au-dessus de l’autre. Celui du dessous est placé en avant de l’autre. Ils voguent tous deux de droite à gauche, donc dans la direction opposée à celle prise par les chevaux (est - ouest) (Fig. 31). Sur le navire inférieur est assis un personnage qui brandit une hache. Le bâtiment supérieur touche presque celui placé en-dessous. Sous ce dernier vers la droite, un autre cheval d’une facture quelque peu différente des deux autres, a la queue reliée à une figure non identifiable. Au-dessus de la composition, à gauche et au niveau de la tête du premier équidé en train de se cabrer, on peut encore voir un bateau qui semble plus ancien que les deux autres : il devrait dater de la période II ou III. Il se déplace dans le même sens que les deux autres. C’est également le cas d’une cinquième embarcation du même style que la précédente mais elle est restée inachevée. Un quatrième cheval est juché sur le premier navire précédent, les pattes de devant touchant presque l’éperon arrière. Une trace de pieds et sept cupules occupent l’espace entre la composition principale et les navires de la période II ou III. Visiblement, on est en présence de deux phases : les deux bateaux du haut avec l’équidé sur la proue représentent la partie la plus ancienne, tandis que la composition centrale daterait de la période V. Il s’agit d’une variante du thème qui réunit cheval et spirale. La différence réside ici dans la distance qui sépare l’équidé du symbole. Mis à part les deux motifs précédents, on en possède un qui établit de manière encore plus tangible le lien qui unit le cheval au Soleil. Il provient d’un panneau rupestre situé à Lille Borge près de Frederikstad au Østfold570, tout près de la limite avec le Bohuslän. Le glyphe en question représente un équidé dont les pattes antérieures sont posées sur un anneau solaire pour ne plus former qu’un avec lui. Une impression d’unité se dégage de cette composition (Fig. 32). On l’a vu précédemment, le cheval peut être aussi représenté seul en train de tracter le disque solaire ou lunaire. Parallèlement, on connaît au moins le 569

Cf. La Revue “Adoranten”, 1994, p. 37, l’article de Sven Gunnar Broström et Kenneth Ihrestram : “Nyupptäckta hällristningar i Bohuslän”, 1992 / 93. 570 Cf. Just Bing, fig. 25, p. 21.

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glyphe de Balken, paroisse de Tanum où l’astre est tiré non comme un char mais comme un attribut relié à la tête de l’animal571 (Cf. Fig.33). D’autres gravures rupestres montrent un cheval qui tire le Soleil ou la Lune, comme c’est le cas à Kalleby, Bottna ou Rished (paroisse d’Askum). Ce dernier cas représente un attelage de deux chevaux qui tractent un char. Au bout du timon, figure un disque qui lui est solidaire. Celui-ci est partagé en deux par un trait horizontal (symbole lunaire ?) 572. Beaucoup plus rares sont les gravures rupestres qui représentent un ou plusieurs chevaux en train de tracter un bateau : à notre connaissance, il n’en existe que deux cas. Le plus connu, celui de Fiskeby-Ekenberg en Ostrogothnie sera étudié ultérieurement. L’autre figure573 représente deux équidés qui hale une embarcation : ils se déplacent de droite à gauche, c’est-à-dire d’est en ouest, sens de la course diurne. Ici aussi, il importe de se demander s’il s’agit d’une représentation mythique ou d’un rite qui se référe à un mythe. Les cervidés faisant partie de la faune locale, il n’est guère étonnant qu’ils figurent en bonne place dans les compositions pariétales. Cela était d’ailleurs déjà le cas durant la première phase de l’âge du bronze (cf. Sagaholm) et il est bien légitime que cette tradition demeure pendant la deuxième moitié de l’époque en question. Bien des pétroglyphes démontrent le rapport très étroit que le cervidé entretient avec la fertilité-fécondité. Mais il s’agit de cas où le cerf est seulement associé, de près, certes, aux croyances héliaques et séléniques. Cependant il existe d’autres localités où le quadrupède est directement impliqué, se voyant ainsi lui-même élevé au rang d’animal solaire. Ainsi à Massleberg, paroisse de Skee au Bohuslän : à bord d’un bateau de la période IV, un cerf se tient au milieu de l’équipage. De ses bois jaillit un gigantesque soleil rayonnant dont les contours rappellent assez un tournesol. A sa gauche, un équilibriste semble danser au-dessus des traits qui représentent l’équipage. A la gauche de ce personnage, huit cupules paraissent planer au-dessus de la partie avant du navire. On rencontre encore bien d’autres figurations de ce genre qui se passent à terre, même si une embarcation point à l’horizon. Citons à ce sujet le glyphe

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C’est particulièrement à propos de telles gravures rupestres qu’il importera par la suite de savoir si l’on a affaire à la figuration d’un mythe ou s’il s’agit plutôt d’un des rites centraux des cultes solaires et lunaires. De cette question essentielle dépend aussi, dans une large mesure, la raison d’être profonde des pétroglyphes : sont-ils la figuration de mythes, de récits mythiques ou bien font-ils partie intégrale du culte en ce qu’ils perpétuent sur la pierre des rites célébrés à intervalles réguliers ? C’est seulement dans ce cadre qu’on pourra tenter d’apporter une réponse à la question posée à propos des glyphes montrant un cheval qui tire le Soleil ou la Lune. 572 Cf. infra Sverre Marstrander, op. cit., p. 169, fig. 45 / 4. 573 Cf. “Adoranten”, 1986, p. 37, figure T. 311.

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de Backa, paroisse de Brastad574 qui figure un cerf dont les bois en volute sont reliés par un trait horizontal à un disque à rayons cruciformes. Ce dernier a pour fond une figure qui ressemblerait assez à une nef inachevée575 dont la volute ornant la proue vient toucher le trait qui relie les bois du cervidé à la roue solaire. Une cupule est accolée à la spirale de la proue. Deux autres cupules sont encore visibles, l’une derrière les pattes postérieures de l’animal, l’autre sous celles de devant. Le graphisme de cette composition très stylisée est d’une grande élégance, traduisant quelque peu un goût baroque que l’on constate souvent dans les objets en bronze de la même période (périodes IV et V), (Fig. 34). Il en va de même du motif, non moins fameux, qui couronne en quelque sorte le tableau de Lilla Gerum, paroisse de Tanum : cet ensemble célèbre a pour caractéristique d’être tout en hauteur, sans doute à cause d’une sorte d’arbre de mai. La composition en question576 s’étale par contre tout en longueur : de gauche à droite, on voit un cerf dont les pattes postérieures se prolongent sous forme de traîne577 jusqu’à un autre quadrupède qui semble bien être un cheval. La queue du cerf se poursuit, elle aussi, en une figure qui épouse les contours de la lettre S, ceci étant du plus bel effet. Le tout aboutit vers la bouche du cheval. La traîne qui continuait les pattes arrière du cerf vient toucher quant à elle le col de l’équidé. Sur le dos de celui-ci repose par l’intermédiaire d’un support à deux pieds une roue solaire à rayon cruciforme. Là encore, le graveur a fait preuve d’un goût baroque (cf. la queue en « S » du cerf) propre aux deux périodes centrales de l’âge du bronze récent. Dans cette gravure rupestre, ce n’est pas le cerf qui s’avère être héliophore mais bien le cheval. Il est néanmoins tout à fait significatif que les deux quadrupèdes soient à ce point reliés l’un à l’autre. Ce fait parle de lui-même quant à leur rapport avec l’astre diurne. Lorsque l’on considère l’ensemble de l’iconographie rupestre scandinave de l’âge du bronze, on constate en effet que les deux mammifères, le cheval et le cerf, se disputent en quelque sorte les qualificatifs d’hélio / sélénophores. Et on hésite à vouloir l’attribuer plus à l’un qu’à l’autre : témoin le pétroglyphe de Disåsen578. Cela est dû au fait que le cerf fut probablement le premier des deux à se voir associer aux deux astres579. Vers la fin du Néolithique ce rôle lui fut ravi par le cheval, importé probablement d’Europe cen574

Cf. Oscar Almgren, op. cit., p. 96, fig. 61 b. Manifestement une surimpression. Ou bien il s’agit d’un glyphe antérieur sur lequel on a gravé le disque. 576 Cf. l’excellente photographie très nette malgré son âge figurant à la p. 97, fig. 62 de l’ouvrage d’Oscar Almgren, op. cit. 577 Elle évoque assez un traîneau. 578 Voir infra. 579 Cf. première partie : Le Mésolithique, chap. III, D. Le côté lunaire du cerf se justifie essentiellement par ses bois qui se renouvellent et tombent de manière cyclique, rappelant aussi les phases lunaires où l’astre apparaît puis disparaît.

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trale. Un temps, le cerf fut donc relégué mais durant la deuxième phase de l’âge du bronze, il semblerait qu’il ait récupéré une partie au moins de ses attributs solaires et lunaires, mais peut-être seulement dans les régions forestières de Suède et de Norvège, telles que le Bohuslän et l’Østfold. C’est en tout état de cause ce qui ressort du glyphe gravé à l’extrémité (encore une fois) d’un tableau de Södra Ödsmål dans la paroisse de Kville580. Il représente, en tout et pour tout, deux cervidés581 disposés en quinconce et tous les deux reliés par une paire de rouelles à rayons cruciformes. L’une est fixée aux pattes antérieures de l’animal au moyen de deux supports. Le disque communique avec un autre grâce à un petit trait vertical. Le deuxième cercle est fixé sur le dos du second cerf par l’intermédiaire d’un trait nettement plus important. On ne peut plus clairement signaliser le lien étroit qui unit le cervidé à l’astre diurne. A cet égard il faut se souvenir que le panneau voisin582 contient la même figure (deux rouelles à rayons cruciformes) associant deux disques à motif central en croix qui ont été auparavant considérés comme symboles de la gémellité Soleil / Lune. Auquel cas, les deux cerfs seraient des jumeaux liés aux deux corps célestes vénérés comme tels. C’est la lecture que l’on peut faire de ce glyphe, d’ailleurs peu connu (Cf. Fig. 35). En tout état de cause, on peut déjà en conclure à la nature solaire et lunaire des cervidés. Celle-ci en fait « un concurrent sérieux » du cheval et d’autres quadrupèdes qui, à plus d’un titre, peuvent aussi prétendre à un caractère héliaque et / ou sélénique : parmi eux les bovidés. Dans une économie agricole et vivrière telle qu’elle existait alors en Europe et singulièrement en Scandinavie méridionale et centrale, les bovidés jouent un rôle primordial : les vaches fournissent le lait nécessaire entre autre à la confection du beurre et du fromage. Les bœufs sont utilisés comme animaux de trait pour les labours et les transports de produits pondéreux. Il est, dès lors, bien compréhensible que cette espèce soit assez largement représentée sur les gravures rupestres scandinaves. En premier lieu, il convient de citer l’ensemble pariétal de l’Aspeberg583 à Tegneby, (paroisse de Tanum, Bohuslän). C’est surtout sur les taureaux que paraissent s’être concentrées les convictions religieuses de l’artiste : ceux-ci sont ithyphalliques et suivent de près une nef. A leurs côtés un laboureur avec son araire et derrière lui, un archer dont le tronc est en forme de disque. Suivant immédiatement le trou580

Cf. Åke Fredsjö : « Hällristningar i Kvillehärad », Kville socken, op. cit., p. 181, tableau 158, planche I. 581 On peut hésiter en ce qui concerne le sexe du deuxième animal, car il est pourvu d’une ramure aussi fournie que celle du mâle, ce qui est en fait totalement impossible chez la femelle du cerf. Peut-être le graveur a-t-il voulu souligner qu’il s’agissait bien d’une biche et non d’un quelconque quadrupède. A moins (et cela paraît nettement plus plausible) que ce deuxième cervidé soit aussi un mâle, mais que seul l’autre soit ithyphallique. 582 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 180, tableau 157, planche I. 583 Cf. Oscar Almgren, op. cit., p. 109, fig. 73.

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peau, un homme ithyphallique armé d’une lance. En tête des bovidés, marche un taureau aux cornes bien marquées formant deux croissants qui se touchent presque : en somme la même image que les lures qui figurent sur les embarcations. L’ensemble des figures de cette scène se dirige de droite à gauche à la rencontre du bateau qui vogue dans le sens contraire. En-dessous de cette composition, un serpent et un autre taureau se déplacent dans la même direction que le gros du troupeau au dessus d’eux. Une autre gravure du Bohuslän représente un bovin dont les cornes se rejoignent de façon à former un disque. Ce glyphe se trouve tout en bas du tableau 167 à Södra Ödsmål584. L’animal est isolé car la totalité des dessins rupestres consiste ici en une accumulation de navires placés les uns au-dessus des autres et voguant pour la plupart de droite à gauche. Deux d’entre eux sont munis d’un disque fixé à l’éperon de la proue. A Torsbo, paroisse de Kville585 un taureau qui posséde de telles cornes en forme de disque se déplace au milieu de bateaux voguant, autant que l’on puisse en juger, de gauche à droite. Le motif des cornes en forme de disque se rencontre encore plusieurs fois sur les rochers scandinaves. Citons d’abord l’exemple de Kyrkestigen, paroisse de Svenneby586 où un bovin doté de pareilles cornes est relié par la patte antérieure gauche à un homme-disque (Cf. Fig. 36). En Ostrogothnie, on connaît un glyphe de la région de Norrköpping qui représente deux bovins dont les cornes sont également discoïdales587. Néanmoins, la majorité de ces quadrupèdes sont figurés avec des cornes en forme de demi-lune. C’est le cas à Torsbo où sur le panneau 177588 un tel quadrupède est entouré de trois bateaux et d’un homme disque. De même à Vrångstad, paroisse de Bottna, Tableau 334589 où sont visibles deux bovins munis de pareilles cornes. Encore à Torsbo590, cette espèce constitue le sujet principal : pas moins de dix bovidés aux cornes en demi-lune, tantôt orientés de droite à gauche (en fait la plupart d’entre eux), tantôt l’inverse (deux seulement). Les bateaux quant à eux se dirigent, semble-t-il, vers la gauche de même que la plupart de ceux nettement plus anciens (période II ou III). Au sommet de cette composition, on voit une silhouette qui se livre à des acrobaties sur les cornes d’un des animaux591, à la manière des athlètes crétois sur les fresques

584

Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 198, tableau 167, planche I. Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 236, tableau 181, planche II. 586 Cf. Åke Fredsjö : « Hällristningar i Kville härad », Svenneby socken, op. cit., p. 39, tableau 241, planche IV. 587 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 82, fig. 39 e. 588 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 227, tableau 177, planche II. 589 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 75, tableau 334, planche IX. 590 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 236, tableau 181 a, planche II. 591 Ibidem, p. 235, tableau 181 a, planche I.

585

229

de Cnossos592. Un autre bovidé lui fait face : il se cabre sur ses pattes postérieures tandis que trois hommes à proximité lèvent la main, les doigts écartés comme souvent dans les rites d’adoration. Cette dernière scène démontre qu’un véritable culte était alors rendu au taureau comme c’était probablement déjà le cas dès le Néolithique moyen B593 (Cf Planches 9 et 10). Une preuve supplémentaire en est fournie par les nombreux glyphes qui reproduisent les cornes d’un taureau fiché sur un poteau ou un support, à l’instar des disques dont il a été question auparavant. Plusieurs cas doivent être cités ici : à Vrångstad, paroisse de Bottna594, ce motif est placé en marge d’une composition qui réunit surtout des bateaux. Parfois une cupule est gravée au centre du demi-cercle comme c’est le cas sur un glyphe du Bohuslän595. On en trouve aussi dans le sud-ouest de la Norvège596. Comme précédemment pour les disques, ce motif peut être dressé sur une embarcation ainsi que le montre plusieurs glyphes provenant du Rogaland597 (Norvège).

PLANCHE 9

Région de Tanum : scène de tauromachie : un acrobate se tient à l’une des cornes d’un taureau. D’après Peter Gelling, op. cit., p. 84, fig. 41 a. Reproduction d’une gravure de L. Baltzer, op. cit.

592

De même cet autre glyphe du Bohuslän qui figure dans l’ouvrage de Peter Gelling, p. 84, fig. 41 a = planche hors texte 13. 593 Cf. supra, le Néolithique moyen B et récent. 594 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 61, tableau 331, planche II. 595 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 82, fig. 39 b. 596 Ibidem, fig. 39 i et j. 597 Ibidem, fig. 39 c, d, f.

230

Dans un cas, ce sont même deux poteaux semblables qui ont été plantés sur le pont d’un bateau qui figure sur un rocher de cette région598. Etant donné la forme même de ces cornes, on peut se demander si ceux-ci ne symbolisent pas un rapport spécifique des bovidés avec l’astre nocturne. PLANCHE 10

Torsbo, paroisse de Kville : scène de tauromachie. En haut à gauche (droite pour l’observateur), un homme se tient en équilibre à l’une des cornes d’un taureau. D’après Ake Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 235, tableau 181 a, planche I.

Au cours de l’étude des motifs, on s’est efforcé de ne jamais trop perdre le contact avec leur contexte. Or celui-ci est, la plupart du temps, constitué 598

Ibidem, fig. 39 c.

231

de scènes dont la signification cultuelle n’échappe à personne, même lors d’un examen très superficiel. C’est donc dans le cadre de ces scènes que la majorité des motifs étudiés, prennent vraiment tout leur sens. Aussi en va-t-il de ces thèmes comme des mots : ce n’est que dans une phrase, un discours articulé, qu’ils revêtent une signification. C’est en ce sens que l’art rupestre, scandinave en particulier, se rapproche du langage. Dans la catégorie des scènes contemplatives d’adoration du disque solaire et lunaire, ce dernier peut être figuré seul sans aucun support : il y a donc tout lieu d’y voir l’astre lui-même : ceci est confirmé par le fait que le luminaire est alors entouré de personnages qui, à l’évidence, sont en adoration devant lui. Environ six scènes qui figurent sur les rochers de la région autour de Tanum représentent un grand cercle autour duquel se tiennent des personnages souvent très schématisés levant les bras en signe de vénération. L’une des ces représentations, située au sommet d’une des deux compositions du rocher d’Aspeberg599 montre, outre des orants qui se tiennent les bras levés tout autour d’un disque plein, un personnage placé à droite de l’orbe. Il se tient un peu à part. Les cheveux longs indiquent qu’il s’agit d’une femme, ce qui est encore confirmé par une cupule gravée juste audessous des pieds. Elle a les bras tendus qui touchent le rebord du disque. Peut-être s’agit-il d’une officiante600. A Fossum, situé à environ deux kilomètres de la localité de Tanum, on rencontre également au sommet du rocher, la même scène encore davantage schématisée. C’est tout juste si l’on peut ici distinguer un personnage levant les bras. En grossissant cette partie du tableau rupestre, on parvient à identifier un certain nombre de personnages et figures invisibles à l’œil nu : tout au sommet, un acrobate s’arc-boute sur l’orbe, à sa droite on croit apercevoir un oiseau posé sur une figure non précisable. Plus loin, toujours à droite de l’acrobate, un homme disque avec un masque en forme de bec d’oiseau (cf Fogdarp), puis deux personnages qui tournent autour du cercle. En bas, un adorateur les bras levés, puis un cervidé monté par un personnage paraissant se tourner vers la droite en levant le bras dans cette direction. Enfin, juste à gauche de l’acrobate C, un autre adorateur les bras levés. Cette lecture reste cependant très incertaine, mis à part le thème de l’acrobate que l’on avait déjà vu sur la barque miniature de Grevensvænge. Alors que la scène d’Aspeberget est environnée de quadrupèdes et d’une cupule (devant à gauche), celle de Fossum est accostée à gauche d’une paire de pieds soulignés par une cupule. Les deux tableaux rupestres datent vraisemblablement de la période IV si l’on en juge par les épées à bouterolles hallstattiennes et 599

Le fait que l’adoration du disque soit placée au sommet en montre l’importance. Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 77, fig. 37. 600 Cf. “Adoranten”, 1990, p. 17, fig. 12.

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la forme des bateaux601. Mais on doit se souvenir qu’une telle scène figure déjà sur la corne de Wismar datant de la période III602. Dans ce contexte, il convient de mentionner encore le tableau assez analogue de Trättelanda603, également localisé aux environs de Tanum. Il montre une roue solaire à quatre rayons cruciformes accostée de deux personnages masculins. Celui de gauche lève les bras en signe d’adoration, tandis que l’autre à droite, nettement plus petit, paraît brandir une épée de la main gauche, la dextre restant presque posée sur la gaine. Dans certains cas, le Soleil est adoré par une seule personne : il s’agit alors d’un disque monté sur un trépied604 : c’est ce que représente un glyphe du Bohuslän reproduit dans l’ouvrage de Peter Gelling605. Citons encore un cas mieux connu : celui qui figure sur le rocher de Backa dans la paroisse de Brastad au Bohuslän606. Le disque se présente ici sous la forme d’une roue à rayons cruciformes. Au centre, se trouve un plus petit cercle également muni du même motif. L’ensemble rappelle assez les croix celtiques des églises romanes irlandaises (XI – XIIe siècles). Il repose sur un trépied. A droite de celui-ci une figure de très petite taille sans doute inachevée, reproduit le même geste que le personnage qui paraît allongé : les bras sont pendants, mais cette figure se réduit à un tronc sans membres inférieurs et sans tête. Devant cet ensemble, (disque, personnage allongé, figure inachevée et char) quatre quadrupèdes (chevaux ?) occupent le reste de la composition vers la gauche. Entre les animaux et la scène centrale, se trouvent six cupules dont trois à gauche du char et trois réparties à droite du premier quadrupède et devant la figure inachevée qui ressemble d’ailleurs à une ancre. Tout en haut à droite de ce tableau deux empreintes de pieds. S’agit-il ici vraiment d’une scène d’adoration ? Les bras pendants paraissent contredire ceci. A cela on peut arguer que la position allongée de la figure de droite s’avère résulter d’une incapacité du tailleur de glyphe à représenter un personnage debout et de face. Une autre explication possible serait que ce geste exprime l’humilité et la soumission de l’être humain visà-vis de l’astre divinisé. Peut-être aussi que le personnage mime le lever ou le coucher du luminaire. Les bras en forme de demi-cercle exprimeraient bien ceci. A moins que ce soit là un rituel destiné à représenter soit la mort 601

Cf. Oscar Almgren : « Hällristningar och Kultbruk », p. 109, fig. 73 et p. 118, fig. 80, Stockholm, Nordsted, 1926 / 27. 602 Ibidem, fig. 56, p. 91. 603 Ibidem, fig. 53, p. 89. 604 On en connaît une version miniature conservée au Musée National de Copenhague et dont il a été question précédemment (voir l’âge du bronze ancien). 605 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 10, fig. 2 n. 606 Exemple moins célèbre : Södra Odsmål dans la paroisse de Kville, cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 171, tableau 146 : Un homme se tenant dans une barque qui vogue de droite à gauche a les bras levés et les mains surdimensionnées dont les doigts sont écartés ; au-dessus une roue à rayons cruciformes repose sur un support. Cf. Oscar Almgren, op. cit., fig. 103, p. 148.

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apparente du Soleil, soit, l’hiver venu, sa longue pérégrination à travers l’océan des ténèbres ou bien, au contraire, son éveil au printemps. Quoi qu’il en soit, on est ici en présence d’un aspect particulier de l’adoration rendue à l’astre diurne. La scène de vénération qui s’avère peut-être la plus impressionnante demeure celle du rocher de Finntorp607, également dans la commune de Tanum. Il s’agit d’un très grand tableau qui réunit un nombre élevé de personnages (plus d’une cinquantaine). Or tous, à quelques exceptions près, ont les bras levés en signe d’adoration du disque situé au sommet de la composition. Il est représenté ici sous la forme d’une grande spirale suspendue à un mât608. Immédiatement autour de cette figuration de l’astre, un groupe de quatre personnages procède à un labour rituel, le laboureur étant plus grand que les autres. Celui-ci est d’ailleurs le seul à ne pas lever les bras, ce qui est, somme toute, bien légitime compte tenu du fait qu’il doit diriger l’attelage qui tire l’araire. A dextre, on aperçoit une scène de chasse : un homme pointe sa lance sur un cervidé. Juste en-dessous à droite semble se dérouler une autre scène de labourage mais ici les trois personnages impliqués sont tous de la même taille. Sinon ils lèvent les bras à l’instar des autres laboureurs. Plus bas à gauche s’étend une étrange figure formée de carrés et de rectangles qui représente peut-être des champs et des pâturages. Ce serait donc tout un paysage qui, avec sa population, célèbre les deux luminaires et les vénère. A l’extrême gauche, sont représentés deux disques à rayons cruciformes. En contrebas de ceux-ci, on voit encore une foule de personnages dans la même attitude d’adoration. Entre cette partie et l’autre décrite précédemment, on observe une sorte d’espace vide. Est-ce à dire que chacune des compositions se rapporte à un aspect différent de l’astre ? Cela est pensable, compte tenu du fait qu’au sommet de l’une comme de l’autre est représenté une image différente du corps céleste : à droite, il figure sous forme de spirale suspendue à un mât, à gauche ce sont deux disques à rayons cruciformes de formats différents. Sont-ce là deux manifestations différentes du Soleil, l’une concernant plutôt son influence sur le monde végétal (scènes de labours rituels) exprimée par l’éternelle alternance naissance vie – déclin – mort – renaissance que symbolise la spirale, signe de l’éternel retour ? L’autre (rayons cruciformes) se référerait à son éclat (rayons) son ascendant sur la course du temps (roue). A moins que cette volute fixée à une perche symbolise, comme on l’a expliqué précédemment, la lune et son influence

607

Cf. Oscar Almgren, op. cit., fig. 72, p. 108. On retrouve ce même motif à Skälv près de Norrköping en Ostrogothnie : l’un est muni de deux béquilles, l’autre d’une perche, le troisième est suspendu comme celui de Finntorp : cf. Oscar Almgren, op. cit., fig. 50 a, b, c, p. 88.

608

234

déterminante sur la croissance des plantes et de tous les êtres vivants609. La volute matérialiserait en quelque sorte les phases successives de l’astre nocturne, ce perpetuum mobile oscillant sans cesse entre apparition et disparition. Il est bien difficile ici de décider dans un sens ou dans l’autre, entre autre du fait que les deux astres à gauche peuvent avoir été ajoutés après l’exécution de ce vaste tableau, ou bien, au contraire, l’avoir précédé. En somme, ces deux symboles peuvent fort bien ne pas dater de la même époque que le reste de la composition. Néanmoins, et compte tenu de la position des deux disques et de la spirale au sommet de la surface occupée par ce tableau, on peut en conclure que c’est à eux que s’adressent tous les orants aux bras levés. Il s’agit donc bien d’une scène d’adoration du ou des deux astres à la fois, probablement la plus monumentale de Scandinavie. Ainsi tous les symboles solaires et lunaires représentés avec des adorateurs démontrent sans ambiguïté l’existence d’un véritable culte rendu aux deux luminaires, soit aux corps célestes eux-mêmes, en plein air soit à l’un des symboles héliaques ou séléniques. Jusqu’à présent, on a considéré des scènes d’adoration contemplative du disque solaire et lunaire. Cependant, cette vénération pouvait revêtir d’autres formes plus actives qui consistaient à adorer les deux astres en mouvement, soit sous la forme d’un char, soit sous celle d’un bateau. En ce qui concerne le premier cas, le char n’est pas toujours représenté en déplacement. Citons à ce propos une composition gravée à Disåsen (Cf. Fig. 37), près de Backa, paroisse de Brastad610 : elle montre au premier plan, et à une échelle plus grande, un char sur lequel est monté un disque à rayons cruciformes. Ce véhicule possède deux roues, l’une à gauche qui possède huit rayons, l’autre en a quatre en croix611. Contre le timon, relevé car on a désattelé le cheval (sans doute celui représenté à droite), on voit un personnage de petite taille assis en tailleur qui lève les bras en signe d’adoration. A droite du timon, une plante de pied et, au dessus de cette scène, deux quadrupèdes : l’un à gauche est un cervidé également surdimensionné et à droite, un cheval nettement plus petit et qui touche presque de la patte avant gauche le grand orteil du pied. Ici, on retrouve en somme l’adoration contemplative de l’astre « au repos », statique, telle qu’elle vient d’être décrite. L’élément nouveau est indiscutablement le char. Le cerf et le cheval montrent une fois encore que ce sont les deux animaux solaires par excellence. 609

Celle-ci est capitale comme le démontre scientifiquement l’étude de Klaus-Peter Endres et Wolfgang Schad : « Biologie des Mondes. Mondperiodik und Lebensrhythmus », Stuttgart / Leipzig, S. Hinzel Verlag, 1997. 610 Cf. Oscar Almgren, op. cit., p. 96, fig. 60. 611 On peut se demander quelle signification peut revêtir le nombre différent de rayons qui figurent sur les roues du véhicule.

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Ici la taille nettement plus élevée du cerf devrait indiquer une sorte de préséance. Quant au char solaire et lunaire représentée dans sa course au milieu d’orants, on en connaît au moins une représentation à Lilla Arendal612 au Bohuslän, précédemment décrite. On l’a vu précédemment, le bateau n’est plus seulement associé à des symboles solaires ou lunaires, ainsi que c’était encore le cas aux périodes II et III. Il est lui-même vecteur de ces symboles, désormais placés à son bord et non plus seulement disposés au-dessus ou à côté comme sur la stèle de Klinta613. En tant que navire des deux luminaires, il fait l’objet d’une dévotion au même titre que le char. Les scènes qui illustrent l’adoration du bateau solaire ou lunaire sont à vrai dire plutôt rares, alors même que les représentations de bateaux vecteurs du disque héliaque sélénique sont innombrables. Il existe essentiellement trois compositions qui montrent clairement que ce rite était pratiqué : deux au Bohuslän et une en Ostrogothnie. La première d’entre elles figure sur le célèbre tableau de Vitlycke614 dans la partie droite, presque au sommet de celle-ci. Un peu au dessus d’un bateau représenté de profil et se dirigeant vers la gauche (vers l’ouest), on voit un disque solaire figuré à plat615. Il est entouré de quatre silhouettes : elles ont les bras baissés comme sur la corne de Wismar616 mais autrement que dans la scène sur l’Aspeberget ou de celle d’Arendal où les bras sont levés. En dépit de cela, on constate, une fois encore, que l’on a affaire ici à un véritable motif de l’iconographie scandinave de l’âge du bronze récent. L’analogie avec des oiseaux est certes frappante, mais pour au moins deux des silhouettes on peut reconnaître une sorte de longue tunique ou manteau. Ceci est à mettre peut-être en rapport avec la direction prise par le bâtiment sur lequel se déroule cette scène d’adoration : c’est vers l’ouest que vogue cette nef, en d’autres termes vers le couchant ou plutôt la nuit hivernale. C’est peut-être la raison pour laquelle les silhouettes en question baissent les bras comme à Wismar : ce geste exprimerait à la fois la dévotion et le mouvement vers le bas, vers le monde souterrain, la nuit hivernale où paraît se diriger la nef. Jusqu’ici ce n’est donc pas le bateau solaire en tant que tel qui fait l’objet d’adoration mais l’astre qu’il transporte. Ceci est particulièrement évident 612

Cf. Just Bing, op. cit., p. 43, fig. 58. Voir l’âge du bronze ancien. 614 Cf. Johannes Brøndsted, op. cit., p. 142. 615 On dirait qu’il plane au dessus du navire : en fait, il est ainsi représenté car le graveur n’aura pas pu dessiner ce motif de profil. 616 Mais sur la corne de Wismar, il s’agit de l’adoration du disque placé sur un char à quatre roues cruciformes, à moins que celui-ci n’ait été déposé à côté du véhicule comme le suggère son emplacement derrière les quatre roues. De l’autre côté du tableau, deux bateaux voguent eux aussi vers l’ouest. Peut-être que cette scène représente la descente du Soleil dans le monde souterrain. (Cf Planche hors-texte 15). 613

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sur un glyphe de Disåsen près de Backa dans la paroisse de Brastad au Bohuslän617. La composition en question comporte essentiellement deux embarcations qui paraissent voguer dans le sens droite / gauche (est / ouest). Il en va de même de deux quadrupèdes (cervidés ?) placés juste en-dessous des deux bateaux et d’une troisième nef située sous les animaux (les traits qui représentent l’équipage sont surtout penchés dans cette direction). A quelque distance, à gauche des navires et sur la même ligne que les deux premiers, un groupe de quatre quadrupèdes (chevaux ?) se déplacent vers la dextre, autrement dit vers l’est, dans le sens contraire des véhicules et des autres quadrupèdes. Sur le bateau, le plus à droite, se dresse une perche à laquelle est fixée un disque qui vient toucher la volute ornant la proue. A côté, se tient un orant dans la posture désormais caractéristique ; à sa suite trois traits penchés dans le sens de la marche du navire (droite / gauche) figurent l’équipage. Immédiatement contiguë à cette première embarcation, figure une seconde, nettement plus petite, néanmoins dotée d’une figure de proue (tête d’animal). Dans ce navire est assis un orant, unique membre de l’équipage. Il a les bras levés dans la posture habituelle mais en même temps il tient un bateau miniature qu’il semble ainsi soulever. C’est au disque placé sur le premier navire que semble s’adresser le geste d’adoration des deux personnages : l’un débout sur le premier bateau, l’autre assis dans ce qui est probablement une barque ou un canot. On aurait donc, ici encore, un cas où ce serait le disque solaire et lunaire placé sur une embarcation qui ferait l’objet d’une dévotion particulière, le pendant naval en quelque sorte de l’adoration de l’orbe qui figure sur un char. La troisième composition de cette catégorie est localisée à FiskebyEkenberg, non loin de Norrköping618. Elle représente une scène quelque peu insolite dans l’iconographie nordique : une embarcation est tirée par deux chevaux attelés à la proue. Devant les deux quadrupèdes est placé un cercle et, un peu plus loin à droite, un orant dans la position désormais bien connue. Un autre personnage se trouve à quelque distance « en contrebas » du bateau, tandis qu’un troisième est juché sur une sorte de plate-forme prolongeant le support sur lequel est habituellement fixée la figure de proue. Les deux hommes adoptent la même attitude d’adoration que le premier qui se tient face au cercle et au navire. Celui-ci est tracté par des chevaux dans le sens gauche / droite, c’est-à-dire ouest / est. C’est la direction de la course nocturne de l’astre. Mais pourquoi alors avoir figuré ce navire tiré par deux chevaux, alors que l’on aurait pu le représenter voguant dans cette direction ? Probablement parce qu’il s’agit ici d’une procession qui se déroule à terre et nécessite par conséquent l’utilisation d’animaux de trait. Mais en même temps, ce rite renvoie vraisemblablement à la course solaire diurne : 617 618

Cf. Oscar Almgren, fig 3, p. 10. Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 67, fig. 30 a.

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c’est peut être la raison pour laquelle on n’a pas gravé le cercle sur le bateau lui-même mais devant : ainsi, l’astre est affranchi des contraintes imposés par sa présence sur le navire. Il peut recommencer à être visible dans le ciel et point n’est donc besoin qu’il soit assujetti à une embarcation. Dans ce sens il est possible que cette scène figure en réalité le moment où l’astre quitte la barque solaire, donc à l’aurore, afin de se lancer dans sa course diurne. Comme on l’a vu précédemment lors de l’étude des motifs solaires et lunaires, les symboles qui se rapportent aux deux astres sont fréquemment portés sur des supports ou béquilles par des adorateurs. Les exemples qui montrent de tels personnages porteurs de disques solaires et lunaires montés sur des béquilles ou autres trépieds ne manquent pas : Ainsi au sommet de la composition de Kalleby619 (période V), on peut voir un disque à rayon cruciforme porté par un homme. Deux autres personnages le touchent, l’un de la pointe de son épée qu’il tient de la main droite, l’autre de la main gauche. Ce dernier semble d’ailleurs comme juché sur l’une des deux empreintes de pieds situées en-dessous de lui. On peut encore mentionner à droite du tableau de Vitlycke (période V) un homme qui tient un disque de la main droite620. Sur le glyphe de Solberg, paroisse de Skjeberg (Østfold, Norvège), on voit une silhouette qui brandit621 de la senestre un disque doté d’un plus petit cercle en son centre et de la dextre, un objet dont les contours évoquent un croissant : il ne fait guère de doute que l’on a ici les symboles des deux corps célestes. La position des bras du personnage indique qu’il est en train de les vénérer. Dans les processions sont impliqués d’étranges personnages dont le tronc voire la tête sont remplacés par un disque ou une rouelle, comme par exemple à Hamn, paroisse de Kville622. Peter Gelling appelle ces figures « hommes-disques ». Ceux-ci posent bien des problèmes quant à leur interprétation. La taille du disque par rapport au corps humain peut varier considérablement ; parfois ces figures n’ont d’humain que la tête et les jambes : ainsi à Karlslund, paroisse de Kville, Bohuslän623. Ici, comme bien souvent, la tête est creusée plus profondément formant ainsi une cupule. On avait déjà observé ce phénomène lors de l’étude des pétroglyphes de l’âge du bronze ancien (Sagaholm). De plus, les bras sont, semble-t-il allongés ; mais le fait 619

Cf. Oscar Almgren, op. cit., fig. 9, p. 15. Cf. Peter Gelling, p. 59, photo hors texte. 621 Cf. Peter Gelling et H.E. Davidson : « The Chariot of the Sun and other rites and symbols of the Northern Bronze age », op. cit., p. 11, fig. 3 c et Just Bing, op. cit., p. 18, fig. 17. 622 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 279, tableau 211, planche II : un bien étrange personnage à la tête discoïdale d’où émerge un tronc se terminant par deux jambes qui ressemblent davantage aux racines d’un arbre. 623 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 31, tableau 20. 620

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qu’ils soient tronqués, car probablement inachevés, ne permet pas d’apporter davantage de précision à propos de cette position. Il faut se rappeler ici le bandeau, au bas de la corne de Wismar (période III) où le corps des personnages disparaît littéralement derrière de vastes boucliers. A Södra Ödsmål, paroisse de Kville, on retrouve exactement le même type de personnage qu’à Wismar : guerrier armé d’une longue lance et d’un bouclier sur lequel est tracée une croix624. Parfois même, on n’aperçoit plus que les membres inférieurs : c’est notamment le cas des vingt-trois figures du rocher de Stora Berg, paroisse de Biskopskulla au Uppland625 : seuls sont visibles les disques dont on peut penser qu’il s’agit en fait de boucliers en bronze, tels ceux que l’on a exhumés à Fröslunda. Une scène assez étrange qui figure sur un rocher bordant le Sandfjord à Haugen au Vestfold626 peut-être rapprochée des glyphes de Stora Berg : on peut y apercevoir cinq êtres énigmatiques dont le corps est constitué pour l’essentiel d’une spirale qui ressemble à une coquille d’escargot. Cette impression est renforcée par la tête cornue de la figure au premier plan à droite, et plus encore par celle de gauche : les deux cornes, qui se terminent par une boule, évoquent celles du gastropode. Les deux autres personnages de l’arrière-plan sont dépourvus de cornes et leur tête n’est qu’une ébauche mais leurs spirales sont nettement plus importantes. Malgré ces similitudes avec des gastropodes, il y a tout lieu de considérer cette scène et les autres du même genre, telle que celle de Stora Berg, comme représentant des fidèles casqués à la manière des statuettes de Grevensvænge et masqués par de vastes boucliers en bronze sur lesquels sont gravés des motifs à spirales ou à rayons cruciformes. Dans un cas, à Torsbo, paroisse de Kville627, c’est un symbolisme lunaire qui orne l’objet en question : un panneau entier n’est pratiquement occupé que par un personnage filiforme et à la tête très petite dont le bouclier est divisé en deux par un trait vertical. La partie gauche est restée inachevée au moins pour un tiers. Une autre figure exactement semblable localisée à Kyrkestigen, paroisse de Svenneby 628, confirme que celle de Torsbo n’a pas été terminée : ici le bouclier est complet ; sinon on voit bien la séparation à l’aide du trait vertical, motif déjà rencontré auparavant et considéré comme sélénique. Jusqu’à présent et malgré une schématisation très poussée (cf. les hommes à apparence de gastropodes au Østfold), on a toujours eu affaire à des figures dont l’apparence humaine demeurait au moins décelable. Mais que penser de silhouettes où les traits humains semblent s’effacer pour lais624

Ibidem, p. 176, tableau 151. On retrouve le même sujet sur le rocher de Södra Ödsmål mais avec seulement un seul personnage : Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 176, tableaux 151 et 152. 626 Cf. fig. 5, p. 67 dans l’article du Norvégien Åsmund Sandland : “Abstrakt symboler fra hellristingsfelt i Norden” dans “Adoranten”, 1997. 627 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 215, tableau 172, planche X. 628 Cf. Åke Fredsjö, op. cit., p. 26, tableau 240, planche III.

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ser place à une apparence qui tient davantage du monde animal : profil d’oiseau (bec), tronc en forme de rouelle à rayons cruciformes ? Les exemples ne manquent pas ici : citons en particulier Kyrkestigen, paroisse de Svenneby629 où l’on voit une procession de trois hommes-disques dont l’un, celui du milieu, présente un profil pointu et un tronc circulaire. A la limite du panneau droit de la composition de Vitlycke, trois silhouettes possèdent la même apparence : deux ont le tronc en forme de disque à double cercle, l’autre, celui du haut, en forme de rouelle à rayons cruciformes. Tous trois brandissent une hache et semblent ainsi se « bénir » mutuellement. Cependant et malgré les apparences, il s’agit bien en fait, dans ces deux cas cités, d’officiants grimés en oiseau et dont le bouclier est tellement schématisé qu’il semble se confondre avec le tronc. Ainsi les cas évoqués jusqu’à présent attestent d’un rite particulier qui consistait à se déplacer en processions ou cortèges. Ceux-ci devaient faire appel à des « accessoires » divers destinés à rendre sensible la course des deux corps célestes. Les figures assez étranges qui viennent d’être examinées n’avaient qu’une seule raison d’être : créer l’illusion du déplacement des luminaires. Ce rituel démontre également que le cheval, le bateau, voire le char n’étaient pas considérés comme les seuls vecteurs des astres. Le rôle apotropaïque (adjectif qui qualifie une chose ou une formule ayant pour fonction de détourner les influences maléfiques vers autrui) des pieds explique que seule cette partie du corps est visible. Quant aux profils d’oiseau, ils ne peuvent s’expliquer autrement que par le port de masques dont le symbolisme devra être étudié ultérieurement. Le motif de l’homme qui soulève un bateau et le porte à bout de bras ou sur les épaules est associé aux rituels du retour des luminaires. Les personnages en question peuvent être ou bien de taille normale ou bien très grands, voire gigantesques. Il existe toutefois des compositions où l’homme est plus petit que le navire qu’il est censé porter. Que penser de ces différences dans la taille ? Cette question n’est pas superflue car la raison d’être de cette catégorie de pétroglyphes dépend, au moins en partie, de la réponse à celle-ci. En effet, ces pétroglyphes représentent-ils tous des rituels liés à la venue du printemps, auquel cas les bateaux représentés seraient des modèles réduits réservés au culte ? Peut-être étaient-ils, après les cérémonies cultuelles, offerts dans des tourbières aux puissances divines ? Jusqu’à présent on n’en a cependant pas trouvé de traces archéologiques630 antérieures à l’âge du fer. Leur dimension généralement conséquente exprimerait leur importance aux yeux du graveur de pétroglyphes : ce serait comme s’il avait voulu dire que 629

Cf. Åke Fredsjö : Svenneby socken, op. cit., pp. 30 et 31, tableau 240, planche VII et VIII. Il est possible qu’ayant été confectionnés dans des matières putrescibles (bois…), ils n’aient pas résisté à l’affront du temps.

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c’est le bateau votif qui mérite l’attention et non le personnage qui le porte. On pense ici au glyphe d’Yllene631 dans la paroisse de Kville : l’environnement est caractéristique de ce genre de rite : bateaux avec personnages qui brandissent des avirons, voltigeur. La direction prise par le porteur et les bateaux autour de lui est sud / nord. (Ce bateau est orienté ainsi). Son ithyphallisme souligne la référence à la fertilité-fécondité. Mais le sens de la marche, plein nord, vers un personnage gigantesque qui paraît se déplacer sur des skis, ne cesse de surprendre632 : tout incite à penser que c’est vers la nuit hivernale que l’on s’avance ici. Dans ce cas, le rite en question symboliserait le départ du bateau solaire pour l’océan des ténèbres, autrement dit l’entrée de l’hiver. Le voltigeur, il faut le souligner, tourne la tête vers le sud et il n’exécute pas son tonneau au-dessus de bateaux comme c’est sinon le cas. Le personnage qui figure sur l’un des tableaux de Backa, paroisse de Brastad633 porte d’ailleurs un long vêtement qui pourrait être un manteau d’hiver tel qu’on en a trouvé dans les tourbières. En outre, il semblerait que le cercle de l’emplacement de la main gauche soit la figuration d’une sorte de moufle ou de mitaine. Tout ceci fait donc nettement référence aux frimas de l’hiver. Manifestement, il s’agit dans ces deux cas de représentations de processions rituelles avec des modèles réduits ou des navires votifs. Celles-ci devaient être destinées, dans la période vraiment critique de l’hiver nordique (une douzaine de jours entre Noël et l’Epiphanie), à conjurer les forces des ténèbres et à hâter la venue de la lumière et du printemps (fertilité-fécondité). C’est peut-être la signification ultime de l’ithyphallisme constaté à Yllene. A Österröd634, le porteur fait l’effet d’un géant par rapport au bateau miniature qu’il tient de la main droite. Les cornes du casque de ce géant se réfèrent à la fertilité-fécondité. Gigantisme aussi à LeonardsbergBerghagen635 où le guerrier qui porte le modèle réduit à bout de bras présente des proportions hors du commun. Le bateau votif636 repose sur une lance. Il se dirige, comme les animaux (cerfs) au-dessus de lui, dans le sens indiqué par la pointe de sa lance : l’est. Il est remarquable que, dans ces deux dernières compositions, le cadre habituel de ce motif, bateaux avec voltigeurs ou scènes qui ont un rapport avec la fertilité-fécondité, s’avère totalement absent : à Österröd, on ne voit que quatre cercles accompagnés de sept cupules au-dessus desquelles se trouve un bateau vide. A Leonardsberg631

Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 139, tableau 100, planche VIII. Ibidem, p. 136, tableau 110, planche V. 633 Reproduit à la page 64 de l’ouvrage de Peter Gelling, op. cit., fig. 29 d. Cf. Arthur Nordén, op. cit., fig 45 b. 634 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 13, tableau 4, planche II. 635 Cf. Arthur Norden, op. cit., p. 315, planche LXX, et p. 192, fig. 156, cf. Peter Gelling, op. cit., p. 64, fig. 29 e. 636 Compte tenu de la forme, il pourrait tout aussi bien s’agir d’un traîneau.

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Berghagen, un personnage minuscule est étendu inerte à la hauteur de la poitrine du géant. Ici l’environnement des personnages incite à penser qu’il ne s’agit pas de l’accomplissement d’un culte : comme chaque fois que l’on a affaire à des êtres gigantesques, on doit se demander si le sujet de la composition ne quitte pas la sphère cultuelle pour entrer dans celle du mythe. Les différentes scènes qui viennent d’être étudiées constituent en quelque sorte la partie exclusivement solaire et lunaire du corpus dont on dispose ici. Elles suffiraient à elles seules à prouver l’existence d’un culte solaire et lunaire en Scandinavie à l’âge du bronze tardif. Mais cet aspect essentiel de la religion nordique d’alors n’est plus à démontrer quoique, pour des raisons idéologiques et en réaction aux excès de la première partie du XXe siècle, beaucoup de spécialistes des pétroglyphes préfèrent minimiser l’importance de celui-ci pour se consacrer davantage à d’autres domaines… Afin de ne pas isoler les deux astres, les croyances et les rites qui gravitent autour de ceux-ci, il est plus que jamais fondamental de les inclure dans un vaste ensemble dont ils sont très étroitement solidaires et qui a été déjà abordé à maintes reprises au sein de la présente étude : la fertilité-fécondité. Cette formule « toute faite » peut sembler maintenant quelque peu éculée, certes, mais elle embrasse deux côtés essentiels de l’existence, eux plus que tout autre inextricablement mêlés : la vie et la mort. Et c’est précisément cette relation étroite qu’illustre, par bien des côtés, la partie suivante du corpus iconographique qui va être abordée maintenant. Un grand nombre de scènes rituelles relèvent par leur contenu symbolique des deux domaines à la fois : elles montrent, une fois encore, combien il est difficile et même, bien des fois erroné, de vouloir circonscrire les aspects fondamentaux des croyances et des cultes nordiques à l’âge du bronze récent. La quasi-majorité de ces rites se déroulaient à proximité ou sur des bateaux, ce qui illustre bien l’importance capitale que revêt ce moyen de transport si familier au cadre de vie scandinave. Parmi les scènes rituelles particulièrement remarquables du fait de leur vivacité, figurent celles où l’on peut voir des femmes et des hommes qui sautent au-dessus d’un disque ou d’un cercle. Sans être très fréquent, ce thème se retrouve tout de même dans bien des compositions. La plus connue est visible à Rished, paroisse d’Askum au Bohuslän : une femme saute au-dessus d’une cupule, les jambes écartées637. Ce faisant, elle lève les deux mains, surdimensionnées et aux doigts rayonnants, comme on l’a déjà vu à plusieurs reprises. A côté d’elle, trois hommes dont deux ithyphalliques placés de part et d’autre ont les mains et les doigts représentés de façon identiques. Certes la cupule symbolise ici 637

On pourrait également citer un autre glyphe moins connu de ce genre : celui de Sotetorp qui montre de même deux femmes, l’une à côté de l’autre, dans la même position. Cf. dans la revue “Adoranten”, année 1985, dans l’article : “Rapport fra Museets Arbejdsmark”, résumé par Gerhard Milstreu, p. 19, fig. T 335, 326.

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le sexe féminin et plus précisément le vagin, celui de la Deité présidant au cycle vital. Mais par sa forme circulaire presque parfaite, elle évoque aussi l’astre diurne et nocturne, épiphanie de la Deité en question. Par ailleurs, la silhouette des doigts surdimensionnés et écartés rappelle fortement le rayonnement des deux corps célestes, hormis la fonction apotropaïque de ce signe. En Ostrogothnie, il existe une autre représentation de ce type qui illustre sans ambiguïté le rapport entre l’acte de sauter les jambes écartées et les deux luminaires. On peut voir ce glyphe sur le site 31638 localisé sur le territoire du domaine de Skälv, non loin de Fiskeby-Ekenberg et Himmelstadlund tous voisins de la ville de Norrköping. Il est totalement isolé sur un pan de rocher où ne se trouve sinon qu’une figure vaguement ovale qui est située juste endessous de la gravure en question et dont la signification échappe totalement. La femme a le corps très schématisé dont on ne pourrait déterminer le sexe si le graveur n’avait pas indiqué clairement un contour triangulaire entre les deux jambes. Elle saute les membres inférieurs écartés dans la position de l’enfantement au-dessous d’une spirale constituée en fait de cercles concentriques. Le départ de celle-ci est environné de trois cupules disposées en triangle et situées juste en-dessous des organes génitaux de la femme. Deux autres nettement plus petites et irrégulières sont gravées dans le prolongement du pied droit. Les bras sont levés dans la posture désormais bien connue de l’orant. De chaque côté, est inscrite une cupule entre le bras et la tête. Ici la présence d’une spirale conduit à penser que cette scène est à mettre en rapport avec le domaine sélénique. On sait que la lune est censée jouer un rôle considérable dans le cycle menstruel féminin que symbolise justement aussi le motif de la spirale. En même temps, on se trouve ici dans le culte de la fertilité-fécondité. Et c’est précisément ce genre de scène qui illustre bien l’interdépendance très étroite des domaines héliaques, séléniques et de ce culte. Jusqu’à présent, on a examiné des scènes de ce genre où ce sont des femmes qui étaient principalement impliquées. Il serait néanmoins erroné de croire que ce rituel n’était pratiqué que par les femmes : en effet, on possède au moins quatre gravures rupestres qui démontrent que celui-ci concernait aussi des hommes. L’un est localisé au sommet du tableau 306 panneau II de Gisslegärde, paroisse de Bottna auquel il a déjà été fait allusion auparavant. Il représente un homme les jambes arquées le sexe bien marqué. Mais ici, et contrairement aux cas précédents, les bras sont baissés. A Store Dal mellom I, paroisse de Skjeberg au Østfold639, il existe le même glyphe mais l’homme a les membres supérieurs levés. De même dans le tableau 91 a, panneau IV de Stora Vrem, paroisse de Kville : ici les parties génitales (phallus) sont 638 639

Cf. Arthur Nordén, op. cit., p. 90, fig. 150 et p. 180, fig. 46. Cf. Sverre Marstrander, op. cit., p. 201, fig. 48 – 5.

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encore davantage marqués que sur les autres glyphes de cette catégorie. C’est également le cas à Torsbo640. A la lumière de ce type de gravures rupestres, on peut avancer l’existence d’un tel rite, sans doute encore bien plus ancien641, pratiqué par les femmes et les hommes et qui démontre une nouvelle fois le rapport très fort entre les deux astres et le domaine de la fertilité-fécondité. Les bras levés exprimeraient le lever du soleil ou la phase croissante de la lune. Le contraire représenterait le coucher de l’astre ou le decours du luminaire nocturne642. D’autres pétroglyphes montrent des personnages en train d’exécuter des gestes qui ressemblent fort à une danse rituelle. Il faut citer en premier la composition gravée sur un bloc de pierre découvert vers 1873 à Engelstrup Amt de Ods en Seeland643. Il fut probablement gravé à l’aide d’un outil en métal644. De par la forme de la proue du bateau, le répertoire des motifs (cupules, cheval), cette composition doit dater ou de l’extrême fin de la troisième période ou du tout début de la quatrième période (entre 1200 et 800 av. J.-C.). En haut à gauche du tableau, figure un homme la main droite posée sur la hanche, la main gauche pointée vers le bas à l’endroit même où se trouve la tête chevaline qui orne la proue du plus grand des deux bateaux. A l’extrême droite, est gravé un quadrupède dont on peut estimer qu’il s’agit d’un cheval. Il se déplace vers la gauche en direction de deux cupules. Par le style, il s’avère encore proche de ceux de Sagaholm, ce qui confirme la datation. Le centre de la composition est occupé par un bateau dont la proue et la poupe comprennent une double figure : la première (proue) est ornée d’une tête d’oiseau aquatique (cygne ?), l’autre d’une tête de cheval. La poupe comprend comme tout ornement une figure serpentine. Les traits qui représentent l’équipage sont rectilignes. Au centre de dressent deux perches au bout desquelles sont fixées deux disques, celui de gauche étant plus petit que l’autre. Devant cette embarcation qui se déplace de droite à gauche semble marcher un homme dans la même direction. La position courbée du bras droit, celui de gauche étant embryonnaire, semble indiquer qu’il porte ou tire le bateau. Juste au-dessous du bateau, on voit deux personnages (l’un masculin à gauche, l’autre féminin, cheveux longs, à droite), qui cantonnent de part 640

Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 207, tableau 172, planche II. Peut-être remonte-t-il au Mésolithique, voire au Paléolithique (?). 642 Fait remarquable, le personnage aux bras baissés du tableau 360 a planche II est le seul et unique à adopter cette attitude. Cela incite à se demander s’il n’y a pas ici un sens magique négatif. On sait en effet qu’à la fin de l’âge du fer, la phase décroissante de la lune portait malheur. 643 Il mesure 0,58 m de haut, 0,58 m de large et 0,42 m d’épaisseur. Mis à part un morceau légèrement ébréché à gauche, ce pétroglyphe est intact. Cf. P.V. Glob : « Helleristninger i Danmark », Jysk arkeologisk Selskab Skrifter, volume VII, København, Gyldendalske Boghandel / Nordisk Forlag, 1969, p. 218, voir aussi p. 17 et p. 19, fig. 10 a. b. 644 Ibidem, p. 218.

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et d’autre un cercle profondément taillé dans la pierre. L’homme se tient la tête tournée vers la droite en direction du cercle. La main droite est levée vers la figure circulaire tandis que la senestre est baissée. A droite, est gravée la femme que l’on reconnaît aussi à la cupule placée sous ses jambes écartées. Elle lève le bras gauche dans un geste assez semblable à celui de son vis-à-vis masculin. Les pieds sont tous deux tournés vers l’intérieur du demicercle formé par les jambes. La tête est orientée vers le cercle. Le bras droit touche un deuxième bateau plus petit : il comporte une proue à double courbure, tandis qu’un seul coude figure la poupe. Entre la courbure du bas, au niveau de la poupe, et celle, unique, de la proue, il y a un vide, ce qui indique peut-être un état inachevé. Deux remarques s’imposent à propos de ce tableau : Tout d’abord, en ce qui concerne le geste de l’homme placé devant le plus grand des deux bateaux : tout paraît indiquer qu’il porte un modèle réduit. Il en va de même de la femme en bas à droite. Mais surtout les deux personnages du bas exécutent visiblement une danse rituelle devant le Soleil lui-même. Compte tenu de sa proximité par rapport aux deux danseurs, on pourrait penser qu’il s’agit soit du Soleil levant, soit de l’astre au coucher. La femme à droite se tient dans une position semblable à celle d’Ostrogothnie : elle écarte les jambes au-dessus d’une cupule. On doit noter ici, comme précédemment, la forme des membres inférieurs en demi-cercle, ainsi que les pieds tous deux tournés vers la cupule. Ces gestes sont probablement à rattacher à l’astre lumineux dont les traits sont particulièrement bien soulignés : en effet, l’arc de cercle décrit par les jambes pourrait représenter le levant ou le ponant. Bien évidemment, cet écartement des organes génitaux est à mettre aussi en rapport avec la fertilité-fécondité. On doit aussi s’interroger sur ce que font ici les deux maquettes de bateaux toutes deux orientées de droite à gauche, c’est-à-dire dans le sens est-ouest, celui de la course diurne. Car ce n’est pas à eux que s’adresse la danse exécutée par les deux personnages d’en bas. Certes, celui du haut emporte à son bord deux disques, l’un étant plus grand que l’autre, (peut-être le Soleil et la Lune ?) tout deux juchés sur des perches. Mais l’homme et la femme sont visiblement tournés vers l’astre lui-même et non vers quelque reproduction de celui-ci dressée sur un bateau. Dès lors, on peut se demander s’il ne s’agit pas, ici aussi, d’une scène qui représente le Soleil matinal venant de s’affranchir de la barque dans laquelle il a auparavant traversé l’océan des ténèbres. Il s’agirait ainsi d’un rituel qui aurait consisté à figurer en plein air par une danse mimée, le retour du Soleil après sa course nocturne ou hivernale. En 245

quelque sorte, on aurait ici le même sujet qu’à Fiskeby-Ekenberg, mais exprimé d’une toute autre façon. Cette danse rituelle consacrée à l’astre lumineux et à son effet bienfaisant sur la fécondité peut prendre encore d’autres formes, même si le contexte reste très étroitement lié au bateau et à son symbolisme. Au moins trois gravures rupestres, toutes localisées au Bohuslän, visualisent à peu près la même scène, si bien que l’on peut légitimement parler d’un même motif. 1. Prenons tout d’abord le tableau 113, deuxième panneau, situé à Råstock, paroisse de Kville : vers la droite de la composition orientée nord / nord-est, on peut voir un groupe de trois embarcations : sur celle qui se trouve le plus à gauche, un danseur est juché sur la figure de proue (tête d’animal) dans la position décrite jusqu’ici : les jambes écartées dessinent un cercle presque parfait, les bras sont levés avec les coudes apparents. La tête est à moitié interrompue par une fissure dans la roche. Le bateau se dirige de gauche à droite ou d’ouest en est. L’un des deux autres bâtiments est vraisemblablement un modèle réduit porté par un homme qui se déplace vers la gauche (ouest) en soulevant également un cheval (?). Le train avant de l’équidé se trouve déjà dans l’embarcation. Une autre monture se trouve aussi à bord : elle est tournée vers le porteur : de droite à gauche ou d’est en ouest. A quelque distance, sous ce modèle réduit, un autre bateau va d’ouest en est. A son bord, un acrobate exécute un saut périlleux dans le sens gauche / droite (ouest / est). Au bout du navire, à hauteur de la proue, un homme de grande taille armé d’un arc pointe la flèche vers la gauche (ouest). Il marche également dans ce sens, tout comme le porteur de la maquette au dessus. 2. Sur le deuxième et le troisième panneaux du tableau 169 à Södra Ödsmål, paroisse de Kville, le pan de rocher orienté nord / nord-est se trouve divisé en deux par une fissure. A droite, s’amoncellent des embarcations de toute taille645 et de diverses époques, la majorité datant de la période I ou II. En tout, deux personnages placés aux deux extrémités du tableau considéré. Ils sont beaucoup plus tardifs, reconnaissables à leurs épées et ne devraient pas remonter au-delà de la période III. A gauche de la faille, on peut voir trois scènes qui sont datables des périodes IV ou V. De gauche à droite, un groupe de trois personnes, dont un orant resté inachevé, facilement reconnaissable à la position des bras et aux doigts écartés. Un peu plus en contrebas, à droite, un bateau assez schématisé. Sur celui-ci, se tient tout d’abord à gauche un personnage aux proportions supérieures aux autres humains qui figurent sur tout ce tableau. Son attitude est tout à fait comparable aux cas précédents (Rished, Sotetorp, Skälv, Engelstrup) : bras levés avec coudes apparents, une des deux mains aux doigts rayonnants. Cependant une différence notable apparaît ici : le bras gauche est plié de façon à former un 645

A tel point même, qu’elles sont, pour sept d’entre elles, reliées entre elles par des prolongements de leur poupe ou de leur proue.

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cercle, la main étant placée derrière la tête. Les membres inférieurs sont écartés et décrivent un cercle presque complet, et non un arc tel qu’à Engelstrup, Skälv ou Sotetorp. La jambe droite est en appui sur un autre cercle nettement plus réduit. Aucune partie génitale n’est figurée. A droite de cette figure, un petit personnage très schématisé, dont on peut néanmoins constater l’ithyphallisme. Enfin, une troisième silhouette, de taille intermédiaire entre le premier et le deuxième homme, paraît avoir les membres inférieurs qui passent à travers le pont du bateau646. D’après la position des pieds, il se dirige avec le bateau vers la droite, autrement dit vers le levant. Ce qu’il faut retenir de cette scène, ce sont les deux différences notées, à savoir la position du bras droit en forme de disque et le petit cercle sur lequel repose le pied droit. Enfin une troisième spécificité de ce glyphe mérite encore l’attention : la présence d’une cupule au milieu de la tête du personnage en question. 3. Dans le tableau 118, cinquième panneau de Håltane, paroisse de Kville, orienté nord / nord-est, on rencontre encore une fois le motif du membre inférieur posé sur un disque. Immédiatement derrière le char, dont il a été question précédemment647, vogue un bateau vers la gauche, c’est-à-dire l’ouest. A son bord, un danseur se tient au niveau de la poupe. Il exécute une figure : les jambes arquées forment un cercle. Il se penche vers la gauche en direction du couchant. Ce faisant, il positionne les bras autour de la tête également inclinée vers le couchant, mais tournée vers le levant. Les pieds reposent chacun sur un plus petit cercle. Une flottille entoure le bâtiment, sur lequel se trouve le danseur. Elle se dirige, semble-t-il648, aussi vers l’occident. Deux quadrupèdes (chevaux) avancent dans l’autre direction. Il est à remarquer que le navire du danseur, situé immédiatement derrière le char, est relié par une ligne à un araire tiré par un quadrupède ithyphallique se dirigeant vers l’ouest. Le navire qui vogue derrière celui du danseur se déplace, selon toute apparence, vers la droite c’est-à-dire l’est. Il est en contrebas mais la figure de poupe touche pratiquement l’éperon de son devancier. Au-dessus de ce dernier, un oiseau vole vers l’est. La proue est ornée d’une grande roue à rayon cruciforme. Malgré quelques différences dans l’attitude ou le positionnement des membres supérieurs, ces trois scènes montrent le même rituel qui consiste à danser sur un bateau face au soleil levant en exécutant des figures en forme de cercles. C’est finalement là, un cérémonial tout à fait comparable à celui d’Engelstrup, même si, dans ce dernier cas, les acteurs se trouvent à terre. Et lorsque l’on se souvient que l’un des trois personnages de la scène de Fiskeby-Ekenberg en Ostrogothnie 646

Pour la signification de cet acte étrange, voir infra. Cf. supra. 648 Il n’est, en effet, pas toujours aisé de déterminer le sens de la marche d’une nef, du fait que la proue et la poupe s’avèrent souvent semblables, c’est le cas ici du bateau qui possède un éperon orné d’une rouelle à rayons cruciformes. 647

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est lui aussi juché sur la poupe d’un navire et exécute un geste des bras qui ressemble à ceux de Råstock, Södra Ödsmål et Håltane, on peut légitimement penser que, malgré quelques variations, ce rituel était assez semblable à travers toutes les régions de Scandinavie méridionale et centrale. En outre, on doit encore souligner la présence du bateau dans tous les cas examinés ; celui-ci est très étroitement associé à ce rite, la plupart du temps aussi, sous forme de modèle réduit, ce qui confirme que l’on affaire ici à un rituel et non à une scène mythique. Toutefois, la taille des personnages qui exécutent cette danse est, dans la plupart des scènes qui se déroulent sur un bateau, très supérieure à celle des autres personnages, notamment à Södra Ödsmål. Ceci apparaît encore davantage sur deux glyphes du Bohuslän reproduits dans l’ouvrage de Peter Gelling649 : ils montrent une sorte de géant qui exécute la danse en question sur la proue d’un bateau. En comparaison, les membres de l’équipage paraissent minuscules. Mais surtout ces personnages gigantesques semblent se confondre totalement avec la proue, ce qui était déjà le cas précédemment, sauf peut-être à Råstock. Toutes ces restrictions autorisent à se demander si, au moins dans certains cas, ces personnages n’étaient pas en fait des effigies qui renvoyaient à des figures mythiques. C’est la question que l’on devra également se poser à propos de cortèges, tels que ceux de Ekenberg ou de Vitlycke où l’on voit aussi de telles silhouettes qui avançent en tête d’une procession où les fidèles sont de taille nettement inférieure. En dépit de cela, on possède aussi des exemples où ce type de danse rituelle est exécuté par des humains sur de véritables embarcations : c’est ce que l’on peut constater dans une composition d’Østfold650 située à Bakkenhaugen, paroisse d’Ingedal. Sur le pont d’un long bateau (période V), dont la figure de proue à gauche est une tête de cheval et celle de droite un animal cornu (élan ?), deux personnages exécutent un pas de danse en levant les bras, un peu à la manière des Ecossais dans la danse du sabre. Ils sont tous deux ithyphalliques et se font face. Le danseur de droite a les doigts écartés en rayons. Derrière lui, paraissant planer au-dessus du pont, deux disques, l’un plus grand que l’autre. Entre les deux hommes, plus près de celui de gauche, on voit un croissant avec un cercle plus petit en son centre651. Tout à fait à l’autre bout du navire, à hauteur de la poupe, un troisième personnage ithyphallique adopte la position de l’orant : il est tourné vers les deux autres et aussi vers un disque monté sur support, celui-ci se trouve placé à quelque distance devant lui. On retrouve ainsi les mêmes composantes que dans les scènes étudiées jusqu’à présent : danse consacrée aux luminaires sur, ou à proximité d’une embarcation. Mais ici, aucun personnage gigantesque : il 649

Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 55, figure 24 a et b. Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 54, figure 23. 651 S’agirait-il de la pleine lune ? 650

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s’agit d’humains qui pratiquent un rite en l’honneur des deux astres, d’ailleurs tous deux présents. Sans oublier que l’on a, dans ce cas, affaire à deux hommes face à face et semblables : ainsi le thème de la gémellité est ici au moins aussi important que les autres. Dans l’iconographie rupestre scandinave, on trouve bel et bien un motif récurrent dont le sujet paraît dépasser le cadre cultuel pour atteindre une dimension mythique : un homme, aux proportions surhumaines, passe à travers le pont d’un bateau. On dispose d’un certain nombre d’exemples qui représentent cette scène. Commençons par le plus étrange glyphe de cette catégorie, celui de Torsbo, paroisse de Kville652. Une silhouette tournée vers l’est (direction des pieds !) dans l’attitude de l’orant, les doigts écartés, se caractérise par un tronc très large d’où dépassent à gauche deux traits transversaux qui ressemblent assez à des rayons solaires. Sous l’épée de type hallstattien, un bateau traverse le bassin du personnage. De l’autre côté à droite, le pénis en érection est pointé vers les parties génitales d’une silhouette très schématisée et nettement plus petite que celle de l’homme653. Elle est reliée au tronc du géant. Il est probable que l’on ait affaire à une scène d’union. Tout autour de cette figure singulière, vogue une flotte de bateaux dont beaucoup présentent les formes caractéristiques de la période II, d’autres datent de la période V (type Solbjerg). Manifestement ce rocher a été gravé pendant plusieurs siècles. Cependant d’après la forme de la bouterolle, le personnage en question est datable de la période V (900 – 700 av. J.-C.). Trois éléments sont à retenir ici : l’attitude de l’orant, les doigts écartés tournés vers le levant le bateau placé en travers du bassin l’union des deux sexes Toujours à Torsbo (le tableau est orienté nord / nord-est)654, on peut voir un géant dont le tronc est également traversé par un bateau qui vogue de gauche à droite, d’ouest en est (course nocturne ou hivernale). Il est relié à un autre qui se déplace dans la même direction. Le géant marche dans ce sens, tout comme les autres personnages de ce tableau655. Il lève le bras gauche et écarte les doigts. Il est dépourvu de bras gauche.

652

Cf. Åke Fredsjö, op. cit., p. 206, tableau 172, planche I. Celle-ci rappelle beaucoup une autre silhouette dans une scène analogue : comme ici, la femme y est dépourvue de bras et de jambe mais le contour du corps est bien visible. 654 Cf. Åke Fredsjö, op. cit., pp. 232 et 233, tableau 180, planches I et II. 655 Leurs pieds sont tournés, sans exception, vers l’est.

653

249

Le personnage qui figure sur la partie ouest de la fresque de Valeby, paroisse de Bottna656 (orientée nord / nord-est) est totalement dépourvu de membres supérieurs. Comme celui de Torsbo, il marche vers l’est. Ici ce sont les jambes qui passent à travers le bateau voguant vers l’orient. Il est relié à un grand navire dont la quille possède trois fois trois supports. Deux d’entre eux touchent les figures de proue et de poupe de l’embarcation traversée par le personnage en question. A bord du grand bateau, deux silhouettes lèvent leur épée vers l’est qui s’avère être aussi le sens de la marche du bâtiment. Plus loin en-dessous de cette composition657, une autre gravée en retrait retient encore davantage l’attention. A travers le pont et la quille d’un très long bateau qui navigue vers l’est, passent deux jambes tournés, elles aussi, vers le levant. Le pied gauche manque658. Le tronc est seulement suggéré et toute la partie supérieure du corps (tête et bras) est absente. Un peu au-dessus vers la droite (l’est) plane une roue à rayons cruciformes. Sur le bateau, au centre, se tient un personnage au profil d’oiseaux qui regarde vers l’ouest. Les bras sont tournés vers le bas. A l’extrémité ouest du navire, un homme ithyphallique au postérieur fortement souligné marche vers l’est en direction de l’autre personnage qui porte un masque d’oiseau. Sous la quille du bâtiment, l’artiste a gravé une scène que l’on qualifierait à première vue de zoophilie ; mais le guerrier tourne le dos à l’animal et prend la direction de l’ouest, son pénis est pointé dans ce sens. A Kyrkestigen, dans la paroisse de Svenneby659, le bateau est placé en travers du tronc dépourvu de bras gauche. Celui de droite est levé. Le personnage se dirige vers l’ouest. La poupe du navire présente des contours « baroques », un coude se détache de l’éperon et pend vers le bas. Le pénis du géant est pointé vers la quille du bateau. L’attitude est légèrement penchée vers la gauche, les genoux sont fléchis : on a l’impression qu’il marche contre le vent. Au même lieu660, est visible un autre tableau qui représente un géant dont les pieds passent à travers la quille d’une embarcation. Malheureusement, la partie supérieure du glyphe a été effacé par les intempéries. Sur une falaise située non loin de là661 la partie supérieure a été volontairement effacée, mais on peut encore distinguer assez nettement une forme circulaire à l’emplacement du tronc, ce qui permet d’en conclure à la présence d’un disque à cet endroit. Le géant est dépourvu de membres supérieurs. Les pieds ont été eux aussi effacés mais d’après la direction prise par 656

Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 45, tableau 317, planche I. Ibidem, p. 46, tableau 317, planche II. 658 D’une manière générale, l’ensemble de cette silhouette donne l’impression d’être isolée. 659 Åke Fredsjö : Svenneby socken, op. cit., p. 21, tableau 238. 660 Cf. Åke Fredsjö : Svenneby socken, op. cit., p. 40, tableau 241, planche V. 661 Ibidem p. 42, tableau 242. 657

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les autres personnages on doit en conclure qu’il marche vers l’est. Le bateau (période IV, type de Vimose) vogue, lui aussi, en direction du levant, et suit ainsi la course nocturne ou hivernale de l’astre. A son bord, on voit deux lures qui forment presqu’un cercle et, à côté, une figure en forme de croissant monté sur un support. Sous le navire, on reconnaît un traîneau. En contrebas à droite, on voit deux jambes tournées vers la droite (est) surmontées d’un disque. La partie supérieure du corps (tête) de ce deuxième géant a malheureusement disparu sous l’action des intempéries mais il n’est pas certain que cette deuxième composition n’ait été jamais achevée. Néanmoins, il est probable que celle-ci ait constitué le pendant symétrique de l’autre. D’après la forme du corps de ce deuxième personnage le bateau devait se situer au niveau du cou. Au-dessus d’une longue bande effacée, on distingue deux ou trois figures inachevées662. A côté du deuxième géant, un personnage de taille « normale » a les pieds dirigés vers l’est. Mais la partie centrale du corps (tronc…) n’a pas été terminée. A l’extrême droite du tableau, en bas, se tient un homme ithyphallique. Il n’a pas de membres supérieurs et est armé d’une épée. Tourné vers l’ouest, il fait face au reste de la scène. Ce troisième tableau de Kyakestigen apporte la preuve qu’il existe un lien intrinsèque entre le motif du géant qui passe à travers la quille d’une nef et les deux astres : le tronc du personnage épouse la forme d’un disque tandis que sur le navire se trouve un symbole sélénique patent : le croissant lunaire. Alors que sur les autres fresques, ce rapport était sous-entendu, il est ici pleinement exprimé. Le thème qui vient d’être étudié ici constitue l’une des pièces maîtresses en faveur du caractère mythique de certaines fresques rupestres. Ce qui ne veut pas dire que le culte ait été absent ici. On peut considérer comme probable que l’épisode mythique mis en scène dans ces compositions ait été joué lors de fêtes ou de processions. Il se serait agi de véritables mystères comme ceux qui avaient lieu, vers la même époque, à Eleusis en Grèce. Il importera à l’issue de cette étude de l’iconographie scandinave de déterminer la nature exacte de ce mythe et d’en tenter la reconstitution. Au cours de cette étude iconographique, on a eu très fréquemment l’occasion de constater la présence de paires jumelées, que ce soit à propos de personnages, d’animaux ou d’objets. Le chiffre deux et la gémellité ont, de toute évidence, joué un grand rôle dans le culte et les croyances nordiques, particulièrement à l’âge du bronze récent. Aussi parmi les nombreux tableaux pariétaux sur ce sujet, seuls rentreront en ligne de compte ceux qui 662

Pour l’une d’entre elles, située au sommet de la partie historiée de la falaise, on distingue vaguement le thème du géant passant à travers un bateau, gravé de manière très schématique.

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ont un rapport direct avec les deux luminaires, leur course, et qui s’inscrivent dans un contexte mythique663. A Evje, paroisse de Tune en Norvège, Østfold664 près de la frontière avec le Bohuslän sur le rocher dont il vient d’être question, plus haut, on peut également admirer un très beau glyphe qui représente les deux jumeaux sur une nef dont la poupe et la proue ont la forme de volutes. Le premier, à gauche, paraît être assis, il lève les bras dans l’attitude de l’orant. Son pendant, ithyphallique, se tient debout, non loin de la proue. Les jambes sont écartées comme s’il esquissait un pas de danse. Les bras sont dans la même position que chez l’autre personnage. Il a la tête tournée vers la gauche, donc vers son jumeau. Entre les deux, des traits indiquent la présence d’un équipage. Le bateau se dirige vers la droite (est). A Begby, paroisse de Borge en Østfold, non loin du Bohuslän665 (Cf. Fig.38), les deux personnages sont pratiquement identiques : ils se tiennent debout les jambes écartées les bras à l’horizontale. Peut-être sont-ils en train d’exécuter une danse semblable à celle représentée sur le tableau d’Engelstrup, ou ceux de Store Dal, Stora Vrem ou Torsbo666. Entre eux deux, est gravée une cupule. A droite, près de la poupe du navire, se tient un quadrupède, dont il est bien difficile de déterminer l’espèce. Cependant les deux cornes gravées sur la tête permettent de penser qu’il s’agit d’un bovin ou d’un cervidé. Il regarde vers la poupe, en d’autres termes il tourne le dos aux jumeaux. Cette étrange position de l’animal rappelle celle des scènes de zoophilie sur les dalles de Sagaholm. Mais rien sur le pétroglyphes de Begby permet de préciser davantage. Trois autres gravures rupestres de cette catégorie méritent d’être encore mentionnées : L’une est visible à Finntorp, paroisse de Tanum elle représente deux personnages dans une petite embarcation : tous deux sont assis les bras levés, tels des orants667. Sous le bateau ont été gravées quatre cupules. Toute autre la position des deux jumeaux sur le glyphe du Bohuslän reproduit dans l’ouvrage de Peter Gelling668 : ils sont assis, tournés vers la droite, l’est, dans la direction prise par l’embarcation. Tous deux tiennent un objet allongé qui pourrait être un bouclier : c’est, à vrai dire, davantage la manière de tenir l’objet qui permet d’en déterminer la nature. Peut-être tour663

On évitera notamment tous ceux qui figurent des guerriers jumeaux armés de haches et de lances car il est probable que ce genre de glyphes soit davantage d’ordre cultuel que mythique. 664 Voir supra à propos des géants sans bras, cf. Peter Gelling, op. cit., p. 125, fig. 56 b. 665 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 125, fig. 56 e. 666 Cf. supra. 667 Cf. Oscar Almgren, op. cit., p. 22, fig. 19 a. 668 P. 125, fig. 56 c : il rappelle beaucoup par cette position, les figures du rasoir de Vestrup près de Ålborg au Jutland : voir infra.

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nent-ils leur bouclier en direction du soleil levant vers lequel vogue leur petite embarcation. En tout cas, leur attitude est à rapprocher de celle des personnages gravés à l’extrémité droite du tableau de Fossum669 et dont on peut penser qu’il s’agit aussi de jumeaux. Le dernier exemple provient également du Bohuslän670 cette gravure rupestre montre deux personnages, apparemment sans membres supérieurs, qui se font face, debout sur un petit bateau. L’un, celui de gauche est légèrement plus petit que l’autre. Parmi les jumeaux représentés sans armes ceux qui figurent ailleurs que sur des bateaux sont plutôt rares. On ne donnera qu’un seul exemple qui s’avère riche en contenu symbolique : cette gravure rupestre671 montre l’un des deux jumeaux ithyphalliques debout, écartant les doigts et levant les bras dans la position de l’orant. D’après le sens dans lequel sont tournés les pieds, il marche vers la droite, c’est-à-dire l’est. L’autre est représenté la tête en bas, la main gauche aux doigts écartés et très gros ; celle de droite tient un objet rectangulaire difficilement identifiable. Les pieds sont tournés vers la gauche c’est-à-dire l’ouest. Cette position à l’envers rappelle celle des deux bateaux gravés ainsi sur le rocher de Flyhov en Vestrogothnie. Ce rapprochement permet d’avancer l’hypothèse que le jumeau ayant la tête en bas représente le voyage nocturne ou hivernal de l’astre. De toute manière, que ce soit le pétroglyphe du Bohuslän, reproduit dans l’ouvrage de Peter Gelling ou celui que montre le Norvégien Just Bing, ils possèdent très probablement une connotation mythique, comme d’ailleurs la plupart des glyphes qui représentent des personnages se tenant seuls sur une embarcation et dépourvus d’armes. Dans les autres cas (personnages armés ou en train de danser), il est vraisemblable que l’on ait affaire à des scènes plutôt rituelles que mythiques. Parmi les personnages gigantesques ou d’apparence « surnaturelle », il faut en mettre à part un certain nombre chez lesquels les traits héliaques ou séléniques s’avèrent encore davantage accentués. C’est notamment le cas d’une figure de l’Østfold, au sud d’Oslo en Norvège où le tronc et la tête sont matérialisés par des disques à rayons cruciformes672. De même un autre glyphe à Busgård, paroisse de Skjeberg, également au Østfold673, où l’on voit un personnage aux proportions gigantesques entre 669

Voir supra. Ibidem, fig. 56 d, p. 125. 671 Cf. Peter Gelling, ibidem, fig. 56 f. 672 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 28, fig 10 i. 673 Cf. “Adoranten”, 1986, p. 21, illustrations. D’après la forme des deux bateaux et des deux haches, cette composition devrait en fait dater de la période II, donc de l’âge du bronze ancien. Cependant la représentation d’un être divin et le traitement du corps plaide en faveur 670

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deux navires de la période II (âge du bronze ancien). Il est tourné vers la droite et lève les bras, mais la tête circulaire est disproportionnée par rapport au reste du corps. L’ensemble de cette figure semble comme auréolée de lumière. A la gauche de cette composition on peut voir, à quelque distance, deux haches superposées, dont le style rappelle aussi la période II. Peut-être le personnage en question est-il un ajout postérieur ? A Hede, paroisse de Kville, se dresse un personnage gigantesque presqu’à l’extrémité occidentale d’un tableau orienté nord / nord-ouest674 : il se tient à l’ouest et lève les bras dans la position de l’orant, les doigts sont écartés et très grossis. Il est tourné vers l’est, la tête est parfaitement ronde et présente ainsi l’aspect d’un disque. Elle est environnée de trois cupules dont deux placées de part et d’autre du cou. Le corps est compartimenté : un rectangle occupe le centre du tronc et, au niveau du bassin, on a gravé un trait épais qui figure la partie entre les jambes. Assez loin devant lui, d’autres personnages de grande taille, au milieu de disques à cercles concentriques dans lesquels s’inscrivent de nombreuses cupules ; immédiatement à proximité du géant, un voltigeur au-dessus d’un bateau. Une partie importante de celui-ci a été effacée par les intempéries. En fait, et malgré l’analogie du geste, les deux personnages que l’on vient d’examiner sont différents : celui de Hede paraît moins humain que celui de Busgård. Et pourtant, ce dernier, en dépit de toutes les réserves que l’on peut émettre, fait l’effet d’un être surnaturel, à cause de son apparence auréolée. S’agirait-il dans les deux cas d’une personnification de l’astre diurne en quelque sorte divinisé ? Tant leur positionnement face à la gauche c’est-à-dire l’est, que leur tête et leurs proportions incitent à le croire. En tant qu’entité divine, il pourrait avoir été représenté sous forme d’idole. C’est ce que suggère une gravure pariétale qui se trouve sur un pan du rocher de Bottna675, orienté nord / nord-est. Au sommet se trouvent deux bateaux, dont l’un seulement ébauché. La gravure rupestre en question représente un personnage ithyphallique très schématisé et dépourvu de bras. Il est tourné vers l’est, la tête est un disque avec deux cercles concentriques ; le corps, comme précédemment, est rectangulaire, les jambes réduites à leur plus simple expression mais on voit tout de même des ébauches de pieds tournés vers la droite. Juste au-dessus de cette figure, somme toute très étrange, on peut voir un bateau resté inachevé. A ses pieds un autre bâtiment également incomplet, sous ce dernier on aperçoit, vers la droite, un orant d’un ajout ultérieur de ce glyphe, dont la partie supérieure (la tête) paraît bien « moderne ». Ce pourrait être même une œuvre très tardive d’un visiteur irrespectueux. Il faudrait soumettre cette gravure rupestre à une analyse beaucoup plus fine (méthode du frottage) pour confirmer ou infirmer ce qui n’est pour l’instant qu’une supputation. 674 Cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 94, tableau 81, planche II. 675 Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken i Kville härad, op. cit., p. 148, tableau 384.

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rendu par un trait et deux bras en V. Cette dernière figure ressemble ainsi beaucoup aux orants placés autour d’un disque solaire à Aspeberget, à Fossum, à Vitlycke676 ou sur la corne de Wismar. A droite de cet orant, on peut voir le châssis d’un char à quatre roues, sans attelage. Sur l’un des rochers de Backa, l’apparence d’idole s’avère peut-être encore plus forte : un disque remplace la tête, et, en guise de pieds, des sortes de béquilles manifestement destinées à être plantées dans la terre. La schématisation est donc très poussée. Malgré cela, le personnage ithyphallique est pourvu de bras tournés vers le bas, les doigts écartés. De plus, une épée dépasse de la jambe gauche. Cette silhouette devait être, tels les disques héliaques et séléniques, montée sur des supports. Ici, les doigts écartés qui symbolisent vraisemblablement les rayons sont pointés vers le sol : peut-être afin de rendre tangible leur pénétration de la glèbe ; à moins que ce geste symbolise le coucher de l’astre ou son retour dans les entrailles de la terre au début de l’hiver. Ces exemples trahissent tous un lien particulièrement étroit avec le soleil et la lune. Leur examen a apporté quelques éléments qui permettront peutêtre de donner ultérieurement un début de réponse aux deux questions posées à la fin de la partie précédente (l’âge du bronze ancien) : Existait-il une divinité solaire et lunaire dans le panthéon nordique de l’âge du bronze et quelle place y occupaitelle ? Ou bien les deux luminaires n’étaient-ils que les théophanies de puissances divines ? Aucune réponse décisive n’avait alors pu être apportée à ces deux questions. Grâce aux renseignements fournis par les exemples qui viennent d’être analysés, on pourra tenter, par la suite, d’avancer un peu plus dans la connaissance des croyances scandinaves d’alors qui tournaient autour du soleil et de la lune. C Les glyphes sur bronze Cette étude sur l’iconographie de l’âge du bronze récent serait bien incomplète si l’on omettait de traiter des glyphes gravés, à partir de la période IV, sur les lames de rasoirs677, les pincettes et les gourmettes déposées dans les sépultures à incinération. Mais il peut paraître quelque peu artificiel de vouloir séparer les deux domaines, surtout lorsqu’il est question des mêmes thèmes. La raison qui a poussé à les distinguer tient essentiellement à trois facteurs : 676

Cf. Oscar Almgren, op. cit., p. 131, fig. 91. En fait cette catégorie de l’iconographie débute vers l’extrême fin de la période II. La corne de Wismar en constitue un témoignage précoce.

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Le contexte dans lequel ont été créés les glyphes sur rasoir est tout autre que pour les œuvres rupestres. Le même contexte est responsable du deuxième critère de distinction, à savoir la différence dans le traitement d’un même sujet. Le support métallique permet une plus grande liberté artistique, une plus grande souplesse que la pierre. Celle-ci oblige à la simplification678. Elle laisse toujours l’observateur « sur sa faim » parce que la schématisation imposée lui fait dire moins que ce qu’elle signifie. En termes linguistiques, on dirait que le signifiant ne révèle qu’une faible partie du signifié. Ce deuxième facteur est à l’origine du troisième des traits distinctifs : le choix d’autres motifs inconnus ou presque dans l’iconographie rupestre. Par ailleurs, ces motifs gravés sur le bronze s’avèrent beaucoup plus « stables » dans leurs composantes et leurs formes, beaucoup plus réguliers que ceux de l’art rupestre. Ainsi la remarque faite à propos des pétroglyphes et du langage s’applique encore davantage aux gravures sur métal. Cela ne vaut pas seulement pour les rasoirs, les pincettes mais aussi pour les situlles et autres récipients en bronze. Ce sont, et de loin, les rasoirs qui jouissent le plus de la faveur des artistes bronziers scandinaves. Les raisons de cette préférence n’ont pas seulement un rapport, prosaïque, avec la surface importante offerte par les lames. Elles sont probablement aussi d’ordre religieux, rituel. Mais avant de rechercher quelles ont pu être ces motivations, il importe d’examiner les thèmes iconographiques eux-mêmes. Comme pour les gravures rupestres, c’est le bateau qui s’avère le motif le plus répandu dans l’iconographie sur bronze. Presque chaque rasoir possède comme sujet principal un navire qui occupe généralement toute la surface disponible, non seulement sur une face mais le plus souvent sur les deux côtés. C’est alors une seule et même nef qui s’étend d’une face à l’autre. L’archéologue danois Flemming Kaul679 emploie le terme de « folded ship = embarcation pliée » pour désigner ce type de glyphe. Dans bien des cas, ce sont deux, voire trois ou quatre navires qui sont visibles sur une même lame. Lorsqu’il y a deux navires, ils figurent parfois tête-bêche comme sur le rasoir

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Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 117. Cf. son ouvrage : « Ships on Bronzes. A Study in Bronze Age. Religion and Iconogra- phy », Copenhagen, Publications from the National Museum Studies in Archaeology and History, vol. 3 / 2, 1998, tome 1.

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de Lykkesholm680, paroisse d’Ellested, Amt de Svendborg en Fionie. Une variante de ce genre de glyphe se présente comme une frise de méandres : à une première nef à l’endroit succède sur la même ligne une deuxième à l’envers et ainsi de suite681. Les deux types symbolisent vraisemblablement le voyage de la barque solaire, dans sa phase descendante (bateau du bas) à l’entrée de l’hiver ou de la nuit lorsqu’il vogue sur l’océan des ténèbres ou au sein de la terre et dans sa phase ascendante à la sortie de l’hiver quand il commence à émerger de l’obscurité. Un autre motif consiste à figurer deux bateaux de taille différente : l’un plus petit comme emboîté dans le second, de taille plus conséquente. Même si cette sorte de glyphe sur bronze est nettement moins représentée que les précédentes, elle n’est point rare. On se contentera ici de citer un exemple : celui d’un rasoir trouvé dans le tertre de Sakshøj, paroisse d’Egebjerg682 (Cf. Fig. 39). Dans ce tumulus, ce sont en réalité trois bateaux683 qui figurent sur la lame du rasoir : le plus grand épouse les contours de la lame de sorte que l’on pourrait croire à première vue qu’il s’agit d’un thème décoratif. Les deux autres, nettement plus visibles, sont environnés d’un grand nombre (quatorze au total) de petits disques à cercles concentriques. Le symbolisme de ce genre de glyphe est probablement voisin du précédent, mais il insiste peut-être davantage sur l’alternance, la succession infinie des voyages solaires. Dans bien des cas, ce sont les contours du rasoir lui-même qui évoquent ceux d’un bateau. Flemming Kaul va jusqu’à estimer que ce sont tous les rasoirs qui peuvent être considérés comme des nefs684. Un exemple s’avère à ce titre particulièrement convaincant : celui de Hals Bakker, paroisse de Hundborg685 où le manche de l’instrument en col de ce cygne est en fait la poupe d’un bateau dont les contours épousent le rebord supérieur de la lame ; tandis qu’un autre est modelé sur la tranche inférieure

680

Cf. Catalogue, op. cit., p. 70, n° cat 168 (N° d’inventaire du Nationalmuseet, NM B 9877). On verra plus loin que ce motif est le seul qui figure sur les plaques des gourmettes. 681 Flemming Kaul, Catalogue = tome 2, op. cit., p. 36, n° 78 (N° d’inventaire du Nationalmuseet, NM B5365) trouvé à Magleby Nørrekjær, Amt de Sorø en Seeland (Cf Planche 95, Fig. 170). 682 Cf. Flemming Kaul, catalogue, op. cit., p. 29, n°60 (n° d’inventaire du Nationalmuseet, NM B 7027). 683 A Visby, paroisse de Visby, amt de Thisted au Jutland, on a ainsi quatre bateaux emboîtés les uns dans les autres. Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 78, n° 188, il se trouve au Museet for Thy og Vester Han Herred (Thisted) sous le numéro d’inventaire THY 3440 B. A Solbjerg, paroisse de Solbjerg, Amt d’Alborg, Jutland, ce sont cinq bateaux qui figurent sur une lame. Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 87, n° 211 (Inventaire Nationalmuseet : NM 6 10127), (Cf Planche 96, Fig. 172). 684 Cf. Flemming Kaul, partie texte, pp. 134 à 141. 685 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., pp. 79 et 80, n° 191 (Inventaire Nationalmuseet : NM B13372).

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et vient aboutir sur le pont du premier qui est aussi dans la position verticale686. Sauf assez rares exceptions, les bateaux gravés sur le bronze prennent toujours la même direction : la droite, en d’autres termes celle du soleil levant. Cela revient à dire qu’il s’agit de la course nocturne ou hivernale du soleil. Même le navire qui figure sur le rasoir trouvé dans le tertre de Vrønninghøj, paroisse de Tamdrups, amt de Skanderborg au centre-nord du Jutland se dirige bien vers la droite. C’est ce qu’indique le sens des traits sur le pont qui représentent les rameurs = ils sont penchés vers la dextre. Chose étrange, le bateau tout entier est recouvert de petits traits qui font l’effet de poils. Ceci pourrait être une manière de figurer le givre qui enveloppe la nef. Derrière le bateau plane un cercle entouré lui aussi de traits qui indiquent que le corps céleste se déplace en tournoyant. Peut-être a-t-on voulu représenter ici, le moment où le Soleil quitte la nef hivernale encore recouverte de givre. Il s’agit là d’un sujet encore jamais rencontré jusqu’à présent et qui montre combien l’étude des gravures sur bronze s’avère importante (Cf Planche 11). Le lien entre le bateau et les deux astres est peut-être encore davantage manifeste que sur les pétroglyphes. D’un point de vue purement visuel, cette relation est établie par la présence de cercles munis d’un point en leur centre ou d’un halo autour de l’orbe. Ils planent au-dessus ou en-dessous du glyphe en question. Dans ce cas, il s’agit bel et bien du Soleil et de la Lune, alors que pour les pétroglyphes, ce sont souvent des cupules qui environnent les bateaux. Or, l’on sait que les cupules ont un symbolisme qui dépasse largement le seul domaine héliaque ou sélénique687. Presque chaque rasoir possède un ou plusieurs bateaux entourés de cercles. Aussi se contentera-t-on ici de ne citer que les exemples les plus symptomatiques : A Thy, amt de Thisted au Nord du Jutland688 six demi-cercles avec cinq lignes concentriques qui se trouvent à bord d’un bateau ; la quille épouse le pourtour inférieur de ce qu’il reste de la lame, celleci n’existant plus qu’à l’état de fragment. A Sattrup, paroisse d’Østbirk, amt de Skanderborg au Jutland689 un bateau qui ne figure que sur le dos de la lame (il ne s’agit donc pas du type « plié » habituel) est précédé d’un cercle qui plane à proximité de la partie avant du navire. Derrière la proue, on voit une sorte de trisquelle.Une autre interprétation possible de cette figure serait une 686

A Boller, paroisse de Tårs, Amt de Hjørring (Jutland), un seul bateau s’étend sur presque tout le pourtour de la lame. Cf. Catalogue, Flemming Kaul, p. 73, n° 173, la proue étant en bas et la poupe en haut (Inventaire Nationalmuseet NM 22199). 687 Et c’est précisément ce fait qui rend leur interprétation si ardue. 688 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 77, n°182 = NM B 1704. 689 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 113, n°280 = NM 13083.

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double volute à laquelle on aurait ajouté au centre de la spirale du bas, un cercle. Flemming Kaul690 propose une troisième lecture de ce motif : il s’agirait du cheval solaire (rendu par une double volute) qui tire le soleil691. Dans ce cas, on serait en présence d’un thème voisin de celui que l’on voit sur le rasoir de Vrønninghøj : l’instant où le soleil (le cercle à gauche devant la proue692) quitte la nef hivernale tiré par un cheval pour prendre sa course estivale ou diurne. On retrouve le motif des deux cercles au voisinage d’une nef à Honum dans la paroisse d’Hvirring, amt de Skanderborg au Jutland693 : deux disques entourés d’un halo planent l’un à gauche, l’autre à droite au-dessus du pont. Au centre de ce dernier se dresse une figure déjà rencontrée sur les pétroglyphes : il s’agit d’une sorte de champignon. Celui-ci symbolise probablement un arbre, mais il peut tout aussi bien représenter une hache. Tout autour du bateau ont été gravés des cercles miniatures avec un point central. Devant l’extrémité gauche du bateau ont été disposés verticalement des cercles, huit au total, le dernier ayant la forme du « S » : peut-être s’agit-il d’un serpent. Symétriquement, un animal est placé dans la même position devant la pointe droite du navire. Son corps épouse lui aussi les contours de la lettre « S ». Ce dernier motif, on vient de le voir, peut avoir deux significations : soit il symbolise le soleil ascendant et descendant, hivernal et printanier, soit il s’agit d’une schématisation extrême du cheval solaire. Dans un cas comme dans l’autre, la nature héliaque de ce signe est fermement établie. L’une des variantes de ce symbole s’avère être la trisquelle. En fait, il s’agit d’une double spirale à laquelle on a ajouté une volute simple de taille réduite. On vient de souligner le rapport soleil / lune-bateau, mais il faut aussi mettre en évidence celui qui unit le navire au serpent dans les compositions sur bronze. Un exemple particulièrement signifiant suffira à illustrer ce fait : l’exemplaire inventorié au Musée National de Copenhague sous le numéro B 3977694 provenant de la région de Roskilde. Un bateau vogue vers la droite. Le protomé droit représente une tête de cheval, celui de gauche n’est autre que le manche du rasoir qui a la forme d’un col de cygne. L’extrémité de l’éperon devant la poupe est reliée à un serpent qui donne l’impression sinon de tirer du moins de précéder la nef. Le lien qui unit le navire et le serpent est ici évident : outre la similitude des formes (bien des fois, la proue ou la poupe des navires scandinaves de cette époque évoquent fortement la tête et la queue d’un serpent) il y a l’élément aquatique, le mode de déplacement (glissement) et 690

Ibidem, p. 113. C’est, en effet, une des façons de schématiser le corps de l’équidé. Mais la volute peut être aussi, comme on l’a vu précédemment, un symbole qui exprime la descente du soleil (ou la disparition de la lune) et son retour, autrement dit, l’éternel recommencement. 692 Ainsi figuré, il représenterait son arrivée de l’ouest après sa course diurne ou estivale. 693 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 111, n° 275 = NM 14748. 694 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 20, n° 30.

691

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aussi le fait que le serpent (animal chtonien par excellence) soit en rapport avec le monde souterrain, celui de la mort et des ténèbres que traverse le bateau solaire chaque nuit, de même durant l’obscurité hivernale. Quant à la nef sélénique, cela dure trois jours tous les mois. Par là-même, le serpent et le navire sont en rapport avec le monde des trépassés. Mais ils le sont aussi avec la fertilité-fécondité, car la traversée des ténèbres s’avère être la promesse du renouveau quotidien (lever du soleil) hebdomadaire (retour de la lune) ou saisonnier (retour du printemps). Ainsi tous ces motifs sont liés et interdépendants, ce qui correspond bien au caractère synthétique des croyances d’alors. Un des sujets abondamment illustrés par les glyphes sur bronze est le cheval solaire. Le plus célèbre est celui de Vester Lem, paroisse de Fly, amt de Viborg au Jutland695. Il se trouve sur une lame de rasoir dont il ne reste qu’un fragment. Nonobstant cet état lacunaire on peut avancer que le manche de l’instrument se trouvait à l’extrémité gauche, aujourd’hui tronquée. En effet la partie droite forme un angle droit encore à peu près intact. Les deux principales figures sont un bateau et un cheval qui tire le Soleil. La quille du navire s’étend le long de la partie supérieure de la lame. Son extrémité droite subsiste. La coque est munie d’une double rangée de hachures superposées : celles du haut sont disposées vers la droite ; celles du bas vers la gauche. La tête de la figure de protomé représente probablement un cheval, reconnaissable à sa crinière. A l’envers a été gravé un cheval qui tire le soleil. On distingue parfaitement sa crinière. Le corps du quadrupède est constitué de trois lignes parallèles. Il a quatre pattes. Derrière la crinière on peut discerner une ligne courbée, suivie de trois parallèles qui représentent probablement le harnais et les rênes. Assez loin derrière la queue de l’animal, on distingue un cercle696 entouré d’un halo. Il est tiré par le quadrupède en direction de la droite. Enfin entre l’équidé et le cercle s’ouvre un trou autour duquel ont été gravés des traits verticaux qui représentent le rayonnement de l’astre. Il y a tout lieu de penser que le cheval tracte les deux corps célestes à la fois, en direction de l’est. La position antithétique du bateau et du cheval, illustre bien leur complémentarité, leur gémellité en quelque sorte. En dernière analyse, celle-ci reflète l’opposition (seulement apparente) entre le jour et la nuit, le printemps et l’hiver, l’obscurité et la lumière.

695

Cf. Catalogue, Flemming Kaul, op. cit., p. 91, n° 221, n° inventaire Nationalmuseet, B 10891 a. 696 Cf. Flemming Kaul (Catalogue, op. cit., p. 91), dit qu’il existe « peut-être » une deuxième figure circulaire. Après examen de tous les clichés à notre disposition, nous n’avons pu distinguer cet autre disque.

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Beaucoup moins connu, mais très réussi d’un point de vue esthétique, le glyphe du rasoir trouvé à Neder Hvolris697, paroisse de Hersom, Amt de Viborg au Jutland (période V) (Cf. Fig. 40). Du point de vue du contenu, il s’avère au moins aussi important que le précédent. Un bateau dont la quille occupe le rebord de la lame s’étend sur les deux côtés du rasoir. Les deux figures de poupe et de proue se trouvent sur la même face opposée l’une à l’autre. Celle de droite représente la tête d’un cheval698 dont on reconnaît bien la crinière, l’œil et, sous la bouche, une sorte de triangle dont la fonction est non seulement décorative mais aussi sonore. La figure de gauche est strictement identique. L’avant du bateau est prolongé par une sorte d’éperon courbe qui se termine par un cercle aux lignes concentriques entourées d’un halo. Entre les deux figures, se trouve un cheval remarquablement bien dessiné. Il a le corps et le cou décorés de traits verticaux. La queue est bien visible. La tête présente les mêmes contours que les figures de poupe et de proue. A son cou aboutissent deux lignes qui mènent à un disque composé de deux cercles concentriques et environnés d’un halo. Aussi bien le bateau que le cheval se dirigent vers la droite. Peut-être que le cheval vient juste de relever le bateau dans sa charge de « convoyeur » de l’astre diurne699. Ce glyphe illustre particulièrement bien la complémentarité déjà constatée dans le cas précédent. Celle-ci est même encore davantage soulignée à Neder Hvolris qu’à Vester Lem du fait déjà de la similarité des têtes, tant pour la figure de proue (ou de poupe) que par le cheval lui-même. Un autre glyphe dont on ignore malheureusement l’origine700 présente à peu près le même sujet, mais avec toutefois une différence notable : le cheval dont la tête possède les mêmes contours que la figure de protomé, est relié à deux astres placés l’un au-dessus de l’autre : celui du haut est fixé au sommet de l’éperon qui prolonge la proue et celui du bas touche presque ce même éperon. Ainsi, l’équidé tracte deux luminaires… Ceux-ci constituent peut-être une façon de rendre deux positions différentes du Soleil701 : le positionnement au sommet de l’éperon indique que le cheval vient chercher l’astre qui se trouve encore à bord de la nef solaire (traversée hivernale ou nocturne) ; l’autre, le moment exact où le luminaire quitte le bateau emmené 697

Cf. Catalogue, p. 99, numéro 243. Elle présente les mêmes caractéristiques que celle des chevaux de Fårdal dont il a été question plus haut. 699 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, p. 100, op. cit. Il existe un autre glyphe (Flemming Kaul, Catalogue N° 363, p. 148, NM B 5627, qui représente un cheval venant de la gauche. Au centre, une figure en forme de champignon. Mais une partie de la lame a été brisée, précisément celle derrière le cheval, si bien qu’il est pratiquement impossible d’interpréter de manière sûre ce glyphe (Cf Planche 98, Fig. 180). 700 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 156, n° 381. Il se trouve au Musée de Horsens, sous le numéro d’inventaire HOM 19 X F9. 701 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, p. 156.

698

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par le cheval, c’est-à-dire au commencement de la belle saison ou du jour. Si tel était le cas, ce qui est très vraisemblable, le glyphe représenterait les deux phases cruciales de la course solaire, un peu à la manière d’une bandedessinée. Mais cette façon de représenter ce moment essentiel dans l’alternance des saisons n’est pas la seule : il en existe une autre dont on possède au moins un témoignage : Il se trouve sur un rasoir provenant de Vandling, dans la paroisse de Sønder-Starup, amt de Haderslev au sud du Jutland (Slesvig danois)702. Sur un bateau qui se dirige vers la droite se dresse au centre du pont une figure en forme de champignon703. A gauche de ce motif plane un astre tandis qu’à droite un cheval pose les deux pattes de devant sur le pont de l’embarcation, et que celles de derrière sont encore en l’air. Très vraisemblablement ceci représente le moment où le cheval atterrit sur le pont du navire avant d’emmener l’astre vers l’est. Une troisième variante de ce thème est représentée sur un rasoir trouvé dans la région de Skive, Amt de Viborg (Jutland). Sur la lame a été gravé un bateau dont le protomé gauche s’avère être le manche de l’ustensile. Le navire vogue vers la dextre, l’extrémité droite de celui-ci est reliée à deux vopar l’intermédiaire de trois lignes. Au bout des spirales, lutes doubles en on peut voir deux demi-cercles. Les trois lignes parallèles aboutissent de l’autre côté à un cercle entouré d’un halo. Devant cette composition planent deux disques rayonnants. Les deux volutes qui se terminent par des demicercles représentent vraisemblablement deux chevaux704. Ceux-ci viennent chercher le soleil qui se trouvait jusqu’à présent sur le bateau705. Quant aux deux autres figures circulaires devant le bateau, elles décriraient la course des astres après leur apogée : en effet elles sont situées plus bas que le disque fixé au bout des trois lignes. Ainsi les Nordiques de l’âge du bronze récent croyaient aussi que le Soleil pouvait être tracté par deux chevaux. C’est ce que croiront encore leurs descendants de l’époque Viking où ne paraît avoir survécu que cette croyance, l’autre étant probablement tombée en désuétude. Peut-être cette dernière était-elle plus ancienne et remontait au Néolithique. Toujours est-il que l’image du Soleil tirés par deux chevaux était bien établie dans l’iconographie sur bronze de la période ici considérée. Un exemple suffira à 702

Ibidem, pp. 137 / 138, n° 339 (n° inventaire Nationalmuseet B 1341). D’après Flemming Kaul, op. cit., p. 138, ainsi que p. 193 du volume I, fig. 126, il ne s’agit pas d’une hache cultuelle mais de la conjugaison des deux figures de poupe et de proue du navire. La similitude entre les deux figures est en effet totale : Dans ce cas, les deux volutes de la figure en champignons ne seraient autres que deux chevaux stylisés à l’extrême, comme cela se produit à la poupe et à la proue. On verra plus loin que le thème des deux chevaux conjugués se rencontre encore d’autre façon dans l’iconographie sur bronze. 704 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 92. 705 Ibidem. 703

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confirmer ce qu’a révélé le glyphe de la région de Skive. Ce glyphe provient de l’extrême nord de la Basse-Saxe, de Harsefeld-Griemshorst, canton de Stade706. Il reprend à peu près les mêmes motifs que le rasoir de Viborg. Le manche a disparu mais le glyphe qui représente le bateau est intact. Deux équidés l’un en face de l’autre sont représentés à l’envers, la tête en bas comme précédemment. Les pattes arrière prennent appui sur les deux figures de poupe et de proue. Mais l’artiste a disposé les deux chevaux de façon à créer l’illusion que les deux volutes qui représentent les cols de cygnes soient leurs pattes arrière. On voit ici combien le motif du bateau solaire est intimement lié à celui du cheval. Cette imbrication des deux thèmes correspondait très vraisemblablement à des croyances religieuses dont on retrouve la trace dans des kenningar de l’époque Viking, tels que « cheval de mer » qui désignait le navire. L’oiseau apparaît plus rarement que le cheval et les cervidés dans l’iconographie nordique. Il est essentiellement mis en rapport avec l’arbre de vie. On doit aussi rappeler les masques ornithomorphes portés par certains personnages des pétroglyphes dont la fonction sacerdotale (prêtre-chamanes sur les compositions de Kallsängen, paroisse de Bottna ne paraît guère faire de doute. Il faut cependant souligner l’existence dès le Mésolithique de sculptures en ronde-bosse qui représentent des volatiles. Ce motif n’est donc nullement absent de l’iconographie scandinave avant la période dont il est ici question. On observe plutôt un glissement, un déplacement : à présent l’oiseau se pose autant sur des navires que sur des arbres : ainsi existe-t-il au Bohuslän un pétroglyphe qui représente une nef dont les seuls occupants sont des oiseaux707. Mais surtout on rencontre à présent des bateaux aux protomés ornithomorphes étroitement associés au Soleil et à la Lune : ils figurent estampillés sur la panse des situles en bronze produites dans les régions danubiennes ou les pays qui relèvent de la Civilisation d’Hallstatt, notamment l’Italie du nord708. Le volatile qui semblerait avoir été alors choi706

Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 118, fig. 53 e. Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 54, fig. 24 c. 708 Les populations de celles-ci devaient vénérer par-dessus tout le Soleil (Divinité Suprême), du moins à en croire les trouvailles archéologiques. L’exemple le plus édifiant à cet égard est la maquette en terre cuite d’un chariot tiré par des cygnes découverte à Dupljaja en Serbie : sur le véhicule sont gravés des symboles solaires, et le personnage juché entre les deux roues pourrait représenter le Soleil anthropomorphisé (?) : cf. Peter Gelling, op. cit., pp. 119 et 120, fig. 54, p. 120. En tout cas, cela rappelle la mythologie grecque selon laquelle Apollon se rend, chaque année, sur un char tiré par des cygnes au pays des Hyperboréens afin d’y passer l’hiver. Cet artéfact date de la période mycénienne tardive : cf. l’ouvrage édité par Andrea Bärnreuther, « Sonne Brennpunkt der Kulturen der Welt », une publication de Staatliche Museen zu Berlin – et Der Deutsche Bank Stiftung, Edition Farnung Minerva, München, 2009. L’article du Pr. François Bertemes “ Die Sonne und ihre Bedeutung im religiösmythologischen Kontext der Urgeschichte Alteuropas ”, p. 115. Celui-ci ne considère pas le 707

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si pour ce type de fonction devait être le cygne. On retrouve le lointain souvenir de cela dans un épisode de la légende de Lohengrin. Celui-ci rapporte que le héros se rend chez sa bien-aimée dans une nef tirée par des cygnes. Cependant le cheval demeure souvent associé à cet oiseau, si l’on en croit certaines gravures sur des rasoirs en bronze trouvés en Scandinavie : ainsi celle de Karpalund au Blekinge709 (sud-est de la Suède) représente un navire dont la proue est ornée d’un cygne et d’un cheval. Ceci montre clairement que, dans les conceptions religieuses du bronze tardif, les deux animaux devraient être également liés au Soleil. La preuve archéologique de cette égalité est encore fournie par la forme des manches de rasoirs : ce peut-être aussi bien une tête de cygne délicatement dessinée au bout d’un long cou en spirale710 qui ressemble à celui d’un serpent ou bien à celui d’un cheval. Jusqu’à présent, la gémellité et la dualité n’ont cessé d’être sous jacentes à presque tous les thèmes ou motifs de l’iconographie sur bronze comme sur pierre : on l’a vu à propos des deux bateaux (l’un à l’endroit, l’autre à l’envers) et des deux chevaux, au sujet du bateau et du cheval, du serpent et du cheval. Il existe toutefois quelques glyphes où ce sujet est exprimé de manière mythique, sans aucune équivoque possible. En tout, deux glyphes : l’un originaire du Jutland, l’autre de provenance inconnue. Le premier, qui date de la période V, a été gravé sur la lame d’un rasoir découvert à Voel, paroisse de Tvilum, amt de Randers (Jutland)711 Un bateau occupe presque toute la surface de la lame. La proue et la poupe se terminent en une tête d’équidé extrêmement stylisée, ressemblant, à vrai dire, davantage à une volute. Cette dernière est d’un volume plus important à l’arrière qu’à l’avant. Le navire vogue vers la droite. De la poupe à la proue s’échelonnent cinquante cinq traits obliques (ils sont penchés vers la droite dans le sens de la marche). Chacun d’entre eux se termine par un point : il s’agit des membres de l’équipage et les ronds minuscules au bout des traits indiquent la tête de chacun d’entre eux. Parmi ces derniers, sont assis deux hommes, de taille gigantesque par rapport aux membres de l’équipage. Ils lèvent les bras à la manière des orants. La tête est radiée d’un halo. Comparées aux membres de l’équipage, les deux silhouettes s’avèrent très faiblement gravées dans le bronze. On ne fait que les discerner. Peut-être a-t-on tenté de les effacer, vraisemblapersonnage se tenant sur le char en argile de Dupljaja comme étant le Soleil divinisé. Mais par contre, c’est cette déïté qui est gravée sur la caisse du char. 709 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 118, fig. 53 c. 710 Celle-ci est caractéristique de la quatrième période du bronze (entre 1200 et 900 av. JC.). 711 Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 110, n° 273, (n° inventaire du Nationalmuseet NM 26109). Il n’est peut-être pas inutile de noter que le toponyme Tvilum provient probablement d’une ancienne forme tvilhem, la demeure des jumeaux.

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blement en martelant la surface où ils sont gravés712. Il est probable que ce glyphe représente des personnages divins, ce qui explique probablement leur taille gigantesque. Leur lien particulièrement étroit avec les deux luminaires est souligné par leur tête parfaitement ronde et radiée. Le second exemplaire de ce genre de glyphe est de provenance inconnue713. Ici, ce sont deux nefs qui sont gravées sur la lame. L’une occupe une faible surface le long du rebord qui court jusqu’au manche ; celui-ci figure la proue, en forme de spirale, comme pour la plupart des rasoirs de la période V. La deuxième embarcation, une barque, occupe toute la surface triangulaire disponible, comprise entre le rebord à angle droit et le manche. Elle vogue vers la droite. Cette barque, telle un grand bateau, comporte une poupe et une proue à volute en forme de « S » représentant une tête d’animal stylisée. A extrémité de l’éperon, devant la proue, on aperçoit un cercle, vraisemblablement l’effigie de l’astre lumineux. Sur ce même navire sont assis deux personnages pratiquement identiques714 en train de ramer715. Ils ont le pied droit plié sous la jambe, cependant que l’autre est allongée de manière très élégante. La tête, parfaitement circulaire, du personnage de droite, plus petit, a plutôt une forme arquée chez le plus grand. L’un comme l’autre ont le chef radié d’un halo. Là encore, il est fort probable que l’on ait affaire à des personnages divins. Leur lien avec les deux corps célestes est ici davantage individualisé, en ce sens que le personnage de gauche possède une tête parfaitement ronde, qu’il est de taille moindre que celui de droite. Il pourrait s’agir du personnage qui incarne la pleine Lune, tandis que son alter ego personnifie le Soleil à son lever ou à son coucher. Ces deux glyphes constituent indubitablement un témoignage iconographique en faveur de l’existence des divins jumeaux dans les croyances nordiques de l’époque étudiée ; ou bien sont-ils la représentation des deux luminaires personnifiés ? En l’état actuel des connaissances, il apparaît comme très difficile de donner une réponse nette à cette question. Les arguments en faveur des divins jumeaux pourraient s’appuyer sur les rares témoignages

712

Ibidem, p. 111. Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 149, n° 366 (n° inventaire du Nationalmuseet NM B 17610). 714 Celui de droite est légèrement plus grand que l’autre. 715 Les avirons sont bien visibles derrière les deux personnages. 713

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écrits gréco-romains de la période suivante716. Mais ceux-ci ne sont pas corroborés de manière convaincante par l’archéologie. Quant aux témoignages en faveur de l’autre proposition, à savoir la personnification des deux luminaires, les preuves qu’elles soient écrites ou archéologiques font totalement défaut. Dans ces conditions, il s’avère raisonnable de laisser cette question ouverte pour l’instant. Les glyphes en question démontrent malgré tout que les gravures sur bronze peuvent avoir un rapport encore plus étroit avec les mythes cosmologiques que les pétroglyphes dont la raison d’être s’avère surtout cultuelle et rituelle. On ne connaît jusqu’à présent que deux gravures sur bronze qui représentent des personnages seuls et dont on peut déduire avec quelque probabilité la nature divine. L’un figure sur une lame de rasoir trouvée dans la région de 717 Brême . Il date de la période V. Sur la plus grande surface, comprise entre l’angle droit et le triangle au bout duquel se trouve le manche, on peut admirer une composition de très belle facture. Elle reprend le thème du dernier rasoir examiné. On voit d’abord un bateau dont les deux figures de proue et de poupe représentent la tête très stylisée d’un cheval718. La bouche a la forme d’une spirale. L’ensemble du navire est « enveloppé » de traits. Sur cette embarcation qui vogue vers la droite est assis un personnage gigantesque. De la main droite, il tient une rame qui présente les contours d’un violon. La main gauche est tendue en arrière. La tête parfaitement ronde est radiée. Une impression de détachement souverain se dégage de cette silhouette : Devant la proue du bateau, un poisson nage vers la gauche, donc à l’opposé de la nef, tandis qu’une deuxième embarcation, nettement plus petite que la première, et dont la quille s’étend le long du rebord représente peut-être un navire des humains. L’autre composition provient de Vestrup Mark, paroisse de Vognsild, Amt de Ålborg, au Jutland. C’est sans doute la plus célèbre de l’iconographie nordique sur bronze datant de cette époque. Sur un bateau dont les figures de proue et de poupe représentent des têtes de chevaux du type de Fårdal, sont assis deux hommes casqués (on voit bien les cornes caractéristiques). Ils sont pratiquement identiques et brandissent chacun une hache. Leur regard est tourné vers la gauche (l’ouest) qui s’avère être la di716

Notamment celui de Timée de Tauroménie qui écrit au IIIe siècle av. J.C. que les Celtes (en fait des Germains) qui habitent sur le littoral de la Mer du Nord honorent tout particulièrement les Dioscures. 717 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 124, fig. 55 a. 718 Les contours rappellent assez ceux de Fårdal.

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rection prise par le bateau719. Derrière celui-ci, également tournée vers la gauche, se tient une femme, reconnaissable à ses longs cheveux. Elle tient un fil qui aboutit à un serpent se trouvant derrière elle. L’interprétation classique720 voit dans cette partie du tableau une femme qui tient « en laisse » un serpent. Flemming Kaul estime que le fil aboutit à une sorte de bol dans lequel boit le reptile721. Au-dessus de cette scène, est gravé un cheval qui, la tête en bas, regarde vers la gauche. Il tire un disque à cercle concentrique qui semble planer dans l’angle compris entre le manche du rasoir et la partie imagée de la lame. L’attelage paraît se diriger vers la gauche mais, si on dépliait l’ensemble de ce tableau, il se déplacerait vers la droite, le levant. Le fait que le cheval soit à l’envers n’est dû, à première vue, qu’à l’espace restreint dont disposait l’artiste, on peut donc raisonnablement penser que l’équidé tire le soleil vers la droite, c’est-à-dire l’est. Cette composition, très complexe, s’avère très difficile à interpréter. En effet, elle paraît se dérouler à deux niveaux, l’un cultuel ou rituel représenté par les deux hommes casqués qui brandissent une hache et que l’on a déjà si souvent rencontrés, tant dans la statuaire (Grevensvænge) que dans l’art rupestre. L’autre, mythique, serait représenté par la femme, le serpent et le cheval solaire. Même si l’on refuse cette division, force est d’admettre que les trois ensembles de ce tableau n’ont guère de rapport entre eux. Les deux hommes sur leur bateau sont tournés vers la gauche sans prêter attention à la femme qui se tient derrière leur embarcation. Elle-même ne paraît pas davantage avoir un lien avec les deux personnages même si elle marche dans la même direction qu’eux. Le seul lien apparent s’avère être celui qui existe entre le serpent et la femme ; et même si l’on admet la thèse de Flemming Kaul à propos du récipient, le serpent est, au moins indirectement, relié à elle. La troisième unité de cette composition, le cheval tirant le soleil, semble totalement isolé du reste de la scène, ne serait-ce déjà que par le fait d’être à l’envers, quand bien même ceci résulte d’un prosaïque manque de place. Voilà ce que l’on peut conclure d’une lecture « à première vue » de ce glyphe. Si, à présent, on essaie de jeter un autre regard sur cet ensemble, on peut déjà se demander pourquoi les deux hommes casqués tiennent leur hache non pas levée, ainsi qu’on l’a vu jusqu’à présent, mais comme une rame. En effet, si l’on compare cette scène à celles considérées précédemment, on se rend compte que l’attitude est, sinon semblable, du moins analogue. A cela, on doit toutefois 719

Ce toponyme Vestrup Mark siginifie littéralement : champ / terrain / limite du hameau de l’ouest (= trup de la même origine que l’adverbe français « trop » issue du francique et dont les subsantifs « troupe », « troupeau » sont également dérivés). Est-ce là un lointain écho de ce qui vient d’être dit ? 720 Cf. entre autre, Ernest Sprockhoff : “Sonnenwagen und Hakenkreuz im Nordischen Kreis” dans la revue : “Germania”, 1936, 20, Berlin. 721 Il rapproche ceci du pétroglyphe de Varlös / Bohuslän qui montre deux serpents en train de boire à une sorte de fontaine : cf. Flemming Kaul, op. cit., tome I, texte, p. 237.

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opposer le fait que, les objets représentés ici, ressemblent nettement plus à des haches qu’à des pagaies. Certes, mais la manière de les tenir vers le bas est en contradiction avec tout ce que l’on connaît de l’iconographie scandinave d’alors. Un autre fait vient encore renforcer cette remarque : les deux personnages en question sont assis exactement comme des rameurs722. Ils n’ont pas la posture en tailleur des statuettes de Grevensvænge ou celle debout des hommes qui semblent bénir de leur hache ce qui les entoure. Si l’on admet que ces haches sont en fait utilisées comme des pagaies, cela veut dire que les deux personnages représentés ici ne sont pas des officiants en train d’accomplir un rite mais bel et bien des êtres divins723 tels qu’on vient de les étudier il y a peu. Et cela revient à dire que cette scène relève, elle aussi, du domaine mythique, au même titre que les précédentes. Quant à la femme, sa nature réelle s’avère beaucoup plus difficile à déterminer. Son lien, au propre et au figuré, avec les serpents peut être considéré comme établi. Or, on connaît au moins depuis le Néolithique, le rapport particulier qui lie la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort avec le serpent et le monde souterrain, tellurique. La taille plus élevée de ce personnage par rapport aux deux hommes plaide aussi en faveur de sa nature divine. Enfin, le cheval qui tire un cercle ne pose guère de problème pour ce qui est de son interprétation. Mais le fait qu’il soit représenté ainsi n’est peut-être pas seulement dû à un manque de place. Si l’on regarde à l’endroit cette partie de la composition, on se rend compte qu’il se trouve au dessus d’une ligne qui n’est autre que la quille d’un bateau. Celle-ci aboutit au manche du rasoir qui présente la forme d’un cygne et correspond exactement à la figure de poupe d’une nef de cette période (période V). Celle-ci vogue vers la gauche. Que fait alors le cheval, tourné dans le sens opposé, donc vers la droite ? Première remarque avant d’essayer de répondre à cette question : le lien qui part du cou de l’animal n’aboutit pas au disque solaire : il s’interrompt avant. Autrement dit, le cheval ne touche plus l’astre : il s’apprête à quitter le navire en prenant la direction opposée. Il vient de « déposer » le luminaire sur la nef qui part vers l’ouest, vers le couchant. Mais, si l’on observe exactement la position du cheval, on peut tout aussi bien dire qu’il fait partie du bateau et représente la figure de proue. On doit néanmoins opposer un argument majeur à l’encontre de cette hypothèse : le train avant de l’équidé montre assez distinctement qu’il s’apprête à faire un bond hors du bateau, sans le disque qu’il a tiré auparavant. Si l’on considère à présent l’ensemble de ce tableau, remarquable à tous égards, on peut en conclure à trois sphères distinctes mais relevant toutes du domaine mythique : en haut, le cheval qui vient de déposer le Soleil sur le pont de la nef héliaque ; en bas les deux personnages di722 723

On voit nettement les jambes allongées et le séant. Voir supra.

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vins qui constituent la transition entre la sphère céleste (le Soleil, la Lune et le cheval) et la sphère tellurique que représente la Puissance Divine. Inutile de dire que ce glyphe revêtira une importance capitale lorsque, une fois encore, on essaiera plus loin de situer les deux astres par rapport aux puissances divines célestes et telluriques. Les deux bateaux tête-bêche constituent l’unique sujet gravé sur la plaque ovale des gourmettes déposées dans les tombes féminines, les marais ou tourbières. Au-dessus de chacun des deux bateaux opposés tête-bêche pla(« S » horizontal) comme à Trørød, paroisse de nent soit une figure en Søllerød, amt de Copenhague724, soit des disques miniatures avec un point en leur centre. Deux d’entre eux sont généralement placés devant la proue et la poupe, comme c’est le cas à Kirke Sonnerup, amt de Copenhague725. Ce motif figure peut-être les deux phases de la traversée de l’océan des ténèbres que les Nordiques de l’époque se représentaient probablement comme une masse ténébreuse entourant la terre. Cette dernière était conçue comme une surface plane. La traversée de cette étendue devait être imaginée comme un parcours circulaire. Ainsi, le bateau à l’endroit était peut-être censé représenter le moment où il pénétrait dans la ténèbre (entrée de l’hiver ou tombée de la nuit) ; l’autre à l’envers figurait l’instant où il se trouvait dans les profondeurs telluriques avant de ressortir, à la belle saison ou à l’aurore. Une autre explication, au moins aussi plausible, serait que le bateau était censé, au même titre que le cheval, traverser les cieux durant le jour ou la belle saison, avec les deux astres, à son bord. Auquel cas, le bateau du haut à l’endroit symboliserait la traversée diurne ou estivale dans les cieux, cependant que le bateau du bas à l’envers figurerait le voyage hivernal ou nocturne au sein de la terre ou de l’océan des ténèbres. On peut par ailleurs se demander si les deux plaques ovales de part et d’autre des volutes ne symbolisent pas elles-mêmes des embarcations. Dans ce cas, les contours ovales représenteraient le véhicule à plat, à la manière des bateaux-tombes ; par contre les deux volutes figureraient la poupe de face, au même titre que les deux navires gravés l’un au-dessus de l’autre. Un argument en faveur de cette hypothèse est fourni par l’exemplaire numéro 1295 de l’inventaire Montelius726 qui provient de Fageråkra, paroisse de Veddinge, härad de Viske au Halland727. Sur ce beau bijou, le rebord des deux plaques est orné sur toute sa surface de deux bateaux placés, l’un au724

Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., p. 17, n°s 24 et 25 (numéros inventaire Nationalmuseet NM B 15367 et B 15368). 725 Ibidem, p. 21 et 22, n° 37 (NMB 238), illustration p. 22. 726 Numéro de l’inventaire du Musée Historique de Stockholm : 4228. Cf. “Halland Fornminne Föreningens Årsskrift”, 1870, p. 18, planche 5. 727 Cf. Oscar Montelius, « Vår Forntid », Stockholm, Nordsted och söner, 1917, p. 56 n° 1295 et texte p. 85 n° 1295.

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dessus de l’autre, donc comme sur le glyphe au centre de chaque ovale. Cependant, ils différent sur un point notable : au lieu d’adopter la position « tête-bêche » comme sur le motif central, ils sont disposés symétriquement et de telle manière que la proue et la poupe du navire inférieur ne fassent qu’un avec celle de l’embarcation placée au-dessus. Ce genre de décoration n’est nullement isolé ; on le retrouve tant en Suède728 qu’au Danemark : ainsi l’exemplaire provenant de la paroisse de Øster Hæsinge, herred de Sællung, amt de Svendborg729 en Fionie et un autre au Holstein, à Hoher Heide, près de Böken, canton de Rendsburg-Eckernförde730 où ils présentent les mêmes caractéristiques. D Ce que nous apprennent l’icographie et l’archéologie L’iconographie nordique de l’âge du bronze récent se révèle bien être la source principale de nos connaissances sur les croyances, les cultes et les rites ayant trait au Soleil et à la Lune. Cependant, il y a lieu d’opérer une distinction fondamentale entre les glyphes sur pierre et ceux sur bronze. En effet, ces deux genres, même s’ils s’avèrent être complémentaires et posséder bien des points communs, correspondent à deux aspects de la religion scandinave d’alors : Les pétroglyphes sont l’expression immédiate de rites liés à la fécondité-fertilité, où les deux astres occupent certes une place primordiale, mais non exclusive. Ils apparaissent en fait intégrés à un vaste ensemble que l’on a désigné sous le terme de « cycle vital ». La référence aux mythes passe ici par l’accomplissement de rites, processions, cortèges, mystères, danses, par la célébration de fêtes. C’est à travers ceux-ci que l’on peut accéder à la connaissance des mythes, même si parfois certaines gravures rupestres (entre autres celle de Blomberg i Kinnekulle, paroisse d’Husaby en Vestrogothnie) semblent représenter plutôt des scènes mythiques que des rituels les célébrant. L’acte de graver des symboles et des scènes cultuelles est en soi pleinement rituel, à la fois propitiatoire et magique. A ce titre, il devait être l’apanage d’initiés. Peut-être avaient-ils des fonctions ou un statut sacerdotal. Vraisemblablement comptaient-ils parmi eux des 728

Cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 1277 qui provient d’un dépôt situé à Rud au Värmland, découvert en 1846, accompagné d’une épée, d’un autre collier, de deux bracelets à spirales, d’un autre bracelet et de deux fibules en forme de lunettes. Le numéro 1279 provient de Torsbynäs, paroisse de Fryksände, härad de Frykadal au Värmland, trouvé sous un gros rocher. Voir aussi Oscar Montelius n° 1278, exactement identique mais dont on ignore la provenance. 729 Cf. H.C. Broholm : « Danske Oldsager », tome IV, « Yngre bronzealder », København Gyldendalske Boghandel / Nordisk Forlag, 1953, p. 39 (texte) et illustration n° 269. 730 Cf. Karl W. Struwe : “Die jüngere Bronzezeit” In : « Geschichte Schleswig Holsteins », Neumünster Karl Wachholtz Verlag, 1979, pp. 122 et 123, planche 63 / 2.

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chamanes731, comme ce devait être le cas dans les régions encore très marquées par l’ancienne culture des chasseurs et pêcheurs : Trøndelag, côtes atlantiques de la Norvège, certaines contrées du Bohuslän (paroisse de Kville, Bottna et Svenneby). Les gravures sur bronze devaient avoir une toute autre raison d’être : elles étaient destinées à un usage privé, apothropaïque. En tant que telles, elles accompagnaient les défunts dans l’au-delà. Ici, la fertilité-fécondité ne joue plus le rôle qui lui était dévolu dans l’art rupestre. Le lien avec la mort et l’au-delà (le bateau) les rapproche davantage de ce qu’était la gravure rupestre durant la première phase de l’âge du bronze732. D’où l’importance des mythes et de la cosmologie qui touchent plus immédiatement les deux astres. C’est en particulier le cas des gravures sur les lames de rasoir. Celles-ci représentent le plus souvent des mythes qui ont trait à la course solaire et lunaire. Aussi, sans les glyphes sur bronze, serions-nous, en définitive, moins renseignés sur les mythes qui concernent directement les deux corps célestes Incontestablement, le bateau constitue le dénominateur commun de ces deux genres. En cela, il reflète bien l’univers mental des Scandinaves de tous les âges, profondément marqués par la navigation et la mer. L’abondance du matériel archéologique et iconographique de l’âge du bronze récent permet, encore davantage que pour la première phase, de pénétrer un peu plus loin dans la réalité cultuelle. Ceci est rendu possible grâce aux très nombreuses scènes rituelles qui figurent sur les tableaux rupestres dont on vient de décrire un certain nombre de spécimens : dans bien des cas, les détails fournis sont d’une telle précision que l’on a l’impression d’assister à des cérémonies rituelles : ceci vaut tout particulièrement pour celles qui se déroulent sur des embarcations. Si une partie de ces témoignages démontrent la continuité de rites tels que l’adoration du disque et les processions avec celui-ci, d’autres peut être aussi anciens sinon plus, n’apparaissent qu’à l’époque considérée : danses, tauro-

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C’est singulièrement perceptible sur les pétroglyphes d’Austra (Norvège) où des glyphes représentent peut-être (?) des visions de chamanes en transe : cf. K. Sognnes : « Det levende berget », op. cit., p. 95. 732 Ceci dit, certains pétroglyphes, clairement datables de la période II (cf. le type de bateaux), donc de l’âge du bronze ancien, ne peuvent s’inscrire que dans un contexte rituel, c’est notamment le cas de celui gravé sur un rocher d’Ostrogothnie. Ce dernier représente en effet, une scène d’accouplement sur deux des trois nefs figurées. Il ne peut être ici question de motifs funéraires. Mais ce fait est relativisé par sa très grande rareté ! Il s’avère donc être l’exception qui confirme la régle.

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machie, combats rituels, cortèges divers, notamment ceux où l’on exhibe des modèles réduits de bateaux ou des idoles aux proportions gigantesques. L’étude iconographique a donc permis de constater une poursuite des rites d’adoration du disque solaire et lunaire sans solution de continuité durant la deuxième phase de l’âge du bronze : ceci concerne aussi bien la vénération du disque posé sur un support et adoré par un individu733 ou par un groupe (Finntorp) que celle des deux astres dressés sur un char à deux roues734 ou sur le pont d’un bateau735. Un autre moment essentiel des rites héliaques et séléniques, les cortèges et processions avec des boucliers déjà présents sur la corne de Wismar à la période III, perdure également mais de façon amplifiée aux périodes IV et V : (Hamm i Kville, Karlslund i Kville, Stora Berg i Biskopskulla, Uppland, Sandfjord i Hangen, Vestfold). En revanche, on possède la preuve archéologique de l’existence d’autres rites, manifestement propres à la phase récente de l’âge du bronze, et qui se prolongeront durant l’époque suivante (âge du fer pré-romain) : ce sont les rangées de foyers découvertes en Basse Saxe, au Schleswig-Holstein, Jutland et dans les îles danoises. A cette fin, on aurait creusé des trous disposés en rangées. A certaines occasions, entre autres le solstice d’hiver ou d’été, on aurait allumé dans chacune de ces cavités des bûchers dans le but d’activer la venue des astres et de leur lumière bienfaisante. On peut se demander pourquoi on n’a traces de ce rite que pour la période comprise entre le Xe et le VIe siècles av. J.-C. La raison pourrait en être d’ordre climatique. Les recherches menées dans ce domaine démontrent que d’importants changements interviennent à partir du XIe siècle av. J.-C., on constate d’après les couches de pollens qui proviennent des tourbières, un refroidissement progressif accompagné d’un accroissement de la pluviosité : les hivers deviennent au fil des décennies plus rigoureux, les étés plus humides. Dès lors, l’apparition du nouveau phénomène rituel trouve une explication plausible : devant cette dégradation climatique qui menace l’équilibre cosmique, et ce dans une société dont les fondements reposent précisément sur ce dernier, le réflexe premier est de conjurer les forces de désordre et d’implorer le retour des astres, du Soleil en particulier, dont on craint pardessus tout l’éclipse définitive. C’est là une peur ancestrale qui remonte au début de l’humanité. Et l’on sait que des mythes relatifs à cette crainte existent chez les Scandinaves, ainsi que le démontrent certains passages des deux Edda sur lesquels on devra revenir ultérieurement. La présence de ce genre de témoignages archéologiques dans les couches de l’âge du fer préromain montre que cette pratique à caractère magique va même s’intensifier durant les premiers siècles de cette époque. 733

Cf. Backa i Brastad, Bohuslän, Suède / Solberg i Skjeberg, Østfold, Norvège. Cf. Arendal. 735 Disåsen i Brastad. 734

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L’incinération des morts débute vers le milieu de la période III et se répand au cours de la période IV. Précédemment, on a insisté sur l’aspect purificateur et libérateur de la crémation et fait mention des rapports qu’elle a pu entretenir avec les deux astres. L’étude des croyances lunisolaires de la première phase de l’âge du bronze, nous a appris que, au moins pour les membres de la classe dominante, en particulier ceux qui exerçaient des fonctions sacerdotales, la mort était probablement considérée comme « l’ascension finale et la fusion avec la sphère céleste dans laquelle le Soleil et la Lune occupaient une place de premier plan736 ». Or l’incinération représente vraisemblablement un pas supplémentaire vers cette fusion. En effet, le feu en consumant le corps ne libère pas seulement l’âme, il lui permet de s’identifier à la lumière et à la chaleur qui sont les premiers attributs du Soleil et de la Lune. Désormais la fusion entre les défunt et l’univers ouranien (entre autre le ciel lumineux et les deux astres) peut être considérée comme totale. La découverte des restes calcinés d’une caisse de chariot, de vestiges d’harnais et de clous décorés dans les tombes monumentales de Lusehøj en Fionie renforce encore cette conclusion. Le char est en effet l’un des supports des deux astres dans les processions qui leur sont consacrées. De plus, il symbolise leur course, tout comme le cheval qui a pu faire lui aussi partie de tels rites. Comme cela a déjà été dit auparavant, cette pratique était courante en Europe Centrale (Civilisation d’Hallstatt). C’est dans ce contexte que s’inscrit un autre élément inédit des rites funéraires qui va de paire avec l’incinération : le dépôt de couteaux et de rasoirs dans les urnes funéraires des tombes masculines. Vient encore à l’appui de ce lien avec les rites de la crémation, le fait que les lames de ces ustensiles, surtout celles des rasoirs, sont historiées de scènes à caractère mythique qui ont essentiellement trait aux deux astres et à leur course. En ce qui concerne le couteau, il faut souligner que cet instrument n’avait à cette époque pas seulement la fonction de couper mais aussi celle de soigner, en particulier dans le domaine dermatologique (traitement des plaies). Or, dans bien des mythologies indo-européennes, en particulier celtique737 et gréco-romaine738, la médecine entretenait un rapport avec la lumière et le soleil. Lorsque l’on songe aux pouvoirs bienfaisants et magiques des rayons dont les fonctions constituent en quelque sorte le modèle mythique de celles des ustensiles en 736

Cf. l’âge du bronze ancien, chap. VI, F, à propos de la fonction sacerdotale. Ainsi le dieu Belenus dont le nom même (lumineux, brillant) possède une connotation héliaque et sélénique. 738 Esculape est le fils d’Apollon : son caractère solaire constitue l’un de ses traits principaux. Or il se trouve qu’Apollon ou son équivalent celtique Belenus, soit en même temps un dieu guérisseur. Dans son “interpretatio romana”, César fait de cette divinité gauloise un dieumédecin : cf. « DE BELLO GALLICO », livre VI, 17, cité par Joseph Déchelette : « Manuel d’Archéologie préhistorique celtique et gallo-romaine » ; tome II : « Archéologie celtique ou préhistorique », Paris, Librairie Alphonse Picard et Fils, 1910, p. 423.

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question, on ne s’étonnera plus de ce que le couteau soit orné de motifs lunisolaires. Bien que le rite qui consiste à déposer des objets dans la terre ou l’eau en l’honneur d’une Puissance Divine qui préside au monde souterrain remonte au moins au Néolithique ancien, l’âge du bronze récent apporte ici aussi quelques éléments nouveaux. L’innovation ne réside pas dans le mode de déposition mais dans la nature des artéfacts offerts et, par là-même, dans leur symbolisme. Que ce soit les boucliers, les casques à cornes, les coupes à boire, les colliers et bracelets, les ornements de ceintures, les chars et harnachements, tous trahissent un lien particulier, non seulement avec les deux astres mais aussi avec le domaine tellurique. On l’a vu précédemment les boucliers possèdent de par leur forme, leur éclat métallique et leur ornementation un lien intrinsèque avec les deux corps célestes. D’ailleurs, autant les exemplaires découverts à Fröslunda que ceux mis à jour au Jutland ou à Falster n’étaient pas destinés à des fins militaires mais avaient été, dès l’origine, conçus dans le but d’être offerts aux puissances divines. Le fait même de les confier aux profondeurs terrestres ou aquatiques peut à première vue paraître contredire leur rapport avec les deux luminaires : en effet ne symbolisent-ils pas en premier lieu leur éclat, leur lumière ? Pourquoi, alors, les plonger dans les ténèbres ? Derrière ce rite apparaît en fait la nature dualiste des croyances ayant trait aux deux astres et au cycle vital : celle-ci réside dans l’opposition binaire ténèbre / lumière, vie / mort, montée et chute. Cette contradiction repose à son tour sur une nécessité absolue, sans laquelle l’équilibre cosmique ne peut exister : l’opposition des forces d’ordre et de désordre. Pour pouvoir se lever et accomplir leur course qui apporte lumière, chaleur et bienfait, les deux astres doivent « mourir » : le soleil en se couchant dans l’océan ou la terre, la lune en disparaissant des cieux. Le fait de plonger des objets au symbolisme héliaque et sélénique dans la terre ou l’eau n’exprime en fait rien d’autre que cela. Il faut néanmoins insister sur la croyance d’alors que la terre comme l’eau étaient le domaine d’une Puissance Divine dont la fonction essentielle consistait en la gestation des êtres et des végétaux qui lui étaient confiées afin que ceux-ci puissent ensuite renaître à la lumière. On songe alors à l’image archétypale de la graine qui, pour devenir une plante, doit être d’abord enterrée. Le symbolisme des casques à cornes se rapproche de celui des tertres et des coiffures sacerdotales des périodes II et III : le cône représente à la fois la voûte céleste et l’axe du monde qui assure la liaison entre le ciel et la terre. Quant aux cornes, elles renvoient tant à la fertilité-fécondité qu’aux phases lunaires (croissant lunaire). A cela vient s’ajouter un autre aspect, déjà présent à l’époque précédente, cette paire de bosses et de croissants qui figurent des yeux et des sourcils ainsi que le bec crochu sis entre ceux-ci. 274

Rappelons que ces traits évoquent le motif des deux yeux et sourcils qui ornent les poteries de la Civilisation des Vases en Entonnoir du Néolithique moyen. Il a été attribué par les archéologues, notamment M. Gimbut-739, à la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort dont il a été question dans la troisième partie de cette étude740 : les deux yeux symbolisent probablement les deux corps célestes dont on a dit qu’ils étaient alors peut-être les théophanies de cette entité divine. Ainsi s’agit-il d’un motif très ancien. Mais c’est le fait qu’il réapparaisse après une éclipse de presque vingt siècles qui constitue en soi l’élément nouveau. Ceci d’autant plus qu’il ne se limite pas aux seuls casques puisqu’on constate également sa présence sur les figurines de Fogdarp et celle de Glasbacka. Lorsque l’on examine de près les poteries néolithiques dont il vient d’être question, on s’aperçoit que l’espace compris entre les deux yeux forme, de manière atténuée certes, une sorte de bec si bien que l’ensemble évoque assez le faciès d’une chouette ou d’un rapace nocturne. C’est ce qui se passe aussi tant sur les casques de Viksø que sur la figurine de Glasbacka ou les deux statuettes jumelées de Fogdarp. Est-ce à dire que la Puissance Divine était considérée comme un volatile ? C’est pourtant bien ce qui a dû se passer dans bien des cultures de l’espace danubien et centre européen. Cette conception était commune à une vaste portion de notre continent qui a pu s’étendre jusqu’aux rives de la Méditerranée ainsi que le prouvent les représentations de la déesse grecque Athena. Quelles conceptions ont pu être associées à cette figuration ? L’oiseau, cela est connu, établit le contact entre ciel et terre comme l’arbre auquel il est souvent associé sur les pétroglyphes741. Les rapaces nocturnes dont les yeux brillent d’un éclat intense dans l’obscurité hivernale ou nocturne sont souvent reliés dans les mythologies d’Europe Centrale et Danubienne, à la mort qui frappe brusquement. Or la Puissance Divine en question préside non seulement à la vie et à sa gestation mais aussi à la mort ; encore une fois au nom de l’équilibre qui régit le cycle et veut que la naissance d’un être ou d’un végétal passe par la mort ou la traversée des ténèbres (cf. le fœtus dans le sein de sa mère ou le grain dans la terre). Tout ce symbolisme qui provient au moins de l’époque néolithique a donc perduré jusqu’à l’âge du bronze récent. Dès lors s’expliquent les masques crochus et les ailes de volatiles portés par les silhouettes masculines, telles qu’elles apparaissent souvent sur les pétroglyphes du Bohuslän742. Il est toutefois probable qu’ils aient été l’apanage des seuls officiants qui les revêtaient lorsqu’ils devaient participer à des mystères ou des drames rituels, comme on peut le voir sur l’un des tableaux rupestres de Kallsängen dans la paroisse de Bottna. Il s’avère alors plausible 739

Cf. Marija Gimbut-, « Die Augen der Göttin », op. cit., p. 56. Cf. le Néolithique ancien, chapitre IV, B. 741 Cf. celui de Medbo i Brastad. Cf. Oscar Almgren, op. cit., fig. 66, p. 102. 742 Cf. Bottna socken, op. cit., p. 54, tableau 329, planche I.

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que cet accoutrement ait été celui des chamanes. Cette hypothèse se fonde sur le fait que ces personnages occupent une position intermédiaire entre la terre et le ciel ainsi que c’est le cas des oiseaux. On l’a vu précédemment à propos de la tombe de Hvidegård en Seeland743, cette catégorie sacerdotale est encore attestée aux périodes suivantes. L’existence de chamanes à l’âge du bronze récent pourrait expliquer aussi certaines scènes rupestres qui représentent des exercices physiques tels que ceux consistant à se jucher sur une lance (cf. les pétroglyphes de la région de Norrköping). La position intermédiaire occupée par les exécutants de telles acrobaties rappelle en tout cas celle du chamane ou de l’oiseau perché sur un arbre744. Il en va de même des personnages suspendus à « l’arbre de mai » de Lilla Gerum. Quoi qu’il en soit, le dépôt en milieu aquatique de casques à cornes renvoie à la Puissance Divine qui préside au monde souterrain. Tant l’acte luimême que la forme et l’ornementation de cet objet symbolisent en dernière analyse l’opposition nécessaire à l’équilibre cosmique, entre le ciel et la terre (cf. forme de l’objet, bec et yeux qui évoquent le rapace nocturne) la lumière et l’obscurité, la vie et la mort. Lors de l’étude préalable sur les dépôts votifs, on a insisté sur le caractère nouveau745 d’un rite qui consiste à immerger des chars et attelages dans une étendue aquatique. En effet, ce n’est qu’à la phase finale de l’âge du bronze qu’apparaissent ces objets, en nombre restreint, certes, mais suffisant pour attester l’existance d’un rite. Deux éléments iconographiques permettent de rattacher ce type de trouvailles tant au domaine tellurique que solaire et lunaire. D’une part à Eskelhem (Gotland), le décor des plaques de tôle fixées aux disques qui ornaient probablement un char processionnel ou son attelage. On y voit, entre autre, deux figures serpentines à têtes d’oiseau aquatique qui cantonnent les deux protomés d’un navire. D’autre part à Fogdarp, les quatre figurines gémellaires dont deux représentent des personnages masculins semblables. Ils sont coiffés d’un casque qui possédent les mêmes caractéristiques qu’à Viksø. Les uns se rattachent à la barque solaire dans sa traversée nocturne ou hivernale ; les autres au thème de la gémellité et de la Puissance Divine à faciès d’oiseau. Comme cela a été dit au cours de l’examen des dépôts votifs, 743

Dans laquelle, souvenons-nous, on a trouvé la griffe d’un faucon, oiseau de proie par excellence. Cf. supra : le bronze ancien, chap. V, B, note n° 272. 744 Cf. la scène qui figure sur un rocher de Medbo. 745 Il ne faut cependant pas oublier que les traces archéologiques d’un tel rituel apparaissent dès la fin du Néolithique récent, voire, au tout début de l’âge du bronze ancient : cf. les découvertes de pièces de chars à Gallemose près de Randers (nord-ouest du Jutland). Cf. supra : Le Néolithique récent, chap. V, A.

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ces chars et attelages probablement à fonction essentiellement cultuelle, ont été incendiés rituellement après une cérémonie. On pense immédiatement à la célèbre description de Tacite au chapitre XL de la « Germania », à propos de *NerþuK. Et la probabilité est grande que ce type de véhicules et de cérémonies ait été, dès l’âge du bronze récent, consacré à la Puissance Divine Maîtresse du monde souterrain et de la croissance des êtres et des plantes. Le fait de dédier à cette Puissance Divine un véhicule qui était alors considéré, avec le bateau, comme le vecteur cultuel du Soleil et de la Lune, en dit long sur ses rapports avec les deux luminaires. A cela s’ajoute le rite d’incinération, (cf. la production de chaleur et de lumière) qui, évidemment, renvoie elle-même aux deux corps célestes. On voit ici combien le domaine tellurique est étroitement lié à celui des astres. Et c’est là probablement le reflet de la nature même de la déité en question. Ceci est d’ailleurs confirmé par l’iconographie sur bronze, en particulier par la scène gravée sur la lame du rasoir retrouvé à Vestrup (Amt d’Ålborg, Jutland) et aussi par les figurines de Fårdal sur lesquelles il faudra revenir par la suite. L’augmentation du nombre de colliers déposés, leur qualité souvent exceptionnelle, en particulier vers la fin de la période V et durant la période VI (Dépôts Holbakladegård746, Lyngerup près de Gerlev en Seeland, Allestrup au Himmerland747) est un autre phénomène, presque inédit jusqu’à l’âge du bronze, qui n’est sûrement pas le fruit du hasard des découvertes. Il devait correspondre à une forme renouvelée de dévotion à la Puissance Divine qui régnait sur les marais et le monde souterrain. Cependant, là encore, le lien avec les corps célestes existe bel et bien ainsi que le prouve la scène gravée sur le couvercle d’une urne en grès trouvée à Maltegården près de Gentofte748. Le rebord de cet objet est orné d’un collier assez semblable à ceux trouvés dans les dépôts. Mais surtout au dos de ce couvercle, le trou qui en occupe le milieu est entouré de traits figurant les rayons solaires. Mis à part les attributs de la féminité (seins, organes génitaux) les statuettes féminines en bronze portent presque toutes cette autre marque de la Puissance Divine qui régne sur le monde tellurique, précisément le collier dont il vient d’être question. On se souvient que cet « insigne » était probablement déjà l’attribut de cette déité à l’époque néolithique749. Ce sera celui de Freyja, lequel sera désigné sous le terme de « Brísingamen » à l’âge du fer tardif (époque viking). On observe ainsi une grande continuité dans les croyances qui tournent autour de la Puissance Divine en question. En outre, on a précé-

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Cf. Johannes Brøndsted, op. cit., p. 234, illustration, p. 235 a. Ibidem, p. 236, illustrations a, b, c et texte, p. 237. 748 Ibidem, illustration, p. 276. 749 Cf. supra, deuxième partie : le Néolithique moyen B et récent, chap. IV, B. 747

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demment souligné750, pour la quasi totalité des figurines, que les bras sont arrondis formant le même motif que les fibules « en lunettes ». Le symbolisme de cette figure qui revient fréquemment dans l’iconographie scandinave d’alors exprime à la fois le cycle vital, l’éternel recommencement et la conjugaison des deux astres. Enfin, dans le cas de la statuette de Fårdal, les yeux en forme de globes751 sont dorés : ceci est une allusion très claire à la nature solaire et lunaire de l’être divin en question. Il s’agit en quelque sorte d’une version nouvelle des deux yeux qui figuraient au sommet des poteries de la Culture des Vases en Entonnoir752. Ils montrent le rapport très étroit qui lie la Maîtresse de la Vie et de la Mort aux deux corps célestes et à leur course. Il y a même tout lieu de penser qu’ils en sont la manifestation, la théophanie, ainsi que cela a déjà été avancé pour l’époque néolithique. Il restera à déterminer ultérieurement les raisons d’une certaine éclipse pendant les premiers siècles de l’âge du bronze, au moins jusqu’aux environs de 1000 av. J.-C. Certes, celle-ci est loin d’être totale et elle a pu se manifester avec plus ou moins d’intensité suivant les régions de Scandinavie. Il faut en effet bien se garder de considérer l’espace géographique traité dans cette étude comme une unité monolithique. Il est très vraisemblable qu’il existait des différences importantes entre les régions, tant dans les croyances mêmes, que dans les rites et le culte. Celles-ci sont encore attestées à l’âge du fer tardif, par exemple entre l’ouest de la Norvège et la Suède d’une part, les îles danoises et le Jutland d’autre part753. A fortiori doivent-elles avoir été présentes auparavant, et en particulier à l’âge du bronze récent. Et dans le cas qui nous intéresse à présent, à savoir les statuettes d’idoles féminines, on ne les a trouvées jusqu’à présent qu’au Danemark et dans les contrées de Suède méridionale, autrefois danoises, principalement la Scanie. Ceci tendrait à démontrer que le culte de la Puissance Divine en question était moins répandu en Norvège ; ou bien, si l’on considère le motif à lunette de la ferme Bardal près de Steinkjer au Trøndelag du Nord, peut-être que les habitants de la Norvège continuent à ne vénérer cette divinité que sous forme de symboles ou de signes : figure à double volute, cupules754, vagues ou motifs qui évo750

Cf. supra les objets miniatures. Rappelons que la majorité de ces statuettes sont pourvues d’yeux en forme de globes : ainsi celle de Sankt Olof en Scanie : cf. Oscar Montelius, op. cit., n° 1478. 752 Cf. aussi, en territoire celte romanisé, la statue dorée de la déesse Sulis à Aquae Sulis (Bath, Grande Bretagne) datant de l’âge du fer romain ; mais le culte de cette divinité est bien antérieur à l’âge du fer. 753 On sait, par exemple aussi, que les traditions littéraires diffèrent notablement entre les côtes norvégiennes et l’est de la Scandinavie, c’est-à-dire le Danemark et la Suède. Il suffit pour cela de comparer celles relevant des écrits de Saxo-Grammaticus et celles attribuées aux scaldes norvégiens et à l’Islandais Snorri Sturluson. 754 La cupule a pu en même temps que le symbolisme des rayons solaires représenter la vulve de la déité s’ouvrant aux raies de l’astre afin d’être fécondée. 751

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quent des peignes ou des colliers. En tout cas, il convient de ne pas considérer les croyances religieuses nordiques d’alors comme uniformes. Ainsi qu’on l’a remarqué précedement, les pétroglyphes confirment ce qu’a révélé l’étude du char de Trundholm : le Soleil est tracté par un ou deux coursiers : c’est ce que montrent les gravures d’Arendal, de Bottna ou de Vester Lem pour ne citer que les exemples les plus patents ou les plus connus. Il faut toutefois insister sur le fait que, dans bien des cas, il s’agit d’un seul équidé et non de deux. Mais on connaît au moins trois glyphes sur bronze où les deux chevaux sont présents. La croyance en un deuxième coursier qui aurait, la nuit ou l’hiver venus, relayé le premier, pouvait s’exprimer d’une autre manière : la barque solaire qui relayait le cheval, possédait très fréquemment des figures de proue et de poupe aux traits nettement chevalins. Rappelons à cet égard qu’à l’époque viking encore, le bateau était souvent désigné par la kenning « cheval de mer ». Ceci tend à démontrer que le navire héliaque était vraisemblablement regardé comme le « deuxième » cheval qui, jumeau de l’autre, transportait l’astre diurne pendant la traversée nocturne ou hivernale. La gravure sur bronze de Neder Hvolris, paroisse d’Hersom, est, à cet égard particulièrement éloquente : les deux têtes d’équidés qui ornent proue et poupe, présentent les mêmes contours que celle du cheval solaire qui figure au centre de la composition. Ici, la gémellité reflète l’opposition, seulement apparente, entre le jour et la nuit, le printemps et l’hiver, l’obscurité et la lumière. Grâce aux gravures sur bronze, à leur contenu davantage mythique, on dispose de précisions supplémentaires pour ce qui est de la course des astres. Le glyphe de Vandling (Slesvig danois) montre que les Nordiques d’alors croyaient voir le cheval héliaque « atterrir » sur la barque solaire afin d’y déposer le disque. Mais il existait une autre croyance (cf. le glyphe de Skive) : les deux chevaux venaient chercher l’astre à l’issue de son voyage hivernal ou nocturne. Au cours des périodes V et VI, apparaît une version nouvelle du mythe de la nef héliaque, probablement sous l’influence de la Civilisation d’Hallstatt : ce ne sont plus les chevaux qui tirent le navire solaire mais des oiseaux, singulièrement des oiseaux aquatiques (cygnes). Ceci ressort clairement sur les situles de la période VI, importées des contrées où fleurissait la Civilisation d’Hallstatt, particulièrement en Italie du Nord. Les oiseaux aquatiques symbolisent les puissances divines755, car ils peuvent évoluer dans les quatre éléments : ils plongent sous l’eau, ayant ainsi accès au monde souterrain, tellurique ; ils voguent sur la surface aquatique comme les bateaux et mar755

Cf. Flemming Kaul, 4ème partie de son article dans la revue “Nyt fra Nationalmuseet”, n° 81, 1998 / 99.

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chent sur terre ainsi que les humains et les autres animaux756. Enfin, ils volent dans les airs, étant ainsi reliés au domaine des puissances célestes. De la sorte, ils peuvent, tel le chamane en transe, communiquer avec l’au-delà, mais aussi servir d’intermédiaire entre le monde divin et celui des hommes. Ainsi, le fait que la nef solaire soit ici à double protomé de cygnes signifie que ces oiseaux aquatiques aident le Soleil, tant dans son voyage céleste durant le jour et la belle saison que dans sa traversée des ténèbres au sein de la terre ou de l’océan. Eux seuls, plus encore que le cheval ou tout autre animal, peuvent ainsi établir la communication entre les différents plans : céleste, terrestre et tellurique. C’est ainsi qu’à partir de la période V ou peutêtre dès la fin de la période IV, la croyance en une alternance cheval / nef, durant le voyage des astres, fut sans doute concurrencée par d’autres venues d’Europe Centrale, lesquelles considéraient le cygne comme le seul vecteur des deux corps célestes. Mais, dans au moins trois cas non encore examinés, il semble que d’autres animaux secondent aussi le cheval dans sa course : Le premier757 se trouve sur un rasoir exhumé à Boddum, paroisse de Boddum, amt de Thisted, dans la contrée de Thy au nordouest du Jutland. Sur un navire qui se dirige vers la gauche, d’est en ouest, au début de la course hivernale ou nocturne758 se tiennent un cheval et deux oiseaux tournés vers la gauche. Manifestement, le bateau convoie les animaux qui tractent l’astre durant sa course diurne ou estivale. Mais contrairement à ce qui se passait jusqu’à présent, le cheval n’est plus le seul à accomplir cette tâche insigne : deux volatiles sont là pour l’épauler. Sur un autre glyphe qui provient d’Honum, paroisse de Hvirring, Amt de Skanderborg759, on constate que les deux figures de proue et de poupe du navire ont des pattes d’oiseaux. Devant la proue, à quelque distance, se trouve une autre gravure de volatile. En examinant ces glyphes de plus près, on constate qu’ils représentent des animaux hybrides mi-cheval, mi-oiseau. La volute ou « S » à l’horizontal ( ) représente de manière schématique le corps de l’équidé, mais les pattes et la queue s’avèrent être ceux d’un oiseau. Le troisième cas, de provenance inconnue760 montre au756

Ibidem. Cf. Flemming Kaul, Catalogue, op. cit., n° 199, p. 82 (Museet for Thy og Vester Han Herred, Thisted, THY 3004). 758 Ce qui nous conduit à l’affirmer est le fait que les animaux se tiennent sur le pont et non au-dessus, donc qu’ils ne volent pas, comme ce serait le cas s’il s’agissait de la course diurne ou estivale. Cette position sur le pont indique clairement qu’ils sont convoyés par la nef : il ne peut donc s’agir que de la traversée hivernale ou nocturne. 759 Ibidem, p. 111, Catalogue n° 275 (Nationalmuseet København, NM 14748). 760 Ibidem, p. 147, Catalogue n° 361 (NM B 5272).

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dessus de la nef également un animal hybride au corps de cheval et aux pattes de volatile761. Ces exemples prouvent que, vers la fin de l’âge du bronze et peut-être sous l’influence de la Civilisation d’Hallstatt, les Nordiques (au moins ceux du Danemark) se représentaient aussi le Soleil tiré, lors de sa course diurne, par un animal hybride, mi-volatile, mi-équidé. Cela vaut aussi pour le serpent : on possède au moins une gravure sur bronze qui représente deux bateaux se faisant face et dont il a été déjà question plus haut762. Sur chacun d’eux se tient un quadrupède au corps serpentin. Il s’agit visiblement d’un autre animal mi-cheval, mi-serpent. Ces animaux, hybrides ou non, oiseaux aquatiques ou serpents sont peut-être à mettre en rapport avec la Puissance Divine Maîtresse du monde souterrain, celle que les spécialistes appellent la Déesse-Oiseau (Fågelgudinna chez les Suédois ou Vogelgöttin pour les Allemands). C’est vraisemblablement elle qui apparaît sur le glyphe de Vestrup Mark accompagnée d’un serpent tandis qu’un cheval tire, la tête en bas, un disque vers la droite. Il est par conséquent possible que, vers la fin de l’âge du bronze, certains Scandinaves aient également cru que le Soleil et la Lune étaient tirés par des oiseaux attributs de la Puissance Divine en question. Ceci tendrait encore à renforcer la thèse des deux luminaires redevenus théophanies de cette divinité. Mais il ne faut pas oublier que ceci vaut surtout pour le Danemark et le sud de la Suède (Scanie) mais pas forcement pour les autres contrées nordiques. Songeons en particulier aux régions forestières du centre et de l’ouest de la Suède ou même de Norvège : ainsi a-t-on constaté plus haut qu’une des compositions de Massleberg, paroisse de Sker au Bohuslän, montre un bateau qui vogue vers la gauche (vers l’ouest) : à son bord se dresse un cerf tourné vers l’ouest ; de ses bois rayonne un soleil aux proportions gigantesques. Il n’est d’ailleurs pas du tout certain que le mythe sous-jacent à cette représentation fasse référence ici au « transport » ou « convoyage » du cerf solaire durant la traversée nocturne ou hivernale. Il peut tout aussi bien s’agir de la course diurne ou estivale pendant laquelle l’animal porteur de l’astre ne sillonne pas lui-même le firmament d’est en ouest. Au lieu de cela, c’est le bateau qui lui fait traverser le ciel d’orient en occident. Cela vaudrait alors aussi pour la scène décrite sur le rasoir de Boddum où l’on voit une nef qui convoie trois animaux vers l’ouest. Le motif propre aux gourmettes et qui représente deux embarcations têtebêche vient à l’appui de cette version supposée du mythe de la course solaire. Mais ici, c’est le navire qui est conçu comme le seul transporteur des 761

Ibidem, p. 147, Catalogue n° 361 (NM B 5272). Cf. aussi le glyphe sur bronze de Karpalund en Scanie qui représente un tel animal au sommet de l’éperon qui double la poupe (cf. Peter Gelling, p. 118, fig. 53 c, op. cit.). 762 Provenance inconnue. cf. Catalogue n° 35, p. 145 / 46 : NM B 4548.

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deux astres : celui à l’endroit aurait représenté la course diurne ou estivale, l’autre la course nocturne ou hivernale. En effet, dans la cosmogonie scandinave d’alors le monde souterrain devait être considéré comme opposé à la terre imaginée sous la forme d’un disque plat. L’examen des différentes modalités mythiques de la course solaire et lunaire démontre en tout cas que l’on ne peut pas établir un modèle « conforme », valable pour tout l’espace scandinave étudié ici. Ce serait entreprise absurde que de vouloir faire rentrer l’ensemble des croyances qui ont trait au voyage des deux luminaires dans le même moule unitaire. C’est là une vue de l’esprit moderne qui ne tient aucunement compte des différences notables qui devaient alors exister entre par exemple le Jutland et le Bohuslän, tant en ce qui concerne les conditions naturelles et économiques que les mentalités. Rappelons que les habitants de l’ouest de la Suède étaient à la fois agriculteurs, chasseurs et marins alors que ceux du Jutland se livraient avant tout aux activités agricoles et maritimes. C’est ce qui, entre autre, pourrait expliquer que les uns considéraient l’animal vecteur des astres comme un cerf (cf. Massleberg), les autres comme un cheval. D’autres, davantage tournés vers les activités maritimes (pêche et commerce), concevaient ce vecteur comme étant plutôt ou uniquement une nef. Cela n’empêchait nullement qu’en dépit de toutes ces différences, souvent importantes, il existait un certain nombre de conceptions religieuses et de mythes concernant la course des astres qui étaient communs à l’ensemble des régions traitées dans cette étude : citons d’abord la fonction vectrice du bateau, ce qui est légitime dans des contrées où l’eau, loin de séparer, contribue à relier, à unir. Ensuite l’opposition voyage diurne ou estival et traversée nocturne ou hivernale. Mais aussi la croyance que le Soleil et la Lune ne jouissent que d’une autonomie de mouvement restreinte et sont par conséquent dépendants de vecteurs, bateaux ou animaux. Derrière cette conception se cachait vraisemblablement la crainte que cette course vitale, soit entravée par les forces de désordre. D’où la nécessité d’exécuter toutes sortes de rites dont l’unique fonction, d’essence magique, était de faciliter et de protéger le déplacement des deux luminaires763. E Les mythes mettant en scène des personnages de nature divine Pour ce qui est de la diversité des croyances et mythes au sein de l’Aire Culturelle Nordique vers la fin de l’âge du bronze, il faut citer le glyphe sur bronze (rasoir) de la région de Brême. Celui-ci a été déjà étudié plus haut. Les traits qui marquent les contours de l’embarcation et la tête du personnage divin peuvent symboliser soit la nature solaire de l’ensemble, soit, pour le bateau au moins, le fait que cette scène se déroule durant la traversée hi763

Entre autre la gravure de glyphes dans la roche.

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vernale. En effet, ces traits pourraient tout aussi bien figurer le givre qui recouvre le navire et son nocher. De toute manière le bateau se dirige vers la droite. C’est la direction du soleil levant. D’après cette gravure, il existait également en Europe du Nord à l’époque concernée un mythe qui relatait que le Soleil conduisait lui-même la barque en direction de l’est. En même temps, cette représentation du corps celeste sous-entend la croyance en l’astre lumineux personnifié et par voie de conséquence déifié. L’attitude souveraine du personnage laisse en tout cas entendre qu’il s’agit d’un être divin. Mais on peut alors se demander si cela ne contredit pas ce qui vient d’être avancé à propos des liens qui unissent les deux corps célestes à la Puissance Divine. En outre, on n’a pas affaire aux deux astres jumelés mais au seul Soleil. Il en va de même du pétroglyphes décrit précédemment et se trouvant à Busgård, paroisse de Skjeberg au Østfold. Peut-être s’agit-il d’une représentation du Soleil levant qui vient de quitter le bateau en-dessous de lui : il paraît en effet planer au-dessus du navire. Les bras écartés symboliseraient alors le rayonnement et en même temps la bénédiction qui en résulte. Certes ces deux représentations de l’astre personnifié parlent en faveur d’un être divin fortement individualisé. Mais il faut en même temps souligner que ce type de figuration est plutôt rare dans l’iconographie nordique de cette époque : ce sont tout au plus cinq glyphes, entre autre celui que l’on peut voir à Hede i Kville764, qui plaident pour une divinisation du luminaire diurne. C’est somme toute très peu, mais la répartition dans une bonne partie de l’aire géographique concernée permet d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’une croyance isolée ou « régionale ». La relative rareté indique plutôt qu’il s’agit d’un mythe précis, propre au seul Soleil et non à son jumeau. Celui de son retour de la ténèbre nocturne ou hivernale. Quant aux mythes qui tournent autour des divins jumeaux, le postulat énoncé pour l’époque précédente s’avère maintenant une certitude grâce aux nombreux témoignages iconographiques tant sur la roche que sur le métal. Aussi bien les pétroglyphes que les gravures sur bronze attestent d’au moins cinq, voire six traditions mythiques : Les deux jumeaux figurent sous forme de deux disques à rayons cruciformes dont l’un est légèrement plus grand que l’autre. Ceux-ci semblent planer au-dessus d’une embarcation. Ce type de représentation est très rare et se limite, à notre connaissance, à un seul exemplaire localisé à Leonardsberg en Ostrogothnie765. D’après Peter

764

Cf. Kville socken, op. cit., p. 94, tableau 81, planche II. Cf. Arthur Nordén, op. cit., LM 48, p. 325, planche LXXXI. Il est possible que l’un des glyphes de la composition de Hjulatorp, paroisse de Berg, Småland, soit une autre représentation de cette gémellité.

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Gelling766, il s’agirait d’une simplification du motif des cercles dressés sur des supports, donc d’une figuration cultuelle et non mythique. Ceci s’avère abusif : pourquoi le ou les graveurs auraient-ils omis ces poteaux dans un seul cas ? On ne doit pas oublier que leur art reposait sur des traditions séculaires que l’on ne transgressait pas sans raison. Ceci d’autant plus que graver des figures ou des scènes sur les rochers était déjà en soi un acte rituel. Et l’on sait combien les rites reposent sur des préceptes immuables, intangibles. Si donc l’auteur de ce glyphe a omis les deux supports, c’est qu’il voulait exprimer autre chose. Le panneau sur lequel a été inscrit ce glyphe est orienté sud / nord. Le bateau vogue vers la droite ; compte tenu de l’inversion du sens habituel (nord / sud), il se dirige vers l’ouest. Ainsi s’agirait-il d’une représentation du mythe des deux astres qui traversent avec la nef l’océan des ténèbres. Etant donné la forme du bateau, cette gravure rupestre devrait dater de la période IV (1100 – 900 av. J.-C.). Que les deux astres figurent sous forme de symboles (rouelles à rayons cruciformes) tend à indiquer une date plus précise (1200 – 1000 av. J.-C. ?). Vers la fin de cette période apparaît le thème des jumeaux dans un bateau. Ils sont casqués et brandissent une hache cultuelle ou un bouclier. Dans le premier cas, ils semblent bénir avec cette arme rituelle leur environnement : ce n’est pas seulement le fait des célèbres statuettes de Grevensvænge, mais aussi d’un certain nombre de figurations pariétales et sur bronze : les glyphes de Bottna767, de Svenneby768, de Navestad, paroisse de Pyntelund (Østfold)769. Même si dans tous ces exemples, il s’agit en fait de scènes rituelles, elles reproduisent une scène mythique. Durant les périodes V et VI apparaît un thème, non attesté jusque-là, celui de deux jumeaux sans armes qui se tiennent debout ou assis sur une nef, les bras levés à la manière des orants. C’est d’abord le cas sur le rasoir de Vœl où ces personnages passablement effacés sont tous deux nimbés d’un halo, et c’est là un trait important. On peut citer aussi des pétroglyphes tels que ceux de Begby i Borge Østfold, Evje i Tune (Østfold) et, moins connu, Utby i Tanum. A la même époque figure encore un autre sujet : deux personnages, ithyphalliques ou pas, sont représentés tête-bêche : on peut mentionner deux glyphes dans cette catégorie, l’un se trouve à Ryland i Tanum et l’autre également au Bohuslän. 766

Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 14. Cf. Åke Fredsjö : Bottna socken, op. cit., p. 140, tableau 374. 768 Cf. Åke Fredsjö : Svenneby socken, op. cit., p. 103, tableau 290. 769 Cf. Peter Gelling, op. cit., p. 47, fig. 21 h.

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Ce bref inventaire montre que le mythe des divins jumeaux a pu exister sous des formes en apparence très différentes. Encore une fois : on ne peut considérer les croyances et les mythes nordiques d’alors comme un ensemble monolithique. Quel pouvait être alors le contenu de ceux-ci ? : Pour la première version, la plus ancienne, on en connaît déjà les grandes lignes : le voyage des deux lumiaires au sein de la terre ou sur l’océan des ténèbres durant la saison froide. Ceci implique que les deux astres étaient considérés comme deux jumeaux symbolisés par deux disques à rayons cruciformes qui planaient au-dessus de la nef solaire. Dans la deuxième forme du mythe, les deux astres seraient personnifiés sous l’aspect de deux jeunes guerriers. Leur hache avec laquelle ils bénissent leur entourage symbolise leur fonction protectrice, apotropaïque, qu’ils tiennent des puissances divines liées au ciel comme à la terre. Le fait qu’ils soient représentés sur un bateau démontre encore leur rapport avec les deux astres et leur course. La troisième version demeure toujours dans ce contexte « naval ». Ici deux jumeaux, en route sur leur embarcation adoptent une attitude semblable à celle des orants770. C’est, une fois encore, une gravure sur bronze, celle de Voel i Tvilum, qui témoigne d’une dimension mythique de cet aspect fondamental dans la religion nordique d’alors. La tête parfaitement ronde radiée d’un halo des deux silhouettes indique leur nature héliaque et sélénique. C’est précisement ce dernier trait qui invite à considerer ce glyphe plutôt comme une représentation des deux luminaires personnifiés et gémellaires. Les glyphes qui montrent deux personnages identiques, l’un à l’endroit, l’autre à l’envers (tête en bas) peut être considéré comme la version personnifiée du motif des deux embarcations dans la même position, visible essentiellement sur les plaques des gourmettes ou des colliers. Ces deux thèmes constituent un témoignage iconographique convaincant en faveur du lien qui aurait uni les divins jumeaux aux deux astres : ils en seraient en quelque sorte la personnification (cf. le rasoir de Voel i Tvilum). On peut rapprocher cette version du mythe des Dioscures grecs Kastor et Polydeukes : pendant que l’un est sur l’Olympe, l’autre séjourne sous la terre771. Le personnage du haut ou debout représente la course diurne ou estivale de 770

Exception un glyphe du Bohuslän : cf. Peter Gelling, op. cit., fig. 56 c qui les montre de profil brandissant un bouclier. 771 Cf. Johannes Hoop « Reallexikon der Germanischen Altertumskunde », tome 5, 2ème édition, New York / Berlin, Walter de Gruyter and Co, 1984, p. 483.

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l’astre, celui qui a la tête en bas figure la traversée hivernale ou nocturne dans les entrailles de la terre ou sur l’océan des ténèbres. Cette image symbolique de l’alternance des contraires : jour / nuit, lumière / obscurité, été / hiver, conduit à mentionner encore une autre variante : celle des deux jumeaux en train de se combattre. Ce thème se retrouve plusieurs fois dans l’iconographie rupestre scandinave. Et même si les glyphes qui représentent ce genre de scène ne montrent en fait qu’un rite qui se déroule, comme la plupart du temps, sur une embarcation, celui-ci renvoie à un mythe fondamental : celui du duel entre deux forces cosmiques : en l’occurrence la lumière contre les ténèbres, l’été contre l’hiver. C’est vraisemblablement ce que symbolise aussi le glyphe de Hamn i Kville qui met face à face deux archers772. Par delà toutes ces variations, on retrouve un point commun : la présence du bateau vecteur des deux astres. Ceci permet d’avancer que les mythes qui viennent d’être présentés ont probablement leur origine dans le voyage de la barque solaire et lunaire et dans l’alternance course diurne ou estivale et course nocturne ou hivernale. Une place à part doit être réservée au glyphe sur bronze de Vestrup Mark, paroisse de Vognsild, Amt de Ålborg au Jutland. On a précédemment insisté sur la répartition en trois sphères distinctes : En haut, le cheval qui vient de déposer le Soleil sur le pont de la nef ; en bas, les jumeaux divins, transition entre la sphère céleste (le Soleil et l’équidé qui l’a tracté) et la sphère chtonienne que représente le personnage féminin accompagné du serpent. En contemplant encore une fois ce tableau, on se rend compte que rien ne sépare en fait les jumeaux de la femme qui les suit. Selon toute apparence, ils sont situés sur le même plan. Par ailleurs, le manche du rasoir, en col de cygne, établit un lien entre la sphère du haut (nef solaire) et celle du bas (la femme et les jumeaux). Il touche même une ligne qui court le long du rebord inférieur de l’ustensile et figure la quille d’un bateau. On a ainsi l’impression d’une continuité et non d’une rupture entre les deux espaces. S’il en est ainsi, le navire du haut que le cheval s’apprête à quitter pour aller vers l’est, prend la direction de l’ouest, c’est-à-dire du monde chtonien (la sphère du bas). On le retrouve ensuite transportant les divins jumeaux. En d’autres termes, cette composition sur le registre inférieur représente en fait la traversée de l’océan des ténèbres ou du monde souterrain par les deux luminaires personnifiés. La femme au serpent est alors la Maîtresse de l’univers tellurique. Elle accompagne, en planant légèrement au-dessus d’eux, les jumeaux qui sont ses théophanies, dans leur traversée. On pénètre de la sorte en plein cœur du 772

Mais ici, il s’agirait plutôt du mythe, commun à bien des peuples, des deux frères chasseurs.

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mythe, lequel se déroule devant nous pour ainsi dire à la manière d’une bande dessinée moderne. De ce mythe, l’on possède encore une autre version : celle constituée par les figurines de Grevensvænge et de Fårdal. Elle est à peine différente de la précédente, mais malheureusement tellement incomplète qu’il a fallu recourir à une reconstitution. Cette dernière est due, entre autre, à l’archéologue danois P.V. Glob qui l’a exécutée à la fin des années soixante. Exceptée la position des acrobates que l’on peut contester773, l’ensemble correspond très probablement à l’état originel. Et il n’est guère étonnant que P.V. Glob se soit servi du glyphe de Vestrup Mark pour reconstituer ce groupe plastique, car les éléments qui existaient à l’époque de la découverte étaient, mis à part les acrobates, les mêmes qu’à Vestrup Mark. Lors de l’étude des dépôts votifs, on a décrit cette reconstitution. Rappelons-la brièvement : sur un bateau qui vogue vers la droite, deux jumeaux brandissent leur hache tandis que derrière eux, au centre du bateau, une femme tend le bras droit et pose l’autre sur sa poitrine. A côté d’elle se tenait peut-être un serpent. En dépit de l’absence du cheval solaire, il s’agit donc d’une scène comparable à celle de Vestrup Mark. Même si l’on veut considérer la composition miniature de Grevesvænge comme la reproduction d’un rituel qui avait lieu sur un bateau grandeur nature, ainsi que l’attestent de nombreux pétroglyphes774 (au moins pour les jumeaux : cf. Svenneby ou Bottna), on ne peut nier que ce rite renvoyait lui-même à un épisode mythique, précisément celui qui figure sur le glyphe de Vestrup Mark. Que ce groupe en bronze fût lui-même probablement utilisé dans des cérémonies cultuelles775 ne change, en fait, rien à cela. En effet le recourt à un tel objet constitue déjà en soi une référence au mythe sous-jacent. La composition de Fårdal, qui date, rappelons-le, de la période V, constitue encore une autre variante du mythe en question. Ici les divins jumeaux sont absents, du moins sous la forme qu’on leur connaissait jusqu’ici. Mais il est possible que la figure en forme de lyre qui réunit deux têtes d’équidés cornus et rigoureusement semblables, représente en fait, sous une autre apparence, les divins jumeaux. A l’âge du fer, ceux-ci étaient le plus souvent symbolisés par deux chevaux affrontés et placés au sommet du faîtage des maisons Cette tradition s’est maintenue en Allemagne du Nord et dans certaines contrées danoises. Ceci tendrait à démontrer que les divins jumeaux pouvaient être présents dans les mythes sous l’apparence de chevaux776 et antérieurement, ainsi que cela a déjà été souligné auparavant, sous la forme 773

Ceux-ci sont toujours placés au-dessus du pont du navire, jamais sur les protomés comme c’est le cas ici. Cf. Flemming Kaul, op. cit., p. 22. 774 Voir supra. 775 C’est ce qu’avance Flemming Kaul, op. cit., p. 23. 776 Voir la deuxième partie : Le Néolithique récent.

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de cervidés ou de bovins. Le fait qu’à Fårdal les têtes d’équidés soient cornues777 et rappellent, par bien des côtés, des cervidés, est vraisemblablement une survivance de cette croyance. Les deux figures chevalines sur l’éperon de la proue entourent un oiseau aquatique tourné vers la gauche, sens dans lequel vogue le bateau. Ce volatile représente peut-être l’une des manifestations de la Puissance Divine, capable comme elle d’évoluer dans les trois sphères : la terre, le ciel et l’eau. C’est probablement là un des traits chamaniques encore nombreux à cette époque dans la religion nordique. Au centre de la composition de Fårdal est agenouillé ce personnage féminin en jupe courte déjà décrit plus haut. Il est possible que l’objet qu’elle tenait de la dextre ait été la laisse que l’on voit sur le glyphe de Vestrup Mark. Dans cette dernière composition, la femme tient aussi cet objet de la main droite. La figurine de Fårdal se presse le sein droit de la senestre, geste qui indique clairement qu’elle a un lien avec la fertilité-fécondité. Le port d’un collier778, les yeux surdimensionnés et dorés ne laisse aucun doute quant à l’identité de ce personnage : il s’agit de la Puissance Divine, Maîtresse de la vie et de la mort. Le serpent à tête chevaline779 qui était, d’après la reconstitution, placé derrière la divinité, renforce encore cela en indiquant clairement la relation étroite qui l’unit au monde chtonien sur lequel elle règne. Les deux yeux dorés en forme de globes soulignent qu’elle a également pouvoir sur les deux corps célestes. Ceux-ci s’avèrent être ses avatars ou théophanies. Le fait qu’elle figure au centre de la nef héliaque et sélénique lors de sa traversée de la ténèbre exprime à quel point elle participe à la course des deux astres. A l’époque Viking, on la représentera sur un char tiré par deux chats (cf. Snorra Edda, Gylfaginning, 24). La présence de cette divinité au centre du véhicule héliaque et sélénique par excellence, exprime par là même que celle-ci se confond avec les deux corps célestes, avec leur course, ce que suggèrent déjà ses deux yeux dorés, héritage de l’époque néolithique où ceux-ci suffisaient à la manifester. Cette œuvre majeure de l’art nordique du bronze récent nous révèle en fait une version passablement différente du mythe en question : ici ce ne sont pas les deux astres jumeaux ou les deux jeunes hommes qui les personnifient, mais la Puissance Divine elle-même qui traverse sur la barque l’océan des ténèbres. Elle est en quelque sorte la personnification des deux astres, ce qu’indiquent clairement ses yeux. En

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En fait, une seule corne recourbée réunissait à l’origine les deux têtes. Elle a été brisée à peu près en son centre, ce qui donne aujourd’hui l’illusion que seule la tête de gauche est cornue. Peut-être s’agit-il, dans le cas des têtes de Fårdal, d’un des « prototypes » de la licorne médiévale. 778 Ce sera plus tard le fameux Brísingamen dont il a déjà été souvent question. 779 Il rappelle les deux figures d’un glyphe sur bronze précédemment étudié (catalogue n° 357 NM B4548).

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cela, elle s’avère être la même divinité que la Déesse-Oiseau780 de l’époque néolithique présente sous la forme de deux grands yeux rayonnants sur la céramique de la Culture des Vases en Entonnoirs et ceci deux mille ans plus tôt. Ce qui est inédit ici par rapport même à la première phase de l’époque étudiée, c’est cette personnification, cette anthropomorphisation de la Puissance Divine qui devient ainsi une déesse à part entière, aux traits fortement individualisés. Cette « innovation », caractéristique de la fin de l’âge du bronze récent, peut-être, au moins en partie, attribuée à l’influence de la Civilisation d’Hallstatt. Les artisans de cette dernière sculptaient alors des statuettes de la Déesse-Mère depuis au moins deux millénaires. Les nombreuses idoles féminines dénudées de la période V qui ont été exhumées en divers lieux d’Allemagne du Nord, du Danemark et de Suède méridionale attestent, non seulement de cette influence, mais aussi et surtout de l’existence d’un véritable culte rendu à la Déesse. Ceci est d’autant plus le cas que nombre de ces figurines sont d’une qualité médiocre qui laisse à penser qu’elles étaient probablement produites en grand nombre afin d’être dressées dans les habitations et les lieux de culte. Si la plupart des témoignages iconographiques sur bronze rendent compte de manière plus immédiate des mythes781 d’alors, il n’en va pas de même des gravures pariétales, ainsi qu’on l’a déjà constaté. Celles-ci ont été très probablement exécutées pour commémorer la célébration de rites saisonniers ou cycliques en étroite symbiose avec les rythmes de la nature, en particulier la course du soleil et de la lune. Nonobstant cette remarque d’ordre général, certaines scènes rupestres illustrent manifestement des épisodes mythiques joués ou mimés lors de ces festivités religieuses. L’une des plus récurrentes montre un personnage gigantesque qui souleve une embarcation avec ou sans occupants (équipage, animaux) à son bord. Vraisemblablement s’agit-il en fait de processions où des hommes de grande taille portaient des modèles réduits de bateaux. Mais ces cortèges reproduisaient peut-être un mythe dont on trouve la trace dans un épisode de la Snorra Edda (Skáldskaparmál 17). Þórr le rapporte à la femme d’Aurvandill, Gróa782 : il lui raconte que, venant du nord, il passa à gué le fleuve Élivágar. Ce faisant, il transportait Aurvan780

Rappelons-nous ici l’épisode quelque peu cocasse de la Þrymskviða où Þórr vient voir Freyja pour lui demander de lui préter son « habit de plume » (trad. Régis Boyer L’Edda poétique Þrýmskviða, p. 438, Paris, Fayard 1992, en fait sa forme de plume « hamr », ibidem, p. 438, note 2). On voit ici combien Freyja est l’héritière de cette Puissance Divine aux traits chamaniques (le fait de voler : on vient de le voir à propos de l’oiseau cantonné par les deux têtes) qu’elle partage d’ailleurs avec Frigg. Cf. le chap. XVIII des Skáldskaparmál, cf. R. Boyer, op. cit., p. 423. 781 Répétons-le : même s’il s’agit de rites ou de scènes cultuels, ceux-ci font très probablement référence directe à des mythes. 782 On reviendra un peu plus loin sur l’origine de ce nom.

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dill dans une corbeille sur son dos783. Mais, durant le passage du cours d’eau, un des orteils d’Aurvandill gela parce qu’il dépassait de la corbeille. Þórr le lui arracha, le jeta dans les nues et en fit une étoile, lui donnant le nom d’Aurvandills tá (orteil d’Aurvandill). Dans cette légende, la corbeille est comparable par sa forme et sa fonction protectrice à la nacelle qui transporte les astres, en particulier le Soleil, à travers l’océan des ténèbres. La traversée du fleuve Elivágar doit être mise ici en parallèle avec le voyage de la nef solaire. Le Norvégien E. F. Halvórsen784 a démontré que le nom de ce cours d’eau provient de « él » (mauvais temps, orage) et de « vágr » (mer ?), ici au pluriel, et peut désigner785 l’océan primordial qui, dans la cosmographie nordique ancienne, entoure la terre. C’est probablement sur cet océan que vogue la barque solaire en direction de l’est. Ainsi la légende d’Aurvandill contiendrait les restes de l’un des mythes qui relate la traversée des ténèbres. Elle attesterait de la personnification de l’astre et confirmerait de la sorte ce que révèlent des glyphes sur bronze (cf. celui de la région de Brême). Quant au passage qui relate le gel de l’orteil, il proviendrait aussi du mythe : la traversée de la mer des ténèbres s’effectue en effet durant l’hiver ou la nuit, autrement dit, dans l’obscurité et le froid. On a précédemment vu que les graveurs sur bronze rendaient peut-être compte de cela en traçant des traits tout autour du bateau, ce qui serait une façon de figurer le givre. Le personnage en train de soulever un bateau est souvent représenté sous les traits d’un géant : on retrouve cette caractéristique fondamentale dans la légende grecque d’Orion. Celui-ci est aussi un géant, capable de marcher sur le fond de l’océan tandis qu’il peut garder la tête au-dessus des vagues. Cela rappelle le sujet traité ici et largement documenté par une dizaine de pétroglyphes. Pour recouvrir la vue perdue à la suite de sa tentative de séduction de Mérope, fille du roi de Chios (Oenopion) il doit gagner l’orient, et s’exposer aux rayons du soleil. Le noyau de cette légende se rapporte également à la traversée des ténèbres en direction de l’est, de la lumière. Manifestement, on est en présence d’un vieux mythe indo-européen dont les origines remontent peut-être à la préhistoire. Dans tous les cas, il s’agit d’un mythe en rapport avec les rites de passage : celui de l’obscurité à la lumière, de la nuit au jour, de l’hiver à l’été. C’est précisément la fonction des entités divines qui assurent ce passage, et dans les mythologies indo-européennes, ce sont le plus souvent des femmes : chez les Indiens Usas, les Latins AurOr", 783

On pense ici à la légende de St. Christophe laquelle pourrait être l’héritière de ce mythe qui existe également dans d’autres mythologies indo-européennes. 784 Cf. son article dans le « Kulturhistorisk Leksikon for Nordisk Medeltid », vol, 3, 1958, cité par Rudolf Simek, « Lexikon der germanischen Mythologie », Stuttgart : Alfred Kröner, 1995, p. 87. Traduction française de Patrick Guelpa, op. cit., tome I, p. 104. 785 Cf. l’Hymiskviða, Str. 5 « Habite à l’est d’Elvágar, le très sage Hymir aux confins du ciel » Trad. R. Boyer, op. cit., p. 428. Par est, il faut probablement entendre ici l’endroit où le Soleil sort de l’Océan des Ténèbres, nommé Elvágar dans la littérature norroise.

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les Grecs Eos, les Baltes Auksin-. Chez les Hellènes, Eos est l’épouse d’Astræos. Mais elle lui préfère (entre autres) Orion. Quoi qu’il en soit, il peut s’agir d’une paire gémellaire dont les Nordiques avaient peut-être l’équivalent. Aurvandil en aurait représenté la partie masculine et la déité Eastre ou Eostra, mentionnée au VIIe siècle ap. JC. par Saint Bède le Vénérable (De temp. rat. 15) l’équivalent féminin, en d’autres termes la version nordique des autres déités indo-européennes, Usas, AurOr", Eos et Auksin-. Mais cette divinité n’est attestée que chez les Germains occidentaux et pas chez les Scandinaves. Chez les premiers, sa fonction évolua et il est fort possible qu’elle soit devenue plutôt une déité de la fertilité-fécondité, sa fonction première (aurore = passage de l’hiver au printemps) étant peut-être tombée par la suite en désuétude. Cette divinité aurait été commune à l’ensemble des peuples qui parlaient un idiome d’où serait issu plus tard le germanique. On ne connaît malheureusement pas le nom qu’elle portait chez les Scandinaves. Néanmoins le mythe rapporté dans la Snorra Edda nous livre un indice. Il y est dit que Þórr raconte l’épisode d’Aurvandill à la femme de celui-ci, Gróa, nom probablement tardif, qui renvoie au verbe norrois gróa, pousser, croître, être florissant. Il n’est pas fortuit que la légende la désigne sous ce nom. Il pourrait en effet s’agir de la déité appelée Easter / Ostara qui au fil des temps était devenu une des divinités de la fertilité-fécondité. Ainsi Aurvandill aurait eu une sœur (jumelle ?) ou une parèdre et ce couple ou cette paire gémellaire aurait eu un rapport avec le passage de la nuit au jour ou de l’été à l’hiver. Ce ne sont là qu’hypothèses de travail qui s’appuient toutefois sur ce qui nous est parvenu du mythe en question et sur ce que l’on sait des autres croyances indo-européennes à ce propos, en particulier grecques et indiennes786. Environ une dizaine de pétroglyphes rendent compte d’une scène rituelle qui fait directement allusion à une variante du mythe précédent. Il est encore une fois question d’un géant, mais cette fois-ci, il transperce la quille d’une embarcation et se déplace, les jambes passant à travers le fond de celle-ci. Ici à nouveau, cette scène se retrouve dans un passage de la Snorra Edda (Gylfaginning, chapitre 48) qui relate en prose le chant de Hymir (Hymis kviða) : « Alors Þórr se fâcha et revêtit sa force d’Ase, s’arc-bouta si bien qu’il passa tout droit des deux pieds à travers le pont du bateau, se retrouva debout sur le fond de la mer… » (Traduction Régis Boyer : L’Edda Poétique, p. 426 : C). Comme on l’a constaté lors de l’examen de cette catégorie de pétroglyphes, la totalité des géants représentés dans cette scène mythique sont dépourvus de bras et se déplacent de la gauche vers la droite, autrement dit d’ouest en est. Que signifie cette absence de bras chez ce genre de personnages ? Ceci pourrait symboliser le soleil hivernal. L’absence de membres 786

Dans la mythologie indienne Usas, l’Aurore, est fille du Ciel et sœur du Soleil.

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supérieurs exprimerait le manque de lumière durant cette saison. En effet, les bras et les mains écartées symbolisent le rayonnement solaire. Ainsi privé de ses bras, le Soleil personnifié transperce de ses pieds le fond du bateau afin, comme Þórr, de se retrouver « debout sur le fond de la mer » et de poursuivre à pieds son voyage à travers les ténèbres représentées par l’eau. Mais il y a peut-être dans cette image du géant qui perce la coque du navire quelque chose d’encore plus profond : par là même serait symbolisé le percement par les rayons solaires de la ténèbre hivernale. Une compensation en quelque sorte de la venue de l’obscurité, symbolisée, elle, par la coupure des main(s) ou des bras. Autrement dit, les pieds salvateurs seraient l’expression du déplacement de l’astre durant la période sombre (aspect nocturne du luminaire). On aurait là une « version hivernale » du mythe précédent où la déité solaire lance ses rayons, secondée par les divins jumeaux puis par la ou les divinités de l’aurore qui tend/ent le bras, les doigts de la main écartés787 afin de pousser les ténèbres et de laisser passer la lumière printanière ou matinale. Cette tentative de reconstitution montre en tout cas qu’il devait exister un certain nombre de variantes relatant la traversée hivernale ou nocturne. Les croyances qui ont trait aux deux astres étaient certainement loin d’être monolithiques. Ce phénomène est bien connu dans les autres mythologies indo-européennes, en particulier grecque, romaine et celtique. Il existe au moins deux compositions pariétales, dont celle située à Blomberg i Kinnekulle, Vestrogothnie788 (Cf. Planche 11) qui montrent trois personnages, dont l’un est dépourvu de bras droit. L’autre encore existant est pointé vers un quadrupède, un chien selon tout apparence. Sous cet animal qui regarde en direction de la gauche, se trouve un serpent tourné vers la droite. Les trois personnages ont les pieds pointés vers la droite. Ces compositions font irrésistiblement penser à un autre épisode évoqué aux strophes 38 et 39 de la Lokasenna (Sarcasmes de Loki) et relaté dans la Snorra Edda, au chapitre 34 de la Gylfaginning. Týr, le seul parmi les Ases, a le courage de passer le cordonnet destiné à entraver le loup Fenrir, en tendant la dextre et en la plaçant dans la gueule de l’animal. Ce faisant, il perd la main droite789 pour sauver l’ordre cosmique menacé. Le pétroglyphe en question reproduit vraisemblablement cette scène rapportée par Snorri et mentionnée

787

C’est vraisemblablement le sens de ce geste que l’on voit souvent sur les tableaux pariétaux, notamment celui portant le numéro 159 a, à Södra Ödsmål, paroisse de Kville (cf. Åke Fredsjö : Kville socken, op. cit., p. 185). 788 L’autre localisée à Evje i Frederikstad, Østfold, cf. supra. 789 Cf. l’article de Régis Boyer « La dextre de Týr » dans l’ouvrage « Mythe et politique » paru aux éditions F. Jouan, Paris : Les Belles Lettres, 1990, pp. 33 à 43, cité dans R. Boyer « L’Edda Poétique », op. cit., p. 464.

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aussi aux strophes 38 et 39 de la Lokasenna (Les sarcasmes de Loki)790. Il date probablement de l’extrême fin de l’âge du bronze (période VI), voire du début de l’âge du fer pré-romain (vers 400 av. J.-C.) époque à laquelle le mythe devait déjà exister dans la forme que l’on connaît, c’est-à-dire telle que nous l’ont transmise les Edda. En fait, il s’agit peut-être d’un très ancien mythe qui a dû subir au cours des siècles certaines transformations, plus ou moins profondes, certains ajouts aussi. Une fois encore, il est nécessaire de se tourner vers les autres mythologies indo-européennes où il est question d’un mythe comparable afin de tenter une reconstitution de sa forme originelle. @ Dans les légendes romaines ayant trait à la période étrusque de la ville éternelle et à peu près contemporaines de la composition pariétale de Blomberg, il est question d’un héros borgne, Horatius Cocles, et d’un autre manchot, Mucius Scævola791. A propos du dieu irlandais Nuadu, il est dit qu’il perdit son bras dans la bataille de Magh Tuiredh792 lorsqu’un certain Sreng mac Sengainn793 le lui coupa. Celui-ci fut cependant remplacé par un autre en argent794. Nuadu, dont le nom et la nature héliaques l’apparentent au Nodens795 des Bretons (actuelle Angleterre) et au Nudd des Gallois, est un dieu solaire. On le décrit assis sur son trône, « entouré d’un jeu de lumière blanche qui ressemble à une toison d’argent. Autour de sa tête, une roue de lumière dont on peut voir les pulsions et qui change de couleurs796 ».

790

handar innar hægri mun ek hinnar geta er Þér sleit Fenri

Ta dextre je la mentionnerai celle que t’arracha Fenrir

pp. 482 et 483, traduction Régis Boyer, « l’Edda Poétique », op. cit. 791 Cf. Georges Dumézil, « L’héritage indo-européen à Rome », Paris, Galimard, 1949, pp. 163 à 169. 792 Cf. Miranda Jane Green : « Keltische Mythen », Stuttgart, Philipp Reclam Junior, 1994, p. 29. 793 Cf. Åke V. Ström, op. cit., p. 132 et Jan de Vries : « Keltische Religion », Stuttgart, 1961 (Coll. : « Die Religionen der Menschheit », pp. 101 et 103, cité par Åke V. Ström, n° 150, p. 132.) 794 Ce pourrait être l’explication mythique de la relève du Soleil par la Lune, Nuadu étant un dieu solaire. 795 Sur un fragment en bronze datant de l’époque romaine Nodens apparaît comme un aurige qui conduit un quadrige. Il a la tête irradiée et tient à la main une massue qui symbolise l’éclair : il s’agit donc bien d’une divinité héliaque. Mais l’archéologie le révèle surtout comme étant un dieu guérisseur, ce qui permet de le comparer à l’Apollon des GrecoRomains lequel était également une divinité solaire. 796 Cf. Arthur Coterell « Die Enzyklopädie der Mythologie », Edition XXL, Reichelsheim, 1999, p. 153.

293

PLANCHE 11

Blomberg, paroise de Kinnekulle (Vestrogothnie). Trois personnages dont celui de gauche (= droite) est privé du membre supérieur droit. D’après Just Bing, op. cit., p. 35, fig. 47.

Chez les Indiens, Savitar797, le dieu héliaque, perd également la dextre. Elle est remplacée par une main en or798 que cette divinité tend en écartant les doigts799, exactement comme les personnages gigantesques des pétroglyphes du Bohuslän. Ces quelques exemples suffisent à montrer que l’épisode auquel il est fait allusion dans la Lokasenna et qui est relaté dans la Gylfaginning n’est nullement isolé et fait très vraisemblablement partie des mythes fondamentaux connus chez bon nombre de peuples indo-européens. Manifestement, ils ont trait à l’astre diurne et à son rayonnement. Comme on l’a constaté à maintes reprises, le bras tendu, les mains aux doigts écartés symbolisent cette fonc797

Ce nom signifie l’incitateur, l’impulseur. Cf. Georges Dumézil, « Mitra-Varuna », Paris, Galimard, 1949, pp. 194 à 199 qui cite l’ouvrage « Kausitaki brahmana », chap. VI, verset 13. 799 Cf. le Rigveda (II, 38) « Voici que s’est dressé le dieu aux larges mains, étend haut le bras, afin que tout lui obéisse. », cité par Régis Boyer : « La Religion des anciens Scandinaves », Paris, Payot, 1981, p. 70, qui compare Savitar au Alföðr scandinave. Le Rigveda parle de Savitar, de sa main d’or qui pousse, impulse et distingue : « il regarde, surveille, distingue avec son œil d’or ». Ces deux attributs, les longs bras, la main d’or d’une part, l’œil d’or, d’autre part, ce sont là les attributs typiques d’un dieu solaire. Les actes qu’on lui prête confirment cela : « venu de loin (paravatah, Rigveda 1.35.3) il surgit de l’espace sombre monte au ciel et redescend dans l’espace sombre, il suit le Soleil (vetisuryam, Rigveda 1.35.9) dont il surveille le lever et le coucher. » (Jean Haudry « La Religion Cosmique des Indo-Européens » Milan / Paris, Arche / Belles-Lettres, 1987, p. 56). Sa « situation d’intermédiaire entre le ciel diurne et le ciel nocturne » induit sa fonction générale de « séparation », « dissociation » (cf. Jean Haudry, op. cit., pp. 56 et 57). 798

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tion essentielle du Soleil. Ainsi, la perte des membres supérieurs, leur absence constatée sur bien des pétroglyphes peut exprimer deux choses : l’engloutissement du luminaire par l’eau ou la terre dans laquelle il s’enfonce à son coucher ou au début de l’hiver. Dans ce dernier cas, ses rayons sont absorbés par la ténèbre de l’océan qu’il devra traverser avant de reparaître. La crainte latente liée à cette croyance que cet engloutissement soit définitif, que l’astre soit définitivement avalé par quelque monstre cosmique. C’est selon toute probabilité, l’origine même du mythe de Týr tel qu’il est relaté par Snorri qui, en fait cite « Les sarcasmes de Loki ». Fenrir (en fait un loup : Fenrisulfr) représente sans doute un tel monstre avaleur du Soleil. Il réapparaît sous un autre nom, Garmr, dans la Grimnísmál (strophe 44)800 ; de même dans la Vwluspá (strophes. 44, 49, 58) où il est représenté également enchaîné au Gnipahellir801, hurlant à la mort802. On trouve encore ce nom (Garmr = chien) dans nombre de Kenningar803. Enfin il est mentionné à la Strophe 40 de la même Vwluspá sans qu’il soit nommé expressément, mais sa fonction cosmogonique et apocalyptique y est on ne peut plus clairement désignée : « A l’est était assise la vieille Dans la Forêt de Fer Et y enfantait La race de Fenrir Parmi eux tous Il y en aura un Qui détruira le soleil Sous la forme d’un monstre » Régis Boyer pense804 qu’il pourrait être question ici de Hati présenté dans la Strophe 39 du Grimnísmál805. Dans les trois cas (Fenrir, Garmr, Hati) il s’agit d’un être monstrueux qui engloutit le luminaire du jour. Celui-ci est le pendant négatif de Skwll (alarme) autre « loup qui guide le dieu à face brillante jusqu’à l’abri des forêts806 » (cit. trad. Régis Boyer, op. cit., p. 644)807. 800

Citation et traduction Régis Boyer, p. 645. Ce qui signifie littéralement « roc béant » (cf. Régis Boyer « L’Edda Poétique », op. cit., p. 544, note 3) et désigne l’ouverture conduisant aux enfers (ibidem, p. 544, note 3). 802 Voir aussi R. Simek, op. cit., p. 123. Traduction de Patrick Guelpa, op. cit., tome I, p. 140. 803 Ibidem. Traduction de Patrick Guelpa, op. cit., tome I, p. 129. 804 Cf. Régis Boyer, op. cit., p. 543, note 7. 805 Ibidem, p. 644. 806 Ibidem, note 3.

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Skwll aurait ainsi eu la même fonction que le géant porteur de la barque solaire. Ce dernier pourrait représenter une autre version du mythe tournant autour de ce thème. Dans la strophe 40 de la Vwluspá (« Prédiction de la prophétesse ») il est question du Soleil lui-même : le monstre, « troll », est qualifié de « sólar tiugari », c’est-à-dire « dévoreur du Soleil ». Au chapitre 12 de la Gylfaginning, le monstre Hati court devant le Soleil et poursuit ainsi la Lune qu’il chasse et finira par engloutir, tandis qu’un autre loup, nommé ici Skwll, poursuivra l’astre diurne et l’avalera lui aussi. Ainsi, on constate une nouvelle fois (et en dépit de l’esprit de systématisation que l’on connaît à Snorri) combien le concept de gémellité s’applique parfaitement aux deux luminaires : la symétrie est totale, au point que tous deux connaîtront exactement le même sort à la fin des temps (Ragnarwkr). Il faut l’affirmer à nouveau : ceci au nom de la nécessité d’équilibre qui doit régir l’ordre cosmique. Le mythe du monstre avaleur du Soleil ou de la Lune se retrouve dans de nombreuses cultures, même non indo-européennes. Il y a plusieurs années, des archéologues soviétiques ont mis à jour une stèle funéraire dans la nécropole de Tchernovaïa VIII (Région de Krasnoïarsk, au bord du Ienisseï) qui représente un tel monstre808. Elle est datée du début du second millénaire av. J.C. (Cf Planche 12). Il est possible que ce mythe plonge ses racines dans l’observation du ciel et des astres que pratiquaient vraisemblablement les Nordiques dès leur installation en Scandinavie : l’éclipse de l’astre diurne caché par la lune809 devait engendrer chez eux la crainte que celle-ci soit définitive.

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On retrouve ici cette omniprésente dualité qui marque profondément la religion nordique : la cause fondamentale en est le souci d’équilibre, principe qui doit absolument régir l’ordre cosmique. 808 Cf. Jacques Briard « Mythes et symboles de l’Europe pré-celtique », Paris, Editions Errance, 1987, pp. 71 et 72. 809 C’est peut-être le sens de la figure à droite de la composition de Hjulatorp, paroisse de Berg, en Småland : On y voit un disque à rayons concentriques d’où émerge un second disque bien plus petit. Cf. supra.

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PLANCHE 12

Tchernovaïa, Région de Krasnoïarsk au bord du Ienisseï (Féderation de Russie). La bête dévoreuse du Soleil (début du second millènaire avant Jésus-Christ). Illustration exécutée par Jean-Charles Sotty à l’ordinateur d’après un dessin se trouvant dans l’ouvrage de Jacques Briard, « Mythes et symboles de l’Europe préceltique. Les religions de l’âge du bronze 2500-800 avant Jésus-Christ », Paris, Edtions Errance, 1987, p. 71.

Chapitre V

Conclusion

A Le contexte historique et social Pendant les périodes I à III et même avant (Néolithique tardif) domine une conception plutôt masculine des puissances divines : ceci peut être attribuable à l’influence considérable d’une classe dominante qui entretient des rapports étroits avec les chefferies d’Europe Centrale : relations qui consis297

tent non seulement en l’échange de produits métallurgiques (armes) et de luxe, en partie destiné au culte, mais aussi de personnes. Cela contribue à introduire une idéologie nouvelle, centrée autour de la métallurgie, de l’éclat du feu, du luxe et de la beauté d’armes d’apparat (haches, épées, lances). Il s’agit d’un univers essentiellement masculin, suivant une tendance remontant au Néolithique récent. Jusqu’au siècle dernier, on considérait ces éléments comme le résultat d’une pénétration, voire d’une « invasion », indoeuropéenne ayant eu lieu entre 2500 et 1800 av. J.-C. En fait, ce n’était qu’une influence qui résultait surtout des contacts avec le reste de notre continent, en particulier le centre et le bassin danubien. Cette influence était rendue possible par les couches dominantes de la société nordique dont on reconnaît l’essor constant depuis environ 2500 à 2300 av. J.-C. Cette classe était avide de pouvoir, ici synonyme de richesse. Celle-ci reposait d’abord sur des biens meubles (armes, bijoux) susceptibles de conférer prestige et gloire. La construction de tertres funéraires monumentaux était destinée à renforcer cette image et à sceller les rapports étroits entre les membres de l’aristocratie et le monde des puissances divines. On peut même avancer que des rois-prêtres aux fonctions encore très marquées par le chamanisme établissaient la communication entre les deux mondes, celui des humains et celui des forces surnaturelles. L’équilibre cosmique, dont la société était en quelque sorte le reflet, reposait sur cette communication entre les deux mondes que symbolisaient justement les tumuli. Quelle place pouvait occuper les deux luminaires dans ce contexte ? Autant qu’on puisse en juger par l’iconographie et l’archéologie, une place prépondérante. Peut-être étaient-ils au sommet du « panthéon » de cette époque. Ceci est d’autant plus plausible que l’idéologie d’alors reposait sur l’équilibre des forces d’ordre et de désordre dont la course des deux astres était en quelque sorte l’archétype. La population, essentiellement agricole, avait certainement d’autres croyances, davantage centrées sur la terre et le cycle vital, la fertilité-fécondité. C’est la conjugaison de ces deux conceptions qui caractérisaient les croyances nordiques de l’âge du bronze ancien et d’une grande partie de la phase récente de cette époque. Car l’âge du bronze récent ne signifie tout d’abord pas la disparition de l’idéologie dominante : bien au contraire la généralisation de l’incinération qui exprime en quelque sorte la fusion entre le défunt et les puissances divines, le Soleil et la Lune en particulier, démontre un certain renforcement de cette idéologie entre 1200 et 800 av. J.-C. Mais peu à peu, les croyances ancestrales émergent et finissent par réapparaître, peut-être avec la fin de la métallurgie du bronze en Europe Centrale (entre 800 et 700 av. J.-C.) et une certaine raréfaction des échanges qui en résulte, le bronze devenant plus difficile à obtenir. En outre, on enregistre vers 900 av. J.-C. les prémices d’une dégradation climatique

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qui va en s’accentuant jusque vers 400 av. JC810. Avec l’apparition de ces phénomènes conjugués (raréfaction des métaux, dégradation climatique) on assiste en même temps à la renaissance des croyances qui se rapportent à la Puissance Divine Maîtresse de la vie ou de la mort comme en témoignent les compositions en bronze de Grevensvænge et surtout Fårdal, ainsi que certains glyphes (Vestrup Mark). Parallèlement, on assiste à la généralisation de conceptions religieuses issues des échanges antérieurs à 700 av. J.-C. : en particulier la représentation des puissances divines sous des traits humains, leur personnification croissante qui atteint un point culminant vers la fin de la période V et surtout à la période VI (cf. l’abondance d’idoles féminines). B La place du Soleil et de la Lune dans la mythologie nordique vers la fin de l’âge du bronze (500-400 av. J.-C.) Il importe tout d’abord d’insister, une fois encore, sur le danger de considérer les croyances d’alors comme des dogmes issus de quelque idéologie moniste. Il est plus que probable que plusieurs « versions mythiques » avaient alors cours à propos des deux luminaires. L’une d’elle a pu concevoir le Soleil et la Lune comme frère et sœur, peut-être jumeaux. C’est ce que nous a transmis l’Edda poétique à la strophe 23811 du Vafþrúðnismál (Les dits de Fort à l’embrouille812) composé au début du Xe siècle par un Norvégien qui, semble-t-il, était un « païen convaincu813 ». Plusieurs autres conceptions semblent avoir alors coexisté quant à leur nature : Peut-être étaient-ils au départ (Néolithique moyen B et récent) tractés par deux mammifères cornus (cervidés ou bovins814). Par la suite, ils auraient pris la forme de deux chevaux, ce qu’affirme encore le Grimnísmál à la strophe 37. Dans cette version du mythe, ce sont deux chevaux (Arvakr = tôt levé815 et Alsviðr = suprêmement rapide816) qui tirent le Soleil ou la Lune. Ceci est, pour l’âge du bronze récent, largement confirmé, ainsi qu’on l’a constaté, citons pour mémoire Arendal et Bottna. Aux périodes V et VI apparaît dans l’iconographie rupestre (Svenneby, Bottna) et sur bronze (Grevensvænge, Voel) le motif des deux jeunes guerriers jumeaux, également présents, vers la même époque, dans la mythologie grecque (Kastor 810

Le climat devient progressivement plus frais et plus humide. Cf. R. Boyer : « L’Edda Poétique », op. cit., pp. 521 et 522. 812 Ibidem p. 517. 813 Ibidem p. 516. 814 Cf. supra. Le Néolithique moyen B et récent Chapitre III, B. 815 Ibidem p. 643, note 3. 816 Ibidem p. 643, note 3.

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et Polydeukes) et latine (Castor et Pollux). Peut-être prenaient-ils aussi l’apparence de deux coursiers dont la crinière rappelait les rayons des corps célestes. C’était d’ailleurs aussi le cas chez les Hélènes, les Latins et les Celtes. Quoi qu’il en soit, ils auraient été la manifestation ou théophanie de la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort. Celle-ci devait déjà être personnalisée ainsi qu’en témoignent les nombreuses statuettes de femmes dénudées portant un collier et datant de la période VI (500 à 400 av. J.-C.) Elle présidait, entre autre, à la fertilité-fécondité et à la vie, au monde souterrain et à la mort. L’eau et la navigation était vraisemblablement aussi de son ressort et le bateau un de ses principaux symboles avec le collier (appelé plus tard Brísingamen). La mythologie scandinave de l’âge du fer tardif en garde le souvenir avec le fameux bateau magique Skiðblaðnir de Freyr, frère de Freyja, fils de Njörðr et de Skaði. Et l’Edda nous révèle que la résidence de Njörðr se nomme Nóatun « Clos des Nefs ». Les offrandes de colliers dans les lieux aquatiques ou souterrains, largement attestées pour cette époque, s’adressaient très vraisemblablement à elle. Au cours de l’étude précédente sur les pétroglyphes, on a pu constater que les divers rites accomplis à bord de navires avaient pour objet essentiel la fertilité-fécondité, le cycle vital (naissance, vie, mort, renaissance), plus concrètement l’alternance des saisons (été, hiver) et, en définitive, la Puissance Divine elle-même. La présence sur les bateaux cultuels de nombreux symboles solaires et lunaires soulignait le lien intrinsèque entre cette divinité et les deux luminaires. Ceci est particulièrement le cas des disques jumelés qui se dressent sur le pont des navires, comme par exemple sur la composition de Lökeberget, paroisse de Foss au Bohuslän. Il est encore un autre attribut de celle-ci, probablement plus récent que les autres : le char processionnel. A l’appui de cela, on peut citer les offrandes de harnachement et les restes d’attelage retrouvés dans les tourbières tant au Danemark (Egemose) qu’en Suède (Eskelhem, Fogdarp). Ce genre de dépôt sera l’un des traits archéologiques typique du premier âge du fer qu’il faut mettre en rapport avec le passage célèbre de Tacite sur le culte rendu à une déesse au Jutland, précisément là où l’on a trouvé ce genre d’artéfacts. Cette Puissance Divine aurait été la continuation de l’entité, dont il a été question dans les parties précédentes de cette étude (Mésolithique, Néolithique, âge du bronze ancien) et comme l’indiquent les deux figures circulaires radiées présentes sur nombre de céramiques. Le Soleil et la Lune devaient être considérés comme les « yeux de la Déesse817 ». Selon toute apparence, cette croyance avait survécu à l’âge du bronze récent : deux figurines en bronze en livrent la preuve : la statuette de la Déesse agenouillée de Fårdal dont les deux yeux en 817

L’expression est de Marija Gimbut- et sert de titre à son dernier ouvrage paru en 1993.

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forme de globe sont dorés à l’or fin ; le manche de lance de Glasbacka (Halland) qui date de la période VI, donc de l’extrême fin de l’âge du bronze (700 à 500 av. J.-C.). Ce buste à la connotation sélénique exceptionnellement forte (lune croissante, côté droit, lune décroissante, côté gauche) ne doit pas faire oublier la présence des deux yeux : lune cercles concentriques, soleil, disque entouré de pointes triangulaires. Cette allusion sans équivoque aux « yeux de la Déesse » est encore renforcée par le fait que, de face, cette figurine représente un visage humain surmonté d’une coiffure en forme de bec d’oiseau, rappelant fortement celle du casque de Viksø ou des bustes de Fogdarp. Il s’agit là d’un attribut réservé à la Puissance Divine, appelée aussi la Déesse-Oiseau et dont le souvenir perdurait à la même période (700 à 500 av. J.-C.) en Grèce dans l’image de la chouette, l’oiseau sacré de la déesse Athéna. Les yeux de la Déesse, son bateau, son collier, son char mais aussi son oiseau, en particulier un cygne ou autre oiseau aquatique étaient ses attributs. Certaines autres mythologies indo-européennes gardent encore le souvenir de cela : on vient de nommer Athéna mais aussi Léda, dans le fameux épisode avec le cygne, en fait Jupiter qui a pris la forme de ce volatile. On sait que Léda conçut de son union avec le cygne-Jupiter deux œufs desquels éclorent Kastor et Polydeukes, les divins jumeaux ou Dioscures. Ceci est d’ailleurs du plus grand intérêt pour le sujet traité ici : en effet Léda est probablement, comme Athena, l’une des nombreuses manifestations de la Grande Déesse vénérée au Néolithique ancien et moyen A et B dans toute l’Europe. De plus, on posséderait ici un indice du lien indissoluble qui aurait uni la Puissance Divine aux Dioscures avec lesquels elle a pu se confondre. Ce rapport, ainsi que le symbolisme de l’oiseau aquatique, démontre que la divinité en question revêtait également un aspect ouranien tout aussi important que l’autre, tellurique. Dans l’iconographie nordique des périodes V et VI, le cygne est associé à la nef (cf. les situles de Siem et de Mariensminde) l’un des attributs essentiels de la Puissance Divine. Rappelons que Skiðblaðnir, à l’époque viking, était le navire magique du frère jumeau de Frejya ; leur gémellité renvoyait vraisemblablement à celle des deux corps célestes, mais aussi et surtout à la nature hermaphrodique de *NerþuK / *Nerþa / *NerþuR / Njwrðr, ce que confirme le thème en –u qui, en germanique commun, correspond autant à des substantifs masculins que féminins. En tant que théophanies, les deux astres se relayaient à tour de rôle. Pendant que l’un d’eux traversait les ténèbres ou les entrailles de la terre, l’autre parcourait la voûte céleste. C’est le sens des figurines pariétales ou sur bronze qui représentent deux hommes ou deux bateaux818 placés l’un à l’endroit, l’autre à l’envers. Pendant la période hivernale tous deux devaient effectuer la traversée de l’obscurité : c’est ce que suggère le glyphe de Vestrup Mark. 818

On remarquera ici l’ambiguïté de la nef qui renvoie tout autant aux deux astres jumeaux qu’à la Puissance Divine, ambiguïté que l’on retrouve dans la figurine de Glasbacka.

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Au cours de ce voyage les deux luminaires étaient en compagnie de la Divinité Maîtresse de la vie et de la mort, ainsi que le donne à penser, ici encore, la composition sur bronze de Vestrup Mark. Lors du passage des ténèbres à la lumière, le Soleil et la Lune étaient vraisemblablement secondés par des êtres divins qui présidaient à ce passage. Peut-être s’agissait-il, là encore, d’une paire jumelle, mais la tradition nordique819 n’a gardé que le souvenir d’une entité divine masculine Aurvandill. Celui-ci aurait été à l’origine un géant des ténèbres, qui va vers l’est820 afin d’aider la nef solaire à franchir ceux-ci. A une époque indéterminée, peut-être l’âge du fer, c’est *þunaraK/ þórr qui lui aurait usurpé ce rôle. De l’acte héroïque du géant ne serait resté que l’épisode de l’orteil gelé. L’identification d’Orion / Aurvandill à l’étoile du matin n’a peut-être été opérée que plus tard. A l’extrême fin de l’âge du bronze, le Soleil relevait, lors du parcours de la voûte céleste, du domaine de la Puissance Divine du ciel lumineux diurne (*TeiwaK?). Celui-ci était peut-être représenté sous les traits du « Dieu à la Lance », tel qu’on le voit sur la composition de Litsleby. Pendant sa course au firmament, l’astre du jour devait être mis en rapport avec le dieu ouranien. Il en allait autrement de la pleine Lune qui relevait du ciel nocturne, domaine de la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort. Comme on peut le constater, Soleil et Lune devaient, en cette fin de l’âge du bronze, participer pratiquement à tous les domaines essentiels de l’existence : la vie et la mort symbolisées par leur apparition et leur disparition, le bien et le mal821, l’équilibre cosmique. A l’époque viking encore, la fin du monde proprement dite débute par l’obscurcissement du Soleil (cf. Vwluspá, strophe 57). C’est dire le poids que les deux corps célestes devaient avoir non seulement dans la religion nordique d’alors (méritant ainsi d’être qualifiée de solaire et de lunaire), mais aussi dans la vie quotidienne, (exercice du droit, orientation des maisons…). Force est donc de constater encore une fois une grande continuité en ce domaine, au moins depuis le Néolithique. Toutefois on s’est efforcé de démontrer combien les deux astres étaient intégrés dans un très vaste ensemble dominé par le cycle vital, l’équilibre entre forces d’ordre et de désordre. Or, cet édifice cosmique s’avère très probablement 819

Comme cela a été déjà dit précédemment la tradition westique conservait à l’époque mérovingienne le nom Austara (vieux haut allemand) ou Eastre ou Eostra (vieil anglais) qui désignait une déité féminine de l’Aurore puis du printemps et de la fertilité-fécondité. 820 Ceci serait alors à mettre en parallèle avec l’épisode de la mythologie grecque où Orion, après avoir violé Mérope est aveuglé par le père de celle-ci et doit, pour recouvrir la vue, marcher vers l’est avec l’aide d’un fils d’Héphaïstos (le dieu du feu et de la métalurgie !) qu’il porte sur les épaules. La légende de Saint-Christophe représenterait la version christianisée de cet épisode mythique qui remonte à une période où les peuples d’Europe partageaient bon nombre de croyances et de mythes communs. C’est cet épisode mythique qui, en Scandinavie Méridionale aurait été commémoré lors de rites où l’on voit un personnage gigantesque percer la quille d’un bateau ou le porter sur ses épaules. 821 Cf. à l’âge du fer tardif les notions de réttsælis et andsælis.

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régi par deux entités divines déjà fortement individualisées et personnifiées ainsi qu’on vient de le constater dans l’iconographie : la Puissance Divine Maîtresse de la vie et de la mort822 et celle du domaine céleste diurne et de l’équilibre cosmique823. On doit néanmoins se garder de considérer l’ensemble des régions étudiées comme un ensemble unitaire et il existait très certainement des différences marquées entre les contrées. L’existence d’autres divinités, telles que le dieu indo-européen de la pluie et du tonnerre (*þunaraK : cf. le pétroglyphe de Brastad) est vraisemblable. Ainsi la conclusion qui vient d’être apportée tend à démontrer la survivance des conceptions héritées du Néolithique : les deux luminaires ne sont que la théophanie des entités divines primordiales, notamment de la Maîtresse de la Vie, devenue entre-temps une divinité personnalisée. Cette continuité a dû s’affirmer au détriment des croyances peut-être importées par des immigrants d’Europe Centrale à partir de 2800 – 2500 et renforcées par l’apparition de la métallurgie du bronze et les relations qui en découlent avec les régions danubiennes, puis la Civilisation d’Hallstatt. Ici, il est encore une fois impératif de ne pas généraliser outre mesure : Dans maintes contrées où existaient des chefferies puissantes, par exemple au sud-ouest de la Fionie, le principe du Soleil déifié dont le chef de tribu était, en quelque sorte, le représentant, le médiateur a pu se maintenir au moins jusque vers 700 av. J.-C. La généralisation de l’incinération pourrait même être interprétée comme la suprématie de conceptions qui voient dans la crémation des corps le moyen de se fondre totalement avec la divinité solaire. Ainsi, aurait-on là un renforcement des cultes solaires et lunaires, tels qu’ils ont pu avoir eu cours officiellement en maintes régions de Scandinavie méridionale à l’âge du bronze ancien. Nonobstant ces restrictions de taille, les traditions autochtones (Soleil et Lune : théophanies de la Grande Déesse) réapparaissent au cours des périodes V et VI. Les raisons qui ont pu conduire à cette résurgence sont très difficiles à déterminer. Durant la première partie de l’âge du bronze, les croyances traditionnelles qui avaient eu cours depuis des millénaires à propos des deux corps célestes ont dû se maintenir dans les couches paysannes. La raréfaction des contacts avec l’Europe Hallstattienne à partir de 700 av. J.-C., du fait de l’adoption définitive de la métallurgie du fer au centre du continent, a dû ébranler passablement les fondements de la société scandinave telle qu’elle existait au moins depuis la période II. Par ailleurs, la disparition de certains partenaires traditionnels du monde nordique devant la montée des Celtes à dû couper la Scandinavie des sources d’échanges matériels et culturels qui avaient été les siennes depuis le milieu du troisième millénaire. Il dut en résulter un certain repli sur ses valeurs propres ancestrales 822

Celle dont Tacite, dans le chapitre XL de « La Germanie », nous a transmis le nom à l’âge du fer : *NerþuK. 823 Il portera à l’âge du fer le théonyme *TeiwaK.

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héritées du Néolithique ancien et moyen A, lesquelles s’étaient plus ou moins maintenues en dépit des influences extérieures. Cette évolution ne pouvait que favoriser la résurgence des rites traditionnels, tels que dépôts votifs dans les lieux aquatiques, et vénération du Principe Divin Féminin. Ceci est reflété par l’archéologie dès la fin de la période IV et atteint une sorte de sommet au cours des périodes V et surtout VI (statuettes de déesses nues), ce qui n’empêche cependant pas une montée parallèle des croyances et cultes dédiés aux puissances divines ouraniennes masculines telles que *TEIWAN et *þUNARAN auxquelles sont d’ailleurs également liés les deux astres. Une étude menée sur l’époque suivante (âge du fer) dans le cadre d’une thèse de doctorat824 a permis de démontrer que le caractère héliaque et sélénique des croyances nordiques s’est maintenu jusqu’à l’aube de l’époque viking et ce malgré le rôle croissant des puissances divines personnifiées.

824

Patrick Ettighoffer, thèse de doctorat : « Le Soleil et la Lune dans le paganisme sudscandinave du Mésolithique à l’âge du fer germanique (8000 av. JC. à 750 ap. JC.) » soutenue le 30 mai 2005 à Paris IV Sorbonne.

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NORDÉN, Arthur Östergötlands bronsålder Linköping : Henrik Carlssons bokhandel, 1925 – 2 bd / 2 vol., bd / vol/ I / II. SOGNNES, Kalle Det levende berget Trondheim : Tapir Forlag, 1999. BERTEMES, François Die Sonne und ihre Bedeutung im religiös-mythologischen Kontext der Urgeschichte Alteuropas In : Sonne Brennpunkt der Kulturen der Welt, sous la direction de : Andrea Bärnreuther, Berlin Staatliche Museen – Deutsche Bank Stiftung – München Farnung Minerva, Verlag, 2009. FREDSJÖ, Åke / NORDBLADH, Jarl / ROSVALL, Jan Hällristningar Kville härad i Bohuslän. Svenneby socken Göteborg : Göteborgs och Bohusläns fornminnesförening i samarbete med Göteborgs arkeologiska Museum, 1974. (Coll. : Studier i nordisk arkeologi, 7). BROHOLM, H.C. Studier over den yngre Bronzealder i Danmark med særligt Henblik paa Gravfundene In : Aarbøger for Nordisk Oldkyndighed og Historie, 1933, København : Gyldendal / Nordisk Forlag i Kommission, pp. 1 à 352. HALVORSEN, Eyvind Fjeld. Didriks saga af Bern In : Kulturhistorisk Leksikon for Nordisk middelalder, bind / tome 3, København : Rosenkilde og Bagger, 1958, pp. 74 et 75. BOYER, Régis La dextre de T_r In : Mythe et Politique de F. Jovan (Dir. de Publication), Paris : Les Belles Lettres, 1980, pp. 33 à 43. COTERELL, Arthur Die Enzyklopädie der Mythologie Reichelsheim : Edition XXL, 1999. DUMÉZIL, Georges Mitra-Varuna Paris Gallimard, 1949.

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316

AKNOWLEDGEMENTS O Ata arkivet M. eddie krusten riksantikvarieämbetet informationsaVdelningen, Antikvarisk – topografiska arkivet (= ata) box 5405 se-114 84 Stockholm O Cambridge university press The Edinburgh Building Shaftesbury Road Cambridge CB2 8RU UNITED KINGDOM ROYAUME-UNI O PR. Ebbesen klavs h. ørsen del. Danemark O Fornminnesföreningen I göteborg. Sverige suede O M. RICHARD GALLENSTEIN, 25 RUE DES PEUPLIERS 38120 ST EGREVE, FRANCE O Pr. Lars Larsson lunds universitet, institutionen för arkeologi och forntid O Nationalmuseet københavn : Hr / Mr flemming kaul konservator københavn / copenhague Nationalmuseet københavn : FRU / mRS Helga schütze forsknings-og formidlingsafdelingen københavn / danmark O pr. Em. Nordbladh jarl Göteborgs universitet institutionen för arkeologi och antikens kultur box 200, se 405 30 Göteborg sVERIGE SUEDE O M. Rosvall jan Göteborgs universitet institutionen för arkeologi och antikens kultur O M. Sotty jean Charles – imprimerie sotty 6 avenue general de gaulle 71140 Bourbon-Lancy, France O Tanums Hällristningsmuseum Scandinavian Society For Prehistoric Art underslös : HR / m. gerhard milstreu s-457 91 tanumshede suede Umeå universitet institutionen för arkeologi sverige - Suède O MME Uomobono Céline – dépann’ script 119 cours jean jaurès 38000 grenoble, France O Wachholtz karl verlag gmbh rungestrABE 4, d-245 37 neumünster, R.F.A.

317

SUMMARY This book intends to demonstrate the existence and the permanence of sun and moon worship in the Nordic paganism from the final Mesolithic (8000 BC) to the recent Bronze Age (500 BC). At the same time it aims at correcting the excesses committed since the XVIIth century about the nature and the functions of both heavenly bodies. We do not so much try to prove their divine nature as to throw a new light on the determining part in the very structure of the Nordic paganism. In so doing, we want to bring out the indissolubility of the bounds between the sun, the moon and a very wide system which we call « vital circle », in other words the alternation of birth – life – death – revival. So the purpose is at the same time historical, archaeological and iconographical. Historical : we will examine the different stages of solar and lunar believes and cults within the Scandinavian paganism. Archaeological because the means of investigation depend above all on discoveries in this field. Iconographical, because, for lack of written documents until the IVth century BC, the decoration of ceramics, rock carvings allow us to shed some light on essential aspects within this matter, such as the nature of belief, the celebration of cults, the status of both heavenly bodies in the Nordic pantheon and cosmology. This does not prevent us from having recourse to ethnography, literary tradition, linguistics, etymology and toponomy.

318

Figure 1

Reconstitution d’un bateau-tombe contenant des bois de cerf retrouvé sous l’eau au lieu dit Møllegabet situé près de l’île de Dejrø, en Fionie. Dessin retouché par JeanCharles Sotty, d’après une illustration de J. K. reproduit dans : Karsten Kjær Michælsen « Stenalder. Jægeren bliver bonde » Glamsbjerg, Alrune, 1998, p. 40.

Figure 2

Fig. 9 Calendrier lunaire du paléolithique supérieur : Caverne du Taye (Drôme, France). D’après Alexander Marshack reproduit dans : Lars A. Fischinger, op. cit.

3d&

Figure 3

Femme en train d’enfanter en adoptant la position de l’orante. Elle porte une coiffe à cornes (ramures de cervidé ?). Origine : Fionie, lieu non précisé. D’après Grahame Clark : ibidem. Avec l’autorisation de l’éditeur.

3t0

Figure 4 Disque orné d’une croix très régulière, provenance non précisée. D’après P.V. Glob « Danske Oldsager », tome II “Yngre Stenalder”, København Gyldendalske Boghandel/Nordisk Forlag 1952, fig. 191. Retouché par Patrick Ettighoffer.

A Figure 5 Fig. 21 Autre disque sans décor, provenant du tertre de Konens Høj, près de Egens, non loin de Barkær dans la péninsule du Djursland, a l’est du Jutland. D’après P.V. Glob « Danske Oldsager », tome II “Yngre Stenalder”, København Gyldendalske Boghandel/Nordisk Forlag 1952, fig. 192. Retouché par Patrick B Ettighoffer.

Figure 6 A B

C

Ecuelles discoïdales. D’après P.V. Glob, op. cit. Fig. 186-187-190. Retouché par Patrick Ettighoffer.

3t1

Figure 7-8

fig. 7

fig. 8

7 – Amulette en forme de double hache portant les traces d’une réparation ancienne. Alvastra, Ostrogothnie, Suède. D’après G. Wilke “Die Religion der Indogermanen”, in “Mannus” 1910, 133, fig. 126. 8 – Pendentif d’ambre de même forme portant des marques de rayonnement. Schleswig – Holstein. D’après Gustav Schwantes : « Die Vorgeschichte Schleswig-Holsteins », 1939. Neum$nster Wachholtz, fig. 340 p. 263.

Figure 9

Fig. 27 Tesselle découverte en 1995 à Rispebjerg. L’un des plus anciens spécimens du motif dit « soleil tourbillonnant ». Dessin exécuté à l’ordinateur par Jean-Charles Sotty, d’après une photo de Jesper Weng Nationalmuse et København. Reproduite dans Jørgen Jensen : « Danmarks Oldtid », op. cit., p. 453.

3t2

Figure 10

Grantofta, paroisse de Kvistofta, Scanie : rangée du haut à partir de la gauche : demilunes en ambre. D’après une photo ATA, reproduite dans : Till Gunborg, “Arkeologiska samtal” ; redaktion Agneta Åkerlund, Stefan Bergh, Jarl Nordbladh, Jacqueline Taffinder. Stockholm « Archæological Reports », 1997, 33, Stockholms Universitet, p. 45, fig. 6. Publié avec l’autorisation de : ATA, Stockholm, Suède.

3t3

Figure 11

Coupe munie de quatre pieds. Elle présente sur l’une de ses faces le motif des « yeux de la déesse », sur l’autre des cerfs stylisés. Cette céramique provient d’une des tombes collectives à passage de la nécropole de Los Millares, province d’Almeria, (Andalousie), Espagne. Datation : vers 3000 avant J.-C. Dessin exécuté à l’ordinateur par M. Jean-Charles Sotty, d’après une photo qui figure dans l’ouvrage de : Barry Cunliffe (éditeur) : « The Oxford Illustrated Prehistory of Europe ». Oxford, New York : Oxford University Press, 1994, p. 197. Cliché Ashmolean Museum, Oxford.

3t4

Figure 12 Fig. 45 Fibule à roue rayonnante exhumée dans une tombe féminine près de Smidstrup au sud de la Seeland. D’après Jørgen Jensen « Danmarks Oldtid », København, Gyldendal, 2002, tome II, p. 265. Avec l’autorisation de l’éditeur.

Figure 13 Fig. 46 Fibule analogue provenant de Wohlde (Basse Saxe, RFA), reconstitution par P. Ettighoffer d’après une figure se trouvant dans l’ouvrage de : Friedrich Laux « Die Nadeln in Niedersachsen », Mu"nchen C. H. Beck’sche Verlagsbuchhandlung. Coll. : Prähistorische Bronzefunde Abteilung XII Section XIII Band 4, vol. 4, planche 9 n° 80.

3t5

Figure 14 Personnage en adoration devant un disque solaire placé sur un trépied. Pétroglyphe du Bohuslän d’après Laurits Baltzer : « Hällristningar från Bohuslän » G$teborg, 1881-1890.

Figure 15 Deux figurines jumelles provenant du dépôt votif de Stockhult. Illustration effectuée sur ordinateur par Jean-Charles Sotty d’après une photographie de Lennart Larsen Nationalmuseet København.

3t6

Figure 16-17-18 Chapeaux coniques en or Ezelsdorf-Buch près de Nuremberg/Franconie (Bavière. RFA) 12001100 av. Jésus Christ. Illustration effectuée sur ordinateur par Jean-Charles Sott.

Avanton (Département de la Vienne, France). Illustration effectuée sur ordinateur par JeanCharles Sotty.

Schifferstadt près de Ludwigshafen (Rhénanie. Palatinat, RFA) 1350 av. J.-C.

Coloriage effectué à l’ordinateur d’après une illustration figurant dans l’article de S. Gerloff “Bronzezeitliche Goldblechkronen aus Westeuropa. Betrachtungen zur Funktion der Goldblechkegel vom Typ Schifferstadt und der atlantischen Goldschalen” der Form “Devil’s Bit” und “Atroxi”, dans : « Festschrift für Hermann M$ller-Karpe zum 70. Geburtstag », édité par A. Jockenh&vel. Bonn Habelt, 1995, pp. 153-155. Illustration effectuée sur ordinateur par Jean-Charles Sotty.

3te

Figure 19

Fig. 65 Plan de l’enclos intérieur en demi-cercle délimitant le cœur du tertre funéraire de Sagaholm près de J$nk$ping (Småland). Les dalles historiées sont numérotées et leur emplacement exact dans l’enclos indiqué par un trait. Remarquer leur position à l’est de cet ensemble. Les dalles non numérotées ont été trouvées en dehors de l’enclos : aussi ignore-t-on leur emplacement exact. D’après Joackim Goldhahn : « Sagaholm hällristningar och gravritual ». “Studia Archæologica Universitatis Umensis”, fascicule 11. J$nk$pings Läns Museums Umeå/J$nk$ping, 1999. Avec l’autorisation de : « Arkeologiska Institutionen, Umeå Universitet ».

3t8

Figure 20

1

2

3

4

5

6

7

8

Les huit dalles du ciste de Kivik (d’après Arthur Nordèn : « Graven i Kivik, Ord och bild », Stockholm, 1933).

Illustration exécutée à l’ordinateur et coloriée par Jean-Charles Sotty, d’après une photographie se trouvant dans l’ouvrage de Klavs Randsborg : « Kivik : Archaelogy and Iconography » in : “Acta Archælogica”, 1993, 64, op. cit.

3t9

Figure 21

Fig. 79 Reconstitution du groupe de figurines de Fårdal près de Viborg (Jutland). Pour celle-ci, l’on s’est appuyé sur des scènes rupestres, ainsi que sur des représentations reproduites sur les rasoirs en bronze de la période V, donc contemporaine (voir figure suivante). Restitution proposée par P.V. Glob. Illustration réalisée à l’ordinateur par Jean-Charles Sotty d’après une photo de Lennart Larsen, Nationalmuseet reproduite dans Jørgen Jensen : « Danmarks Oldtid », op. cit., p. 482.

Figure 22 Figurine représentant un personnage féminin agenouillé. Groupe de Fårdal (Jutland du nord). Noter les yeux en forme de globes dorés qui symbolisent le Soleil et la Lune. Photo : Lennart Larsen in Jørgen Jensen : « Danmarks Oldtid », op. cit., p. 477. Reproduite avec l’autorisation de Mme Helga Schütz, Nationalmuseet København (NMA).

3%0

Figure 23

Hamn : bateau période II (?) à poupe ornée d’un disque et autres embarcations (période IV ?) dont deux sont reliés. D’après Åke Fredsjö « Hällristningar i Kville ha"rad », Kville socken, op. cit., p. 278, tableau 211, pl. 1.

Figure 24 Hamn : figure en 8 reliée à la proue d’un bateau de la période II. D’après Åke Fredsjö « Hällristningar i Kville ha"rad », Kville socken, op. cit., p. 280, tableau 211, pl. IV.

3%1

Figure 25

Bottna : navire (periode III/IV) transportant un disque héliaque monté sur support. D’après Åke Fredsjö « Hällristningar i Kville ha"rad », Kville socken, Bottna socken, p. 102, tableau 349, planche II.

3%2

Figure 26

Kalleby, paroisse de Tanum Bohusla"n char tiré par deux chevaux, figuré à plat : entre les deux roues : disque solaire. D’après Baltzer, reproduit dans : Sverre Marstrander, op. cit., p. 169, fig. 451.

Figure 27 Rished paroisse d’Askum, Bohusla"n : disque avec trait vertical placé sur la caisse d’un char : peut-être la figuration de la Lune. D’après Gustafson reproduit dans : Sverre Marstrander, op. cit., p. 169, fig 454.

Figure 28 Kalleby, paroisse de Tanum, Le char solaire : a. Tel que l’a reproduit Lauritz Balzer au XIXe s. b. Tel qu’il est rendu par un frottage de Gerhard Milstreu. D’après G. Milstreu : “En dokumentationsteknik” in : Adoranten 1989, op. cit., fig. 10, p. 24.

3%3

Figure 29

Lilla Arendal, Bohusla"n : en bas, à gauche, le célèbre glyphe du char solaire. Derrière le disque, des adorateurs les mains levées. D’après une gravure de L. Baltzer dans son ouvrage « Ha"llristningar från Bohusla"n », reproduite dans : Just Bing, op. cit., p. 43, fig. 58.

3%4

Figure 30

Gisslega"rde, paroisse de Bottna : en bas à droite, char tiré par deux chevaux, celui de gauche étant confondu avec un bateau (surimpression). D’après Åke Fredsjö « Hällristningar i Kville ha"rad », Bottna socken, p. 34, tableau 308, planche I, op. cit.

3%5

Figure 31 D$ltorp, paroisse de Skee, cheval se cabrant devant deux bateaux. D’après : Sven Gunnar Brostr$m et Kenneth Ihrestam : “Nyuppta%ckta ha%llristningar i Bohusla%n 1992-1993”, in Adoranten, 1994, 15, p. 37.

Figure 32 Lille Borge paroisse de Borge près de Frederikstad, Østfold, Norvège. D’après Just Bing, op. cit., p. 21, fig. 25.

Figure 33 Fig. 108 Balken, paroisse de Tanum : cheval tractant le Soleil. Photo : Gerhard Milstreu in : Flemming Kaul “Solhesten på bronzer og på sten” dans Adoranten, 1998, 19, pp. 5 à 33 ; ici p. 10, fig. 10.

3%6

Figure 34

Fig. 110 Backa, paroisse de Brastad : cerf dont les bois en volutes sont reliés à un disque à rayons cruciformes. D’après Oscar Almgren, op. cit., p. 96, figure 61b, reproduisant une gravure de l’ouvrage de L. Baltzer « Ha%llristningar från Bohusla%n ».

Figure 35

S$dra Ödsmål, paroisse de Kville : deux cervidés disposés en quinconce. D’après Åke Fredsjö « Ha%llristningar ï Kville härad », Kville socken, op. cit., p. 181, tableau 158, pl. 1.

3%7

Figure 36

Fig 115 Kyrkestigen, paroisse de Svenneby : taureau à cornes discoïdales relié à un homme-disque (flèche). D’après Åke Fredsjö « Ha"llristningar i Kville ha"rad », Kville socken, op. cit., p. 39, tableau 241, pl. IV.

3%u

Figure 37

Disåsen, Backa, paroisse de Brastad : char désattelé avec disque héliaque monté sur support. Devant celui-ci, un orant assis en tailleur, les bras levés. D’après L. Baltzer, op. cit., (1re série), reproduit dans O. Almgren, op. cit., p. 96, fig. 60.

Figure 38

Fig. 158 Begby, paroisse de Borge, Østfold, Norvège : Les deux jumeaux se tenant debout, les jambes écartées à côté d’un quadrupède (cervidé ?), le tout sur un bateau. D’après Peter Gelling, p. 125, fig. 56e : reproduction d’une gravure de L. Baltzer, op. cit.

3%&

Figure 39

Sakshøj, paroisse d’Egebjerg, amt de Holbæk (Seeland). NM B7027 = Cat n° 60, p. 29, op. cit. D’après un dessin de Bjørn Skaarup. In : Flemming Kaul, op. cit.

Figure 40

Neder Hvolris, paroisse de Hersom, amt de Viborg, Jutland. NM B17739 = Cat, n° 243, p. 99, op. cit. D’après un dessin de Bjørn Skaarup. In : Flemming Kaul, op. cit.

35S

AKNOWLEDGEMENTS O ATA ARKIVET M. EDDIE KRUSTEN RIKSANTIKVARIEÄMBETET INFORMATIONSAVDELNINGEN, ANTIKVARISK – TOPOGRAFISKA ARKIVET (= ATA) BOX 5405 SE114 84 STOCKHOLM O CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS THE EDINBURGH BUILDING SHAFTESBURY ROAD CAMBRIDGE CB2 8RU UNITED KINGDOM ROYAUME-UNI O PR. EBBESEN KLAVS H. ØRSEN DEL. DANEMARK O FORNMINNESFÖRENINGEN I GÖTEBORG. SVERIGE SUEDE O M. RICHARD GALLENSTEIN, 25 RUE DES PEUPLIERS 38120 ST EGREVE, FRANCE O PR. LARS LARSSON LUNDS UNIVERSITET, INSTITUTIONEN FÖR ARKEOLOGI OCH FORNTID O NATIONALMUSEET KØBENHAVN : HR / MR FLEMMING KAUL KONSERVATOR KØBENHAVN / COPENHAGUE NATIONALMUSEET KØBENHAVN : FRU / MRS HELGA SCHÜTZE FORSKNINGS-OG FORMIDLINGSAFDELINGEN KØBENHAVN / DANMARK O PR. EM. NORDBLADH JARL GÖTEBORGS UNIVERSITET INSTITUTIONEN FÖR ARKEOLOGI OCH ANTIKENS KULTUR BOX 200, SE 405 30 GÖTEBORG SVERIGE SUEDE

341

O M. ROSVALL JAN GÖTEBORGS UNIVERSITET INSTITUTIONEN FÖR ARKEOLOGI OCH ANTIKENS KULTUR O M. SOTTY JEAN CHARLES – IMPRIMERIE SOTTY 6 AVENUE GENERAL DE GAULLE 71140 BOURBON-LANCY, FRANCE O TANUMS HÄLLRISTNINGSMUSEUM SCANDINAVIAN SOCIETY FOR PREHISTORIC ART UNDERSLÖS : HR / M. GERHARD MILSTREU S-457 91 TANUMSHEDE SUEDE UMEÅ UNIVERSITET INSTITUTIONEN FÖR ARKEOLOGI SVERIGE SUÈDE O MME UOMOBONO CÉLINE – DÉPANN’ SCRIPT 119 COURS JEAN JAURÈS 38000 GRENOBLE, FRANCE O WACHHOLTZ KARL VERLAG GMBH RUNGESTRABE 4, D-245 37 NEUMÜNSTER, R.F.A.

342

ZUSAMMENFASSUNG In der vorliegenden Abhandlung nimmt sich der Verfasser vor, das Bestehen sowie die Fortdauer des Sonnen – und Mondkults im skandinavischen Heidentum von der Mittelsteinzeit (etwa 8000 vor Chr.) bis zur ausgehenden Bronzezeit (500 v. Chr.) nachzuweisen. Hierbei wird eine Berichtigung der seit dem 17. Jahrhundert in Schweden und Dänemark übertriebenermaßen vertretenen Ansichten über das Wesen und die Funktion beider Gestirne im nordgermanischen Heidentum angestrebt. Ziel dieser Untersuchung ist deshalb nicht so sehr das Nachweisen einer Sonnen – bzw Mondverehrung sondern das Aufweisen ihrer entscheidenden strukturellen Funktion innerhalb des nordgermanischen Heidentums. Dabei wird hervorgehoben, wie eng Sonne und Mond mit dem Kernbegriff “ewiger Kreislauf des Lebens” verquickt sind. Durch letzteren Ausdruck wird die immer wiederkehrende Abfolge von Geburt bzw. Entstehen / Tod und Auferstehen bezeichnet. Das Wesen dieser Forschungsarbeit und der herangezogenen Quellen bedingt ihr zunächst chronologisches, archäologisches und ikonographisches Merkmal. Chronologisch ist sie vor allem, weil sie die verschiedenen Schichten der mit Sonne und Mond verbundenen Glaubensvorstellungen und Kulthandlungen erforscht ; archäologisch, weil diese Untersuchung vorwiegend auf den Ergebnissen der neuesten Grabungen beruht. Letztendlich ikonographisch, weil das Fehlen jeglicher schriftlichen Quellen bis ins vierte vorchristliche Jahrhundert hinein das Heranziehen von Keramikmotiven, Felsbildern und Bildsteinen notwendig macht. Dadurch wurden einige grundlegende Gesichtspunkte des urgeschichtlichen Heidentums in Südskandinavien erst aufgewiesen, wie beispielsweise Glaubensinhalte, Kulthandlungen sowie der Stellenwert beider Himmelleuchten innerhalb der nordgermanischen Auffassung von Weltentstehung und Weltuntergang. Dies schließt freilich nicht aus, das dabei auf andere Bereiche wie Völker – und Ortsnamenskunde zurückgegriffen wird.

343

SAMMANFATTNING Denna avhandling är en studie over beståendet och kontinuiteten av sol – och månekulten i den sydskandinaviska hedendomen från medelstenåldern (ungefär 8000 f. Kr) till den senbronsåldern (ca 500 f. Kr). Den vill samtidigt beriktiga några överdrivna uppfattningar om sol – och måndyrkan som gällde från och med femtonhundratalet till början av nittonhundratalet, såväl i Sverige som i Danmark. Den här undersökningen syftar ej så mycket på, att bevisa beståendet av sol – och måndyrkan i den nordiska hedendomen, utan, framför allt att understryka den strukturella funktionen av båda himlakroppar inom den nordgermanska religionen. Samtidigt uppvisas hur mycket sol och måne hör till den såkallade “livskretsen”, dvs. uppståelse resp. födelse – död – återuppstaende i naturen. Denna forskning och de utnyttjade källorna betingar den främst kronologiska, arkeologiska och ikonografiska synpunkten. Kronologisk är denna avhandling därför att här forskas de olika kronologiska stadierna av sol – och måndyrkan resp. kulten. Arkeologisk, därför att den huvudsakligen beror på de nyaste utgravningarna. Slutligen ikonografisk, därfor att keramikmotiverna, hällristningarna och bildstenarna ersätter för det mesta saknaden av skriftkällor. Därvidlag uppvisas några väsentliga aspekter i den sydskandinaviska hedendomen t.e. dyrkan och kulthandlingarna, resp. stället av sol och måne inom kosmologin. Detta uteslutar icke att andra ämnen som etnografi, litteratur, språkvetenskap resp. etymologi och toponymi även skall användas.

344

TABLE DES MATIERES : Préface ............................................................................................... 7 : Avant-propos ..................................................................................... 9 : Introduction .................................................................................... 17 : Première partie : - Le Mésolithique........................................................................... 25 : Deuxième partie : – Le Néolithique (4000 à 1800 av. J.C.)........................................ 49 I. Le Néolithique ancien et moyen A (4000 à 2800 av. J.C.) ..................................................... 51 II. Le Néolithique moyen B et récent (2800 à 1800 av. J.C.) ..................................................... 85 : Troisième partie : – L’âge du bronze (1800 à 500 av. J.C.)...................................... 117 I. L’âge du bronze ancien (1800 à 1100 av. J.C.)................. 119 II. L’âge du bronze récent (100 à 500 av. J.C.) .................... 183 : Bibliographie ................................................................................. 305 : Illustrations .................................................................................... 319 : Aknowledgements ......................................................................... 341 : Zusammenfassung ......................................................................... 343 : Sammanfattning............................................................................. 344

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